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FA : L « qe : Le . “ à . , ! “ ‘ . ‘ s , “ . L ‘ ‘ ‘ < : i HE ons te, ‘ Û [4 - eu ns, Pt . — A F L. 1 Ce Fe t u ] « =. … "ral e } nn. A Lo . “] Ce e KIEN FAT EN EMOMLT ET . U DURELLE RES GÉNÉRALES. TOME PREMIER. . de ce NATURELLE Par BUFFON, DEDIÉE AU CITOYEN LACEPEDE, * MEMBRE DE L'INSTITUT NATIONAL, MATIÈRES GÉNÉRALES. TOME PREMIER. 24267 “aasonian Insti RS | | RICHMOND À 1. COLLECTION. Wap d- D É À PARIS, oral Musee À LA LIBRAIRIE STÉRÉOTYPE DE P. DIDOT L’AÎNÉ, GALERIES DU LOUVRE, N° 5, ET Fiamix DIDOT, RUE DE THIONVILLE , N° 116, AN VII.— 1799. * "1-07 23 TELE * ” FAN 2 phase, = = = = == ES É- e = a == ps 2 == it Nat ram ample ct it ur omnenx. if * ar Lanchkouke . AU CITOYEN PPOAC ER DE DE, Membre de l’Institut national. Ciroxenw, Le sort d’une édition des œuvres de Buffon, telle que celle que nous publions, devoit ae en grande partie, de la réputation du naturaliste à qui la direc- tion de cet ouvrage seroit confiée. Vous avez bien voulu vous en charger, et dès- lors le succès n’a plus été douteux. Le | 12e | public, habitué depuis long-temps x rie point séparer votre nom d’avec celui de votre illustre prédécesseur, doit regarder notre édition comme faite sous les yeux de Buffon lui-même. Permettez donc, citoyen, qu’un ouvrage qui doit tant à Vos soins, paroisse sous vos auspices ; et puisque vous avez daigné seconder les efforts que nous avons faits pour élever un nouveau monument à la gloire de Buffon, veuillez bien agréer, dans la dédi- çace du fruit de nos travaux, l'hommage ‘sincère de notre reconnoissance. SAUGRAIN et PAUQUET. BLOC ri DUR B U:F-F ON. PAR CONDORCET. Grorcr-Lovurs LECLERC, comte de Buffon , trésorier de l’académie des sciences, _de l'académie françoise, de la société royale de Londres , des académies d'Édimbourg , Pe- tersbourg, Berlin, de l'institut de Bologne, naquit à Montbard Le 7 septembre 1707, de Benjamin Leclerc de Buffon, conseiller au parlement de Bourgogne, et de mademoiselle Marlin. / Animé dès sa jeunesse du desir d'apprendre, éprouvant à la fois et le besoin de méditer et celui d'acquérir de la gloire, M. de Buffon n'en avoit pas moins les goûts de son âge; et vij É'L: O0: GRR sa passion pour l'étude, en l’'empèchantd'être maîtrisé par son ardeur pour Le plaisir, con- tribuoit plus à la conserver qu'à l’éteindre. Le hasard lui offrit la connoissance du jeune lord Kingston , dont le gouverneur aimoit et cultivoit les sciences : cette société réunissoit pour M. de Buffon l'instruction et l’amuse- ment ; 1l vécut avec eux à Paris et à Saumur, les suivit en Angleterre, Les Ne Let erz Italie. | | Ni les chefs-d’œuvre ie , hi ceux des modernes qui; en les imitant, les ont sou— vent surpassés, ni ces souvenirs d’un peuple- xoi sans cesse rappelés par des monumens dignes de sa puissance, ne frappèrent M. de Buffon ; il ne vit que la nature, à la fois riante, majestueuse et terrible, offrant ‘des asyles voluptueux et de paisibles retraites entre des torrens de laves et sur les débris des volcans, prodiguant ses richesses à des : campagnes quelle menace d'engloutir sous des monceaux de cendres ou de fleuves en- flammés, et montrant à chaque pas les ves- tiges et les preuves des antiques révolutions du globe. La perfection des ouvrages des hommes, tout ce que Leur foiblesse à pu y - D E BU: F:F O0 N. IX imprimer de grandeur, tout ce que le temps a pu leur donner d'intérêt ou de majesté, disparut à ses yeux devant les œuvres de cette main créatrice dont la puissance s'étend sur tous les mondes , et pour qui, dans son éter- nelle activité, les générations humaines sont à peine un instant. Dès-lors il apprit à voir la nature avec transport comme avec ré- flexion ; il réunit le goût de l'observation à celui des sciences contemplatives ; et les em— ” brassant toutes dans l’universalité de ses con- noissances , il forma la résolution de leur deévouer exclusivement sa vie. Une constitution qui le rendoit capable d'un travail long et soutenu, une ardeur qui lui faisoit dévorer sans dégoût et presque sans ennui les détails les plus fastidieux, un Ca— ractère où il ne se rencontroit aucune de ces qualités qui repoussent la fortune, le senti- ment quil avoit déja de ses propres forces, le besoin de la considération, tout sembloit devoir l'appeler à la magistrature, où sa nais- sance lui marquoit sa place, où il pouvoit espérer des succès brillans et se livrer à de grandes espérances : elles furent sacrifiées aux sciences, et ce n’est point le seul exemple ) x ÉLOGE que l’histoire de l’académie puisse présenter de ce noble dévouement. Ce qui rend plus singulier celui de M. de Buffon, c’est qu’alors il n’étoit entraîné vers aucune science en particulier par cet attrait puissant qui force l'esprit à s’occuper d’un objet, et ne laissé pas à la volonté le pouvoir de l’en distraire. Mais tout ce qui élevoit ses idées ou agran- dissoit son intelligence, avoit un charme pour lui : il savoit que si la gloire littéraire est} après la gloire des armes, la plus durable et la plus brillante, elle est de toutes celle qui peut le moins être contestée; il savoit enfin- que tout homme qui attire les regards du pu- blic par ses ouvrages ou par ses actions, n’a plus besoin de place pour prétendre à la con- sidération , et peut l’attendre de son caractère et de sa conduite. Les premiers travaux de M. de Buffon furent des traductions ; anecdote singulière que n’a encore présentée la vie d’aucun homme des- tineé à une grande renommée. IL desiroit se perfectionner dans la langue angloise, s’exer- cer à écrire dans la sienne, etudier dans: Newton le calcul de l'infini, dans Hales les essais d’une physique saRurs dans "l'ull les EU ! DE BB UE FO N. x} premières applications des sciences à l’agri- culture; il ne vouloit pas en même temps qu'un travail nécessaire à son instruction re- tardät l'instant où il commenceroit à fixer sur lui les regards du public, et 1l traduisit les livres qu il étudioit. Chacune de ces traductions est précédée d’une préface. M. de Buffon a obtenu depuis, comme écrivain, une célébrité si grande et si méritée, que les essais de sa jeunesse doivent exciter la curiosité. IL est naturel d'y cher- cher les premiers traits de son talent, de voir ce que les observations et l'exercice ont pu y ajouter ou y corriger, de distinguer en quel- que sorte les dons de la nature et l’ouvrage de la réflexion. Mais on ne trouve dans ces préfaces qu’un des caractères du style de M. de Buffon , cette gravité noble et soutenue qui ne l'abandonne presque jamais. Son goût étoit déja trop formé pour lui permettre de cher- cher des ornemens que le sujet eût rejetés , et son nom trop connu pour le risquer. La timi- dite et la hardiesse peuvent être également le caractère du premier ouvrage d’un homme de génie; mais la timidité, qui suppose un goût inspiré par la nature et une sagesse VOTES Xi ÉLOGE prématurée , a été le partage des écrivains qui ont montré le talent le plus pur et.le plus: vrai. Rarement ceux dont une crainte salu- taire n’a point arrêté les pas au commence ment de la carrière, ont pu en atteindre le terme et ne pas sy égarer. | fi M. de Buffon parut d’abord vouloir se livrer uniquement aux mathématiques : - regardées ,: sur-tout depuis Newton, commele fondement; et la clef des connoissances naturelles, elles étoient en quelque sorte devenues parmi nous une science à la mode; avantage qu'elles: devoient en partie à ce que M. de Mauper- tuis, le savant alors le plus connu des gens du monde, étoit un géomètre. Mais si M. de Buffon s occupa quelque temps de recherches mathématiques, c'étoit sur-tout pour s’étu- dier lui-même , essayer ses forces , et connoître la trempe de son génie. Bientôt il sentit que, la nature l’appeloit à d’autres travaux, et il essaya une nouvelle route que le goût du public lui indiquoit encore. | À l’exemple de M. Duhamel, il voulut appliquer les connoissances physiques à des objets d’une utilité immédiate; il étudia em RATER les bois dont il étoit obligé de soc DR DE BUFF OO N. Xi cuper comme propriétaire, et publia sur cette partie de l’agriculture plusieurs mé-— moires remarquables sur-tout par la sagesse avec laquelle, écartant tout système , toute. vue générale mais incertaine, il se borne à raconter des faits, à détailler des expériences. Il n'ose s’écarter de l'esprit qui commençoit alors à dominer parmi les savans, de cette fidélité sévère et scrupuleuse à ne prendre pour guides que l'observation et le calcul, à - s'arrêter dès l’instant où ces fils secourables se brisent ou échappent de leurs mains. Mais: s’il fut depuis moins timide, il faut lui rendre cette justice, qu'en s’'abandonnant trop faci- lement peut-être à des systèmes spéculatifs , dont l’adoption peut tout au plus égarer quel- ques savans et ralentir leur course, jamais il u’étendit cet esprit systematiquesur des objets. immédiatement applicables à l'usage com- mun , où il pourroit conduire à des erreurs vraiment nuisibles. * Parmi les observations que renferment ces mémoires , la plus importante est celle où il propose un moyen de donner à l’aubier une dureté au moins égale à celle du cœur du bois, qui est elle-même augmentée par ce ° B LA XIV É “L'O: GE procédé; il consiste.à écorcer les arbres sur pied dans le temps de la séve , et à Les y laisser se dessécher et mourir. Les ordonnances dé- fendoient cette opération; car elles ont trop souvent traité les hommes comme si, con- damnés à une enfance éternelle ou à une in- curable démence, on ne pouvoit leur laisser sans danger la disposition de leurs propriétés et l'exercice de leurs droits. Peu de temps après, M. de Buffon prouva par le fait la possibilité des miroirs brülans d'Archimède et de Proclus. Tzetzès en a laissé une description qui montre qu'ils avoient employé un système de miroirs plans. Les essais tentés par Kircheravec un petitnombre de miroirs, ne laissoient aucun doute sur le succès ; M. Dufay avoit répété cette expé- rience ; Hartsoeker avoit même commencé une machine construite sur ce principe : mais il reste à M. de Buffon l'honneur d’avoir montré , le premier parmi les modernes , l’ex- périence extraordinaire d’un incendie allumé à deux cents pieds de distance; expérience - qui m’avoit été vue avant lui qu'à Syracuse et à Constantinople. Bientôt après il proposa l'idée d’une loupe à échelons, n’exigeant plus DE BOU FF ON. XV ces masses énormes de verres si difficiles à fondre et à travailler, absorbant une moindre quantité de lumière, parce qu’elle peut n’a- voir jamais qu'une petite épaisseur, offrant enfin l’avantage de corriger une grande partie de l’aberration de sphéricite. Cette loupe, proposée en 1748 par M. de Buffon, n’a été exécutée que par M. l'abbé Rochon plus de trente ans après, avec assez de succès pour montrer qu'elle mérite la préférence sur les lentilles ordinaires. On pourroit même com- poser de plusieurs pièces ces loupes à éche- lons; on y gaguneroit plus de facilité dans la construction, une grande diminution de dé- pense, l'avantage de pouvoir leur donner plus d’étendue, et celui d'employer , suivant le besoin , un nombre de cercles plus ou moins grand, et d'obtenir ainsi d’un même instrument différens degrés de force. En 1739, M. de Buffon fut nommé inten- dant du jardin du roi. Les devoirs de cette place fixèrent pour jamais son goût, jusqu’a- lors partage entre différentes sciences; et sans renoncer à aucune, ce ne fut plus que dans leurs rapports avec l'histoire naturelle qu'il se permit de Les envisager. XV) ÉLOGE Obligé d'étudier les détails de cette science si vaste, de parcourir les compilations im-— menses où l’on avoit recueilli les observations . de tous les pays et de tous les siècles ; bientôt son imagination éprouva le besoin de peindre ce que les autres avoient décrit; sa tête, exer- cée à former des combinaisons, sentit celui de saisir des ensembles où les observateurs ne lui offroient que des faits épars et sans liaison. Il osa donc concevoir le projet de rassem— bler tous ces faits, d'en tirer des résultats généraux qui devinssent la théorie de la na- ture, dont les observations ne sont que l’his- toire; de donner de l'intérêt et de la vie à celle des animaux , en mélant un tableau philosophique de leurs mœurs et de leurs ha- bitudes à des descriptions embellies de toutes les couleurs dont l’art d'écrire pouvoit les oruer; de créer enfin pour les philosophes, pour tous les hommes qui ont exercé leur esprit ou leur ame, une science qui n'exis- toit encore que pour les naturalistes. L’immensité de ce plan ne le rebuta point; il prévoyoit sans doute qu'avec un travail assidu de tous les jours, continué pendant D'EADUIEF ON. … ‘XVÿ une longue vie, il n’en pourroit encore exé- cuter qu'une partie : mais il s’agissoit sur- tout de donner l’exemple et d'imprimer le mouvement aux esprits. La difficulté de ré- pandre de l'intérêt sur tant d'objets inanimés ou insipides ne l’arrêta point; il avoit déja cette conscience du talent qui, comme la conscience morale, ne trompe jamais quand on l’interroge de bonne foi, et qu'on la laisse dicter seule la réponse. Dix années furent employées à préparer des matériaux, à former des combinaisons, à s’instruire dans la science des faits, à s’exer- cer dans l’art d'écrire, et au bout de ce terme le premier volume de l’Æistoire naturelle vint étonner l’Europe. En parlant de cet ou- vrage, que tous les hommes ont lu, que presque tous ont admiré, qui a rempli, soit par le travail de la composition , soit par des études préliminaires , la vie entière de M. de Buffon, nous ne prendrons pour guide que la vérité; (car pourquoi chercherions- nous vainement à flatter par des éloges qui ne dureroient qu'un jour, un nom qui doit vivre à jamais? ) et en évitant, s’il est pos-. sible , l'influence de toutes les causes qui R= ) Xvi ÉLOGE WE : | peuvent agir sur l’opinion souvent passagère des contemporains, nous tâcherons de pré- voir l’opinionu durable de la postérité. La théorie générale du globe que nous ha- bitons , la disposition , la nature et l’origine des substances qu’il offre à nos regards, les grands phénomènes qui s’opèrent à sa sur- face ou dans son sein ; l’histoire de l’homme et les lois qui président à sa formation, à son développement, à sa vie, à sa destruc- tion; la nomenclature et la description des quadrupèdes ou des oiseaux , l'examen de leurs facultés, la peinture de leurs mœurs: tels sont Les objets que M. de Buffon a traités. Nous ne connoissons, par des observations exactes, qu'une très-petite partie de Hi sur- face du globe; nous n'avons pénétré dans ses entrailles que conduits par l’espérance, plus souvent avide qu'observatrice, d’en tirer ce qu’elles renferment d’utile à nos besoins, de précieux à l’avarice ou au luxe; et lorsque M. de Buffon donna sa T#éorie de la Ferre, nos connoissances n'étoient même qu'une foible partie de celles que nous avons ac— quises, et qui sont si imparfaites encore. On pouvoit donc regarder comme téméraire NE TÉUMNE)T ON. XIX Jidee de former dès-lors une théorie géné- rale du globe, puisque cette entreprise le seroit encore aujourd'hui. Mais M. de Buffon connoissoit trop les homimes pour ne pas sentir qu'une science qui n'offriroit que des faits particuliers, ou ne présenteroit des ré sultats sénéraux que sous la forme de simples conjectures, frapperoit peu les esprits vul- gaires, trop foibles pour supporter le poids du doute. Il savoit que Descartes n’avoit attiré les hommes à la philosophie que par la har- diesse de ses systèmes; qu'il ne les avoit arra- chés au joug de l’autorité, à leur indifférence pour la vérité, qu’en s’emparant de leur. imagivation , en ménageant leur paresse; et qu'ensuite, libres de leurs fers, livrés à l’avi- dité de comnoitre , eux-mêmes avoient su choisir la véritable route. IL avoit vu enfin dans l’histoire des sciences, que l’époque de leurs grands progrès avoit presque toujours été celle des systèmes célèbres, parce que, ces systèmes exaltant à la fois l’activité de leurs adversaires et celle de leurs défenseurs 4 tous les objets sont alors soumis à une dis- cussion dans laquelle l'esprit de parti, si difficile sur les preuves du parti contraire, 1 XX É L O'GE£ oblige à les multiplier. C’est alors que chaque combattant s'appuyant sur tous les faits re- çcus , ils sont tous soumis à un examen ri- goureux; c’est alors qu'ayant épuisé ces pre- miêres armes, on cherche de nouveaux faits pour s'en procurer de plus sûres et d'une trempe plus forte. Ainsi la plus austère philosophie peut pardonner à un physicien de s’être livré à son imagination, pourvu que ses erreurs aient contribué aux progrès des sciences, ne füt-ce qu’en imposant la nécessité de le com- battre; et si les hypothèses de M. de Buffon sur la formation des planètes sont contraires à ces mêmes lois du système du monde, dont il avoit été en France un des premiers, un des plus zélés défenseurs , la vérité sévère , en condamnant ces hypothèses, peut encore applaudir à l'art avec lequel l'auteur a su les présenter. Les objections de quelques critiques, des observations nouvelles, des faits ancienne- ment connus, mais qui lui avoient échappé, forcèrent M. de Buffon d'abandonner quel- . ques points de sa Théorie de la Terre. Mais dans ses Æpoques de la Nature, ou- ie > \ l DE BUFF ON. XX] vrage destiné à rendre compte de ses vues nouvelles , à modifier ou à défendre ses prin- _cipes, il semble redoubler de hardiesse à proportion des pertes que son systême a es- _suyées, le défendre avec plus de force lors- qu'on l’auroit cru réduit à l’abandonner, et balancer par la grandeur de ses idées, par la magnificence de son style, par le poids de son nom, l'autorité des savans réunis, et même celle des faits et des calculs. | La Théorie de la Terre fut suivie de l’Æis- toire de l'Homme, qui en a reçu ou usurpé l'empire. s La nature a couvert d’un voile impéné- trable les lois qui président à la reproduction des êtres; M. de Buffon essaya de le lever, ou plutôt de deviner ce qu’il cachoit. Dans les liqueurs où les autres naturalistes avoient vu des animaux, il n’apperçut que des molé- cules organiques, élémens communs de tous les êtres animés. Les infusions de diverses matières animales et celles des graines pré- sentoient les mêmes molécules avec plus ou moins d'abondance : elles servent donc égale- ment à la reproduction des êtres , à leur accroissement , à leur conservation; elles XXI} ÉLOGE existent dans les alimens dont ils se nour- rissent, circulent dans leurs liqueurs, s’unis- sent à chacun de leurs organes pour réparer les pertes qu’il a pu faire. Quand ces organes ont encore la flexibilité de l’enfance, les mo- lécules organiques, se combinant de manière à en conserver ou modifier les formes, en dé- terminent le développement et les progrès : mais après l’époque de la jeunesse, lors= qu'elles sont rassemblées dans des organes par- ticuliers, ou échappant à la force qu’exerce sur elles le corps auquel elles ont appartenu, elles peuvent former de nouveaux composés ; elles conservent, suivant les différentes par- ties où elles ont existé, une disposition à sé réunir de manière à présenter les mêmes formes, et reproduisent par conséquent des individus semblables à ceux de qui elles sont émanées, Ce système brillant eut peu de par- tisans; il étoit trop difficile de se faire une idée de cette force en vertu de laquelle les molécules enlevées à toutes les parties d’un corps conservoient une tendance à se repla- cer dans un ordre semblable. D'ailleurs les recherches de Haller sur la formation du poulet contredisoient cette opinion avec trop EU DNEVSBAUIF FE ON. XX] de: force : l'identité des membranes de l’ani- mal naissant, et de celles de l'œuf, se refu- soit trop à l'hypothèse d’un animal formé postérieurement, et ne s’y étant attaché que pour y trouver sa nourriture. Les observa- tions de Spallanzani sur les mêmes liqueurs et sur les mêmes infusions sembloient égale- ment détruire, jusque dans son principe, le système des molécules organiques. Mais lorsque, dégagé des liens de ce système, M. de Buffon n'est plus que peintre, historien et philosophe, avec quel intérêt, parcourant l'univers sur ses traces, on voit l’homme, dont le fond est par-tout le même, modifié lentement par l’action continue du climat, du sol, des habitudes, des préjugés, changer de couleur et de physionomie comme de goût et d'opinion, acquérir ou perdre de la force, de l'adresse, de la beauté, comme de < l'inteiligence , de la sensibilité et des vertus! Avec quel plaisir on suit dans son ouvrage l'histoire des progrès de l’homme, et même celle de sa décadence! On étudie les lois de cette correspondance constante entre les changemens physiques des sens ou des or- gaues , et ceux qui s’opèrent dans l’enten- y XXiV. | ÉLO "GE dement ou dans les passions; on apprend # « connoître le mécanisme de nos sens, ses rap ports avec nos sensations ou nos idées, les erreurs auxquelles 11s nous exposent, la ma-— nière dont nous apprenons à voir, à toucher, à entendre, et comment l'enfant, de qui les: ÿ yeux foibles et incertains appercevoient à peine un amas confus de couleurs, parvient, par l'habitude et la réflexion, à saisir d'un coup-d’œil le tableau d’un vaste horizon , et s'élève jusqu’au pouvoir de créer et de com- biner des images. Avec quelle curiosité enfin on observe ces détails qui intéressent le plus vif de nos plaisirs et le plus doux de nos sentimens, ces secrets de la nature et de la pudeur auxquels la majeste du style et la sé- vérité des rétlexions donnent de la décence et une sorte de dignité philosophique, qui permettent aux sages mêmes d’y arrèter leurs regards et de Les contempler sans rougir! Les observations dispersées dans les livres des anatomistes, des médecins’ et des voya- geurs, forment le fond de ce tableau , offert pour la première fois aux regards des hommes avides de se connoître, et surpris de tout ce qu'ils apprenoieut sur eux-mêmes , et de re- DE BU FF O N. XXV trouver .ce qu'ils avoient éprouve, ce qu'ils avoient vu sans en avoir eu la conscience où conservé la mémoire. Avant d'écrire l’histoire de chaque espèce d'animaux , M. de Buffon crut devoir porter ses recherches sur les qualités communes à toutes, qui les distinguent des êtres des autres classes. Semblables à l’homme dans presque tout ce qui appartient au corps ; n'ayant avec Jui dans leurs sens, dans leurs organes, que ces différences qui peuvent exister entre des êtres d'une même nature, et qui indiquent seulement une infériorité dans des qualités semblables; les animaux sont-ils absolument séparés de nous par leurs facultés intellec— tuelles ? M. de Buffon essaya de résoudre ce problème, et nous n’oserions dire qu'il l’ait résolu avec succès. Craignant d’effaroucher des regards faciles à blesser en présentant ses opinions autrement que sous un voile, celui dont il les couvre a paru trop difficile à per- cer. On peut aussi lui reprocher avec quelque justice de n’avoir pas observé les animaux avec assez de scrupule; de n'avoir point porté ses regards sur des détails petits en eux-mêmes » Mais nécessaires pour saisir les C XXV) ÉLOGE nuances très-fines de leurs opérations. IE semble n'avoir apperçu dans chaque espèce qu’une uniformite de procédés et d’habitudes, qui donne l’idée d’ètres obéissans à une force aveugle et mécanique, tandis qu’en obser- vant de plus près, il auroit pu appercevoir des différences très-sensibles entre les indivi- dus, et des actions qui semblent appartenir au raisonnement, qui indiquent même des idées abstraites et générales. La première classe d'animaux décrite par M. de Buffon est celle des quadrupèdes; la. seconde, celle des oiseaux ; et c’est à ces deux classes que s’est borné son travail. Une si longue suite de descriptions sembloit devoir être monotone, et ne pouvoit intéresser que les savans : mais le talent a su triompher de cet obstacle. Esclaves ou ennemis de l’homme, destinés à sa nourriture, ou n'étant pour lui qu'uu spectacle, tous ces ètres, sous le pin- ceau de M. de Buffon, excitent alternative- ment la terreur, l’intérèt, la pitié ou la curiosité. Le peintre philosophe n’en appelle aucun sur cette scène toujours attachante, toujours animée, sans marquer la place qu’il occupe dans l'univers, sans montrer ses rap- DE BUFE ON: :xxvi ports avec nous. Mais s'agit-il des animaux qui sont connus seulement par les relations des voyageurs, qui ont reçu d'eux des noms différens, dont il faut chercher l’histoire et quelquefois discuter la réalité au milieu de récits vagues et souvent défigurés par le mer- veilleux , le savant naturaliste impose silence à son imagination; il a tout lu, tout extrait, tout analysé, tout discuté : on est étonné de trouver un nomenclateur infatigable dans celui de qui on n’attendoit que des tableaux imposans ou agréables ; on lui sait gré d’avoir plié son génie à des recherches si penibles; et ceux qui lui auroient reproché peut-être d’avoir sacrifié l’exactitude à l'effet, lui par- donnent , et sentent ranimer leur confiance. Des réflexions philosophiques mêlées aux descriptions, à l'exposition des faits et à la peinture des mœurs, ajoutent à l'intérêt , aux charmes de cette lecture et à son utilité. Ces réflexions ne sont pas celles d’un philosophe qui soumet toutes ses pensées à une analyse rigoureuse, qui suit sur les divers objets les principes d'une philosophie toujours une: mais ce ne sont pas non plus ces reflexions isolées que chaque sujet offre à l'esprit, qui XxviiJ ÉLOGE k se présentent d’elles-mêmes, et n’ont qu'une Vérité passagère et locale. Celles de M. de Buffon s’attachent toujours à quelque loi ge- mérale de la nature, ou du moins à eo grande idée. 2 . Dans ses discours sur les animaux domes- tiques, sur les animaux carnassiers, sur la dégénération des espèces, on le voit tantôt esquisser l’histoire du règne animal considéré dans son ensemble, tantôt parler en homme libre de la dégradation où la servitude réduit les animaux, en homme sensible de la des-— truction à laquelle l’espèce humaine les a soumis, et en philosophe de la nécessité de cette destruction , des effets lents et sûrs de cette servitude , de son influence sur la forme, sur les facultés, sur les habitudes morales des différentes espèces. Des traits qui semblent lui échapper caractérisent la sensibilité et la fierté de son ame; mais elle paroît toujours dominée par une raison supérieure :on croit, pour ainsi dire, converser avec une pure intelligence, qui n’auroit de la sensibilité humaine que ce qu’il en faut pour se faire entendre de nous et intéresser notre foiblesse. Dans son discours sur les perroquets, al DE BUFF ON. XXIX fait sentir la différence de la perfectibilité de l'espèce entière, apanage qu’il croit réservé à l'homme, et de cette perfectibilité imdivi- duelle que l'animal sauvage doit à la néces- sité, à l'exemple de son espèce, et l'animal domestique aux leçons de son maître. Il montre comment l’homme, par la durée de son enfance , par celle du besoin physique _ des secours maternels, contracte l’habitude d'une communication intime qui le dispose à la société, qui dirige vers ses rapports avec ses semblables le développement de ses facul- tés, susceptibles d'acquérir une perfection plus grande dans un être plus heureusement organise et né.avec de plus grands besoins. Peut-être cette nuance entre nous et les animaux est-elle moins tranchée que M. de Buffon n'a paru le croire; peut-être, comme l'exemple des castorssembleleprouver, existe. t-il des espèces d'animaux susceptibles d'une sorte de perfectibilité non moins réelle, mais plus lente et plus bornée : qui pourroitmême assurer qu'elle ne s’étendroit pas bien au-delà des limites que nous osons lui fixer, si les espèces qui nous paroissent les plus ingée nieuses , affranchies de la crainte dont les Hate ec? 16 KXX ÉLOGE frappe [a présence de l’homme , et soumises . par des circonstances locales à des besoins assez grands pour exciter l’activité ; mais trop foibles pour la détruire, éprouvoient la né cessile et avoient en même temps la liberté de déployer toute l'énergie dont la nature à pu les douer? Des observations long-temps continuées pourroient seules donner le droit de prononcer sur cette question ; ilsuflit, pour la sentir, de jeter un regard sur notre espèce même. Supposons que les nationseuropéennes n'aient pas existe, que les hommes soient sur toute la terre ce qu’ils sont en Asie et em Afrique, qu’ils soient restés par-tont à ce même degré de civilisation et de connois- sances auquel ils eétoient deja dans le temps où commerce pour nous l’histoire : ne seroit- on pas alors fondé à croire qu'il est un terme que dans ehaque climat l’homme ne peut passer? ne regarderoit-on pas comme un Vi- sionnaire le philosophe qui oseroit promettre à l'espèce humaine les progrès qu'elle a faits et qu'elle fait journellement en Europe ? * La connoissance anatomique des animaux est une portion importante de leur histoire. M. de Buffon eut, pour celte partie de som | A k DE BUFFON. xxx} ouvrage, le bonheur de trouver des secours dans l'amitié généreuse d'un célèbre natura- liste, qui, lui laissant la gloire attachée à ces descriptions brillantes , à ces peintures de mœurs, à ces reflexions philosophiques qui frappent tous les esprits, se contentoit du mérite plus modeste d'obtenir l’estime des savans par des détails exacts et précis, par des observations faites avec une rigueur scru- puleuse, par des vues nouvelles qu'eux seuls pouvoient apprécier. Ils ont regretté que M. de Buffon n'ait pas, dans l’histoire des oiseaux, conserve cet exact et sage coopérateur : mais ils l'ont regretté seuls, nous l’avouons sans peine et sans croire diminuer par-là le juste tribut d'honneur qu'ont mérité les travaux de M. Daubenton. À l’histoire des quadrupèdes et des oiseaux succéda celle des substances minérales. Dans cette partie de son ouvrage, peut-être M. de Buffon n’a-t-il pas attaché assez d’impor- tance aux travaux des chimistes modernes, à cette foule de faits précis et bien prouvés dont ils ont enrichi la science de la nature, à cette méthode analytique qui conduit si sûrement à la vérité, oblige de l’attendre XXXY ÉLOGE lorsqu'elle n’est pas encore à notre portée, et ne permet jamais d'y substituer des erreurs. En effet, l'analyse chimique des substances minérales peut seule donner à leur nomen- clature une base solide, répandre la lumière sur leur histoire, sur leur origine, sur les antiques événemens qui ont déterminé leur formation. Malgré ce juste reproche, on retrouve dans l'histoire des minéraux le talent et la philo- sophie de M. de Buffon, ses apperçus in ge— nieux , ses vues générales et grandes, ce talent de saisir dans la suite des faits tout ce qui peut appuyer ces vues, de s’ emparer des es— prits, deles entraîner où ilveut les conduire, et de faire admirer l’auteur lors même que la raison ne peut adopter ses principes. L'Histoire naturelle renferme un ouvrage d'un genre différent, sous le titre d'Arithmé. tique morale. Une application de calcul à la probabilité de la durée de la vie humaine entroit dans le plan de l’ZZistoire naturelle ; M. de Buffon ne pouvoit guère traiter ce sujet sans porter un regard philosophique sur les principes mêmes de ce calcul et sur la na- ture des différentes vérités. IL y établit cette | DE BU FF ON. ‘xXXxiij opinion, que les vérités mathématiques ne sont point des vérités réelles, mais de pures vérités de définition : observation juste, si + on veut la prendre dans la rigueur métaphy- sique, mais qui s'applique également alors aux vérités de tous les ordres, dès qu’elles sont précises et qu’elles n’ont pas des indivi- dus pour objet. Si ensuite on veut appliquer _ ces vérités à la pratique et les rendre dès lors individuelles, semblables encore à cet égard aux vérités mathématiques ,elles ne sont plus que des vérités approchées. Il n’existe réelle- _ ment qu’une seule différence : c’est que les idées dont l'identité forme les vérités mathé- matiques ou physiques sont plus abstraites daus les premières; d’où il résulte que, pour les vérités physiques, nous ayons un souvenir _ distinct des individus dont elles expriment Jes qualités communes, et quenous nel’avons plus pour les autres. Maisla véritable réalité, l'utilité d’une proposition quelconque est in- dépendante de cette différence; car on doit regarder une vérité comme réelle, , toutes les fois que, si on l’applique à un objet réelle- ment existant, elle reste une vérité absolue, ou devient une vérité indéfiniment approchée, XXXIV É L O GE M. de Buffon proposoit d’assignérune valeur précise à la probabilité très-grande que l’on peut regarder comme une certitude morale, et de n'avoir au-delà de ce terme aucun égard à la petite possibilité d’un événement con- tratre. Ce principe est vrai, lorsque l’on veut seulement appliquer à l'usage commun le résultat d’un calcul; et dans ce sens tous les hommes l’ont adopté dans la pratique, tous les philosophes l’ont suivi dans leurs raison- nemens : mais il cesse d’être juste si on l’in- troduit dans le calcul même, et sur-tout si on veut l'empioyer à établir des théories ! à expliquer des paradoxes, à prouver ou à combattre des règles générales. D'ailleurs cette probabilité qui peut s’appéler certitude morale, doit être plus ou moins grande sui- vant la nature des objets que l’on considère, et les principes qui doivent diriger notre con- duite; et il auroit fallu marquer pour chaque genre de vérités et d'actions le degré de pro- babilité où il commence à être raisonnable de croire et permis d'agir. | C’est par respect pour les talens de notre illustre confrère que nous nous rs QE» de faire ici ces observations. Lorsque des DE BUFF ON. Xxxv opinions qui paroissent erronées se trouvent dans un livre fait pour séduire. l'esprit comme pour l’éclairer, c’est presque un de- voir d'avertir de les soumettre à un examen rigoureux. L'admiration dispose si facile- ment à la croyance , que les lecteurs, en traines à la fois par le nom de l’auteur et par le charme du style, cèdent sans résis- tance, et semblent craindre que le doute, en afloiblissant un enthousiasme qui leur est cher, ne diminue leur plaisir. Mais on doit ‘encore ici à M. de Buffon , sinon d'avoir répandu une lumière nouvelle sur cette par- tie des mathématiques et de la philosophie, du moins d'en avoir fait sentir l'utilité , peut- être même d’en avoir appris l'existence à une classe nombreuse qui n’auroit pas été en chercher les principes dans les ouvrages des géomètres, enfin d'en avoir montré la liai- son avec l’histoire naturelle de l’homme. Cest avoir contribué aux progrès d’une science qui, soumettant au calcul les événe- mens dirigés par des lois que nous nommons irrégulières, parce qu’elles nous sont incon- nues, semble étendre l’empire de l'esprit hu, main au-delà de ses bornes naturelles, et lui XExVj" 2. E L10 GPE | L offrir un instrument à l’aide duquel ses res. gards peuvent s'étendre sur des espaces im=* menses, que peut-être il ne lui sera jamais’, permis de parcourir. On a reproché à la DH ÈERE: de M. de Buffon non seulement ces systèmes géné- raux dont nous avons parlé, et qui repa-" roissent trop souvent dans le cours de sese ouvrages, mais on lui a reproché un esprit trop systématique, ou plutôt un esprit trop” prompt à former des résultats généraux d’a-# près les premiers rapports qui l’ont frappe, et de négliger trop ensuite les autres rap- “ports qui auroient pu ou jeter des doutes sur ces résultats, ou en diminuer la généralité, . ou leur ôter cet air de grandeur , ce carac- tère imposant, si propre à entrainer les ima- ginations ardentes et mobiles. Les savans! qui cherchent la vérité étoient fàchés d’être obligés sans cesse de se défendre contre la séduction , et de ne trouver souvent, au lieu” de résultats et de faits pre à servir de base à leurs recherches et à leurs observa— tions ; que des opinions à examiner et des” doutes à résoudre. Le Mais si l'Aistoiré naturelle a eu parmi les! | sis DE BUFF ON. Xxxvij savans des censeurs sévères, le style de cet | ouvrage n’a trouve que des admirateurs. M. de Buffon est poète dans ses descrip- tions ; mais, comme les grands poètes, il sait rendre intéressante la peinture des objets physiques, en y mêlant avec art des idées morales qui intéressent l’ame , en même temps que l'imagination est amusée ou éton- _ née. Son style est harmonieux, non de cette harmonie qui appartient à tous les écrivains corrects à qui le sens de l'oreille n’a pas été refusé , et qui consiste presque uniquemen£É à éviter les sons durs ou pénibles, mais de cette harmonie qui est une partie du talent, ajoute aux beautés par une sorte d’analogie entre les idées et les sons , et fait que la phrase est douce ou sonore, majestueuse ou léoère , suivant les objets qu’elle doit peindre et les sentimens qu’elle doit réveiller. Si M. de Buffon est plus abondant que pré- cis , cette abondance est plutôt dans les choses que dans les mots : il ne s'arrête pas à une idée simple, il en multiplie les nuances; mais chacune d’elles est exprimée avec pré- cision. Son style a de la majesté, de la pompe; mais c'est parce qu’il présente des idées vastes Mat. gén. I. D XXXViI] ÉLOGE et de grandes images. La force et l'énergie lux paroissent naturelles ; 11 semble qu'il fui ait ete impossible de parler ou plutôt de penser autrement. On a loué la variété de ses tons ; on s’est plaint de sa monotonie : mais ce qui peut être fonde dans cette censure est encore un sujet d’éloge. En peignant la nature su- blime ou terrible, douce ou riante; en décri- vant la fureur du tigre, la majesté du che- val , la fierté et la rapidité de l'aigle, les couleurs brillantes du colibri , la légereté de; Foiseau mouche, son style prend le caractère | des objets; mais il conserve sa dignité impo- sante : c’est toujours la nature qu’il peint, et al sait que mème dans les petits objets elle.- a manifesté toute sa puissance. Frappé d’une sorte de respect religieux pour les grands phé- nomènes de l’univers, pour les lois générales auxquelles obéissent les diverses parties du. vaste ensemble qu'il a entrepris de tracer, ce sentiment se montre par-tout, et forme em quelque sorte le fond sur lequel il répand de . la variété, sans que cependant on cesse jamais de l’appercevoir. Cet art de peindre en ne paroissant que raconter, ce grand talent du style porté sur. fe ME AU Tr PF ON. XXI es objets qu’on avoit traités avec clarté, avec élégance, et même embellis par des réflexions ingénieuses, mais auxquels jusqu'alors l’élo- quence avoit paru étrangère, frappèrent bien- tôt tous les esprits : la langue françoise étoit déja devenue la langue de l'Europe, et M. de Buffon eut par-tout des lecteurs et des dis- ciples. Mais ce qui est plus glorieux, parce qu'il s’y joint une utilité réelle, le succès de ce grand ouvrage fut l’époque d’une révolu-— tion dans les esprits; on ne put le lire sans avoir envie de jeter au moins un coup-d'œtl sur la nature, et l’histoire naturelle devint une connoissance presque vulgaire; elle fut ‘pour toutes les classes de la société, ou um “amusement, ou une occupation; on voulut avoir un cabinet comme on vouloit avoir une bibliothèque. Mais le résultat n’en est pas le même; car dans les bibliothèques on ne fait que répéter les exemplaires des mêmes livres : ce sont au contraire des individus différens qu’on rassemble dans les cabinets; ils s’y multiplient pour les naturalistes, à qui dès-lors les objets dignes d’être observés échappent plus difficilement. kd La botanique, la métallurgie, les parties de 4 xl. * * ÉLOGE | Vhistoire naturelle immediatement utiles à la medecine, au commerce, aux manufactures, avoient eté encouragees : mais c’est a la science même, à cette science, comme ayant pour objet la connoissance de la nature, que M. de Buffon a su le premier intéresser les souve— rains , les grands, les hommes publics de toutes les nations. Plus sûrs d'obtenir des ré- compenses , pouvant aspirer enfin à cette gloire populaire que les vrais savans savent apprécier mieux que les autres hommes , mais qu'ils ne méprisent point, les natura- listes se sont livrés a leurs travaux avec une ardeur nouvelle : on les a vus se multiplier à la voix de M. de Buffon dans les provinces comme dans les capitales , dans les autres parties du monde comme dans l’Europe. Sans doute on avoit cherche avant lui à faire sen- tir l’uulite de l'étude de la nature; la science n’étoit pas négligce; la curiosité humaine s’étoit portée dans les pays éloignées , avoit voulu connoître la surface de la terre, et pé- nétrer dans son sein : mais on peut appliquer à M. de Buffon ce que lui-même a dit d’un autre philosophe également célébre, son rival dans l’art d'écrire, comme lui plus utile _. SRE L, 16 à be "A DE BUFFON. xij peut-être par l'effet de ses ouvrages que par les vérités qu'ils renferment: D’autres avoient dit les mémes choses; mais il les a comman- dées au nom de la nature, et on lui a obéi. Peut-être le talent d'inspirer aux autres son enthousiasme, de les forcer de concourir aux mêmes vues, n’est pas moins nécessaire que celui des découvertes, au perfectionne-- ment de l’espèce humaine; peut-être n'est-il pas moins rare, n’exige-t-il pas moins ces grandes qualités de l’esprit qui nous forcent à l'admiration. Nous l’accordons à ces ha- rangues célèbres que l’antiquité nous a trans- mises , et dont l'effet n’a duré qu’un seul jour; pourrions-nous la refuser à ceux dont les ouvrages produisent sur les hommes dis- persés , des effets plus répétés et plus du- rables? Nous l’accordons à celui dont l'élo- quence , disposant des cœurs d’un peuple assemblé, lui a inspiré une résolution gené- reuse ou salutaire; pourroit-on la refuser à celui dont les ouvrages ont changé la pente des esprits, les ont portés à une étude utile, et ont produit une révolution qui peut faire époque dans l’histoire des sciences ? Si donc la gloire doit avoir l'utilité pour p xli ‘ÉLOGE | mesure, tant que l'espèce humaine n’obéira pas à la seule raison, tant qu'il faudra non seulement découvrir des vérités, mais forcer à les admettre, mais inspirer le desir d’en chercher de nouvelles, les hommes éloquens, nes avec le talent de répandre la vérité ou d’exciter le génie des découvertes, mériteront d'être placés au niveau des inventeurs, puis- que sans eux ces inventeurs n'’auroient pas existé, ou auroient vu leurs découvertes de- ineurer inutiles et dédaignées. Quand même une imitation mal entendue deM.de Buffon auroit introduit dans les livres d'histoire naturelle le goût des systèmes va- gues et des vaines déclamations, ce mal seroit nul en comparaison de tout ce que cette science doit à ses travaux : les déclamations » les systèmes passent, et les faits restent. Ces livres qu’on a surchargés d'ornemens pour les faire lire, seront oubliés : mais s'ils ren+ ferment quelques vérités, elles survivront à leur chüûte. On peut diviser en deux classes les grands ‘écrivains dont les ouvrages excitent une ad- miration durable, et sont lus encore lorsque les idées qu'ils renferment , rendues com- DE BUFF O N. xlü} anunes par cette lecture même, ont perdu leur intérêt et leur utilité. Les uns, doués d’un tact fin et sûr, d’une ame sensible, d’un. esprit juste, ne laissent dans leurs ouvrages rien qui ne soit écrit avec clarté, avec no- blesse, avec élégance , avec cette propriété de termes, cette précision d'idées et d'expressions qui permet au lecteur d’en goûter les beautés saus fatigue, sans qu'aucune sensation pénible vienne troubler son plaisir. Quelque sujet qu'ils traitent, quelques pensées qui naissent dans leur esprit, quel- que sentiment qui occupe leur ame, ils l’ex- priment tel quil est avec toutes ses nuances, avec toutes les images qui l’accompagnent, Ils ne cherchent point l'expression , elle s’offre à eux ; mais 1ls savent en éloigner tout ce qui nuiroit à l'harmonie, à l’effet, à la clarté : tels furent Despréaux , Racine, Fénélon, Massillon , Voltaire. On peut sans danger les prendre pour modèles : comme le grand se- cret de leur art est de bien exprimer ce qu'ils pensent ou ce qu'ils sentent, celui qui l'aura saisi dans leurs ouvrages, qui aura su se le rendre propre, s’approchera d'eux, si ses pensées sont dignes des leurs; l’imitation ne < lu + | LI Pi l'AR de. d. © 4 : p * ETS NP xliv ‘ ÉLOGE paroiîtra point servile, si ses idées sont à lui, et-1il ne sera exposé ni à contracter des dé- fauts, ni à perdre de son originalité. Dans d’autres écrivains, le style paroît se confondre davantage avec les pensées. Non seulement, si on cherche à les séparer, om détruit les beautés, mais les idées elles-mêmes semblent disparoître, parce que l'expression leur imprimoit le caractère particulier de l'ame et de l'esprit de l’auteur, caractère qui s’évanouit avec elle : tels furent Corneille, Bossuet, Montesquieu, Rousseau ; tel fut M. de Buffon. Ils frappent plus que les autres, parce qu'ils ont une originalité plus grande et plus continue ; parce que, moins occupées de la perfection et des qualités du style, ils voilent moins leurs hardiesses ; parce qu'ils sacrifient moins l'effet au goût et à la raison; parce que leur caractère, se montrant sans cesse dans leurs ouvrages, agit à la longue plus forte- ment et se communique davantage : mais en même temps ils peuvent être des modèles dangereux. Pour imiter leur style, il faudroit avoir leurs pensées , voir les objets comme ils les voient, sentir comme ils sentent: DE BU:FF O N. xÏv autrement , si le modèle vous offre des idées originales et grandes, l’imitateur vous présentera des idées communes , chargées d'expressions extraordinaires; si l’un ôte aux vérités abstraites leur sécheresse en les ren- dant par des {mages brillantes, l’autre pré- sentera des demi-pensées que des méta- phores bizarres rendent inintelligibles. Le modèle a parle de tout avec chaleur, parce que son ame étoit toujours agitée : le froid imitateur cachera son indifférence sous des formes passionnées. Dans ces écrivains , les défauts tiennent souvent aux beautés, ont la même origine, sont plus difficiles’ à distin- guer; et ce sont ces defauts que l’imitateur ne manque jamais de transporter dans ses copies. Veut-on les prendre pour modèles, il ne faut point