CT EE Smithsonian Institution ibrartes Alexander Wetmore 19 4 G SixthSecretary 1 953 QE Co, nn TRE A HISTOIRE GÉNÉRALE DES ANIMAUX L'HOMME, Ÿ COMPRIS L'ARITHMÉTIQUE MORALE. Par M. LE COMTE DE BUFFON. TOUTE PREMIER. Avec Figures. EN ENPAENTTAN OU y Lo Le © BERNE, Chez LA NOUVELLE SOCIÉTÉ TYPOGRAPHIQUE. FRERES M. DCC XCII. Ne A: | AT vin ue À Aa gent ut da sat RME TR da HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX. FA IL DE LES A © Pa De la Reproduéfion en général. Éuvoss de plus près cette propriété coma mune à l’animal & au végétal, cette puiflance de produire {on femblable, cette chaîne d’exif. tences fucceflives d'individus ; qui conftitue Vexiftence réelle de lefpèce ; & fans nous atta- cher à la génération de l’homme ou à celle d’une efpecc particuliere d'animal , voyons en général les phénomenes de la reproduction ; . raflemblons des faits pour nous donner des idées , & faifons l’énumération des différens moyens dont la Nature fait ufage pour renou- Veller les êtres organifés. Le premier moyen, & felon nous , le plus fimple de tous , eft de Hift. Nat. des Anim. T. 1 2 Hifioire Naturelle. raflembler dans un être une infinité d’êtres or- ganiques femblables , & de compofer tellement fa fubftance , qu’il n’y ait pas une partie qui ne contienne un germe de la mème efpece, & qui, par conféquent , ne puifle elle - mème deve- nit un tout femblable à celui dans lequel elle éft contenue. Cet appareil paroît d’abord fup- pofer une dépenfe prodigieule, & entrainer la profufion , cependant ce n’eft qu’une magni- ficence aflez ordinaire à la Nature, & qui fe manifeft: mème dans des efpeces communes & inférieures ; telles que font les vers , les poly- pes , les ormes , les faules, les grofeilliers, & plufieurs autres plantes & infectes dont cha- que partie contient un tout, qui, par le feul développement, peut devenir une plante ou un infecte. En confidérant fous ce point de vue les etres organilés & leur reproduction, un in- dividu n'eft qu’un tout , uniformément ‘orga- nifé dans toutes fes parties intérieures ; un com- pofé d’une infinité de figures femblables & de parties fimilaires , un afflemblage de germes ou de petits individus de la mème efpece; lefquels peuvent tous fe développer de la mème facon, fuivant les circonftances , & former de nou- veaux touts, compolés comme le premier. En approfondifant cette idée , nous allons trouver aux végétaux & aux animaux un rap- port avec les minéraux , que nous ne foupcon- nions pas : les {els & quelques autres miné- raux font compolés de parties femblables en- trelles, & femblables au tout qu’elles compo- fent. Un grain de fel marin cft un cube com- pofé d’une infinité d’autres cubes, que l’on peut DA Des Animaux. 3 reconnoitre diftinétement au microfcope (a), ces petits cubes font eux-mèmes compofés d’au- tres cubes, qu’on aperçoit avec un meilleur mi- crofcope ; & l’on ne peut guere douter que les parties primitives & conitituantes de ce fel, ne {oient aufli des cubes d’une petitefle qui échap- pera toujours à nos yeux, & mème à notre ima- gination. Les animaux & les plantes qui peu- vent fe multiplier & fe reproduire par toutes leurs parties, {ont des corps organifés, compe- fés d’autres corps organiques femblables , dont les parties primitives & conitituantes font aufli rganiques & femblables , & dont nous difcer- nons à l’œil la quantité accumulée, mais dont nous ne pouvons apercevoir les parties primi- tives que par le raifonnement, & par l’analogie que nous venons d'établir. Cela nous conduit à croire, qu’il y a dans la Nature une infinité de parties organiques , actuellement exiftantes, vivantes, & dont la fublitance eft la mème que celle des êtres orga- nilés , comme il y a une infinité de particu- les brutes, femblables aux corps bruts que nous connoiflons ; & que comme il faut peut - étre (a) He tèm purve quèm magne figure (falium) ex magno Jolèm numero suinorum particularum que eamdem figu- ras babent , funt conflate , ficuti wibi Jæpè licuit obfervare, CAR aqua imariaan aut cominunen in qua Jul commune li- quatum eret, intueor per microfcopium , quod , ex eû pro- . deunt elegantes, parue ac quadrangulares figuræ adeo exigueæ , ut mille exvum myriades magnitudinem arenæ craffioris ne æquent. Que jalis winutæ particule quèm primbin oculis con- Jpicio mugnitudine ab cinnibus lateribus crefeunt , fuam ta nen elegantem fuperficiem quadrangularem retinentes ferè... Figure be Jéline cavitate donatæ funt | &ÿc. Voyez Lecu- wenhoeck, Arc. Nat. t. I, pag. 3. À 2 4 Hifloire Naturelle. des miläons de petits cubes de fel accumulés, pour faire lindividu fenfible d’un grain de fel marin , 1} faut aufli des millions de parties er- ganiques femblables au tout, pour former un {eul des germes que contient l'individu d’un orme ou d’un polype ; & comme il faut fépa- rer, briler & difloudre un cube de {el marin pour apercevoir , au moyen de la criftallifation, les petits cubes dont il eft compolé , il faut de méme féparer les parties d’un orme ou d’un polype pour reconnoître enfuite, au moyen de la végétation ou du développement , les petits ormes ou les petits polypes contenus dans ces parties. La difficulté de fe prèter à cette idée ne peut venir que d'un préjugé fortement établi dans Pefprit des hommes : on croit qu’il n’y a de moyens de juger du compolé que par le fimple, & que pour connoiître la conftitution organique d’un être, il faut le réduire à des parties fim- ples & non organiques ; en forte qu’il paroît plus ailé de concevoir comment un cube eft né- ceflairement compolé d’autres cubes, que de voir qu'il foit poflible qu’un polype foit com." pole d’autres polypes. Mais examinons avec attention, & voyons ce qu’on doit entendre par le fimple & par le compofé : nous trouverons qu’en cela, comme en tout, le plan de la na- ture elt bien différent du canevas de nos idées. Nos fens , comme l’on fait, ne nous dor- nent pas des notions exactes & completes des chofes que nous avons beloin de connoître : pour peu que nous voulions eftimer , juger, comparer , pefer, mefurer , &c. nous fommes Des Animaux. $ obligés d’avoir recours à des fecours étrangers, à des regles, à des principes, à des ufages, à des inftrumens , @&c. Tous ces adminicules font des ouvrages de l’efprit humain , & tien- nent plus ou moins à la rédu@ion ou à Pabf traction de nos idées: cette abftraction, felon nous , et le fimple des chofes ; & la dificuité de les réduire à cette abftraction fait le com- pofé. L’étendue , par exemple , étant une pro- priété générale & abitraite de la matiere, n’elt pas un fujet fort compolé ; cependant, pour en juger , nous avons imaginé des étendues fans profondeur , d’autres étendues fans profondeur & fans largeur , & mème des points qui font des étendues fans étendue. Toutes ces abitrac- tions font des échafaudages pour foutenir notre jugement ; & combien n'avons - nous pas brodé fur ce petit nombre de définitions qu’emploie la Géométrie! Nous avons appellé fimple tout ce qui fe réduit à ces définitions, & nous appel- lons compofé, tout ce qui ne peut s’y réduire aifément : & de-là un triangle, un carre, un cercle, un cube, &c. font pour nous des cho- fes fimples, aufli- bien que toutes les courbés dont nous connoifions les loix & la compoñi- tion géométrique ; mais tout ce que nous ne pouvons pas réduire à ces figures & à ces loix abftraites, nous paroït compoié : nous ne fai. fons pas attention que ces lignes ; ces trian- gles , ces pyramides , ces cubes, ces globules & toutes ces figures géométriques n’extftent que dans notre imagination ; que ces figures ne font que notre ouvrage, & qu'elles ne fe trouvent peut-être pas dans la nature, ou tout au moins, #3 6 Hifioire Naturelle. que fi elles s’y trouvent , c’eft parce que tou- tes les formes poilibles s’y trouvent, & qu'il elt peut - être plus difficile & plus rare de trou- ver, dans la nature , les figures fimples d’une pyramide équilatérale , ou d’un cube exact, que les formes compofées d’une plante ou d’un ani- mal. Nous prenons donc par - tout labftrait pour le fimple , & le réel pour le compolé. Dans la nature, au contraire, l’abftrait m’exifte point ; rien n’eft fimple & tout eft compolé, nous ne pénétrerons jamais dans la ftruéture intrme des chofes : des - lors nous ne pouvons guere prononcer fur ce qui et plus ou moins compofe. Nous n'avons d'autre moyen de le reconnoître que par le plus ou le moins de rap- port que chaque chofe paroït avoir avec nous & avec le refte de l'univers , & c’eft fuivant cette facon de juger que l'animal eft, à notre égard, plus compofé que le végétal , & le végé- tal plus que le minéral. Cette notion eft juite par rapport à nous ; mais nous ne {avons pas fi, dans la réalité, les uns ne font pas aufli fimples où aufli compofes que les autres, & nous igno- rons fi un globule ou un cube coûte plus ou moins à la nature, qu’un germe ou une partie organique quelconque. Si nous voulions ablo- lument faire fur cela des conjeétures , nous pourrions dire, que les chofes les plus commur- nes , les moins rares & les plus nombreulfes, {ont celles qui font les plus fimples ; mais alors les animaux feroient peut - ètre ce qu’il y auroit de plus fimple , puifque le nombre de leurs efpeces excede de beaucoup celui des efpeces de plantes ou de minéraux. Des Animaux. 7 Mais, fans nous arrèter plus long - temps à cette difcuflion , il fuit d’avoir montré que les idées que nous avons communément du fimple ou du compolé , font des idées d’abitraction ; qu’elles ne peuvent pas s'appliquer à la compo- fition des ouvrages de la nature, & que lorf- que nous voulons réduire tous les ètres à des élémens de figure réguliere, ou à des particu- les prifmatiques , cubiques , globuleules , &c. nous mettons ce qui n’eft que dans notre 1ma- gination à la place de ce qui eft réellement ; que les formes des parties conftituantes des dif- férentes chofes nous font ablolument incon- nues, & que, par conféquent, nous pouvons fuppofer & croire, qu’un ètre organifé eft tout compolé de parties organiques femblables, aufli- bien que nous fuppolons qu’un cube eft com- poié d’autres cubes. Nous n’avons, pour en juger , d'autre regle que l’expérience : de la meme facon que nous voyons qu'un cube de fel marin eft compofé d’autres cubes , nous voyons aufli qu’un orme net qu’un compofé d’autres petits ormes ; puifqu'en prenant un bout de branche ou un bout de racine , ou un morceau de bois {éparé du tronc , ou la graine, il en vient également un orme. Il en eft de mème des polypes & de quelques autres efpe- ces d'animaux, qu'on peut couper & féparer dans tous les fens en différentes parties pour les multiplier; & puifque notre regle, pour ju- ger eft la mème , pourquoi jugerions - nous différemment ? Î me paroïit donc très - vraifemblable , par les raifonnemens que nous venons de faire, qu'il À 4 8 Hifioire Naturelle. exifte réellement dans la nature une infinité de petits êtres organifés , femblables en tout aux grands, êtres organilés, qui figurent dans le monde ; que ces petits êtres organifes font com- pofés de parties organiques vivantes, qui font communes aux animaux @& aux végétaux ; que ces parties organiques font des parties primi- tives & incorruptibles ; que l’aflemblage de ces parties forme à nos yeux des étres organités , & que, par conféquent, la reproduction ou la gé- nération ’eft qu’un changement de fofme, qui fe fait & s’opere par la feule addition de ces parties femblables , comme la deftruction de letre organifé fe fait par la divifion de ces mè- mes parties. On n’en pourra pas douter lorf- qu’on aura vu les preuves que nous en don- nons dans les chapitres fuivans. D'ailleurs, fi nous réfléchiffons fur la maniere dont les arbres croifient, & fi nous examinons comment d’une quantité qui eft fi petite, ils arrivent à un vo- Jume fi confidérable , nous trouverons que c’eft par la finple addition de petits ètres organifés femblables entr'eux & au tout. La graine pro- duit d'abord un petit arbre qu’elle contenoit en raccourci : au fommet de ce petit arbre il fe forme un bouton, qui contenoit le petit arbre de l’année fuivante ; & ce bouton eft une par- tie organique femblable au petit arbre de la pre- miere année : au fommet du petit arbre de la feconde année , il fe forme de mème un bouton, qui contient le petit arbre de la troifieme année; & ainfi de fuite: tant que l'arbre croît en hau- teur , & mème tant qu'il végete , il fe forme à l'extrémite de toutes les branches, des bou- Des Animaux, 9 tons, qui contiennent en raccourci de petits ar- bres, femblables à celui de la premiere année. Il eft donc évident que les arbres font compo- {és de petits ètres organifés femblables, & que lindividu total eft formé par l’aflemblage d’une multitude de petits individus femblabies. Mais, dira-t-on, tous ces petits êtres or- ganilés femblables étoient - ils contenus dans la graine, & l’ordre de leur développement y étoit- il tracé ? car il paroit que le germe qui s’eft développé la premiere année, elt furmonté par un autre germe femblable , lequel ne fe déve- loppe qu’à la feconde année; que celui - ci Peft de mème d’un troifieme , qui ne fe doit déve- lopper qu’à la troifieme année , & que, par con- équent, la graine contient réellement les petits êtres organifés , qui doivent former des boutons ou des petits arbres au bout de cent & de deux cents ans, ceft-à-dire, jufqu’à la def truction de l’individu : il paroit de mème, que cette graine contient non-feulement tous les petits êtres organifés qui doivent conftituer un jour l'individu; mais encore toutes les graines, tous les individus, & toutes les graines des grat- nes, & toute la fuite d'individus jufqu’à la def truction de l’efpece. C’eft ici la principale difficulté & le point que nous allons examiner avec le plus d’atten- tion. Il eft certain que Ja graine produit, par le feul développement du germe qu’elle con- tient, un petit arbre la premiere année , & que ce petit arbre étoit en raccuurci dans ce germe; mais il n’eft pas également certain que le bou- ton, qui eft le germe pour la f:conde année, 10 Hifioire Naturelle. & que les germes des années fuivantes , non plus que tous les petits ètres organifes & les graines qui doivent fe fuccéder juiqu’a la fin du monde ou jufqu’à la deftrucion de l’efpece , foient tous contenus dans la premiere graine. Cette opinion fuppole un progrès à l'infini, & fait de chaque individu actuellement exiftant , une fource de générations à l'infini. La pre- miere graine contenoit toutes les plantes de fon efpece qui fe font déja multipliées , & qui doivent fe multiplier à jamais: le premier homme contenoit actuellement & individuellement tous les hommes qui ont paru & qui paroitront fur la terre : chaque graine , chaque animal peut auf fe multiplier & produire à l'infini, & par conféquent contient , aufli-bien que la pre- miere graine ou le premier animal , une pofté- rité infinie. Pour peu que nous nous laifions aller à ces raifonnemens , nous allons perdre le fl de la vérité dans le labyrinthe de l'infini ; & au lieu d’éclaircir & de réfoudre la queition, nous n’aurons fait que l’envelopper & l’éloi- gner : c’eft mettre l’objet hors de la portée de fes yeux , & dire enfuite, qu’il n’eft pas pof- fible de le voir. Arrètons - nous un peu fur ces idées de progrès & de développement à l'infini. D'où nous viennent-elles ? Que nous repréfentent- elles ? L'idée de l'infini ne peut venir que de l’idée du fini : c’eft ici un infini de fucceflion, un infini géométrique ; chaque individu eft une unité, plufieurs individus font un nombre fini, & l’efpece eft le nombre infini : ainfi, de la mème facon que l’on peut démontrer que lin- Des Animaux. Ii fini géométrique n’exifte point ,; on s’aflurera que le progrès ou le développement à l'infini n’exifte point non plus ; que ce n’eft qu’une idée d’abftraction , un retranchement à l’idée du fini, auquel on ôte les limites qui doivent néceflairement terminer toute grandeur (b), & que, par conféquent , on doit rejetter de la Philofophie , toute opinion qui conduit néceflai- rement à l’idée de l’exiftence actuelle de Pin- fini géométrique ou arithmétique. Il faut donc que les partifans de cette opi- nion fe réduifent à dire , que leur infini de fuc- ceflion & de multiplication , n’eft en effet qu’un nombre indéterminable ou indéfini, un nom- bre plus grand qu'aucun nombre dont nous puiflions avoir une idée ; mais qui n’eft poinc infini : & cela étant entendu, il faut qu'ils nous difent, que la premiere graine ou une graine quelconque , d’un orme , par exemple, qui ne pefe pas un grain, contient en effet & réelle- ment toutes les parties organiques qui doivent former cet orme, & tous les autres arbres de cette efpece qui paroitront à jamais fur la fur- face de la terre ; mais, par cette réponfe, que nous expliquent -ils? N'eft- ce pas couper le nœud au lieu de le dilier , éluder la queftion quand il faut la réfoudre ? Lorfque nous demandons comment on peut concevoir que fe fait la reproduction des êtres, & qu’on nous répond, que, dans le premier être, cette reproduction étoit toute faite, c’eit non- (b}) On peut voir la démonfiration que j'en ai donnée dans la préface de la traduction des Fluxions de Newton. page 7 € fiv. 12 Hifoire Naturelle. feulement avouer qu’on ignore comment elle fe fait, mais encore renoncer à la volonté de Île concevoir. On demande comment un être pro- duit fon femblable ? On répond, c’eft qu’il etoit tout produit. Peut-on recevoir cette folution ? Car qu’il n'y ait qu'une génération de lun à Vautre , ou qu’il y en ait un million , la chofe eft égale ; la mème difficulté refte , & bien- loin de la réfoudre , en l’éloignant , on y joint une nouvelle obfcurité , par la fuppofition qu’on eft obligé de faire, du nombre infini de germes tous contenus dans un feul. J'avoue qu’il eft ici plus aifé de détruire que d'établir, & que la queftion de la reproduction eft peut -ètre de nature à ne pouvoir ètre Ja- mais pleinement réfolue ; mais dans ce cas on doit chercher fi elle eft telle en effet, & pour- quoi nous devons la juger de cette nature. En nous conduifant bien dans cet examen , nous en découvrirons tout ce qu’on peut en favoir, Ou tout au moins nous reconnoitrons nette- ment pourquoi nous devons l’ignorer. Il y a des queftions de deux efpeces ; les unes qui tiennent aux caufes premieres , les autres qui n’ont pour objet que les effets par- ticuliers : par exemple, fi lon demande pour- quoi la matiere et impénétrable, on ne répon- d'a pas, ou bien on répondra par la queftion même ; en difant : la matiere eft impénétrable par Ja raifon qu’elle eft impénétrable, & ilen fera de mème de toutes les qualités générales de la matiere : pourquoi eft-elle étendue, pefante, perfiftante dans fon état de mouvement ou de repos ? On ne pourra jamais répondre que par Des Animaux. 13 la queftion même : elle eft telle, parce qu’en effet elle eft telle ; & nous ne ferons pas éton- nés que l’on ne puifle pas répondre autrement, fi nous y failons attention : car nous fentirons bien , que , pour donner la raïfon d’une chofe, il faut avoir un fujet différent de la chofe, du- quel fujet on puifle tirer cette raifon : or tou- tes les fois qu’on nous demandera la raiïfon d’une caufe générale , c’eft- à- dire, d’une qua- lité qui appartient généralement à tout, dès- lors nous n'avons point de fujet à qui elle n’appartienne point ; par conféquent rien qui puille nous fournir une raifon , & dès - lors ül eft démontré qu’il eft inutile de la chercher , puifqu’on iroit par - là contre la fuppofition , qui eft, que la qualité eft générale , & qu’elle appartient à tout. Si l’on demande au contraire la raïfon d’un effet particulier , on la trouvera toujours dès qu’on pourra faire voir clairement, que cet effet particulier dépend immédiatement des caufes premieres dont nous venons de parler ; & la queftion fera réfolue toutes les fois que nous pourrons répondre, que l'effet dont il s’agit, tient à un effet plus général, & foit qu'il y tienne immédiatement , ou qu'il y tienne par un enchaîinement d’autres effets , la queftion {era également rélolue, pourvu qu’on voie claire- ment la dépendance de ces effets les uns des autres , & les rapports qu’ils ont entr’eux. Mais fi l'effet particulier dont on demande la raifon, ne nous paroît pas dépendre de ces effets généraux , fi non- feulement il n’en dé- pend pas, mais mème s’il me paroîit avoir au- 14 Hiftoire Naturelle. cune analogie avec les autres cffets particuliers , des - lors cet effet, étant {eul de fon efpece , & n'ayant rien de commun avec les autres effets, rien au moins qui nous foit connu , la quel- tion eft infoluble ; parce que, pour nous donner la raïfon d’une chofe , il faut avoir un fujet duquel on la puifle tirer, & que n’y ayant ici aucun fujet connu, qui ait quelque rapport avec celui que nous voulons expliquer, il ny a rien dont on puille tirer cette raifon que nous cher- chons. Ceci elt le contraire de ce qui arrive lorfqu’on demande la raifon d'une caufe géné- rale : on ne la trouve pas, parce que tout a les mèmes qualités; & au contraire on ne trouve pas la raifon de l'effet ifolé dont nous parlons, parce que rien de connu na les mèmes quali- tés : mais la différence qu’il y a entre l’un & Pautre , c’eft qu’il eft démontré, comme on l’a vu, qu'on ne peut pas trouver la raifon, d’un effet général , fans quoi il ne feroit pas géné. ral ; au lieu qu’on peut efpérer de trouver un jour la raifon d’un efiet ifolé, par la décou- verte de quelqu’autre effet relatif au premier que nous ignorons , & qu'on pourra trouver ou par hafard ou par des expériences. Ïl y a encore une autre efpece de queftion, qu'on pourroit appeller queffion de fait. Par exemple, pourquoi y a-t-1l des arbres? Pour- quoi y a-t-il des chiens ? Pourquoi y a-t-il des puces ? &c. Toutes ces queftions de fait font infolubles ; car ceux qui croient y répon- dre par des caufes finales, ne font pas atten- tion qu'ils prennent l'effet pour la caufe : le rapport que ces-chofes ont avec nous n’infuant Des Animaux. 15 point du tout fur leur origine , la convenance morale ne peut jamais devenir une raïfon phy- fique. Auffi faut - il diftinguer avec foin les quef- tions où l’on employe le pourquoi, de celles où lon doit employer le comment , & encore de celles où l’on ne doit employer que le combien. Le pourquoi eft toujours relatif à la caufe de leffet ou au fait meme ; le comment eft relatif à la facon dont arrive l’efflet, & le combien n’a de rapport qu’à la mefure de cet effet. Tout ceci étant bien entendu , examinons maintenant la queftion de la reproduction des êtres. Si l’on nous demande pourquoi les ani- maux & les végétaux le reproduifent , nous reconnoiîitrons bien clairement, que cette de- mande etant une queition de fait , elle eft dés- lors infoluble , & qu’il eft inutile de chercher à la réfoudre : mais fi on demande comment les animaux & les végétaux fe reproduifent , nous croirons y fatisfaire en faifant l’hiftoire de la génération de chaque animal en particulier , & de la reproduction de chaque végétal auf en particulier : mais lorfqu’après avoir parcouru toutes les manieres d’engendrer {on femblable, nous aurons remarqué que toutes ces hiftoires de la génération , accompagnées même des ob- fervations les plus exaétes , nous apprennent feulement les faits fans nous indiquer les cau- fes , & que les moyens apparens dont la na- ture {e fert pour la reproduction , ne nous pa- roiflent avoir aucun rapport avec les effets qui en réfultent, nous ferons obligés de changer la queftion , & nous ferons réduits à demander, 16 Hifhoire N aturelle. quel eft donc le moyen caché que la nature peut employer pour la reproduction des êtres ? Cette queftion, quieft la vraie, eft, comme Jon voit, bien différente de la premiere & de la féconde : elle permet de chercher &° d’ima- giner ,; & des - lors elle n’eft pas infoluble ; car elle ne tient pas immédiatement à une caufe générale : elle n’eft pas non plus une pure quef. tion de fait; & pourvu qu’on puifle concevoir un moyen de reproduction , lon y aura fatis- fait ; feulement il eft néceffaire que ce moyen qu’on imaginera , dépende des caufes principa- Jes, ou du moins qu'il n’y répugne pas; & plus il aura de rapport avec les autres effets de la nature, mieux il fera fondé. Par la queftion mème , il elt donc permis de faire des hypotheles, & de choifir celle qui nous paroîtra avoir le plus d’analogie avec les autres phénomenes de la nature; mais il faut exclure du nombre de celles que nous pour- rions employer, toutes celles qui fuppofenc la chofe faite: par exemple , celle par laquelle on Æuppoferoit , que, dans le premier germe, tous les germes de la mème efpece étoient contenus , ou bien qu’à chaque reproduction il y a une nouvelle création ; que c’eft un effet immédiat de la volonté de Dieu, & cela, parce que ces hypotheles {e réduifent à des queftions de fait, dont il n’eft pas pollible de trouver les rai- fons. Il faut aufli rejetter toutes les hypothe- les qui auroient pour objet les caufes finales ; comme celles où lon diroit, que la reproduc- tion fe fait pour que le vivant remplace le mort, pour que la terre {oit toujours égale- ment Des Animaux, 17 T. PTS - S L ° mênt couverte de végétaux & peuplée d’ani- maux , pour que l’homme trouve abondamment fa fubfftance, &c. parce que ces hÿpotheles , au lieu de rouler fur les caufes phyfiques de leffet qu’on cherche à expliquer, ne portent que fur des rapports arbitraires & {ur des con- venances morales: en mème temps il faut fe dé- fier de ces axiomes abfolus, de ces proverbes de phyfique, que tant de. gens ont mal-à-propos em- ployés comme principes: par exemple, il ne fe fait point de fécondation hors du corps; nulla fecundatio extra corpus; tout vivant vient d’un œuf, toute génération {uppole des fexes, &c. Il ne faut jamais prendre ces maximes dans un fens ablolu, & il faut penfer qu’elles fignifient feulement; que cela eft ordinairement de cette facon plutôt que d’une autre. Cherchons donc une hypothefe, qui n’ait au- ‘cun des défauts dont nous venons de parler, & par laquelle on ne puifle tomber dans aucun des inconvéniens que ,nous venons d’expofer ; & fi nous ne réufliflons pas à expliquer la mé- canique. dont fe {ert la nature pour opérer la reproduction, au moins nous arriverons à quel- que chofe de plus vraifemblable que ce qu’on a dit jufqu’ici, Le De la mème facon que nous pouvons. faire des moules , par lefquels nous donnons à l’exté- rieur des corps telle figure qu'il nous plaît, {uppofons que la nature puifle faire des moules, par lefquels elle donne non - feulement la figure extérieure, mais aufli la forme intérieure : ne feroit ce pas un moyen par lequel la reproduc. tion pourroit être opérée ? Hifi. Nat. des Anim. T.I, B 18 Hifioire Naturelle. Confiderons d’abord fur quoi cette fuppofi- tion eft fondée; examinons fi elle ne renferme rien de ro an dterine , & enluite nous verrons quelles conféquences on en peut tirer. Comme nos fens ne font juges que de lextérieur des corps, nous Re nettement les affec- -tions extérieures, & les différentes figures des furfaces , & nous pouvons imiter la Nature & rendre les figures extérieurs par différentes voies de repréfentation ; comme la peinture, la fculpture & les moules: mais quoique nos fens ne foient juges que des qualités extérieures, nous n'avons pas laiflé de reconnoitre qu’il y a dans les corps des qualités intérieures , dont quelques-unes font générales, comme la pefan- teur: cette qualité ou cette force n’agit pas re- jativement aux furfaces, mais proportionnelle- ment aux mañles, c’eit-à-dire, a la quantité de matiere. [l y a donc dans la Nature des qua- lités, même fort actives, qui pénetrent les corps juique dans les parties les plus intimes. Nous n'aurons jamais une idée nette de ces qualités, parce que, comme ieviensude..le Sr elles ne font pas extérieures, & que, par conféquent , elles ne peuvent pas tomber fous 110$ Jens: mais nous pouvons en comparer les ef- fets, & il nous eft permis d’en tirer des ana- -logies , pour rendre raifon des effets de qualités du mème genre. Si nos yeux, au lieu de ne nous repréfenter que la furface des chofes, étoicnt conformés de facon à nous repréfenter l'intérieur des corps , nous aurions alors une idée nette de cet inté- rieur , fans qu’il nous fût pofhble d’avoir , par Des Animaux. 19 ce même fens , aucune idée des furfaces. Dans cette fuppoñtion, les moules pour l’intérieur ; que jai dit qu'emploie la Nature, nous fe- roient auf faciles à voir & à concevoir, que nous le font les moules pour lextérieur; & même les qualités qui pénetrent l’intérieur des corps, feroient les {eules dont nous aurions des idées claires: celles qui ne s’exerceroient que fur les furfaces nous feroient inconnues, & nous aurions dans ce cas des voies de repréfen- tation pour imiter l’intérieur des corps, comme nous en avons pour imiter l’extérieur. Ces mou- les intérieurs , que nous n’aurons jamais, Ja Na ture peut les avoir, comme elle a les qualités de la pefanteur, qui en effet penetrent à l’in- térieur. La fuppofition de ces moules eft donc fondée fur de bonnes analogies: il refte à exa- miner fi elle ne renferme aucune contradiction. On peut nous dire, que cette expreflion, moule intérieur, paroît d’abord renfermer deux idées contradictoires ; que celle de moule ne peut fe rapporter qu’à la furface, & que celle de l'intérieur doit ici avoir rapport à la mafle. C’eft comme fi on vouloit joindre enfemble li- dée de la furface & l’idée de la male, & on diroit tout aufli-bien, une furface maflive qu’un moule intérieur. J'avoue que, quand il faut repréfenter des idées qui n’ont pas encore été exprimées, on .eft obligé de fe fervir quelquefois de termes qui paroiflent contradictoires ; & c’eft par cette rai- fon que les Philofophes ont fouvent employé dans ces cas des termes étrangers, afin d’éloi- gner de lefprit l’idée de contradiction, qui peut E 2 20 Hifioire Naturelle. fe préfenter, en fe fervant de termes ufités , & qui ont une fignification reçue: mais nous croyons que cet artifice eft inutile, des qu'on peut faire voir, que l’oppofition n’eft que dans les mots, & qu’il n’y a rien de contradictoire dans l’idée. Or je dis, que toutes les fois qu’il y a unité dans l'idée, il ne peut y avoir con- tradiction ; c’eft-à-dire, toutes les fois que nous pouvons nous former une idée d’une chofe, fi cette idée eft fimple, elle ne peut ètre compo- fée, elle ne peut renfermer aucune autre idée, & par conféquent elle ne contiendra rien d’op- polé, rien de contraire. Les idées fimples font non-feulement les pre- mieres appréhenfions qui nous viennent par les fens, mais encore les premieres comparaifons que nous faifons de ces appréhenfions : car fi lon y fait réflexion, l’on fentira bien, que la premiere appréhenfion elle -mème eft toujours une comparailon. Par exemple, l’idée de la grandeur d’un cbjet ou de {on éloignement ren- ferme néceflairement la comparaïlon avec une unité de grandeur ou de diftance ; ainfi lorf- qu'une idée ne renferme qu’une comparaifon, l’on doit la regarder comme fimple ; & déès-lors, comme ne contenant rien de contradictoire : telle eft l’idée du moule intérieur. Je connois dans la Nature une qualité qu’on appelle pe- Janteur , qui pénetre le corps à l’intérieur; je prends l’idée du moule intérieur relativement à cette aualité: cette idée n’enferme donc qu’une comparailon, & par conféquent aucune contra- diction. Voyons maintenant les conféquences qu’on Des Arimaux. O1 peut tirer de cette fuppofition , cherchons auffi les faits qu’on peut y joindre: elle deviendra d'autant plus vraifemblable que le nombre des analogies fera plus grand, &, pour nous faire mieux entendre, commençons par développer, autant que nous pourrons, cette idée des mou- les intérieurs , & par expliquer comment nous entendons qu’elle noùs conduira à concevoir les moyens de la reproduétion. La nature en général me paroït tendre beau- coup plus à la vie qu’à la mort: il femble qu’elle cherche à organifer les corps autant qu'il eft poflible. La multiplicaion des germes qu’on peut augmenter prefque à l'infini, en eft une preuve ; & l’on pourroit dire avec quelque fon- dement, que fi la matiere n’elt pas toute orga- nifée, c’eft que les êtres organifés fe détruifent les uns les autres: car nous pouvons augmen- ter, prefque autant que nous voulons, la quan- tité des êtres vivans & végétans, & nous ne pouvons pas augmenter la quantite des pierres ou des autres matieres brutes. Cela paroit in- diquer que l'ouvrage le plus ordinaire de la na- ture eff la production de lorganique ; que c’eft- là fon action la plus familiere , & que fa puif- fince n’eit pas bornée à cet égard. Pour rendre ceci fenfible, faifons le calcul de ce qu’un feul germe pourroit produire, fi l’on mettoit à profit toute {a puiflance productrice. Prenons une graine d’orme, qui ne pefe pas la centieme partie d’une once: -au bout de cent ans elle aura produit un arbre, dont le volume fera, par exemple, de dix toifes cubes; mais des la dixieme année, cet arbre aura rapporté 3 22 Hifoire Naturelle. un millier de graines , qui, étanttoutes femées, produiront un millier d’arbres, lefquels, au bout de cent ans, auront auiliun volume égal à dix toifes cubes chacun. ÂAïnfi en cent dix ans voilà déja plus de dix milliers de toiles cubes de matiere organique: dix ans après 1l y en aura dix millions de toifes, fans y comprendre les dix milliers d'augmentation par chaque annce, ce qui feroit encore cent milliers de plus; & dix ans encore après, 1l y en aura dix trillions de toifes cubiques : aïnfi en cent trente ans: un feul germe produiroit un volume de ma- tiere organifée de mille lieues cubiques; car une Jieue cubique ne contient que dix bil- lions de toifes cubes , à très-peu pres ; & dixans apres un volume de mille fois mille, c’eft.à-dire, d’un million de lieues cubiques; & dix apres, un million de fois un million, c’eft-a-dire, un trillion de lieues cubiques de matiere organi- fée : en forte qu’en cent cinquante ans, le globe terreftre tout entier pourroit être converti en matiere organique d’une feule efpece. La puif- fance active de la nature ne feroit arrètée que par la réfiftance des matieres , qui, n'étant pas toutes de l’efpece qu’il faudroit qu’elles fuflent pour être fufceptibles de cette organifation, ne fe convertiroient pas en fubftance organique; & cela mème nous prouve, que la nature ne tend pas à faire du brut, mais de lorganique, & que, quand elle n'arrive pas à ce but, ce n’eft que parce qu’il y a des inconvéniens qui s’y oppolent. Ainfiil paroit, que fon principal def. fein eft en effet, de produire des corps organi- {és , & d’en produire le plus qu’il eft poflible; + Des Animaux. 23. car ce que nous avons dit de la graine d’orme peut fe dire de tout autre germe, & il feroit facile de démontrer, que fi, à commencer d’au- jourd’hui , on faifoit éclore tous les œufs de toutes les poules, & que pendant trente ans, on eût foin de faire éclore de mème tous ceux qui viendroient, fans détruire aucun de ces ani- maux, au bout de ce temps il y en auroit af fez pour couvrir la furface entiere de la terre, en les mertant tout pres les uns des autres. En réfléchifflant {ur cette elpece de calcul , on fe familiarifera avec cette idée finguliere , que l’organique eft l'ouvrage le plus ordinaire de la nature , & apparemment celui qui lui coûte le moins. Mais je vais plus loin : il me paroit que la divifion générale qu’on devroit faire de Ja matiere , eftmatiere vivante & matiere morte; au lieu de dire, matiere organifée & matiere brute. Le brut n’eft que le mort: je pourrois le prou- ver par cette quantité énorme de coquilles & d’autres dépouilles des animaux vivans, qui font la principale fubftance des pierres, des marbres, des craies & des marnes ; des terres, des tour- bes, & de plufieurs autres matieres que nous appellons brutes, & qui ne {ont que les débris & les parties mortes d'animaux ou de végé- taux ; mais une réflexion, qui me paroit être bien fondée , le fera peut - ètre mieux fentir. Après avoir médité fur l’aétivité qu’a la na- ture pour produire des êtres organifés, apres avoir vu que fa puiffance à cet égard n'elt pas bornée enelle-mème, mais qu’elle eft feulement arrètce par des inconvéniens & des obitacles extérieurs ; après avoir reconnu qu'il doit exil B 4 24 Hijloire Naiurelle. ter une infinité de parties organiques vivantes , qui doivent produire le vivant; après avoir montré que le vivant eft ce qui coûte le moins à la nature, je cherche quelles font les caufes principales de la mort & de la deftruétion, & je vois qu'en général, les êtres qui ont la puif- fance de convertir la matiere en leur propre fubf tance, & de s’aflimiler les parties des autres êtres, font les plus grands deftruéteurs. Le feu, par exemple, a tant d'activité, qu’il tourne en fa propre fubftance prefque toute la matiere qu’on lui prélente. Il s’aflimile & fe rend pro- pre toutes les chofes combuftibles: aufli eft-il le plus grand moyen de deftruétion qui nous foit connu. Les animaux femblent participer aux qualités de la flamme; leur chaleur inté- rieure eft une efpece de feu : aufli après la flamme les animaux {ont les plus grands deftructeurs, & ils aflimilent & tournent en leur fubftance toutes les matieres qui peuvent leur fervir d’a- limens. Mais quoique ces deux caufes de def. truction foient très-confidérables, & que leurs eflets tendent perpétuellement à l’anéantiflement de l’organifation des êtres, la caule qui la re- produit eft infiniment plus puiflante & plus ac- tive : il femble qu’elle emprunte de la deftruc- tion mème, des moyens pour opérer la pro- duction, puifque laflimilation, qui eft une caufe de mort, eft en mème temps un moyen nécef- faire pour produire le vivant. Détruire un être organifé, n’eft, comme nous Pavons dit , que féparer les parties organiques dont il eft compofé : ces mèmes parties reftent féparées, juiqu'a ce qu’elles foient réunies par Des Animaux. 2 quelque puiflance active. Mais quelle eft cette puiflance ? Celle que les animaux & les végé- taux ont de s’ailimiler la matiere qui leur {ert de nourriture, n’eft-elle pas la mème, ou du moins n’a-telle pas beaucoup de rapport avec celle qui doit opérer la produétion ? CA à NO A OS ON 8 ST De la nutrition €? du developpement. Li corps d’un animal eft une efpece de moule intérieur , dans lequel la matiere qui fert à fon accroiflement, fe modele & s’aflimile au total; de maniere que, fans qu’il arrive aucun change- ment à l’ordre & à la proportion des parties, il en réfulte cependant une augmentation dans chaque partie prife féparément ; & c’eft cette augmentation de volume qu’on appelle déve- loppement , parce qu’on a cru en rendre railon. en difant , que lPanimal étant formé en petit comme il left en grand, il mw’étoit pas difhcile de concevoir que Îes parties fe développoient , à melure qu’une mâtiere accefloire venoit aug- menter proportionnellement chacune de fes par- ties. Mais cette mème augmentation, ce déve- loppement, fi on veut en avoir une idée nette, comiment peut-il fe faire, fi ce n’eft en conûide- rant le corps de l'animal, & mème chacune de ies parties qui doivent fe développer, comme 26 Hiftoire Naturelle. autant de moules intérieurs, qui ne recoivent la matiere accefloire que dans l’ordre qui réfulte de la pofition de toutes leurs parties? Et ce qui prouve que ce développement ne peut pas fe faire, comme on fe perfuade ordinairement, par la {eule addition aux furfaces, & qu’au contraire il s'opere par une fufception intime & qui pé- netre la mañle , c’eit que, dans la partie qui fe développe ,; le volume & la mafle augmentent proportionnellement & fans changer de forme: dès - lors il eft néceffaire que la matiere qui {ert a ce développement , pénetre par quelque voie que ce puifle étre, lintérieur de la partie, & Ja pénetre dans toutes les dimenfions ; & ce- pendant il eft en mème temps tout aufli nécef- faire que cette pénétration de fubftance fe fafle dans un certain ordre & avec une certaine me- {ure, telle, qu’il n'arrive pas plus de fubftance a un point de l’intérieur qu’à un autre point, fans quoi certaines parties du tout 1e dévelop- peroient plus vite que d’autres, & dès- lors la {orme feroit altérée. Or que peut-il y avoir qui prefcrive en effet à la matiere accefloire cette regle, & qui la contraigne à arriver également & proportionnellment à tous les points de lin térieur, fi ce n’eft le moule intérieur ? Il nous paroït donc certain, que le corps de Panimal ou du végétal, eft un moule intérieur. qui a une forme conftante, mais dont la mañe & le volume peuvent augmenter proportion- nellement, & que l’accroiflement , ou, fi l’on veut, le développement de l'animal ou du vé- gétal, ne fe fait que par l’extenfion de ce moule, dans toutes {es dimentions extérieures & inté- Des Anirinux. 27 fieures; que cette extenfion {e fait par l’intuf. fufception d’une matiere accefloire & étrangere, qui pénetre dans l’intérieur, qui devient fem. blable à la forme, & idenrique avec la matiere du moule. Mais de quelle nature eft cette matiere, que l'animal ou le végétal affimile à fa fub{rance ? quelle peut être la force ou la puiflance qui donne à cette matiere l’activité, & le mouve- ment néceflaire pour pénétrer le moule inte- rieur ? & s’il exifte une telle puiffance, ne fe- roit-ce pas par une puiffance femblable que le moule intérieur lui- mème pourroit être re. produit ? Ces trois queftions renferment, comme lon voit, tout ce qu’on peut demander {ur ce fujet, & me paroiïflent dépendre les unes des autres, au point que je fuis perfuadé, qu’on ne peut pas expliquer d’une maniere fatisfaifante la repro- duction de l’animal & du végétal, fi lon n’a pas une idée claire de la facon dont peut s’opé- rer la nutrition : il faut donc examiner {éparé- ment ces trois queftions, afin d’en comparer les conféquences. | La premiere, par laquelle on demande,de quelle nature eft cette matiere, que le végétal aflimile à fa fubftance, me paroît ètre en partie rélolue par les railonnemens que nous avons faits, & fera pleinement démontrée par des obfervations que nous rapporterons dans les chapitres fui. vans. Nous ferons voir qu’il exifte dans la nature une infinité de parties organiques vivan- tes ; que les êtres organifés font compofés de ces parties organiques, que leur production 28 Hifhoire Naturelle. ne coûte rien à la nature, puifque leur exif. tence eft conftante & invariable; que les cau- fes de deftruétion ne font que les féparer fans les détruire. Ainfi la matiere que l’animal ou le végétal aflimile à fa fubitance, eft une matiere organique, qui eft de Ja même nature que celle de Panimal ou du végétal; laquelle par confe- quent peut en augmenter la mafñle & le volume, fans en changer la forme & fans altérer la qua- lité de la matiere du moule, puifqu’elle eft en effet de la mème forme & de la mème qualité que celle qui le conftitue : ainfi dans la quan- tité d’aiimens que l'animal prend pour foutenit fa vie & pour entretenir le jeu de fes organes, & dans la feve que le végétal tire par fes raci- nes & par fes feuilles, il y en a une grande partie qu’il rejette par la tranfpiration, les fe- crétions & les autres voies excrétoires, & il n'y en à qu'une petite portion qui ferve à la nourriture intime des parties & à leur déve- loppement. Il eft très-vraifembläble qu’il fe fait dans le corps de l’animal ou du végétal une {éparation des parties brutes de la matiere des alimens & des parties organiques ; que les pre- mieres {ont emportées par les caufes dont nous venons de parler; qu'il n’y a que les parties organiques qui reftent dans le corps de l’animal ou du végétal, & que la diftribution s’en fait au moyen de quelque puiflance active, qui les porte à toutes les parties dans une proportion exacte, & telle qu'il n’en arrive ni plus ni moins qu’il ne faut pour que la nutrition, l’ac- croiflement ou le développement fe fafñle d’une maniere à peu près égale, Des Animaux. 29 C’eft ici la feconde queftion. Quelle peut être la puiffance active, qui fait que cette ma- tiere organique pénetre le moule intérieur & fe joint , ou plutôt s’incorpore intimement avec lui? Il paroïît par ce que nous avons dit dans le chapitre précédent, qu’il exifte dans la nature des forces, comme celle de la pelanteur , qui {ont relatives à l’intérieur de la matiere , & qui n’ont aucun rapport avec les qualités extérieu- res des corps ; mais qui agiflent {ur les parties les plus intimes & qui les pénetrent dans tous les points. Ces forces, comme nous l’avons prouvé; ne pourront jamais tomber fous nos fens, parce que leur action fe faifant fur lin- térieur des corps , & nos {ens ne pouvant nous repréfenter que ce qui fe fait à l'extérieur, el- les ne font pas du genre des choïes que nous puiflions appercevoir. Il faudroit pour cela que nos yeux, au lieu de nous repréfenter les fur- faces, fuflent organifés de facon à nous repré- fenter les mafles des corps, & que notre vue pût pénétrer dans leur ftructure & dans la com- pofition intime de la matiere : il eft donc évi- dent que nous n’aurons jamais d’idée nette de ces forces pénétrantes, ni de la maniere dont elles agiflent: mais en mème temps, il n’eft pas moins certain qu’elles exiftent ; que c’eft par leur moyen que fe produifent la plus grande partie des effets de la nature, & qu’on doit en particulier leur attribuer l’effet de la nutri- tion & du développement, puilque nous {om- mes aflurés, qu’il ne fe peut faire qu’au moyen de la pénétration intime du moule intérieur, Car de la mème façon que la force de la pefan- 30 Hifioire Naturelle. teur pénetré lintérieur de toute matieré, de mème la force qui poufle ou qui attire les par- ties organiques de la nourriture, pénetre auffi dans Pintérieur des corps organifés, & les y fait entrer par fon ation; & comme ces corps ont une certaine forme, que nous avons appel- lée le moule intérieur , les parties organiques ; pouflées par l’action de la force pénétrante, ne peuvent y entrer que dans un certain ordre re- latif à cette forme: ce qui, par conféquent, ne la peut pas changer, mais feulement en augmenter toutes les dimenfions , tant extérieures qu’in- térieures, & produire ainfi l’accroiffement des corps organiies & leur développement; & fi dans ce corps organifc, qui fe développe par ce moyen, il {e trouve une ou plufieurs parties femblabies au tout, cètte partie ou ces parties, dont la forme intérieure & extérieure eft fem- blable à celle du corps entier , feront celles qui opéreront la reproduction. Nous voici à la troifieme queftion. N’eft-ce pas par une puiflance femblable que le moule intérieur lui-même eft reproduit ? Non-{eule- ment c’eft une puiflance femblable, mais il pa: roît que c’eft la mème puiflance qui caufe le développement & la reproduction; car il fuffit que, dans le corps organifé qui fe développe, il y aît quelque partie femblable au tout, pour que, cette partie puifle un jour devenir elle- mème un corps organifé tout femblable à celui dont elle fait actuellement partie. Dans le point où nous confidérons le développement du corps entier, cette partie, dont la forme intérieure & extérieure eft femblable à celle du corps en Des Animaux. 31 tier , ne fe développant que comme partie dans ce premier développement, elle ne préfentera pas à nos yeux uue figure fenfible, que nous puiffions comparer actuellement avec le corps entier: mais fi on la fépare de cecorps, & qu’elle trouve de la nourriture , elle commencera à fe développer comme corps entier, & nous of- frira bientôt une forme femblable, tant à l’ex- térieur qu’à l’intérieur , & deviendra par ce fe. cond développement, un être de la mème ef- pece que le corps dont elle aura été féparée : ainfi dans les faules & dans les polypes, comme il y a plus de parties organiques {emblablesau tout que d’autres parties, chaque morceau de faule ou de polype qu’on retranche du-corps en- tier, devient un faule ou un polype par ce {e- cond -développement. Or un corps organifé , dont toutes les parties feroient {femblables à lui-mème, comme ceux que nous venons de citer , eft un corps dont lorganifation eft la plus fimple de toutes, comme nous l'avons dit dans le premier cha- pitre; car ce n’eft que la répétition de la mème forme, & une compofition de figures femblabies, toutes organifées de même: & c’eft par cette raifon que les corps les plus fimples, les efpe- ces les plus imparfaites, font celles qui {e repro- duifent le plus aifément & le plus abondamment; au lieu que fi un corps organifé ne contient que quelques parties femblabies à lui- mème, alors il n'y a que ces parties qui puiflent arri- ver au fecond développement, & par confe- quent la reproduction ne fera ni auili facile, ni auffi abondante dans ces efpeces, qu’elle l’eft 32 Hifioire Naturelle. dans celles dont toutes les parties font femkla- bles au tout: mais auf lorganifation de ces corps fera plus compofée que celle des corps dont toutes les parties font femblables, parce que le corps entier fera compolé de parties, à la vérité toutes organiques , mais différemment organilées, & plus il y aura dans le corps or- ganife de parties différentes du tout , & diffé- rentes entr’elles, plus Porganifation de ce corps {era parfaite, & plus la reproduction fera diff- cile. Se nourrir, 1e développer & fe reproduire, font donc les effets d’une feule & mème caufe. Le corps organifé fe nourrit par les parties des alimens qui lui font analogues ; il fe développe par la fufception intime des parties organiques qui lui conviennent, & il fe reproduit, parce qu’il contient quelques parties organiques qui Jui reflemblent. [lrefte maintenant à examiner fi ces parties organiques qui lui reflemblent , font venues dans le corps organifé par la nourriture, ou bien fi elles y étoient auparavant? Si nous fuppolons qu’elles y étoient auparavant, nous retombons dans le progrès à l’infini des parties ou germes femblables, contenues les uns dans les autres; & nous avons fait voir linfuifance & les difficultés de cette hypothefe : ainfi nous penfons, queles parties femblables au tout ar- rivent au corps organilé par la nourriture, & & il nous paroît qu’on peut, apres ce qui a été dit, concevoir la maniere dont elles arri- vent, & dont les molécules organiques, qui doi- * vent les former , peuvent fe réunir. 1 Il fe fait, comme nous Pavons dit , une fé- paration Des Animaux. 33 paration des parties dans la nourriture. Celles qui ne font pas organiques, & qui par conféquent ne font point analogues à lanimal ou au végétal , font rejetées hors du corps organifé par la tranf- piration & par les autres voies excrétoires: cel- les qui font organiques reitent, & fervent au dé. veloppement & à la nourriture du corps orga- nilé : mais dans ces parties organiques, il doit y avoir beaucoup de variété, & des efpeces de parties organiques très-différentes les unes des autres: & comme chaque partie du corps orga- nifé reçoit les efpeces qui lui conviennent le mieux, & dans un nombre & une proportion aflez égale, il eft très-naturel d'imaginer, que le fuperfu de cette matiere organique , qui ne peut pas pénétrer les parties du corps orga- nifé , parce qu’elles ont recu tout ce qu’elles pouvoient recevoir ; que ce fuperflu, dis-je, {oit renvoyé de toutes les parties du corps dans un ou plufieurs endroits communs , où toutes ces molécules organiques fe trouvant réunies , elles forment de petits corps organifés fembla- bles au premier, & auxquels ils ne manque que les moyens de fe développer. Car toutes les parties du corps organifé, renvoyant des par- ties organiques, femblables à celles dont elles font elles-mèmes compofées , il eft nécefläire que , de la réunion de toutes ces parties, il ré. fulte un corps organife femblable au premier. Cela étant entendu , ne peut-on pas dire que c’eft par cette raifon , que , dans le temps de l’ac- croïflement & du développement, les corps or- ganifés ne peuvent encore produire ou ne pro- duifent que peu, parce que les parties qui { Hiff. Nat. des Anim. T. I. C LV Hifioire Naturelle. développent, abforbent la quantité entiere des molécules organiques qui leur font propres, & que n’y ayant point de parties {uperflues, il n'y en a point de renvoyées de chaque partie du corps, &, par conféquent, il n’y a encore aucune reproduction ? Cette explication de la nutrition & de la re- production, ne fera peut-être pas reçue de ceux qui ont pris pour fondement de leur philofo- phie, de n’admettre qu’un certain nombre de principes mécaniques, & de rejetter tout ce qui ne dépend pas de ce petit nombre de princi- pes. C’eft-là, diront-ils, cette grande diHféren- ce, qui eft entre la vieille philofophie & celle d'aujourd'hui. Il n’eft plus permis de fuppofer des caufes ; il faut rendre raifon de tout par les loix de la mécanique, & il n’y a de bonnes explications que celles qu’on en peut déduire : & comme celle que vous donnez de Ja nutrition & de la reproduction, n’en dépend pas, nous ne devons pas l’admettre. J'avoue que je pente bien différemment de ces Philofophes: il me femble qu’en n’admettant qu’un certain nombre de principes mécaniques, ils n’ont pas fenti com- bien ils rétrécifloient la philofophie , & ils mont pas vu, que, pour un phénomene qu’on pourroit y rapporter, ‘il y en avoit mille qui en _étoient indépendans. L'idée de ramener lexplication de tous les : phénomenes à des principes mécaniques, ett af furément grande & belle. Ce pas eftle plus hardi … qu'on püt faire en- philofophie, &: c’eft Defcar- . tes qui la fait: mais cette idée n’eft qu’un pro- jet s & ce projet elft-il fondé? Quand même il Des Animaux. 3$ le feroit, avons-nous les moyens de lexécu- ter ? Ces principes mécaniques {ont l’étendue de la matiere , {on impénétrabilité, fon mouve- ment , {a figure extérieure, fa divilibilité, la communication du mouvement par la voie de Pimpulfion , par laétion des reflorts, &c. Les idées particulieres de chacune de ces qualités de de la matiere nous font venues par les fens, & nous les avons regardées comme principes, parce que nous avons reconnu qu’elles étoient générales , c’elt-à-dire, qu’elles appartenoient ou pouvoient appartenir à toute la matiere: mais devons- nous aflurer que ces qualités foient les feules que la matiere ait en effet, ou plutôt ne devons-nous pas croire , que ces qualités, que nous prenons pour des principes, ne font au- tre chofe que des façons de voir? & ne pou- vons-nous pas penfer, que fi nos fens étoient autrement conformés, nous reconnoitrions, dans la matiere, des qualités très-différentes de celles dont nous venons de faire l’énumération ? Ne vouloir admettre, dans la matiere , que les qualités que nous lui connoïiflons , me paroit une prétention vaine & mal fondée. La matiere peut avoir beaucoup d’autres qualités généra- les, que nous ignorerons toujours: elle peut en avoir d’autres que nous découvrirons; comme cel- le de la pefanteur , dont on a, dans ces derniers temps, fait une qualité générale, & avec raifon, puifqu'elle exifte également dans toute la ma. tire que nous pouvons toucher, ®& même dans celle que nous fommes réduits à ne con- noiître que par le rapport de nos yeux. Cha- cune de ces qualités générales pti un nou- 2 36 Hifioire Naturelle. veau principe, tout aufli mécanique qu'aucun des autres, & lon ne donnera jamais l’explica- tion, ni des uns ni des autres. La caufe de l’im- pulfion , ou de tel autre principe mécanique recu , fera toujours aufli impoilible à trouver que celle de l'attraction, ou de telle autre qua- lité générale qu’on pourroit découvrir ; & dès- Jors, n’eit-1l pas tres-raifonnable de dire, que les principes mécaniques ne font autre chofe que les etfets généraux, que l'expérience nous a fait remarquer dans toute la matiere, & que, toutes les fois qu'on découvrira, {oit par des comparailons, {oit par des mefures ou des expé- riences , un nouvel effet senéral, on aura un nouveau principe mécanique, qu'on pourra employer avec autant de {üreté & d’avantage qu'aucun des autres ? Le défaut de la philofophie d’Ariftote étoit, d'employer comme caufes tous les effets parti- culiers: celui de celle de Defcartes eft, de ne vouloir employer comme caufes qu’un petit nom- bre d'effets généraux, en donnant l’exclufion à tout le refte. Il me femble que la philofophie fans défaut, feroit celle où l’on n’employeroit pour caufes que des effets généraux ; mais où lon chercheroit en mème temps à en augmenter le nombre , en tâchant de généralifer les effets particuliers. | Vai admis, dans mon explication du déve- Joppement & de la reproduction, d'abord les principes mécaniques reçus; enfuite celui de la pefanteur , qu’on eft obligé de recevoir, &, par analogie, J'ai cru pouvoir dire, qu'il y avoit d’autres forces pénétrantes, qui s’exercoient dans Ld 1 Des Animaux. 37 les corps organifés, comme l’expérience nous en aflure. j'ai prouvé, par des faits, que la ma- tiere tend à s’organiler, & qu'il exifte un nom- bre infini de parties organiques. Je n’ai donc fait que géncraliier les obfervations , fans avoir rien avancé de contraire aux principes mécani- ques, lorfqu'on entendra par ce mot, ce que Jon doit entendre en effet, c’eft-a-dire, les ef- fets généraux de la Nature. LOGE 2 D A 2 HS à A SEE DA De la génération des Animaux. : A MME l’organilation de l’homme & des animaux eft la plus parfaite & la plus compo- fée, leur reproduction eft aufli la plus difficile & la moins abondante: car j'excepte ici, de la clafle des animaux, ceux qui, comme les po- lypes d’eau douce, les vers, &c. fe reprodui- {ent de leurs parties féparées, comme les arbres fe reproduifent de boutures, ou les plantes par leurs racines divifées & par cayeux. J'en excepte encore les pucerons & les autres efpe- ces qu’on pourroit trouver, qui {e multiplient deux -mêmes & fans copulation. Il me paroit que la reproduction des animaux qu’on coupe, celle des pucerons, celle des arbres par les bou- tures, celle des plantes par racines ou par cayeux , font fufifamment expliquées par ce que nous avons dit dans le chapitre précédent : çar 7 ? 38 Hifioire Naturelle. pour bien entendre la matiere de cette repro. duction, il fuffit de concevoir, que, dans la nourriture que ces êtres organilés tirent, il y : a des molécules organiques de différentes efpe- ces; que, par une force {emblable à celle qui produit la pefanteur , ces molécules organiques pénetrent toutes les parties du corps organifé, ce qui produit le développement & fait la nu- trition ; que chaque partie du corps organite , chaque moule intérieur n’admet que les molécu- les organiques qui lui font propres; & enfin, que , quand le développement & l’accroiflement font prefque faits en entier, le furplus des mo- lécules organiques, qui y fervoit auparavant , eft renvoyé de chacune des parties de lindividu dans un où plufieurs endroits, où fe trouvant toutes raflemblées, elles forment, par leur réunion, ün ou plufieurs petits corps organifés, qui doivent étre tous femblables au premier individu, puifque chacune des parties de cet individu à renvoyé les molécules organiques qui lui étoient les plus analogues ; celles qui auroient férvi à {on développemant, s’ils n’eût pas été fait; celles qui , par leur fimilitude, peu- vent fervir à la nutrition; celles enfin, qui ont a-peu-pres la meme forme organique que ces partties elles-mèmes. Ainfi, dans toutes les elpeces où un feul individu produit {on fembla. ble, il eft ailé de tirer l'explication de la repro- duétion de celle du développement & de la nutrition. Un puceron, par exemple, ou un oignon , recoit, par la nourriture, des molécu- les organiques & des molécules brutes. La fé paration Ges unes & des autres fe fait dans Des Animaux. 39 le corpsle l'animal ou de la plante : - tous deux rejettent, par différentes voies excrétoi- res, les parties brutes; les molécules organi- ques reftent. Celles qui font les plus analogues à chaque partie du puceron ou de l’oignon, pénetrent ces parties, qui font autant de mou- les intérieurs, différents les uns des autres, & qui n’admettent par conféquent que les molé- cules organiques qui leur conviennent: toutes les parties du corps du puceron & de celui de Voignon, fe développent par cette intuflufcep- tion des molécules qui leur font analogues , & lorfque ce développement eft à un certain point, que le puceron a grandi, & que l'oignon a grofli aflez , pour être un puceron adulte & un oignon formé, la quantité de molécules or- ganiques, qu'ils continuent à recevoir par la nourriture, au lieu d’être employées au deve- loppement de leurs différentes parties, eft ren- voyée, de chacune de ces parties, dans un où plufieurs endroits de leur corps, où ces mole- cules organiques fe raflemblent & fe réuniflent, par une force femblable à celle qui leur faifoit pénétrer les différentes parties du corps de ces individus : elles forment , par leur réunion, un ou plufieurs petits corps organilés, entiérement femblables au puceron ou à l'oignon; & lort- que ces petits corps organifés {ont formés , il ne leur manque plus que les moyens de fe dé- velopper ; ce qui fe fait dès qu'ils fe trouvent à portée de la nourriture. Les petits pucerons lortent du corps de leur pere & Ja cherchent fur les feuilles des plantes : on fépare de l'oignon C 4 40 Hifioire Naturelle. fon cayeux , & il la trouve dans le fein de la terre. Mais comment appliquerons-nous ce raifon- nement à la génération de l’homme & des ani- maux qui ont des fexes, & pour laquelle il eft nécefiaire que deux individus concourent ? On entend bien, par ce qui vient d'etre dit , com- ment chaque individu peut produire fon fem- blable ; mais on ne concoit pas comment deux individus, lun mâle & l’autre femelle, en produifent un troifieme, qui a conftamment Pun ou l’autre de ces fexes : il femble mème que la théorie qu’on vient de donner, nous éloigne de l’explication de cette efpece de géné- ration, qui, cependant, eft celle qui nous in- térefle le plus. | Avant que de répondre à cette demande, je ne puis m’empècher d’obferver, qu’une des premieres chofes qui nraient frappé lorfque Jai commencé à faire des réflexions fuivies fur ja génération , c’eft, que tous ceux qui ont fait des recherches & des fyftèmes fur cette matiere, fe font uniquement attachés à la géné. ration de l’homme & des animaux : ils ont rap. porté à cet objet toutes leurs idées; & nayant confidéré que cette génération particuliere , fans faire attention aux autres efpeces de génération, que la Nature nous offre, ils n’ont pu avoir d’idées générales fur la reproduction: & comme Ja génération de l’homme & des animaux eft, de toutes les efpeces de génération, la plus com- pliquée, ils ont eu un grand défavantage dans Jeurs recherches , parce que, non-feulement ils ont attaqué le point le plus diMicile & le phe. Des Animaux. AT nomene le plus compliqué , mais encore , parce qu’ils n’avoient aucun fujet de comparaïlon, dont il leur fût pofible de tirer la folution de la queftion : c’eft à cela principalement que je crois devoir attribuer le peu de fuccès de leurs travaux fur cette matiere, au lieu que je fuis perfuadé, que, par la route que jai prie, on peut arriver à expliquer, d’une maniere fatis- faifante, les phénomenes de toutes les efpeces de générations. Celle de l’homme va nous fervir d'exemple. Je le prends dans enfance, & je conçois , que le développement ou l’accroiflement des diffé. rentes parties de fon corps, fe faifant par la pénétration intime des molécules organiques ana. logues à chacune de fes parties, toutes ces molécules organiques font abforbées dans le pre- mier âge, & entiérement employées au déve- loppement; que, par conféquent , il n'yen a que peu ou point de fuperfues, tant que le développement n’eft pas achevé, & que c’eft pour cela que les enfans font incapables d’en- gendrer : mais lorfque le corps a pris la plus grande partie de fon accroiflement, il commence a n'avoir plus befoin d’une aufli grande quan- tité de molécules organiques pour fe dévelop- per ; le fuperfu de ces mèmes molécules orga- niques eft donc renvoyé , de chacune des par- ties du corps, dans des réfervoirs deftinés à les recevoir. Ces reélervoirs font les tefticules & les véficules féminales: c’eft alors que commence la puberté, dans le temps, comme on voit, où le développement du corps eft à peu près achevé. Tout indique alors la furabondance de la nour- 42 Hifloire Naturelle. riture; la voix change & groflit, la barbe com- mence à paroitre, plufieurs autres parties du corps fe couvrent de poil: celles qui font def- tinces à la génération prennent un prompt ac- croiflzment; la liqueur féminale arrive, & rem- plit les rélervoirs qui lui {ont préparés , & lorf- que la plénitude eft trop grande, elle force, mème fans aucune provocation & pendant le fommeil , la réfiftance des vaifleaux qui la con- tiennent, pour fe répandre au dehors: tout an- nonce donc, dans le mâle , une furabondance de noürriture, dans le temps que commence là puberté: celle de la femelle eft encore plus pré- coce ; & cette furabondance y eft mème plus marquée par cette évacuation périodique , qui commence & finit en mème temps que la puif fance d’engendrer ; par le prompt accroiffement du fein, & par un changement dans les parties de la génération , que nous expliquerons dans la fuite (c). Je penfe donc que les molécules organiques , renvoyées de toutes les parties du corps dans les tefticules & dans les véficules féminales du male, & dans les tefticules , ou dans telle au- tre partie qu'on voudra de la femelle, y for- ment la liqueur féminale ; laquelle , dans l’un & lautre {exe , eft, comme l’on voit, une elpece d’extrait de touces les partiès du corps, Ces molécules organiques , au lieu de fe réu- nir & de former dans l'individu mème de pe- tits corps organifés , femblables au grand, comme dans le puceron & dans l'oignon , ne (c) Voyez ci. après l’hiftoire naturelle de l’homme, au ‘Chapitre de la Puberté, 19. à lincà. Des Animaux. A3. peuvent ici fe réunir en effet, que quand les liqueurs féminales des deux fexes fe mèlent ; & lorique, dans le mèlange qui s’en fait, il fe trouve plus de molécules organiques du mäle que de la femelle , 1l en réfulte un male: au contraire , s'il y a plus de particules organi ques de la femelle que du male , il fe forme une petite femelle. . Au refte, je ne dis pas que, dans chaque individu male & femelle , les molécules orga- niques , renvoyées de toutes les parties du corps , ne fe réuniflent pas pour former , dans ces mèmes individus, de petits corps organi- fés: ce que je dis, c’eft, que lorfqu'ils font réunis, foit dans le male, foit dans la femelle, tous ces petits corps organifés ne peuvent pas fe développer d’eux - mèmes ; qu'il faut que la liqueur du mâle rencontre celle de la femelle, & qu'il n'y a en effet , que ceux qui fe for- ment dans le mélange des deux liqueurs femi- nales , qui puiflent fe développer. Ces petits corps mouvans , auxquels on a donné le nom d'animaux fpermatiques , qu’on voit au microf- cope dans la liqueur féminale de tous les ant- maux mâles, font peut-être de petits corps or- ganilés, provenants de l'individu qui les con- tient; mais qui, d’eux-mèmes, ne peuvent {e développer ni rien produire. Nous ferons voit qu’il y en a de femblables dans la liqueur fe- minale des femelles; nous indiquerons l'endroit où l’on trouve cette liqueur de la femelle: mais, quoique la liqueur du mâle & celle de la femelle contiennent toutes deux des efpeces de petits corps vivans & organifés , elles ont befoin l’une A4 Hifloire Naturelle. de l’autre , pour que les molécules organiques , qu’elles contiennent , puiflent fe réunir & for- mer un animal. On pourroit dire, qu’il eft très- poflible , & mème fort vraifemblable, que les molécules organiques ne produifent d’abord, par leur réu- nion, qu’une efpece d’ébauche de Panimal; un petit corps organilé, dans lequel il n’y a que les parties eflentielles qui foient formées. Nous i’entrerons pas actuellement dans le détail de nos preuves à cet égard : nous nous contente- rons dé remarquer , que les prétendus animaux fpermatiques , dont nous venons de parler, pourroient bien n’ètre que très-peu organifes ; qu’ils ne font , tout au plus, que l’ébauche d’un être vivant, ou, pour le dire plus claire- ment, ces prétendus animaux ne font que les parties organiques vivantes dont nous avons parlé, qui font communes aux animaux & aux végétaux ; ou, tout au plus, ils ne font que la premiere réunion de ces parties organiques. Mais revenons à notre principal objet. Je fens bien qu’on pourra me faire des difficultés particulieres du mème genre que la difficulté générale , à laquelle jai répondu dans le cha- pitre précédent. Comment concevez-vous, me dira-t-on ,; que les parties organiques fuper- flues , puiflent être renvoyées de toutes les par- ties du corps, & enfuite qu’elles puiflent {e reu- nir lorfque les liqueurs féminales des deux fexes font melées ? D'ailleurs, eft-on für que ce mélange fe fañle? N’a-t-on pas même pré- tendu , que la femelle ne fournifloit aucune li- queur vraiment féminale ? Eft-il certain que celle du mâle entre dans la matrice ? &c. Des Animaux. 45 Je réponds à la premiere queftion ; que, fi Pon a bien entendu ce que jai dit au fujet de Ja pénétration du moule intérieur par les mo- lJécules organiques dans la nutrition ou le dé- veloppement, on concevra facilement , que ces molécules organiques , ne pouvant plus péné- trer les parties qu’elles pénétroient auparavants elles feront néceflitées de prendre une autre route , &, par confquent , d'arriver quelque part ; comme dans les tefticules & les véficu- les féminales, & qu’enfuite elles fe peuvent réunir pour former un petit ètre organilé , par la mème puiflance qui leur faifoit pénétrer les différentes parties du corps auxquelles elles étoient analogues : car vouloir , comme je lai dit , expliquer l’économie animale & les diffé- rens mouvemens du corps humain , {oit celui de la circulation du fang ou celui des mulcles , &c. par les feuls principes mécaniques , aux- quels les modernes voudroient borner la philo- fophie , c’eft précifément la mème chole que fi un homme, pour rendre compte d’un ta- bleau , fe faifoit boucher les yeux, & nous racontoit tout ce que le toucher lui feroit {en- tir fur la toile du tableau : car il eft évident , que ni la circulation du fang , ni le mouve- ment des mufcles , ni les fonctions animales ne peuvent s'expliquer par l’impulfion , ni par les autres loix de la mécanique ordinaire : il eft tout aufli évident, que la nutrition, le développement & la reproduétion fe font pat d’autres loix. Pourquoi donc ne veut-on pas admettre des forces pénétrantes & agiffantes fur les males des corps, puifque, d’ailleurs, nous 46 Hifloire Naturelle. en avons des exemples dans la pefanteur des corps, dans les ättractions magnétiques, dans les affinités chimiques ? Et comme nous {om- mes arrivés par la force des faits, & par la multitude & l’accord conftant & uniforme des obfervations , au point d’être afiurés qu’il “Æxifte , dans la nature, des forces qui n’agif {ent pas par la voie d'impulfion , pourquoi nemployerions - nous pas ces forces comme principes mécaniques ? Pourquoi les exclurions- nous de lPexplication des phénomenes que nous favons qu’elles produifent? Pourquoi veut-on fe réduire à n’employer que la force d’impul- fion ? N’eft - ce pas vouloir juger du tableau par le toucher ? N’eit - ce pas vouloir expliquer les phénomenes de la mañe par ceux de la furface ; la force pénétrante par l’action fuperficielle ? N’eft-ce pas vouloir fe fervir d’un fens , tan- dis que c’eft un autre qu'il faut employer ? N'’eft- ce pas, enfin , borner volontairement fa faculté de raïfonner {ur autre chofe , que fur les effets qui dépendent de ce petit nombre de principes mécaniques , auxquels on s’eft ré- duit ? Mais ces forces étant une fois admifes , neft -il pas très- naturel d’imaginer, que les parties les plus analogues feront celles qui fe réuniront & fe lieront enfemble intimement ? que chaque partie du corps s’appropriera les molécules les plus convenables , & que , du fuperflu de toutes ces molécules, il fe formera une matiere féminale , qui contiendra réelle- ment toutes les molécules néceflaires pour for- mer un petit corps organifé , {emblable en tout Des Animaux. 47 à celui dont cette matiere féminale eft l'extrait ? Une force toute femblable à celle qui étoit né- ceflaire pour les faire pénétrer dans chaque par- tie, & produire le développement , ne fufft- elle pas pour opérer la réunion de ces molécu- les organiques , & les aflembler en effet en forme organifée, & femblable à celle du corps dont elles {ont extraites ? Je concois donc, que, dans les alimens que nous prenons , il y a une grande quantité de molécules organiques ; & cela n’a pas beloin d’ètre prouvé, puifque nous ne vivons que d’a- nimaux ou de végétaux, lefquels font des ètres organifes. Je vois que, dans l’eftomac & les inteftins , il {e fait une {éparation des parties groflieres & brutes , qui font rejetées par les voies excrétoires : le chyle, que je regarde comme l'aliment divifé , &:dont la dépuration eft commencée , entre dans les veines laétées , & de-là eft porté dans le fang avec lequel il fe mêle : le fang tran{porte ce chyle dans tou- tes les parties du corps; il continue à fe dé. purer , par le mouvement de la circulation, de tout ce qui lui reftoit de molécules non or- ganiques : cette matiere brute & étrangere , eft chaflée par ce mouvement, & fort par les voies des fécrétions & de la tran{piration ; mais les molécules organiques reftent , parce qu’en effet elles font analogues au fang , & que, dès- lors , il y a une force d’affinité qui les retient. Enfuite , comme toute la mañe du fang pañle plufieurs fois dans toute l'habitude du corps , Je conçois , que, dans ce mouvement de cir- eulation continuelle , chaque paitie du corps 48 Hifioire Naturelle. attire à foi les molécules les plus analogues , & laifle aller celles qui le font le moins : de cette facon , toutes les parties {e développent & fe nourriflent , non pas, comme on le dit ordinairement , par une fimple addition des parties, & par une augmentation {uperficielle ; mais par une pénétration intime, produite par une force qui agit dans tous les points de la mafñle : & lorfque les parties du corps font au point de développement néceflaire , & qu’elles {ont prefque entiérement remplies de ces molé- cules analogues ; comme leur fubftance eft de- venue plus folide , je concois qu’elles perdent la faculté d'attirer ou de recevoir ces molécu- les, & alors la circulation continuera de les emporter , & de les préfenter fucceflivement à toutes les parties du corps ; lefquelles, ne pou- vant plus les admettre, il eft néceflaire qu’il en fañle un dépôt quelque part, comme dans les telticules & les véficules féminales. Enfuite , cet extrait du mâle, étant porté dans l'individu de l’autre exe, fe mèle avec l'extrait de la fe- melle, &, par une force femblable à la pre- miere , les molécules qui fe conviennent le mieux fe réuniflent , & forment , par cette réu- nion, un petit corps organifé , femblable à l’un ou à l’autre de ces individus , auquel il ne man. que plus que le développement, qui {e fait en- fuite dans la matrice de la femelle. La feconde quüeftion, favoir fi la femelle a en effet une liqueur féminale , demande un peu de difcuffion. Quoique nous foyons en état d'y fatisfaire pleinement , j'obferverai avant tout, comme une chofe certaine , que la maniere dal + 4e Des Animaux, 49 {e fait l’émiflion de la femence de la femelle ; elt moins marquée que dans le male ; car cette émiflion fe fait ordinairement en dedans : quod intra fe femen jacit femina vocatur ; quod in hac jacit, mas, dit Âriftote , art. 18, de Animali- bus. Les Anciens, comme l’on voit, doutoient fi peu que les femelles euflent une liqueur fé- minale , que c’étoit par la difiérence de l’émif- fion de cette liqueur qu’ils diftinguoient le mâle de la femelle. Mais les Phyficiens qui ont voulu expliquer la génération par les œufs ou par les animaux fperniatiques ; ont infinué, que les femelles n’avoient point de liqueur féminale ; que ; comme elles répandent différentes liqueurs ; on a pu fe tromper f l’on a pris pour la liqueur féminale ; quelques - unes de ces liqueurs, & que la fuppofition des Anciens fur lexiftence d’une liqueur féminale dans la femelle ; étoit deftituée de tout fondement : cependant cette liqueur exifte, & fi l’on en a douté, c’eft qu’on à mieux aimé fe livrer à l’efprit de {vf tème que de faire des obfervations , & que d’ailleurs il n’étoit pas aifé de reconnoître pre- cifément quelles parties fervent de réfervoir à cette liqueur féminale de la femelle. Celle qui part des glandes qui font au col de la matrice aux environs de l’orifice de l’uretre, na pas de réfervoir marqué ; & comme elle s’e- coule au dehors, on pourroit croire qu’elle n'eft pas la liqueur prolifique , puifqu’elle ne concourt pas à la formation du fœtus, qui fe fait dans la matrice : la vraie liqueur féminale de la femelle doit avoir un autre réfervoir ; & elle réfide en effet dans une autre partie, comme Hifi. Nat. des Anim. T. 1 so Hifioire Naturelle. nous le ferons voir. Elle eft mème affez abon- dante, quoiqu'il ne foit pas néceflaire qu’elle foit en grande quantité, non plus aue celle du mâle, pour produire un embryon: il {uffit qu’une petite quantité de cette liqueur mäle puifle en- trer dans la matrice, f{oit par fon orifice, {oit à travers le tiffu membraneux de cette partie, pour pouvoir former un fœtus, ff cette liqueur mâle rencontre la plus petite goutte de la li- queur femelle. Ainfi les obfervations de quel- ques Anatomiltes, qui ont prétendu que la li- queur féminale du mâle mentroit point dans la matrice, ne font rien contre ce que nous avons dit, d'autant plus que d’autres Anatomiftes, fondés fur d’autres obfervations, ont prétendu le contraire : mais tout ceci fera difcuté & dé- veloppé avantageulement dans la fuite. Après avoir fatisfait aux objections, voyons les raifons qui peuvent fervir de preuves à no- tre explication. La premiere fe tire de l’analo- sie qu'il y a entre le développement & la re- production. L’on ne peut pas expliquer le dé- veloppement d’une maniere fatisfaifante , fans employer les forces pénétrantes & les: affinités ou attractions, que nous avons employées pour expliquer la formation des petits êtres organi- és femblables aux grands. Une feconde analo- sie, c’eit que la nutrition & la reproduction, {ont toutes deux non-feulement produites par la mème caule efficiente , mais encore par la mème caufe matérielle: ce font les parties orga- niques de la nourriture qui fervent à toutes eux; & la preuve que c’eft le fuperflu de la aatiere qui {ert au développement, qui eft le Des Animaux. SI fujet matériel de la reproduction, c’eft que le corps 1e commence à étre en Ctat de produire que quand il a fini de croitre; & lon voit tous les jours dans les chiens & les autres ani. maux, qui fuivent plus exactement que nous les loix de la Nature, que tout leur accroiffle- ment eft pris avant qu’ils cherchent à fe join- dre; & des que les femelles deviennent en cha- leur, ou que les mâles commencent à chercher Ja femelle, leur développement eft achevé en entier, ou du moins prefqu’en entier : c’eft mème une remarque pour connoitre fi un chien grof- fira ou non; car on peut ètre afluré que sl eft en état d’engendrer , il ne croitra prelque plus. Une troifieme raifon, qui me paroïit prouver que c’eft le fuperflu de la nourriture qui forme Ja liqueur féminale, c’eft que les eunuques, & tous les animaux mutilés, grofliflent plus que ceux auxquels il ne manque rien: la furabon.- dance de la nourriture ne pouvant ètre éva- cuée , faute d'organes, change l'habitude de leur corps; les hanches & les genoux des eunuques grofliflent. La raifon n'en paroït évidente. Après que leur corps a pris l’accroiflement ordinaire, fi les molécules organiques fuperflues trou- voient une iflue, comme dans les autres hom- mes , cet accroiflement n’augmenteroit pas davan- tage; mais comme il n’y a plus d’organes pour Pémiffion de la liqueur féminale, cette mème liqueur, qui n’eft que le fuperflu de la matiere qui fervoit à l’accroiflement, refte & cherche encore à développer davantage les parties: or on fait que l’accroifflement des os fe fait par les extrémités, qui font mojiles & fpongieules, & D 3 $2 Hifoire Netrrelle. que, quand les os ont une fois pris de la foli- dite, ils ne font plus fufceptibles de dévelop- pement ni d’extenfion : & c’eft par cette raïfon que ces molécules fuperflues ne continuent à developper que les extrèmités fpongieufes des os; ce qui fait que les hanches, les genoux , &c. des eunuques grofhfient confidérablement, parce que les extrèmités font en effetles dernie- res parties qui s’ofhifient. Mais ce qui prouve plus fortement, que tout le refte, la vérité de notre explication , c’eft la reflemblance des enfans à leurs parens : le fils refiemble, en général, plus à fon pere qu’à fa mere, & la fille plus à fa mere qu’à fon pere; parce qu'un homme reffeimbie plus à un homme qu'a une femme, & qu’une femme reflemble plus à une femme qu'a un homme pour lPha- bitude totale du corps; mais pour les traits & pour les habitudes particulieres , les enfans ref- femblent tantôtau pere, tantôt à la mere; quel- quefois mème ils reflemblent à tous deux : ils auront, par exemple , les yeux du pere & la bouche de la mere, ou le teint de la mere & la taille du pere ; ce qu’il eft impoffible de conce- voir à moins d'admettre, que les deux parens ont contribue à la formation du corps de l’en- fant, & que, par conféquent, il y a eu un mélange des deux liqueurs féminales. J'avoue que je me fuis fait à moi-mème beau- coup de difficultés fur les reflemblances, & qu'avant que j'eufle examiné mürement la quef- tion de la génération, je m’étois prévenu de certaines idées d’un fyftème mixte, où j’em- ployois les vers fpermatiques & les œufs des Des Asnirnaux. | 53 femelles, ‘comme premieres parties organiques qui formoient le point vivant, auquel, par des forces d'attractions, je fuppofois, comme Harvey, que les autres parties venoient fe join- dre dans un ordre fymétrique & relatif: & comme dans ce fyftème, il me fembloit que je pouvois expliquer d’une maniere vraifemblable tous les phénomenes , à exception des reliem- blances , je cherchois des raifons pour les com- battre & pour en douter ; & j'en avois mème trouvé de très - fpécieufes , & qui nront fait il. lufion long-temps, jufqu’à ce qu'ayant pris la peine d’obferver moi-mème, & avec toute lexac- titude dont je fuis capable, un grand nombre de familles, & fur-tout les plus nombreules, je n'ai pu réfifter à la multiplicité des preuves ; & ce n’eft qu'après m'ètre pleinement convaincu a cet égard, qué j'ai commencé à penfer diffé- remment , & à tourner mes vues du côté que je viens de les prefenter. D'ailleurs , quoique j'eufle trouvé des moÿens pour échapper aux argumens qu’on n\'au- roit faits au fujet des mulätres, des métis & des mulets, que je croyois devoir regarder, les uns, comme des variétés fuperfcielles , & les autres, comme des monftruofités, je ne pouvois m’em- pêcher de fentir, que toute explication où l’on ne peut rendre raifon de ces phénomenes, ne pouvoit être fatisfaifante. Je crois n'avoir pas befoin d’avertir, combien cette reflemblance aux parens, ce melange de parties de la mème efpece dans les métis, ou de deux efpeces dif. férentes dans les mulets, confirment mon ex- phication. D 3 ‘4 Hifioire Naturelle, Je vais maintenant en tirer quelques confe- quences. Dans la jeunelle, la liqueur feminale eft moins abondante , quoique plus provocante : fa quantité augmente jufqu’à un certain âge, & cela parce qu’à mefure qu'on avance en âge les parties du corps deviennent plus folides, admettent moins de nourriture , en renvoient par conféquent une plus grande quantité ; ce qui produit une plus grande abondance de li- queur féminale: auffi lorfque les organes exté- rieurs ne font pas ufés, les perfonnes du moyen âge , & mème les vieillards, engendrent plus atfement que les jeunes gens. Ceci eft évident dans le genre végétal: plus un arbre eft âgé, plus il produit de fruit ou de graine, par la mème raifon que nous venons d’expofer. Des jeunes gens qui s’épuifent, & qui, par des irritations forcées, déterminent vers les or- ganes de la génération une plus grande quan- tité de liqueur féminale, qu'il n’en arriveroit naturellement , commencent par cefler de croi- tre: ils maigriflent & tombent enfin dans le maralme, & cela, parce qu’ils perdent, par des évacuations trop iouvent réitérées, ia fubftance néceflaire à leur accroiflement, & à la nutrition de toutes les parties de leur corps. | Ceux dont le corps eft maigre fans être décharné, ou charnu fans être gras, font beau- coup plus vigoureux que ceux qui deviennent gras; & dès que la furabondance de la nourri- ture a pris cette route , & qu’elle commence à former de la graifle, c’eft toujours aux dépens de la quantité de la liqueur féminale & des au. tres facultés de la génération. Aufli lorfque non- Des Animaux. çs feulement l’accroiflement de toutes les parties du corps eft entiérement achevé; mais que les os font devenus folides dans toutes leurs par- ties, que les cartilages comment à s’oilñifer, que. les membranes ont pris toute la folidité qu’el- les pouvoient prendre, que toutes les fibres {ont devenues dures & roides, & qu’enfin tou- tes les parties du corps ne peuvent prefque plus admettre de nourriture, alors la grailie aug- mente confidérablement , & la quantité de li- queur féminale diminue, parce que le fuperfu de la nourriture s’arrète dans toutes les parties du corps, & que les fibres, n'ayant prefque plus de fouplefle & de reflort, ne peuvent plus le renvoyer, comme auparavant, dans les re- {ervoirs de la génération. La liqueur {éminale non - feulement devient, comme je lai dit, plus abondante juiqu’a un certain age, mais elle devient aufli plus épaifle ; & fous le même volume elle contient une plus grande quantité.de matiere , par la raifon que Paccroiflement du corps, diminuant toujours à melure qu’on avance en âge , il y a une plus grande furabondance de nourriture, & par con- féquent une mafle plus confidérable de liqueur féminale. Un homme accoutumé à obferver, & qui ne m'a pas permis de le nommer, mal: fure, que, volume pour volume, la liqueur fe- minale eft près d’une fois plus pelante que le fang, & par conféquent plus pefante fpécifi- Quement qu'aucune autre liqueur du corps. … Lorfqu'on fe porte bien, lPévacuation de la liqueur féminale donne de l'appétit, & on fent bientôt le befoin de réparer , par une nourri- D 4 56 Hifloire Naturelle. ture nouvelle , la perte de l’ancienne: d’où l’on peut conclure, que la pratique de mortification Ja plus efficace contre la luxure eft l’abftinence & le jeûne. Il me refte beaucoup d’autres chofes à dire fur ce fujet, que ie renvoie au chapitre de l’hif- toire de l’homme; mais avant que de finir ce- lui-ci, je crois devoir faire encore quelques ob. fervations. La plupart des animaux ne cher- chent la copuiation que quand leur accroiflement et pris prefqu’en entier: ceux qui n’ont qu'un temps pour le rut ou pour le fray, n’ont de liqueur féminale que dans ce temps. Un habile cblervateur (e) a vu fe former fous fes yeux, non-feulement cette liqueur dans la laite du cal- mar, mais meme les petits corps mouvans & organilés en forme de pompe, les animaux fper- matiques , & la laite elle-mème: il n’y en a point dans la laite jufqu'au mois d’otobre, qui eft le temps du fray du calmar fur les côtes de Portugal, où il a fait cette obfervation : & des que le temps du fray eft pañlé, on ne voit plus ni liqueur féminale ni vers fpermatiques dans la laite, qui feride, {e deffeche & s’oblitere, jui- qu’a ce que, l’année fuivante, le fuperflu de la nourriture vient former une nouvelle laite & la remplir comme l’année précédente. Nous au- rons occafion. de faire voir, dans l’hiftoire du ‘cerf, les différens effets du rut; le plus géné- ral eft lextenuation de l’animal : & dans les ef- peces d'animaux, dont le rut ou le fray n’elt pas fréquent & ne fe fait qu'à de grands inter. (e) M. Ncedham. V. New microfcopical Dicoveries, London, 1745. Des Animaux. $7 valles de temps, l’exténuation du corps eft d’au- tant plus grande , que l'intervalle du temps eft plus confidérable. Comme les femmes font plus petites & plus foibles que les hommes, qu’elles font d’un tem. pérament plus délicat & qu’elles mangent beau. coup moins, il eit aflez naturel d'imaginer, que le fuperflu de la nourriture n’eft pas auffi abondant dans les femmes que dans les hom- mes, fur-tout ce fuperflu organique , qui con- tient une fi grande quantité de matiere eflen- tielle : dès- lors elles auront moins de liqueur féminale ; cette liqueur fera aufli plus foible, & aura moins de fubftance que celie d'homme; & puifque la liqueur féminale des femelles contient moins de parties organiques que celle des mâles, ne doit-il pas réfulter du mélange des deux liqueurs, un plus grand nombre de mâles que de femelles ? C’eft aufli ce qui ar- rive, & dont on croyoit qu’il étoit impoilibie de donner une raifon. Il naît environ un {ei- zieme d’enfans mâles de plus que de femelles: & on verra dans la fuite, que la même caute produit le mème effet dans toutes les efpeccs d'animaux, {ur lefquelles on a pu faire cette oh. fervation, s8 Hifioire Naturelle. DORA EP D'OR ENV. Expoftion des Syfêmes. [ur la génération. P LATON, dans le Timée , explique non-feu- lement la génération de Phomme, des ani- maux, des plantes, des élémens , mais mème celle do ciel & des dieux, par des fimulacres réfléchis ; & par des images extraites de la di- vinité créatrice ; lefquelles ; par un mouvement harmonique, fe {ont arrangées felon les pro- priétes des nombres , dans l’ordre le plus par- fait. L'univers, {elon lui, eft un exemplaire de la divinité : le temps, lefpace, le mouvement, la matiere, font des images de fes attributs ; les caufes fecondes & particulieres , font des dépendances des qualités numériques & harmo- niques de ces fimulacres. Le monde eft l’ant- mal par exceilence, Pètre anime le plus parfait : : pour avoir la perfection complete, il étoit ne- ceffaire qu’il contint tous les autres animaux, c’eit-a-dire , toutes les reprélentations poilibles, & toutes les formes imaginables de la faculté créatrice. Nous fommes lune de ces formes L’effence de toute génération confifte dans lu- nité d'harmonie du nombre trois, ou du trian- gle: celui qui engendre, celui dans lequel on engendre , & celui qui eft engendré. La fuc- cefhon des in idividus, dans les efpeces , n’eft qu'une image fugitive de l'éternité immuable , de cette harmonie triangulaire, prototype uni- verfel de toutes les exiftences & de toutes les Des Aniianx. HN générations: cet pour cela qu’il a fallu deux individus pour en produire un troifieme : c’eft- là ce qui conftitue l’ordre eflentiel du pere & de la mere, & la relation du fils. Ce Philofophe eft un peintre d'idées; ceft une ame, qui, dégagée de la matiere, s’éleve dans le pays des abitractions; perd de vue les objets fenfibles, n’apercçoit, ne contemple & ne rend que Pintellectuel. Une feule caufe, un feul but, un {eul moyen, font le corps entier de fes perceptions. Dieu comme caufe, la per- fection comme but; les repréfentations har- moniques comme moyen. Quelle idée plus lu- blime' quel plan de philofophie plus fimple! quelles vues plus nobles! Mais quel vide! quel défert de fpéculation! Nous ne fommes pas en effet de pures intelligences: nous n'avons pas la puiflance de donner une exiftence réelle aux objets dont notre ame eft remplie : liés à la matiere, ou plutôt dépendants de ce qui caufe nos fen- fations, le réel ne fera jamais produit par labf- trait. Je réponds à Platon dans fa langue: Le Créateur réalife tout ce qu'il conçoit, fes percep- tions engendrent l'exifience, l'être créé r’apperçoit, au contraire, qu'en retranchant à la réalité: & le néant eff la production de Jes idées. Rabaiflons-nous donc fans regret à une phi- lofophie matérielle; &, en nous tenant dans Ja fphere où la Nature femble nous avoir con- finés , examinons les démarches téméraires & le vol rapide de ces efprits qui veulent en for- tir. Toute cette philofophie Pythagoricienne, purement intellectuelle, ne roule que fur deux principes ; dont l’un eft faux & l’autre précaire. 69 Hifioire Naturelle. Ces deux principes font la puiflance réelle des abftractions, & lexiftence actuelle des caufes finales. Prendre les nombres pour des êtres réels, dire que l’unité numérique eft un indi- vidu général, qui, non -feulement repréfente en effet tous les individus, mais même qui peut leur communiquer l’exiftence ; prétendre que cette unite numérique a, de plus, lPexercice actuel de la puiflance d’engendrer réellement une autre unité numérique, à-peu-près fembla- ble à elle- même; conftituer par -là deux indi- vidus, deux côtés d’un triangle, qui ne peu- vent avoir de lien & de perfection que par le troifieme côté de ce triangle , par un troifieme in- dividu qu’ils engendrent nécefairement ; regar- der les nombres, les lignes géométriques , les abftraétions métaphyfiques, comme des caufes eMicientes , réelles & phyfiques ; en faire dépen- dre la formation des élémens, la génération des animaux & des plantes, & tous les phénome- nes de la nature, me paroït ètre le plus grand abus qu’on pût faire de la raifon, & le plus grand obftacle qu’on pût mettre à l'avancement de nos connoiflances. D'ailleurs, quoi de plus faux que de pareilles fuppoñfitions ? J’accorde- rai, fi lon veut, au divin Platon & au pref que divin Malebranche (car Platon leût re- garde comme fon fimulacre en philofophie) que Ja matiere n’exifte pas réellement; que les ob- jets extérieurs ne font que des efñgies idéales de la faculté créatrice; que nous voyons tout en Dieu: en peut-il réfulter que nos idées foient du mème ordre que celles du Créateur ; qu’elles puiffent en effet produire des exiften- Des Animaux. 6I ces ? Ne fommes-nous pas. dépendans de nos fenfations ? Que les objets qui les caufent foient réels ou non, que cette caufe de nos fenfations exifte au dehors ou au dedans de nous , que ce foit dans Dieu ou dans la matiere que nous voyons tout, que nous importe? en fommes- nous moins fürs d’ètre affectés toujours de la mème facon par de certaines caufes, & toujours d’une autre facon par d’autres? Les rapports de nos {enfations n’ont-ils pas une fuite, un ordre d’exiftence, & un fondement de relation nécefaire entreux? C’eft donc cela qui doit conftituer les principes de nos connoiflances ; c’eft-là l’objet de notre philofophie : & tout ce qui ne fe rapporte point à cet objet fenfible, cit vain, inutile & faux dans lapplication. La fuppofition d’une harmonie triangulaire peut- elle faire la fubftance des élémens? La forme du feu eft-elle, comme le dit Platon, un trian- gle aigu, & la lumiere & la chaleur , des pro- priétés de ce triangle? L’air & l’eau {ont ils. des triangles rectangles & équilatéraux, & a forme de lélément terreftre eft - elle un carré, parce qu’étant le moins parfait des quatre élé- mens , il s'éloigne’ du triangle autant qu'il eft poflible , fans cependant en perdre l’eflence ? Le pere & la mere n’engendrent-ils un enfant que pour terminer un triangle ? Ces idées pla- toniciennes, grandes au premier coup - d'œil, ont deux afpects bien différens. Dans la fpécu- lation elles femblent partir de principes nobles & fublimes; dans lapplication elles ne peuvent arriver qu'à des conféquences faufles & pué- riles. 62 Hifhire Naturelle. Eft-il bien difficile en effet de voir, que nos idées ne viennent que par les fens ; que les chofes que nous regardons comme réelles & comme exiitantes , {ont celles dont nos fens nous ont toujours rendu le mème témoignage dans toutes les occafions ; que celles que nous prenons pour certaines , font celles qui arri- vent & qui {e préfentent toujours de la mème facon ; que cette facon dont elles fe préfentent ne dépend pas de nous, non plus que de la forme fous laquelle elles fe préientent ; que, par conféaquent , nos idées , bien loin de pou- voir être les caufes des chofes , n’en font que les effets, & des effets très - particuliers ; des effets d'autant moins femblables à la chofe par- ticuliere , que nous les généralifons davantage ; qu’enfin nos abftractions mentales ne font que des êtres négatifs, qui n’exiftent, même in- tellettuellement , que par le retranchement que que nous faifons des qualités {enfibles aux êtres réels ? | __ Dèés-lors ne voit-on pas que les abftrac- tions ne peuvent jamais devenir des principes, ni d’exiftence ni de connoiflances réelles ; qu’au contraire, ces connoiflances ne peuvent venir que des réfultats de nos fenfations, comparés , ordonnés & fuivis ; que ces réfultats font ce qu’on appelle l’expérience , {ource unique de toute fcience réelle ; que l'emploi de tout au- tre principe elt un abus , & que tout édifice bâti fur des idées abftraites eft un temple élevé à l'erreur ? Le faux porte en philofophie une fignifica- tion bien plus étendue qu'en morale, Dans la Des Animaux. 63 morale une chofe eft faufle, uniquement parce qu’elle n’eft pas de la facon dont on la repré- fente. Le faux métaphyfique confifte non - {eu- lement à n’ètre pas de la facon dont on le re- préfente ; mais même à ne pouvoir être d’une taçon quelconque : c’eft dans cette efpece d’er- reur du premier ordre que font tombés les Pla- toniciens , les Sceptiques & les Égoïftes ; cha- cun felon les objets qu’ils ont confidérés : aufli leurs faufles fuppofitions ont-elles obfcurci la lumiere naturelle de la vérité, offufqué la rai- fon & retardé l'avancement de la philofophie. Le fecond principe employé par Platon, & par la plupart des fpéculatifs que je viens de citer ; principe mème adopté du vulgaire & de quelques Philofophes modernes , font les cau- {es finales : cependant, pour réduire ce principe à {a jufte valeur , il ne faut qu’un moment de réflexion. Dire qu’il y a de la lumiere parce que nous avons des yeux, qu’il y a des fons parce que nous avous des oreilles ; ou dire que nous avons des oreilles & des yeux parce qu'il y a de la lumiere & des fons, n’eft - ce pas dire la mème chofe, ou plutôt , que dit-on ? Trouvera-t-on jamais rien par cette voie d’ex- plication ? Ne voit-on pas que ces caufes fina- les ne {ont que des rapports arbitraires & des abftractions morales , lefquelles devroient en- core impoler moins que les abitractions méta- phyfiques ? Car leur origine eft moins noble & plus mal imaginée; & quoique Leibnitz les ait élevées au plus haut point, fous le nom de raifon fufifante , & que Platon les ait repré- fentées par le portrait le plus flatteur , fous le 64 Hifioire Naturelle. nom de la perfeition , cela ne peut pas leur faire perdre à nos yeux ce qu’elles ont de petit & de précaire. En connoît- on mieux la rrature & fes eflets , quand on fait que rien ne fe fait fans une raifon fufifante , ou que tout fe fait en vue de la perfection ? Qu’elt - ce que la pertec- tion ? Ne font - ce pas des ètres moraux , créés par des vues purement humaines ? Ne font- ce pas des rapports arbitraires, que nous avons généralifés/ Sur quoi font-ils fondés ? Sur des convenances morales , lefquelles ; bien loin de pouvoir rien produire de phyfique & de réel, ne peuvent qu’altérer là réalité, & confondre les objets de nos fenfations , de nos percep- tions & de nos connoiflances , avec ceux de nos fentimens , de nos paflions & de nos vo. lontés. Il y auroit beaucoup de chofes à dire fur ce fujet, aufli - bien que fur celui des abitrac- tions métaphyfiques ; niais je ne prétends pas faire ici un traité de philofophie , & je reviens à la phyfique, que les idées de Platon fur la génération univerfelle m’avoient fait oublier. Âriftote , auffi grand Philofophe que Platon, & bien meilleur Phyficien , au lieu de fe per- dre comme lui dans la région des hypotheles, s'appuie au contraire {ur des obfervations , raf: femble des faits & parle une langue plus intel- ligible. La matiere, qui n’eft qu’une capacité de recevoir les formes, prend dans la génération une forme femblable à celle des individus qui la fourniflent ; &, à l'égard de la génération particuliere des animanx , qui ont des fexes, fon fentiment eft , que le mâle fournit feul le principe Des Animaux. 6$ principe prolifique, & que la femelle ne donne rien qu’on puifle regarder comme tel. Woyez Arift. de gen. lib. I, cap. 20; € lib. II, cap. 4 : car quoiqu'il dife ailleurs, en parlant des ani- maux en général , que la femelle répand une liqueur féminale au dedans de foi - mème, il paroit qu'il ne regarde pas cette liqueur {émi- nale comme un principe prolifique ; & cepen- dant, felon lui, ja femelle fournit toute la ma- tiere néceflaire à la génération. Cette matiere eft le fang menftruel , qui fert à la formation, au développement & à ja nourriture du fœtus ; mais le principe efficient exilte feulement dans la liqueur féminale du mâle, laquelle n’agit pas comme matiere , mais comme caufe. Aver- roes, Avicenne & plufieurs autres Philofophes qui ont fuivi le fentiment d’Ariftote, ont cher- ché des railons pour prouver que les femelles n’avoient point de liqueur prolifique. Ils ont dit, que, comme les femelles avoient la li- queur menftruelle , & que cette liqueur étoit néceflaire & fufhfante à la génération , il ne paroîït pas naturel de leur en accorder une au- tre, & qu’on pouvoit penfer que ce fang menf- truel eft en effet la feule liqueur fournie par les femelles pour la génération , puifqu’elle com- mencoit à paroitre dans le temps de la puberté, comme la liqueur féminale du male commence auifi à paroitte dans ce temps : d’ailleurs , difent - ils, fi la femelle a réellement une li- queur féminale & prolifique, comme celle du mâle, pourquoi les femelles ne produifent - elles pas d’elles-rnèmes, & fans l'approche du mâle, puilqu’elles contiennent le principe DOHAQUE ; Hif. Nat. des Anim. T.I. 66 Hifoire Naturelle. auffi - bien que la matiere néceflaire pour Ja nourriture & pour le développement de l’em- bryon ? Cette derniere raifon me femble être la {cule qui mérite quelqu’attention. Le fang menf- truel paroïît étre en effet nécellaire à l’accom- pliffement de la génération , c’eft-à-dire , à entretien, à la nourriture & au développe- ment du fœtus; mais :! peut bien n'avoir au- cune part à la premiere formation, qui doit {e faire par le melange des deux liqueurs égale- ment prolifiques : les femelles peuvent donc avoir, comme les mâles, une liqueur féminale prolifique pour la formation de l'embryon , & elles auront de plus ce fang menftruel pour la nourriture & le développement du fœtus ; mais il eft vrai qu’on feroit aflez porté à imaginer, que la femelle ayant en effet une liqueur fémi- nale, qui eft un extrait, comme nous l’avons dit , de toutes les parties de fon corps, & ayant de plus tous les moyens néceflaires pour le développement , elle devroit produire d’elle- mème des femelles fans communication avec le sale. Il faut mème avouer que cette raïfon mé- taphyfique, que donnent les Ariftotéliciens pour prouver que les femelles n’ont point de liqueur prolifique, peut devenir l’objection la plus con- fidérable qu’on puifle faire contre tous les fyf tèmes de la génération, & en particulier contre notre exphcation. Voici cette objection. Suppofons , me dira-t-on , comme vous croyez l'avoir prouvé , que ce foit le fuperflu des molécules organiques femblables à chaque païtie du corps, qui, ne pouvant plus être admis dans ces parties pour les développer , Des Animaux. 67 en eft renvoyé dans les tefticules & les véfi- cules féminales du mâle ; pourquoi, par les forces d’afinité , que vous avez fuppolées , ne forment - elles pas là de petits êtres organifés , femblables en tout au male? Et de mème, pourquoi les molécules organiques , renvoyées de toutes les parties du corps de la femelle dans les tefticules ou dans la matrice de la femelle , ne forment - elles pas auili des corps organifés, femblables en tout à la femelle ? Et fi vous me répondez, qu’il y a apparence que les li- queurs féminales du mâle & de la femelle con- tiennent, en effet, chacune des embryons tout formés ; que la liqueur du mäle ne contient que des males, que celle de la femelle ne con- tient que des femelles , mais que tous ces pe- tits êtres organifés périfent faute de dévelop- pement , & qu'il n’y a que ceux qui fe for- ment actuellement par le mèlange des deux li- queurs féminales qui puifent fe développer & venir au monde, n’aura-t-on pas raifon de vous demander; pourquoi cette voie de géné- ration , qui eft la plus compliquée , la plus difficile & la moins aboudante en productions , eft celle que la nature a préférée, & préfere d’une maniere fi marquée , que , prefque tous les animaux fe multiplient par cette voie de la communication du mâle avec la femelle ? Car, à l’exception du pucéron , du polype d’eau douce & des autres animaux qui peuvent fe _ multiplier d'eux -mèmes , ou par la divifion & la féparation des parties de leur corps, tous les autres animaux ne peuvent produire leur E à 6$ - Hifioire Naturelle. femblable que par la communication de deux individus. | Je me contenterai de répondre à préfent, que la chofe étant en effet telle qu’on vient de le dire, les animaux , pour la plus grande par- tie, ne fe produifant qu’au moyen du concours du mâle & de la femelle, l’objeétion devient une queftion de fait , à laquelle , comme nous Pavons dit dans le Chapitre II, il n’y a d’autre {olution à donner que celle du fait mème. Pourquoi les animaux fe produiient-ils par le concours des deux fexes ? La réponle eft, parce qu'ils fe produifent en effet ainfi: mais, infiftera-t-on, c’eft la voie de reproduction la plus compliquée , même fuivant votre explica- tion. Je Pavoue, mais cette voie , la plus com- pliquée pour nous , eft apparemment la plus fimple pour la nature ; & fi, coinme nous l’a- vons remarqué, il faut regarder comme le plus fimple dans la nature ce qui arrive le plus fouvent , cette voie de génération {era dés-lors la plus fimple : ce qui n’empèche pas que nous ne devions la juger comme la plus compolée , parce que nous ne la jugeons pas en elle-mème , mais feulement par rapport à nos idées, & fuivant les connoïflances que nos {ens & nos réflexions peuvent nous en donner. Au relte, il eft ailé de voir que ce fenti- ment particulier des Ariftotéhiciens , qui pré- tendoient que les femelles n’avoient aucune li- queur prolifique , ne peut pas fubfifter , fi l’on fait attention aux reflemblances des enfans à la mere , des mulets à la femelle qui les produit, des métis & des mulâtres , qui tous prennent Des. Animaux. 69 autant & fouvent plus de la mere que du pere. Si d’ailleurs on penfe que les organes de la génération des femelles font , comme ceux des males , conformés de facon à préparer & rece- voir la liqueur féminale , on fe perfuadera faci- lement , que cette Hqueur doit exifter ; foit qu’elle réfide dans les vaifleaux fpermatiques ou dans les tefticules , ou dans les cornes de la matrice , ou que ce foit cette liqueur , qui, lorfqu’on la provoque , fort par les lacunes de Graaf , tant aux environs du col de la ma- trice , qu'aux environs de l’orifice externe de luretre. | Mais il eft bon de développer ici, plus en détail , les idées d’Ariftote, au fujet de la gé- nération des animaux ; parce que ce grand Phi- Jofophe eft celui de tous les Anciens qui a le plus écrit fur cette matiere, & qui l’a traitée le plus généralement. Il diftingue les animaux en trois efpeces; les uns, qui ont du fang , & qui, à l’exception , dit-il, de quelques-uns, fe multiplient tous par la copulation : les au- tres, qui n’ont point de fang , qui, étant males & femelles en mème temps , produifent d’eux- memes & fans copulation ; & enfin ceux qui viennent de pourriture, & qui ne doivent pas leur origine à des parens de mème efpece qu'eux. À mefure que j'expoferai ce que dit Ariftote, je prendrai la liberte de faire les remarques né- ceflaires ; & la premiere fera, qu’on ne doit point admettre cette divifion. Car , quoiqu’en effet toutes les efpeces d'animaux, qui ont du fang , foient compofées de mâles & de femel- les ; il n’eft peut-être pas également vrai que E 3 70 Hifioire Naturelle. les animaux , qui n’ont point de fang , foient pour la plupart en mème temps mâles & femel- les; car nous ne connoïflons guere que le lima- çon fur la terre, & les vers, qui foient dans ce cas , & qui foient en effet mâles & femel- les ; & nous ne pouvons pas aflurer que tous les coquillages aient les deux fexes à la fois, aufli- bien que tous les autres animaux qui mont point de fang : ceft ce que l’on verra dans l’hiftoire particuliere de ces animaux ; & a l'égard de ceux qu’il dit provenir de la pour- riture , comme il n’en fait pas l’énumération, il y auroit bien des exceptions à faire; car la plupart des efpeces que les Anciens croyoient engendrées par la pourriture, viennent ou d’un œuf ou d’un ver, comme les Obfervateurs mo. dernes s’en font affurés. Il fait enfuite une feconde divifion des ani- maux ; favoir , ceux qui ont la facuité de fe mouvoir progreffivement , comme de marcher, de voler, de nager, & ceux qui ne peuvent fe mouvoir progreflivement. Tous ces animaux ui fe meuvent, & qui ont du fang , ont des Es mais ceux qui, comme les huîtres, font adhérens, ou qui ne {e meuvent prefque pas, n'ont point de fexe, & font à cet égard comme les plantes: ce n’eft, dit-il, que par la gran- deur ou par quelqu’autre différence qu’on les a diftingués en males & femelles. J'avoue qu’on n’eft pas encore afluré que les coquillages aient des fexes. Il y a, dans l’efpece des huîtres, des individus féconds , & d’autres individus qui ne le font pas: les individus féconds diftinguent à cette bordure déliée, qui envi. Des Animaux. : 7 ronne le corps de l’huitre , & on les appelle Les mâles (e). I] nous manque fur cela beau- coup d’obfervations qu’Ariftote pouvoit avoir, mais dont il me paroît qu'il donne ici un réful. tat trop géneral. Mais fuivons. Le mâle, felon Ariftote. ren- ferme le principe du mouvement génératif, & la femelle contient le matériel de la génération. Les organes qui fervent à la fonction qui doit la précéder font différens , fuivant les dife- rentes efpeces d'animaux : les principaux font les tefticules dans les males, & la matrice dans les femelles. Les quadrupedes , les oifeaux & les cétacées ont des tefticules : les poiflons & les ferpens en font privés ; mais ils ont deux conduits propres à recevoir la femence & à la préparer :. & de mème que ces parties effentiel- les font doubles dans les mâles, les parties eflen- tielles à la génération font aufli doubles dans les femelles. Ces parties fervent dans les males à arrêter le mouvement de la portion du fang qui doit former la femence. Il le prouve par l'exemple des -oifeaux , dont les tefticules fe zonflent confidérablement dans la faifon de leurs amours, & qui, apres cette faïfon, diminuent fi fort qu’on a peine à les trouver. Tous les animaux quadrupedes , comme les chevaux, les bœuts, &c. qui font couverts de poils; & les poifons cctacées, comme les dau- phins & les balcines , font vivipares; mais les ‘animaux cartilagineux & les viperes ne fout pas vraiment vivipares , parce qu’ils produifent d’a- (e) Voyez l'obfervation de M. Deslandes dans {on Traité de la Marine, Paris, 1747. E 4 72 Hifioire Naturelle. bord un œuf au dedans d’eux - mêmes , & ce n’eft qu’apres s’ètre développés dans cet œuf que les petits fortent vivans. Les animaux ovi- pares font de deux efpeces : ceux qui produi- {ent des œufs parfaits, comme les oileaux, les lézards , les tortues, &c. les autres, qui ne produifent que des œufs imparfaits, comme les poiflons, dont les œufs s’augmentent & fe per- fectionnent apres qu’ils ont été répandus dans l'eau par la femelle; & à lexception des oife- aux , dans les autres efpeces d'animaux ovipa- res, les femelles font ordinairement plus gran- des que les males, comme dans les poiflons, les lézards, &c. ù | Après avoir expofé ces variétés générales dans les animaux , ÂAriftote commence à entrer en matiere , & il examine d’abord le fentiment des anciens Philofophes , qui prétendoient que la femence, tant du male que de la femelle, provenoit de toutes les parties de leur corps, & il fe déclare contre ce fentiment ; parce que, dit-il , quoique les enfans reflemblent aflez fouvent à leurs peres & meres , ils reflemblent auf quelquefois à leurs aïeux, & que, d’ail- leurs , ils reflemblent à leur pere & à leur mere par la voix, par les cheveux, par les ongles, par leur maintien & par leur maniere de marcher. Or la femence , dit-il, ne peut pas venir des cheveux, de la voix, des ongles ou d’une qualité extérieure , comme eft celle de marcher: donc les enfans ne reflemblent pas à leurs parens parce que la femence vient de toutes les parties de leur corps, mais par d’au- tres railons, Il me femble qu’il n’eft pas nécef- Des Animaux. 73 faire d’avertir ici, de quelle foibleffe font ces dernieres raifons que donne Âtiftote , pour prouver que la femence ne vient pas de toutes les parties du corps : j'obferverai feulement, qu'il n'a paru que ce grand homme cherchoit exprès les moyens de s'éloigner du fentiment des Philofophes qui l’avoient précédé ; & je fuis perfuadé , que quiconque lira {on traité de la génération avec attention, reconnoitra que le deffein formé de donner un fyftème nouveau & différent de celui des Anciens , l’oblige à préférer toujours, & dans tous les cas, les rai- {ons les moins probables, & à éluder, autant qu’il peut , la force des preuves, lorfqu’elles {ont contraires à fes principes généraux de phi- lofophie : car les deux premiers livres fem- blent n'être faits que pour tâcher de détruire ce fentiment des Anciens, & on verra bien- tôt, que celui qu’il veut y {ubftituer , cft beau- coup moins fonde. Selon lui Ja liqueur féminale du male eft un excrément du dernier aliment ; c’eft-à-dire, du-fang ; & les menftrues font, dans les fe- melles, un excrément fanguin , le feul qui ferve a la génération. Les femelles, dit-il, mont point d’autre liqueur prolifique : il n’y a donc point de mélange de celle du mâle avec celle de la femelle; & il prétend le prouver, parc qu’il y a des femmes qui conçoivent fans au- un plaifir; que ce n’eft pas le plus grand nom- bre de femmes qui répandent de la liqueur à l'extérieur dans la copulation ; qu’en général celles qui font brunes, & qui ont Pair hom- mafle , ne répandent rien, dit-il, & cepeu- 74 Hiffoire Naturelle. dant n'engendrent pas moins que celles qui font blanches , & dont l'air eft plus féminin , qui répandent beaucoup : ainfi, conclut-il, la femme ne fournit rien pour la génération que le fang menftruel. Ce fang eft la matiere de la génération , & la liqueur féminale du mâle n'y contribue pas comme matiere, mais comme forme: c’eft la caufe effciente, c’eft le principe du mouvement. Elle eft à la génération ce que le fculpteur eft au bloc de marbre: la liqueur du mâle eft le fculpteur , le fang menitruel le marbre , & le fœtus eft la figure. Aucune par- tie de la femence du mâle ne peut donc fer- vir, comme matiere, à la génération ; mais feu- lement comme caufe motrice, qui communique le mouvement aux menftrues , qui font la feule matiere. Ces menftrues recoivent de la femence du mâle une efpecc d’ame , qui donne la vie : cette ame n’eft ni matérielle ni immatérielle. Elle n’eft pas immatérielle , parce qu’elle ne pourroit agir {ur la matiere : elle ivelt pas ma- térielle, parce qu’elle ne peut pas entrer comme matiere dans la génération , dont toute la ma- tiere font les menftrues. C’eft, dit notre Philo- fophe , un efprit dont la fubftance eft femblable à celle de l'élément des étoiles. Le cœur eft le premier ouvrage de cette ame : il contient en lui - mème le principe de fon accroiflement , & il a la puiflance d’arranger les autres mem- bres. Les menftrues contiennent en puifJance toutes les parties du fœtus. L’ame, ou l’efprit de la fémence du mâle, commence à réduire a l'aëte, à effet, le cœur, & lui communique le pouvoir de réduire aufli à l'aëe, ou à l’ef Des Animaux. 75 fet, les autres vifceres , & de réalifer ainfi fuca ceflivement toutes les parties de l'animal. Tout cela paroit fort clair à notre Philofophe. Il jui refte feulement un doute ; c’elt de favoir {1 le cœur eft réalifé avant le fang qu’il contient , ou fi le fang, qui fait mouvoir le cœur , elt réalifé le premier: & il avoit en effet raifon de douter ; car quoiqu'il ait adopté le fentiment que c’eft le cœur qui exifte le premier, Harvey a depuis prétendu, par des raifons de ia mème efpece que celles que nous venons de donner d’après Âriftote , que ce n'étoit pas le cœur, mais le fang qui le premier fe réahfoit. Voilà quel eft le fyftème que ce grand Phi- lofophe nous a donné {ur la génération. Jg laifle a imaginer fi celui des Anciens, qu'il rejette, & contre lequel il s’éleve à tout moment, pou- voit être plus obfcur, ou mème, fi l’on veut, plus abfurde que celui-ci: cependant ce mème fyltème, que je viens d’expoler fidellement, a été fuivi par la plus grande partie des favans, & on verra tout-a-lheure, que Harvey, non- feulement avoit adopté les idées d’Ariftote, mais meme qu’il y en a encore ajouté de nou- velles, & dans le mème genre, lor{qu’il a voulu expliquer le myftere de la génération. Comme ce fyftème fait corps avec le refte de la philo- ophie d’Ariftote , où la forme & la matiere font les grands principes ; où les ames végéta- tives & fentives {ont les êtres adifs de la na- ture; où les caufes finales font des objets réels, je ne fuis point étonné qu'il ait été reçu par tous les Auteurs {cholaftiques : mais il eit fur- prenant qu'un Médecin & un bon obferva- 76 Hifioire. Naturelle. teur, tel qu’étoit Harvey, ait fuivi le torrent, tandis que, dans le mème temps, tous les Mé- decins fuivoient le fentiment d’Hippocrate & de Galien, que nous expoferons dans la fuite. Au refte, il ne faut pas prendre une idée défavantageufe d’Ariftote par l’expofition que nous venons de faire de fon fyftème fur la gé- nération ; c’efl comme fi l’on vouloit juger Defcartes par fon Traité de l’homme : les ex- plications que ces deux Philofophes donnent de la formation du fœtus, ne font pas des théo- ries ou des fyftèmes au fujet de la génération feule; ce ne font pas des recherches particulie- res qu'ils ont faites fur cet objet: ce font plu- tôt des conféquences, qu'ils ont voulu tirer chacun de leurs principes philofophiques. Arif- tote admettoit, comme Platon, les caufes fina- les & efficientes: ces caufes efficientes font les ames fenfitives & végétatives, lefquelles don- nent la forme à la matiere, qui, d’elle-mème , n’eft qu’une capacité de recevoir les formes: & comme, dans la génération, la femelle donne la matiere la plus abondante , qui eft celle des menftrues , & que d’ailleurs il répugnoit à fon yftème des caufes finales, que ce qui peut f faire par un feul foit opéré par plufieurs, il a voulu que la femelle contint feule la matiere nécefaire à la génération; & enfuite, comme un autre de fes principes étoit, que la matiere, d’elle - mème, eft informe, & que la forme eft un être diftinct & féparé de la matiere, il a dit, que le mâle fournifloit la forme, & que, par nr il ne fournifloit rien de ma- teriel, | | Des Animaux. 