HISTOIRE NATUREL LUE x MATIÈRES GÉNÉRALES. TOME HUITIÈME F | "TOUT nm HISTOIRE lat NATURELLE Par BUFFON, DÉDIÉE AU CITOYEN LACEPEDE, MEMBRE DE L'INSTITUT NATIONAL. MATIERES GÉNÉRALES. TOME HUITIEME. v,S$ 254767 Prsonian Institu RICHMOND & COLLEGTION. À ; AN PARIS, Nation TH tional Muse TZ À LA LIBRAIRIE RP DE P. DIDOT L'AÎNÉ, GALERIES DU Louvre, N° 5, ar FrRmIN DIDOT, aUE DE raionvizzz, N° 116. AN VII, — 1990, HISTOIRE NATURELLE PREMIÈRE ÉPOQUE. | b Lorsque la Terre et les planètes ont pe leur forme. Dixs ce premier temps où la Terre en fusion, tournant sur elle-même, a pris sa forme et s’est élevée sur l’équateur en s’abais- sant sous les poles, les autres planètes étoient dans le même état de liquéfaction, puisqu’en tournant sur elles - mêmes , elles out pris, comme la Terre, une forme renflée sur leur équateur et applatie sous leurs poles , et que ce renflement et celte dépression sont pro= portionnels à la vitesse de leur rotation, Le globe de Jupiter nous en fouruit la preuve: Mar, gén, VILIL, | 4 \ later HISTOIRE NATURELLE. comme il tourne beaucoup plus vite que | celui de la Terre, il est en conséquence bien plus élevé sur son équateur et plus abaissé sous ses poles ; car les observations nous démontrent que les deux diamètres de cette - planète diffèrent de plus d’un treizième , tandis que ceux de la T'erre ne diffèrent que d’une deux cent trentième partie : elles nous montrent aussi que dans Mars , qui tourne près d’une fois moins vite que la Terre, cette différence entre les deux diamètres n’est pas assez sensible pour être mesurée par les astro- nomes, et que dans la Lune, dont le mouve- ment de rotation est encore bien plus lent, les deux diamètres paroissent égaux. La vitesse de la rotation des planètes est donc la seule cause de leur renflement sur l’équa- teur ; et ce renflement , qui s’est fait en même temps que leur applatissement sous les poles, suppose une fluidité entière dans toute la masse de ces globes, c’est-à-dire , un état de liquéfaction causé par Le feu*. D'ailleurs toutes les planètes circulant au- tour du Soleil dans le même sens et presque * Voyez la Théorie de la Terre, article de la formation des planètes. | ÉPOQUES DE LA NATURE. 3 dans ie même plan , elles paroissent avoir été mises en mouvement par une impulsion commune et dans un même temps ; leur mouvement de circulation et leur mouve- ment de rotation sont contemporains , AUSSI- bien que leur état de fusion ou de liquéfac- tion par le feu , et ces mouvemens ont nécessairement été précédés par l'impulsion quiles a produits. 4 Dans celle des planètes dont la masse a été frappée le plus obliquement, le mouvement de rotation a été le plus rapide , et , par cette rapidité de rotation, les premiers effets de la force centrifuge ont excédé ceux de la pesan- teur : en conséquence il s’est fait dans ces masses liquides une séparation et une pro- jection de parties à leur équateur, où cette force centrifuge est la plus grande, lesquelles parties séparées et chassées par cette force, ont formé des masses concomitantes, et sont devenues des satellites qui ont dû circuler et _quicirculent en effet tous dans le plan de l’é- quateur de la planète dont ils ont été séparés par cette cause. Les satellites des planètes se sont donc formés aux dépens de la matière de leur planète principale, comme les planètes 4 HISTOIRE NATURELLE. elles-mêmes paroissent s'être formées aux dépens de la masse du Soleil. Ainsi le temps de la formation des satellites est le même : que celui du commencement de la rotation des planètes : c’est le moment où la matière qui les compose venoit de se rassembler et ne formoit encore que des globes liquides , état dans lequel cette matière en liquéfaction pouvoit en être séparée et projetée fort aisé ment; car, dès que la surface de ces globes eut commence à prendre un peu de consis- tance et de HEURES par le refroidissement, la matière, quoiqu'animée de la même force centrifuge , étant retenue par celle de la cohésion , ne pouvoit plus être séparée ni projetée hors de la planète par ce mème mouvement de rotation. Comme nous ne connoissons dans la Na- ture aucune cause de chaleur , aucun feu que celui du Soleil, qui ait pu fondre ou teniren liquéfaction la matière de la Terre et des planètes , il me paroit qu’en se refusant à croire que les planètes sont issues et sorties du Soleil, on seroit au moins forcé de sup- poser qu'elles ont été exposées de très - près aux ardeurs de cet astre de feu pour pouvoir ÉPOQUES DE LA NATURE. 5 être liquéfiées. Mais cette supposition ne seroit pas encore suffisante pour expliquer l'effet, et tomberoit d'elle-même par une circonstance nécessaire ; c'est qu’il faut du temps pour que le feu, quelque violent qu’il soit, pénètre les matières solides qui lui sont exposées , et un très-long temps pour les liquéfier. On a vu, par les expériences * qui précèdent, que pour échauffer un corps jus- qu'au degré de fusion , il faut au moins la quinzième partie du temps qu’il faut pour le refroidir , et qu'attendu les grands volumes de la Terre et des autres planètes, il seroit de toute nécessité qu’elles eussent été pen- dant plusieurs milliers d’annéesstationnaires auprès du Soleil pour recevoir le degré de chaleur nécessaire à leur liquéfaction : or il est sans exemple dans l’univers qu'aucun corps , aucune planète, aucune comèté, de- meure stationnaire auprès du Soleil , même pour un instant ; au contraire k plus les co- mètes en approchent , et plus leur mouve- ment est rapide : le temps de leur périhélie est extrèmement court, et le feu de cetastre, * Voyez les Mémoires sur les progrès de la cha< y pros leur dans les Corps. 1 rs, FAUE 6 HISTOIRE NATURELLE. en brûlant la surface, n’a pas le temps de pénétrer la masse des comètes qui. s'en #4 procheut le plus. | Ainsi tout concourt à prouver qu 71 n’a a pas suffi que la Terre et les planètes aient passé comme certaines comèêtes dans le voisinage du Soleil, pour que leur liquéfaction ait pu s’y opérer; nous devons donc présumer que cette matière des planètes a autrefois appartenu au corps même du Soleil, et en a été séparée, comme nous l'avons dit, par une seule et même impulsion : car les comètes qui ap- prochent le plus du Soleil ne nous présentent que le premier degré des grands effets de la chaleur ; elles paroissent précédées d'une va- peur enflammée lorsqu’eiles s’approchent, et suivies d’une semblable vapeur lorsqu'elles s'éloignent de cet astre. Ainsi une partie de la matière superficielle de la comète s’étend au- tour d'elle, et se présente à nos yeux en forme de vapeurs lumineuses , qui se trouvent dans un état d'expansion et de volatilité causé par le feu du Soleil : mais le noyau}, c’est-à-dire, le corps même de la comète, ne paroît pas être profondément pénétré par le feu , puisqu'il 3 Voyez, ci-après , les notes justificatives des faits. ÉPOQUES DE LA NATURE. n’est pas lumineux par lui-même comme le _seroit néanmoins toute masse de fer, de verre ou d'autre matière solide, intimement péné- tirée par cet élément ; par conséquent il paroit nécessaire que la matière de la Terre et des planètes, qui a été dans un état de liquéfaction , appartint au corps même du Soleil, et qu’elle fit partie des matières em fusion qui constituent la masse de cet astre de feu. Les planètes ont reçu leur mouvement par une seule et même impulsion , puisqu'elles circulent toutes dans le même sens et presque dans le mème plan ; les comètes au contraire, qui circulent comme les planètes autour du Soleil , mais dans des sens et des plans diffé- rens , paroissent avoir été mises en mouve-— ment par.des impulsions différentes. On doit donc rapporter à une seule époque le mou- vement des planètes , au lieu que celui des comètes pourroit avoir été donné en différens temps. Ainsi rien ne peut nous éclairer sur l’origine du mouvement des co- mètes ; mais nous pouvons raisonner sur celui des planètes , parce qu’elles ont entre elles des rapports communs qui indiquent RTE SU SICN ENS Ê, EL | 5e j FA 1 A " Ÿ l gs ta 8 HISTOIRE NATUREDDM O0 0 assez clairement qu’elles ont été mises en mouvement par une seule et même impul- sion. Il est donc permis de chercher dans la Nature la cause qui a pu produire cette grande impulsion , au lieu que nous ne pou- vons guère former de raisonnemens ni même faire des recherches sur les causes du mou- vement d’impulsion des comètes. sde Rassemblant seulement les rapports fugi- tifs et les légers indices qui peuvent fournir quelques conjectures, on pourroit imaginer , pour satisfaire, quoique très-imparfaitement, à la curiosité de l'esprit, que les comètes de notre système solaire ont été formées par l’ex- plosion d’une étoile fixe ou d’un soleil voisin du notre, dont toutes les parties dispersées, n'ayant plus de centre ou de foyer commun, auront été forcées d’obéir à la force attractive de notre Soleil, qui dès lors sera devenu le ! pivot et le foyer de toutes nos comètes. Nous et nos neveux n’en dirons pas davantage jus- qu’à ce que, par des observations ultérieures, on parvienne à recounoitre quelque rapport commuün dans le mouvement d'impulsion des comètes ; car, comme nous ne connois- sons rieu que par comparaison, dès que tout ÉPOQUES DE LA NATURE. 9 rapport nous manque et qu'aucune analogie ne se présente , toute lumière fuit , et non seulement notre raison , mais même notre imagination, se trouvent en défaut. Aussi, m'étaut abstenu ci-devant * de former des conjectures sur la cause du mouvement d’im- pulsion des comèêtes , j'ai cru devoir rai- sonner sur celle de l'impulsion des planètes ; et j'ai mis en ayant, non pas comme un fait réel et certain , mais seulement comme une chose possible, que la matière des planètes a été projetée hors du Soleil par le choc d’une comète. Cette hypothèse est fondée sur ce qu'il n'y a dans la Nature aucun corps en mouvement, sinon les comètes, qui puisse ou ait pu communiquer un aussi grand mouvement à d'aussi grandes masses, et en même temps sur ce que les comètes ap prochent quelquefois de si près du Soleil, qu'il est, pour ainsi dire , nécessaire que quelques unes y tombent obliquement et en sillonnent la surface, en chassant devant elles les matières mises en mouvement par leur choc. * Voÿez l’article de La formation des planètes. su ro HISTOIRE NATURELLE. + Il en est de même de la cause qui a pu : RroRErE la chaleur du Soleil ; il m'a paru # qu’on peut la déduire des effets naturels , c’est-à-dire, la trouver dans la constitution du système du monde: car le Soleil ayant à supporter tout le poids, toute l’action de la force pénétrante des vastes corps qui cir- culent autour de lui, et ayant à souffrir en même temps l’action rapide de cette espèce de frottement intérieur dans toutes les par- ties de sa masse, la matiere qui le compose -doit être dans l’état de la plus grande divi- sion ; elle a dû devenir et demeurer fluide, lumineuse et brûlante , en raison de cette pression et de ce frottement intérieur tou- jours également subsistant. Les mouvemens irréguliers des taches du Soleil , aussi-bien que leur apparition spontanée et leur dispa- rition , démontrent assez que cet astre est liquide, et qu’il s'élève de temps en temps à sa surface des espèces de scories ou d’écumes, dont les unes nagent irrégulièrement sur cette matière en fusion , et dont quelques “ Voyez Particle qui a pourütre, de la Nainre, promière vue. _ ÉPOQUES DE LA NATURE. rr autres sont fixes pour un temps et dispa- roissent comme les premières , lorsque l’ac- tion du feu les a de nouveau divisées. On sait que c'est par le RAR de quelques unes de ces taches fixes qu’on a déterminé la durée de la rotation du Soleil en vingt-cinq jours et demi. Or chaque comète et chaque planète for- ment une roue, dont les rais sont les rayons de la force attractive ; le Soleil est l’aissieu ou le pivot commun de toutes ces différentes roues; la comète ou la planète en est la jante mobile , et chacune contribue de tout son poids et de toute sa vitesse à l’embrasement de ce foyer général, dont le feu durera par conséquent aussi long-temps que le mouve- ment et la pression des vastes corps que le produisent. De là ne doit-on pas présumer que si l’on ne voit pas des planètes autour des étoiles fixes, ce n’est qu’à cause de leur immense éloignement ? Notre vue est trop bornée, nos instrumens trop peu puissans, pour apperce= voir ces astres obscurs, puisque ceux même - qui sont lumineux échappent à nos yeux ; et que, dans le nombre infini de ces étoiles, Î x Aa L/ "1 0 AU fig Lt à > ‘ ” ; # "1 4 MPX * #4 : j ï à ; $ ; 4 n 7 } sn x2 HISTOIRE NATURELLE. nous ne connoîtrons jamais que celles doné nos instrumens de longue vue pourront nous rapprocher : mais l’analogie nous in- dique qu’étant fixes et lumineuses comme le Soleil, les étoiles ont dû s’échauffer , se li- quéfier et brüler par la mème cause, c’est- à-dire , par la pression active des corps opaques, solides et obscurs, qui circulent- autour d'elles. Cela seul peut expliquer : pourquoi il n’y a que les astres fixes qui soient lumineux, et pourquoi dans l’univers solaire tous les astres errans sont obscurs. Et la chaleur produite par cette cause de- vant être en raison du nombre, de la vitesse et de la masse des corps qui circulent autour , du foyer , le feu du Soleil doit être d’une ardeur ou plutôt d’une violence extrême, non seulement parce que les corps qui cir- culent autour de lui sont tous vastes, solides et mus rapidement, mais encore parce qu’ils sont en grand nombre : car, indépendam- ment des six planètes, de leurs dix satellites et de l'anneau de Saturne , qui tous pèsent sur le Soleil et forment un volume de ma- tière deux mille fois plus grand que celui de la Terre , le nombre des comètes est plus Î EPOQUES DE LA NATURE. 13 considérable qu'on ne le croit vulgairement; elles seules ont pu suffire pour allumer le feu du Soleil avant la projection des pla- nètes , et sufhroient encore pour l’entretenir aujourd'hui. L'homme ne parviendra peut- être jamais à reconnoître les planètes qui cir- culent autour des étoiles fixes; mais, avec le temps, il pourra savoir au juste quel est le nombre des comètes dans le système solaire. Je regarde cette grande connoissance comme réservée à la postérité. En attendant, voici une espèce d'évaluation qui, quoique bien éloignée d'ètre precise, ne laissera pas de fixer les idées sur le nombre de ces corps cir- culant autour du Soleil. | En consultant les Recueils d'observations, on voit que depuis l’an 1101 jusqu’en 1766, c’est-à-dire, en six cent soixante-cinq an- nées , il y a eu deux cent vingt-huit appari- tions de comètes. Mais le nombre de ces astres errans qui ont été remarqués n’est pas aussi grand que celui des apparitions, puis- que la plupart, pour ne pas dire tous, font leur révolution en moins de six cent soixante- einq ans. Prenons donc les deux comètes des- quelles seules les révolutions nous sont par= 2 #4 HISTOIRE NATURELLE | faitement connues ; savoir, la comète de 1680, dont la période est d'environ cinq cent soixante-quinze ans, et celle de 1759, dont la période est de soixante-seize ans. On peut croire, en attendant mieux, qu’en pre- nant le terme moyen, trois cent vingt-six FÉES EE one ans, entre ces deux périodes de révolution, il … y a autant de comètes dont la période excède trois cent vingt-six ans, qu'il y en a dont la période est moindre. Ainsi, en les réduisant toutes à trois cent vingt-six ans, chaque comèle auroit paru deux fois en six cent cmquante-deux ans, et l’on auroit par con- séquent à peu près cent quinze comètes pour deux cent vingt-huit apparitions en six cent soixante-cinq ans. Maintenant, si l’on considère que vraisem- blablement il y a plus de comètes hors de la portée de notre vue ou échappées à l’œil des observateurs, qu'il n’y en a eu de remar- queées, ce nombre croitra peut-être de plus du triple ; en sorte qu’on peut raisonnable- ment penser qu’il existe dans le système so- laire quatre ou cinq cents comètes. Et s’il en est des comètes comme des planètes , si les plus grosses sont les plus éloignées du Soleil, K € ÉPOQUES DE LA NATURE. 15 _si les plus petites sout les seules qui erÿ ap- prochent d'assez près pour que nous puis- sions les appercevoir, quel volume immense de matière! quelle charge énorme sur le corps de cet astre! quelle pression, c’est-à- dire, quel frottement intérieur dans toutes les parties de sa masse, et par conséquent quelle chaleur et quel feu produit par ce frottement! Car, dans notre hypothèse, le Soit étoit une masse de matière en fusion, même avant la projection des planètes; par conséquent ce feu n’avoit alors pour cause que la pres sion de ce grand nombre de comètes qui circuloient précédemment et circulent encore aujourd’hui autour de ce foyer commun. Si la masse ancienne du Soleil a été diminuée d'un six cent cinquantième * par la projec- tion de la matière des planètes lors de leur formation , la quantité totale de la cause de son feu, c’est-à-dire, de la pression totale, a été augmentée dans la proportion de la pres- sion entière des planètes, réunie à la pre- * Voyez l’article qui a pour titre , de la forma- tion des planéies, dans cette Histoire naturelle. 16 HISTOIRE NATURELLE. mière pression de toutes les comètes, à l'ex« ception de celle qui a produit l'effet de la projection, et dont la matière s’est mêlée à celle des planètes pour sortir du Soleil ; lequel par conséquent , après cette perte, n’én est devenu que plus brillant, plus actif, et plus propre à éclairer, échauifer et fécon- . der son univers. 4 En poussant ces inductions encore plus loin , on se persuadera aisémentque les satel- lites qui circulent autour de leur planète prin- cipale, et qui pèsent sur elle comme les pla= nètes pèsent sur le Soleil ; que ces satellites, dis-je, doivent communiquer un certain degré de chaleur à la planète autour de laquelle ils circulent : la pression et le movement de la Lune doivent donner à la Terre un degré de chaleur, qui seroit plus grand si la vitesse du mouvement de circulation de la Lune étoit plus grande; Jupiter, qui a quatre satel- : | lites, et Saturne, qui en a cinq, avec um grand anneau , doivent, par cette seule raison, être animés d’un certain degré de chaleur. Si ces planètes très-éloignées du Soleil n’étoient pas douées comme la Terre d’une chaleur intérieure, elles seroient plug __ ÉPOQUES DE LA NATURE. +7 que gelées, et le froid extrème que Jupiter et Saturne auroient à supporter, à cause de leur éloignement du Soleil, ne pourroit être tempéré que par l’action de leurs satellites. Plus les corps circulans seront nombreux, grands et rapides, plus le corps qui leur sert d’aissieu ou de pivot s’échauffera par le frot- tement intime qu'ils feront subir à toutes les parties de sa masse. Ces idées se lient parfaitement avec celles qui servent de fondement à mon hypothèse sur la formation des planètes; elles en sont des conséquences simples et naturelles : mais J'ai la preuve que peu de gens ont saisi les rapports et l’ensemble de ce grand'systême. Néanmoins y a-t-il un sujet plus élevé, plus digne d'exercer la force du génie? On m'a critiqué sans m'entendre; que puis-je ré— pondre? sinon que tout parle à des yeux attentifs , tout est indice pour ceux qui savent voir; mais que rien n’est sensible, rien n’est clair pour le vulgaire, et même pour ce vulgaire savant qu’aveugle le pré- jugé. Tächons néanmoins de rendre la vérité plus palpable; augmentons le nombre des probabilités; rendons la vraisemblance plus 2 L À X i x Cm 38 HISTOIRE NATURE grande; ajoutons lumières sur. lumgié oh en réunissant les faits, en accumulant les preuves, et laissons-nous juger ensuite sans inquiétude et sans appel : car j'ai toujours pensé qu’un homme qui écrit doit s'occuper uniquement de son sujet, et nullement de soi; qu’il est contre la bienséance de vouloir en occuper les autres, et que par conséquent les critiques personnelles doivent demeurer sans reponse. | Je conviens que les idées de ce système peuvent paroître hypothétiques, étranges, et même chimériques, à tous ceux qui, ne ju— geant les:choses que par le rapport de leurs sens, n’ont jamais conçu comment on sait que la Terre n’est. qu’une petite planète, renflée sur l’équateur et abaissée sous les poles; à ceux’qui ignorent comment on s’est assuré que tous les corps célestes pèsent, agissent et réagissent les uns sur les autres; comment on à pu mesurer leur grandeur, leur distance, leurs mouyemens, leur pe- santeur, etc. : mais je suis persuadé que ces mêmes idées paroitront simples, naturelles, et même grandes, au petit nombre de ceux qui, par des observations et des réflexions Le \ ÉPOQUES DE LA NATURE. 1:19 Suivies, sont parvenus à connoître les lois de l'univers, et qui, jugeant des choses par leurs propres lumières, les voient sans préjugé, telles qu’elles sont, ou telles qu’elles pour- roient être : car ces deux points de vue sont à peu près les mêmes; et celui qui regardant une horloge pour la première fois, diroit que le principe de tous ses mouvemens est un ressort, quoique ce füt un poids, ne se trom- peroit que pour le vulgaire, et auroit, aux yeux du philosophe, explique la machine. Ce n'est donc pas que j'aie affirmé ni même positivement prétendu que notre Terre et les planètes aient été formées né- cessairemêènt et réellement par le choc d’une comète qui a projeté hors du Soleil la six cent cinquantième partie de sa masse : mais ce que j'ai voulu faire entendre, et ce que je maintiens encore comme hypothèse très- probable, c’est qu’une comète qui, dans son périhélie, approcheroit assez près du Soleil pour en efileurer et sillonner la surface, pourroit produire de pareils effets, et qu'il n’est pas impossible qu’il se forme quelque jour, de cette même manière, des planètes nouvelles, qui toutes circuleroient ensemble +” pi » 20 HIST OIRE NATURELLE comme les planètes actuelles, dans le même sens , et presque dans un mème plan autour du Soleil ; des planètes qui tourneroient. aussi sur elles-mêmes, et dont la matière étant, au sortir du Soleil, dans un état de liquéfaction, obéiroit à la force centrifuge, et s’éleveroit à l’équateur en s’abaissant sou les poles; des planètes qui pourroient de même avoir des satellites en plus ou moins grand nombre, circulant autour d’elles dans le plan de leurs équateurs, et dont les mou- vemens seroient semblables à ceux des satel- lites de nos planètes : en sorte que tous Les phénomènes de ces planètes possibles ef idéales seroient, je ne dis pas les mêmes, mais dans le même ordre, et dans des rap— ports semblables à ceux des phénomènes des planètes réelles. Et pour preuve, je demande” seulement que l’on considère si le mouve- ment de toutes les planètes, dans le même sens, et presque dans le même plan, ne suppose pas une impulsion commune; je demande s’il y a dans l'univers quelques corps, excepté les comètes, qui aient pu communiquer ce mouvement d'impulsion; je demande s’il n’est pas probable qu'il tomba | ÉPOQUES DE LA NATURE. 2# de temps à autre dés comètes dans le Soleil, puisque celle de 1680 en a, pour ainsi dire, rasé la surface, et si par conséquent une telle comète, ex sillonnant cette surface du Soleil, ne communiqueroit pas son mouve- ment d’'impulsion à une certaine quantité de matière qu’elle sépareroit du corps, du Soleil , en la projetant au dehors ; je demande si, dans ce torrent de matière projetée, 1l ne se formeroit pas de globes par l'attraction mutuelle des parties, et si ces globes ne se trouveroient pas à des distances différentes, suivant la différente densité des matières, et si les plus lésères ne seroieit pas poussées plus loin que les plus denses par la même impulsion ; je demande si la situation de tous ces globes presque dans le même plan n'indique pas assez que le torrent projeté m'étoit pas d'une largeur considérable , ef qu'il n’ayoit pour cause qu’une seule impul- sion, puisque toutes les parties de la matière dont il étoit composé, ne se sont éloignées que très-peu de la direction commune; je demande comment et où la matière de la Terre et des planètes auroit pu se liquéfier, si elle n'eût pas résidé dans le corps même GANTS CR qi CN, 22 HISTOIRE NATURELLE. du Soleil, et si l’on peut trouver une cause é de cette chaleur et de ‘cet embrasement du Soleil, autre que celle de sa charge, et du frottement intérieur produit par l’action de tous ces vastes corps qui circulent autour de Jui; enfin je demande qu’on examine tous les rapports, que l’on suive toutes les vues, que l’on compare toutes les analogies sut lesquelles j’ai fondé mes raisonnemens, et qu on se contente de couclure avec moique, si Dieu l’eût permis, il se pourroit, par les … seules lois de la Nature, que la Terre et les planètes eussent été formées de cette même 3 _Mmanière. | Suivons donc notre objet, et de ce temps qui a précédé les temps et s’est soustrait à notre vue, passons au premier àge de notre univers, où la Terre et les planètes ayant reçu leur forme, ont pris de la consis- tance, et de liquides sont devenues solides. Ce changement d'état s’est fait naturelle- ment et par le seul effet de la diminution de la chaleur : la matière qui compose le globe terrestre et les autres slobes planétaires, étoit en fusion lorsqu'ils ont commencé à tourner sur eux-mêmes; ils ont donc obéi, \ ÉPOQUES DE LA NATURE. 23 comme toute autre matière fluide, aux lois de la force centrifuge; les parties voisines de l'équateur, qui subissent le plus grand mouvement dans la rotation, se sont le plus élevées ; celles qui sont voisines des poles , où ce mouyement est moindre ou nul, se sont abaissées dans la proportion juste et précise qu'exigent les lois de la pesanteur, combi- nées avec celles de la force centrifuge?; et cette forme de la Terre et des planètes s’est conservée jusqu'à ce jour, et se conservera perpétuellement , quand même l'on voudroit supposer que le mouvement de rotation vien- droit à s’accélerer, parce que la matière ayant passé de l’état de fluidité à celui de solidité, la Cohésion des parties suffit seule pour maintenir la forme primordiale, et qu'il faudroit pour la changer que le mou- vement de rotation prit une rapidité presque infinie, c’est-à-dire, assez grande pour que l'effet de la force centrifuge devint plus grand que celui de la force de la cohérence. Or le refroidissement de la Terre et des 2 Voyez, ci-après, les additions et les notes Justi« fcatives des faits, 24 HISTOIRE NATURELLE planètes, comme celui de tous les corps chauds, à commencé par la surface : les matières en fusion s’y sont cousolidées dans un temps assez court. Dès que le grand feu dont elles étoient pénétrées s’est échappé, les parties de la matière qu'il tenoit divisées, se sont rapprochées et réunies de plus près par leur attraction mutuelle : celles qui avoienut assez de fixité pour soutenir la vio- lence du feu, ont forme des masses solides ; mais celles qui, comme l'air et l’eau, se raréfient ou se volatilisent par le feu, ne pouvoient faire corps avec les autres; elles en ont été séparées dans les premiers temps du refroidissement. Tous les élémens pou- vant se transmuer et se convertir, l’instant de la consolidation des matières fixes fut aussi celui de la plus grande conversion des élémens et de la production des matières volatiles : elles étoient réduites en vapeurs et dispersées au loin, formant autour des planètes une espèce d’atmosphière semblable à celle du Soleil ; car on sait que le corps de cet astre de feu est environné d’une sphère de vapeurs, qui s'étend à des distances im— menses, et peut-être jusqu à l'orbe de Ia ÉPOQUES DE LA NATURE. 25 Terre. L'existence réelle de cette atmosphère solaire est démontrée par un phénomène qui accompagne les éclipses totales du Soleil. La Lune en couvre alors à nos yeux le disque tout entier; et néanmoins l’on voit encore un limbe ou grand cercle de vapeurs, dont la lumière est assez vive pour nous éclairer à peu près autant que celle de la Lune: sans cela, le globe terrestre seroit plongé dans l'obscurité la plus profonde pendant la durée de l’éclipse totale. On a observé que cette atmosphère solaire est plus dense dans ses parties voisines du Soleil , et qu’elle devient d'autant plus rare et plus transparente qu'elle s’étend êt s'éloigne davantage du corps de cet astre de feu : l’on ne peut donc pas douter que le Soleil ne soit environné d’une sphère de matières aqueuses, aériennes et volatiles, que sa violente chaleur tient sus- pendues et reléguées à des distances im- menses, et que, dans le moment de la pro- jection des planètes, le torrent des matières fixes sorties du corps du Soleil n'ait, en tra- versant son atmosphère, entraîné une grande quantité de ces matières volatiles dont elle est composée; et ce sont ces mêmes matières j z 26 .: HISTOIRE NATURELLE. | volatiles, aqueuses et aériennes, qui ont en- À suite formé les atmosphères des planètes, les= | quelles étoient semblables à l'atmosphère du : Soleil, tant que les planètes onf été, comme lui, dans un état de fusion ou de grande in- candescence. k Toutes les planètes n’étoient donc alors que des masses de verre liquide, environnées d’une sphère de vapeurs. Tant qu’a duré cet état de fusion, et même long-temps après, les planètes étoient lumineuses par elles-mêmes, comme le sont tous les corps en incandes- cence ; mais, à mesure que les planètes pre- noient de la consistance, elles perdoient de Jeur lumière : elles ne devinrent tout-à-fait obscures qu'après s'être consolidées jusqu’au centre, et long-temps après la consolidation de leur surface, comme l’on voit dans üne masse de metal fondu la lumière et la rou- geur subsister très-long-temps après la con- solidation de sa surface. Et dans ce premier temps où les planètes brilloient de leurs propres feux , elles devoient lancer des rayons, jeter des étincelles, faire des explo- sions, et ensuite souffrir, en se refroidissant, différentes ébullitions, à mesure que l’eau, . = ÉPOQUES DE LA NATURE. 27 l'air, et les autres matières qui ne peuvent supporter le feu , retomboient à leur surface: la production des élémens, et ensuite leur combat, n’ont pu manquer de produire des inégalités , des aspérités, des profondeurs, des hauteurs, des cavernes, à la surface et dans les premières couches de l’intérieur de ces grandes masses; et c’est à cette époque que l’on doit rapporter la formation des plus hautes montagnes de la Terre, de celles de la Lune, et de toutes les aspérités ou iné- galités qu’on apperçoit sur les planètes. Représentons-nous l’état et l'aspect de notre univers dans son premier àge : toutes les planètes, nouvellement consolidées à la surface, étoient encore liquides à l’intérieur, et lançoient au dehors une lumière très-vive : # c'étoient autant de petits soleils détachés du grand, qui ne lui cédoient que par le vo- lume, et dont la lumière et la chaleur se répandoient de même. Ce temps d’incandes- cence a duré tant que la planète n’a pas été consolidée jusqu'au centre, c'est-à-dire, en- iron 2936 ans pour la Terre, 644 ans pour la Lune, 2127 ans pour Mercure, 1130 ans 24 pour Mars, 3506 ans pour Vénus, 5140 ans APRES RES te t'*4 te TS JURE à fe 28 HISTOIRE NATURELLE pour Saturne, et 9433 ans pour Jupiter*: | Les satellites de ces deux grosses planètes, aussi-bien que l’anneau qui environne Sa- 4 turne, lesquels sont tous dans le plan de l'équateur de leur planète principale, avoient été projetés dans le temps de la liquéfaction par la force centrifuge de ces grosses pla- nètes, qui tournent sur elles-mêmes avec une prodigieuse rapidité : la Terre, dont la vitesse de rotation est d'environ 9000 lieues pour vingt-quatre heures, c’est-à-dire, de six lieues un quart par minute, a, dans ce même temps, projeté hors d’elle les parties les moins denses de son équateur, lesquelles se sont rassemblées par leur attraction mu- tuelle à 85000 lieues de distance, où elles ont forme le globe de la Lune. Je n’avance rien ici qui ne soit confirme par le fait, lors- que je dis que ce sont les parties les moins denses qui ont été projetées, et qu’elles l’ont été de la région de l'équateur: car l’on sait que la densité de la Lune est à celle de la Terre comme 702 sout à 1000, c’est-à-dire, * Voyez les recherches sur la température des planètes, premier et second Mémoires. ÉPOQUES DE LA NATURE. 29 de plus d’un tiers moindre; et l’on sait aussi _que la Lune circule autour de la Terre dans un plan qui n’est éloigné que de 25 degrés de notre équateur, et que sa distance moyenne est d'environ 85000 lieues. Dans Jupiter, qui tourne sur lui-même en dix heures, et dont la circonférence est onze fois plus grande que celle de la Terre, et la vitesse de rotation de 165 lieues par minute, cette énorme force centrifuge a projeté un grand torrent de matière de différens degrés de densité, dans lequel se sont formés les quatre satellites de cette grosse planète; dont l'un, aussi petit que la Lune, n'est qu'à 89500 lieues de distance, c’est-à-dire, pres- que aussi voisin de Jupiter que la Lune l’est de la Terre; le second, dont la matière étoit un peu moins dense que celle du premier, et qui est environ gros comme Mercure, s’est forme à 141800 lieues ; le troisième, composé de parties encore moins denses, e£ qui est à peu près srand comme Mars, s’est formé à 2258co lieues ; et enfin le quatrième, dont la matière étoit la plus légère de toutes, a été projeté encore plus loin, et ne s’est rassemblé qu'à 397877 lieues; et tous les ne. à: “ US | ARS Ut 3o HISTOIRE NATURELLE. quatre se trouvent, à très-peu près, dans le plan de l'équateur de leur planète prinei- pale, et circulent dans le mème sens autour d’elle !. Au reste, la matière qui compose le globe de Jupiter, est elle-même beaucoup moins dense que celle de la Terre. Les pla- nètes voisines du Soleil sont les plus denses ; : celles qui en sont les plus éloignées, sont en mème temps les plus légères : la densite de la ‘Terre est à celle de Jupiter comme 1000 sont à 292; et il est à présumer que la matière qui compose ses satellites, est encore moins dense que celle dont il est lui: mème composé ?. | L. 1 M, Bailly a montré, par des raisons très-plau- sibles, urées du mouvement des nœuds des satel- lites de Jupiter, que le premier de ses satellites cir- cule dans le plan même de l'équateur de cette pla- nète, et que les trois autres ne s’en écartent pas d'un degré. (Mémoires de l'académie des SCLences , aunée 1766. ) 2 J'ai, par analogie, donné aux satellites de Jupiter et de Saturne, la même densité relauve qui se trouve entre la Terre et la Lune, c’est-à- dire, de 1000 à 702, Voyez le premier Mémoire sur sa tempéraiure des planètes. ÉPOQUES DE LA NATURE. 3r Saturne, qui probablement tourne sur lui< même encore plus vite que Jupiter, a non seulement produit cinq satellites, mais encore un anneau qui, d'après mon hypo- thèse, doit être parallèle à son équateur, et qui l’environne comme un pont suspendu et continu à 54000 lieues de distance : cet anneau, beaucoup plus large qu’épais, est. composé d’une matière solide, opaque, et semblable à celle des satellites ; il s’est trouvé. dans le mêémeétat de fusion , et ensuite d’in- candescence : chacun de ces vastes corps ont conservé cette chaleur primitive, en raison composée de leur épaisseur et de leur den- _sité; en sorte que l’anneau de Saturne, qui paroît être le moins épais de tous les corps célestes, est celui qui auroit perdu le pre- mier sa chaleur propre, s’il n’eût pas tiré” de trés-grands supplémens de chaleur de Saturne même, dont il est fort voisin; en- suite la Lune et les premiers satellites de Saturne et de Jupiter, qui sont les plus petits des globes planetazres, auroient perdu leur chaleur propre, dans des temps toujours proportionnels à leur diamètre; après quoi les plus gros satellites auroient de mème 3 HISTOIRE NATURELLE | perdu leur chaleur, et tous seroient aujour=. d’hui plus refroidis que le globe de la Ferre, si plusieurs d’entre eux n’avoient pas reçu de leur planète principale une chaleur im- mense dans les commencemens : enfin les. deux grosses planètes, Saturne et Jupiter, conservent encore actuellement une très grande chaleur en comparaison de celle de leurs satellites, et même de celle du globe de la Terre. | Mars, dont la durée de rotation est de vingt-quatre heures quarante minutes, el dont la circonférence n’est que treize vingt- cinquièmes de celle de la Terre, tourne une fois plus lentement que le globe terrestre, sa vitesse de rotation n’étant guère que de trois lieues par minute; par conséquent sa force centrifuge a toujours été moindre de plus de moitié que celle du globe terrestre : c'est par cette raison que Mars, quoique moins dense que la Terre dans le rapport _de 7350 à 1000, n’a point de satellite. Mercure, dont la densité est à celle de la Terre comme 2040 sont à 1000, n’auroit pu produire un satellite que par une force centrifuge plus que double de celle du globe 14 ÉPOQUES DE LA NATURE: 33 de la Terre; mais , quoique la durée de sæ rotation n’ait pu être observée par les astro- nomes, il est plus que probable qu'au lieu d’être double de celle de la Terre, elle est au contraire beaucoup moindre. Ainsi l’on peut croire avec fondement que Mercure n’a point de satellite. Vénus pourroit enavoir un; car, étant un peu moins épaisse que la Terre dans la raison de 17 à 18, et tournant un peu plus vite dans le rapport de 23 heures 20 minutes à 23 heures 56 minutes, sa vitesse est de plus de six lieues trois quarts par minute, et par . conséquent sa force centrifuge d'environ un treizième plus grande que celle de la Terre. Cette planète auroit donc pu produire un ou deux satellites dans le temps de sa liquéfac- tion , si sa densité, plus grande que celle de la Terre, dans la raison de 1270 à 1000, c’est-à-dire, de plus de 5 contre 4, ne se füt pas opposée à la séparation et à la pro- jection de ses parties même les plus liquides; et ce pourroit être par cette raison que Vénus n’auroit point de satellite, quoiqu'il y ait des observateurs qui prétendent en avoir apperçu un autour de cette planète. , À À s 4 à C'UTINNA LOVE NE TE { Le ÿ : à MUSÉES RARE URL EL 34 HISTOIRE NATURELLE. À tous ces faits que je viens d'exposer ,On doit en ajouter un qui m'a étécommuniqué + ‘ par M. Bailly, savant physicien -astronome 1 de l’académie des sciences. La surface de « Jupiter est, comme l’on sait, sujette à des changemens sensibles, qui semblent indi- quer que cette grosse planète est encore dans un état d’inconstance et de bouillonnement. | Prenant donc, dans mon systême de l'in: … candescence générale et du refroidissement des planètes, les deux extrêmes, c’est-à-. dire, Jupiter comme le plus gros, et la Lune comme le plus petit de tous les corps planétaires, il se trouve que le premier, qui n’a pas eu encore le temps de se refroi- dir et de prendre une consistance entière, nous présente à sa surface les effets du mou- vement intérieur dont il est agité par le feu, tandis que la Lune, qui, par sa petitesse, a dû se refroidir en peu de siècles, ne nous offre qu'un calme parfait, c’est-à-dire, une _ surface qui est toujours la même, et sur laquelle l’on n'apperçoit ni mouvement ni changement. Ces deux faits connus des astro- nomes se joignent aux autres analogies. que j'ai présentées sur ce sujet, et ajoutent exe 062 : ÉPOQUES DE LA NATURE. 35 un petit degré de plus à la probabilité de mon hypothèse. HA Par la comparaison que nous avons faite de la chaleur des planètes à celle de la Terre, on a vu que le temps de l’incandescence pour le globe terrestre a duré deux mille neuf cent trente-six ans; que celui de sa chaleur au point de ne pouvoir le toucher a été de | trente-quatre mille deux cent soixante-dix ans, ce qui fait en tout trente-sept mille deux cent six ans; et que c’est là le premier moment de la naissance possible de la Nature vivante. Jusqu’alors les élémens de l'air et de l’eau étoient encore confondus, et ne pouvoient se séparer ni s'appuyer sur la surface brûlante de la Terre, qui les dissi- poit en vapeurs ; mais, dès que cette ardeur se fut attiédie, une chaleur bénigne et fé- conde succéda par degrés au feu dévorant qui s'opposoit à toute production, et même à l'établissement des élémens : celui du feu, dans ce premier temps, s’étoit, pour ainsi dire, emparé des trois autres; aucun n’exis+ toit à part : la terre, l’air et l’eau, pétris de feu et confondus ensemble, n’offroient, au lieu de leurs formes distinctes, qu'une 36 HISTOIRE NATURELL E. masse brûlante environnée de vapeurs en- flammées. Ce n’est donc qu'après trente-sept mille ans que les gens de la Terre doivent dater Les actes de leur monde, et compter Le faits de la Nature organisée. Il faut rapporter à cette première époque ce que j'ai écrit de l’état du ciel, dans mes Mémoires sur la température des planètes. Toutes au. commencement étoient brillantes et lumineuses ; chacune formoit un petit soleil ?, dont la chaleur et la lumière ont diminué peu à peu et se sont dissipées succes- sivement'dans le rapport des temps, que j'ai ci-devant indiqué, d’après mes expériences sur le refroidissement des corps en général, dont la durée est toujours à En près por nonneRe à leurs diamètres et à à ee densite ? Les planètes, ainsi que leurs satellites, se ? Jupiter, lorsqu'il est le plus près de la Terre, vous paroît sous un angle de 59 ou 60 secondes; ïl formoit donc un soleil dont le diamètre n’éloit que : trente-une fois plus petit que celui de notre Soleil. 2 Voyez le prenner et le second Mémoire sur les progrès de la chaleur, et les Recherches swr l@ éempérature des planéless 4 ÈPOQUES DE LA NATURE. 3% sont donc refroidies les unes plus tôt et les . autres plus tard; et, en perdant partie de leur chaleur, elles ont perdu toute leur lu- mière propre. Le Soleil seul s’est maintenu dans sa splendeur, parce qu'il est le seul au- tour duquel circulent un assez grand nombre de corps pour en entretenir la lumière, la chaleur et le feu. Mais sans insister plus long-temps sur ces objets , qui paroissent si loin de notre vue, xabaissons-la sur le seul globe de la Terre. Passons à la seconde époque, c’est-à-dire, au temps où la matière qui le compose, s'étant consolidée, a formé les grandes masses de matières vitrescibles. Je dois seulement répondre à une espèce d’objection que l’on m'a deja faite, sur la très-longue durée des temps. Pourquoi nous jeter, m’a-t-on dit, dans un espace aussi vague qu'une durée de çent soixante-huit mille ans? car, à la vue de votre tableau, la Terre est âgée de soixante-quinze mille ans, et la Nature vivante doit subsister encore pendant quatre-vingt-treize mille ans: est-il aisé, est-il même possible de se former une idée du tout ou des parties d’une aussi Mat, gén, VIIL. 4 è A » 33 HISTOIRE NATURELLE. longue suite de siècles ? Je n’ai d’autre rés ponse que l'exposition des monumens et la considération des ouvrages de la Nature : j'en donnerai le détail et les dates dans les Époques qui vont suivre celle-ci, et l’on verra que bien loin d’avoir augmenté sans nécessité la durée du temps, je l’ai peut-être beaucoup trop raccourcie. | Eh! pourquoi l'esprit humain semble-t-il se perdre dans l’espace de la durée plutôt que dans celui de l’étendue, ou dans la considération des mesures, des poids et des nombres? Pourquoi cent mille ans sont-ils plus difficiles à concevoir et à compter que cent mille livres de monnoie? Seroit-ce parce que la somme du temps ne peut se palper ni se réaliser en espèces visibles? ou plutôt n'est-ce pas qu'étant accoutumés par notre irop courte existence à regarder cent ans comme une grosse somme de temps, nous avons peine à nous former uñe idée de mille aus, ét ne pouvons plus nous représenter dix mille ans, ni même en concevoir cent mille? Le seul moyen est de diviser en plusieurs parties ces longues périodes de temps, de comparer par la vue de l'esprit LTÉE ÉPOQUES DE LA NATURE. 3 la durée de chacune de ces parties avec les grands effets et sur-tout avec les cons- tructions de la Nature, se faire.des apperçus sur le nombre des siècles qu’il a fallu poux produire tous les animaux à coquilles dont la Terre est remplie, ensuite sur le nombre encore plus grand des siècles qui, se sont écoulés pour le transport et le dépôt de ces coquilles et de leurs détrimens, enfin sur le nombre des autres siècles subséquens, néces- saires à Ja pétrification et au desséchement de ces matières, et dès lors on sentira que cette énorme durée de soixante-quinze mille aus, que j'ai, comptée depuis la formation de la Terre jusqu'à son élat actuel, n’est pas encore assez étendue pour tous les srands ouvrages de la Nature, dont la construction nous démontre qu'ils n’ont pu se faire que par une succession lente de mouyemens réglés et constans. Ç Pour rendre. cet apperçu plus sensible ; dounons.un exemple; cherchons combien ik a fallu de temps pour la construction d’une colline d'argille de mille toises de hauteur: Les sédimens successifs des eaux ont forme toutes les couches dont la colline .est com- à 40 HISTOIRE NATURELLE. posée depuis la base jusqu'à son sommet. Or nous pouvons juger du dépôt sucecessif. et journalier des eaux par les feuillets des ardoises ; ils sont si minces, qu’on peut en. compter une douzaine dans une ligne d’é- paisseur. Supposons donc que chaque marée dépose un sédiment d’un douzième de ligne d'épaisseur , c'est-à-dire, d’un sixième de ligne chaque jour: le dépôt augmentera d’une ligne en six jours, de six lignes en trente- six jours, et par conséquent d'environ cinq pouces en un an; ce qui donne plus de quatorze mille ans pour le temps nécessaire à la composition d’une colline de glaise de mille toises de hauteur : ce temps paroîtra même trop court, si on le compare avec ce qui se passe sous nos yeux ‘sûr certains rivages de la mer, où elle dépose des limons et des argilles, comme sur les côtes de Nor- mandie *; car le dépôt n’augmente qu’insen- siblement et de beaucoup moins 'de cinq pouces par an. Et si cette colline d’argille est couronnée de rochers calcaires, la durée du temps, que je réduis à quatorze mille ans, 3 Voyez, ci-après, les notes justificatives des faite, (| ÉPOQUES DE LA NATURE. 4# ne doit-elle pas être augmentée de celui qui a été nécessaire pour le transport des co- quillages dont la colline est surmontée ? et cette durée .si longue n'a-t-elle pas encore été suivie du temps nécessaire à la pétrifica- tion et au desséchement de ces sédimens, et encore d’un temps tout aussi long pour la figuration de la colline par angles saillans et rentrans? J'ai cru devoir entrer d'avance dans ce détail, afin de démontrer qu’au lieu de reculer trop loin les limites de la durée, je les ai rapprochées autant qu'il m'a été possible, sans contredire évidemment les faits consignés dans les archives de la Nature. TT Sur la premiere Époque. \ ë Pcr 6, ligne 23. Sur la matière dont le noyau. des comètes est composé 8’ai dit, dans Varncle de {a formation des planètes, volume T, page 19r, que les comètes sont composées d’une matière très-solide et 1rès-dense. Ceci ne doit pas ètre pris comme une assertion positive et générale ; car il doit y avoir de grandes différences entre Ja densité de telle ou telle comète, comme il y en a entre la densité des différentes planètes : Mais on ne pourra déterminer cette différence de densité relative entre chacune des comètes que quand on en connoîtra les périodes de révolution aussi parfaitement que lon connoît les périodes des planètes. Une comète dont la densité seroit seulement comme la densité de la planète de Mercure, double de celle de la Terre, et qui auroit à son périhélie autant de vitesse que la comète de 1680 , seroit peut- être suffisante pour chasser hors du Soleil toute la quantité de matière qui compose les planètes, parce que la matière de la comète étant dans ce cas huit fois plus dense NOTES. 43 que la matière sblaire, elle communiqueroit huit fois autant de mouvement , et chasseroit une 800€ partie de la: masse du Soleil aussi aisément qu'un corpszdont la densité seroit égale à celle de la ma- üère solaire ; sr en chasser une centième partie. D | 2 Page 23 ; hpgne 8. La Terre est élevée sous lequateur et abarssée sous les poles, dans la pro- portion juste et précise quexigent les lois de la pesanteur, éoññbinées avec celles dela Force cen= trifuge. J'ai sapposé dans mon Traité de la for- mation des planetes, volume I, page 226, que la différence des diamètres de la Terre étoit dans le rapport de r74 à r75, d’après la détermination faite par nos mathématiciens envoyés en Lapponie et au Pérou; mais comme ils ont supposé une courbe. régulière à la Terre, j'ai averti, page 230, que cette supposition étoit hypothétique, et par conséquent je ne me suis point arrèté à cette détermination. Je pense donc qu'on doit préférer le rapport de 229 à 230 , tel qu'il a été déterminé par Newton, d’après sa théorie et les expériences du pendule, qui me paroissent être bien plus sûres que les mesures. C’est par cette raison que, dans les Mémoires de la parue hypothétique, j'ai toujours supposé que le rapport des deux diamètres du sphéroïde terrestre 44 NOTE see _étoit de 229 à 230. M. le docteur Irving, quia ac compagné M. Phipps dans son voyage au Nord -en 1773, a fait des expériences très-exactes:sur l'accéi lération du pendule au 79€ degré 5o minutes, et il a trouvé que cette accélération étoit de 72.373 secondes en 24 heures, d’où il conclut que le diamètre à l'équateur est à l'axe de la Terre comme 212 à 2tr. Ce savant voyageur ajoute avec raisoh, que son résultat approche de celui. de Newton beaucoup plus que celur de M. de Maupertuis, qui donne. le rapport de r78 à r79, et plus aussi que celui de M. Bradley, qui, d’après les observations de . M. Campbell, donne le rapport de 200 à 201 pour la différence des deux diamètres de la Terre. 