if d Li AC des ne né . {| s HISTOIRE QUADRUPÈDES. no. TOM E SECOND a PO TI " HISTOIRE B%27 ‘44 _ sr | R LEA "1 NATURELLE _ Par BUFFON, DÉDIÉE AU CITOYEN LACEPEDE, MEMBRE DE L'INSTITUT NATIONALe QUADRUPEDES. TOME SECOND. Du ve j | 4 sat rire 0 DA mc AUEETE n ù » tr 4 sontan Inst, FU BASC à “#9 \ | RICHMOND À _coLLEcrIon | | ï / à n À PARIS #52 Mus92 SO Nal Musee ramener cn À LA LIBRAIRIE STÉRÉOTYPE . BE P. DIDOT, L'AÏNÉ, GALERIES DU LOUVRE, N°5, ET Firmin DIDOT, RUE DE THIONVILLE, N° 116. Re ven « à ar pr pt! * J MISTOIRE. MAT OUR ELLE LES ANIMAUX SAUVAGES. Dis les animaux domestiques et dans l'homme nous n'avons vu la nature que contrainte, rarement perfectionnée, souvent altérée , défigurée, et toujours environnée d’entraves ou chargée d’ornemens étrangers : maintenant elle va paroiître nue, parée de sa seule simplicité, mais plus piquante par ' - , . , f. , A ° sa beaute naïve, sa démarche légère, son air libre, et par les autres attributs de la no- blesse et de l'indépendance. Nous la verrons, parcourant en souveraine la surface de la terre, partager son domaine entre les ani- maux, assigner à chacun son éléinent, son Quadrupides, LT. | di 1 l "HISTOIRE NATUREDE# 0, climat, sa subsistance: nous la verrons dans | les forêts, dans les eaux, dans les plaines, dictant ses lois simples, mais immuables, imprimant sur chaque espèce ses caractères inaltérables ,_et dispensant avec équité ses dons, compenser le bien et le mal; donner aux uns la force et le courage, accompagnés du besoin et de la voraciteé; aux autres, la douceur, la tempérance, la légéreté du corps, avec la crainte, l'inquiétude et la timidité; à tous, la liberté avec des mœurs constantes; à tous, des desirs et de l’amour toujours aisés à satisfaire, et toujours suivis d'une heureuse fécondite. | Amour et liberté, quels bienfaits! Ces ani- maux que nous appelons sauvages , parce qu'ils ne nous sont pas soumis, ont-ils be— soin de plus pour être heureux? Ils ont en— core l'égalité; ils ne sont ni les esclaves ni les tyrans de leurs semblables ; l'individu n’a pas à craindre, comme l’homme, tout le reste de son espèce; ils ont entre eux la paix, et la guerre ne leur vient que des étrangers ou de nous. Ils out donc raison. de Fe l’espèce humaine, de se derober à / motre aspect, de Ê “établir dans les solitudes | ’ ee à À Pr » DES ANIMAUX SAUVAGES. 3 éloignées de nos habitations, de se servir de toutes les ressources de leur instinct pour se mettre en sûreté, et d'employer, pour se soustraire à la puissance de l’homme ; tous les moyens de liberté que la nature leur a fournis en même temps qu’elle leur a donné le desir de l'indépendance. Les uns, et ce sont les plus doux, les plus innocens, les plus tranquilles, se con- tentent de s éloigner, et passent leur vie dans nos campagnes; ceux qui sont plus défians, plus farouches , s’enfoncent dans les bois ; d’autres, comme s'ils savoient qu'il n’y a nulle sûrete sur la surface de la terre, se creusent des demeures souterraines, se re- fugient dans des cavernes, ou gagnent les sommets des montagnes les plus inacces- sibles; enfin les plus féroces, ou plutôt les plus fiers, n’habitent que les déserts, et règnent en souverains dans ces climats brû lans où l’homme, aussi sauvage qu'eux, ne peut leur disputer l'empire. Us _ Et comme tout est soumis aux lois phy- “siques, que les êtres même les plus libres y sont assujettis, et que les animaux éprou- vent, comme l’homme , les influences du # ? 4 HISTOIRE NATURELLE Nos ciel et de la terre, il semble que les mêmes causes qui ont adouci, civilisé l'espèce hu— maine dans nos climats, ont produit de pareils effets sur toutes les autres espèces : le loup, qui dans cette zone tempérée est. peut-être de tous les animaux le plus féroce, n'est pas, à beaucoup près, aussi terrible, aussi cruel, que le tigre, la panthère, le _ lion de la zone torride, ou l’ours blanc, lé loup-cervier , l’hyène de la zone glacée. Et. non seulement cette différence se trouve en genéral, comme si la nature, pour mettre plus de rapport et d'harmonie dans ses pro. ductions, eût fait Le climat pour les espèces ; » ou les espèces pour le climat, mais même on trouve dans chaque espèce en particulier le climat fait pour les mœurs, et les mœurs pour le elimat. Nu En Amérique, où les chaleurs sont moin-. dres, où l'air et la terre sont plus doux. qu’en Afrique, quoique sous la même ligne, à le tigre, le lion, la panthère, n’ont rien er redoutable que le nom : ce ne sont plus € | tyrans des forêts, ces ennemis de l'homme aussi fiers qu'intrépides, ces monstres altérés de sang et de carnage; ce sont des animaux DES ANIMAUX SAUVAGES. 5° qui fuient d'ordinaire devant les hommes ; qui, loin de les attaquer de front, loin même de faire la guerre à force ouverle aux autres bêtes sauvages, 11 ‘emploient le plus souvent que l’artifice et la ruse pour tächer de les surprendre; ce sont des animaux qu’on peut domter comme les autres, et presque apprivoiser. Îls ont donc ner si leur nature étoit la férocité jointe à la cruauté, ou plutôt ils n'ont qu'éprouvé l'influence du climat : sous un ciel plus doux leur naturel s’est adouci; ce qu’ils avoient d’excessif s’est tempéré, et par les changemens qu’ils ont subis ils sont seulement devenus plus con. formes à la terré qu'ils ont habitée. , Les végétaux qui couvrent cette terre, et qui y sont encore attachés de plus près que Vanimal qui broute, participent aussi plus que lui à la nature du climat; chaque pays, chaque degré de température, a ses plantes particulières. On trouve au pied des Alpes celles de ‘France et d’ Italie. On trouve à leur sommet celles des pays du Nord; on re- trouve ces mêmes plantes du Nord sur les cimes glacées des montagnes d'Afrique. Sur . les monts qui séparent Angie du Mogol au 1 4 ee en 2 6 HISTOIRE NATURELLE. royaume de Cachemire, on voit du côté du Midi toutes les plantes des Indes, et l’on est surpris de ne voir de l'autre côté que des plantes d'Europe. C’est aussi des climats excessifs que l'on tire les drogues, les par- lums, les poisons , et toutes les plantes dont les qualités sont excessives : le climat tem- péré ne produit au contraire que des choses tempérees ; les herbes les plus douces, les légumes les plus sains, les fruits Les plus suaves , les animaux les plus tranquilles, les hommes les plus polis, sont l'apanage de cet heureux climat. Ainsi la terre fait les plantes; la terre et les plantes font les ani: maux; la terre, les plantes et les’ animaux font l’homme: car les qualités des végetaux viennent immediatement de la terre et de l'air; le tempérament et les autres qualités relatives des animaux qui paissent l’herbe ; tiennent de prés à celles des plantes doné ils se nourrissent; enfin les qualités phy- siques de l’homme et des animaux qui Vi vent sur les autres animaux autant que sur les plantes, dépendent, quoique de plus loin ,.de ces mèmes causes, dont l'influence | s'étend jusque sur leur naturel.et sur leurs “y 1 PARA ” ‘ | A v Û gr F cé DES ANIMAUX SAUVAGES. 7 | NES Et ce qui prouve encore mieux que tout se tempère dans un climat tempéré, et que tout est excès dans un climat ex- cessif, c’est que la grandeur et la forme, qui paroissent être des qualités absolues , fixes et déterminées, dépendent cependant, comme les qualités relatives, de l’influence du climat. La taille de nos animaux qua- drupèdes n’approche pas de celle de l’élé- phant , du rhinocéros, de l’hippopotame ; nos plus gros oiseaux sont fort petits, si om les compare à l’autruche, au condor, au casoar; et quelle comparaison des poissons ;, des lézards, des serpens de nos climats, avec les baleines , les cachalots, les narvals qui peuplent les mers du Nord, et avec Les cro- codiles, les grands lézards et les couleuvres énormes qui infestent les terres et les eaux du Midi! Et si l’on considère encore chaque espèce dans différens climats, on y trouvera des variétés sensibles pour la grandeur et pour la forme; toutes prémnent une tein- ture plus ou moins forte du climat. Ces changemens ne se font que lentement, im- perceptiblement : le grand ouvrier de la na- ture est le Temps; comme 1l marche toujours $ F'ARSA CANONS Si : dés A PE | OU RANE. 4 f F4? | GE 8 “HISTOIRE RATURELLE d'un pas égal, uniforme et réglé, ilne fait rien par sauts, mais par degrés, par nuances, par succession ; il fait tout; et ces change- mens, d'abord imperceptibles, deviennent peu à peu sensibles , et se marquent enfin par des résultats auxquels on ne peut se meéprendre. Cependant les animaux sauvages et libres sont peut-être, sans même en excepter l’homme, de tous les êtres vivans les moins sujets aux alterations , aux changemens, aux variations de tout genre : comme ils sont absolument les maîtres de choisir leur nour- riture et leur climat, et qu’ils ne se con- traignent pas plus qu’on les contraint, leur nature varie moins que celle des animaux domestiques, que l’on asservit, que l’on transporte, que l’on maltraite, et qu'on nourrit sans consulter leur goût. Les ami. maux sauvages vivent constamment de la même façon ; on ne les voit pas errer de climats en climats; le bois où ils sont nés est une patrie à laquelle ils sont fidèlement attachés; ils s’en éloignent rarement, et ne la quittent jamais que lorsqu'ils sentent qu'iis ne peuvent y vivre en sürete. Et ce P2 # À | DES ANIMAUX SAUVAGES. 9 _ sont moins leurs ennemis qu’ils fuient, que la présence de l’homme : la nature leur a donné des moyens et des ressources contre les autres animaux; ils sont de pair avee eux ; ils connoissent leur forceet leur adresse; ils jugent leurs desseins, leurs démarches ; ets ils ne peuvent les éviter, au moins ils | ‘se defendent COTPS à corps; ce sont, en un mot, des espèces de leur genre : mais que peuvent-ils contre des êtres qui savent les trouver sans les voir, et les abattre sans les approcher ? C’est donc l’homme qui les inquiète, qui les écarte, qui les disperse, et qui les rend mille fois plus sauvages qu’ils ne le seroient en effet: car la plupart ne demandent que la tranquillité, la paix, et l'usage aussi mo- déré 5 innocent de l’air et de la terre; ils sont même portés par la nature à demeurer ensemble, à se reunir en famiiles, à former des espèces de sociétés. On voit encore des vestiges de ces sociétés dans les pays dont l'homme ne s’est pas totalement emparé: on N voit même des ouvrages faits en commun, des espèces de projets, qui, sans être rai | sonxés, paroissent être fondes sur des conve- 27 A fl 1er 50 HISTOIRE NATURELLE. nances raisonnables, dont l’exécution sup- pose au moins l’accord, l’union et le con- cours de ceux qui s’en occupent. Et ce n’est point par force ou par nécessité physique, comme les fourmis, les abeilles, etc. que les. castors travaillent et bâtissent : car ils ne sont : contraints, ni par l’espace, ni par le temps, ni par le nombre; c’est par choix qu’ils se réunissent : ceux qui se conviennent de- meurent ensemble, ceux qui ne se con- viennent pas s’éloignent; et l’on en voit quelques uns qui, toujours rebutés par les autres, sont obligés de vivre solitaires. Ce n'est aussi que dans les pays css gnés, et où ils craignent peu la rencontre des hommes, qu’ils cherchent à s'établir et à rendre leur demeure plus fixe et plus . commode, en y construisant des habitations, | ‘espèces de bourgades, qui représentent assez bien les foibles travaux et les premiers efforts d’une république naissante. Dans les pays au-contraire où les hommes se sont ré- la terreur semble habiter avec eux, il n’y a plus de société parmi les animaux; toute industrie cesse, tout art est étouffe: ile ‘+ ne songent plus à bâtir, ils négligent toute CE … DES ANIMAUX SAUVAGES. :r commodité; toujours pressés par la crainte et la nécessité, ils ne cherchent qu’à vivre, ils ne sont occupés qu’à fuir et se cacher; et si, comme on doit le supposer, l'espèce hu- maine continue dans la suite des temps à peupler également toute la surface de la terre, on pourra dans-guelques siècles re- garder comme une fable l’histoire de nos castors. 1, Met On peut donc dire que les animaux, loin d’aller en augmentant, vont au contraire en diminuant de facultés et de talens ; le temps même travaille contre eux: plus l'espèce hu- maine se multiplie, se perfectionue , plus ils sentent le poids d’un empire aussi ter- rible qu’absolu , qui, leur laissant, à peine leur existence individuelle, leur_ôte tout moyen de liberté, toute idée de société, et | détruit jusqu’au germe de leur intelligence. Ce qu'ils sont devenus, c ’1ls deviendront encore, n'indique peut pas assez ce qu’ils ont été, ni ce qu'ils pourroient être. Qui sait, si l'espèce humaine étoit anéantie, auquel d’entre eux appartiendroit le sceptre de la terre ? Lt? % 0 SRE LE CERF* V'orck l'un de ces animaux innocens ,. doux et tranquilles; qui ne semblent être faits que pour embellir, animer la solitude des forêts, et occuper loin de nous les re- traites paisibles de ces jardins de la nature. Sa forme élégante et légère, sa taille aussi svelte que bien prise, ses membres flexibles et nerveux, sa tête parée plutôt qu'armée d’un bois vivant, et qui, comme la cime des arbres, tous les ans se renouvelle, sa grandeur , sa légéreté, sa force, le distin- guent assez des autres habitans des bois; et comme il est le plus noble d’entre eux, il ne sert aussi qu'aux plaisirs des plus nobles des hommes; il a dans tous les temps oc- cupé le loisir des héros. L'exercice de la chasse doit succéder aux travaux de la guerre, : * En fatin, cerous ; en italien, cervo ; en espa- guol, ciervo ; en allemand, hirsch ; en anglois, red-deer. mt A = a" Tom2 | PL 1. Pag 22, ; LStuguaS LA. | PL 2 , lag 12 ; ETATS Ma dd LA PORTE M LS Er NP Ha | Tont2 ; PL , Pag 12 y Fi i auque. 1 HISTOIRE NATURELLE. 13 il doit même les précéder ; savoir manier les chevaux et les armes, sont des talens communs au chasseur, au guerrier. L'habi- tude au mouvement, à-la fatigue, l'adresse, la légéreté du corps, si nécessaires pour sou- tenir et même pour seconder le courage, æ prennent à la chasse et se portent à la guerre; c'est l’école agréable d’un art neé- cessaire; c’est encore le seul amusement qui fasse diversion entière aux affaires, le seul délassement sans mollesse, le seul qui donne un plaisir vif sans langueur, sans mélange et sans satifté. Que peuvent faire de mieux les hommes qui, par état, sont sans cesse fatigués de la presence des autres hommes ? Toujours envi- xonnés, obsédés et gênés, pour ainsi dire, ar le mr toujours en butte à leurs demandes » à leurs empressemens, forcés de s'occuper de soins étrangers et ire 5 ugités par de grands intérêts, et d'autant plus contraints qu'ils sont plus élevés, les grands ne sentiroient que le poids de la _ grandeur, et n’existeroient que pour les autres, s'ils ne se déroboient par instans à la foule même des flatteurs. Pour jouir de 2 FE MAT à PES ‘4 HISTOIRE NATURELLE soi-même, pour rappeler ‘dans l'ame les affections personnelles, les desirs secrets, ces sentimens intimes, mille fois plus pré- cieux que les idées de la grandeur, ils ont besoin de solitude : et quelle solitude plus variée, plus animée, que celle de la chasse? quel exercice plus sain pour le corps? quel repos plus agréable pour l'esprit ? | Il seroit aussi pénible de toujours repré- senter que de toujours méditer. L'homme n’est pas fait par la nature pour la contem- plation des choses abstraites; et de même que s'occuper sans relâche d’études difficiles, d’affaires épineuses, imener une vie séden- taire, et faire de son cabinet le centre de son existence, est un état peu naturel, il semble que celui d'une vie tumultueuse, agitée, entraînée, pour ainsi dire, par le mouvement des autres hommes, et où l’on. est obligé de s’observer, de se contraindre, et de représenter continuellement à leurs yeux, est une situation encore plus forcée. : Quelque idée que nous voulions avoir de nous-mêmes, il est aisé de sentir que re= présenter n’est pas être, ét aussi que nous sommes moins faits pour peuser que pour | à BRIDERE. ri 38 agir, pour raisonner que pour jouir : nos vrais plaisirs consistent dans le libre usage de nous-mêmes; nos vrais biens sont ceux de la nature; c'est le ciel, c’est la terre, ce sont ces campagnes, ces plaines, ces fo- rêts , dont elle nous offre la jouissance utile, inépuisable. Aussi le goût de la chasse, de la pêche, des jardins , de l’agriculture, est un goût naturel à tous les hommes; et dans les sociétés plus simples que la nôtre, il n’y a guère que deux ordres, tous deux relatifs à ce genre de vie: les nobles, dont le métier est la chasse et les armes ; et les hommes en sous-ordre, qui ne sont Did qu'à la culture de la terre.” Et comme dans les sociétés policées on agrandit, on perfectionne tout; pour rendre le plaisir de la chasse plus vif et plus piquant, pour anoblir encore cet exercice le plus noble de tous, on en a fait un art. La chasse du cerf demande des connoissances qu’on ne peut acquérir que par l'expérience ; elle sup- pose un appareil royal, des hommes, des chevaux , des chiens, tous exercés, styles, dressés, qui, par leurs mouvemens, leurs recherches et leur intelligence, doivent aussi ” | » i N LOL NN AU AREAS Om cd 1 | Pound l F “a y PA PUR Le A nt 16 HISTOIRE NATURELLE concourir au même but. Le veneur doit juger 6) _Vä âge et le sexe; il doit savoir distinguer et | reconnoître précisément si le cerf qu’il a dé- tourné ! avec son limier? est un daguet, um jeune cerf4, un cerf de dix cors jeunement, un cerf de dix cors, ou un vieux cerf”; et les principaux indices qui peuvent donner cette 1 Détourner le cerf, c’est tourner tout autour de l’endroit où un cerf est entré, et s'assurer qu'il n'en est pas sorti. 2 Limier, chien que l’on choisit ordinairement parmi les chiens-courans, et que l’on dresse pour détourner le cerf, le chevreuil , le sanglier, etc. 5 Daguet, Cest un jeune cerf portant les da- gues; et les dagues sont la premiere tête ou le premier bois du cerf, que lui vient au commence- ment de la seconde année. | 4 Jeune cerf, cerf qui est dans la troisième, quatrième ou cinquième année de sa vie. $ Cerf de dix cors jeunement, cerf qui est dans la sixième année de sa vie. LC erf de dix cors, cerf qui est dans là M tième année de sa vie. 7 Vieux cerf, cerf qui est dans la huitième, neuvième, dixième, etc. année de sa vie, 149 : - DU CERF. ‘a connoissance, sont le pied ! et les fumées? ‘Le pied du cerf est mieux fait que celui de la . biche; sa jambe est plus grosse et plus près . ses allures ° plus grandes ; il marche plus ré- du talon ; ses voies * sont mieux tournées , et J gulièrement; il porte le pied de derrière dans celui de devant; au lieu que la biche a le pied plus mal fait, les allures plus courtes, et ne pose pas régulièrement le pied de derrière dans la trace de celui de devant. Dès que le cerf est à sa quatrième tête, il est assez re— connoissable pour ne s’y pas méprendre : mais il faut de l'habitude pour distinguer le pied du jeune cerf de celui de la biche; et pour être sûr, on doit y regarder de près et en ? Pied , empreinte du pied du cerfsur la terre. ? Fumée, fiente du cerf. - 5 On appelle jambe les deux os qui sont au bas à la parte postérieure, et qui font trace sur la terre avec le pied. 4 Moies , ce sont les pas du cerf. $ Allures du cerf, distance de ses pas. 6 Tête, bois ou cornes du cerf. ë2 NE AN Ab, À 18 HISTOIRE NATURELLE Ÿ. revoir ! souvent. Les cerfs de dix cors jeunes ment, de dix cors, etc. sont encore plus aisés à reconnoître : ils ont le pied de devant beau- coup plus gros que celui de derrière; et plus ils sont vieux, plus les côtés des pieds sont gros et usés2?: ce qui se juge aisément par les allures, qui sont aussi régulières que celles des jeunes cerfs, le pied de derrière posant toujours assez exactement sur le pied de de- vant, à moins qu'ils n'aient mis bas leurs têtes; car alors les vieux cerfs se méjugent * presque autant que les jeunes, mais d’une manière différente, et avec une sorte de régu- larité que n’ont ni les jeunes cerfs, ni les biches ; ils posent le pied de derrière à côté ] 1 En revoir, c’est avoir des indices du cerf par Je pied. 2 Comme le pied du cerf s’use plus ou moins suivant la nature des terrains qu’il habite, il ne faut entendre ceci que de la comparaison entre cerfs du même pays, et par conséquent il faut avoir d’autres connoissances , parce que dans le 1emps ‘du rut on court souvent des cerfs venus de loin. AN la 3 Se méjuger, c'est, pour le cerf, mettre le pie de derrière hors de la trace de celui de devant. | DU CERF. | 1:} de celui de devant, et jamais au-delà ni en ‘decà. A Lorsque le veneur , dans les sécheresses de l'été, ne peut juger par Le pied, il est obligé de suivre le contre-pied ! de la bête pour tà- cher de trouver les fumées, et de la recon- noitre par cet indice, qui demande autant et peut-être plus d'habitude que la connoissance du pied : sans cela, il ne lui seroit pas pos- sible de faire un rapport juste à l'assemblée des chasseurs. Et lorsque, sur ce rapport, l’on aura conduit les chiens à ses brisées?, il doit encore savoir animer son limier, et le faire appuyer sur les voies jusqu’à ce que le cerf soit lance : dans cet instant, celui qui laisse courref, sonne pour faire découpler les chiens *; et dès qu'ils le sont, il doit les ap- _ 1 Suivre le contre-pied, C'est suivre les traces à æebours. 2 Brisées, endroit où le cerf est entré, et où Jon a rompu des branches pour le remarquer. 3 Laisser courre un cerf , Cest le lancer avec le Jimier, c’est à-dire le faire partir. # Découpler les chiens , C’est détacher les chiens l'un d’avec l'autre pour les Faire chasser. "4 # AT is HISTOIRE NATURELLE +. puyer de la voix et de la trompe ; at être connoisseur, et bien remarquer le pied de son cerf, afin de le reconnoître dans le change! , ou dans le cas qu’il soit accompa- sue. IL arrive souvent alors que les chiens se séparent , et font deux chasses : les piqueurs ? doivent se séparer aussi, et rompre les chiens® qui se sont fourvoyés*, pour les ramener et les rallier à ceux qui chassent le cerf de meute. Le piqueur doit bien accompagner ses chiens, toujours piquer à côté d'eux, tou- jours les animer Sans trop les presser , les aider sur le change, sur un retour, et, pour Wu 1 jh De OUEN UD NU TE 44 * STUNT NS F1 ne se pas méprendre, tâcher de revoir du cerf aussi souvent qu’il est possible ; car il ne manque jamais de faire des ruses: il passe 1 Change, c’est lorsque le cerf en va chercher: un autre pour le substituer à sa place. 2 Les piqueurs sont ceux qui courent à cheval après les chiens, et qui les accompagnent pour les faire chasser. 3 Rompre les chiens , C’est les rappeler, et leur faire quitter ce qu’ils chassent. 4 Se fourvoyer, Cest s’écarier de la voie, ét. chasser quelque autre cerf que celui de la meute “a DU CERE 2x et repasse souvent deux ou trois fois sur sa voie, il cherche à se faire accompagner d’au- tres bêtes pour donner le change; et alors il perce et one tout de suite, ou bien il se jette à l'écart, se cache, et reste sur le ventre. Dans ce cas, lorsqu'on est en défaut}, on prend les devans , on retourne sur les der- rières; les piqueurs et les chiens travaillent de concert : si l’on ne retrouve pas la voie du cerf, on juge qu'il est resté dans l’enceinte dont on vient de faire le tour; on la foule de nouveau ; et lorsque le cerf ne s’y trouve pas, il ne reste d'autre moyen que d’i imaginer la refuite qu il peut avoir faite, vu le pays où. l'on est, et d'aller l’y chercher. Dès qu’on sera retombe sur les voies, et que les chiens auront relevé le défaut?, ils chasseront avec plus d'avantage, parce qu’ils sentent bier que Le cerf est déja fatigué; leur ardeur aug- mente à mesure qu'il s’affoiblit; et leur sen- timent est d'autant plus distinct et plus vif, \ A L 1 Élre en défaut, c’est lorsque les chiens ons perdu la voie du cerf, 2? Relever le défaut , c’est retrouver les voies du “ ecrf, et le lancer une seconde fois. \* k ACRTMEAR ns Ph 2e MOLL Lo à (3 ‘4 22 HISTOIRE NATURELLE que le cerf est plus échauffé: aussi redoublent- ils et de jambes et de voix; et quoiqu'il fasse alors plus de ruses que jamais, comme il ne peut plus courir aussi vite, ni par conséquent s'éloigner beaucoup des chiens, ses ruses et ses détours sont inutiles; il n’a d'autre res- source que de fuir la terre qui le trahit, et de se jeter à l'eau pour dérober son sentiment aux chiens. Les piqueurs traversent ces eaux; ou bien ils tournent autour , et remettent en- suite les chiens sur la voie du cerf, qui ne peut aller loin dès qu’il a battu l’eau !, et qui bientôt est aux abois?, où il tâche encore de défendre sa vie , et blesse souvent de coups d'andouillers les chiens, et même les chevaux des chasseurs trop ardens, jusqu’à ce que l’un d’entre eux lui coupe le jarret pour le faire tomber, et l’achève ensuite en lui donnant un coup de couteau au défaut de l’épaule. On célèbre en mème temps la mort du cerf par * Battre l'eau , baitre les eaux , c'est traverser, après avoir été long-temps chassé, une rivière OU un élang. 2 Abois, c’est lorsque le cerf est à l'extrémité . el Door épuisé de forces. EL E | DU CERF. 23 ‘des fanfares , on le laisse fouler aux chiens, et on les fait jouir pleinement de leur vic- toire, en leur faisant curée!. Toutes Les saisons, tous les temps ne sont pas également bons pour courre le cerf? : au printemps , lorsque les feuilles naissantes commencent à parer les forêts, que la terre se couvre d'herbes nouvelles et s’émaille de { 4 ‘ leurs ,.leur parfum rend moins sur le senti- ment des chiens ; et comme le cerf est alors dans sa plus grande vigueur, pour peu qu’il ait d'avance, ils ont beaucoup de peine à le joindre. Aussi les chasseurs conviennent-ils que la saison où les biches sout prètes à mettre bas, est celle de toutes où la chasse est la plus difficile , et que dans ce temps les chiens quittent souvent un cerf mal mené, pour tourner à une biche qui bondit devant eux; et de même au commencement de l’au- * LA . . tomne, lorsque le cerf est en rut°, les limiers 1 Faire curée, donner la curée, c’est fure manger aux chiens le cerf ou la bête qu'ils ont prise. 2 Courre le cerf , chasser le cerf avec des chiens- gourahse 1 es si 3 Rut, chaleur, ardeur d'amour. LS: 7 24 HISTOIRE NATURELLE. quêtent sans ardeur : l’odeur forte du rut. leur rend peut-être la voie plus indifférente ; peut-être aussi tous les cerfs ont-ils, dans ce : temps, à peu près la même odeur. En hiver, pendant la neige, on ne peut pas courre le cerf; les limiers n’ont point de sentiment, et semblent suivre les voies plutôt à l'œil qu’à Tlodorat. Dans cette saison, comme les cerfs ne trouvent pas à viander ! dans les forts, ils en sortent, vont et viennent dans les pays plus découverts , dans les petits taillis, et même dans les terres ensemencées : ils sè mettent en hardes ? dès le mois de décembre; et, pendant les grands froids, ils cherchent à se mettre à l’abri des côtes, ou dans des en- droits bien fourrés, où ils se tiennent serrés les uns contre les autres, et se réchauffent de leur haleine. À la fin de l’hiver, ils gagnent. le bord des forêts, et sortent dans les blés. Au printemps, ils mettent bas’; la tête se dé- tache d'elle-même, ou par un petit effort 1 Fiander, brouter, manger, | " ? Harde, troupe de cerfs. 