HISTOIRE NATURFXLE, GÉNÉRALE ET PARTICULIERE DES CRUSTACÉS ET DES INSECTES. Ouvrage faisant suite anx (Envres de Le clerc he BuFFON , et partie du Cours complet d'Histoire naturelle rédigé par C. S. S o n n i n i , membre de plusieurs Sociétés savantes. PAR P. A LATREILLE, Membre associé de l'Institut national de France , des Sociétés Linnéenne de Londres , Fhilomathique , Histoire naturelle de Paris , et de celle des Sciences , Belles Lettres et Arts de Bordeaux. PRINCIPES ÉLÉMENTAIRES. TOME PREMIER. ^ "^yy lui" IHI I »■> , ■ A PARIS, DE L'IMPRIMERIE DE F. DUFART. ANX. PRÉFACE. E N donnant à la suite de l'Histoire des Quadrupèdes , des Oiseaux de l'immortel BufFon , celle des Insectes , je suis bien éloigné de vouloir me dire son conti- nuateur. Pourrois-Je, sans être dans le délire , ne pas voir l'immensité de l'in- tervalle qui me sépare de ce grand homme , et pour la profondeur des connoissances , et pour la sublimité des pensées , et pour les charmes ravissans de la diction ! Notre âge a vu briller ce génie, et fatiguée des peines, des efforts que sa naissance lui a coûté, la Nature va se reposer pendant bien des siècles avant d'en produire un semblable. Ainsi ne paroissent, qu'à des époques loin- taines et remarquables, ces astres d'une forme extraordinaire, qu'on a nommés comètes. Secondant de tout son zèlç , ûe tout son pouvoir les travaux et les recherches A iij ri PREFACE. de Sonnini, le Libraire qui a conçu et conduit presqu'à sa fin la vaste entre- prise de cette Edition de Buflbn , a voulu que le public jouît , en même tems , d'un Cours complet d'Histoire naturelle : les (Euvres du Pline Français en sont le noyau; autour de lui viennent se ranger , mais sans se confondre , toutes les parties complémentaires. Le moment est arrivé où je dois aussi com- mencer d'acquitter ma dette. Combien elle est accablante ! non , vingt années de recherches et de méditations sur mon sujet ne sauroient dissiper les frayeurs dont je suis saisi à la vue de la tâche qui m'est imposée , si je n'avois fondé mon espoir sur l'indulgence propice de mes lecteurs. Elle seule me rassure et m'enhardit. Ah ! vous connoissez les difficultés innombrables dont est héris- sée l'histoire de cette multitude infinie d'êtres , appelés insectes ; vous avez appris mieux que moi combien l'ex- trême petitesse de ces animaux oppose PREFACE. vi; d'obstacles à la découverte de leurs mœurs et de leurs habitudes ; vous avez Ju ce qu'on a écrit relativement à ce peuple , et vous n'ignorez pas qu'il est peu connu ainsi que tant d'autres, comme ceux , par exemple , qui occupent les terres récemment découvertes. Vous voilà donc, j'ai cette douce confiance, prêts à m'entendre avec ce sentiment qui encourage , en se prêtant à notre foiblesse. Une carrière , dont nous ne pouvons mesurer l'étendue , s'offre à nos regards; essayons de la parcourir, non en nous abandonnant à nos seules forces , mais en appelant pour nous soutenir ces hommes dont les travaux immortels doivent nous diriger. O vous ! que la zoologie , la bota- nique regardent comme un de leurs plus grands maîtres; vous qui m'associâtes à une partie de vos travaux , et qui m'avez ouvert ainsi la route qui mène à la gloire , savant Lamarck , veuillez toujours marcher à mes côtés , et que A iv viij PREFACE. la sagesse de vos conseils, votre expé- rience me servent de guides; et vous, avec lesquels je me suis formé dans l'art d'observer les Insectes , mes amis Olivier et Bosc , je n'ai pas besoin de vous dire que vos noms sont dans tous mes ouvrages , et mieux encore dans mon cœur. Aidé de ces puissans secours , je ne regarderai pas mon entreprise comme le fruit de la présomption. S'il est des circonstances où Fliomme sage doit craindre d'être téméraire , il en est aussi où il doit appréhender de devenir pu- sillanime ; car la prudence a des bornes. Si par un calcul exagéré de mes moyens je viens à faire des fautes , il pourra cependant résulter peut-être quelque avantage de mes erreurs. J'ouvrirai la voie à des découvertes. L'ordre que je me propose de suivre dans cette Histoire générale des Insectes est , à la transposition près des crus- tacés , le même que j'avois déjà publié PREFACE. îx dans mon précis des caractères géné- riques des Insectes. Je n'ai pas cru devoir y faire d'autres changemens , le flambeau de l'anatomie n'ayant pas encore suffisamment éclairé cette route ténébreuse. Puisque l'on convient d'ail- leurs que les animaux , que Linnaeus a nommés Insectes^ forment un groupe tout à fait distinct et isolé, puisque les vicissitudes que ce groupe éprouvera ne consisteront que dans quelques dé- placemens de ses coupes , le point essentiel est de bien caractériser les divisions et de tracer de notre mieux leurs limites. Laissons à l'anatomie le soin de nous marquer l'ordre que ces divisions occupent dans la série naturelle des êtres. Je ne nie pas que les ara-^ clinides , par exemple , ne puissent , ainsi que l'a déjà pensé le professeur Lamarck, être séparés des insectes et former une classe ; mais les observations anatomiques n'ayant pas encore con- firmé cette opinion, je suis autorisé à X PREFACE. les laisser encore à leur ancienne place. Cependant, pour que mon histoire soit d'accord avec l'ordre de mes travaux du Muséum d'histoire naturelle, je com- mencerai par les Crustacés et les Insectes aptères. Mes coupes d'ordres seront parta- gées en familles; j'ai le premier indiqué cette marche , et j'ai vu , avec plaisir , qu'on en avoit profité. Sept années de plus de recherches sur cette partie , l'examen approfondi de la belle collec- tion d'Insectes du Muséum national , m'ont donné le moyen de perfectionner mes premiers essais. Je mets à la tête de chacune de ces familles le tableau général de ce que l'Histoire des animaux qui la composent offre de plus piquant ; j'ai recueilli à cet égard beaucoup d'observations neuves et des faits singuliers. L'homme, qui n'étudie les Insectes que dans son ca- binet , peut être descripteur ; mais il ne sera jamais , à ce que je pense , un profond entomologiste. PREFACE. xj ' Les genres oflriront toutes les espèces connues qui leur appartiennent ; celles que je n'aurai pas examinées seront dis- tinguées des autres. Toutes seront par- tagées en deux : les indigènes et les exotiques. Cette méthode, lorsqu'on suit d'ailleurs les rapports d'affinité , est ex- trêmement commode. A chaque espèce seront jointes les phrases correspondantes de LinnéEus , de M. Fabricius, de Geoflioi, d'Olivier, celles principalement de celui qui aura décrit le premier l'espèce. J'indiquerai aussi deux ou trois figures ; celle que j'aurai jugée la meilleure sera à la tête. Mon travail relatif aux coupes des genres est tel , que chaque division que je proposerai ne renfermera ordinaire- ment qu'une vingtaine d'espèces , et souvent moins ; je pourrai ainsi rendre mes différences spécifiques plus compa- ratives , plus courtes , et me dispenser d'une longue description. Ne pouvant figurer toutes les espèces, xij PREFACE. je choisirai , dans chaque genre ^ les pîu* saillantes , et leurs parties caractérisa tiques seront le sujet d'autant de desseins particuliers. Il nous manquoit des élémens d'Ento- mologie ; mes deux premiers volumes en tiendront lieu. Quoique ici les tra- vaux de M. Fabricius , et d'Olivier sur- tout , m'aient été fort utiles , je crois cependant donner sous plusieurs rap- ports un livre original. Les planches qui accompagnent les élémens , et dont les sujets figurés sont généralement connus, faciliteront , j'espère , l'étude des instru- mens nourriciers des Insectes, organes si imporlans dans leur économie , et qui fournissent de si bons caractères , quoi qu'en puissent dire des hommes qui ne les ont jamais étudiés. Je me contente tle donner à ces deux premiers volumes le simple titre ^élémens. D'autres les auroient revêtus de la qualité fastueuse de philosophie y car l'on sait combien ce mot en impose , et combien il a d'in-î PREFACE. xi\} fluence. Il ne sied qu'à des génies extraordinaires , à des hommes placés au premier rang dans la carrière des sciences, d'appeler leurs conceptions des idées philosophiques. Tel est l'apanage naturel des Chaptal, des Fourcroi, des Fabricius , des Jussieu , des Lamarck , des Cuvier , des Lacépède , etc. , etc. Pour nous , marchons modestement avec les littérateurs plébéiens. Ma gratitude a déjà parlé, mais sa voix résonne encore au fond de mon cœur; pourrai-je lui imposer silence, et le Public me permettra-t-il d'oublier un instant les seuls rapports que je dois avoir avec lui , ceux de la science , pour l'entretenir d'un sentiment qui m'est personnel. A la tête des hommes qui ont con- couru à l'amélioration de mes travaux , je place l'illustre voyageur et naturaliste Sonnini. Il m'a communiqué plusieurs tonnes observations sur les Insectes de Cayenne, et un très-grand nombre de xiv PREFACE. notes qu'il avoit recueillies dans la lecture de presque tous les voyageurs célèbres. Parmi ceux qui m'ont fait part de leurs richesses en histoire naturelle , je compte sur -tout un de mes savans collègues , Beauvois. J'ai trouvé chez lui , non un de ces hommes qui estiment tous les objets de leur collection au poids de l'or, mais un ami qui ne s'est plus ressouvenu que la possession de tel ou tel insecte avoit exposé ses jours, et qui m'a dit si généreusement , prenez. Dans le nombre de mes correspondans, je dois citer Dargelas , dont le nom m'est cher sous bien d'autres titres , et Lapierre , professeur d'histoire naturelle à Rouane : le zèle de l'un et de l'autre sont au dessus de ma reconnaissance et de mon expression. HISTOIRE NATURELLE DES CRUSTACÉS ET INSECTES. PREMIER DISCOURS. De la nature des Insectes ^ et de leur ordre dans la série des animaux. Un grand intervalle nous sépare de ces animaux qu'on a désignés sous le nom de quadrupèdes , et qui, dans réclielle naturelle des êtres , viennent immédiatement après riiomme. Nous avons vu aussi s'éloigner les souverains de l'empire des airs , la nom- breuse et brillante classe des oiseaux. Ces reptiles, dont la vue portoit dans notre ame FefFroi et glaçoit nos sens , ne fatigueront plus nos regards. Nous avons pénétré dans le sein des ondes pour y découvrir quelques- uns de ses habitans ; les poissons terminent ainsi riiistoire des animaux, ajjpelés d'abord animaux à sang rouge , mais que de nou- velles observations obligent de nommer , 36 DE LA NATURE pour plus grande exactitude , vertèbres (i). Tous les naturalistes modernes savent que nous devons cette distinction rigoureuse à l'illustre professeur Lamarck (2). Ici se présente un nouveau monde , la série imiombrable des animaux nommés , par opposition aux précédens, invertébrés y ou les animaux à sang blanc du professeur Cuvier. Si le colossal , si le gigantesque avoient seuls le droit de fixer votre attention , j© vous dirois : portez ailleurs vos regards ; vous ne verrez plus de ces masses énormes qui font trembler la terre sous leurs pas ,• biea au contraire , les peuples dont nous ébau- cherons l'histoire sont si petits , que vous ne pourrez souvent en distinguer les formes (i) Animaux qui ont une épine dorsale, formée d'une suite d'os on de vertèbres. (2) On avoit pressenti , depuis long-tems , cette distinction. « Je crois même , dit le célèbre Lyonnet, dans ses Remarques sur la théologie des insectes , tom. I , pag. 84 , qu'un des caractères les plus propres pour distinguer les insectes du reste des animaux , seroit de poser qu'ils n'ont pas de squelette intérieur. 3e définiasois aussi l'insecte, en 1795 : animal sans vertèbres , à pattes de plusieurs pièces. ( Préc. des caract. génér. des insectes. ) sans; DES INSECTES. 17 sans le secours du microscope ,* mais , à l'oeil du philosophe, qu'importent les masses et les volumes ? La sagesse du Créateur ne brille jamais avec plus d'éclat que dans ce qui se dérobe à nos sens ; elle ne s'y concentre que pour mieux développer sa force. Lorsqu'elle Yeut former les grands animaux, elle trouve de la facilité par l'abondance de la matière ; mais , dans ces corps imperceptibles , dans cet atome que son extrême petitesse anéantit à nos 3'eux, comment trouver assez d'espace pour y placer des organes capables de tant de sensations différentes ? Elle est bien plus incompréhensible pour moi , cette suprême Intelligence, en vivifiant cette molécule, ce ciron , qu'en animant ce colosse , cet élé- phant. L'homme lui - même , si fier de la perfection de son être, ne viendroit donc, comme inférieur en masse , qu'après une foule d'animaux? C'est-à-dire donc encore que cette macliine , où toutes les règles de la plus parfaite mécanique ont été scrupu- leusement observées, dont toutes les pièces sont construites et rassemblées avec tant d'art , mais qui sont si frêles , si délicates , qu'elles échappent aux doigts et presqu'à la vue , mériteroit moins le tribut de notre admiration qu'une machine qui seroit exé- Ins. ToM£ L B i8 DE L A NATURE cuLée très- en grand sur le même modèle ! Oui, rinriniment petit est plus merveilleux que l'infiniment giand ; et cette poussière , ce point imperceptible , mais animalisé , ne fout qu'accroître ma piofoude vénération pour l'Auteur de tant de chef - d'œuvres. Mon imagination se confond , et j'adore cette sagesse , suprême ordonnatrice de toute chose , qui se manifeste à nous avec tant de puissance. Les animaux invertébrés sont si innom- brables , si peu connus , et offrent tant de difficultés au naturaliste qui veut les sou- mettre à l'observation , qu'il est impossible à un seul homme de doimer même une histoire complette d'une de ses branches. Il est donc nécessaire de se partager ces vastes domaines de la Nature. Je vais faire mon entrée dans l'empire qui m'est échu , celui des insectes ; mais comment pouvoir y péné- trer sans éprouver mi saisissement de crainte et de respect ? A la vue de cette foule im- mense d'objets, l'esprit, accablé par l'idée de la tâche qu'il doit remplir , veut se refuser à toute méditation. Le génie des grands hommes qui ont frayé les premiers cette biilîante carrière de l'observation, vient heu- reusement à notre secoiurs , et nous com- DE S 1 N S E C T E S. iç) mimique une force qui nous tire de TabaL- tement où nous étions réduits. Elevons-nous donc au dessus de nous-mêmes; abordons ces terres nouvelles dont la découverte est le fruit des travaux des SAvammerdam , des Réaumur, des De Géer, etc. etc. ; ne nous attendons pas à les parcourir en entier ; à peine en connoitrons-nous les côtes: mais le peu que nous en visiterons satisfera notre curiosité , nous engagera à pénétrer plus avant , et le désir d'acquérir de nouvelles connoissances enfantera des découvertes. De toutes les classes de la zoologie , celle des insectes est la plus étendue , la plus belle et la plus variée. Une fécondité inconce- vable , une richesse étonnante de merveilles nous invite à la contemplation et à l'étude de ces animaux. ., (( Il n'est peut-être aucune science, dit "Wilhem dans ses Récréations tirées de l'his- toire naturelle , traduction française , pre- mier cahier , page 44 , qui se présente à ceux qui ne la comioissent pas encore , sous un extérieur plus lebutant , et qui captive cependant davantage l'attention , à mesure qu'on y fait des progrès , que l'Entomologie; elle est , pour ses amateurs , une source inépuisable d'instruction , et d'un plaisir- B ii 20 DE LA NATURE dont la jouissance s'offre libéralement à chacun , sans jamais entraîner ni repentirs ni regrets à sa suite ,* ils voient dans ce domaine, si vaste et si peuplé, la même variété d'oc/cupations que Ton observe dans la vie ordinaire des ouvriers et des artistes. Ici , l'observateur en trouve quelques-uns qui se pendent par la partie postérieure ; là , d'autres s'attachent et se fixent au moyen d'une ceinture ; i(d , ce sont des enveloppes destinées à leur métamorphose , tissues de la plus fine soie ; là, elles sont construites de matériaux absolument diiïérens : il aperçoit ceux qui se composent, en suçant , une sorte de coussin ; là , d'autres qui se bâtissent de véritables cabanes ; ici , il en voit qui , sortis tout nuds de l'oeuf, savent se vêtir en laine ; là, d'autres qui se font de leurs excrémens une redingote solide. Mille observations pa- reilles le surprennent , on ne peut pas plus agréablement, dans le cours de cette étude : lors donc qu'il lui arrive de troubler les in- sectes dans leurs occupations ordinaires , pour voir à quels moyens ils auront recours; lorsque le microscope lui découvre de nou- veaux mondes très - peuplés , où il se croit aux confins de la création; lorsque l'être réfléchissant s'élance, par la pensée, depuis DES INSECTES. 21 la clienille qui rampe sur la poussière, ou depuis son fil si délié jusqu'à l'Auteur de l'univers, et qu'il admire dans l'infinie diver- sité des moyens tendant à un seul but, la conservation de ses créatures , la fécondité et la haute sagesse de l'Intelligence divine , par qui tout est dirigé ; c'est alors qu'il éprouve en plein combien cette science est sublime , et que nul homme qui pense ne peut, sans être pénétré d'un profond res- pect pour la toute -puissance et la bonté de Dieu , nul infortuné , sans se sentir consolé , contempler le spectacle que ce grand théâtre lui met devant les yeux. Le penseur, s'il est habile observateur , y trouvera lassem- blées les merveilles répandues dans les autres classes d'animaux. L'œil perçant du lynx et du faucon , la forte cuirasse de l'armadille , la superbe queue du paon , le bois impo- sant du cerf, la vitesse du chevreuil , la fécondité du lièvre , l'ingénieux nid de la mésange de Pologne , et toutes les aptitudes du castor dans l'art de bâtir, de l'écureuil à grimper , du singe à gambader , de la gre- nouille à nager, de la taupe à creuser; il les trouvera , disons-nous , souvent même à un plus haut degré de perfection chez les in- sectes. Ici, il verra des milliei's d'yeux hexa-* B 3 iSi? DE LA NATURE gones qui réfléchissent les objets en mille manières, et le cerf- volant orné d'un beau bois: ici, les ailes du papillon lui étaleront les peintures les plus séduisantes , et les élytres de l'insecte à étuis lui montreront ime très-bonne armure défensive : ici , les abeilles et les fourmis lui feront connoître des constructions d'édifices bien supérieures à celles du nid du pendolin, et d'une répu- blique d'animaux bien plus nombreuse que celle que composent les castors ; ici , l'arai- gnée porte - sac montrera , pour ravoir sou sac à œufs lorsqu'on le lui aura pris , une inquiétude aussi tendre que la chatte à qui l'on a ravi ses petits: puis, lorsqu'il verra la punaise du bouleau veiller à la sûreté de sa progéniture , avec les mêmes soins vigilans que la poule à celle de sa couvée , et la phalène-paon donner à l'enveloppe destinée à sa métamorphose , la forme et la distri- bution d'une nasse à prendre le poisson , avec au moins autant d'adresse que l'oiseau- tailleur en fait paroitre à coudre son nid ; et lorsqu'il considérera la nombreuse postérité de la blatte, le vol de la sauterelle , le saut du taupin, la manière de ramer du scorpion aquatique, la lumière brillante du ver lui- sant ; lorsqu'il verra le hanneton sortir de DES INSECTES. aS dessous le terrain battu d'un jeu de quille , le dermeste fossoyeur (necropliore) enterrer des animaux beaucoup plus grands que lui, la teigne se faire une jaquette bigarrée , la casside verte et le criocère du lys se com- poser un manteau de leui's excrémens , la cigale de l'écume s'envelopper en effet d'é- cume , le fourmi-lion se creuser un fossé en entonnoir, et le bernard-riiermite , dans le sentiment de son impuissance , se bâtir un abri, aller se réfugier dans la première co- quille assortie à sa taille; lorsqu'il aperce- vra d'innombrables petits flocons suspendus autour d'une branche d'amie , et s'élever sur les feuilles de chêne, du houx, dA chien- dent , des protubérances et des boutons sin- guliers, qui sont l'ouvrage tantôt des kermès, tantôt des gallinsec tes; lorsqu'il verra, disons- nous, tous ces objets et mille autres pareils avec des yeux attentifs, comment cet obser- vateur pourroit-il regarder un seul instant cette classe d'animaux comme moins riche en merveilles que les autres? » Le nombre infini des insectes , l'action continuelle qu'ils exercent sur toutes les autres productions de la Nature, sur l'homme lui-même, leur pouvoir presque insurmon- table , les figures si vaiiées et si bizarres de B 4 54 DELA NATURE ces protées, leurs mélaniorphoses, qui sem- blent léaliser les faits merveilleux qu'in- venta la fable, leurs amours, la singularité des organes propres à la génération , l'appa- reil si compliqué de leurs instrumens nour- riciers , leurs ruses et leur adresse dans la poursuite de leur proie , leurs différens moyens de se procurer leur nourriture, leur inconcevable industrie dans la construction des nids qu'ils préparent à leurs petits , cette sage prévoyance qu'ils témoignent pour leur conservation , le besoin pressant que nous avons de les détruire ou de les multiplier, nous commandent l'étude de cette belle partie de l'histoire naturelle , qu'on a nom- mée entomologie ou science des insectes. Ses charmes , ses attraits ne sont i)lus sans pou- voir ; sœur , en quelque manière , ou du moins compagne fîdelle de la botanique, elle est devenue sa rivale. L'on ne foule plus aux pieds les richesses que le Créateur a versées avec tant de profusion sur la sui face de notre globe ; on les recueille avec zèle. O vous qui lésistez à la voix éloquente de la Nature , entrez dans ce temple que l'homme lui a élevé , pénétrés d'admiration et de reconnoissance ! ou plutôt , dis - je , portez vos pas dans son vestibule ; car que DES INSECTES. 26 de siècles s'écouleront avant qu'on lui pré- pare un monument digne de sa gloire et de sa magnificence ! Quelle est votre surprise à la vue de tant de beautés ? Jetez particuliè- rement vos yeux sur ces insectes qui vous semblent si vils et si méprisables : livrez carrière à votre imagination, et dites -moi s'il peut exister une forme idéale dont vous ne retrouviez la réalité parmi ces animaux. Vous vous extasiez sur la richesse éclatante de quelques oiseaux , et vous en voyez ici des milliers qui rivalisent avec ceux que vous admirez , ou qui les surpassent même. Ces colibris et ces oiseaux-mouches qui vous surprennent davantage, vous en compterez au plus une centaine , et je vous montrerai plus de deux mille papillons, qui ont non seulement le même luxe et la même pompe dans la manière dont ils sont vêtus , mais dont le brillant coloris offre un mélange de teintes et un assortiment de nuances bien plus variées , et dont l'admirable distribution éprouve les talens du peintre le plus habile. Les oiseaux peuvent étaler à vos yeux l'or, l'argent , l'émeraude , le saphir , le rubis ; mais toutes ces richesses ne forment point ces beaux compartimens , ces dessins inimi- tables que me fait voir faile du papillon. Je 26 DE LA NATURE pourrois encore vous montrer une infinité d'autres insectes, qui n'ont pas moins d'éclat et de magnificence dans leurs liabillemens. Rendez le juste hommage de votre gra- titude à ces génies ardens qui , pour orner cet auguste sanctuaire , ont bravé la fureur des tempêtes , l'ignorance superstitieuse et féroce des peuples qu'ils ont abordés, et qui, outre les fatigues insurmontables attachées à leurs courses , ont eu à combattre des ani- maux cruels , la faim et la soif , que dis-je ! mille morts. Détournez maintenant vos regards de ces objets , et portez-les sur vous-mêmes , sur ce qui vous environne. Pouvez-vous mécon- noître les services signalés c[ue vous rendent ces êtres si rebutés ! De qui tenez-vous cette étoffe dont la finesse , l'éclat et la durée lui ont valu la supériorité sur les autres ? Cette étoffe de soie?. . . . d'un insecte, du ver à soie. Votre tyrannie , comme si elle n'avoit pas une assez vaste théâtre, s'empresse d'aller chercher dans des régions lointaines d'autres victimes , pour préparer à votre mollesse, au prix (le tant de larmes , du sang peut-être , un raffinement de goût , ce sel retiré de la canne à sucre ; et des républiques d'insectes? DES INSECTES. 27 en activité continuelle , des abeilles , élabo- rent , dans leurs atteliers multipliés autour de vous , sans frais , sans coûter un seul sou- pir à un mercenaire , une liqueur aussi douce, aussi agréable que le sucre, le miel. En four- nissant aux délices du jour , ces insectes in- dustrieux contribuent aussi aux plaisirs de la nuit; ils vous donnent cette matière, dont la combustion entretient une lumière qui vous console de l'absence de l'astre du jour. Cette couleur éclatante , l'emblème du pou- voir le plus sublime, à qui le devez- vous? à un insecte ! Cessez par votre ingratitude d'outrager la Nature ; et si vous n'avez pas le courage de méditer ses ouvrages, sachez du moins reconnoître ses bienfaits et l'admirer. Tout géographe qui veut décrire un pa3's doit d'abord indiquer ses limites, déterminer sa situation , ses rapports avec les contrées voisines. Quel est donc le sens naturel de ce mot insecte ? sur quoi est-il fondé ? jus- qu'où s'étend la science qui s'occupe spécia- lement de l'étude de ces animaux ? quels sont leurs rapports organiques avec les au très, ou à quel degré s'en approchent et s'en éloi- gnent-ils ? Telle est la série des questions auxquelles j'ai à répondre. Pendant long-tems ( et cncoi^e aujourd'hui 28 DE LA NATURE aux yeux du vulgaire ) , tous les animaux iuvertébrés , à l'exception de quelques-uns , portèrent indistinctement le nom ô! insecte ou de ver , souvent même celui de reptile. Les premiers naturalistes partagèrent cette grande branche de la zoologie en quatre : les mollusques, mollia , les crustacés, crus- tata , les insectes , insecta , et les vers , ver- mes. Mais ces distinctions n'avoient rien de précis et empiétoient les unes sur les autres. Les larves des vrais insectes , les chenilles se virent associées au lombric , à la sang- sue , etc. Choqué de voir ces assemblages mons- trueux , le grand Linn^eus s'occupa d'une réforme nécessaire. Il isola des autres ani- maux ceux dont le corps a des incisions transversales et des pattes ; ils auront seuls le nom d'insectes. La science qui a pour objet leur connoissance reçoit une dénomi- nation analogue : c'est l'Entomologie , ainsi que j'ai dit plus haut. Une telle dénomination trouve un célèbre contradicteur , le philosophe Eonnet. Il la regarde comme barbare , et désire qu'on lui substitue cell<^ d'insectologie. L^oreille des naturalistes n'est guère mieux flattée de cette dernière expression. Il est décidé que l'ai- DES INSECTES. 29 iiance de la langue latine et de la langue grecque est un attentat contre les principes de la grammaire de l'histoire naturelle. Entre ces deux rivales , la langue grecque , comme la plus ancienne , obtient la préfé- rence , et l'insectologie est mise hors de combat par l'entomologie. La plupart des distinctions du mot insecte données jusqu'à ce jour sont , sans excepter même celle de Linna^us , ou trop courtes et vagues , ou surchargées d'une multitude de caractères qui ne les rendent pas plus vraies et plus exactes. Celle que j'ai pro- posée , et dont j'ai déjà parlé dans une note au commencement de ce discours , me paroît avoir toutes les qualités qu'exige une bonne définition. Je dirai donc qu'on doit entendre par le mot insecte un animal sans vertèbres , à pattes articulées. Je donne à ce mot insecte toute la latitude qu'elle peut avoir dans l'acception de Linnœus. De grands naturalistes ont exigé dans leurs définitions la présence des antennes ( 1 ) , celle des yeux , le jeu transversal des mâ- choires , les incisions du corps , la manière (i) Filets articulés et mobiles , insérés sur la tête des insecles; mais hors des organes de la manducation. 3o DE LA NATURE de respirer , le nombre déterminé deé pattes , etc. ; mais ces caractères , quoique bons pour séparer les insectes des animaux vertébrés , n'ont pas toujoins la même va- leur lorsqu'on les compare avec ceux qui distinguent les autres animaux sans ver- tèbres , et ne conviennent même pas à tous les insectes. Ainsi les araignées , les scorpions , les mites , etc. n'ont pas d'antennes ; et les an- tennules (i) de plusieurs animaux du même ordre ont si peu de conformité avec les antennes , que ce caractère seroit , du moins dans bien des cas , fort équivoque. Quelques vers ont aussi des espèces d'antennes ; on aperçoit des yeux à d'autres , ce qui diminue la force du caractère pris de la présence de ces organes. Les néréides , les aphrodites ont le corps divisé transversalement , de même que la plupart des insectes ; je dis la plupart, puisque les faucheurs ( phelangium ) et les mites ont le corps renfermé sous une en- veloppe continue , plissée simplement quel- quefois. Des ordres entiers d'insectes sont dépourvus de mâchoires : voyez les punaises, (t) Petits filets articulés, insérés sur des organes de U manducation. DES INSECTES. 5i les cigales , les lépicloplères , etc. ; le jeu transversal de ces instrumeiis ne peut donc être appliqué aux insectes comme caractère universel. La manière de respirer des in- sectes se retrouve dans plusieurs vers, a Ceux qui vivent dans l'eau , dit le professeur Cu- vier , en parlant de ces derniers , respirent souvent par de brancliies membraneuses ou en panache , comme beaucoup de larves (i) aquatiques. D'autres ont aux côtés du corps des stigmates ( 2 ) , entièrement semblables aux orifices des trachées des insectes ». A l'égard des pattes , il est bien constant que (i) Etat d'un insecte, sujet à mélamorplioses; dès sa sortie de l'œuf. Ce mot de larçe signifie masque , parce que le germe de l'insecte parfait ou de rinsecle dont les organes ont acquis tout leur développement , est renfermé dans la larve sous plusieurs enveloppes : ainsi la chenille, celle du ver à soie, par exemple, est une larve, parce qu'elle contient, sous cette forme de clienille , l'insecte à ailes farineuses qui doit en sortir. Cet état de larve commence à la sortie de l'œuf et persévère jusqu'à un second changement ou seconde métamorphose , dont nous parlerons dans la suite. Les larves des insectes à ailes farineuses , des papillons, phalènes, etc., portent exclusivement le nom de chenilles. (2) Ouvertures du corps , donnant entrée à l'air. 52 DE LA NATURE les insectes couiius jusqu'à ce jour n'en ont pas moins de six (i); mais au delà, leur nombre varie , non seulement dans différens genres, mais dans le même. La considération fondée sur ces parties devient donc ai bitraire. Dans la description que j'ai donnée des insectes, il faut observer, et c'est une re- marque très-importante, que je les ai sup- posés arrivés au dernier période de leur organisation, ou à un état dans lequel ils ont tout ce qu'ils pouvoient acquérir, où ils ne changeront plus de formes, et sont propres à communiquer à d'autres leur existence. La faculté de pouvoir engendrer est chez les animaux vertébrés le signe non équivo- que du développement absolu des organes : c'est le 7iec plus ultra de leur existence. Cette même faculté , chez les insectes , est également, ou mieux encore, l'indicateur fidèle de la dernière perfectibilité d'organi- sation dont ils sont susceptibles. Avant cette (i) Quelques entomostracés n'ont , d'après Muller , que qviatre pâlies : mais les entomostracés s'éloignent déjà beaucoup des insectes ; et d'ailleurs l'observa- tion rapportée ci-dessus est-elle bien certaine ? époque , DES INSECTES. 35 époque, l'insecte n'est pas ce qu'il doit être; on ne peut porter sur lui de jugement, de même qu'on ne prononce pas sur une plante avant qu'on ait vu sa floraison et sa fructi- fication. Dans leur bas âge, grand nombre d'insectes sont si différens de ce qu'ils seront un jour, qu'il est impossible d'assigner des caractères qui leur soient communs, sous quelque état qu'on les examine. Les larves de plusieurs diptères (i) ont les plus grands traits de ressemblance avec des vers propre- ment dits : cette difficulté, au surplus, n'est pas nouvelle ; ellq s'est déjà présentée dans la classe des quadrupèdes ovipares. Le télard d'une grenouille est certes très-différent du même reptile parvenu à sa dernière forme. Ce n'est pas assez d'avoir défini; il faut démontrer que la définition est appuyée sur des bases solides , et qu'elle a pour elle la vérité , la clarté et la précision. La plupart des zoologistes ont, jusqu'à ces derniers tems, fondé leurs méthodes sur des caractères purement extérieurs, tirés de la forme des animaux. S'ils ne les avoient employés qu'après avoir cherché , dans l'exa- men de l'organisation intérieure de ces ani- (i) Insectes à deux ailes. Ins. Tome L Q 54 DE LA NATURE maux, des principes invariables pour réta- blissement des grandes coupes, ils aiu-oient suivi une marche naturelle et nécessaire, la seule qui soit accessible à la multitude de ceux qui se livrent à l'étude de la zoologie; mais toutes leurs vues, toute leur attention n'ayant eu pour objet que des caractères de forme , il en est résulté beaucoup d'incer- titude dans leurs méthodes. Les groupes ayant été confus, ce vice s'est étendu sur leurs indications. Il est inutile de prouver que l'anatomie comparée est le seul flambeau qui doit nous guider avant tout dans une route aussi téné- breuse. Il brille heureusement, depuis quel- ques années, de tous ses feux. Des mains du célèbre Vicq d'Azir il a passé dans celles d'un homme qui , atteignant à peine son septième lustre, a porté cette science au plus haut degré de gloire. On comprend sans peine que je désigne le professeur Cuvier, dont les observations rassureront maintenant sur des fondemens inébranlables l'édifice vacillant où nous avions logé les différens groupes d'animaux. Dans les premières parties du règne ani- mal, le plan d'arcliitecture , d'après lequel elles ont été formées, n'offre pas, sous bien DES INSECTES. 35 des rapports, de grands changemens. Les ordres semblent être seuls tracés d'après des dessins , dont la différence est très - sensible et bien caractérisée. Ainsi la charpente os- seuse de riiomme , du moins quant à l'épine dorsale et la boîte osseuse de la tête, se retrouve , à quelques modifications près , dans les quadrupèdes , dans les oiseaux , les reptiles et les poissons. On aperçoit par-tout une même ordonnance , une disposition semblable , du moins relativement au noyau principal. Cet appareil d'arcs osseux , nom- més les côtes, et dont l'assemblage forme la charpente de cette boîte qui renferme le siège des organes de la digestion , de la cir- culation et de la respiration, commence seu- lement à manquer dans plusieurs reptiles. Nous ne devons donc exprimer, dans les caractères qui différencient cette première division du règne animal, qu'un signe propre à tous les êtres qu'elle renferme : l'existence d'une épine dorsale, qui n'est qu'une suite de vertèbres ou de petits os, liés les uns aux autres. Le fluide nourricier qui circule dans ces animaux , est d'ailleurs constamment d'une couleur rouge. Telle est la base essen- tielle et invariable sur laquelle repose la C a 56 DE LA NATURE première coupe qui se présente dans la zoologie. A ce grand repos en sont subordonnés plusieurs autres fournissant des caractères pour les divisions secondaires , appelées classes. On sent bien que, pour venir de riiomme aux poissons, la Nature descend par un certain nombre d'échelons. Ces gra- datiofis insensibles, si habilement ménagées, sont dignes de sa sagesse, et ofïrent à notre mémoire un heureux soulagement. Laissons aux zoologistes qui se consacrent à l'étude des premières branches du jègne animal, le soin de bien établir leurs démar- cations. Resserrons-nous le plus étroitement possible dans le cercle de nos propres médi- tations, et n'augmentons pas les obstacles déjà trop multipliés qui embarrassent notre passage. Nous avons quitté la classe des poissons, et désormais nous chercherions en vain un squelette osseux , mie épine dorsale et vei- tébrée. La plaque ovale et osseuse qui re- couvre le dos de la sèche commune ne sau- roit nous rappeler l'existence du caractère qui nous a échappé. Le corps des insectes n'est rempli que de chairs ou de parties molles , recouvertes DES INSECTES. 57 extéiieiirenient d'une peau plus ou moins dure , coriace et flexible dans les uns , crusta- cée et écailleuse dans les autres. C'est à leur surface interne que les muscles ont leurs attaches. Cette peau extérieure est d'ailleurs plutôt crustacée qu'osseuse, et sert à ga- rantir, à cuirasser le corps, et non à le soutenir. Tous les animaux vertébrés ont encore une enveloppe continue , ou qui n'a pas de divisions réelles, semblables à celles que l'on observe dans la majeure partie des in- sectes et dans plusieurs vers. Ce fluide nourricier , que nous avons vu avoir constamment jusqu'ici une couleur rouge, n'est plus maintenant , dans le très- grand nombre , qu'une liqueur froide et blanchâtre , plutôt une sanie qu'un sang véritable. S'il arrive, en écrasant quelque insecte, d'en faire sortir une liqueur d'un rouge très -vif, ou même un véritable sang, on observe que cette liqueur est , ou une ma- tière renfermée sous la cornée des yeux de plusieurs insectes à deux ailes; ou bien une liqueur répandue dans le corps, mais dont les seuls rapports avec le sang sont d'avoir comme lui une couleur rouge ; ou bien enfin C 3 58 DE LA NATURE un véritable sang, mais étranger à Tinsecte, et qu'il a puisé sur le corps de quelque quadrupède, de quelque oiseau, ou d'un autre animal à sang rouge, pour lui servir d'aliment. La propriété caractéristique du sang est d'entretenir la vie par une circula- tion constante , et rien de tel dans la liqueur rouge que l'on observe quelquefois dans le corps des insectes. Je ne parle pas ici des crustacés ; car ils paroissent avoir un sys- tème de circulation distinct. Voilà donc l'insecte rangé dans une classe établie sur un cai^ctère solide et bien tran- ché , quoique négatif : plus de colonne ver- tébrale : je ne dirai pas, plus de sang rouge; car , d'après les observations récentes de Cuvier, plusieurs animaux invertébrés pa- roissent en avoir. Ici encore une nouvelle série d'animaux dont il faut chercher et déterminer les groupes. Un nuage des plus épais semble nous dérober la chaîne qui les lie entre eux. Du mollusque, du crustacé, au polype, au ver infusoire, le dernier terme de l'animalité, que de distances, que d'intervalles! qu'il est difficile de circonscrire avec exactitude les classes ou les ordres auxquels appartiennent les différens animaux invertébrés! DÉS INSECTES. 59 Nos foibles lumières nous font cependant entrevoir quelques anneaux de cette chaîne infinie. Nous observons des êtres dont l'or- ganisation a changé, du moins en quelque point essentiel, de celle des êtres qui les précèdent ; et , quoique la Nature réprouve peut-être bien souvent nos distributions, le fruit de nos travaux, le besoin de nous reconnoître dans cette multitude de corps organisés et vivans , nous force d'adopter les distributions, et de les donner comma celles qui sont le plus en rapport avec le plan qu'elle a tracé. Le génie sublime , aux travaux duquel je m'efforcerai d'ajouter, pour ma partie, des mémoires supplémen- taires, plutôt, je le répète, qu'une continua- tion bien au dessus de mes forces ; Bufïbn , si ennemi, en apparence, des méthodes, n'eût pu donner , sur cette quantité inouïe d'objets, des connoissances élémentaires et himineuses , sans partager les objets en dif- férens groupes. Les belles découvertes de Cuvier dans les animaux invertébrés seront le fil d'Ariane qui nous conduira pour sortir de cet inex- tricable labyrinthe. C'est toujours l'anatomie qui éclairera notre marche , semée d'écueils. La vitalité, la faculté de pouvoir changer- C 4 4o DE LA NATURE à volonté de place, connue sous le nom de faculté loco-motwe , élRut les caractères dis- tinctifs de l'animalité , c'est aussi dans lem s principes que nous devons chercher les moyens de partager la série infinie des ani- maux en plusieurs coupes. La Nature ne nous amène pas, brusquement et sans tran- sitions, d'un corps dont l'organisation est composée à celui qui paroît être d'une grande simplicité. Les deux extrêmes de cette chaîne sont trop difFérens Van de l'au- tre , pour supposer qu'il n'y ait pas des chaî- nons intermédiaires qui lès unissent. Dans les animaux vertébrés, ces chaînons inter- médiaires se distinguent plus facilement que dans les animaux invertébrés. Nous en avons cependant aperçu quelques-uns des princi- paux, et cette connoissance suffira pour énoncer les rapports des insectes avec les mollusques et les vers, et tracer la ligne de démarcation. Le grand principe de la vitalité a trois sources principales : la circulation , la respi- ration et la faculté de sentir. Je ne parle pas de la nutrition, fonction de l'animalité sur laquelle on n'a encore, du moins dans les animaux invertébrés , que très-peu de connoissances , et qui sollicite les recherches DES INSECTES. 41 et les travaux des aiiatomisles et des physio- logistes. Cette fonction d'ailleurs ne constitue pas l'être , et n'est établi que sur l'exercice des facultés primordiales de l'animal : un cœur ou quelque vaisseau qui semble rem- placer ce viscère ; des poumons , ou des branchies ou des trachées ; des nerfs , tels sont les organes d'où dépendent la circula- tion , la respiration et les sensations. Voyons ce qu'on a observé sur l'existence et les mo- difications de ces grands organes : c'est le professeur Cu^âer qu'il faut consulter; il est vraiment ici l'interprète de la Nature. Il divise ainsi les animaux invertébrés : ANIMAUX INVERTÉBRÉS. f" Des Taisseaux sanguins. Une moelle épiniève simple-, point de membres articulés mollusques , inoUusca. Une moelle épinière noueuse : point de membres articulés.... vers , fermes. Une moelle épinière noueuse : des membres arti- culés CRUSTACÉS, crustacea. Point de vaisseaux sanguins. Une moelle épinière noueuse : des membres arti- culés INSECTES , insecta. Point de moelle épinière : point de membres arti- culés zooriiYTEs , zoophita. 43 DE LA NATURE X»e professeur Laniarck partage cette même série d'animaux sans vertèbres , en fiept classes , dont voici le tableau extrait de son ouvrage ayant pour titre : Systêm& des animaux sans vertèbres , pag. 5o. CARACTÈRES GÉNÉRAUX Des Animaux sans vertèbres, et des sept classes qui partagent leur série. animaux dépourvus de colonne vertébrale et de squelette articulé. l". Respiration s'opérant uniquement par des branchies ; point de stigmates ; un cœur pour la circulation ; un cerveau dans le plus grand nombre. Corps mollasse, non articulé, el muni d'un man- teau de forme variable les moli,usq,ues. Corps et membres articulés , recouverts d'une peau crustacée, divisée en plusieurs pièces... les crustacés. 2°. Respiration s'opérant par des stigmates et des trachées aérifères , rarement par des branchies ; point de cœur pour le mouvement des fluides ; une moelle longitudinale , et des nerfs. Corps ne subissant point de 'métamorphoses ; ea tout tems des pattes articulées et des yeux à la tête LES ARACHNIDES. Corps subissant des métamorphoses , et aj'^ant dans l'état parfait six patt^' aTticulées et des yeux à la tête LES INJECTES. DE S INSECTES. 43 Corps alongé, ne subissant point de métamorphoses; jamais de pattes articulées j rarement des yeux à la tète i-r.s VERS. 3°. Respiration s'opéiant par des tubes absorbans et des tra- chées aquifères, ou par des voies inconnues; point de sys- tèmes de circulation ; point de moelle longitudinale ; rare- ment des nerfs perceptibles. Corps dépourvu de tête , et ayant dans ses parties vne disposition à la forme étoilée ou rayonnante j quelques organes intérieurs autres que le canal intes- tinal; bouche inférieure i.i:s radiairi;s. Corps dépourvu de tête et n'ayant d'autre organe intérieur apparent qu'un canal intestinal , dont l'en- trée sert débouche et d'anus j bouche supérieure.... liES POLYPES. De toutes ces classes , de toutes ces divi- sions , les seules qui soient de mon do- maine sont les suivantes : les crustacés , les arachnides et les insectes ; elles renferment exclusivement les animaux que Linn^eus désigne sous la dernière dénomination. Les professeurs Lamarck et Cuvier s'accordent, comme on vient de le voir, en ce point, qu'il faut ranger les crustacés dans une classe particulière. Ces animaux ont des vaisseaux sanguins, ou un cœur distinct, ce qui ne s'observe plus dans ceux des classes qui suc- cèdent à celle-ci ; mais ces deux grands natu- ralistes diffèrent d'opinion quant aux autres 44 DE LA NATURE animaux sans verlèbres et à membres arti- culés. Le professur Lamarck établit une classe de plus que le professeur Cuvier, celle des arachnides , et il lui donne pour base la propriété de ne point subir de métamor- phoses. Personne n'est plus pénétré que moi de cette espèce de respect religieux qu'ins- pirent des talens supérieurs ; personne aussi n'est plus porté que moi à se soumettre à l'autorité, à celle de tels maîtres sur-tout; mais j'avoue que ma déférence trouve ici en ce moment de forts obstacles. Je veux donner un ouvrage élémentaire et fondé sur des caractères, solidement, clairement déve- loppés; or le sj^stême de la circulation des insectes est encore peu connu : je dirai même que ce principe est très-obscur, d'une étude très-difficile et souvent sujette aux illusions, puisqu'elle dépend de deux moyens qui peuvent être douteux : la dextérité de la main et la finesse de la vue. La perma- nence des formes de l'animal n'est pas ce qu'on appelle un vrai caractère , son appli- cation n'étant pas toujours, et même que rarement possible. Si l'anatomie s'étoit clairement expliquée, nous chercherions des caractères extérieurs et constans qui fussent en harmonie avec DES INSECTES. 45 ceux de rorganisation intérieure ; nous sui- vrions la route que l'on nous auroit tracée ; mais les embarras sont encore ici très-grands et rebutés par les difficultés qui se présentent à chaque pas ; nous nous disons aloi^ : pour- quoi les savans, qui nous dévoilent l'orga- nisation des animaux, n'acquièrent -ils pas de nouveaux droits à notre reconnoissance , en nous applanissant tout à fait la voie par la concomitance des caractères internes et extérieurs? Les divisions zoologiques qu'ils proposent auroient bien plus d'avantages, et notre docilité seroit plus parfaite. Les crustacés à yeux pédoncules ou pé-- diodes du piofesseur Lamarck ont une orga- nisation évidemment distincte des insectes : H n'en est pas ainsi des crustacés à yeux sessiles ; ils se rapprochent tellement des insectes par la forme du vaisseau qu'on regarde comme le cœur, que nous retom- bons ici dans le doute , et que nous n'avons presque plus de point fixe. Il eût peut-être été plus convenable de se contenter de re- mettre , jusqu'à un examen plus détaillé et plus suivi, les crustacés à la tète des insectes, et de n'en former qu'une sous-classe. Il est glorieux sans doute de réformer les systèmes , de créer de grandes coupes ; mais il faut 46 DE LA NATURE être très - circonspect dans ces innovation s^^ On peut tout brouiller en précipitant, et la science, au lieu d'avancer, rétrograde; tous ces nouveaux échafaudages sont à la fin détruits, et n'ont malheureusement servi, pendant leur durée , qu'à augmenter le désordre. Eclairé par Swammerdam , par Cuvier, je me fais un devoir de séparer les crusta- cés des insectes ; mais , à l'égard des ara- chnides, je suspendrai, ainsi que j'en ai déjà prévenu , mon jugement. Je dois attendre que le professeur Cuvier ait déchiré enfin le voile qui nous dérobe la vue de l'orga- nisation intérieure de ces animaux. Les insectes ont des caractères faciles à saisir et qui les distinguent bien des autres animaux sans vertèbres ; ils sont les seuls qui aient des pattes articulées. Des mol- lusques , des vers peuvent bien vous oifrir des tentacules, des appendices, des tuber- cules, mais non ces membres articulés et très - mobiles que nous voyons dans les insectes. Dans la comparaison de ces animaux, on peut aussi se servir de plusieurs considéra- tions qui , sans être généralement exclusives ,*; le sont pour mi très -grand nombre. Ainsi y DES INSECTES. 47 par exemple, tous les insectes ont des yeux, tandis que la plus grande partie des vers en sont privés. On chercheroit aussi inutile- ment dans ceux-ci des ailes, des antennes distinctes, des articulations aussi marquées que dans le grand nombre d'insectes : il faudra notamment employer ces caractères secondaires dans le parallèle des entomos- tracés et des zoopliytes, qui se touchent par Toblitération ou la nullité du système nerveux. Les fondemens sur lesquels sont et peuvent être établies les méthodes entomologiques , ont reçu , par les idées que je viens de donner sur la nature des insectes , sur leurs rapprochemens ou sur leurs éloigneniens des autres animaux, assez de solidité pour moins appréhender les secousses du tems. Quels que soient les changemens et les vicissitudes des systèmes , l'acception du mot insecte n'aura plus autant de vague et d'ar- bitraire, le sens dans lequel je l'ai pris fut-il trop général. Nous n'avons insisté , dans l'exposition des rapports des insectes avec les autres ani- maux, que sur les rapports physiques : en les comparant sous une autre face, celle môme qui est la plus agi^éable étant liée à 48 DE liA NATURE nos afïections morales , nous aurions pu établir une analogie entre ces grands êtres oi'ganisés clans lesquels nous remarquons des traits étonnans d'intelligence, de mé- moire , qui sont susceptibles des mêmes passions que nous, celles de l'amour, de la crainte, de la colère, et ces petits animaux si incapables, en apparence, de ces rnouve- mens de l'âme. Nous aurions pu vous faire voir que, chez ces derniers, les caractères ne sont pas moins diversifiés que chez les autres. Ici se trouvent encore des lions , des tigres , des renards, des castors , des tortues , des vipères, etc. ; l'entomologie reproduit tous les tableaux qui frappent nos regards dans les classes précédentes, et à ceux-là elle en ajoute de neufs et d'infiniment piquans ; mais réservons ces détails pour les diffé- rens discours que nous allons donner comme une espèce d'introduction à l'étude de cette aimable science. Le voyageur qui découvre d'un lieu élevé le pays qu'il va parcourir, s'arrête, en re- garde avec avidité les points principaux , en examine les sites , contemple les groupes d'habitations , cherche à se foimer une idée générale des lieux , du sol , de la route qu'il doit DES INSECTES. 49 doit tenir. Nous allons aussi présenter à nos lecteurs , avant de développer les faits par- ticuliers de l'histoire des insectes, les traits les plus frappans , les plus propres à éveiller Timagination et à se fixer dans la mémoire; les faits généraux , rassemblés sous un même ordre, enflammeront la curiosité, et nous disposQfont à suivre avec plaisir les insectes dans tout le détail de leur vie domestique. Nous les considérerons, et en eux-mêmes et relativement à nous : en eux-mêmes, nous examinerons leur organisation externe et interne, leur physiologie. A cet examen suc- cédera le spectacle de leur vie, à prendre depuis le berceau jusqu'au moment où ils termineront leur carrière éphémère : et ici, que de sujets variés, que de scènes intéres- santes nous fourniront l'examen de leur génération , de la singularité de leurs formes dans les diiférens âges ou leurs métamor- phoses , nos recherches sur leurs manières de se nourrir et celles de se reproduire , sur les amours qui ont précédé l'union des deux sexes ! Oh , combien l'on sera ravi en appre- nant leurs ruses, leur industrie , leurs petites guerres, et sur-tout les belles leçons de pru- dence et de sagesse que donnent les mères dans la conservatioji de leur postérité ! Jns. Tome I. D 5o DE LA NATURE Etudiés sous les rapports qu'ils ont avec nous , il s^-a de notre devoir de publier hau- tement la puissance que les insectes exercent sur riiomme , ou sur ce qull a soumis à son empire ; de traiter des maux qu'ils nous causent et les moyens de les prévenir ou d'y remédier : mais , comme tout se balance , après avoir parlé du mal qu'ils nous font, nous verrons quel est le bien qu'ils nous procurent ; nous dirons avec impartialité quels sont les avantages que l'on peut atten- dre de ceux que nous avons vus, il n'y a qu'un instant , avec le sentiment de la haine. Enfin, après avoir inspiré en leur faveur quelqu'intérét , il sera tout naturel de rem- plir entièrement notre attente, en indiquant le moyen de se reconnoître au milieu de cette multitude infinie d'objets. Je finirai donc par vous entretenir des méthodes dont le but a été de les classer et de les signaler, en passant successivement d'une grande peu- plade à une tribu, d'une tribu à une famille, et d'une famille à l'individu que l'on desii^ trouver. Comme les routes , pour arriver à Tin lieu, ne sont pas toutes les mêmes, je montrerai du doigt celle que je me propose de suivre; mais je ferai en sorte que la mé- moire ne soit pas seule dans ce voyage : DES INSECTES. 5i j'éviterai d'abord de la surcharger par une quantité de ternies durs et barbares , et elle n'apprendra que ce qui sera absolimient né- cessaire poui' entendre les naturels du pays. La fatiguerai -je sur -tout par une série de leurs noms ? . . . . D'autres ont assez fait de recensemens, qui ne sont après tout que le compte sec et ennuyeux du nombre des lia- foitans connus avec leur adresse : je veux que Tesprit récrée sa compagne , la mémoire , et que le plaisir de voir la situation heureuse des contrées que nous allons reconnoître, la fertilité de leur sol , le tableau physique et moral de lem-s peuples, les monumens de leur industrie, fassent oublier le guide qui les a conduits : la métliode. D st 52 ETUDE SECOND DISCOURS. De la manière d'étudier les Insectes. Jdien observer, et rendre d'une manière convenable ce qu'on a vu , c'est en cela que consiste tout l'ait du naturaliste. Quelques dispositions heureuses que l'on ait pour remplir ces deux tâches importantes, on a encore besoin de conseils et de règles, soit pour développer ses talens , soit pour éviter les écarts auxquels l'inexpérience entraîne presque toujours. Le tems est d'ailleurs pré- cieux , et de bons avis peuvent en empêcher la perte irréparable. Les vieux routiers con- noissent mieux les chemins les plus courts. Observez , décrivez et parlez aux yeux , s'il est possible , par le moyen de bonnes figures ; tels sont les points fondamentaux sur lesquels vous réclamez mes instructions. Je vais peut-être usurper ici un pouvoir, car le droit d'enseigner ne devroit appar- tenir qu'à ces hommes qui l'ont acquis par des trente ou quarante années d'observa- tions , ou à ces génies rares qui sortent tout formés des mains de la Nature ; mais la DES INSECTES. 55 nécessité appelle l'indulgence ; et puisque je suis chargé de vous faire un cours d'Ento- mologie , je dois bien vous en apprendre la grammaire. Toutes les sciences demandent des dons naturels : celle qui est la plus aimable seroit-elle moins exigeante ? Que l'iiomme, dont la raison n'est pas droite , dont l'esprit ne sait se captiver , et que le mot de patience effarouche, ne prétende ])as aspirer à ses faveurs. Cette souveraine de l'univers veut des adorateurs passionnés, fidèles et constans; ce n'est même qu'au bout d'un tems consi- dérable qu'elle couronne leur assiduité par des communications plus intimes. Pour vous rendre dignes d'elle , voyez ce qu'ont fait ses plus grands favoris, les Swammerdam , les Réaumur , les De Géer , les Lyonnet, etc.; vous puiserez sur-tout dans les écrits immortels de Réaumur une logique pure, une finesse incomparable dans l'art d'observer , et cette manière attrayante de raconter ce qu'on a vu. On lui reproche des longueurs... Oh ! combien elles sont pré- férables au laconisme , au jargon inintelli- gible de nos entomologistes modernes. Là, tout est plein de faits curieux , piquans , que le lecteur dévore avec avidité ; ici , ce ne D 3 54 ETUDE sont que des noms , et Dieu sait quels noms barbares ! Une seule chose manque à Réau- mur : c'est la description de Fanimal dont il est l'historien. Tout occupé de l'étude des mœurs , du génie des insectes , il n'a souvent parlé que du moral ; et on est encore à chercher plusieurs objets dont il nous a dépeint les habitudes avec tant d'intérêt. Le Réaumur suédois , De Géer, est peut- être tombé dans un excès contraire ; mais ce défaut a moins d'inconvéniens que celui de la trop grande brièveté dans les descriptions ,* car il est toujours facile de supprimer des inutilités , au lieu qu'il est souvent impos- sible de réparer des omissions. Je conseille même à toutes les personnes qui commen- cent à écrire en liistoire naturelle , de ne négliger aucmi détail , sur-tout lorsqu'ils ne décriront que des espèces isolées. Ils con- tracteront l'habitude de saisir les plus petits rapports, de distinguer les moindres carac- tères; rien ne leur échappera. Ils se corri- geront , avec le tems , du défaut d'être minutieux ; car il en faut pom- apprendre à connoitre les traits communs de la physio- nomie, et ne pas les assimiler à ceux qui ne sont qu'accidentels ou qui ne conviennent qu'aux individus. La plupart des grands DES INSECTES. 