3 Page 40, ligne 18. La mer, sur les côtes voi sines dé la ville de Caen en Normandie, à cons- truit et construit encore par son flux et reflux une espèce de schiste composé de lames minces et déliées, el qui se forment journellement par le sédiment des eaux. Chaque marée montante ap= porie et répand sur tout le rivage un limon impal= pable, qui ajoute une nouvelle feuille aux anciennes, d'où résulte, par la succession des temps, unschisie tendre et feuilleté, e = SECONDE ÉPOQUE. Lorsque la matière s'étant consolidée a formé la roche intérieure du globe, ainsi que les grandes masses vitrescibles qui sont à s@ surface. O» vient de voir que, dans notre hypo- thèse , il a dû s’écouler deux mille neuf cent trente-six ans , avant que le globe terrestre ait pu prendre foute sa consistance, et que sa masse entière se soit consolidée jusqu’au centre. Comparons les effets de cette consoli- dation du globe de la Terre en fusion à ce que nous voyons arriver à une masse de mé- tal ou de verre fondu, lorsqu’elle commence à se refroidir : il se forme à la surface de ces masses, des trous, des ondes; des aspérités ; et au-dessous de la surface il se fait des vides, des cavités, des boursouflures , lesquelles peuvent nous représenter ici les premières inégalités qui se sont trouvées sur la surface de la Terre et les cavités de son intérieur : 46 HISTOIRE NATURELLE. nous aurons dès lors une idée du grand nom- bre de montagnes , de vallées, de cavernes et d’anfractuosités qui se sont formées dès ce premier temps dans les couches extérieures de la Terre. Notre comparaison est d'autant plus exacte, que les montagnes les plus éle- vées, que je suppose de trois inille ou trois mille cinq cents toises de hauteur, ne sont, par rapport au diamètre de la Terre, que ce qu'un huitième de ligne est par rapport an diamètre d’un globe de deuxpieds. Ainsi ces chaines de montagnes qui nous paroïissent si prodigieuses tant par le volume: que par la hauteur, ces vallées de la mer qui semblent être des abimes de profondeur, ne sont, dans la réalité, que de légères inégalités, propor- tionnées à la grossetir du globe, et qui ne pouvoient manquer de se former lorsqu'il prenoit sa consistance : ce sont des effets na- turels produits par une cause tout aussi natu- relle et fort simple, c’est-à-dire, par l’action du refroidissement sur les matières en fusion lorsqu'elles se consolident à la surface. C'est alors que se sont formés les élémens par le refroidissement et pendantises progrès : car à cette époque, et mème long-temps après, ÉPOQUES DE LA NATURE. 4 tant que la chaleur excessive a duré, il s’est fait une séparation et même une projection de toutes les parties volatiles, telles que l’eau, l’air et les autres substances que la grande chaleur chasse au dehors, et qui ne peuvent exister que dans une région Que tempérée que ue l’étoit alors la surface de la Terre. Toutes ces matières volatiles s’étendoient donc autour du globe en forme d’atmosphère à une grande distance où la chaleur étoit moins forte , tandis que les matières fixes, fondues et vitrifiées , s'étant consolidées , for- mèrent la roche intérieure du globe et le noyau des grandes montagnes, dont les som- mets, les masses intérieures et Les bases, sont : en effet composés de matières vitrescibles. Ainsi le premier établissement local des grandes chaînes de montagnes appartient à cette seconde époque, qui a précédé de plu- sieurs siècles celle de la formation des mon- tagnes calcaires, lesquelles n’ont existé qu’a- prés l’établissement des eaux, puisque leur composition suppose la production des co- quillages et des autres substances que la mer fomente et nourrit. Tant que la surface du globe n'a pas été refroidie au point de per- 48 HISTOIRE NATURELLE mettre à l’eau d’y séjourner sans s’exhaler en © vapeurs, toutes nos mers éfoient dans l’at- mosphère; elles n’ont pu tomber et s'établir sur la Terre qu’au moment où sa surface s'est trouvée assez attiédie pour ne plus rejeter l’eau par une trop forte ébullition. Et ce temps de l’établissement des eaux sur la sur- face du globe n'a précédé que de peu de siècles le moment où l’on auroit pu toucher cette surface sans se brûler; de sorte qu'en comptant soixante-quinze mille ans depuis la formation de la Terre, et la moitié de ce temps pour son refroidissement au point de pouvoir la toucher, il s’est peut-être passé viugt-cinq mille des premières années avant que l’eau, toujours rejetée dans l’atmosphère, ait pu s'établir à demeure sur la surface du : globe : car, quoiqu'il y ait une assez grande différence entre le degré auquel l’eau chaude cesse de nous offenser et celui où elle entre en ébullition , et qu’il y ait encore une dis- tance considérable éntre ce premier degré d’ébullition et celui où elle se disperse subi- tement en vapeurs, on peut néanmoins assu- «+ rer que cette différence de temps ne peut pas étre plus grande que je l’admets ici. ÉPOQUES DE LA NATURE. 49 Ainsi, dans ces premières vingt-cinq mille années, le globe terrestre, d’abord lumineux et chaud comme le Soleil, n’a perdu que peu à peu sa lumière et son feu : son état d’incan- descence a duré pendant deux mille neuf cent trente-six ans, puisqu'il a fallu ce temps pour qu'il ait été consolidé jusqu’au centre. Ensuite les matières fixes dont il est composé, sont devenues encore plus fixes en se resserrant de plus en plus . refroidissement ; elles ont pris peu à peu leur nature et leur consistance telle que nous la reconnoissons aujourd’hui dans la roche du globe et dans les hautes montagnes, qui ne sont en effet compesées, dans leur intérieur et jusqu’à leur sommet, que de matières de la même nature ! : ainsi leur origine date de cette même époque. C’est aussi dans les premiers trente-sept mille ans que se sont formés, par la subli- mation , toutes les grandes veines et les gros filons de mines où se trouvent les métaux, Les substances métalliques ont été séparées des autres matières vitrescibles par la cha- Jeur longue et constante qui les a sublimées 4 Voyez, craprès, les notes justificatives des faitse | 5 Ve" 44 UN 17h È VERS \ bo HISTOIRE NATURELLE. et poussées de l’intérieur de la masse du elobe dans toutes les éminences de sa surface, où .le resserrement des matières, causé par un plus prompt refroidissement, laissoit des fentes et des cavités, qui ont été incrustées et quelquefois remplies par ces substances métalliques que nous y trouvons aujour- d'hui *® ; car il faut, à l'égard de l’origine des mines , faire la même distinction que nous avons indiquée pour l’origine des ma- tières vitrescibles et des matières calcaires, dont les premières ont été produites par l’ac- tion du feu, et les autres par l’intermède de l’eau. Dans les mines métalliques, les prin- cipaux filons, on, si l’on veut, les masses primordiales, ont été produites par la fusion et par la sublimation, c’est-à-dire, par l’ac- tion du feu; et les autres mines, qu’on dois regarder comme des filons secondaires et pa- rasites, n’ont été produites que postérieure ment par le moyen de l’eau. Ces filons prin-— cipaux, qui semblent présenter les troncs des arbres métalliques, ayant tous été formés, soit par la fusion, dans le temps du feu pri- 2 Voyez, ci-après, les noles justificatives des faite DR". À * D 4) HR 1 A ÉPOQUES DE LA NATURE. 5e mitif, soil par la sublimation, dans les temps subséquens, ils se sont trouvés et se trouvent encore aujourd'hui dans les fentes perpendi- culaires des hautes montagnes ; tandis que c'est au pied de ces mêmes montagnes que gisent les petits filons , que l'on prendroit d'abord pour les rameaux de ces arbres mé- talliques, mais dont l’origine est néanmoins Dien différente : car ces mines secondaires n'ont pas été formées par le feu ; elles ont été produites par l’action successive de l’eau ; qui, dans des temps postérieurs aux pre- miers, a détaché de ces anciens filons des par- ticules minérales, qu’elle a chariées et deépo- sées sous différentes formes , et toujours au= dessous des filons primitifs *. Ainsi la production de ces mines secon- daires étant bien plus récente que celle des mines primordiales , et supposant le concours _et l'iutermède de l’eau, leur formation doit, comme celle des matières calcaires, se rap— porter à des époques subséquentes , c’est-à- dire, au temps où la chaleur brülante s’étant Altedie, la température de la surface de la "3 Voyez, ci-après, les notes jusuficatives des faitss | 62 HISTOIRE NATURELLE Terre a permis aux eaux de s'établir, et en suite au temps où ces mêmes eaux ayant laissé nos continens à découvert, les vapeurs ont commencé à se condenser contre les mon- tagnes pour y produire des sources d’eau courante. Mais, avant ce second et ce troi- sième temps, il y a eu d’autres grands effets, que nous devons indiquer. Représentons-nous, s’il est possible, l’ass pect qu’offroit la Terre à cette seconde époque, c'est-à-dire, immédiatement après que sa sur face eut pris de la consistance, et avant que la grande chaleur permit à l’eau d’y séjour- ner, ni même de tomber de l'atmosphère : les plaines, les montagnes, ainsi que l’intérieur du globe, étoient également et uniquement composées de matières fondues par le feu, toutes vitrifiées, toutes de la même nature. Qu'on se figure pour un instant la surface actuelle du globe dépouillée de toutes ses mers, de toutes ses collines calcaires , ainsi que de toutes ses couches horizontales de pierre, de craie, de tuf, de terre végétale, d’argille, en un mot de toutes les matières liquides ou solides qui ont été formées ou dé- posées par les eaux : quelle seroit cette suf- . ÉPOQUES DE LA NATURE, 53 . face après l'enlèvement de ces imimenses dé- blais? Il ne resteroit que le squelette de la Terre, c’est-à-dire , la roche vitrescible qui en constitue la masse intérieure ; il resteroit les fentes perpendiculaires produites dans le temps de la consolidation , augmentées , élar- gies par le refroidissement ; 1l resteroit les metaux et les minéraux fixes, qui, séparés de la roche vitrescible par l’action du feu, ont rempli par fusion ou par sublimation les fentes perpendiculaires de ces prolongemens de la roche intérieure du globe; et enfin il resteroit les trous, les anfractuosités et toutes les cavités intérieures de cette roche qui en est la base, et qui sert de soutien à toutes les matières terrestres amenées ensuite par les eaux. Et comme ces fentes occasionnées par le refroidissement coupent et tranchent le plan vertical des montagnes non seulement de haut en bas, mais de devant en arrière ou d'un côté à l’autre, et que dans chaque mon- tagne elles ont suivi la direction générale de sa première forme, il en a résulté que les mines, sur-tout celles des métaux précieux, doivent se chercher à la boussole, en suivant 5 4 54 HISTOIRE NATURELLEX De X} ‘ toujours la direction qu’'indique la découi+ verte du premier Hlon; car dans chaque mon- tagne les fentes perpendiculaires qui la:tra- versent sont à peu près parallèles : méanmoins il n’en fant pas conclure, comme l'ont faik quelques minéralogistes , qu'on doive tou— jours chercher les métaux daus:la même di- rection , par exemple; sur: la ligne de onze heures ou sur celle de midi; car souvent une mine de midi ou de onze heures se trouve coupée par un filon de huitoumeufheures;'etc. qui étend des rameaux sous différerites direc- tions; et d’ailleurs on voit que, suivant la forme différente de chaque montagne, les fentes perpendiculaires la traversent , à la vérité, parallélement entre :elles, mais que leur direction , quoique commune dans le même lieu, n’a rien de commun avec la di- rection des fentes perpendiculaires d’une autre montagne, à moins que cetle seconde montagne ne soit parallèle à la premiére. Les métaux et Ja plupart des minéraux métalhques sont donc l’ouvrage du feu , puis- qu'on ne les trouve que dans les fentes de la roche vitrescible , et que, dans ces mines primordiales, l’on ne voit jamais n1 coquilles \ ÉPOQUES DE LA NATURE. 55 hi aucun autre débris de la mer mélangés avec elles. Les mines secondaires, qui.se trouvent au-coutraire, et en petite quantité, dans les pierres calcaires, dans les schistes, dans les argillés, ont été formées postérieure- ment, aux dépens des premières, et par l’in- termèce de l’eau. Les paillettes d’or et d’ar- gent que quelques rivières charient, viennent certainement de ces premiers filons metal- liques renfermés dans les montagnes supé- rieures : des particules métalliques , encore plus petites et plus ténues peuvent, en se rassembiant , former de nouvelles petites mines des mêmes métaux; mais ces mines parasites, qui prennent mille formes diffé- rentes, appartiennent, comme je l'ai dit, à des temps bien modernes en comparaison de celui de la formation des premiers filons qui ont été produits par l’action du feu primi- tif. L’or et l'argent, qui peuvent demeurer très-long-temps en fusion sans. être :sensible- ment altérés , se presentenut souvent sous leur forme native : tous les autres métaux ne se présententcommunément que sous une forme minéralisée, parce qu’ils ont été formes plus tard par la combinaison de l'air et de l'eau e ! \ Nes Li 566 HISTOIRE NATURELLE qui sont entrés dans leur composition. At reste, tous les métaux sont susceptibles d’être volatilisés par le feu à différens degrés de chaleur; en sorte qu’ils se sont'Süblimés suc- cessivement pendant le progrès du refroidis- sement. Gus On peut penser que s’il se trouve moins de mines d'or et d'argent dans les terres septen- trionales que dans les contrées du Midi, c’est que communément il n’y a dans les terres du Nord que de petites montagnes en compa- raison de celles des pays méridionaux : la matière primitive, c’est-à-dire, la roche vi- treuse , dans laquelle seule se sont formés l’or et l’argent, est bien plus abondante, bien plus élevée, bien plus découverte, dans les contrées du Midi. Ces métaux précieux pa- roissent être le produit immédiat du feu : les gangues et les autres matières qui les accompagnent dans leur mine , sont elles- mêmes des matières vitrescibles ; et comme les veines de ces métaux se sont formées soit par la fusion, soit par la sublimation, dans les premiers temps du refroidissement , ils se trouvent en plus grande quantité dans les hautes montagnes du Midi. Les métaux moins ÉPOQUES DE LA NATURE. 57 parfaits, tels que le fer et le cuivre, qui sont moins fixes au feu, parce qu'ils contiennent des matières que le feu peut volatiliser plus aisément, se sont formes dans des temps pos- térieurs : aussi les trouve-t-on en bien plus grande quantité dans les pays du Nord que dans ceux du Midi. IL semble même que la Nature ait assigné aux différens climats du globe les différens métaux ; l’or et l’argent aux régions les plus chaudes , le fer et le cuivre aux pays les plus froids, et le plomb et l’étain aux contrées tempérées : il semble de même qu’elle ait établi l’or et l'argent dans les plus hautes montagnes, le fer et le cuivre dans les montagnes médiocres, et le plomb et l’étain dans les plus basses. Il pa- roit encore que, quoique ces mines primor— diales des différens metaux se trouvent toutes dans la roche vitrescible, celles d’or et d’ar- gent sont quelquefois mélangées d’autres mé- taux; que le fer et le cuivre sont souvent accompagnés de matières qui supposent l'in- termède de l’eau , ce qui semble prouver qu'ils n’ont pas été produits en même temps ; et à l'égard de l’étain, du plomb et du mer- cure, il y a des différences qui semblent à PE / 58 HISTOIRE NATURELLE. indiquer qu'ils ont été produits dans des temps très-différens. Le plomb est le plus vitrescible de tous les métaux, et l'étain l’est le moins : le mercure est le plus volatil de tous; et ce- pendant il ne diffère de l'or, qui est le plus fixe de tous, que par le degré de feu que leur sublimation exige; car l'or, ainsi que tous les autres métaux, peuvent également être volatilisés par une plus ou moins grande cha- leur. Ainsi tous les métaux ont été sublimés et volatilises successivement pendant le pro- grès du refroidissement. Et comme il ne faut qu’une très-légère chaleur pour volati= liser le mercure, et qu’une chaleur médiocre. sufhit pour fondre l’etain etile plomb, ces deux metaux sont demeurés liquides et cou- lans bien pius long-temps que les quatre pre: miers ; et Le mercure l’est encore, parce que la chaleur actuelle. de la Terre est plus que suffisante pour le tenir en fusion : il ne de- viendra solide que quand le globe sera re- froidi d’un cinquième de plus qu'il ne l'est aujourd'hui, puisqu'il faut 197 degrés au- déssous de la temperature actuelle de la Terre, pour que ce métal fluide se conso- lide; ce qui fait à peu près la cinquième J= ÉPOQUES DE LA NATURE. 59 partie des 1000 degrés au-dessous de la con- gelation. Le plomb, l’étain et le mercure ont donc | coule successivement, par leur fluidité, dans les parties les plus basses de la roche du globe , et ils ont eté, comme tous les autres, métaux, sublimés dans les fentes des mon- tagnes élevées. Les matières ferrugineuses qui pouvoient supporter une très-violente chaleur, sans se fondre assez pour couler, ont formé, dans les pays du Nord, des amas métalliques si considérables, qu’il s’y trouve des montagnes entières de fer *, c’est-à-dire, d'une pierre vitrescible ferrugineuse , qui rend souvent soixante-dix livres de fer par quintal : ce sont-là les mines de fer primi- tives ; elles occupent de très-vastes espaces dans les contrées de notre Nord; et leur subs- tance n'étant que du fer produit par l’action du feu, ces mines sont demeurées suscep- tibles de l'attraction magnétique, comme le sont toutes les matières ferrugineuses qui ont subi le feu. L'aimant est de cette mème nature; ce # Voyez, ci-après, les notes justificatives des faitse } 2 6 HISTOIRE NATURELLE. n'est qu'une pierre ferrugineuse, dont il sé trouve de grandes masses et mème des mion- tagnes dans quelques contrées , et particuliè- rement dans celles de notre Nord 5 : c’est par cette raison que l'aiguille aimantée se dirige toujours vers ces contrées où toutes les mines de fer sont magnétiques. Le magné- tisme est un effet constant de lélectricité constante, produite par la chaleur intérieure et par la rotation du globe; mais s’il dépen- doit uniquement de cette cause générale ; l'aiguille aimantée pointeroit toujours et par tout directement au pole : or les différentes déclinaisons suivant les différens pays, quoi que sous le même parallèle, démontrent que. le magnétisme particulier des montagnes de fer et d'aimant influe considérablement sur la direction de l'aiguille, puisqu'elle s’écarte plus ou moins à droite ou à gauche du pole, selon le lieu où elle se trouve, et selon læ distance plus ou moins grande de ces mon-' tagnes de fer. Mais revenons à notre objet principal, à læ topographie du globe antérieure à la chûte 5 Voyez, ci-après, les notes jusufcatives des faitss . ÉPOQUES DE LA NATURE. 6r des eaux. Nous n’avons que quelques indices encore subsistans de la première forme de sa surface; les plus hautes montagnes, composées de matières vitrescibles, sont les seuls témoins de cet ancien état : elles étoient alors encore plus élevées qu'elles ne le sont aujourd'hui ; car , depuis ce temps et après l’établissement des eaux, les mouvemens de ja mer, et en-— suite les pluies, les vents, les gelées, les courans d’eau, la chüte des torrens, enfin toutes les injures des élémens de l’air et de l’eau , et les secousses des mouvemens sou- terrains, n'ont pas cessé de les dégrader, de les trancher, et mème d’en renverser les par- ties les moins solides; et nous ne pouvons douter que les vallées qui sont au pied de ces montagnes, ne fussent bien plus profondes qu’elles ne le sont aujourd'hui. Tächons de donner un apperçu plutôt qu'une énumération de.ces éminences primi- tives du globe. 1°. La chaîne des Cordillières ou des montagnes de l'Amérique, qui s’étend depuis la pointe de la terre de Feu jusqu'au nord du nouveau Mexique, et aboutit enfin à des régions septentrionales que l’on n’a pas encore reconnues. On peut regarder cette (4 62 HISTOIRE NATURELLE. | chaîne de montagnes comme continue dans une longueur de plus de 120 degrés, c’est-à- dire , de trois mille lieues; car le détroit de Magellan n’est qu’une coupure accidentelle et postérieure à l'établissement local de cette chaine , dont les plus hauts sommets sont dans la contrée du Pérou, et se rabaissent à peu près également vers le nord et vers le. midi : c’est donc sous l’équateur même que se trouvent les parties les plus élevées de cette chaine primitive des plus hautes montagnes du monde; et nous observerons ; comme chose remarquable, que de ce point de l’équa- teur elles vont en se rabaissant à peu près également vers le nord et vers le midi, et aussi qu'elles arrivent à peu-près à la mème distance, c’est-à-dire, à quinze cents lieues de chaque côté de l'équateur; en sorte qu’il ne reste à chaque extremite de cette chaîne de. montagnes qu'environ 30 degres, c’est-à-dire, sept cent cinquante lieues de mer ou de terre inconnue vers le pole austral, et un égal espace dont on a reconnu quelques côtes vers le pole boreal. Cette chaine n'est pas précisé- ment sous le même méridien, et ne forme pas uue ligue droite; elle se couxbe d'abord 4 Ed ÉPOQUES DE LA NATURE. 63 vers l’est, depuis Baldivia jusqu’à Lima, et sa plus grande déviation se trouve sous le tropique du Capricorne; ensuite elle avance vers l’ouest, retourne à l’est, auprès de Po- payan , et de là se courbe fortement vers l’ouest , depuis Panama jusqu’à Mexico ; après quoi, elle retourne vers l’est, depuis Mexico jusqu'à son extrémité, qui est à 50 degrés du pole, et qui aboutit à peu près aux îles de- couvertes par de Fonte. En considérant la situation de cette longue surte de montagnes, on doit observer encore, comme chose très remarquable, qu'elles sont toutes bien plus voisines des mers de l'Occident que:de celles de l'Orient. 2°. Les montagnes d'Afrique , dont la chaine principale, appelée par quel- ques auteurs /’Æpine du monde, est aussi fort élevée, et s’étend du sud au nord, comme celles des Cordillières en Amérique. Cette chaine, qui forme en effet l’épine du ‘dos de l'Afrique, commence au cap'de Bonne- Espérance , et court presque sous le même méridien jusqu'à la mer Méditerranée, vis- àa-vis la pointe de la Morée. Nous observerons encore, comme Chose très-remarquable, que Je milieu de cette grande chaîne de mon= 64 HISTOIRE NATURELLE. ; tagnes, longue d'environ quinze cents lieues, se trouve précisément sous l’équateur, comme le point milieu des Cordillières; en sorte qu’on ne peut guère douter que les parties les plus élevées des grandes chaînes de montagnes en Afrique et en Amérique, ne se trouvent éga- lement sous l’équateur. | Dans ces deux parties du monde, dont l'équateur traverse assez exactement les con- tinens, les principales montagnes sont donc dirigées du sud au nord; mais elles jettent des branches très-considérables vers l’orient et vers l'occident. L'Afrique est traversée de V’est à l’ouest par une longue suite de mon- tagnes, depuis le cap Guardafu jusqu'aux îles du cap Verd : le mont Atlas la coupe aussi d'orient en occident. En Amérique, un pre- mier rameau des Cordillières traverse les terres Magellaniques de l’est à l’ouest; un autre s’étend à peu près dans la même direc- tion au Paraguay et dans toute la largeur du ‘Bresil ; quelques autres branches s'étendent depuis Popayan dans la terre-ferme, et jusque dans la Guiane : enfin, si nous suivons tou- jours cette grande chaîne de montagnes, il nous paroîtra que la péninsule d'Yucatan; ÉPOQUES DE LA NATURE. 68 es îles de Cuba, de la Jamaïque, de Saint- Domingue, Porto-rico et toutes les Antilles , n’en sont qu’une branche, qui s'étend du sud au nord, depuis Cuba et la pointe de la Floride, jusqu'aux lacs du Canada, et de là court de l’est à l’ouest pour rejoindre l’extré- mité des Cordillières, au-delà des lacs Sioux. 5°. Dans le grand continent de l'Europe et de l'Asie, qui non seulement n’est pas, comme ceux de l'Amérique et de l'Afrique, traversé par l'équateur , mais en est même fort éloi- gné , les chaines des principales montagnes, au lieu d'être dirigées du sud au nord, le sont d'occident en orient. La plus longue de ces chaines commence au fond de l'Espagne, gagne les Pyrénées , s'étend en France par l'Auvergne et le Vivarais, passe ensuite par les Alpes, en Allemagne, en Grèce, en Cri- mée, et atteint le Caucase, le Taurus, l’Imaüs, qui environnent la Perse, Cachemire et le Mogol au nord, jusqu’au Thibet, d’où elle s'étend dans la Tartarie chinoise, et arrive vis-à-vis la terre d’Yeço. Les principales branches que jette cette chaîne principale , sont dirigées du nord au sud en Arabie, jusqu’au détroit de la mer Rouge; dans l’In- "6 66 HISTOIRE NATURELLE dostan , jusqu'au cap Comorin; du Thibet; jusqu’à la pointe de Malaca. Ces branches ne laissent pas de former des suites demontagnes particulières dont les sommets sont fort éle= - À vés. D'autre côté, cette chaîne principale jette | du sud au nord quelques rameaux, qui sé tendent depuis les Alpes du Firol jusqu’en Pologne ; ensuite depuis le mont Caucase jus- qu'en Moscovie , et depuis Cachemire jus- qu'en Sibérie; et ces rameaux, qui sont du sud au nord de la chaine principale, ne pré- sentent pas des montagnes aussi élevées que celles des branches de cette même chaîne qui s'étendent du nord au sud. Voilà donc, à peu près , la topographie de la surface de la Terre , dans le temps de notre seconudeepoque, immédiatement après la con- solidation de la matière. Les hautes mon- tagnes que nous venons de désigner sont les éminences primitives, c’est-à-dire , les aspé- rites produites à la surface du globe au mo- ment qu’il a pris sa consistance ; elles doivent leur origine à l'effet du feu, et sont aussi, par cette raison, composées , dans deur inté- rieur et jusqu'à leurs sommets, de matières vitrescibles : toutes tiennent par leur base à nm" ÉPOQUES DE LA NATURE. 6; la roche intérieure du globe , qui est de même nature. Plusieurs autres éminences moins élevées -ont traversé, dans ce même temps et presque en tousisens , la surface de la Terre ; et l’on peut assurer que, dans tous les lieux où l’on trouve des montagnes de roc vif ou de toute autre matière solide et vitrescible, leur origine et leur établissement local ne peuvent être attribués qu’à l’action du feu et aux effets de-la-consolidation, qui ne se fait jamais sans laisser des inégalités sur la su- perlicie de toute masse de matière: fondue. En même temps que ces causes ontproduit des éminences et des profondeurs à la surface de la Terre, elles ont aussi forme des bour- soufiures et des cavités à l’intérieur, sur- tout dans les couches les plus extérieures. Ainsi le globe, dès le temps de cette seconde époque, lorsqu'il eut pris sa consistance et avant que les eaux y fussent établies, pré- sentoit une surface hérissée de montagnes et sillonnée de vallées : mais toutes les causes subséquentes et postérieures à cette époque ont concouru à combler toutes les profon- deurs extérieures, et même les cavités inté- rieures. Ces causes subséquentes ont aussi 68 HISTOIRE NATURELLE. altéré presque par-tout la forme de ces inéga- lités primitives; celles qui ne s’élevoient qu'à une hauteur médiocre ont été, pour la plu- part, recouvertes dans la suite par les sédi- mens des eaux, et toutes ont été environnées à leurs bases, jusqu’à de grandes hauteurs, de ces mêmes sédimens. C’est par cette raison que nous n'avons d’autres témoins apparens de la première forme de la surface de la Terre que les montagnes composées de matières vi- trescibles, dont nous venons de faire l’enu— mération : cependant ces témoins sont sûrs et sufisans; car, comme les plus hauts som- mets de ces premières montagnes n’ont peut- être jamais été surmontés par les eaux, ou du moius qu'ils ne l’ont été que pendant un petit temps, attendu qu’on n’y trouve aucun débris des productions marines, et qu’ils ne sont composés que de matières vitrescibles, on ne peut pas douter qu'ils ne doivent leur origine au feu, et que ces éminences, ainsi que la roche intérieure du globe, ne fassent ensemble un corps continu de même nature, c'est-à-dire, de matières vitrescibles, dont la formation a précédé celle de toutes les, autres matières. ee = ÉPOQUES DE LA NATURE. 69. Et tranchant le globe par l’équateur et comparant les deux hémisphères, on voit que celui de nos continens contient à propor- tion beaucoup plus de terres que l’autre; car J'Asie seule est plus grande que les parties de l'Amérique, de l'Afrique, de la nouvelle Hollande, et de tout ce qu’on a découvert de terres au-delà. Il y avoit donc moins d’émi- nences et d'aspérités sur l'hémisphère aus- tral que sur le boréal, dès le temps même de Ja consolidation de la Terre; et si l’on con- sidère, pour un instant, ce gisement géné- ral des terres et des mers , on reconnoîitra - que tous les continens vont en se rétrecis- sant du côté du midi, et qu’au contraire toutes les mers vont en s’élargissant vers ce même côté du midi. La pointe étroite de J Amérique méridionale, celle de Californie, celle du Groenland, la pointe de l'Afrique, celles des deux presqu’iles de l'Inde, et enfin celle de la nouvelle Hollande, démontrent évidemment ce rétrécissement des terres et cet élargissement des mers vers les régions australes. Cela semble indiquer que la sur- face du globe à eu originairement de plus profondes vallées dans l'hémisphère austral, mo HISTOIRE NATURELLE. et des éminences eu plus grand nombre dans. l'hémisphère boréal. Nous tirerons bientôt quelques inductions de cette disposition gé- nérale des continens et des mers. La Terre, avant d’avoir reçu les eaux, étoit donc irrégulièrement hérissée d’aspé- rités, de profondeurs et d’inégalités sem- blables à celles que nous voyons sur un bloc de métal ou de verre fondu :-elle avoit de même des boursouflures et des cavités inté- rieures, dont l’origine, comme celle des iné- galités extérieures, ne doit être attribuée qu'aux effets de la consolidation. Les plus grandes éminences, profondeurs extérieures et cavités intérieures, se sont trouvées dès lors et se trouvent encore aujourd’hui sous l'équateur entre les deux tropiques , parce que cette zone de la surface du globe est la dernière qui s’est consolidée, et que c’est dans cette zone où le mouvement de rotation étant le plus rapide, il aura produit les plus grands effets ; la matière en fusion! s’y étant élevée plus que par-tout ailleurs et s’étant refroidie la dernière, il a dû sy former plus d'inégalités que dans toutes les autres parties du globe où le mouvement de rotation étoit « % ÉPOQUES DE LA NATURE. yt plus lent et le refroidissement plus prompt. Aussi trouve-t-on sous cette zone les plus hautes montagnes, les mers les plus entre- coupées, semées d’un nombre infini d’iles, à la vue desquelles on ne peut douter que, dès son origine, cette partie de la Terre ne fût la plus irrégulière et la moins solide de toutes $. | Et quoique la matière en fusion ait dû arriver également des deux poles pour renfler l'équateur, il paroit, en comparant les deux heémisphères, que notre pôle en a un peu moins fourni que l’autre, puisqu'il y a beau- coup plus de terres et moins de mers depuis le tropique du Cancer au pole boréal, et qu'au contraire il y a beaucoup plus de mers et moins de terres depuis celui du Capricorne à l’autre pole. Les plus profondes vallées se sont donc formées dans les zones froides et temperées de l'hemisphère austral, et les terres les plus solides et les plus elevées se sont trouvees dans celles de l'hémisphère septentrional. Le globe etoit alors, comme il l’est encore 6 Voyez, craprès, les notes justificatives des faits. Li ( j 4 "QU ÿ ÿ « Do { À \ #2 BISTOIRE NATURELLE aujourd'hui, renflé sur l'équateur, d’une épaisseur de près de six lieues un quart ; mais les couches superficielles de cette épais- seur y étoient à l’intérieur semées de cavités, et coupées à l'extérieur d’éminences et de profondeurs plus grandes que par-tout ail- leurs : le reste du globe étoit sillonné et traversé en différens sens par des aspérités toujours moins élevées à mesure qu’elles approchoient des poles ; toutes n’étoient com- posées que de la même matière fondue dont est aussi composée la roche intérieure du globe; toutes doivent leur origine à l’action du feu primitif et à la vitrification générale. Ainsi la surface de la Terre, avant l’arrivée des eaux, ne présentoit que ces premières aspérités qui forment encore aujourd’hui les noyaux de nos plus hautes montagnes; celles. qui étoient moins élevées , ayant été dans la suite recouvertes par les sédimens des eaux et par les débris des productions de la mer, elles ne nous sont pas aussi évidemment con- nues que les premières : on trouve souvent des bancs calcaires au-dessus des rochers de granit, de roc vif, et des autres masses de matières vitrescibles; mais l’on ne voit pas ÉPOQUES DE LA NATURE. #3 des masses de roc vif au-dessus des bancs calcaires. Nous pouvons donc assurer, sans craindre de nous tromper, que la roche du globe est continue avec toutes les eminences hautes et basses qui se trouvent être de la même nature, c’est-à-dire, de matières vi trescibles : ces éminences font masse avec le solide du globe; elles n’en sont que de trés- petits prolongemens, dont les moins élevés ont ensuite été recouverts par les scories du verre, les sables, les argilles, et tous les débris des productions de la mer amenés et déposés par les eaux, dans les temps subséquens, qui font l’objet de notre troisième Époque. » Ma, gén, VIII. 7 NOTES Sur la seconde Époque. l 5 Pace 49, ligne 13. La roche du globe et les hautes montagnes dans leur intérieur jusqu'à leur sommet, ne sont composées que de matières vitrescibles. J’ai dit, volume I, page 96 de la T'héorie de la T'erre, « que le globe terrestre pour- « roit être vide dans son intérieur, où rempli d’une « substance plus dense que toutes celles. que nous « connoissons , sans qu’il nous fût possible de le « démontrer... et qu’à peine pouvions-nous former « sur cela quelques conjectures raisonnables ». Mais lorsque j'ai écrit ce Traité de la Théorie de la Terre en 1744, je n'étois pas instruit de tous les faits par lesquels on peut reconnoître que la densité du globe terrestre, prise généralement, est moyenne entre les densités du fer, des marbres , des grès, de la pierre et du verre, telle que je l’ai déterminée dans mon premier Mémoire * ; je n’avois pas fait alors toutes les expériences qui m'ont conduit à ce résultat ; al * Voyez la Partie hypothétique de cet ouvrage. dE NOTES. 5 me manquoit aussi beaucoup d'observations que j’ai recuerlhes dans ce long espace de temps : ces expé- riences ioutes faites dans la même vue , et ces obser- vations nouvelles pour la plupart , ont étendu mes premières idées, et m'en ont fait naître d’autres accessoires et même plus élevées ; en sorte que ces sonjeclures raisonnables que je soupconnois dès lors qu’on pouvoit former, me paroissent être déve nues des inductions très-plausibles, desquelles il résulte que le globe de la Terre est principalement composé, depuis la surface jusqu’au centre | d’une matière vitreuse un peu plus dense que le verre pur; la Lune, d’une matière aussi dense que la pierre cal- caire; Mars, d’une matière à peu près aussi dense que celle du marbre; Vénus, d’une matière un peu plus dense que l’émeril; Mercure , d’une matière un peu plus dense que l’étain; Jupiter, d'une matière moins dense que la craie ; et Saturne, d’une matière presque aussi légère que la pierre ponce; et enfin que les satellites de ces deux grosses planètes sont composés d’une matière encore plus légère Eh leur planète principale. Il est certain que le centre de gravité du globe, ou plutôt du sphéroïde terrestre, coincide avec son centre de grandeur, et que l’axe sur lequel il tourne passe par ces mèmes centres, c’est-à-dire, par le milieu du sphéroïde, et que par conséquent il est de ) :( 76 | NOTES même densité dans toutes ses parties correspon< dantes : s’il en éloit autrement, et que le centre de grandeur ne coincidât pas avec le centre de gravité , Vaxe de rotation se trouveroit alors plus d’un côté que de lautre; et, dans les différens hémisphères de la Terre, la durée de la révolution paroîtroit inégale. Or cette révolution est parfaitement la méme pour tous les climats : ainsi toutes les par- ties correspondantes du globe sout de la même densité relative. Et comme il est démontré par son renflement à l'équateur el par sa chaleur propre, encore actuel- lement existante, que, dans son origme, le globe terresire éioit composé d’une matière liquéfiée par le feu, qui s’est rassemblée par sa force d’atirac- tion mutuelle, la réunion de cette matière en fusion va pu former qu'une sphère pleine depuis le centre à la circonférence , laquelle sphtre pleine ne diffère d'un globe parfait que par ce renflement sous l'équateur et cet abaissement sous les poles, produits par la force centrifuge dès les premiers momens que cette masse encore liquide a commencé à tour- ner sur elle-même. Nous avons démontré que le résultat de toutes les matières qui éprouvent la violente action du feu, est l’état de vitrification ; et comme toutes se ré duisent en verre plus ou moins pesant, il est néces- JUSTIFICATIVES. nr saire que l’intérieur du globe soit en effet une ma- tière vitrée, de La même nature que la roche vitreuse, qui fait par-tout le fond de sa surface au-dessous des aroilles , des sables vitrescibles , des pierres cal- caires, et de toutes les autres matitres qui ont été remuées, travaillées et transportées par les eaux. Ainsi l’intérieur du globe est une masse de ma- tire vitrescible, peut-être spécifiquement un peu plus pesante que la roche vitreuse, dans les fentes de laquelle nous cherchons les métaux; mais elle est de même nature, et n’en differe qu’en ce qu’elle est plus massive et plus pleine : il n’y a de vides et de cavernes que dans les couches extérieures ; l’intérieur doit être plein ; car ces cavernes n’ont pu se former qu’à la surface , dans le temps de la consolidation et du premier refroidissement : les fentes perpendi- culaires qui se trouvent dans les montagnes, ont été formées presque en même temps, c'est-à-dire, lorsque les matières se sont resserrées par le refroi- dissement : toutes ces cavités ne pouvoient se faire qu’à la surface, comme l’on voit dans une masse de verre ou de miméral fondu les éminences et les trous se présenter à la superficie, tandis que l'intérieur du bloc est solide et plein. Indépendamment de cette cause générale de la formation des cavernes et des fentes à la surface de la Terre, la force centrifuge étoit une autre cause 4 \ 78 __ : NOTES qui, se combinant avec celle du refroidissement, # produit dans le commencement de plus grandes ca- vernes et de plus grandes inégalités dans les climats où elle agissoit le plus puissannment. C’est par cette | raison que les plas hautes montagnes et les plus grandes profondeurs se sont trouvées voisines des tropiques et de l’équateur; c’est par la même raison qu'il s’est fait dans ces contrées méridionales plus de bouleversemens que nulle part ailleurs. Nous ne pou- vous déterminer le point de profondeur auquel les couches de la Terre ont été boursouflées par le feu et soulevées en cavernes ; mais il est cerlain que cette profondeur doit être bien plus grande à l'équateur que dens les autres climats , puisque le globe, avant sa consolidation, s’y est élevé de six hieues un quart de plus que sous les poles. Cette espèce de croûte ou de calotte va toujours en diminuant d'épaisseur de- puis l'équateur, et se termine à rien sous les poles. La matière qui compose cette croûle est la seule qui ait été déplacée dans le temps de la liquéfaction , et refoulée par l’action de la force centrifuge ; le reste de la matière qui compose l’intérieur du globe, est demeuré fixe dans son assiette, et n’a subi mi chan- gement, ni soulèvement, ni transport : les vides et les cavernes n’ont donc pu se former que dans cette croûte extérieure ; elles se sont trouvées d'autant plus grandes et plus fréquentes que cette croûte étoit plus Tr JUSTIFICATIVES. mœ épaisse, c’est-à-dire, plus voisme de léquateur. Aussi les plus grands affaissemens se sont faits et se feront encore dans les parties méridionales > OÙ se trouvent de même les plus grandes inégalités de la surface du globe, et, par la même raison, le plus grand nombre de cavernes, de fentes, et de mines métalliques qui ont rempli ces fentes dans le temps de leur fusion ou de leur sublimation. L'or et l'argent , qui ne font qu’une quantité, pour ainsi dire, infiniment pelite en comparaison de celle des autres matières du globe, ont été sublimés en vapeurs, et se sont séparés de la matière vitrescible commune par l’action de la chaleur, de la même manière que lon voit sortir d’une plaque d’or où d'argent exposée au foyer d’un miroir afdent, des particules qui s’en séparent par la sublimation, et qui dorent ou argentent les corps que lon expose à cette vapeur métallique : ainsi l’on ne peut pas croire que ces métaux, susceptibles de sublimation , même à une chaleur médiocre, puissent être entrés en grande parte dans la composition du globe, ni qu'ils soient placés à de grandes profondeurs dans son in= térieur, Il en est de même de tous les autres métaux et minéraux , qui sont encore plus suscepubles de se sublimer par l’action de la chaleur; et à l’égard des sables vitrescibles et des argilles, qui ne sont que les détrynens des scories vitrées dont la surface du €o LUN OST EE TIANNE globe étoit couverte immédiatement après le pres _mier refroidissement, il est certain qu’elles n’ont pu se loger dans l’intérieur, et qu'elles péuètrent iout au plus aussi bas que les filons métalliques dans les fentes et dans les autres cavités de cette ancienue surface de la Terre, maintenant recou- verie par toutes les matières que les eaux ont dé- posées. | Nous sommes donc bien fondés à conclure que Je globe de la Terre n’est, dans son intérieur, qu'une masse solide de matière vitrescible, sans vides, sans cavités, et qu’il ne s’en trouve que dans les couches qui soutiennent celles de sa surface ; que sous l’équateur, et dans les climats méridionaux, ces cavités ont été et sont encore plus grandes que dans les climats tempérés ou septentrionanx, parce qu’il y a eu deux causes qui les ont produites sous l'équateur ; savoir , la force centrifuge et le refroi- dissement ; au lieu que, sous les poles, il n’y a eu que la seule cause du refroidissement : en sorte que, dans les parties méridionales, les affaissemens ont ÉLÉ bien plus considérables, les inégalités plus grandes, les fentes perpendiculaires plus fréquentes, et les nunes des métaux précieux plus abondantes. ? Page 50, ligne 5. Les fentes et les cavités ses émincnves du globe terrestre ont été inçrus= L JUSTIFICATIVES. C1 tees et quelquefois remplies par les substances métalliques que nous ÿ trouvons aujourdhui. « Les veines métalliques , dit M. Eller, se trou- « vent seulement dans les endroits élevés , en une « longue suite de montagnes : cette chaîne de mon- « tagnes suppose toujours pour son soutien une base « de roche dure. Tant que ce roc conserve sa conti- « nuité, 11 n y a guère apparence qu'on y découvre « quelques filons métalliques ; maïs, quand on ren- « contre des crevasses ou des fentes , on espère d’en « découvrir. Les physiciens minéralogistes ont re- « marqué qu'en Allemagne la situation la plus « favorable est lorsque la chaîne de montagnes, « s’élevant petit à peut, se dirige vers le sud-est, et « qu'ayant atteint sa plus grande élévation , elle « descend insensiblement vers le nord-ouest. « C’est ordinairement un roc sauvage, dont « l'étendue est quelquefois presque sans bornes, « Mais qui est fendu et entr'ouvert en divers en- « droits, qui contient les métaux quelquefois purs, « mails presque toujours minéralisés : ces fentes sont « tapissées pour l’ordinaire d’une terre blanche et « luisante, que les mineurs appellent quartz, et « qu’ils nomment spath lorsque cette terre est plus « pesante, mais mollasse et feuilletée à peu pres « comme Je talc : elle est enveloppée en dehors, vers s le roc, de l'espèce de limon qui paroît fournir la mo NO Triste « nourriture à ces terres quartzeuses ou spatheuses ; « ces deux enveloppes sont comme la gaine où l’étui « du filon ; plus il est perpendiculaire, et plus on « doit en espérer; et toutes les fois que les mineurs « voient que le filon est perpendiculaire > ils disent « qu'il vas’anoblir. , | (S « Les métaux sont formés dans toutes ces fentes «et cavernes par une évaporation contimuelle et « assez violente: les vapeurs des mines démontrent « cette évaporalion encore subsistante; les fentes qui « n'en exhalent point, sont ordinairement stériles : la « marque la plus sûre que les vapeurs exhalantes « portent des atomes ou des molécules minérales, «et qu’elles les appliquent par-tout aux parois des « crevasses du roc, c’est cette incrustalion successive « qu’on remarque dans toute la circonférence de ces « fentes ou de ces creux de roches, jusqu’à ce que « la capacité en soit entièrement remplie et le filon « solidement formé ; ce qui est encore confirmé par « les outils qu’on oublie dans les creux, et qu’on re- « trouve ensuite couverts et incruslés de k mine, « plusieurs années après. « Les fentes du roc qui fournissent une veine mé- « tallique abondante, inclinent toujours ou poussent « leur direction vers la perpendiculaire de la terre : « à mesure que les mineurs descendent, ils ren- « contrént une température d'air toujours plus ps D Y\ JUSTIFICATIVES. 83 «chaude, et quelquefois des exhalaisons si abon- « dantes et si nuisibles la respiration, qu'ils se « trouvent forcés de se retirer au plus vîté vers les « puits ou vers la galerie , pour éviter la suffocation, « que les parties sulfureuses et arsenicales leur cau- « seroïent à l'instant. Le soufre et l’arsenic se trouvent « généralement dans toutes les mines des quatre mé- «aux imparfaits et de tous les demi-métaux , et « c'est par eux qu’ils sont minéralisés. « Il n’y a que d’or, et quelquelois l'argent et le « cuivre, qui se trouvent natils en petite quantité ; « mails , pour l’ordmaire , le cuivre , le fer, le plomb « et l’étain , lorsqu'ils se tirent des filons , sont mi- « néralisés avec le soufre et l’arsenic. On sait, par « expérience, que les métaux perdent leur forme « métallique à un certain degré de chaleur relatif à « chaque espèce dé métal : cette destruction de la « forme métallique, que subissent les quatre mé- « taux imparfalls, nous apprend que la base des « métaux est uue matière terrestre; et comme ces « chaux métalliques se vitrifient à un certain degré | « de chaleur, ainsi que les terres calcaires, gyp- « seuses, etc nous ne pouvons pas douter que la « terre métallique ne soit du nombre des terres vi- « trifiables. » (Extrait du Mémoire de M. Eller sur l’origine et la génération des métaux, dans le Pecueil de l'académie de Berlin, année 1753.) 84 (NOTES 3 Page 57, ligne 16. M. Lehman, célèbre mi miste, est le seul qui ait soupconné une double ovi= gine aux mines métalliques; i distingue judicieuse- mentles montagnes à filons des montagnes à couches: « L'or et l’argent, dit-il, ne se trouvent en masses « que dans les montagnes à filons ; le fer ne se trouve « guère que dans les montagnes à couches : tous les « morceaux ou petites parcelles d’or et d'argent « qu’on trouve dans les montagnés à couches, ny « sont que répandus, et ont été détachés des filons « qui sont dans les montagnes supérieures ct voisines « de ces couches. « L'or n’est jamais minéralisé; il se trouve tou= « jours nauf ou vierge, c’est-à-dire, tout formé dans sa matrice , quoique souventil y soit répandu « eu particules si déliées, qu’on chercheroït vaine- « ment à le reconnoître, même avec les meilleurs « microscopes. On ne trouve point d’or dans les « montagnes à couches, il est aussi assez rare qu’on ÿ « trouve de l’argent ; ces deux métaux appartiennent « de préférence aux montagnes à filons : on a néan- « moins trouvé quelquelois de l’argent en petits « feuillets ou sous la forme de cheveux dans de l’ar- « doise : 1l est moins rare de trouver du cuivre natif « sur de l’ardoise, et communément ce cuivre natif « est aussi en forme de filets ou de cheveux. « Les mines de fer se reproduisent peu, d'années JUSTIFICATIVES. 85 « après avoir été fouillées ; elles ne se trouvent point « dans les montagnes à filons, mais dans les mon- « tagnes à couches : on n'a point encore trouvé de « fer natif dans les montagnes à couches, ou du “moins Cest une chose très-rare. « Quant à l’étain natif, il n’en existe point qui ait « été produit par la Nature sans le secours du feu ; « et la chose est aussi très-douteuse pour le plomb, « quoiqu’on prétende que les grains de plomb de « Masse] en Silésie sont de plomb natif. « On trouve le mercure vierge et coulant dans les « couches de terre argilleuses et grasses , ou dans les « ardoises, | « Les mines d'argent qui se trouveut dans les «ardoises, ne sont pas, à beaucoup près, aussi « riches que celles qui se trouvent dans les mon- « tagnes à filons : ce métal ne se trouve guère qu’en « particules déhées, en filets ou en végétations, dans « ces couches d’ardoises ou de schistes, mais jamais « en grosses mines ; et encore faut-il que ces couches « d’ardoises soient voisines des montagnes à filons. « Toutes les mines d'argent qui se trouvent dans « les couches, ne sont pas sous une forme solide et « compacte; toutes les autres mines qui contiennent « de l'argent en abondance, se trouvent dans les « montagnes à filons, Le cuiyre se trouve abondaim= 8 6 : NOTES < ment dans les couches d'ardéises MR quelquefois æ aussi dans les charbons de terre. « L’étain est le métal qui se trouve le plus rare= « ment répandu dans les couches. Le plomb sy « trouve plus communément : on en rencontre sous « la forme de galène, attaché aux ardoises ; maïs on « n’en trouve que très-rarement avec les charbons « de terre. | | « Le fer est presque universellement répandu, et « se trouve dans les couches sous un grand nembre « de formes différentes. « Le cinabre, le cobalt, le bismuth et la calamine « se trouvent aussi assez communément dans les * couches.» (Lehman , tome III, pag. 38r et suiv.) « Les charbons de terre, le jayet, le succih, la « terre alumimeuse, ont été produits par des végé- « taux, et sur-tout par des arbres résineux qui ont « été ensevelis dans le sein de la Terre, et qui ont « souffert une décomposition plus ou moins grande ; « car on trouve, au-dessus des mines de charbon de «terre, très-souvent du bois qui n’est point du tout « décomposé, et qui l’est davantage à mesure qu'il « est plus enfoncé en terre, L’ardoise, qui sert de « toit ou de couverture au charbon, est souvent rerm- « plie des empreintes de plantes qui accompagnent « ordinairement les forêts, telles que les fougères, « les capillaires, etc. Ce qu'il y a de remarquable, « # y À | Q | | JUSTIFICATIVES. 