chercher à saisir leur manière, il ne faut point vouloir leur ressembler, mais se pénétrer de leurs beautés, aspirer à produire des beautés égales, s’appliquer comme eux à donner un caractère original à ses productions , sans copier celui qui frappe ou qui séduit dans les leurs. Il seroit donc injuste d'imputer à ces grands écrivains les fautes de leurs enthousiastes, de xlvj ÉLOGE les accuser d’avoir corrompu le goût, parce que des gens qui en manquoient les ont pa- rodiés en croyant les imiter. Ainsi on auroit tort de reprocher à M. de Buffon ces idées vagues cachées sous des expressions ampou- lées, ces images incohérentes, cette pompe ambitieuse du style, qui défigure tant de productions modernes ; comme on auroit tort de vouloir rendre Rousseau responsable de cette fausse sensibilité, de cette habitude de se passionner de sang froid , d’exagérer toutes les opinions, enfin de cette manie de parler de soi sans nécessité, qui sont deve- nues une espèce de mode, et presque un mé- rite. Ces erreurs passagères dans le goût d’une nation cèdent facilement à l’empire de la raison et à celui de l'exemple: l’enthou- siasme exagéré, qui fait admirer jusqu'aux défauts des hommes illustres , donne à ces mal-adroites imitations une vogue momen- tAnée ; mais à la longue il ne reste que ce qui est vraiment beau; et comme Corneille et Bossuet ont contribué à donner à notre lan- ue, l’un plus de force, l’autre plus d'éleva- “nt et de hardiesse, M. de Buffon lui aura fait acquérir plus de magnificence et de gran “a DE BUFF O N. xlvif deur, comme Rousseau l'aura instruite à former des accens plus fiers et plus pas- sionnés. Le style de M. de Buffon n'offre pas tou- jours le mênre degré de perfection; mais dans tous les morceaux destinés à l’effet, il a cette correction, cette pureté, sans lesquelles, lorsqu'une langue est une fois formée, on ne peut atteindre à une célébrité durable. S'il s’est permis quelquefois d’être négligé, c'est uniquement dans les discussions purement scientifiques, où les taches qu’il a pu laisser ne nuisent point à des beautés, et servent peut-être à faire mieux goûter les peau brillantes qui les suivent. C'étoit par un long travail qu'il parvenoit à donner à son style ce degré de perfection , et il continuoit de le corriger jusqu’à ce qu’il eût effacé toutes les traces du travail, et qu’à force de peine il lui eût donné de la facilité ; car cette qualité si précieuse n’est, dans un écrivain, que l’art de cacher ses efforts , de présenter ses pensées, comme sil les avoit conçues d’un seul jet, dans l’ordre le plus naturel ou le plus frappant , revêtues des expressions les plus propres ou Les plus heu- xlvii ÉLOGE reuses ; et cet art, auquel le plus grand charme du style est attaché, n’est cependant que le résultat d’une longue suite d’observa- { l « « L | v h L tions fugitives et d’attentions minutieuses. M. de Buffon aimoit à lire ses ouvrages, non par vanité, mais pour s'assurer, par l’ex- périence, de leur clarté et de leur effet; les deux qualités peut-être sur lesquelles on peut le moins se juger soi-même. Avec une telle intention , il ne choisissoit pas ses auditeurs ; ceux que le hasard lui’offroit, sembloient . devoir mieux représenter le public, dont 1l vouloit essayer sur eux la manière de sentir : il ne se bornoit pas à recevoir leurs avis ou plutôt leurs éloges; souvent il leur deman- doit quel sens ils attachoient à une phrase, quelle impression ils avoient éprouvée; et s’ils n’avoient pas saisi son idée, s’il avoit manqué l'effet qu'il vouloit produire , il en concluoit que cette partie de son ouvrage mauquoit de netteté, de mesure ou de force, et il l’écrivoit de nouveau. Cette méthode est excellente pour les ouvrages de philosophie qu'on destine à devenir populaires ; mais peut d'auteurs auront le courage de Femployer. Il ne faut pas cependant s'attendre à trouver um \- * v' DE: RU F FNO°N. xlix égal degré de clarté dans toute l’Aistoire na- turelle : M. de Buffon a écrit pour les savans, pour les philosophes et pour le public, et il a su proportionner la clarté de chaque par- tie au desir qu'il avoit d’être entendu d’un nombre plus ou moins grand de lecteurs. Peu d'hommes ont été aussi laborieux que lui, et l’ont été d’une manière si continue et si régulière. Il paroissoit commander à ses idées plutôt qu'être entrainé par elles. Nëé avec une constitution à la fois très-saine et très-robuste , fidèle au principe d'employer toutes ses facultés jusqu'à ce que la fatigue l'avertit qu'il commençoit à en abuser, son esprit étoit toujours également prêt à remplir la tâche qu’il lui imposoit. C’étoit à la cam- pagne qu’il aimoit le plus à travailler : il avoit placé son cabinet à l'extrémité d’un vaste jardin sur la cime d'une montagne; c'est là qu'il passoit les matinées entières, tantôt écrivant dans ce réduit solitaire, tantôt mé- ditant dans les allées de ce jardin dont l’en- trée étoit alors rigoureusement interdite; seul, et dans les momens de distraction nécessaires au milieu d’un travail long-temps continué, n'ayant autour de lui que la nature, dont le x 4 ÉLOGE spectacle, en délassant ses organes, le rame | noit doucement à ses idées que la fatigue avoit interrompues. Ces longs séjours à Mont. bart étoient peu compatibles avec ses fonc— tions de trésorier de l’académie; mais il s’e- toit choisi pour adjoint M. Tillet, dont 1 connoissoit trop le zèle actif et sage, l’atta- chement scrupuleux à tous ses devoirs, pour. avoir à craindre que ses confrères pussent jamais se plaindre d’une absence si utilement employée. On doit mettre au nombre des services qu’il a rendus aux sciences , les progrès que toutes les parties du jardin du roi ont faits sous son administration. Ces grands dépôts ne dis- pensent point d'étudier la nature. La con- noissance de la disposition des objets et de la place qu’ils occupent à la surface ou dans le sein de la terre, n’est pas moins importante que celle des objets eux-mêmes; c’est par là seulement qu'on peut connoiître leurs rap- ports, et s'élever à la recherche de leur ori- _gine et des lois de leur formation: mais c’est dans les cabinets qu’on apprend à se rendre capable d'observer immédiatement la nature; c'est là encore qu'après l’avoir étudiée, o® DE BUFF O N. 1 apprend à juger ses propres observations, à les comparer, à en tirer des resultats, à se rappeler ce qui a pu échapper au premier coup-d'œil. C’est dans les cabinets que com- mence l'éducation du naturaliste, et c’est là aussi qu’il peut mettre la dernière perfection à ses pensées. Le cabinet du roi est devenu entre les mains de M. de Buffon, non un simple monument d'ostentätion , mais un depot utile et pour l'instruction publique, et pour le progrès des sciences. IL avoit su in- téresser toutes les classes d'hommes à l’his- toire naturelle ; et pour le récompenser du plaisir qu'il leur avoit procuré, tous s’em- pressoient d'apporter à ses pieds Les objets curieux qu'il leur avoit appris à chercher et à connoître. Les savans y ajoutoient aussi leur tribut ; car ceux même qui combattoient ses opinions , qui désapprouvoient sa mé- thode de traiter les sciences, reconnoissoient cependant qu'ils devoient une partie de leurs lumières aux vérités qu'il avoit recueillies, et une partie de leur gloire à cet enthousiasme pour l’histoire naturelle, qui étoit son ou vrage. Les souverains lui envoyoient les pro- ductions rares ou curieuses dont la nature lj _ ÉLOGE avoit enrichi leurs états : c'est à lui que ces présens étoient adressés; mais il les remet- toit dans le cabinet du roi, comme dans le lieu où , exposés aux regards d’un grand nombre d'hommes éclairés, ils pouvoient être plus utiles. Dans les commencemens de son adminis- tration , 1l avoit consacré à l’embellissement du cabinet une gratification qui lui étoit offerte, mais qu'il ne vouloit pas accepter pour lui-même : procédé noble et double- ment utile à ses vues, puisqu'il lui donnoit le droit de solliciter des secours avec plus de hardiesse et d’opiniâtreté. La botanique etoit celle des parties de l’his- toire naturelle dont il s’étoit le moins oc- cupé; mais son goût particulier n’influa point sur les fonctions de l’intendant du jardin du oi. ÂAgrandi par ses soins, distribué de la manière la plus avantageuse pour l’enseigne- ment et pour la culture, d'après les vues des botanistes habiles qui y président, ce jardin est devenu un établissement digne d’une na- tion éclairée et puissante. Parvenu à ce degré de splendeur, le jardin du roi n'aura plus à craindre sans doute ces vicissitudes de déca- DE BUFFO N. li dence et de renouvellement dont notre his- toire nous a transmis le souvenir, et le zèle éclairé du successeur de M. de Buffon sufhroit seul pour en répondre à l'académie et aux SCIeTiCES. Ce n'est pas seulement à sa célébrité que M. de Buffon dut le bonheur de lever les obstacles qui s’opposèrent long-temps à l’en- tier succès de ses vues; il le dut aussi à sa conduite. Des louanges insérées dans l’Æis- toire naturelle étoient la récompense de l’in- terèt que l’on prenoit aux progrès de la science , et l’on regardoit comme une sorte d'assurance d'immortalité l'honneur d'y voir inscrire son nom. D'ailleurs M. de Buffon avoit eu le soin constant d'acquérir et de conser- ver du crédit auprès des ministres et de ceux qui, chargés par eux des détails, ont sur la décision et l’expédition des affaires une in- fluence inévitable. Il se concilioit les uns en ne se permettant jamais d'avancer des opinions qui pussent les blesser, en ne pa- roissant point prétendre à les juger ; il s’as- suroit des autres en employant avec eux un ton d'égalité qui les flattoit, et en se dépouil- lant de la supériorité que sa gloire et ses E 2 lv :'ÉFLVONQUE _talens pouvoient lui donner. Ainsi aucun des moyens de contribuer aux progrès de la science à laquelle il s’étoit dévoué, n’avoit éte négligé. Ce fut l’unique objet de son ambition : sa considération , sa gloire, y étoient liées sans doute ; mais tant d'hommes séparent leurs intérêts de l’intérêt général , qu’il seroit injuste de montrer de la sévérité pour ceux qui savent les réunir. Ce qui prouve à quel point M. de Buffon étoit éloi- oué de toute ambition vulgaire, c’est qu'ap- pelé à Fontainebleau par le feu roi, qui vouloit le consulter sur quelques points re- latifs à la culture des forêts, et ce prince lui ayant proposé de se charger en chef de l'administration de toutes celles qui coim- posent les domaines, ni l'importance de cette place, ni l'honneur si desiré d’avoir un tra- vail particulier avec le roi, ne purent l’e- blouir: il sentoit qu’en interrompant ses travaux, il alloit perdre une partie de sa gloire ; il sentoit en même temps la difh- culté de faire le bien ; sur-tout il voyoit d'avance la foule des courtisans et des adimi- nistrateurs se réunir contre une supériorilé si effrayante, et contre les conséquences d’um exemple si dangereux. ME DU LEFILOIN: (Fe Placé dans un siècle où l'esprit humain s'agitaut dans ses chaines, les a relâchées toutes et en a brisé quelques-unes , où toutes les opinions ont été examinées , toutes les erreurs combattues , tous les anciens usages soumis à la discussion, où tous les esprits ont pris vers la liberté un essor inattendu, M. de Buffon parut n'avoir aucune part à ce mou- vement général. Ce silence peut paroître singulier dans un philosophe dontles ouvrages prouvent qu'il avoit considéré l’homme sous tous les rapports , et annoncent en même temps une manière de penser mâle et ferme, bien éloignée de ce penchant au doute, à l'incertitude , qui conduit à l’indifférence. Mais peut-être a-t-il cru que le meilleur moyen de détruire les erreurs en métaphy- sique et en morale , étoit de multiplier les vérites d'observation dans les sciences natu- relles ; qu’au lieu de combattre l’homme ignorant et opiniâtre, il falloit lui inspirer le desir de s’instruire : il étoit plus utile, selon lui , de prémunir les générations suivantes contre l'erreur , en accoutumant les esprits à se nourrir de vérités méme indifférentes, que d'attaquer de front les préjugés enracinés, Iv; ‘ ÉLOGE et liés avec l’amour propre, l'intérêt ou les , passions de ceux qui les ont adoptés. La nature a donné à chaque homme son talent, et la sagesse consiste à y plier sa conduite : l'un est fait pour combattre , l’autre pour instruire ; l'un pour corriger et redresser les esprits , l’autre pour les subjuguer et les entrainer aprés lui. D'ailleurs M. de Buffon vouloit élever le monument de l’Æistoire naturelle , il vouloit donner une nouvelle forme au ca- binet du roi; il avoit besoin et de repos et du concours général des suffrages : or quiconque attaque des erreurs , ou laisse seulement entrevoir son mépris pour elles , doit s’attendre à voir ses jours troubles, et chacun de ses pas embarrassé par des obs- tacles. Un vrai philosophe doit combattre les ennemis quil rencontre sur la route qui le conduit à la vérité, mais il seroit mal-adroit d'en appeler de nouveaux par des attaques imprudentes. Peu de savans, peu d'écrivains, ont obtenu une gloire aussi populaire que M. de Buffon, et il eut le bonheur de la voir continuelle- iment saccroitre à mesure que les autres DE BUFFO N. lvi jouissances diminuant pour lui, celles de l’a- mour propre lui devenoient plus nécessaires. Il n’essuya que peu de critiques , parce qu’il avoit soin de n'offenser aucun parti, parce que la nature de ses ouvrages ne permettoit guère à la littérature ignorante d'atteindre à sa hauteur. Les savans avoient presque tous garde le silence , sachant qu'il y a peu d'honneur et peu d'utilité pour les sciences à combattre un système qui devient néces- sairement une vérité générale si les faits le. confirment , ou tombe de lui-mêime s'ils le contrarient. D'ailleurs M. de Buffon employa le moyen le plus sûr d'empêcher les critiques de se multiplier ; il ne répondit pas à celles qui parurent contre ses premiers volumes. Ce n'estpoint qu'elles fussent toutes méprisables; celles de M. Haller, de M. Bonnet, de M. l'abbé de Condillac, celles mème que plu- sieurs sayans avoient fournies à l’auteur des Lettres américaines, pouvoient mériter des réponses qui n’eussent pas toujours été faciles. Mais en répondant il auroit intéressé l'amour propre de ses adversaires à continuer leurs critiques , et perpétué une guerre où La vic- MAP ES Lot Fe d TETE * " L 3 LEE] lviÿ « ÉLOGE toire, qui ne pouvoit jamais être absolument complète , ne l’auroit pas dédommagé d'un temps qu'il etoit sûr d'employer plus utile-— ment pour sa gloire. Les souverains , les princes étrangers qui visitoient la France, s'empressoient de rendre hommage à M. de Buffon, et de le chercher au milieu des ces richesses de la nature rassemblées par ses soins. L’impératrice de * Russie, dont le nom est lié à celui de nos plus célèbres philosophes, qui avoit proposé inutilement à M. d’Alembert de se charger de l’éducation de son fils, et appelé auprès d'elle M. Diderot , après avoir répandu sur lui des bienfaits dont la délicatesse avec laquelle ils étoient offerts augmentoit le prix; qui avoit rendu M. de Voltaire le confident de tout ce qu’elle entreprenoit pour répandre les lumières , établir la tolérance et adoucir les lois ; l’impératrice de Russie prodiguoit à M. de Buffon les marques de son admira- tion les plus capables de le toucher , en hu envoyant tout ce qui, dans ses vastes états , devoit le plus exciter sa curiosité, et en choisissant par une recherche ingénieuse les productions singulières qui pouvoient sérvir / | : DE B'U'F F O-N. Lx de preuves à ses opinions. Enfin il eut l'honneur de recevoir dans sa retraite de Montbart ce héros en qui l'Europe admire le génie de Frédéric et chérit l'humanité d'un sage , et qui vient aujourd'hui mêler ses regrets aux nôtrés , et embellir par l'éclat de sa gloire la modeste simplicité des honneurs académiques. | M. de Buffon n'’étoit occupé que d’un seul chjet , n’avoit qu’un seul goût ; il s’étoit créé un style , et s’étoit fait une philosophie par ses réflexions plus encore que par l'étude : on ne doit donc pas s'étonner de ne trouver ri dans ses lettres n1 dans quelques morceaux échappes à sa plume, cette légéreté , cette simplicité. qui doivent en être le caractère ; mais presque toujours quelques traits font reconneitre le peintre de la nature, et dédom- magent d'un defaut de flexibilité incompa- tible peut-être avec la trempe mäle et vigou- reuse de son esprit. C’est à la même cause que l’on doit attribuer la sévérité de ses jugemens , et cette sorte d’orgueil qu’on a cru observer en lui. L’indulgence suppose quelque facilité à se prêter aux idées et à la manière d'autrui, et il est difhcile d’être ? ” J mn LES" | Li ia d Lg nn ar er AU ARS + tante L 1x É LOGE sans orgueil , quand, occupé sans cesse d’un grand objet qu’on a dignement rempli, on est forcé en quelque sorte de porter toujours * avec so1 le sentiment de sa supériorité. Dans la société, M. de Buffon souffroit sans peine la médiocrité ; ou plutôt, oecupé de ses propres idées, il ne l’appercevoit pas, et pré- féroit en général les gens qui pouvoient le distraire sans le contredire et sans l’assujettir au' soin fatisant de prévenir leurs objections ! ou d’y répondre. Simple dans la vie privée, y prenant sans effort le ton dela bonhommie, quoiqu’aimant par goût la magnificence et tout ce qui avoit quelque appareil de gran- deur , ilavoit conservé cette politesse noble, ces déférences extérieures pour le rang et les places , qui etoient dans sa jeunesse le ton général des gens du monde , et dont plus d'amour pour la libertéet l'égalité, au moins dans les manières, nous a peut-être trop cor- rigés ; car souvent les formes polies dispen- sent de la fausseté , et le respect extérieur est une barrière que l’on oppose avec succès à une familiarité dangereuse. On auroit pu tirer deces déférences qui paroissoient exage- rées , quelques inductions défavorables au DE BUFF O N. {x caractère de M. de Buffon, si dans des cir- constances plus importantes 1l n’avoit montré une hauteur d’ame et une noblesse supé- rieures à l'intérêt comme au ressentiment. Il avoit épousé en 1752 mademoiselle de Saint-Belin , dont la naissance, les agrémens extérieurs et les vertus réparèrent à ses yeux le défaut de fortune. L'âge avoit fait perdre à M. de Buffon une partie des agrémens de la jeunesse ; mais il lui restoit une taille avan- tageuse , un air noble, une figure imposante, une physionomie à la fois douce et majes- tueuse. L’enthousiasme pour le talent fit disparoître aux yeux de madame de Buffon l'inégalité d'âge; et dans cette époque de la - vie où la félicité semble se borner à remplacer par l'amitié et des souvenirs mêlés de regrets un bonheur plus doux qui nous échappe, il eut celui d'inspirer une passion tendre, constante , sans distraction comme sans nuage : jamais une admiration plus pro- fonde ne s’unit à une tendresse plus vraie. Ces sentimensse montroient dans les regards, dans les manières , dans les discours de madame de Buffon , et remplissoient son cœur et sa vie. Chaque nouvel ouvrage de F u Hxi " ELOËEE son mari, chaque nouvelle palme ajoutée à sa gloire , étoient pour elle une source de jouissances d’autant plus douces , qu’elles étoient sans retour sur elle-même , sans aucun mélange de l’orgueil que pouvoit lui inspirer l'honneur de partager la considé- ration et le nom de M. de Buffon ; heureuse du seul plaisir d'aimer et d'admirer ce qu’elle aimoit , son ame étoit fermée à toute vanité personnelle, comme à tout sentiment étran- ger. M. de Buffon n’a conservé d’elle qu'un fils, M. le comte de Buffon, major en second au résiment d'Angoumois , qui porte avec honneur dans une autre carrière un nom à jamais célèbre dans les sciences, dans les lettres et dans la philosophie. M. de Buffon fut long-temps exempt des pertes qu'amène la vieillesse : il conserva également et toute la vigueur des sens et toute celle de l’ame; toujours plein d’ardeur pour le travail, toujours constant dans sa manière de vivre , dans ses délassemens comme dans ses études, il sembloit que l’âge de la force se füt prolongé pour lui au-delà des bornes ordinaires. Une maladie doulou- reuse viut troubler et accélérer la fin d’une DE BUFFON. lxiij si belle carrière : il lui opposa la patience , eut le courage de s’en distraire par une étude opiniatre ; mais il ne consentit jamais à s’en delivrer par une opération dangereuse. Le travail, les jouissances de la gloire, le plaisir de suivre ses projets pour l'agrandissement du jardin et du cabinet du roi, sufhisoient pour l'attacher à la vie; il ne voulut pas la risquer contre l'espérance d’un soulagement souvent passager et suivi quelquefois d’infir- mites pénibles, qui, lui ôtant une partie de _ses forces , auroient été pour une ame active plus insupportables que la douleur. Il con- serva presque jusqu à ses derniers momens Je pouvoir de s'occuper avec intérêt de ses ouvrages et des fonctions de sa place , la liberté entière de son esprit , toute la force de sa raison , et pendant quelques jours seu- lement il cessa d’être l’homme illustre dont le genie et les travaux occupoient l’Europe depuis quarante ans. Les sciences le perdirent le 16 avril 1788. Lorsque de tels hommes disparoissent de la terre, aux premiers éclats d’un enthousiasme augmenté par les regrets , et aux derniers cris de l’envie expirante , succède bientôt un baiv ÉLOGE silence redoutable, pendant lequel se prépare avec lenteur le jugement de la postérité. On relit paisiblement pour l’examiner, ce qu’on avoit lu pour l’admirer, le critiquer , ou seulement pour le vain plaisir d'en parler. Des opinions conçues avec plus de réflexion, motivées avec plus de liberté, se répandent peu à peu , se modifient, se corrigent les unes les autres ; et à la fin une voix presque unanime s'élève, et prononce un arrêt que rarement les siècles futurs doivent révo- quer. | Ce jugement sera favorable à M. de Buffon; il restera toujours dans la classe si peu nom- breuse des philosophes dont une postérité reculée lit encore les ouvrages. En général, elle se rappelle leurs noms ; elle s’occupe de leurs découvertes , de leurs opinions : mais c’est dans des ouvrages étrangers qu'elle va les chercher , parce qu’elles s’y présentent débarrassées de tout ce que les idées particu- - lières au siècle, au pays où ils ont vécu, peuvent y avoir mêlé d’obscur , de vague ou d'inutile; rarement le charme du style peut-il compenser ces effets inévitables du temps et du progrès des esprits: mais M. de Buffon DE BUFPF ON. Ixv doit échapper à cette règle commune, et la postérité placera ses ouvrages à côte des dia- logues du disciple de Socrate, etdes entretiens du philosophe de Tusculum. | L'histoire des sciences ne présente que deux hommes qui par la nature de leurs ouvrages paroissent se rapprocher de M. de Buffon, Aristote et Pline. Tous deux infatigables comme lui dans le travail , étonnans par l’'immensité de leurs connoissances et par celle des plans qu'ils ont conçus et execu- tés, tous deux respectés pendant leur vie et houorés après leur mort par leurs conci- toyens , ont vu leur gloire survivre aux révo- lutions des opinions et des empires , aux nations qui les ont produits, et même aux langues qu’ils ont employées, et ils semblent par leur exemple promettre à M. de Buffon une gloire non moins durable. Aristote porta sur le mécanisme des opéra- tions de l'esprit humain , sur les principes de l’éloquence et de la poésie , le coup-d’æil juste et perçant d’un philosophe, dicta au goût et à la raison des lois auxquelles ils obéissent encore, donna le premier exemple, trop tôt oublié , d'étudier la nature dans la Ixv) \, EL OUR seule vue de la connoître et de l’observer avec précision comme avec methode, TE Place dans une nation moins savante , Pline fut plutôt un compilateur de relations qu un philosophe observateur ; mais comme il avoit embrasse dans son plan tous les tra- vaux des arts et tous les phénomenes de la nature , son ouvrage renferme les mémoires les plus précieux et les plus étendus que l'antiquité nous ait laisses pour l’histoire des progres de l'espèce humaine. Dans un siècle plus éclairé , M. de Buffon a reuni ses propres observations à celles que ses immenses lectures lui ont fournies ; son plan, moins étendu que celui de Pline , est execute d’une manière plus complète ; ïl présente et discute les résultats qu’Aristote n'avoit osé qu'indiquer. Le philosophe grec n’a mis dans son style qu’une précision méthodique et sévére, etn’a parle qu'à la raison. Pline, dans un style noble, énergique et grave, laisse échapper des traits d'une ima- gination forte , mais sombre, et d'une philo- sophie souvent profonde , mais presque tou jours austère et mélancolique. La DE BUFFO N. Ixviÿ M. de Buffon, plus varié, plus brillant, plus prodigue d'images , joiut la facilite à l'énergie , les graces à la majeste ; sa philo- sophie , avec un caractère moins prononcé , est plus vraie et moins affligeante. Aristote semble n’avoir écrit que pour les savans, Pline pour les philosophes , M. de Buffon pour tous les hommes eclaires. Aristote a été souvent égare par cette vaine métaphysique des mots , vice de la philoso- phie grecque, dont la superiorite de ‘son esprit ne put entièrement le garantir. La crédulité de Pline a rempli son ouvrage de fables qui jettent de l'incertitude sur les _ faits qu’il rapporte , lors même qu’on n’est pas en droit de les reléguer dans la classe des PE | On n’a reproché à M. de Buffon que ses hypothèses: ce sont aussi desespecesdefables, mais des fables produites paruneimagination active qui a besoin de créer, et non par une imagination passive qui cède à des impressions étrangères. On admirera toujours dans Aristote le génie de la philosophie ; on etudiera dans Pline les arts et l'esprit des anciens , on y cherchera Ixviÿ ÉLOGE DE BUFFON. ces traits qui frappent l’ame d’un sentiment triste et profond : mais on lira M. de Buffon pour s'intéresser comme pour s’iustruire ; il continuera d’exciter pour les sciences natu— relles un enthousiasme utile, et les hommes lui devront long-temps et les doux plaisirs que procurent à une ame jeune encore les premiers regards jetés sur la nature, et ces consolations qu'éprouveune ame fatiguée des orages de la vie , en reposant sa vue sur l’im- mensité des êtres paisiblement soumis à des lois éternelles et nécessaires, ODE O D E AB UF F ON, . { - _ CONTRE SES DÉTRACTEURS, PAR LE CITOYEN LEBRUN. Bvorro N , laisse gronder l'Envie ; C’est l'hommage de sa terreur : Que peut sur l’éclat de ta vie Son obscure et lâche fureur ? Olympe, qu'assiége un orage, Dédaigne l’impuissante rage Des Aquilons tumultueux : Tandis que la noire tempête Groude à ses pieds, sa noble tête Garde un calme majestueux. Mat. gén, I. & Ixx O DE PEnNsoïrs-Tu donc que le génie Qui te place au trône des Arts, Long-temps d'une gloire impunie Blesseroit de jaloux regards ? | Non, non : tu dois payer la gloire ; Tu dois expier ta mémoire Par les orages de tes jouts: Mais ce torrent, qui dans ton onde Vomit sa fange vagabonde, N’en sauroit altérer le cours. Poursu1s ta brillante carrière, O dernier astre des Français! Ressemble au dieu de la lumière, Qui se venge par des bienfaits. Poursuis : que tes nouveaux ouvrages Remportent de nouveaux outrages Et des lauriers plus glorieux: La gloire est le prix des Alcides ; Et le dragon des Hesperides Gardoit un or moins précieux. A BUFF O N. Ixxÿ C’EST pour un or cn et stérile Que l’intrépide fils d'Éson Entraine la Grèce docile Aux bords fameux par la Toison: 11 emprunte aux forêts d'Épire Cet inconcevable navire Qui parloit aux flots étonnés; Et déja sa valeur rapide Des champs affreux de la Colchide Voit tous les monstres déchaînés. Ixz faut qu’à son joug il enchaîne Les brûülans taureaux de Vulcain; De Mars qu’il sillonne la plaine Tremblante sous leurs pieds d’airain : D'uu serpent, l’effroi de la terre, Les dents fertiles pour la guerre À peine y germent sous ses pas, Qu'une moisson vivante, armée Contre la main qui l’a semée, L'attaque, et jure son trépas. - « LA Ixxij 7 D0%Dve S’11 triomphe, un nouvel obstacle Lui défend l’objet de ses vœux: Il faut par un dernier miracle: Conquérir cet or dangereux ; 11 faut vaincre un dragon farouche, Braver les poisons de sa bouche, Tromper le feu de ses regards : + Jason vole, rien ne l’arrête. Buffon, pour ta noble conquête Tenterois-tu moins de hasards ? Mars si tu crains la tyrannie D'un monstre jaloux et pervers, Quitte Le sceptre du gémie; Cesse d’éclairer l’univers : Descends des hauteurs de ton ame; Abaisse tes ailes de flamme ; | Brise tes sublimes pinceaux ; Prends tes envieux pour modèles ; Et de leurs vernis infidèles Obscurcis tes brillans tableaux. À BUFFO N. box FLATTÉ de plaire aux goûts volages , L'Esprit est le dieu des instans : Le Génie est le dieu des âges ; | Lui seul embrasse tous Les temps. Qu'il brûle d’un noble délire, Quand la Gloire autour de sa lyre Lui peint les siècles assemblés, Et leur suffrage vénérable Fondant son trône inaltérable Sur les empires écroulés. EuUT-12, sans ce tableau magique, Dont son noble cœur est flatté, Rompu le charme léthargique De l’indolente volupté? Eût-il dédaigné les richesses ? Eût-il rejeté les caresses Des Circés aux brillans appas, Et par une étude incertaine Acheté l'estime lointaine Des peuples qu’il ne verra pas? Exxiv ODE ArNs1 l'active chrysalide, Fuyant le jour et le plaisir, Va filer son trésor liquide Dans un mystérieux loisir. La nymphe s’enferme avec joie Dans ce tombeau d’or et de soie Qui la voile aux profanes yeux, Certaine que ses nobles veilles Enrichiront de leurs merveilles Les rois, les belles et les dieux. CE u x dont le présent est l’idole Ne laissent point de souvenir: Dans un succès vain et frivole Ils ont usé leur avenir. Amans des roses passagères, Ils ont les graces mensongèrés Et le sort des rapides fleurs ; Leur plus long règne est d’une aurore : Mais le temps rajeunit encore | L’antique laurier des neuf Sœurs. ADS UF F ON mxy Jusqu Es à quand de vils Procustes Viendront-ils au sacré vallon, _ Souillant ces retraites augustes, Mutiler les fils d'Apollon ? Le croirez-vous, races futures ? J'ai vu Zoïle aux mains impures, Zoïle outrager Montesquieu : | Mais quand la Parque inexorable Frappa cet homme irréparable, Nos regrets en firent un dieu. Quor!tour à tour dieux et victimes, Le sort fait marcher les talens Entre l’Olympe et les abimes, Entre la satyre et l’encens! - Malheur au mortel qu’on renomme! Vivant, nous blessons le grand homme Mort, nous tombons à ses genoux. On n'aime que la gloire absente : La mémoire est reconnoissante; Les yeux sont ingrats et jaloux. À LA VA ge 17 FN Ixxvj ODE À BUFFON. 4. BurFFonN, dès que, rompantses voiles Et fugitive du cercueil, De ces palais peuplés d'étoiles: Ton ame aura franchi le seuil, Du sein brillant de l'Empyrée.. Tu verras la France éplorée T’offrir des honneurs immortels, Et le Temps, vengeur légitime, De l’Envie expier le crime, Et l’enchainer à tes autels. Mor, sur cette rive déserte Et de talens et de vertus, Je dirai, soupirant ma perte : Ilustre ami, tu ne vis plus! La Nature est veuve et muette; . a: Elle te pleure! et son poête : N'a plus d’elle que des regrets : Ombre divine et tutélaire, Cette lyre qui t’a su plaire, Je la suspends à tes cyprès! HISTOIRE HISTOIRE eue US R'E LL :E. PREMIER DISCOURS. Res ardua vetustis novitatem dare, novis auctoritatem , obsoletis nitorem, obscuris lu- cem., fastiditis gratiam , dubuis fidem , omni- bus verd naturam., et naturæ suæ Omnia. (PLIN. in Præf. ad Vespas.), HISTOIRE NATURELLE. PREMIER DISCOURS. De la manière d'étudier et de traiter l’histoire naturelle. 2) | ini REeNS NATURELLE, prise dans toute son étendue , est une histoire immense; elle embrasse tous les objets que nous pré- sente l'univers. Cette multitude prodigieuse de quadrupèdes, d'oiseaux, de poissons, d'in- sectes, de plantes, de minéraux, etc. offre #. la curiosité de l'esprit humain un vaste spec- tacle, dont l’ensemble est si grand, qu'il pa- roit et qu’il est en effet inépuisable dans les 4 MANIÈRE DE TRAITER détails. Une seule partie de l’histoire na- turelle , comme l’histoire des insectes , ow histoire des plantes, suffit pour occuper plusieurs hommes; et les plus habiles ob- servateurs n’ont donné, après un travail de - plusieurs années, que des ébauches assez im- parfaites des objets trop multipliés que pré- sentent ces branches particulières de l’his- toire naturelle, auxquelles ils s’étoient uni- quement attachés. Cependant ils ont fait tout ce qu’ils pouvoient faire; et bien loin de s’en prendre aux observateurs du peu d’avance- ment de la science, on ne sauroit trop louer leur assiduité au travail et leur patience; on ne peut même leur refuser des qualités plus élevées: car il y a une espèce de force de genie et de courage d'esprit à pouvoir envisager, sans s'étonner, la nature dans la multitude innombrable de ses productions, et à se croire capable de les comprendre et de les comparer; _ il y a une espèce de goût à les aimer, plus grand que le goût qui n’a pour but que des objets particuliers : et l’on peut dire que V'amour de l’étude de la nature suppose dans l'esprit deux qualités qui paroissent oppo- sées; les grandes vues d’un génie ardent qui L'HISTOIRE NATURELLE. 5 embrasse tout d’un coup d'œil, et les petites attentions d’un instinct laborieux qui ne s'attache qu’à un seul point. Le premier obstacle qui se présente dans l’étude de l’histoire naturelle, vient de cette grande multitude d'objets : mais la variété de ces mêmes objets, et la difficulté de ras- sembler les productions diverses des différens climais , forment un autre obstacle à l’avan- cement de nos connoissances, qui paroit in— vincible , et qu'en effet Le travail seul ne peut surmonter; ce n’est qu'à force de temps, de soins, de dépenses, et souvent par des ha- sards heureux, qu'on peut se procurer des individus bien conservés de chaque espèce d'animaux, de plantes ou de minéraux, et former une collection bien rangée de tous Les ouvrages de la nature. Mais lorsqu'on est parvenu à rassembler des échantillons de tout ce qui peuple luni- vers, lorsqu'après bien des peines on a mis dans un même lieu des modèles de tout ce qui se trouve répandu avec profusion sur la, terre, et qu'on jette pour la première fois les yeux sur ce magasin rempli de choses diverses, nouvelles et étrangères, la pre- | 1 É 6 MANIÈRE DE TRAITER mière sensation qui en résulte est un éton- nement mêlé d’admiration, et la première réflexion qui suit est un retour humiliant sur nous-mêmes. On ne s’imagine pas qu'on puisse avec le temps parvenir au point de reconnoitre tous ces différens objets; qu’om puisse parvenir non seulement à les recon- noiître par la forme, mais encore à savoir tout ce qui a rapport à la naissance, la pro- duction, l’organisation , les usages, en un mot à l’histoire de chaque chose en particu- lier. Cependant , en se familiarisant avec ces mêmes objets, en les voyant souvent, et, pour ainsi dire, sans dessein, ils forment peu à peu des impressions durables, qui bientôt se lient dans notre esprit par des rapports fixes et invariables; et de là nous nous élevons à des vues plus générales, par lesquelles nous pouvons embrasser à la fois plusieurs objets différens ; et c’est alors qu’on est en état d'étudier avec ordre, de réfléchir avec fruit, et de se frayer des routes pour arriver à des découvertes utiles. On doit donc commencer par voir beau coup et revoir souvent. Quelque nécessaire que l'attention soit à tout, ici on peut s'eu L'HISTOIRE NATURELLE. # dispenser d'abord : je veux parler de cette attention scrupuleuse , toujours utile lors- qu'on sait beaucoup, et souvent nuisible à ceux qui commencent à s’instruire. L’essen- tiel est de leur meubler la tête d'idées et de faits, de les empêcher, s’il est possible, d'en tirer trop tôt des raisonnemens et des rap- ports; car il arrive toujours que par l’igno- rance de certains faits, et par la trop petite quantité d'idées, ils épuisent leur esprit en fausses combinaisons, et se chargent la mé— moire de conséquences vagues et de résul- tats contraires à la vérité, lesquels forment dans la suite des préjugés qui s’effacent diffi- €cilement. C’est pour cela que j'ai dit qu'il falloit commencer par voir beaucoup : il faut aussi voir presque sans dessein , parce que si vous avez résolu de ne considérer les choses que dans une certaine vue, dans un certain or dre, dans un certain système, eussiez-vous pris le meilleur chemin, vous n’arriverez jamais à la même étendue de connoissance à laqueïile vous pourrez prétendre, si vous laissez dans les commencemens votre esprit marcher de lui-même, se reconnoitre, sas 8 MANIÈRE DE TRAITER | surer sans secours, et former seul la pre- mière chaîne qui représente l’ordre de ses idées. | Ceci est vrai, sans exception, pour toutes les personnes dont l'esprit est fait et le rai- sonnement formé : les jeunes gens, au con- traire, doivent être guidés plutôt et con- seillés à propos ; il faut même les encouragèr par ce qu'il y a de plus piquant dans la science, en leur faisant remarquer les choses es plus singulfères, mais sans leur en donner d'explications précises; le mystère à cet âge excite la curiosité, au lieu que dans l’âge mûr 1l n'inspire que le dégoût. Les enfans se lassent aisément des choses qu'ils ont déja vues ; ils revoient avec indifférence ;, à moins qu'on ne leur présente les mêmes objets sous d’autres points de vue; et au lieu de leur | répéter simplement ce qu'on leur a déja dit, “il vaut mieux y ajouter des circonstances, même étrangères ou inutiles: on perd moins à les tromper qu'à les dégoüter. Lorsqu'après avoir vu et revu plusieurs fois les choses, ils commenceront à se les représenter en gros, que d'eux-mêmes ils se feront des divisions, qu'ils commenceront à LHISTOIRE NATURELLE. 9 appercevoir des distinctions générales, le goût de la science pourra naïtre, et il faudra l'aider. Ce goût si nécessaire à tout, mais en même temps si rare, ne se donne point par les préceptes : en vain l'éducation voudroit y suppléer, en vain les pères contraignent-ils leurs enfans ; ils ne les ameneront jamais qu'à ce point commun à tous les hommes, à ce degré d'intelligence et de mémoire qui sufht à la société ou aux affaires ordinaires : mais c'est à la nature que l’on doit cette première étincelle de genie, ce serme de goût dont nous parlons, qui se développe . ensuite plus ou moins, suivant les différentes circonstances et les différens objets. Awssi doit-on présenter à l'esprit des jeunes gens des choses de toute espèce, des études de tout genre, des objets de toute sorte, afin de reconnoitre le genre auquel leur esprit se porte avec plus de force, ou se livre avec plus de plaisir. L'histoire naturelle doit leur être présentée à son tour, et précisément dans ce temps où la raison commente à se développer, dans cet âge où ils pourroient commencer à croire qu'ils savent déja beau- çoup: rien nest plus capable de rabaisser 10 MANIÈREDETRAITER leur amour propre, et de leur faire sentir combien il y a de choses qu'ils ignorent; et, indépendamment de ce premier effet, qui ne peut qu'être utile, une étude même lésère de l’histoire naturelle élevera leurs idées, et leur donnera des connoissances d’une infi— nité de choses que le commun des hommes igriore, et qui se retrouvent souvent dans l'usage de la vie. Mais revenons à l'héraié qui veut s’ap- pliquer sérieusement à l’étude de la nature, et reprenons-le au point où nous l'avons laissé, à ce point où il commence à géné- xaliser ses idées, et à se former une methode d’arrangement et des systèmes d'explication: C’est alors qu'il doit consulter les sens ins- truits, lire les bons auteurs, examiner leurs différentes méthodes, et emprunter des lu- mières de tous côtés. Mais comme il arrive ordinairement qu'on se prend alors d’affec- tion et de goût pour certains auteurs, pour une certaine méthode, et que souvent, sans un examen assez mür, on se livre à un sys— tème quelquefois mal fondé, il est bon que nous donnions ici quelques notions prélimi- naires sur les méthodes qu’on a imaginées L’HISTOIRE NATURELLE. rer pour faciliter l'intelligence de l’histoire na- turelle. Ces méthodes sont très-utiles, lors- qu'on ne les emploie qu'avec les restrictions convenables ; elles abrégent le travail, elles aident la mémoire, et elles offrent à l’esprit une suite d'idées , à la vérité composées d’ob- jets différens entre eux, mais qui ne laissent pas d'avoir des rapports communs; et ces rapports forment des impressions plus fortes que ne pourroient faire des objets détachés qui uauroient aucune relation. Voilà la principale utilité des méthodes; mais l'in- convément est de vouloir trop alonger ou trop resserrer la chaine, de vouloir soumettre à des lois arbitraires des lois de la nature, de vouloir la diviser dans des points où elle est indivisible, et de vouloir mesurer ses forces par notre foible imagination. Un autre inconvénient qui n'est pas moins grand, et qui est le contraire du premier , c’est de s'assujettir à des méthodes trop particulières, de vouloir juger du tout par une seule partie, de réduire la nature à de petits systèmes qui lui sont étrangers, et de ses ouvrages im- menses en former arbitrairement autant d’assemblages détachés; enfin de rendre, eu > MANIÈRE DE TRAITER multipliant les noms et les représentations, la langue de la science plus difficile que la science elle-même. Nous sommes naturellement portés à ima- giner en tout une espèce d'ordre et d'unifor- mité; et quand on n’examine que légèrement les ouvrages de la nature, il paroît à cette première vue qu'elle a toujours travaillé sur un même plan. Comme nous ne connoissons nous-mêmes qu’une voie pour arriver à uIL but, nous nous persuadons que la nature fait ét opère tout par les mêmes moyens et par des opérations semblables. Cette manière de penser a fait imaginer une infinité de faux rapports entre les productions naturelles : les plantes ont été comparées aux animaux; om a cru voir végéter les minéraux; leur orga-— nisation si differente, et leur mécanique si peu ressemblante, ont été souvent réduites à la même forme. Le moule commun de toutes ces choses si dissemblables entre elles est moins dans la nature que dans l'esprit étroit de ceux qui l'ont mal connue, et qus savent aussi peu juger de la force d’une vé- rité que des justes limites d'une analogie comparée. En effet, doit-on, parce que le 2 L’'HISTOIRE NATURELLE. 13 sang circule, assurer que la séve circule aussi? doit-on conclure de la végétation connue des plantes à une pareille végétation dans les minéraux, du mouvement du sang à celui de la séve, de celui de la séve au mouvement du suc péiriñant? N'est-ce pas porter dans la réalité des ouvrages du Createur les abstrac- tions de notre esprit borné, et ne lui accor- der, pour ainsi dire, qu'autant d'idées que nous en avons? Cependant on a dit et on dit, tous les jours des choses aussi peu fondées, et on bâtit des systèmes sur des faits incer- tains, dont l'examen n'a jamais été fait, et qui ne servent qu'à montrer le penchant qu ont les hommes à vouloir trouver de la ressemblance dans les objets les plus diffé- rens, de la régularité où il ne règne que de la variété, et de l’ordre dans les choses qu’ils n'apperçoivent que confusément. Car lorsque, sans s'arrêter à des connois- sances superficielles, dont les résultats ne peuvent nous donner que des idées incom- plètes des productions et des opérations de la nature, nous voulons pénétrer plus avant, et examiner avec des yeux plus attentifs la forme et la conduite de ses ouvrages, on est 2 14, MANIÈRE DE TRAITER aussi surpris de la variété du dessein que de la multiplicité des moyens d'exécution. Le nombre des productions de la nature, quoi: que prodigieux, ne fait alors que la plus pe- tite partie de notre étonnement; sa méca nique, son art, ses ressources, ses désordres même, emportent toute notre admiration. Trop petit pour cette immensité, accablé par le nombre des merveilles, l'esprit humain succombe. Îl semble que tout ce qui peut être, est : la main du Créateur ne paroît pas s'être ouverte pour donner l’être à un certain nombre déterminé d'espèces ; mais il semble qu’elle ait jeté tout à la fois un monde d’êtres relatifs et non relatifs, une infinité de com- binaisons harmoniques et contraires, et une perpétuité de destructions et de renouvelle- mens. Quelle idée de puissance ce spectacle ne nous offre-t-il pas! quel sentiment de res- pect cette vue de l’univers ne nous inspire- t-elle pas pour son auteur! Que seroit-ce si la foible lumière qui nous guide devenoit assez vive pour nous faire appercevoir l’ordre | général des causes et de la dépendante des effets? Mais l’esprit le plus vaste, et le génie le plus puissant, ne s'élevera jamais à ce haut Y Li L’'HISTOIRE NATURELLE :x5 point de connoissance. Les premières causes nous seront à jamais cachées; les résultats généraux de ces causes nous seront aussi dif- ficiles à connoître que les causes mêmes : tout ce qui nous est possible, c'est d'appercevoir quelques effets particuliers, de les comparer, de les combiner, et enfin d'y reconnoitre plutôt un ordre relatif à notre propre na- ture, que convenable à l'existence des choses que nous considérons. Mais puisque c’est la seule voie qui nous soit ouverte, puisque nous n'avons pas d'au- tres moyens pour arriver à la connoissance des choses naturelles, il faut aller jusqu'où cette route peut nous conduire; il faut ras- sembler tous les objets, les comparer, les étudier, et tirer de leurs rapports combinés toutes les lumières qui peuvent nous aider à les appercevoir nettement et à les mieux connoitre. La première vérité qui sort de cet examen sérieux de la nature, est une vérité peut-être bumiliante pour l’homme : c’est qu'il doit se ranger lui-même dans la classe des ani- maux , auxquels il ressemble par tout ce qu'il a de matériel ; et même leur instinct 7 * { V * C'ME 16 MANIÈREDETRAITER lui paroîtra peut-être plus sûr que sa raison, et leur industrie plus admirable que ses arts. Parcourant ensuite successivement et par ordre les differens objets qui composent l’uni- vers, et se mettant à la tête de tous les êtres créés, 11 verra avec étonnement qu'on peut descendre, par des degrés presque insensibles, de la créature la plus parfaite jusqu’à la ma- tière la plus informe, de l’animal le mieux organisé jusqu'au minéral le plus brut; 1 xeconnoitra que ces nuances imperceptibles sont le grand œuvre de la nature ; il les trou- vera, ces nuances, non seulement dans les grandeurs et dans les formes, mais dans les mouvemens, dans les générations, dans les successions de toute espèce. En approfondissant cette idée, on voit clairement qu'il est impossible de donner um système général, une méthode parfaite, non seulement pour l’histoire naturelle entière, mais même pour une seule de ses branches: car pour faire un systême, un arrangement, en un mot une méthode générale, il faut que tout y soit compris; il faut diviser ce tout en différentes ciasses, partager ces classes en genres, sous-diviser ces genres en espèces, ‘ \ 1 L’'HISTOIRE NATURELLE. 