3 Mettre bas, Vest lorsque lé’ bois des cerfs tombe. DU CERF. PIN aR qu'ils font en s’accrochant à quelque branche : il est rare que les deux côtés tombent préci- sément en même temps, et souvent il y a un jour ou deux d'intervalle entre la chûte de chacun des côtés de la tête. Les vieux cerfs sont ceux qui mettent bas les premiers, vers la fin de février, ou au commencement de mars ; les cerfs de dix cors ne mettent bas ‘que vers le milieu ou la fin de mars ; ceux de dix cors jeunement, dans le mois d'avril; les jeunes cerfs au commencement, et les daguets vers le milieu et la fin de mai : mais il y a sur tout cela beaucoup de variétés , et l’on voit quelquefois de vieux cerfs mettre bas plus tard que d’autres qui sont plus jeunes. Au reste, la mue de la tête,des cerfs avance lorsque l'hiver est doux, et retarde lorsqu'il est rude et de longue durée. Dès que les cerfs ont mis bas, ils se sé— parent les uns des autres, et il n’y a plus que les jeunes qui demeurent ensemble. Ils ne se tiennent pas dans les forts; mais ils gagnent les beaux pays, les buissons, les taillis clairs, _ où ils demeurent tout l’été pour y refaire leur _ tête : et dans cette saison, ils marchent la tête basse, crainte de la froisser contre les | | 3 Kk a de 26 HISTOIRE NATURELLE branches; car elle est sensible tant qu’elle n’a pas pris son entier accroissement. La tête des plus vieux cerfs n’est encore qu’à moitié re- faite vers le milieu du mois de mai, et n’est tout-à-fait alongée et endurcie que vers la fin de juillet. Ceile des plus jeunes cerfs, tom bant plus tard, repousse et se refait aussi plus tard : mais dès qu’elle est entièrement alon- gsée, et qu'elle a pris de la $olidité, les cerfs la frottent contre les arbres pour la dépouil- Ler de la peau dont elle est revètue; et comme ils continuent à la frotter pendant plusieurs jours de suite, on prétend qu’elle se teint de la couleur de la séve du bois auquel ils touchent ; qu’elle devient rousse contre les hêtres et les bouleaux, brunecontre les chênes, et noiratre contre les charmes et les trembles. On dit aussi que les têtes des jeunes cerfs, . qui sont lisses et peu perlées, ne se teignent pas à beaucoup près autant que celles des vieux cerfs, dont les perlures sont fort prés les unes des autres, parce que ce sont ces per- lures qui retiennent la séve qui colore le bois; mais je ne puis me persuader que ce soit la la vraie cause de cet effet, ayant eu des cerfs privés et énfermes dans des enclos DIE CERF 27 où il n’y avoit aucun arbre, et où par consé- quent. ils n’avoient pu toucher au bois , des- quels cependant la tête étoit colorée comme celle des autres. Peu de temps après que les cerfs ont bruni leur tête, 1ls commencent à ressentir les im- * pressions du rut ; les vieux sont les plus avan- _cés : dès la fin d'août et le commencement de septembre, ils quittent les buissons, re- viennent dans les forts, et commencent à chercher les bêtes !; ils raient ? d’une voix forte; le cou et la gorge leur enflent; ils se tourmentent ; 1ls traversent en plein jour les guérets et les plaines ; ils donnent de la tête contre les arbres et les cépées ; enfin ils pa- roissent iransportes, furieux, et courent de pays en pays, jusqu'à ce qu’ils aient trouvé des bêtes, qu’il ne sufhit pas de rencontrer, mais qu'il faut encore poursuivre, contrain- dre, assujettir: car elles les évitent d’abord; elles fuient , et ne les attendent qu'après avoir éte long-temps fatiguces de leur pour- * Les bêtes, en termes de chasse, signifient Zes biches. ? Aaire, cricr. #8 HISTOIRE NATURELLE suite. C’est aussi par les plus vieilles que . Ÿ "181 commence le rut; les jeunes biches n’entrent en chaleur que plus tard ; et lorsque deux cerfs se trouvent auprès de la mème, il faut encore combattre avant que de jouir : s'ils sont d’égale force, ils se menacent, ils grattent la terre, ils raient d’un cri terrible, et, se précipitant l’un sur l’autre, ils se battent à outrance, et se donnent des coups de tête et d’andouillers * si forts, que souvent ils se blessent à mort. Le combat ne finit que par la défaite ou la fuite de l’un des deux ; et alors le vainqueur ne perd pas un instant pour jouir de sa victoire et de ses desirs, à moins qu’un autre ne survienne encore, au— quel cas il part pour l’attaquer et le faire fuir comme le premier. Les plus vieux cerfs sont toujours les maîtres, parce qu’ils sont plus fiers et plus hardis que les jeunes, qui n’osent approcher d'eux ni de la bête, et qui sont obligés d'attendre qu’ils l’aient quittée pour l'avoir à leur tour : quelquefois cependant ils sautent sur la biche pendant que les vieux combattent; et après avoir joui fort à la hâte, * Andoullers , cornichon du bois de cerf, | DU CERF. 29 ils fuient promptement. Les biches préfèrent les vieux cerfs, non pas parce qu'ils sont plus courageux, mais parce qu’ils sont beau- coup plus ardens et plus chauds que les jeunes : ils sont aussi plus inconstans; ils ont souvent plusieurs bêtes à la fois ; et lorsqu'ils n’en ont qu'une, ils ne s’y attachent pas, ils ne la gardent que quelques jours; après quoi ils s’en séparent, et vont en chercher une autre, auprès de laquelle ils demeurent en- Core moins, et passent ainsi successivement à plusieurs, jusqu’à ce qu'ils soient tout-à- fait épuisés. Cctte fureur amoureuse ne dure que trois semaines : pendant ce temps ils ne mangent que très-peu , ne dorment ni ne reposent ; nuit et jour ils sont sur pied, et ne font que marcher, courir, combattre et jouir. Aussé sortent-ils de là si défaits, si fatigués, sx maigres, qu'il leur faut du temps pour se re- mettre et reprendre des forces : ils se retirent ordinairement alors sur le bord des forêts, le long des meilleurs gagnages, où ils peuvent trouver une nourriture abondante, et ils y demeurent jusqu'à ce qu’ils soient rétablis. Le rut, poux les vieux cerfs, commence au 3 ) 3e HISTOIRE NATURELLE premier de septembre, et finit vers le 20; pour les cerfs de dix cors, et de dix cors jeune- ment, il commence vers Le 10 de septembre, et finit dans les premiers jours d'octobre; pour les jeunes cerfs, c’est depuis le 20 septembre jusqu’au 15 octobre; et sur la fiu de ce même mois , il n'y a plus que les daguets qui sont en rut, parce qu'ils y sont entrés les derniers | de tous : les plus jeunes biches sont de même les dernières en chaleur. Le rut est dénc en- tièrement fini au commencement de no-— vembre, et les cerfs, dans ce temps de foi- blesse, sont faciles à forcer. Dans les années abondantes en gland, ils se rétablissent en peu de temps par la bonne nourriture, et l'on remarque souvent un second rut à la fin d'octobre, mais qui dure beaucoup moins que le premier. | À Dans les climats plus chauds que celui de la France, comme les saisons sont plus avan— cées , le rut est aussi plus précoce. En Grèce, par exemple, il paroît, par ce qu’en dit Aris- tote, qu’il commence dans les premiers jours d'août, et qu’il finit à la fin de septembre. Les biches portent huit mois et quelques jours ; elles ne produisent ordinairement | D'U CERF. Ne. qu'un faon*, et très-rarement deux; elles mettent bas au mois de mai et au commen- cement de juin. Elles ont grand soin de dero- ber leur faon à la poursuite des chiens ; elles se presentent et se font chassèr elles-mêmes pour les éloigner, après quoi elles viénnent le rejoindre. Toutes les biches ne sont pas fécondes ; il y en a qu’on appelle bréhaignes, qui ne portent jamais. Ces biches sont plus _ grosses et prennént beaucoup plus de venai- son que les autres; aussi sont-elles les pre- mières en chaleur : on prétend aussi qu'il se trouve quelquefois des biches qui ont un bois comme le cerf, et cela n’est pas absolument contre toute vraisemblance. Le faon ne porte ce nom que jusqu à six mois environ; alors les bosses commencent à paroître, et il prend le nom de hère, jusqu’à ce que ces bosses, alongées en dagues, lui fassent prendre le nom de daguet. Îl ne quitte pas sa mère dans les premiers temps, quoiqu'il prenne un assez prompt accroissement ; il la suit pendant tout l'été. En hiver, les biches, les hères , les da- guéts et les jeunes cerfs se rassemblent en * Faon, c’est le petit cerf qui vient de naître. - 32 HISTOIRE NATURELLE hardes, et forment des troupes d'autant plus nombreuses , que la saison est plus rigou=. reuse. Au printemps ils se divisent; les biches se recélent pour mettre bas, et dans ce temps | iln’y a guère que les daguets et les jeunes cerfs qui aillent ensemble. En général, les cerfs sont portés à demeurer les uns avec les autres, à marcher de compagnie, et ce n’est que la crainte ou la nécessité qui les disperse ou les sépare. Le cerf est en état d’engendrer à l’âge de dix-huit mois; car on voit des daguets, c'est- à-dire des cerfs nés au printemps de l’année précédente, couvrir des biches en automne, et l’on doit preésumer que ces accouplemens sont prolifiques. Ce qui pourroit peut-être en faire douter, c’est qu’ils n’ont encore pris alors qu'environ la moitié ou les deux tiers de leur accroissement, que les cerfs croissent et grossissent jusqu’à l’âge de huit ans , et que leur tête va toujours en augmentant tous les ans jusqu’au même âge: mais il faut ob- server que le faon qui vient de naïtre se for- tifie en peu de temps ; que son accroissement | est prompt dans la première année, et ne se ralentit pas dans la seconde; qu’il y a mème DU CERF. 33 déja surabondance de nourriture, puisqu'il pousse des dagues; et c’est-là le signe le plus certain de la puissance d’engendrer. Il est vrai que les animaux en général ne sont en _état d’engendrer que lorsqu'ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement ; mais ceux qui ont un temps marqué pour le _ rut, ou pour le frai, semblent faire une ex- ception à cette loi. Les poissons fraient et produisent avant que d’avoir pris le quart _ ou même la huitième partie de leur accrois- sement; et dans les animaux quadrupèdes, ceux qui, comme le cerf, l’eélan, le daim, le renne, le chevreuil , etc., ont un rut bien marqué , engendrent aussi plus tôt que les autres animaux. À Il y a tant de rapports entre la nutrition, la production du bois , le rut et la généra- tion dans ces animaux, qu'il est nécessaire, pour en bien concevoir les effets particuliers, de se rappeler ici ce que nous avons établi de plus général et de plus certain au sujet dela génération; elle dépend en entier de la sura- bondance de la nourriture. Tant que l’ani- mal croît (et c’est toujours dans le premier âge que l'accroissement est le plus prompt}, 34 HISTOIRE NATURELLE Ja nourriture est entièrement émployée à | l'extension, au développement du corps: ik n’y a donc nulle surabondance, par consé-. quent nulle production , nulle secrétion de liqueur séminale ; et c’est par cette raison. que les jeunes animaux ne sont pas en état d'engendrer : mais lorsqu'ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement, la sura- bondance commence à se manifester par de nouvelies productions. Dans l'homme, la barbe, le poil, le gonilement des mamelles ; l'épanouissement des parties de la généra— tion, précèdent la puberté. Dans les animaux en général, et dans le cerf en particulier, la surabondance se marque par dés ellets encore plus sensibles ; elle produit la tête, le gonfle- ment des daintiers ! , l’enflure du cou et. de la gorge, la venaison ?, le rut, etc. Et comme le cerf croit fort vite dans le premier âge, il né se passe qu un au depuis sa naissance jus-+ 1 Les daintiers du cerf sont ses testicules. 3 Venaison, c’est la graisse du cerf, qui aug-. mente pendant lPéié, et dont 1l est surchargé au commencement de l’automne , dans le temps da TU L DU CERF. b 138 qu'au temps où cette surabondance com mence à se marquer au dehors par la pro- duction du bois : s’il est né au mois de mai, on verra paroître , dans le même mois de l'année suivante, les naissances du bois qui commence à pousser sur le têt *. Ce sont deux dagues qui croissent, s’alongent et s’endur- cissent à mesure que l'animal prend de la nourriture : elles ont deja, vers la fin d'août, pris leur entier accroissement , et assez de solidité pour qu'il cherche à les dépouiller de leur peau en les frottant contre les arbres; et dans le même temps il achève de se char- ser de venaison, qui est une graisse abon- dante, produite aussi par le superflu de la nourriture, qui dés-lors commence à se déter- miner vers les parties de la génération, et à exciter le cerf à cette ardeur du rut qui le rend furieux. Et ce qui prouve évidemment que la production du bois et celle dela liqueur séminale dépendent de la même cause, c'est que si vous deétruisez la source . de la liqueur séminale en supprimant par * Le tét est la partie de l'os var sur laquelle Pre le bois du cerf. 36 HISTOIRE NATURELLE la castration les organes nécessaires pour - cette secrétion , vous supprimez en même temps la production du bois : car si l’on fait cette opération dans le temps qu’il a mis bas: sa tête, il ne s’en forme pas une nouvelle: et sion ne la fait au contraire que dans le temps. qu’il a refait sa tête, elle ne tombe plus : l’a= nimal, en un mot, reste pour toute la vie dans l’état où il étoit lorsqu'il a subi la cas- . tration ; et comme il n’éprouve plus les ar- deurs du rut, les signes qui l’accompagnent disparoissent aussi; il n’y a plus de venaison, plus d’enflure au cou ni à la gorge, et il de. vient d'un naturel plus doux et plus tran- quille. Ces parties que l’on a retranchées étoient donc nécessaires non seulement pour faire la secrétion de la nourriture surabon- dante, mais elles servoient encore à l’ani- mer, à la pousser au dehors dans toutes les parties du corps sous la forme de la venai- son, et en particulier au sommet de la tête, où elle se manifeste plus que par-tout ailleurs : par la production du bois. Il est vrai que les cerfs coupés ne laissent pas de devenir gras; mais ils ne produisent plus de bois, jamais la gorge ni le cou ne leur enflent, et leur DU CERF. 3" graisse ne s’exalte ni ne s’échauffe pas comme la venaison des cerfs entiers, qui, lorsqu'ils sont en rut, ont une odeur si forte, qu elle infecte de loin ; leur chair mème en est si fort smbue et pénétrée, qu'ou ne peut ni la man- ger n1 la sentir, et qu'elle se corrompt en peu de temps, au lieu que celle du cerf coupé se conserve fraîche, et peut se inanger dans tous les temps. Une autre preuve que la pro- duction du bois vient uniquement de la sur- abondance de lanourriture, c’est la différence qui se trouve entre les tètes des cerfs de même âge, dont les unes sont très-grosses ; très ; fournies, et les autres grèles et menues, ce qui dépend absolument de la quantité de la nourriture : car un cerf qui habite un pays abondant, où il viande à son aise, où il n’est troublé ni par les chiens n1 par les hommes, où, après avoir repu tranquillement, il peut ensuite ruminer en repos , aura toujours la tête belle, haute, bien ouverte, l'empaumure* * Empaumure , C'est le haut de la tête du cerf, qui s’élatgit comme une main, et où 1l y a plu- sieurs DRE rangés inégalement comme des doigts. | Quadrupèdes, II. | 4 — is | FRA IENE 38 HISTOIRE NATU è 264 large et bien garnie, le merrain* gros ef. RELRE bien perlé, avec grand nombre d’andouil- lers forts et longs ; au lieu que celui qui se trouve dans un pays où il n’a ni repos mi nourriture suffisante, n'aura qu’une tête mal nourrie , dont l’'empaumure sera serrée , le merrain grêle, et les andouillers menus et en petit nombre, en sorte qu'il est toujours aisé . de juger par la tète d’un cerf, s’il habite un pays abondant et tranquille , et s’il a été bien ou mal nourri. Ceux qui se portent mal, qui ont été blessés, ou seulement qui ont été inquiétés et courus, prennent rarement une belle tête et urre bonne venaison ; ils n’entrent en rut que plus tard; il leur à fallu plus de temps pour refaire leur tête, et ils ne la mettent bas qu'après les autres. Ainsi tout concourt à faire voir que ce bois n'est, comme la liqueur seminale, que le superflu , rendu sensible, de la nourriture organique, qui ne peut être employée toute entière au dévelop- pement, à l'accroissement ou à l'entretien du corps de l’animal. | * Merrain, Cest le tronc, la tige du bois de cer. . AR y | DU CELA 39 La disette retarde donc l'accroissement du bois, et en diminue le volume très-cousidé- rablement ; peut-être même ne seroit-il pas impossible, en retranchant beaucoup la nour- riture, de supprimer en entier cette produc- _ tion , sans avoir recours à la castration : ce qu'il y a de sûr, c’est que les cerfs coupés mangent moins que les autres; et ce qui fait que dans cette espèce, aussi-bien que dans celle du daim, du chevreuil et de l'élan, les femelles n’ont point de bois, c’est qu’elles mangent moins que les mâles , et que, quand même il y auroit de la surabondance, il ar- rive que dans le temps où elle pourroit se manifester au dehors, elles deviennent pleines: par conséquent le superflu de la nourriture étant employé à nourrir le fœtus, et ensuite à allaiter le faon , il n’y a jamais rien de _ surabondant. Et l'exception que peut faire ici la femelle du renne, qui porte un bois comme le mäle, est plus favorable que con- _traire à cette explication ; car de tous les ani- maux qui portent un bois, le renne est celux qui, proportionnellement à sa taille, l’a d’un plus gros et d’un plus grand volume, puis- qu'il s'étend en avant et en arrière, souvent | À | 40 HISTOIRE NATURELLE là | tout Le long de son corps : c’est aussi de tous. celui qui se charge le plus abondamment de. venaison, et d’ailleurs le bois que portént les femelles est fort petit en comparaison de celui des males. Cet exemple prouve done. seulement que quand la surabonwdance est si. graude, qu'elle ne peut être épuisée dans la gestation par l'accroissement du fœtus, elle se répand au dehors, et forme dans la fe. melle, comme dans le mâle, une produc- tion semblable, un bois qui est d’un plus petit volume, parce que cette surabondance est aussi en moindre quantité. Ce que je dis ici de la nourriture ne doit pas s'entendre de la masse ni du volume des alimens, mais uniquement de la quantité des molécules organiques que contiennent ces alimens : c'est cette seule matière quiest | vivante, active et productrice; le reste n’est qu'un marc, qui peut être plus ou moins abondant sans rien changer à l'animal. Et comme le lichen, qui est la nourriture ordi naire du renne, est un aliment plus substan- iiel que les feuilles, les écorces ou les bou- tons des arbres dont le cerf se nourrit, il est pas étonnant qu’il y ait plus de surabons, DU CERF. a dance de cette nourriture organique, et par conséquent plus de bois et plus de venaison, ! dans le renne que dans le cerf. Cependant il faut convenir que la matière organique qui forme le bois dans ces espèces d'animaux, m'est pas parfaitement dépouillée des parties _ brutes auxquelles elle étoit jointe, et qu’elle conserve encore, après avoir passé par le corps de l’animal, des caractères de son pre- mier état dans le végétal. Le bois du cerf pousse, croit et se compose comme le bois d’un arbre : sa substance est peut-être moins osseuse que ligneuse; c'est, pour ainsi dire, un végétal greffé sur un animal, et qui par- ticipe de la nature des deux, et forme une de ces nuances auxquelles la nature aboutit toujours dans les extrèmes, et dont elle se .sert pour rapprocher les choses les plus éloi- gnées. - . Dans l’animal, comme nous l'avons dit, les os croissent par les deux extrémités à la fois; le point d'appui contre lequel s'exerce la puissance de leur extension en longueur, est dans le milieu de la longueur de los cette partie du milieu est aussi la première : {ormée, la première ossifiée; et les deux 4 M. ae J FPE de HISTOIRE NATURELLE extrémités vont toujours en: détient de la U partie du milieu, et restent molles jusqu'à ce que los ait pris son entier accroissement. dans cette dimension. Dans le végétal, au con- iraire, le bois ne croit que par une seuledeses, extrémités ; Le bouton qui se développe et qui. doit former la branche, est attaché au vieux. bois par l’extrémité inférieure; et c’est sur ce point d'appui que s'exerce la puissance. de son extension en longueur. Cette diffé- rence si marquée entre la végétation des os des animaux et des parties solides des végé- taux , ne se trouve point dans le bois qui. croit sur la tête des cerfs; au contraire, riem n’est plus semblable à l'accroissement du bois d’un arbre. Le bois du cerf ne s'étend que par l’une de ses extrémités, l’autre lui. sert de point d'appui; il est d'abord tendre comme l’herbe, et se durcit ensuite comme le bois : la peau, qui s’étend et qui croît avec lui, est son écorce, et il s’en dépouille lors- qu’il a pris son entier accroissement ; tant qu'il croit, l'extrémité supérieure demeure toujours molle. [i se divise aussi en plusieurs | rameaux ; le merrain est l’arbre, les andouil- Jers en sont les branches. En un mot, tout “it F | M DT MoN DU CERF. 43 est semblable, tout est conforme dans le dé- véeloppement et fans l'accroissement de Pun et de l’autre; et dès-lors les molécules orga- niques:qui constituent la substance vivante du bois de cerf, retiennent encore l’em- preinte du végétal, parce qu’elles s’arrangent de la même façon que dans les végétaux. La matière domine donc ici sur la forme; le «cerf, qui n’habite que dans les bois, et qui me se nourrit que des rejetons des arbres, prend une si forte teinture de bois, qu’il + produit lui-même une espèce de bois qui con- serve assez les caractères de son origine pour qu'on ne puisse sy méprendre: et cet effet, quoique très-singulier, n’est cependânt pas HAINE il dépend d’une cause générale que j'ai déja eu occasion d'indiquer ar d'une fois dans cet ouvrage. Cequ ’il y a de plus constant, de plus inal- térable dans la nature, c’est l'empreinte ou le moule de chaque espèce, tant dans les. animaux que dans les végétaux : ce qu'il y a de plus variable et de plus corruptible, c’est la substance qui les compose. La ma tière , en général, paroit être indifférente à recevoir telle ou tellé forme, et capable de M HISTOIRE NATUREL: ï 1 porter toutes les. empreintes possib 1 molécules organiques , © 'est-à-dire, les par ties vivantes de cette matière , passent des! végétaux aux animaux, sans destruction , sans altération, et forment également la’ subs- £ tance vivante de l’herbe, du bois, de la chair À. et des os. Il paroît donc, à cette première | vue, que la matière ne peut jamais dominer sur la forme, et que, quelque espèce de nourriture que prenne un animal, pourvu qu’il puisse en tirer les molécules organiques lo + ‘ : quelle contient , et se les assimiler par la nutrition , cette nourriture ne pourra rien. changer à sa forme, et n'aura d'autre effet que d'entretenir ou faire croitre son corps, en se modelant sur toutes les parties du _amoule intérieur, et en les pénétrant intime- ment : ce qui le prouve, c’est qu’en général les animaux qui ne vivent que d'herbe, qui paroît être une substance très-différente de. celle de leur corps, tirent de cette herbe de … quoi faire de la chair et du sapgsique même ils se nourrissent, croissent et grossissemt autant et plus que les animaux qui ne vivent : que de chair Cependant, en observant la na- ture plus particulièrement, on s’appercevra * L MUC TRE" 45 que quelquefois ces molécules organiques ne -s’assimilent pas parfaitement au moule in- térieur, et que souvent la matière ne laisse pas d’influer sur la forme d’une manière assez sensible : la grandeur, par exemple, qui est un des attributs de la forme, varie dans chaque espèce, suivant les différens cli- mmats ; la qualité, la quantité de la chair, qui sont d’autres attributs de la forme, varient suivant les différentes nourritures. Cette ma- tière organique que l'animal assimile à son corps par la nutrition, n’est donc pas abso- lument indifférente à recevoir telle ou telle modification ; elle n’est pas absolument dé- pouillée de la forme qu’elle avoit aupara- vant, et elle retient quelques caractères de J'empreinte de son premier état: elle agit donc elle-même par sa propre forme sur celle du corps organisé qu'elle nourrit; et quoique cette action soit presque insensible, que même cette puissance d'agir soit infiniment petite en comparaison de la force qui contraint cette matière nutritive à s’assimiler au moule qui la reçoit , il doit en résulter , avec le temps, des effets très-sensibles. Le cerf, qui n habite que les forêts, et qui ne vit, pour \! DTA USSR CRI à ASS Fa qi 25 46 HISTOIRE NATURELLE { ainsi dire, que de bois, porte une étpése: de | bois qui n’est qu'un résidu de cette nourri ture : le castor, qui habite les eaux, et qui se nourrit de poisson, porte une queue cou verte d’écailles : la chair de la loutre et de la plupart des oiseaux de rivière est un aliment de carème, une espèce de chair de poisson. L’ | À Le A PA L'on peut donc présumer que des animaux auxquels on ne donneroit jamais que la même espèce de nourriture, prendroient en assez peu de temps une teinture des qualités de cette nourriture , et que, quelque forte que soit l’empreinte de la nature, si lon continuoit toujours à ne leur donner que le même aliment , il en résulteroit , avec le Al temps, une espèce de transformation par une . assimilation toute contraire à la première : ce ne seroit plus la nourriture qui s’assi- mileroit en entier à la forme de-l'animal, mais l'animal qui j'assimriterets en partie à. Ja forme de la nourriture , comme on le voit dans le bois du cerf et dans la queue du castor. Le bois, dans le cerf, n’est donc di partie accessoire, et, pour ainsi dire, étran- gère à son corps; une production qui nest “I M DU CERF. 47 regardée comme partie animale que parce qu'elle croît sur un animal, mais qui est vraiment végétale, puisqu'elle retient les ca- ractères du végétal dont elle tire sa première origine, et que ce bois ressemble au bois des arbres par la manière dont il croît, dont il se développe, se ramife, se durcit, se sèche et se sépare: car il tombe de lui-même après avoir pris son entière solidité, et dès qui cesse de tirer de la nourriture, comme un fruit dont le pédicule se détache de la branche dans le temps de sa maturité; le nom mème qu'on lui a donne dans notre langue, prouve bien qu'on a regarde cette production comme _un bois , et non pas comime une corne, un os, une défense, une dent, etc. Et quoique cela me paroisse suffisamment indiqué, et même prouvé, par tout ce que je viens de dire, je ne dois pas oublier un fait cité par les anciens. Aristote, Théophraste, Pline, disent tous que l’on a vu du lierre s’attacher, pousser et croître sur le bois des cerfs, lors- qu'il est encore tendre. Si ce fait est vrai, et il seroit facile de s’en assurer par l’expé- rience , il prouveroit encore mieux l’ana- logie intime de ce bois avec le bois des arbres. } > Fe as 1" het me") 48 HISTOIRE NATURELLE Non AE LS les cornes et les défenses: _ des autres animaux sont d’une. substance! très-différente de celle du bois du ceff, mais. leur développement, leur texture, leur ac=! croissement ; et leur forme tant exterieure! qu'intérieure, n'ont rien de semblable ni mème d’analogue au bois. Ces parties, comme: les ongles, les cheveux, ei crins , les plumes, les écailles, croissent, à la vérite, par une espèce de végetation, mais bien différente de». la végétation du bois. Les cornes, dans les bœufs, les chèvres, les gazelles, etc. son Ë creuses en dedans, au lieu que le bois du cerf est solide dans toute son épaisseur : la subs=! tance de ces cornes est la mème que celle des ongles, des ergots, des écailles; celle du bois de cerf, au contraire, ressemble plus au bois qu'à toute autre substance. Toutes ces cornes: creuses sont revêtues en dedans d’un périoste,. et contiennent dans leur cavité un os qui less soutient et leur sert de noyau; elles ne tom bent jamais, et elles croissent pendant toute la vie de l'animal, en sorte qu'on peut juger son âge par les nœuds ou cercles annuels de ses cornes. Au lieu de croître comme le bois du cerf par leur extrémité supérieure, elles: DUICE RE: 49 croissent, au contraire, comme les ongles, les plumes, Les cheveux, par leur extrémité inférieure. Il en est de même des défenses de Véléphant, de la vache marine, du sanglier et de tous les autres animaux ; elles sont creuses en dedans, et elles ne croissent que par leur extrémité inférieure : ainsi les cornes et les défenses n’ont pas plus de rap- port que les ongles, le poil ou les plumes, avec le bois du cerf. Toutes les végétations peuvent donc se ré- duire à trois espèces : la première, où l’ac- croissement se fait par l'extrémité supé- rieure , comme dans les herbes, les plantes, les arbres, le bois du cerf, et tous les autres végétaux; la seconde, où l'accroissement se fait, au contraire, par l’extrémité inférieure, comme dans les cornes , les ongles, les ergots, le poil , les cheveux, les plumes, Les écailles, les défenses, les dents, et les autres parties | extérieures du corps des animaux; la troi= sième est celle où l'accroissement se fait à la fois par les deux extrémités, comme dans _ des os, les cartilages , les muscles, les ten- ! : 4 dons, et les autres parties intérieures du corps \ des animaux : toutes tfois n'ont pour cause ; 5 ñ URSS CE PARA L'ENTURNTERIAT PCT FRA fo HISTOIRE NATURELLE : { } 4 r ) je 1 \ A Ÿ » 1 matérielle que la surabondance de la noutr- riture organique, et pour effet que l’assimi= lation de cette nourriture au moule qui la. reçoit. Ainsi l’animal croît plus où moins | vite à proportion de la quantité de cette nourriture; et lorsqu'il a pris la plus grande | partie de son accroissement, elle se déter- mine vers les réservoirs séminaux, et cherche : à se répandre au dehors, et à produire, au moyen de la copulation, d’autres êtres orga— nisés. La différence qui se trouve entre les animaux qui, comme le cerf, ont un temps marqué pour le rut, et les autres animaux qui peuvent engendrer en tout temps, ne vient encore que de la manière dont ils se nourrissent. L'homme et les animaux do- mestiques , qui tous les jours prennent à peu près une égale quantité de fourriture ; souvent même trop abondante, peuvent en gendrer en tout temps : le cerf, au contraire, et la plupart des autres animaux sauvages , qui souffrent pendant l'hiver une grande di- sette, n’ont rien alors de surabondant , et ne sont en état d'engendrer qu'après s'être re- faits pendant l'été; et c’est aussi immédiate- men aprés cette saison que commence le rut, = }% W | D U CERF. | 147, 0€ pendant lequel Le cerf s’épuise si fort, qu’il + reste pendant tout l'hiver dans un état de langueur; sa chair est mème alors si dénuée de bonne substance , et Son sang est si fort appauvri, qu'il s "engendre des vers sous sa peau , lesquels augmentent encore sa imisère, et ne tombent qu’au printemps, lorsqu'il a repris, pour ainsi dire, une nouvelle vie par la nourriture active que lui fournissent les productions nouvelles de la terre. Toute sa vie se passe donc dans des alter- _natives de plénitude et d’inanition, d’embon- point et de maigreur, de santé, pour ainsi dire, et de maladie, sans que ces opposi- tions