55 naturalistes ont tous commencé par faire de longues descriptions ; ils annonçoient ainsi qu'ils vouloient tout voir : ceux qui ne portent pas le même esprit dans leurs premiers travaux deviennent rarement pro- fonds. Il est si naturel à l'homme de se relâcher de la rigueur de ses principes , qu'on peut mal auguier ici de celui qui débute par être superficiel. Lorsqu'on aura lu et relu Swammerdam , Réaumiu^ , on méditera la pliilosophie ento- mologique de M. Fabricius ; ce disciple du grand Linnœus a fait pour les insectes ce que son maître a voit fait pour la botanique. Saint- Amand a publié en français un ouvrage sur le même sujet,- on y trouve la plupart des idées saillantes de l'entomologiste de Kiell , et quelques vues particulières qui décèlent un excellent esprit. L'élève sera probablement arrêté dans l'intelligence des principes sur lesquels Fa- bricius a établi sa méthode. Un Mémoire d'Olivier sur les organes de la manduca- tion des insectes , inséré dans le Jouinal de physique , réimprimé dans l'Encyclopédie méthodique , article bouche des insectes , lui offre à cet égard un très-bon commentaire. Ses généralités sur ces animaux , ses défi- D 4 B6 ETUDE nitions cle tous les ternies de la langue àé cette branche de Tliistoire naturelle , les planches qui accompagnent son grand tra- vail sur les coléoptères seront d\in grandi secours au commençant. Initié dans les prin- cipes élémentaires de la science , il cherchera à mieux connoître les systèmes. L'Histoire des insectes des environs de Paris, par Geof- froi , sera spécialement son livre de tous les jours , de toutes les heures. Il est presque la clef de tous les autres par sa simplicité, sa facilité , et par les rapports où il vous met avec les livres publiés avant et après lui. Quand on est parvenu mie fois à la déter- mination de ses principaux genres , il est aisé de savoir quels sont ceux de Linnaeus ou de M. Fabricius qui s'y appliquent. Que l'élève se garde bien de vouloir d'abord connoître les genres d'après le système de l'entomo- logiste de Kiell ; outre qu'il prendroit sou- vent une peine inutile , il se dégoûteroit de la science : on ne se familiarise guère avec ce système que par ses points de contact avec les autres , ou par le moyen des figures qu'il indique aux espèces. Les caractères secondaires qu'il a ajoutés à ceux qui sont pris de la bouche , dans la nouvelle édition de son Entomologie , ne peuvent suffisamment DES INSECTES. 67 obvier à ces difficultés , étant trop longs et n'étant pas comparatifs. Les Elémens d'entomologie de Schaeffer peuvent aussi faire bien connoître les genres qu'on avoit établis à cette époque. Celui de Sulzer , ou de Roemer son éditeur , seroit plus utile , comme plus général et plus récent, si les insectes étoient plus grossis , et s'il y avoit du détail. L'esprit , une fois orné de ces instructions préliminaires , doit chercher à voir par lui- même : il faut donc qu'il observe. Sous le rapport des objets d'étude , l'entomologie a un grand avantage sur la botanique ; c'est une science encore neuve et si étendue , qu'on peut presque sans faire un pas trouver des sujets de mémoires , propres à couvrir de gloire leur auteur. Les seuls insectes de votre jardin peuvent vous occuper toute votre vie ; encore serez - vous loin d'avoir épuisé la matière. Ce n'est pas que je veuille conseiller à l'élève de se tenir paisiblement dans ses foyers , et de ne pas aller au devant de la Nature : elle peut bien vous amorcer par quelques légères faveurs; mais, si vous voulez jouir de son intimité , il faut la presser sans cesse ; et pour ravir un secret qu'elle g'obstiue à vous cacher , la suivre dans 58 ETUDE d'épaisses forêts , à la cime des rochers sour- ciUeux, jusques dans des précipices affreux, dans le sein des ondes. Plus on a d'objets d'étude , de moyens de comparaison , plus l'esprit généralise ses vues , et découvre les grands rapports qui lient les êtres entre eux. Il sera donc toujours nécessaire , au savant qui se propose de publier ime histoire géné- rale , d'étendre ses recherches et de les pro- portionner à son dessin; mais, je le répète, l'homme que des occupations , des habitudes étiangères ou les circonstances, en un mot, semblent enchaîner et lui interdire des courses lointaines , pourra toujom s jouir du sublime spectacle de la Nature sans sortir de chez lui. Une ruche est depuis long-tems fécueil de la philosophie ,* mais supposons l'homme libre de lui-même , et tout dévoué à la contemplation de la Nature. Le voilà muni de tous les instrumens qu'une fatale curiosité a inventés , pour saisir plus facile- ment le malheureux insecte qui butine sur les fleurs. Que fera-t-il ? S'il suivoit la marche journalière du plus grand nombre des entomologistes modernes , il battroit toute la campagne , iroit par monts et par vaux , sans s'arrêter que les momens nécessaires pour percer d'un dard DES INSECTES. 69 meurtrier Jes infortunés pris dans ses filets ; il ne s'estimeroit bien riche que lorsque sa gibecière , devenue un grand tombeau , ne seioit remplie que de morts entassés les uns sur les autres. Oui , il est vrai ; vous avez là beaucoup d'insectes rares, qui plus est, iné- dits; mais, dites-moi, avez-vous recueilli, en courant de toutes vos forces , en vous épui- sant de fatigues , quelque anedocte , quelque fait nouveau relatif à l'histoire des mœurs d'un seul insecte ? . . . . Sans doute , vous avez acquis quelques richesses nouvelles à la nomenclature. Encore une fois, est-ce ainsi que travailloient les Swammerdam, les Réaumur , etc. ? Vos descriptions de nouvelles espèces ne seront lues que de quelques amateurs ; et si vous aviez composé un Mémoire à la manière de ces grands naturalistes, vous seriez lu de tout le monde. Ne vous permettez donc que de tems à autre ces excursions rapides et lointaines , où vos mains , semblables à la faux de la parque, ne font qu'accumuler destructions siu' des- tructions ; où vos yeux ne sauroient jouir ni du plaisir de voir les amours , l'union des insectes , ni de cette sensibilité attachée à la contemplation de la tendresse maternelle. O Réaumui^ ! que nous sommes loin de toi ; 6o ETUDE et combien aussi ta gloire est au dessus de la nôtre! Cherchez donc un endroit favorable aux habitations des insectes , soit les bords d'un étang , d'une mare , soit une colline sèche et un peu sabloneuse , exposée au soleil , ou bien les revers herbeux de cette forêt; là, assis paisiblement , suivez des yeux l'insecte qui vient sans méfiance se poser sur cette fleur ; examinez la manièie dont il en suce le nectar; attendez quelques momens, peut-être verrez -vous arriver un ou plu- sieurs individus de l'autre sexe , supposé qu'il ne soit pas déjà sur cette fleur ; exa- minez tout doucement leurs caresses : ne troublez leurs amours que lorsqu'épou- vantés , ou par un mouvement naturel de légèreté , ils seront prêts à s'enfuir. Le soleil donne sur cette partie de la surface des eaux; vous en découvrez le fond : n'apercevez- vous pas cet insecte qui court après sa proie ; remarquez quelle est la direction de ses mouvemens , la forme que prennent les ouïes de cette larve , et la manière dont elle respire. Distinguez - vous cette espèce de globe soyeux, argenté, qui nage avec cette araignée? . . . Pourriez- vous recueillir toutes ces observations sans être sédentaires ? Cou- DES INSECTES. 61 noîtriez - vous autrement les nids de ces abeilles et de ces guêpes maçonnes ? les ruses et l'industrie de ce spliex , de ces arai- gnées, ne vous auroient-elles pas échappé ? Efforcez-vous de trouver le domicile de ces animaux , de ceux particulièrement qui vivent en société ; soyez assidus à leur rendre visite, et votre patience sera enfin récom- pensée. J'admire le courage de ces voyageurs qui ,' pour accroître nos collections , bravent les fureurs du vaste Océan , et récoltent à travers mille dangers , sur les côtes des plages qu'ils parcourent, des animaux et des plantes rares ou inconnues ; mais je pense que la zoologie gagneroit davantage , si d'habiles observa- teurs , se répandant dans différentes parties du monde , en étudioient , à demeure et pendant plusiem's années , les richesses natu- relles. Ces bons correspondans nous donne- roient un jour des faunes et des flores pré- cieuses par leur ensemble , et par les détails historiques qui accompagneroient les des- criptions. L'observateur ne peut cependant point passer toute sa vie sur le grand théâtre de la Nature ; il doit alors l'appeler chez lui , en pourrissant, en soignant des infectes et des e2 ETUDE larves ; il ne doit rien épargner pour ce genre d'éducalion. Etant sans cesse avec ces ani- maux , comment ne découvriroit - il pas quelques particularités de leur vie ? Il tiendra un registre exact de toutes les familles dont il est le père nourricier ; il les visitera , autant qu'il lui sera possible , à différentes heures du jour; il placera autour de sa table de travail les bocaux des larves et des nymphes prêtes à se métamorphoser; il n'oubliera pas de tenir un compte rigou- reux des dégrés de température de cette nourrisserie : je lui recommanderois encore de sacrifier , le plus qu'il pourra , le plaisir d'avoir un insecte bien fiais, à celui de le conserver et de perpétuer sa race. Plusieurs individus des deux sexes lui sont nés : pour- quoi ne pas les appareiller et seconder les vœux de la Nature? On les verroit célébrer leurs noces, donner naissance à leur posté- rité. Plusieurs essais pourroient aussi répan- dre des lumières sur le caractère des espèces, sur le croisement des races dans les insectes : qu'il seroit curieux de voir une ménagerie des animaux de cette classe, me disoit un jour Thouin , le chef des travaux du jardin des plantes de Paris ! Oh , que de faits cu- rieux l'on rassembleroit pour leur histoiie ! DES INSECTES. 65 Il ne suffit pas d'observer ; l'homme qui ne rapporte qu'à lui ses jouissances , n'est pas cligne de la société. Transmettons à nos con- temporains , ainsi qu'aux races futures , le fruit de nos méditations , et qu'ils participent du moins à nos plaisirs en quelque manière. Placer les objets dans une situation la plus propre à l'étude , chercher s'ils sont connus, partie qu'on appelle synonymie ou critique , les dénommer , les décrire et les figurer , n'est-ce pas là ce qu'on attend du natma- liste écrivain ? Observez sur le vivant , le plus qu'il vous sera possible , non seulement à cause des couleurs qui s'altèrent lorsque l'animal périt, mais encore pour bien connoitre les formes qui subissent elles-mêmes un changement, sur-tout dans les insectes à quatre ou deux ailes membraneuses. Plusieurs aptères , tels que les araignées, les podures , se dessèchent tellement qu'ils ne sont plus reconnois- sables. L'étude des insectes sur le vivant vous épai^gne souvent encore la peine de déve- lopper leurs bouches ; pour peu que vous les examiniez , vous les verrez aionger , étendre, mouvoir en tout sens ces oiganes, ainsi que plusieurs autres parties auxquelles 64 ETUDE vous ne feriez pas attention , comme des tentacules , les organes des sexes , l'aiguillon , la tarière et les oviductus des femelles ; et vous ne pourriez d'ailleurs avoir souvent , sans cet examen , une idée exacte de la forme de toutes ces parties. L'insecte conservant encore, lorsqu'il vient de mourir , sa forme et ses couleurs primi- tives , est aussi dans un état favorable à l'é- tude. On doit sur le champ en développer toutes les parties afin de pouvoir les mieux observer , et d'en prendre plus sûrement les dimensions. Profitez de ce moment pour préparer la bouche , non qu'on ne puisse le faire plus tard , mais parce que c'est alors plus aisé. Si l'insecte étoit entièrement sec, étant mort depuis long-tems , on le feroit ramollir à la vapeur de l'eau chaude , ou en le laissant quelque tems dans de l'eau froide , pourvu qu'il fût de nature à ne pas être altéré. On a singulièrement grossi la difficulté de ce genre de préparation , et de là a pris son origine cette guerre que des gens peu ins- truits font continuellement au système de M. Fabricius. 11 ne faut pas en être surpris : j'ai eu moi-même , pendant quelque tems , ces préventions natuielles , que l'habitude du travail DES INSECTES. 65 travail a insensiblement détruites. Tâchons d'applanir ces difficultés , en indiquant les moyens dont je me sers poiu^ développer les instrumens nourriciers des insectes. Sous les rapports de ces organes, les in- sectes sont partagés en deux coupes : les uns ont des mâchoires et broient leurs aliraens ; les autres ont un bec, une trompe, et sont suceurs. Cette différence exige aussi autant d'instructions particulières. Parlons d'abord des insectes mâcheliers ou des broyeurs. Lorsque l'insecte a li,uit ou douze lignes de longueur, il est facile de détacher les parties de la bouche, en passant une aiguille dans leurs jointures , et en déchirant les muscles qui attachent les parties. On peut encore introduire l'instrument par le haut , entre les mandibules et les mâchoires. On s'exercera sur des insectes gros et très- connus , soit pour acquérir l'habitude de la préparation de leurs parties de la bouche , soit pour chercher à en étudier plus aisé- ment les caractères indiqués par les auteurs. On prendra garde de ne pas mutiler les organes, spécialement l'extrémité de la lèvre inférieure , qui est plus susceptible d'être déchirée, étant souvent membraneuse. Cette Jns. Tome I. E 66 ETUDE portion se replie en dessus dans les hymé- noptères ; il faut l'étendre soit avec l'aiguille, soit en la mettant dans Feau. Ce dernier moyen est préférable , en ce qu'il produit un développement plus parfait. On distingue mieux alors les divisions des mâchoires et de la lèvre inférieure , sur - tout si on exa- mine ces parties à la lumière. Supposons que l'insecte soit très - petit ^ qu'il n'ait même qu'une ligne de longueur, vous parviendrez encore à votre but , de la manière suivante. Détachez doucement la tête; mettez -la sur du papier , le plat et le dessus regar- dant le ciel; répandez-y une ou deux gouttes d'eau; posez ensuite votre papier sur un plan uni et dur ; écrasez la tête de l'insecte avec la pointe d'un couteau ou avec un instru- ment plat et dur ; cette partie de l'animal acqueria ainsi plus de surface ; les frac- tures ou quelques incisions longitudinales vous donneront la facilité d'en séparer les portioncules. Commencez par les côtés. Si vous les examinez à la loupe , vous y dé- couvrirez presque toujours une mandibule avec une antenne ; vous serez sûrs que les autres parties de la bouche adlièrent à vm des fragniens restaus : étudiez-les tous suc- DES INSECTES. 67 tîessivement et à part ; tournez-les en tout sens, jusqu'à ce que vous trouviez celui qui porte les autres instrumens nourriciers. Vous étant déjà occupés de leur examen , dans de gros insectes , vous aurez acquis une iâé-3 suffisante de la forme dfc ces organes , pour ne pas vous méprendre. Isolez-les peu à peu; Si les mâchoires tiennent à la lèvre inférieure ^ et qu'elles soient très-petites , ne cherchez; pas à les détacher , de crainte que vous n'ai» tériez leur forme ; contentez - vous d'en écarter les extrémités , afin de pouvoir dis- tinguer leurs caractères. Employez à cet effet un peu de gomme fondue , et appuyez pendant quelques secondes une épingle sur ces extrémités , pour les empêcher de se rapprocher de la lèvre inférieure , et pour que la gomme puisse , en se séchant , fixer les objets. Ecartez bien aussi les palpes ; ou verra mieux leur forme et leur longueur. Les organes nourriciers des insectes su- ceurs ne consistent que dans un assemblage de soies , renfermées dans le canal supérieur et longitudinal d'une gaine , ou dans une trompe de deux filets , s'engrainant l'un dans l'autre ; il suffit de passer à plusieurs reprises une aiguille sur ces organes en les pressant fortement , ou bien d'introduire cette aiguille E â 68 ETUDE dans le canal , la rainure de la trompe , pour» faire sortir le suçoir. On développe ensuite le suçoir de la même manière , l'examinant néanmoins de tems en tems pour bien con- noître la situation respective des soies. Ces instructions ilie paroissent suffisantes, li'exercice les complettera : c'est le meilleur maître. Il est aussi un autre moyen préparatoire et des plus importans. Quand bien même vous ne voudriez étudier , décrire qu'un insecte , voyez cependant toujours dans votre collection les objets qui ont , du moins en gros , des rapports d'alîinité avec le sujet de votre étude. Les comparaisons que vous ferez de ces insectes vous suggéreront des idées sur leur caractère , leur placement dans l'ordre naturel ; vous apprendrez à mettre en opposition les signalemens de ces objets; méthode si excellente et si néces- saire. L'insecte est dans un état qui le rend propre à l'examen. Cherchons d'abord s'il est connu. H faut trouver la classe , l'ordre , le genre auquel il appartient. Geoffi^oi, LinnaDUs et Olivier seront vos premiers guides; vous n'aurez recours aux ouvrages de M. Fabricius qu'après avoir DES INSECTES. % consulté les précéclens. Olivier, sur -tout ( Encyclopédie méthodique et entomologie ) , vous fera connoitre les genres du natu- raliste de Kiel, par une marche plus facile et moins rebutante. Pesez bien la valeur de tous les caractères, et gardez-vous, dans cet examen , dans le parallèle que vous éta^ blirez, de la moindre précipitation. Suppo- sons que , par une identité morale de carac- tères, vous soyez arrivés au genre; le système de M. Fabricius vous est alors absolument nécessaire ,• c'est le species le plus complet. Une recherche scrupuleuse pourra vous conduire de même à la découverte du nom spécifique ou trivial; mais, afin qu'il ne vous reste aucun doute à cet égard, vous aurez recours à ,1a synonymie , en commençant toujours par l'auteur qui a parlé le premier de Fobjet ; voyez principalement les figures qui sont citées. Au cas que ces synonymes, que ces figures se rapportent, du moins en majeure partie, à votre insecte , nulles diffi- cultés pour la justesse de la détermination spécifique ; mais ces moyens auxiliaires peu- vent vous jeter dans l'embarras , en vous offrant des caractères plus ou moins diiïé- rens de ceux de l'objet de votre examen. ,JSi la description qui a fixé votre sentiniei^ E 3 yo ETUDE est complette et s'accorde parfaitement avec celle de l'objet, ne changez pas pour cela d'idée, et bornez-vous à rejeter la synonymie discordante; si le parallèle que vous avez établi présente à la fois des points de contact et des points d'éloignement , la synonymie étant toujours supposée en opposition , il est bien probable que cette espèce est diffé- rente de celle avec laquelle vous la com- parez. Une partie de ces autorités est - elle pour votre détermination , et l'autre contre, la raison vous dit de mettre la question au nombre de celles qui sont problématiques, lies descriptions des auteurs sont quelque- fois très - concises , incomplettes, ou même mal faites : dans cet état de choses , il faut se décider d'après la synonymie ; et si le plus grand nombre de ces autorités, celle principalement des iconographes, vous pa- joissent devoir s'appliquer à votre objet, ne vous laissez pas arrêter par les difficultés qui accompagnent une ou deux descriptions imparfaites ou inexactes. L'homme qui ne veut ni approfondir ni écrire l'iiistoire des insectes, peut se con- tenter d'un ou de deux auteurs généraux; leurs ouvrages lui suffiront pour classer sa collection et correspondie ; mais l'homme ;, DES INSEC T^E S. 71 . >• qui fait une étude particulière des insectes; doit étudier tout ce qu'on a dit sur eux ; il ne doit pas s'imaginer qu'il a trouvé un nouveau genre , une nouvelle espèce , par cela seul que Linuceus , que Fabricius ou qu'un autre écrivain sysléniatique en général n'en parle pas. Il existe, sans citer les Faunes , une foule de Mémoires , de Traités particu- liers en diverses langues, et relatifs aux in- sectes ; écrire sans les consulter , c'est s'ex- poser à surcharger la science de genres et d'espèces fictifs , c'est mériter, à juste titre, de passer pour un ignorant. Et combien d'observations que l'on donne comme nou- velles, qui sont consignées depuis bien du tems dans des livres, oubliés parce qu'ils sont anciens ! On auroit tort de se borner à la simple vérification de la synonymie rapportée par l'auteur même qui lui donne plus d'étendue; le vrai naturaliste doit porter ses recherches sur les ouvi'ages qui ne sont pas cités, sans en excepter les ^lus anciens , en examiner scrupuleusement, et avec les règles d'une saine critique , les passages qui peuvent être X'clatifs à son sujet. Le célèbre Buffbn a dé- peint une foule d'animaux qu'il n'a jamais étudiés en nature j mais il a prouvé, par la E 4 73 ETUDE finesse et la justesse de ses discussions , que, sans avoir sous les yeux ces animaux obscurs , il voyoit encore mieux que ceux qui les a voient vus. Je donnerai ici un conseil dicté par Tex- périence : dans les momens où votre esprit a besoin de repos , amusez-vous à parcourir les figures soit bonnes, soit mauvaises des iconographes; vous y retrouverez souvent beaucoup d'objets que vous ne saviez pas y exister; les figures saillantes vous frapperont , et votre mémoire vous les rappellera dans le besoin. Je veux que, d'après un examen bien attentif, vous vous soyez décidés à regarder comme inédit l'objet que vous avez soumis à vos travaux; il s'agit de le nommer et de le décrire. Souvenez- vous que, s'il n'est pas bien signalé , on ne pourra le reconnoîlre , et que vous donnerez lieu à beaucoup d'er- reurs; tâchons de les éviter par le moyen de quelques préceptes ou de quelques avis sur l'établissement des classes , des ordres , des genres, des espèces et des variétés. Permettez-moi de vous dire avant tout : Méfiez -vous de la tendance naturelle qu'a souvent le meilleur esprit à former des sys- tèmes; la gloire est un puissant aiguillon, DES INSECTES. 73 mais le chemin qui y conduit est semé d'é- cueils ; les illusions de l'amour propre nous égarent fréquemment. Ne cJiercliez pas , pour vous faire un nom, à créer des classes, des ordres , des genres , pas même à publier ime espèce , sans y avoir mûrement réfléclii , et sans vous être affranchis de tout sentiment d'ambition. L'ordre est d'autant plus nécessaire que les objets dont nous nous occupons sont plus nombreux ; la nécessité de se reconnoître au milieu de la série infinie des êtres qui couvre la surface de notre globe, a forcé les naturalistes de partager cette suite en plusieurs coupes, allant toujours en se sub- divisant jusqu'au point de l'unité spécifique; de même qu'on a formé , dans la partie mili- taire des armées, des bataillons, des régi- niens, des compagnies; de même on a établi, dans la science de la nature, des classes, des ordres, des familles et des genres. C'est un grand arbre dont il faut suivi'e le tronc, une grande branche, un de ses rameaux, pour atteindre le fruit placé à son extrémité. Quels sont maintenant, en entomologie, les caractères qui fixent les limites de chacune de ces coupes? 1°. Les caractères d'une classe sont 74 ETUDE uniquement fondés sur la présence ou sur l'absence d'une colonne vertébrale, sur les premières bases de la vitalité , et sur l'exis- tence ou l'absence des premiers organes du mouvement ou des pattes. 2^. Les caractères d'un ordre sont uni- quement fondés sur la présence ou l'absence, la forme générale, le nombre des seconds organes du mouvement ou les ailes, et sur la différence des fonctions des instrumens nourriciers ( broyeurs ou suceurs ). 3°. Etablissons les caractères d'un genre d'après les considérations suivantes: 1°. Une différence dans le port ou la forme générale du corps, dans les moeurs, dans les métamorphoses, indiquent toujours, et hors de doute, un genre. 2°. Une différence dans la forme générale du corps , considéré soit relativement à sa coupe horisontale , soit relativement à sa coupe verticale; ou une différence dans les formes partielles , celles de la tête , du cor- celet particulièrement ; une différence dans le port des ailes, dénotent aussi une coupe générique, sur-tout si ces différences sont répétées. 3°. Les formes restant les mêmes , une différence dans le nombre d'articles des DES INSECTES. 75 tarses est aussi un caractère; de même, si un ou plusieurs articles de ces tarses sont bifides dans quelques - uns et point dans d'autres, sur-tout si les antennes ou quelques parties de la bouche présentent aussi quelque différence de caractères. 4°. Item. Si les formes restant les mêmes, les antennes sont brusquement différentes en formes, et mieux en insertion. b"*. Item. Si les formes restant les mêmes, la bouche présente un organe de plus, ou s'il y en a un de moins, tels qu'une lèvre supérieure , des mandibules , un palpe ; ou bien si la forme générale de tous les organes qui composent sa bouche est entièrement changée. 6°. Item. Dans les suceurs, si le bec ou la trompe sont différemment insérés , cachés ou saillans; si leur suçoir diffère par le nombre des pièces. 7°. Item. Si les mâchoires, la lèvre infé- rieure offrent une différence totale dans leur consistance , dans leur forme. S'^. Si ces parties ne présentent qu'une différence de formes, sans qu'il y ait d'autres caractères accessoires tirés de la figure du corps ou de celle de ses di^dsions principales, je pense que Ton doit se borner à en faire 76 ETUDE un sous-genre , ou une coupure dans le genre ancien, jusqu'à ce qu'on ait acquis des con- noissances sur les mœurs de l'objet. Je porte le même jugement des différences dans la forme et les proportions des palpes, car il faut enfin opposer une barrière à cette manie de faire des genres. La famille est un assemblage de plusieurs genres. Les caractères d'une espèce sont fondés sur des différences dans une des coupes , sur des différences dans les surfaces , dans les couleurs ; une seule des deux premières sortes de différences sufBt; mais je crois qu'à l'égard des couleurs, il faudroit être plus exigeant. Au surplus, il est presque impos- sible d'établir ici des règles certaines; étu- dions les mœurs des animaux, et nous serons plus suis de la légitimité des coupures spé- cifiques. La variété ne suppose qu'un léger chan- gement dans le dessin ou dans la teinte, soit généraux , soit partiels. Si la classe pouvoit être partagée en plusieurs coupes , composées chacune de plusieurs ordres , les coupes seroient des sous-classes. Les insectes ailés peuvent ainsi être regardés , par i-apport aux aptères , DES INSECTES. 77 tomme formant une division de ce genre. Si les ordres sont divisés en plusieurs sec- tions qui renferment plusieurs familles , on nommera ces sections des sous-ordres. Telle est celle des hémiptères à élytres d'inégale consistance. Les premières grandes divisions d'une coupe générique sont des sous-genres , du moins si elles sont fondées sur des parties que l'on a coutume de prendre pour bases en établissant les genres. En faisant entrer dans le nombre des ca- ractères génériques des insectes la forme du corps , je m'écarte des principes de M. Fa- bricius qui , dans toutes ses coupes princi- pales , ne voit jamais que les instrumens nourriciers. Une méthode sans doute , qui n'est fondée que sur un seul organe , est plus belle et plus harmonique ; mais est -elle possible , du moins en zoologie , et dans l'é- tude des insectes spécialement? Je ne le crois pas : disons mieux ; le fût-elle , je la regar- derois comme au dessus de la portée des esprits ordinaires. Eh! travaillons-nous pour alimenter uniquement notre amour propre, pour ne complaire qu'à quelques savans ? Le géomètre qui donueroit à ses élèves des démonstrations , des solutions de problèmes. 78 ETUDE dont un Lagrange , un Laplace et cleS hommes de cette force aui oient seuls la clef, seroit-il donc un meilleur maître que celui dont les leçons seroient d'une conception moins hardie ? Simplifions nos méthodes ; rendons-les praticables , n'importe par quels moyens ; qu'on nous suive , qu'on nous en- tende , et préférons toujours l'utilité à quelques témoignages d'admiration. Je crois avoir suffisamment prouvé que les instrumens nourriciers des insectes lu'é- toient connus. M. Fabricius , et tous ceux qui sont zélés partisans de son grand prin- cipe d'unité de caractères génériques , ne me taxeront pas , j'ai lieu de l'espérer , d'igno- rance à cet égard. Si je m'élève donc ici contre cette manière de voir , ce n'est que par le seul désir d'élargir , d'applanir la route qui mène à la science. Il se présente ici et à la fois deux sortes de caractères : l'un est plus ingénieux et plus solide peut- être ,• mais les difficultés qui l'environnent sont tellement grandes , que sa perception en est souvent interdite , qu'elles égarent même. L'autre est plus simple , plus appa- rent , moins constant en lui-même ; mais les erreurs où peuvent entraîner ses varia- tions sont moins nombreuses que celles qui DES INSECTES. jc^ naissent de Tembarras de saisir le premier. N'est-il pas raisonnable de préférer, dans cette concurrence , le second de ces caractères ? Je ne V eux pas dire , bien s'en faut qu'on doive négliger le premier. Le vrai naturaliste eu connoit son importance ; il sait qu'il doit envisager son objet sous toutes les faces , et qu'il ne peut bien établir un genre qu'après avoir rassemblé les caractères pris de toutes les parties ; mais il écrit pour la multitude ; et se mettant à leur portée , il trace une route facile et praticable. Que le caractère du port de Yhabitus de l'insecte accompagne donc ceux que fournissent les organes de la mauducation I M. Fabricius en a bien senti la nécessité , puisque son entomologie systé- matique offre ces deux sortes de caractères. Je pourrois au surplus démontrer , si je voulois , que ce grand principe d'unité ca- ractéristique est opposé à la marclie de la Nature. N'est - ce pas sur les organes du mouvement , soit les pieds , soit les ailes, qu'elle a posé les fondemens de ses grandes coupes ? Si elle l'a fait pour les divisions principales, elle a pu le faire encore pour celles qui leur sont subordonnées. Ces or- ganes du mouvement ont donc , aux yeux de cette suprême régulatrice de nos mé- 8o ETUDE thodes , une grande valeur. Pourquoi M. Fa- bricius ne le sent-il pas , et nous relègue-il dans la classe des mauyais entomologistes, parce que nous portons nos regards sur toutes les parties que la Nature nous dit elle-même être presque aussi essentielles les unes que les autres? Adopterions-nous, par exemple, les idées du savant qui , dans ses divisions générales des reptiles, passeroit sous silence la présence ou l'absence des pattes, la dis- position des tégumens ? Partagerions-nous l'opinion de l'ornithologiste qui dans sa mé- thode ne considéreroit jamais que le bec ? Verrions-nous dans ces plans , fondés sur une base unique , la marche de la Nature ? Mais laissons-là ces discussions. Que notre esprit s'occupe maintenant des règles et des pré- ceptes qui assurent la solidité des caractères des coupes , celle des noms , et qui nous apprennent Fart de bien décrire. Les naturalistes distinguent trois sortes de caractères ; le naturel , l'essentiel et l'ar- tificiel. Le premier signale toutes les parties ma- jeures de l'objet , toutes celles qui servent de base aux coupes , comme les pattes , les ailes, les antennes et les parties de la bouche, pour les insectes. 11 considère les parties sous toutes DES INSECTES. 8t toutes îeiirs formes : cette généralité d'ob- servations le rend immuable, et donne tou- jours, quelques vicissitudes qu'éprouve la méthode, le moyen de fixer la place de la coupe dont le caractère naturel dépeint les traits. Ce caractère est le conservateur , le gardien naturel des ordres et des genres. Le second ou le caractère essentiel indique^ par un trait propre et unique, son objet. Il l'isole tout d'un coup de tous ceux de la même coupe naturelle. Ainsi les antennes en masse feuilletée séparent les scarabées des coléoptères. Le troisième caractère ou l'artificiel ne montre son objet qu'avec peine , qu'après plusieurs notes comparatives. Il est le fruit de l'art : la Nature ne l'a pas traeé. Tels sont la plupart des caractères ordinaires. Quels que soient ces caractères , ils doi- vent tous être pris de parties visibles , cons- tantes et communes aux objets de la même coupe. Ainsi , tout ce qui tiendroit à des qualités accidentelles , variables, particulières du sujet , tout ce qui supposeroit des con- noissances que sa seule inspection ne pour- roit fournir , ne peut servir de base à ces caractères. Ils excluent le son, l'odem^, les' Jns. Tome I. p 82 ETUDE localités , les comparaisons avec d'autre* objets , les mesures , etc. Une phrase spécifique n'est jamais qu'un caractère , et ordinairement artificiel. Les règles précédentes lui sont donc applicables, avec cette différence qu elle n'isole qu un seul objet ; tandis que les caractères des coupes supérieures séparent des groupes d'autant plus nombreux , qu'ils s'éloignent davantage de l'unité spécifique. Ceux-ci portent d'ailleurs sur la forme essentielle des organes du mouvement , de ceux de la man- ducation , ou sur la figure généi aie du coips ; tandis que la phrase spécifique ne présente que l'examen de la surface de ces choses, leurs appendices ou leurs couleurs. Que les termes dont vous vous servirez pour rendre ces caractères soient consacrés par l'art; qu'ils soient positifs, clairs, com- paratifs, sans inutilités et peu nombreux. Vous abrégerez vos caractères et vos phrases, en formant le plus de coupes qu'il vous sera possible. Il seroit à désirer que chaque division n'en compiît au plus que dix autres. Comment sortir de ces genres où l'on trouve des familles de plus de cent espèces , mises , sans le moindre ordre , les unes au bout des autres ? On passe mi tems DES INSECTES. 85 considérable à l'examen de toutes les phrases et on arrive souvent à ]a dernière sans être plus avancé ; eh pourquoi ? C'est parce qu'en augmentant sans cesse un Species^ on croit laisser loin de soi les autres entomo- logistes , et les gagner de vitesse. 11 ne faut que quelques minutes potu- décrire une espèce; mais il faut bien des années pour composer un bon gênera. PJacez vos ordres, vos genres suivant leur affinité et l'ordre naturel qui doit être le sujet de toutes vos méditations et de toutes vos recherches. Ces rapprochemens sont la pierre de touche de la bonté de vos carac- tères: ne soyez point charlatan, et ne donnez pas à ces caractères qu'une simple valeur apparente , en éloignant les divisions aux- quelles vous les appliquez, de leur famille naturelle , et en les plaçant à côté de quel- ques autres divisions très - différentes , pour établir un contraste illusoire. A l'égard de l'ordre des espèces, je pense qu'on pourroit les ranger dans chacune de leurs coupes , d'après l'identité de leur pays natal. Toutes les espèces indigènes se trou- vant ensemble, on abrégeroit singulièrement les recherches que l'on est obligé de faire pour arriver à leur connoissance : d'ailleurs, F a Si ETUDE je ne vois rien qui s'oppose à cet ordre , sî on a toujours soin de placer les insectes suivant leurs rapprochemens naturels. D'après ces considérations, on rangeroit les espèces de la manière que nous allons indiquer. I. Espèces d'Europe. 1*^. Europe septentrionale , depuis le cercle polaire jusqu'au 55° de latitude. 2". Europe tempérée depuis le 54° jusqu'au 45". 3°. Europe méridionale , depuis le 44° jusqu'au So**. II. Espèces d'Asie. 1**. La partie septentrionale et occidentale, la Russie jusques vers les confins de la Tartarie. a**. La partie septentrionale et orientale, la Sibérie jusqu'au KanitscLatka. 3". Le Levant, ou la partie occidentale de l'Asie qui comprend l'Asie mineure , lu Crimée, la Tartarie, la Palestine et la Perse. 4". L'Arabie. 5°. Les Indes orientales et continentales, partie en deçà du Gange , et partie au delà du Gange. 6°. Les îles de l'Inde. 7". L'Asie orientale , la Chine , le Japon. III. La nouvelle Hollande. IV. L'Afrique. i^. Les régions situées en deçà le tropique dil Cancer. DES INSECTES. 85 2°. Celles qui se trouvent entre le tropique et l'équateur. 3°. Celles qui se trouvent entre l'équateur et le tropique du Capricorne. 4°. Celles qui sont au delà de ce tropique. V. L'Amérique. ^ 1°. La partie la plus boréale depuis le cercle polaire jusqu'aux confins des Etats-Unis. a". Les Etals - Unis et les pays sous le même parallèle. 5°. Les Antilles et les pays situés près du tro- pique, du Cancer jusques près de la ligne , à 5 ou 6". 4°. L'Amérique cquatoriale. 5". L'Amérique méridionale , ou les régions situées au delà du tropique du Capricorne. VX. Les îles de la mer du Sud. Imposez uii nom à tous les groupes que vous formez , d'après ces bases , soit pour l'avantage de la science , soit pour votre propre gloire ; car il pourroit arriver qu'un homme adroit profitât de votre oubli , et par la création d'un nom , parût avoir créé la chose en usurpant vos travaux. "Vos dénominations renfermeront, autant qu'il sera possible , le caractère essentiel , seront courtes , d'une prononciation facile , prises en entier de la même langue, diffé- rentes d'un nom presque semblable par, F 3 86 ETUDE deux syllabes au moins, et n'auront point d'autre application. Ne manquez jamais d'indiquer leur étymologie, afin d'éloigner les difficultés qui accompagnent les recher- ches de cette nature. Le laconisme , la richesse de la langue grecque semblent lui avoir acquis le droit de présider à la formation de ces dénomi- nations : mais , comme on abuse de tout , bien des naturalistes sont devenus hellt'no- maniaques. L'Histoire naturelle se voit sur- chargée d'une multitude de mots qui épou- vantent la mémoire et éloignent de la science. Cette fureur de parler grec s'est introduite dans notre langue , et il est certains ou- vrages tellement remplis de ces termes bar- bares , qu'ils en sont illisibles. Linnseus y a donné lieu ; on a voulu , par trop d'atta- chement à ses principes , exclure , i° la langue latine de ces créations de termes techniques ; 3° refuser aussi à la langue nationale le droit d'intervenir dans la tra- duction de ces mots. Je ne partage pas , je l'avoue , la préten- due théorie philosophique que l'on a donnée pour la formation de ces termes , et cette opinion n'est pas chez moi l'elfet de l'hu- meur ou de la bizarrerie; j'ai senti, par ma DES INSECTES. 87 propre expérience , les défauts de la théorie que j'attaque. A-t-on oublié que l'on doit toujours chercher à soulager la mémoire? qu'elle retient mieux un mot, quoique long, mais qui lui présente un sens tiié de la langue maternelle , qu'un mot latin ou grec d'une seule syllabe , et qui n'excite chez elle aucune idée d'une chose connue ? Ne sait- on pas qu'il ne peut y avoir de dénomina- tion parfaite , et qu'il vaut mieux , puisque cela est ainsi , travailler pour l'avantage de la mémoiie , que s'attacher à une exactitude grammaticale trop- scrupuleuse ? M. Fabricius , par exemple , s'élève contre les mots composés de deux noms , et latins sur -tout, tels que celui de formica -leo, auquel il substitue celui de myrmeleon , tiré du grec. Mais , de bonne foi , puisqu'il faut créer des noms , qu'importe qu'ils soient composés de deux mots ? Les savans , les hommes qui, sans être très-lettrés, ont reçu une bonne éducation , connoissent la langue latine; mais il en est bien peu, et des uns et des autres , qui sachent le grec : le mot de formica - leo sera donc entendu d'un bien plus grand nombre de personnes que celui de myrmeleon. Transportez maintenant ce dernier nom dans notre langue , comme 011 F 4 88 ETUDE Yii fait depuis M. Fabiicius ; serez - voiïS compris ? ... Et non, certes . . . mais , dites au contraire fourmi - lion , le plus ignorant vous entendra, et se rappellera un mot formé de deux noms qui lui sont connus. Je crois donc que les entomologistes qui écrivent en latin doivent prendre , autant qu'il est possible , leurs nouveaux noms de cette langue, et que ceux qui écrivent dans une autre langue vivante , soit qu'ils com- posent , soit qu'ils fassent une traduction , doivent former , avec le secours de cette même langue , des noms d'un genre ana- logue. Les propriétés , les métamorphoses , le poit de l'insecte seront la source de ces dénominations : mais , si vous ne pouviez les forger qu'aux dépens de l'oreille et en fatigant la mémoire , prenez plutôt des noms insignifians , mais doux et faciles à retenir. Prenez garde d'en employer qui le soient déjà dans d'autres parties de l'histoire na- turelle ,• puisez même vos noms dans la fable , si besoin est. Afin de soulager encore votre mémoire, donnez à vos familles un mot composé de celui qui sert de nom au génie dominant. La famille où se trouvent les cétoines , le§ DES INSECTES. 89 hannetons , les scarabées , sera celle des sca- rabéïdes. Il en résultera deux avantages , et la facilité de se rappeler le nom , et la con- noissance du genre qui a servi de base à la coupe. Hors de cette circonstance , gardez-vous de faire ainsi des noms; vous induiriez eu erreur, en faisant croire que les objets aux- quels vous les appliquez appartiennent à la famille dont la dénomination vous a servi de racine. Les meilleurs noms triviaux se prennent des habitudes, des caractères de l'insecte. On ne tolère ceux que Ton tire des lieux, du soi, des saisons, que par l'impossibilité où l'on est souvent d'en employer de la na- ture des premiers. Ceux qui seroient établis sur des comparaisons qui ont la finale eu oides, méritent d'être rejetés. Le respect que l'on doit avoir pour la mémoire des grands hommes, nous impose l'obligation de con- server religieusement les noms spécifiques qui nous rappellent leur souvenir. Que ces témoignages de notre estime ne soient pas trop prodigués; car ces noms se créent tou- jours mi peu aux dépens de la science, et il ne faut pas avilir la récompeuse due aux travaux des grands hommes. go ETUDE Nous devons gémir en voyant que des écrivains, justement célèbres et dignes de toute notre vénération, aient démenti, par leur condLiite, ce respect religieux pour la mémoire de ceux qui les avoient précédés dans la même carrière. Ce respect, si com- mandé par tous, nous faisoit un devoir de conserver les noms des genres consacrés , soit par l'usage , soit par des recherches spé- ciales ; mais tout a été bouleversé , et les dénominations reçues ont éprouvé une ré- volution véritable. D'abord on ne s'est pas occupé de ce que les anciens avoient dit sur les insectes, des noms qu'ils avoient donnés ; et sous prétexte qu'ils n'avoient eu, en histoire naturelle, que des connoissances très-bornées, on a cru pouvoir se dispenser de Tétude de celles qu'ils nous avoient trans- mises; dès lors les désignations dont ils s'é- toient servis , ont été appliquées sans le moindre examen à des objets très- difïérens en tout. On ne s'en est pas tenu là. Tels et tels genres ont paru avoir des caractères peu fondés ou douteux; on a jugé qu'il étoit commode de prendre leurs noms , qui étoient censés devenir inutiles , pour en qualifier de nouveaux genres. Un examen plus attentif a-t-il vengé l'homieur de ces coupures gêné- DES INSECTES. 91 rlques qu'on vouloit ainsi condamner à l'oubli 1 ... On a honte de revenir sur ses pas ; une nouvelle dénomination est créée , et s'applique à ces genres si ballotés. Mais ils ne sont pas les seuls qui aient à se plaindre ; plusieurs autres genres solidement établis, et reconnus pour tels, se voient dé- pouiller du nom que leur avoit imposé celui qui les forma , et sont tout étonnés de n'être plus ce qu'ils étoient. Ces vicissitudes perpé- tuelles de la nomenclature arrêtent les pro- grès de la science. Quelle que soit l'autorité des écrivains qui ont produit ces change- mens, et quoique leurs ouvrages soient entre les mains de tout le monde , n'en soyez pas moins fidèles aux vrais principes. Un ento- mologiste célèbre , mon ami Olivier , vous en donne l'exemple. Son estime pour M. Fabricius ne l'a pas empêché de se refuser aux innovations mal fondées de celui-ci. Telle sera aussi ma conduite dans le cours de cet ouvrage. La justice et ce que je dois à la science me le prescrivent. On eût évité ces écueils si l'on se fût fait une règle de ne jamais détourner l'applica- tion d'un nom quelconque , le genre auquel on Tauroit donné fût-il d'ailleurs mauvais. Ne manquez pas de rendre hommage aux 92 E T U D E travaux des autres naturalistes ; et lorsque vous écrivez particulièrement sur un objet qui aura donné lieu à de bonnes observa- tions , indiquez celui qui les a faites. S'agit- il, par exemple, d'un genre établi récem- ment avant vous, citez son auteur, et ne vous appropriez point, à la fa\eui' d'une réticence coupable, quel qu'en soit le motif^ la gloire que cet écrivain s'est acquise. Res- pectez toujours dans la caiiière littéraire le droit de propriété. Lta synonymie vous fournit l'occasion de rendre à chacun ce qui lui appartient. Divi- sez en deux classes ceux qui ont parlé de votre matière : les systématiques et les ico- nographes. Etablissez votre série d'après l'ordre chronologique des observations, en commençant par les systématiques. Marquez d'un astérisque celui qui a écrit le premier sur l'objet. Il seroit même convenable d'in- diquer de quelque manière les auteurs qui n'ajoutent rien aux observations précédentes, afin d'empêcher des recherches inutiles. Chaque synonjnie commencera une ligne et sera ainsi distingué de ceux qui l'a voi- sinent. Ou citera exactement le titre abrégé du livre , l'édition , le volume et la page. Votre description présentera la différence DES INSECTES. gS et l'ordre naturels des parties de l'objet. S'agit-il d'un ordre , considérez d'abord les organes du mouvement, et ensuite la forme générale de la bouche. Etablissez -vous un genre, indiquez son ordre, sa famille,* esquis- sez rapidement les traits qui lui sont com- muns avec d'autres, et ceux qui lui sont propres. De là passez à la description des antennes, à celle de la structure et compo- sition, soit générale, soit particulière de la bouche; arrêtez- vous ensuite à l'examen des tarses ; fixez , après cela , vos regards sur la forme générale et partielle du corps. Vos caractères, essentiels ou artificiels, et le na- turel se trouvent établis. Si vous vous proposez de décrire une espèce, comparez encore ses caractères es- sentiels avec ceux des espèces voisines. Faites observer la forme générale du corps , et considérez ensuite en détail ses organes , les antennes, la tête, le corcelet , l'écusson, l'abdomen , les membres. Quoique les maîtres de l'art vous aient laissé une assez grande latitude dans la ma- nière de prendre les dimensions des parties de l'animal, je pense qu'il est nécessaire pour une plus grande exactitude, et pour mieux déterminer les limites d'une espèce à une 94 E T tr D E autre , de mesurer scrupuleusement et en tout sens, les parties différentes de Tanimal. Il ne faut point de vague en histoire natu- relle; fobservateur doit être géomètre. Ne tombez pas , à cet égard , dans un dé- faut assez commun : celui de renvoyer , quant à la forme et à la" grandeur d^un ob- jet, à celles d'un autre; puis de celui-ci à un troisième , à un quatrième. Ces renvois occasionnent une perte de tems , et ne vous apprennent souvent rien. Si la prolixité, le verbiage sont un fléau pour la science , il faut aussi prévenir qu'elle reprouve ces descriptions si brièves , si in- complettes qu'elles sont presque inutiles. J'aime mieux une observation diffuse , pour- vu qu'elle ne taise rien d'essentiel à savoir, qu'une observation dont le laconisme ne m'instruit qu'à demi. On peut retrancher, mais on ne peut pas toujours ajouter. M. Fabricius critique Paykull au sujet de ces longueurs dans les descriptions. Je con^dens que le naturaliste suédois auroit pu , à la faveur de plusieurs subdivisions , éviter cette prolixité; mais j'oublie ce léger inconvénient, lorsque je réfléchis que ces longues descriptions me permettent toujours de comparer les espèces, de i-econnoître plus DES INSECTES. ^5 facilement celles qui sont obscures ou celles qui échappent par leur petitesse ,• je dii-ois aussi que Fabricius, tout excellent descrip- teur qu'il est, devient souvent obscur par son laconisme, sur- tout dans les grands genres , et je lui observerai que plus les sujets se particularisent, plus il est permis de les traiter avec étendue. Une faune doit offrir des descriptions plus longues qu'un système général. Ceux qui désireront avoir le type d'une description complette, le trouveront dans la philosophie botanicjue de Fabricius. Il vient deparoitre, en allemand, un ouvi'age qui nous offre des modèles plus parfaits; je crois même qu'il n'est pas possible d'aller plus loin. L'auteur est Knocli , et le livre a pour titre : neue Beytrœge zur lusecten- kunde , Leipzig, 1801. Les figures qui l'ac- compagnent sont dignes de cette belle ma- nière d'observer. Dans la description des espèces , il est une partie qui donne beaucoup d'embarras et suscite grand nombre de dilBcultés : je parle de la manièi-e d exprimer les couleurs. Cela m'oblige à traiter ce sujet ex professa; je le ferai dans un des discours suivans. On désignera non seulement le pays, la <)6 ETUDE saison où a été trouvé l'insecte que Ton ai décrit, mais encore la nature du sol, celle des végétaux qui y croissent , tout ce qui peut, en un mot, procurer des renseigne- ment sur les habitudes de l'animal et son économie. Le nombre des espèces connues ne peut s'accroître, sans que les difficultés de les distinguer n'augmentent en même tems. Les descriptions les plus étendues ne dissipent pas toujours les obscurités. De bonnes figures, et sur-tout des figures coloriées avec soin ^ peuvent seules venir à notre secours et fixer nos doutes. Le naturaliste ne doit jamais négliger un moyen auxiliaire si puissant. Nous ne sommes même peut-être pas éloi- gnés d'une époque où ce complément de nos travaux, et qui en est la sanction, sera érigé en devoir. 11 seroit à désirer que le naturaliste pût joindre le pinceau au talent de décrire,* il faut qu'il s'exerce à représenter, du moins grossièrement , les objets qui offrent des ca- ractères difficiles à saisir, et qui échappe- roient au dessinateur. Il doit guider ses yeux, lui prêter toutes ses lumières, afin que les siennes lui soient utiles et n'aient pas une fausse application. Qu'il dessine votre objet dans D E s I N s E C T E s. 97 dans un état naturel, sous toutes les faces qui peuvent faire connoitre ses formes et les proportions de ses parties; qu'il s'attache plus aux caractères qu'à l'effet; il ne faib pas un tableau. Les parties caractéristiques ou celles qui ont quelque chose de remarquable, seront vues à part , à moins que la grandeur du sujet ne les fit suffisamment ressortir. Le dessin aura toujours dix à douze lignes de longueur , afin que les parties de l'animal soient distinctes. Puissent des hommes, tels que les Van - Spendonck , les Redouté , les Maréchal , qui réunissent les connoissances du naturaliste à celles des grands peintres , nous donner les préceptes et les règles qui doivent guider l'iconographe des objets d'his- toire naturelle ! Jns. T o M E I. G rj8 DE L'INSTINCT TROISIEME DISCOURS. ■ De V instinct et de V industrie des Insectes ( i ). OUR le poinl de présenter une histoire gé- nérale des insectes , il paroît à propos de jeter en avant quelques idées relatives à riustinct et à l'industrie d'un peuple , in- téressant à plusieurs égards , et qui ne semble dédaigné que parce qu'on n'en connoît pas les merveilles. Ces notions préliminaires , en facilitant au lecteur l'intelligence des détails où je veux entrer , l'attacheront jdIus dou- cement à la contemplation des prodiges éton- nans que recèle cette partie de la création. ■ ■ ■■ ■ ■ ^" (i) Le Discours sur l'organisation générale des insectes devroit naturellement précéder celui- ci j mais j'ai craint d'effaroucher mes lectevirs par des détails secs et arides ; il faut d'abord lui présenter des tableaux agréables et captiver son imagination : une fois éprise d'amour pour son objet , elle dévorera sans peine les momens d'ennui , malheureusement inséparables de la nomenclature. Je préviens encore les lecteurs qu'un de mes amis a la plus grande part à ce Discours; il a fait un brillant tableau de l'esquisse que je lui avois tracée. DES INSECTES. 