57 « C’est que ces plantes dont on trouve les em- . « preintes, sont toutes étrangères, et les bois parois- « sent aussi des bois étrangers. Le succin, qu’on doit « regarder comme uue résine végétale, renferme sou« « vent des insectes qui, considérés attentivement, « n’appartiennent point au climat où on les ren- « contre présentement : enfin la terre alumineuse est « souvent feuilletée , et ressemble à du bois, tantôt « plus, tantôt moins décomposé.» (Idem, ibidem.) « Le soufre, l’alun, le sel ammoniac, se trouvent « dans les couches formées par les volcans. « Le pétrole, le naphthe, indiquent un feu actuel- « lement allumé sous la terre, qui met, pour ainsi « dire, le charbon de’ terre en distillation : on a des « exemples de ces embrasemens souterrains, qui « D'agissent qu’en silence dans des mines de char- « bon de terre, en Angleterre et en Allemagne, les- « quelles brülent depuis très-long-temps saus explo- a sion, et c’est dans le voisinage de ces embrasemens « souterrains qu’on trouve les eaux chaudes ther- « males. | « Les montagves qui contiennent des filons , ne « renferment point de charbon de terre, n1 des subs- « tances bitumineuses et combusnibles ; ces subs- « tances ne se trouvent jamais que dans les mon « tagnes à couches. » ( Notes sur Lehman, par M. le baron d’Holbach, tome IIT, page 435.) : t. 5 »? { es NOTES 4 Page bo, ligne r3. 17 se trouve dans les pays de notre Nord, des montagnes entières de fer, c'est-à-dire, d'une pierre vitrescible, Ferrugi- neuse, elc. Je citerai pour exemple la mine de fer près de Taberg en Smoland , partie de Pile de Goth- land en Suède : c’est l’une dés plus remarquables de ces mines ou plutôt de ces montagnes de fer, qui toutes ont la propriété de céder à l'attraction de l’ai- mant; ce qui prouve qu'elles ont été formées par le feu. Cette montagne est dans un sol de sable ex trèmement fin ; sa hauteur est de plus de 400 pieds, et son circuit d’une lieue : elle est en entier composée d'une matière ferrugineuse très-riche, et lon y trouve même du fer natif; autre preuve qu’elle a éprouvé l’action d’un feu violent. Cette mine étant brisée, montre à sa fracture de petites parties bril- lantes, qui tanlt se croisent et tantôt sont dispo= sées par écailles : les petits rochers les plus voisins sont de roc pur (saxo puro ). On travaille à cette mine depuis environ deux cents ans ; on se sert pour l’exploiter de poudre à canon , et la montagne paroît fort peu diminuée, excepté dans les puits qui sont au pied du côté du vallon. Il paroît que cette mine n’a point de lits réguliers; le fer n’y est point non plus par-tout de la même bonté. Toute la montagne a beaucoup de fentes , tantôt perpendiculaires, et tantôt horizontales : elles ” Nr > We ARS A FIM, AT 1 JUSTIFICATIVES, 89 sont touies remplies de sable qui ne contient aucun : fer ; ce sable est aussi pur et de même espèce que celui des bords de la mer: on trouve quelquefois dans ce sable des os d'animaux et des cornes de cerf; ce qui prouve qu'il a été amené par les eaux , et que ce n’est qu'après la formation de la montagne de fer par le feu que les sables en ont rempli les cre- vasses et les fentes perpendiculaires et horizontales. Les masses de mine que l’on tire, tombent aussi- tôt au pied de la montagne , au lieu que, dans les autres mines , 11 faut souvent tirer le minéral des en- trailles de la Terre ; on doit concasser et griller cette mine avant de la mettre au fourneau , où on la fond avec la pierre calcaire et du charbon de bois. Cette colline de fer est située dans un endroit . montagneux fort élevé , éloigné de la mer de près de 8o lieues : il paroît qu’elle étoit autrefois entière- ment couverte de sable. (Extrait d’un article de l’ou- vrage périodique qui a pour ütre, VNordische Bey- trage, etc. Contribution du Nord pour les progrès de la physique, des sciences et des arts. À Altone, chez David Ifers, 1756.) $ Page 60, ligne 2. I7 se trouve des montagnes d'aimant dans quelques contrées, et particulière» nent dans celles de notre Nord. On vient de voir, par l’exemple cité dans la note précédente, que la 8 M ET NOTES : montagne de fer de Taberg s'élève de plus de 400 pieds au-dessus de la surface de la Terre. M. Gme- lin, dans son Voyage en Sibérie, assureque, dans les contrées septentrionales de l’A sie, presque toutes les mines des métaux se trouvent à la surface de la Terre, . tandis que, dans les autres pays, elles se trouvent profondément ensevelies dans son intérieur. Si ce fait étoit généralement vrai, ce seroïit une nouvelle preuve que les métaux ont été formés par le feu pri- mitif, et que le globe de la Terre ayant moins d'é- paisseur dans les parties septentrionales, ils s’y sont formés plus près de la surface que dans les contrées méridionales. tt Le même M. Gmelin a visité la grande montagne d’aimant qui se trouve en Sibérie, chez les Basch- kires ; cette montagne est divisée en huit parties , sé= parées par des vallons : la septième de ces parties produit le meilleur aimant ; le sommet de cette por- tion de montagne est formé d’une pierre jaunâtre, qui paroît tenir de la nature du jaspe. On y trouve des pierres que l’on prendroit de loin pour du grès, qui pèsent deux mille cinq cents ou trois milliers, mais qui ont toutes la vertu de l’aimant. Quoiqu’elles soient couvertes de mousse , elles ne laissent pas d’autirer le fer et l'acier à la distance de plus d’un pouce : les côtés exposés à l'air ont la plus forte vertu magnétique , Ceux qui sont en{onçés ex terre en OR£ JUSTIFLCATIVES beaucoup moins : ces parties les plus exposéés aux injures de l’air sont moins dures, et par conséquent moins propres à être armées. Un gros quartier d’ai- maüt de la grandeur qu’on vient-de dire , est com- posé de quantité de petits quartiers d’aimant, qui opèrent en différentes directions. Pour les bien travailler, 1l faudroit les séparer en les sciant, afin que tout le morceau qui renierme la vertu de chaque aimant particulier, conservât son intégrité ; on ob tendroit vraisemblablement de cette facon, des aï- mans d’une grande force : mais on coupe des mor- ceaux à tout hasard, et il s’en trouve plusieurs qui ne valent rien du tout, soit parce qu'on travaille un morceau de pierre qui n’a point de vertu magné- tique, ou qui n’en renferme qu’une petite portion , soit que dans un seul morceau il y ait deux ou trois aimans réunis. À la vérité, ces morceaux ont une ver magnétique ; mais , comme elle wa pas sa di- rection vers un même point, il n’est pes étonnant que l’effet d’un pareil aimant soit sujet à bien des variations. L’'aimant de cette montagne , à la réserve de celui qui est exposé à l'air, est d’une grande dureté , taché de noir, et rempli de tubérosités qui ont de petites parties anguleuses, comme on en voit souvent à la surface de la pierre sanguine , dont il ne diffère que par la couleur ; mais souvent, au lieu de ces partits _gù | NOTES auguleuses, on ne voit qu’une espèce de terre d’ocre: en général, les aimans qui ont ces petites parties -anguleuses , ont moins de vertu que les autres. L eu- droit de la montagne où sont les aimans est presque entièrement composé d’une bonne mine de fer, qu’on tire par petils morceaux entre les pierres d’aimaht. Toute la section de la montagne la plus élevée ren- ferme uue pareille mine; mais plus elle s’abaisse, moins elle contient de métal. Plus bas, au-dessous de la mine d’aimant, il y a d’autres pierres ferru- gincuses, mais qui rendroient fort peu de fer, si on vouloit les faire fondre : les morceaux qu’on en tire ont la couleur de métal, et sont très-lourds ; 1ls sont inégaux en dedans, et ont presque l'air de scories : ces morceaux ressemblent assez par l'extérieur aux pierres d’aimant; mais ceux qu’on tire à huit brasses, au-dessus du roc, n’ont plus aucune vertu. Entre ces pierres, on trouve d’autres morceaux de roc qui paroïissent composés de très-petiles particules de fer; la pierre par elle-même est pesante, mais fort molle; les particules intérieures ressemblent à une matière brulée , et elles n’ont que peu ou point de vertu magnétique. On trouve aussi de temps en temps un minérai brun de fer dans des couches épaisses d'un pouce; mais il rend peu de métal. (Extrait de l'Histoire générale des voyages, tome XVIII, page rar et suiv.) PUSTEMPOATIVES, 9 Il y a plusieurs autres mines d’aimant en Sibérie dans les monts Poïas. A ro lieues de la route qui mène de Catherinbourg à Solikamskaïa , est la mon- tagne de Galazmski; elle a plus de vingt toises de bauteur, et c’est entièrement un rocher d’aimant, d’un brun couleur de fer dur et compacte. À 20 lieues de Solikamskaia , on trouve un aimant cubique et verdâtre ; les cubes en sont d’un brillant vif: quand on les pulvérise, ils se décomposent en paillettes brillantes couleur de feu. Au reste, on ne trouve l’aimant que dans les chaînes de montagnes dont la direction est du sud au nord. (Extrait de l'Histoire générale des voyages, tome XIX, page 472.) Dans les terres voisines des confins de la Lappo- me, sur les limites de la Bothnie, à deux lieues de Cokluanda , on voit une mine de fer, dans laquelle on tire des pierres d’aimant tout-à-fait bonnes. « Nous admirâmes avec bien du plaisir, dit le‘ rela- « teur, les effets surprenans de cette pierre, lors- « qu’elle est encore dans le lieu natal : il fallut faire « beaucoup de violence pour en tirer des pierres « aussi considérables que celles que nous voulions « avoir ; et le marteau dont on se servoit, qui étoit « de la grosseur de la cuisse, demeuroit si fixe en « tombant sur le ciseau qui étoit dansla pierre, que # celui qui frappoit avoit besoin de secours poux 94 Hi N'O TES TI | « le retirer. Je voulus éprouver cela moi-même : ct « ayant pris une grosse pince de fer, pareille à celle « dont on se sert à remuer les corps les plus pesans, « et que j'avois de la peine à soutenir, je l’approchaï « du ciseau, qui l’attira avec une violence extrême, « et la soutenoit avec une force inconcevable. Je mis « une boussole au milieu du trou où étoit la mme, « et l'aiguille tournoit continuellement d’une vitesse « incroyable.» (Œuvres de Regnard; Paris, 1742; tome I, page 165.) 6 Page 9r , ligne 3. Les plus hautes montagnes sont dans la zone torride, les plus basses dans les zones froides ; et l’on ne peut douter que, dés l'o= rigine, les parties voisines de l'équateur ne fussent Les, plus irrégulières et les moins solides du globe. J'ai dit, volume I, page 130, de la Théorie dela T'erre, «que les montagnes du Nord ne sont que « des collines en comparaison de celles des pays « méridionaux, et que le mouvement général des « mers avoit produit ces plus grandes montagnes « dans la direction d’orient en occident dans l’ancien « continent, et du nord au sud dans le nouveau ». Lorsque j'aicomposé, en 1744, ce Traité de la Théo- rie de la Terre, je n’étois pas aussi instruit que je le suis actuellement, et l’on n’avoit pas fait les ebservations par lesquelles on a reconnu que lés IHSTISICATIVES.. 95 sommets des plus hautes montagnes sont composés de granit et de rocs vitrescibles, et qu’on ne trouve point decoquilles sur plusieurs de ces sommets: cela prouve que ces montagnes n’ont pas été composées par les eaux, mais produites par le feu primitif, et qu’elles sont aussi anciennes que le temps de la con- solidation du globe. Toutes les pointes et les noyaux de ces montagnes étant composés de matières vitres- cibles, semblables à la roche intérieure du globe, elles sont également l'ouvrage du feu primitif, lequel a le premier établi ces masses de montagnes, et formé les grandes inégalités de la surface de la Terre. L’eau n’a travaillé qu’en second, posté rieurement au feu, et n a pu agir qu’à la hauteur où elle s’est trouvée après Ja chüte entière des eaux de Vatmosphère et l'établissement de la mer univer- selle, laquelle a déposé successivement les coquil- lages qu’elle nourrissvit et les autres matières qu’elle délayoit ; ce qui a formé les couches d’argilles et de matières calcaires qui composent nos collines , et qui enveloppent les montagnes vitrescibles jusqu mis une grande hauteur. Au reste, lorsque j'ai dit que les montagnes du Nord ne sont que des collines en comparaison des montagnes du Midi, cela n’est vrai que pris généra- lement ; car 1l y a dans le nord de l’Asie de grandes portions de terre qui paroissent être fort éleyées 96 NOTDERSILEUM | au-dessus du niveau de la mer; et en Europe les Pyrénées , les Alpes , le mont Carpate, les mon- tagnes de Norvége, les monts Riphées et Rym- niques, sont de hautes montagnes ; et toute la par= ue méridionale de la Sibérie , quoique composée de vastes plaines et de montagnes médiocres, paroît être encore plus élevée que le sommet des monts Riphées : mais ce sont peut-être les seules excep= tions qu'il y ait à faire ici ; Car non seulement les plus hautes montagnes se trouvent dans les climats plus voisins de l'équateur que des poles , mais il paroît que C’est dans ces climats méridionaux où se sont faits les plus grands bouleversemens intérieurs et extérieurs, tant par l'effet de la force centrifuge. dans le premier temps de la consolidation, que par l’action plus fréquente des feux souterrains et le mouvement plus violent du flux et du reflux dans les temps subséquens. Les tremblemens de terre sont si fréquens dans lJ’Inde méridionale, que les naturels du pays ne donnent pas d'autre épithète à l'Étre tout-puissant que celui de remueur de terre. T'out Parchipel indien ne semble être qu’une mer de volcans agissans ou éteints : on ne peut donc pas douter que les inégalités du globe ne soient beaucoup plus grandes vers l’équateur que vers les poles; on pourroit même assurer que cette surface de la zone torride a été entièrement bouleversée depuis la côte JUSTIFICATIVES. 07 orientale de l'Afrique jusqu'aux Philippines, et encore bien au-delà dans la mer du Sud. Toute cette plage ne paroît être que les’ restes en débris d’un vaste continent, dont toutes les terres basses ont été submergées, L’action de tous les élémens s’est réunie pour la destruction de la plupart de ces terres équi- noxiales ; car, indépendamment des marées, qui y sont plus violentes que sur le reste du globe, 1l pa- roît aussi qu’il y a eu plus de volcans , puisqu’il en subsiste encore dans la plupart de ces îles, dont quelques unes, comme les îles de France et de Bourbon, se sont trouvées ruinées par le feu, et absolument désertes, lorsqu'on en a fait la décous verte. TROISIÈME ÉPOQUE. Lorsque les eaux ont couvert nos continens: { # À ja date de trente ou trente-cinq mille ans de la formation des planètes, la T'erre se trouvoit assez attiédie pour recevoir les eaux sans les rejeter en vapeurs. Le chaos de l’at- mosphère avoit commence de se débrouiller : non seulement les eaux, mais toutes les ma- tières volatiles que la trop grande chaleur y tenoit reléguées et suspendues , tombèrent successivement ; elles remplirent toutes les profondeurs, couvrirent toutes les plaines, tous les intervalles qui se trouvoient entre . les éminences de la surface du globe, et même elles surmontèrent toutes celles qui n’étoient pas excessivement élevées. On a des preuves évidentes que les mers ont couvert le conti- neut de l'Europe jusqu’à quinze cents toises au-dessus du niveau de la mer actuelle !, 3 Voyez, ci-après, les notes justificatives des faits” | ÉPOQUES DE LA NATURE. 9. puisqu'on trouve des coquilles et d’autres productions marines dans les Alpes et dans les Pyrénées jusqu’à cette même hauteur. On a les mêmes preuves pour les conitinens de l'Asie et de l'Afrique ; et même dans celui de l'Amérique, où les montagnes sont plus éle- vées qu'en Europe, on a trouvé des coquilles marines à plus de deux mille toises de hau- teur au-dessus du niveau de la mer du Sud. Il est donc certain que, dans ces premiers temps, le diamètre du globe avoit deux lieues de plus, puisqu'il étoit enveloppé d’eau jus- qu à deux mille toises de hauteur. La sur- face de la Terre en général étoit donc beau- coup plus élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui; et, pendant une longue suite de temps, les mers l’ont recouverte en entier, à l'exception peut-être de quelques terres très-élevées et des sommets des hautes montagnes, quiseulssur- montoieut cette mer universelle, dont l’éle- vation étoit au moins à cette hauteur où l’on cesse de trouver des coquilles : d’où l’on doit inférer que les animaux auxquels ces dé- pouilles ont appartenu peuveut être regardés comme les premiers habitans du globe; et cette population étoit innombrable, à en juger par LA LCR xoo ‘HISTOIRE NATURELLE. l'immense quantité de leurs dépouilles et de leurs détrimens, puisque c’est de ces mêmes dépouilles et de leurs détrimens qu'ont été for- ‘mées toutes les couches des pierres calcaires, des marbres, des craies et des tufs, qui com posent nos collines, et qui s’étendent sur de grandes contrées dans toutes les parties de La Terre. tif Or, dans les commencemens de ce séjour des eaux sur la surface du globe, n’avoient- elles pas un degré de chaleur que nos poissons et nos coquillages actuellement existans n’au- roient pu supporter? et ne dévons-nous pas présumer que les premières productions d'une mer encore bouillante étoient différentes de celles qu’elle nous offre aujourd’hui? Cette grande chaleur ne pouvoit convenir qu’à d’autres natures de coquillages et de pois- sons; et par conséquent c’est aux premiers temps de cette époque, c’est-à-dire, depuis trente jusqu’à quarante mille ans de Ja for- mation de la Terre, que l’on doit rapporter l'existence des espèces perdues, dont on ne trouve nulle part les analogues vivans. Ces premières espèces, maintenant anéanties, ont subsisié pendant les dix ou quinze mille ans ÉPOQUES DE LA NATURE. tot qui ont suivi le temps auquel les eaux ve- “noient de s'établir. Et l’on ne doit point être étonné de ce que j'avance ici, qu'il y a eu des poissons et d’autres animaux aquatiques capables de sup- porter un degré de. chaleur beaucoup plus grand que celui de la température actuelle de nos mers méridionales , puisqu'encore au- jourd’hui nous connoissons des espèces de | poissons et de plantes qui vivent et végètent dans des eaux presque bouillantes , ou du moins chaudes jusqu’à 5o ou 60 degrés du thermomètre ?. Mais, pour ne pas perdre le fil des grands et nombreux phénomènes que nous avons à exposer , reprenons ces temps antérieurs, où les eaux, jusqu'alors réduites en vapeurs, se sont condensées, et ont cominence de tomber sur la Terre brûlante, aride, desséchée, cre- vassée par le feu. Tächons de nous représen- ter les prodigieux effets qui ont accompagné et suivi cette chüte précipitée des matières volatiles, toutes séparées, combinées, subli- mées , dans le temps de la consolidation et 3 Voyez, ci-après , les notes justihicatives des faits, 2 » ( # al | EN 10% HISTOIRE NATURELLE. pendant le progrès du premier refroidisseæ ment. La séparation de l’élément de l'air et de l’élément de l’eau, le choc des vents et des flots qui tomboient en tourbillons sur une terre famante; la dépuration de l'atmosphère, qu'auparavant les rayons du Soleil ne pou- voient pénétrer; cette mème atmosphère obs- curcie de nouveau par les nuages d’une épaisse fumée ; la cohobation mille fois répétée et le bouillonnement continuel des eaux tombées et rejetées alternativement; enfin la lessive de l’air, par l’abandon des matières volatiles précédemment sublimées, qui toutes s’en sé- parèrent, et descendirent avec plus ou moins de précipitation : quels mouvemens , quelles tempêtes ont dû précéder, accompagner eb suivre l’établissement local de chacun de ces élémeus ! Et ne devons-nous pas rapporter à ces premiers momens dé choc'et d’agitation les bouleversemens , les premières degradas tions , les 1rruptions et les changemens qui ont donné une seconde forme à la plus grande partie de la surface de la Ferre? IE est aisé de sentir que les eaux qui la couvroient alore presque toute entière, étant continuellement agitées par la rapidité de leur chüûte, par ÉPOQUES DE LA NATURE. ro3 Vaction de la Lune sur l'atmosphère et sur les eaux déja tombées, par la violence des vents, etc. auront obé1 à toutes ces impul- sions, et que, dans leurs mouvemens, elles auront commencé par sillonner plus à fond les vallées de la Terre, par renverser les émi- nences les moins solides, rabaisser les crêtes des montagnes, percer leurs chaînes dans les points les plus foibles ; et qu'après leur éta- blissement, ces mêmes eaux se sont ouvert des routes souterraines, qu’elles ont mine les voûtes des cavernes, les ont fait écrouler, et que par conséquent ces mêmes eaux se sont abaissées successivement pour remplir les nouvelles profondeurs qu'elles venoient de former. Les cavernes étoient l'ouvrage du feu : l’eau , dès son arrivée, a commencé par les attaquer ; elle les a détruites, et continue de les détruire encore. Nous devons done attribuer l’abaissement des eaux à l’affaisse- ment des cavernes, comme à la seule cause qui nous soit démontrée par les faits. Voilà les premiers effets produits par la anasse, par le poids et par le volume de l’eau ; mais elle en a produit d’autres par sa seule qualité : elle a saisi toutes les matières qu’elle L) EE SON 104 HISTOIRE NATURELLE _pouvoit délayer et dissoudre; elle s’est com binée avec l’air, la terre et le feu, pour for— mer les acides, les sels, etc. ; elle a converti _ les scories et les poudres du verre primitif en argilles; ensuite elle a, par son mouvement, | transporté de place en place ces mêmes sco- ries et toutes les matières qui se trouvoient réduites en petits volumes. Il s’est donc fait dans cette seconde période, depuis trente- cinq jusqu'à cinquante mille ans, un si grand changement à la surface du globe, que la mer universelle, d’abord très-élevée , s’est successivement abaissée pour remplir les pro- fondeurs occasionnées par l’affaissement des cavernes, dont les voûtes naturelles, sapées ou percées par l’action et le feu de ce nouvel élément, ne pouvoient plus soutenir le poids cumulé des terres et des eaux dont elles étoient chargées. À mesure qu'il se faisoit quelque grand affaissement par la rupture d’une ou de plusieurs cavernes, la surface de la Terre se déprimant en ces endroits, l’eau arrivoit de toutes parts pour remplir cette nouvelle profondeur, et par conséquent la hauteur gés nérale des mers diminuoit d'autant; en sorte qu'étant d'abord à deux mille toises d’éléva— \, = ÉPOQUES DE LA NATURE. roë tion , la mer a successivement baissé jusqu’au ‘niveau où nous la voyons aujourd’hui. On doit présumer que les coquilles et les autres productions marines, que l’on trouve à de grandes hauteurs au-dessus du niveau actuel des mers, sont les espèces les plus an- ciennes de la Nature; et il seroit important pour l’histoire naturelle de recueillir un assez grand nombre de ces productions de la mer qui se trouvent à cette plus grande hauteur , et de les comparer avec celles qui sont dans les terrains plus bas. Nous sommes assurés que les coquilles dont nos collines sont com- posées appartiennent en partie à des espèces inconnues, c’est-à-dire, à des espèces dont aucune mer fréquentée ne nous offre les ana- logues vivans. Si jamais on fait un recueil de ces pétrifications prises à la plus grande élévation dans les montagnes, on sera peut- être en état de prononcer sur l'ancienneté plus ou moins grande des espèces relative- ment aux autres. Tout ce que nous pouvons eu dire aujourd’hui, c’est que quelques uns des monumens qui nous démontrent l'exis- tence de certains animaux terrestres et ma- zins dont nous ne connoissons pas les ana 106 HISTOIRE NATURELLE. logues vivans, nous montrent:en:même temps Ne À que ces animaux étoïent beaucoupplus grands qu'aucune espèce du même genre actuelle— ment subsistante. Ces grosses dents molaires à pointes mousses , du poids de onze ou douze livres; ces cornes d'ammon, de sept à huit pieds de diamètre sur un pied d'épaisseur ; dont on trouve les moules pétrifiés, sont cer- tainement des êtres gigantesques dans le genre des animaux quadrupèdes et dans celui des coquillages. La Nature étoit alors dans sa première force, et travailloit la matière or- ganique et vivante avec une puissance plus active dans une température plus chaude : cette matière orgauique étoit plus divisée, moins combinée avec d’autres matières, et pouvoit se réunir et se combiner avec elle même en plus grandes masses, pour se déve- lopper en plus grandes dimensions. Cette cause est suffisante pour rendre raison de toutes les productions gigantesques qui pa- roissent avoir été fréquentes dans ces pre miers âges du monde. En fécondant les mers, la Nature répandoit | ) 3 Voyez, ci-après, les notes jusuificatives des faits ÉPOQUES DE LA NATURE. roy aussi les principes de vie sur toutes Les terres que l’eau n'avoit pu surmonter, ou qu’elle avoit promptement abandonnées ; et ces terres, comme les mers, ne pouvoient être peuplées que d'animaux et de végétaux ca- pables de supporter une chaleur plus grande que celle qui convient aujourd’hui à la Nature vivante. Nous avons des monumens tirés du sein de la Terre, et particulièrement du fond des minières de charbon et d’ardoise, qui nous démontrent que quelques uns des pois- sons et des végétaux que ces matières con-— tiennent, ne sont pas des espèces actuelle- went existantes ©. On peut donc croire que la population de la mer en animaux n’est pas plus ancienne que celle de la terre en vé- gétaux : les monumens et les témoins sont plus nombreux, plus évidens pour la mer; mais ceux qu4 déposent pour la terre sont aussi certains, et semblent nous démontrer que ces espèces anciennes dans les animaux marins et dans les végétaux terrestres se sont anéanties, ou plutôt ont cessé de se inulti- plier, dès que la terre et la mer ont perdu la 4 Voyez, craprès, les notes justificatives des faits. A La (eue à F4 ? bi) à V 108 HISTOIRE NATURELLE. grande chaleur nécessaire à l'effet de leur propagation. Les coquillages ainsi que les végétaux de ce premier temps s'étant prodigieusement multipliés pendant ce long espace de vingt mille ans, et la durée de leur vie n’étänt. que de peu d'années, les animaux à co quilles , les polypes des coraux, des madré- pores, des astroïtes, et tous Les petits animaux. qui convertissent l’eau de la mer en pierre; ont, à mesure qu'ils périssoient, abandonné leurs dépouilles et leurs ouvrages aux-ca- prices des eaux : elles auront transporté, brisé et déposé ces dépouilles en mille et mille endroits; car c'est dans ce même temps que les mouvemens des marées et des vents réglés ont commencé de former les couches horizontales de la surface de la Terre par les sédimens et le dépôt des eaux ; ensuite les couraus ont donne à toutes les collines et à toutes les montagnes de médiocre hauteur des directions correspondantes; en sorte que Jeurs angles saillans sont toujours opposés à des angles rentrans. Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit à ce sujet dans notre d'héorie de la Terre, et nous nous conten- 1 A ÉPOQUES DE LA NATURE. tog terons d'assurer que cette disposition géné— rale de la surface du globe par angles cor- respondans , ainsi que sa composition par couches horizontales, ou également et paral- lèlement inclinées, démontrent évidemment que la structure et la forme de la surface actuelle de la Terre ont été disposées par les eaux et produites par leurs sédimens. Il n’y a eu que les crêtes et les pics des plus hautes montagnes qui peut-être se sont trouvés hors d'atteinte aux eaux , où n’en ont été surmontés que pendant un petit temps, et sur lesquels par conséquent la mer n’a point laissé d'empreintes : mais, ne pouvant les attaquer par leur sommet, elle les a prises par la base ; elle a recouvert où miné les parties inférieures de ces montagnes primi- tives ; elle les a environnées de nouvelles matières , ow bien elle a percé Les voûtes qui les soutenoient; souvent elle les a fait pencher ; enfin elle a transporté dans leurs cavités intérieures les matières combustibles provenant du détriment des végétaux, ainsi que les matières pyriteuses, bitumineuses et minérales, pures ou mêlées de terres et de sédimens de toute espèce. à Mar, gén. VIII, 10 10 HISTOI RE NATUREL LE. La production des argilles paroît avoir | précédé celle des coquillages; car la première opération de l’eau a été de transformer les scories et les poudres de verre en argilles: aussi les lits d’argilles se sont formés quelque temps avant les bancs de pierres calcaires; et l’on voit que ces dépôts de matières argil- leuses ont précédé ceux des matières cal caires, car presque par-tout les rochers cal- caires sont posés sur des glaises qui leur servent de base. Je n'avance rien ici qui ne soit démontré par l'expérience ou confirmé par les observations : tout le monde pourra s'assurer, par des procédés aisés à répéter ”, que le verre et le grès en poudre se conver- tissent en peu de temps en argille , seulement en séjournant dans l’eau; c’est d’après cette connoissance que j ai dit, dans ma Tzéorie de la Terre, que les argilles n’étoient que des sables vitrescibles décomposés et pourris. J'ajoute ici que c’est probablement à cette décomposition du sable vitrescible dans l’eau qu’on doit attribuer l’origine de l'acide : car le principe acide qui se trouve dans l’ar- gille, peut être regardé comme une combi- 5 Voyez, ci-après, les notes justificatives des faits. ur. ce A ie Be POSTE ETES __ ÉPOQUES DE LA NATURE. rrr naisÔn” e la terre vitrescible avec le feu, l'air et l’eau; et c’est ce même principe acide qui est la première cause de la ductilité de l'argille et de toutes les autres matières, sans même en excepter les bitumes, les huiles et les graisses, qui ne sont ductiles et ne com- muniquent de la ductilité aux autres ma- tières que parce qu’elles contiennent des acides. Après la chüte et l’établissement des eaux bouillantes sur la surface du globe, la plus grande partie des scories de verre qui la cou- vroient en entier, ont donc été converties en assez peu de temps en argilles : tous les mouvemens de la mer ont contribué à la prompte formation de ces mêmes argilles, en remuant et transportant les scories et les poudres de verre, et les forçant de se pré- senter à l’action de l’eau dans tous les sens: et, peu de temps après, les argilles formées par l’intermède et l'impression de l’eau ont successivement été transportées et déposées au - dessus de la roche primitive du globe, c'est-a-dire, au-dessus de la masse solide de matières vitrescibles qui en fait le fond, ei qui, par sa ferme consistance et sa du- MENT de ETC PNR CV I RREET ANERSET Dr EX EAN FE MARNE | 112 HISTOIRE NATURELLE. reté, avoit résisté à cette même act eaux. SU 4e La décomposition des poudres et des sables F'« vitrescibles , et la production des argilles, se sout faites en d'autant moins de temps que l’eau étoit plus chaude : cette décomposition a continué de se faire ét se fait encore tous les jours, mais plus lentement et en bien moindre quantité; car, quoique les argilles se présentent presque par-tout comme en- veloppant le globe, quoique souvent ces couches d’argilles aient cent et deux cents” pieds d'épaisseur , quoique les rochers de pierres calcaires et toutes les collines com- posées de ces pierres soient ordinairement appuyés sur des couches argilleuses, on trouve quelquefois au-dessous de ces mêmes couches des sables vitrescibles qui n’ont pas été convertis, et qui conservent le caractère de leur première origine. IL y a aussi des sables vitrescibles à la superficie de la‘terre et sur celle du fond des mers : mais la for- mation de ces sables vitrescibles qui se pré- sentent à l'extérieur, est d’un temps bien postérieur à Ja formation des autres sables de même nature qui se trouvent à de grandes } de A "A w Ü À ÉPOQUES DE LA NATURE. 13 profondeurs sous les argilles; car ces sables qui se présentent à la superficie de la terre, ne sont que les détrimens des granits, des grès et de la roche vitreuse, dont les masses forment les noyaux et les sommets des mon- tagnes , desquelles les pluies, la gelée et les autres agens extérieurs ont détaché et dé- tachent encore tous les jours de petites par-, ties , qui sont ensuite entrainées et déposées par les eaux courantes sur la surface de la Terre : on doit donc regarder comme très- récente , en comparaison de l’autre, cette production des sables vitrescibles qui se présentent sur le fond de la mer ou à la superficie de la terre. Ainsi les argilles et l’acide qu'elles con- tiennent ont été produits très-peu de temps après l'établissement des eaux, et peu de temps avant la naissance des coquillages; car nous trouvons dans ces mêmes argilles une infinité de bélemnites , de pierres lenticu- laires, de cornes d’ammon, et d’autres échan- tillons dè ces espèces perdues dont on ne trouve nulle part les analogues vivans. J’ai trouvé moi-même dans une fouille que j’ai fait creuser à cinquante pieds de profondeur, à 10 x14 HISTOIRE NATURELLE au plus bas d’un petit vallon * tout composé d’arsille, et dontles collines voisines étoient | aussi d'argille jusqu’à quatre-vingts pieds de hauteur; j'ai trouvé, dis-je, des bélemnites À qui avoient huit pouces de long sur près d'un pouce de diamètre , et dont quelques unes étoient attachées à une partie plate et mince comme l’est le têt des crustacés. J'yaitrouvé de même un grand nombre de cornes d’am- mou pyriteuses et-bronzées, et des milliers de pierres lenticulaires. Ces anciennes dé- pouilles étoient, comme l’on voit, enfouies dans l’argille à cent trente pieds de profoñ- deur; car quoiqu’on n’eût creusé qu’à cin- quante pieds dans cette argille au milieu du vallon , il est certain que l'épaisseur de cette argille étoit originairement de cent trente pieds, puisque les couches en sont élevées des, deux côtés à quatre-vingts pieds de hauteur au-dessus : cela me fut démontré par la cor- respondance de ces couches et par celle des bancs de pierres calcaires qui les surmontent de chaque côté du vallon. Ces bancs calcaires * Ce-petit vallon est tout voisin de la ville de Montbard , au midi. | \ : ; ÉPOQUES DE LA NATURE.n15 ont cinquante-quaitre pieds d'épaisseur, et leurs différens lits se trouvent correspondans et posés horizontalement à la même hauteur au-dessus de la couche immense d’argille qui leur sert de base et s’étend sous les collines calcaires de toute cette contrée. Le temps de la formation des argilles a donc immédiatement suivi celui de l’établis. sement des eaux ; le temps de la formation des premiers coquillages doit être place quel- ques siècles après; et le temps du transport de leurs dépouilles a suivi presque immédia- tement : 1l n'y a eu d'intervalle qu’autant que la Nature en a mis entre la naissance et la mort de ces animaux à coquilles. Comme l'impression de l'eau convertissoit chaque jour les sables vitrescibles en argilles, et que son mouvement les transportoit de place en place , elle entraïînoit en même temps les coquilles et les autres dépouilles et débris des productions marines, et déposant le tout comme des sédimens, elle a forme dés lors les couches d’argille où nous trouvons au- jourd’'hui ces monumens, les plus anciens de la Nature organisée, dont les modèles ne subsistent plus. Ce n’est pas qu'il n’y ait 116 HISTOIRE NATURELLE aussi dans les argilles, des coquilles dont _ l'origine est moins ancienne, etmême quel- ques espèces que l’on peut comparer avec celles de nos mers, et mieux encore avec celles des mers méridionales; mais cela n’a= joute aucune difficulté à nos explications, car l’eau n'a pas cessé de convertir en argilles toutes Les scories de verre et tous les sables vitrescibles qui se sont présentés à son action : elle a donc formé des argilles en grande quantite, dès qu’elle s’est emparée de la sur- face de la Terre : elle a continué et continue encore de produire le mème effet; car la mer transporte aujourd’hui ces vases avec les dé- pouilles des coquillages actuellement vivans, comme elle a autrefois transporté ces mêmes vases avec les dépouilles des coquillages alors existans. | La formation des schistes, des ardoises, des charbons de terre, et des matières bitumi- neuses, date à peu près du même temps : ces matières se trouvent ordinairement dans les argilles à d’assez grandes profondeurs; elles paroissent même avoir précédé l’établisse- ment local des dernières couches d’argille; car au-dessous de cent trente pieds d’argille YU 6: a ÉPOQUES DE LA NATURE. 117 dont les lits contenoient des bélemnites, des cornes d'ammaon , et d’autres débris des plus anciennes coquilles, j'ai trouvé des matières charbonneuses et inflammables, et l’on sait que la plupart des mines de charbon de terre sont plus ou moins surmontées par des couches de terres argilleuses. Je crois même pouvoir avancer que c’est dans ces terres qu'il faut chercher les veines de charbon, desquelles la formation est un peu plus ancienne que celle des couches extérieures des terres argil- Jeuses qui les surmontent : ce qui le prouve, c’est que les veines de ces charbons de terre sont presque toujours inclinées, tandis que celles des argilles, ainsi que toutes les autres couches extérieures du globe, sont ordinai- rement horizontales. Ces dernières ont donc été formées par le sédiment des eaux qui s’est déposé de niveau sur une base horizontale, tandis que les autres, puisqu'elles sont incli: nées, semblent avoir été amenées par un courant sur un terrain en pente. Ces veines de charbon, qui toutes sont composées de végétaux mèlés de plus ou moins de bitume, doivent leur origine aux premiers végétaux que la terre a formés : toutes les parties du EU UE SAR CA TON x18 HISTOIRE NATURELLE. globe qui se trouvoient élevées au-dessus des eaux, produisirent, dès les premiers temps, une infinité de plantes et d'arbres de toute espèce, lesquels bientôt tombant de vétusté, furent éntraînés par les eaux, et formèrent des dépôts des matières végétales en une infinité d’endroits; et comme les bi- tumeset les autres huiles terrestres paroissent provenir des substances végétales etanimales, qu’en même temps l'acide provient de la dé- composition du sable vitrescible par le feu, l'air et l'eau, et qu’enfin il entre de l’acide dans la composition des bitumes, puisqu a- vec une huile végétale et de l’acide on peut faire du bitume , il paroît que les eaux se sont dès lors mèlées avec ces bitumes , ets’en sont imprégnées pour toujours ; et comme elles transportoient incessamment les arbres et les autres matières végétales descendues des hauteurs de la Terre, ces matières végé- tales ont continué de se mêler avec les bi- tumes déja formés des résidus des premiers végétaux, et la mer, par son mouvement et par ses courans, les a remuées, transportées et déposées sur les éminences d’argille qu'elle avoit formées précédemment. ÉPOQUES DE LA NATURE. r19 Les couches d'ardoises, qui contiennent aussi des végétaux et même des poissons, ont éte formees de la même manière, et l’on peut en donner des exemples qui sont, pour ainsi dire, sous nos yeux ä@Ainsi les ardoi- sières et les mines de charlont ensuite été recouvertes par d'autres Couches de terres argilleuses que la mer a déposées dans des temps postérieurs : il y a même eu des inter- valles considérables et des alternatives de mouvement entre l’établissement des diffe- rentes couches de charbon dans le même terrain ; car on trouve souvent au-dessous de la première couche de charbon une veine d’argille ou d'autre terre qui suit la mème inclinaison , et ensuite on trouve assez com- munément une seconde couche de charbon inclinée comme la première, et souvent une troisième, également séparées l’une de l’autre par des veines de terre, et quelquefois même par des bancs de pierres calcaires, comme daus les mines de charbon du Hainaut. L’on ne peut donc pas douter que les couches les * Voyez le n° 3 des notes jusuficatives des faits, BASE 44e | k 120 HISTOIRE NATURE EN plus basses de charbon n'aient éte she les premières, par le transport des matières végétales amenées par les eaux ; et lorsque le premier dépôt d' où la mer enlevoit ces matières végélal@é, se trouvoit épuisé ; le . mouvement d ux continuoit de trans- porter au même lieu les terres ou les autres matières qui environnoiént ce dépôt: ce sont ces terres qui forment aujourd’hui la veine intermédiaire entre les deux couches de charbon; ce qui suppose que l’eau amenoit ensuite de quelque autre dépôt, des matières végétales pour former la seconde couche de charbon. J'entends ici par couches la veine entière de charbon prise dans toute son épais- seur, et non pas les petites couches ou feuil- lets dont la substance mème du charbon est composée, et qui souvent sont extrèmement minces : ce sont ces mêmes feuillets, toujours parallèles entre eux, qui démontrent que ces masses de charbon ont été formées et déposées par le sediment et même par la stiliation des eaux imprégnées de bitume; et cette même forme de feuillets se trouve dans les nouveaux charbons dont les couches se forment par stillation, aux dépens des ÉPOQUES DE LA NATURE. re souches plus anciennes. Ainsi les feuillets du charbon de terre ont pris leur forme par deux causes combinées : la première est le dépôt toujours horizontal de l’eau; et la seconde , la disposition des matières végé- tales, qui tendent à faire des feuillets *. Au surplus, ce sont les morceaux de bois sou- vent entiers , et les détrimens très-reconnois- sables d’autres végétaux, qui prouvent évi- _ demment que la substance de ces charbons de terre n’est qu'un assemblage de débris de végétaux liés ensemble par des bitumes. La seule chose qui pourroit être difficile à concevoir, c’est l'immense quantité de dé- bris de végétaux que la composition de ces mines de charbon suppose ; car elles sont très-épaisses, très-étendues, et se trouveñt en une infinité d'endroits : mais si l’on fait âttention à la production peut-être encore plus immense de végétaux qui s'est faite pendant vingt ou vingt-cinq mille ans, et si l'on pense en même temps que l’homme * Voyez lexpérience de M. de Morveau sur une eoncréuon blanche, qui est devenue du charbon de terre noir et feuilieté. 11 LR VE J j 522 HISTOIRE NATURELLE. . n’étant pas encore créé, 1l n’y avoit aucune destruction des végétaux par le feu, on sen- tira qu'ils ne pouvoient manquer d’être em portés par les eaux, et de former en mille endroits différens des couches très-étendues de matière végétale. On peut se faire une idée en petit de ce qui est alors arrivé en grand : quelle énorme quantité de grosarbres certains fleuves, comme le Mississipi, n’entrainent- ils pas dans la mer! Le nombre de ces arbres est si prodigieux , qu'il empêche, dans cer- taines saisons , la navigation de ce large fleuve : il en est de même sur la rivière des Amazones et sur la plupart des grands fleuves des continens déserts ou mal peuplés. On peut donc penser, par cetie comparaison , que toutes les terres elevées au-dessus des eaux étant dans le commencement couvertes d'arbres et d'autres végétaux que rien ne détruisoit que leur vétusté, il s’est fait, dans cette longue période de temps, des trans- ports successifs de tous ces végétaux et de leurs détrimens, entrainés par les eaux cou- rantes du haut desmontagnes jusqu'aux mers. Les mèmes contrées inhabitées de l'Amérique nous en fournissent un autre exemple frap— OUEN ÉPOQUES DE LA NATURE. 123 pant : on voit à la Guiane des forêts de pal- miers /atamiers de plusieurs lieues d’éten- due, qui croissent dans des espèces de marais qu'on appelle des savanes noyées , qui ne sont que des appendices de la mer; cesarbres, après avoir vécu leur âge, tombent de vétusté, et sont emportés par le mouvement des eaux. Les forêts plus éloignées de la mer, et qui couvrent toutes les hauteurs de l'intérieur du pays, sont moins peuplées d'arbres sains et vigoureux que jonchées d’arbres décrépits et” à demi pourris. Les voyageurs qui sont obli- ges de passer la nuit dans ces bois, ont soin d'examiner le lieu qu’ils choisissent pour gîte, añn de reconnoître s’il n’est environné que d'arbres solides, et s’ils ne courent pas risque d'être écrasés pendant leur sommeil par la chüte de quelques arbres pourris sur pied; et la chûte de ces arbres en grand nombre est très- fréquente : un seul coup de vent fait souvent un abattis si considérable, qu'on ent entend le bruit à de grandes distances. Ces arbres, roulant du haut des montagnes, en renversent quantité d'autres, et ils arrivent ensemble dans les lieux les plus bas, où ils achèvent de pourrir, pour former de nou EVE E A ANK LS 1) TT ve 41 Li le ir CRT 0 0 ONE ET A TRE MEAPEAS \ PAP NAT ‘ () { LL a À 124 HISTOIRE NATURELLE. VAE velles couches de terre végétale; ou bien is. sont. entrainés par les eaux courantes dans les 4 mers voisines, pour aller former au loin de nouvelles couches de charbon fossile, Les détrimens des substances végétales sont donc le premier fonds des mines de charbon ; . ce sont des trésors que la Nature semble avoir accumulés d'avance pour les besoins à venir des grandes populations. Pins les hommes se multiplieront, plus les forêts diminueront : les bois ne pouvant plus suffire à leur con- sommation , ils auront recours à ces im— menses dépôts de matières combustibles, dont l'usage leur deviendra d'autant plus néces- saire que le globe se refroidira davantage; néanmoins ils ne les épuiseront jamais, car une seule de ces mines de charbon contient peut-être plus de matière combustible que toutes Les forêts d’une vaste contrée. L'ardoise, qu’on doit regarder comme une argille durcie , est formée par couches qui contiennent de même du bitume et des végé- taux , mais en bien plus petite quantité; et en même temps elles renferment souvent des coquilles, des crustacés et des poissons qu'on ne peut rapporter à aucune espèce connue, \ ÉPOQUES DE LA NATURE. r2ÿ Ainsi l’origine des charbons et des ardoises datent du même-temps ; la seule différence qu il y ait entre ces deux sortes de matières, c'est que les végétaux composent la majeure partie de la substance des charbons de terre, au lieu que le fonds de la substance de l’ar- doise est le même que celui de l’argille,etque les végétaux, ainsi que les poissons, ne pa- roissent s’y trouver qu'accidentellement et en assez petit nombre : mais toutes deux con- tieunent du bitume, et sont formées par feuillets ou par couches très-minces, tou- jours parallèles entre elles; ce qui démontre clairement qu’elles ont également été pro- duites par les sédimens successifs d’une eau tranquille, et dont les oscillations étoient parfaitement réglées, telles que sont celles de nos marées ordinaires ou des courans cons- tans des eaux. Reprenant donc pour un instant tout ce que je viens d'exposer , la masse du globe terrestre, composée de verre en fusion, ne présentoit d'abord que les boursouilures et les cavités irrégulières qui se forment à la superficie de toute matière liquéfiée par le feu et dont le refroidissement resserre les 11 »26 HISTOIRE NATURELLE a parties. Pendant ce temps et dans le progrés du refroidissement, les éléemens se sont sépa- “ rés, les liquations et les sublimations des substances métalliques et minérales se sont - faites , elles ont occupé les cavités des terres élevées et les fentes perpendiculaires des mon- tagnes ; car ces pointes avancées au-dessus de la surface du globe s’étant refroidies les pre- mières, elles ont aussi présenté aux élémens extérieurs les premières fentes produites par le resserrement de la matière qui se refroi- dissoit. Les métaux et les minéraux ont été poussés par la sublimation, ou déposés par les eaux dans toutes ces fentes; et c’est par cette raison qu’on les trouve presque tous dans les hautes montagnes, et qu’on ne ren- contre dans les terres plus ‘basses que des mines de nouvelle formation : peu de temps après, les argilles se sont formées, les pre- miers coquillages et les premiers végétaux ont pris naissance; et, à mesure qu'ils on£ péri, leurs dépouilles et leurs détrimens ont fait les pierres calcaires , et ceux des végé- taux ont produit les bitumes et les charbons:; et en même temps les eaux, par leur mouve- ment et par leurs sédimens , ont composé N ÉPOQUES DE LA NATURE. 