7:7 et tout cela suivant un ordre dans lequel 1 entre nécessairement de l'arbitraire. Mais la nature marche par des gradations inconnues, et par conséquent elle ne peut pas se prêter totalement à ces divisions, puisqu'elle passe d'une espèce à une autre espèce, et souvent d'un genre à un autre genre, par des nuances . imperceptibles ; de sorte qu'il se trouve un grand nombre d’espèces moyennes et d'objets mi-partis qu'on ne sait où placer, et qui dérangent nécessairement le projet du sys- ième général. Cette vérité est trop impor— tante pour que je ne l’appuie pas de tout ce qui peut la rendre claire et évidente. Prenons pour exemple la botanique, cette belle partie de l’histoire naturelle, qui par son utilité a mérité de tout temps d'être la plus cultivée, et rappelons à l'examen les principes de toutes les méthodes que les bo tauistes nous ont données : nous verrons avec quelque surprise qu'ils ont eu tous en vue de comprendre dans leurs méthodes géné- ralement toutes les espèces de ‘plantes, et qu'aucun d'eux n’a parfaitement réussi; il se trouve toujours dans chacune de ces mé- thodes un certain nombre de plantes ano- 2 , ee ” LA 18 MANIÈRE DE TRAITER males, dont l'espèce est moyenne entre deux genres , et sur laquelle il ne leur a pas été possible de prononcer juste, parce qu'il n'y a pas plus de raison de rapporter cette espèce à l’un plutôt qu’à l’autre de ces deux genres. En effet, se proposer de faire une méthode parfaite, c’est se proposer un travail im— possible : 1l faudroit un ouvrage qui re- présentàt exactement tous ceux de la na- ture; et au contraire tous les jours il ar- rive qu'avec toutes les méthodes connues, et avec tous les secours qu’on peut tirer de la botanique la plus éclairée, on trouve des espèces qui ne peuvent se rapporler à aucut des genres compris dans ces méthodes. Ainsi l'expérience est d'accord avec la raison sur ce point, et l’on doit être convaincu qu’om ne peut pas faire une méthode générale et parfaite en botanique. Cependant il semble que la recherche de cette méthode générale soit une espèce de pierre philosophale pour les botanistes, qu'ils ont tous cherchée avec des peines et des travaux infinis : tel a passé quarante ans, tel autre en a passé cinquante à faire son systême; et il est arrivé en bota-— nique ce qui est arrivé en chymie, c’est que L'HISTOIRE NATURELLE. ‘19 cherchant la pierre philosophale que l’on n’a pas trouvée, on a trouvé une infinité de choses utiles; et de même, en voulant faire une. méthode générale et parfaite en bota- nique, on a plus étudié et mieux connu les plantes et leurs usages : tant il est vrai qu’il faut un but imaginaire aux hommes pour les soutenir dans leurs travaux, et que s'ils étoient persuadés qu’ils ne feront que ce qu’en eitet 1ls peuvent faire, ils ne feroient rien du tout. Cette prétention qu'ont les botanistes d’é- tablir des systèmes généraux, parfaits et mé- thodiques, est donc peu fondée: aussi leurs travaux n'ont pu aboutir qu'à nous donner des méthodes défectueuses , lesquelles ont été successivement détruites les unes par les au- tres, et ont subi le sort commun à tous les systèmes fondés sur des principes arbitraires ; et ce qui a le plus contribué à renverser les unes de ces méthodes par les autres, c’est la liberté que les botanistes se sont donnée de choisir arbitrairement une seule partie dans les plañites pour en faire le caractère spéci- fique. Les uns ont établi leur méthode sur la figure des feuilles, les autres sur leur po- a 20 MANIÈRE DÉ TRAITER sition , d’autres sur la forme des fleurs, d'au tres sur le nombre de leurs pétales, d’autres enfin sur le nombre des étamines. Je ne fini- rois pas si je voulois rapporter en détail toutes les méthodes qui ont été imaginées; mais je ne veux parler ici que de celles qui ont été reçues avec applaudissement, et qui ont été . suivies chacune à leur tour, sans que l’on ait fait assez d'attention à cette erreur de principes qui leur est commune à toutes, ef qui consiste à vouloir juger d’un tout, et de la combinaison de plusieurs touts, par une seule partie, et par la comparaison des diffé- . . . \ rences de cette seule partie: car vouloir juger de la différence des plantes uniquement par celle de leurs feuilles ou de leurs fleurs, c’est comme si on vouloit connoître la différence des animaux par la différence de leurs peaux ou par celle des parties de la génération; et qui ne voit que cette facon de connoître n’est pas une science, et que ce m'est tout au plus qu'une convention, .une langue ar- bitraire, un moyen de s'entendre, mais dont il ne peut résulter aucune conndissance réelle ? | _. Me seroit-il permis de dire ce que je pense Fr HISTOIRE NATURELLE. 2r sur l’origine de ces différentes méthodes, et sur les causes qui les ont multipliées au point qu’actuellement la botanique elle-même est plus aisée à apprendre que la nomencla- ture, qui n’en est que la langue? Me seroit-1l permis de dire qu’un homme auroit plus t0E fait de graver dans sa mémoire les figures de toutes les plantes, et d'en avoir des idées nettes, ce qui est la vraie botanique, que de retenir tous les noms que les differentes mé- thodes donnent à ces plantes, et que par conséquent la langue est devenue plus diffi- cile que la science? Voici, ce me semble, comment cela est arrivé. On a d’abord divisé les végétaux suivant leurs différentes sran- deurs ; on a dit : Il y a de grands arbres, de petits arbres , des arbrisseaux , des sous-arbris- seaux, de grandes plantes, de petites plantes et des herbes: Voilà le fondement d’une mé- thode que l’on divise et sous-divise ensuite par d'autres relations de grandeurs et de formes, pour donner à chaque espèce un caractère particulier. Après la méthode faite sur ce plan, il est venu des gens qui ont examiné cette distribution, et qui ont dit : Mais cette méthode, fondée sur la grandeur L | à \ AXE TOOLS 2 22 MANIÈRE DE TRAITER relative des végétaux, ne peut pas se soute . mir ; car il y a dans une seule espèce, comme dans celle du chêne, des grandeurs si diffé rentes, qu’il y a des espèces de chène qux s'élèvent à cent pieds de hauteur, et d’autres espèces de chêne qui ne s'élèvent jamais à plus de deux pieds. Il en est de même, pro- portion gardée, des chätaigniers, des pins, des aloès, et d’une infinité d’autres espèces de plantes. On ne doit donc pas, a-t-on dit, déterminer les genres des plantes par leur srandeur ÿ puisque ce signe est équivoque eË incertain ; et l’on a abandonné avec raison cette méthode. D’autres sont venus ensuite, qui, croyant faire mieux, out dit : Il faut, pour connoître les plantes, s'attacher aux parties les plus apparentes ; et comme les feuilles sont ce qu’il y a de plus apparent, il faut arranger les plantes par la forme, la grandeur et la position des feuilles. Sur ce projet, on a fait une autre méthode; on l’a suivie pendant quelque temps: mâis ensuite on a reconnu que les feuilles de presque toutes les plantes varient prodigieusement selon les différens âges et les différens terrains; que leur forme n’est pas plus constante que leur L'HISTOIRE NATURELLE. 2 grandeur, que leur position est encore plus incertaine. On a donc été aussi peu content de cette methode que de la précédente. Enfin . quelqu'un a imaginé, et je crois que c’est Gesner, que le Créateur avoit mis dans la fructification des plantes un certain nombre de caractères différens et invariables , et que c’étoit de ce point qu'il falloit partir pour faire une méthode ; et comme cette idée s’est trouvée vraie jusqu'à un certain point, en sorte que les parties de la sénération des plantes se sont trouvées avoir quelques diffé- rences plus constantes que toutes les autres parties de la plante prises séparément, on a vu tout d’un coup s'élever plusieurs méthodes de botanique, toutes fondées à peu près sur ce même principe. Parmi ces méthodes, celle de M. de Tournefort est la plus remarquable, la plus ingénieuse et la plus complète. Cet illusire botaniste a senti les défauts d’un sys- tème qui seroit purement arbitraire: en homme d’esprit, il a évité les absurdités qui se trouvent dans la plupart des autres mé- thodes de ses contemporains, et il a fait ses distributions et ses exceptions avec une science et une adresse infinies : il avoit, en _… 24 MANIÈRE DE TRAITER un mot, mis la botanique au point de se _ passer de toutes les autres méthodes, et ïl l’'avoit rendue susceptible d’un certain degré de perfection. Mais il s’est élevé un autre méthodiste, qui, après avoir loué son sys— tême, a täché de le détruire pour établir le _sien, et qui, ayant adopté, avec M. de Tour- nefort, les caractères tirés de la fructifica- tion, a employé toutes les parties de la gé-- à # | nération des plantes , et sur-tout Les étamines, } pour en faire la distribution de ses genres, et, méprisant la sage attention de M.de Tour- nefort à ne pas forcer la nature au point de confondre , en vertu de son systéme , les objets les plus différens, comme les arbres avec les herbes, a mis ensemble et dans les mêmes classes le mürier et l’ortie., la tulipe et l’épine-vinette, l’orme et la carotte, la rose et la fraise, le chêne et la pimprenelle. _ N'est-ce pas se jouer de la nature et de ceux qui l’étudient? et si tout cela n'étoit pas donné avec une certaine apparence d'ordre mystérieux, et enveloppé de grec et d’érudi- tion botanique, auroit-on tant tardé à faire appercevoir le ridicule d’une pareille mé- thode, ou plutôt à monirer la confusion qui Lé À à L'HISTOIRE NATURELLE. 25. résulte d’un assemblage si bizarre? Mais ce n’est pas tout, et je vais insister, parce qu'il est juste de conserver à M. de Touruefort la gloire qu’il a méritée par un travail sensé e£ suivi, et parce qu’il ne faut pas que les gens qui ont appris la botanique par la méthode de Tournefort, perdent leur temps à étudier cette nouvelle méthode, où tout est changé, jusqu'aux noms et aux surnoms des plantes. Je dis donc que cette nouvelle méthode, qui rassemble dans la même classe des senres de plantes entièrement dissemblables , a encore, indépendamment de ces disparates, des dé- fauts essentiels, et des inconvéniens plus grands que toutes les méthodes qui ont pré- cédé. Comme les caractères des genres sont pris de parties presque infiniment petites, il faut aller le microscope à la main pour re- connoiître un arbre ou une plante : la gran- deur , la figure, le port extérieur, les feuilles, toutes les parties apparentes, ne servent plus à rien ; il n’y a que les étamines; et si l’on ne peut pas voir les étamines, on ne sait rien, on n a rien vu. Ce grand arbre que vous ap- percevez n'est peut-être qu'une pimprenelle; il faut compter ses étamines pour FR ce 26 MANIÈRE DE TRAITER - que c’est; et comme ses étamines sont sou vent si petites qu'elles échappent à Yœil simple ou à la loupe, il faut un microscope. Mais malheureusement encore pour le sys- ième, il y a des plantes qui n’ont point d’étamines , il y a des plantes dont le nombre des étamines varie, et voilà la méthode en défaut comme les autres, malgré la loupe et le microscope *. . Après cette exposition sincère des fonde- … mens sur lesquels on a bâti les différens sys- tèmes de botanique, il est aisé de voir que le grand défaut de tout ceci est une erreur de metaphysique dans le principe même de ces méthodes. Cette erreur consiste à mécon- noître la marche de la nature, qui se fait * Hoc verd systema, Linnæi scilicet, jam cog- mitis plantarum methodis longè vilius et inferius non solùm, sed et insuper nimis coactum, lubricum et fallax, imd lusorium deprehenderim ; et quidem in tanlhm, ut non solùm quoad dispositionem et denominationem plantarum enormes confusiones post se trahat, sed et vix non plenaria doctrinæ botanicæ solidioris obscuratio et perturbauo inde fuerit metuenda. (Fanilog. Botan. Specimen re= Jutatum à Siegesbeck. Petropoli, 174r.) L'HISTOIRE NATURELLE. 57 toujours par nuances, et à vouloir juger d'un tout par une seule de ses parties : erreur bien évidente, et qu'il est étonnant de re- trouver par-toul; car presque tous les nomen- clateurs n’ont employé qu'une partie , comme les dénts, les ongles ou ergots, pour ranger les animaux , les feuilles ou les fleurs pour distribuer les plantes, au lieu de se servir de toutes les parties et de chercher les dif- férences ou les ressemblances dans l'individu tout entier. C’est renoncer volontairement au plus grand nombre des avantages que la nature nous offre pour la connoître , que de refuser de se servir de toutes les parties des objets que nous considérons ; et quand même on seroit assuré de trouver dans quelques parties prises séparément des caractères cons- tans et invariables , il ne faudroit pas pour cela réduire la connoissance des productions vaturelles à celle de ces parties constantes qui ne donnent que des idées particulières et très-imparfaites du tout ; et il me paroît que le seul moyen de faire une méthode ins- tructive et naturelle, c’est de mettre ensemble les choses qui se ressemblent, et de séparer celles qui diffèrent les unes des autres. Si les h : TA 28 MANIÈRE DE TRAITER - individus ont une ressemblance parfaite , ow les différences si petites qu'on ne puisse les appercevoir qu'avec peine , ces individus seront de la mème espèce ; si les différences commencent à être sensibles , et qu en mème temps il y ait toujours beaucoup plus de ressembiancés que de différences , les indivi- dus seront d’une autre espèce, mais du même genre que les premiers ; et si ces différences sont encore plus marquées, sans cependant excéder les ressemblances, alors les imdividus seront non seulement d'une autre espèce, mais mème d’un autre genre que les premiers et les seconds, et cependant ils seront en- core de la même classe, parce qu’ils se res- semblent plus qu'ils ne diffèrent : mais si au contraire le nombre des différences excède celui des ressemblances, alors les individus ne soût pas mème de la mème classe. Voilà l’ordre méthodique que l’on doit suivre dans V'arrangement des productions naturelles ; bien entendu que les ressemblances et les différences seront prises non seulement d’une partie , mais du tout ensemble, et que cette méthode d'inspection se portera sur la forme, sur la grandeur , sur Le port extérieur , sur L'HISTOIRE NATURELLE. 29 les différentes parties, sur leur nombre, sur leur position, sur la substance même de la chose , et qu’on se servira de ces élémens en petit ou en grand nombre, à mesure qu'on en aura besoin ; de sorte que si um individu , de quelque nature qu’il soit, est d’une figure assez singulière pour être tou- jours reconnu au premier coup d'œil, onne lui donnera qu'un nom: mais si cet indi- vidu a de commun avec un autre la figure , et qu'il en diffère constamment par la gran- deur , la couleur, la substance, ou par quel- | que autre qualité très-sensible, alors on lui donnera le même nom, en y ajoutant un adjectif pour marquer cette différence ; e£ ainsi de suite, en mettant autant d’adjectifs. qu'il y a de différences, on sera sûr d’expri- mer tous les attributs différens de chaque espèce , et on ne craindra pas de tomber dans les inconvéniens des méthodes trop. particulières dont nous venons de parler, et sur lesquelles je me suis beaucoup étendu, parce que c’est un défaut commun à toutes les méthodes de botanique et d'histoire na- turelle , et que les systèmes qui ont été faits pour les animaux sont encore plus défec- Pa Z | L 3o MANIÈRE DE TRAITER! : tueux que les méthodes de botanique : car; comme nous l'avons déja insinué, on a voulu prononcer sur la ressemblance et la difference des animaux en n’employant que le nombre des doigts ou ergots, des dents et des mamelles ; projet qui ressemble beau- coup à celui des étamines, et qui est en effet du même auteur. Il résulte de tout ce que nous venons d’ex- poser , qu'il y a dans l’étude de l'histoire raturelle deux écueils également dange- reux : le premier , de n'avoir aucune. mé- thode ; et le second, de vouloir tout rap- porter à un système particulier. Dans le grand nombre de gens qui s'appliquent main- tenant à cette science, on pourroit trouver des exemples frappans de ces deux manières si opposées, et cependant toutes deux vi- cieuses. La plupart de ceux qui, sans au- cune étude précédente de l’histoire natu- relle, veulent avoir des cabinets de ce genre, sont de ces personnes aisées, peu occupées, qui cherchent à s'amuser , et regardent comme un mérite d’être mises au rang des curieux : ces gens-là commencent par acheter, sans choix, tout ce qui leur frappeles yeux; ils \ L'HISTOIRE NATURELLE. 3x ont l’air de desirer avec passion les choses qu on leur dit être rares et extraordinaires ; ils les estiment au prix qu’ils les ont acquises ; ils arrangent le tout ayec complaisance, ou l’entassent avec confusion, et finissent bien- tot par se dégoûter. D’autres , au contraire, et ce sont les plus savans , après s'être rem- pli la tête de noms, de phrases, de mé- thodes particulières, viennent à en adopter quelqu'une , ou s'occupent à en faire une nouvelle , et, travaillant ainsi toute leur vie sur une même ligne et dans une fausse direc- ton, et voulant tout ramener à leur point de vue particulier , ils se rétrécissent l’es- prit, cessent de voir les objets tels qu'ils sont , et finissent par embarrasser la science et la charger du poids étranger de toutes leurs idées. On ne doit donc pas regarder les méthodes que les auteurs nous ont données sur lhis- toire naturelle en général, ou sur quelques- unes de ses parties , comme les fondemens de la science, et on ne doit s’en servir que comme de signes dont on est convenu pour s entendre. En effet , ce ne sont que des rap- ports arbitraires et des points de vue diffé- 1, 33 MANIÈRE DE TRAITER rens sous lesquels on a considéré les objets de la nature ; et en ne faisant usage des mé- thodes que dans cet esprit, on peut en tirer quelque utilité : car quoique cela ne paroisse pas fort nécessaire , cependant il pourroit être bon qu'on sût toutes les espèces deplantes _ dont les feuilles se ressemblent, toutes celles dont les fleurs sont semblables, toutes celles qui nourrissent de certaines espèces d’in- sectes, toutes celles qui ont un certain nom bre d’étamines, toutes celles qui ont de cer- taines glandes excrétoires; et de même dans les animaux, tous ceux qui ont un certain nombre de mamelles , tous ceux qui ont un certain nombre de doigts. Chacune de ces méthodes n’est, à parler vrai, qu'un dic- tionnaire où l’on trouve les noms rangés dans un ordre relatif à cette idée, et par conséquent aussi arbitraire que l'ordre al- phabétique : mais l'avantage qu’on en pour- roit tirer , c'est qu'en comparant tous ces résultats , on se retrouveroit enfin à la vraie méthode , qui est la description complète et l’histoire exacte de chaque chose en parti-. culier. _. C’est ici le principal but qu’on doive se. L'HISTOIRE NATURELLE. 33 proposer : on peut se servir d’une méthode déja faite comme d’une commodité pour étudier ; on doit la regarder comme une faci- lité pour s'entendre : mais le seul et le vrar moyen d'avancer la science est de travailler à la description et à l’histoire des différentes choses qui en font l’objet. | Les choses par rapport à nous ne sont rien en elles-mêmes ; elles ne sont encore rien lorsqu'eiles ont un nom: mais elles commen- cent à exister pour nous lorsque nousleur con- noissons des rapports, des propriétés ; ce n’est même que par ces rapports:que nous pouvons leur donner une définition : or la definition, telle qu'on la peut faire par une phrase, n’est encore que la représentation très-im- parfaite de la chose, et nous ne pouvons jamais bien définir une chose sans la décrire exactement. C’est cette difiiculté de faire une bonne definition que l’on retrouve à tout moment dans toutes les iméthodes, dans tous les abrégés qu’on a tâché de faire pour soulager la mémoire : aussi doit-on dire que dans les choses naturelles il n’y a rien de bien défini que ce qui est exactement décrit; er, pour décrire exactement, ilfautavoir vu, . LE x er 34 MANIÈRE DE TRAITER - revu , examiné, comparé la chose qu’on veut décrire , et tout cela sans préjugé, sans idée de système ; sans quoi la description n'a plus le caractère de la vérité, qui est le seul qu’elle puisse comporter. Le style même de la description doit être simple, net et me- suré ; il n'est pas susceptible d'élévation , d'agrémens , encore moins d’écarts, de plai- santerie ou d’équivoque : le seul ornement qu’on puisse lui donner , c’est de la noblesse dans l'expression , du choix et de la pro- priété dans les termes. Dans le grand nombre d'auteurs qui ont écrit sur l’histoire naturelle, il y en a fort peu qui aient bien décrit. Représenter naïve: ment etnettementles choses, sans les charger ni les diminuer, et sans y rien ajouter de son Hmagination , est un talent d'autant plus louable qu’il est moins brillant, et qu'il ne peut être senti que d'uu petit nombre de personnes capables d’une certaine attention nécessaire pour suivre les choses jusque dans les petits détails. Rien n’est plus commun que des ouvrages embarrassés d'une nom-— breuse et sèche nomenclature, de méthodes, ennuyeuses et peu naturelles dont les auteurs Sn | L'HISTOIRÉ NATURELLE. 35 croient se faire un mérite ; rien de si rare que de trouver de l'exactitude dans les des- criptions , de la nouveauté dans les faits , de la finesse dans les observations. Aldrovaide, le plus laborieux et le plus savant de tous les naturalistes, a laissé, après un travail de soixanteans, des volumes immenses sur l'histoire naturelle , qui ont été imprimés successivement , et la plupart après sa mort: on les réduiroit à la dixième partie si on en Otoit toutes les inutilités et toutes les choses étrangères à son sujet. À cette prolixité près, qui, je l'avoue , est acca- blante, ses livres doivent être regardés comme ce qu'il y a de mieux sur la totalité de l’his- toire naturelle. Le plan de son ouvrage est bon , ses distributions sont sensées, ses divi- sions bien marquées , ses descriptions assez exactes , monotones, à la vérité, mais fidèles. L'historique est moins bon ; souvent il est mêlé de fabuleux, et l’auteur y laisse voir trop de penchant à la crédulité. J'ai été frappé , en parcourant cet auteur, d’un defaut ou d’un excés qu'on retrouve presque dans tous les livres faits il y a cent ou deux cents ans, et que les sayans d’Alle- D PEN L' 36 MANIÈRE DE TRAÏÎTER . magne ont encore aujourd’hui ; c’est de cette quantité d’érudition inutile dont ils gros- sissent à dessein leurs ouvrages, en sorte que le sujet qu’ils traitent estnoyé dans une quan- tité de matières étrangères , sur lesquelles ils raisonnent avec tant de complaisance , et s'étendent avec si peu de ménagement pour les lecteurs, qu’ils semblent avoir oublié ce qu'ils avoient à vous dire, pour ne vous raconter que ce qu'ont dit les autres. Je me représente un homme comme Aldrovande, ayant une fois conçu le dessein de faire un corps complet d'histoire naturelle ; je Le vois dans sa bibliothèque lire successivement les anciens , les modernes , les philosophes, les théologiens , les jurisconsultes , les histo— riens , les voyageurs , les poëtes, et lire sans autre but que de saisir tous les mots, toutes les phrases qui , de près ou de loin, ont rapport à son objet; je le vois copier et faire copier toutes ces remarques et les ran- ser par lettres alphabétiques, et, après avoir rempli plusieurs porte-feuilles de notes de toute espèce, prises souvent sans examen eË sans choix, commencer à travailler un sujeë particulier , et ne vouloir rien perdre de tout T4 4 L'HISTOIRE NATURELLE. 37 é qu'il a ramassé ; en sorte qu'à l’occasion’ de Vhistoire naturelle du coq ou du bœuf, il vous raconte tout ce qui a jamais été dit des coqs ou des bæœufs, tout ce que les anciens en ont pensé, tout ce qu'on a imaginé de leurs vertus, de leur caractère , de leur courage, toutes les choses auxquelles on a voulu les employer, tous les contes que les bonnes femmes en ont faits, tous les mi- racles qu'on leur a fait faire dans certaines religions, tous les sujets de superstition qu’ils ont fournis , toutes les comparaisons que les poètes en ont tirées, tous les attributs que certains peuples leur ont accordés, toutes fes représentations qu'on en fait dans les _ hiéroglyphes , dans les armoiries, en un mot toutes les histoires et toutes les fables dont on s’est jamais avisé au sujet des coqs ou des bœufs. Qu'on juge après cela de la portion d'histoire naturelle qu’on doit s’at- tendre à trouver dans ce fatras d’écritures ; et si en effet l’auteur ne l’eùt pas mise dans des articles séparés des autres, elle n’auroit pas été trouvable , ou du moins elle n’auroit pas valu la peine d’y être cherchée. | On s’est tout-à-fait corrigé de ce défaut 4 . | } 38 MANIÈRE DE TRAITER dans ce siècle : l’ordre et la précision avec laquelle on écrit maintenant ont rendu les sciences plus agréables , plus aisées; et je suis persuadé que cette différence de style contribue peut-être autant à leuravancement que l'esprit de recherche qui règne aujour- d'hui : car nos prédécesseurs cherchoient' comime nous, mais ils ramassoient tout ce qui se présentoit ; au lieu que nous rejetons ce qui nous paroit avoir peu de valeur, et que nous préférons un petit ouvrage bien raisonné à un gros volume bien savant : seulement il est à craindre que, venant à meépriser l’érudition , nous ne venions aussi à imaginer que l'esprit peut suppléer à tout, et que la science n’est qu’un vain nom. Les gens sensés cependant sentiront tou- jours que la seule et vraie science est la con- noissance des faits : l’esprit ne peut pas y suppléer, et les faits sont dans les sciences ce qu'est l'expérience dans la vie civile. On pourroit donc diviser toutes les sciences en deux classes principales, qui contiendroient tout ce qu’il convient à l’homme de savoir: la première est l’histoire civile, et la seconde l’histoire naturelle, toutes deux fondées sur ' L’'HISTOIRE NATURELLE. 39 des faits qu'il est souvent important et tou- jours agréable de connoitre. La premiére est l’étude des hommes d’etat , la seconde est celle des philosophes ; et quoique l’utilité de celle-ci ne soit peut-être pas aussi prochaine que celle de l’autre, on peut cependant as- surer que l'histoire naturelle est la source des autres sciences physiques et la mère de tous les arts. Combien de remedes excellens la médecine n’a-t-elle pas tirés de certaines productions de la nature jusqu'alors incon- nues ! combien de richesses les arts n’ont-ils pas trouvées dans plusieurs matières autrefois méprisées ! Il y a plus, c’est que toutes les idées des arts ont leurs modèles dans les productions de la nature : Dieu a créé, et l’homme imite ; toutes les inventions des hommes , soit pour la nécessité, soit pour la commodité, ne sont que des imitations assez grossières de ce que la nature exécute avec la dernière perfection. Mais sans insister plus long-temps sur l’u- tilité qu'on doit tirer de l’histoire naturelle, soit par rapport aux autres sciences , soit par rapport aux arts, revenons à notre objet principal ; à Ja manière de l’étudier 2 40 MANIÈRE DE TRAITER et de la traiter. La description exacte et l'histoire fidèle de chaque chose est, comme mous l'avons dit , le seul but qu'on doive se proposer d’abord. Dans Îa description, l’on doit faire entrer la forme , la grandeur, le poids, les couleurs , les situations de repos et de mouvemens , la position des parties, leurs rapports, leur figure , leur action , et toutes les fonctions extérieures. Si l’on peut ‘ joindre à tout cela l’exposition des parties intérieures, la description n’en sera que plus complète ; seulement on doit prendre garde de tomber dans de trop petits détails, ou de s’appesantir sur la description de quelque. partie peu importante , et de traiter trop lésèrement les choses essentielles et princi- pales. L'histoire doit suivre la description , _et doit uniquement rouler sur les rapports que les choses naturelles ont entre elles et avec nous. L'histoire d’un animal doit être mon pas l’histoire de l'individu , mais celle de l’espèce entière de ces animaux ; elle doit comprendre leur génération, le temps de la pregnation , celui de l'accouchement , le nombre des petits , les soins des pères et des mères, leur espèce d'éducation , leur instinct, L'HISTOIRE NATURELLE. 4x les lieux de leur habitation , leur nourxri- ture , la manière dont ils se la procurent, leurs mœurs, leurs ruses , leur chasse, en- suite les services qu'ils peuvent nous rendre, _et toutes les utilités ou les commodités que nous pouvons en tirer; et lorsque dans l’in- térieur du corps de l’animal il y a des choses remarquables , soit par la conformation, soit pour les usages qu’on en peut faire, on doit les ajouter ou à la description ou à l’his- toire : mais ce seroit un objet étranger à l'histoire naturelle que d'entrer dans un exa- men anatomique trop circonstancié , ou du moins ce n’est pas son objet principal; et il faut réserver ces détails pour servir de mé- moires sur l'anatomie comparée. | Ce plan géneral doit être suivi et rempli avec toute l'exactitude possible; et pour ne pas tomber dans une répétition trop fréquente du même ordre , pour éviter la monotonie du style , 1l faut varier la forme des descrip- tions et changer le fil de l’histoire selon qu'on le jugera nécessaire; de même pour rendre les descriptions moins sèches, y mêler quelques faits, quelques comparaisons, quel- ques réflexions sur les usages des différentes 4 pr 4 MANIËÈ RE DE TRAITER parties; en un mot, faire en sorte qu’om puisse vous lire sans ennui, aussi-bien que sans contention. | À l'égard de l’ordre général et de la mé- thode de distribution des différens sujets de l'histoire naturelle, on pourroit dire qu'il est purement arbitraire, et dés-lors on est assez le maïître de choisir celui aw’on regarde comme le plus commode ou le plus commu- nément reçu. Mais, avant que de donner les raisons qui pourroient déterminer à adopter un ordre plutôt qu'un autre , il est néces- saire de faire encore quelques réflexions , par lesquelles nous tächerons de faire sentir ce qu'il peut y avoir de réel dans les divi- sions que l’on a faites des productions natu- relles. Pour le reconnoitre, 1l faut nous défaire un instant de tous nos préjugés , et même nous dépouiller de nos idées. Imaginons ur homme qui a en effet tout oublié, ou qui s'éveille tout neuf pour les objets qui l’envi- ronnent ; plaçons cet homme dans une cam- pagne où les animaux , les oiseaux, les poissons , les plantes , les pierres, se pré- sentent successivement à ses yeux. Dans les L’'HISTOIRE NATUREELE, 43 premiers instans, cet homme ne distinguera rien et confondra tout : mais laissons ses idées s’affermir peu à peu par des sensations réitérées des mêmes objets; bientôt il se for- mera une idée générale de la matière ani- mée , il la distinguera aisément de la matière inanimée , et peu de temps aprés il distin- guera très-bien la matière animée de la matière végétative , et naturellement il arri- vera à cette première grande division , ani- mal, végétal et minéral; et comme il aura pris en même temps une idée nette de ces grands objets si différens, la ferre, l'air et Veau , il viendra en peu de temps à se for- mer une idée particulière des animaux qui habitent la terre, de ceux qui demeurent dans l’eau , et de ceux qui s’élèvent dans l'air; et par conséquent il se fera aisément à lui- même cette seconde division , animaux guadrupèdes , oiseaux , poissons. Il en est de même , dans le règne végétal , des arbres et des plantes ; il x distinguera très-bien , soit par leur grandeur , soit par leur subs- tance , soit par leur figure. Voilà ce que la simpie inspection doit nécessairement lui donner , et ce qu'avec une très-légère atten- 44 MANIÈRE DE TRAITER tion il ne peut manquer de reconnoître. C'est là aussi ce que nous devons regarder comme réel, et ce que nous devons respecter comme une division donnée par la nature même. Ensuite mettons — nous à la place de cet homme, ou supposons qu’il ait acquisautant de connoissances et qu'il ait autant d’expé- rience que nous en avons : il viendra à juger les objets de l'histoiré naturelle par les xapports qu'ils auront avec lui; ceux qui lui seront les plusnécessaires, les plus utiles, tiendront le premier rang; par exemple, il donnera la préférence, dans l’ordre des ani- maux , au cheval, au chien, au bœuf, ete. et il connoitra toujours mieux ceux qui lui seront les plus familiers : ensuite il s’occu- pera de ceux qui, sans être familiers , ne laissent pas que d'habiter les mêmes lieux, les mêmes climats, comme les cerfs, les lièvres et tous les animaux sauvages ; et ce ne sera qu'après toutes ces connoissänces acquises que sa curiosité le portera à recher- cher ce que peuvent être les animaux des climats étrangers , comme les éléphans, les dromadaires, etc. Il en sera de même pour les poissons, pour les oiseaux, pour les insectes, RATE > D ( L’HISTOIRE NATURELLE. 465 pour les coquillages, pour les plantes, pour les minéraux , et pour toutes les autres produc- tions de la nature : il les étudiera à propor- tion de l'utilité qu'il en pourra tirer ; il les considérera à mesure qu'ils se présenteront plus familièremeunt , et il les rangera dans sa tête relativement à cet ordre de ses con- noissances, parce que c’est en effet l’ordre selon lequel il les a acquises , et selon lequel 1l lui importe de les conserver. Cet ordre , le plus naturel de tous, est celui que nous avons cru devoirsuivre. Notre méthode de distribution n’est pas plus mys- térieuse que ce qu'on vient de voir : nous partous des divisions générales , telles qu’on ‘ vient de les indiquer , et que personne ne peut contester ; ensuite nous prenons les objets qui nous intéressent le plus par les rapports qu'ils ont avec nous; de là nous passons peu à peu jusqu'à ceux qui sont les plus éloignés et qui nous sont étrangers ; et nous croyons que cette façon simple et natu- relle de considérer les choses est préférable aux méthodes les plus recherchées et les plus composées , parce qu'il n’y en a pas une ; et de celles qui sont faites , et de toutes celles que . 46 MANIÈRE DE TRAITER: l’on peut faire, où il n’y ait plus d’arbitraire que dans celle-ci, et qu’à tout prendre il nous est plus facile, plus agréable et plus utile de considérer les choses par rapport à nous que sous aucun autre point de vue. Je prévois qu’on pourra nous faire deux objections : la première, c'est que ces grandes divisions que nous regardons comme réelles, ne sont peut-être pas exactes ; que , par exemple , nous ne sommes pas sûrs qu'on puisse tirer une ligne de séparation entre le règne animal et le règne végétal, ou bien entre le règne végétal et le minéral , et que dans la nature il peut se trouver des choses qui participent également des propriétés de Jun et de l’autre , lesquelles par conséquent ne peuvent entrer ni dans l'une | ni dans l'autre de ces divisions. À cela je réponds que s’il existe des choses qui soient exactement moitié animal et moi- tié plante, ou moitié plante et moitié minc- ral, etc. elles nous sont encore inconnues, en sorte que dans le fait la division estentière et exacte; et l’on sent bien que plus les divi- sions seront générales, moins il y aura de risque de rencontrer des objets mi-partis qui x x RS a à - L ”, L'HISTOIRE NATURELLE. 4 participeroient de la nature des deux choses comprises dans ces divisions : en sorte que cette même objection que nous avons em— ployée avec avantage contre les distributions particulières, ne peut avoir lieu lorsqu'il s’a- gira de divisions aussi générales que l’est celle- ei , sur-tout si l’on ne rend pas ces divisions exclusives, et si l’on ne prétend pas y com- prendre sans exception , non seulement tous les êtres connus, mais encore tous ceux qu'on pourroit découvrir à l'avenir. D'ail- leurs , si l’on y fait attention , l’on verra bien que nos idées générales n’étant compo- sées que d'idées particulières , elles sont rela- tives à une échelle continue d'objets, de laquelle nous n’appercevons nettement que _les milieux, et dont les deux extrémités fuient _et échappent toujours de plus en plus à nos considérations ; de sorte que nous ne nous attachons jamais qu'au gros des choses, et que par conséquent on ne doit pas croire que nos idées, quelque générales qu’elles puissent être, comprennent les idées particulières de toutes les choses existantes et possibles. La seconde objection qu’on nous fera sans doute, c’est qu’en suivant dans notre ouvrage € H, 4 MANIÈRE DE TRAITER l’ordre que nous avons indiqué, nous tombe- ions dans l'inconvénient de mettre ensemble des objets très-différens : par exemple, dans l’histoire des animaux, si nous commençons par ceux qui nous sont les plus utiles , Fes plus familiers , nous serons oblises de don- ner l’histoire du chien après ou avant celle du cheval; ce qui ne paroît pas naturel , parce que cesanimaux sont si différens à tous autres égards , qu'ils ne paroissent point du tout faits pour être mis si près l’un de l’autre dans un traité d'histoire naturelle : et om ajoutera peut-être qu’il auroit mieux valu suivre la méthode ancienne de la division des animaux en so/ipèdes , pieds - fourchus et {issipèdes, ou la méthode nouvelle de la divi- sion des animaux par les dents et les ma- melles , etc. | Cette objection , qui d’abord pourroit pa- roitre spécieuse, s’évanouira dès qu'on l'aura examinée. Ne vaut-il pas mieux ranger non seulement dans un traité d'histoire naturelle, mais même dans un tableau ou par-tout ail- leurs, les objets dans l’ordre et dans la posi- tion où ils se trouvent ordinairement , que de les forcer à se trouver ensemble en vertu …. L'HISTOIRE NATURELLE. 49 d'une supposition ? Ne vaut-il pas mieux faire suivre le cheval, qui est solipède, par le chien, qui est fissipède, et qui a coutume de le suivre en effet, que par un zèbre qui nous est peu connu, et qui n'a peut-être d'autre rapport avec Le cheval que d’être soli- pède ? D'ailleurs n'y a-t-il pas le même inconvénient pour les différences dans cet arrangement que dans le nôtre? Un lion, parce qu'il est fissipède, ressemble-t-il à un rat, qui est aussi fissipède, plus qu'un cheval ne ressemble à un chien ? Un éléphant soli- pède ressemble-t-1l plus à un âne, solipède aussi, qu'à un cerf, qui est pied-fourchu ? Et si on veut se servir de la nouvelle meé- thode , dans laquelle les dents etles mamelles sont les caractères spécifiques et sur lesquels sont fondées les divisions et les distribu- tions , trouvera-t-on qu'un lion ressemble plus à une chauve-souris qu’un cheval ne ressemble à un chien ? ou bien, pour faire notre comparaison encore plus exactement, un cheval ressemble-t-il plus à un cochon qu'à un chien, ou un chien ressemble-t-il plus à une taupe qu’à un cheval * ? Et puis- * Voyez Lion. Syst. nat. pag. 65 . sul. + LE. 4 La A ee NS 5o MANIÈRE DE TRAITER qu'il y a autant d’inconvéniens et des diffé rences aussi grandes dans ces méthodes d’ar— rangement que dans la nôtre, et que d’ailleurs ces méthodes n’ont pas les mêmes avantages, et qu elles sont beaucoup plus éloignées de la façon ordinaire et naturelle de considérer les choses , nous croyons avoir eu des raisons 0 [4 , l suffisantes pour lui donner la préférence , et ne suivre dans nos distributions que l’ordre des rapports que les choses nous ont paru avoir avec nous-mêmes. Nous n’examinerons pas en détail toutes les méthodes artificielles que l’on a données pour la division des animaux : elles sont toutes plus ou moins sujettes auxinconvéniens dont nous avons parlé au sujet des méthodes de botanique ; et il nous paroît que l'examen d’une seule de ces méthodes suffit pour faire découvrir les defauts des autres : ainsi nous pous bornerons ici à examiner celle de M. Linnæus , qui est la plus nouvelle, afin qu'on soit en état de juger si nous avons eu raison de la rejeter , et de nous attacher seule. ment à l’ordre naturel dans lequel tous les hommes ont coutume de voir et de considé- rer les choses L’'HISTOIRE NATURELLE. br M. Linnæus divise tous les animaux en six classes ; savoir , les gzadrupèdes, lesoiseaux, les amphibies, les poissons, les insectes, et les vers. Cette première division est, comme l’on voit, très-arbitraire et fort incomplète ; car elle ne nous donne aucune idée de cer- tains genres d'animaux, qui sont cependant très-considérables et très-etendus, les ser- pens, par exemple, les coquillages , les crustacées : ét il paroîit au premier coup- d'œil qu'ils ont été oubliés ; car on n'imagine pas d’abord que les serpens soient des amphi: bies , les crustacées des insectes , et les co- quillages des vers. Au lieu de ne faire que six classes, si cet auteur en eût fait douze où davantage , et qu'il eût dit les quadrupèdes, les oiseaux, les reptiles , les amphibies , les poissons cétacées , les poissons ovipares , les poissons mous , les crustacées , les coquil- lages , les insectes de terre, les insectes de mer , les insectes d’eau douce, etc. il eût parlé plus clairement, et ses divisions eussent été plus vraies et moins arbitraires; car, en général, plus on augmentera le nombre des divisions des productions naturelles, plus. on approchera du vrai, puisqu'il n’existe b2 MANIÈRE DE TRAITER réellement dans la nature que des individus, et que les genres, les ordres et Les classes, n'existent que dans notre imagination. . Si l’on examine les caractères généraux qu’il emploie, et la manière dont il fait ses divisions particulières, on y trouvera encore des défauts bien plus essentiels : parexemple, un caractère général comme celui pris des mamelles pour la division des quadrupèdes , devroit au moins appartenir à tous les qua- drupèdes ; cependant depuis Aristote on sait que le cheval n’a point de mamelles. I! divise la classe des quadrupèdes en cinq ordres : le premier , arzthropomorpha ; le se- cond, jeræ ; le troisième , glires ; le qua- trième , Jumnenta; et le cinquième » PeCOTa ; et ces cinq ordres renferment, selon lui, tous les animaux quadrupèdes. On va voir par l’exposition et l’énumération même de ces cinq ordres , que cette division est non seulement arbitraire, mais encore très-mal imaginée; car cèt auteur met dans le premier ordre l’homme, le singe, le paresseux et le lézard écailleux. Il faut bien avoir la manie de faire des classes pour mettre ensemble des êtres aussi différens que l’homme et Le pares- en L’'HISTOIRE NATURELLE. 53 seux, ou le singe et le lézard écailleux. Pas- sons au second ordre qu’il appelle feræ , les bêtes féroces. Il commence en effet par le lion , le tigre; mais il continue par le chat, la belette, la loutre, le veau marin, le chien, l'ours, le blaireau, et il finit par le hérisson , la taupeetla chauve-souris. Auroit- on jamais cru que le nom de feræ en latin, bétes sauvages ou féroces en françois , eût pu être donné à la chauve-souris, à la taupe, au hérisson; que les animaux domestiques, comme le chien et le chat, fussent des bêtes sauvages? et n’y a-bil pas à cela une aussi grande équivoque de bon sens que de mots ? Mais voyons le troisième ordre , glires, les Joirs. Ces loirs de M. Linnæus sont le porc- épic , le lièvre, l’écureuil, le castor et les rats. J'avoue que dans tout cela je ne vois qu'une espèce de rat qui soit en effet un loir. Le quatrième ordre est celui des /zmenta, ou bêtes de somme. Ces bêtes de somme sont l'éléphant, l’hippopotame, la musaraigne , le cheval et le cochon ; autre assemblage, comme on voit, qui est aussi gratuit et aussi bizarre que si l’auteur eût travaillé dans le dessein de le rendre tel. Enfin le cinquième 5 | à (DEA 1, 54 MANIÈRE DE TRAITER. ordre, pecora , ou le bétail, comprend le chameau , le cerf, le bouc, le belier et le bœuf : mais quelle différence n’y a-t-il pas entre un chameau et un belier, ou entre un cerf et un bouc ? et quelle raison peut-on avoir pour prétendre que ce soient des ani- maux du même ordre, si ce n’est que, vou— Jant absolument faire des ordres, et n’en faire qu'un petit nombre, il faut bien y. recevoir des bêtes de toute espèce ? Ensuite, en examinant les dernières divisions des ani- maux en espèces particulières, on trouve que le loup-cervier n’est qu’une espèce de chat, le renard et le loup une espèce de chien, la civette une espèce de blaireau , le cochon- d'Inde une espèce de lèvre, le rat d’eau une espèce de castor , le rhinoceros une espèce d’éléphant, l’âne une espèce de cheval , etc. et tout cela parce qu'il y a quelques petits rapports entre le nombre des mamelles et des dents de ces animaux, ou quelque res- semblance légère dans la forme de leurs corues. | Voilà pourtant, et sans y rien omettre, à quoi se réduit ce système de la nature pour les animaux quadrupèdes. Ne seroit-1l pas Ld L'HISTOIRE NATURELLE. 