77 Defcartes, au contraire, qui n’admettoit en philofophie qu’un petit nombre de principes mé- caniques, a cherché à expliquer la formation du fœtus par ces mêmes principes; & il a cru pouvoir comprendre & faire entendre aux au- tres, comment, par les {eules loix du mouve. ment , il pouvoit {e faire un ètre vivant & or- ganifé. Il différoit, comme l’on voit, d’Ariftote dans les principes qu’il employoit; mais tous deux , au lieu de chercher à expliquer la chofe en elle-mème, au lieu de l’examiner fans pré- vention & fans préjugés, ne l'ont, au con- traire, confidérée que dans le point de vue re- latif à leur fyftème de philofophie, & aux prin- cipes généraux qu’ils avoient établis ; lefquels ne pouvoient pas avoir une heureufe applica- tion à l’objet préfent de la génération , parce qu’elle dépend en effet, comme nous l’avons fait voir, de principes tout différens. Je ne dois pas oublie: de dire , que Defcartes différoit en- core d’Ariftote, en ce qu’il admet le mêlange des liqueurs féminales des deux fexes ; qu’il croit que le mâle & la femelle fourniflent tous deux quelque chofe de matériel pour la génération, - & que c’eft par la fermentation , occafionnée par le melange de ces deux liqueurs {éminales, que fe fait la formation du fœtus. Il paroît que fi Ariftote eût voulu oublier fon fyftème général de philofophie , pour rai- fonner fur la génération comme fur un phéno- mene particulier & indépendant de fon fyf- tème , il auroit été capable de nous donner tout ce qu’on pouvoit efpérer de meilleur fur cette matiere : Car il ne faut que lire {on traité pour 75 Hifioire Naturelle. reconnoître, qu'il n'ignoroit aucun des faits anatomiques , aucune obfervation, & qu’il avoit des connoiflances très-approfondies fur toutes les parties accefloires à ce fujet, & d’ailleurs, un génie élevé, tel qu’il le faut pour raflembler avantageulement les obfervations & généralifer les faits. Hippocrate , qui vivoit fous Perdicas, c’eft- à-dire, environ cinquante ou foixante ans avant Ariftote , a établi une opinion qui a été adoptée par Galien, &fuivie, en tout ou en partie, par le plus grand nombre des Médecins jufque dans les derniers fiecies. Son fentiment étoit, que le mâle & la femelle avoient chacun une liqueur prolifique, Hippocrate vouloit meme, de plus, que, dans chaque fexe, il y eût deux liqueurs féminales ; l’une plus forte & plus active, l’au- tre plus foible & moins active. Voyez Hippo. crates, lib. de (Genitura, pag. 129, € lib. de Diita, pag. 198. Lugd. Bat. 166ÿ, tome I. La plus forte liqueur féminale du mâle, mélée avec la plus forte liqueur féminale de la femelle, produit un enfant male; & la plus foible li- queur féminale du mâle, meélée avec la plus foible liqueur féminale de la femelle, produit une femelle : de forte que le mâle & la femelle contiennent chacun , félon lui, une femence mâle & une femence femelle. Il appuie cette hy- “pothefe fur le fait fuivant: favoir, que plu- {ieurs femmes, qui, d’un premier mari, n’ont produit que des filles; d’un fécond , ont pro- duit des garçons: & que ces mèmes hommes, dont les premieres femmes n’avoient produit que des filles, ayanc pris d’autres femmes, ont Des Animaux. 79 engendre des garcons. Il me paroît, que, quand méme ce fait {eroit bien conitaté , il ne {eroit pas néceflaire, pour en rendre raïfon, de don- ner au mâle & à la femelle deux efpeces de li- queur féminale ; lune male & l’autre femelle : car on peut concevoir aïlément, que les feme mes, qui, de leur premier mari, n’ont pro- duit que des filles, & avec d’autres hommes ont produit des garcons , étoient feulement tel- les, qu’elles fournifloient plus de parties propres a la génération avec leur premier mari qu'avec le fecond; ou que le fecond mari étoit tel, qu’il fournifloit plus de parties propres à la gé- nération avec la feconde femme qu'avec la pre- miere: car lorfque , dans l’inftant de la forma- tion du fœtus , les molécules organiques du mâle font plus abondantes que celles de la fe- melle , il en réfulte un mâle ; & lorfque ce font les molécules organiques de la femelle qui abondent le plus, il en rélulte une femelle; & il n’eft point étonnant, qu'avec de certaines femmes , un homme ait du défavantage à cet égard, tandis qu’il aura de la fupériorité avec d’autres femmes. Ce grand Médecin prétend, que la femence du male eft une fécrétion des parties les plus effentielles, de tout ce qu’il y a d’humide dans Je corps humain: il explique même, d’une ma- nicre aflez fatisfaifante comment fe fait cette fe- creétion : Wene €? nervi, dit-il, ab omni cor- pore in pudeñdum verçunt , quibus düm aligrantu- lum teruntur &ÿ calefcunt ac implentur, velut pru- ritus incidit , ex hoc toti corpori voluptas ac cali- ditas accidit; quimverd pudendum teritur && homo 80 Hifloire Naturelle. movetur, humidum in corpore calefcit ac diffundi. tur , € a motu conquafjatur ac fpumefcit, quem- admodüm alii humores omnes conquafJati fpumef- cunt. Sic autem in homine ab humido fpumefcente id guod robufliffimum eff ac pinguiffimum fecernitur , €? ad medullam fpinalem venit ; tendunt enim in hanc ex omni corpore vie, €ÿ diffundunt ex cere- Bro in lumbos ac in totum corpus &ÿ in medullam, &ÿ ex ipfa medulà procedunt vie, ut & ad ipfam humidum perferatur & ex ipfa fecedat ; poftquam autem ad hanc medullam genitura pervenerit , pro- cedit ad renes , hac enim vià tendit per venas, €ÿ Ji renes fuerint exulcerati, aliquando etiam fanguis defertur : à renibus autem tranfit per medios teftes nr pudendum, procedit autem non quâ urina, ve- rüm alia ipfi via eft illi contigua, &$e. Voyez la Traduétion de Fœfius, tome I, page 129. Les Anatomiftes trouveront fans doute qu’Hippocrate s’égare dans cette route qu'il trace à la liqueur feminale; mais cela ne fait rien à fon fentiment, qui eft, que la femence vient de toutes les par- ties du corps, & qu’il en vient en particulier beaucoup de la tète; parce que, dit-il, ceux auxquels on a coupé les veines auprès des oreil- les, ne produifent plus qu’une femence foible & afléz fouvent inféconde. La femme a auffi une liqueur féminale, qu’elle répand, tantôt en dedans & dans l’intérieur de la matrice, tantôt en dehors & à lextérieur , lorfque l’orifice in- terne de la matrice s'ouvre plus qu’il ne faut. La femence du male entre dans la matrice, où elle fe mèle avec celle de la femelle ; & comme lun & l’autre ont chacun deux efpeces de femen- CES ; Des Animaux, QI ces, l’une forte & l’autre foible, fi tous deux ont fourni leur femence forte , il en réfulte un mâle; fiau contraire, ils n’ont donné tous deux ue leur femence foible, il n’en réfulte qu’une Roue. & fi dans le mélange il y a plus de arties de la liqueur du pere que de celles de la iqueur de la mere, l'enfant retflemblera plus au pere qu’à la mere ; & au contraire. On pouvoit lui demander, qu’eft-ce qui arrive lorfque l’un fournit fa femence foible & l’autre fa femence forte? Je ne vois pas ce qu’il pourroit répon- dre; & cela feul fufhit pour faire rejetter cette opinion, de l’exiftence de deux femences dans BU fexe, Voici comment fe fait, felon lui, la for- mation du fœtus. Les liqueurs féminales fe mè- lent d’abord dans la matrice , elles s’y épaiffif. {ent par la chaleur du corps de la mere : le mè- lange recoit & tire l’efprit de la chaleur, & lori: qu’il en eft tout rempli, l’efprit trop chaud fort au dehors; mais, par la refpiration de la mere, il arrive un efprit froid, & alternativement il entre un efprit froid & il fort un efprit chaud dans le mèlange: ce qui lui donne la vie & fait naître une pellicule à la furface du mêlange, qui prend une forme ronde, parce qué les ef- prits, agiflant du milieu comme centre, éten- dent également de tous côtés le volume de cette matiere. J’ai vu, dit ce grand Médecin, un fœ- tus de fix jours: c’étoit une bulle de liqueur enveloppée d’une pellicule ; la liqueur étoit rou- geâtre, & la pellicule étoit femée de vaifleaux, les uns fanguins, les autres blancs, au milieu de laquelle étoit une petite éminence, que x Hif. Nat. des Anim. T. 1. FE ; 82 Hifhoire Naturelle. cru être les vaifleaux ombilicaux, par où le fœ- tus recoit l’elprit de la refpiration de la mere, & la nourriture : peu à peu il fe forme une au- tre enveloppe de la mème facon que la pre- miere pellicule s’eft formée. Le {ang menftruel, qui eft fupprimé , fournit abondamment à la nourriture ; & ce fang, fourni par la mere au fœtus, fe coagule par degrés & devient chair : cette chair s'articule à mefure qu’elle croît, & c’eft l’efprit qui donne cette forme à la chair. Chaque chofe va prendre fa place: les parties folides vont aux parties folides; celles qui {ont humides vont aux parties humides: chaque cho- fe cherche celle qui lui eft femblable, & le fœ- tus eft enfin entiérement forimé par ces caufes & ces moyens. Ce {yftème eft moins obfcur & plus raifon. nable que celui d’Ariftote, parce qu'Hippocrate cherche à expliquer la chofe particuliere par des raifons particulieres, & qu’il n’emprunte de la philofophie de fon temps, qu’un feul principe général ;. favoir, que le chaud & le froid pro- duifent des efprits, & que ces efprits ont la puiflance d’ordonner & d’arranger la matiere. Il a vu la génération plus en : Médecin qu’en Philofophe : Ariftote l’a expliquée plutôt en Métaphyficien qu’en Naturalifte ; c’eft ce qui fait que les défauts du {yftème d’'Hippocrate font particuliers & moins apparens, au lieu que ceux du {yftème d’Ariftote font des erreurs gé- nérales & évidentes. Ces deux grands hommes ont eu chacun leurs fectateurs. Prefque tous les Philofophes {cholaftiques, en adoptant la philofophie d’Arif Des Animaux. 5: tote , out aufli recu fon fyftème fur la généra- tion ; prefque tous les Médecins ont fuivi le fen- timent d'Hippocrate, & il s’ett pallé dix -f{ept ou dix-huit fiecles, fans qu'il ait rien paru de nouveau fur ce fujet. Enfin, au renouvelle. ment des {ciences, quelques Anatomiftes tour- nerent leurs vues {ur la génération ; & Fabrice d’Aquapendente fut le premier , qui s'avifa de faire des expériences & des obfervations fuivies fur la fécondation & le développement des œufs de poule. Voici en fubiftance le réfultat de fes obfervations. Il diftingue deux parties dans la matrice de la poule : l’une fupérieure & l’autre inférieure ; & il appelle la partie fupérieure l’ovaire. Ce n’eit proprement qu'un aflemblage d’un très-grand nombre de petits jaunes d’œufs, de figure ronde, dont la grandeur varie, depuis la grofleur d’un grain de moutarde juiqu’à celle d’une grofle noix ou d’une neffle. Ces petits jaunes font attachés les uns aux autres: ils forment un corps qui reflemble aflez bien à une grappe de raifin: ils tiennent à un ,pédicule commun, comme les grains tiennent à la grappe. Les plus petits de ces œufs font blancs, & ils prennent de la cou- leur à mefure qu'ils groffiflent. Ayant examiné ces jaunes d'œufs après la communication du cog avec la poule, 1l n’a pas appercu de différence {enfible : il n’a vu de fe- mence du mâle dans aucune partie de ces œufs. Ïl croit que tous les œufs, & l’ovaire lui-même, deviennent féconds par une émanation fpiri- tueufe , qui fort de la femence du mâle; & il dit, que c’eft afin que cet “Re fécondant a S4 Hifioire Naturelle. {e conferve mieux, que la nature a place à l’o- rifice externe de la vulve des oïfeaux, une efpece de voile ou de membrane , qui permet ; comme une valvule , l’entrée de cet efprit féminal dans Jes efpeces d’oifeaux, comme les poules, où il n’y a point d’intromiflion, & celle du mem- bre génital dans les efpeces où il y a intromit- fion : mais, en mème temps, cette valvule, qui ne peut pas s'ouvrir de dedans en dehors, empèche que cette liqueur, & lefprit qu’elle con- tient, ne puiflent reflortir ou s’évaporer. Lorfque l'œuf s’eft détaché du pédicule com- mun , il defcend peu-à-peu par un conduit tor- tueux dans la partie inférieure de la matrice : ce conduit et rempli d’une liqueur affez femblable à celle du blanc d'œuf, & c’eft aufli dans cette partie que les œufs commencent à s’envelopper de cette liqueur blanche, de la membrane qui la contient, de deux cordons ( chalazæ ) qui tra- verfent le blanc & fe joignent au jaune, & mème de la coquille, qui fe forme la derniere en fort peu de temps, & feulement avant la ponte. Ces cordons, felon notre Auteur, font la partie de l'œuf qui eft fécondée par lefprit féminal du mâle, & c’eft-là ou le fœtus commence à fe cor- porifier. L’œuf eft non-feulement la vraie ma- trice , c’eft-a-dire, le lieu de la formation du poulet ; mais c’eft de l’œuf que dépend auffi toute la génération. L’œuf la produit comme agent; il y fournit comme matiere, comme organe & comme inftrument : la matiere des cordons elt la fubftance de la formation ; le blanc & le jaune font la nourriture, & l’efprit féminal du male eft la caufe eficiente. Cet efprit communique à Des Animaux. 29 la matiere des cordons, d’abord une faculté alté- ratrice, enfuite une qualité formatrice, & enfin une qualité augmentatrice, &c. Les obfervations de Fabrice d’Aquapendente ne l’ont pas conduit , comme lon voit, à une explication bien claire de la génération. Dans le même temps à-peu-près que cet Anatomifte s’oc- cupoit à ces recherches, c’eft-à-dire, vers le mi- lieu & la fin du feizieme fiecle, le fameux Al- drovande ( Voyez fon Ornithologie ) faïoit auff des obfervations fur les œufs : mais, comme dit fort bien Harvey, page 43, il paroït avoir fuivi l'autorité d’Ariitote beaucoup plus que lex- périence ; les defcriptions qu’il donne du pou- let dans l'œuf, ne font point exactes. Volcher Coiter , l’un de fes difciples, réuflit mieux que fon maître; & Parifanus, Médecin de Venife, ayant travaillé aufli fur la mème matiere, ils ont donné chacun une defcription du poulet dans l'œuf, que Harvey préfere à tous les autres. Ce fameux Anatomifte, auquel on elt rede- vable d’avoir mis hors de doute la queition de la circulation du fang, que quelques Obferva- teurs avoient à la vérité foupconiée auparavant, & même annoncée, a fait un Traité fort étendu fur Ja génération. 11 vivoit au commencement & vers le milieu du dernier fiecle, & il étoit Médecin du Roi d'Angleterre Charles IL. Comme il fut obligé de fuivre ce Prince malheureux dans le temps de fa difgrace, il perdit, avec fes meubles & fes autres papiers, ce qu’il avoit fait fur la génération des Infectes; & il paroit qu’il compola de mémoire, ce qu’il nous a laifé t à 2 86 Hifloire Naturelle. fur la génération des oifeaux & des quadrupe- des. Je vais rendre compte de fes obfervations, de fes expériences & de {on fyfteme. Harvey prétend que l’homme , & tous les animaux, viennent d'un œuf; que le premier produit de la conception dans les vivipares eft une efpece d'œuf, & que la feule différence qu’il y ait entre les vivipares & les ovipares, c’eft, que les fœtus des premiers prennent leur ori- gine, acquierent leur accroifiement, & arrivent a leur développement entier dans la matrice; au lieu que les fœtus des ovipares prennent à Ja vérité leur premiere origine dans le corps de la mere, où ils ne font encore qu'œufs, & que ce n’eft qu’apres être fortis du corps de la mere, & au dehors, qu’ils deviennent réellement des fœtus; & il faut remarquer, dit-il, que, dans les animaux ovipares, les uns gardent leurs œufs au dedans deux-mèmes, jufqu’à ce qu’ils foient parfaits ; comme les oifeaux , les ferpens & les quadrupedes ovipares; les autres répandent ces œufs avant qu’is foient parfaits; comme les poifz fons à écailles, les cruftacées, les teftacées & les poifions mous. Les œufs que ces animaux ré- pandent au-dehors, ne font que les principes des véritables œufs : ils acquierent du volume & de Ja fubftance, des membranes & du blanc, en attirant à eux la matiere qui les environne, & ils la tournent en nourriture: ilen eft de mème, ajoute-t-l, des infectes; par exemple, des che- milles, lefquelles , felon lui, ne font que des œufs imparfaits, qui cherchent leur nourriture, & qui, au bout d’un certain temps, arrivent à Pétat de chryfalide, qui eft un œuf parfait : & Des Animaux. 87 il y a encore une autre différence dans les ovi- pares ; c’eft, que les poules & les autres oifeaux ont des œufs de différente grofleur, au lieu que les poiflons, les grenouilles, &c. qui les répan- dent avant qu’ils foient parfaits, les ont tous de la mème groffeur. Seulement il obferve, que, dans les pigeons qui ne pondent que deux œufs, tous les petits œufs qui reftent dans l'ovaire, font de la mème grandeur , & qu’il n'ya que les deux qui doivent fortir, qui foient beaucoup plus gros que les autres ; au lieu que, dans les poules, ily en a de toute grofleur , depuis le plus petit atome, prefque invifible, jutqu’à la grofleur d’une nefMe. Il obferve aufh, que, dans les poiflons cartilagineux, comme Ja raie, il ny a que deux œufs qui grofliflent & müriflent en mème temps : ils defcendent des deux cornes de la matrice, & ceux qui reftent dans l'ovaire font, comme dans les poules ,, de différente grof. feur. Il dit en avoir vu plus de cent dans l’o- vaire d’une raie. Il fait enfuite l’expofition anatomique des parties de la génération de la poule, & il ob- ferve , que, dans tous les oifeaux, la fituation de orifice de l'anus & de la vulve, eft con- traire à la fituation de ces parties dans les au- tres animaux. Les oifeaux ont, en eftet, l’anus en devant, & la vulve en arriere (f); & à l’e- gard de celles du coq, il prétend, que l’animal Wa point de verge, quoique les oies & les ca- nards en aïent de fort apparentes; l’autruche fur-tout en a une de la groffeur d’une langue (CF) La plupart de tous ces faits font HS d'Ariftote, 4 S8 Hifioire Naturelle. de cerf ou de celle d’uu petit bœuf. Il dit donc qu’il n’y a point d’intromiflion; mais feulement un fimple attouchement, un frottement extérieur des parties du coq & de la poule; & il croit, que, dans tous les petits oifeaux, qui, comme les moineaux , ne fe joignent que pour quel. ques momens, il n’y a point d’intromiflion ni de vraie copulation. Les poules produifent des œufs fans coq, mais, en plus petit nombre; & ces œufs, quoi- que parfaits , font inféconds. Il ne croit pas, comme c’eft le fentiment des gens de la cam- pagne, qu’en deux ou trois jours d'habitude avec le coq, la poule foit fécondée au point, que tous les œufs qu’elle doit produire pendant toute l’année, foient tous féconds ; feulement il dit avoir fait cette expérience fur une poule féparée du coq depuis vingt jours, dont l'œuf fe trouva fécond , comme ceux qu’elle avoit pondus auparavant. Tant que l’œuf eft attaché a fon pédicule, c’eft-à-dire, à la grappe com- mune, il tire fa nourriture par les vaifleaux de ce pédicule commun; mais dès qu’il s’en déta- che, il la tire par intuflufception de la liqueur ‘blanche, qui remplit les conduits dans lefquels il defcend , & tout, jufqu’à la coquille, fe forme par ce moyen. Les deux cordons (chaluze) qu'Aquapendente regardoit comme le germe, ou la partie produite par la femence du mâle, fe trouvent aufli- bien dans les œufs inféconds, que la poule produit fans communication avec le coq, que dans les œufs féconds; & Harvey remarque très - bien, que ces parties de l’œuf ne viennent pas du mâle, Des Animaux. 89 & qu’elles ne font pas celles qui font fécondées. La partie de l’œuf qui eft fécondée, et tres-pe. tite: c’eft un petit cercle blanc, qui eft fur la membrane du jaune, qui y forme une petite ta- che {emblable à une cicatrice, de la grandeur d’une lentille environ. C’eft dans ce petit en- droit que fefait la fécondation; c’eft-la ou le poulet doit naître & croître , toutes les autres parties de l’œuf ne font faites que pour celle-ci. Harvey remarque auffi, que cette cicatricule {e trouve dans tous les œufs féconds ou inféconds ; & il dit, que ceux qui veulent qu’elle foit pro- duite par la femence du male, fe trompent : elle eft de la mème grandeur & de la mème forme dans les œufs frais, & dans ceux qu'on à gar- dés long-temps; mais dès qu’on veut les faire éclore, & que l'œuf recoit un degre de chaleur convenable, foit par la poule qui le couve, foit par le moyen du fumier ou d’un four, on voit bientôt cette petite tache s’augmenter, & fe di- later à-peu-près comme la prunelle de lœil. Voila le premier changement qui arrive au bout de quelques heures de chaleur ou d’incubation. Lorique l'œuf a été échauffé pendant vingt- quatre heures, le jaune, qui auparavant étoit au eentre du blanc, monte vers la cavité qui et au gros bout de l’œuf; la chaleur faifant éva. porer à travers la coquille la partie la plus i- quide du blanc, cette cavité du gros bout de. vient plus grande, & ja partie la plus pelante du blanc, tombe dans la cavité du petit bout de Vœuf. La cicatricule ou la tache qui eft au mi- lieu de la tunique du jaune, s’éleve avec le jaune, & s'applique à la membrane de la cavité 99 Hifioire Naturelle, du gros bout ; cette tache eft alors de la gran- deur d’un petit pois, & on y diftingue un point blanc dans le milieu, & plufieurs cercles con. centriques, dont ce point paroïît être le centre. Au bout de deux jours, ces cercles font plus vifibles & plus grand, & la tache paroïit divifée concentriquement par ces cercles en deux, & quelquefois en trois parties de différentes cou- leurs : il y a auffi un peu de protubérance à l'extérieur , & elle a à-peu-près la figure d’un petit œil, dans la pupille duquel il y auroit un point blanc, ou une petite cataracte. Entre ces cercles eft contenue, par uñe membrane très-délicate, une liqueur plus claire que le criftal, qui paroit être une partie dépurée du blanc de l'œuf; la tache, qui eft devenue une bulle, paroit alors comme fi elle étoit placée plus dans le blanc que dans la membrane du jaune. Pendant le troi- fieme jour, cette liqueur tranfparente & criftal- line augmente à l’intérieur, aufli-bien que la petite membrane qui lenvironne. Le quatrieme jour , on voit à la circonférence de la bulle une petite ligne de fang couleur de pourpre; & à peu de diftance du centre de la bulle, on apperçoit un point, aufli couleur de fang, qui bat: il paroit comme une petite étincelle à chaque diaf- tole, & difparoit à chaque fyftole. De ce point animé, partent deux petits vaifleaux fanguins , qui vont aboutir à la membrane qui enveloppe la liqueur criftalline. Ces petits vaifleaux jettent des rameaux dans cette liqueur ; & ces petits ra- meaux fanguins partent tous du mème endroit, a-peu-près comme les racines d’un arbre partent du tronc. C’eft dans l’angle que ces racines for- Des Animaux, 91 ment avec le tronc, & dans le milieu de la li- queur qu’eft le point animé. Vers la fin du quatrieme jour, ou au com- mencement du einquieme, le point animé eft déja augmenté, de facon qu’il paroit ètre devenu une petite vélicule remplie de fang, & 1l poufle & tire alternativement ce fang; & des le meme jour, on voit tres-diftinétement cette véficule fe partager en deux parties, qui forment comme deux véficules , lefquelles , alternativement , pouflent chacune le fang & fe dilatent; & de mème, alternativement, elles repouflent le {ang & fe contraétent, On voit alors, autour du vaifleau fanguin , le plus court des deux dont nous avons parlé, une efpece de nuage, qui, quoique tranfparent, rend plus obicure la vue de ce vaifleau: d’heure en heure ce nuage s’é- paillit, s'attache à la racine du vaifleau fanguin, & paroîit comme un petit globe qui pend de ce vailleau. Ce petit globe s’alonge, & paroït par- tagé en trois parties ; l’une eft orbiculaire & plus grande que les deux autres, & on y voit paroïître l’ébauchie des yeux & de la tête en- tiere ; & dans le refte de ce globe alongé, on voit au bout du cinquieme jour l’ébauche des vertebres. Le fixieme jour, les trois bulles de la tète paroillent plus clairement: on voit les tuniques des yeux, & en mème temps les cuifles & les ailes, & enfuite le foie, les poumons, le bec: le fœtus commence à fe mouvoir & à étendre la tète, quoiqu'il n’ait encore que les vifceres intérieurs; car le thorax, l'abdomen & toutes les parties extérieures du devant du corps lui 92 Hifioire Naturelle. manquent. À la fin de ce jour, ou au commen- cement du feptieme , on voit paroitre les doigts des pieds ; le fœtus ouvre le bec & le remue, les parties antérieures du corps commencent à recouvrir les vifceres. Le feptieme jour , le pou- let eft entiérement formé, & ce qui lui arrive dans la fuite jufqu’à ce qu’il forte de l'œuf, n’eft qu'un développement de toutes les parties qu’il a acquiles dans ces {ept premiers jours. Au qua- torzieme ou quinzieme jour, les plumes paroif- fent : il fort enfin, en rompant la coquille avec Tom bec, au vingt-unieme jour. Ces expériences de Harvey fur le poulet dans l'œuf, paroiflent , comme l’on voit, avoir été faites avec la derniere exactitude : cependant on verra dans la fuite qu’elles font imparfaites , & qu’il y a bien de l’apparence qu'il eft tombé lui-mème dans le défaut qu’il reproche aux au- tres ; d’avoir fait fes expériences dans la vue d’une hypothefe mal-fondée, & dans l’idée où il étoit, d’après Ariftote, que le cœur étoit le point animé qui paroit le premier. Mais avant que de porter fur cela notre jugement, il eft bon de rendre compte de {es autres expériences & de fon fyftème. Tout le monde fait, que c’eft fur un grand nombre de biches & de daines, qu'Harvey a fait fes expériences. Elles recoivent le mâle vers la mi-feptembre: quelques jours après l’accouple- ment les cornes dela matrice deviennent plus charnues & plus épaifles , & en mème temps plus fades & plus mollafles; & on remarque dans cha- cune des cavités des cornes de la matrice, cinq caroncules ou verrues molles. Vers le 26 ou le Des Animaux. 93 28 de feptembre, la matrice s’épaiflit encore davantage; les cinq caroncules fe gonflent, & alors elles font à-peu-près de la forme & de la groffleur du bout de la mamelle d’une nourrice: en les ouvrant avec un fcalpel, on trouve qu’el- les font remplies d’une infinité de petits points blancs. Harvey prétend avoir remarqué , qu’il n’y avoit alors, non plus que dans le temps qui fuit immédiatement celui de l’accouplement, au- cune altération , aucun changement dans les ovaires ou tefticules de ces femelles, & que ja- mais il n’a vu, ni pu trouver une feule goutte de la femence du male dans la matrice, quoi- qu’il ait fait beaucoup d’expériences & de re. cherches pour découvrir s’il y en étoit entré. Vers la fin d’otobre, ou au commencement de novembre, lorfque les femelles fe {éparent des mâles, l’épaifleur des cornes de la matrice commence à diminuer, & la furface intérieure de leur cavité {e tuméfie & paroït enflée; les pa- rois intérieures {e touchent & paroiïfflent collées enfemble ; les caroncules fubfiftent , & le tout eit fi mollaffe qu'on ne peut y toucher, & rel- femble à la fubftance de la cervelle. Vers le 13 ou le 14 de novembre, Harvey dit, qu’il apper- cut des filamens, comme ceux des toiles d’arai- gnée, qui traverfoient les cavités des cornes de la matrice, & celle de la matrice mème: ces fila- mens partoient de l'angle fupérieur des cornes, & par leur multiplication formoient une efpece dé membrane ou tunique vide. Un jour ou deux après, cette tunique ou ce fac fe remplit d’une matiere blanche , aqueufe & gluante : ce fac n'eit adhérent à la matrice, que par une efpece 94 Hiflotre Naturelle. de mucilage, & l'endroit où il left le plus fen- fiblement , ceft à la partie fupérieure , où {e forme alots l’ébauche du placenta. Dans le troi- fieme mois, ce fac contient un embryon long de deux travers de doigt, & il contient aufli un autre fac intérieur, qui eft l’amnios , lequel ren- ferme une liqueur tranfparente & criftalline, dans laquelle nage le fœtus. Ce n’étoit d’abord qu'un point animé, comme dans l’œuf de la poule : tout le refte fe conduit & s’acheve comme il Pa dit au fujet du poulet ; la feule différence et, que les yeux paroifflent beaucoup plutôt dans le poulet que dans les vivipares. Le point animé paroît vers le 19 ou le 20 de novembre dans les biches & dans les daines: dès le len- demain ou le fur-lendemain , on voit paroitre le corps oblong, qui contient l’ébauche du fœ- tus. Six ou fept jours après, il eft formé au point d'y reconnoitre les fexes & tous les membres; mais l’on voit encore le cœur & tous les vifce- res à découvert; & ce n’eft qu’un jour ou deux apres, que le thorax & l'abdomen viennent les couvrir : c’eft le dernier ouvrage, c’eft le toit a l'édifice. De ces expériences, tant fur les poules que fur les biches, Harvey conclut, que tous les animaux femelles ont des œufs; que, dans ces œufs, il fe fait une féparation d’une liqueur tranfparente & criftalline, contenue par une tu- nique (Pamnios,) & qu’une autre tunique ex- térieure (le chorion) contient le refte de la li- queur de l'œuf, & enveloppe l'œuf tout entier; que , dans la liqueur criftalline , la premiere chofe qui paroït eft un point fanguin & animé, Des Animaux. 9$ qu'en un mot, le commencement de la forma- tion des vivipares fe fait de la mème facon que - celle des ovipares ; & voici comment il explique la génération des uns & des autres. La génération eft l’ouvrage de la matrice : jamais il n’y entre de femence du mâle. La ma- trice concoit le fœtus par une efpece de conta- gion, que la liqueur du mâle lui communique, à-peu-près comme l’aimant communique au fer la vertu magnétique : non-feulement cette con- tagion mafculine agit fur la matrice, maïs elle fe communique mème à tout le corps féminin, qui eft fécondé en entier, quoique, dans toute la femelle, il n'y ait que la matrice qui ait la faculté de concevoit le fœtus, comme le cer- veau a feul la faculté de concevoir les idées; & ces deux conceptions {e font de la mème façon. Les idées que conçoit le cerveau, font fembla- bles aux images des objets qu’il recoit par les fens : le fœtus, qui eft l’idée de la matrice, eft femblable à celui qui le produit ; & c’eft par cette raifon que le fils reflemble au pere, &c. Je me garderai bien de fuivre plus loin no- tre Anatomifte, & d’expoler toutes les branches de ce fyftème : ce que je viens de dire fuffit pour en juger. Maïs nous avons des remarques importantes à faire fur {es expériences. La ma. niere dont il les a données peut impofer : il pa- roît les avoir répétées un grand nombre de fois ; 1] femble qu’il ait pris toutes les précautions né- ceflaires pour voir, & on croiroit qu’il a tout vu, & qu’il a bien vu. Cependant je me fuis appercu, que, dans lexpofition, il regne de l'incertitude & de l’obfcurité: {es obfervations 96 Hifloire Naturelle. font rapportées de mémoire, &il femble, quoi: qu’il dite fouvent le contraire, qu’Ariftote l’a guidé plus que lexpérience: car, à tout pren- . dre , il a vu dans les œufs tout ce qu’Ariftote a dit, & n’a pas vu beaucoup au-delà. La plupart des obfervations eflentielles qu’il rapporte, avoient éte faites avant lui. On en féra bientôt convaincu , {1 l’on veut donner un peu d’atten- tion à ce qui va fuivre. Ariftote favoit, que les cordons ( chalazæ) ne fervoient en rien à la génération du poulet dans l'œuf: Que ad principium lutei grandines hærent, nil conferunt ad generationem , ut quidam Jfufpicantur. (Hit. anim. lib. vi, c. 2.) Parifanus, Volcher Coiter , Aquapendente, &c. avotent remarqué la cicatricule, auffi- bien qu'Harvey. Aquapendente croyoit qu’elle ne ferviroit à rien; mais Parifanus prétendoit qu’elle étoit formée par la femence du mâle, ou du moins que le point blanc, qu’on remarque dans le milieu de la cicatricule , étoit la femence du male, qui devoit produire le poulet : Efique, dit-il, ilud galli femen albéä & tenuiffimä tunicà obduëum , quod fubftat duabus communibus toti ovo membra. nis, &ÿc. Ainfi, la feule découverte qui appar- tienne ici à Harvey en propre, c’eft d’avoir ob- fervé, que cette cicatricule fe trouve aufli-bien dans les œufs inféconds, que dans:les œufs fé. conds; car les autres avoient obfervé comme lui, la dilatation des cercles, l’accroiflement du point blanc; & il paroït meme, que Parifanus avoit vu le tout beaucoup mieux que lui. Voila tout ce qui arrive dans les deux premiers jours de Pineubation, {elon Harvey. Ce qu'il dit du troifieme Des Animaux. 97 troifieme jout n’eft, pour ainfi dire, que la ré- pétition de ce qu'a dit Ariftote (Hit. Anim. _Hb. vi, cap. 4.) Per id tempus afcendit jam vi: tellus ad fuperiorem partem ovi acutiorem, ubi € principium ovi eff € fœtus excluditur ; corque ip- Jum apporet in albumine ‘fanguinei punéi, quod punéfum falit &ÿ movet fefe inftar quafi animatum ; ab eo meatus venarum fpecie duo fanguine pleni ; ficxuof, qui, crefcente fœtu, feruntur in utramque tunicam ambientem ,* ac membrana fanguineas fibras habens eo tempore albumen continet [ub meatibus illis venarum Jimilibus ; ac pauld poft difcernitur corpus pufilum initio, omnino € candidum , ca- pite confpicuo, atque in eo oculis maximè turgidis qui diu fic permanerit , ferd enim parvi fiunt ac confidunt. In parte autem corporis inferiore nullum extat membrum per initia , quod refpondeat fupe- rioribus. Meatus autem illi qui a corde prodeunt, alter ad circumdantem membranum tencit, alter a& luteum , officio umbilici. Harvey fait un procès à Ariftote, fur ce qu’il dit, que le jaune de l'œuf monte vers la partie la plus aiguë, vers le petit bout de l'œuf; & fur cela feul cet Anatomifte conclut, qu’Ariftote Wavoit rien vu de ce qu’il rapporte au fujet de la formation du poulet dans l'œuf; que feule- ment il avoit été aflez bien informé des faits, & qu'il les tenoit apparemment de quelque bon Obfervateur. Je remarquerai, qu'Harvey a tort de faire ce reproche à Ariftote , & d’aflurer gé- néralement , comme il le fait, que le jaune monte toujours vers le gros. bout de l'œuf: car cela dépend uniquement de la poftion de l’œuf dans le temps. qu’il eft couvé; le jaune monte tou- Hif. Nat. des Anim. T. I. À 98 Hifioire Naturelle. jours au plus haut, comme plus léger que le blanc, & fi le gros bout eft en bas, le jaune Done vers le petit bout ; comme , au CON- traire, {1 le petit bout eft en bas, le jaune mon- tera vers le gros bout. Guillaume Langly, Mé- decin de Dordrecht , qui a fait en 16ÿ$, c’elt- a-dire, quinze ou vingt ans après Harvey, des oblervations fur les œufs couvés, a fait le pre- mier cette remarque. Voyez Will. Langly obferv. editæ à Jufto Schradero, Amy. 1674. Les obfer- vations de Langly ne commencent qu’après vingt- quatre heures d’incubation , & elles ne nous ap- prennent prefque rien de plus, que celles de Harvey. Mais, pour revenir au pañlage que nous ve- nons de citer, on voit que la liqueur criftalline, le point animé, les deux membranes, les deux _vaifleaux fanguins, &c. font donnés par Ari: tote précilément comme Harvey les a vus: auffi cet Anatomilte prétend, que le point animé eft le cœur; que ce cœur eft le premier formé, que les vilceres & les autres membres viennent enfuite s’y joindre. Tout cela a été dit par Arif- tote, vu par Harvey, & cependant tout cela n'elt pas conforme à Ja verité. Il ne faut, pour s’en aiurer, que répéter les mêmes expériences fur les œufs, ou feulement lire avec attention celles de Malpighi ( Malpighii pullus in ovo) qui nt été faites environ trente-cinq ou quarante ans apres celles de Harvey. Cet excellent Obfervateur a examiné avec attention la cicatricule , qui, en effet, eft la partie eflentielle de l'œuf : il a trouvé cette ci- catricule grande dans tous les œufs féconds , & des Animaux. 99 petite dans les œufs inféconds ; & ayant examiné cette cicatricule dans des œufs frais, & qui n’a- voient pas encore été couvés, il a reconnu que le point blanc, dont parle Harvey, & qui, {e. lon lui, devient le point animé , eft une perite bourle, ou une bulle qui nage dans une liqueur contenue par le premier cercle, & dans le mi lieu de cette bulle il a vu l'embryon , la mem brane de cette petite bourle, qui eft Pamnios, étant très-mince & tranfparente , lui laifoit voir aifément le fœtus qu’elle enveloppoit. Malpighi conclut avec raifon, de cette premiere obferva. tion, que le fœtus exifte dans l’œuf avant mème qu’il ait été couvé, & que fes premieres ébau- ches ont déja jeté des racines profondes. Il n’eft pas néceflaire de faire fentir ici, combien cette expérience eft oppolée au fentiment d'Harvey, & mème à {es expériences : car Harvey n’a rien vu de formé ni d’ébauché pendant les deux premiers jours de l’incubation , &, au troifieme jour, le premier indice de fœtus eft, felon lui, un point animé, qui eft le cœur; au lieu qu'ici l’'ébauche du fœtus exifte en entier dans l’œuf avant qu'il ait été couvé; chofe qui, comme l’on voit, eft bien différente, & qui eft en effet d’une conféquence infinie, tant par elle: mème, que par les inductions qu’on en doit tirer pour l'explication de la génération. Après s'être afluré de ce fait important, Mal. pighi a exzminé avec la mème attention la cica- tricule des œufs inféconds, que la poule pro duit fans avoir eu de communication avec le mâle. Cette cicatricule, comme je lai dit, eft plus petite que celle qu’on trouve ne les œufs 2 100 Hiftoire Naturelle. féconds; elle a fouvent des circonfcriptions irré- gulieres, & un tiflu, qui, quelquefois, eft dif- férent dans les cicatricules de différens œufs. Afez près de {on centre, au lieu d’une bulle qui renferme le fœtus , il y a un corps globu- leux comme une mole , qui ne contient rien d'organifé, & qui, étant ouvert, ne préfente rien de différent de la mole mème, rien de formé ni d’arrangé ; feulement cette mole a des appen- dices , qui font remplies d’un fuc aflez épais, quoique tranfparent, & cette mafñle informe, eft enveloppée & environnée de plufieurs cercles concentriques. Apres fix heures d’incubation , la cicatricule des œufs féconds a déja augmenté confidérable- ment : on reconnoit ailement, dans fon centre, la buile formée par la membrane amnios, rem- plie d’une liqueur, dans le milieu de laquelle on voit diftinctement nager la tête du poulet jointe à l’épine du dos. Six heures après, tout fe dif: tingue plus clairement, parce que tout a grofli: on reconnoit fans peine la tète & les vertebres de lépine. Six heures encore après, c’eft-à-dire, au bout de dix-huit heures d’incubation, la tète a grofi, lépine s’eft alongée ; & au bout de vingt-quatre heures, la tète du poulet paroît . s'être recourbée, & l’épine du dos paroît tou- jours de couleur blanchâtre ; les vertebres {ont difpoices des deux côtés du milieu de lépine comme de petits globules, &, prefque dans le mème temps, on voit paroiître le commencement des aïîles ; la tête, le cou & la poitrine s’alon- gent. Après trente heures d’incubation , il ne paroit rien de nouveau; mais tout s’eft aug- des Animaux. IOI menté, & fur-tout la membrane amnios: on re- marque autour de cette membrane les vaifleaux ombilicaux, qui {ont d’une couleur obfcure. Âu bout de trente-huit heures , le poulet étant de- venu plus fort , montre une tête aflez grolle; dans laquelle on diftingue trois véficules entou. rées de membranes, qui enveloppent aulh lé- pine du dos, à travers lefquelles on voit cepen- dant tres-bien les vertebres. Au bout de qua- rante heures, c’étoit, dit notre Oblervateur, une chofe admirable, que de voir le poulet vi- vant dans la liqueur renfermée par lamnios ; Pé- pine du dos s’étoit épaiflie, la tète s’étoit cour. bée, les véficules du cerveau étoient moins dé- couvertes; les premieres ébauches des yeux pa- roifloient , le cœur battoit & le fang circuloit déja. Malpighi donne ici la defcription des vaif- feaux & de la route du fang, & il croit avec raifon , que, quoique le cœur ne batte pas avant les trente-huit ou quarante heures d’incubation, il ne laifle pas d’exifter auparavant, comme tout le refte du corps du poulet; & en examinant féparément le cœur dans une chambre aflez obf- cure, 1l n’a jamais vu qu’il produisit la moin- dre étincelle de lumiere, comme Harvey paroït l'infinuer. Au bout de deux jours, on voit la bulle, ou la membrane amnios, remplie d’une liqueur aflez abondante, dans laquelle eft le poulet: la tête, compofée de véficules, eft courbée ; l’épine du dos s’eit alongée, & les vertebres paroiflent s’alonger aufli; le cœur, qui pend hors de la poitrine, bat trois fois de fuite , car l'humeur qu'il contient, eft pouflée de la veine par l’oreil. G 3 10% | Hifioire Naturelle. lette dans les ventricules du cœur; des ventri- cules dans les arteres , & enfin dans les vaif- feaux ombilicaux. Il remarque, qu'ayant alors {éparé le poulet du blanc de fon œuf, le mou- vement du cœur ne laiffa pas de continuer & de durer un jour entier. Apres deux jours & qua- torze heures, ou foixante-deux heures d’incu- bation , le poulet, quoique devenu plus fort, demeure toujours la tète penchée dans la liqueur contenue par l’amnios : on voit des veines & des arteres, qui arrofent les véficules du cer- veau; on voit les linéamens des yeux & ceux de la moëlle de lépine, qui s'étend le long des vertebres, & tout le corps du poulet eft comme enveloppé d’une partie de cette liqueur, qui a pris alors plus de confiftance que le refte. Au bout de trois jours, le corps du poulet paroiît courbé: on voit dans la tète, outre les deux veux, cinq véficules remplies d'humeur, lef quelles, dans la fuite, forment le cerveau: on voit aufli les premieres ébauches des cuifles & des ailes : le corps commence à prendre de la chair ; la prunelle des yeux fe diftingue, & on peut déja reconnoître le criftallin & l’humeur vitrée. Après le quatrieme jour, les véficules du cerveau s’approchent de plus en plus les unes des autres ; les éminences des vertebres s’élevenc d'avantage, les ailes & les cuifles deviennent plus folides à mefure qu’elles s’alongent, tout le corps eft recouvert d’une chair onctueufe ; on voit fortir de l’abdomen les vaifleaux ombi- licaux: le cœur eft caché en dedans, parce que la capacité de la poitrine eft fermée par une mem- brane fort mince. Après le cinquieme jour & à des Animaux. 103 la fin du fixieme, les véficules du cerveau com- mencent à {e couvrir; la moelle de l’épine s’é- tant divifée en deux parties, commence à pren- dre de la folidité & à s’avancer le long du tronc; les ailes & les cuifles s’alongentc, & les pieds s’é- tendent; le bas-ventre eft fermé & tumcñé; on voit le foie fort diftinétement : il n’eft pas en- core rouge, mais de blanchâtre qu’il étoit aupa- ravant , il eft alors devenu de couleur obfcure; le cœur bat dans fes deux ventricules ; le corps du poulet eft recouvert de la peau, & lon y diftingue déja les points de la naiffance des plu- mes. Le feptieme jour, la tète du poulet eft fort groile ; le cerveau paroît recouvert de fes mem. branes ; le bec fe voit très-bien entre les deux yeux; les ailes, les cuifles & les pieds ont ac- - quis leur figure parfaite : le cœur paroît alors être compolé de deux ventricules, comme de deux bulles contiguës, & réunies à la partie fu- périeure avec le corps des oreillettes, & on re- marque deux mouvemens fucceilifs dans les ventricules , aufli-bien que dans les oreillettes : c’eft comme s’il y avoit deux cœurs féparés. Je ne fuivrai pas plus loin Malpighi: le refte n’eft qu’un développement plus grand des par- ties, qui {e fait juiqu’au vingt-unieme Jour , que le poulet cafe fa coquille après avoir pipe. Le cœur eft le dernier à prendre la forme qu’il doit avoir, & à fe réunir en deux ventricules; car le poumon paroît à la fin du neuvieme jour : il eft alors de couleur blanchâtre, & le dixieme jour , les mufcles des ailes paroiflent ; les plu- mes fortent, & ce n’eft qu’au onzieme jour qu'on voit des arteres, qui auparavant étojent 4 Jo Hifoire Natwreile. éloignées du cœur, s’y attacher, comme les doigts a la main, & qu’il eft parfaitement con- formé & réuni en deux ventricules. On eft maintenant en état de juger fainement de la valeur des expériences de Harvey. Il y a grande apparence , que ce fameux Ânatomifte ne s’eft pas fervi de microfcope, qui, à la vérité, m'étoit pas perfectionné de fon temps; car il n’auroit pas afluré, comme il la fait, que la cicatricule d’un œuf infécond, & celle d'un œuf fécond , n’avoient aucune différence : il n’au- roit pas dit, que la femence du mâle ne produit aucune altération dans l'œuf, & qu’elle ne forme rien dans cette cicatricule : il n’auroit pas dit, qu'on ne voit rien avant la fin du troifieme jour, & que ce qui paroît le premier eft un point animé, dans lequelil croit que s’eft changé le point blanc. Il auroit vu que ce point blanc étoit une bulle , qui contient l’ouvrage entier de la génération , & que toutes les parties du fœtus y font éhauchées au moment que la poule a eu communication avec le coq : il auroit re- connu de mème, que, fans cette communica- tion, elle ne contient qu’une mole informe, qui ne peut devenir animée, parce qu’en effet elle n’eft pas organifée comme un animal, & que ce n’eft que quand cette mole, qu’on doit regar- der comme un aflemblage des parties organiques de la femence de la femelle, eft pénétrée par les parties organiques de la femence du mâle, qu’il en réfulte un animal, qui, dès ce moment, eft formé; mais dont le mouvement eft encore im- perceptible, & ne fe découvre qu’au bout de quarante heures d’incubation : il n’auroit pas Des Animaux. 10$ affure, que le cœur eft formé le premier; que les autres parties viennent s’y joindre par juxta- pofition , puifqu’il eft évident, par les oblerva- tions de Malpighi, que les ébauches de toutes les parties {ont toutes formées d’abord ; mais que ces parties paroiflent à mefure qu’elles fe déve- loppent. Enfin, s’il eût vu ce que Malpighi a vu, il n’auroit pas dit affirmativement , qu’il ne reftoit aucune impreflion de la {emence du mâle dans les œufs, & que ce n’étoit que par contagion qu’ils font fécondés, &c. Il eft bon de remarquer aufli, que ce que dit Harvey au fujet des parties de la génération du coq, n’eft point exact. Il femble affurer que le coq 11a point de membre génital, & qu’il n'y a point d’intromiflion : cependant il eft certain que cet animal a deux verges au lieu d’une, & qu’elles agiflent toutes deux en mème temps dans l'acte du coït, qui eft au moins une forte compreflion, fice n’eft pas un vrai accouple- ment avec intromiflion. (Voyez Reyn. Graaf, page 242). C’eft par ce double organe que le coq répand la liqueur féminale dans la matrice de la poule. Comparons maintenant les expériences que Harvey a faites fur les biches, avec celles de Graaf fur les femelles des lapins, nous verrons que, quoique Graaf croie comme Harvey, que tous les animaux viennent d’un œuf, il y a une grande différence dans la facon dont ces deux Anatomiftes ont vu les premiers degrés de la formation, ou plutôt du développement du fo- tus des vivipares. Après avoir fait tous fes efforts pour établir, 106 Hifioire Natwrelle. par plufieurs raifonnemens tirés de l'anatomie comparée, que les tefticules des femelles vivipa- res font des vrais ovaires, Graaf explique com- ment les œufs qui fe détâchent de ces ovaires, tombent dans les cornes de la matrice, & en- fuite il rapporte ce qu'il a obfervé fur une la- pine, qu'il a difléquée une demi-heure apres l’accouplement. Les cornes de la matrice , dit-il, étoient plus rouges : il n’y avoit aucune appa- rence de femence du mâle, ni dans le vagin, ni dans la matrice, ni dans les cornes de la matrice. Ayant difléqué une autre lapine fix heures apres l’accouplement , il obferva, que les follé- cules ou enveloppes qui, felon lui, contiennent les œufs dans l'ovaire, étoient devenues rougeà- tres: il ne trouva de femence du mâle ni dans les ovaires, ni ailleurs. Vingt - quatre heures après l’accouplement il en difléqua une troi- fieme, & il remarqua dans lun des ovaires trois, & dans l’autre cinq follécules altérés : car de clairs & limpides qu’ils font auparavant, ils étoient devenus opaques &rougeätres. Dans une autre, difléquée vingt-fept heures après l’ac- couplement , les cornes de la matrice & les conduits fupérieurs qui y aboutiflent , étoient encore plus rouges , & l’extrèmité de ces con- duits enveloppoit l'ovaire de tous côtés. Dans une autre, qu'il ouvrit quarante heures apres Paccouplement, il trouva dans l’un des ovaires fept, & dans l’autre trois follécules altérés. Cin- quante deux heures après l’accouplement il en difléqua une autre, dans les ovaires de laquelle il trouva un follécule altéré dans lun, & qua- . Des Animaux. 107 tre follécules altérés dans l’autre; & ayant exa- miné de près & ouvert ces follécules, il y trou- va une matiere prefque glanduleufe , dans le mi- lieu de laquelle il y avoit une petite cavité, où il ne remarqua aucune liqueur fenfible : ce qui lui fit foupconner que la liqueur limpide & trani- parente, que ces follécules contiennent ordinaïi- rement, & qui eft enveloppée, dit-il, de fes propres membranes , pouvoit en avoir été chal- fée & féparée par une efpece de rupture. Il chercha donc cette matiere dans les conduits qui aboutifient aux cornes de la matrice, & dans ces cornes mèmes , mais il n’y trouva rien: il reconnut feulement, que la mémbrane inté- rieure des cornes de la matrice étoit fort enflée. Dans une autre, difléquée trois jours apres l’ac- couplement , il obferva que l’extrémité fupé- rieure du conduit qui aboutit aux cornes de la matrice, embrafloit étroitement de tous côtés Vovaire ; & layant féparée de l’ovaire, il re- marqua dans l’ovaire droit trois follécules un peu plus grands & plus durs qu'auparavant; & ayant cherché avec grand foin dans les con- duits dont nous avons parlé, il trouva, dit- il, dans le conduit qui eft à droite, un œuf, & dans la corne droite de la matrice deux au- tres œufs, fi petits qu'ils n’étoient pas plus gros que des grains de moutarde. Ces petits œuls avoient chacun deux membranes qui les enve- loppoient, & l’intérieur étoit rempli d’une h- queur très - limpide. Ayant examiné l'autre ovaire, il y apperçut quatre follécules altérés; mais des quatre il y en avoit trois qui étoisnt plus blancs, & qui avoient aufli un peu de li 108 Hifhoire Naturelle. queur limpide dans leur milieu, tandis que le quatrieme étoit plus obfcur & ne contenoit au- cune liqueur: ce qui lui fit juger que l'œuf s’é- toit {éparé de ce dernier follécule; & en effet, ayant cherché dans le conduit qui y répond, & dans la corne de la matrice , à laquelle ce con- duit aboutit, il trouva un œuf dans l’extrè- mité fupérieure de la corne, & cet œuf étoit ab- {olument femblable à ceux qu’il avoit trouvés dans la corne droite. Il dit que les œufs qui {ont fépares de l'ovaire, font plus de dix fois plus petits que ceux qui y font encore attachés, & il croit que cette différence vient de ce que les œufs, lorfqu’ils font dans les ovaires, ren- ferment encore une autré matiere, qui eftcette fubftance glanduleufe , qu’il a remarquée dans les follécules. On verra tout-à-l’heure combien cette opinion elt éloignée de la vérité. Quatre jours apres l’accouplement, il en ouvrit une autre; & il trouva dans l’un des ovaires quatre, & dans l’autre ovaire trois fol- lécules vides d'œufs , & dans les cornes cor- refpondantes à ces ovaires il trouva ces quatre œufs d'un côté, & les trois autres de l’autre. Ces œufs étoient plus gros que les premiers qu’il avoit trouvés trois jours après l’accouplement : ils étoient à peu près de la groffleur du plus petit plomb dont on fe fert pour tirer aux petits oifeaux (f);, & il remarque, que, dans ces (Cf) Cette comparaifon de la groffeur des œufs avec celle du plomb moulé, n’eft mife ici que pour en donner une idée gufte, & pour éviter de faire graver la planche de Graaf, où ces œufs font repréfentés dans leur différens ctats., - Des Animaux. 109 œufs, la membrane intérieure étoit {éparée de l’extérieure, & qu'il paroïifloit comme un {e- cond œuf dans le premier. Dans une autre, qui fut difléquée cinq jours apres l’accouplement, il trouva dans les ovaires fix follécules vides, & autant d'œufs dans la matrice , à laquelle ils étoient f1 peu adhérens qu’on pouvoit , en fouf- flant deflus, les faire aller où on vouloit, Ces œufs étoient de la grofleur du plomb qu’on appelle communément du plomb à lievre : Ja membrane intérieure y étoit bien plus apparente que dans les précédens. En ayant ouvert une autre fix jours après l’accouplement, il trouva dans lux des ovaires fix follécules vides, mais feulement cinq œufs Jans la corne correfpon- dante de la matrice. Ces cinq œufs étoient tous cinq comme accumulés dans un petit monceau : dans lautre ovaire, il vit quatre follécules vi- des , & dans la corne correlpondante de la ma- trice il ne trouva qu’un œuf (Je remarquera en pañflant que Graaf a eu tort de prétendre que le nombre des œufs, ou plutôt des fœtus, répondoit toujours ai nombre des cicatrices ou follécules vides de l'ovaire, puifque fes propres -obfervations prouvent le contraire). Ces œufs étoient de la groffeur du gros plomb à giboyer, ou d’une petite chevrotine. Sept jours après Paccouplement , ayant ouvert une autre lapine , notre Ânatomilte trouva dans les ovaires quel- ques follécules vides, plus grands, plus rouges & plus durs que tous ceux qu’il avoit obfervés auparavant; & il appercut alors autant de tu- meurs tranfparentes , ou, fi lon veut, autant de cellules dans différens endroits de la ma- 110 Hifhoire Natureke. trice , & les ayant ouvertes, il en tira les œufs, qui étoient gros comme de petites balles de plomb, appellées vulgairement des poftes. La mem- brane interieure étoit plus apparente qu’elle ne Pavoit encore été, & au dedans de cette mem- brane il n’appercut rien qu’une liqueur tres- limpide. Les prétendus œufs, comme l’on voit, avoient en très-peu de temps tiré du dehors une grande quantité de liqueur, & s’étoientat- tachés à la matrice. Dans une autre, qu’il dif- féqua huit jours après l’accouplement, il trouva dans la matrice des tumeurs ou cellules qui con- tiennent les œufs, mais ils étoient trop adhé- rens , il ne put les en détacher. Dans une au- tre, qu'il ouvrit neuf jours après laccouple- ment, il trouva les cellules qui contiennent les œufs, fort augmentées, & dans l’intérieur de Pœuf, qui ne peut plus fe détacher , il vit la membrane intérieure contenant à l’ordinaire une liqueur très-claire ; mais il apperçut dans le mi- lieu de cette liqueur un petit nuage délié. Dans une autre ; difléquée dix jours apres l’accouple- ment, ce petit nuage s’étoit épaifli & formoit un corps oblong de la figure d’un petit ver. En- fin ,; douze jours après l’accouplement , il recon- nut diftinctement lembryon, qui, deux jours auparavant, ne préfentoit que la figure d’un corps oblong : il étoit mème fi apparent qu’on pouvoit en diftinguer les membres. Dans la région de la poitrine il appercut deux points fanguins , & deux autres points blancs, & dans Pabdomen une fubftance mucilagineufe un peu rougeâtre. Quatorze jours après l’accouple- ment , la tête de l'embryon étoit groffe &tranf. Des Animaux. 1II parente, les yeux proéminens , la bouche ou- verte , l’ébauche des oreilles paroïfloit, l’épine du dos, de couleur blanchitre , étoit recourbée vers le fternum: il en fortoit de chaque ‘côté de petits vaifleaux fanguins, dont les ramifica- tions s’étendoient fur le dos & juiqu’aux pieds. Les deux points fanguins avoient groffi confi- dérablement, & fe préfentoient comme les ébau- ches des ventricules du cœur: à côté de ces deux points fanguins on voyoit deux points blancs, qui étoient les ébauches des poumons. Dans l'abdomen on voyoit l’ébauche du foie, qui étoit rougeître ,-& un petit corpufcule, tortillé comme un fil, qui étoit celle de l’eftomac & des intef- tins. Apres cela ce n’eft plus qu’un accroiflement & un développement de toutes ces parties, ju£- qu’au trente-unieme jour , que la femelle du lapin met bas fes petits. De ces expériences, Graafconclut, que tou- tes les femelles vivipares ont des œufs ; queces œufs font contenus dans les teiticules, qu’il ap- pelle ovaires ; qu’ils ne peuvent s’en détacher qu'après avoir été fécondés par la femence du male, & il dit qu’on fetrompe, lorfqu’on croit, que, dans les femmes & les filles, il fe détache tres-fouvent des œufs de l'ovaire. Il paroît perfuadé que jamais les œufs ne fe féparent de l'ovaire qu'après leur fécondation par la liqueur féminale du mâle, ou plutôt par l’efprit de cette liqueur ; parce que, dit-il, la fubftance glanduleufe , au moyen de laquelle les œufs {ortent de leurs follécules , n’eit produite qu’a- rés une copulation qui doit avoir été féconde. î prétend auf , que tous ceux qui ont cru 112 Hifloire Naturelle. avoir vu des œufs de deux ou trois jours déja gros , fe font trompés , parce que les œufs ; {elon lui, reftent plus de temps dans l'ovaire, quoique fécondés , & qu’au lieu d'augmenter d’abord, ils diminuent, au contraire, jufqu’à devenir dix fois plus petits qu’ils n’étoient, & que ce m'eft que quand ils font defcendus des ovaires dans la matrice, qu’ils commencent à re- prendre de laccroiflement. En comparant ces obfervations avec celles de Harvey, on reconnoïtra aifément , que les premiers & principaux faits lui avoient échappés; & quoiqu'il y ait plufieurs erreurs dans les rai- fonnemens, & plufieurs fautes dans les expérien- ces de Graaf, cependant cet Anatomifte, auffi- bien que Malpighi, ont tous deux mieux vu que Harvey. Ils font aflez d'accord fur le fond des obfervations, & tous deux ils font contrai- res à Harvey. Celui-ci ne s’eft pas appercu des altérations qui arrivent à l'ovaire ; il n’a pas vu dans la matrice les petits globules qui contien- nent l’œuvre de la génération , & que Graaf appelle des œufs : il n’a pas mème foupconné , que le fœtus pouvoit être tout entier dans cet œuf, & quoique fes expériences nous donnent aflez exactement ce qui arrive dans le temps de l’ac- croiflement du fœtus, elles ne nous apprennent rien, ni du moment de la fécondation, ni du premier développement. Schrader , Médecin Hol- landois, qui a fait un extrait fort ample du li- vre de Harvey, & qui avoit une grande vénce- ration pour cet Anatomilte, avoue lui-mème ; qu'il ne faut pas s’en fier à Harvey fur beau- coup de chofes, & fur-tout fur ce qu’il dit des premiers Des Animaux. 113 premiers temps de la fécondation, & qu’en ef fet le poulet eft dans l’œuf avant l’incubation, & que ceft Joleph de Aromatariis qui l’a ob« fervé le premier, &c. Voyez Obf. Jufti Schra deri, Amfi. 1674; inpræfatione. Âu refte, quoi- que Harvey ait prétendu, que tous les animaux venoient d’un œuf, il n’a pas cru que les tefti. cules des femmes continiient des œufs : ce n’eft que par une comparailon du fac, qu’il croyoit avoir vu fe former dans la matrice des vivipa- res, avec le revêtement & l’accroiflement des œufs dans celle des ovipares, qu'il a dit que tous venoient d’un œuf, & il n’a fait que ré péter à cet égard ce qu’Ariftote avoit dit avant lui. Le premier qui ait découvert les prétendus œufs dans les ovaires des femelles, eft Stenon. Dans la difflection qu’il ft d’un chien de mer fe. melle, il vit, dit-il, des œufs dans les tefticu- les, quoique cet animal {oit, comme l’on fait, vivipare ; & il ajoute, qu'il ne doute pas, que les tefticules des femmes ne {oient analogues aux ovaires des ovipares ; foit que les œufs des fem mes tombent , de quelque facon que ce puife être, dans la matrice, foit qu’il n’y tombe que la matiere contenue dans ces œufs. Cependant, quoique Stenon foit le premier auteur de la dé- couverte de ces prétendus œufs , Graaf a voulu fe lattribuer, & Swamimerdam Ja lui à difpu- tée, mème avec aigreur: il a prétendu, que Van-Horn avoit auili reconnu ces œufs avant Graaf. Il eft vrai qu’on peut reprocher à ce der- nier; d’avoir afluré pofitivement plufieurs chofes que l’expérience a démenties, & d’avoir prétendu qu'on pouvoit juger du nombre des fœtus con- Hift. Nat. des Anim, T, LE 114 Hifioire Naturelle. tenus dans la matrice, par le nombre des cica- tricüles ou follécules vides de lovuire: ce qui neft point vrai, comme on le peut voir par les expériences de Verrheyen, tom. II, Chap. 3, édit. de Bruxelles, 1710; par celles de M. Méry, Hiff. de lAcad. 1701, & par quelques: unes des propres experiences de Graaf, où, comme nous l'avons remarqué, il s’eft trouvé moins d'œufs dans la matrice que de cicatrices fur les ovaires. D'ailleurs, nous ferons voir, que ce qu'il dit fur la féparation des œufs, & fur la maniere dont ils defcéendent dans la matrice, Welt point exact; que mème il n’eft point vrai, que ces œufs exiftent dans les tefticules des fe- melles ; qu’on ne les a jamais vus; que ce qu’on voit dans la matrice n’eft point un œuf, & que rien n’eft plus mal-fondé, que les fyftèmes qu’on à voulu établir fur les obfervations de ce fameux Anatomilte. Cette prétendue découverte des œufs dans les tefticules des femelles, attira l'attention de la plupart des autres Anatomiites : ils ne trou- vérent cependant que des véficules dans les tef- ticules de toutes les femelles vivipares, fur lefquelles ils purent faire des obfervations; mais ils n’héfiterent pas à regarder ces véficules comme des œufs. Ils donnerent aux tefticules le nom d'ovaires, & aux véficules qu'ils contiennent, le nom d'œufs : ils dirent auih, comme Graaf, que, dans le mème ovaire, ces œufs font de différentes grofleurs; que les plus gros, dans les ovaires des femmes, né font pas de la grofleur d’un petit pois; qu’ils font très - petits dans les jeunes perfonnes de quatorze ou quinze ans ; Des Animaux. 11$ mais, que l’âge & l’ufage des hommes les fait groilir; qu’on en peut compter plus de vingt dans chaque ovaire ; que ces œufs font fécondés dans lovaire par la partie fpiritueule de la li« queur féminale du mâle; qu’enfuite ils fe déta- chent & tombent dans la matrice par les trom- pes de Falloppe, où le fœtus eft formé de la {ubftance intérieure de l’œuf, & le placenta de la matiere extérieure; que la fubftance glandu- leufe, qui n’exifte dans l’ovaire qu’apres une copulation féconde , ne fert qu’à comprimer l'œuf & à le faire fortir hors de l'ovaire, &c. Mais Malpighi ayant examiné les chofes de plus près, me paroît avoir fait à l'égard de ces Ana- tomiltes, ce qu'il avoit fait à l’égard de Harvey au fujet du poulet dans l'œuf : il a été beau- coup plus loin qu'eux ; & quoiqu'il ait corrigé plufieurs erreurs avant mème qu’elles fuflent re- cues , la plupart des Phyficiens n’ont pas laiflé d'adopter le {entiment de Graaf, & des Anato- miltes dont nous venons de parler, fans faire attention aux obfervations de Malpighi, qui cependant font très-importantes, & auxquelles fon Difciple Vallifnieri a donné beaucoup de poids. | _ Vallifnieri eft de tous les Naturaliftes celui qui a parlé le plus à fond fur le fujet de Ja génération. Il a raffemblé tout ce qu’on avoit découvert avant lui fur cette matiere, & ayant lui - même, à l’exemple de Malpighi, fait un nombre infini d’obfervations , il me paroît avoir prouvé bien clairement, que les véficules qu’on trouve dans les tefticules de toutes les femelles ñe {ont pas des œufs ; que AT ces vélicu» : 116 Hiftoire Naturelle. les ne fe détachent du tefticule , & qu’elles ne font autre chofe que les réfervoirs d’une lym- phe ou d’une liqueur qui doit contribuer , dit- il, à la génération & à la fécondation d’un autre œuf, ou de quelque chofe de {emblable à un œuf, qui contient le fœtus tout formé. Nous allons rendre compte des expériences & des remarques de ces deux Auteurs , auxquel- les on ne fauroit donner trop d’attention. Malpighi ayant examiné un grand nombre de telticules de vaches & de quelques autres femelles d'animaux , aflure avoir trouvé , dans tous ces tefticules, des véficules de différentes groffeurs ; foit dans les femelles encore fort jeunes , foit dans les femelles adultes. Ces vé- ficules font toutes enveloppées d’une membrane aflez épaifle , dans l’intérieur de laquelle il y a des vaifleaux fanguins , & elles font remplies d’une efpece de lymphe ou de liqueur , qui {e durcit & fe caille par la chaleur du feu, comme le blanc d'œuf. Avec le temps on voit croître un corps ferme & jaune, qui eft adhérent au tefticule; qui eft proéminent, & qui augmente fi fort , qu’il de- vient de la grandeur d’une cerile, & qu’il oc- cupe la plus grande partie du tefticule. Ce corps eft compofé de plufieurs petits lobes anguleux , dont la pofition eft aflez irréguliere, & il eft couvert d’une tunique femée de vaifleaux fan- guins & de nerfs. L’apparence & la forme in- térieure de ce corps jaune ne font pas toujours les mèmes ; mais elles varient en différens temps. Lorfqu’il n’eft encore que de la grofieur d’un grain de millet, il a à peu près la forme d’un Des Animaux. 1F7 1 3: Mine A paquet globuleux , dont lintérieur ne paroit étre que comme un tiflu variqueux. Très - fou- vent on remarque une enveloppe extérieure, qui eft compolée de la fubftance mème du corps jaune autour des véficules du tefticule. Lorfque ce corps jaune ‘eft devenu à peu près de la grandeur d’un pois, il a la figure d’une poire, & en dedans, vers fon centre, il a une petite cavité remplie de liqueur : quand il eft parvenu à la groffeur d’une cerife , il con- tient une cavité pleine de liqueur. Dans quel. ques-uns de ces corps jaunes , lorfqu’ils font parvenus à leur entiere maturité, on voit, dit Mailpighi, vers le centre, un petit œuf avec. fes appendices , de la grofieur d’un grain de millet; & lorfqu’ils ont jeté leur œuf, on voit ces corps épuilés & vides: ils reflemblent alors a un canal caverneux , dans lequel on peut introduire un ftylet; & la cavité qu’ils renfer- ment & qui s’elt vidée, eft de la grandeur d’un pois. On remarquera ici que Malpighi dit, n’a- voir vu que quelquefois un œuf de la grofleur d’un grain de millet, dans quelques - uns de ces corps jaunes. On verra, par ce que nous rap- porterons dans la fuite , qu’il s’eft trompe, & qu'il n’y a jamais d'œuf dans cette cavité, ni rien qui y refñemble. Il croit que Pufage de ce corps jaune & glanduleux, que la nature pro- duit & fait paroïître dans de certains temps , eft de conferver l'œuf, & de le faire fortir du tefticule, qu'il appelle lovaire , & peut-être de contribuer à la génération même. de l'œuf : par conféquent, dit-il, les véficules de l’o- vaire, qu'on y remarque entouttemps, & qui, 3 118 Hifioire Naturelle. en tout temps aufli , font de différentes gran. deurs, ne font pas les vériables œufs qui doi- vent être fécondés, & ces véficules ne fervent qu'à la production du corps jaune, où l’œuf doit fe former. Au refte, quoique ce corps jaune ne Îe trouve pas en tout temps & dans tous les tefticules , on en trouve cependant tou. jours les premieres ébauches ; & notre Obfer- vateur en a trouvé des indices dans de jeunes genifles , nouvellement nées ; dans des vaches, qui étoient pleines ; dans des femmes groffes : & il conclut , avec raïon, que ce corps jaune & glanduleux n’eft pas, comme l’a cru Graaf, un effet de la fécondation. Selon lui, cette fub{. tance jaune produit les œufs inféconds, qui {for tent de l'ovaire fans qu’il y ait communication avec le mâle, & aufli les œufs féconds lorfqu’il y à eu communication: de-là ces œufs tom- bent dans les trompes, & tout le refte s’exé. cute comme Graaf l’a décrit. Ces obfervations de Malpighi font voir, que les tefticules des femelles ne font pas de vrais ovaires , comme la plupart des Anatomiftes le croyoient de fon temps, & le croient encore aujourd’hui ; que les véficules qu'ils contien. nent ne font pas des œufs ; que jamais ces ve- ficules ne fortent du tefticule pour tomber dans la matrice, & que ces tefticules font, comme ceux du male , des efpeces de réfervoirs, qui contiennent une liqueur qu’on doit regarder comme une femence de la femelle encore im- parfaite , qui {e perfectionne dans le corps jaune & glanduleux , en remplit enfuite la cavité in. térieure, & fe répand lorfque le corps glan- Des Animaux, 119 duleux a acquis une entiere maturité. Mais avant que de décider ce point important , il faut en- core rapporter les obfervations de Vallifnieri, On reconnoitra que , quoique Malpighi & Val. lifnieri aient tous deux fait de bonnes obferva- tions , ils ne les ont pas pouflées aflez loin, & qu'ils n’ont pas tiré de ce qu’ils ont fait, les conféquences que leurs obfervations produi- foient naturellement; parce qu'étant tous deux fortement prévenus du fyftème des œufs, & du fœtus préexiftant dans l'œuf , le premier croyoit avoir vu l'œuf dans la liqueur contenue dans la cavité du corps jaune, & le fecond, n'ayant jamais pu y Voir cet œuf, n’a pas laiflé de croire qu’il y étoit, parce qu’il falloit bien qu'il fût quelque part, & qu'il ne pouvoit ètre nulle part ailleurs. Vaillifnieri commença fes obfervations en 1692 , {ur des tefticules de truie. Ces tefticu- les ne font pas compofés conime ceux des va- ches , des brebis, des jumens, des chiennes, des ânefles , des chevres ou des femmes, & comme ceux de beaucoup d’autres animaux fe. melles vivipares; car ils reflemblent à une pe- tite grappe de raifin. Les grains font ronds, proéminens en dehors : entre ces grains , il y en a de plus petits, qui font de la mème efpece que les grands , & qui n’en different que parce qu'ils ne font pas arrivés à leur maturité. Ces grains ne paroiflent pas ètre enveloppés d’une membrane commune : ils font, dit-il, dans les truies. ce que font dans les vaches les corps jaunes, que Malpighi a obfervés. Ils font ronds, d’une couleur qui tire fur le rouge : leur {ur- H 4 720 Hifoire Naturelle. face eft parfemée de vaifleaux fanguins , comme les œufs des ovipares, & tous ces grains en. femble forment une mafle plus grofle que l’o- vaire. On peut, avec un peu d’adrefle, & en coupant la membrane tout autour , {éparer un à un ces grains, & les tirer de l'ovaire, où ils laifleut chacun leur niche. Ces corps glanduleux ne font pas abfolu. ment de la meme couleur dans toutes les truies. Dans les unes ils font plus rouges, dans d’au- tres, ils font plus clairs; & il y en a de toute groffeur , depuis la plus petite jufqu’à celle d’un grain de raifin, En les ouvrant , on trouve dans leur intérieur , une cavité triangulaire , plus ou moins grande , remplie d’une Jlymphe ou liqueur très -limpide, qui fe caille par le feu, & devient blanche comme celle qui eft contenue dans les véficules. Vallifnieri efpéroit trouver l’œuf dans quelques-unes de ces cavi- tés , & fur-tout dans celles qui étoient les plus grandes ; mais il ne le trouva pas, quoi- qu’il le cherchât avec grand foin, d’abord dans tous les corps glanduleux des ovaires de quatre truies différentes , & enfuite dans une infinité d’autres ovaires de truies & d’autres animaux : jamais il ne put trouver l'œuf que Malpighi dit avoir trouvé une fois ou deux. Mais voyons la fuite des obfervations. : Au - defflous de ces corps glanduleux , on voit les véficules de l'ovaire, qui font en plus grand ou en plus petit nombre, felon & à me- fure que les corps glanduleux font plus gros ou plus petits; car à mefure que les corps glan- duleux groffiffent, les velicules diminuent. Les Des Animaux. I2I unes de ces véficules font groffes comme une lentille , & les autres comme un grain de mile let. Dans les tefticules cruds, on pourroit en compter vingt, trente ou trente- cinq ; mais, lorfqu’on les fait cruire, on en voit un plus grand nombre, & elles font fi adhérentes dans l'intérieur du tefticule , & fi fortement atta- chées avec des fibres & des vaifleaux membra- neux, qu'il eft pas poflible de les {Cparer du tefticule, fans rupture des uns ou des autres. Ayant examiné les teiticules d’une truie, qui n’avoit pas encore porté , il y trouva , comme dans les autres, les corps glanduleux , & dans leur intérieur , la cavité triangulaire remplie de lymphe ; mais jamais d'œuf ni dans les unes ni dans les autres. Les véficules de cette truie , qui n’avoit pas porté , étoient en plus grand nombre que celles des tefticules des truies qui avoient déja porté ou qui étoient pleines. Dans les tefticules d’une autre truie, qui étoit pleine, & dont les petits étoient déja gros , notre Obfervateur trouva deux corps glanduleux des plus grands , qui étoient vides & affaiflés, & d’autres plus petits, qui étoient dans l’état ordinaire ; & ayant difléqué plu- fieurs autres truies pleines, il obferva, que le nombre des corps glanduleux étoit toujours plus grand que celui des fœtus : ce qui con- firme ce que nous avons dit au fujet des ob. fervations de Graaf, & nous prouve , qu’elles ne font point exactes à cet égard : ce qu’il ap- pelle follécules de l'ovaire, n'étant que les corps glanduleux dont il eft ici queftion, & leur nombre étant toujours plus grand que celui des 122 Hifioire Naturelle. fœtus. Dans les ovaires d’une jeune truie, qui mavoit que quelques mois, les tefticules étoient d’une groffeur convenable , & femés de véfi- cules aflez gonflées. Entre ces véficules , on voyoit la naïffance de quatre corps glanduleux dans lun des tefticules, & de fept autres corps glanduleux dans l’autre tefticule, Après avoir fait {es obfervations fur les tef ticules des truies , Vallifnieri répéta celles de Malpighi fur les tefticules des vaches ; & il trouva que tout ce qu'il avoit dit étoit con- forme à la vérité : feulement Vallifnieri avoue, qu’il n’a jamais pu trouver l’œuf que Malpighi croyoit avoir apperçu , une fois ou deux, dans la cavité intérieure du corps glanduleux ; & les expériences multipliées, que Vallifnieri rap- porte fur les tefticules des temelles de plufieurs efpeces d'animaux , qu’il faifoit à deflein de trouver l’œuf, fans jamais avoir pu réuflir , auroient dû le porter à douter de l’exiftence de cet œuf prétendu. Cependant on verra que, contre fes propres expériences , le préjugé où il étoit du {yftème des œufs, lui a fait admet- tre l’exiftence de cet œuf, qu’il n’a jamais vu, & que jamais perfonne ne verra. On peut dire qu’il n’eft guere poflible de faire un plus grand nombre d'expériences , ni de les faire mieux qu’il les a faites; car il ne s’eft pas borné à celles que nous venons de rapporter. Il en a fait plufieurs fur les tefticules des brebis ; & il obferve , comme une chofe particuliere à cette efpece d'animal , qu’il n’y a jamais plus de corps glanduleux fur les teiticules , que de fœtus dans la matrice. Dans les jeunes brebis Des Animaux. 123 qui t'ont pas porté, il n’y a qu’un corps glan- duleux dans chaque tefticule ; & lorfque ce corps eft épuilé , il s’en forme un autre: & fi une brebis ne porte qu'un feul fœtus dans fa matrice, il n’y à qu’un feul corps glandu- leux dans les teiticules : fi elle a deux fœtus, elle a aufli deux corps glanduleux. Ce corps occupe la plus grande partie du tefticule , & après qu'il eft épuifé & qu'il s’eft évanoui, il en poufle un autre , qui doit fervir à une autre génération. Dans les tefticules d’une ânefle , il trouva des véficules grofles comme de petites cerifes : ce qui prouve évidemment , que les véficules ne font pas les œufs, puifqu’étant de cette grof- feur , quand mème elles pourroient fe détacher du tefticule , elles ne pourroient pas entrer dans les cornes de la matrice, qui font dans cet animal trop étroites pour les recevoir. Les tefticules des chiennes, des louves & des rerards femelles, ont à l'exterieur une en- veloppe ou une efpece de capuchon ou de bourte, produite par l’expanfon de la membrane qui en- vironne la corne de la matrice. Dans une chienne qui commencçoit à entrer en chaleur , & que le mâle n’avoit pas encore approchée , Vallifnieri trouva que cette bourfe qui recouvre le tefti- cule, & qui n’y eft point adhérente, étoit bai- gnée intérieurement d’une liqueur femblable à du petit lait. Il y trouva deux corps glandu- Jeux dans le tefticule droit, qui avoient envi- ron deux lignes de diametre, & qui tenoient prefque toute l'étendue de cetefticule. Ces corps glanduleux avoient chacun un petit mamelon, 124 Hifioire Naturelle. dans lequel on voyoit très- diftinctement une fente d'environ une demi-ligne de largeur, de laquelle il fortoit , fans qu’il füt befoin de prefler le mamelon , une liqueur femblable à du petit lait aflez clair ; & lorfqu’on le pref- foit , il en fortoit une plus grande quantité : ce qui fit foupconner à notre Obfervateur , que cette liqueur étoit la mème que celle qu'il avoit trouvée dans l’intérieur du capuchon. Il fouMa dans cette fente par le moyen d’un petit tuyau, & dans l’inftant le corps glanduleux fe gonfla dans toutes fes parties, & y ayant in- troduit un fil de foie, 11 pénétra aifément juf- qu’au fond. Il ouvrit ces corps glanduleux dans le fens que le fil de foie y étoit entré, & il trouva dans leur intérieur une cavité confidé- rable , qui communiquoit à la fente, & qui contenoit aufli beaucoup de liqueur. Vallif nieri efpéroit toujours qu'il pourroit enfin être aflez heureux pour y trouver l'œuf ; mais, queique recherche qu’il fit, & quelqu’attention qu'il eût à regarder de tous côtés, il ne put jamais l’apercevoir, ni dans l’un, ni dans l’au- tre de ces deux corps glanduleux. Au refte, il crut avoir remarqué, que l’extrémité de leur mamelon, par où s’écouloit la liqueur, ctoit reflerrée par un fphincter , qui, comme dans Ja veflie, fervoit à fermer ou à ouvrir le canal du mamelon. Il trouva aufli, dans le tefticule gauche deux corps glanduleux , & les mêmes cavités , & les mèmes mamelons , les mèmes canaux & la mème liqueur qui en diftille. Cette liqueur ne fortoit pas feulement par cette extrémité du mamelon, mais auf par une in. Des Animaux, 12 finite d’autres petits trous de la circonférence du mamelon; & ayant pu trouver l’œuf, ni dans cette liqueur , ni dans la cavité qui la contient, il fit cuire deux de ces corps glan- duleux , efpcrant que, par ce moyen, il pour- roit reconnoitre œuf, aprés lequel, dit-il, je foupirois ardemment : mais ce fut en vain, car il] ne trouva rien. Ayant fait ouvrir une autre chienne, qui avoit été couverte depuis quatre ou cinq jours, il ne trouva aucune différence aux tefticules. il y avoit trois corps glanduleux, faits comme les précédens, & qui, de mème, laifloient diftil. ler de la liqueur par les mamelons. Il chercha l'œuf avec grand foin par-tout, & il ne put le trouver ni dans ce corps glanduleux, ni dans les autres qu’il examina avec la plus grande attention, & mème à la loupe &au microfcope. Il à reconnu feulement, avec ce dernier inf trument, que ces corps glanduleux font une efpece de lacis de vaifleaux, formés d’un nom- bre infini de petites véficules globuleufes, qui fervent à filtrer la liqueur qui remplit la ça. vité, & qui fort par l’extrèmité du mamelon. Il ouvrit enfuite une autre chienne, qui n’écoit pas en chaleur ; & ayant eflayé d’intro- duire de l'air encre le tefticule & le capuchon qui le couvre, il vit, que le capuchon fe di- latoit très-confidérablement, comme fe dilate une veflie enflée d’air. Ayant enlevé ce capu- puchon, il trouva fur le tefticule trois corps glanduleux ; mais ils étoient fans mamelon, fans fente apparente , & il n’en diftilloit aucune liqueur, 126 Hifioire Naturelle. Dans une autre chienne, qui avoit mis bas deux mois auparavant, & qui avoit fait cinq petits chiens, il trouva cinq corps glanduleux ; mais fort diminués de volume, & qui com- mencoient à s’oblitérer, fans produire de cica- trice. Il reftoit encore dans leur milieu une pe- tite cavité; mais elle étoit feche & vide de toute liqueur. Non content de ces expériences & de plu- fieurs autres, que je ne rapporte pas, Vallif nieri, qui vouloit abfolument trouver le pré- tendu œuf, appella les meilleurs Anatomiftes de {on pays, entre autres M. Morgagni; & ayant ouvertune jeune chienne , qui étoient en chaleur pour la premiere fois, & qui avoit été couverte trois jours auparavant, ils recon- nurent les véficules des telticules, les corps 2landuleux, leurs mamelons, leur canal & la li- queur qui en découle, & qui eft aufli dans leur cavité intérieure; mais jamais ils ie virent d'œuf dans aucun de ces corps glanduleux. Il fit enfuite des expériences dans le mème def- fein, {ur des chamoïs femelles, fur des renards femelles, fur des chattes, fur un grand nom- bre de fouris, &c. Il trouva dans les telticules de tous ces animaux , toujours les véficules , fouvent les corps glanduleux & la liqueur qu’ils contiennent , mais jamais il ne trouva d'œuf, Enfin, voulant examiner les tefticules des femmes, il eut occafion d'ouvrir une jeune pay- fanne , marice depuis quelques années , qui s’é- toit tuée en tombant d’un arbre. Quoiqu’elle fût d’un bon tempérament , & que fon mari fût robufte & de bon âge, elle n’avoit point Des Animaux. 127 eu d’enfans. Il chercha fi la caufe de la ftéri- lité de cette femme ne fe découvriroit pas dans les tefticules ; & il trouva en effet , que les vé- ficules étoient toutes remplies d’une matiere noirâtre & corrompue. . Dans les tefticules d’une fille de dix-huit ans, qui avoit été élevée dans un couvent, & qui, felon toutes les apparences, étoit vierge, il trouva le tefticule droit un peu plus gros que le gauche. Il étoit de figure ovoïde, & fa fuperficie étoit un peu inégale. Cette inégalité étoit produite par la protubérance de cinq ou fix véficules de ce telticule ; qui avançoient au dehors. On voyoit, du côté de la trompe, une de ces véficules, qui étoit plus proëminente que les autres, & dont le mamelon avancoit au dehors ; à peu près comme dans les femel- les des animaux , lorfque commence la faifon de leurs amours. Ayant ouvert cette véficule, il en fortit un jet de lymphe. Il y avoit autour de cette véficule une matiere glanduleufe , en forme de demi-lune, & d’une couleur jaune ti- rant fur le rouge. Il coupa tranfverfalement le refte de ce tefticule, où il vit beaucoup de vé- ficules remplies d’une liqueur limpide, & il remarqua que la trompe correfpondante à ce tefticule étoit fort rouge, & un peu plus grofle que l’autre , comme il l’avoit obfervé plufieurs fois fur les matrices des femelles d'animaux, lorfqu’elles font en chaleur. | Le tefticule gauche étoit auf fain que le droit; mais il étoit plus blanc & plus uni à fa furface: car quoiqu'il y eût quelques véficules un peu proéminentes, il n’y en avoit cependant 128 Hiftoire Naturelle. aucune qui fortit en forme de mamelon. Elles étoient toutes femblables les unes aux autres & fans matiere glanduleufe, & la trompe corref. pondante n’étoit ni gonflée, ni rouge. Dans une petite fille de cinq ans, iltrouva les tefticules avec leurs vélicules, leurs vaif feaux fanguins , leurs fibres & leurs nerfs. Dans les tefticules d’une femme de ioixante ans , il trouva quelques véficules & les velti- ges de l’ancienne fubftance glanduleufe ; qui étoit comme autant de gros points, d’une ma- tiere de couleur jaune-brune & obfcure. De toutes ces obfervations, Vallifnieri con. clut, que l'ouvrage de la génération Îe fait dans les tefticules de la femelle, qu’il regarde tou. jours comme des ovaires, quoiqu'il n’y ait ja- mais trouvé d'œufs, & qu’il ait démontré , au contraire, que les véficules ne {ont pas des œufs. Il dit aufhi, qu’il n’eft pas néceflaire que la femence du mâle entre dans la matrice pour féconder l'œuf, Il fuppole que cet œuf fort par le mamelon du corps glanduleux apres qu’il a été fécondé dans l'ovaire; que, de-là, il tombe dans la trompe, ou il ne s’attache pas d’abord; qu’il defcend & s’augmente peu-à-peu, & qu’en- fin il s'attache à la matrice. Il ajoute, qu'il elt perfuadé que œuf eft caché dans la cavité du corps glanduleux , & que c’eft-là où fe fait tout louvrage de la fécondation, quoique, dit-il, ni moi ni aucun des Ântomiftes en qui j'ai eu pleine confiance , n’ayions jamais vu ni trouvé ces œufs. Selon lui, lefprit de la femence du mâle monte à l'ovaxe, pénetre l'œuf, & donne le mouvement V4 Des Animaux. 129 mouvement au fœtus , qui eft préexiftant dans cet œuf. Dans l'ovaire de la premiere femme, étoient contenus des œufs, qui, non-f{eule- ment renfermoient en petit tous les enfans qu’elle a faits ou qu’elle pouvoit faire, mais encore toute la race humaine, toute fa pofté- rité jufqu’à l’extinction de l’efpece. Que fi nous ne pouvons pas concevoir ce développement infini, & cette petitelle extrème des individus contenus les uns dans les autres à l'infini, c’eft, dit-il, la faute de notre elprit, dont nous re- connoiflons tous les jours Ja foiblefle: il n’en eft pas moins vrai que tous les animaux qui ont été, font & feront, ont été créés tous à la fois, & tous renfermés dans les premieres fe- melles. La reflemblance des enfans à leurs pa- rens ne vient, felon lui, que de l’imagination de la mere. La force de cette imagination eft fi grande & fi puiflante fur le fœtus, qu’elle peut produire des taches, des monftruofités, des dérangemens de parties, des accroiflemens extra- ordinaires, aufli-bien que des reflemblances par- faites. à Ce fyftème des œufs, par lequel, comme l’on voit, on ne rend raifon de rien, & qui eft fi mal fondé, auroit cependant efporté les fuf- frages unanimes de tous les Phyfciens , fi dans les premiers temps qu'on a voulu l’établir, on n'eût pas fait un autre fyftème, fondé fur la découverte des animaux fpermatiques. - Cette découverte, qu'on doit à Leeuwen- hock & à Hartfoëker, a été confirmée par An- dri, Vallifnieri, Bourguet, & par plufeurs au- res Obfervateurs. Je vais rapporter ce qu'ils Hif, Nat, des Anim. T. I, I 130 Hifioire Naturelle. ont dit de ces animaux fpérmatiques, ‘qu’ils cnt trouvés dans la liqueur féminale de tous les animaux males. Ils {ont en fi grand nom- bre, que la femence paroït en ètre compofée en entier; & Leeuwenhoeck prétend en avoir vu plufieurs milliers dans une goutte plus pe- tite que le plus petit grain de füble. On les trouve, difent ces Oblervateurs, en nombre prodigieux dans tous les animaux males, & on n'en trouve aucun dans les femelles; mais, dans les males, on les trouve, foit dans la fe- mence répandue ‘au dehors par les voies ordi- naires, {oit dans celle qui eft contenue dans les véficules féminales , qu’on a ouvertes dans des animaux vivaus. Îl y en a moins dans la li- queur contenue dans les tefticules , que dans celle des véficules féminales ; parce qu’appa- remment la femence n’y eft pas encore entie- rement perfectionnée. Lorfqu’on expofe cette li- queur de l’homme à une chaleur , mème médio- cre , elle s’épaiflit : le mouvement de tous ces animaux cefle aflez promptement; mais fi on la laiffe refroidir, elle fe délaie, & les animaux confervent leur mouvement long-temps, & juf qu’à ce que la liqueur vienne à s’épaiflir par le defléchement. Plus la liqueur eft délayée, plus le nombre de ces animalcules paroïit s’augmen- ter, & s’augmente en effet ; au point qu’on peut réduire & décompofer, pour ainfi dire, toute la fubftance de la femence en petits ani- maux, en la mêlant avec quelque liqueur dé- layante; comme avec de leau: & lorfque le mouvement de ces anmalcules eft prêt à finir, foit à caule de la chaleur, {oit par le defléche- Des Animaux. 131 ment, ils paroiflent {e raffembler de plus près, & ils ont un mouvement commun de tourbil- Jon, dans le centre de la petite goutte qu’on obferve , & ils femblent périr tous dans le mème inftant ; au lieu que, dans un plus grand volume de liqueur, on les voit aifément périr fucceflivement. Ces animalcules font, difent-ils, de diffé- rente figure, dans les ditférentes efpeces d’ani- maux; cependant ils {ont tous longs, menus & fans membres : ils fe meuvent avec rapidité & en tout fens; la matiere qui contient ces ani- maux, eft, comme je l'ai dit, beaucoup plus pelante que le fang. De la femence de taureau a donné à Verrheven, par la chimie, d’abord du flegme, enfuite une quantité aflez confidé- rable d'huile fétide ; mais peu de fel volatil en proportion, & beaucoup plus deterre qu’il n’au- roit cru. Voyez Verrhcyen, fup. Anat. tome IT, page 69. Cet Auteur paroit {urpris, dece du’en rectifiant la liqueur diftillée, il ne put en tirer des elprits; & comme il étoit perfuadé que la femence en contient une grande quantité, il at- tribue leur évaporation à leur trop grande fub- tilité. Mais ne peut-on pas croire avec plus de fondement ; qu’elle n’en contient que peu ou point du tout? La confiftance de cette matiere, & fon odeur , n’annonce pas qu'il y ait des ef prits ardens, qui d’ailleurs ne fe trouvent en abondance que dans les liqueurs fermentées ; & a l'égard des efprits volatils, on fait que les cornes, les os & les autres parties folides des animaux en donnent plus que toutes les li gueurs du corps animal, Ce que se Anatomit. 2 132 Hifloire Naturelle. tes ont donc appellé efprits féminaux aura fe- minalis, pourroit bien ne pas exilter; & cer- tainement ce ne font pas ces efprits qui agitent les particules qu’on voit fe mouvoir dans lesli- queurs féminales ; mais, pour qu’on foit plus en état de prononcer {ur la nature de la femence & fur celle des animaux fpermatiques , nous allons rapporter les'principales obfervations qu’on a faites fur ce fujet. Leeuwenhoek ayant obfervé la femence du coq ; y vit des animaux femblables, par la figure, aux anguilles de riviere ; mais fi pe- tits, qu'il prétend que cinquante mille de ces animalcules n’égalent pas la grofleur d’un grain de fable. Dans la femence du rat, il en faut plufieurs milliers pour faire l’épaifleur d’un che- veu, &c. Cet excellent Obfervateur étoit per- fuadé, que la fubftance entiere de la femence n’eft qu'un amas de ces animaux. Il a obfervé ces animalcules dans la femence de l’homme, des animaux quadrupedes, des oifeaux , des poiflons, des coquillages , des infectes. Ceux de la femence de la fauterelie font longuets & fort menues : ils paroiïlent attachés, dit-il, par leur extrèmité fupérieure, & leur autre extrè- mité, qu'il appelle leur queue, a un mouve- ment très-vif, comme feroit celui de la queue d’un ferpent, dont la tète & Ka partie fupérieure du corps feroient immobiles. Lorfqu’on obferve la femence dans des temps où elle n’eft pas en- core parfaite 3 par exemple, quelque temps avant que les animaux cherchent à {e joindre, il prétend avoir vu les mêmes animalcules, mais fans aucun mouvement; au lieu que, quand la des Animaux. 133 faifon de leurs amours eft arrivée, ces animal- cules fe remuent avec une grande vivacité. Dans la femence de la grenouille male, il les vit d’abord imparfaits & fans mouvement, & quelque temps apres il les trouva vivans. ls font fi petits, qu’il en faut, dit-il, dix mille pour égaler Ja grofleur d’un feul œuf de la grenouille femelle. Au refte, ceux qu'il trouva dans les telticules de la grenouille ,n’étoient pas vivans; mais feulement ceux qui étoient dans la liqueur féminale en grand volume, ou ils prenoient peu-à-peu la vie & le mouvement. Dans la femence de l’homme & dans celle du chien, il prétend avoir vu des animaux de deux efpeces, qu’il regarde , les uns comme mâles & les autres comme femelles; & ayant enfermé dans un petit verre de la femence de chien, il dit, que, le premier jour , ilmourutun grand nombre de ces petits animaux; que le fecond & le troifieme jour , il en mourut en- core plus; qu’il en reftoit fort peu de vivans le quatrieme jour : mais qu'ayant répété cette ob- fervation une feconde fois {ur la femence du mème chien, il y trouva encore, au bout de fept jours, des animalcules vivans, dont quel- ques-uns nageoient avec autant de viteñe qu'ils nagent ordinairement dans la femence nouvel- lement extraite de l'animal , &@& qu'ayant ous vert une chienne, qui avoit été couverte trois fois par le mème chien quelque temps avant l’obfervation, il ne put apercevoir avec les yeux feuls, dans lPune des cornes de la matrice, aucune liqueur féminale du mâle : mais, qu'a moyen du microfcope, il y trouva les animaux 9 = F4 Hifloire Naturelle. fpermatiques du chien ; qu’il les trouva aufi dans l’autre corne de la matrice, & qu’ils étoient en tres-grande quantité dans cette partie de la matrice qui eft voiline du vagin: ce qui, dit-il, prouve évidemment, que la liqueur féminale du mâle étoit entrée dans la matrice, qu du moins, que les animaux fpermatiques du chien y étoient arrivés par leur mouvemer, qui peut leur faire parcourir quatre ou cinq pouces de chemin en une demi-heure. Dans la matrice d’une femelle de lapin, qui venoit de recevoir le mâle, il ob- ferva aufli une quantité infinie de ces animaux fpermatiques du mâle. Il dit, que le corps de ces animaux eit rond ; qu'ils ont de longues queues, & qu'ils changent fouvent de figures, fur-tout lorfque la matiere humide , dans laquelle ils nagent, s’évapore & fe defleche. Ceux qui prirent la peine de répéter les ob. fervations de Leeuwenhock, les trouverent aflez conformes à la vérité. Mais il y en eut qui vou- lurent encore enchérir fur fes découvertes, & Dalenpatius, ayant obfervé la liqueur féminale de l’homme, prétendit non - feulement y avoir trouvé des animaux femblables aux teftards, qui doivent devenir des grenouilles, dont le corps lui parut à-peu-pres gros comme un grain de froment; dont la queue étoit quatre ou cinq fois plus longue que le corps, qui fe mouvoient avec une grande agilité, & frappoient avec la queue Ja liqueur dans laquelle ils nageoient : mais, chofe plus merveilleufe! il vit un de ces animaux fe développer, ou plutôt quitter fon enveloppe. Ce n’étoit plus un animal; c’étoit un corps humain, dont il diftingua tres-bien, dit- Des Aniniaux. 126 il, les deux jambes, les deux bras, la poitrine | & la tète, à laquelle lenveloppe fervoit de ca- puchon. ( Vouez Nouvelles de la République des Lettres, année 1699, page ÿÿ2.) Mais, par les figures mèmes que cet Auteur a données de ce prétendu embryon, qu'il a vu fortir de fon eu. veloppe, il eft évident que le fait eft faux. Il a cru voir ce qu'il dit; mais il s’eit trompé: car cet embryon, tel qu’il le décrit, auroïit été plus formé au fortir de fon enveloppe , & en quit- tant fa condition de ver fpermatique, qu'il ne left en effet au bout d’un mois ou de cinq fe- maines dans la matrice même de la mere: aufh cette obfervation de Dalenpatius, au lieu d’a- voir été confirmée par d’autres obfervations, a BIRT . / , été rejetce de tous les Naturaliftes , dont les plus exacts & les plus exercées à obferver, n’ont vu, dans cette liqueur de l’homme, que de petits corps ronds ou oblongs, qui paroiflent avoir de longues queues, mais fans autre organifation extérieure ; fans membres, comme font aufli ces petits corps dans la femence de tous les au- tres animaux. | On pourroit dire que Platon avoit deviné ces animaux fpermatiques, qui deviennent des hommes : car il dit à la fin du T'imée , page 1088, trad. de Marc. Ficin : Wulua quoque matrixque in fœminis eâdem ratione animal avidum generandi, quando procul à fæœtu per atatis florem, aut ultra diutiùs detinetur, ægrè fert moram ac plurimim indignatur ; pajfimque per corpus oberrans , meatus Jpiritüs intercludit, refpirare non finit, extrernis vexat anguffiis , morbis denique omnibus premit , quoufque utrorumque cupido amorque quafi ex ar- 4 Pi 136 Hifioire Naturelle. boribus fœtum fruéfumve producunt , ipfum deinde decerpunt , €ÿ in matricem velut agrum infpar- gunt : hinc animalia primum talia , ut nec propter parvitatem videantur , necdum appareant formata, concipiunt: mox quæ conflaverant , explicant , in- gentia intus enutriunt, demin educunt in lucem, animaliumque generationem perficiunt. Hippocrate, dans fon traité de Diæta, paroîït infinuer auff, que les femences d'animaux font remplies d’ani- malcules. Démocrite parle de certains vers, qui rennent la figure humaine. Ariftote dit, que Le premiers hommes f{ortirent de la terre fous la forme de vers. Mais, ni l'autorité de Platon, d'Hippocrate, de Démocrite & d’Ariftote, ni V'obfervation de Dalenpatius ne feront recevoir cette idée; que ces vers {permatiques font de petits hommes cachés fous une enveloppe; car elle eft évidemment contraire à l'expérience & à toutes les autres obfervations. Vallifnieri & Bourguet, que nous avons ci- tés, ayant fait enfemble des oblervations fur la femence d’un lapin, y virent de petits vers, dont l’une des extrèmités étoit plus grofle que J'autre. Ils étoient fort vifs; ils partoient d’un endroit pour aller à un autre, & frappoient la liqueur de jeur queue : quelquefoisils s’élevoient, quelquefois ils s’abaifloient , d’autres fois ils fe tournotent en rond & fe contournoient comme des ferpens : enfin, dit Vallifnieri, je reconnus clairement qu'ils étoient de vrais animaux , € gli riconobbi, e gli giudicai fenza dubitamento al- curlo per vert, veriffimi , arciveriffimi vermi. Vid. opere del Cav. Vallifnieri, tom. II, pag. 10f, Ie col. Cet Auteur, qui étoit prévenu du ff. Des Animaux 137 tème des œufs, n’a pas laiflé d'admettre les vers fpermatiques, & de les reconnoître, comme l’on voit, pour de vrais animaux. M. Andry, ayant fait des obfervations fur ces vers fpermatiques de l’homme, prétend qu’ils ne fe trouvent que dans l’âge propre à la géné- ration ; que, dans la premiere jeunefñle & dans la grande vieillefle, ils n’exiftent point; que, dans les fujets incommodés de maladies véne- riennes, on n’en trouve que peu, & qu'ils y font languiffans & morts pour la plupart; que, dans les parties de la génération des impuiflans, on n'en voit aucun qui foit en vie; que ces vers, dans l’homme, ont la tète, c’eft-à-dire, l'une des extrémités, plus grofle, par rapport à l'autre extrémité , qu’elle ne left dans les au- tres animaux: ce qui s'accorde, dit-il, avec la figure du fœtus & de l'enfant, dont la tète en effet eft beaucoup plus grofle, par rapport au corps, que celle des adultes ; & il ajoute, que les gens qui font trop d’ufage des femmes, n’ont ordinairement que très-peu ou point du tout de ces animaux. Leeuwenhoek , Andry & pluficurs autres s’oppoferent donc de toutes leurs forces au {yf- tème des œufs. Ils avoient découvert, dans la femence de tous les mâles, des animalcules vi- vans : ils prouvoient, que ces animalcules ne pouvoient pas être regardés comme des habitans _de cette liqueur, puifque leur volume étoit plus grand que celui de la liqueur mème ; que &’ail- leurs, on ne trouvoit rien de femblable ni dans le fang, ni dans les autres liqueurs du corps des animaux : ils difoient, que les femelles ne four- 138 Hifioire Naturelle. niffant rien de pareil, rien de vivant, il étoit. évident que la fécondité qu’on leur attribuoit , appartenoit, au contraire, aux mâles; qu'il ny avoit que dans la femence de ceux-ci, où lon vit quelque chofe de vivant; que ce qu’on y voyoit, ctoient de vrais animaux, & que ce fait tout feul avançoit plus l'explication de la génération, que tout ce qu’on avoit imaginé au paravant; puifqu’en effet, ce quil y a de plus difficile à concevoir dans la génération, cet la production du vivant; que tout le refte eft ac- cefloire, & qu’ainfi on ne pouvoit pas douter, que ces petits animaux ne fuflent deftinés à de- venir des honimes ou des animaux parfaits de chaque efpece : & lorfqu’on oppoloit aux parti- fans de ce fyftème, qu’il ne paroiïfloit pas natu- rel d'imaginer, que, de plufieurs millions d’ani- malcules , qui tous pouvoient devenir un homme, il n’y en eût qu’un feul qui eût cet avantage: lorfqu’on leur demandoit, pourquoi cette pro- fufion inutile de germes d'hommes ? ils répon- doient, que c’étoit la maguificence ordinaire de Ja Nature : que, dans les plantes & dans les arbres, on voyoit bien, que de plufieurs mil. lions de graines qu ils produifent naturellement , il n’en réuffit qu’un tres- petit nombre, & qu ’ainfi on ne devoit point être étonné de celui des ai ni- maux fpermatiques, quelque prodigieux qu'il füt. Lorfqu’on leur objectoit la petiteile infinie du ver fpermatique , comparé à l’homme, ils ré- pondoient par l'exemple de la graine des arbres ; de l'orme, par exemple, laquelle, comparée à l'individu parfait, eft auf fort petite; & ils ajoutoient avec aflez de fondement, des raifons Des Animaux. : 129 métaphyfiques, par lefquelles ils prouvoient, que Je grand & le petit n'étant que des relations, le pañlage du petit au grand, ou du grand au petit, s'exécute par la Nature avec encore plus de facilité, que nous n’en avons à le concevoir. D'ailleurs, difoient-ils, n’a-t-on pas des exemples très-fréquens de transformation dans les infectes? Ne voit-on pas de petits vers aqua- tiques devenir des animaux ailés, par un fim- ple dépouillement de leur enveloppe , laquelle cependant étoit leur forme extérieure & appa- rente ? les animaux fpermatiques, par une pa. reille transformation, ne peuvent-ils pas deve.- nir des animaux parfaits! ‘Tout concourt donc, concluoient-ils, à favorifer ce fyftème fur la génération , & à faire rejetter le fyftème des œufs : & fi lon veut abfolument, difoient quelques- uns, que, dans les femelles des vivipares, il y ait des œufs comme dans celles des ovipares, ces œufs, dans les unes & dans les autres, ne fe- ront que-la matiere néceilaire à l’accroiflement du ver fpermatique. Il entrera dans Pœuf par le pedicule qui lattachoit à l'ovaire; il y trouvera une nourriture préparée pour lui; tous les vers qui n'auront pas été aflez heureux pour rencon- trer cette ouverture du pédicule de l'œuf, peri- ront; celui qui {eul aura enfilé ce chemin, arri- vera à fa transformation. C’eft par cette raïfon qu’il exifte un nombre prodigieux de ces petits animaux; la difficulté de rencontrer un œuf & enfuite l'ouverture du pédicule de cet œuf, ne peut ètre compenfée que par le nombre infini des vers. Il y a un million, fi l’on veut, à pa- rier contre un, qu'un tel ver fpermatique ne 140 Hifhire Naturelle. rencontrera pas le pédicule de l’œuf; mais aufii il yaun million de vers. Dés-lors il n’y a plus qu'un à parier contre un, que le pédicule de l'œuf fera enfilé par un de ces vers: & loriqu’il y eft une fois entre, & qu'il s’eft logé dans Vœuf, ün autre ne peut plus y entrer; parce que, diloient-ils, le premier ver bouche entié- rement le pañage : ou bien, il y a une foupape à l'entrée du pédicule, qui peut jouer lorfque l'œuf n’eft pas abfolument plein; mais lorfque le ver a achevé de remplir l’œuf , la foupape ne peut plus s’ouvrir, quoique pouflée par un f{e- cond ver. Cette foupape d’ailleurs eft fort bien imaginée, parce que s’il prend envie au premier ver de reflortir de l’œuf, elle s’oppole à fon dé- part; il eft obligé de refter & de fe transformer. Le ver fpermatique elft alors le vrai fœtus: la fubftance de l’œuf le nourrit; les membranes de cet œuf lui fervent d’enveloppe, & lorfque la nourriture contenue dans l’œuf commence à lui manquer , il s'applique à la peau intérieure de la mattice, & tire ainfi fa nourriture du fang de la mere , jufqu’à ce que, par fon poids & par l'augmentation de fes forces , il rompe enfin fes liens pour venir au monde. Par ce fyflème , ce n’eft plus la premiere femme qui renfermoit toutes les races pañlées, préfentes & futures ; mais c’eft le premier homme, qui, en effet, contenoit toute fa poftérité ; les germes préexiltans ne font plus des embryons fans vic,.renfermés comme de petites ftatues dans les œufs contenus à lPinfini les uns dans les autres ; ce font de petits animaux, de petits ‘homoncules organifés & actuellement vivans , des Animaux. 141. tous renfermés les uns dans les autres , auxquels il ne manque rien, & qui deviennent des ani- maux parfaits & des hommes, par un fimple développement , aidé d’une transformation {em- blable à celle que fubiflent les infeétes avant que d’arriver à leur état de perfection. Comme ces deux fyftemes des vers fperma- tiques & des œufs partagent aujourd’hui les phy- ficiens, & que tous ceux qui ont écrit nouvel- lement fur la génération, ont adopté l’une ou l'autre de ces opinions , il nous paroïit néceflaire de les examiner avec foin, & de faire voir, que non-feulement elles font infuffifantes pour ex- pliquer les phénomenes de la génération , mais encore, qu'elles font appuyées fur des fuppoli- tions dénuées de toute vraifemblance. Toutes les deux fuppofent le progres à l’in- fini, qui, comme nous l’avons dit, elt moins une fuppofition raifonnable qu’une illufion de Pefprit. Un ver fpermatique eft plus de mille millions de fois plus petit qu’un homme. Si donc nous fuppolfons , que la grandeur de l'homme {oit prife pour l’unité, la grandeur du ver {perma- tique ne pourra être exprimée que par la fraction 1565066666 C'eft-à-dire, par un nombre de dix chiffres : & comme l’homme eft au ver fperma- tique de la premiere génération, en même rai- {on que ce ver eft au ver fpermatique de la fe- conde génération, la grandeur, ou plutôt Îa petitefle du ver fpermatique de la feconde géné- ration , ne pourra être exprimée que par un nom- bre compofé de dix-neuf chiffres; &, par la mème raifon, la petitefle du ver fpermatique de la troifieme génération, ne pouira être expri- 142 _ Hifioire Naturelle. mée que par un nombre de vinet-huit chiffres; celle du ver fpermatique de la quatrieme géné- ration , fera exprimée par un nombre de trente- {ept chittres; celle du ver fpermatique de la cin- quieme génération, par un nombre de quarante- fix chiffres, & celle du ver fpermatique de la fixieme génération, par un nombre de cinquante- cinq chiffres. Pour nous former une idée de la peticefle repréfentée par cette fraction, prenons les dimenfions de la fphere de PÜnivers, depuis le foleil jufqu’à Saturne, en fuppofant le foleil un million de fois plus gros que la terre ; & éloigné de Saturne de mille fois le diametre 10- aire, nous trouverons, qu’il ne faut que qua- rante-cinq chiffres pour exprimer le nombre des lignes cubiques contenues dans cette fphere ; & en réduifant chaque ligne cubique en mille mil- Bons d’atomes , il ne faut que cinquante-quatre chiffres pour en exprimer le nombre; par con- féquent, l’homme feroit plus grand , par rap- port au ver fpermatique de la fixieme génération, que la fphere de l'Univers ne left par rapport au plus petit atome de matiere qu'il {cit poffi- ble d’appercevoir au microfcope. Que fera-ce fi on poufle ce calcul feulement à la dixieme gé- nération? La petitelle fera fi grande, que nous n’aurons aucun moyen de la faire {entir. Il me femble, que la vraifemblance de cette opinion difparoït à mefure que l’objet s’'évanouit. Ce cal- cul peut s'appliquer aux œufs comme aux vers fpermatiques ; & le défaut de vraifemblance eft commun aux deux fyftèmes. On dira fans doute, que la matiere étant divifible à l'infini, il n'ya point d’impoffibilité dans cette dégradation de © Des Animaux, 143 grandeur, & que, quoiqu’elle ne foit pas vrai- {emblable , parce qu’elle s'éloigne trop de ce que notre imagination nous reprélente ordinairement, on doit cependant regarder comme pofhble gette divifion de la matiere à l'infini; puilque, par la penfée, on peut toujours divifer en plufieurs parties un atome, quelque petit que nous le fup- pofions. Mais je réponds, qu’on fe fait fur cette divifibilité à l’infini la mème iilufion, que fur toutes les autres efpeces d’infinis gcométriques ou arithmétiques : ces infinis ne font tous que des abftractions de notre efprit, & n’exiftent pas dans la nature des chofes; & fi l’on veut regarder la divifbilité de la maticre à l’infini comme un infini abiolu, il eft encore plus aifé de démontrer, qu’elle ne peut exifter dans ce fens: car, fi une fois nous fuppofons le plus petit atome poflible, par notre fuppofition mème, cet atome fera néceflairement indivilible; puil- que, sil étoit divifible, ce ne feroit pas le plus petit atome poflible: ce qui feroit contraire à la fuppofition. Il me paroit donc, que toute hypo- thele où l’on admet un progrès à l'infini, doit ètre rejetée, non-feulement comme fauile, mais encore comme dénuée de toute vraifemblance ; & comme le fyftème des œufs, & celui des vers fpermatiques {uppofent ce progrès, on ne doit pas les admettre. | Une autre grande difficulté qu’on peut faire contre ces deux fyftèmes, c’eft que , dans celui des œufs, la premiere femme contenoit des œufs males & des œufs femelles ; que les œufs mâles ne contenoient pas d’autres œufs males, ou plu- tôt ne contenoient qu’une génération de males, 144 Hifloire Naturelle. & qu’au contraire les œufs femelles contenoient des milliers de générations d'œufs mâles & d'œufs femelles; de forte que, dans le mème temps & dans la mème femme, 1l y a toujours un cer- tain nombre d'œufs capables de fe développer à l'infini, & un autre nombre d'œufs , qui ne peuvent fe développer qu’une fois: & de mème, dans l’autre fy{tème , le premier homme conte- noit des vers fpermatiques ; les uns mâles & les autres femelles. Tous les vers femelles n’en con- tiennent pas d’autres : tous les Vers males, au contraire, en contiennent d’autres ; les uns mi- : les & les autres femelles, à l'infini: &, dans le mème homme & en mème temps, il faut qu'il y ait des vers qui doivent fe développer à lin- fini, & d’autres vers qui ne doivent fe dévelop- per qu'une fois. Je demande s’il‘y a aucune ap- parence de vraifemblance dans ces fuppofitions. Une troifieme difficulté contre ces deux fyf. tèmes, c’eft la refflemblance des enfans, tantôt au pere, tantôt à la mere, & quelquefois à tous les deux enfemble , & les marques évidentes des deux efpeces dans les mulets & dans les ani- Maux mi-partis. Si le ver fpermatique de la fe- mence du pere doit être le fœtus, comment fe peut-il que l’enfant reffémble à la mere ? & fi le fœtus eft préexiftant dans l’œuf de la mere, comment fe peut-il que enfant reflemble à fon pere ? Et fi le ver fpermatique d’un cheval, ou l'œuf dune ânefle, contient le fœtus, comment fe peut-il, que le mulet participe de Ja nature du cheval & de celle de lanefle ? Ces diMicultés générales, qui font invincibles, ne font pas les feules qu’on puife faire contre ces Des Animaux. 14$ ces {yvftèmes. Il y en a de particulieres, qui ne ont pas moins fortes: &, pour commencer par le fyftème des vers fpermatiques, ne doit-on pas demander, à ceux qui les admettent, & qui imaginent que ces vers fe transforment en homme, comment ils entendent que fe fait cette transformation ? & leur objecter, que celle des infectes n’a & ne peut avoir aucun rapport avec celle qu’ils fuppofent: car le ver, qui doit de- venir mouche, ou la chenille, qui doit devenir papillon , pafle par un état mitoyen, quieft ce. lui de la chryfalide; & lorfqu’il fort de la chry- falide, il eft entiérement formé ; il a acquis fa grandeur totale & toute la perfection de fa forme, & il eft dés-lors en état d’engendrer : au lieu que, dans la prétendue transformation du ver fperma- tique en homme, on ne peut pas dire qu’il ait un état de chryfalide ; & quand mème on en fup- poleroit un, pendant les premiers jours de la conception , pourquoi la produétion de cette chryfalide {uppofée, n’eft-elle pas un homme adulte & parfait, & qu’au contraire, ce n’eft qu’un embryon, encore informe, auquel il faut un nouveau développement? On voit bien que analogie elt ici violée, & que, bien loin de confirmer cette idée de la transformation du ver fpermatique , elle la détruit, lorfqu’on prend ia peine de Pexaminer. | D'ailleurs le ver qui doit fe transformer en mouche, vient d’un œuf: cet œuf c’eft le pro- duit de la copulation des deux fexes ; de la mou- che mâle & de la mouche femelle, & il renferme le fœtus, ou le ver qui doit enluite devenir chryfalide, & arriver enfin à fon état de perfec- Hifi. Nat. des Anim, T. I. K | 146 Hifoire Naturelle. tion, à fon état de mouche, dans lequel feul Panimal a la faculté d’engendrer: au lieu que le ver fpermatique n’a aucun principe de géné- ration, il ne vient pas d’un œuf; & quand mème on accorderoit que la femence peut contenir des œufs, d’où fortent les vers fpermatiques, la difficulté reftera toujours la mème. Car ces œufs fuppolés n’ont pas pour principe d’exiftence la copulation des deux fexes, comme dans les in- feétes : par conféquent, la production fuppolfee, non plus que le développement prétendu des vers fpermatiques, ne peuvent ètre comparés à la production & au développement des infectes ; & bien loin que les partilans de cette opinion puiflent tirer avantage de la transformation des infectes, elle me paroït, au contraire, détruire le fondement de leur explication. Lorfqu’on fait attention à la multitude in- nombrable des vers {permatiques, & au tres- petit nombre de fœtus qui en réfulte, & qu’on oppole aux Phyficiens prévenus de ce fyftème, la profufion énorme & inutile qu’ils font obli- gés d’admettre, ils répondent , comme je lai dit, par l'exemple des plantes & des arbres, qui produifent un très-grand nombre de graines aflez inutilement pour la propagation ou la multipli- cation de l’efpece; puifque, de toutes ces grai- nes, iln’y en a que fort peu qui produifent des plantes & des arbres, & que tout le refte fem- ble être deftiné à l’engrais de la terre où à la nourriture des animaux. Mais cette comparai- fon 1weft pas tout-à-fait jufte, parce qu’il eft de néceflité abfolue, que tous les vers fpermatiques périflent , à l'exception d’un feul; au lieu qu'il Des Animaux. 