17 Vorganisation de la surface de la Terre par couches horizontales ; ensuite les courans de ces mêmes eaux lui ont donne sa forme exté- rieure par angles saillans et rentrans; et ce n'est pas trop étendre le temps nécessaire pour toutes ces grandes operations et ces 1m- menses constructions de la Nature, que de compter vingt mille ans depuis la naissance des premiers coquillages et des premiers vé- gétaux : 1ls étoient deja très-multipliés, très nombreux; à la date de quarante-cinq mille ans de la formation de la Terre: et comme les eaux, qui d’abord étoient si prodigieuse- ment élevées, s’abaissèrent successivement et abandonnèrent les terres qu'elles surmon- toient auparavant, ces terres présentérent dès lors une surface toute jonchée de produc- tions marines. | La durée du temps pendant lequel les eaux couvroient nos continens , a été très-longue; l’on n'en peut pas douter en considérant l’im- mense quantité de productions marines qui se trouvent jusqu'à d'assez grandes profon- deurs ebà de très-grandes hauteurs dans toutes les parties de la Terre : et combien né devons- nous pas encore ajouter de durée à ce temps 128 HISTOIRE N ATURELLE. } jui 1 déja si long, pour que ces mêmes vu tions marines aient éte brisées , réduites en. poudre et transportées par le mouvement des eaux, pour former ensuite les. marbres, les pierres calcaires et les craies! Cette longue suite de siècles, cette durée de vingt mille aus, me paroît encore trop courte pour la succession des effets que tous ces monumens - nous démontrent. a Car il faut se représenter ici.la ue dé la Nature, et mème se rappeler l’idée de ses moyens. Les molécules organiques vivantes ont existé dès que les élémens d’une chaleur douce ont pu s’incorporer avec les substances qui composent, les corps organisés ; elles ont produit sur les parties élevées du globe une infinité de végétaux, et dans les eaux un nombre immense de coquillages, de crusta- cés et de poissons, qui se sont bientôt multi- pliés par la voie de la sénération. Cette mul- tiplication des végétaux, et des coquillages, quelque rapide qu’on puisse la supposer, n’a pu se faire que dans un grand nombre de siècles , puisqu'elle a produit des yolumes aussi prodigieux que le sont ceux de leurs : détrimens, En effet, pour juger de ce qui s’est A2, tie. T7 Bi p ÉPOQUES DE LA NATURE. 19 passé, il faut considérer ce qui se passe: or ne faut-il pas bien des années pour que des huîtres qui s’amoncèlent dans quelques en- droits de la mer, s’y multiplient en assez. grande quantité pour former une espèce de rocher ? Et combien n’a-t-il pas fallu de siècles pour que toute la matière calcaire de la sur- face du globe ait été produite? Et n'est-on _pas forcé d'admettre non seulement des siè- cles, mais des siècles de siècles, pour que ces productions marines aient été non seulement réduites en poudre, mais transportées et dé- posées par les eaux, de manière à pouvoir former les craies , les marnes , les marbres et les pierres calcaires ? Et combien de siècles encore ne faut-il pas admettre pour que ces mêmes matières calcaires, nouvellement dé- posées par les eaux, se soient purgées de leur humidité superflue, puis séchées et durcies au point qu’elles Le sont aujourd'hui et depuis si long-temps ? Ë | Comme le globe terrestre n’est pas une sphère parfaite, qu’il est plus épais sous l'équateur que sous les poles, et que l’action du Soleil est aussi bien plus grande dans les glimats méridionaux , il en résulte que leg . : 30 HISTOIRE NATURELLE. contrées polaires ont été refroidies plus tôt que celles de l'équateur. Ces parties polaires de la Terre ont donc reçu les premières les eaux et les matières volatiles qui sont tom— bées de l'atmosphère; le reste de ces eaux a dû tomber ensuite sur les climats que nous appelons fempérés, et ceux de l'équateur auront été les derniers abreuvés. Il s’est passé bien des siècles avant que les parties de l’é- quateur aient élé assez attiédies pour ad- mettre les eaux : l'équilibre et même l’oc- cupation des mers a donc été long-temps àse former et à s'établir, et les premières inon- datious ont dü venir des deux poles. Mais nous avons remarqué * que tous les continens terrestres finissent en pointe vers les régions australes : ainsi les eaux sont venues en plus grande quantité du pole austral que du pole boréal, d’où elles ne pouvoient que refluer et non pas arriver, du moins avec autant de force; sans quoi les continens auroient pris une forme toute differente de celle qu'ils nous présentent; ils se seroient élargis vers * Voyez, tome TI, Théorie de la For fu ne À ÉPOQUES DE LA NATURE. 1% les plages australes, au lieu de se rétrécir. En effet, les contrées du pole austral ont dû se refroidir plus vite que celles du pole bo- réal , et par conséquent recevoir plus tôt les eaux de l'atmosphère, parce que le Soleil fait un peu moins de séjour sur cet hémisphère austral que sur le boréal; et cette cause me paroît suffisante pour avoir déterminé le pre- mier mouvement des eaux, et le perpétuer ensuite assez long-temps pour avoir aiguisé les pointes de tous les continens terrestres. D'ailleurs il est certain que les deux conti- nens n’éloient pas encore séparées vers notre Nord, et que même leur separation ne s’est faite que long-temps après l'établissement de la Nature vivante dans nos climats sep- tentrionaux , puisque les éléphans ont en même temps existé en Sibérie et au Canada; ce qui prouve invinciblement la continuité de l’Asie ou de l'Europe avec l'Amérique, tandis qu'au contraire 1l paroît également certain que l'Afrique étoit, dès les premiers temps, séparée de l'Amérique méridionale, puisqu'on n'a pas trouvé dans cette partie du nouveau monde un seul des animaux de l’ancien continent , ni aucune dépouille 3 HISTOIRE NATURELLE, qui puisse indiquer qu’ils y aient autrefois existé. Il paroît que les éléphans dont on trouve les ossemens dans l'Amérique septen- trionale, y. sont demeurés confinés; qu’ils n’ont pu franchir les hautes montagnes qui sont au sud de l’isthme de Panama, et qu'ils n’ont jamais pénétré dans les vastes contrées de l'Amérique méridionale : mais il est en- core plus certain que les mers qui séparent l'Afrique et l'Amérique, existoient avant la naissance des éléphans en Afrique; car si ces deux continens eussent ete contigus, les animaux de Guinée se trouveroient au Bresil, et l’on eût trouvé des dépouilles de ces ani- maux dans l'Amérique méridionale, comme l’on en trouve dans les terres de l'Amerdie septentrionale. Ainsi, dès l’origine et dans le commence- ment de la Nature vivante, les terres les plus élevées du globe et les parties de notre Nord out été les premières peuplées par les espèces d'animaux terrestres auxquels la grande cha- leur convient le mieux : les régions de l’équa- teur sont demeurées long-temps désertes, et. même arides et sans mers. Les terres élevées de la Sibérie, de la Tartarie et de plusieurs D" CE RTARRS LS ÉPOQUES DE LA NATURE. 13%. autres endroits de l’Asie, toutes celles de l'Europe qui forment la chaîne des mon— tagnes de Galice, des Pyrénées, de l’Au- vergne, des Aipes, des Apennins, de Sicile, de la Grèce et de la Macédoine, ainsi que les monts Riphées, Rymniques, etc. ont été les premières contrées habitées, même pendant plusieurs siècles, tandis que toutes les terres moins élevées étoient encore couvertes par les eaux. | Pendant ce long espace de durée que la mer a séjourné sur nos terres, les sédimens et les dépôts des eaux ont formé les couches _ horizontales de la Terre, les inférieures d’ar- gilles, et les supérieures de pierres calcaires. C'est dans la mer même que s’est opérée la pétrification des marbres et des pierres : d’a- bord ces matières étoient molles, ayant été successivement déposées les unes sur les autres, à mesure que les eaux les amenoient et les laissoient tomber en forme de sédi- mens ; eusuite elles se sont peu à peu durciées par la force de l’affinité de leurs parties cons- ‘tituantes , et enfin elles ont formé toutes les masses des rochers calcaires, qui sont com- posées de couches horizontales ou également. 12 r34 HISTOIRE NATURELLE. inclinées, comme le sont toutes Les autres matières déposées par les eaux, . | C’est dès les premiers temps de cette même période de durée que se sont déposées les ar- gilles où se trouvent les débris des anciens coquillages : et ces animaux à coquilles n’é- toient pas les seuls alors existans dans la mer; car, indépendamment des coquilles , . on trouve des débris de crustacés, des pointes d’oursins , des vertèbres d’étoiles, dans ces mêmes arpgilles ; et dans les ardoises, qui ne sont que des argilles durcies et mêlées d'un peu de bitume, on trouve, ainsi que dans les schistes, des impressions entières et très-bien conservées de plantes, de crustacés et de poissons de différentes grandeurs: enfin, dans les minières de charbon de terre, la masse eutière de charbon ne paroîit composée que de débris de végétaux. Ce sont là les plus an- ciens monumens de la Nature vivante, et les premières productions organisées tant de la mer que de la terre. \ Les régions septentrionales, et les parties les plus elevees du globe, et sur-tout les som- mets des montagnes dont nous avons fait l'énumération , et qui, pour la plupart, ng } _ ÉPOQUES DE LA NATURE. 135 présentent aujourd'hui que des faces sèches et des sommets stériles, ont donc âutrefois éte des terres fécondes, et les premières où la Nature se soit manifestée, parce que ces par- ties du globe ayant été bien plus tôt refroidies que les terres plus basses ou plus voisines de l'équateur , elles auront les premières reçu _ les eaux de l’atmosphère et toutes les autres matières qui pouvoient contribuer à la fécon- dation. Ainsi l’on peut présumer qu'avant l'établissement fixe des mers, toutes les par- tes de la terre qui se trouvoient supérieures aux eaux ont été fécondées, et qu’elles ont dû dès lors et dans ce temps produire les p'antes dont nous retrouvons aujourd’hui les impressions dans les ardoises , et toutes les substances végétales qui composent les char- bons de terre. Dan: ce mème temps où nos terres étoien£ couvertes par la mer, et tandis que les bancs calcaires de nos collines se formoient des dé- trimens de ses productions , plusieurs monu- - mens nous indiquent qu'il se détachoit du sommet des montagnes primitives et des autres parties découvertes du globe, une grande quantité de substances vitrescibles , PANNE (à CS CR FR us No Et ‘ 4 V : que Fr 536 HISTOIRE NATURELLE. lesquelles sont venues par alluvion , LE ‘ dire, par le transport des eaux, remplir les fentes et les autres intervalles que les masses calcaires laissoient entre elles. Ces fentes per- pendiculaires ou légèrement inclinées dans les bancs calcaires se sont formées par le resserrement de ces matières calcaires, lors- qu'elles se sont séchées et durcies, de la même manière que s’étoient faites précé- : demment les premières fentes perpendicu- : laires dans les montagnes vitrescibles pro- duites par le feu , lorsque ces matières se sont - resserrées par leur consolidation. Les pluies, les vents et les autres agens extérieurs avoient déja détaché de ces masses vitrescibles une grande quantité de petits fragmens que les eaux transportoient en différens endroits. En cherchant des mines de fer dans des collines de pierres calcaires, jai trouvé plusieurs fentes et cavités remplies de mines de fer en grains, méèlées de sable vitrescibleet de petits cailloux arroudis. Ces sacs ou nids de mine de fer ne s’élendent pas horizontalement, mais descendent presque perpendiculairement, et ils sont tous situés sur la crête la plus élevée : : » à ÉPOQUES DE LA NATURE. :57 des collines calcaires *. J'ai reconnu plus d'une centaine de ces sacs, et j'en ai trouvé huit principaux et très-considerables dans la seule étendue de terrain qui avoisine mes forges à une ou deux lieues de distance : toutes ces mines étoient en grains assez me nus , et plus ou moins mélangées de sable vitrescible et de petits cailloux. J'ai fait ex- ploiter cinq de ces mines pour l'usage de mes fourneaux : on a fouillé les unes à cinquante ou soixante pieds, et les autres jusqu’à cent soixante-quinze pieds de profondeur : elles sont toutes également situées dans les fentes des rochers calcaires; et il n’y a dans cette contrée ni roc vitrescible, ni quartz, ni grès, ni cailloux , ni granits ; en sorte que ces mines de fer, qui sont en grains plus ou moins gros, et qui sont toutes plus ou moins mélangées de sable vitrescible et de petits cailloux, n’ont pu se former dans les ma- bières calcaires où elles sont renfermées de * Je puis encore citer ici les mines de fer en pierre qui ge trouvent en Champagne, et qui sont ensachées entre les rochers calcaires, dans des di- rections et des inclinaisons différentes, perpendicus Jaires ou obliques, de L Le WA x rit La 4 PNEU TMS ME EU bd d k Del è Wie Hi W 138 HIS TOIRE NATURELLE. | tous côtés comme entre des murailles, et par conséquent elles y ont été amenées de loim par le mouvement des eaux, qui les y auront déposées en même temps qu’elles déposoient ailleurs des glaises et d’autres sédiméns ; ; cat ces sacs de mine de fer en grains sont tous surmontés ou latéralement accompagnés d’une espèce de terre limoneuse rougeàtre , plus pétrissable, plus pure et plus fine que l'argille commune. Il paroît mème que cette terre limoneuse, plus ou moins colorée de la teinture rouge que le fer donne à laterre, est l'ancienne matrice de ces mines de fer, et que c'est dans cette même terre que les grains métalliques ont dû se former avant leur transport. Ces mines, quoique situées dans des collines entièrement calcaires, ne con-— tiennent aucun gravier de cette même na- ture; il se trouve seulement, à mesure qu’on descend, quelques masses isolées de pierres calcaires , autour desquelles tournent les veines de la mine , toujours accompagnées de la terre rouge, qui souvent traverse les veines de la mine , ou bien est ‘appliquée contre les parois des rochers calcaires qui la renferment. Et ce qui prouve d’une manière À ÉPOQUES DE LA NATURE. 139 évidente que ces dépôts de mines se sont faits par le mouvement des eaux, c'est qu'après avoir vide les fentes et cavités qui les con tiennent, on voit, à ne pouvoir s’y tromper, que les parois de ces fentes ont été usées et même polies par l’eau , et que par conséquent elle les a remplies et baignées pendant un assez long temps, avant d'y avoir déposé la mine de fer, les petits cailloux, le sable vi- trescible et la terre limoneuse, dont ces fentes sont actuellement remplies : et l’on ne peut pas se prêter à croire que les grains de fer se soient formés dans cette terre limoneuse de- puis qu’elle a été déposée dans ces fentes de rochers ; car une chose tout aussi évidente que la première s’oppose à cette idée , c’est que la quantité de mines de fer paroît sur- passer de beaucoup celle de la terre limo- nueuse. Les grains de cette substance métal- lique ont, à la vérité, tous été formés dans cette même terre, qui n’a elle-même été pro-. duite que par le résidu des matières animales et végétales , dans lequel nous démontrerons la production du fer en grains ; mais cela s’est fait avant leur transport et leur dépôt dans les fentes des rochers. La terre limoneuse, 40° HISTOIRE NATURELLE. : 4 les grains de fer, le sable vitrescible et les. petits cailloux ont été transportés et déposés ensemble; et si depuis il s’est formé dans cette même terre des grains de fer, ce ne peut être qu'en petite quantité. J'ai tiré de chacune de ces mines plusieurs milliers de tonneaux; et sans avoir mesuré exactement la quantité de terre limoneuse qu on a laissée dans ces mémes, cavités, j'ai vu qu elle étoit bien moins considérable que la quantité de mine de fer dans chacune. | Mais ce qui prouve encore que ces mines de fer en grains ont été toutes amenées par le mouvement des eaux, c’est que, dans ce même canton , à trois lieues de distance, il y a une assez grande étendue de terrain for-. want une espèce de petite plaine, au-dessus des collines calcaires , et aussi élevée que celles dont je viens de parler, et qu’on trouve dans ce terrain une grande quantité de mine de fer en grains, qui est très-différemment mélangée et autrement située : car, au lieu d'occuper les fentes perpendiculaires et les cavités intérieures des rochers calcaires , au lieu de former un ou plusieurs sacs perpen- diculaires, cette mine de fer est au contraire , À -__ ÉPOQUES DE LA NATURE. r4r déposée ez nappe, c’est-à-dire, par couches horizontales, comme tous les autres sédi- mens des eaux ; au lieu de descendre pro- fondément comme les premières , elle s'étend presque à la surface du terrain sur une épais- seur de quelques ‘pieds ; au lieu d'être mé- langée de cailloux et de sable vitrescible, : elle n’est au contraire mêlée par-tout que de graviers et de sables calcaires. Elle pré- sente de plus un phénomène remarquable: c’est un nombre prodigieux de cornes d’am- mon et d’autres anciens coquillages, en sorte qu'il semble que la mine entière en soit composée , tandis que dans les huit autres mines dont j'ai parlé ci-dessus, 1l n'existe pas le moindre vestige de coquilles, ni même aucun fragment , aucun indice du genre calcaire , quoiqu’elles soient enfermées entre des masses de pierres entièrement calcaires. Cette autre mine, qui contient un nombre si-prodigieux de débris de coquilles marines, même des plus anciennes, aura donc été transportée, avec tous ces débris de coquilles, par le mouvement des eaux, et déposée en forme de sédiment par couches horizontales; etles grains de fer qu’elle contient, et qui: 145 HISTOIRE NATURELLE. sont encore bien plus petits que ceux dés premières mines, mêlees de cailloux, auront été amenés avec les coquilles mêmes. Aïnsi le transport de toutes ces matières et le dépot de toutes ces mines de fer en grains se sont faits par alluvion à peu près dans le même temps, c’est-à-dire, lorsque lés mers cou- vroient encore nos collines calcaires. Et le sommet de toutes ces collines, ni les collines elles-mêmes, ne nous représentent plus à beaucoup près le même aspect qu’elles avoient lorsque les eaux les ont abandonnées. A peine leur forme primitive s’est-elle main- tenue; leurs angles saillans et rentrans sont devenus plus oblus, leurs pentes moins ra- pides, leurs sommets moins élevés et plus chenus ; les pluies en ont détaché et entraîné les terres: les collines\se sont donc rabaiïissées peu à peu,'et les vallons se sont en même temps remplis de ces terres entraînées par les eaux pluviales ou courantes. Qu'on se figure ce que devoit être autrefois la forme du terrain à Paris et aux environs : d'une part, sur les collines de Vaugirard jusqu'à Séves, on voit des carrières de pierres cal- caires remplies de coquilles pétrifées; de e AMAR | ÉPOQUES DE LA NATURE, r43 Yautre côte vers Montmartre, des collines de plâtre et de matières argilleuses; et ces collines , à peu près également élevées au- dessus de la Seine, ne sont aujourd’hui que d’une hauteur très-médiocre : mais au fond des puits que l’on a faits à Bicêtre et à l'École militaire, on a trouve des bois travaillés de main d'homme à soixante-quinze pieds de profondeur. Ainsi l’on ne peut douter que cette vallée de la Seine ne se soit remplie de plus de soixante- quinze pieds, seulement depuis que les hommes existent : et qui sait de combien les collines adjacentes ont dimi- nue dans le même temps par l’effet des pluies, et quelle étoit l’épaisseur de terre dont elles étoient autrefois revêtues ? Il en est de mème de toutes les autres collines et de toutes les autres vallées; elles étoient peut-être du double plus élevées et du double plus pro- fondes dans le temps que les eaux de la mer les ont laissées à découvert. On est même assuré que les montagnes s’abaissent encore tous les jours, et que les vallées se remplis- sent à peu près dans la même proportion ; seulement cette diminution de la hauteur des montagnes, qui ne se fait aujourd’hui 144 HISTOIRE NATURELLE. que d’une manière presque insensible, s est faite beaucoup plus vite dans les premiers temps en raison de la plus grande rapidité de leur pente, et il faudra maintenant plu- sieurs milliers d'années pour que les inéga- lités de la surface de la Terre se réduisent encore autant qu’elles l’ont fait en pen de siècles dans les premiers âges. Mais revenons à cette époque antérieure où les eaux, après être arrivées des régions po- laires, ont gagné celles de l’équateur. C’est dans ces terres de la zone torride où se sont faits les plus grands bouleversemens : pour en être convaincu, il ne faut que jeter les yeux sur un globe géographique; on recon- noîtra que presque tout l’espace compris entre les cercles de cette zone ne présente que les débris de continens bouleversés et d’une terre ruinée. L’immense quantité d’iles, de dé- troits, de hants et de bas fonds, de bras de mer et de terre entrecoupés, prouve les nombreux affaissemens qui se sont faits dans cette vaste partie du monde. Les montagnes y sont plus elevées, les mers plus profondes. que dans tout le reste de la Terre; et c’est sans doute lorsque ces grands affaissemens Fe: N LA N KR Ce NT NX 1" ; ÉPOQUES DE LA NATURE. 145 se sont faits dans les contrées de l'équateur, que les eaux qui couvroient nos continens , se sont abaissées et retirées en coulant à grands flots vers ces terres du Midi, dont elles ont rempli les profondeurs, en laissant à découvert d’abord les parties les plus éle- vées des terres, et ensuite toute la surface de nos continens. = | Qu'on se représente l'immense quantité des matières de toute espèce qui ont alors été transpoïtées par les eaux : combien de sédi- mens de différente nature n’ont-elles pas déposés les uns sur les autres, et combien , par conséquent , la première face de la Terréë n'a-t-elle pas changé par ces révolutions! D'une part, le fluxet le reflux donnoient aux eaux un mouvement constant d’orient en occident ; d’autre part, les alluvions venant des poles Croisoient ce mouvement, et dé- terminoient les efforts de la mer autant et peut-être plus vers l'équateur que vers l’oc- cident. Combien d’irruptions particulières se sont faites alors de tous côtés! À mesure que quelque grand affaissement présentoit une nouvelle profondeur, la mer s’abaissoit et les eaux couroient pour la remplir; et Mat, gén, VIII. 13 EN r46. HIS STOIRE NATURELLE Û quoiqu'il paroisse aujourd’hui que V ‘équilibre des mers soit à peu près établi, et que toute leur action se réduise à gagner quelque ter rain vers l'occident et en laisser à à découvert ; vers l’orient ,- il est néanmoins très- -certains qu’en général les mers baissent tous les ; jours de plus eu plus, et qu'elles baisseront encore a mesure qu'il se fera quelque nouvel affais= sement, soit par l'effet des volcans et des tremblemens de terre, soit par .des causes plus constantes et plus simples : car toutes les parties caverneuses de l'intérieur du globe ne sont pas encore affaissées; les vol- cans et les secousses des tremblemens de terre en sont une preuve démonstrative. Les eaux mineront peu à peu les voûtes et les remparts de ces cavernes souterraines ; et lorsqu'il s’en écroulera quelques unes, la surface de la Terre se déprimant dans ces endroits, formera de nouvelles vallées dont la mer viendra s'emparer. Néanmoins, comme ces événemens, qui, dans les com-— mencemens , devoient être très-fréquens, sont actuellement assez rares , on peut croire. que la Terre est à peu près parvenue à un état assez tranquille pour que ses habitaus ÉPOQUES DE LA NATURE. 147 n'aient plus à redouter les désastreux effets de ces grandes convulsions. | L'établissement de toutes les matières mé- talliques et minérales a suivi d'assez près l'établissement des eaux: celui des matières argilleuses et calcaires à précédé leur retraite; la formation , la situation, la position de toutes ces dernières matières, datent du temps où la mer couvroit les continens, Mais nous devons observer que le mouvement gé- néral des mers ayant commencé de se faire alors comme il se fait encore aujourd’hui d’orient en occident, elles ont travaillé la surface de la Terre dans ce sens d’orient en occident autant et peut-être plus qu'elles ne l’avoient fait précédemment dans le sens du midi au nord. L’on n’en doutera pas si l’on fait attention à un fait très- général et très- vrai f: c’est que, dans tous les continens du monde, la pente des terres, à la prendre du sommet des montagnes, est toujours beau- coup plus rapide du côté de l'occident que du côté de l’orient ; cela est évident dans le con- tinent entier de l'Amérique, où les sommets 6 Voyez, craprès , les notes justificatives des faits. 6" HISTOIRE NATURELLE. | de la chaîne des Cordillières sont trés-voisins par-tout des mers de l'Ouest, et sont très- éloignés de la mer de l'Est. La chaine qui sépare l'Afrique dans sa longueur, et qui s'étend depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu'aux anonts de la Lune, est aussi plus voisine des mers à l’ouest qu’à l’est. Il en est de même des montagnes qui s'étendent de- puis le cap Comorin dans la presqu'ile de l'Inde, elles sont bien plus près de la mer à lorient qu'à l'occident; et si nous consi- dérons les presqu'iles, les promontoires, les iles et toutes les terres environnées de la mer, nous reconnoitrons par-tout que les pemiee sont courtes et rapides vers l'occident, et, qu’elles sont douces et longues vers lorient : les revers de toutes les montagnes sont de même plus escarpés à l’ouest qu’à l’est, parce que le mouvement général des mers s’est toujours fait d’orient en occident, et qu’à mesure que les eaux se sont abaissées, elles ont détruit les terres et dépouillé les revers des montagnes dans le sens de leur chûte, comme l’on voit dans une cataracte les ro- chers dépouillés et les terres creusées par la chûte continuelle de l’eau. Ainsi tous les ÉPOQUES DE LA NATURE. r49 continens terrestres ont été d’abord aiguisés en pointe vers le midi par les eaux qui sont venues du pole austral plus abondamment que du pole boréal ; et ensuite ils ont été tous escarpés en pente plus rapide à l'occident qu’à l’orient, dansle temps subséquent où ces mêmes eaux ont obei au seul mouvement général qui les porte constamment d’orient en occident. 15 " \ LL Sur la troisième Époque. ‘ Pic 98, ligne 19. Les eaux ont couvert toute l'Europe jusqu'à quinze cents toises au-dessus du niveau de la mer. | Nous avons dit, volume TI, page tro7 de la T'héo- rie de la Terre, «que la surface entière de la Terre « actuellement habitée a été autrefois sous les eaux « de la mer; que ces eaux étoient supérieures au « sommet des plus hautes montagnes, puisqu'on « trouve sur ces montagnes, et jusqu’à leur sommet, « des productions marines et des coquilles. » Ceci exige une explication, et demande même quelques restrictions. {1 est certain et reconnu par mille et mille observations , qu’il se trouve des co- quilles et d’autres productions de la mer sur toute Ja sur ace de la Terre actuellement habitée, et même sur les montagnes, à une très-grande hauteur. J’ai avancé, d'après l’autorité de Woodward, qui le premier a recueilli ces observations , qu’on trouvoit aussi des coquilles jusque sur les sommets des plus NOTES. : Bt hautes montagnes ; d'autant que j'étois assuré par moi-même et par d'autres observations assez ré- centes, qu'il y en a dans les Pyrénées et les Alpes à gco , 1000, 1200 et 1500 toises de hauteur au- dessus du niveau de ja mer; qu’il s’en trouve de même dans les montagnes de l'Asie, et qu'enfin daus Jes Cordillières en Amérique on en a nouvelle- ment découvert un banc à plus de 2000 toises au- dessus du niveau de la mer *. On ne peut donc pas douter que, dans loutes les différentes parties du monde, et jusqu'à la hauteur de r500 ou 2000 toises au-dessus du niveau des mers * M. le Gentil, de l’académie des sciences, m'a commu- niqué par écrit, le 4 décembre 1771, le fait suivant : « Don « Antonio de Ulloa, dit-il, me chargea, en passant par Cadix, « de remettre de sa part à l'académie deux coquilles pétri- « fiées , qu'il tira l’année 1761 de la montagne où est le vif- « argent , dans le gouvernement de Ouanca-F/elica au Pérou, « dont la latitude méridionale est de 13 à 14 degrés. À l’en+ « droit où ces coquilles ont été tirées, le mercure se sou- «“ tient à 17 pouces 1 ligne un quart; ce qui répond à 2222 « toises 1 tiers de hauteur au-dessus du niveau de la mer. « Au plus haut de la montagne, qui n’est pas à beaucoup “ près la plus élevée de ce canton, le mercure se soutient « à 16 pouces 6 lignes ; ce qui répond à 2337 toises deuxtiers, « À la ville de Ouanca-Velica, le mercure se soutient à 18 « pouces 1 ligne et demie , qui répondent à 1949 toises, « Don Antonio de Uiloa m’a dit qu'il a détaché ces coquilles « d’un banc fort épais, dont il ignore l’étendue, et qu’il tra- « vailloit actuellement à un mémoire relatif à ces observa- « tions : ces coquilles sont du genre des peignes où des = grandes pélerines. » +52 D: N O T ES. actuelles, la surface is globe n'ait été couverte des eaux , et pendant un temps assez long pour y pro= duire ces coquillages et les laisser multiplier : car leur quantité est si considérable, que leurs débris forment des bancs de plusieurs lieues détendue , souvent de plusieurs toises d’épaisseur sur une lar- geur indéfinie ; en sorte qu'ils composent une parle assez considérable des couches extérieures de la sur- face du globe, c’est-à-dire, toute la matière calcaire, qui, comme l’on sait, est très-commune et très- abondante en plusieurs contrées. Mais au-dessus des plus hauts points d’élévation, c’est-à-dire, au-dessus, de 1500 ou 2000 toises de hauteur, et souvent plus bas, on a remarqué que les sommets de plusieurs montagnes sont composés de roc vif, de granit, et d’autres matières vitréscibles produites par le feu primitif, lesquelles ne contiennent en effet ni co- quilles, ni madrépores, n1 rien qui ait rapport aux inatitrés calcaires. On peut donc en inférer que la mer n’a pas alleint, ou du moins n’a surmonté que pendant un petit temps, ces parties les plus élevées et ces pointes les plus avancées de la surface de la Terre. | Comme lobservation de don Ulloa, que nous venons de citer au sujet des coquilles trouvées sur les Cordillières, pourroit paroître encore douteuse, ou dy moins comme isolée et ne faisant qu’un seul L PUSTIFICATIVES. 153 exemple, nous devons rapporter à l’appui de son témoignage celui d'Alphonse Barba, qui dit qu'au milieu de la partie la plus montagneuse du Pérou, on trouve des coquilles de toutes grandeurs, les unes coucaves et les autres convexes, et très-bien imprimées. Ainsi Amérique , comme toutes les autres parties du monde, a également été couverte par les eaux de la mer; et si les premiers observa- teurs ont cru qu’on ne trouvoit point de coquilles sur les montagnes des Cordillières, c’est que ces montagnes, les plus élevées de la Terre , sont pour la plupart des volcans actuellement agissans , OÙ des volcans éteints, lésquels , par leurs éruptions, ont recouvert de matières brülées toutes les terres adjacentes ; ce qui a non seulement enfoui, mais détruit toutes les coquilles qui pouvoient s’y trou- ver. I] ne seroit donc pas étonnant qu’on ne rençon- trât point de productions marines autour de ces montagnes , qui sont. aujourd’hui ou qui ont été autrefois embrasées ; Car le terrain qui les enve- loppe, ne doit être qu'un composé de cendres, de scories , de verre , de lave, et d’autres matières brû- lées ou vitrifiées : ainsi il n’y a d’autre fondement à l’opinion de ceux qui prétendent que la mer n'a pas couvert les montagnes , sice n’est qu’il y à plusieurs de leurs sommets où l'on ne voit aucune coquille ni eutres productions marines. Mais comme on trou\e 154 NOTES ER en une infinité d’endroits , et jusqu à rÉoo et20c0 toises de hauteur, des coquilles et d’ autres produc- uons de la mer, il est évident qu'il ÿ a eu peu de pointes ou crêtes de montagnes qui n'aient élé sur- montées par les eaux, et que les endroits où on ne trouve point de coquilles, indiquent seulement que les animaux qui les ont produites ne $v sont pas e L4 ,, ? ; habitués, et que les mouvemens de la mer n'y ont point amené les débris de ses productions, comme elle en a amené sur tout le reste de Ja surface du globe. ? Page vor, ligne 9. Des espèces de poissons el de plantes qui vivent et végètent dans des eaux chaudes, jusqu a 5o et 6o degrés du thermomètre. On avoit plusieurs exemples de plantes qui croissent daus les eaux thermales les plus chaudes, et M. Son- perät a trouvé des poissons dans une eau dont la chaleur étoit si active, qu’il ne pouvoit y plonger la main. Voici l'extrait de sa relation à ce sujet. « Je « trouvai, dit-1l, à deux lieues de Calamba, dans l'île de Lucon , près du village de Bally, un ruis- « seau dont l’eau étoit chaude, au point que le ther- « momètre, division de Rézumur, plongé dans ce « ruisseau, à une lieue de sa source, marquoit encore « 6) degrés. J’imaginois, en voyant un pareil degré « «le chaleur, que toutes les productions de là Nature JUSTIFICATIVES. 155 « devoient êtreétemtes sur les bords du ruisseau , et « je fus très-surpris de voir trois arbrisseaux très- « vigoureux, dont les racines trempoieut dans cette eau bouillante, et dont les branches étoient envi- ronnées de sa vapeur ; elle étoit si considérable, A ñ que les hirondelles qui osoient traverser ce ruisseau A à la hauteur de sept ou huit pieds, y tomboient sans mouvement. L'un deces trois arbrisseaux étoit un À C agnus castus, et les deux autres des aspalathus. A Pendant mon séjour dans ce village, jene bus d'autre eau que celle de ce ruisseau, que je faisois refroidir : son goût me parut terreux et ferrugineux. On a construit différens bains sur ce ruisseau, dont les f degrés de chaleur sont proportionnés à la distance « de la source. Ma surprise redoubla lorsque je vis « le prenuer baïn : des poissons nageoïent dans cette « eau où je ne pouvois plonger la main. Je fis tout ce « qu'il me fut possible pour me procurer quelques « uns de ces poissons ; mais leur agilité et la mal- « adresse des gens du pays ne me permirent pas « d'en prendre un seul. Je les examinai nageant ; « mais la vapeur de l’eau ne me permit pas de les « distinguer assez bien pour les rapprocher de quel- « que genre: je les reconnus cependant pour des « poissons à écailles brunes ; la longueur. des plus « grands étoit de quatre pouces. J’ignore commeut « Étoit iop con- « sidérable: pour pouvoir penser que, dans un es- « pace de temps aussi court, il eût pu se faire une : «assez grande décomposition de grès pour avoir « produit autant de terre : j'ai donc jugé qu'il falloit « que cette terre fût déja dans le grès dans le même + étatque je l'en avois retirée, et qu’il se faisoit peut- « être ainsi continuellement une décomposition du « grès dans sa propre mine. J’ai rempli ensuite le « vaisseau de nouvelle eau distillée ; j'ai agité le grès « pendant quelques ins'ans, et, trois jours'après, « j'ai encore trouvé sur ce grès une couche de terre de « Ja mème qualité que la première, mais plus mince « de moitié. Ayant mis à part ces espèces de sécré- « lions, j'ai continué , pendant le cours de‘plus d’une anne; cette même opéesniis et ces expériences < que javois conmumencées dans le mois d’avril ; « et la quantité de terre que m'a produite cé grès a diminué peu à peu, jusqu’à ce qu’au bout de deux « mois, en transvidant l’eau du vaisseau qui lé con« « tenoit, Je ne trouvois plus sur le grès qu’une pel- « licule terreuse qui n’avoit pas une ligne d’épais- « seur; mais aussi pendant tout le resté: de l’année; « et tant que le grès a été dans l’eau , icètte pelli- « cule n’a jamais manqué de’se former dans l’espace « de deux ou trois jours, sans äuginentér ni dimi- « nuer en épaisseur, à l’exception, du temps où j'ai JUSTIFICATIVES. UE * été obligé, par rapport à la gelée, de mettre le « vaisseau à couvert, qu'il m'a paru que la décom- « position du grès se faisoit un peu plus lentement. « Quelque temps après avoir mis ce grès dans l’eau , «jy ai appercu une grande quantité de paillettes « brillantes et argentées, comme le sont celles du « talc, qui n’y étoient pas auparavant, et j'ai jugé « que c'étoit là son premier état de décomposition ; « que ses molécules, formées de plusieurs petites « couches, s’exfolioient, comme j'ai observé qu'il « arrivoit au verre dans certaines circonstances, et « que ces paillettes s’atténuoient ensuite peu à peu « dans l’eau, jusqu’à ce que, devenues si pelites « qu'elles w’avoient plus assez de surface pour réflé- « chir la lumière ; elles acquéroient la forme et les « propriétés d’une véritable terre : j'ai donc amassé et mis à part toutes-les sécrétions terreuses que les deux livres de grès m’ont produites pendant le x cours de plus d’une année ; et lorsque cette terre a été bien sèche , elle pesoit environ cinq onces. J'ai aussi pesé le grès après lavoir fait sécher, et il avoit diminué en pesanteur dans la même pr'opor- tion, de sorte qu’il s’en étoit décomposé un peu plus de la sixième partie. Toute cette terre étoit au reste de la même qualité, et les dernières sécrétions étoient aussi grasses, aussi ductiles, que « les premières, et toujours d’un jaune ürant sur 176. 2! D'ONO TEST _« l'orangé : maïs comme j”y appercevois.encore quel « ques paillettes brillantes , quelques molécules de « grès, qui n’étoient pas entièrement décomposées , « j'ai remis cette terre avec de l’eau dans un vaisseau de verre, et je l’ai laissée exposée à l'air, sans la remuer, pendant touts un été, ajoutant de temps en temps de nouvelle eau à mesure qu'elle s’éva- 8 À poroit; un mois après, cette eau a commencé à se A à vaise odeur : la terre paroïssoit être aussi dans un état de fermentation ou de putréfaction, car il « s’en élevoit une grande quantité de bulles d'air ; ét quoiqu'elle eut conservé à sa superficie sa couleur « jaunâtre, celle qui étoit au fond du vaisseau étoit « brune, et cette couleur s’étendoit de jour en jour, « et paroissoit plus foncée ; de sorte qu’à la fin de « Pété cette terre étoit devenue absolument noire, « J'ai laissé évaporer Peau sans en remettre de nou- « velle dans le vaisseau ; et en ayant tiré la terre, « qui ressembloit assez à de l’argille grise lorsqu’elle « est humectée, je l’ai fait sécher à la chaleur du « feu; et lorsqu'elle a été échauffée, il m'a paru. « qu’elleexhaloit une odeur sulfureuse : maïs ce qui « m'a surpris davantage, c'est qu’à proportion qu’elle «s'est desséchée, la couleur noire s’est un peu « effacée, el elle est devenue aussi blanche que « l’argille la plus blanche ; d’où on peut comecturex corrompre, et elle est devenue verdâtre et de mau— ; 4 JUSTIFICATIVES. r77 « que c’étoit par conséquent une matière oil « qui lui communiquoit cette couleur brune : les « esprits acides n'ont fait aucune impression sur « celte terre; et lui ayant fait éprouver un degré de « chaleur assez violent, elle n'a point rougi comme « l’argille grise, mais elle a conservé sa blancheur ; «de sorte qu’il me paroît évident que cette ma- « tière que m'a produite le grès en s’atténuant et « en se décomposant dans leau, est une véritable « argille blanche. » ( Note communiquée à M. de Buffon par M. Nadault, correspondant de l'acadé- mie des sciences, ancien avocat - général de la chambre des comptes de Dijon.) 6 Page 147, ligne ro. Le mouvement des eaux d'orient en occident a travaillé la surface de la T'erre dans ce sens ; dans tous les continens du monde , la pente est plus rapide du côté de l’oc- cident que du côté de l’orient. Cela est évident dans le continent de l'Amérique, dont les pentes sont extrèmement rapides vers les mers de l’Ouest, et dont loutes les terres s'étendent en pente douce et aboutissent presque toutes à de grandes plaines du côté de la mer à POrient. En Europe, la ligne du sommet de la Grande-Bretagne, qui s’étend du pord au sud, est bien plus proche du bord occi- dental que de l’oriental de l'Océan ; et, par la même L DT PU 1.04 24 1 ATEN T À X : 4 10) PO } A! 4 $ (LR UMA san raison, les mers qui sont à l'occident de l'Irlande et de l'Angleterre, sont plus profondesque lamer . qui sépare l’Angleterre et la Hollande. La ligne du sommet de la Norvége est bien plus proche de l'Océan que de la mer Baltique. Les montagnes du sommet général de l'Europe sont bien plus hautes vers loccident que vers l’orient; et si l’on prend une partie de ce sommet depuis la Suisse jusqu’en Sibérie, 1l est bien plus près de la mer Baltique et de la mer Blanche qu'il ne l’est de la mer Noire et de la mer Caspienne. Les, Alpes et VApennin règnent bien plus près de la Méditerranée que de la mer Adriatique. La chaîne de montagnes qui sort du Tirol, et-qui s'étend en Dalmatie et jusqu’à la pointe de la Morée, côtoie, pour ainsi dire, la mer Adriatique, tandis que les côtes orientales qui leur sont opposées sont plus basses. Si l’on suit en À sie la chaîne qui s’étend depuis les Dardanelles jusqu’au détroit de Babel-Mandel, on trouve que les sommets du mont Taurus, du Laban et de toute l’Arabie, côtoient la Méditerranée et la mer Rouge, et qu’à l’orient ce sont de vastes continens où coulent des fleuves d’un long cours, qui vont se Jeter dans le golfe Persique. Le sommet des fa- meuses montagnes de Gattes s'approche plus des mers occidentales que des mers orientales. Le sommet qui s'étend depuis les frontières oeciden- 2, JUSTITICATIVES. 159 tales de la Chine jusqu’à la pointe de Malaca, est encore plus près de la mer d'Occident que de la mer d'Orient. En Afrique , la chaîne du mont Atlas envoie dans la mer des Canaries des fleuves moins longs que ceux qu’elle envoie dans l’inté- rieur du continent, et qui vont se perdre au loin dans des lacs et de grands marais. Les hautes montagnes qui sont à l’occident vers le cap Verd et dans toute la Guinée, lesquelles, après avoir tourné autour de Congo, vont gagner les monts de la Lune, et s’alongent jusqu’au cap de Boune- Espérance, occupent assez régulièrement le milieu de l'Afrique. On reconnoîtra néanmoins , ER Consi- dérant la mer à lorient et à l'occident, que celle à lorient est peu profonde, avec grand nombre d'îles, tandis qu’à l’occident elle a plus de pro- fondeur et très-peu d'îles ; en sorte que l'endroit le plus profond de la mer occidentale est bien plus près de celte chaîne que le plus profond des mers orientales et des Indes, On voit donc généralement dans tous les conti- neus, que les points de partage sont toujours beau- coup plus près des mers de l'Ouest que des mers de l'Est; que les revers de ces continens sont tous alongés vers l’est, et toujours raccourcis à l’ouest ; que les mers des rives occidentales sont plus pro- fondes et bien moins semées d'îles que les orientales s Ÿ 3 mers. a 4h) signent qu’ À l'occident. | = k | Fi / ° ï* L] ; : \ ‘ : QUATRIÈME ÉPOQUE. Lorsque les eaux se sont retirées, et que les volcans ont commencé d'agir. Ox vient de voir que les élémens de l’air et de l’eau se sont établis par le refroidisse- ment , et que les eaux , d’abord reléguées dans l'atmosphère par la force expansive de _Ja chaleur , sont ensuite tombées sur les parties du globe qui étoient assez attiédies pour ne les pas rejeter en vapeurs ; et ces parties sont les régions polaires et toutes les montagnes. Il y a donc eu, à l’époque de trente-cinq mille ans, une vaste mer aux environs de chaque pole , et quelques lacs ou grandes mares sur les montagnes et les terres élevées qui, se trouvant refroidies au mème degré que celles des poles, pouvoient également recevoir et conserver les eaux ; ensuite, à mesure que le globe se refroidis- soit, les mers des poles, toujours alimentées Mat, gén, VIII. 16 M | 82 HISTOIRE A TOR M 7 et fournies par la chüte des eaux de l’'atmo- sphère, se répandoient plus loin ; et les laes ou grandes mares, également fournies par cette pluie continuelle d'autant plus abon- dante que l’attiédissement étoit plus grand, s’étendoient en tous sens, et formoient des bassins et de petites mers intérieures dans les parties du globe auxquelles les grandes mers des deux poles n’avoient point encore atteint : ensuite les eaux continuant à tom— ber toujours avec plus d’abondance jusqu'à l'entière dépuration de l'atmosphère , «elles ont gagné successivement du térrain ; et sont arrivées aux contrées de l'équateur, et enfin elles ont couvert toute la surface du globe à deux mille toises de hauteur au-dessus du niveau de nos mers actuelles. La Terre en tière étoit alors sous l'empire de la mer, à l'exception peut-être du sommet des mon tagnes primitives, qui n'ont été, pour ainsi dire, que lavées et baignées pendant [e pre- mier temps de la chûte des eaux, lesquelles se sont écoulées de ces lieux. élevés pour occuper les terrains inférieurs dès qu'ils se, sont trouvés assez refroidis pour les MES sans les rejeter en vapeurs. ÉPOQUES DE LA NATURE. 183 Il s’est donc formé successivement une mer universelle, qui n’étoit interrompue et surmontée que par les sommets des mon- tagnes d'où les premières eaux s’étoient déja retirées en s'écoulant dans les lieux plus bas. Ces terres élevées ayant été travaillées les premières par le séjour et le mouvement des eaux , auront aussi été fécondees les pre- mières ; et tandis que toute la surface du globe n’étoit, pour ainsi dire, qu'un archi- pel général, la Nature organisée s’établissoit sur ces montagnes : elle s’y déployoit même. avec une grande énergie ; car la chaleur et l'humidité, ces deux principes de toute fé- condation , s’y trouvoient réunis et combinés à un plus haut degré qu'ils ne le sont au- jourd'hui dans aucun climat de la Terre. Or dans ce même temps, où les terres éle= vées au-dessus des eaux se couvroient de grands arbres et de végétaux de toute espèce, la mer générale se peuploit par-tout de pois- sons et de coquillages; elle étoit aussi le ré- ceptacle universel de tout ce qui se détachoit des terres qui la surmontoient. Les scories du verre primitif et les matières végétales ont été entrainées des éminences de la terre ut 1% Ne de “184 HISTOIRE NATURELLE. “A dans les profondeurs de la mer, sur le .… de laquelle elles ont formé les premières | couches de sable vitrescible, d’argille, de ( schiste et d'ardoise, ainsi que les minières de charbon, de sel et de bitumes qui dès lors ont imprégné toute la masse des mers. La quantité de végétaux produits et détruits dans ces premières terres est trop immense pour qu’on puisse se la représenter; car quand nous réduirions la superficie de toutes les . terres élevées alors au-dessus des eaux à la centième ou même à la deux centième partie | de la surface du globe, c’est-à-dire, à cent trente mille lieues quarrées , il est aisé de sentir combien ce vaste terrain de cent trente mille lieues superficielles a produit d'arbres et de plantes pendant quelques milliers d’an- nées, combien leurs détrimens se sont accu- mulés , et dans quelle énorme quantité ils ont été entraînés et déposés sous les eaux, où ils ont formé le fond du volume tout aussi grand des mines de charbon qui se trouvent en tant de lieux. Il en est de même des mines de sel, de celles de fer eu grains, de pyrites, et de toutes les autres substances dans la composition desquelles 1l entre des \ ÉPOQUES DE LA NATURE. 185 acides, et dont la première formation n’a pu s’opérer qu'après la chûte des eaux : ces ma- tières auront été entraînées et déposées dans les lieux bas et dans les fentes de la roche du globe , où trouvant déja les substances minérales sublimées par la grande chaleur de la Terre, elles auront formé le premier fonds de l'aliment des volcans à venir : je dis à venir; car il n’existoit aucun volcan en action avant l'établissement des eaux, et ils n'ont commence d'agir, ou plutôt ils n’ont pu prendre une action permanente, qu'après leur abaissement : car l’on doit distinguer les” volcans terrestres des volcans marins; ceux- ci ne peuvent faire que des explosions, pour ainsi dire, momentanées, parce qu'à l’ins- tant que leur feu s'allume par l’effervescence des matières pyriteuses et combustibles , il est immédiatement éteint par l’eau qui les couvre et se précipite à flots jusque dans leur foyer par toutes les routes que le feu s’ouvre pour en sortir. Les volcans de la Terre ont au contraire une action durable et proportionnée à la quantité de matières qu’ils contiennent : ces matières ont besoin d’une certaine quantité d’eau pour entrer en effer- 16 “ V VA LU de Lit ANR k, À ‘4 +86 “HISTOIRE M vescence; et ce n’est ensuite que par le choe d’un grand volume de feu contre un grand volume d’eau, que peuvent se produire leurs violentes éruptions; et de même qu'un vol- can soumarin ne peut agir que parinstans, un volcan terrestre ne peut durer qu'autant qu’il est voisin des eaux. C’est par cette rai- son que tous les volcans actuellement agis- sans sont dans les îles ou près des côtes de la mer, et qu'on pourroit en compter cent fois plus d'éteints que d'agissans; car à mesure que les eaux , en se retirant, se sont trop éloignées du pied de ces volcans, leurs érup- tions ont diminué par degrés, et enfin ont entièrement cessé, et les légères effervescences que l’eau pluviale aura pu causer dans leur ancien foyer n’auront produit d’effet sensible que par des circonstances particulières et très- rares. Les observations confirment parfaitement ce que je dis ici de l’action des volcans : tous ceux qui sont maintenant en travail sont situés près des mers; tous ceux qui sont éteints , et dont le nombre est bien plus grand , sont placés dans le milieu des terres, ou tout au moins à quelque distance de la U / \ te | ÉPOQUES DE LA NATURE. 