si marquées et, cet état toujours ex- cessif altèrent sa constitution ; il vit aussi long-temps que les autres animaux qui ne _sont pas sujets à ces vicissitudes. Comme il est cinq ou six ans à croitre, il vit aussi sept fois cinq ou six aus, c’est-à-dire, trenté-cinq ou quarante ans. Ce que l’on a debité sur la longue vie des cerfs, n’est appuyé sur aucun fondement : ce n’est qu'un préjuge popu- laire:, qui régnoit dès le temps d'Aristote ; et ce philosophe dit avec raison que cela ne Jui paroït pas vraisemblable, attendu que le ve t FN à 5. HISTOIRE NATURELLE TRS temps de la gestation et celui de l’accroisse- w ment du jeuue cerf n’indiquent rien moins + qu’une très-longue vie. Cependant, malore ce : cette autorité, qui seule auroit dû suffire . r e pe : . , ñ ; f pour détruire ce préjuge, 1l s’est renouvelé dans des siècles d’ignorance par une histoire ou une fable que l’on a faite d’un cerf qui fut pris par Charles vr dans la forêt de ê Senlis , et qui portoit un collier sur lequel étoit ecrit, Cæœsar hoc me donavit ; et Von a mieux aime supposer mille ans de vie à cet animal , et faire donner ce collier par un empereur romain, que de convenir que À ce cerf pouvoit venir d'Allemagne, où les empereurs ont dans tous les temps pris le nom de César. La tète des cerfs va tous les ans en augmen- tant en grosseur et en hauteur, depuis la se- coude aunée de leur vie jusqu’à la huitième: elle se soutient toujours belle et à peu près la même pendant toute la vigueur de l’âge ; mais lorsqu'ils deviennent vieux, Jeur-tête décline aussi. Il est rare que nos cerfs portent plus de vingt ou vinot-deux andouillers, lors même que leur tête est la plus belle, et ce nombre n’est rien moins que constant ; CAT , ÿ DUNICE RE OPEL ER il arrive souvent que le même cerf aura dans une année un certain nombre d'andouillers, . et que l’année suivante il en aura plus ow moins, selon qu'il aura eu plus ou moins de nourriture et de repos : et de même que la grandeur de la tête et du bois du cerf dépend de la quantité de la nourriture , la qualité de ce même bois dépend aussi de la différente qualité des nourritures ; il est, comme le bois” des forêts, grand, tendre et assez léger dans les pays humides et fertiles; il est, au con- traire, court, dur et pesant dans les pays secs et stériles. Il en est de même encore de la grandeur et de la taille de ces animaux ; elle est fort dif- férente, selon lés lieux qu'ils habitent. Les cerfs de plaines, de vallées ou de collines abondantes en grains, ont le corps beaucoup plus grand et les jambes plus hautes que Les cerfs des montagnes sèches, arides et pier- reuses: ceux-ci ont le corps bas, court ef trapu ; ils ne peuvent courir aussi vite, mais _äls vont plus long-temps que les premiers 5 ils sout plus méchans, ils ont le poil plus long sur le massacre ; leur tête est ordinai- xrement basse et noire, à peu près comme 2 54 HISTOIRE NATURELLE (4 un Lo rabongri , dont l'écorce est rem- brunie, au lieu que la tête des cerfs de plaines est haute et d’une couleur claire et rougeâtre, comme le bois et l’écorce des arbres qui croissent en bon terrain. Ces pe- tits cerfs trapus n’habitent guère les futaies, et se tiennent presque toujours dans les taillis, où ils peuvent se soustraire plus aie. sément à la poursuite des chiens : leur ve- maison est plus fine, et leur chair est de meilleur goût que celle des cerfs de plaines. Le cerf de Corse paroit être le plus petit de tous ces cerfs de montagne ; il n’a guère que la moitié de la hauteur des cerfs ordinaires ; c'est, pour ainsi dire, un basset parmi les cerfs : 11 a le pelage brun, le corps trapu, | les jambes courtes. Et ce qui m'a convaincu que la grandeur et la taille des cerfs en gé- méral dépendoient absolument de la quantité et de la qualité de la nourriture, c’est qu'ex ayant fait élever un chez moi, et l'ayant nourri largement pendant quatre ans, ik étoit à cet âge beaucoup plus haut, plus. gros, plus étoffé que les plus vieux cerfs de mes bois, qui cependant sont de Ja belle. taille. | DU'CERF. 55 Le pelage le plus ordinaire pour le cerf est le fauve; cependant il se trouve, même en assez grand nombre, des cerfs bruns, et d’autres qui sout roux : les cerfs blancs sont bien plus rares, et semblent être des cerfs devenus domestiques, mais très-ancienne- -ment; car Aristote et Pline parlent des cerfs blancs, et il paroît qu’ils n’étoient pas alors plus communs qu'ils ne le sont aujourd’hui. La couleur du bois, comme la couleur du poil , semble dépendre en particulier de Pâge et de la nature de l'animal, ét en général de l'impression de l'air : les jeunes cerfs ont le bois plus blanchâtre et moins teint que les vieux. Les cerfs dont le pelage est d’uu fauve clair et délayé, ont souvent la tête päle et mal teinte; ceux qui sont d’un fauve vif l'ont ordinairement rouge; et les bruns, sur- | tout ceux qui ont du poil noir sur le cou, ont aussi la tête noire. Il est vrai qu’à l’in- - térieur le bois de tous les cerfs est à peu près également blanc mais ces bois diffèrent beaucoup les uns des autres en solidité, et par leur texture plus ou moins serrée; 1l y en a qui sont fort spongieux, et où même il se trouve des cavités assez grandes : cette EM PEN 56 HISTOIRE NATURELLE L pi | différence dans la texture suffit pour qu als puisseut se colorer différemment, et il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la séve des : arbres pour produire cét effet , puisqué nous voyons tous les jours l’ivoire le plus blanc jaunir ou brunir à l'air, quoiqu'il soit d'une matière bien plus compacte et moins po- reuse que celle du bois du cerf. | Le cerf paroit avoir l'œil bon, l’odorat exquis, et l'oreille excellente. Lorsqu'il veut écouter, il lève la tête, dresse les oreilles, et alors il entend de fort loin ; lorsqu'il sort dans un petit taillis ou dans quelque autre endroit à demi découvert, il s'arrête pour regarder de tous côtés, et cherche ensuite le dessous du vent pour sentir s’il n’y a pas quelqu'un qui puisse l’inquiéter. Il est d’un naturel assez simple, et cependant :l est curieux et rusé: lorsqu'on le siffle ou qu’on l'appelle de loin, 1l s'arrête tout court et regarde fixement, et avec une espèce d’ad- miration, les voitures, le bétail, les hommes; et s'ils n’ont ni arme ni chiens, il conti- nue à marcher d'assurance *, et passe son * Marcher d'assurance, aller d'assurance, c’est lorsque le cerf va d’un pas réglé et tranquille. DU CERF. PT. éhemin fièrement et sans fuir. Il paroît aussi écouter avec autant de tranquillité que de plaisir le chalumeau ou le flageolet des bergers, et les veneurs se servent quelque- fois de cet artifice pour le rassurer. En géné- ral, il craint beaucoup moins l’homme que les chiens, et ne prend de la défiance et de la ruse qu'à mesure et qu'autant qu’il aura eté inquieéte. Il mange lentement, il RARE sa nourriture; et Vols que il a viandé, il cher- che à se reposer pour ruminer à loisir: mais il paroît que la rumination ne se fait pas avec autant de facilité que dans le bœuf; ce n'est, pour ainsi dire, que par secousses que le cerf peut faire remonter l’herbe contenue dans son premier estomac. Cela vient de la longueur et de la direction du chemin qu'il faut que l'aliment parcoure : le bœuf a le cou court et droit, le cerf l’a long et arqué ; _il faut donc beaucoup plus d'effort pour faire remonter l'aliment, et cet effort se fait par une espèce de hoquet dont le mouve- ment se marque au dehors et dure pendant tout le temps de la rumination. Il a la voix d'autant plus forte, plus grosse et plus trem- blante, qu'il est plus âge : La biche a la voix 4e a u" DE CA LES P D à: " #8 HISTOIRE NATURELLE ne plus foible et plus courte; elle ne rait pas 4 1 d'amour, mais de crainte : le cerf rait d’une | manière effroyable dans le temps du rut; il. est alors si transporté, qu’il ne s’inquiète ui ne s’effraie de rien : on peut donc le sur-. prendre aisément; et comme il est surchargé de venaison, il ne tient pas long-temps de- vant les chiens: mais il est dangereux aux abois, il se jette sur eux avec une espèce de fureur. Il ne boit guère en hiver, et en- core moins au printemps ; l'herbe tendre et chargée de rosée Lui suffit : mais, dans les chaleurs et les sécheresses de l'été, il va boire aux ruisseaux, aux mares, aux fon— taines; et dans le temps du rut il est si fort échauffé, qu’il cherche l’eau par-tout, nom seulement pour appaiser sa soif brülante, mais pour se baigner et se rafraichir le corps. Il nage parfaitement bien, et plus légère- ment alors que dans tout autre temps , à cause de la veraison, dont le volume est plus léger qu’un pareil volume d’eau : on en a vu traverser de très-grardes rivières; “on prétend même qu'attirés par l’odeur des biches, les cerfs se jettent à la mer dans le temps du rut, et passent d’une île à une | DU CERF by autre à des distances de plusieurs lieues. Ils sautent encore plus légèrement qu'ils ne nagent; car lorsqu'ils sont poursuivis, ils franchissent aisement une haie, et même un palis d’une toise de hauteur. Leur nour- - riture est différente suivant les différentes saisons : en automne, aprés le rut, ils cher- chent les boutons des arbustes verds, les fleurs de bruyères, les feuilles de ronces, etc.; en hiver, lorsqu'il neige, ils pélent les arbres et se nourrissent d’écorces, de mousse, etc. et lorsqu'il fait un temps doux, ils vont viander dans les bles: au commen- cement du printemps ils cherchent les cha- tons des trembles, des marsaules, des cou- driers, les fleurs et les boutons du cor mouiller, etc.; en été ils ont de quoi choisir, mais ils préfèreut les seigles à tous les autres grains , et la bourgène à tous les autres bois. La chair du faon est bonne à man- ser, celle de la biche et du daguet n’est pas absolument mauvaise, mais celle des cerfs a toujours un goût désagréable et fort : ce que cet animal fournit de plus utile, c’est son bois et sa peau; on la prépare, et elle fait un cuir souple et très-durable ; le bois 1 : ï / » « Ÿ Il » li-volatils, L'omis , PI Zi é, L Put. P + Le L'É'D AIM À vou NE espèce n’est plus voisine d’une _ autre que l’espèce du daim l’est de celle du cerf : cependant ces animaux, qui se res- semblent à tant d’égards, ne vont point en- semble, se fuient, ne se mêlent jamais, et me forment par conséquent aucune race in= termédiaire. Il est même rare de trouver : des daims dans les pays qui sont peuplés de beaucoup de cerfs, à moins qu’on ne les y ait apportés : 1ls paroissent'ètre d’une na- ture moins robuste et moins agreste que celle du cerf; ils sont aussi beaucoup moins communs dans les forêts. On les élève dans des parcs où ils sont, pour ainsi dire, à demi domestiques. L’Angleterre est le pays de l'Europe où il y en a le plus, et l’on y . fait grand cas dé cette vénaison : les chiéns la . * En laun, dama ; en italien, daino; en es- … pagnol , daino , corza; en allemand, dam-hirsch; en anglois, fallow-deer. 6 b2 HISTOIRE NATURELLE préférent aussi à la chair de tous les autres animaux; et lorsqu'ils ont une fois MARS | du daim, ils ont beaucoup de peine à gar- der le change sur Le cerf ou sur le chevreuil. 11 y a des daims aux environs de Paris, et dans quelques provinces de France; il y en. # a en Espagne et en Allemagne; il yen a. aussi en Amérique, qui peut-être y ont éte transportes d Europe. ILsemble que ce soitun animal des climats tempéres ; car il n’y en a point eu Russie, et l’on n’en trouve que très-rarement dans les forêts de Suède et des autres pays du Nord. Les cerfs sont bien plus généralement ré= … pandus ; il y en a par-tout en Europe, même en Norvége, et dans tout le Nord, a l’excep- tion peut-être de la Lappouie; on en trouve aussi beaucoup en Asie, sur-tout en Tartarie et dans les provinces septentrionales de la Chine. On les retrouve en Amérique ; car ceux du Canada ne diffèrent des nôtres que par la hauteur du bois, par le nombre et par la direction des andouiilers, qui quel- quefois n’est pas droite en avant comme dans les têtes de nos cerfs, mais qui retourne en. arrière par une inflexion bien marquée, em 4 # s ar e L4 de L # L LJ L (! 1 AOF DA TNT NT lea sorte que la pointe de chaque andouiller re- garde le merrain : et cette forme de tête n’est pas absolument particulière aux cerfs du Canada, car on trouve une pareille tête gra- vee dans la Z’énerie de du Fouilloux; et le bois du cerf de Canada, que nous avons fait graver, a les andouillers droits; ce qui prouve assez que ce n’est qu’une variéte qui se rencontre quelquefois dans les cerfs de tous les pays. Il en est de même de ces têtes qui ont au-dessus de l’'empaumure un grand nombre d’andouillers en forme de couronne, que l’on ne trouve que très-rarement en France, et’qui viennent, dit du Fouilloux, du pays des Moscovites et d'Allemagne; ce n’est qu'une autre varieté qui n'empêche pas que ces cerfs ne soient de la même es- pèce que les nôtres. En Canada, comme en France, la plupart des cerfs ont donc les ‘andouillers droits ; mais leur bois en gé- “néral est plus grand et plus gros, parce qu'ils trouvent dans ces pays inhabités plus de nourriture et de repos que dans les pays peuplés de beaucoup d'hommes. Il y a de t grandset de petits cerfs en Amérique comme en Europe; mais, quelque répandue que soit 64 HISTOIRE NATURELLE cette espèce, il semble cependant.qu lo soit bornée aux climats froids et tempérés : les cerfs du Mexique et des autres parties - de l'Amérique méridionale; ceux que l’on ap- pelle biches des bois et biches des palétu- viers à Cayenne; ceux que l’on appelle cerfs du Gange, et que l’on trouve dans les Mé-. moires dressés par M. Perrault; sous le nom de biches de Sardaigne; ceux enfin auxquels les voyageurs donnent le nom de cerfs, au cap de Bonne-Espérance, en Guinée et dans les autres pays chauds, ne sont pas de l’es- pêce de nos cerfs, comme on le verra dans l'histoire particulière de chacun de ces ani- maux. Et comme le daim est un animal moins sauvage, plus délicat, et, pour ainsi dire, plus domestique que le na il est aussi sujet à un plus grand nombre de variétés. Outre les daims communs et les daims blancs, dont on peut voir la description, l'on en connoît encore plusieurs autres: les daims d'Espagne, par exemple, qui sont presque aussi grands que des cerfs, mais qui out le cou moins gros et la couleur plus. obscure, avec la queue noirâtre, non blanche k DUXD ALIMENT ET — 568 par-dessous , et plus longue que celle des daims communs ; Les daims de Virginie, qui sont presque aussi grands que ceux d’Es- pagne, et qui sont remarquables par la grandeur du membre génital et la grosseur des testicules; d’autres qui ont le front com- primé, applati entre les yeux, les oreilles et la queue plus longues que le daim com mun , et qui sont marqués d’une tache blan- che sur les ongles des pieds de derrière; d’autres qui sont tachés ou rayés de blanc, de noir et de fauve clair; et d’autres enfin qui sont entièrement noirs : tous ont le bois plus veule, plus applati, plus étendu en largeur, et à proportion plus garni d’an- douillers que celui du cerf; il est aussi plus courbé en dedans, et il se termine par une large et longue empaumure , et quelque- fois, lorsque leur tête est forte et bien nourrie, les plus grands andouillers se ter- minent eux-mêmes par une petite empau- * mure. Le daim commun a la queue plus longue que le cerf, et le pelage plus clair. La tête de tous les daims mue comme celle des cerfs, mais elle tombe plus tard; ils sont a peu près le même temps à la refaire , aussi { Has Al 1W. % : 4 « AAA SN 66 HISTOIRE NATURELLE leur rut arrive quinze jours .où ‘trois se | maines après celui du cerf : les daims raient ‘alors assez fréquemment, mais d’une Voix. basse et comme entrecoupée ; ; ils ne‘s'ex- ? cèdent pas autant que le cerf, ni ne s’épui- sent par le rut; ils ne s’écartent pas de leur pays pour aller chercher les femelles , cependant ils se les disputent et se battent à outrance. Ils sont portés à demeurer en- semble ; ils se mettent en hardes, et restent presque toujours les uns avec les autres. Dans les parcs, lorsqu'ils se trouvent en grand nombre, ils forment ordinairement deux troupes, qui sont bien distinctes, bien séparées, et qui bientôt deviennent enne- mies, parce qu'ils veulent également ‘occu- per le même endroit du parc: chacune de ces troupes a son chef qui marche le pre- \ mier, et c’est le plus fort et le plus âgé: les dutres suivent, et tous se disposent à combattre pour chasser l’autre troupe du bon pays. Ces combats sont singuliers par la dis- position qui paroit y régner ; ils s s'attrqtent) avec ordre, et se battent avec courage; se soutiennent les uns les autres, et ne se croient pas vaincus par un seul échec; car æ DU DAÏM. . 6 lé combat se renouvelle tous les jours, jus- qu'a ce que les plus forts chassent les plus foibles , et les relèouent dans le mauvais pays. | Ils aiment les terrains aies et entrecou- pés de petites collines. Ils ne s ’eloignent pas; comine le cerf, lorsqu'on les chasse; ils ne font que tourner, et cherchent seulement à se derober des chiens par la ruse et par le change : cependant, lorsqu'ils sont PP échauffes et épuisés, ils se jettent à l’eau comme le cerf; mais ils ne se hasardent pas a la traverser dans une aussi grande éten- due : ainsi la chasse du daim et celle du cerf n’ont entre elles aucune différence es- sentielle. Les connoissances du daim sont, en plus petit, les mêmes que celles du cerf; les mêmes ruses leur sont communes, seu- Jement elles sont plus répétées par Le daim : comme il est moins entreprenant, et qu’il ne se forlonge pas tant, il a plus souvent besoin de s'accompagner, de revenir sur ses voies, etc. ce qui rend en général la chasse du daim plus sujette aux inconvéniens que celle du cerf. D'ailleurs, comme il est plus petit et plus lèger, ses voies laissent sur la FAT PR 68 HISTOIRE Te . terre, et aux portées, une impression moins. forte et moins durable; ce qui fait que les chiens gardent moins le change, et qu'ilest plus difficile de rapprocher lorsqu’on a un | défaut à relever. ve | 4}. Le daim s'apprivoise très-aisément. IL mange de beaucoup de choses que le cerf . refuse: aussi conserve-t-il mieux sa venai- son; car il ne paroit pas que le rut, suivi des hivers les plus rudes et les plus longs, le maigrisse et l’altère; 1l est presque dans le même état pendant toute l’année. Il broute de plus près que le cerf, et c’est ce qui fait que le bois coupé par la dent du daim re- pousse beaucoup plus difficilement que celui qui ne l’a été que par le cerf. Les jeunes mangent plus vite et plus avidement que les vieux ; ils ruminent, ils cherchent les femelles dès la seconde année de leur vie: ils ne s’attachent pas à la même, comme le chevreuil; mais ils en changent comme le cerf. La daine porte huit mois et quelques jours, comme la biche ; elle produit de mème ordinairement un faon, quelquefois deux, et très-rarement trois : ils sont en état d’en- gendrer et de produire depuis l’äge de deux i RER ES SEE À | D'U: D À I M 69 _ ans jusqu’à quinze ou seize: enfin ils res- semblent aux cerfs par presque toutes les habitudes naturelles; et la plus grande dif- férence qu’il y ait entre ces animaux, c’est dans la durée de la vie. Nous avons dit, d'après le temoignage des chasseurs, que les cerfs vivent trente-cinq ou quarante ans, et l’on nous a assuré que les daims ne vivent qu'environ vingt ans. Comme ils sont plus _ petits, il y a apparence que leur accroisse- : ment est encore plus prompt que celui du cerf: car dans tous les animaux la durée de la vie est proportionnelle à celle de l’ac- croissement, et non pas au temps de la ges- tation, comme on pourroit le croire, puis- qu'ici le temps de la gestation est le même, et que dans d’autres espèces, comme celle du bœuf, on trouve que quoique le temps de la gestation soit fort long, la vie n’en est pas moins courte; par conséquent on ne doit pas en mesurer la durée sur celle du temps de la gestation, mais uniquement sur le temps de l'accroissement, à compter depuis ka nais- sance jusqu’au développement presque entier du corps de l'animal. LE CHEVREUIL*. ! r- Lx cerf , comme le plus noble des habitans des bois, occupe dans les forêts, les lieux. ombragés par les cimes élevées. des plus hautes futaies ; le chevreuil, comme étant d’une espèce inférieure , se contente d’habi- ter sous des lambris one bas, et se tient ordinairement dans le feuillage épais des plus jeunes taillis : mais s’il a moins de no- blesse, moins de force, et beaucoup moins. de hauteur de taille, 1} a plus de grace, plus _de vivacité, et même plus de courage que le cerf ; il est plus gai, plus leste, plus éveillé ; sa ‘forme est plus arrondie, plus élégante, et sa figure plus agréable; ses yeux sur-tout sont plus beaux, plus brillans, ei paroissent animes d’un sentiment plus vif;ses membres sont plus souples, ses mouvemens. plus br estes, et il bondit , sans effort, avec autant a * En htm, capreolis capriolus ; en italien , capriolo ; en espagnol, zorlito, cabron zillo montes; | en allemand, rehe ; en angloïis, roe-deer. LE FAON DU CERF. LA CHEVRETTE. J Puuouet re Î f ne , Il HISTOIRE NATURELLE. »r à force que de légéreté. Sa robe est toujours Dropre; ; Son poil net et lustré: il ne se roule jamais dans la fange, comme le cerf: il ne se plait que dans les pays les plus élevés, _ les plus secs, où l'air est le plus pur. Ilest ‘encore plus rusé, plus adroit à se dérober, j plus difficile à suivre; il a plus de finesse, plus de ressources d’instinct : car, quoiqu'il ait le désayautage mortel de laisser après lui des impressions plus fortes, et qui donnent aux chiens plus d’ardeur et plus de véhé- mence d’appetit que l'odeur du cerf, il ne laisse pas de savoir se soustraire à leur pour- suite par la rapidité de sa première course et par ses détours multiplies. [l n'atteud pas, pour employer la ruse, que la force lui manque : dès qu’il sent, au contraire, que les premiers efforts d’une fuite rapide ont été sans succès, il revient sur ses pas, re- tourne, revient encore : et. lorsqu'il a con- fondu par ses mouvemens opposés la direc- tion de l'aller avec celle du retour, lors+ qu'il a mêlé les émanations présentes avec les émanations passées, il se sépare de la terre par un bond , et, se jetant à côté, il se met ventre à terre, et laisse, sans bouger, \ 2 HISTOIRE | NATURE) : passer près de lui la CEE entière de: | ennemis ameutés. HO RE ER) Il diffère du cerf et du din par AS na turel, pat le tempérament, par étés à & et aussi par presque toutes les habitudes de mature. Au lieu de se imettré en hardes comme eux, et de marcher par grandes troupes , il demeure en famille; le père, Ja mère et les petits vont ensemble, et on ne les voit jamais s'associer avec des étrangers. Ils sont aussi constans dans leurs arnours que le cerf l’est peu; comme la chevrette pro= duit ordinairement deux faons, l’un mâle . et l’autre femelle, ces jeunes animaux, éle- vés, nourris ensemble, prennent une si forte affection l’un pour l’autre, qu'ils ne se quit- tent jamais, à moins que l’un des deux n’ait éprouve l'injustice du sort, qui ne devroit jamais séparer ce qui s’aime : et c’est atla= chement encore plutôt qu’ amour; car quoi- qu’ils soient toujours ensemble, ils ne res- | sentent les ardeurs du rut qu’une seule fois par an, et ce temps ne dure que quinze: jours; c’est à la fin d’octobre qu’il com- mence, et il finit avant le 15 de novembre. Ils ne sont point alors chargés, comme le DU CHEVREUIL. 73 cerf, d’une vénaison surabondante; ils n’ont. point d’odeur forte, point de fureur, rien en un mot qui les altère et qui change leur _ état : seulement ils ne souffrent pas que leurs faons restent avec eux pendant ce temps; le père les chasse, comme pour les obliger à céder leur place à d’autres qui vont venir, et à former eux-mêmes une. nouvelle famille : cependant, après que le rut est fini, les faons reviennent auprès de leur mère, et ils y demeurent encore quel- que temps, apres quoi ils la quittent pour toujours, et vont tous deux s'établir à quel- que distance des lieux où ils ont pris nais- sance. | | La chevrette porte cinq mois et demi; elle met bas vers la fin d'avril, ou au commen- cement de mai. Les biches, comme nous Lavons dit, portent plus de huit mois; et cette différence seule sufüroit pour prouver que ces animaux sont d’une espèce assez éloignée pour ne pouvoir jamais se rappro- cher, ni se mêler, ni produire ensemble une race intermédiaire : par ce rapport, aussi-bien que par la figure et par la taille, als se rapprochent de l'espèce de la chèvre Quadrupèdes, LI. w VOUS CAR 12 1 4 re 54 HISTOIRE NATURELLE . autant qu'ils s’éloignent de l'espèce du cerf; car la chèvre porte à peu près le même temps , et le chevreuil peut être regardé comme une chèvre sauvage, qui, ne vivant . que de bois, porte du bois au lieu de cornes. | Ea chevrette se sépare du chevreuil lors qu'elle veut mettre bas; elle.se recèle dans’ le plus fort du bois pour éviter le loup ; qui est son plus dangereux ennemi. Au bout* de dix ou douze jours les jeunes faons ont déja pris assez de force pour la suivre. Lors | qu'elle est menacée de quelque danger, elle: les cache dans quelque endroit fourré; elle fait face, se laisse chasser pour eux : mais tous. ses soins n’empêchent pas que les hommes les chiens, les loups, ne les lui enlèvent souvent: c’est-là leur temps le plus critique,’ et celui de la grande destruction de cette espèce, qui n’est déja pas trop commune; j'en ai la preuve par ma propre expérience. J'habite souvent une campagne dans un pays * dont les chevreuils ont une ‘Srande: réputation; il n’y a point d'année qu’on ne m'apporte au printemps plusieurs faous, es -# À Monthard en Bourgogne. DU CHEVREUTL 75 uns vivans, pris par les hommes, d’autres tués par les chiens ; en sorte que, sans comp- ter ceux que les loups dévorent, je vois qu’on en détruit plus dans le seul mois de mat que dans le cours de tout le reste de l’année: et ce que j'ai remarque depuis plus de vingt- cinq ans, c’est que comme s’il y avoit en tout un équilibre parfait entre Les causes de | destruction et de renouvellement , ils sont toujours, à très-peu prés, en même nombre dans les mêmes cantons. [i n’est pas difhcile de les compter, parce qu’ils ne sont nulle part bien nombreux, qu’ils marchent en fa- mille, et que chaque famille habite séparé- ment, en sorte que, par exemple, dans um taillis de cent arpens, il y en aura une fa- mille, c'est-à-dire trois, quatre ou cinq; car la chevrette , qui produit ordinairement deux faons, quelquefois n’en fait qu’un; et quel- _ quefois en fait trois, quoique très-rarement. Dans un autre canton, qui sera du double plus étendu, il y en aura sept ou huit, c'est-à-dire deux familles: et j’ai observé que dans chaque canton cela se soutient toujours au même nombre, à l'exception des années où Les hivers ont été trop rigoureux et Les HA. WU NT LEUR nu ’a NME tx | MATE pat À A | k 56 HISTOIRE “NATURELLE 4 neiges abondantes et de longue durée : sou ! vent alors la famille entière est détruites mais dès l’année suivante il en revient une autre , et les cantons qu’ils aiment de pré- férence sont toujours à peu près également . peuplés. Cependant on prétend qu’en géné- ù tal le nombre en diminue, et il est vrai. qu'il y a des provinces en France où l’on n'en trouve plus; que, quoique communs . en Ecosse, il n’y en a point en Aneleterre; : qu'il n'y en a que peu en Italie; qu'ils sont bien plus rares en Suède qu'ils ne l’étoient autrefois, etc. : mais cela pourroit venir ,/ ou de la diminution des forêts, ou de l'effet de . quelque grand hiver, comme celui de 1709, . qui les fit presque tous périr en Bourgogne, en sorte qu'il s’est passé plusieurs années avant que l'espèce se soit rétablie. D'ailleurs ils ne se plaisent pas également dans tous les pays, puisque dans le même pays ils affectent encore des lieux particuliers : ils aiment les collines ou les plaines élevees au-dessus des montagnes; ils ne se tiennent pas dans la profondeur des forêts, ui dans le milieu des bois d’une vaste étendue; ils occupent plus volontiers les pointes des bois DU CHEVREUIL. 