99 On ne peut en cfTet porter un moment ïe llanibeau de l'observation sur l'extrémité cle Timmense tableau de la Nature , sans lencontrer à chaque coup dœil des faits , des analogies , des mœurs , un système d'exis- tence ,de physiologie, qui arrêtenl; l'rinie , la jettent dans le plus profond étonnement ; et , d'un trait rapide , la font remonter à la Toute-Puissance , qui se plaît à verser eu jouant, sur l'organisation physique et morale de la plupart des insectes , les traits singu- liers et brillans du trésor inépuisable qu'elle répand dans la classe des fleurs , des oiseaux et des quadrupèdes. Cest la réflexion sublime que l'étude en- tomologique inspiroit à l'un des plus célèbres historiens des insectes, ce L'observateur de la Nature , dit Bonnet , doit se proposer dans ses recherches de perfectionner ses sentimens d'amour et de respect pour la Divinité , par une connoissance plus ap- profondie de ses merveilleux ouvrages». Où le pouvoir de la Sagesse éternelle brille-t-il avec plus d'éclat que dans l'éco- nomie organique et industrielle de quelques individus de la science qui nous occupe ? Qui comparera les travaux surprenans du castor avec la régularité géométrique des hexagones G 2 îoo DE L'INSTINCT de Tabeille ? Qui ne verra beaucoup moins d'instinct dans la patience féroce du tigre , dévoré par la faim, qui, la gueule desséchée, J'œil en feu , et tapis au milieu des hautes herbes de la forêt , attend , immobile , le pas- sage de la proie sur laquelle il s'élance , que dans l'instinct du fourmi-lion qui , silentieux au fond de l'entonnoir creusé dans une terre mobile , est assuré qu'en allant au travail l'imprudente fourmi précipitée dans la tré- mie par l'éboulement préparé de quelques grains de sable , en devenant sa victime , le paiera de toutes les peines que la meur- trière économie de cet escarpement a pu lui coûter ? Qui préférera l'élégante architecture du nid de l'hirondelle à la petite feuille pliée par la chenille en forme conique , enlacée d'une multitude de cerceaux de fils de soie, émanés de sa substance, et qui, à l'intérieur, réunis en trame , étendent contre les parois de la fragile cellule une tapisserie molle et imperméable , dans laquelle rej)ose un jeune larve , doux espoir d'une postérité nom- breuse ? Après avoir épuisé son admiration sur l'énorme charpente et la force prodigieuse de l'éléphant, qui sert de base à des tours D E s I N s E C T E s. lot cliargées de combattans , a quel observateur,' dit le naturaliste romain , ne s'extasiera pas en réfléchissant aux perfections inconceva- bles que la Nature déploie dans ses minia- tures ? Quelle merveille , par exemple ,' n'offre pas à l'oeil attentif le dessin et la structure d'un moucheron î» Car, sans parler de la gaze de ses ailes, ra- mifiées de vaisseaux presque imperceptibles ,' arrosés d'une liqueur aussi atténuée que la sève qui circule dans les feuilles de la rose ,' quel sentiment inexprimable n'éprouve-t-oa pas en songeant que , dans un aussi si petit espace , la Nature place et combine tous les organes de tant de sensations disparates ; ceux de la vue, du goût, de l'odorat , et cette trompe admirable , tantôt arme offensive et défensive , tantôt sonde délicate qui , de pres- que toutes les substances , pompe les sucs destinés à sa nutrition! C'est sur tant de prodiges voilés aux yeux de l'ignorance , et qui résultent de l'instinct et de l'industrie des insectes , que je me pro- pose d'arrêter un moment l'attention du lecteur, en développant quelques idées som- maires sur leurs moyens de conserver l'exis- tence , et de la défendre de tous les accidens. qui la menacent. G 5 102 DE L'INSTINCT CHAPITRE PREMIER. Instinct et industrie des Insectes dans la manière de se nourrir. (JuoiQUE placés au bas de l'échelle orga- nique, les insectes figurent cependant dans la classe privilégiée de Tanimalisation. Cette tribu précède immédiatement celle des vers, dfanier chaînon du règne animé , et nuance intermédiaire qui le lie à celui de la végé- tation. Renvoyons donc au dépôt des tableaux de l'imagination les ingénieux parallèles du développement des facultés vitales dans l'in- secte, avec la croissance et le produit de la piaule, qui ont amusé les loisirs deLesserts, d'après quelques idées de Swammerdam. «La plante, a-t-on dit, pousse une tige pour se revêtir ensuite de feuilles ; l'insecte connnence par être un corps oblong et ver- niiforme, et finit par des ailes : les feuilles des plantes sont pleines de nervures qui se partagent en mille sinuosités ; les ailes des insectes ont aussi un grand nombre de ner- DES INSECTES. io5 vures et de ramifications pareilles : celles-là diffèrent entre elles par leur forme et leur découpure,' celles-ci ne varient pas moins par leur configuration et par la manière dont leurs bords sont dentelés : les plantes poussent des boutons à fleurs; les insectes deviennent nymphes et chrysalides : comme ces boutons, après avoir fleuri , donnent des fruits dans leur maturité; ainsi ces nymphes el ces chrysalides , après un certain teins , produisent des insectes dans leur état de perfection». Qui ne voit combien cette comparaison très-imparfaite est incapable de soutenir les regards de l'analyse; et combien le rappro- chement des fibres nerveuses de la feuille est au dessous du merveilleux artifice de l'aile d'un insecte? Qui ne voit que la loco- motion, ou faculté de se mouvoir, de chan- ger de place, de raser la terre, de planer sur les eaux , de s'élever dans le vague de l'air pour y surprendre la proie , met une différence infinie entre l'insecte et la plante, qu'on voit croître , fleurir et tomber sur le gazon qui lui a servi de berceau ? Et d'ailleurs auroit-on fermé l'oreille à la réclamation d'honneur qui , à l'avantage ^e l'insecte, s'élève de l'observation la plus G4 ko4 DE L'INSTINCT superficielle sur sa moralité, ses habitude^ et son instinct? La Nature a -t- elle placé dans l'ame de ses grandes productions , dans celle du lion, de l'éléphant ou du cheval,' des passions plus caractérisées d'emporte- ment , de colère et d'audace , que celles dont,' à chaque pas, on découvre les traces dans celle des insectes? A-t-elle donné au singe, au renard, à l'oiseau chasseur, plus de ruses, de notions de piège, de patience et d'impé- tuosité qu'à certains insectes ; tandis que , par l'éclat de leur robe , par la variété des émaux et les nuances du velours, ils peuvent le disputer à tout ce que les quadrupèdes, les oiseaux et l'art offrent de plus brillant et de plus accompli? Les insectes apparteuans à la classe de l'animalité , sont , dès lors , soumis aux be- soins généraux que la Nature donne à tout individu vivant. Le premier et le plus essen- tiel est celui de conserver l'existence qu'il tient de sa libéralité, en se nourrissant, c'est- à-dire , en s'incorporant les matières qui lui sont destinées et propres à faire circuler dans ses organes l'élément actif de la vie. Reçues dans l'intérieur de l'insecte, par la bouche ou par une ouverture analogue, ces molécules nourricières subissent diffé^ DES INSECTES. io5 rentes élaborations , qui alimentent et con- servent ainsi le principe de l'organisation. Il y a dans les insectes presque autant de manières de se nourrir, autant de différence dans la satisfaction de ce besoin, qu'on re- marque de variétés dans leurs formes. Ce- pendant 5 pour généraliser les idées et les ordonner, on peut distinguer dans ce peuple deux systèmes principaux de prendre l'ali- ment ; celui qui s'opère par la succion , et celui qui emploie le broiement de la nour- riture. C'est en considérant séparément ces deux caractères distinctifs dans la même classe , que nous verrons se ranger sous chacune une multitude d'observations aussi curieuses qu'instructives ; et là aussi nous trouverons la matière d'un hymne touchant à la mère commune, qui, dans l'organisation et l'en- tretien des insectes, déploie ces attentions délicates et ces soins infinis que nous sommes accoutumés de n'admirer que dans les gran- des masses de l'animalité. io6 NOURRITURE ARTICLE PREMIER. Nourriture des Insectes par succion. jL) e ses premières observations sur le mode de nourriture des insectes par succion , le~ philosophe voit sortir une grande réflexion qui, approfondie parles siècles et l'étude, peut mener à la découverte du principe général des vues et des opérations de la Nature; elle donneroit la clef du sanctuaire terrestre, comme Newton l'a reçue du génie, relativement à l'harmonie des phénomènes de l'architecture du brillant empirée. Ici., la terre nourrit la rose, insinue dans ses veines l'inGarnat et le parfum , découpe ses festons et prépare sa couronne. Survient, tout à coup, un aimable voyageur, de la famille des abeilles , qui, tout en bourdon- nant, s'abat sur le sein de la jeune fleur , cntr'ouvre doucement son calice odorant, ravit le trésor et le distille en liqueur miellée. Une tendre adolescente en goùtoit la dou- ceur, lorsque, frappée du trait de la mort, elle tombe, des bras d'une mère désolée, dans les entrailles de la terre ; et de sa pous- DES INSECTES. 107 sière innocente le tems voit refleurir une rose aussi vermeille, aussi douce et aussi modeste que celle dont elle emporta dans le tombeau les transmutations successives et la dernière métamorphose. Ainsi, dans la Nature, tout meurt et se reproduit de lui - même ; les générations renaissantes ne sont qu'un appareil nouveau de la même matière; rien ne se perd; tout s'agite , tout circule , tout se reforme ; et le système organique entier se réduit peut-être à la décomposition et au mouvement. Cette vérité fondamentale reçoit de nou- veaux reflets de lumière lorsqu'on la rap- proche des habitudes alimentaires des in- sectes suceurs. Parmi eux , les uns ne se nourrissent que du suc des fruits et des plantes ; d'autres pompent la substance de leurs semblables et le sang des autres ani- maux ; une troisième espèce , réunissant les deux goûts , met également à contribution la liqueur du règne animal et la sève du végétal. C'est d'après l'inspiration de ces divers appétits que la Nature combine , dans l'insecte , l'économie organique, ainsi que les moyens d'intus-susception et de digestion ana- logues aux matières qu'elle lui a préparées ; et c'est ici que commencent les merveilles. io8 NOURRITURE Dans la classe des suceurs, s'agit-il dW-^ ganiser l'espèce la plus délicate, celle qui met un choix plus épuré dans la qualité de ses alimens : la Nature lui donne et la faculté de se transporter rapidement aux divers endroits où ils croissent pour lui, et l'instrument nécessaire pour saisir et s'in- corporer l'objet de ses désirs. Arrachez-vous des bras du sommeil, voyez? comme le printems, de ses doux rayons, a réchauffé la terre , comme les fleurs s'em- pressent d'é clore, et d'ouvrir leur sein aux influences de l'aimable saison ! Avec quelle légèreté, quelle aisance il fend l'air rafraîchi, ce papillon , dont l'aile , aussi blanclie , aussi pure que l'émail du lys , charme les regards , et allume la jalousie de toutes les nymphes du parterre ! JEst-ce coquetterie, est-ce inconstance, est-ce embarras du choix? Le jeune volage s'approche , s'éloigne , revient , fuit encore ; il est vaincu , et la fraîche violette va l'en- chaîner un moment. Fixé sur le bord des festons, de ses pattes déliées, effleurant à peine la molesse du velours parfumé , le petit sultan , les ailes immobiles et élevées l'une contre l'autre, soit pour ne point troubler sa jouissance^ DES INSECTES. 109 soit pour s'enivrer de toutes les émotions de l'aimable conquête , darde , au plus intime de son cœur , la trompe merveilleuse dont la Nature l'a pourvu. Jusqu'alors invisible , et à ce moment plus longue que le corps du brillant animal , cette langue rétractile et tournée en spirale, se déroule, se replie, et s'étend de nouveau avec un art et une vitesse incroyables; chaque coup de piston pompe, au sein de la fleur complaisante , une partie du suc le plus pur , et le rapporte aussi rapidement aux intestins du papillon , par un méca- nisme dont la science et les instrumens les plus finis n'ont pu jusqu'à ce jour découvrir le secret. L'assemblage des écailles et des mem- branes qui composent la trompe du roi des insectes est si parfait , ses caresses sont si douces , ses baisers si délicats , que l'ardeur de ses amours ne laisse jamais aucune trace d'indiscrétion : le voile du mystère demeure impénétrable,- et zépliir lui-même, revenant visiter son domaine , ne découvre , ni dans l'économie du feuillage de la violette , ni sur son sein , aucun pli , aucun dérangement, aucune flétrissure qui puisse lui révéler les embrassemens et le bonheur du papillon. 1 lo NOURRITURE Tout , dans sa structure , amioiice les at- tentions et les complaisances de la Nature pour un de ses bijoux : les antennes , ou espèces de cornes dont la tête de la plupart des insectes est armée , très-probablement j)our leur servir de mains propres à tâter et à examiner les corps qu'ils rencontrent; ces appendices , invisibles dans les araignées, les mites et les hydrachnes , s'annoncent très - distinctement chez le papillon ; ces antennes sont filiformes , d'égale grosseur jusques vers leur extrémité qui forme un bouton ou une massue ; elles sont mobiles à la volonté de l'insecte; il s'en sert pour écarter et briser tous les obstacles qui s'op- posent à sa jouissance, ou tenteroient de retarder la satisfaction de ses appétits. La trompe , si courte dans quelques fa- milles de phalènes qu'il leur est impossible de s'en servir pour l'extraction des sucs alimentaires , est , comme je l'ai dit , dans la caste des papillons , d'une dimension frap- pante , mais parfaitement appropriée aux vues de la main qui l'a dessinée. La Nature vouloit que l'instrument extracteur de la nourriture de l'insecte chéri fut dimen- sionné de manièje qu'il pût aisément péné- trer jusqu'au fond du calice des fleurs où se DES INSECTES. iii <3istillent les sucs les plus délicats et les plus analogues à Télégance de sa physiologie, qu'il le put sans risquer de blesser les organes de sa vue on y enfonçant la tète. Seroit-il permis d'ajouter qu'une conséquence de cette vue essentielle de la Nature est qu'ent courtisant ainsi , la tête dégagée , une fleur fiaîchement épanouie , le joli séducteur peut lui témoigner toute sa tendresse et en rece- voir les douces émotions, sans lui dérober ni l'éclat de ses yeux , ni aucune des graces- qui brillent sur sa personne 5 et c'est ainsi que, dans le plan de la Nature, la satisfaction des premiers besoins est toujours la source ou le produit du plaisir. Le papillon doit-il au choix exquis de sa nourriture, à la combinaison de l'organe qui la pompe , ou à la distillation des vaisseaux internes , l'éclat de ses ailes ; ces bandes de pourpre , ces nuages d'azur , ces mélanges biganés , ces points d'or ou d'ébène , ces liserés de franges ou de dentelles , ces enca- dremens réguliers et contrastans ? C'est sur quoi il seroit bien difficile de prononcer avec quelque fondement solide. Mais au moins est - il constant que le papillon, déposant sur une fleur la poussière fécondante , emporlée du sein de celle qu'il? 113 NOURRITURE vient cle quitter , fait des mélanges qui petl* vent occasionner, dans ce peuple charmant^ des variétés de nuances admirables , des couleurs intéressantes, singulières et entiè- rement neuves. C'est aux florimanes à ap- profondir ce procédé de la Nature , à voir quel parti ils en peuvent tirer pour enrichir le parterre de nouvelles colonies ; mais , en s'extasiant devant les émaux d'une race in- connue de tulipes, de renoncules ou d'œil* lets, qu'ils se souviennent que la découverte du nouveau trésor est due aux caprices du plus beau et du plus inconstant des insectes ailés. Cette facilité qu'a le papillon de dissé- miner indistinctement les étamines procréa- trices , ravies aux plantes émaillées , et l'ha- bitude de quelques individus de cette écla- tante famille de laisser échapper de leur corps , à certaines époques , des taches rou- geâtres , eût fourni à l'ignorance ou à la superstition des armes invincibles , si la science ne les eût brisées d'un seul coup. Au connnencement de juillet 1608, voilà le faubourg d'Aix et plusieurs milles à la ronde , couverts d'une pluie de sang , dessé- ché à ce moment , mais très-coloié. Qu'on imagine la stupeur du peuple , la frayeur des D E s I N s E C T E s. ii5 des citadins , et les graves raisonneraens de la haiile érudition qui décide formellement reconnoître , dans cette pluie alarmante , l'opération des anges de ténèbres , ou Tan- nonce , de la part du ciel , des plus redou- tables fléaux. L'épouvante et le préjugé se fussent à jamais enracinés , dit Réaumur , si on n'eût eu alors un philosophe , qui , dans la vaste étendue de ses connoissances , embrassoit aussi l'observation assidue de la nature des insectes. « Une chrj'^salide , que Pieresc conservoit dans son cabinet , vint éclairer à ses 3'^eux: ce grand mystère ; le bruit qu'il entendit dans la boîte où elle étoit , l'avertit qu'elle avoit subi sa transformation. En ouvrant cette boîte , l'insecte s'envola , et laissa au fond une tache rouge > d'une grandeur assez considérable. Pieresc se convainquit que les taches rouges qu'on voyoit sur les pierres étoient de même nature que celles du fond de la boîte. En voyant voler une quan- tité prodigieuse de papillons , il observa et fit observer à plusieurs personnes que les gouttes de la pluie miraculeuse ne se trou- voient nulle part dans le milieu de la ville ; qu'il n'y en avoit que dans les endroits, Ins, Tome I, H îM NOURRITURE voisins de la campagne ; que ces goutte^ ii'étoient point tombées sur les toits ; que, ce qui étoit plus décisif encore , on n'en trou- voit pas même sur les smfaces des pierres qui étoient tournées vers le ciel ; que la plupart de ces taches rouges étoient dans des cavilés contre la surface intérieure de leur espèce de voûte ; qu'enfin on n'en voyoit point sur les murs plus élevés que les hauteurs auxquelles les papillons volent ordinairement. C'est ainsi que cet obser- vateur judicieux parvint à donner la solu- tion simple et sûi'c d'un phénomène qui auroit pu long-tems encore tourmenter les sa vans et effrayer les ignorans». Quelque tribut d'admiration que puisse nous arracher le zéphir des insectes , il faut en convenir , s'il réunit les grâces aimables et séduisantes dont s'embellit cette classe d'élégans qui papillonnent dans la société , il partage aussi leurs défauts ; léger , incons- tant, égoïste, indiscret, en faisant la cour aux fleurs , il ne pense qu'à ses besoins et à ses plaisirs ; et la liqueur qu'elles lui laissent enlever, dont la douceur est pour l'animal volage un nouveau bienfait de la Nature, ne sert qu'à sa nutrition personnelle. Il n'en est pas ainsi de cet autre insectej- D E s I N s E C T E s. ii5 isî connu par ses travaux et sa police ; celui dont la muse du poëte de Mantoue a célébré ]es mœurs , et qui a révélé à Swammerdani et à Réaumur presque toutes les parties de son histoire. La Nature , après avoir laissé échap- per de ses mains l'éclatant papillon , comme un essai de la richesse et de la variété de ses couleurs , a donné dans l'industrieuse abeille un témoignage touchant de sa bien- faisance et de son pouvoir, en voulant qu'un des plus petits objets de son immense labo- ratoire contribuât aux douceurs et aux agré- mens de la vie. Comme le papillon volage , la diligente abeille se nourrit sur le sein des fleurs ; mais les élaborations intérieures des substances, que leur enlève ce précieux animal , étant destinées à produire la cire et le miel , et l'extraction devant être conséquem aient très- différente , il a reçu de la main créatrice , et pour se nourrir , et pour vaquer à ses fonc- tions , une trompe et des accessoires d'une conformation bien autrement merveilleuse. En travaillant , au premier rayon de l'au- rore , dans le calice des fleurs , empreintes des fécondes émanations de l'éther et de la manne aérienne , l'abeille ne pense pas précisément à sa nourriture ; ce n'est pas ce H a 'ii6 NOURRITURE dont il s'agit maintenant, et ce n'est pas la) quelque pressant que puisse être le besoin , qu'il sera pleinement satisfait. Se hâter de dépouiller les fleurs de leur trésor , sans les endommager , ou même les flétrir ; accu- muler sur elle-même la charge des dépouilles et du butin ; travailler jusques à l'épuise- ment; s'empresser de reprendre, d'une aile résonnante et fatiguée, le chemin de la ruche pour déposer sa récolte au fond de sa cellule; telles sont les lois invariables de l'instinct de l'abeille et du gouvernement de la petite république. Rien de plus curieux que les organes des- tinés à cette extraction nutritive , et au produit de la digestion. Comme il n'est pas ici seulement question d'enlever le suc des brillans végétaux , mais encore de ravir une liqueur édulcorée , premier élément du miel , et qui distille des glandes de certaines fleurs , ainsi que d'enlever cette poussière visqueuse dont se pétrit la cire , et qui sau- poudre les parois de la plante , il faut à l'ardente ouvrière des instrumens assortis à ces différens travaux. Suivez une jeune abeille qui vole à sa besogne ; voyez - la pénétrer et se plonger dans les festons dentelés d'un oeillet : sans DES INSECTES. 117 perdre un seul instant, ni adresser aucun hommage à son hôte radieux , sur l'éclat de son damas panaché , ou sur la suavité de son haleine , elle déploie brusquement hors de son fourreau une trompe, aupara- vant repliée sur elle-même et cachée entre les mandibules et la bouche. Tachez de découvrir à la dérobée im petit mamelon , presque cylindrique , cilié sur les bords , et qui termine la pièce prin- cipale de la trompe , couverte de poils dans toute sa longueur. Observez attentivement avec quelle industrie , avec quelle rapidité Tabeille darde cet organe entre les pétales de la fleur ; comme il s'alonge , s'accourcit et se contourne en tout sens ; comme il se maintient dans une vibration et un mouvement continuels. Voj^ez le mamelon appliqué sans cesse contre les nectaires de l'œillet , et comme une langue infiniment active , sucer et lécher la hqueur mielleuse; et par un art , jusqu'à ce moment difficile à expliquer , l'introduire avec la trompe dans la bouche , de là dans l'œsophage , et enfin la livrer à l'estomac , qui , après lui avoir fait subir une nouvelle préparation , la dégorge en miel , au fond du polygone pjTa- liiidal , qui lui sert de magasin et de retraite. H 3 îi8 NOURRITURE L'opéiation de la cire est beaucoup plu^ facile à observer et à saisir. Lorsque l'abeille sent son viscère plein de liqueur nectaire , elle achève d'épuiser la fleur, en appliquant vivement les poils dont elle est plus ou moins garnie , sur ces étamines de la plante ; et quand tout son corps en est couvert, dans un bon moment de récolte , elle regagne la cité, après avoir pris la précaulion d'enlever, avec ses pattes de derrière qui lui tiennent lieu de brosse , toute cette poussière , et de la pétrir en deux petites boules qui , placées à chacune des jambes de derrière, servent de contre-poids. Cette cire brute et primitiv^e , saturée ou du miel , ou de la liqueur véné- neuse dont l'abeille est pourvue pour sa défense , selon Swammerdam ; ou tout sim- plement travaillée dans l'intérieur du corps, selon l'opinion commune, se transforme eu cire véritable. Ce n'est qu'à la suite de tous ces pénibles travaux que l'abeille songe à elle-même, et qu'elle prend, tant sur la provision du miel, que sur celle des gâteaux de cire , la légère porlion prescrite par le besoin et la règle de la plus extrême sobriété. C'est ainsi que le suc des fleurs qui émail- lent nos plattes bandes , ou qui embellissent DES INSECTES. 119 les arbres fruitiers , servent de nourrituro aux iudividus de la plus sage et de la mieux policée des républiques; et c'est ainsi qu'à leur industrieuse diligence nous devons la cire et le miel. Je voudrois pouvoir assurer que notre reconnoissance égale le bienfait. Hélas ! nous nous extasions sur les bril- lantes livrées que la Nature donne à la tribu des papillons; nos regards éblouis ne peuvent s'en détacher; nous leur donnons une espèce d'immortalité en les conservant avec le plus grand soin sous des glaces précieuses; chaque matin cette superbe collection reçoit l'honi^ mage de notre admiration et de nos éloges; et à peine , au sein des bruyantes métropoles , en jouissant des productions de l'abeille, s'oc- cupe-t-on de l'intéressante ouvrière à qui elles sont dues, et qui s'en prive pour nous. Dites , jeunes beautés , lorsque dans un bal charmant, préparé par l'amour et animé des sons touchans d'une harmonie tendre et légère , mille bougies répandant à l'envi une lumière vive et douce , forment, au milieu des ténèbres , une atmosphère avan- tageuse , qui investit mollement toute votre personne, en dessine avec plus de volupté, en prononce mieux la taille élégante et les formes arrondies , et fait briller d'un feu H4 Ï20 NOURRITURE nouveau ces regards déjà si séduisans ; dites ^ ce cœur tendre, susceptible des plus vives impressions , et qui ne respire que pour riieareux objet dont la seule image fait son bonheur; ce cœur sent -il l'ingratitude de ne pas même se souvenir que , le triomphe de cette nuit et le redoublement des émo- tions de Tamant , il doit tout cela, en grande partie , aux tonens flatteurs de lumière qui s'échappent d'une file de lustres étincelans des flammes de la cire ; de la cire préparée par la modeste abeille, qui, peut-être à cette heure , engoujdie dans un coin de la ruche , souffre cruellement des rigueurs de la saison? Au reste , ce ne sont pas seulement ces mouches précieuses qui se nourrissent de miel ; les fourmis en sont aussi très-friandes, ainsi que de toute autre liqueur douce et sucrée : tel est le principe intéressé des fré- quentes visites qu'elles rendent aux puce- rons , et de leur afïluence près de ces petits animaux. Elles ne leur font aucun mal , et ne les recherchent que pour lécher la liqueur miellée qui sort continuellement du corps des pucerons , et dont elles font leur plus délicieuse nomTiture. En conséquence les fourmis ne les quittent pas , afin de profiter de cette douce évacuation ; et elles y sont DES INSECTES. 121 même si occupées , qu'on a dit qu'elles ou- blient de se rendre le soir à la fourmilière, et qu'elles veillent auprès des pucerons pen- dant toute la nuit, sans se rebuter du tems fiais et pluvieux de l'automne. Les guêpes,' les abeilles même cherchent cette liqueur douce que les pucerons laissent sur les feuilles : les secondes en prennent quelque- fois si copieusement , qu'elles en rapportent un dévoienient mortel. Cette distillation , en effet , est d'un goût sucré et fort agréable. Ce n'est pas seulement à la fleur que la Nature confie le suc nourricier des insectes: les autres parties des végétaux sont aussi chargées d'y contribuer; et à cet égard, un spectacle moins intéressant, mais aussi cu- rieux que les travaux de l'abeille , c'est celui de plusieurs insectes qui ne vivent que du suc qui circule dans le tissu des feuilles et des tiges des arbres; tels sont les cigales, les pucerons, plusieurs espèces de punaises sau- vages, et ceux qu'on nomme gallinsectes , c'est-à-dire, les cochenilles et les kermès. Ces animaux ont reçu de l'ordonnatrice générale une trompe placée au dessous de la tète, dont ils se servent pour piquer, dans la feuille ou dans la tige, la sève alimen- taii^e que cet organe combine, et qu'il fait 123 NOURRITURE passer, d'après les vues de la Nature, dan» le corps de l'insecte. Remarquez la quantité prodigieuse de pu- cerons qui couvrent le feuillage et les som- mités de ces arbustes et de ces plantes. Vous les voyez immobiles ; cependant tous sont en action; chaque puceron a sa petite trompe enfoncée dans les feuilles, et il en tire con- tinuellement le suc qui le nourrit. Quant aux gallinsectes , comme ils s'alimentent de cette portion de la sève qui vivifie l'écorce des arbustes, leur trompe, aussi mince, mais plus forte, et située au dessous du corps, s'enfonce dans cette écorce et en extrait la liqueur. Ce qu'il y a de singulier, c'est que l'insecte de cette dernière espèce , ayant choisi un endroit convenable, on le voit s'y fixer , ne plus le quitter , le pomper cons- tamment jusqu'à ce qu'il tombe mort sur la piquure qu'il a faite à l'arbre ou à la plante. La Nature pousse encore plus loin les attentions de la tendresse en faveur des jeunes sortes de cigales {cicada spumaria Lin.); elle leur prépare, avant la naissance des ailes, une espèce de manne conserva- trice , tirée de leur propre substance. Je parle d'une espèce d'écume blanche qu'il n'est point rare de voir, au priutems, atta- DES INSECTES. i23 cliée en petits morceaux aux liges ou aux feuilles des différentes espèces de plantes, et en particulier sur les gramens. Cette écume n'est autre chose que le suc ou la sève des végétaux sucés par la petite cigale avec sa trompe, et qu'elle rend ensuite par l'anus. Pour cela, après avoir pompé de toutes ses forces, et lorsque son intérieur est plein de liqueur, elle fait sortir, de son derrière , de petites bulles qui se succèdent assez rapidement , et dont Taccumulation produit l'écume. A mesure qu'elle paroît, elle s'arrange autour de l'insecte et sur son corps, qui bientôt en est tout couvert; elle sert à gai'antir la jeune cigale des injures de lair et de l'action trop yive du soleil qu'elle ne pourroit souffiir long-tems sans en perdre la vie. Les differens tableaux que je viens de tracer des diverses méthodes de nutrition des insectes qui sucent , attestent cette vérité capitale, qu'il existe, dans la Nature, une cause intelligente , dont le pouvoir et les richesses inépuisables donnent à tous les êtres sortis de ses mains , grands et petits , forts et foibles, estimés ou abjects, des or- ganes travaillés , d'après leur destination imrticulière dans le plan général , et dont 124 NOURRITURE ils peuvent se sei'vir pour s'alimenter et parcourir la carrière vitale assignée à leur espèce. Tous les insectes suceurs trouvent à se nourrir du suc des fleurs ou des végé- taux ; mais il y a autant de différence de la manière dont le scarabée attire la douce liqueur, à celle qu'emploie l'abeille, qu'il y en a du système d'extraction de celle - ci au mécanisme du papillon qui pompe le suc alimentaire. Dans la Nature, les moyens et les modes varient , mais la fin est une ; et les descriptions, que l'on vient de parcourir dans la classe des insectes suceurs , en sont une démonstration bien frappante. Cependant, quelques douceurs et quel- ques variétés qu'offrent les productions des jardins et de la campagne , il est , parmi les insectes , une classe moins délicate , qui , tourmentée par des appétits plus grossiers , ou des besoins plus exigeans, ne peut exister que du suc des substances animales, vives ou mortes, et pour laquelle cette liqueur épaisse , le sang même , a plus de délices que le parfum de la tubéreuse, et le nectar de la jonquille. La chair morte , de toute espèce : celle des quadrupèdes , des oiseaux et des reptiles est un mets très-recherché par ces insectes. DES INSECTES. i25 Qui n'a pas vu la viande destinée à notre lîourrituie , brusquement attaquée ou par des mouches bourdonnantes , ou par des larves bientôt transformées en mouches, et qui viennent des œufs que de semblaLvles insectes y ont déposés ? A peine toucliée par ces animaux corrupteurs, la chair s'altère, fermente, tombe en dissolution et en pour- riture. Dès qu'un animal mort est exposé à l'air, on voit accourir une nuée d'insectes, qui, après s'être rassasiés des sucs du cadavre , y pondent leurs œufs; les larves qui en pro- viennent, se nourrissent de la même chair, et, à leur tour, déposeront, sur ces débris corrompus , les germes et l'espoir d'une nou- velle génération. Mais on a remarqué que l'insecte mère confie toujours ses œufs à des substances molles et succulentes, et jamais à la viande ni à la chair du poisson dessé- chés , trop dure ou trop dépourvue de sucs pour pouvoir alimenter sa naissante famille; et c'est ce qui garantit en partie de l'insulte des mouches les poissons qu'on a coutume de faire sécher aux rayons du soleil. Parmi les insectes sanguinaires on ne con- iioit que trop celui qu'on peut appeler un des fléaux du règne animal, ce redoutable cousin. 126 NOURRITURE le plus insolent et le plus insatiable des su-* ceurs. Plus délié, plus leste, et, aux cou- leurs des ailes près, plus joli que le papillon, ce petit insecte ne se nourrit qu'en désolant toute la Nature animée. Sa trompe terrible , toujours irabibée de sang , est un clief- d^ieuvre admirable ; d'une gaine longue , velue, garnie de petites écailles, cannelée et flexible, sortent à la fois plusieurs dards d'égale dimension, très-minces, très-acérés, et glissant avec une incroyable vélocité le long de chaque cannelure. Et qui peut se garantir des atteintes de cette arme indomptable? En vain un certain cri et le bruissement des ailes du cousin avertissent que l'attaque va commencer; on semble dédaigner un en- nemi presque invisible par sa petitesse ; mais bientôt les jambes, les mains et le \isag0 percés jusques au sang, couverts de boutons et d'enflures douloureuses, font invoquer le tonnerre pour écraser un insecte. Il poursuit l'homme dans la campagne et sous l'ombrage ; à la prairie et sur le bord des eaux ; dans les appartemens de jour, et sous les voiles du repos; que dis-je, le cruel, il vient chercher jusques parmi les saules touf- fus la naïve villageoise qui s'y cachoit, ra-^ fraîchissant ses pieds délicats dans les ondes DES INSECTES. 127 d'un ruisseau discret. Peu touché de tant de cljcirnies, insensible à l'altrait ravissant de ce mélange de pudeur et d'émotions nou-» velles que le printems et la Nature viennent de peindre sur cet aimable front, le barbare, -'■*, il couvre de plaies ces jambes d'ulbdtm, ces joues arrondies par le pkis gracieux des amours : Dieux ! ce sein virginal , ombrasé des voiles de la décence , comme le boutoact v \ naissant de la sombre épaisseur du feuillage! Au reste ce n'est pas seulement dans les pays chauds et plus immédiatement soumis aux ardeurs du soleil, que le cousin exerce u\ ses ravages; sou douloureux empire s'étend sur tous les climats. On remarque même que les contrées du nord en sont plus in- fectées que les régions tempérées. La triste et fioide Laponie fourmille de ces dangeieux insectes; et ses pauvres habitans n'ont, jus- ques à ce moment, trouvé d'autre moyen de se garantir, eux et leurs rennes, des piquures inflammatoires du cousin, qu'en se plongeant presque continuellement dans une épaisse fumée , en allumant des broussailles et d'autres matières combustibles , ou en so frottant le visage et les mains d'une compo- sition de lait, de crème et de goudron. Je ne rappellerai pas ici que , dans toutes 128 NOURRITURE les zones de l'hémisphère européenne, les différentes espèces de bétail sont, pour ainsi dire, le domaine du cousin, et les malheu- reuses victimes de ses cruels appétits. En vain la Nature , dans la belle saison , offre à tous les quadrupèdes d'abondans pâtu- rages, de belles eaux, et des ombres rafraî- chissantes , le dévorateur est toujours là ; et, pendant que le bœuf, le cheval et le mouton s'alimentent, au sein de l'abondance, des bienfaits de la terre , ils sont sans cesse tourmentés par l'insecte persécuteur, et plus occupés encore à se garantir, s'il est possible , des blessures de sa trompe, par le mouve- ment continuel de la queue, qu'à satisfaire l'urgence du premier besoin. Mais j'appellerai la commisération du lec- teur sur l'éternelle persécution que le plus inexorable des insectes fait souffiir, selon quelques naturalistes, au plus foible et au plus timide des quadrupèdes. Non, ce n'est pas assez que le malheu- reux lièvre soit exposé à tant de périls; que , le jour , retiré au fond de la foret et tapis sous la ramée , il n'y vive que de craintes et d'allarmes; qu'à tout moment, et même dans son sommeil, il lui semble entendre le sou déchirant du cor et la voix terriblô DES INSECTES. 129 terrible du chien prêt à lui faire abandon- ner ses pénates inquiets : il faut encore que la solitude de son asyle sauvage soit troublée par le murmure hostile du cousin qui vient le tourmenter. En vain ses pattes, jouant continuellement à gauche et à droite, s'efforcent d'éloigner ou d'écraser l'ennemi ; celui-là, aussi leste qu'adroit, évite le coup, fond de nouveau sur sa proie, et, plongé dans les soyes du dos ou de la croupe du lièvre désolé, il s'imbibe impunément du plus pur de son sang. C'est ce cruel manège, c'est cette lutte opiniâtre qui a fondé une partie du proverbe des chasseurs. Des trois parties annuelles du lièvre, disent -ils, la première, au printems, meurt de froid; la seconde, en été, est détruite par les cousins; et ce n'est que celle de l'arrière-saison qui réussit et vienne à bien. Si quelque insecte peut être assimilé au cousin , c'est le taon , qui partage ses moeurs sanguinaires et ses habitudes féroces. Sa trompe, formée d'une gaine ou fourreau, comme celle de la mouche , du cousin, et d» la plupart des insectes de la même famille , est un corps pointu, dont les pièces, en forme de lancette , glissant vivement sui^ une coulisse qui eu dirige et eu assure les coups,' 1ns. Tome I. Z i5o NOURRITURE sont très-propres à percer la peau des che- vaux et celle des autres animaux. On trouve ordinairement des essaims de taons dans les prés bas et les bois humides. Volant en plein jour avec rapidité et en bourdonnant , on les voit poursuivre le bé- tail, les chevaux, les bœufs de préférence, et ne plus s'en détacher qu'à la nuit. Au reste on a observé que les taons , qui atta- quent ces animaux, sont toujours des fe- melles, et que jamais on n'a trouvé de mâles parmi elles. La même remarque a été faite à l'égard du cousin , dont jamais le mâle ne vient piquer. Voilà deux observations sur lesquelles , faute de lumières , la science reste muette. Dans la race innombrable des poux , c'est , assure -t- on, tout le contraire; la femelle tranquille et sans fiel , retrace les inclinations douces et pacifiques départies par la Nature au sexe générateur et nourricier. Mais le mâle est très - avide de sang. Sa tiompe , placée au devant de la tête, dans la plupart , à la partie inférieure dans quelques-uns (les ricins De Géer) , est difficile à voir, à moins qu'elle ne soit en action. Leeu^venhoek a découvert que cet organe du pou mâle est un aiguillon recourbé et enveloppé d'une gaine. DES INSECTES. i3i Suivant De Géer , cet aiguillon est de sub- stance écailleuse, de figure conique, large à sa base et très-pointue à son extrémité. On sait que ces insectes attaquent sans cesse les oiseaux domestiques , les poules , les dindons , les chiens et quelques autres quadrupèdes. Mais on est indigné de les voir profaner les plumes du paon , et loger leur honteuse famille dans le superbe éven- tail du plus riche et du plus éclatant des oiseaux. Cependant il est certain que c'est sur la tète de l'homme et dans la chevelure qui décore son front auguste que ce vil insecte ( pediculus humanus Lin. ) prend plaisir d'établir le siège de son empire. C'est là que son orgueil et sa rage se déploient dans toute leur énergie , à moins qu'on ne se hâte de lui déclarer une guerre vive et opiniâtre, pour l'empêcher d'y établir ses incalcu- lables colonies et sou indélébile postérité. Personne n'ignore ce que mille fois l'iiis- toire a pris la peine d'attester. Les poux se sont souvent si bien enracinés , non seule- ment sur la tête , mais dans toutes les autres parties du corps de l'homme, qu'une ma- ladie incurable et la mort en ont été les tristes suites. Quoique ces terribles accideus I 2 i52 NOURRITURE n'attaquent guère que les malheureux plon- gés dans la misère , cependant plusieurs per- sonnages distinguées en ont été atteints. Le fils de Cliarles-Quint , ce redoutable démon du midi, dont For et l'intrigue ont fait dans le tems tant de maux à la France ; ce prince qui , dans les auto-da-fé , a vu de sang froid couler tant de torrens de sang; Philippe II, malgré l'éclat de toutes les couronnes de l'Espagne, mourut en lôgô , à quarante- quatre ans , dévoré par les poux. Parlerai- je enfin du plus hardi et du plus incommode des insectes ? Oiseaux , quadru- pèdes , hommes , femmes , enfans , qui peut toujours se mettre à Tabri des insultes de la puce ? Qui ne sent pas quelquefois la vive et insupportable piquure de ce petit aiguillon très-fin et très-aigu, rapidement élancé de deux pièces latérales dans lesquelles il se cache au moment du repos. Le bain et les autres moyens de propreté éloignent sans doute ces insectes ; mais qui peut se promettre que les différens voisi- nages n'en communiqueront aucuns indi- vidus à la femme qui a le plus de soin d'elle-même ? N'est-il donc jamais arrivé à, la pure et soigneuse beauté d'être tout à coup arrachée des bras d'un songe charmant DES INSECTES. i35 par la visite inattendue d'un de ces petits animaux , qui , sans respecter aucun voile , outrageant toutes les bienséances , ose in- sulter des charmes consacrés à Tliymen , et de sa trompe cruelle percer cette peau douce et ferme , dont l'amour lui-même prend soin chaque jour d'entretenir l'éclat et la fraî- cheur ? Non , non , il n'est pas sûr que les prérogatives du triomphe le plus flatteur, ni l'éclat de la pomme de Vénus dans les mains d'un objet adorable , soient le bou- clier d'Armide contre les armes redoutables d'une puce en fureur. La guerre qu'un grand nombre d'insectes font à tous les êtres vivans , se tourne souvent contre leurs semblables , et ceux-ci en di- Hiinuent les victimes. Si l'assaillant a la force en partage , la conquête est facile ; mais si , comme il arrive quelquefois , il s'agit de vaincre avec de foibles moyens , on ne peut réussir qu'à force d'industrie. Dans la classe des insectes de cette dernière espèce, les entomologistes ont fait des découvertes sin- gulièrement intéressantes ; mais tout ce qu'ils ont publié à cet égard est bien loin des pro- cédés du fourmi-lion , ou comme M. Fa- bricius l'appelle le rr/yrmeleon , celui dont j'ai dit un mot au commencement de ce discours ; I 3 154 NOURRITURE ce que j'en vais détailler ici mérite toute l'attention de la curiosité. Le fournii-lioii ainsi nommé, parce qu'il est la terreur des insectes et des fourmis en particulier , mais que le docte Bonnet vou- droit désigner par la dénomination àe fourmi' renard , à cause des ruses qu'il emploie pour se rendre maître de sa proie , ressemble un peu au cloporte. Son corps , terminé en pointe sur six jambes , est composé d'une série d'anneaux purement membraneux. Il faut encore observer que cet animal , au lieu de bouche dont il est privé , porte , de chaque côté de la tête , deux trompes ou cornes écailleuses , mobiles , intérieurement dentées , et terminées en pointes aiguës ; il s'en sert comme de pinces pour saisir les insectes qui viennent à sa portée , et dont il suce toute la substance. Mais ces bonnes fortunes étant rares , et le fourmi -lion ne pouvant marcher qu'à recu- lons, il faut ruser et recourir à quelque piège. Après avoir cherché avec la plus extrême attention , au pied de quelque vieux mur , un sable sec ou une terre bien pulvérisée , il travaille , sans perdre de tems , à la fosse , au fond de laquelle il attendra la proie. Pour creuser cette fosse meiurtrière en D E s I N s E C T E s. 335 forme d'entonnoir , l'insecte commence par tracer sur le sable un sillon circulaire , dont la circonférence détermine l'ouverture de l'entonnoir; l'instinct en a calculé les pro- portions avec celles de la profondeur ; de manière que celle-ci est, pour l'ordinaire, de neuf lignes, quand l'autre l'est de douze. Après avoir décidé la dimension de cette ouverture , le fourmi-lion trace autour un second sillon concentrique ; on comprend que son travail doit aboutir à l'excavation et enlèvement de tout le sable que ren- ferme l'enceinte du premier sillon. En imaginant un cône de sable , dont le dia- mètre soit égal à celui de l'enceinte , et la hauteur à la profondeur que doit avoir l'en- tonnoir , on aura une parfaite idée de cette caverne de sable ou de terre bien desséchée qu'il s'agit d'excaver , sans y rien laisser abso- lument ; et pour opérer , l'insecte n'a que sa tête et ses deux pattes. Voyez comme ces pattes , travaillant à la besogne , et se relayant quand l'une est fa- tiguée , chargent la tête platte et carrée du fourmi-lion, qui lance brusquement sa charge de sable hors de l'enceinte. La manœuvre continue , on creuse de nouveaux sillons I 4 i56 NOURRITURE toujours concentriques au premier , le dia- mètre de l'enceinte diminue graduellement, et l'insecte , descendant de plus en plus dans le sable, voit sa trémie parfaite, quelquefois au bout d'une demi-heure , en deux heures au plus tard , lorsque la nature et les obs- tacles du terrain l'obligent à se reposer. Il arrive souvent en effet qu'au milieu de l'ouvrage qui alloit à bien , il se présente tout à coup de petites pierres trop lourdes pour pouvoir être lancées avec la tète de l'insecte ; alors il a recours à un procédé qui annonce autant de sagacité que de pa- tience. Le fourmi-lion sort de l'excavation et se montre à découvert. Il va ainsi à re- culons j usqu'à ce que l'extrémiité pointue de son derrière ait atteint la pierre. Alors il la tâte , l'apprécie , essaie de la pousser et de la soulever ; le courage et les efforts redou- blent , la voilà enfin sur son dos , et main- tenue en équilibre par l'action douce et liante de ses anneaux. Le petit Atlas , au comble de la joie , gagne avec son rocher le pied de la rampe , la gravit , porte l'obs- tacle à quelque distance de l'ouverture , rentre dans la fosse et achève de la per- fectionner. Cependant , malgré l'adi-esse incroyable D E s I N s E C T E s. i37 de Touvrier , malgré la molle ondulation des anneaux , Téquilibi e se trouble , et au moment de rejeter la pierre hors de la ca- vité , elle échappe , tombe et roule au fond de Tentonnoir. Indigné du malheur, l'insecte, loin de se rebuter, sent s'allumer une nou- velle ardeur; il redescend, saisit la pierre, la recharge tout de nouveau sur son dos, regagne la rampe , remonte en redoublant de pré- cautions , la lance enfin loin de l'aire de son terrier, et reprend en paix le travail. Le patient observateur qui a vu un fourmi-lion obligé de répéter de suite six à sept fois la même manœuvre , parce que la charge lui échappoit toujours , a raison de dire que l'infatigable insecte offroit,dans ces momens, au spectateur étonné et attendri , une image touchante et bien naturelle de ce malheu- reux Sysiphe , forcé , par le jugement du Ténare , de pousser continuellement , à la cîme d'un rocher , une pierre énorme , qui s'en précipite aussitôt. Un savant naturaliste observa un jour un fourmi-lion occupé à pousser , pour la seconde fois , une assez grosse pierre , suivre constamment , en remontant , le sillon qu'il avoit tracé en descendant. On eût dit que l'industrieux animal counoissoit l'avantage i38 NOURRITURE réel que lui procureroient les bords dvt sillon ; car on conçoit qu'ils lui servoient à maintenir l'équilibre , et qu'ils empéchoient la pierre d'incliner tantôt d'un côté et tantôt de l'autre. Enfin , le travail et la patience triomphent, et l'entonnoir du fourmi- lion est parfait. Caché et immobile au fond du piège , le chasseur attend le gibier qu'il ne peut at- teindre; une malheureuse fourmi, en rodant, s'approche , touche le précipice ; les bords mobiles et escarpés s'éboulent , entraînent la fourmi et la livrent au fourmi-lion , qui la saisit vivement entre ses cornes, la secoue, l'étourdit, la tire sous le sable, l'y suce à son aise , et rejette hors de sa solitude le ca- davre, qui n'est plus qu'une peau sèche et vuide. Ce repas ne dure guère plus d'un demi -quart d'heure : celui d'une mouche bleue de viande est plus long ; il dure pres- que deux heures. Soit distraction , soit lenteur , le fourmi- lion , du fond de son embuscade , n'arrive pas quelquefois assez vite pour saisir le gibier et l'empêcher de regagner peu à peu le haut du funeste entonnoir; alors l'insecte, bouil- lant de colère , fait jouer sa tête ; il lance sur la proie fugitive une pluie de sable , la DES INSECTES. j3() redouble sans cesse , et voit la victime infor- tunée , couverte de meurtrissures , tomber à ses pieds et lui servir d'aliment. Bonnet ne peut se lasser d'admirer , dans le fourmi-lion , le mélange de force et d'a- dresse qu'il emploie pour réussir dans sa manœuvre. En parlant de la force que dé- ploie souvent la fourmi dans le transport des fardeaux dont elle se charge , ou qu'elle charie sur des terrains assez raboteux , il avoue que , si cette force lui a paru quelquefois étonnante , celle du fourmi-lion lui est bien supérieure. Celui-ci ne pèse guère que trois à quatre grains , lors même de son entier et parfait accroissement ; et le docte genevois assure avoir vu un de ces petits animaux, de médiocre grosseur, pousser, vers le haut de son entonnoir, une pierre du poids de deux deniers ou de quatre grains,* et, à ce propos , il ajoute qu'il y auroit bien d'autres expériences à faire pour apprécier les dons de la Nature au fourmi-lion : il en juge, dit-il, par les procédés industrieux qu'il vient de décrire , que je reproduis ici , et qui avoient échappé à Poupart , à Vallisnieri et à Réau- mur , premiers observateurs de ce curieux insecte. Je termine cette description par un tableau 140 NOURRITURE touchant , extrait des observations du savant entomologiste dont je me fais honneur de citer les lumières et l'autorité. « J'ai parlé, dit Bonnet, d'une araignée, qui est si attachée à ses œufs qu'elle les porte par-tout avec elle. Elle les renferme dans un petit sac de soie qu'elle lie à son derrière; on le prendroit pour le ventre de l'araignée. Elle est très-farouche, très-agile, court avec rapidité , et ne se dessaisit jamais de ses œufs. » Une araignée de cette espèce ayant été jetée dans la fosse d'un fourmi-lion , celui- ci saisit d'abord le sac aux œufs , et se mit en devoir de l'entraîner dans le sable; l'arai- gnée s'y laissoit entraîner avec lui , mais la soie qui le tenoit collé à son derrière rompit, et elle s'en vit séparée : elle retourne sur le champ , saisit le sac avec ses pinces , et fit les plus grands efforts pour Farracher au fourmi-lion. » Ce fut en vain; il entraîna le sac tou- jours plus avant sous le sable , et l'araignée, plutôt que de lâcher prise , se laissa enterrer toute vivante. On la déterra bientôt ; elle étoit pleine de vie ; le fourmi-lion ne favoit point attaquée ; cependant , quoiqu'on la touchât à plusieurs repiises avec un brin DES INSECTES. 141 de bois, elle ne fuyoit point; cette araigne'îe, si sauvage , si agile , si farouche, senibloit ne vouloir point abandonner le lieu où elle avoit perdu ce qu'elle avoit de plus cher». Après avoir parlé des insectes qui s'ali- mentent du suc des végétaux et de ceux qui pompent la liqueur animale , il faut dire un mot d'une troisième espèce, dont l'appétit s'exerce presque indifféremment sur l'une et l'autre substance , tels le cousin , la guêpe, le taon , la mite et quelques autres larves de la classe des chenilles. Quoique très-ami du sang, le cousin ne dédaigne ni les fleurs ni les plantes. De Géer en a vu un très - grand nombre suçant les fleurs ou les chatons du saule ou de l'osier. C'est sans doute lorsqu'il ne trouve pas l'oc- casion de se rassasier de la liqueur chérie : alors attaché au dessous des feuilles , on le voit donner une espèce de balancement à son corps , de haut en bas , pliant et redi^es- sant les jambes, par un mouvement alter- natif et très-prompt, comme le font plusieurs espèces de tipules. La guêpe, un des insectes les plus voraces, et dont les goûts sont les plus variés , se nourrit de tout ce qu'elle trouve ; viande cuite , crue , cadavérée , insectes vivans. 142 NOURRITURE miel , confitures , fruits mûrs , suc des plantes et des feuilles, tout convient à ce terrible estomac. Et cet autre animal , la désolation des chevaux et des bètes à cornes , dont il ar- rache des flots de sang, et auxquels le tran- chant de son arme fait des blessures si considérables , la tendre fleur est souvent obligée de recevoir ses visites , de soufiiir qu'elle s'insinue entre ses festons , et qu'elle s'imbibe de ses nectars , cette trompe meur- trière , encore dégoûtante du sang des pai- sibles animaux ! Est - ce pour célébrer ce triomphe dégoûtant , est-ce pour insulter à la douce plante , dont un brutal embrasse- ment vient d'arracher les caresses , qu'on voit le taon, rassasié du suc de ses pétales, s'élever dans les airs , répéter dans un assez petit espace plusieurs tours et détours , et de son vol bourdonnant faire retentir tout le voisijiage? Armez -vous de patience; à l'aide d'une loupe ou du microscope , tâchez de saisir toutes les parties d'un des plus petits in- sectes (i), dont le volume n'excède pas la (i) Nous parlons ici, ea général, des acarus do Liniiseus. D E s I N s E C T E s. i43 grosseur d'un grain de sable ordinaire , et qui , dit-on , est la cause de plusieurs mala- dies épidémiques qui dépeuplent riiumanité. Au moins est - il sûr que la mite influe beaucoup sur la galle , puisqu'on trouve toujours de ces insectes dans les plaies et dans les ulcères causées par cette maladie. Ce petit insecte se trouve par- tout : après avoir sucé le sang des oiseaux et des quadrupèdes avec la même avidité et le même acharnement que le pou; après s'être cramponné sur le corps du limaçon des jardins , et avoir pompé avec sa trompe tout le suc de sa peau , on le voit habiter les feuilles des arbres et des plantes , ainsi que le dessous de l'écorce des vieux troncs ; on le rencontre dans la farine , le fromage , le lard, la viande sèche , et même dans les vieilles confitures sèches, qu'il aime passionnément, et où il se multiplie jusqu'à l'infini. Enfin, ce qui atteste jusqu'où peut aller, dans les insectes , le mélange des goûts pour la nourriture , ce sont les procédés , en ce genre, de certaines chenilles : je ne dirai pas qu'un égal appétit les porte à se nourrir de plusieurs espèces de plantes absolument dif- férentes entre elles ; que les feuilles de l'orme , du saule, de l'ortie et de l'aune leur 344 NOURRITURE sont également bonnes, et qu'elles paroissent friandes de toutes sortes de légumes ; mais , une singularité bien étonnante et même monstrueuse , c'est de voir des animaux , destinés en apparence à ne vivre que du produit des plantes et des fleurs , ou du suc des r» mis , et qui , en effet , en font leur nourriture ordinaire , tout à coup , à la vue de leurs semblables, sentir la soif du sang et du carnage s'allumer dans leurs veines arrosées du doux nectar des plantes, s'élan- cer sur eux, les combattre et les dévorer; la fougueuse chenille s'acharne même , a-t-on avancé , tellement à celte horrible nourriture , qu'elle préfère ces proies dé- chirées à toutes les productions végétales; et que , par un goût aussi constant que dé- pravé , elle en jouit au milieu de tout ce que la Nature lui ofïre de plus exquis et de plus abondant dans les jardins, les forêts ou la riante prairie. ARTICLE DES INSECTES. 