55 plus simple , plus naturel'et plus vrai, de dire qu’un àne est un âne, et un chat un chat , que de vouloir, sans savoir pourquoi , qu'un âne soit un cheval, et un chat un loup cervier ? ’ On peut juger par cet échantillon de tout le reste du système. Les serpens , selon cet auteur , sont des amphibies ; les écrevisses sont des insectes , et non seulement des insectes , mais des insectes du mème ordre que les poux et les puces ; et tous les coquillages , les crustacées et les poissons mous, sont des vers: les huîtres , les moules, les oursins, les étoiles de mer, les sèches, etc. ne sont , selon cetauteur, que des vers. En faut-il davantage pour faire sentir combien toutes ces divisions sont arbitraires , et cette méthode mal fondée ? | On reproche aux anciens de n'avoir pas fait des méthodes, et les modernes se croient fort au-dessus d'eux parce qu’ils ont fait un grand nombre de ces arrangemens métho- diques et de ces dictionnaires dont nous venons de parler : ils se sont persuadés que cela seul suffit pour prouver que les anciens navoient pas, à beaucoup près , autant de 56 MANIÈRE DE TRAITER connoissances en’histoire naturelle que nous en avons. Cependant c’est tout le contraire, et nous aurons dans la suite de cet ouvrage mille occasions de prouver que les anciens étoient beaucoup plus avancés et plus ins- iruits que nous ne le sommes, je ne dis pas en physique , mais dans l’histoire naturelle des animaux et des. minéraux, et que les faits de cette histoire leur étoient bien plus familiers qu'à nous, qui aurions dû profiter de leurs découvertes et de leurs remarques, En attendaut qu'on en voie des exemples em détail, nous nous contenterons d'indiquer ici les raisons générales qui sufhiroient pour le faire penser, quand même on n’en auroit pas des preuves particulières. La langue grecque est une des plus an- ciennes et celle dont on a fait le plus long- temps usage. Avant et depuis Homère on a écrit et parlé grec jusqu'au treize ou quator- zième siècle, et actuellement encore le grec corrompu par les idiomes étrangers ne dif- fère pas autant du grec ancien que l'italien diffère du latin. Cette langue , qu'on doit regarder comme la plus parfaite et la plus abondante de toutes , étoit, dès le temps L'HISTOIRE NATURELLE. b7 d'Homère, portée à un grand point de per- fection , ce qui suppose nécessairement une ancienneté considérable avant le siècle mème de ce grand poète; car l'on pourroit estimer l'ancienneté ou la nouveauté d’une langue par la quantité plus ou mois grande des . mots et la variété plus où moins nuanceée des constructions. Or nous avons dans cette langue les noms d’une très-orande quantité de choses qui n'ont aucun nom en latin ou en fran- çois : les animaux les plus rares , certaines espèces d'oiseaux, ou de poissons, ou Ge mi- néraux, qu'on ne rencontre que très-difhci- lement, très-rarement, ont des noms, et des noms constans, dans cette langue ; preuve évidente que ces objets de l’histoire naturelle étoient connus, et que les Grecs non seule- ment les connoissoient , mais mème qu'ils ex avoient une idée précise, qu'ils ne pou- voient avoir acquise que par une étude de ces mêmes objets; étude qui suppose néces- sairement des observations et des remarques : ils ont même des noms pour les variétés ; et ce que nous ne pouvons représenter que par une phrase, se nomme dâns cette langue par un seul substantif. Cette abondance de 58 MANIÈRE DE TRAITER mots, cette richesse d'expressions nettes et précises, ne supposent-elles paslamèmeabon- dance d'idées et de connoissances ? Ne voit-on pas que des gens qui avoient nommé beau- coup plus de choses que nous, en connois- soient par conséquent béaucoup plus ? Et cependant ils n’avoient pas fait comme nous des méthodes et des arrangemens arbitraires : ils pensoient que la vraie science est la con- noissance des faits; que pour l’acquérir il falloit se familiariser avec les productions de la nature, donner des noms à toutes, afin de les faire reconnoître , de pouvoir s'en entretenir, de se représenter plus sou- vent les idées des choses rares et singulières, et de multiplier ainsi des connoissances qui sans cela se seroient peut-être évanouies, rien n'étant plus sujet à l’oubli que ce qui n'a point de nom : tout ce qui n'est pas d’um usage commun ne se soutient que par le se- cours des representations. D'ailleurs les anciens qui ontécritsur l’his- toire naturelle, étoient de grands hommes, et qui ne s’étoient pas bornés à cette seule étude : ils avoient l'esprit élevé, des con- noissances variées , approfondies , et des vues L'HISTOIRE NATURELLE. &£9 générales ; et s’il nous paroît au premier coup-d'œil qu’il leur manquât un peu d’exac- titude dans de certains détails , 1l est aisé de reconnoître , en les lisant avec reflexion, qu'ils ne pensoient pas que les petites choses méritassent une attention aussi grande que celle qu'on leur a donnée dans ces derniers temps ; et quelque reproche que les mo- dernes puissent faire aux anciens , il me paroît qu’Aristote , Théophraste et Pline, qui ont été les premiers naturalistes, sont aussi les plus grands à certains égards. L'Histoire des animaux d'Aristote est peut- être encore aujourd'hui ce que nous avons de mieux fait en ce genre , et il seroit fort à desirer qu'il nous eût laissé quelque chose d'aussi complet sur les végétaux et sur les minéraux ; mais les deux livres des plantes, que quelques auteurs lui attribuent, ne res- semblent pas à ses autres ouvrages, etnesont pas en effet de lui *. Ilest vrai que la bota- nique n'étoit pas fort en honneur de son temps : les Grecs, et mème les Romains, ne la regardoient pas comme une science qui * Voyez le commentaire de Scaliger. JR ti 1 LA 6o MANIÈRE DE TRAITER. dût exister par elle-même et qui dût faire un objet à part; ils ne la considéroient que relativement à l’agriculture , au jardinage, à la médecine et aux arts : et quoique Théo- phraste, disciple d’Aristote , connût plus de cinq cents genres de plantes , et que Pline en cite plus de mille , ils n’en parlent que pour nous en apprendre la culture, ou pour nous dire que les unes entrent dans la composi- tion des drogues, que les autres sont d'usage pour les arts, que d’autres servent à orner nos jardins , etc. ; en un mot, ris ne les con- sidèrent que par l'utilité qu'on en peuttirer, etils ne se sont pas attaches à les décrire exac- tement. | L'histoire des animaux leur étoit mieux connue que celle des plantes. Alexandre donna des ordres et fit des dépenses très-considéra- bles pour rassembler des animaux et en faire venir de tous les pays, et il mit Aristote en état de les bien observer. Il paroît par son ouvrage qu'il les connoissoit peut-être mieux et sous des vues plus générales qu'on ne les connoît aujourd'hui. Enfin , quoique les mo- dernes aient ajouté leurs découvertes à celles des anciens , je ne vois pas que nous ayons | L'HISTOIRE NATURELLE. 6e sur l’histoire naturelle beaucoup d'ouvrages modernes qu'on puisse mettre au-dessus d’'A- ristote et de Pline ; mais comme la préven- tion naturelle qu'on a pour son siècle pour- roit persuader que ce que je viens de dire est avance témérairement, je vais faire en peu de mots l'exposition du plan de leurs ou- vrages. Aristote commence son Æisfoire des ani- maux par établir des différences et des res- semblances générales entre les differens genres d'animaux : au lieu de les diviser par de petits caractères particuliers , comme l'ont fait les modernes , 1l rapporte historiquement tous les faits et toutes les observations qui portent sur des rapports généraux et sur des caractères sensibles ; il tire ces caractères de la forme, de la couleur, de la grandeur et de toutes les qualités extérieures de l'animal entier, et aussi du nombre et de la position de ses parties, de la grandeur, du mouvement, de la forme de ses membres, des rapports semblables ou différens qui se trouvent dans ces mêmes parties comparées, et il donne par-tout des exemples pour se faire mieux entendre. Il considère aussi les différences 6 | f 62 MANIÈRE DE TRAITER des animaux par leur façon de vivre, leurs actions et leurs mœurs, leurs habitations, etc. IL parle des parties qui sont communes et essentielles aux animaux , et de celles qui peuvent manquer et qui manquent en effet à plusieurs espèces d'animaux. Le sens du tou- cher, dit-il, est la seule chose qu’on doive régarder comme nécessaire, et qui ne doit manquer à aucun animal; et comme ce sens est commun à tous les animaux , il n’est pas possible de donner un nom à la partie de leur corps dans laquelle réside la faculté de sen- tir. Les parties les plus essentielles sont celles par lesquelles l'animal prend sa nourriture , celles qui reçoivent et digèrent cette nourri- ture , et celles par où il en rend le supertlu. Il examine ensuite les variétés de la géné- ration des animaux, celles de leurs membres et de leurs différentes parties qui servent à leurs mouvemens et à leurs fonctionsnaturelles. Ces observations générales et préliminaires font un tableau dont toutes les parties sontintéres- santes ; et ce grand philosophe dit aussi qu'il les a présentées sous cet aspect pour donner un avant-goût de ce qui doit suivre, et faire naitre l'attention qu'exige l’histoire particu- N 74 a , # 2 L'HISTOIRE NATURELLE. 63 lière de chaque animal ; ou plutôt de chaque chose. ° LE Il commence par l’homme, et il Le décrit le premier , plutôt parce qu’il est l’animal le mieux connu que parce qu'il est Le plus par- fait; et pour rendre sa description moins sèche et plus piquante, il tâche de tirer des connoissances morales en parcourant les rap- ports physiques du corps humain : il indique les caractères des hommes par les traits de leur visage. Se bien connoître en physio— nomie seroit en effet une science bien utile à celui qui l’auroit acquise; mais peut-on la tirer de l’histoire naturelle ? El décrié donc l'homme par toutes ses parties extérieures et intérieures , et cette description est la seule qui soit entière : au lieu de décrire chaque animal en particulier , il les fait connoître tous par les rapports que toutes les parties de leur corps ont avec celles du corps de l'homme ; lorsqu'il décrit, par exemple, la tête humaine , il compare avec elle la tête de différentes espèces d'animaux. Il en est de même de toutes les autres parties ; à la des- cription du poumon de l’homme, il rapporte historiquement tout ce qu'on savoit des pou | 64 MANIÈRE DE TRAITER mons des animaux, et il fait l’histoire de ceux qui en manquent. De même , à l’occa- sion des parties de la génération , 1l rapporte toutes les variétés des animaux dans la ma nière de s’'accoupler , d’engendrer , de porter et d’accoucher, etc. ; à l’occasion du sang, il fait l’histoire des animaux qui en sont privés; et suivant ainsi ce plan de comparaison, dans lequel , comme l’on voit, l’homme sert de modèle, et ne donnant que les diffé- rences qu'il y a des animaux à l’homme, et de chaque partie des animaux à chaque par- tie de l’homme, il rétranche à dessein toute description particulière, il évite par-là toute répétition , il accumule les faits, et il n’écrit pas un mot qui soit inutile : aussi a-t-1l com- pris dans un petit volume un nombre pres-- que infini de différens faits, et je ne crois pas qu'il soit possible de réduire à de moindres termes tout ce qu’il avoit à dire sur cette matière, qui paroîtsi peu susceptible de cette précision , qu’il falloit un génie comme le sien pour y conserver en même temps de l’ordre et de la netteté. Cet ouvrage d’Aristote s'est présenté à mes yeux comme une table de matières , qu'on auroit extraite avec le L'HISTOIRE NATURELLE. 65 plus grand soin de plusieurs milliers de vo- lumes remplis de descriptions et d’observa- tions de toute espèce : c’est l’abrégé le plus savant qui ait jamaisété fait, si la science est en effet l'histoire des faits; et quand même on supposeroit qu'Aristote auroit tire de tous les livres de son temps ce qu’il a mis dans le sien , le plan de l'ouvrage, sa distribution, le choix des exemples , la justesse des com- paraisons , une certaine tournure dans les idées, que j'appellerois volontiers le carac- tère philosophique, ne laissent pas douter un instant qu'il ne fût lui-même bien plus riche que ceux dont il auroit emprunté. Pline a travaillé sur un plan bien plus grand, et peut-être trop vaste: il a voulu ‘tout embrasser , et il semble avoir mesuré la nature et l'avoir trouvée trop petite encore pour l'étendue de son esprit. Son Æisfoire naturelle comprend , indépendamment de l’histoire des animaux , des plantes et des minéraux , l’histoire du ciel et de la terre, la médecine , le commerce, la navisation, l'histoire des arts libéraux et mécaniques, l'origine des usages , enfin toutes les sciences uaturelles et tous les arts humains ; et ce 6 66 MANIÈRE DE TRAITER qu'il y a d'étonnant , c’est que dans chaque partie Pline est également grand. L'élévatiow des idées, la noblesse du style, relèvent encore sa profonde érudition : non seulementilsavoit tout ce qu’on pouvoit savoir de son temps ; mais il avoit cette facilité de penser en grand qui multiplie la science ; il avoit cette finesse deréflexion , de laquelle dépendent l'élégance _etle goût, etil communique à ses lecteurs une certaine liberté d'esprit , une hardiesse de penser, qi est le germe de la philosophie. Son ouvrage, tout aussi varié que la nature, la peint toujours en beau: c’est, si l'on veut, une compilation de tout ce qui avoit été écrit avantlui, une copie dé tout ce qui avoit été fait d’excellent et d’utile à savoir; mais cette copie a‘de si grands traits , cette compilation contient des choses rassemblées d’une manière si neuve, qu'elle est préférable à la plupart des ouvrages originaux qui traitent desmêmes matières. ‘Nous avons dit que l’histoire fidèle et la description exacte de chaque chose étoient es deux seuls objets que l’on devoit se pro- poser d’abord dans l'étude de l’histoire natu- relle. Les anciens ont bien rempli le premier; / L'HISTOIRE NATURELLE. 63 ét sont peut-être autant au-dessus des mo dernes par cette première partie, que ceux-ci sont au-dessus d’eux par la seconde ; car les anciens ont très-bien traité Fhistorique de Lx vie et des mœurs des animaux , de la culture et des usages des plantes, des propriétés et de l'emploi des minéraux, et en même temps ils semblent avoir négligé à dessein la des- cription de chaque chose. Ce n’est pas qu’ils ne fussent très-capables de la bien faire . mais ils dédaignoient apparemment d'écrire des choses qu’ils regardoient comme inutiles , et cette façon de penser tenoit à quelque chose de général , et n'étoit pas aussi déraison- nable qu'on pourroit le croire ; et même ils ne pouvoient guère peuser autrement. Pre- mièrement , ils cherchoient à être courts et à ne mettre dans leurs ouvrages que les faits essentiels et utiles , parce qu’ils n’avoient pas, comme nous, la facilité de multiplier les livres et de les grossir impunément. Ex second lieu , ils tournotent toutes les sciences du côté de l'utilité, et donnoient beaucoup moins que nous à la vaine curiosité ; tout ce qui n'étoit pas intéressant pour la société , pour la santé , pour les arts , étoit négligé : 68 MANIÈRE DE TRAITER ils rapportoient tout à l’homme moral, et ils ne croyoient pas que les choses qui n'avoient point d'usage fussent dignes de l’occuper ; un insecte inutile dont nos observateurs ad- mirent les manœuvres, une herbe sans vertu dont nos botanistes observent les étamines ‘ n'étoient pour eux qu'un insecte ou une herbe. On peut citer pour exemple le vingt- septième livre de Pline, 7reliqua herbarum genera, où 1l met ensemble toutes les herbes dont il ne fait pas grand cas, qu’il se con- tente de nommer par lettres alphabétiques L en indiquant seulement quelqu'un de leurs caractères généraux et de leurs usages pour la médecine. T'out cela venoit du peu de goût que les anciens avoient pour la physique ; ou, pour parler plus exactement, comme ils n'avoientaucune idée de ce que nous appelons physique particulière et expérimentale, ils ne pensoient pas que l’on püt tirer aucun avau- tage de l’examen scrupuleux et de la descrip- tion exacte de toutes les parties d’une plante ou d'un petit animal , et ils ne voyoient pas les rapports que cela pouvoit avoir avec l’ex- plication des phénomènes de la nature. Cependant cet objet est Le plus important , L'HISTOIRE NATURELLE. 69 et il ne faut pas s’imaginer, même aujour- d'hui , que dans l’étude de l’histoire naturelle on doive se borner uniquement à faire des descriptions exactes , et à s'assurer seulement des faits particuliers. C'est, à la verité, et comme nous l'avons dit, le but essentiel qu'on doit se proposer d’abord : mais il faut tâcher de s'élever à quelque chose de plus grand et plus digne encore de nous occuper ; c’est de combiner les observations, de géné raliser les faits, de les lier ensemble par la force des analogies, et de tâcher d'arriver à : ce haut degré de connoissances où nous pou- vons juger que les effets particuliers dépen— dent d'effets plus généraux, où nous pouvons comparer la nature avec elle-même dans ses grandes opérations , et d’où nous pouvons enfin nous ouvrir des routes pour perfec- tionner les différentes parties de la physique. Une grande mémoire , de l’assiduité et de l'attention, suffisent pour arriver au pre- mier but : mais il faut ici quelque chose de plus ; il faut des vues générales , un coup d'œil ferme, et un raisonnement formé plus encore par la réflexion que par l’étude ; il faut enfin cette qualité d'esprit qui nous fait nm MANIÈREDETRAITER saisir les rapports éloignés, les rassembler et en former un corps d’idées raisonnées, après en avoir apprécié au juste les vraisemblances et en avoir pesé les probabilités. C’est ici où l’on a besoin de méthode poux conduire son esprit, non pas de celle dont nous avons parlé, qui ne sert qu'à arranger arbitrairement des mots, mais de cette mé— thode qui soutient l’ordre même des choses, qui guide notre raisonnement , qui éclaire nos vues, les étend, et nous empêche de nous égarer. Les plus grands philosophes ont senti ka nécessité de cette methode , et même ïls ont voulu nous en donner des prineipes et des essais : mais les uns ne nous ont laissé que l'histoire de leurs pensées, et les autres la fable de leur imagination ; et quelques uns se sont élevés à ce haut point de méta- physique d’où l’on peut voir les principes, Jes rapports et l’ensemble des sciences ; aucun me nous à sur cela communiqué ses idées, aucun ne nous a donné des conseils, et la méthode de bien conduire son esprit dans les sciences est encore à trouver : au défaut de préceptes on a substitué des exemples: au lieu de principes, on a employé des définitions ; -L'HISTOIRE NATURELLE. 9r au lieu de faits avérés, des suppositions ha- sardées. y" Dans ce siècle même, où les sciences pa- roissent être cultivées avec soin, je crois qu'il est aisé de s’appercevoir que la philo- sophie est néeligée , et peut-être plus que dans aucun autre siècle ; les arts qu’on veut appeler scientifiques ont pris sa place; les méthodes de calcul et de géométrie, celles de botanique et d'histoire naturelle , les for— anules, en un mot, et les dictionnaires, occupent presque tout le monde : on s’ima- gine savoir davantage , parce qu'on a aug menté ie nombre des expressions symboliques et des phrases savantes , et on ne fait point attention que tous ces arts ne sont que des £chafaudages pour arriver à la science, et lion pas la science elle-même ; qu’il ne faut s’en servir que lorsqu'on ne peut s’en passer, et qu'on doit toujours se défier qu’ils ne vien nent à nous manquer, lorsque nous voudrons les appliquer à l'édifice. La vérité, cet être métaphysique dont tout le monde croit avoir une idée claire, me pa roit confondue dans un si grand nombre d'objets étrangers auxquels on donne son A RE M 2! At by! : 52 MANIÈREDE TRAITER nom , que je ne suis pas surpris qu’on ait de la peine à la reconnoître. Les préjugés et les fausses applications se sont multipliés à mesure que nos hypothèses ont été plus sa- vantes, plus abstraites et plus perfectionnées ; il est donc plus difficile que jamais de recon- noître ce que nous pouvons savoir , et de le distinguer nettement de ce que nous devons ignorer. Les réflexions suivantes serviront aû moins d'avis sur ce sujet important. | Le mot de vérité ne fait naître qu'une idée vague, il n’a jamais eu de definition précise ; et la définition elle-même, prise dans un sens général et absolu , n’est qu’une abstraction ‘qui n’existe qu’en vertu de quelque supposi- tion. Au lieu de chercher à faire une défini- tion de la vérité, cherchons donc à faire une énumération ; voyons de près ce qu’on appelle communément vérités , et tâchons de nous en former des idées nettes. Il y a plusieurs espèces de vérités, et on a coutume de mettre dans le premier ordre les vérités mathématiques : ce ne sont cependant que des vérités de définitions; ces définitions portent sur des suppositions simples , mais abstraites, et toutes Les vérités en ce genre L d L'HISTOIRE NATURELLE. 3 ne sont que des conséquences composées , mais toujours abstraites , de ces définitions. Nous avons fait les suppositions, nous les avons combinées de toutes les façons, ce corps de combinaisons est la science mathé-— matique; il n’y a donc rien dans cette science que ce que nous y avons mis , et les vérités qu'on en tire ne peuvent être que des expres- sions différentes, sous lesquelles se présentent les suppositions que nous avons employees : ainsi les vérités mathématiques ne sont que les répétitions exactes des definitions ou sup- positions. La dernière conséquence n’est vraie que parce qu’elle est identique avec celle qui la précède, et que celle-ci l’est avec la precé- dente, et ainsi de suite, en remontant jus- qu’à la première supposition ; et comme les définitions sont les seuls principes sur les- quels tout est établi, et qu’elles sont arbi- traires et relatives, toutes les conséquences qu'on en peut tirer sont également arbi- traires et relatives. Ce qu'on appelle vérités mathématiques se réduit donc a des identités d'idées, et n'a aucune realité : nous suppo- sons , NOUS raisonnolis SUF OS sUPPOsifions , nous en tirons des conséquences, nous con- Mat. gén, I, 7 Li ni u 4 MANIÈRE DE TRAITER | cluons : la conclusion ou dernière conséquence est une proposition vraie, relativement à notre supposition ; inais cette vérité n’est pas plus réelle que la supposition elle-même. Ce m'est point ici le lieu de nous étendre sur les usages des sciences mathematiques, non plus. que sur l’abus qu’on en peut faire : il nous suflt d’avoir prouvé que les vérités mathé- matiques ne sont que des vérités de defini- tions, ou, si l’on veut, des expressions diffé- rentes de la même chose, et qu’elles ne sont vérités que relativement à ces mêmes défini- tions que nous avons faites; c’est par cette raison qu’elles ont l’avantage d’être toujours exactes et demonstratives, mais abstraites , intellectuelles et arbitraires. | Les vérités physiques , au contraire, ne sont nullement arbitraires , et ne dependent point de nous; au lieu d’être fondées sur des suppositions que nous ayons faites, ellés ne sont appuyées que sur des faits. Une suite de faits semblables, ou, si l’on veut , une répétition fréquente et une succession non interrompue des mêmes événemens , fait l'essence de la vérité physique : ce qu'on appelle vérité physique n'est douc qu'une ee L'HISTOIRE NATURELLE. "5 probabilité , mais une probabilité si grande, qu’elle équivaut à une certitude. En mathé- matique on suppose; en physique on pose et on établit. Là ce sont des définitions ; ici ce sont des faits. On va de définitions en defini- tions dans les sciences abstraites ; on marche d'observations en observations dans les scien- ces réelles. Dans les premières on arrive à l'évidence, dans les dernières à la certitude. Le mot de vérité comprend l’une et l’autre, et répond par conséquent à deux idées diffe— rentes : sa signification est yague et composée, il n’étoit donc pas possible de la définir géné- xralement ; il falloit, comme nous venons dele faire , en distinguer les genres afin de s’en former une idée nette. Je ne parlerai pas des autres ordres de vé— rités: celles de la morale, par exemple, qui sont en partie réelles et en partie arbitraires, demanderoient une longue discussion qué nous éloigneroit de notre but , et cela d’au- tant plus qu'elles n’ont pour objet et pour fin que des convenances et des probabilités. L’évidence mathématique et la certitude physique sont donc les deux seuls points sous lesquels nous devons considérer la vé- rité; dès qu’elle s’éloignera de l’une ou de Yautre , ce n’est plus que vraisemblance et ‘probabilité. Éxaminons donc ce que nous ‘pouvons savoir de science évidente ou cer- taine ; après quoi nous verrons ce que nons ne pouvons connoitre que par conjecture, et enfin ce que nous devons ignorer. Nous savons ou nous pouvons savoir de science évidente toutes les proprietes , ou plutôt tous les rapports des nombres , des lignes , des surfaces, et de toutes les autres quantités abstraites ; nous pourrons les sa- Voir d’une manière plus complète à mesure que nous nous exercerons à resoudre de nou- velles questions , et d’une manière plus sûre à mesure que nous rechercherons les causes des difficultés. Comme nous sommes les créa- teurs de cette science, et qu’elle ne comprend absolument rien que ce que nous avons nous- mêmes imaginé, il ne peut y avoir ni obstu- rites ni paradoxes qui soient réels ou impos- sibles , et on en trouvera toujours la solution en examinant avec soin les principes suppo- sés , et en suivant toutes les démarches qu'on a faites pour y arriver; comme les combi- ‘maisons de ces principes et des façons desles + L'HISTOIRE NATURELLE. 77 employer sont innombrables, il y a dans les mathématiques un champ d’une immense étendue de connoissances acquises et à ac— ‘quérir , que nous serons toujours les maitres de cultiver quand nous voudrons , et dans lequel nous recueillerons toujours la même abondance de vérités. Mais ces vérités auroient été perpétuelle- ment de pure spéculation, de simple curio- sité et d’entière inutilité, si on n’avoit pas trouvé les moyens de les associer aux vérités physiques. Avant que de considérer les avan- tages de cette union, voyons ce que nous pouvons espérer de savoir en ce genre. _ Les phénomènes qui s’offrent tous les jours à nos yeux , qui se succèdent et se répêtent sans interruption et dans tous les cas, sont le fondement de nos connoissances physiques. Il suffit qu'une chose arrive toujours de la même façon , pour qu’elle fasse une certi- tude ou une vérité pour nous ; tous les faits de la nature que nous avons observés , ou que nous pourrons observer , sont autant de vérités : ainsi nous pouvons en augmenter le nombre autant qu’il nous plaira, en multi- pliant nos observations ; notre science n’est 7 —4 _ 78 MANIÈRE DE TRAITER ici bornée que par les limites de l'univers. Mais lorsqu’après avoir bien constaté les faits par des observations réitérées , lors- qu'après avoir établi de nouvelles vérités par des expériences exactes , nous voulons cher— cher les raisons de ces mêmes faits , les causes de ces effets, nous nous trouvons arrêtés tout- à-coup, réduits à tächer de déduire les effets d'effets plus généraux , et obligés d’avouer que les causes nous sont et nous seront per— s, pétuellement inconnues , parce que nos sens étant eux-mêmes les effets de causes que nous ne connoissons point , ils ne peuvent nous donner des idées gue des effets , et jamais des _causes ; il faudra donc nous réduire à appeler cause un effet général, et renoncer à savoir au-delà. Ces effets généraux sont pour nous les vraies lois de la nature: tous les phénomènes que nous reconnoitrons tenir à ces lois et en dépendre, seront autant de faits expliques, autant de vérités comprises ; ceux que nous ne pourrons y rapporter , seront de simples faits qu’il faut mettre en réserve, en atten-— dant qu’un plus grand nombre d'observations et une plus longue expérience nous appren- ITR RIT ENENRIEN | € ‘4 L’HISTOIRE NATURELLE. 9 nent d’autres faits, et nous découvrent la cause physique , c'est-à-dire l'effet général dont ces effets particuliers dérivent. C’est ici où l'union des deux sciences mathématique et physique peut donner de grands avantages ; l'une donne le combien, et l’autre le com ment des choses : et comme 1l s’agit ici de combiner et d'estimer des probabilités pour juger si un effet dépend plutôt d’une cause que d’une autre , lorsque vous avez imaginé par la physique le comment, c’est-à-dire lorsque vous avez vu qu'un tel effet pourroit bien dépendre de telle cause , vous appli- quez ensuite le calcul pour vous assurer du combien de cet effet combine avec sa cause ; et si vous trouvez que le résultat s'accorde avec les observations, la probabilité que vous avez deviné juste, augmente si fort , qu’elle devient une certitude , au lieu que sans ce secours elle seroit demeurée simple proba- bilité.. à th | Il est vrai que cette union des mathéma- tiques et de la physique ne peut se faire que pour un très-petit nombre de sujets: il faut pour cela que les phénomènes que nous cher- chons à expliquer, soient susceptibles d’être PATATE SE 7 6 à LE 4 | LIANT ER So MANIÈREDETRAITER considérés d’une manière abstraite, et que de leur nature ils soient denués de presque toutes qualites physiques ; car pour peu qu’ils soient composés, Le calcul ne peut plus s’y appliquer. La plus belle et la plus « heureuse application qu'on en ait jamais faite , est au système du monde; et 1l faut avouer que si Newton ne nous eût donné que les idées physiques de son systême , sans les avoir appuyeées sur des évaluations précises et mathématiques , elles n’auroient pas eu à beaucoup près la même force : mais on doit sentir en même temps qu’il y a trèés-peu de sujets aussi simples, c’est-à-dire aussi dé- nués de qualités physiques que l’est celui-ci ; car la distance des planètes est si grande, qu'on peut les considérer les unes à l’esard des autres comme n étant que des points. On peut en même temps, sans se tromper, faire abstraction de toutes les qualités physiques des planètes , et ne considérer que leur force d'attraction : leurs mouvemens sont d’ailleurs Les plus réguliers que nous connoissions , et n’éprouvent aucun retardement par la résis- tance. Tout cela concourt à rendre l’explica- tion du système du monde un problème de a L’HISTOIRE NATURELLE. S%gr mathématique, auquel il ne falloit qu’une idée physique heureusement conçue pour le réaliser ; et cette idée est d’avoir pense que la force qui fait tomber les graves à la sur- face de la terre , pourroit bien être la même que celle qui retient la lune dans son orbite. Mais, je Le répète, il y a bien peu de sujets en physique où l’on puisse appliquer aussi avantageusement les sciences abstraites , et je ne vois guère que l’astronomie et l'optique auxquelles elles puissent être d'une grande utilité; l'astronomie par les raisons que nous venons d'exposer, et l’optique parce que la lumière étant un corps presque infiniment petit, dont les effets s’opèrent en ligne droite avec une vitesse presque infinie, ses proprié- tés sont presque mathématiques; ce qui fait qu’on peut y appliquer avec quelque succès le calcul et les mesures géométriques. Je ne parlerai pas des mécaniques, parce que la mécanique 7afionnelle est elle-même une science mathématique et abstraite, de la- quelle la mécanique pratique, ou l'art de faire et de composer les machines, n’emprunte qu un seul principe par lequel on peut juger tous Les effets en faisant abstraction des frot- IRON 7 ”t QAR 2 © « 82 MANIÈREN DE TRAITER temens et des autres qualités physiques. Aussi mw’a-t-il toujours paru qu il y avoit une espèce d'abus dans la manière dont on professe la physique expérimentale , l’objet de cette science n'étant point du tout celui qu'on lui prête. La démonstration des effets mécaniques , comme de la puissance des leviers, des poulies, de l'équilibre des solides et des fluides, de l’effet des plans inclinés , de celui des forces centrifuges, etc. apparte- nant entièrement aux mathématiques , et pouvant être saisie par les yeux de l'esprit avec la dernière évidence, il me paroît su— ‘perflu de la représenter à ceux du corps : le vrai but est au contraire de faire des expé- riences sur toutes les choses que nous ne pouvons pas mesurer par le calcul , sur tous les effets dont nous ne connoissons pas en- core les causes , et sur toutes les propriétés dont nous ignorons les circonstances ; cela seul peut nous conduire à de nouvelles dé- couvertes , au lieu que la démonstration des effets mathématiques ne nous apprendra ja- mais que ce que nous savons déja. Mais cet abus n’est rien en comparaison des inconvéniens où l’on tombe lorsqu'on L'HISTOIRE NATURELLE. 83 veut appliquer la géométrie et le calcul à des sujets de physique trop compliqués, à des objets dont nous ne connoissons pas assez les propriétés pour pouvoir les mesurer: on est obligé dans tous ces cas de faire des sup- positions toujours contraires à la nature , de dépouiller le sujet de la plupart de ses qua- lités , d’en faire un être abstrait qui ne res- semble plus à l'être réel ; et lorsqu'on a beau- coup raisonné et calculé sur les rapports et les propriétés de cet être abstrait, et qu'on est arrivé à une conclusion toute aussi abs- traite, on croit avoir trouvé quelque chose de réel, et on transporte ce résultat idéal dans Le sujet réel ; ce qui produit une infinité de fausses conséquences et d'erreurs. C’est ici le point le plus délicat et le plus important de l'étude des sciences :savoir bien distinguer ce qu'il y a de réel dans un sujet de ce que nous y mettons d’arbitraire en le considérant , reconnoître clairement les pro- priétés qui lui appartiennent et celles que . nous lui prétons , me paroit être le fonde- ment de la vraie méthode de conduire son esprit dans les sciences ; et si on ne perdoit jamais de vue ce principe , on ne feroit pas 3 MANIÈREDE TRAITER une fausse démarche, on éviteroit de tomber dans ces erreurs savantes qu’on reçoit sou— vent comme des vérités ; on verroit disparoître les paradoxes , les questions insolubles, des sciences abstraites ; on reconnoîtroit les pré- jugés et les incertitudes que nous portons nous-mêmes dans les sciences réelles ; on viendroit alors à s’entendre sur la meétaphy- sique des sciences ; on cesseroit de disputer , et on se réuniroit pour marcher dans la même route à la suite de l'expérience, et arriver enfin à la connoissance de toutes les vérités qui sont du ressort de l'esprit humain. Lorsque les sujets sont trop compliqués pour qu'on puisse y appliquer avec avantage le calcul et les mesures, comme le sont pres- que tous ceux de l’histoire naturelle et de la physique particulière, il me paroît que la vraie méthode de conduire son esprit dans ces recherches , c’est d'avoir recours aux observations, de les rassembler, d’en faire de nouvelles, et en assez grand nombre pour mous assurer de la vérité des faits princi- paux , et de n’employer la méthode mathé- ‘imatique que pour estimer les probabilites des conséquences qu’on peut tirer de ces faits; L'HISTOIRE NATURELLE. 85 sut-tout 1l faut tâcher de les généraliser et de bien distinguer ceux qui sont essentiels de ceux qui ne sont qu'accessoires au sujet que nous considérons ; il faut ensuite les lier ensemble par les analogies , confirmer ou détruire certains points équivoques par le moyen des expériences , former son plan d'explication sur la combinaison de tous ces rapports, et les présenter dans l’ordre le plus naturel. Cet ordre peut se prendre de deux façons ; la\ première est de remonter des eflets particuliers à des effets plus généraux, et l’autre de descendre du general au parti- culier : toutes deux sont bonnes , et le choix de l’une ou de l’autre dépend plutôt du génie de l’auteur que de la nature des choses, qui toutes peuvent être également bien traitées par l’une ou l’autre de ces manières. Nous allons donner des essais de cette methode dans les discours suivans , de la THÉORIE DE LA TERRE, de la FORMATION DES Pra- NÈTES, et de la GÉNÉRATION DES ANI- MAUX. HS POLRE MU PU RÉEL LE SECOND DISCOURS. Vidi ego, quod fuerat quondam solidissima Esse fretum ; vdi Fractas ex æquore erras ; GE Et procul à pelago conchæ jacuere marinæ, M Et vetus inventa est in montibus anchora summiss Quodque fuit campus, vallem decursus aquarum À Fecit, et eluvie mous est deductus-in æquor. pre tellu ‘i | 1 y l 104 V4 . . (Ovip. Metam, lib, xv, v. 262.) HISTOIRE RAR EL LE SECOND DISCOURS. HISTOIRE ET THÉORIE DE LA TERRE, JL n'est ici question ni de la figure * de la terre, ni de son mouvement, ni des rapports qu elle peutavoir à l'extérieur avec les autres parties de l’univers; c’ést sa constitution in- térieure, sa forme et sa matière, que nous nous proposons d'examiner. L'histoire géné- raäle de la terre deit précéder l’histoire par- ticulière de ses productions, et les détails * Voyez craprès les preuves de la théorie de la terre, art. I. 8 90 THÉORIE des faits singuliers de la vie et des mœuts des animaux, ou de la culture et de la veé- gétation des plantes, appartiennent peut-être moins à l’histoire naturelle que Les résultats généraux des observations qu’on a faites sur les différentes matières qui composent le globe terrestre, sur les éminences , les pro- fondeurs et les inégalités de sa forme, sur le mouvement des mers, sur la direction . des montagnes, sur la position des carrières, sur la rapidité et les effets des courans de la mer, etc. Ceci est la nature en grand, et ce sont-là ses principales opérations ; elles influent sur toutes les autres, et la théorie de ces effets est une première science de la- quelle dépend l'intelligence des phénomènes particuliers, aussi-bien que la connoissance exacte des substances terrestres; et quand même on voudroit donner à cette partie des sciences naturelles le nom de physique, toute physique où l’on n’admet point de systèmes n'est-elle pas l'histoire de la nature? Dans des sujets d’une vaste étendue dont les rapports sont difficiles à rapprocher, où les faits sont inconnus en partie, et pour le reste incertains, 1l est plus aisé d'imaginer _ MEÉUDA TERRE gr uu système que de donner une théorie : aussi la théorie de la terre n’a-t-elle jamais été traitée que d’une manière vague et hyÿpo- | thetique. Je ne parlerai donc que légèrement des idées singulières de quelques auteurs qui ont écrit sur cette matière. L'un !, plus ingénieux que raisonnable, astronome convaincu du système de Newton, envisageant tous les événemens possibles du cours et de la direction des astres, explique, à l’aide d’un calcul mathématique, par la queue d'une comète, tous les changemens qui sont arrives au globe terrestre. Un autre ?, théologien hétérodoxe, la tête échauffée de visions poétiques, croit avoir | vu créer l’univers. Osant prendre. le style prophetique, après nous avoir dit ce qu'éloit la terre au sortir du néant, ce que le déluge y a changé, ce qu’elle a été et ce qu'elle est, il nous prédit ce qu’elle sera, même après la destruction du genre humain. 1 Wlhiston. Voyez les preuves de la ihéorie ï la terre, arucle Il. 2 Burnet. Voyez les preuves de la théorie de la terre, article III. ‘ 92 THÉORIE Un troisième *, à la vérité meilleur obser= vateur que les deux premiers, mais tout aussi | peu réglé dans ses idées, explique, par-un abime immense d’un liquide contenu dans les entrailles du globe, les principaux phé-— nomènes de la terre; laquelle , selon lui, n’est qu'une croûte superficielle et fort mince, qui sert d’enveloppe au fluide qu’elle ren- ferme. Toutes ces hypothèses, faites au hasard, et qui ne portent que sur des fondemens rui- neux, n’ont point éclairci les idées, et ont confondu les faits. On a mêlé la fable à la physique : aussi ces systèmes n’ont été reçus que de ceux qui reçoivent tout aveuglé- ment, incapables qu’ils sont de distinguer les nuances du vraisemblable, et plus flattés du merveilleux que frappés du vrai. Ce que nous avons à dire au sujet de la terre sera sans doute moins extraordinaire, et pourra paroître commun en comparaison des grands systèmes dont nous venons de parler : mais on doit se souvenir qu'un his- torien est fait pour décrire et non pour * Woodward. Voyez les preuves, art. LV. DE LA TERRE. 93 inventer, qu'il ne doit se permettre aucune supposition , et qu'il ne peut faire usage de son imagination que pour combiner les ob- servations , généraliser les faits, et en former un ensemble qui présente à l'esprit un ordre méthodique d'idées claires et de rapports suivis et vraisemblables : je dis vraisem-— blables ; car il ne faut pas espérer qu’on puisse donner des démonstrations exactes sur cette matière , elles n’ont lieu que dans les sciences mathématiques ;etnos connoissances en physique et en histoire naturelle dépen- dent de l'expérience et se bornent à des in- ductions. Commençons donc par nous représenter ce que l'expérience de tous les temps et’ ce que nos propres observations nous apprennent au sujet de la terre. Ce globe immense nous offre, à la surface , des hauteurs, des profon- deurs, des plaines, des mers, des marais, des fleuves, des cavernes, des gouffres , des volcans; et à la première inspection nous ne découvrons en tout cela aucuue résula- rité, aucun ordre. Si nous pénétrons dans son intérieur, nous y trouverons des mé— taux , des minéraux, des pierres, des bitumes, 94 THÉORIE. des sables, des terres, des eaux, et des ma tières de toute espèce, placées comme au ha- sard et sans aucune règle apparente. En exa- minant avec plus d'attention, nous voyons des montagnes* affaissées, des rochers fendus et brisés, des contrées englouties, des îles nouvelles , des terrains submergés , des ca- vernes comblées; nous trouvons des ma- tièéres pesantes souvent posées sur des ma— tières léoères, des corps durs environnés de substances molles, des choses sèches, hu- _mides, chaudes, froides, solides, friables, toutes mêlées et dans une espèce de confu- sion qui ne nous présente d'autre image que celle d’un amas de débris et d’un monde en ruine. Cependant nous habitons ces ruines avec une entière sécurité; les générations d’hom- mes, d'animaux, de plantes, se succèdent sans interruption : la terre fournit abon- damment à leur subsistance; la mer a des limites et des lois, ses mouvemens y sont * Vide Senec. Quest. Lib. VI, cap. 21 ; S/rab. Geograph. lib. 1 ; Oros. lib. 11, cap. 18; Pin. lib. 11, cap. 193 Histoire de l'académie des sciences, année 1708, page 23. | ] DE LA TERRE 95 ‘assujettis; l'air a ses courans réglés }, les saisons ont leurs retours périodiques et cer- tains , la verdure n’a jamais manqué de suc- céder aux frimas; tout nous paroît être dans l’ordre : la terre, qui tout à l'heure n’étoit qu’un chaos, est un séjour délicieux, où résuent le calme et l'harmonie, où tout est animé et conduit avec une puissance et une intelligence qui nous remplissent d’ad- miration , et nous élèvent jusqu’au Créateur, Ne nous pressons donc pas de prononcer _sur l’irrégularité que nous voyons à la sur- face de la terre, et sur le désordre apparent qui se trouve dans son intérieur : Car nous en reconnoitrons bientôt l’utilité, et même la nécessité; et en y faisant plus d'attention, nous y trouverons peut-être un ordre que nous ne soupçonnions pas, et des rapports généraux que nous n'appercevions pas au premier coup d'œil. À la vérité, nos- con-- noissances à cet égard seront toujours bor- nées : nous ne connoissons point encore la surface entière ? du globe; nous ignorons : 1 Voyez les preuves, art. XIV. 2 Ibid. art. VI. 96 THÉORIE en partie ce qui se trouve au fond des mers ? il y en a dont nous n'avons pu sonder les profondeurs ; nous ne pouvons pénétrer que dans l’écorce de la terre, et les plus | grandes cavités, les mines? les plus profondes, ne descendent pas à la huit millième partie de son diamètre, Nous ne pouvons donc juger que de la couche extérieure et presque sué- perficielle; l'intérieur de la masse nous est entièrement inconnu. On sait que, volume pour volume, la terre pèse quatre fois plus que le soleil. On a aussi le rapport de sa, pesanteur avec les autres planètes : mais ce n'est qu’une estimation relative; l’unité de mesure nous manque, le poids réel de la matière nous étant inconnu : en sorte que l'intérieur de la terre pourroit être ou vide, ou rempli d’une matière mille fois plus pe— sante que l’or, et nous n'avons aucun moyen _de le reconnoître; à peine pouvons-nous for- mer sur cela quelques * conjectures raison-— nables. | 7) Voyez Trans. phil. abrig. vol. IT, p. 323. Voyez Boyles Works, vol. III, p. 232. Voyez les preuves, art. I. . NU 9) DE LA TERRE. 97 - Il faut donc nous borner à examiner et à décrire la surface de la terre, et la petite épaisseur intérieure dans laquelle nous avons pénétré. La première chose qui se présente, c’est l'immense quantité d’eau qui couvre la plus grande partie du globe. Ces eaux oc- cupeut toujours les parties les plus basses ; elles sont aussi toujours de niveau, et elles tendent perpétuellement à l'équilibre et au repos. Cependant nous les voyons ! agitées par une forte puissance, qui, sopposant à la tranquillité de cet élément, lui imprime uu mouvement périodique et réglé, soulève et abaisse alternativement les flots, et fait un balancement de la masse totale des mers, en les remuant jusqu’à la plus grande pro- fondeur. Nous savons que ce mouvement est de tous les temps, et qu'il durera au- tant que la lune et le soleil, qui en sont les causes. | : Considérant ensuite le fond de la mer, nous y remarquons autant d’inégalités ? que sur la surface de la terre; nous y trouvons 1, Voyez les preuves, art. XIT. 2 Thid, art. XIII. JE THÉORIE des hauteurs !, des vallées, des plaines, des profondeurs , des rochers, des terrains de toute espèce : nous voyons que toutes les îles ne sont que les sommets ? de vastes mon- tagnes, dont le pied et les racines sont cou- vertes de l’élément liquide; nous y trouvons d'autres sommets de montagnes qui sont presque à fleur d'eau. Nous y remarquons des courans Ÿ rapides qui semblent se sous- traire au mouvement general : on les voit # se porter quelquefois constamment dans la même direction, quelquefois rétrograder, et ne jamais excéder leurs limites, qui pa- roissent aussi invariables que celles qui bor- nent les efforts des fleuves de la terre. Là sont ces contrées orageuses où les vents en fureur précipitent la tempête, où la mer et le ciel, également agites, se choquent et se confondent : ici sont des mouvemens intes- 1 Voyez la carte dressée en r737 par M. Buache, des proiondeurs de l'Océan entre LA et l’'A- mérique. 