147 n’eft pas également néceflaire, que toutes les grai- nes périflent, & que, d’ailleurs, en fervant de nourriture à d’autres corps organilés, elles fer- vent au développement & à la reproduction des animaux , lorfqu’elles ne deviennent pas elles- mèmes des végétaux ; au lieu qu’on ne voit au cun ufage des vers fpermatiques , aucun but au- quel on puiffe rapporter leur multitude prodi- gicufe. Au refte, je ne fais cette remarque, que pour rapporter tout ce qu’on a dit ou pu dire fur cette matiere; car j'avoue qu’une railon ti- rée des caufes finales, n’établira ni ne détruira jamais un fyftème en phyfique. Une autre objection que l’on a faite contre l'opinion des vers {permatiques ; c’eft qu’ils fem- blent ètre en nombre aflez égal dans la femence de toutes les efpeces d'animaux ; au lieu qu’il paroitroit naturel, que, dans les efpeces où le ombre des fœtus eft fort abondant, comme dans les poiflons, les infectes, &c. le nombre des vers fpermatiques fût aufli fort grand: & il femble, que, dans les efpeces où la généra- tion eft moins abondante, comme dans l’homme, les quadrupedes , les oifeaux, &c. le nombre des vers dût ètre plus petit. Car s'ils font la caufe immédiate de la produ@ion, pourquoi n’y a-t-l aucune proportion entre leur nombre & celui des fœtus? D'ailleurs, il n’y a pas de dif- férence proportionnelle dans la grandeur de la plupart des efpeces de vers fpermatiques ; ceux des gros animaux font aufli petits que ceux des plus petits animaux. Le cabillau & léperlan ont des animaux {permatiques également petits : ceux de la femence d'un rat, & ceux de la liqueur 2 148 Hifioire Naturelle, féminale d’un homme, font à-peu-près de la meme grofleur; & lorfqu’il y a de la différence dans la grandeur de ces animaux fpermatiques, elle n’eft point relative à la grandeur de lindi- vidu. Le calmar, qui n’eit qu’un poiflon aflez petit, a des vers fpermatiques plus de cent mille fois plus gros que ceux de lhomme ou du chien : autre preuve que ces vers ne font pas la caufe immédiate & unique de la génération. Les difficultés particulieres qu’on peut faire contre le fyftème des œufs , font auffhi tres- confidérables. Si le fœtus eft préexiftant dans l'œuf avant la communication du mâle & de Ja femelle , pourquoi , dans les œufs que la poule produit fans avoir eu le coq, ne voit- on pas le fœtus aufli- bien que dans les œufs qu’elle produit apres la copulation avec le coq ? Nous avons rapporté ci- devant les obferva- tions de Malpighi , faites fur des œufs frais {or- tant du corps de la poule , & qui n’avoient pas encore été couvés : il a toujours trouvé le fœtus dans ceux que produifoient les poules qui avoient recu le coq ; & dans ceux des poules vierges, ou féparées du coq depuis long- temps , il n’a jamais trouvé qu’une mole dans la cicatricule. Il eft donc bien clair que le fœtus n’eit pas préexiftant dans l'œuf; mais qu’au con- traire il ne s’y forme que quand la femence du mâle l’a pénétré. Une autre difficulté contre ce fyftème , c’eft que , non - feulement on ne voit pas le fœtus dans les œufs des ovipares avant la conjonction desfexes; mais mème on ne voit pas d'œufs dans les vivipares. Les Phyficiens qui prétendent que Des Animaux, 149 le ver fpermatique eft le fœtus fous une enve- loppe , font au moins affurés de l’exiftence des Vers fpermatiques ; mais ceux qui veulent que le fœtus foit préexiftant dans l'œuf , non - feule. ment imaginent cette préexiftence , mais même ils n’ont aucune preuve de l’exiftence de l’œuf : au contraire il y a probabilité,prelque équivalente à la certitude, que ces œufs n’exiftent pas dans les vivipares , puifqu’offfa fait des milliers d’ex- périences pour tâcher de les découvrir, & qu’on n'a jamais pu les trouver. Quoique les partifans du fyftème des œufs ne S’accordent point , au fujet de ce que l’on doit regarder comme le vrai œuf dans les tefticules des femelles , ils veulent cependanttous, que la fécondation fe fañle immédiatement dans ce tefti- cule , qu’ils appellent l'ovaire , fans faire atten- tion que , fi cela étoit, on trouveroit la plupart des fœtus dans l'abdomen, au lieu de les trou- ver dans la matrice ; car le pavillon, ou l’extrè- mité fupérieure de la trompe étant, comme l’on fait , féparée du tefticule , les prétendus œufs doivent tomber fouvent dans l'abdomen, & on y trouveroit fouvent des fœtus : or on fait que ce cas eft extrèmement rare ; je ne fais pas mème s’il eft vrai que cela foit jamais arrivé par l'effet que nous fuppofons , & je pente que les fœtus qu’on a trouvés dans Pabdomen, étoienc fortis . ou des trompes de la matrice , ou de la matrice mème, par quelqu’accident. Les diMicultés générales & communes aux deux fyftèmes , ont été fenties par un homme d’efprit , qui me paroit avoir mieux raifonné que tous ceux qui ont écrit avant lui fur cette ma- K 3 1$0 Hiftoiré Naturelle. tiere : je veux parler de Pauteur de la Vénus phy- fique , imprimée en 1745. Ce traité, quoique fort court , raflemble plus d'idées philofophiques qu’il n’y en a dans plufieurs gros volumes fur la génération. Comme ce livre eft entre les mains de tout le monde, fs n’en ferai pas l’analyfe : il n’en cft pas meme fufceptible ; la précifion avec laquelle il eff écrit, nepermet pas qu’on en fafie un extrait : tout ce aie puis dire, c’eit qu'on y trouvera des vues géncrales , qui ne s’éloi- gent pas infiniment des idées que J'ai données , & que cet Auteur eft le premier qui ait commencé à fe rapprocher de la vérité , dont on étoit plus loin que jamais , depuis qu’on avoit imaginé des œufs & découvert des animaux fpermatiques. Il ne nous refte plus qu’à rendre compte de quel- ques expériences particulieres , dont les unes ont paru favorables , & les autres contraires à ces fyftèmes. On trouve dans PHiftoire de Académie des fciences , année 1701, quelques difhcultés pro- pofées par M. Méry contre le fyftème des œufs. Cet habile Anatomifte foutenoit avec railon , que les veéficules qu’on trouve dans les cefticules des femelles, ne font pas des œufs, qu’elles font ad- hérentes à la fübltince intérieure du tefticule , & qu’il n’eft pas poilible qu’elles s’en féparent na. turellement ; que. quand même elles pourroient fe féparer de la fubftance intérieure du tefticuie, elles ne pourroient pas encore en fortir, parce que la membrane commune, qui enveloppe tout le tefticule , eft d’un tiffu trop ferré pour qu’on puifle concevoir qu'une véficule , ou un œuf rond & mollafle, pût s'ouvrir un pañläge à tra- Des Animaux. . ISI vers cette forte membrane ; & comme la plus grande partie des Phyficiens & des Anatomiftes étoient alors prévenus en faveur du fyftème des œufs, & que les expériences de Graaf leur avoient impofé au point qu’ils écoient perluadés, comme cet Anatomilte lavoit dit, que les cicatricules qu’on trouve dans les tefticules des femelles , étoient les niches des œufs, & que le nombre de ces cicatricules marquoit celui des fœtus , M. Méry fit voir des tefticules de femme, où il y avoit une très - grande quantité de ces cicatricu- les ; ce qui, dans le {yftème de ces Phyficiens , auroit fuppofé dans cette femme une fécondité inouie. Ces difficultés exciterent les autres Ana- tomiftes de l’Académie , qui étoient partilans des œufs , à faire de nouvelles recherches. M. Duver- ney examina & difléqua des tefticules de vaches & de brebis. Il prétendit que les véficules étoient les œufs, parce qu’il y en avoit qui étoient plus ou moins adhérentes à la fubftance du tefticule, & qu’on devoit croire, que, dans le temps de la parfaite maturité , elles s’en détachoient totale- ment, puifqu’en introduifant de l'air & en fouf- flant dans l’intérieur du tefticule , lair pañoit en- tre ces véficules & les parties voifines. M. Méry répondit feulement, que cela ne faifoit pas une preuve {ufhfante, puifque jamais on n’avoit vu ces veficules entiérement {éparées du tefticule. Aurefte, M. Duverney remarqua fur les telticu- les le corps slanduleux ; mais il ne le reconnut pas pour une partie cfentielle & néceflaire a la génération : il le prit, au contraire, pour une excroiflance accidentelle & parafite, à peu pres, dit-il, comme font fur les ne les noix de 4 152 NHiftoire Naturelle. gale, les champignons , &c. M. Littre , dont apparemment la prévention pour le fyftème des œufs étoit encore plus forte que celle de M. Du verney, prétendit non -feulement , que les vé- ficules étoient des œufs, mais mème il affura avoir reconnu dans l’une de ces véficules, encore adhérente & placée dans l’intérieur du tefticule , un fœtus bien formé , *dans lequel il diftingua , dit-1l, très- bien la tète & le tronc: il en donna mème les dimenfions. Mais outre que cette mer- veille ne s’eft jamais offerte qu’à {es yeux, & qu'aucun autre Obfervateur n’a jamais rien apperçu de femblable, il fuffit de lire fon Mémoire ( année 1701 , page 111 ) pour reconnoître comi- bien cette obfervation eft douteufe. Par fon pro- pre expofé on voit que la matrice étoit fquirreufe, & le tefticule entiérement vicié : on voit que la véficule, ou l’œuf qui contenoit le prétendu fœ- tus , étoit plus petit que d’autres véficules ou œufs qui ne contenoient rien ; &c. Aufli Vallif nieri, quoique partifan , & partifan très - zéle du fvftème des œufs, mais en mème temps homme tres - véridique , a-t-il rappellé cette obfervation de M. Littre, & celles de M. Duverney , âun examen févere, qu’elles n’étoient pas en état de fubir. Une expérience fameufe en faveur des œufs eft celle de Nuck. Il ouvrit une chienne trois jours après l’accouplement : iltira l’une des cor- nes de la matrice, & la lia en la {errant dans fon milieu , en forte que la partie {upérieure du con- duit ne pouvoit plus avoir de communication avec la partie inférieure ; après quoi il remit cette corne de la matrice à fa place & ferma la plaie , Des Animaux. 153 dont la chienne ne parut être que légérementin- commodée : au bout de vingt- un jours il la r’ou- vrit, & il trouva deux fœtus dans la partie fupé- rieure, c’eft-a-dire , entre le telticule & la liga- ture; & dans la partie inférieure de cette corne, il n’y avoit aucun fœtus. Dans l’autre corne de la matrice , qui n’avoit pas été ferrée par une ligature, :il en trouva trois, qui étoient régu- Kérement difpofes : ce qui prouve, dit-il, que le fœtus ne vient pas de la femence du mâle , mais, qu’au contraire , il exifte dans l’œuf de la femelle. On fent bien qu’en fuppofant que cette expé- rience, qui n’a été faite qu’une fois, & fur la- quelle par conféquent on ne doit pas trop compter, en fuppofant, dis-je, que cette expérience füt toujours fuivie du mème effet, on ne feroit point en droit d’enconclure, que la fécondation fe fait dans l'ovaire, & qu’il s’en détache des œufs qui contiennent le fœtus tout formé: elle prouveroit feulement , que le fœtus peut fe for- mer dans les parties fupérieures des cornes de la matrice, aufli-bien que dans les inférieures; & il paroît tres- naturel d’imaginer , que la Hga- ture, comprimant & reflerrant les cornes de la matrice dans leur milieu , oblige les liqueurs {e- minales , qui font dans les parties inférieures, à s’écouler au dehors, & détruit aiufi l'ouvrage de / a génération dans ces parties inférieures. Voilà , à très-peu pres, où en font demeu. rés les Anatomiltes & les Phyficiens au fujet de la génération. Il me refte à expofer ce que mes propres recherches & mes expériences m'ont appris de nouveau : on jugera file fyffème que jai donné; n’approche pas infiniment plus de I$4 Hifioire Naturelle. celui de lz Nature, qu'aucun de ceux dont je viens de rendre compte. Au Jardin du Roi, le 6 février 1746. GEL 4 ELU RUN, Expériences au fujet de la génération. | E réfléchiflois fouvent fur les fyftèmes que je viens d’expofer, & je me confirmois tous les jours , de plus en plus, dans l’opinion que ma théorie étoit infiniment plus vraifemblable qu'aucun de ces fyftèmes. Je commençai des- Jors à foupconner , que je pourrois peut - être parvenir à reconnoitre les parties organiques vivantes , dont je penfois que tous les animaux & les végétaux tiroient leur origine. Mon pre- mier foupçon fut, que les animaux fpermati- ques, qu’on voyoit dans la femence de tous les males, pouvoient bien n'être que ces parties organiques : & voici comment je raifonnois. Si tous les animaux & les végétaux contiennent une infinité de parties organiques vivantes, on doit trouver ces mèmes parties organiques dans leur femence , & on doit les y trouver en bien plus grande quantité que dans aucune autre fubftance, foit animale, foit végétale; parce que la femence , n’étant que l'extrait de tout ce qu'il y a de plus analogue à l'individu & de plus organique, elle doit contenir un tres- grand nombre de molécules organiques ; & les Des Animaux. I1$$ animalcules , qu’on voit dans la femence des mâles, ne font peut-être que ces mèmes mo- lécules organiques vivantes, ou du moins ils ne font que la premiere réunion, ou le pre- mier aflemblage de ces molécules: mais fi cela eft, la femence de ja femelle doit contenir, comme celle du mâle , des molécules organi- ques vivantes , & a-peu-près femblables à cel- les du mâle; & lon doit par conféquent y trou- ver, comme dans celle du mäle, des corps en mouvement, des animaux fpermatiques ; & de mème, puifque les parties organiques vivan- tes font communes aux animaux & aux végé- taux, on doit aufhi les trouver dans les ren ces des plantes ; dans le neétareum , dans les étamines, qui font les parties les plus fubftan- tielles de la plante, & qui contiennent les mo- lécules organiques néceflaires à la reproduction. Je fongeai donc férieufement à examiner au mi- crofcope les liqueurs féminales des males & des femelles, & les germes des plantes, & je fis fur cela un plan d'expériences. Je penfai en mème temps, que le réfervoir de la femence des fe- melles pouvoit bien étre la cavité du corps glanduleux , dans laquelle Vallifnieri & les au- tres avoient inutilement cherché l'œuf. Après avoir réfléchi {ur ces idées pendant plus d’un an, il me parut qu’elles étoient aflez fondées pour mériter d'ètre fuivies : enfin, je me dé. terminai à entreprendre une Âuite d’obferva- tions & d'expériences qui demandoit beaucoup de temps. J’avois fait connoiflance avec M, Needham, fort connu de tous les Naturaliftes "ie Jes excellentes obfervations microfcopiques 156 Hifoire Naturelle. qu’il a fait imprimer en 1745. Cet habile hom- me, fi recommandable par fon mérite, m’avoit été recommandé par M. Folkes, Préfident de la Societé royale de Londres. M'étant lié d’ami- tié avec lui, je crus que je ne pouvois mieux faire que de lui communiquer mes idées; & comme il avoit un excellent microfcope, plus commode & meilleur qu'aucun des miens, je le priai de me le prêter pour faire mes expé- riences. Je lui lus toute la partie de mon ou- vrage qu’on vient de voir, & en même temps qe lui dis, que je croyois avoir trouvé le vrai rélervoir de la femence dans les femelles, & que je ne doutois pas que la liqueur contenue dans la cavité du corps glanduleux, ne fût la “vraie liqueur féminale des femelles; que j'étois perfuadé qu’on trouveroit dans cette liqueur, en l’obfervant au microfcope, des animaux fpermatiques, comme dans la femence des mà- les, & que jétoistrès-fort porté àcroire, qu’on trouveroit aufli des corps en mouvement dans les parties les plus fubftantielles des végétaux; comme dans tous les germes des amandes des fruits , dans le nectareum, &c. & qu'il y avoit grande apparence, que ces animaux fpermati- ques, qu’on avoit découverts dans les liqueurs féminales du mâle, n’étoienc que le premier af- femblage des parties organiques, qui devoient être en bien plus grand nombre dans cette li- queur que dans toutes les autres fubftances qui compofent le corps animal. M. Needham me parut, faire cas de ces idées, & il eut la bonté de me prêter fon microfcope : il voulut mème être prélent à quelques-unes de mes obferva- Des Animaux. 157 tions. Je communiquai en mème temps à Mrs. Daubenton, Gueneau & Dalibard mon fyftème & mon projet d'expériences; & quoique je fois fort exercé à faire des obfervations & des ex- périences d’optique, & que je fache bien dif. tinguer ce qu’il y a de réel ou d’apparent dans ce que l’on voit au microfcope, je crus que je ne devois pas m'en fier à mes yeux, & j'enga- geai M. Daubenton à n’aider ; je le priai de voir avec moi. Je ne puis trop publier combien je dois à fon amitié, d’avoir bien voulu quitter fes occupations ordinaires pour fuivre, avec moi , pendant plufieurs mois, les expériences dont je vais rendre compte. Il m’a fait remar- quer un grand nombre de chofes qui m’auroient peut-être échappé. Dans des matieres aufli de- licates, où il eft fi aifé de fe tromper, on eft fort heureux de trouver quelqu'un qui veuille bien non-feulement vous juger, mais encore vous aider. M. Needham, M. Dalibart & M. Guenceau ont vu une partie des chofes que je vais rapporter , & M. Daubenton les a toutes vues auffi - bien que moi. Les perfonnes qui ne font pas fort habi- tuées à fe fervir du microfcope, trouveront bon que je mette ici quelques remarques, qui léur feront utiles lorfqu’elles voudront répéter ces expériences, ou en faire de nouvelles. On doit préférer les microfcopes doubles, dans lef- quels on regarde les objets du haut en bas, aux microfcopes fimples & doubles, dans lefquels on regarde l’objet contre le jour & horizonta- lement. Ces microfcopes doubles ont un miroir plan ou concave, qui éclaire les objets par-def- 15S Hifioire Naturelle. fous : on doit fe fervir par préférence du mi- roir concave, lorfqu’on oblerve avec ja plus forte lentille. Lecuwenhoek, qui, fans contredit, a été le plus grand & le plus infatigable de tous les Obfervateurs au microfcope, ne s’eft ce- pendant {ervi, à ce qu'il paroît, que de microf. copes fimples , avec lefquels il regardoit les objets contre le jour ou contre la lumiere d’une chandelle. Si cela eft, comme leftampe qui eft a la tète de fon livre paroït l'indiquer, il a fallu une afliduité & une patience inconceva- bles, pour fe tromper auf peu qu’il la fait {ur la quantité prefqu’infinies de chofes qu’il a obfervées d’une maniere fi défavantageufe. Il a Jégué à la Société de Londres tous fes microf: copes. M. Néedham m'a afluré , que le meil- leur ne fait pas autarit d’effet que la plus forte lentille de celui dont je me fuis fervi, & avec laquelle Jai fait toutes mes obfervations. Si cela eft, il eft néceflaire de faire remarquer, que la plupart des gravures que Leeuwenhoek a données des objets microfcopiques, {ur-tout celles des animaux fpermatiques, les repréfen- tent beaucoup plus gros & plus longs qu’il ne les a vus réellement : ce qui doit induire en er. reur; & que ces prétendus animaux de l’hom- me, du chien, du lapin, du coq, &c. qu’on trouve gravés dans les Tranfaétions philofophi- ques, n°. 141, & dans Leeuwenhoek, tome I, page 161, & qui ont enfuite été copiés par Val- lifnieri, par M. Baker, &c. paroiïllent au mi- crofcope beaucoup plus petits qu’ils ne le font dans les gravures qui les repréfentent. Ce qui rend les microfcopes dont nous parlons, pré- Des Animaux. 159 férables à ceux avec lefquels on eft obligé de regarder les objets contre le jour, c’elt qu'ils font plus ftables que ceux-ci, le mouvement de la main, avec laquelle on tient le microf- cope , produifant un petit tremblement , qui fait que l’objet paroït vacillant, & ne prélente jamais qu’un inftant la mème partie. Outre cela il y a toujours dans les liqueurs un mouvement, caufé par lagitation de Pair extérieur , foit qu’on les obferve à l’un ou à lautre de ces microfcopes, à moins qu’on ne mette la liqueur entre deux plaques de verre ou de talc très- minces ; ce qui ne laifle pas de diminuer un peu la tranfparence, & d’alonger beaucoup le travail manuel de lobfervation. Mais le microf- cope qu'ontient horizontalement , & dont les porte-objets font verticaux, a un inconvénient de plus; ceft que les parties les plus pefantes de la liqueur qu’on obferve, defcendent au bas de la goutte par leur poids: par conféquent il y a trois mouvemens ; celui du tremblement de la main, celui de l’agitation du fluide par Pac- tion de l’air, & encore celui des parties de la liqueur qui defcendent en bas; &il peut réful- ter une infimité de méprifes de la combinaifon de ces trois mouvements, dont la plus grande & la plus ordinaire eft, de croire que de cer- tains petits globules qu’on voit dans ces liqueurs, fe meuvent par un mouvement qui leur eft propre & par leurs propres forces, tandis qu’ils ne font qu’obéir à la force compofée de quel- ques-unes des trois caufes dont nous venons de parler. Lorfqu’'on vient de mettre une goutte de 160 Hifioire Naturèlle. liqueur fur le porte-objet du microfcope dou- ble dont je me fuis fervi, quoique ce porte- objet foit pofé horizontalement, & par confé- quent dans la fituation la plus avantageule, on ne laifle pas de voir , dans la liqueur , un mou- vement, qui entraine du même côté tout ce qu’elle contient : il faut attendre que le fluide foit en équilibre & fans mouvement pour obfer- ver; car il arrive fouvent, que, comme ce mouvement du fluide entraîne plufieurs globu- les, & qu’il forme une efpece de courant dirigé d’un certain côté , il {e fait, ou d’un côté ou de lautre de ce courant, & quelquefois de tous les deux, une efpece de remous, qui renvoie quelques-uns de ces globules dans une direc- tion très-différente de celle des autres : l’œil de PObfervateur fe fixe alors fur ce globule, qu'il voit fuivre feul une route différente de celle des autres, & il croit voir un animal, ou du moinsun corps quife meut de foi-mème , tandis qu’il ne doit fon mouvement qu’à celui du fluide. Et comme les liqueurs font fujettes à fe deflécher & à s’épaiflir par la circonférence de la goutte, :l faut tâcher de mettre la lentille au-deffus du centre de la goutte ,"& il faut que la goutte {oit aflez grofle, & qu’il y ait une aufli grande quantité de liqueur qu’il fe pourra, jufqu’a ce qu’on s’aperçoive, que, fi on en prenoit davantage, il n'y auroiît plus aflez de tranfparence pour bien voir ce qui y eff. Avant que de compter abfolument fur les obfervations qu’on fait, & mème avant que d’en faire, il faut bien connoître fon microfcope. Il »’y en a aucun dans les verres defquels il n’y ait Des Animaux. J6I ait quelques taches, quelques bulles , quelques fils, & d’autres défectuofités, qu’il faut recon- noître exactement, afin que ces apparences ne {8 prélentent pas comme fi c’étoit des objets réels & inconnus. [l faut aufli apprendre à connoître l'effet que fait la poufliere imperceptible, qui s'attache aux verres du microfcope. On s’aflu- rera du produit de ces deux caufes en obfer- vant fon microfcope à vide un grand nombre de fois. Pour bien obferver, il faut que le point de vue ou le foyer du microfcope ne tombe pas précilément {ur la furface de la liqueur, mais un peu au-defous. On ne doit pas comp- ter-autant fur ce que l’on voit {e pañer à la furface , que fur ce que l’on voit à l’intérieur de la liqueur : il y a fouvent des bulles à la furface , qui ont des mouvemens irréguliers, qui font produits par le contact de Pair. Ou voit beaucoup mieux à la lumiere d’une ou de deux bougies bafes, qu’au plus grand & au plus beau jour, pourvu que cette lumiere ne foit point agitée ; & pour éviter cette agitation, il faut mettre une efpece de petit paravent fur la table, qui enferme de trois côtés les lumie- res & le microfcope. On voit fouvent des corps qui paroifflent noirs & opaques , devenir tranfparens, & mè- me fe peindre de différentes couleurs, ou for- mer des anneaux concentriques & colorés, ou des iris fur leur furface ; & d’autres corps qu’on a d’abord vus tranfparens ou colorés, devenir noirs & obfcurs. Ces changemens ne font pas réels, & ces apparences ne dépendent que de Hiff5 Nat, des Anim. T. I. L 162 Hiffoire Naturelle. lobliquité fous laquelle la lumiere tombe fur ces corps, & de la hauteur du plan dans lequel ils fe trouvent. Lorfqu’il y a dans une liqueur des corps qui fe meuvent avec une grande vitefle, fur- tout lorfque ces corps font à la furface , ils for- ment, par leur mouvement , une efpece de fillon dans la liqueur, qui paroît fuivre le corps en mouvement , & qu’on feroit porté à prendre pour une queue. (Cette apparence m'a trompé quelquefois dans les commencemens, & j'ai re- connu bien clairement mon erreur, lorfque ces petits corps venoient à en rencontrer d’autres qui les arrètoient; car alors n’y avoit plus au- cune apparence de queues. Ce font-là les pe- tites remarques que J'ai faites, & que jai cru devoir communiquer à ceux qui voudront faire ufage du microfcope fur les liqueurs. PRE UNIT R EE RPhÉ RIT EMN-/CIE. Jai fait tirer des véficules féminales d’un “homme mort de mort violente , dont le cadavre étoit récent & encore chaud, toute la liqueur qui y étoit contenue ; & layant fait mettre dans un criftal de montre couvert , j'en ai pris une goutte aflez grofle avec un cure-dent, & Je VPai mile fur le porte-objet d’un très-bon mi- crofcope double , fans y avoir ajouté de Peau & fans aucun mélange. La premiere chofe qui s’eft préfentée , étoient des vapeurs qui mon- toient de la liqueur vers la lentille, & qui l'obfcurcifloient. Ces vapeurs s’élevoient de la liqueur féminale, qui étoit encore chaude, & Des Animaux. 163 il fallut efluyer trois ou quatre fois 13 lentille avant que de pouvoir rien diftinguer. Ces va- peurs étant diflipées , je vis d’abord (Planche I, figure 1 ) des filamens aflez gros , qui, dans de certains endroits, {e ramifioient & paroïfloient s'étendre en différentes branches , & dans d’au- tres endroits ils {e pelotonnoient & s’entre-mè- loient. Ces filamens me parurent tres-claire- ment agites intérieurement d’un mouvement d’ondulation , & ils paroïfloient ètre des tuyaux creux, qui contençient quelque chofe de mou- vant. Je vis tres-diftinctement (pl 1, fig. 2) deux de ces filamens, qui étoient joints fui- vant leur longueur, fe féparer dans leur mi- lieu , & agir l’un à légard de l'autre par un mouvement d’ondulation ou de vibration , a- peu-près comme celui de deux cordes tendues, qui feroient attachées & jointes enfemble par les deux extrèmités, & qu'on tireroit par leur milieu lune à gauche & l’autre à droite, & qui feroient des vibrations par lefquelles cette partie du milieu fe rapprocheroit & s’éloigne- roit alternativement : ces filamens étoient com- poiés de globules qui fe touchoïent, & reflem- bloient à des chapelets. Je vis enfuite (pL tr, fig.) des filamens qui fe bourloufloient & fe gonfloient dans de certains endroits , & je re- connus qu’à côté de ces endroits gonflés il for toit des globules & des petits ovales qui avoient (pl 1,fg.4) un mouvement diftinét d’ofcilla- tion , comme celui d’un pendule qui fereit horizontal. Ces petits corps étoient en effet attachés au filament par un petit filet , qui s’alongeoit peu-a-peu , à ANR LU le petit 2 164 Hiftoire Naturelle. corps fe mouvoit ; & enfin, je vis ces petits ‘corps {e détacher entiérement du gros filament , & emporter après eux le petit filet, par lequel ils étoient attachés. Comme cette liqueur étoit fort épaifle , & que les filamens étoient trop pres les uns des autres pour que je puñe les diftinguer aufli clairement que je le defirois , je délayai avec de l’eau de pluie pure, & dans laquelle je m'étois afluré qu'il n’y avoit point d'animaux , une autre goutte de la liqueur féminale. Je vis alors ( PL I, fig. $ ) les filamens bien féparés; & je reconnus tres - diftinétement le mouvement des petits corps dont je viens de parler. Il {e fai- {oit plus librement ; ils paroifloient nager avec plus de vitefle , & traïinoient leur filet plus lége- rement ; & fi je ne les avois pas vus fe féparer des filamens & en tirer leur filet , j'aurois pris, dans cette feconde obfervation , le corps mou- vant pour un animal, & le filet pour la queue delanimal. Joblervai donc, avec grande atten- tion , un des filamens , d’où ces petits corps mouvans fortoient : il étoit plus detrois fois plus gros que ces petits corps. J’eus la fatisfaction de voir deux de ces petits corps qui fe détachoient avec peine, & qui entraïinoient chacun un filet, fort délié & fort long , qui empèchoit leur mou- vement, comme je le dirai dans la fuite. Cette liqueur {éminale étoit d’abord fort épaifle ; mais elle prit peu à peu de la fluidité: en moins d’une heure elle devint aflez fluide pour être prelque tranfparente. À mefure que cette fluidité augmentoit , les phénomenes chan- geoient, comme je vais le dire, Ÿ : Des Animaux. 165 dl Lorfque la liqueur {éminale eft devenue plus fluide, on ne voit plus les filamens dont jai parlé ; mais les petits corps qui fe meuvent pa- roiflent en grand nombre ( PL I, fig.6: ) ilsont pour la plupart un mouvement d’oicillation , comme celui d’un pendule : ils tirent apres eux un long filet; on voit clairement qu’ils font ef- fort pour s’en débarrafler. Leur mouvement de progreflion en avant eft fort lent : ils font des of- cillations à droite & à gauche. Le mouvement d’un bateau retenu fur une riviere rapide Fe cable attaché à un point fixe , repréfente aflez bien le mouvement de ces petits corps, à Pexcep- tion que les ofcillations du bateau fe font tou- jours dans le mème endroit; au lieu que les pe- tits corps avancent peu à peu au moyen de ces ofcillations : mais ils ne {e tiennent pas toujours fur le mème plan, ou, pour parler plus claire: ment , ils n’ont pas , comme un bateau , une bafe large & plate, qui fait que les mèmes parties font toujours à peu près dans le même plan. On les voit, au contraire , à chaque ofcillation, prendre un mouvement de roulis très -confide- rable ; en forte qu’outre leur mouvement d’ofcil- lation horizontal , qui eft bien marqué, ils en ont un de balancement vertical , ou de roulis, qui eft aufli très -fenfible : ce qui prouve que ces petits corps font de figure globuleufe , ou du moins que leur partie inférieure n’a pas une bafe plate affez étendue pour les maintenir dans la même pofition. L 3 166 Hifioire Naturelle. LIT Au bout de deux ou trois heures, lorfque la liqueur eft encore devenue plus fluide, on voit (PL IT, fig. 7) une plus grahde quantité de ces petits corps qui fe meuvent. Ils paroillent ètre plus libres , les filets qu’ils trainent après eux font devenus plus courts qu’ils ne l’étoient aupa- yavant ; aufli leur mouvement progreffif com- mence-t-il à etre plus direct, & leur mouvement d’ofcillation horizontal elt fort diminué : car, plus les filets qu’ils traînent font longs , plus grand eft l'angle de leur ofcillation, c’elt-à-dire, qu’ils font d'autant plus de chemin de droite à gauche , & d’autant moins de chemin en avant, que les filets qui les retiennent, & qui les empè- chent d’avancer , font plus longs ; & à melure que ces filets diminuent de longueur , le mouve. ment d’ofcillation diminue , & le mouvement progreffif augmente. Celui du balancement ver. tical fubfifte & fe reconnoit toujours , tant que celui de progreflion ne fe fait pas avec une grande viteñle: or jufqu’ici, pour l’ordinaire , ce mou- vement de progreflion eft encore aflez lent, & celui de balancement eft fort fenfible. EV: Dans lefpace de cinq ou fix heures, la li: queur acquiert prefque toute la fluidité qu’elle peut avoir fans fe décompofer. On voit alors (PL IT, fig. 8.) la plupart de ces petits corps mouvans entiérement dégagés du filet qu'ils traî- noient. [ls font de figure ovale, & fe meuvent progreflivement avec une aflez grande vitefle : Des Animaux. 167 ils reflemblent alors plus que jamais à des ani- maux qui ont des mouvemens en avant, eñ at riere & en tous fens. Ceux qui ont encore des queues, ou plutôt qui traïnent encore leur filet, paroiflent ètre beaucoup moins vifs que les au- tres; & parmi ces derniers, qui n’ont plus de filet , il y en a qui paroïflent changer de figure & de grandeur : les uns font ronds, la plupart ovales, quelques autres ont les deux extrémites plus grofles que le milieu , & on remarque en- core à tous un mouvement de balancement & de roulis. V. Au bout de douze heures , la liqueur avoit dépolé au bas , dans le criftal de montre , une efpece de matiere gélatineufe blanchâtre, ou plu-. tôt couleur de cendre , qui avoit de la confif- tance, & la liqueur qui furnageoïit , étoit prefque auffi claire que de l’eau ; feulement elle avoit une teinte bleuâtre, & reflembloit très - bien à de l'eau claire, dans laquelle on auroit mèlé un peu de favon : cependant elle confervoit toujours de la vifcofité, & elle filoit lorfqu’on en prenoit une. goutte & qu’on la vouloit détacher du refte de la liqueur. Les petits corps mouvans font alors dans une grande activité ; ils font tous débarraf- fes de leur filet. La plupart font ovales : il y en a de ronds : ils fe meuvent en tout fens, & plu- fieurs tournent fur leur centre. J’en ai vu chan ger de figure fous mes yeux , & d’ovales devenir globuleux. Jen ai vu fe divifer, fe partager, & d’un feul ovale , ou d’un globule , en former : L 4 168 Hiftoire Naiurelle. deux. Ils avoient d'autant plus d'activité & de mouvement, qu'ils étoient plus petits. VI. Vingt - quatre heures après, la liqueur fémi- nale avoit encore dépofe une plus grande quan- tité de matiere gélatineufe. Je voulus délayer cette matiere avec de l’eau pour lobferver ; mais elle ne fe mèla pas aifément , & il faut un temps confidérable pour qu’elle fe ramollifie & fe divife dans l’eau. Les petites parties que jen {€- parai, paroïifloient opaques, & compofees d’une infinité de tuyaux , qui formoient une efpece de lacis, où l’on ne remarquoit aucune difpofition réguliere & pas le moindre mouvement; mais il y en avoit encore dans la liqueur claire: on y voyoit quelques corps en mouvement. Ils étoient, à la vérité, en moindre quantité. Le lendemain il y en avoit encore quelques-uns ; mais apres cela je ne vis plus dans cette liqueur que des globules , fans aucune apparence de mouvement. Je puis affurer que chacune de ces obferva- tions a été répétée un très - grand nombre de fois, & fuivie avec toute l'exactitude poflible; & je fuis perfuadé que ces filets, que ces corps en mouvement traînent apres eux, ne font pas une queue ou un membre qui leur appartienne , & qui falle partie de leur individu ; car ces queues n’ont aucune proportion avec le refte du corps : elles font de longueur & de groffeur fort différen- tes, quoique les corps mouvans foient à peu près de la mème grofleur dans le mème temps. Les unes de ces queues occupent une étendue Des Animaux, 169 très - confiderable dans le champ du microfcope , & d’autres font fort courtes : le globule eft em- barraflé dans fon mouvement, d’autant plus que cette queue eft plus longue ; quelquefois mème. il ne peut avancer ni fortir de fa place, & il n’a qu’un mouvement d’ofcillation de droite à gau- che , ou de gauche à droite. Lorfque cette queue eft fort longue , on voit clairement qu’ils paroif- fent faire des efforts pour s’en débarrafler. MEL Ayant pris de la liqueur féminale dans un au- tre cadavre humain , récent & encore chaud, elle ne paroifloit d’abord être à l'œil fimple qu’une ma- tiere mucilagineufe , prefque coagulée & tres- vifqueufe. Je ne voulus cependant pas y mèler de l’eau ; & en ayant mis une goutte aflez grofle fur le porte - objet du microfcope, elle fe liquefia d’elle - mème & fous mes yeux. Elle étoit d’abord comme condenfée, & elle paroifoit former un tifu aflez ferré, compolé de filamens ( PL IT, fig. 9) d’une longueur & d’une groffeur confi- dérables , qui paroifloient naître de la partie la plus épaifle de la liqueur. Ces filamens fe fépa- roient à mefure que la liqueur devenoit plus fluide, & enfin ils fe divifoient en globules, qui avoient de l’action , & qui paroifloient d’abord n'avoir que très-peu de force pour fe mettre en mouvement ; mais dont les forces fembloient augmenter à mefure qu'ils s’éloignoient du fila- ment, dont il paroïfloit qu’ils faifoient beaucoup d'efforts pour fe débarrafler & pour fe dégager, & auquel ils étoient attachés par un filet qu'ils en tiroient , & qui tenoit à leur partie polté- 170 Hifioire Naturelle, rieure. Ils fe formoient ainfi lentement chacun des queues de différentes longueurs, dont quel- ques - unes étoient fi minces & fi longues, qu’el- les n’avoient aucune proportion avec le corps de ces globules. Ils étoient tous d’autant plus embarraflés, que ces filets ou ces queues étoient plus longues ; l'angle de leur mouvement d’of- cillation de gauche à droite & de droite à gauche, étoit au{li toujours d'autant plus grand, que la longueur de ces filets étoit aufli plus grande, & leur mouvement de progreflion d’autant plus {en- fible , que ces efpeces de queues étoient plus courtes. NEIL Ayant fuivi ces obfervations pendant qua- torze heures , prefque fans interruption, je re- connus que ces filets ou ces efpeces de queues alloient toujours en diminuant de longueur , & devenoient fi minces & fi déliées , qu’elles cef- foient d’être vifibles à leurs extrémités fuccef- fivement ; en forte que ces queues diminuant peu à peu par leurs extrèmités , difparoifloient enfin enticrement. C’étoit alors que les globules cefloient abfolument d’avoir un mouvement d’of- cillation horizontal, & que leur mouvement pro- greflif étoit direct, quoiqu'ils euflent toujours un mouvement de balancement vertical, comme le roulis d’un vaifleau : cependant ils fe mou- voient progreflivement , à peu près en ligne droite , & il n’y en avoit aucun qui eût une queue. Ils étoient alors ovales, tranfparens , & tout-à-fait femblables aux prétendus animaux qu’on voit dans l’eau d’huitre au fix ou feptiemé jour, & encore plus à ceux qu’on voit dans la Des Aniaux. 171 gelée de veau rôti, au bout du quatrieme jour, comme nous le dirons dans la fuite , en parlant des expériences que M. Needham a bien voulu faire en conféquence de mon {yftème, & qu’il a pouflées auff loin que je pouvois lattendre de la fagacité de {on efprit, & de fon habileté dans Jart d’obferver au microfcope. 1. Entre la dixieme & onzieme heure de ces ob. fervations, la liqueur étant alors fort fluide , tous ces globules me paroifloient { PL II, fig. 10) venir du mème côté & en foule. Ils traver{oient le champ du microfcope en moins de quatre f{e- condes de temps ; ils étoient rangés les uns con- tre les autres: ils marchoient {ur une ligne de fept ou huit de front, & fe fuccédoient fans in terruption, comme des troupes qui défilent. J’ob- fervai ce fpectacle fingulier pendant plus de cinq minutes ; & comme ce courant d'animaux ne finifloit point, j'en voulus chercher la fource, & ayant remué légérement mon microfcope, je re- connus que tous ces globules mouvans fortoient d’une efpece de mucilage ( Planche IT, fig. 11) ou de lacis de filamens, qui les produifent conti- nuellement fans interruption , & beaucoup plus abondamment & plus vite que ne les avoient pro- duits les filamens dix heures auparavant. Il y avoit encore une différence remarquable entre ces efpeces de corps mouvans, produits dans la liqueur épaifle , & ceux-ci, qui étoient produits dans la même liqueur, mais devenue fluide ; c’eft que ces derniers ne tiroient point de filets après eux ; qu’ils-n’avoient point de queue; que leur 172 Hiffoire Naturelle. mouvement étoit plus prompt , & qu’ils alloient en troupeau comme des moutons qui fe fuivent. J'oblfervai long - temps le mucilage d’où ils for- toient & où ils prenoient naïffance , & je le vis diminuer fous mes yeux & fe convertir fucceflive- ment en globules mouvans , jufqu’à diminution de plus de moitié de fon volume ; après quoi la liqueur s’étant trop defléchée, ce mucilage devint obfcur dans {on milieu , & tous les environs étoient marqués & divifés par de petits filets qui formoient ( PL IT, fig. 12) des intervalles car- rés, à peu près comme un parquet ; & ces petits filets paroifloient etre formés des corps ou des ca- davres de ces globules mouvans , qui s’étoient réunis par le deffléchement , non pas en une feule mafñle, mais en filets longs, difpofés résuliére. ment, dont les intervalles étoient quadrangulai- res: ces filets faifoient un réfeau aflez femblable a une toile d’araignée , fur laquelle la rofée fe {e- roit attachée en une infinité de petit globules. X. J'avois bien reconnu, par les obfervations que j'ai rapportées les premicres , que ces petits corps mouvans changeoient de figure, & Je croyois m'être apperçu, qu'en général, ils dimi- nuoient tous de grandeur; mais je n’en étois pas aflez certain pour pouvoir l’aflurer. Dans ces dernieres obfervations, à la douzieme & treizieme heure , je le reconnus plus clairement : mais en même temps j’obferverai, que, quoiqu'ils diminuaflent confidérablement de grandeur ou de volume, ils augmentoient en pefanteur fpé- cifique , fur-tout lorfqu’ils étoient prets à finir Des Animaux. 173 de fe mouvoir; ce qui arrivoit prefque tout-à. coup, & toujours dans un plan différent de ce- lui dans lequel ils fe mouvoient: car lorfque leur action cefloit, ils tomboient au fond de la liqueur, & y formoient un fédiment couleur de cendre, que l’on voyoit à l'œil nu, & qui, au microfcope, paroifloit n'être compofé que de globules attachés les uns aux autres ; quelque- fois en filets, & d’autres fois en grouppes; mais prefque toujours d’une maniere réguliere : le tout fans aucun mouvement. VE Ayant pris de la liqueur féminale d’un chien, qu’il avoit fournie par une émiflion naturelle en aflez grande quantité, jobfervai que cette li- queur étoit claire, & qu’elle n’avoit que peu de ténacité. Je la mis, comme les autres dont je viens de parler, dans un criftal de montre; & l'ayant examinée tout de fuite au microfcope, fans y mèler de l’eau, je vis ( PL IIT. fig. 13.) des corps mouvans prefqu’entiérement fembla- bles à ceux de la liqueur de l’homme. Ils avoient des filets ou des queues toutes pareilles ; ils étoient aufli à-peu-près de la mème groffeur: en un mot , ils reflembloient prefqu’auili parfaite- ment qu’il eit poflible, à ceux que javois vus dans la liqueur humaine ( PL II, fig. 7.) liqué- fiée pendant deux ou trois heures. Je cherchai dans cette liqueur du chien les filamens que j'a- vois vus dans l’autre; maïs ce fut inutilement, J'apperçus feulement quelques filets longuets & très-déliés , entiérement femblables à ceux qui Jervoient de queue à ces globules : ces filets ne 174 Hifoire Naturelle. tenoient point à des globules , & ils étoient fans mouvement. Les globules en mouvement, & qui avoient des queues, me parurent aller plus vite, & {e remuer plus vivement que ceux de la liqueur féminale de l’homme. Ils navoient preique point de mouvement d’ofcillation hori- zontal; mais toujours un mouvement de balan- cement vertical ou de roulis. Ces corps mou- vans métoient pas en fort grand nombre, & quoique leur mouvement progreilif fût plus fort, que celui des corps mouvans de la liqueur de Phomme, il neétoit cependant pas rapide, & il leur falloit un petit temps bien marqué, pour traverfer Je champ du microfcope. Jobfervai cette liqueur d’abord continuellement pendant trois heures, & je n’y apperçus aucun change- ment & rien de nouveau; après quoi je l’obfer- vai de temps à autres {ucceflivement pendant quatre jours, & je remarquai, que le nombre des corps mouvans diminuoit peu-à-peu. Le qua- trieme jour il y en avoit encore; mais en très- petit nombre, & fouvent je n’en trouvois qu’un ou deux dans une goutte entiere de liqueur. Des le fecond jour, le nombre de ceux qui avoient une queue, étoit plus petit que celui de ceux qui n’en avoient plus. Le troifieme jour, il y en avoit peu qui euflent des queues ; cependant, au dernier jour, il en reftoit encore quelques- uns qui en avoient. La liqueur avoit alors dé- pofé au fond un fédiment blanchatre, qui pa- roifloit ètre compofe de globules fans mouvement, & de plufieurs petits filets, qui me parurent être les queues féparées des globules. Il y en avoit auf d’attachés à des globules, qui paroifloient Des Animaux. 175 être les cadavres de ces petits animaux ( PJ III, fig. 14.) , mais dont la forme étoit cependant différente de œælle que je leur venois de voir, lorfqu’ils étoient en mouvement: car le globule paroifloit plus large & comme entrouvert, & ils étoient plus gros que les globules mouvans, & aufli que les globules fans mouvement, qui étoient au fond, & qui étoient féparés de leurs queues. XITL Ayant pris une autre fois de la liqueur {é- minale du mème chien, qu’il avoit fournie de mème, par une émiflion naturelle, je revis les premiers phénomenes que je viens de décrire; mais ( PL IIT, fig. 15.) je vis de plus, dans une des gouttes de cette liqueur , une partie mu- cilagineufe, qui produiloit des globules mou- vans, comme dans expérience IX, & ces glo- bules formoient un courant, & alloient de front & comme en troupeau. Je m’attachai à obferver ce mucilage. Il me parut animé intérieurement d’un mouvement de gonflement, qui produiloit de petites bourfouflures dans différentes parties aflez éloignées les unes des autres; & c’étoit de ces parties gonflées dont on voyoit tout-à-coup fortir des globules mouvans, avec une vitefle à- peu-près égale, & une mème direction de mou- vement. Le corps de ces globules n’étoit pas différent de celui des autres; mais, quoiqu'ils fortiflent immédiatement du mucilage, ils n’a- voient cependant point de queues. f’obfervai, que plufieurs de ces globules changeoient de figure : ils s’alongeoient confidérablement & 176 Hifioire Naturelle. devenoient longs comme de petits cylindres, apres quoi les deux extrémités du cylindre fe bourfoufloient, & ils fe divifoient en-deux au- tres globules, tous deux mouvans, & qui fui- voient la même direction, que celle qu’ils avoient lorfqu’ils étoient réunis, foit fous la forme de Rue , {oit {ous la forme précédente de glo- ule. XTLEL Le petit verre qui contenoiît cette liqueur ayant été renver{é par accident, je pris unetroi- fieme fois de la liqueur du mème chien; mais Loit qu’il fût fatigué par des émiflions trop réi- térées, foit par d’autres caufes que j'ignore, la liqueur féminale ne contenoit rien du tout: elle étoit tranfparente & vifqueufe comme la lymphe du fang ; & l'ayant obfervée dans le moment, & une heure, deux heures, trois heures & juf- qu’à vingt-quatre heures après, elle n’offrit rien de nouveau, finon beaucoup de gros globules obfcurs : il ny avoit aucun corps mouvant, au- cun mucillage ; rien, en un mot, de femblable à ce que javois vu les autres fois. NE Ve Je fis enfuite ouvrir un chien, & je fis {e- parer les tefticules & les vaifleaux qui y étoient adhérens, pour répéter les mèmes obfervations : mais je remarquai qu'il n’y avoit point de véfi- cules féminales ; & apparemment, dans ces ani- maux, la femence pale directement des tefticu- les dans Puretre. Je ne trouvai que très-peu de hqueur dans les tefticules , quoique le que adulte Des Animaux. 177 adulte & vigoureux, & qu’il ne fût pas encore mott dans le temps que l’on cherchoit cette li- queur. J'obfervai au microfcope la petite quan- tité que je pus ramafñler avec le gros bout d’un cure-dent. fl n’y avoit point de corps en mou- vement femblables à ceux que j'avois vus aupas ravant: on y voyoit feulement une grande quan: tité de très-petits globules, dont la plupart étoient fans mouvement , & dont quelques-uns; qui étoient les plus petits de tous, avoient entr’eux différens petits mouvemens d’approximation , que je ne pus pas fuivre, parce que les gouttes de liqueur que je pouvois ramañler, étoient fi petites, qu’elles fe defléchoient deux ou trois minutes après qu’elles avoient été miles fur le porte-objet. X V: Ayant mis infufer les tefticules de ce chien; que j'avois fait couper chacun en deux parties, dans un bocal de verre où il y avoit aflez d’eau pour les couvrir, & ayant fermé exactement ce bocal ; j'ai oblervé, trois jours après, cette in- fufion , que j’avois faite dans le deflein de re- connoître ; fi la chair ne contient pas des corps en mouvement. Je vis en effet (PL. IIT, fig. 16.), dans Peau de cette infufion ; une grande quan- tite de corps mouvans ; de figure globuleufe & ovale, & femblables à ceux que javois vus dans la liqueur féminale du chien; à l'exception qu’au- cun de ces corps n’avoit de filets : ils fe mou- voient en tous fens ; & mème avec aflez de vi- tefle. Pobfervai long-temps ces corps qui pa- roifloient animés. Jen vis plufieurs changer de Hif. Nat, des Anim, T.1I. M 179 Hifhoire Naturelle. figure fous mes yeux : jen vis qui s’alongeoient; d’autres qui fe raccourcifloient, d’autres, & cela fréquemment, qui {e gonfloient aux deux extrè- mités ; prefque tôus paroifoient tourner {ur leur centre : il y en avoit de plus petits & de plus gros; mais tous étoient en mouvement; & à les prendre en totalité, ils étoient de la grofleur & de la figure de ceux que j'ai décris dans la VIe expérience. ANNE Le lendemain, le nombre de ces globules mouvans étoit encore augmenté; mais je crus m'appercevoir qu'ils étoient plus petits. Leur mouvement étoit aufli plus rapide, & encore plus irrégulier : ils avoient une autre apparence pour la forme & pour l'allure de leur mouve- ment, qui paroifloit être plus confus. Le fur. lendemain, & les jours fuivans, il y eût tou- jours des corps en mouvement dans cette eau, jufqu’au vingtieme jour. Leur groffeur diminuoit tous les jours, & enfin diminua fi fort, queje ceflai de les appercevoir , uniquement à caufe de leur petitefle; car le mouvement n’avoit pas ceflé, & les derniers, que j'avois beaucoup de peine à appercevoir aux dix-neuvieme & vingtieme jours, {e mouvoient avec autant & mème plus de rapidité que jamais. Il fe forma au-deflus de Veau une efpece de pellicule, qui ne paroïfloit compofée que des enveloppes de ces corps en mouvement , & dont toute la fubftance paroïfoit être un lacis de tuyaux, de petits filets, de peti- tes écailles , &c. toutes fans aucun mouvement: cette pellicule & ces corps mouvans n’avoient Des Animaux. 179 pu venir dans la liqueur par le moyen de l’air exa térieur , puifque le bocal avoit toujours été trèsa {oigneufement bouché. Lé XVIL J'ai fait ouvrir fucceflivement, & à différens jours, dix lapins , pour obferver & examiner avec foin leur liqueur féminale, Le premier n’a+ voit pas une goutte de cette hqueur, ni dans les tefticules, ni dans les véficules féminales : dans le fecond, je n’en trouvai pas davantage, quoi: que j: me fufle cependant afluré que ce fecond la: pin étoit adulte, & qu’il fût même le pere d’uné nombreule famille. Je n’en trouvai point encore dans le troifieme, qui étoit cependant aufl dans le cas du fecond. Je nr'imaginai qu’il falloit peut. étre approcher ces animaux de leurs femelles,pour exciter & faire naître la femence, & jefis acheter des males & des femelles, que lon mit deux à deux dans des efpeces de cages, où ils pouvoient fe voir & fe faire des carrefles ; mais où il ne leur étoit pas poflible de fe joindre. Cela ne meréuf fit pas d’abord ; car on en ouvrit encore deux, où je ne trouvai pas plus de liqueur féminale que dans les trois premiers. Cependant le fixieme que je fis ouvrir, en avoit une grande abondance : c’étoit un gros lapin blanc, qui paroïifloit fort vigoureux. Je lui trouvai dans les véficules {6- minales autant de liqueur congelée qu’il en pou- voit tenir dans une petite cuiller à café. Cette ma- tiere reflembloit à de la gelée de viande : elle étoit d’un jaune citron & prefque tranfparente. L’ayant examinée au microfcope, je vis cette ma- tiere cpaifle fe réfoudre, os par degrés, 2 130 Hifhire Naturelle. en filamens & en gros globules, dont plufieurs pas roifloient attachés les uns aux autres comme des grains de chapelet; mais je ne leur remarquai au- cun mouvement bien diftinct; feulement comme Ja matiere {e liquéfoit , elle formoit une efpece de courant, par lequel ces globules & ces filamens pa- roifloient tous être entraînés du mème côté. Je m'attendois a voir prendre à cette matiere un plus grand degré de fluidité; mais cela n’arriva pas. Après qu’elle fe fut un peu liquéfiée , elle fe de- fécha, & je ne pus jamais voir autre chole que ce que je viens de dire, en obfervant cette ma- tiere fans addition. Je la mélai donc avec de Jeau; mais ce fut encore fans fucces d’abord; car l’eau ne la pénétroit pas tout de fuite, & fembloit ne pouvoir la délayer. = VIIT Ayant fait ouvrir un autre lapin , je n’y trou- vai qu'une tres-petite quantité de matiere fe- minale , qui étoit d’une couleur & d’une con- fiftante différentes de celle dont je viens de parler : elle étoit à peine colorée de jaune, & plus fluide que celle-là. Comme il n’y en avoit que trés-peu, & que je craignois qu’elle ne fe defléchät trop promptement , je fus forcé de la méler avec de l’eau. Des la premiere obferva- tion, je ne vis pas les filamens ni les chape- lets que J'avois vus dans l’autre; mais je re- connus fur le champ les gros globules, & je vis de plus, qu’ils avoient tous un mouvement de tremblement & comme d'inquiétude. Ils avoient aufh un mouvement de progreflion; mais fort lent: quelques-uns tournoient aufli Des Anisiaux. 1SI autour de quelques autres, & la plupart paroif {oient tourner fur leur centre. Je ne pus pas fuivre cette obfervation plus loin , parce queje mavois pas une aflez grande quantité de cette liqueur {éminale , qui {e deffécha promptement. X I X. Avant fait chercher dans un autre lapin, on n’y trouva rien du tout, quoiqu'il eût été depuis quelques jours aufh voifin de fa femelle que les autres: mais, dans les véficules fémi- nales d’un autre, on trouva prefque autant de liqueur congelée que dans celui de l’obfervation XVII. Cette liqueur congelée , que j'examinai d’abord de la mème facon, ne me découvrit rien de. plus; en forte que je pris le parti de mettre infulèr toute la quantité que j’en avois pu raflémbler, dans une quantité prefque dou- ble d’eau pure; & après avoir fecoué violem- ment & fouvent la petite bouteille où ce mélange étoit contenu, je le laiffai repofer pendant dix minutes , après quoi j’obfervai cette infufion , en prenant toujours à la furface de la liqueur les gouttes que je voulois examiner. J'y vis les mêmes gros globules dont j'ai parlé; mais en petit nombre & entiérement détachés & fépa- res, & mème fort éloignés les uns des autres. Ils avoient différens mouvemens d’approxima- tion les uns à l'égard des autres ; mais ces mou- vemens étoient fi lents, qu’à peine étoient-ils {enfibles. Deux ou trois heures apres , il me pa- rut que ces globules avoient diminué de vo- lume, & que leur mouvement étoit devenu plus fenfible: ils paroifloient tous tourner {ur M 3 182 Hifioire Naturelle. leurs centres; & quoique leur mouvement de tremblement füt bien plus marqué que celui de progreflion , cependant on appercevoit claire- ment , qu’ils changeoient tous de place irrégu- liérement les uns par rapport aux autres. Il y en avoit mème quelques-uns , qui tournoient lentement autour des autres. Six ou fept heu- xes après, les globules étoient encore devenus plus petits, & leur action étoit augmentée : ils me parurent être en beaucoup plus grand nom- bre, & tous leurs mouvemens étoient {enfibles. Le lendemain il y avoit dans cette liqueur une multitude prodigieufe de globules en mou- vement, & ils étoient au moins trois fois plus petits qu’ils ne m’avoient parus d’abord. J’ob- fervai ces globules tous les jours plufeurs fois, pendant huit jours: il me parut qu’il y en avoit plufieurs qui fe joignoient & dont le mouve- ment finifloit apres cette union, qui cependant ne paroïfloit ètre qu’une union fuperficielle & accidentelle : il y en avoit de plus gros, de plus petits ; la plupart étoient ronds & fphéri- ques , les autres étoient ovales; d’autres étoient longuets : les plus gros étoient les plus tranf- parens, les plus petits étoient prefque noirs. Cette différence ne provenoit pas des accidens de la lumiere; car, dans quelque plan & dans quelque fituation que ces petits globules fe trou- valñent, ils étoient toujours noirs : leur mou- vement étoit bien plus rapide que celui des gros, & ce que je remarquai le plus clairement & le plus généralement fur tous, ce fut leur di minution de groffeur ; en forte qu’au huitieme jour ils étoient fi petits, que je ne pouvois pre£ Des Animaux. 10e que plusles appercevoir , & enfin ils difparurent abfolument à mes yeux fans avoir ceflé de fe mouvoir. X X. Enfiu, ayant obtenu avec aflez de peine de la liqueur féminale d’un autre lapin, telle qu’il la fournit à {a femelle, avec laquelle il ne relte pas plus d’une minute en copulation, je remarquai qu’elle étoit beaucoup plus fluide que celle qui avoit été tirée des véficules féminales, & les phénomenes qu’elle offrit étoient aufli fort différens : car il y avoit ( PL IIL. fig. 17) dans cette liqueur , les globules en mouvement dont j'ai parlé, & des filamens fans mouvement, & encore des efpeces de globules avec des filets ‘ou des queues, & qui reflembloient aflez à ceux de l’homme & du chien ; feulement ils me pa- rurent plus petits & beaucoup plus agiles. Ils traverfoient en un inftant le champ du microf- cope : leurs filets ou leurs queues me parurent être beaucoup plus courtes que celles de ces autres animaux fpermatiques , & j'avoue, que, quelque foin que je me fois donné pour les bien examiner, je ne fuis pas für que quelques- unes de ces queues ne fuflent pas de faufles ap- parences, produites par le fillon que ces globu- les mouvans formoient dans la liqueur , qu’ils traverfoient avec trop de rapidité pour pouvoir les bien obferver; car d’ailleurs cette liqueur, quoiqu’aflez fluide, fe defléchoit fort promptc- ment. M 4 134 Hiftoire Naturelle. XXI. Je voulus enfuite examiner la liqueur fémi- nale du belier ; mais comme je n’étois pas à portée d’avoir de ces animaux vivans, je m'a- dreffai à un boucher, auquel je recommandai de m'apporter fur le champ les tefticules & les au- tres parties de la génération des beliers qu’il tueroit. Il n’en fournit à différens jours, au moins de douze ou treize différens beliers , fans qu’il me fût poflible de trouver dans les épididy- mes, non plus que dans les véficules féminales, aflez de liqueur pour pouvoir la bien obferver. Dans les petites gouttes que je pouvois ramaf- fer, je ne vis que des globules fans mouvement. Comme je faifois ces obfervations au mois de mars, je penfois que cette faifon n'étoit pas celle du rut des beliers, & qu’en répétant les mêmes obfervations au mois d’oétobre, je pour- rois trouver alors la liqueur {éminale dans les vaifleaux , & les corps mouvans dans la liqueur. Je fis couper plufieurs tefticules en deux dans leur plus grande longueur ; & ayant ramañlé avec le gros bout d’un cure-dent la petite quan- tité de liqueur qu’on pouvoit en exprimer, cette liqueur ne m’offrit, comme celle des épididymes, que des globules de différentes grofleurs, & qui mavoient aucun mouvement. Aurefte, tousces tefticules étoient fort fains, & tous étoient au moins aufli gros que des œufs de poule. XOCTE .… Je pris trois de ces tefticules de trois dif- férens beliers, je les fis couper chacun en qua- Des Animaux. 18$ tre parties. Je mis chacun des tefticules ainfi coupés en quatre, dans un bocal de verre, avec autant d’eau feulement qu’il en falloit pour les couvrir, & je bouchai exactement les hocaux avec du liege & du parchemin. Je laiilai cette chair ainfi infufer pendant quatre jours , après quoi jexaminai au microfcope la liqueur de ces trois infufions. Je les trouvai toutes remplies d’une infinité de corps en mouvement, dont la plupart étoient ovales , & les autres globuleux : ils étoient aflez gros, & ils reflembloient à ceux dont j'ai parlé (Exp. VIII). Leur mouvement n’étoit pas brufque, ni incertain, ni fort ra- pide; mais égal, uniforme & continu dans tou. tes fortes de direction. Tous ces corps en mou- vement étoient à-peu-près de la mème groffeur dans chaque liqueur ; mais ils étoient plus gros dans lune, un peu moins gros dans l’autre, & plus petits dans la troifieme, Aucun n’avoit de queue ; il n’y avoit ni filamens ni filets dans cette liqueur, où le mouvement de ces petits corps s’eft canfervé pendant quinze à feize jours : ils changeoient fouvent de figure, & fem- bloient fe dévètir fucceflivement de leur tuni- que extérieure. Ils devenoient auf tous les jours plus petits; & je ne les perdis de vue au eizieme jour, que par leur petitelle extrème; car le mouvement fubfiftoit toujours lorfque je ceflai de les apercevoir. XX LEE Au mois d'octobre fuivant je fis ouvrir un belier qui étoit en rut, & je trouvai une affez grande quantité de liqueur féminale dans lun 186 Hiftoire Naturelle. des épididymes. L’'ayant examinée fur le champ au microicope, jy vis une multitude innom- brable de corps mouvans: ils étoient en fi grande quantité que toute la fubftance de Ja liqueur paroifloit en être compofée en entier. Comme elle étoit trop épaifle pour pouvoir bien diftin- guer la forme de ces corps mouvans, je la dé- layai avec un peu d’eau; mais je fus furpris de voir que l’eau avoit arrêté tout-à-coup le mou- vement de tous ces corps. Je les voyois tres- diftinétement dans la liqueur ; mais ils étoient tous abfolument immobiles. Ayant répété plu- fieurs fois cette mème obfervation, je m’apper- çus que l’eau, qui, comme je lai dit, délaie tres-bien les liqueurs féminales de l’homme, du chien, &c. au lieu de délayer la femence du elier, fembloit au contraire la coaguler : elle avoit peine à fe méleraveccette liqueur; ce qui me fit conjecturer qu’elle pouvoit être de la na- ture du fuif, que le froid coagule & durcit, & je me confirmai bientôt dans cette opinion; car , ayant fait ouvrir l’autre épididyme , où je comptois trouver de la liqueur , je n’y trouvai qu’une matiere coagulée, épaiflie & opaque: le peu de temps pendant lequel ces parties avoient été expofées à l'air, avoit fu pour refroidir & coaguler la liqueur {éminale qu’elles conte. noient. XXIe Je fis donc ouvrir un autre belier ; & pour empècher la liqueur féminale de fe refroidir & de 1e figer, je laiflai les parties de la génération dans le corps de lanimal, que l’on couvroit des Animaux. 187 avec des linges chauds. Avec ces précautions il me fut aife d’obferver un tres-grand nombre de fois la liqueur féminale dans fon état de Aui- dité. Elle étoit remplie d’un nombre infini de corps en mouvement (PZ III, fig. 18 ): ils étoient tous oblongs , & ils fe remuoient en tout fens ; mais, dès que la goutte de liqueur qui étoit fur le porte- objet du microfcope étoit refroidie , le mouvement de tous ces corps cel. foit dans un inftant; de forte que je ne pouvois les obferver que pendant une minute ou deux. Jeflayai de délayer la liqueur avec de l’eau chau- de : le mouvement des petits corps dura quel- que temps de plus, c’eft-à-dire, trois ou qua- tre minutes. La quantité de ces corps mou- vans étoit fi grande dans cette liqueur, quoi- que délayée, qu’ils fe touchoient prefque tous les uns les autres. [ls étoient tous de la mème grofleur & de la mème figure : aucun n’avoit de queue ; leur mouvement w’étoit pas fort ra- pide, & lorfque , par la coagulation de la li- queur, ils venoient à sarrèter , ils ne chan- gcoient pas de forme. HUE Ve Comme j'étois perfuadé, non-feulement par ma théorie, mais aufli par Pexamen que j'avois fait des obfervations & des découvertes detous ceux qui avoient travaillé avant moi {ur cette matiere, que la femelle a , aufli-bien que le male , une liqueur féminale & vraiment proli- fique, & que je ne doutois pas que le réfervoir de cette liqueur ne füt la cavité du corps glan- duleux du tefticuie où les Anatomiftes préve- LA 155$ à Hifioire Naturelle. nus de leur fyftème, avoient voulu trouver Pœuf, je fis acheter piufieurs chiens & plu- fieurs chiennes , & quelques lapins mâles & fe- melles , que je fis garder & nourrir tous {épa- rément les uns des autres. Je parlai à un bou- cher pour avoir les portieres de toutes les va- ches & de toutes les brebis qu’il tueroit : je l’engageai à me les apporter dans le moment même que la bête viendroit d’expirer. Je m’af furai d’un Chirurgien pour faire les difleétions nécellaires; & afin d’avoir un objet de compa- raïfon pour la liqueur de la femelle, je com- mencai par obferver de nouveau la liqueur fé- minale d’un chien, qu’il avoit fournie par une émiflion naturelle. Jy trouvai (PL IV. fig. 19) les mèmes corps en mouvement que J'y avois obfervés auparavant. Ces corps trainoient après eux des filets, qui reflembloient à des queues dont ils avoient peine à fe débarrafler: ceux dont les queues étoient les plus courtes, fe mou- voient avec plus d’agilité que les autres ; ils avoient tous, plus ou moins, un mouvement de balancement vertical ou de roulis, & en géné- ral leur mouvement progreflif, quoique fort fen- fible & très- marqué, n’étoit pas d’une grande rapidité. XX VIE Pendant que j'étois occupé à cette obferva- tion, l’on difléquoit une chienne vivante , qui étoit en chaleur depuis quatre ou cinq jours, & que le mäle n’avoit point approchée. On trouva aifément les tefticules qui font aux ex- trèmités des cornes de la matrice: ils étoient des Animaux. 189 a-peu-près gros comme des avelines. Ayant exa. mine l’un de ces tefticules, j'y trouvai un corps glanduleux , rouge, proéminent & gros comme un pois. Ce corps glanduleux reflembloit par- faitement à un petit mamelon, & il y avoit au dehors de ce corps glanduleux une fente très. vifible , qui étoit formée par deux levres , dont June avancoit en dehors un peu plus que lau- tre. Ayant entrouvert cette fente avec un fty- let, nous en vimes dégoutter de la liqueur , que nous recueillimes pour la porter au microf- cope, apres avoir recommande au Chirurgien de remettre les tefticules dans le corps de lani- mal qui étoit encore vivant, afin de les tenir chaudement. J’examinai donc cette liqueur au microfcope, &, du premier coup d'œil, j'eus - la fatisfaétion d’y voir (Planche IV, fig. 20) des corps mouvans avec des queues , qui étoient prefqu’abfolument femblables à ceux que je ve- nois de voir dans la liqueur féminale du chien. Mrs. Needham & Daubenton, qui obferverent après moi, furent fi furpris de cette reflem- blance, qu’ils ne pouvoient fe perfuader que ces animaux fpermatiques ne fuflent pas ceux du chien que nous venions d’obferver. Ils crurent que j'avois oublié de changer de porte-objet, & qu’il avoit pu refter de la liqueur du chien, ou bien que le cure-dent avec lequel nous avions ramafñlé plufieurs gouttes de cette liqueur de la chienne, pouvoit avoir {ervi auparavant à celle du chien. M. Needham prit donc lui-même un autre porte-objet, unautre cure-dent ; & ayant été chercher de la liqueur dans la fente du corps glanduleux , il lexamina le premier, & y revit 190 Hifloire Naturelle. les mêmes animaux, les mêmes corps en mou. vement, & il fe convainquit avec moi, non- feulement de Pexiftence de ces animaux fperma- tiques dans la liqueur féminale de la femelle ; mais encore de leur reflemblance avec ceux de la liqueur féminale du mâle. Nous revimes au moins dix fois de fuite, & fur différentes gout tes, les memes phénomenes ; car il y avoit une aflez bonne quantité de liqueur féminale dans ce corps glanduleux , dont la fente pénétroit dans une cavité profonde de près de trois lignes. D ae M Fe MA Ayant enfuite examiné Pautre tefticule, ÿy trouvai un corps glanduleux dans fon état d’ac- croiflement: mais ce corps n'étoit pas mûr; il n’y avoit point de fente à l’extérieur , il étoit bien plus petit & bien moins rouge que le pre- mier, & l'ayant ouvert avec un {calpel, je n’y trouvai aucune liqueur : il y avoit feulement une efpece de petit pli dans l’intérieur , que je jugeai ètre l’origine de la cavité qui doit conte- tir la liqueur. Ce fecond tefticule avoit quel. ques véficules lymphatiques très-vifibles à l’ex- térieur. Je percai lune de ces véficules avec une Jancette, & il en jaillit une liqueur claire & limpide , que yobfervai tout de fuite au mi- crofcope. Elle ne contenoït rien de femblable à celle du corps glanduleux: c’étoit une matiere claire , compofée de très - petits globules qui étoient fans aucun mouvement. Avant répété louvent cette obfervation, comme on le verra dans la fuite, je m’aflurai que cette liqueur, que renferment les véficules, n’eft qu’une ef Des Animaux. 191 pece de lymphe, qui ne contient rien d’animé, rien de femblable à ce que l’on voit dans la fe- mence de la femelle, qui fe forme & qui {e per- fectionne dans le corps glanduleux. XNA IAT. Quinze jours après je fis ouvrir une autre chienne, qui étoit en chaleur depuis {ept ou huit jours, & qui navoit pas été approchée par le mâle. Je fis chercher les tefticules : ils {ont contigus aux extrèmités des cornes de la matrice. Ces cornes font fort longues , leur tu- nique extérieure enveloppe les telticules, & ils paroiflent recouverts de cette membrane comme d’un capuchon. Je trouvai fur chaque tefticule un corps glanduleux en pleine maturité. Le premier que j’examinai étoit entr'ouvert , & il _ avoit un conduit ou un canal qui pénétroit dans le tefticule, & qui étoit rempli de la liqueur {6- minale. Le fecond étoit un peu plus proéminent & plus gros, & la fente, ou le canal, qui con- tenoit la liqueur, étoit au-deflous du mamelon qui fortoit au dehors. Je pris de ces deux li- queurs ; & les ayant comparées , je les trouvai tout-à-fait femblables : cette liqueur féminale de la femelle eft au moins aufli liquide que celle du mâle. Ayant enfuite examiné au microfcope ces deux liqueurs, tirées des deux tefticules, Jy trouvai (Planche IV, fig. 21) les mèmes corps en mouvement. Je revis à loifir les mè- mes phénomenes , que j'avois vus auparant dans la liqueur {éminale de l’autre chienne: je vis, de plus, plufieurs globules qui fe re- muoient très-vivement, qui tâchoient de {e dé- 192 Hiftoire Naturelle. | gager du mucilage qui les environnoit , & qui emportotent apres eux des filets ou des queues : il y en avoit une aufli grande quantité que dans la femence du male. XXIX. J'exprimai de ces deux corps glanduleux toute la liqueur qu’ils contenoient ; & l'ayant raflem- blée & mife dans un petit criftal de montre , il y en eut une quantité fuMifante pour faire ces obfervations pendant quatre ou cinq heures. Je remarquai qu’elle faïloit un petit dépôt aubas, ou du moins que la liqueur sy épaiflifloit un peu. Je pris une goutte de cette liqueur plus épaifle que l’autre, & l'ayant mile au microf- cope ; je reconnus (PL IV, fig.22) que la par- tie mucilagineufe de la femence s’étoit conden- fée, & qu’elle formoit comme un tiflu continu. Au bord extérieur de ce tiflu , & dans uneéten- due aflez confidérable de fa circonférence, il y avoit un torrent, ou un courant, qui paroif- foit compofé de globules qui couloient avec rapidité. Ces globules avoient des mouvemens propres : ils étoient même trés-vifs, tres-ac- tifs, & ils paroifloient être abfolument dégagés de leur enveloppe mucilagineufe & de leurs queues. Ceci reflembloit {1 bien au cours du fang , lorfqu’on l’obferve dans les petites vei- nes tran{parentes ; que, quoique la rapidité de ce courant de globules de la femence fût plus grande, & que de plus ces globules euffent des mouvemens propres & particuliers ; je fus frappé de cette reflemblance ; car ils paroifloient non-feulement être animés par leurs propres forces , Des Animaux. 193 forces , mais encore être pouflés par une force commune , & comme contraints de fe fuivre gn troupeau. Je conclus de cette obfervation & de la IX & XIIme., que ,.quand le fluide com- mence à {e coaguler ou à s’épaiflir , foit par le defléchement où par quelques autres caufes , ces globules actifs rompent & déchirent les en- veloppes mucilagineufes dans lefquelles ils {ont contenus, & qu'ils s’échappent du côté où la liqueur eft demeurée plus fluide. Ces corps mouvans n’avoient alors ni filets ni rien de {emblable à des queues : ils étoient pour la plu- part ovales, & paroïfloient un peu appalatis par- deflous ; car ilsn’avoient aucun mouvement de roulis, du moins qui fût {enfible. RE CAE, Les corries de la matrice étoient à l’exté- rieur mollafes, & elles ne paroifloient pas être remplies d'aucune liqueur. Je les fs ouvrir lon- gitudinalement, & je n’y trouvai qu'une très- petite quantitc de liqueur. Il y en avoit cepen- dant aflez pour qu'on pût la ramañler avec un cure-dent. J'obfervai cette liqueur au microf- cope: c'étoit la mème que celle que javois exprimée des corps glanduleux du tefticule; car elle étoit pleine de globules actifs, qui fe mou- voient de la même façon, & qui étoient ab{o- lument femblables en tout à ceux que j'avois obfervés dans la liqueur tirée immédiatement du corps glanduleux : aufli ces corps glanduleux {ont polés de facon qu’ils verfent aifément cette liqueur fur les cornes de la matrice; & je fuis perfuadé, que, tant que la chaleur des chiennes Hiff. Nat, des Anim. T, I, N 194 Hifhoire Naturelle. dure, & peut-être encore quelque temps après, il y a une ftillation ou un dégouttement conti- nuel de cette liqueur, qui tombe du corps glanduleux dans les cornes de la matrice, & que cette ftillation dure ju{qu’à ce que le corps glanduleux ait épuifé les véficules du tefticule auxquelles il correfpond : alors il s’affaifle peu- a-peu ; il s’efface, & il ne laifle qu’une petite cicatrice rougeâtre, qu’on voit à l’extérieur du telticule. | KR I Je pris cette liqueur féminale, qui étoit dans lune des cornes de la matrice, & qui contenoit des corps mouvans ou des animaux fpermatiques, femblables à ceux du mâle; & ayant pris en mêmé temps de la liqueur fémi- nale d'un chien, qu’il venoit de fournir par une émiflion naturelle, & qui contenoit auili, comme celle de la femelle , des corps en mou- vement, J'eflayai de meéler ces deux liqueurs, en prenant une petite goutte de chacune; & ayant examiné ce mélange au microfcope, je ne vis rien de nouveau: Ja liqueur étant tou- jours la même , les corps en mouvement les mèmes, ils étoient tous fi femblables, qu’il n’é- toit pas poflible de diftinguer ceux du mâle & ceux de la femelle; feulement je crus nvap- percevoir que leur mouvement étoit un peu ra- Jenti ; mais, à cela près, je ne vis pas que ce mèlange eût produit la moindre altération dans la liqueur. Des Animaux. 19$ MC T Ayant fait difléquer une autre chienne qui étoit jeune , qui mavoit pas porté, & qui n'a- voit point encore été en chaleur, je ne trou- vai fur Pun des telticules qu’une petite protu- bérance folide, que je reconnus aifément pour être l’origine d’un corps glanduleux , qui com- mencoit à poufler , & qui auroit pris on ac- croiflement dans la fuite; & fur Pautre teiti- cule, je ni vis aucun indice du corps glandu- leux. La furface de ces tefticules étoit lifle & unie, & on avoit peine à y voir, à l’extérieur, les véficules lymphatiques, que je trouvai ce- pendant fort aifément , en faifant féparer les tuniques qui revètent ces tefticules : mais ces véficules n’étoient pas confidérables; & ayant obfervé la petite quantité de liqueur que je pus ramafler dans ces tefticules avec le cure: dent, je ne vis que quelques petits globules fans aucun mouvement, & quelques globules beaucoup plus gros & plus applatis, que je re- connus aifément pour être des globules du fang dont cette liqueur étoit en effet un peu mélce. IGXXTIT Dans une autre chienne, qui étoit encore plus jeune, & qui n’avoit que trois ou quatre mois , il n’y avoit fur les tefticules aucune ap- parence du corps glanduleux : ils étoient blancs a l'extérieur , unis, fans aucune protubérance , & recouverts de leur capuchon comme les au- tres : il y avoit quelques ue mais qui 2, 196 Hiftoire Naturelle. ne me parurent contenir que peu de liqueur; & mème la fubftance intérieure des telticules ne paroifloit ètre que de la chair, aflez {em- blable à celle d’un ris de veau, &‘’à peine pouvoit-on remarquer quelques véficules à lex- térieur , ou plutôt à la circonférence de cette chair. Jeus la curiofité de comparer l’un de ces tefticules avec celui d’un jeune chien, de mème grofleur à-peu-près que la chienne. Ils me parurent tout-à-fait femblables à l’intérieur : la fubltance de la chair étoit, pour ainfi dire, de la mème nature. Je ne prétends pas contre- dire, par cette remarque, ce que les Anatomif- tes nous ont dit au fujet des tefticules des mà- les, qu'ils affurent n’ètre qu’un peloton de vaideaux qu’on peut devider, & qui font fort menus & fort longs; je dis feulement, que lPap- parence de la fubftance intérieure des tefticules des femelles eft femblable à celle des tefticules des males, lorfque les corps glanduleux n’ont pas encore poule. XX CT U On m'apporta une portiere de vache qu’on venoit de tuer; & comme il y avoit près d’une demi-lieue de lPendroit où on lavoit tuée juf que chez moi, on enveloppa cette portiere dans des linges chauds, & on la mit dans un panier fur un lapin vivant, qui étoit lui-mème cou- ché fur du linge au fond du panier. De cette maniere elle étoit, lorlque je la recus , pref qu’auffi chaude qu’au fortir du corps de Pani- mal. Je fis d’abord chercher les tefticules, que nous n'eümes pas de peine à trouver: ils {ont Des _ Animarx. 197 gros comme de petits œufs de poule, ôu au moins comme des œufs de gros pigeons. L'un de ces tefticules avoit un corps glanduleux;, gros comme un gros pois, qui étoit protube- rant au dehors du tefticule, à-peu-pres comme un petit mamelon : mais ce corps glanduleux n’étoit pas percé; il n’y avoit ni fente ni ou- verture à l’extérieur : il étoit ferme & dur. Je le preffai avec les doigts: il n’en fortit rien. Je lexaminai de pres, & à la loupe, pour voir s’il n’avoit pas quelque petite ouverture imper- ceptible: je n’en aperçus aucune. [Il avoit ce- pendant de profondes racines dans la fubitanc intérieure du tefticule. J’obfervai avant que de faire entamer ce tefticule, qu'il y avoit deux autres corps glanduleux à d’afez grandes dif- tances du premier; mais ces corps glanduleux ne commencoient encore qu’à poufler. Ils étoient deflous la membrane commune dutefticule : 1! w’étoient guere plus gros que de grofes lentil- les. Leur couleur étoit d’un blanc jaunatre; au lieu que celui qui paroifoit avoir percé la mem. brane du tefticule, ®& qui étoit au dehors, étoit d’un rouge couleur de rofe. Je fis ouvrir dongitudinalement ce dernier corps glanduleux, qui approchoit, comme lon voit, beaucoup plus de fa maturité que les autres. J’examinai avec grande attention l’ouverture qu’on venoit de faire, & qui féparoit ce corps glanduleux par fon milieu : je reconnus qu'il y avoit au fond une petite cavité; mais ni cette cavite, ni tout le refte de la fubitance de ce corps glan- duleux ne contenoit aucune liqueur. Je jugzai donc qu’il étoit encore aflez éloigné de fon entiere maturite. | N 3 198 Hifioire Naturelle. Rx XV. L'autre tefticule n’avoit aucun corps glandu- Jeux qui fût proéminent au dehors , & qui eût percé la membrane commune qui recouvre le telticule : 11 y avoit feulement deux petits corps glanduleux , qui commencoient à naître & à for- mer chacun une petite protubérance au - deffous de cette membrane. Je les ouvris tous les deux avec la pointe du fcalpel : il n’en fortit aucune liqueur ; c’étoient des corps durs, blanchâtres , un peu teints de jaune : on y voyoit à la loupe quelques petits vaifleaux fanguins. Ces deux tel- ticules avoient chacun quatre ou cinq véficules lymphatiques, qu’il étoit trés-aifc de diftinguer a leur furface. Il paroïfloit que la membrane qui recouvre le tefticule , étoit plus mince dans len- droit où étaient ces véficules, & elle étoit comme tranfparente : cela me fit juger que ces véficules contenoient une bonne quantité de liqueur claire & limpide; & en effet , en ayant percé une dans fon milieu avec la pointe d’une lancette , la li- queur jaillit à quelques pouces de diftance ; & ayant percé de mème les autres véficules, je ra. mañlai une aflez grande quantité de cette liqueur pour pouvoir l’obferver ailément & à loifir : mais je n’y découvris rien du tout. Cette liqueur ceft une lymphe pure, très-tranfparente, & dans la- quelle je ne vis que quelques globules très-petits, & fans aucune forte de mouvement. Après quel- ques heures j'examinai de nouveau cette liqueur des véficules. Elle me parut être la même; il n’y avoit rien de différent , fi ce n’elt un peu moins de tranfparence dans quelques parties de la li- queur. Je continuai à l’examiner pendant deux Des Animaux. 199 jours, jufqu’à ce qu’elle fût defléchée, & je n’y reconnus aucune altération, aucun changement , aucun mouvement. RETY E Huit jours après on m'apporta deux autres portieres de vaches qui venoient d’ètre tuées, & qu'on avoit enveloppées & tranfportées de la même facon que la premiere. On n'aflura que l'une étoit d’une jeune vache qui n’avoit pas en- core porté , & que l’autre étoit d’une vache qui avoit fait plufieurs veaux, & qui cependant n’é- toit pas vicille. Je fis d’abord chercher les tefti- cules de cette vache qui avoit porté ; & je trou- vai fur l’un de ces tefticules un corps glanduleux , gros & rouge comme une bonne cerife. Ce corps paroifloit un peu mollafle à l’extrèmité de fon ma- melon. J'y diftinguai très -aifément trois petits trous, où il étoit facile d'introduire un crin : ayant un peu prellé ce corps glanduleux avec les doigts, ilen{ortit une petite quantité de liqueur, que je portai {ur le champ au microfcope, & j'eus la fatisfaétion d’y voir ( PL IV, fig. 22) des globules mouvans ; mais diflérens de ceux que Javois vus dans les autres liqueurs féminales. Ces globules étoient petits & obfcurs; leur mou- vement progreiif, quoique fort diftin@ & fort aifé à reconnoitre, étoit cependant fort lent : la liqueur ’étoit pas épaifle. Ces globules mouvans n’avoient aufli aucune apparence de queues ou de filets, & ils n’étoient pas à beaucoup près tous en mouvement : il y en avoit un bien plus grand nombre qui paroifloient très-femblables aux au- tres , & qui cependant n’avoient aucun mouve- N 4 009 Hifoire Naturelle. ment. Voilà tout ce que je pus voir dans cette liqueur que ce corps glanduleux m’avoit four- nie. Comme il n’y en avoit qu’une tres - petite quantité, qui fe deflécha bien vite, je voulus prefler une feconde fois le corps glanduleux ; mais il ne me fournit qu’une quantité de liqueur en- core plus petite , & mélée d’un peu de fang. Fy revis les petits globules en mouvement ; & leur diametre, comparé à celui des globules du fang qui étoit mélé dans cette liqueur , me parut etre au moins quatre fois plus petit que celui de ces La fanguins. XÉAVEL Ce corps glanduleux étoit fitué à l’une des extrémités du tefticule , du côte de la corne de la matrice, & la liqueur qu’il préparoit & qu’il rendoit, devoit tomber dans cette corne: cepen- dant, ayant fait ouvrir cette corne de la matrice » e n’y trouvai point de liqueur dont la quantité fût fenfible. Ce corps glanduleux pénétroit fort avant dans le tefticule, & en occupoit plus du tiers de la fubftance intérieure : je le fis ouvrir & féparer en deux longitudinalement. y trou- vai une cavité aflez confidérable : ; mais entiére- ment vide de liqueur. Il y avoit fur le mème tef- ticule , à quelque diftance du gros corps glandu- leux , un autre petit corps de mème efpece ; mais qui commencoit encore à naître, & qui formoit {ous la membrane de ce teiticule une petite protu- bérance , de la grofleur d’une bonne lentille : il y avoit aufli deux petites cicatrices , à peu pres de la même groffeur d’une lentille, qui formoient deux petits enfoncemens ; mais très - fuperficiels : Des Ammaux. 201 ils étoient d’un rouge foncé. Ces cicatrices ctoient celles des anciens corps glanduleux qui s’étoient oblitérés. Ayant enfuite examiné l’autre tefticule de cette mème vache qui avoit porté, j'y comp- tai quatre cicatrices & trois corps glanduleux , dont le plus avancé avoit percé la membrane : il ’étoit encore que d’un rouge couleur de chair, _& gros comme un pois. Il étoit ferme & fans au- cune ouverture à l'extrémité, & il ne contenoit encore aucune liqueur : les deux autres étoient fous la membrane, &, quoique gros comme de petits pois , ils ne paroifloient pas encore au de- hors : ils étoient plus durs’ que le premier, & leur couleur étoit plus orangée que rouge. Ii ne reftoit, fur le premier tefticule, que deux ou trois véficules lymphatiques bien apparentes , parce que le corps glanduleux de ce tefticule, qui étoit arrivé à fon entiere maturité , avoit épuilé les autres véficules ; au lieu que , fur le fecond tefticule , où le corps glanduleux n’avoit encore pris que le quart de {on accroiflement , il y avoit un beaucoup plus grand nombre de véficules lym- phatiques. Jen comptai huit à l'extérieur de ce tefticule ; & ayant examiné au microfcope la li- queur de ces véficules de l’un & de l’autre tefti- cule , je ne vis qu’une matiere fort tran{parente, & qui ne contenoit rien de mouvant, rien de femblable à ce que je venois de voir dans la li- queur du corps glanduleux. XXXVIITL. J’examinai enfuite les tefticules de Pautre va- . , . . VA . che, quin’avoit pas porté : ils étoient cependant: auili gros , & peut-être un peu plus gros que ceux 202 Hifioire Nuturelle. de la vache qui avoit porté; mais il eft vrai qu’il n’y avoit point de cicatrices, nifur lun, ni {ur V'autre de ces tefticules. L’un étoit mème ab{olu- ment lifle, fans protubérance & fort blanc : on diftinguoit feulement à {a furface plufieurs en- droits plus clairs & moins opaques que le refte, & c’étoient les véficules lymphatiques qui y étoient en grand nombre : on pouvoit en compter aife- ment juiqu’à quinze; mais il n’y avoit aucun in- dice de la naiflance des corps glanduleux. Sur autre tefticule , je reconnus les indices de deux corps glanduleux , dont l’un commencoit à naïî- tre, & l’autre étoit déja gros comme un petit pois un peu applati : ils étoient tous deux re- couverts de la membrane commune du tefticule, comme le font tous les corps glanduleux dans le temps qu’ils commencent à {e former. Il y avoit auffi fur ces tefticules un grand nombre de véfi- cules lymphatiques : j'en fis fortir avec la lancette de la liqueur, que j'examinai, & qui ne conte- noît rien du tout ; & ayant percé avec la mème ancette les deux petits corps glanduleux , iln’en fortit que du fang. XX. XL Je fs couper chacun de ces tefticules en qua- tre parties , tant ceux de la vache qui n’avoit pas porté , que ceux de la vache qui avoit porté, & les ayant mis chacun féparément dans des bo- caux, j'y verfai autant d’eau pure qu’il en falloit pour les couvrir ; & après avoir bouché bien exactement les bocaux, je laiffai cette chair in- fufer pendant fix jours ; après quoi , ayant exa- mine. au microfcope l’eau de ces infufions , jy Des Animaux. 203 vis ( PL IV, fig. 23 ) une quantité innombrable de petits globules mouvans, Ils étoient tous, & dans toutes ces infufions ,; extrèmement pe- tits, fort actifs, tournant la plupart en rond & fur leur centre; ce n’étoit, pour ainfi dire, que des atomes, mais qui fe mouvoient avec une pro- digieufe rapidité, & en tout fens. Je les obfervai - de temps à autre pendant trois jours : ils me pa- rurent toujours devenir plus petits, & enfin ils difparurent à mes yeux par leur extrème petitefle le troifieme jour. b, QE On m’apporta les jours fuivans trois autres portieres de vaches qui venoient d’ètre tuées. Je fis d’abord chercher les tefticules, pour voir s’il ne s’en trouveroit pas quelqu'un dont le corps glanduleux fût en parfaite maturité. Dans deux de ces portieres je ne trouvai fur les tefticules que des corps glanduleux en accroiflement ; les uns plus gros , les autres plus petits; les uns plus, les autres moîns colorés. On n’avoit pu me dire fi ces vaches avoient porté ou non : mais il y avoit grande apparence que toutes avoient été plufieurs fois en chaleur; car il y avoit des cica- trices en aflez grand nombre fur tous ces tefticu- les. Dans la troifieme portiere , je trouvai un tef: ticule fur lequel il y avoit un corps glanduleux, gros comme une cerile & fort rouge : il étoit gon- flé & me parut être en maturité. Je remarquai à fon extrèmité un petit trou, qui étoit l’orifice d’un canal rempli de liqueur : ce canal aboutifloit à la cavité intéricure, qui en étoit aufli remplie. Je preffai un peu ce mamelon avec les doigts, & 204 Hifioire Naturelle. il en fortit aflez de liqueur pour pouvoir l’obfer- ver un peu à loifir. fe retrouvai ( PL IV, fig.24) dans cette liqueur , des globules mouvans , qui paroïfloient être abfolument femblables à ceux que j'avois vus auparavant dans la liqueur que J'avois exprimée de même , du corps glandu- leux d’une autre vache , dont j'ai parlé, article XXXVI : ilme parut feulement , qu’ils étoient en plus grande quantité, & que leur mouvement progreflif étoit moins lent: ils me parurent auffi plus gros ; & les ayant confiderés long -temps, jen vis qui s’alongeoient & qui changeoient de figure. J’incroduifis enfuite un {tylet très-fin dans le petit trou du corps glanduleux : il y pénétra aifément à plus de quatre lignes de profondeur ; & ayant ouvert le long du ftylet ce corps glandu- leux, je trouvai la cavité intérieure remplie de liqueur. Elle pouvoit en contenir en tout deux grofles gouttes. Cette liqueur m’offrit au microf- cope les mèmes phénomenes , les mèmes globu- les en mouvement ; mais je ne vis jamais dans cette liqueur , non plus que dans celle que j'avois obferveée auparavant , article XX XVI, ni fila- mens, ni filets, ni queues à ces globules. La li- queur des véficules que j’obfervai enfuite , ne n'offrit rien de plus que ce que j'avois déja vu les autres fois : c’étoit toujours une matiere pref_ que entiérement tranfparente, & qui ne conte- noit rien de mouvant. faurois bien defiré d’avoir de la femence de taureau pour la comparer avec celle de la vache , mais les gens à qui je m’étois adreflé pour cela , me manquerent de parole. LA PAR On n’apporta, à différentes fois, plufieurs Des Animaux, 20$ autres portieres de vaches. Je trouvai dans les unes les tefticules chargés de corps glanduleux prefque mürs ; dans lesteiticules de quelques au- tres, je vis que les corps glanduleux étoient dans . différens états d’accroifflèment , & je ne remar- quai rien de nouveau, finon que , dans deux tefticules de deux vaches différentes , je vis le corps glanduleux dans fon état d’affaiflement. La bafe de l'un de ces corps glanduleux étoit auf large que la circonférence d’une cerife , & cette bafe n’avoit pas encore diminué de largeur ; mais l’extrèmité du mamelon étoit mollafle , ridée & abattue : on y reconnoïifloit aifément deux petits trous par où la liqueur s’étoit écoulée. J’y intro- duifis avec aflez de peine un petit crin ; mais il n’y avoit plus de liqueur dans le canal , non plus que dans la cavité intérieure qui étoit encore fenfible, comme je le reconnus en faifant fendre avec un fcalpel ce corps glanduleux. L’affaifle- ment du corps glanduleux commence donc par la partie la plus extérieure, par l’extrèmité du ma- melon : il diminue de hauteur dabord , & en- fuite il commence à diminuer en largeur, comme je l’obfervai fur un autre tefticule , où ce corps elanduleux étoit diminué de près des trois quarts. Il étoit prefqu’entiérement abattu ; ce n’étoit, pour ainfi dire , qu’une peau d’un rouge obfcur , qui étoit vide & ridée, & la fubftance du tefticule qui l’environnoit à fa bafe, avoit reflerré la cir- conférence de cette bafe , & l’avoit déja réduite à plus de moitié de {on diametre. XLIL Comme les tefticules des femelles de lapin 206 Hiffoire Naturelle. font petits, & qu'il s’y forme plufieurs corps glanduleux qui font aufli fort petits, je n’ai pu rien obferver exactement au fujet de leur liqueur féminale , quoique j'aie fait ouvrir plufieurs de ces femelles devant moi. J’ai {eulement reconnu que les tefticules des lapines font dans des états très-différens les uns des autres , & qu'aucun de ceux que j'ai vus, ne reflemble parfaitement à ce que Graaf a fait graver : car les corps glanduleux n'enveloppent pas les véficules lymphatiques, & je ne leur ai jamais vu une extrémité pointue comme il la dépeint ; mais je n’ai pas aflez fuivi ce détail anatomique pour en rien dire de plus. L [ Comme plufieurs Phyficiens , & mème quelques Anatomiftes, paroiflent encore douter de l’exiftence des corps glanduleux dans les ovai- res , ou, pour mieux dire , dans les tefticules des femelles , & particuliérement dans les tefti- cules des femmes , malgré les obfervations de Vallifnieri, confirmées par mes expériences , & par la découverte que j'ai faite du rélervoir réel de la liqueur féminale des femelles, qui eft filtrée par ces corps glanduleux , & contenue dans leur cavité intérieure ; Je crois devoir rapporter ici le témoignage d’un très-habile Anatomifte, M. Am- broife Bertrandi, de Turin, qui m'a écrit dans. les termes fuivans au fujet de ces corps glandu- leux. In puellis à decimo quarto ad vigefimum annum , quas non minus tranfaëte vite genus , qudm partium genitalium intemeratu integritas virgines deceffifJe indicabat , ovaria levia, globofa, atque turgidula repcriebam ; in aliquibus porro luteas quafdam pa- pillas detegebam quæ corporum luteorum rudimenta * Des Animaux. 207 referrent. In aliis vero adeo perfeëla &$ turgentia vidi , ut totam amplitudinem fuam acquifivifle vide- rentur. Imo in rvbufià &ÿ fucci plenà puellé que fu- rore uterino , diutino &ÿ vehementi tandem occubue rat , hujufmodi corpus inveni , quod cerafi magni- tudinem excederat , cujus verd papilla gangrenâ era correpta, idque totum atro fanguine oppletum, Cor pus hoc luteum apud amicum afjervatur. Ovaria in adolefcentibus intus intertexta viden- tur eonfertiffimis vafculorum fafciculis , que arteriæ Jpermaticæ propagines funt. In is , quibus mammæ Jororiari incipiunt &ÿ menftrua fluunt , admodum rubella apparent ; nonnulle ipforum tenuiffime pro- pagines circum veficulas ; quas ova nominant perdu cuntur. Verüm è profundo ovarii villos nonnullos luteos germinantes vidimus | qui graminis ad inftar , ut ait Malpigius , veficulis in arcum ducebantur. Luteas hujufmodi propagines & fanguineis vafculis Jpermaticis elongari ex eo fufpicabar , quod injiciens per arteriam fpermaticam tenuiffimum gummi folu tionem in alkool, corporis lutei mamillas pervadi{je viderim, Tres porcellas Indicas à matre fubduxi, atque à ma/culis feparatas per quindecim menfes afJervavi ; fine enecatis in duorum turgidulis ovariis corpufcula lutea inveni , fucci plena , atque perfcilæ plenitudi- nis. In pecubus que quidem à maftulo compreffæ fuerant , numquam vero conceperant , lutea corpora Jepiffimé obfervavi. Egregius Anatomicus Santorinus hec fcripfit de corporibus luteis, Obfervationum anatomicarum , cap. XL $. XIV. In connubiis maturis ubi eorum corpora procreationi apta funt. . .. corpus luteum perpetuè reperitur, 208 Hiftoire Naturelle. $. XV. Graafius . .... corpora lutea cognovit poft coîtum dumtaxat , antea numquam Jibi vifa dicit ...... Nos ea tamen in intemeratis virgini- bus plurimis fepé commonftrata luculenter vidimus , atque adeo neque ex viri initu tum primium excitari , neque ad maturitatem perduci , fed iifdem conclu- fum ovulum folummodô fecundari dicendum eft. ....... Levia virginum ovaria quibus etiam maturum corpus inerat , nullo pertufa ofculo alba valida circumfepta membrana vidimus. Vidimus ali- quando € noffris copiam fecimus in maturé intemc- ratâque modici habitäs virgine, diriffimi ventris cruciath brevi peremptà , non fic fe alterum ex ova- riis habcre ; quod quam molle ac totum fere fuccu- lentum , in altero tamen extremo luteum corpus, minoris cerafi feré magnitudine , paululum promi- nens exhibebat , quod non mole dumtaxat , fed &ÿ abitu &ÿ colore fe confpiciendum dabat. Il eft donc démontré, non-feulement par mes propres obfervations , mais encore par celles des meilleurs Auteurs qui ont travaillé {ur ce fu- jet, qu'il croit fur les ovaires, ou, pour mieux dire, {ur les tefticules de toutes les femelles, des corps glanduleux dans l’âge de leur puberté, & peu de temps avant qu’elles n’entrent en cha- leur ; que, dans la femme , où toutes les faifons {ont à peu-près égales à cet égard , ces corps glan- duleux commencent à paroître , lorfque le fein commence a s'élever , & que ces corps glandu- leux , dont on peut comparer l’accroiflement à celui des fruits , par la végétation , augmentent en effet en grofleur & en couleur, jufqu’à leur parfaite maturité. Chaque corps glanduleux eft ærdinairement ifole : il fe préfente d’abord comme un Des Animaux: 209 ‘un petit tubercule, formant une légere protubé. rance , fous la peau lifle & unie du tefticule : peu-à-peu il fouleve cette peau fine, & enfin , il la perce , lorfquil parvient à fa maturité. Il eft d’abord d’un blanc jaunâtre ; qui bientôt fe change en jaune foncé ; enfuite en rouge-rofe, & enfin en rouge couleur de fang. Ce corps glan- duleux contient , comme les fruits , {a femence au-dedans ; mais au lieu d’une graine folide, ce n’eft qu’une liqueur, qui eft la vraie femence de Ja femelle. Des que le corps glanduleux eft mûr ; il s’entrouvre par fon extrèmité fupérieure, & la liqueur féminale , contenue dans fa cavité in térieure , s'écoule par cette ouverture ,; tombe goutte à goutte dans les cornes de la matrice, & fe répand dans toute la capacité de ce vifcere , où elle doit rencontrer la Hiqueur du mâle, & for- mer lPembryon, par leur mélange intime, ou plutôt par leur pénétration. els La mécanique par laquelle fe filtre la liqueur féminale du mâle dans les tefticules , pour arri- ver &. fe conferver enfuite dans les véficules fe- minales , a été fi bien faifie & décrite dans un fi grand détail par les Anatomiltes , que je ne dois pas m'en occuper ici: mais ces corps glanduleux , ces efpeces de fruits que porte la femelle , & aux- quels nous devons en partie notre propre géné. ration, n’avoient été que très-légerement obfer- vées; & perfonne, avant moi, n’en avoit foup- conné lufage, ni connu les véritables fonctions, qui font ; de filtrer la liqueur féminale, & de.la contenir dans leur cavité intérieure , comme les véficules féminales contiennent celles du mâle, Les ovaires ou teiticules des femelles, font Hif, Nat, des Anim. T. I. 210 * Hifloire Naturelle. donc dans un travail continuel , depuis la puberté jufqu’à l’âge de ftérilite. Dans les efpeces où la femelle n'entre en chaleur qu’une feule fois par an, il ne croît ordinairement qu’un ou deux corps glanduleux fur chaque telticule, & quel- quefois fur un feul. Ils fe trouvent en pleine ma- turité dans le temps de la chaleur, dont ils paroif- fent être la caufe occafionnelle : c’eft aufli pen- dant ce temps qu’ils laiflent échapper la liqueur . contenue dans leur cavité ; & dès que ce rélervoir eft épuifé , & que le tefticule ne lui fournit plus de liqueur , la chaleur cefle, & la femelle ne fe {oucie plus de recevoir le mâle. Les corps glan- duleux, qui ont fait alors toutes leurs fonctions, commencent à fe flétrir : ils s’affaiflent, fe deflc- chent peu-à-peu, & finiflent par s’oblitérer, en ne laiffant qu’une petite cicatrice {ur la peau du tefticule. L'année fuivante , avant le temps de la chaleur, on voit germer de nouveaux corps glan- duleux fur les telticules ; mais jamais dans le mème endroit où étoient les précédens : ainfi les tefticules de ces femelles qui n’entrent en chaleur . qu’une fois par an, n’ont de travail que pendant deux ou trois mois ; au lieu que ceux de la femme , qui peut concevoir en toute faifon, & dont la chaleur, fans ètre bien marquée, ne laifle pas d’ètre durable, & mème continuelle , font aufli dans un travail continuel : les corps glandu- leux y germent en-tout temps ; il y en a toujours quelques-uns d’entiérement mûrs, d’autres ap- prochant de la maturité, & d’autres en plus grand nombre , qui font oblitérés , & qui ne laiflent que leur cicatrice à la furface du tefticule. On voit, par l’obfervation de M. Ambroife Des Animaux. | er Bertrandi, citée ci-deflus, que quand ces corps glanduleux prennent une végétation trop forte, ils caufent, dans toutes les parties fexuelles, une ardeur fi violente, qu’on l’a appellée fureur uté. rine. Si quelque ho peut la calmer, c’eft l’éva. cuation de la furabondance de cette liqueur fémi- nale, filtrée en trop grande quantité par ces corps glanduleux trop puiflans. La continence pro- duit, dans ce cas, les plus funeftes effets ; car fi cetre évacuation n’eft pas favorifée par l’ufage du mâle, & par la conception qui doit en réfulter , tout le fyftème fexuel tombe en irritation , & arrive à un tel érétifme , que quelquefois la mort s'enfuit, & fouvent la démence. C’eft à ce travail continuel des tefticules de la femme , travail caufé par la germination & l’obli- tération prefque continuelle de ces corps glandu- leux , qu’on doit attribuer la caufe d’un grand nombre de maladies du fexe. Les obfervations re. cueillies par les Médecins-Anatomiftes , fous le nom de Maladies des Ovaires , {ont peut-être en plus grand nombre que celles des maladies de toute autre partie du corps ; & cela ne doit pas nous furprendre , puifque lon fait que ces par- ties ont, de plus que les autres, & indépendarmn- ment de leur nutrition, un travail particulier refque continuel , qui ne peut s’opérer qu’à a. dépens , leur faire des bleflures , & finir par les charger de cicatrices. Les véficules qui conipofent prefque toute la fubftance des teiticules des femelles , & qu’on croyoit jufqu’a nos jours, être les œufs des vivi- pares, ne font rien autre chofe que les réfervoirs d’une Jlymphe épurée, qui fait la premiere bafo “ LT SES Hifioire Naturelle. de la liqueur féminale. Cette lymphe,. qui rem- plit les véficules, ne contient encore aucune mo- lécule animée , aucun atome vivant ou fe mou- vant; mais des qu’elle a pañlé par le filtre du corps glanduleux , & qu’elle eft dépolée dans fa cavité, elle change de nature ; car dès -lors elle paroit compolée , comme la liqueur {éminale du mâle , d’un nombre infini de particules organi- ques vivantes, & toutes femblables à celles que Pon obferve dans la liqueur évacuée par le male, ou tirée de fes véficules féminales. C’étoit donc par une illufion bien groffiere , que les Anato- miftes modernes, prévenus du fyftème des œufs, prenoient ces véficules ,; qui compofent la fubf_ tance & forment l’organilation des telticules , pour les œufs de femelles vivapares; & c’étoit non-feulement par une faufle analogie , qu’on avoit tranfporté le mode de la génération des ovipares aux vivipares , mais encore par une grande erreur qu’on attribuoit à l'œuf prefque toute la puiflance & l'effet de la génération. Dans tous les genres ; l'œuf, felon ces Phyficiens Ana- tomiftes , contenoit le dépôt facré des germes préexiftans , qui n’avoient befoin , pour fe dé: velopper , que d’être excités par l’efprit féminal, (aura feminalis ) du mâle. Les œuts de la pre- miere femelle contenoient non-feulement les ger- mes des enfans qu’elle devoit ou pouvoit pro: duire ; mais ils renfermoient encore tous les ger- mes de fa poftérité , quelque nombreufe & quel- qu’éloignée qu’elle pût ètre. Rien de plus faux que toutes ces idées : mes expériences ont claire- ment démontré , qu’il n’exifte point d'œuf dans les femelles vivipares ; qu’elles ont , comme le “Des Animaux. 213 “mâle , leur liqueur féminale ; que cette liqueur réfide dans la cavité des corps glanduleux ; qu’elle contient , comme celle des mâles , une infinité de molécules organiques vivantes. Ces mèmes expériences démontrent de plus , que les femel- les ovipares, ont, comme les vivipares , leur liqueur féminale toute femblable à celle du male ; que cette femence de la femelle eft contenue dans une très-pctite partie de l'œuf, qu’on appelle la cicatricule , que lon doit comparer cette cicatri- cule de l’œuf des femelles ovipares , au corps glanduleux des tefticules des vivipares, puifque Cet dans cette cicatricule que fe filtre & {e con- {erve la femence de la femelle ovipare, comme Ja femence de la femelle vivipare fe filtre & fe con- ferve de mème dans le corps glanduleux ; que c’eft à cette mème cicatricule que la liqueur du mâle arrive pour pénétrer celle de la femelle, & y former l’embryon ; que toutes les autres par- tices de l'œuf ne fervent qu’à fa nutrition & à {on développement ; qu’enfin l’œuf lut- mème n’eft qu’une vraie matrice, une efpece de vifcere por-- tatif, qui remplace, dans les femelles ovipares, la matrice qui leur manque : la feule différence qu'il y ait entre ces deux vifceres , c’eft que l'œuf doit fe {éparer du corps de l'animal , au lieu que la matrice y eft fixement adhérente ; que chaque femelle vivipare n’a qu’une matrice, qui fait partie conftituante de fon corps , & qui doit fervir à porter tous les individus qu’elle produira ; au heu que , dans Ja femelle ovipare , il fe forme autant d'œufs , c’eft-à-dire , autant de matrices qu'elle doit produire dembryons ; en la fup- polant fecondée par le mâle, Cette production O 3 214 Hifioire Naturelle. d'œufs ou de matrices fe fait fucceflivement & en fort grand nombre : elle fe fait indépendamment de Ja communication du mâle; & lorfque l'œuf ou matrice n’eft pas imprégné dans fa primeur , & que la femence de la femelle contenue dans la cicatricule de cet œuf naïflant , n’eft pas fécon- dée, c’eft-à-dire , pénétrée de la femence du mâle , alors cette matrice, quoique parfaitement formée à tous autres égards, perd fa fonction principale , qui eft de nourrir l'embryon , qui ne commence a s’y développer que par la chaleur de l’incubation. Lorfque la femelle pond , elle n’accouche donc pas d’un fœtus, mais d’une matrice entié- rement formée ; & lorfque cette matrice a été précédemment fécondée par le mâle, elle con- tient dans fa cicatricule le petit embryon dans un état de repos ou de non-vie, duquel il ne peut {ortir qu’à l’aide d’une chaleur additionnelle , {oit par l’incubation , foit par d’autres moyens équi- valens ; & fi la cicatricule , qui contient la fe- mence de la femelle, n’a pas été arrofée de celle du mâle , l'œuf demeure infécond ; mais il n’en arrive pas moins à fon état de perfection. Comme ïla en propre, & indépendamment de l'embryon, une vie végétative , il croît , fe développe , & groffit jufqu’à fa pleine maturité : c’eft alors qu’il fe {épare de la grappe à laquelle il tenoit par {on pédicule, pour fe revètir enfuite de fa coque. Dans les vivipares, la matrice a auffi une vie végétative ; mais cette vie eft intermittente, &ieit meme excitée que par la préfence de l’em- bryon. À mefure que le fœtus croit, la matrice croit aufli, & ce n’eft pas une fimple extenfion Des Animaux. 21Ç en furface, ce qui ne fuppoferoit pas une vie vé- gétative , mais c’eft un accroiflement réel, une augmentation de fubftance & d’étendue dans tou. tes les dimenfions ; en forte que la matrice de- vient pendant la grofleffe, plus épaifle, plus large & plus longue. Et cette efpece de vie végétative de la matrice , qui n’a commencé qu’au mème moment que celle du fœtus , finit & cefle avec fon exclufion ; car , après l'accouchement , la matrice éprouve un mouvement rétrograde dans toutes fes dimenfions : au lieu d’un accroifle- ment, c’eft un affaiflement ; elle devient plus mince, plus étroite, plus courte, & reprend en aflez peu de temps fes dimenfions ordinaires, juf_ qu’a ce que la préfence d’un nouvel embryon lui rende une nouvelle vie. La vie de l’œuf étant au contraire tout-a-fait indépendante de celle de l'embryon , n’eft point intermittente , mais continue depuis le premier inftant qu’il commence de végéter fur la grappe à laquelle il eft attaché, jufqu'au moment de fon exclufion par la ponte : & lorfque l'embryon, excité par la chaleur de l’incubation , commence à fe développer, l’œuf, qui n’a plus de vie végé- tative, n’eft des-lors qu’un être paflif, qui doit fournir à l'embryon la nourriture dont il a befoin pour fon accroiflement & fon développement en- tier. L’embryon convertit en fa propre fubftance, la majeure partie des différentes liqueurs conte- nues dans œuf, qui eftfa vraie matrice, & qui ne differe des autres matrices, que parce qu’il eft féparé du corps de la mere ; &, lorfque embryon a pris dans cette matrice aflez d’accroiflement & O 4 216 Hifloire Natwrelle. de force pour brifer fa coque , il emporte avec lui le refte des fubftances qui y étoient renfermées. Cette mécanique de la génération des ovipa- res , quoiqu’en apparence plus compliquée que celle de la génération des vivipares , et néan- moins la plus facile pour la nature, puifqu’elle eft la plus ordinaire & la plus commune ; car fi l'on compare le nombre des efpeces vivipares à celui des efpeces ovipares, on trouvera que les animaux quadrupedes & cétacées , qui feuls font vivipares , ne font pas la centieme partie du nom- bre des oifeaux , des poiflons & des infectes , qui tous font ovipares ; & comme cette généra- tion par les œufs, a toujours été celle qui s’eit préfentée le plus généralement & le plus fréquem- ment , iln’eft pas étonnant qu’on ait voulu rame- ner à cette génération par les œufs, celle des vivi- pares, tant qu'on n’a pas connu la vraie nature de l'œuf, & qu’on ignoroit encore fi la femelle avoit , comme le mâle , une liqueur féminale. L'on prenoit donc les tefticules des femelles pour des ovaires , les vefticules lymphatiques de ces tefticules pour des œufs, & on s’éloignoit de la vérité d'autant plus , qu’on rapprochoit de plus près les prétendues analogies , fondées fur le faux principe omnia ex ovo ; que toute génération venoit d’un œuf. ] | A DELL Jai trouvé fur quelques-uns des tefticules de vaches que j'ai examinés , des elpeces de veflies , pleines d’une liqueur tranfparente & limpide : j'en ai remarqué trois qui étoient dans différens états. La plus groffe étoit groffe comme un gros Des Animaux. 217 pois, & attachée à la membrane extérieure du tefticule par un pédicule membraneux & fort : une autre un peu plus petite étoit encore attachée: de mème par un pédicule plus court, & la troi- fieme , qui étoit à peu pres de la même groffeur que là feconde , paroifloit n’ètre qu’une véficule lymphatique , beaucoup plus éminente que les autres. J'imagine donc que ces elpeces de veflies qui tiennent au tefticule, ou qui s’en féparent quelquefois , qui aufli deviennent quelquefois d’une groffeur très-confidérable , & que les Ana- tomiftes ont appellées des hydatides, pourroient bien être de la mème nature que les véficules lym- phatiques du tefticule : car ayant examiné au mi- crofcope la liqueur que contiennent ces vellies, je la trouvai entiérement femblable à celle des vé- ficulles lymphatiques du tefticule. C’étoit une li- queur tran{parente , homogene & qui ne conte. noit rien de mouvant. Au refte, je ne prétends pas dire que toutes les hydatides, que l’on trouve ou dans la matrice, ou dans les autres parties de Pabdomen , foient femblables à celles-ci; je dis feulement , qu’il m'a paru que celles que j'ai vu attachées aux tefticules , fembloient tirer leur origine des véficules iymphatiques , & qu’elles étoient en apparence de la mème nature. ATV. Dans ce mème temps je fis des obfervations fur de l’eau d’huitres, fur de Peau où l’on avoit fait bouillir du poivre , & fur de l’eau où l’on avoit fimplement fait tremper du poivre, & en- core fur de l’eau où j’avois mis infufer de la graine - d’œillet : les bouteilles qui contenoient ces infu- 218 Hifioire Naturelle. fions étoient exactement bouchées. Au bout de deux jours je vis dans l’eau d’huitres une grande quantité de corps ovales & globuleux, qui fem- “bloient nager comme des poiflons dans un étang, & qui avoient toute l’apparence d’être des ani- maux ; cependant ils n’ont point de membres, & pas mème de queues: ils étoient alors tranfpa- rens , gros & fort vilibles. Je les ai vus charger de figure fous mes yeux ; je les ai vus devenir fucceflivement plus petits pendant fept ou huit jours de fuite qu’ils ont duré, & que je les ai ob- fervés tous les jours ; & enfin j'ai vu dans la fuite, avec M. Needham, des animaux fi {em- blables dans une infufion de gelée de veau rôti, qui avoit auffi été bouchée très-exactement, que je fuis perfuadé que ce ne font pas de vrais ani- maux , au moins dans l’acception reçue de ce terme, comme nous l’expliquerons dans la fuite. L’infufion d’œillet m'offrit au bout de quel- ques jours , un fpectacle que je ne pouvois me laffer de regarder. La liqueur étoit remplie d’une multitude innombrable de globules mouvans, & qui paroïfloient animés comme ceux des liqueurs féminales & de l’infufion de la chair des animaux : ces globules étoient mème aflez gros les premiers jours , & dans un grand mouvement , foit {ur eux-mêmes autour de leur centre, foit en droite ligne , foit en ligne courbe les uns autour des autres. Cela dura plus de trois femaines : ils di- minuerent de grandeur peu à peu, & ne difparu- rent que par leur extrème petitefle. Je vis la mème chofe, mais plus tard, dans l’eau de poivre bouillie ; & encore la mème chofe, mais encore plus tard, dans celle qui n’avoit pas Des Animaux. 219 bouilli. Je foupconnai dès-lors que ce qu’on ap- pelle fermentation pouvoit bien n’ètre que l’effet du mouvement de ces parties organiques des ani- maux & des végétaux ; &, pour voir quelle dif. férence il y avoit entre cette efpece de fermenta- tion & celle des minéraux, je mis au microfcope un tant foit peu de poudre de pierre , fur laquelle on verfa une petite goutte d’eau forte; ce qui pro- duifit des phénomenes tout différens. C’étoient de grofles bulles qui montoient à la furface, & qui obfcurcifloient dans un inftant la lentille du microfcope ; c’étoit une diflolution de parties -groflieres & maflives , qui tomboient à côté & qui demeuroient fans mouvement, & il n’y avoit rien qu'on pût comparer en aucune façon avec ce que l’avois vü dans les infufions d’œillet & de poivre. AE V. Jexaminai la liqueur féminale qui remplit les laites de différens poiflons ; de la carpe, du brochet , du barbeau : je faifois tirer la laite tan- dis qu’ils étoient vivans ; & ayant obfervé avec beaucoup d'attention ces différentes liqueurs , je n’y vis pas autre chofe que ce que j'avois vu dans linfufion d’œillet, c’eft-à-dire, une grande quantité de petits globules obfcurs en mouve- ment. Je me fis apporter plufieurs autres de ces poiflons vivans ; & ayant comprimé , feulement en preffant un peu avec les doigts, la partie du ventre de ces poiflons par laquelle ils répandent cette liqueur , j'en obtins , fans faire aucune bleflure à l'animal , une aflez grande quantité pour l’obferver; & j'y vis de même une infinité “220 Hiffoire Naturelle. de globules en mouvement, qui étoient tous obicurs, prefque noirs & fort petits. RL Avant que de finir ce chapitre, je vais rap- porter les expériences de M. Needham, fur la femence d’une efpece de Seches, appellées Cal- mar. Cet habile Obfervateur ayant cherché les animaux fpermatiques dans les laites de plu- fieurs poiflons difHférens, les a trouvés d’une grolieur très-confidérable dans la laite du cal- mar : ils ont trois & quatre lignes de longueur, vus à l’œil fimple. Pendant tout l'été qu’il diffé- qua des calmars à Lisbonne , il ne trouva au- cune apparence de laite, aucun réfervoir qui lui parût deftiné à recevoir la liqueur féminale, & ce ne fut que vers le milieu de décembre qu’il commença a appercevoir les premiers veltiges d’un nouveau vaifleau rempli d’un fuc laiteux. Ce ré- fervoir augmenta , s’étendit, & le fuclaiteux , ou la femence qu’il contenoit, y étoit répandue af {ez abondamment. En examinant cette femence au microfcope, M. Needham n’appercut dans cette liqueur que de petits globules opaques, qui nageoïent dans une efpece de matiere féreule, fans aucune apparence de vie: maïs ayant exa- miné quelque temps après la laite d’un autre cal- mar, & laliqueur qu’elle contenoit, ily trouva des parties organiques toutes formées dans plu- fieurs endroits du réfervoir ; & ces parties or- ganiques m'étoient autre chofe que de petits ref- forts faits en fpirale (Planche V, fig. 1, a,b}) & renfermés dans une efpece d’étui tranfparent. Ces reflorts lui parurent des la premiere fois, Des Animaux. 22i ahfli parfaits qu'ils le font dans la fuite; {eule- ment il arrive qu'avec le temps ce reflort {e ref- ferre, & forme une efpece de vis, dont les pas font d’autant plus {errés que le temps de lPac- tion de ces reflorts eft plus prochain. La tète de l’étui dont nous venons de parler, eft une. efpece de valvule qui s’ouvre en dehors, & par laquelle on peut faire fortir tout l’appareil qui eft contenu dans Pétui. Il contient de plus une autre valvule b, un barillet c, & une fubi- tance fpongieufe d, e. Ainfi toute la machine con- lifte én un étui extérieur a, fig.2, tranfparent & cartilagineux, dont lextrèmité fupérieure eft terminée par une tète arrondie, qui n’eft for- mée que par l’étui lui-mème, qui {e contourne & fait office de valvule. Dans cet étui exté- rieur eft contenu un tuyau traniparent, qui renferme le reflort dont nous avons parlé , une foupape , un barillet & une fubftance {pongieufe: la vis occupe la partie fupérieure du tuyau & de l’étui ; le pifton & le barillet font placés au mi- lieu ,; & la fubftance fpongicufe occupe la partie inférieure. Ces machines pompent la liqueur lai- teufe ; la fubftance fpongieufe qu’elles contien- nent s’en remplit, & avant que l’animal fraie, toute Ja laite n’eft plus qu’un compolé de ces par- ties organiques, qui ont abfolument pompé & defléche la liqueur laiteufe. Aufli-tôt que ces petites machines fortent du corps de lPanimal, & qu’elles font dans l’eau ou dans Pair. elles agiflent ( Planche V. figures 2 €ÿ 3 ); le reflort monte, fuivi de la foupape , du barillet & du corps fpongieux qui contient la liqueur ; & dès que le reflorc & le tuyau qui le contient com. 222 Hifioire Naturelle. mencent à fortir hors de l’étui, ce reflort fe plie, & cependant tout l'appareil qui relte en dedans continue à fe mouvoir, jufqu’àa ce que le reflort, la foupape & le barillet foient en- tiérement {ortis. Dès que cela eft fait, tout le refte faute dehors en un inftant, & la liqueur Jaiteufe, qui avoit été pompée & qui étoit con- tenue dans le corps fpongieux, s'écoule par le barillet. Comme cette obfervation eft très-finguliere, & qu’elle prouve inconteftablement que les corps mouvans qui fe trouvent dans la laite du calmar, ne font pas des animaux, mais de fimples machines, des efpeces de pompe, j'ai cru devoir rapporter ici ce qu’en dit M. Need. ham, chapitre 6 (h). » Lorfque les petites machines font, dit-il, parvenues à leur entiere maturité , plufieurs agiflent dans le moment qu’elles {ont en plein air: cependant la plupart peuvent être pla- cées commodément pour être vues au microf- cope avant que leur action commence ; & même pour qu’elle s’exécute, il faut humec- ter avec une goutte d’eau l’extrèmité fupé- rieure de l’étui extérieur, qui commence alors à fe développer, pendant que les deux petits ligamens qui fortent hors de létui, fe contournent & s’entortillent en différentes fa- , cons. En mème temps la vis monte lentement ; ,, des volutes qui font à fon bout {uppérieur, e rapprochent & agiflent contre le fommet de l’étui; cependant celles qui {ont plus bas, (b) Voyez nouvelles Découvertes faites avec le microf- cope par M. Needham. Zeyde, 1747. page 53. 39 39 29 39 22 32 2 99 22 22 29 39 99 32 Des Animaux. 223 avancent aufli, & femblent être continuelle- ment fuivies par d’autres qui fortent du pif. ton. Je dis qu’elles femblent être {uivies, parce que je ne crois pas qu’elles le foient effectivement : ce n’eft qu’une fimple appa- rence, produite par la nature du mouve- ment de la vis. Le pifton & le barillet fe meuvent aufli fuivant la mème direction, & la partie inférieure qui contient la femence, s'étend en longueur & fe meut en mème temps vers le haut de létui; ce qu’on remarque par le vide qu’elle laifle au fond. Dès que la vis, avec le tube dans lequel elle eft ren- fermée, commence à paroitre hors de l’étui, elle fe plie, parce qu’elle eft retenue par {es deux ligamens ; & cependant tout l'appareil intérieur continue à fe mouvoir lentement & par degrés, jufqu’à ce que la vis, le pifton & lebarillet foient entiérement {ortis. Quand cela eft fait, tout le refte faute dehors enun moment ; le pifton b fe fépare ( PL V, fig. 2) du barillet c; le ligament apparent , qui eft au - deflous de ce dernier, {e gonfle, & ac- quiert un diametre égal à celui de la partie fpongieufe qui le fuit: celle-ci, quoique beau- coup plus large que dans l’étui, devient en- core cinq fois plus longue qu'auparavant : ie tube qui renferme le tout s’étrécit dans fon milieu , & forme ainfi deux efpeces de nœuds d,e,(PLV.fg. 2€ 3) diftansenviron d’un tiers de fa longueur de chacune de {es ex- trèmités ; enfuite la femence s’écoule par le barillet c, (fig. 2) & elle eft compofée de petits globules opaques, qui nagent dans une 224 Hifioire Naturelle, » matiere féreufe, fans donner aucun figne de >» Vie, & qui font précifément tels que j'ai dit » les avoir vus lorfqu’ils étoient répandus dans » le réfervoir de la jaite (à). Dans la figure, la » partie comprife entre les deux nœuds de, pa- » Toit être frangée. Quand on lexamine avec » attention, l’on trouve que ce qui la fait pa- » roiître telle, c’eft que la fubftance fpongieufe, » qui elt en dedans du tube, eft rompue & fc- >» parée en parcelles à-peu-près égales. Les phé- nomenes{uivans prouveront cela clairement. ,» Quelquetois il arrive que la vis & le tube e rompent précifément au-deflus du pifton » db, lequel refte dans le barillet c( fig. 3): alors le tube fe ferme en un moment, & prend une figure conique en fe contractant , autant qu'il eft poflible , par-deflus l'extrémité de la » vis f. Cela démontre qu’il eft tres-élaftique , en cet endroit, & la maniere dont il s’ac- commode à la figure de la fubftance qu'il ; renferme (2) Je dois remarquer que M. Needham n'avoit pas alors fuivi ces globules afez loin; car s’il les eût obfervés attentivement, il aufoit fans doute reconnu, qu’ils viennent à prendre de la vie , ou plutôt de l'activité & du mouve- ment comme toutes les autres parties organiques des fe- mences animales ; & de même, fi dans ce temps il eût obfervé la preimicre liqueur laïteufe, dans les vües qu'il a eues de- puis, d’après ma théorie, que je lui ai communiquée, je ne doute pas, & il le croit lui-même, qu'il auroit vu entre ces globules quelque mouvement d'ipproximation ; puifque les machines fe font formées de l’affemblage de ces globules: car on doit obferver, que les refforts quiiont des parties qui -paroïülent les premieres, font entiérement détachés du vaif- feau féminal qui les contient, & qu'ils nagent librement dans la liqueur: ce qui prouve qu'ils font formés immédiate- ment de cette même liqueur. Des Animaux. 