145 ARTICLE SECOND. Nutrition des Insectes par broiement. X xx la suite des insectes qui vivent en suçant les différentes liqueurs que la Nature leur destine , et dont la tête est en conséquence garnie d'une trompe, on voit paroître la classe de ceux chez lesquels la nutrition se prépare par la voie du broiement, c'est-à-dire, par Faction simultanée des mâchoires armées de dents, ou d'une espèce de peigne propre à trancher et triturer les corps nourriciers, et à les livrer aux élaborations de l'estomac qui les transforment en une liqueiu? analogue à leur organisation, et d'où résulte pour eux l'entretien du système de la vitalité. Ici donc il faut , non plus une trompe , mais une bouche et des instrumens appro- priés au nouveau genre de nourriture. Tou- jours sage, toujours prévoyante, la Nature, en cette occasion, sait tout arranger et tout proportionner ; mais rien n'est confondu. Le papillon chenille se nourrissant de matières solides et qu'il s'agit de briser dans les pré- parations du suc gastrique, dissolvant cpm- 1ns, Tome I. K 146 NOURRITURE mun à tous les insectes, a des dents qu'il emploie à cet usage,- devient -il papillon, fait-il briller ses ailes ! plus de dents, elles lui seroient inutiles,- tout est remplacé par la trompe qui, plongeant au cœur des plantes, en ramène le suc nçurricier. Le goût des insectes pour les différens objets d'aliment est adapté à leur organi- sation et aux intentions particulières de la Nature. Les uns ne peuvent s'accommoder que d'une seule espèce de nourriture , et n'en changent jamais. Tel est le plus grand nombre des chenilles qui ne vivent que de certaines feuilles , sans en pouvoir goûter d'autres, au point qu'on les voit bientôt mourir si elles eu manquent, comme le ver à soie qui ne peut s'alimenter que de feuilles de mûrier. Une chenille de chou ne sauroit vivre des feuilles du chêne ^ et celles de cet arbre ne touchent point aux herbes. Un insecte véritablement carnassier n'est pas capable de se nourrir de plantes, quoique quelquefois il semble s'en amuser; et la larve de viande ne peut trouver sa subsistance dans les bois ou dans le fumier. Il y a cependant plusieurs insectes qui ne se montrent pas si délicats sur le choix des alinieus , et s'accommodent fort bien de choses D E s I N s E C T E s. 147 de nature très - différente. On voit des che- nilles qui mangent de plusieurs espèces de plantes avec le même appétit; il y en a pour qui les feuilles de fortie, de l'orme et du saule sont également bonnes; d'autres mangent les légumes de toute espèce, et vivent également des feuilles de l'aune et du saule. Quoique la nourritui^e ordinaire de cer- taines chenilles velues soit les feuilles du bassinet doux , cependant, lorsque cet aliment vient à manquer , elles mangent sans diffi- culté les feuilles d'oseille , d'ortie , de chi- corée sauvage et de groseiller ; il est vrai que , tandis qu'elles prennent ces derniers alimens, si on leur présente du bassinet, elles se jettent dessus avec le plus grand empressement. Au miheu de cette diversité du goût de ces animaux , on no peut donc ne pas être étonné d'en voir quelques-uns qui, aux plantes les plus suaves, préfèrent exclu- sivement celles dont nous redoutons la saveur désagréable ou le venin, telles que l'absinthe, le tithimale, la ciguë et fellébore. Chez les insectes, l'heure des repas n'est pas plus réglée ni plus uniforme que leurs goûts ; il y en a qui mangent souvent et pres- que toujours; au moins ceux-ci ne peuvent, K a 348 NOURRITURE sans s'incommoder , être long - tems privés de nourriture. D'autres, comme nous le verrous, peuvent jeûner beaucoup, et vivre long -tems sans user d'alimens ; tels que tous les insectes carnassiers qui vivent de proie. Cette nourriture n'étant pas toujours à leur portée , il est absolument nécessaire que la Nature les organise de manière à pou- voir soutenir une longue abstinence , sauf à s'en indemniser amplement quand la bomie occasion se présente. Il en est de même, et par les mêmes principes, des quadrupèdes carnassiers, comme les loups et les renards; ils peuvent attendre long-tems, et se dédom- mager copieusement, sans que, dans l'un et l'autre cas , il en arrive aucun accident fâcheux pour leur constitution. Il est des insectes qui mangent à toute heure de la journée, tandis que d'autres, immobiles le jour, ne se nourrissent que dans les ténèbres; les phalènes, qui ne volent que la nuit , ne prennent qu'alors leurs ali- mens. Plusieurs espèces de chenilles cachées, le jour sous terre , ne montent sur les plantes, pour les ronger , qu'après le coucher du soleil. Cependant on peut dire qu'en général les insectes mangent en plein jour et se reposent la nuit. D E s I N s E C T E s. 149 Quoique les alimens ordinaires des insectes soient de forme fluide ; quoique la plupart ne se nourrissent que du suc ou des liqueurs des plantes et des animaux et trouvent la boisson dans Taliment , on en voit néanmoins qui mangent et boivent dans des tems diffé- rens. L'antiquité avoit observé que les sau- terelles aiment beaucoup à boire ; on dit qu'elles cherchent de leurs antennes les gouttes de rosée qui s'attachent aux feuilles , et que , lorsqu'elles en rencontrent , elles les boivent sur le champ et avec avidité. Parmi les insectes, les uns sont sobres, n'usent que de peu de nourriture ; d'autres mangent beaucoup, et vrais gloutons, ils ne semblent vivre que pour dévorer. On con- noît une chenille de quatre pouces de long, et d'un peu plus d'un demi-pouce d'épaisseur, qui ne mange pas pendant le jour , et dans une nuit ne consomme tout au plus que deux feuilles de poirier ou de pommier; mais en revanche il en est d'autres , qui , en moins de vingt - quatre heures , consomment plus du double de leurs poids. On rencontre une chenille sur les fleurs d'amarelle , qui mange tant que son corps s'enfle , au point de ne pouvoir plus se soutenir ,• elle roule et tombe K 3 î5o NOURRITURE à terre. Les larves qui se nourrissent de pucerons, en dévorent chaque jour une quantité considérable ,• on connoît d ailJeurs la grande voracité des insectes aquatiques. Mais de tous les exemples de gloutonnerie, aucun ne peut être cotnparé à celui que Lyonnet rapporte des bourdons : il dit que ces insectes coupés par le milieu , continuent à se gorger des liqueurs miellées qu'on leur donne , quoique tout ce qu'ils avalent , s'é- coule par la plaie. Quelque variées à l'infini que soient les ma- tières dont s'alimente l'insecte muni de dents, il est clair d'abord que son appétit ne s'attaque jamais aux substances minérales et pierreuses. Faute du suc essentielet mucilagineux, com- ment l'animal pourroit-il identifier à ses fibres les morceaux atténués de ces sub- stances, en supposant même, ce qui est im- possible, qu'il parvînt à les briser. Mettons donc, sans hésiter, mettons au rang des fables l'assertion des observateuis peu circonspects , qui nous disent que cer- tains insectes mangent le sable, le gravier, et même le fer. Vous avez vu l'insecte prendre du sable entre ses dents , étoit - ce pour le manger ? Non, très - assurément ; ce diligent ouvrier ne faisoit que transporter DES INSECTES. i5i les matériaux destinés à loger sa famille, et à lui servir de retraite. Quaut à cette petite larve de teigne qu'on trouve sur les murs des bâtiniens , et que l'on dit manger les pierres de ces murs, c'est une erreur ; la teigne , comme Réaumur l'a prouvé , ne cherche que les petits lichens qui croissent sur les murs. Si l'on s'obstine à vouloir qu'il y a très - certainement des insectes qui se nouriissent de terreau , il faut en convenir , mais remarquer sur le champ, que ce terreau n'est qu'un débris de plantes et d'animaux décomposés par le tems ; qu'il a nécessairement conservé une partie des matières organiques et des sels de sa première existence , dans lesquelles , conséquemment , l'insecte retrouve des corps onctueux et assimilés à sa propre substance. Cependant un phénomène très -singulier dans le système de nutrition des insectes, dont il est ici question, c'est celui de cette chenille à seize pattes , qui , no]i seulement fait usage de la laine pour s'en former un fourreau portatif, mais la mange et la digère. Une autre teigne , dont je décrirai plus bas les habitudes, a coutume de pousser un boyau de galerie, dans lequel elle demeure à cou- K. 4 i52 NOURRITURE vert, jusques daus une ruche; elle entre,' méprise le miel, s'empare de la cire et s'en nourrit,* de cette cire que la chimie avoue ne pouvoir décomposer, elle qui est par- venue à dissoudre la pierre et le métal. C'est le savant Réaumur qui fait cette ré- flexion frappante, et nous n'y voyons qu'une solution : c'est d'observer que , le fait étant incontestable , il faut convenir que la toute puissance de la Nature a pu , sans se contre- dire elle - même , donner à de très - petits animaux des organes assez actifs et des sucs assez dissolvans, pour pouvoir décomposer et s'assimiler une matière qui est le pro- duit de l'action de l'estomac d'un autre in- secte, dans lequel conséquemment la teigne retrouve des principes analogues de nourri- ture et de sauguification. Ce sont les arbres, ce sont les plantes qui fournissent le plus ordinairement la nour- riture à un très -grand nombre d'insectes. Plusieurs chenilles , des larves de chryso- mèles et de terithrèdes , mangent et rongent la totalité des feuilles , sans épargner les nervures ni les grosses côtes , que d'autres espèces ne manquent jamais de laisser intactes. La chenille et la larve mineuse ne déta-r DES INSECTES. i53 client que la substance supérieure ou infé- rieure , et ne rongent que la moitié de l'épaisseur des feuilles. D'autres pénètrent au dedans des feuilles pour en manger la pulpe ou substance intérieure , sans toucher aux épidermes extérieurs, et minent ainsi véritablement le feuillage. Il y a des teignes qui se font des four- reaux avec des membranes de feuilles , et vivent de différens arbres et de plusieurs espèces de plantes ; par le moyen de leurs fils elles se couvrent de feuilles et se mettent ainsi à l'abri ; mais elles ne touchent jamais la partie supérieure, et il semble que c'est de peur qu'en l'entamant l'eau ne pénètre à travers le parapluie. D'autres espèces d'insectes vivent dans les excroissances des plantes et des arbres qu'on appelle galles, et qui s'en nourrissent. Les uns la sucent simplement, les autres en rongent la substance même, comme le pra- tiquent les larves des tenthrèdes , qu'on nomme fausses chenilles , qui vivent dans les galles de saule. On connoît une chenille qui habite une galle résineuse du pin et s'en nourrit. Cette galle est une masse de résine , dont la cavité est la cellule de la recluse. La résine qui la forme est seni- i54 NOURRITURE blable à celle qui découle du tronc et des branches de cet arbre, et elle a une sorte d'odeur de térébenthine. Cependant c'est la nourriture de cette chenille; elle la mange, ou bien elle ronge la substance intérieure de la branche , toute pétrie d'une résine pareille, et cela, non seulement sans en être incommodée, mais de manière à s'en noirr- rir parfaitement et uniquement; tandis que d'autres insectes meurent à la seule odeur de la térébentliine. L'expérience a démontré aussi que cette chenille peut résister à l'huile de térébenthine la plus forte , dans laquelle elle demeure, toute entière, impunément plongée. Plusieurs insectes s'attaquent aux bour- geons des arbres ; ils s'y établissent et les rongent intérieurement. Ouvrez les bour- geons du pin, vous y trouverez de petites chenilles brunes qui consomment les em- bryons des feuilles et s'y sont renfermés ; d'autres rongent l'intérieur du rosier , sa fleur et son feuillage. Toutes ces petites manœuvres des insectes rongeurs n'excitent que l'admiration de l'ob- servateur , parce qu'il est rare qu'il en résulte de très -grands dommages. Il n'en est pas ainsi de la nutrition d'im des individus les D E s I N s E C T E s. i55 plus voraces de la nombreuse famille des scarabées. Le hanneton , engourdi et caché pendant l'hy^^er, ayant raffermi toutes ses parties, au retour des douces influences du printems , sort de terre et prend fessor. Le dommage qu'un essaim d'insectes de ce genre fait dans une campagne ne peut quelquefois se concevoir; les arbres et les haies devien- nent leur proie; pas une feuille n'est épar- gnée ; ils sont souvent si abondans autour de Paris que tous les arbres sont dépouillés de leur feuillage. Dans le midi de la France on en trouve une espèce assez commune qui mange les feuilles de vignes, attaque le saule, le peu- plier et la plupart des arbres fruitiers. Mais tous ces accidens ne sont rien en comparaison du fléau des sauterelles, lors- que , dans les pays chauds, eUes viennent en nuées désoler une campagne, enrichie des premières annonces du blé , sur lequel le cultivateur comptoit pour sa nourriture et celle de sa maison. Tout est fini, la moisson est faite, et ce malheureux père de famille, le désespoir dans l'âme , est obligé quelque- fois d'abandonner la terre qui avoit noiUTÎ ses pères , et dont la dévastation aujourd'hui ne lui laisse aucune ressource. On en trouve 356 NOURRITURE tm exemple mémorable dans l'Histoire mili- taire de Charles XII. L'historien , parlant du séjour de ce prince en Besserabie , s'exprime ainsi : « Une horrible quantité de sauterelles s'élevoit ordinairement tous les jours , avant midi , du côté de la mer : premièrement à petits flots , ensuite comme des nuages qui obscurcissoient l'air, et le rendoient si sombre et si épais , que dans toute cette vaste plaine le soleil paroissoit s'être entièrement éclipsé. Ces insectes ne voloient point proche de terre, mais à peu près à la même hauteur que l'on voit voler les hirondelles , jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé un champ sur lequel ils pussent se jeter. » Nous en rencontrions souvent sur le chemin, d'où ils s'élevoient avec un bruit semblable à celui d'une tempête; ils veuoient ensuite fondre sur nous comme un orage , se jetoient sur la même plaine où nous étions, et sans craindre d'être foulés aux pieds des chevaux, ils s'élevoient de terre et couvroient le corps et le visage à ne pas Voir devant nous, jusqu'à ce que nous eus- sions passé l'endroit où ils s'arrêtoient. » Par-tout où ces sauterelles se repo- soient , elles y faisoient uu dégât assez con- DES INSECTES. iSy sîdérable , en broutant Tlierbe jusqu'à la racine; en sorte qu'au lieu de celte belle verdure dont la campagne étoit aupaïuvanfe couverte, on n'y voyoit qu'une terre aride et sabloneuse. » On ne sauroit jamais croire qu'un si petit animal puisse passer la mer, si l'expérience n'en eût souvent convaincu ces pauvres peuples; car, après avoir passé un petit bi^s du Pont-Euxin , en venant des îles ou teri-es voisines, ces insectes traversent encore de grandes provinces où ils ravagent tout ce qu'ils rencontrent jusques à ronger les portes même des maisons » . Les campagnes de nos climats tempérés, sans être exposées à ces redoutables fléaux, sont cependant souvent attaqtiées sourdement par des insectes qui font le plus grand tort aux germes précieux qu'on leur confie. Ils rongent les racines du blé et font avorter îes moissons. On connoît une chenille qui, logée dans l'intérieur des tiges du seigle , en épuise le suc et empêche le grain de se former en épis ; on a coutume d'attribuer à la gelée le dépérissement de ces épis , tandis que c'est un insecte qui est la source du mal. Ces jardins cliarmans que nous cultivons i58 NOURRITURE avec tant de plaisir et d'assiduité, sont aussi le théâtre des ravages de Tinsecte. Ici , une grande clienille ronge Ja racine du houblon et s'en nourrit; là, une larve aiFamée dévore la racine et la tige des laitues. Le taupe- grillon creuse des galeries souterraines d'où il part pour couper les racines de presque toutes les plantes et s'en alimenter ; il s'éta- blit dans les couches, bouleverse et ronge tout, immole les primeurs, mortifie l'amour propre du jardinier et déconcerte l'espoir de l'impatiente friandise. Il n'est aussi aucune partie des forêts où l'insecte, pour satisfaire ses appétits, n'exerce son empire destructeur ; dans le tronc de l'orme , du saule et de quelques autres arbres verds, vous trouverez une très-grande chenille rayée qui y vit en solitaire , hache le bois ou l'aubier, le réduit en sciure et le mange. Parmi ces arbres abattus et pres- que secs, ou dans le tronc de ceux qui ont été coupés, est une république d'insectes, qui, comme le rat de la Fontaine , y ti'ouvent le vivre et le couvert. Détachez l'écorce de ces troncs qui y tient encore à peine , et vous allez voir fourmiller mille colonies de larves hexapodes, et d'autres sans pattes, de celles qiù doivent se niétamoiphoser en DES INSECTES. 169 insectes à étuis écailleux , quelquefois des scolopendres et des jules,* vous y trouverez aussi un très -grand amas de sciure que ces larves en ont détachée à force de patience et de travail, et qui leur sert de magasin d'approvisionnement. Le bois est -il tiré de la forêt et mis en œuvre par l'industrie des cites, il n'est pas pour cela exempt de la visite et du ravage des insectes. Qui ne sait que tous les jours, nos chaises, nos tables et nos lambris, ver- moulus, à force d'être rongés par ces petits tyrans, se détruisent et tombent en pous- sière ; et qu'en ce genre , les inatières les plus dures ne peuvent résister à la hachure d'un million de petites dents qui, à l'ombre du silence, travaillent en paix à leur des- truction. O vous , dont les greniers plient sous le poids des fruits de l'abondance ; et vous , que la république charge de l'honorable fonction de préparer le premier aliment à ceux de nos braves frères d'armes, qui, après avoir ramené , au cœur de l'empire français , la paix couronnée des mains de la victoire , veillent encore sur la vaste enceinte de nos frontières au salut de l'état; sages dépositaires de la confiance de l'administration , ne cessez i6o NOURRITURE de veiller sur ces précieux magasins d'ap- provisionnemens ! Hélas ! combien un mo- ment de négligence peut apporter de dom- mages ! A peine les yeux les plus perçans peu- vent-ils s'apercevoir du commencement des dégâts : tout à coup un déluge de chenilles presqu'imperceptibles , se loge dans chacun des grains de froment ; elles y prennent leur accroissement , s'y transforment en chrysa- lides , et ne s'en échappent que sous la forme de phalènes. Avant que Finsecte ait pratiqué une ouverture pour ménager sa sortie , il est impossible de voir si le grain le recèle; le trou dentelé ne paroît point , parce que la larve y a pénétré encore très - petite ; qu'elle a choisi l'endroit le moins dur du grain pour le percer , c'est-à-dire , celui où le germe doit sortir; et que des inégalités et de très-minces feuillets qui le couvrent, dérobent à la vue une si petite ouverture. Et ce qu'il y a de plus triste et de plus à craindre, c'est que cette destruction se fait avec tant de ménagement, avec si peu de bruit, qu'on a vu d'énormes tas du plus beau blé anéantis par le travail continuel des chenilles de cette espèce , sans qu'on se dou- tât qu'un seul grain fût habité. Les D E s I N s E C T E s. 161^ Les dépôts de blé deviennent encore quelquefois la proie de la voracité , ou plu- tôt de la friandise d'une chenille, dont le procédé mérite un coup d'œil. Celle-ci ne se contente pas , comme la précédente , de vivre et de se transformer dans un seul grain; elle en attaque plusieurs, et n'en mange que le plus délicat. Après avoir lié , par mi fil d% soie , la quantité de grains qui forment sa grappe nourricière, elle établit entre eux des galeries de communication de soie blanche, qui, en les assujettissant plus sûrement, lui laissent la liberté d'aller les attaquer les uns après les autres , et de n'en prendre que ce qui peut flatter sa sen- sualité. Vient-on à remuer le blé , sans examen ^ après la construction de ce logement, lare- cluse n'a rien à craindre : les appartemens sont bien liés,- tout roule ensemble, l'hos- pice, le magasin et la locataire, qui, après la secousse, retrouve tout en bon état et sous sa dent. Cependant, pour peu qu'on apporte d'attention , il est facile de se ga- rantu* de pareils accidens; en effet, il ne faut pas grande sagacité pour découvrir ,' dans un tas de blé, des paquets de grains Jns. Tome I. L ïGa NOURRITURE liés ensemble, qui forment des masses plus ou moins grandes, et sont mêlées d'excré- mens rejetés par les chenilles. Les dégâts du charanson dans les maga- sins de blé sont encore plus considérables et plus à craindre. Chaque grain est la cel- luLi, la provision de farine et le lieu de transformation d'une petite larve de cette espèce ,* on croit même que • ces charan- sons , ainsi métamorphosés , y vivent plus d'une année , continuant à consommer le blé comme dans Tétat de larves, et qu'ils viennent à bout de le vuider entièrement. Ils sont ainsi plus dangereux que la chenille dont nous venons de parler ; l'insecte ailé , qui sort de celle-ci, ne pouvant dévorer le grain. Voici un spectacle bien autrement inté- ressant, non seulement pour les vrais ama- teurs de la Nature , mais pour toute per- sonne qui aime à réfléchir. L'illustre Bonnet raconte qu'en octobre 1740? le bruit se ré- pandit que les raisins de sou voisinage étoient rongés par des vers, contre l'assertion posi- tive de Réaumur , qui avoit dit : « Aucun insecte, que je sache, ne s'élève dans l'inté- rieur des grains de raisin». Cependant les vignerons ayant assuré le fait de la manière D E s I N s E C T E s. i65 îa plus positive , Bonnet résolut de Tob- server. Il choisit et cueillit lui-même des grappes dont les grains , liés par des fils de soie , in- diquoient le logement d'une chenille. Tous étoient percés d'un petit trou, et destinés à la nourriture de l'hermite , qui n'occupoit habituellement que celui qu'il s'étoit réservé pour son logement ,* c'étoit une chenille assez semblable à celles dont je viens de parler, et qui vivent dans l'intérieur du blé. Seize jambes , dont les membraneuses, à couronnes complettes de crochets, étoient ses armes, et une plaque écailleuse, d'un rouge plus foncé que celui de la tête , recouvroit le pre- mier de ses anneaux. L'observateur ayant choisi trois ou quatre de ces grains, dans lesquels il s'étoit assuré que logeoit une chenille , puisque , au mo- ment où il pressoit le grain, elle avançoit la tête au dehors du petit trou circulaire percé à la surface ; il plaça ce grain de manière que la fenêtre de la cellule fût exposée à ses regards, ce fut en vain; une toile de soie, bientôt tendue devant l'ouverture, déroba la vue du mystérieux intérieur, dans lequel l'animal amphibie , plongé au sein de la liqueur vineuse, quoique fort altérée par la li 2 i64 NOURRITURE gelée, s'en nourrissoit, ainsi que des pepinà dont plusieurs avoient déjà été rongés. Une autre chenille de la même espèce, renfermée dans une boîte vitrée avec la précédente , avoit établi son nid entre deux grains dans une sorte de creux qui se trouvoit à la surface de ces grains; elle les rongeoit dans toute la longueur de cette cavité , travaillant à l'ombre d'une toile qu'elle avoit eu la précaution de tendre au- tour de son domaine. Bonnet, ayant séparé les deux grains des soies qui les lioieut, vit que le grain inhabité étoit percé à l'endroit où la toile l'assujettissoit à l'autre, et que la chenille de raisins ne se contente pas d'un seul grain pour sa nourriture , comme celle qui vit dans un grain d'orge ; mais que , par sa manière de vivre, elle se rapproche beau- coup de la fausse teigne du blé , qui lie ensemble plusieurs grains et les ronge suc- cessivement , ainsi que je viens d'eu faii-e Tobservation. L'éclat et la fraîcheur des fruits les plus précieux et les plus beaux ne les préservent pas des usurpations désastreuses de l'in- secte : la poire , la pomme , l'abricot , la pêche , la prune , le bigarreau , les pois verds , la fève et la châtaigne lui servent DES INSECTES. i65 trop souvent de pâture , et ne sont pas plus à l'abri que les raisins; quelques-uns se nourrissent de la chair même du fruit , bien- tôt entièrement consommée par leurs fré- quens repas ; d'autres , plus friands encore ,' ou moins dominés par l'empire de l'appétit , se contentent de la substance douce et nour- rissante des pépins et des noyaux. En traçant un léger crayon du dégât des larves dans les campagnes, pourrois-je vous oublier, intéressantes bergères; vous, les tendres filles de la Nature et de l'amour ; vous les modestes élèves de l'innocence et du travail? Lorsque, couronné de toute sa splendeur, le soleil, du sommet de la grande voûte , lance sur la prairie les rayons ardens qui achèvent d'en mûrir les utiles végétaux; lorsque les brebis , recevant dans leur épaisse toison des torrens embrasés , et ne trouvant plus de suc sur les fleurs , se rassemblent autour de la houlette, et, de leurs bêlemens plaintifs, appellent la fraîcheur et l'om-r brage ; alors , au son de la naïve chanson- nette , vous gagnez le bocage , accompagnées de quelques bei^gers , comme vous , parvenus •k la saison du développement du cœur, comme vous éprouvant les premières im- L 3 ^i66 NOURRITURE pressions de la tendresse, qui en est rélé- ment et la vie. Au concert , aux jeux , à la danse suc- cèdent bientôt la douce promenade et les courses légères dans les allées touffues ,• enfin l'industrieuse récolte des innocentes noi- settes. Vous ne cherchez en ce moment que le folâtre plaisir ; recueillez-vous , bergères , ici vous attendent les sages leçons de l'amour pur eL délicat. Cachée sous une touffe de feuillage , dé- robée à l'indiscrétion des regards , recouverte d'un tissu qui à peine laisse apercevoir à l'avide zéphir les preiuiers traits de la nais- sante brunette, ce fruit n'est-il pas le tou- chant emblème de la retenue et de la mo- destie que vous empruntez si heureusement de la rose, et qui est tout à Ja fois l'attrait le plus enchanteur de la beauté, la gloire du hameau , et le couronnement de la vertu. Vous allez cueillir un fruit aussi doux : arrêtez, jeunes imprudentes, arrêtez,- peut- être celui sur lequel s'étend la main de l'innocence, n'est pas digne de vous; gardez de le porter à la bouche ,• qu'il ne souille pas ces lèvres aussi fraîches que la fleur du matin; ouvrez avec précaution, vojez cette noisette si attrayante , hélas ! ce n'est qu'mî D E s I N s E C T E s. 167 tombeau plein de pourriture, et Tasyle in- fect d'une chenille qui en a dévoré toute Tamande. Vous vous étonnez de n'apercevoir , ni dans le fruit, ni dans son tégument, aucune ouverture , aucune trace de l'entrée de l'in- secte; c'est que sa larve l'a attaqué dans sa jeunesse encore très -petite, et lorsque la noisette étoit nouvellement éclose. Le trou par lequel elle s'est introduite à cette époque, a été nécessairement refermé , dans la suite , par la maturité du fruit et le durcissement de son écorce ; c'est une légère blessure que le tems a cicatrisée. Cependant, bergères, la noisette vous paroissoit bien saine, bien fraîche , et vos yeux ne pouvoient apercevoir le trou , source de la corruption. Soyez donc plus défiantes , et voyez si quelquefois le cœur des bergers, imitant le fruit trompeur, sous une surface séduisante, ne dissimuleroit pas quelque ouverture secrette, par laquelle la perfidie et l'inconstance y sont entrées , et s'y couvrent de l'ombre la plus impéné- trable. Examinez bien, jeunesse confiante; ne vous arrêtez ni aux soupirs , ni aux pro- testations; les larmes mêmes sont d'assez foibles garans jusqu'à ce que vous ayez lu L 4 i68 NOURRITURE au fond de Tame d'un amant , comme voi» lisez dans la vôtre. Enfin veuillent les Dieux, protecteurs des cœurs simples , aimans , et sans détours, qu'au village, vous ne soyez jamais trompées , jamais déçues qu'en cueil- lant les noisettes! C'est en vain que, par ces douces images, je cherche à charmer ma douleur; le trait a percé jusques au fond de l'ame, et il ne m'est plus possible de dissimuler. Hélas! je compatis bien sincèrement au dommage qui résulte du dégât des insectes; de celui sur- tout qui regarde la campagne et les justes espérances du laboureur. Cependant ces malheurs ne sont pas irréparables : l'année suivante la bouté du Ciel peut lui rendre , au centuple, tout ce qu'il vient de perdre ; au moins lui est -il donné, pour première consolation , la faculté d'en concevoir et d'en nourrir le doux espoir. Mais qui me rendra ce cabinet d'histoire naturelle, où l'amitié me permettoit de con- tinuer et d'éclairer mes études? Un beau matin tout est tombé en poussière , dévoré, rongé , miné et haché secrettement par la dent des insectes vivans; j'ai vu, en un moment, s'anéantir la plus riche, la plus instructive collection d'entomologie; toutes DES INSECTES. 169 les richesses des deux hémisphères se sont évanouies dans un cHn d'œil , et il ne reste de tant de merveilles , si précieusement con- servées sous des glaces impénétrables, qu'un lugubre amas de riches débris, où l'on voit, la larme à l'oeil , une armée innombrable de mites , de larves , triomphant insolem- ment sur des trophées de papillons, de sca- rabées, de chrysomèles , de richards, etc., dissous et rentrés dans la nuit du chaos ; eux à qui l'art et les plus doctes préparations avoient promis l'incorruption et l'immorta- lité que le peuple de Memphis a su donner à ses indissolubles momies. Depuis ce moment, le sommeil et le repos ont fui loin de moi. Je pleure les pertes d'un ami , et je tremble sur Je sort du très- petit nombre d'objets curieux en ce genre, qui fait le bonheur de ma vie. Herméti- quement encadrés , défendus par un verre épais , je croyois les avoir mis à l'abri de tout accident ; mais, après tout ce que j'ai vu, qui me répondra que le destin funeste n'enveria pas chez moi une colonie de mites dévas- ti-atrices , des mêmes qui ont dissipé sans ressource un trésor si long-tems , si labo- rieusement accumulé , et sur le souvenir duquel couleront des larmes éternelles ; et 170 NOURRITURE s'il m'arrive,ce malheur, où donc en trouver Ja consolation ou l'indemnité ? Cependant il faut continuer de chercher entre les bras de l'étude quelque adoucissement à ce noir présage. a La maxime si souvent citée contre nous, dit Réaumur , qu'il n'y a que l'homme qui fasse la guerre à l'homme , et que les ani- maux de la même espèce s'épargnent , a assurément été avancée et adoptée par des gens qui n'avoient pas étudié les insectes. Leur histoire nous fera voir, en plus d'un endroit , que ceux qui sont carnassiers en mangent fort bien d'autres de leurs espèces quand ils le peuvent». Le fait est incontestable ; il est également prouvé , et par les insectes qui , en cette occa- sion, ont recours à la ruse, faute de moyens, de force, et par ceux qui, plus robustes et plus hardis , emploient la foj'ce ouverte. Au reste ils ne font eji cela qvi'obéir à l'attiait irrésistible du besoin et au despotisme de l'appétit ; et alors , dans le parallèle de Réau- mur , l'avantage et l'excuse sont encore du côté des insectes. Dans la classe des ruseurs il faut compter plusieiu^ espèces de cinips et de sphex qui , sous la forme de larves y s'insinuent , vivent DES INSECTES. 171 et se nourrissent dans le corps des chenilles et des fausses chenilles ; mais ce qui est en- core plus singulier , c'est qu'il arrive souvent que , tandis qu'un de ces insectes , furtive- ment introduit , ronge l'intérieur de son hôte et s'en alimente , il en nourrit un autre, qui est de même occupé à le ronger. Tout cela paroît incroyable ; et cependant il est avéré que l'ichneumon a3^ant déposé un de ses œufs dans celui d'un papillon de moyenne grandeur , le premier œuf y est logé assez à l'aise pour que la larve, qui en sort, y trouve une nourriture suffisante, qui la fait vivre jusqu'à ce qu'elle se change en nymphe. Les naturalistes connoissent une larve qui, ne pouvant (chasser , pas même marcher , se tient parfaitement immobile , et permet aux pucerons de courir sur son corps; dès qu'elle en sent un , elle alonge la tête avec la plus grande promptitude , et le saisit de manière qu'il ne peut échapper ; mais ce qu'il y a de plus curieux, c'est que, quand elle s'est emparée d'un de ces petits animaux , elle le tient en l'air pour le manger, sans doute afin qu'il ne puisse lui échapper, en s'accro- chant aux corps qui l'environnent. Les insectes aquatiques ne sont pas moins 172 NOURRITURE rusés. Plusieurs d'entre eux s'attachent a des substances solides, agitent l'eau rapi- dement , et forment des ondulations ou des courans qui leur amènent des proies , c'est-à- dire , des insectes encore plus petits qu'eux. Les larves des libellules sont très -redou- tables ; ces insectes portent au dessous de leur tète une partie beaucoup plus longue qu'elle , et qui , dans l'inaction , est pliée en deux portions à peu près égales , articulées ensemble, et terminées par des crochets mo- biles. Lorsque la larve en embuscade voit passer quelque insecte à sa portée , elle déploie subitement celte partie , l'alonge promptement comme un ressort, se saisit de la victime avec ses crochets , la déchire et la mange tranquillement. De tous les insectes qui se nourrissent de leurs semblables ,• l'araignée (i) est le plus meurtrier et le plus vorace. Il suée, il mange, il tend des filets , et il attaque de vive force ; tout lui est égal , pourvu qu'il assouvisse son ardent appétit ou plutôt sa gloutonnerie bru- tale. Mettez ensemble des araignées ; le combat sera terrible ; elles se dévoreront : il est vrai cei^eridant que , si dans la chaleur (i) Ces iusecles sont plutôt suceurs que rongeurs. DES INSECTES. 173 9e la lutte, ou leur jette une mouche, ou un autre aliment quelconque , les esprits enflammés se calment , la fureur s'éteint , on lâche prise , et chacime s'élance sur une por- tion de la proie que les dieux viennent d'en- voyer aux valeureux combattans ; preuve que ce n'est que la faim impérieuse ou la jalousie de métier qui quelquefois les rendent cou- pables à nos yeux du crime i^aranéicide. Mais s'agit-il de pourvoir à sa subsistance par les moyens réglés dans le plan de la Nature, ce hideux et terrible animal joindra le courage le plus déterminé à la ruse , à la patience , à la longueur du jeûne et de l'expectative ; et dussent ses toiles se changer en un champ de bataille , où l'adroit chas- seur soit obligé de combattre contre la vic- time infortunée et redoutable par son déses- poir, l'araignée ne reculera pas, et l'attaque , une fois engagée , ne finira que sous les aus- pices de la victoire. Voilà donc l'insecte sagement résolu de se renfermer dans le cercle de ses destinées : il commence par ourdir et tendre la toile gluante qui lui sert de domicile et de filet. Quelque merveilleux sans doute que soient les travaux de la Nature dans l'organisation de la plupart des insectes dont j'ai donné 174 NOURRITURE uue idée , il est certain que les préparations j les réservoirs , les filières et la direction des soies qui forment le tissu de la toile de l'araignée est un des spectacles les plus dignes du coup d'œil de l'observateur et des atten- tions de la curiosité. Qu'on imagine ^ à la partie postérieure de l'insecte , six mamelons divisés en uue infi- nité de convexités moindres , disposés à peu près comme celles qui partagent les cornées des yeux des mouches. Chaque petit creux, qui est entre les convexités, est percé par un trou qui ouvre passage à un fil ; et les petites élévations , en donnant une diver- gence spéciale à ces difïërens fils , empêchent qu'ils ne se joignent et ne se inêlent à leur sortie. D'après les observations de Bonnet , il peut sortir des fils de chaque mamelon par plus de mille endroits difFérens ; en sorte que l'araignée en ayant six , il est clair qu'elle peut produire six mille fils difFérens , et tout à la fois. Le merveilleux augmente quand on songe que , d'après le même naturaliste , ces fils sont déjà formés lorsque , pour sortir , ils viennent se présenter à l'ouverture de chaque mamelon. Ils y arrivent , chacun dirigé par un canal ou petite gaine particulière , qui B E s I N s E C T E s. 175 les y conduit sans aucune confusion. Ces petites gaines , renfermées elles-mêmes dans divers tuyaux charnus , en nombre égal à celui des mamelons , aboutissent à des vais- seaux sinueux ou grands réservoirs , placés, tix)is à trois, à chaque flanc de Faraignée. Ce trois canaux se réunissent de part et d'autre à une branche très-longue qui, en serpentant , et après plusieurs lacis , se rend dans un vaisseau qui a la forme d'une larve de verre ,* et ce sont ces deux branches que Réaumur considère comme les premières sources des soies de l'insecte. Quelle navette, quelle aiguille, ou quelle main délicate imiteront jamais l'extrême finesse et le fini parfait des trames de l'a- raignée , dans lesquelles ou n'aperçoit ni défaut, ni reprise, ni aucune suture? Soli- dement établi dans le coin d'un mur, d'une fenêtre , ou d'un soupirail , immédiatement collé contre les parois de l'angle et à l'abri de la pluie , le filet achevé en fort peu de tems par la diligente ouvrière , attend la douce proie , comme Pline , derrière ses toiles , attendoit les sangliers de la Lucanie. Une mouche , une abeille , un insecte ailé passe et donne dans la toile; aussitôt le chas- seur , averti par Toscillation des fils élas- 376 NOURRITURE tiques , sort du fond de sa retraite , accourt légèrement sur son parquet et saisit sa vic- time ; est-elle foible , Taraignée se contente d'en percer le corps de ses redoutables serres, de la faire expirer sur le champ , et de la réser- ver pour l'heure de Fappétit. Le gibier est-il fort , faut-il triompher de la résistance opi- niâtre d'une mouche intrépide et vigoureuse, qui , par son bruissement, sonne l'alarme et le signal du combat ? La prudente araignée enveloppe l'ennemi d'une foule de fils pro- duits à l'instant , qui , enveloppant peu à peu tous les membres et toutes les facultés de résistance de la mouche , la réduisent à la parfaite inactioii ; et c'est ainsi que garottée, emmaillottée , hors d'état de faire usage de sa trompe , de ses ailes ou de ses pattes , la victime , immolée sans pitié, servira de pâ- ture à la cruelle araignée , et la dédom- magera de la longue abstinence à laquelle est exposé tout insecte , qui attend de l'arii- vée de la proie , c'est-à-dire, du hasard, le moment de la jouissance. Cette faculté des insectes jeûneurs, de sup- porter très-long-tems le besoin de la faim , est vraiment inconcevable. Je me rappelle d'avoir fixé sur un liège, avec une épingle, une araignée , sans lui donner ou lui laisser prendre , DES INSECTES. 177 prendre, pendant quatre mois, aucune espèce de nourriture ,• quelle fut ma surprise , au bout de ce tems , de la retrouver pleine de vie, comme si elle n'eût point manqué d'a- limens accoutumés ! Q n'arrive- t-il lorsqu'une araignée étran- gère est assez hardie pour se promener sur la toile de la solitaire, ou qu'on l'y a jetée? Je l'ai dit, alors (î'est un combat à outrance, sur -tout lorsque les forces et l'adresse sont à peu près égales. Cette violation de domi- cile est un attentat impardonnable , et deux dogues britanniques , excités l'un contre l'autre , ne déploient pas plus de férocité que nos deux championnes. Les serres et les dents s'exercent à qui mieux mieux; l'impé- tuosité de l'assaut et la vigueur de la résis- tance se soutiennent jusqu'au moment où les fatigues et les blessures , affoiblissant l'une des héroïnes , en livrent la malheureuse dé- pouille à la colère de l'insecte vainqueur. Rien n'est plus curieux , en ce genre , que le mémorable combat de deux araignées , dont parle Bonnet , après en avoir été le tranquille spectateur. Ce naturaliste ayant jeté une mouche au milieu des filets d'une des plus grosses araignées, de celles qu'on nomme do mes tiques, la. vit accourir, et crut Jns, Tome I. M lyS NOURRITURE que la proie étoit dévorée. Tout à coup , de dessous la toile , s'élance une autie araignée , tout au plus de la grosseur d'un petit pois, qui , pleine de courage , semble vouloir dis- puter la victime et présente le défi. Ce petit Achille, au ventre fort arrondi et recouvert en entier d'une cuirasse écail- ieuse de couleur de pourpre fort luisante , «'avançoit vivement à reculons et ruant sans cesse des pieds de derrière qui étoient extrêmement aigus. A peine a-t-il bondi dans la lice , que la grosse antagoniste qui s'avançoit sur la mou- che s'arrête , s'étonne , recule , s'éloigne peu à peu ; enfin écrasée sous l'ascendant dii génie de l'assaillant , elle tourne le dos , et va cacher au fond de son boudoir son indi- gtlation et sa honte , abandonnant lâchement le champ de bataille et la proie : aussi gé- néreux que hardi , le vainqueur , satisfait d'une moisson de gloire , dédaigne la vic- time tremblante , regagne sa retraite d'un pas fier et lent ; mais , cette fois , mai'chant en avant, comme tous les individus de sa famille. Cependant la grosse araignée , inconso- lable de sa défaite , et regreiant fort sa bomie aventui^, met le nez hors du trou; DES INSECTES. 179 Voyant sa toile libre, et la mouche à sa dis- position , elle fait un pas , mais inquiette et jetant de tous côtés les regards de la peur ; enfin , un peu rassurée , elle ouvre les pinces et s'approche du gibier. Tout à coup la petite araignée reparoît , et se pré- sente plus vivement qu'au premier assaut , toujours en reculant, toujours en détachant ses vives ruades. A ce spectacle inattendu, la lâche dévoratrice anéantie , prête à tom- ber en défaillance , redoublant de frayeur à mesure que la petite approchoit , ne voit d'autre salut que dans une fuite prompte qui la reporte au plus profond de sa re- traite, pendant que, flattée de ses nouveaux lauriers , la triomphante amazone se retire comme la première fois , sans permettre à la cruauté de souiller la victoire. D'autres espèces d'araignées qu'on appelle vagabondes (1), ne filent jamais de toile pour y attraper des mouches. Elles vont à la chasse à découvert , poursuivent les insectes qu'elles peuvent rencontrer , et se jettent dessus avec une agilité surprenante. On les voit courir sur la terre et contre les mu- (i) làGS ar. phalanges. M â i8o NOURRITURE railles pendant tout l'été, sur- tout lorsque le soleil est clans tout son éclat. On connoît aussi une espèce d'araignée qui , après s'être pratiqué un petit creux dans le sable, le tapisse de soie pour em- pêcher l'éboulenient. Aux aguets à l'ouver- ture , dès qu'une mouche passe dans le voisinage , fût-ce à la distance de deux ou trois pieds , l'araignée court dessus avec une extrême vitesse, et l'emporte dans sa caverne. Cependant dans la Nature tout est balancé, les impitoyables araignées ont elles-mêmes des ennemis terribles , et d'autant plus à craindre qu'armés de force , d'ailes , de cui- rasse et d'instrumens irrésistibles , on ne peut ni les vaincre ni leur échapper. Les grandes espèces de sphex saisissent les araignées par le cou , et les serrent de manière à les mettre hors d'état de se défendre ; essaient - elles quelque résistance , l'aiguillon du sphex les met hors de combat, et dans le trou du nouveau brigand , elles vont expier , par la mort , tous les meurtres qu'elles ont à se reprocher. Je ne puis terminer cette courte notice de l'instinct de layaignée , sans rappeler une anecdote, autrefois très-connue, peut-être DES INSECTES. i8i en ce moment oubliée, comme tant d'autres choses du siècle avant dernier , et qui con- cerne l'insecte dont il s'agit. Ce fait incon- testable , bien étudié par nos maîtres en entomologie , pourroit leur être très-utile , et les mettre heureusement sur la voie de plusieurs découvertes intéressantes sur l'or- ganisation et l'industrie des insectes. Qui n'a pas entendu parler du malheureux Fouquet? Ce sur-intendant, dans les pre- miers jours du règne de Louis XIV , ayant osé financer le cœur de la douce la Vallière, et mettre sa tendresse à prix , bien plus pour cet irrémissible attentat que pour pré- tendue dilapidation du trésor de l'état , fut arrêté et livré à une commission ; ce tii- bunal, ne trouvant pas dans les papiers de Fouquet les preuves qu'on avoit espérées, conseilla de prendre tous les moyens pos- sibles d'arracher quelques secrets de la bouche de Pélisson , très - lié avec le sur- intendant , et son premier commis ; cet homme dont mademoiselle Scudéri , son amie, disoit qu'il abusoit de la permission qu'ont les hommes d'être laids ; le même dont un auteur moderne a dit : qa'il étoit laid jusqu'à ce qu'il parlât. Cet ami fidèle , enfermé à la Bastille , aj ant M 3 i8a NOURRITURE eu le courage de publier pour la défense de Fouquet , trois Mémoiies où l'art se cache sous les attraits d'une éloquence vive et touchante , fut resserré plus étroitement; on lui ôta tout, livres, encre et papier. « Pélisson, dit le Dictionnaire des hommes illustres, privé du plaisir de s'occuper, fut réduit à la compagnie d'un basque stupide et morne, et qui ne savoit que jouer de la musette. Il trouva dans ce foible amusement une ressource contre l'ennui. Une araignée faisoit sa toile dans un soupirail ^jui donnoit du jour à la prison; il entreprit de l'appri- voiser; il mit des mouches sur le bord de ce soupirail, tandis que son basque jouoit de la musette. » Peu à peu l'araignée s'accoutuma au son de cet instrument : elle sortoit de son trou pour courir sur la proie qu'on lui ex- posoit. Ainsi, l'appelant toujours au même son, et mettant sa proie de proche en proche , il parvint, après un exercice de plusieurs mois , à discipliner si bien cette araignée , qu'elle partoit toujours au premier signal pour aller prendre une mouche au fond de la chambre et jusques sous les yeux du prisonnier ». Il n'est peut-être pas inutile d'ajouter que D E s I N s E C T E s. i83 Pélissoji ayant cru amuser un moment le gouverneur de la Bastille , qui étoit venu le visiter , en faisant manœuvrer devant lui son araignée et son basque, cet oflicier, pour ne pas laisser au prisonnier une ombre de plaisir, écrasa lui-même l'araignée sur la main de Pélisson. Bien différent en cela du duc d'Orléans qui, ])endant la régence, obligé d'envoyer à la Bastille quelques sei- gneurs dont l'Etat avoit à se plaindre, et instruit par le lieutenant de police qu'un d'entre eux , afin d'entretenir des commu- nications au dehors, desiroit que son apo- tliicaire pût souvent entrer pour lui donner des lavemens nécessaires à sa santé , répondit : Puisqu'il ne lui reste que ce plaisir , il ne faut pas le lui ôter. Dans Tordre des insectes amphibies, qui passent une partie de leurs jours sur la terre et dans l'eau, il en est un bien singulier qui, dédaignant l'ombre et toute espèce de ruse , veut ne devoir sa subsistance qu'à l'audace et à la force; c'est la libellule, connue en France par les enfans mêmes , sous le nom de demoiselle. Cette douce ap- pellation , méritée par l'élégance du corsage et les grâces de la conformation , est bien cruellement démentie par la férocité de Tin- M 4 i84 NOURRITURE secte; ses habitudes meurtrières ne rappellent pas mal ce fameux vers, dont l'application est sans doute infiniment rare dans la classe la plus aimable de la société : Tranquille dans le crime , et fausse avec douceur. Plus svelte que le papillon , décorée d'ailes transparentes, dorées, argentées, ou écla- tantes par la variété des couleurs, la libellule, armée de quatre dents solides , larges et longues, qui se rencontrent au devant et sur le milieu d'une assez grande bouclie, a son berceau dans l'eau ; c'est là qu'elle prend son accroissement complet, soit en forme de larve qu'elle avoit au sortir de l'œuf, et colorée d'un verd brun, souvent mêlé def boue ou de vase. Sur le point de terminer ses métamor- phoses , la libellule nj^mphe sort de l'eau, se débarrasse peu à peu du fourreau qui l'enveloppe ; pour achever de tirer ses pattes de cet étui, elle se renverse la tête en bas, soutenue par ses derniers anneaux, encore dans la dépouille , et qui , formant une espèce de crochet , la tiennent en équilibre. Demeurée un certain tems dans cette atti- tude , elle se retourne , saisit avec les cro- chets de ses pattes la partie antérieuie de D E s I N s E C T E s. i85 son fourreau , s'y cramponne , et achève d'en tirer la partie postérieure de son corps. Ce n'est qu'au bout d'un quart d'heure que ses ailes, jusqu'à ce moment étroites, épaisses, posées les unes sur les autres, plis- sées comme une feuille d'arbre prête à se dé- velopper , acquièrent leur dimension. Deux heures après elles sont desséchées, et assez solides pour soutenir l'insecte qui , pendant cette dessication, ne fait aucun mouvement. Dès que l'opération est faite, la demoiselle prend l'essor comme les oiseaux de proie, et avec les mêmes inclinations. Laissant à des insectes plus foibles ou plus déhcats le suc des fleurs et la saveur des fruits, la libellule plane et vole dans l'air, cherchant fortune , et pour fondre brus- quement sur les insectes que le malheur lui fait découvrir, s'en emparer et les manger. Tout lui est bon ; petites ou grosses mouches, mouches de la viande, et même papillons diurnes deviennent sa proie , dès qu'elle peut les joindre. Souvent l'insecte déprédateur quitte l'air, rase le long des haies et sur le bord des ruisseaux , où elle espère rencontrer les différentes mouches et les autres gibiers qui lui conviennent. m NOURRUTIRE Est-ce une petite mouche qui se présente : elle est avalée. Saisit-elle une grosse mouche ou un papillon : la jolie demoiselle l'emporte sur quelque branche voisine , pour dépecer sa proie à coups de dents et s'en nourrir: On a remarqué que cet instinct vorace est né avec elle, et que, comme je l'ai dit, larve, nymphe , au fond de l'eau , elle se livre à la même chasse et aux mêmes appétits. Malheureusement pour elle , le milan des insectes de terre et d'eau trouve assez sou- vent l'aigle qui l'enlève , et le dévore à son tour; et ce qu'il y a de bien étonnant, c'est que ce nouvel oiseau de proie est beaucoup plus petit, et en apparence bien moins fort que la libellule. C'est cependant ce qu'as- sure un observateur célèbre , d'un insecte qui , pour la forme de la queue , a du rap- port avec le scorpion, la panorpe. Sous ses yeux , cette espèce d'insecte fond en l'air sur tme libellule dix fois plus grosse qu'elle, et la fait tomber à terre. L'issue du com- bat n'étoit pas équivoque ; celle - ci ne son- geoit qu'à se débarrasser de l'aggiesseur, qui lui portoit des coups de trompe prêts à l'achever, si le désir de s'emparer de Tun et de l'autre n'avoit fait mettre de la partie , dit le naturaliste, celui qui observoit le duel. DES INSECTES. 187 Tous deux s'échappèrent ,• mais il étoit très- aisé de voir, au vol lent et pénible de la libellule , qu'elle avoit été fort maltraitée dans celte i-encontre. J'ai donné l'an dernier à la société pliilo- matique , la description et l'histoire d'ua insecte des environs de Paris , qui nourrit ses petits d'abeilles domestiques , et qui n'est pas un des moindres fléaux de ces précieuses ouvrières ,• il est de la famille des guêpes , et appartient au genre philante de Fabricius. La femelle de cette espèce que j'appelle api- pore , creuse dans le terrain sabloneux , ex- posé au levant , une galerie peu inclinée, de la longueur d'environ un pied et demi ; elle va saisir ensuite , sur les fleurs , des abeilles qu'elle tue , et transporte dans son trou , pour la nourriture de ses larves , au nombre de six à dix. J'ai vu, sur une lon- gueur de soixante à soixante-dix pieds, plus de quatre-vingts femelles; d'où l'on peut juger du tort irréparable que cette ennemie fait aux ruches. Pour les détruire, il faut au printems ébouler les terrains coupés per- pendiculairement qui paroissent criblés de trous , afin de laiic périr les larves , et les nj^mphes de l'api vore. Si actuellement nous portons les yeux sur ï88 NOURRITURE la surface et dans le sein des eaux , nous y trouvons des insectes aussi carnassiers , aussi avides de la substance de leurs semblables que ceux qui ne quittent point la terre. 11 s'en fait dans ce froid élément un grand car- nage, les uns servant de proie aux autres, et les plus foibles paroissant des victimes destinées aux plus forts. Si Ton en excepte nu assez petit nombre qui tirent leur subsis- tance de la boue et des plantes aquatiques , tout le reste de cette colonie de l'iiumide empire ne vit que de rapine. Les ditiques et leurs larves sur-tout, sont les brigands les plus terribles et les plus hardis; ils at- taquent tout ce qui se présente, même les araignées aquatiques , malgré leurs deux grands crochets mobiles , percés d'une ou- verture près de la pointe, et avec lesquels elles ne manquent pas ordinairement de saisir leur proie. Les larves des friganes, qui habitent dans des fourreaux composés de diverses ma- nières, ainsi que je l'expliquerai, sont éga- lement carnassières , quoique souvent elles mangent aussi les feuilles des plantes. De Geer dit leur avoir vu dévorer des larves de libellules et d'épliémères , et même leurs semblables. Les longues punaises aquatiques. DES INSECTES. 189 qui nagent avec vitesse et par essaims sur îa surface de l'eau , mangent tous les petits insectes qu'elles peuvent attraper. Enfin les iiotonectes , les nèpes , les araignées aqua- tiques, et plusieurs espèces de larves font aussi leur séjour dans Feau , y vivent de proie , et se font une guerre aussi cruelle qu'opiniâtre ; tandis que les insectes ter- restres se livrent des combats affreux ; sem- blables à ceux de l'homme qui, après avoir souillé le continent de carnage, les armes à la main , court rougir de sang les flots et les roches de toutes les branches du vaste Océan. 190 DE L^ INSTINCT CHAPITRE SECOND. Instinct et industrie des Insectes dans les moyens de défendre leur existence. Jr^uisQu'uN lugubre destin a voulu que la guerre civile, la plus interminable et la plus terrible , s'all uniât entre les divers ordres de la nation des insectes,- puisque les uns doivent servir de pâture aux autres , la pru- dente Nature auroit manqué son but, si, en inspirant à quelques classes un appétit dé- vastateur, elle n^eùt pas proportionné, dans d'autres, les moyens de défense; car alors, les races se fussent bientôt détruites, et il eût fallu effacer, au frontispice de son code inaltérable , l'axiome fondamental : rien ne périt. Que fût-il en effet arrivé , si , faute de sages précautions, toutes les mouches eussent péri sur Féchafaud des cruelles araignées? si les hypocrites libellules eussent dévoré toutes les abeilles,- si toutes les fourmis fussent tombées dans la trappe du niynne- D E s I N s E C T E s. 191 leon ? Dans cette meurtrière hypothèse , Tespèce malheureuse de ces animaux se fut anéantie en fort peu de tems : l'oeuvre de la création se fût détériorè daiis une de ses parties les plus curieuses; et ces petits, mais biillans anneaux de substances ani- mées, parallèles à la grande chaîne des êtres, en se brisant, eussent interrompu la série complette de l'organisation vitale ; cette in- destructive série qui, à l'origine du monde, attachée au berceau des siècles, doit , sans dis- solution , parcourir l'espace jusqu'à l'heure où, le tenis venant à s'arrêter, le mouvement cesse, et la Nature confondue rentie froide et immobile dans le tombeau d'où une seule parole l'a voit fait sortir. Mais il n'en est pas ainsi : dans le peuple des insectes , comme parmi les autres géné- rations quadrupèdes ou volatiles , tout est en équilibre, les moyens tutélahesy sont aussi multipliés que les dangers ; et c'est peut-être, dans l'observation des insectes , le spec- tacle le plus curieux et le plus varié, que celui de l'appareil des ar mes défensives qu'ils ont reçues de la Nature, et qui sont prépa- rées pour tous les genres d'attaque auxquels ils se trouvent exposés. 192 DE L'INSTINCT Eviter rennemi , ou lui résister, tels sont; dans la tactique militaire, sociale ou poli- tique, les deux principes défensifs pour se diiiger au milieu de circonstances hostiles; et tels sont les deux combinaisons auxquelles Finsecte confie la sûreté de ses jours. ARTICLE D E s I N s E C T E s. T93 ARTICLE PREMIER. Premier moyen des Insectes de défendre leur, existence, éi^iter P ennemi. Là E premier moyen d'éviter le péril , c'esÊ de le fuir et de s'en éloigner le plus qu'il est possible. C'est sur-tout ici qu'il faut invo- quer les douceurs de la retraite et de l'obs- curité ; et à ce propos on se souvient sans doute de la fable charmante des deux Pigeons de la Fontaine, dont la morale est si tou- chante et si vraie. Plélas ! combien de voya- geurs , de retour de longues et périlleuses émigrations, ont pu dire : Il vaut mieux, pai- sible casanier, végéter sans gloire à l'ombre du toit de ses aïeux, que de courir, à tra- vers les contrées du globe, à travers le péril; après un vain fantôme de renommée, qui brille à nos yeux, nous trompe, nous égaro et s'enfuit. Ce conseil de la sagesse est le premier article du code moral de la classe des in- sectes qui, ayant une parfaite conscience du défaut de pouvoir ou d'audace , loin de former des desseins d'envaliissenient et des plans de, Jns, Tome ^ N 194 DÉFENSE conquête, ne songent qu'à s'envelopper àe l'obscurité d'une demeure inaccessible au bruit et à la rapacité , qui, pour ce peuple innocent et timide, devient le temple in- violable de la sécurité , du bonheur et de la paix. Cet ordre d'insectes, intéressant par ses mœurs et son indastrie, se partage en deux branches fort différentes : les uns , épris de l'attrait d'une solitude rigoureuse , cénobites austères , et satisfaits d'eux - mêmes , re- noncent à tout commerce avec leurs sem- blables, et n'approchent d'aucun être vivant qu'à l'heure où la voix de l'amoui', qui perce jusqu'au fond de la retraite la plus froide et la plus profonde , les appelle et les jette dans les bras de leurs compagnes. Les autres, au contraire , par un instinct plus aimable , unissant le calme de la prudente réclusion au plaisir d'une union de famille ou d'espèce, se réservent le charme touchant des affec- tions sociales , et la culture de cette douce bienfaisance , de cette réciprocité de secours, les délices du commerce de la vie, la gloire des êtres animés et la plus touchante inspi- ration de la vertu. Ainsi donc , dans la phalange des insectes pusillanimes, les premiers comme les der-^ DES INSECTES. igS kiiers trouvent dans le choix de la demeure y dans sa localité , son éloignement du péril , sa contexture et ses distributions inténeu- res , le principal moyen de défense et le sûr préservatif contre les entreprises du cou- rage et de la force. Quelle foule de pro- diges nouveaux et plus surprenans encore viennent s'offrir à l'imagination de l'obser- vateur instruit! Que n'ai-je, en ce moment, le pinceau des Fées et les teintes de la Nature , pour donner au moins , dans une esquisse élégante et correcte , quelques idées de ces merveilles trop ignorées ! La sagesse et la, profondeur qu'on y voit briller rappellent nécessairement le pouvoir du grand Etre, aussi admirable , aussi digne des hommages de la terre , dans l'instinct donné à l'insecte pour l'intelligence, l'ordre , les combinaisons, les analogies et la délicatesse incroyable de sa demeure , que lorsqu'il attache k la voûte des cieux l'astre éblouissant qui éclaire la, Nature, la réjouit et la vivifie. Na Ï96 HABITATION ■: — . ^ ARTICLE SECOND. Habitation des Insectes solitaires. Je vous vois, aimable Eaplirosine, vous l'orgueil et la joie d'une bonne mère, arrê- ter s à l'heure du déjeuner , les regards du désir sur ce fruit délicieux , dont le flanc pourpré porte le témoignage flatteur des tendres égards du Dieu de la lumière ,• éle- vée sur la pointe de ces jolis pieds, les mains délicates tendues vers la branche insensible à vos eflbrts , vous voudriez Consolez- vous, belle enfant, le cœur de la pêche est gâté , une larve impure l'habite ; et d'après le droit public des insectes , et le titre d'ante- occupation , elle prétend avoir acquis le pri- vilège d'une possession exclusive. Je dis exclusive, car jamais un fruit n'en recèle qu'une seule; et, d'après l'expérience d'un observateur, si, comme lui, on essayoit de faire partager le fort à un autre insecte, fût-il de la même race , aussitôt on verroit une guerre terrible s'allumer , et le vaincu forcé d'abandonner le capitole. L'ancienne propriétaire s'y trouve si bien que vous la verrez y subir sa métamorphose sans en. DES INSECTES. 19^ Sortir; et, après y avoir trouvé la pâture, s'y creuser des cavités qui , tapissées de soie, vont devenir le berceau de sa coque. Sur cette plante , et à côté du pêcher,' est le modeste liermitage d'une autre re- cluse, puisqu'une seule feuille, arrangée à sa manière, en compose toute l'économie. Les difïërens végétaux du même genre, artis- tement appliqués contre la paisible cellule , sont destinés à sa nourriture ; mais la paroi intérieure sera respectée, et elle lui servira de barrière et de louvre. Sur lit branche de ce pommier , chargé de fruits , existe une des plus étonnantes mer- veilles de la manipulation des insectes. Sou- levez doucement cette touffe , voyez une petite feuille , géométriquement pliée en cône renversé , de manière que la pointe repose sur un léger rameau , tandis que la partie évasée, de tous côtés assujettie par des cables de soie, comme une tente mili- taire , demeure ferme et immobile ; c'est l'asyle d'une rouleuse. Mais comment l'in- secte qui n'a ni doigts , ni rien qui puisse en suppléer l'usage , a-t-il pu plier régulièrement cette feuille hospitalière , lui donner l'a- plomb et la fixer? Voici ce que l'art et l'ob- servation nous gÉpprennent. N 5 198 HABITATION La rouleuse coupe sur la feuille , ayec ses dents, la pièce qui doit composer son cor- net; elle ne l'en détache pas en entier; il nianqueroit de base; elle n'enlève que la partie qui formera le contour du cône : cette partie est propiement une lanière , qu'elle roule à mesure qu'elle la découpe. Elle dresse l'ouvrage sur une feuille , à peu près comme le célèbre Fontana fit élever et po- ser perpendiculairement à sa base l'énoinie obélisque de granit , de quatre-vingts pieds de hauteur, qui décore la place de Saint- Pierre de Rome. La chenille attache des fils vers la pointe d'une pyramide ; elle les charge du poids de son corps , et force ainsi cette pointe à s'éle- ver. Le second ruban de fils de soie, collé à l'instant à la partie large , et également pressé , aide encore à l'élévation que l'insecte veut lui donner. En examinant de près ces deux rubans , on verra que le premier est fort tendu et le second fort lâche , parce que celui-ci n'a plus d'action et n'en doit plus avoir. On comprend aisément du reste, que l'opé- ration mécanique s'achève peu à peu par la patiente répétition de la même manœuvre sur diiférens points de la feuille conique, jusqu'à son parfait et solide établissement. DES INSECTES. 