3 Voyez Faren. Geogr. gen. page 218. 3 Voyez les preuves, art. XIII. 4 Voyez Faren. p. 140. Voyez aussi les Voyages de Pyrard, page 137. DE LA TERRE. 99 tins, des bouillonnemens ! , des trombes ?, et des agitations extraordinaires causees par des volcans dont la bouche submergée vomit le feu du sein des ondes, et pousse jusqu'aux mues une épaisse vapeur mêlée d'eau, de soufre et de bitume. Plus loin je vois ces gouffres * dont on u’ose approcher, qui sem- blent attirer les vaisseaux pour Les engloutir: au-delà j'apperçois ces vastes plaines, tou— jours calmes et tranquilles *, mais tout aussi dangereuses, où les vents n’ont jamais exercé leur empire, où l’art du nautonnier devient inutile, où il faut rester et perir : enfin, portant les yeux jusqu'aux extrémités du globe, je vois ces glaces ° énormes qui se dé- tachent des continens des poles, et viennent, comme des montagnes flottantes, voyager et se fondre jusque dans les regions temperees 6. 1 Voyez les 7’oyages de Shaw , tome IT, p. 56. 2 Voyez les preuves , art. XVI. 5 Le Males'rooim dans la mer de Norwège. 4 Les calmes et les tornados de la mer "Éthio- pique. 5 Voyez les preuves, art. VI et X. 6 Voyez la carte de l'expédition de M. Bouvet, dressée par M. Buache en 1739. 100 THÉORIE Voilà les principaux objets que nous offre le vaste empire de la mer: des milliers d’'ha= bitans de différentes espèces en peuplent toute l'étendue; les uns, couverts d’écailles légères, en traversent avec rapidité les différens pays; d’autres, chargés d’une épaisse coquille, se trainent pesamment, et marquent avec len- teur leur route sur le sable; d’autres, à qui la nature a donné des nageoires en forme d'ailes, s’en servent pour s'élever et se sou- tenir dans les airs; d’autres enfin, à qui tout" mouvement a été refusé, croissent et vivent attachés aux rochers; tous trouvent dans cet élément leur pâture. Le fond de la mer pro- duit abondamment des plantes, des mousses et des végétations encore plus singulières. Le terrain de la mer est de sable, de gravier, souvent de vase, quelquefois de terre ferme, de coquillages, de rochers, et par-tont 1l ressemble à la terre que nous habitons. Voyageons maintenant sur la partie sèche du globe : quelle différence prodigieuse entre les clumats! quelle variété de terrains! quelle inégalité de niveau! Mais observons exacte- ment, et nous reconnoitrons que Les grandes * * Voyez les preuves, art. EX. VISANT PTIT 7 ’ ANA 4 .. h DB LD'A EEIRIR'E. ME chaînes de montagnes se trouvent plus voi- sines de l’équateur que des poles ; que dans l'ancien continent elles s’étendent d’orient en occident beaucoup plus que du nord au sud, et que dans le nouveau monde elles s'étendent au contraire du nord au sud beau- coup plus que d’orient en occident: mais ce quil y a de trèsremarquable, c’est que Ha forme de ces montagnes et leurs contours, qui paroissent absolument irréguliers}, ont cependant des directions suivies et corres- pondantes* entre elles ; en sorte que les angles saillans d’une montagne se trouvent toujours opposés aux angles rentrans de la montagne voisine, qui en est séparée par un vallon ou par une profondeur. J’observe aussi que les collines opposées ont toujours à très-peu près la même hauteur, et qu’en général les montagnes occupent le milieu des continens, et partagent, dans la plus grande longueur, les îles, les promontoires, et les autres 5 terres avancées. Je suis de même la direction des 2 Voyez les preuves, art, IX et XIT. 2 Voyez Lettres phil. de Bourguet , page rôr: 3 Vide Jareni Geogr. page 69. té2 THÉORIE \ plus grands fleuves, et je vois qu'elle est toujours presque perpendiculaire à la côte - de la mer dans laquelle ils ont leur embou- chure, et que, dans la plus grande partie de leur cours, ils vont à peu près ! comme les chaines de montagnes dont ils prennent leur source et leur direction. Examinant ensuite les rivages de la mer, je trouve qu'elle est ordinairement bornee par des rochers, des marbres et d’autres pierres dures, ou bien par des terres et des sables qu’elle a elle- même accumulés ou que les fleuves ont ame- nés , et je remarque que les côtes voisines, ét qui ne sont separees que par un bras ou par un petit trajet de mer, sont composées des mêmes matières, et que les lits de terre sont les mêmes de l’un et de l’autre côté ?. Je vois que les volcans se * trouvent tous “dans les hautes montagnes, qu'il y en a un grand nombre dont les feux sout entière ment éteints, que quelques uns de ces vol- ‘cans ont des correspondances * souterraines, 4 Voyez les preuves, art. X. 2 Thid. avr. VAE. 3 Ibid. art, XVI. 4 Vide Kircher, Mund. subter. in præf. à DONDANTIERIMR IE. | "203 et que leurs explosions se font quelquefois en mème temps. J'apperçois une correspon— dance semblable entre certains lacs et les mers vosines. Ici sont des fleuves et des tor- rens | qui se perdent tout-à-coup , et pa- roisseut se précipiter dans les entrailles de la terre; là est une mer intérieure où se rendent cent rivières, qui y portent de toutes parts une énorme quantité d'eau, sans jamais augmenter ce lac immense, qui semble rendre par des voies souterraines tout ce qu'il reçoit par ses bords ; et, chemin faisant, je reconnois aisement les pays anciennement habites, je les distingue de ces contrées nou- velles où le terrain paroit encore tout brut, où les fleuves sont remplis de cataractes, où les terres sont en partie submergées, maré- _cageuses ou trop arides, où la distribution des eaux est irrégulière, où des bois incultes couvrent toute la surface des terrains qui peuvent produire. | Entrant dans uu plus grand détail, je vois que la première couche ?, qui enveloppe le. d * Voyez Varen. Geogr. page 43, 2 Voyez les preuves, art. VII. VF RER ANS 104 THÉ OR TR CN SON globe, est par-tout d'une même substance; que cette substance, qui sert à faire croître et à nourrir les vésétaux et les animaux, m'est eile-même qu’un composé de parties animales et végétales détruites, ou plutôt réduites en petites parties, dans lesquelles l’ancienne organisation west pas sensible. Pénétrant plus avant, je trouve la vraie terre; je vois des couches de sable, de pierres à chaux, d'argille, de coquillages, de marbre, de gravier, de craie, de plâtre, etc. et je re- marque que ces ? couches sont toujours po- sées parallèlement les unes ? sur les autres, et que chaque couche a la même épaisseur dans toute son étendue. Je vois que dans les collines voisines les mêmes matières se trou vent au même niveau, quoique les collines soient séparées par des intervalles profonds et considérables. J’observe que dans tous les lits de terre, et * mème dans les couches plus solides, comme dans les rochers, dans les carrières de marbres et de pierres, 1l y a 1 Voyez les preuves, art. VIT. 3 Voyez H7oodward, page 4t, etc. 3 Voyez les preuves, art. VIIL. DE LA TERRE. : 10b _ des fentes, que ces fentes sont perpendicu— laires à l'horizon, etque, dans les plus grandes comme dans les plus petites profondeurs, c'est une espèce de règle que la nature suit constamment. Je vois de plus que dans l’in- térieur de la terre, sur la cime des monts * et dans les lieux les plus éloignes de la mer, on trouve des coquilles , des squelettes de poissons de mer, des plantes marines, etc. qui sont entièrement semblables aux co- quilles, aux poissons, aux plantes actuelle- ment vivantes dans la mer, et qui en effet sont absolument les imêmes. Je remarque que ces coquilles pétrifiées sont en prodi- gieuse quantité, qu'on en trouve dans une infinité d’endroits, qu’elles sont renfermées dans l'intérieur des rochers et des autres masses de marbre et de pierre dure, aussi- bien que dans les craies et dans les terres; et que non seulement elles sont renfermées dans toutes ces matières , mais qu’elles y sont incorporées, petrifiees, et remplies de la substance même qui les environne. Enfin je me trouve convaincu, par des observations * Voyez les preuves, art. VIII. 106 THÉORIE réitérées, que les marbres, les pierres, les craies, les marnes, les argilles, les sables, et presque toutes les matières terrestres, sont remplis de * coquilles ét d’autres débris de la mer, et cela par toute la terre, et dans tous les lieux où l’on a pu faire des obser- vations exactes. | Tout cela posé, raisonnons. Les changemens qui sont arrivés au globe terrestre depuis deux et même trois mille ans, sont fort peu considerables en compa— raison des revolutions qui ont dû se faire dans les premiers temps après la création; car 1l est aisé de démontrer que comme “toutes les matières terrestres n’ont acquis de la solidité que par l’action continuée de la gravité et des autres forces qui rapprochent et réunissent les particules de la matière, la surface de la terre devoit ètre au com- mencement beaucoup moins solide qu’elle ne l’est devenue dans la suite, et que par conséquent les mêmes causes qui ne produi- * Voyez Stenon, Woodward, Ray, Bourguet, Scheuchzer, les Trans. phulos. les Mémoires de d'académie , etc. DE LA TERRE. 107 sent aujourd’hui que des changemens pres- que insensibles dans l’espace de plusieurs siècles, devoient causer alors de trés-grandes révolutions dans un petit nombre d'années. En effet, il paroit certain que la terre, ac- tuellement sèche et habitee, a été autrefois sous les eaux de la mer, et que ces eaux étoient superieures aux sommets des plus hautes montagnes, puisqu'on trouve sur ces montagnes et jusque sur leurs sommets des productions marines et des coquilles, qui, comparees avec les coquillages vivans, sont les mêmes, et qu’on ne peut douter de leur parfaite ressemblance, ni de l'identité de leurs espèces. Il paroit aussi que les eaux de la mer ont séjourne quelque temps sur cette terre, puisqu on trouve en plusieurs endroits des bancs de coquilles si prodisieux et si étendus, qu'il u’est pas possible qu’une aussi grande * multitude d'animaux ait été touk à la fois vivante en même temps. Cela semble prouver aussi que, quoique les matières qui composent la surface de la terre fussent alors dans un état de mollesse qui les rendoit sus- * Voyez les preuves, art, VIII. 108 THÉORIE ceptibles d’être aisément divisées, remuées | et transportées par les eaux, ces mouvemens | _ne se sont pas faits tout-à-coup, mais succes- sivement et par degrés; et comme on trouve quelquefois des productions de la mer à mille et douze-cents pieds de profondeur, il paroît que cette épaisseur de terre ou de pierre étant si considérable , il a fallu des années pour la produire : car quand on voudroit supposer que dans le déluge universel tous les coquillages eussent été enlevés du fond des mers et transportés sur toutes les parties de la terre, outre que cette supposition seroit _ difficile à établir *, il est clair que comme on trouve ces coquilles incorporées et petri- fiées dans les marbres et dans les rochers des plus hautes montagnes, il faudroit donc supposer que ces marbres et ces rochers eussent été tous formés en même temps et précisément dans l'instant du déluge, et qu'avant cette grande révolution il n'y avoit sur le globe terrestre ni montagnes, ni mar- bres, n1 rochers, ni craies, ni aucune autre matière semblable à celles que nous connois- * Voyez les preuves, art. V. PEINE RNTERRE. 109 sons, qui presque toutes contiennent des coquilles et d’autres débris des productions de la mer. D'ailleurs la surface de la terre devoit avoir acquis au temps du déluge un degré considérable de solidité, puisque la gravité avoit agi sur les matières qui la composeut pendant plus de seize siècles, et par conséquent il ne paroît pas possible que les eaux du déluge aient pu boule- verser les terres a la surface du globe jus- qu'à d'aussi grandes profondeurs, dans le peu de temps que dura l'inondation uni- verselle, | Mais, sans insister plus long-temps sur ce point, qui sera discuté dans la suite, je m’en tiendrai maintenant aux observations qui sont constantes, et aux faits qui sont cer- tains. On ne peut douter que les eaux de la mer n'aient séjourné sur la surface de la terre que nous habitons, et que par consé- quent cette même surface de notre continent n'ait été pendant quelque temps le fond d’une mer, dans laquelle tout se passoit comme tout se passe actuellement dans la mer d’au- jourd’'hui. D'ailleurs, les couches des diffé- rentes matières qui composent la terre étant, Mar, gén, I. 10. sd =. THÉORIE comme nous l'avons remarqué l, posées pa rallèlement et de niveau, il est clair que cette position est l'ouvrage des eaux, qui ont amassé et accumulé peu à peu ces ma- tières, et leur ont donné la même situation que l’eau prend toujours elle-mème, c’est-à- dire cette situation horizontale que nous observons presque par-tout; car dans les plaines les couches sont exactement hori- zontales, et il n’y a que dans les montagnes où elles soient inclinées, comme ayant été formées par des sédimens déposés sur une base inclinée, c’est-à-dire sur un terrain pen- chant. Or je dis que ces couches ont été formées peu à peu, et non pas tout d'un coup par quelque révolution que ce soit, parce que nous trouvons souvent des couches de matière plus pesante posées sur des couches de matière beaucoup plus légère; ce qui ne pourroit être, si, comme le veulent quelques auteurs, toutés ces matières ? dissoutes et mêlées en même temps dans l’eau se fussent ensuite précipitées au fond de cet élément, ? Voyez les preuves, art. VII, * Tbid. art, IVe, | DE L'ACTERR E. TIT parce qu’alors elles eussent produit une toute autre composition que celle qui existe; les matières les plus pesantes seroient, descen- dues les premières et au plus bas, et chacune se seroit arrangeée suivant sa gravité spéci- fique, dans un ordre relatif à leur pesanteur particulière, et nous ne trouverions pas des rochers massifs sur des arènes légères, non plus que des charbons de terre sous des ar+ gilles, des glaises sous des marbres, et des métaux sur des sables. Uue chose à laquelle nous devons encore faire attention, et qui confirme ce que nous venons de dire sur la formation des couches par le mouvement et par le sédiment des eaux , c'est que toutes les autres causes de révolution ou de changement sur le globe ne peuvent produire les mêmes effets. Les mon- tagnes les plus élevées sont composées de couches parallèles, tout de même que les plaines les plus basses, et par conséquent on ne peut pas attribuer l’origine et la forma- tion des montagnes à des secousses, à des tremblemens de terre, non plus qu'à des volcans; et nous avons des preuves que s’il se forme quelquefois de petites éminences ) | » : l 112 THÉORIE par ces mouvemens convulsifs de la terre *, ces éminences ne sont pas composées de couches parallèles; que les matières de ces éminences n'ont intérieurement aucune liai- son, aucune position régulière, et qu'enfin ces petites collines formées par les volcans ne présentent aux yeux que le désordre d’un ta$& de matière rejetée confusément. Mais cette espèce d'organisation de la terre que nous découvrons par-lout, cette situation horizontale et parallèle des couches, ne peu- vent venir que d'une cause constante et d'un mouvement réglé et toujours dirigé de la même façon. Nous sommes donc assurés, par des obser- vations exactes, réitérées , et fondées sur des faits incontestables, que la partie sèche du globe que nous habitons a été long-temps sous les eaux de la mer; par conséquent cette même terre a éprouve pendant tout ce temps les mêmes mouvemens, les mêmes change- mens qu'éprouvent actuellement les terres couvertes par la mer. Il paroitque notre terre a eté un fond de mer : pour trouver done * Voyez les preuves, arte XVII. { DE LA TERRE. 113 ce qui s’est passé autrefois sur cette terre, voyons ce qui se passe aujourd’hui sur le fond de la mer, et de là nous tirerons des induc- tions raisonnables sur la forme exterieure et la composition intérieure des terres que nous habitons. _ Souvenons-nous donc que la mer a de tout temps, et depuis la création, un mouvement de flux et de reflux causé principalement par la lune; que ce mouvement, qui dans vingt-quatre heures fait deux fois élever et baisser les eaux, s'exerce avec plus de force sous l'équateur que dans les autres climats. Souvenons-nous aussi que la terre a un mou- vement rapide sur son axe, et par consé- quent une force centrifuge plus grande à l'équateur que dans toutes les autres parties du globe; que cela seul, indépendamment des observations actuelles et des mesures, nous prouve qu'elle n’est pas parfaitement sphérique, mais qu’elle est plus élevée sous l'équateur que sous les poles; et concluons de ces premières observalions, que quand même on supposeroit que la terre est sortie des mains du Créateur parfaitement ronde en tout sens (supposition gratuite , et qui 114 THÉORIE marqueroit bien le cercle étroit de nos idées}, son mouvement diurne et celui du flux et du reflux auroient élevé peu à peu les parties de l'équateur, en y amenant successivement les limons, les terres, les coquillages, ete. Ainsi les plus grandes inépalités du globe doivent se trouver et se trouvent en effet voisines de l'équateur ; et comme ce mouve- ment de flux et de reflux * se fait par des alternatives journalières et répétées sans im- terruption , il est fort naturel d'imaginer qu'à chaque fois les eaux emportent d’un endroit à l’autre une petite quantité de ma- tière, laquelle tombe ensuite comme un sé- diment au fond de l’eau, et forme ces cou- ches parallèles et horizontales qu’on trouve par-tout ; car la totalité du mouvement des eaux dans le flux et reflux étant horizontale, les matières entraînées ont nécessairement suivi la même direction, et se sont toutes arrangées parallèlement et de niveau. Mais, dira-t-on, comme le mouvement du flux et reflux est un balancement épal des eaux, une espèce d’osciation régulière, * Voyez les preuves, art. XII, REÉTACTERRE 115 on ne Voit pas pourquoi tout ne seroit pas compensé, et pougquoi les matières appor- tées par le flux ne seroient pas remportées par le reflux, et dès-lors la cause de la for- mation des couches disparoît, et le fond de la mer doit toujours rester le même, le flux détruisant les effets du reflux, et l’un et l'autre ne pouvant causer aucun mouvement, aucune altération sensible dans le fond de la mer, et encore moins en changer la forme primitive en y produisant des hauteurs et des inegalites. | À cela je réponds que le balancement des eaux m'est point égal, puisqu'il produit un mouvement continuel de la mer de lorient vers l’occident ; que de plus l'agitation cau- sée par les vents s’oppose à l'égalité du flux et du reflux, et que de tous les mouvemens dont la mer est susceptible, il resultera tou- jours des transports de terre et des dépôts de matières dans de certains endroits; que ces amas de matières seront composés de cou- ches parallèles et horizontales, les combi- naisons quelconques des mouvemens de la mer tendant toujours à remuer les terres eë à les mettre de niveau les unes sur les autres ‘tte THÉORIE HAE CN dans les lieux où elles tombent en forme de sédiment. Mais de plus il est aisé de répondre à cette objection par un fait: c'est que dans toutes les extrémités de la mer où l'on observe le flux et le reflux, dans toutes les côtes qui la bornent, on voit que le flux amène une infinité de choses que le reflux ne remporte pas; qu’il y a des terrains que la mer couvre insensiblement *, et d’autres qu'elle laisse à découvert après y avoir ap- porté des terres, des sables , des coquilles, etc. qu'elle dépose, et qui prennent naturelle- ment une situation horizontale; et que ces malières, accumulées par la suite des temps; et élevées jusqu’à un certain point, se trou- vent peu à peu hors d'atteinte aux eaux, restent ensuite pour toujours dans l’état de terre sèche, et font partie des continens ter- restres. Mais, pour ne laisser aucun doute sur ce point important, examinons de près la pos- sibilité ou l'impossibilité de la formation d'une montagne dans le fond de la mer par le mouvement et par le sédiment des eaux. * Voyez les preuves, art. XIX. DE LA TERRE. 117 Personne ne peut nier que sur une côte contre laquelle la mer agit avec violence dans le temps qu'elle est agitée par le flux, ces efforts réitérés ne produisent quelque chan- 2gement, et que les eaux n’emportent à chaque fois une petite portion de la terre de la côte; et quand même elle seroit bornée de rochers, on sait que l’eau use peu à peu ces rochers *, et que par conséauent elle en emporte de petites parties à chaque fois que la vague se retire après s’ètre brisée. Ces particules de pierre ou de terre seront necessairement transportées par les eaux jusqu’à une cer- taine distance et dans de certains endroits où le mouvement de l’eau, se trouvant ra- lenti, abandonnera ces particules à leur pro- pre pesanteur , et alors elles se précipiteront au fond de l’eau en forme de sediment, et là elles formeront une première couche ho-. rizontale ou inclinée, suivant la position de la surface du terrain sur laquelle tombe cette première couche, laquelle sera bientôt couverte et surmontée d’une autre couche semblable et produite par la mème cause, et * Voyez les J’oyages de Shaw, tome IT, p. 60. r18 THÉORIE insensiblement il se formera dans cet endroit - un dépôt considérable de matière, dont les couches seront posées parallèlement les unes sur les autres. Cet amas augmentera tou- jours par les nouveaux sédimens que les eaux y transporteront, et peu à peu par succession de temps il se formera uné élévation, une montagne dans le fond de la mer, qui sera entièrement semblable aux eéminences et aux montagnes que nous connoissons sur la terre, tant pour la composition intérieure que pour la forme extérieure. S'il se trouve des coquilles dans cet endroit du fond de la mer où nous supposons que se fait notre dépôt, les sédimens couvriront ces coquilles et les rempliront; elles seront ihcorporées dans les couches de cette matière déposée, et elles feront partie des masses formées par ces dépôts; on les y trouvera dans la situa— tion qu’elles auront acquise en y tombant, ou dans l’état où elles auront été saisies; car dans cette opération celles qui se seront trouvées au fond de la mer lorsque les pre— mieres couches se seront déposées, se trou— veront dans la couche la plus basse, et celles qui seront tombées depuis dans ce même DE LA TERRE. r19 endroit, se trouveront dans les couches plus elevees. Tout de même, lorsque le fond de la mer sera remué par l'agitation des eaux, il se fera nécessairement des transports de terre, de vase, de coquilles et d’autres matières, dans de certains endroits où elles se dépose- ront en forme de sédimens. Or nous som- mes assurés par les plongeurs * qu'aux plus grandes profondeurs où ils puissent des- cendre, qui sont de vingt brasses, le fond de la mer est remué au point que l’eau se mêle avec la terre, qu’elle devient trouble, et que la vase et les coquillages sont em- portés par le mouvement des eaux à des dis- tances considérables; par conséquent, dans tous les endroits de la mer où l’on a pu descendre, il se fait des transports de terre et de coquilles qui vont tomber quelque part, et former, en se déposant, des conches pa- rallèles et des éminences qui sont composées comme nos montagnes le sont. Ainsi le flux et le reflux, les vents, les courans et tous les mouvemens des eaux, produiront des * Voyez Boyles Works, vol. IIT, p. 232. er nn 120 THÉORIE inégalités dans le fond de la mer, parce que toutes ces causes détachent du fond et des côtes de la mer des matières qui se préci- pitent ensuite en forme de sédimens. Au reste, il ne faut pas croire que ces transports de matières ne puissent pas se faire à des distances considérables, puisque nous voyons tous les jours des graines et d’autres productions des Indes orientales et occidentales arriver *‘sur! nos côtes : à la vérité, elles sont spécifiquement plus légères que l’eau , au lieu que les matières dont nous parlons sont plus pesantes ; mais comme elles sont réduites en poudre impalpable, elles se soutiendront assez long-temps dans l’eau pour être transportées à de grandes distances. Ceux qui prétendent que la mer n’est pas remuée à de grandes profondeurs, né font pas attention que le Hlux et le reflux ébran- lent et agitent à la fois toute la masse des mers , et que dans un globe qui seroit en _tiérement liquide il y auroit de l'agitation et du mouvement jusqu'au centre; que la . r * Particulièrement sur les côtes d'Écosse et d'Ir- lande. Voyez Ray’s Discourses. DE LA TERRE. 12€ force qui produit celui du flux et du reflux, est une force pénétrante qui agit sur toutes les er lontte proportionnellement à leurs masses ; qu'on pourroit même mesurer et détermi- ner par le calcul la quantité de cette action sur un liquide à différentes profondeurs , eÉ qu'enfin ce point ne peut ètre contesté qu'en se refusant à l’évidence du raisonnement et à la certitude des observations. | Je puis donc supposer légitimement que le flux et le reflux, les vents, et toutes les autres causes qui peuvent agiter la mer, doivent produire par le mouvement des eaux des éminences-et des inégalités dans le fond de la mer, qui seront toujours composées de couches horizontales ou également incli- nées : ces éminences pourront, avec le temps, augmenter considérablement , et devenir des collines qui, daus une lonsue étendue de terrain , se trouveront, comme les ondes qui les auront produites, dirigées du même sens, et formeront peu à peu une chaîne de mou- tagnes. Ces hauteurs une fois formées feront obstacle à l’uniformité du mouvement des eaux, et il en résultera dessmouvemens par- üiculiers dans. le mouvement général de la 11 31 RONDE Colt 122 THÉORIE ji mer : entre deux hauteurs voisines il se forz mera nécessairement un courant* qui suivra leur direction commune, et coulera, comme coulent les fleuves de la terre, en formant un canal dont les angles seront alternative- ment opposés dans toute l’étendue de son cours. Ces hauteurs formées au-dessus de la sürface du fond pourront augmenter en core de plus en plus; car les eaux qui n'au- ront que le mouvement du flux deposeront sur la cime le sédiment ordinaire, et celles qui obeiront au courant entraineront au loin les parties qui se seroient déposées entre deux, et en même temps elles creuseront un vallon au pied de ces montagnes, dont tous les angles se trouveront correspondans, et, par l'eflet de ces deux mouvemens et de ces dépôts, le fond de la mer aura bien- tôt été silionne, traversé de collines et de chaînes de montagnes, et semé d’inegalités telles que nous les y trouvons aujourd'hui. Peu à peu les matières molles dont les émi- nences étoient d'abord composées, se seron£ durcies par leur propre poids : les unes, * Voyez les preuves, art. XIIT. NE LACTER RE. 123 formées de parties purement argilleuses , auront produit ces collines de slaise qu’on trouve en tant d’endroits ; d’autres, compo- sées de parties sablonneuses et crystallines , ont fait ces énormes amas de rochers et de cailloux d’où l’on tire le crystal et les pierres p‘écieuses ; d’autres, faites de parties pierreuses mêlées de coquilles, ont formé ces lits de pierres et de marbres où nous retrouvons ces coquilles aujourd’hui; d'au tres enfin, composées d’une matière encore plus coguiileuse et plus terrestre, ont pro- duit les marnes, les craies et les terres. Toutes sont posées par lits, toutes con- tiennerit des substances hétérogènes ; les dé- bris des productions marines s’y trouvent en abondance, et à peu près suivant le rap- port de leur pesanteur ; les coquilles les plus lésères sont dans les craies, les plus pesantes dans les arsilles et dans les pierres, et elles sont remplies de la matière même des pierres et des terres où celles sont renfermées; preuve incontestable qu’elles ont été transportées avec la matière qui les environne et qui les remplit, et-que cette malière étoit réduite en particules impalpables. Enfin toutes ces 7 tal LV PNR NOMRUTESS 124 THÉORIE matières, dont la situation s’est établie par le niveau des eaux de la mer, conservent encore aujourd'hui leur première position. On pourra nous dire que la plupart des collines et des montagnes dont le sommet est de rocher, de pierre ou de marbre, ont pour base des matières plus légères; que ce sont ordinairement ou des monticules de glaise ferme et solide, ou des couches de sable qu'on retrouve dans les plaines voi- sines jusqu'à une distance assez grande; et on nous demandera comment il est arrivé que ces marbres et ces rochers se soient trouvés au-dessus de ces sables et de ces . glaises. Il me paroît que cela peut s’expli- quer assez naturellement : l’eau aura d'abord transporté la glaise ou le sable qui faisoit la première couche des côtes ou du fond de la mer, ce qui aura produit au bas une émi- nence composée de tout ce sable ou de toute cette glaise rassemblée ; après cela les ma-— tières plus fermes et plus pesantes qui se seront trouvées au-dessous, auront ete atta- quées et transportées par les eaux en pous- sière impalpable au-dessus de cette éminence de glaise ou de sable, et cette poussière de. DE LA TERRE. us pierre aura formé les rochers et les carrières que nous trouvons au-dessus des collines. _ On peut croire qu’étant les plus pesantes, ces matières étoient autrefois au-dessous des autres, et qu’elles sont aujourd'hui au-des- sus, parce qu'elles ont été enlevées et trans- portées les dernières par le mouvement des eaux. Pour confirmer ce que nous avons dit, examinons encore plus en détail la situation des matières qui composent cette première épaisseur du globe terrestre, la seule que nous connoissions. Les carrières sont com-— posées de différens lits ou couches presque toutes horizontales ou inclinées suivant la même pente; celles qui posent sur des glaises ou sur des bases d’autres matières solides, sont sensiblement de niveau, sur-tout dans les plaines. Les carrières où l’on trouve les cailloux et les grès dispersés, ont, à la vé- rité, une position moins régulière : cependant l’uniformité de la nature ne laisse pas de sy reconnoitre; car la position horizontale ou toujours également penchante des couches se trouve dans les carrières de roc vif, ek dans celles des grès en grande masse : elle- | 11 126 THÉORIE west altérée et interrompue que dans les carz rières de cailloux et de grès en petite masse, dont nous ferons voir que la formation est postérieure à celle de toutes les autres ma-— tières; car le roc vif, le sable vitrifiable, les arotlles , les marbres, les pierres calcinables, les craies, les marnes , sont toutes disposées par couches parallèles toujours horizontales, ou évcalement inchinées. On reconnoit aisé— ment dans ces dernières matières la première formation; car les couches sont exactement horizontales et fort minces, et elles sont ar- rangées les unes shr les autres comme les feuillets d’un livre. Les couches de sable, d’argille molle, de glaise dure, de craie, de coquilles, sont aussi toutes ou horizontales ou inclinées suivant la même pente. Les épaisseurs des couches sont toujours les mê— mes dans toute leur étendue, qui souvent occupe un espace de plusieurs lieues, et que l'on pourroit suivre bien plus loin, si l’on observoit exactemerit. Enfin toutes les ma- tières qui composent la première épaisseur du globe, sont disposées de cette façon; et quelque part qu’on fouille, on trouvera des couches , et on se convaincra par ses yeux de la vérité de ce qui vient d’être dit, DEFLA TERRE. 197 IL faut excepter, à certaius égards, les couches de sable ou de gravier entraine du sommet des montagnes par la pente des eaux : ces veines de sable se trouveht quelquefois dans les plaines, où elles-séiendent mème assez considérablement; elles sont ordinai- rement posées sous la première couche de Ia terre labourable, et, dans les lieux plats, elles sont de niveau, comme les couches plus anciennes et pins intérieures: mais, au pied et sur la croupe des montagnes, ces couches de sable sont fort inclinées, et elles suivent le penchant de la hauteur sur laquelle elles ont coule. Les rivières et les ruisseaux ont formé ces couches; et, en changeant souvent de lit dans les plaines, ils ont entraîné et déposé par-tout ces sables et ces graviers. Un petit ruisseau coulant des hauteurs voisines suffit, avec le temps, pour étendre une cou- che de sable ou de gravier sur toute la su- perficie d’un vallon, quelque spacieux qu’il soit; et j'ai souvent observé dans une cam- pagre environueée de collines dont la base est de glaise aussi-bien que la première cou- che de la plaine, qu'au-dessus d’un ruisseau qui y coule, la glaise se trouve immediate- À | A QD, 128 THÉORIE { ment sous la terre labourable , et qu’au- NRA . . , « dessous du ruisseau il y a une épaisseur d’en- virou uu pied de sable sur la glaise, qui s'étend à une distance considérable. Ces cou- ches produites par les rivières et par les autres eaux courantes ne sont pas de l’an— cienne formation; elles se reconnoissent ai-— sément à la différence de leur épaisseur, qui varie et n’est pas la même par-tout comme celle des couches anciennes, à leurs inter- ruptions fréquentes, et enfin à la matière même, qu'il est aisé de juger, et qu’on re- connoît avoir éte lavee, roulée et arrondie. On peut dire la mème chose des couches de tourbes et de végétaux pourris qui se trou- vent au-dessous de la première couche de terre dans les terrains marécageux : ces cou- ches ne sont pas anciennes, et elles ont été produites par l’entassement successif des ar- bres et des plantes qui peu à peu ont com- blé ces marais. Il en est encore de même de ces couches limonneuses que l'inondation des fleuves a produites dans différens pays : tous ces terrains ont été nouvellement for- més par les eaux courantes ou stagnantes , et ils ne suivent pas la pente égale ou le 1 <# DE LA TERRE. 129 niveau aussi exactement que les couches an-— ciennement produites par le mouvement ré- gulier des ondes de la mer. Dans les couches que les rivières ont formées, on trouve des coquilles ffuviatiles : mais il y en a peu de marines , et le peu qu'on y en trouve est brisé , déplacé, isolé, au lieu que dans les couches anciennes les coquilles marines se trouvent en quantité; il n'y en a point de luviatiles , et ces coquilles de mer y sont bien conservées, et toutes placées de la même manière, comme ayant été transportées el posées en même temps par la même cause. Et en effet, pourquoi ne trouve-t-on pas les matières entassées irrégulièrement, au lieu de les trouver par couches? Pourquoi les marbres , les pierres dures , les craies, les argilles , les plätres , les marnes, etc. ne sont-ils pas dispersés ou joints par couches irrégulières ou verticales? Pourquoi les choses pesantes ne sont-elles pas toujours au-des- sous des plus légères? Il est aisé d’apperce- voir que cette uniformité de la nature, cette espèce d'organisation de la terre, cette jonc- tion des différentes matières par couches pa- rallèles et par lits, sans égard à leur pesan— réel n° 130 THÉORIE. teur , n'ont pu être produites que par une cause aussi puissante et aussi constante que celle de l'agitation des eaux de la mer, soit par le mouvement réglé des vents, soit par celui du flux et reflux, etc. Ces causes agissent avec plus de force sous l'équateur que dans les autres climats, car les vents y sont plus constans et les marées plus violentes que par-tout ailleurs : aussi les plus grandes chaînes de montagnes sont voisines de l’équateur. Les montagnes de l'Afrique et du Pérou sont les plus hautes qu'on connoisse; et, après avoir traversé des continens entiers, elles s’étendent encore à des distances très-considérables sous les eaux de la mer Océane. Les montagnes de l'Eu- rope et de l'Asie, qui s'étendent depuis l'Es- pagne jusqu'à la Chine, ne sont pas aussi élevées que celles de l'Amérique méridionale et de l'Afrique. Les montagnes du nord ne sont , au rapport des voyageurs , que des collines, en comparaison de celles des pays méridionaux. D'ailleurs le nombre des iles est fort peu considérable dans les mers sep- tentrionales, tandis qu'il y en a une quan- tité prodigieuse dans la zone torride; et DELA TERRE. 191 comme une île n’est qu’un sommet de mon- tagne , il est clair que la surface de la terre a beaucoup plus d’'inégalites vers l'équateur que vers le nord. Le mouvement général du lux et du re- flux a donc produit les plus grandes mon- tasnæ, qui se trouvent dirigées d'occident en orient dans l’ancien continent, et du nord au sud dans le nouveau, dont les chaines sont d’une étendue tres-considerable ; mais il faut attribuer aux mouvemens particuliers des courans, des vents, et des autres agita- tions irrégulières de la mer, l’origine de toutes les autres montagnes. Elles ont vrai- semblablement été produites par la combi- naison de tous ces mouvemens, dont on voit bien que les effets doivent être variés à l’in- fini , puisque les vents , la position différente des îles et des côtes, ont alteére de tous les temps et dans tous les sens possibles la &i- rection du flux et du reflux des eaux. Ainsi il n’est point étonnant qu’on trouve sur le globe des éminences considérables dont le cours est dirigé vers différentes plages :ilsuffit pour notre objet d'avoir démontré que les montagnes n'ont point été placées au hasard, r 32 THÉORIE et qu’elles n’ont point été produites par des tremblemens de terre ou par d’autres causes accidentelles, mais qu’elles sont un effet ré sultant de l’ordre général de la nature, aussi- bien que l'espèce d'organisation qui leur est propre, et la position des matières ee les composent. + Mais comment est-il arrivé que cette terre que nous habitons, que nos ancêtres ont ha- bitée comme nous, qui, de temps immémo- rial, est un continent sec, ferme et éloigné des mers, ayant été autrefois un fond de mer, soit. actuellement supérieure à toutes les eaux, et en soit si distinctement séparée? Pourquoi les eaux de la mer n’ont-elles pas resté sur cette terre, puisqu'elles y ont se— journe si long-temps? Quel accident, quelle cause a pu produire ce changement dans le globe? Estil même possible d'en concevoir _une assez puissante pour opérer un tel effet? Ces questions sont difficiles à résoudre ; mais les faits étant certains , la manière dont ils sont arrivés peut demeurer inconnue sans préjudicier au jugement que nous devons en porter: cependant, si nous voulons y re- fléchir, nous trouverons par induction des pas C3 4 DE LA TERRE. 133 raisons très-plausibles de ces changemens *- Nous voyons tous les jours la mer gagner du terrain dans de certaines côtes, et en perdre dans d’autres; nous savons que l'Océan a un mouvement général et continuel d’orient en occident; nous entendons de loin les efforts terribles que la mer fait contre les basses terres et contre les rochers qui la bornent; nous connoissons des provinces entières où on est oblige de lui opposer des digues que l’industrie humaine a bien de la peine à sou- tenir contre la fureur des flots; nous avons des exemples de pays récemment submergés et de débordemens réguliers; l’histoire nous parle d'inondations encore plus grandes et de déluges : tout cela ne doit-il pas nous por- ter à croire qu il est en effet arrivé de grandes révolutions sur la surface de la terre, et que la mer a pu quitter et laisser à découvert la plus graude partie des terres qu’elle occupoit autrefois? Par exemple, si nous nous pré- tons un instant à supposer que l’ancien et le nouveau monde ne faisoient autrefois qu’un seul continent, et que, par un violent trem- * Voyez les preuves, art. XIX. - 12 134 "THÉORIE blement de terre, le terrain de l'ancienne Atlantide de Platon se soit aflaissé, la mer aura nécessairement coulé de tous côtés pour former l'Océan atlantique, et par conséquent aura laissé à découvert de vastes continens, qui sont peut-être ceux que nous habitons. Ce changement a donc pu se faire tout-à- coup par l’affaissement de quelque vaste caverne dans l’intérieur du globe, et pro- duire par conséquent un déluge universel ; où bien ce changement ne s’est pas fait tout-à- coup, et il a fallu peut-être beaucoup de temps: mais enfin il s’est fait, et je crois même qu'il s’est fait naturellement; car, pour juger de ce qui est arrivé, et mème de ce qui arrivera, nous n'avons qu'à exami- ner ce qui arrive. Îl est certain, par les observations réitérées de tous les voyageurs a? que l'Océan a un mouvement constant do rient en occident : ce mouvement se fait sentir non seulement entre les tropiques , comme celui du vent d’est, mais encore dans toute l’étendue des zones tempérées et froides où l’on a navigé. Il suit de cette observation, : Voyez l’aren. Geogr. Sen, P: T19« DE LA TERRE. 135 qui est constante, que la mer Pacifique fait un effort continuel contre les côtes de la Tartarie, de la Chine et de l'Inde; que l'O- céan indien fait effort contre la côte orien- tale de l'Afrique, et que l’Océan atlantique agit de même contre toutes les côtes orien— tales de l'Amérique : ainsi la mer a dû et doit toujours gagner du terrain sur les côtes orientales, et en perdre sur les côtes occi- dentales. Cela seul suffiroit pour prouver la possibilité de ce changement de terre en mer et de mer en terre; et si en eflet il s’est opéré par ce mouvement des eaux d'orient en occident, comme 1l y a grande appa- rence, ne peut-on pas conjecturer très-vrai- semblablement que le pays le plus ancien du monde est l'Asie et tout le continent orien- tal; que l'Europe, au contraire, et une par- tie de l'Afrique, et sur-tout les côtes occi- dentales de ces continens, comme l’Anpgle- terre, la France, l'Espagne, la Mauritanie, etc. sont des terres plus nouvelles? L’his- toire paroit s'accorder ici avec la pee et confirmer cette conjecture, qui n’est pas sans fondement. Mais il y a bien d’autres causes qui con- 136 . THÉORVE courent, avec le mouvement continuel de la mer d'orient en occident, pour produire l'effet dont nous parlons. Combien n’y at-il pas de terres plus basses que le niveau de la mer, et qui ne sont défendues que par un isthme , un banc de rochers, ou par des digues encore plus foibles! L’effort des eaux deétruira peu à peu ces barrières, et dès-lors ces pays seront submergés. De plus, ne sait- on pas que les montagnes s’abaissent* conti- nuellement par les pluies, qui en détachent les terres et les entrainent dans les vallées? ne sait-on pas que les ruisseaux roulent les terres des plaines et des montagnes dans les fleuves, qui portent à leur tour cette terre superflue dans la mer? Ainsi peu à peu le fond des mers se remplit, la surface des con- tinens s’abaisse et se met de niveau, et il ne faut que du temps pour que la mer prenne successivement la place de la terre. Je ne parle point de ces causes éloignées qu’on prevoit moins qu'on ne les devine, de ces secousses de la nature dont le moindre * Voyez Ray’s Discourses, p. 226 ; Plot, Hists zat, elC. DELA TERRE. effet seroit la catastrophe du monde: le choc ou l'approche d’une comète, l'absence de la lune , la présence d’une nouvelle planète, etc. sont des suppositions sur lesqueltes il est aisé de donner carrière à som imagination; de pareilles causes produisent tout ce qu'on veut, et d’une seule de ces hypothèses on va tirer mille romans physiques, que leurs auteurs appeileront Théorie de la terre. Comme his- toriens, nous nous refusons à ces vaines spé- culations; elles roulent sur des possibilités qui, pour se réduire à l’acte, supposent un bouleversement de l’univers , dans lequel notre globe, comme un point de matière abandonnée, échappe à nos yeux, et n’est plus un objet digne de nos regards : pour les fixer, il faut le prendre tel qu'il est, en bien observer toutes les parties, et, par des inductions , conclure du présent au passé. D'ailleurs des eauses dont leffet est rare, violent et subit, ne doivent pas nous tou- cher ; elles ne se trouvent pas dans la marche ordinaire de la nature: mais des effets qui arrivent tous les jours, des mouvemens qui se succèdent et se renouvellent sans inter- ruption, des opérations constantes et tou- 12 138 THE O RPB EP jours réitérées, ce sont là nos causes ét 108 . Naisons. _… Ajoutons-y des exemples, combinons la cause générale avec les causes particulières ; et donnons des faits dont le detail rendra sensibles Les différèns changemens qui son€£ arrivés sur le globe, soit par l’irruption de FOcéan dans les terres, soit par l'abandon de ces mêmes terres, lorsqu'elles se sont trou- vées trop élevées. La plus grande irruption de l'Océan dans les terres est celle ! qui a produit la mer ? Méditerranée. Entre deux promontoires avan- cés, l'Océan © coule avec une très-sgrande ra- pidité par un passage étroit, et forme en— suite une vaste mér qui couvre un espace, lequel, sans y comprendre la mer Noire, est environ sept fois grand commé la France. Ce mouvement de l'Océan par le détroit de Gibraltar est contraire à tous les autres mouvemens de la mer dans tous les détroits qui joignent l'Océan à l'Océan; car le mou- 2 Voyez les preuves, art. XE et XIX. ? Voyez. Ray's Discourses , page 209. 3 Voyez Trans. phil. abrig'd, vol. IL, p. 289. 4 DE LA TERRE. 