225 ; renferme, lorfque celle-ci fouffre le moindre ;, changement, prouve qu’il left également par » tout ailleurs.“ | M. Needham dit enfuite, qu’on feroit porté à croire que l’action de toute cette machine fe. roit due au reflort de la vis; maisil prouve par plufieurs expériences, que la vis ne fait au con- traire qu’obéir à une force qui. réfide dans la partie fpongieufe: des que la vis eft féparée du refte, elle celle d'agir & elle perd toute fon ac- tivité. L'auteur fait enfuite des réflexions {ur cette finguliere machine. | » Sijavois vu, dit-il, les animalcules qu’on prétend ètre dans la femence d’un animal vi- » vant, peut-être ferois-je en état de. détermi- ,, ner fi ce {ont réellement des créatures vi- , vantes, ou fimplement des machines-prodi- » gieufement petites, & qui font en miniature ce que les vaifleaux du calmar font en grand. Par cette analogie, & par quelques autres raifonnemens, M. Needham conclut, qu'il ÿ grande apparence que les vers {permatiques des autres animaux ne {ont que des corps organi- 4és, & des efpeces de machines femblables à celles-ci, dont l’aétion fe fait en différens temps : car, dit-il, fuppofons que dans le nombre pro- digieux des vers fpermatiques, qu’on voit en mème temps dans le champ du microfcope , :l y en ait feulement quelques milliers qui agif. fent & fe développent en même temps, cela fuffira pour nous faire croire qu’ils font tous vivans. Concevons de mème, ajoute-t.l, que le mouvement de chacun de ces vers fperma- tiques dure, comme celui des machines dr comme celui naco 1 cal. Hifi. Nat, des Anim. T. I, 226 Hifioire Naturelle. mar, environ une demi-minute; alors, comme il y aura fucceflion d’action & de machines les unes aux autres , cela pourra durer long-temps, & les prétendus animaux paroïtront fucceflive- ment. D'ailleurs , pourquoi le calmar feul n’au- roit-il dans {a femence que des machines, tan- dis que tous les autres animaux auroient des vers fpermatiques , de vrais animaux ? l’analo- gie eft ici d’une fi grande force , qu’il ne paroit pas poflible de s’y refufer. M. Needham remar- que encore très - bien, que les obfervations mè- mes de Leeuwenhoek {emblent indiquer , que les vers {permatiques ont beaucoup de reflem- blance avec les corps organifes de la femence du calmar. J'ai pris, dit Leeuwenhoek, en par- lant de la femence du cabillau, ces corps ova- les pour ceux des animalcules qui étoient cre- vés & diftendus, parce qu’ils étoient quatre fois plus gros que les corps des animalcules Jorfqu’ils étoient en vie: & dans un autre en- droit, j'ai remarqué, dit-il, en parlant de la femence du chien, que ces animaux changent fouvent de figure, fur-tout quand la liqueur dans laquelle ils nagent s’évapore , leur mouve- ment progreffif ne s'étend pas au-delà du dia- metre d’un cheveu. Voy. Leeuwenhoek, Arc. Nat. pages 306, 309 € 310. Thu cela étant pelé & examiné, M. Need- ham a conjecturé, que les prétendus animaux {permatiques pouvoient bien n’ètre en effet que des efpeces de machines naturelles, des corps bien plus fimplement organifés que le corps d'un animal. fai vu à fon microfcope, &avec lui, ces mêmes machines de la laite du calmar; Des Animanx. 227 & on peut être affuré que la defcription qu’il ena donnée, eft très - fidelle & tres-exacte. Ces obfervations nous font donc voir, que la fe. mence eft compofée de parties qui cherchent à s’organifer ; qu’elle produit en effet dans elle- mème des corps organifés, mais que ces corps organifés ne font pas encore des animaux, ni des corps organifés fembiables à lindividu qui les produit. On pourrait croire que ces corps organifés ne font que des efpeces d’inftrumens, qui fervent à perfectionner la liqueur féminale & à la poufler avec force, & que c’eft par cette action vive & intérieure qu’elle pénetre plusin- timement la liqueur de la femelle. COLROA NE ENNCE CVT Comparaifon de mes Obfervations avec celles de M. Lecuvenhock. UOIQUE j'aie fait les obfervations que je viens de rapporter, avec toute l'attention dont je fuis capable, quoique je les aie répétées un très-grand nombre de fois, je fuis perfuade qu’il m'a encore échappé bien des chofes que d’autres pourront appercevoir. Je n'ai dit que ce que j'ai vu, revu, & ce que tout le monde pourra voir comme moi, avec un peu d'art & beaucoup de patience. J'ai mème évité, afin d’être libre de préjugés, de me remplir la mé- moijre de ce que les Obfervateurs _ dit avoir 2 225$. Hifioire Naturelle, vu dans ces liqueurs: j'ai cru que par-la je fe- rois plus afluré de n’y voir en effet que ce qui y eft; & ce n’eft qu'après avoir fait & avoir rédigé mes obfervations, comme l’on vient de le voir, que j'ai voulu les comparer à celles des autres, & fur-tout à celles de Leeuwen- hock. Je n'ai garde de me comparer moi-mème à ce celebre Obfervateur, ni de prétendre avoir plus d’habileté qu’il n’en a eu dans l’art d’ob- {erver au microfcope : il fuffit de dire, qu'il a pañlé fa vie entiere à faire des microfcopes & à s’en fervir; qu’il a fait des obfervations conti- nuelles pendant plus de foixante ans, pour faire tomber les prétentions de ceux qui vou- droient fe mettre au-deffus de lui dans cegenre, & pour faire fentir en mème temps combien je fuis éloigné d’en avoir de pareilles. Cependant, quelque autorité que ces con- fidérations puiflent donner aux découvertes de ce fameux microfcopifte, il eft permis de les examiner , & encore plus de comparer fes pro- pres obfervations avec les fiennes. La vérité ne peut que gagner à cet examen ; & on recon- noîtra que nous le failons ici fans aucune par- tialité , & dans la vue feule d'établir quelque chofe de fixe & de certain, fur la nature de ces corps en mouvement, qu’on voit dans les liqueurs féminaies. Au mois de Novembre 1677, Leeuwen- hoek , qui avoit déja communiqué à la Société royale de Londres plufieurs obfervations microf- copiques fur le nerf optique, fur le fang, fur la {eve de quelques plantes, fur la texture des. arbres, fur l’eau de pluie, &c. écrivit à My- Des Animaux. 229 lord Brouncker, Préfident de la Société dans / les termes {uivans (k). Poffquam Exc. Dominus ProfefJor Cranen me vifitatione [ua Jæpiis honora- rat , litteris rogavit, Domino Ham cognato [uo , guofdam abftraëtionum mearum videndas darem. Hic Dominus Ham me fecundô invifens | fecum in laguncula vitria femen viri , gonorrhæa laboran- tis, fponté deflillatum, attulit, dicens, fe poft pauciffimas temporis minutias (cüm materia illa Jam in tantüm eJjet refoluta ut fiflule vitreæ immitti polfet ) animalcula viva in eo obfervafje , que cau- data &ÿ ultra 24 horas non viventia judicabat ; idem referebat fe animalcula obfervalje mortua poft fumptam ab ægroto terebinthinam. Materiam predicatam fiflule vitree immif]am, prafente Do- mino Ham, obfervavi , quafdomque in ea creatu- ras viventes, at poft decurfum 2 aut 3 horarum eamdem folus materiam obfervans , mortuas vid. Eamdem materiam. ( femen virile) non «ægroti alicujus , non diuturnà confervatione corruptam, vel poff aliquot momenta fluidiorem faétam, fed fani viri flatim poft ejcéfionem , ne interlabentibus quidem fex arterie pulfibus , fepiufculé obfervavi, tantamque in ea viventium animalculorum multi- tudinem vidi, ut interdüm plura quam 1000 in magnitudine arenæ fefe moverent, non in toto fe- mine, fed in materia fluida craffiori adhærente, ingentem illam animalculorum multitudinem obfer- vavi; in craffiori vero feminis materia quafi fine motu jacebant, quôd inde provenire mihi imagi- nabar ; quôd materia illa crafja ex tam variis co- hæreat partibus, ut animalcula in ea fe movere (4) Voyez Tranf. Phil. #8. 141, page 1041, A P 2 230 Hifioire Naturelle. nequirent ; minora globulis farguini ruborem adfe. rentibus hec animalcula erant, ut judicem , millena arenam grandiorem magnitudine non æquatura. Corpora eorum rotunda , anteriora obtufa, pofte- riora fermc in aculeum definentia habebant ; caudä tenui longitudine corpus quinquies fexiefvé exce- dente, € pellucidà, craffitiem vero ad 2$ partem corporis habente predita erant, aded ut ea quoad fguram cum cyclaminis minoribus, longam caudam habentibus , optime comparare queam : motu caudæ Jerpentino, aut ut anguille in uqua natentis pro- grediebantur ; in materia vero aliquantulum craf= Jiori caudam oëfies deciefivé quidem evibrabant an- tequam latitudinem capilli procedebant. Interdim mihi imaginabar me internofcere pofje adhuc va- rias in corpore horum animalculorum partes, quia verè continud cas videre nequibam, de iis tacebo, His animalculis minora adhuc animalcula, quibus non nifi globuli fquram attribuere pof}um , permifta erant. Memini me ante tres aut quatuor annos To« gatu Domini Oldenburg B. M. femen virile ob- Jervafje, € predi&a animalia pro globulis ha- buifje ; fed quia faftidiebam ab ulteriori inquif- tione , 5 magis quidem a defcriptione , tunc tem- poris eam omifi. Jam quoad partes ipfas, ex qui- bus crafjam feminis materiam , quoad majorcm Jui partem confiftere fæpits cum admiratione ob- Jervavi ; ea funt tam varia ac multa vafa, imd in tanta multitudine hec vafa vidi, ut credam me in unica feminis gutta plura obferval]e quam anatomico per integrum diem fubjeétum aliquod fecanti occurrunt. Quibus vifs, firmiter credebam nulla in corpore humano jam formato ele vafa, Des Animaux. 231 quæ in femine virili bene confhtuto non reperian- tur. Cum materia hec per momenta quedam aëri Juifet expofita , preditla vaforum multitudo in aquofam magnis oleaginofis globulis permiflam ma- teriam mutabatur , Eÿc. Le Secretaire de la Société royale répondit à cette lettre de M. Leeuwenhoek, qu’il feroit, bon de faire des obfervations femblables fur la femence des animaux ; comme fur celle des chiens, des chevaux, & d’autres, non-feule- ment pour mieux juger de la premiere décou- verte, mais aufli pour reconnoitre les différen- ces qui pourroient fe trouver, tant dans le nombre que dans la figure de ces animalcules ; & par rapport aux vaifleaux de la partie la plus épaifle de la liqueur féminale, il lui marquoit, qu’on doutoit beaucoup de ce qu’il en avoit dit; que ce n’étoient peut-être que des filamens; que tibi videbatur vaforum congeries, fortal]is [c- minis funt quedam filamenta haud organicé con. Jtruéla, Jed dèm permearunt vafa generationi in- Jfervicentia in iftiufmodi figuram elongata. Non dif- Jimili modo ac fepits notatus fum falivam craf- Jiorem ex glandularum faucium foraminibus edi- tam , quafi é convolutis fibrilis conffantem. Voyez la réponfe du Secretaire de la Société à la let- re de Leeuwenhoeck, dans les Tranf Phil. n°. PAR IP..1042: Leeuwenhoek répondit le 19 mars 1678, en ces termes : Si quando canes coeunt marem & fæmina flatim feponas matcria quedam tenuis > aquofa (lympha fcilicet fpermatica ) & pene folet paulatim exflilare; hanc materiam numerofiffimis animalculis repletam aliquoties vidi, corum mag- P 4 232 Hifioire Naturelle. nitudine Qué in femine virili confpiciantur, qui- bus particule globulares aliquot quinquagies majo- res pérmifcébant ur. | Quôd ‘ad. vaforum .in craffiori feminis virilis portionc fpeëfabilium obfervationem attinet , denuoô non Jemel iteratäm , faitem mihimetipf comprobaffe “videor 3 meque omnino perfuafum habeo, cuniculi,, canis , felis, arterias, venafve fuifje à peritiffimo añatomico haud unquam magis perfpicué obfer- “vatas , quäm mihi vafa in femine virili , ope perf- picili, in con/peëlum venere. Cüm mihi prediéfa vafa primüm innotuere, Jflatim etiam pituitam , tum £$ falivam perfpicillo applicavi ; verëm hic minime exiftentia animalia fruftra quefi. À cuniculorum coïtu lymphe fpermatice guttu. lam unam & altéram, à femella cxfillantem, exa- mini fubjeci, ubi animalia prediéorum fimilia, fed longe pauciora , comparuere. Globuli item quam Plurimi, plèrique magnitudine animalium , iifdem permifti funt. Horum animalium aliquot etiam delineationes tranfmif, fiqura 1 (Planche 6, figure 1 ) expri- mit eorum aliquot vivum (in femine cunicüdi arbi- tror) eäque formà qu videbatur, düm afpicien- tem me verfüs tendit. ABC, capitulum cum trunco indicant ; GD, ejufdern caudam ; quam pariter ut fuam anguilla inter natandum vibrat. Horum millena millia, quantüm conjcétare eff, arenulæ majoris molem vix juperant, (Planche 6 ; fig. 2, 3: 4) Junt ejufcm generis animalia, fed jam emortuà. (Planche 6, fig. s ) delineatur vivum animal- culum, Qquemadmodum in femine canino fefe. ali- Des Animaux, 232 quôties mihi attentius intuenti cxhibuit, EE G, caput cum trunco indigitant , G H, ejufdem cau- dam. (Planche 6, fig. 6, 7, 8) alia Junt in fe- mine canino quæ motu €ÿ vita priuantur, qua- lium etiam vivorum numerum adeù ingentem vid, ut judicarem portionem lymphe fpermaticæ arenule mediocri refpondentem eorum ut minimüm decend muillla continere. Par un autre lettre écrite à la Société royale, le 31 mai 1678, Leeuwenhoek ajoute ce qui fuit: Seminis canini tantilum microfcopio appli- catum iterim contemplatus fum, in eoque anteà defcripta animalia numerofiffima confpexi. Aqua pluvialis pari quantitate adjeéta, iifdem confeftim mortem accerfit. Ejufdem feminis canini portiun- cula in vitreo tubulo unciæ partem duodecimalem craffo fervatä, fex € triginta horarum [patio con- tenta animalia vità deftituta pleraque reliqua mo- ribunda vidcbantur. Quô de vaforum in femine genitali exiftentia magis conffaret, delineationem eorum aliqualem mitto, ut in figura ABCDE, (Planche6, fig. 9 ) quibus litteris circumfcriptum [patium arenulara mediocrem vix fuperat. J'ai cru devoir rapporter tout au long ce que Leeuwenhoek écrivit d’abord, dans les pre- miers temps de la découverte des animaux fper- matiques. Je l'ai copié dans les Tranfactions philolophiques, parce que, dans le recueil en- tier des ouvrages de Leeuwenhoek en quatre volumes in-quarto , il fe trouve quelque diffe- rence, que je ferai remarquer, & que, dans des maticres de cette efpece, les premieres ob- fervations que l’on a faites fans aucune vue de 234 Hiftoire Naturelle. fyftème, font toujours celles qui font décrites le plus fidellement, & fur lefquelles , par con- féquent , on doit le plus compter. On verra qu'aufli-tôt que cet habile Obfervateur fe fût formé un fyftème, au fujet des animaux fper- matiques, 1l commenca à varier, mème dans les chofes effentielles. Il eft aïfe devoir, par les dates que nous venons de citer, que Hartfoëker n’eft pas le premier quiait publie la découverte des animaux fpermatiques. Il neft pas für qu’il foit en effet le premier auteur de cette découverte, comme plufieurs écrivains l’ont afluré. On trouve dans le Journal des Savans du 13 août 1678 page 21, l’extrait d’une lettre de M. Huguens, au fujet d’une nouvelle efpece de microfcope, fait d’une feule petite boule de verre, avec lequel il dit avoir vu des animaux dans de l’eau où on avoit fait tremper du poivre pendant deux ou trois jours , comme Leeuwenhoek Pavoit obfervé auparavant avec de femblables microf- copes , mais dont les boules ou lentilles n’é- toient pas fi petites. Huguens ajoute, que ce qu'il a obfervé de particulier dans cette eau de poivre , et, que toute forte de poivre ne donne pas une mème efpece d'animaux : ceux de cer- tains poivres étant beaucoup plus gros que ceux des autres, foit que cela vienne de la vieillefle du poivre ou de quelqu’autre caufe qu’on pourra découvrir avec le temps. Il ya encore d’autres graines qui engendrent de fem- blables animaux , comme la coriande. J'ai vu, continue-t-1l, la mème chofe dans la feve de bouleau après lavoir gardée cinq oui fix jours. Des Animaux. 235 Ïl y en a qui en ont obfervé dans l’eau où l’on a fait tremper des noix mufcades & de la ca- nelle, & apparemment on en découvrira en bien d’autres matieres. On pourroit dire que ces ani- maux s’engendrent par quelque corruption ou fermentation : maisil y en a, ajoute-t-il, d’une autre forte, qui doivent avoir un autre prin- cipe, comme font ceux qu’on découvre avec le microfcope dans la femence des animaux, lefquels femblent ètre nés avec elle, & qui font en fi grande quantité, qu’il femble qu’elle en eft prefque toute compofée. Ils font tous d’une matiere tranfparente : ils ont un mouvement fort vite, & leur figure eft femblable à celle qu'ont les grenouilles avant que leurs pieds {oient formés. Cette derniere découverte, qui a été faite en Hollande pour la premiere fois, me paroît fort importante , &c. M. Huguens ne nomme pas, comme lon voit, dans cette lettre, l’Auteur de la décou- vertes & il n’y eft queftion ni de Lecuwen- hoek , ni de Hartfoëker par rapport à cette dé- couverte ; mais on trouve dans le Journal du 29 août de la mème année, l’extrait d’une lettre de M. Hart{oëker, dans laquelle il donne la maniere d’arrondir à la lampe ces petites bou- les de verre, & l’Auteur du Journal dit: ,, De cette maniere, outre les obfervations dont » nous avons déja parle, il a découvert encore » nouvellement, que , dans urine qu’on garde » quelques jours, il s’y engendre de petits ani- » Maux, qui font encore beaucoup plus petits + que ceux qu'on voit dans l’eau de poivre, » & qui ont la figure de petites anguilles. Il 236 Hifioire Naturelle. s, en a trouvé dans la femence du coq, qui > Ont paru a-peu-pres de cette mème figure, qui et fort différente, comme l’on voit, de celle > qu'ont ces petits animaux dans Ja femence des , autres, qui reflemblent, comme nous l’avons , remarque , à des grenouilles naiflantes. Voilà tout ce qu’on trouve dans le Journal des Savans au fujet de cette découverte. L’Auteur paroît l’attribuer à Hartfoëker: mais fi l’on fait réflexion fur la maniere incertaine dont elle y eft préfentée, fur la maniere aflurée & dé- taillee dont Leeuwenhoek la donne dans fa let- tre, écrite & publiée près d’un an auparavant, on ne pourra pas douter qu’il ne foit en effet le premier qui ait fait cette obfervation. Il la re- vendique aufli , comme un bien qui lui appar- tient, dans une lettre qu’il écrivit à l’occafion des Efäis de Dioptrique de Hart{oëker, qui pa- rurent vingt ans apres. Ce dernier s’attribue, dans ce livre , la premiere découverte de ces animaux. Leeuwenhoek s’en plaint hautement, & il fait entendre que Hartfoëker a voulu lui enlever la gloire de cette découverte, dont il avoit fait part en 1677, non-feulement à My- lord Brouncker & à la Société royale de Lon- dres, mais mème à M. Conftantin Huguens, pere du fameux Huguens que nous venons de citer. Cependant Hart{oëker foutint toujours, qu'il avoit fait cette découverte en 1674, à Page de dix-huit ans. Il dit qu’il n’avoit pas ofé la communiquer d’abord; mais qu’en 1676 il en fit part a fon maître de Mathématiques, & à un autre ami, de forte que la contefta- tion n’a jamais été bien décidée. Quoi qu’il Des Animaux. 237 en foit, on ne peut pas ôter à Leeuwenhoek la premiere invention de.cette efpece de mi: crofcope, dont les lentilles {ont des boules de verre faites à la lampe : on ne peut pas nier que Hartfoëker n’eût appris cette maniere de faire des microfcopes de Leeuwenhoek mème, chez lequel il alla pour le voir obferver ; enfin il paroit que fi Leeuwenhoek n’a pas été le pre. mier qui ait fait cette découverte , il eft celui qui l’a fuivie le plus loin ; & qui l’a le plus accréditée. Mais revenons à fes obfervations. Je remarquerai, 1°. que ce qu’il dit du nom- bre & du mouvement de ces prétendus ani- malcules , eft vrai ; mais que la figure de leur corps, ou de cette partie qu’il regarde comme la tète & le tronc du corps, n’eft pas toujours telle qu’il la décrit. Quelquefois cette partie qui précede la queue, eft toute ronde ou globu- leufe ; d’autres fois elle eft alongée, fouvent elle paroïit applatie; quelquefois elle paroit plus large que longue, &c. & à l'égard de la queue, elle eft aufli très-fouvent beaucoup plus grofe ou plus petite qu’il ne le dit. Le mouvement de flexion ou de vibration, motus ferpentinus , qu’il donne à cette queue, & au moyen duquel il prétend que l’animalcule nage & avance pro- greilivement dans ce fluide, ne m'a jamais paru tel qu’il le décrit. J’ai vu plufieurs de ces corps mouvans, faire huit ou dix ofcillations de droite à gauche, ou de gauche à droite, avant que d'avancer en effet de l’épaifleur d’un cheveu; & même je leur en ai vu faire un beaucoup plus grand nombre fans avancer du tout, parce que cette queue, au lieu de les aider à nager, éft 238 Hifioire Naturelle. au contraire un filet engagé dans les filamens ou dans le mucilage, ou mème dansla matiere épaifle de la liqueur. Ce filet retient le corps mouvant, comme un fil accroché à un clou re-. tient la bale d’un pendule; & il m’a paru que quand cette queue ou ce filet auroit quelque mouvement ce n’étoit que comme un fil, qui fe plie ou fe courbe un peu à la fin d’une of: cillation. J’ai vu ces filets ou ces queues tenir aux filamens que Leeuwenhock appelle des vaifleaux, vafa: je les ai vus s’en féparer après plufieurs efforts réitérés du corps en mouvement ; je jes ai vus s’alonger d’abord, enfuite dimi- nuer, & enfin difparoïître totalement. Aïnfi je crois être fondé à regarder ces queues comme des parties accidentelles , comme une efpece d’enveloppe au corps mouvant , & non pas comme une partie eflentielle , une efpece de membre du corps de ces prétendus animaux. Mais ce qu'il y a de plus remarquable ici, c'eft que Leeuwenhoek dit précifément dans cette lettre à Mylord Brouncker, qu’outre ces animaux qui avoient des queues, il y avoit auif, dans cette liqueur, des animaux plus petits, qui n’avoient pas d'autre figure que celle d'un globule: His animalculis (caudatis fci- licet) minora adhuc animalcula , quibus non nifi globuli figuram attribuere pof]um , permifta erant. Ceit la vérité, cependant , après que Leeu- wenhock eut avancé , que ces animaux étoient Je feul principe efficient de la génération, & qu’ils doivent fe transformer en hommes ; après qu’il eut fait fon fyftème, il n’a regardé comme des animaux que ceux qui avoient des queues: Des Animaux. ._239 & comme il ne convenoit pas à fes vues que des animaux , qui doivent fe métamorphofer en hommes , n’euflent pas une forme conftante & une unité d’efpece , il ne fait plus mention dans la fuite, de ces globules mouvans, de ces plus petits animaux qui n’ont point de queues: & j'ai été fort furpris, lorfque j'ai com- paré la copie de cette mème lettre, qu’il a pu- bliée plus de vingt ans après, & qui eft dans {on troifieme volume , page ÿ8 ; car au lieu des mots que nous venons deciter, on trouve ceux- ci, page 62: Animalculis hifce permifle jacebant ali minutiores particule , quibus non aliam quam globulorum feu fphericam figuram affignare queo : ce qui eft, comme l’on voit, fort différent. Une particule de matiere, à laquelle il w’attri- bue pas de mouvement, eft fort différente d’un animalcule ; & il eft étonnant que Leeuwen- hoek, en fe copiant lui-mème , ait changé cet article eflentiel. Ce qu’il ajoute immédiatement après, mérite aufli attention. El dit qu’il s’eft fouvenu , qu’à la priere de M. Oldenburg , il avoit obfervé cette liqueur trois ou quatre ans auparavant, &@& qu’'alors il avoit pris ces ani- malcules pour des globules. C’eft qu’en effet il y a des temps où ces prétendus animalcules ne {ont que des globules; des temps où ce ne font que des globules fans prefque aucun mouvement {enfible ; d’autres temps où ce font des globu- les en grand mouvement ; des temps où ils ont des queues, d’autres où ils n’en ont point. Il dit, en parlant en général des animaux fpermati- ques, tome III, page271: Ex hifce meis obfer- vationibus cogitare C@pi, quamvis antéhac de ani- malculis in fcminibus mafculinis agent feripferim 240 Hifioire Naturelle, me in ilis caudas non detexifje, fieri tamen poffe ut illa animalcula æque eaudis fuerint infiruéta ac nunc comperi de animalculis in gallorum gallinas ceorum feminé mafculino : autre preuve qu’il a vu fouvent les prétendus animaux fpermatiques de toute efpece fans queues. On doit remarquer, en fecond lieu , que les filamens dont nous avons parlé, & que l’on voit dans la liqueur féminale avant qu’elle foit liquéfiée, avoient été reconnus par Leeuwen- hoek , & que, dans le temps de fes premieres obfervations , lorfqu’il n’avoit point encore fait d’hypothefes fur les animaux fpermatiques, ces filamens lui parurent des veines, des nerfs & des arteres; qu'il croyoit fermement , que toutes ces parties & tous les vaifleaux du corps hu- main fe voyoient, dans la liqueur féminale, auf clairement qu’un Anatomifte les voit en faïfant la diffeétion d’un corps, & qu’il perfif toit dans ce fentiment malgré les repréfenta- tions qu'Oldemburg lui faifoit à ce fujet de la part de la Société royale. Mais, dès qu'il eut fongé à transformer en hommes ces prétendus animaux fpermatiques , il ne parla plus des vaif- leaux qu’il avoit obfervés; & au lieu de les re- garder comme les nerfs , les arteres & les vei- nes du corps humain , déja tous formés dans la femence, il ne leur attribue pas même la fonction qu’ils ont réellement , qui eft, de pro- duire ces corps mouvans; & il dit, tome I, page 7: Quid fit de omnibus illis particulis feu cor- pufculis prater illa animalcula femini virili homi- num inhærentibus ! Olim &ÿ priusquam hec fcribe- rem; in ca Jententia fui predictas ftrias vel vafa ce Des Animarx. SAT ex tefficulis principium fecum ducere, &?c. &, dans un autre, il dit; que s’il a écrit autrefois quel- que chofe au fujet de ces vaifleaux qu’on trouve dans la femence, il ne faut y faire aucune at- tention; en forte que ces vaifleaux , qu'il re gardoit dans le temps de fa découverte comme les nerfs, les veines & les arteres du corps qui devoit être formé, ne lui parurent dans la fuite que des filamens inutiles, & auxquels il n’at- tribue aucun ufage, auxquels même il ne veut pas qu’on fafle attention. | | Nous obferverons en troifieme lieu, que fi lon compare les figures 1,2, 3 € 4 (PL VI & VII) que nous avons fait ici reprélenter comme elles le {ont dans les Tranfactions phi- lofophiques, avec celles que Leeuwenhoek fit graver plufieurs années après , on y trouve une différence aufli grande qu’elle peut l’ètre dans des corps aufli peu organifés, fur-toutles figures 2, 3 € 4 des animaux morts du lapin : il en eft de même de ceux du chien. Je les ai fait reprélenter afin qu’on puifle en juger aifément. De tout cela nous pouvons conclure, que Leeu- wenhoek n’a pastoujours vu les mèmes chofes ; que les corps mouvans, qu’il regardoit comme des animaux, lui ont paru fous des formes dif. férentes, & qu’il n’a varié dans ce qu’il en dit, que dans la vue d’en faire des efpeces conftan- res d'hommes ou d'animaux. Non-feulement il a varie dans le fond de l’obfervation , mais mème fur la maniere de la faire : car il dit exprefñé- meut, que toutes les fois qu’il a voulu bien voir les animaux fpermatiques , il 2 toujours délayé cette liqueur avec de l’eau, afin de {6. Hif. Nat. des Anim. T, L Q 2492 Hifloire Naturelle. parer. & divifer davantage la liqueur , & de donner plus de mouvenient à ces animalcules (Voyez tome’ IIT, pages 92 €? 92); & cepen- dant il dit, dans fa premiere lettre à Mylord Brouncker, que ayant mèlé de l’eau de pluie en quantité égale avec de la liqueur féminale d’un chien, dans laquelle , lorfqu’il ’examinoit fans mélange, il venoit de voir une infnité d’animalcules vivans, cette eau qu’il mèla leur caufa Ja mort. Ainfi les premieres obferva- tions de Leeuwenhoek ont été faites, comme les miennes , fans mélange; & il paroît qu’il ne s’eft avifé de mèler de Peau avec la liqueur, que long-temps après, puifqu’il croyoit avoir reconnu, par la premier eflai qu'il en avoitfait, que cette eau failoit périr les animalcules; ce qui cependant n’eft point vrai. Je crois feule- ment que le mélange de l’eau diflout les fila- mens tres-promptement; car je n'ai vu que fort peu de ces filamens dans toutes les obferva- tions que j'ai faites lorfque j'avois mêlé de l’eau avec la liqueur. Lorfque Leeuwenhoek fe fut une fois per- fuadé que les animaux fpermatiques {e trans- formoient en hommes ou en animaux, ilcrut remarquer dans les liqueurs féminales de cha- que efpece d'animal, deux fortes d'animaux fpermatiques ; les uns mâles & les autres fe- melles: & cette diHérence de fexe fervoit, {e- lon lui, non-feulement à la génération de ces animaux entreux, mais aufhi à la production des mâles & des femelles, qui doivent venir au monde: ce qu'il étoit aflez difficile de con- cevoir par Ja fimple transformation, fi ces ani- Des Animaux. 143 maux fpermatiques n’avoient pas eu auparavant différens fexes. Il parle de ces animalcules mà- les & femelles dans fa lettre imprimée dans les Tranfactions philofophiques, n°. 145, & dans plufieurs autres endroits ( Voyez tome I, page 162; € tomc TITI, page ox du Recueil de fes ou- vrages ) ; mais nulle part il ne donne la defcrip- tion ou les différences de ces animaux males & femelles , lefquels n’ont en effet jamais exifté que dans fon imagination. Le fameux Boërhaave ayant demande à Leeuwenhoek, s’il navoit pas obfervé dans les animaux fpermatiques différens degrés d’accroif- fement & de grandeur , Leeuwenhoek lui ré- pond ; qu’äyant fait difflequer un lapin, il a pris ‘la liqueur qui étoit dans les épididymes, & qu'ila vu & fait voir à deux autres perfonnes une infinité d'animaux vivans: Incredibilem, dit- il, viventium animalculorum numerum confpexe- runt , cum haec animalcula fcypho impofita vitreo € illic emortua , in rariores ordines difparafjem, €? per continuos aliquot dies fepius vifu exami- nafjem quedam ad juffam magnitudinem nondum excrevifje adverti. Ad hec quafdam obfervavi par- ticulas perexiles €ÿ oblongas, alias aliis majores, €, quantum oculis apparchat, carda defiitutas ; quas quidem particulas non nif animalcula efje credidi, quæ ad juffam magnitudinem non excre- viljent (Voyez tome IV, pages 280 &ÿ 281). Voilà donc des animaux de plufieürs grandeurs différentes ; voila des animaux avec des queues, & des animaux fans queues: ce qui s'accorde beaucoup mieux avec nos obfervations qu'avec le propre fyftème de Leeuvwenhoek. Nous dit- ot 244 Hifioire Naturelle. férons feulement fur cet article, en ce qu’il dit, que les particules oblongues & fans queues étoient de jeunes animalcules , qui n’avoient pas encore pris leur juite accroiflement, & qu’au contraire j'ai vu ces prétendus animaux naître avec des queues ou des filets , & enfuite les perdre peu à peu. | Dans la mème lettre à Boërhaave, il dit , fome IV, page28, qu'ayant fait apporter chez lui les tefticules encore chauds d’un bélier qui venoit d'etre tué, il vit dans la liqueur qu’il en tira, les animalcules aller en troupeau comme vont les moutons. À tribus circiter annis teftes arictis, au- huc calentes , ad ædes meas deferri curaveram; cum igitur materiam ex epididymibus eduéfam | ope mi- crofcopii contemplarer | non fine ingenti voluptate advertebam animalcula omnia , quotquot innatabant Jemini mafculino , eundem natando curfum tenere , ita nimirum ut quo itinere priora prenaiarent ; eodem pofteriora fubfequerentur , aded ut hifce ani- malculis quaf fit ingenitum , quod oves faétitare vi. demus , fcilicet ut precedentium veftigiis grex uni- verfus incedat. Cette obfervation, que Leeuwen- hoëk a faite en 1712, car { lettre eft de 1716, qu’il regarde comme une chofe finguliere & nou- velle, me prouve qu’il navoit jamais examiné les liqueurs féminales des animaux avec attention & allez long-temps de fuite, pour nous donner des réfultats bien exacts. Leeuwenhoek avoit {oixante-onze ans en 1712 : il y avoit plus de quarante-cinq ans qu’il obfervoit au microfcope: il yen avoit trente-fix qu’il avoit publié la décou- verte des animaux {permatiques ; & cependant il voyoit ; pour la premiere fois, dans la liqueur Des Animaux. 24$ féminale du bélier, ce qu’on voit dans toutes les liqueurs féminales , & ce que j'ai vu plufieurs fois, & que j'ai rapporté dans le fixieme chapitre, article 1 X de la femence de l’homme ; article XIF de celle du chien, & article XXIX au fujet de la femence de la chienne. Il n’eft pas néceflaire de recourir au naturel des moutons, & de tran{por- ter leur inftinét aux animaux fpermatiques du bélier, pour expliquer le mouvement de ces ani- malcules qui vont en troupeau, puilque ceux de l’homme , ceux du chien & ceux de la chienne vont de mème, & que ce mouvement dépend uniquement de quelques circonftances particulie- res, dont la principale eft, que toute la matiere fluide de la femence foit d’un côté, tandis que la partie épaille et de Pautre : car alors tous les corps en mouvement fe degagent du mucilage du méme côte, & fuivent la mème route dans la partie la plus fluide de la liqueur. Dans une autre lettre écrite la même année à Boërhaave ( Voyez tome IV, page 304 € fuiv.), ii rapporte d’autres obfervations qu’il a faites {ur les béliers, & il dit ; qu’il a vu dans la liqueur prife dans les vaifleaux déférens, des troupeaux d’animalcules qui alloient tous d’un côté, & d’autres troupeaux qui revenoient d’un autre côté & en fens contraire; que , dans celle des épidi- dymes, il avoit vu une prodigieufe quantité de ces animaux vivans ; qu'ayant coupe les tefticu- les en deux, il w’avoit point trouvé d'animaux dans la liqueur qui en fuintoit ; mais que ceux des épididymes étoient en fi grand nombre & tel- lement amoncelés, qu’il avoit peine à en diftin- guer le corps & la queue; & il ajoute, neque illud - 9 246 Hifioire Naturelle. in unica epididymum parte, fed & in aliis quas pracideram partibus, obfervavi. Ad hec, in qua- dam parafiaturum refeéla portione complura vidi animalcula que necdum in juffam magnitudinem adoleverant, nam € corpufcula illis exiliora © caudæ triplo breviores erant quâm adultis. Ad hec, caudas non habebant definéntes in mucronem , quales tamen adultis efje paflim comperio. Praterea in quandam paraftatarum portionem incidi, animal- culis quantim difcernere potui, defiitutam , tan- tu illi quedam perexiquæe inerant particule , par- tim longiores, partim breviores , fed altera fui ex- tremitate craffiuncule ; ifias particulas in animal. cula tranfituras clje non dubitaham. Xl eft aifé de voir par ce paflage , que Leceuwenhoek a vu en effet dans cette liqueur féminale ce que jai vu anstoutes, c’eft-a-dire , des corps mouvans de différenteSgrofleurs, de figures différentes, dont les mouvemens étoient aufli différens ; & d’en conclure ,rquetout cela convient beaucou» mieux à des particules organiques en mouvement qu’à des animaux. | Tlrparoit donc que les obfervations de Leeu- wenhoek he font nullement contraires aux mien- nes ; & quoiqu'il en ait tiré des conféquences très-dificrentes de celles que jai cru devoir tirer dés miennes , il n’y a que peu d’oppofition dans les faits : & je fuis perfuadé que fi des perfonnes attentives {e donnent la peine de faire de pareilles obfervations , elles n'auront pas de peine à re- cannoître d’où proviennent ces différences, & qu’elles verront en mèmetemps, que je rai rien avancé qui ne foit entiérement conforme à la vé- rite. Pour les mettre plus en état de décider, ja- Des Animaux. 247 jouterai quelques remarques que j'ai faites, & qui pourront leur étre utiles. On ne voit pas toujours dans la liqueur fémi- nale de l’homme les filimens dont j'ai parlé : 1l faut pour cela l’examiner dans le moment qu’elle vient d’être tirée du corps, & encore arrivera- t-il ,. que d trois ou quatre fois il n’y en aura qu’une où l’on verra de ces flamens. Quelquefois la liqueur féminale ne préfente, {ur - tout lorf- qu'elle eft fort épaifle , que de gros globules, qu’on peut même diftinguer avec une loupe or- dinaire. En les regardant enfuite au microfcope, on les voit gros comme de petites oranges, & ils {ont fort opaques ; un feul tient fouvent le champ entier du microfcope. La premiere fois que je vis ces globules, je crus d’abord que c’étoient quel- ques corps étrangers, qui. étoient tombés dans la liqueur {éminale; mais en ayant pris différentes gouttes , & ayant toujours vu la mème chole, les mèmes globules , & ayant confidéré cette li- queur entiere avec uneloupe, je reconnus qu’elle étoit toute compofée de ces gros globules. fen cherchai au microfcope un des plus ronds, & d’une telle grofleur que fon centre étant dans le milieu du champ du microfcope , je pouvois en mème temps en-voir la circonférence entiere, & je l’obfervai enfuite fort long-temps. D'abord il étoit abfolument opaque ; peu de temps après je vis fe former {ur fa furface, à environ la moitie de la diftance du centre à la circonférence, un bel anneau lumineux & coloré , qui dura plus d’une demi-heure , & qui enfuite approcha du centre du globe par degrés; & alors le centre du globule étoit éclairé & coloré , tandis que tout N Q 4 248 Hifioire Naturelle. le refte étoit opaque. Cette lumiere , qui éclai- roit le centre du globule , reflembloit alors à celle que l’on voit dans les grofles bulles d’air , qui fe trouvent aflez ordinairement dans toutes les li- queurs. Le gros globule que j'obfervois prit un peu d’aplatiflement, & en mème temps un petit degré de tranfparence ; & l’ayant examiné pen- dant plus de trois heures de fuite, je n’y vis au- cun autre changement , aucune apparence de mouvement, n1 intérieur, niextérieur. Je crus qu'en mêlant cette liqueur avec de l’eau, ces glo- bules pourroient changer : ils changerent en effet ; mais ils ne me préfenterent qu’une liqueur tran{- parente & comme homosene, où il n’y avoit rien de remarquable. Je laiflai la liqueur féminale fe Hiquéfier d’elle-mème ; & layant examinée au bout de fix heures , de douze heures, & de plus de vingt-quatre heures, je ne vis plus qu’une li. queur fluide , tranfparente , homogene, dans la. quelle il n’y avoit aucun mouvement ni aucun corps fenfible, Je ne rapporte cette obfervation que comme une efpece d’avertiflement, & pour qu'on fache qu’il y a des temps où on ne voit rien dans la liqueur féminale de ce qu’on y voit dans d’autres temps. Quelquefois tous les corps mouvans paroif fent avoir des queues, fur-tout dans la liqueur de homme & du chien. Leur mouvement alors n’eft point du tout rapide, & il paroit toujours fe faire avec effort. Si on laiffe deflécher la liqueur, on voit cette queue ou ce filet s’attacher le pre- mier, & l’extrèmité antérieure continue pendant quelque temps à faire des oftillations , après quoi le mouvement celle par-tout , & on peut Des Animaux. 249 conferver ces corps dans cet état de defféchement pendant long-temps. Enfuite, fi on y mele une petite goutte d’eau , leur figure change, & ils fe réduifent en plufieurs petits globules, qui n’ont paru quelquefois avoir de petits mouvemens , tant d’approximation entr'eux , que de trépida- tion & de tournoiement fur eux-mèmes autour de leurs centres. Ces corps mouvans de la liqueur féminale de l'homme , ceux de la liqueur féminale du chien & encore ceux de la chienne , fe reñlemblent au point de s’y méprendre , fur-tout lorlqu’on les examine dans le moment que la liqueur vient de {ortir du corps de l'animal. Ceux du lapin n'ont paru plus petits & plus agiles ; mais ces différen- ces ou reflemblances viennent autant des etats différens, ou femblables, dans lefquels la liqueur fe trouve au moment de l’obfervation , que de la nature mème de la liqueur, qui doit ètre en effet différente dans les différentes efpeces d'animaux. Par exemple , dans celle de l’homme, j'ai vu des ftries ou de gros filamens , qui fe trouvoient comme on le voit dans la Planche LI, fig. 3, Eÿc. & j'ai vu les corps mouvans fe féparer de ces fila- mens , où il n'a paru qu’ils prencient naïflance. Mais je n'ai rien vu de femblable dans celle du chien : au lieu de filamens ou de ftries féparées , c’eit ordinairement un mucilage dont le tiflu eft plus ferré, & dans lequel on ne diftingue aw’avec peine quelques parties filamenteutes ; & ce muct- lage donne naiïffance aux corps en mouvement, qui font cependant fembiables à ceux de l’homme. Le mouvement de ces corps dure plus long- temps dans la liqueur du chien que dans celle de 250 Hiffoire Naturelle. VPhomme, & il eft aufli plus aife de s’affurer fur celle du chien, du changement de forme dont nous avons parlé. Dans le moment que cette li- queur fort du corps de l’animal, on verra que les corps en mouvement ont pour la plupart des queues : douze heures, ou vingt-quatre heures, ou trente-fix heures après, on trouvera que tous ces corps en mouvement, ou prefque tous , ont perdu leurs queues ; ce ne font plus alors que des globules un peu alongés , des ovales en mouve- ment, & ce mouvement eft fouvent plus rapide que dans le premier temps. Les corps mouvans ne font pas immédiate- ment à la furface de la liqueur : ils y font plongés. On voit ordinairement à la furface quelques grof- es bulles d’air tranfparentes , & qui font fans aucun mouvement : quelquefois , à la véritc, ces bulles fe remuent & paroïflent avoir un mou- vement de progreflion ou de circonvolution ; mais ce mouvement leur eft communiqué par celui de la liqueur que l'air extérieur agite, &qui, d’elle- même en feliquéfiant, a un mouvement géncral, quelquefois d’un côté, quelquefois de l'autre, & {ouvent de tous côtés. Si l’on approche la len. tille un peu plus qu'il ne faut , les corps en mou- vement paroiflent plus gros qu'auparavant : au contraire, ils paroiflent plus petits fi on éloigne le verre ; & ce n’eft que par l'expérience qu’on peut apprendre à bien juger du point de vue, & a faifir toujours le mème. Au-deflous des corps en mouvement, on en voit fouvent d’autres beaucoup plus petits, qui font plongés plus pro- fondement dans la liqueur , & qui ne paroifient être que comme des globules , dont fouvent le Des Animaux. 2S1I plus grand nombre eft en mouvement: & j'ai re- marqué généralement , que, dans le nombre in- fini de globules qu’on voit dans toutes ces li- Queurs, ceux qui font fort petits & qui font en mouvement, font ordinairement noirs, ou plus obfcurs que les autres , .& que ceux qui font ex- trémement petits & tranfparens n’ont que peu ou point de mouvement. Il femble aufli qu’ils pefent fpécifiquement plus que les autres; car ils font toujours au-deflous, foit des autres globules, foit des corps en mouvement dans la hqueur. CHAR EUE RUE VEL Kéfexions [ur les Expériences précédentes. Miro donc afluré, par les expériences que je viens de rapporter , que les femelles ont, comme les mâles, une liqueur féminale, qui contient des corps en mouvement : je m’étois confirmé de plus en plus dans l'opinion, que ces corps en mouvement ne font pas de vrais animaux, mais feulement des parties organiques vivantes: je nvétois convaincu que ces parties exiftent non- feulement dans les liqueurs féminales des deux fexes, mais dans la chair mème des animaux, & dans les germes des végétaux ; & pour recon- noitre fi toutes les parties des animaux & tous les germes des végétaux contenoient aufli des par- ties orgaréques vivantes, je fis faire des infufions de Ja chair de différens animaux , & de plus de vingt efpeces de graines de différentes plantes. Je a$2 Hiftoire Naturelle. mis cette chair & ces graines dans de petites bou- teilles exactement bouchées , dans lefquelles je mettois aflez d’eau pour recouvrir d’un demi- pouce environ les chairs & les graines; & les ayant enfuite obfervées quatre ou cinq jours après les avoir miles en infufion , j’eus la fatis- faction de trouver , dans toutes, ces mèmes parties organiques en mouvement: les unes pa- roifloient plus tôt, les autres plus tard: quel- ques-unes confervoient leur mouvement pendant des mois entiers; d’autres cefloient plus tôt : les unes produiloient d’abord de gros globules en mouvement, qu'on auroit pris pour des ani- maux, & qui changeoient de figure, fe fépa. rojient & devenoient fucceflivement plus petits ; Jes autres ne produifoient que de petits globules fort actifs & dont les mouvemens étoient très- rapides; les autres produifoient des filamens qui . s'alongeoient & fembloient végéter , & qui en- fuite {e gonfloient , & laifloient fortir des milliers de globules en mouvement. Mais il eft inutile de sroflir ce livre du détail des mes obfervations fur les infufions des plantes, parce que M. Needham les a fuivies avec beaucoup plus du foin que je naurois pu le faire moi-mème, & que cet habile Naturalifte doit donner inceffamment au public le recueil des découvertes qu’il a faites fur cette maticres. Je lui avois lu le traité précédent, & javois très -fouvent raifonné avec lui fur cette matiere, & en particulier {ur la vraifemblance qu'il y avoit, que nous trouverions dans les ger- mes des amandes des fruits, & dans les autres parties les plus fubftantielles des végétaux , des corps en mouvement, des parties organiques vi- Des Animaux. 253 vantes, comme dans la femence des animaux mä- les& femelles. Cet exellent Obfervateur trouva que ces vues étoient aflez fondées & aflez gran- des pour mériter d’être {uivies: il commença à faire des obfervations {ur toutes les parties des végétaux, & je dois avouer que les idées que je Jui ai données {ur ce fujet, ont plus fructifie entre fes mains qu’elles n’auroient fait entre les miennes. Je pourrois en citer d'avance plufieurs exemples; mais je me bornerai à un feul , parce que jai ci- devant indiqué le fait dont il eft queftion , & que je vais rapporter. Pour s’aflurer files corps mouvans qu’on voit dans les infufions de la chair des animaux, étoient de véritables animaux, ou fi c’étoient feulement, comme je le prétendois, des parties organiques mouvantes , M. Needham penfa, qu'il n'y avoit qu’à examiner le réfidu de la viande rôtie, parce que le feu devoit détruire les animaux, & qu’au contraire, fi ces corps mouvans n'étoient pas des animaux, on devoit les y retrouver comme on les trouve dans la viande crue. Ayant donc pris de le gelée de veau & d’autres viandes grillées & rôties , il les examina au microfcope après les avoir laiflées infufer pendant quelques jours, dans de l’eau qui étoit contenue dans de petites bouteilles bouchées avec grand foin, &il trouva dans tou- tes des corps mouvans en grande quantité: il me fit voir plufieurs fois quelques - unes de ces infufions , & entr’autres celle de gelée de veau, dans laquelle il y avoit des efpeces de corps en mouvement, fi parfaitement lemblables à ceux qu'on voit dans les liqueurs fémivales de l’hom- 254 Hifloire Natrwelle. me, du chien & de la chienne dans le temps qu'ils n'ont plus de filets ou de queues, que je ne pouvois me lafer de les regarder : on les au- roit pris pour de vrais animaux; & quoique ous les viflions s’alonger , changer de figure & fe décompoler, leur mouvement reflembloit fi fort au mouvement d’un animal qui nage, que quiconque les verroit pour la premiere fois, & fans favoir ce qui a été dit précédemment, les prendroit pour des animaux. Je n’ajouterai qu’un mot à ce fujet, c’elt que M. Needham s’eft afluré par une infinité d’obfervations, que toutes les parties des végétaux contiennent des parties organiques mouvantes; ce qui confirme - ce que j'ai dit, & étend encore la théorie que Jai établie au fujet de la compofition des êtres organilés, & au fujet de leur reproduction. Tous les animaux, males ou femelles, tous ceux qui font pourvus des deux fexes ou qui en font privés; tous les végétaux , de quelques elpeces qu’ils foient, tous les corps en un mot, vivans ou végétans, font donc compolés ;de parties organiques vivantes, qu’on peut démon- trer aux yeux de tout le monde. Ces parties organiques font en plus grande quantité dans les liqueurs féminales des animaux, dans les germes des amandes des fruits, dans les grai- nes, dans les parties les plus fubitantielles de Panimal ou du végétal; & c’eft de la réunion de ces parties organiques, renvoyées de toutes les parties du corps de l’animal ou du végétal, que fe fait la reproduction, toujours femblable à l'animal ou au végétal dans lequel elle s’opere; "parce que la réunion de ces parties organiques Des Aninarx. 25 SX ne peut fe faire qu’au moyen du moule inté- rieur, c’eft-à-dire, dans l’ordre que produit la forme du corps de l'animal ou du végétal; & c’eft en quoi confite l’eflence de l'unité & de la continuité des efpeces, qui, des-lors, ne doi- vent jamais s’'épuifer, & qui, d’elles-mèmes, dureront autant qu'il plaira à celui qui les a créées, de les laifler fubfifter. Mais avant que de tirer des conféquences générales du fyftème que je viens d'établir, je dois fatisfaire à plufieurs chofes particulicres qu’on pourroit me demander, & en mème temps en rapporter d’autres qui ferviront à mettre cette matiere dans un plus grand jour. On me demandera fans doute, pourquoi je ne veux pas que ces Corps mOouvaus , qu'on trouve dans les liqueurs féminales foient des animaux, puilque tous ceux qui les ont obfer- vés les ont regardés comme tels, & que Leeu- wenhoek & les autres Obfervateurs s'accordent à les appeller animaux ; qu’il ne paroît pas mème qu’ils aient eu le moindre doute, le moindre fcrupule fur cela On pourra me dire auft, qu'on ne concoit pas trop ce que c’elt que des païties organiques vivantes, à moins que de les regarder comme des animalcules, & que, de fuppofer qu’un animal eft compolé de petits ani- maux, eft à peu près la mème chofe que de dire, qu’un être organilé eft compofé de par. ties organiques vivantes. Je vais tâcher de ré- pondre à ces queftions d’une maniere fatisfai- fante. Ïl eft vrai que prefque tous les Obfervateurs fe font accordés à regarder comme des animaux, 256 Hiftoire Naturelle. les corps mouvans des liqueurs féminales, & qu'il n’y a guere que ceux qui, comme Ver- rheyen, neles avoient pas obfervés avec de bons microfcopes, qui ont cru que le mouvement qu'on voyoit dans ces liqueurs, pouvoit prove- nir des elprits de la femence qu’ils fuppofoient être en grande agitation; mais il n’eft pas moins certain, tant par mes obfervations que par cel- les de M. Needham fur la femence du calmar, que ces corps en mouvement des liqueurs fémi- nales, font des êtres plus fimples & moins orga- niles que les animaux. Le mot Animal, dans l’acception où nous le prenons ordinairement, reprélente une idée gé- nérale, formée des idées particulieres qu’on s’eft faites de quelques animaux particuliers. Tou- tes les idées générales renferment des idées dif- férentes, qui approchent ou different plus ou moins les unes des autres, &, par conféquent , aucune idée générale ne peut etre exacte ni pre- cie. L'idée générale que nous nous fommes formce de l’animal, fera, fi vous le voulez, prife principalement de l’idée particuliere du chien, du cheval, & d’autres bètes qui nous paroiflent avoir de Pintelligence, de la volonté; qui femblent fe déterminer & fe mouvoir fui- vant cette volonté, & qui, de plus, font com- pofées de chair & de fang ; qui cherchent & prennent leur nourriture . qui ont des fens, des fexes & la faculté de fe reproduire. Nous joignons donc enfemble une grande quantité d'idées particulieres, lorfque nous nous formons l'idée générale, que nous exprimons par le mot Arimal; & Yon doit obferver, que, dans le grand Des Animaux: 257 . grand nombre de ces idées particulicres, il n’y en a pas une qui conftitue l’eflence de l’idée générale; car il y a, de l’aveu de tout le monde, des animaux qui paroiflent n’avoir aucune in- telligence , aucune volonté, aucun mouvement progreflif. Il y en a qui n’ont ni chair ni fang, & qui ne paroiflent être qu’une glaire congelée ; il y en a qui ne peuvent chercher leur nourri. ture, & qui ne la recoivent que de l’élément qu’ils habitent: enfin, il y ena, qui n’ont point de fens, pas mème celui du toucher, au moins à un degré qui nous {oit {enfible. Îl y en a qui ont point de fexes, ou qui les ont tous deux; & il ne refte de général à l'animal que ce qui lui eft commun avec le végétal, c’eft-à-dire, la faculté de fe reproduire. C’eit donc du tout enfemble qu’eft compoiée l’idée générale ; & ce tout étant compolé de parties différentes, il y a néceflairement entre ces parties, des degrés & des nuances. Un infecte, dans ce fens, eft quelque chofe de moins animal qu’un chien: une huître eft encore moins animal qu’un in- {ecte ; une ortie de mer, ou un polype d’eau douce, l’eft encore moins qu’une huître. Et comme la Nature va par nuances in{enfibles, nous devons trouver des êtres qui font encore moins animaux qu’une oftie de mer ou un po- lype. Nos idées générales ne font que des mé: thodes artificielles, que nous nous formes for- mées pour rafflembler une grande quantité d’ob- jets dans le mème point de vue; & elles ont; comme les méthodes artificielles dont nous avons parlé (tome I. Difc. I.) le défaut de ne pou- voir jamais tout comprendre. Elles font de Hifi. Nat. des Anim. T. I 258 Hifioire Naturelle. mème oppofées à la marche de la Nature, qui fe fait uniformément, infenfiblement & toujours particuliérement ; en forte que c’eft pour vou- loir comprendre un trop grand nombre d’idées particulieres dans un feul mot, que nous n’a- vons plus une idée claire de ce que ce mot fignifie ; parce que ce mot étant recu, on s’ima- gine que ce mot eft une ligne qu’on .peut tirer entre les productions de la nature; que tout ce qu: cft au-deflus de cette ligne eft en effet ani- mal, & que tout ce qui eft au-deflous, ne peut ère que végétal: autre mot aufli général que le premier, qu’on emploie de mème comme une ligne de féparation entre les corps organifés & les corps bruts. Mais, comme nous l’avons déja dit plus d’une fois, ces lignes de féparation n’exiftent point dans la nature. Il y a des êtres qui ne font ni animaux, ni végétaux, ni miné- raux, & qu’on tenteroit vainement de rapporter aux uns ou aux autres. Par exemple, lorfque M. Trembley, cet Auteur célebre de la décou- verte des animaux qui fe multiplient par cha- cune de leurs parties détachées, coupées ou fé- parées, obferva pour la premiere fois le polype de la lentille d’eau , combien employa-t-il de temps pour reconnoitre fi ce polype étoit un animal ou une plante? & combien n’eut-il pas fur cela de doutes & d’incertitudes? C’eft qu’en éffet le polype de la lentille n’eft peut- être ni Pun ni l'autre, & que tout ce qu’on peut en dire, c’eit qu’il approche un peu plus de Pani- mal que du végétal; & comme on veut abfolu- ment que tout être vivant feit un animal ou une plante, on croiroit n'avoir pas bien connu Des Animaux. 259 un être organifé , fi on ne le rapportoît pas à l'un ou à l’autre de ces noms généraux; tandis qu’il doit y avoir, & qu’en eflet il y a une grande quantité d’êtres organilés, qui ne font ni l’un ni Pautre. Les corps mouvans, que l’on trouve dans les liqueurs féminales, dans la chair infufée des animaux, & dans les graines & les autres parties infufées des plantes, font de cette cfpece. On ne peut pas dire que ce foient des animaux, on ne peut pas dire que ce foient des végétaux, & aflurément on dira encore moins que ce font des minéraux. On peut donc aflurer , fans crainte de trop avancer, que Ja grande divifion des produétions de la nature, en Animaux, Wégétaux & Miné- raux, ne contient pas tous les êtres matériels. Il exifte, comme on vient de le voir, des corps organifés, qui ne font pas compris dans cette divifion. Nous avons dit, que la marche de la Nature fe fait par des degrés nuancés & fouvent imperceptibles : aufli pañe-t-elle par des nuan- ces infenfibles de l’animal au végétal. Mais du végétal au minéral, le paflage eft brufque, & cette loi de n’aller que par degrés nuancés paroît fe démentir. Cela m'a fait foupcçonner, qu’en examinant de près la Nature, on viendroit à découvrir des êtres intermédiaires, des corps organifés, qui, fans avoir, par exemple, la puif- fance de fe reproduire comme les animaux & les végétaux, auroient cependant une efpece de vie & de mouvement; d’autres êtres, qui, fans être des animaux ou des végétaux, pourroient bien entrer dans la conftitution des uns & desautres, -& enfin d’autres êtres, qui de {eroient que le 2 260 Hifioire Naturelle. premier afflémblage des molécules organiques dont j'ai parlé dans les chapitres précédens. Je mettrois volontiers dans la premiere claffle de ces efpeces d’êtres les œufs, comme en étant le genre le plus apparent. Ceux des poules & es autres oifeaux femelles tiennent, comme on fait, à un pédicule commun, & ils tirent leur origine & leur premier accroiflement du corps de lanimal. Mais dans ce temps qu’ils font attachés à l’ovaire , ce ne font pas encore de vrais œufs; ce ne font que des globes jaunes, qui fe féparent de l'ovaire dès qu’ils font par- venus à un certain degré d’accroiflement. Lorf- qu’ils viennent à fe féparer, ce ne font encore que des globes jaunes ; mais des globes dont l’organifation intérieure eft telle, qu’ils tirent de la nourriture, qu'ils la tournent en leur fubf. tance, & qu'ils s’approprient la lymphe dont la matrice de la poule eft baignée, & qu’en s’ap- propriant cette liqueur ils forment le blanc, les membranes, & enfin la coquille. L’œuf, com- me l’on voit, a une efpece de vie & d’organifa- tion; un accroiflement, un développement, & une forme qu’il prend de lui-mème & par fes propres forces. Îl ne vit pas comme lanimal, il ne végete pas comme la plante, il ne fe re- produit pas comme l’un & lautre; cependant il croît, il agit à l’extérieur & il s’organile. Ne doit-on pas dès-lors regarder l'œuf comme un être qui fait une clafle à part, & qui ne doit {e rapporter ni aux animaux, ni aux minéraux ? Car fi l’on prétend que l'œuf n’eft qu’une pro- duéction animale, deftinée pour la nourriture du. poulet. & fi l’on veut le regarder comme Des Animaux. 261 une partie de la poule, une partie d'animal; je répoudrai, que les œufs, foit qu’ils foient fécon- dés ou non, {oit qu’ils contiennent ou non des poulets, s’organifent toujours de la mème facon ; que mème Ja fécondation n’y change qu’une partie prefqu’invifible; que, dans tout le refte, Vorganifation de l’œuf eft toujours la mème; qu’il arrive à fa perfection & à laccomplifie- ment de fa forme, tant exterieure qu’intérieure, {oit qu’il contienne le poulet ou non, & que, par conféquent, c’eft un ètre qu’on peut bien confidéter à part & en lui-mème. Ce que je viens de dire paroîtra bien plus clair, fi on confidere la formation & laccroiffe- ment des œufs de poiflon. Lorfque la femelle les répand dans l’eau, ce ne font encore, pour ainfi dire, que des ébauches d'œufs. Ces ébau- ches féparées totalement du corps de lanimal & #ottantes dans l’eau, attirent à elles & s’appro- prient les parties qui leur conviennent, & croif- fent ainfi par intuflufception. De la même façon que l'œuf de la poule acquiert des membranes & du blanc dans la matrice où il flotte, de mème les œufs de poiflon acquierent d’eux-mèmes des membranes & du blanc dans Peau où ils font plongés; & foit que le mâle vienne les féconder en répandant deflus la liqueur de fa laite, ou qu’ils demeurent inféconds faute d’avoir été ar- rolés de cette liqueur, ils n’arrivent pas moins, dans lun & autre cas, à leur entiere per- fection. Il me femble donc, qu’on doit regar- der les œufs en général comme des corps orga- nifés, qui, n'étant ni animaux ni végétaux, font un genre à part. KR 3 262 Hifioire Naturelle. Un fecond genre d’êtres de la même efpece font les corps organifés, qu’on trouve dans la femence de tous les animaux, & qui, comme ceux de la laite du calmar, font plutôt des ma- chines naturelles que des animaux. Ces ètres font proprement le premier aflemblage qui réfulte des molécules organiques dont nous avons tant parlé; ils fonc peut-ètre mème les parties orga: : niques qui conftituent les corps organilés des animaux. On les a trouvés dans la femence de tous les animaux, parce que la femence n’eft en effet que le réfidu de toutes les molécules orga- niques que l’animal prend avec les alimens. C’eft, comme nous l'avons dit, ce qu’il y a de plus organique dans la nourriture, qui fait la matiere de la femence ; &, par conféquent, on ne doit pas être étonné d'y trouver des corps organies. | Pour reconnoître clairement que ces corps organiles ne font pas de vrais animaux, il n’y a qu'a réfléchir fur ce que nous préfentent les expériences précédentes. Les corps mouvans que jai obfervés dans les liqueurs féminales, ont été pris pour des animaux, parce qu’ils ont un mouvement progreffif, & qu’on a cru leur remarquer une queue; mais fi on fait attention, d’un côté, à la nature de ce mouvement pro- greilif, qui, quand il eft une fois commencé, finit tout-a-coup fans jamais fe renouveller, &, de l’autre, à la nature de ces queues, qui ne font que des filets que le corps en mouvement tire après lui, on commencera à douter: car un animel va quelquefois lentement, quelquefois vite; 1l s'arrête & fe repofe quelquefois dans fon Des Animaux. 263 mouvement. Ces corps mouvans, au contraire, vont toujours de même, dans le mème temps. Je ne les ai jamais vus s’arrèter & {e remettre en mouvement: ils continuent d’aller & de fe mouvoir progreflivement fans jamais {e repoler; & lorfqu'ils s’arrètent une fois, c’eft pour tou- jours. Je demande fi cette efpece de mouve- ment continu & fans aucun repos, eft un mou- vement ordinaire aux animaux, & fi cela ne doit pas nous faire douter que ces corps en mou- vement foient de vrais animaux ? De meme il paroît qu'un animal, quel qu’il foit, doit avoir une forme conftante & des membres diftincts. Ces corps mouvans, au contraire, changent de forme à tout inftant: ils n’ont aucun membre diftinct, & leur queue ne paroïît ètre qu’une païtie étrangere à leur individu. Des-lors doit- on croire que ces corps mouvans foient en effet des animaux ? On voit dans ces liqueurs des filamens, qui s’alongent & qui femblent vége- ter, & ils fe gonflent enfuite & produifent des corps mouvans. Ces filamens feront, fi l’on veut, des efpeces de végétaux; mais les corps mouvans qui en fortent, ne feront pas des ani- maux ; car jamais l’on n’a vu de végétal pro- duire un animal. (Ces corps mouvans fe trou- vent aufli-bien dans les germes des plantes que dans la liqueur féminale des animaux : on les trouve dans toutes les fubftances végétales ou animales. Ces corps mouvans ne font donc pas des animaux: ils ne fe produifent pas par les voies de la générations ils n’ont pas d’efpece conftante : ils ne peuvent donc ètre ni des ani- maux, ni des végétaux. Que feront-1ls donc? R 4 264 Hifloire Naturelle. On les trouve par-tout ; dans la chair des ani- maux, dans la fubftance des végétaux: on les trouve en plus grand nombre dans les femences des uns & des autres. N'eft-il pas naturel de les regarder comme des parties organiques vivan- tes, qui compofent l’animal ou le végétal, com- me des parties, qui, ayant du mouvement & une efpece de vie, doivent produire, par leur réunion, des êtres mouvans & vivans, & for- mer les animaux & les végétaux ? Mais, pour laifler fur cela le moins de doute que nous pourrons, examinons les obfervations des autres. Peut-on dire que les machines acti- ves, que M. Needham a trouvées dans la laite du calmar, foient des animaux ? pourroit-on croire que les œufs, qui font des machines ac- tives d’une autre efpece, foient aufhi des ani. maux? Et fi nous jettons les yeux fur la repré. fentation de prefque tous les corps en mouve- ment, que Leeuwenhoek a vus au microfcope dans une infinité de différentes matieres, ne reconnoitrons-nous pas, mème à la premiere infpection , que ces corps ne font pas des ani- maux; puifqu’aucun d'eux n’a de membres, & qu'ils font tous, ou des globules, ou des ovales plus ou moins allongés , plus ou moins applatis. Si nous examinons enfuite ce que dit ce célebre Oblfervateur , lorfqu’il décrit le mouvement de ces prétendus animaux, nous ne pourrons plus douter qu’il n’ait eu tort de les regarder comme tels, & nous nous confirmerons de plus en plus dans notre opinion, que ce font feulement des parties organiques en mouvement. Nous en rapporterons ici plufieurs exemples, Leeuvwen- Des Animaux. 26$ hock donne (tome I, page $1) la figure des corps mouvans, qu'il a obfervés dans la liqueur des tefticules d’une grenouille male. Cette fi- gure ne repréfente rien qu’un corps menu, long & pointu par l’une des extremités, & voici ce qu’il en dit: Uno tempore caput ( c’eft ainfi qu’il appelle lextrèmité la plus groffe de ce corps mouvant) craffius mihi apparebat alio ; plerumque agnofcebam animalculum Haud ulterils quam à ca- pite ad medium corpus , ob caude tenuitatem, €ÿ cum idem animalculum pauld vehementils movere- tur (quod tamen tarde fiebat) quafi volumine cau- dam circa caput ferebatur. Corpus fere carebat motu ; cauda tamen in tres quatuorve flexus volve- batur. Voila le changement de forme que j'ai dit avoir obfervé; voila le mucilage dont le corps mouvant fait effort pour fe dégager ; voila une lenteur dans le mouvement, lorfque ces corps ne font pas dégagés de leur mucilage, & enfin voilà un animal, felon Leeuwenhoek, dont une partie fe meut & l’autre demeure en repos ; dont l’une elt vivante & l’autre morte : car il dit plus bas, movebant poñeriorem folim partem; que ultima, morti vicina efje judicabam. Tout cela, comme l’on voit, ne convient guere à un animal, & s'accorde avec ce que j'ai dit, à l’exception que je n’ai jamais vu la queue ou le filet fe mouvoir que par agitation du corps qui le tire, ou bien par un mouvement inté- rieur, que j'ai vu dans les filamens lorfqu’ils fe gonfent pour produire des corps en mouvement. Il dit enfuite, page $2, en parlant de la liqueur féminale du cabillau: Non eft putandum omnia gnimalcula in femine afelli contenta uno eodemque 266 Hifioire Naturelle. tempore vivere; fed illa potins tantum vivere quæ Se 2 partut viciniora Junt, quæ €ÿ copiofiori humido innatant pre reliquis vita carentibus, ad- huc in craf]a materia, quam humor eorum effcit, Jacentibus. Si ce {ont des animaux, pourquoi nont-ils pas tous vie? pourquoi ceux qui {ont dans la partie la plus liquide font-ils vivans, tandis que ceux qui {ont dans la partie la plus épaifle de la liqueur ne le font pas? Leeuwen- hoek n’a pas remarqué, que cette matiere épaifle, dont il attribue l’origine à l'humeur de ces ani- malcules, n’eft au contraire autre chofe qu’une matiere mucilagineufe qui les produit. En dé- Jayant avec de l’eau cette matiere mucilagineufe, il auroit fait vivre tous ces animalcules, qui cependant, felon lui, ne doivent vivre que long- temps après. Souvent mème ce mucilage n’eft qu’un amas de ces corps, qui doivent fe mettre en mouvement dès qu'ils peuvent fe {éparer, & par conféquent, cette matiere épaifle, au lieu d’être une humeur que ces animaux produifent, n’eft, au contraire, que les animaux eux - mê- mes, ou plutôt c’eft, comme nous venons de le dire, la matiere qui contient & qui produit les parties organiques qui doivent fe mettre en mou- vement. En parlant de la femence du coq, Leeu- wenhoek dit, page ÿ de fa lettre écrite à Grew : Contemplando materiam ( feminalem) animadverti ibidem tantam abundantiam viventium animalium, ut ea fiuperem ; forma feu externa figura [ua noftra. tes anguillas fluviatiles referebant , vehementiffima agitatione movebantur ; quibus tamen fubftrati vi- debantur multi €? admodm exiles globuli, item multe planovales figure, quibus etiam vita poffes Des Animaux. 267 attribur , € quidem propter earumdem commotio- nes ; fed exiffimabam omnes hafce commotiones &3 agitationes provenire ab animalculis, ficque etiam res fe habebat; attamen ego non opinione folim , fed etiam ad veritatem mihi perfuadeo has partis culas planam €ÿ ovalem figuram habcntes, efJe quedam animalcula inter fe ordine fuo difpofita & mixta, vitaque adhuc carentia. Voila donc, dans la mème liqueur féminale, des animalcules de différentes formes; & je fuis convaincu, par mes propres obfervations, que fi Leeuwenhoek eût obfervé exactement les mouvemens de ces ovales, il auroit reconnu, qu’ils {e remuoient par leur propre force, & que, par conféquent, ils étoient vivans aufi-bien que les autres. Il eft vifiblé que ceci s’accorde parfaitement avec ce que nous avons dit: ces corps mouvans font des parties organiques, qui prennent différentes formes, & ce ne {ont pas des efpeces conftantes d'animaux; car, dans le cas préfent, fi les corps qui ont la figure d’une anguille font les vrais animaux fpermatiques, dont chacun eft deltiné à devenir un coq, ce qui fuppofe une organifa- tion bien parfaite & une forme bien conftante, que feront les autres qui ont une figure ovale, & à quoi ferviront-ils? Il dit un peu plus bas, qu’on pourroit concevoir que ces ovales feroient les mêmes animaux que les anguilles, en fup- pofant que le corps de ces anguilles füt tortillé & raflemblé en fpirale: mais alors comment cou- cevra-t-on qu’un animal dont le corps elt ainfi contraint, puifle {e mouvoir fans s'étendre? Je crois donc que ces ovales n’étoient autre chole que les parties organiques, féparées de leur filets 263 Hifioire Naturelle. & que les anguilles étoient ces mêmes parties qui trainoient leur filet, comme je lai vu plu- fieurs fois dans d’autres liqueurs féminales. Au refte, Leeuwenhoek , qui croyoit que tous ces corps mouvans étoient des animaux ;, qui avoit établi fur cela un fyftème, qui préten- doit que ces animaux fpermatiques devoient de- venir des hommes & des animaux, n’avoit garde de foupçonner que ces corps mouvans ne fuflent , en effet, que des machines naturelles, des par- ties organiques én mouvement ; car il ne dou- toit pas ( Voyez tome I, page 67 ) que ces ani- maux fpermatiques ne continflent en petit le grand animal, & il dit: Progeneratio animalis ex animalculo in feminibus maftulinis omni excep- tione major eft; nam etiamyfi in animalculo ex femine mafculo | unde ortum eft figuram animalis confpicere nequeamus, attamen fatis fuperque certi efJe pofJu- mus fiquram animalis ex qua animal ortum eff, in animalculo quod in femine mafculo reperitur , con- clufam jacere five efJe: € quanquam mihi fœpius , confpeiëlis animalculis in femine mafculo animalis , imaginatus fuerim me pof]e dicere , en ibi caput , en ibi humeros , en ibi fcmora ; attamen cum ne mi- nima quidem certitudine de iis judicium ferre potue- rim, hucufque certi quid ffatuere fuperledco , donec tale animal, cujus femina mufcula tam magna erunt , ut in üs figuram creaturæ ex qua provenit , agnol- cere queam , invenire fecunda nobis concedat for- tuna. Ce hafard heureux , que Leeuwenhoek defiroit , & n’a pas eu, s’elt offert à M. Need- ham. Les animaux fpermatiques du calmar ont trois ou quatre lignes de longueur à l’œil fimple. Il eft extremement aifé d’en voir toute l’organi- Des Animaux. 269 fation & toutes les parties : mais ce ne font pas de petits calmars, comme l’auroit voulu Leeu- wenhoek ; ce ne font pas mème des animaux, quoiqu’ils aient du mouvement : ce ne font, comme nous l'avons dit, que des machines, qu’on doit regarder comme le premier produit de Ja réunion des parties organiques en mouvement. Quoique Leeuwenhoek n’ait pas eu l'avantage de fe détromper de cette facon , ilavoit cependant obfervé d’autres phénomenes qui auroient dà lé- clairer. Par exemple, il avoit remarqué ( Voyez tome I, page 160) que les animaux fpermatiques du chien changeotent {ouvent de figure, {ur-tout lorfque la liqueur dans laquelle ils nagcoient , étoit fur le point de s’évaporer entiérement : il avoit oblervé que ces prétendus animaux avoient une ouverture à la tète lorfqu’ils étoient morts. & que cette ouverture n’exiltoit point pendant leur vie ; il avoit vu que la partie qu’il regardoit comme la tète de l'animal, étoit pleine & arron- die lorfqu’il étoit vivant , & qu’au contraire elle étoit affaiflée & applatie après la mort. Tout cela devoit le conduire à douter que ces corps mou- vans fuflent de vrais animaux ; & en effet cela convient mieux à une efpece de machine qui fe vide , comme celle du calmar, qu’a un animal qui fe meut. J'ai dit que ces corps mouvans, ces parties organiques ne {e meuvent pas comme fe mou- vroient des animaux ; qu’il n’y a jamais aucun in- tervalle de repos dans leur mouvement. Leeu- wenhoek l’a obfervé tout de mème, & il le re- marque précifément tome I , page 169. Quotief- eurnque , dit-il, animalcula in femine mafculo ani- 270 Hifloire Naturelle. Mmalium fuerim contemplatus , attamen illà [e unquam ad quietem contuliffe me nunquam vidifJe, mihi di- cendum eff , fi modo fat fluidæ fupereffet materiæ in qu fefe commode movere poterant ; at eadem in con- tinuo manent motu, €$ tempore quo ipfis moriendum appropinquante , motus magis magifque deficit uf- quedüm nullus prosûs motus in illis agnofcendus fit. lime paroit qu’il eit difficile de concevoir qu’il puifle exifter des animaux, qui, dès le moment de leur naiffance ju{qu’à celui de leur mort, foient dans un mouvement continuel & tres - rapide ; fans le plus petit intervalle de repos ; & com- ment imaginer que ces prétendus animaux du chien, par exemple, que Leeuwenhoek a vus, après le feptieme jour, en mouvement auf ra- pide qu’ils létoient au fortir du corps de l'animal , aient confervé pendant ce temps un mouvement dont la vitefle eft fi grande, qu’il n’y a point d'animaux {ur la terre qui aient aflez de force pour {fe mouvoir ainfi pendant une heure , fur- tout fi l’on fait attention à la réfiftance qui pro- vient tant de la denfité que de la ténacité de la li- queur dans laquelle ces prétendus animaux fe meuvent ? Cette efpece de mouvement continu convient , au contraire , à des parties organi- ques, qui, comme des machines artificielles , produifent dans un temps leur effet d’une ma- niere continue, & qui s’arrètent enfuite lorfque cet effet eft produit. | Dans le grand nombre d’obfervations que Leeuwenhoek a faites, il a fans doute vu fou- vent ces prétendus animaux fans queues : il le dit mème en quelques endroits, & il tâche d’ex- pliquer ce phénomene par quelque fuppofition. Des Animaux. 271 Par exemple ( tome II, page 1f0,)il dit, en parlant de la femence du merlus : Ubi verd ad lacfium accederem obfervationem , in ïis partibus quas animalcula efje cenfebam , neque vitam neque caudam dignofcere potui ; cujus rei rationem ef]e exi- ffimabam ; quod quamdiù animalcula natando loca Jua perfcëlé mutare non po{junt, tamdiu etiam cauda concinne circa corpus maneat ordinata, quodque ideo fingula animalcula rotundum reprefentent corpuf- culum. I] me paroîit qu’il eût été plus fimple de dire , comme cela eft en effet , que les animaux fpermatiques de ce poiflon ont des queues dans un temps, & n’en ont point dans d’autres, que de fuppofer que cette queue eft tortillée fi exac- tement autour de leur corps, que cela leur donne Ja figure d’un globuie. Ceci ne doit-il pas nous porter à croire, que Leeuwenhoek n’a fixe fes yeux que fur les corps mouvans auxquels il voyoit des queues ; qu’il ne nous a donné la defcription que des corps mouvans qu’il a vus dans cet état; qu’il a négligé de nous les décrire lorfqu’ils étoient fans queue, parce qu’alors, quoiqu'ils fuflent en mouvement , il ne les regardoit pas comme des animaux ; & c’eft ce qui fait que prelque tous les animaux fpermatiques qu’il a dépeints, fe reflem blent , & qu’ils ont tous des queues; parce qu’il ne les a pris pour de vrais animaux, que lort- qu’ils font en effet dans cet état, & que, quand il les a vus fous d’autres formes , il a cru qu’ils étoient encore imparfaits, ou bien qu'ils étoient prêts de mourir, ou mème qu’ils étoient morts. Au refte , il paroït par mes obfervations, que, bien loin que le prétendu animalcule déploie fa queue , d'autant plus qu’ii eft plus en état de na. 272 Hifioire Naturelle. ger, comme Je dit ici Leeuwenhoek, il perd au contraire fucceflivement les parties extrèmes de fa queue, à mefure qu’il nage plus promptement, & qu’enfin cette queue , qui n’eft qu’un corps étranger, un filet, que le corps en mouvement traine , difparoit entiérement au bout d’un cer- tain temps. Dans un autre endroit (tome III, page 93) Leuwenhoek , en parlant des animaux fpermati: ques de l’homime, dit: Aliquando etiam animad. werti inter arnimalcula particulas qua/dam minores &ÿ Jubrotundas | cm vero fe ea aliquoties eo modo ocu- lis meis exibuerint | ut mihi imaginarer eas exiguis inffruéfas efJe caudis, cogitare cæpi an non he fortè particule forent animalcula recens nata ; certum cnim mihi eft ea etiam animalcula per generationem prove nire , vel ex mole minufcula ad adultam procedere quantitatem: &$ quis [cit an non ea animalcula , ubi moriuntur , aliorum animalculorum nutritioni atque augmini inferviant ! I] paroît par ce pañlage , que Leeuwenhoek a vu dans la liqueur féminale de Phomme des animaux fans queue, auili-bien que des animaux avec des queues, & qu’il eft obligé de fuppoler que ces animaux, qui n’avoient point de queues, étoient nouvellement nés & n’etoient point encore adultes. J’ai oblervé tout le con- traire ; car les corps en mouvement ne font ja- mais plus gros que lorfqu’ils {e féparent du fila- ment , c’elt-a-dire , lorfqu’ils commencent à {e mouvoir ; & lorfqu’ils font entiérement débar. raffés de leur enveloppe, ou fi l’on veut, du mu- cilage qui les environne, ils {ont plus petits, & d'autant plus petits qu’ils demeurent plus long- temps en mouvement. À l’égard de Ja generation 6 Des Animaux. 273 de ces animaux , de laquelle Leeuwenhoek dit dans cet endroit qu’il eft certain, je fuis perfuadé que toutes les perlonnes qui voudront {e donner la peine d’obferver avec foin les liqueurs fémina- les, trouveront qu’il n’y a aucun indice de géné- ration d'animal par un autre animal ; ni même d’accouplement ; tout ce que cet habile Obfervai teur dit ici, eft avancé fur de putes fuppofitions. Il eft aifé de le lui prouver , en ne fe fervant que de fes propres obfervations. Par exemple, il re- marque fort bien ( tome III, page 98) que les laites de certains poiflons ; comme du cabillau, {e rempliflent peu à peu de liqueur féminale, & qu’enfuite , apres que le poiflon a répandu cette liqueur, ces laites {e deiléchent , fe rident ; & ne {ont plus qu'uñe membrane {eche & dénuée de toute liqueur : Æo tempore, dit-il, quo afellus ma- Jor laëles fuos emifit, rugæ ille, feu tortiles lattium partes , ufque adeo contrahuntur , ut nihil prater pelliculas feu membranas efJe videantur. Comment entend:il donc que cette membrane feche , dans laquelle il n’y a plus ni liqueur féminale ni ani- maux , puille reproduire des animaux ; de Ja mème efpece l’année fuivante ? S'il y avoit une vraie génération dans ces animaux, c’eft-à-dire ; fi l'animal étoit produit par animal ; il ne pour- roit pas y avoir cette interruption, qui; dans la plupart des poifions ; eft d’une année entiere, Aufli, pour fe tirer de cette difficulté, il dit un peu plus bas : Nece/Jarid flatuendum erit | ut afel- lus major Jemen fuum emiferit ; in lactibus etiam- num multum materie feminalis gignendis animalculis aptaæ remanfifle , ex qua materia plurä oportet pro: venire animalcula feminalia quam anno prexime Hift, Nat: des Anim, T. 1. $ 272 Hifioire Naturelle. clapfo emifja fucrant. On voit bien que cette fup- pofition, qu'il refte de la matiere féminale dans les laites pour produire les animaux fpermatiques de l’année fuivante, eft ablolument gratuite, & d’ailleurs contraire aux obfervations , par lef quelles on reconnoît évidemment , que la laite i'eft dans cet intervalle qu’une membrane mince & abfolument defléchée. Mais comment répon- dre à ce que l’on peut oppofer encore ici, en fai- fant voir qu’il y a des poiflons , comme le calimar , dont non-feulement la liqueur féminale fe forme de nouveau tous les ans, mais mème le réfervoir qui Ja contient, la laite elle-mème ? Pourra-t-on dire alors qu’il refte dans la laite de la matiere {é- minale pour produire les animaux de l’année fui- vante, tandis qu’il ne refte pas mème de la laite, & qu'après lémiflion entiere de la liqueur fémi- nale , la laite elle-même s’oblitere entiérenfent & difparoit, & que l’on voit fous fes yeux une nou- velle laite fe former l’année fuivante ? Il eft donc très-certain, que ces prétendus animaux fperma- tiques ne fe multiplient pas ,; comme les autres arimaux, par les voies de la génération; ce qui feui fufroit pour faire préfumer, que ces parties qui fe meuvent dans les liqueurs féminales, né font pas de vrais animaux. Auffi Leeuwenhoek , qui, dans l'endroit que nous venons de citer ; dit qu’il eft certain que les animaux fpermatiques fe multiplient & {e propagent par la génération, avoue cependant dans un autre endroit (tome T, page 26 ) que la maniere dont {e produitent ces animaux , eft fort obfcure, & qu'il laifle à d’au- tres le foin d’éclaircir cette matiere ; Perfuadebam mihis dit-il, en parlant des animaux fpermati- Des Animaux. 27% ques du loir, hæecce animalcula ovibus prognafci ; quia diverfa in orbem jucentia €ÿ in [émet convolut videbam ; fed unde , quæfo, primam illorum origis nem derivabimus ? an animo noffro concipiemus ho: rum animalculorum femen jam procreatum e[Je in ipfa. generationc , hocque femen tam diu in tefhculis homi- num herere, ufquedum ad annum atatis decimum- quintum aut fextum pervenerint , cademque animal. cula tum demwum vita donari, velin ju/tam flaturam excrevifJe, illoque temporis artictlo generandi matu- ritatem adefje? fed hec lampada aliis trado. Je ne crois pas qu’il ioit nécellaire de faire de plus gran- des réflexions fur ce que dit ici Leeuwenhoek : il a vu, dans la femence du loir , des animaux fpermatiques {ans queues & ronds, in femet con- voluta , dit-il ; parce qu’il fuppofoit toujours qu’ils devoient avoir des queues; & à l'égard de Ja génération de ces prétendus animaux , on voit que , bien loin d’être certain ; comme il le dit ailleurs , que ces animaux fe propagent par ja gé- nération , il paroïît ici convaincu du contraire. Mais lorfqw’il eut obfervé la génération des puce- rons, & qu'il fe fut afluré ( Voyez tome IT, p.499 € fuiv. &ÿ tome III, p. 271) qu'ils engendrent d’eux.-mèmes & fans accouplement , il faifit cette idée pour expliquer la génération des animaux fpermatiques : Quemadmodum , dit-il, animal. cula hec que pediculorum anteâ nomine defignavi- mus (les pucerons ) dm adhuc in utero materno la- tent, jam predita funt materia feminali ex quu ejuf- em generis proditura funt animalcula , pari ratione cogitare licet animalcula in feminibus mafculinis ex animelium tefficulis non rigrare ; feu ejici , quin pof} Je relinquant minuta animalcule aut-faltem ma- S 2 276 Hifioire Naturelle, teriam feminalem ex qua iterum alia ejufdem generis animalcula proventura funt , idque abfque coïtu , eadem ratione qua fupradiéfa animalcula generari . obfervavimus. Ceci et , comme j’on voit, une nouvelle fuppofition , qui ne fatisfait pas plus que les précédentes ; car on n’entend pas mieux , par cette comparaïfon de la génération de ces ani- malcules avec celle du puceron, comment ils ne {e trouvent dans la liqueur féminale de l’homme que lorfqu’il et parvenu à làage de quatorze ou quinze ans : on n'en fait pas plus d’où ils vien- nent , on n’en conçoit pas inieux comment ils le renouvellent tous les ans dans les poitlons, &c. & il me paroît que quelques efforts que Lecuwen- hoek ait faits, pour établir la génération de ces prétendus animaux fpermatiques fur quelque chofe de probable , cette matiere eft demeurée dans une entiere obfcurité, & y feroit peut-être démeurée perpétuellement , f1 les expériences précédentes ne nous avoient appris, que ces ani- maux fpermatiques ne font pas des animaux, mais des parties organiques mouvantes, qui {ont contenues dans la nourriture que lanimal prend , & qui {e trouvent en grande abondance dans la liqueur féminale , qui eft l'extrait le plus pur & le plus organique de cette nourriture. Leeuwenhoek avoue en quelques endroits , qu'il n’a pas toujours trouvé des animaux dans les liqueurs féminaies des males : par exemple, dans celle du coq , qu’il a obfervée très-fouvent, il n’a vu des animaux fpermatiques en forme d’an- guilles qu’une feule fois, & plufieurs années après il ne les vit plus fous la figure d’une an- guille ( Voy. tome III, p. 370, ) mais avec une Des Animaux. 278 groffe tète & une queue , que fon deffinateur ne pouvoit pas voir. Il ditauffi (tome III, p. 306) qu'une année ilne put trouver dans la liqueur fe- minale tirée de la laite d’un cabilau , des ani- maux vivans. Tout cela venoit de ce qu’il vou- loit trouver des queues à ces animaux , & que quand il voyoit de petits corps en mouvement, : & aui n’avoient que la forme de petits globules , il ne les rezafdoit pas comme des animaux : c’eft cependant fous cette forme qu’on les voit le plus généralement, & qu’ils fe trouvent plus fouvent dans les fubftances animales ou végétales. Il dit dans le mème endroit , qu'ayant pris toutes les précautions pofibles pour faire voir à un deflina- teur les animaux fpermatiques du cabillau , qu’il avoit lui-mème vus fi diftinétement tant de fois, il ne put jamais en venir à bout : Non folüm, dit-il, ob eximiam eorum exilitatem , fed etiam quôd eorum corpora aded efJent fragilia , ut corpuf- cula paffim dirumperentur ; unde faëlum fuit ut non- nifi raré , nec fine attentiffima obfervatione animad- verterem particulas planas atque ovorum in morcmi longas | in quibus ex parte caudas dignofcere lice- bat ; particulas has oviformes exiffimavi animal. cula efje diruptæ, quèod particule he diruptæ qua- druplô feré viderentur majores corporibus animal culorum vivorum. ELorfqu'uu animal , de quel- que efpece qu’il foit, cefle de vivre, il ne change pas , comme ceux-ci , fubitement de forme : de long comme un fil, il ne devient pas rond comme une boule ; il ne devient pas non plus quatre fois plus gros après fa mort qu'il ne Pétoit pendant fa vie. Rien de ce que dit ici Leeuvwenkoek ne convient à des as tout 3 278 Hiftoire Naturelle. eonvient au contraire à des efpeces de machi- nes , qui, comme celles du calmar , fe vident après avoir fait leurs fonctions. Mais fuivons encore cette obfervation : il dit qu'il a vu ces animaux fpermatiques du cabillau fous des for- mes différentes , multa apparebant animalcula Jphæram pellucidam reprefentantia ; il les a vus de différentes grofeurs, hec animalcula minori vide- bantur mole | quam ubi cadem antehac in tubo vitreo rotundo examinaveram. I} ien faut pas davantage pour faire voir, qu’il n’y a point ici d’efpece ni de forme conftante , & que, par conféquent , il n’y a point d'animaux ; mais feulement des parties organiques en mouvement , qui prennent enetfet, par leurs différentes combinaifons, des formes & des grandeurs différentes. Ces parties organiques mouvantes {e trouvent en grande quantité dans l’extrait & dans les réfidus de la nourriture : la matiere qui s'attache aux dents, & qui, dans les perfonnes faines, a la même odeur que la liqueur féminale, doit ètre regardée comme un refidu de la nourriture: aufli y trouve- t-on une grande quantité de ces prétendus ani- maux, dont quelques-uns ont des queucs & ref fembient à ceux de la liqueur féminale. M. Baker en a fait graver quatre efpeces différentes , dont aucune n'a de membres, & qui toutes font des efpeces de cylindres , d’ovales , ou de globules fans queues, ou de globules avec des queues : pou: moi je fuis perfuadé, apres lés avoir exami- nées, qu'aucune de ces efpeces ne font de vrais . animaux, & que ce ne font, comme dans la {e- mence, que les parties organiques & vivantes de la nourriture, qui {e préfentent fous des formes Des Animaux. 279 différentes. Leeuwenkoek, qui ne favoit.à quoi attribuer l’origine de ces prétendus animaux de ectte matiere qui s'attache aux dents, fuppoie,, qu'ils viennent de certaines nourritures où ily en a ; comine du fromage : mais on les.trouve également dans ceux qui mangent du fromage & dans ceux qui n’en mangent point; & d’ailleurs ils ne reflemblent en aucune façon aux mites, non plus qu'aux autres petites bètes qu’on voit dans le fromage corrompu. Dans un autre en- droit , ildit , que ces animaux des dents peuvent venir de l’eau de citerne que lon boit, parce qu’il a obfervé des animaux femblables dans Peau du ciel, {ur-tout dans celle qui a féjourné fur des toits couverts ou bordés de plomb, où on trouve un grand nombre d’efpeces d'animaux différens. Mais.nous ferons voir, lorfque nous donnerons Fhiftoire des animaux microfcopiques , que la plupart de ces animaux, qu’on trouve dans Peau depluie, ne font que des parties organiques mou- vantes, quife divifent, qui fe raflemblent, qui changent de forme & de grandeur, & qu'on peut enfin. faire mouvoir & relter en repos, ou vivre & mourir, aufli fouvent qu'on le veut. La plupart des liqueurs féminales fe délaient d’elles-mèmes, & deviennent plus liquides à Pair & au froid qu’elles ne le font au fortir du corps de lanimal : au contraire elles s’épaiffiffent lorf- qu’on les approche du feu & qu’on leur commu- nique un degré, mème médiocre , de chaleur. Jai expofé quelques-unes de ces liqueurs à un froid aflez violent , en forte qu’au toucher elles étoient auffi froides que de Peau prèteade glacer+ ce froid n’a fait aucun mal aux prétendus ani- S 4 289 Hifioire Naturelle. maux ; ils continuoient à fe mouvoir avec la mème vitefle & aufli long-temps que ceux qui n’y avoient pas été expolés: ceux, au contraire, qui avoient fouffert un peu de chaleur, cefloient de {e mouvoir, parce que la liqueur s’épaiflfloit. Si ces corps en mouvement étoient des animaux , ils feroient donc d’une complexion .& d’un tem- pérament tout différent de tous les autres ani- maux , dans lefquels une chaleur douce & mo- dérée ne fait qu’entretenir la vie & augmenter les forces & le mouvement, que le froid arrète & détruit. | Mais voilà peut-être trop de preuves contre la réalité de ces prétendus animaux, & on pourra trouver que nous nous fommes trop étendus fur ce fuet. Je ne puis cependant m’empècher de faire une remarque, dont on peut tirer quelques conféquences utiles : c’eft que ces prétendus ani- maux fpermatiques, qui ne font en effet que les parties organiques vivantes de la nourriture , exiftent non-feulement dans les liqueurs fémina- les des deux fexes, & dans le réfidu de la nourri- ture qui s'attache aux dents, mais qu'on les trouve aufli dans le chyle & dans les excrémens. Lceuwenhoek les ayant rencontrés dans les excré- mens des grenouilles & de plufieurs autres ani- : maux qu'il difléquoit , en fut d’abord fort fur- pris, & ne pouvant concevoir d'ou venoient ces animaux , qui étoient entiérement femblables à ceux des liqueurs féminales qu'il venoit d’obfer- ver , il s’accufe lui-mème de mal-adrefle, & dit, qu’apparemment, en difléquant l'animal, il aura ouvert avec le fcalpel les vaifleaux qui conte- nojent la femence ; & qu’elle {e {era fans doute Des Aniriaux. OST méèlee avec les excrémens : mais enfuite , les avant trouvés dans les excrémens de quelques autres animaux, & mème dans les fiens , il ne fait plus quelle origine leur attribuer. j'obfer- verai que Leeuwenhoek ne les a jamais trouvés dans fes excrémens , que quand ils éroient liqui- des : toutes les fois que fon eftomac ne failoit pas {es fonétions & qu’il étoit dévoyé , il y trouvoit de ces animaux; mais lorfque la coétion de la nourriture fe failoit bien , & que les excrémens étoient durs , il n’y en avoit aucun, quoiqu'il les délayät avec de l’eau : ce qui femble s’accor- der parfaitement avec tout ce que nous avons dit ci-devant ; car il eft aidé de comprendre, que, Jorfque l’eftomac & les inteftins font bien leurs fonctions, les excrémens ne font que le marc de la nourriture , & que tout ce qu'il y avoit de vraiment nourriflant & d’organique eft entré dans les vaifleaux qui fervent à nourrir l'animal; que, par conféquent , on ne doit point trouver alors de ces molécules organiques dans ce marc, qui eft principalement compofé des parties brutes de la nourriture & des excrémens du corps, quine font auffi que des parties brutes; au lieu que, fi Peftomac & les inteltins laiflent pañler la nourri- ture fans la digérer afez, pour que les vaifleaux qui doivent recevoir ces molécules organiques, puiflent les admettre, ou bien, ce qui ett encore plus probable, s’il y a trop de relâchement ou de tenfion dans les parties folides de ces vaifeaux, & qu'ils ne foient pas dans l’état où il faut qu’ils foient pour pomper la nourriture, alors elle pafle avec les parties brutes , & on trouve les molé- eules organiques vivantes dans les excrémens : 282 Hifioire Naturelle. d'où l’on peut conclure , que les gens qui font fouvent dévoyés, doivent avoir moins de liqueur {éminale que les autres, & que ceux au contraire dont les excrémens font moulés , & qui vont rarement à la garde-robe , font les plus vigoureux & les plus propres à la génération. Dans tout ce que j'ai dit juqu’ici, J'ai tou- jours fuppofé que la femelle fournifloit , aufli- bien que le male, une liqueur fëminale, & que cette liqueur féminale étoit aufli néceflaire à l'œu- vre de Ja génération que celle du mâle. Jai taché d'établir ( Chapitre premier ) que tout corps orga- nifé doit contenir des parties organiques vivantes. J'aiprouve( Chap. 11€? III) que la nutrition & la reproduétion s’operent par une feule & mème caufe; que la nutrition fe fait par la pénétration intime de ces parties organiques dans chaque par- tie du corps, & que la reproducition s’opere par le fuperflu de ces mèmes parties organiques, raf femblées dans quelqu’endroit où elles font ren- voyées de toutes les parties du corps. Jai expli- qué ( Chapitre IV) comment on doit entendre cette théorie dans la génération de homme & des’animaux qui ont des fexes. Les femelles étant donc des ètres organiiés comme les mâles, elles doivent aufli , comme je lai établi, avoir quel- ques rélervoirs, où le fuperfu des parties orga- niques foit renvoyé de toutes les parties de leur corps: ce fuperflu ne peut pas y arriver fous une autre forme que fous celle d’une liqueur , puif- que c’eft un extrait de toutes les parties du corps, & cette liqueur eft ce que j'ai toujours appellé la femence de la femelle. | Cette liqueur n’eft pas, comme le prétend Des Animaux. 283 Ariftote, une matiere infcconde par elle-même, & qui n'entre , ni comme matiere , ni comme forme , dans l’ouvrage de la génération; c’eftau contraire une matiere prolifique , & auffi eflen- tiellement prolifique que celle du mâle , qui con- tient les parties caractériitiques du exe féminin, que la femelle feule peut produire, comme celle du mâle contient les parties qui doivent former les organes mafculins ; & chacune de ces liqueurs contient en mème temps toutes les autres parties organiques, qu'on peut regarder comme commu nes au deux fexes: ce qui fait, que, par leur mélange , la fille peut rellembler à fon pere, & le fils à fa mere. Cette liqueur n’elt pas compofée , comme le dit Hippocrate, de deux liqueurs; lune forte , qui doit lervir à produire des mâles, & l’autre foible , qui doit former les femelles: cette fuppofition elt gratuite, & d’ailleurs je ne vois pas comment on peut concevoir, que, dans une liqueur qui eft l'extrait de toutes les parties du corps de la femelle , il y ait des parties qui puif. fent produire des organes que la femelle n’a pas, c'eft-à-dire , les organes du mâle. Cette liqueur doit arriver, par quelque voie, dans la matrice des animaux qui portent & nour- rifient leur fœtus au dedans de leur corps, ou bien elle doit fe répandre fur d’autres parties dans les animaux qui n'éat point de vraie matrice. Ces parties font les œufs, qu’on peut regarder comme des matrices portatives, & que l'animal jette au dehors. Ces matrices contiennent cha- cune une petite goutte de cette liqueur prolifique de la femelle, dans l’endroit qu’on appelle /a cica- tricule. Lorfqu’il n'y a pas eu de communication 2854 Hiftoire Naturelle. avec le mâle, cette goutte de liqueur prolifi- que fe raflemble fous la fgure d’une petite mole, comme Pa obfervé Malpighi ; & quand cette li- queur prolifique de la femelle, contenue daus la cicatricule , a été pénétrée par celle du male, elle produit un fœtus , qui tire fa nourriture des fucs de cette matrice dans laquelle il eft contenu. Les œufs , au lieu d’être des parties qui fe trouvent généralement dans toutes les femel. les, ne font donc, au contraire, que des parties , que la nature à employées pour remplacer la matrice , dans les femelles qui font privées de cet organe. Au lieu d’etre les parties actives & eflen- tielles à la premiere fécondation , les œufs ne fervent que comme parties paflives & acciden- telles à la nutrition du fœtus, déja formé par Je mélange des liqueurs des deux fexes dans un endroit de cette matrice, comme le font les fœ. tus dans quelqu’endroit de la matrice des vivi- pares. Au lieu d’etre des êtres exiftans de tout teraps , renfermés à l’infni les uns dans les au- tres , & contenant des millions de millions de fœtus males & femelles . les œufs font, au contraire , des corps qui fe forment du fuper- flu d’une nourriture plus grofliere , & moins organique que celle qui produit la liqueur fe- minale & prolifique : c’eft dans les femelles ovi- pares quelque chofe d’équivalent , non- feule- met à Ja matrice, mais mème aux menftrues des vivipares. Ce qui doit achever de nous convaincre, que les œufs doivent ètre regardés comme les parties definées par la Nature, à remplacer la Des Animaux. 285 matrice dans les animaux qui font privés de cé vilcere , c’eft que ces femelles produifent des œufs indépendamment du mâle. De la mème facon que la matrice exifte dans les vivipares, comme partie appartenante au fexe féminin, les poules, qui n’ont point de matrice, ont des œufs qui la remplacent: ce font plufieurs ma- trices, qui fe produifent fucceflivement, & qui exiftent dans ces femelles nécellairement, & in- dépendamment de l’aéte de la génération & de la communication avec le male. Prétendre que le fœtus elt préexiftant dans ces œufs, & que ces œufs font contenus à l'infini les uns dans les autres , C’eft à peu près comme fi l’on préten- doit, que le fœtus eft préexiftant dans la ma- trice, & que toutes les matrices étoient renfer- mées les unes dans les autres, & toutes dans la matrice de la premiere femelle, Les Anatomiftes ont pris le mot æuf dans des acceptions diverfes, & ont entendu des chofes différentes par ce nom. Lorfque Harvey a pris pour devife : Omnia éx ovo, il entendoit par Pœuf des vivipares, le fac qui renferme le fœ- tus & toutes fes appendices : il croyoit avoir vu former cet œuf, ou ce fac, fous fes yeux, apres la copulation du male & de la femelle. Cet œuf ne venoit pas de l'ovaire où du tefticule de ja femelle : il a mème foutenu, av’il n’avoit pas remarqué la moindre altération a ce tefticule, &c. On voit bien qu'il n’y a rien ici qui foit fem- blable à ce que lon entend ordinairement par le mot d'œuf, fi ce n’eft, que la figure d’un fac peut être celle d’un œuf, comme celle d’un œuf peut être celle d’un fac. Harvey, qui a difléqué 286 Hifioire Naturelle. tant de femelles vivipares, n’a, dit-il, jamais apperçu d’altération aux tefticules : il les regarde meme comme de petites glandes, qui {ont tout- a-fait inutiles à la génération ( Voyez Harvey, Excrcit. 64€ 6ÿ,) tandis que ces tefticules font des parties fort confidérables dans la plupart des femelles, & qu'il y arrive des changemens & des altérations très - marquées; puilqu’on peut voir, dans les vaches, croître le corps glandu- leux depuis la groffeur d’un grain de millet juf- qu’à celle d’une grofle cerife. Ce qui a trompé ce grand Anatomilte, c’eft que ce changement ieft pas à beaucoup près fi marqué dans les biches & dans les daines. Conrad Peyer, qui a fait plufieurs obfervations fur les tefticules des daines , dit: Exigui quidem Junt damarum tefti- cul, fed poff coïtum fecundum in alterutro , eorum papilla five tuberculum fibrofum femper fuccrefcit ; Jcrofis autem prægnantibus tanta accidit tefficulo- rum mutatio , ut mediocrcm quoque attentionent jJugere nequeat ( Vide, Conradi Peyeri Merycolo- gia.) Cet Auteur croit avec quelque raifon, que Ja petitelle des tefticules des daines & des biches et caufe de ce que Harvey n’y a pas re- marqué de changemenñs ; mais il eft lui - mème dans l'erreur, en ce qu’il dit que ces ehange- mens, qu'il y a remarqués, & qui avoient échappé à Harvey, n'arrivent qu'après une co- pulation féconde. | I] paroit d’ailleurs que Harvey s’eft trompé fur pluficurgautres chofes cfentielles. 1H affure que la femence du male n’entre pas dans la ma- trice de ja femelle, & mème qu’elle ne peut pas y entrer; & cependant Verrheÿen a trouvé une Des Animaux. 287 grande quantité de femence du mâle dans la matrice d’une vache, difléquée feize heures après laccouplemient (Voyez Verrheyen, fup. Ancien ice. MH). "Ie, celebre Ruilch aflure avoir difléqué la matrice d’une femme, qui ayant été furpriie en adultere, fut afaflinée fur le champ, & avoir trouvé, non-feulement dans la cavité de la matrice, mais aufli dans les deux trompes, une bonne quantité de la liqueur féminale du mâle (Voyez Ruifch, The. anat. pag. 90, Tab. VI, fig. 1.) Vallifnieri affure, que Fallope & d’autres Anatomiftes ont aufñ trouvé, comme Ruifch, de ia femence du male dans la matrice de plufieurs femmes. On ne peut donc guere douter, après le témoignage pofitif de ces grands Anatomiftes, que Harvey ne fe foit trompé fur ce point important, fur- tout fi l’on ajoute à ces témoignages celui de Leeuwenhoek , qui aflure avoir trouvé de la femence du mâle dans la matrice d’un très-grand nombre de femelles de toute efpece, qu'il a dif féquées après Paccouplement. : Une autre erreur de fait eft ce que dit Har- vey, cap. XVI, n°. 7, au fujet d’une faulfe cou- che du fecond mois, dont la mafle étoir grofe comme un œuf de pigeon; mais encore fans au- cun fœtus formé, tandis qu’on eft affuré, par le témoignage de Ruilch & de plufieurs autres Anatomiltes, que le fœtus cit toujours recon- noïfiable, mème à l'œil fimple, dans le preinier mois. L’hiftoire de l'Académie faitmention d'un fœtus de vingt-un jours, & nous apprend qu’il étoit cependent forme en entier, & qu'on eñ diftinguoit aifément toutes les parties. Si Pon L 288 Éifioire Naturelle. ajoute à ces autorités celle de Malpighi, qui 4 reconnu le poulet dans la cicatricule, immédia- tement apres que l’œuf fut {orti du corps de la poule, & avant qu’il eût été couvé, on ne pourra pas douter que le fœtus ne foit formé & n’exifte des le premier jour, & immédiatement après la copulation ; & par conféquent, on ne doit don: ner aucune croyance à tout ce que Harvey dit au fujet des parties qui viennent s’ajufter les unes auprès des autres par juxta-pofition, pui qu’au contraire , elles {ont toutes exittantes d’abord, & qu’elles ne font que fe développer fucceflivement. Graat à pris le mot d'œuf dans une acception toute différente de Harvey: il a prétendu que les tefticules des femmes étoient de vrais ovai- res, qui contenoient des œufs femblables à ceux que contiennent les ovaires des femelles ovipa- res; niais feulement, que ces œufs étoient beau. coup plus petits, & qu’ils ne tomboient pas au dehors; qu’ils ne fe détachoient jamais que quand ils étoient fécondés, & qu’alors ils defcendoient de Povaire dans les cornes de la matrice ou ils broflifloient. Les expériences de Graaf font cel- les qui ont le plus contribue à faire croire l’e- xiftence de ces prétendus œufs, qui cependant n'eft point du tout fondée: car ce fameux Ana- tomifte fe trompe, 1° en ce qu’il prend les véfi- cules de Povaire pour des œufs; tandis que ce ne font que des parties inféparables du tefticule de Ja femelle, qui mème en forment la fubitance, & que ces mêmes véficules font remplies d’une efpece de lympne. 1} fe ieroît moins trompé s’il ; n'eût Des Animaux. 289 n’éût regardé ces vélicules que comme de fim: ples rélervoirs, & la lymphe qu’elles contien- nent, comme la liqueur féminale de la femelle; au lieu de prendre cette liqueur pour du blanc d'œuf, 2°. Il {e trompe encore, en ce qu’il af {ure que le follécule ou le corps glanduleux eft l'enveloppe de ces œufs ou de ces véficules; car il eft certain, par les obfervations de Malpighi, de Vallifnieri, & par mes propres expériences, que ce corps glanduieux n’enveloppe point ces véficules & n’en contient aucune. 23°. Il fe trompe encore davantage, lorfqu’il aflure, que ce foilécule ou corps glanduüleux ne fe forme jamais qu’apres la fécondation ; tandis qu’au con- traire, on trouve ces corps glanduleux formés dans toutes les femelles qui ont atteint la pu- bertée. 4°. Il fe trompe lorfqu’il dit, que les globules qu’il a vus dans la matrice, & qui con- teuoient le fœtus, étoient ces mèmes véficules ou œufs de l’ovaire, qui y étoient defcendus, & qui, dit-il, y écoient devenus dix fois plus petits qu’ils ne l’étoient dans l'ovaire. Cette {eule re- marque, de les avoir trouvés dix fois plus petits dans la matrice qu’ils ne l’étoient dans l'ovaire au moment de la fécondation ; où mème avant & après cet inftant, n’auroit-elle pas dà lui faire ouvrir les yeux, & lui faire reconnoitre, que ce qu'il voyoit dans la matrice, n’étoit pas ce qu'il avoit vu dans les tefticules ? $°. Il fe trompe en difant, que les corps glanduleux du tefticule ne font que l'enveloppe de l’œuf fécond, & que le nombre de ces enveloppes ou follécu- les vides répond toujours au nombre des fœtus: Hifi. Nat. des Anim. T. I. 290 Hiftoire Naturelle. Cette aflertion eft tout-à-fait contraire à la vérité; car on trouve toujours, {ur les tefticules de tou- tes les femelles, un plus grand nombre de corps ‘glanduleux ou de cicatrices qu’il n'y à eu de productions de fœtus, & on en trouve dans cel- les qui n’ont pas produit du tout. Ajoutez à tout cela, qu'il na jamais vu Pœuf dans fa pré- tendue enveloppe ou dans fon follécule, & que ni lui, ni Verrheyen, ni les autres qui ont fait les mêmes expériences, n’ont vu cet œuf, fur lequel ils ont cependant établi leur fyftème. Malpighi, qui a reconnu l’accroiflemént du corps glanduleux dans le tefticule de la femelle, s’eit trompe lorfqu’'il a cru voir, une fois ou deux, l'œuf dans la cavité de ce corps glandu- leux ; puifque cette cavité né contient que de la liqueur, & qu'après un nombre infini d’ob- fervations, on n’y a jamais trouvé rien de {em- blable à un œuf, comme le prouvent les expé- riences de Vallifnieri. Vallifnieri, qui ne s’eft point trompé fur les faits, en a tiré une faufle conféquence ; favoir, que, quoiqu'il n'ait jamais, ni lui, ni aucun Anatomifte en qui il eût confiance, pu trouver Pœuf dans la cavité du corps glanduleux, il falloit bien cependant qu'il y fût. Voyons donc ce qui nous refte de réel dans les découvertes de ces Obfervateurs, & fur quoi nous puiflions compter. Graaf a reconnu le premier, qu’il y avoit des altérations aux tefti- cules des femelles, & il a eu raïfon d’aflurer, que ces tefticules étoient des parties eflentielles & néceflaires à la génération. Malpighi a dé- montré ce que c’étoit que ces altérations aux Des Animaux. 291 téfticulés des femelles, & il a fait voir, que c'étoient des corps glanduleux, qui croiiloient jufqu’a une entiere maturité, après quoi ils s’af. faifloient, s’oblitéroient, & ne laïfloient qu’une très-légere cicatrice. Vallifnieri a mis cette de- couverte dans un tres-grand jour. Îl a fait voir que ces corps glanduleux fe trouvoient fur les tefticules de toutes les femelles ; qu’ils prenoient un accroillement confidérable dans la {aifon de leurs amours ; qu'ils s’augmentoient & croifloient aux dépens des véficules Ilymphatiques du tefti- cule, & qu'ils contenoient toujours, dans le temps de leur maturité, une cavité remplie de liqueur. Voilà à quoi le réduit au vrai tout ce qu’on a trouvé au fujet des prétendus ovaires & des œufs des vivipares. Qu’en doit-on con. clure? Deux chofes qui me paroiflenit éviden: tes: l’une, qu’il n’exifte point d'œufs dans les tefticules des femelles, puifqu’on n’a pu y en trouver; l’autre, qu’il exifte de la liqueur, & dans les véficules du tefticule, & dans la cavité du corps glanduleux, puifqu’on ÿ en a toujours trouvé ; & nous avons démontré, par les expés riences précédentes, que cétte derniere liqueur eft la vraie femence de la femelle, puifqu’élle contient, comme celle du male, des animaux Îpermatiques, ou plutôt des parties organiques en mouvement. Nous fommes donc affurés maintenant , que les femelles ont, comme les mâles, unie liqueur féminale. Nous ne pouvons gucre douter, après tout ce que nous avons dit, que la liqueur {é- minale en général ne foit le fuperflu de la nour- riture organique , qui eft re de toutes ies à 292 Hifloire Naturelle. parties du corps, dans les tefticules &‘les véfi- cules féminales des mâles, & dans les tefticules & la cavité des corps glanduleux des femelles. Cette liqueur, qui fort par le mamelon des corps glanduleux , arrofe continuellement les cornes de la matrice de la femelle, & peut aifément y pénétrer, loit par la fuccion du tifu même de . Ces cornes, qui, quoique membraneux , ne laifle pas d’être fpongieux , foit par la petite ouver- türe qui eft à l’extrémité fupérieure des cornes, & il n’y a aucune difhculté à concevoir comment cette liqueur peut entrer dans la matrice; au lieu que ; dans la fuppofition que les véliules de Vovaire étoient des œufs qui fe détachoient de l'ovaire, on n’a jamais pu comprendre comment ces prétendus œufs, qui étoient dix ou vingt fois plus gros que l'ouverture des cornes de la matrice n’étoit large, pouvoient y entrer. On a vu que Graaf, auteur de ce fyftème des œufs, étoit obligé de fuppoler , où plutôt d’avouer, que, quand ils étoient defcendus dans la ma- trice, ils étoient devenus dix fois plus petits * qu'ils ne le font dans l'ovaire. La liqueur que les femmes répandent lorf. qu’elles font excitées, & qui fort, felon Graaf, des lacunes qui font autour du col de la matrice & autour de lorifice extérieur de Puretre, pour- roit bien être une portion furabondante de la liqueur féminale, qui diftille continuellement des corps glanduleux du tefticule fur les trompes de la matrice, & qui peut y entrer directement, toutes les fois que le pavillon {e releve & s’ap- proche du telticule; mais peut- ètre aufli cette liqueur. eft-elle une fécretion d’un autre genre, Des Animaux. 293 & tout-à-faic inutile à la génération. Il auroit fallu, pour décider cette queltion , faire des obfervations au microfcope fur cette liqueur; mais toutes les expériences ne font pas permifes, mème aux Philofophes: tout ce que je puis dire, c'elt que je fuis fort porté à croire, qu'on y trouveroit. les mèmes corps en mouvement, les mèmes animaux {permatiques, que lon trouve dans la liqueur du corps glanduleux ; & je puis citer à ce {ujet un Docteur Italien, qui s’elt per- mis de faire avec attention cette efpece d’obfer- vation, que Vallifnieri rapporte en ces termes (tomeIl, page 126, col. 1:) Aggiugne il lodato Sig. Bono d’avergli anco veduti (animali fperma- tici) in quefla linfa o ficro, diro cofi voluttuo/o, che nel tempo del! amorofa zuffa fcappa dalle fe- mine libidinofe, fenza che f° potelje fofpettare che fofjero di que del mafchio, &ÿc. Si le fait eft vrai, comme je n’en doute pas, il eft certain que cette liqueur que les femmes répandent , eft la mème que celle qui fe trouve dans la cavité des corps glanduleux de leurs tefticules, & que, par conféquent, c'eft de la liqueur vraiment fé- minale: & quoique les Anatomiftes n’aient pas découvert de communication entre les licunes de Graaf & les tefticules, cela n’empèche pas que la liqueur {éminale des tefticules, étant une fois dans la matrice, ou elle peut entrer comme je l'ai dit ci-deflus, elle ne puifile en fortir par ces petites ouvertures ou lacunes, qui en envi- ronnent le col, & que, par la feule ation du tifflu fpongieux de toutes ces parties, elle ne puifle parvenir aufli aux lacunes qui {ont autour + 3 294 Hifioire Naturelle. de l’orifice extérieur de l’uretre, fur-tout fi le mouvement de cette liqueur eft aide par les ébraulemens & la tenfion que l’acte de la géné- ration occalionne dans toutes ces parties. De-ja on doit conclure, que les femmes qui ont bcaucoup de tempérament, font peu fécon- des, fur-tout fi elles font un ufage immodéré des hommes, parce qu’elles répandent au dehors la liqueur fémninale qui doit refter dans la ma- trice pour la formation du fœtus. Aufli voyons- nous que les femmes publiques ne font point d’enfans, ou du moins qu’elles en font bien plus rarement que lesautres; & dans les pays chauds, où elles ont toutes beaucoup plus de tempéra- ment que dans les pays froids, elles font aufli beaucoup moins fécondes. Mais nous aurons occ.fion de parler de ceci dans la fuite. | Il eft naturel de pnfer, que la liqueur fé- minale, {ot du mâle. foit de la femelle, ne doit être féconde que quand elle contient des corps en mouvement. Cependant c’eft encore une queftion, & je frois aflez porté à croire, que, comme ces co:ps font fujets à des changemens de forme & de mouvement, que ce ne font que des parties organiques qui fe mettent en mouve- ment fclon différentes c'rconftances, qu'ils fe développent, qu'ils fe décompofent ou qu’ils fe compofent fuivant les diférens rapports qu'ils ont entr'eux , il y a une infinité de diff{rens états de cette liqueur, & que létat où elle eft lorfqu'on y voit ces parties orga- niques en mouvement, neft peut-être pas ablohument néceflaire pour que la génération puile s’opérer. Le mème Docteur Italien que Des Animaux. 29$ nous avons cité, dits qu'ayant obfervé plu- fieurs années de fuite fa liqueur féminale, äl n’y avoit jamais vu d'animaux fpermatiques pendant toute fa jeunefle ; que cependant il avoit lieu de croire que cette liqueur étoit fé- conde, puifqu’il étoit devenu, pendant ce temps, le pere de plufieurs enfans, & qu’il n’avoit com- mencé à voir des animaux fpermatiques dans cette liqueur, que quand il eut atteint le moyen age, l’âge auquel on eft obligé de prendre des lunettes; qu’il avoit eu des enfans dans ce der- nier temps aufli-bien que dans le premier: & il ajoute, qu'ayant comparé les animaux fper. matiques de fa liqueur feminale avec ceux de quelques autres, il avoit toujours trouvé les fiens plus petits que ceux des autres. Il fem- ble que cette obfervation pourroit faire croire, que Ja liqueur féminale peut ètre féconde, quoi- qu’elle ne foit pas a@uellement dans l’état ou il faut qu’elle foit pour qu’on y trouve les parties organiques en mouvement. Peut-être ces par- ties ne prennent-elles du mouvement, dans ce cas , que quand la liqueur eft dans le corps de la femelle; peut-etre le mouvement qui y exifte, eit-il infenfiblé, parce que les molécules orgu- niques font trop petites. On peut regarder ces corps organifés qui fe meuvent, ces animaux fpermatiques , comme le premier aflemblage de ces molécules organi- ques qui proviennent de toutes les parties du corps. Lorfqu’il s’en raffemble une aflez grande quantité, elles forment un corps qui {e meut, & qu’on peut appercevoir au microfcope; mais fi elles ne fe raemblent qu’en petite quantité, le À 296 Hifioire Naturelle. corps qu’elles formeront fera trop petit pour être apperçu, & dans ce cas, on ne pourra rien diftinguer de mouvant dans la liqueur féminale. C’eit aufhi ce que j'ai remarqué très-fouvent: il y a des temps où cette liqueur ne contient rien d’animé, & il faudroit une très-longue fuite d’obfervations, pour déterminer quelles peuvent être les caules de toutes les différences qu’on remarque dans les états de cette liqueur. Ce que je puis aflurer, pour l'avoir éprouvé fouvent, cet qu’en mettant infufer avec de Peau les liqueurs {éminales des animaux, dans de petites bouteilles bien bouchées , on trouve au bout de trois ou quatre jours, & fouvent plus tôt, dans la liqueur de ces infufions, une multitude infinie de corps en mouvement: les liqueurs féminales dans lefquelles il n’y a aucun mouvement, aucune partie organique mouvante au fortir du corps de l’animal, en produifent tout autant que celles où il y en a une grande quantité ; le fang, le chyle, la chair, & mème Vurine, contiennent aufl des parties organiques, qui fe mettent en mouvement au bout de quel- ques jours d’infufion dans de l'eau pure; les germes des amandes de fruits, les graines , le nectareum, le miel, & mème les bois, les écor- ces & les autres parties des plantes en produi- fent auili de la mème facon. On ne peut done. pas douter de l’exiftence de ces parties organi- ques vivantes dans toutes les fubitances anima. Jes ou végétales. Dans les liqueurs féminales, il paroît que ges parties organiques vivantes font toutes en Des Animaux. 