199 Quelquefois ce cornet recèle un autre travail bien curieux. Une coque est sus- pendue au milieu , à l'aide d'un fil ou petit axe de soie , dont luie extrémité tient au sommet du cône , et l'autre à la base ou au plat de la feuille. A ce dernier endroit la prudente larve , avant de s'enfermer dans son tombeau , a eu la prévoyance de couper une petite portion circulaire qu'elle a grand soin de laisser en place. Cette découpux^e , en interdisant l'entrée du cornet aux étran- gers , ménage une issue secrette au papillon qui doit bientôt éclore de la coque. Voilà donc la porte de la cellule qui ne s'ouvrira qu'à l'é- poque du complément de la métamorphose , ses contours s'engaînant dans la feuille et y demeurant comme encadrés. En ouvrant son enveloppe , le papillon ressuscité descend le long du fil de l'axe qui la tient suspen- due , en suit confidemment la direction , arrive à la porte , la fait sauter avec sa tète , et prend son libre essor. Une grande chenille qui se fait aisément remarquer par des boutons ou tubercules semblables à de petites turquoises , dont la Nature orne ses anneaux , pourvoit , d'une manière plus ingénieuse , à la clôture de sa 4oge , (jui est une coque de soie fort épaisse ; N 4 !2oo HABITATION elle y laisse l'ouverture nécessaire au pà^ pillon ,* mais elle sait bien en interdire l'en- trée aux insectes ennemis et voraces. Elle y pratique une espèce de nasse , pareille à celle dont on se sert pour prendre le poisson. Les fils qui en composent le tissu sont beau- coup plus forts que ceux du reste de la coque: ils ont de la roideur , et sont comme frangés; tous couchés et dirigés dans le même sens, ils aboutissent à l'ouverture de la nasse ou entonnoir qui, formé par leur assemblage , a son embouchure tournée du côté de l'in- térieur de la coque. Cette nasse se présente au papillon sortant comme celle pour les pois- sons se présente à ceux qui veulent entrer; et conséquemment elle se présente aux in- sectes agresseurs comme une nasse aux pois- sons qui essaient d'en sortir. Et de peur qu'mie seule de ces méca- niques ne suffise pas pour arrêter l'impé- tuosité de l'ennemi , ardent à dévorer la chrysalide , l'adroite et sage ouvrière pra- tique au dessous , ou mieux dans l'intérieur même de la premièie , une seconde nasse , dont les fils sont encore plus serrés, et qui est parfaitement emboitée dans la précé- dente. Tous les produits de cette industrie ne DES INSECTES, aoi peuvent être comparés aux travaux d^ la chenille mineuse pour son logement. Rien n'est plus simple; ma^s aussi rien n'est ni plus fin, ni plus délicat que cette inconcevable méthode d'architecture. Voilà une feuille de plante qui n*a peut- être pas l'épaisseur du papier. Eh bien ! la petite mineuse y creusera sa case , se nour- rira de la pulpe , et de ses débris se filera la coque où elle doit s'enfermer pour re- naître en papillon , auquel la Nature pro- diguera l'or, l'argent et l'azur délicieuse- ment assortis à des couleurs aussi riches que variées. Et quand je dis qu'elle s'y creuse une case , c'est encore là le moins admirable de ses travaux. Que dire de ces routes plus ou moins tortueuses ; de ces galeries ramifiées en ligne droite ; de ces boyaux oblongs ou circulaires que la recluse pousse en avant , à mesure qu'elle se nourrit des décombres de la mine , et toujours sans sortir de la très- mince épaisseur du parenchyme ; les che- nilles , dans cette besogne , se servent des dents , avec lesquelles elles rongent ; tandis que le vers mineur sappe à l'aide de deux crochets équivalens à une pioche. Après avoir admiré cette petite merveille. S02 HABITATION on voit encore , avec autant de plaisir que détonnement , se former le domicile des mi- neurs de vigne. Considérez ces pampres percés de trous ovales , qui paroissent y avoir été pratiqués par un emporte-pièce , des che- nilles ont fait ces trous, en détachant à coups de dents des morceaux de ce feuillage dont elles vont se faire vme coque. Pour en venir à bout , la chenille assem- ble ces deux morceaux , les amincit en rongeant le parenchyme , les tapisse de soie et les unit. La coque finie , elle se met eu devoir de la transporter. Par une ouver- ture laissée à l'un des bouts , elle fait sortir sa tête , la porte en avant , saisit avec ses dents un point d'appui , et faisant effort , elle attire la coque à elle. Les fils qui la retenoient à la galerie cèdent , et la chenille emporte sa petite maison comme le limaçon la sienne. Mais comment peut -elle emporter cette charge , elle qui n'a que des jambes tiès- petites ? L'art y supplée : la voyageuse file de distance en dislance , et place en avant des petits monticules ou paquets de soie sur le plan qu'elle parcourt. Alors saisis- sant avec les dents le premier monticule, elle se forme des points d'appui, d'où elle DES INSECTES. 200 tire à elle sa coque et la mène au second ; là elle manœuvre de même , et successi- vement jusques au terme de la translation. Parvenue enfin à ce lieu , eWe y arrête sa coque dans une position verticale. Dans peu on en voit sortir un très-joli papillon, aussi bien décoré , aussi richement vêtu que ses fières de la même famille. En visitant les solitudes des insectes céno- bites de la classe des mineurs, nous marchons de prodiges en prodiges , sans craindre que la lassitude succède à l'admiration. Il faut en redoubler en jetant un coup d'œil sur la fermeture de porte imaginée par une espèce d'araignée, fort semblable dans ses formes extérieures à celle des caves ; mais qui en diffère beaucoup par son genre de vie et ses autres habitudes. Etablie sur la pente d'une terre glaise , afin que l'eau de la pluie puisse facilement s é- couler , elle y creuse avec ses fortes pinces une galerie de mine d'environ deux pieds de longueur, dont la largeur, par-tout à peu près égale , et eu proportion à la grosseur de son corps, lui permet de monter et descendre commodément dans le souterrain. Une tapis- serie générale à l'intérieur , de fils de soie , facihte sa course , retient l'éboulement, et 5o4 HABITATION Tavertit de l'arrivée de la proie. Le mécanisme de la porte seroit absolument incroyable , si d'exacts observateurs ne s'en fussent pleine- ment assurés , et n'en eussent donné la des- ciiption précise. Nous peignons donc avec autant de confiance que d'exactitude et de plaisir. Qu'on se figure une vraie trappe, formée de plusieurs couches d'une terre détrempée, liée avec de la soie, et dont les contours, parfaitement circulaires, semblent avoir été tracés au compas. Le derrière de la trappe, ou la face intérieure , est convexe ,• l'exté- rieure , à fleur de terre , plane et raboteuse , se confond si bien avec le terrain avoisinant qu'on ne peut l'en distinguer , afin de mieux dérober le lieu de la retraite. La face postérieure de cette porte singu- lière est doublée d'une toile, dont les fiJs très -forts et très -serrés se prolongent de manière à former une espèce de penture , qui suspend la trappe à la partie la plus élevée de l'ouverture de la galerie. Au moyen de cette penture, comme à l'aide d'une charnière, la trappe peut s'élever et s'abaisser, ouvrir ou fermer la galerie : son propre poids sufîit à l'abaisser, soit parce que la galerie est fort inclinée à l'horison^ D E s I N s E C T E s. 2o5 isoit parce que la mineuse a eu l'adresse de la suspendre à la partie supérieure de Tou- verture, comme si elle connoissoit les lois de la gravité. Cette ouverture est façonnée en enton- noir, et son évasement forme une espèce de feuillure contre laquelle la trappe vient battre quand elle s'abaisse; elle s'ajuste alors avec tant de précision dans cette feuillure, qu'elle ne laisse, par dehors, aucune prise pour la soulever , et qu'elle semble même faire corps avec la feuillure. Si cependant on essaie de forcer la bar- rière , avec la pointe d^une épingle , et qu'oa commence à soulever adroitement la porte, on est tout étonné d'éprouver une résistance inattendue, qui augmente avec les tenta- tives pour enlever la trappe. On ne sait pas que l'araignée , avertie de l'attentat de vio- lation de son domicile , et promptement accourue pour en défendre Teutrée, cram- ponne ses pattes, d'un côté aux parois de la mine , de l'autre à la porte, et, renversée en arrière, elle fait tous ses efforts pour l'attirer à elle , et garantir sa famille de l'in- vasion jusqu'au moment où, vaincue, elle fuit et s'enfonce dans sa tanière. Dans le peuple de ces animaux anachorètes,' 2o6 HABITATION il en est un dont Forganisation extérieure et le besoin très-urgent d'un logement solide sont bien remarquables. Connu sous le nom de Bernard Vhermile , ce petit crustacé a reçu de la Nature, dans sa partie antérieure, un tégument fort semblable à celui del'écre- visse; mais le ventre nud n'est couveil que d'une peau molle et délicate , exposée non seulement à toutes les injures de l'air, mais sur -tout aux blessures par le contact des corps qui l'avoisinent, ou des ennemis qu'il peut rencontrer. Bernard ne s'oublie pas; la première co- quille VLiide qu'il trouve est sa conquête et sa demeure; il s'accommode indistinctement de toutes celles qui sont conformées en spi- rale, et au fond de laquelle il se cache si bien qu'on croit que la coquille n'est point habitée. S'agit -il de changer de place, ses grosses pattes , semblables à celles de l'écre- visse, sortent , et, saisissant les corps voisins, il tire à lui sa conque , en même tems qu'il s'entortille et se roidit dans les parois ou dans la rampe pour ne point se trouver à nud. La coquille de\dent-elle trop étroite, elle est bientôt abandonnée pour une autre plus assortie à sa taille. Deux hermites de la même famille viennent -ils à se rencontrer; D E s I N s E C T E s. 207 en allant à la quête d'une demeure , le duel s'engage, et comme chez nous, la plus forte pince l'emporte. L'étroite demeure portative de quelques insectes, vivant dans la retraite, appelle en ce moment nos regards. C'est un petit fourreau cylindrique, ouvert par les deux bouts; en haut, pour pouvoir en sortir; en bas, pour laisser échapper les excrémens. Un mélange de soie et de poils, ramassés de tous côtés, en forme le tissu, et, pour le rendre plus doux, il est doublé à l'intérieur de soie pure. Les dents des teignes servent à couper dans nos meubles et nos fourrures les matériaux dont elles ont besoin, et qu'elles emploient à la fabrique de leur étoffe en les incorporant habile- ment dans le tissu soj^eux. Jamais ces in- sectes ne changent d'habit, parce qu'ils savent l'alonger et l'élargir à propos. Rien de plus aisé que la première de ces opérations; elle ne consiste qu'à ajouter, à chaque bout, de nouveaux matériaux et de nouvelles soies; l'autre demande infiniment plus d'art. La teigne , en ce cas , fend son fourreau de deux côtés opposés, et elle y insère, avec beaucoup d'adresse, deux nouvelles pièces, avec les dimensions requises. Cependant , 2o8 HABITATION pour ne point demeurer à nud , le foiirreati n'est d'abord fendu, de chaque côté, que de la moitié de sa longueur; et, sur le champ, cette demi-ouverture est fermée par la pièce ajoutée ; puis on procède , de la même manière, à ouvrir et à rapiécer les deux autres deiTii-côtés , de manière qu'au lieu d'une pièce de chaque côté, le fourreau raccommodé en a quatre ; d'où il arrive que la teigne, unissant deux bandes de drap rouge sur le fourreau qui étoit bleu , elle se fait un véritable habit d'arlequin. Une singularité bien remarquable dans ces petits animaux, c'est qu'ils vivent des mêmes poils dont ils fout leur vêtement; non seulement ils les digèrent, mais la di- gestion même n'en altère pas la couleur, et l'excrément est toujours d'une aussi belle teinte que celle des draps qu'ils ont rongés. Lorsque la teigne veut faire quelque petit voyage avec son fourreau , comme elle n'aime point à marcher sur de longs poils, elle commence par couper tous ceux qui se trouvent sur la roule , et , comme dit un observateur , elle ne marche jamais que la faux à la main. Si elle juge à propos de prendre quelque repos, elle arrête son four- reau par de petits coi^dages de soie, qui le fixent D E s I N s E C T E s. 209 fixent comme le vtiisseau à l'ancre; lors de la métamorphose il est arrêté plus solidement encore. L'insecte en ferme exactement les deux bouts, pour y prendre, plus en sûreté, la forme de chrysalide, et puis celle de papillon. L'habillement de la teigne de feuilles , et dont le papillon a des ailes ressemblant à un drap d'or ou d'argent, suppose plus d'industrie et de travaux que celui de la teigne domestique. Cette chenille construit son vêtement de la membrane d'une seule feuille , suspend son fourreau au dessus d'un feuillage , en y fixant l'ouverture d'où sort la tète. Cette ouverture est attachée avec de la soie ou de la matière propre à la faire. La feuille est mangée à l'endroit qui recèle l'animal, sans que jamais il la perce d'outre en outre ; la teigne avance entre les deux membranes pour se nourrir du parenchyme, et elle rentre dans le fourreau lorsqu'elle est rassasiée. Voici comment elle construit ce vêtement. Entre les deux membranes qui composent le dessus et le dessous d'une feuille, est ren- fermé ce qu'on appelle parenchyme , qui seul sert d'aliment à l'insecte ; le reste n'est jamais touché pour la uouiTiture. C'est ea Ins. Tome L O 210 HABITATION mangeant que cette chenille prépare l'étoffe de son habillement : elle mine d'abord entre les deux membranes, en détache la subs- tance charnue , dévorée à mesure , et elle se fait, par ce moyen, une place capable de contenir la partie de son corps qui doit y entrer. Alors l'insecte , sur l'étoffe ainsi préparée , coupe à coups de dents les deux morceaux qui, rejoints, font son vêtement, qu'elle achève en moins de douze heures. Chacune de ces deux pièces est coupée irrégulièrement et d'après la forme de son corps , et sur-tout d'après les mouvemens que fera la teigne quand elle y sera renfermée. Dès que l'habit est coupé , l'insecte le faufile négligemment avec la soie, y entre, y essaie toutes les attitudes dont il aura besoin dans la suite , écarte f étoffe , lui donne les convexités nécessaires, et alors seulement il en unit avec beaucoup de solidité les deux morceaux. Arrondi à sa partie antérieure, le fourreau est aplati à la postériem^e, et se termine en queue de poisson. Cet endroit de l'assem- blage est assez libre pour qu'il puisse s'ouvrir et donner passage aux [déjections de la che- nille ; alors elle va à reculons , et force par DES INSECTES. 211 sa pression cette extrémité à se dilater; l'opé- ration finie, la chenille remonte, et Touver- ture se referme aussitôt. Si la passion des voyages vient saisir l'in- secte , et qu'il faille déplacer le fourreau , voici comme il s'y prend. Sortant la tête et les pattes qui l'a voisinent par l'ouverture supérieure, il accroche ces pattes à quelque portion delà feuille sur laquelle il s'avance, en tirant en même tems son fourreau, et en le saisissant à l'intérieur avec les crochets de ses pattes membraneuses; dés que la che- nille est dégagée, elle va s'appliquer sur une autre feuille, et l'attaque pour en tirer sa nourriture. Ces teignes ont soin de fortifier leur vêtement avec de la soie ; s'il devient trop petit pour les contenir, elles en cons- truisent un neuf, ce qui néanmoins ne leur arrive que deux ou trois fois dans leur vie. L'exacte description que je viens de faire de la construction du fourreau des teignes à feuilles, a rapport, quant au mode par- ticulier, à l'espèce qui vit sur l'orme. Le procédé des autres offre quelques variétés curieuses. L'espèce qui mange le parenchyme des feuilles de l'astragale, se fait un vêtement qui a la forme d'un cornet recombé , fort O a 21 j HABITATION évasé par un bout et pointu par Tautre. Cet liabillement , d'un blanc sale, se construit avec des morceaux de plusieurs couleurs, arrangés par étages les uns au dessus des autres et un peu flottans. Il paroît que cette espèce de chenille ajoute à ce vêtement une étoiFe, lorsqu'il devient trop court. Les teignes aquatiques à six pattes ont aussi leur fourreau. Tout leur est bon pour recouvrir un premier vêtement de pure soie qu'elles se filent; elles se saisissent indiffé- remment de tous les petits corps qu'elles ren- contrent dans l'eau , et les attachent à leur habit. Il est recouvert de gravier, de petites pierres, de morceaux de bois, de parcelles de roseaux, de petites coquilles, tantôt de moules , tantôt de limaçons ; et ce qui est inconcevable , les moules et les limaçons habitent encore ces coquilles. Enchaînés au fourreau de l'insecte par des cables de soie , ils sont obligés de le suivre par -tout où il lui plaît. Quelques teignes aquatiques cependant sont plus recherchées dans le choix des ma- tériaux de leur domicile ; elles paroissent toujours préférer des matières d'un certain genre, dont elles revêtent constamment leur fourreau. Les unes s'arrêtent aux grains do DES INSECTES. 2i5 gravier ou à de petites pierres ; d'autres emploient des feuilles ou des fragmens de feuilles, d'autres des brins de jonc ou des grains. Ces teignes ou larves de friganes ne sortent pas d'elles-mêmes de leur fourreau; il leur sert de retraite et de défense ; si on veut les obliger de le quitter , elles ne l'abandonnent qu'à la dernière extrémité ; les remet-on à leur portée, elles y rentrent aussitôt. Il n'en est pas de même des teignes domestiques ; elles ne rentrent jamais dans leur habille- ment quand on les force de le quitter. On trouve aussi de fausses teignes qui ne demeurent pas dans des fourreaux portatifs; elles rongent le drap, en détachent tout le duvet dans un espace de grandeur propor- tionnée à la leur, et posées sur la corde du drap, elles lient avec la soie les flocons de laine détachés, de manière qu'ils forment une gouttière renversée , ou un demi-tuyau au dessus de leur corps. Cette espèce de galerie n'est ouverte que d'un bout , et soli- dement attachée contre le drap; c'est le logement de la chenille qui, à mesure qu'elle' s'avance en rongeant, ajoute toujours à la longueur de la galerie. Des teignes diffëi-entes , qui se nourrissent O 3 314 HABITATION uniquement de cire, et comme je l'ai dit^ ont la faculté de la digérer, s'établissent dans les ruches des abeilles, et y font quelquefois de grands dégâts, en détruisant le gâteau de cire qu'elles rongent. Multipliées , comme il arrive souvent , à l 'infini , ces chenilles forcent les abeilles de chercher une aiitre habitation ; car ces insectes ne sauroient suffire à réparer tous les désordres que ces teignes font dans la ruche ,* et quoique aussi hardies que l'a- borieuses , elles ne sont pas capables de dé- truire ces ennemis, parce qu'ils ont toujours soin de se tenir enfermés dans des tuyaux ou espèces de galeries de soie , recouvertes en dehors de grains de cire ou d'excrémens. Ils alongent continuellement la galerie, à mesure qu'ils veulent aller en avant , afin de marcher sans cesse à couvert. Réaumur, à qui nous devons tous ces détails intéressans, avoue qu'il ne voit d'autre moyen de se délivrer de leur persécution , qu'en faisant changer de demeure à la malheureuse ré- publique. Je commimique cette importante obser- vation à ceux qui, réfléchissant à l'utilité précieuse des travaux de l'abeille et aux avan- tages que le commerce en peut tirer , cher- chent le moyen d'écarter du trésor de la DES INSECTES. 235 ruche, tout ce qui peut lui nuire. On sait que les abeilles fout la richesse de plusieurs pays , et qu'ancieiiuenient la France en retiroit de grands piohts. On sait qu'une seule ruche donne, dans les années ordinaires, trente à quarante livres de miel , et deux à trois livres de cire ; dans les bonnes années , cin- quante à soixante de miel, et la cire à pro- portion. On sait que la Corse seule fournissoit aux romains deux cents mille livres de cire par an; ajoutons qu'on commença à cultiver les abeilles à Cuba, en 1760,* qu'en 1770, elles fournissoient déjà aux besoins des lia- bitans; et qu'en 1777, on exporta sept mille cent cinquante quintaux de cire. L'industrie paroît être l'appanage de l'a- beille, soit qu'elle vive en société, soit qu'elle passe sa vie dans la solitude, et qu'elle y bâtisse son domicile particulier. Celui de l'abeille maçonne et de l'abeille ,charpen- tière peut être comparé à tout ce que l'ar- chitecture des insectes peut offrir de plus étonnant. La première , avec du sable choisi grain à grain, et lié avec une sorte de ciment, construit à sa famille une maison très-simple, mais aussi solide que commode. Elle consiste, à l'intérieur, en plusieurs chambres ou pe- O 4 ôiG HABITATION tites loges adossées, et qui ne communiquent point ; une enveloppe générale , ou mur de clôture, les renferme toutes, et ne laisse au dehors aucune ouverture. Il faut briser ce mur extérieur pour voir les chambres, et on lui trouve la dureté de la pierre. Ces nids sont très - communs sur les faces des maisons; ils y paroissent comme des monti- cules ovales, d'un gris différent de celui de la pierre. L'architecte de ces bâtimens dépose dans chaque chambre un œuf, et y renferme en même tems une provision de cire ou de pâtée, qui est la nourriture appropriée à ses jDelits. L'abeille charpentière, ainsi nommée j^arce qu'elle travaille en bois, construit la demeure de sa famille dans un autre goût que l'abeille maçonne ; tantôt elle distribue des chambres par étages , tantôt elle les dispose en enfilade. Des planchers ou des cloisons merveilleuse- ment formées, séparent les étages ou les chambres, et dans toutes est déposé un œuf avec la mesure de pâtée nécessaire au petit. Les naturalistes regardent encore comme un vrai prodige le nid de feuilles construifc par une autre espèce d'abeilles , et qui , vu par dehors , ressemble très - bien à un étui de cure -dents. On ne sauroit comprendre D E s I N s E C T E s. 217 comment cet insecte a pu parvenir à tailler ces feuilles , à les contourner et à les ras- sembler avec autant de propreté que de précision. L'intérieur est divisé en plusieurs cellules qui ont la forme d'un dez à coudre , et qui sont emboîtées les unes dans les autres , comme les dez le sont chez le marchand. Chaque dez est composé de plusieurs pièces , taillées séparément sur une feuille , et dont la figure , les contours et les proportions sont combinés pour la place que chacuu doit occuper. Il en est de même des pièces qui forment l'étui , ou l'enveloppe com- mune. On devine aisément que chaque dez est la demeure d'un petit ; mais ce qui est bien plus étonnant , c'est que la pâtée que la mère approvisionne pour lui est presque liquide, et que la cellule, toute composée de petits morceaux de feuilles , est cepen- dant un vase si bien clos , que cette nour- riture ne se répand point , lors même que le vase est incliné. Ce nid, dont on ne peut donner qu'une foible idée , est caché sous terre ; l'abeille y creuse une cavité propor- tionnée à la grandeur de l'étui. Une autre abeille solitaire construit son 2i8 HABITATION nid d'une autre manière non moins admi- rable. Comme le précédent , il est composé de plusieurs cellules en forme de dez , en- châssées très - artistement les unes dans les autres , mais non recouvertes d'une enve- loppe commune. Deux ou trois membranes, appliquées les unes sur les autres , dont la finesse est inexprimable , et qu'on croiroit purement soyeuses, forment la cellule; mais, puisque TabeiJle ne file point , d'où vient donc ce qui paroît être une soie si fine , si blanche et si lustrée ? En observant attentivement la cavité qui renferme le nid , on la trouve endiùte d'une légère couche de matière luisante, semblable à celle que les limaçons répandent sur leur route. li'abeille , qui a une ample provision de cette glu , la met en œuvre pour cons- truire son hospice. Comme elle travaille sous terre , et dans la plus profonde obscurité , on n'a pu la surprendre à l'ouvrage , ni observ^er l'art de sa manipulation particu- lière. Il ne nous reste plus qu'une solitude à visiter, et peut-être est-ce la plus curieuse. Il s'agit d'une abeille qui revêt son caveau, non d'une étoffe de soie, puisqu'elle ne sait pas filer, mais d'une tapisserie d'un luxe DKS INSECTES. 2U) recherché , d'un superbe damas couleur de feu , précisément comme nous faisons dans nos plus beaux appartemens. D'où vient donc un damas si éclatant? Il a été découpé sur les fleurs de coquelicot nouvellement épanouies. Voyez celles qui avoisinent la demeure de l'abeille tapissière , elles sont échancrées çà et là ; eh bien , c'est ce qui manque à ces fleurs que l'ouvrière a coupé, et dont elle a revêtu toute la capa- cité de son superbe salon : mais comment enfin tout cela peut -il s'opérer si régulière- ment et si promptement ? TiC voici : On arrive à cette brillante demeure par un tuyau creusé perpendiculairement dans la terre d'environ trois pouces de profon- deur , et exactement cylindrique , jusqu'à sept ou huit lignes au fond. C'est un vesti- bule sans ornement , qui conduit à la pièce évasée , qu'il s'agit de décorer. L'abeille va couper avec beaucoup d'a- dresse , sur les fleurs de coquelicot , des mor- ceaux de pétales de figure ovale , qu'elle saisit avec ses jambes, et transporte à sa de- meure. Ces petites pièces de tapisserie qui arrivent chiffonnées, sont bientôt déplissées, rappropriées, étendues et appliquées fraiclies 220 HABITATION sur les parois, avec un art bien étonnanfj Remarquez que, comme une seule couL'he de cette tapisserie ne suffiroit pas aux vues de Touvrière , que je vais expliquer , elle a soin d'en mettre deux Tune sur l'autre ; quant aux pièces de pétales ou trop grandes ou superflues , à la fin de la besogne , elles sont ramassées et reportées hors de la de- meure ainsi meublée. La tapisserie une fois bien solidement et bien élégamment tendue , l'abeille remplit l'appartement de pâtée jusqu'à sept ou huit lignes de hauteur, sans crainte que les grains de terre , en tombant , viennent la salir ou la corrompre , puisque la double tapisserie, tendue pour cette raison, empêche tout ébou- lement des cor[>s étrangers. Si l'architecture des insectes de terre offre tant d'étonnantes merveilles , que penser et que dire de celle d'un amphibie qui cons- truit d'air un palais au fond des eaux. Je veux parler d'une très - singulière espèce d'araignée , qui , quoique vivant au milieu des eaux doi;niantes , en sort néanmoins de tems en tems pour chasser sur leurs bords. Elle nage avec la plus grande vélocité, sur le dos , sur le ventre, mais plus souvent sur le dos. Admirable plongeuse, elle poursuit D E s ï N s E C T E s. 2.31 la proie au fond de l'eau avec une agilité singulière ; souvent la victime est aperçue, arrêtée sur la terre , et portée au logement pratiqué sur la vase aquatique. Le fondement, de pure soie , est posé sur un brin d'herbe ; l'araignée s'élève ensuite à la surface de l'eau , expose son ventre à l'air ; et comme il est enduit d'une espèce de vernis , l'eau n'y peut pénétrer , maïs i'air s'y attache ; alors .elle se retire très- promptement sous l'eau, chargée d'une lame d'air adhérente, que l'ouvrière se hâte d'aller placer adroitement dans son tissu de soie : elle remonte , répète la même manoeuvre , présente le ventre à l'air , replonge comme un trait, et va déposer une seconde bulle d'air à côté de la première. Les courses se multiplient , le travail continue , et l'arai- gnée se trouve propriétaire d'un édifice aérien tout de cristal, qui lui procure une retraite assurée , commode , et où elle est logée à sec , au milieu de l'eau. Mais , pour donner plus de solidité à son bâtiment , et empêcher les bulles d'air, qui en sont les fragiles matériaux , de s'échapper , elle le couvi^e tout entier à l'extérieur de fils de soie très - fins , et fort rapprochés les uns des autres. 222 HABITATION C'est de cette grotte enchantée que la vive naïade sort pour épier les insectes; dès qu'elle en est dehors , l'édifice se resserre de lui- même , et la capacité diminue ; y rentré-t- elle avec la proie , le logement s'élargit aus- sitôt ; l'insecte chasseur est à son aise , et y dévore en toute sécurité la malheureuse victime. D E s I N s E C T E s. 223 ARTICLE TROISIEME, Habitation des Insectes qui vivent en société. O I actuellement nous quittons la Tîiébaïde des insectes pour rentrer dans la société , nous trouverons des républiques ou des familles qui , n'ayant point été destinées à combattre, cherchent, dans un hospice com- mun et secret , la paix et la sécurité de leur existence. En parlant des associations républicaines , je ne m'arrêterai point ici à tracer l'intéres- sante peinture de celle du peuple ailé au- quel nous devons le miel et la cire. La science et la poésie nous en ont laissé des descriptions agréables qui sont entre les mains de tout le monde : je toucherai des objets aussi curieux et moins connus. Remarquez la merveilleuse activité des laborieuses fourmis, poui' assembler les ma- tériaux qui doivent entrer dans la construc- tion de leur nid. Voyez - les se remuer et s'entr'aider , sans relâche , pour excaver la terre, la charier , pour transporter à TaUelier Î234 HABITATION les biiiis d'herbes, les pailles, les fragniens de bois et les autres- corps de ce genre qu'elles savent employer dans lei^rs travaux. On diroit que tout s'entasse pçle-méle,* mais quel art et quel dessin ne découvre - 1 - on pas, dès qu'on cherche à observer attenti- vement. Sous ce monticule , qui est le logement de la république , et dont la forme en dôme facilité l'écoulement des eaux, se cons- truisent des galeries communiquant les unes aux autres , et qui sont comme les rues de la métropole. De petites ouvertures ména- gées çà et là , sur cette sorte de terrasse , sont autant de portes qui donnent accès dans les galeries souterraines , et peiniet- tent aux citadines d'y entrer et d'en sortir à volonté. On sait que dans les fourmis , les mâles et les femelles sont pourvus de quatre ailes, tandis que les neutres en sont toujours privés. Ainsi que cliez les guêpes et les abeilles , ces neutres , beaucoup plus petits et plus nombreux que les individus des deux sexes , sont 'seuls chargés de tous les travaux de la fourmilière. a - On a' beaucoup célébré la prévoyance des fourmis. Depuis trois mille ans on répète avec DE S I N S E C T Ë S. 226 iavec complaisance , qu'elles accaparent des provisions pour l'hy.ver; qu'elles savent se construire, des magasins où elles renferment les grains qu'elles ont recueillis pendant la belle saison. Ces provisions leur seroient bien inutiles , puisqu'il est constant qu'elles dorment tout l'hyver : un degré de froid assez médiocre suffit pour engourdir toute la fourmilière. Que feroient - elles donc de ces prétendus magasins? Aussi n'en cons-i- truisent-elles point. Ces grains qu'elles cha- rient avec tant d'activité à la ville , sont de simples matériaux quelles font entrer dans la» construction, de leurs édifices , comme elles y font entier des brins de bois , de paille et autres matières quelconques. Les rnodernes se glorifient de rinvention du papier ,• cependant , depuis l'origine des siècles , la république des guêpes fait du papier, et c'est de cette matière qu'est bâtie la forteresse qui leur sert d'asyle. Les ou- vrières vont se pourvoir des premiers élé- mens de leur manufacture , sur les vieux: bois long - tems exposés à l'action du soleil et de la pluie, et en quelque sorte rouis par Je tems ; elles en détachent de menus filamens, les mettent en charpie, les rédui- sent peu à peu en pâte molle par le broie- Jns, Tome I. P fi26 HABITATION ment et rhumectation de leur boiiclie ; il en résulte de petites pelottes arrondies qui, transportées près du lieu de l'édifice, et là, étendues en lames minces, à l'aide des pattes et des dents , deviennent les étonnans ma- tériaux de leurs jolies constructions. On travaille d'abord à une galerie sou- terraine d'un pied et demi de profondeur , ou , si l'on peut , on abrège la besogne , en prenant possession d'une mine creusée par la taupe. C'est dans cette cavité que s'élè- Vera la citadelle inaccessible, qu'il est sur- . tout essentiel de mettre à l'abri de l'eau de la pluie , qui, perçant tôt ou tard la terre , porteroit le ravage dans le magasin des gâteaux , et la désolation au coem* de la colonie. Pour cela , dans la mine choisie , mais non contre ses parois , afin d'en éviter l'hu- midité , les petites républicaines vont cons- truire, sans aucun instrument d'architecture ou de maçonnerie , un édifice qui , vu de près, fait l'admiration de l'art. Qu'on imagine une multitude de petites voûtes , posées les unes sur les autres, celles- ci à côté de celles - là , et qui forment une enceinte d'un pouce et demi d'épaisseur ; par ce moyen , si l'humidité vient attaquer DES INSECTES. 227 îes voûtes supérieures , elle est arrêtée par les inférieures , bien mieux et bien plus sûrement que par un seul massif que l'hu- mide vapeur pourroit pénétrer peu à peu. Des colonnes, plus solides et plus compactes que le reste de l'ouvrage , et dont on a eu soin d'élargir la base et le chapiteau , pour qu'elles puissent mieux appuyer l'édifice , achèvent d'en affermir les salles communes, l'ouvroir et les cellules respectives. Une autre branche de la même famille ," mais d'une plus petite espèce , bâtit à dé- couvert. Le nid est attaché à une menue branche d'arbre ou d'arbuste , et il est de lames de papier aussi fin que celui des guêpes souterraines; mais comment se garantir de la pluie ? On y a pourvu ; les unes , moins adroites , se contentent d'attacher le guêpier à la branche , de manière que le plan du gâteau est à peu près vertical ; alors l'axe des cellules étant horisontal, la pluie ne peut pénétrer les ouvrages : d'autres, plus habiles, recouvrent les berceaux aériens d'un grand nombre de feuilles de papier, séparées par des intervalles , et qui imiteroient parfaite- ment les pétales d'une rose à cent feuilles, si elles en avoient les belles couleui's. Si les guêpes de notre hémisphère fabri- P a £28 HABITATION quent du papier , celles du nouveau monde font du carton , ce qui leur a fait donner le nom de cartonnières ; celui qui sort de la manufacture est d'une blancheur , d'mie force et d'un poli qu'on ne se lasse pas d'admirer, et c'est avec ce carton qu'elles construisent l'édifice où elles placent leurs gâteaux. Cette ruche merveilleuse est une espèce de boîte , en forme de cloche plus ou moins alongée , plus ou moins évasée , et solide- ment suspendue par son extrémité supé- rieure à une branche d'arbre. Il y a de ces cloches cartonnées qui ont plus d'un pied et demi de longueur; l'ouverture en est fermée par un couvercle convexe de la même ma- tière : les ouvrières , sur un des côtés du couvercle, ménagent une petite ouverture ronde , qui est la seule porte de tout le bâtiment. Les gâteaux, qui en occupent l'intérieur, sont distribués par étages , comme ceux des guêpes souterraines , mais ils ne sont pas sou- tenus par des colonnes ; faisant corps avec la boîte , ils tiennent immédiatement à ses parois. Le plancher n'est pas formé simple- ment du fond des cellules ou de la partie supérieure des gâteaux , sur laquelle les; DES INSECTES. 229 ^épes se promènent ; on y voit un plan- cher très-uni , qui sert de base aux cellules , dont les ouvertures sont ainsi tournées en en bas : ces planchers , ayant la même con- vexité que le couvercle qui ferme la boîte, ne peuvent dès -lors être plats. La raison de cette convexité est que chaque plan- cher ou chaque gâteau a été lui-même un couvercle; car les sages ouvrières veulent que la boite soit toujours fermée quand elles travaillent à la construction des cel- lules. Qu'on se représente la boîte lorsqu'elle ne contient encore que deux gâteaux ; elle est fort courte, et les guêpes vont travailler à Talonger et à augmenter le nombre des gâteaux. Pour y parvenir, elles prolongent les bords de la boîte, la font descendre par delk le couvercle ; et contre le bord infé- rieur de la partie prolongée , elles cons- truisent un nouveau couvercle par dessus , comme le précédent , qui n'est plus un cou- vercle , mais qui est devenu un nouveau plancher, sur lequel les guêpes vont bâtir de nouvelles cellules. Ce plancher conserve l'ouverture ronde qui étoit auparavant la porte de la ruche , et qui maintenant sert de porte de com-; P 5 23o HABITATION mimication d'un étage à Tautie : chaque étage a aussi sa porte, parce que tous, dans^ leur origine , ont été un couvercle ou un fond de ruche ; les cellules des cartonnières sont hexagones , comme celles de toutes les autres guêpes , et servent aux mêmes usages. Tous les papillons, quoi qu'an en dise^^ ne sont point nés volages et vagabonds. Quelques-uns vivent long-tems en famille dans leur jeune âge. Vers le milieu de l'été , la mère dépose ses trois ou quatre cents œufs sur une feuille de plante; peu après on voit éclore de chacun une très -jolie chenille ; toutes demeurent sur la feuille qui les a vu naître, unies par le même amour de société , et filant aussitôt , de concert , mie toile d'abord très - mince , mais peu à peu fortifiée par l'adjonction de nouveaux 'fils. Cette toile forme enfin une petite tente dont la feuille nouriicière est la base , et qui met à couvert la naissante famille. A mesure que les chenilles prennent de l'embonpoint , le logement s'agrandit par de nouvelles couches de feuilles et de soie , et bientôt voilà une jolie caravane campée sous une multitude de petites tentes qui se DES INSECTES. sjl communiquent toutes par des portes mé- nagées à dessein , et dont les fondatrices seules ont le secret. C'est dans cette douce union fraternelle que les clienilles passent riiyver, couchées mollement les unes auprès des autres, sans mouvement, jusqu'à ce qu3 la nouvelle saison vienne rompre ce lien charmant , et que , conduit par l'amour , le plaisir leur apporte des ailes, des senti- mens et des désirs. Il faut bien aussi dire un mot de l'habi- tation des chenilles processionnaires , ainsi nommées en entomologie , parce que, dans leurs petites excursions, suivant toujours h la file le ruban de soie tracé par la pre- mière , et successivement raffermi par de nouvelles couches , elles semblent marcher eu procession. Bonnet nous a laissé une pein- ture intéressante des habitudes de quelques- unes de ces chenilles processionnaires, dont je reproduis quelques traits. C'est la distribution des couleurs qui dé- corent cette espèce de chenilles , et qui n'imitent pas mal celles des touffes de rubans qu'on porte aux noces de vilfage, qui a déterminé Réaumur à lui donner le nom de livrées. «Vers la fin d'avril lyôS , dit Boiuiet , je rencoutrai un nid de nos che-r P4 ^52 HABITATION niJles livrées, qui paroissoit nouvellement construit; il est formé de plusieurs couches de soie très - minces , et qui ressemblent aux toiles d'araiguée. Ce nid avoit été cons- truit dans les angles que quatre ou cinq petites branches d'aubépine formoient avec la branche principale ; les toiles qui le com- posoient, étoient si transparentes qu'elles ne déroboient pas à mes yeux les petites che- nilles logées à l'intérieur. » Elles étoient fort jolies; vues d'un peu loin, elles sembloient dorées; mais, quand on les regardoit de près, on reconnoissoit que leur couleur n'étoit qu'un beau jaune , ou un jaune très -vif. Observées de plus près encore, le jaune paroissoit distribué par petites raies, qui s'étendoient de la tête à la queue, et qui étoient séparées par de petites raies noires. Elles avoient çà et là de longs poils roux , qu'on n'apercevoit bien qu'en les regardant de côté » . Le savant observateur décrivant les pro- cessions ou marches de ces insectes autour de leurs petites habitations, toujours sur les traces de soie qui les dirigent, s'exprime ainsi : « Il n'y avoit rien de si joli que les cor- dons qu'elles formoient par leurs évolutions DES INSECTES. 233 diverses ,• ils paroissoient à une certaine dis- tance, des traits d'or tracés sur la pierre; mais ces traits étoient tous en mouvement, et les uns étoient tirés en ligne droite, tan- dis que les autres représentoient des courbes à plusieurs inflexions. )) Ce qui rendoit le spectacle plus agréable encore, c'étoit que le cordon d'or, formé par le corps des clienilles, placées immédia- tement à la file les uns des autres, et au nombre de plusieurs centaines, sembloit couché sur un ruban de soie, d'un blanc vif et argenté ; et l'on voit bien que ce ruban étoit un petit sentier tapissé de soie, que ces chenilles sui voient si constamment. Ces princes de l'orient, dont les voyageurs nous vantent la magnificence , ne marchent- ils jamais que sur des tapis de soie?» Tous les matins, au moment où le soleil commençoit à darder ses rayons sur le nid des processionnaires , on les en voyoit sortir en grand nombre, et se promener sur la branche à laquelle il étoit attaché; quelque- fois on eût dit qu'elles alloient abandonner absolument leur berceau. Mais , revenues bientôt et ramenées par l'instinct naturel , elles venoient se jeter avec avidité sur les feuilles qu'on leur avoit préparées , s'en 234 HABITATION nourrir, et après s'en être rassasiées, elle* remontoient au nid, se reposoient sur sa surface , et s'occupoient à tendre de nou- veaux fils qui en fortifioient et en agran- dissoient de plus en plus l'enveloppe efe l'enceinte. C'étoit , sans doute , un coup d'œil très- amusant que de voir ces petites chenilles aller et venir, les unes d'un côté , les autres d'un autre , sans aucune confusion , et , comme les sensibles fourmis , se donner la baiser de famille lorsqu'elles se rencon- troient; mais rien ne peut leur faire porter les chaînes de l'esclavage. L^observateur , ayant voulu les empêcher de s'éloigner, en mettant au milieu d'un bassin plein d'eau le vase où il les avoit assemblées, les pri- sonnières résolurent de franchir l'obstacle; les unes s'y noyoient en essayant de nager , les autres attachant un fil au bord extérieur du vase , se laissèrent tomber le long de ce fil et périrent également dans l'eau. On ne se lassoit pas de les voir prendre leur repos sur la feuille qui leur étoit pré- sentée. Toutes étoient exactement rangées sur une même ligne , en arc de cercle , et si serrées les unes près des autres , qu'il n'y auroit pas eu de place entre deux chenilles D E s I N s E C T E s. 235 pour eu recevoir une troisième. Toutes les petites têtes regardoieiit vers le haut de la feuille, et les deuts de toutes travailloient en même tems; elles ne détachoient que - l'éj^iderme et le parenchyme compris entre les nervures; les dents n'étoient pas encore assez fortes pour entamer la feuille par la tranche. « J'aurois passé , dit le savant genevois ; des heures à jouir de ce spectacle ; mais il arrivoit constamment que ma présence dé- terminoit les petites chenilles à abandonner la feuille qu'elles attaquoient, et à regagner le nid Après qu'elles avoient rongé toute la surface supérieure d'une feuille, elles commençoient à tendre des fils d'un bord à l'autre de la feuille; c'étoit une sorte de tente sous laquelle elles se reposoient. Je crus d'abord que c'étoit un nouveau nid qu'elles s'étoient construit; mais une petite pluie qui vint tomber m'apprit qu'elles ne jugeoient pas cette nouvelle tente suffisante pour les mettre à l'abri; je les vis se retirer toutes dans l'ancien nid». 235 DEFENSE ARTICLE QUATRIÈME. Second moyen des Insectes de défendre leur existence , résister à l'ennemi , par l'usage de leurs organes, Jl»N TRAÎNÉ par le plaisir irrésistible de tiacer ces charmantes images et d'en faire hommage au lecteur, je leur ai donné une étendue qui m'oblige de hâter ma marche et de toucher plus légèrement les autres moyens de défense des insectes foibles et délicats. Qiielqu'amantes de la solitude que soient les larves en général, et quelle que soit leur sévérité dans l'observation de la clôture, il en est cependant que divers besoins , ou peut-être la fantaisie , tirent quelquefois de la profonde obscurité qui les cachoit aux yeux de l'ennemi; malheureusement aussi quelquefois l'aperçoivent- elles ;, et d'assez près , à la première sortie ; alors c'est à l'exercice des organes ou des facultés reçues de la Nature qu'elles confient le salut de leurs jours. Le plus essentiel de ces organes est cer- tainement celui de la vue, et c'est une des DES INSECTES. 357 choses des plus singulières dans la nalion des insectes. Leurs 3'^eux ne sont point en- vironnés d'os ; ils n'ont ni sourcils , ni pau- pières pour les garantir des accidens du dehors ,* mais la tunique extérieure , qu'on nomme cornée', est assez dure pour mettre ces yeux à l'abri des dangers qu'ils auroient à craindre sans cela. L'œil de l'insecte im- mobile et incapable d'aucun mouvement, est amplement dédommagé par la structure de cette même cornée. Ces organes de la vue , ces corps proé- minens , arrondis en portion de sphère qu'où voit de chaque côté de la tête d'un scarabé, d'une mouche ou d'un papillon, observés à la loupe , paroissent comme chagrinés. Chaque corps arrondi offre, à l'extérieur, une membrane formée de l'assemblage d'une multitude presque infinie de petites cornées, encadrées dans les mailles, à quatre ou six côtés, d'un réseau de même matière que la cornée , et transparente comme elle ; et ce sont ces petites cornées qui donnent à l'amas entier , ou à l'œil , l'air du chagrin. De bons observateurs, ayant eu la patience de compter ces petits yeux qui , de chaque côté, ri^n forment qu'un seul, en ont trouvé six mille trois cents soixante-deux sur la tête s38 DEFENSE d'un scarabée ; seize mille sur celle d'une mouche , et trente - quatre mille six cents cinquante sur celle d'un papillon. Alors il est clair qu'au moyen de ce nombre pro- digieux de facettes , quand même on en re- tranclieroit les trois quarts , les objets sont réfléchis de tous côtés , et l'insecte n'a pas besoin de donner à ses yeux difFérens mou- vemens pour voir de toutes parts , et dans tous les sens , le danger qui le menace lors- qu'il en est à portée. Comme dans les autres individus du règne animal la plupart des insectes ont cet organe double ; cependant ce peuple a quelques cj'^clopes qui n'ont qu'un œil , ou s'ils en ont deux , ils sont si bien confondus , qu'ils paroissent n'en former qu'un seul ; tels les monocles dans les entomostracés. Dans les hydrachnes , au contraire , on trouve des insectes garnis de deux, de quatre ou de six yeux véritables. Quelques araignées en ont de six à huit. Ces yeux varient aussi dans leur position. Les cornées des insectes offrent diverses couleurs selon les différentes espèces. Elles sont noires , brunes , grises , cuivrées ; ici c'est l'éclat de l'or , là ce sont les riches couleurs de l'arc-en-ciel; il y a même des DES INSECTES. 2^ grands papillons dont les cornées pliosplio- riques luisent dans l'obscurité. La plupart perdent après la mort Téclat de ces couleurs, et peu à peu elles changent totalement. Il ne faut donc pas en juger le brillant d'après les insectes morts , et que l'on conserve dans les cabinets. Ce changement au reste ne doit pas sur- prendre : la cornée des insectes est écailleuse et transparente comme le verre ; et ce sont les humeurs colorées qui sont sous la cornée qui lui donnent l'éclat dont elle brille. Or, ces humeurs , après la mort de l'insecte , venant à se décomposer et à s'altérer , elles doivent nécessairement changer de teinte , et ne laisser à l'œil que la couleur ternie qu'elles ont elles - mêmes après la vie de l'animal. L'uvée , cette membrane que l'on trouve immédiatement au dessous de la cornée , varie également de couleur dans les différens insectes : elle est rouge chez la plupart des mouches. Cette couleur se répand lorsqu'on écrase la tête de ces insectes ; ce qui a fait croire à quelques personnes que le sang de la mouche étoit rouge. Avant que les yeux de l'insecte l'aver- tissent de l'approche du danger, l'ouïe ne 240 DEFENSE peut -elle pas leur rendre ce bon office? Il faudroit, pour répondre à la question, d'abord se bien assurer si l'insecte a reçu de la Nature ce précieux organe. Quelques na- turalistes paroissent en douter , fondés sur ce qu'il n'est pas apparent ; d'autres n'osent prononcer , disant que , si l'insecte reçoit l'impression des sons, les organes qui servent à cet usage doivent, dans la plupart d'entre eux, être si petits, qu'il est absolument im- possible de s'en convaincre par la vue. Quel- ques-uns avouant qu'il y a des insectes qui semblent réellement afïëctés du bruit qui se fait autour d'eux , demandent qu'on décide si cette sensation est produite par l'ouïe, ou si elle l'est uniquement par l'ébranlement qui se fait alors aux objets , ou aux plans sur lesquels l'animal est placé ; car , dans le dernier cas , cette sejisation ne seroit que l'effet du tact , que les insectes , en général , possèdent au degré le plus éminent. J'avoue ingénument ne pouvoir partager ni la manière de raisonner des uns , ni la pusillaniuiité des autres ,• et sans m'arrêter en ce moment à établir techniquement la réalité de l'ouïe chez les insectes , ce qui n'est pas un des objets directs de ce discours, je me contente de renvoyer le doute sur ce point d'organisation , DES INSECTES. 241 cVorganisation , à l'anecdote avérée de Pélis- son , appi'ivoisaiit à la Bastille une araignée , au son de la musette, dont j'ai parié plus haut : il me semble que ce fait éclaircit une question assez obscure, et que je n'examine ici qu'en passant. Me sera - t - il permis d'invoquer ma propre expérience. J'ai lu à la société phi- lomatique , l'an dernier , un Mémoire sui' la vrillette striée, et sur la manière dont elle produit le son qu'elle fait entendre. J'ai dit que ce n'est point la larve qui cause ce bruit , mais l'insecte parfait; c^est lui que j'ai vu frapper sur le bois sec, avec ses mandibules; et un moment après , j'ai entendu , dans l'intérieur du bois, un bruit semblable lui répoudre : d'où l'on peut conclure , ai - je ajouté, que ce bruit est le prélude des amours de ces petits animaux. Si l'on veut encore se complaire dans le doute sur l'organe de l'ouïe dans les insectes , au moins est-on d'accord sur celui de l'o- dorat; soit que chez eux l'organe récepteur de cette nouvelle sensation soit distinct, soit qu'il se confonde avec celui du goût. Quoi qu'il en soit du mode de perception , la réalité existe de la manière la plus évidente; on voit tous les jours que ces animaux savent 1ns. Tome I, Q 343 DEFENSE distinguer les odeurs , et qu'ils se niouti'ent tous sensibles aux émanations qui les ré- pandent. Parmi eux, les uns, d'accord avec nous , donnent la préférence à celles que nous nommons agréables , et s'y laissent en- traîner avec un vrai plaisir; d'autres, au contraire , se plaisent à flairer l'odeur des choses qui nous répugnent; ils les recherchent avec empressement ; et il n'est pas rare de voir que , pendant que l'abeille est attirée par le thym , l'odeur des camomilles lui est insupportable ; et tandis que le papillon ga- land se pavanne sur une rose et respire sa douce haleine, la mouche se plaît dans des lieux dégoûtans , et bourdonne d'aise sur le fumier infect. On peut aussi sagement con- jecturer que Torgane de l'odorat, si délié et si parfait dans l'insecte, peut quelquefois lui servir à l'éclairer sur l'approche du péril. Au reste, s'il étoit nécessaire d'établir sommairement l'existence de l'odorat chez les insectes, on pourroit rappeler que les dermestes , les bousiers , et les mouches sur - tout , sont attirés de très - loin par l'odeur d'un cadavre en putréfaction. On sait que ce ne peut être la vue qui leur en donne la connoissance , puisqu'on voit vol- tiger ces insectes autour d'une boîte qui D E s I N s E C T E s. 243 renferme de la viande putréiiée. Enfin , ou peut rapporter un fait singulier et certain : des mouches carnassières , trompées par Todeur cadavéreuse d'une plante du genre arum , déposent leurs œufs sur sa fleur , croyant les établir dans les débris d'une créature animale. La vue, Touïe et l'odorat sont donc les premiers et les principaux moyens de défense que la Nature accorde aux insectes, contre les attentats de la force. Souvent ils pré- viennent le péril et l'éloignent; mais aussi il est des accidens imprévus, supérieurs à toute prudence, et où le moment est venu de payer de sa personne. L'ennemi se pré- sente à l'improviste, prêt à fondre sur une proie foible et désarmée ; que faire dans ce cruel embarras? Il est indispensable de choisir entre un de ces trois moyens : fuir , ruser ou combattre. Heureux sans doute, heureux l'insecte qui , au sortir de la coque ou du berceau , déployant des ailes légères et brillantes , peut porter librement ses caprices aux bosquets , aux vergers , sur le bord des ruisseaux , et dans le vague des airs ! Ses jours , chéris des divinités champêtres , n'ont point à craindre d'être tout à coup iqioissonnés à leur pre- 244 DEFENSE niièie aurore; iilés par les amours et les piaisiis, ils De s'éteindront point, au milieu du printems , sous la serre cruelle d'un vau- tour de sa nation. Aux premières approches du ravisseur affamé, l'élégant insecte ouvre les ailes, double de vitesse, fuit et dispa- roît (i). (i) L'aile, qui sert si puissamment l'insecte, en présence de l'ennemi , et le décore d'une manière fi avantageuse , mérite un moment d'attention. Celte pai'tie des insectes, fort peu connue, ne rep- senihle point du tout à celles des autres volatiles. Dans tous les insectes qui n'ont que deux ailes, elles sont membraneuses, c'est-à-dire, tissues d'une membrane très-mince, transparente et Iravei'sée de plusieurs nervures ; telles sont les ailes des mouches. Parmi les insectes qui en ont quatre , les uns, comme les abeilles et les libellules, ont ces quatre ailes mem- braneuses et assez semblables à celles des mouches. Chez d'autres insectes les ailes supérieures n'ont point, ou presque point de transparence et de flexibilité; elles sont dures , opaques, chagrinées au dessus, sans nervures sensibles ; et à la manière d'un étui, enve- loppent les ailes inférieures qui sont membraneuses; on les nomme alors étuis , ou élytres. En volant , l'in- seçle écarte ces deux étuis , étend les ailes de dessous, et tandis qu'il les iigite , les élytres demeurent inac- tives. Ces sortes d'insectes, tels que les hannetons, les capricornes, les coccinelles, se rangent sous la déno- mination de coléoptères. Ces élytres ou étuis sont plus flexibles ctez les DES IHSECT E'S. 245 Que de merveilles incomiues, décoa- Yertes seulement depuis un siècle , renferme m ■ ■ i» sauierelles, les criqaels et les mantes-, elles sont demi- transparentes, et recouvrent des ailes membraneuses , pliées en éventails. Ces insectes sont connus sous le nom d'orthoptères. D'autres fois les élytres ne sont coriaces et opaques que dans leur moitié antérieure. Alor^ elles se oroipint ru::e sur l'autre ; leur extrémité est transparente et membraneuse, comme les ailes qu'elles recouvrent; on les nomme demi-élytres , et hémiptères les insectes pourvus de semblables ailes , comme les punaises , quelques cigales et les nèpes. Avant le secours des verres on n'avoit point apprécié cette poussière qui couvre les ailes des papillons ; on se contentoit de dire que c'étoit un amas de particules irré- gulières , rassemblées au hasard : on sait aujourd'hui que les grains de cette prétendue poussière sont de petits corps réguliers , des espèces d'écaillés lailiées à la manière de celles des poissons, et dont les formes infiniment variées fixent très-agréablement l'œil et îa curiosité de l'observateur. Il en est de rondes , d'oblongues , de triangulaires ; les unes sont planes , les autres canelées , à bords unis , ondes, échandrés ou dentelés. H est même quelques- unes de ces jolies écailles qui semblent imiter la forme du poil des quadrupèdes, ou même les plumes des oiseaux : et assez souvent l'aile d'un seul papillon fournit des exemples , non seulement de toutes ces variétés, mais de bien d'autres encore. Outre tout cela , chaque écaille a un court pédicule Q3 246 DEFENSE cet organe des insectes ! De quel secours ne leur est-il pas pour échapper lestement aux poursuites de l'impitoyable brigand , dont la férocité vient tout à coup troubler les plaisirs innocens de la douce saison. Ainsi les tendresses d'un papillon d'azur et d'une renoncule au front d'or, sont-elles brusque- ment interrompues par l'approche d'un en- nemi vigoureux et cruel ! L'insecte dépité se hâte de donner le baiser d'adieu, étend ses ailes éclatantes , gagne l'ombre du bocage , attend , s'impatiente , revient au parterre , s'abat, où? vers la jeune amante qu'il vient de laisser tremblante et éplorée de son péril ? Hélas ! le papillon paroit avoir si peu de mémoire, que franchement je n'oserois l'assurer. qui s'implante dans la substance même de l'aile , entre deux membranes minces et transparentes dont elle est formée. Lorsqu'on dépouille entièrement l'aile de ces écailles, on ne voit plus qu'une membrane sans couleurs, parsemée de petits trous alignés ré.'juliè- rement , et divisés dans la longueur par des nervures qui imitent celles des feuilles de plantes. Ces petits trous indiquent les endroits oî!i les écailles étoient implantées. Au reste , toutes les écailles sont en recouvrement, les unes sur les autres comme les tuiles des toits 5 qui oseroit , après ce tableau , dire qu'elles sonl jetées et ressemblées au Lar.ard ? D E s I N s E C T E s. 247 ARTICLE CINQUIEME. Résister à V ennemi par l'usage des facultés reçues de la Nature. iVlAis, aa milieu du danger, que fera la foiblesse dépourvue d'ailes et des prompts moyens d'échapper ? La puce sent-elle une main inquiette la presser un peu vivement entre la finesse des plis du linge , d'où elle vient de faire jouer son aiguillon ; l'adroit insecte roule avec sa cuirasse , sous l'im- pression de la main courroucée, attend le moment , le saisit , saute deux cents fois plus loin que la longueur de son corps , disent les naturalistes , retombe sans aucun mal sur sa peau dure , écailleuse et coriacée ; et comme l'amour , la puce cruelle rit en sûreté de la blessure qu'elle a faite et de la colère qu'elle occasionne. L'effort de la puce pour éviter le péril par des sauts rapides et prolongés , suppose nécessairement une force d'articulation à laquelle peut-être n'a-t-on pas encore fait l'attention qu'elle mérite. Les deux faits Q4 548 DEFENSE suivans peuvent en donner quelque idée: Moufïet rapporte qu'un ouvrier anglais , nommé Marc , avoit fait une chaîne de la longueur du doigt , avec un cadenas fermant à clef: une puce garottée par cette chaîne, la traînoit avec facilité. La chaîne et la puce ensemble pesoient à peine un grain. Au rapport de Hoock , un autre mécanicien anglais avoit construit en ivoire un carrosse à six chevaux , un cocher sur le siège avec un chien entre ses jambes , un postillon , quatre personnes dans le carrosse et quatre laquais derrière, et tout l'équipage étoit mis en mouvement et traîné par une puce. A ce spectacle , on ne peut s'empêcher de pro- poser un problême : qu'j'^ a-t-il de plus admi- rable , la force de l'insecte ou la patiente adresse de l'ouvrier? Cette étonnante faculté de la puce de pou- voir , en un clin d'œil , s'enlever , sauter et s'élancer à une très - grande distance , est attribuée par les naturalistes à la longueur de ses pattes postérieures. I^e petit animal , en les pressant du poids de son corps et de la souplesse de ses articulations, les com- prime comme un ressort qui , en se rele- vant avec vivacité , chasse au loin le léger insecte. DES INSECTES. 