57 qui sont environnées de terres labourables, Jes taillis clairs et en mauvais terrain, où croissent abondamment la ps 14 ronce ,; etc. Les faons restent avec leurs père et mère huit ou neuf mois en tout; et lorsqu'ils se sont séparés, c’est-à-dire, vers la fin de la première année de leur äge, leur première tête commence à paroître sous la forme de deux dagues beaucoup plus petites que celles du cerf: mais ce qui marque encore une grande différence entre ces animaux, c'est que le cerf ne met bas sa tête qu'au prin- temps, et ne la refait qu'en été, au lieu que - le chevreuil la met bas à la fin de l'automne, et la refait pendant l’hiver. Plusieurs causes concourent à produire ces effets différens. Le cerf prend en été beaucoup de nourri- ture ; il se charge d’une abondante venaison; ensuite 1l sepuise par le rut, au point qu’il lui faut tout l'hiver pour se rétablir et pour reprendre ses forces : loin donc qu'il y ait alors aucune surabondance, il y a disette et défaut de substance, et par conséquent sa tête-ne peut pousser qu'au printemps, lorsqu'il a repris assez de nourriture pour | 7 4 7ar L #1 #8 HISTOIRE NATURELLE qu’il y en ait de supertlue. Le chevreuil au contraire, quine s’épuise pas tant, n’a pas besoin d'autant de réparation; et comme il n'est jamais chargé de venaison, qu'il est toujours presque le même, que le rut ne change rien à son état, il a dans tous les temps la même surabondance ; en : sorte qu'en hiver même, et peu de temps après le rut, il met bas sa tête et la refait. Ainsi, dans tous ces animaux, le superflu de la nourriture organique, avant de se détermi- ner vers les réservoirs séminaux, et de for- mer la liqueur séminale, se porte vers la tete, et se manifeste à l'extérieur par la pro- duction du bois, de la même manière que dans l’homme le poil et la barbe annoncent et précèdent la liqueur séminale;-et il pa- roit que ces productions, qui sont, pour ainsi dire, végétales, sont formées d’une ma- tière organique , surabondante, mais-encore imparfaite et mêlée de parties brutes, puis- qu'elles conservent, dans leur accroissement et dans leur substance, .les qualités du vé- gétal ; au lieu que la liqueur séminale, dont la production est plus tardive, est une ma tère purement organique, entièrement dé VBUICHEVREULL): 09 pouillée des parties brutes, et parfaitement -assimilée au corps de l'animal, Lorsque le chevreuil a refait sa tête, 11 touche au bois, comme le cerf, pour la dé- pouiller de la peau dont elle est revêtue, et c'est ordinairement dans le mois de mars, avant que les arbres commencent à pousser; ce n’est donc pas la séve du bois qui teint la tête du chevreuil : cependant elle devient brune à ceux qui ont le pelage brun, et jaune à ceux qui sont roux, car 1l y a des chevreuils de ces deux pelages; et par con- séquent cette couleur du bois ne vient, comme je l’aidit, que de la nature de l’ani- mal'et de l'impression de l'air. À la seconde tête, le chevreuil porte déja deux ou trois -andouillers sur chaque côté; à la troisième, ïl en a trois ou quatre; à la quatrième, quatre ou cinq, et il est bien rare d’en trou- “ver qui en aient davantage. On reconnoît seulement qu’ils sont vieux chevreuils à lépaisseur du merrain, à la largeur de la meule, à la grosseur des perlures, etc: Tant que leur tête est molle, elle est extrême- ment sensible. J'ai été témoin d’un coup de fusil, dont la balle -coupa net l’un des côtés & HISTOIRE NATURELLE du refait de la tête qui commençoit à pous- ser ; le chevreuil fut si fort etourdi du coup, qu'il tomba comme mort : Le tireur, qui en étoit près, se jeta dessus et le saisit par le pied ; mais Le chevreuil ayant repris tout d’un coup le sentiment et les forces, l’en- traina par terre à plus detrente pas dans le bois, quoique ce fût un homme très- vigoureux : enfin ayant été achevé d'un coup de couteau, nous vimes qu'il n’avoit eu d'autre blessure que le refait coupé par la. balle. L'on sait d’ailleurs que les mouches sont une des plus grandes incommodités du cerf lorsqu'il refait sa tête; il se recèle alors, dans le plus fort du bois où il y a le moins de mouches, parce qu’elles lui sont insup- portables lorsqu'elles s’attachent à sa tête … naissante: ainsi 1l y a une communication intime entre les parties molles de ce bois vivant, et tout le système nerveux du corps. de l'animal. Le chevreuil, qui n’a pas à ‘craindre les mouches, parce qu’il refait sa tête en hiver, ne se recèle pas; mais il : marche avec précaution , et porte la tête basse pour ne pas toucher aux branches. Dans le cerf, le daim et le chevreuil, Fos DU CHEVREUIL. 8z frontal a deux apophyses ou éminences, sur | _ lesquelles porte le bois : ces deux éminences osseuses commencent à pousser à Cinq ou: Six mois, et prennent en peu de temps leur entier accroissement; et loin de continuer à s’elever davantage à mesure que l’animal avance en âge, elles s’abaissent et diminuent de hauteur chaque année, en sorte que les meules, dans un vieux cerf ou dans un vieux chevreuil , appuient d’assez près sur l'os _frontal, dont les apophyses sont devenues fort larges et fort courtes ; c’est même l’in- dice le plus sûr pour reconnoître l’âge avancé dans tous ces animaux. Il me semble que l’on peut aisément rendre raison de cet effet, qui d’abord paroiït singulier, mais qui cesse de l'être .si l’on fait attention que le bois _ qui porte sur cette éminence presse ce point d'appui pendant tout le temps de son accrois- sement; que par conséquent 1l le comprime avec une grande force tous les ans, pendant plusieurs mois : et comme cet os, quoique dur, ne l'est pas plus que les autres os, il ne peut manquer de céder un peu à la force qui le comprime, en sorte qu'il s’élargit, 6e rabaisse et s’applatit toujours de plus en / 82 HISTOIRE NATURELLE( : PI plus par cette même compression réitérée à | chaque tête que forment ces animaux; et c’est ce qui fait que quoique les meules et | le merrain grossissent toujours, -et d'autant plus que l’animal est plus âgé, la hauteur de la tète et le nombre des andouillers dimi- nuent si fort, qu'à la fin, lorsqu'ils par- viennent à un très-erand âge, ils n’ont plus que deux grosses dagues ou des têtes bizarres et contrefaites, dont le merrain-est fort gros, | et dont les andouillers sont très-petits. Comme la chevrette ne porte que cinq mois et demi, et que l'accroissement du jeune chevreuil est plus prompt que celui : du cerf, la durée de sa vie est plus courte, et je ne crois pas qu’elle s’étende à plüs de’ douze ou quinze ans tout au plus. J'en ai élevé plusieurs, mais je n’ai jamais pu les : garder plus de cinq ou six ans: ils sont très- délicats sur le choix de la nourriture: ils ont besoin de mouvement, de beaucoup d'air, de beaucoup d'espace; et c'est ce qui fait qu'ils ne résistent que pendant les pre- mières années de leur jeunesse aux incon- véniens de la vie domestique. Il leur faut : une femelle, -et un parc de cent arpens, pour FDU'CHEVREUIL. : 93 ‘qu'ils soient à leur aise. On peut les appri- . voiser, mais on pas les rendre obéissans , ni même familiers ; ils retiennent toujours quelque chose de leur naturel sauvage; ils s'épouvantent aisément, et ils se précipitent contre les murailles avec tant de force, que souvent ils se cassent les jambes. Quelque privés qu’ils puissent être, il faut s’en dé- fier: les mâles sur-tout sont sujets à des ca- prices dangereux, à prendre certaines per sonnes en aversion:; et alors ils s’élancent et donnent des coups de tête assez forts pour renverser un homme, et ils le foulent en- core avec: les pieds lorsqu'ils l'ont renverse. Les chevreuils ne raient pas si fréquemment ni d’un cri aussi fort que le cerf; les jeunes ont une petite voix, courte et plaintive, mi..... 1ni, par laquelle ils marquent Île besoin qu'ils ont de nourriture. Ce son est aisé à imiter, et la mère; trompée par l’ap- peau, arrive jusque sous le fusil du chasseur. Eu hiver, les chevreuils se tiennent dans les taillis les plus fourrés, et ils vivent de rouces, de senêt, de bruyère, et de chatons de coudrier, de marsaule, etc: Au prin- temps, 1ls vont dans les taillis plus clairs, PAT ÿ de APAPR US EE Mains Guru: L'RR di 1 "4 | * X ‘84 HISTOIRE NATURELLE. -et broutent les boutons et les feuilles pais= à santes de presque tous les arbres. Cette nour= riture chaude fermente dans leur estomac, - et les enivre de manière qu’il est alors très- aisé de les surprendre : ils ne savent où ils vont, ils sortent même assez souvent hors # du bois, et quelquefois ils approchent du 4 betail et des endroits habites. En eté, ils. restent dans les taillis élevés , et n’en sortent que rarement pour aller boire à quelque fon- taine, dans les grandes sécheresses ; car pour peu que la rosée soit abondante, ou que les feuilles soient mouillées de la pluie, ils se passent de boire. Ils cherchent les nourri. tures les plus fines; ils ne viandent pas avi- dement comme le cerf, ils ne broutent pas indifferemment toutes les herbes, ils man— geut délicatement, et ils ne vont que rare- - ment aux gagnages, parce qu'ils préfèrent la bourgène et la rouce aux grains et aux léoumes. La chair de ces animaux est, comme l’on sait, excellente à manger; cependant il y. a beaucoup de choix à faire : la qualité dé- pend principalement du pays qu'ils ha= kitent; et dans le meilleur pays il s’en "4 Le \ / POAVDU CHEVREUITE, 85 trouve encore de bons et de mauvais. Les bruns ont la chair plus fine que les roux. _ tous les chevreuils mâles qui ont passé deux ans, et que nous appelons vieux brocards, sont durs et d'assez mauvais goût. Les che- vrettes, quoique du même âge, ou plus âgées, ont la chair plus tendre. Celle des faons, lorsqu'ils sont trop jeunes, est mol- lasse; mais elle est parfaite lorsqu'ils out un an ou dix-huit mois. Ceux des pays de plaines et de vallées ne sont pas bons; ceux des terrains humides sont encore plus mau- vais; ceux qu'on élève dans des parcs ont peu de goût ; enfin il n’y a de bien bons chevreuils que ceux des pays secs et eleves, entrecoupés de collines, de bois, de terres labourables, de friches, où ils ont autant d'air, d'espace, de nourriture , et même de solitude, qu’il leur en faut; car ceux qui ont été souvent inquiétés sont maigres, et ceux que l’on prend après qu'ils ont été courus, ont la chair insipide et flétrie. Cette espèce , qui est moins nombreuse que celle du cerf, et qui est même fort rare dans quelques parties de l'Europe, paroît être beaucoup plus abondante en Amérique. 8 } 86 HISTOIRE NATURELLE Ici nous n’en connoissons que deux variétés les roux, qui sont les plus gros ,.et les bruns, qui ont une tache blanche au derrière, et | qui sont les plus petits; et comme il s’en trouve dans les pays septentrionaux aussi- bien que dans les contrées méridionales de l'Amérique ; on doit presumer qu'ils dif- fèrent les uns des autres peut-être plus qu'ils ne diffèrent de ceux d'Europe : par exemple, ils sont extrèmement communs à la Loui- siane, et ils ysont plus grands qu’en France: ils se retrouvent au Bresil, car l’animal que l'on appelle czjuacu-apara ne diffère pas plus de notre chevreuil que le cerf de Ca- nada diffère de notre cerf; il y a seulement. quelque différence dans la forme de leur bois, comme on peut le voir dans la planche du cerf de Canada, donnée par M. Perrault, et dans la planche XXXV1IT, fig. 1et2a, où nous avons fait représenter deux boïs de ces che- vreuils du Bresil, que nous avons aisément reconnus par, la description et la figure qu'en a données Pison. « [l y a, dit-il, au Bresil « des espèces de chevreuils dont les uns n’ont « point de cornes, et s'appellent cujuacu-été, « et les autres ant des cornes, et s’appellent 'D'UNCHEVR:E UT ELA; 87 « CUJUQCU-ApATQ : CeUX-C1, qui ont des cornes, « sont plus petits que Les autres; les poils «sont iuisans, polis, mélés de brun et de « blanc, sur-tout quand l'animal est jeune, « car le hlanc s’efface avec l’age. Le pied est « divisé en deux ongles noirs, sur chacun « desquels 1l y en a un plus petit, qui est « comme superposé; la queue courte, les « yeux grands et noirs, les narines ouvertes, «les cornes médiocres, à trois branches, et « qui tombent tous les ans. Les femelles por- « tent-cinq ou six mois. On peut les appri- « voiser, etc. Marcgrave ajoute que l’apara « a des cornes à trois branches, et que la « branche inférieure de ces cornes est la plus «longue, et se divise en deux ». L'on voit bien par ces descriptions que l’apara n'est qu'une variété de l'espèce de nos chevreuils, et Ray soupçonne que le czjuacu-été n’est pas d’une espèce differente de celle du cu- juäcu-apara, et que celui-ci est le mâle, et l’autre la femelle. Je serois tout-à-fait de son avis, si Pison ne disoit pas précisément que ceux qui ont des cornes sont plus pelits que les autres. [l ne me paroîit pas probable que les femelles soient plus grosses que les "22 NUR RON NME tn À nt 88 HISTOIRE NATURELLE. mâles dans cette espèce au Bresil, puis- qu'ici elles sont plus petites. Ainsi, en même temps que nous croyons que le cujuacu- apara n’est qu’une variété de notre chevreuil, à laquelle on doit même rapporter le capreo- : lus marinus de Jonston, nous ne deciderons rien sur ce que peut être le cyjuacu-été, | jusqu’à ce que nous en soyons mieux Lun formés. a CA k \ ] ME LIENVREN. ut Les espèces d'animaux les plus nombreuses ne sont pas les plus utiles; rien n’est mème plus nuisible que cette multitude de rats, de mulots, de sauterelles, de chenilles, et de tant d’autres insectes dont il semble que la nature permette et souffre, plutôt qu’elle ne l’ordonne, la trop nombreuse multipli- cation. Mais l’espèce du lièvre et celle du lapin ont pour nous le double avantage du nombre et de l'utilité : les lièvres sont uni- verseliement et très-abondamment répandus dans tous les climats de la terre ; les lapins, quoiqu originaires de climats particuliers, multiplient si prodigieusement dans presque tous les lieux où l’on veut les transporter, qu'il n’est plus possible de Les détruire, et * En laun, Zepus, quasi levipes ; en italien, lepre ; en espagnol , Ziebre ; en allemand, Aase ; cn angloïis , are ; en hollandois, Aase. j + COR SA e. go HISTOIRE é NATURELLE qu’il faut même employer beaucoup ae a pour eu diminuer la PATES EN RS incommode. Lorsqu'on réfléchit donc sur cette fécon- | dité sans bornes donnée à chaque espèce, sur le produit innombrable qui doit en ré-. sulter, sur la prompte et prodigieuse mul- tiplication de certains animaux qui pul- lulent tout-à-coup, et viennent par milliers désoler les campagnes et ravager la terre, on est étonné qu'ils n’envahissent pas la na- ture; on craint qu'ils ne l’oppriment par le nombre, et qu'après avoir dévoré sa subs- tance, ils ne périssent eux-mêmes qu'avec elle. L'on voit en effet avec effroi arriver ces nuages épais, ces phalanges ailées d'insectes affamés, qui semblent menacer le globe en- tier, et qui, se rabattant sur les plaines fécondes de l'Égypte, de la Pologne ou dé l'Inde , détruisent en un instant les travaux, les espérances de tout un peuple, et, n’épar- gnant ni les grains, ni les fruits, ui les. herbes, ni les racines, ni les feuilles , dé— pouillent la terre de sa verdure, et changent en un désert aride les plus riches contrées: 2 Es RUN ILITE V REIN D 0 - gù L'on voit descendre des montagnes du Nord des rats en multitude innombrable, qui, comme un déluge, ou plutôt un déborde- | ment de substance vivante, viennent inon- _ der les plaines, se répandent jusque dans des provinces du Midi, et, après avoir dé- truit sur leur passage tout ce qui vit ou vé- gète, finissent par infecter la terre et l'air de leurs cadavres. L'on voit dans les pays méridionaux sortir tout-à-coup du désert des myriades de fourmis, lesquelles, comme un torrent dont la source seroit intarissable, arrivent en colonnes pressées , se succèdent, se renouvellent sans cesse, s'emparent de tous les lieux habités, en chassent les ani- maux et les hommes, et ne se retirent qu'a- près une dévastation générale. Et dans les temps où l’homme, enccre à demi sauvage, toit, comme les animaux, sujet à toutes les lois et même aux excès de la nature, n’a-t-on pas vu de ces débordemens de l’es- pèce humaine, des Normands, des Alains, des Huns, des Goths, des peuples, ou plutôt des peuplades d'animaux à face humaine, sans domicile et sans nom, sortir tout-à- - renard est fameux par ses ruses, ef mérite en partie sa réputation; ce que le Joup ne fait que par la force, il le fait par adresse, et réussit plus souvent. Sans cher- cher à combattre les chiens ni les bergers, sans attaquer les troupeaux, sans traîner les cadavres, il est plus sûr de vivre. Il em- ploie plus d'esprit que de mouvement, ses” ressources semblent être en lui-même : ce sont, comme l’on sait, celles qui manquent le moins. Fin autant que circonspect, in- génieux et prudent, même jusqu’à la pa- tience, il varie sa conduite, 1l a des moyens : de réserve qu’il sait n’employer qu’à propos. Il veille de près à sa conservation : quoi- qu'aussi infatigable , et même plus léger que le loup, il ne se fie pas entièrement à la vi- tesse de sa course; il sait se mettre en sûreté * En latin, pulpes; en italien, vo/pe; en es- pagnol, raposa ; en allemand, fuchss ; en apglois,, ox. HISTOIRE NATURELLE. 103 en se pratiquant un asyle où il se retire dans les dangers pressans, où il s'établit, où il élève ses petits : il n’est point animal vagabond, mais animal domicilié. Cette différence, qui se fait sentir même parmi les hommes, a de bien plus grands effets, et suppose de bien plus grandes causes parmi les animaux. L'idée seule du domi- _cile présuppose une attention singulière sur soi-même; ensuite le choix du lieu, l’art de faire son manoir, de le rendre commode, d’en dérober l'entrée, sont autant d'indices , d’un sentiment supérieur. Le renard en est doué, et tourne tout à son profit : il se loge au bord des bois, à portée des hameaux: il écoute le chant des coqs et le cri des vo- lailles ; il les savoure de loin; il prend ha- bilement son temps , cache son dessein et sa marche, se glisse, se traine, arrive, et -fait rarement des tentatives inutiles. S’il peut franchir les clôtures ou passer par- dessous, il ne perd pas un instant, il ravage la basse-cour, il y met tout à mort, se re- tire ensuite lestement en emportant sa proie, qu'il cache sous la mousse, ou porte à son terrier ; 1l revient quelques momens après ) | ee | 194 HISTOIRE NATURELLE en chercher une autre, qu'il emporte et. cache de même, mais dans un autre endroit: ensuite une troisième, une quatrième, etc. jusqu’à ce que le jour ou le mouvement dans la maison l’avertisse qu’il faut se re- tirer et ne plus revenir. Il fait la même manœuvre dans les pipées et dans les bo- quetaux où l’on prend les grives et les bé- casses au lacet; il devance le pipeur, va de très-grand matin, et souvent plus d’une fois. par jour, visiter les lacets, les gluaux; em- porte successivement les oiseaux qui se sont empèêtrés, les dépose tous en différens en- droits, sur-tout au bord des chemins, dans les ornières, sous de la mousse, sous un genièvre; les y laisse quelquefois deux ou trois jours, et sait parfaitement les retrou- ver au besoin. Il chasse les jeunes levrauts en plaine, saisit quelquefois les lièvres au gite, ne les manque jamais lorsqu'ils sont blessés, déterre les lapereaux dans les pa- rennes, découvre les nids de perdrix, de cailles, prend la mère sur les œufs, et dé- truit une quantité prodigieuse de gibier. Le loup nuit plus au paysan , le renard nuit plus au gentilhomme. DU RENARD. |. 198 La chasse du renard demande moins d’ap- pareil que celle du loup; elle est plus fa- cile et plus amusante. Tous les chiens ont de la répugnance pour le loup, tous les chiens au contraire chassent le renard vo- lontiers et même avec plaisir; car quoiqu'il ait l'odeur très-forte, ils le préfèrent souvent au cerf, au chevreuil et au lièvre. On peut le chasser avec des bassets, des chiens cou- rans, des briquets : dès qu’il se sent pour- suivi, 1l court à son terrier; les bassets à jambes torses sont ceux qui s’y glissent le plus aisément. Cette manière est bonne pour prendre une portée entière de renards, la mère avec les petits; pendant qu’elle se dé- fend et combat les bassets, on tâche de dé- couvrir le terrier par-dessus, et on la tue ou on la saisit vivante avec des pinces. Mais comme les terriers sont souvent dans des xochers, sous des troncs d'arbres, et quel- quefois trop enfoncés sous terre, on ne réussit pas toujours. La façon la plus ordi- naire, la plus agréable et la plus sûre de chasser le renard , est de commencer par boucher les terriers : of place les tireurs à portée, on quête alors avec les briquets ; L e 1 É RER : ÿ ja 196 HISTOIRE NATURELLE dès qu’ils sont tombés sur la voie, le renard gagne son gite, mais en arrivant il essuie une première décharge : s’il échappe à la baile, il fuit de toute sa vitesse, fait un grand tour, et revient encore à son terrier, où on le tire une seconde fois, et où, trou- vant l’entrée fermée, il prend le parti de se sauver au loin, en perçant droit en avant , pour ne plus revenir. C’est alors qu’on se . sert des chiens courans , lorsqu'on veut le poursuivre : il ne laissera pas de les fati- guer beaucoup, parce qu’il passe à dessein dans les endroits les plus fourrés, où les chiens ont grand’peine à le suivre, et que, quand il prend la plaine, il va très-loin sans s'arrêter. Pour détruire les renards, il est encore plus commode de tendre des piéges, où l’on met de la chair pour appât, un pigeon, une volaille vivante, etc. Je fis un jour suspendre à neuf pieds de hauteur sur un arbre les dé- bris d’une halte de chasse, de la viande, du pain, des os; dès la première nuit les re- nards s’étoient si fort exercés à sauter, que le terrain autour de l'arbre étoit battu comme une aire de grange. Le renard est aussi DU RENARD. ‘109 vorace que carnassier ; il mange de tout avec. une égale avidité, des œufs, du lait, du fro-. mage, des fruits, et sur-tout des raisins : lorsque les levrauts et les perdrix lui man- quent, il se rabat sur les rats, les mulots, les serpens, les lézards, les crapauds, etc. il en détruit un grand nombre; c’est là le seul bien qu’il procure. Il est très-avide de miel ; il attaque les abeilles sauvages, les guépes, les frelons, qui d’abord tächent de le mettre en fuite en le perçant de mille coups d’aiguillon : il se retire en effet, mais c’est en se roulant pour les écraser; et il revient si souvent à la charge, qu'il les oblige à abandonner le guèpier : alors il le déterre et en mange et le miel et la cire. Il prend aussi les hérissons , les roule avec ses pieds, et les force à s’étendre. Enfin il | mange du poisson , des écrevisses, des han- metons, des sauterelles, etc. Cet animal ressemble beaucoup au chien, sur-tout par les parties intérieures; cepen- dant il en diffère par la tête, qu'il a plus grosse à proportion de son corps; 1l a aussi les oreilles plus courtes, la queue beaucoup plus grande, Le poil plus long et plus tou ffu; \ 198 HISTOIRE NATURELLE les yeux plus inclinés. Il en diffère encore par une mauvaise odeur très-forte qui lui. est particulière, et enfin par le caractère le plus essentiel , par le naturel; car 1l ne s'ap- privoise pas aisément, et jamais tout-à-fait : il languit lorsqu'il n’a pas la liberté, et meurt d'ennui quand on veut le garder trop lons-temps en domesticité. Il ne s’accouple point avec la chienne ; s'ils ne sont pas antipathiques, ils sont au moins indifférens. Il produit en moindre nombre, et une seule fois par an; les portées sont ordinairement de quatre ou cinq, rarement de six, et ja- mais moins de trois. Lorsque la femelle est pleine, elle se recèle, sort rarement de son terrier, dans lequel elle prépare un lit à ses petits. Elle devient en chaleur en hiver, et l’on trouve déja de petits renards au mois d'avril. Lorsqu'elle s’apperçoit que sa re- traite est découverte, et qu'en son absence ses petits ont été inquiétés, elle les trans- porte tous les uns après les autres, et va chercher un autre domicile. Ils naissent les yeux fermés : ils sont, comme les chiens, dix-huit mois ou deux ans à croître, et vivent de mème treize ou quatorze ans. DU RENARD. 149 * Le renard a les sens aussi bons que le loup, le sentiment plus fin, et l’organe de la voix plus souple et plus parfait. Le loup ne se fait entendre que par des hurlemens affreux : le renard glapit, aboie, et pousse un son triste, semblable au cri du paon; 1l a des tons diflérens selon les sentimens dif- férens dont il est affecté; il a la voix de la chasse, l'accent du desir, le son du mur- mure, le ton plaintif de la tristesse, le cri de la douleur, qu’il ne fait jamais entendre qu'au moment où il reçoit un coup de feu qui lui casse quelque membre; car il ne crie point pour toute autre blessure, et il se laisse tuer à coups de bâton , comme le ZJoup, sans se plaindre, mais toujours en se défendant avec courage. IL mord dangereu- sement, opiniâtrément, et l’on est obligé de se servir d’un ferrement ou d’un bâton pour le faire démordre. Son glapissement est une espèce d’aboiement qui se fait par des sons semblables et très-précipités. C’est ordinaire- ment à la fin du glapissement qu'il donne un coup de voix plus fort, plus élevé, et semblable au cri du paon. En hiver, sur- tout pendant la neige et la gelée, 1l ne cesse 20 HISTOIRE NATURELLE de donner de la voix, et il est au contraire À presque muet en été. C’est dans cette saison que son poil tombe et se renouvelle. L’on fait peu de cas de la peau des jeunes re nards, ou des renards pris en été. La chair du renard est moins mauvaise que celle du loup ; les chiens et même les hommes en. mangent en automne, sur-tout lorsqu'il s'est nourri et engraissé de raisins, et sa peau d'hiver fait de bonnes fourrures. I a le sommeil profond ; on l’approche aisément sans l’éveiller. Lorsqu'il dort, il se met en rond comme les chiens; mais lorsqu'il ne fait que se reposer, il étend les jambes de derrière et demeure étendu sur le ventre: c’est dans cette posture qu’il épie les oiseaux le long des haies. Ils ont pour lui une si grande antipathie, que dès qu’ils l’apper-. çoivent, ils font un petit cri d'avertissement; les geais, les merles sur-tout , le conduisent. du haut des arbres , répètent souvent le petit, cri d'avis, et le suivent quelquefois à plus. de deux ou trois cents pas. J'ai fait élever quelques renards pris jeunes :; comme ils ont une odeur très-forte, on ne: peut les tenir que dans des lieux éloignes, NANBU:REN ARE. ”- 0x dans des écuries , des étables, où l'on n’est pas à portée de les voir souvent ; et c’est peut-être par cette raison qu’ils s'appri- voisent moins que le loup, qu’on peut gar- der plus près de la maison. Dès l’âge de cinq à six mois les jeunes renards couroient après les canards et les poules; il fallut les en- chaîner. J'en fis garder trois pendant deux ans, une femelle et deux mäles; on tenta inutilement de les faire accoupler avec des chiennes : quoiqu’ils n’eussent jamais vu des femelles de leur espèce, et qu’ils parussent pressés du besoin de jouir, ils ne purent s’y déterminer, ils refusèrent constamment toutes les chiennes; mais dès qu’on leur présenta leur femelle légitime, ils la cou- vrirent quoiqu'enchaînés, et elle produisit quatre petits. Ces mêmes renards qui se jetoient sur les poules lorsqu'ils étoient en liberté , n’y touchoient plus dès qu'ils avoient leur chaîne : on attachoit souvent aupres d'eux une poule vivante, on les laissoit pas- ser la nuit ensemble, on les faisoit même jeüner auparavant ; malgré le besoin et la commodité, ils n'oublioient pas qu’ils étoient enchainés, et ne touchoient point à la poule. 