187 mer ; et, quoique la plupart des volcans qui subsistent paroissent appartenir aux plus hautes montagnes , 1l en a existé beaucoup d’autres dans les eminences de médiocre hau- teur. La date de l’âge des volcans n'est donc pas par-tout la même : d’abord il est sûr que les premiers, c’est-à-dire, les plus anciens, n'ont pu acquérir une action permanente qu'après l’abaissement des eaux qui cou- vroient leur sommet ; et ensuite il paroïit qu'ils ont cessé d'agir dès que ces mêimes eaux se sont trop éloignées de leur voisinage : car , je Le répète, nulle puissance, à l’excep- tion de celle d’une grande masse d’eau cho- quée contre un grand volume de feu, ne peut produire des mouvemens aussi prodi- gieux que ceux de l’éruption des volcans. Il est vrai que nous ne voyons pas d’assez près la composition intérieure de ces terribles bouches à feu, pour pouvoir prononcer sur leurs effets en parfaite connoissance de cause; nous savons seulement que souvent il y a des communications souterraines de volcan à _Volcan : nous savons aussi que, quoique le foyer de leur embrasement ne soit peut-être pas à une grande distance de leur sommet, 1l \ 188 HISTOIRE NAT URELLE. ve y à néanmoins des cavités qui descendent beaucoup plus bas, et que ces cavités, dont la profondeur et l'étendue nous sont incon- nues, peuvent être, en tout ou en partie, remplies des mêmes matières que celles qui sont actuellement embrasées. D'autre part, l’électricité me paroît jouer un très-osrand rôle dans les tremblemens de terre et dans les éruptions des volcans ; je me suis convaincu par des raisons très-solides, et par la comparaison que j'ai faite des expé- riences sur l'electricité , que Ze fonds de la matière électrique est la chaleur propre du globe terrestre : les émanations continuelles de cette chaleur, quoique sensibles, ne sont pas visibles, et restent sous la forme de cha- leur obscure, tant qu’elles ont leur mouve- ment libre et direct; mais elles produisent un feu très-vif et de fortes explosions, dès qu'elles sont détournées de leur direction, ou bien accumulées par le frottement des corps. Les cavités intérieures de la Terre contenant du feu, de l’air et de l’eau, l’action de ce premier élément doit y produire des vents impétueux, des orages bruyans et. des ton- nerres souterrains , dont Les effets peuvent f ÉPOQUES DE LA NATURE. 189 être comparés à ceux de la foudre des airs : ces effets doivent même être plus violens et plus durables par la forte résistance que la solidité de la Terre oppose de tous côtés à la force électrique de ces tonnerres souterrains. Le ressort d’un air mêlé de vapeurs denses et enflammées par l'électricité, l'effort de l'eau réduite en vapeurs élastiques par le feu , toutes les autres impulsions de cette puissance electrique, soulèvent, entr’ouvrent la surface de la Terre, ou du moins l’agitent par des tremblemens, dont les secousses ne durent pas plus lous- temps que le coùp de la foudre intérieure qui les produit ; et ces secousses se renounvellent jusqu’à ce que les vapeurs expansives se soient fait une issue par quelque ouverture à la surface de a Terre ou dans le sein des mers. Aussi les éruptions des volcans et les tremblemens de terre sont précédés et accompagnés d’un bruit sourd et roulant, qui ne diffère de celui du tonnerre que par le ton sépulcral et profond que le son prend nécessairement en traversant une grande épaisseur de matière solide, lorsqu'il s'y trouve renfermé. Cette électricité souterraine , combinée « \ ÿ 190 HISTOIRE NATURELLE. ‘ comme cause générale avec les causes parti- _culières de feux allumés par l’effervescence des matières pyriteuses et combustibles que la Terre recèle en tant d’endroits, suffit à l'ex- plication des principaux phénomènes de l’ac- tion des volcans : par exemple, leur foyer paroît être assez voisin de leur sommet, mais l'orage est au-dessous. Un volcan n’est qu'un vaste fourneau, dont les soufflets , ou plu- tôt les ventilateurs, sont placés dans les ca- vilés inferieures , à côté et au-dessous du foyer. Ce sont ces mêmes cavités, lorsqu'elles s'étendent jusqu’à la mer, qui servent de tuyaux d'aspiration pour porter en haut non seulement les vapeurs, mais les masses même de l’eau et de l’air ; c’est dans ce transport que se produit la foudre souterraine , qui s'annonce par des mupsissemens, et n’éclate que par l’affreux vomissement des matières qu'elle a frappées, brülées et calcinées : des tourbillons épais d’une noire fumée ou d'une flamme lugubre, des nuages massifs de cen— dres et de pierres, des torrens bouillonnans de lave en fusion, roulant au loin leurs flots brûlans et destructeurs, manifestent au de- hors le mouvement convulsif dm entrailles de la Terre. CA DENT ÉPOQUES DE LA NATURE. ror Ces tempêtes intestines sont d'autant plus violentes qu’elles sont plus voisines des mon- tagnes à volcan et des eaux de la mer, dont le sel et les huiles grasses augmentent encore l'activité du feu; les terres situées entre le volcan et la mer ne peuvent manquer d'éprou- ver des secousses fréquentes : mais pourquoi n’y a-t-il aucun endroit du monde où l’on n'ait ressenti, même de mémoire d'homme, quelques tremblemens quelque trépidation, causés par ces mouvemens intérieurs de la Terre? Ils sont, à la vérité, moins violens et bien plus rares dans le milieu des continens éloïgnés des volcans et des mers; mais ne sont- ils pas des éffetsdépendans des mêmes causes ? Pourquoi donc ‘se font-ils ressentir où ces causes n'existent pas, C'est-à-dire, dans les lieux où-1l n’y a ni mers ni volcans ? La ré- ponse est aisée : c’est qu’il y a eu des mers par-tout et des voléans presque par-tout, et que ;, quoique leurs éruptions aient cessé lors- que les mers s’en sont éloignées ; leur feu subsiste , et nous est démontré par les sources des huiles terrestres, par les fontaines chaudes et sulfureuses qui se trouvent fréquemment au pied des montagnes, jusque dans le milien s à! r92 HISTOIRE NATURELLE. “AR L des plus grands continens: Ces feux des än+ ciens volcans, devenus plus tranquilles de puis la retraite des eaux, sufhsent néanmoins pour-exciter de temps en temps des mouve- mens intérieurs et produire de légères se- cousses , dont les oscillations sont dirigées dans le sens des cavités de la T'erre , et peut- être dans la direction des eaux ou des veines des metaux , comme conducteurs de cette: électricité souterraine. On pourra me demander encore , pourquoi tous les volcans sont situés dans les mon- tagnes? pourquoi paroïssent-ils être d'autant plus ardens que les'montagnes-sout plus hautes? quelle est la cause quia püdisposer ces énormes cheminées dans l’intérieur des murs les plus solides et les plus élevés du globe ? Si l'on a bien compris ce que j'ai dit au sujet des inégalités produites par le premier refroidis- sement, lorsque les matières én fusion’se sont consolidées, on sentiraqueles chaines des hautes montagnes nous représentent les plus graudes boursouflures qui-se sont faites à la surface du globe dans le temps qu’il a pris sa consistance. La plupart des montagnes sont donc situées sur des cavités, auxquelles abou- / < 1 RE À ÉPOQUES DE LA NATURE. 193 tissent les fentes perpendiculaires qui les tranchent du haut en bas : ces cavernes et ces fentes contiennent des matières qui s’en- flamment par la seule effervescence, ou qui sont allumées par les étincelles électriques de la chaleur intérieure du globe. Dès que le feu commence à se faire sentir, l'air attiré par la raréfaction en augmente la force et produit bientot un grand incendie, dont l’ef- _fet est de produire à son tour les mouvemens et les orages intestins, les tomnerres souter- rains , et toutes les impulsions ; les bruits et les secousses qui précèdent et accompagnent l'éruption des volcans. On doit donc cesser d’être étonné que les volcans soient tous si- tués dans les hautes montagnes, puisque ce sont les seuls anciens endroits de la Terre où les cavités intérieures se soient maintenues, Jes seuls où ces cavités communiquent de bas en haut par des fentes qui ne sont pas en- core comblées, et enfin les seuls où l’espace vide étoit assez vaste pour contenir la très- grande quantité de matières qui servent d’ali- ment au feu des volcans permanens et encore subsistans. Au reste, ils s’éteindront comme - les autres dans la suite des siècles; leurs érup- 17 L de id wi CAL ù 4x Le r04 HISTOIRE NATURELLE. a tions cesseront : oserai-je mème dire que les hommes pourroient y contribuer? En coûte- roit-il autant pour couper la communication d’un volcan avec la mer voisine qu il en à coûté pour construire les pyramides d’ És sypte? Ces monumens inutiles d'une gloire fausse et vaine nous apprennent au moins qu'en em ployant les mêmes forces pour dés monu- mens de sägesse, nous pourrions faire de très-grandes choses, et peut-être maîtriser la Nature au point de faire cesser ou du moins de diriger les ravages du feu, comme nous savons déja, par notre art, diriser‘et rompre. les efforts de l’eau. | Jusqu'au temps de l’action des volcans, il n'existoit sur le globe que trois sortes de ma tières : 1°. les vitrescibles produites par le feu primitif; 2°. les calcaires formées par l'inter- mède de l’eau; 3°. toutes les substances pro- duites par le détriment des animaux et des végétaux : mais le feu des volcans a donné naissance à des matières d’une quatrième sorte, qui souvent participent de la naturé ‘des trois autres. La première classe renferme non seulement les matières premières solides et vitrescibles dont la nature m'a point été ÉPOQUES DE LA NATURE. r95 altérée ; et. qui forment le fond du globe, ainsi que le noyau de toutes les montagnes primordiales , mais encore les sables, les schistes, les ardoises, les argilles, et toutes les matières vitrescibles décomposées et trans- portées par les eaux. La seconde-classe con- tient toutes les matières calcaires , c'est-à- dire, toutes les substances produites par les coquillages et autres animaux de la mer : elles s'étendent sur des provinces entières, et couvrent même d'assez vastes contrées; elles se trouvent aussi à des profondeurs assez con- sidérables, et elles environnent les bases des montagnes les plus élevées jusqu'à une très- grande hauteur. La troisième classe com prend toutes les substances qui doivent leur origine aux matières animales et végétales, et ces substances sont en très-grand nombre ; leur quantité paroît immense, car elles re- couvrent toute la superficie de la Terre. Enfin la quatrième classe est celle des matières sou- levées et rejetées par les volcans, dont quel- ques unes paroissent être un mélange des pre- mières , et d’autres, pures de tont mélange, out subi une seconde action du feu qui leur a donné un nouveau caractère. Nous rappor- 196 HISTOIRE NATURELLE, tons à ces quatre classes toutes les substances minérales, parce qu'en les exämitiant ont peut toujours reconnoiître à laquelle de ces classes elles appartiennent, et par conséquent prononcer sur leur origine: ce qui suffit pour nous indiquer à peu près le temps de leur forination; car, comme nous venons de lex poser, il paroiït clairement que toutes les ma- tières vitrescibles solides , et qui n’ont pas changé de nature ni de situation ; ont été pro- duites par le feu primitif, et que leur forma- tion appartient au temps de notre seconde époque; laudis que la formation des matières calcaires , ainsi que celle des argilles, des charbons ,'etc. n’a eu lieu que dans des temps subséquens , et doit être rapportée à notre troisième époque. Et comme dans les ma- tières rejetées par les volcans on trouve quelquefois des substances calcaires, et sou- vent des soufres et des bitumes, on ne peut guère douter que la formation de ces subs- tances rejetées par les volcans ne soit encore postérieure à la formation de toutes ces ma- tières , et n’appartienne à notre AURET IEEE époque. Quoique la quantité des matières rejelces l'a ÉPOQUES DE LA NATURE. r97 par les volcans soit très-petite en comparai- son de la quantité de matières calcaires, elles ne laissent pas d'occuper d'assez grands es- paces sur la surface des terres situées aux environs de ces montagnes ardentes et de celles dont les feux sont éteints et assoupis. Par leurs éruptions réitérées , elles ont com- blé les vallées, couvert les plaines, et:même produit d’autres montagnes. Ensuite, lorsque les éruptions ont cessé, la plupart des vol- cans ont continué de brüler, mais d’un feu paisible et qui ne produit aucune explosion violente, parce qu’étant éloignés des mers, il n’y a plus de choc de l’eau contre le feu : les matières en effervescence et les substances: combustibles anciennement enflammées con- tinuent de brüler ; et c'est ce qui fait aujour- d'hui la chaleur de toutes nos eaux thermales : elles passent sur les foyers de ce feu souter- rain , et sortent très-chaudes du sein de la Terre. Il y a aussi quelques exemples de mines de charbon qui brülent de-temps im- mémorial, et qui se sont allumées par la foudre souterraine ou par le feu tranquille d'un volcan dont les éruptions ont cessé. Ces eaux thermales et ces mires allumées se | | RARE 198 HISTOIRE NATURELLE. : trouvent souvent , comme les volcans éteints, … dans les terres éloignées de la mer. : La surface de la Térré nous présente en mille endroits les vestiges et les preuves de l'existence de ces volcans éteints : dans la France seule, nous connoissons les vieux vol- cans de l'Auvergne, du Vélai, du Vivarais, de la Provence et du Languedoc. En Italie, presque toute la terre est formée de débris de matières volcanisees; et il en est de même de plusieurs autres contrées. Mais pour reéu- nir les objets sous un point de vue général, : et concevoir nettement l’ordre des boulever- semens que les volcans ont produits à la sur- face du globe, il faut reprendre notre troi- sième époque, à cette date où la mer étoit universelle et couvroit toute la surface du globe, à l'exception des lieux élevés sur les- quels s’étoit fait Le premier mélange des sco- ries vitrées de la masse terrestre avec les eaux : c'est à cette même date que les végé- taux ont pris naissance , et qu'ils se sont multipliés sur les terres que la mer venoit d'abandonner. Les volcans n’existoient pas encore; car les matieres qui servent d’aliment à leur feu, c’est-à-dire, les bitumes, les char- ÉPOQUES DE LA NATURE! 199 bons de terre, les pyrites, et même les acides, ne pouvoient s'être formés précédemment, puisque leur composition suppose l'inter- méede de l’eau ét la destruction des végétaux. Ainsi les premiers volcans ont existé dans les terres élevées du milieu des continens; et à mesure que les mers, en s'abaissant , se sont éloignees de leur pied , leurs feux se sont as- soupis, et ont cessé de produire ces éruptions violentes qui ne peuvent s’opérer que par le conflit d'une grande masse d’eau contre un graud volume de feu. Or il a fallu vingt mille ans pour cet abaissement successif des mers, et pour la formation de toutes nos collines caleaires; et comme les amas des matières combustibles et minérales, qui servent d’ali- ment aux volcans, n’ont pu se déposer que successivement , et qu’il a dû s’écouler beau- coup de temps avant qu'elles se soient mises en action, ce n’est guère que sur la fin de cette période, c’est-à-dire , à cinquante mille ans de la formation du globe, que les volcans ont commencé à ravager la Terre. Comme les environs de tous les lieux découverts étoieni encore baignés des eaux , il y a eu des volcans presque par-tout, et il s’est fait de fréquentes € (PA RNA | 4 200 HISTOIRE NATURELLE et prodigieuses éruptions, qui n’ont cessé qu'après la retraite des mers; mais cette re- traite ne pouvant se faire que par l’affaisse- ment des boursouflures du globe, il est sou- vent arrivé que l’eau venant à flots remplir la profondeur de ces terres affaissées , elle a mis en action les volcans soumarins, qui, par leur explosion, ont soulevé une partie de ces terres nouvellement affaissées, et les ont quelquefois poussées au-dessus du niveau de la mer, où elles ont formé des îles nouvelles, . comme nous l’avons vu dans la petite île for- mée auprès de celle de Santorin : néanmoins ces effets sont rares, et l’action des volcans soumarins n’est ni permanente, ni assez puissante pour élever un grand espace de terre au-dessus de la surface des mers. Les volcans terrestres, par la continuité de leurs éTup— tions, ont au contraire couvert de leurs de- blais tous les terrains qui les environnoient ; ils ont, par le dépôt successif de leurs laves, formé de nouvelles couches; ces laves deve- nues fécondes avec le temps, sont une preuve invincible que la surface primitive de la Terre, d’abord en fusion , puis cousolidée, a pu de même deveuir féconde : enfin les vol- Me: i ” ra > nn D. dd rue ÉPOQUES DE LA NATURE. 2or cans ont aussi produit ces zz07nes ou tertres qui se voient dans toutes les montagnes à volcan, et ils ont élevé ces remparts le ba- salte qui servent de côtes aux mers dont ils sont voisins. Ainsi, après que l’eau, par des mouvemens uniformes et constans, eutache- vé la construction horizontale des couches de la Terre, le feu des volcans, par des explo- sions subites, a bouleversé, tranché et couvert plusieurs de ces couches; et l’on ne doit pas ètre étonné de voir sortir du sein des volcans des matières de toute espèce, des cendres, des pierres calcinées , des terres brülées , ni de trouver ces matières melangées des subs- tances calcaires et vitrescibles dont cès mêmes couches sont composées. Les tremblemens de terre ont dû se faire . sentir long-temps avant l'éruption des vol- cans : dès les premiers momens de l’affaisse- ment des cavernes, 1l s’est fait de violentes secousses , qui ont produit des effets tout aussi violens et bien plus étendus que ceux des volcans. Pour s’en former l’idée, suppo- sons qu'une caverne soutenant un terrain de cent lieues quarrées, ce qui ne feroit qu'une des petites boursouflures du globe, se XY L 4 CAL M { 202 HISTOIRE NATURELLE ,. soit tout - à -coup écroulée : cet écroulement n’aura-t-1l pas été nécessairement suivi d’une commotion qui se sera communiquée et fait sentir très-loin par un tremblement plus ow moins violent? Quoique cent lieues quarrées ne fassent quela deux cent soixante millièmé partie de la surface de la Terre, la chüûüte de cette masse n’a pu manquer d’ébranler toutes les terres adjacentes, et de faire peut-être écrouler en même temps les cavernes voi+ sines: il ne s’est donc fait aucun affaissement un peu considérable qui n’ait été accompagné de violentes secousses de tremblement de terre , dont le mouvement s’est communi- qué par la force du ressort dont toute matière est douée , et qui a dû se propager quelquefois trés-loin par les routes que peuvent offrir les vides de la Terre, dans lesquels les vents souterrains, excités par ces commotions, au rout peut-être allumé les feux des volcans ; en sorte que d’une seule cause, c’est-à-dire; de l’affaissement d’une caverne, 1l a pu ré- sulter plusieurs effets, tous grands et la plu- part terribles : d’abord l’abaissement de la mer, forcée de courir à grands flots pour remplir cette nouvelle profondeur, et laisser | EPOQUES DE LA NATURE. 203 _par conséquent à découvert de nouveaux ter- rains ; 2°. l'ébranlement des terres voisines par la commotion de la chûte des matieres solides qui formoient les voûtes de la ca- verne, et cet ébranlement fait pencher les montagnes, les fend vers leur sommet, et en détache des masses qui roulent jusqu’à leur base ; 3°. le même mouvement produit par la commotion , et propage par les vents et les feux souterrains, soulève au loin la terre et les eaux , elève des tertres et des mornes ,; forme des gouffres et des crevasses, change le cours des rivières, tarit les an- ciennes sources, en produit de nouvelles , et ravage en moins de temps que je ne puis le dire, tout ce qui se trouve dans sa direction. Nous devonsdonc cesser d’être surpris de voir en tant de Heux l’uniformité de l'ouvrage horizontal des eaux détruite et tranchée par des fentes inclinées, des éboulemens irrégu- liers, et souvent cachée par des déblais in- formes accumulés sans ordre, non plus qué ‘de trouver de si grandes contrées toutes recouvertes de matières rejetées par les vol- cans : ce désordre causé par les tremblemens de terre ne fait néanmoins que masquer la LA Me) CNRS Gin ‘ ht FRA COR DU * 204 HISTOIRE NATURELLE. Nature aux yeux de ceux qui ne la voient qu'en petit, et qui d’un effet accidentel et particulier font une cause générale et cons= tante. C’est l’eau seule qui, comine cause générale et subséquente à celle du feu‘pri= mitif, a achevé de construire et de figurer la surface actuelle de la Terre; et ce quimanque à l'uniformité de cette construction univer-. selle, n’est que l’effet particulier de la cause accidentelle des tremblemens de terre et de l’action des volcans. 189 vé8li4s Or, dans cette construction de la surface de la Terre par le mouvement et le sédi- ment des eaux, il faut distinguer deux pé— riodes de temps. La première a,commencé après l'établissement de la mer universelle, c’est-à-dire, après la dépuration parfaite de l'atmosphère par la chüûte des eauxet de toutes les matières volatiles que l’ardeur du globe y tenoit reléguées : cette période a duré autant qu'il étoit nécessaire pourmultiplier les coquillages au point de remplir de leurs. dépouilles toutes nos collines calcaires, au- tant qu'il étoit nécessaire pour multipher les végétaux et pour former sde leurs débris toutes nos mines de charbon, enfin autant ) SIA ENCE | ÉPOQUES DE LA NATURE. 205 qu'il étoit nécessaire pour convertir les sco- ries du verre primitif en argilles, et former les acides, les sels, les pyrites, etc. Tous ces’ premiers et grands effets ont été produits ensemble dans les temps qui se sont écoulés depuis l'établissement des eaux jusqu à leur abaissement. Ensuite a commencé la seconde période. Cette retraite des eaux ne s'est pas: faite tout-à-coup, mais par une longue suc- cession de temps, dans laquelle il faut encore saisir des points différens. Les montagnes composées de pierres calcaires ont cerlaine- ment été construites dans) cette mer an- cienne, dout les différens courans les ont tout aussi certainement figurées par angles correspondans. Or l’inspection attentive des côtés de nos vallées nous démontre que Ze travail particulier des courans a été postérieur à l'ouvrage général de la mer. Ce fait, qu'on n’a pas même soupçonné, est trop important pour ne le pas appuyer de tout ce qui peut le rendre sensible à tous les yeux. Prenons pour exemple la plus haute mon- tagne calcaire de la France; celle de Langres, qui s'élève au-dessus de toutes les terres de la Champagne, s'étend en Bourgogne jusqu'à 18 206 HISTOIRE NATURELLE. Montbard, et mème jusqu’à 9 AA et. qui, dans la direction opposée , domine de même sur les terres de la Lorraineet de la Franche-Comté *. Ce cordon continu de la montagne de Langres, qui, depuis les sources de la Seine jusqu’à celles de la Saone, a plus de quarante lieues en longueur, est entière- ment calcaire, c’est-à-dire, entièrement com- pose des productions de la mer; et c’est par cette raison que je l'ai choisi pour nous ser- vir d'exemple. Le point le plus élevé de cette chaine de montagnes est très-voisin de la ville de Langres, et l’on voit que, d’un côté, cette même chaîne verse ses eaux dans l'Océan par la Meuse, la Marne, la Seine, etc. et que, de l’autre côté, elle les verse dans la Méditerranée par les rivières qui aboutissent à la Saone. Le point où est situé Langres se trouve à peu près au milieu de cette longueur de quarante lieues, et les collines vont en s’abaissant à peu près éga- lement vers les sources de la Seine et vers celles de la Saone. Enfin ces collines qui forment les extrémités de cette chaîne de 2 * Voyez la carte ci-jointe, ÉPOQUES DE LA NATURE. 207 montagnes calcaires, aboutissent également à descontrées de matières vitrescibles ; savoir, au-delà de l'Armanson près de Sémur, d’une part; et au-delà des sources de la Saone et de la petite rivière du Côney, de l’autre part. En considérant les vallons voisins de ces. montagnes, nous reconnoitrons que le point de Laugres étant le plus élevé, il a été décou- vert le premier dans le temps que lés eaux se sont abaissées : auparavant, ce sommet étoit recouvert, comme tout le reste, par les eaux, puisqu'il est composé de matières cal- caires; mais au moment qu'il a éte décou- vert, la mer ne pouvant plus le surmonter, tous ses mouvemens se sont réduits à battre ce sommet des deux côtés, et par conséquent à creuser, par des courans constans, les val- lous et les vallées que suivent aujourd’hui les ruisseaux et les rivières qui coulent des deux côtés de ces montagnes. La preuve évi- dente que les vallées ont toutes été creusées par des courans réguliers et constans, c’est que leurs angles saillans correspondent par- tout à des angles rentrans : seulement on observe que les eaux ayant suivi les pentes , les plus rapides, et n’ayant entamé d’abord 208 . HISTOIRE NATURELLE. que les terrains les moins datides) et les st: É aisés à diviser, il se trouve souvent une dif- férence remarquable entre les deux côteaux qui bordent la vallée. On voit quelquefois un escarpement considérable et des rochefs à pic d’un côté, tandis que, de l’autre, les bancs de pierre sont couverts de terres ‘en pente douce ; et cela estarrivé nécessairement toutes les fois que la force du courant s’est portée plus d’un côté que de l’autre, et aussi toutes les fois qu’il aura été troublé ou seconde par un autre courant. | Si l’on suit le cours d’une rivière ou d’un ruisseau voisin des montagnes d'où des- cendent leurs sources, on reconnoîtra aisé- ment la figure et même la nature des terres qui forment les côteaux de la vallée. Dans les endroits où elle est étroite, la direction de la rivière et l’angle de son cours indiquent au premier coup d'œil le côté vers lequel se doivent porter sed eaux, et par conséquent le côté où le terrain doitse trouver en plaine, tandis que, de l’autre côté, il continuera d’être en montagne. Lorsque la vallée est large, ce jugement est plus difficile : cepen- dant on peut, en observant la direction de la 1% ÉPOQUES DE LA NATURE. 209 rivière, deviner assez juste de quel côté les terrains s’élargiront ou se rétréciront. Ce que nos rivières font en petit aujourd'hui, les courans de la mer l’ont autrefois fait en grand : ils ont creusé tous nos vallons, ils les ont tranches des deux côtés; mais, en trans- portant ces déblais, ils ont souvent formé des escarpemens d’une partet des plaines de l’autre. On doit aussi remarquer que dans le voisinage du sommet de ces montagnes cal- caires , et particulièrement dans le sommet de Lanores, les vallons commencent par une profondeur circulaire, et que de là ils vont toujours en s’élargissant à mesure qu'ils s'éloignent du lieu de leur naissance; les vallons paroissent aussi plus profonds à ce point où ils commencent et semblent aller toujours en diminuant de profondeur à me- sure qu'ils s’élargissent et qu’ils s’éloignent de ce point: mais c’est une apparence plutôt qu'une réalité; car, dans l’origine, la portion du vallon la plus voisine du sommet a été la plus étroite et la moins profonde; le mou- vement des eaux a commencé par y former une ravine qui s’est élargie et creusée peu à peu ; les déblais ayant été transportés et 18 “+ EU En OUT vudé \ e AE QUI \ : Ky 10 HISTOIRE NATURELLE. : entraînés par le courant des eaux dans la portion inférieure de la vallée, ils en auront comblé le fond, et c’est par cette raison que les vallons paroissent plus profonds à leur naissance que dans le reste de leur cours, et que les grandes vallées semblent être moins profoudes à mesure qu’elles s’éloignent da- vantage du sommet auquel leurs rameaux aboutissent ; car l’on peut considérer une grande vallée comme un tronc qui jette des branches par d’autres vallées, lesquelles jetteut des rameaux par d’autres petits val- lons qui s'étendent et remontent jusqu’au sommet auquel ils aboutissent. En suivant cet objet dans l’exemple que nous venons de présenter, si l’on prénd en- semble tous les terrains qui versent leurs eaux dans la Seine, ce vaste espace formera une vallée du premier ordre, c’est-à-dire, de la plus grande étendue; ensuite, si nous ne prenons que les terrains qui portent leurs eaux à la rivière d'Yonne, cet espace sera une vallée du second ordre; et, continuant à remonter vers le sommet de la chaîne des montasnes, les terrains qui versent leurs caux dans l'Armanson, le Serin et la Cure, * ÉPOQUES DE LA NATURE. 2rr formeront des vallées du troisième ordre; ef ‘ensuite la Brenne, qui tombe dans l’Arman- son, sera une vallée du quatrième ordre; et enfin l’Oze et l’Ozerain, qui tombent dans la Brenne, et dont les sources sont voisines _ de celles de la Seine, forment des vallées du cinquième ordre. De même si nous prenons les terrains qui portent leurs eaux à la Marne, cet espace sera une vallée du second ordre; et, continuant à remonter vers le sommet de la chaine des montagnes de Langres, si nous ne prenons que les terrains dont les eaux s’écoulent dans la rivière de Rognon, ce sera une vallée du troisième ordre; enfin les terrains qui versent léurs eaux dans les ruis- seaux de Bussière et d’Orguevaux , forment des vallées du quatrième ordre. Cette disposition est générale dans tous les continens terrestres. À mesure que l’on re- monte et qu'on s'approche du sommet des chaînes de montagnes, on voit évidemment que Îles vallées sont plus étroites; mais, quoi- qu'elles paroissent aussi plus profondes, il est certain néanmoins que l’ancien fond des vallées inférieures étoit beaucoup plus bas autrefois que ne l’est actuellement celui des pt 212 HISTOIRE NATURELLE. : vallons supérieurs. Nous avons dit que, ‘das n la vallée de la Seine à Paris, l’on a trouvé des h. bois travaillés de main d'homme à soixante \ quinze pieds de profondeur : le premier fond de cette vallée étoit donc autrefois bien plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui; car au-dessous de ces soixante-quinze pieds, on doit encore trouver les déblais pierreux et terrestres en- traînés par les courans depuis le sommet ge- néral des montagnes, tant par les vallées de la Seine que par celles de la Marne, de l'Yonne, et de toutes les rivières qu’elles reçoivent. Au contraire, lorsque l’on creuse dans les petits vallons voisins du sommet général , on ne trouve aucun déblais, mais des bancs solides de pierre calcaire posée par lits horizontaux, et des argilles au-dessous à une profondeur plus ou moins grande, J’ai vu, dans une gorge assez voisine de la crête de ce long cordon de la montagne de Langres, un puits de deux cents pieds de profondeur creusé dans. la pierre calcaire, avant de trouver l’argille*. Le premier fond des grandes vallées for- * Au château de Rochefort, près d AIRE, em Champagne. : ÉPOQUES DE LA NATURE. 213 amées par le feu primitif, ou même par les _courans de la mer, a donc été recouvert et élevé successivement de tout le volume des déblais entrainés par le courant à mesure qu'il déchiroit les terrains supérieurs: le fond de ceux-ci est demeuré presque nud, tandis que celui des vallées inférieures a été chargé de toute la matière que les autres ont perdue; de sorte que quand on ne voit que superfi- ciellement la surface de nos continens, on tombe dans l’erreur en la divisant en bandes sablonneuses, marneuses, schisteuses, elc. : car toutes ces bandes ne sont que des déblais superficiels qui ne prouvent rien, et qui ne font, comme je l’ai dit, que masquer la Na- ture, et nous tromper sur la vraie théorie de la Terre. Dans les vallons supérieurs, on ne trouve d’autres déblais que ceux qui sont descendus long-temps après la retraite des mers par l'effet des eaux pluviales; et ces dé- blais ont formé les petites couches de terre qui recouvrent actuellement le fond et les côteaux de ces vallons. Ce même effet a eu lieu dans les grandes vallées, mais avec cette différence que, dans les petits vallons , les terres , les graviers et les autres détrimens LA CARTE ee. 14 HISTOIRE NATURELLE L amenés par les eaux pluviales et par les ruis- … ‘1 seaux, se sont déposés immédiatement sur À un fond nud et balayé par les courans de la : mer, au lieu que, dans les grandes vallées, ces mêmes détrimens, amenés par les eaux pluviales, n’ont pu que se superposer sur les | couches beaucoup plus épaisses des déblais entraînés et déposés précédemment par ces mêmes courans : c’est par cette raison que, dans toutes les plaines et les grandes vallées, nos observateurs croient trouver la Nature en désordre , parce qu’ils y voient les ma- tières calcaires mélangées avec les matières vitrescibles , etc. Mais n’est-ce pas vouloir juger d’un bâtiment par les gravois, ou de toute autre construction par les recoupes des matériaux ? Ainsi, sans nous arrêter sur ces petites et fausses vues, suivons notre objet dans l’exem- ple que nous avons donné. | Les trois grands courans qui se sont formés au-dessous des sommets de la montagne de Langres, nous sont aujourd’hui représentés par les vallées de la Meuse, de la Marne et de la Vingeanne *. Si nous examinons ces * Voyez la carte ci-jointe, NS _ ÉPOQUES DE LA NATURE. 215 terrains en détail, nous obseryerons que les sources de la Meuse sortent en partie des marécages du Bassigny , et d’autres petites vallées très-étroites et très-escarpées; que la Mance et la Vingeanne, qui toutes deux se jettent dans la Saone, sortent aussi des val= lées très-étroites de l’autre côté du sommet ; que la vallée de la Marne, sous Langres, a environ cent toises de profondeur; que, dans tous ces premiers vallons, les côteaux sont voisins et escarpés ; que dans les vallées infé- rieures , et à mesure que les courans se sont éloignés du sommet général et commun, ils se sont étendus en largeur, et ont par consé- quent élargi les vallées, dont les côtes sont aussi moins escarpées, parce que le mouve- ment des eaux y étoit plus libre et moins rapide que dans les vallons étroits des ter- rains voisins du sommet. . L'on doit encore remarquer que la direc- tion des courans a varié dans leur cours , et que la déclinaison des côteaux a changé par la même cause. Les courans dont la pente étoit vers Le midi, et qui nous sont repré- sentés par les vallons de la Tille, de la Ve- nelle, de la Vingeanne, du Saulon et de la 216 HISTOIRE NATURELLE. | Mance , ont- agi plus fortement ‘contre les! côteaux tournés vers le sommet de Langres et à l'aspect du nord. Les courans, au con- traire, dont la pente étoit vers le nord, et qui nous sont représentés par les wallons dé l'Aujon, de la Suize, de la Marne et du Ro- gnon, ainsi que par ceux de la Meuse, ont plus fortement agi contre les côteaux qui sont tournés vers ce même sommet de Lan- l gres, et qui se trouvent à l'aspect du midi. Il y avoit donc, lorsque les eaux ont laissé le sommet de Langres à découvert, une mer dont les mouvemens ef les courans étoient dirigés vers le nord, et de l’autre côté de ce sommet, une autre mer, dont les mouve= mens étoient dirigés vers le midi : ces deux mers battoient les deux flaucs opposés de cette chaîne de montagnes, comme l’on voit, | dans la inner actuelle les eaux battre les deux flancs opposés d’une longue île ou. d’un pro- montoire avancé. Îl n’est donc pas étonnant que tous les côteaux escarpés de ces vallons . se trouvent également des deux côtés de ce sommet genéral des montagnes ; ce n’est que l'effet nécessaire d’une cause très-évidente. Si l’on considère le terrain qui environne Le 2 ÉPOQUES DE LA NATURE, 214 l'une des sources de la Marne près de Langres, on reconuoîtra qu'elle sort d’un demi-cercle coupé presque à plomb; et en examinant les lits de pierre de cette espèce d'’amphitheâtre, on se démontrera que ceux des deux côtés et ceux du fond de l'arc de cercle qu'il présente ; étoient autrefois continus , et ne: faisoient qu’une seule masse, que les eaux ont détruite dans la partie qui forme aujourd’hui ce demi- cercle. On verra la même chose à l’origine des deux autres sources de la Marne; savoir, daus le vallon de Balesme et dans celui de Saint-Maurice : tout ce terrain étoit continu avant l’abaissement de la mer; et cette es- pèce de promontoire à l’extrémité duquel la ville de Langres est située , étoit, dans ce même temps, continu non seulement avec ces premiers terrains , mais avec ceux de Breüuvone, de Peigney , de Noidan-le-Ro- cheux, etc. Il est aisé de se convaincre, par ses yeux, que Ja continuité de ces terrains n’a été détruite que par le mouvement et l’action des eaux. Dans cette chaîne de la montagne de Lan- _gres, on trouve plusieurs collines isolées, les unes en forme de eône tronqué, comme Ma. gén. VIill. 19 ue de Monteanéetell a autres elliptique , comme celles de Montbard , Montréal : et d’autres tout aussi remarquables 1 autour des sources de la Meuse, vers lé- mont et Montigny-le-Roi, qui est situé sur” un monticule adhérent au continent par une langue de terre très-étroite. On voit encore : une de ces coilines isolées à:Andilly, : une | ‘autre auprès d'Heuilly-Coton, etc. Nous de-= : vons observer qu'en général ces collines cal- _caires isolées sont moins hautes que celles qui les environnent, et desquelles ces col- … lines sont actuellement séparées, parce que … le courant remplissant toute la largeur du … vallon, passoit par-dessus ces collines iso- À lées avec un mouvement direct, et les'dé- truisoit par le sommet, tandis qu'il ne fai- soit que baigner le terrain des côteaux du vallon, et ne les attaquoit que par un mou- : vemeut oblique; en sorte que les montagnes qui bordent les vallons sont demeurées plus élevées que les collines isolées qui se trouvent eutre deux. À Montbard, par exemple, la ‘hauteur de la colline isolée au-dessus de Ja- quelle sont situés les murs de l’ancien chà- % teau, n’est que de cent quarante pieds, lan " Ç 1! Zoom. &. lege 21 à LÀ Montereau Y FalJonne KL 6 > À TS STE \la C de (244 EL Sr } Ê " | NA (7 | L UNE CM EC HE & GRAY #, % L ae == 3 | nr otre : LME ; Ÿ - = , S ; Y 1 \ W, ss 2 Ge, l'Yonne c oulent BESANCON \ù > )} V1 xno(f PL Tieues communes de l'rance tant — — tm — =— ee L ÉPOQUES DE LA NATURE. »r9 dis que les montagnes qui bordent le vallon: . des deux côtés au nord et au midi, en ont plus de trois cent cinquante; et il en est de mème des autres collines calcaires que nous venons de citer : toutes celles qui sont isolées sont en même temps moins élevées que les autres, parce qu'étant au milieu du vallon et au fil de l’eau , elles ont été minées sur leurs sommets par le courant, toujours plus violent et plus rapide dans le milieu que vers les bords de son cours. Lorsqu'on regarde ces escarpemens, sou- vent élevés à pic à plusieurs toises de hau- teur ; lorsqu'on les voit composés du haut en bas de bancs de pierres calcaires très-massives _et fort dures , on est émerveillé du temps prodigieux qu’il faut supposer pour que les eaux aient ouvert et creusé ces énormes tran- chées. Mais deux circonstances ont concouru à l'accélération de ce grand ouvrage : l’une de ces circonstances est que, dans toutes les. collines et montagnes calcaires, les lits supé- rieurs sont les moins compactes et les plus tendres , en sorte que les eaux ont aisément entamé la superficie du terrain, et formé la première ravine qui a dirigé leur cours; la 0 HISTOIRE NATURELLE. seconde circonstance est que,. quoique ces bancs de matière calcaire se soient formés et même séchés et pétrifiés sous les eaux de la mer, il est néanmoins très-certain qu'ils n'étoient d'abord que des sédimens superpo- sés de matières molles, lesquelles n’ont ac- quis de la dureté que successivement par l'action de la gravité sur la masse totale, et par l'exercice de la force d’affinité de leurs parties constituañtes. Nous sommes donc assurés que ces matières n’avoient pas acquis toute la solidite et la dureté que nous leur voyons aujourd'hui, et que, dans ce temps de l’action des courans de la mer, elles de- voient lui céder avec moins de résistance. Cette considération diminue l’énormité de la durée du temps de ce travail des eaux, et explique d'autant mieux la correspon- dance des angles saillans et rentrans des col- lines, qui ressemble parfaitement à la cor- respondance des bords de nos rivières dans tous les terrains aises à diviser. | C’est pour la construction même de ces terrains calcaires , et non pour leur division, qu'il est nécessaire d'admettre une très- longue période de temps; en sorte que, dans Le ÉPOQUES DE LA NATURE. 22# les vingt mille ans, j’en prendrois au moins les trois premiers quarts pou? la muluplica- tion des coquillages , le transport de leurs dépouilles et la composition des masses qui les renferment , et le dernier quart pour la division et pour la configuration de ces mêmes terrains calcaires : 1l a fallu vingt mille ans pour la retraité des eaux, qui d'abord étoient élevées de deux mille toises au-dessus du niveau de nos mers actuelles : et ce n’est que vers la fin de cette longue marche en retraite, que nos vallons ont été creusés, nos plaines établies, et nos collines découvertes : pendant tout ce temps le globe n'étoit peuplé que de poissons et d'animaux à coquilles ; les sommets des montagnes et quelques terres élevées, que les eaux n’avoient pas surmontés , ou qu'elles avoient aban- donnés les premiers, étoient aussi couverts de végétaux ; car leurs détrimens en volume immense ont formé les veines de charbon, dans le même temps que les dépouilles des coquillages ont formé les lits de nos pierres calcaires. Il est douc démontré par l’inspec- tion attentive de ces monumens authentiques de la Nature, savoir, les coquilles dans les- 19 | NN OP ET 2 ; + NY \ l Fe ï M N #U NE 222 HISTOIRE NATURELLE. marbres, les poissons dans les ardoises, et les végétaux dans les mines de charbon , que tous ces êtres organisés ont existé long-temps avant les animaux terrestres ; d’autant-qu'on ne trouve aucun indice, aucun vestige de l'existence de ceux-ci dans toutes ces couches anciennes qui sé soñt formées par le sédi- ment des eaux de la mer. On n’a trouvé les os, les dents, les défenses des animaux ter- restres que dans les couches superficielles, ou bien dans ces vallées et dans ces plaines dont nous avons parlé, qui ont été comblées de déblais entrainés des lieux supérieurs par les eaux courantes ; il y a seulement quel- ques exemples d’ossemens trouvés dans des cavités sous des rochers, près des bords de la mer, et dans des terrains bas : mais ces ro- chers sous lesquels gisoient ces ossemens d'animaux terrestres, sont eux-méênres de nouvelle formation , ainsi que toutes les carrières calcaires en pays bas, qui ne sont formées que des détrimens des anciennes couches de pierres, toutes situées au-dessus de ces nouvelles carrières ; et c'est par cette raison que je les ai désignées: par le nom de carrières parasites, parce qu’elles sé \ ÉPOQUES DE LA NATURE. 223 forment en effet aux dépens des premières. Notre globe, pendant trente-cinq mille ans, n'a donc été qu'une masse de chaleur et de feu, dout aucun être sensible ne pou- voit approcher; ensuite, pendant quinze ou vingt mille ans, sa surface n’étoit qu'une mer universelle : il a fallu cette longue suc- cession de siècles pour le refroidissement de la Terre et pour la retraite des eaux, et ce n’est qu’à la fin de cette seconde période que la surface de nos continens a été figurée. Mais ces derniers effets de l’action des cou- rans de la mer ont été précédés de quelques autres effets encore plus généraux , lesquels ont influé sur quelques traits de la face entière de la Terre. Nous avons dit que les eaux, venant en plus grande quantité du pole austral , avoient aiguisé toutes les pointes des continens ; mais après la chûte complète des eaux, lorsque la mer universelle eut pris son équilibré, le mouvement du midi au nord cessa, et la mer n'eut plus à obéir qu’à la puissance constante de la Lune, qui, se combinant avec celle du Soleil, produisit les marées et le mouvement constant d’orient en occident. Les eaux, dans léur premier 4 EN LT OPA LC PERS £ ai A X \ x 10) "4e (08 : 1 cs 234 HISTOIRE NATURELLE. | À avenement, avoient d’abord été’ dirigées des Ni poles vers l'équateur, parce que les. parties ‘polaires, plus refroidies que le reste du globe, les avoient reçues les premières ; ensuite elles ont gagné successivement les régions de l'équateur ; et lorsque ces régions ont été couvertes comme toutes les autres par les eaux, le mouvement d’orient en occident s'est dès lors établi pour jamais; car non seulement il s’est maintenu pendant cette longue période de la retraite des mers, mais il se maintient encore aujourd'hui. .Or ce mouvement général de la mer d'orient en occident a produit sur la surface de la masse terrestre un effet tout aussi général, c’est d’avoir escarpé toutes les côtes occidentales des continens terrestres , et d’avoir en. même temps laissé tous les terrains en pente douce du côte de l’orient. A À mesure que les mers s’abaissoient €k découvroient les pointes les plus élevées des continens, ces sommets, comme autant de soupiraux qu’on viendroit de deboucher, commencèrent à laisser exhaler les nouveaux feux produits dans l’intérieur de la Terre par l’effervescence des matières qui servent : ÉPOQUES DE LA NATURE. 228 d’aliment aux volcans. Le domaine de la Terre, sur la fin de cette seconde période de vingt mille ans, étoit partagé entre le feu et l'eau ; également déchirée et dévorée par la fureur de ces deux élémens, il n’y avoit nulle part ni sûreté, ni repos : mais heureu- sement ces anciennes scènes, les plus épou- vantables de la Nature, n’ont point eu de spectateurs , et ce n’est qu'après cette seconde période entièrement révolue que l’on peut dater la naissance des animaux terrestres; les eaux étoient alors retirées, puisque les deux grands continens étaient unis vers le. Nord, et également peuplés d’eléphans ; le nombre des volcans étoit aussi beaucoup diminue, parce que leurs éruptions ne pou- vaut s’opérer que par le conflit de l’eau et du feu, elles avoient cessé dès que la mer, en s’abaissant, s’en étoit éloignée. Qu'on se représente encore l'aspect qu’offroit la Terre immédiatement après cette seconde période, c’est-à-dire, à cinquante-cinq ou soixante mille ans de sa-formation : dans toutes les parties basses, des mares profondes, des courans rapides et des tournoiemens d’eau; des tremblemens de terre presque continuels, :26 HISTOIRE NATURELLE. | produits par l’affaissement des cavernes et 4 par Jes fréquentes explosions des volcans, tant sous mer que sur terre; des orages gé- n éraux et particuliers ; des tourbillons de 4 fumée et des tempêtes excitées par les vio- … lentes secousses de la terre et de la mer; des L inondations, des débordemens, des déluges <. occasionnés par ces mêmes commotions ; des | fleuves de verre fondu ,; de bitume et de soufre, ravageant les montagnes el venant dans les plaines empoisonner les eaux; le Soleil mème presque toujours offusqué non seulement par des nuages aqueux , mais par des masses épaisses de cendres et de pierres poussées par les volcans; et nous remercierons le Créateur de n'avoir pas rendu l'homme témoin de ces scènes effrayantes et terribles qui ont précédé, et, pourainsi dire, annoncé la naissance de la Nature intelligente et sen- sible. CINQUIÈME ÉPOQUE. Lorsque les éléphans et les autres animaux du Midi ont habité Les terres du Nord. TRS Tour ce qui existe aujourd'hui dans la Nature vivante, a pu exister de même dès que la température de la Terre s’est trouvée . la même. Or les contrées septentrionales du : globe ont joui pendant long-temps du même degré de chaleur dont jouissent aujourd’hui les terres méridionales ; et dans le temps où ces contrées du Nord jouissoient de cette température , les terres avancées vers le Midi étoient encore brûlantes et sont demeurées désertes pendant un long espace de temps. Il semble même que la mémoire s’en soit conservée par la tradition; car les anciens étoient persuadés que les terres de la zone torride étoient inhabitées : elles étoient en effet encore inhabitables long-temps après la population des terres du Nord; car en sup- posant trente-cinq mille ans pour le temps 228 “HISTOIRE NATURELLE. nécessaire au refroidissement de la Terre "4 sous les poles seulement au point d'en po "4 voir toucher la surface sans se brûler, et. . vingt ou vingt-cinq mille ans de plus tant 1 pour la retraite des mers que pour l’attiédis- sement nécessaire à l'existence des êtres aussi sensibles que le sont les animaux terrestres, 1.233 4 0 \ 4 on sentira bien qu'il faut compter quelques … milliers d'années de plus pour le refroidis- sement du globe à l'équateur, tant à cause de la plus grande épaisseur de la Terre, que de l'accession de la chaleur solaire. qui est ! considérable sur l'équateur et Preis nulle $ sous le pole. Et quand même ces deux causes réunies ne seroient pas suffisantes pour produire une si grande différence de temps entre ces deux populations, l’on doit considérer que l’équa: teur a reçu les eaux de l'atmosphère bien. plus tard que les poles, et que par consé- quent cette cause secondaire du refroidisse- ment agissaut plus promptement et plus puissammenti que les deux premières causes, la chaleur des terres du Noïd se sera consi- dérablemeni atiiédie par la recette des eaux, tandis que La chaleur des terres méridiouales | » Mahc Æ | ÉPOQUES DE le 4 NATURE E.. 229 se maintenoit et ne pouvoit diminuer que par sa propre déperdition. Et quand même on m'objecteroit que la chûte des eaux, soit sur l'équateur, soit sur les poles, n'étant que la suite du refroidissement à un certain degré de chacune de ces deux parties du globe, elle n’a eu lieu dans l’une et dans l’autre que - quand la température de la Terre et celle des eaux tombantes ont été respectivement les mêmes, et que par conséquent cette chûte d'eau n’a pas autant contribué que je le dis _à accélérer le refroidissement sous le pole plus que sous l’équateur, on sera forcé de convenir que les vapeurs, et par conséquent les eaux tombant sur l'équateur, avoient plus de chaleur à cause de l’action du Soleil, et que, par cette raison, elles ont refroidi plus lentement les terres de la zone torride, en sorte que j'admettrois au moins neuf à dix mille ans entre le temps de Ja naissance des eléphans dans les contrées septentrio- nales et le temps où ils se sont retirés jus- qu'aux contrées les plus méridionales : car le froid ne venoit et ne vient encore que d'en haut; les pluies continuelles qui tom- boient sur les parties polaires du globe eu 20 23o HISTOIRE NATURELLE _accéléroient incessamment de refroidisse= ment, tandis qu'aucune cause extérieure ne contribuoit à celui des parties de l'équateur. … Or cette cause qui nous paroît si sensible par les neiges de nos hivers et les grèles de notre été, ce froid qui des hautes régions de l'air nous arrive par intervalles, tomboit à plomb et sans interruption sur les terres septen- trionales, et les a refroidies bien plus promp- tement que n'ont pu se refroidir les terres de l'équateur , sur lesquelles ces ministres du froid , l'eau, la neige et la grêle, ne pouvoient agir ni tomber. D'ailleurs nous devons faire entrer ici une considération très-importante sur les limites qui bornent la durée de la Nature vivante : nous en avons établi Le pre- mier terme possible à trente-cinq mille ans, de la formation du globe terrestre, et le der- nier terme à quatre-vingt-treize mille ans à dater de ce jour ; ce qui fait cent trente-deux mille ans pour la durée absolue de cette belle Nature *. Voilà les limites les plus éloignées et la plus grande étendue de durée que nous * Voÿez le tableau dans les volumes de cette His- toire naturelle. 