249 Dans plusieurs autres espèces d'insectes , on voit des ressorts particuliers qui servent au même usage ,• les podures en ont un sous le ventre qui , en se détendant , les fait sauter fort loin; ainsi les larves des libel- lules se meuvent en avant, en chassant for- tement , par l'anus , l'eau qu'elles y ont fait entrer; ainsi les larves des mouches, desti- tuées de pattes , exécutent cependant des sauts assez étendus, par la contraction sin- gulière de leurs anneaux. Ajoutons à ce moyen la force des muscles de la plupart des insectes, qui, semblables à de petites bandelettes élastiques , c-t comme des nerfs moteurs , impriment le mouve- ment à leur organisation. Lyonnet a compté quatre mille quarante et un de ces ressorts dans une seule chenille ; tandis que l'ana- tomie n'en compte que cinq cents vingt- neuf dans la physiologie de l'homme. Mais , de tous les insectes sauteurs, aucun n'offre plus de curiosités que certains coléop- tères à qui l'entomologie moderne a donné le nom de taiipins, et qu'on appeloit autre- fois scarabées à ressort. Il n'est plus ici seu- lement question de faire sauter une petite puce, mais d'enlever rapidement un insecte dix fois plus grand. 25o DEFENSE Si , au moment où l'animal posé sur une fleur se nourrit de ses sucs, il sent une main le toucher , on le voit se laisser tomber sur le dos et contrefaire le mort : se croit-il hors de danger , il songe à se relever ,• de quelle manière ? Avec le secours de ses ailes mem- braneuses , ou de ses élytres écailleuses très- dures et un peu convexes ? Il n'y pense pas ; soit que la Nature ait voulu qu'il employât un moyen plus singulier , soit que sa posi- tion sur ces organes l'empêche de les dé- ployer et de les appeler à son secours. Que ne fait-il jouer ses pattes , et s'accrochant à quelque corps voisin, que n'essaie -t- il de se relever ? Par malheur pour lui , ces pattes sont trop courtes, et ne peuvent s'étendre jusqu'aux objets prochains. Que fait-il donc? L'insecte détend un ressort secret , qui l'en- lève perpendiculairement, et le laisse re- tomber juste au point d'où il est parti pour faire son saut. Retombe-t-il sur ses pattes , l'aventure est bonne , le voilà remis sur la route de ses habitudes. La chute est - elle moins heureuse , et le taupin se retrouve-t- il sur le dos , le ressort joue de nouveau , et ainsi de suite jusqu'à ce que, comme dit le proverbe , il retombe sur ses pieds. Une singularité encore bien digne d'attention , DES INSTICTES. aSi c'est que cet insecte ne peut ainsi sauter que lorsqu'il est sur le dos ,• car , quand il peut marcher, ce qu'il ne fait que très- lentement , les ailes lui sont données pour abréger sa route. Or que penser, que dire d'un phénomène pareil ? Les observateurs en donnent une explication, qui, pour être entendue aisé- ment, demande quelques connoissant^es pré- liminaires sur l'organisation du taupin. Le corselet de cet insecte , ou la partie du corps qui est immédiatement après la tête , est terminé , de chaque côté du bord postérieur , par une pointe en forme d'épine roide ; et en dessous , précisément au centre du bord postérieur, il est garni d'une troi- sième pointe 'longue , roide et très - diu'e. Cette pointe , large à son origine , diminuant peu à peu de grosseur, et terminée en pointe un peu arrondie , est placée dans la même ligne que le corps, et se prolonge vers la poitrine , beaucoup au delà du bord du cor- selet. Une petite éminence en forme de dent se fait apercevoir en dessous , et près de son extrémité : un trou ovale , assez profond , dont le bord postérieui^ est arrondi , et l'an- térieur échancré, se présente sur la poitrine, entre son bord antérieur et la base des deux 553 DEFENSE pattes intermédiaires. C'est dans cette partie que la pointe du corselet s'enfonce , quand l'insecte baisse la tête et le corselet, soit qu'il marche, soit qu'il demeure en repos. Voici actuellement la mécanique de tous ces ins- trumens. Le taupin se trouvant sur le dos, et comme je l'ai dit, ne pouvant, pour se relever, faire usage de ses ailes ni de ses pattes, mais se livrant à son instinct, baisse la tête et le corselet vers le plan de position ; ce mou- vement fait sortir entièrement la pointe du corselet du trou ovale; en même tems l'in- secte , appliquant ses pattes contre le dessous du corps , les y tient fortement serrées ; rap- prochant ensuite le corselet de la poitrine , en sorte que la dent de la *pointe vienne s'appuyer sur le bord du trou , il la pousse vivement contre ces mêmes bords ; alors la dent se débande rapidement, et la pointe rentre dans sa cavité, comme par un ressort. Ce mouvement s'exécutant avec vitesse , le corselet avec ses pointes latérales , la tête et même une partie supérieure des ély très , se heurtant fortement contre le plan de résis- tance , elles font , par leur élasticité , élever le corps en l'air. Qu'on s'amuse à prendre sur la main un DES INSECTES. 253 de ces taupius; qu'on l'y tienne un mo- ment renversé , et l'on jouira du jeu vif et prompt de tout ce mécanisme; au reste, mieux vaudroit le placer sur une piéride ; car plus le plan de position est dur, plus il résiste , et plus le saut du taupin est élevé; Ja raison en est évidente. Parmi ces singuliers animaux , on en con- noit quelques-uns qui , comme les lampyres, ont la faculté de briller. Deux petites taches jaunes , arrondies , saillantes , placées sur le corselet , et qui luisent dans l'obscurité tant que l'insecte est vivant , sont les deux petits flambeaux que difïërentes espèces de taupins tiennent de la Nature. Si on en croit plu- sieurs auteurs distingués , la lumière jaillis- sante de ces deux fanaux est si forte et si brillante, qu'elle permet de lire la nuit les caractères les plus iins , sur -tout quand on tient huit ou dix de ces phosphores dans un flacon d'un verre bien clair et bien poli. On atljape aisément ces insectes à la lueur d'un flambeau, qu'ils ne manquent jamais de suivre , connue font les phalènes. M. Browa rapporte que les indiens s'en servent dans les voyages nocl urnes, en les attachant à leui- chaussure ; et que les femmes travaillent 254 DEFENSE il la lueur qu'ils répandent. Le même auteur ajoute que cet insecte a le pouvoir de luire à volonté ; en ce cas , cette faculté lui est commune avec le lampyre. D'autres insectes de la famille des cigales , les fulgores , pos- sèdent bien plus éminemment, suivant quel- ques auteurs , cette propriété phosphorique. DES INSECTES. 255 ARTICLE SIXIEME. Résister à V ennemi par Fusage de quelques armes naturelles. X ou s les détails intéressaiis que nous ve- nons de parcourir amènent naturellement à uue nouveUe question : qu'a fait la Nature pour la défense de l'insecte qui , moins favo- risé que les précédens , n'a ni le privilège des ailes , ni la faculté du saut ? Que faire en présence de l'ennemi qui déjà le dévore des yeux ? et que reste-t-il à l'insecte ? Du courage et plusieurs moyens d'en tirer un grand parti. Parmi ceux qui ont reçu des moyens par- ticuliers de défense , nous remarquerons la chenille du fenouil ou celle du papillon ma- chaon. Elle est de grandeur médiocre, lisse, de couleur verte , ayant sur chaque anneau une raie transversale noire , et chaque raie coupée par des taches d'un rouge orangé; cet insecte se trouve sur le fenouil , qui est sa nourriture très-ordinaire. Sa tête est armée dans la partie antérieure d'une corne charnue , mobile en tout sens , fi56 DEFENSE composée de deux branches , réunies à une tige commune, et formant ensemble la figure d'une Y. Cette corne singulière par sa con- sistance , ses mouvemens et sa cavité , assez ressemblante à celle du limaçon, est ordi- nairement cachée sous sa peau , et en sort à la volonté de l'animal ,• elle est d'un demi- pouce de longuem^, présente deux branches assez déliées , lorsqu'elles s'alongent entière- ment; alors on les voit sortir par une longue et large ouverture , près du bord antérieur du premier anneau ; chaque branche rentre en elle - même , et toutes deux s'enfoncent dans la tige d'où elles partent. Dès que le tout est rentré, l'ouverture de l'anneau dis- paroît. ((Lorsque je pressois cette chenille, dit Bonnet, près de sa partie antérieure, elle dardoit sa corne comme si elle eût voulu s'en servir pour me piquer ; elle la dirigeoit vers mes doigts; mais elle la retiroit bien vite dans son intérieur dès que j'essayois de la presser. Je remarquai que cette corne avoit une odeur très-forte de fenouil , que le corps de la chenille me faisoit aussi sentir , mais moins fortement » . On ignore sans doute toutes les vertus et tous les usages de cette corne fourchue , dont la grandeux^, la flexibilité et le jeu supposent des DES INSECTES. 257 3es propriétés importantes. On sait seule- ment que cette corne sert à la chenille pour éiDouvauter et mettre en fuite les insectes qui l'importunent, et dont la peau tendre est sensible aux plus légères impressions. On sait sur -tout que cette corne donne la chasse aux cinips et aux ichneumons qui tenteroient de piquer la chenille pour intro- duire leurs œufs dans son intérieur. La chenille du bombix à queue fourchue a un tout autre genre de défense et d'ar- mure. Elle se nourrit sur le peuplier et le bouleau ; son corps est d'un très-beau verd sur les côtés et d'un gris rougeâtre sur le dos. On remarque deux lignes blanches qui s'étendent depuis la tête jusqu'à l'extrémité; elles forment de chaque côté du corps plu- sieurs angles et quelques taches rougeâtres autour de la tête. Son corps, gris dans la partie supérieure , diminue jusqu'au bout, et se termine par deux pointes en forme de queue, renfermant deux corps charnus que la chenille fait sortir à volonté , et dont elle se sert au même usage que la chenille à fenouil emploie sa corne , par rapport aux tentatives des mouches. L'ennemi du bombix paroît-il insen- sible aux coups réitérés de sa double queue, Ins. Tome L R 258 DEFENSE et l'attaque - 1 - il de près, l'insecte ne perd pas la tète , et tout à coup lançant vive- ment de son corps des jets d'une eau mise en réserve pour le moment du péril , il déconcerte et met en fuite son agresseur. De Géer raconte qu'un jour, incommo- dant une pareille chenille, il la vit se fâcher et lui lancer, précisément dans Fœil, deux gouttes de cette liqueur , dont il dit ignorer la propriété. Elle lui a paru claire, sortir de près de la tête ; mais quelques tentatives qu'il ait faites depuis pour s'en assurer , il n'a jamais pu y réussir, aucune des chenilles qu'il a examinées n'en ayant fait usage. Le staphilin, dès qu'on le touche, relève mi ventre menaçant et en fait sortir deux vésicules. Le bouclier, ainsi que le mcro- phore , exhalent une odeur très - forte et très- désagréable qu'ils contractent en fouil- lant sans cesse les cadavres putréfiés et les viandes corrompues. Essaie-t-on de les ma- nier , on voit sortir par la bouche une goutte d'une liqueur noire , bourbeuse et puante, que l'on croit destinée à hâter la putréfaction des chairs sur lesquelles ils la déposent , afin de préparer une nourriture qui leur convienne. On connoît de grandes fausses chenilles, D E s I N s E C T E s. aSg qui, quand on les toujinente, font jaillir a^sez loin , même de différens endroits de leur corps, un suc désagréable et très-propre à faire fuir les assaillans. Plusieurs sortes de chenilles à seize pattes ont aussi sur le coips différentes rangées de tubercules ouverts par l'extrémité , au bout de chacun desquels , quand on les touche, elles font paroitre une goutte d'une humeur laiteuse, dont souvent l'odeur est absolument insupportable. Il pa- roît cependant que cette liqueur leur est pré- cieuse; car, dès que le danger disparoît, elles ont un grand soin de les faire rentrer par les mêmes canaux que ceux qui en ont dirigé l'éjaculation. La fausse chenille de l'osier, observée par Bonnet en lySS , et dont on ne trouve point la notice dans les Mémoires de Réaumur, mérite d'être distinguée parmi celles qui sont armées de liqueurs défensives. Celle-ci a environ dix -huit lignes de longueur lors- qu'elle est étendue, et sa grosseur est à pro- portion. C'est assurément une fort grande taille pour une fausse chenille , car parmi ces insectes on ne connoit aucune espèce qui approche des dimensions de celles des plus grandes chenilles. Celle dont il s'agit ici a vingt-deux jambes,* 26o DEFENSE les membraneuses n'ont point de crochets i mais les écailleuses sont garnies d'une petite griffe noire, fort aiguë, qui aide merveilleu- sement la chenille à se cramponner. Tout le corps est jaune, excepté le dos où s'étend une raie d'un beau bleu. La position la plus ordinaire de la fausse chenille de l'osier est fort singulière; elle se tient toujours roulée sur elle-même, en sorte que sa tète appuie sur son derrière , et que les jambes écailleuses le saisissent si fortement, que leurs griffes s'incrustent dans la peau, sans néanmoins que l'insecte paroisse en souf- frir. Si on tente de déranger cette attitude et de dérouler la chenille , d'abord on sent une résistance qui fait redoubler ses efforts. Si l'on vient à s'obstiner , on risque de rece- voir , de différentes parties de son corps , des gouttelettes d'une liqueur limpide qu'elle tâche de lancer contre vous. Cette liqueur n'est point de nature à faire élever des am- poules sur la peau. Il est souvent arrivé au savant observateur d'en recevoir sur le visage , et jamais il n'en a éprouvé aucun mal. On trouve très-ordinairement cette fausse Cjhenille cramponnée à une menue branche d'osier; elle y est roulée comme autour d'un DES INSECTES. 261 axe. Si l'on entreprend de la détacher , il est nécessaire d'user de violence pour l'en arracher. Le carabe pétard , commun à toutes les régions de l'Europe , est l'insecte le plus propre à semer l'épouvante au milieu de ses ennemis. C'est une artillerie ambulante ,• car, dès qu'on lui touche le ventre, ou qu'on le prend dans la main , on voit sortir avec éclat de son derrière une fumée bleuâtre, qui fait un bruit aussi fort que celui d'un peu de poudre à canon qui prend feu. Cette explosion singulière , le petit volcan la répète plus de vingt fois de suite, et aussi long- tems qu'il se sent gratter le dessus du corps. Le carabe inquisiteur, fort carnassier, est son ennemi déclaré. Rolander observe que, lorsqu'ils se rencontrent , le bombardiei' fait jouer la pièce dont la fumée arrête l'assail- lant et donne le tems au pétard de faire une sage et prompte retraite; car, s'il donne à l'antagoniste le tems de se reconnoître et de braver la foudre, l'insecte tonnant suc- combe et devient la proie du redoutable inquisiteur. On peut croire que la plupart des moyens de défense que je viens de parcourir sont suf- R 5 262 DEFENSE fisans pour garantir les insectes des attaques de leurs semblables ; mais qui les mettra en état de résister à leur ennemi le plus cruel, à l'homme, perpétuellement occupé ou à les détruire ou à les tourmenter? Qui les préservera des persécutions de l'enfance , de la curiosité de l'observateur et du scalpel de l'anatomiste? L'insecte tient de la Nature, pour cet effet , deux armes offensives ou défensives dont il fait un très-grand usage ; l'aiguillon et la liqueur venimeuse. L'aiguillon, que portent le plus grand nombre des hyménoptères , est placé à l'ex- trémité du ventre où il se trouve caché. Les abeilles , les guêpes l'ont très-fort. Il se compose de trois pièces : les deux extérieures, creusées en gouttière dans leur intérieur, forment, en se réunissant, la gaine de la pièce intermédiaire; cette pièce est l'aiguillon proprement dit , arqué , dur et foit pointu. Le microscope fait voir que sou extrémité , loin d'être lisse, est au contraire armée de petites dents ou épines, se dirigeant vers la base, comme le fer d'une flèche, et comme lui, demeurant dans les chairs lors- qu'il y a pénétré. C'est à la naissance ou à la base de cette arme, et dans l'intérieur du ventre, que se trouve toujours une petite D E s I N s E C T E s. a65 vessie qui contient une liqueur acre, veni- meuse et inflammatoire. Les mêmes muscles qui , à la présence de Tennemi , font sortir l'aiguillon du fourreau , l'enfoncent dans son corps , compriment la vésicule venimeuse, et font couler le long du dard les gouttes de poison dans la plaie. Est-ce un petit assaillant dont la foible cora- plexion ne puisse résister au venin ; il périt : au contraire, le blessé est-il grand et fort , il en est quitte, vu la petite quantité de poison relativement à son volume, pour quelques tourmens ou une inflammation passagère. Malheuieusement ici , le courage et la vengeance succombent en triomphant. Les pointes de l'aiguillon étant dirigées de bas en haut, Tempéchent de pouvoir se retirer de la blessure. Il y demeure avec tous ses accessoires ; et les muscles qui le font agir, continuant leur mouvement, quoique séparés du corps de l'insecte , l'enfoncent davantage et font empirer le mal. Celte violente séparation de son arme et le dé- chirement qu'elle occasionne, ne tardent pas à faire périr le malheureux insecte. On demande d'où vient à ces innocens animaux cette tumeur vénéneuse ou caus- tique dont plusieurs d'entre eux sont abon- R 4t 264 DEFENSE damment pouin^us. La réponse à cette de- mande est au dessus de nos forces. Nous counoissons trop peu les opérations de la Nature , pour expliquer la manière dont se font ces sécrétions. Quelques naturalistes prétendent que les insectes qui exhalent une odeur désagréable, en opposition à ceux qui en répandent d'aussi douce et d'aussi suave que celle de la rose , sont eu même tems pourvus de liqueurs empoisonnées. On observe que d'autres ont des propriétés acides, quoiqu'ils ne laissent échapper aucune vapeur repoussante. Ainsi , des fourmis ont une odeur de musc , et sont pourvues d'un acide particulier que les cliî- mistes a.])ipe\lentjhrmiçue. On peut s'en assu- rer , ou en mettant sur sa langue une de ces fourmis qu'on aura écrasée , ou en laissant courir un de ces animaux sur un papier bleu; ces sillons rouges qui se manifestent sur la route qu'a tenue la fom^mi , sont une démonstration palpable de la liqueur et de l'acide qu'elle a versés sur ses pas. Laissons aux grands maîtres , au tems sur-tout, le soin de nous dévoiler le prin- cipe des humeurs venimeuses des insectes. Nous observerons seulement que ce prin- cipe de causticité réside plus fortement dans DES INSECTES. 265 quelques insectes à élylres , que plusieurs d'entre eux ont la couleur et Téclat métal- liques. Qui ne connoît l'action cautérisante , ou si Ton veut vésicante des mouches cantha- rides, même réduites en poudre? On retrouve la même propriété , avec plus ou moins de vertus dans les carabes, les cicindèles, les my labres et les méloës. Ces observations , sur les liqueurs dange- reuses que versent quelques insectes , ne doivent pas détourner les curieux et les jeunes élèves de l'entomologie du cours de leurs études, ni leur faire redouter ces perni- cieux élancemens. La seule précaution à prendre , c'est de faire en sorte que le jet venimeux ne puisse atteindre à l'œil , où il pourroit causer au moins des inflammations fort désagréables. Quant aux autres parties du corps , comme les mains , la dureté de la peau résiste facilement ii l'action vési- cante qui , d'ailleurs , ne peut développer toute son énergie qu'au bout d'un assez long tems. Il n'en est pas ainsi du scorpion , le plus redoutable des insectes venimeux. Il est certain que , quoique sa blessure ne soit pas toujours aussi nuisible qu'on le pense , cependant les expériences, que je rappellerai 266 DEFENSE sommairement , prouvent qu'il est prudent d'éviter ses approches. Le scorpion , dont ce n'est pas ici la place de donner la description exacte et correc- tement circonstanciée , ressemble assez à l'é- crevisse , excepté que le corselet est plus long et plus délié ; les bras armés de deux pinces moins longues , et la queue plus mince et plus alongée. Les scorpions euro- péens n'ont guère plus d'uu pouce de lon- gueur ; mais les indiens en ont quatre ou cinq. Ils ne se plaisent que dans les régions chaudes des deux hémisphères , et ne parois- sent ni dans le nord , ni même dans le pays tempéré. Son abdomen est terminé par une queue de la longueur du corps de quelques espèces ; dans d'autres plus courte , et souvent plus longue. Elle est formée de six articles presque cylindriques. Le dernier est une masse ovale, terminée par un aiguillon assez long , un peu arqué et fort pointu. Cette queue est mobile en tout sens , à la volonté de l'in- secte. Maupertuis , qui s'est attaché à l'observer , dit que le dernier article , de forme ovale , de la queue du scorpion peut être comparé aune petite fiole , dont l'aiguillon est le cou. D E s I N s E C T E s. 267 L'aigiùllon, qui a la forme d'un grand cro- cliet, recourbé en arc et pointu , a près de son exlrémité deux petits trous, un de chaque coté. C'est par ces deux ouvertures que le scorpion répand sur la blessure une liqueur transparente et souvent venimeuse , ren- fermée dans le dernier article de sa queue. On diroit que cet insecte est naturellement mal-faisant ; car, soit qu'il marche , ou qu'il soit en repos , on le voit toujours porter cette queue fatale , retroussée ou courbée en arc vers la tête; en sorte que dans cette position habituelle la pointe de l'aiguillon, se trouvant dirigée en bas , est toujours prête à tomber sur les animaux ou sur les insectes dont il veut se saisir pour en faire sa proie , et même sur les hommes dont la présence le blesse ou l'incommode. Maupertuis et Redi ayant attentivement analysé par expérience le venin du scor- pion, il résulte de leurs recherches que les espèces d'Europe ne sont point dangereuses pour l'homme. On voit tous les jours les paysans de la Toscane jouer avec le scor- pion indigène et s'en laisser piquer, sans en éprouver aucun mal. Ceux d'Afrique sont quelquefois beaucolip plus à craindre. De jeunes pigeons, piqués par un scorpion J268 DEFENSE des environs de Tunis , expirèrent dans des vertiges et des convulsions, cinq heures après ]a piquure. Cependant Redi a vu d'autres pigeons , attaqués par le même insecte , ne ressentir aucun mal de la blessure. Il est bien à présumer qu'alors le scorpion étoit épuisé de la liqueur mortelle ; car les pigeons qu'il piqua le lendemain , et après le repos de la nuit , moururent comme ceux dont je viens de parler. Les expériences de Maupertuis se firent sur des cliiens et des poulets. De tous ces animaux piqués par des scorpions d'Europe, aucun ne périt qu'un chien qui, blessé à la partie du ventre qui n'est pas recouverte de poil , fut piqué par un de ces insectes irrité. liC reste , même les foibles poulets , blessés à plusieurs reprises par des scorpions frais , pris à la campagne et mis en fureur, n'en reçurent aucun dommage ; preuve sans réplique que la liqueur de la queue des scorpions non seulement n'est pas toujours mortelle pour de foibles animaux , mais que souvent même elle n'est nullement dangereuse. Le genre de mort du chien dont parle Maupertuis mérite d'être observé. Une heure après qu'il fut piqué ; dit ce célèbre DES INSECTES. 269 pliysicien , on vit l'animal chancelant et considérablement enflé. L'estomac et les intestins rendirent tout leur dépôt. Pendant trois heures se succédèrent de fréquens vo- missemens d'une espèce de bave visqueuse ; l'extrême tension du ventre , diminuée à chaque vomissement s'enfloit, de nouveau. Après trois heures environ de ces alterna- tives , les convulsions parurent , le chien mordit la terre , se traîna sur ses pattes de devant , et mourut cinq heures après. L'intérêt de l'humanité nous fait regreter que l'observation n'ait pas été poussée plus loin. Il eût fallu faire ouvrir le corps de la victime , rechercher les effets du venin , et s'efforcer ensuite de trouver un remède ca- pable de combattre sa malignité , lorsqu'elle s'attaque à l'homme et même à des animaux qui méritent notre attachement ou sollicitent nos soins bienfaisans. Mais que penser de l'assertion fort ré- pandue, que le scorpion , ceint d'un cercle de charbons enflammés, s'agite vivement , et ne pouvant supporter la chaleur ni échapper, se blesse et se tue ? Maupertuis , qui en a fait l'expérience , assure que c'est mi conte popu- laire , et rien davantage. S'il en faut croire quelques témoignages. 270 DEFENSE on Irouveroit uue autre preuve de la féro- cité naturelle du scorpion , en ce que ce cruel insecte dévore sa progéniture à me- sure qu'elle naît, et que souvent il s'attaque vivement à ceux de sa race. Maupertuis raconte qu'en ayant renfermé une centaine, en champ clos , peu de jours après il n'en retrouva que quatorze , le reste étoit dévoré. Les mouches , les cloportes , les araignées sur-tout, sont l'aliment ordinaire du scorpion. Dès qu'un de ces derniers insectes paroît, le brigand se jette sur lui avec une sorte de fureur aisée à remarquer. La grosseur de l'araignée ne peut la sauver de la mort; souvent mi petit scorpion l'attaque hardi- ment , la saisit avec une de ses antennules , quelquefois avec les deux à la fois ; l'araignée, usant de ses forces , ose-t-elle lui faire résis- tance , elle est à l'instant percée de l'aiguillon recourbé par dessus la tête de l'agresseur, et meurt à ses pieds ; bientôt ressaisie avec les antennules qui la portent à la retraite du scorpion , elle devient alors sa délicieuse pâture. On connoit huit à dix espèces de ces in- sectes, presque toutes exotiques. Qui peut, d'après tout ce qu'on vient de dire , s'em- pêcher de gémir sur la fécondité de la DES INSECTES. 271 femelle , dont la portée , selon Maupertuis , et d'après ses expériences , s'élève à un nombre prodigieux ; puisqu'il dit avoir trouvé dans le corps des mères qu'il a ou- vertes, depuis vingt-cinq jusqu'à soixante^ cinq petits. 573 DEFENSE ARTICLE SEPTIÈME- Résister à V ennemi par la ruse. JLii me reste à parler d'une dernière tribu d^insectes, de ceux qui, pour leur défense, n'ont reçu de la Nature ni la légèreté du saut, ni ailes, ni armes, ni forces, ni cou- rage. Ces petits animaux , intéressans par leur foiblesse même , seroient-ils donc abso- lument abandonnés aux rigueurs d'un destin cruel, et ne leur resteroit-il rien qui pût les aider à garantir leurs jours d'un million d'accidens qui si souvent les menacent ? Qu'ont-ils donc en partage? la ruse et tous les moyens ingénieux qu'elle suggère. Les uns tâchent d'éviter l'œil perçant de l'ennemi par les couleurs simulées qu'ils lui présentent ; par une forme de corps qui le trompe ; par des chûtes volontaires qui les font disparoître ; enfin par l'apparence de la mort dont ils savent, àtems, s'envelop- per. Voyons les détails , voyons en pratique la maxime célèbre du chantre d'Enée : Dolus an vîrtus quis in Jioste requirat. La ruse ou la valeur. . . j tout est bon à la guerre. Plusieurs DES INSECTES. 275 Plusieurs larves , fort peu curieuses de la brillante ondulation des anneaux de quelques insectes , non plus que des superbes livrées du papillon qui attirent trop les j-egards , ont à se réjouir de n'avoir reçu de la Nature que des émaux ternes et des couleurs éteintes. En les confondant avec la plupart des objets champêtres, ils empêchent les regards de la force de les distinguer et de les dévouer à la mort. Ici , c'est une robe verte qui se perd dans les tapis de la prairie; là, c'est une teinte brune , fondue dans la nuance naturelle du terrain; plus loin, vous trouverez quelque chose de plus surprenant. Fixez avec complaisance cette rose fraî- chement épanouie, l'ornement du jardin et les délices de la Nature ; comme elle est jolie, comme elle est modeste, comme, de son sein encore demi-voilé , s'échappent les plus douces émanations du printems. O fleur charmante , qui oseroit souiller l'éclat et la pureté de ta pourpre innocente ?Qui oseroit? regardez ; le profanateur n'est pas loin ; je vois une chenille dégoûtante appliquée sur la branche du rosier , absolument de la mêine couleur, au point de n'en pouvoir être dis- cernée que par le coup d'œil le plus exercé ; elle se cache aux poursuites de l'ennemi, Jns. Tome I. S 274 DEFENSE trompe ses regards , et s'apprète à monter fortivenient au trône de la rose, et jusques sur les festons de son diadème. On voit d'autres chenilles qui doivent à la forme de leur corps la paix dont on les laisse jouir. Les larves arpenteuses sont sur- tout remarquables par des attitudes qui prouvent la grande force de leurs muscles, et servent à les dérober aux regards mal- veillans. Tantôt , toutes les pattes crampon- nées sur de petites branches, et le coi-ps élevé verticalement, elles demeurent im- mobiles des demi -heures entières; tantôt, plaçaut leur corps dans mille autres positions singulières, on les prendroit pour de petits morceaux de bois, ce qui leur fait donner le nom ^arpenteuses à bâton. Quelques-unes ont des tubérosités qui les font ressembler à de petits bâtons raboteux ; d'autres ont sur le corps des tubercules en forme de bosses sur un ou plusieurs anneaux, qui imitent, à s'y tromper, les nœuds et les bourgeons d'une petite branche. La phalène soufrée , qui vit sur le rosier et sur le sureau, porte quelques tubercules minces et assez longs. En repos , elle a toute l'apparence d'un morceau de bois sec. Cette chenille, qui passe l'hyver sans manger et D E s I N s E C T E s. 27S. ne reprend la nourriture qu'au printems , est d'une couleur jaune et soufrée , répandue sur toutes les parties de son corps; ses ailes supérieures sont marquées de deux lignes d'un jaune foncé, et au milieu du commen- cement d'une troisième; les inférieures, qui n'en ont qu'une , se terminent en angle saillant en forme de queue , avec deux pe- tites taches orangées , bordées de brun. Le cloporte armadille , d'un gris foncé luisant, avec le bord des anneaux un peu plus clair, dès qu'il est touché, roule son corps en boule, en rapprochant la tète de la queue ; alors on ne voit plus ni pattes , ni antennes, et on le prendroit pour une graine noire et luisante ; il demeure dans cette situation tant qu'il soupçonne du danger. Les Jules qui ont quelque rapport avec les scolopendres, et qu'autrefois on nommoit millepiecls à cause du grand nombre de leurs pattes , marchent néanmoins très-lentement. Lorsqu'ils se mettent en mouvement, ils font agir leurs pattes l'une après l'autre régulièrement, et chaque rangée forme unç espèce d'ondulation. On les voit en même tems agiter leurs antennes, sans doute pour làterle terrain et les corps qu'ils rencontrent. Sans leurs pattes, ou prendroit les jules, à S 2 '27^ DEFENSE corps cylindrique dans leur repos , pour dé petits serpens , parce qu'ordinairement re- pliés en spirale sur eux-niénies, et la tête au milieu, ils imitent. l'attitude de repos de ce reptile. Les buprestes, ainsi nommés d'un ani- mal auquel les anciens attrib noient la pro- priété de faire périr les bœufs, se trouvent sur les arbustes, les buissons ou les fleurs, et se défendent d'une iijanière nouvelle. Les approche - 1 - on , ils se laissent tomber dans les broussailles , se perdent et ne repa- roissent qu'après le danger. Rien de plus somptueux que leur vêtement; on y voit éclater un mélange éblouissant des couleurs les plus Hches, assorties au poli de l'or, aux reflets de l'azur et de l'émeraude; et cette magnifique parure a engagé Geoffroy à leur donner le nom de richard, quoique l'ancienne dénomination paroisse avoir pré- valu. Les chenilles arpenteuses ne sont pas si farouches; on peut les approcher, mais à peine se sentent - elles touchées , à peine même imprime-t-on le moindre mouvement à la feuille qui leur sert de lit, qu'elles se laissent tomber pour se soustraire à la cap- tivité ou à la mort; cependant ou remarque DES INSECTES. 277 qu'elles ne se laissent pas tomber à terre comme le richard ; elles ne font que des- cendre jusqu'à l'endroit qui peut les cacher aux yeux du ravisseur ; et cela en se laissant couler le long d'un cordeau de soie attaché à la feuille , toujours prêt à les soutenir et à diriger sûrement leur fuite, et à les ra- mener au domicile à l'heure de la paix. C'est au moyen de ce cable soyeux que ces chenilles descendent des arbres les plus élevés jusques à tarre , et qu'elles y remontent sans faire usage de leurs nombreuses pattes. Tout cela se fait très - lestement et très- vîte : l'insecte , saisissant le cordeau régula- teur entre les dents le plus haut qu'il peut, et l'entortillant autour de ses pattes mem- braneuses avec une adresse infinie, monte au jeu de ses anneaux , ariive , débarrasse ses pattes, et pour reconnnencer le voj^age, il se confie de nouveau au secours du fil de soie. Enfin, si tous les moyens, si tous les procédés de défense dont j'ai parlé sont inutiles; si la main ravissante s'est saisie d'un insecte, il ne lui reste plus qu'iai parti à prendre,* c'est, pour éviter la mort, d'en paroi tre la victime, et de se faire aban- domier. S 5 37» DEFENSE C'est à cette dernière supercherie qu'a recours le dermcste, si tristement fameux par ses dégâts terribles dans les collections d'histoire naturelle et les dépôts de pelle- teries. De concert avec les anthrènes, ces ]arves détruisent les oiseaux , les quadru- pèdes et les insectes desséchés ; rongent tout , et ne laissent que des squelettes parfaits. Dès que le dermestese sent touché, il retire promptement ses antennes et ses pattes sous son corps , reste sans mouvement et paroît mort. Quelquefois il est absolument impos- sible de le tirer de cette inaction qu'en le piquant vivement , ou en l'exposant à une grande chaleur ; alors le dermeste se relève, étend les pattes et cherche à s'en- fuir. Il n'en est pas ainsi de la vrillette, ainsi nommée par Geoffroy , parce qu'elle fait des trous ronds dans le bois, comme les feroit une vrille. Au printems les maisons sont pleines de ces insectes ; on les y voit se pro- menant sur les fenêtres et sur les boiseries. A peine touché, il retire sa tête sous son corselet , applique ses jambes contre ses cuisses, cache ses antennes entre la têle et les rebords inférieurs du corselet, et de- meure très-long-tems dans cette attitude;, DES INSECTES. i^'Jç^ sans faire le plus léger mouvement, au point qu'on le croit réellement mort. De Géer assure que ni le feu , ni Teau, ni aucune espèce de tourmens ne sont capables de tirer l'insecte de cet état de mort appa- rente, ni d'en arracher le moindre signe de vie. Dès qu'il se croit seul et tranquille, il s'éveille , commence à remuer , se remet en marche , mais mollement et avec une espèce d'indolence. A la vue de cette fermeté, vraiment héroïque, avec laquelle la vrillette souffre toutes les sortes de tortures, j^Iutôt que de laisser échapper le plus léger indice de sentiment, on ne peut s'empêcher de s'écrier ; a Tant l'horreur du trépas, tant la passion de la vie peuvent inspirer de force et de résolution, même à ce qu'on a cou^ tume de nommer de misérables insectes ! » S 4 28o CONCLUSION. CONCLUSION. jlLn reportant les regards et l'observation sur la variété des esquisses que je viens de tracer, il est aussi impossible à l'écrivain qu'au lecteur, de ne pas se livrer à une foule de réflexions intéressantes , et d'où l'on voit naître un aussi grand nombre de problèmes, qui se réunissent pour tourmenter vivement la curiosité. Dans le vaste tableau de l'entomologie , combien de spectacles , d'aperçus et de découvertes si long - tems ignorés ! com- bien de mœurs et de nations différentes ! combien de talens, d'industrie et de res- sources ! mais aussi combien de persécu- tions , de fureurs et de cruautés , qu'aucun pacte, aucune trêve ne peuvent assoupir un seul instant ! Dans cette guerre interminable entre les insectes de la même espèce ; dans ce brigan- dage éternel , jamais interrompu , jamais assouvi , ô bonne Nature , où reconnoître l'ouvrage d'une mère tendre et prévoyante? où retrouver l'empreinte de la sagesse et de CONCLUSION. 281 la bienfaisance , qui , depuis le règne du tems , président à l'ordre des êtres et à Fcco- nomie de l'univers. Comment se fait - il qu'au milieu d'un peuple foible, dont les individus vivent dans la solitude , rampent sons l'herbe, se cachent sous les fleurs, et souvent , par leur petitesse, échappent à nos regards , on voie s'allumer le feu des passions qui troublent la sérénité domestique et la tranquillité des empires ? Comment concevoir qu'ici , comme dans la société , les Furies se baignent dans le sang , le recherchent avidement et le boivent avec délices ? Et comment se peut - il que dans une des dernières classes de l'animalité, où, par l'extrême délicatesse des productions, la finesse de l'instinct, l'élégance des formes et la somptuosité de la décoration , la Na- ture a voulu donner la plus grande idée de sa puissance infinie ; comment se fait-il qu'il s'y trouve beaucoup plus d'êtres malfaisans , de voisins redoutables et de sanglans dévo- rateurs , que dans celles dont l'aigle et le vau- tour , le tigre et le léopard font partie ? Pourquoi donc, ajoute - t - on , pourquoi créer des insectes foibles et malheureux , pour les faire servir de pâture , non seule- ment à des êtres de leurs races , mais à presque 2S2 CONCLUSION. toutes les tribus de roinitliologie ? Pour- quoi l'aimable fauvette interrompt-elle son Ii3'mne à la tendresse pour s'élancer sur un insecte innocent , mère elle-même , en dé- chirer sans pitié les riches anneaux , et , pal- pitans encore, les distribuer satisfaite, à son avide et nombreuse famille ? Pourquoi le chantre de la nuit, l'harmonieux interprète des amours du bocage , n'alimente - 1 - il ce ravissant organe que d'insectes, hélas ! peut- être en ce inoment , touchés des brillans éclats de son gosier , et de la douce mélodie de ses accords? Répondra- 1- on que les oiseaux vengent le jardin et le potager du ravage affreux qu'y causent les insectes ? Ah ! c'est éluder l'objection et ne pas la résoudre; car alors quelle nécessité de jeter dans le domaine de la vie, des milliers d'êtres dominés par des inclinations nuisibles , et forcés de se plier sous le ressort de l'aveugle instinct, qui dit à chacun d'eux : tu ne vivras que de rapines et de dégâts, pour faire punir leurs irrésis- tibles déprédations par l'irrésistible voracité des habitans de l'air? Quelle étonnante légis- lation que celle qui, d'une main pousse au crime, et de l'autre écrase du poids de la ioudre ! CONCLUSION. j83 Disons plutôt , avec le sage et docte Bon- net , disons qu'il n'y a qu'une seule manière solide de donner la solution du problème ; le reste est indigne d'un ijiterprète de la Na- ture et du disciple de la vérité. Il faut qu'ici la philosophie éteigne son flambeau , lève la lète , et qu'elle invoque le jour des grandes lumièies , qui dissiperont toutes les obscurités , et donneront les clefs de tous les mystères de la Nature. Forcés par une destination temporaire , de lampcr lentement et avec peine sur l'étroite circon- férence du cercle de la science , sans jamais pouvoir avancer sur les rayons , comment oserions -nous raisonner de ce qui se passe dans le centre , où l'Etre souverain s'est retiré avec sa toute-puissance , ses trésors et ses conseils ? Ainsi donc, au lieu d'interroger, du séjour des ténèbres, la suprême Intelligence, et de lui demander raison des apparentes contradic- tions qui nous embarrassent , foibles insectes nous - mêmes , contentons - nous d'admirer la Sagesse éternelle dans les procédés indus- trieux du petit peuple dont j'ai crayonné les mœurs et les habitudes. On l'a dit , le fil délicat et merveilleux d'une chenille peut aussi bien nous conduire à la source pure 28/i CONCLUSION, des clartés sans nuages , que la triple cliame d'or que le prince de l'Epopée fait descendre du trône de l'Olympe dans les vallées de la terre. ce Tous ces pourquoi , dit le savant ento- mologiste qui me sert de guide , tous ces pourquoi et mille autres , qu'on peut former SLu^ les productions de la Nature , sont autant d'énigmes pour des êtres relégués dans un coin de l'univers , et dont la vue , aussi courte que celle de la taupe , ne sauroit apercevoir que les objets les plus voisins, et les rapports les plus éloignés et les plus sail- lans. lies ouvrages des insectes sont les der- niers résultats de leur organisation , et cette organisation répond au rôle qu'ils doivent jouer dans la grande machine du monde. » Ils sont , à la vérité , de bien petites pièces , mais ces pièces concourent à un effet général par leur engrainement avec des pièces plus importantes. Ainsi la ceinture que se file une chenille , a ses rapports à l'univers, comme l'anneau de Saturne. Mais combien de pièces différentes entre Saturne et les mondes de Siiius ! Si l'univers est un tout , et comment en douter après tant et de si belles preuves d'un enchaînement universel, la ceinture de la chenille tiendra CONCLUSION. a85 donc aussi aux mondes de Sirius ? Quelle intelligence que celle qui saisit , d'une seule vue, cette chaîne immense de rapports di- vers , et qui les voit se rejoindre tous dans Y unité ^ et Funité dans la cause» ! INSTRUCTIONS Relatives à la chasse y à la conservation ^ aux transports des Insectes et à Védu-' cation des Chenilles (i). -Li'A M É R 1 Q u E méridionale , l'Asie et l'Afrique sont sans doute les pays les plus riches pour se procurer une collection de coléoptères et de lépidoptères. Nous suppo- serons conséquem ment que l'on a formé l'en- treprise de voyager dans quelqu'une de ces contrées : on sent bien que, pour rassembler les insectes du pays , il faut une moindre quantité dinstrumens , étant toujours à portée de s'en procurer de nouveaux quand le besoin l'exige. On fera construire vingt-quatre boîtes de bois mince de dix - huit pouces de long sur quinze pouces de large, et dont la profondeur sera seulement de quatre pouces. Le cou- vercle doit être assujetti à la boîte par des charnières en fil de laiton ou de fer; ces boîtes (i) Je dois ces renseignemcns à mon ami Dufrcsne, aide zooloiriâte au muséum d'histoire naturelle. J^i. /'2Sy ^.B.nacine ,./". r/j ^,./'2S7. ' _»» — ES- DES INSECTES. 2^7 seront doublées intérieurement , au fond, et sous le couvercle, de lames de liège, d'environ deux lignes d'épaisseur , et que Ton fixera avec de la colle forte et quel- ques petits clous d'épingle. Les boîtes désignées ci - dessus doivent servir à déposer les insectes que l'on aura recueillis : elles seront enduites , à plusieurs l'éprises et en dedans , d'essence de téré- benthine , ou d'huile de pétrole , ou d'une infusion de plantes aromatiques , comme laurier, thym, aloès, cannelle, girolle, etc. Lorsqu'une boîte sera reinplie d'insectes, on la revêtira extérieurement d'une couche de goudron , afin d'empccher d'autres in- sectes destructeurs de s'f introduire. Les objets recueillis seront fixés, le plus solidement possible, dans les lames de liège qui doublent les boîtes, et placés le plus près possible les uns des autres , afin qu'il en tienne une plus grande quantité. On ne mettra pas dans la même boîte de très-gros insectes , tels que ceux qui com- posent la famille des scarabées , des capri- cornes , car leur propre poids les feroit pro- bablement détacher pendant le cours du voyage , et ils briseroient ensuite toutes les 288 CHASSE autres , soit en mer par le roulis du navire , ou à terre par le chaos des voitures (i). Voici ce qu'il convient de faire pour éviter cet accident. Munissez - vous de plusieurs flacons dont l'emboucliui^e aura à peu près quinze lignes de diamètre ,* remplissez - les jusqu'aux trois quarts, d'une liqueur spiri- tueuse , tel que tafiat , eau de vie , ou esprit de vin ; boucLez-les avec un bon bouchon de liège ,* on emportera un ou plusieurs de ces vases lorsque Ton ira à la chasse des in- sectes , et on y déposera tous les gros coléop- tères que l'on aura recueillis. Les boîtes les plus commodes pour re- cevoir les papillons et insectes de moindre grosseur , doivent avoir à peu près douze pouces de long , quatre pouces de large et trois pouces de hauteur ; elles seront de forme ovale comme une navette , arrondie par les deux bouts , et doublées de liège sur ses deux fonds : cette forme est la plus avantageuse , la boîte entrant ainsi avec plus de facilité dans la poche. Dans cette espèce de carnassière sont (i) Nota. Toutes ces boîtes se mettent dans une grande caisse pour les voyages de long cours. déposés DES INSECTES. 289 idéposés les insectes à mesure qu'on les attrape. Observez de mettre les plus gros au fond de la boîte , et les plus petits au couvercle. On peut remarquer , à chacune des extrémités de celui-ci, deux petits morceaux de liège qu^on y a collés ; le chasseur y pique l'insecte qu'il tient dans la main droite afin d'ouvrir ensuite plus aisément la boîte. Les raquettes , ou filets à insectes , auront dix pouces de diamètre ; le fil de fer doit avoir assez de force pour soutenir les efforts de la main du chasseur ; les deux bouts de ce fil sont introduits dans une espèce de douille de fer ou de cuivre ; on y coule jus- qu'au tiers de la longueur un peu de plomb fondu, pour fixer les extrémités du cercle.' La partie de la virole qui n'est pas remplie reçoit un bâton de quatre pieds de long , que l'on empêche de vaciller par le moyen de quelques petits clous ,* on fait coudre , autour de l'anneau de la raquette, un morceau de gaze que l'on coupe en pointe arrondie. Cette espèce de fer a dix-huit pouces de long. Le filet sert à attiaper les papillons et les autres insectes , lorsqu'ils sont à terre, sur les fleurs , ou même lorsqu'ils volent. Il faut observer , pour prendre un papillon sur une fleur , que l'instrument doit partir de droite Ins, Tome L T, 590 CHASSE à gauche et liorisoiitalement. Quand le pa» pillori est dans la poche, on tourne de suite la main , de manière que le cercle qui poiie le filet se trouve perpendiculaire; on prend celui-ci par le milieu avec la main gauche; on force tout doucement l'animal à gagner le fond de la poche , et de suite avec le pouce et l'index de la main droite, vous pressez son corps à l'endroit du corselet , c'est-à-dire , la partie où les ailes prennent leur naissance , avec la précaution de ne point endommager les ailes. Vous faites alors tomber l'insecte dans la main gauche , et prenant une épingle pro- portionnée à son volume , vous l'enfilerez au travers du corselet , entre la tête et le corps, et vous le déposerez dans la boite de chasse. Il nous reste à parler d'un second filet, qui ressemble en tout à celui que nous avons décrit ci -dessus, à cela près que le fer est beaucoup plus fort , et qu'on a substitué à la gaze de la toile forte et claire : son usage est bien différent; il sert à pécher dans les pe- tites rivières , dans les eaux stagnantes plus particuHèi^ment ; on trouve ici beaucoup d'insectes que la plupart des naturalistes voyageurs ont jusqu'ici négligé de se pro- curer, faute de connoissances. Ces moyens DES INSECTES. 2ç^i sont cependant bien simples; ils consistent à traîner le lîlet au fond de Teau dans la vase même, à s'y promener de droite et de gauche afin d'enlever la boue qui s'y attache , en observant que la poche soit toujours à gauche lorsque l'on mène le filet à droite, et de même pou]' la contre^partie. Cela fait , on tire du filet les insectes et on les enfile sur l'étytre de manière que 1 e|)ingle doit passer en dessous entre la première paire de pattes. En généial , tous les coléoptères doivent être enfilés de cette manière. Tous les autres insectes à quatre ou à deux ailes nues , se percent sur le corselet comme les papillons. Quand les insectes sont morts , leurs pattes et leurs antennes sont ordinairement repliées sous l'abdomen ; pour leur rendre leur atti- tude naturelle, on se procure une quantité suffisante de petites planches de liège , sur lesquelles vous piquez l'insecte , à l'aide d'une petite pince appelée ùmxellps ; vous en ramenez toutes les extrémités à la place qu'elles doivent occuper, et vous les fixez provisoirement avec des épingles. Otez, au bout d'un ou de deux jours , toutes les épin- gles, et enlevez l'insecte avec celle qui lui T 2 fegs CHASSE appartient ; il restera dans la position que cet appareil lui a forcé de prendre. Les insectes se trouvent dans tous les en- droits possibles, mais spécialement sur les fleurs , sur les feuilles des arbres , des plan- tes, etc. On s'en procure un grand nombre, et de ceux qui échappent à l'œil , par le pro- cédé suivant. Etendez une nappe sru: un buisson , ou sous des branc'hes d'arbres ; se- couez fortement les roseaux avec un grand bâton , et directement au dessous de la ser- viette. Cette agitation fait tomber les insectes sur le linge ; on les pique ensuite et on les dépose dans les boites. On récolte aussi de cette manière beaucoup de chenilles. On peut encore se servir d'un parasol , en le tenant sous les branches à l'envers et de la main gauche , et frappant les branches de la main droite avec un bâton. Le parasol a d'ailleurs l'avantage de vous garantir du soleil dans les chmats brûlans. Les gros scarabées se trouvent dans les bois pourris, près des vieux arbres à demi-morts , sous les pierres , etc. Les bousiers , qui sont si nombreux et dont la forme est si singulière , habitent la fieute des animaux ; rien ne doit rebuter le D E s I N s E C T E s. sgS zèle d'un naturaliste. Il faut avoir le courage de remuer cette matière avec un petit bâton; on sera bien assuré d'en être dédommagé par le nombre et la beauté des insectes qu'on y; amassera. Il est encore une bonne manière de re- cueillir sans peine un grand nombre d'in- sectes ; c'est de traîner son filet sous les plantes , à terre , et de lui communiquer un mouvement propre à faire descendre et retenir les insectes que l'on a pris : cette méthode s'appelle faucher; je la regarde comme fort bonne. Les araignées ne peuvent se conserver comme les autres insectes; leur abdomen, toujours molasse , s'altère et perd ainsi , par la dessication , ses couleurs ; il faut donc les mettre dans la liqueur spiritueuse. On doit les chercher sur les buissons , dans les antres des rochers, dans les heux som- bres, retirées sous les pierres, sous les arbres pourris que l'on rencontre souvent dans les forêts de l'Amérique et généralement par- tout. On doit les prendre avec précaution ,^ la piquure de quelques-uns de ces insectes étant dangereuse. On les pique sur le corselet, un peu plus T 3 294 CHASSE vers la partie postérieure , afin de ne point endommager les petits j^eux lisses qui four- nissent un caractère important. On éprouve beaucoup de difficultés pour conserver les couleurs et les formes de ces industrieux animaux ; en les laissant sécher naturellement, l'abdomen se flétrit et les cou- leurs disparoissent. Si on les met quelques jours dans l'esprit de vin, et qu'on les retire ensuite pour les faire sécher^ le corps reste un peu plus arrondi, mais les couleurs ne s'aperçoivent qu'à peine. La manière qui doit être préférée, sous les rapports de l'étude, est de se procurer de petits bocaux de cinq à six pouces de long sur environ un pouce de diamètre ,• de prendre un petit morceau de bois bien blanc ; d'y attacher de distance en distance les araignées à l'aide d'un fil; de mettre le petit bâton dans le bocal que l'on a rempli d'eau de vie blanche à vingt dégrés ; de bou- cher ensuite le vase avec un rond de verre proportionné à son ouverture , dont on lute les bords avec du mastic de vitrier; ce moyen simple conserve parfaitement ces animaux, ainsi que leur couleur et leur élasticité. Bien des amateurs ne se contentent pas de cette manière; ils desireroient pouvoir la DES INSECTES. 