202 HISTOIRE NATURELLE Cette espèce est une des plus: sujettes aux influences du climat, et l’on y trouve pres- que autant de variétés que dans les espèces d'animaux domestiques. La plupart de nos renards sont roux, mais il s’en trouve aussi her à dont le poil est gris argenté; tous deux ont . le bout de la queue blanc. Les derniers s'ap- pellent en Bourgogne renards c/arbonniers, parce qu'ils ont les pieds plus noirs que les autres. [ls paroissent aussi avoir le corps plus court, parce que leur poil est plus fourni. Il y en a d’autres qui ont le corps réellement plus long que les autres, et qui sont d’un gris sale, à peu près de la couleur des vieux loups; mais je ne puis décider si cette diffé- rence de couleur est ne vraie varieté, ou si elle n’est produite que par l’âge de l’ani- mal, qui peut-être blanchit en vieillissant. Dans les pays du Nord il y en a de toutes couleurs, des noirs, des bleus, des gris, des gris de fer, des gris argentés , des blancs, des blancs à pieds fauves, des blancs à tête noire, des blancs avec le bout de la queue noir, des roux avec la gorge et le ventre entièrement blancs, sans aucun mélange de noir, et enfin des croisés qui ont une ligne DU RENARD. “203 _moire le long de l’épine du dos, et une autre ligne noire sur les épaules, qui traverse la première : ces derniers sont plus grands que les autres, et ont la gorge noire. L'espèce commune est plus généralement répandue qu'aucune des autres : on la trouve par-tout en Europé, dans l'Asie septentrionale et tem- pérée; on la trouve de même en Amérique : mais elle est fort rare en Afrique et dans les pays voisins de l’équateure Les voyageurs qui disent en avoir vu à Calicut et dans les autres provinces méridionales des Indes, ont pris les chacals pour des renards. Aristote lui-même est tombe dans une erreur sem—. blable, lorsqu'il a dit que les renards d’'É- sypte étoient plus petits que ceux de Grèce: ces petits renards d’ Égypte sont des putois, dont l'odeur est insupportable. Nos renards, originaires des climats froids, sont devenus naturels aux pays tempérés, et ne se sont pas étendus vers le midi et au-delà de l’Es- pagne et du Japon. Ils sont originaires des pays froids, puisqu'on y trouve toutes les variétés de l’espèce, et qu'on ne les trouve que là; d’ailleurs ils supportent aisément le froid le plus extrême : il y en a du côté 1 * 04 HISTOIRE NATURELLE. du pole antarctique comme vers le pole. ‘arctique. La fourrure des renards blancs n'est pas fort estimée, parce que le poil tombe aisément; les gris argentés sont meil- leurs, les bleus et les croisés sont recher- chés à cause de leur rareté : mais les noirs sont les plus précieux de tous; c’est, après la zibeline, la fourrure la plus belle et la plus chère. On en trouve au Spitzherg, en Groenland, en Lapponie, en Canada, où il y en a aussi de croisés, et où l'espèce com- mune est moins rousse qu’en France, et a le poil plus loug et plus fourui. LU14 ag 208, EN DESSOUS. À > : : Ce J' .s ruuguuer \ Fi - LE BLAIREAU * Lr blaireau est un animal paresseux, de- fiant, solitaire, qui se retire dans les lieux les plus écartés, dans Les bois les plus som- bres , et s’y creuse une demeure souterraine ; il semble fuir la société, même la lumière, et passe les trois quarts de sa vie dans ce séjour ténébreux , dont 1l ne sort que pour chercher sa subsistance. Comme il a le corps alongé, les jambes courtes, les ongles , sur- tout ceux des pieds de devant, ones eË très-fermes , il a plus de facilité qu'un autre pour ouvrir la terre, y fouiller, y pénétrer, et jeter derrière lui les déblais de son exca- vation , qu'il rend tortueuse, oblique, et qu'il pousse quelquefois fort loin. Le renard, qui n’a pas la même facilité pour creuser la terre, profite de sès travaux : ne pouvant le con- * Le blaireau ou taisson : en latin, meles, taxus; en italien, {asso ; en espagnol, {asugo , texon ; en allemand, tachs, dachs, dar; en anglois, badger, brock; gray , baussen pate. n" 18 206 HISTOIRE NATURELLE traindre par la force, il l oblige par adresse à quitter son domicile, en l’inquiétant, en fai- santsentinelle à l’entrée, en l’infectant même de ses ordures ; ensuite il s’en empare, l’élar- sit, l’approprie, eten fait son terrier. Le blai- reau, forcé à changer de manoir, ne change pas de pays; il ne va qu'à quelque distance. travailler sur nouveaux frais à se pratiquer un autre gite, dont il ne sort que la nuit, dont il ne s’écarte guère, et où il revient dès qu’il sent quelque danger. Il n’a que ce moyen de se mettre en sûreté, car il ne peut échap- per par la fuite ; il a les jambes trop courtes pour pouvoir bien courir. Les chiens l’attei- gnent promptement, lorsqu'ilslesurprennent à quelque distance de son trou : cependant il est rare qu'ils l’arrètent tout-à-fait et qu’ils en vieunent à bout, à moins qu'on ne les aide. Le blaireau a le poil très-épais, les jambes , la mâchoire et les dents très-fortes à aussi-bien que les ongles; il se sert de toute sa force, de toute sa résistance et de toutes ses armes en se couchant sur le dos, et il fait aux chiens de profondes blessures. Il a d’ail- leurs la vie très-dure; il combat lons-temps, se défend courageusement , et jusqu'à la der- nière extrémité. DU BLAIRE AU. 207 Autrefois que ces animaux étoient plus communs qu'ils ne le sont aujourd’hui, on dressoit des bassets pour les chasser et les prendre dans leurs terriers. Il n’y a guère que les bassets à jambes torses qui puissent y entrer aisément : le blaireau se défend en re- culant, éboule de la terre, afin d'arrêter ou d’enterrer les chiens. On ne peut le prendre qu'en faisant ouvrir le terrier par-dessus , lorsqu'on juge que les chiens l’ont acculé jus- qu'au fond; on le serre avec des tenailles, et ensuite on le musèle pour l’empêècher de mordre : on m'en a apporté plusieurs qui avoient été pris de cette façon , et nous en avons gardé quelques uns long-temps. Les jeunes s’apprivoisent aisément, jouent avec les petits chiens, et suivent, comme eux, la personne qu'ils connoissent et qui leur donne à manger : mais ceux que l’on prend vieux demeurent toujours sauvages. Ils ne sont ni mal faisans ni gourmands comme le renard et le loup, et cependant ils sont animaux carnassiers ; 11s mangent de tout ce qu'on leur offre, de la chair, des œufs, du fromage, du beurre , du pain, du poisson, des fruits, des poix, des graines, des racines, etc., et als 28 HISTOIRE NATURELLE préfèrent la viande crue à tout le reste. Ils dorment la nuit entière et les trois quarts du jour , sans cependant être sujets à l’engour- dissement pendant l’hiver, comme les mar- mottes ou les loirs. Ce sommeil fréquent fait qu'ils sont toujours gras, quoiqu’ils ne man- gent pas beaucoup; et c’est par la même rai- son qu’ils supportent aisément la diète, et qu'ils restent souveut dans leur terrier trois ou quatre jours sans en sortir, sur-tout dans les temps de neige. Ils tiennent leur domicile propre: ilsn’y font jamais leurs ordures. On trouve rare- ment le mâle avec la femelle : lorsqu'elle est prête à mettre bas, elle coupe de l'herbe, en fait une espèce de fagot, qu’elle traine entre ses jambes jusqu'au fond du terrier, où elle fait un lit commode pour elle et ses petits. C’est en été qu’elle met bas, et la portée est ordinairement de trois ou de quatre. Lors- qu'ils sont un peu grands, elle leur apporte à manger; elle ne sort que la nuit, va plus au loin que dans les autres temps; elle dé- terre les nids des guêpes , en emporte Le miel, perce les rabouillères des lapins, prend les jeunes lapereaux, saisit aussi les mulots, les DU BLAIREAU. 20y lézards, les serpens, les sauterelles, les œufs _des oiseaux, et porte tout à ses petits, qu'elle fait sortir souvent sur le bord du terrier, soit pour les allaiter ; soit pour leur donner à manger. ui Ces animaux sont naturellement frileux ; ceux qu’on élève dans la maison ne veulent pas quitter le coin du feu, et souvent s’en approchent de si près qu'ils se brülent les pieds, et ne guérissent pas aisément. Ils sont aussi fort sujets à la gale; les chiens qui entrent dans leurs terriers prennent le même mal, à moins qu'on n'ait grand soin de les laver. Le blaireau a toujours le poil gras et mal-propre ; il a entre l’anus et la queue une ouverture assez large, mais qui ne commu nique point à l’intérieur et ne pénètre guère qu'à un pouce de profondeur; il en suinte continuellement une liqueur onctueuse, d’as- . sez mauvaise odeur, qu'il se plaît à sucer. Sa chair n’est pas absolument mauvaise à man-— - ger, et l’on fait de sa peau des fourrures gros- sières, des colliers pour les chiens, des cou- vertures pour les chevaux, etc. | Nous ne connoissons point de variétés dans cette espèce, et nous avons fait chercher par- 18 # LR Ad PURE CE VOTENT) er,» 210 HISTOIRE NATURELLE tout le blaireau-cochon dont tation les chas- seurs , sans pouvoir le trouver. Du Fouïilloux dit qu’il y a deux espèces de fessons ou blai- reaux ; les porchins et les chenins; que les porchins sont un peu plus gras, un peu plus blancs, un peu plus gros de corps et de tête que les chenins. Ces différences sont, comme l'on voit, assez légères, et il avoue lui-même | ga elles sont peu apparentes, à moins qu'om n'y regarde de bien près. Je crois donc que cette distinction du blaireau en laireau- chien et blaireau-cochon n'est qu'un pré- jugé, fondé sur ce que cet animal a deux noms, en latin 72e/es et faxus, en françois blaireau et taisson , etc., et que c’est une de ces erreurs produites par la nomenclature dont nous avons parlé dans le discours qui est à la page 125 de ce volume. D'ailleurs les espèces qui ont des variétés sont ordinai- rement très-abondantes et très-généralement répandues ; celle du blaireau est, au contraire, une des moins nombreuses et des plus con- finées. On n’est pas sûr qu’elle se trouve en Amérique, à moins quel’on ne regarde comme une variété de l’espèce l'animal envoyé de la nouvelle York, dont M. Brisson a donné ra DU BLAIRE AU. 21€ ‘une courte description, sous le nom de b/ai- reau blanc. Elle n’est point en Afrique : car l'animal du cap de Bonne-Espérance, décrit par Koïlbe sous le nom de b/aireau puant, est un animal différent ; et nous doutons que le fossa de Madagascar , dont parle Flaccourt dans sa relation * , et qu’il dit ressembler au blaireau de France, soit en effet un blaireau. Les autres voyageurs n’en parlent pas: le docteur Shaw dit mème qu’il est entièrement inconnu en Barbarie. Il paroît aussi qu’il ne se trouve point en Âsie ; 1l n’étoit pas connu des Grecs, puisqu’Aristote n’en fait aucune mention , et que le blaireau n’a pas même de nom dans la langue grecque. Ainsi cette espèce, originaire du climat tempéré de l’'Eu- rope , ne s’est guère répandue au-delà de l'Espagne, de la France, de l’Italie, de l’Alle- magne, de l'Angleterre, de la Pologne et de Ja Suède ; et elle est par-tout assez rare. Et non seulement il n’y a que peu ou point de varié- tés dans l’espèce, mais même elle n’approche _ d'aucune autre : le blaireau a des caractères tranches et fort singuliers; les bandes alter- li NE mn HISTOIRE NATURELLE. natives qu’il a sur la tête, l'espèce de poche qu’il a sous la queue, n’appartiennent qu’à lui : il a Le corps presque blanc par-dessus , et presque noir païr-dessous; ce qui est tout le contraire des autres animaux, dont le ventre ést toujours d’une couleur moins foncée que le dos. UMA A s'A 14 Ve tdi f VA n} TA 4 6 # ape dv n'20 ie à Tom2, PJ 16, Pag213, te LA LOUTRE VUE DE FACE Rire 7. GER 2 4 Péuquet * ME OUTRE *. L à loutre est un animal vorace, plus avide de poisson que de chair, qui ne quitte guère le bord des rivières ou des lacs, et qui dé- peuple quelquefois les étangs. Elle a plus de facilité qu’un autre pour nager, plus même que le castor; car il n’a des membranes qu'aux pieds de derrière , et il a les doigts séparés dans les pieds de devant, tandis que la loutre _ a des membranes à tous les pieds : elle nage RUE aussi vite qu’elle marche. Elle ne va point à la mer, comme le castor; mais elle _ parcourt les eaux douces , et remonte ou des- cend les rivières à des distances considérables : souvent elle nage entre deux eaux, et y de-. meure assez long-temps; elle vient ensuite à la surface, afin de respirer. A parler exacte- ment, elle n’est point animal amphibie, c'est- * En latin, /utra , vel lytra, vel etiam lutris, lutrix ; en italien , lodra , lodria, loutra ; en es- pagnol, zufria; en allemand, Fschotter, en an- glois , otter. « { 314 HISTOIRE NATURELLE. à-dire, animal qui peut vivre également ef dans l'air et dans l’eau ; elle n’est pas confor- mée pour demeurer dans ce dernier élément, et elle a besoin de respirer, à peu près comme tous les autres animaux terrestres : si même il arrive qu’elle s'engage dans une nasse à la poursuite d’un poisson, on la trouve noyée, et l'on voit qu’elle n’a pas eu le temps d’en couper tous les osiers pour en sortir. Elle a les dents comme la fouine, mais plus grosses et plus fortes relativement au volume de son corps. Faute de poisson, d’écrevisses, de grenouilles, de rats d’eau , ou d’autre nourriture , elle coupe les jeunes rameaux , et mange l'écorce des arbres aquatiques ; elle mange aussi de l'herbe nouvelle au printemps: elle ne craint pas plus le froid que l'humidité. Elle devient en chaleur en hiver, et met bas au mois de mars : on m'a souvent apporté des petits a commencement d'avril; les portées sont de trois ou quatre. Ordinairement les jeunes animaux sont jolis : les jeunes loutres sont plus laides que les vieilles. La tête mal faite, les oreilles placées bas, des yeux trop petits et couverts, l'air obscur , les mouvemens gauches, toute la figure ignoble, informe, \ DE LA LOUTR E. 215 un cri qui paroit machinal, et qu’elles ré- pêtent à tout moment, sembleroient annon- cer un animal stupide; cependant la loutre devient industrieuse ayec l’âge, au moins assez pour faire la guerre avec grand avan- tage aux poissons, qui, pour l'instinct et le sentiment , sont très-inférieurs aux autres animaux : mais j ai grand peine à croire qu’elle ait, je ne dis pas les talens du castor, imais même les habitudes qu’on lui suppose, comme celle de commencer toujours par re- monter les rivières, afin de revenir plus aisé- ment, et de n'avoir plus qu’à se laisser en— trainer au fil de l’eau lorsqu'elle s’est rassa— siée ou chargée de proie; celle d’approprier son domicile et d'y faire un plancher, pour n'être point incommodee de l'humidité; celle d'y faire une ample provision de poisson , afin de n’en pas manquer; et enfin la docilité et la facilité de s’apprivoiser au point de pè- cher pour son maitre, et d'apporter le pois- son jusque dans la cuisine. Tout ce que je sais, c’est que les loutres ne creusent point leur domicile elles-mèmes ; qu'ellés se gitent dans le premier trou qui se présente, sous Jes racines des peupliers, des saules, dans les- DT. 216 HISTOIRE NATURELEE \"W" fentes des rochers , et même dans les piles de bois à flotter; qu’elles y font aussi leurs petits sur un lit fait de bûchettes et d'herbes; que l’on trouve dans leur gite des têtes et des arêtes de poisson; qu'elles changent souvent de lieu ; qu'elles emmènent ou dispersent leurs petits au bout de six semaines ou de deux mois ; que ceux que j'ai voulu priver cherchoient à mordre, même en prenant du lait, et avant que d’être assez forts pour mâ- cher du poissou ; qu’au bout de quelques jours ils devenoient plus doux, peut-être parce qu’ils étoient malades et foibles ; que loin de s’accoutumer aisément à la vie domestique, tous ceux que j'ai essayé de faire élever sont morts dans le premier âge ; qu’enfin la loutre est, de son naturel, sauvage et cruelle; que quand elle peut entrer dans un vivier, elle y fait ce que le putois fait dans un poulailler ; qu’elle tue beaucoup plus de poissons qu'elle ne peut en manger, et qu'ensuite elle en em- porte un dans sa gueule. Le poil de la loutre ne mue guère; sa peau d'hiver est cependant plus brune et se vend plus cher que celle d'été; elle fait une très- boune fourruxe. Sa chaix se mange en mai- ss DEONDA"EOUTRE, ot inaigre, eta en effet un mauvais goût de pois- son, ou plutôt de marais. Sa retraite est in- fectée de la mauvaise odeur des débris du- poisson qu’elle y laisse pourrir; elle sent elle- même assez mauvais. Les chiens la chassent volontiers et l’atteignent aisément , lors- qu’elle est éloignée de son gîte et de l’eau ; mais quand ils la saisissent, elle se défend, les mord cruellement , et quelquefois avec tant de force et d’acharnement, qu'elle leur brise les os des jambes, et qu’il faut la tuer pour la faire démordre. Le castor cependant, qui n’est pas un animal bien fort, chasse la loutre, et ne lui permet pas d’habiter sur les bords qu’il fréquente. Cette espèce, sans être en très-grand nom bre , est généralement répandue en Europe, depuis la Suède jusqu'à Naples, et se retrouve dans l'Amérique septentrionale : elle étoit bien connue des Grecs, et se trouve vraisem- blablement dans tous les climats tempérés, sur-tout dans les lieux où il y a beaucoup d'eau; car la loutre ne peut habiter ni les sables brûülans, ni les déserts arides; elle fuit également les rivières stériles et les fleuves trop fréquentés. Je ge crois pas qu'elle se Quadrupèdes, 4 Te 19 FANS D CLCIETEL € N A 18 HISTOIRE NATURELLE. AA x trouve dans les pays très-chauds; car le jiya ou carigueibeju , qu’on à Mes loutre du Bresil, et qui se trouve aussi à Cayenne, paroît être d’une espèce voisine, mais diffé rente; au lieu que la loutre de l'Amérique | septentrionale ressemble en tout à celle d’Eu- rope, si ce n'est que la fourrure est encore plus noire et plus belle que celle de la louise de Suède ou de Moscovie. DU OUI NET L ; plupart des naturalistes ont écrit que la fouine et la marte étoient des animaux de la même espèce. Gesner et Ray ont dit, d'a- près Albert, qu’ils se mêloient ensemble. Cependant ce fait, qui n’est appuyé par au- cun autre témoignage, nous paroit au moins douteux; et nous croyons, au contraire, que ces animaux, ne se mêlant point ensemble, font deux espèces distinctes et séparées. Je puis ajouter aux raisons qu’en donne M. Dau- benton , des exemples qui rendront la chose plus sensible. Si la marte étoit la fouine sau- vage, ou la fouine la marte domestique, il en seroit de ces deux animaux comme du chat sauvage et du chat domestique; le premier conserveroit constamment les mêmes carac- tères, et le second varieroit, comme on le voit dans le chat sauvage, qui demeure tou- * En latin, rnartes domestica , foyna ; gainus , schisimus ; en alien, foina, fouina ; en allemand, buhss-marder. 220 HISTOIRE NATURELLE jours le même, et dans le chat domestique, qui prend toutes sortes de couleurs. An con- traire, la fouine, ou, si l’on veut, la marte domestique, ne varie point: elle a ses carac- - tères propres, particuliers, et tous aussi cons- tans que ceux de la marte sauvagé; ce qui suffiroit seul pour prouver que ce n’est pas une pure variété, une simple différence pro- duite par l’état de domesticité. D'ailleurs c’est sans aucun fondement qu’on appelle la fouine #arte domestique, puisqu'elle n’est pas plus domestique que le renard, le pu— dois, qui, comme elle, s’approchent des mai- sons pour y trouver leur proie, et qu’elle n'a pas plus d'habitude, pas plus de communi- cation avec l’homme , que les autres animaux que nous appelons sauvages. Elle diffère donc de la marte par le naturel et par le tempe- rament , puisque celle-ci fuit les lieux de- couverts, habite au fond des bois, demeure sur les arbres, ne se trouve en grand nombre que dans les climats froids, au lieu que la fouine s'approche des habitations , s'établit même dans les vieux bâtimens, dans les gre- niers à foin, dans des trous de murailles ; qu'enfin l'espèce en est généralement répan- DA LA FOUINE 1 due en grand nombre dans tous les pays tempérés, et même dans les climats chauds, ‘comme à Madagascar, aux Maldives, et qu'elle ne se trouve pas dans les pays du Nord. La fouine a la physionomie très-fine, l'œil vif, le saut Léger, les membres souples, le corps flexible, tous les mouvemens très- prestes; elle saute et bondit plutôt qu’elle ne marche; elle grimpe aisément contre les murailles qui ne sont pas bien enduites, entre dans fes colombiers, les poulaillers, etc., mange les œufs, les pigeons , les poules, etc. en tue quelquefois un grand nombre et les _ porte à ses petits; elle prend aussi les souris, les rats , les taupes, les oiseaux dans leurs nids. Nous eu avons élevé une que nous avons gardée lotig-temps : elle s'apprivoise à un certain point; mais elle ne s'attache pas, et demeure toujours assez sauvage pour qu’on soit obligé de la tenir enchaînée. Elle faisoit la guerre aux chats; elle se jetoit aussi sur les poules dès qu’elle se trouvoit à portée. Elle s’échappoit souvent, quoiqu’attachée par le milieu du corps : les premières fois elle ne s'éloignoit guère, et revenoit au bout 19 22 HISTOIRE NATURELLE de quelques heures, mais sans marquer de la joie, sans attachement pour personne; elle demandoit cependant à manger comme le chat et le chien : peu après elle fit des ab- sences plus longues, et enfin ne revint plus. Elle avoit alors un an et démi, l’âge appa- remment auquel la nature avoit pris le des- ‘sus. Elle mangeoit de tout ce qu’on lui don- noit, à l’exception de la salade et des herbes ; elle aimoit beaucoup le miel, et préféroit le chenevis à toutes les autres graines. On a re- marqué qu’elle buvoit fréquemment, qu'elle dormoit quelquefois deux jours de suite , et qu'elle étoit aussi quelquefois deux ou trois jours sans dormir; qu'avant le sommeil elle se mettoit en rond, cachoit sa tête et l’enve- : loppoit de sa queue; que tant qu'elle ne dormoit pas, elle étoit dans un mouvement continuel si violent et si incommode, que quand même elle ne se ‘seroit pas jetée sur les volailles, on auroit été obligé de lat- tacher pour l'empêcher de tout briser. Nous avons eu quelques autres fouines plus âgées, que l’on avoit prises dans des piéges : mais celles-là demeurérent tout-à-fait sauvages; elles mordoient ceux qui vouloient les tou- DE LA FOUINE. 223 cher, et ne vouloient manger que de la chair crue. Les fouines , dit-on , portent autant de temps que les chats. On trouve des petits depuis le printemps jusqu’en automne ; ce qui doit faire présumer qu’elles produisent plus d’une fois par an: les plus jeunes ne font que trois ou quatre petits, les plus âgées en font jusqu’à sept. Elles s’établissent pour mettre bas dans un magasin à foin, dans un trou de muraille , où elles poussent de la paille et des herbes ; quelquefois dans une fente de rocher ou dans un tronc d'arbre, où elles portent de la mousse; et lorsqu'on les inquiète, elles déménagent et transportent ailleurs leurs petits, qui grandissent assez vite : car celle que nous avons élevée avoit, au bout d’un an, presque atteint sa gran- deur naturelle ; et de là on peut inférer que ces animaux ne vivent que huit ou dix ans. Ils ont une odeur de faux musc, qui n’est pas absolument désagréable : les martes et les fouines , comme beaucoup d’autres animaux, ont des vésicules intérieures qui contiennent une matière odorante, semblable à celle que fournit la civette ; leur chair a un peu de : 2 I 4 HISTOIRE NATURELLE. cette odeur : cependant celle de la marte n’est pas mauvaisé à manger; celle de la fouine est plus désagréable , et sa peau est aussi beaucoup moins estimée. | AQU: d. }, N2 1 À E CAR CET Car Tom 2, PE 26: Pag 228, LA FOUINE. LA MARTE, J Tuqurs % LAUMARTE L, arte, (one du Nord, est natu- relle à ce climat, et s’y trouve en si grand nombre, qu'on est étonné de la quantité de fourrures de cette espèce qu'on y consomme et qu’on en tire : elle est, au contraire, en petit nombre dans les climats tempérés, et ne se trouve point dans Les pays chauds. Nous en avons quelques unes dans nos bois de Bourgogne ; il s’en trouve aussi dans la forêt de Fontainebleau: mais. en genéral, elles sont aussi rares en France que la fouine y est commune. Il n’y en à point du tout en An- gleterre, parce qu'il n’y a pas de bois. Elle fuit également les pays habités et les lieux découverts ; elle demeure au fond des forêts, ne se cache point dans les rochers, mais par- court les bois et grimpe au-dessus des arbres, * En latin, martes , marta , marterus ; en ita- lien, marta, matura, martaro, martorello , mar- tire; en espagnol, marta ; en allemand, fe/d-mar. der, wild-marder; en anglois, martin , martlet. FE à 226 HISTOIRE NATURELLE Elle vit de chasse, et détruit une quantité prodigieuse d'oiseaux, dont elle cherche les nids pour en sucer les œufs ; elle prend les écureuils, les mulots, les lérots, etc. ; elle mange aussi du miel comme la fouine et le putois. On ne la trouve pas en pleine cam- pagne, dans les prairies, dans les champs, dans les vignes; elle ne s’approche jamäis des habitations, et elle diffère encore de la fouine par la manière dont elle se fait chasser. Dès que la fouine se sent poursuivie par un chien, elle se soustrait en gagnant promptement son grenier ou son trou : la marte, au contraire, se fait suivre assez long-temps par les chiens, avant de grimper sur un arbre; elle ne se donne pas la peine de monter jusqu'au-dessus des branches; elle se tient sur la tige, et de là les regarde passer. La trace que la marte laisse sur la neige paroit être celle d'uné grande bête, parce qu'elle ne va qu’en sau-— tant , et qu'elle marque toujours des deux pieds à la fois. Elle est un peu plus grosse que la fouine, et cependant elle a la tête plus courte; elle a les jambes plus longues, et court par conséquent plus aisément: elle a la gorge jaune, au lieu que la fouine l’a blanche; DE LA MARTE. 227 son poil est aussi bien plus fin, bien plus fourni, et moins sujet à tomber. Elle ne pré- pare pas, comme la fouine, un lit à ses petits ; néanmoins elle les loge encore plus commo- dément. Les écureuils font, comme l’on sait, des nids au-dessus des arbres, avec autant d'art que les oiseaux : lorsque la marte est prête à mettre bas, elle grimpe au nid de l’écureuil, l'en chasse, en élargit l'ouverture, _ s’en empare et y fait ses petits : elle se sert aussi des anciens nids de ducs et de buses, et des trous des vieux arbres, dont elle déniche les pics-de-bois et Les autres oiseaux. Elle met bas au printemps; la portée n’est que de deux ou trois : les petits naissent les yeux fermés, et cependant grandissent en peu de temps ; elle leur apporte bientôt des oiseaux, des œufs , et les mène ensuite à la chasse avec elle. Les oiseaux connoissent si bien leurs ennemis, qu'ils fout pour la marte, comme pour le renard, le même petit cri d’avertisse- ment; et une preuve que c’est la haine qui les anime, plutôt encore que la crainte, c’est qu'ils Les suivent assez loin, et qu’ils font ce cri contre tous les animaux voraces et car- nassiers , tels que le loup, le renard, la » 8 HISTOIRE NATURELLE, imarte, le chat sauvage, la belette, et jamäis contre le cerf, le chevreuil, le lièvre, etc. Les martes sont aussi communes dans le nord de l'Amérique que dans le nord de l’'Eu- rope et de l’Asie; on en apporte beaucoup du Canada; il y en a dans toute l’étendue des terres septentrionales de l'Amérique jusqu'à la baie de Hudson, et en Asie jusqu’au nord du royaume de Tunquin et de l'empire de la Chine. Il ne faut pas la confondre avec la marte zibeline, qui est un autre animal dont la fourrure est bien plus précieuse. La zibe- line est noire; la marte n’est que brune et jaune. La partie de la peau qui est la plus, estimée dans la marte, est celle qui est la plus brune, et qui s’étend tout le longs de ne jusqu’au bout de la queue. Tom 2, Pl17. Pag 224 ‘ j Longue J RU PU T O I Si * f Le putois ressemble beaucoup à la fouine par le tempérament, par le naturel, par les habitudes ou les mœurs, et aussi par la forme du corps. Comme elle, il s'approche des ha- bitations , monte sur les toits, s'établit dans les greniers à foin , dans les granges et dans les lieux peu fréquentés, d’où il ne sort que la nuit pour chercher sa proie. Il se glisse dans les basses-cours, monte aux volières, aux colombiers, où, sans faire autant de bruit que la fouine, il fait plus de déoût ; il coupe ou écrase la tête à toutes les volailles , et ensuite il les transporte une à une, et en _ fait magasin : si, comme il arrive souvent, il ne peut les emporter entières, parce que le trou par où il est entré se trouve trop étroit, il leur mange la cervelle et emporte les têtes. IL est aussi fort avide de miel; ïl * En latin, putorius; en italien, foetta , puzolo; en allemand , c/4s, ulk, bunising; en ee polecat , “és | 20 230 HISTOIRE NATURELLE attaque les ruches en hiver , et force les : abeilles à les abandonner. Il ne s'éloigne guère des lieux habités; il entre en amour au printemps : les mâles se battent sur les toits et se disputent la femelle; ensuite ils l’abandonnent et vont passer l'été à la .cam- pagne ou dans les bois : la femelle, au con- traire , reste dans son grenier jusquà ce qu’elle ait mis bas, et n’emmène ses petits que vers le milieu ou la fin de l'été; elle en fait trois ou quatre, et quelquefois cinq, ne les allaite pas long-temps, et les accoutume de bonne heure à sucer du sang et des œufs. À la ville ils vivent de proie, et de chasse à la campagne; ils s’établissent pour passer l'été dans des terriers de lapins, dans des fentes de rochers, dans des troncs d'arbres. creux, d'où ils ne sortent guère que la nuit pour se répandre dans les champs, dans les bois ; ils cherchent les nids des perdrix, des alouettes et des cailles; 1ls grimpent sur les arbres pour prendre ceux des autres oiseaux : ils épient les rats, les taupes, les mulots, et font une guerre continuelle aux lapins, qui ne peuvent leur échapper, parce qu’ils entrent aisément dans leurs trous; une seule famille / DU PUT OLIS. 23r de putois suffit pour détruire une garenne. Ce seroit le moyen le plus simple pour dimi- nuer le nombre des lapins dans les endroits où ils deviennent trop abondans. Le putois est un peu plus petit que la fouine ; 11 a la queue plus courte, le museau plus pointu, le poil plus épais et plus noir ; il a du blanc sur le front, aussi-bien qu'aux côtés du nez et autour de la gueule. IL en diffère encore par la voix : la fouine a le cri aigu et assez éclatant, le putois a le cri plus obscur; ils ont tous deux, aussi-bien que la marte et l’écureuil, un grognement d'un ton grave et colère, qu’ils répètent sou- vent lorsqu'on les irrite. Enfin le putois ne ressemble point à la fouine par l’odeur, qui, loin d’être agréable, est au contraire si fé- tide, qu’on l'a d’abord distingué et dénommé par là. C’est sur-tout lorsqu'il est échauffé, irrité, qu'il exhale et répand au loin une odeur insupportable. Les chiens ne veulent point manger de sa chair; et sa peau même, quoique bonne, est à vil prix, parce qu’elle ne perd jamais entièrement son odeur na- turelle. Cette odeur vient de deux follicules ou vésicules que ces animaux ont auprès de 232 HISTOIRE NATURELLE. Paris > ME filtrent et contiennent une Ÿ matière onctueuse, dont l'odeur est -très- | désagréable dans le putois, le furet, la be- lette, le blaireau, etc. et qui n’est au con- traire qu’une espèce de parfum dans la ci- vette, la fouine, la marte, etc. Le putois pers être un animal des pays tempérés : on n’en trouve que peu ou point daus les pays du Nord, et ils sont plus rares que la fouine dans les climats méridionaux. Le puant d'Amérique est un animal diffé- rent, et l’espèce du putois paroît être con- finée en Europe, depuis l'Italie jusqu'à la Pologne. Il est sûr que ces animaux craignent le froid, puisqu'ils se retirent dans les mai- sons pour y passer l’hiver, et qu’on ne voit jamais de leurs traces sur la neige, dans les bois et dans les champs éloignés des mai- sons ; et