13% vement général de la mer est d'orient ex occident, et celui-ci seul est d'occident en orient; ce qui prouve-que la mer Méditerra- née n'est point un golfe ancien de l'Océan, mais qu'elle a été formée par une irruption des eaux, produite par quelques causes ac- cidentelles, comme seroit un tremblement de terre, lequel auroit affaissé les terres à l'endroit du détroit, ou un violent effort de l'Océan, causé par les vents, qui auroit rompu la digue entre les promontoires de Gibraltar et de Ceuta. Cette opinion est ap- puyée du témoignage des anciens *, qui ont écrit que la mer Méditerranée n’existoit point autrefois ; et elle est, comme on voit, con- firmée par l'histoire naturelle, et par les observations qu'on a faites sur la nature des terres à la côte d'Afrique et à celle d’Espa- gue, où l’on trouve les mêmes lits de pierre, les mêmes couches de terres en deçà et au— delà du détroit, à peu près comme dans de certaines vallées où les deux collines qui le surmontent se trouvent être composées des mêmes matières et au même niveau. * Diodore de Sicile, Strabon. RU OR RAR 140 THEORIE L'Océan, s'étant donc ouvert cette porte, a d’abord coulé par le détroit avec une rapidité « beaucoup plus grande qu'il ne coule aujour: d'hui, et il a inondé le continent qui joignoit l'Europe à l’Afrique; les eaux ont couvert toutes les basses terres dont nous n’apperce- vons aujourd'hui que les éminences et les sommets dans l'Italie et dans les îles de Si- cile, de Malte, de Corse, de Sardaigne, de Chypre, de Rhodes et de l’Archipel. Je n'ai pas compris la mer Noire dans cette irruption de l'Océan , parce qu’il paroît que la quantité d’eau qu’elle reçoit du Danube, du Niéper, du Don, et de plusieurs autres fleuves qui y entrent, est plus que suflisante pour la former , et que d’ailleurs elle * coule avec une très-srande rapidité par ke Bosphore dans la mer Méditerranée. On pourroit même présuimer que la mer Noire et la mer Cas- pieune ne faisoient autrefois que deux grands lacs qui peut-être étoient joiuts par un de- troit de communication , ou bien par un marais ou un petit lac qui réunissoit les eaux du Don et du Volga auprès de Tria, où ces * Voyez Trans. phil. abrig'd, vol. IT, p. 289. DE LA TERRE. 147 deux fleuves sont fort voisins l’un de l’autre, et l’on peut croire que ces deux mers ou ces deux lacs étoient autrefois d’une bien plus grande étendue qu'ils ne sont aujourd’hui : peu à peu ces grands fleuves, qui ont leur embouchure dans la mer Noire et dans la mer Caspienne , auront amené une assez grande quantité de terre pour fermer la com- munication , remplir le détroit et séparer ces deux lacs ; car on sait qu'avec le temps les grands fleuves remplissent les mers et forment des continens nouveaux, comme la province de l'embouchure du fleuve Jaune à la Chine , la Louisiane à l'embouchure du Mississipi , et la partie septentrionale de l'Egypte, qui doit son origine ! et son exis- tence aux inondations ? du Nil La rapidité de ce fleuve entraine les terres de l’intérieur de l'Afrique, et il les dépose ensuite dans ses deébordemens en si grande quantité, qu’on peut fouiller jusqu'à cinquante pieds dans l'épaisseur de ce limon déposé par les inonda- 1 Voyez les 7’oyages de Shaw, vol. IT, P- Ars 0 jusqu’à la page 188. 2 Voyez les preuves, art. XIX. x42 THÉORIE | tions du Nil; de même les terrains de la pro- vince de la rivière Jauneet de la Louisiane ne se sont formés que par le limon des fleuves. Au reste, la mer Caspienne est actuellement un vrai lac qui n’a aucune communication avec les autres mers, pas même avec le laë ÂAral,quiparoitenavoir faitpartie,etquin’en est séparé que par un vaste pays de sable, dans lequel on ne trouve ni fleuves, ni ri- vières , ui aucun canal par lequel Ta mer Ni LE à puisse verser ses eaux. Cette mer n’a donc aucune communication extérieure avec les autres mers , et je ne sais si l’on est bien fondé à soupçonner qu'elle en a d’inté- rieure avec la mer Noire ou avec le golfe Persique. [1 est vrai que la mer Caspienne reçoit le Voloa et plusieurs autres fleuves qui semblent lui fouruir'plus d’eau que l’évapo-— ration n’en peut enlever : mais, indépendam- ment de la difculté de cette estimation , il paroit que si elle avoit communication avee Vune ou l'autre de ces mers, on y auroit reconnu un courant rapide et constant qui entraineroit tout vers cette ouverture qui serviroit de décharge à ses eaux, et je ne sache pas qu'on ait jamais rien observé de DE LA TERRE. r43 semblable sur cette mer; desvoyageursexacts, sur le temoignage desquels on peut compter, nous assurent le contraire, et par conséquent il est nécessaire que l’évaporation enlève de la mer Caspienne une quantité d'eau égale à celle qu'elle reçoit. | On pourroit encore conjecturer avec quel que vraisemblance, que la mer Noire sera un jour separée de la Méditerranée, et que le : Bosphore se remplira lorsque les grands fleu- ves qui ont leurs embouchures dans le Pont- Euxin ,aurontamené ure assez grande quan- tite de terre pour fermer le détroit; ce qui peut arriver avec le temps, et par la dimi- nution successive des fleuves , dont la quan- tite des eaux diminue à mesure que les mon- tagues et Les pays élevés dont ils tirent leurs sources , s'abaissent par le dépouillement des terres que les pluies entrainent et que les vents enlèvent. La mer Caspienne et la mer Noire doivent donc être regardées plutôt comme des lacs que comme des mers ou des golfes de l'Océan; car elles ressemblent à d’autres lacs qui re- coivent un grand nombre de fleuves et qui ne rendent rien par les voies extérieures, SN SR THÉORIE comme la mer Morte, plusieurs lacs en Afri- que, etc. D'ailleurs les eaux de ces deux mers ne sont pas à beaucoup près aussi salées que celles de la Méditerranée ou de l'Océan:, et tous les voyageurs assurent que la naviga- tion est très-difficile sur la mer Noire et sur la mer Caspienne, à cause de leur peu de profondeur et de la quantité d'écueils et de bas-fonds qui s’y rencontrent, ensorte qu’elles ne peuvent porter que de petits vaisseaux *; ce qui prouve encore qu'elles ne doivent pas être regardées comme des golfes de l'Océan, mais Comme des amas d’eau formés par les grands fleuves dans l’intérieur des terres. IL arriveroit peut-être une irruption con-— sidérable de l'Océan dans les terres, si on coupoit l’isthme qui séparel’Afrique de l'Asie, comme les rois d'Égypte, et depuis les califes, en ont eu le projet: et je ne sais si le canal de communication qu'on a prétendu reconnoitre entre ces deux mers, est assez bien constate ; car la mer Rouge doit être plus élevée que la mer Méditerranée : cette mer étroite est un * Voyez les Foyages de Pietro della 2 alle, vol. Ml > page 296. De OLA TERRE. +45 bras de l'Océan, qui dans toute son étendue ne reçoit aucun fleuve du côté de l'Égypte, et fort peu de l’autre côté: elle ne sera donc pas sujette à diminuer comme les mers ou les lacs qui reçoivent en même temps les terres et les eaux que les fleuves y amènent, et qui se rem-- plissent peu à peu. L’Océan fournit à la mer Rouge toutes ses eaux, et le mouvement du flux et du refiux y est extrêmement sensible : ainsielleparticipe immediatementaux grands mouvemens de l'Océan. Mais la mer Mediter- ranée est plus basse que l'Océan, puisque les eaux y coulent avec une très-srande rapidité par le détroit de Gibraltar, d’ailleurs elle re— çoit le Nil, qui coule parallèlement à la côte occidentale de la mer Rouge , et qui traverse l'Égypte dans toute sa longueur, dont le ter- rain est par lui-même extrêmement bas : ainsi il est très-vraisemblable que la mer Rouge est plus élevée que la Méditerranée, et que , SÈ on Ôtoit la barrière en coupant l’isthme de Suez , il s’ensuivroit une grande inondation et une augmentation considérable de la mer Méditerranée , à moins qu’on ne retint les eaux par des digues et des écluses de distance en distance , coinme il est à présumer qu'on Mat, gén, I. 15 146 THEORIE. V'a fait autrefois , si l’ancien canal de com- munication a existé, Mais, sans nous arrêter plus long-temps à des conjectures qui, quoique fondées, pour- roient paroitre trop hasardées, sur-tout à ceux qui ne jugent des possibilités que par les événemens actuels , nous pouvons denner des exemples récens et des faits certains sur le changement de mer en terre * et de terre en mer. À Venise, le fond de la mer Adria- tique s'élève tous les jours, et il y a déja long-temps que les lagunes et la ville feroient partie du continent, si on n’avoit pas un très-grand soin de nettoyer et vider les ca- naux ; il en est de même de la plupart des ports, des petites baies, et des embouchures de toutes les rivières. En Hollande, le fond de la mer s’élève aussi en plusieurs endroits, car le petit golfe de Zuyderzée et le détroit du Texel ne peuvent plus recevoir de vaisseaux aussi grands qu'’autrefois. On trouve à l’em- bouchure de presque tous les fleuves , des îles, des sables , des terres amoncelées et amenées par les eaux, et iln’est pas douteux que la mer * Voyez les preuves, art. XIX. DE LATERRE. 147 ne se remplisse dans tous les endroits où elle reçoit de grandes rivières. Le Rhin se perd dans les sables qu’il a lui-même accumulés. Le Danube, le Nil, et tous les grands fleuves, ayant entrainé beaucoup de terrain, n’ar- rivent plus à la mer par un seul canal ; mais ils ont plusieurs bouches dont les intervalles ne sont remplis que des sables ou du limon qu'ils ont charies. Tous les jours on des- sèche des marais, on cultive des terres aban- données par la mer, on navige sur des pays submergés; enfin nous voyons sous nos yeux d'assez grands changemens de terres en eau et d’eau en terres, pour être assurés que ces changemens se sont faits, se font et se feront, en sorte qu'avec le temps les golfes devien- dront des continens, les isthmes seront un jour des détroits, les marais deviendront des tegres arides, et les sommets de nos mon- iagnes les écueils de la mer. 3 Les eaux ont donc couvert et peuvent en« core couvrir successivement toutes les parties des continens terrestres, et dès-lors on doit cesser d’être étonné de trouver par-tout des productions marines , et une composition dans l’intérieur qui ne peut être que l’ou- az DE M TR \A 'a : RAA | h AA À 148 THÉ O RTE NOIRE vrage des eaux. Nous avons vu comment se sont formées les couches horizontales de la terre ; mais nous n'avons encore rien dit des fentes perpendiculaires qu’on remarque dans les rochers, dans les carrières, dans les ar- gilles, etc. et qui se trouvent aussi générale- ment * que les couches horizontales dans toutes les matières qui composent le globe. Ces fentes perpendiculaires sont, à la vérité, “beaucoup plus éloignées les unes des autres que les couches horizontales ; et plus les ma- tières sont molles, plus ces fentes paroissent être eloignées les unes des autres. IL est fort ordinaire, dans les carrières de marbre ou de pierre dure, de trouver des fentes perpen- diculaires , éloignées seulement de quelques | pieds : si la masse des rochers est fort grande, on les trouve éloignées de quelques toises, quelquefois élles descendent depuis le s@m- met des rochers jusqu'à leur base, souvent ‘elles se terminent à un lit inférieur du ro- cher; mais elles sont toujours perpendicu- laires aux couches horizontales dans 'toutes ‘les matières calcinables , comme les craies , * Voyez les preuves, art, X VIT. DE LA TERRE T4 les marnes, les pierres , les marbres , etc. au lieu qu’elles sont plus obliques et plus irré- sulièrement posées dans les matières vitri- fables , dans les carrières de grès et les rochers de caillou , où elles sont intérieure- ment garnies de pointes de crystal et de mi-. neéraux de toute espèce ; et dans les carrières de marbre ou de pierre calcinable , elles sont remplies de spar , de gypse, de gravier et d’un sable terreux , qui est bon pour bâtir, et qui contient beaucoup de chaux; dans les argilles, dans les craies , daus les marnes et dans toutes les autres espèces de terre, à l’ex- ception des tufs, on trouve ces fentes perpen” diculaires, ou vides, ou remplies de quelques matières que l’eau y a conduites. Il me semble qu'on ne doit pas aller cher- cher loin Ha cause et l’origine de ces fentes perpendiculaires : comme toutes les matfères ont été amenées et déposées par les eaux, il est naturel de penser qu'elles étoient détrem- péeset qu'elles contenoientd'abord une grande quantité d’eau ; peu à peu elles se sont durcies et ressuyées , et en se desséchant elles ont dimi- nué de volume , ce qui les a fait fendre de distance en distance : elles ont dû se fendre 13 : CAT 1 RS CR 150 THÉORIE ADS. perpendiculairement , parce que l’action de la pesanteur des parties les unes sur les au- tres est nulle dans cette direction, et qu'au contraire elle est tout-à-fait opposée à cette disruption dans la situation horizontale; ce qui a fait que la diminution de volume w’a pu avoir d'effet sensible que dans la direction verticale. Je dis que c’est la diminution du volume par le desséchement qui seule a pro- duit ces fentes perpendiculaires , et que ce- n'est pas, l’eau contenue dans l’intérieur de ces matières qui à cherché des issues et qui a forme ces fentes ; car j'ai souvent observé que les deux parois de ces fentes se répondent dans toute leur hauteur aussi exactement que deux morceaux de bois qu’on viendroit de fendre: leur intérieur est rude, et ne paroît pas avoir essuyé le frottement des eaux qui au- roient à la longue poli et usé les surfaces ; ainsi ces fentes se sont faites ou tout-à-coup, ou peu à peu par le desséchement, comme nous voyons les. serçures se faire dans les bois , et la plus grande partie de l’eau s’est évaporée par les pores. Mais nous ferons voir dans notre discours sur les minéraux , qu'il reste encore de cette eau primitive dans les . DR LA TERRE. tt pierres et dans plusieurs autres matières , et qu'elle sert à la production des crystaux, des minéraux, et de plusieurs autres substances terrestres. L'ouverture de ces fentes perpendiculaires varie beaucoup pour la grandeur : quelques unes n’ont qu'un demi-pouce , un pouce ; d'autres ont un pied, deux pieds; il y en a qui ont quelquefois plusieurs toises , et ces dernières forment entre les deux parties du rocher ces précipices qu'on rencontre si sou- vent dans les Alpes et dans toutes les hautes montagnes. On voit bien que celles dont l’ou- verture est petite ont été produites par le seul desséchement : mais celles qui présen- tent une ouverture de quelques pieds de lar— geur ne se sont pas augmentées à ce point par cette seule cause; c’est aussi parce que la base qui porte le rocher ou les terres supé- rieures , s’est affaissée un peu plus d’un côté que de l’autre, et un petit affaissement dans la base , par exemple, une ligne ou deux, suitit pour produire dans une hauteur consi- dérable des ouvertures de plusieurs pieds, et même de plusieurs toises : quelquefois aussi les rochers coulent un peu sur leur base de. 152 THÉORIE glaise ou de sable, et les fentes perpen— diculaires deviennent plus grandes par ce mouvement. Je ne parle pas encore de ces larges ouvertures, de ces énormes coupures qu’on trouve dans les rochers et dans lesmon- tagnes ; elles ont été produites par de grands atlaissemens , comme seroit celui d’une ca- _verneintérieure qui, ne pouvant plussoutenir ‘le poids dontelle est chargée, s’affaisse et laisse un intervalle considérable entre les terres supérieures. Ces intervalles sont différens des fentes perpendiculaires ; ils paroissent être des portes ouvertes par les mains de la nature pour la communication des nations. C’est de cette façon que se présentent Les portes qu'on trouve dans les chaines de montagnes et les ouvertures de detroits de la mer, comme les Fhermopyles , les portes du Cauease , des Cordiilères , etc. la porte du détroit de Gi- braltar entre les monts Calpe et Abyla, la porte de l’'Hellespont , etc. Ces ouvertures n’ont point été formées par la simple sépa- ration des matières, comme les fentes dont nous venons de parler *, mais par. l’affais- * Voyez les preuves, art. XVIL } ’ \ DELA TERRE. 153 sement et la destruction d’une partie même “des terres ; qui a été engloutie ou renversée. Ces grands affaissemens , quoique produits par des causes accidentelles ! et secondaires , : ne laissent pas de tenir une des premières “places entre les principaux faits de l'histoire -de la terre, et ils n’ont pas peu contribué à ‘changer la face du globe. La plupart sont ‘causes par des feux intérieurs, dont l’explo- sion fait les tremblemens de terre et les vol- -cans : rien n’est comparable à la force ? de ces matières enflammeées et resserrées dans le sein de la terre; on a vu des villes entières englouties , des provinces bouleversées, des montagnes renversées par leur effort. Mais, quelque grande que soit cette violence, et quelque prodigieux que nous en paroissent les effets , il ne faut pas croire que ces feux viennent d'un feu central, comme quelques auteurs l’ont écrit , ni même qu'ils viennent d'une grande profondeur , comme c’est l’opi- 1 Voyez les preuves, art. XVII. 2 Voy. Agricola , de rebus quæ effluunt é terra ; Trans. phil. ab. y. II, p.39r; Ray’s Discourses, page 272 ; elc. Par THÉORIE nion commune; car l'air est absolument né— cessaire à leur embrasement, au moins pour l’entretenir. On peut s'assurer, en examinant les matières qui sortent des volcans dans les plus violentes éruptions, que le foyer de la matière enflammée n’est pas à une grande profondeur, et que ce sont des matières sem- blables à celles qu'on trouve sur la croupe de la montagne, qui ne sont défigurées que par la calcination et la fonte des parties mé- talliques qui y sont méêlées ; et pour se con- vaincre que ces matières jetées par les volcans ne viennent pas d’une grande profondeur , 1l n'y a qu'à faire attention à la hauteur de la montagne, et juger de la force immense qui seroit nécessaire pour pousser des pierres et des minéraux à une demi-lieue de hauteur ; car l’Etna, l’Hécla, et plusieurs autres volcans, ont au moins cette élévation au-dessus des plaines. Or, on sait que l’action du feu se fait en tout sens : elle ne pourroit donc pas s’exercer en haut avec une force capable de lancer de grosses pierres à une demi-lieue en ‘hauteur, sans réagir avec la même force en bas et vers les côtés ; cette réaction auroit bientôt détruit et percé la montagne de tous DE LA TERRE, 1 OU côtes , parce que les matières qui la com- posent ne sont pas plus dures que celles qui sont lancées : et comment imaginer que la cavité qui sert de tuyau ou de canon pour conduire ces matières jusqu'à l'embouchure du volcan , puisse résister à une si grande violence ? D'ailleurs, si cette cavité descendoit fort bas , comme l’orifice extérieur n’est pas fort grand , il seroit comme impossible qu'il en sortit à la fois une aussi grande quantité de matières enflammées et liquides, parce qu’elles se choqueroïent entre elles et contre les parois du tuyau , et qu’en parcourant un espace aussi long , elles s’éteimdroient et se durci- xoient. On voit souvent couler du sommet: du volcan dans les plaines des ruisseaux de bitume et de soufre fondu qui viennent de l’intérieur, et qui sont jetés au dehors avec les pierres et les minéraux. Est-il naturel d'imaginer que des matières si peu so- lides, et dont la masse donne si peu de prise à une violente action, puissent être lancées d'une grande profondeur ? Toutes les ob- servations qu'on fera sur ce sujet, prouve- ront que le feu des volcans n’est pas éloigné du sommet de la montagne , et qu'il s’en 156 THÉORIE faut bien qu'il ne descende ! au niveau des, plaines. n Cela n'empêche pas cependant que son action ne se fasse sentir dans ces plaines par des secousses et des tremblemens de terre qui s'étendent quelquefois à une très-srande dis- tance , qu’il ne puisse y avoir des voies sou- terraines par où la flamme et la fumée peu- vent se ? communiquer d'un volcan à un autre , et que dans ce cas 1ls ne puissent agir et s’enflammer presque en même temps. Mais c'est du foyer de l’embrasement que nous parlons : il ne peut être qu'à une petite dis- tance de la bouche du volcan, et 1l n’est pas nécessaire, pour produire un tremblement de terre dans la plaine , que ce foyer soit au- dessous du niveau de la plaine, ni qu'il y ait des cavités intérieures remplies du même feu; car une violente explosion, telle qu'est celle du volcan, peut, comme celle d’un magasin à poudre, donner une secousse assez violente pour qu’elle produise par sa réaction un tremblement de terre. Je ne prétends pas dire pour cela.qu'il n y 1 Voyez Borelli, Gé The) ZÆitnæ , etc. 2 Voyez Trans. phil. abrig' d, vol. IT, page 392. DE LA TERRE. 257 ait des trembiemens de terre produits immé- diatement par des feux souterrains; mais * il y en a qui viennent de la seule explosion des volcans. Ce qui confirme tout ce que je viens d'avancer à ce sujet, c’est qu'il est très-rare de trouver des volcans dans les plaines ; ils sont au contraire tous dans les plus hautes montagnes, et ont tous leur bouche au som- met : si le feu intérieur qui les consume s’étendoit jusque dessous les plaines , ne le verroit-on pas dans le temps de ces vio- lentes éruptions s'échapper et s'ouvrir un passage au travers du terrain des plaines ? et dans le temps de la première éruption, ces feux n'auroient-ils pas plutôt percé dans les plaines, et au pied des montagnes où ils n’au- roient trouvé qu'une foible résistance, en comparaison de celle qu’ils ont dû éprouver, s’il est vrai qu'ils aient ouvert et fendu une montagne d'une demi-lieue de hauteur pour trouver une issue? Ce qui fait que les volcans sont toujours dans les montagnes, c’est que les minéraux, les pyrites et les soufres, se trouvent en plus * Voyez les preuves, art. XVI. 14 1E8 THÉORIE grande quantité et plus à découvert dans les” montagnes que dans les plaines , et que ces lieux élevés recevant plus aisément et en plus grande abondance les pluies et les autres im- pressions de l’air, ces matières minérales qui y sont exposées, se mettent en fermentation ets’échauffent jusqu’au pointdes’enflammer. Enfin on a souvent observé qu'après de violentes éruptions pendant lesquelles le vol- can rejette une très-grande quantité de ma— tières , le sommet de la montagne s’affaisse et diminue à peu près de la même quantité qu'il seroit nécessaire qu’il diminuät pour fournir les matières rejetées ; autre preuve qu'elles ne viennent pas de la profondeur in- térieure du piéd de la montagne, mais de la partie voisine du somainet , et du sommet même. Les tremblemens de terre ont donc produit dans plusieurs endroits des affaissemens con- sidérables, et ont fait quelques unes des grandes séparations qu'on trouve dans les chaines des montagnes : toutes les autres ont été produites en même temps que les monta- gnes mêmes par le mouvement des courans de la mer ; et par-tout où il n’y a pas eu de DE LA, TERRE. 15g bouleversement, on trouve les couches hori- zontales et les angles correspondans des mon- tagnes *. Les volcans ont aussi formé des cavernes et des excavations souterraines qu’il . est aisé de distinguer de celles qui ont été formées par les eaux, qui, ayant entrainé de l'intérieur des montagnes les sables et les autres matières divisées , n'ont laissé que les pierres et les rochers qui contenoient ces sa- bles , et ont ainsi formé les cavernes que l’on remarque dans les lieux élevés ; car celles qu'on trouve dans les plaines ne sont ordi- nairement que des carrières anciennes ou des mines de sel et d’autres minéraux, comme la carrière de Mastricht et les mihes de Polo- gne , etc. qui sont dans des plaines : mais les cavernes naturelles appartiennent aux mon- tagnes , et elles reçoivent les eaux du som- met et des environs, qui y tombent comme dans des réservoirs, d’où elles coulent ensuite sur la surface de la terre lorsqu'elles trouvent une issue. C’est à ces cavités que l’on doit attribuer l’origine des fontaines abondantes et des grosses sources ; et lorsqu'une caverne * Voyez les preuves, art. XVII. 160 THÉORIE s’affaisse et se comble, il s'ensuit ordinaire- ment | une inondation. On voit par tout ce que nous venons. de dire, combien les feux souterrains contri- buent à changer la surface et l’intérieur du globe. Cette cause est assez puissante pour produire d'aussi grands effets : mais on ne croiroit pas que les vents pussent ? causer ‘des alterations sensibles sur la terre ; la mer paroit être leur empire, et après le flux et le reflux rien n’agit avec plus de puissance sur cet élément ; même le flux et le reflux mar— chent d’un pas uniforme , et leurs effets s’opèrent d’une manière égale et qu’on pré- voit : mais les vents impetueux agissent, pour ainsi dire, par caprice ; ils se précipi- tent avec fureur et agitent la mer avec une telle violence, qu'en un instant cette plaine calme ‘et tranquille devient herissee de va- gues hautes comme des montagnes, qui vien- nent se briser contre Les rochers et contre lés côtes. Les vents changent donc à tout moment la face mobile de la mer : mais la face de la 1 Voyez Trans. phil. ab. vol. IL, p-. 322. 2 Voyez les preuves, art XV... DE LA TERRE. 16€ terre, qui nous paroit si solide , ne devroit- elle pas être à l'abri d’un pareil effet ? On sait cependant que les vents élèvent des mon- tagnes de sable dans l’Arabie et dans lAfri- que , qu'ils en couvrent les plaines, et que souv Sat ils transportent ces sables à de gran- des * distances et jusqu'à plusieurs lieues dans la mer, où ils les amoncellent en si grande quantité, qu'ils y ont formé des bancs, des dunes et des iles. On sait que les oura- gaus sont le fléau des Antilles, de Madagascar et de beaucoup d’autres pays, où ils agissent avec tant de fureur, qu’ils enlèvent quelque- fois Les arbres, les plantes, les animaux, avec toute la terre cultivée ; ils font remonter et tarir les rivières , ils en produisent de nou- velles , ils renversent les montagnes et les rochers , ils font des trous et des souffres dans la terre , et changent entièrement la surface des malheureuses contrées où ils se forment. Heureusement il n’y a que peu de climats exposés à la fureur impétueuse de ces terri- bles agitations de l’air. * V. Bellarmin, de Ascen. mentis in Deum ; Varen. Geogr. gen. p. 282 ; : Voyages de Pyrard, tome I, page 470. 14 162 THÉORIE. Mais ce qui produit les changemens les plus grands et les plus généraux sur la sur- face de la terre , ce sont les eaux du ciel, les fleuves , les rivières et les torrens. Leur pre- mière origine vient des vapeurs que le soleil élève au-dessus de la surface des mers , et que les vents transportent dans tous les cli- mats de la terre: ces vapeurs , soutenues dans les airs et poussées au gré du vent, s’attachent aux sommets des montagnes qu'elles ren- contrent , et s’y accumulent en si grande quantité, qu'elles y forment continuellement des nuages , el retombent incessamment en forme de pluie, de rosée, de brouillard , ou de neige. Toutes ces eaux sont d’abord des- cendues dans les plaines * sans tenir de route fixe : mais peu à peu elles ont creusé leur lit, et, cherchant par leur pente na- turelle les endroits les plus bas de la mon- tagne et les terrains les plus faciles à divi- ser ou à pénétrer, elles ont entrainé les terres et les sables ; elles ont formé des ravines pro- fondes en coulant avec rapidité dans les plai- nes; elles se sont ouvert des chemins jusqu’à * Voyez les preuves, art. X et XVIII. \ ? L f DE LA TERRE. 163 la mer, qui reçoit autant d’eau par ses bords qu'elle en perd par l’évaporation : et demême que les canaux et les ravines que les fleuves ont creusés ont des sinuosités et des contoureg dont les angles sont correspondans entre eux , en sorte que l’un des bords formant un angle saillant dans les terres , le bord opposé fait toujours un angle rentrant , les mon- tagnes et les collines, qu'on doit regarder comme les bords des vallées qui les séparent, ont aussi des sinuosités correspondantes de la même façon ; ce qui semble démontrer que les vallées ont été les canaux des cou- rans de la mer, qui les ont creusés peu à peu et de la même manière que les fleuves ont creusé leur lit dans les terres. Les eaux qui roulent sur la surface de la terre, et qui y entretiennent la verdure et la fertilité, ne sont peut-être que la plus petite partie de celles que les vapeurs produisent; “car il y a des veines d’eau qui coulent et de l'humidité qui se filtre à de grandes pro- fondeurs dans l’intérieur de la terre. Dans de certains lieux , en quelque endroit qu'on fouille , on est sûr de faire un puits et de trouver de l’eau ; dans d’autres on n’en trouve HRASen, Co \|, / 164 THEOREE point du tout : dans presque tous les vallons et les plaines basses on,ne manque guère de trouver de l’eau à une profondeur médiocre; au contraire, dans tous les lieux élevés et dans toutes les plaines en montagne, on ne peut en tirer du sein de la terre, et il faut ramasser les eaux du ciel. Il y a des pays d’une vaste étendue où l’on n’a jamais pu faire un puits, et où toutes les eaux qui servent à abreuver les habitans et les ani- maux sont contenues dans des mares et des citernes. En Orient, sur-tout dans l'Arabie, dans l'Égypte , dans la Perse, etc., les puits sont extrèmement rares , aussi-bien que les sources d'eau douce ; et ces peuples ont été obligés de faire de grands réservoirs pour recueillir les eaux des pluies et des neiges : ces ouvrages , faits pour la nécessité publique, sont peut-être les plus beaux et les plus ma- guifiques monumens des Orientaux ; ily a des réservoirs qui ont jusqu'à deux lieues de surface , et qui servent à arroser et à abreu- ver une province entière, au moyen des saignées et des petits ruisseaux qu'on en dérive de tous côtés. Dans d’autres pays , au contraire, comme dans les plaines où coulent DE LA TERRE. A les grands fleuves de la terre, on ne peut pas fouiller un peu profondément sans trouver de l’eau ; et dans un camp situé aux envi- rons d’une rivière, souvent chaque tente a Son puits au moyen de quelques coups de pioche. Cette quantité d’eau qu’on trouve par-tout dans les dieux bas, vient des terres'supé- rieures et des collines voisines, au moins pour la plus grandepartie: car, dans le temps des pluies et de la fonte des neiges, une par- tie des eaux coule sur la surface de la terre, et le reste pénètre dans l’intérieur à travers les petites fentes des terres. et des rochers ; et cette eau sourcille en différens endroits lorsqu'elle trouve des issues , ou bien elle se filtre dans les sables; et lorsqu'elle vient à trouver un fond de glaise ou de terre ferme et solide, elle forme des lacs, des ruisseaux, et peut-être des fleuves souterrains dont le cours et l'embouchure nous sont inconnus, mais dont cependant, par les lois de la na- ture , le mouvement ne peut se faire qu’en allant d’un lieu plus élevé dans un lieu plus bas, et par conséquent ces eaux souterraines doivent tomber dans la mer, ou se rassem- 166 THÉORIE bler dans quelque lieu bas de la terre , soif: à la surface , soit dans l’intérieur du globe; car nous connoissons sur la terre quelques lacs dans lesquels il n’entre et desquels il ne sort aucune rivière, etil yen aunnombre beaucoup plus grand qui, ne recevant aucune rivière considérable, sont Les sources des plus grands fleuves de la terre, comme les lacs du-‘fleuve Saint-Laurent, le lac Chiamé, d’où sortent deux grandes rivières qui arrosent les royau- mes d’Asem et de Pésu , les lacs d’Assini- boïls en Amérique, ceux d'Ozera en Mos- covie , celui qui donne naissance au fleuve Bog, celui dont sort la grande rivière Ir- tis, etc. et une infinité d'autres qui semblent être les réservoirs * d’où la nature verse de tous côtés les eaux qu’elle distribue sur la surface de la terre. On voit bien que ces lacs ne peuvent être produits que par les eaux des terres supérieures, qui coulent par de petits canaux souterrains en se filtrant à tra- vers les oraviers et les sables, et viennent toutes se rassembler dans les lieux les plus bas où se trouvent ces grands amas d’eau. Au * Voyez les preuves, art. XI. DE LA TERRE. 167 reste, il ne faut pas croire , comme quelques gens l'ont avancé, qu'il se trouve des lacs au sommet des plus hautes montagnes; car ceux qu'on trouve dans les Alpes et dans les autres lieux hauts, sont tous surmontés par des tegres beaucoup plus hautes, €t sont au pied d'autres montagnes peut-être plus éle- vées que les premières : ils tirent leur ori- gine des eaux qui coulent à l'extérieur ou se filtrent dans l’intérieur de ces montagnes, tout de même que les eaux des vallons et des plaines tirent leur source des collines voisines et des terres plus éloignées qui les surmontent. _ Il doit donc se trouver, et il se trouve en effet dans l’intérieur de la terre, des lacs et: des eaux répandues, sur-tout au-dessous des plaines * et des grandes vallées : car les montagnes, les collines, ettoutesles hauteurs qui surmontent les terres basses, sont décou-. vertes tout autour, et présentent dans leur penchant une coupe ou perpendiculaire ou inclinée , dans l'étendue de laquelle les eaux qui tombent sur le sommet de la montagne * Voyez les preuves, art. XVIIT. AA. A" rat CE (4 168 THÉORIE et sur les plaines élevées, après avoir pénétré dans les terres, ne peuvent manquer de trou- ver issue et de sortir de plusieurs endroits en forme de sources et de fontaines; et par couséquent il n’y aura que peu ou point d’eau sous les montagnes. Dans les plaines , au contraire , comme l’eau quise filtre dans les terres ne peut trouver d’issue , il y aura. des amas d’eau souterrains dans les cavités de la terre , et une grande quantité d’eau qui suintera à travers les fentes des glaises et des terres fermes , ou qui se trouvera dispersée et divisée dans les graviers et dans Les sables. C’est cette eau qu'on trouve par-tout dans les lieux bas. Pour l’ordinaire , le fond d’un puits n'est autre chose qu’un petit bassin dans lequel les eaux qui suintent des terres voisines se rassemblent en tombant d’abord goutte à goutte , et ensuite en filets d’eau continus , lorsque les routes sont ouvertes aux eaux les plus éloignées ; en sorte qu’il est vrai de dire que quoique dans les plaines basses on trouve de l’eau par-tout, on ne pourroit cependant y faire qu'un certain nombre de puits, proportionné à la quan- tité d’eau dispersée, ou plutôt à l'étendue des 51 MP A TÉRRE. 169 terres plus élevées d’où ces eaux tirent leur source. | Dans la plupart des plaines il n’est pas - nécessaire de creuser jusqu'au niveau de la rivière pour avoir de l’eau : on la trouve ordinairement à une moindre profondeur , et il n’y a pas d'apparence que l’eau des fleuves et des rivières s'étende loin en se filtrant à travers les terres. On ne doit pas non plus leur attribuer l’origine de toutes les eaux qu'on trouve au-dessous de leur niveau dans l’intérieur de la terre ; car dans les torrens, dans les rivières qui tarissent, dans celles dont on détourne le cours, on ne trouve pas ; en fouillant dans leur lit, plus d'eau qu'on n'en trouve dans les terres voisines. Il ne faut qu'une langue de terre de cinq ou six pieds d'épaisseur pour contenir l’eau et l’em. pêcher de s'échapper ; et j'ai souvent observé que les bords des ruisseaux et des mares ne sont pas sensiblement humides à six pouces de distance. IL est vrai que l’étendue de la filtration est plus ou moins grande, selon que le terrain est plus ou moins pénétrable : mais si l’on examine les ravines qui se for- ment dans les terres et méme dans les sables, 19 70 THÉORIE n: on reconnoitra que l’eau passe toute dans le petit espace qu'elle se creuse elle-même, et qu'à peine les bords sont mouillés à quelques pouces de distance dans ces sables. Dans les terres végétales même, où la filtration doit être beaucoup plus grande que dans les sables et dans les autres terres, puisqu'elle est aidée de la force du tuyau capillaire, on ne s’ap- perçoit pas qu’elle $’étende fort loin. Dans un jardin on arrose abondamment, et om inonde, pour ainsi dire, une planche, sans que les planches voisines s’en ressentent con- sidérablement. J'ai remarqué, en examinant de gros monceaux de terre de jardin de huit ou dix pieds d'épaisseur , qui n’avoient pas été remués depuis quelques années, et dont le sommet éloit à peu prés de niveau , que l’eau des pluies n’a jamais pénétré à plus de trois ou quatre pieds de profondeur ; en sorte qu’en remuant cette terre au printemps après un hiver fort humide, jai trouvé la terre de l’intérieur de ces monceaux aussi sèche que quand on l’avoit amoncelée. J'ar fait la même observation sur des terres ac- cumulées depuis près de deux cents ans, au- dessous de trois ou auatre pieds de prolon- VLMUNTE DE TAOPENMRE) | de deur : la terre étoit aussi sèche que la pous- sière. Ainsi l’eau ne se communique ni ne s'étend pas aussi loin qu'on le croit par la seule filtration ; cette voie n’en fournit dans l'intérieur de la terre que la plus petite par- tie : mais, depuis la surface jusqu’à de grandes profondeurs , l’eau descend par son propre poids ; elle pénètre par des conduits naturels ou par de petites routes qu’elle s’est ouvertes elle-même; elle suit les racines des arbres, les fentes des rochers, les interstices des terres, et se divise et s’étend de tous côtés en une infinité de petits rameaux et de filets, toujours en descendant, jusqu'à ce qu'elle trouve une issue après avoir rencontre la glaise ou un autre terrain solide sur lequel elle s’est rassemblée. IL seroit fort difcile de faire une évalua- tion un peu juste de la quantité des eaux souterraines qui n’ont point d’issue appa— rente *. Bien des gens ont prétendu qu’elle surpassoit de beaucoup celle de toutes les eaux qui sont à la surface de la terre; et sans parler de ceux qui ont avaucé que l’in- *k * Voÿez les preuves, art. X, XI et XVIII. 172 THÉORIE térieur du globe étoit absolument rempli d’eau , il y en a qui croient qu'il y a une infinité de fleuves, de ruisseaux, de lacs , dans la profondeur de la terre : mais cette opinion, quoique commune, ne me paroît pas fondée, et je crois que la quantité des eaux souter— raines qui n’ont point d’issue à la surface du globe n’est pas considérable ; car s’il y avoit . un si grand nombre de rivières souterraines, pourquoi ne verrions-nous pas à la surface de la terre les embouchures de quelques unes de ces rivières, et par conséquent des sources grosses comme des fleuves ? D'ailleurs les rivières et toutes les eaux courantes pro- duisent des changemens très-considérables à la surface de la terre; elles entraînent les terres , creusent les rochers, déplacent tout ce qui s'oppose à leur passage. Il en seroit de même des fleuves souterrains ; ils pro- duiroient des alterations sensibles dans l’in- térieur du globe. Mais on n’y a point observé de ces changemens produits par le mouve- ment des eaux; rien n’est déplace : les couches parallèles et horizontales subsistent par-tout ; les différentes matières gardent par-tout leur position primitive, et ce n’est qu’en fort peu MR LTOA) ER RIRE TT: 290 dendroits qu’on a observé quelques veines d’eau souterraines un peu considérables. Ainsi l’eau ne travaille point en grand dans l’in- térieur de la terre; mais elle y fait bien de louvrage en petit : comme elle est divisée en une infinité de filets, qu’elle est retenue par autant d'obstacles, et enfin qu’elle est dispersée presque par-tout, elle concourt immédiatement à la formation de plusieurs substances terrestres qu’il faut distinguer avec soin des matières anciennes, et qui en effet en diffèrent totalement par leur forme et par leur organisation. Ce sont donc les eaux rassemblées dans la vaste étendue des mers qui, par le mouve- ment continuel du flux et du reflux, ont produit les montagnes , les vallées , et les autres inégalités de la terre ; ce sont les cou- rans de la mer qui ont creusé les vallons et élevé les collines en leur donnant des direc- tions correspondantes ; ce sont ces mêmes eaux de la mer qui, en transportant les terres, les ont disposées les unes sur les autres par lits horizontaux ; et ce sont les eaux du ciel qui peu à peu détruisent l’ouvrage de la mer, qui rabaissent continuellement la h 15 bat. le ve 174 THÉORIE DE LA TERRE. hauteur des montagnes, qui comblent les vallées, les bouches des fleuves et les golfes, et qui, ramenant tout au niveau, rendront un jour cette terre à la mer, qui s'en empa- rera successivement, en laissant à découvert de nouveaux contirens entrecoupés de val- lons et de montagnes et tout semblables à ceux que nous habitons aujourd'hui. À Montbard , le 3 octobre 1744 PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. NL | (A) # x re mi \ ns ÿ Undique ne cade a; < A AU VA A bo RSS AR TROUS LORS ’ FAR fu ! d à a x ] CHARS CE ÿ RU CT RE ; à PAT ) \ EN NS OP NT UT ES A ke A T ny à Lapi. 0E "1 *N EN [M È 48 . NAT LAS TT À ca eL , { TR lé . . 7 4 \ Ü x , | .# 1 — 1 ”, ! « 4 PREUVES DE LA. THÉORIE DE LA TERRE. RFF COLE TT De la formation des planètes. Notre objet étant l’histoire naturelle, mous nous dispenserions volontiers de parler d'astronomie: mais la physique de la Terre tient à la physique céleste; et d’ailleurs nous croyons que pour une plus grande intelli- geuce de ce qui a été dit , il est nécessaire de donner quelques idées générales sur la for- “mation, le mouvement et Ja figure de Fe Terre et des planètes. | 178 THÉORIE La Terre est un globe d'environ trois mille lieues de diamètre : elle est située à trente millions de lieues du Soleil, autour duquel elle fait sa révolution en trois cent soixante- cinq jours. Ce mouvement de révolution est le resultat de deux forces : l’une qu'on peut se représenter comme une impulsion de droite à gauche, ou de gauche à droite ; et Vautre comme une attraction du haut en bas, ou du bas en haut, vers un centre. La direction de ces deux forces et leurs quanti- tés sont combinées et proportionnées de fa- çon qu'il en résulte un mouvement presque uniforme dans une ellipse fort approchante d’un cercle. Semblable aux autres planètes, la Terre est opaque, elle fait ombre, elle re— çoit et retlechit la lumiere du Soleil, et elle tourne autour de cet astre suivant les lois qui conviennent à sa distance et à sa densité relative : elle tourne aussi sur elle-même en vinst-quatre heures , et l’axe autour duquel se fait ce mouvement de rotation est incliné de soixante-six degrés et demi sur le plan de l'orbite de sa révolution. Sa figure est celle d’un sphéroïde dont les deux axes dif- fèrent d'environ une cent soixante et quin— DELA TERRE. 1979 zième partie, et le plus petit axe est celui autour duquel se fait la rotation. Ce sont là les principaux phénomènes de la Terre ; ce sont là les résultats des grandes découvertes que l’on a faites par le moyen de la géométrie , de l'astronomie et de la navigation. Nous n’entrerons point ici dans le detail qu’elles exigent pour être démon- trées, et nous n’examinerons pas comment on est venu au point de s'assurer de la vé- rité de tous ces faits; ce seroit répéter ce qui a été dit : nous ferons seulement quel- ques remarques qui pourront servir à éclair- cir ce qui est encore douteux ou contesté, et en même temps nous donnerons nos idées au sujet de la formation des planètes , et des différens états par où il est possible qu’elles aient passé avant que d’être parvenues à l’é- tat où nous les voyons aujourd’hui. On trouvera dans la suite de cet ouvrage des extraits de tant de systêmes et de tant d’hy- pothèses sur la formation du globe terrestre, sur les différens états par où il a passé, et sur les changemens qu'il a subis, qu’on ne peut pas trouver mauvais que nous joignions ici nos coujectures à celles des philosophes x80 THÉORIE qui ont écrit sur ces matières , et surtout lorsqu'on verra que nous ne les doñnons en effet que pour de simples conjectures, aux- quelles nous prétendons seulement assigner un plus grand degré de probabilité qu’à toutes celles qu’on a faites sur-le même sujet. Nous nous refusons d'autant moins à publier ce que nous avons pense sur cette matière, que nous espérons par là mettre le lecteur plus . en état de prononcer sur la grande diffé- rence qu'il y a entre une hypothèse où il n'entre que des possibilités , et une théorie fondée sur des faits; entre un système tel que nous allons en donner un dans cet article sur la formation et le premier état de la Terre, et une histoire physique de son état actuel , telle que nous venons de la donner dans le discours précédent. Galilée ayant trouvé la loi de la chüûte des corps , et Kepler ayant observé que les aires que les planètes principales décrivent autour du Soleil, et celles que Les satellites décrivent autour de leur planète principale, sont pro- portionnelles aux temps, et que les temps des révolutions des planètes et des satellites sont proportionnels aux racines quarrées des DE LA TERRE. 18€ cubes de leurs distances au Soleil ou à leurs planètes principales, Newton trouva que la force qui fait tomber les graves sur la sur- face de la Terre s’étend jusqu'a la Lune et la retient dans son orbite ; que cette force di- _minue en même proportion que le quarre de la distance augmente ; que par consequent Ja Lune est attirée par la Terre; que la Terre et toutes les planètes sont attirees par le Soleil , et qu'en genéral tous les corps qui décrivent autour d’un centre ou d’un foyer des aires proportionnelles au temps, soni at- tirés vers ce point. Cette force, que nous connoissons sous le nom de pesanteur , est donc generalement répandue dans toute la matière ; les planètes , les comètes , le So- leil, la Terre , tout est sujet à ses lois, et elle sert de fondement à l'harmonie de l’u- nivers : nous n'avons rien de mieux prouvé en physique que l'existence actuelle et indi- viduelle de cette force dans les planètes, dans le Soleil, dans la Terre, et dans toute la matière que nous touchons ou que nous appercevons. Toutes les observations ont confirmé l'effet actuel de cette force, et le calcul en a déterminé la quantité et les rap- Mat. gén, L. 10 182 THÉORIE ports. L’exactitude des géomètres et Ja vigi- lance des astronomes atteignent à peine à la précision de cette mécanique céleste et à la régularité de ses effets. Cette cause générale étant connue, on en déduiroit aisément les phénomènes , si lac- tion des forces qui les produisent n’étoit pas trop combinée. Mais qu'on se représente un moment le système du monde sous ce point de vue , et on sentira quel chaos on a eu à débrouiller. Les planètes principales sont attirées par le Soleil , le Soleil est attiré par les planètes ; les satellites sont aussi attirés par leur planète principale ; chaque planète est attirée par toutes les autres, et elle les attire aussi. Toutes ces actions et réactions varient suivant les masses et les distances ; elles produisent des inégalités, des irrégula- rités : comment combiner et évaluer une si crande quantité de rapports ? Paroitil pos- sible, au milieu de tant d'objets, de suivre un objet particulier ? Cependant on a sur- morité ces difficultés ; le calcul a confirmé ce que la raison avoit soupçonné; chaque obser- Vation est devenue une nouvelle démonstra- tion , “et l’ordre systématique de l'univers est DE LA TERRE. 