29$ placer dans les tableaux, comme les insectes des autres ordres. Indiquons un procédé qui peut satisfaire leurs désirs. Vous vous munirez d'un tube de verre de sept à huit pouces de long, d'environ neuf lignes de diamètre , ouvert aux deux bouts, et d'un bon morceau de liège pour le bouclier par un bout. Lorsque l'on a pris une araignée, on la pique sur le corselet ; on sépare l'abdomen avec des ciseaux , et on y introduit , par l'ouverture que la coupure a faite, l'extré- mité d'un petit bâton, comme une alumotte, pointu des deux bouts; l'autre extrémité est fixée dans le milieu du bouchon de liège; on expose le tube à la flamme d'une bougie ou chandelle , en le tenant par le bouchon. Il faut avoir le soin de tourner continuelle- ment le tube sur la flamme, afin que l'objet reçoive un degré égal de chaleur. Lorsque l'on s'aperçoit que l'abdomen est rond et sec , on l'ôte du feu , on le laisse un instant dans le tube , c'est-à-dire , jusqu'à ce qu'il soit froid; on ôte ensuite le bouchon, et on sépare avec précaution le corps de la petite bûchette ; s'il résiste , on le coupe , et on finit par le coller au corselet de l'aiaignée avee T 4 \ Ï296 CHASSE de la gomme arabique , avec laquelle ori aura mêlé un peu d'amidon ou poudre à poudrer. On ne peut se procurer les papillons noc- turnes, appelés par les entomologistes, pAa- lènes^ bombix , noctuelles, etc., avec autant de facilité que les papillons de jour ; ces derniers voltigent de fleurs en fleurs à l'ar- deur du soleil, et se trouvent par- tout. Les uns ( les danaïdes ) fi^équentent les jardins , les parterres en général, les lieux cultivés; les autres de la famille des nymphes restent constamment dans les forêts ou dans leur voisinage; d'autres enfin préfèrent les lieux arides. Il n'en est pas de même des papillons nocturnes. Ils ne se montrent presque point dans le jour ; ce n'est qu'à l'approche de la nuit qu'ils commencent à voltiger : les uns ( et c'est le plus petit nombre ) cherchent à se nourrir aux dépens des fleurs , comme les papillons de jour; les autres n'ont pour but que de se rechercher mutuellement, et de s'accoupler. La femelle dépose ses œufs sur les plantes qui conviennent à sa progé- niture : ce devoir rempli, le mâle n'existe que peu de jours , et sa compagne ne tarde pas à le suivre. D E s I N s E C T E s. 297 Dans les Indes plus particulièrement, les habitations sont les lieux que les phalènes fréquentent de préférence ,• attirées par la lumière des flambeaux, elles entrent dans les maisons, les croisées étant tenues ou- vertes. On les attrape avec le filet à la manière ordinaire ; souvent le lendemain matin on en trouve qui se tiennent fixées au plan- cher, aux parois extérieures et intérieures de l'habitation; une personne exercée à cette chasse peut les piquer dans cet état de repos , sans avoir besoin de filet. Les soins , que nous venons d'indiquer relativement aux papillons nocturnes, sont bien insufîisans pour s'en procurer une col- lection nombreuse en espèces : nous allons donc avoir recom^s à l'éducation des che- nilles. On sait que les arbres et les plantes sont les habitations des insectes, et plus particu- Hérement des chenilles ,* c'est donc là où oa doit les chercher. Pour rapporter ces chenilles , on se pro- curera des boites de carton , rondes , de trois , quatre , cinq et six pouces de diamètre ; un trou sera pratiqué au couvercle pour le passage de l'air , et on le couvrira d'un petit 29» CHASSE morceau de gaze ou toile pour empêcher que ces animaux ne puissent s'échapper. On mettra dans chaque boîte une portion de la plante sur laquelle on aura trouvé chaque espèce de chenille. On pourra faire faire des boîtes de ma- nière à ce qu'elles puissent entrer les unes dans les autres , pour a;voir plus de facilité à les porter dans les courses entomolo- giques. Arrivé au logis , il faut déposer les che- nilles dans des boîtes faites comme celles ci - dessus , mais infiniment plus grandes. Chaque espèce doit avoir la sienne propre , et renfermer la plante dont elle se nourrit. On conservera la fraîcheur de cette plante eu plongeant son extrémité supérieure dans un verre d'eau , placé au milieu de la boîte. Il est nécessaire que les rameaux tou- chent aux parois de cette boîte , afin que les chenilles qui sont au fond puissent re- gagner la verdure. On sent bien que la forme ronde n'est pas exclusive ; toutes les autres boîtes peuvent servir au même usage. Les chenilles des sphex se trouvent , comme celles des autres papillons , sur les plantes ; elles sont reconnoissables à une espèce de corne ou de pointe qu'elles ont sur DES INSECTES. ^99 1111 des derniers anneaux de leur corps; il faut donc les nourrir à la manière ordinaire ; on mettra seulement un peu de terre dans le fond de la boite (1) : les chenilles de ce genre s'enterrent ordinairement avant leur tians- formalion en chrysalides. I/éducaiion des chenilles demande beau- coup de soin , d'attention même : si l'on ou- blioit de donner régulièrement à ces élèves , en quantité suffisante, les plantes qui sont de leur goût , on se verroit bientôt , par leur mort , frustré de l'espérance d'avoir le pa- pillon ou la phalène qu'ils dévoient pro- duire. La gaze que couvre le dessus de la boîte, en laissant circuler l'air nécessaire à l'exis- tence des chenilles , permet encore , à l'œil de l'observateur, d'admirer et d'étudier ces animaux , soit qu'ils se nourrissent , soit qu'ils filent la soie qui doit leur servir de tombe , en même tems qu'il devient le ber- ceau du nouveau phénix. La saison la plus favorable à la recherche des chenilles est celle où la végétation est en pleine vigueur. (i) Il faut même en metti'c dans toutes; plusieurs clienilles s'y tiennent cachées pendant le jour. 3oo CHASSE Là se borne l'éducation des chenilles (i): Lorsqu'elles sont parvenues à leur plus grand développement, elles se changent en chrysa- lides ; les unes s'enfoncent dans la terre (a) ; d'autres se filent un cocon de soie autour d'elles ; celles de papillons de jour se sus- pendent par la partie postérieure. Dans cet état de léthargie , ces êtres n'ont plus besoin de secours étrangers; leur propre substance suffit pour leur conserver la vie. A une époque fixée par la Nature et différant à raison des espèces , l'insecte parfait sort de sa denii - sépulture , et paroît orné des cou- leurs les plus vives. Le charme de cette pro- priété récompense l'observateur de toutes ses peines; aucun autre moyen ne lui eût pro- curé des espèces d'une si grande fraîcheur. (i) L'éducation des larves est diflîcile, et nous manquons de moyens à cet égard ; j'indiquerai , dans la suite, ceux que je crois les plus propres. (2) Quelques espèces passent l'hyver cachées dans la terre j on n'obtient leurs chrysalides qu'en les laissant exposées à l'air , et ensevelies ainsi pendant cette saison ; telle est la chenille de la ronce, (^Bombix- rubi, Fab. ) D E s I N s E C T E s, 5oi METHODE Pour dessécher et conserver les Chenilles et les larves des Insectes. \y E n'est pas un léger service que le natu- raliste Bosc a rendu à l'histoire naturelle, que celui de nous apprendre à préparer, con- server avec ses formes , et , autant qu'il est possible , avec ses couleurs , l'insecte dans ses deux premiers états. Nous le voyons ainsi sous toutes ses formes. Nous le suivons dans tous ses âges ; nos collections se rapprochent davantage du grand tableau de la Nature, et augmentent nos jouissances. Le Journal de physique de l'abbé Rozier, tome XXVI, part, i , avril 1786 , pag. 1241, a rendu compte de ces curieuses recherches. Notre zèle nous fait aussi un devoir d'en parler ; car tous les amateurs ne les con- noissent pas. Le rédacteur de l'ouvrage sur les papillons d'Europe en a donné, cahier 11, un extrait de cette méthode. C'est celui-là même que nous insérons ici. « S'il est intéressant, pour les progrès de cette partie de l'Histoire naturelle, de con- r,o2 CONSERVATION noître 1 i> cJieniJles qui produisent les pa- pillons, il ne Test pas moins de léiuiir i<^s une.'} et les autres dans nos collections , et d'avoir sous les 3 eux difïërens états par où passe l'insecte avant d'arriver à celui qui nous flaUe le plus. On doit donc savoir gré k Bosc d'Aiitic, du service qu'il a rendu aux amateurs , en publiant dans le Journal d-^ physique le résultat de ses expériences et de celles de M. Laurent , sur la manière de dessécher les larves de la plupart des insecte?, et princi})alement celles des papillons. » Ce procédé n'exige qu'un peu de dexté- rité et d'habitude; voici en quoi il consiste ; on entretient dans une chaleur sèche sur un réchaud , ou mieux encore dans un bain de sable , un pot de terre épais , ventru et haut! d'un demi-pied ; l'extensité de la cha- leur doit être proportionnée à la grosseur des larves. Si l'on se sert d'un réchaud , il doit être assez large pour échauffer l'exté- rieur du vase. On fait mourir les chenilles que l'on veut préparer , dans un bocal où l'on a mis du ( am[)hre en évaporation ; ce mo} en est préfeiable au soufre et à l'eau chaude ; dès qu'elles sont mortes , on en prend une , et (jn doiëxinine par lu pression la sortie du caiial intestinal, que Ton tiie D E ^ I N. S E C T E S. 5o5 avec les ongles. Il faut avoir scia , par de<= pressions réitérées , de vuider parfaitement l'intérieur ; la inoindie portion de viscères qui y resteroit feroit manquer l'opération ; on passe, sur le deinier anneau au dessus de ]a dernière paire de pattes , un fi] que l'on noue lâche. On introduit dans l'anus un chalumeau de paille proportionné à Ja gros- seur de la clienilJ'^ • on '"ouffle et l'on gonfle la peau , au même instant on retire le cha- lumeau et on serre le fi!. Il ne s'agit plus que de la dessécher promptement : si elle est peùle , on la suspend perpendiculaire- ment dans le pot , sinon on lui passe im second fil à la tète , et on l'y tient dans une position horisoniale , mais alors il faut la retourner souvent. » On se précautionnera d'une aiguille fixée au bout d'un manche de sept à huit pouces; le manche servii-a à s'assurer , pai- des alon- gemens fréquens , si la peau est suffisamment desséchée pour se soutenir ; et des qu'elle sera dans cet état , on peicera avec l'aiguille plusieurs trous entre les pattes pour faire évaporer l'humidité intéi^ieure , qui, n'étant ^plus dilatée par la chaleur, contribueroiL à l'aplatissement de la chenille, au :>!ortir du deîsicatoire. 5o4 CONSERVATION » Il y a des chenilles qui, dans leurs mues', éprouvent des cliangemens si grands qu'elles deviennent méconnoissables : il est donc iu-, téressant de les préparer dans leurs difFérens âges. Quant à celles qui sont constamment les mêmes, le moment le plus favorable pour les dessécher est le tenis qui précède immédiatement leur dernière mue; leurs couleurs sont alors mieux prononcées, et le poil de celles qui sont velues plus fortement attachées à leur corps. ))I1 arrive qu'on en manque quelques-uns, sans qu'on puisse en assigner la cause. Quel- quefois l'air s'échappe par la bouche ou par les stigmates,* d'autres fois la peau est percée de vers ; il faut alors recommencer sur d'au- tres individus. Quand l'opération a bien réussi , on en coupe le fil prés du corps , et les larves se conservent en bon état pendant une longue suite d'années , pourvu qu'on les garantisse de l'humidité. » On ne dissimulera pas que , par ce procé- dé, les chenilles d'un verd tendre deviennent jaunâtres ,• que quelques-unes de celles qui sont brunes, prennent une teinte rougeâtre, et que plusieurs perdent, par la transparence ou par la chaleur, la vivacité de leur co- loris ; il est vrai que l'alkali volatil diminue im DES INSECTES. 5o5 un peu l'altéiation des premiers ; mais il ne peut jamais les rétablir à leur état naturel. )) On éviteroit ces inconvénieus , qui sont assez graves aux yeux des natuialistes, en mettant en usage une méthode déjà pj-opo- sée, qui consiste à remplir le corps de la chenille, soit avec du sabJe très -fin et par- faitement desséché, soit avec parties -égales de cire et de suif fondus, que Ton pour- roi t même colorer , et que l'on introduit au moyen d'une petite seringue. )) Il seroit possible encore , dès que la che- nille est vuidée, de bourrer sa peau avec du coton, par fouverture de l'anus. Nous avons vu un amateur en préparer ainsi avec le plus grand avantage , et leur donner, avant la dernière dessication , l'attitude qu'il desiroit : cette manière n'exige , ainsi que les autres, que de la patience et de la dextérité ». Ins. Tome I. 3o6 CONSERVATION INSTRUMENS Ou autres objets nécessaires dans un voyage de long cours , pour former une collection d'insectes et papillons. 24 boîtes pour déposer les insectes. 12 petites boîtes de carton. 24 boîtes de carton de difTérentes grandeurs : on pourra les faire construire de manière qu'elles puissent entrer les unes dans les autres ; dix ou douze mille épingles à insectes, et autres de toute gran- deur. Trois ou quatre douzaines de morceaux de liège, de différentes grandeurs , pour préparer les insectes. Deux ou trois pinces plates. Deux à quatre petites bruxelles. Une douzaine de filets à papillon. Six filets pour pêcher. Une douzaine de flacons , avec leur bouchon. Huit boîtes ovales pour la chasse. Six carnassières pour porter différens objets pour aller à la chasse. Deux livres de savon métallique , dont la préparation et l'usage se trouvent ci-dessous. onc. gros,. Camphre réduit en poudre, dans un mortier, avec un peu d'esprit de vin 5 Arsenic pulvérisé , . . . f . ^ 4 D E s I N s E C T E s. 5oy Savon blanc , Sel de tartre . Chaux en poudre , 4 ^ Mettez le camphre en poudre à l'aide d'un peu d'esprit de vin; ajoutez-y le sel de tartre et l'arsenic , puis le savon que l'on aura soin de réduire en pâte en le tenant sur le feu avec très-peu d'eau, l'ayant pour cela raclé auparavant ; le tout étant bien pulvérisé, bien trituré, mettez-le dans un pot de fayance, avec l'attention d'y placer l'étiquette suivante : Foison pour conserver les animaux de la Poracité des insectes des- tructeurs. Lorsque l'on en aura besoin, on en mettra une petite quantité dans un gobelet; on la délayera avec un peu d'eau jusqu'à la con- sistance de la bouillie, et à l'aide d'un petit pinceau, on en mettra un peu sous le corps de l'insecte et des papillons. ^ Ce préservatif conserve très-bien les peaux d'oiseaux et de quadrupèdes, lorsqu'ils sont enduits entièrement de cette drogue. Liqueur pour conserver les insectes et les papillons. A • , ^^^- gros. Arsenic en poudre. , . , , a y 2 5o8 CONSERVATION onc. gcoSji Mercure sublimé ^ Esprit de vin rectifié 5 Esprit de sel ammoniac i Délayez bien le tout ensemble ; il faut en mettre un peu sous le corps des insectes et des papillons, du côté où il ne doit pas être vu. Pour cet usage on emportera une douzaine de pinceaux de poil fin. DES INSECTE s. 3og MANIÈRE D'IMPRIMER LES PAPILLONS; Extraite du ¥ cahier des papillons d* Europe. On a trouvé le moyen de fixer sur du papier les écailles des ailes des papillons sans altérer leur couleur. (Journal de phy- sique et d'histoire naturelle , de l'abbé Rozier, tomel, juillet, 1771, page 5i.) Les rédacteurs de l'ouvrage des papillons d'Eu- rope ont perfectionné cette méthode; on peut en tirer un plus grand parti qu'on ne pense; celui, par exemple, de fournir les dessins les plus natm^els et les plus exacts du papillon qu'il soit possible de faire. PRÉPARATION. Dans de l'eau bien claire, saturée de belle gomme arabique, faites fondre du sel marin en suffisante quantité pour ôter le brillant de la gomme. Observez que ce sel soit bien purifié; le plus blanc est le meilleur» V 3 5io CONSERVATION Quelques personnes y ajoutent de Falun (i); d'autres mêlent à la gomme arabique un tiers de gomme adragant; faites passer le tout à travers du linge, afin qu'il ne s'y trouve aucune espèce de mal-propreté. Ayez une table do bois solide et bien unie ; un cylindre ou rouleau de bois ; quel- ques pinceaux de cheveux ou de poils d'é- cureuil courts et fins ; des bruxelîes ; un canif, etc. Munissez- vous d'un assortiment de cou- leurs, dont voici l'énumération : i° terre d'ombre ; 2° la même calcinée ,* 3° ocre ; 4° ocre calcinée,- 5° manicot; 6° bleu de Prusse ; 7° laque fine ; 8*^ vermillon ; 9° encre delaCliine; 10° blanc de céruse; 11° car- min; 12° bistre. MANIÈRE D'OPÉRER. Sur une feuille de papier bien uni , et qui ait de la consistance, tel que celui d'Hollande , étendez légèrement, avec un (i) Voyez un Mémoire sur ce sujet, dans le Tourna âe physique et d'histoire naturelle , rédigé par l'abbô Rozier , tom. I^ juillet, 1771 , pag. 62. Nous en avons tiré quelques secours pour perfectionner la méthode que nous donnons ici. DES INSECTES. 3ii pinceau, de Feau gommée, dans un espace proportionné à la grandeur du papillon que vous y voulez fixer; prenez ce papillon pai* le corselet avec des bruxelles; détachez -en les ailes avec des ciseaux à leur insertion, sans offenser le duvet qui les couvre ; posez- les sur la partie du papier humectée, en commençant parles ailes supérieures; si c'est le dessous , ayez soin de les placer dans la position naturelle à l'individu et de laisser entre elles un espace égal à la grosseur du corps que vous avez ôté. Pliez ensuite la feuille de papier , et com- primez-la, avec la paume de la main, pour que les deux côtés se fixent l'un contre l'autre; mais ne frappez point. Après cela, placez-la entre plusieurs feuilles du papier ordinaire pour qu'elle ne puissent être en- dommagée par le mouvement du cylindre que vous ferez rouler dessus en l'.appuyant fortement , mais pendant une minute au plus, pour ne pas laisser à la gomme le tems de se dessécher; car alors vous ne pourriez plus rouvrir le papier, et vos peines seroient perdues. Quelques personnes, pour obvier à cet inconvénient , mettent ce papier entre deux morceaux de flanelle humide , et cette pré- V4 5i2 CONSERVATION caulion est fort utile. Cependant, si les deux côtés du papier se trouvoient un peu collés ensemble, on parviendroit facilement à les séparei' , en les humectant avec de l'eau. Après avoir ouvert la feuille du papier qui renferme le papillon, vous enlèverez, avec un canif, la partie membianeuse des ailes. Si vous avez bien opéré , les plumes resteront fixées dans la gomme , et il ne vous manquera plus, pour avoir l'insecte parfait, que le corps, les antennes et les pattes. Ces parties ayant trop d'épaisseur pour pouvoir être imprimées , il faut les peindre avec les couleurs indiquées ci-dessus. Em- ployées seules ou mélangées , elles vous don- neront toutes les teintes dont vous aurez besoin. Jl faut observer de les délayer dans de l'eau sans gomme, celle qui se trouve sur le papier suffisant pour les fixer. Il est aisé de comprendre que le succès de l'opé- ration dépend de l'adresse de celui qui opère. Du vernis bien blanc pourroit être sub- stitué à l'eau gommée ; mais il a l'inconvé- nient de donner trop de brillant au papier, de le jaunir à la longue, et d'altérer les couleurs du papillon. On pourroit avoir le dessus et le dessous DES INSECTES. oi3 du papillon par une seule opération, en luHTiectant de gomme les deux côtés oppo- sés; mais il en résulte toujours deux impres- sions imparfaites, la frange qui borde les ailes de presque tous les papillons s'at tachant en partie au dessus , en paitie au dessous. Si, au lieu d'un papillon les ailes éten- dues, on vouloit l'avoii' dans l'attitude qu'il prend lorsqu'il se repose, on arrangeroit les ailes sur le papier de la manière dont Fin- secte les place alors ; et l'on procéderoit à Timpression comme ci-dessus; on preiidroit ensuite le corps de profil. Pour réussir parfaitement dans ces im- pressions, il ne faut employer que des pa- pillons bien entiers, bien frais, et morts depuis deux jours au plus. Ceux desséchés n'ont pas les mêmes succès, même quand ils seroient ramollis. On peut objecter que ces impressions ne font voir que la partie intérieure des plumes du papillon , c'est-à-dire , celle qui étoit du côté de la membrane que l'on a enlevée ; mais nouF répondons que ces plumes ont la même couleur et la même vivacité de deux côtés , ce dont on peut se convaincre par la contre -impression. Voici comment elle se fait: 5j4 conservation Après avoir procédé , comme nous venons de l'expliquer, l'impression étant bien sé- cliée, on la pose sur une feuille de papier enduite de vernis, et l'on appuie le tout fortement ensemble; ensuite on mouille le papier gommé; l'eau détrempant la gomme, le papier quitte facilement, et les plumes restent attachées au vernis qui n'est point soluble dans l'eau. Cette seconde opération découvre le côté extérieur des plumes; mais il est difficile qu'elle s'exécute assez parfai- tement pour que le papillon n'en, soit pas endommagé. D'ailleurs elle ne peut se faire que par le moyen du vernis, qui, comme nous l'avons dit, altère les couleurs; aussi n'indiquons-nous ici ce procédé que comme de pure curiosité. 11 nous reste une observation à faire con- cernant les argus. Ces papillons n'ont pas seulement , comme tous les autres , une seule membrane à laquelle sont attachée» les plumes de dessus, et à l'autre celles de dessous; il faut donc les employer toutes deux pour découvrir les plumes. Ordi- nairement il y en a une qui se soulève d'elle-même lorsque l'on ouvre la feuille de papier après l'impression. On voit le papillon se dédoubler, et il ne reste plus qu'à oter DES INSECTES. 3i5 l'autre membrane avec la pointe du canif; mais il y a encore une manière sûre de les enlever toutes deux facilement ; c'est d'im- primer en même tems le papillon des deux côtés. Chaque impression retient une des membranes, et Ton ôte celle du côté que l'on veut conserver. L'impression des papillons paroîtra peut- être une invention plus curieuse qu'utile ; cependant elle offre l'avantage de pouvoir conserver, sans aucun embarras, une collec- tion très-nombreuse. Les feuilles de papier , une fois arrangées dans des livres ou dans des porte -feuilles, n'exigent plus de soin; et les individus que l'on y rassemble, étanfc dépouillés de leurs parties les plus gros- sières , ont bien moins à craindre des insectes destructeurs que ceux renfermés dans des cadres. Ils sont aussi plus à l'abri des im- pressions de l'air, qui altère à la longue les couleurs de ceux qui y sont exposés, comme nous l'avons dit dans le discours du troi- sième cahier de cet ouvrage. 3i6 COULEURS OBSERVATIONS Sur la nomenclature des couleurs , relatif vement à l'étude des Insectes. X R ES QUE toutes les distinctions spécifiques des insectes sont fondées , en tout ou ea partie , sur leurs couleurs et leur disposition. Il est même un ordre , celui des lépidoptères, dans lequel il est impossible d'employer des caractères difFérens ; il faut donc que cette base ait toute la certitude , toute Tinvaria- bilité qu'exigent l'importance de sa partie, et l'usage que l'on en fait ; mais elle est bien éloignée de ce point de perfection ; l'arbitraire s'en est emparé , et il est peu d'articles essentiels en histoire naturelle qui présentent plus de variations , plus d'é- quivoques et plus d'incertitudes dans sa terminologie. On ne doit pas en être sur- pris, puisque les couleurs ne peuvent être l'objet d'une définition, et n'ont pas, avec les termes de comparaison auxquels on les a rapportés , une exacte similitude. Pour que cette base fût bien solide , et ne donne plus lieu aux difficultés qui l'euviromaeiit DES INSECTES. Zij dans Tétat où elle est aujourd'hui , on de- vroit , 1° trouver , si je puis parler ainsi , Un étalon de couleurs fixes et invariables , eu déterminer les combinaisons principales ; 2,^ donner à ces teinLes une dénomination telle, qu'elle pût être généralement adoptée. Quelques naturalistes , des principaux des-* quels nous allons faire connoître les tenta- tives , se sont bien occupés des combinaisons des couleurs ,• mais aucun , avant Lamarck , n'a embrassé à la fois , dans son examen , toutes les faces sous lesquelles il étoit néces- saire de considérer le système des couleurs ; on y a même fait si peu d'attention, que le nombre infini de leiurs diverses nuances s'est trouvé réduit, par la manière de s'exprimer, presqu'aux couleurs primitives. Que le rouge fût rose, ponceau , écarlate; tout cela a paru indifférent , et ces teintes se sont toutes vues comprises sous une même dénomination , celle du rouge. Une confusion, aussi con- traire à la Nature] qu'aux intérêts de la science , s'est conmiuniquée aux désigna- tions; les mêmes teintes ont été différem- ment nommées , et souvent d'mie manière contradictoire. Le professeur Lamarck, dont l'esprit phi- losopliique a répandu tant de lumières sur 5i8 COULEURS la marche générale de l'histoire naturelle ; a voulu mettre un terme à ces abus. Le Mémoire, qu'il a publié relativement à une série naturelle des couleurs , me semble remplir les conditions que j'ai requises pour la solidité des caractères pris du système de ces qualités accidentelles des corps. On pourra sans doute simplifier les opérations de ce naturaliste , changer un peu sa no- menclature , mais les bases de son travail seront invariables. C'est pour moi un plaisir autant qu'un devoir, de rendre le compte le plus détaillé de cet excellent Mémoire. Pailons auparavant des Essais de Poda , de Harry et de AVerner ; je ne pousserai pas plus loin cet extrait. S'il me falloit traiter cette matière dans toute son étendue , je devrois aussi recourir à l'antiquité , chercher à connoître les déno- minations qu'on donnoit aux couleurs , et où ne me mèneroit pas une telle discussion. Ceux qui voudront se livrer à des recherches de cette nature, doivent, i" rassembler les principaux passages des auteurs grecs et la- tins, d'Aristote, de Phne, d'Ehen et d'Aulu- • Gelle , où il est parlé de couleurs; 3° choisir dans ces passages ceux dont l'objet est in- contestablement reconnu , où il s'agit , par DES INSECTES. Syr) exemple et évidenimeiit , de tel animal , de telle plante; S"" examiner à quelle partie, de cette substance connue , la teinte énoncée dans le texte est appliquée ; 4" comparer ces teintes avec celles du même objet, pris, s'il est possible , dans les lieux où écrivoit l'auteur. Saclis , qui publia, en i655, une Gammaralogie , très- fortement indigeste , a donné dans cet ouvrage , pag. 352 et suiv, , une énumération étendue des dénominations latines des couleurs (i) , que Ton pourra consulter. (i) Parmi ces termes latins, consacrés aux cou- leurs, il en est quelques-uns dont il est bon de donner la signification. Flavus ; il indique anjourd'hui le jiune , ou un jaune tirant sur le roux, la couleur blonde. L'acception que les anciens lui donnoient n'est pas bien connue. Mellinus , couleur de miel , d'un jaunâtre tirant sur le verd. Melinus , couleur de coins. Helvaceus , helvus ^ tient le milieu entre le roux jaunâtre et le blanc. Colunielle s'en sert en par- lant du raisin : Uvœ helvolce , seu albidœ. Giluus , le fauve des bœufs. Luteus , d'un jaune roux clair, à ce qu'il paroîtroit, ou même d'un rouge noisette :. on l'applique aujourd'hui indistinctement au jaune. Luridus , couleur d'outre de cuir , suivant plusieurs. Je crois qu'on l'emploie maintenant pour indiquer le brun obscur. Fuluus ; c'étoit la couleur du pelage du lion , d'une espèce d'aigle j c'est aujourd'hui un 320 COULEURS Scopoli nous a communiqué , dans son Entomologie de la Carniole , le moyen ingé- nieux dont son ami Poda se servoit pour rouge de sang clair. Ruhiginosus , couleur de rouille j ferrugineiis , de même ; il signifioit chez les anciens , et un rouge obscur , et un bleu noirâtre. Rutilas , cou- leur de feu. Puniceus , couleur de grenade d'écarlate. Testaceiis j ce mot répond à celui de figuliniifi de quelques autres, couleur de bi-ique demi-cuite j voyez aussi le bai , badius , spadiceus , lateritius. Par purpu- reiis , il faudroit entendre un rouge violet; cependant on s'en sert bien souvent pour désigner la couleur écar- late. Janthinus , violet. Prasinus ^ verd de porreau. Hyalinus f transparent, comme du verre , de l'eau. Cœruleus , bleu céleste. Glaucus , d'un verd pâle, tirant sur le blanc , verd d'eau. Cœsius , bleu blan- châti'e, à ce que je crois. Cyaneus , thelassius : les grecs donnoient ces noms à la couleur des flots de la mer *, ce bleu répond actuellement à celui de barbeau, ou fleur de bluet. Ater, le noir plus foncé, sans éclat. jinthracinus , noir de charbon. Piceus , noir de poix. Pullus, couleur naturelle de la terie. Fuscus , tirant sur le noir , noirâtre; d'autres disent le brun. Muri- nus f gris de souris. On «lit encore cameus , couleur de chair; cervinus , couleur de cerf; croceus , hafrané ; corticinus , couleur d'écorce de quinquina, suivant Scopoli ; cujjrefmmus ^ couleur de pomme de cyprès; caffhatus , couleur de café ; cereiis, couleur de cire blanciie ; nuceus, bois de noyer; griseus , gris de cheveux d'un vieillard. Scop. composer, DES INSECTES. Sai' composer les diverses teintes des couleurs. La palette devient ici inutile , et le inélange de ces couleurs n'est qu'apparent et momen- tané. Représentez - vous un ceicle de bois divisé en huit parties égales ; couvrez-le , à votre choix , de deux , trois , etc. couleurs premières ; donnez ensuite un mouvement rapide de rotation à votre cercle ; toutes les couleurs se fondi^ont , et vous ne verrez qu'une teinte unique. Poda divise les couleurs de la manière suivante : primaires , composées , sur-compo- sées , et sur-décomposées. L'on compte six couleurs primaires , co- lores primarii , qui sont : Le rouge de cinabre, cinahannus. Le jaune de gomme-gutte , flavus. Le bleu de Prusse , cœriileus. Le noir d'encre de la Chine , niger. Le blanc de céruse , albiis. Le verd composé de blanc et de jaune , viridis. De ces six couleurs primaires , selon leur distribution sur les huit portions égales du cercle mis en mouvement , naissent les cou- leurs composées suivantes : Le rosacé ou couleur de rose, rosatus, se Ins. Tome L X 522 COULEURS forme de deux parties de blanc, et de six de rouge. Le roux , russeus , de quatre parties de blanc , et de deux de rouge. Le coralin ou couleur de corail , coralli" nus , de six parties de rouge , et de deux de verd. L'hépatique ou couleur de foie, hepaticus^ de quatre parties de rouge , et de deux de noir. Le sanguin ou couleur de sang , sangui" neus , de six parties de rouge , et de deux de noir. Le pudorin ou fard de la pudeur, 77z/c?a- rinus , de six parties de rouge , et de deux de jaune. Le minium ou vermillon , minius , de six parties de rouge, et de quatre de jaune. L'orangé , aurantiiis , de quatre parties de rouge , et quatre de jaune. Le jaune de àXxow , citrinus , de six par- ties de jaune , et de deux de rouge. Le jaune de souci foncé ou le jaunâtre, luteus , de six parties de jaune , et de deux de noir. Le jaune de limon , limoniatiis , de six parties de jaune, et de deux parties de verd. DES INSECTES. 3^5 Le jaune d'isabelle , isahella , de six par- ties de jaune, et de six de blanc. Le jaune de paille , stramineus , de six parties de jaune , et de deux de bleu. Le verdàtre , virescens , de six parties de verd , et de deux de noir. Le verd de montagne , viride montanum^ de six parties de verd, et de deux de blanc. Le gris de souris , murinus , de deux par- ties de jaune , et de six de noir. Le blanc d'os, osseus , de quatre parties de jaune , et de quatre de blanc. Les couleurs sur-composées sont : L'ocréacé ou couleur d'ocre , terre jaune ièrrugineuse, ochreaceus , se forme de quatre parties de rouge , de deux de jaune , et de deux de verd. . L'Iiématitique ou couleur d'hématite, hœ- maticus^ de quatre parties de bleu , de deux d'orange , et deux de noir. Le vinacé ou couleur de lie de vin , vina" cens , de quatre parties de rouge , de deux de bleu , et de deux de verd. Le cappariu ou couleur de câpres , cappa- rlniis , de quatre parties de jaune , de deux de verd , et de deux de jaune. La couleur de girofle , caryophjllinus , de X 2 524 COULEURS quatre parties de vercl , de deux d'orange , et de deux de noir. Le glauque ou verd de mer , glaucus , de quatre parties de bleu , de deux de jaune , et de deux de verd. Le châtain ou couleur de châtaigne, cas- taneus , de quatre parties de verd , de deux de rouge, et de deux de jaune. Le verdoyant , viridanus , de quatre par- ties de verd , de deux de bleu , et de deux de jaune. La couleur sur-décomposée est Tombré, umbrmus , qui se forme de quatre parties de noir, d'une de bleu , d'une de verte, d'une de jaune et d'une de rouge. Quel que soit le nombre des teintes que l'on puisse obtenir avec ce moyen , ainsi qu'avec ceux dont nous allons encore nous entretenir, nous devons cependant convenir qu'il en est une foule qu'on ne sauroit i epro- duire , ni , à plus forte raison , exprimer ; telles sont les demi-teintes , les nuances qui n'ont rien de déterminé. On est alors obligé de faire précéder le nom français ou latin de ces nuances, qui sont l'ecueil , et de l'ar- tiste et du natuiahste, du mot presque , 6z^ô , bu de faire un terme composé de deux cou- leurs } d'un gris blanc , albo - griseus. Plu- DES INSECTES. SaS sieurs auteurs ne me paroissent pas toujouis exacts dans la manière dont ils rendent en latin ces termes composés ; ainsi , celui de blanc jaunâtre est converti , dans la langue latine, en cet autre, albo-luteus ; je crois qu'il faut dire luteo-albus ; car le fond de la teinte que Ton veut exprimer est blanc , avec une simple modification de jaunâtre. Il est donc nécessaire que le mot déclinable , ou celui qui termine , réponde au sujet principal, au blanc. Harris a donné dans l'Introduction de son ouvrage, qui a pour titre : Exposition of engl. insect. , un tableau des principales nuances de couleurs. Ce tableau est rond et divisé en cinq parties, formant autant de bandes circu- laires et concentriques. Le cercle du milieu est blanc , et renferme trois triangles, dont le premier d'un rouge écarlate , le second bleu , et le troisième jaune. Ces trois triangles se confondent à un de leurs angles , et ce triangle conjonctif qui en résulte est noir. Les quatre bandes circulaires qui succè- dent sont partagées chacune en dix -huit petits carreaux, par le moyen d'autant de rayons qui partent de la circonférence inté- X 5 526 COULEURS rieiire de la première. Toutes ces cases re- présentent différentes nuances , mais de telle sorte que celles de la seconde bande ont une teinte plus claire que celles de la pre- mière, et que les cases de la dernière sont pareillement d'un ton plus foible que celles de la troisième. Des chiffres arabes , placés dans le cercle blanc du milieu et tout au- tour, indiquent les n°' des cases depuis un jusqu'à dix-huit , et des chiffres romains , formant un rayon, marquant les n°' des cercles. Ces quatre bandes ont ainsi soixante et douze cases, représentant autant de teintes différentes de couleur, dans la dispositioa suivante : CERCLE I. 1. Rouge écarîate. 2. Orange rouge. 5. Rouge orange. 4- Orange. 5. Jaune d'orange. 6. Orange jaune. 7. Jaune. 8. Verd jaune. 9. Jaune verd. 10. Verd. 11. Bleu verd. 12. Verd bleu. D E s I N s E C T E s. 52^ i5. Bleu. 14. Pourpre bleu. i5. Bleu de pourpre. 16. Pourpre. 17. Rouge de pourpre. 18. Pourpre rouge ou cramoisi. CERCLE II. 1. Carnation. 2. Couleur de chair. 3. Jaune de chair. 4. Couleur d'or. 5. Couleur de fond brun. 6. Couleur de crème. "* 7. Couleur de paille. 8. Verdâtre jaune clair. 9. Jaunâtre verd clair. 10. Verd clair. * 11. Verd de pois. 12. Bleu de Saxe. 3 5. Bleu clair. 14. Pourpre bleu clair. i5. Couleur de perle. 16. Pourpre clair. 17. Couleur d'oeillet. 18. Couleur de rose. CERCLE III. 1. Rouge brun. 2. Brun de cuivre. 3. Brun de noisette. 4. Brun. 6. Brun d'olive. SzS COULEURS 6. Brunâtre d'olive. 7. Janne d'olive. 8. Verd d'olive. 9. Verdâtre d'olive. 10. Olive. 11. Bleuâtre d'olive. 12. Bleu d'olive. i5. Gris. i4- Couleur d'ardoise. i5. Rouge d'ardoise. ï6. Pourpre d'ardoise. 17. Pourpre brun. 18. Cauelle. CERCLE IV. 1. Rougeâtre brun clair. 2. Brun de cuivre clair. 3. Brun de noisette clair. 4. Brun clair. 5. Brun d'olive clair. 6. Olive jaunâtre clair. 7. Olive jaune clair. 8. Verd d'olive clair. g. Olive verdâtre clair. 10. Olive clair. 11. Bleuâtre clair. 12. Couleur verdâtre d'ardoise. i3. Gris clair. 14. Ardoise clair. i5. Rougeâtre d'ardoise clair. 16. Pourpre d'ardoise clair. 17. Pourpre brunâtre clair. 18. Couleur obscure de ileur» D E s I N s E C T E s. 32g Le professeur ^Verner admet, pour les fossiles, huit couleurs principales, dont le nom est fixe et déterminé. Il leiu^ subor- donne un grand nombre de nuances, carac- térisées par des dénominations spéciales , susceptibles de variation , selon le rapport du mélange de couleurs , telles que jaune citrin , jaune Isabelle, etc. Ces mélanges ont des variétés qui se ter- minent par la finale âtre , comme noir bleuâtre. Lorsque la teinte altérante est très-foible ," on s'exprime ainsi : il tire à; bleu qui tire au rougeâtre. Si la teinte altérante est plus forte , de cette sorte : il tourne à ; rouge qui tourne au jaune. Les quatre dégrés d'intensité des couleurs sont désignés par les mots suivans : obscur ^ foncé , clair , pâle. Nous ne ferons qu'indiquer les variations de ses mélanges de couleurs. On peut les voir en détail, avec le tableau de ces teintes mêmes dans la méthode analytique des fos- siles , fondée sur leurs caractères extérieurs , par H. Struve, et qui se trouve chez Dufart. Le blanc. Blanc de ncîge. — Blanc rougeâtre. — Blanc jau- nâtre. — Blanc d'argent. — Blanc grisâtre. — Blanc verdâtre. — Blanc de lait. — Blanc d'étain. 55o C O U T> E U R S Le gris. Gris de plomb. — Gris bleuâtre. — Gris de perle. — Gris de fumée, — Gris vcrdâlre. — Gris jaunâtre. — Gris d'acier. — Gris noirâtre. Le noir. Noir grisâtre. — Noir brunâtre. — Noir foncé. — Noir de fer. — Noir bleuâtre. Le bleu. Bleu d'indigo. — Bleu de Prusse. — Bleu d'azur. — Bleu de smalte. — Bleu d'évêque. — Bleu violet. — Bleu de lavande. — Bleu de ciel. Le perd. Verd de gris. — Verd d'oxide de cuivre. — Verd céladon. — Verd de pomme. — Verd de montagne. • — Verd de poireau. — Verd noirâtre. — Verd d'olive. — Verd de pré. — Verd de pistache. — Verd d'asperge. — Verd de serin. Le Jaune. Jaune soufre. — Jaune de laiton. — Jaune citron. — Jaune d'or. — Jaune de miel. — Jaune de cire. Jaune de paille. — Jaune de bronze. — Jaune de vin. Jaune d'ocre. — Jaune d'isabelle. — Jaune orangé. Le rouge. Rouge de brique. — Rouge hyacinthe. — Rouge de cuivre. — Rouge aurore. — Rouge écarlate. — Rouge de kinorodon. — Rouge de sang. — Rouge de carmin. — Rouge de cerise. — Rouge de cochenille. — Rouge de chair. — Rouge de rose. — Ronge fleurs de pêche. DES INSECTES. 35i •— Rouge colombin. — Rouge cramoisi. — Rouge mordoré. — Rouge brunâtre. Le brun. Brun rougeâtre. — Brun de girofle. — Brun de bois. — Brun jaunâtre. — Brun de clicvcux. — Brun de tombac. — Brun de peau. — Brun de bistre. — Brun de foie. — Brun noirâtre. Nous allons maintenant faire connoître le système le plus raisonné qui ait encore paru sur la nomenclature des couleurs ; celui de Lamarck. A raison de son impor- tance , nous le donnerons ici tout entier , et presque sans changer les paroles de l'au- teur. Ce travail n'est pas d'ailleurs assez connu; ayant été publié conjointement avec divers Mémoires sur la chimie de ce même naturaliste , il a éprouvé le même sort ; je veux dire que les savans opposés de senti- ment ont jugé à propos de ne pas en parler, et d'éviter des discussions. Lamarck , d'après de profondes recher- ches, est parvenu à prouver que l'ordre des couleurs admis par les physiciens , d'après la considération de l'arc-en-ciel et du prisme, ne présente point réellement Tordre naturel des couleurs, mais deux branches renversées de cet ordre, et jointes ensemble l'une au 532 COULEURS bout de Fautie, en supprimant le blanc et le noir, qui sont aux extrémités de la série naturelle, et que ni l'arc -en- ciel , ni le prisme ne peuvent donner. Par ce renver- sement des deux branches dont il s'agit, lo jaune se trouve appuyé contre le bleu; il eu résulte sans doute en cet endroit un mé- lange de rayons jaunes et de rayons bleus qui produit la couleur verte qu'on remarque dans l'arc -en -ciel et dans le prisme, mais qu'on ne rencontre point dans la série natu- relle des couleurs, parce que cette couleur verte , comme tant d'autres , n'est qu'un mélange de couleurs naturelles déplacées de leur ordre. Ayant senti, avec tous les naturalistes, combien il étoit désagréable et même désa- vantageux aux progrès des sciences, de ne pouvoir indiquer par le discours, avec une certaine précision, les couleurs des objets que l'on observe, et de ne pouvoir assigner, dans la description que l'on donne de ces objets, ce genre de caractère qui, quoique très-variable dans un grand nombre de cas , n'en est pas moins, dans beaucoup d'autres, très -utile, et quelquefois même nécessaire à déterminer; persuadé de la nécessité de pouvoir distinguer les couleurs naturelles, DES INSECTES, 333 (Considérées dans Tordre même où la Nature les place , de celles formées d'un mélange de ces couleurs naturelles déplacées de leur ordre , ce célèbre naturaliste a construit une échelle cbromométrique dans laquelle chaque teinte colorante une place iixe et déterminée. Cette échelle importante, graduée d'une manière fixe et comparative, présente toutes les couleurs naturelles possibles, sans mé- lange d'aucune d'elles par des déplacemens de leur ordre ; ce qui fait qu'elle n'en offre qu'un nombre borné , facile à connoître , commode à indiquer dans toutes sortes de cas, et néanmoins suffisant pour la déter- mination de toutes les couleurs qui résultent des mélanges de couleurs naturelles dépla- cées de leur ordre. Elle a l'avantage pré- cieux d'offrir aux naturalistes un moyen de completter leurs descj'iptions , et de se faire comprendre par le simple discours; elle présente aussi une suite naturelle et méthodique de colorations diverses , dont chacune pourra être déterminée et citée séparément des autres. Les aitistes y pu se- ront également des ressources pour se faire entendre à cet égard. S'étaut entièrement conYaincu qu'il exis- 354 COULEURS toit une série naturelle de teintes colorantes j résultantes, dans son opinion, des difïérens dégrés de découvrement du feu fixé dans les corps; que, dans cette série, la place de chaque teinte étoit invariablement fixée par la Nature même ; et que , si on n'y rencontre point une multitude immense de colorations particulières que l'observation de la cou- leur des corps fait connoître tous les jours , c'est que ces colorations proviennent d'un mélange de teintes colorantes déplacées de leur ordre ; il crut indispensable et même nécessaire de distinguer en deux ordres par- ticuliers toutes les couleurs connues et pos- sibles. Pour exécuter convenablement l'échelle chromométrique que présente le premier de ces deux ordres, c'est-à-dire, la série natu- relle et graduée dans laquelle chaque teinte colorante a une place fixe et déterminée , il importe de fixer la place de chacune de ces teintes d'une manière précise et à l'abri de tout arbitraire. Voici à cet égard les moyens qu'il faut employer pour y parvenir. Choisir d'abord trois couleurs remar-» quables, le jaune, le rouge et le bleu, que l'on doit considérer comme trois points principaux de coloiatiou. DES INSECTES. 335 Sur Tobservation précieuse que Lacépède a faite à Lamarck, il a pris pour type du jaune , du rouge et du bleu de son échelle chromomé trique , le jaune, le rouge et le bleu même de la Nature, en imitant avec des matières colorantes préparées les mêmes couleui^s prises dans celles du prisme ou de l'arc-en-ciel , et pour cela il consulte la teinte de la partie moyenne de chacune des bandes colorées dont il vient d'être fait mention. Il faut observer à ce sujet que, s'il est assez facile de déterminer la couleur de la partie moyenne de la bande rouge, parce que cette bande a toute sa largeur naturelle, il est bien plus difficile de saisir celle de la bande bleue et celle de la bande jaune, parce que ces deux bandes ont cha- cune la moitié de leur largeur employée à former la bande verte , ce qui les rend une fois plus étroite que les autres. Ces trois premières couleurs étant déter- minées, et en ayant fixé les teintes avec des matières colorantes broyées et préparées à l'huile, il est évident qu'un mélange de parties égales de bleu et de rouge doit don- ner la couleur violette; et qu'ensuite un mélange de parties égales de rouge et de jaune doit donner la couleur orangée. 556 COULEURS Voici donc cinq couleurs principales éta- blies, le jaune, l'orangé, le rouge, le violet et le bleu; elles forment, dans la série na- turelle des couleurs, comme cinq points de repos ou au moins cinq colorations remar- quables. Or, en conservant l'ordre de colo- ration , Lamarck a construit son échelle chromométrique de la manière suivante : 11 la partage d'abord en soixante dégrés égaux , qui offrent les places fixes de soixante teintes colorantes , à chacune desquelles il assigne un nom ; et inscrivant de dix en dix dégrés chacune des cinq couleurs principales, dont il a déjà fixé la teinte , le jaune se trouve au n° lo, l'orangé au uP 20 , le rouge au no 3o , le violet au n° 40 , et le bleu au n" 5o , le noir au 11" 60 , termine la série , et offre réellement le maximum de la colo- ration ; au lieu que le blanc à l'autre extré- mité est hors de rang , parce que ce n'est point une couleur réelle , mais une simple apparence. Il faut néanmoins se procurer cette fausse couleur par une matière propre à la rendre ( comme le blanc de plomb ) , parce que cette matière doit entier dans la composition d'un grand nombre de couleur de second ordi e , et aider à former les teintes des INSERT FOLDOUT HERE DES INSECTES. 5^7 des neufs premiers numéros de réclielle chromométrique : il l'indique par un O. Eusuite , pour former chaque teinte d'une manière fixe et régulière , il partage toutes les masses de matières colorantes qu'il veut employer , chacune en dix parties égales ; ce partage peut se faire au moyen d'une petite mesure cubique. Il seroit plus convenable de partager ces matières colorantes en portions mesurées par la pesanteur que par le volume. Cela seroit en effet plus exact, si l'on employoit ces matières dans leur état de sécheresse et de densité ou d'aggrégation ; mais, étant plus à propos de ne faire le partage dont il s'agit que sur des matières colorantes broyées et toutes préparées à l'huile , il pense qu'il n'y a point d'inconvénient de les mesurer au volume. Les matières colorantes étant bien prépa- rées , voici comment il faut opérer pour cons- truire ladite échelle chromo m étriqué , et dé- terminer les soixante teintes qui la com- posent. En partant du blanc pur , l'on forme la première teinte colorante , c'est-à-dire , la plus foible des soixante teintes ; c'est un mélange de neuf parties de blanc et de deux Ins. Tome L Y 538 COULiSURS de jaune ; la seconde teinte résulte du mé- lange de sept parties de blanc et de trois parties de jaune. Voyez le modèle ci-joint de réchelle chromométrique. Dans quelque pa3's que Ton soit , chacun peut se construire une échelle semblable à celle dont il est parlé ci-dessus , d'après les principes qui viennent d'être exposés ; et dès lo¥s on sera enétat d'entendre les cita- tions que les savans et les artistes des autres pays pourront faire des teintes de cette même échelle appliquée aux objets dont ils par- leront. A-t-on besoin d'une plus grande précision dans la teinte naturelle que l'on voudra citer, on peut diviser cette échelle en cent vingt parties. Pour cela , il suffira de par- tager chaque teinte déjà nommée en deux bandes : savoir , en demi-teinte , et en teinte proprement dite. On suivra, pour leur com- position , les principes déjà exposés. Ainsi la demi-teinte du n° i sera composée de neuf parties et demie de blanc , et d'une demi-partie de jaune , et la teinte du même n° sera formée, comme il a été dit , de neuf parties de blanc et d'une de jaune , ainsi de suite. Voyez l'échelle chromométrique çi- j ointe, divisée en cent vingt parties. INSERT FOLDOUT HERE DES INSECTES. 55q 'I DES COULEURS D'APPARENCE, o u De celles qui n'ont de réel que V apparence, et qui sont formées d'un mélange de couleurs naturelles déplacées de leur ordre. «Oans la connoissajice de Tordre naturel des couleurs, dit Lamarck , el: sur -tout sans la détermination des différentes teintes de cet ordre , et du rang ou de k place que chacune d'elles occupe dans l'échelle cliro- mométrique qu'elles composent , il eût toujours été impossible de se recoimoître parmi l'nnmense quantité de teintes diverses qui colorent tous les corps de la Nature • et jamais on n'eût pu déterminer , par le dis- cours, soit la nature, soit la composition de toutes les couleurs qu'on peut observer. » Mais actuellement que nous connoissons une série natm^elle et déterminée de couleurs qu'on peut nommer directes et véritables, parce que ces couleurs ne sont point de simples apparences, et qu'elles résultent de la réflexion de rayons lumineux semblable- Y a ^40 COULEURS ment colorés, il sera facile de concevoir uri moyen pour déterminer avec précision tous les mélanges que les couleurs vraies , mais déplacées de leur ordre , peuvent former les unes avec les autres; mélanges qui, par l'illusion optique, constituent des couleurs apparentes, diflérentes de celles des rayons qui les forment , et dont la Nature nous offre des millions d'exemples. C'est de ces couleurs apparentes dont il s'agit maintenant; elles forment un second ordre de coloration, qui comprend » Toutes les couleurs d'un mélange de teintes naturelles, déplacées du premier ordre )). Toutes les couleurs possibles, qui appar-» tiennent à ce second ordre , pourront à l'avenir être déterminées et citées par le discours. On a beaucoup travaillé sur ce sujet, et on a fait bien des recherches pour déter- miner toutes les colorations que peuvent offrir, soit l'observation des corps, soit leur décomposition, et pour les imiter. Mais per- sonne, avant Lamarck , n'ayant établi réelle- ment la série naturelle des couleurs vraies, l'on ne pouvoit en distinguer les couleurs DES INSECTES. 541 de simple apparence , ni en indiquer la com- position et les moyens de les imiter. D'après cette échelle cliromomé trique fixe , régulière et comparative, Ton peut établir la détermination des principales couleurs d'apparence avec une précision qui, jus- qu'alors , avoit été impossible. Pour y parvenir , il faut déterminer les teintes de demi-apparence, c'est-à-dire, dit toujours Lamarck , celles qui résultent de l'éclaircissement ou du rembrunissement des teintes naturelles par leur mélange avec le blanc ou le noir; mélange qui fait naître une apparence qui n'est pas complettement celle des rayons colorés que les corps colorés réfléchissent. Il forme, pour cette détermi- nation, deux tableaux ( 1 ). Le premier offre la détermination des teintes naturelles, éclairciesou modifiées par leur mélange avec le blanc ; en sorte que ces teintes représentent celles des corps qui ont une partie de leurs molécules essentielles de couleur blanche; tandis que les autres mo- lécules essentielles, aggrégées ou réunies avec (i) Nous renvoyons pour ces tableaux au Mémoire de Lajnarck. Nous nous bornerons ici à indiquer la marche qu'il a suivie dans leur formation. Y 5 343 COULEURS elles, réfléchissent des couleurs naturelle^ d'une teinte quelconque. Il en résulte que les rayons blancs ou complets, et les rayons colorés ou incomplets, que réfléchissent ces corps, présentent une apparence qui n'est pas complettement celle des rayons colorés réfléchis. « Chacune des soixante teintes de Té- chelle chromométrique , dit Lamarck , que l'on a inscrite à la droite du tableau, est divisée en neuf teintes particulières, distin- guée chacune par une lettre majuscule , qui lui sert de signe indicatif, et par deux chiffres écartés l'un de l'autre, qui désignent les proportions de la couleur, et celle du blanc mélangée avec elle. » Ainsi la teinte grisâtre qui est au sommet du tableau, est divisée elle-même en neuf teintes, composées de la manière suivante : « La teinte A. . . i partie de noir et g de blanc. B. . . 2 parties de noir et 8 de blanc. C. . . 5 parties de noir et 7 de blanc. D. . . 4 parties de noir et 6 de blanc. E. . . 5 parties de noir et 5 de blanc. F ... 6 parties de noir et 4 de blanc. G. . . 7 parties de noir et 3 de blanc. H. . . 8 parties de noir et 2 de blanc. I, . . 9 parties de noir et i de blanc. D E s I N s E C T E s. 543 )) Les autres teintes sont divisées de la même manière; et comme toutes celles qui composent le tableau sont au nombre de soixante, et que chacune d'elles est partagée en neuf teintes , comme on vient de le voir , elles présentent ensemble cinq cents quarante teintes , résultantes d'un mélange de blanc en diverses proportions, avec les couleurs de Téclielle chromométrique. » Tout ce qui vient d'être dit du premier tableau des couleurs naturelles modifiées , s'applique parfaitement au second tableau. Il est composé de même , divisé de la même manière, et présente aussi cinq cents qua- rante teintes déterminées d'après les mêmes principes ,• mais , dans ce second tableau , les teintes qu'il renferme sont rembrunies par leur mélange avec le noir. » Ces teintes représentent celles des corps qui ont une partie de leurs molécules essen- tielles de couleur noire ; tandis que les autres molécules essentielles, aggrégées ou réunies avec elles, réfléchissent des couleurs natu- relles d'une teinte quelconque. Ce mélange de molécules qui réfléchissent les raj^ons colorés , et de molécules noires , forme une apparence qui n'est pas complettement celle des rayons colorés réfléchis». Y 4 54i COULEURS Les teintes de ce second tableau étant toutes différentes de celles du premier, il faut une nomenclature différente. Lamarck observe à cet égard que, si l'on trouve sa nomenclature trop défectueuse, il sera très- facile de la corriger ou de la refaire entière- ment, sans changer les divisions. Tordre et l'utilité de ces tableaux. Des tableaux de couleurs d'apparence. Il a déjà été dit que , quand différentes couleurs, naturellement déplacées de leur ordre, se trouvent mélangées ensemble, il en résulte une illusion optique, c'est-à-dire, une apparence qui ne rend l'idée d'aucune des couleurs du mélange dont il s'agit ,• mais que ce mélange forme une colojation parti- culière qui n'existe que par l'apparence. Ainsi, lorsqu'un corps résulte de l'aggrégation ou de la réunion de molécules essentielles jaunes, et de molécules essentielles bleues, mélangées ensemble, quoique ce corps ne réfléchisse réellement que des rayons jaunes et des rayons bleus, l'œil cependant n'a- perçoit ni jaune ni bleu, mais seulement une couleiu: verte. Eh bien ! cette couleur, qui est fausse, est une de celles qui sont D E s I N s E C T E s. 545 nommées couleurs d'apparence , c'est-à-dire ; couleurs qui n'existent que par Fapparence. La Nature , par la diversité des proportions qui peuvent avoir lieu dans les mélanges des couleurs vraies, en offre de cette sorte une quantité immense. Cependant , en rédui- sant les proportions possibles à des combi- naisons méthodiquement distribuées, on peut déterminer les principales de ces fausses cou- leurs, et même fixer la composition et la teinte d'une quantité suffisante de ces cou- leurs, pour se faire entendre dans un très- grajid nombre de cas où l'on aura besoin de citer ces colorations singulières. C'est ce que Lamarck a essayé d'exécuter dans les tableaux suivans. Lamarck voulant, dans le premier de ces deux tableaux , combiner deux à deux les couleurs déplacées de leur ordre, Dolomieu lui conseilla de mettre, en regard de son échelle chromométrique , la même échelle , dans une situation renversée. Il ne profita pas en entier de cette idée, parce qu'il vit qu'une moitié des teintes résultantes du mé- lange des couleurs opposées , seroit la répé- tition de l'autre ; mais il en employa une partie ; car , ayant rompu son échelle chro- mométrique en deux branches égales, il 346 COULEURS renversa la supérieure, et la plaça en face de l'autre. Cette opération lui a fourni le moyen de liiélanger deux à deux toutes les couleurs de Féchelle chromométrique , de manière que celles de sa partie supérieure se trouvent en opposition avec celles de sa moitié inférieure. Quant aux principes de composition de chacun de ces deux tableaux, ils sont les mêmes que ceux qu'il a employés dans les deux tableaux des couleurs naturelles mo- difiées. Ainsi chaque couleur d'apparence , résul- tante du mélange des deux couleurs natu- relles en opposition, est divisée en neuf teintes secondaires, chacune par une lettre majuscule, qui sert à en faciliter la citation; et chacune de ces teintes secondaires pré- sente dans la case deux chiffres séparés l'mi de l'autre , lesquels désignent les proportions des deux couleurs mélangées. Le chiffre de la droite indique ]a proportion de la couleur de ce côté, et le chiffre de la gauche indique celle de la couleur de la gauche. Le même principe est employé pour toutes les autres teintes; de sorte que les lettres majuscules et les chiffres des cases corres- pondantes, servent pareillement à désignée DES INSECTES. 347 ces teintes , et à indiquer leur compo- sition. Les trente couleurs d'apparence, com- prises dans ce premier tableau , étant par- tagées chacune en neuf teintes secondaires, présentent ensemble deux cents soixante- dix teintes particulières , formées d'un mé- lange de couleurs naturelles combinées deux à deux ; quantité qui offre assurément , dit Lamarck , les principales teintes de cet ordre de coloration , et qui suffit à tous au besoin. Le second tableau des couleurs d'appa- rence comprend des colorations formées d'un mélange de trois couleurs naturelles déplacées de leur ordre. Pour composer ce tableau , Lamarck a placé d'un côté les trente couleurs d'appa- rence déjà déterminées , parce que chacune d'elles offre un mélange de deux couleurs naturelles ; et de l'autre côté en opposition , il a inscrit la première moitié de l'échelle chromométiique , mais dans une situation renversée. Par là les trente couleurs d'apparence, en regard avec les trente couleurs de l'é- chelle chiomométrique, nous présentent la foxmation d'un mélange connu de trois cou- 548 COULEURS leurs naturelles ; tel étoit l'objet de ce second tableau. Les trente couleurs d'apparence du pre- mier de ces deux tableaux , étant divisées chacune en neuf teintes ( A , B , C , D , E , F , G , H , I ) , on a le moyen de former huit autres tableaux semblables au second, dont il s'agit maintenant ; mais ne trouvant pas néccssah'e de les donner tous les neuf, un seul pouvant suffire et servir d'exemple pour la composition des autres, pour chacune des trente couleurs d'apparence du premier ta- bleau , Lamarck a choisi la teinte E , parce qu'elle est moyenne entre les huit autres , et qu'elle a l'avantage d'offiir un mélange moins inégal de trois couleurs naturelles employées. Il partage , d'après les mêmes principes , les trente couleurs apparentes du second ordre , résultantes du mélange dont il a été fait mention en neuf teintes particulières , et dont chacune est toujours distinguée aussi par une lettre majuscule ; ainsi ce second tableau présente , comme le premier , deux cents soixante-dix teintes particulières, dont la formation précise est déterminée ; et comme , au lieu d'un seul tableau de cou- leurs apparentes du second ordre , ou peut DES INSECTES. 