297 action : il femble qu’elles cherchent à fe déve- lopper , puifqu’on les voit fortir des filamens, & qu’elles fe forment aux yeux mème de POb- fervateur. Au refte, ces petits corps des liqueurs féminales ne font cependant pas doués d’une force qui leur foit particuliere, car ceux que lon voit dans toutes les autres fubftances ani- males ou végétales, décompoiées à un certain point, font doués de la mème force; ils agiflent & fe meuvent à peu près de la mème facon, & pendant un temps aflez confiderable : ils chan- gent de forme fucceflivement pendant plufieurs heures, & mème pendant plufieurs jours. Si lon vouloit abfolument que ces corps fuflent des animaux, il faudroit donc avouer, que ce font des animaux fi imparfaits qu’on ne doit tout au plus les regarder que comme des ébauches d’a- nimal, ou bien comme des corps fimplement compolés des parties les plus eflentielles à un animal : car des machines naturelles, des pom- pes, telles que font celles qu'on trouve en fi grande quantité dans la laite du calmar, qui, d’elles-mèmes, fe mettent en action dans un certain temps, & qui ne finiflent d'agir & de fe mouvoir qu’au bout d'un autretemps, & après avoir jeté toute leur fubftance, ne font certai- nement pas des animaux, quoique ce {oient des êtres organifés , agiflans, &, pour ainfi dire, vivans; mais leur organifation eft plus fimple que celle d’un animal: & {1 ces machines natu- relles, au lieu de n’agir que pendant trente {e- condes, ou pendant une minute tout au plus, - agiloient pendant un temps beaucoup plus long; 298 Hifioire Naturelle. par exemple, pendant un mois ou un an, je ne {ais fi on ne feroit pas obligé de leur donner le nom d'animaux, quoiqu’elles ne paruflent pas avoir d'autre mouvement que celui d’une pompe qui agit par elle-même, & que leur organifation fût auili fimple en apparence que celle de cette machine artificielle: car, combien n’y a-t-il pas d'animaux, dans lefquels nous ne diftinguons aucun mouvement produit par la volonté ? & n’en connoïflons-nous pas d’autres, dont l’or- ganifation nous paroît fi fimple, que tout leur corps elt tran{parent comme du criftal, fans au- cun membre, & prefque fans aucune organifa- tion apparente ? Si l’on convient une fois que lordre des pro- ductions de la nature fe fuit uniformément, & fe fait par degrés & par nuances, on n’aura pas de peine à concevoir, qu’il exifte des corps or- ganiques, quine font nianimaux, ni végétaux, ni minéraux. Ces êtres intermédiaires auront eux-mêmes des nuances dans les efpeces qui les conftituent, & des degrés différens de pertec- tion dans leur organifation. Les machines de la laite du calmar font peut - ètre plus organifées, plus parfaites que les autres animaux {permati- ques; peut-être aulli le font-elles moins. Les œufs le font peut-être encore moins que les uns & les autres ; mais nous n’avons fur cela pas mème de quoi fonder des conjedtures railon- nabies. Ce qu'il y a de certain, c’eft que tous les animaux & tous les vegetaux, & toutes les par- Des Animaux, 299 ties des animaux & des végétaux, contiennent une infinité de molécules organiques vivantes, qu’on peut expofer aux yeux de tout le monde, comme nous l'avons fait par les expériences pre- cédentes. Ces molécules organiques prennent fucceflivement des formes différentes, & des degrés différens de mouvement & d'activité , fui- vant les différentes circonftances : elles font en beaucoup plus grand nombre dans les liqueurs féminales des deux fexes, & dans les germes des plantes, que dans les autres parties de l’a- nimal ou du végétal: elles y font au moins plus apparentes & plus développées, ou fi l’on veut, elles y font accumulées fous la forme de ces pe- tits corps en mouvement. Il exifte donc, dans les végétaux & dans les animaux , une fubf- tance vivante, qui leur eft commune ; c’eft cette fubftance vivante & organique qui eft Ja matiere néceflaire à la nutrition. L'animal fe nourrit de lanimal ou du végétal, comme le végétal peut aufli fe nourrir de l’animal ou du végétal décompolé : cette fubftance nutritive, commune à l’un & à l’autre, eft toujours vi- vante, toujours sétive : elle produit l'animal ou le végétal, lorfqu’elle trouve un moule in- térieur, une matrice convenable & analogue à Pun & à lPautre, comme nous l'avons expli- qué dans les premiers chapitres. Mais lorfque cette fubftance acive.fe trouve rafflemblée en grande abondance dans des endroits où elle peut s'unir, elle forme, dans le corps animal, d’autres animaux tels que le tænia, les afcari- des, les vers qu’on trouve quelquefois dans 300 Hifioire Naturelle. les veines, dans les finus du cerveau, dans le foie, &c. Ces efpeces d'animaux ne doivent pas leur exiftence à d’autres animaux de mème elpece qu'eux ; leur génération ne fe fait pas comme celle des autres animaux : on peut donc croire qu’ils {ont produits par cette ma- tiere organique lorfqu’elle eft extravafee, ou lorfqu’eile n’eft pas pompée par les vaiffleaux qui {ervent à la nutrition du corps de lani- mal. Il eft aflez probable qu’alors cette fub£ tance productive, qui elt toujours active, & qui tend à s’organifer, produit des vers & de petits corps organifés de différente efpece, fuivant les différens lieux, les différentes ma- trices où elle fe trouve raflemblée. Nous au- rons dans Ja fuite occafion d'examiner plus en détail la nature de ces vers, & de plufeurs autres animaux qui fe forment de la mème facon, & de faire voir, que leur produétion eft très- différente de ce que l’on a penfé juf qu'ici. Lorfque cette matiere organique , qu’on peut regarder comme une femence univerfelle, elt rafflemblée en aflez grande quantité, comme elle left dans les liqueurs féminales & dans la partie mucilagineufe de linfufion des plan- tes, fon premier effet eft de végéter, ou plu: tôt de produire des êtres végétans- Ces efpe- ces de zoophites fe gonflent, fe bourfouflent, s'étendent, fe ramifient, & produifent enfuite des globules, des ovales & d’autres petits corps. de différente figure, qui ont tous une efpece de vie animale , un mouvement progrefnt, Des Animaux. 30I fouvent très-rapide, & d’autres fois plus lent: ces globules eux - mèmes fe décompolent, chan- gent de figure, & deviennent plus petits, & à melure qu'ils diminuent de grolieur, la rapi- dité de leur mouvement augmente. Lorfque le mouvement de ces petits corps elt fort ra- pide, & qu’ils font eux-mêmes en tres-grand nombre dans la liqueur, elle s’échauffe à un point même très-fenfible: ce qui m'a fait pen- {er que le mouvement & lation de ces par- ties organiques des végétaux & des animaux, pourroient bien être la caufe de ce que l’on ap- pelle fermentation. J'ai cru qu’on pouvoit préfumer aufli, que le venin de la vipere & les autres poifons actifs, mème celui de la morfure d’un animal enragé, pourroient bien être cette matiere active trop exaltée ;j mais je n’ai pas encore eu le temps de faire les expériences que jai proje- tées fur ce fujet, aufli-bien que fur les dro- gues qu’on emploie dans la médecine: tout ce que je puis aflurer aujourd’hui, c’eit que tou- tes les infufions des drogues les plus actives fourmillent de corps en mouvement , & que ces corps s’y forment en beaucoup moins de temps que dans les autres fubftances. Prefque tous les animaux microfcopiques font de la mème nature que les corps organi- fés, qui fe meuvent dans les liqueurs {émina- les, & dans les infufions des végétaux & de la chair des animaux : les anguilles de la farine, celles du blé ergoté, celles du vinaigre, cel- 302 Hifioire Naturelle. les de l’eau qui a féjourné fur des gouttieres de plomb, &c. font des êtres de la mème na: ture que les premiers, & qui ont une origine femblable; mais nous rélervons pour lhiitoire particuliere des animaux microfcopiques les preuves que nous pourrions en donner ici. FIN du Volume. 303 RARE LETTRE de M. M. les Députés & Syndic de la Faculté de Théologie , à M. de Buffon. 7 M onsrEuRr, Nous avons été informés , par un d’entre nous, de votre part , que lorfque vous avez appris que l'Hiftoire Naturelle , dont vous êtes Auteur , étoit un des ouvrages qui ont été choifis par ordre de la Faculté de Théologie , pour être examinés &ÿ cen- furés , comme renfermant des principes €? des maxi- mes qui ne font pas conformes à ceux de la Religion , vous lui avez déclaré | que vous n’aviez pas eu in- tention de vous en écarter, &ÿ que vous étiez difpofe à fatisfaire la Faculté fur chacun des articles qu’elle trouveroit répréhenfibles dans votre dit ouvrage. Nous ne pouvons , Monfieur , donner trop d’éloges à une réfolution auffi chrétienne ; €ÿ pour vous met. tre en état de l’exécuter | nous vous envoyons les pro- pofitions extraites de votre livre | qui nous ont paru contraires a la croyance de P Églife. Nous avons l'honneur d'être avec une parfaite confidération. MONSIEUR, Vos très-humbies ES srès-0beiffans , Jerviteurs, / . Les Députés & Syndic de la Fa: / / . 3 culté de Théologie de Paris. En la Maïfon de la Faculté, le 75 janvier 1751: 304 Hifloire Nuturelle. PROPOSITIONS extraites d’un ouvrage qui a pour titre, Hiftoire Naturelle, € qui ont paru répréhenfibles à MM. les Députés de la Faculté de Théologie de Paris. L Ce font les eaux de la mer qui ont produit les montagnes, les vallées de la terre... ce font les eaux du ciel, qui, ramenanttout au rivezau, ren- dront un jour cette terre à la mer, qui s’en em- parera fucceflivement , en laiffant à découvert de nouveaux continens femblables à ceux que. nous habitons. Édition in-4°. tome I, page 124$ édit. in-12, tome I, page 181: I L \ = . Ne peut-on pas s’imaginer...... qu'une Co- mete tombant fur la {urface du foleil aura déplacé cet aftre, & qu’elle en aura féparé quelques peti- tes parties, auxqueïles. elle aura communiqué un mouvement d’impulfion....... en forte que les planetes auroient autrefois appartenu au corps du {oleil, & qu’elles en auroient été détachées, &c. “dition in-4°. page 133 ; in-12, page 193. IIL Voÿons dans quel état elles (les planetes, & fur-tout la terre ) {e font trouvées après avoir été féparées de la mafñle du foleil. Édit. in-4°. page 143 ; in-12 , page 208. E V: 30$ { V. Le loleil s’'éteindra probablement... faute de matiere combultible ...., la terre, au {ortir du {oleil étroit donc brülante , & dans un état de liquéfaction. Édit. in-4°. page 149 ; in-12,, page 21 7 V. Le mot de vérité né fait naître qu’une idée vague .... & la définition elle-même, prife dans un fens général & abfolu, n’eit qu’une abftrac- tion, qui n’exifte qu’en vertu de quelque {uppo- fition. Edit. in-4°. tome I, page ÿ3 ; in-12, tome TJ, page 76. VL Il y a plufieurs efpècés de vérités ; & on à coutume de mettre dans le premier ordre les vé- rités mathématiques. Ce ne font cependant que des vérités de définitions : ces définitions portent fur des fuppofitions fimples , mais abftraites; & toutes les vérités en ce genre ne font que des con- fiquences compolées , mais toujours abftraites de ces définitions. 1bidem. VIT La fignification du terme. de vérité eft vague & compolée : il n’étoit donc pas poflible de la définir généralement. Il falloit , comme nous venons de le faire , en diftinguer les genres , afin de s’en former une idée nette. Édition in-4°, tome Î, page fÿ; in-12; tome I, page 79. Hifi, Nüt. des Anim, T. L Y 306 A URHE — Je ne parlerai point des autres ordres de veri. tés; celles de la morale , par exemple, qui font en partie réelles & en partie arbitraires. …. ..... elles n’ont pour objet que des convenances & des probabilités. Édit. in 4°. tome I, page ÿÿ ; in-12,, tome [, page 79. | I X. L’évidence mathématique & la certitude phy- fique , font donc les deux feuis points fous lef- quels nous devons confidérer la vérite. Dès qu'elle s’éloignera de l’un ou de l’autre, ce neft plus que vraïifemblance & probabilité. Ædie. in-4°. page fÿ; in-12, page So. Lil : L’exiftence de notre ame nous eft démontrée ; ou plutôt nous ne failons qu’un , cette exiftence & nous; Édition in-4°. tome Il, page 422; in-12; tome IV, page 154. XE L’exiftence de notre corps & des autres objets extérieurs elt douteufe pour quiconque raifonne fans préjugé ; car cette étendue en longueur, lar- geur & profondeur , que ñous appellons notre corps , & qui femble nous appartenir de fi pres; qu’elt-elle autre chofe ; finon un rapport de nos {ens ? Edit. in-4". tone Il, page 432 ÿ in-12% tome, IV >; page 1$5$. Nous pouvons croire qu'il y.4 quélque chofe 307 hors de nous ; mais nous n’en fomtnes pas fürs 5 au lieu que nous fommes aflurés de l’exiftence réelle de tout ce qui eft en nous. Celle de notre ame eft donc certaine , & celle de notre corps pa- roîit douteufe , dès qu’on vient à penfer que la matiere pourroit bien n’être qu’un mode de notre ame, une de fes facons de voir. Édit. in-4°. tomé IT, page 434 ; in-12, tome IV, page 1$7. AILL Elle (notre ame ) verra d’une maniere bieri plus différente encore après notre mort; & tout ce qui caufe aujourd’hui fes fenfations , la ma- tiere en général, pourroit bien ne pas plus exifter pour elle alors, que notre propre corps, qui ne fera plus rien pour nous. Édit, in-4°. ibidem ; int-12, page 18. X I V: L'ame....... eft impaffible par fon effence. Édit. in-4°. tome II, page 420 ; in-12,, tome IV pagé 152. 308 RÉPONSE de M. de Buffon, à MM. les DHL & Syndic de la Faculté de Thée- ogie, MES sum: J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire , avec les propofitions qui ont été extrai- tes de mon livre, €? je vous remercie de m'avoir mis a portée de les expliquer d'une maniere qui ne laifJe aucun doute ni aucune incertitude fur la droiture de mes intentions ; €ÿ J? vous le defirez, Meffieurs , je publierai bien volontiers, dans le premier volume de mon ouvrage qui paroîtra, les explications que j’ai l'honneur de vous envoyer. Je Juis avec refpeë , MESSIEURS, Votre très humble CS trèse - obéifjant Jerviteur , » RUFFON, Le 12 mars 176r. 309 J E déclare , 1°. Que je n'ai eu aucune intention de con- tredire le texte de l’Écriture ; que je crois très- fermement tout ce qui y eft rapporté fur la créa. tion, foit pour l’ordre des temps, foit pour les circonftances des faits, & que j'abandonne ce qui, dans mon livre , regarde la formation de la terre, & en général tout ce qui pourroit être contraire à la narration de Moïie , n'ayant pré. fenté mou hypothefe {ur la formation des plane- tes que comme une pure {uppofition philofo- phique, 2°, Que, par rapport à cette expreflion, le mot de vérité ne fait naître qu'une idée vague, je n'ai entendu que ce qu’on entend dans les écoles par idée générique , qui n’exifte point en {oi- mème ; mais feulement dans les efpeces dans lef. quelles elle a une exiftence réelle; & par confé- quent il y a réellement des vérités certaines en elles-mèmes , comme je l'explique dans Particle fuivant. 3°. Qu’outre les vérités de conféquence & de fuppolition , il y a des premiers principes, ab. folument vrais & certains dans tous les cas, & indépendamment de toutes les fuppofitions , & que ces conféquences , déduites avec évidence de ces principes, ne font pas des vérités arbitrai_ res, mais des vérités éternelles & évidentes ; n'ayant uniquement entendu par vérités de déf- nitions que les fes vérités mathématiques. Cv V 3 310 4°. Qu'il y a de ces principes évidens & de ces conféquences évidentes dans plufieurs {cien- ces , & {ur-tout dans la métaphyfique & la mo- rale ; que tels font en particulier, dans la méta- phylique , l’exiftence de Dieu , fes principaux attributs ; l’exiftence , la fpiritualité & l’immor- talité de notre ame; & dans la morale, l’obliga. tion de rendre un culte à Dieu, & à un chacun ce qui lui eft dû; & en conféquence, qu’on eft ob- ligé d'éviter le larcin , l’homicide & les autres actions que la raifon condamne. : g°. Que les objets de notre foi font très-cer. tains, fans être évidens ; & que Dieu, qui les a révélés & que la raifon mème m’apprend ne pouvoir me tromper , m'en garantit la vérité & la certitude ; que ces objets font pour moi des vérités du premier ordre, foit qu’ils regardent le dogme , foit qu'ils regardent la pratique dans la morale : ordre de vérités, dont j'ai dit exprefle- ment, que Je ne parlerois point , parce que mon fujet ne le demandoit pas. 6°. Que, quand j'ai dit que les vérités de la morale n’ont pour objet & pour fin que des con- venances & des probabilités , je n’ai jathais vou. Ju parler des vérités réelles ; telles que font non- feulement les préceptes de la Loi divine, mais encore ceux qui appartiennent à la Loi naturelle; & que j> n’entends , par vérités arbitraires, en fait de morale, que les loix qui dépendent de la volonté des hommes, & qui font différentes dans- différens pays , & par rapport à la conftitution des différens Etats. \ -31È 7°. Qu'il n’eft pas vrai que lexiftence de no- tre ame & nous ne foient qu'un, en ce fens, que l’homme foit un ètre purement fpirituel, & non un compoié de corps & d’ame : que Pexif- rence de notre corps & des autres objets exté. rieurs eft une vérité certaine, puifque non-{eu- lement la Foi nous l’apprend, maïs encore., que la fagefle & la bonté de Dieu ne nous permettent pas de penfer , qu’il voulût mettre les hommes dans une illufion perpétuelle & générale; que, par cette railon, cette étendue en longueur, lar- geur & profondeur ( notre corps) n’eft pas un fimple rapport de nos fens. 8°. Qu'en conféquence, nous fommes très. fûrs qu’il y a quelque chofe hors de nous, & que la croyance que nous avons des verités révélées , préfuppofe & renferme l’exiftence de plufieurs objets hors de nous ; & qu’on ne peut croire que la matiere ne foit qu’une modification de notre ame, mème en ce fens, que nos fenfations exif- tent véritablement; mais que les objets qui {em- blent les exciter, n’exiftent point réellement. 9°. Que, quelle que foit la maniere dont lame verra dans l’état où elle {e trouvera depuis fa mort jufqu’au jugement dernier, elle fera cer- taine de l’exiftence des corps, & en particulier de celle du fien propre, dont l’état futur l’inté. reflera toujours , ainfi que l’Écriture nous lap- prend. 10°. Que quand j'ai dit, que lame évoit im. paflible par fon eflence , je n’ai prétendu dire V4 312 rien autre chofe , finon, que l’ame, par fa na. ture , n’eft pas fufceptible des impreflions exté- rieures qui pourroient la détruire ; & je n’ai pas cru , que, par la puiffance de Dieu , elle ne pût être fufceptible des fentimens de douleur, que la Foi nous apprend devoir faire, dans l’autre vie, la peine du péché & le tourment des méchaus. Sign BUFFON. Le 12 mars 1761. 315 SECONDE LETTRE de MM. les Députés & Syndic de la Faculté de Théologie, à M, de Buffon, Monsieur, Nous avons reçu les explications que vous nous avez envoyées , des propofitions que nous avions trouvé répréhenfibles dans votre ouvrage qui a pour titre, Hiftoire Naturelle ; € apres les avoir lues dans notre a[Jemblée particulicre, nous les avons pré- fentées à la Faculté dans jon afjemblée générale du premier avril 17$1, prefente annce ; €ÿ aprés en avoir entendu la leëture , elle les a acceptées €ÿ ap- prouvées par fa délibération & fa conclufion dudit jour. Nous avons fait part en même temps, Monfieur, a la Faculte , de la promefje que vous nous avez faite de faire imprimer ces explications dans le premier ouvrage que vous donnerez au public , ft la Faculté de defire. Elle a reçu cette propofition avec une ex- tréme joie , € elle efpere que vous voudrez bien exécuter. Nous avons l'honneur d'être | avec les fentimens de la plus parfaite confidération , MR STE DR, Vos très-buribles €S très. ob&luns ferviteurs , Les Députés & Syndic de la Faculté , . . de Théologie de Paris, En la Maifon de la Faculté, Je 4 mai 1751. Pal L Ne" NOR HET Là MN 4% GA Lits” PNR 4 ( À h “ me ñ 4 Agen ÿ : À DISCOURS PRONONCE DANS L'ACADÉMIE FRANCOISE, Par M. DE BUFFON, Le famedi 2$ Août 1753. ‘4 | . 4 * Let 50 " l'E LRU 1 A AA NEA AS (TE LE ER / A ER CRT © 44 - SLT es AA ? | ‘#3 2 Ne NE C7. «1 * W | pp 4 4 e è LL dt pi ; MoeiNe 317 CE FETE REV APR EP APR M. DE BUFFON ayant été élu par Mef- - fieurs de l Académie Francoife à la place de feu M. L'ARCHEVÉQUE DE SENS , y vinf prendre féance le famedi 25 août 1753, © prononca le Difcours qui fuir. M esstreurs, . Vous m'avez comblé d'honneur en m’ap- pellant à vous : mais la gloire n’eft un bien qu’au tant qu’on en eft digne; & je ne me perfuade pas, que quelques Eflais, écrits fans art & fans autre ornement que celui de la nature, foient des titres fufans pour ofer prendre place parmi les maîtres de Part , parmi les hommes éminens qui repré- fentent ici la {plendeur littéraire de la France , & dont les noms célébrés aujourd’hui par la voix des nations , retentiront encore avec éclat dans la bouche de nos derniersneveux. Vous avez eu, MESSIEURS, d’autres motifs en jettant les yeux fur moi: vous avez voulu donner à lilluftre Compagnie à laquelle jai l'honneur d’appartenir depuis long-temps, une nouvelle marque de con- fidération. Ma reconnoiffance , quoique parta- ece , n’en fera pas moins vive: mais comment fatisfaire au devoir qu’elle m’impofe en ce jour ? Je n'ai, MESSIEURS , à vous offrir que votre propre bien: ce {ont quelques idées fur le ftyle, que j'ai puilées dans vos ouvrages. C’elt en vous lifant , ceft en vous admirant qu’elles ont été 318 conGues ; c’eft en les foumettant à vos lumieres qu’elles fe produiront avec quelque fuccès. Il s’eft trouvé , dans tous les temps ; des hommes qui ont fu commander aux autres par la puiffance de la parole. Ce n’eit que dans les fiec- les éclairés que l’on a bien écrit & bien parlé. La véritable éloquence fuppofe l’exercice du génie & de la culture de Pefprit. Elle eft bien différente de cette facilité naturelle de parler ; qui n’eft qu’un talent , une qualité accordée à tous ceux dont les paflions font fortes , les organes fouples & l'imagination prompte. Ces hommes fentent vivement ,; Ss'affectent de mème, le marquent fortement au dehors ; &, par une impreflion purement mécanique , ils tranfmettent aux au tres leur enthoufiafme & leurs affections. C’eft le corps qui parle au corps ; tous les mouvemens ; tous les fignes concourent & fervent également. Que faut-il pour émouvoir la multitude & l’en: trainer ? que faut-il pour ébranler la plupart des autres hommes & les perfuader? Un ton véhé- ment & pathétique , des geftes expreflifs & fré. quens , des paroles rapides & fonnantes. Mais, pour le petit nombre de ceux dont la tète eft ferme, le soût délicat & le fens exquis, & qui, comme vous, MESSIEURS, comptent pour peu le ton, les geftes & le vain fon des mots, il faut des chofes, des penfées, des raïlons ; il faut fa- voir les prefenter , les nuancer , les ordonner : il ne fuffit pas de frapper l’orcille & d’occuper les yeux; il faut agir fur l'ame, & toucher le cœur en parlant à l'efprit. Le ftyle n’eft que l’ordre & le mouvement qu'on met dans {es penfées. Si on les enchœne 319 étroitement ; fi on les ferre , le ftyle devient fort, nerveux & concis. Si on les laifle fe fuc< céder lentement , & ne fe joindre qu’à la fa: veur des mots, quelqu’élégans qu’ils foient, le ftyle fera diffus , lâche & trainant. Mais avant de chercher l’ordre dans lequel on préfentera fes penfées , il faut s’en ètre fait un autre plus général , où ne doivent entrer que les premieres vues & les principales idées. C’elt en marquant leur place fur ce plan qu’un fujet fera circonfcrit , & que l’on en connoïtra l'étendue ; c’eft en fe rappellant fans cefle ces premiers linéamens , qu’on déterminera les ju£ tes intervalles qui féparent les idées principa- les, & qu'il naitra des idées accefloires & moyennes , qui ferviront à les remplir. Par la force du génie, on fe repréfentera toutes les idées générales & particulieres fous leur véri- table point de vue ; par une grande finefle de difcernement , on diftinguera les penfées ftéri- les des idées fécondes ; par la fagacité que donne la grande habitude d'écrire , on fentira d’a- vance quel fera le produit de toutes ces opéra- tions de l’efprit. Pour peu que le fujet foit valte ou compliqué ; il eft bien rare qu’on puifle l’embrafler d’un coup d'œil, ou le péné. trer en entier d’un feul & premier effort de genie; & il ét rare encore , qu’après bien des réflexions on en faififle tous les rapports. On ne peut donc trop s’en occuper ; c’eft mème le feul moyen d’affermir , d'étendre & d’élever {es penfées: plus on leur donnera de fubftance & de force, plus il fera facile enfuite de les réalifer par l’expreffion. | \ 320 Ce plan n’eft pas éncote le ftÿle, mais il er eft la bafe: il le foutient, il le dirige, il regle fon mouvement & le foumet à des loix. Sans cela ; le meilleur écrivain s’égare; fa plume marche fans guide, & jette à l'aventure des traits irréguliers & des figures difcordantes. Quelque brillantes que {oient les couleurs qu’il emploie, quelques beautés qu’il feme dans les détails, comme l’enfemble choquera, ou ne fe fera point fentir, l'ouvrage ne fera point conf: truit; & en admirant lefprit de l’auteur, on pourra foupconner qu’il manque de génie. C’eft par cette raïfon que ceux qui écfivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent très-bien, écrivent mal; que ceux qui s’abandonnent au premier feu de leur imagination, prennent un ton qu’ils ne peuvent foutenir; que ceux qui craignent de perdre des penlées ifolées, fugitives, & qui écrivent en différens temps des morceaux déta- chés, ne les réuniflent jamais fans tranfitions forcées; qu’en un mot, il y a tant d'ouvrages faits de pieces de rapport, & fi peu qui foient fondus d’un feul jet. Cependant tout fujet eft un, & quelque vafte qu’il foit, il peut ètre renfermé dans uu feul difcours: les interruptions, les repos, les fections ne devroient ètre d’ufage que quand on traite des fujets différens, ou lorfqu'ayant à : parler de chofes grandes, épineules & difpara- tes, la marche du génie fe trouve interrompue par la multiplicité des obftacles, & contrainte par la néceilité des circonftances : autrement, le grand nombre de divifions, loin de rendre . nu ouvrage plus folide, en détruit cu : Je 321 le livre paroit plus clair aux yeux, maisle def. fein de l’Auteur demeure obfcur : il ne peut faire imprefion fur lefprit du lecteur; il ne peut même fe faire {entir que par la continuité du 4l, par la dépendance harmonique des idées, par un développement fucceilif, une gradation {oute. nue, un mouvement uniforme que toute inter- ruption détruit ou fait languir. Pourquoi les ouvrages de la nature font-ils fi parfaits? C’eft que chaque ouvrage eft un tout, & qu’elle travaille fur un plan éternel dont elle ne s’écarte jamais : elle prépare en filence les germes de fes productions; elle ébauche, par un acte unique, la forme primitive de tout être vi- vant: elle la développe, elle la perfectionne par un mouvement continu & dans un temps pref- crit. L'ouvrage étonne, mais c’eft l'empreinte divine dont il porte les traits qui doit nous frap- per. L'efprit humain ne peut rien créer: il ne produira qu'après avoir été fécondé par l’expé- rience & la méditation; fes connoïflinces font les germes de fes productions: mais s’il imite la Nature dans fa marche & dans fon travail, s’il s’'éleve par la contemplation aux vérités les plus fublimes; s’il les réunit, s’il les enchaîne, s’il en forme un fyffeme par la réflexion, il établira {ur des fondemens inébranlables, des monumens immortels. | C’eft faute de plan, c’eft pour avoir pas aflez réfléchi fur {on objet, qu'un homme d’ef- prit {e trouve embarrafié, & ne fait par où com- mencer à écrire. Il apperçoit à la fois un grand nombre d'idées: comme il ne les a ni compa- rées m fubordonnées, rien ne le détermine à préférer les unes aux autres; il demeure donc Hifi. Nat. des Anim. T. L X 322 dans la perplexité, Mais lorfqu'il fe fera fait un plau, lorfqu’une fois il aura raffemblé & mis en ordre toutes les idées effentielles à fon fujet, il s’appercevra aifément de linftant auquel il doit prendre la plume; il fentira le point de matu- rité de la production de lefprit, il fera prefñé de la faire éclore, il n’aura mème que du plailir à écrire ; les penfées fe fuccéderont aifément, & le ftyle fera naturel & facile. La chaleur naitra de ce plaifir, fe répandra par-tout, & donnera de la vie à chaque expreflion; tout s’animera de plus en plus: le ton s’élevera, les objets prendront de la couleur , & le fentiment fe joignant à la lumiere, l’augmentera, la portera plus loin, la fera pañler de ce que l’on dit, à ce que l’on! va dire, & le ftyle deviendra intérel- fant & lümineux. Rien ne s’oppofe plus à la chaleur, que le defir de mettre par-tout des traits faillans: rien n’eft plus contraire à la lumiere, qui doit faire un corps & fe répandre uniformément dans un îcrit, que ces étincelles qu’on ne tire que par force, en choquant les mots les uns contre les autres, & qui ne vous éblouiffent, pendant quel- ques inftans, que pour vous laifler enfuite dans les ténebres. Ce font des penfées qui ne bril- lent que par l’oppofition: l’on ne préfente qu’un côté de l’objet; on met dans l'ombre toutes les autres faces, & ordinairement ce côté, qu’on choifit, eft une pointe, un angle fur lequel on fait jouer lefprit avec d’autant plus de facilité, qu’on l’éloigne davantage des grandes faces fous lefquelles le bon fens a coutume de confidérer les chofes. Rien n’eft encore plus oppofé à la véritable “ 323 éloquence que l'emploi de ces penfées fines, & la recherche de ces idées légeres, déliées, fans confiftance, & qui, comme la feuille du métal battu , ne prennent de l’éclat qu’en perdant de Ja folidité : auf plus on mettra de cet elprit mince & brillant dans un écrit, moins il y aura de nerf, de lumiere, de chaleur & de ftyle, à moins que cet efprit ne foit lui-mème le fond du fujet, & que l’Écrivain nait pas eu d'autre objet que la plaifanterie: alors l’art de dire de petites chofes devient peut-être plus difficile que Part d’en dire de grandes. Rien n’eft plus oppolé au beau naturel, que la peine qu’on fe donne pour exprimer des cho- es ordinaires ou communes d’une maniere fin- guliere ou pompeufe ; rien ne dégrade plus VÉ- ctivain. Loin de admirer, on le plaint d’avoir pañlé tant de temps à faire de nouvelles combi- naïfons de fyllabes, pour ne dire que ce que tout le monde dit, Ce défaut eft celui des ef ptits cultivés, mais f{tériles: ils ont des mots en abondance , point d'idées. Ils travaillent donc fur les mots, & s’imaginent avoir com- biné des idées, parce qu'ils ont arrangé des phrafes, & avoir épuré le langage, quand ils l'ont corrompu en détournant les acceptions. Ces Écrivains n’ont point de ftyle, ou, fi l’on veut, ils n’en ont que l'ombre : le ftyle doit graver des penfces; ils ne favent que tracer des paroles. Pour bien écrire, il faut donc pofléder plei- nement fon fujet; il faut y réfléchir aflez pour voir clairement l’ordre de fes penfées, & en former une fuite, une chaîne continue, dont chaque point repréfente une + & lorfqu’on A 2 324 aura pris la plume il faudra la conduire fuccef fivement fur ce premier trait, fans lui permet- tre de s’en écarter ; fans l’appuyer trop inéga- lement, fans lui donner d'autre mouvement que celui qui fera déterminé par lefpace qu’elle doit parcourir. C’elt en cela que confifte la févérité du flyle: c’eft aufli ce.qui en fera l'unité, & ce qui en réglera ja rapidité; & cela feul aufli fuf- fira pour le rendre précis & fimple, égal & clair, vif & fuivi. À cette premiere regle, dictée par le génie, fi l’on joint de la délicateffe & du goût, du fcrupule fur le choix des expreflions ;. de l'attention à ne nommer les chofes que par les termes les plus généraux, le ftyle aura de la no- blefle. Si lon y joint encore de la défiance pour Jon premier mouvement, du mépris pour tout ce qui n’eft que brillant, & une répusenance conitante pour l’équivoque & la plaifanterie, le ftyle aura de la gravité; il aura mème de la majefté. Enfin fi l’on écrit comme l’on pente; fi lon eft convaincu de ce que l’on veut per- fuader, cette bonne foi avec foi-mème, qui fait la bienféance pour les autres & la vérité du ftyle, Jui fera produire tout fon effet, pourvu que cette perfuafion intérieure ne fe marque pas par un enthoufiafme trop fort, & qu’il y ait par. tout plus de candeur que de confiance, plus de raifon que de chaleur. Ceft ainfi, Messieurs, qu'il me f:mbloit, en vous lifant, que vous me parliez, que vous m'inftruifiez : mon ame, qui recueilloit avec avidité ces oracles de la fagefle, vouloit prendre lPeflor & s'élever jufqu’à vous. Vains eflorts! Les regles, dificz-vous encore, ne peuvent fup- pléer au génie; sil manque, elles feront inuti- 33 les: bien ecrire, c’eft tout-à-la-fois bien penfer, bien fentir & bien rendre; c’eft avoir en mème temps de lefprit, de lame & du goût. Le ftyle fuppofe la réunion & l'exercice de toutes les fa- cultés intellectuelles : les idées feules forment Je fond du ityle; l'harmonie des paroles n’en eft que l’accefloire, & ne dépend que de Ja fenfibi- lité des organes. Il fuit d’avoir un peu d’o- reille pour éviter les diflonances des mots, & de lavoir exercée, perfectionnée par la lecture des Poëtes & des Orateurs, pour que mécanique- ment on foit porté à limitation de la cadence poëtique & des tours oratoires. Or jamais l'i- mitation n’a rien créé: aufhi cette harmonie des mots ne fait ni le fond, ni le ton du ftyle, & {e trouve fouvent dans des Écrits vides d’idées. Le ton n’eft que la convenance du ftyle à la nature du fujet. Il ne doit jamais être forcé: il naîtra naturellement du fond mème de la chofe, & dépendra beaucoup du point de généralité au- quel on aura porté fes penfées. Si l’on s’eft élevé aux idées les plus générales, & fi l’objet en lui- mème eft grand, le ton paroîtra s'élever à la meme hauteur; & fi, en le foutenant à cette élévation, le génie fournit aflez pour donner à chaque objet une forte lumiere, fi l’on peut ajouter la beauté du coloris à l'énergie du deffin, fi l’on peut en un mot, repréfenter chaque idée par une image vive & bien terminée, & former de chaque fuite d’idée un tableau harmonieux & mouvant, le ton fera non-feulement élevé, mais fublime. Ici, Messieurs , l'application feroit plus que la regle, les exemples inftruiroient mieux que les préceptes ; mais comme il ne nef pas X 3 326 permis de citer les morceaux fublimies qui m'ont fi fouvent tranfporté en lifant vos ouvrages, je fuis contraint de me borner à des réflexions. Les ouvrages bien écrits feront les feuls qui pañleront a la poftérité: la multitude des connoiïfances, la fingularité des faits, la nouveauté mème des découvertes ne {ont pas de furs garans de l’im- rortalité. Si les ouvrages qui les contiennent ge roulent que fur de petits objets, s'ils font écrits fans goût, fans noblefle & fans génie, ils périront, parce que les connoiflances, les faits & les découvertes s’enlevent ailément, {e tranf- portent, & gagnent mème à être mifes en œuvre par des mains pius habiles. Ces chofes font hors de l’homme: le ftyle eft l’homme mème. Le ftyle ne peut donc ni s’enlever, ni fe tranf porter, ni s’altérer: s’il eft élevé, noble, fubli- me, l’Auteur fera également admiré dans tous les temps; car il n’y a que la vérité qui foit du- rable & même éternelle. Or un beau ftyle n’eft tel en effet que par le nombre infini de vérités qu’il prélente. Toutes les beautés intellectuel- les qui s'y trouvent, tous les rapports dont il eft compofé, font autant de vérités aufli uti- les, & peut-être plus précieufes pour lefprit humain, que celles qui peuvent faire le fonds du fujet. Le fublime ne peut être que dans les grands fujets. La Poëfe, l’'Hiftoire & la Philofophie ont toutes le mème objet, & un très-grand ob- jets l'Homme & la Nature. La Philofophie décrit & dépeint la Nature; la Poëfe Ja peint & l’embellit: elle peint aufli les hornmes, elle les agrandit, elle les exagere, elle crée les Héros & les Dieux. L’hifloire ne peint que l’homme, 327 & le peint tel qu'il cft: ainhi le ton de l’'Hifto- rien ne deviendra fublime que quand il fera le portrait des plus grands hommes, quand il ex- pofera les plus grandes actions, les plus grands mouvemens, les plus grandes révolutions, & par-tout ailleurs il {ufhra qu’il {6it majeftueux & grave. Le ton du Philolophe pourra devenir fublime toutes les fois qu’il parlera des loix de la Nature, des êtres en général, de lefpace, de la matiere, du mouvement & du temps ; de lame, de l’efprit humain, des fentimens, des paflions : dans le refte, il fufhira qu’il foit no- ble & élevé, Mais le ton de lOrareur ou du Poëte, dès que le lujet eft grand, doit toujours être fublime, parce qu’il eft le maître de join- dre à la grandeur du fujet autant de couleur, autant de mouvement, autant d'illuñon qu’il Jui plaît; & que devant toujours peindre & tou- jours agrandir les objets, 1l doit aufli par-tout employer toute la force, & déployer toute lé- tendue de fon génie. Que de grands objets, MESSIEURS, frap- pent ici mes yeux! Etc quelftyle & quel ton fau- droit-il employer pour les peindre & les repré- enter dignement ? L’élite des hommes eft aflem- biée: la fagefle eft à leur tète: la Gloire, aflife au milieu d'eux, répand fes rayons {ur chacun, & les couvre tous d’un éclat toujours le mème & toujours renaïflant. Des traits d’une lumiere plus vive encore partent de {à couronne immor- telle, & vont {e réunir fur le front augufte du plus puiffant & du meilleur des Rois. Je le vois ce Héros, ce Prince adorable, ce Maitre fi cher, Quelle nobleffle dans tous ces traits! Quelle majefté dans toute fa perfonne ! Que 328 dame & de douceur naturelle dans fes regards! Il les tourne vers vous, MESSIEURS, & vous brillez d’un nouveau feu ; une ardeur plus vive vous embrafe. J'entends déja vos divins accens & les accords de vos voix: vous les réuniflez pour célébrer fes vertus, pour chanter fes viétoi= res, pour applaudir à notre bonheur; vous les réuniflez pour faire éclater votre zele, exprimer votre amour, & tranfmettre à la poftérité des fentimens dignes de ce grand Roi & de fes def cendans. Quels concerts ! ils pénetrent mon cœur ; ils feront immortels, comme le nom de LOUIS. | Dans le lointain, quelle autre {cene de grands objets! Le génie de la France, qui parle à Rt chelieu, & lui diéte à la fois Part d'éclairer les hommes & de faire régner les Rois. La Juftice & la Science, qui conduifent Seguier, & léle- - vent de concert à la premiere place de leurs tri- bunaux. La Vi@oire, qui s’'avance à grands pas, & précede le char triomphal de nos Rois, où LOUIS LE GRAND, aflis fur des trophées, d’une main donne la paix aux Na- tions vaincues, & de l’autre raflemble dans ce palais les Mufes difperfées. Et près de moi, MESSIEURS, quel autre objet intérefiant! La Religion en pleurs, qui vient emprunter l'or gane de l’'Éloquence pour exprimer {a douleur, & femble m’accufer de fufpendre trop long-temps vos regrets fur une perte que nous devons tous reflentir avec elle. FIN du tome premier. Tom J. | | PER 251: ARE Ter T h Fe nRs Tr ’£ Dsl 1 MIE VOUS imac lpermalques suivant la derniere Edilion deLecuvencck. Du Beer Du Chien. Du Lapin | Anx mort. Ani vivant Ani mort. Ani vivant. Flirt L'ÉtE. Z/Forrirrie L Eu b 3 PE A 0 420 om mnt gt ares dE NT TO EMA RÉ Er GES Lom.L. PRESS ARTE PULZ pag. LTÉE: d. 4 St, t- x Fr el dB PS even tr Sn Rte te TRAME AS PER PO » Tom .Z | LZIT. pag. 18 Tom L AT 0 1e Le ÆELV. FA AS F Ê sm 1) up MARS 22 qe ri “ à , M FRA CT ; JAGUS (Tom.l. PLV. Pag. 24 4 EX HISPFOIRE GÉNÉRALE DES ANIMAUX L'HOMME, Ÿ COMPRIS L'ARITHMÉTIQUE MORALE. Par Mae COMTE DEBUFEON TOME SECOND. Avec Figures. Re Sim ns Vs No Ÿ BERNE, Chez LA | NOUNÈLEE SOCTÉTÉ TYPOGRAPHIQUE. MDI DCC. ACIL. Î : Ur / ne € D : NE: LT ' RACE 4 Fe ah 0 de 2 3 à 3 L ut *k vi MU ra AN CLS , n Li a Ang EM ge de or em Ya Fi ee 1? : à ennemie At PALAU PSE ; TTUnNES" L = IN HISTOIRE NATURELLE. DES ANIMAUX. CHA PLACE NTIRE Varieté de la generation des animuux. SG La matiere qui fert à la nutrition & à Ja reproduction des animaux & des végétaux, eft donc la mème : c’eft une fubftance productive & univerfelle , compofée de molécules organi- ques toujours exiltantes toujours actives, dont la réunion produit les corps organifés. La Na- ture travaille donc toujours fur le mème fonds, & ce fonds eft inépuifable ; mais les moyens qu’elle emploie pour le mettre en valeur, font différens les uns des autres, & les différences ou les convenances générales méritent que nous y faflions attention ; d’autant plus que c’eft de- là que nous devons tirer les raifons des excepx tions & des variétés patticulieres. Hif. Nat, des Anim. T. II, À 2 | Hiftoire Naturelle. On peut dire en général, que les grands animaux font moins féconds que les petits : la baleine, lPéléphant, le rhinocéros , le chameau, le bœuf, le cheval, l’homme, &c. ne produi- {ent qu’un fœtus, & très-rarement deux; tau- dis que les petits animaux , comme les rats, les harengs, les infeétes, produifent un grand nom- bre de petits. (Cette différence ne viendroit-elle pas de ce qu'il faut beaucoup plus de nourri- ture pour entretenir un grand corps que pour en nourrir un petit, & que, proportion gar- dée, ily a dans les grands animaux beaucoup moins de nourriture fuperfue qui puifle de- venir femence, qu'il n’y en a dans les petits animaux ? Il cft certain que les petits animaux mangent plus à proportion que les grands; mais il femble aufi que la multiplication prodigieufe des plus petits animaux , comme des abeïlles , des mouches & des autres infectes, pourroît être attribuée à ce que ces petits animaux, étant doués d'organes très-fins & de membres tres- déliés, ils font plus en état queles autres, de choifir ce qu’il y a de plus fubitantiel & de plus organique dans les maticres végétales ou anima. les dont ils tirent leur nourriture. Une abeille, qui ne vit que de la fubftance la plus pure des fleurs, recoit certainement par cette nourriture beaucoup plus de molécules organiques, propor- tion gardée, qu’un cheval ne peut en recevoir par les parties groflieres des végétaux , le foin & la paille, qui lui fervent d’aliment; aufli le cheval ne produit -il qu’un fœtus, tandis que -Pabeille en produit trente mille. Les animaux ovipares font en général plus des Animaux. 3 petits que les vivipares ; ils produifent auff beau. coup plus. Le féjour que les fœtus font dans la matrice des vivipares, s’oppole encore à la mul- tiplication. Tandis que ce vifcere eft rempli, & qu'il travaille à la nutrition du fœtus, il ne peut y avoir aucune nouvelle génération; au lieu que les ovipares, qui produifent en meme temps les matrices & les fœtus, & qui les lai {ent tomber au dehors, font prefque toujours en état de produire; & l’on fait qu’en empèe- chant une poule de couver, & en la nourriflant largement, on augmente confidérablement le produit de fa ponte. Si Les poules ceflent de pon- dre lorfqu’elles couvent, c’eft parce qu’elles ont ceflé de manger, & que la crainte où elles pa- roiflent ètre de laifler refroidir leurs œufs, fait qu'elles ne les quittent qu’une fois par jour, & pour un très-petit temps , pendant lequel elles prennent un peu de nourriture , qui peut - être ne va pas à la dixieme partie de ce qu’elles en prennent dans les autres temps. Les animaux qui ne produifent qu’un petit nombre de fœtus, prennent la plus grande par- tie de leur accroiflement, & mème leur accroif. fement tout entier, avant que d’être en état d’engendrer; au lieu que les animaux qui mul. tiplient beaucoup , engendrent avant mème que leur corps ait pris la moitié, ou mème le quart de fon accroiflement. L'homme, le cheval, le bœuf, l’âne, le bouc, le bélier ne font Capa bles d’engendrer que quand ils ont pris la plus grande partie de leur accroiflement : il en eft de mème des pigeons, & des autres oifeaux qui ne produifent qu’un petit ngmbre aude mais à 4 Hiftoire Naturelle. .ceux qui en produifent un grand nombre, comme les cogs & les poules, les poiflons, &c. engendrent bien plus côt. Un coq eft capable d’engendrer à l’âge de trois mois, & il n’a pas alors pris plus du tiers de fon accroiflement : un poiflon, qui doit au bout de vingt ans pe- {er trente livres, engendre dès la premiere ou feconde année, & cependant il ne pele peut- être pas alors une demi-livre. Mais il y auroit des obiervations particulieres à faire {ur l’accroif- fement & la durée de la vie des poiflons. On peut reconnoître à- peu- près leur âge, en exa- minant avec une loupe ou un microfcope les couches annuelles dont font compofées leurs écailles; mais on ignore jufqu’où il peut s’éten- dre. Jai vu des carpes chez M. le Comte de Maurepas, dans les foflés de {on château de Pontchartrain, qui ont au moins cent cinquante ans bien avérés, & elles m'ont paru aufli agi- les & aufli vives que des carpes ordinaires. Je ne dirai pas, avec Leeuwenhoek, que les poif- fons font immortels, ou du moins qu’ils ne peuvent mourir de vieillefle : tout, ce me {em- ble, doit périr avec le temps; tout ce qui a eu une origine, une naiflance, un commencement, doit arriver à un but, à une mort, à une fin. Mais il eft vrai que les poifions, vivant dans un élément uniforme, & étant à l'abri des gran- des viciilitudes & de toutes les injures de Pair, doivent fe conferver plus long-temps dans le même état que les autres animaux ; & fi ces viciflitudes de l’air font, comme le prétend un grand Philofophe (k), les principales caufes de (4) Le Chancelier Bacon, Voyez fon Traité de la vie & de la mort. Des Animaux. s: la deftruction des êtres vivans , il eft certain que les poifons , étant de tous les animaux ceux qui y font le moins expofés, ils doivent durer beaucoup plus long-temps que les autres. Mais ce qui doit contribuer encore à la plus longue durée de leur vie, c’eft que leurs os font d’une fubftance plus molle que ceux des autres ani- maux, & qu'ils ne fe durciflent pas, & ne chan- gent prefque point du tout avec l’âge : les arè- tes des poiflons s’alongent, groffiflent & pren- nent de l’accroiflement fans prendre plus de fo. lidité, du moins fenfiblement ; au lieu que les os- des autres animaux, aufli-bien que toutes les autres parties folides de leur corps, p'en- nent toujours plus de dureté & de folidité ; & enfin , lorfqu’elles {ont abfolument remplies & obftruées , le mouvement cefle & la mort fuit. Dans les arètes, au contraire, cette augmenta- tion de folidité, cette répletion, cette obftruc- tion qui eft la caufe de la mort naturelle, ne fe trouve pas, ou du moins ne fe fait que par degrés beaucoup plus lents & plus infenfbles ; & il faut peut-être beaucoup de temps pour que les _poiflons arrivent à la vicilleffe. Tous les animaux quadrupedes, & qui font couverts de poil, font vivipares ; tous ceux qui font couverts d’écuilles, {ont ovipares. Les vivipares font, comme nous l'avons dit, moins féconds que les ovipares. Ne pourroit- on pas croire , que, dans les quadrupedes ovipares , 1l fe fait une bien moindre déperdition de fubf- tance par la tranfpiration; que le tiu ferré des écailles la retient; au lieu que, dans les ani- maux couverts de poil, cette trantniration elt À 2 6 Hifioire Naturelle. plus libre & plus abondante? & n’eft-ce pas en partie par cette furabondance de nourri- ture , qui ne peut être emportée par la tran{pi- ration, que ces animaux multiplient davantage, & qu’ils peuvent auf fe pañler plus long-temps d’alimens que les autres? Tous les oifeaux & tous les infeétes qui volent, {ont ovipares . à l'exception de quelques efpeces de mouches (1), qui produifent d’autres petites mouches vivan- tes. Ces mouches n’ont pas d’ailes au moment de leur naïflance : on voit ces ailes poufler & grandir peu-a-peu, à mefure que la mouche groilit, & elle ne commence à s’en {ervir , que quand elle à pris fon accroiflement. Les poif. fons couverts d’écailles font aufli tous ovipares: les répetiles qui n’ont point de pieds, comme Jes couleuvres & les différentes efpeces de fer- pens font aufli ovipares. Ils changent de peau, & cette peau eft compofée de petites écailles. La vipere ne fait qu’une légere exception à la regle générale ; car elle n’eft pas vraiment vivi. pare: elle produit d’abord des œufs, & les pe- tits fortent de ces œufs ; mais il eft vrai que tout cela s’opere dans le corps de la mere, & qu’au lieu de jetter fes œufs au dehors, comme Jes autres animaux ovipares , elle les garde & les fait éclore en dedans. Les falamandres, dans Jefquelles on trouve des œufs, & en meme temps des petits déja formés, comme l’a obfervé M. de Maupertuis (m) , feront une exception de la mème efpece dans les animaux quadrupedes ovi- pares. (4) Voyez Leeuwenhoek , fome IV, pages 91 9 92. (zx ) Mémoires de l'Acad. annéé 1727 , page 32. Des Animaux. 7 La plus grande partie des animaux fe perpé- tue par la copulation. Cependant, parmi les animaux qui ont des fexes, il y en a beaucoup qui ne fe joignent pas par une vraie copuiation. Il femble que la plupart des oïfeaux ne faflent que comprimer fortement la femelle ; commele coq, dont la verge, quoique double, eft fort courte; les moineaux, les pigeons, &c. D’au- tres, à la vérité, comme l’autruche, le canard, lPoie, &c. ont un membre d’une groffeur con- fidérable , & l’intromiflion n’elt pas équivoque dans ces efpeces. Les poiflons mâles s’approchent de la femelle dans le temps du frai: il femble mème qu'ils fe frottent ventre contre ventre, car le mâle fe retourne quelquefois fur le dos pour rencontrer le ventre de la femelle: mais avec cela il n’y aucune copulation ; le membre néceflaire à cet acte n’exifte pas, & lorfque les poiflons mâles s’approchent de fi prés de la fe- melle, ce aeft que pour répandre la liqueur contenue dans leurs laites, fur les œufs que la femelle laifle couler alors. Il femble que ce foient les œufs qui les attirent plutôt que la fe- melle; car fi elle cefle de jetter des œufs, le male abandonne, & fuit avec ardeur les œufs que le courant emporte , ou que le vent difperle: on le voit paller & repañler cent fois dans tous les endroits où il y a des œufs. Ce n’elt fûre- ment pas pour l’amour de la mere qu’il fe donne tous ces mouvemens. [Il n’elt pas à préfumer qu’il la connoifle toujours; car on le voit ré- pandre fa liqueur fur tous les œufs qu’il ren- contre, & fouvent avant que d’avoir rencon- tré la femelle. A 4 8 Hiftoire Naturelle. Il y a donc des animaux qui ont des fexes & des parties propres à la copulation ; d’autres qui ont aulli des fexes & qui manquent des par- ties néceilaires à la copulation ; d’autres, comme les limacons, ont des parties propres à la co- pulation , & ont en même temps les deux fe- xes; d’autres, comme les pucerons, n’ont point de fexe, font également peres ou meres, & engendrent d’eux-mèmes & fans copulation, quoiqu’ils s’accouplent aufli quand il leur plaît, fans qu’on puifle favoir trop pourquoi, ou, pour mieux dire, fans qu’on puifle {avoir fi cet accouplement eft une conjonction de fexes, puiiqu’ils en paroïflent tous également privés ou également pourvus; à moins qu'onne veuille fuppofer , que la Nature a voulu renfermer dans l'individu de cette petite bète, plus de facultés pour la génération que dans aucune au- tre efpece d'animal, & qu’elle lui aura accordé non-feulement la puiflance de fe reproduire tout feul, mais encore le moyen de pouvoir auffi fe multiplier par la comunication d’un autre in- dividu. Mais, de quelque facon que la génération s’opere dans les différentes efpeces d'animaux, il paroït que la nature la prépare par une nou- velle production dans le corps de l'animal. Soit que cette production {e manifefte au dehors, foit qu’elle refte cachée dans l’intérieur , elle précede toujours la génération; car fi l’on exa- mine les ovaires des ovipares & les tefticules des femelles vivipares, on reconnoîtra, qu’a- vant limprégnation des unes -& la fécondation des autres, 1l arrive un changement confidéra Des Animaux. 9 ble à ces parties, & qu’il fe forme des produc- tions nouvelles dans tous les animaux, lorf- qu'ils arrivent au temps où ils doivent fe mul- tiplier. Les ovipares produifent des œufs, qui d’abord font attachés à l'ovaire , qui, peu-à-peu, groffiflent & s’en détachent , pour Îe revêtir en- fuite dans le canal qui les contient, du blanc de leurs membranes , & de la coquille. Cette production eft une marque non équivoque de la fécondité de la femelle, marque qui la pré- cede toujours, & fans laquelle la génération ne peut être opérée. De mème, dans les femelles vivipares , il y a fur les tefticuies un ou plu- fieurs corps glanduleux , qui croiflent peu -à- peu au-deflous de la membrane qui enveloppe le tefticule. Ces corps glanduleux groffiffent , s’'élevent, percent, ou plutôt pouflent & foule. vent la membrane qui leur eft commune avec le tefticule: ils fortent à l'extérieur, & lor{- qu’ils font entiérement formés , & que leur maturité eft parfaite, il fe fait à leur extrèmité extérieure une petite fente, ou plufieurs peti- tes ouvertures par où ils laiflent échapper la li- queur féminale , qui tombe enfuite dans la ma- trice. Ces corps glanduleux font , comme l’on voit, une nouvelle production, qui précede la génération, & fans laquelle il n’y en auroitau. cune. Dans les mâles il y a aufli une efpece de production nouvelle, qui précede toujours la génération: car, dans les mâles des ovipares, il fe forme peu-à-peu une grande quantité de li- queur qui remplit un rélervoir très-confidéra- ble, & quelquefois le réfervoir mème 1e forme 19 Hifioire Naturelle. tous les ans. Dans les poiflons, la laite fe forme de nouveau tous les ans, comme dans le cal- mar ; ou bien, d’une membrane {eche & ridée qu’elle étoit auparavant, elle devient une mem- brane épaifle, & qui contient une liqueur abon- dante. Dans les oifeaux , les tefticules {e gon- flent extraordinairement le temps qui précede celui de leurs amours ; en forte que leur grof- feur devient, pour ainfi dire, monftrueule fi on la compare à celle qu’ils ont ordinairement. Dans les mäles des vivipares , les tefticules fe gonflent aufli aflez confidérablement dans les ef peces qui ont un temps de rut marqué; & en général, dans toutes les efpeces, il y a de plus un gonflement & une extenfion du membre gé- nital, qui, quoiqu’elle foit paffagere & exté. rieure au corps de l'animal, doit cependant ètre regardée comme une production nouvelle, qui précede nécellairement toute génération. Dans le corps de chaque animal , foit mâle, foit femelle , il {e forme donc de nouvelles pro- dudions , qui précedent la génération. Ces pro- ductions nouvelles {ont ordinairement des par- ties particulieres ; comme les œufs, les corps glanduleux, les laites, &c. & quand il n'y a pas de production réelle, il y a toujours un gonfement & une extenfion très-confidérables dans quelques-unes des parties qui fervent à la génération: mais dans d’autres efpeces, non-feu- lement cette production nouvelle fe manifefte dans quelques parties du corps , mais mème il femble que le corps entier fe reproduife de nou- veau , avant que la génération puifle s’opérer : je veux parler des infectes & de leurs métamor- Des Animaux, IT phofes. Il me paroît que ce changement , cette efpece de transformation qui leur arrive, n’eft qu’une production nouvelle, qui leur donne la puifflance d’engendrer. C’eft au moyen de cette production, que les organes de la génération fe développent & fe mettent en état de pouvoir agir; car l’accroiflement de l’animal eft pris en entier avant qu'il fe transforme : il cefle alors de prendre de la nourriture, & le corps, fous cette premiere forme, n’a aucun organe pour la génération, aucun moyen de transformer cette nourriture dont ces animaux ont une quati- tite fort furabondante , en œufs & en liqueur féminale; & dès-lors cette quantité furabon- dante de nourriture, qui eft plus grande dans les infectes que dans aucune autre efpece d’ani- mal, fe moule & fe réunit toute entiere; d’a- bord fous une forme qui dépend beaucoup de celle de l'animal mème, & qui y reflemble en partie. La chenille devient papillon, parce que n'ayant aucun organe, aucun vifcere capable de contenir le fuperfu de la nourriture, &ne pouvant par conféquent produire de petits êtres organifes femblables au grand, cette nourriture organique , toujours active, prend une autre forme en fe joignant en total, felon les combi- naifons qui réfuitent de la figure de la chenille, & elle forme un papillon, dont la figure répond en partie, & mème pour la conftitution eflen- tielle, à celle de la chenille ; mais dans lequel les organes de la génération font développés ; & peuvent recevoir & tranfmettre les parties organiques de la nourriture qui forme les œufs & les individus de Pefpece. qui doivent en un 12 Hifioire Naturelle. mot, opérer la génération ; & les individus qui proviennent du papillon, ne doivent pas ètre des papillons, mais des chenilles ; parce qu’en eflet c’eit la chenille qui a pris la nourriture, & que les parties organiques de cette nourri- ture {e font aflimilées à la forme de la chenille & non pas à celle du papillon, qui n’eft qu’une production accidentelle de cette mème nourri- ture furabondante, qui précede la production réelle des animaux de cette efpece, & qui n’eft qu'un moyen que la nature emploie pour y ar- river; comme lorfqu’elle produit des corps glan- duleux, ou les laites, dans les autres efpeces d'animaux : mais cette idée, au fujet de la méta- morphofe des infectes, fera développée avec avantage, & foutenue de plufieurs preuves dans notre Hiftoire des [nfectes. £ Lorfque la quantité furabondante de la nour- riture organique meft pas grande, comme dans Phomme & dans la plupart des gros animaux, la génération ne fe fait que quand l’accroifle- ment du corps de l'animal eft pris, & cette gé- nération {e borne à la production d'un petit nombre d'individus. Lorfque cette quantité eft plus abondante, comme dans Pefpece des coqs, dans plufieurs autres efpeces d’oifeaux , & dans celle de tous les poiflons ovipares, la généra- tion fe fait avant que le corps de l'animal ait pris {on accroiflement, &la produétion de cette genération s'étend à un grand nombre d'indivi- dus. Lorfque cette quantité de nourriture or- ganique eft encore plus {urabondante, comme dans les infectes , elle produit d’abord un grand corps organilé, qui retient la conftitution in. Des Animaux. | 13 térieure & effentielle de l'animal , mais qui en differe par plufieurs parties, comme le papillon differe de la chenille ; & enfuite , après avoir produit d’abord cette nouvelle forme de corps, & développé , fous cette forme , les organes de la génération, cette génération fe fait en très- peu de temps, & fa production eft un nombre prodigieux d'individus , femblables à lanima}, qui, le premier, a préparé cette nourriture or- ganique dont font compciés les petits individus naiflans : enfin, lorique la furabondance de la nourriture eft encore plus grande, & qu’en même temps l’animal a les organes néceffaires à la génération , comme dans lefpece des puce: rons, elle produit d’abord une génération dans tous les individus, & enfuite une transforma- tion, c’eft-à-dire , un grand corps organilé, com- me dans les autres infectes: le puceron devient mouche ; mais ce dernier corps organifé ne pro- duit rien, parce qu'il n’eft en effet que le {u- perflu, ou plutôt le refte de la nourriture or- ganique, qui avoit pas été employée à la pro- duction des petits pucerons, Prefque tous les animaux , à l’exception de Phomme, ont chaque année des temps marqués pour la génération. Le printemps eft pour les oifeaux la faifon de leurs amours : celle du frai des carpes & de plufieurs autres efpeces de poif- {ons, elt le temps de la plus grande chaleur de année ; comme aux mois de juin & d’août : celle du frai des barbeaux & d’autres efpeces de poiflons, eft au printemps. Les chats fe cherchent au mois de janvier , au mois de mat & au mois de feptembre: les chevreuils, au mois 14 Hifoire Naturelle. de décembre ; les loups & les renards en janvier : les chevaux en été ; les cerfs aux mois de fep- tembre & d'octobre : prefque tous les infectes ne fe joignent qu’en automne, &c. Les uns, comme ces derniers, {emblent s’épuifer totale. ment par l'acte de la génération ; & en effet, ils meurent peu de temps après, comme l’on voit mourir, au bout de quelques jours , les papil- Jons qui produifent les vers à foie: d’autres ne s’épuifent pas ju{qu’à l'extinction de la vie; mais ils deviennent, comme les cerfs, d’une mai- greur extreme & d’une grande foiblefle, & il leur faut un temps confidérable pour réparer la perte qu'ils ont faite de leur fubftance organique : d’autres s’épuifentencore moins, & font en état d’engendrer plus f{ouvent; d’autres enfin, com. me l’homme, ne s’épuifent point du tout, ou du moins font en état de réparer promptement Ja perte qu’ils ont faite, & ils {ont aufli en tout temps en état d’engendrer. Cela dépend uniquement de la conftitution particulicre des organes de ces animaux. Les grandes limites que la Nature a miles dans la maniere d’exifter , fe trouvent toutes aufli étendues dans la maniere de prendre & de digérer la nourriture; dans les moyens de la rendre ou de lagarder, dans ceux de la féparer & d’en tirer les molécules organi- ques néceflaires à la production ; & par-tout nous AN ta toujours que tout ce qui peut être, eft. On doit dire la mème chofe du temps de la geftation des femelles. Les unes, comme les jumens, portent le fœtus pendant onze à douze Des Animaux. 15 mois: d’autres, commeles femmes, les vaches, les biches, pendant neuf mois ; d’autres , comme les renards, les louves, pendant cinq mois: les chiennes, pendant neuf femaines ; les chat. tes pendant fix; les lapins trente-un jours : la plupart des oifeaux fortent de l’œuf au bout de vingt-un Jours; quelques-uns , comme les {e- rins, éclofent au bout de treize ou quatorze jours, &c. La variété eft ici toute aufli grande qu’en touteautre chofe, feulement il paroit que les plus sros animaux, qui ne produifent qu’un petit nombre de fœtus, font ceux qui portent le plus long-temps : ce qui confirme encore ce que nous avons dit, que la quantité de nour- riture organique eft à proportion moindre dans les gros que dans les petits animaux ; car c’eft du fuperflu de la nourriture de la mere, que le fœtus tire celle qui eft néceflaire à fon accroif- fement & au développement de toutes fes par- ties; &puilque ce développement demande beau- coup plus de temps dans les gros animaux que dans les petits, c’eft une preuve que la quan- tité de matiere qui y contribue, n’eft pas auf abondante dans les premiers que dans les der- niers. Il y a donc une variété infinie dans les ani. maux , pour le temps & ia maniere de porter, de s’accoupler & de produire ; & cette mème variété fe trouve dans les caufes mêmes de la génération : car quoique le principe général de toute production Îoit cette matiere organique, qui eft commune à tout ce qui vit ou végete, la maniere dont s’en fait laréunion, doit avoir des combinaïlons à l'infini, qui toutes peuvemgt 16 Hifioire Naturelle. devenir des fources de productions ñouvelles. Mes expériences démontrent aflez clairement - qu’il n’y a point de germes préexiftans, & en _même temps elles prouvent , que la génération des animaux & des végétaux n’eft pas univo- que: il y a peut-être autant d’êtres, {oit vi- vans, {oit végétans, qui {e produifent par l’af- femblage fortuit des molécules organiques , qu’il y a d'animaux ou de végétaux qui peuvent fe reproduire par une fuccellion conftante de gé- nérations. C’eft à la production de ces efpeces d'êtres, qu’on doit appliquer l’axiome des an- ciens: Corruptio unius, geheratio alterius. La corruption ,; la décompofition des animaux & des végétaux , produit une infinité de corps organifés vivans & végétans. Quelques -uns, comme ceux dela laite du calmar, ne font que des efpeces de machines ; mais des machines , qui, quoique tres-fimples, font actives par elles- mêmes : d’autres, comme les animaux fper- matiques , font des corps, qui, par leur mou- vement, {emblent imiter les animaux; d’autres imitent les végétaux par leur maniere de croître & de s'étendre: il y en a d’autres , comme ceux du blé ergoté, qu’on peut alternativement faire vivre & mourir aufli fouvent que l’on veut, & l’on ne fait à quoi les comparer: il y en a d’autres, mème en grande quantité, qui font d’abord des efpeces de végétaux, qui enfuite de- viennent des efpeces d'animaux, lefquels rede- viennent à leur tour des végétaux, &c. Il y a grande apparence, que plus on obfervera ce nou- veau gente d'êtres organifes, & plus on y trou- vera de variétés, toujours d'autant plus La ieres Des Animarx. 17 lires pour nous, qu’elles font plus éloignées de nos yeux & de l’efpece des autres variétés que nous préfente la nature. , Par exemple, lergot ou le blé ergoté, qui eft produit par une efpece d’altération ou de dé. compofition de la {ubftance organique du grain ; eft compolé d’une infinité de filets ou de petits corps organifés ; femblables , par la figure, à des anguilles. Pour les obferver au microfcope, il n’y a qu’à faire infufer le grain pendant dix à douze heures dans de leau , & féparer les filets qui en compofent la fubftance. On verra qu’ils ont un mouvement de flexion & de tor- tillement très-marqué, & qu’ils ont en mème temps un léger mouvement de progreflion, qui imite en perfection celui d’une anguille qui {8 tortille. Lorfque l’eau vient à leur manquer , ils ceflent de {e mouvoir: en y ajoutant de la nouvelle eau ; leur mouvement recommence, & fi on garde cette matiere pendant plufieurs jours, pendant plufieurs mois, & mème pen- dant plufieurs années, dans quelque temps qu’on la prenne pour l’obferver, on y verra les mè- mes petites anguilles, des qu’on la melera avec de l’eau, les mèmes filets en mouvement qu’on y aura vus la premiere fois; en forte qu’on peut faire agir ces petites machines aufhi {ou- vent & aufli long-temps qu’on le veut, fans les détruire, & fans qu’elles perdent rien de leur force ou de leur activité. Ces petits corps feront, fi lon veut, des efpeces de machines, qui fe mettent en mouvement des qu’elles font plon- gées dans un fluide. Ces filets s'ouvrent quel- quefois comme les filamens de la femence, & Hifi, Nat, des Anim. T. IL. 18 Hifioire Naturelle. produifent des globules mouvans : on pourroit donc croire qu’ils {ont de la mème nature, & qu'ils font feulement plus fixes & plus folides que ces filamens. Les anguilles qui fe forment dans la colle faite avec de la farine, n’ont pas d’autre ori- gine que la réunion des molécules organiques de la partie la plus fubftantielle du grain. Les premieres anguilles qui paroïflent, ne {ont cer- tainement pas produites par d’autres anguilles; cependant, quoiqu’elles n'aient pas été engen- drées, elles ne jaiflent pas d’engendrer elles-mè- mes d’autres anguilles vivantes. On peut, en les coupant avec la pointe d’une lancette , voir les petites anguilles fortir de leur corps, & même en tres-grand nombre : il femble que le corps de l'animal ne foit qu’un fourreau ou un fac, qui contient une multitude d’autres petits animaux, qui ne font peut-être eux-mèmesque des tourreaux de la mème efpece, dans lefquels, à melure qu'ils grofliflent, la matiere organi- que s’aflimile & prend la mème forme d’an- guilles. Il faudroit un plus grand nombre d’obfer- vations que je n’en ai, pour établir des clafles & des genres entre ces êtres fi finguliers, & jufqu’à préfent fi peu connus. 11 y en a qu’on pourroit regarder comme de vrais zoophytes , qui végetent, & qui en même temps paroif- fent fe tortiller, & qui meuvent quelques-unes de leurs parties comme les animaux les remuent : il y en a qui paroiflent d’abord ètre des ani- maux, & qui fe joignent enfuite pour former des efpeces de végétaux. Qu'on fuive feulement Des Animaux, 19 avec un peu d'attention la décompolition d’un grain de forment dans l’eau, on y verra une partie de ce que je viens de dire. Je pourrois joindre d’autres exemples à ceux-ci; mais je ne ok ai rapportés que pour faire remarquer la va- riété qui fe trouve dans la génération prife gé. néralement. Il y a certainement des êtres orga- nifés, que nous regardons comme des animaux, & qui cependant ne font pas engendrés par des animaux de mème efpece qu'eux : il y en a qui ne font que des efpeces de machines ; il y a de ces machines dont l’aion eit limitée à un cer- tain effet, & qui ne peuvent agir qu’une fois pendant un certain temps, comme les vaif feaux Jaiteux du calmar: il y en a d’autres, qu’on peut faire agir aufli long-temps & auf fouvent qu’on le veut, comme celles du blé ergote : il y a des êtres végétans, qui produifent des corps animés, comme les flamens de la {e- mence humaine, d’où {ortent des globules ac. tifs, & qui fe meuvent par leurs propres for- ces. Il y a dans la clafle de ces è:res organi- fées, qui ne font produits que par la corrup- tion, la fermentation, on plutôt la décompo- fition des fubftances animales ou végétales; il ya, dis-je, dans cette clafle, des corps orga- nifés, qui font de vrais animaux, qui peuvent produire leurs femblables, quoiqu’ils n'aient pas été produits eux-mèmes de cette facon. Les Jimites de ces variétés font peut-etre encore plus grandes que nous ne pouvons limaginer. Nous avons beau généralifer nos idées, & faire des efforts pour réduire les effets de la nature à de certains points, & fes produétions à de cer- B 2 29 \ Hifioire Naturelle. taines claffés, il nous échappera toujours une infinité de nuances, & mème de degrés, qui ce- _ pendant exiftent dans l’ordre naturel des chofes. CR PA CL'R ETES De la formation du Fetus. I: paroït certain, par les obfervationis de Verrheyen, qui a trouvé de la femerice de tau- reau dans la matrice de la vache ; par celles de Ruïfch, de Fallope & des autres Anatomiftes, qui ont trouvé de celle de l’homme daris la ma- trice de plufieurs femmes; par celles de Leeu- wenhoek, qui en a trouvé dans la matrice d’une grande quantité de femelles, toutes difléquées immédiatement après l’accouplement ; il paroït, dis-je, très-certain, que la liqueur féminale du mâle entre dans la matrice de la femelle; foit qu’elle y arrive en fubftance par l’orifice interne qui paroît être l'ouverture naturelle par où elle doit pañler , foit qu’elle fe fafle un paflage en p:- nétrant à travers le tifflu du col, & des autres parties inférieures de la matrice qui aboutiflent au vagin. Il eft très- probable, que, dans le temps de la copulation , l’orifice de la matrice s’ouvre pour recevoir la liqueur féminale, & qu’elle ÿ entre en effet par cette ouverture, qui doit la pomper; mais on peut croire auf, que . cette liqueur, ou plutôt la fubftance active & prolifique de cette liqueur, peut pénétrer à tra- Des Animanusx. 21 vers le tiffu mème des membranes de la ma- trice ; car la liqueur féminale étant, comme nous l'avons prouvé, prefque toute compoice de molécules organiques qui font en grand mou- vement, & qui {ont en mème temps d’une peti- tefle extrème, je conçois que ces petites parties actives de la femence , peuvent pañler à travers le tiu des membranes les plus ferrées, & qu’el- les peuvent pénétrer celles de la matrice avec une grande facilite. Ce qui prouve que la partie active de cette liqueur peut non-feulement pañler par les pores de la matrice, mais même qu’elle en pénetre la fubftance, c’eft le changement prompt, &, pour ainfi dire, fubit, qui arrive à ce vifcere, des les premiers temps de la groflefle. Les regles & mème les vidanges d’un accouchement qui vient de précéder, {ont d’abord fupprimées ; la ma- trice devient plus mollafle, elle fe gonfle , elle paroit enflée à l’intérieur , & , pour me fervir de la comparaifon de Harvey , cette enflure reflemble à celle que produit la piquure d’une abeille {ur les levres des enfans. Toutes ces ai- térations ne peuvent arriver que par l’action d’une caufe extérieure, c’eft-à-dire, par la pé- nétration de quelque partie de la liqueur fémi- nale du male dans la fubftance mème de la ma- trice. Cette pénétration n’eft point un effet fu- perficiel, qui s’opere uniquement à la furface , loit extérieure , {oit intérieure, des vaifleaux qui conitituent la matrice , & de toutes les au- tres parties dont ce vifcere eft compofé; mais c’eit une pénétration intime , femblable à celle de la nutrition & du développement ; c’eft une B 3 22 Hifioire Naturelle. pénétration dans toutes les parties du moule intérieur de la matrice, opérée par des forces femblables à celles qui contraignent la nourri- ture à pénétrer le moule intérieur du corps, & qui en produifent le développement ‘fans en changer la forme. | On fe perfuadera facilement que cela eft ainfi, lorfque lon fera réflexion , que la ma- trice, dans le temps de la grofefle, non-feu- lement augmente en volume, mais encore en mafle, & qu’elle a une efpece de vie, ou, fi Pon veut, une végétation ou un développement, qui dure & va toujours en augmentant jufqu’au temps de laccouchement. (Car fi la matrice ’étoit qu'un fac, un récipient deftiné à rece- voir la femence & à contenir le fœtus, on verroit cette efpece de fac s'étendre & s’amin- cir à mefure que le fœtus augmenteroit en grof- feur ; & alors il n’y auroit qu’une extenfion, pour ainfi dire fuperficielle, des membranes qui compofent ce vifcere: mais l’accroillement de la matrice n’eft pas une fimple extenfion ou une dilatation à l'ordinaire. Non-feulement la matrice s'étend à mefure que le fœtus augmente, mais celle prend en mème temps de la {olidité, de l’Cpaifleur; elle acquiert, en un mot, du volume & de la mafñle en même temps. Cette efpece d'augmentation eft un vrai développe- ment, un accroifflement femblable à celui de toutes les autres parties du corps, lorfqu’el. Jes {e développent, qui, dès-lors , ne peut être produit que par la pénétration intime des molé- cules organiques analogues à la fubftance de ectte partie: & comme ce développement de la Des Animaux. 23 matrice n'arrive jamais que dans le temps de Pim- prégnation, & que cette imprégnation {uppote néceflairement l’action de la liqueur du male, ou tout au moins! qu’elle en eft leffet, on ne peut pas douter que ce ne Îoit la liqueur du male qui produife cette altération à la matrice, & que cette liqueur ne foit la premiere caufe de ce développement, de cette efpece de végé- tation & d’accroiflement, que ce vifcere prend, avant mème que le fœtus foit aflez gros, & qu'il ait aflez de volume pour le forcer a fe dilater. Il paroît de mème tout aufli certain par mes expériences, que la femelle a une liqueur fémi- minale, qui commence à {e former dans les tel. ticules, & qui acheve de fe perfectionner dans les corps glanduleux. Cette liqueur coule & dif- tille continuellement par les petites ouvertures qui font à l’extremité de ces corps glanduleux ; & cette liqueur féminale de la femelle peut, comme celle du mâle, entrer dans la matrice de deux façons différentes ; foit par les ouver- tures qui {ont aux extrèmités des cornes de la matrice, qui paroiflent etre les pañages les plus naturels, {oit à travers le tiflu membraneux de ces cornes, que cette liqueur humecte & arrofe continuellement. Ces liqueurs féminales font toutes deux un extrait de toutes les parties du corps de Pani- mal. Celle du mâle eft un extrait de toutes les parties du corps du mâle; celle de la femelle eft un extrait de toutes les parties du corps de la femelle: ainfi, dans le mélange qui fe fait de ces deux liqueurs, il y a tout ce qui elt nécef.- faire pour former un certain nombre de mâles B 4 24 Hificire Naturelle. & de femelles. Plus la quantité de liqueur four- nie par l’un & par l’autre eft grande , ou, pour mieux dire, plus cette liqueur eft abondante en molécules organiques analogues à toutes les parties du corps de l’animal dont elles font l'ex. trait, & plus le nombre des fœtus eft grand, comme on le remarque dans les petits animaux; & au contraire, moins ces liqueurs font abon- dantes en molecules organiques , & plus le nom- bre des fœtus elt petit, comme il arrive dans les efpeces des grands animaux. Mais, pour fuivre notre fujetavec plus d’at- tention, nous n’examinerons ici que la forma- tion particuliere du fœtus humain; fauf à re- venir enfuite à l'examen de la formation du fœ- tus dans les autres efpeces d’animaux, foit vi. vipares, foit ovipares. Dans l’efpece humaine, comme dans celle des grosanimaux, les liqueurs féminales du mâle & de la femelle ne contien- nent pas une grande abondance de molécules organiques, analogues aux individus dont elles font extraites, & l’homme ne produit ordinai- rement qu'un & rarement deux fœtus. Ce fœ- tus eft male fi le nombre des molécules orga. niques du mâle prédomine dans le mélange des deux liqueurs : il eft femelle fi le nombre des parties organiques de Ja femelle eft le plus grand; & l'enfant reflemble au pere & à la mere, où bien à tous deux, felon les combinaifons dif. férentes de ces molécules organiques , c’eft-à- dire, fuivant qu’elles fe trouvent en telle ou telle quantité dans le melange des deux liqueurs. Je concçois donc que la liqueur féminale du mâle, répandue dans le vagin, & celle de la Dee en rm ; Des Animarx. 25 femelle, répandue dans la matrice , font deux satieres également chargées de molécules or- ganiques propres à la génération; & cette fup- pofition me paroît aflez prouvée par mes ex. périences , puifque j'ai trouvé les mèmes corps en mouvement dans la liqueur de la femelle & dans celle du male. Je vois que la liqueur du mâle entre dans la matrice , ou elle rencon- tre celle de Ja femelle: ces deux liqueurs ont entr’elles une analogie parfaite, puifqu’elles fone compofées toutes les deux de parties non-feule- ment fimilaires par leur forme, mais encore abfolument femblables dans leurs mouvemens & dans leur action , comme nous l'avons dit chapitre VI. Je concois donc, que , par ce mè- Jange des deux liqueurs féminales, cette acti- vité des molécules organiques de chacune des liqueurs, eft comme fixée par laction contre- balancée & de l’une & de l’autre; en forte que chaque molécule organique, venant à cefler de fe mouvoir, refte à la place qui lui convient ; & cette place ne peut être que celle de la par- tie qu’elle occupoit auparavant dans lanimal, ou plutôt dont elle a été renvoyée dans le corps de l’animal.. Ainfi toutes les molécules qui au- ront été renvoycées de Ja tète de l'animal, fe fixeront & fe difpoferont dans un ordre fem- blable à celui dans lequel elles ont en effet été renvoyées: celles qui auront été renvoyées de lépine du dos, fe fixeront de mème dans un ordre convenable, tant à la ftru@ure qu'a la pofition des vertebres; & il en fera de mème de toutes les autres parties du corps. Les mo- Kcules organiques qui ont été renvoyées de 26 Hifioire Naturelle. chacune des parties du corps de l’animal, pren- dront naturellement la mème pofition, & fe dif: poferont dans le mème ordre qu’elles avoient loriqu’elles ont été renvoyées de ces parties : par conféquent , ces molécules formeront nécef- fairement un petit être organifé, femblable en tout à l’animal dont elles font l’extrait. On doit obferver , que ce mélange des mo- lécules organiques des deux individus, contient des parties femblables & des parties différen- tes. Les parties femblables font les molécules qui ont été extraites de toutes les parties com- munes aux deux fexes: les parties différentes ne font que celles qui ont été extraites des par- ties par lefquelles le mâle differe de la femelle: ainfi il y a dans ce mèlange le double des mo- lécules organiques pour former, par exemple, la tète ou le cœur, ou telle autre partie com- mune aux deux individus; au lieu qu'il n’y a que ce qu'il faut pour former les parties du fexe. Or les parties femblables, comme le font les molécules organiques des parties communes aux deux individus, peuvent agir les unes fur ies autres fans fe déranger, & {e raflembler, comme fielles avoient été extraites du mème corps; mais les parties diflemblables, comme le ont les molécules organiques des parties fe- xuelles, ne peuvent agir les unes fur les autres , ni fe meler intimement, parce qu’elles ne font pas femblables : dès-lors ces parties feules con- terveront leur nature fans mélange , &fe fixe- ront d’elles-mèmes les premieres , fans avoir be- {oin d’ètre pénétrées par les autres. Ainfi les molccules organiques qui proviennent des par- Des Animaux. 27 ties fexuelles, feront les premieres fixées, & toutes les autres, qui font communes aux deux individus, fe fixeront enfuite indifféremment & indiftintement , {oit celles du mâle, foit celles de la femelle; ce qui formera un être organifé, qui reflemblera parfaitement à fon pere fi c’eft un mâle, & à fa mere fi c’eft une femeile, par ces parties fexuelles ; mais qui pourra reflem- bler à lun ou à l’autre, ou à tous les deux, par toutes les autres parties du corps. Il me femble que cela étant bien entendu, nous pouvons en tirer l'explication d’une très- grande queftion, dont nous avons dit quelque chofe au chapitre V, dans lendroit où nous avons rapporté le fentiment d’Ariftote au fujet de la génération. Cette queltion et, de favoir pourquoi chaque individu mâle ou femelle ne produit pas tout feul fon femblable? Il faut avouer, comme je l'ai déja dit, que, pour quiconque approfondira la matiere de la généra- tion, & fe donnera la peine de lire avec atten- tion tout ce que nous en avons dit ju{qu’ici, 1l ne reftera d’obfcnrité qu’à l’égard de cette quel- tion , fur-tout lorfqu'on aura bien compris la théorie que j'établis; & quoique cette elpece de dificulté ne foit pas réelle ni particuliere à mon fyftème, & au’elle foit générale pour tou- tes les autres explications qu’on a voulu, ou qu'on voudroit encore donner de la génération, cependant, je n'ai pas cru devoir la diflimuler ; d'autant plus que, dans la recherche de la vé- rité, la premiere regle de conduite eft, d’etre de bonne foi avec foi-mème. Je dois donc dire, qu'ayant réfléchi fur ce fujet, aufli long-temps 28 Hifioire Naturelle. & aufli mürement qu'il l'exige, jai cru avoir trouvé une répoule a cette queltion, que je vais tâcher d’expuquer, fans prétendre cependant la faire entendre parfaitement à tout le monde. [ eft c'air, pour quiconque entendra bien le fylteme que nous avons établi dans les qua- tre premiers chapitres, & que nous avons prouvé par des expériznces dans les chapitres fuivans , que ia reproduction fe fait par la réunion de molécules organiques, renvoyées de chaque par- tie du corps de animal ou du végétal, dans un ou plufieurs réfervoirs communs ; que les mêmes molécules, qui fervent à la nutrition & au dé- veloppement du corps, fervent enfuite à lare. production; que Pune & Pautre s’operent par la même matiere & par les mêmes loix. Il me fembie que jai prouvé cette vérité par tant de railons & de faits, qu’il n’eft guere poffibie d’en douter. Je n’en doute pas moi-meme, & j'avoue qu'il ne me relte aucun {crupule fur le fonds de cette théorie, dont Jai examiné très-rigoureu- {ement les principes, & dont j'ai combiné tres. {crupuleulement les conféquences & les détails. Mais il cit vrai qu’on pourroit avoir quelque rai- fon de me demander, pourquoi chaque animal , chaque végétal , chaque ètre organifé ne produit pas tout feul fon femblable, puifque chaque individu renvoie de toutes les parties de fon corps, dans un réfervoir commun, toutes les mo- Jécules organiques néceflaires à la formation du petit ètre organile ? Pourquoi donc cet ètre or- ganifée ne s’y forme-t-il pas, & que, dans pret- que tous les animaux, il faut que la liqueur qui contient ces molécules organiques, foit mè- Des Animaux. 29 lée avec celle de l’autre fexe pour produire un animal ? Si je me contente de répondre, que, dans prefque tous les végétaux , dans toutes les efpeces d'animaux , qui fe produifent par la divifion de leur corps, & dans celle des puce- rons , qui fe produifent d’eux-mèmes, la Na ture fuit en effet la regle qui nous paroït la plus naturelle ; que tous ces individus produifent d’eux-memes d’autres petits individus fembla- bles, & qu’on doit regarder comme une excep. tion à cette regle, l’emploi qu’elle fait des fe. xes dans les autres efpeces d'animaux , onaura raifon deme dire , que l'exception eft plus grande & plus univerfelle que la regle; & c’eit en effet Jà le point de Ja difficulté ; difficulté qu’on n’affoi- blit que très-peu lorfqu’on dira , que chaque indi- vidu produiroit peut-être fon femblable sl avoit des organes convenables, & sil contenoit la matiere néceflaire à la nourriture de embryon : car alors on demandera , pourquoi les femelles, qui ont cette matiere, & en mème temps les organes convenables, ne produilent pas d’elles- mèmes d’autres femelles , puifque , dans cette hypothefe, on veut que ce ne foit que faute de matrice ou de matiere propre à laccroifiement & au développement du fœtus, que le mâle ne peut pas produire de lui-mème. Cette réponfe ne leve donc pas la difficulté en entier ; car, quoique nous voyions que les femelles des ovi- pares produifent d’elles-mèmes des œufs, qui font des corps organifés, cependant jamais les femelles , de quelque efpece qu'elles foient, n’ont {eules produit des animaux femelles, quoiqu’el- les foient douées de tout ce qui paroit nécel- 30 Hifioire Naturelle. faire à la nutrition & au développement du fæ- tus. Il faut, au contraire, pour que la produc- tion de prefque toutes les efpeces d’animaux s’accomplifle , que le male & la femelle concou- rent; que les deux liqueurs féminales fe mèlent & le pénetrent, fans quoi il n’y a aucune gé- nération d'animal. Si nous dilons que létabliffement local des: molécules organiques, & de toutes les parties qui doivent former un fœtus , ne peut pas fe faire de foi-mème dans l'individu qui fournit ces molécules ; que , par exemple , dans les tef- ticules & les véficules féminales de l’homme, qui contiennent les molécules néceflaires pour former un mâle, l’établifement local, l’arran- gement de ces molecules , ne peutfefaire, parce que .ces molécules, qui y font renvoyées, font aufli continuellement repompées , & qu’il y a une efpece de circulation de la femence, ou plutôt un repompement continuel de cette ji- queur dans le corps de l'animal, & que , comme ces molécules ont une tres-grande analogie avec le corps de l’animal qui les a produites , il eft fort naturel de concevoir , que, tant qu’elles {ont dans le corps de ce mème individu, la force qui pourroit les réunir & en former un fœtus, doit céder à cette force plus puiffante, par laquelle elles font repompées dans le corps de lanimal, ou du moins, que leffet de cette réunion eft empèché par laétion continuelle des nouvelles molécules organiques qui arrivent dans ce réfervoir, & de celles qui en font repom- pées & qui retournent dans les vaifleaux du corps de lPanimal. Si nous difons de même, que Des Animaux. 31 les femmes dont les corps glanduleux des tefti- cules contiennent la liqueur féminale , laquelle diftille continuellement fur la matrice, ne pro- duifent pas d’elles- mèmes des femelles , parce que cette liqueur, qui a, comme celle du male, avec le corps de Pindividu qui la produit, une trés-grande analogie , eft repompée par les par- ties du corps de la femelle, & que, comme cette liqueur eft en mouvement, &, pour ainfidire, en circulation continuelle, il ne peut fe faire aucune réunion, aucun établiflement local des parties qui doivent former une femelle ; parce que la force qui doit opérer cetteréunion, n’eft pas aufli grande que celle qu’exerce le corps de Panimal pour repomper & s’afliniler ces molé- cules qui en ont été extraites; mais qu’au con- traire, lorfque les liqueurs féminales {ont mé- lées, elles ont entr’elles plus d’analogie qu’elles n’en ont avec les parties du corps de la femeile où fe fait ce mêlange, & que c’eft par cette rai- fon que la réunion ne s’opere qu’au moyen de ce mélange; nous pourrons, par cette réponde, avoir fatisfait à une partie de la queftion. Mais, en admettant cette explication, on pourra me demander encore, pourquoi la maniere ordi- naire de génération dans les animaux, n’eft- elle pas celle qui s'accorde le mieux avec cette fuppofition? car il faudroit alors que chaque iu- dividu produisit comme produifent les limaçons ; que chacun donnât quelque chofe à l’autre ega- lement & mutuellement, & que chaque indi- vidu, remportant les molécules organiques que autre lui auroit fournies, la réunion s’en fit d’elle-mème & par la feule force d’afhinité de 32. Hifloire Naturelle. ces molécules entr’elles, qui, dans ce cas, ne feroit plus détruite par d’autres forces comme elle Pétoit dans le corps dé Pautre individu. J'avoue que fi c’étoit par cette {eule raifon que les molécules organiques ne fe réuniflent pas dans chaque individu , il feroit naturel d’en con- clure , que le moyen le plus court pour opérer la reproduction des animaux, {eroit celui de leur donner les deux fexes en mème temps, & que, par conféquent , nous devrions trouver beaucoup plus d'animaux doués des deux fexes , comme font les Himacons, que d’autres animaux quin’auroient qu’un feul fexe : mais c’eft tout le contraire ; cette maniere de génération et par- ticuliere aux limacons & à un petit nombre d’autres efpeces d'animaux ; lautre, où la com- munication n’elt pas mutuelle, où Pun des in- dividus ne recoit rien de l’autre individu, & où il n’y a qu'un individu qui recoit & qui produit , elt au contraire la maniere la plus gé- nérale, & celle que la Nature emploie le plus fouùvent. Ainfi cette réponfe ne peut fatisfaire pleinement à la queftion , qu’en fuppofant, que c’eft dniquement faute d'organes que le mâle ne produit rien; que, ne pouvant rien recevoir de Ja femelle, & que n'ayant d’ailleurs aucun vif cere propre à contenir & à nourrir le fœtus, il eft impoffible qu’il produile comme la femelle qui eft douée de ces organes. On peut encore fuppoler, que, dans la Ji- queur de chaque individu, l’activité des molé- cules organiques qui proviennent de cet indi- vidu , a beloin d’être contre-balancée par l’aéti- vité ou Ja force des molécules d’un autre LR VIiqau ; Des Animaux. 33 vidu, pour qu’elles puiffent fe fixer; qu’elles ne peuvent perdre cette activité que par la réfif. tance ou le mouvement contraire d’autres mo lécules femblables, & qui proviennent d’un au- tre individu , & que, fans cette efpece d’équili- bre entre l’action de ces molécules de deux in- dividus différens, il ne peut réfulter l’état de repos, ou plutôt l’établifement local des par- ties organiques, qui eft néceñaire pour la forma- tion de l’animal ; que, quand il arrive dans le réfervoir féminal d’un individu, des molécules organiques femblables à toutes les parties de cet individu dont elles font renvoyées, ces molé- cules ne peuvent fe fixer, parce que leur mou- vement n’eft point contre-balancé , & qu’il ne peut l’etre que par l’action & le mouvement con- traires d'autant d’autres molécules , qui doivent provenir d’un autre individu , ou de parties dif- férentes dans le mème individu; que, par exem- ple , dans les arbres, chaque bouton qui peut devenir un petit arbre, a d’abord été comme le réfervoir des molécules organiques renvoyées de certaines parties de Parbre ; mais que lacti- vité de ces molécules n’a été fixée qu'après le renvoi dans le mème lieu dé plufieurs autres molécules provenant d’autres parties , & qu’on peut regarder fous ce point de vue, les unes comme venant des parties mâles, & les autres comme provenant des parties femelles; en {orté que, dans cefens, tous les êtres vivans ou veé- gétans doivent tous avoir les deux fexes con- jointement ou féparément, pour pouvoir pro- duire leur femblable. Mais cette réponfe et trop generale pour ne pas laiflér encore beaucoup Hif. Nat. des Anim.T.IL (@ 34 Hifioire Naturelle. dobfcurité : cependant, fi l’on fait attention à tous les phénomenes , il me paroît qu’on peut Péclaircir davantage. Le réfultat du melange des deux liqueurs, mafculine & féminine, produit non-feulement un fœtus male ou femelle, mais encore d’autres corps organilés, & qui, d’eux- mèmes , ont une efpece de végétation & un accroiflement réel. Le placenta , les membranes, &c. font produits en mème temps que le fæ- tus ; & cette produétion paroît mème fe déve- lopper la premiere : il y a donc, dans la liqueur féminale, foit du mâle, foit de la femelle, ou dans le mélange de tous les deux, non- feule- ment les molécules organiques néceflaires à la production du fœtus , mais aufli celles qui doi- vent former le placenta & les enveloppes; & l’on ne fait pas d’où ces molécules organiques peuvent venir, puifqu'il n’y a aucune partie dans le corps, foit du mâle, foit de la femelle, dont ces molécules aient pu étre renvoyées, & que, par conféquent, on ne voit pas qu'il y ait une origine primitive de la forme qu’elles pren- nent lorfqu’elles forment ces efpeces de corps or- ganilés différens du corps de l'animal. Dès-lors il me femble, qu’on ne peut pas fe difpenfer d’ad- mettre, que les molécules des liqueurs féminales de chaque individu mâle & femelle, étant égale- ment organiques & actives, forment toujours des corps organifés toutes les fois qu’elles peuvent fe fixer en agiflant mutuellement les unes fur les autres; que les parties employées à former un mâle , feront d’abord celles du fexe mafculin, qui {e fixeront les premieres & formeront les pätties fexuelles, & qu’enfuite celles qui font Des Animaux, 3$ communes aux deux individus pourront fe fixer indifféremment pour former le relte du corps, & que le placenta & les enveloppes font for- més de lexcédant des molécules organiques qui mont pas été employées à former le fœtus, Si, comme nous le füuppofons, le fœtus eft mâle, alors il refte pour former le placenta & les enveloppes, toutes les molécules organiques des parties du fexe féminin qui n’ont pas été employées, & aufli toutes celles de Pun ou de Pautre des individus qui ne feront pas entrées dans la compofition du fœtus , qui ne peut en admettre que la moitié; & de meme fi le fæœ- tus eftfemelle, il refte pour former le placenta, toutes les molécules organiques des parties du fexe mafculin & celles des autres parties du corps, tant du mâle que de la femelle , qui ne font pas entrées dans la compofition du fœtus, ou qui en ont été exclues par la prélence des au- tres molécules femblables qui {e {ont réunies les: premieres. Mais, dirat-on, les enveloppes & le pla- centa devroient alors ètre un autre fœtus, qui feroit femelle fi le premier étoit mâle, & quti feroit mâle fi le premier étoit femelle; car le pre: mier n'ayant confommé pour {fe former , que les molécules organiques des parties fexuelles de lun des individus, & autant d’autres molé- cules organiques de lun & de l’autre des indi- vidus, qu’il en falloit pour fa compofition en- tiere, il refte toutes les molécules des parties fexuelles de lautre individu, & de plus la moi- tié des autres molécules communes aux deux: individus. A cela on peut répondre , que la pre- e) 4 36 Hifioire Naturelle. miere réunion, le premier établifiement local des molécules organiques, empeche que la fe- conde réunion fe fafle , ou du moins fe fafle fous la mème forme; que le fœtus étant formé le premier, il exerce une force à l'extérieur, qui dérange l’établiflement des autres molécules or- ganiques, & qui leur donne larrangement qui eft néceflaire pour former le placenta & les enve- loppes ; que c’eft par cette mème force, qu’il s’approprie les molécules néceflaires à fon pre- mier accroiflement, ce qui caufe néceflairement un dérangement qui empèche d’abord la for- mation d’un fecond fœtus , & qui produit en- fuite un arrangement dont rélulte la forme du placenta & des membranes. Nous fommes aflurés par ce qui a été ditci- devant, & par les expériences & les obferva- tions que nous avons faites, que tous les êtres vivans contiennent une grande quantité de mo- lécules vivantes & actives : la vie de l’animal ou du végétal ne paroïit être que le réfultat de toutes les actions de toutes les petites vies par-. ticulieres (s’il nv'eft permis de nexprimer ainfi) de chacune de ces molécules actives, dont la vie eft primitive & paroît ne pouvoir ètre de- truite. Nous avons trouvé ces molécules vi- vantes dans tous les êtres vivans ou végétans; nous fommes aflurés que toutes ces moléetiles organiques font également propres à la nutri- tion, & par conféquent à la reproduction des animaux ou des végétaux. Il n’eft donc pas dif- ficile de concevoir , que, quand un certain nom- bre de ces molécules font réunies, elles for- ment un être vivant; la vie étant dans cha- . Des Animaux. 37 cune des parties , elle peut fe retrouver dans un tout , dans un aflemblage quelconque de ces par- ties. Ainfi les molécules organiques & vivantes étant communes à tous les éètres vivans, elles peuvent également former tel animal, ou tel ou tel végétal, felon qu’elles feront arrangées de telle ou telle façon. Or cette difpofition des parties organiques, cet arrangement depend ab- folument de la forme des individus qui fournif: fent ces molécules. Si c’eft un animal qui four nit ces molécules organiques , comme en effet il les fournit dans fa liqueur {éminale, elles pourront s'arranger fous la forme d’un individu femblable à cet animal : elles s’arrangeront en petit, comme elles s'étoient arrangées en grand lorfqu’elles {ervoient au développement du corps de l'animal. Mais ne peut-on pas fuppoler, que cet arrangement ne peut fe faire dans de certai- nes efpeces d'animaux & même de végétaux, qu’au moyen d’un point d'appui, ou d'une ef- pece de bafe, autour de laquelle les molécules puiflent {e réunir, & que, fans cela, elles ne peuvent le fixer ni {e raflembler , parce qu’il n’y a rien qui puifle arrêter leur activite ? Or c’eft cette bafe que fournit l’individu de l’autre fexe. e m'explique. Tant que ces molécules organiques font feu- les de leur efpece, comme elles le font dans la ‘queur féminale de chaque individu, leur ac- tion ne produit aucun effet, parce qu’elle elt fans réaction : ces molécules font en mouve- ment continuel les unes à légard des autres, & iln’y a rien qui puifle fixer leur activite, puifqu’elles font toutes également animées, éga… > . 29. Hifioire Naturelle. lement actives; ainfi il ne fe peut faire aucune réunion de ces molécules qui foit femblable à l'animal. ni dans l’une, ni dans l’autre des li- queurs féminales des deux fexes ; parce qu'il n’y a, ni dans lune, ni dans l’autre, aucune par- tie difemblable, aucune partie qui puifle lervir d'appui ou de bafe à l’action de ces molécules en mouvement, Mais lorfque ces liqueurs font mélées, alors il y a des parties difflemblables, & ces parties font les molécules qui provien- nent des parties fexuelles: ce font celles-là qui fervent de bafe & de point d'appui aux autres molécules, & qui en fixent l’activité ; ces par- ties étant les feules qui foient différentes des autres, il n’y a qu’elles feules qui puiflent avoir un effet différent, réagir contre les autres, & arrêter leur mouvement. = Dans cette fuppofition , les molécules orga. niques, qui, dans le mélange des liqueurs fe- minales des deux individus, repréfentent les parties fexuelles du male, feront les feules qui pourront fervir de bafe ou de point d'appui aux molecules organiques qui proviennent de toutes les parties du corps de la femelle ; & de mème, les molecules organiques , qui, dans ce mélange, repréfentent les parties fexuelles de la femelle, {cront les fules qui ferviront de point d'appui aux molécules organiques qui proviennent de toutes les parties du corps du mâle ; & cela, parce que ce font les {eules qui foient en effet différentes des autres. De-là on pourroit con- clure , que lenfant mâle eft forme des molécu- les organiques du pere pour les parties fexuel- les, & des molécules organiques dela mere pour Des Animaux. 39 le refte du corps; & qu’au contraire la femelle ne tire de fa mere que le fexe, & qu’elle prend tout le refte de {on pere: les garcons devroient donc, à l'exception des parties du fexe , reffem- bler davantage à leur mere qu’a leur pere, & Jes filles plus au pere qu'a la mere. Cette con- {équence, qui fuit néceflairement de notre fup- pofition, 1neft peut-ètre pas aflez conforme à Pexpérience. En confidérant fous ce point de vue la géné- ration par les fexes, nous en conclurons, que ce doit ètre la maniere de reproduction la plus ordinaire, comme celle left en effet. Les indi- vidus dont l’organifation eft la plus complete, comme celle des animaux, dont le corps fait un tout qui ne peut être ni féparé ni divilé, dont toutes les puiflances fe rapportent à un feul point & Î{e combinent exactement, ne pourront fe reproduire que par cette voie; parce qu'ils ne contiennent en effet que des parties qui font toutes femblables entr’elles, dont la reunion ne peut fè faire qu’au moyen de quelques autres parties différentes, fournies par un autre indi- vidu. Ceux dont lorganilation eft moins par- faite , comme Peft celle des végétaux, dont le corps fait un tout qui peut ètre divifé & fe- paré fans ètre détruit, pourront fe reproduire par d’autres voies, 1°. parce qu'ils contiennent des parties diflemblables , 2°. parce que ces êtres n'ayant pas une forme aufli déterminée & auffi fixe que celle de lanimal , les parties peuvent fuppléer les‘unes aux autres, &fe changer fe. Jon les circonftances , comme l’on voit les raci- nes devenir des branches & poufler des feuilles C 4 40 Hifoire Naturelle. lorfqu’on les expofe à l’air; ce qui fait que la potion & l’établiflement du local des molécu- Jes qui doivent former le petit individu, fe peu- vent faire de plufieurs manieres. Il en fera de mème des animaux dent l'or. ganifation ne fait pas un tout bien déterminé ; comme les polypes d’eau douce, & les autres qui peuvent fe reproduire par la divifion : ces êtres organilés font moins un feul animal que plu- fieurs corps organifés femblables, réunis fous une enveloppe commune , comme les arbres font aufli compofés de petits arbres femblables (voyez chapitre II). Les pucerons, qui engendrent feuls, contiennent aufli des parties diflembla. bles, puifqu’après avoir produit d’autres puce- rons, ils fe changent en mouches qui ne pro- duifent rien. Les limacons fe communiquent mu- tuellement ces parties diflemblables, & enfuite ils produifent tous les deux. Ainfi, dans toutes les manieres connues dont la génération s’0- pere, nous voyons que la réunion des molécu. les organiques qui doivent former la nouvelle production, ne peut fe faire que par le moyen de quelques autres parties différentes, qui fer- vent de point d’appui à ces molécules, & qui, par leur réaction, foient capables de fixer le mouvement de ces molécules actives. Si l’on donne à l’idée du mot fexe toute étendue que nous lui fuppofons ici, on pourra dire, que les fexes fe trouvent par-tout dans la nature; car alors le fexe ne fera que la partie qui doit fournir les molécules organiques diffé- rentes des autres, & qui doivent fervir de point d'appui pour leur réunion. Mais c’eftaflez Des Animaux. 4 raifonner fur une queftion que je pouvois me difpenfer de mettre en avant, que je pouvois auili réfoudre tout d’un coup, en difant, que Dieu ayant créé les fexes , il eft néceflaire que les animaux fe reproduifent. par leur moyen. En effet, nous ne fommes pas faits, comme je Pai dit, pour rendre raïfon du pourquoi des chofes: nous ne fommes pas en état d'expliquer pourquoi la nature emploie prefque toujours les . fexes pour la reproduction des animaux: nous ne faurons jamais , je crois, pourquoi ces fexes exiftent, & nous devons nous contenter de rai- fonner fur ce qui eft, fur les choles telles qu’el- les {ont , puifque nous ne pouvons remonter au-delà , qu’en faifant des fuppolitions qui s’e- Jloignent peut-être autant de la vérité, que nous nous éloignons nous-mêmes de la fphere où nous devons nous contenir, & à laquelle fe borne Ja petite étendue de nos connoiflances. En partant donc du point dont il faut par- tir, Ceft-a-dire, en fe fondant fur les faits & fur les obfervations, je vois que la reproduc- tion des êtres fe fait, à la vérité, de plufieurs manieres différentes; mais en mème temps je eonçois clairement , que c’eit par la réunion des molécules organiques, renvoyées de toutes les parties de lPindividu, que fe fait la reproduc- tion des végétaux & des animaux. Je fuis af furé de Pexiftence de ces molécules organiques & actives dans la femence des animaux males & femelles, & dans celle des végétaux, & je ne puis pas douter que toutes les générations, de quelque maniere qu’elles fe fafñlent, ne s’o- perent par le moyen de la réunion de ces moié- 42 Hifioire Naturelle. cules organiques, renvoyées de toutes les par- ties du corps des individus. Je ne puis pas dou- ter non plus, que, dans la génération des ani- maux, &en particulier dans celle de l’homme, ces molécules organiques, fournies par chaque individu mâle & femelle, ne fe melent dans le temps de la formation du fœtus , puifque nous voyons des enfans qui reflemblent en mème temps à leur pere & à leur mere; & ce qui pourroit confirmer ce que j'ai dit ci-deflus, c’eft que toutes les parties communes aux deux fexes fe mélent , au lieu que les molécules qui repréfen- tent les parties fexuelles, ne fe mélent jamais; car on voit tous les jours des enfans avoir, par exemple, les yeux du pere, & le front ou la bouche de la mere; mais on ne voit jamais qu'il y ait un femblable mélange des parties fexuelles, & il n'arrive pas qu’ils aient , par exemple, les telticules du pere & le vagin de la mere: je dis que cela n'arrive pas, parce que Von ma aucun fait avéré au fujet des herma- phrodites , & que la plupart des fujets qu’on a cru être dans ce cas, n’étoient que des femmes dans lefquelles certaine partie avoit pris trop d’accroiflement. Il eft vrai qu’en réfléchiffant fur la ftruture des parties de la génération de l’un & de lau- tre fexe, dans l’efpece humaine, on y trouve tant de reflemblance & une conformité fi in- euliere, qu’on feroit aflez porté à croire, que ces parties qui nous paroiflent fi différentes à l'extérieur, ne font au fonds que les mèmes or- ganes, mais plus ou moins développés. Ce fen- timent, qui étoit celui des anciens, n’eft pas Des Animaux, 43 tout-à-fait fans fondement; & on trouvera dans le cinquieme volume les idées que M. Dauben- ton a eues fur ce fujet (a). Elles n’ont paru très -ingénieufes, & d’ailleurs elles font fondées fur des obfervations nouvelles, qui, probable- ment, 1’avoient pas été faites par les anciens, & qui pourroient confirmer leur opinion fur ce {ujet. La formation du fœtus fe fait donc par la réunion des molécules organiques, contenues dans le mêlange qui vient de fe faire des liqueurs féminales des deux individus. Cette réunion produit létablifement local des parties; parce qu’elle fe fait felon les loix d’afinité qui font entre ces différentes parties, & qui déterminent les molécules à fe placer comme elles Pétoient dans les individus qui les ont fournies ; en forte que les molécules qui proviennent de la tête, & qui doivent la former, ne peuvent, en vertu de ces loix, fe placer ailleurs qu’auprès de cel. Jes qui doivent former le cou, & qu’elles n’i- ront pas fe placer auprès de celles qui doivent former les jambes. Toutes ces molécules doi- vent ètre en mouvement lorfqu’elles fe réunif: fent, & dans un mouvement qui doit les faire tendre à une efpece de centre, autour duquel fe fait la réunion. On peut croire que ce cen. tre, ou ce point d'appui, qui eft néceflaire à la réunion des molécules, & qui, par fa réac. tion & fon inertie, en fixe l’activité & en dé- truit le mouvement, eft une partie différente de toutes les autres, & c’eft probablement le (a) Voyez le volume V , de l'édition in-4to. où font les defcriptions anatomiques. 44 Hifioire Naturelle. premier afflemblage des molécules qui provien- nent des parties fexuelles, qui, dans ce mè- lange, font les feules qui ne foient pas abfolu- ment communes aux deux individus. Je concois donc, que, dans ce mélange des deux liqueurs , les molécules organiques qui proviennent des parties fexuelles du mâle, fe fixent d’elles-mèmes les premieres, & fans pou- voir fe méler avec les molécules qui provien- nent des parties fexuelles de la femelle; parce qu’en effet elles en font différentes , & que ces parties fe reflemblent beaucoup moins que l'œil, le bras , ou toute autre partie d’un homme ne reflemble à l’œil, au bras ou à toute autre par- tie d’une femme. Autour de cette efpece de point d'appui, ou de centre de réunion, les autres molécules organiques s’arrangent fuccef- fivement, & dans le mème ordre où elles étoient dans le corps de l'individu ; &, fe!on que les iolécules organiques de Pun ou de l’autre in- dividu fe trouvent être plus abondantes ou plus voifines de ce point d'appui, elles entrent en plus ou moins grande quantité dans la compo- fition du nouvel ètre qui {e forme, de cette fa- con, au milieu d’une liqueur homogene & crif. talline, dans laquelle il {e forme en même temps des vaifleaux ou des membranes, qui croiffent & fe développent enfuite comme le fœtus, & qui fervent à lui fournir de la nourriture. Ces vaifleaux , qui ont une efpece d’organifation qui leur eft propre, & qui en mème temps et rela. tive à celle du fœtus auquel ils font attachés, font vraifemblablement formés de l’excédant des molécules organiques, qui n’ont pas été admi- Des Animaux. 45 fes dans la compofition mème du fætus : car comme ces-molécules font actives par eiles-mè- mes, & qu’elles ont auifi un centre de réunion, formé par les molécules organiques des parties fexuelles de l’autre individu , elles doivent s’ar- ranger fous la forme d’un corps organifé qui ne fera pas un autre fœtus; parce que la pofition des molécules entr’elles a été dérangée par les différens mouvemens des autres molécules, qui ont formé le premier embryon; & par confé- quent il doit réfulter, de laflemblage de ces molécules excédentes, un corps irrégulier, dif- férent de celui d’un fœtus, & qui n'aura rien de commun que la faculté de pouvoir croitre &, fe développer comme lui, parce qu'il eft en effet compolé de molécules actives, auffi- bien que le fœtus, lefquelles ont feulement pris une pofition différente, parce qu’elles ont été, pour ainfi dire, rejetées hors de la fphere dans laquelle fe font réunies les molécules qui ont formé Pembryon. Lorfqu’il y a une grande quantité de liqueur féminale des deux individus , ou plutôt lorique ces liqueurs font fort abondantes en molécules organiques , il fe forme différentes fpheres d’at- traction ou de réunion en diférens endroits de la liqueur; & alors, par une mécanique fem- blable à celle que nous venons d'expliquer , il fe forme plufeurs fœtus; les uns mâles & les autres femelles, felon que les molécules qui re- préfentent les parties fexuelles de l’un ou de l'autre individu fe feront trouvées plus à por- tée d’agir que les autres, & auront en effet agi les premieres ; mais jamais il ne {e fera dans la 46 Hifioire Naturelle. mème {phere d'attraction deux petits embryons; parce qu’il faudroit qu’il y eût alors deux cen- tres de réunion dans cette {phere, qui auroient Chacun une force égale, & qui commenceroient tous deux à agir en même temps : ce qui ne peut arriver dans une feule & mème fphere d'attraction. Et d’ailleurs , fi cela arrivoit , il n’y auroit plus rien pour former le placenta & les enveloppes, puifqu’alors toutes les molécu- les organiques feroient employées à la forma- tion de cet autre fœtus, qui, dans ce cas, fe- roit néceflairement femelle, fi l’autre étoit mâle. Tout ce qui peut arriver , c’eit que quelques- unes des parties communes aux deux indivi- dus , fe trouvant également à portée du pre- mier centre de réunion, elles y arrivent en mème temps: ce qui produit alors des monitres par exces, & qui ont plus de parties qu'il ne faut ; ou bien , que quelques-unes de ces par- ties communes , fe trouvant trop éloignées de ce premier centre , foient entrainées par la force du fecond , autour duquel fe forme le placenta : ce qui doit faire alors un monftre par défaut , auquel il manque quelque partie. Au refte, il s’en faut bien que je regarde comme une chofe démontrée, que ce foient en effet les molécules organiques des parties fexuel- les qui fervent de point d’appui, ou de cen- tre de réunion, autour duquel fe reflemblent toutes les autres parties qui doivent former Pembryon. Je le dis feulement comme une chofe probable ; car il fe peut bien que ce foit quel. qu'autre partie qui tienne lieu de centre, & autour de laquelle les autres fe réuniflent: mais Des Animaux. A7 comme je ne vois point de raifon qui puifle faire préfcrer l’une plutôt que lautre de ces parties, que d’ailleurs elles font toutes com- munes aux deux individus , & qu'il n’y a que celles des fexes qui foient différentes , j'ai cru qu'il étoit plus naturel d'imaginer, que c’eit autour de ces parties différentes , & feules de leur efpece , que fe fait la réuron. On a vu ci-devant , que ceux qui ont cru que le cœur étoit le premier formé , {e font trompés. Ceux qui difent que c’eft le fang, fe trompent aufhi : tout eft formé en même temps. Si lon ne confuite que lPobfervation , le pou- let fe voit dans l'œuf avant qu’il ait été couvé ; on y reconnoit la tète & lépine du dos, & en même temps les appendices qui forment le placenta. J'ai ouvert une grande quantité d'œufs à différens temps , avant & apres l’incubation (Bb), & je me fuis convaincu par mes yeux, que le poulet exiîte en entier dans le milieu de Ja cicatricule au moment qu’il fort du corps de la poule. La chaleur que lui communique Pincubation , ne fait que le développer en met- tänt les liqueurs en mouvement ; mais il n’eft pas poffible de déterminer , au moins par les obfervations qui ont été faites jufqu’à préfent, laquelle des parties du fœtus eft la premiere fixée dans linftant de la formation , laquelle eft celle qui fert de point d’appui ou de centre de réunion à toutes les autres. J'ai toujours dit que les molécules organi- (4) Les figures que Langly a données des différens états du poulet dans l'œuf, m'ont paru aflez conformies à la na- ture & à ce que j'ai vu moi-même. 48 Hifloire Naturelle. ques étoient fixées, & que ce n’étoit qu’en per- dant leur mouvement qu’elles fe réunidoient. Cela me paroït certain ; parce que fi l’on ob- : {erve féparément la liqueur féminale du mâle & celle de la femelle , on y voit une infinité de petits corps en grand mouvement , auih - bien dans lune que dans Pautre de ces liqueurs ; & enfuite , fi l’on obferve le rélultat du mélange de ces deux liqueurs actives, on ne voit qu’un petit corps en repos, & tout -à- fait immobile, auquel la chaleur et néceflaire pour donner du mouvement ; car le poulet qui exifte dans le centre de la cicatricule , eft fans aucun mou- vement avant lincubation : & mème vingt- quatre heures après, lorlqu’on commence à Pa- percevoir fans microfcope, il n’a pas la plus petite apparence de mouvement, ni meme le jour fuivant. Ce n’eft , pendant ces premiers jours, qu’une petite male blanche d’un mu- cilage qui a de la coufiftance des le fecond jour, & qui augmente infenfiblement & peu à peu, par une efpece de vie végétative , dont le mou vement eft très-lent, & ne reflemble point du tout à celui des parties organiques , qui fz meu- vent rapidement dans la liqueur féminale. D’ail- leurs , j'ai eu raifon de dire, que ce mouve- ment eft ablolument détruit, & que l’activité des molécules organiques eft entiérement fixée : car fi on garde un œuf fans lexpofer au degré de chaleur qui elt néceflaire pour développer le poulet, l'embryon , quoique formé en entier, y demeurera fans aucun mouvement , & les molécules organiques dont il eft compolé, ref- teront fixées fans qu’elles puiffent d’elles-mèmes | ‘donner Des Animaux. 49 donner le mouvement & la vie à l’embryon qui a été forme par leur réunion. Ainfi, apres _ que le mouvement des molécules organiques a été détruit, après la réunion de ces molécules & l’établiiement local de toutes les parties qui doivent former un corps animal, il faut en- core une puiflance extérieure pour l’animer , & Jui donner la force de fe développer. en ren- dant du mouvement à celles de ces molécules qui font contenues dans les vaifleaux de ce pe- tit corps; car , avant l’incubation , la machine animale exifte en entier : elle eft entiere , com- plete & toute prète à jouer ; mais il faut un agent extérieur pour la mettre en mouvement, & cet agent eft la chaleur , qui, en raréfiant les liqueurs , les oblige à circuler , & met ainfi en action tous les organes, qui ne font plus en fuite que fe développer & croitre, pourvu que cette chaleur extérieure continue à les aider dans leurs fonctions, & ne vienne à cefler que quand ils en ont aflez d’eux - mêmes pour s’en pañler , & pour pouvoir, en venant au monde, faire ufage de leurs membres & de tous leurs organes extérieurs. Avant l’action de cette chaleur extérieure , c’eft-à-dire , avant l’incubation , lon ne voit pas la moindre apparence de fang ; & ce n’eft qu'environ vingt-quatre heures apres que j'ai vu quelques vaifleaux changer enr é rougir. Les prernicrs qui prennent cette cou- leur, & qui contiennent en effet du fang, font dans le placenta, & ils communiquent au corps du poulet : mais il femble que cé fang perde fa couleur en approchant du corps de l'animal; Hif. Nat. des Anim. TL, IL D fo -. Hifioire Naturelle, cat le poulet entier eft tout blanc, & à peine découvre-t-on , dans le ptemier , le fecond & Je troifieme jour après lincubation , un, ou ‘deux , ou trois petits points fanguins, qui font voifins du corps de Panimal ; mais qui femblent ien pas faire partie dans ce temps , quoique ce foient ces points fanguins qui doivent en- fuite former le cœur. Aïnfi la formation du fang meft qu'un changement, occafionné dans les liqueurs par le mouvement que la chaleur leur communique ; & ce fang fe forme mème hors du corps de l'animal , dont toute la fubftance h'eft alors qu’une efpece de mucilage , de gelée épaifle, de matiere vilqueufe & blanche, comme feroit de la lymphe épaiflie. L'animal, aufli-bien que le placenta, tirent la nourriture nécellaire à leur développement par une efpece d’intuflufception , & ils s’afli- milent les parties organiques de la liqueur dans laquelle ils nagent ; car on ne peut pas dire que le placenta nourrifie l’animal , pas plus que l'animal nourrit le placenta, puifque fi lun hourrifloit l’autre , le premier paroîtroit bien- tôt diminuer , tandis que l’autre augmenteroit ; au lieu que tous deux augmentent enfemble. Seulement il eft aifé d’obferver |, comme je l'ai fait fur les œufs, que le placenta augmente d’a- bord beaucoup plus à proportion que l’animal, & que c’eft par cette raifon qu’il peut enfuite nourrir lanimal , ou plutôt lui porter de la nourriture; & ce ne peut être que par l’intuf- fufception que ce placenta augmente & fe dé- veloppe. Ce que nous venons de dire du poulet s’ap- Des Animaux. Si plique aifément au fœtus humain. Il fe forme par la réunion des molécules organiques des deux individus qui ont concouru à fa produc- tion. , Les enveloppes & le placenta font for. més de l’excédant de ces molécules organiques , qui ne font point entrées dans la compofition de Pembryon : il eft donc alors renfermé dans un double fac, où il y a aufli de la liqueur, qui peut-être n’eft d’abord , & dans les premiers inftans , qu’une portion de la {emence du pere & de la mere ; & comme il ne fort pas de la matrice , il jouit , dans l’inftant mème de fa formation , de ia chaleur extérieure qui eft né- ceflaire à fon développement : elle communi- que un mouvement aux liqueurs , elle met en . jeu tous les organes, & le fang fe forme dans le placenta & dans le corps de l'embryon, par le feul mouvement occafionné par cette cha- leur. On peut mème dire , que la formation du fang de l’enfant eft aufli indépendante de celui de la mere, que ce qui fe pañle dans l’œuf eft indépendant de la poule qui le couve , ou du four qui l’échauffe. Il eft certain que le produit total de la géné- ration, c’eft-à-dire, le fœtus, {on placenta, fes enveloppes , croiflent tous par intufufception : car , dans les premiers temps , le fac qui con- tient l’œuvre entiere de la génération, n’eft point adhérent à la matrice. On a vu per les expériences de Graaf fur les femelles des lapins, qu'on peut faire rouler dans la matrice ces glo- bules où eft renfermé le produit total de la génération , & qu’il appelloit mal-à-propos des œufs : ainfi, dans les premiers temps , ces glo- D 2 $2 Hifloire Naturelle. bules , & tout ce qu’ils contiennent , augmen- tent & s’accroiflent par intufufception , en ti- rant la nourriture des liqueurs dont la matrice eft baïgnée : ils s’y attachent enfuite d’abord par un mucilage , dans lequel , avec le temps, il fe forme de petits vaifleaux , comme nous le dirons dans la fuite. Mais, pour ne pas fortir du fujet que je me fuis propôfé de traiter dans ce chapitre, je dois revenir à la formation immédiate du fœtus, fur laquelle il y a plufieurs remarques à faire, tant pour le lieu où {e doit faire cette forma- tion, que par rapport à différentes circonitan- ces qui peuvent l’empècher ou Paltérer. Dans Pefpece humaine , la femence du mâle entre dans la matrice, dont la cavité eft con- fidérable ; & lorfqu’elle y trouve une quantité fuffifante de celle de la femelle , le melange doit s’en faire ; la réunion des parties organi- ques fuccede à ce mélange , & la formation du fœtus fuit. Le tout eft peut-être l’ouvrage d’un inftant, fur-tout fi les liqueurs font toutes deux nouvellement fournies, & fi elles {ont dans l’é- tat actif & florillant qui accompagne toujours les productions nouvelles de la nature. Le lieu où le fœtus doit fe former , eft la cavité de la matrice ; parce que la femence du mâle y arrive plus aifément qu’elle ne pourroit arriver dans les trompes , & que ce vifcere n'ayant qu’un petit orifice, qui mème fe tient toujours ferme, à l'exception des inftans où les convulfions de l'amour peuvent le faire ouvrir, l’œuvre de la génération y elt en füreté, & ne peut guere en reflortir que par des circonftances rares, & par Des Animaux. ie des hafards peu fréquens. Mais comme la li- queur du male arrofe d’abord le vagin , qu’en- fuite elle pénetre dans la matrice, & que, par {on aétivitée & par le mouvement des molécules organiques qui la compofent, elle peut arriver plus loin, & aller dans les trompes, & peut-être quiqu'aux tefticules fi le pavillon les embrafle ‘dans ce moment; & de mème, comme la liqueur féminale de la femelle a déja toute fa perfection dans le corps glanduleux des teiticules, qu’elle en découle, & qu’elle arrofe le pavillon & les - trompes avant que de defcendre dans la matrice, & qu’elle peut fortir par les lacunes qui font au- tour du col de la matrice, il eft poffible que le mélange des deux liqueurs fe fafle dans tous ces différens lieux. Il eft donc probable qu’il fe forme fouvent des fœtus dans le vagin; mais qu’ils en retombent , pour ainfi dire, auflitôt qu'ils font formés ; parce qu’il n’y a rien qui puifle les y retenir. Il doit arriver aufli quel- _quefois, qu’il fe forme des fœtus dans les trom- pes : maïs ce cas fera fort rare; car cela w’arri- vera que quand la liqueur {éminale du mâle {era entrée dans Ja matrice en grande abondance, qu’elle aura été pouflée jufqu’à ces trompes, dans lefquelles elle fe fera mélée avec la liqueur .