peut-être aussi craignent-ils la trop grande chaleur, puisqu'on n’en trouve point dans les pays méridionaux. #4 11 dé | «ee NE, it à J'ÉGII don LE FURET. a er © = D à En = D A — ! DÉFURET Qurroues auteurs ont douté si le furet et le putois étoient des animaux d'espèces différentes. Ce douté est peut-être fondé sur ce qu'il y a des furets qui ressemblent aux putois par la couleur du poil : cependant le putois, naturel aux pays tempérés, est un animal sauvage comme la fouine; et le furet, origindire des climats chauds, ne peut sub- sister en France que comme animal domes- tique. On ne se sert point du putois, mais du furet, pour la chasse du lapin, parce qu'il s’apprivoise plus aisément; car d’ail- leurs il a, comme le putois, l’odeur très- forte et très-désagréable: mais ce qui prouve encore mieux que ce sont des animaux dif- férens; c'est qu'ils ne se mélent point en- semble, et qu'ils différent d’ailleurs par un grand nombre de caractères essentiels. Le * En latin, siverra , furo , furunculus ; en es- “pagnol, Auron, furam ; en allemand, fret, fret- “tel, furette ; en anglois, ferrez. F 234 HISTOIRE NATURELLE furet a le corps plus alongé et plus mince, la tête plus étroite, le museau plus pointu que le putois : il n’a pas le même instinct pour trouver sa subsistance; il faut en avoir soin, le nourrir à la maison, du moins dans | ces climats : il ne va pas s'établir à la cam- pagne ni dans les bois ; et ceux que lon perd dans les trous de lapins, et qui ne re- viennent pas, ne se sont jamais multipliés dans les champs ni dans les bois, ils pé- rissent apparemment pendant l'hiver. Le furet varie aussi par la couleur du poil, comme les autres animaux domestiques, et il est aussi commun dans les __ chauds que le putois y est rare. _ La femelle est dans cette espèce sensible- ment plus petite que le mâle : lorsqu'elle est en chaleur, elle le recherche ardemment, et l’on assure qu’elle meurt si elle ne trouve pas à se satisfaire; aussi a-t-on soin de ne les pas séparer. On les élève dans des ton: neaux ou dans des caisses, où on leur fait un lit d’étoupes ; ils dorment presque con- tinuellement. Ce sommeil si fréquent ne leur tient lieu de rien; car dès qu'ils s'éveil- lent, ils cherchent à manger : en les nourrit DU FURET. M: _deson, de pain, de lait, etc. Is produisent deux fois par an; les femelles portent six semaines : quelques unes dévorent léurs pe- tits presque aussitôt qu'elles ont mis bas, et alors elles deviennent de nouveau en cha- leur ét font trois portées, lesquelles sont ordinairement de cinq ou six, et quelque- fois de sept, huit, et même neuf. :! Cet animal est naturellement ennemi mor- tel du lapin: lorsqu'on présente un lapin, même mort, à un jeune furet qui n’en a jamais vu, il se jette dessus ét le mord avec fureur; s’il est vivant, il le prend par le cou, par le nez, et lui suce le sang. Lors- qu'on le lâche dans les trous des lapins, on le musèle, afin qu'il ne les tue pas dans le fond du terrier, et qu'il les oblige seule- ment à sortir et à se jeter dans le filet dont on couvre l’entrée. Si on laisse aller le furet sans muselière, on court risque de le perdre, parce qu'après avoir sucé le sang du lapin il s'endort, et la fumée qu'on fait dans le terrier n’est pas toujours un moyen sûr pour le ramener, parce que souvent il y a plusieurs issues, et qu'un terrier com munique à d’autres, dans lesquels le furet F7 SOMNIT MERS br me Fr OR 236 HISTOIRE NATURELLE Fe s'engage à mesure que la fumée le gagne. Les enfans se servent aussi du furet pour déni- cher les oiseaux ; 1l entre aisément dans les trous des arbres et des no et il les. apporte au dehors. Selon le témoignage de Strabon, le foret a été apporté d'Afrique en Espagne; et cela ‘ne me paroit pas sans fondement, parce que V'Espagne est le climat naturel des lapins, et le pays où ils étoient autrefois le plus abondans : on peut donc présumer que pour en diminuer le nombre , devenu peut-être très-incommode , on fit venir des furets, avec lesquels on fait une chasse utile, au lieu qu’en multipliant les putois on ne pour- roit que détruire les lapins, mais sans au- cun profit, et les détruire peut-être beau- coup au-delà de ce que l’on voudroit. Le furet, quoique facile à apprivoiser, et même assez docile, ne laisse pas d’être fort colère ; il a une mauvaise odeur en tout temps , qui devient bien plus forte lorsqu'il s’échauffe ou qu'on l’irrite ; il a les yeux vifs, le regard enflammé, tous les mouve- mens très-souples; et il est en même temps si vigoureux, quil vient aisément à bout HD TURNET. 237 d’un lapin qui est au moins quatre fois plus gros que lui. Malgré l'autorité des interprètes et des commentateurs, nous doutons que le furet soit l’ictis des Grecs. « L’ictis, dit Aristote *, est une espèce de « belette sauvage, plus petite qu'un petit « chien de Malte, mais semblable à la be- « lette par Le poil, par la forme, par la blan- « cheur de la partie inférieure, et aussi par « l'astuce des mœurs; il s’apprivoise beau- a coup; il fait grand tort aux ruches, étant «avide de miel; il attaque aussi les oiseaux ; «il a, comme le chat, le membre génital « osseux ». Il paroît, 1°. qu’il y a une es- pèce de contradiction ou de mal-entendu à dire que l’écfis est une espèce de belette sau- vase qui s’apprivoise beaucoup, puisque la belette ordinaire, qui est ici la moins sau- vage des deux, ne s’apprivoise point. 2°. Le furet , quoique plus gros que la belette, n’est pas trop comparable au petit épagneul ou -au chien bichon, dont il n'approche pas pour la grosseur. 30, Il ne paroît pas que _— * Hisi, animal. hb, IX; Cap. 6. 238 HISTOIRE NATURELLE le furet ait l'astuce des mœurs de la ‘be- lette, ni mème aucune ruse. - Enfin il ne fait aucun tort aux ruches, et n’ést nulle- ment avide de miel. J’ai prié M. le Roy; inspecteur des chasses du roi, de vérifier ce dernier fait, et voici sa réponse : « M. de « Buffon peut être assuré que les furets n’ont « pas, à la vérité, un goût décide pour le «miel , mais qu'avec un peu de diète on « leur en fait manger : LOUS en avons nourri « pendant quatre jours avec du pain trempé « dans de l’eau miellée ; ils en ont mangé, «et même en assez grande quantité les deux « derniers jours : il est vrai que les plus « foibles de ceux-là commençoient à mai- « grir d’une manière sensible ». Ce n’est pas la première fois que M. le Roy, qui joint à beaucoup d'esprit un grand amour pour les sciences, nous à donné des faits plus ou moins importans, et dont nous avons fait usage. J'ai essayé moi-même, n'ayant pas de furet sous ma main, de faire la même épreuve sur une hérmine, en ne lui don- nant que du miel pur à manger, et en même temps du lait à boire ; elle en est morte au bout de quelques jours : ainsi ni l’hermine ni MOTEUR 'ET, 239 le furet ne sont avides de miel comme l’icéis des anciens; et c’est ce qui me fait croire que ce mot ictis n’est peut-être qu’un nom générique , ou que sil désigne une espèce particulière, c’est plutôt la fouine ou le pu- tois, qui tous deux en effet ont l’astuce de la belette, entrent dans les ruches, et sont très-avides de miel. Le ‘ 1 LA BELETTES L,; belette ordinaire est aussi commune. dans les pays tempérés et chauds qu'elle est rare dans les climats froids; l’hermine, au contraire, très-abondante dans le Nord, n’est qu'en petit nombre dans les régions tem- pérées, et ne se trouve point vers le Midi. Ces animaux forment donc deux espèces distinctes et séparées. Ce qui a pu donner lieu de les confondre et de les prendre pour le même animal, c’est que parmi les be- lette$ ordinaires 1l y en a quelques unes qui, comme l’hermine, deviennent blanches pen- dant l'hiver, même dans notre climat. Mais si ce caractère leur est commun, elles en ont d’autres qui sont très-différens : l'hermine, rousse en été, blanche en hiver, a en tout temps le bout de la queue noir : la belette, * En latin, mustela ; en italien, donnola, bal- lottula, benula ; en espagnol, comadreia; en alle- wand ‘wisele; en anglois, seasel, weesel, et dans quelques eudroits d’Angleterre, foumart. Tom 2. Pl1g lag 2 44 54 aussi ‘4, ù Oo RSS LA BLETTE. L'HERMINE. É Va ”, Pos ME sw ê “a y bi à 7 PER D Le Loi HISTOIRE NATURELLE. 241 même celle qui blanchit en hiver, a le bout de la queue jaune; elle est d’ailleurs sensi= blement plus petite, et a la queue beaucoup plus courte que l’hermine; elle ne demeure pas, comme elle, dans les déserts et dans les bois, elle ne s’écarte guère des habita- tions. Nous avons eu les deux espèces, et il n’y a nulle apparence que ces animaux, qui diffèrent par le climat, par le tempé- rament, par le naturel et par la taille, se mélent ensemble : il est vrai que parmi les .belettes il y en a de plus grandes et de plus petites; mais cette différence ne va guêre qu'à un pouce sur la longueur entière du corps , au lieu que l’hermine est de deux pouces plus longue que la belette la plus grande. Ni l’une ni l’autre ne s’apprivoisent, elles demeurent toujours très-sauvages dans les cages de fer où l’on est obligé de les garder; ni l’une ni l’autre ne veulent man- . ger du miel; elles n’entrent pas dans les ruches, comme le putois et la fouine. Ainsi l’hermine n'est pas la belette sauvage, l’ictis d’Aristote, puisqu'il dit qu’elle devient fort privée, et qu’elle est fort avide de miel : la belette et l'hermine, ‘loin de s’ apprivoiser 4 21 ! 42 HISTOIRE NATURELLE sont si sauvages, qu'elles ne veulént pas manger lorsqu'on les regarde; elles sont dans une agitation continuelle, cherchent tou- jours à se cacher; et si l’on veut les con- server, il faut leur donner un paquet d’é- toupes dans lequel elles puissent se fourrer: elles y traînent tout ce qu’on leur donne, ne mangent guère que la nuit, et laissent pendant deux ou trois jours la viande fraîche se corrompre avant que d'y toucher. Elles passent les trois quarts du jour à dormir; celles qui sont en liberté attendent aussi la nuit pour chercher leur proie. Lorsqu'une belette peut entrer dans un poulailler, elle n’atitaque pas les coqs ou les vieilles poules; elle choisit les poulettes, les petits poussins, les tue par une seule blessure qu’elle leur fait à la tête, et ensuite les emporte tous les uns après les autres : elle casse aussi les œufs, et les suce avec une incroyable awi- dité. En hiver, elle demeure ordinairement dans les greniers , dans les granges; souvent mème elle y reste au printemps pour y faire ses petits dans le foin ou la paille ; pendant tout ce temps, elle fait la guerre, avec plus de succès que le chat, aux rats et aux souris, DE LA BELETTE. 243 parce qu'ils né peuvent lui échapper, et qu’elle entre après eux dans leurs trous : elle grimpe aux colombiers, prend les pi- seons, les imoineaux, etc. En été elle va à quelque distance des maisons, sur-tout dans les lieux bas, autour des moulins, le long des ruisseaux, des rivières; se cache dans les buissons pour attraper des oiseaux, et souvent s'établit dans le creux d'un vieux saule pour y faire ses petits; elle leur pré- pare un lit avec de l’herbe, de la paille, des feuilles, des étoupes : elle met bas au printemps ; les portées sont quelquefois de trois, et ordinairement de quatre ou de cinq. Les petits naissent les yeux fermés, aussi- bien que ceux du putois, de la marte, de la fouine} etc. ; mais en peu de temps ils prennent assez d’accroissement et de force pour suivre leur mère à la chasse : elle at- taque les couleuvres, les rats d’eau, les taupes, les mulots, etc. parcourt les prai- ries, dévore les cailles et leurs œufs. Elle we marche jamais d'un pas épal, elle ne va qu'en bondissant par petits sauts inégaux et précipités ; et lorsqu'elle veut monter sur un arbre, elle fait ur bond par lequel elle 244 HISTOIRE NATURELLE, s'élève tout d’un coup à plusieurs pieds | de hauteur ; elle bondit de même lorsqu’ elle veut attraper un oiseau. | . Ces animaux ont, aussi-bien que le putois et le furet, l’odeur si forte, qu’on ne peut les garder dans une chambre habitée; ils sentent plus mauvais en été qu'en hiver; et lorsqu'on les poursuit ou qu’on les irrite, ils infectent de loin. Ils marchent toujours en silence, ne donnent jamais de voix qu’on ne les frappe; ils ont un cri aigre et enroué qui exprime bien le ton de la colère. Comme ils sentent eux-mêmes fort mauvais, ils ne craignent pas l'infection. Un paysan de ma: campagne prit un jour trois belettes nou- vellement nées dans la carcasse d’un loup qu'on avoit suspendu à un arbre par les pieds de derrière ; le loup étoit presque en- tièrement pourri, et la mère belette avoit apporté des herbes, des pailles et des feuilles pour faire un lit à ses petits dans la cavité du thorax. "EHERMTNE, OU LE ROSELET *. L A belette à queue noire s'appelle Lermine et roselef; hermine lorsqu'elle est blanche, roselet lorsqu'elle est rousse ou jaunûâtre : quoique moins commune.que la belette ordi- naire , on ne laisse pas, d’en trouver beau- coup, sur-tout dans les: anciennes forèts , et quelquefois pendant l'hiver dans les champs voisins des bois. IL est aisé de la distinguer en tout temps de la belette commune, parce qu’elle a toujours le bout de la queue d'un noir foncé, le bord des oreilles et l’extrémite des pieds blancs. Nous avons peu de chose à ajouter à ce que nous avons déja dit de cet animal , et à ce que M. Daubenton en a écrit dans sa des- cription ; nous observerons seulement que * En laun, hermellanus , animal ermineum ; en italien , armellino ; en allemand, zermelin ; eu auglois, ermine , stoat: 2 .546 HISTOIRE NATURELLE. comme d'ordinaire l’hermine change de cou- leur en hiver, 1l y a toute apparence que celle dont il parle, et que nous avions encore au mois d'avril 2758, seroit devenue blanche et telle qu'elle étoit l’année passée lorsqu'on la prit au premier mars 1727, si elle füt de meurée libre: mais comme elle a été enfer- mée depuis ce temps dans une cage de fer, qu'elle se frotte continuellement contre les barreaux, et que d’ailleurs elle n’a pas essuyé toute la rigueur du froid, ayant toujours été à l'abri sous une arcade contre un mur, il n'est pas surprenant qu'elle ait gardé son poil d'été. Elle est toujours extrêmement sau- vage; elle n’a rien perdu de sa mauvaise odeur : à cela près, c’est un joli petit animal, les yeux vifs, la physionomie fine , et les mouvemens si prompts, qu’il n’est pas pos- sible de les suivre de l’œil. On l’a toujours nourrie avec des œufs et de la viande: mais elle la laisse corrompre avant que d'y tou- cher : elle n’a jamais voulu manger du miel qu'après avoir été privée pendant trois jours de toute autre nourriture, et elle est morte après en avoir mange. La peau de cet ami- mal est précieuse ; tout le monde connoît les DE L’HERMINE. 247 fourrures d’hermine : elles sont bien plus belles et d’un blanc plus mat que celles du lapin blanc ; mais elles jaunissent avec le temps, et même les hermines de ce climat ont toujours une légère teinte de jaune. Les hermines sont très-communes dans tout le Nord , sur-tout en Russie, en Nor- vése , en Lapponie : elles y sont , comme ailleurs, rousses en été ,.et blanches en hiver; elles se nourrissent de petits-gris, et d’une espèce de rats dont nous parlerons dans la suite de cet ouvrage, et qui est très-abon- dante en Norvégse et en Lapponie. Les her- mines sont rares dans les pays tempérés, et ne se trouvent point dans les pays chauds. L'animal du cap de Bonne-Espérance , que Kolbe appelle £ermnine, et duquel il dit que la chair est saine et agréable au palais, n’est point une hermine, ni même rien d’appro- chant. Les belettes de Cayenne dont parle M. Barrère , et les hermines grises de la Tar- tarie orientale et du nord de la Chine, dont il est fait mention par quelques voyageurs , sont aussi des animaux différens de nos be- lettes et de nos hermines, L'É CUREUTER L'icursurr est un joli petit animal qui n'est qu'à demi sauvage, et qui, par sa gentillesse, par sa docilité, par l'innocence même de ses mœurs, mériteroit d’être épar- gné : il n’est ni carnassier ni nuisible, quoiqu'il saisisse quelquefois des oiseaux; sa nourriture ordinaire sont des fruits , des amandes , des noisettes, de la faine et du gland. IL est propre, leste, vif, très-alerte, ‘très-éveillé, très-industrieux ; il a les yeux pleins de feu, la physionomie fine, le corps nerveux, les membres très-dispos : sa jolie figure est encore rehaussée, parée par une belle queue en forme de panache, qu’il re- lève jusque dessus sa tête, et sous laquelle il se met à l'ombre : Le dessous de son corps est * En latin, sczurus ; en italien, schirivolo, chu1- rivolo, schirato, schiratolo; en espagnol , harda- esquilo ; en allemand, eychorn , eichhermlin ; en anglois , squirrel; en ancien francoiss escurieu , escuriate fr Pl20, Tags J Puquer-P ANNE “ k DT MATE ti HISTOIRE NATURELLE. 249 garni d’un appareil tout aussi remarquable, et qui annonce de grandes facultés pour l'exercice de la génération. Il est, pour ainsi dire, moins quadrupède que les autres; il se tient ordinairement assis presque debout, et se sert de ses pieds de devant , comme d’une main, pour porter à sa bouche. Au lieu de se cacher sous terre, il est toujours en l'air ; il approche des oiseaux par sa légéreté; il de- meure, comme eux, sur la cime des arbres, parcourt les forêts en sautant de l’un à l’autre, y fait aussi son nid, cueille les graines , boit la rosée , et ne descend à terre que quand les arbres sont agités par la vio- lence des vents. On ne le trouve point dans les champs, dans les lieux découverts, dans les pays de plaine; il n’approche jamais des habitations ; il ne reste point dans les taillis, mais dans les bois de hauteur, sur les vieux arbres des plus belles futaies. [l craint l’eau plus encore que la terre, et l’on assure que lorsqu'il faut la passer, il se sert d’une écorce pour vaisseau, et de sa queue pour voile et pour souvernail. Il ne s’engourdit pas comme le loir pendant l'hiver; 1l est en tout temps très-éveillé; et pour peu que l'on touche au 250 HISTOIRE NATURELLE _ pied de l’arbre sur lequel il repose, il sort de sa petite bauge, fuit sur un autre arbre, ou se cache à l’abri d’une branche. Il ramasse des noisettes pendant l’été, en remplit les troncs, les fentes d’un vieux arbre, et a re- cours en hiver à sa provision ; il les cherche aussi sous la neige, qu'il détourne en grat- tant. Il a la voix éclatante, et plus perçante encore que celle de la fouine; il a de plus un murmure à bouche fermée, un petit grogne- ment de mécontentement qu’il fait entendre toutes les fois qu’on l’irrite. IL est trop léger pour marcher; il va ordinairement par petits sauts, et quelquefois par bonds; il a les ongles si pointus et les mouvemens si prompts , qu'il grimpe en un instant sur un hêtre dont . l’ecorce est fort lisse. | On entend les écureuils, pendant les belles nuits d'été, crier en courant sur les arbres les uns aprés les autres ; ils semblent craindre l’'ardeur du soleil ; ils demeurent pendant le jour à l'abri dans leur domicile, dont ils sortent le soir pour s'exercer, jouer , faire l'amour et manger. Ce domicile est propre, chaud , et impénétrable à la pluie : c’est ordi- nairement sur l’enfourchure d’un arbre qu'ils BB) LÉ CURE UI L. 25e établissent ; ils commencent par transpor- ter des bûchettes qu’ils mêlent, qu’ils entre- lacent avec de la mousse; ils la serrent en- suite; ils la foulent, et donnent assez de ca- pacité et de solidité à leur ouvrage pour y être à l’aise et en sûreté avec leurs petits : il n’y a qu'une ouverture vers le haut, juste, étroite, et qui sufhit à peine pour passer ; au- dessus de l’ouverture est une espèce de cou vert en cône qui met le tout à l'abri, et fait que la pluie s'écoule par les côtés et ne pé- nètre pas. Ils produisent ordinairement trois ou quaire petits ; ; ils entrent en amour au printemps, et mettent bas au mois de mai ou au commencement de juin : ils muent au sortir de l’hiver ; le poil nouveau est plus roux que celui qui tombe. Îls se peignent, ils se polissent avec les mains et les dents ; ils sont propres , 1ls n’ont aucune mauvaise odeur ; leur chair est assez bonne à manger. Le poil de la queue sert à faire des pinceaux ; mais leur peau ne fait pas une bonne four- rure. ( IL y a beaucoup d'espèces voisines de celle de l’écureuil , et peu de variétés dans l’espèce même; il s’en trouve quelques uns de cen- 252 HISTOIRE NATURELLE. drés, tous les autres sont roux. Les petits gris, qui sont d’une espèce différente , de- meurent toujours gris. Et sans citer les écu- reuils volans , qui sont bien différens des NX autres , l’écureuil blond de Cambaie, qui est. fort petit, et qui a la queue semblable à Vécureuil d'Europe ; celui de Madagascar , : nommé fsifsihi, qui est gris, et qui n’est, dit Flaccourt , ni beau ni bon à apprivoiser ; V’écureuil blanc de Siam, l’écureuil gris un peu tacheté de Bengale, l’écureuil rayé de Canada, l’écureuil noir, le grand écureuil gris de Virginie, l’écureuil de la nouvelle Espagne à raies blanches, l’écureuil blanc de Sibérie, l'écureuil varié ou le z7us ponticus, le petit écureuil d'Amérique, celui du Bre- sil, celui de Barbarie, le rat palmiste, etc. forment autant HRADPNES distinctes et sé- parées. Niue PA rt pr | 44 LA À : ht dA Ve: AU al 1e "Pa MEN Ÿ Léger o t à LORD RTE" La ns Het s gti l'8 7 es ES Tom 2, - “NE Pl ar. Pag2 43. LE RO SELET . LE RAT. Fouquet. # DUR. AT. Dsscexnaxr par degrés du grand au petit, du fort au foible, nous trouverons que a nature a su tout compenser ; qu'unique- ment attentive à la conservation de chaque espèce, elle fait profusion d'individus et se soutient par le nombre dans toutes celles qu’elle a réduites au petit, ou qu’elle a lais- sées sans forces, sans armes et sans courage ; et non seulement elle a voulu que ces espèces inférieures fussent en état de résister ou du- rer par le nombre, mais 1l semble qu'elle ait en même temps donné des supplémens à cha- cune eu multipliant les espèces voisines. Le rat, la souris, le mulot, le rat d’eau, le cam- paguol, le loir, le lérot, le muscardin, la musaraigne, beaucoup d’autres que je ne cite point , parce qu’ils sont étrangers à notre cli- * En latin, mus major, rattus; en italien, rato di casa ; en espagnol, raton; en allemand, rata j en ist, ral , ralles Quadrupèdes, II ù R2 D k 254 HISTOIRE NATURELLE _ mat, forment autant d'espèces distinctes et séparées, mais assez peu différentes pour pou- voir en quelque sorte se suppléer, et faire que , si l’une d’entre elles venoit à manquer, le vide en ce genre seroit à peine sensible : <'est ce grand nombre d’espèces voisines qui a donné l’idée des genres aux naturalistes ; idée que l’on ne peut employer qu’en ce sens, lorsqu’on ne voit les objets qu’en gros, mais qui s’évanouit dès qu’on l’applique à la réa- lité, et qu'on vient à considérer la nature en détail. à Les hommes ont commencé par donner différens noms aux choses qui leur ont paru distinctement différentes , et en même temps ils ont fait des dénominations générales pour tout ce qui leur paroissoit à peu près sem- blable. Chez les peuples grossiers et dans toutes les langues naissantes, il n’y a presque que des noms généraux, c'est-à-dire, des ex- pressions vagues et informes de choses du même ordre, et cependant très-différentes entre elles : un chène, un hêtre, un tilleut, un sapin, un if, un pin, n'auront d’abord eu d'autre nom que celui d'arbre; ensuite le chène, le hêtre, le tilleul, se seront tous trois à DU RAT. l 259 appelés chënes lorsqu’on les aura distingués du sapin, du pin, de l’if, qui tous trois se seront appelés sapin. Les noms particuliers ne sont venus qu’à la suite de la comparaison et de l'examen détaillé qu’on a fait de chaque espèce de choses. On a augmenté le nombre de ces noms à mesure qu’on a plus étudié ef mieux connu la nature: plus on l’examinera, plus on la comparera, plus il y aura de noms propres et de dénominations particulières. Lorsqu'on nous la présente donc aujourd'hui par des dénominations générales, c’est-à-dire par des genres, c'est nous renvoyer à l’'ABC. de toute connoissance , et rappeler les té. nèbres de l’enfance des hommes : l'ignorance a fait les genres, la science a fait et fera les noms propres , et nous ne craindrons pas d'augmenter le nombre des dénominations particulières toutes les fois que nous vou- drons désigner des espèces différentes. L'on a compris et confondu sous.ce nom sénérique de rat, plusieurs espèces de petits animaux: nous ne donnerons ce nom qu’au rat commun, qui est noirâtre , et qui habite dans les maisons ; chacune des autres espèces aura sa dénomination particulière, parce que, ? # x | + UE PO K« Ar AU re #56 HISTOIRE NATURELLE IN _me se imélant point ensemble , chacune est. différente de toutes les autres. Le rat est assez connu par l'incommodité qu'il nous cause ; 11 habite ordinairement les greniers où l’on entasse le grain , où l’on serre les fruits, et de là descend et se répand dans la maison. Il est carnassier, et même omnivore ; il semble seulement préférer les choses dures aux plus tendres : il ronge la laine, les étoffes , les meubles, perce le bois, fait des trous dans les murs, se loge dans l'épaisseur des planchers, dans les vides de la charpente ou de la boiserie; il en sort pour chercher sa subsistance , et souvent il y transporte tout ce qu’il peut traîner ; il y fait même quelque- fois magasin , sur-tout lorsqu'il a des petits. IT produit plusieurs fois par an, presque tou- jours en été; les portées ordinaires sont de cinq ou six. Îl cherche les lieux chauds , et se niche en hiver auprès des cheminées , ou dans le foin, dans la paille. Malgré les chats, le poison , les pièges, les appâts, ces animaux pullulent si fort, qu'ils causent souvent de grands dommages ; c’est sur-tout dans les vieilles maisons à la campagne, où l’on garde du blé dans les greniers, et où le voisinage ne L'DIUR R A TJ 1) : 25 des granges et des magasins à foin facilite leur retraite et leur multiplication, qu'ils sont en si grand nombre, qu’on seroit obligé de démeubler , de déserter, s’ils ne se détrui-— soient eux-mêmes : Mais nous avons VU par expérience qu'ils se tuent, qu'ils se mangent entre eux, pour peu que la faim les presse; en sorte que quand il y a disette à cause du trop grand nombre, les plus forts se jettent sur les plus foibles, leur ouvrent la tête, et mangent d’abord la cervelle, et ensuite le reste du cadavre: le lendemain la guerre re- commence, et dure ainsi jusqu’à la destruc- tion du plus grand nombre; c’est par cette raison qu’il arrive ordinairement qu'après ‘avoir été infesté de ces animaux pendant un temps , ils semblent souvent disparoître tout- à-coup, et quelquefois pour long-temps. IL en est de mème des mulots, dont la pullula- tion prodigieuse n’est arrêtée que par les cruautés qu'ils exercent entre eux, dès que les vivres commencent à leur mänquer. Âristote a attribué cette destruction subite à l'effet des pluies : mais les rats n’y sont point exposés, et les mulots savent s’en ga- rantir ; car les trous qu’ils habitent sous ; 22 4 koh 8 258 HISTOIRE NATURELLE terre ne sont pas même humides. à z . Les rats sont aussi iascifs que voraces ; ils glapissent dans leurs amours ,et crient quand ils se battent; ils préparent un lit à leurs petits, et leur apportent bientôt à manger : lorsqu'ils commencent à sortir de leur trou, la mère les veille, les défend, et se bat même contre les chats pour les sauver. Uu gros rat est plus méchant et presque aussi fort qu'un jeune chat; il a les dents de devant longues et fortes. Le chat mord mal; et comme il ne se sert guère que de ses griffes, il faut qu’il soit non seulement vigoureux , mais aguerri. La belette, quoique plus petite, est un en- nemi plus dangereux, et que le rat redoute, parce qu'elle le suit dans son trou: le combat dure quelquefois long-temps; la force est au moins égale, mais l’emploi des armes est différent : le rat ne peut blesser qu’à plu- sieurs reprises, et par les dents de devant, lesquelles sont plutôt faites pour ronger que pour mordre, et qui, étant posées à l’ex- trémite du levier de la mâchoire, ont peu de force; tandis que la belette mord de toute la mâchoire avec acharnement , et qu’au lieu de démordre, elle suce le sang DU RAT. V9 2859 dé l'éndroit entamé : aussi à rat succombe- t-il toujours. On trouve des sx iétés dans cette espèce, comme dans toutes celles qui sont tr ès-Nom-— breuses en individus : outre les rats ordi- naires, qui sont noirâtres , il y en a de bruns, de presque noirs, d’autres d'un gris plus blanc ou plus roux, et d’autres tout-à-fait blancs; ces rats blancs ont les yeux rouges comme le lapin blanc, la souris blanche, et comme tous les autres animaux qui sont tout-à-fait blancs. L'espèce entière, avec ses variétés, paroît être naturelle aux climats tempérés de notre continent, et s’est beau- coup plus répandue dans les pays chauds que dans les pays froids. Il n'y en avoit point en Amérique , et ceux qui y sont aujourd'hui et en trés-grand nombre, y ont débarqué avec les Européens : ils multiplièrent d’abord si prodigieusement, qu’ils ont été pendant long- temps le fléau des colonies, où ils n’avoient guêre d'autres ennemis que les grosses cou- leuvres , qui les avalent tout vivans. Les na- vires les ont aussi portés aux Indes orien- tales, et dans toutes les îles de l’Archipel indien : il s’en trouve aussi beaucoup en \ ! FROM À wi FAN PE 260 HISTOIRE NATURELLE, Afrique. Dans le Nord , au contraire, ils né se sont guère multipliés au-delà de la Suède; et ce qu’on appelle des rats en Norvége, en Lapponie, etc. sont des animaux aies: de nos rats. _ LA SOURIS LE MULOT \ LAS OLR.IS:* Li souris, beaucoup plus petite que le rat, est aussi plus nombreuse, plus commune et plus généralement répandue : elle a le même instinct, le même tempérament, le même naturel, et n’en diffère guère que par la foi- blesse et par les habitudes qui l’'accompa- gnent ; timide par nature, familière par né- cessité, la peur ou le ‘besoin font tous ses mouvemens ; elle ne sort de son trou que pour chercher à vivre; elle ne s’en écarte guère, y rentre à la première alerte, ne va pas, comme le rat, de maisons en maisons, à moins qu'elle n’y soit forcée ; fait aussi beaucoup moins de dégâts, a les mœurs plus douces , et s’apprivoise jusqu'à un certain point, mais sans s'attacher : comment aimer en effet ceux qui nous dressent des embüûches? Plus foible, elle a plus d’ennemis auxquels + En latin, mus, musculus, mus minor, sorex; en italien, {0po, sorice, sorgio di casa; en espa- gnol, rat ; en allemand, musz ; en anglois, mouses ! fe h AURA TER 262 HISTOIRE NATURELLE elle ne peut échapper, ou plutôt se soustraire, que par son agilité, sa petitesse même. Les chouettes , tous les oiseaux de nuit, les chats, les fouines, les belettes ,-les rats même, lui font la guerre; on l’attire, on la leurre aisé- ment par des appäts, on la détruit à milliers; elle ne subsiste enfin que par son immense fécondité. J'en ai vu qui avoient mis bas dans des souricières ; elles produisent dans totiteg Vin saisons , et plusieurs fois par an : les portées ordinaires sont de cinq ou six petits; en moins de quinze jours ils prennent assez de force et de croissance pour se disperser et aller chercher à vivre. Ainsi la durée de la vie de ces petits animaux est fort courte , puisque leur accroissement est si prompt ; et cela augmente encore l’idée qu’on doit avoir de leur prodigieuse multiplication. Aristote dit qu'ayant mis une souris pleine dans un vase à serrer du grain, il s y trouva peu de temps après cent vingt souris, toutes issues de la même mère. Ces petits animaux ne sont point laids; ils ont l'air vif et même assez fin : l'espèce d’hor- reur qu'on a pour eux n’est fondée que sux t DE LA SOURIS. 