6 <, | ÉPOQUES DE LA NATURE. 23r ayons données , d’après nos hypothèses , à la vie de la Nature sensible: cette vie aura pu commencer à trente-cinq ou trente-six mille ans , parce qu’alors le globe étoit assez refroi- di à ses parties polaires pour qu’on püt le toucher sans se brüler, et elle pourra ne finir que dans quatre-vingt-treize mille ans, lors- que le globe sera plus froid que la glace. Mais, entre ces deux limites si éloignées, 1l faut en admettre d’autres plus rapprochées. Les eaux et toutes les matières qui sont tom- bées de l'atmosphère n’ont cessé d’être dans un état d’ébullition qu'au moment où l’on pouvoit les toucher sans se brûler : ce n’est donc que long-temps après cette période de trente-six mille ans que les êtres doués d’une sensibilité pareille à celle que nous leur con- noissons , ont pu naître et subsister; car si la terre, l’air et l’eau prenoient tout-à-coup ce degré de chaleur qui ne nous permettroit de pouvoir les toucher sans en être vivement offensés , y auroit-il un seul des êtres actuels capable de résister à cette chaleur mortelle, puisqu'elle excéderoit de beaucoup la chaleur vitale de leur corps? Il a pu exister alors des végétaux, des coquillages et des poissons #3 HISTOIRE NATURELLE | d’une nature moins sensible à la chaleurs À dont les espèces ont été anéanties par: le re- ! froidissement dans les à âges subséquens, et ce sont ceux dont nous trouvons les dépouilles et les détrimens dans les mines de charbon, dans les ardoises, dans les schistes, et dans les couches d’argille, aussi-bien que dans les bancs de marbre et des autres matières cal- caires; mais toutes les espèces plus sensibles, et particulièrement les animaux terrestres, n’ont pu naître et se multiplier que dans des temps postérieurs et plus voisins du nôtre. Et dans quelle contrée du Nord les pre- miers animaux terrestres auront-—ils pris , naissance? u’est-1l pas probable que c'est dans les terres les plus élevées, puisqu'elles ont été refroidies avant les autres? et n'est-il pas également probable que les éléphans et les autres animaux actuellement habitant les terres du Midi sout nés les premiers de tous, et qu’ils ont occupé ces terres du Nord pendant quelques milliers d'années, et long- temps avant la naissance des rennes qui habitent aujourd'hui ces mêmes terres du Nord? Paus ce temps, qui n'est guère éloigné du, La ) 2 ÉPOQUES DE LA NATURE. 233 nôtre que de quinze mille ans, les éléphans, les rhinocéros, les hippopotames, et proba- blement toutes les espèces qui ne peuvent se multiplier actuellement que sous la zone torride , vivoient donc et se multiplioient dans les terres du Nord, dont la chaleur étoit au même degré, et par conséquent tout aussi convenable à leur nature; ils y étoient en grand nombre; ils y ont séjourne long-temps; la quantité d'ivoire et de leurs autres dé- pouilles que l’on a découvertes et que l’on découvre tous les jours dans ces contrées septentrionales, nous démontre évidemment qu'elles ont été leur patrie, leur pays natal, et certainement la première terre qu’ils aient occupée : mais, de plus, ils ont existé en même temps dans les contrées septentrionales de l’Europe, de l'Asie et de l'Amérique; ce qui nous fait connoitre que les deux conti- nens étoient alors contigus, et qu'ils n’ont été séparés que dans des temps subséquens. J'ai dit que nous avions au Cabinet du roi des défenses d’éléphans trouvées en Russie et en Sibérie, et d’autres qui ont été trouvées au Canada, près de la rivière d'Ohio. Les grosses dents molaires de l’hippopotame et 20 de l’énorme Re dont l espèce est a | i nous sont arrivées du Canada, et d’autres toutes semblables sont venues de Tartarie et - de Sibérie. On ne peut donc pas douter que ces animaux, qui n'habitentaujourd’hui que \ les terres du midi de notre continent, n’exis- iassent aussi dans les terres septentrionales de l’autre et dans le même temps, car la { ‘ Terre étoit également chaude ou refroidie au méme degré dans tous deux. Et ce n’est pas seulement dans les terres du Nord qu’on a trouvé ces dépouilles d'animaux du Midi, mais elles se trouvent encore dans tous les pays tempérés, en France ; en Allemagne, en Italie, en Angleterre, etc. Nousavonssur cela des monumens authentiques ; c’est-à-dire , des défenses d’éléphans et d’autres ossemens de ces animaux trouvés dans plusieurs pro- vinces de l’Europe. Ç | Dans les temps précédens, ces mêmes terres septentrionales étoient recouvertes par les eaux de la mer, lesquelles, par leur mouvement, y ont produit les mêmes effets que par-tout ailleurs : elles en ont figuré Les collines, elles les ont composées de couches horizontales, elles ont déposé les argilles et Î ÉPOQUES DE LA NATURE. 225 les matières calcaires en forme de sédiment ; car on trouve dans ces terres du Nord, comme dans nos contrées, les coquillages et les de- bris des autres productions marines enfouis à d'assez grandes profondeurs dans l’intérieur de la terre, tandis que ce n’est, pour ainsi dire, qu’à sa superficie, c’est-à-dire, à quel- ques pieds de profondeur, que l’on trouve les squelettes d’éléphans , de rhinocéros , et les autres dépouilles des animaux terrestres. . Il paroit même que ces premiers animaux terrestres étoient , comme les premiers ani- maux marins, plus grands qu'ils ne le sont aujourd'hui. Nous avons parlé de ces énor- mes dents quarrées à pointes mousses , qui ont appartenu à un animal plus grand que l'éléphant, et dont l'espèce ne subsiste plus : nous avons indiqué ces coquillages en vo- lutes, qui ont jusqu’à huit pieds de diamètre sur un pied d'épaisseur; et nous avons vu de même des défenses, des dents, des omoplates \ des fémurs d’éléphans d’une taille supérieure à celle des éléphans actuellement existans. Nous avons reconnu, par la comparaison immédiate des dents mâchelières des hippo- potames d'aujourd'hui avec les grossés dents f RAA An 236 HISTOIRE NATURELLE qui nous sont venues de la Sibérie et du Canada, que les anciens hippopotames aux- quels ces grosses dents ont autrefois appar- tenu, étoient au moins quatre fois plus volu- mineux que ne le sont les hippopotames actuellement existans. Ces grands ossemens et ces énormes dents sont des témoins subsis- tans de la grande force de la Naiure dans ces premiers âges. Mais, pour ne pas perdrede vue notre objet principal, suivons nos éléphans dans leur marche progressive du Nordau Midi. Nous ne pouvons douter qu'après avoir occupé les parties septentrionales de la Russie et de la Sibérie jusqu'au 60€ degré*, où l’on a trouvé leurs dépouilles en grande quantité, ils n'aient ensuite gagné les terres moins septentrionales , puisqu'on trouve encore de ces mêmes dépouilles en Moscovie, en Po- logne , en Allemagne, en Angleterre, en France, en lialie; en sorte qu’à mesure que les terres du Nord se refroidissoient, ces ani- * On a trouvé cette année même (r776) des dé- fenses et des ossemens d’éléphant près de Saint- Pétersbourg, qui , comme l’on sait, est à très-pex près sous cette latitude de 60 degrés. .. Re ÉPOQUES DE LA NATURE. 237 maux cherchoïient des terres plus chaudes ; et il est clair que tous les climats, depuis le Nord jusqu’à l'équateur, ont successivement joui du degré de chaleur convenable à leur nature. Ainsi, quoique de mémoire d'homme l'espèce de l'éléphant ne paroisse avoir occupé que les climats actuellement les plus chauds dans notre continent, c’est-à-dire, les terres qui s'étendent à peu près à 20 degrés des deux côtés de l’équateur , et qu’ils y paroissent confinés depuis plusieurs siècles, les monu- mens de leurs dépouilles trouvées dans toutes les parties tempérées de ce même continent démontrent qu’ils ont aussi habité pendant autant de siècles les différens climats de ce même continent; d’abord du 6o° au 50€ de- gré, puis du 50° au 40°, ensuite du 40° au 30e, et du 30° au 20°, enfin du 20° à l’équa- teur et au-delà à la mème distance. On pour- roit même présumer qu'en faisant des re- cherches en Lapponie, dans les terres de l'Europe et de l'Asie qui sont au-delà du 60: degré, on pourroit y trouver de même des défenses et des ossemens d’éléphans , ainsi que des autres animaux du Midi, à moins qu'on ne veuille supposer (ce qui n’est pas / \ VA 238 HISTOIRE NATURELLE sans vraisemblance) que la surface de la Terre étant réellement encore plus élevée en Sibérie que dans toutes les provinces qui l’avoisinent du côté du Nord, ces mêmes terres de la Sibérie ont été les premières aban= données par les eaux, et par conséquent les premières où les animaux terrestres aient pu s'établir. Quoi qu’il en soit, il est certain que les éléphans ont vécu, produit, multiplié pendant plusieurs siècles dans cette même Sibérie et dans le nord de la Russie; qu’en- suite ils out gagné les terres du 5o° au 40€ degré, et qu'ils y ont subsisté plus long-temps que dans leur terre natale, et encore plus long-temps dans les contrées du 40° au 30€ degré, etc., parce que le refroidissement suc- cessif du globe a toujours été plus lent, à mesure que les climats se sont trouvés plus voisins de l'équateur, tant par la plus forte épaisseur du globe, que par la plus grande chaleur du Soleil, | Nous avons fixé, d’après nos hypothèses, le premier instant possible du commence ment de la Nature vivante à trente-cinq où trente-six mille ans, à dater de la formation du globe, parce que ce n’est qu'à cet iustanék , \ ÉPOQUES DE LA NATURE. 2: qu'on auroit pu commencer à le toucher sans. se brûler: en donnant vingt-cinq mille ans de plus pour achever l'ouvrage immense de la construction de nos montagnes calcaires, pour leur figuration par angles saillans et rentrans , pour l'abaissement des iners, pour les ravages des volcans et pour le desséche- ment de la surface de la Terre, nous ne compterons qu'environ quinze mille ans de- puis le:temps où la Terre, après avoir essuyé, éprouvé tant de bouleversemens et de chan- gemens, s’est enfin trouvée dans un état plus calme et assez fixe pour que les causes de des- truction ne fussent pas plus puissantes et plus générales que celles de la production. Donnant done quinze mille ans d'ancienneté à la Nature vivante , telle qu'elle nous est parvenue, c’est-à-dire, quinze mille ans d’an- _cieuneté aux espèces d'animaux terrestres nées dans les terres du Nord et actuellement existantes dans celles du Midi, nous pourrons supposer qu'il y a peut-être cinq miile ans que les éiéphans sont confinés dans la zone torride, et qu’ils ont séjourné tout autant de temps dans les climats qui forment aujour- d'hui les zones tempérées, et peut-être autant CU STE to ah A PRE Au ARE L Ac 24 HIST OIRE NATURELLE. dans les climats du Me ce ,- où ils ont pr is naissance. Mais cette marche régulière Mb suivie les plus grands, les premiers animaux de notre continent, paroît avoir souffert des obstacles dans l’autre. IL est très-certain qu’on a trouvé et il est très-probable qu’on trou- vera encore des défenses et des ossemens d’élé- phans en Canada, dans le pays des Illinois, au Mexique, et dans quelques autres endroits de l'Amérique septentrionale ; mais nous n'avons aucune observation, aucun monu- ment, qui nous indiquent le même fait pour les terres de l'Amérique méridionale. D'’ail- leurs l’espèce même de l'éléphant, qui s’est conservée dans l'ancien continent,ne subsiste plus dans l’autre : non seulement cette es- pèce, ni aucune autre de toutes celles des animaux terréstres qui occupent actuelle- ment les terres méridionales de notre conti- nent, ne se sont trouvées dans les terres mé- ridionales du nouveau monde , mais même il paroit qu’ils n’ont existé que dans lescon- trées septentrionales de cenouveau continent; et cela, dans le même temps qu’ils existoient dans celles de notre continent. Ce fait ne \ ÉPOQUES DE LA NATURE. gr démontre-t-il pas que l’ancien et le nouveau. continent n etoient pas alors séparés vers le Nord , et que leur séparation ne s’est faite que postérieurement au temps de l'existence des éléphans dans l'Amérique septentrionale, où leur espèce s’est probablement éteinte par le refroidissement, et à peu près dans le temps de cette séparation des continens, parce que ces animaux n'auront pu gagner les régions de l’équateur dans ce nouveau -continent, comme ils l’ont fait dans l’ancien, tant en Asie qu’en Afrique. En effet, si l’on considère la surface de ce nouveau continent, on voit que les parties méridionales voisines de l’isthme de Panama sont occupées par de. très-hautes montagnes : les éléphans n’ont pu franchir ces barrières invincibles pour eux, à-cause du trop grand froid qui se fait sentir sur ces hauteurs ; ils n’auront donc pas été au-delà des terres de l’isthme, et n’auront sub- sisté dans l'Amérique septentrionale qu’au- tant qu'aura duré daus cette terre le degré de chaleur nécessaire à leur multiplication. Il en est de même de tous les autres animaux des parties méridionales de notre continent ; aucun ne s’est trouve dans les parties méri- 21 242 HISTOIRE NATU RELLE “) dionales de l’autre. J'ai démontré cette vérité par un si grand nombre d’ exemples, qu on ne peut la révoquer en doutétt, af 10e Les animaux, au contraire, qui peuplent actuellement nos régions tempérées et froides, se trouvent Ps dans les parties septen- trionales des deux continens ; ils y sont nés postérieurementaux premiers, ets ysontcon-. servés, parce que leur nature n’exige pas une aussi grande chaleur. Les rennes et les autres * animaux quine peuventsubsister quedansles climats les plus froids, sont venus les der- niers : etquisait si, par succession de temps, lorsque la Terre sera plus refroidie/ilneparoî- tra pas de nouvelles espèces dont le tempéra- ment différera de celui du renne autant que la nature du renne diffère à cet égard de celle de l'éléphant? Quoi qu’il en soit, il est certain qu'aucun des animaux propres et particuliers aux terres méridionales de notre continent ne s’est trouvé dans les terres méridionales de l’autre, et que même, dans le nombre des animaux communs à notre continent br à * Voyez les trois Discours sur les animaux des deux continens, dans les volumes suivans. se ÉPOQUES DE LA NATURE. 243 et à celui de l'Amérique septentrionale, dont les espèces se sont conservées dans tous deux, à peine en peut-on citer une qui Soit arrivée à l'Amérique méridionale. Cette partie du monde n’a donc pas été peuplée comme toutes les autres, ni dans le même temps; elle est demeurée, pour ainsi dire, isolée et séparée du reste de la Terre par les mers et par ses hautes montagnes. Les premiers animaux _ terrestres nés dans les terres du Nord n’ont donc pu s'établir, par communication, dans ce continent méridional de l'Amérique, ni subsister dans son continent septentrional qu'autant qu'il a conservé le degré de chaleur _ nécessaire à leur propagation; et cette terre de l'Amérique méridionale , réduite à ses propres forces , n’a enfanté que des animaux plus foibles et beaucoup plus petits que ceux qui sont venus du Nord pour pempier nos contrées du Midi. Je dis que les animaux qui peuplent au— jourd’hui les terres du Midi de notre conti- nent, y sont venus du Nord, et je crois pou- voir l’affirmer avec tout fondement : car, d’une part, les monumens que nous venons d'exposer le démontrent; et, d'autre côté, 44 HISTOIRE NATURELLE. AN mous ne connoissons aucune espèce g aratide et 1 principale, actuellement subsistante dans ces terres du Midi, qui n'ait existé précédem- | ment dans les terres du Nord, puisqu'on y | trouve des défenses et des ossemens d’élé- % phans , des squelettes de rhinocéros , des | dents d’hippopotames et des têtes mons- trueuses de bœufs, qui ont frappé par leur grandeur, et qu'il est plus probable qu’on y a trouvé de même des débris de plusieurs autres espèces moins remarquables ; en sorte que si l’on veut distinguer dans les terres méridionales de notre continent les animaux qui y sout arrivés du Nord, de ceux que cette même terre a pu produire par ses propres forces, on reconnoîtra que tout ce qu’il y a de colossal et de grand dans la Nature, a été formé dans les terres du Nord, et que si celles de l'équateur ont produit quelques animaux, ce sont des espèces inférieures, bien plus petites que les premières. Mais ce qui doit faire douter de cette pro- duction, c’est que ces espèces que nous sup- posons ici produites par les propres forces des terres méridionales de notre continent, au- | roient dû ressembler aux animaux des terres. . PE ÉPOQUES DE LA NATURE.24 méridionales de l’autre continent, lesquels n’ont de même été produits que par la propre force de cette terre isolée : c’est néanmoins tout le contraire, car aucun des animaux de l'Amérique méridionale ne ressemble assez ‘aux animaux des terres du Midi de notre continent , pour qu'on puisse les regarder comme de la même espèce; 1ls sont, pour la plupart, d’une forme si différente, que ce n’est qu'après un long examen qu’on peut les soupçonner d'être les représentans de quel- ques uns de ceux de notre continent. Quelle différence de l'éléphant au tapir, qui cepen- dant est de tous Le seul qu’on puisse lui com- parer, mais qui s’en éloigne déja beaucoup par la figure , et prodigieusemeni par la gran- deur, car ce tapir, cet éléphant du nouveau monde, n’a ni trompe ni défenses, et n’est guère plus grand qu’un âne! Aucun animal de l'Amérique méridionale ne ressemble au rhinocéros, aucun à l’hippopotame, aucun à la girafe : et quelle différence encore entre le lama et le chameau , quoiqu'elle soit moins grande qu'entre le tapir et l'éléphant! L'établissement de la Nature vivante, sur tout de celle des animaux terrestres, s’est (Qi N Lord Vo?" AU, M AR ONE AUTRE CHAT F" \ : 5 £ f FRS OUR 2 LA 246 HISTOIRE NATURELLE, donc fait dans l'Amérique méridionale bien postérieurement à son séjour déja fixé dans les terres du Nord, et peut-être la différence | du temps est-elle de plus de quatre ou cinq mille ans. Nous avons exposé une partie des faits et des raisons qui doivent faire penser que le nouveau monde, sur-tout dans ses parties méridionales, est une terre plus ré- cemment peuplée que celle de notre conti- nent; que la Nature, bien loin d'y être dégé- nérée par velusté, y est au contraire née tard, et n’y a jamais existe avec les mêmes forces, la même puissance active, que dans les con- trées septentrionales ; car on ne peut douter, après ce qui vient d’être dit, que les grandes et premières formations des êtres animés ne se soient faites dans les terres élevées du Nord, d'où elles ont successivement passé daus Les contrées du Midisous la même forme, et sans avoir rien perdu que sur les dimensions de leur grandeur. Nos éléphans et nos bippopo- tames, qui nous paroissent si gros, OnE eu des ancètres plus grands dans les temps qu'ils habitoient les terres septentrionales où ils ont laisse leurs dépor'illes : les cétacés d’aujour-. d’hui sont aussi moins gros qu’ils me l’étoient _ k. LA = S ÉPOQUES DE LA NATURE. 247 anciennement ; mais c'est peut-être par une autre raison. Les baleines, les gibbars, molars, cacha- lots, narwals et autres grands cétacés, appar- tiennent aux mers septentrionales, tandis que l’on ne trouve dans les mers tempérées et meéridionales que les lamantins, les du- gons, les marsouins, qui tous sont inférieurs aux premiers en grandeur. Il semble donc, au premier coup d'œil, que la Nature ait opére d'une manière contraire et par une suc- cession inverse, puisque tous les plus grands animaux terrestres se trouvent actuellement dans les contrées du Midi, tandis que tous Les plus grands animaux marins n'habitent que les régions de notre pole. Et pourquoi ces grandes et presque monstrueuses espèces pa- roissent-elles confinées dans ces mers froides ? Pourquoi n'ont-elles pas gagné successive- ment, comme les éléphans, les régions les plus chaudes? En un mot, pourquoi ne se trouvent-elles ni dans les mers tempérées , ni dans celles du Midi? car, à l'exception de quelques cachalots qui viennent assez sou- veutautour des Açores, et quelquefois échouer sur nos çôtes, et dont l'espèce paroît la plus à r. M HD AUE 248 HISTOIRE NATURELLE. vagabonde de ces grands cétacés , toutes les autres sont demeurées et ont encore leur ‘Ÿ séjour constant dans les mers boréales des deux continens. On a bien remarqué, depuis qu'on a commencé la pêche ou plutôt la chasse | de ces grands animaux, qu’ils se sont retirés des endroits où l’homme alloit les inquiéter. : On a de plus observé que ces premières ba— . deines, c’est-à-dire, celles que l’on pêchoit il y a cent cinquante et deux cents ans, étoient beaucoup plus grosses que celles d’aujour- d’hui : elles avoient jusqu’à cent pieds de lon- gueur, tandis que les plus grandes que l’on prend actuellement n’en ont que soixante. On pourroit même expliquer d'une manière assez satisfaisante les raisons de cette diffé- rence de grandeur; car les baleines, ainsi que tous les autres cétacés, et mème la plupart des poissons, vivent, sans comparaison, bien plus long-temps qu'aucun des animaux ter- restres ; et dès lors leur entier accroissement demande aussi un temps beaucoup plus long. Or quand on a commencé la pêche des ba- leines, il y a cent cinquante ou deux cents ans, on a trouvé les plus âgées et celles qui avoient pris leur entier accroissement ; on CET ne È . ÉPOQUES DE LA NATURE. 249 les à poursuivies, chassées de préférence ; enfin on les a détruites, et il ne reste au- jourd'hui dans les mers fréquentées par nos pêcheurs que celles qui n’ont pas encore atteint toutes leurs dimensions : car, comme nous l’avons dit ailleurs, une baleine peut bien vivre mille ans, puisqu’une carpe en vit plus de deux cents. La permanence du séjour de ces grands animaux dans les mers boreales, semble fournir une nouvelle preuve de la continuité des continens vers les régions de notre Nord, et nous indiquer que cet état de continuité a subsisté long-temps; car si ces animaux marins , que nous supposerons pour un IMmO- ment nés en même temps que les élephans, eussent trouvé la route ouverte, ils auroient gagné les mers du Midi, pour peu que le refroidissement des eaux leur eût été con- traire; et cela seroit arrivé, s’ils eussent pris naissance dans le temps que la mer étoit encore chaude. On doit donc présumer que leur existence est postérieure à celle des eélé- phans et des autres animaux qui ne peuvent subsister que dans les climats du Midi. Ce- pendant il se pourroit aussi que la différence À bi 1 Lien \ 250 HISTOIRE NATURELLE, _de température fût, pour ainsi dire, indiffé rente, ou beaucoup moins sensible aux ani s. maux aquatiques qu'aux animaux terrestres. M Le froid et le chaud sur la surface dela terre \ et de la mer suivent, à la vérité, l’ordre des LE climats, et la chaleur de l’intérieur du globe est la même dans le sein de la mer et dans. celui de la terre à la mème profondeur; mais les variations de température, qui sont si grandes à la surface de la terre, sont beau- coup moindres, et presque nulles, à quelques toises de profondeur sous les eaux. Les in- jures de l'air ne s'y font pas sentir, et ces grands cétacés ne les éprouvent pas, ou du moins peuveut s'en garantir : d’ailleurs, par la nature même de leur organisation, ils paroissent être plutôt munis contre le froid que contre la grande chaleur; car, quoique leur sang soit à peu près aussi chaud que celui des animaux quadrupèdes, l’énorme quantité de lard et d’huile qui recouvre leur corps, en les privant du sentiment vif qu'ont les autres animaux, les défend en même temps de-toutes les impressions extérieures : et il est à présumer qu’ils restent où ils sont, parce qu'ils n'ont pas même Je sentimené ÉPOQUES DE LA NATURE. 25e qui pourroit les conduire vers une tempéra- ture plus doucé, ni l'idée de se trouver mieux ailleurs ; car il faut de l'instinct pour se mettre à son aise, il en faut pour se dé- terminer à changer de demeure, et il y a des animaux , et même des hommes si bruts, qu’ils préfèrent de languir dans leur ingrate terre natale, à la peine qu’il faudroit prendre pour se gîter plus commodément ailleurs ?. IL est donc très-probable que ces cachalots que nous voyons de temps en temps arriver des mers septentrionales sur nos côtes, ne se décident pas à faire ces voyages pour jouir a une température plus douce, mais qu'ils y sont détérminés par les colonnes de ha- rengs , de maquereaux et d’ dutres petits poissons qu ae suivent et avalént par mil- hiers *. | _ Toutes ces considérations nous font présu- mer qué les régions de notre Nord, soit de la 1 Voyez, ci-après, les notes justificatives des faits. * Nous n’ignorons pas qu’en général les cétacés ne se tiennent point au-delà du 7ë ou 79° degré, et nous savons qu'ils descendent en hiver à quel ques degrés au-dessous ; mais ils ne viennent jamais eu sdinbte dans les mers tempérées ou chaudes, # Pr. AT 1 te DRE 26à HISTOIRE sarvarsbe les AP fécondébé mais que € est en- À core dans ces mêmes régions que la Nature | vivante s’est élevée à ses plus grandes dimen- sions. Et comment expliquer cette supério- \ rité de force et cette supériorité de formation . donnée à cette région du Nord exclusivement « à toutes les autres parties de la Terre? car nous voyons par l’exemple de l'Amérique ; méridionale, dans les terres de laquelle il ne se trouve que de petits animaux, et dans les. mers le seul lamantin, Qui est aussi petit en ; comparaison de la baleine que le tapir l'est en comparaison de l'éléphant; nôus voyons, dis-je, par cet exemple frappant, que la Nature n’a jamais produit dans les terres du Midi des animaux comparables en grandeur aux animaux du Nord; et nous voyons de même, par un second exemple tiré des mo- numens, que, dans les terres méridionales, de notre continent, les plus grands animaux sont ceux qui sont venus du Nord, et que s'il s’en est produit dans ces terres de notre. Midi , ce ne sont que des espèces très-infé-\ 4 frieures aux premières en grandeur et en | orce. On doit mème croire qu'il ne s’en est. SACS \ ÉPOQUES DE LA NATURE. 233 produit aucune dans les terres méridionales ” de l'ancien continent , quoiqu'il s’en soit formé dans celles du nouveau ; et voici les motifs de cette présomption. Toute production, toute génération, et même tout accroissement, tout développe ment, supposent le concours et la réunion d'une grande quantité de molécules orga— niques vivantes; ces molécules qui animent tous les corps organisés, sont successivement employées à la nutrition et à la génération de tous les êtres. Si tout-à-coup la plus grande partie de ces êtres étoit supprimée , on verroit paroître des espèces nouvelles , parce que ces molécules organiques, qui sont indestructibles et toujours actives, se reuni- roient pour composer d'autres corps organi- sés; mais étant entièrement absorbées par les moules intérieurs des êtres existans , il ne peut se former d’espèces nouvelles, du moins dans les premières classes de La Na= ture, telles que celles des grands animaux. Or ces grands animaux sont arrivés du Nord sur les terres du Midi; ils s’y sont nourris, reproduits, multipliés, et ont par consé- quent absorbé les raolécules vivantes, ex Mat, gén. NIII. | DA ù v F POUR de - PNR AL IPREUR DEMAIN NA . JUL 254 HISTOIRE NATURELLE flues qui auroient pa Has ds: espèces | à nouvelles ; tandis qu’au contraire dans les terres de l'Amérique méridionale, où les ‘grands animaux du Nord n’ont pu pénétrer, les molécules organiques vivantes ne se trou- vant absorbées par aucun moule animal déja subsistant, elles seseront réunies pour former des espèces qui ne ressemblent point aux autres, et qui toutes sont inférieures, t nt par la force que par la grandeur, à celles des animaux venus du Nord. A Ces deux formations, quoique d’un tool différent, se sont faites de la même manière et par les mèmes moyens; et si les premières sont supérieures à tous égards aux dernières, c'est que la fécondité de la Terre, c’est-à-dire, la quautité de la matière organique vivante, étoit moins abondante dans ces climats mé- ridionaux que dans celui du Nord. On peut en donner la raison, sans la chercher ailleurs que dans notre hypothèse ; car toutes les par- ties aqueuses, huileuses et ductiles, qui de- voient entrer dans la composition des êtres organisés, sont tombées avec les eaux sur les parties septentrionales, du globe bien plus = ÉPOQUES DE LA NATURE. 255 tôt et en bien plus grande quantité que sur les parties méridionales. C'est dans ces ma- tières aqueuses et ductiles que les molécules organiques vivantes ont commencé à exercer .leur puissance pour modeler et développer les corps organisés ; et comme les molécules organiques ne sont produites que par la cha- leur sur les matières ductiles, elles étoient aussi plus abondantes dans les terres du Nord qu’elles n’ont pu l'être dans les terres du Midi, où ces mêmes matières étoient en moindre quantité : il n’est pas étonnant que les premières , les plus fortes et les plus grandes productions de la Nature vivante se soient faites dans ces mêmes terres du Nord ; | tandis que dans celles de l'équateur, et par- ticulièrement dans celles de l'Amérique mé- ridionale , où la quantité de ces mêmes matières ductiles étoit bien moindre, il ne s'est formé que des espèces inférieures, plus petites et plus foibles _— celles des terres du - Nord. j Mais revenons à l’objet PER de notre Époque. Dans ce même temps où les élé- phans habitoient nos terres septentrionales, les arbres et les plantes qui couvrent actuel- aussi dans ces mêmes terres du Nord. Les monumens semblent le démontrer; car toutes L! les impressions bien avérées des plantes qu’on » a trouvées dans nos ardoises et nos charbons, * présentent la figure de plantes qui n'existent W actuellement que dans les grandes Indes ou k. dans les autres parties du Midi. On pourra À m'objecter, malgré la certitude du fait par | l'évidence de ces preuves, que les axbrés et. les plantes n’ont pu voyager comme les ani- \ maux, ni par conséquent se transporter du «i Nord au Midi. À cela je réponds, 1°. que ce. transport ne s’est pas fait tout-à-coup, mais successivement : les espèces de végétaux se sont semées de proche en proche dans les terres dont la température leur devenoit con- venable ; et ensuite ces mêmes espèces , après avoir gagné jusqu'aux contrées de l'équateur, auront péri dans celles du Nord, dont elles ne pouvoient plus supporter le froid. 2°, Ce . transport ou plutôt ces accrues successives de bois ne sont pas même nécessaires pour. rendre raison de l'existence de ces végétaux. dans les pays méridionaux; car en général la. même température, c’est-à-dire, le même ÉPOQUES DE LA NATURE. 25 degré de chaleur, produit par-tout les mêmes plantes sans qu'elles y aient été transportées. La population des terres méridionales par les végétaux est donc encore plus simple que par les animaux. Pre | : Il reste celle de l’homme : a-t-elle-été con- temporaine à celle des animaux? Des motifs” majeurs et des raisons très-solides se joignent ici pour prouver qu'elle s’est faite postérieu- rement à toutes nos époques, et que l’homme est en effet le grand et dernier œuvre de la creation. On ne manquera pas de nous dire que l’analogie semble démontrer que l'espèce humaine a suivi la même marche et qu’elle date du même temps que les autres espèces ; qu'elle s’est même plus universellement ré- pandue, et que si l’époque de sa création est postérieure à celle des animaux, rien ne prouve que l’homme n'ait pas au moins subi les mêmes lois de la Nature, les mêmes alté- rations, les mêmes changemens. Nous con- viendrons que l’espèce humaine ne diffère pas essentiellement des autres espèces par ses facultés corporelles , et qu’à cet égard son sort eût été le mème à peu près que celui des autres espèces : mais pouvons-nous douter 22 | 258 HISTOIRE NATURELLE que nous ne différions prodigieusement dés . animaux par le rayon divin qu’il a plu au souverain Être de nous departir? ne voyons- nous pas que dans l’homme la matière est conduite par l'esprit? IL a donc pu modifier. les effets de la Nature; il a trouvé le moyen de résister aux intempéries des climats ; il a créé de la chaleur, lorsque le froid l’a dé- truite : la découverte et les usages de l’élé- ment du feu, dus à sa seule intelligence , l'ont rendu plus fort et plus robuste qu'au- cun des animaux, et l’ont mis en état de braver les tristes effets du refroidissement. D’autres arts, c’est-à-dire, d’autres traits de son intelligence, lui ont fourni des vêtemens, des armes, et bientôt il s’est trouve le maître du domaine de la Terre : ces mêmes arts lui ont donné les moyens d’en parcourir toute la surface et de s’habituer par-tout, parce qu'avéc plus ou moins de précautions, tous les climats lui sont devenus, pour ainsi dire, égaux. Il n’est donc pas étonnant que, quoi- qu'il n'existe aucun des animaux du midi de notre continent daus l’autre, l’homme seul, c’est-à-dire, son espèce, se trouve épa— lement dans cette terre isolée de l'Amérique L ÉPOQUES DE LA NATURE. 259 méridionale qui paroît n'avoir eu aucune part aux premières formations des animaux, et aussi dans toutes les parties froides ou chaudes de la surface de la Terre: car quel- que part et quelque loin que l’on ait pene- tré depuis la perfection de l’art de la navi- gation , l'homme a trouvé par-tout des hom- mes ; les terres les plus disgraciées , les îles les plus isolées , les plus éloignées des conti- nens, se sont presque toutes trouvées peu- plées; et l’on ne peut pas dire que ces hom-, mes , tels que ceux desiles Marianes, ou ceux d'Otahiti et des autres petites îles situées dans le milieu des mers à de si grandes distances de toutes terres habitées, ne soient néan- moins des hommes de notre espèce, puis- qu'ils peuvent produire avec nous , et que les petites differences qu'on remarque dans leur nature, ne sout que de légères variétés causées par l'influence du climat et de la nourriture. Néanmoins, si l’on considère que l’homme, qui peut se munir aisément contre le froid , ue peut au contraire se défendre par aucun moyen contre la chaleur trop grande, que même il souffre beaucoup dans les climats L $ M eye ISO SEP ONE FA Le D UE D HR RE x, ps | 7 € Lie t { K (4 ‘ À +. re % % £ Ka L A L « ?. 260 HISTOIRE NATU RELLE. -que les animaux du Midi cherchent de pré férence, on aura une raison de plus pour croire que la création de l'homme a été pos- térieure à celle de ces grands animaux. Le souverain Être n’a pas répandu le souffle de vie dans le même instant sur toute la surface de la Terre; ila commencé par féconder les mers, et ensuite les terres les plus élevées ; et il a voulu donner tout le temps nécessaire à la Terre pour se consolider, se refroidir, se découvrir, se sécher, et arriver enfin à l’état de repos et de tranquillité où l’homme pou- voit être le témoin intelligent, l’admirateur paisible du grand spectacle de la Nature et des merveilles de la création. Ainsi nous ’ * … ’ 2 sommes persuadés, indépendamment de l’au- torité des livres sacrés, que l'homme a été créé le dernier, et qu’il n’est venu prendre le sceptre de la Terre que quand elle s’est trouvée digne de son empire. IL paroît néau- moins que son premier séjour a d'abord été, comme celui des animaux terrestres, dans les hautes terres de l'Asie; que c’est dans ces mêmes terres où sont nés les arts de pre- mière nécessité, et bientôt après les sciences, également nécessaires à l'exercice de la puis- LE ÉPOQUES DE LA NATURE. 26r sance de l’homme, et sans lesquelles il n’au- roit pu former de société, ni compter sa vie, ni commander aux animaux, ni se servir autrement des végétaux que pour les brou- ter. Mais nous nous réservons d'exposer dans notre dernière Époque les principaux faits qui ont rapport à l'histoire des premiers hommes. :N OT RD Sur la cinquième Époque. À d Pace 25r, ligne 6. Ily à des animaux et À même des hommes si bruts, qu’ils préfèrent de languir dans leur ingrate terre natale, à la peine qu’il faudroit prendre pour se gîter plus commo- dément ailleurs. Je puis en citer un exemple frap- pant : les Maïllés, petite nation sauvage de la Guiane, à peu de distance de l’embouchure de la rivi re Ouassa, n’ont pas d'autre domicile que les arbres, au-dessus desquels ils se iennent toute l’an- née, parce que leur terrain est toujours plus ou moins couvert d’eau ; ils ne descendent de ces arbres que pour aller en canots chercher leur: subsistance, Voilà un singulier exemple du stupide attachement à la gerre natale; car 1l ne tiendroit qu'à ces sau- ae, 1 comive les autres habiter sur la terre, en s’éloignant de quelques lieues des savanes noyées où ils ont pris naissance et où ils veulent mourir. Ce fait, cité par quelques voyageurs, m’a été confir- mé par plusieurs témoins, qui ont vu récemment LM De. Pal » \ 5e . NOTES JUSTIFICATIVES. 263 cette pelile nation, composée de trois ou quatre cents sauvages : ils se tiennent en effet sur les arbres au-dessus de l’eau, ils y demeurent toute l’année : leur terrain est une grande nappe d’eau pendant les huit ou neuf mois de pluie; et, pendant les quatre mois d'été , la terre n’est qu’une boue fangeuse, sur laquelle il se forme une peute croûte de cinq ou six pouces d'épaisseur , composée d'herbes plutôt que de terre, et sous lesquelles on trouve une grande . épaisseur d’eau croupissante et fort infecte. RSS AL Lorsque s’est faite la séparation des » continens. 2 Lz temps de la séparation des continens est certainement postérieur au temps où les éléphans habitoient les terres du Nord, puis- qu'alors leur espèce étoit également subsis- tante en Amérique, en Europe et en Asie. Cela nous est démontré par les monumens, qui sont les dépouilles de ces animaux trou- vées dans les parties septentrionales du nou- veau continent, comme dans celles de l’an— cien. Mais comment est-il arrivé que cette séparation des continens paroisse s'être faite en deux endroits, par deux bandes de mer qui s'étendent depuis les contrées septentrio- … SIXIÈME ÉPOQUE. « LA RS RTS Se ee 1 WA FE nù "2: \ nales, toujours en s’élargissant, jusqu'aux » contrées les plus méridionales? Pourquoi ces bandes de mer ne se trouvent-elles pas, àu | _ contraire, presque parallèles à l'équateur ,. puisque le mouvement général des mers se fait d'orient en occident? N'est-ce pas une. Arr e ! ÉPOQUES DE LA NATURE. 26% nouvelle preuve que les eanx sont primiti- vement venues des poles, et qu'elles n’ont gagué les parties de l’équateur que successi- vement? Tant qu'a dure la chüûte des eaux, et jusqu'à l'entière épuration de l’atmo- sphère, leur mouvement général a été dirigé des poles à l'équateur; et comme elles ve- ” a noient en plus grande quantité du pole aus- tral , elles ont formé de vastes mers dans cet hémisphère, lesquelles vont en se rétrécis- sant de plus en plus daus l'hémisphère bo- réal , jusque sous le cerele polaire; et c'est par ce mouvement dirigé du sud au nord que les eaux ont aiguisé toutes les pointes des continens : mais, après leur entier éta- blissement sur la surface de la Terre , qu’elles surmontoient par-tout de deux mille toises, leur mouvement des poles à l’équateur ne se sera-t-il pas combiné, avant de cesser, avec le mouvement d’orient en occident? et lorsqu'il a cessé tout-à-fait, les eaux, entrai- nées par le seul mouvement d’orient en occi- dent, n’ont-elles pas escarpé tous les revers occidentaux des continens terrestres, quand elles se sont successivement abaissées ? et . enfin n'est-ce pas Après leur retraite que tous 29 266 HISTOIRE NATURELLE! les continens ont paru ,et que leurs contours À ont pris leur dernière forme ? \ Nous observerons d’abord que l’étendue des terres dans l’hémisphèrè boréal , en le prenant du cercle polaire à l'équateur, est si grande en comparaison de l’étendue des terres prises de même dans l’hémisphère austrak,; qu’on pourroit regarder le premier comme l’hémisphère terrestre, et le second comme l'hémisphère maritime. D'ailleurs il y a si peu de distance entre les deux conti- nens vers les régions de notre pole, qu’on ne peut guère douter qu’ils ne fussent conti-= nus dans les temps qui ont succédé à la re traite des eaux. Si l'Europe est aujourd’hui séparée du Groenland, c'est probablement parce qu’il s’est fait un affaissement consi- dérable entre les terres du Groenland et celles de Norvége et de la pointe de l'Écosse, dont les Orcades , l'ile de Schetland, celles de Feroë, de l'Islande et de Hola , ne nous mon- trent plus que les sommets des terrains sub- mergés; et si le continent de l’Asie n’est plus contigu à celui de l'Amérique vers le Nord, c’est sans doute. en conséquence d’un effet tout semblable, Ce premier affaissement que ÉPOQUES DE LA NATURE. 267 les volcans de l'Islande paroissent nous indi- quer, a non seulement été postérieur aux affaissemens des contrées de l’équateur et à la retraite-des mers, mais postérieur encore de quelques siècles à la naissance des grands animaux terrestres dans les contrées septen- triouales ; et l'on ne peut douter que la sépa- ration des continens vers le Nord ne soit d’un temps assez moderne en comparaison de la division de ces mèmes continens vers les parties de l’équateur. Nous présumons encore que non seulement ke Groenland a été joint à la Norvége et à l'Écosse, mais aussi que le Canada pouvoit l'être à l'Espagne par les bancs de Terre- _ neuve, les Açores, et les autres iles et hauts- fonds qui se trouvent dans cet intervalle de mer; ils semblent nous présenter aujour- d'hui les sommets Les plus élevés de ces terres affaissées sous les eaux. La submersion en est peut-être encore plus moderne que celle du continent de l'Islande, puisque la tradi- tion paroit s’en être conservée : l’histoire de l'ile Atlantide, rapportée par Diodore et Platon, ne peut s'appliquer qu'à une très grande terre qui s’étendoit fort au loin- à . 268 HISTOIRE NATURELLE. l'occident de l'Espagne ; cette terre Atlan tide : étoit très-peuplée, gouvernée par des rois puissans qui commandoient à plusieurs mil- | liers de combattans , et cela nous indique k assez positivement le voisinage de l'Amérique avec ces terres Atlantiques situées entré les deux continens. Nous avouerons néanmoins | que la seule chose qui soit ici démontrée par le fait, c'est que les deux continens étoient réunis dans le temps de l’existence-des élé- phans dans les contrées septentrionales de : l’un et de l’autre, et il y a, selon moi, beaucoup plus de probabilité pour cette con- tinuité de l'Amérique avec l'Asie qu'avec l'Europe. Voici les faits et les, observations sur lesquelles je fonde cette opinion. 1°. Quoiqu'il soit probable que les terres du Groenland tiennent à celles de l'Amé- rique , l'on n’en est pas assuré; car cette terre du Groenland en est séparée d'abord par le détroit de Davis, qui ne laisse pas d’être fort large, et ensuite par la baie de Baffin, qui l’est encore plus; et cette baie s’étend jusqu'en 78° degré, en sorte que ce n’est qu'au-delà de ce terme que le Groenland et. }'Amérique peuvent être contigüs. ÉPOQUES DE LA NATURE. 263. 2°. Le Spitzherg paroït être une continuité des terres de la côte orientale du Groenland, et il y a un assez grand intervalle de mer entre cette côte du Groenland et celle de la Lapponie : ainsi l’on ne peut guère imaginer que les éléphans de Sibérie ou de Russie aient pu passer au Groenland. Il en est de même de leur passage par la bande de terre que l’on peut supposer entre la Norvége, l'Écosse, l'Islande et le Groenland : car cet intervalle nous présente des mers d’une lar- geur assez considérable ; et d’ailleurs ces terres, ainsi que celles du Groenland, sont plus septentrionales que celles où l’on trouve les ossemens d’éléphans , tant au Canada qu'en Sibérie : 1l n’est donc pas vraisem- blable que ce soit par ce chemin, actuelle- ment détruit de fond en comble, que ces animaux aient communiqué d’un continent à l’autre. | 3°. Quoique la distance de l'Espagne au Canada soit beaucoup plus grande que celle de l'Écosse au Groenland , cette route me paroitroit la plus naturelle de toutes, si nous étions forcés d'admettre le passage des élé- phans d'Europe en Amérique : car ce grand 23 A OT PENSANT ENTRE APS Feef MNT TNT É À À WE ONCE nv Rae LA 270 HISTOIRE NATURELLE intervalle de mer entre l'Espagne et les terres - voisines du Canada, est prodigieusement rac- courci par les bancs et les îles dont il est | semé; et ce qui pourroit donner quelque s : probabilité de plus à cette présomption , c'est la tradition de la submersion de l'Atlantide. 4 j: 4°. L'on voit que de ces trois chemins, les À deux premiers paroissent impraticables, et le dernier si long, qu’il y a peu de vraisem- blance que les éléphans aient pu passer d'Eu- rope en Amérique. En même temps il y a. des raisons très-fortes qui me portent à croire que cette communication des éléphans d’un continent à l’autre , a dû se faire par les contrées septentrionales de l’Asie, voisines de l'Amérique. Nous avons observé qu'en général toutes les côtes, toutes les pentes des terres, sont plus rapides vers les mers à l'occident , lesquelles, par cette raison, sont ordinairement plus profondes que les mers à l’orient. Nous avons vu qu'au contraire tous les continens s'étendent en longues pentes douces vers ces mers de l’orient. On peut donc présumer avec fondement que les mers orientales au-delà et au-dessus de | e w _ wa Li ÉPOQUES DE LA NATURE. 27t Kamtschatka n’ont que peu de profondeur ; et l’on a deja reconnu qu’elles sont semées d’une très-grande quantité d'îles, dont quel- ques unes forment des terrains d’une vaste étendue; c’est un archipel qui s’étend depuis Kamtschatka jusqu’à moitié de la distance de l’Asie à l'Amérique, sous le 6oe degré, et qui semble y toucher sous le cercle polaire par les iles d’Anadir et par la pointe du con- tinent de l'Asie. D'ailleurs les voyageurs qui ont égale ment fréquenté les côtes occidentales du nord de l'Amérique et les terres orientales depuis Kamtschatka jusqu’au nord de cette partie de l'Asie, conviennent que les natu- rels de ces deux contrées d'Amérique et d'Asie se ressemblent si fort, qu’on ne peut guère douter qu'ils ne soient issus les uns des autres : non seulement ils se ressemblent par la taille, par la forme des traits, la cou- leur des cheveux et la conformation du corps et des membres, mais encore par les mœurs et même par le langage. Il y a donc une très-grande probabilité que c’est de ces terres de l'Asie que l'Amérique a reçu ses premiers habitans de toute espèce, à moins qu on ne voulût Ra que ds éléphant et tous les autres animaux, ainsi que les w végétaux , ont été créés en grand nombre dans tous les climats où la température pou- . voit leur convenir ; supposition hardie et à plus que gratuite, puisqu'il suffit de deux w individus ou même d’un seul, c'est-à-dire , d'un ou deux moules une fois donnés et doués de la faculté de se reproduire , pour qu’en un certain nombre de siècles la Terre. | se soit peuplée de tous les êtres organisés, | dont la reproduction suppose ou non le: concours des sexes. En réfléchissant sur la tradition de la sub- mersion de l’Atlantide, il m'a paru que les anciens Égyp tiens, qui nous l’ont transmise, avoient des communications de commerce par le Nil et la Méditerranée jusqu’en Es- pagne et en Mauritanie, et que c’est par cette communication qu'ils auront été in— formés de ce fait, qui, quelque grand et quelque mémorable qu'il soit, ne seroit pas parvenu à leur connoissance s'ils n’étoient pas sortis de leur pays, fort éloigné du lieu de l'événement. Il sembleroit donc que la Méditerranée, et mème Le détroit qui la Fa | ÉPOQUES DE LA NATURE. 273 _à l'Océan, existoient avant la submersion de l’Atlantide : néanmoins l’ouverture du détroit pourroit bien être de la même date. Les causes qui ont produit l’affaissement subit de cette vaste terre, ont dû s'étendre aux environs; la même commotion qui l’a détruite a pu faire écrouler la petite portion de montagnes qui fermoit autrefois le dé- troit; les tremblemens de terre qui, même de nos jours, se font encore sentir si vio- Jemment aux environs de Lisbonne, nous indiquent assez qu'ils ne sont que les der- niers eflets d’une ancienne et plus puissante cause, à laquelle ou peut attribuer l’affais- sement de cette portion de montagnes. Mais qu’étoit la Méditerranée avant la rup- ture de cette barriere du côte de l'Océan , et de celle qui fermoit le Bosphore à son autre extrémité vers la mer Noire? Pour répondre à cette question d’une ma- nière satisfaisante, il faut réunir sous un. même coup d'œil l’Asie, l’Europe et l’Afri- que , ne les regarder que comme un seul continent, et se représenter la forme en re- lief de la surface de tout ce continent, avec le cours de ses fleuves : il est certain que 274 HISTOIRE NATURELLE. ceux qui tombent dans le lac Aral ét dans la mer Caspienne, ne fournissent qu'’autant | d’eau que ces lacs en perdent par l’évapora- tion : il est encore certain que la mer Noire » reçoit, en proportion de son'etendue, beau= coup plus d’eau par les fleuves que n’en re- çoit la Méditerranée; aussi la mer Noire se décharge-t-elle par le Bosphore de ce qu’elle a de trop, tandis qu’au contraire la Mé- diterranée, qui ne reçoit qu’une petite quan- tite d’eau par les fleuves, en tire de l'Océan et de la mer Noire. Ainsi, malgré cette com- munication avec l'Océan, la mer Méditerra- UT NRA Nic née et ces autres mers intérieures ne doivent être regardées que comme des lacs dont l’éten- due a varié, et qui ne sont pas aujourd'hui tels qu’ils étoient autrefois. La mer Cas- pieuue devoit être beaucoup plus grande et la Méditerranée plus petite avant l'ouverture des détroits du Bosphore et de Gibraltar; le lac Aral et la Caspienne ne faisoient qu’un. seul grand lac, qui etoit le réceptacle com- mun du Wolea, du Jaïk, du Sirderoias, de l'Oxus, et de toutes les autres eaux qui ne pouvoient arriver à l'Océan : ces fleuves ont amené successivement les limons et les sables ÉPOQUES DE LA NATURE. 