{éminale de la femelle. Les recueils d’obfervations anatomiques font mention non-feulement de fœtus trouvés dans les trompes, mais aufli de fœtus trouvés dans les tefticules. On conçoit très-aifément, par ce que nous venons de dire, comment il fe peut qu'il s’en forme quelquefois dans les trompes: bi s'4 Hifioire Naturelle. mais à l’égard des tefticules, l'opération me pa- roit beaucoup plus difficile; cependant elle n’eft peut-être pas abfolument impoilible. Car fi lon fuppofe que la liqueur féminale du male foit lancée avec aflez de force pour ètre portée juf- qu'a l'extrémité des trompes, & qu’au moment u’elle y arrive, le pavillon vienne à fe redref- er & à embrafler le tefticule, alors il peut fe faire qu’elle s’éleve encore plus haut, & que le mélange des deux liqueurs fe fafle dans le lieu mème de lorigine de cette liqueur, c’eft-a-dire, dans la cavité du corps glanduleux; & il pour- roit s’y former un fœtus, mais qui n’arriveroit pas à fa perfection. On a quelques faits qui femblent indiquer que cela eft arrivé quelque- fois. Dans l'Hiftoire de l’ancienne Académie des Sciences (tome IT, p. 91,) on trouve une obfervation à ce {ujet. M. Theroude, Chirur. ien à Paris, fit voir à l’Académie une mañle in- Dé , qu'il avoit trouvée dans le tefticule droit d’une fille âgée de dix-huit ans On y remar- quoit deux fentes ouvertes & garnies de poils comme deux paupieres: au-deflus de ces pau- pieres étoit une efpece de front, avec une ligne noire à la place des fourcils: immédiatement au- deflus il y avoit plufeurs cheveux ramafñlés en deux paquets, dont l’un étoit long de fept pou- ces & l’autre de trois: au-deflous du grand an- gle de l'œil fortoient deux dents molaires, du- res, grofles & blanches: elles étoient avec leurs gencives, elles avoient environ trois lignes de Jongueur, & étoient éloignées l’une de l’autre d’une ligne; une troifieme dent, plus grofle, fortoit au- deffous de ces deux- là : il paroifloit Des Animaux. ss encore d’autres dents différemment éloignées les unes des autres & de celles dont nous venons de parler; deux autres entr’autres, de la nature des canines, fortoient d’une ouverture placée à peu pres où eft l’oreille. Dans le même volume (page 244,) il eft rapporté, que M. Mery trouva dans le tefticule d’une femme, qui étoit abcédé, un os de la mâchoire fupérieure avec plufieurs dents fi parfaites, que quelques-unes parurent avoir plus de dix ans. Qn trouve dans le Journal de Médecine ( Janvier 1683,) publié par l'Abbé de la Roque, lhiftoire d’une Dame, qui, ayant fait huit enfans fort heureufement, mourut de la grofleffe d’un neuvieme, qui s’é- toit formé auprès de l'un de fes tefticules, ou même dedans. Je dis aupres ou dedans, parce que cela n’eft pas bien clairement expliqué dans la relation qu'un M. de Saint-Maurice, Méde- cin, à qui on doit cette obfervation, a faite de cette groflefle. Il dit feulement, qu’il ne doute pas que le fœtus ne fût dans le tefticule; mais lorfqu’il le trouva, il étoit dans l’abdomen. Ce fœtus étoit gros comme le pouce & entiérement formé : on y reconnoifloit aifément le fexe. On trouve aufli dans les Tranfactions Philofophi- ques quelques obfervations fur des tefticules de femmes, où l’on a trouvé des dents, des che- veux. des os. Si tous ces faits {ont vrais, on ne peut guere les expliquer que comme nous Pavons fait; & il faudra fuppofer, que la liqueur féminale du mäle monte quelquefois, quoique très-rarement , jufqu’aux tefticules de la femelle. Cependant j'avouerai, que j'ai quelque peine à le croire : premiérement, parce que les faits qui D 4 s6 Hifioire Naturelle. paroiflent le prouver, font extrèmement rares: en fécond lieu, parce qu’on n’a jamais vu de fœtus parfait dans les telticules, & que l’obfer- vation de M. Littre, qui eft la feule de cette efpece, à paru fort fufpecte : en troifieme lieu, parce qu'il n’eft pas impoilible que la liqueur féminale de la femelle ne puifle toute feule pro- duire quelquefois des mañles organifées ; comme des moles , des kiftes remplis de cheveux, d’os, de chair, & enfin, parce que fi l’on veut ajou- ter foi à toutes les obfervations des Anatomif- tes, on viendra à croire qu’il peut fe former des fœtus dans les tefticules des hommes aufli-bien que dans ceux des femmes; car on trouve dans Je fecond volume de l'Hiftoire de l’ancienne Aca- démie (page 298) une obfervation d’un Chi- rurgien, qui dit avoir trouvé dans le fcrotum d’un homme, une mañle de la figure d’un en- fant enfermé dans les membranes: on y diftin- guoit la tète, les pieds, les yeux, des os & des cartilages. Si toutes ces obfervations étoient également vraies, il faudroit néceflairement choi- fir entre les deux hypothefes fuivantes: ou que la liqueur féminale de chaque fexe ne peut rien produire toute feule & fans être melée avec celle de l’autre fexe, ou que cette liqueur peut pro- duire toute feule des mañles irrégulieres, quoi- que organifées. En fe tenant à la premiere hy- pothefe, on feroit obligé d'admettre, pour ex- pliquer tous les faits que nous venons de rap- porter, que la liqueur du male peut quelquefois monter juiqu'au tefticule de la femelle, & y former, en fe mélant avec la liqueur féminale de la femelle, des corps organifés; & de mème, . Des Arimaux. SZ -que quelquefois la liqueur féminale de la femelle peut, en fe répandant avec abondance dans le vagin, pénétrer dans le temps de la copulation qjufque dans le fcrotum du male, à peu pres -comme le virus vénérien y pénetre fouvent; & que, dans ces cas, qui fans doute feroient aufli fort rares, il peut fe former un corps organifé dans le fcrotum, par le melange de cette liqueur féminale de la femelle avec celle du male, dont une partie, qui ctoit dans luretre, aura re- brouflé chemin, & fera parvenue avec celle de Ja femelle jufque dans le fcrotum. Ou bien, fi Von admet l'autre hypothefe, qui me paroit plus vraifemblable, & qu’on fuppoie que la liqueur féminale de chaque individu ne peut pas à Ja vérité produire toute feule un animal, un fœ- tus, mais qu’elle puifle produire des mañles or- ganifées lorfqw’elle fe trouve dans des lieux où {es particules actives peuvent en quelque façon fe réunir, & où le produit de cette réunion peut trouver de la nourriture, alors on pourra dire, que toutes ces productions offeufes, charnues, chevelues, dans les tefticules des femelles & dans le fcrotum des males, peuvent tirer leur origine de la feule liqueur de lindividu dans lequel elles fe trouvent. Mais c’elt afez s’arre- ter fur des obfervations dont les faits me paroif- fent plus incertains qu’inexplicables; car j'avoue que je fuis très-porté à imaginer, que, dans de certaines circonftances & dans de certains états, la liqueur féminale d’un individu, mâle ou fe- melle, peut feule produire quelque chofe. Je ferois, par exemple, fort tenté de croire, que les filles peuvent faire des moles fans avoir eu s8 Hifoire Naturelle. de communication avec le mâle, comme les pou- les font des œufs fans avoir vu le coq. Je pour- rois appuyer cette opinion de plufieurs obferva- tions qui me paroilentc au moins aufli certaines que celles que je viens de citer; & je me rap- pelle que M. de la Sône, Médecin & Anato- milte de l’Académie des Sciences, à fait un Meé- moire fur ce fujet, dans lequel il affure que des Religieufes , bien cloitrées, avoient fait des mo- Jes. Pourquoi cela feroit-il impoflible, puifque les poules font des œufs fans communication avec le coq, & que, dans la cicatricule de ces œufs, on voit, au lieu d’un poulet, une mole avec des appendices? L’analogie me paroit avoir aflez de force, pour qu’on puifle au moins dou- ter & fulpendre fon jugement. Quoi qu'il en {oït, il eft certain qu’il faut le mélange des deux liqueurs pour former un animal ; que ce mélange ne peut venir à bien que quand il fe fait dans la matrice, ou bien dans les trompes de la ma- trice, où les Anatomiftes . ont trouvé quelque- fois des fœtus, & qu’il eft naturel d'imaginer, que ceux qui ont été trouvés hors de la matrice & dans la cavité de l'abdomen, font fortis par Pextremité des trompes, ou par quelque ouver- ture qui s’eft faite par accident à la matrice, & que ces fœtus ne font pas tombés du tefticule, où il me paroît fort difficile qu'ils puiflent fe former; parce que je regarde comme une chofe prefque impoflible, que la liqueur féminale du male puifle remonter jufque-là Leeuwenhoek a fupputé la vitefe du mouvement de ces pré- tendus animaux fpermatiques, & il a trouvé, qu’ils pouvoient faire quatre ou cinq pouces de Des Animaux. s9 chemin en quarante minutes. Ce mouvement feroit plus que fufifant pour parvenir du vagin dans la matrice, de la matrice dans les trompes, & des trompes dans les tefticules en une heure ou deux, fi toute la liqueur avoit ce mème mou- vement. Mais comment concevoir que les mo- lécules organiques, qui font en mouvement dans cette liqueur du male, & dont le mouvement cefle aufli-tôt que le liquide dans lequel elles fe meuvent, vient à leur manquer ; comment con- cevoir, dis-je, que ces molécules puident arri- ver jufqu’au tefticule, à moins que d'admettre, que la liqueur elle-mème y arrive & les y porte? Ce mouvement de progreflion, qu'il faut fup- pofer dans la liqueur méme, ne peut être pro- duit par celui des molécules organiques qu’elle contient : ainfi, quelque activité que lon {up- pofe à ces molécules, on ne voit pas comment elles pourroient arriver aux tefticules & y for- mer un fœtus, à moins que, par quelque voie que nous ne connoiflons point, par quelque force réfidente dans le tefticule, la liqueur mème ne fût pompée & attirée jufque-là: ce qui eft une fuppofition non-feulement gratuite, mais mème contre la vraifemblance. Autant il eft douteux que la liqueur fémi- nale du mâle puiflé jamais parvenir aux tefticu.” les de la femelle, autant il paroît certain qu’elle pénetre la matrice, & qu’elle y entre, foit par orifice, foit à travers le tiflu mème des mem- branes de ce vifcere, La liqueur qui découle des corps glanduleux des tefticules de la femelle, peut aufli entrer dans la macrice, foit par lou. 60 Hifioire Naturelle. verture qui eft à l’extrèmite fupérieure des trom- pes, foit à travers le tilu mème de ces trompes & de la matrice. Il y a des obfervations qui {emblent prouver clairement, que ces liqueurs peuvent entrer dans la matrice à travers le tiflu de ce vilcere. Je vais en rapporter une de M. Weitbrech, habile Anatomifte de l’Académie de Péterf bourg, qui confirme mon opinion : Res omni attentione digriffima oblata mihi eff in utero jfemine alicujus à me difjeëæ; erat uterus eâ ma- anitudine qua elfe folet in virgimbus , tubæque ambæ apertæ quidem ad ingrefJum uteri, ita ut cx hoc in illas cum fpecillo facile poljem tranfire ac flatum injicere , fed in tubarum extremo nulla dabatur apertura, nullus aditus ; fimbriarum enim ne vefti- gium quidem aderat , fed loco illarum bulbus aliquis pyriformis matcrià fubalbidà fuidè turgens , in cujus medio fibra plana nervea , cicatricule emule, apparebat, que fub ligamentuli fpecie ufque ad ovarii involucra protendcbatur. Dices : eadem à Regnato de Graaf jam olim notata. Equidem non negaverim illuftrem hunc profeéforem in libro fuo de organis muliebribus non moud fimilem tubam delineafje, Tabula XIX, fig. 2, fed & monuille € tubas, quamvis fecundüm or- » dinariam natiire cifpofitionem in extremitate Jfuä notabilcm femper coaréationem habeant, preter » naturam tamen aliquando claudi ;” verim enim- vero cum non meminerit auéfor an id in utrâque tubà ita deprehenderit ? an in virgine? an Jlatus iffe preternaturalis ficrilitatem inducat ? an verd conceptio nihilominus fieri poffit? an à principio vite talis firuëlura fuam originem ducat ? five an Des Animaux. 6. traëu temporis ita degenerare tube poffiit ? fa- cile perfpicimus multa nobis reliéfa c{}je problemata quæ, utcumque foluta, multim negotii facefcant ir exemplo noftro. Erat enim hec femina maritata, viginti quatuor annos nata, que filium pepcererat quem vidi iple, oéto jam annos natum. Die igitur tubas ab incunabulis claufas ferilitatem inducere : quare hæc noftra femina peperit ? Dic concepif]e tubis claufis: quomodd ovulum ingredi tubam po- tuit? Dic coaluifje tubas poft partum: quomodo id nofti? quomodô aded evanefcere in utroque latere fimbrie pofJunt, tanquam nunquam adfui{Jent ? Si quidem ex ovario ad tubas alia daretur via prater ilarum orificium, unico gref]u omnes fuperarentur difficultates : [ed fiétiones intellcéfum quidem adiu- vant, rei veritatem non demonftrant; præffat igitur ignorationem fateri, quäm fpeculationibus indul. gere. ( Vide Comment. Acad. Petropol. vol. IV, pag. 261 € 262.) L’Auteur de cette obferva- tion, qui marque , comme l'on voit, autant d’efprit & de jugement que de connoiflance en anatomie, a raifon de fe faire ces difficultés, qui paroiflent être en effet infurmontables dans le fyftème des œufs; mais qui difparoiffent dans notre explication: & cette obfervation femble feulement prouver , comme nous lavons dit, que la liqueur féminale de la femelle peut bien pénétrer le tiflu de la matrice, & y entrer à tra- vers les pores des membranes de ce vifcere, comme je ne doute pas que celle du mäle ne puifle y entrer auf de la mème facon. Il me femble, que, pour fe le perfuader , 1l fufft de faire attention à laltération que la liqueur fémi- nale du mâle caufe à ce vifcere, & à lefpece de 62 Hifloire Naturelle. végétation ou de développement qu’elle y caufe. D'ailleurs la liqueur qui fort par les lacunes de Graaf, tant celles qui {ont autour du col de la matrice , que celles qui font aux environs de lorifice extérieur de l’uretre, étant, comme nous l'avons infinué, de la mème nature que la liqueur du corps glanduleux , il eft bien évident que cette liqueur vient des tefticules; & cepen- dant il n’y a aucun vaifleau qui puifle la con- duire, aucune voie connue par où elle puifle pafñler : par conféquent, on doit conclure, qu’elle pénetre le tiflu fpongieux de toutes ces parties, & que, non-feulement elle entre ainfi dans la matrice, mais mème qu’elle en peut {ortir lorf que ces parties {ont en irritation. Mais quand mème on fe refuferoit à cette idée, & qu’on traiteroit de chofe impoñlible la pénétration du tiflu de la matrice & des trompes par les molécules actives des liqueurs féminales, on ne pourra pas nier, que celle de la femelle qui découle des corps glanduleux des telticules, ne puifle entrer par l’ouverture qui eft à l’extrè- mité de la trompe, & qui forme le pavillon; qu’elle ne puifle arriver dans la cavité de la ma- trice par cette voie, comme celle du mâle y ar- rive par l’orifice de ce vifcere, & que, par con- féquent , ces deux liqueurs ne puiflent fe péné- rer, fe mêler intimement dans cette cavité, & y former le fœtus de la maniere dont nous Pa- vons expliqué. Des Animaux. 63 CHCAPOLUESR. EX. Du développement &? de l'accroifjement du Fætus: de P Accouchement , €ÿc. O: doit diftinguer dans le développement du fœtus, des degrés différens d’accroiilement dans de certains: parties , qui font , pour ainfi dire, des efpeces différentes de développement. Le premier développement qui fuccede immeé- diatement à la formation du fœtus, n’eft pas un accroiflement proportionnel de toutes les parties qui le compolent: plus on s’eloigne du temps de la formation , plus cet accroiflement eft pro- portionnel dans toutes les parties, & ce n’eft qu'après être {orti du fein de la mere, que l’ac- croiflement de toutes les parties du corps fe fait à-peu-près dans la mème proportion. 1l ne faut donc pas s’imaginer que le fœtus, au moment de fa formation , foit un homme infiniment petit, duquel la figure & la forme foient ab{o- lument femblables à celles de l’homme adulte. Il eft vrai que le petit embryon contient rcelle- ment toutes les parties qui doivent compolfer Phomme; mais ces parties fe développent fuc- ceflivement & différemment les unes des autres. Dans un corps organifé comme left celui d’un animal, on peut croire qu’il y a des par- ties plus eflentielles les unes que les autres; &, fans vouloir dire qu’il pourroit y en avoir d'in- utiles ou de fuperflues, on peut foupconner 64 Hifloire Naturelle. que toutes ne font pas d’une nécceflité également abfolue, & qu'il y en a quelques-unes dont les autres femblent dépendre pour leur développe- ment & leur difpofition. On pourroit dire, qu’il y des parties fondamentales , fans lefquel- les l'animal ne peut fe développer; d’autres qui {ont plus accefloires & plus extérieures , qui pa- roiflent tirer leur origine des premieres, & qui femblent ètre faites autant pour l’ornement, la fymétrie & la perfection extérieure de l’animal, que pour la néceflité de fon exiftence & l’exer- cice des fonctions effentielles à la vie. Ces deux efpeces de parties différentes fe développent fuc- ceilivement, & {ont déja toutes prefque égale- ment apparentes lorfque le fœtus fort du fein de la mere. Maisil y a encore d’autres parties, comme les dents, que la nature femble mettre en réferve pour ne les faire paroïtre qu’au bout de pluficurs années: il y en a, comme les corps glanduleux des tefticules des femelles, la barbe des mâles, &c. qui ne fe montrent que quand le temps de produire fon femblable eft arrivé, &C. Il me paroïît, que, pour reconnoître les parties fondamentales & eflentielles du corps de l'animal, il faut faire attention au nombre, à Ja fituation & à la nature de toutes les parties. Celles qui font fimples, celles dont la pofition eit invariable, celles dont la nature cft telle que . Vanimal ne peut pas exifter fans elles, feront certainement les parties efenticlles. Celles au contraire, qui font doubles, ou en plus grand nombre ; celles dont la grandeur & la pofition Varient, & enfin celles qu’on peut es e Des Animarx. 6$ de l’anirnal fans le blefler , ou mème fans le faire périr, peuvent être regardées comme moins néceflaires & plus accefloires à la machine ani- male. Ariftote a dit que les feules parties qui fuflent eflentielles à tout animal, étoient celle avec laquelle il prend Ja nourriture ; celle dans laquelle il la digere , & celle par laquelle il en rend le fuperflu. La bouche & le conduit intef- tinal, depuis la bouche jufqu’a l'anus, font en effet des parties fimples, & qu'aucune autre ne peut fuppléer. La tète & l’épine du dos font aufli des parties fimples , dont la pofition eft ‘ invariable. L’épine du dos fert de fondement à la charpente du corps, & c’elt de la moëlle alongée qu’elle contient ,; que dépendent les mouvemens & l’action de la plupart des mem- bres & des organes. C’eft aufli cette partie qui paroit une des premieres dans l'embryon : on pourroit mème dire qu’elle paroît la premiere; car la premiere chole qu’on voit dans la cica- tricule de œuf, eft une mafle alongée , dont l'extrémité qui forme la tête, ne differe du to- tal de la mafle que par une efpece de forme contournée, & un peu plus renflée que le refte: or ces parties fimples , & qui paroiffent Îles pre- mieres, font toutes eflentielles à l’exiftence, à la forme & à la vie de l’animal. | Ïl y a beaucoup plus de parties doubles dans le corps de l'animal que de parties fimples; & ces paities doubles femblent avoir été produi- tes {ymétriquement de chaque côté des parties fimples, par une efpece de végétation; car ces parties doubles font femblables par la forme , & différentes par la pofition. La main gauche, Hift. Nat, des Anim. T. I. E | 66 Hiftoire Naturelle. par exemple, refflemble à la main droite, parce qu’elle eft compolée du mème nombre de par- ties, lefquelles étant priles féparément, & étant comparées une à une & plufieuts à pluficurs, ont aucune différence : cependant fi la main gauche fe trouvoit à la place de la droite, on ne pourroit pas s’en fervir aux mèmes ufages, & on auroit raifon de la regarder comme un membre très-différent de la main droite. Il en eft de mème de toutes les autres parties dou- bles ; elles font femblables pour la forme , & différentes pour la pofition. Cette polition {e rapporte au corps de l'animal; & en imaginant une ligne qui partage le corps de haut en bas en deux parties égales, on peut rapporter à cette ligne, comme à un axe , la pofition de toutes ces parties femblables. La moëlle alongée , à la prendre depuis le cerveau jufqu’à fon extrémité inférieure , & les vertebres qui la contiennent, paroiflent être l'axe réel, auquel on doit rapporter toutes les parties doubles du corps animal ; elles feniblent en tirer leur origine & n’ètre que les rameaux fymétriques qui partent de ce tronc ou de cette bafe commune; car on voit fortir les côtes de chaque côté des vertebres , dans le petit pou- let, & le développement de ces parties doubles & fymétriques fe fait par une efpece de végéta- tion , comme celle de plufieurs rameaux qui partiroient de plufieurs boutons difpolés régu- liérement des deux côtés d’une branche prin- cipale. Dans tous les embryons , les parties du milieu de la tète & des vertebres paroiflent les premieres ; enduite on voit aux deux côtés d’une Des Animaux. 67 - véficule qui fait le milieu de la tête, deux au« tres véficules qui paroïflent fortir de la pre miere : ces deux veéficuies contiennent les yeux & les autres parties doubles de la tête : de mème on voit de petites éminences fortir en nombre égal de chaque côté des vertebres , s’é- tendre , prendre de laccroiflement , & former les côtes & les autres parties doubles du tronc: enfuite , à côté de ce tronc déja formé , on voit paroître de petites éminences pareilles aux premieres ; qui fe développent, croiflent infen- fiblement & forment les extrèmités fupérieures & inférieures, c’eft-à-dire, les bras & les jam- bes. Ce premier développement eft fort diffé. rent de celui qui fe fait dans la fuite ; c’eft une production de parties qui femblent naître & qui aroiflent pour la premiere fois : l’autre qui lui Ds , n’eft qu’un accroiflement de toutes les parties déja nées & formées en petit, à peu près comme elles doivent létre en grand. Cet ordre fymétrique de toutes les parties doubles , fe trouve dans tous les animaux. La régularité de la pofition de ces parties doubles , l'égalité de leur extenfion & de leur accroifle- ment , tant en mafñle qu’en volume, leur par- faite reflemblance entr’elles, tant pour le total que pour le détail des parties qui les compo- fent , femblent indiquer qu’elles tirent réelle. ment leur origine des parties fimples ; qu’il doit réfider dans ces parties fimples une force qui agit également de chaque côté, ou, ce qui re- vient au même, que les parties fimples font les points d'appui contre lefquels s'exerce l’action des forces qui produifent le AéreLpocment des 2 68 Hifioire Naturelle. parties doubles ; que lPaction de la force par laquelle s’opere le déveloprement de Ja partie droite , eft égale à lation de la force par la- quelle fe fait le développement de la partie gauche , & que, par coniéquent , elle eft con- trebalancée par cettre réaction. De-là on doit inférer , que, sil y a quel- que défaut, quelqu’excès ou quelque vice dans la matiere qui doit fervir à former les parties doubles, comme la force qui les poule de cha- que côté de leur bafe commune eft toujours égale , le défaut , l'excès ou le vice fe doit trou- ver à gauche comme à droite ; & que ,; par éxemple eri par un défaut de matiere un homme fe trouve n'avoir que deux doigts au lieu de cinq à la main droite , il n'aura n’on plus que deux doigts à la main gauche ; ou bien que, fi par un excès de matiere organique il fe trouve avoir fix doigts à l’une des mains , il aura de mème fix doigts à l’autre ; ou fi, par quelque vice , la matiere qui doit fervir à la forma- tion de ces parties doubles , fe trouve altérée , il y aura Ja mème altération à la partie droite qu’à la partie gauche. C'eft aufli ce qui arrive aflez fouvent , la plupart des monftres le font avec fvmétrie ; le dérangement des parties pa- roît s’etre fait avec ordre, & l’on voit par les erreurs mêmes de Ja nature, qu’elle fe méprend le moins qu’il eft poffible. Cette harmonie de poñition , qui fe trouve dans les parties doubles des animaux , fe trouve auffi dans les végétaux : les branches pouflent des boutons de chaque côté , les nervures des feuiiles {ont également difpofées de chaque côté Des Animaux. { 69 de la nervure principale; & quoique. l’ordre {y- métrique paroifle moins exact dans les végétaux que dans les animaux , ceft feulement parce qu’il y eft plus varié , les limites de fa fyme- trie y font plus étendues & moins préciles ; mais on peut cependant y reconnoitre aifement cet ordre , & diftnguer les parties fimples & eflentielles de celles qui font doubles, & qu’on doit regarder comme tirant leur origine des pre- mieres. On verra dans notre difcours fur les vésétaux , quelles fout les parties fimples & eflentielles du végétal, & de quelle maniere fe fait le premier développement des parties doubles, dont la plupart ne font au’accefloires, Il meft guere poflible de déterminer fous quelle forme exifteut les parties doubles avant leur développement , de quelle façon elles font pliées les unes fur les autres , & quelle elt alors la figure qui réfulte de leur pofition par rapport aux parties fimples. Le corps de Pani- mal , dans lPinftant de fa formation, contient certainement toutes les parties qui doivent le compofer ; mais la pofition relative de ces par- ties doit ètre bien différente alors de ce qu’elle le devient dans la fuite. Il en eft de mème de toutes les parties de lPanimal ou du végetal, prifes féparément : qu’on oblerve feulement le développement d’une petite feuille naïffante, on verra qu’elle eft pliée des deux côtés de la ner- vure principale , que c?s parties latérales font comme fuperpofées , & que fa figure ne reffem- ble point du tout, dans ce temps, à celle qu’elle doit acquérir dans Ja fuite. Lorfque lon s’amule à plier du papier pour former enfuite , au moyen D. 3 70 Hifioire Naturelle. d’un certain développement , des formes réeu. lieres & fymétriques , comme des efpeces de couronnes , de coffres , de bateaux , &c. on peut obferver que les différentes plicatures que Von fait au papier, femblent n'avoir rien de commun avec la forme qui doit en réfulter par le développement : on voit feulement que ces plicatures fe font dans un ordre toujours fymé- trique , & que l’on fait d’un côté ce que l’on vient de faire de l’autre; mais ce feroit un pro- bleme au-deflus de la Géométrie connue, que de déterminer les figures qui peuvent réfulter de tous les développemens d’un certain nom- bre de plicatures données. Tout ce qui a immé- diatement rapport à la pofition, manque abfo- lument à nos fciences mathématiques : cet Art, que Léibnitz appelloit Analyfis fitus , w’eft pas encore né, & cependant cet art, qui nous fe- toit connoître les rapports de pofition entre les chofes, feroit aufli utile, & peut-ètre plus né- cellaire aux fciences naturelles, que lart qui n’a que la grandeur des chofes pour objet ; car on a plus fouvent befoin de connoître la forme que ja matiere. Nous ne pouvons donc pas, lorfqu’on nous préfente une forme développée, reconnoitre ce qu’elle étoit avant fon dévelop- pement; & de même, lorfau’on nous fait voir une forme enveloppée, c'eft-à-dire une forme dont les parties font replices les unes fur les autres, nous ne pouvons pas juger de ce qu’elle doit produire par tel ou tel développement; n’eft. il donc pas évident , que nous ne pouvons ju- ger en aucune facon de la pofition relative de ces parties replies, qui font comprifes dans un Des Animaux. 71 tout qui doit changer de figure en fe dévelop. pant ? Dans le développement des productions de la nature, non - feulement les parties pliées & fuperpofées , comme dans les plicatures dont nous avons parlé, prennent de nouvelles pofi- tions ; mais elles acquierent en mème temps de l’érendue & de Ja folidité. Puisque nous ne pou- vons donc pas mème déterminer au juite le ré- fultat du développement fimple d’une forme en- veloppée, dans lequel, comme dans le morceau de papier plié, il n’y a qu’un changement de pofition entre les parties, fans aucune augmen- tation ni diminution de volume ou de la mañle de la matiere, comment nous feroit-il poilible de juger du développement compole du corps d’un animal, dans lequel la pofition relative des parties change aufli-bien que le volume & la mafle de ces mèmes parties ? Nous ne pou- vons donc raïfonner fur cela qu’en tirant quel- ques inductions de l’examen de la chofe mème dans les différens temps du développement, & en nous aidant des obfervations qu’on à faites fur le poulet dans l'œuf, & fur les fœtus nou- vellement formés , que les accidens & les fauf- fes couches ont fouvent donné lieu d’obferver. On voit à la vérité le poulet dans l’œuf avant qu'il ait été couve. Il eft dans une li- queur tranfparente , qui eft contenue dans une petite bourie formée par une membrane très- fine au centre de la cicatricule. Mais ce poulet n’elt encore qu’un point de matiere inanimée , dans lequel on ne diftingue aucune organifa- tion fenfible , aucune figure bien déterminée : E 4 72 Hifloire Naturelle. on juge feulement par la forme extérieure, que June des extrémités eft la tete, & que le refte eft lépine du dos ; le tout neft qu'une gelée tranfparente qui n’a préfque point de confif tance. [l paroît que c’eft-la le premier produit de la fécondation, & que cette forme elt le premier rélultat du mélange qui s’eft fait dans la cicatricule de la femence du mâle & de celle de la femelle: cependant, avant que de lafiu- rer, il y a plufeurs chofes auxquelles il faut faire attention. Lorfque la poule a habité pen- dant quelques jours avec le coq , & qu’on len fépare enfuite , les œuf qu’elle produit après cette féparation , ne laiflent pas d’ètre féconds comme ceux qu’elle a produits dans le temps de fon habitation avec le male. L'œuf que la poule pond vingt Jours après avoir été féparée du coq , produit un poulet comme celui qu’elle aura pondu vingt jours auparavant: peut-être mème que ce terme elt beaucoup plus long, & que cette fécondité communiquée aux œufs de la poule par le coq , s'étend à ceux qu’elle ne doit pondre qu’au bout d’un môis ou davan- tage. Les œufs qui ne fortent qu'après ce terme de vingt jours ou d’un mois , & qui font fe- conds comme les premiers, fe développent dans le mème temps: il ne faut que vingt - un jours de chaleur aux uns comme aux autres , pour faire éclore le poulet. Ces derniers œufs font donc compolés comme les premiers, & lem- bryon y cft aufli avancé, auf formé. Dès-lors on pourroit penler , que cette forme fous la- quelle nous paroît le poulet dans la cicatricule de l'œuf avant qu'il ait été couvé, n’eft pas la Des Animaux. 73 forme qui réfulte immédiatement du mélange des deux liqueurs , & il y auroit quelque fon- dement à foupconner ; qu’elle a été précédée d’autres formes, pendant le temps que l'œuf a féjourné dans le corps de la mere; car lorfque Pembryon a la forme que nous lui voyons dans l'œuf qui na pas encore été couvé , il ne lui faut plus que de la chaleur pour le dévelop- per & le faire éclore: or s’il avoit eu cette forme vingt jours ou un mois auparavant , lorfqu’il a été fécondé , pourquoi la chaleur de Pintérieut du corps de la poule, qui eft certainement aflez grande pour le développer , ne j’a-t-elle pas dé- veloppé en effet ? & pourquoi ne trouve-t-on pas le poulet tout formé & prèt à éclore dans ces œufs qui ont été fécondés vingt- un jours auparavant, & que la poule ne pond qu’au bout de ce temps ? | Cette difficulté n’eft cependant pas auffi srande qu’elle paroït ; car on doit concevoir, que, dans le temps de l'habitation du coq avec la poule, chaque œuf recoit dans fa cicatricule une petite portion de la femence du mâlé, cette cicatricule contenoïit déia celle de la fe- melle. L’'œuf attaché à l’ovaire, eft, dans les femelles ovipares , ce qu’eft le corps glandu- Jeux dans les tefticules des femelles vivipares : la cicatricule de l'œuf fera, fi lon veut, la ca- vite de ce corps glanduleux , dans lequel réfide Ja liqueur féminale de la femelle. Celle du mâle vient s’y mêler & la pénétrer ; il doit donc ré- fulter de ce mélange un embryon , qui fe forme dans linftant mème de la pénétration des deux liqueurs. Aufli le premier œuf que la poule pond 74 Hifioire Naturelle. immédiatement après la communication qu’elle vient d’avoir avec le coq , fe trouve fécondé, & produit un poulet. Ceux qu’elle pond dans la fuite, ont éte fécondes de la mème facon & dans le mème inltant ; mais comme il manque encore à ces œufs des parties eflentielles , dont Ja production elt indépendante de la femence du mäle ; qu'ils n'ont encore ni blanc, ni mem- branes , ni coquille, le petit embryon contenu dans la cicatricule ne peut fe développer dans cet œuf imparfait , quoiqu'il y foit contenu réel- lement , & que fon développement foit aidé de la chaleur de l’intérieur du corps de la mere. Il demeure donc dans la cicatricule dans l’état où il a été formé , juifqu’a ce que l'œuf ait ac- quis , par fon accroiflement, toutes les parties qui font néceffaires à l’action & au dévelop-* pement du poulet, & ce n’eft que quand l’œuf eft arrivé à {a perfection, que cet embryon peut commencer à naitre & à fe développer. Ce dé- veloppement {e fait au dehors par lincubation; mais il elt certain qu’il pourroit fe faire au de- dans, & peut-être qu’en ferrant ou coufant l’o- rifice de la poule pour l’empecher de pondre, & pour tenir d'œuf dans l’intérieur de fon corps, il pourroit arriver que le poulet s’y dévelop- peroit comme il fe développe au dehors, & que fi la poule pouvoit vivre vingt-un jours après cette opération , on Jui verroit produire le poulet vivant , à moins que la trop grande chaleur de l’intérieur du corps de l'animal ne fit corrompre l’œuf ; car on fait que les limites du degré de chaleur néceflaire pour faire éclore des poulets , ne font pas fort étendues , & que Des Animaux. 7ç le défaut ou l'excès de chaleur au : delà de ces limites, eft également nuifible à leur dévelop. pement. Les derniers œufs que la poule pond, & dans lefquels l’état de l'embryon eft le mème que dans les premiers , ne prouvent donc rien autre chofe , finon, qu'il eft néceflaire que l'œuf ait acquis toute fa perfection pour que l'embryon puifle fe développer , & que, quoi- qu'il ait été formé dans ces œufs long - temps auparavant , il eft demeuré dans le meme état où il étoit au moment de la fécondation, par le défaut de blanc & des autres parties nécef. faires à fon développement , qui 11étoient pas encore formées, comme il refte aufli dans le mème état dans les œufs parfaits, par le défaut de ja chaleur néceñaire à ce mème développe. ment , puifqu'on garde fouvent des œufs pen- dant un temps confidérable avant que de les faire couver ; ce qui n’empèche point du tout le développement du poulet qu’ils contiennent. Il paroïit donc, que l’état dans lequel eft Pembryon dans l’œuf lorfqu’il fort de la poule, eft le premier état qui fuccede immédiatement a la fécondation ; que la forme fous laquelle nous le voyons, eft la premiere forme réful- tante du mélange intime & de Ja pénctration des deux liqueurs féminales ; qu’il n’y a pas eu d’autres formes intermédiaires , d’autres déve- lcppemens antérieurs à celui qui va s’exécuter , & que, par conféquent, en fuivant comme Pa fait Malpighi, ce développement: heure par heure on en faura tout ce qu’il eft poflible d’en fa- voir, a moins que de trouver quelque moyen qui püt nous mettre à portée de remonter en- 76 Fifioire Naturelle. core plus haut, & de voir les deux liqueurs fe méler fous nos yeux, pour reconnoïtre com- ment fe fait le premier arrangement des parties, qui produilent la forme que nous voyons à l’em- bryon dans l’œuf avant qu’il ait été couvé. Si lon réfléchit {ur cette fécondation, qui fe fait dans le mème moment, de ces œufs qui ne doivent cependant paroitre que fucceflive- ment & long-temps les uns apres les autres, on en tirera un nouvel argument contre l’exiftence des œufs dans les vivipares: car fi les femelles des animaux vivipares, fi les femmes contien- nent des œufs comme les poules , pourquoi 1°y en a-t-il pas plufieurs de fécondés en mème temps, dont les uns produiroient des fœtus au bout de neuf mois, & les autres quelque temps après ? Et Jorfque les femmes font deux ou trois enfans , pourquoi viennent-ils au monde tous dans le même temps ? Si ces fœtus fe produi- foient au moyen des œufs, ne viendroient-ils pas fucceflivement les uns après les autres , fe- lon qu’ils auroient été formés ou excites par la femence du mâle dans des œufs plus ou moins avancés, ou plus ou moins parfaits ? & les fu- perfétations ne feroient-elles pas auf fréquen- tes qu’elles font rares, aufli naturelles qu’elles paroiflent être accidentelles ? On ne peut pas fuivre le développement du fœtus humain dans la matrice, comme on fuit celui du poulet dans l'œuf; les occafions d’ob- ferver font rares, & nous ne pouvons en favoir que ce que les Anatomiftes, les Chirurgiens & les Accoucheurs en ont écrit. C’eft en raflem- blant toutes les obfervations particulieres qu’ils Des Animanx. 77 ont faites, & en comparant leurs remarques & leurs defcriptions , que nous allons faire Phif. toire abrégée du fœtus humain. Il y a grande apparence qu’immédiatement apres le melange des deux liqueurs {éminales, tout l’ouvrage de la génération eft dans la ma- trice fous la forme d’un petit globe, puifque lon fait, par les obfervations des Anatomiftes, que trois ou quatre jours après la conception, il y a dans la matrice une bulle ovale, quiaau moins fix lignes fur fon grand diametre, & qua- tre lignes fur le petit. Cette bulle eft formée par une membrane extrèmement fine, qui renferme une liqueur limpide & aflez femblable à du blanc d'œuf. On peut déja appercevoir dans cette liqueur quelques petites fibres réunies, qui {ont les premieres ébauches du fœtus: on voit ramper fur la furface de la bulle un lacis de pe- tites fibres, qui occupe la moitié de la fuperf- cie de cet ovoïde, depuis l’une des extrèmités du grand axe jufqu’au milieu, c’eft-à-dire, jui- qu’au cercle formé par la révolution du petit axe. Ce font-là les premiers veftiges du pla- centa. Sept jours après la conception, l’on peut diftinguer à Poil fimple les premiers linéamens du fœtus ; cependant ils font encore informes : on voit feulement au bout de ces fept jours, ce qu'on voit dans l’œuf au bout de vingt-quatre heures , une mafñle d’une gelée prefque tranfpa- rente, qui a déja quelque folidité, & dans la- quelle on reconnoït la tète & le tronc , parce que cette mafle eft d’une forme alongée, que la partie {upérieure , qui repréfente le tronc, eft plus 78 Hifioire Naturelle. déliée & plus longue : on voitaufli quelques pe« tites fibres, en forme d’aigrette, qui fortent du milieu du corps du tœtus, & qui aboutiflent à la membrane dans laquelle il eft renfermé auif- bien que la liqueur qui lenvironne; ces fibres doivent former dans la fuite la cordon ombi- licai. Quinze jours apres la conception, l’on com- mence à bien diftinguer la tète, & à reconnoi- tre les traits les plus apparens du vifage. Le nez n’eft encore qu'un petit filet proéminent, & perpendiculaire à une ligne qui indique la f{e- paration des levres: on voit deux petits points noirs à la place des yeux, & deux petits trous à celle des oreilles. Le corps du fœtus a aufli pris de laccroiflement : on voit aux deux côtés de la partie fupérieure du tronc, & au bas de la partie inférieure , de petites protubérances, qui font les premieres ébauches des bras & des jam- bes. La longueur du corps entier eft alors à- peu-près de cinq lignes. Huit jours après, c’eft-à-dire , au bout de trois femaines, le corps du fœtus n’a augmenté que d'environ une ligne ; maïs les bras & les jambes , les mains & les pieds font apparens. L’accroiflement des bras eft plus prompt que ce- lui des jambes, & les doigts des mains {e fépa- rent plus tôt que ceux des pieds. Dans ce meme temps l’organifation intérieure du fœtus com- mence à être fenfible, les os font marqués par de petits filets auff fins que des cheveux : on reconnoit les côtes; elles ne font encore que des filets difpofés réguliérement des deux côtés de lépine; les bras, les jambes, & les doigts Des Animaux. 79 des pieds & des mains font aufli repréfentés par de pareils filets. Ces obfervations fur la forme extérieure & intérieure du fœtus, dans les premiers jours de la conception , font encore appuyées {nr celle qu’a fait, dans l’isle de Grenade, M. Roume de St. Laurent , à l’occafion de la faufle couche d’une Nésgrefe. Ce fœtus trouvoit dans une quantité de fang caillé, un fac de la grofleur d’un œuf de poule, L’enveloppe paroifloit fort épaifle , & avoit adhéré, par fa furface extérieure , à la matrice ; de forte qu’il fe pourroit qu’alors toute Penveloppe ne fût qu’une efpece de placenta. Ayant ouvert le fac, dit M. Roume, je lai trouvé rempli d’une matiere épaifle comme du blanc d'œuf, d’une couleur tirant {ur le jaune: Pembryon avoit un peu moins de fix lignes de longueur. Iltenoit à l'enveloppe par un cordon ombilical, fort large & tres- court , ayant qu'environ deux lignes de longueur : la tête, prefque informe, fe dif tinguoit néanmoins du refte du corps. On ne diftinguoit point la bouche, le nez, ni les oreilles; mais les yeux paroïfloient par deux très-petits cercles d’un bleu foncé. Le cœur étoit fort gros, & paroïifloit dilater , par fon volume, la capacité de la poitrine. Quoique jeufle mis cet embryon dans un plat d’eau pour le laver, cela n’empêcha point que le cœur ne battit très-fort, & environ trois fois, dans lefpace de deux fecondes, pendant quatre ou cinq minutes : enfuite les » battemens diminuerent de force & de vitefe, 80 Hifioire Naturelle. » & cefférent environ quatre minutes après, » Le coccix étoit alongé d’environ une ligne & demie, ce qui auroit fait prendre , à la pre- » miere vue, cet embryon pour celui d’un finge à queue. Onne diftinguoit pointles os; mais » On voyoit cependant, au travers de la peau » du derriere de la tète, une tache en lofange, dont les angles étoient émouflés, qui paroïif- » doit l'endroit où les pariétaux coronaux & Occipitaux devoient fe joindre dans la fuite; » de forte qu’ils étoient déja cartilagineux à la , bafe. La peau étoit une pellicule très-déliée ; le cœurétoit bien vifible au travers de la peau, » & d’un rouge pâle encore, mais bien décidé. , On diftinguoit aufii a la bale du cœur, de petits alongemens, qui étoient vraifembla- blement les commencemens des arteres, &@ , peut-être des veines ; il n’y-en voit que deux qui fuflent bien diftindts: je mai remarqué » ni foie, ni aucune autre glande ‘° (#). Il feroit à fouhaiter, qu'on raflemblit, fur ce lujet , un plus grand nombre d’obfervations que je vai pu le faire; car le développement du fœtus, dans les premiers temps après fa for- nation, u’eit pas encore aflez connu, ni aflez nettement prélenté par les Anatomiites. Le plus beau travail qui fe {oit fait en ce genre, eft ce- lui de Malpighi & de Valifnieri, fur le déve- Jloppement du poulet dans lœuf; mais nous n’a- vous rien d’aufli précis, ni d’aufli bien fuivi fur le développement de l'embryon dans les ani- maux (*) Journal de Phyfique, par M. l’abbé Rozier : Juillet Le x776, pages 52 9 53. Des Animaux. &I maux vivipares , ni du fœtus dans Pefpece hu- maine ; & cependant, les premiers inftans , ou fi l’on veut ; les premieres heures qui fuivent le moment de la conception, font les plus pré- cieux, les plus dignes de la curiofité des Phyf1 ciens & des Anatomiftes. On pourroit aifément faire une fuite d’expériences fur des animaux quadrupedes , qu’on ouvriroit quelques heures & quelques jours après la copulation ; &, du réfultat de ces obfervations, on concluroit pour le développement du fœtus humain ; parce que Panalogie feroit plus grande , & les rapports plus voifins que ceux qu’on peut tirer du dé- Veloppement du poulet dans œuf. Mais, en attendant, nous ne pouvons mieux faire que de recueillir , raflembler, & enfuite éomparer tou- tes les obfervations que le hafard ou les acci- dens peuvent préfentér fur les conceptions des femmes dans les premiers jours; & c’eft par cette raifon que j'ai cru devoir publier l’obfer- vation précédente. _ À un mois, le foitus a plus d’un pouce de longueur ; il eft uni peu courbé dans la fitua« tion qu’il prend naturellement au milieu de la liqueur qui l’environne: les membranes qui con- tiennent le tout , fe font augmentées en étendue & en épaifleur; toute la mañle eft toujours de figure ovoïde, & elle eft alors d'environ un pouce & demi fur le grand diametre , & d’un pouce & un quart fur le petit diametre. La figure humaine n’eft plus équivoque dans le fœæ- tus : toutes les pârties de la face font déja re- connoiflables ; le corps eft defliné , les hanches & le ventre font élevés, les membres font f0r- Hif. Nat, des Anim. T. A, 82 Hifioire Naturelle. més , les doigts des pieds & des mains font {6- parés les uns des autres; la peau eft extrème- ment mince & tranfparente, les vilceres font deja marqués par des fibres pelotonnées, les vaifleaux {ont menus comme des fils, & les mem- branes extrèmement déliées ; les os font encore mous, & ce n’eft qu'en quelques endroits qu’ils commencent à prendre un peu de folidité ; les vaifleaux qui doivent compofer le cordon om- bilical, font encore en ligne droite les uns à : côte des autres; le placenta n’occupe plus que le tiers de la mañe totale, au lieu que, dans les premiers jours, ilen occupoit la moitié. Il pa- roit donc que fon accroiflement , en étendue {u- perficielle, n’a pas été aufli grand que celui du fœtus & du refte de la mafñle ; mais il a beau- coup augmenté en folidité : fon épaifleur eff de- venue plus grande à proportion de celle de Pen- veloppe du fœtus, & on peut déja diftinguer les deux membranes dont cette enveloppe eft compofce. | Selon Hippocrate , le fœtus mâle fe déve- loppe plus promptement que lefœtus femelle. Il prétend qu’au bout de trente jours , toutes les parties du corps du male font apparentes , & que celles du fœtus femelle ne le font qu’au bout de quarante-deux jours. À fix femaines, le fœtus, a prés de deux pouces de longueur : la figure humaine eom- mence à {e perfectionner, la tète eft feulement beaucoup plus grofle à proportion que les au- tres parties du corps; on appercoit le mouve- ment du cœur à péu-près dans ce temps : on Va vu battre dans un fœtus de cinquante jours, des Arimaux. 83 & mème continuer de battre affez long - temps après que le fœtus fut tiré hors du fein de la mere. | À deux mois , le fœtus a plus de deux pous ces de longueur; Poffification eft {enfible au mi- leu du bras , de lavant-bras, de la cuifle & de Ja jambe; &, dans la pointe de la mâchoire in férieure, qui eft alors fort avancée au-delà de la mâchoire fupérieure, ce ne font encore, pour ainfi dire, que des points ofleux; mais par l’ef fet d’un développement plus prompt, les cla- vicules font déja offifiées en entier ; le cordon ombilical eft formé , les vaifleaux qui le com- pofent, commencent à {e tourner & a fe tordre, a-peu-près comme les fils qui compoient une corde ; mais ce cordon eft encore fort court en comparaifon de ce qu’il doit être dans la fuite. À trois mois, le fœtus a pres de trois pou- ces ; il pefe environ trois onces. Hippocrate dit, que c’eft dans ce temps que les mouvemens du fœtus mâle commencent à être fenfibles pour la mere, & il aflure que le fœtus femelle ne fe fait {entir ordinairement qu'après le quatrierne mois: cependant il y a des femmes qui difent avoir fenti, des le commencement du fecond mois , lemou- vemient de leur enfant. Il eft aflez difficile d’a- voir fur cela quelque chofe de certain; la {en- fation que les mouvemens du fœtus excitent , dépendant peut-être plus, dans ces commente. mens , de la fenfibilité de la mere, que de la force du fœtus. | Quatre mois & demi après la conception, Ja longueur du fœtus eft de fix à fept pouces. Toutes les parties de re Mis fi fort ie 84 Hifloire Naturelle. augmentées, qu’on les diftingue parfaitement les unes des autres; les ongles mème paroïfent aux doigts des pieds & des mains. Les tefticules des males font enfermés dans le ventre au-def- fus des reins; l'eftomac eft rempli d’une humeur un peu épaifle & aflez femblable à celle que renferme J’amnios; on trouve dans les petits boyaux une matiere laiteufe, &, dans les gros, une matiere noire & liquide : 1l y a un peu de bile dans la véficule du fiel, & un peu d’u- rine dans la veflie. Comme le fœtus flotte libre ment dans le liquide qui Penvironne, il y a tou- jours de lefpace entre fon corps & les membra- nes qui l’enveloppent. Ces enveloppes croiflent d’abord plus que le fœtus; mais, après un cer- tain temps, c’eft tout le contraire, le fœtus croît à proportion plus que ces enveloppes : il peut y toucher par les extrèmités de fon corps, & on croiroit qu’il eft obligé de les plier. Avant la fin du troifieme mois, la tète eft courbée en avant ; le menton pole fur la poitrine, les ge- noux font relevés, les jambes repliées en arriere; fouvent elles font croifées, & la pointe du pied eft tournée en haut & appliquée contre la cuif- fe , de forte que les deux talons font fort près Pun de Pautre: quelquefois les genoux s’éle- vent fi haut qu'ils touchent sr aux joues ; les jambes font pliées fous les cuiiles, & la plante du pied eft toujours en arriere; les bras font abaiflés & repliés fur la poitrine : l’une des mains, fouvent toutes les deux , touchent le vifage; quelquefois elles font fermées, quel. quefois aufli les bras font pendans à côté du corps. Le fœtus prend enfuite des fituations Des Animaux. 85 différentes de celles-ci : lorfqu’il eft prètà fortir de la matrice, & mème long-temps auparavant, il a ordinairement la tète en bas & la face tour: née en arriere ; & ileft naturel d'imaginer qu’il peut changer de fituation à chaque initant. Des perlonnes expérimentées dans l’art des accou- chemens, ont prétendu s’ètre aflurées, qu’il en changeoit en effet beaucoup plus fouvent qu’on ne le croit vulgairement. On peut le prou- ver par plufieurs obfervations, 1°. on trouve fouvent le cordon ombilical tortillé & pañé au- . tour du corps & des membres de l'enfant, d’une maniere qui fuppofe néceflairement que le fœ- tus ait fait des mouvemens dans tous les {ens, & qu’il ait pris des pofitions fucceflives tres- différentes entr’elles. 2°. Les meres fentent les mouvemens du fœtus tantôt d’un côté de la ma- trice & tantôt d’un autre côté : il frappe égale- ment en plufieurs endroits différens; ce qui {up- pofe qu’il prend des fituations différentes. 3°. Comme il nage dans un liquide qui l’environne de tous côtes, il peut tres-aifément fe tourner, s'étendre, fe plier par {es propres forces, & il doit auf prendre des fituations différentes, fuivant les différentes attitudes du corps de la mere. Par exemple, lorfqu’elle eft couchée, le fœtus doit étre dans une autre fituation que quand elle eft debout. La plupart des Anatomiftes ont dit, que le fœtus eft contraint de courber fon corps & de plier fes membres, parce qu'il eft txop gèné dans fon enveloppe : mais cette opinion ne me paroît pas fondée; car il y a, fur-tout dans les cinq ou fix premiers mois de la groflefle, beau- F 3 86 Hifioire Naturelle. coup plus d’efpace qu'il n’en faut pour que le fœtus puifle s'étendre, & cependant il eft dans ce temps meme courbé & replié. On voit aufli que le poulet eft courbé dans la liqueur que contient l’amnios , dans le temps même que cette membrane eft aflez étendue, & cette li- queur -aflez abondante pour contenir -un corps cinq où fix fois plus gros que le poulet : ainfi on peutcroire, que cette forme courbée & re- pliée, que prend le corps du fœtus , eft natu- - relle, & point du tout forcée. Je {erois volon- tiers de lavis de Harvey, qui prétend que le fœtus ne prend cette attitude que parce qu’elle eft la plus favorable au repos & au fommeil; car tous les animaux mettent leur corps dans cette pofition pour fe repofer & pour dormir : & comme le fœtus dort prefque toujours dans le ein de la mere, il prend naturellement la fitua- tion la plus avantageufe: Certé , dit ce fameux Anatomifte, animalia, dum quiefcunt €? dormiunt, membra [ua ut plurimüm adducunt & complicant , figuramque ovalem ac conglobatam querunt : ita pariter cmbryones qui ætatem fuam maxime fomno *tranfigunt , membra fua poftione e& quà plafman- tur (tanquam naturaliffimä ac maxime indolenti quietique eh componunt ( Voy. Harvey, de Generat. p.2f7). La matrice prend , comme nous lavons dit, un affez prompt accroiflement dans les premiers temps de la groffelle : elle continue auf à augmen- ter à mefure que le fœtus augmente; maïs Pac- croiflement du fœtus devenant enfuite plus grand que celui de la matrice, fur-tout dans les der- nicrs temps , on pourroit croire qu’il s’y trouve Des Animiuix. ‘87 trop ferré, & que, quand le temps d’en fortir eft arrivé, il s'agite par des mouvemens réité- rés. Ii fait alors en effet fucceflivement , & à diverfes reprifes, des eflorts violens; la mere en reflent vivement l’impreflion. L'on défigne ces fenfations douloureufes, & leur retour pério- dique, quand on parle des heures du travail de lenfantement. Plus le fœtus a de force pour dilater la capacité de la matrice plus il trouve de ‘réfiftance ; le reflort naturel de cette partie tend à la reflerrer & en augmenter la réaction : dès-lors tout l’effort tombe fur fon orifice. Cet orificea déja été agrandi peu-à-peu dans les der- niers mois de la grolfefle : la tête du fœtus porte depuis long-temps fur les bords de cette ouver- ture, & la dilate par une preflion continuelle. -Dans le moment de laccouchement , le fœtus; -en réuniflant fes propres forces à celles de Îa -mere , ouvre enfin cet orifice, autant qu'il eft néceflaire pour {e faire pañlage & {ortir de la ma -trice. Ce qui peut faire croire que ces douleurs, .qu'on deéfigne par le nom d'heures du travail, ne ‘proviennent que dela dilatation de l’orifice de Ja matrice , c’eit que cette dilatation eft le plus {ür moyen pour reconnoitre fi les douleurs que reflent une femme grofle, font en effet les dou- leurs de l’enfantement. Il arrive aflez fouvenc que les femmes éprouvent, dans la grofelle, des douleurs tres- vives, & qui ne font cepen- dant pas celles qui doivent précéder laccouche- ment. Pour diftinguer ces faufles douleurs des yraies, Deventer confeille à lPAccoucheur de toucher l’orifice de la matrice ; & il aflure, que, F 4 88 Hifloire Naturelle. fi ce font en effet les douleurs vraies, la dila- tation de cet orifice augmentera toujours par lef- fet de ces douleurs; & qu’au contraire, fi ce ne font que de fauffes douleurs, c’eft-à-dire, des douleurs qui proviennent de quelqu’autre caufe que de celle d’un enfantement prochain, lori- fice de la matrice fe rétrécira plutôt qu’il nefe dilatera , ou du moins qu’il ne continuera pas a {e dilater : des-lors on eft aflez fondé à imaginer que ces douleurs ne proviennent que de la dila- tation forcée de cet orifice, La feule chofe qui {oit embarraflante, eft cette alternative de re- pos & de fouffrance qu’éprouve la mere. Lorf. que la premicre douleur eft pañlée , il s'écoule un temps confidérable avant que la feconde fe fañle fentir: & de mème il y a des intervalles, fouvent tres-longs entre la feconde & la troi- fieme, entre la troifieme & la quatrieme dou. leur, &c. Cette circonftance de leffet ne s’ac- corde pas parfaitement avec la caufe que nous venons d'indiquer ; car la dilatation d’une ou- verture, qui fe fait peu-à-peu & d’une maniere continue, devroit produire une douleur conf- tante & continue, & non pas des douleurs par accès. Je ne fais donc fi on ne pourroit pas les attribuer à une autre caufe, qui me paroîït plus convenable à l'effet: cette caufe feroit la fépa- ration du placenta. On fait qu’il tient à la ma- trice par un Certain nombre de mamelons , qui pénetrent dans les petites lacunes ou cavités de ce vicere: des-lors ne peut-on pas fuppofer, que ces mamelons ne fortent pas de leurs ca- vités tous en meme temps ? Le premier mame- lon qui fe féparera de la matrice, produira la Des Animaux. 89 premiere douleur; un autre mamelon, qui fe féparera quelque temps après, produira une au- tre douleur, &c. L'effet répond ici parfaite. ment à la caufe, & on peut appuyer cette con- jeéture par une autre obfervation; c’eft qu'im- médiatement avant l’accouchement, il {fortune liqueur blanchâtre & vifqueule , femblable à celle que rendent les mamelons du placenta , lorfqu’on les tire hors des lacunes où ils ont leur infer. tion; ce qui doit faire penfer, que cette liqueur, qui fort alors de la matrice, eft en effet produite par la féparation de quelques mamelons du pla- centa. Il arrive quelquefois, que le fœtus fort de la matrice fans déchirer les membranes qui l’en- veloppent, & par conféquent fans que la liqueur qu’elles contiennent , fe foit écoulée. Cet ac- couchement paroîït être le plus naturel, & ref. femble à celui de prefque tous les animaux; ce- pendant le fœtus humain perce ordinairement fes membranes, à l’endroit qui fe trouve fur l'orifice de la matrice, par l'effort qu’il fait con- tre cette ouverture; & il arrive aflez fouvent que lamnios, qui eft fort mince, ou mème le chorion, fe déchirent fur les bords de lorifice de la matrice, & qu’il en refte une partie fur la tète de l'enfant en forme de calotte: c’elt ce qu'on appelle naître coiffe. Des que cette mem- brane eft percée ou déchirée, la liqueur qu’elle contient s'écoule. On appelle cet écoulement le bain, ou les eaux de la mere: les bords de l’o- rifice de la matrice, & les parois du vagin en étant humedtés, fe prètent plus facilement au pañlage de l'enfant. Après l’écoulement de cette 90 Hifioire Naturelle, liqueur, il refte dans la capacité de la matrice un vide, dont les Accoucheurs intelligens favent _ profiter pour retourner le fœtus, s’il eft dans une pofition défavantageufe pour l’accouche- ment, où pour le débarrafñler des entraves du cordon ombilical , qui lempèche quelquefois d'avancer. Lorfque le fœtus eft forti, l’accou- chement meft pas encore fini, il refte dans la matrice le placenta & les membranes. L'enfant nouveau-né y eft attaché par le cordon ombili- cal; la main de l’Accoucheur, ou feulement le poids du corps de l'enfant, les tire au dehors par le moyen de ce cordon: c’eft ce qu’on ap- pelle délivrer la femme, & on donne alors au placenta & aux membranes le nom de délivrance. Ces organes, qui étoient néceffaires à la vie du fœtus, deviennent inutiles & mème nuifibles à celle du nouveau-né: on les fépare tout de fuite du corps de l’enfant, en nouant le cordon à un doigt de diftance du nombril, & on le coupe à un doigt au-deflus de Ja ligature. (Ce refte du cordon fe defleche peu à peu, & fe fépare de lui- même à l'endroit du nombril, ordinairement au fixieme ou feptieme jour. En examinant le fœtus dans le temps qui précede la naiflance, l’on peut prendre quelqu’i- dée du mécaniime de fes fonctions naturelles. Il à des organes qui lui font neceflaires dans le fein de fa mere, mais qui lui deviennent inuti- les dès qu’il en eft forti. Pour mieux entendre le mécanifme des fonctions du fœtus, il. faut expliquer un peu plus en détail ce qui a rapport a ces parties accefloires, qui font, le cordon, les enveloppes, la liqueur qu’elles contiennent, Des Animaux. OL :& enfin le placenta. Le cordon, ‘qui eft attache au corps du fœtus à l'endroit du nombril, eft compolé de deux arteres,. & d’une veine qui prolongent le cours de la circulation du fang: la veine eft plus grofle que les arteres. A lex- trémité de ce cordon, chacun de ces vaiffleaux fe divife en une infinité de ramifications, qui -s’étendent entre deux membranes, & qui s'écar- tent également du tronc commun; de lorte que le compolé de ces ramifications eft plat & ar- rondi : on l'appelle placenta; parce qu’il reflem- ble en quelque facon à un gâteau: la partie du centre en eft plus épaifle que celle des bords; lépaifleur moyenne eft d'environ un pouce, & le diametre de huit ou neuf pouces & quelque- fois davantage. La face extérieure, qui eft ap- pliquée contre la matrice, eft convexe; la face intérieure eft concave. Le fang du fœtus cir- - cule dans le cordon & dans le placenta: les deux arteres du cordon fortent de deux grofles arteres du fœtus, & en recoivent du fang, qu’elles por- tent dans les ramitications artérielles du pla- centa, au fortir defquelles il pañle dans les rami- fications veineufes, qui le rapportent dans la ‘veine ombilicale. Cette veine communique avee une veine du fœtus dans laquelle elle le verte. La fäce concave du placenta eft revêtue par ie chorion, l’autre face eft aufli recouverte par une forte de membrane molle & facile à déchi- rer, qui femble ètre une continuation du chc- rion, & le fœtus eft renfermé fous la double enveloppe du chorion & de lamnios. La forme du tout eft globuleufe, parce que les interval- les qui fe trouvent entre les enveloppes & le 92 Hifioire Naturelle. fœtus, font remplis par une liqueur tranfparente qui environne le fœtus. Cette liqueur eft con- tenue par l’amnios, qui eft la membrane inté- rieure de lenveloppe commune. (Cette mem- brane elt mince & tranfparente; elle {e replie fur le cordon ombilical à l’endroit de {on inler- tion dans le placenta, & le revèt fur toute fa longueur jufqu’au nombril du fœtus. Le cho- rion eft la membrane extérieure: elle eft épaifle & fpongieufe, parfemée de vaifleaux fanguins, & compofée de plufieurs lames dont on croit que lextérieur tapifle la face convexe du pla- centa : elle en fuit les inégalités, elle s’éleve pour recouvrir les petits mamelons qui fortent du placenta, & qui font recus dans les cavités qui {e trouvent dans le fonds de la matrice, & que l’on appelle lacunes. Le fœtus ne tient à la matrice que par cette {eule infertion de quelques points de fon enveloppe extérieure dans les pe- tetes cavités ou finuofités de ce vifcere. Quelques Anatomiftes ont cru que le fœtus humain avoit, comme ceux de certains animaux quadrupedes, une membrane appellée Alantoïde, qui formoit une capacité deftinée à recevoir l’u- rine, & ils ont prétendu l'avoir trouvée entre le chorion & l’amnios, ou au milieu du pla- centa, à la racine du cordon ombilical, fous la forme d’une veflie afez grofle, dans laquelle Purine entroit par un long tuyau qui failoit par- tie du cordon, & qui alloit s'ouvrir d’un côté dans la veflie, & de l’autre dans cette membrane allantoïde. C’étoit, felon eux, l’ouraque, tel que nous le connoïflons dans quelques animaux. Ceux qui ont cru avoir fait cette découverte de Des Animaux. 93 l'ouraque dans le foetus humain , avouent qu’il vétoit pas à beaucoup pres fi gros que dans les quadrupedes; mais qu'il étoit partagé en plu- fieurs filets fi petits, qu’a peine pouvoit-on les appercevoir ; que cependant ces filets étoient creux, & que lurine pañloit dans la cavité in- térieure de ces filets, comme dans autant de canaux. L'expérience & les obfervations du plus grand nombre des Anatomiltes {ont contraires à ces faits. On ne trouve ordinairement aucuns veltices de lallantoïde entre l’amnios & le cho- rion, ou dans le placenta, ni de l’ouraque dans le cordon : il y a feulement une forte de liga- ment, qui tient d’un bout à la face extérieure du fond de la veflie, & de l’autre au nombril; mais il devient fi délié en entrant dans le cor- don, qu'il y eft réduit à rien. Pour l'ordinaire ce ligament n’eft pas creux, & on ne voit point d'ouverture dans le fond de la veflie qui y re- ponde. Le foetus n’a aucune communication avec Pair libre, & les expériences que l’on a faites fur fes poumons, ont prouvé qu’ils n’avoient pas recu l’air comme ceux de l'enfant nouveau- né; car ils vont à fond dans l’eau, au lieu que ceux de l'enfant qui a refpiré furnagent. Le foetus ne refpire donc pas dans le fein de la mere ; par conféquent il ne peut former aucun fon par l'organe de la voix, & il femble qu’on doit regarder comme des fables les hiftoires qu’on débite fur les gémiflemens & les cris des enfans avant leur naiflance. Cependant il peut arriver, après l’écoulement des eaux, que Pair 94 Hifioire Naturelle. entre dans la capacité de la matrice, & que l’en- fant commence à refpirer avant que d’en ètre forti. Dans ce cas il pourra crier, comme le petit poulet crie avant mème que d’avoir caflé la coquille de l'oeuf qui le renferme, parce qu’il y a de l'air dans la cavité qui eft entre la mem- brane extérieure & la coquille, comme on peut s’en aflurer {ur les oeufs dans lefquels le poulet eft déja fort avancé, ou feulement fur ceux qu’on à gardés pendant quelque temps, & dont le petit lait s’elt évaporé à travers les pores de la coquille: car, en caflant ces oeufs, on trouve une cavité confidérable dans le bout {upérieur de l'œuf, entre la membrane & la coquille; & cette membrane eft dans un état de fermeté & de tenfion, ce qui ne pourroit être, {1 cette cavité ctoit abfolument vide; car, dans ce cas, Je poids du refte de la matiere de l’œuf cafle- roiît cette membrane, & le poids de Patmofphere briferoit la coquille à Pendroit de cette cavité. Il eft donc certain qu’elle eft remplie d'air, & que c’elt par le moyen de cet air que le poulet commence à refpirer avant que d’avoir caflé Ja coquille: & fi l’on demande d’où peut venir cet air qui elt renferme dans cette cavité, il eft aile de répondre, qu’il eft produit par la fermenta- tion intérieure des matieres contenues dans l'œuf, comme l’on fait que toutes les matieres en fermentation en produifent. Voyez la Stati. que des végétaux, chap. VI. Le poumon du fœtus étant fans aucun mou- vement, il entre dans ce vifcere qu’autant de fang qu’il en faut pour le nourrir & le faire croître, & il y a une autre voie ouverte pour Des Animaux. 9$ le cours de la circulation: le fang qui eft dans l’oreillette droite du cœur, au lieu de pañler dans lPartere pulmonaire, & de revenir, après avoir parcouru le poumon, dans loreillette gauche par la veine pulmonaire, pañle immédiatement, de loreillette droite du cœur dans la gauche, par unc ouverture nommée le trou oval, qui eft dans la cloifon du cœur entre les deux oreil- lettes : il entre enfuite dans l'aorte, qui le dif- tribue dans toutes les parties du corps par tou- tes fes ramifications artérielles, au fortir def. quelles les ramifications veineufes le recoivent, ‘ & le rapportent au coeur, en fe réuniffant tou- tes dans la veïne-cave, qui aboutit à l'oreillette droite du coeur. Le fang que contient cette oreillette, au lieu de pañler en entier par-le trou oval, peut s'échapper en partie dans lartere pul- monaire; mais il n'entre pas pour cela dans le corps des poumons, parce qu'il y a une com- munication entre l’artere pulmonaire & laorte, par un canal artériel, qui va immédiatement de Pune à l’autre. Ceft par ces voies que le fang du foetus circule, fans entrer dans le poumon, comme il y entre dans les enfans, les adultes, & dans tous les animaux qui refpirent. On a cru que le fang de la mere pafloit dans le corps du foetus par le moyen du placenta & du cordon ombilical : on fuppofoit que les vaifleaux fanguins de la matrice étoient ouverts dans les lacunes, & ceux du placenta dans les mamelons, & qu’ils s’abouchoient les uns avec les autres: mais l'expérience eft contraire à cette opinion. On a injecté les arteres du cordon ; la liqueur eft revenue en entier par les veines, & 96 Hifioire Naturelle. il ne s’en eft échappé aucune partie à l’exté. rieur: d’ailleurs on peut tirer les mamelons des lacunes ou ils font logés, fans qu’il forte du fang, ni de la matrice, ni du placenta: il fuinte feulement , de lune & de l’autre, une liqueur laiteufe. C’eit, comme nous l’avons dit, cette liqueur qui {ert de nourriture au foetus: 1l fem- ble qu’elle entre dans les veines du placenta, comme le chyle entre dans la veine fous-claviere, & peut-être le placenta fait-il en grande partie l'office du poumon pour la fanguification. Ce qu’il y a de fùr, c’eft que le fang paroît bien plus tôt dans le placenta que dans le foetus; & ‘j'ai fouvent obfervé dans des œufs couvés pen- dant un jour ou deux, que le fang paroît d’a- bord dans les membranes, & que les vaifleaux fanguins y font fort gros & en tres-grand nom- bre, tandis qu’à l'exception du point auquel ils aboutiflent, le corps entier du petit poulet n’eft qu’une matiere blanche & prefque tran{parente, dans laquelle il n’y à encore aucun vaifleau fanguin. On pourroit croire que la liqueur de lam- nios eft une nourriture que le fœtus recoit par la bouche. Quelques obfervateurs prétendent avoir reconnu cette liqueur dans fon eftomac, & avoir vu quelques fœtus, auxquels le cordon ombilical manquoit entiérement, & d’autres qui “en avoient qu'une tres-petite portion, qui ne tenoit point au placenta. Maïs, dans ce cas, la hqueur de Pamnios ne pourroit-elle pas entrer dans le corps du fœtus par la petite portion du cordon ombilical, ou par l’ombilic mème? D'ail- leurs, on peut oppofer à ces obfervations d’au- tres Des Animaux. 97 tres obfervations. On a trouvé quelquefois des fœtus qui avoient la bouche fermée, & dont les levres mwétoient pas féparées: on en a vu auffi dont l’œfophage n’avoit aucune ouverture. Pour concilier tous ces faits, il s’eft trouvé des Ana- tomiftes qui ont cru, que les alimens pañoient au fœtus en partie par le cordon ombilical, & en partie par la bouche. Il me paroît qu’aucuné de ces opinions n’eft fondée. Il n’eft pas quef tion d'examiner le feul accroiflement du fœtus, & de chercher d’où & par où il tire fa nourri- ture ; il s’agit de favoir comment fe fait l’accroil: fement du tout: car le placenta, la liqueur & les enveloppes croiflent & augmentent auflis bien que le fœtus; & par conféquent, ces inftru- mens, Ces canaux, employés à recevoir ou à porter cette nourriture au fœtus, ont eux-mèê- mes une efpece de vie. Le développement ou laccroïflement du placenta & des enveloppes eft aufli diicile à concevoir que celui du fœtus, & on pourroit également dire, comme je l'ai déja infinué, que le fœtus nourrit le placenta, com- me lon dit que le placenta nourrit le fœtus, Le tout eft, comme l’on fait, flottant dans la matrice, & fans aucune’adhérence dans les com- mencemens de cet accroiflement : ainfi il ne peut fe faire que par une intuflufception de la ma. tiere laiteufe, qui eft contenue dans la matrice. Le placenta paroît tirer le premier cette nour- riture, convertir ce lait en fang , & le porter au fœtus par des veines: la liqueur de l’amnios ne paroit être que cet même liqueur laiteule dé- purée, dont la quantité augmente par une pa reille intufufception, à mefure que cette memi- Hif, Nat, des Anim, T. I, 9$ Hifioire Naturelle. brane prend de l’accroifflement. & le fœtus peut tirer de cette liqueur, par la mème voie d’in- tuflufception, la nourriture néceflaire à fon dé- veloppement: car on doît obferver, que, dans les premiers temps, & mème juiqu’à deux ou trois mois, le corps du fœtus ne contient que tres-peu de fang. [left blanc comme de livoire, & ne paroît ètre compofc que de lymphe qui a pris de la folidité; & comme la peau elt tranf- parente, & que toutes les parties {ont trés-mol- les, on peut aifément concevoir que la liqueur dans laquelle le fœtus nage, peut les pénétrer immédiatement, & fournir ainfi la matiere né- ceffaire à fa nutrition & à fon développement. Seulement on peut croire, que, dans les der- niers temps, il prend de la nourriture par la bouche, puifqu’on trouve dans {on eftomac une liqueur femblable à celle que contient l’amnios ; de l’urine dans la veflie, & des excrémens dans les inteftins: & comme on ne trouve ni urine, ni meconium (ceft le nom de ces excrémens, dans la capacité de l’amnios ) il y a tout lieu de croire que le fœtus ne rend point d’excrémens; d'autant plus qu’on en a vu naître fans avoir Panus percé, & fans qu’il y eût pour cela une plus grande quantité de mneconium dans les in- teftins. Quoique le fœtus ne tienne pas immédiate ment à la matrice, qu’il n’y foit attaché que par de petits mamelons extérieurs & fes enveloppes; qu’il n’y ait aucune communication du fang de Ja mere avec le fien, qu’en un mot, il foit à plufieurs égards auffi indépendant de la mere qui le porte, que l'oeuf left de la poule qui le couve, Des Animaux. 99 on a prétendu que tout ce qui affeétoit la mere, affectoit aufli le foetus; que les impreflions de l'une agifloient fur le cerveau de l’autre, & on a attribué à cette influence imaginaire les reflem. blances, les monftruofités, & {ur-tout les taches qu’on voit {ur la peau. J'ai examiné plufieurs de ces marques, & je n'ai jamais apperçu que des taches, qui m'ont paru caufées par un dé- rangement dans le tiflu de la peau. Toute tache doit néceffairement avoir une figure qui reflem- blera, fi l’on veut, à quelque chofe ; mais je crois que la reffemblance que l’on trouve dans celles-ci, dépend plutôt de l'imagination de ceux qui les voient, que de celle de la mere. Ona pouffé fur ce fujet le merveilleux auff loin qu’il pouvoit aller. Non-feulement on a voulu que le fœtus portàt les repréfentations réelles des appétits de fa mere, mais on a encore prétendu, que, par une fympathie finguliere, les taches qui reprélentoient des fruits, par exemple, des fraifes , des cerifes, des mûres, que la mere avoit defiré de manger, changeoient de couleur; que leur couleur devenoit plus foncée dans la faifon où ces fruits étoient en maturité. Avec un peu plus d’attention & moins de prévention, l'on pourroit voir cette couleur des taches de la peau changer bien plus fouvent. Ces change- mens doivent arriver toutes les fois que le mou- vement du fang eft accéléré. Cet effet eft tout ordinaire dans le temps où la chaleur de l'été fait mürir les fruits. Ces taches font toujours ou jaunes, ou rouges, ou noires; parce que le A donne ces teintes de couleur à la peau, loriqu’il entre en trop grande de dans les 2 100 Hifloire Naturelle. vaifleaux dont elle parfemée. Si ces taches ont - pour caufe l'appétit de la mere, pourquoi n’ont- elles pas des formes & des couleurs aufi variées que les objets de ces appetits ? Que de figures fingulieres on verroit, fi les vains defirs de la mere étoient écrits {ur la peau de lenfant ! Comme nos {enfations ne reflemblent point aux objets qui les caufent, il eft impofhble que le defir, la frayeur, l'horreur; qu'aucune pal: fion, en un mot, aucune émotion intérieure, puiflent produire des repréfentations réelles de ces mèmes objets; & l’enfant étant, à cet égard, aufli indépendant de la mere qui le porte, que Pœuf left de la poule qui le couve, je croirai tout aufli volontiers, ou tout aufli peu, que l'imagination d’une poule, qui voit tordre le cou à un coq, produira dans les œufs qu’elle ne fait qu’échautfer , des poulets qui auront le cou tordu, que je croirois l’hiftoire de la force de l'imagination de cette femme, qui, ayant vu rompre Îles membres à un criminel , mit au monde un enfant dont les membres étoient rompus. Mais fuppofons pour un inftant que ce fait fût avéré, je {outiendrois toujours, que l’ima- gination de la mere n’a pu produire cet effet: _car quel eft l'effet du faififlement & de l’hor- reur? Un mouvement intérieur, une convul- fion, fi l’on veut, dans le corps de la mere, qui aura fecoué, ébranlé, comprimé, reflerré, | relâché, agité la matrice. Que peut-il réfulter de cette commotion ? Rien de femblable à la caufe; car fi cette commotion eft très-violente , on conçoit que le fœtus peut recevoir un coup Des Animaux. OI qui le tuera, qui le bleffera, où qui rendra dif. formes quelques-unes des parties qui auront été frappées avec plus de force que les autres: mais comment concevra-t-on que ce mouvement, cette commotion communiquée à la matrice, puifle produire dans le fœtus quelque chofe de {emblable à la penfée de la mere, à moins que de dire, comme Harvey, que la matrice a la fa- culté de convoi des idées, & de les réalifer fur le fœtus 4 Mais, me dira-t-on, comment donc expli- quer le fait, fi ce n’eft pas l’imagination de la mere qui a agi fur le fœtus? pourquoi eft-il venu au monde avec les membres rompus? A cela je réponds, que, quelque témerité qu'il y ait à vouloir expliquer un fait, lorfqu’il eft en mème temps extraordinaire & incertain, quel. que défavantage qu’on ait à vouloir rendre rai- {on de ce mème fait fuppofé comme vrai, lorf. qu’on en ignore les circonftances, il me paraît cependant, qu’on peut répondre d’une maniere fatisfaifante à cette efpece de queftion, de la- quelle on n’eft pas en droit d'exiger une folu- tion directe. Les chofes les plus extraordinai- res, & qui arrivent le plus rarement, arrivent cependant aufli néceffairement que les chofes or- dinaires & qui arrivent très-fouvent. Dans le nombre infini de combinaifons que peut pren- dre la matiere, les arrangemens les plus extra- ordinaires doivent fe trouver, & fe trouvent en effet, mais beaucoup plus rarement que les au- tres : des-lors on peut parier, & peut-être avec avantage , que, fur un million, ou, fi l’on veut, mille millions d’enfans qui viennent au monde, G 3 102 Hifoire Naturelle. il en naîtra un avec deux têtes, ou avec quatre jambes, ou avec des membres rompus, ou avec telle difformité ou monitruofité particuliere qu'on voudra fuppofer. Il fe peut donc natu- rellement, & fans que l'imagination de la mere y ait eu part, qu’il foit né un enfant dont les membres étoient rompus: il fe peut mème que cela foit arrivé plus d’une fois, & il {e peut en- fin encore plus naturellement , qu’une femme qui devoit accoucher de cet enfant, ait été au fpectacle de la roue, & qu’on ait attribué à ce qu’elle y avoit vu, & à fon imagination frappée, le défaut de conformation de fon enfant. Mais indépendamment de cette réponfe générale, qui ne fatisfera guere que certaines gens, ne peut-on pas en donner une particuliere, & qui aille plus directement à l’explication de ce fait? Le fœtus n'a, comme nous l'avons dit, rien de commun avec la mere; fes fonétions en font indépendan- tes : il a fes organes, fon fang, fes mouvemens, & tout cela jui eft propre & particulier; la feule chofe qu’il tire de fa mere, eft cette liqueur ou Jymphe nourriciere que filtre la matrice. Si cette Jymphe eft altéré:, fi elle eit envenimée du virus vénérien, l’enfant devient malade de la mème maladie, & on peut penfer que toutes les ma. Jadies qui viennent du vice ou de altération des humeurs, peuvent {e communiquer de la mere au fœtus. On fait en particulier que la vérole fe communique, & lon n’a que trop d'exemples d’enfans qui font, mème en naiflant, les victimes de la débauche de leurs parens. Le virus vénérien attaque les parties les plus foli- des des os, & il paroït même agir avec plus de Des Animaux. 103 fôrie, & fe déterminer plus abondamment vers ces parties les plus folides, qui font toujours celes du milieu de la longueur des os; car on. fai: que l’oflification commence par cette partie du milieu, qui {e durcit la premiere & s’oflifie lo1g-temps avant les extrèmités de los. Je con- Gais donc que fi l'enfant dont il eft queftion, à été, comme il eft très-pollible, attaqué de cette. raladie dans le fein de fa mere, il a pu fe faire tiès-naturellement, qu'il foit venu au monde avec les os rompus dans leur milieu, parce cu’ils auront en effet été dans cette partie par le virus vénérien. Le rachitifme peut aufli produire le mème etet. Il y a au Cabinet du Roi un fquelette denfant rachitique, dont les os des bras & des jambes ont tous des calus dans le milieu de leur longueur. À linfpection de ce fquelette, on ne peut guere douter que cet enfant nait eu les os des quatre membres rompus dans le temps que la mere le portoit: enfuite les os fe {ont réunis & ont formé ces calus. (c) Mais c’eft aflez nous arrêter fur un fait que la feule crédulité a rendu merveilleux. Malgré toutes nos raifons & malgré la philofophie, ce fait , comme beaucoup d’autres , reltera vrai pour bien des gens; le préjugc, fur-tout celui qui eft fonde fur le merveilleux, triomphera toujours de la raïon, & l’on feroit bien peu philolophe fi lon s’en étonnoit. Comme il eft (c) Voyez les defcriptions Anatomiques, & la planche où cft repréfenté ce fquelette de rachitique. Volume V. de l'édition en trente-un volumes. ed YOo4 Hifioire Naturelle. fouvent queftion dans le monde, de ces rar. ques des enfans, & que, dans le monde, les raifons générales & philofophiques font mons d'effet qu’une hiftoriette , il ne faut pas compier qu’on puifle jamais perfuader aux femmes, que les marques de leurs enfans n’ont aucun rappcrt avec les envies qu’elles n’ont pu fatisfaire: ce- pendant ne pourroit-on pas leur demander avant la naiffance de l’entant, quelles ont été les en- vies qu’elles n’ont pu fatisfaire, & quelles feront par conféquent les marques que leur enfant por- tera ? Jai fait quelquefois cette queftion , & j'à faché les gens fans les avoir convaincus. La durée de la egraffeffe eft , pour l'ordinaire, d'environ neuf mois, c’eft-à-dire, de deux cents foixante & quatorze, ou deux cents foixante & quinze jours. Ce temps eft cependant quelque- fois plus long, & très-fouvent bien plus court. On fait qu’il nait beaucoup d’enfans à fept & à huit mois; on fait auf qu'il en naît quelques. uns beaucoup plus tard qu’au neuvieme mois: mais en général, les accouchemens qui préce- dent le terme de neuf mois font plus communs que ceux qui le pañlent. Auffi où peut avancer, que le plus grand nombre des accouchemens qui n'arrivent pas entre le deux cent foixante & dixieme jour &le deux cent quatre. vingtie- me, arrivent du deux cent foixantieme au deux cent foixante & dixiemz; & ceux qui difent que ces accouchemens ne doivent pas être re- gardés comme prématurés, paroïffent bien fan- dés. Selon ce calcul, les temps ordinaires de v æ accouchement naturel s'étendent à vingt jaurs, Des Animaux. os c’eft-à-dire, depuis huit mois & quatorze jours juiqu’à neuf mois & quatre jours. On a fait une obfervation, qui paroît prou. ver l’étendue de cette variation dans la durée des groflefles en général, & donner en mème temps le moyen de la réduire à un terme fixe dans telle ou telle groffefle particuliere. Quel. ques perfonnes prétendent avoir remarqué , que Paccouchement arrivoit après dix mois lunaires, de vingt-fept jours chacun, ou neuf mois {0- laires, de trente jours; au premier ou au fe. cond jour , qui répondoient aux deux premiers jours auxquels l'écoulement périodique arrivoit à la mere avant fa groflefle. Avec un peu d’at. tention l’on verra que le nombre de dix pério- des de l’écoulement des regles, peut en etfet fixer le temps de l'accouchement à la fin du neuvieme mois, ou au commencement du dixieme. (d) Il naît beaucoup d’enfans avant le deux cent foixantieme jour; & quoique ces accouchemens précedent le terme ordinaire, ce ne font pas de faufles couches, parce que ces enfans vivent pour la plupart. On dit ordinairement qu'ils {ont nés à fept mois, ou à huit mois: mais il ne faut pas croire qu’ils naifflent en effet préci- fément à fept mois ou à huit mois accomplis ; c'eft indifféremment dans le courant du fixie- (d) Ad banc normam smatrone prudentiores calculos fuos Jubducentes (dum fingulis menfihus folitum smenftrui fluxus diem in faltos referunt ) [pe rard éxcidunt: verimm tranfaétis decem lunæ curriculis, eodem ie quo (ahfque pregnatione foret )* menftrua 1is profiuerent, partuws experiuriur ventrife gne fruélum colligunt. (Harvey, de Generat. pag. 262. ) 106 _ Hifioire Naturelle. me, du feptieme, du huitieme, & mème dans le commencement du neuvieme mois. Hippo- crate dit clairement, que les enfans de fept mois naiflent dès le cent quatre-vingt-deuxieme jour, ce qui fait précilément la moitie de l’année {o- laire. On croit communément que les enfans qui haiflent à huit mois ne peuvent pas vivre, ou du moins qu’il en périt beaucoup plus de ceux- là que de ceux qui naiflent à fept mois. Pour peu que l’on réfléchifle fur cette opinion, elle paroït n'être qu’un paradoxe; & je ne fais fi en confultant l'expérience, on ne trouvera pas que c’eft une erreur. L'enfant qui vient à huit mois, eft plus formé, & par conféquent plus vigou- reux, plus fait pour vivre, que celui qui ma que fept mois; cependant cette opinion , que les enfans de huit mois périflent plus tôt que ceux de fept, eft aflez communément recue, & elle eft fondée fur l'autorité d’Ariftote qui dit: Ce- teris animantibus fcrendi uteri unum eff tempus, homini verd pluxa funt ; quippe &ÿ feptimo menfe €ÿ decimo nafcitur, atque etiam inter feptimum &ÿ decimum pofitis; qui enim menfe oëtavo nafcuntur, etfi minus, tamen vivere pofJunt. (V. de Gene- rat. anim. lib. IV, c. ult.) Le commencement du feptieme mois eft donc le premier terme de Paccouchement. Si le fœtus eft rejeté plus tôt, il meurt, pour ainfi dire, fans ètre né ; ceft un fruit avorté, qui ne prend point de nourri- ture, &, pour l'ordinaire, il périt fubitement dans la faufle couche. Il y a, comme l’on voit, de grandes limites pour les termes de l’accou- chement, puifqu’elles s'étendent depuis le fep- Des Animaux. 107 tieme juiqu’aux neuvieme & dixieme mois, & peut-être jufqu’au onzieme. Il naît à la vérité beaucoup moins d’enfans au dixieme mois qu’il n’en naît dans le huitieme, quoiqu'il en naifle beaucoup au feptieme; mais en général les Jimi- tes du temps de l'accouchement {ont au moins de trois mois, c’eft-à-dire, depuis le feptieme juiqu’au dixieme. | Parmi les exemples d’accouchemens tardifs, il en eft un trop fingulier pour ne pas le pla- cer ici: les perfonnes intéreflées m'ont permis de le citer, & je ne ferai que copier le Mémoire qu'ils ont eu la bonté de m'envoyer. M. de la Motte, ancien Aide-Major des Gardes Françoi- fes, a trouvé, dans les papiers de feu M. de la Motte fon pere, la relation fuivante, certifiée véritable de lui, d’un Médecin, d’un Chirur- gien, d’un Accoucheur, d’une Sage-Femme, & de Madame de la Motte fon époufe. Cette Dame à eu neuf enfans; favoir, trois filles & fix garcons, du nombre defquels deux filles & un garçon font morts en naïiflant ; deux autres garçons font morts au fervice du Roi, où les cinq garçons reftans avoient été placés à l'âge de quinze ans. Ces cinq garcons, & la fille qui a vécu, étoient tous bien faits, d’une jolie figure, ainfi que le pere & la mere, & nés comme eux, avec beaucoup d'intelligence , excepté le neuvieme enfant, garcon, nommé au baptème Auguftin- Paul, dernier enfant que la mere ait eu; lequel, fans ètre ablolument contrefait, eft petit, a de groffes jambes, une grofle tête, & moins d’ef- prit que les autres, 108 Hifioire Naturelle. Il vint au monde le ro Juillet 1735, avec des dents & des cheveux, après treize mois de grofleffe , remplis de plufieurs accidens furpre- nans dont fa mere fut très-incommodée. Elle eut une perte confidérable en Juillet 1734, une jaunifle dans Je meme-temps, qui rentra & difparut par une faignée qu’on fe crut obligé de lui faire, & après laquelle la groflefle parut entiérement évanouie. Au mois de Septembre, un mouvement de : l'enfant fe fit fentir pendant cinq jours, & cef fant tour d’un coup, la mere commença bientôt à épaiflir confidérablement & vifiblement dans le même mois; &, au lieu du mouvement de enfant, il parut une petite boule, comme de la groffeur d’un œuf, qui changeoïit de côté, & le trouvoit tantôt bas, tantôt haut, par des mouvemens tres-fenfibles. La mere fut en travail d'enfant vers le 10 d'Octobre. On la tint couchée tout ce mois, pour lui faire atteindre le cinquieme mois de fa groffefle, ne jugeant pas qu’elle pût porter fon fruit plus loin, à caufe de la grande dilatation qui fut remarquée dans la matrice. La boule en queftion augmenta peu-à-peu, avec les mèmes changemens, juiqu'au 2 Février 17235; mais à la fin de ce mois, ou environ, l’un des por- teurs de chaife de la mere (qui habitoit alors une ville de Province,) ayant gliflé & laifé tomber la chaïfe, le fœtus fit de très-grands mouvemens pendant trois ou quatre heures, par la frayeur qu'eut la mere; enfuite il revint dans la même difpofition qu’au pañlé. … Des Animaux. 109 La nuit qui fuivit le dit jour, 2 Février, la mere avoit été en travail d’enfant pendant cinq heures ( c’étoit le neuvieme mois de la groffefle } & lAccoucheur, ainfi que la Sage-femme, avoient affuré que l’accouchement viendroit la nuit fuivante. Cependant il a été différé juf- qu’en Juillet, malgré les difpofitions prochaines d’accoucher , où fe trouva la mere depuis le dit jour, 2 Février, & cela très-fréquemment. Depuis ce moment, le fœtus a toujours été en mouvement, & fi violent pendant les deux derniers mois, qu’il fembloit quelquefois qu’il alloit déchirer fa mere, à laquelle il caufoit de vives douleurs. Au mois de Juillet, elle fut trente-fix heu- res en travail. Les douleurs étoient fupporta- bles dans les commencemens, & le travail fe fit lentement, à l'exception des deux dernieres heures, fur la fin defquelles, lenvie qu’elle avoit d’être délivrée de fon ennuyeux fardeau, & de la fituation gènante dans laquelle on fut obligé de la mettre, à caufe du cordon qui vint a {ortir avant que l’enfant parût, lui fit trou- ver tant de forces, qu’elle enlevoit trois per- fonnes: elle accoucha plus par les efforts qu’elle fit, que par les fecours du travail ordinaire. On la crut long-temps grofle de deux enfans, ou d’un enfant & d’une môle. Cet événement fit tant de bruit dans le pays, que M. de la Motte, pere de l’enfant , écrivit la préfente re- lation pour la conferver. Les femmes qui ont fait plufieurs enfans, afflurent prefque toutes, que les femelles naiflent plus tard que les mâles. Si cela eft, on ne de. 110 Hifioire Naturelle. vroit pas être furpris de voir naître des enfans à dix mois, fur-tout des femelles. Lorfque les enfans viennent avant neuf mois, ils ne font pas aufli gros ni aufli formés que les autres. Ceux au contraire qui ne viennent qu'à dix mois où plus tard, ont le corps fenfiblement plus gros & mieux formé que ne left ordinai- rement celui des nouveaux-nés : les cheveux {ont plus longs, l’accroiflement des dents , quoi- que cachées fous les gencives, eft plus avancé ; le fon de la voix eft plus net, & le ton en eft plus grave qu'aux enfans de neuf mois. On pourroit reconnoître à l’infpection du nouveau- né, de combien {a naiflance auroit té retardée, fi les proportions du corps de tous les enfans de neuf mois étoient femblables , & fi les pro- grès de leur accroiflement étoient réglés ; mais le volume du corps & fon accroiflement varient felon le tempérament de la mere & celui de Penfant : ainfi tel enfant pourra naître à dix ou onze mois, qui ne fera pas plus avancé qu’un autre qui fera né à neuf mois. I y a beaucoup d'incertitude fur les caufes occafionnelles de l'accouchement, & l’on ne fait pas trop ce qui peut obliger le fœtus à for- tir de la matrice. Les uns penfent que le fœtus ayant acquis une certaine grofleur , la capacité de la matrice fe trouve trop étroite pour qu’il puifle y demeurer, & que la contrainte où il fe trouve, l’oblige à faire des efforts pour for. tir de fa prifon : d’autres difent, & cela revient à-peu-près au même, que c’eft le poids du fœ- tus qui devient fi fort que la matrice s’en trouve furchargée, & qu’elle eft forcée de s'ouvrir Des Animaux. TITI pour s’en délivrer. Ces raifons ne me paroiflent pas fatisfaifantes. La matrice a toujours plus de capacité & de réfiftance qu’il n’en faut pour con- tenir un fœtus de neuf mois, & pour en fou- tenir le poids, puifque fouvent elle en contient deux, & qu’il eft certain que le poids & la gran- deur de deux jumeaux de huit mois, par exem- ple , font plus confidérables que le poids & la grandeur d’un feul enfant de neuf mois: d’ail- leurs il arrive fouvent, que l'enfant de neuf mois, qui vient au monde, eft plus petit que le fœtus de huit mois, qui cependant refte dans la matrice. Galien a prétendu que le fœtus demeuroit dans la matrice jufqu’à ce qu’il fût aflez formé pour pouvoir prendre fa nourriture par la bou- che , & qu’il ne fortoit que par le befoin de nourriture , auquel il ne pouvoit fatisfaire. D'autres ont dit que le fœtus fe nourrifloit par la bouche, de la liqueur mème de lamnios, & que cette liqueur , qui, dans le commence- ment, elt une lymphe nourriciere , peut s’al- térer fur la fin de la groffefle, par le mélange de la tranfpiration ou de l’urine du fœtus , & que, quand elle eft altérée à un certain point, le fœtus s’en dégoûte & ne peut plus s’en nour- rir ; ce qui loblige à faire des efforts pour for- tir de {on enveloppe & de la matrice. Ces rai- fons ne me paroiflent pas meilleures que les premieres : car il s’enfuivroit de-là , que les fœtus les plus foibles & les plus petits, refte- roient néceffairement dans le fein de la mere plus long-temps que les fœtus plus forts & plus gros, ce qui cependant n'arrive pas. D’ail. 112 Hifioire Naturelle. leurs ce n’eft pas la nourriture que le fœtus cherche des qu’il eft né ; il peut s’en pañer aïlé- ment pendant quelque temps : il femble au con- traire que la chofe la plus preflée eft de fe dé barrafler du {uperflu de la nourriture qu'il a prife dans le fein de la mere, & de rendre le meconium : aufli a-t-il paru plus vraifemblable à d’autres Anatomiftes (e), de croire, que le fœtus ne fort de la matrice que pour ètre en état de rendre fes excrémens. Ils ont imaginé que ces excréemens accumulés dans les boyaux du fœtus , lui donnent des coliques douloureu- fes , qui lui font faire des mouvemens & des efforts fi grands , que la matrice eft enfin obli- gée de céder & de s'ouvrir pour le laifler for. tir. J'avoue que je ne fuis guere plus fatisfait de cette explication que des autres. Pourquoi le fœtus ne pourroit-il pas rendre fes excré- mens dans l’amnios mème, s’il étoit en effet preflé de les rendre ? Or cela n’eft jamais ar- rivé : il paroît , au contraire, que cette nécef- fité de rendre le meconium , ne fe fait fentir qu'après la naïflance, & que le mouvement du diaphragme , occafionné par celui du poumon, comprime les inteftins, & caufe cette évacuation qui ne fe feroit pas fans cela , puifque l’on n’a point trouvé de meconium dans Pamnios des fœ- tus de dix & onze mois, qui n’ont pas refpiré, & qu’au contraire , un enfant à fix ou fept mois rend ce meconium peu de temps après qu’il a refpiré. | D'autres. (e) Drelincourt eft, je ctois, l'auteur de cette opinion. Des Animaux. 113 ._ D'autres Anatomiftes, & entr’autres Fabrice d’Aquapendente , ont cru que le fœtus ne {or- toit de la matrice que par le beloin ou il fe trouvoit de {e procurer du rafraichiflement au moyen de la relpiration. Cette caule me paroît encore plus éloignée qu’aucune.des autres: le fœtus a-t-il une idée de la refpiration fans avoir jamais refpiré ? fait-il fi la refpiration le rafrai. chira ? eft-il mème bien vrai qu’elle rafraîchiile ? Il paroïit, au contraire , qu’elle donne un plus grand mouvement au fang, & que, par con- {équent , elle augmente la chaleur intérieure , comme l'air chaflé par un fouffet augmente l’ar- deur du feu. Après avoir pefé toutes ces explications & toutes les raifons d’en douter , j'ai foupçonne , que la fortie du fœtus devoit dépendre d’une caufe toute différente. L'’écoulement des menf- trues fe fait, comme l’on fait, périodiquement & à des intervalles déterminés. Quoique la grof- fefle fupprime cette apparence, elle n’en détruit cependant pas la caufe ; & quoique le fang ne paroifle pas au terme accoutumé, il doit fe faire dans ce même temps, une efpece de révolution femblable à celle qui fe faifoit avant la groflefle ; aufli y a-t-il plufieurs femmes dont les menf- trues ne font pas abfolument fupprimées dans les premiers mois de la groffefle. J'imagine donc, que lorfqu’une femme a conçu , la révolution périodique fe fait comme auparavant; mais que comme la matrice eft gonflée, & qu’elle a pris de la mañle & de laccroiflement , les canaux ex- crétoires étant plus ferrés & plus preflés qu’ils Hifi. Nat, des Anim. T, IL. H 114 Hifioire Naturelle. ne létoient auparavant , ne peuvent s'ouvrir ni donner d’iflue au fang , à moins qu’il n’ar- rive avec tant de force , ou en fi grande quan- tité, qu’il puifle fe faire paflage malgré la réfil tance qui lui eft oppofée. Dans ce cas il paroi- tra du ang, & s’il coule en grande quantité, Pavortement fuivra ; la matrice reprendra la forme qu’elle avoit auparavant , parce que le fang ayant r’ouvert tous les canaux qui s’étoient fermés , ils reviendront au mème état qu'ils étoient. Si le {ang ne force qu’une partie de ces canaux , l’œuvre de la génération ne fera pas détruite quoiqu'il paroifle du fang, parce que la plus grande partie de la matrice fe trouve encore dans l’état qui eft néceflaire pour qu’elle puifle s’exécuter : dans ce cas il paroïtra du fing , & l'avortement ne fuivra pas ; ce fang fera feulement en moindre quantité que dans les évacuations ordinaires. ‘Loriqu’il n’en paroit point du tout, comme c’eft le cas le plus ordinaire, la premiere révo- lution périodique ne laifle pas de fe remarquer, & de fe faire fentir par les mêmes douleurs, les mêmes fymptômes. Il {e fait donc, dès le temps de la premiere fuppreffion , une violente action fur la matrice, & pour peu que cette action fût augmentée , elle détruiroit l'ouvrage de la génération : on peut mème croire avec afflez de fondement , que de toutes les concep- tions qui Le font dans les derniers jours qui pre- cedent l’arrivée des menftrues , il en réuflit fort peu, & que lation du fang détruit aifement les foibles racines d’un germe fi tendre & fi de- licat: les conceptions, au contraire , qui {e font Des Animaux. IIS dans les jours qui fuivent l’écoulement périodi- que , {ont celles qui tiennent & qui réufliflent le mieux , parce que le produit de la concep- tion a plus de temps pour croître , pour {e for- tifier , & pour réfifter à l’action du fang & à la révolution qui doit arriver au terme de l’écou- lement. Le fœtus ayant fubi cette premiere épreuve, & y ayant réfifté , prend plus de force & d’ac- croiflement , & eft plus en état de fouffrir la feconde révolution qui arrive un mois après la premiere : auflhi les avortemens caufés par la feconde période , font-ils moins fréquens que ceux qui font caufés par la premiere. À la troi- fieme période le danger eft encore moins grand, & moins encore à la quatrieme & a la cin- quieme ; mais il y en a toujours. Il peut arri- ver , & il arrive en effet de faufles couches dans le temps de toutes ces révolutions pério- diques ; feulement on a obfervé qu’elles font plus rares dans le milieu de la groffefle, & plus fréquentes au commencement & à la fin. On entend bien, par ce que nous venons de dire, pourquoi -elles font plus fréquentes au commen- cement : il nous refte à expliquer pourquoi elles font aufli plus fréquentes vers la fin que vers le milieu de la grofefle. Le fœtus vient ordinairement au monde dans le temps de Ja dixieme révolution. Lorf- qu’il naît à la neuvieme ou à la huitieme, il ne laifle pas de vivre , & ces accouchemens pré- coces ne font pas regardés comme de faufles couches , parce que l'enfant, quoique moins formé, ne laifle pas de l’ètre Le pour pou- 4 à 116 Hifioire Naturelle. voir vivre : on a mème prétendu avoir des exemples d’enfans nés à la feptieme , & mème à la fixieme révolution, c’eft-à-dire , à cinq ou fix mois, qui n’ont pas laiflé de vivre * ). I n’y a donc de différence entre l'accouchement & la faufle couche , que relativement à la vie du nouveau-né ; & en confidérant la chofe gé- néralement , le nombre des faufles couches du premier , du fecond & du troifieme mois, eft très-confidérable par les raifons que nous avons dites, & le nombre des accouchemens précoces du feptieme & du huitieme mois eft auffi aflez grand, en comparaifon de celui des faufles cou- ches des quatrieme, cinquieme & fixieme mois ; parce que, dans ce temps du milieu de la grof- {eñe, Pouvrage de la génération a pris plus de Æolidité & plus de force ; qu'ayant eu celle de réfifter à Paction des quatre premieres révolu- tions périodiques , il en faudroit une beaucoup plus violente que les précédentes pour le dé- truire. La mème raifon fubfifte pour le cin- quieme & le fixieme mois , & mème avec avan- tage ; car l’ouvrage de la génération eft encore plus folide à cinq mois qu’à quatre, & à fix mois qu’à cinq : mais lorfqu’on eft arrivé à ce *) Un exemple arrivé fous mes veux, m'a afluré qu’un. accouchement arrivé fix mois onze jours après la concep- tion , ayant produit une fille très délicate , qu’on a élevée avec des foins & des précautions extraordinaires , cet en- fant n'a pas laiflé de vivre , & vit encore agé de onze ans ; mais le dévelopement de fon corps & de fon efprit a été également retardé, par la foibleffe de fa nature : cet en- fant eft encore d’une très-petite taille, a peu d’efprit & de nt cependant fa fanté, quoique foible , eft aflez bonne. Des Animaux. 117 terme , le fœtus, qui, jufqu’alors, eft foible, & ne peut agir que foiblement par {es propres forces, commence à devenir fort & à s’agiter avec plus de vigueur , & lorfque le temps de la huitieme période arrive , & que la matrice: en éprouve l’action , le fœtus, qui l’éprouve - aufli , fait des efforts, qui, fe réuniflant avec ceux de la mere, facilitent fon exclufion, & il peut venir au monde dès le feptieme mois, toutes les fois qu’il eft à cet âge plus vigoureux ou plus avance que les autres ; &, dans cecas, il pourra vivre. Âu contraire, s'il ne venoit au monde que par la foibleffle de la matrice, qui n’auroit pu réfifter au coup du fang dans cette huitieme révolution , l'accouchement fe- roit regardé comme une faufle couche , & l’en- fant ne vivroit pas. Mais ces cas font rares ; car fi le fœtus a réfilté aux {ept premieres ré- volutions , il n'y a que des accidens particu… liers qui puiflent faire qu’il ne réfifte pas à la. huitieme , en fuppofant qu’il n’ait pas acquis plus de force & de vigueur qu'il n’en a ordi- nairement dans ce temps. Les fœtus qui nau- ront acquis qu'un peu plus tard ce mème degré de force & de vigueur plus grande, viendront. au monde dans le temps de la neuvieme pé- riode , & ceux auxquels il faudra le temps de neuf mois pour avoir cette mème force, vien- dront à la dixieme période; ce qui elt le terme le plus commun & le plus général. Mais lorf- que le fœtus n'aura pas acquis, dans ce temps de neuf mois, ce même degré de perfection & de force, il pourra refter dans la matrice juf.. qu’à la onzieme, & mème ne la douzieme 3 18 Hifioire Naturelle. période, c’eft-à-dire, ne naître qu’à dix ou onze mois , comme on en a des exemples. Cette opinion, que ce font les menftrues qui {ont la caufe occafionnelle de l’accouche- ment en différens temps, peut être confirmée par plufieurs autres raifons que je vais expo- fer. Les femelles de tous les animaux qui n’ont point de menftrues , mettent bas toujours au même terme à tres- peu pres ; il n’y a jamais qu'une tres-légere variation dans la durée de Ja geftation : on peut donc foupconner que cette variation, qui, dans les femmes, eff fi grande, vient de l’action du fang , qui fe fait fentir à toutes les périodes. Nous avons dit que le placenta ne tient à la matrice que par quelques mamelons ; qu'il n’y a de fang, ni dans ces mamelons, ni dans les lacunes où ils font nichés, & que, quand on les en fépare, ce qui fe fait aifément & fans efforts , il ne fort de ces mamelons & de ces ‘lacunes qu’une liqueur laiteufe. Or comment fe fait - il donc que l’accouchement foit toujours fuivi d’une hémorrhagie , mème confidérable ; d’abord de fang affez pur, enfuite de fang mèlé de férofités , &c? Ce fang ne vient point de la féparation du placenta ; les mamelons font tirés hors des lacunes fans aucune efufion de fang , puifque ni les uns , ni les autres n’en contien- nent : l’accouchement, qui confifte précifément dans cette féparation , ne doit donc pas pro- duire du fang. Ne peut-on pas croire que c’eft au contraire Paction du fang qui produit lac- couchement? Et ce fang eft celui des menftrues. qui force les vaifleaux , dès que la matrice cft Des Animaux. 119 vide , & qui commence à couler immédiate. ment après l’enfantement ,; comme il couloit avant la conception. On fait que, dans les premiers temps de la erofefe ; le fac qui contient l’œuvre de la génération n’eft point du tour adhérent à la matrice. On a vu par les expériences de Graaf, qu’on peut, en fouflant deffus la petite bulle, Ja faire changer de lieu : l’adhérence n’eft mème jamais bien forte dans la matrice des femmes, & à peine le placenta tient-1l à la membrane interieure de ce vifcere dans les premiers temps ; il ny eft que contigu ; & joint par une ma- tiere mucilagineufe , qui n’a prefque aucune ad- héfion : des-lors pourquoi arrive-t-il, que, dans les faufles couches du premier & du fe- cond mois, cette bulle, qui ne tient à rien, ne fort cependant jamais qu'avec grande effu- fion de fang ? Ce n’eft certainement pas la for- tie de la bulle qui occafionne cette effufion , puilqu’elle ne tenoit point du tout à la matrice; c’elt au contraire l’aétion de ce fang qui oblige Ja bulle à fortir : & ne doit-on pas croire que ce fang eft celui des menftrues , qui, en for- cant les canaux par lefquels il avoit coutume. de pañler avant la conception , en détruit le pro- duit en reprenant fa route ordinaire. Les douleurs de Penfantement font occa- fionnées principalement par cette action du fang ; car on fait qu’elles font tout ou moins auffi violentes dans les faufles couches de deux & trois mois , que dans les accouchemens ordi- naires, & qu’il y a bien des femmes qui ont, dans tous les temps, & fans see concu , des 4 120 Hifioire Naturelle. douleurs très-vives lorfque l'écoulement pério- dique et fur le point de paroître , & ces dou- leurs font de la méme efpece que celles de la faufle couche , ou de laccouchement: dès-lors ne doit-on pas foupconner qu’elles viennent de la mème caule ? Il paroît donc , que la révolution périodi- que du fang menftruel peut influer beaucoup {ur l'accouchement , & qu’elle eft la caufe de la variation des termes de laccouchement dans les femmes ; d'autant plus que toutes les autres femelles , qui ne font pas fujettes à cet écou- lement périodique , mettent bas toujours au méme terme. Mais il paroîit aufli, que cette révolution , occalionnée par laction du fang menftruel, n’eft pas la caufe unique de l’accou- chement , & que l’ation propre du fœtus ne life pas d'y contribuer , puifqu’on a vu des enfans qui fe font fait jour, & font fortis de Ja matrice apres la mort de la mere ; ce qui fuppole néceflairement dans le fœtus une action propre & partuiculiere, par laquelle il doit tou- jours faciliter fon exclufion , & méme fe la procurer en entier dans de certains cas. Les fœtus des animaux , comme des vaches, des brebis, &c. n’ont qu’un terme pour naître: le temps de leur féjour dans le ventre de la mere eft toujours le même, & laccouchement eft fans hémorrhagie. N’en doit-on pas conclure , que le fang que les femmes rendent après Pac- couchement, eft le fang des menftrues, & que fi le fœtus humain naît à des termes fi dife- rens , ce ne peut être que par lacétion de ce fang, qui le fait fentir fur la matrice à toutes Des Animaux. 121 les révolutions périodiques ? Il eft naturel d’i- maginer, que fi les femelles des animaux vivi- pares avoient des menftrues comme les fem- mes, leurs accouchemens feroient fuivis d’effu- fion de fang , & qu'ils arriveroient à différens termes. Les fœtus des animaux viennent au monde revètus de leurs enveloppes , & il arrive rarement que les eaux s’écoulent , & que les membranes qui les contiennent , {e déchirent dans l'accouchement ; au lieu qu’il eft tres-rare de voir {ortir ainfi le fac tout entier dans les accouchemens des femmes : cela femble prou- ver, que le fœtus humain fait plus d'efforts que les autres pour fortir de fa prifen , ou bien, que la matrice de la femelle ne fe prète pas auf naturellement au palñage du fœtus, que celle des animaux ; car c’ett le fœtus qui dé- chire fa membrane par les efforts qu’il fait pour fortir de la matrice , & ce déchirement n'arrive qu'a caufe de la grande réfiftance que fait lo- rifice de ce vilcere, avant que de fe dilater aflez pour laifler pañer l’enfant. RCA LA Th ON “he US les animaux fe nourrifflent de végé- taux ou d’autres animaux , qui fe nourriflent eux - mêmes de végétaux : il y a donc dans la nature une matiere commune aux uns & aux autres, qui {ert à la nutrition & au développe- ment de tout ce qui vit ou végete. Cette ma- tiere ne peut opérer la nutrition & le dévelop- 122 Hificire Naturelle. pement qu'en s’affimilant à chaque partie du corps de lanimal ou du végétal, & en péné- trant intimement la forme de ces parties , que J'ai appeilées le moule intérieur. Lorfque cette matiere nutritive eft plus abondante qu’il nè faut pour nourrir & développer le cotps animal ou végétal , elle eft renvoyée de toutes les par- ties du corps dans un ou dans plufieurs réfer- voirs fous ja forme d’une liqueur: cette liqueur contient toutes les molécules analogues au corps de lPanimal, & par conféquent tout ce qui eft néceflaire à la reproduction d’un petit être en- tiérement femblable au premier. Ordinairement _ cette matiere nutritive ne devient furabondante, dans le plus grand nombre des efpeces d’ani- maux, que quand le corps a pris la plus grande partie de fon accroiflement ; & c’eft par cette raifon que les animaux ne font en état d’en- gendrer que dans ce temps. Lorfque cette matiere nutritive & produc- tive, qui elt univerfellement répandue, a pañé par le moule intérieur de l'animal ou du végé- tal, & qu’elle trouve une matrice convenable, elle produit un animal ou un végétal de mème efpece ; mais lorfqu’elle ne fe trouve pas dans une matrice convenable, elle produit des êtres organifés diHérens des animaux & des vége- taux, comme les corps mouvans & végétans que l’on voit dans les liqueurs féminales des animaux , dans les infufions des germes des plantes , &c. Cette matiere produétive eft compolée de particules organiques toujours a@ives , dont le mouvement & Paction font fixes par les parties Des Animaux. 122 brutes de la matiere en général, & particulié- rement par les particules huileufes & falines : mais dès qu’on les dégage de cette matiere étran- gere , elles reprennent leur action, & produi- {ent différentes efpeces de végétations & d’au- tres êtres animés, qui fe meuvent progreflive- ment. On peut voir au microfcope les effets de cette matiere productive dans les liqueurs fémi- nales des animaux de lun & de l’autre fexe. La femence des femelles vivipares eft filtrée par les corps glanduleux qui croiflent fur leurs tef_ ticules , & ces corps glanduleux contiennent une aflez bonne quantité de cette femence dans leur cavité intérieure ; les femelles ovipares , ont, aufli-bien que les femelles vivipares, une liqueur féminale , & cette liqueur femi- nale des femelles ovipares eft encore plus aive que celle des femelles vivipares, comme je l’ex- pliquerai dans lhiftoire des oifeaux. Cette {e- mence de la femelle eft en général femblable à celle du mäle , lorfqu’elles font toutes deux dans l’état naturel : elles fe décompofent de Ja mème facon , elles contiennent des corps orga- niques femblables, & elles offrent également tous les mèmes phénomenes. Toutes les fubftances animales ou végétales renferment une grande quantité de cette ma- tiere organique & produétive: il ne faut, pour le reconnoître , que féparer les parties brutes dans lefquelles les particules actives de cette matiere font engagtes, & cela fe fait en met- tant ces fubitances animales ou végétales infu. {er dans dé l'eau; les fels {e fondent, les hui- 124 - Hifioire Naturelle. les fe féparent & les parties organiques fe mon- trent en fe mettant en mouvement: elles font en plus grande abondance dans les liqueurs {é- minales que dans toutes les autres fubftances animales , ou plutôt elles y font dans leur état de développement & d’évidence , au lieu que, dans la chair, elles font engagées & retenues par les parties brutes , & il faut les en féparer par Vinfufion. Dans les premiers temps de cette in- fufion , lorfque la chair n’eft encore que lége- rement difloute , on voit cette matiere organi- que fous la forme de corps mouvans, qui font prefque auff gros que ceux des liqueurs fémi- nales ; mais à mefure que la décompofition augmente, ces parties organiques diminuent de grofleur & augmentent en mouvement; & quand la chair eit entiérement décompolée ou corrom- pue par une longue infufion dans l’eau , ces mèmes parties organiques font d’une petitefle extrème, & dans un mouvement d’une rapidité infinie : c’eit alors que cette matiere peut deve- nir un poifon, comme celui de la dent de la vipere, où M. Méad a vu une infinité de petits corps pointus , qu’il a pris pour des fels, & qui ne font que ces mèmes parties organiques dans une tres - grande activité. Le pus qui fort des plaies en fourmille, & il peut arriver très-natu- rellement , que le pus prenne un tel degré de corruption , qu’il devienne un poifon des plus fubtils ; car tot tes les fois, que cette matiere active fera exaltée à un certain point, ce qu’on pourra toujours reconnoître à la rapidité & à la petitefle des corps mouvans qu’elle contient , elle deviendra une efpece de poifon : il doit en - Des Animaux. 