263 les petites surprises et sur l’incommodité qu'ils causent. Toutes les souris sont blan- châtres sous le ventre, et il y en a de blanches sur tout le corps; il y en a aussi de plus ou moins brunes et de plus ou moins noires. L'espèce est généralement répandue en Eu- rope, en Asie, en Âfrique; mais on pré- tend qu’il n’y en avoit point en Amérique, et que celles qui y sont actuellement en grand nombre, viennent originairement de notre continent : ce qu'il y a de vrai, c’est qu'il paroît que ce petit animal suit l’homme, et fuit les pays inhabités, par l'appétit naturel qu'il a pour le pain, le fromage, le lard, l'huile, le beurre, et les autres alimens que l'homme prépare pour lui-même. “LE MULUT. L £ mulot est plus petit que le rat, et plus gros que la souris ; il n’habite jamais les maisons, et ne se trouve que dans les champs et dans les bois : il est remarquable par les yeux qu'il a gros et proéminens, et il diffère encore du rat et de la souris par la couleur du poil, qui est blanchätre sous le ventre, et d’un roux brun sur le dos: il est très-géné- ralement et très-abondamment répandu , sur- tout dans les terres élevées. Il paroît qu’il est long-temps à croître, paree qu’il varie con-— sidérablement pour la grandeur : les grands ont quatre pouces deux ou trois lignes de longueur depuis le bout du nez jusqu’à l’ori- gine de la queue ; les petits, qui paroissent | adultes comme les autres, ont un pouce de moins : et comme il s’en trouve de toutes les grandeurs intermédiaires, on ne peut pas douter que les grands et les petits ne soient tous de la même espèce. Il y a grande appa- rence que c'est faute d’avoir connu ce fait, HISTOIRE NATURELLE. 265 que quelques naturalistes en ont fait deux espèces; l’une qu'ils ont appelée /e grand rat des champs, et l’autre Ze mulot. Ray, qui le premier est tombé dans cette erreur en les indiquant sous deux dénominations, semble avouer qu’il n’en connoît qu’une espéce : et quoique les courtes descriptions qu'il donne de l’une et de l’autre espèce paroissent diffé rer, on ne doit pas en conclure qu'elles exis- tent toutes deux, 1°. parce qu’il n’en con- noissoit lui-même qu’une : 2°. parce que nous n’en connoissons qu'une, et que quel- ques recherches que nous ayons faites, nous n’en avons trouvé qu'une : 3°. parce que Gesner et les autres anciens naturalistes ne . parlent que d’une, sous le nom de zus agrestis major, qu'ils disent être très-com- mune, et que Ray dit aussi que l’autre qu’il doune sous le nom de zzus domesticus me- dius, est très-commune ; ainsi il seroit im— possible que les uns ou les autres de ces au— teurs ne Îles eussent pas vues toutes deux, puisque, de leur aveu, toutes deux sont sk communes : 4°. parce que dans cette seule et même espêce, comme il s’en trouve de plus grands et de plus petits, 1l est probable qu’on. | 24 pu ‘ NS HS M dRANTE } 466 HISTOIRE NATURELLE a été induit en erreur, et qu’on à fait une éspèce des plus grands, et une autre espèce des plus petits : 5°, enfin, parce que les des- criptions de ces deux prétendues espèces n’é- tant nulle part ni exactes ni complètes, on ne doit pas tabler sur les caractères vagues et sur les différences qu’elles indiquent. Les anciens, à la vérité, font mention de deux espèces, l’une sous la dénomination de mus agreslis major, et l’autre sous celle de mus agrestis minor. Ces deux espèces sont fort communes , et nous les connoissons comme les anciens : la première est notre mulot : mais la seconde n’est pas le z24s do mesticus medius de Ray ; c’est un autre ani- mal qui est connu sous le nom de z#wlot à. courte queue, où de petit rat des champs: et comme il est fort différent du rat ou du mu- lot, nous n’adoptons pas le nom générique de petit rat des champs, ni celui de zzulot à courte queue, parce qu’il n’est ni rat ni mulot, et nous lui donnerons un nom particulier *. Ft en est de mème d'une espèce nouvelle qui s’est répandue depuis quelques années, et * Je l'appelle campagnol, de son nom en italien campagnol. a '1 LF'ER DU MULOT. 267 | qui s’est beaucoup multipliée autour de Ver- sailles et dans quelques provinces voisines de Paris, qu’on appelle 7afs des bois, rats sauvages, gros rats des champs, qui sont très-voraces , très-méchans , très-nuisibles , et beaucoup plus grands que nos rats; nous lui donnerons aussi un nom particulier, parce qu’elle diffère de toutes les autres, et qué, pour éviter toute confusion , il faut donner à chaque espèce un nom. Comme le mulot et le mulot à courte queue, que nous appelle-- rons campagnol, sont tous deux très-com- muns dans les champs et dans les bois, les gens de la campagne les ont désignés par la différence qui les a le plus frappés : nos pay- sans en Bourgogne appellent le mulot /a rate a la grande queue, et le campagnol /a rate couette; dans d'autres provinces on appelle Je mulot Ze rat sauterelle, parce qu’il va tou- jours, par sauts; ailleurs on l'appelle souris de terre lorsqu'il est petit, et zzulof lorsqu'il est grand. Ainsi on se souviendra que la souris de terre, le rat sauterelle , la rate à la grande queue, le grand rat des champs, le rat domestique moyen, ne sont que des déno- ininations différentes de l'animal que nous appelons wo. se) : | 268 HISTOIRE NATURELLE Il habite, comme je l'ai dit, les terrés sèches et élevées ; on le trouve en grande quantité dans les bois et dans les champs qui en sont voisins ; il se retire dans des trous qu’il trouve tout faits, ou qu’il se pratique sous des buissons et des troncs d'arbres : il y amasse une quantité prodigieuse de gland, de noisettes ou de faîne; on en trouve quel- quefois jusqu’à un boisseau dans un seul trou ; et cette provision; au lieu d’être pro- portionneée à ses besoins, ne l’est qu'à la ca- pacité du lieu. Ces trous sont ordinairement de plus d’un pied sous terre, et souvent par- tagés en deux loges, l’une où il habite avec ses petits, et l’autre où il fait son magasin. Fai souvent éprouvé le dommage très-considé- rable que ces animaux causent aux planta- tions; ils emportent Les glands nouvellement semés ; ils suivent le sillon tracé par la char- rue, déterrent chaque gland l’un après l’autre, et n'en laissent pas un: cela arrive sur-tout dans les années où le :oland n’est pas fort. abondant; comme ils n’en trouvent pas assez dans les bois, ils viennent le chercher dans les terres semées, ne le mangent pas sur le lieu, mais l’emportent dans leur trou, où ils En | DU MULOT.. 26% J'entassent et le laissent souvent sécher et pourrir. Eux seuls font plus de tort à un se- mis de bois que tous les oiseaux et tous les autres animaux ensemble. Je n’ai trouve d'autre moyen pour éviter ce grand dom- mage , que de tendre des piéges de dix pas en dix pas dans toute Pétendue de la terre se- imée : il ne faut qu’une noix grillée pour appât , sous une pierre plate soutenue par une büûüchette; 1ls viennent pour manger la noix, qu’ils préferent au gland ; comme elle est attachée à la büchette, dès qu’ils y tou- chent, la pierre leur tombe sur le corps, et les étoulfe ou les écrase. Je me suis servi du même expédient contre les campagnols, qui détruisent aussi les glands ; et comme l’on avoit soin de m'apporter tout ce qui se trou voit sous les piéges , j’ai vu les premières fois, avec étonnement, que chaque jour on prenoit une centaine tant de mulots que de ‘campagnols, et cela dans une Lines de terre d'environ quarante arpens : j'en ai eu plus de deux milliers en trois semaines, depuis le 15 novembre ; jusqu'au 8 décembre, et ensuite en moindre nombre jusqu'aux grandes ge- lées, pendant lesquelles ils se recèlent et se 25 yo HISTOIRE NATURELLE nourrissent dans leur trou. Depuis que j'ai fait cette épreuve, il y a plus de vingt ans, je n'ai jamais manqué , toutes les fois que j'ai semé du bois, de me servir du même ex- pédient , et jamais on n’a manqué de prendre des mulots en très-grand nombre. C'est sur- tout en automne qu'ils sont en si grande quantité : il: y en a beaucoup moins au prin- temps; car ils se détruisent eux-mêmes, pour peu que les vivres viennent à leur manquer pendant l'hiver : les gros mangent les petits. Ils mangent aussi les campagnols, et mème les grives , les merles et les autres oiseaux qu'ils trouvent pris aux lacets; ils com- mencent par la cervelle , et finissent par le resie du cadavre. Nous avons mis dans un même vase douze de ces mulots vivans; on leur donnoit à manger à huit heures du matin : un jour qu’on les oublia d’un quart d'heure, il y en eut un qui servit de pâture aux autres; le lendemain ils en mangèrent un autre, et enfin au bout de quelques jours \ il n'en resta qu'un seul; tous les autres avoient été tués et dévorés en partie, et celui qui resta le dernier avoit Ini-même les pattes et la queue mutilées. DU MULOT. dat >: : Le rat pullule beaucoup, le mulot pullule ‘encore davantage ; il produit plus d’une fois par an, et les portées sont souvent de neuf et dix , au lieu que celles du rat ne sont que de cinq ou six. Un homme de ma campagne en prit un jour vingt-deux dans un seul trou ; il y avoit deux mères et vingt petits. IL est très-généralement répandu dans toute l'Eu- rope; on le trouve en Suêde, et c’est celui que M. Linnæus appelle z2us caud& long , eorpore nigro flavescente, abdomine albo. 11 est très-commun eu France, en Italie, en Suisse: Gesner l’a appelé 245 agrestis major. IL est aussi en Allemagne et en Angleterre, où on le nomme feld-musz, field-mause ; ‘<’est-à-dire, raf des champs. Il a pour enne- mis les loups , les renards, les martes, Les æiseaux de proie, et lui-même, LE RAT D'EAU l Lx rat d'eau est un petit animal de la gros- seur d’un rat, mais qui, par le naturel et par les habitudes, ressemble beaucoup plus à la loutre qu’au rat; comme elle, ilne fré- quente que les eaux douces, et on le.trouve communément sur les bords des rivières ; des ruisseaux , des étangs ; comme elle , il ne vit guère que de poissons : les goujons, les mouteilles, les verrons, les ablettes, le frai de la carpe, du brochet, du barbeau, sont sa nourriture ordinaire; il mange aussi des gre- nouilles, des insectes d’eau , et quelquefois des racines et des herbes. Il n’a pas, comme la loutre , des membranes entre les doigts des pieds; c’estune erreur de Willughby, que Ray et plusieurs autres naturalistes ont copiée : 1l a tous les doigts des pieds séparés, et cepen- dant il nage facilement , se tient sous l’eau * En latin, mus aquaticus, mus aguatilis; en | italien, sorgo morgange; en allemand, waffer- musz ; en anglois, water-rat. Tom 2, Îl2 8, Lg 272. LE RAT D'EAU. LE COCHON D'INDE J PonquetP - Ne R HISTOIRE NATURELLE, 273 Jong-temps , et rapporte sa proie pour la mânger à terre, sur l'herbe ou dans son trou ; les pêcheurs l'y surprenuent quelquefois en cherchant des écrevisses ; 1l leur mord les doigts, et cherche à se sauver en se jetant dans l’eau. Il a la tête plus courte, le mu- seau plus gros, le poil plus hérissé et la queue beaucoup moins longue que le rat. Il fuit, comme la loutre, les grands fleuves, où plutôt les rivières trop fréquentées. Les chiens le chassent avec une espèce de fureur. On ne le trouve jamais dans les maisons , dans les granges; il ne quitte pas le bord des eaux, ne s’en éloigne mème pas autant que la loutre , qui quelquefois s’écarte et voyage en pays sec à plus d’une lieue. Le rat d’eau ne va point dans les terres élevées ; il est fort rare dans les hautes montagnes , dans les plaines arides , mais trèsnombreux dans tous les vallons humides et marécageux. Les mâles et les femelles se cherchent sur la fin de l’hi- ver; elles mettent bas au mois d'avril : Les portées ordinaires sont de six ou sept. Peut- être ces animaux produisent-ils plusieurs fois par an, mais nous n’en sommes pas infor- mes. Leur chair n'est pas absolument mau- F d \ à! 274 HISTOIRE NATURELLE. vaise ; les paysans la mangent les jours maï- | gres comme celle de la loutre. On les trouve _ par-tout en Europe, excepté dans le climat trop rigoureux du pole: on les retrouve en Égypte, sur les bords du Nil, si l’on en croit Bellon ;. cependant la figure qu’il en donne ressemble si peu à notre rat d'eau, que l’on peut soupçonner, avec quelque fondement, que ces rats du Nil sont des animaux diffé- rens. | Ÿ me ah) Pl24. Pay 275: T’'ont2 ; = Z (de © a = LE CAMPAGNOL * L>: Campagnol est encore plus commun, plus généralement répandu que le mulot : celui-ci ne se trouve guère que dans les terres élevées ; le campagnol se trouve par-tout, dans les bois, dans les champs, dans Les pres, et même dans les jardins. Il est remarquable par la grosseur de sa tête, et aussi par sa queue courte et tronquée, qui na guëêre qu'un pouce de long : il se pratique des trous en terre, où il amasse du grain, des noi- settes et du gland; cependant il paroît qu'il préfère le blé à toutes les autres nourritures. Dans le mois de juillet, lorsque les blés sont mûrs, les campagnols arrivent de tous côtés, et font souvent de grands dommages en cou- .* Campagnol, mulot à courte queue , petit rat des champs ; en italien, Campagnol, : Rat de terre. Mémoires de l'acad. des SCLences y année 1756 : Mémoire sur les MUSArAINES , par M. Dauhenton. il 276 HISTOIRE NATURELLE pant les tiges du blé pour en manger lents ils semblent suivre les moissonneurs, ils profitent de tous les grains tombés et des épis oubliés ; lorsqu'ils ont tout glané, ils vont dans les terres nouvellement semées , et détruisent d'avance la recolte de l’année suivante. En automne et en hiver, la plu- part se retirent dans les bois, où ils trouvent de la faîne, des noisettes et du gland. Dans certaines années, 1ls paroissent en si grand. nombre, qu’ils détruiroient tout s'ils sub- sistoient long-temps ; mais ils se détruisent eux-imèmes , et se mangent dans les temps de disette : ils servent d'ailleurs de päture aux mulots, et de gibier ordinaire au re- nard, au chat sauvage , à la marte et aux belettes. Le campagnol ressemble sr au rat d' eau. qu'à aucun animal par les parties inté— rieures, comme on peut le voir par ce qu’en, dit M. Daubenton; mais à l’extérieur il en diffère par plusieurs caractères essentiels : 1. par la grandeur; il n’a guère que trois pouces de longueur depuis le bout du nez jusqu’à l’origine de la queue, et le rat d’eau en a sept : 20. par Les dimensions de la tête { / DU CAMPAGNOL. 277 et du corps; le campagnol est, proportion- mellement à la longueur de son corps, plus gros que le rat d’eau , et il a aussi la tête proportionnellement plus grosse : 3°. par la longueur de la queue, qui dans le campa- gnol ne fait tout au plus que le tiers de Ia longueur de l’animal entier, et qui dans le rat d’eau fait près des deux tiers de cette même longueur : 4°. enfin par le naturel et Les mœurs ; les campagnols ne se nourrissent pas de poisson et ne se jettent point à l’eau; ils vivent de gland dans les bois, de blé dans les champs, et, dans les prés, de racines tuberculeuses, comme celle du chiendent. Leurs trous ressemblent à ceux des mulots, et souyent sont divisés en deux loges; mais ils sont moins spacieux et beaucoup moins enfoncés sous terre : ces petits animaux y habitent quelquefois plusieurs ensemble. Lorsque les femelles sont prètes à mettre bas, elles y portent des herbes pour faire un. lit à leurs petits : elles produisent au prin- temps et en été; les portées ordinaires sont. de cinq ou six, et quelquefois de sept on huit. 24 À LE COCHON D'INDE *. ju " $ Cr petit animal, originaire des climats chauds du Bresil et de la Guinée, ne laisse pas de vivre et de produire dans le climat tempéré, et même dans les pays froids, en le soignant et le mettant à l'abri de l’in- tempérie des saisons. On élève des cochons d'Inde en France; et quoiqu’ils multiplient prodigieusement, ils n'y sont pas en grand nombre, parce quelessoins qu'ils demandent ne sont pas compensés par le profit qu’on en tire. Leur peau n’a presque aucune va- leur, et leur chair ,‘ quoique mangeable , n’est pas assez bonne pour être recherchée: elle seroit meilleure si: on les élevoit daus' des espèces de garennes où ils auroient de l'air, de l’espace, et des herbes à choisir. Ceux qu’on garde dans les maisons ont à peu près le même mauvais goût que les la- * En allemand, Zndianisch künele, Indisch seüle , meer-ferckél, meer-schwein ; en anglois, Guiny-pig. HISTOIRE NATURELLE. 279 pins clapiers, et ceux qui ont passé l'été dans un jardin out toujours un goût fade, mais moins désagréable. cs Ces animaux sont d’un tempérament si précoce et si chaud, qu'ils se recherchent et _s’accouplent cinq ou six semaines après leur naissance . ils ne prennent cependant leur accroissement entier qu’en huit ou neuf mois; mais il est vrai que c'est en grosseur apparente et en graisse qu'ils augmentent le plus, et que le développement des parties solides est fait avant l’âge de cinq ou six mois. Les femelles ne portent que trois se- maines , et nous en avons vu mettre bas à deux mois d'âge. Ces premières portées ne sont pas si nombreuses que les suivantes ; elles sont de quatre ou cinq, la seconde portée est de cinq ou six, et les autres de sept ou huit, et même de dix ou onze. La mére n’allaite ses petits que pendant douze ou quinze jours, elle les chasse dès qu’elle reprend le mäle;, c'est au plus tard trois semaines après qu'elle a mis bas; et s'ils s’obstinent à demeurer auprès d'elle, leur père les maltraite et les tue. Ainsi ces ant- Maux produisent au moins tous les deux 280 HISTOIRE NATURELLE, mois ; et ceux qui viennent de naître pro-. duisant de même, l’on est étonné de leur prompte et prodigieuse multiplication. Avee une seule couple; on pourroit en avoir un millier dans un an; mais ils se détruisent aussi vite qu’ils pullulent : le froid et l’hu- midité les font mourir; ils se laissent man- ger par les chats sans se défendre : les mères mêmes ne s’irritent pas contre eux; n'ayant pas le temps de s’attacher à leurs petits, elles ne font aucun effort pour les sauver. Les mâles se soucient encore moins des petits, et se laissent manger eux-mêmes sans résis- tance : ils n’ont de sentiment bien. distinct que celui de l'amour; ils sont alors suscep- tibles de colère, ils se battent cruellement, ils se tuent même quelquefois entre eux, lorsqu'il s’agit de se satisfaire et d’avoir la femelle. Ils passent leur vie à dormir, jouir et manger : leur sommeil est court, mais fréquent ; ils mangent à toute heure du jour et de la nuit, et cherçhent à jouir aussi souvent qu'ils mangent. Ils ne boivent ja- mais, et cependant ils urinent à tout mo- ment. Ils se nourrissent de toutes sortes d'herbes, et sur-tout de persil; ils le pré- DU COCHON D'INDE. 28 - férent même au son, à la farine, au pain; ils aiment aussi beaucoup les pommes et les autres fruits. [ls mangent précipitamment, à peu près comme les lapins, peu à la fois, mais très-souvent. Îls ont un grognement Semblable à celui d’un petit cochon de lait; ils ont aussi une espèce de gazouillement qui, marque leurs plaisirs lorsqu'ils sont auprès de leur femelle, et un cri fort aigu lors- qu'ils ressentent de la douleur. [ls sont dé- licats , frileux, et l’on a de la peine à leur faire passer l’hiver ; il faut les tenir dans un endroit sain , sec et chaud. Lorsqu'ils sentent le froid, ils se rassemblent et se serrent les uns contre les autres, et il arrive souvent que, saisis par le froid , ils meurent tous ensemble. [ls sont naturellement doux et privés, ils ne font aucun mal: mais ils 2 2 sont également incapables de bien, ils ne s’attachent point : doux par tempérament, dociles par foiblesse, presque insensibles à tout, ils ont l'air d’automates montés pour la propagation, faits seulement pour figurer une espèce. LE HÉRISSON* ITON oi anomng, dm tyives iv pee : le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une grande, disoient proverbia- lement les anciens. Il sait se défendre sans combattre , et blesser sans attaquer : n'ayant que peu de force et nulle agilité pour fuir, il a reçu de la nature une armure épineuse, avec la facilité de se resserrer em boule et de présenter de tous côtés des armes défen- sives, poignantes, et qui rebutent ses enne- mis; plus ils le tourmentent, plus il se hé- risse et se resserre. Il se défend encore par l'effet mème de la peur; il lâche son urine, dont l’odeur et l'humidité se répandant sur tout son corps, achèvent de les degoûter. * En Jaun, echinus, herinaceus , erinaceus , echinus terrestris; en italien, erinaceo, riccio, aizzo ; en espagnol, erizo ; en allemand, igel ; en anglois, wrchin, hedge-hog ; eu ancien francoïs, eurchon. Ton 2, * Pl 2 5, Pag 2 82, J Tcquer-P HISTOIRE NATURELLE. :2ÿ4 Aussi la plupart des chiens se contentent de l'aboyer et ne se soucient pas de le saisir; ce- pendant il y en a quelques uns qui trouvent moyen, comme le renard , d'en venir à bout, en se piquant Les pieds et se mettant la gueule en sang : mais il ne craint ni la fouine, ni Jla marte, ni le putois, ni le furet, ni la belette, ni les oiseaux de proie. La femelle et le mäle sont également couverts d’épines depuis la tête jusqu'à la queue, et il n’y a que le dessous du corps qui soit garni de poils : ainsi ces mêmes armes qui leur sont si utiles contre les autres, leur deviennent très-incommodes lorsqu'ils veulent s’unir ; ils ne peuvent s’accoupler à la manière des autres quadrupèdes, il faut qu’ils soient face à face, debout ou couchés. C’est au prin- temps qu’ils se cherchent, et ils produisent au commencement de l'été. On m’a souvent apporté la mère et les petits au mois de juin ; il y en a ordinairement trois ou quatre, et quelquefois cinq : ils sont blancs dans ce premier temps, et l’on voit seulement sur leur peau la naissance des épines. Jai voulu en élever quelques uns; on a mis plus d’une fois la mère. et les petits dans un tonneau, 284 HISTOIRE NATURELLE avec une abondante provision; mais, au lieu de les allaiter, elle les a dévorés les uns après les autres. Ce n’étoit pas par le be. soin de nourriture, car elle mangeoit de la viande, du pain, du son, des fruits; et l’on n'auroit pas imaginé qu’un animal aussi lent, aussi paresseux, auquel il ne man- quoit rien que la liberté, fût de si mauvaise humeur et si fâché d’être en prison : il a même de la malice, et de la même sorte que celle du singe. Un hérisson qui s’étoit glissé dans la cuisine découvrit une petite marmite, en tira la viande et y fit ses or- dures. J'ai gardé des mäles ét des femelles ensemble dans une chambre : ils ont vécu, mais ils ne se sont point accouplés. J’en aï lâché plusieurs dans mes jardins, ils n’y font pas grand mal; et à peine s’apperçoit- on qu'ils y habitent : ils vivent de fruits tombés , 1ls fouillent la terre avec le nez à une petite profondeur; ils mangent les han- netons, les scarabées, les grillons, les vers et quelques racines; ils sont aussi trés-avides de viande, et la mangent cuite ou crue. A la campagne, on les trouve fréquemment dans les bois, sous les troncs des vieux ED " AU DU HÉRISSON. 285 arbres, et aussi dans les fentes de rochers, et sur-tout dans les monceaux de pierre qu'on amasse dans les champs et dans les vignes. Je ne crois pas qu'ils montent sur . les arbres, comme le disent les naturalistes, ni qu’ils se servent de leurs épines pour em- porter des fruits ou des grains de raisin; c’est avec la gueule qu'ils prennent ce qu'ils veulent saisir : et quoiqu'il y en ait un grand nombre dans nos forêts, nous n’en avons ja- mais vu sur les arbres; ils se tiennent toujours au pied, dans un creux ou sous la mousse. Ils ne bougent pas tant qu'il est jour; mais ils courent, ou plutôt ils marchent pendant toute la nuit : ils approchent rarement des. habitations: ils préfèrent les lieux élevés et secs, quoiqu’ils se trouvent aussi quelque- fois dans les prés. On les prend à la main, ils ne fuient pas, ils ne se défendent ni des pieds ni des dents; mais ils se mettent en boule dès qu’on les touche, et pour les faire étendre il faut les plonger dans l’eau. Ils dorment pendant l'hiver : ainsi les provi- sions qu’on dit qu’ils font pendant l’été leur seroient bien inutiles. Ils ne mangent pas beaucoup, et peuvent se passer assez long- 286 HISTOIRE NATURELLE. s temps de nourriture. Ils ont le sang froid à peu près comme les autres animaux qui dorment en hiver. Leur chair n’est pas bonne à manger, et leur peau , dont on ne fait. maintenant aucun usage, servoit autrefois de vergette et de frottoir pour serancer le chanvre. | Il en est de deux espèces de hérisson , l’un à groin de cochon, et l'autre à imuseau de chien, dont parlent quelques auteurs, comme des deux espèces de blaireau ; nous n’en con- noissons qu’une seule, et qui n’a même au- cune variété dans ces climats : elle est assez généralement répandue; on en treuve par- tout en Europe, à l'exception des pays les plus froids, comme la Lapponie, la Nor- vége, etc. Il y a, dit Flaccourt, des héris- sons à Madagascar comme en France, et où les appelle sora. Le hérisson de Siam dont parle le P. Tachard , nous paroît être un autre animal, et le hérisson d’Amerique, le hérisson de Sibérie, sont les espèces les plus voisines du hérisson commun; enfin le he- risson de Malaca semble plus approcher de l'espèce du porc-épic que de celle du hérisson. p ï , ; À FA à ‘ 1 CPR n s 1 sal | AU el CARE Tom 2, | | _, ÆF46" Pag 287: : LA MUSARAIGNE e : LL: LA MU SARAIGNE D'EAU. 4 { Tuque S LA MUSARAIGNE *. sn L, musaraigne semble faire une nuance dans l’ordre des petits animaux, et remplir l’intervalle qui se trouve entre le rat et la taupe, qui, se ressemblant par leur petitesse, différent beaucoup par la forme, et sont en tout d'espèces très-éloignées. La musaraigne, plus petite encore que la souris, ressemble à la taupe par le museau, ayant le nez'beau- coup plus alongé que les mâchoires; par les yeux, qui, quoiqu’un peu plus gros que ceux de la taupe, sont cachés de même, et sont beaucoup plus petits que ceux de la souris ; par le nombre des doigts, dont elle a cinq à tous les pieds ; par la queue, par les jambes, sur-tout celles de derrière, qu’elle * En latin, mus araneus, mus cæcus; en ila- lien, {oporagno ; en espagnol, murganho; en alle- maud , müger, sprgnus , zismus , spitzmaus , ha- selmaus ; en anglois, shrew, shrew-mouse, hardy- shrem; en ancien francois, muserain, MÉPETRIENE muset, Musetre ; 5er); STl» A 288 HISTOIRE NATURELLE a plus courtes que la souris; par les oreilles, et enfin par les dents. Ce très-petit animal a une odeur forte qui lui est particulière, et qui répugne aux chats; ils chassent, ils tuent la musaraigne, mais ils ne la man- £ 2 gent pas comme la souris. C’est apparem= ment cette mauvaise odeur et cette répu-, guance des chats qui a fondé le préjugé du venin de cet animal, et de sa morsure dan- gereuse pour le bétail, sur-tout pour les chevaux : cependant il n’est ni venimeux ni même capable de mordre; car il n’a pas l'ouverture de la gueule assez grande pour pouvoir saisir la double épaisseur de la peau d’un autre animal, ce qui cependant est ab- solument nécessaire pour mordre; et la ma-. ladie des chevaux que le vulgaire attribue à la dent de la musaraigne, est une enflure, une espèce d’anthrax, qui vient d’une cause interne, et qui n’a nul rapport avec la mor- sure, ou, si l’on veut, la piquure de ce petit animal. Il habite assez communément, sur- tout ‘pendant l'hiver, dans les greniers à foin , dans les écuries, dahs les granges, dans les cours à fumier; il mange du grain, des insectes et des chairs pourries : on Le trouve. DE LA MUSARAIGNE. 