2"5 qui séparent aujourd'hui la Caspienne de l’Aral ; le volume d’eau a diminue dans ces fleuves à mesure que les montagnes dont ils entrainent les terres ont diminué de hauteur : il est donc très-probable que ce grand lac, qui est au centre de l'Asie, étoit ancienne- ment encore plus grand, et qu’il communi- quoit avec la mer Noire avant la rupture du Bosphore ; car dans cette supposition, qui me paroît bien fondée !, la mer Noire, qui reçoit aujourd hui plus d’eau qu’elle ne pour- roit en perdre par l’évaporation, étant alors . jointe avec la Caspienne, qui n’en reçoit qu'autant qu'elle en perd, la surface de ces deux mers réunies étoit assez étendue pour que toutes les eaux amenées par les fleuves fussent enlevées par l’évaporation. D'ailleurs le Don et le Wolga sont si voi sins l’un de l’autre au nord de ces deux mers, qu'on ne peut guère douter qu’elles ne fussent réunies dans le temps où le Bosphore, encore ferme , ne donuoit à leurs eaux aucune issue vers la Méditerranée : ainsi celles de la mer Noire et de ses dépendances étoient alors #7, ? Voyez, ci-après , les notes justificatives des faits. # 1 He 2 A RP OT RAS TE OR RAM ni) 9 * ne 4 it? L7 Re 26 HISTOIRE NATURELLE. répandues sur toutes les terres basses qui avoisinent le Don, le Donjec, etc. et celles de la mer Caspienne couvroient les terres voisines du Wolga, ce qui formoit un lac plus long que large qui réunissoit ces deux . mers. Si l’on compare l’étendue actuelle du lac Aral, de la mer Caspienne et de la mer Noire, avec l'étendue que nous leur suppo- sons dans le temps de leur continuité, c’est- à-dire, avant l'ouverture du Bosphore, on sera convaincu que la surface de ces eaux étant alors plus que double de ce qu’elle est aujourd'hui, l’évaporation seule suflsoit pour en maintenir l'équilibre sans déborde- ment. | Ce bassin, qui étoit alors peut-être aussi grand que l’est aujourd'hui celui de la Médi- terranée , recevoit et contenoit les eaux de tous Les fleuves de l’intérieur du continent de l’Asie, lesquelles, par la position des mon- tagnes, ne pouvoient s’écouler d'aucun côté pour se rendre dans l’Ocean : ce grand bassin étoit le réceptacle commun des eaux du Danube, du Don, du ,Wolsa, du Jaïk, du Sirderoias, et de plusieurs autres rivières très-considérables qui arrivent à ces fleuves, bus. | ÉPOQUES DE LA NATURE. 77 eu qui tombent immédiatement dans ces ‘mers intérieures. Ce bassin , situé au centre du continent, recevoit les eaux des terres de l'Europe dont les pentes sont dirigées vers le cours du Danube, c’est-à-dire, de la plus grande partie de l'Allemagne, de la Molda- vie, de l'Ukraine, et de la Turquie d'Europe; il recevoit de même les eaux d’une grande partie des terres de l’Asie au nord, par le Don, le Donjec, le Wolga, le Jaïk, etc. et au midi par le Sirderoias et l’'Oxus, ce qui présente une très-vaste étendue de terre dont toutes les eaux se versoient dans ce récep- tacle commun; tandis que le bassin de la Méditerranée ne recevoit alors que celles du Nil, du Rhône, du P6, et de quelques autres rivières : de sorte qu'en comparant l’étendue des terres qui fournissent les eaux à ces der- niers fleuves, on reconnoîtra évidemment que cette étendue est de moitié plus petite. Nous sommes donc bien fondés à présumer qu'avant la rupture du Bosphore et celle du détroit de Gibraltar, la iner Noire réunie avec la mer Caspienne et l’Aral, formoit uu bassin d’une étendue double de ce qu’il en. reste; et qu'au contraire la Méditerranée 24 petite qu’elle ne l’est Re hui. Tant que les barrières du Bosphore et de Gibraltar ont subsisté, la Méditerranée n° é- ÿ toit donc qu’un )lac d’assez médiocre éten— due, dont l’évaporation suffisoit à la recette des eaux du Nil, du Rhône, et des autres : rivières qui lui appartiennent; mais en sup- posant , comme les traditions semblent l’in- 4 diquer, que le Bosphore se soit ouvert le premier, la Méditerranée aura dès lors con- . ’ , A N } sidérablement augmenté, et en même pro- portion que le bassin supérieur de li mer Noire et de la Caspienne aura diminué. Ce grand effet n’a rien que de très-naturel : car les eaux de la mer Noire, supérieures à celles de la Méditerranée, agissant continuellement par ieur poids et par leur mouvement contre les terres qui fermoient le Bosphore , elles” les auront minées par la base, elles en au- rout attaqué les endroits les plus foibles ; ou peut-être auront-elles été amenées par. quelque affaissement causé par un tremble- ment de terre, et s'étant une fois ouvert cette issue, elles auront inonde toutes les terres inférieures, et causé le plus ancien. a" “ 4 ÉPOQUES DE LA NATURE. 279 déluge de notre continent : car il est néces- saire que cette rupture du Bosphore ait pro- duit tout-à-coup une graude inondation permanente, qui a noyé, dès ce premier temps, toutes les plus basses terres de la Grèce et des provinces adjacentes, et cette inondation s’est en même temps étendue sur les terres qui environnoient anciennement le bassin de la Méditerranée, laquelle s’est dès lors élevée de plusieurs pieds, et aura couvert pour jamais les basses terres de son voisinage, encore plus du côté de l'Afrique que de celui de l’Europe; car les côtes de la Mauritanie et de la Barbarie sont très-basses en comparaison de celles de l'Espagne, de la France et de l'Italie, tout le long de cette mer. Ainsi le continent a perdu en Afrique et en Europe autant de terre qu'il en gaguoit, pour ainsi dire, en Asie par la retraite des eaux eutre Ja mer Noire, la Caspienne et | l'Aral. Ensuite il y a eu un second déluge lorsque la porte du détroit de Gibraltar s’est ouverte ; les eaux de l'Océan ont dû produire dans la Méditerranée une seconde augmentation, et ent achevé d’inonder les terres qui n’étoient © 1 LE Re ps $ 280 HISTOIRE NATURELLE: pas submergées. Ce n’est peut-être que dans | % ce second temps que s’est formé le golfe | $ Adriatique, ainsi que la séparation de la # Sicile et des autres îles. Quoi qu’il en soit, L ce n’est qu'après ces deux grands événemens 4 que l’équilibre de ces deux mers intérieures … a pu s'établir, et qu’elles ont pris leurs di- mensions à peu près telles que nous les { voyons aujourd'hui. À Au reste, l’époque de la séparation des deux grands continens, et même celle de la rupture de ces barrières de l'Océan et de la mer Noire, paroissent être bien plus an- ciennes que la date des déluges dont les hommes ont conservé la mémoire : celui de Deucalion n’est que d’environ quinze cents ans avant l’ère chrétienne, et celui d'Ogygès de dix-huit cents ans; tous deux n’ont été que des inondations particulières, dont la première ravagea la Thessalie, et la seconde les terres de l’Attique; tous deux n’ont été produits que par une cause particulière et passagère comme leurs effets; quelques se- cousses d’un tremblement de terre ont pu : soulever les eaux des mers voisines et les” faire refluer sur les terres, qui auront été. ee La ÉPOQUES DE LA NATURE. 28% inondées pendant un petit temps sans être submergées à demeure. Le déluge de l’Armé- nie.et de l'Egypte, dont la tradition s’est. conservée chez les Égyptiens et les Hébreux, quoique plus ancien d'environ cinq siècles que celui d'Ogygès, est encore bien récent en comparaison des événemens dont nous venons de parler, puisque l’on ne compte qu'environ quatre mille cent années depuis ce premier déluge, et qu’il est très-certain que le temps où les éléphans habitoient les terres du Nord étoit bien antérieur à cette date moderne : car nous sommes assurés, par les livres les plus anciens, que l’ivoire se tiroit des pays méridionaux; par conséquent mous ne pouvons douter qu'il n’y ait plus de trois mille ans que les éléphans habitent les terres où ils se trouvent aujourd’hui. On doit * donc regarder ces trois déluges, quelque mé- morables qu'ils soient , comme des inonda— tions passagères qui n’ont point changé la surface de la Terre , tandis que la séparation des deux continens du côté de l'Europe, n’a pu se faire qu'en submergeant à jamais les terres qui les réunissoient. [l en est de même de la plus grande partie des terrains 24 Da 1 je Éy 282 HISTOIRE NATURELLE. actuellement couverts par les eaux de là. Méditerranée ; ils ont eté submergés pour toujours dès les temps où les portes se sont ouvertes aux deux extrémités de cette mer intérieure pour recevoir les eaux.de la mer Noire et celles de l'Océan. Ces événemens , quoique EE à l'établissement des animaux terrestres dans les contrées du Nord, ont peut-être précédé leur arrivée dans les terres du Midi; car nous avons démontré dans l’'Époque précédente, qu'il s’est écoulé bien des siècles avant que les éléphans de Sibérie aient pu venir en Afrique, ou dans les parties méridionales de l'Inde. Nous avons compilé dix mille ans pour celte espèce de migration, qui ne s’est faite qu'à mesure du refroidissemient succes- sif et fort lent des différens climats depuis le cercle polaire à l’équateur. Ainsi la sépa- ration des continens , la submersion des terres qui les réunissoient, celle des terrains adjacens à l’ancien lac de la Méditerranée, et enfin la séparation de la mer Noire, de la Caspienne et de l’Aral, quoique toutes pos- térieures à l’établissement de ces animaux dans les contrées du Nord, pourroient bien de ae EL F. GK | | EPOQUES DE LA NATURE. 283 _ être antérieures à la population des terres du Midi, dont la chaleur trop grande alors me permettoit pas aux êtres sensibles de s’y habituer , ni même d'en approcher. Le Soleil étoit encore l’ennemi de la Nature dans ces _ régions brülantes de leur propre chaleur, et il n'en est devenu le père que quand cette chaleur intérieure de la Terre s’est assez attiédie pour ne pas offeuser la sensibilité des êtres qui nous ressemblent. Il n’y a peut- ètre pas cinq mille ans que les terres de la zone torride sont habitées, tandis qu’on en doit compter au moins quinze mille depuis l'établissement des animaux terrestres dans les contrées du Nord. Les hautes montagnes, quoique situées dans les climats les plus chauds, se sont refroidies peut-être aussi promptement que celles des pays tempérés, parce qu'étant plus élevées que ces dernières, elles forment des pointes plus éloignées de la masse du globe: l'on doit donc considérer qu’indépendam- ment du refroidissement général et successif de la Terre depuis les poles à l'équateur, il y a eu des refroidissemens particuliers plus ou moius prompts dans toutes les mon ! | à’ ; + : 1 RAC CE de à AE hi AU M À nn 284 HISTOIRE NATURELLE. tagnes et dans les terres élevées des aie rentes parties du globe, et que, dans le temps » de sa trop grande chaleur, les seuls lieux qui fussent convenables à la Nature vivante, À ont été les sommets des montagnes et les: autres terres élevées, telles que celles de la. Sibérie et de la haute Tartarie. % 1 Lorsque toutes les eaux ont été établies. « sur le globe, leur mouvement d'orient en occident a escarpé les revers occidentaux de tous les continens pendant tout le temps” qu'a duré l’abaissement des mers : ensuite ce même mouvement d’orient en occident a. dirigé les eaux contre les pentes douces des terres orientales, et l'Océan s’est emparé de leurs anciennes côtes; et de plus, il paroît avoir tranché toutes les pointes des continens { terrestres, et avoir formé les détroits de Ma- gellau à la pointe de l'Amérique, de Ceylan à la pointe de l'Inde, de Forbisher à celle du Groenland, etc. C'est à la date d’environ dix mille ans, à compter de ce jour, en arrière, que je pla- cerois la séparation de l’Europe et de l’Ame- rique; et c'est à peu près dans ce même temps. que l'Angleterre a été séparée de la France, À ñ 0 : . 4 * } Ÿ ÉPOQUES DE LA NATURE. 285 l'Irlande de l'Angleterre, la Sicile de l'Italie, la Sardaigne de la Corse, et toutes deux du continent de l'Afrique : c’est peut-être aussi dans ce mème temps que les Antilles, Saint- < AR r , fa - Domingue et Cuba ont été séparés du conti- nent de l'Amérique. Toutes ces divisions par- _ticulières sont contemporaines ou de peu postérieures à la grande séparation des deux continens ; la plupart même ne paroissent ètre que les suites nécessaires de cette grande division , laquelle ayant ouvert une large route aux eaux de l'Océan , leur aura permis de refluer sur toutes les terres basses, d’en attaquer par leur mouvement les parties Les moins solides , de les miner peu à peu, et de les trancher enfin jusqu’à les séparer des con- tinens voisins. On peut attribuer la division entre l’Eu- rope et l'Amérique à l’affaissement des terres qui formoient autrefois l’Atlantide; et la sé- paration entre l'Asie et l'Amérique (si elle existe réellement) supposeroit un pareil af- faissement dans les mers septentrionales de l'Orient : mais la tradition ne nous a con- servé que la mémoire de la submersion de la Taprobane, terre située dans le voisinage de 286 HISTOIRE NATURELLE. à tu ù la zone torride, et par conséquent trop éloi- ù gnée pour avoir influé sur cette séparation des continens.vers le Nord. L'inspection du. globe nous indique, à la vérité, qu'il y a eu. des bouleversemens. plus grands et plus frés | \ quens dans l'Océan Indien que dans aucune. autre partie du monde ,.et que nou seule- ment il s’est fait de grands changemens dans ces contrées par l’afflaissement des cavernes, les tremblemens de terre et l’action des vol- cans , mais encore par l'effet continuel du mouvement général des mers, qui, constam- ment dirigées d’orient en occident, ont ga- gné une grande étendue de terrain sur les côtes anciennes de l'Asie, et ont forme les petites mers intérieures de Kamtschatka, de la Corée, de la Chine, etc. Il paroît mème! qu’elles ont aussi noyé toutes les terres basses } qui étoient à l’orient de ce continent; car si l’on tire une ligne depuis l’extrémité septen- trionale de l'Asie, en passant par la pointe de Kamtschatka, jusqu’à la nouvelle Guinée, c'est-à-dire, depuis le cercle polaire jusqu’à : l'équateur, on verra que les iles Marianes et « + Voyez, ci-après, les notes justificatives des faits. 4 | S = ÉPOQUES DE LA NATURE. 287 _vwelles des Callanos , qui se trouvent dans la direction de cette ligne sur une longueur de plus de deux cent cinquante lieues, sont les restes ou plutôt les anciennes côtes de ces vastes terres envahies par la mer : ensuite, si l'on considère les terres depuis celles du Japon à Formose, de Formose aux Philip- : piues , des Philippines à la nouvelle Guinée, _ on sera porté à croire que le continent de l'Asie étoit autrefois contigu avec celui de la nouvelle Hollande, lequel s’aiguise et aboutit en pointe vers le Midi, comme tous les autres grands continens. Ces bouleversemens si nue et si ÉVI- dens dans les mers méridionales, l’envahis- sement tout aussi évident des anciennes terres orientales par les eaux de ce même Océan, nous indiquent assez les prodigieux change- mens qui sont arrivés dans cette vaste partie du monde , sur-tout dans les contrées voi- sines de l'équateur : cependant ni l’une ni l’autre de ces grandes causes n’a pu produire la séparation de l’Asie et de l'Amérique vers le Nord ; il sembleroit au contraire que si ces continens eussent été séparés au lieu d’être continus , les affaissemens vers le Midi, et Abus LAS Mie UE 4 * 288 HISTOIRE NATURELLE. | l'irruption des eaux dans les terres de l’ Oise) ÿ _auroient dû attirer celles du Nord, et par con- | séquent découvrir la terre de cette régioni ; entre l'Asie et l'Amérique. Cette considéra- » tion confirme les raisons que j'ai données ci-" devant pour la continuité réelle des deux « s Le continens vers le Nord en Asie, Après la séparation de l’Europe et del’ Amé: rique, après la rupture des détroits, les eaux L | k ont cessé d’envahir de grands espaces; et. dans la suite, la terre a plus gagné sur la mer qu'elle n’a perdu; car indépendamment des terrains de l’intérieur de l'Asie mouvelle- ment abandonnés par les eaux, tels que ceux qui environnent la Caspienne. et l'Aral, in- dépendamment de toutes les côtes en pente <> douce que cette derniére retraite des eaux laissoit à découvert, les grands fleuves ont presque tous formé des îles et de nouvelles contrées près de leurs embouchures. On sait que le Delta de l'Ée oypte, dont l'étendue ne laisse pas d’être considérable, n’est qu'un atterrissement produit par les dépôts du Nil. Il en est de même de la grande ile à l’en- ! trée du fleuve Amour, dans la mer ofientale de la Tartarie chinoise. En Amérique , la « LA | ÉPOQUES DE LA NATURE. 28) partie méridionale de la Louisiane , près du fleuve Mississipi, et la partie orientale située à l'embouchure de la rivière des Amazones, sont des terres nouvellement formées par le dépôt de ces grands fleuves. Mais nous ne pouvons choisir un exemple plus grand d’une contrée récente que celui des vastes terres de la Guiane ; leur aspect nous rappellera l’idée de la Nature brute, et nous présentera le ta- bleau nuance de la formation successive d’une terre nouvelle. Dans une étendue de plus de cent vingt lieues, depuis l'embouchure de la rivière de Cayenne jusqu’à celle des Amazones, la mer, de niveau avec la terre, n’a d'autre fond que de la vase, et d’autres côtes qu’une couronne de bois aquatiques , de 2angles ou palétu- siers, dont les racines, les tiges et les bran- ches courbées trempent également dans l'eau salée, etne présentent que des halliers aqueux qu'on ne peut pénétrer qu'en canot et la hache à la main. Ce fond de vase s’étend en pente douce à plusieurs lieues sous les eaux de la mer. Du côte de la terre, au-delà de cette large lisière de palétuviers , dont les bran- ches, plus inclinées vers l’eau qu'élevées vers Mar, gén, VIII. 29 290 HISTOIRE NATURELLE le ciel, forment uñ fort qui sert de repaire! aux animaux immondes , s'étendent encore . des savanes noyées, plantées de palmiers. lataniers , et jouchées de leurs débris : ces! lataniers sont de grands arbres, dont, à la vérité, le pied est encore dans l’eau , mais dont la tête et les branches élevées et gar- nies de fruits invitent les oiseaux à s’y per- cher. Au-delà des palétuviers et des lataniers, l’on ne trouve encore que des bois mous, des comons, des pineaux, qui ne croissent pas dans l’eau, mais dans les terrains bourbeux auxquels aboutissent les savanes noyées ; ensuite commencent des forêts d’une autre essence : les terres s’élèvent en pente douce, et marquent, pour ainsi dire, leur élévation par la solidité et la dureté des bois qu’elles produisent. Enfin, après quelques lieues de chemin en ligne directe depuis la mer, on trouve des collines dont les côteaux, quoique rapides, et même les sommets, sont égale- ment garnis d’une grande épaisseur de bonne terre, plantée par-tout d'arbres de tout âge, si pressés, si serrés les uns contre les autres, que leurs cimes entrelacées laissent à peine passer la lumière du Soleil, et sous leur ÉPOQUES DE LA NATURE. 29r ombre épaisse entretiennent une humidité si froide, que le voyageur est obligé d'allumer du feu pour y passer la nuit ; tandis qu’à quelque distance de ces sombres forêts, dans les lieux défrichés, la chaleur excessive pen- dant le jour est encore trop grande pendant Ja nuit. Cette vaste terre des côtes et de l’in- térieur de la Guüiane n’est donc qu’une forèt tout aussi vaste, dans laquelle des sauvages en petit nombre ont fait quelques clairières et de petits abattis, pour pouvoir s’y domi- cilier sans perdre la jouissance de la chaleur de la terre et de la lumière du jour. La grande épaisseur de terre végétale qui se trouve jusque sur le sommet des collines, démontre la formation récente de toute la contrée ; elle l’est en effet au point qu'au- dessus de l’une de ces collines nommée /a Gabrielle, on voit un petit lac peuplé de crocodiles caymans, que la mer y a laissés, à cinq ou six lieues de distance et à six ou sept cents pieds de hauteur au-dessus de son niveau. Nulle part on ne trouve de la pierre calcaire ; car on transporte de France la chaux nécessaire pour bâtir à Cayenne : ce qu on appelle pierre à ravets n’est point une [ \ \ art 292 HISTOIRE NATURELLE. : pierre, mais une lave de volcan, trouée « comme les scories des forges ; cette lave se | présente en blocs épars ou en monceaux irréguliers , dans quelques montagnes où l’on voit les bouches des anciens volcans qui sont actuellement éteints, parce que la mer s’est retirée et éloignée du pied de ces montagnes. Tout concourt donc à prouver qu’il n’y a pas long-temps que les eaux ont abandonné ces collines, etencore moins de temps qu'elles ont laissé paroitre les plaines et les terres basses : car celles-ci ont êté presque entière- ment formées par le dépôt des eaux cou rantes. Les fleuves, les rivières, les ruisseaux, sont si voisins les uns des autres, et en même temps si larges, si gonflés, si rapides dans la saison des pluies, qu’ils entrainent inces- samment des limons immenses, lesquels se déposent sur toutes les terres basses et sur le fond de la mer en sédimens vaseux Ÿ. Ainsi cette terre nouvelle s’accroitra de siècle en siècle, tant qu’elle ne sera pas peuplée; car. on doit compter pour rieu le pêtit nombre d'hommes qu'on y rencontre : ils sont en- | 3 Voyez, ci-après, les notes jusuficatives des faatss mn ÉPOQUES DE LA NATURE. 207 côre, tant au moral qu'au physique, dans l'état de pure nature; ni vêtemens, ni reli- gion, ni société qu'entre quelques familles dispersées à de grandes distances, peut-être au nombre de trois ou quatre cents carbets, dans une terre dont l'étendue est quatre fois plus grande que celle de la France. + Ces hommes, ainsi que la terre qu’ils ha- bitent, paroissent être les plus nouveaux de l'univers : ils y sont arrivés des pays plus élevés et dans des temps postérieurs à l’éta- blissemeut de l'espèce humaine dans les hautes contrées du Mexique, du Pérou et du Chili; car, en supposant les premiers hom- mes en Âsie, ils auront passé par la même route que les éléphans , et se seront, en arri- vant, répandus dans les terres de l'Amérique septentrionale et du Mexique; ils auront ensuite aisément franchi les hautes terres au- delà de l’isthme , et se seront établis dans celles du Pérou, et enfin ils auront pénétré jusque dans les contrées les plus reculées de VJ'Amérique méridionale. Mais n'est-il pas singulier que ce soit dans quelques unes de ces dernières contrées qu’existent encore de nos jours les 2éans de l'espèce humaine, 25 | \ ? | f | » 204 HISTOIRE NATURELLE. tandis qu’on n’y voit que des pygmées dans “ À Le genre des animaux? car'on ne peut douter 1 qu'on n'ait rencontré dans l'Amérique mé- . ridionale des hommes en grand nombre, tous plus grands, plus quarrés, plus épaiset plus fotts que ne le sont tous les autres hommes de la Terre. Les races de géans, autrefois si communes en Âsie, n’y subsistent plus. Pour- quoi se trouvent-elles en Amérique aujour- d'hui? Ne pouvons-nous pas croire que quel- qués géans, ainsi que les éléphans, ont passé de l'Asie en Amérique, où s’élant trouvés, pour ainsi dire, seuls, leur race s’est conser- vée dans ce continent désert, tandis qu’elle a été entièrement détruite par le nombre des autres hommes dans les contrées peu- plées ? Une circonstance me paroît avoir con- couru au maintien de cette ancienne race de géans dans le continent du nouveau monde ; ce sont les hautes montagnes qui le par- tagent dans toute sa longueur et sous tous les climats, Or on sait qu’en général les ha- bitans des montagnes sont plus grands et plus forts que ceux des vallées ou des plaines. Supposant donc quelques couples de géans passés d'Asie en Amérique, où ils auront ÉPOQUES DE LA NATURE. 295 trouvé la liberté, la tranquillité, la paix, ou d’autres avantages que peut-être ils n’a- voient pas chez eux, n’auront-ils pas choisi dans les terres de leur nouveau domaine celles qui leur convenoient le mieux, tant pour la chaleur que pour la salubrité de l'air et des eaux? Ils auront fixé leur domicile à une hauteur médiocre dans les montagnes; ‘1ls se seront arrêtés sous le climat le plus favorable à leur multiplication; et comme _ ils avoient peu d’occasions de se mésallier, puisque toutes les terres voisines étoient dé- sertes, ou du moins tout aussi nouvellement peuplées par un petit nembre d'hommes bien inférieurs en force , leur race gigantesque s’est propagée sans obstacle et presque sans mélange : elle a duré et subsisté jusqu’à ce jour, tandis qu'il y a nombre de siècles qu'elle a été détruite dans les lieux de son origine en Âsie #, par la très-grande et plus ancienne population de cette partie du monde. | Mais autant les hommes se sont multipliés dans les terres qui sont actuellement chaudes 4 Voyez, cr-après, les notes justificatives des faits. L_ 2066 HISTOIRE NATURELLE et tempérées, autant leur nombre a diminué dans celles qui sont devenues trop froides. ; Le nord du Groenland ,.de la Lapponie, du _ Spitzberg, de la nouvelle Zemble, de la terre des Samoïèdes, aussi-bien qu’une partie de celles qui avoisinent la mer Glaciale jusqu’à l’extrémitédel’Asieau nord de Kamtschatka, sont actuellement désertes, ow plutôt dépeu- plées depuis un temps assez moderne, On voit même, par les cartes russes, que de- puis les embouchures des fleuves Olenek, Lena et Jana, sous les 73 et 75° degrés, la route, tout le long des côtes de cette mer Glaciale jusqu’à la terre des Tschutschis , étoit autrefois fort fréquentée, et qu'actuel- lement elle est impraticable, ou tout au moins si difficile, qu’elle est abandonnée. Ces mêmes cartes nous montrent que des trois vaisseaux partis en 1648 de l’embou- chure commune des fleuves de Kolima et Olomon, sous le 72° degré, un seul a dou- blé le cap de la terre des Tschutschis sous le 75° degré, et seul est arrivé, disent les mêmes cartes , aux iles d'Anadir, voisines de l'Amérique sous le cercle polaire. Mais autant je suis persuadé de la vérité de ces ÉPOQUES DE LA NATURE. 297 premiers faits, autant je doute de celle du _ dernier ; car cette même carte, qui présente par uneszife de points la route de ce vaissean _ russe autour de la terre des Tschutschis, porte en même temps, ez toutes lettres, qu’on ne connoît pas l'étendue de cette terre : or, quand même on auroit, en 1648, parcouru celte mer et fait le tour de cette pointe de l'Asie , il est sûr que depuis ce temps les Russes, quoique très-intéressés à cette na- vigation pour arriver au Kamtschatka, et de là au Japon et à la Chine, l’ont entière= ment abandonnée; mais peut-être aussi se sont-ils réservé pour eux seuls la connois- sance de cette route autour de cette terre des Tschutschis , qui forme l’extrémité la plus septentrionale et la plus avancée du conti- nent de l'Asie. Quoi qu’il en soit, toutes les régions sep- tentrionales au-delà du 76° degré, depuis le nord de la Norvége jusqu’à l'extrémité de l'Asie, sont actuellement dénuées d'habitans, à l'exception de quelques malheureux que les Danois et les Russes ont établis pour la pêche , et qui seuls entretiennent un reste de population et. de commerce daus ce 298 HISTOIRE NATURELLE. climat glacé. Les terres du Nord, autrefois assez chaudes pour faire multiplier les élé- phans et les hippopotames, s’étant déja re- froidies au point de ne pouvoir nourrir que des ours blancs et des rennes, seront, dans quelques milliers d'années , entièrement dé: nuées et désertes par les seuls effets du re froidissement. Il y a même de très-fortes raisons qui me portent à croire que la région de notre pole qui n’a pas été reconnue ne le sera jamais: car ce refroidissement glacial me paroît s'être emparé du pole jusqu'à la distance de sept ou huit degrés, et il est plus probable que toute cette plage polaire, autrefois terre ou mer, n’est aujourd’hui que glace ; et si cette présomption est fondée, le circuit et l’étendue de ces glaces, loin de diminuer, ne pourra qu'augmenter avec le refroidissement de la Terre. | Or, si nous considérons ce qui se passe sur les hautes montagnes, même dans nos cli- mais, nous y trouverons une nouvelle preuve démonstrative de la réalité de ce refroidisse- ment, et nous en tirerons en même temps une comparaison qui me paroît frappante. Qn trouve au-dessus des Alpes, dans une ÉPOQUES DE LA NATURE. 299 longueur de plus de soixante lieues sur vingt, et même trente de largeur en certains en- droits, depuis les montagnes de la Savoie et du canton de Berne jusqu’à celles du Tirol, une étendue immense et presque continue de vallées , de plaines et d'éminences de glaces, la plupart sans mélange d'aucune autre matière, et presque toutes perma- nentes, et qui ne fondent jamais en entier. Ces grandes plages de glace , loin de diminuer dans leur circuit, augmentent et s'étendent de plus en plus; elles gagnent de l’espace sur les terres voisines et plus basses : ce fait est démontré par les cimes des grands arbres, et mème par une pointe de clocher, qui sont enveloppés dans ces masses de glaces, et qui ne paroissent que dans certains étés très- chauds, pendant lesquels ces glaces dimi- nuent de quelques pieds de hauteur; mais la masse intérieure, qui, dans certains endroits, est épaisse de cent toises, ne s’est pas fondue de mémoire d'homme *. Il est donc évident que ces forêts et ce clocher enfouis dans ces glaces épaisses et permanentes étoient ci- 5 Voyez, ci-après, les notes justificatives des faits: %eo HISTOIRE NATURELLE, ! \ devant situées dans des terres découvertes ; habitées, et par conséquent moins refroidies … qu'elles ne le sont aujourd'hui; il est de même très-certain que cette augmentation successive de glaces ne peut être attribuée à l'augmentation de la quantité de vapeurs aqueuses, puisque tous les sommets des mon- tagnes qui surmontent ces elacières ne se sont point élevés, et se sont au contraire abaissés avec le temps et par la chûte d’une infinité de rochers et de masses en débris qui ont roulé, soit au fond des glacières , soit dans les vallées inférieures. Dès lors l’agrane dissement de ces contrées de glace est déja, et sera dans la suite, la preuve la plus pal- pable du refroidissement successif de la Terre, duquel il est plus aisé de saisir les degrés dans ces pointes avancées du globe que par-. tout ailleurs : si l’on continue donc d’obser- ver les progrès de ces glacières permanentes des Alpes, on saura dans quelques siècles combien il faut d'années pour que le froid glacial s’empare d’une terre actuellement habitée, et de là on pourra conclure si j'ai compté trop ou trop peu de temps pour le refroidissement du globe. ÉPOQUES DE LA NATURE. 3or . Maintenant, si nous transportons cette idee sur la région du pole, nous nous persuade- rons aisément que non seulement elle est en- tièrement glacée, mais même que le circuit et l'étendue de ces glaces augmente de siècle en siècle, et continuera d'augmenter avec le refroidissement du globe. Les terres du Spitz- berg , quoiqu’à 10 degrés du pole, sont pres- que entièrement glacées , même en été : et par . les nouvelles tentatives que l’on a faites pour approcher du pole de plus près, il paroit qu'on n'a trouve que des glaces, que je re- garde comme les appendices de la grande gla- cière qui couyre cette région toute entière depuis le pole jusqu'à 7 ou 8 degrés de dis- tance. Les glaces immenses reconnues par le capitaine Phipps à 80 et 81 degrés, et qui par-tout l'ont empêché d'avancer plus loin, semblent prouver la vérité de ce fait impor- tant; car l’on ne doit pas présumer qu’il y ait sous le pole des sources et des fleuves d’eau douce qui puissent produire et amener ces glaces, puisqu'en toutes saisons ces fleuves seroient glacés. Il paroit donc que les glaces qui ont empêché ce navigateur intrépide de pénétrer au-delà du 82 degré, sur une lon- 26 32 HISTOIRE NATURELLE. gueur de plus de 24 degrés en longitude, ik paroît, dis-je, que ces glaces continues for- ment une partie de la circonférence de l'im= mense glacière de notre pole, produite par le refroidissement successif du globe; et si l’on veut supputer la surface de cette zone glacée depuis Le pole jusqu'au 82° degré de latitude, on verra qu’elle est de plus de cent trente mille lieues quarrées, et que par con- séquent voilà déja la deux centième partie du globe envahie par le refroidissement et anéantie pour la Nature vivante ; et comme le froid est plus grand dans les résions du pole austral, l’on doit présumer que l’enva- hissement des glaces y est aussi plus grand, puisqu'on en rencontre dans quelques unes de ces plages australes dès le 47e degré. Mais pour ne considérer ici que notre hémisphère boréal , dont nous présumons que la glace à déja envahi la centième partie, c’est-à-dire, toute la surface de la portion de sphère qui s’etend depuis le pole jusqu'à 8 degrés où. deux cents lieues de distance, l’on sent bien que s’il etoit possible de déterminer le temps où ces glaces ont commencé de s'établir sur le point du pole, et ensuite le temps de l« ÉPOQUES DE LA NATURE. 33 _ progression successive de leur envahissement jusqu’à deux cents lieues , on pourroit en déduire celui de leur progression à venir, et connoître d'avance quelle sera la durée de la Nature vivante dans tous les climats jusqu’à celui de l’équateur. Par exemple , si nous supposons qu'il y ait mille ans que la glace permanente a commencé de s'établir sous le point même du pole, et que, dans la succes- LÉ À sion de ce millier d'années, les glaces se soient étendues autour de ce point jusqu’à deux cents lieues, ce qui fait la centième partie de la surface de l’hémisphère depuis le pole à l’équateur, on peut présumer qu'il s’écoulera encore quatre-vingt-dix-neuf mille ans avant qu'elles puissent l’envahir dans toute cette étendue , en supposant uniforme Ja progression du froid glacial, comme l’est celle du refroidissement du globe ; et ceci s'accorde assez avec la durée de quatre-vingt- treize mille ans que nous avons donnée à la Nature vivante, à dater de ce jour, et que nous avons déduite de la seule loi du refroi- dissement. Quoi qu’il en soit, il est certain que les glaces se présentent de tous côtés, à 8 Uegrés du pole, comme des barrières et des \ # ; 4 34 HISTOIRE NATURELLE obstacles insurmontables : car le capitaine. Phipps a parcouru plus de la quinzièmepar= tie de cette circonference vers le nord-est; eb avant lui, Baffin et Smith en avoient re connu tout autant vers le nord- ouest, et par=. tout ils n’ont trouvé que glace. Je suis done. persuadé que si quelques autrés navigateurs aussi courageux entreprennent de reconnoitre le reste de cette circonférence , ils la trouve- ront de même bornée par-tout par des glaces qu’ils ne pourront pénétrer ni franchir} et que par conséquent cette région du pole est entièrement et à jamais perdue pour nous: La brume continuelle quicouvre ces climats, ‘et qui n’est que de la neige glacée dans Fair, s'arrêtant, ainsi que toutes les autres vapeurs, contre les parois de ces côtes de glace, elle y forme de nouvelles couches et d’autres glaces , qui augmentent incessamment et s’eéten— dront toujours de plus en plus, à mesure que Le globe se refroidira davantage. (#5 | Au reste, la surface de l'hémisphère boréal présentant beaucoup plus de terre que: celle de l'hémisphère austral, cette différence suf- fit, indépendamment des autres eauses ci= devant indiquées, pour que ce dernier hémis . ÉPOQUES DE LA NATURE. 35 sphère soit plus froid que le premier : ausst trouve:t-on des glaces dès le 47 ou 50° degré dans les mers australes, au lieu qu’on n’en rencontre qu’à 20 degrés plus loin dans lhé- misphère boréal. On voit d’ailleurs que, sous notre cercle polaire; il y a moitié plus de terre que d’eau , tandis que tout est mer sous Le cercle antarctique : l'on voit qu’entre notre cercle polaire et le tropique du Cancer, il y . a plus de deux: tiers de terre sur un tiers de _ mer; au lieu qu'entre le cercle polaire an- . tarctique et Le tropique du Capricorne, il y a peut-être quinze fois plus de mer que de terre. Cet hémisphère austral a donc été de _ fout temps, comme 1l l’est encore aujour- . d'hui, beaucoup plus aqueux et plus froid . que le nôtre; et il n’y a pas d'apparence que passé le 50° degré l’on y trouye jamais des terres heureuses et tempérées. Il est donc . presque certain que les glaces ont envahi une plus grande étendue sous le pole antarctique, . et que leur circonférence s’étend peut-être beaucoup plus loin que celle des glaces du pole aretique. Ces immenses glacières des deux poles, produites par le refroidissement, iront, comme la glacière des Alpes, toujours 26 306 HISTOIRE NATURELLE en augmentant. La postérité ne tardera pas. | à le savoir, et nous nous croyons fondés à le 18e. "1 présumer d’après notre théorie , ‘et d'aprés les faits que nous venons d'exposer, auxquels nous devons ajouter celui des glaces perma- nentes qui se sont formées depuis quelques siècles contre la côte orientale du Groenland ; on peut encore y joindre l’augmentation des glaces près de la nouvelle Zemble dans le dé troit de Waigats, dont le passage est devenu plus difficile et presque impraticable; et enfin l'impossibilité où l’on est de parcourir la mer Glaciale au nord de l'Asie; car, malgré ce qu’en ont dit les Russes, il est très-dou— teux que les côtes de cette mer les plus avan- cées vers le Nord aient été reconnues , et qu'ils aient fait le tour de la pointe septen— trionale de l'Asie. | Nous voilà, comme je me le suis proposé, descendus du sommet de l’échelle du temps jusqu’à des siècles assez voisins du nôtre ; mous avons passé du chaos à la lumière , de l'incandescence du globe à son premier re- froidissement , et cette période de temps a 6 Voyez, ci-après, les notes justificatives des futs. D ÉPOQUES DE LA NATURE. 30. éte de vingt-cinq mille ans. Le second degré de refroidissement a permis la chüte des eaux, et a produit la dépuration de l’atmo- sphère, depuis vingt-cinq à trente-cinq mille ans. Dans la troisième époque s’est fait l’éta- blissement de la mer universelle, la produc- tion des premiers coquillages et des premiers végétaux , la construction de la surface de la Terre par lits horizontaux, ouvrage de quinze ou vingt autres milliers d'années. Sur la fin de la troisième époque et au commencement de la quatrième s’est faite la retraite des eaux, les courans de la mer out creusé nos vallons , et les feux souterrains ont com- mencé de ravager la Terre par leurs explo- sions. Tous ces derniers mouvemens ont duré dix mille ans de plus; et en somme totale, ces grands événemens, ces opérations et ces constructions supposent au moins une suC— cession de soixante mille années. Après quoi, Ja Nature, dans son premier moment de re- pos, a donné ses productions les plus nobles; la cinquième époque nous présente la nais- sance des animaux terrestres. Il est vrai que ce repos n’étoit pas absolu; la Terre n’étoit pas encore tout-à-fait tranquille, puisque ce 308 HISTOIRE NATURELLE n'est qu'après la naissance des premiers anis maux terrestres que s’est faite la séparation } des continens et que sont arrivés les grands chan gemens que Lei viens d'exposer dans cette | sixième Époque.» DS 4 > 4: 1 Au reste, j'ai fait ce que j'ai pu pour pro= portionner , dans chacune de ces périodes ; la durée du temps à la grandeur. des ou vrages ; j'ai tàché,.d’après mes hypothèses , de tracer le tableau succéssif des grandes ré volutions de la Nature, sans néanmoins avoir: prétendu la saisir à son origine; et encore moins l'avoir embrassée dans toute son éten- due ; et mes hypothèses fussent-elles contes- tées, et mon tableau ne fût-1l qu'une esquisse: tres-imparfaite de celui de la Nature, je suis convaincu que tous ceux qui de bonne foi voudront examiner cette esquisse et la .com- parer avec le modèle , trouveront assez de: ressemblance pour pouvoir au moins satis— faire leurs yeux et fixer leurs idées sur les plus grands objets de la philosophie nalu- relle. ON'O'T'E'S L TR: À Sur la sixieme Epoque. L2 à P, GE 275, ligne 9. La mer Caspienne étoit anciennement bien plus grande quelle ne l’est aujourd’hui : ceite supposition est bien fondée. « En parcourant , dit M. Pallas, les immenses dé- « serts qui s’étendent entre le Wolga, le Jaik, la « mer Caspienne et le Don, j’ai remarqué que ces steppes, ou déserts sablonneux, sont de toutes parts environnés d’une côte élevée, qui embrasse une grande partie du lit du Jaïk, du Wolga et du Don, el que ces rivières très-profondes , avant que d’a= « voir. pénétré dans cette enceinte, sont remplies « d'îles et de bas-fonds, dès qu’elles commencent à « tomber dans les steppes, où la grande rivière de « Kuman va se perdre elle-même dans les sables. «æ De ces observations réumies, Je conclus que /a mer « Caspienne a couvert autrefois tous ces déserts ; « qu'elle n’a eu anciennement d’autres bords que « ces mêmes côtes élevées qui lés environnent de « toutes parts ; el qu’elle a communiqué, au moyen : 3r0 É NOTES ÿ « du Don, avec la mer Noire, supposé même que « cetie mer, ainsi que celle d’Azoff, n’en ait pas « fait partie. » M. Pallas est sans contredit l’un dé nos plus sa- vans naturalistes ; et c’est avec la plus grande satis- faction que je le vois ici entièrement de mon avis sur l’ancienne étendue de la mer Caspienne, et sur la probabilité bien fondée qu’elle communiquoit autre- fois avec la mer Noire. LA R 2 Page 286, ligne 3. La tradition ne nous a con- servé que la mémoire de la submersion de la T'a- probane..…… Il y a eu des bouleversemens plus grands et plus fréquens dans l Océan Indien que dans aucune autre partie du monde. La plus an cienne tradition qui reste de ces affaisselmens dans les terres du Midi, est celle de la perte de la Ta- probane , dont on croit que les Maldives et les La- quedives ont fait autrefois partie. Ces îles , aïusi que les écueils et les bancs qui règnent depuis Ma: dagascar jusqu’à la pointe de Inde , semblent in= diquer les sommets des terres qui réunissoient JA frique avec l'A sie ; car ces îles ont presque toutes; du cûté du nord, des terres et des bancs qui se per longent très-loin sous les eaux. Il paroît aussi que les îles de Madagascar et de Ceylan éioient autrefois unies aux continens qui les JUSTIFICATIVES. att avoisinent. Ces séparations et ces grands boulever- semens dans les mers du Midi ont la plupart été produits par l’affaissement des cavernes, par les tremblemens de terre et par l'explosion des feux sou- terrains ; mais 1] y a eu aussi beaucoup de terres envabies par le mouvement lent et successif de la mer d’orient en occident. Les endroits du monde où cet effet est le plus sensible, sont les régions du Japon, de la Chine, et de toutes les parties orientales de l'Asie. Ces mers situées à l’occident de la Chine et du Japon ne sont, pour ainsi dire, qu’acciden- telles, el peut-être encore plus récentes que noire Méditerranée. Les îles de la Sonde, les Moluques et les Phi- Jjippines ne présentent que des terres bouleversées , et sont encore pleines de volcans : 1l ÿ en a beau- coup aussi dans les îles du Japon, et l’on prétend que C’est l’endroit de l’univers le plus sujet aux tremblemens de terre ; on y trouve quantité de fon- taines d’eau chaude. La plupart des autres îles de l'Océan Indien ne nous offrent aussi que des pics ou des sommets de montagnes isolées qui vomissent le feu. L’ile de France et Pile de Bourbon paroissent deux de ces sommeis , presque entièrement couverts de matières rejetées par les volcans ; ces deux îles étoient inhabitées lorsqu'on en a fait la décou- rer, te: NOTES 4 3 Page 292, ligue r4. 4 la Guiane, les ee | sont si voisins les uns des autres, ét en même. ; temps si gonflés, si rapides dans la saison des pluies , qu'ils entraînent des limons immenses qui. se déposent sur toutes Les terres basses et sur le. fond de la mer en sédimens vaseux. Les côtes de” la Guianefrançcoise sont si basses, que ce sont phil tôt des grèves toutes couvertes de vase en pente très douce , qui commence dans les terres et s’étend sur. le fond de la mer à une très-grande distance. Les. gros navires ne peuvent approcher de la rivière de” Cayenne sans toucher , et les vaisseaux de guerre sont obligés de rester deux ou trois Heues en mer. Ces vases en pente douce s'étendent , tout le long des rivages, depuis Cayenne jusqu’à la rivière des Ama- zones; l’on ne trouve dans cetie grande étendue que de la vase et point de sable, et tous les bords de la mer sont couverts de palétuviers : mais à sept ou huit lieues au-dessus de Cayenne, du côté du nord ouest, jusqu'au fleuve Marony, on trouve quelques anses dont le fond est de sable et de rochers qui forment des brisans ; la vase cependant les recouvre pour la plupart, aussi-bien que les couches de sable, et cetie vase a d'autant plus d'épaisseur qu’elle s'éloigne davantage du bord de la mer : les petits! rochers n’empêchent pas que ce terrain ne soit em peute très-douce à plusieurs lieues d’étendue danss a JUSTIFICATIVES. 313 les terres. Celte partie de la Guiane qui est au nord- ouest de Cayenne , est une contrée plus élevée que celles qui sont au sud-est : on en a une preuve dé- monstrative; car tout le long des bords de la mer on trouve de grandes savanes noyées qui bordent la côte, et dont la plupart sont desséchées dans la parue du nord-ouest, tandis qu’elles sont toutes couvertes des eaux de la mer dans les parties du sud-est. Outre ces terrains noyés actuellement par la mer, 1l y en a d’autres plus éloignés , et qui de mème étoient noyés autrefois. On irouve aussi en quelques endroits des savanes d'eau douce; mais celles-ci ne produisent point de palétuviers, et seu- lement beaucoup de palmiers lataniers. On ne trouve pas une seule pierre sur touies ces côtes basses : la marée ne laisse pas d’y monter de sept ou huit pieds de hauteur, quoique les courans lui soient opposés ; car ils sont tous dirigés vers les îles Antilles. La marée est fort sensible lorsque les eaux des fleuves sont basses , et on s’en appercçoit alors jusqu’à quarante et même cinquante lieues dans ces fleuves ; mais en hiver, c’est-à-dire, dans Ja saison des pluies , lorsque les fleuves sont gonflés, la marée y est à peine sensible à une ou deux lieues, tant le courant de ces fleuves est rapide, et il de- vient de la plus grande nupétuosité à l'heure du reflux, 27 Lg NOTES È Les grosses tortues. de mer viennent déposet leuré à œufs sur le fond de ses anses de sable , et on ne les ù voit jamais fréquenter les terrains vaseux ; en sorte que , depuis Cayeune jusqu’à la rivière des Ama- zones , il n’y a point de tortues, et on va les pêcher } depuis la rivière Courou jusqu’au fleuve Marony. Il semble que la vase gagne tous les jours du terrain sur les sables , et qu'avec le temps cette côte nord- ouest de Cayenne en sera recouverte comme la côte sud-est; car les tortues qui ne veulent que du sable pour y déposer leurs œufs, s’éloignent peu à peu. de la rivière Courou, et depuis quelques années on est obligé de les aller chercher plus loin du côté du fleuve Marony, dont les sables ne sont pas encore couverts. Au-delà des savanes, dont les unes sont sèches et les autres noyées, s'étend un cordon de collines , qui sont loutes couvertes d’une grande épaisseur de terre, plantée par-tout de vieilles forêts : commu nément ces collines ont 350 ou 400 pieds d’éléva= tion; mais en s’éloignant davantage, on en trouve de plus élevées, et peut-être de plus du double, en” s’avancant dans les terres jusqu’à dix ou douze. lieues. La plupart de ces montagnes sont évideme went d'anciens volcans éteints. il y en a pourtant une appelée /a Gabrielle, au sommet de laquelle on trouve une grande mare ou petit lac, qui nourrit JUSTIFICATIVES 38 des caymans en assez grand nombre, dont appa- remment l’espèce s’y est conservée depuis le temps où la mer couvroit cette colline. Au-delà de cette montagne Gabrielle, on ne irouve que de petits vallons, des terres, des mornes et des matières volcanisées , qui ne sont point en grandes masses, mais qui sont brisées par petits blocs. La pierre la plus commune, et dont les eaux ont entraîné des blocs jusqu’à Cayenne, est celle que l’on appelle la pierre à ravets, qui, comme nous l'avons dit, n’est point une pierre , mais une lave de yolcan : on l’a nommée pierre à ravets, parce qu’elle est trouée, et que les insectes appelés ravets se logent dans les trous de cette lave. 4 Page 295, ligne 20. La race des géans, dans l'espèce humaine, a été détruite depuis nombre de siècles dans les lieux de son origine en Asie: On ne peut pas douter qu’il n'y ait eu des individus géans dans tous les climats de la Terre, puisque de vos jours on en voit encore naître en tout pays, €t | que récemment on en a vu un qui étoit né sur les confins de la Lapponie, du côté de la Finlande. Mais.on n’est pas également sûr qu'il y ait eu des races constantes, et moins encore des peuples en- tiers de géans : cependant le témoignage de plusieurs auteurs anciens, ct ceux de l’Écriture sainte, qui 316 : NOTES | est encore plus ancienne, me paroissent indiquer | assez clairement qu’il y a eu des races de géans en | À sie ; et nous croyons devoir présenter 1ci les pas- sages les plus positifs à ce sujet. Il est dit, Nombres, chap. XIIT , verset 34 : Nous avons vu les géans de da race d'Hanak, aux yeux desquels nous ne de=. pions paroitre pas plus grands que des‘ cigales. Et par une autre version il est dit : Nous avons vu des monstres de la race d'Énac, auprès desquels nous a'étions pas plus grands que des sauterelles. Quoi- que ceci ait l’air d’une exagération, assez ordinaire dans le style oriental, cela prouve néanmoins que ces géans étolent très-grands. | Dans le second livre des Roës, chapitre XXT, verset 20, il est parlé d’un homme très-grand de Ja race d'Arapha, qui avoit six doigts aux pieds et aux mains; et l’on voit par le verset r8, que celte race d'Arapha étoit de genere gigantum. On trouve encore dans le Deutéronome plusieurs passages qui prouvent lexistence des géans et leur destruction : Un peuple nombreux, est-il dit, ét d’une grande hauteur, comme ceux d'Énacim , que le, Seigneur a détruits (chapitre IT, versetzr ). Etilest dit, versets r9 et 20 : Le pays d'AÆmmon est reputé pour un pays de géans, dans lequel ont autrefois habité les géans que les Ammonütés ap= pellent Zomzommim. | JUSTIFICATIVES. 