125 être de mème des poifons des végétaux. La mème matiere qui fert à nous nourrir , lorf- qu’elle eft dans {on état naturel, doit nous dé- truire lorfqu’elle eft corrompue. On le voit par la comparaïifon du bon blé & du blé ergoté, qui fait tomber en gangrene les membres des animaux & des hommes qui veulent s’en nour- rir: on le voit par la comparaifon de cette ma- tiere qui s'attache à nos dents , qui n’eft qu’un - réfidu de nourriture qui n’eft pas corrompue, & de celle de la dent de la vipere, ou du chien enragé, qui n’eft que cette mème matiere trop exaltée & corrompue au dernier degré. Lorfque cette matiere organique & produc- tive {e trouve raflemblée en grande quantité dans quelques parties de l'animal ,; où elle eft obligée de féjourner , elle y forme des êtres vi- vans, que nous avons toujours regardés comme des animaux. Le tænia, les efcarides, tous les vers qu'on trouve dans les veines, dans le foie, &c. tous ceux qu'on tire des plaies ; la plupart de ceux qui fe forment dans les chairs corrom- pues , dans le pus , n’ont pas d’autre origine ; les anguilles de la colle de farine, celles du vi- naigre , tous les prétendus animaux microfco- piques, ne font que des formes différentes que prend d’elle - même , & fuivant les circonftan- ces, cette matiere toujours active , & qui ne tend qu’à l’organifation. Dans toutes les fubftances animales ou vé- gétales, décompofées par l’infufion , cette ma- tiere productive fe manifefte d’abord fous la forme d’une végétation. On la voit former des filamens , qui croiflent & s'étendent comme une 126 Hifioire Naturelle. plante qui végete ; enfuite les extrèmités & les nœuds de ces végétations fe gonflent , fe bour- fouflent & crevent bientôt pour donner pañlage a une multitude de corps en mouvement, qui paroiflent être des animaux ; en forte qu'il fem. ble qu’en tout la nature commence par un mou- vement de végétation. On le voit par ces pro- ductions microfcopiques , on le voit aufli par le développement de lanimal ; car le fœtus, dans les premiers temps , ne fait que végéter. Les matieres faines & qui font propres à nous nourrir, ne fourniflent des molécules en mouvement qu'après un temps aflez confidera- ble. Il faut quelques jours d’infufion dans Peau pour que la chair fraîche , les graines, les aman- des des fruits, &c. offrent aux yeux des corps en mouvement ; mais plus les matieres font corrompues , décompofées ou exaltées, comme Je pus, le blé ergoté, le miel, les liqueurs féminales , &c. plus ces corps en mouvement fe manifeftent promptement : ils font tous dé- veloppés dans les liqueurs féminales ; il ne faut que quelques heures d’infufion pour les voir dans le pus, dans le blé ergoté , dans le miel, &c. Il en eft de mème des drogues de méde- cine ; l’eau où on les met infufer en fourmille au bout d’un très - petit temps. Il exifte donc une matiere organique ani- mée, univerfellement répandue dans toutes les fübitances animales ou végétales , qui fert éga- lement à leur nutrition , à leur développement & à leur reproduction. La nutrition s’opere par la pénétration intime de cette matiere dans tou- tes les parties du corps de l’animal ou du végé- Des Animaux. 127 tal ; le développement n’eft qu’une efpece de nutrition plus étendue, qui fe fait & s’opere tant que les parties ont aflez de ductilité pour {e gonfler & s'étendre, & la reproduction ne fe fait que par la mème matiere devenue {urabon- dante au corps de l'animal ou du végétal. Cha- que partie du corps de l’un ou de lautre ren- voie les molécules organiques qu’elle ne peut plus admettre: ces molécules font abfolument analogues à chaque partie dont elles font ren- voyées, puifqu’elles étoient deftinées à nourrir cette partie: dès-lors, quand toutes les molécu. les renvoyées de tous les corps viennent à fe raflembler, elles doivent former un petit corps femblable au premier, puifque chaque molécule eft femblable à la partie dont elle a été renvoyée. C’eft ainfi que fe fait la reproduétion dans tou- tes les efpeces ; comme les arbres, les plantes, les polypes, les pucerons, &c. où lindividu tout {eul reproduit {on femblable; & c’eft auff le premier moyen que la nature emploie pour la reproduction des animaux, qui ont befoin de la communication d’un autre individu pour fe reproduire ; car les liqueurs féminales des deux fexes contiennent toutes les molécules né- ceflaires à la reproduction. Mais il faut quelque chofe de plus pour que cette reproduction fe fafle en effet; c’eft le mélange de ces deux li- queurs, dans un lieu convenable au développe- ment de ce qui doit en réfulter, & ce lieu eit la matrice de la femelle. I] n’y a donc point de germes préexiftans, point de germes contenus à linfini les uns dans les autres; mais il y à une matiere organique 128 Hifioire Naturelle. toujours active, toujours prète à fe mouler, à s’aflimiler & à produire des êtres femblables à ceux qui la reçoivent. Les elpeces d'animaux ou de végétaux ne peuvent donc jamais s’épui- {er d’elles - memes: tant qu’il fubfftera des in- dividus, l’efpece fera toujours toute neuve ; elle left autant aujourd’hui qu’elle Pétoit il y a trois mille ans: toutes fubfifteront d'elles - mèmes , tant qu’elles ne feront pas anéanties par la vo- lonté du Créateur. ADD; EPTMOEN À Particle des varietcs dans la Génération, volu- me III, in-12, pages 462 & fuivantes; € aux articles où il eft queftion de la Généra- tion fpontanée, vol. IV, pages 141 & fui- vantes : M. recherches & mes expériences fur les molécules organiques, démontrent qu’il n’y a point de germes préexiltans, & en mème-temps elles prouvent, que la génération des animaux & des végétaux n’eft pas univoque ; qu'il y a peut-être autant d’étres, foit vivans, oit vé- gétans , qui fe reproduifent par laflemblage fortuit des molécules organiques, qu’il y a d'animaux ou de végétaux qui peuvent fe re- produire par une {ucceflion conftante de géné. rations : elles prouvent que la corruption, la décompofition des animaux & des végétaux, produit Des Animaux. 129 produit une infinité de corps organilés vivans & végétans; que quelques-uns, comme ceux de la laite du- Calmar, ne font que des efpeces de machines, mais des machines , qui, quoique très-fimples , {ont actives par elles-mèmes ; que d’autres , comme les animaux fpermatiques , {ont des corps, qui, par leur mouvement, fem. blent imiter les animaux ; que d’autres reflem- blent aux végétaux par leur maniere de croître & de s'étendre dans toutes leurs dimenfions : qu’il y en a d’autres, comme ceux du blé ergoté, qu’on peut faire vivre & mourir aufli fouvent que l’on veut; que l’ergot ou le blé ergoté, qui et produit par une efpece d’altération ou de dé. compofition de la fubftauce organique du grain, et compofé d’une infinité de filets ou de petits corps organiles, femblables, pour la figure, à des anguilies; que, pour les obferver au mi- crofcope, il ny a qu’à faire infuler le erdin ergote pendant dix a douze heures dans l’eau, & féparer les filets qui en compofent la fubf tance, qu’on verra qu'ils ont un mouvement de Rexion & de tortillement très-marqué, & qu’ils ont en meme-temps un léger mouvement de progreffion, qui imite en perfection celui d’une anguille qui le tortille; que, quand l’eau vient a leur manquer, ils ceflent de fe mouvoir ; mais qu’en ajoutant de la nouvelle eau, leur mouve- ment {e renouvelle, & que, fi on garde cette matiere pendant plufieurs jours, pendant plu- fieurs mois, & mème pendant plufieurs années, dans quelque temps qu’on la prenne pour lob- Îerver, on y verra les mêmes petites anguilles des qu’on la mèlera avec de l'eau, les mèmes Hif. Nat. des Anim. T. 1. 130 Hifloire Naturelle. filets en mouvement qu’on y aura vus la pre- miere fois; en forte qu’on peut faire agir ces petits corps aufli fouvent & auf long- temps qu’on le veut, fans les détruire, & fans qu'ils perdent rien de leur force ou de leur activité. Ces petits corps feront, fi l’on veut, des elpe- ces de machines, qui {e mettent en mouvement dès qu’elles font plongées dans un fluide. Ce {ont des efpeces de filets ou filamens, qui s’ou- vrent quelquefois comme les filamens de la {e- mence des animaux, & produifent des globu- les mouvans. On pourroit donc croire qu'ils font de la mème nature, & qu’ils font feule- ment plus fixes & plus folides que ces filamens de la liqueur féminale. Voilà ce que j'ai dit au fujet de la décom- pofition du blé ergoté, page 15 € fuivantes de ce volume. Cela me paroit aflez précis, & mème tout-à-fait aflez détaillé ; cependant je viens de recevoir une lettre de M. l'Abbé Luc Magna- nima, datée de Livourne, le 30 Mai 1775, par laquelle il m’annonce , comme une grande & nouvelle découverte de M. l’Abbeé Fontana, ce que l’on vient de lire, & que j'ai publié il y a plus de trente ans. Voici les termes de cette lettre: 17 Sig. Abbate Fontana, Fifico di S. A. R. a fatto flampare, poche fettimane fono, una let- tcra nella quale egli publica due fcoperte che deb- bon fofprendere chianque. La prima verfa intorno a quella malattia del grano che à Francefe chia- mano ergot, € noi grano cornuto .... Ha trovato colla prima fcoperta, il fig. Fontana ; che fi afcon- dono in quella malattia del grano alcune anguil- dette, o ferpentelli, à quali merti che Jieno, pofjon Des Animaux. | 131 tornare a vivere mile e mile volte, e non con altro mezzo che con una femplice goccia d'acqua ; fi dira che non eran folle morti quando fi e pretefo che tornino in vita. Queffo fi e penfato dal! o{jerva- tore Jefo , e per accertarfi che eran morti di fatto, colla punta di un ago ei gli ha tentati, e gli ha veduti andarfene in cenere. Il faut que MM. les Abbés Magnanima & Fontana , n'aient pas lu ce que j'ai écrit à ce fujet, ou qu’ils ne fe foient pas fouvenus de ce petit fait, puifqu’ils donnent cette découverte comme nouvelle. J'ai donc tout droit de la revendiquer, & je vais y ajouter quelques ré- flexions, C’eft travailler pour l'avancement des fcien- ces, que d’épargner du temps à ceux qui les cultivent. Je crois donc devoir dire à ces Ob- fervateurs, qu'il ne {uit pas d’avoir un bon microfcope pour faire des obfervations qui mé- ritent le nom dé découvertes. Maintenant qu’il eft bien reconnu que toute fubftance organifée, contient une infinité de molécules organiques vivantes, & préfente encore, après {a décom- pofition, les mèmes particules vivantes; main- tenant que lon fait que ces molécules organi- ques ne font pas de vrais animaux, & qu'il y a dans ce genre d’êtres microfcopiques, autant de variétés & de nuances que la nature en a mis dans toutes {es autres productions, les décou- vertes qu’on peut faire au microfcope, fe rédui- ent à bien peu de chofe: car on voit de l’œil de lPefprit, & fans microfcope, l’exiltence réelle de tous ces petits êtres, dont il eft inutile de is 132 Hifioire Naturelle. s'occuper féparément. Tous ont une origine commune & aufli ancienne que la Nature: ils en conftituent la vie, & pañlent de moules en moules pour la perpétuer. Ces molécules orga- niques , toujours actives, toujours {ubfiftantes, appartiennent également à tous les êtres organi. {és ; aux végétaux comme aux animaux : elles pénetrent la matiere brute, la travaillent, la re- muent dans toutes fes dimenfions, & la font fervir de bafe au tiflu de lorganifation, de la- quelle ces molécules vivantes font les feuls prin- cipes & les feuls initrumens. Elles ne font fou- mifes qu’à une feule puillance , qui, quoique pañlive , dirige leur mouvement, & fixe leur pofition. Cette puiflance eft le moule intérieur du corps organilé. Les molécules vivantes que l'animal ou le végétal tire des alimens ou de la feve, s’aflimilent à toutes les parties du moule intérieur de leur corps; elles le pénetrent dans toutes fes dimenfions, elles y portent la végcta- tion & la vie, elles rendent ce moule vivant & croiflant dans toutes {es parties ; la forme inté- rieure du moule détermine feulernent leur mou- vement & leur pofition pour la nutrition & le développement dans tous les êtres organilés. Et lorfque ces molécules organiques vivan- tes ne font plus contraintes par la puiffance du moule intérieur, lorfque la mort fait cefler le jeu de lorganifation, c’eft-à-dire la puiflance de ce moule, la décompofition du corps fuit, & les molécules organiques, qui toutes furvi- vent, {e retrouvant en liberté dans la diflolu- tion & la putréfaétion des corps, paflent dans d'autres corps aufli-tôt qu’elles font pompées Des ÂAnimanx. 133 par la puiffance de quelqu’autre moule; en forte qu’elles peuvent pañler de l’animal au végétal , & du végétal à l'animal fans altération, & avec la propriété permanente & conftante de leur porter la nutrition & la vie: feulement il arrive une infinité de générations fpontanées dans cet intermede, où la puifance du moule eft fans action, c’eft-à-dire, dans cet intervalle de temps, pendant lequel les molécules organiques fe trou- vent en liberté dans la matiere des corps morts & décompofés. Dès qu’elles ne font point abforbées par le moule intérieur des êtres or- ganifés, qui compolent les efpeces ordinaires de la nature vivante ou végétante, ces molécu- les toujours actives, travaillent à remuer la ma- tiere putréfiéc; elles s’en approprient quelques particules brutes, & forment, par leur réunion, une multitude de petits corps organilés, dont les uns, comme les vers de terre, les champi. enons, &c. paroilient être des animaux ou des végétaux aflez grands; mais dont les autres, en nombre prefque infini, ne fe voient qu’au mi- crofcope. Tous ces corps n’exiftent que par une génération {pontanée, & ils rempliflent l’inter- valle que la nature a mis entre la fimple molé- cule organique vivante, & lanimal ou le vegé- tal ; aufli trouve-t-on tous les degrés, toutes les nuances imaginables dans cette fuite, dans cette chaine d’étres, qui defcend de lanimal le mieux organifé à la molécule fimplement organique. Prile feule, cette molécule eft fort éloignée de la nature de l'animal; prifes plufieurs enfemble, ces molécules vivantes en feroient encore tout aufi loin, fi elles ne s’approprivient pas des 2 >, 134 Hifioire Naturelle. particules brutes, & fi elles ne les difpofoient pas dans une certaine forme approchante de celle du moule intérieur des animaux on des végé- taux; &, comme cette difpofition de forme doit varier à l'infini, tant pour le nombre, que par la différente action des molécules vivantes con- tre la matiere brute, il doit en rélulter, & il en réfulte en effet, des êtres de tous degrés d'animalité. Et cette génération fpontanée, à laquelle tous ces étres doivent également leur exiftence, s'exerce & fe manifefte toutes les fois que les êtres organiles fe décompofent. Elle s'exerce conftamment & univerfellement apres la mort, & quelquefois auffi pendant leur vie, lorfqu’il y a quelque défaut dans l’organifation du corps, qui empèche le moule intérieur d’ab- forber & de s’aflimiler toutes les molécules or- ganiques contenues dans les alimens. Ces mo- lécules furabondantes, qui ne peuvent pénétrer Je moule intérieur de l'animal pour fa nutrition, cherchent à fe réunir avec quelques particules de la matiere brute des alimens, & forment, comme dans la putréfaétion, des corps organi. és. C’eft-là l'origine des ténias, des afcarides, des douves & de tous des autres vers qui naïflent dans le foie, dans l’eftomac, les inteftins, & jufque dans le finus des veines de plufieurs ani- maux ; c’eit aufli l’origine de tous les vers qui leur percent ja peau. C’eft [a mème caufe qui produit les maladies pédiculaires; & je ne fini- rois pas, fi je voulois rappeller ici tous les gen- res d'êtres qui ne doivent leur exiftence qu'a la génération fpontance. Je me contenterai d’ob- {erver, que le plus grand nombre de ces êtres Des Animaux. 13$ n'ont pas la puiflance de produire leur fembla- ble, quoiqu'ils aient un moule intérieur, pui qu’ils ont, à l’extérieur & à l’intérieur, une forme déterminée, qui prend de l’extenfion dans toutes ces dimenfions, & que ce moule exerce fa puiflance pour leur nutrition ; il manque néanmoins à leur organifation, la puiflance de renvoyer les molécules organiques dans un ré- fervoir commun, pour y former de nouveaux ètres {emblables a eux. Le moule intérieur {ufht douc ici à la nutrition de ces corps organifés, fon action eft limitée à cette opération; mais fa puiflance ne s'étend pas jufqu’a la reproduction. Prefque tous ces êtres engendrés dans la corrup- tion, y périflent en entier: comme ils font nés fans parens, ils meurent fans poftérité. Cepen- dant quelques-uns , tels que les anguilles du mucilage de Ja farine , femblent contenir des germes de poitérité. Nous avons vu fortir, mème en afiez grand nombre, de petites anguil- les de cette efpece d’une anguille plus groffe : néanmoins cette mere anguille navoit point eu de mere, & ne devoit fon exiftence qu’à une génération fpontanée. Il paroïît donc, par cet exemple & par plufieurs autres , tels que la pro- duction de la vermine dans les maladies pédicu- laires, que, dans de certains cas, cette généra- tion fpontanée a la même puiffance que la géné- ration ordinaire , puilqu’elle produit des ètres qui ont la faculté de fe reproduire. A la vérité, nous ne fommes pas aflurés que ces petites an- guilles de la farine, produites par la mere an- guille, aient elles-mèmes la faculté de fe repro- duire par la voie oïdinaire de la génération; 4 136 Hifioire Naturelle, mais nous devons le préfumer, puifque, dans plufieurs autres efpeces, telles que celles des poux, qui, tout-à-coup, font produits en f grand nombre, par une génération fpontanée, dans les maladies pédiculaires, ces mèmes poux, qui mont ni pere ni mere, ne laiflent pas de fe perpétuer, comme les autres, par une généra- tion ordinaire & fucceflive. Au refte, j'ai donné, dans mon Traité de la Génération , un grand nombre d’exemples, qui prouvent la réalité de plufieurs générations fpontanées. Jai dit, plus haut page 122; que les molécules organiques vivantes, conte nues dans tous les êtres vivans ou végétans, font toujours actives, & que, quaud elles ne font pas abforbées en entier par les animaux, ou par les végétaux pour leur nutrition, elles produilent d’autres êtres organifés. J'ai dit, de mème page 125, que quand cette matiere or- ganique & productive fe trouve raflemblée en grande quantité, dans quelques parties de Pani- mal où elle eft obligée de féjourner, fans pou- voir être repompée, elle y forme des êtres vivans; que le ténia, les afcarides, tous les vers qu’on trouve dans le foie, dans les veines, &ec. ceux qu'on tire des plaies, la plupart de ceux qui fe forment dans les chairs corrompues, dans le pus, n’ont pas d'autre origine, & que les anguilles de la colle de farine, celles du vinaigre, tous les prétendus animaux microfcopiques, ne font que des formes différentes , que prend d'elle. mème, & fuivant les circonftances, cette ma- tiere toujours active, & qui ne tend qu’à l'or. ganifation. Des Animaux. 137 Il y a des circonftances où cette mème ma- tiere organique , non-feulement produit des corps organifés, comme ceux que je viens de citer, mais encore des êtres dont la forme participe de celle des premieres fubftances nutritives qui con- tenoient les molécules organiques. Je citerai ici Pexemple d’un peuple des déferts de PEthiopie, dont je parlerai ailleurs encore, qui et fouvent réduit à vivre de fauterelles. (Cette mauvaile nourriture fait qu'il s’engendre dans leur chair des infeétes ailés, qui fe multiplient en fi grand nombre, qu’en tres-peu de temps leur corps en fourmille ; en forte que ces hommes, qui ne fe nourrifllent que d’infectes, {ont à leur tour man- gés par ces mêmes infectes. Quoique ce fait m'ait toujours paru dans l’ordre de la nature , il feroit incroyable pour bien des gens, fi nous n'avions pas d’autres faits analogues & mème encore plus pofitifs. Un très-habile Phyficien & Médecin de Montpellier, M. Moublet, a bien voulu me communiquer , avec {es réflexions, le Mémoire fuivant, que j'arcru devoir copier en entier. € Une perfonne âgée de quarante-fix ans, dominée depuis long-temps par la paflion im- modérée du vin, mourut d’une hydropilie afcite, au commencement de mai 17fo. Son corps refta environ un mois & demi euleveli dans la fofe où il fut dépofe, & couvert de cinq à fix pieds de terre. Âpres ce temps, on l’en tira pour en faire la translation dans un çaveau neuf, préparé dans un endroit de lEeglife éloigné de la fofle. Le cadavre n’exhaloit aucune mauvaife odeur. 138 Hifloire Naturelle. Mais quel fut l’étonnement des affiftans, quand l’intérieur du cercueil & le linge dans lequel il étoit enveloppé parurent abfolument noirs, & qu’il en fortit, par la fecoufle & le mouvement qu'on y avoit excité, un ellaim ou une nuée de petits infectes ailés, d’une couleur noire, qui fe répandirent au dehors. Cependant on le tranfporta dans le caveau, qui fut fcellé d’une large pierre qui s’ajuftoit parfaitement. Le fur- lendemain, on vit une foule des mèmes animal- cules, qui erroient & voltigeoient autour des rainures & {ur les petites fentes de la pierre où ils étoient particuliérement attroupés. Pendant les trente à quarante jours qui fuivirent l’exhu- mation, leur nombre y fut prodigieux, quoi- qu’on en écralät une partie en marchant conti- nucllement deflus. Leur quantité confidérable ne diminua enfuite qu'avec le temps, & trois mois s’étoient déja écoulés qu’il en exiftoit en- core beaucoup. Ces infectes funebres avoient le corps noirà- tre : ilsavoient, pour la figure & pour la forme, une conformité exacte avec les moucherons qui fucent Ja lie du vin; ils étoient plus petits, & paroifloient entr’eux d’une grofleur égale. Leurs ailes étoient tiflues & deflinées dans leur pro- portion en petits réfeaux , comme celles des mouches ofdinaires; ils en failoient peu d’ufage, rampoient prefque toujours , &, malgré leur multitude, ils n’excitoient aucun bourdonne- ment. Vus au microfcope, ils étoient hériflés fous le ventre d’un duvet fin, légérement fillonné & nuancé en iris de différente couleur, ainfi Des Animaux. 139 que quelques vers apodes , qu’on trouve dans des plantes vivaces. Ces rayons colorés étoient dus à des petites plumes fquammeulfes, dont leur corcelet étoit inférieurement couvert, & dont on auroit pu facilement les dépouiller, en fe fervant de la méthode que Swammerdam em- ployoit pour en déparer le papillon de jardin. Leurs yeux étoient luftrés comme ceux de Ja mufcacryfophis de Goëdaert. Ils w’eétoient ar- més ni d’antennes, ni de trompes, ni d’aiguil- Jons: ils portoient feulement des barbillons à la tête, & leurs pieds ctoient garnis de petits maillets ou de papilles extrèmement légeres, qui ‘ s’étendoient jufqu’à leurs extrèmités. Je ne les ai confidérés que dans Pétat que je décris. Quelque foin que j'aie apporté dans mes recherches , je n’ai pu reconnoitre aucun indice qui me fit préfumer qu'ils aient pañé pat celui de larve & de nymphe. Peut-etre plu- fieurs raifons de convenance & de probabilite, donnent lieu de conjecturer qu’ils ont été des Vers microfcopiques d’une efpece particuliere, avant de devenir ce qu’ils m'ont paru. En les anatomifant , je n'ai découvert aucune forte d’enveloppe dont ils puflent {e dégager, nt apperçu fur le tombeau aucune dépouille qui ait pu leur appartenir. Pour éclaircir & approfondir leur origine , il auroit été nécefaire. & 1l n'a pas été poflible, de faire infufer de la chair du ca- davre dans l’eau, ou d’obferver {ur lui-mème, dans leur principe , les petits corps mouvans qui en font iflus. D’après les traits dont je viens de les dépein- dre, je crois qu’on peut les rapporter au pre- 140 Hifioire Naturelle. mier ordre de Swammerdam. Ceux que j'ai écrafés, n’ont point exhalé de mauvaife odeur fenfible; leur couleur n’établit point une diffé- rence: la qualité de lendroit où ils étoient ref- ferrés, les impreflions diverfes qu’ils ont reçues & d’autres conditions étrangeres, peuvent être les caufes occafionnelles de la configuration va- riable de leurs pores extérieurs, & des couleurs dont ils étoient revètus. On fait que les vers de terre, après avoir été fubmergés & avoir refté quelque temps dans l’eau, deviennent d’un blanc de lys, qui s'efface & fe ternit quand on les a retirés, & qu’ils reprennent peu-à-peu leur premiere couleur. Le nombre de ces infectes ailés a été inconcevable: cela me perfuade que leur propagation a coûté peu à la nature, & que leurs transformations, s’ils en ont efluyé, ont dû être rapides & bien fubites. Il eft à remarquer qu'aucune mouche ni au- cune autre efpece d’infectes ne s’en font jamais approchés. Ces animalcules éphémeres, retirés de deflus la tombe dont ils ne s’éloignoient point, périfloient une heure après, fans doute pour avoir feulement changé d’élément & de pâture; & je n'ai pu parvenir, par aucun moyen, à les conferver en vie. Pai cru devoir tirer de la nuit du tombeau & de loubli des temps qui les a annihilés, cette obfervation particuliere & fi furprenante. Les objets qui frappent le moins les yeux du vul- gaire, & que la plupart des hommes foulent aux pieds, font quelquefois ceux qui méritent le plus d'exercer l’efprit des Philofophes. Des Animaux. I4Ï Car comment ont été produits ces infectes dans un lieu où lair extérieur n’avoit ni com- munication ni aucune idue ? Pourquoi leur ge- nération s’eft - elle opérée fi facilement ? pour- quoi leur propagation a-t-elle été fi grande ? quelle eft l’origine de ceux, qui, attachés {ur les bords des fentes de la pierre qui couvroit le ca- veau, ne tenoient à la vie qu’en humant Pair que le cadavre exhaloit ? d’où viennent enfin Jeur analogie & leur fimilitude avec les mouche- rons qui naïiflent dans le marc du vin ? Il {em- ble que plus on s'efforce de raflembler les lu- mieres & les découvertes d’un plus grand nom- bre d’Auteurs , pour répandre un certain jour fur toutes ces queltions, plus leurs jugemens, partages & combattus, les replongent dans Pobf: curité où Ja nature les tient cachés. Les Anciens ont reconnu qu'il naît conf. tamment & réguliérement une foule d’infectes ailés de la pouiliere humide des cavernes {outer- raines (a). Ces obfervations & lexemple que je rapporte , établiffent évidemment , que telle eft la ftru@ure de ces animalcules , que Pair n'eft point néceflaire à leur vie ni à leur géne- ration ; & on a lieu de prélumer qu’elle n’eit accélérée , & que la multitude de ceux qui étoient renfermés dans le cercueil n’a été fi grande, que parce que les fubitances animales qui font concentrées profondément dans le fein de la terre, fouftraites à l’aétion de l'air, ne fouffrent prefque point de déperdition, & que les opérations de la nature n’y font troublées par aucun dérangement étranger. (a) Pline. Hiff. Nar. lib. XII. 142 Hifloire Naturelle. D'ailleurs nous connoiffons des animaux qui ne font point néceflités de refpirer notre air: 1l y en à qui vivent dans la machine pneuma- tique. Enfin Théopraite & Ariftote ont cru, que certaines plantes & quelques animaux s’en- gendrent d'eux-mêmes, fans germe, fans femence, ans la médiation d'aucun agent extérieur ; car on ne peut pas dire , felon la fuppofition de Gañflendi & de Lyfter, que les infectes du ca- davre de notre hydropique aient été fournis par les animaicules qui circulent dans Pair, ni par les œufs qui peuvent {e trouver dans les ali- mens , où par des germes préexiftans , qui fe ont introduits dans fon corps pendant la vie , & qui ont écios & fe {ont multipliés après fa mort. | Sans nous arrèter, pour rendre raifon de ce phénomene, à tant de fyftémes incomplets de ces Philofophes , étayons nos idées de réflexions phyfiques d’un favant Naturahifte , qui a porté, dans ce fiecle , le flambeau de la fcience dans le caños de la nature. Les élémens de notre corps font compofés de particules fimilaires & organiques , qui font tout à-la-fois nutritives & productives: elles ont une exiftence hors de nous , une vertu intrinfeque inaltérable. En changeant de pofition , de combinaifon & de forme , leur tifilu ni leur mañle ne dépérifilent point , leurs propriétés orginelles ne peuvent s’altérer ; ce font de petits reflorts doués d’une force attive, en qui réfident les principes du mouvement & de la vitalité, qui ont des rap- ports infinis avec toutes les chofes créées, qui font fufceptibles d'autant de changemens & de Des Animaux. 143 réfultats divers, qu’ils peuvent être mis en jeu par des caufes différentes. Notre corps n’a d’ad- hérence à la vie, qu’autant que ces molécules organiques confervent , dans leur intégrité, leurs qualités virtuelles & leurs facultés géne- ratives, au’elles fe tiennent articulées enfem- ble dans une proportion exaéte, & que leurs actions raflemblées concourent également au meé- canifme général : car chaque partie de nous- mêmes elt un tout parfait, qui a un centre, où fon organifation fe rapporte, & d’où fon mouvement progreflif & fimultané fe développe, fe multiplie & fe propage dans tous les points de la fubftance. Nous pouvons donc dire, que ces molc- cules organiques, telles que nous les repréfen- tons , font les germes communs , les femences univerfelles de tous les regnes, & qu’elles cir- culent, & font déterminées en tout lieu. Nous les trouvons dans les alimens que nous pre- nons, nous les humons à chaque inftant avec Pair que nous refpirons; elles s’ingerent & s’in- corporent en nous ; elles réparent, par leur éta- bliflément local , lorfqu’elles {ont dans une quantité fuffilante , les déperditions de notre corps, & en conjuguant leur action & leur vie particuliere , elles fe convertiflent en notre pro- pre nature , & nous prêtent une nouvelle vie & des forces nouvelles. Mais fi leur intufufception & leur abon- dance font telles , que leur quantité excede de beaucoup celle qui eft néceflaire à l'entretien & à l’accroiflement du corps, les particules orga- niques, qui ne peuvent être abforbées pour {es 144 Hiftoire Naturelle. beloins , refluent aux extrèmités des vaifleaux, rencontrent des canaux oblitérés, {fe ramallent dans quelque rélervoir intérieur , &, felon le moule qui les recoit, elles s’aflimilent, dirigées par les loix d’une affinité naturelle & récipro- que, & mettent au jour des efpeces nouvelles, des ètres animés & vivans, & qui n’ont peut. être point eu de modeles, & qui n’exifteront jamais plus. Et quand, eneffet, font-elles plus abondan- tes, plus ramaflées, que lorique la nature ac. complit la deftruétion fpontannée & parfaite d’un corps orgamfe? Des l’inftant que la vie eft éteinte, toutes les molécules organiques , qui compo- ent la fubftance vitale de HE corps, lui de- viennent excédentes & fuperflues ; la mort anéan- tit leur harmonie & leur rapport, détruit leur combinaifon , rompt les liens qui les enchai- nent & aui les uniflent enfemble ; elle en fait l'entiere diflection & la vraie analy{e. La ma- tiere vivante {fe fépare peu-à-peu de la matiere morte ; il {e fait une divifion réelle des parti- cules organiques & des particules brutes: cel- les-ci, qui ne font qu’accefloires , & qui ne fer- vent que de bafe & d'appui aux premieres, tom- bent en lambeaux , & fe perdent dans la pouf. fiere, tandis que les autres fe dégagent d’elles- mèmes: affranchies de toute ce qui les capti- voit dans leur arrangement & leur fituation particuliere , livrées à leur mouvement inteftin, elles jouiflent d’une liberté illimitée & d’une anarchie entiere , & cependant difciplinée , parce que la puiffance & les loix de la nature, fur- ‘vivent à fes propres ouvrages. Elles s’amoncelent encore , Des Animaux. 14$ encore, s’anaftomofent & s’articulent, forment de petites mafñles & de petits embryons, qui fe développent, & produifent , {elon leur aflem- blage , & les matrices où elles font récélées , des corps mouvans, des êtres animés & vivans. La nature, d’une maniere également facile, ré. guliere & fpontanée, opere, par le mème mé- canifme ; la décompofition d’un corps, & la génération d’un autre. Si cette fubftance organique n’évoit effecti- vement douée de cette faculté générative , qui fe manifefte d’une façon fi authentique dans tout Punivers, comment peurroient éclorre ces ani- malculés qu’on découvre dans nos vifceres les plus cachés, dans les vaifleaux les plus petits ? Comment , dans des corps infenfibles , fur des cendres inanimées , au centre de la pourriture & de la mort, dans le fein des cadavres, qui repofent dans une nuit & un filence impertur- bables., naitroit en fi peu de temps une fi grande multitude d’infectes fi diflemblables à eux-mêmes , qui n'ont rien de commun que leur origine , & que Leeuwenhoëk & M. de Réaumur ont toujours trouvés d’une figure plus étrange , & d’une forme plus différente & plus extraordinaire ? __ Il y à des quadrupedes qui font remplis de lentes. Le Pere ue ( Scrut. pert. Set, I, cap. VII ; experim. 3 , €ÿ mund. Jubterran. lib. XII), a appercu, à laide d’un microfcope , dans des feuilles de fauge , une efpece de ré- feau , tiffu comme une toile d’araignée , dont toutes les mailles montroient un nombre infini de petits animalcules. Swammerdan a vu le ca- Hif. Nat. des Anim, T, I. 146 Hifloire Naïurelle. davre d’un animal, qui fourmilloit d’un million de vers ; leur quantité étoit fi prodigieufe, qu'il nétoit pas poflible d’en découvrir les chairs, qui ne pouvoient fuffire pour les nour- rir : il fembloit à cet Auteur qu’elles fe trans- formoient toutes en vers. Mais fi ces molécules organiques font com- munes à tous les êtres; fi leur efflence & leur action font indeftructibles , ces petits animaux devroient toujours être d’un même genre & d’une mème forme : ou fi elle dépend de leur combinaïlon , d’où vient qu'ils ne varient pas à l'infini dans le mème corps ? Pourquoi enfin ceux de notre cadavre reflembloient-ils aux mou- cherons qui fortent du marc du vin ? S'il eft vrai que l’action perpétuelle & una- nime des organes vitaux , détache & diflipe à chaque inftant les parties les plus fubtiles & les plus épurées de notre fubftance ; s’il eft nécef- faire que nous réparions journellement les dé- perditions immenfes qu’elle fouffre par les éma- nations extérieures & par toutes les voies ex- crétoires ; s’il faut enfin que les parties nutri- tives des alimens, après avoir recu les coctions, & toutes les élaborations que lénergie de nos vifceres leur fait fubir , fe modifient , s’aflimi- lent, s’affermiflent & inherent aux extrèmités des tuyaux capillaires , jufqu’à ce qu’elles en foient chañées & remplacées à leur tour par d’autres qui font encore amovibles ; nous fom- mes induits à croire, que la partie fubftantielle & vivante de notre corps, doit acquérir le ca- ractere des alimens que nous prenons , & doit Des Animaux. 147 tenir & emprunter d’eux les qualités fancieres & plaftiques qu’elles poflédent. | | La qualité, la quantité de la chair, dit M. de Buffon dans PHiit. Nat. du Cerf, que nous verrons plus loin , varient fuivant les différen« tes nourritures. Cette matiere organique , que Pa- nimal affimile à fon corps par la nutrition, nef pas abfolument indifférente à recevoir telle ou telle modification: elle retient quelques caraëteres de fon premier état , &ÿ agit par [a propre forme fur celle du corps organifé qu'elle nourrit. . .... L'on peut donc prélumer | que des animaux auxquels on ne denneroit jamais que la même efpece de nourri- ture, prendroient en ajez peu de temps une tein- ture des qualités de cette nourriture. Ce ne feroit plus la nourriture qui s’'affimileroit en entier à la forme de lPanimal, mais l'animal qui s’affimileroit en partie à la forme dé la nourriture. En effet, puilque les molécules nutritives & organiques, ourdiflent la trame des fibres de notre corps, puifqu’elles fourniflent la fource des efprits, du fang & des humeurs, & qu’el- les fe régénerent chaque jour , il eft plaufible de penfer, qu’il doit acquérir le mème tempé- rament qui réfulte d’eiles- memes. Ainfi, à la rigueur, & dans un certain fens, letempérament d’un individu doit fouvent changer ; ètre tan- tôt énervé , tantôt fortifié par la qualité & le mélange varié des alimens dont il fe nourrit. Ces inductions conféquentes font relatives à la doctrine d'Hippocrate, qui, pour corriger l’ex- cès du tempérament , ordonne l’ufage continu d’une nourriture contraire à fa conftitution. Le corps d’un homme qui as habituel. 2 148 Hifioire Naturelle. lement d’un mixte quelconque , contracte donc infenfiblement les propriétés de ce mixte, & pénétré des mêmes principes, devient fufcep- tible des mèmes dépravations & de tous les chan- gemens auxquels il eft fujet. Rhédi ayant ou- vert un Meûnier peu de temps apres fa mort, trouva l’eftomac , le colon , le cœcum & tou- tes les entrailles remplies d’une quantité prodi- gieufe de vers extrèmement petits, qui avoient la tete ronde & la queue aiguë , parfaitement refemblans à ceux qu'on obferve dans les infu- fions de farine & d’épis de blé. Ainfi, nous pouvons dire d’une perfonne qui fait un ufage immodéré du vin, que les particules nutriti- ves, qui deviennent la mafe organique de fon corps, font d’une nature vineule, qu’il s’affi- mile peu-à-peu & fe transtorme en elles, & que rien mempèche , en {e décompofant, qu’el- les ne produifent les mèmes phénomenes qui arrivent au marc du vin. On a lieu de conjeéturer , qu'après que le cadavre a été inhume dans le caveau, la quan- tité des infetes qu’il a produits a diminué, parce que ceux qui étoient placés au dehors fur les fentes de la pierre, favouroient les particu- les organiques qui s’exhaloient en vapeurs, & dont ils fe repaifoient , puifqu’ils ont péri des qu'ils en ont été fevrés. Si le cadavre eût refté enfeveli dans la folle , où il n’eût foufert au- cune émañation ni aucune perte, celles qui fe font diffipées par les ouvertures, & celles qui ont été abforbées pour l'entretien & pour la vie des animalcules fugitifs qui y étoient arrè- tés, auroient fervi à la génération d’un plus grand nombre. Des Animaux. 149 Car il eft évident que lorfqu’une fubftance erganique fe démonte, & que les parties qui la compofent Îe féparent & femblent {e décou- dre, de quelque maniere que leur dépériflement {e fafle , abandonneées à leur action naturelle, elles font néceflitées à produire des animalcu- les particuliers à elles-memes. Ces faits font vérifiés par une fuite d’obfervations exactes. Il eft certain qu'ordinairement les corps des ani- maux herbivores & frugivores , dont linftinct détermine la pâture & regle l'appétit , font cou- verts, après la mort, des mèmes infectes qu’on voit voltiger & abonder fur les plantes & les fruits pourris dont ils fe nourriflent: ce qui eft d'autant plus digne de recherche, & facile à remarquer , qu’un grand nombre d’entre eux ne vivent que d’une feule plante ou des fruits d’un mème genre. D’habiles Naturaliftes fe font fervis de cette voie d’analogie pour découvrir les vertus des plantes, & Fabius Columna a cru devoir attribuer les mèmes propriétés & le mème caractere à toutes celles qui fervent d’a- fyle & de pâture à la méme efpece d’infede, & les a rangé:s dans la mème clafle. Le Pere Bonanni , qui défend la génération fpontanée, foutient que toute fleur particuliere, toute matiere diverle produit, par la putréfac- tion, conftamment & nécelairement une cer- taine efpece de vers. En eflet, trous les corps organilés qui ne dégénerent point, qui ne fe dénaturent par aucun moyen , & qui vivent toujours d’une maniere réguliere & uniforme , ont une facon d’être qui leur eft particuliere, & des attributs immuables qui les caractérif{ent, rs 9 1$O Hifioire Naturelle. Les molécules nutritives, qu’ils puifent en tout temps dans une mème fource , confervent une fimilitude , une falubrite , une analogie , une forme & des dimenfions qui leur font commu nes; parfaitement femblables à celles qui conf- tituent leur fubftance organique , elles fe trou- vent toujours chez eux fans alliage, fans au. cun mélange hétérogene. La même force dif. tributive les porte, les afortit , les applique, les adapte & les contient dans toutes les par- ties , avec une exactitude égale & une juitefle fymmeétrique : elles fubiflent peu de changemens & de préparations ; leur difpofition, leur arran- gcment , leur énergie , leur contexture & leurs facultés intrinfeques , ne font altérées que le moins qu'il et poflible, tant elles approchent du tempérament & de la nature du corps qu’el- les maintiennent & qu’elles reproduifent; &, lorfque lige & les injures du temps , quelque état forcé ou un accident imprévu & extraor- dinaire viennent à faper & à détruire leur affem- blage, elles jouiflent encore, en fe défuniffant, de leur fimplicité, de leur homogénéité, deleur rapport eflentiel , de leur action univoque; elles confervent une propenfion égale, une aptitude naturelle , une affinité puiffante, qui leur eft ge- nérale & qui les rejoint , les conjuge &, les identifie enfemble de la mème maniere, & fuf cite & forme une combinaifon déterminée ou un être organifé, dont la ftructure , les qua- lités, la durée & la vie font relatives à l’har- monie primitive qui les diftingue, & au mou- vement genératif qui les anime & les revivifie. Tous les individus de la même efpece, qui re- Des Animaux. IS comtioiflent la mème origine, qui font gouver. nés par les mèmes principes, formes felon les mêmes loix , éprouvent les mêmes changemens & s’aflimilent avec la mème régularité. Ces productions effectives , furprenantes & invariables, {font de l’eflence mème des êtres. On pourroit, après une analyfe exacte, & par une méthode fûre , ranger des clafles , prévoir & fixer les générations microfcopiques futures, tous les êtres animes invifibles , dont la naïf. fance & la vie font fpontanées, en démelant le caractere générique & particulier des particules intégrantes, qui compofent les fubftances orga- nifées dont elles émanent , fi le mêlange & l’a- bus que nous failons des chofes créées, n’a- voient bouleverfé l’ordre primitif du globe que nous habitons , fi nous n'avions perverti, alié. né, fait avorter les productions naturelles. Mais Part & l’induftrie des hommes , prefque tou- jours funeftes aux arrangemens médités par la nature , à force d’allier des fubftances hétéro- genes, difparates & incompatibles , ont épuilé les premieres efpeces qui en fonc iflues, & ont varié à l'infini, par la fucceflion des temps, les combinaïfons irrégulieres des mafles organi. ques , & la fuite des générations qui en dépen- dent. | C'eft ainfi que telle eft la chaîne qui lie tous les étres & les événemens naturels , qu’en portant le délordre dans les fubftances exiftan- tes , nous détériorons, nous défigurons , nous changeons encore celles qui en naïîtront à la- venir; car la facon d’être a@uelle ne comprend pas tous les états poffibles. Toutes les fois que K 4 152 _ Hifloire Naturelle. la fanté du corps, & que l'intégrité de fes fonétions s’alterent vivement , parce que la mañle du fang eft atteinte de quelque qualité vicieufe , ou que les humeurs font perverties par un mélange ou un levain corrupteur , on ne doit imputer ces accidens funeftes qu'a la dégénérefcence des molécules organiques ; leur relation , leur équilibre, leur juxta-pofition, leur aflemblage & leur action ne fe dérangent qu'autant qu’elles font affectées d’une détério- ration particuliere, qu’elles prennent une modi. fication différente, qu’elles font agitées par des mouvemens défordonnés , irréguliers & extra- ordinaires ; car la maladie ébranle leur arran. gement , infirme leur tiffu , émoufle leur acti-, vité, amortit leurs difpofitions falubres , & exalte les principes hétérogenes & deftructeurs qui les inficient. On comprend par-là , combien il eft dan- gereux de manger de la chair des animaux morts de maladie. Une petite quantité d’une fubftance viciée & contagieufe parvient à pénétrer, à cof- rompre & à dénaturer toute la mafle vitale de notre corps ; trouble fon mécanifme & fes fen. fations , & change fon exiftence, fes propor- tions & fes rapports. Les mutations diverfes qu’elle éprauve fou- vent , fe manifeftent fenfiblement pendant la vie: tant de fortes de vers, qui s’engendrent dans nos vifceres, & la maladie pédiculaire, ne font-ils pas des preuves démonftratives de ces transformations & de ces aliénations fréquen- tes ? Dans les’ épidémies, ne regardons- nous pas les vers qui fortent avec les matieres ex. Des Animaux. 153 crémentielles, comme un fymptôme effentiel , qui défigne le degré éminent de dépravation où font portées les particules iutégrantes , fubftan- cielles & Âpiritueufes des humeurs ? Et qu’eit- ce que ces particules, fi ce n’eft les molécules organiques , qui, différemment modifiées, afi- nées & foulées par la force fyitaltique des vaif_ feaux , nagent dans un véhicule qui les entraine dans le torrent de la circulation ? Ces dépravations malignes , que contractent nos humeurs , ou les particules intégrantes & eflentielles qui les conftituent , s’attachent & inherenc tellement en elles, qu’elles perléve- rent & fe perpétueñt au - delà du trépas. Il fem- ble que la vie ne foit qu’un mode du corps; fa dilolution ne paroïît étre qu’un changement d'état , ou une fuite & une continuité des mè- mes révolutions & des dérangemens qu’il a fouf- ferts, & qui ont commencé de s’opérer pen- dant la maladie , qui s’achevent & fe confom- ment après la mort. Ces modifications {ponta- nées des molécules organiques & ces produc- tions vermineufes , ne paroiflent le plus fou- vent qu’alors ; rarement, & ce n’eft que dans les maladies violentes & les plus envenimées , où leur dégénérefcence eft accélérée, qu’elles fe développent plus tôt en nous. Nos plus vives miferes font donc cachées dans les horreurs du tombeau , & nos plus grands maux ne fe réa- lifent , ne s'effectuent & ne parviennent à leur comble , que lorfque nous ne les fentons plus ! Jai vu, depuis peu, un cadavre, qui fe couvrit bientôt apres la mort, de petits vers blancs , ainfi qu’il eft remarqué dans lobferva. If4 Hifioire Naturelle. tion citée ci-deflus. J'ai eu lieu d’obferver , en plufieurs circonftances , que la couleur, la f- gure, la forme de ces animalcules varient fui- vant l’intenfite & le genre des maladies. C’eft ainfi que les fubftances organifées fe transforment , & ont differentes manieres d’è- tre, & que cette multitude infinie d’infe@es, concentrés dans l’intérieur de la terre, & dans les endroits les plus infes & les plus téné- breux , font évoqués, naïiflent & continuent à fe repaitre des débris & des dépouilles de l’hu- manité. L'univers vit de lui-mème, & tous les êtres, en périflant, ne font que rendre à la na- ture les parties organiques & nutritives qu’elle leur a prétées pour exifter. Tandis que notre ame , du centre de la corruption , s’élance au fein de la divinité, notre corps porte encore après la mort , l'empreinte & les marques de fes vices & de fes dépravations ; & pour finir enfin par concilier la faine philofophie avec la religion , nous pouvons dire, que , jufqu’aux plus fublimes découvertes de la phyfique , tout nous ramene à notre néant. ,, Je ne puis qu’approuver ces raifonnemens de M. Moubler, pleins de difcernement & de fagacité. Il a très-bien faifi les principaux points de mon fyfteme fur la reproduction, & je re- garde {fon obfervation comme une des plus cu- rieufes qui ait été faite fur la génération fpon- tanée (b). Plus on obfervera la nature de près, (&) On pent voir plufieurs exemples de la génération fpontanée de quelques infeétes dans différentes parties du corps humain , en confultant les Ouvrages de M. Andry, & de quelques autres Obfervateurs, qui fe font efforcés, Des Animaux. ISS & plus on reconnoîtra qu'il fe produit en pe- tit beaucoup plus d’ètres de cette façon que de fans fuccès , de les rapporter à des efpeces connues, & qui tâchoient d'expliquer leur génération, en fuppofant que les œufs de ces infectes avoient été refpirés ou avalés par les petfonnes dans lefquelles ils fe font trouvés. Mais cette opinion , fondée fur le préjugé que tout etre vivant ne peut venir que dun œuf, fe tronve démentie par les faits même que rapportent ces Obfervatenrs. Il eft impofible que des œufs d'infeébes , refpirés ou avalés, arrivent dans le foie, dans les veines, dans les finus , &e. & d’ailleurs pluficurs de ces infectes , trouvés dans l’intérieur du corps de l’homme & des animaux , n’ont que peu ou point de rapport avec les autres infeétes, & doivent , fans contredit, leur origine & leur naïflance à une génération fpontance. Nous citerons ici deux exemples récens; le premier de M. le Préfident H...., qui a rendu par les urines un petit cruftacée aflez femblable à une ercvette ou ehevrette de mer , mais qui n'avoit que trois lignes ou trois lignes & demie de longueur. M. fon fils a eu la bonté de me faire voir cet infecte , qui n'étoit pas le feul de cette efpece que M. fon pere avoit rendu par les urines ; & précédemment il avoit rendu par le nez, dans un violent éternuement , une efpece de chenille, qu'on n'a pas confervée, & que je n'ai pu voir. Un autre exemple eft, celui d’une Demoïfelle du Mans, dont M. Vetillard, Médecin de cette ville, m'a envoyé le détail par fa lettre, du 6 Juillet 1771, dont voici l’ex- trait. % Mlle. Cabaret, demeurante au Mans, paroiffe » Notre - Dame de la Couture, âgée de trente & quelques + années , étoit malade depuis environ trois ans, & au » troifieme degré, d’une phtifie pulmonaire , pour laquelle » je lui avois fait prendre le lait d'ânefle le printemps & >» l'automne 1769. Je l'ai gouvernée en confequence de- s puis ce temps. » Le 8 Juin dernier, fur les onze heures du foir, la y» malade, après de violens efforts, occafionnés ( difoit- » elle) par un chatouillement vif & extraordinaire au » creux de l’eftomac, rejeta une partie de rôtie au vin & » au iucre qu’elle avoit prife dans l'après dinée. Quatre 5 perfonnes préfentes alors avec plufeurs Iumicres pour » fecourir la malade , qui croyoit être à fa derniere heure; 1S6 Hifioire Naturelle. toute autre. On s’aflurera de même, que cette 2 Lé / . maniere de génération eft non - feulement la plus » 35 5 35 5 35 33 5 5 35 3 93 5 9 35 » s » » >> 5 apperçurent quelque chofe remuer autour d’une parcelle de pain , fortant de la bouche de la malade: c'étoit un infefte , qui, par le moyen d’un grand nombre de pat- tes , cherchoit à fe détacher du petit morceau de pain qu'il entouroit en forme de cercle. Dans l'inftant les Morts cefferent , & la malade fe trouva foulagée. Elle réunit fon attention à la curiofité & à l’étonnement de quatre fpectatrices , qui reconnoiflent à cet infeéte la f- gure d'une chenille : elles la ramaflerent dans un cor- net de papier , qu'elles laifferent dans la chambre de la malade. Le lendemain , à cinq heures du matin, elles me firent avertir de ce phénomene , que j'allai auffitôt examiner. L'on me préfenta une chenille, qui d’abord me patut morte ; mais l'avant réchauffée avec mon ha- leine, elle reprit vigueur & fe mit à courir fur le papier. » Après beaucoup de queftions & d’objections faites à la malade & aux témoins , je me déterminai à tenter quelques expériences, & à ne point méprifer , dans une affaire de phyfique, le témoignage de cinq perfonnes , qui toutes m’afluroient un même fait & avec les mêmes circonftances. € L'hiftoire d'un ver-chenille, rendu par un Grand- vicaire d’Alais , que je me rappellai avoir lu dans l’Ou- vrage de M. Andry , contribua à me faire regarder la chofe comme poflible. . .. » J'emportai la chenille chez moi dans une boîte de bois, que je garnis d'étoffe & que je perçai en différens endroits. Je mis dans la boîte des feuilles de différen- tes plantes légumineufes , que je choïfis bien entieres, afin de m'appercevoir auxquelles elle fe feroit attachée : J'y regardai plufieurs fois dans la journée. Voyant qu'au- cune ne paroïfloit de fon goût, j'y fubftituai des feuil- les d'arbres & d'arbriffeaux, que cet infeéte n’accueillit pas mieux. Je retirai toutes ces feuilles intaétes, & je trouvai , à chaque fois, le petit animal monté au cou- vercle de {a boîte | comme pour éviter la verdure que je lui avois préfentée, » Le 9 au foir, fur les fix heures, ma chenille étoit encore à jeün , depuis onze heures du foir la veille, qu'elle étoit fortie de l’'eflomac. Je tentai alors de lui des Animaux. 157 fréquente & la plus générale , mais encore la plus ancienne , c’elft-a-dire , la premiere & la donner des mêmes alimens que ceux dont nous nous nouttiflons. Je commencai par lui préfenter le pain en rôtie avec le vin, l'eau & le fucre , tel que celui au- tour duquel on l’avoit trouvée attachée : elle fuyoit à toutes jambes. Le pain fec, différentes éfpeces de lai tage , différentes viandes crues , différens fruits : elle pafloit pardeffus fans s'en embarraffer & fans Ÿ toucher Le bœuf & le veau cuits , un peu chauds , elle s'y arrêta ; mais fans en manger. Voyant mes tentatives inutiles, je penfai que fi l’infecte étoit élevé dans l’efto- mac ; les alimeïñs ne päfloient dans ce vifcere qu'après avoit été préparés par la maftication , & conféquemment étant empreints des fues falivaires ; qu'ils étoient de goûs différent, & qu'il faHoit lui offtir des alimens mâchés , comme plus analogues à fa nourriture ordinaire. Après plufieuts expériences de ce genre, faites & répétées fans fuccès, je mâchai du bœnf "& le “ui préfentai : l'infecte s’y attacha, l’aflüjettit avec fes pattes antérieures, & j'eus, avec beaucoup d'autres témoins, la fatisfaction de le voir manger pendant deux minutes, Laprès Icfquelles il aban- donna cet aliment & fe remit à courir. Je lni en don- nai de nouveau maintes & maintes fois fans fuccès. Je mâchai du veau, l’infette affamé me donna à peine le temps de le lui préfenter, ïl ACPOUTRE à cet aliment, s'y attacha & ne ceffä de manger pendant une demi- heure. Il étoit environ huit HEURE du foir ; & cette expérience fe fit en préfenee de huit à dix perfonne dans la maäifon de la malade, chez laquelle je lavois reportée. Il eft bon de faire obferver, que les viandes blanches faifoient partie du régime que j'avois prefcrit à cette Demoifelle, & qu’elles étoient fa nourriture ordi- naite; aufli le poulet mâché s’eft-il également trouvé du goût de ma chenille. » Je l'ai nourtie de cette maniere depuis le 8 juin juf- qu’au 27, qu'elle périt par accident, quelqu'un l'ayant Jaiflé tomber par terre, à mon grand regret. J'aurois été fort curieux de favoir fi cette chenille fe feroit mé- tamorphofée, & comment ? Malgré mes foins & mon at- tention à la nourtir felon fon gout, loin de profiter pen- dant les dix-neuf jours que je l'ai confervée, elle a’ dé- I$8 Hifioire Naturelle, plus univerfelle. Car, fuppolons pour un inf tant qu'il plût au {ouverain ètre de fupprimer » péri de deux lignes en longueur, & d’une demi-ligne en » largeur. Je la conferve dans l’efprit-de-vin. » Depuis le 1% juin jufqu'au 22, elle fut pareffeufe, » languifflante; ce n'étoit qu’en Ja réchauffant avec mon » haleine que je la faifois remuer: elle ne faifoit que deux » ou trois petits repas dans la journée, quoique je lui pré- » fentalle de la nourriture bien plus fonvent. Cette lan< » gueur me fit efpérer de la voir changer de peau, mais » inutilement. Vers le 22, fa vigueur & fon appétit revin= » tent fans qu’elle eût quitté fa dépouille. , Plus de deux cens perfonnes de toutes conditions ont 5» Afifté à fes repas, qu’elle recommencoit dix à douze fois le jour, pourvu qu’on lui donnât des mets felon fon goût, » ET récemment machés; car fitôt qu’elle avoit abandonné » un morceau elle n'y revenoit plus. Tant qu’elle a vécu, # j'ai continué tous les jours de mettre dans fa boîte dif- » férentes efpeces de feuilles fans qu’elle en ait accueilli » aucune . ... @ il eft de fait inconteftable, que cet in- s fee ne s’eft nourri que de viande depuis le 9 juin juf- 5 qu'ail 27. » Je ne crois pas, que, jufqu'à prélent, les Naturaliftes aient remarqué que les chenilles ordinaires vivent de » viande. J'ai fait chercher & j'ai cherché moi-même des > chenilles de toutes les efpeces; je les ai fait jeuner plu- » ficurs jours, je n'en ai trouvé aucune qui ait pris » goût à là viañde crue, cuite ou mâchée. ... Notre chenille a donc quelque chofe de fingulier & qui métitoit d'être obfervé; ne feroit-ce que fon goût pour la viande , encore falloit-il qu'elle fût récemment mâchée ; autre fingularité ....., Vivant dans l’eftomac, elle étoit accoutumée à un grand degré de chaleur, & je ne doute pas que le degré de chaleur moindre, de l'ait où elle fe trouva lorfqu'elle fut rejetée, ne foit la caufe 33 QREE Re ù 3 E » de cét engoufdiffement où je la tronvai le matin, & qui me la fit croire morte : je ne la tirai de cet état qu’en léchautfant avec mon haleine , moyen dont je me fuis toujours {ervi quand elle m'a paru avoir moins de vi- 5) à ; gueur. Peut-être auffi le manque de chaleur a-t-il été , caufe qu’elle n’a point changé de peau, qu’elle a fenfi- blement dépéri pendant le temps que je l'ai confervée. . . . Des Animaux. 1$9 la vie de tous les individus actuellement exif. tans , que tous fuflent frappés de mort au même inftant , les molécules organiques ne laife. roient pas de furvivre à cette mort univerfelle. Le nombre de ces molécules étant toujours le mème, & leur effence indeftructibile aufli per- manente que celle de la matiere brute que rien n’auroit anéanti, la nature pofléderoit toujours la même quantité de vie, & l’on verroit bientôt paroîitre des efpeces nouvelles qui remplaceroient les anciennes: car les molécules organiques vi- vantes, fe trouvant toutes en liberté, & n'étant ni pompées ni abforbées par aucun moule fub- fiftant, elles pourroient travailler la matiere brute en grand; produire d’abord une infinité d'êtres organifés, dont les uns n’auroient que Cette chenille étoit brunâtre avec des bandes longitu- % dinales plus noires ; elle avoit feize jämbes & marchoit » comme les autres chenilles: elle avoit de petites aigret+ » tes de poil , principalement fur les anneaux de fon » Corps. .... La tête noire, brillante, écailleufe, divifée » par un fillon en deux parties égales, ce qui pourroit faire » Prendre ces deux parties pour les deux veux : cette tête » ft attachée au premier anneau. Quand la chenille s’a- » longe, on apperçoit entre la tête & le premi:r anneau, + un intervalle membraneux d’un blanc fale, que je croi- » rois être le cou, fi, entre les autres anneaux, je n’eus » pas également diftingué cet intervalle, qui eft fur-tout fenfible entre le premier & le fecond, & le devient ÿ inoins à proportion de l'éloignement de la tête. » Dans le devant de la tête , on appercoit un efpace triangulaire blanchâtre , au bas duquel eft une partie » noire & écailleufe, comme celle qui forme les deux an- gles fupérieurs : on pourroit regarder celle-ci comme une » efpece de mufeau... Fait au Muns, le 6 Juillet 1761. ” Cette relation eft appuyée d’un certificat figné de la ma- Hide, de fon Médecin & de quatre autres témoins. 4 2 L 2 169 Hifloire Naturelle. la faculté de croître & de fe nourrir, & d’au- tres plus parfaits, qui feroient doués de celle de {e reproduire. Ceci nous paroït clairement in- diqué par le travail que ces molécules font en. petit dans la putréfation & dans les maladies pédiculaires , où s’engendrent des êtres qui ont la puiffance de fe reproduire : la nature ne pour- roit manquer de faire alors en grand ce qu’elle ne fait aujourd’hui qu’en petit, parce que la puiflance de ces molécules organiques , étant proportionnelle à leur nombre & à leur liberté, elles formeroient de nouveaux moules intérieurs, auxquels elles donneroient d’autant plus d’ex- tenfion, qu’elles fe trouveroient concourir en plus grande quantité à la formation de ces mou- les, lefquels prélenteroient dès-lors une nou- velle nature vivante, peut-être aflez femblable à celle que nous connoifflons. Ce remplacement de la nature vivante, ne feroit d’abord que très-incomplet. Mais, avec le temps, tous les êtres qui n’auroient pas la puiflance de {e reproduire, difparoîtroient; tous les corps imparfaicement organilés, toutes les elpeces défectueules s’évanouiroient , & il ne reiteroit, comme üil ne refte aujourd’hui, que les moules les plus puiffans, les plus complets, {oit dans les animaux, foit dans les végétaux; & ces nouveaux êtres feroient, en quelque forte, femblables aux anciens , parce que la matiere brute & la matiere vivante étant toujours la mème, il en réfulteroit le mème plan général d’organifation, & les mèmes variétés dans les formes particulieres : on doit feulement prélu- mer, d’après notre hypothefe, que cette ii VELE _ Des Animaux, GIL velle näture feroit rapetiflée, parce que la cha- leur du globe eft une puiflance qui influe fur l'étendue des moules, & cette chaleur du globe wétant plus aufli forte aujourd’hui, qu’elle l’é- toit au commencement de notre nature vivante, ls plus grandes efpeces pourroient bien ne pas naître, ou ne pas arriver à leurs dimenfions. Nous en avons prefque un exemple dans les animaux de l'Amérique méridionale. Ce conti: nent, qui ne tient au refte de la terre que: par la chaine étroite & montueufe de lIfthme de Paname, & auquel manquent tous les grands animaux nés dans les premiers temps de la forte chaleur de la terre , ñe nous préfente qu’une nature moderne, dont tous les moules font plus petits que ceux de la nature plus ancienne dans l'autre continent. Au lieu de Péléphant, du rhi- nocéros , de l’hippopotame, de la girafe & du chameau, qui font les efpeces infignes de la na- ture dans le vieux continent, on ne trouve dans le nouveau, fous la même latitude, que le tapir, le cabiai, le lama, la vigogne, qu’on peut re- garder comme leufs repréfentans dégénérés, dé. figurés, rapetiflés, parce qu’ils font nés plus tard, dans un temps où la chaleur du globe étoit déja diminuée. Et aujourd’hui, que nous nous trouvons dans le commencement de lar- riere-faifon de celle de la chaleur du globe, fi par quelque grande cataftrophe, la nature vi-. vante fe trouvoit dans la néceflité de remplacer les formes actuellement exiftantes , elle ne pour- roit le faire que d’une maniere encore plus im. Hif. Nat. des Anim. T. II. L 162 Hifioire Naturelle. parfaite qu’elle la fait en Amérique : fes pro- ductions, n'étant aidées dans leur développe- ment, que de la foible chaleur de la tempéra- ture actuelle du globe , feroient encore plus petites que celles du nouveau continent. Tout Philofophe fans préjugés, tout homme de bon efprit, qui voudra lire avec attention, ce que j'ai écrit, Volume [, & ce que nous dirons ailleurs, au fujet de la nutrition, de la génération , & qui aura médité fur la puiffance des moules intérieurs, adoptera, fans peine, cette poflibilité d’une nouvelle nature, dont je mai fait l’expofition que dans l’hypothefe de la deftruction générale & fubite de tous les êtres fubfiftans. Leur organifation détruire, leur vie éteinte, leurs corps décompoiëés , ne feroient pour la nature, que des formes anéanties, qui feroient bientôt remplacées par d’autres formes ; puifque les mañfles générales de la matiere vi- vante & de la matiere brute, font & feront toujours les mèmes; puifque cette matiere or- ganique vivante, furvit à toute mort, & ne perd jamais fon mouvement, fon aétivité, ni fa puiflance de modeler la matiere brute, & d’en former des moules intérieurs, c’eft-à-dire, des formes d’organifation capables de croître, de fe développer & de fe reproduire. Seulement on pourroit croire avec aflez de fondement , que la quantité de la matiere brute, qui a toujours été immenfément plus grande que celle de la ma- tiere vivante, augmente avec le temps; tandis qu’au contraire, la quantité de la matiere vi- vante, diminue & diminuera toujours de plus en plus, à mefure que la terre perdra, par le Des Animaux. 163 refroidiflement , les tréfors de fa chaleur, qui font en mème-temps ceux de fa fécondité & de toute vitalité. Car d’où peuvent venir primitivement ces molécules organiques vivantes ? Nous ne con- noiflons dans la nature qu’un feul élément ac- tif; les trois autres font purement pailifs, & ne prennent de mouvement qu’autant que le pre- mier leur en donne. Chaque atome de lumiere ou de feu, fuffit pour agiter & pénétrer un ou plufieurs autres atomes d’air, de terre ou d’eau; & comme il fe joint à la force impulfive de ces atomes de chaleur, une force attractive, réci- proque & commune à toutes les parties de la matiere, il eft aifé de concevoir , que chaque atome brut & paflif, devient actif & vivant au moment qu’il eft pénétré de toutes fes dimen- fions par l’élément vivifiant : le nombre des molécules vivantes eft donc en mème raïfon, que celui des émanations de cette chaleur douce, qu’on doit regarder comme l'élément primitif de la vie. Nous n’ajouterons rien à ces réflexions: el- les ont befoin d’une profonde connoïflance de Ja nature, & d’un dépouillement entier de tout préjugé , pour être adoptées, mème pour être fenties : ainfi, un plus grand développement ne {ufhroit pas encore à la plupart de mes Lecteurs, & feroit fuperfu pour ceux qui peuvent m’'en- tendre. 164 + O ES as a NC ——— —— {13 HIS ROARE.: NA DUPELRE DE? L'IT'OMIME EEE De la nature de l'Homme. ge nn Oran que nous ayions à nous co:noitre nous-mèmes, je ne fais fi nous ne counoifions pas mieux tout ce qui n’eft pas nous. Pourvus par la nature d’organes uni- quement deftinés à notre confervation , nous ne les employons qu’à recevoir les impreflions étrengeres; nous ne cherchons qu’à nous répan- dre au dehors, & à exifter hors de nous. Trop occupés à multiplier les fonctions de nos fens, & a augmenter l’étendue extérieure de notre ètre, rarement failons-nous ufage de ce fens in- térieur , qui nous réduit à nos vraies dimen- fions, & qui fépare de nous tout ce qui n’en elt pas. C’eft cependant de ce fens dont il faut nous {ervir, fi nous voulons nous connoître; c’eft le feul par lequel nous puiffions nous juger. Mais comment donner à ce fens fon activité & toute fon étendue ? comment dégager notre ame dans laquelle il réfide, de toutes les illu- fions de notre efprit? Nous avons perdu l’ha- bitude de l’employer ; elle eft demeurée fans exercice au milieu du tumulte de nos fenfations corporelles, elle s’eft defféchée par le feu de nos « De l'homme. 165 pañions ; le cœur, Pefprit, les fens, tout a tra- vaillé contr’elle. Cependant, inaltérable dans fa fubftance, impañhble par fon eflence, elle eft toujours la mème ; fa lumiere offufquée a perdu fon éclat fans rien perdre de fa force : elle nous éclaire moins ; mais elle nous guide aufli füurement. Recueillons, pour nous conduire, ces rayons qui parviennent encore juiqu’à nous; l’obfcu- rité qui nous environne diminuera , & fi la route n’eft pas également éclairée, d’un bout à Jautre, au moins aurons-nous un flambeau avec lequel nous marcherons fans nous égarer. Le premier pas, & le plus difficile, que nous ayions à faire pour parvenir à la connoifflance de nous-mêmes, eft de reconnoiître nettement la nature des deux fubftances qui nous compo- ent. Dire fimplement, que lune et inéten- due, immatérielle, immortelle , & que l’autre eft étendue, matérielle & mortelle, fe réduit à nier de lune ce que nous affurons de Pautre. Quelle connoiffance pouvons-nous acquérir pat cette voie de négation? Ces expreffions priva- tives ne peuvent repréfenter aucune idée réelle & pofitive: mais dire, que nous fommes cer- tains de lexiftence de la premiere, & peu aflu- rés de J’exiftence de Pautre; que la fubftance de l’une eft fimple , indivifible, & qu’elle na qu’une forme, puifqu’elle ne fe manifefte que par une feule modification, qui eft la penfée; que l’autre eft moins une fubftance qu’un fujet capable de recevoir des efpeces de formes rela- tives à celles de nos fens, toutes aufli incer- taines, toutes aufli variables que la nature mème L 3 166 Hifoiré Naturelle. dè écé ôfgañés ; c’eft établir quelque chofe; c'eft attribuer à l’une & à l’autre des propriétés différentes, c’eft leut donner des attributs pofi- tifs & fufifans, pour parvenir au premier degré de connoïffance de l’une & de l’autre, & com: mencer à les comparer. Pour peu qu’on ait réfléchi fur l’origine dé nos connoiflances, il eft aifé de s’appercevoit qué ous ne pouvons en acquérir que par la voie de li comparaifon. Ce qui eft abfolument incomparable, eft entierement incomprehenfi- ble; Dieu eft le feul exemple que nous puiflions donnér ici: il ne peut être compris, parce qu’il ne peut être comparé; mais tout ce qui eft fuf- ceptible de comparaifon, tout ce que nous pou- vous appercevoir par des faces différentes, tout ce que nous pouvons confidérer relativement, peut toujours être du reflort de nos conñoif fances. Plus nous aurons de fujets de compa- taïlon, de côtés différens, de points particuliers fous lefquels nous pourrons envifager notre ob- jet, plus aufli nous aurons de moyens pour le onnoître , & de facilité à réunir les idées {ut Tfquelles nous devons fonder notre jugement. L’exiftence de notre ame nous eft démontrée, ou plutôt nous ne faifons qu’un, cette exiftence & nous: ètre & penfer, font pour nous la mè- me chofe. Cette vérité eft intime & plus qu'in- tuitive ; elle eft indépendante de nos fens, de notre imagination , de notre mémoire, & de toutes nos autres facultés relatives. L’exiftence de notre corps & des autres objets extérieurs eft douteufe pour quiconque raifonne fans pré. De l'homme. 567 jugé; car cette étendue en longueur, largeur & profondeur, que nous appellons notre corps, & qui femble nous appartenir de fi près, qu'’eft. elle autre chofe finon un rapport de nos fens ? les organes matériels de nos fens, que font-ils eux-mèemes, finon des convenances avec ce qui les affecte? & notre fens intérieur, notre ame, a-t-elle rien de femblable, rien qui lui foit com- mun avec la nature de ces organes extérieurs ? Ja fenfation excitée dans notre ame par la lu- miere ou par le fon, reflemble-t-elle à cette ma- tiere ténue, qui femble propager la lumiere, ou bien à ce trémouflement que le {on produit dans Pair? Ce font nos yeux & nos oreilles, qui ont avec ces matieres toutes les convenances nécef- faires, parce que ces organes font en effet de la même nature que cette matiere elle-mème; mais la fenfation que nous éprouvons n’a rien de commun, rien de femblable. Cela feul ne fuf- firoit-il pas pour nous prouver, que notre ame eit en effet d’une nature différente de celle de la matiere. Nous fommes donc certains que la fenfation intérieure eft tout-à-fait différente de ce qui peut la caufer, & nous voyons déja, que, s’il exifte des chofes hors de nous , elles {ont en elles- mêmes tout-à-fait différentes de ce que nous les jugeons, puifque la fenfation ne reflemble en aucune façon à ce qui peut la caufer. Dèés-lors ne doit-on pas conclure, que ce qui caule nos fenfations , eft, néceflairement & par {a nature, toute autre chofe que ce que nous croyons ? Cette étendue que nous appercevons par les yeux, cette impénétrabikté dont le toucher nous don. L 4 168 Hifioire Naturelle. ne une idée, toutes ces qualités réunies, qui conftituent la matiere, pourroient bien ne pas exifter, puifque notre fenfation intérieure, & ce qu’elle nous repréfente par l'étendue, l’impéné- trabilité, &c. n’eft nullement étendue ni im- pénétrable, & n’a mème rien de commun avec ces qualités. Si lon fait attention que notre ame eft fou. vent, pendant le fommeil & l’abfence des objets, affectée de fenfations ; que ces fenfations font quelquefois fort différentes de celles qu’elle a éprouvées par la préfence de ces mêmes objets en faifant ufage des {ens, ne viendra-t-on pas à penfer, que cette prélence des objets m’eft pas néceflaire à l’exiftence de ces fenfations, & que, par conféquent, notre ame & nous, pouvons exifter tout feuls & indépendamment de ces ob- jets ? Car, dans le fommeil & après la mort, notre corps exifte ; il a mème tout le genre d’exiftence qu’il peut comporter , il eft le mème qu’il étoit auparavant; cependant lame ne s’ap- percoit plus de l’exiftence du corps, il a cefle d'etre pour nous : or je demande fi quelque chofe qui peut être, & enfuite n’ètre plus, fi cette chofe qui nous affecte d’une maniere toute différente de ce qu’elle eft, ou de ce qu’elle a été, peut être quelque chofe d’añlez réel pour que nous ne puiflions pas douter de {on exif- tence. R Cependant nous pouvons eroire qu’il y a quelque chofe hors de nous ; mais nous n’en fommes pas fürs; au lieu que nous fommes af. furés de Pexiftence réelle de tout ce qui eft en nous. Celle de notre ame eft donc certaine, & De l'homme. 169 celle de notre corps paroit douteufe, dès qu’on vient à penfer , que la matiere pourroit bien n’étre qu’un mode de notre ame, une de fes facons de voir. Notre ame voit de cette facon quand nous veillons; elle voit d’une autre façon pendant le fommeil, elle verra d’une maniere bien plus différente encore après notre mort; & tout ce qui caufe aujourd’hui fes fenfations, la matiere en général, pourroit bien ne pas plus exifter pour elle alors que notre propre corps, qui ne fera plus rien pour nous. Mais admettons cette exiftence de la matiere, & quoiqu'il foit impoilible de la démontrer, prétons-nous aux idées ordinaires, & difons qu’elle exifte, & qu’elle exifte mème comme nous la voyons. Nous trouverons, en compa- rant notre ame avec cet objet matériel, des dif férences fi grandes, des oppofitions fi marquées, que nous ne pourrons pas douter un inftant qu’elle ne foit d’une nature totalement diffé. rente, & d’un ordre infiniment fupérieur. Notre ame n’a qu’une forme très - fimple, très - générale, très-conftante. Cette forme eît la pen/ce : il nous eft impoflible d’appercevoir no- tre ame autrement que par la penfée. Cette forme n’a rien de divifible, rien détendu, rien d’impénérable, rien de matériel: donc le fujet de cette forme, notre ame, eft indivifible & immatérielle. Notre corps, au contraire, & tous les autres corps, ont plufieurs formes; chacune de ces formes eft compolée, divifible , variable, deftructible, & toutes font relatives aux diffé- rens organes avec lefquels nous les appercevons: notre corps, & toute la matiere, n’a donc rien 170 Hifioire Naturelle. de conftant, rien de réel, rien de géneral par où nous puiflions la faifir & nous aflurer de la connoitre. Un aveugle n’a nulle idée de lobjet matériel qui nous reprefente les images des corps; un lépreux, dont la peau feroit in{enfible, n’au- roit aucune des idées que le toucher fait nai- tre; un fourd ne peut connoître les fons. Qu’on détruile fucceflivement ces trois moyens de fen- fations dans l’homme qui en eft pourvu, lame n’en exiftera pas moins, fes fonctions intérieu- res fubfifteront, & la penfée fe manifeftera tou- jours au-dedans de lui-mème. Otez, au con- traire, toutes fes qualités à la matiere; Ôôtez Jui fes couleurs, fon étendue, fa folidité & tou- tes les autres propriétés relatives à nos fens, vous l’anéantirez: notre ame eft donc impéril- fable, & la matiere peut & doit perir. Il en eft de mème des autres facultés de no- tre ame, comparées à celles de notre corps & aux propriétés les plus eflentielles à toute ma- tiere. L'’ame veut & commande, le corps obéit tout autant qu'il le peut; l’ame s’unit intime- ment à tel objet qu’il lui plaît; la diftance, la grandeur, la figure, rien ne peut nuire à cette union lorfque l’ame la veut; elle fe fait, & fe fait en un inftant: le corps ne peut s’unir à rien, il eft bleflé de tout ce qui le touche de trop près; il lui faut beaucoup de temps pour s'approcher d’un autre corps; tout lui réfifte, tout eft obfta- cle, fon mouvement cefle au moindre choc. La volonté n’eft-elle donc qu’un mouvement cor- porel, & la contemplation un fimple attouche- ment? Comment cet attouchement pourroit-il {e faire fur un objet éloigné, {ur un {ujet abf De l'homme. Y7£ trait? comment ce mouvement pourroit-il s’o- pérer en un inftant indivifible? Â-t-on jamais concu de mouvement fans qu’il y eût de l’ef- pace & du temps ? La volonté, fi c’eft un mou- vement, n’elt donc pas un mouvement maté- tiel; & fi l'union de l'ame à fon objet eft un attouchement, un contact, cet attouchement né fe fait-il pas au loin? ce contact w’eft-il pas une pénétration ? qualités abfolument oppofées à celles de la matiere, & qui ne peuvent par con- féquent appartenir qu’à un ètre immatériel. Mais je crains de m’ètre déja trop étendu fur un fujet que bien des gens regarderont peut- ètre comme étranger à notre objet. Des confi- dérations fur l’ame doivent-elles fe trouver dans un livre d’Hiftoire Naturelle? J'avoue que je ferois peu touché de cette réflexion, fi je me fentois aflez de force pour traiter dignement des matieres aufli élevées, & que je n’ai abrégé mes penfées que par la crainte de ne pouvoir com- rendre ce grand fujet dans toute fon étendue. RAS vouloir retrancher de l’'Hiftoire Na- turelle de Phomme l’hiftoire de la partie la plus noble de fon être? pourquoi lavilir mal-à-pro- pos, & vouloir nous forcer à ne le voir que comme un animal, tandis qu’il eft en effet d’une nature très-différente , très-diftinguée, & fi fu- périeutre à celle des bètes, qu’il faudroit être aufli peu éclairé qu’elles le font pour pouvoir les confondre ? Il eft vrai que homme reffemble aux ani- maux par ce qu’il a de matériel, & qu'en vou- lant le comprendre dans l’énumération de tous les êtres naturels, on eft forcé de le mettre dans y72 Hiftoire Naturelle. la claffe des animaux. Mais, comme je l'ai déja fait fentir, la Nature n’a ni clafes ni genres, elle ne comprend que des individus : ces genres & ces clafles font l'ouvrage de notre efprit, ce ne font que des idées de convention; & lorfque nous mettans l’homme dans lune de ces clafles, nous ne changeons pas la réalité de fon ètre, nous ne dérogeons point à fa noblefle, nous n’altérons pas {à condition; enfin, nous n’ôtons rien à la fupériorité de la nature humaine fur celle des brutes, nous ne faifons que placer Vhomme avec ce qui lui reflemble le plus, en donnant même à la partie matérielle de fon ètre le premier rang. En comparant l’homme avec l'animal, on trouvera dans lun & dans l’autre un corps, une matiere organilée, des fens, de la chair & du fang, du mouvement & une infinité de cho- fes femblables : mais toutes ces reflemblances font extérienves, & ne {uffifent pas pour nous faire prononcer que la nature de l’homme eft femblable à celle de l'animal. Pour juger de la nature de l’un & de l'autre, il faudroit connoi- tre les qualités intérieures de l’animal aufli-bien que nous connoiflons les nôtres ; & comme il m'eft pas poilible que nous ayions jamais con- soifance de ce qui fe pañle à l’intérieur de l’a- nimal, comme nous ne faurons jamais de quel ordre, de quelle efpece peuvent ètre fes fenfa- tions relativement à celles de l’homme, nous ne pouvons juger que par les effets, nous ne pouvons que comparer les réfultats des opéra- tions naturelles de l’un & de l'autre. De lhormine. 173 Voyons donc ces réfultats, en commencant par avouer toutes les reflemblances particulie. res, & en n’examinant que les différences, mème les plus générales. On conviendra que le plus ftupide des hommes {uit pour conduire le plus fpirituel des animaux : il le commande & le fait fervir à {es ufages, & c’eft moins pat force & par adrefle que par fupériorité de na- ture, & parce qu'il a un projet railonné, un ordre d'actions & une fuite de moyens, par lef- quels il contraint l'animal à lui obéir; car nous ne voyons pas que les animaux qui font plus forts & plus adroits, commandent aux autres & les fafñent fervir à leur ufage: les plus forts mangent les plus foibles; mais cette action ne fuppofe qu’un befoin, un appétit, qualités fort différentes de celle qui peut produire une fuite d'actions dirigées vers le mème but. Si les ani: maux étoient doués de cette faculté, n’en ver: rions-nous pas quelques-uns prendre l’empire fur les autres, & les obliger à leur chercher la nourriture, à les veiller, à les garder , à les {foulager lorfqu’ils font malades ou bleflés? Or il n’y a parmi tous les animaux aucune marque de cette fubordination, aucune apparence que quelqu'un d’entr'eux connoïfle ou fente la fupé- riorité de fa nature fur celle des autres : par conféquent on doit penfer, qu'ils font en effet tous de même nature, & en mème temps on. doit conclure, que celle de l’homme eft non- feulement fort au-deflus de celle de Panimal, mais qu’elle eft aufli tout-à-fait différente. L'homme rend par un figne extérieur ce qui fe pañle au-dedans de lui : il communique fa 174 Hifloire Naturelle. penfée par la parole. Ce figne eft commun à toute l’efpece humaine. L’homme fauvage parle comme l’homme policé, & tous deux parlent naturellement, & parlent pour {e faire enten- dre. Aucun des animaux n’a ce figne de la pen. fée : ce n’eft pas, comme on le croit commu- nément, faute d’organes; la langue du finge a paru aux Anatomiftes (f) aufli parfaite que celle de l’homme: le finge parleroit donc s’il pen{oit. Si l’ordre de {es penfées avoit quelque chofe de commun avec les nôtres, 1l parleroit notre lan- gue, & en {uppofant qu’il n’eût que des pen- ées de finges , il parleroit aux autres finges. Mais on ne les a jamais vus s’entretenir ou dif- courir enfemble: ils n’ont donc pas mème un ordre, une fuite de penfées à leur facon, bién loin d’en avoir de femblables aux nôtres; il ne fe pafle à leur intérieur rien de fuivi, rien dor- donné, puifqu’ils n’expriment rien par des fignes combinés & arrangés : ils n’ont donc pas la penfée, mème au plus petit degré. — Il eft fi vrai que ce n’eft pas faute d’organes que les animaux ne parlent pas, qu’on en con- noît de plufieurs efpeces, auxquels on apprend à prononcer des mots, & mème à répéter des phrafes aflez longues ; & peut-être y en auroit- 1] un grand nombre d’autres auxquels on pour- roit, fi l’on vouloit s’en donner la peine, faire articuler quelques fons; (g) mais jamais on (ff) Voyez les defcriptions de M. Perrault dans fon Hiftoire des Animaux. Ce) M. Leibnitz fait mention d'un chien, auquel on &voit appris a prononcer quelques mots allemands & françois. De l'homme. 17< h’eft parvenu à leur faire naître l'idée que ces mots expriment : ils femblent ne les répéter, & même ne les articuler, que comme un écho ou une machine artificielle les répéteroit ou les articuleroit: ce ne font pas les puiflances mé. çaniques ou les organes matériels, mais c’eft la puiflance intellectuelle, c’eft la penfée qui leur manque. C’eft donc parce qu’une langue fuppofe une fuite de penfées , que les animaux n’en ont aucune ; car quand mème on voudroit leur ac- corder quelque chofe de femblable à nos pre- mieres appréhenfions , & à nos fenfations les plus groffieres & les plus machinales, il paroît certain qu'ils font incapables de former cette aflociation d'idées , qui feule peut produire la réflexion , dans laquelle cependant confifte lef. fence de la penfée : c’eft parce qu'ils ne peu- vent joindre enfemble aucune idée , qu’ils ne penfent ni ne parlent ; c’eft par la mème raïfon qu'ils n’inventent & ne perfectionnent rien. S'ils étoient doués de la puiflance de réfléchir, mème au plus petit degré , ils feroient capa- bles de quelque efpece de progrès , ils acquer. roient. plus d’induftrie. Les caftors d’aujour- d’hui bâtiroient avec plus d'art & de folidité que ne bâtifloient les premiers caftors ; l’abeille perfectionneroit encore tous les jours la cellule qu’elle habite: car fi on fuppofe que cette cel- lule eft aufli parfaite qu’elle peut lètre, on donne à cet infecte plus d’efprit que nous n’en avons ; on lui accorde une intelligence fupé- rieureà la nôtre, par laquelle il appercevroit tout d’un coup le dernier point de perfection 176 Hifoire Naturelle. auquel il doit porter {on ouvrage; tandis qué nous - mèmes ne voyons jamais clairement ce point, & qu'il nous faut beaucoup de réfle- xion, de temps & d'habitude pour perfection- ner le moindre de nos arts. 7 D'où peut venir cette uniformité dans tous les ouvrages des animaux? Pourquoi chaque ef. pece ne fait - elle jamais que la même chole ; de la meme facon? Et pourquoi chaque indi- vidu ne la fait-il ni mieux ni plus mal qu’un autre individu ? Ÿ a-t-il de plus forte preuve que leurs opérations ne font que des réfultats mécaniques & purement matériels ? Car s'ils avoient la moindre étincelle de la lumiere qui nous éclaire , on trouveroit au moins de la va- ricté, fi on ne voyoit pas de la perfection dans leurs ouvrages ; chaque individu de la mème efpece feroit quelque chofe d’un peu différent de ce qu’auroit fait un autre individu ; mais non, tous travaillent fur le mème modele ; lPordre de leurs a@ions eft tracé dans l’efpecé entiere ; il n'appartient point à l'individu ; & fi l’on vouloit attribuer une ame aux animaux, on feroit obligé à n’en faire qu’une pour cha- que efpece , à laquelle chaque individu partici- peroit également : ceëte ame {eroit donc nécef- fairement divifible, par conféquent elle feroit matérielle & fort différente de la nôtre. Car pourquoi mettons - nous, au contraire, tant de diverlité & de variété dans nos produc- tions & dans nos ouvrages ? pourquoi l’imita- tion fervile nous coûte-t-elle plus qu’un nou- veau deflein? C’eft parce que notre ame eit à nous , qu’elle eft indépendante de celle d’un autre, De l'homme. 177 autre ; que nous n'avons rien de commun avec notre efpece que la matiere de notre corps, & que ce n’elt en effet que par les dernieres de nos facultés que nous reflembions aux ani- maux. | Si les fenfations intérieures appartenoient a la matiere & dépendoient des organes cor- porels , ne verrions-nous pas parmi les ani- maux de mème efpece , comme parmi les hom- mes, des différences marquées dans leurs ou vrages ? ceux qui feroient le mieux organifés ne feroient- ils pas leurs nids, leurs cellules ou leurs coques d’une maniere plus folide, plus élégante, plus commode ? Et fi quelqu'un avoit plus de génie qu’un autre , pourroit-il ne le pas manifefter de cette façon ? Or tout cela n’ar- rive pas & n’eft jamais arrivé ; le plus ou le moins de perfection des organes corporels n’in- flue donc pas fur la nature des fenfations in- térieures. N’en doit-on pas conclure , que les animaux n’ont point de fenfations de cette ef- pece, qu’elles ne peuvent appartenir à la ma- tiere, ni dépendre pour leur nature des orga- nes corporels ? ne faut-il pas par conféquent qu’il y ait en nous une fubitance différente de la matiere, qui {oit le fujet & la caufe qui pro- duit & recoit ces fenfations ? Mais ces preuves de l’immaterialité de notre ame peuvent s'étendre encore plus loin. Nous avons dit que la nature marche toujours & agit en tout par degrés imperceptibles & par nuan- ces. Cette vérité, qui d’ailleurs ne {ouffre au- cune exception , fe dément ici tout-à-fait. Il y a une diftance infinie entre les facultés de Hif. Nat. des Anim.T. Il, M 178 Hifioire Naturelle. l’homme & celles du plus parfait animal, preuve évidente que l’homme eft d’une différente na- ture , que {eul il fait une clafle à part, de la. quelle il faut defcendre en parcourant un ef pace infini avant que d’arriver à celle des ani- maux : car fi l’homme étoit de l’ordre des ani- maux , il y auroit dans la nature un certain nombre d’étres moins parfaits que l’homme , & plus parfaits que les animaux, par lefquels on defcendroit infenfiblement & par nuances de l’homme au finge ; mais cela n’elt pas , on pañle tout d’un coup de l'être penfant à lêtre maté- riel, de la puiflance intellectuelle à la force mécanique , de l’ordre & du deflein au mouve- ment aveugle , de la réflexion à l'appétit. . En voila plus qu’il n’en faut pour nous dé. montrer l'excellence de notre nature, & la dif- tance immenfe que la bonté du Créateur a mile entre l’homme & la bête. L'homme eft un ètre rafonnable , l’animal eft un être fans raïfon ; & comme il n’y a point de milieu entre le pofi- tif & le négatif, comme il n’y a point d’êtres intermédiaires entre l’etre raifonnable & lètre fans raifon , il eft évident que l’homme eft d’une nature entiérement différente de celle de lani- mal, qu'il ne lui reflemble que par l'extérieur, & que le juger par cette refflemblance matérielle, ceft fe laifler tromper par Papparence , & fer- mer volontairement les yeux à la lumiere, qui doit nous la faire diftinguer de la réalité. "Après avoir confidéré l’homme intérieur, & avoir démontré la fpiritualité de fon ame, nous pouvons maintenant examiner l’homme exté- rieur, & faire l’hiftoire de {on corps. Nous en { De Phomme. 179 avons recherché l’origine dans les chapitres pré. cédens ; nous avons expliqué fa formation & {on développement, nous avons amené l’homme jufqu’au moment de fa naiflance. Reprenons - le où nous l'avons laidé, parcourons les différens âges de fa vie, & conduifons-le à cet inftant où il doit fe iéparer de fon corps, l'abandon. ner & le rendre à la maffle commune de la ma- tiere à laquelle il appartient. HIS TO LREÉ NATURE ELLE DE L\H OM ME: De PEnfance. $: quelque chofe eft capable de nous donner une idée de notre foiblefle, c’eft l’état où nous nous trouvons immédiatement apres la naif- fance. Incapable de faire encore aucun ufage de fes organes & de fe fervir de fes fens , l’enfant qui naît a befoin de fecours de toute efpece ; c’eft une image de mifere & de douleur : il eft dans ces premiers temps plus foible qu'aucun des animaux , fa vie incertaine & chancelante paroïît devoir finir à chaque inftant ; il ne peut fe foutenir ni fe mouvoir, à peine a-t-1l la force néceflaire pour exifter, & pour annon- cer, par des gémifflemens , les fou#rances qu’il éprouve ; comme fi la nature vouloit l’avertir M 2 180 Hijtoire Naturelle. qu'il ct né pour fouffrir, & qu’il ne vient prendre place dans l’efpece humainé que pour en partager les infirmités & les peines. Ne dédaignons pas de jetter les yeux fur un état par lequel nous avons tous commencé; voyons - nous au berceau , paflons mème fur le -dégoût que peut donner le détail des foins que cet état exige, & cherchons par quels degrés cette machine délicate, ce corps naïflant, & à peine vivant, vient a prendre du mouvement, de là confiftance & des forces. L'enfant qui naît pañle d’un élément dans un autre : au {ortir de l’eau qui l’environnoit de toutes parts dans le fein de fa mere, il fe trouve expolé à l'air, & il éprouve dans Pinf- tant les impreflions de ce fluide actif. L'air agit fur les nerfs de l’odorat & fur les organes de la refpiration ; cette action produit une {ecoufle, une efpece d’éternuement , qui fouleve la capa- cite de la poitrine, & donne à Pair la liberté d'entrer dans les poumons : il dilate leurs vé- ficules & les gonfle , il s’y échaufle & s’y raré- fie jufqu’àa un certain degré, après quoi le ref- fort des fibres dilatées réagit fur ce fluide lé- ger & le fait fortir des poumons. Nous n’en- treprendrons pas d'expliquer ici les caufes du mouvement alternatif & continuel de la refpi- ration, nous nous bornerons à parler des etfets. ‘Cette fonction eft eflentielle à l’homme & à plufieurs elpeces d'animaux; ceft ce mouve. ment qui entretient la vie: s’il cefle, l'animal périt, aufli la refpiration ayant une fois com- mence, elle ne finit qu’à la mort ; & dès que le fœtus refpire pour la premiere fois, il con- De lhormine. 181 tinue à refpirer fans interruption. Cependant on peut croire avec quelque fondement , que le trou ovale ne fe ferme pas tout-à-coup au moment de la naifance , & que, par confé- quent, une partie du fang doit continuer à pañler par cette ouverture : tout le fang ne doit donc pas entrer d’abord dans les poumons , & peut-être pourroit- on priver de Pair l'enfant nouveau-né pendant un temps confidérable , fans que cette privation lui caufat la mort. Je fis , il y a environ dix ans, une expérience fur de petits chiens, qui femble prouver la pol- fibilité de ce que je viens de dire. J’avois pris la précaution de mettre la mere, qui étoit une grofle chienne de lefpece des plus grands lé- vriers , dans un baquet rempli d’eau chaude, & layant attachée de facon que les parties de derriere trempoient dans l’eau , elle mit bas trois chiens dans cette eau, & ces petits ani- maux fe trouverent au fortir de leurs envelop- pes dans un liquide aufli chaud que celui d’où ils fortoient. On aida la mere dans l’accouche- ment, on accommoda & on lava dans cette eau les petits chiens, enfuite on les fit paller dans un plus petit baquet rempli de lait chaud, fans leur donner le temps de refpirer. Je les fs met- tre dans du lait au lieu de les laifer dans l’eau, afin qu’ils puflent prendre de la nourriture s'ils en avoient beloin : on les retint dans le Jait où ils étoient plongés ; & ils y demeurerent : pendant plus d’une demi-heure, après quoi les ayant retirés les uns après les autres , je les trouvai tous trois vivans : ils commencerent à refpirer & à rendre quelque humeur par la H 9 "A s 182 Hiftoire Naturelle. gueule. Je les Jaiffai refpirer pendant une demi- heure, & enfuite on les replongea dans le lait que Pon avoit fait réchauffer pendant ce temps: je les y laiflai pendant une feconde demi-heure, & les ayant enfuite retirés , il y en avoit deux qui étoient vigoureux , & qui ne paroifloient pas avoir fouffert de la privation de Pair; mais Je troifieme me paroidoit etre languiflant. Je ne jugeai pas à propos de le replonger une fe- conde fois , je le fis porter à la mere. Elle avoit d’abord fait ces trois chiens dans l’eau , & en- fuite elle en avoit encore fait fix autres. Ce petit chien, qui étoit né dans Peau , qui d’a- bord avoit pañlé plus d’une demi heure dans le Jait avant d’avoir refpire, & encore. une autre demi heure après avoir refpiré, n’en étoit pas fort inconimodeé; car il fut bientôt retabli fous la mere, & il vécut comme les autres. Des fix qui étoient nés dans lair, j'en fis jetter quatre; de forte qu'il n’en reftoit alors à la mere que deux de ces fix, & celui qui étoit ne dans Peau. Je continuai ces épreuves fur les deux autres qui étaient dans le lait. Je les laifai refpirer une fecande fois pendant une heure environ, entuite je les fis mettre de nouveau dans le lait chaud , où ils fe trouverent plongés pour la troificme fois: je ne fais s’ils en avalerent ou non. Ils refterent dans ce liquide pendant une demi-heure, & lorfqu’on les en tira, ils paroif- foient ètre prefqu’aufñ vigoureux qu'auparavant. Cependant les ayant fait porter à la mere, lun des deux mourut le mème jour ; mais je ne pus favoir fi c’étoit par accident ou pour avoir fouffert dans le temps qu’il étroit plongé dans la De l'hormrie. 183 hiqueur & qu’il étoit privé de l'air : l’autre vé- cut aufli-bien que le premier, & ils prirent tous deux autant d’accroiflement que ceux qui n'avoient pas fubi cette épreuve. Je n'ai pas fuivi ces expériences plus loin; mais j'en ai aflez vu pour être perfuadé que la refpiration n’eft pas aufli abfolument néceflaire à l’animal nouveau-né qu'à l'adulte , & qu'il feroit peut- être poflible, en s’y prenant avec précaution, d’empècher de cette facon le trou ovale de fe fermer , & de faire par ce moyen d’excellens plongeurs , & des efpeces d’animaux amphi- bies , qui vivroient également dans l'air & dans l'eau. L'air trouve ordinairement, en entrant pour la premiere fois dans les poumons de lenfant, quelque obftacle caufé par la liqueur qui s’eft amañflée dans la trachée-artere. Cet obftacle eff plus ou moins grand, à proportion de la vifco- fité de cette liqueur; mais l'enfant, en naïflant, releve fa tête, qui étoic penchée en avant fur fa poitrine ; & par ce mouvement il alonge le canal de la trachée-artere; l’air trouve place dans ce canal au moyen de cet agrandiflement, il force la liqueur dans l’intérieur du poumon, & , en dilatant les bronches de ce vifcere, il diftribue fur leurs parois la mucofité qui s’op- pofoit à fon pañlage : le fuperfu de cette humi- dité eft bientôt defféché par le renouvellement de l'air , ou fi l'enfant en eft incommode , il toufle, & enfin il s’en débarrañle par l’expecto- ration ; on la voit couler de {a bouche, car il n’a pas encore la force de cracher. | Comme nous ne nous fouvenons de rien de M 4 184 Hifoire Naturelle. ce qui nous arrive alors, nous ne pouvons guere juger du fentiment que produit limpref- fion de Pair fur l'enfant nouveau-né : il paroïît feulement que les gémiflemens & les cris qui fe font entendre dans le moment qu’il refpire, font des fignes peu équivoques de la douleur que l'action de l'air lui fait reflentir. L'enfant eft en effet, jufqu'au moment de fa naïflance , accoutumé à la douce chaleur d’un liquide tran- quille ; & on peut croire que laction d’un fluide, dont la température ‘eft inégale , ébranle trop violemment les fibres délicates de fon corps : il paroît ètre également fenfible au chaud & au froid ; il gémit en quelque fituation qu’il fe trouve , & la douleur paroïît être {a premiere & fon unique fenfation. La plupart des animaux ont encore les yeux fermés pendant quelques jours après leur naif- fance : l’enfant les ouvre aufli-tôt qu'il eff né ; mais ils font fixes & ternes, on n’y voit pas ce brillant qu’ils auront dans la fuite, ni le mouvement qui accompagne la vifion. Cepen- dant la lumiere qui les frappe , femble faire impreflion , puifque la prunelle , qui a déja ju. qu'à une ligne & demie ou deux de diametre, s’étrécit ou s'élargit à une lumiere plus forte ou plus foible ; en forte qu’on pourroit croire qu’elle produit déja une efpece de fentiment. Mais ce fentiment eit fort obtus ; le nouveau- né ne diftingue rien , car fes yeux, même en pre- nant du mouvement , ne s'arrêtent fur aucun objet ; l'organe eft encore imparfait , la cornée eft ridée, & peut-être la rétine eft - elle auf trop molle pour recevoir les images des objets, De l'homme, 135 & donner la fenfation de la vue diftincte. Il paroit en être de mème des autres {ens : ils n’ont pas encore pris une certaine confiftance néceflaire à leurs opérations, & lors mème qu'ils {ont arrivés à cet état , il {e pañle encore beau- coup de temps avant que l'enfant puifle avoir des fenfations juftes & complettes. Les fens font des efpeces d’inftrumens dont il faut ap- prendre à fe fervir. Celui de la vue, qui pa- roît ètre le plus noble & le plus admirable, eft en même temps le moins für & le plus illufoire; fes fenfations ne produiroient que des jugemens faux , s'ils n’étoient à tout inftant rec- tifiés par le témoignage du toucher. Celui - ci eft le fens folide, c’eft la pierre de touche & la mefure de tous les autres fens; c’eft le feul qui foit abfolument eflentiel à l'animal, c’eft ce- lui qui eft univerfel, & qui eft répandu dans toutes les parties de fon corps. Cependant ce fens mème n’eft pas encore parfait dans l’en- fant au moment de fa naïflance : il donne à la vérité des fignes de douleur par fes gémiffc- mens & {es cris , mais il n’a encore aucune expreflion pour marquer le plaifir ; il ne com- mence à rire qu'au bout de quarante jours ; c’elt aufli le temps auquel il commence à pleu- rer, car auparavant les cris & les gémifflemens ne font point accompagnés de larmes. Il ne paroît donc aucun figne des paflions fur le vi- fage du nouveau-né ; les parties de la face m'ont pas même toute la confiftance & tout le reflort néceflaires à cette efpece d’expreflion des fentimens de l’ame : toutes les autres par- ties du corps, encore foibles & délicates ; n’ont 186 Hifioire Naturelle. que des mouvemens incertains & mal affurés: 1l ne peut pas fe tenir debout, fes jambes & fes cuilles font encore pliées par l'habitude qu'il a contractée dans le fein de fa mere; il n’a. pas la force d’étendre les bras ou de faifir quelque chofe avec la main : fi on l’abandon. voit, il refteroit couché fur le dos fans pou- voir fe retourner. En réfléchiffant fur ce que nous venons de dire, il paroïit que la douleur que l’enfant ref fent dans les premiers temps, & qu’il exprime par des gémiflemens , n’eft qu’une fenfation cor- porelle , femblable à celle des animaux qui gé- miflent aufli des qu'ils font nés, & que les fenfations de lame ne commencent à fe mani- fefter qu’au bout de quarante jours ; car le rire & les larmes font des produits de deux fenfa- tions intérieures, qui toutes deux dependent de Faction de l'ame. La premiere eft une émotion agréable , qui ne peut naître qu’à la vue ou par le fouvenir d’un objet connu, aimé & defiré; Vautre eft un ébranlement défagréable , mele d’attendriflement & d’un retour fur nous-meé- mes : toutes deux font des paflions qui fup- polfent des connoïfflances, des comparaïfons & des réflexions ; aufli le rire & les pleurs font- ils des fignes particuliers à l’efpece. humaine, pour exprimer le plaifir ou la douleur de l’ame, tandis que les cris , les mouvemens & les au- tres fignes des douleurs & des plaifirs du corps, font communs à l’homme & à la plupart des animaux. Mais revenons aux parties matérielles & De l'homrie. 187 aux affections du corps. La grandeur de enfant né à terme eft ordinairement de vingt-un pou- ces : il en naît cependant de beaucoup plus pe- tits, & 1l y en a même qui n'ont que quatorze pouces , quoiqu’ils aient atteint le terme de neuf mois : quelques autres, au contraire, ont plus de vingt-un pouces. La poitrine des en- fans de vingt - un pouces , mefurée fur la lon- gueur du fternum, a près de trois pouces, & feulement deux lorfque l'enfant n’en a que qua- torze. À neuf mois le fœtus pele ordinairement douze livres, & quelquefois jufqu’a quatorze; la tête du nouveau - né eft plus groffe à propor- tion que le refte du corps, & cette difpropor.- tion , qui étoit encore beaucoup plus grande dans le premier âge du fœtus , ne difparoiît qu'après la premiere enfance. La peau de l’en- fant qui nait, eft fort fine ; elle paroit rou- geâtre, parce qu’elle eft aflez tranfparente pour laiffer paroître une nuance foible de la couleur du fang: on prétend mème que les enfans dont la peau eft la plus rouge en naïffant, {ont ceux qui dans la fuite auront la peau la plus belle & la plus blanche. La forme du corps & des membres de len- fant qui vient de naître , n’eft pas bien expri- mée ; toutes les parties font trop arrondies , elles paroiflent mème gonflées lorfque l'enfant fe porte bien & qu'il ne manque pas d’embon- point. Au bout de trois jours il furvient ordi- nairement une jaunifle , & dans ce même temps il y a du lait dans les mamelles de l’enfant , qu’on exprime avec les doigts : la furabondance des fucs & le gonflement de toutes les parties 183 Hiftoire. Naturelle. du corps diminuent enfuite peu à peu, à me. {ure que l'enfant prend de l’accroiflement. On voit palpiter dans quelques enfans nou- veaux-nés le fommet de la tète à l'endroit de la fontanelle , & dans tous on y peut fentir le battement des finus ou des arteres du cerveau , fi on y porte la main. 1l fe forme au- deflus de cette ouverture une efpece de croûte ou de galle, quelquefois fort épaifle , & qu’on eft ob- ligé de frotter avec des brofles pour la faire tomber à mefure qu’elle fe feche. Il femble que cette production, qui {e fait au - deflus de l’ou- verture du crâne, ait quelque analogie avec celle des ornes des animaux , qui tirent aufü leur origine d’une ouverture du crâne & de la fubftance du cerveau. Nous ferons voir dans la fuite que toutes les extrèmités des nerfs de- viennent folides lorlqu’elles font expofées à l'air, & que c’eft cette fubftance nerveufe qui produit les ongles , les ergots , les cornes, &c. La liqueur contenue dans Pamnios laifle {ur Venfant une humeur vifqueufe blanchätre, & quelquefois affez tenace pour qu’on foit obligé cle la détremper avec quelque liqueur douce afin de la pouvoir enlever. On a toujours dans ce pays - ci la fage précaution de ne laver l'enfant qu'avec des liqueurs tiedes ; cependant des na- tions entieres , celles mème qui habitent les cli- inats froids, {ont dans l’ufage de plonger leurs enfans dans l’eau froide aufli-tôt qu’ils font nés, fans qu’il leur en arrive aucun mal. On dit mème que les Lappones laifflent leurs enfans dans la neige jufqu’à ce que le froid les ait fai- {is au point d’arreter la refpiration , & qu’alors De | l'hornire. 189 elles les plongent dans un bain d’eau chaude : ils n’en font pas mème quittes pour ètre lavés avec fi peu de ménagement au moment de leur naiflance , on les lave encore de la mème façon trois fois chaque jour pendant la premiere an- née de leur vie, & dans les fuivantes on les baigne trois fois chaque femaine dans l’eau froide. Les peuples du nord font perfuadés que les bains froids rendent les hommes plus forts & plus robuftes, & c’eft par cette raifon qu'ils les forcent de bonne heure à en contracter l’ha- bitude. Ce qu’il y a de vrai, c’eft que nous ne connoiflons pas aflez jufqu’où peuvent s’éten dre les limites de ce que notre corps eft capa- ble de fouffrir , d'acquérir ou de perdre par Phabitude. Par exemple, les Indiens de Pifthme de PAmérique fe plongent impunément dans Peau froide pour fe rafraîchir lorfqu’ils font en fucur ; leurs femmes les y iettent quand ils font ivres pour faire pañler leur ivrefle plus p'omp- tement , les meres fe baignent avec leurs en- fans dans l’eau froide un inftant après leur ac- couchement. Avec cet ufage, que nous regçar- derions comme fort dangereux, ces femmes pé- tiflent très-rarement par les {uites des cou- ches ; au lieu que, malgré tous nos foins, nous en voyons périr un grand nombre parmi nous. Quelques inftans après fa naïflance l’enfant urine; c’eft ordinairement lorfqu’il {ent la cha. leur du feu : quelquefois il rend en même temps le meconium ou les excrémens qui fe {ont formés dans les inteltins pendant le temps de {on féjour “dans la matrice. -Cette évacuation ne fe fait pas 190 Hifioire Naturelle. toujours aufli promptement ; fouvent elle eft reterdée, mais fi elle n’arrivoit pas dans lefpace du premier jour, il {eroit à craindre que len- fant ne s’en trouvat incommodé, & qu’il ne reflentit des douleurs de colique. Dans ce cas on tache de faciliter cette évacuation par quel- ques moyens. Le meconium eft de couleur noire: on connoit que l’enfant en eft abfolument dé- barraflé lorfque les excrémens qui fuccedent ont une autre couleur: ils deviennent blanchä- tres. Ce changement arrive ordinairement le deuxieme ou le troifieme jour; alors leur odeur eit beaucoup plus mauvaife que n’eft celle du meconium ; €e qui prouve que la bile & les fucs amers du corps, commencent à s’y méler. Cette remarque paroïît confirmer ce que nous avons dit ci-devant, dans le chapitre du déve. Joppement du fœtus, au fujet de la maniere dont il fe nourrit. Nous avons infinué que ce devoit être par intuflufception, & qu’il ne pre- uoit aucune nourriture par la bouche. Ceci {em- le prouver que leftomac & les inteltins ne font aucune fonétion dans le fœtus, du moins au- cune fonction femblable à celles qui s’operent dans la fuite, lorfque la refpiration a commencé a donner du mouvement au diaphragme, & à toutes les parties intérieures fur leiquelles il peut agir, puilque ce n’eft qu’alors que fe fait la digeftion & le mêlange de la bile & du fue pancréatique , avec la nourriture que l’eftomac laiffe pañler aux inteftins. Ainfi, quoique la fé- crétion de la bile & du fuc du pancréas fe fafle dans le fœtus, ces liqueurs demeurent alors dans leurs rélervoirs & ne paflent point dans les in- De l'homme. I9I teftins, parce qu’ils font, aufli-bien que l’efto. mac, fans mouvement & fans action, par rap- port à la nourriture ou aux excrémens qu’ils peuvent contenir. On ne fait point teter l’enfant aufli-tôt qu’il eft né; on lui donne auparavant le temps de rendre la liqueur & les glaires qui font dans fon eftomac, & le meconium qui eft dans fes inteftins : ces matieres pourroient faire aigrir le lait & produire un mauvais effet; ainfi on commence par lui faire avaler un peu de vin fucré, pour fortifier fon eftomac, & procurer les évacuations qui doivent le difpofer à recevoir la nourriture & à la digérer. Ce n’eft que dix ou douze heu- res après la naiflance qu’il doit teter pour la pre- miere fois. {l'y a quelques enfans qui ont le filet de la langue fi court, que cette elpece de bride les empèche de teter, & lon eft obligé de couper ce filet; ce qui eft d'autant plus difficile, qu'il eft plus court, parce qu’on ne peut pas lever le bout de la langue pour bien voir ce que l’on coupe. Cependant, lorfque le filet eft coupé, il faut donner à teter à l’enfant tout de fuite après l'opération, car il eft arrivé quelquefvis, que, faute de cette attention , l’enfant avale fa lingue à force de fucer le fang qui coule de la petite plaie qu’on lui a faite. (a) À peine l'enfant eft-1l forti du fein de fa mere, à peine jouit-il de la liberté de mouvoir (a) Voyez les Obfervations de M. Petit, fur les mala- dies des enfans nouveaux-nés. Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1742, page 254. 192 Hifioire Naturelle. & d’étendre fes membres, qu’on lui donne de nouveaux liens. On l’emmaillotte, on le cou- che la tète fixe & les jambes alongées, les bras pendans à côté du corps; il eft entouré de lin- ges & de bandages de toute efpece , qui ne lui permettent pas de changer de fituation : heu- reux, fi on ne l'a point ferré au point de l’em- pécher de refpirer, & fi on a eu la précaution -de le coucher fur le côté, afin que les eaux qu’il doit rendre par la bouche, puiflent tomber d’elles-mèmes; car il n’auroit pas la liberté de tourner la tête fur le côté pour en faciliter l’e- coulement ! Les peuples qui fe contentent de couvrir ou de vêtir leurs enfans fans les mettre au maillot, ne font-ils pas mieux que nous? les Siamois , les Japonois, les Indiens, les Ne- eres, les Sauvages du Canada, ceux de Virgi- nie, du Brefil, & la plupart des peuples de la partie méridionale de l'Amérique, couchent les enfans nus fur des lits de coton fufpendus, ou les mettent dans des efpeces de berceaux cou- verts & garnis de pelleteries. Je crois que ces wfages ne font pas fujets à autant d’inconvéniens que le nôtre. On ne peut pas éviter, en em- maillottant les enfans, de les gèner au point de leur faire reflentir de la douleur : les eforts qu'ils font pour fe débarrafler, font plus capa- bles de corrompre l’aflemblage de leur corps, ue les mauvaifes fituations où ils pourroient L mettre eux-mémes s'ils étoient en liberté. Les bandages du maillot peuvent etre comparés aux corps que l’on fait porter aux filles dans leur jeunefle: cette efpece de cuirafle, ce vète- ment incommode qu’on à imaginé pour foute- nir De l'homme. 193 nir la taille & l’empècher de fe déformer, caufe cependant plus d’incommodités & de dÿformi- tés qu’il n’en prévient. Il femble qu'on lait fenti; on commence heureufement à revenir un peu de cet ufage préjudiciable, & l’on ne fauroit trop répéter ce qui a été dit à ce fujet, par les plus favans Ana- tomiftes. M. Winflow a obfervé, dans plu- ficurs femmes & filles de condition, que les côtes inférieures {e trouvoient plus baïles, & que les portions cartilagineufes de ces côtes étoient plus courbées que dans les files du bas peuple. Il jugea que cette différence ne pouvoit venir que de l’ufage habituel des corps, qui font d'ordinaire extremement ferrés par en bas. Îl explique & démontre, par de très - bonnes raï- _ ons, tous les inconvéniens qui en réfultent: la refpiration gènée par le ferrement des côtes inférieures, & par la voûte forcée du diaphrag- me, trouble la circulation, occafionne des pal. pitations, des vertiges, des maladies pulmonai- res, &c. la compreilion forcée de l’eftomac, du foie & de la rate, peut aufii produire des acci- dens plus ou moins fâcheux par rapport aux nerfs; comme des foibleffes, des fuffocations, des tremblemens, &c. (b) Mais ces maux intérieurs ne font pas les feuls que lufage des corps occafionne. Bien loin de redrefler les tailles défectueufes, ils ne font qu’en augmenter les défauts; & toutes les per- 1onnes {enfées devroient profcrire, dans leurs (Ch) Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1741: pages 36 €Ÿ Juivantes. Hifi, Nat, des Anim, T. IT. N 194 Hifioire Naturelle. familles, l’ufage du maillot pour leurs enfans, & plus {évérement encore l’ufage des corps pour leurs filles, fur.tout avant qu’elles aient attéint leur accroiflement en entier. Si le mouvement que les enfans veulent fe donner dans le maillot peut leur être funefte, linaction dans laquelle cet état les retient, peut auf leur ètre nuïifible. Le défaut d'exercice eft capable de retarder l’accroiffement des membres, & de diminuer les forces du corps : ainfi les enfans qui ont la liberté de mouvoir leurs mem- bres à leur gré, doivent étre plus forts que ceux qui font emmaillottés. C’étoit pour cette raifon que les anciens Péruviens laifloient les bras libres aux enfans dans un maillot fort large : lorfqu’ils les en tiroient, ils les mettoient en liberté dans un trou fait en terre & garni de linges, dans lequel ils les defcendoient juiqu’à la moitié du corps. De cette facon ils avoient les bras libres, & ils pouvoient mouvoir leur tète & fléchir leur corps à leur gré, fans tom- ber & fans fe bleffer. Dès qu’ils pouvoient faire un pas, on leur préfentoit la mamelle d’un peu loin, comme un appât pour les obliger à mar- cher. Les petits Negres font quelquefois dans une fituation bien plus fatigante pour teter : ils embrafent l’une des hanches de la mere avec leurs genoux & leurs pieds, & ils la ferrent fi bien qu’ils peuvent s’y foutenir fans le fecours des bras de la mere. Îls s’attachent à la ma- melle avec leurs mains, & ils la fucent conftam- ment fans fe déranger & fans tomber, malgré les différens mouvemens de la mere, qui, pen- dant ce temps, travaille à {on ordinaire. (Ces De lhomsite. 19$ enfans commencent à marcher dès le fecond mois, ou plutôt à fe trainer {ur les genoux & fur les mains: cet exercice leur donne pour la fuite la facilité de courir dans cette fituation prefque auili vite que s'ils étoient fur leurs pieds. Les enfans nouveaux -nés dorment beau- coup ; mais leur fommeil eft fouvent inter- rompu : ils ont aufli befoin de prendre fouvent de la nourriture. On les fait teter pendant la journée de deux heures en deux heures, & pen- dant la nuit à chaque fois qu'ils fe réveillent. Lis dorment pendant la plus grande partie du jour & de la nuit dans les premiers temps de Jeur vie: ils femblent mème n’ètre éveillés que par la douleur ou par la faim; aufli les plaintes & les cris fuccederit prefque toujours à leur fommeil. Commeé ils font obligés de demeurer dans la mème fituation dans le berceau , & qu'ils font toujours contraints par les entraves du maillot, cette fituation devient fatigante & douloureufe après un certain temps. Ils font mouillés & fouvent refroidis par leurs excré- mens, dont l’âcreté offenfe la peau, qui eft fine & délicate, & par conféquent très-fenfible. Dans cet état, les enfans ne font que des efforts im- puifflans, îls n’ont dans leur foiblefle que lex- Re des gémiflemens pour demander du fou- agement. On doit avoir la plus grande atten- tion à les fecourir, ou plutôt il faut prévenir tous ces inconvéniens, en changeant urie partie de leurs vètemens au moins deux ou trois fois par jour, @& mème dans la nuit. Ce foin elt fi néceflaire que les Sauvages mêmes y font atten- N 2 196 Hifloire Naturelle. tifs, quoique le linge manque aux Sauvages & qu'il ne leur foit pas poflible de changer aufli fouvent de pelleterie que nous pouvons changer de hnge. Ils fuppléent à ce défaut en mettant dans les endroits convenables quelque matiere allez commune pour qu’ils ne foient pas dans la nécellité de lPépargner. Dans la partie {epten- trionale de PAmérique, on met au fond des ber- ceaux une bonne quantité de cette poudre que lon tire du bois qui a été rongé des vers, & que l’on appelle communément Ver-moulu : les enfans font couchés fur cette poudre & recou- verts de pelleteries. On prétend que cette forte de lit eft auili douce & aufli molle que la plu- me; mais ce melt pas pour flatter la délicatefle des enfans que cet ufage cft introduit, c’eft feu- Jement pour les tenir propres. En effet, cette poudre pompe l'humidité, & après un certain temps on la. renouvelle. En Virginie, on atta- che les enfans nus fur une planche garnie de coton, qui eft percée pour Péeoulement des excrémens. Le froid de ce pays devroit con- trarier cette pratique qui eft prefque générale en Orient, & fur-tout en Turquie. Au refte, cette précaution fupprime toute forte de foins; c’eft toujours le moyen le plus für de prévenir les effets de la négligence ordinaire des nourrices. Il ny a que la tendrefle maternelle qui foit ca- pable de cette vigilance continuelle, de ces pe- tites attentions fi néceflaires: peut-on lefpérer des nourrices mercenaires & grofheres ? Les unes abandonnent leurs enfans pendant plufieurs heures fans avoir la moindre inquié- tude de leur état ; d’autres font aflez cruelles De l'homme, : ‘197 pour n'être pas touchées de leurs gémiflemens : alors ces petits infortunés entrent dans une forte de défefpoir ; ils font tous les efforts dont ils font capables: ils pouflent des cris qui du- rent autant que leurs forces ; enfin ces excès leur caufent des maladies, ou au moins les met- tent dans un état de fatigue & d’abattement ‘qui dérange leur tempérament , & qui peut même influer fur leur caractere. Il eft un ufage dont les nourrices nonchalantes & parefleules abufent fouvent. Au lieu d'employer des moyens eMicaces pour foulager l’enfant, elles fe con- tentent d’agiter le berceau en le faifant balan- cer fur les côtés. Ce mouvement lui donne une forte de diftraction qui appaile {es cris: en continuant le mème mouvement, on l’étourdit, & à Ja fin on l’endort. Mais ce fommeil forcé n’eft qu'un palliatif, qui ne détruit pas la caufe du mal préfent : au contraire, on pourroit cau- fer un mal réel aux enfans en les bercant pen- dant un trop long temps; on les feroit vomir : peut-être aufh que cette agitation eft capable de leur ébranler la tete & d'y caufer du déran- gement. Avant que de bercer les enfans, il faut être für qu’il ne leur manque rien, & on ne doit jamais les agiter au point de les étourdir. Si on s’appercoit qu’ils ne dorment pas aflez, il fuffit d’un mouvement lent & egal pour les afloupir : on ne doit donc les bercer que rarement; car fi on les y accoutume, ils ne peuvent plus dor- mit autrement. Pour que leur fanté foit bonne, il faut que leur fommeil foit naturel & long: cependant s'ils dormoient trop, il feroit à crain- 3 198 Hifioire Naturelle. dre que leur tempérament n’en fouffrit: dans ce cas il faut les tirer du berceau & les éveil- ler par de petits mouvemens, leur faire enten- dre des {ons doux & agréables. leur faire voir duelque chofe de brillant. C'eft à cet âge que l’on recoit les premieres impreflions des fens: elles font fans doute plus importantes que lon ne croit pour le refte de la vie, Les yeux des enfans fe portent toujours du côté le plus éclairé de l'endroit qu’ils habitent, & s’il n’y a que l’un de leurs yeux qui puifle s’y fixer, l’autre n’étant pas exercé n’acquerra pas autant de force. Pour prévenir cet incon- vénient, il faut placer le berceau de façon qu’il oit éclairé par les pieds, foit que la lumiere vienne d’une fenètre ou d’un flambeau. Dans cette pofition les deux yeux de l'enfant peuvent la recevoir en mème temps, & acquérir par l'exercice une force égale. Si l’un des yeux prend plus de force que l’autre, Penfant deviendra louche ; car nous avons prouvé que l'inégalité de force dans les yeux eft la caufe du regard louche. ( Woy. les Mémoires de l'Académie des Sciences , année 1742.) La nourrice ne doit donner à l’enfant que. le lait de fes mamelles pour toute nourriture, au moins pendant les deux premiers mois: il ne faudroit mème lui faire prendre aucun autre aliment pendant le troifieme & le quatrieme mois, fur-tout larfque fon tempérament eft foi- ble & délicat. Quelque robulfte que puifle ètre un enfant, il pourroit en arriver de grands in- convéniens, fi on lui donnoit d’autre nourriture que le lait de la nourrice avant la fin du pre: De l'homme. 