183 à découvert aux yeux de tous ceux quisavent reconnoître la vérité. | Une seule chose arrête, et est en effet in- dépendante de cette théorie ; c’est la force d’impulsion : l’on voit évidemment que celle d'attraction tirant toujours les planètes vers le Soleil , elles tomberoient en ligne perpen- diculaire sur cet astre si elles n’en étoient éloignées par une autre force, qui ne peut être qu'une impulsion en ligne droite, dont l'effet s’exerceroit dans la tangente de l’or- bite , si la force d’atiraction cessoit un ins- tant. Cette force d'impulsion a certainement été communiquée aux astres en général par la main de Dieu , lorsqu'il donna le branle à l'univers ; mais comme on doit , autant qu'on peut, en physique, s'abstenir d’avoir recours aux causes qui sont hors de la na- ture , 11 me paroïit que dans le système so- laire on peut rendre raison de cette force d'impulsion d’une manière assez vraisembla- ble, et qu’on peut en trouver une cause dont l'effet s'accorde avec les règles de la méca- nique , et qui d'ailleurs ne s'éloigne pas des idées quon doit avoir au sujet des chan- gemens et des révolutions qui peuvent et doivent arriver dans j’univers. 184 _ THÉORIE | _ La vaste étendue du systême solaire, ou, ce qui revient au même, la sphère de l’at- traction du Soleil, ne se borne pas à l’orbe des planètes, même les plus éloignées ; mais elle s'etend a une distance indefinie, toujours en décroissant dans la même raison que le quarre de la distance augmente. Il est de- montre que les comètes qui se perdent à nos yeux dans la profondeur du ciel , obéissent à cette force, et que leur mouvement , comme celui des planètes , dépend de Pattraction du Soleil. Tous ces astres, dont les routes sont si différentes , décrivent autour du Soleil des aires proportionnelles au temps, les planètes dans des ellipses plus ou moins approchantes d'un cercle, et les comètes dans des ellipses fort alongées. Les comètes et les planètes se meuvent donc en vertu de deux forces, l’une d'attraction , et l’autre d’impulsion, qui, agissant à la fois et à toutinstant , lesobligent à décrire ces courbes : mais il faut remarquer que les comètes parcourent le système solaire dans toutes sortes de directions , et que les : inclinaisons des plans de leurs orbites sont fort différentes entre elles; en sorte que > quoique sujettes, comme les planètes, à la # ce ÉD me > DE LA TERRE. 165 même force d'attraction , les comètes n’ont rien de commun dans leur mouvement d’im- pulsion : elles paroissent à cet égard absolu- ment indépendantes les unes des autres. Les planètes , au contraire, tournent toutes dans le mème sens autour du Soleil, et presque dans le mème plan , n’y ayant que sept de- grés et demi d’inclinaison entre les plans les plus éloignés de leurs orbites. Cette confor- mité de position et de direction dans le mouvement des planètes suppose nécessai- rement quelque chose de commun dans leur mouvement d'impulsion, et doit faire soup- çconner qu'il leur a été communiqué par une seule et même cause. Ne peut-on pas imaginer ,avec quelquesorte de vraisemblance , qu’une comète, tombant sur la surface du Soleil , aura déplacé cet astre, et qu'elle en aura séparé quelques pe- tites parties auxquelles elle aura communi- qué un mouvement d'impulsion dans le mème sens et par un même choc, en sorte que les planètes auroient autrefois appartenu au corps du Soleil, et qu’elles en auroient été détachées par une force impulsive com- mune à toutes, qu'elles conservent encore aujourd hui ? 7 que l'opinion de M. Leibnitz , qui prétend que les planètes et la Terre ont étédes Soleils; et je crois que son système , dont on trou- vera le précis à l’article cinquième, auroit acquis un grand degré de généralité et un peu plus de probabilité s’il se fût élevé à cette idée. C’est ici le cas de croire avec lui que la chose arriva dans le temps que Moïse dit que Dieu sépara la lumière des ténèbres; car , selon Leibnitz , la lumière fut séparée des ténèbres lorsque les planètes s’éteigni- rent. Mais ici la séparation est physique et réelle, puisque la matière opaque qui compose les corps des planètes fut réellement séparée de la matière lumineuse qui compose le Soleil. f Cette idée sur la cause du mouvement d'im- pulsion des planètes paroïtra moins hasardée lorsqu'on rassemblera toutes les analogies qui ÿ ont rapport, et qu'on voudra se donner la peine d’en estimer les probabilités. La pre- anière est cette direction commune de leur mouvement d'impulsion qui fait que les six plauètes vont toutes d’occident en orient. Îl y a deja 64 à parier contre un quelles DE LA TERRE. 187 u'auroient pas eu ce mouvement dans le mème sens si la même cause ne l’avoit pas produit ; ce qu’il est aisé de prouver par la doctrine des hasards. | Cette probabilité augmentera prodisieu- sement par la seconde analogie, qui est que l'inclinaison des orbites n'excède pas 7 degrés et demi: car en comparant les espaces on trouve qu'il y a 24 contre un pour que deux planètes se trouvent dans des plans plus éloignés , et par conséquent 24 où 7692624 à parier contre un que ce n'est pas par ha- sard qu'elles se trouvent toutes six ainsi placées et renfermées dans l’espace de 7 de- grés et demi; ou, ce qui revient au même, il y a cette probabilité qu'elles ont quelque chose de commun dans le mouvement qui leur a donné cette position. Mais que peut-il y avoir de commun dans l'impression d’un mouvement d'impulsion , si ce n’est la force et la direction des corps qui le communi- quent ? On peut donc conclure avec une très-srande vraisemblance que les planètes ont reçu leur mouvement d'impulsion par un seul coup. Cette probabilité, qui équi- 188 “THÉ OBRTEN vaut presque à une certitude, étant acquise, je cherche quel corps en mouvement a pu faire ce choc et produire cet effet , et je ne vois que les comètes capables de communi- quer un aussi grand mouvement à d'aussi | vastes corps. . Pour peu qu’on examine le cours des co— mètes , on se persuadera aisément qu'il est presque nécessaire qu'il en tombe quelquefois dans le Soleil. Celle de 1680 en approcha de si près, qu'à son périhélie elle n’en étoit pas éloignée de la sixième partie du dia- mètre solaire; et si elle revient, comme il y a apparence, en l’année 2255, elle pourroit bien tomber cette fois dans le So- leil: cela dépend des rencontres qu’elle aura faites sur sa route, et du retardement qu’elle a souffert en passant dans l’atmosphere du Soleil *. Nous pouvons donc présumer avec le phi- losophe que nous venons de citer, qu’iltombe quelquefois des comètes sur le Soleil ; mais cette chûüte peut se faire de difierentes fa— çons : si elles y tombent à plomb , ou même * Voyez Newton, troisième édition , p. 525. + DE LA TERRE. 189 dans une direction qui ne soit pas fort oblique , elles demeureront dans le Soleil, et serviront d’aliment au feu qui consume cet astre, et le mouvement d'impulsion qu’elles auront perdu et communiqué au Soleil, ne produira d’autre effet que celui de le déplacer plus ou moins, selon que la masse de la comète sera plus ou moins con- siderable. Mais si la chûte de la comète se fait dans une direction fort oblique, ce qui doit arriver plus souvent de cette fa- con que de l’autre , alors la comète ne fera que raser la surface du Soleil ou la sillonner à une petite profondeur; et dans ce cas elle pourra en sortir et en chasser quelques par- ties de matière auxquelles elle communi- quera un mouvement commun d'impulsion, et ces parties poussées hors du corps du So- leil, et la comète elle-même, pourront deve- nir alors des planètes qui tourneront autour de cet astre dans le même sens et dans le même plan. On pourroit peut-être calculer quelle masse , quelle vitesse et quelle direc- tion devroit avoir une comète pour faire sor- tir du Soleil une quantité de matière égale à celle que contiennent les six planètes ef, CR | HR 190 THÉORIE. PAG leurs satellites : mais cette radhereh seroit ici hors de sa place ; il suffira d'observer que. toutes Les planètes avec les satellites ne font pas la 650% partie de la masse du Soleil*, parce que la densité des grosses planètes, Sa- turne et Jupiter, est moindre que celle du Soleil, et que quoique la Terre soit quatre fois, et la Lune près de cinq fois plus dense que le Soleil, elles ne sont cependant que comme des atomes en comparaison de la anasse de cet astre. J'avoue que quelque peu considérable que soit une six cent cinquantième partie d’un tout, il paroît au premier coup d'œil qu’il faudroit , pour séparer cette partie du corps du Soleil, une très-puissante comète : mais si on fait réflexion à la vitesse prodigieuse des comètes dans leur périhélie , vitesse d’au- tant plus grande que leur route est plus droite, et qu elles approchent du Soleil de plus prés ; si d’ailleurs on fait attention à:la den- sité, à la firité et à la solidité de la matière. dont elles doivent être composées pour souf- frir, sans être détruites, la chaleur inconce- * Voyez Newion #° 40b. \ \ DO E'ANT ERR E: TUT vable qu’elles éprouvent auprès du Soleil , et si om se souvient en même temps qu'elles présentent aux yeux des observateurs un noyau- vif et solide qui réfléchit fortement la lumière du Soleil à travers l'atmosphère immense de la comète qui enveloppe et doit obscurcir ce noyau, on ne pourra guêre dou- ier que les comètes ne soient composées d'une matière très-solide et très-dense, et qu'elles ne contiennent sous un petit volume une grande quantité de matière; que par con- séquent une comète ne puisse avoir assez de masse et de vitesse pour déplacer le Soleil, et donner un mouvement äe projectilité à une quantité de matière aussi considérable que l’est la 650° partie de la masse de cet astre. Ceci s’accorde parfaitement avec ce que l’on sait au sujet de la densité des planètes : on croit qu’elle est d'autant imoindre que les planètes sont plus éloignées du Séleil, et qu'elles ont moins de chaleur à supporter ; en sorte que Saturne est moins dense que Jupiter , et Jupiter beaucoup moins dense que la Terre. En effet , si la densité des pla- nètes étoit, comme le prétend Newton ,"pro- portionnelle à la quantité de chaleur qu'elles r9% THÉORIE ont à supporter, Mercure seroit sept fois plus dense que la Terre, et vingt-huit fois plus dense que le Soleil ; la comète de 1680 . seroit 28000 fois plus dense que la Terre, ou 112000 fois plus dense que le Soleil ; et en la supposant grosse comme la Terre, elle con- tiendroit sous ce volume une quantité de ma- tière égale à peu près à la neuvième partie de la masse du Soleil , ou , en ne lui donnant que la centième partie de la grosseur de la J'erre, sa masse seroit encore égale à la 900€ partie du Soleil : d’où il est aisé de conclure qu’une telle masse qui ne fait qu'une petite comète , pourroit séparer et pousser hors du Soleil une o00° ou une 650° partie desa masse; sur-tout si l’on fait attention à l'immense vilesse acquise avec laquelle les comètes se _ meuvent lorsqu'elles passent dans le voisi- nage de cet astre. | Une autre analogie, et qui mérite quelque attention , c’est la conformité entre la den- sité de la matière des planètes et la densité de la matière du Soleil. Nous connoissons sur la surface de la Terre des matières 14 ou 15000 fois plus denses les unes que les autres; des densités de l’or et de l'air sont à peu près L DE LA TERRE. 103. _ dans ce rapport: mais l’intérieur de la Terre _et le corps des planètes sont composés de parties plus similaires, et dont la densité comparée varie beaucoup moins; et la con- formité de la densité de la matière des pla- nètes et de la densité de la matière du Soleil “est telle, que sur 650 parties qui composent la totalité de la matière des planètes, il y en a plus de 640 qui sont presque de la même densité que la matière du Soleil, et qu’il n’y a pas dix parties sur ces 650 qui soient d'une plus grande densité; car Saturne et Jupiter sont à peu près de la mème densité que le Soleil, et la quantité de matière que ces deux planètes contiennent est au moins 64 fois plus grande que la quantité de ma- tière des quatre planètes inférieures, Mars, la Terre, Venus et Mercure. On doit donc dire que la matière dont sont composées les planètes en général est à peu près la même que celle du Soleil, et que par con- séquent cette matière peut en avoir été sé- paree. | Mais, dira-t-on , si la comète, en tombant obliquement sur le Soleil, en a sillonné la surface et en a fait sortir la matière qui com- 17 194 | (THÉORIE. nd es , au lieu de décrire des cercles ms ll le Soleil est le centre, auroient au contraire | à chaque révolution rasé la surface du Soleil, et seroient revenues at même point d’où elles étoient parties, comme feroit tout pro-. jectile qu’on lanceroit avec assez de force d’un point de la surface de la Terre pour , l’obliger à tourner perpétuellement : car il f est aise de démontrer que ce corps revien- droit à chaque révolution au point d'où il : auroit été lancé; et dès-lors on ne peut pas atiribuer à l'impulsion d’une comète la pro « jection des planètes hors du Soleil, puisque leur mouvement autour de cet astre est dif- férent de ce qu'il seroit dans cette hypo- thèse. _ À cela je réponds que la matière qui com- pose les planètes n'est pas sortie de cet astre en globes tout formés , auxquels la comète auroit communiqué son mouvement d’im- pulsion , mais que cette matière est sortie sous la forme d’un torrent dont le mouve- ment des parties antérieures a dù être accé- léré par celui des parties postérieures ; que d’ailleurs l’'atiraction des parties antérieures \ DE LA TERRE. 195 a dû aussi accélérer le mouvement des par- ties postérieures , et que cette accélération de mouvement , produite par l’une ou l’autre de ces causes , et peut-être par toutes les deux, a pu être telle, qu'on aura changé la pre- mière direction du mouvement d’impuision, et qu'il a pu en résulter un mouvement tel que nous l'observons aujourd'hui dans les pla- nètes, sur-tout en supposant que le choc de la comète a déplace le Soleil : car, pour don- ner un exemple qui rendra ceci plus sen- sible, supposons qu’on tiràt du haut d’une montagne une balle de mousquet, et que la force de la poudre füt assez grande pour la pousser au-delà du demi-diamètre dela Terre; il est certain que cette balle tourneroit au- tour du globe, et reviendroit à chaque révo- lution passer au point d’où elle auroit été tirée : mais si au lieu d’une balle de mous- quet nous supposons qu'on ait tiré une fusée volante où l’action du feu seroit durable et: accéléreroit beaucoup le mouvement d’im- pulsion ,; cette fusée, ou plutôt la cartouche qui la contient, ne reviendroit pas au même point , comme la balle de mousquet, mais décriroit un orbe dont le périgée seroit d'au- 2 196 THÉORIE tant plus éloigné de la Terre, que la force. d'accélération auroit été plus grande et au- roit changé davantage la première direction, toutes choses étant supposces égales d’ailleurs. Ainsi, pourvu qu'il y ait eu de l’accéléra- tion dans le mouvement d’impulsion com— muniqué au torrent de matière par la chûte de la comète, 1l est très-possible que les pla- nêtes qui se sont formées dans ce torrent aient acquis le mouvement que nous leur connoissons dans des cercles et des ellipses dont le Soleil est le centre ou le foyer. La manière dont se font les grandes érup- tions des volcans , peut nous donner une idee de cette accélération de mouvement dans le torrent dont nous parlons. On a observé que quand le Vesuve commence à mugir'et à rejeter les matières dont il est embrasé, le premier tourbillon qu'il vomit n'a qu'un certain degré de vitesse ; mais cette vitesse est bientôt accelerée par l'impulsion d'un second tourbillon qui succède au premier, puis par l’action d’un troisième , et ainsi de suite : les ondes pesantes de bitume , de sou- fre , de cendres , de métal fondu , paroissent des nuages massifs; et quoiqu’ils se succèdent DE LA TERRE. 299 toujours à peu près dans la même direction, ils ne laissent pas de changer beaucoup celle du premier tourbillon , et de le pousser ail- leurs et plus loin qu'il ne seroit parvenu tout seul. D'ailleurs ne peut-on pas répondre à cette objection, que le Soleil ayant été frappe par la comète, et ayant reçu une partie de son mouvement d'impulsion , il aura lui-même éprouvé un mouvement qui l’aura déplace, et que quoique ce mouvement du Soleil soit maintenant trop peu sensible pour que dans de petits intervalles de temps les astronomes aient pu l’appercevoir , il se peut cependant que ce mouvement existe encore , et que le Soleil se meuve lentement vers différentes parties de l'univers , en décrivant une courbe autour du centre de gravité de tout le sys- tème ? et si cela est, comme je le présume, on voit bien que les planètes, au lieu de re- venir auprès du Soleil à chaque révolution , auront au contraire décrit des orbites dont les points des périhélies sont d'autant plus éloignés de cet astre, qu'il s’est plus éloi- gne lui-même du lieu qu’il occupoit ancien- nement. 17 198 THÉORIE. (NE Je sens bien qu’on pourra me dire que si l'accélération du mouvement se fait dans la même direction , cela ne change pas le point du périhélie, qui sera toujours à la surface du Soleil ; mais doit-on croire que dans un tor- rent dont .les parties se sont succédé, il n'y a eu aucun changement de direction ? il'est au contraire très-probable qu’il y a eu un assez grand changement de direction pour donner aux planètes le mouvement qu'elles ont. On pourra me dire aussi que si le Soleil à été déplacé par le choc de la comète , il a dû se mouvoir uniformément, et que dès-lors ce mouvement étant commun à tout le sys- tême , il n’a dû rien changer ; mais le Soleil ne pouvoit-1i pas avoir avant le choc un mou- vement autour du centre de gravité du sys- tème cométaire , auquel mouvement primitif le choc de la comète aura ajouté une augmen- tation ou une diminution ? et cela sufhroit encore pour prendre raison du mouvement actuel des planètes. Enfin, si l’on ne veut admettre aucune de ces suppositions , ne peut-on pas présumer ,. sans choquer la vraisemblance , que dans le LS DE LA TERRE. 19ÿ choc de la comète contre le Soleil il y a eu une force élastique qui aura élevé le torrent au-dessus de la surface du Soleil , au lieu de le pousser directement ? ce qui seul peut suf- fire pour écarter le point du périhélie et don- ner aux planètes le mouvement qu’elles ont conservé : et cette supposition n’est pas dé nuée de vraisemblance; car la matière du Soleil peut bien être fort élastique, puisque la seule partie de cette matière que nous connoissons , qui est la lumière , semble par ses effets être parfaitement élastique. J'avoue que je ne puis pas dire si c'est par l’une ou par l’autre des raisons que je viens de rappor- ter, que la direction du premier mouvement d’impulsion des planètes a changé; mais ces raisons suffisent au moins pour faire voir que ce changement est possible, et même pro- bable , et cela sufht aussi à mon objet. Mais sans insister davantage sur les objec- tions qu'on pourroit faire , non plus que sur les preuves que pourroient fournir les analo- aies en faveur de mon hypothèse, suivons- eu l'objet et tirons des inductions ; voyons donc ce qui a pu arriver lorsque kes planètes, et sur-tout la Terre, ont recu ce mouvement "Va FAT gt ! i 200 THÉORIE d’impulsion , et dans quel état elles se sont. trouvées après avoir été séparées de la masse du Soleil. La comète ayant, par un seul coup, communiqué un mouvement de projectile à une quantité de matière égale à la six cent cinquautième partie de la masse du Soleil, les particules les moins denses se seront séparées : des plus denses , et auront formé par leur at- traction mutuelle des globes de differente densité : Saturne , composé des parties les plus grosses et les plus lésères, se sera le plus éloigné du Soleil; ensuite Jupiter, qui est plus dense que Saturne, se sera moins éloigné; et ainsi de suite. Les planètes les plus grosses et les moins denses sont les plus eloignees, parce qu’elles ont reçu un mouvement d’impulsion plus fort que les plus petites et les plus den- ses ; car la force d’impulsion se communi- quant par les surfaces , le même coup aura fait mouvoir les parties les plus grosses ef les plus légères de la matière du Soleil avec plus de vitesse que les parties les plus petites et les plus massives : il se sera donc fait une séparation des parties denses de différens de- grés , en sorte que la densité de la matière du Soleil étant égale à 100 , celle de Saturne est DATA TERRE. 207 égale à 67, celle de Jupiter — 942, celle de Mars — 200, celle de la Terre — 400 , celle de Vénus — 800, et celle de Mercure — 2800. Mais la force d'attraction ne se communi- quant pas , comme celle d'impulsion , par la surface , et agissant au contraire sur toutes les parties de la masse, elle aura tenu les por- tions de matière les plus denses ; et c’est pour cette raison que les planètes les plus denses sont les plus voisines du Soleil, et qu’elles tournent autour de cetastre avec plus de rapi- dité que les planètes les moins denses , x sont aussi les plus éloignées. Les deux grosses planètes, Jupiter et Sa- turne , qui sont, comme l’on sait, les parties principales du système solaire , ont conservé ce rapport entre leur densité et leur mouve- ment d'impulsion , dans une proportion si juste, qu'on doit en être frappé: la densité de Saturne est à celle de Jupiter comme 67 à 942, et leurs vitesses sont à peu près comme 88 à 120 —, ou comme 67 à go —. Îl est rare que de pures conjectures on puisse tirer des rap- ports aussi exacts. Il est vrai qu’en suivant ce : rapport entre la vitesse et la densité des pla- nètes , la densité de la Terre ne devrait être 202 THÉORIE que comme 206 _ , au lieu qu’elle est comme “ 400 : de là on peu cOnSOD que notre globe | étoit d’abord une fois moins dense qu'il ne l'est aujourd’hui. À l'égard des autres pla- nètes, Mars, Venus et Mercure, comme leur densitén’est connue que par conjecture, nous ne pouvons savoir si cela détruiroit ou con- firmeroit notre opinion sur le rapport de la : vitesse et de la densité des planètes en général. Le sentiment de Newton est que la densité est d'autant plus grande, que la chaleur à la- quelle la planète est exposée est plus grande ; et c'est sur cette idée que nous venons de dire que Mars est une fois moins dense que la Terre, Vénus une fois plus dense, Mer- cure sept fois plus dense, et la comète de 1680 vingt-huit mille fois plus dense que la Terre. Mais cette proportion entre la den- sité des planètes et la chaleur qu’elles ont à supporter , ne peut pas subsister lorsqu'on fait attention à Saturne et à Jupiter, qui sont les principaux objets que nous ne devons jamais perdre de vue dans le systême solaire ; car, selon ce rapportentre la densité et la chaleur, il se trouve que la densité de Saturne seroit en- viron comme 4, et celle de Jupiter comme OR L'A TERRE. 203 14 !7 au lieu de 67 et de 94 =, différence trop Sat pour que le RAP entre la densite _et la chaleur que les planètes ont à suppor- ter , puisse être admis : ainsi, malgré la con- fiance que méritent les conjecturesdeNewton, je crois que la densite des planètes a plus de rapport avec leur vitesse qu'avec le degré de chaleur qu'elles ont à supporter. Ceci n’est qu'une cause finale, et l’autre est un rapport physique dont l'exactitude est singulière dans les deux grosses planètes : il est cependant vrai NS la densité de la Terre, au lieu d’être 206 +, se trouve être 400, et que par consé- quent il faut que le globe terrestre se soit condensé dans cette raison de 206 Z à 400. Mais la condensation ou la coction des pla- _ nètes n'a-t-elle pas quelque rapport avec la quantité de la chaleur du Soleil dans chaque planète? et dès-lors Saturne, qui est fort éloi- gne de cet astre, n’aura souffert que peu où point de condensation, Jupiter sera condensé de go à 94: or la chaleur du Soleil dans ER Fan à celle du Soleil sur la Terre comme 14 =? sont à 400 , les condensations ont dû se Fe dans la même proportion; de sorte que Jupiter s'étant condensé de go à 204 THÉORIE ï 642, la Terre auroit dû se condenser en même proportion de 206 + à 215 ??2 pur si elle eût été placée dans l'orbite de Jupiter, où elle n’au— | roit dû recevoir du Soleil qu'une chaleur égale | à celle que reçoit cette planète. Mais la Terre M se trouvant beaucoup plusprès de cet astre, et recevaut une chaleur dont le te à. celle que reçoit Jupiter est de 400 à 14 27, 2,14 faut multiplier la quantité de condensation ; qu'elle auroit eue dans l'ordre de Jupiter par “ le rapport de 400 à 1427 ; ce qui donne à peu \ prés 2342 pour la quantité dont la Terre a. dû se condenser. Sa densité étoit 2072 : en y ajoutant la quantité de condensation, l’on trouve pour sa densité actuelle 4402; ce qui. approche assez de la densité 400, déterminée | par la parallaxe de la Lune. Âu reste, je ne prétends pas donner ici de rapports exacts, | mais seulement des approximations , pour faire voir que les densités des planètes ont. beaucoup de rapport avec leur vitesse dans leurs orbites. La comète ayant donc par sa chûte oblique | sillonné la surface du Soleil ,aura poussé hors ! du corps de cet astre une partie de matière égale à la six cent cinquantième partie de sa DE LA TERRE. 205 masse totale : cette matière qu'on doit consi- dérer dans un état de fluidité, ou plutôt de liquéfaction , aura d'abord formé un torrent ; les parties les plus grosses et les moins denses auront été poussées au plus loin; et les par- ties les plus petites et les plus denses n'ayant reçu que la mème impulsion , ne se seront pas si fort éloignées , la force d'attraction du Soleil les aura retenues: toutes les parties détachées par la comète et poussées les unes par les autres auront été contraintes de cir- culer autour de cet astre, et en même temps l'attraction mutuelle des parties de la matière en aura formé des globes à différentes distan- ces, dont les plus voisins du Soleil auront nécessairement conservé plus de rapidité pour tourner ensuite perpétuellement autour de cet astre. Mais, dira-t-on une seconde fois, si la ma- tière qui compose les planètes a été séparée du corps du Soleil, les planètes devroient ètre, comme le Soleil, brülantes et lumineuses, et non pas froides et opaques comme elles le sont : rien ne ressemble moins à ce globe de feu qu'un globe de terre et d’eau ; et, à en ju- ger par comparaison, la matière de la Terre et 15 À 206 THÉORIE. des planètes est tout-à-fait différente de celle du Soleil. À cela on peut répondre que dans la sépa- ration qui s'est faite des particules plus où moins denses, la matière a change de forme, 1 et que la lumière ou le feu s’est éteint par celie séparation causée par le mouvement d’impulsion. D'ailleurs ne peut-on pas soup- çonner que si le Soleil, ou une étoile brülante et lumineuse parelle-même, se mouvoit avec autant de vitesse que se meuvent les planètes, Je feu s’éteindroit peut-être , et que c’est par cette raison que toutes les étoiles lumi- + neuses sont fixes et ne changent pas de lieu, et que ces étoiles que l'on appeile zouvelles, qui ont probablement changé delieu , se sont éteintes aux yeux mêmes des observateurs ? Ceci se confirme par ce qu'on a observé sur les comèêtes , elles doivent brûler jusqu’au centre lorsqu'elles passent à leur péribélie : cependant elles ne deviennent pas lumineuses par elles-mêmes ; on voit seulement qu’elles exhalent des vapeurs brülantes, dont elles laissent en chemin une partie considerable. J'avoue que si le feu peut exister dans un milieu où ii n’y a point ou très-peu de résis- / DE LA TERRE. 207 tance, il pourroit aussi souffrir un très-srand mouvement sans s'eteindre;j'avoue aussi que ce que je viens de dire ne doit s'entendre que des étoiles qui disparoissent pour toujours, et que celles qui ont des retours périodiques, et qui se montrent et disparoissent alterna- tivement saus changer de lieu, sont fort différentes de celles dont je parle : les phé- nomènes de ces astres singuliers ont été ex- pliques d’une manière très-satisfaisante par _M. de Maupertuis dans son Discours sur la figure des astres, et je suis convaincu qu'en partant des faits qui nous sont connus, il n’est pas possible de mieux deviner qu’il l’a fait. Mais les étoiles qui ont paru et ensuite disparu pour toujours, se sont vraisembla: blement éteintes, soit par la vitesse de leur mouvement, soit par quelque autre cause, et nous n'avons point d'exemple dans la nature qu'un astre lumineux tourne autour d'un autre astre : de vingt-huit ou trente comètes et de treize planètes qui composent notre système , et qui se meuvent autour du Soleil avec plus ou moins de rapidité, il n’y en à pas une de lumineuse par elle-même. On pourrait répondre encore que le feu j £ L* ‘ h CRUE IV. 208 THÉORIE ne peut pas subsister ausi long-temps dans. les petites que dans les grandes masses , et qu’au sortir du Soleil les planètes ont dû. brûler pendant quelque temps , mais qu elles se sont éteintes faute de matières combus= - tibles, comme le Soleil s’éteindra probable- ment par la même raison, mais dans des âges futurs et aussi éloignés des temps aux- quels les planètes se sont éteintes que sa grosseur l'est de celle des planètes. Quoi qu'il en soit, la séparation des parties plus ou moins denses, qui s’est faite nécessaire- ment dans le temps que la comète a poussé hors du Soleil la matière des planètes, me paroit sufhsante pour rendre raison de cette extinction de leurs feux. La Terre et les planètes, au sortir du Soleil, étoient donc brülantes et dans un etat de li- quéfaction totale. Cet état de liquéfaction m'a duré qu’autant que la violence de Ja chaleur qui l’avoit produit ; peu à peu les planètes se sont refroidies, et c'est dans le temps de cet état de fluidité causée par le feu qu’elles auront pris leur figure, et que leur mouvement de rotation aura fait élever les parties de l'équateur en abaissant les DE LA TERRE. 209 poles. Cette figure, qui s'accorde si bien avec les lois de l’hydrostatique , suppose né- | cessairement que la Terre et les planètes aient été dans un état de fluidité, et je suis ici de l'avis de M. Leibnitz: cette fluidité étoit une liquéfaction eausée par la violence de la chaleur; l'intérieur de la Terre doit être une matière vitrifiée , dont les sables, les grès, le roc vif, les granits, et peut- être les argilles , sont des fragmens et des scories. On peut donc croire, avec quelque vrai- semblance , que les planètes ont appartenu au Soleil, qu’elles en ont été séparées par un seul coup qui leur a donné un mouve- ment d'impulsion dans le même sens et dans. le mème plan, et que leur position à dif- férentes distances du Soleil ne vient que de leurs différentes densités. Il reste main- tenant à expliquer par la même théorie le mouvement de rotation des planètes et la formation des satellites; mais ceci, loin d’a- jouter des difficultés ou des impossibilités à notre hypothèse, au contraire la confirmer. Car le mouvement de rotation dépend HUE 1 : 4 OT 210 THÉORIE TONNES uniquement de l’obliquité du coup, et ik - est nécessaire qu’une impulsion , dès qu’elle est oblique à la surface d’un corps, donne à ce corps un mouvement de rotation: ce mouvement de rotation sera égal et toujours le même, si le corps qui le reçoit est ho— mosgène ; et il sera inégal, si le corps est composé de parties hétérogènes ou de diffe- rentes densités : et de là on doit conclure que dans chaque planète la matière est ho- mogène, puisque leur mouvement de rota- tion est égal; autre preuve de la séparation des parties denses etmoïins denses lorsqu'elles se sont formées. . Mais l’obliquité du coup a pu être telle, qu’il se sera séparé du corps de la planète principale de petites parties de matière, qui auront conservé la même direction de mou- vement que la planète même; ces parties se seront réuules, suivant leurs densités, à différentes distances de la planète par la force de leur attraction mutwelle, et en même temps elles auront suivi nécessaire- ment la planète dans son cours autour du Soleil, en tournant elles-mêmes autour de la planète, à peu près dans le plan de som Ÿ “4 Û 7 DEL ATEREE. 217 orbite. On voit bien que ces petites parties que la grande obliquité du coup aura sé- parées, sont les satellites : ainsi la forma- tion, la position et la direction des mou vemens des satellites, s'accordent parfaite- ment avec la théorie: car ils ont tous la même direction de mouvement dans des cer- cles concentriques autour de leur planète principale ; leur mouvement est dans le même plan, et ce plan est celui de l'orbite de la planète. Tous ces effets qui leur sont communs, et qui dépendent de leur mou- vement d'impulsion, ne peuvent venir que d'une cause commune, c’est-à-dire d'une impulsion commune de mouvement, qui leur a été communiquée par un seul et même coup donné sous une certaine obli- quite. | Ce que nous venons de dire sur la cause du mouvement de rotation et de la forma- tion des satellites, acquerra plus de vrai- semblance, si nous faisons attention à toutes. les circonstances des phénomènes. Les pla- nêtes qui tournent le plus vite sur leur axe sont celles qui ont des satellites. La Terre tourne plus vite que Mars dans le rapport | LS Fais Mi di 212 THÉORIE" FOR d'environ 24 à 15; la Terre à un satellite, et Mars n’en a point. Jupiter sur-tout, dont la rapidité autour de son axe est 5 ou 600 fois plus grande que celle de la Terre, a quatre satellites; et il y a grande apparence que Saturne, qui en a cinq et un anneau, tourne encore beaucoup plüs vite que Ju- piter. | On peut même conjecturer avec quelque fondement que l'anneau de Saturne est pa- rallèle à l'équateur de cette planète, en sorte que le plan de l’équateur de l'anneau et celui de l'équateur de Saturne sont à peu prés les mêmes: car en supposant, suivant la théorie précédente, que l’obliquité du coup par lequel Saturne a été mis en mou vement ait été fort grande, la vitesse au-— tour de l’axe, qui aura résulté de ce coup oblique, aura pu d’abord être telle, que la. force centrifuge excédoit celle de la gravité; et il se sera détaché de l’équateur et des parties voisines de l'équateur de la planète une quantité considérable de matière, qui aura nécessairement pris la figure d’un an- neau, dont le plan doit ètre à peu près le même que celui de l'équateur de la planète; DELA TERRE. 213 et cette partie de matière qui forme l’an- neau ayant été détachée de la planète dans le voisinage de l'équateur, Saturne en a été abaissé d'autant sous l’équateur; ce qui fait que, malgré la grande rapidité que nous lui supposons autour de son axe, les diamètres de cette planète peuvent n'être pas aussi inésaux que ceux de Jupiter, qui diffèrent de plus d’une onzième partie. Quelque grande que soit à mes yeux la vraisemblance de ce que j'ai dit jusqu'ici sur la formation des planètes et de leurs satel- lites, comme chacun a sa mesure, sur-tout pour estimer des probabilités de cette na- ture, et que cette mesure dépend de la puis- sance qu'a l'esprit pour combiner des rap- ports plus ou moins éloignés, je ne prétends pas contraindre ceux qui n’en voudront rien croire. J'ai cru seulement devoir semer ces idées, parce qu’elles m'ont paru raisonnables, et propres à éclaircir une matière sur la- quelle on n’a jamais rien écrit, quelqu’im- portant qu'en soit le sujet, puisque le mou-— vement d'impulsion des planètes entre aw moins pour moitié dans la composition du système de l'univers, que l'attraction seule 214 | €: HÉO RI E DC EOUS ne peut ARE J'ajouterai cel pour ceux qui voudroient nier la possibilité de mon système, les questions suivantes. 1°. N'est-il pas naturel d'imaginer qu un corps qui est en mouvement ait reçu. ce i _ mouvement par le choc d’un autre corps? " 2°. N’estil pas très-probable que plusieurs à corps qui ont la même direction dans leur l mouvement, ont reçu celte direction par un seul ou par plusieurs poepe dirigés Fu L le même sens ? 7 3°. N’est-il pas tout-à-fait vraisemblable que plusieurs corps ayant la même direction dans leur mouvement et leur position dans un même plan, n'ont pas reçu cette direc— tion dans le même sens et cette position dans le même plan par plusteurs coups, mais par un seul et même coup? 4, N’est-il pas très-probable qu’en mème temps qu’un corps reçoit un mouvement d'impulsion, il le reçoive obliquement , et que par conséquent il soit obligé de tourner sur lui-même d'autant plus vite que lobli- quité du coup aura été plus grande? Si ces questions ne paroissent pas dérai- sonnables, le système dont nous venons de PAIDERLATENRE)- 215 donner pre ébauche cessera de paroître une absurdité. Passons maintenant à quelque chose qui nous touche de plus près, et examinons la figure de la Terre, sur laquelle on à fait tant de recherches et de si ‘grandes obser- vations. La Terre etant, comme il paroit par l'égalité de son mouvement diurne et la constance de inclinaison de son axe, com- posée de parties homogènes, et toutes ses parties s’attirant en raison de leurs masses, elle auroit pris nécessairement la fisoure d’un globe parfaitement spherique., si le mouve- ment d'impulsion eût été donué dans une direction perpendiculaire à la surface : mais ce coup ayant été donné obliquement, la Terre a tourné sur son axe dans le même temps qu'elle a pris sa forme ; et de la com- binaison de ce mouvement de rotation et de celui de l'attraction des parties, il a résulté une figure sphéroïde, plus élevée sous le grand cercle de rotation , et plus abaissée aux deux extrémités de l'axe, et cela parce que l’action de la force ceutrifuge provenant du mouvement de rotation diminue l’ac- tion de la gravité : ainsi la Terre tant ET 216 homogène, et ayant pris sa consistance êm même temps qu’elle a reçu son mouvement de rotation, elle a dû prendre une figure sphéroïde, dont les deux axes diffèrent d’une 230€ partie. Ceci peut se démontrer à la rigueur, et ne dépend point des hypothèses qu'on voudroit faire sur la direction de la pesanteur: car il n'est pas permis de faire des hypothèses contraires à des vérités éta- _blies ou qu'on peut établir. Or les lois de la pesanteur nous sont connues; nous ne pouvons douter que les corps ne pèsent les uns sur les autres en raison directe de leurs inasses, et inverse du quarré de leurs dis- _tances: de même nous ne pouvons pas douter que l’action générale d’une masse quelconque me soit composée de toutes les actions par- ticulières des parties de cette masse. Ainsi il n'y à point d’hypothèse à faire sur la di- rection de la pesanteur : chaque partie de matière s’attire mutuellement en raison di- _recte de sa masse et inverse du quarré de la distance ; et de toutes ces attractions il résulte une sphère lorsqu'il n’y a point de: rotation, et il en résulte un sphéroïde lors- = qu'il y a rotation. Ce sphéroïde est plus ow —— ME LA TERRE |: moins accourci aux deux extrémités de l’axe de rotation, à proportion de la vitesse de ce mouvement, et la Terre a pris, en vertu de sa vitesse de rotation et de l’attraction mutuelle de toutes ses parties, la figuré d'un sphéroïde, dont les deux axes sont entre eux comme 229 à 250. Ainsi, par sa constitution originaire, par son homogénéité, et indépendamment de toute hypothèse sur la direction de la pe— santeur , la Terre a pris cette figure dans le temps de sa formation, et elle est, en vertu des lois de la mécanique, élevée nécessaire= ment d'environ six lieues et demie à chaque extrémité du diamètre de l’équateur de plus que sous les poles. Je vais insister sur cet article, parce qu’il y a encore des géomètres qui croient que la figure de la Terre dépend, dans la theorie. du. système de PRsepnie ren embrasse, et _de la direction qu’on suppose à la pesanteur. La première chose que nous ayons à dé- montrer, c’est l'attraction mutuelle de toutes les parties de la matière; et la seconde, l'homogénéité du globe terrestre. Si nous faisons voir clairement que ces deux faits Mat, gén, I. 19 | ‘ 28 . “THÉORTEN ne peuvent pas être révoqués en doute, il n’y aura plus aucune hypothèse à faire sur la direction de la pesanteur : la Terre aura eu nécessairement Ja figure déterminée par Newton; et toutes les autres figures qu’on voudroit lui donner en vertu des tourbil- Tons ou des autres hypothèses, ne pourront subsister. On ne peut pas douter, à moins qu’on ne doute de tout, que ce ne soit la force de la gravité qui retient les planètes dans leurs orbites. Les satellites de Saturne gravitent vers Saturne, ceux de Jupiter vers Jupiter; la Lune vers la Terre, et Saturne, Jupiter, Mars, la Terre, Vénus et Mercure, gra- vitent vers le Soleil; de même Saturne et Jupiter gravitent vers leurs satellites , la Terre gravite vers la Lune, et le Soleil gra- vite vers les planètes. La gravité est donc générale et mutuelle dans toutes les pla- nètes, car l’action d’une force ne peut pas s’exercer sans qu'il ÿ ait réaction : toutes les planètes agissent donc mutuellement les unes sur les autres. Cette attraction mu- tuelle sert de fondement aux lois de leur mouvement, et elle est démontrée par les DE LA TERRE. 219 phénomènes. Lorsque Saturne et Jupiter sont en conjonction, ils agissent l’un sur l'autre, et cette attraction produit une irré- gularité dans leur mouvement autour du Soleil. Il en est de même de la Terre et de la Lune; elles agissent mutuellement lune sur l’autre : mais les irrégularités du mouvement de la Lune viennent de l’attrac- tion du Soleil, en sorte que le Soleil, la Terre et la Lune, agissent mutuellement les uns sur les autres. Or cette attraction mu- tuelle que les planètes exercent les unes sur les autres, est proportionnelle à leur quantité de matière lorsque les distances sont égales; et la mème force de gravité qui _Yait tomber les graves sur la surface de la Terre, et qui s'étend jusqu'à la Lune, est aussi proportionnelle à la quantité de ma- tière : donc la gravité totale d'une planète est composée de la gravité de chacune des parties qui la composent ; donc toutes les parties de la matière, soit dans la Terre, soit dans les planètes, sravitent les unes sur les autres; donc toutes les parties de la matière s’attirent mutuellement : et cela , doit être estimée 206 = + 2 +, c’est-à-dire à peu près 209. D'ailleurs l’on doit présumer que notre globe étoit moins dense aucommen- cement qu'il ne l’est aujourd'hui, et qu'il l'est devenu beaucoup plus, d’abord par le refroidissement, et ensuite par l’affaissement des vastes cavernes dont son intérieur étoit rempli. Cette opinion s'accorde avec da con: noissance quenous avons des bouleversemens qui sont arrivés et qui arrivent encore tous les jours à la surface du globe , etjusqu à d'as- sez grandes profondeurs : ce fait aide même à expliquer comment il est possible que les eaux de la mer aient autrefois été supérieures de deux mille toises aux parties de la Terre actuellement habitées; car ces eaux la cou- FU DE LA TERRE. 239 vriroient encore si, par de grands affaisse- mens , la surface de la Terre ne s’étoit abais- sée en différens endroits pour former les bas- sins de la mer et les autres réceptacles des eaux tels qu'ils sont aujourd’hui. Si nous supposons le diamètre du globe terrestre de 2863 lieues , il en avoit deux de _ plus lorsque les eaux le couvroient à 2000 toises - de hauteur. Cette différence du volume de la Terre donne > d'augmentation pour sa densité par le seul abaissement des eaux : on peut même doubler et peut-être tripler cette augmentation de densité ou cette diminution de volume &äu globe par l’affaissement et les éboulemens des montagnes et par les remblais des vallées , en sorte que depuis la chûte des eaux sur la Terre on peut raisonnablement présumer qu’elle a augmenté de plus d'un centième de densité. | 240 THÉORIE IV. Sur le rapport donné par Newton entre la densité de planètes et le degré de chaleur gu’elles ont à supporter. J'ai dit, page 205, que "7algré la con- Jianceque méritent les conjectures de Newton, la densité des planètes à plus de rapport avec leurvitesse qu'avec le degré de chaleur qu'elles ont à supporter. Par l'estimation que nous avons faite dans les mémoires précédens de l’action de la cha- leur solaire sur chaque planète, on a dû re- marquer que cette chaleur solaire est en gé- néral si peu considérable, qu’elle n’a jamais pu produire qu'une très-légère difference sur : la densité de chaque planète; car l’action de cette chaleur solaire, qui est foible en elle- même , n’influe sur la densité des matières planétaires qu’à la surface mème des planètes , et elle ne peut agir sur la matière qui es£ dans l’intérieur des globes planétaires, puis- que cette chaleur solaire ne peut pénétrer qu'à une très-petite profondeur. Ainsi la deu- DE LA TERRE. 