31 Dans Josué, chapitre XI, verset 22, il est dit * Les seuls géans de la race d'Énacim qui soient restés parmi les enfans d'Israël, étoient dans les villes de Guza, de Geth et d’Azot; ious les autres géans de cette race ont été détruits. Philon, saint Cyrille et plusieurs autres auteurs, semblent croire que le mot de géans n'indique que des hommes superbes et impies, et non pas des hommes d’une grandeur de corps extraordigaire ; mais ce sentiment ne peut pas se soulenir, puisque souvent il est question de la hauteur et de la force de corps de ces mêmes hommes. Dans le prophète Amos, il est dit que le De des Amorrhéens étoit si haut, qu’on les a comparés aux cèdres , sans donner d’autres mesures à leur grande hauteur. Og, roi dé Basan, avoit la hauteur de neuf cou- dées, et Goliath, de dix coudées et un ‘palme. Le ht d'Og avoit neuf coudées de longueur, Cest-à- dire , treize pieds et demi, et de largeur cs cou- des qui font six pieds. Le corselet de Goliath pesoit 208 Hire 4 onces, et le fer de sa lance pesoit 25 livres. Ces témoignages me paroissent suffisans pour qu'on puisse croire avec quelque fondement , qu’il a autrefois existé dans lc continent de l'Asie, non seulement des individus , mais des races de géans, 27 gi 318 NOTES qui ont été détruits, et dont les derniers subsistoïent encore du temps de David. Et quelquefois la Nature, qui ne perd jamais ses droïts, semble remonter à ce même point de force de production et de développe= 8; ment ; Car, dans presque tous les climats de la Terre, | 1] paroît de temps eu lemps des hommes d’une gran- deur extraordinaire, c’est-à-dire, de sept pieds et demi , huit et même neuf pieds : car, indépendam- ment des géaus bien avérés , et dont nous avons déja fait mention , nous pourrions citer un nombre infini d’autres exemples , rapportés par les auteurs anciens et modernes, des géans de dix , douze, quinze, dix- huit pieds de hauteur, et même encore au-delà; mais je suis bien persuadé qu’il faut beaucoup rabattre de ces dernières mesures : on a souvent pris des os d’éléphant pour des os humains ; et d’ailleurs la Na- ture , telle qu’elle nous est connue, ne nous offre dans aucune espèce des disproportions aussi grandes, excepté peut-être dans l'espèce de l’hippopotame, dont les dents trouvées dans le sein de la Terre sont au moins quatre fois plus grosses que les dents des hippopotames actuels. Les os du préiendu roi Theutobochus, trouvés eu Dauphiné, ont fait le sujet d’une dispute entre Habicot, chirurgien de Paris, et Riolan, docteur en médecine, célèbre anatomiste. Habicot a écrit dans un petit ouvrage qui a pour utre, Gigantostéo- LS JUSTIFICATIVES. 31 logie, que ces os étoient dans un sépulcre de’brique à 18 pieds en terre, entouré de sablon : il ne donne ni la description exacte, n1 les dimensions, ni le nombre de ces os ; il prétend que ces os étoient vrai- ment des os humains, d'autant, dit-il, qu'aucun animal] n’en possède de tels. I] ajoute que ce sont des maçons qui, travaillant chez le seigneur de Lan- gon, gentilhomme du Dauphiné, trouvèrent, le rx janvier 1613, ce tombeau, proche les masures du château de Chaumont; que ce tombeau étoit de brique; qu’il avoit 30 pieds de longueur, 12 de largeur et 8 de profondeur, en comptant le chapi- teau, au milieu duquel étoit une pierre grise, sur laquelle étoit gravé, T'heutobochus rex; que ce tom- beau ayant été ouvert, on vit un squelette humain de 25 pieds : delongueur, ro de largeur à l’endroit des épaules, et 5 pieds d'épaisseur; qu'avant de toucher ces os , on mesura la tête, qui avoit 5 pieds _de longueur et ro en rondeur. (Je dois observer que la proportion de la longueur de la 1ê1e humaine avec celle du corps , n’est pas d’un cinquième, mais d’un sepuème et demi ; en sorte que cette tête de 5 pieds supposeroit un corps humain de 37 : pieds de hau- teur.) Enfin 1] dit que la mâchoire inférieure avoit 6 pieds de tour, les orbites des yeux 7 pouces de tour, chaque clavicule 4 pieds de long, et que la plupart de ces ossemens se mirent en poudre après ayoir été frappés de Pair. 320 3 NOTES UE Le docteur Riolan publia, la même année rémil } . | un écrit sous le nom de Gigantomachie, dans Jequel il dit que le chirurgien Habicot a donné, dans sa Gigantostéologie, des mesures fausses de la gran- deur du corps et des os du prétendu géant Theutobo- … chus; que lui Riolan a mesuré l’os de la cuisse, celui de la jamhe, avec l’astragale joint au calca= | néum, et qu’il ne leur a trouvé que 6 5 pieds, y compris los pubis ; ce qui ne feroit que 13 pieds au hieu de 25 pour la hauteur du géant. 4 I] donne ensuite les raisons qui lui font douter . que ces os solent des os humains ; er il conclut en. disant que ces os présentés par Habicot ne sont pas des os humains, maïs des os d’éléphant. Us an ou deux après la publication de la Grgan- tostéologie d'Habicot, et de la Gigantomachuie de Riolan , il parut une brochure sous le titre de ? Tm- posture découverte des os humains supposés, ét faussement attribués au roi T'heutobochus, dans laquelle on ne 1rouve autre chose, sinon que ces os ne sont pas des os humains , mais des os fossiles en- gendrés par-la vertu de la terre; et encore un autre livret, sans nom d'auteur, dans lequel il est dit qu'à la vérité il y a parmi ces os des os humains , mais qu'il y en avoit d'autres qui n’étoient pas hu- mains. Ensuite, en 1618 , Riolan publia un éerit sous le JUSTIFICATIVES. 32r mom de Giganiologie, où 1l prétend, non seule- ment que les os en question ne sont pas des os hu- mains, mais encore que les hommes en général n'ont jamais été plus grands qu’als ne le sont aujour- d’hui. | Habicot répondit à Riolan dans la même année 2618 ;.et il dit qu'il a offert au roi Louis XIII sa Gigantostéologie, et qu'en 1613, sur la fin de juil- let, on exposa aux yeux du public les os énoncés dans cet ouvrage, et que ce sont-vraiment des os humains : il cite un grand nombre d'exemples, tirés des auteurs anciens et modernes, pour prouver qu’il y a eu des bommes d’une grandeur excessive. I] per- siste à dire que les os calcanéum, tibia et fémur du géant Theutobochus étant joints les uns avec Îles autres , portoient plus de 1x pieds de hauteur. Il-donne ensuite les lettres:qui lui ont été écrites dans le temps de la Gécouverte de ces os, et qui semblent confirmer la réalité du fait du tombeau et des os du géant Theutobochus. Il paroît par la lettre du seigneur de Langon, datée de Saint-Mar- cellin en Dauphiné, et par une autre du sieur Ma- surier, chwurgien à Beaurepaire, qu’on ayoit trouvé des monnoies d'argent avec les os. La première lettre est concue dans les termes suivans : « Comme sa majesté desire d’avoir le reste des # 05 du roi Theutobochus, avec la monnoie d'argent 322 | NOTES | « qui s’y est trouvée, je puis vous dire d’avance que « vos parties adverses sont très-mal fondées, et que « s’ils savoient leur métier, ils ne douteroïent pas « que ces Os ne soient véritablement des os bumains. « Les docteurs en médecine de Montpellier se sont « transportés 101, et auroient bien voulu avoir ces os a pour de l'argent. M. le maréchal de Lesdigüières « les a fait porter à Grenoble pour les voir, et les « médecins et chirürgiens de Grenoble les ont recon- « nus pour os humains ; de sorte qu'il n’y a que les « ignorans qui puissent nier cette vérité , etc. « Signé, LANGON ». : Au reste, dans cette dispute, Riolan et Habicot, l’un médecin et l’autre chirurgien, se sont dit plus d’injures qu’ils n’ont écrit de faits et de raisons : mi Jun ni l’autre n’ont eu assez de sens pour décrire exactement les os dont 1l est question ; mais tous deux , emportés par l'esprit de corps ef de paru, ont écrit d’une manière à Ôter toute confiance. Il est donc très-dificile de prononcer affirmativement sur l'espèce de ces os: mais s’ils ont été en effet trouvés dans ‘un tombeau de brique, avec un couvercle de pierre , sur lequel étoit l'imscription T'heutobochus rex; S'il s’est trouvé des monnoiïes dans ce tombeau , s'il ne contenoit qu’un seul cadavre de 24 au 25 pieds de longueur , si la lettre du seigneur de Lau- gon coutient vérllé, on ne pourroit guère douter dix JUSTIFICATIVES. 323 fait essentiel, c'est-à-dire, de l’existence d’un géant de 24 pieds de hauteur, à moins de supposer un concours fort extraordinaire de circonstances men- songères ; mais aussi le fait n’est pas prouvé d’une manière assez positive , pour qu'on ne doive pas en douter beaucoup. Il est vrai que plusieurs auteurs, d’ailleurs dignes de foi, ont parlé de géans aussi grands et encore plus grands. Pline rapporte que, par un tremblement de ierre en Crète, une mon- tagne s'étant entr'ouverte, on y trouva un corps de 16 coudées, que les uns ont dit être le corps d'Otus, et d’autres celui d'Orion. Les 16 coudées donnent 24 pieds de longueur, c’est-à-dire, la même que celle du roi Theutobochus. On trouve dans un mémeire de M. le Cat, acadé- micien de Rouen, une énumération de plusieurs géans d’une grandeur excessive; savoir, deux géans dont les squelettes furent trouvés par les Athéniens près de leur ville, lun de 36 et l’autre de 34 pieds de hauteur ; un autre de 30 pieds, trouvé en Sicile, près de Palerme, en 1548; un autre de 33 pieds, trouvé de même en Sicile en 15bo; encore un autre trouvé de même en Sicile près de Mazarino, qui. avoit 30 pieds de hauteur. Malgré tous ces témoignages , je crois qu’on aura bien de la peine à se persuader qu’il ait jamais existé des hommes de 30 ou 56 pieds de hauteur ; ce seroit BL. c NOTES: Fe yT 1 déja bien trop que de ne pas se refuser à croire qu'il yenaeu de 24 : cependant les témoignages se multi. plient, deviennent plus positifs, et vont, pour ainsk dire, par nuances d’accroïissement à mesure que lon. descend. M. le Cat rapporte que l'on trouva em 1705, près des bords de la rivière Morderi, au pied de la montagne de Crussol, le squelette d’um géant de 22 + pieds de hauteur, et que les Domi- nicaius de Valence ont une partie de sa Fer Farticulation du genou. Platerus, médecin célèbre, atteste qu’il a va Lucerne le squelette d’un homme de r9 pieds au moins de hauteur. Le géant Ferragus, tué par Roland, neveu de Charlemagne , avoit 18 pieds de hauteur. | Dans les cavernes sépulcrales de Pile de Ténériffe, on à trouvé le squelette d’un guanche qui avoit 15 pieds de bauteur, et dont la tête avoit 8o dents. Ces trois faits sont rapportés, comme les précédens , dans le Mémoire de M. le Cat sur les géans. Il cite encore un squelette trouvé dans un fossé, près du couvent des Dominicains de Rouen, dont le crâne tenoit un boisseau de blé, et dont l'os de la jambe” avoit environ 4 pieds de longueur; ce qui donne“ pour la hauteur du corps entier 17 à 18 pieds. Sur” Ja tombe de ce géant étoit une inscription gravée ÿ" où on lisoit: Ci-gft noble et puissant seigneur. leg chevalier Ricon de Falmont et ses ose JUSTIFICATIVES 3 Ov trouve dans le Journal littéraire de l'abbé Nazari que , dans la haute Calabre, au mois de juin 1665, on détérra dans les jardins du seigneur dé Tiviolo un squelette de 18 pieds romains de lon- gueurs que la tête avoit 2 = pieds ; que chaque dent molaire pesoii environ une once et un tiers, et les autres dents trois quarts d’once, et que ce squelette étuit couché sur une masse de bitume. Hector Boetius, dans son Æistoire dé l'Écosse, iv. VIT, rapporte que l’on conserve encore quel- ques os d’un homme nommé, par contre-vérité, le petit Jean, qu'on croit avoir eu r4 pieds de hau- teur, c’est-à-dire, 13 pieds 2 pouces 6 lignes dé France. On trouve dans lé Journal des Savans, année 1692, une lettre du P. Gentil, prêtre de l’Oraioire, professeur de philosophie à Angers, où il dit qu'ayant eu avis de la découverte qui s’étoit faite d’un cadavre gigantesque dans le bourg de Lassé , à neuf lieues de cette ville, 1 fut lui-même sur les lieux peur s’iulormer du fait. Il apprit que le curé du heu ayant fail creuser dans son jardin’, on avoit trouvé un sépulcre qui reufermoit un corps de r7 pieds 2 pouces de long, qui n’avoit plus de peau. Ce cadavre avoit d’autres corps entre ses bras et ses jambes, qui pouvoient être ses enfans. On trouva dans le méme lieu quatorze où quinze autres sépulcres, Mat. gêns VIII. 23 mi 326 - NOTES # | les uns de ro pieds, les autres de r2, et d'entre même de r4 pieds, qui renfermoient des corps de: mème Jonvueur. Le sépulcre de ce géant resta exposé à l’air pendant plus d’un an; mais comme cela attiroit trop de visites au curé, il l'a fait recouvrir de terre, et planter trois arbres sur la place. Ces sépulcres sont d’une pierre semblable à la craie. Thomas Molineux a vu, aux vibre de médecine de Leyde, un os pe © humain prodigieux : sa hauteur prise depuis sa Jonction aux os du nez, jus= qu’à la suture sagittale , étoit de 9 - pouces, sa lar- geur de 12 - pouces, son épaisseur d’un demi- pouce ; c'est-à-dire que chacune de ces dimensions étoit double de la dimension correspondante à l'os frontal , tel qu’il est dans les hommes de taille ordi- paire; en sorte que l’homme à qui cet os gigan=. tesque a appartenu, étoit probablement june fois plus grand que les hommes ordinaires, c’est-à-dire. qu’il avoit 1 pieds de haut. Cet os étoit très-certai- nement un os frontal humain, et 1l ne paroît pas qu'il eût acquis ce volume par un vice morbifique;: car son épaisseur éloit proportionnée à ses auires. dimensions, ce qui na pas lieu dans les os viciés. Dans le cabinet de M. Witreu à Amsterdam , M. Kleiu dit avoir vu un os frontal , d'apres lequel. il lui parut que l’homme auquel il avoit appartenu . À PEN TT AT À 2 JUSTIFICATIVES. 327 avoit 13 pieds 4 pouces de hauteur, c’est-à-dire, environ 12 À pieds de France. D’après tous les faits que je viens d'exposer, et ceux que j'ai discutés ci-devant au sujet des Pata- gons ; je laisse à mes lecteurs le mème embarras où je suis, pour pouvoir prononcer sur l’existence réelle de ces géans de 24 pieds : je ne puis me per- suader qu’en aucun temps et par aucun moyen, au- cune circonstance, le corps humain aït pu s'élever à des dimensions aussi démesurées; mais je crois en même temps qu'on ne peut guère douter qu’il n'y ait eu des géans de 10, 12 et peut-être de 15 pieds de hauteur, et qu'il est presque certain que, dans les premiers âges de la Nature vivante, il a existé non seulement des individus gigantesques en grand nombre, mais même quelques races cons- tantes et successives de géans, dont celle des Pata- gons est la seule qui se soit conservée. $ Page 299, ligne 22. On trouve au-dessus des Alpes une étendue immense et presque continue de vallées, de plaines et de montagnes de glace, etc. Voici ce que M. Grouner et quelques autres bons observateurs et témoims oculaires rapportent à ce sujet. Dans les plus hautes régions des Alpes , les eaux provenant annuellement de la fonte des neiges se 329 NOTES ! ‘a gèlent dans tous les aspects. et à tous les points des. ces montagnes, depuis leur base jusqu'à leur. sommet, sur-tout dans les vallons et sur le. pen- chant de celles qui sont groupées ; en sorte que less eaux ont dans ces vallées formé des montagnes qui“ ont des roches pour noyau, et d’autres montagnes | qui sont entièrement de glace, lesquelles ont six ,# sept à huit licues d’étendue en longueur, sur une: lieue de largeur, et souvent mille à douze cents toises \ de hauteur : elles rejoignent les autres montagnes part leur sommet. Ces énormes amas de glace gagnent! de l'étendue en se prolongeant dans les vallées; en sorie qu'il est démontré que toutes les olacières! s’accroissent successivement , quoique, dans les) années chaüdes et pluvieuses, non seulement leur. progression soit arrêtée, mais même leur masse. immense diminuée... La hauteur de la congélauon fixée à ne | sous l’équateur, pour les hautes montagnes isolées , n’est point une règle pour les groupes de montagnes | gelées depuis leur base jusqu’à leur sommet ; elles. ne dégelent jamais. Dans les Alpes, la hauteur dus degré de congélation pour les montagnes isolées est fixée à 1500 toises d’élévation , et toute la partie: (Au WIN: (M # L au-dessous de cette hauteur se dégele entièrement 5" tandis que celles qui sont entassées gèlent à une” moindre hauteur, et ne dégèlent jamais dans aucuy JUSTEEFICA TI VES. 32g point de leur élévation depuis leur base, tant le: degré de froïd est augmenté par les masses de ma- uières congekes réunies dans un même ESPACE rue. « Toutes les montagnes glaciales de la Suisse, réu- nies , occupent une étendue de 66 lieues du levant au couchant, mesurée en ligne droite, depuis les bornes occidentales du canton de Vallis vers la Savoie, jusqu'aux bornes orientales du canton de Bendner vers le Tirol; ce qui ‘orme une chaîne interrompue, dont plusieurs bras s'étendent du midi au nord sur une longueur d'environ 36 lieues. Le grand Gothard , le Fourk et le Grimsel sont les montagnes les plus élevées de cette partie ; elles occupent le centre de ces chaînes qui divisent la Suisse en deux parties : elles sont toujours couvertes de neige et de glace, ce qui leur a fait donner le nom générique de glacières. K L’on divise les glacières en montagnes glacées , vallons de glace, champs de glace ou mers gla- ciales, et en gletchers où amas de glacons. Les montagnes glacées sont ces grosses masses de rochers qui s'élèvent jusqu'aux nues, et qui sont toujours couvertes de neige et de glace. Les vallons de glace sont des enfoncemens, qui sont beaucoup plus élevés entre les montagnes que les vallons inférieurs ; ils sont toujours remplis de neige , qui s’y accumule et forme des monceaux de 23 É:.. ANS NOTES glace qui ont plusieurs lieues détendue , et qui | rejoignent les hautes montagnes. Les champs de glace, ou mers glaciales , sont des. terrains en pente douce, qui sont dans le circuit. des montagnes ; ils ne peuvent être appelés vallons, parce qu’ils n’ont pas assez de profondeur : ils sont. couverts d’une neige. épaisse. Ces champs reçoivent. l’eau de la fonte des neiges'qui descendent des mon. tagnes et qui regèlent : la surface de ces glaces fond et. gèle alternativement , et tous ces endroits sont cou- verts de couches épaisses de neige et de glace. Les gletchers sont des amas de glacons formés par les glaces et les neiges qui sont précipitées des. montagnes : ces neiges se regèlent et s’entassent en différentes manières; ce qui fait qu’on divise les &gleichers en monts , en revêtemens et en murs de glace. n} Les monts de olace s'élèvent entre les sommets des hautes montagnes : ils ont eux-mêmes la forme de montagnes; mais il n'entre point de rochers dans leur structure : ils sont composés entièrement de pure glace, qui a quelquefois plusieurs lieues en. longueur, une lieue de largeur et une demi- lieue d'épaisseur. Les revêtemens de glacons sont formés dans les vallées supérieures et sur les côtés des montagnes , M qui sont recouvertes comme des draperies de glaces’ \ JUSTIFICATIVES 33 taillées en pointes ; elles versent leurs eaux superflues dans les vallées inférieures. | Les murs de glace sont des revètemens escarpés qui terminent les vallées de glace qui ont une forme applatie , et qui paroïssent.de loin comme des mers agitées , dont les flots ont été saisis et glacés dans le moment de leur agitation. Ces murs ne sont point -hérissés de pointes de glace ; souvent ils forment des colonnes , des pyramides et des tours énormes par leur hauteur et leur grosseur , taillées à plusieurs faces, quelquefois hexagones, et de couleur bleue ou verd céladon. 11 se forme aussi sur les côtés et au pied des mon- tagnes des amas de neige, qui sont ensuite arrosés _ par l’eau des neiges fondues et recouvertes de nou- velles neiges. L’on voit aussi des glacons qui s’accu- mulenten tas, qui ne tiennent n1 aux vallons n1 aux monts de glace ; leur position est ou horizontale ou inclinée : tous ces amas détachés se nomment Zts ou couches de glaces... La chaleur intérieure de la Terre mine plusieurs de ces montagnes de glace par-dessous, et y entretient des courans d’eau qui fondent leurs surfaces infé- rieures 3; alors les masses s’affaissent insensiblement par leur propre poids, etleur hauteur est réparée par des eaux, les neigeset les glaces qui viennent successi- vement les recouvrir : ces affaissemens occasionnent 332 | NOTES RUE NT t k NE | souvent des craquemeus horribles ; les crevasses qui s'ouvrent dans l'épaisseur des glaces , forment | des précipices aussi fâcheux qu’ils sont mulupliés. Ces abîmes sont d'autant plus perfides et funestes. qu’ils sont ordinairement recouverts de neige : les voyageurs, les curieux et les. chasseurs qui courent les daims, les chamois, les bouquetins, où qui font la recherche des mines de crystal, sont souvent en- gloutis dans les gouffres, et rejetés sur la surface pax | les flots qui s'élèvent du fond de ces abîmes. Les pluies douces fondent promplement les. neiges : mais toutes les eaux qui en proviennent ne se précipitent pas dans les abîmes inférieurs par les crevasses ; une grande parte se regèle , et tombant sur Ja surface des glaces , en augmente le volunie. Les vents chauds du midi, qui règnent ordinai- reent dans le mois de mai, sont les agens les plus puissans qui détruisent les neiges et les glaces ; alors leur fonte annoncée par le bruissement des lacs gla- cés, et par le fracas épouvantable du choc des. pierres et des glaces qui se précipitent confusément du haut des montagnes, porte de toutes parts dans. les vallées inférieures les eaux des iorrens, qui tombent du haut des rochers de plus de 1200 pieds. de hauteur. Le Soleil n’a que peu de prise sur les neiges et sur les glaces pour en opérer la fonte. L'expérience a CA JUSTIFICATIVES. 333 prouvé que ces olaces. formées pendant un laps de temps très-long , sous des fardeaux énormes, dans un degré de froid si multiplié et d’eau si pure, que ces glaces, dis-je, étoicnt d’une matière si dense et si purgée d'air, que de petits glacons exposés au soleil le plus ardent dans la plaine pendans un Heu entier s y fondoient à peine. Quoique la masse de ces glacières fonde en partie tous les ans dans les trois mois de l'été ; que les pluies, les vents et la chaleur, plus actifs dans cer- taines années , détruisent les progrès que les glaces ont faits pendant plusieurs autres années; cependant 1l est prouvé que cesglacières prennent un accrois- sement constant, et qu'elles s'étendent : Yes annales du pays le prouvent; des actes authentiques le dé- montrent, là tradition est invariable sur ce sujet. Indépendamment de ces autorités et des obscrva- tions journalières, celte progression des glacieres est prouvée par des foréts de mélèze qui ont été ab- sorbées par les glaces, et dont la cime de quelques uns de ces arbres surpasse encore la surface des glacières; ce sont des témoins irréprochables qui attestent le progr's des glacières, ainsi que le Aaut des clochers d’un village qui a été englouti sous les. neiges, et que lon appercoit lorsqu'il se fait des fontes extraordinaires. Cette progression des gla- gières ne peut avoir d'autre cause que l'augmentation de l’intensité du froid, qui s’accroït dans les mon- tagnes glacées en raison des masses de glaces ; et ii est prouvé que , dans les glacières de Suisse, le froid est aujourd'hui plus vif, mais moins long que dans l'Islande, dont les glacières, ainsi que celles de Norvése, ont beaucoup de rapport avec celles de la Suisse. | | Le massif des montagnes glacées de la Suisse est composé comme celui de toutes les hautes mon= | tagnes : le noyau est une roche vitreuse qui s'étend! iusqu ’à leur sommet ; la partie au-dessous, à com- mencer du point où elles ont été couvertes des eaux de la mer, est composée en revêtement de pierre calcaire, ainsi que tout le massif des montagnes d’un ordre inférieur, qui sont groupées sur la base des montagnes primitives de ces glacières; enfin ces masses calcaires ont pour base des schistes produits par le dépôt du limon des eaux. Les masses vitreuses sont des rocs vifs, des gra- nits, des quartz ; leurs fentes sont remplies de mé- taux , de demi-métaux , de substances minérales et de crystaux. Les masses calcinables sont des pierres à chaux, des marbres de toutes les espèces en couleurs et variétés , des craies, des gypses, des spaths et des albâtres, etc. Les masses schisteuses sont des ardoises de diffé+ JUS TIFICATIVES. 335 rentes qualités et couleurs, qui contiennent des plantes et des poissons, et qui sont souvent posées à des hau- teurs assez considérables : leur lit n’est pas toujours horizontal ; 1l est souvent incliné, même sinueux et perpendiculaire en quelques endroits. L'on ne peut révoquer en doute Pancien séjour des eaux de la mer sur les montagnes qui forment aujour- d’hui ces glacières; l'immense quantité de coquilles qu’on y trouve l’atteste , ainsi que les ardoises et les autres pierres de ce genre. Les coquilles y sont ou distribuées par fanulles, ou bien elles sont mêlées les unes avec les autres, et l'on ns trouve à de três- grandes hauteurs. Il ÿ a lieu de penser que ces montagnes n’ont pas formé des glacières continues dans la haute anti- quité, pas même depuis que les eaux de la mer les. out abandonnées, quoiqu'il paroïisse par leur très- grand éloignement des mers, qui est de près de cent lieues , et par leur excessive hauteur, qu’elles ont été les premières qui sont sorties des eaux sur le continent de l’Europe. Elles ont eu anciennement leurs volcans ; il paroît que le dernier qui s'est éteint étoit celui de la montagne de Myssenberg, dans le canton de Schwits : ces deux principaux sommets, qui sont tris-hauis et isolés, sont terminés conique- ment, comme toutes les bouches de volcan; et l’on voit encore le cratère de l’un de ces cônes, qui est creusé à ue très-grande profondeur. 33% | NOT E $ V M. Bourrit, qui eut le courage LT faire un grand nombre de courses dans les glacières de Savoie, dit « qu’on ne peut douter de l'accroissement de toutes « les glacières des Alpes; que la quantité de neige. « qui y est tombée pendant les hivers l’a emporté « sur la quantité fondue pendant les étés; que non! « seulement la même cause subsiste, mais que ces « amas de glaces déja formés doivent l’augmenter « toujours plus, puisqu'il en résulte et plus de neige. « eLune moindre fonte... Ainsi il n y a pas de doute « que lesglacières n’aillenten augmentant, et même. « dans une progression croissante. » Cet observateur infatigable à fait un grand. nombre de courses dans les glacières ; et en parlant de celle du Glatchers ou glacières des Bossons, 1l dit «qu'il paroît s’augmenter tous les juurs; que -« le sol qu’il occupe présentement étoit, il y a quel- « ques années , un champ cultivé, et que les glaces « auguientent encore tous les jours. Il rapporte que « l'accroissement des glaces paroît démontré non « seulement dans cet endroit, mais dans plusieurs « autres; que l’on a encore le souvenir d une ccm « munication qu'il y avoit au:refois de Chamounis à « la Val-d’Aost, et quê les glaces l’ont absolument « fermée ; que les glaces en général doivent s’êtren « accrues en s'étendant d’abord de semmité en « sommité, et ensuite de vallée en vallée, et que” JUSTPFICATIVES., 35% x d'est ainsi que s’est faite la communication des « glaces du mont Blauc avec celles des autres mon- « tagnes et glacières du Vallais et de la Suisse. I] « paroît ,dit-1l ailleurs, que tous ces pays de mon- « tagnes n’étoient pas anciennement aussi remplis de « neiges et de glaces qu’ils le sontaujourd'hui... L’on «ne date que depuis quelques siecles les désastres « arrivés par l'accroissement des neïges et des places, « par leur accumulation dans plusieurs vallées, par « la chute des montagnes elles:mêmeset des rochers: « ce sont ces accidens presque Continuels et cette « augmentalion annuelle des glaces qui peuvent seuls « rendre raison de ce que l’on sait de l’histoire de ce « pays touchant le peuple qui l’habitoit ancienne- « 1ment, » 6 Page 306, ligne 13. Car, malgré ce qw'en ont dit les Russes, il est très-douteux qu'ils aient doublé la pointe septentrionale de l'Asie. M. En- gel, qui regarde comme impossible le passage au nord-ouest par les baies de Hudson et de Baffin, paroît au contraire persuadé qu’on trouvera un pas- sage plus court et plus sûr par le nord-est; et 1l ajoute aux raisons assez foibles qu’il en donne, un passage de M. Gmelin, qui, parlant des tentatives faites par les Russes pour trouver ce passage au nord- est, dit que la inanière dont on a procédé à ces mr. 338 | NOTES NÉ découvertes fera en son temps le sujet du plus | grand étonnement de ioui le monde, lorsqu'on en äura la relation authentique; ce qui dépend unique ment, ajoute-t-1l, de la haute volonté de l’impéra- trice. « Quel sera donc, dit M. Engel, ce sujet d’éton- « nement, si cé n’est d apprendre que le passage : « regardé jusqu'à présent comme impossible, est « très-pratcable ? Voilà le seul fait, ajoute-t-il, « qui puisse surprendre ceux qu’on a tâché.d’ef- « frayer par des relations publiées à dessein de rebu-. « ter les navigateurs, etc. » ë Je remarque d’abord qu'il faudroit être bien assuré des choses , avant de faire à la nation russe celte imputation. En second lieu, elle me-paroît mal fondée , et les paroles de M. Gmelin pourroient bien signifier tout le contraire de l'interprétation que leur donne M. Engel, c’est-à-dire qu’on sera fort étonné lorsque l’on saura qu'il wexiste point de pas= sage praticable au nord-est; et ce qui me confirme dans cette opinion, indépendamment des raisons générales que j'en ai données, c’est que les Russes eux-mêmes n’ont nouvellement tenté des découvertes qu’en remontant de Kamischatka, et point du tout en descendant de la pointe de l'Asie. Les capitaines Behring et Tschinikow ont, en r74r, reconnu des parties de côtes de l'Amérique jusqu’au 5y- degré ; ei ni l'un ni l’autre ne sont venus par la mer du JUSTIFICATIVES. 358 Nord le long des côtes de l'Asie: cela prouve assez que le passage n’est pas aussi praticable que le SUp- pose M. Engel ; ou, pour mieux dire, cela prouve que les Russes savent qu'il n’est pas praticable, sans quoi Is eussent préféré d'envoyer leurs navigateurs par cette route, plutôt que de les faire partir de Kam- tschatka pour faire la découverte de l'Amérique occidentale. | M. Muller, envoyé avec M. Gmelin par l’impé- ratrice en Sibérie, est d’un avis bien différent de M. Engel : après avoir comparé toutes les relations, M. Muller conclut par dire qu’il n’y a qu’une très. petite séparation entre l'Asie et l'Amérique, et que ce détroit offre une ou plusieurs îles qui sérvent de route ou de stations communes aux habitans des deux continens. Je crois cette opinion bien fondée, et M. Muller rassemble un grand nombre de faits pour l’appuyer. Dans les demeures souterraines des babitans de l’île Karaga, on voit des poutres faites de grands arbres de sapin, que cette île ne produit point , non plus que les terres du Kamtscharka, dont elle est très-voisine : Les habitans disent que ce bois leur vient par un vent d’est qui l’amène sur leurs côtes. Celles du Kamtechatka recoivent, du même côté, des glaces quela mer orientale y pousse en hiver deux à trois jours de suite : on y voit en certains temps des vols d'oiseaux, qui, après un séjour de 340 NOTES quelques mois, retournent à lest, d'où als étoiené | arrivés. Le continent opposé à celui de l’Asie vers | le nord, descend donc jusqu’à la latitude du Kam- ischatka : ce continent doit être celui de l’Amérique 4 occidentale. M. Muller, après avoir donné le précis de cinq ou six voyages lentés par la mer du Nord pour doubler la pointe septentrionale de Asie, fnit ” par dire que iout annonce l'impossibilité de cette navigation; et 1l le prouve par les raisons suivantes : Cette navigauon devroit se faire dans un été; or l’in- tervalle depuis Archangel à POby, et de ce fleuve au Jénisüik , demande une belle saison toute entière: Le passage du Waïgats a coûté des peines infinies aux Anglois ei aux Hollandois: au sortir de ce détroit glacial, on rencontre des Îles qui ferment le che-, min ;ensuite le continent, qui forme un cap entre les fleuves Piasida et Chatanga, $'avançant au-delà du m6e degré de latitude, est de même bordé d'une chaîne d'îles, qui laissent difficilement un passage à Ja navigation. Si lon veut s'éloigner des côtes et gagner la haute mer vers le pole , les montagnes de glaces presque immobiles qu’on trouve au Groen- land et au Spiizberg, n’annoncent-elles pas une continuité de glaces jusqu’au pole? Si l’on. veut longer les côtes, cette navigation est moins qisée| qu'elle ne l'étoit il y a cent ans ; Veau de POtéan,. y à diminué insensiblement : on voit encore loin | JUSTEFICATIVES. ve des bords que baigne la mer Glaciale, les bois qu’elle. a jetés sur desterres qui jadis lui servoient de rivages ; ces bords y sont si peu profonds , qu'on ne pourroit y employer que des bateaux ires-plats, qui, trop. foibles pour résister aux glaces, ne sauroient fournir une longue navigation, ni se charger des provisions. qu’elle exige. Quoique les Russes aient des res-- sources et des moyens que n’ont pas la plupart des autres nations européennes poux fréquenter ces mers. froides, on voit que les voyages tentés sur la mer Glaciale n’ont pas encore ouvert une route de l’Eu- ropeet de l’A sie à l’A mérique ; etce n’est qu’en par- tant de Kamischatka, ou d’un autre point de l'Asie la plus orientale , qu’on a découvert quelques côtes de l’ Amérique occidentale. Le capitaine Bebring partit du port d'Awaischa en Kamischatka le 4 juin r74r. Aprèsavoir couru au sud-est et remonté au nord-est , il appercut, le 18 du mois suivant , le continent de l'Amériqne à 584 28/ de latitude ; deux jours après, il mouilla près d une île enfoncée dans une baie : de là , voyant deux caps, il appela lun à l’orient Saint Elie, et l’autre | au couchant Saint-Hermogène ; ensuite 1l dépècha Chitrou, l'un de ses officiers, pour réconnoître ct visiter le golfe où il venoit d’entrer. On le trouva coupé ou parsemé d’iles : une entre auires offrit der sabanes désertes ; elles étoient de planches bicu 29 342 A. NOTES unies et même échancrées. On conjectura que cette île pouvoit avoir été habitée par quelques peuples du continent de l'Amérique. M. Sieller, envoyé pour faire des observations sur ces terres nouvelle= went découvertes, trouva une cave où l’on avoit mis une provision de saumon fumé, et laissé des cordes, des meubles et des ustensiles : plus loin, il vit fuir des Américains à son aspect. Bienlôt on appercut du feu sur une colline assez éloignée : les sauvages sans doute s’y étoient retirés ; un rocher escarpé y. couvroit leur rétraite. D'après l'exposé de ces faits, il est aisé de juger que ce ne sera Jamais qu’en partant de Kamtschatka que les Russes pourront faire le connnerce de la Chine et du Japon , et qu’il leur est aussi difficile, pour ne pas dire impossible, qu'aux autres nations de l’Europe, de passer par les mers du nord-est, dont la plus grande partie est entièrement glacée : je ne crains donc pas de répéter que le seul passage possible est par le nord-ouest, au fond de là baie de. Hudson, et que c’est l'endroit auquel les navigateurs doivent s'attacher pour trouver ce passage si désiré et si évidemment utile. Comme j'avois déja livré à li on fé toutes les feuilles précédentes de ce volume, j'ai recu de la part de M. le comte de Schouvaloff, ce grand komme d'état, que toute l'Europe estime et respecie, JUST FFACATI VES. 333 jai recu, dis-Je, en date du 29 octobre 1977, un excellent Mémoire composé par M. de Domasche- eff, président de la société impériale de Péters- bourg , et auquel l’impératrice a confié, à juste titre, le département de tout ce qui a rapport aux sciences et aux arts. Cet illustre savant m'a en même temps envoyé une copie faite à la main de la carte du pi- Jote Otcheredin, dans laquelle sont représeniées les routes et les découvertes qu'il à faites en 1550 et 1775, entre le Kamischatka et le continent de l'Amérique. M. de Domascheneff observe, dans son Mémoire, que cette carte du pilote Oicheredin est Ja plus exacte de toutes, et que celle qui a éié don- née en 1773 par l’académie de Pétersbourg doit être réformée en plusieurs points, et notamment sur la position des îles et le prétendu archipel qu'on y a représenté entre les îles Aleutes ou Aleoutes et celles d’Anadir, autrement appelées îles d’Andrien. La carte du pilote Otcheredin semble démontrer en efiet que ces deux groupes des îles Aïjeutes et des îles Andrien sont séparés par une mer libre de plus de cent lieues d’étendue. M. de Domascheneff assure que la grande carte générale de l'empire de Russie, qu’on vient de publier cette année 1957, représente exactemest les côtes de toute l'extrémité septentrio- nale de Asie habitée par les Tschutschis. Il dit que cette carte à été dressée d’après les connoissances 344 NOTES les plus récentes acquises par la dernière-expédition du major Pawluzki contre ce peuple. « Cette côte, « dit M. de Domascheneff, termine la grande chaîne « de montagnes , laquelle sépare toute la Sibérie de « P'Asie méridionale , etfinit en se partageant entre « la cha'ne qui parcourt le Kamtschatka et celles qui remplissent toutes les terres entre les fleuves « qui coulent à l’est du Léna. Les îles reconnues «entre les côtes du Kamischatka et celles de |A mé- « rique sont montagneuses, ainsi que les côtes de « Kamtschatka et celles du continent de Amérique : «11 y a donc une continuation bien marquée enire À « les chaînes de montagnes et ces deux continens , « dont les interruptions ,jadis peut-être moins con- « sidérables , peuvent avoir été élargies par le dépé- « rissement de la roche, par les courans continuels « qui entrent de la mer Glaciale vers la grande mer « du Sud , et par les catastrophes du glohe. » Mais cette chaîne soumarine, qui joint les terres du Kamtschatka avec celles de | Amérique, est plus méridionale de 7 ou 8 degrés que celle des îles À na- dir ou Andrien , qui de temps immémorial ont servi de passage aux Tschutschis pour aller en Amé- rique. | M. de Domascheneff dit qu'il est certain que cette traversée de la pointe de 1 Asie au conunent de l'Amérique se fait à la rame, et que ces peuples y. JUSTIFICATIVES. 345 vont trafiquer des ferrailles russes avec les Améri-. vains; que les îles qui sont sur ce passage sont sk fréquentes, qu'on peut coucher toutes les nuits à terre, et que le continent de l'Amérique où les Tschutschis commercent, est montagneux et couvert de forêts peuplées de renards, de martres et de zi- belines, dont ils rapportent des fourrures de qualités. et de couleurs toutes différentes de celles de Sibérie. Ces îles septentrionales situées entre les deux conti- nens ne sont guère connues que des Tschutschis : elles forment une chaîne entre la pointe la plus. orientale de l’Asie et le continent de l'Amérique , sous le 64e degré ; et cette chaîne est séparée par une mer ouverte de la seconde chaîne plus méridionale‘ dont nous venons de parler, située sous le 56e degré entre le Kamischatka ct l’ À mérique : ce sont les îles. de cette seconde chaîne que les Russes et les habi- ans de Kamischatka fréquentent pour la chasse des loutres marines et des renards noirs , dont les four- rures sont tres-précieuses. On avoit connoissance de. ces îles, même des plus orientales dans cette der nivre chaîne, avant l’année 1950 : l’une de ces îles, porte le nom du commandeur Behring, une autre assez voisine s'appelle l’{e Medenoi; ensuite on, trouve les quatre îles Aleutes ou AÂleoutes, les deux premitres situées un peu au - dessus ei les dernières, un peu au-dessous du 55° degré; ensuite on trouve, 346 NOTES environ au b6e degré les îles Atkhou et Amlaïgh n ÿ L s qui sont les premières de la chaîne dés îles aux }l 61e degré de latitude : le nom de ces îles est venu | du nombre prodigieux de renards qu'on y a trouvés, Les deux îlés du commandeur Behring et de Mede- noi étoient inhabitées lorsqu'on en fit la découverte: . mais on a trouvé dans les îles Aleutes, quoique plus avancées vers l’orient, plus d’une soixantaine de familles, dont la langue ne se rapporte, ni à celle de Kamischatka ni à aucune de celles de l’Asie orientale, et n’est qu’un dialecte de la langue que l'on parle dans les autres îles voisines de lAmé- rique ; ce qui sembleroit indiquer qu'elles ont été peuplées par les Américains, et non par les Asiatiques. | Les îles nommées par l'équipage de Behring l'ile Saint-Julien, Saint- Théodore, Saint- Abraham, sont les mêmes que celles qu’on appelle aujourd’hui les iles Aleutes; et de même Pile de Chommaghin, de Saint-Dolinat, indiquées par ce navigateur, font parue de celles qu on appelle #/es aux Renards. « La grande distance, dit M. de Domaschenef”, « et la mer ouverte et profonde qui se trouve entre « les îles Aleutes et les îles aux Renards, jointes au « gisement différent de ces dernières, peuvent faire « présumer que ces Îles nc forment pas upe chaîne Renards , laquelle s’étend vers le nord-est jusqu'au | JUSTIFICATIVES. 34% à marine continue; mais que les premières, avec celles « de Medenoi et de Behring font une chaîne marine « qui vient du Kamitschatka, et que les îles aux « Renards en représentent une autre issue de | Amé- « rique; que l'une et l’autre de ces chaînes vont « généralement se perdre dans la profondeur de la « grande mer , et sont des promontoires des deux « continens. La suite des îles aux Renards, dont « quelques unes sont d’une grande étendue, est « entremélée d’écueils et de brisans, et se continue « sans interruption Jusqu'au continent de l’Amé- « rique ; mais celles qui sont les plus voisines de ce « continent sont très-peu fréquentées par les barques « des chasseurs russes, parce qu’elles. sont fort peu- « plécs , et qu'il seroit dangereux d'y séjourner. Il « y a plusieurs de ces îles voisines de la terre-ferme « de. l'Amérique, qui ne sont pas encore bien « reconnues, Quelques navires ont cependant pé- « nétré jusqu'à l'ile de Kadjak, qui est très-voisine « du continent de l'Amérique; l’on en est assuré « tant sur le rapport des insulaires que par d’autres s raisons : une de ces raisons est qu'au lieu que « toutes les îles plus occidentales ne produisent que: « des arbrisseaux rabougris et rampans que les « vents de pleine mer empêchent de s'élever , l’île «de Kadjak au contraire, et les petites îles voi- « sines, produisent des bosquets d’aunes, qui 348 | NOTES: 7702 A) | « semblent indiquer qu elles se trouvent moins à « découvert , et qu'elles sont garanties au nord et à « l'est par un continent voisin. De plus, on ya « trouvé des loutres d’eau douce, qui ne se voient «point aux autres îles, de même qu’une petite « espèce de marmotte, qui paroît être la marmotte « du Canada ; enfin l’on y a remarqué des traces « d'ours et de loups, et les habitans sont vêtus de « peaux de rennes qui leur viennent du continent de « l'Amérique, dont ils sont très-voisins. « On voit, par la relation d’un voyage poussé « jusqu'à l’île de Kadjak, sous la conduite d’un « certain Geotiof , que les insulaires nomment « Æiakthan le continent de l'Amérique : ils disent « que celte grande terre est montagneuse -et toute. « couverte de forêts; ils placent cette grande terre « au nord de leur île, et nomment l’embouchure d'un grand fleuve Æ/aghschak, qui s’y trouve... « D'autre part , l’on ne sauroit douter que Bchring, « aussi-bicn que Tschirikow, nait effectivement touché à ce grand continent, puisqu'au cap Élie, « où sa frégate mouilla, l'on vit des bords de la ES mer le terrain s'élever en montagne continue ét « toute revêtue d’épaisses forêts : le terrain y étoit « d’une nature toute différente de celui du Kam- « tschatka; nombre de plantes américaines y Eécul « recucillies par Sieller. » JUSTIFICATIVES. 34 M. de Domascheneff observe de plus que toutes les îles aux Renards, ainsi que les îles Aleutes, et celle de Behring, sont montagneuses ; que leurs côtes sont, pour la plupart, hérissées de rochers, coupées par des précipices et environnées d’écueils jusqu’à une assez grande distance ; que le terrain s'élève depuis les côtes jusqu'au milieu de ces îles en montagnes fort roides, qui forment de petites chaînes dans le sens de la longueur de chaque île : au reste , il y a euet il y a encore des volcans dans plusieurs de ces îles, et celles où ces volcans sont éteints ont des sources d’eau chaude. On ne trouve point de métaux dans ces îles à volcans, mais seu- lement des calcédoines et quelques autres pierres colorées de peu de valeur. On n’a d’autre bois dans ces îles que les tiges ou branches d'arbres flottées par Ja mer, et qui n'y arrivent pas en grande quantité; il s’en trouve plus sur l’île Bebring et sur les Aleutes : 1] paroît que ces bois flottés viennent, pour la plu- part, des plages méridionales; car on y a observé le bois de camphre du Japon. Les babitans de ces’îles sont assez nombreux ; mais , comme ils mènent une vie errante , se trans- portant d’une île à l’autre, il nest pas possible de fixer leur nombre. On a généralement observé que plus les îles sont grandes, plus elles sont voi- L 30 350 NOTES : sines de l’Amérique, et plus elles sont peuplées: T] paroît aussi que tous les insulaires des îles aux Re nards sont d’une même nation , à laquelle les habi- tans des A leutes et des îles d'Andrien peuvent aussi se rapporter, quoiqu’ils en diffèrent par quelques coutumes. Tout ce peuple a ane très-crande res- semblance pour les moeurs, la facon de vivre etdese nourrir, avec les Esquimaux et les Groenlandois. Le nom de Kanaghist, dont ces insulaires s’appellent dans leur langue , peut-être corrompu par les ma- rins, est encore Lrès-ressemblant à celui de Karalit, dont les Esquimaux et leurs frères les Groenlan- dois se nomment. On n’a trouvé aux habitans de toules ces îles, entre l'Asie et L'Amérique, d'autres outils que des haches de pierre, des cailloux taillés en scalpel, et des omoplates d'animaux aiguisées pour couper ] herbe ; 1ls ont aussi des dards, qu ils lancent de la main à l’aide d’une palette, et desquels la pointe est armée d'un caillou pointu et artistement taillé : aujourd’hui 1ls ont beaucoup de ferrailles volées ou eulevées aux Russes. Ils font des. canots et des esp: ces de piroçues comme les Esquimaux : il y en a d’assez grandes pour contenir vingt per- sonnes ; la charpente en est de bois léger, recouvert par-tout de peaux de phoqués et d'autres animaux marins. | JUSTIFICATIVES 3% Il paroît, par tous ces faits, que de temps im+ mémorial les Tschutschis qui habitent la pointe la plus orientale de Asie, entre le b5e et le 70° degré, ont eu commerce avec les Américains, el que ce commerce étoit d'autant plus facile pour ces peuples accoutumés à la rigueur du froid, que l’on peut faire le voyage, qui n'est peut-être pas de cent lieues, en se reposant tous les jours d’ile en île, et dans de sunples canots, conduits à la rame en été, et peut- être sur la glace en hiver. L'Amérique a donc pu être peuplée par l’Asie sous ce parallèle ; et tout semble indiquer que, quoiqu'il y ait aujourd hui des interruptions de mer entre les terres de ces îles, elles ne faisoient autrefois qu’un même continent , par lequel l'Amérique étoit jointe à PAsie : cela semble indiquer aussi qu’au-delà de ces îles Ana- dir ou Andrien, c’est-à-dire, entre Je mot et le 75° degré, les deux continens sont absolument réunis par un terrain où il ne se trouve plus de mer, mais qui est peut-être entièrement couvert de glace. La reconnoïissance de ces plages au-delà du 50€ degré est une entreprise digne de Pattention de la grande souveraine des Russies, et 1] faudroit la confier à un navigateur aussi courageux que M. Phipps. Je suis bien persuadé qu'on trouveroit les deux continens réunis ; et s’il en est autrement, et qu'il y all une 352 NOTES JUSTIFICATIVES. mer ouverte au-delà des îles Andrien , ilme paroît certain qu’on trouveroit les appendices de la gr A Me glacière du pole à 8r ou 82 degrés, comme M. Phi Ds “les a trouvés à la même bauteur entre le Spitzbers et le Groenland. > l'in du tome huitième. pa BL E Des articles contenus dans ce volume. LE Époques de la Nature. Première ÉPoQuE. Lorsque la Terre et les planètes ont pris leur forme, page +. Notes sur la première Époque, 42. Seconde Epoque. Lorsque la matière s’étant conso- lidée a formé la roche intérieure du globe, ainsi que les grandes masses vitrescibles qui sont à sa surface , 45, ÿ 7 Notes sur la seconde Epoque , 74 Troisième Époque. Lorsque les eaux ont couvert. nos continens , 98. Notes sur la troisième Époque > 150+ Quatrième Epoque. Lorsque les eaux se sont reti- rées, et que les volcans ont commencé d’agir, 18r. Cinquième Epoque. Lorsque les éléphans et les autres anumaux du Midi ont habité les terres du Nord , 227. : Note sur la cinquième Époque, 262. Ra 4 TE M VA % Notes sur la sixième Er Ç D Mt + LS "4 1. ART 1 di - - LA Le 144 17 L : L si n x 7 ’ 1 : « d | « Û eye : by 4 $ . DITER TE LI 4 y'a YA Le Ur sin _ L] , $ f 2 : . À e'A JD N # v de * SA nr. \ AL ‘1 m4 ! . LS O9 . : RES. JWDC EE TER: L 1. “ » i } : 4 > à 4 Fée: 3 | ä t ë « . h . n'on + + $ RE CR MRSEUENT., » 2: } 3 s En à SR AINSI: F2 EL | | | PS AY. ; pe: : HET Le LA 1 IL FH # i "A | * . 4! ‘E Ur ; , : 4 ‘ : 3 ® y e , À } L “ue # ‘ ae PR DE L’IMPRIMERIE DE PLA . d £ ue La i 4 x x L » 4 (ia hs AVANT UE Y vu Are ALP EN D CO MA EL HA PART ENN Rate LUI 3 9088 00769 6677