199 mier mois. En Hollande, en Italie, en Tur- quie, & en général dant tout le Levant, on né donne aux enfans que le lait des mamelles pen- dant un an entier : les Sauvages du Canada les allaitent juiqu’a l’âge de quatre ou cinq ans, & quelquefois jufqu’à fix ou fept ans. Dans cé pays-c1, comme la plupart des nourtices n’ont pas aflez de lait pour fournir à l’appctit de leurs exfans , elles cherchent à l’épargner, & pour cela elles leur donnent un aliment compofé de farine & de lait, même dès les premiers jours de leur naïffance. (Cette nourriture appaife la faim, mais l’eftomac & les inteftins de ces en- fins étant à peine ouverts, & encore trop foi- bles pour digérer un aliment groflier & vifqueux, ils fouffrent , deviennent malades, & périflent quelquefois de cette efpece d’indigeftion. Le lait des animaux peut fuppléer au défaut de celui des femmes. Si les nourrices en man- quoient dans certains cas, ou s’il y avoit quel- que chofe à craindre pour elles de la part de enfant, on pourroit lui donner à teter le ma- melon d’un animal, afin qu’il recût le lait dans un degré de chaleur toujours égal & convena- ble, & fur-tout afin que fa propre falive fe mè- lât avec le lait. pour en faciliter la digeftion, comme cela fe fait par le moyen de la fuccion ; parce que les mufcles qui {ont alors en mouve- ment, font couler la falive en preflant les glan- des & les autres vaifleaux. J'ai connu à la cam- pagne quelques payfans qui n’ont pas eu d’au- tres nourrices que des brebis, & ces payfans étoient auf vigoureux que les autres. N4 200 Hifioire Naturelle. Après deux ou trois mois, lorfque l'enfant a acquis des forces, on commence à lui donner une nourriture un peu plus folide ; on fait cuire de la farine avec du lait: Ceft une forte de pain qui difpofe peu à peu fon eftomac à recevoir le pain ordinaire, & les autres alimens dont il doit {e nourrir dans la fuite. Pour parvenir à l’ufage des alimens folides, on augmente peu à peu la confiftance des al:- mens liquides. Ainfi, après avoir nourri l’en. fant avec de la farine délayée & cuite dans du lait, on lui donne du pain trempé dans une li- queur convenable. Les enfans , dans la pre- micre année de leur âge, font incapables de broyer les alimens; les dents leur manquent, ils n’en ont encore que le germe, enveloppé dans des gencives fi molles, que leur foible réfiftance ne feroit aucun eftet fur des matieres folides. Qn voit certaines nourrices, fur-tout dans le bas peuple, qui mächent des alimens pour les faire avaler enfuite à leurs enfans. Avant que de réfléchir fur cette pratique, écartons toute idée de dégoût, & foyons perfuadés qu’à cet âge les enfans ne peuvent en avoir aucune impref- fion. En eflet, ils ne font pas moins avides de recevoir leur nourriture de la bouche de Ja nour- rice, que de fes mamelles ; au contraire, il femble que la nature ait introduit cet ufage dans plufieurs pays fort éloignés les uns des autres. I cft en Italie, en Turquie & dans prefque toute PAfe; on le retrouve en Amérique, dans les Antilles, au Canada, &c. Je le crois fort utile aux enfans, & très-convenable à leur état; C’eft le feul moyen de fournir à leur eftomac De l'homme. 20I toute la falive qui eft néceflaire pour la dige£ tion des alimens folides. Si la nourrice mâche du pain, fa falive le détrempe & en fait une nourriture bien meilleure que s’il étoit détrempé avec toute autre liqueur; cependant cette pre- caution ne peut être neceflaire que juiqu’à ce qu'ils puiflent faire ufage de ‘leurs dents, bro- yer les alimens & les détremper de leur propre falive. Les dents que l’on appelle incifives, font au nombre de huit, quatre au devant de chaque machoire. Leurs germes {e développent ordi- nairement les premiers : communément ce nelt pas plus tôt qu’à l’âge de fept mois, fouvent à celui de huit ou dix mois, & d’autres fois à la fin de la premiere année. Ce développement et quelquefois très-prématuré. On voit aflez fou- vent des enfans naître avec des dents aflez gran- des pour déchirer le fein de leur nourrice: on a auf trouvé des dents bien formées dans des fœtus long-temps avant le terme ordinaire de la naifance. Le germe des dents eft d’abord contenu dans lalvéole & recouvert par la gencive: en croif- {ant il poufle des racines au fond de l’alvéole, & il s'étend du côté de la gencive. Le corps de la dent prefle peu à peu contre cette mem- brane, & la diftend au point de la rompre & de la déchirer pour pañler au travers. Cette opéra- tion, quoique naturelle, ne {uit pas les loix ordinaires de la nature, qui agit à tout inftant dans le corps humain fans y cauler Ja moindre douleur, & mème fans exciter aucune {enfation : ici il {e fait un effort violent & douloureux, qui 202 Hifioire Naturelle. ft accompagné de pleurs & de cris, & qui a quelquefois des fuites facheufes. Les enfans per- dent d’abord leur gaieté & leur enjouement: on les voit triftes & inquiets; alors leur gencive eft rouge & gonflée, & enfuite elle blanchit lorfque la preflion eft au point d’intercepter le cours du fang dans les vaifleaux : ils y portent le doigt à tous momens, pour tacher d’appaifer la déman- geaifon qu'ils y reflentent. On leur facilite ce etit foulagement en mettant au bout de leur sa un morceau d'ivoire ou de corail, ou de quelque autre corps dur & poli: ils le por- tent d’eux-mèmes à leur bouche, & ils le ferrent entre les gencives à l'endroit douloureux. Cet effort oppolé à celui de la dent, relache la gen- cive & calme la douleur pour un inftant : il con- tribue aufli à l’aminciflement de la membrane de la gencive, qui étant preflée des deux côtés a la fois, doit {e rompre plus aifément; mais fouvent cette rupture ne {e fait qu'avec beau- coup de peine & de danger. La nature s’op- pole à elle-mème fes propres forces. Lorfque Jes gencives font plus fermes qu’à l'ordinaire, par la folidité des fibres dont elles font tiflues, elles refiftent plus long-temps à la preflion de la dent, alors l'effort eft fi grand de part & d'autre, qu'il caufe une inflammation accom- pagnée de tous fes fymptômes ; ce qui eft, comme on le fait, capable de caufer la mort, Pour prévenir ces accidens on a recours à l’art: on coupe la gencive fur la dent ; au moyen de cette petite opération, la tenfion & linflamma- Hon de la gencive cefent, & la dent trouve un libre pañage, De l'homme. 203 Les dents canines font à côté des incifives au nombre de quatre : elles fortent ordinaire- ment dans le neuvieme ou le dixieme mois. Sur la fin de la premiere, ou dans le courant de la feconde année, on voit paroitre {eize autres dents, que l’on appelle molaires ou mächelieres; quatre à côté de chacune des canines. Ces ter mes pour la fortie des dents varient. On pré- tend que celles de la mâchoire fupérieure paroif- fent ordinairement plus tôt; cependant il arrivé aufli quelquefois qu’elles fortent plus tard que celles de la machoire inférieure. Les dents incifives, les canines & les qua- tre premieres mâchelieres tombent naturellement dans la cinquieme, la fixieme ou la feptieme année; mais elles font remplacées par d’autres qui paroïflent dans la feptieme année, fouvent plus tard, & quelquefois elles ne fortent qu’à âge de puberté. La chûte de ces feize dents eft caufée par le développement d’un fecond germe, placé au fond de l’alvéole, qui en croif- {ant les poufle au dehors: ce germe manque aux autres mâchelieres, aufli ne tombent-elles que par accident, & leur perte n’eft prefque jamais réparée. Il y a encore quatre autres dents qui font placées à chacune des deux extrèmités des mà- choires. Ces dents manquent à plufieurs per- fonnes ; leur développement cft plus tardif que celui des autres dents, il ne {e fait ordinaire- ment qu’à l’âge de puberté, & quelquefois dans un âge beaucoup plus avancé : on les a nom- mées dents de fagefje. Elles paroiffent fuccef- fivement l’une apres l'autre ou deux en mème 204 Hifioire Naturelle. temps, indifféremment en haut ou en bas, & le nombre des dents en général ne varie que parce que celui des dents de fagefle n’eft pas toujours le mème: de-là vient la différence de vingt-huit à trente-deux dans le nombre total des dents. On croit avoir obfervé que les femmes en ont ordinairement moins que les hommes. $ Quelques Auteurs ont prétendu, que les dents croifloient pendant tout le cours de la vie, & quelles augmenteroient en longueur dans Jhomme, comme dans certains animaux, à me- fure qu'il avanceroit en âge , fi le frottement des alimens ne les ufoit pas continuellement. Mais cette opinion paroïit ètre déementie par l’ex- périence; car les gens qui ne vivent que d’ali- mens liquides, n’ont pas les dents plus longues que ceux qui mangent des chofes dures, & fi quelque chofe eft capable d’ufer les dents, c’eft leur frottement mutuel des unes contre les au- tres plutôt que celui des alimens: d’ailleurs on a pu fe tromper au fujet de l’accroiflement des dents de quelques animaux, en confondant les dents avec les défenfes. Par exemple, les dé- fenfes des fangliers croiflent pendant toute la vie de ces animaux : il eu eft de mème de celles de l'éléphant; mais il eft fort douteux que leurs dents prennent aucun accroiflement lorfqu’elles font une fois arrivées à leur grandeur naturelle. Les défenfes ont beaucoup plus de rapport avec les cornes qu'avec les dents ; mais ce n’eft pas ici le lieu d'examiner ces différences : nous re- marquerons feulement, que les premieres dents ne font pas d’une fubftance auffi folide que l’eft De l'homme. 20$ celle des dents qui leur fuccedent : ces premie- res dents n’ont aufhi que fort peu de racine, elles ne font pas infixées dans la mâchoire, & elles s’ébranlent très-aifément. Bien des gens prétendent que les cheveux que Penfant apporte en naïflant, font toujours bruns, mais que ces premiers cheveux tombent bientôt, & qu’ils font remplacés par d’autres de couleur ditférente. Je ne fais fi cette mar- que eft vraie. Prefque tous les enfans ont les cheveux blonds, & fouvent prefque blancs ; quelques-uns les ont roux, & d’autres les ont noîrs; mais tous ceux qui doivent étre un jour blonds, châtains ou bruns, ont les cheveux plus ou moins blonds dans le premier âge. Ceux qui doivent ètre blonds ont ordinairement les yeux bleus, les roux ont les yeux d’un jaune ardent, les bruns d’un jaune foible & brun; mais ces couleurs ne font pas bien marquées dans les yeux des enfans qui viennent de nai- tre : ils ont alors prefque tous les yeux bleus. Lorfqu’on laife crier les enfans trop fort & trop long-temps, ces efforts leur caufent des defcentes qu’il faut avoir grand foin de rétablir promptement par un’ bandage : ils guériflent ai- fément par ce fecours; mais fi l’on négligeoit cette incommodité, ils feroient en danger de la garder toute leur vie. Les bornes que nous nous fommes prefcrites, ne permettent pas que nous parlions des maladies particulicres aux enfans. Je ne ferai fur cela qu’une remarque; c’eit que les vers & les maladies vermineufes , auxquelles ils font fujets, ont une caufe bien marquée dans Ja qualité de leurs alimens. Le lait et une efpece 206 Hifioire Naturelle. de chyle, une nourriture dépurée, qui contierit par conféquent plus de nourriture réelle, plus de cette matiere organique & productive dont nous avons tant parlé, & qui, lorfqu’elle n’eft pas digérée par l’eftomac de l'enfant pour fervir. à fa nutrition & à l’accroiflement de fon corps; prend, par l’aétivité qui lui eft eflentielle, d’au- tres formes, & produit des êtres animes, des vers en fi grande quantité, que l’enfant elt fou. vent en danger d'en périr. En permettant aux enfans de boire de temps en temps un peu de vin, on préviendroit peut-être une partie des mauvais effets que caulent les vers; car les li- queurs fermentées s’oppofent à leur génération : elles contiennent fort peu de parties organiques & nutritives , & c’eft principalement par fon action fur les folides, que le vin donne des for- ces ; il nourrit moins le corps qu’il ne le for- tifie : au refte, la plupart des enfans aiment le vin, où du moins s’accoutument fort aifément à en boire. - Quelque délicat que l’on foit dans lenfance, on eft à cet âge moins fenfible au froid que dans tous les autres temps de Ja vie. La cha- leur intérieure eft apparemment plus grande: on fait que le pouls des enfans eft bien plus fréquent que celui des adultes ; cela feul fufhroit pour faire penfer que la chaleur intérieure eit plus grande dans la meme proportion, & l’on ne peut gucre douter que les petits animaux n'aient plus de chaleur que les grands par cette mème raïon; Car la fréquence du battement du cœur & des arteres eft d’autant plus grande que Vanimal eft plus petit. Cela s’obferve dans les De l'homme. 207 différentes efpeces aufli-bien que dans la mème efpece. Le pouls d’un enfant ou d’un homme de petite ftature eft plus fréquent que celui d’une perfonne adulte ou d’un homme de haute taille : le pouls d’un bœuf eft plus lent que celui d’un homme, & celui d’un chien eft plus fréquent, & les battemens du cœur d’un animal encore plus petit, comme d’un moineau, fe fuccedent Îi promptement qu’à peine peut-on les compter. La vie de l’enfant eft fort chancelante juf- qu'a l’âge de trois ans; mais dans les deux ou trois années fuivantes elle s’aflure, & l'enfant de fix ou fept ans eft plus afluré de vivre, qu'on ne l’eft à tout autre âge. En confultant les nouvelles tables (c) qu’on a faites a Lon- dres , fur les degrés de la mortalité du genre humain dans les différens âges, il paroït que d'un certain nombre d’enfans nés en mème temps, il en meurt plus d’un quart dans la pre- miere année; plus d’un tiers en deux ans, & au moins la moitié dans les trois premieres an- nées. Si ce calcul étoit jufte, on pourroit donc parier , lorfqu’un enfant vient au monde, qu'il ne vivra que trois ans, obfervation bien trilte pour l’efpece humaine ; car on croit vulgaire. ment qu’un homme qui meurt à vingt-cinq ans, doit être plaint fur fa deftinée & fur le peu de durée de fa vie, tandis que, fuivant ces tables, la moitié du genre humain devroit périr avant âge de trois ans : par conféquent tous les hom- mes qui ont vécu plus de trois ans, loin de {e (ce) Voyez les Tables de M. Simpfon, publiées à Lone dres en 1743. 208 Hifioire Naturelle. plaindre de leur {ort, devroient fe regarder comme traités plus favorablement que les autres par le Créateur. Mais cette mortalité des en- fans n’eft pas à beaucoup près aufli grande par- tout, qu’elle left à Londres; car M. Dupré de St. Maur s’eft afluré , par un grand nombre d’obfervations faites en France , qu'il faut fept ou huit années pour que la moitié des enfans nés en mème temps foit éteinte. On peut donc parier en ce pays, qu’un enfant qui vient de nai- tre vivra fept ou huit ans. Lorfque l’enfant a atteint l’âge de cinq, fix ou fept ans, il paroît par ces mêmes obfervations, que fa vie eft plus aflurée qu’à tout autre âge; car on peut parier pour quarante-deux ans de vie de plus: au lieu qu’à mefure que l’on vit au- delà de cinq, fix ou fept ans, le nombre des années que l’on peut elpérer de vivre, va coujours en diminuant; de forte qu’a douze ans on ne peut plus parier que pour trente-neuf ans, à vingt ans pour trente- trois ans & demi, à trente ans pout vingt-huit années de vie de plus, & ainfi de fuite jufqu’à quatre-vingt-cinq ans, qu’on peut encore parier raifonnablement de vivre trois ans. ( Voyez l'Arithmetique morale page 203 € fuiv.) Il y a quelque chofe d’aflez remarquable dans Paccroiflement du corps humain. Le fœtus, dans le fein de fa mere, croit toujours de plus en plus jufqu’au moment de la naiffance : l’enfant, au contraire, croît toujours de moins en moins jufqu’à l’âge de puberté, auquel il croît pour ainfi dire tout-à-coup , & arrive en fort peu de temps à la hauteur qu’il doit avoir pour tou- jours. Je ne parle pas du premier temps Rues | a De l'homme. 209 la conception, ni de l’accroiflement qui fuccede immédiatement à la formation du fœtus ; je prends le fœtus à un mois, lorfque toutes les parties font développées. | Il a un pouce de hauteur alors; à deux mois deux pouces un quart ; à trois mois trois pouces & demi ; à quatre mois cinq pouces & plus; à cing mois fix pouces & demi ou fept pouces ; à fix mois huit pouces & demi ou neuf pouces; à fept mois onze pouces & plus; à huit mois quatorze pouces; à neuf mois dix-huit pouces. Toutes ces mefures varient beaucoup dans les différens {u- jets, & ce n’eft qu’en prenant les termes moyens que je les ai déterminées. Par exemple, il naït des enfans de vingt-deux pouces & de quatorze. Jai pris dix-huit pouces pour le terme moyen: il en eft de mème des autres mefures; mais quand il y auroit des variétés dans chaque mefure par ticuliere, cela feroit indifférent à ce que j'en veux conclure; le réfultat fera toujours, que le fœtus croît de plus en plus en longueur, tant qu'il eft dans le fein de fa mere: maïs s’il a dix- huit pouces en naïflant , il ne grandira pendarit les douze mois fuivans que de fix ou fept pou- ces au plus, ceft-à-dire, qu'a la fin de la pre- miere année il aura vingt-quatre ou vingt-cinq pouces; à deux ans, il n’en aura que vingt-huit ou vingt-neuf; à trois ans, trente ou trente-deux au plus, & enfuite il ne grandira guere que d’un pouce & demi ou deux pouces par an jufqu’à l’age de puberté: ainfi le fœtus croît plus en un mois fur la fin de fon féjour dans la matrice, que l'enfant ne croit en un an jufqu’à cet âge de puberté, où la nature femble faire un effort Hif. Nat, des Anim. T, I. She: 210 Hifioire Naturelle. pour achever de développer & de perfectionner {on ouvrage , en le portant pour ainfi dire, tout-à-coup , au dernier degré de fon accroif- fement. Voici la Table de l’accroiflement {ucceilif d’un jeune homme de la plus belle venue, ne le 11 avril 1759, & qui avoit, pieds. pouces. lignes. Au moment de fa naifflance... 1. 7 A fix mois, c’eft-à-dire, le 11 octobre fuivant, ilavoit..2. - : Ainfi, {on accroiflement , de- puis la naiflance dans les premiers fix mois , a été de cinq pouces. À un an, ceft-à-dire, le 11 anvtil 1760, Alavoit sas al ; Ainf, {on accroiflement, pen- dant ce fecond femeftre, a ‘été de trois pouces. À dix-huit mois, c’eft-à-dire, le 11 octobre 1760, ilavoit 2. 6. : Ainfi, il avoit augmenté dans le troifieme femeitre de trois pouces. A deux ans, c’eft-à-dire, le pr avil.176E4-11avoit: 2,9. gi Et par conféquent il a aug- menté dans le quatrieme femeftre, de trois pouces trois lignes. A deux ans & demi, c’eft-à- dire, le 11 octobre 1761; 1 AVE Qc RATES e UD) LE] De l'homme, 2Ii pieds. pouces. lig: Àinfi , il n’a augmenté dans ce cinquieme femeftre que d’un pouce & une demi-ligne. À trois ans, c’eft-à-dire, le 11 avtil,1763.: 11 avoit : L 5. . Il avoit par conféquent augmenté dans ce fixieme {émeitre de deux pouces deux lignes & demie. À trois ans & demi, c’eft-à-dire, le rr oétobre 1762, ilavoit.. 3. Et par conféquent il n’avoit aug- metité; dans ce feptieme {emef- tre, que de fept lignes. À quatre ans, c’eft-a-dire, le 11 avril 1763; il avoit . . : . : ÏÎl avoit donc augmenté dans ce huitieme femeftre d’un pouce neuf lignes & demie. | À quatre ans fept mois, c’eft-à- dire , le 11 novembre 1763; 1L'avoit: 05 0 AMC Et avoit augmenté dans ces fept _ mois d’un pouce fept lignes. À cinq ans, éeft-a-dire, le 11 odvril 1764 1 avoit hr os Il avoit donc augmenté daris ces _ cinq mois de neuf lig, & demie. À cinq ans fept mois, c’eft-à-dire, le 11 novembre 1764, ilavoit 3. l avoit donc augmenté dans ces fept mois d’un pouce cing lignes. À fix ans, c’eft-à-dire, le 11 avril 1765, il avoit ; 4 ss vu à e 2: (@) à. Tr 6: 10 :: 212 Hifioire Naturelle. pieds. pouces. lig. Ïl à augmenté dans ces cinq mois de dix lignes & demie. A fix ans fix mois dix-neuf jours, c’eft-a-dire, le 30 octobre 1765, LL eve E M le ele PRORE NS QT ONE Et par conféquent il avoit grandi, dans ces fix mois dix-neuf jours, d’un pouce dix lignes & demie. A fept ans, c’eft-à-dire, le 11 avril 17664 11 2Voit- MISERERE] 7 PORN Il n’avoit par conféquent grandi dans ces cinq mois onze jours que de fix lignes. À fept ans trois mois, ceft-2- dire, le 1x juillet 1766, ilavoit 3. 10. 11. Ainfi, dans ces trois mois, il a grandi d’un pouce. À fept ans & demi, c’eft-à-dire, le Troctobre 1766. 1lav0itt"# PA TIENT Ainfi, dans ces trois mois, il a grandi de huit lignes. À huit ans, c’eft-à-dire, le 11 avril 1767, 11 AVOIDEAUNE FN 4: =. 4 Et par conféquent il n’a grandi dans ces fix mois que de neuf lignes. À huit ans & demi, c’eft-à-dire, Je 11 octobre 1767 ; 1Pavoiti} M4 Miro Et par conféquent il avoit grandi dans ces fix mois d’un pouce trois lignes & demie. À neuf ans, c’eft-à- dire, le 11 aviil 1768, 1 avoit : , 44 4 N ANR Bi 4 LA pi LC] . De l'homme. Et par conféquent, dans ces fix mois, 1l a grandi d’un pouce. À neuf ans fept mois douze jours, c'eft-à-dire, le 22 novembre 17688 1lawoitto °Atou: Le : Ary 12 Et par conféquent il avoit aug- menté dans ces fept mois douze jours d’un pouce deux lignes. À dix ans, c’eft-a-dire, le rx avril Hr09e amont, 0 MEN 4. à Il avoit donc grandi dans ces qua- tre mois dix-huit jours de huit lignes. À onze ans & demi, c’eft-à-dire, le 11 octobre 1770, ilavoit..4 6. Et par conféquent il a grandi dans dix-huit mois de deux pouces cinq lignes & demie. À douze ans, c’eft-à-dire, le 1x avril 1777, Alavoit 2401. AR Et par conféquent il n’a grandi dans ces fix mois que de fix lig. À douze ans huit mois, ceft-à- dire, le 11 décembre 1771, ilavoit . : Near sito Ait Et par conféquent il a grandi dans ces huit mois d’un pouce fix lig. À treize ans, c’eft-à-dire, le 11 ave 772.11 4eme ASS Ainfi, dans ces quatre mois il a randi de cing lignes & demie. ‘À treize ans & demi, c’eft-a-dire, le rr octobre 17725 1lavoit .. 4! 10. 7 2 213 pieds. pouces. lig. I]: 214 Hifioire Naturelle, pies. pouces. lig, Ï avoit donc grandi dans ces fix mois d’un pouce deux lignes & demie. À quatorze ans, c’eft-à-dire, le ÊT AVG 1292, avoit. Née Ni Ne Il avoit donc grandi dans ces fix mois d’un pouce fept lignes. À quatorze ans fix mois dix jours, c’eft-à-dire , le 21 octobre 1773, DURE ST D ne ne fr ae Et par conféquent il a grandi dans ces fix moix dix jours de deux pouces quatre lignes. À quinze ans deux jours, c’eft-à- dire, le 13 avril 1774, ilavoit #. 4 8. Il a donc grandi dans ces cinq | mois dix-huit jours de deux pouces deux lignes. À quinze ans fix mois huit jours, c’eft-à-dire, le 19 octobre 1774, 1 avai Neon SIC eer L'ANRES ENS Il n’a donc grandi dans ces fix mois fix jours que de onze lig. À feize ans trois mois huit jours, c’eft-à-dire, le 19 juillet 1775, 'aVOTt Le PÉANIIUEET EURE AE Il a donc grandi dans ces neuf mois d’un pouce cinq lignes & demie. À feize ans fix mois fix jours, c'eft-à-dire, le 17 o@obre 1775, DAVOL USE EU OPA É 7° LA BI De l'homme. S1$ pieds. pouces. lig. Ïl a donc grandi dans ces deux mois vingt-huit jours de huit lignes & demie. À dix-lept ans deux jours, c’eft- a-dire , Je 13av#il 1776. ilavoit s. 8. 2 Ïl n’avoit donc grandi dans ces fix mois deux jours que de cinq lignes. À dix-fept ans un mois neuf jours, c’eft-à-dire , le 20 mai 1776, 11 avoit vu hit dada le rade UE Jl avoit donc grandi dans un mois fept jours de trois lignes trois quarts. À dix fept ans cinq mois cinq jours, c'eft-a-dire, le 16 fep- …-CembEe 217765 2LAVOIE issus oi TO: r Il avoit donc grandi dans ces trois mois vingt-fix jours de quatre ligues un quart. À dix-fept ans fept mois & qua- tre jours, c'eft-à-dire, le 1x novembre, 1276... 11avait..;.) #2: Que Toujours meluré pieds nus & de Ja mème maniere, & il n’a par conféquent grandi dans ces deux derniers mois que d’une ligne & demie. Depuis ce temps, c’eft-a-dire, depuis quatre mois & demi, la taille de ce grand jeune hom- me eft, pour ainfi dire, ftationnaire, & M. {on pere à remarqué , que, pour peu qu'il ait O 4 216 Hifioire Naturelle. voyagé, couru, danfé la veille du jour où l’on prend fa mefure, il eft au-deflous des neuf pou- ces le lendemain matin. Cette mefure fe prend toujours avec la mème toife, la meme équerre, & par la mème perlonne. Le 20 Janvier der- nier, apres avoir pafle toute la nuit au bal, il avoit perdu dix-huit bonnes lignes : il n’avoit,: dans ce moment, que cinq pieds fept pouces fix lignes foibles; diminution bien confidérable, que néanmoins vingt-quatre heures de repos- ont rétablie. Ïl paroïît, en comparant l’accroiflement pen- dant les femeftres d’éte à celui des femeitres d'hiver, que jufqu’a l’âge de cinq ans, la fom- me moyenne de laccroillement pendant l'hiver, elt égale à la fomme de laccroifiement pendant V'éte. Mais en comparant l’accroiflement pendant les femeftres d’été, à l’accroiflement des femef- tres d'hiver, depuis l’âge de cinq ans juiqu’à dix, on trouve une tres-grande différence; car la fomme moyenne des accroiflemens pendant Pete, eft de fept pouces une ligne, tandis que la fomme des accroiflemens pendant l'hiver, n’eft que de quatre pouces une ligne & demie. Et lorfque l’on compare, dans les années fuivantes, laccroiflement pendant l’hiver à celui de l'été, la différence devient moins grande; mais il me femble néanmoins qu’on peut con- clure de cette obfervation, que laccroiflement du corps eft bien plus prompt en été qu’en hiver, & que la chaleur, qui agit généralement fur le développement de tous les étres organifés, influe confidérablement fur laccroiflement du De l'homme. 27 corps humain. Il feroit à defirer que plufieurs perfonnes priflent la peine de faire une Table pareille à celle-ci, fur laccroiflement de quel- ques-uns de leurs enfans. On en pourroit dé- duire des conféquences que je ne crois pas de- voir hafarder d’après ce feul exemple. Il ma été fourni par M. Gueneau de Montbeillard, qui s’eft donné le plaifir de prendre toutes ces me- fures fur fon fils. On a vu des exemples d’un accroiffement très-prompt dans quelques individus. L’Hitoire de l’Académie fait mention d’un enfant des en- virons de Falaife en Normandie, qui, n'étant pas plus gros ni plus grand qu’un enfant ordi- naire en naiflant, avoit grandi d’un demi-pied chaque année, jufqu’à l’âge de quatre ans, où il étoit parvenu à trois pieds & demi de hau- teur; & dans les trois années fuivantes, il avoit encore grandi de quatorze pouces quatre lignes ; en forte qu’il avoit, à l’âge de fept ans, quatre pieds huit pouces quatre lignes étant fans fou- hers. (d) Mais cet accroiflement, fi prompt dans le premier âge de cet enfant, s’eit enluite ralenti; car. dans les trois années fuivantes, 1l n’a crû que de trois pouces deux lignes; en forte qu’à l’âge de dix ans, il n’avoit que quatre pieds onze pouces fix lignes, & dans les deux années fuivantes, il n’a crû que d’un pouce de plus; en forte qu’à douze ans, il avoit en tout cinq pieds fix lignes. Mais, comme ce grand enfant étoit en mème-temps d’une force extraordinaire, (4) Hiftoire de l'Académie des Sciences, année 1736, page 55. 218 Hifoire Naturelle. & qu’il avoit des fignes de puberté dés l’âge de cinq à fix ans, on pourroit préfumer, qu'ayant abufé des forces prématurées de fon tempéra- ment, {on accroiflement s’étoit ralenti par cette caufe. (e) Un autre exemple d’un très-prompt accroif- fement, eft celui d’un enfant né en Angleterre, & dont il eft parlé dans les Tranfactions Philo- fophiques, N°. 475, art. IL. Cet enfant, âgé de deux ans & dix mois, avoit trois pieds huit pouces & demi. À trois ans un mois, c’eft-à-dire, trois mois apres, il avoit trois pieds onze pouces. Il peloit alors quatre ftones, c’eft-à- dire f6 livres. Le pere & la mere étoient de taille com- mune, & lenfant, quand il vint au monde, n’avoit rien d’extraordinaire; feulement les par- ties de la génération étoient d’une grandeur re- matquable. À trois ans, la verge en repos, avoit trois pouces de longueur, & en action, quatre pouces trois dixiemes, & toutes les par- ties de la génération étoient accompagnées d’un poil épais & frifé. À cet âge de trois ans, il avait la voix mâle, l'intelligence d’un enfant de cinq à fix ans, & il battoit & terrafloit ceux de neuf ou dix ans. Il eut éte à defirer qu’on eût fuivi plus loin J'accroïiffement de cet enfant fi précoce; mais je n'ai rien trouvé de plus à ce fujet dans les Tranfations Philofophiques, (e) Hiftoire de l'Académie des Sciences, amnée 1741, page 25. De l'homme. 219 Pline parle d’un enfant de deux ans, qui avoit trois coudées, c’eft-a-dire, quatre pieds & demi. Cet enfant marchoïit lentement; :1l etoit encore fans raifon, quoiqu'il für déja pubert, avec une voix mâle & forte: il mourut tout-à- coup, à l’âge de trois ans, par une contraction convulfive de tous fes membres. Pline ajoute avoir vu lui-mème un accroiflement à peu-près pareil, dans le fils de Corneille Tacite, cheva- lier Romain, à l’exception de la puberté qui lui manquoit ; & il femble que ces individus pré- coces, fuflent plus communs autrefois qu’ils ne le font aujourd’hui; car Pline dit expreflément, que les Grecs les appelloient ecfrapelos; mais qu’ils n’ont point de nom dans la langue latine. Pline, lis. VII, cap. 16. Tout le monde fait combien il eft important pour la fanté des entans de choïfir de bonnes nourrices. Il eff abfolument nécefaire qu’elles {oient faines & qu’elles fe portent bien, on n’a que trop d'exemples de la communication réci- proque de certaines maladies de la nourrice à Penfant, & de l'enfant à la nourrice. El y a eu des villages entiers, dont tous les habitans ont été infectés du virus vénérien, que quelques nourrices malades avoient communiqué en don. nant à d’autres femmes leurs enfans à al'aiter. Si les meres nourrifloient leurs enfans, il y a apparence qu'ils en {eroient plus forts & plus vigoureux: le lait de leur mere doit leur conve- nir mieux que le lait d’une autre femme; car le fœtus {e nourrit dans la matrice d’une li- queur laiteufe , qui eft fort femblable au lait qui {e forme dans les mamelles : l'enfant cft donc 220 Hifoire Naturelle. déja, pour ainfi dire, accoutumé au lait: de fa mere; au lieu que le lait d’une autre nourrice eft une nourriture nouvelle pour lui, & qui eft quelquefois allez différente de la premiere, pour qu’il ne puilie pas s’y accoutumer ; car on voit des enfans qui ne peuvent s’accommoder du lait de certaines femmes : ils magriflent, ils de- viennent languiflans & malades. Des qu’on s’en apperçoit , 1l faut prendre une autre nourrice: fi l’on n’a pas cette attention, ils périfient en fort peu de temps. Je ne puis m’empècher d’obferver ici, que Pufage où l’on eft de raffembler un grand nom- bre d’enfans dans un mème lieu , comme dans les hôpitaux des grandes villes , eft extrème. ment contraire au principal objet qu’on doit fe propoler, qui eft de les conderver. La plupart de ces enfans périflent par une efpece de fcor- but, ou par d’autres maladies qui leur font com- munes à tous, auxquelles ils ne feroient pas fujets, s'ils étoient élevés féparément les uns des autres , ou du moins s'ils étoient diftri- bués en plus petit nombre dans différentes ha- bitations à la ville , & encore mieux à la cam- pagne. Le mème revenu fufñroit fans doute pour les entretenir, & on éviteroit la perte d'une infinité d'hommes, qui, comme l’on fait, font la vraie richefle d’un Etat. Les enfans commencent à begayer à douze ou quinze mois. La voyelle qu’ils articulent le plus aifément eft V4, parce qu’il ne faut pour cela qu'ouvrir les levres & poufler un fon. PE {uppole un petit mouvement de plus, la an- gue fe releve en haut en mème temps que les De l'homme. 021 : levres s’ouvrent : il en eft de même de V7, la langue fe releve encore plus, & s'approche des dents de la -mächoire {upérieure. L’0 demande que la langue s’abaifle , & que les levres fe fer rent : il faut qu’elles s’alongent un peu , & qu’elles {fe ferrent encore plus pour prononcer PU. Les premieres confonnes que les enfans prononcent , {ont aufli celles qui demandent le moins de mouvement dans les organes : le B, l'M & le P font les plus aifées à articu- ler, Il ne faut pour le B & le P, que joindre les deux levres & les ouvrir avec viteñle; & pour l'M les ouvrir d’abord & enluite les join- dre avec vitefle. L’articulation de toutes les au- tres confonnes fuppofe des mouvemens plus compliqués que ceux-ci, & il y a un mouve- ment de la-:langue dans le Cé&- le D , le' G:, YL,PN, le Q,PR,FS&leT. Il faut pour articuler P F, un {on continué plus long - temps que pour les autres confonnes. Ainfi ; de:tou- tes les voyelles, 4 eft la plus aifée, & de toutes les confonnes le B, le P & PM font auffi les plus faciles à articuler : il n’eft donc pas étonnant que les premiers mots que les en- fans prononcent , foient compolés de cette voyelle & de ces confonnes , & l’on doit cef- fer d’ètre {urpris de ce que, dans toutes les langues, & chez tous les peuples , les enfans commencent toujours par bégayer Baba, Mama, Papa. Ces mots ne font, pour ainfi dire, que les fons les plus naturels à Phomme, parce qu’ils {ont les plus aifés à articuler ; les lettres qui les compolent , ou plurôt les caraéteres qui les repréfentent , doivent exilter chez tous les 292 Hifioire Naturelle. peuples qui ont l'écriture ou d’autres fignes pouf repréfenter les {ons. On doit feulement obferver, que les fons de quelques confonnes étant à peu près {em- blables , comme celui du B & du P, celui du C & de PS, ou du K ou du Q dans de cer- tains cas, celui du D ou du T', celui de lF & de l’Y confonne, celui du G & de }J con- fonne , ou du G & du K, celui de l'E & de PR; il doit y avoir beaucoup de langues où ces différentes confonnes ne fe trouvent pas : fnais il y aura toujours un B ou un P, un C ou une S, un C ou bien un K ou un Q dans d’autres cas; un D ou un T, une F ou un F confonre , un G ou un J confonne, une Z ou une R; & il ne peut guere y avoit moins de fix ou fept confonnes dans le plus petit de tous les alphabets , parce que ces fix ou fept tons ne fuppofent pas des mouvemens bien compliqués, & qu'ils font tous tres - fenfible- ment différens entr'eux. Les enfans qui n’arti- culent pas aifement l’R, y {ubftituent l’L; au lieu du T, ils articulent le D, parce qu’en effet ces premieres lettres fuppofent dans les organes des mouvemens plus difficiles que les dernieres ; & c’eft de cette différence, & du choix des confonnes plus eu moins difficiles à exprimer , que vient la douceur ou la dureté d’une langue ; mais il eft inutile de nous éten- dre {ur ce fujet. Îl y a des enfans, qui, à deux ans, pro- noncent diftinctement & répetent tout ce qu’on leur dit; mais la plupart ne parlent qu’à deux ans & demi, & tres-fouvent beaucoup plus De l’homme. 223 tard. On remarque que ceux qui commencent à parler fort tard, ne parlent jamais aufli aife- ment que les autres: ceux qui parlent de bonne heure , {ont en état d’apprendre à lire avant trois ans. Jen ai connu quelques - uns qui avoient commencé à apprendre à lire à deux ans , qui lifoient à merveille à quatre ans. Au refte, on ne peut guere décider s'il eft fort utile d’inftruire les enfans d’auffi bonne heure : on a tant d'exemples du peu de fuccès de ces éducations prématurées ; on a vu tant de pro- diges de quatre ans , de huit ans, de douze ans , de feize ans , qui n’ont été que des fots ou des hommes fort communs à vingt - cinq ou à trente ans, qu’on feroit porté à croire que Ja meilleure de toutes les éducations eft celle qui eft la plus ordinaire; celle par laquelle on ne force pas la nature, celle qui eft la moins févere , celle qui eft la plus proportionnée , je ne dis pas aux forces, mais à la foibleffe de l'enfant. 224 Hifloire Naturelle. HISTOIRE NATURELLE DE L'HOMME. De la Puberte, Ti Puberté accompagne ladolefcence & pré- cede la jeuncfle. Jufqu’alors la nature ne paroît avoir travaille que pour la confervation & l’ac- croiflement de fon ouvrage ; elle ne fournit à l'enfant que ce qui lui eft néceflaire pour fe nourrir & pour croître. Il vit, ou plutôt 1l végete d’une vie particuliere , toujours foible , renfermée en lui-même & qu'il ne peut com- muniquer ; mais bientôt les principes de vie Îe multiplient ; il a non - feulement tout ce qu’il lui faut pour être, maïs encore de quoi don- ner l’exiftence à d’autres. Cette furabondance de vie, {ource de la force & de la fanté, ne pouvant plus être contenue au dedans , cherche à {e répandre au dehors ; elle s’annonce par plufieurs fignes. L'âge de la puberté eft le prin- temps de la nature , la faifon des plaifirs. Pour- rons-nous écrire l’hiftoire de cet âge avec aflez de circonfpection pour ne réveiller dans lPima- gination que des idées philofophiques ? La pu- berté, les circonftances qui accompagnent, la circoncifion , la caftration , la virginité, lim- puiffance , font cependant trop eflentielles à Phif- toire de homme pour que nous puiflions fup- primer De l'homme, 225 primer les faits qui y ont rapport ; nous tâche rons feulement d'entrer dans ces détails avec cette fage retenue qui fait la décence du ftyle, & de les préfenter comme nous les avons vus nous-mêmes, avec cette indifférence philofo: phique ; qui détruit tout fentiment dans l’ex« preflion , & ne laifle aux mots que leur fima ple fignification. La circoncifion eft un ufage extrèmement ancien ; & qui fubfifte encore dans la plus grande partie de PAfie. Chez les Hébreux, cette - opération devoit {e faire huit jours après la naïf. fance de lenfant ; en Turquie, on ne la fait pas avant l’âge de fept ou huit ans, & mème on attend fouvent jufqu’à onzé ou douze : en Perle, ceft à l’âge dé ciriq ou fix ans. On guérit la plaie en ÿ appliquant des poudres cauf: tiques où aftringentes, & particuliérement du papier brûle, qui eft, dit Chardin, le meilleur remede : ilajoute, que la circoncifion fait beau: coup de douleur aux perfonnes âgées ; qu’elles font obligées de garder la chambre pendant trois femaines ou un mois ; & que quelquefois elles en meurent,, | Aux îles Maldives, on circoncit les enfans à l’âge de fept ans, & on les baigne dans la mer pendant fix ou fépt heures avant l’opéra- tion , pour rendre la peau plus tendre & plus molle. Les Ifraélites {e fervoient d’un couteau de pietre ; les Juifs confervent encore aujour- d’hui cet ufage dans la plupart de leurs {yna- gogues ; mais les Mahométans fe fervent d’un couteau de fer ou d’un rafoir. Dans certaines maladies , on eft obligé de Hif, Nat, des Anim, T. IL 226 Hifloire Naturelle, faire une opération pareille à la circoncifion. ( Voyez l'Anatomie de Dionis, Dem. 4.) On croit que les Turcs & plufieurs autres peuples chez qui la circoncifion eft en ufage, auroient naturellement le prépuce trop long , fi on n’a- voit pas la précaution de le couper. La Bou- laye dit, qu'il a vu dans les déferts de Méfo- potamie & d'Arabie, le long des rivieres du Tigre & de l'Euphrate, quantité de petits gar- cons Arabes, qui avoient le prépuce fi long, qu'il croit que fans le fecours de la circonci- fion , ces peuples {croient inhabiles à la géné. ration, La peau des paupieres eft auf plus longue chez les Orientaux que chez les autres peu. ples, & cette peau eft, comme l’on fait, d’une {ubftance femblable à celle du prépuce : mais quel rapport y a-t-il entre l’accroiflement de ces deux parties fi éloignées ? Une autre circoncifion eft celle des filles. Elle leur eft ordonnée comme aux garçons en quelques pays d'Arabie & de Perle , comme vers le golfe perfique & vers la mer rouge : mais ces peuples ne circoncifent les filles que quand elles ont pañlé l’âge de la puberté, parce qu’il n’y a rien d’excédant avant ce temps - là. Dans d’autres climats, cet accroiflement trop grand des nymphes eft bien plus prompt, & il eft fi général chez de certains peuples, comme ceux de la riviere de Benin, qu’iis font dans lufage de circoncire toutes les filles auff- bien que les garcons, huit ou quinze Jours après Jeur naiflance : cette circoncifion des filles elt De lhornime. 227 mème très ancienne en Afrique ; Hérodote en parle comme d’une coutume dés Éthiopiens. La circoncifion peut donc ètre fondée fur la néceflité, & cet ufage a du moins pour objet la propreté ; mais l’infibulation & la caitration ne peuvent avoir d’autre origine que la jaloufie. Ces opérations barbares & ridicules ont été imaginées par des efprits noirs & fanatiques, qui, par une bañle envie contre le genre hu- main , ont dicté des loix triftes & cruelles, où la privation fait la vertu, & la mutilation le mérite. L'infibulation pour les garcons fe fait en ti- rant le prépuce en avant: on le perce & on le traver{e par un gros fl, que l’on y laiffe juf- qu’à ce que les cicatrices des trous foient fai- tes ; alors on fubftitue au fl un anneau aflez Stand , qui doit relter en place aufli long-temps qu'il plait à celui qui a ordonné l'opération , & quelquefois toute la vie. Ceux qui, parmi lés Moines orientaux , font vœu de chafteté, portent un très-gros atinéau pour fe mettre dans l’impoffbilité d'y manquer. Nous parle- rons dans la fuite de l’infibulation des filles : on ne peut rien imaginer de bizarre & de ridi- cule fur ce fujet que les hommes n'aient mis en pratique , ou par pailion , ou par fuperiti- tion. ï Dans Penfance il n’y a quelquefois qu’un tefticule dans le fcrotüm , & quelquefois point du tout. On ne doit cependant pas toujours juger que les jeunes gens qui font dans Pun ou l’autre de ces cas , foient en effet privés de ce qui paroît leur manquer : il aflez fou 2 228 Hifloire Naturelle. vent que les tefticules font retenus dans lab. domen , ou engagés dans les anneaux des muf- cles; mais fouvent ils furmontent avec le temps les obftacles qui les arrètent, & ils defcendent à leur place ordinaire. Cela fe fait naturelle- ment à l’âge de huit ou dix ans, ou mème à Vage de puberté ; ainfi on ne doit pas s’inquié- ter pour les enfans qui n’ont point de cefticu- les , ou qui n’en ont qu'un. Les adultes font. rarement dans le cas d’avoir les tefticules ca- chés : Apparemment qu’à l’âge de puberté la na- ture fait un effort pour les faire paroître au dehors ; c’eft aufli quelquefois par l'effet d’une maladie ou d’un mouvement violent , tel qu'un faut ou une chüte, &c. Quand mème les tef- ticules ne fe manifeftent pas, on n’en eft pas moins propre à la génération : l’on a mème ob- {ervé que ceux qui font dans cet état, ont plus de vigueur que les autres. 1} {e trouve des hommes qui n’ont réelle- ment qu'un tefticule. Ce défaut ne nuit point à la génération : l’on a remarqué que le tefti- cule qui eft feul, eft alors beaucoup plus gros qu’à lordinaire. Il y a auffi des hommes qui en ont trois: ils font , dit-on, beaucoup plus vi- soureux & plus forts de corps que les autres. On peut voir par lexemple des animaux , com- bien ces parties contribuent à la force & au courage. Quelle différence entre un bœuf & un taureau , un bélier & un mouton, un coq & un chapon ? L’ufage de la caftration des hommes eft fort ancien & généralement aflez répandu : c’étoit la peine de ladultere chez les Égyptiens : il y te De l'homme. 229 avoit beaucoup d’eunuques chez les Romains. Aujourd’hui dans toute PAfie & dans une par- tie de l'Afrique, on fe fert de ces hommes mu- tilés pour garder les femmes. En Italie cette opération infame & cruelle n’a pour objet que la perfection d’un vain talent. Les Hottentots coupent un tefticule , dans lidée que ce retran- chement les rend plus légers à la courfe : dans d’autres pays les pauvres mutilent leurs enfans pour éteindre leur poltérité, & afin que ces enfans ne fe trouvent pas un jour dans la mi- ere & dans l’afiction où ils {e trouvent eux- mêmes lorfqu'ils n’ont point de pain à leur donner. Il y a plufeurs efpeces de caftrations. Ceux qui n’ont en vue que la perfection de la voix, fe contentent de couper les deux tefticules ; mais ceux qui font animés par la défiance qu’infpire la jaloufie, ne croiroient pas leurs femmes en {üreté, fi elles étoient gardées par des eunuques de cette efpece : ils ne veulent que ceux auxquels on a retranché toutes les parties extérieures de la génération. L’amputation n’eit pas le feul moyen dont on fe foit fervi. Autrefois on empéchoit l’ac- croiflement des tefticules , & on les détruiloit, pour ainfi dire, fans aucune incifion : l’on bai- gnoit les enfans dans l’eau chaude & dans les décoctions de plantes, & alors on prefloit & on froifloit les tefticules affez long - temps pour en détruire l’organifation : d’autres étoient dans l'ufage de les comprimer avec un inftrument. On prétend que cette forte de caftration ne fait courir aucun rifque pour la vie. PB 3 230 Hiffoire Naturelle. L’amputation des tefticules n’eft pas fort dangereufe : on la peut faire à tout âge; cepen- dant on prefere le temps de l'enfance : mais l’amputation entiere des parties extérieures de la génération eft le plus fouvent mortelle, fi on la fait apres l’âge de quinze ans ; & en choi- fifant Pâge le plus favorable , qui elt depuis fept ans jufqu’a dix , il y a toujours du danger. La diffculté qu’il y a de fauver ces fortes d’eu- nuques dans lopération , les rend bien plus chers que les autres. Tavernier dit, que les premiers coûtent cinq ou fix fois plus que les autres en Turquie & en Perle. Chardin oblerve, que lamputation totale et toujours accompa- gnce de la plus vive douleur; qu’on la fait aflez fürement " les 1 jeunes er , mais qu'elle eft très - dangereufe pañlé l’âge de quinze ans; qu'il en réchappe a peine un quart ; & qu'il faut fix femaines pour guérir la plaie. Pietro della Valle dit, au contraire, que ceux à qui on fait cette opération en Perle, pour punition du viol & d’autres crimes du mème genre, en guériflent fort heureufement, quoiqu’avancés en âge, & qu'on n'applique que de la cendre fur la plaie. Nous ne favons pas fi ceux qui fubifloient autrefois la mème peine en Égypte, comme le rapporte Diodore de Sicile, s’en tiroient aufi heureufement. Selon fhévenot , il périt tou- jours un grand nombre des Negres que les Turcs {oumettent à cette opération , quoiqu'ils pren- nent des enfans de huit ou dix ans. Outre ces eunuques negres , il y a d’autres eunuques à Conftantinople, dans toute la Tur- quie , en Perle, &c. qui viennent pour la plu- De l'homme. 23T part du royaume de Golconde, de la Prefqu’île en-decà du Gange, des royaumes d’Aflan , d’Aracan, de Pégeu & de Malabar où le teint eft gris; du golfe de Bengale , où ils font de cou- leur olivatre : il y en a des blancs de Géorgie & de Circaflie, mais en petit nombre. Taver- nier dit, qu’étant au royaume de Goïconde en 1657, on y fit jufqu à vingt-deux mille eunu- ques. Les noirs viennent d'Afrique, principa- lement d'Éthiopie : ceux-ci font d’autant plus recherchés & plus chers qu’ils font plus horri- bles. On veut qu'ils aient le nez fort aplati, le regard affreux , les levres fort grandes & fort grofles , & fur - tout les dents noires & écartées les unes des autres. Ces peuples ont communément les dents belles , mais ce {eroit un défaut pour un eunuque noir qui doit être un monitre hideux. Les eunuques auxquels on n’a Ôôté que les tefticules , ne laiflent pas de fentir de lirrita- tion dans ce qui leur refte, & d’en avoir le figne extérieur , mème plus fréquemment que les autres hommes. Cette partie qui leur rcfte, n'a cependant pris qu'un très - petit accroifle- ment ; car elle demeure à peu près dans le mème état où elle étoit avant l'opération. Un eunuque fait à l’âge de fept ans, elt à cet égard à vingt ans comme un enfant de fept ans; ceux au contraire qui n'ont fubi l'opération que dans Je temps de la puberté ou un peu plus tard, font à peu près comme les autres hommes. Il y à des rapports finguliers , dont nous ignorons les caufes, entre les parties de la géné. ration & celles de la gorge. Les ae n'ont 4 233 Hifhoire Naturelle. point de barbe , leur voix, quoique forte & perçante, nelt jamais d’un ton grave; fouvent les maladies fecretes {8 montrent à la gorge. La correfpondance qu'ont certaines parties du corps humain avec d’autres fort éloignées & fort diférentes , & qui elt ici fi marquée , pourroit s’oblerver bien plus généralement ; mais on ne fait pas aflez d'attention aux effets lorfqu'on ne foupconne pas quelles en peuvent être les caufes. C’eft fans doute par cette rai- fon qu'on n’a jamais fongé à examiner avec foin ces correfpondances dans le corps humain, fur lefquelles cependant roule une grande partie du jeu de la machine animale. Il y a dans les femmes une grande correfpondance entre la ma- trice , les mamelles & la tète : combien n’en trouveroit - on pas d’autres fi les grands Méde- cins tourncient leurs vues de ce côté - la? II me paroit que cela feroit peut - ètre plus utile que la Nomenclature de l’Anatomie. Ne doit. on pas être bien perfuadé que nous ne con- noitrons jamais les premiers principes de nos mouvemens ? Les vrais reflorts de notre orga- nifation ne font pas ces mufcles, ces veines, ces arteres , ces nerfs que l’on décrit avec tant d’exactitude & de foin : il réfide , comme nous l'avons dit, des forces intérieures dans les corps organifés, qui ne fuivent point du tout les loix de la mécanique groffiere que nous avons imaginée , @& à laquelle nous voudrions tout réduire. Au lieu de chercher à connoitre ces forces par leurs effets, on a tâché d’en écarter jufqu’à l’idée, on a voulu les bannir de la Philolophie : elles ont reparu cependant, & De l'homme. 233 avec plus déclat que jamais , dans la gravita. tion ; dans les affinités chimiques, dans les phe- nomenes de l'électricité , &c. mais malgré leur évidence & leur univerfalité , comme elles agif- fent à l’intérieur , comme nous ne pouvons les atteindre que par le raifonnement , comme en un mot elles échappent à nos yeux, nous avons peine à les admettre, nous voulons toujours juger par l'extérieur : nous nous imaginons que cet extérieur cit tout , il femble qu’il ne nous foit pas permis de pénétrer au-delà, & nous négligeons tout ce qui pourroit nous y con- duire. Les Anciens, dont le génie étoit moins li. mité & la philofophie plus étendue, s’éton- noient moins que nous des faits qu'ils ne pou- voient expliquer : ils voyoient mieux la nature telle qu’eile eft; une fympathie, une correfpon- dance finguliere n’étoit pour eux qu’un phéno- mene, & c’eft pour nous un paradoxe des que nous ne pouvons le rapporter à nos prétendues loix du mouvement. Ils favoient que la nature opere par des moyens inconnus la plus grande partie de fes effets ; ils étoient bien perfuadés que nous ne pouvons pas faire lénumération de ces moyens & de ces reflources de la na- ture; qu'il eft par conféquent impoñlible à lef- prit humain de vouloir la limiter , en la ré- duifant à un certain nombre de principes d’ac- tion & de moyens d'opération : il leur fufh- foit, au contraire, d’avoir remarqué un certain nombre d’effets relatifs & du mème ordre pour conftituer une caufe. Qu’avec les Anciens on appelle fympathie 234 Hifioire Naturelle. cette correfpondance finguliere des différentes parties du corps, ou qu'avec les Modernes on la confidere comme un rapport inconnu dans Vaction des nerfs, cette fympathie ou ce rap- port exifte dans toute l’économie animale, & lon ne fauroit trop s'appliquer à en obferver les eftets, fi l’on veut perfectionner la théorie de la Médecine : mais ce n’eft pas ici le lieu de m'étendre fur ce fujet important. J’obferverai feulement , que cette correfpondance entre la voix & les parties de la génération, fe recon- noîit non-feulement dans les eunuques , mais aufli dans les autres hommes , & même dans les femmes ; la voix change dans les hommes à l’âge de puberté , & les femmes qui ont la voix foite, {ont foupconnées d’avoir plus de penchant à l'amour, &c. Le premier figne de la puberté eft une efpece d’engourdiflement aux aines , qui devient plus enfible lorfque l’on marche ou lorfque Pon plie le corps en avant. Souvent cet engourdiffement elt accompagné de douleurs aflez vives dans toutes les jointures desmembres : ceci arrive preique toujours aux jeunes gens qui tiennent un peu du rachitifme ; tous ont éprouvé aupa- ravant , où éprouvent en même temps, une fenfation jufqu’alors inconnue dans les parties qui caractérilent le fexe: il s’y éleve une quan- tité de petites proéminences d’une couleur blan- chätre ; ccs petits boutons font les germes d’une nouvelle production , de cette efpece de che- veux qui doivent voiler ces parties : le {on de la voix change ; il devient rauque & inégal pen- dant un elpace de temps aflez long, après le. De l'homme. 23$ quel il fe trouve plus plein, plus affuré, plus fort & plus grave qu’il n’étoit auparavant. Ce changement eft très - fenfible dans les garcons, & s’il l'elt moins dans les filles, c’eft parce que le fon de leur voix eft naturellement plus aigu. Ces fignes de puberté font communs aux deux fexes, mais il y en a de particuliers à chacun. L’éruption des menftrues , l’accroifie- ment du fein pour les femmes; la barbe & lé- miflion de la Hqueur féminale pour les hommes. Il eft vrai que ces fignes ne font pas aufli conf. tans les uns que les autres : la barbe , par exemple, ne paroît pas toujours précilément au temps de la puberté ; il y a mème des nations entieres où les hommes n’ont prefque point de barbe, & il n’y a , au contraire, aucun peuple chez qui la puberté des femmes ne foit mar- quée par l’accroiflement des mamelles. Dans toute l’efpece humaine les femmes arri- vent à la puberté plus tôt que les males ; mais chez les ditérens peuples , l’âse de puberté eft différent , & femble dépendre en partie de la température du climat & de la qualité des ali- mens. Dans les villes & chez les gens aifés, les enfans accoutumés à des nourritures fuccu.. lentes & abondantes arrivent plus tôt à cet état: à la campagne & dans le pauvre peuple, les enfans font plus tardifs, parce qu'ils font sal & trop peu nourris : il leur faut deux ou trois années de plus. Dans toutes les parties méridionales de l'Europe, & dans les villes, la plupart des filles font puberes à douze ans, & les garcons à quatorze ; mais dans les pro- vinces du nord & dans les campagnes, à peine 236 Hifhoire Naturelle. les filles le font - elles à quatorze & les garcons à feize, Si l’on demande pourquoi les filles arrivent plus tôt à l’état de puberté que les garçons, & pourquoi dans tous les climats, froids ou chauds , les femmes peuvent engendrer de meil- leure heure que les hommes, nous croyons pou- voir fatisfaire à cette queftion , en répondant, que comme les hommes font beaucoup plus grands & plus forts que les femmes ; comme ils ont le corps plus folide , plus maflif, les os plus durs, les mufcles plus fermes, la chair plus compacte, on doit prélumer que le temps néceflaire à l’accroiflement de leur corps , doit être plus long que le temps qui eft nécefaire à laccroiflement de celui des femelles; & comme ce ne peut être qu'après cet accroiflement pris en entier, ou du moins en grande partie , que le fuperfu de la nourriture organique commence à être renvoyé de toutes les parties du corps dans les parties de la génération des deux fexes, il arrive , que, dans les femmes , la nourri- ture eft renvoyée plus tôt que dans les hom- mes ; parce que leur accroiflement fe fait en moins de temps, puifqu’en total il eft moindre, & que les femmes font réellement plus petites que les hommes. Dans les climats les plus chauds de l’Afie, de l'Afrique & de l'Amérique , la plupart des filles font puberes à dix & même à neuf ans: l'écoulement périodique, quoique moins abon- dant dans ces pays chauds , paroît cependant plus tôt que dans les pays froids. L’intervalle de cet écoulement eft à peu pres le mème dans De lhomsne. 237 toutes les nations ; & il y a fur cela plus de diverfité d’individu à individu que de peuple à peuple : car dans le mème climat & dans la même nation , il y a des femmes qui tous les quinze jours font fujettes au retour de cette évacuation naturelle, & d’autres qui ont juf- qu’à cinq & fix femaines de libres ; mais ordi- nairement l’intervalle eft d’un mois , à quel- ques jours pres. La quantité de l'évacuation paroït dépendre de la quantité des alimens & de celle de la tranfpiration infenfible. Les femmes qui man- gent plus que les autres & qui ne font point d'exercice , ont des menftrues plus abondantes ; celles des climats chauds, où la tranfpiration eft plus grande que dans les pays froids en ont moins. Hippocrate en avoit eftimé la quan- tité à la mefure de deux émines ; ce qui fait neuf onces pour le poids. Il eft furprenant que cette eltimation qui a été faite en Grece, ait été trouvée trop forte en Angleterre , & qu'on ait prétendu la réduire à trois onces & au - deflous ; mais il faut avouer que les indices que l’on peut avoir fur ce fait , font fort incertains. Ce qu’il y a de für cet que cette quantité varie beaucoup , dans les dif. férens fujets & dans les différentes circonftan- ces : on pourroit peut - être aller depuis une ou deux onces jufqu’a une livre & plus. La durée de l'écoulement eff de trois, quatre ou cinq jours dans la plupart des femmes , & de fix, fept & même huit dans quelques-unes. La fur- abondance de la nourriture & du fang eft la çaufe matérielle des menftrues : les fymptômes 238 Hifioire Naturelle. : qui précedent leur écoulement, font atitant d'in: dices certains de plénitude ; comme ia chaleur; Ja tenfion, le gonflement, & mème la douleur que les femmes reflentent, non -feulement dans les endroits mêmes où font les réfervoirs ; & dans ceux qui les avoifinent, mais aufli dans les mamelles : elles font gonflées , & l’abon- dance du fang y eft marquée par la couleur de leur aréole , qui devient alors plus foncée: les Yeux font chatgés , & au- deflous de lorbite , Ja peau prend une teinte de bleu ou de violet : les joues fe colorent , la tête eft pelante & dou- loureule, & en général tout le corps cit dans un état d’accablement caufe par la furcharge du fang. C’eft ordinairement à l’âge de puberté que le corps acheve de prendre fon accroiflement en hauteur. Les jeunes gens grandiflent prefque tout -à-coup dé plufieurs pouces; mais de tou- tes les parties du corps celles où l’accroifflement eft le plus prompt & le plus {enfible, {ont les parties de la génération dans lun & l’autre Âexe : mais cet accroiflement n’eft,. dans les mâles , qu’un développement , une augmenta- tion de volume, au lieu que , dans les. femel- les , il produit fouvent un rétréciflement , au- quel on a donné différens noms lJorfqu’on a parlé des fignes de la virginité. Les hommes, jaloux des primautés en tout genre , ont toujours fait grand cas de tout ce qu’ils ont cru pouvoir poiléder exclufivement & les premiers : c’eft cette cfpece de folie qui a fait ‘un être réel de la virginité des filles. La virginité , qui cft un être moral, une vertu De lhorne. 239 qui ne confifte que dans la pureté du cœur, eft devenu un objet phyfique , dont tous les hommes fe font occupés. Ils ont établi fur cela des opinions, des ufages, des cérémonies, des fuperftitions , & mème des jugemens & des peines ; les abus les plus idicites, les coutu- mes les plus deshonnètes ont été autorifés : on a foumis à l’examen de matrones ignoran- tes, & expolé aux yeux de Médecins préve. nus les parties les plus fecretes de la nature, fans fonger qu'une pareille indécence eft un attentat contre la virginité ; que c’elt la violer que de chercher à la reconnoître , que toute fituation honteufe, tout état indécent dont une fille eft obligée de rougir intérieurement, eft une vraie défloration. Je n’efpere pas réuflir à détruire les préju- gés ridicules qu’on s’eft formés fur ce {ujet : les chofes qui font plaifir à croire , feront tou- jours crues , quelque vaines & quelque dérai. fonnables qu’elles puiflent être. Cependant , comme dans une hiftoire on rapporte non-feu- lement la fuite des événemens & les circonf- tances des faits, mais aufli l’origine des opi- nions & des erreurs dominantes, j'ai cru que, dans l’hiftoire de l'Homme , je ne pourrois me difpenfer de parler de l’idole favorite à laquelle il facrifie ; d'examiner quelles peuvent être les raifons de fon culte , &.de chercher fi la vir- ginité eft un être réel, ou fi ce n’eft qu’une divinité fabuleufe. Fallope , Véfale , Diemerbroëxk, Riolan, Bartholin , Heïfter, Ruifch & quelques autres Anatomifkes ; prétendent que la membrane de 240 Hiffoire Naturelle. Fhymen eft une partie réellement exiftante 4 qui doit ètre mife au nombre des parties de la génération des femmes, & ils difent, que cette membrane eft charnue ; qu’elle eft fort mince dans les enfans , plus épaitle dans les filles adul- tes ; qu’elle eft fituée au - déflous de l’orifice de Puretre, qu’elle ferme en partie l’entrée du va- gin ; que cette membrane eft percée d’une ou- verture ronde, quelquefois longue ; &c. que lon pourtoit à peine y faire pañler un pois dans l'enfance, & une grofle feve dans l’âge de pu- berté. L’hymen, felon M. Winslow , eft un replis membraneux , plus ou moins circulaire, plus ou moins large, plus ou moins égal, quel- quefois fémi-lunaire , qui laifle une ouverture tres - petite dans les unes, plus grande dans les autres, &c. Ambroife Paré, Dulaurent, Graaf, Pineus, Dionis , Mauriceau , Palfin, & plu- fieurs autres Anatomiftes, aufli fameux & tout au moins aufli accrédités que les premiers que nous avons cités, foutiennent , au contraire ; que la membrane de l’hymen n’eit qu’une chi- mere ; que cette partie n’eft point naturelle aux filles , & ils s’étonnent de ce que les autres en ont parlé comme d’une chofe réelle & coniftante : ils leur oppofent une multitude d’expériences ; par lefquelles ils fe font aflurés que cette mem- brane n’exilte pas ordinairement : ils rappor- tent les oblervations qu’ils ont faites fur un. grand nombre de filles de différens âges, qu’ils ont difléquées , & dans lefquélles ils n’ont pu trouver cette membrane ; ils avouent feule- ment , qu'ils ont vu quelquefois, mais bien rarement ; une membrane qui unifloit des kr tUDE: . + De lhominé, QAÏ tubérances charnues , qu’ils ont appellées ca: roncules myrtiformes ; mais ils foutiennent que cette membrane étoit contre l’état naturel. Les Anatomiftes ne font pas plus d’accord entr'eux fur la qualité & le nombre de ces caroncules. Sont - elles feulement des rugofités du vagin ? {ont-elles des parties diftinétes & féparées ? font - elles des reftes de la membrane de l’hy- men ? le nombre en eft-il conftant ? n’y ert a-t-il qu'une feule ou plufieurs dans l’état de virginité ? Chacune de ces queftions a été faite ; & chacune a été réfolue différemment. Cette contrariété d’opinions ; fur un fait qui dépend d’une fimple infpection , prouve que les hommes ont voulu trouver dans la na- ture ce qui n’étoit que dans leur imagifiation , puifqu'il y a plufieurs Anatomiftes qui difent de bonne foi, qu’ils n’ont jamais trouvé d’hy- men ni de caroncules dans les filles qu’ils ont difléquées , mème avant l’âge de puberté; pui: que ceux qui {outiennent , au contraire, que cette membrane & ces caroncules exiftent avouent en même temps que ces parties ne font pas toujours les mèmes ; qu’elles varient de forme ; de grandeur & de confiftancé dans les différens fujets; que fouvent, au lieu d’hy- men, il n’y a qu'une caroncule ; que d’autres fois il y en a deux ou plufieurs réunies par une membrane; que l'ouverture de cette membrane eft de différente forme , &c. Quelles font les conféquences qu’on doit tirer de toutes ces ob- fervations ? qu’en peut-on conclure, finon . que les caufes du prétendu rétréciflement de Ventrée du vagin ne font pas conftarites , & Hif, Nat. des Anim. T, 1], Œ 242 Hifioire Naturelle. que loïfqu’elles exiftent , elles n’ont tout au plus qu’un effet pañager, qui eft fufceptible de différentes modifications ? L’Anatomie laifle , comme l’on voit, une incertitude entiere fur l’exiftence de cette membrane de l’hymen & de ces caroncules ; elle nous permet de rejetter ces fignes de la virginité, non-feulement comme incertains , mais mème comme imaginaires. Îl en eft de mème d’un autre figne plus ordinaire , mais qui cependant elt tout aufli équivoque ; c’eit le fang répandu. On a cru , dans tous les temps, que l’eHufion du fang étoit une preuve réelle de la virginité ; cependant il eft évident que ce prétendu figne eft nul dans toutes les circon{tances où lentrée du vagin a pu être re- lâchée ou dilatée naturellement. Aufli toutes les filles , quoique non dcflorées, ne répandent pas du fang ; d’autres, qui le font en effet, ne laif- fent pas d'en répandre : les unes en donnent abondamment & plufieurs fois , d’autres tres- peu & une feule fois 3 d’autres point du tout: cela dépend de l’âge, de la fanté, de la con- formation & d’un grand nombre d’autres cir- conftances. Nous nous contenterons d'en rap- porter quelques-unes ; en mème temps que nous tâcherons de démèler fur quoi peut ètre fondé tout ce qu’on raconte des fignes phyfi- ques de la virginité. Il arrive dans les parties de l’un & de l’au- tre {exe un changement confidérable dans le temps de la puberté: celles de l’homme pren- nent un prompt accroiflement , & ordinaire- ment elles arrivent en moins d’un an ou deux à l’état où elles doivent refter pour toujours : De l'homme. 243 celles de la femme croiflent aufli dans le mème temps de la puberté ; les nymphes fur- tout; qui étoient auparavant prefque infenfibles, de- viennent plus grofles, plus apparentes, & même elles excedent quelquefois les dimenfions ordi- naires ; l'écoulement périodique arrive en mêmé temps , & toutes ces parties {e trouvent gon- fées par l'abondance du fang; & étant dans un état d’accroiflement, elles {e tuméfent , elles fe {errent mutuellement, & ellés s’attachent les unes aux autres dans tous les points où elles {e touchent immédiatement : l’orifice du vagin fe trouve ainfi plus rétréci qu’il ne l’étoit , quoi- que le vagin lui- mème ait pris aufi de lac: croiflement dans le même temps. La forme de ce rétréciflement doit, comme l’on voit, être — fort différente dans les différens fujets & dans les différens degrés de l’accroifflement de ces par: ties ; aufli paroît-il ; par ce qu’en difent les Anatomiftes , qu’il y a quelquefois quatre pro- tubérances ou caroncules , quelquefois trois ou deux ,; & que fouvent il fe trouve une efpece d’anneau circulaire ou fémi - lunaire , ou bien un froncement , une fuite de petits plis: mais ce qui telt pas dit par les Anatomiites, c’eft que , quelque forme que prenne ce rétrécifle- ment ; il n'arrive que dans le temps de la pu- berté. Les petites filles que j'ai eu occafon de voir diféquer ; n’avoient rien de femblable ; & ayant recueilli des faits fur ce fuiet , je puis avancer , que, quand elles ont commerce avec les hommes avant la puberté , il n’y a aucune efflufion de fang, pourvu qu'il n’y ait pas une difproportion trop grande ou des efforts trop { 7 4 TJ es 7 244 Hifioire Naturelle. brufques : au contraire, lorfqu’elles font en pleine puberté & dans le temps de l’accroifle- ment de ces parties, il y a tres - fouvent effu- fion de fang pour peu qu’on y touche, fur- tout fi elles ont de l’embonpoint, & fi les re- gles vont bien ; car celles qui font maigres, ou qui ont des fleurs blanches, n’ont pas or- dinaïrement cette apparence de virginité; & ce qui prouve évidemment que ce n’eft en effet qu’une apparence trompeule, c’eft qu’elle fe ré- pete mème plufieurs fois, & après des inter- valles de temps aflez confidérables. Une inter- ruption de quelque temps fait renaitre cette prétendue virginité , & il eft certain qu’une jeune perfonne , qui, dans les premieres ap- proches , aura répandu beaucoup de fang , en répandra encore après une abfence, quand mème le premier commerce auroit duré pendant plu- fieurs mois , & qu’il auroit été auffi intime & aufli fréquent qu’on le peut fuppofer. Tant que le corps prend de laccroiflement , leffu- fion de fang peut fe répéter, pourvu qu’il y ait une interruption de commerce aflez longue pour donner le temps aux parties de fe réunir & de reprendre leur premier état; & il eft ar rivé plus d’une fois , que des filles qui avoient eu plus d’une foiblefle , n’ont pas laiflé de donner enfuite à leur mari cette preuve de leur virginité , {ans autre artifice que celui d’avoir renoncé pendant quelque temps à leur com- merce illégitime. Quoique nos mœurs aient rendu les femmes trop peu finceres fur cet ar- ticle , il s’en eft trouvé plus d'une qui ont avoué les faits que je viens de rapporter. Il y De l'homme. 24$ en a dont la prétendue virginité s’eft renou- vellée jufqu’à quatre & mème cinq fois, dans Vefpace de deux ou trois ans. Il faut cependant convenir , que ce renouvellement n’a qu’un temps ; C’eft ordinairement de quatorze à dix- fept, ou de quinze à dix-huit ans. Dès que le corps a achevé de prendre {on accroiflement ; les chofes demeurent dans l’état où elles font , & elles ne peuvent paroîitre différentes qu’en employant des fecours étrangers, & des artif- ces dont nous nous difpenterons de parler. Ces filles dont la virginité fe renouvelle , ne font pas en aufli grand nombre que celles à qui la nature a refufé cette efpece de faveur. Pour peu qu'il y ait de dérangement dans la fanté , que l’écoulement périodique fe montre mal & difficilement , que les parties foient trop humides , & que les fleurs blanches viennent à les relacher , il ne fe fait aucun rétrécifie. ment , aucun froncement , ces parties pren- nent de laccroiflement ; mais étant continuel- lement humectées , elles n’acquierent pas aflez de fermeté pour fe réunir ; il ne fe forme ni caroncules, ni anneau, ni plis ; l’on ne trouve que peu d’obftacles aux premieres approches , & elles fe font 1ans aucune eHufion de fang. Rieu n’eft donc plus chimérique que les préjugés des hommes à cet égard, & rien de plus incertain que ces prétendus fignes de la virginité du corps. Une jeune perfonne aura commerce avec un homme avant l’âge de pu-. berte, & pour la premiere fois ; cependant elle ne donnera aucune marque de cette virginité : entuite la mème perfonue, après LÉO temps 3 246 Hifioire Naturelle. d'interruption, lorfqu’elle fera arrivée à la pus berté, ne manquera guere , fi elle fe porte bien, d’avoir tous ces fignes , & de répandre du fang dans de nouvelles approches : elle ne devien- dra pucelle qu'après avoir perdu fa virginité, elle pourra mème le devenir plufieurs fois de fuite & aux mèmes conditions. Une autre , au contraire, qui {era vierge en effet, ne fera pas pucelle , ou du moins n’en aura pas la moindre apparence. Les hommes devroient donc bien fe tranquillifer fur tout cela, au lieu de fe livrer comme ils le font fouvent, à des foupcons in- juftes ou à de faufles joies, felon qu’ils s’ima. ginent avoir rencontre. Si l’on vouloit avoir un figne évident & infaillible de virginité pour les filles, il fau- droit le chercher parmi ces nations fauvages & barbares, qui n'ayant point de fentimens de vertu & d'honneur à donner à leurs enfans par une bonne édution , s’aflurent de la chaf- tete de leurs filles par un moyen que leur a fuggéré la groffiéreté de leurs mœurs. Les Ethio- piens & plufieurs autres peuples de l'Afrique, les habitans du Pégu & de l'Arabie pétrée, & quelques autres nations de l’Afie, auffitôt que leurs filles font nées, rapprochent par une forte de couture les parties que la nature a féparées , & ne laiflent libre que lefpace qui eft nécef- faire pour les écoulemens naturels: les chairs adherent peu à peu à mefure que lenfant prend fon accroiflement , de forte que l’on eft obligé de les {parer par une incifion lorfque le temps du mariage eft arrivé. On dit qu’ils emploient pour cette infibulation des femmos, un fil d’a- De l'homme. 247 miante, parce que cette matiere n’elt pas fujette à la corruption. Il y a certains peuples qui paf. fent feulement un anneau. Les femmes font foumifes, comme les filles , à cet ufage outra- geant pour la vertu, on les force de même à porter un anneau; la feule différence eit, que celui des filles ne peut s’ôter, & que celui des femmes a une efpece de ferrure dont le mari feul a la clef. Mais pourquoi citer des nations barbares, lorfque nous avons de pareils exem. piles aufh près de nous ! La délicatefle dont quelques-uns de nos voifins fe piquent iur la chefteté de leurs femmes , eift-elle autre chofe qu’une jaloufie brutale & criminelle ? Quel contrafte dans les goûts & dans les mœurs des différentes nations! quelle contra- riété dans leur facon de penfer! Après ce que nous venons de rapporter fur le cas que la plu- part des hommes font de la virginité, fur les précautions qu'ils prennent & fur les moyens honteux qu'ils fe {ont avifés d'employer pour s’en aflurer , imagincroit-on que d’autres peu- ples la méprifent, & qu’ils regardent comme un ouvrage fervile la peine qu’il faut prendre pour ôter ? - La fuperftition a porté certains peuples à céder les prémices des vierges aux prêtres de leurs idoles, ou à en faire une efpece de facri- fice à l’dole même. Les prètres des royaumes de Cochin & de Calicut jouiflent de ce droit, & chez les Canariens de Goa, les vierges font proftituces, de gré ou de force, par leurs plus proches parens, à une idole de fer:, la fuperfti. Q. 4 248 Hifioire Naturelle. tion aveugle de ces peuples leur fait commettre ces exces dans des vues de religion. Des vues purement humaines en ont engagé d’autres à livrer avec empreflement leurs filles à leurs chefs, à leurs maîtres, à leurs feigneurs : les habitans des îles Canaries, du royaume de Congo, prof- tituent leurs filles de cette façon, fans qu’elles en foient deshonorées; c’eft à peu près la mème chofe en Turquie & en Perfe, & dans plufieurs autres pays de l’Afie & de l'Afrique, où les plus grands feigneurs fe trouvent trop honorés de recevoir de la main de leur maitre les femmes dont il s’eft dégouté. Au royaume d’Aracan & aux îles Philippi- nes , un homme fe croiroit deshonoré s’il épou- foit une fille qui n’eût pas été déflorée par un autre; & ce n’eft qu’à prix d'argent que l’on peut engager quelqu'un à prévenir l'époux. Dans la province de Thibet, les meres cherchent des étrangers, & les prient inftamment de mettre leurs filles en état de trouver des maris. Les Eappons préferent aufli les filles qui ont eu commerce avec des étrangers : ils penfent qu’el- les ont plus de mérite que les autres, puifqu’el, les ont fu plaire à des hommes qu’ils regardent comme plus connoifleurs & meilleurs juges de Ja beauté qu'ils ne le font eux-mêmes. À Ma: dagafcar, & dans quelques autres pays, les filles les plus libertines & les plus débauchées fone celles qui font le plutôt mariées. Nous pour- rions donner plufieurs autres exemples de ce goût fingulier, qui ne peut venir que de la grod: liéreté ou de la dépravation des mœurs. De l'homme. 249 L'état naturel des hommes après la puberté, eft celui du mariage. Un homme ne doit avoir. qu’une femme, comme une femme ne doit avoir qu’un homme. Cette loi eft celle de la nature, puifque le nombre des femelles eft à peu pres égal à celui des mâles: ce ne peut donc être qu’en s’éloignant du droit naturel, & par la plus injufte de toutes les tyrannies, que les hommes ont établi des loix contraires. La rai- fon, l'humanité, la juftice réclament contre ces férails odieux, où lon facrifie à la pathion bru- tale ou dédaigneufe d’un feul homme, la liberté & le cœur de plufeurs femmes, dont chacune pourroit faire le bonheur d’un autre homme. Ces tyrans du genre humain en font-ils plus heureux ? Environnés d’eunuques & de femmes inutiles à eux-mêmes & aux autres hommes, ils font aflez punis : ils ne voient que les malheu- reux qu'ils ont faits. Le mariage, tel qu’il eft établi chez nous & chez les autres peuples raifonnables & religieux, eft donc l’état qui convient à l’homme, & dans lequel il doit faire ufage des nouvelles facultés qu’il a acquifes par la puberté, qui lui devien- droient à charge, & mème quelquefois funeftes, s’il s’obftinoit à garder le célibat. Le trop long féjour de la liqueur féminale dans fes réfervoirs peut caufer des maladies dans l’un & dans Pau. tre fexe, ou du moins des irritations {1 violen- tes, que la raifon & la religion {erotent à peine fuMfantes pour réfifter à ces paflions impétueu- fes; elles rendroient l’homme {emblable aux 250 Hifloire Naturelle. animaux, qui font furieux & indomptables lorf- qu'ils reflentent ces impreflions. (*) L'effet extrème de cette irritation, dans les femmes, eft la fureur utérine. C’eft une efpece de manie qui leur trouble l’efprit & leur ôte toute pudeur: les difcours les plus lafcifs, les actions les plus indécentes accompagnent cette trilte maladie & en décelent l’origine. J’ai vu, & je lai vu comme un phénomene , une fille de douze ans, très-brune, d’un teint vif & fort coloré, d’une petite taille; mais déja formée, avec de la gorge & de l’embonpoint, faire les actions les plus indécentes au {eul afpet d’un homme : rien n’étoit capable de l’en empecher ; ni la préfence de fa mere, ni les remontrances, ni les châtimens. Elle ne perdoit cependant pas Ja raifon , & fon accès, qui étoit marqué au point d’en ètre affreux, cefloit dans le moment qu'elle demeuroit feule avec des femmes. Ariftote prétend que c’eft à cet âge que l’irritation eft la plus grande, & qu’il faut garder le plus foigneu- fement les filles. Cela peut ètre vrai pour le climat où il vivoit; mais il paroïît, que, dans les pays plus froids, le tempérament des femmes ne commence à prendre de lardeur que beau. coup plus tard. Lorfque la fureur utérine eff à un certain degré, le mariage ne la calme point: il y a des exemples de femmes qui en font mortes. Heu- (*) Nous en pouvons citer un exemple fingulier, que mous avons renvoyé à la fin de çe difcours pour ne pas trop interrompre. De l'homme. 2S1 reufement la force de la nature caufe rarement toute feule ces funeftes paflions, lors mème que le tempérament y eft dilpoié : il faut, pour qu’elles arrivent à cette extrémité, le concours de plufieurs caufes, dont la principale eft une imagination allumée par le feu des converfations licencieules & des images obfcenes. Le tempeé- rament oppolé eft infiniment plus commun parmi les femmes : Ja plupart font naturelle- ment froides, ou tout au moins fort tranquil- les fur le phyfque de cette pañlion. Il y a auff es hommes auxquels la chalteté ne coûte rien: jen ai connu qui jouifloient d’une bonne fante, & qui avoient atteint l’âge de vingt-cinq & trente ans, fans que la nature leur eût fait fen. tir des befoins aflez preflans pour les détermi- ner à les fatisfaire en aucune facon. Au refte, les exces font plus à craindre que Ja continence. Le nombre des hommes immo- dérés eft aflez grand pour en donner des exem- ples: les uns ont perdu la mémoire, les autres ont été privés de la vue; d’autres font devenus chauves , d’autres ont péri d’épuifement : la faignée eft, comme l’on fait, mortelle en pareil cas. Les perfonnes fages ne peuvent trop aver- tir les jeunes gens du tort irréparable qu'ils font à leur fanté: combien n’y en a-t-il pas qui ceflent d’être hommes, ou du moins qui ceffent d’en avoir les fecultés, avant l’âge de trente ans ? combien d’autres prennent à quinze & à dix- huit ans les germes d’une maladie honteufe, & {ouvent incurable ? 2$2 Hifloire Naturelle. Nous avons dit que c’étoit ordinairement à Jâge de puberté que le corps achevoit de pren- dre fon accroïiflement. Il arrive aflez {ouvent, dans la jeunefle, que de longues maladies font grandir beaucoup plus qu’on ne grandiroit fi lon étoit en fanté : cela vient, à ce que je crois, de ce que les organes extérieurs de la génération, étant fans action pendant tout le temps de Ja maladie, la nourriture organique n’y arrive pas, parce qu'aucune irritation ne Vy détermine, & que ces organes étant dans un état de foiblefle & de langueur , ne font que peu ou point de fécrétion de liqueur féminale. Des-lors ces particules organiques, reftant dans la mañle du fang, doivent continuer à dévelop- per les extrèmités des os, à peu près comme il atrive dans les eunuques: aufli voit-on tres- fouvent des jeunes gens, après de longues ma- Jadies, ètre beaucoup plus grands, mais plus mal faits qu’ils n’étoient. Les uns deviennent contrefaits des jambes, d’autres deviennent bof. fus, &c. parce que les extrèmités, encore duc- tiles de leurs os, fe font développées plus qu’il ne falloit par le fuperflu des molécules organi. ques, qui, dans un état de fanté, n’auroit été employé qu’à former la liqueur féminale. L'objet du mariage eft d’avoir des enfans; mais quelquefois cet objet ne fe trouve pas rempli. Dans les différentes caufes de la ftéri- lité, il y en a de communes aux hommes & aux femmes; mais comme elles font plus appa- rentes dans les hommes , on les leur attribue pour lordinaire. La fHérilité eft caufée dans De lhonime. 253 Pun & dans l’autre fexe, ou par un défaut de conformation, ou par un vice accidentel dans les organes. Les défauts de conformation les plus eflentiels dans les hommes, arrivent aux telticules ou aux mufcles érecteurs. La faufle direction du canal de luretre, qui, quelquefois, elt détourné à côté ou mal perce, eft aufli un défaut contraire à la génération; mais il faudroit que ce canal fût fupprimé en entier pour la rendre impoflible. L’adhérence du prépuce par le moyen du frein, peut être corrigée; & d’ail- leurs ce n’eft pas un obftacle infurmontable. Les organes des femmes peuvent auifi être mal conformés. La matrice toujours fermée, ou tou- jours ouverte, {eroit un défaut également con- traire à la génération ; mais la caufe de fférilité la plus ordinaire aux hommes & aux femmes, c’eft altération de la liqueur feminale dans les tefticules. On peut fe fouvenir de l’obfervation de Vallifnieri, que j'ai citée ci-devant, qui prouve que les liqueurs des tefticules des femmes étant corrompues, elles demeurent ftériles. Il en eft de mème de celles de l’homme. Si la fécrétion par laquelle fe forme la femence , eft viciée , cette liqueur ne fera plus féconde; & quoiqu’à l'extérieur, tous les organes de part & d’autre paroillent bien difpofés, il n’y aura aucune pro- duétion. | Dans les cas de ftérilité on a fouvent em- ployé difflérens moÿens pour reconnoître fi le défaut venoit de l’homme ou de la femmr. L’infpection eft le premier de ces moyens; & il fuffit en effet, fi la férilité eft caufée par u: défaut extérieur de conformation : mais fi les 254 Hifioire Naturelle. organes défectueux font dans l’intérieur du cofps, alors on ne reconnoit le défaut des organes que par la nullité des ettets. Il y a des hommes, qui, à la premiere infpection, paroïflent ètre bien conformés, auxquels cependant le wrai figne de la bonne conformation manque abfolument : il y en a d’autres, qui n’ont ce figne que fi im- parfaitement ou fi rarement , que c’eft moins un figne certain dé la virilité qu’un indice équi- voque de limpuiflance. Tout le monde fait que le mécanifme de ces parties elt indépendant de la volonté. On ne commande point à ces organes, lame ne peut les résir; c’eft du corps humain la partie la plus animale : elle agit en eHet par une efpece dinftin@ dont nous ignorons les vraies caufes. Combien de jeuncs gens, élevés dans la pureté & vivans dans la plus parfaite innocence & dans lignorance totale des ‘plaifirs, ont reflenti Jes impreflions les plus vives, fans pouvoir de- viner quelle en étoit la caufe &:. l’objet! com- bien de jeunes gens, au contraire, demeurent dans là plus froide langueur malgré tous les eHorts Ée leurs fens & de leur imagination, malgré la préfence des objets, malgré tous les £cours de l’art de la débauche! Cette partie de notre corps eft donc moins à nous qu'aucune autre : elle agit ou elle lan- guit fans notre participation; fes fonctions com- naencent & finiflent dans de certains temps, à un certain âge. Tout cela fe fait fans nos an dres, & fouvent contre notre confentement, Pourquoi donc l’homme ne traite-t-il pas cette De l'homme, 2$S partie comme rebelle . ou du moins comme étrangere? pourquoi femble-t-1l lui obéir ? Eft-ce parce qu’il ne peut lui commander ? Sur quel fondement étoient donc appuyées ces loix fi peu réfléchies dans le principe, & fi deshonnètes dans Pexécution? comment le con- grès a-t-il pu ètre ordonné par des hommes qui doivent {e connoître eux-mèmes, & {avoir que rien ne dépend moiïins d’eux que Paction de ces organes , par des hommes qui ne pouvoient ignorer, que toute émotion de lame, & fur-tout la honte, font contraires à cet état, & que la publicité & l'appareil feuls de cette épreuve étoient plus que fufifans pour qu’elle füt fans fucces ? Au refte, la ftérilité vient plus fouvent des femmes que des hommes, lorfqu’il n’y a aucun défaut de confomation à l'extérieur ; car indé- pendamment de l'effet des fleurs blanches, qui, quand elles font continuelles, doivent cauler ou du moins occafonner la fkérilité, il me pa- toit qu'il y a une autre caule, à laquelle on n’a pas fait attention. | __ On a vu par mes expériences (chap. VI. ) que les tefticules des femelles donnent naiflance à des efpeces de tubérofités naturelles, que j'ai appellées corps glanduleux. Ces corps, qui croit- ent peu à peu, & qui fervent à filtrer, à per- fectionner & à contenir la Jiqueur féminale, font dans un état de changement continuel. [ls com- mencent par groflir au-deflous de Ja membrane du tefticule ; enfuite ils la percent, ils fe gontien: ; leur extrèmité s'ouvre d’ellemème, elle Jaife 256 Hifloire Naturelle. diftiller la liqueur féminale pendant un certain temps; après quoi ces corps glanduleux s’affaif: {ent peu à peu, fe deñechent, fe reflerrent & s’obliterent enfin prelque entiérement ; ils ne laiflent qu’une petite cicatrice rougeitre, à l’en- droit où ils avoient pris naiflance. Ces corps glanduleux ne font pas fitôt évanouis qu’il en poufie d’autres; & mème, pendant laffaifles ment des premiers , 1] s’en forme de nouveaux ; en forte que les tefticules des femelles font dans un état de travail continuel, ils éprouvent des changemens & des altérations confidérables : pour peu qu’il y ait donc de dérangement dans cet organe, foit par l’épaifliflement des liqueurs, {oit par la foibleffe des vaifleaux , il ne pourra plus faire {es fonctions ; il n’y aura plus de f£- crétion de liqueur {éminale, ou bien cette mème liqueur fera altérée, vicice, corrompue; ce qui caufera néceflairement la ftérilité. Il arrive quelquefois que la conception de- vance les fignes de la puberté. Il y a beaucoup de femmes qui font devenues meres avant que d’avoir eu la moindre marque de lécoulement naturel à leur fexe; il y en a mème quelques- unes, qui, fans ètre jamais fujettes à cet écou- lement périodique, ne laiflent pas d’engendrer : on peut en trouver des exemples dans nos cli- mats fans les chercher jufque dans le Brefil, où des nations entieres {e perpétuent, dit-on, faus qu'aucune femme ait d'écoulement pério- dique. Ceci prouve encore bien clairement, que Île fang des menftrues n’eft qu’une matiere accefioire à la génération, & qu’elle peut être fuppléée; De l'homme, 2$7 fupplèée; que la matiere effentielle & nécellaire eft la liqueur féminale de chaque individu: on fait aufli que la ceffation des regles, qui atrive ordinairement à quarante ou cinquante ans, ne met pas toujours les femmes hors d'état de con- cevoir ; il y en a qui ont concu à foixante & foixante & dix ans, & mème dans un âge plus avancé. On regardera, fi l’on veut, ces exem- ples, quoiqu’aflez fréquens, comme des excep- tions à la regle; mais ces exceptions {ufifent pour faire voir que la matiere des menitrues ieft pas effentielle à la génération. Dans le cours ordinaire de la nature les fem- mes ne fout en état de concevoir qu'après la premiere éruption des regles; & la ceflation de cet écoulement à un certain âge les rend ftériles pour le refte de leur vie. L’age auquel l’hom- me peut engendrer, n’a pas des termes aufli marqués: il faut que le corps {oit parvenu à un certain point d’accroiflement pour que la liqueur féminale foit produite; il faut peut-être un plus grand degré d’accroifflement pour que l’élabora- tion de cette liqueur foit parfaite: cela arrive ordinairement entre douze & dix-huit ans. Mais l’âge où l’homme cefle d’ètre en état d’enigendrer ne femble pas étre déterminé par la nature: à foixante ou {oixante & dix ans, lorfque la vieil. lefle commence à énerver le corps, la liqueur féminale eft moins abondante, & {ouvent elle r’eft plus prolifique: cependant on a plufieurs exemples de vieillards qui ont engendré jufqu’à quatre - vingt & quatre-vingt - dix ans: les re- cueils d’obfervations font remplis de faits de cette efpece. Hifi, Nat. des Anim, T. I], R 2538 Hifioire Naturelle. Il y a auffi des exemples de jeunes garcons qui ont engendré a l’âge de neuf, dix & onze ans, & de petites filles qui ont concu à fept, huit ou neuf ans; mais ces faits font extrème- ment rares, & on peut les mettre au nombre des phénomenes finguliers. Le figne extérieur de Ja virilité commence dans la premiere en- fance : mais cela feul ne fuit pas; il faut de plus la production de la liqueur féminale , pour que la génération s’accomplifle, & cette production ne fe fait que quand le corps a pris la plus grande partie de fon accroiflement. La premiere émiflion eft ordinairement accompagnée de quel- que douleur, parce que la liqueur n’eft pas en- core bien fluide; elle eft d’ailleurs en tres-petite quantité, & prefque toujours inféconde dans le commencement de la puberté. Quelques Auteurs ont indiqué deux fignes pour reconnoître fi une femme a conçu: le pre- mier eft un faififlement ou une forte d’ébranle- ment qu’elle reflent, difent-ils, dans tout le corps, au moment de la conception , & qui mème dure pendant quelques jours ; le fecond eft pris de l’orifice de la matrice, qu’ils aflurent ètre entiérement fermé après la conception : mais il me paroît que ces fignes font au moins bien équivoques, s'ils ne font pas imaginaires. Le faififlement qui arrive au moment de Ja conception eft indiqué par Hippocrate , dans ces termes: Liquidô conftaf harum rerum peritis, quôd mulier, ubi concepit , flatim, inhorefcit ac dentibus Jtridet £ÿ articulum reliquumque corpus convulfio prehendit. C’eft donc une forte de file {on que les femmes reflentent dans tout le corps \ 4 à De l’homme. 259 au moment de la conception, felon Hippocrate, & le friflon feroit aflez fort pour faire choquer les dents les unes contre les autres, comme dans la fievre. Galien explique ce {ymptôme par un mouvement de contraction ou de refler. rement dans la matrice, & il ajoute, que des femmes lui ont dit qu’elles avoient eu cette fen- fation au moment ou elles avoient conçu. D’au- tres Auteurs l’expriment par un fentiment vague de froid, qui parcourt tout le corps, & ils em- ploient aufli le mot d’horror & d’horripilatio. La plupart établiflent ce fait, comme Galien, {ur le rapport de plufieurs femmes. Ce fymptôme feroit donc un effet de la contraction de la ma- trice, qui {e reflerreroit au moment de la con- ception, & qui fermeroit par ce moyen fon orifice, comme Hippocrate l’a exprimé par ces mots: Que in utero gerunt, harum os uteri clau- Jum eff, ou felon un autre Traducteur: Que cumque funt gravide, illis os uteri connivet. Ce- pendant les {entimens {ont partagés {ur les chan gemens qui arrivent à l’orifice interne de Ja matrice après la conception : les uns foutien- nent que les bords de cet orifice fe rapprochent de façon qu’il ne refte aucun efpace vide en- tr'eux, & c’eft dans ce {ens qu’ils interpretent Hippocrate; d’autres prétendent, que ces bords ne font exactement rapprochés qu'après les deux premiers mois de la groflefle; mais ils convien- nent qu'immédiatement après la conception, lorifice eft fermé par l’adhérence d’une humeur glutineule, & ils ajoutent, que la matrice, qui, hors de la groflefle, pourroit recevoir par {on orifice un corps de la groffeur d’un pois, na p2 269 Hifioire Naturelle. plus d'ouverture fenfible après la conception, & que cette différence eft fi marquée, qu’une fage-femme habile peut la reconnoître. Cela {up polé, on pourroit donc conftater l’état de la groflefie dans les premiers jours. Ceux qui font oppofés à ce fentiment, dilent, que fi orifice de la matrice étoit fermé après la conception, il feroit impoñhble qu’il y eût de fuperfétation. : On peut répondre à cet objection, qu’il eft très- poflble que la liqueur féminale pénetre à travers les membranes de la matrice; que mème la ma- trice peut s'ouvrir pour la fuperfétation dans de certaines circonftances, & que d’ailleurs les fuperfetations arrivent fi rarement qu’elles ne peuvent faire qu'une légere exception à la regle générale. D’autres Auteurs ont avancé, que le changement qui arriveroit à orifice de la ma- trice, ne pourroit ètre marqué que dans les fem- mes qui auroient déja mis des enfans au monde, & non pas dans celles qui auroient concu pour la premiere fois. Il eft à croire, que, dans celles-ci, la différence fera moins fenfible ; mais quelque grande qu’elle puifle ètre, en doit-on conclure, que ce figne eft réel, conftant & cer- tain? Ne faut-il pas du moins avouer qu’il n’eft pas allez évident? L'étude de l’'Anatomie & lex périence ne donnent fur ce fujet que des con- noiflances générales, qui font fautives dans un examen particulier de cette nature. Il en eft de mème du faififlement ou du froid convulfif, que certaines femmes ont dit avoir reflenti au moment de la conception. Comme la plupart des femmes n’éprouvent pas le mème fymptôme, que d’autres affurent , au contraire, avoir ref. De l'homme. 261 fenti une ardeur brülante, caufée par la chaleur de la liqueur féminale du mäle, & que le plus grand nombre avoue m’avoir rien fenti de tout cela, on doit en conclure, que ces fignes font très- équivoques , & que lorfqu’ils arrivent, c’eft peut-être moins un effet de la conception que d’autres caufes qui paroiflent plus pro: bables. J'ajouterai un trait, qui prouve que l’orifice de la matrice ne fe ferme pas immédiatement après la conception, ou bien que, s’il fe ferme, la liqueur féminale du mâle entre dans la ma- trice en pénétrant à travers le tifu de ce vif. cere. Une femme de Charles Town dans la Caroline méridionale , accoucha en 1714 de deux jumeaux, qui vinrent au monde tout de fuite lun après l’autre. Il {e trouva que lun étoit un enfant negre & l’autre un enfant blanc; ce qui furprit beaucoup les afliftans. Ce témoi- gnage évident de l’infidélité de cette femme à l'égard de fon mari, la força d’avouer qu'un Negre qui la fervoit, étoit entré dans fa cham- bre un jour que fon mari venoit de la quitcer & de la laifler dans fon lit, & elle ajouta pour s’excufer, que ce Negre lavoit menacte de la tuer, & qu’elle avoit été contrainte de le fatis- faire. Woyez Leclures on mufcular motion, by M. Parfons. London, 174$, page 79. Ce fait ne prouve-t-il pas aufli, que la conception de deux où de plufieurs jumeaux ne fe fait pas toujours dans le même temps, & ne paroit-il pas favo- rifer beaucoup mon opinion fur la pénétration de la liqueur féminale au travers du tidlu de la matrice ? ds KR 3 262 Hifioire Naturelle. La groffefle a encore un grand nombre de fymptômes équivoques , auxquels on prétend communément la reconnoitre dans les premiers mois; favoir, une douleur légere dans la région de la matrice & dans les lombes, un engour- diflement dans tout le corps, & un afloupifle- ment continuel , une mélancolie qui rend les femmes triftes & capricieufes; des douleurs de dents, le mal de tête, des vertiges qui offufquent la vue; le rétréciflement des prunelles, les yeux jaunes & injectés, les paupieres affaiflées, la aleur & les taches du vifage, le goût dépravé, e dégoût, les vomiflemens , les crachemens, : les fymptômes hiftériques , les fleurs blanches, la ceffation de l'écoulement périodique ou fon changement en hémorrhagie, la {écrétion du lait dans les mamelles, &c. Nous pourrions encore rapporter plufieurs autres fymptômes, qui ont été indiqués comme des fignes de la grofeñe, mais qui ne font fouvent que les effets de quel- ques maladies. | Mais laiflons aux Médecins cet examen à faire, nous nous écarterions trop de notre fujet fi nous voulions confidérer chacune de ces cho- fes en particulier. Pourrions-nous mème le faire d’une maniere avantageufe, puifqu’il n’y en a. pas une qui ne demaudât une longue fuite d’ob- fervations bien faites? Il en eft ici comme d’une infinité d’autres fujets de phyfologie & d’éco- nomie animale. À lexception d’un petit nom- bre d'hommes rares (*), qui ont répandu de la {#) Je mets de ce nombre l'Anteur de l’Anatomie d'Heifter. De tous les ouvrages que j'ai lu fur la phyfio- De l'homme. 263 lumiere fur quelques points particuliers de ces {ciences, la plupart des Auteurs qui en ont écrit, les ont traitées d’une maniere fi vague, & les ont expliquées par des rapports fi éloignés & des hypotheles fi faufles, qu’il auroit mieux valu n’en rien dire‘du tout. Il n’y a aucune matiere fur laquelle ont ait plus raifonné, {ur laquelle on ait raffemblé plus de faits & d’obfer- vations; mais ces raifonnemens, ces faits & ces obfervations font ordinairement fi mal digérés, & entaflés avec fi peu de connoïiffance, qu’il n'eft pas furprenant qu’on n’en puifle tirer au cune lumiere, aucune utilité. Exemple fingulier des maux que peut produire une continence forcée. & Dans lHiftoire de la Nature entiere, rien ne nous touche de plus près que l’hiftoire de VPHomme; & dans cette hiftoire phyfique de lhomme, rien neft plus agréable & plus pi- quant, que le tableau fidelle de, ces premiers momens où l’homme fe peut dire Homme. L'âge de la premiere & de la feconde enfance d’abord ne nous préfente qu’un état de mifere, qui demande toute efpece de fecours, & enfuite un ctat de foiblefle, qu’il faut foutenir par des foins continuels. Tant pour lefprit que pour le corps, l'enfant n’eft rien, ou n’eft que peu de chofe, jufqu’à l’âge de puberté; mais cet âge eft l’aurore de nos premiers beaux jours, et logie, je n'en ai point trouvé qui m’ait paru mieux fait & plus d'accord avec la bonne phyfique. R 4 264 Hifioire Naturelle. le moment où toutes les facultés, tant corpo- relles qu'intellectuelles , commencent à entrer en plein exercice; où les organes ayant acquis tout leur développement , le fentiment s’épa- nouit comme une belle fleur, qui bientôt doit produire le fruit précieux de la raifon. En ne confidérant ici que le corps & les fens , lexiftence de l’homme ne nous paroïîtra complete , que quand il peut la communiquer; jufqu’alors {a vie n’eft, pour ainfi dire, qu’une végétation: il Wa que ce qu’il faut pour être & pour croître; toutes les puiflances intérieures de fon corps fe réduifent à fa nutrition & à fon développement : les principes de vie, qui confiftent dans les mo- lécules organiques vivantes qu'il tire des ali- mens, ne font employés qu’à maintenir la nu- trition, & font tous abforbés par l’accroiflement du moule, qui s'étend dans toutes {es dimen- fions; mais, lorfque cet accroiflement du corps eft à peu-près à fon point, ces mêmes molécu- les organiques vivantes, qui ne font plus em- ployées à lextenfion du moule , forment une furabondance de vie, qui doit fe répandre au. dehors pour fe communiquer. Le vœu de la Nature n’eft pas de renfermer notre exiftence en nous-mèmes: par la même loi quelle a fou- mis tous les êtres à la mort, elles les a confo- lés par la faculté de fe reproduire. Elle veut donc que cette furabondance de matiere vivante, fe répande & foit employée à de nouvelles vies, & quand on s’obftine à contrarier la nature, il en arrive fouvent de funeltes effets, dont il eft bon de donner quelques exemples, De l'homme. 26$ Extrait d’un Mémoire adreflé à M. de Buffon, par M. *** le premier Octobre 1774. & Je naquis de parens jeunes & robuftes : je pañlai du fein de ma mere entre {es bras, pour y être nourri de fon lait. Mes organes & mes membres {e développerent rapidement; je h’éprouvai aucune des maladies de lenfance. J’avois de la facilité pour apprendre, & beau- coup d’acquit pour mon âge. À peine avois-Je onze ans, que la force & la maturité précoce de mon tempérament, me firent fentir vivement les aiguillons d'une pañlion , qui, communé- ment, ne fe déclare que plus tard. Sans doute je me ferois livré dès-lors au plaifir qui m’en- trainoit; mais, prémuni par les leçons de mes parens, qui me deftinoient à l’état eccléfiaftique, envifageant ces plaifirs comme des crimes, je me contins rigoureulement, en avouant néan- moins à mon pere, que l'état ecclefiaftique n'é- toit point ma vocation: mais il fut fourd à mes repréfentations , & il fortifia fes vues par le choix d’un Directeur, dont l'unique occupation étoit de former de jeunes Eccléfaftiques. Il me remit entre fes mains. Je ne lui laiffai pas igno- rer l’oppofition que je me fentois pour la con- tinence : il me perfuada que je n’en aurois que plus de mérite, & je fis de bonne foi le vœu de n’y jamais manquer. Je m’efforcois de chafler les idées contraires, & d’étouffer mes defirs : je ne me permettois aucun mouvement qui eût trait à l’inclination de la nature ; je captivai mes regards, & ne les portai jamais {ur une perfonne du fexe; j'impofai la mème loi à mes 266 Hifioire Naturelle. autres fens. Cependant le befoin de la nature fe faïfoit fentir fi vivement, que je faifois des efforts incroyables pour y réfifter; & de cette oppolition, de ce combat intérieur, il en réful- toit une ftupeur , une efpece d’agonie, qui me rendoit femblable à un automate, & m'étoit jufqu’à la faculté de penfer. La nature, autre- fois fi riante à mes yeux, ne m’offroit plus que des objets triltes & lugubres : cette trifteñe, dans laquelle je vivois, éteignit en moi le defit de m'inftruire, & je parvins ftupidement à l’âge auquel il fut queftion de fe décider pour la prè- trile. Cet état n’exigeant pas de moi une prati- que de la continence plus parfaite que celle que Javois déja obfervée, je me rendis aux pieds des autels avec cette pelanteur qui accompagnoit toutes mes actions. Après mon vœu, je me crus néanmoins lié plus étroitement à celui de chaf. tete, & à l’obfervance de ce vœu, auquel je n’avois ci-devant été obligé que comme fimple Chrétien. Il y avoit une chofe qui m'avoit fait toujours beaucoup de peine ; l'attention avec laquelle je veillois {ur moi pendant le jour, em- pèchoit les images obfcenes de faire fur mon. imagination une impreflion aflez vive & aflez longue, pour émouvoir les organes de la géné- ration , au point de procurer l'évacuation de Vhumeur féminale; mais, pendant le fommeil, la nature obtenoit {on foulagement; ce qui me paroifloit un délordre qui m’aMigeoit vivement, parce que je craignois qu’il n’y eût de ma faute, en forte que je diminuai confidérablement ma nourriture. Je redoublai {ur-tout mon atten- tion & ma vigilance {ur moi-mème, au point De l'homme. 267 que, pendant le fommeil, la moindre difpofition qui tendoit à ce défordre , m’eveilloit fur-le- champ, & je l'évitois en me levant en furfaut. Ïl y avoit un mois que je vivois dans ce redou- blement d’attention , & jétois dans la trente- deuxieme année de mon âge, lorfque tout-à- coup cétte continence forcée, porta dans tous mes fens une fenfibilité, ou plutôt une irrita- tion que je n’avois jamais éprouvée. Etant alle dans une mailon, je portai mes regards fur deux perfonnes du fexe, qui firent fur mes yeux, & de-là dans mon imagination , une fi forte im- preflion , qu’elles me parurent vivement enlu- minées, & refplendifflantes d’un feu femblable à des étincelles électriques. Une troifieme femme, qui étoit auprès des deux autres, ne me fit au- cun eflet, & jen dirai ci-après la raïon: je la voyois telle qu’elle étoit, c’eft-à-dire, fans appa- rence d’étincelles ni de feu. Je me retirai bruf- quement, croyant que cette apparence étoit un preftige du démon. Dans le refte de la journée, mes regards ayant rencontré quelques autres perfonnes du fexe, j’eus les mèmesillufions. Le lendemain, je vis dans la campagne des femmes qui me cauferent les mèmes impreflions ; & lorf. que je fus arrivé à la ville, voulant me rafrai- chir à Pauberge, le vin, le pain & tous les au- tres objets, me paroifoient troubles, & mème dans une fituation renverlée. Le jour fuivant, environ une demi-heure après le repas, je {en tis tout-a-coup, dans tous mes membres, une contraction & une tenfon violentes , accom- pagnées d’un mouvement affreux & convulfif, Icmblable à celui dont font fuivies les attaques 268 Hiftoire Naturelle. d’épilepfie les plus violentes. À cet état convul. fif fuccéda le délire. La faignée ne n'apporta aucun foulagement; les bains froids ne me cal- merent que pour un inftant : dès que la cha- leur fut revenue, mon imagination fut aflaillie par une foule d'images obfcenes, que lui fug- géroit le befoin de la nature. Cet état de delire convulfif dura plufeurs jours, & mon imagi- nation, toujours occupée de ces memes objets, auxquels fe mêlerent des chimeres de toute ef. pece, & fur-tout des fureurs guerrieres, dans lefquelles je pris les quatre colonnes de mon lit, dont je ne fis qu’un paquet, & en lançai une avec tant de force contre la porte de ma chambre, que je la fis fortir des gonds. Mes parens m’enchaîinerent les mains, & me lierent Je corps. La vue de mes chaines, qui étoient de fer, fit une impreflion fi forte fur mon ima- gination, que je reftai plus de quinze jours fans pouvoir fixer mes regards fur aucune piece de fer, fans une extrème horreur. Au bout de quinze jours , comme je paroïiflois plus tran- quille, on me délivra de mes chaînes, & j'eus enfuite un {fommeil aflez calme; mais qui fut fuivi d’un accès de délire aufli violent que les précédens. Je fortis de mon lit brufquement, & javois déja traverfé les cours & le jardin, lorfque des gens accourus, vinrent me faifir. Je me laiffäi ramener fans grande réfiftance : mon imagination étoit, dans ce moment, & les jours fuivans, fi fort exaltée , que je deflinois des plans & des compartimens fur le fol de ma chambre. Javois le coup -d’œil fi jufte, & la main fi aflurée, que, fans aucun inftrument, je De l'homme. 269 les traçois avec une juftefle étonnante. Mes parens , & d’autres gens fimples, étonnés de me voir un talent que je n’avois jamais cultivé, & d’ailleurs ayant vu beaucoup d’autres fingulari. tés dans le cours de ma maladie, s’imaginerent qu'il y avoit en tout cela du fortilege, & en con- {équence ils firent venir des charlatans de toute elpece, pour me guérir: mais je les recus fort mal; car quoiqu'il y eût toujours chez moi de Valiénation , mon efprit & mon caractere avoient déja pris une tournure différente de celle que m'avoit donnée ma trifte éducation. Je n’étois plus d'humeur à croire les fadaifes dont j'avois été infatué: je tombai donc impétueufement fur ces guérifleurs de forciers, & je les mis en fuite. J’eus, en conféquence , plufieurs accès de fureur guerriere, dans lefquels j’imaginai être fucceflivement Achille, Céfar & Henri IV. Jexprimois, par mes paroles & par mes geftes, leurs caracteres, leur maintien & leurs princi- pales opérations de guerre, au point que tous les gens qui m’environnoient , en étoient ftu- péfiés. Peu de temps après, je déclarai que je vou- lois me marier. Il me fembloit voir devant moi des femmes de toutes les nations & de tou- tes les couleürs; des blanches, des rouges, des jaunes, des wertes , des bafanées, &c. quoi- que je n’eufle jamais fu qu’il y eût des femmes d'autres couleurs que des blanches & des noi- res. Mais j'ai depuis reconnu, à ce trait & à plufieurs autres, que, par le genre de maladie que j'avois, mes elprits exalt£s au fuprème de 270 Hifoire Naturelle. gré, il fe faifoit une fecrete tranfmutation d’eux aux corps qui étoient dans la nature, ou de ceux-ci à moi, qui fembloit me faire deviner ce qu'elle avoit de fecret; ou peut-être que mon imagination, dans {on extrème activité, ne laiflant aucune image à parcourir, devoit rencontrer tout ce qu'il y a dans la nature; & c’eit ce qui, je penfé, aura fait attribuer aux fous, le don de la devination. Quoi qu’il en {oit , le befoin de la nature preflant, & n’étant plus, comme auparavant , combattu par mon opinion, je fus obligé d’opter entre toutes ces femmes. J'en choifis d’abord quelques - unes, qui répondoient au nombre des différentes na- tions que jimaginoïis avoir vaincues dans mes accès de fureur guerriere: il me fembloit de- voir époufer chacune de ces femmes felon les loix & les coutumes de fa nation. Il y en avoit une que je regardois comme la reine de toutes les autres : c’étoit une jeune demoïifelle, que Javois vue quatre jours avant le commence- ment de ma maladie. ‘J'en étois dans ce mo- ment éperduement amoureux ; J'exprimois mes defirs tout haut, de la maniere la plus vive & la plus énergique. Je n’avois cependant jamais lu aucun roman d'amour, de ma vie je n’avois fait aucune carefñe, ni mème donné un baïfer à une femme; je parois néanmoins très-indécem- ment de mon amour à tout le monde, fans {on- ger à mon état de Prètre: 7'étois fort furpris de ce que mes parens blâmoient mes propos, & condamnoient mon inclination. Un fommeil aflez tranquille fuivit cet état de crife amou- De lhomme. 271 reufe, pendant laquelle je n’avois fenti que du plaifir; & après ce fommeil, revinrent le fens & Ja raifon. Réfléchiflant alors fur la caufe de ma maladie, je vis clairement qu’elle avoit été caufée par la furabondance & la rétention forcée de lPhumeur féminale, & voici les réflexions que je fis fur le changement fubit de mon ca- ractere & de toutes mes penfées. 1. Une bonne nature & un excellent tem- pérament, toujours contredits dans leurs incli- nations, & refulés à leurs befoins, durent s’ai- grir & s’indifpofer ; d’ou il arriva que mon ca- ractere , naturellement porté à la joie & à la gaieté, {e tourna au chagrin & à la triftefle, qui couvrirent mon ame d’épaifles ténebres, & en- gourdiffant toutes {es facultés d’un froid mortel, étouferent les germes des talens que j'avois enti pointer dans ma premiere jeunefle, dont Jai dû depuis retrouver les traces ; mais hélas! prefque effacées faute de culture. 2. J'aurois eu bien plutôt la maladie différée à l’âge de trente deux ans, fi la nature & mon tempérament n’euflent été fouvent ; & comme périodiquement foulagés par lévacuation de lhumeur féminale, procurée par l’illufion & les fonges de la nuit. En effet, ces fortes d’éva- cuations étoient toujours précédées d’une pefan- teur de corps & d’efprit, d’une trifteffe & d’un abattement qui m’infpiroient une efpece de fu- reur, qui approchoit du défefpoir d'Origence; car javois été tenté mille fois de me faire la même opération. 272 Hifioire Naturelle. 2." Ayant redoublé mes foins & ma vigi- lance, pour éviter l’unique foulagement que {e procuroit furtivement la nature, l’humeur fé- minale dut augmenter & s’échauffer, &, d’après cette abondance & effervelcence, {e porter aux yeux, qui font le fiege & les interprètes des paflions , fur-tout de amour, comme on le voit dans les animaux, dont les yeux, dans l'acte, deviennent étincelans. L’humeur féminale dut produire le mème effet dans les miens, & les parties de feu dont elle étoit pleine, portant vivement contre la vitre de mes yeux, durent exciter un mouvement violent & rapide , fem. Dlable à celui qu’excite la machine électrique, d’où il dut réfulter le mème effet, & les objets me paroitre enflammés, non pas tous indiffé- remment; mais ceux qui avoient rapport avec mes difpofitions particulieres, ceux de qui éma- noient certains corpufcules, qui, formant une continuité entr'eux & moi, nous mettoient dans une efpece de contact: d’où il arriva, que, des trois premieres femmes que je vis toutes trois enfemble, il n’y en eut que deux qui firent fur moi cette impreflion finguliere, & c’eft parce que la troifieme étoit enceinte, qu’elle ne me donna point de defirs, & que je ne la vis que telle qu’elle étoit. 4 L’humeur devenant de jour en jour plus abondante, & ne trouvant point d’iflue, par la relolution conftante où j'étois de garder la con- tinence, porta tout d’un coup à latète, & y caufa le délire fuivi de convulfions. On De l'homme. 273 On comprendra aifément que cette mème humeur trop abondante, jointe à une excellente organifation, devoit exalter mon imagination, Toute ma vie n’avoit été qu’un effort vers la vertu de la chafteté : la paflion de l'amour, qui, d’aptès mes difpofitions naturelles, auroit dû fe faire fentir la premiere, fut la derniere à me conquérir. Ce n’eft pas qu’elle n’eût formé la premiere de violentes attaques contre mon ame; mais mon état, toujours préfent à ma mémoire, faifoit que je la regardois avec horreur; & ce ne fut que quand j'eus entiérement oublié mon état, & au bout des fix mois que dura ma ma- ladie , que je me livrai à cette paflion, & que je ne repouflai pas les images qui pouvoient la . fatisfaire. Au refte, je ne me flatte pas d’avoir donné une idée jufte, ni un détail exact de l’exces & de Ja multiplicité des maux & des douleurs qu’a fouffert en moi la nature, dans le cours de ma malheureufe jeunefle, ni mème dans cette der- nicre crifc: jen ai rapporté fidélement les traits principaux; &, après cette étonnante maladie, me confidérant moi-mème, je ne vis qu’un trifte & infortuné mortel, honteux & confus de fon état, mis entre le marteau &@& l’enclume, en oppofition avec les devoirs de Religion & la néceflité de nature; menacé de maladie, sil refufoit celle-ci, de honte & d’ignominie, s’il abandonnoiït celui-là, affreufe alternative! auñli fus-je tenté de maudire le jour qui m’avoit rendu la lumiere: plus d’une fois je m'écriai avec Job: Lux cur data mifero? ” Hifi. Nat. des Anim. T. IL S 274 Hifioire Naturelle. Je termine ici l'extrait de ce Mémoire de M. ***, qui m'’eft venu voir de fort loin pour m'en certifier les faits. C’eft un homme bien fait, très-vigoureux de corps, & en mème-temps fpirituel, honnête & tres- religieux : je ne puis donc douter de fa véracité. J’ai vu, fous mes yeux, l'exemple d’un autre Eccléfiaftique, qui, défefpéré de manquer trop fouvent au devoir de fon état, s’eft fait lui-même l'opération d’Ori- gene. La rétention trop longue de Ja liqueur 1éminale, peut donc caufer de grands maux d’efprit & de corps; la démence & l’épilepfie, car la maladie de M. *** m’étoit qu’un délire épiléptique qui a duré fix mois. La plupart des animaux entrent en fureur dans le temps du tut, ou tombent en convulfion, lorfqu'ils ne peuvent fatisfaire ce befoin de nature: les per. roquets, les ferins, les bouvreuils & plufieurs autres oifeaux, éprouvent tous les effets d’une véritable épilepfie, lorfqu’ils {ont privés de leurs femelles. On a fouvent remarqué dans les {e. rins, que c'eft au moment qu’ils chantent le plus fort. Or, comme je le dirai ailleurs, (*) le chant eft dans les oifeaux lexpreflion vive du fentiment d'amour. Un ferin féparé de fa fe- melle, qui la voit fans pouvoir l’approcher, ne cefle de chanter, & tombe enfin tout-à-coup, faute de jouiflance, ou plutôt de l’émiffion de cette liqueur de vie, dont la nature ne veut pas qu’on renferme la furabondance, & qu’au con- (*) Hiftoire Naturelle des Oifeaux, some Z. Difcours fur Ka nature des Oifeaux. S 2 De lhomme. 275 traire elle a deftinée à fe répandre au-dehors, & pañler de corps en corps. à Mais ce n’eft que dans la force de l’âge & pour les hommes vigoureux, que cette évacua- tion eft abfolument nécefaire ; elle n’eft mème falutaire qu'aux hommes qui favent fe modé- rer: pour peu qu’on fe trompe, en prenant fés defirs pour des befoins, il LeliEe plus de mal de la jouiflance que de la privation. On a peut- être mille exemples degens perdus par les excès, pour un feul exemple de continence. Dans le commun des hommes, des que l’on a pafñle cin- quante-cinq ou foixante ans, of peut garder en confcience, & fans grand tourmient, cette liqueur, qui, quoique aufli abondante, eft bien moins provocante que dans la jeunefle ; c’eft mème un baume pour läge avancé : nous fini£. fons à tous égards , comme nous avons com. mencé. L'on fait que, dans lenfance, & juf. qu'a la pleine puberté, il y a de l'érection fans aucune émiflion : la même chofe fe trouve dans Ja vieilleffe ; l'érection fe fait encore fentir aflez Jong-temps , après que le befoin de l'évacuation a ceflé, & rien ne fait plus de mal aux vieil- lards, que de fe laifler tromper par ce premier figne, qui ne devroit pas leur en impofer ; car il n’eft jamais aufli plein, ni aufli parfait que dans la jeunefle: il ne dure que peu de minu- tes; il n’eft point accompagné de ces aiguillons de la chair, qui feuls nous font fentir le vrai befoin de nature dans la vigueur de l’âge: ce n’eft ni le coucher, ni la vue qu’on eft le plus -preflé de fatisfaire ; c’eft un fens différent, un 276 Hifioire Naturelle. fens intérieur & particulier , bien éloigné du fiege des autres fens, par lequel la chair fe fent vivante, non-feulement dans les parties de la génération, mais dans toutes celles qui les avoi- finent. Dès que ce fentiment n’exifte plus, la chair eft morte au plaifir, & la continence eft plus falutaire que nuifible, FIN du tome IL. Zom 17. RATE LT MED LC RIRNREe SR ne À SPA EE Er AN à Me nee 24e dt Se a Ur ‘ 1 i à é h Les rer + Thin "EE AE la s== < nr f RARE de PIILP 27 nn 0, (24 4) M M) } \ AAA KR AN er r2 ME ALL ZTorrerite:: # JE # Que er Ze dl enmnie ï rare eve 2 PNA < en ms ment nr TUE pe a TES PE ve Re Ro ad a En mn A Ar M ne EE RM 2 rage el nets TE : ” = A | - LE : RER. - Fr EE ; RE £ rar æ à = * -Ÿ Ps 2 ST ARS = à ? Ps 19° d È \ $ $ « , u p3 F,» - @" -, Ca : * » _ Le ce neinntne fa6é ai, mme a TN ER TN 5 * Mo re C2 LAomriEe RTE De L2 ee e \s SE à 4 NETULE 24 o LÉ ckrre 2 PTE ES ” ne EEE ÈTS = à ? j e “ar Te EE Dette ÉNEME SPEED : À FES dl 3 SE ME 2 RE ; en De) RS E Le À À Labs «nb Literie aibsner Enretie me. vf: =. frs ‘ te Î : ‘1 F z d É = } Bt x _ x = î 6 CA a k ; A LAY k À À Se E | (a i D ee. Pr É - CS hs ñ É s 7: - | GE 7 { ? 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