549 aisément en construire neuf, avec le même degré de précision , il est évident que voilà pour les neuf tableaux du second ordre deux mille quatie cents trente teintes con- nues; en y ajoutant les deux cents soixante- dix teintes du premier tableau des couleurs d'apparence , on aura deux mille sept cents teintes bien déterminées des couleurs dites d'apparence , parce qu'elles n'existent pas réellement. Lamarck n'a pas exécuté ces mélanges de couleurs ; car il sent qu'ils offrent pour lui des difficultés dans le choix , la prépa- ration et le partage des matières ; mais il a considéré que , pouvant manquer d'instruc- tion et d'adresse à cet égard , il importoit plus pour l'objet qu'il se propose , d'en dé- terminer le principe que de le mettre à exécution. Tout bon artiste pourra en venir à bout : les difficultés sont dans la fixation des trois teintes principales de son cliromomètre , que Lamarck appelle aussi son échelle chromo^ métrique , c'est-à-dire, dans la détermination du jaune , du rouge et du bleu ; et dans le choix des trois matières à employer pour rendre ces trois teintes , le jaune sur- tout peut embarrasser. L'orpin jaune approche 55o COULEURS davantage du jaune du spectre solaire que celui de la gonime-gutte ; mais cette inatière colorante s'altère par sou mélange avec le blanc de plomb. Pour le rouge , on prendra le carmin le plus approchant du rouge de la nature. Quant au bleu , on pourroit se servir de Toutre-mer, s'il n'étoit pas d'un si grand prix : le bleu de Prusse le remplaceroit peut-être. Je fais des vœux bien sincères pour l'exé- cution des tableaux de couleurs que propose Lamarck. Il seroit à désirer que l'admi- nistration du muséum d'histoire naturelle voulût s'en occuper ; elle le peut , ayant dans son sein, et celui qui en a conçu le plan , et des peintres célèbres ,• elle en reti- reroit un grand avantage , parce que tous ses correspondans pouiToient , à la faveur de ces tableaux, désigner la teinte de telle fleur, la teinte des yeux de tel oiseau, etc.; elle rendroit ensuite le plus grand service à l'histoire naturelle , et les savans de tous les pays pourroient enfin s'entendre sur un objet qui sera , jusqu'à ce qu'on prenne ce parti, un sujet de difficultés perpétuelles. On ne raisonneroit plus sur les couleurs comme des aveugles. DES INSECTES. 55i On poiUToit en simplifier la marche, réduire de moitié, sans inconvénient, le nombre des teintes , leur donner une dé- signation plus appropriée à celles qui sont déjà reçues. Pourquoi, au lieu de ces mots de rapports , maxime , double , triple , sous demi, tiers, etc. etc., ne diroit-on pas, très- intense, intense, très-foncé , foncé , très-gai^ gai , très-clair, clair, etc. ? On seroit njieux: entendu , et dès loi*s mieux suivi. On trouve , dans les Récréations d'Oza- mm, et dans l'Encyclopédie méthodique, Amusemensdes sciences , pag. 764, une mé- thode tout à fait ingénieuse pour représenter la série naturelle des couleurs et leurs com- binaisons; cette suite forme un triangle équi- latéral , nommé chromatique. On divise les deux côtés sur la base en treize parties égales , et tuant par les points de division , de chacun de ces côtés , des lignes parallèles , on forme quatre-vingt- onze rhombes égaux. Aux trois rhombes angulaires sont placées les trois couleiu-s primitives , le rouge , le jaune et le bleu , dans un même degré de concentration. Vous avez entre le jaune et le bleu onze cases, que vous remphssez ainsi: dans la plus voisine du jaune, vous mettez 353 COULEURS onze parties de jaune et une de rouge ; dans la suivante , dix parties de jaune et deux de l'ouge , et vous diminuez ainsi ])rogiessi- venient le jaune en augmentant le rouge , de manière qu'à la case , qui est immédia- tement avant le rliombe entièrement rouge, vous ayez onze parties de cette couleur sur une de jaune. Remplissez suivant la même progression les cases qui sont comprises entre le rhombe rouge et le rhombe bleu , et entre celui - ci et le jaune , il en résultera toutes les nuances pourpres , et toutes celles qui sont vertes dans une dégradation semblable. Formons les autres cases; par exemple, celles du troisième rang transversal , au des- sous du rouge , et qui sont au nombre de trois ; une des cases extrêmes étant formée de dix parties de rouge et de deux de jaune, et la case de l'autre bout , de dix parties de rouge et de deux de bleu , vous donnerez k la case moyenne dix parties de rouge , une de bleu et une de jaune. Vous formerez les autres cases d'après les mêmes principes : ainsi, celle qui vient im- médiatement après une des deux extrêmes, aura , i° le même nombre qu'elle de parties de rouge , couleur commune à toutes les cases j D E s I N s E C T E s. 353 cases excepté à celles qui fojment Ja ligne de la base , entre le jaune et le bleu; »» ^^^ partie de moins de Ja couleur jaune ou bleue jonite au rouge , suivant le côté où se trouve cette case; 3^ ei, outre, une partie de la couleur du rhouibe opposé de la base, cest-a-dire, une partie de bleu, si cette case est plus près du côté où est le rliombe angulaire jaune , et «0. ^ersd ; on suivra ensuite la progression. Citons encore un exemple. Une des cases extrêmes du qua- trième rang est composée de neuf parties Je rouge et de trois de jaune, tandis que la case de 1 autre bout est remplie de neuf parties de rouge et de trois de bleu • la seconde case de ce rang, ou celle qui suc- cède a la case extrême de neuf parties de rouge et trois de jaune, aura neuf parties de rouge deux de jaune et une de bleu • celle de lautre côté aura neuf parties dé rouge deux de bleu et une de jaune; Im- termediaire aura neuf parties de rouge, une de ,aune et deux de bleu. Si l'on vouloit avoir toutes les couleurs du plus clan- au plus brun , savoir , du blanc au non- on trouveroit pour chaque case douze degrés de gradation jusqu'au blanc, et douze autres cases jusqu'au noir. Multi- ins. Tome I. 2 354 COULEURS pliant ainsi 91 par 24, nous aurions 2184 couleurs perceptibles ; en y ajoutant 24 gris, résultat des combinaisons du noir et du blanc , nous aurons 2208 cases composées ; mais peut - être ne doit - on pas compter , remarque-l-on , comme des couleurs réelles, celles qui sont formées de couleurs pures avec le noir. Dans ce cas , on réduiroit les véritables couleurs, et leurs nuances du plus foncé au plus clair, à 1092, ce qui , avec le blanc, le noir et 12 gris, formeroit 1106 couleurs. On peut voir plus de détail , et la figure de ce triangle chromatique , dans les deux ouvrages qui m'ont fourni cet extiail,et que j'ai cités plus haut. La division duodénaire a de grands avan- tages , et je la préfererois ici à la division décadaire établie par Lamarck. Je tâcherai , pour l'intelligence de cet ou- vrage , de faire exécuter ce triangle cliio- matique ; j'y ajouteiai les différentes teintes du gris, et les combinaisons principales, par deux , par tiois , par quatre , par cinq , du blanc et du noir, avec le rouge, le bleu et le jaune. Cependant, afin de ne pas trop compliquer ce tableau, je ne donnerai qu'eu - yiron deux cents teintes , auxquelles j'ap- D E s I N s E C T E s. 355 pliquerai , autant qu'il sera possible , une dénomination prise d'une chose très-connue, ayant une couleur analogue. Ce nombre de teintes est, je crois, suffisant dans les cir- constances ordinaires; car, s'il falloit donner toutes les combinaisons de couleurs percep- tibles , les deux mille quatre cents trente teintes de Lamarck ne nous satisferoient pas encore. J'y ajouterai quelques couleurs métalliques , les ailes du papillon nous offrant l'éclat de l'argent et de l'or. 2 A 55G UTILITE - ■ • — ' s QUATR.IÈME DISCOURS. De Vutilité des Insectes et de leurs dégâts (i). X ARMi tous les animaux que Yhomme appelle ses ennemis, il n'en est point qu'il doive plus redouter que les insectes, car il n'en est point qui agissent sur sa peisonne et sur ses propriétés avec plus de perman- nence,plus de succès et moins de possibi- lité de rébellion ; cependant il ne faut pas croire que la masse de ceux qui sont nui- sibles surpasse celle des utiles ,• car on doit mettre dans cette dernière ceux qui nous servent d'auxiliaires, c'est-à-dire, qui vivent aux dépens des autres. Sans ces derniers , toute la puissance de l'homme ne pouiroit empêcher annuellement la destruction de (i) Nous avons déjà parlé , dans le Discours sur l'instinct et l'industrie des insectes , de l'utilité ainsi que du dégât de ces animaux. Mais, comme ce n'a été qu'accidentellement et d'une manière incompletle, nous devons présenter isolément la niasse des obser- vations recueillies à ce sujet. DES INSECTES. 557 ses récoltes; il seroit forcé d'abandonner la culture de la terre et de renoncer aux anî- maux pâturans qu'ils s'est assujettis. C'est par la connoissance des insectes , c'est par l'observation de leurs mœurs, que riiomme peut non seulement acquérir des idées vraies sur leurs rapports avec lui, mais encore trouver les moyens d'en diminuer le nombre ou de les faire tourner à son profit , soit directement, soit indirectement. Ainsi, loin de proscrire l'étude de cette classe nombreuse d'animaux , loin de la placer au nombre des occupations oiseuses , on doit l'encourager par tous les moyens possibles. Pour faire sentir la vérité de cette propo- sition , il ne s'agit que de présenter un rapide tableau de l'utilité dont peuvent être les in- sectes, et des dommages qu'ils nous occa- sionnent. Si on ôte, avec quelques naturalistes, les crustacés de la classe des insectes, on trou- vera qu'un bien petit nombre d'espèces de ces derniers sont dans le cas de servir à la nourriture de riiomme;ils forment la classe où il trouve le moins de ressources à cet égard. En effet nous savons que , de toute antiquité , les sauterelles , ou bien les gril- lons, ont servi d'aliment aux peuples qui Z 3 358 UTILITE habitent les déserts de l'Asie et de TAfrique ; mais aussi nous voyons que cette nourriture n'a jamais été fondamentale pour eux; ce n'est qu'au défaut d'autres moyens de sub- sistances ou momentanément qu'ils en font usage. Tous les voyageurs s'accordent à le dire , et ajoutent que , si cet aliment est agréable au goût , il est extrêmement peu nourrissant, et donne lieu, par sa continuité, à des maladies graves, celle qui est princi- palement connue sous le nom de lèpre. Dans différentes contrées de l'Inde , chez plusieurs peuples sauvages de l'Amérique, on recherche les larves des insectes coléop- tères qui se nourrissent dans l'intérieur des arbres , en particulier celles du charanson, du palmier, des lucanes, des passales, des priones, etc. Mais, quelque sain et délicat que soit ce met apprêté convenablement, il ne pourra jamais paroître de quelque importance aux yeux de ceux qui savent combien peu ces larves sont communes, et combien il est difficile de se les procurer. Ce ne sera jamais que la classe la plus riche ou la plus pauvre qui sera dans le cas d'en faire usage. Les romains mangeoient aussi la larve d'un insecte qu^ils appeloient cossus. On a DES INSECTES. 569 prétendu que c'étoit celle qu'on trouve sous l'écorce du saule et de l'orme, et qui porte le même nom ; mais il ne paroît pas que cela soit , car cette larve , qui est une vraie chenille, est imprégnée d'une humeur qui lui donne une odeur insupportable , et sans doute un goût désagréable. Dans quelques cantons de l'Afrique et de l'Amérique , on mange souvent des fourmis blanches ou des termes, au rapport des voya- geurs , mais ils ne disent pas que ce soit habi- tuellement , et il y a lieu de croire que c'est également par circonstance , dans des mo- mens où ces peuples, à demi- sauvages, manquent d'autres moyens de subsistance. Néanmoins, si nos connoissances actuelles ne nous permettent pas d'étendre davantage la liste des insectes qui servent directement de nourriture à l'homme , elles nous auto- risent à dire que cette classe d'animaux nous fournit indirectement des moyens de sub- sistance très- abondans. Il suffit de nonniier les oiseaux et les poissons qui , comme tout le monde sait , vivent en tout ou en partie aux dépens des insectes ou de leurs larves. D'un autre côté l'abeille rassemble pour nous le miel épars dans les nectaires de mille fleurs. Quel est celui qui oseroit nier son Z 4 56o UTILITE utilité? Peu d'insectes méritent plus la re- connoissance de l'honinie que l'abeille; aussi a-t-elle été louée par lui dans tous lès siècles. , Après l'abeille on ne peut plus citer d'in- sectes qui fournissent des produits alimen- taires d'une certaine importance à l'homme. En effet , l'acide qu'on retire des fourmis y et dont on fait une boisson agréable; les galles que font naître des cinips sur la sauge de l'ile de Crète et sur le lierre terrestre {gleclioma hederacea Lin.) , et que mangent avec plaisir les femmes et les enfans, sont des^ objets d'une très-petite import«.nce. Les secours que la médecine retire des insectes ne sont pas non plus fort étendus. Tout le monde connoît les cantharides; leur emploi est trop général pour qu'il soit né- cessaire de s'appesantir sur leurs propriétés. Ces mêmes cantharides, prises intérieure- ment à une très-petite dose, ont un effet très-marqué sur la vessie et les organes qui l'avoisinent ; mais c'est un poison si dange- reux que ce n'est qu'à des mains très-habiles qu'il est permis d'emploj^er ce remède. Plusieurs autres insectes jouissent aussi de la propriété vésicatoire à un moindre degré ; et on croit que les anciens employ oient le mylabre de la chicorée au même usage. D E s I N s .Jî C T E s. 3Gi quoiqu'il n'ait pas Toclcur nauséabonde efc l'àcreté brûlante des cantharides. On ordonne souvent la poudre de cloporte dans rasthme, dans l'esquinancie, Fliydro- pisie , dans les maladies où il faut fondre efc résoudre les humeurs, purifier le sang, etc. On a préconisé le proscaiabée contre la rage, quoique ses bons effets ne soient rien moins que constatés. La galle du chêne, celle du rosier sont également mises en usage par la médecine; on est cependant fondé à croire qu'elles n'ont d'autres vertus que celles de la plante, aux dépens de laquelle elles ont été formées; seulement leur action est plus prononcée. Une fourmi de Cayenne {formica fun- gosa Fab. ) compose son domicile d'un duvet végétal qu'on a reconnu être une des meil- leures substances qu'on puisse employer pour arrêter les hémorrliagies artérielles. C'est sur-tout dans leurs rapports d'utilité secondaire que les insectes présentent le plus d'intérêt pour l'homme. Il suffit de nommer la soie et l'écarlate pour réconcilier avec eux la femme la plus dédaigneuse , l'homme d'état le plus irrité des ravages qu'ils causent. En effet, qui n'a pas admiré les briilans tissus faits avec le fil des cocom 362 Û T î L î T É de la chenille , du bombix , du mûrier ? qui n'a pas été frappé de l'éclat de la cou- leur que fournit la cochenille? Toutes les classes de la société reconnoissent les avan- tages sans nombre qui résultent de la cul- ture et de l'emploi de ces deux substances. Il seroit possible de prouver que les béné- fices, que procurent aux peuples industrieux ces deux articles de commerce, suffisent pour les dédommager des pertes que leur occasionnent les ravages de tous les autres insectes dans les années les plus désastreuses. Si la soie et la cochenille doivent tenir le premier rang parmi les substances provenant des insectes, qui servent aux arts, il en est encore d'autres du même genre qui peuvent également être employées à notre usage. Ainsi Molina rapporte qu'une chenille du Cliili donne une soie qui n'est guère infé- rieure à la i;iôtre; ainsi plusieurs chenilles du pays en fournissent, qui, cardée, peut être filée avec quelque succès; ainsi le ker- mès du chêne et celui du scléranthe, ap- pelé coccus polonicus ^ donnent à la teinture un rouge moins brillant et moins abondant que celui de la cochenille, mais plus solide et de nuance différente. Il seroit à désirer que l'on fit un -grand nombre d'expériences DES INSECTES. 365 sur les couleurs que Ton peut retirer de plusieurs gailinsectes du pays. Je suis per- suadé que les essais conduiroient à quelque chose d'utile. Les galéruques et d'autres insectes frugivores répandent une liqueur agréablement colorée en rouge, en orangé, en jaune. Pourquoi ne la mettroit-on pas à profit? Le trombidion soyeux pourroit aussi être employé. On obtient encore de la matière de la soie d'autres avantages que ceux que tout le monde connoît. Les chinois, et actuelle- ment, dit-on, les anglais, tirent cette ma- tière de son réservoir même , et en font de superbes vernis ,• ils en tirent encore ces fils , appelés dans le commerce racine de Bengale y qui sont si avantageux pour attacher les ha- meçons aux lignes. Le grand Réaumur nous: avoit mis depuis long-tems «ur la voie de ces recherches. Un véritable philosophe ne trouve rien à dédaigner dans les moyens industrieux d'un peuple. Il a été fait des essais, à diverses reprises, pour faire des tissus avec les fils de l'araignée. Les expériences ont donné des résultats sa- tisfaisans jusqu'à un certain point ; mais la difiiculté de rassembler un grand nombre de ces animaux ne permet pas d'en espérer 564 U T I 1, I T E en définitif quelque chose de bien avan- tageux. Un insecte qu'on avoit d^abord cru du genre des fourmis, mais qui paroît être une coclienille, dépose sur les branches des ar- bres, dans les parties les plus chaudes de l'Asie, une résine rouge qu'on appelle laque ^ et qui est d'un grand usage dans les arts, principalement dans celui du vernisseur ; c'est elle qui donne la couleur à la bonne cire à cacheter. Quelques naturalistes ont attribué la for- mation du succin à des insectes. Ils ont cru que cette substance étoit une résine végétale altérée par les fourmis. Cette opinion n'est pas prouvée, mais elle a quelques faits en sa faveur. Peut-on oublier ici la cire que nous four- nissent les abeilles, et les nombreux usages auxquels elle est employée ? Non , il suffit de prononcer son nom pour rappeler toute son importance, et comme matière propre à brûler, et comme objet indispensable à plusieurs arts. Elle est l'objet d'un commerce très-important, soit brute, soit fabriquée. Il est encore d'autres avantages que l'on retire des insectes. On pourroit les ap}>eler indirects da second ordie. Ils ne frappent D E s I N s E C T E s. ^5 point le commun des hommes, quoiqu'ils soient très - considérables. Il n'appartient qu'au citoyen éclairé , à celui qui est accou- tumé à observer les faits et à en combiner leurs îésultats sous un grand nombre de rapports, à apprécier leur juste valeur. Un grand nombre d'insectes des genres sylphes , nicrophores , dermestes , nitidu- ies, etc., s'emparent des cadavres qui, par la lenteur de leur décomposition, porte- roient la contagion dans un canton,- ils en mangent les chairs , y versent une liqueur accélératrice de la fermentation putride. Un plus grand nombre d'autres, principalement du genre des mouches, y déposent leurs œufs quelquefois en si immense quantité, que les larves qui en naissent fo>lt en peu de jours disparoître les plus gros cadavres. Un autre ordre d'insectes, les scarabées, bousiers, les escarbots, les sphéridies et les larves de plusieurs espèces de staphilins , de sylphes, [de mouches , etc. , produisent journellement le même effet sur les excré- mens des grands animaux que leur visco- sité empêche de se réduire en terre, et les rendent par là plus rapidement propres à servir d'engrais. On l'a déjà dit, les insectes sont les plus 366 UTILITÉ puissans auxiliaires de riiomme, et on ne sauroit trop le répéter à ceux qui ne sont pas accoutumés à étudier la marche de la Nature, qui n'ont pas été à portée de re- connoitre le balancement général et cons- tant qui empêche la trop grande multipli- cation de certaines espèces. Citons des faits. Les seuls ichneumons font plus périr de chenilles dans le courant d'une aimée que la totalité des oiseaux qui vivent presque exclusivement à leurs dépens, sur-tout pen- dant l'éducation de leurs petits. Ces insectes, si peu connus, et qui méritent tant d'être étudiés , savent , ainsi que plusieurs mouches, déposer dans l'intérieur des chenilles et au- tres larves un nombre d'œufs proportionné à la grosseur de leurs victimes. Ces œufs donnent naissance à des larves qui dévorent la substance même du corps de ces chenilles, et les font plus ou moins promptement mourir. Il est encore de ces ichneumons qui déposent leurs œufs seulement dans les nymphes, ou dans les œufs. La variété de leurs moyens d'attaque et du résultat qui en est la suite sont également dignes de toute notre admiration. Ils savent trouver la larve la mieux cachée sous une écorce, ou au milieu d'mi fruit, comme celle qui DES INSECTES. 367 se promène sur les feuilles. Les plus petites ne sont pas plus à Tabri de leur action que les plus grandes. Rirbi rapporf^e que, sans eux, la tipule du froment, qui est à peine visible à l'oeil nud, auroit bientôt anéanti l'espoir de la récolte, dans la partie de l'AngleteiTe où il l'a observée. Après les ichneumons, on peut citer les carabes , les cicindèles , les spliex , les guêpes , les chiysides , les crabro , les fourmis , les libellules, les aiaignees, les punaises, les asiles, lesempis, les mantes, etc. , comme vivant aux dépens des autres insectes , et en détruisant un grand nombre chaque année. Il est encore quelques larves, et en parti- culier celles des coccinelles, des hémérobes, de plusieurs staphilins, etc., qui s'en nour- rissent également, et concourent par con- séquent à leur destruction. Quelques espèces de charansons , d'atte- labes, de teignes, de mouches, etc., en dé- posant leurs œufs dans Tintérieur de nos fruits, causent quelquefois de grands dom- mages; mais ils nous sont souvent utiles en ce qu'ils accélèrent la maturité de ces fruits , et en rendent quelquefois la ciiair plus savoureuse. La caprification des fii;ue5, opé- ra^on pratiquée de tout tems dans les îles 368 DEGATS de TArcliipel, et devenu si célèbre en France depuis que Tournefort Fa fait connoître , n'est autre chose que Tintroduction, dans Tinté- rieur des figues, d'un cinips ou d'un insecte peu différent, introduction qui en accélère la maturité et rend le fruit plus délicat. Mais, si ces insectes, comme on vient de le voir, sont utiles à l'homme sous un cer- tain nombre de rapports, ils lui sont nui- sibles sous tant d'autres, qu'il ne tient pas compte de leurs services, qu'il les prosciit tous comme ses ennemis. On est disposé à excuser cette injuste haine, lorsqu'on colisi- dère que les insectes dont il a à se plaindie agissent sur lui , les uns perpétuellement , les autres périodiquement ; de sorte qu'ils ne lui laissent pas un moment de repos ab- solu, qu'ils le tourmentent dans sa personne, et détruisent ses propriétés sans qu'il puisse, malgré la grande supériorité de sa puissance , parvenir à les détruire. Leur nombre, leur petitesse, ou les moyens que la Nature leur a donnés pour échapper à la vue , les ont sauvés jusqu'à présent, et les sauveront sans doute toujours de la proscription à laquelle ils sont voués. Pour pouvoir passer en revue, avec mé- thode, la suite de maux que causent les insectes , DES INSECTES. SGg insectes, il faut, àrimitation d'Olivier , men- tionner d'abord ceux qui ont une action directe sur Thonime, ensuite faire connoître ceux qui peuvent plus ou moins nuire aux animaux qu'il s'est soumis; et enfin entrer dans le détail de ceux qui détruisent le produit de ses récoltes végétales. Cet article est de la première importance; il embrasse peut-être la moitié des espèces qui existent. D'abord, même dans sa demeure et en- touré de tous ses moyens, l'homme est soumis , dans tout l'univers , à l'humiliante nécessité de fournir son sang pour substanter quelques insectes. La puce, le jour comme la nuit, lui fait sentir sa trompe aiguë, et se met par un saut hors de la portée de sa vengeance,* la punaise se cache dans les en- virons du lit où il sommeille , et le suce quand il dort. Aux douleurs que causent sa piquure se joint l'exécrable odeur que son corps répand ; aussi est- elle vouée à une haine générale. Le pou , qui se cache dans les cheveux , est principalement le persécuteur de Tenfance; mais il n'est point d'homme qui puisse assurer ne pas être, au moins momentané- ment, dans le cas de le craindre. Il en est de même, quoique plus rarement , de celui Jtis. Tome I. A a 570 DEGATS qui se promène à la base des poils qui voilent les organes de la génération, et qu'on trouve principalement dans les lieux de débauche crapuleuse. Dans les campagnes, outje les mêmes insectes, on est condamné de plus à souffrir, soit dans la chaleur du jour, soit le soir ou le matin, les piquures d'une multitude d'autres; et plus le pays qu'on habite est près de la Hgne, plus la saison où on se trouve est chaude, et plus les tourmens qu'ils font éprouver sont cruels. Les stomoxes, les taons, les asiles, quel- ques mouches , et sur - tout les cousins , se disputent notre sang; c'est quelquefois par milliers qu'ils se jettent sur nous. Les dip- tères, qu'on appelle moustiques et maringoins dans les colonies françaises de l'Amérique , y sont si nombreux, dans les parties boisées et humides , qu'on a vu des personnes qui se trouvoient nues ou trop légèrement ha- billées, périr des suites de leurs piquures. Là on ne peut dormir qu'entouré de moyens de défense. Aux insectes ailés, il faut joindre les chiques ( acarn* Lin. ), qui, rampant lente- ment sur le corps, s'introduisent plus ou moins dans la peau, et causent des déman- D E s I N s E C T E s. Syi geaisons que les graltenieiis ne font qu'aug- menter; rien n'est plus insupportable que leur présence. Une espèce très - commune dans certaines parties de la France, et qui est connue sous le nom de tique rouge, est si petite, que la meilleure loupe peut à peine les faire distinguer; on peut long-tems en être tourmenté sans s'en douter , lors- qu'on n'est pas prévenu. Une autre , à Saint- Domingue, s'insinue si avant dans la chair, qu'il faut des opérations chirurgicales pour s'en débariasser ; qu'elle cause souvent des abcès, et par suite la gangrène et la mort. Des animaux du même genre paroissent sin- gulièrement contribuer au développement de la gale , peut - être même à celui de la peste , suivant Olivier. Il est un autre ordre d'insectes qui font souvent du mal à l'homme; mais c'est seu- lement lorsqu'il les trouble dans leur retraite, et qu'il va les prendre avec sa main. On ne devroit pas les mettre dans la classe de nos ennemis, puisqu'ils n'emploient leurs armes que dans le cas d'une juste défense; cepen- dant on est habitué à les ranger dans la même catégorie. Ces insectes font princi- palement partie de l'ordre nombreux des hyménoptères , je yeux diie, les guêpes , les Aa 3 S72 DEGATS abeilles, les mutiles, et autres genres voîsmâ qui , par le moyen d'un aiguillon rétractile , très- aigu ) lancent une liqueur caustique dans le sang, et causent de violentes dou- leurs, suivies d'inflammation. On doit leur adjoindre les araignées et les scorpions qui, ceux - là avec leurs mandibules , ceux - ci avec la pointe de leur queue , introduisent dans les veines une sorte de poison , dont les effets sont plus ou moins dangereux, selon l'espèce, le climat et la saison. Il est inutile de parler de quelques lucanes, priones, et autres insectes coléoptères, des sauterelles , des grillons , des fourniis , etc. , qui mordent avec leurs mandibules la maiu qLii les presse,- le mal qu'ils font est peu de chose. Il en est de même de quelques carabes qui lancent par leur anus une liqueur acide; de quelques chenilles qui déposent, sur la peau, de petits poils piquans; de quelques larves, dont l'attouchement est suivi d'une émanation infecte. On a vu quelquefois des mouches déposer leurs œufs dans des ulcères, et aggraver par là le mal; mais ces cas sont rares. Les insectes qui nuisent aux animaux domestiques, agissent sur eux de la même DES INSECTES. Sya tlianière que sur l'homme , à quelques excep- tions près ; ils sont le plus souvent de même espèce , ou au moins de même genre. Ainsi la puce qui tourmente les chevaux , les bœufs , les chiens et les chats , est celle dont il a été question précédemment. Ces mêmes animaux ont des poux d'espèce diffé- rente , et l'on en voit quelquefois de plu- sieurs sortes sur le même individu; iJs ont également des tiques , dont quelques-unes deviennent gigantesques lorsqu'elles sont gorgées de sang. Les taons, les asiles, les stomoxes , les mouches de plusieurs espèces , les cousins, etc., subsistent principalement à leurs dépens. Un hippobosque se cram- ponne autour du fondement des chevaux, un autre sous les ailes des poules, des canards et autres oiseaux de basse -cour, qui ont également à redouter les poux de plusieurs espèces , ou plutôt des ricins. Un autre genre d'insecte attaque les ani- maux domestiques d'une manière qui lui est propre ,• c'est l'oestre. Il n'a point de trompe, il n'a point d'aiguillon, il ne peut par conséquent les blesser ; mais une espèce dépose ses œufs sur le dos des bœufs et des vaches; sa larve s'introduit sous le cuir, et y occasionne un ulcère qui en fait souffrir, Aa 5 374 DEGATS une partie de l'été. Une seconde place seS' œufs sur le bord de Tanus des chevaux, et les larves qui en naissent s'introduisent dans les intestins, où elles vivent jusqu'à leur mé- tamorphose, en causant des démangeaisons souvent insupportables. Une troisième s'in- troduit elle-même dans les sinus frontaux des moutons , et y dépose également ses œufs ; et leurs larves font éprouver des douleurs si aiguës à ces animaux , qu'ils en deviennent furieux. Les bestiaux et les volailles sont de plus dans le cas d'avaler souvent des insectes , tels que des canth arides, des carabes, des charansons , etc. etc. qui leur causent des maladies graves , et même la mort. Les abeilles, que nous nous sommes pres- que soumises , puisque nous les avons su placer dans des paniers, daus des boîtes, où elles sont absolument à notre disposition , ont aussi , malgré leur aiguillon , à redou- ter plusieurs insectes. Une chenille, qu'on appelle la teigne de la cire , conduit ses galeries à travers les rayons de la ruche la plus peuplée , mange la cire qui les com- posent, et se multiplie souvent au point de forcer les abeilles à abandonner la ruche , ou à périr faute de pouvoir placer leurs DES INSECTES. ofo provisions de miel, et élever leur postérité. Une autre espèce de teigne vit aux dépens de leur miel, et une tique s'attache à l'abeille même. Les poissons que nous élevons dans nos étangs sont aussi victimes , dans certaines circonstances, des insectes aquatiques. Il est vrai de dire cependant , que les dommages dont on les accuse ne sont pas tous cons- tatés. Il n'est pas certain , par exemple , que ce soit un ditique qui rende aveugles les carpes qu'on pêche si fréquemment sans yeux. Actuellement il faut jeter un coup d'œil sur les insectes qui nuisent à nos propriétés, et d'abord à celles qu'on peut le moins nous contester , celles qui résultent de notre tra- vail, c'est-à-dire, qu'il faut les considérer comme détruisant nos vêtemens , nos meu- bles et notre nourriture , lorsqu'ils sont ren- fermés dans notre demeure. D'abord plusieurs espèces de teignes, dont la plus commune est la teigne du tapis , mange la laine , de quelque manière qu'elle soit employée. Elle multiplie si prodigieu- sement, qu'elle peut dans une saison mettre hors de service la garde -robe la mieux Aa 4 SyG DEGATS montée , le magasin de tapis le mieux as- sorti. ^ Une autre espèce , la teigne des pelisses , attaque de préférence les peaux garnies de poils, et les rend chauves en peu de tems; c'est toujours sur les fourrures les plus fines, et par conséquent les plus chères, qu'elle se jette de préférence. La même mange éga- lement les plumes , et même les objets faits en corne. Quelques coléoptères, principalement les ptines, les anthrènes et les dermestes, dévo- rent les peaux , les plumes , etc. qui ne sont pas soustraites à leur action destructive par des préparations particulières , qui ne sont pas hermétiquement renfermées. Les meubles fabriqués avec ces matières sont, comme on peut bien le penser, en- core plus exposés aux ravages de ces ani- maux, puisqu'ils sont toujours à découvert; ce n'est qu'en les battant et en les vergettanl souvent qu'on peut les préserver. Les meubles en bois ne sont pas plus épargnés. D'autres insectes , ceux principale- ment du genre anobium, déposent leurs œufs à la surface ; leurs larves creusent dans l'in- térieur des galeries en tout sens , et après avoir vécu à leurs dépens pendant une ou D E s I N s E C T E s. 377 peut-être deux années, en sortent pour don- ner naissance à de nouvelles générations. On juge de leur présence par les trous que les in- sectes laissent en sortant. Il n^ a pas d'autres moyens d'empêcher leur propagation que de peindre ou de vernir les meubles : au reste, leurs ravages sont fort lents dans les pa3'^s froids , et il est , dans les pays chauds, des espèces de bois qui n'en sont jamais attaqués. Dans les parties brûlantes de l'Afrique et de l'Amérique , habitent des termes , des fourmis blanches , qui causent de bien plus grands et plus rapides dommages aux meu- bles de bois. Les voyageurs rapportent, par exemple , qu'ils entrent par le pied dans le bois d'un lit , et le dévorent sans qu'on s'en aperçoive à l'extéiieur, de sorte qu'au bout seulement de quelques jours, celui qui vient pour se coucher, le brise en mille morceaux, par le seul effort de sa pesanteur. D'autres espèces de termes, et de véritables fourmis, se jettent sur les provisions ou marchandises végétales de toutes espèces , et les anéan- tissent de même à l'intérieur , sans qu'on s'en aperçoive. En Europe même , une espèce de ce genre termes, quoique très- petite , cause aussi des ravages dans les 578 DEGATS parties méridionales , et même quelquefois dans le climat de Paris , d'après ce que m'a dit mon ami Bosc (1). Les livres sont sujets aux attaques des larves des vrillettes ; leurs couvertures à celles des ptines et des anthrènes ; et ceux qui font des collections d'animaux et de végétaux, savent trop combien ces mêmes insectes et quelques autres leur sont préjudiciables, de sorte que ces moyens d'instructions ne sont pas plus épargnés que les objets du luxe le plus futile. Un genre d'insecte doit aussi trouver sa place ici , quoiqu'il ne soit pas dangereux , qu'au contraire il nous rende des services, sous quelques rapports; c'est l'araignée, qui inspire tant de dégoût à certaines personnes , et que l'on chasse toujours de nos apparte- mens sans pouvoir l'en expulser. Si on passe des parties habitées de la maison dans celles où on conserve les pro- visions, de nouveaux insectes font soup- çonner des ravages d'un autre genre. En effet, on trouve que le pain et la farine sont rongés par des ténébiions, des trogo- (i) Je (lois à SCS lumières et à son attachement pour mai une foule tl'ubservcitious curieuses. DES INSECTES. oj() sittes, des dermestes , des ptines, des blattes, des grillons ; la viande par les dermestes , les anthrènes , les larves de mouches de plu- siem^s espèces ; le fromage par les mites et les larves de quelques mouches ; le sucre par les fourmis ; les pois et les lentilles par les bruches. Il y a peu d'objets qui ne soient susceptibles d'être attaqués par un ou plu- sieurs insectes ,• le vinaigre même reçoit les œufs d'une petite mouche , et sert de nour- riture à sa larve. Mais , de tous les insectes qui nuisent aux provisions accumulées dans nos maisons , il n'en est pas de plus à craindre que ceux qui attaquent le blé lorsqu'il est battu. On en compte plusieurs, dont le plus redou- table est le charanson : ils sont quelquefois si nombreux, et les générations se succèdent avec tant de rapidité , que le plus gros tas est bientôt dévoré. Non seulement ils nous privent de ce qu'ils mangent , mais encore de ce qu'ils ne mangent pas , car leur grand nombre excite une fermentation intérieure qui fait échauffer les grains, et en rend la farine impropre à faire du pain. Le cha- ranson a toujours été , et sera encore long- tenis un lléau pour l'agriculture. Il est cepen- dant facile , par des précautions et des soins 58o DEGATS répétés , de rendre ses effets insensibles , e% cest aux naturalistes modernes que nous devons la counoissance des moyens à em- ployer. Après le cliaiauson , le plus dangereux des insectes destructeurs du blé est la larve de la teigne du froment. Ses ravages sont peu sensibles dans le nord de l'Europe ; mais dans les pays chauds ils ne sont niallieu- reuseinent que trop marques. Ce n'est qu'a- près avoir , dans le cours de deux géné- rations successives , mangé le blé dans son épi , qu'elle est apportée dans nos greniers, où aile continue ses ravages dans une pro^ gression souvent effrayante. C'est elle qui, sous le nom d' hessian Jly , a menacé de son anéantissement le commerce de blé que fait l'Amérique septentrionale. Elle attaque également le maïs. Bosc a vu des magasins de ce grain , à Charleston , qui avoient di- minué de moitié de valeur , par cette seule cause , dans l'espace de quelques mois. Une autre espèce de chenille ou de larve, connue sous le nom de cadelle , et qui agglomère les grains les uns aux autres , détruit aussi le blé dans les greniers; mais elle fait moins de ravages que la précédente , B E s I N s E C T E s. 58i du moins on le croit ; cet insecte parfait n'est pas bien connu (i). Comparativement à ces deux espèces , tous les autres insectes qui attaquent le blé méritent à peine d'être cités. On peut cepen- dant nommer encore quelques-uns de ceux qui mangent le pain et la farine , et dont il a été question plus haut. liC millet en Afrique et le riz en Amé- rique ne sont pas plus épargnés que le blé ; le charanson d'Europe s'unit à une -autre espèce, qui n'en diffère que jjarce qu'il a deux taches rouges sur les élytres , pour en accélérer la destruction. Il y a sans doute encore dans l'Inde et dans l'Amérique mé- ridionale , pays si prodigieusement abondans en insectes , un grand nombre d'espèces qui attaquent les provisions des habitans , mais elles ne nous sont pas connues , ou nous n'avons sur elles que des notions vagues. Quelque étendus que soient les dommages produits par les insectes qui viennent d'être mentionnés , ils ne sont , pour ainsi dire , qu'un extrait de ceux que nous causent dans les jardins et les champs d'autres espèces d'insectes , parce qu'on ne peut pas aussi (i) Olivier croit g^ue c'est la larve d'ua trogossite^ 58i2 D E G A T S facilement arrêter leur multiplication , qu'il faudroit le concours sitnultané de tous les liabitans d'une très-grande étendue de pays, concours impossible à espérer. Ces insectes n'épargnent aucune partie des plantes ; les racines ^n tiges , les feuilles , les fleurs et les fruits sont également dévorés. Quelques arbres sont en même tems attaqués par un grand nombre d'espèces ; on en compte plus de deux cents sur le chêne , et guère moins sur le saule et le bouleau. Les courtilières , les criquets , les larves des hannetons, de plusieurs bombix ou noc- tuelles coupent les racines de nos laitues , de nos choux , de nos raves , de nos arbres fruitiers et en général de presque toutes les plantes ; tandis que celles de quelques syrphes , de plusieurs mouches , de plusieurs lipules , etc. les percent pour se loger dans îenr intérieur, ou , sans les faire mourir, lui font beaucoup de mal. Les oignons de nos fleurs ne sont pas même épargnés. Les larves des lucanes , des passales , des ])riones , des capricornes et genres voisins; des scolites , des bostriches , des anthribes , des ips et genres voisins; des vrillettes, des j]itidules , des buprestes , des lymexilons , des hépiales , des cossus , de quelques bom- D E s I N s E C T E s. 385 bix, noctuelles 5 etc. de plusieurs syrphes, mouches , lipules , etc. attaquent les tiges des plantes hei bacées ou frutescentes , les font souvent périr soit lentement , soit rapi- dement. Celles que l'homme cultive sont spécialement l'objet de leur goût. On ne se fait pas une idée juste des dommages que causent ces insectes , parce que la plupart travaillent dans l'ombre , et que souvent on ne peut acquérir la preuve de leur action sur telle ou telle plante. Les sauterelles , les grillons , les hanne- tons , les cantharides , et plusieurs autres genres d'insectes moins redoutables, les larves des chrysomèles , des criocèi es , des gale- nèques , des cryptocèpliales , et sur-tout la nonibi^use famille des chenilles concourent à dépouiller les herbes et les arbres de leurs feuilles. Qui pourra apprécier les dommages qu'ils causent annuellement ? Quelle base peut-on employer pour les calculer ? Mais il n'est personne qui ne sache qu'ils sont immenses. Ce n'est pas seulement un champ, un canton , c'est souvent un pays entier qui perd l'espoir de ses récoltes de fruits par suite de la nmltiplication des hannetons, des chenilles, etc. Quelque grandes que soient les pertes 584 DEGATS que nous occasionnent quelquefois les espèces de ces deux genres d'insectes , elles ne sont , pour ainsi dire, rien en comparaison des ravages des sauterelles, ou bien des cri- quets dans les contrées méridionales , sur- tout dans celles voisines d(s déserts. Le canton le plus verdoyant aujourd'hui ne présentera plus demain qu'un sol aride; il semblera que le feu y a passé si, pendant la nuit, une nuée de sauterelles s'y abat. On dit nuée , car quelquefois les sauterelles sont si nombreuses que , lorsqu'elles quittent un pays dévasté pour en aller attaquer un autre, leur vol obscurcit le soleil. L'effet de la multiplication des chenilles et des sauterelles n'est pas seulement fatal aux cultivateurs l'année même où elles se montrent ; il se fait encore sentir les années suivantes. La végétation arrêtée dans sa marche par la suppression des feuilles , à l'époque de l'année où elles étoient le plus utiles , fait des efforts qui l'épuisent et qui nécessitent souvent deux années de repos pour produire du fruit. Parmi les chenilles qui sont à craindre en Europe, celles du bombix chrysorrhoea est la plus commune , et par conséquent celle donf les ravages sont les plus fréquens et les plus remai^qués. D E s IN s E CTE s. 585 remarqués. Après elle vient celles des deux papillons du chou et du gajé , ensuite celles des bonibix neustria , dis par , antiqua, des nociuQWes gamma , nleracea , iragopogonis , psi, persicariœ, rumica , etc., de deux ou trois phalènes , et d'autant de pyrales et déteignes. Mais, en général, les chenilles de cette dernière série n'apparoissent que périodiquement; il faut un concours de circonstances favorables à leur multiplica- tion , pendant plusieius années de suite , pour quelles deviennent nombreuses, au point de pouvoir causer des dommages re- marquables. jLa vigne qui, après le blé, est un des objets de culture Je plus important pour la France, a pour ennemis plusieurs insectes, dont le plus dangereux n'est connu que depuis quelques années, c'est la larve d'une pyrale que Bosc a bien décrite et bien figurée le premier dans les Trimestres de la société d'agriculture de Paris (i). Cette larve plie (i) Godeheu de Riville a aussi public, dans les Mémoires de l'académie de sciences, l'histoire d'une chenille mineuse des feuilles de vigne. Bonnet parle encore d'une autre qui se nourrit du pépin de raisin. Ins. Tome I. Bb 586 DÉGÂTS les feuilles de la vigne , et vit à leurs dépend tant qu'elles sont encore tendres, et ensuite elle se jette sur les grappes et coupe les pédoncules. Il semble que cet ennemi se multiplie de plus en plus, car ses ravages ont été plus grands dans ces derniers tems. La vigne a encore à redouter la larve de l'attelabe, appelée vulgairement le cliaran- son de la vigne, ou gribouri bleu : c'est Yatle- lahus bacchus de Fab. Sa larve se cache dans les feuilles quelle roule. C'est principa- lement dans les parties méridionales de la France qu'il est le plus à craindre. On peut encore placer au même rang le cryptocéphale de la vigne, et celui à deux points noirs, qu'on appelle aussi griboiin , mais ils ne paroissent que rarement. Les divers fourages que l'homme cultive, sont quelquefois dévorés par des chenilles; d'autres insectes ou leurs larves vivent égale- ment à leurs dépens sans qu'on s'en plaigne, parce que ce n'est que rarement qu'ils exer- cent leurs ravages. On ne connoissoit pas, il y a quelques années , le cryptocéphale obscur, qui a fait tant de torts dernièrement aux luzernes. Si des champs on rentre dans les jardins, on trouve les deux chenilles des papillons du DES INSECTES. 587, fcliou disséquant Jes feuilles de cette plante; et celles de plusieurs autres. On voit les sa- lades , les pois rongés par les larves des noc- tuelles, lambda et tragopogonis; les feuilles des raves, des groseilliers , des rosiers dispar oître sous la dent de celles des tenthrèdes, comme les feuilles de nos pommiers sous celles de plusieurs chenilles. Les poiriers sont attaqués par une acliantie, qu'on appelle vulgairement le turc. Les pucerons se multiplient sur un grand nombre de plantes herbacées et fru- tescentes, et les empêchent de porter des fruits en leur soutiiant mie partie de leur sève. Les mips, les psilles, quelques punaises , la plupart des cigales , et toutes les cochenilles produisent les mêmes effets désastreux sur plusieurs espèces de plantes. Les artichauds sont quelquefois si prodigieusement chargés de larves de cassides, que leurs feuilles ne conservent plus aucun parenchyme. Les raves, les mauves sont souvent réduites, dans le même état, par celles des attises sauteuses. Les asperges et les lis perdent aussi la totaUté de leurs feuilles par les larves des criocères, qui vivent à leurs dépens. On pourroit certainement encore augmen- ter la liste des plantes utiles qui sont dans Bb 'A 388 DEGATS le cas d'être rongées par les insectes , mais celles dont on vient de voir la liste sont les plus importantes. Dans les jardins , dont nous ne sommes pas encoi^ sortis , nous voyons les abricots , les poires , les pommes , tomber en grand nombre , quelquefois totalement , par suite de l'introduction d'œufs d'insectes dans leur intérieur ; ce sont principalement des tei- gnes, despyrales, des attelabes, des charan- çons , des tipules -, des mouches , qui en sont la cause. Les unes déposent leurs œufs au moment même de la floraison ; d'autres à des époques plus reculées. Quelques espèces font tomber les fruits lorsqu'ils sont à peine formés, et successivement d'autres jusqu'à l'approche de la maturité. Tous occasionnent de grands dommages, mais principalement les premiers. Les bruches , les charansons , les teignes , les papillons même déposent leurs œufs sur les gousses des pois, des lentilles et autres plantes légumineuses , et commencent sur pied une suite de générations , qui se conli- liuent en partie dans les greniers , comme on l'a précédemment fait remarquer. liorsque ces fruits ont échappé à toutes ces causes de destruction, lorsqu'ils sont pai^ DES INSECTES. 689 venus à leur maturité, ils sont la proie cVune légion d'autres insectes; c'est alors que les guêpes, les mouches, les cétoines, les forlî- cules , les fourmis , les cloportes et autres espèces les dévorent. Les fraises , les framboises , ne sont pas plus à l'abri de la dent de quelques larves encore peu connues , que les fruits d'un plus gros volume et d'une plus longue durée. Dans les forets , des insectes de mêmes genres , mais d'espèces différentes , piquent le fruit du chêne, celui du hêtre , celui du noisetier , et les rendent , certaines années , presque tous inutiles à la reproduction. Heureusement que des causes générales , principalement des journées froides et hu- mides , arrêtent la multiplication des insectes au moment même où on les croit prêts à tout anéantir. Le plus dangereux une année , peut être extrêmement rare l'année suivante. Les parties chaudes de l'Europe ont plus à craindre des insectes que les parties froides, mais leurs ravages y ont été moins obser- vés ; on sait cependant que la précieuse olive est piquée par deux mouches et une teigne, qui la font tomber avant sa maturité, et que l'arbre qui la produit donne retraite Bb 3 Sgo DEGATS, etc.' à quelques larves qui accélèrent l'époque dé sa mort. Dans l'Inde et dans les îles de T Amérique; la canne à sucre , le coton , l'indigo , lo tabac , etc. sont exposés à être rongés par des chenilles et autres insectes , mais on est encore peu instruit de l'espèce qui est le plus à redouter pour chacune de ces plantes en particulier. Fin du premier Volume'^ DES INSECTES. i65 trop souvent de pâture , et ne sont pas plus à l'abri que les raisins ,• quelques - uns se nourrissent de la chair nicme du fruit, bien- tôt entièrement consommée par ses fréquens repas ; d'autres , plus friands encore , ou moins dominés par l'empire de l'appétit, se contentent de la substance douce et nourris- sante des pépins et des noyaux. L'amande de la noisette , quoique enve- loppée de toutes parts d'une défense qui paroît impénétrable , sert elle - même d'ali- ment à une larve , et trompe ainsi souvenfe notre attente. L'expérience nous a bien appris que les noisettes dont la coque est percée d'un petit trou , doivent être rej.etées comme mauvaises ; mais il arrive mainte et mainte fois que l'œil ne découvre rien de suspect , et qu'après avoir cassé péniblement la coque, nous sommes tout surpris de trou- ver, à la place de l'amande, une sorte de ver d'un blanc jaunâtre , et de la poussière formée de ses excrémens desséchés. On peut cependant distinguer encore ici les fruits sains de ceux qui ne le sont pas : une ou deux petites taches signalent les derniers. Il est sans doute intéressant de savoir comment cet animal a pénétré dans leur intérieur ; et puisque nous u'avons pu satis-^ L 3 '^ i66 NOURRITURE faire notre sensualité, faisons du moins en Sorte que la curiosité y trouve son conipte. C'est dans la race si pernicieuse des clia- ransons qu'il faut cheicher le destructeur de nos noisettes : ne lui en voulons pas. La Nature ne nous a pas consultés dans ses pians. Elle a assigné ce fruit à ses petits; tel est leur patrimoine. Le cliaranson, qui laisse en dot à chacun de ses descendans une noisette , est pourvu des instrumens nécessaires pour ieur en assurer la propriété. Cette mère est munie d'une trompe aussi longue ou plus que son corps , tiès - dure , et armée , à son extrémité , de deux dents. « Si on considère la tête du charanson des noisettes , forte- ment grossie , on croit voir , dit l'auteur des Récréations d'histoire naturelle , la tête d'une bécasse». C'est dans le mois d'août que les deux sexes se réunissent : leurs amours ter- minés , la femelle cherche les noisettes en- core petites et tendres, y fait un trou avec son bec , et y met un œuf; mais il faut que le fruit soit vierge ; du moins on ne trouve jamais deux reclus dans la même habita- tion. Quinze jours après la ponte, l'œuf éclot, et la larve commence à ronger l'a- mande. Sa tête est d'un rouge brun ; elle n'a pas de pattes , comme toutes celles des DES INSECTES. 167 insectes du genre : elles lui seroient inutiles; de simples mamelons lui suffisent pour exé- cuter les mouvemens qu'il est nécessaire qu'elle fasse. Un mois et demi environ après sa naissance , cette larve est parvenue à toute sa grosseur; elle perce sa coquille, en sort, malgré la petitesse du trou, tombe à terre et s'y enfonce ; là , elle s'y file une Coque , qu'on a comparée , pour la forme , à un chaudron, et s'y transforme en nymphe. Deux pointes, dont l'extrémité postérieui-e de cet insecte est munie dans ce nouvel état , lui donnent la facilité de se mouvoir circulairement au milieu de sa prison. Il en brise les portes vers la fin de l'été de l'année suivante , et va faire pour d'autres ce qu'on a fait pour lui. La bruche des pois , insecte d'une famille très - voisine de celle des charansons , est , parmi ces animaux rongeurs , un des plus ïedoutables. Il détruisit autrefois entière- ment , en Pensilvanie et en Canada , la cul- ture des pois, quoiqu'elle y fût très-floris- sante. Inutilement fit - on venir des pois étrangers pom* la semence ; dès la seconde année, l'insecte destructeur s'étoit déjà em- paré de toute la récolte. De l'Amérique il a passé en Europe , et nou:s n'avons que trop i68 NOURRITURE sujet de nous plaindre de cette funeste émî^ gration. La bruche pond un œuf dans cliaque fleur de pois. Le fruit grossit avec l'animal qu'il a dans son sein; mais, ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il n'en, ronge pas le germe , et qu'on peut semer utilement les pois ainsi attaqués ; la larve s'y change en nymphe , et l'insecte en sort avec des ailes au printems suivant , après avoir pratiqué à sa cellul® une porte exactement circulaire. Je compatis bien sincèrement au dom- mage qui résulte du dégât des insectes; de celui sur-tout qui regarde la campagne et les justes espérances du laboureur. Cependant ces malheurs ne sont pas irrépaiables : l'année suivante la bonté du Ciel i3eut lui rendre^ au centuple , tout ce qu'il vient de perdre ; au moins lui est- il donné, pour première consolation , la faculté d'en concevoir et d'en nourrir le doux espoir. Mais qui me rendra ce cabinet d'histoire naturelle , où l'amitié me permettoit de con- tinuer et d'éclairer mes études? Un beau matin tout est tombé en poussière , dévoré , rongé, miné et haché secrettement par la dent des insectes vivans; j'ai vu, en un moment , s'anéantir la plus riche , la plus instructive collection d'entomologie; toutes EXPLICATION DE LA PLANCHE PREMIÈRE. Instrumens pour la chasse des Insectes, FiG. I. JfjoiTE de transport. 2. Bouteille à conserver les insectes dans de l'esprit de vin. 3. Boîte de chasse, avec deux bouchons de liège , a , a. 4. Boîte à nourrir les chenilles ; a , ouverture supérieure, 5. La même , vue en dedans , avec une bou- teille remplie d'eau , pour tenir fraîche la plante qui sert de nourriture à la chenille. 6. Filet eu ubausse pour prendre les insectes. 7. Filet à pincettes pour prendre les petits insectes posés sur des feuilles. 8. Bruxelles. 9. Un coléoptère {ditique) piqué, 10. Phalène piqué. 11. Tuyau cylindrique de verre 5 a, bouchon; h , support du ventre de l'araignée ^ <^ > d , lampe. 12. Papillon fixé sur une pièce qui a une rai- nure en a pour recevoir le ventre , h ,h' c, c ailes étendues et arrêtées par deux petites bandes de carton d^ d. TABLE De ce qui est contenu dans ce • premier Volume. Préface, page 5 Histoire naturelle des Insectes , l5 Premier discours. De la nature des Insectes , et de leur ordre dans la série des animaux , ibid Caractères généraux des animaux sans per- te bres , et des sept classes qui partagent leur série, animaux dépourvus de colonne vertébrale et de squelette articulé , 42 Second discours. De la manière d'étudier les Insectes , 62 Troisième discours. De Vinstinct et de l'in- dustrie des Insectes , 98 Chapitre premier. Instinct et industrie des Insectes dans la manière de se nourrir .^ 102 j^rticle premier. Nutrition des Insectes par succion , 106 article second. Nutrition des Insectes par broiement. i45 Chapitre second. Instinct et industrie des TABLE. 393 Insectes dans les moyens de défendre leur existence y 190 j^rticle premier. Premier moyen des Insectes de défendre leur existence, éditer renîiemi^ article second. Habitation des Insectes soli- taires , 196 article troisième. Habitation des Insectes qui pipent en société , 223 jfirticle quatrième. Secondmoyen des Insectes de défendre leur existence^ résister à l'en- nemi par V usage de leurs organes.^ 256 y^rticle cinquième. Résister à V ennemi par V usage des facultés reçues de la Nature , 247 Article sixième. Résister à l'ennemi par Vu- sage de quelques armes naturelles , 254 Article septième. Résister à l'ennemi par la ruse, 272 Conclusion , 280 Instructions relatives à la chasse, à la con- sensation, aux transports des Insectes et à r éducation des Chenilles , 287 Méthode pour dessécher et conserver les Che- nilles et les Larves des Insectes , Soi, Instruniens ou autres objets nécessaires dans un voyage de long cours , pour former une collection d'insectes et papillons , 3oÇ 5g4 T'A BLE. Manière d' Imprimer les papillons, extraite du quatiième cahier des papillons d Europe^ 309 Obseri^ations. sur là nomenclature des cou- leurs^ relativepient à V étude des Insectes ^ 5i6 Des couleurs d apparence ^ ou de celles qui ri ont de réel que V apparence ^ et qui sont formés d'un mélange de couleurs naturelles déplacées de leur ordre , SSg Des tableaux de couleurs d'apparence, 344 Quatiième discours. De l'utilité des Insectes et de leurs dégâts^ 556 Fin de la Table. M, ^'m ^n„o ■n%