24t sité totale de la masse entière de la planète n'a aucun rapport-avec cette chaleur qui lui est envoyée du Soleil. … Dès-lors il me paroît certain que la densité des planètes ne dépend en aucune façon du degré de chaleur qui leur est envoyée du So- leil, et qu'au contraire cette densité des pla- nètes doit avoir un rapport nécessaire avec leur vitesse, laquelle dépend d’un autre rap- port qui me paroit immédiat : c’est celui de leur distance au Soleil. Nous avons vu que les parties les plus denses se sont moins éloi- gnées que les parties les moins denses dans le temps de la projection génerale. Mercure, qui est composé des parties les plus denses de la matière projetée hors du Soleil, est reste dans le voisinage de cet astre , tandis que Saturne, qui est composé des parties les plus léoères de cette même matière projetée, s’en est le plus éloigné. Et comme les planètes les plus distantes du Soleil circulent autour de cet astre avec plus de vitesse que les planètes les plus voisines, il s'ensuit que leur densité a un rapport médiat avec leur vitesse, et plus immédiat avec leur distance au Soleil. Les distances de six planètes au Soleil sont 21 “dd: Ù \ va! TE NON 242 THÉORIEDELATERRE comme #4, 7, 10/7°.15 jan d: Leurs densités | t comme 2040, 1270 , 1000 , 730, 292, 184. Et si l’on suppose les densités en raison in- verse des distances , elles seront 2040 ,1160, 889 +, 660, 210, 159. Ce dernier rapport entre leurs densités respectives est peut-être plus réel que le premier, parce qu’il me paroît fondé sur la cause physique qui a dû produire la différence de densité dans chaque planète. PRIE AU MES ME e | - THÉORIE DE LA TERRE. . RAT DCE ENT Du systéme de M. WHISTON. À new Theory ofthe Earth, by Will. Whiston. London ; 1708. ? Cr auteur commence son traité de la TAéo- rie de la Terre par une dissertation sur la création du monde. Il prétend qu'on a tou- jours mal entendu le texte de la Genèse; qu'on s’est trop attaché à la lettre et au sens qui se présente à la première vue , sans faire attention à ce que la nature, la raison, la CNE babe 244 THÉORIE 44 philosophie, et même la décence , exigeoient de l'écrivain pour traiter dignement cette matière. Il dit que les notions qu’on a com-— munément de l'ouvrage des six jours sont absolument fausses , et que la description de Moïse n’est pas une narration exacte et phi- Josophique de la création de l'univers entier et de l’origine de toutes choses , mais une représentation historique de la formation du seul globe terrestre. La Terre, selon lui, existoit auparavant dans le chaos, et elle a reçu dans le temps mentionné par Moïse la forme , la situation et la consistance ne- cessaires pour pouvoir être habitée par le genre humain. Nous n’entrerons point dans le détail de ses preuves à cet égard, et nous n’entreprendrons pas d’en faire la réfutation : l'exposition que nous venons de faire suffñit pour démontrer la contrariété de son opinion avec la foi, et par conséquent l'insuffisance de ses preuves. Au reste, il traite cette ma- tière en théologien controversiste plutôt qu'en philosophe éclairé. Partant de ces faux principes, 1l passe à des suppositions ingénieuses , et qui, quoi- qu’extraordinaires, ue laissent pas d'avoir } | DE LA TERRE. 245 wn degré de vraisemblance lorsqu'on: veut se livrer avec lui à l’enthousiasme du système. T1 dit que l'ancien chaos, l’origine de notre Terre , a été l'atmosphère d’une comète; que le mouvement annuel de la Terre a com- mencé dans le temps qu’elle a pris une nou-— veille forme ; mais que son mouvement diurne ma commencé qu'au temps de la chûte du premier homme ; que le cercle de l'éclip- tique coupoit alors le tropique du eancer au point du paradis terrestre à la frontière d’As- syrie, du côté du nord-ouest ; qu'avant le déluge l’année commençoit à l’équinoxe d’au- tomne ; queles orbites originaires des planètes, etsur-tout l'orbite de la Terre, étoient , avant le déluge, des cercles parfaits ; que le déluge a commencé le 18° jour de novembre del’an- née 2365 de la période julienne , c’est-à-dire 2349 ans avant l’ère chrétienne; que l’année sokire et l’année lunaire étoient les mêmes avant le déluge, et qu’elles contenoient juste 360 jours; qu une comète descendant dans le plan de l’écliptique vers son périhélie, æ passé tout auprès du globe de la Terre le jour même que le déluge a commencé ; qu’ik y a une grande chaleur dans l'intérieur du 91 | 246 THÉORIE CA globe terrestre , qui se répand constamment du centre à la circonférence ; que la consti- tution intérieure et totale de la Terre est comme celle d’un œuf, ancien emblême du globe ; que les montagnes sont les parties les plus lésères de la Terre, etc. Ensuite il attri- bue au déluge universel toutes les altérations et tous les changemens arrivés à la surface et à l’intérieur du globe; il adopte aveuglé- ment les hypothèses de Woodward , et se sert indistinctement de toutes lesobservations de cet auteur au sujet de l’état présent du globe : mais il y ajoute beaucoup lorsqu'il vient à traiter de l'état futur de la Terre : selon lui, elle périra par le feu, et sa des- truction sera précédée de tremblemens épou- vantables, de tonnerres et de meétéores ef- froyables ; le Soleil et la Lune auront l’as- pect hideux, les cieux paroïtront s’écrouler, l'incendie sera général sur la Terre : mais lorsque le feu aura dévoré tout ce qu’elle contient d'impur ,. lorsqu'elle sera vitrifiée et transparente comme le crystal, les saints et les bienheureux viendront en prendre possession pour l’habiter jusqu'au temps du jugement dernier. 4k * { DE LA TERRE. 24% Toutes ces hypothèses semblent, au pre- mier coup d'œil, être autant d'assertions téméraires, pour ne pas dire extravagantes. Cependant l’auteur les a maniées avec tant d'adresse, et les a réunies avec tant de force. qu'elles cessent de paroître absolument chi-- “mériques. Il met dans son sujet autant d’es- pritet de science qu il peut en comporter, et on sera toujours étonné que d’un melange d'idées aussi bizarres et aussi peu faites pour aller ensemble , on ait pu tirer un système éblouissant : ce n’est pas même aux esprits vuloaires : c’est aux yeux des savans qu'il paroîtra tel, parce que les savans sont dé- concertés plus aisément que le vulgaire par l'étalage de l’érudition et par la force et la nouveauté des idées. Notre auteur étoit un astronome célèbre, accoutumé à voir le ciel en raccourci, à mesurer les mouve- mens des astres, à compasser les espaces des cieux : il n'a jamais pu se persuader que ce petit grain de sable-, cétte Terre que nous habitons , ait attiré l'attention du Créateur au point de l’occuper plus lons-temps que le ciel et l’univers entier, dont la vaste étendue contient des millions de millions de { 17 TNA ACER Q [ ET : 248 THÉORIE ! À Soleils et de Terres. Il prétend donc que Moïse 4 ni ne nous a pas donné l’histoire de la pre= imière création , mais seulement le détail de la nouvelle forme que la Terre a prise lors- que la main du Tout-puissant l’a tirée du nombre des comètes pour la faire planète, ou, ce qui revient au même , lorsque d'ux monde en désordre et d’un chaos informe il en a fait une habitation tranquille et un séjour agréable. Les comètes sont en effet sujettes à des vicissitudes terribles à cause de l’excentrieité de leurs orbites : tantôt, comme dans celle de 1680 , il y fait mille fois plus chaud qu’au milieu d’un brasier ardent ; tantôt il y fait mille fois plus froid que dans la glace, et elles ne peuvent guère être habitées que par d’étranges créatures, ou, pour trancher court, elles sout inha- bitées. Les planètes, au contraire, sont des lieux de repos où la distance au Soleil ne variant pas beaucoup, la température reste à peu près la même, et permet aux espèces de plantes et d'animaux de croître, de durer et de multiplier. Au commencement Dieu créa donc l’uui- : : ‘À ! « DE LAN TERRE, 249 vers: mais, selon notre auteur , la Terre, confondue avec les autres astres errans , n’é- toit alors qu'une comète inhabitable, souf- fraut alternativement l'excès du froid et du chaud , dans laquelle les matières se liqué- fiant, se vitrifiant , se glaçant tour à tour, formoient un chaos, un abîme enveloppe d’épaisses ténèbres : ef £enebræ erant super Jfaciem abyssi. Ce chaos étoit latmosphère de la comète qu'il faut se représenter comme un corps composé de matières hetérogènes, dont le centre étoit occupé par un noyau sphérique , solide et chaud, d'environ deux mille lieues de diamètre, autour duquel s’e- tendoit une très-srande circonférence d’un fluide épais, mêlé d’une matière informe, confuse , telle qu'étoit l’ancien chaos : 7zdi5 indisgestaque moles. Cette vaste atmosphère ne contenoit que fort peu de parties sèches , solides ou terrestres , encore moins de par- ticules aqueuses ou aériennes , mais une grande quantité de matières fluides , denses et pesantes , mêlées, agitées et confondues ensemble. Telle étoit la Terre la veilie des six jours; mais dès le lendemain., c’est-à-dire dès le premier jour de la création , lorsque AE THÉORIE Torbite excentrique de la comète eut été | changée en une ellipse presque circulaire, chaque chose prit sa place, et Les corps s'ar- À xangèrent suivant la loi de leur gravité spé+ cifique : les fluides pesans descendirent au plus bas, et abandonnèrent aux parties ter- restres , aqueuses et aériennes, la région su- périeure ; celles-ci descendirent aussi-dans ” leur ordre de pesanteur ,. d’abord la terre, ensuite l’eau , et enfin l'air; et cette sphère | d’un chaos immense se réduisit à un globe d'un volume médiocre, au centre duquel est le noyau solide qui conserve encore aujour- d'hui la chaleur que le Soleil lui a autrefois communiquée lorsqu'il étoit noyau de co- mète. Cette chaleur peut bien durer depuis six mille ans , puisqu'il en faudroit cin- quante mille à la comète de 1680 pour se refroidir , et qu’elle a éprouvé en passant à son périhélie une chaleur deux mille fois plus grande que celle d’un fer rouge. Autour de ce noyau solide et brülant qui occupe le centre de la Terre, se trouve le fluide dense et pesant qui descendit le premier , et c'est ce fluide qui forme le grand abime sur le- quel la Terre porteroit comme le liége sur le Le 3 DE LA TERRE. ME, vif-argent; mais comme les parties terrestres étoient mêlées de beaucoup d’eau, elles ont en descendant entraîné une partie de cette eau , qui n’a pu remonter lorsque la Terre a été consolidée, et cette eau forme une couche concentrique au fluide pesant qui enveloppe le noyau : de sorte que legrand abime est composé de deux orbes concentriques, dont le plus intérieur est un fluide pesant , et le supérieur est de l'eau; c'est proprement cette couche d’eau qui sert de fondement à la Terre , et c'est de cet arrangement admi- _ rable de l'atmosphère de la comète que dé- pendent la théorie de la Terre etl’explication des phénomènes. À Car on sent bien que quand l’atmosphère de la comète fut une fois débarrassée de toutes ces matières solides et terrestres, 1l ne resta plus que la matière légère de l'air, à travers laquelle les rayons du Soleil passèrent libre- ment; ce qui tout d’un coup produisit la lumière : fat lux. On voit bien que les co- lonnes qui composent l’orbe de la Terre s’é- tant formées avec tant de précipitation, elles se sont trouvées de différentes densités, ef que par conséquent les plus pesantes ont \ RUE VX j - ED THÉORIE. enfoncé davantage dans ce fluide souterrain; tandis que les plus légères ne se sont enfon- cées qu'à une moindre profondeur ; et c’est" ce qui a produit sur la surface de la Terre des vallées et des montagnes. Çes inégalités. étoient, avant le déluge, dispersées et situées autrement quelles ne le sont aujourd’hui: au lieu de:la vaste vallée qui contient l'o- céan , il y avoit sur toute la surface du globe plusieurs petites cavités séparées qui conte= noient chacune une partie de cette eau , et faisoient autant de petites mers particulières; les montagnes étoient aussi plus divisées et ne formoient pas des chaînes comme elles. en forment aujourd'hui. Cependant la Terre étoit mille fois plus peuplée, et par consé- quent mille fois plus fertile qu'elle ne l’est , la vie des hommes et des animaux étoit dix : fois plus longue, et tout cela parce que la chaleur intérieure de la Terre, qui provient du noyau central , étoit alors dans toute sa force, et que ce plus grand degré de chaleur faisoit éclore et germer un plus srand nombre d'animaux et de plantes, et leur donnoit le degré de vigueur nécessaire pour durer-plus Jons-temps et se multiplier plus abondam- — DE LA TERRE. 253 ment : mais cette même chaleur , en aug- mentant les forces du corps, porta malheu-— reusément à la tête des hommes et des ani- maux ; elle augmenta les passions , elle ôta la sagesse aux animaux et l'innocence à l'homme : tout , à l'exception des poissons qui habitent un élément froid , se ressen— tit des effets de cette chaleur du noyau ;, enfin tout devint criminel et mérita la mort. Elle arriva, cette mort universelle, un mer— credi 28 novembre, par un déluge affreux de quarante jours et de quarante nuits, ef ce déluge fut causé par la queue d’une autre comète qui rencontra la Terre en revenant de son périhélie. | La queue d’une comète est la partie læ plus légère de son atmosphère ; c'est um brouillard transparent, une vapeur subtile, que l’ardeur du Soleil fait sortir du corps et de l'atmosphère de la comète : cette vapeur, composée de particules aqueuses et aériennes extrèmement raréfiées , suit la comète lors— qu'elle descend à son périhélie , et la précède lorsqu'elle remonte, en sorte qu’elle est tou- jours située du côté opposé au Soleil, comme si elle cherchoit à se mettre à l'ombre et à Mat, gén. I. 22 L "1 À 254 THÉORIE éviter la trop grande ardeur de cet astre. La colonne que forme cette vapeur est souvent d’une longueur immense ; et plus une co- mèête approche du Soleil, plus la queue est longue et étendue , de sorte qu’elle occupe souvent des espaces très-prands : et comme plusieurs comètes descendent au-dessous de l’orbe annuel de la Terre , il n’est pas sur- prenant que la Terre se trouve quelquefois enveloppée de la vapeur de cette queue; c’est. précisément ce qui est arrivé dans le temps du déluge : il n’a fallu que deux heures de séjour dans cette queue de comète pour faire tomber autañt d’eau qu’il y en a dans la mer ; enfin cette queue étoit les cataractes du ciel : ei cataractæ cœli apertæ sunt: En effet , le globe terrestre ayant une fois ren- contré la queue de la comète, il doit, en y faisant sa route, s'approprier une partie de la matière qu’elle contient : tout ce qui se trouvera dans la sphère de l’attraction du globe doit tomber sur la Terre , et tomber en forme de pluie, puisque cette queue est. en partie composée de vapeurs aqueuses. Voi- Ja donc une pluie du ciel qu’on peut faire aussi abondante qu'on voudra , et un déluge r A DE LA TERRE. 255 universel dont les eaux surpasseront aisé— ment les plus hautes montagnes. Cependant notre auteur, qui, dans cet endroit, ne veut pas s'éloigner de la lettre du livre sacré, ne donne pas pour cause unique du déluge cette pluie tirée de si loin ; il prend de l’eau par- tout où il y en a : le grand abîime , comme nous avons vu , en contient une bonne quan- tite. La Terre, à l'approche de la comète, aura sans doute éprouvé la force de son at- traction : les liquides contenus dans le grand abime auront été agités par un mouvement de flux et de reflux si violent, que la croûte superficielle n’aura pu résister ; elle se sera fendue en divers endroits , et les eaux de l’intérieur se seront répandues sur la surface: et rupii sunt fontes abyssi. Mais que faire de ces eaux que la queue de la comète et le grand abime ont fournies si libéralement ? Notre auteur n’en est point embarrassé. Dès que la Terre , en continuant sa route, se fut éloignée de la comète, l’ef- fet de son attraction , le mouvement de flux et de reflux, cessa dans le grand abime , et dés-lors les eaux supérieures s’y précipitèrent ayec violence par les mêmes voies qu’elles ir 256 THÉORIE % en étoient sorties : le grand abîme absorba | toutes les eaux superflues, et se trouva d’une capacité assez grande pour recevoir non séeu+ lement les eaux qu’il avoit déja contenues ; mais encore toutes celles que la queue de la comète avoit laissées , parce que, dans le ” temps de son agitation et de la rupture dela croûte, il avoit agrandi l’espace en poussant de tous côtés la Terre qui l’environnoit. Ce fut aussi dans ce temps que la figure de la Terre ; qui jusque là avoit été sphérique ;, devint elliptique, tant par l’effet de la force centrifuge causée par son mouvement diurne que par l’action de la comète, et cela parce que la Terre ; en parcourant la queue de la comète, se trouva posée de façon qu’elle pré- sentoit les parties de l'équateur à cetastre, et que la force de l’attraction de la comète, concourant avec la force centrifuge de la Terre, fit élever les parties de l'équateur avec d'autant plus de facilité que la croûte étoit … rompue et divisée en une infinité d’endroits, et que l’action du flux et du reflux dePabime | poussoit plus violemment que par-tout ail- leurs les parties sous l'équateur. Voilà donc l’histoire de la création, les DE LA TERRE. 257 causes du déluge universel, celles-deda lon gueur de la vie des premiers hommes, et celles de la figure de la Terre. Tout cela semble n’a- #oir rien coûte à notre auteur; mais l’arche de Noë paroït l’inquiéter beaucoup. Comment imaginer en effet qu’au milieu d’un désordre aussi affreux , au milieu de la confusion de la queue d’une comète avec le grand abîme, au milieu des ruines de l’orbe terrestre , et dans ces terribles momens où non seulement les élémens de la Terre étoient confondus, mais où il arrivoit encore du ciel et du tar- tare de nouveaux élémens pour augmenter le chaos ; comment imaginer que l'arche vo- guât tranquillement avec sa nombreuse car- gaison sur la cime des flots? [ei notre auteur rame et fait de grands efforts pour arriver et pour donner une raison physique de la con- servation de l'arche : mais comme il m'a paru qu'elle étoit insufhisante, mal imasi- née et peu orthodoxe , je ne la rapporterai point ; il me suffira de faire sentir combien : il est dur pour un homme qui a expliqué de si grandes choses sans avoir recours à une puissance surnaturelle ou au miracle, d'être arrêté par une circonstance particu- 22 2 LA 258 D'HLÉ © RALIE NE MUR lière : aussi notre auteur aime mieux ris= quer de se noyer avec l'arche que d’attri- buer, comme :1l le devoit, à la bonté ’immé- diate du Tout-puissant la conservation de ces précieux vaisseau. Je ne ferai qu'une remarque sur ce sys- téme, dont je viens de faire une exposition fidèle ; c’est que toutes les fois qu'on sera assez téméraire pour vouloir expliquer par des raisons physiques les vérités théologiques, qu’on se permettra d'interpréter, dans des vues purement humaines, le texte divin des livres sacrées, et que l’on voudra raisonner sur les volontés du Très-haut et sur l’exé- cution de ses décrets , on tombera nécessai. rement dans les ténèbres et dans le chaos où est tombé l’auteur de ce système, qui cepen- dant a été reçu avec grand applaudissement. Il ne doutoit ni de la vérité du déluge, ni de l'authenticité des livres sacrés : mais comme il s’en étoit beaucoup moins occupé que de physique et d'astronomie, il a pris les pas- sages de l’Écriture sainte pour des faits de physique et pour des résultats d'observations astronomiques ; et il a si étrangement mêlé la science divine avec nos sciences humaines, DE LA TERRE. 25 qu'il en a résulte la chose du monde la plus extraordinaire, qui est le système que nous venons d'exposer. D E LA THÉORIE DE LA TERRE. « ARTICLETEE Du systéme de M. BuRrNET. Thomas Burnet: T'elluris T'heoria sacra , orbis nostri originem et mutaliones generales , quas aut jam subit, aut olim subiturus est, com- plectens. Londini, 168r. | RER Cr auteur est le premier qui ait traité cette matière généralement et d’une manière sys- tématique. Il avoit beaucoup d'esprit et étoit homme de belles-lettres. Son ouvrage a eu une grande réputation, et il a été critiqué par quelques sayans , entre autres par M.Keill,… THÉORIE DE LA TERRE. 26r qui , épluchant cette matière en géomètre, a. demontré les erreurs de Burnet dans un traité qui a pour titre : Evaminafion of the Theory of the Earth; London, 1734: 2° édit. Ce même M. Keill a aussi réfuté le système de Whiston: mais il traite ce dernier auteur bien différemment du premier; il semble même qu'il est de son avis dans plusieurs cas , et il regarde comme une chose fort probable le déluge causé par La queue d’une comète. Mais pour revenir à Burnet, son livre est élésamment écrit ; il sait peindre et présenter avec force de grandes images , et mettre sous les yeux des scènes magnifiques. Son plan est vaste ; mais l'exécution manque faute de moyens : son raisonnement est pe- tit, ses preuves sont foibles ; et sa confiance est si grande, qu'il la fait perdre à son lecteur. Il commence par nous dire qu'avant le déluge la Terre avoit une forme très-diffé- rente de celle que nous lui voyons aujour- d'hui. C’étoit d'abord une masse fluide, un chaos composé de matières de toute espèce ét de toute sorte de figures: les plus pesantes descendirent vers le centre, et formèrent au milieu du globe un corps dur et solide, 262 THÉORIE autour duquel les eaux, plus légères, se ras— semblèrent et enveloppèrent de tous côtés le globe intérieur ; l'air, et toutes les liqueurs plus légères que l’eau, la surmontèrent et l'enveloppèrent aussi dans toute la circonfé- rence : ainsi entre l’orbe de l'air et celui de l’eau il.se forma un orbe d'huile et de liqueur grasse plus légères que l’eau. Mais comine l'air étoit encore fort impur, et qu’il contenoit une très-grande quantité de petites particules de matière terrestre , peu à peu ces particules descendirent , tombèrent. sur la couche d'huile , et formérent un orbe terrestre mélé de limon et d'huile; et ce fut là la première terre habitable et le premier séjour de l’homme. C’étoit un excellent ter- rain, une terre légère , grasse, et faite ex- près pour se prêter à la foiblésse des premiers germes. La surface du globe terrestre étoit donc, dans ces premiers temps , égale, uni- forme , continue , sans montagnes , sans mers et sans inégalités. Mais la Terre ne demeura qu'environ seize siècles dans cet état ; car la chaleur du Soleil, desséchant peu à peu cette croûte limonneuse, la fit fendre d’abord à la surface : bientôt ces fentes pe- DE LA TERRE. 263 métrèrent plus avant, et s'augmentérent si considérablement avec le temps, qu’enfin elles s'ouvrirent en entier ; dans un instant toute la Terre s’écroula et tomba par mor- ceaux dans l’abime d’eau qu’elle contenoit : voilà comme se fit le déluge universel. Mais toutes ces masses de terre, en tom-— bant dans l’abime , entrainèrent une grande quantité d'air; et elles se heurtèrent, se choquèrent , se divisèrent, s’accumuléèrent si irrégulièrement , qu’elles laissèrent entre elles de grandes cavités remplies d'air. Les eaux s’ouvrirent peu à peu les chemins de ces cavités; et à mesure qu'elles les remplis- soient, la surface de la Terre se découvroit dans les parties les plus élevées. Enfin il ne resta de l’eau que dans les parties les plus basses , c’est-à-dire dans les vastes vallées qui contiennent la mer : ainsi notre océan est une partie de l’ancien abime; le reste est entre dans les cavités intérieures avec les- quelles communique l'océan. Les îles et les écueils sont les petits fragmens, les conti- nens sont les grandes masses de l’ancienne croûte ; et comme la rupture et la chûte de cette croûte se sont faites avec confusion, il nt M. 264 THEORIE DE LA TERRE. n’est pas étonnant de trouver sur la Terre des éminences , des profondeurs, des plaines et des inégalités de toute espèce. Cet échantillon du système de Burnet suffit pour en donner une idée : c'est un roman bien écrit, et un livre qu’on peut lire pour s'amuser , mais qu'on ne doit pas consulter pouf s’instruire. L'auteur ignoroit les princi- paux phénomènes de la Terre, et n’étoit nul- - lement informé des observations : il a tout tiré de son imagination, qui, comme l’on sait, sert volontiers aux dépens de la vérité. D 4 Fe PRE UU V'E:S DE LA THÉORIE DE LA TERRE. À RE bLC EE, LV Du systéme de M. WoopwARD. Jean Woodward : An Essay towards the natural History of the Earth , etc. O+ peut dire de cet auteur qu’il a voulu élever un monument immense sur une base . moins solide que le sable mouvant , et bâtir l'édifice du monde avec de la poussière ; car * il prétend que dans le temps du déluge il s’est fait une dissolution totale de la Terre. La premiére idée qui se présente après avoir lu son livre, c’est que cette dissolution s’est 23 | 266 CTHÉ CRE faite par les eaux du grand abîme , qui se sont répandues sur la surface de la Terre , et. qui ont délayé et réduit en pâte les pierres, les rochers , les marbres, les métaux , etc. Il prétend que l’abime où cette eau étoit renfermée s’ouvrit tout d’un coup à la voix de Dieu , et répandit sur la surface de la Terre la quantité énorme d’eau qui étoit né- : Cessaire pour la couvrir et surmonter de beaucoup les plus hautes montagnes , et que Dieu suspendit la cause de la cohésion des corps, ce qui réduisit tout en poussière, etc. Il ne fait pas attention que par ces supposi- tions 4l ajoute au miracle du déluge uni- versel d’autres miracles , ou tout au moins : des impossibilités physiques qui ne s’ac- cordent ni avec la lettre de la sainte Écri- ture, ni avec les principes mathématiques de la philosophie naturelle. Mais comme cet auteur a le mérite d’avoir rassemblé plusieurs observations importantes, et qu'il connois- soit mieux que ceux qui ont écrit avant lui, les matières dont le globe est composé, son systême , quoique mal conçu et mal di- géré , n’a pas laissé d’éblouir les gens séduits par la vérité de quelques faits particuliers, . DE LA TERRE. 267 et peu difficiles sur la vraisemblance des conséquences générales. Nous avons donc cru devoir présenter un extrait de cet ou- vrage , dans lequel, en rendant justice au mérite de l’auteur et à l’exactitude de ses observations , nous mettrons le lecteur en état de juger de l'insuffisance de son système et de la fausseté de quelques unes de ses remarques. M. Woodward dit avoir reconnu par ses yeux que toutes les matières qui composent la Terre en Angleterre, depuis sa. surface jusqu'aux endroits les plus profonds où il est descendu , étoient disposées par couches, et que dans un grand nombre de ces couches il y a des coquilles et d’autres productions marines : ensuite il ajoute que par ses correspondans et par ses amis il s’est assure que dans tous les autres pays la Terre est composée de même , et qu’on y trouve des coquilles non seulement dans les plaines et en quelques endroits , mais encore sur les plus hautes montagnes, dans les carrières lès plus profondes et en une infinité d'en- droits : 1l a vu que ces couches étoient ho- rizontales et posées les unes sur les autres, comme le seroient des matières transportées 268 THÉORIE par les eaux et déposées en forme de sédi- ment. Ces remarques générales , qui sont très. vraies , sont suivies d'observations particu— lières, par lesquelles il fait voir évidemment que les fossiles qu’on trouve incorporés dans les couches sont de vraies coquilles et de vraies productions marines , et non pas dés Minéraux , des corps singuliers , des jeux de la nature , etc. À ces observations , quoi- qu'en partie faites avant lui, qu’il a ras- semblées et prouvées , il en ajoute d’autres qui sont moins exactes ; il assure que toutés les matières des différentes couches sont po= sées les unes sur les autres dans l’ordre de leur pesanteur spécifique, en sorte que les plus pesantes sont au-dessous , et les plus légères au-dessus. Ce fait général n’est point vrai: on doit arrêter ici l’auteur, et lui mon- trer les rochers que nous voyons tous les jours au-dessus des glaises, des sables, des charbons de terre, des bitumes, et qui certai- nement sont plus pesans spécifiquement que toutes ces matières ; car en effet, si par toute la terre on trouvoit d’abord les couches de bitume, ensuite celles de craie, puis celles de iwarne, ensuite celles de glaise, celles de * Pn El DE LA TERRE. 269 eible, celles de pierré, celles de marbre , et en- fin les métaux , en sorte que la composition de la Terre suivitexactément et par-tout la loi de la pesanteur , etque les matières fussent toutes placées dans l’ordre de leur gravité spéci- fique , il y auroit apparence qu’elles se se- roient toutes précipitées en même temps; et voilà ce que notre auteur assure avec con— fiance { malgré l'évidence du contraire : car, sans être observateur, il ne faut qu’avoir des yeux pour être assuré que l’on trouve des matières pesantes très-souvent posées sur des matières légères , et que par conséquent ces sédimens ne se sont pas précipités tous en même temps, mais qu'au contraire ils ont été amenés et déposés successivement par les eaux. Comme c’est là le fondement de son système, et qu'il porte manifestement à faux, nous ne le suivrons plus loin que pour faire voir combien un principe erroné peut pro- duire de fausses combinaisons et de mau- vaises conséquences. Toutes les matières, dit notre auteur , qui composent la Terre, de- puis les sommets des plus hautes montagnes jusqu'aux plus grandes profondeurs des mines et des carrières, sont disposées par couches , 25 on. 2n0 *: THÉORIE suivant leur pesanteur spécifique : donc ; conclut-il, toute la matière qui compose le globe. a été dissoute et s’est précipitée em même temps. Mais dans quelle matière et en quel temps a-t-elle. été dissoute ? Dans l'eau et dans le temps du déluge. Mais ïl n'y a pas assez d’eau sur le globe pour que cela se puisse, puisqu'il y a plus de terre que d’eau , et. que le fond de la mer est de terre. Hé bien, nous dit-il, 1l y a de l’eau plus qu’il n’en faut au centre de la Terre : il ne s’agit que de la faire monter; de lui don- ner tout ensemble la vertu d’un dissolvant universel et la qualité d’un remède préser- vatif pour les coquilles , qui seules n’ont pas été dissoutes, tandis que les marbres et les ro— chers l’ont été; de trouver ensuite le moyen de faire rentrer cette eau dans l’abime, et de faire cadrer tout cela avec l’histoire du déluge. Voilà le système de la vérité duquel l’auteur ne trouve pas le moyen de pouvoir douter ; car quand on lui oppose que l’eau ne peut point dissoudre les marbres, les pierres , les métaux , sur-tout en quarante jours qu’a duré le déluge, il répond simple- ment que cependant cela est arrivé. Quand DE LA TERRE. 27€ on lui demande quelle étoit donc la vertu de cette eau de l’abime pour dissoudre toute la terre et conserver en même. temps les coquilles , il dit qu'il n'a jamais prétendu que cette eau fût un dissolvant ; mais qu'il est clair, par les faits, que la terre a été dissoute, et que les coquilles ont été pré- servées. Enfin, lorsqu'on le presse et qu’on lui fait voir évidemment que s’il n’a aucune raison à donner de ces phénomènes, son système n'explique rien , il dit qu'il n’y a qu'à imaginer que dans le temps du déluge la force de la gravité et de la cohérence de la matière a cessé tout-à-coup, etqu'aumoyen de cette supposition, dont l'effet est fort aisé à concevoir , on explique d’une manière satisfaisante la dissolution de l’ancien monde. Mais, lui dit-on, si la force qui tient unies les parties de la matière a cessé, pourquoi les coquilles n'ont -elles pas été dissoutes comme tout le reste ? Ici il fait un discours sur l’organisation des coquilles et des os des animaux, par lequel il prétend prouver que leur texture étant fibreuse et differente de celle des minéraux , leur force de cohésion est aussi d'un autre genre. Après tout, il n’y 6 PTE 272 THÉORIE DE LA TERRE. a, ditil, qu’à supposer que la force de la gravité et de la cohérence n’a pas cessé en tièrement , mais seulement qu’elle a été diminuée assez pour désunir toutes les par- ties des minéraux, mais pas assez pour désu-, nir celles des animaux. À tout ceci on ne: peut pas s'empêcher de reconnoître que notre auteur n’étoit pas aussi bon physicien qu’il étoit bon observateur ; et je ne crois pas qu’il soit nécessaire que nous réfutions sé- rieusement des opinions sans fondement, sur- tout lorsqu'elles ont été imaginées contre les règles de la vraisemblance, et qu'on n’en a tiré que des conséquences contraires aux lois de la mécanique. U "400 PREUVES D E LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE Exposition de quelques autres systêmes. Ox voit bien que les trois hypothèses dont nous venons de parler ont beaucoup dechoses , communes ; elles s'accordent toutes en ce point , que dans le temps du déluge la Terre a change de forme ;, tant à l'extérieur qu’à l'intérieur : ainsi tous ces spéculatifs n’ont pas fait attention que la Terre , avant le dé- luge , étant habitée par les mêmes espèces d'hommes et d'animaux, devoit être néces- sairement telle , à très-peu près, qu'ellé est aujourd'hui, et qu’en effet les livres saints 274 THÉORIE nous apprennent qu'avant le déluge il yavoif sur la Terre des fleuves , des mers, des mon- tagnes , des forêts et des plantes; que ces fleuves et ces montagnes étoient pour la plu= “part les mèmes, puisque le Tigre et l'Eu- phrate étoient les fleuves du Paradis ter- restre ; que la montagne d'Arménie sur laquelle l'arche s'arrêta , étoit une des plus hautes montagnes du monde au temps du déluge, comme elle l’est encore aujourd’hui; que les mêmes plantes et les mêmes animaux qui existent existoient alors, puisqu'il y est parlé du serpent , du corbeau, et que la co- lombe rapporta une branche d’olivier : car quoique M. de Tournefort prétende qu'il ny a: point d'oliviers à plus de 400 lieues du mont Ârarath, et qu'il fasse sur cela d’assez mauvaises, plaisanteries * , 1l est cependant certain qu'il y en avoit en ce lieu dans le temps du déluge, puisque le livre sacré nous en assure, et il n’est pas étonnant que dans un espace de 4000 ans les oliviers aient été détruits dans ces cantons et se soient mul- tipliés dans d’autres. C’est donc à tort et | * Voyage du Levant, vol. IT, page 336. DE LA TERRE. 275 contre la lettre de la sainte Écriture que ces auteurs ont supposé que la Terre étoit , avant le déluge, totalement différente de ce qu’elle est aujourd'hui ; et cette contradiction de leurs hypothèses avec le texte sacré, aussi- bien que leur opposition avec les vérités phy- siques , doit faire rejeter leurs systèmes, quand même ils seroient d'accord avec quel- ques phénomènes : mais il s’en faut bien que cela soit ainsi. Burnet , qui a écrit le pre- mier , n’avoit pour fonder son système ni observations ni faits Woodward n’a donné qu'un essai, où il promet beaucoup plus qu’il ne peut tenir ; son livre est un projet dont on n'a pas vu l’exécution : on voit seulement qu'il emploie deux observations générales; la première, que la Terre est par- tout composée de matières qui autrefois ont été dans un état de mollesse et de fluidité, qui ont été transportées par les eaux , et qui se sont déposées par couches horizontales; la seconde, qu'il y a des productions marines dans l’intérieur de la Terre en une infinité : d’endroits. Pour rendre raison de ces faits, il a recours au déluge universel, ou plutôt il paroit ne les donner que comme preuve du 276 THÉORIE déluge: mais il tombe , aussi-bien que Bur= « à til / met , dans des contradictions évidentes; car il n’est pas permis de supposer avec eux qu'a … vant le déluge il n’y avoit point de monta- gnes , puisqu'il est dit précisément et très-clai- rement que les eaux surpassèrent de quinze coudées les plus hautes montagnes. D'autre côte il n’est pas dit que ces eaux aient détruit et dissous ces montagnes ; au contraire ces. montagnes sont restées en place, et l'arche s'est arrêtée sur celle que les eaux ont laissée la première à découvert. D'ailleurs comment peut-on s’imaginer que pendant le peu de temps qu'a duré le déluge, les eaux aient … pu dissoudre les montagnes et toute la terre? N'est-ce pas une absurdité de dire qu'en qua- rante jours l’eau a dissous tous les marbres, tous les rochers, toutes les pierres, tous les. minéraux ? N'est-ce pas une contradiction manifeste que d'admettre cetté dissolution totale, et en même temps de dire que les. coquilles et les productions narines ont été préservées , et que, tout ayant été détruit et dissous, elles seules ont été conservées, de sorte qu'on les retrouve aujourd'huientières, et les mêmes qu’elles étoient avant le déluge? 0 DE LA TERRE. 27/7 : Je ne craindrai donc pas de dire qu'avec. d'excellentes observations, Woodward n’a fait qu'un fort mauvais système. Whiston , qui. est venu le dernier , a beaucoup enchéri sur les deux autres; mais en donnant une vaste carrière à son imagination, au moins n’est- il pas tombé en contradiction : il dit des choses fort peu croyables ; mais du moins. elles ne sont ni absolument ni évidemment impossibles. Comme on ignore ce qu’il y a au centre et dans l’intérieur de la Terre, il a cru pouvoir supposer que cet intérieur étoit occupé par un noyau solide, environné d’un fluide pesant, et ensuite d’eau sur laquelle la croûte extérieure du globe étoit soutenue, et dans laquelle les différentes parties de cette. croûte se sont enfoncées plus ou moins , à proportion de leur pesanteur ou de leur lé- géreté relative; ce qui a produit les mon- tagnes et les inégalités de la surface de la Terre. Il faut avouer que cet astronome a fait ici une faute de mécanique: il n’a pas songé . que la Terre, dans cette hypothèse, doit faire voûte de tous côtés; que par conséquent elle: ne peut être portée sur l’eau qu’elle contient, et encore moins y enfoncer. À cela près, je 24 L. TU 278 THEORIE . ne sache pas qu’il y ait d’autres erreurs de … physique dans ce système. Il y en a un grand nombre quant à la,:métaphysique et à la théologie ; mais enfin on ne peut pas nier absolument que la Terre rencontrant laqueue d’une comète , lorsque celle-ci s'approche de « son périhélie , ne puisse être inondée, sur- tout lorsqu'on aura accordé à l’auteur que la queue d’une comète peut contenir des vapeurs: aqueuses. On ne peut nier non plus, comme une impossibilité absolue, que la queued’une. comète, en revenant du périhélie, ne puisse brûler la Terre, si on suppose avec l’auteur que la comète ait passé fort près du Soleil, et qu'elle ait été prodigieusement échauffée pendant son passage. 1l en est de mème du reste de ce système : mais quoiqu'il n’y ait pas d’impossibilité absolue, il y a si peu de probabilité à chaque chose prise séparément, qu'il en résulte une iapossibilité pour le tout pris ensemble. Les trois systèmes dont nous venons de parler ne sont pas les seuls ouvrages quiaient été faits sur la théorie de la Terre. Il a paru en 1729 un Mémoire de M. Bourguet, im— pruné à Amsterdam avec ses Lerres philo DEN LAITERRE. 249 sophiques sur la formation des sels, etc. dans lequel il donne un échantillon du système qu'il méditoit, mais qu'il n’a pas proposé , ayant été prévenu par la mort. Il faut rendre justice à cet auteur; personne n a mieux ras- semblé les phénomènes et les faits : on lui doit même cette belle et grande observation, qui est une des clefs de la théorie de la Terre ; je veux parler de la correspondance des angles des montagnes. Il présente tout ce qui a rapport à ces matières dans un grand ordre : mais, avec tous ces avantages , il pa- roit qu'il n’auroit pas mieux réussi que les autres à faire une histoire physique et rai- sonnée des changemens arrivés au globe, et qu’il étoit bien éloigné d’avoir trouvé les vraies causes des effets qu'il rapporte ; pour s’en convaincre, il ne faut que jeter les yeux sur les propositions qu’il déduit des phéno- mènes , et qui doivent servir de fondement à sa théorie *. Il dit que le globe a pris sa forme dans un même temps , et non pas suc— cessivement; que la forme et la disposition du globe supposent nécessairement qu'il à * Voyez page 211. 4 + ” | U 250 THÉORIE * J été dans un état de fluidité; que l’état pré: k sent de la Terre est très-différent de celui dans lequel elle a été pendantplusieurs siècles après sa première formation ; que la matière du globe étoit dès le commencement moins dense qu'elle ne l’a été depuis qu’il a changé de face ; que la condensation des parties so- lides du globe diminua sensiblement avec la vVélocité du globe même, de sorte qu'après avoir fait un certain nombre de révolutions sur son axe et autour du Soleil , il se trouva tout-à-coup dans un état de dissolution qui. détruisit sa première structure ; que cela arriva vers l’équinoxe du printemps ; que dans le temps de cettedissolution les coquilles s’introduisirent dans les matières dissoutes; “qu'après cette dissolution la Terre a pris la forme que nous lui voyons, et qu'aussitôt ‘le feu s’y est mis , la consume peu à peu et va toujours en augmentant , de sorte qu’elle sera détruite un jour par une explosion ter- rible , accompagnée d’un incendie général, ‘qui augmentera l'atmosphère du globe et en ‘diminuera le diamètre , et qu’alors la Terre, au lieu de couches de sable ou de terre, n’aura que des couches de métal et de minéral cal- DE LA TERRE. 28r ciné, et des montagnes composées d'amal- games de différens métaux. En voilà assez pour faire voir quel étoit le système que l’auteur méditoit. Deviner de cette façon le passé, vouloir prédire l’avenir, et encore A deviner et prédire à peu près comme les autres ont prédit et deviné, ne me paroit pas être un effort : aussi cet auteur avoit beau- coup plus de connoissances et d'érudition que de vues saines et générales, et il m'a paru manquer de cette partie si nécessaire aux physiciens , de cette métaphysique qui rassemble Les idées particulières , qui les rend - plus générales , et qui élève l'esprit aupoint où il doit être pour voir l’enchainement des causes et des effets. Le fameux Leibnitz donna en 1683 dans les Actes de Leipsic *, un projet de système bien différent, sous le titre de Prorogæa. La Terre , selon Bourguet et tous les autres, doit finir par le feu ; selon Leibnitz, elle a commencé par là, et a souffert beaucoup plus de changemens et de révolutions qu’on ne J'imagine. La plus grande partie dela matière * Page 40. 3 282 THÉORIE terrestre a été émbrasée par un feuviolent dans le temps que Moïse dit que la lumière fut séparée des ténèbres. Les planètes, aussi= bien que la Terre, étoient autrefois desétoiles fixes et lumineuses par ellesmèmes. Après avoir brûlé long-temps , il prétend qu’elles se sont éteintes faute de matière combus- tible , et qu’elles sont devenues des corps opaques. Le feu a produit par la fonte des matières une croûte vitrifiée , etla base de toute la matière qui compose le globe ter restre est du verre, dont les sables ne sont que des fragmens : Les autres espèces de terres se sont formées du mélange de ces sables avec des sels fixes et de l’eau ; et quand la croûte fut refroidie , les parties humides, qui s'étoient élevées en forme de vapeurs, retom- bèrent et formèrent les mers. Elles envelop- pérent d’abord toute la surface du globe, et surmontèrent même les endroits les plus élevés, qui forment aujourd hui les conti- nens et les îles. Selon cet auteur, les co- quilles et autres débris de la mer qu’on trouve par-tout , prouvent que la mer a couvert toute la terre; et la grande quantité de sels fixes, de sables, et d’autres matières fondues ee DE LA TERRE. 283 et calcineées, qui sont renfermes dans les . entrailles de la Terre, prouye que l’incen- die a été général , et qu'il a précédé l'existence des mers. Quoique ces pensées soient dénuées de preuves , elles sont élevées, et on sent bien qu’elles sont le produit des méditations d’un grand génie. Les idées ont de la liaison, les hypothèses ne sont pas absolument im- possibles , et les conséquences qu’on en peut tirer ne sont pas contradictoires : mais le grand défaut de cette théorie, c’est qu’elle ne s'applique point à l'état présent de la Terre ; c’est le passé qu’elle explique; et ce passé est si ancien , et nous a laissé si peu de vestiges, qu'on peut en dire tout ce qu’on voudra, et qu'à proportion qu'un homme aura plus d'esprit, il en pourra dire des choses qui auront l'air plus vraisemblable. Assurer , comme J’assure Whiston , que la Terre a été comète , ou prétendre avec Leib- nitz qu'elle a été Soleil, c’est dire des choses également possibles ou impossibles , et aux- quelles il seroit superflu d'appliquer les règles des probabilités. Dire que la mer a autrefois couvert toute la Terre, qu’elle a enveloppé le globe tout entier , et que c’est DA 284 THÉORIE par cette raison qu’on trouve des coquillés par-tout, n'est-ce pas faire attention à une chose très- essentielle , qui est l’unité du temps de la création? car si cela étoit, il fau droit nécessairement dire que les coquillages et les autres animaux habitans desmers, dont on trouve les dépouilles dans l’intérieur de la Terre , ont existé les premiers, et long-temps, avant l’homme et les animaux terrestres: or, indépendamment du témoignage des livres sacrés, n'a-t-on pas raison de croire que toutes les espèces d'animaux et de végétaux sont à peu près aussi anciennes les unes que les autres? , | * M. Scheuchzer, dans une dissertation qu’il a adressée à l’académie des sciences en 1708, attribue, comme Woodward , lechangement, ou plutôt la seconde formation de la surface du globe , au déluge universel ; et pour ex- pliquer celle des montagnes, il dit qu'après le déluge Dieu voulant faire rentrer les eaux dans les réservoirs souterrains, avoit brisé et déplacé de sa main toute-puissante un grand nombre de lits auparavant horizontaux, et les avoit élevés sur la surface du globe. Toute . da dissertation a été faite pour appuyer cette DE LA TERRE 265. opinion. Comme il falloit que ces hauteurs ou éminences fussent d'une consistance fort solide , M. Scheuchzer remarque que Dieu ne les tira que des lieux où il y avoit beau- _ coup de pierres : de là vient, dit-il, que les pays , comme la Suisse, où il y en a une grande quantité , sont montagneux, et qu'au contraire ceux qui, comme la Flandre , l’'AI- Jemagne, la Hongrie, la Pologne, n’ont que du sable ou de l’argille, même à une assez grande profondeur, sont presque entièrement sans montagnes”. | Cet auteur a eu plus qu'aucun autre le défaut de vouloir mêler la physique avec la théologie; et quoiqu'il nous ait donné quel- ques bonnes observations, la partie systé- matique de ses ouvrages est encore plus mau- vaise que celle de tous ceux qui l’ont précédé: il a même fait sur ce sujet des déclama- tions et des plaisanteries ridicules. Voyez la plainte des poissons, Piscium querelæ, etc. sans parler de son gros livre en plusieurs volumes ;r7-folio , intitulé, PAysica sacre; ouvrage puérile, et qui paroît fait moins * Voyez l'Histoire de Pacddemit. 1708 ; Pa 32e 286 THÉORIE pour occuper les hommes que pour amuser les enfans par les gravures et les images qu’on y a entassées à dessein et sans nécessité, Stenon , et quelques autres après lui , ont attribue la cause des inégalités de la surface de la Terre à des inondations particulières , à des tremblemens de terre , à des secousses, des éboulemens , etc. : mais les effets de ces causes secondaires n’ont pu produire que quelques légers changemens. Nous admettons ces mêmes causes après la cause première, qui est le mouvement du flux et reflux, et le mouvement de la mer d’orient en occident. Au reste, Stenon ni les autres n’ont pas donne de théorie, ni même des faits généraux sur cette matière *. Ray prétend que toutes les montagnes ont été produites par des tremblemens de terre,