289 aussi fréquemment à la campagne, dans les bois, où il vit de graines ; et il se cache sous la mousse, sous les feuilles, sous les troncs d'arbres, et quelquefois dans les trous aban- donnés par les taupes, ou dans d’autres trous plus petits qu'il se pratique lui-même en fouillant avec les ongles et le museau. La musaraigne produit en grand nombre, au- tant, dit-on, que la souris, quoique moins fréquemment. Elle a le cri beaucoup plus aigu que la souris, mais elle n’est pas ausss agile à beaucoup prés. On la prend aisé- ment, parce qu’elle voit et court mal. La couleur ordinaire de la musaraigne est d’un brun mèlé de roux; mais il y en à aussi de cendrées , de presque noires, et toutes sont plus ou moins blanchâtres sous le ventre. Ælles sont trés-communes dans toute l'Eu- rope, mais il ne paroît pas qu'on les re trouve en Amérique. L'animal du Bresil dont Marcgrave parle sous le nom de #usaraignre, qui a, dit-il, le museau très-pointu et trois, bandes noires sur le dos, est plus gros, et paroît être d’une autre espèce que notre mu- saraigne. Quadrupèdes, X Le HA RE 25 LA MUSARAIGNE D'EAU. Comwr cet animal, quoique naturel à ce climat, n’étoit connu d'aucun naturaliste, et que c’est M. Daubenton qui le premier en: a fait la découverte, nous renvoyons entiè- rement ce que l’on en peut dire à la des- cription très-exacte qu’il en donne. J'aurai souvent occasion d’en user de même dans læ suite de cet ouvrage, attendu la diligence infinie avec laquelle il recherche les ani- maux ,.et les découvertes qu'il a faites de plusieurs espèaes auparavant inconnues, ow confondues avec celles que l’on connoissoit. Tout ce que je puis assurer au sujet de la musaraigne d'eau, c’est qu’on la prend à la source des fontaines , au lever et au coucher du soleil; que dans le jour elle reste cachée dans des fentes de rochers ou dans des trous sous terre, le long des petits ruisseaux ; qu'elle met bas au printemps, et qu’ordinai-: xvement elle produit neuf petits. LA TAUPE DÉPOUILLÉE DE SA PEAU.| 1 Jouquer- J” À 60: is ue M Me AE à 3 î L, taupe, sans être aveugle, a les yeux si petits, si couverts, qu’elle ne peut faire grand usage du sens de la vue : en dédom- magement la nature lui a donné avec ma- guificence l’usage du sixième sens, un ap- pareil remarquable de réservoirs ét de vais- seaux, une quantité prodigieuse de liqueur séminale,; des testicules énormes, le membre génital excessivement long; tout cela secrè- tement caché à l’intérieur, et par consé- quent plus actif et plus chaud. La taupe à cet égard est de tous les animaux le plus avantageusément doué, le mieux pourvu d'organes, et par conséquent de sensations qui y sont relatives : elle a de plus le tou- cher délicat : son poil est doux comme la soie : elle a l’ouïe trèsfine , et de petites * En latin, falpa; en italien, talpa; en espagnol, topo; en allemand, mulwerf, maulwurf; en an- glois, mole , molewarp , want. 292 HISTOIRE NATURELLE mains à cinq doigts, bien différentes de l’ex- trémité fes pieds des ‘autres animaux, et presque semblables aux mains de l'homme; beaucoup de force pour le volume de son corps, le cuir ferme, un embonpoint cons- tant, un attachement vif et réciproque du mâle et de la femelle, de la crainte ou du . dégoût pour toute autre société, les douces habitudes du repos et de la solitude; l’art. de se mettre en sûreté, de se faire en un instant un asyle, un domicile; la facilité de l’étendre, et d’y trouver sans en sortir une abondante subsistance. Voilà sa nature, sés mœurs et,ses talens, sans doute préférables à des qualités plus brillantes et plus incom- patibles avec le bonheur que l'obscurité la plus profonde. Elle ferme l'entrée de sa retraite, n’en sort presque jamais qu’elle n’y soit forcée par l’abondance des pluies d'été, lorsque l’eau la remplit, ou lorsque Le pied du jar- dinier, en affaisse le dôme. Elle se pratique une voûte en rond dans les prairies, et assez ordinairement un boyau long dans les jar- dins, parce qu’il y a plus de facilité à di- viser et à soulever une terre meuble et cul- DB: LA TAUPE £iH 293 tivée qu'un gazon ferme et tissu de racines: elle ne demeure ni dans la fange ni dans les terrains durs, trop compactes ou trop pier- reux; il lui faut une terre douce, fournie de racines esculentes, et sur-tout bien peu- plée d'insectes et de vers, dont elle fait sa principale nourriture. | Comme les taupes ne sortent que rare- ment de leur domicile souterrain, elles ont _ peu d’ennemis, et échappent aisément aux animaux carnassiers : leur plus grand fléau est le débordement des rivières; on les voit: dans les -inondätions fuir en nombre à la nage, et faire tous leurs efforts pour gagner les terres plus élevées : mais la plupart 5e- rissent aussi-bien que leurs petits, qui restent dans les trous; sans cela, les grands talens qu’elles ont pour la multiplication nous de- viendroient trop incommodes. Elles s’ac- couplent vers la fin de l'hiver; elles ne portent pas long- ES de car on trouve déja beaucoup de petits au mois de mai : il y en à ordinairement quatre ou cinq dans chaque portée, et il est assez aisé de distinguer, = parmi les mottes qu’elles élèvent, celles sous lesquelles elles mettent bas : ces mottes sont 25 294 HISTOIRE NATURELLE faites avec beaucoup d'art, et sont ordinai- rement plus grosses et plus élevées que.les ‘autres. Je crois que ces animaux produisent plus d’une fois par an, mais je ne. puis lassurer; ce qu’il y a de certain, c’est qu’on trouve des petits depuis.le mois: d'avril jus- qu'au mois d'août : peut-être aussi,.que, les unes s’accouplent plus tard que: les autres. Le domicile où elles font leurs.pelits me- riteroit une description particukère : il est fait avec une intelligence singulière. Elles commencent par pousser, paréleyer la terre et former une voûte assez élevée; elles laissent des cloisons , des espèces de piliers de distance en distance ; elles ‘pressent et battent la terre, la mêlent avec des racines et des herbes, et la rendent si dure et si solide par-dessous , que l’eau..ne peut pe- métrer la voûte à cause de sa: convexité et de sa solidité; elles élèvent ensuite un tertre par-dessous, au sommet duquel-elles ap- portent de lherbé et des feuilles pour faire un lit à leurs petits : dans cette situation, 1ls se trouvent au-dessus du niveau du terrain, et par conséquent à l'abri des inondations oxdinaires,ret en même temps.à couvert de DE L'A T AURESC IT 295 la pluie par la voûte qui recouvre le tertre sur lequel ils reposent. Ce tertre est percé tout autour de plusieurs trous en pente, qui descendent plus bas et s'étendent de tous côtés, comme autant de routes souterraines par où la anère taupe peut sortir et aller chercher la: subsistance nécessaire à ses: pe- tits: ces sentiers souterrains sont fermés ét battus ; s’étenderit à douze ou quinze pas, et partent tous du domicile comme ‘des rayons d'un centre. On y trouve, aussi-bien que sous la voûte, des debris d'oignons de colchique , qui sont apparemment la pre- mière nourriture qu'elle donne‘ à.ses petits: On voit bien paricette disposition qu'elle ne sort jamais qu'à une distance considérable de son domicile, et que la manière là plus simple et la plusisûre de la prendre avec ses petits, est dei faire autour une trarichée qui l'environne en entier et qui coupe toutes les communications; mais comme là taupe fuit au moindre bruit, et qu’elle tâche d’emme- ner ses petits , il faut trois ou quatre hommes qui, travaillant ensemble avec la bêche, én- lèvent la motte toute entière où fassent une tranchée presque dans un momént, ét qui 296 HISTOIRE NATURELLE ensuite les saisissent où les attendent, aux issues. ; 5 ii | Quelques auteurs ont dit val pr pét que la taupe et le blaireau dormoient sans manger pendant l'hiver entier. Le blaireau , comme nous l'avons dit, sort de son trou en hiver comme en été, pour chercher sa subsistance ; . et ilest aisé de s’en assurer par les traces qu'il laisse sur la neige. La taupe dort si peu pendant tout l'hiver, qu'elle pousse la terre comme en été, ‘et que les gens de la . campagne disent, comme parproverbe : Les taupes poussent, le dégel n’est pas loin. Elles cherchent, à la vérité, les endroits les plus chauds : les jardiniers en prennent souvent autour de leurs couches aux mois de dé- cembre , de janvier et de février. : ‘3 La taupé ne se trouve guère que dans les pays cultivés; il n’y en a point dans les dé- serts arides nidans les climats froids, où la terre est gelée pendant la plus grande partie de l’année. L'animal qu’on a-appelé saupe de Sibérie, qui-a Le poil verd et or, est d’une espèce différente de nos taupes, qui ne sont en abondance que depuis la Suède jusqu’en Barbarie; car le silence des voyageurs nous 3 PR LA TAUPE 297 * fait présumer qu’elles ne se trouvent point dans les climats plus chauds. Celles d’'Amé- rique sont aussi différentes : la taupe de Vir- ginie est cependant assez semblable à la nôtre, à l'exception de la couleur du poil, qui est mêlée de pourpre foncé; mais la taupe rouge d'Amérique est un autre animal. T1 y a seulement deux ou trois variétés dans l'espèce commune de nos taupes; on en trouve de plus ou moins brunes et de plus ou moins noires : nous en avons vu de toutes blanches, et Séba fait mention et donne la figure d’une taupe tachée de noir et de blanc, qui se trouve en Ost-Frise, et qui est un peu plus grosse que la taupe ordinaire. LA CHAUVE-SOURIS *. Qvox. QUE tout soit également parfait en soi, puisque tout est sorti des mains du Créa- teur ,ilest cependant ; relativement à nous, des êtres accomplis, et d’autres qui semblent. être imparfaits ou difformes. Les premiers sont ceux dont la figure nous paroît agréable et complète, parce que toutes Les parties sont bien ensemble, que le corps et les membres sont proportionnés, les mouvemens assortis, toutes les fonctions faciles et naturelles. Les autres, qui nous paroissent hideux , sont ceux dont les qualités nous sont nuisibles, ceux dont la nature s'éloigne de la nature commune , et dont la forme est trop diffé- rente des formes ordinaires desquelles nous avons reçu les premières sensations , et tiré les idées qui nous servent de modèle pour * En latin, vespertilio ; en 1talien, noftolo , no- tula, barbastello, vispistrello , pipistrello , spor- egliono ; en allemand, flaedermuss ; en anglois, bat, flittermouse. | LANOC E. LA SEROTINE. J fe Dauguet: P ; Tom2. ! PL 81 Lag 298 à AN) ae LA BARBASTELLE. LA PIPISTRELLE. À auguerd a a CFA ; si SAM PEUR Due 4 LE FER-À- CHEVAL. Juvpende par les pieds. LE FER -À-CHEVAL. Ÿ > Ÿ Fugue ss Dé E sfr NE N/ Le D ee | LE PETIT FER-A-CHEVAL _ L’OREILLARD 22 8.249298. CRC LOLCEEE COTE ETES p 2399 3/02 55 7 4 N { LT HRTENIA LA CHAUVE SOURIS Les Ailes étendues À LA CHAUVE SOURIS a PAT LU à ur ie, UN AA. S | WE SATA \ W Le : rt ù ) A _ HISTOIRE NATURELLE. 29 juger. Une tête humaine sur un cou de che- val, le corps couvert de plumes et terminé par une queue de poisson, n’offrent un ta- bleau d’une énorme difformité que parce qu'on y réunit ce que la nature a de plus éloigné. Un animal qui, comme la chauve- souris, est à demi quadrupède, à demi vola- tile, et qui n’est en tout ni l’un ni l’autre, est, pour ainsi dire, un être monstre, en ce que, réunissant les attributs de deux genres si différens , il ne ressemble à aucun des mo- dèles que nous offrent les grandes classes de la nature : il n’est qu'imparfaitement qua- drupède, etil est encore plus imparfaitemen € oiseau. Un quadrupède doit avoir quatre pieds, un oiseau a des plumes et des ailes ; dans la chauve-souris les pieds de devant ne sont ni des pieds ni des ailes, quoiqu’elle s’en serve pour voler, et qu’elle puisse ausst s’en servir pour se traîner. Ce sont en effet des extrémités difformes , dont les os sont monstrueusement alongés, et réunis par une membrane qui n’est couverte ni de plumes, ni même de poil, comme le reste du corps : ce sont des espèces d’ailerons , ou, si l’on veut, des pattes ailées, où l’on ne voit que ex ARE. te. lu Ve a ERP TE TR 30 HISTOIRE NATURELLE l’ongle d’un pouce court, et dont les quatre | autres doigts très-longs ne peuvent agir qu’en- semble, et n'ont point de mouveimens pro- pres ni de fonctions séparées ; ce sont des espèces de mains dix fois plus grandes que les pieds , et en tout quatre fois plus longues que le corps entier de l'animal : ce sont, en un mot, des parties qui ont plutôt l'air d’un caprice que d’une production régulière. Cette membrane couvre les bras, forme les ailes ou les mains de l’animal, se réunit à la peau de son corps, et enveloppe en même temps ses jambes, et même sa queue, qui, par cette jonction bizarre, devient, pour ainsi dire, l’un de ses doigts. Ajoutez à ces disparates et à ces disproportions du corps et des mem- bres, les difformités de la tête, qui souvent sont encore plus grandes : car, dans quelques espèces , le nez est à peine visible, les yeux sont enfoncés tout près de la conque de l'oreille, et se confondent avec les joues ; dans d’autres, les oreilles sont aussi longues que le corps, ou bien la face est tortillée en forme de fer-à-cheval , et le nez recouvert par une espèce de crête; la plupart ont la tête surmontée par quatre oreillons : toutes le ci tdi | DE LA CHAUVE-SOURIS. 3or ont les yeux petits, obscurs et couverts, le nez ou plutôt les naseaux informes , la gueule fendue de l’une à l’autre oreille; toutes aussi cherchent à se cacher, fuient la lumière, n'habitent que les lieux ténébreux , n’en sortent que la nuit, y rentrent au point du _ jour pour demeurer collées contre les murs. Leur mouvement dans l’air est moins un vol qu'une espèce de voltigement incertain , qu’elles semblent n’exécuter que par effort et d'une manière gauche : elles s'élèvent de terre avec peine; elles ne volent jamais à une grande hauteur; elles ne peuvent qu'im- parfaitement précipiter, ralentir, ou même diriger leur vol : il n’est ni très-rapide-ni bien direct ; il se fait par des vibrations brus- ques dans une direction oblique et tortueuse: elles ne laissent pas de saisir en passant les moucherons, les cousins, et sur-tout les pa- pillons phalènes qui ne volent que la nuit; elles les avalent, pour ainsi dire, tout en- tiers, et l’on voit dans leurs excrémens les débris des ailes et des autres parties sèches qui ne peuvent se digérer. Étant un jour descendu dans les grottes d’Arci pour en exa- miner {es stalactites , je fus surpris de trou- 26 CN CURE OP, A 0 CNET LS L bé | CT Gi) ù SANTO EN L'E 302 HISTOIRE NATURELLE | . \ ; KO Ci HN ver sur un terrain tout couvert d’albâtre, et. dans un lieu si ténébreux et si profond, une espèce de terre qui étoit d’une tout autre na- ture; c'etoit un tas épais et large de plusieurs pieds d’une matière noirâtre, presque entiè- rement composée de portions d'ailes et de. pattes de mouches et de papillons , comme si ces insectes se fussent rassemblés en nombre immense et réunis dans ce lieu pour y périr et pourrir ensemble. Ce n’étoit cependant autre chose que de la fiente de chauve-souris, amoncelée probablement pendant plusieurs années dans l’endroit de ces voûtes souter- faines qu’elles habitôient de préférence; car dans toute l'étendue de ces grottes, qui est de plus d’un demi-quart de lieué, je ne vis aucun autre amas d’une pareille matière, et je jugeai que les chauve-souris avoient fixé dans cet endroit leur demeure commune, parce qu'il y parvenoit encore une très-foible lumière par l’ouverture de la grotte, et qu’elles n’alloient pas plus avant pour ne pas s’enfoncer dans une obscurité trop pro- fonde. | | Les chauve-souris sont de vrais quadru- pèdes ; elles n’ont rien de commun que Le voi DE LA CHAUVE-SOURIS. 305 avec les oiseaux : mais comme l’action de voler suppose une très-grande force dans la partie supérieure du corps et dans les mem bres antérieurs, elles ont les muscles pecto- raux beaucoup plus forts et plus charnus qu'aucun des quadrupèdes , et l’on peut dire que par là elles ressemblent encore aux oi- seaux; elles en diffèrent par tout le reste de la conformation tant extérieure qu'inté— rieure : les poumons, le cœur, les organes de la génération , tous les autres viscères, sont semblables à ceux des quadrupèdes, à l'ex- ception de la verge, qui est pendante et deta- chée; ce qui est particulier à l’homme, aux singes et aux chauve-souris: elles produisent, comme les quadrupèdes, leurs petits vivans ; enfin elles ont, comme eux, des dents et des mamelles: l’on assure qu’elles ne portent que deux petits, qu'elles les allaitent et les trans- portent mème en volant. C’est en été qu’elles s’accouplent et qu'elles mettent bas; car elles sont ensourdies pendant l'hiver : les unes se recouvrent de leurs ailes comme d’un man- teau , S’'accrochént à la voûte de leur souter- rain par les pieds de derrière, et demeurent ainsi suspendues ; les autres se collent contre né do ps LV AN 34 HISTOIRE NATURELLE F : h : l “ 1 UT MR Îles murs ou se recélent dans des trous ; elles sont toujours en nombre pour sé défendre du froid : toutes passent l'hiver sans bouger, sans manger , ne se réveillent qu’au prin- temps, et se recèlent de nouveau vers la fin de l’automne. Elles supportent plus aïisé- ment la diète que le froid : elles peuvent pas- ser plusieurs jours sans manger , et cepen- ‘dant elles sont du nombre des animaux car- nassiers ; car lorsqu'elles peuvent entrer dans un office, elles s’attachent aux quartiers de Jard qui y sont suspendus, et elles mangent aussi de la viande crue ou cuite, fraîche ou corrompue. | | Les naturalistes qui nous ont précédés ne connoissoient que deux espèces de chauve= souris. M. Daubenton en a trouvé cinq autres, qui sont, aussi-bien que les deux premières espèces, naturelles à notre climat ; elles y sont même aussi communes, aussi abon— dantes , et il est assez étonnant qu'aucun ob- servateur ne les eût remarquées. Ces sept espèces sont très-distinctes, très différéntés les unes des autres, et n’habitent même ja- mais ensemble dans le même lieu. ts La première, qui étoit connue, est la DE. LA CHAUVEUSOURIS. 30! | chauve-souris commune, ou la chauve-souris proprement dite; dont j'ai donné ci-devant les dénominations: ( Y’oyez la figure.) La seconde est/la chauve-souris à grandes oreilles, que nous noémimérons l’orei/lar, qui a aussi été reconnue ‘parles naturalistes eb indiquée par les nomenclateurs. L’oreillar est peut-être plus commun:qué lä chauve-souris ; il est'bien plus petit de corps; il a aussi les ailes beaucoup plus courtes, le museau moins gros et plus pointu, les oreilles d’une gran- deur démesurée. ( Z’oyez la figure.) La troisième espèce , que nous appellerons la zoctule, du motitalien zofula, n’étoit pas connue : cependant elle est très-commune en France , et.on læ réncoutre même plus fréquemment que les deux espèces precé- dentes. On la trouve sous les toits, sous les gouttières de plomb des châteaux, des églises, et aussi dans les vieux arbres creux; elle est presque aussi grosse que la chauve-souris ; elle a les oreilles courtes et larges, le poil roussâtre , la voix aigre, perçante, et assez semblable au son d'un! timbre de fer. (7’oyez da figure.) Nous nommerons sérotine Ja quatrième 26 dl 306. HISTOIRE, NATURELLE, espèce, qui n’étoit gullement connue: elle, est . plus petite que,la chauve-souris. et que, la noctule; elle est à peu près, de la grandeur de loreillar : mais.elle endiffère.par les oreilles, qu'elle a courtes et:pointues, et.par la couleur du poil ; elle a Les: ailes plus-noires et le. poil d’un brun plus foncé. #oyez la figure.) : Nous appellerons la: cinquième espèce ; qui AN pas connue , la pipisérelle ;. du;mot italien pipissrello, qui signifie aussi chauve- souris. La pipistrelle m'est pas, à à beaucoup près , aussi grosse.que la chauve-souris au la noctule, ni même que da’ sérotine ou Foréil- lar. De toutes les chauve-souris c'est la(plus petite et la moins laide, quoiqu’elle, aut:da lèvre supérieure fort reriflée, les yeux très petits, très-enfoncés, et le front. trés-couyert de poil. (#’oyez la figure.) La sixième espèce , qui n’étoit pas corinme, sera nommée barbastelle; du mot italien bar- bastello, qui signifie: encore chauve - souris: Cet animal est à peu près’de la grosseuride l'oreillar : il a les’ oreilles aussi larges ; maïs bien moins longues. Le nom de barbastetle lui convient d'autant mieux, qu’il paroît avoir une grosse moustache; ce ‘qui cepeu- DE LA-CHAUVE-SOURIS. 30 dant n'est qu'une apparence occasionnée par le rentlement des joues ; qui forment un bourrelet au-dessus des lèvres : il a le mu- seau très-court, le nez-fort applati, et les yeux ra dans les oreilles. ( 7oyez La figurei) À Enfin nous nommerons nm: une septième espèce, qui n toit, nullement con- nue ; elle est très-frappante-par la singulière difformité de sa face, dont le trait le plus ap-. parent etle.plus marque est un, bourrelet en forme de fer-à-cheval autour du nez et sur: la lèvre superieure. On la trouve très-com-. muneément en France dans Les murs et dans les caveaux. des vieux châteaux abandonnés. Il y en a de petites et de grosses, mais qui. sont au réste si semblables par la forme, que nous les avons jugées de la. même espèce ;: seulement, comme nous en avons beaucoup, vu sans en trouver de grandeur moyenne: entre les grosses et les petites, nous ne déci- dons pas si l’âge seul produit cette différence, ou si c'est une variété constante dans la même |sspèce. (Fe oyez la figure.) « " 2 AA Novs connoissons trois espèces de loirs,. qui, comme la marmotte, dorment'péndant l'hiver : le loir’, le lérot et le muscardin. Le : loir est le plus gros des trois, le muscardin est le plus petit. Plusieurs auteurs ont con fondu l’une de ces espèces avec les ‘deux: autres, quoiqu’elles soient toutes”trois trèss distinctes, et par conséquent très-aisées à reconnoître et à distinguer. Le loir est à peu. près de la grandeur de l’écureuil; ila/ comme lui , la queue couverte de longs poilsi le lérot n’est pas si gros que le rat; il a ‘là queue: couverte de poils très-courts, avec un bou" quet de poils longs à l'extrémité : le muscar- din n’est pas plus gros que la souris ; il ‘a’ la queue couverte de poils plus longs que le * En latin, gs ; en italien, galero, gliero, £ghiro ; en espagnol, Zron ; en allemand, scebens- chlafer, selon Klein ; et greul en quelques endroits d'Allemagne , és Gesner ; en vieux françois 9 liron , rat-liron, rat-veule. HISTOIRE NATURELLE. So lérot, mais plus courts que le loir, avec un gros bouquet de longs poils à à l'extrémité. Le lérot diffère des lou autres par les marques noires qu’il a près des yeux, et le muscardin par la couleur blonde de son poil sur Le dos. Tous trois sont blancs ou blanchâtres sous la sorge et le ventre; mais le lérot est d’un assez beau blanc, Le loir n’est que blanchâtre, et le muscardin est plutôt jaunâtre que blanc dans toutes les parties inférieures. ( 7’oyez ci-après les trois Jigures. ) C'est improprement que l’on dit que ces animaux dorment pendant l’hiver: leur état n’est point celui d’un sommeil naturel ; c'est une torpeur, un engourdissement des mem- bres et des sens , et cét engourdissement est produit par le refroidissement du sang. Ces animaux ont si peu de chaleur intérieure, qu’elle n'excède guère celle de la température de l’air. Lorsque la chaleur de l’air est, au thermomètre, de dix degrés au-dessus de la congélation, celle de ces animaux n’est aussi quede dix degrés. Nous avons plongé la boule d’un pétit thermémètre dans le corps de plu- sieurs lérots vivans:; la chaleur de l’intérieur de leur corps étoit à peu près égale à la tem- 30 HISTOIRE NATURELLE pérature de l’air; quelquefois même le thers momètre plongé, et, pour ainsi dire, appli- qué sur le cœur, a baissé d’un demi-degré ou d'un degré, la température de l'air étant à onze. Or l’on sait que la chaleur de l’homme, et de la plupart des animaux qui ont de la chair et du sang, excède en tout temps trente degrés : il n’est donc pas étonnant que ces animaux, qui ont si peu de chaleur en com- ‘paraison des autres, tombent dans l’engour- dissement dés que cette petite quantité de chaleur intérieure cesse d’être aidée par la chaleur extérieure de l’air; et cela arrive lors- que le thermomètre n’est plus qu'à dix ou ouze degrés au-dessus de la congélation. C'est-là la vraie cause de l’engourdissement de ces animaux; cause que l’on ignoroit, et qui cependant s'étend généralement sur tous les animaux qui dorment pendant l'hiver; car nous l'avons reconnue dans les Jloirs:, dans les hérissons , dans les chauve-souris ; et quoique nous n’ayons pas eu occasion de l’éprouver sur la marmotte, je suis persuadé qu’elle a le sang froid comme les autres ,, puisqu'elle est, comme eux, sujette à. l’en- gourdissement pendant hiver. | DU L'OTR. 8rt Cet engourdissement dure autant que Ja cause qui le produit, et cesse avec le froid : quelques degrés de chaleur au-dessus de dix ou onze suflisent pour ranimer ces animaux ; et si on les tient pendant l'hiver dans un lieu bien chaud , ils ne s’engourdissent point du tout; ils vont et viennent, ils mangent et dorment seulement de temps en temps, comme tous les autres animaux. Lorsqu'ils sentent le froid , ils se serrent et se mettent en boule pour offrir moins de surface à l'air, et se conserver un peu de chaleur : c’est ainsi qu'on les trouve en hiver dans les arbres creux, dans les trous des murs exposés au midi; ils y gisent en boule, et sans aucun mouvement, sur de la mousse et des feuilles, On les prend, on les tient, on les roule sans qu'ils remuent, sans qu’ils s'étendent ; rien ne peut les fairé sortir de leur engourdisse- went qu'une chaleur douce et graduée: ils meurent lorsqu'on les met tout-à-coup près du feu ; il faut, pour les dégourdir, les en approcher par dégrés. Quoique dans cet état ils soient sans aucun mouvement, qu'ils aient les yeux fermes et qu'ils paroissent privés de tout usage des sens, ils sentent cependant la 3r2 HISTOIRE NATURELLE | douleur lorsqu'elle est très-vive : une bles- sure, une brûlure leur fait faire un mouve- ment de contraction ét un petit cri sourd qu’ils répètent même plusieurs fois : la sen- sibilité intérieure subsiste donc aussi-bien que l’action du cœur et des poumons. Cepen- dant il est à présumer que ces mouvemens vitaux ne s’exercent pas dans cet état de tor- peur avec la même force, et n’agissent pas avec la même puissance que dans l’état ordi- naire ; la circulation ne se fait probablement que dans les plus gros vaisseaux, la respira- tion est foible et lente , les secrétions sont très-peu abondantes, les déjections nulles : la transpiration est presque nülle aussi, puis- qu'ils passent plusieurs mois sans manger ; ce qui ne pourroit être, si dans ce temps de diète ils perdoient de leur substance autant, à proportion, que dans les autres temps où ils la réparent en prenant de la nourriture. Ils en perdent cependant, puisque dans les hivers trop longs ils meurent dans leurs trous. Peut-être aussi n'est-ce pas la durée, mais la rigueur du froid, qui les fait périr ; car lorsqu'on les expose à une forte gelée, ils meurent en peu de temps. Ce qui me feroit DU LOIR. 313 croire que ce n’est pas la trop grande déper- dition de substance qui les fait mourir dans les grands hivers, c’est qu'en automne ils sont excessivement gras, et qu’ils le sont en- core lorsqu'ils se raniment au printemps : - cette abondance de graisse est une nourriture intérieure qui suffit pour les entretenir et pour suppléer à ce qu'ils perdent par la transpiration. | ; Au reste, comme le froid est la seule cause de leur engourdissement, et qu’ils ne tombent dans cet état que quand la tempéra- ture de l'air est au-dessous de dix ou onze degrés , 1l arrive souvent qu'ils se raniment même pendant l’hiver ; car il y a des heures, des jours, et même des suites de jours, dans cette saison, où la liqueur du thermomètre se soutient à douze, treize, quatorze, etc. degrés, et pendant ce temps doux les loirs sortent de leurs trous pour chercher à vivre, ou plutôt ils mangent les provisions qu'ils ont ramassées pendant l’automne , et qu’ils y onttransportées. Aristote a dif, et tous les na- turalistes ont dit après Aristote, que les loirs passent tout l'hiver sans manger, et que dans ce temps même de diète ils deviennent extré- 27 = 314 HISTOIRE NATURELLE mement gras, que le sommeil seul les nour- rit plus que les alimens ne nourrissent les autres animaux. Le fait non seulement n’est pas vrai, mais la supposition même du fait n’est pas possible. Le Loir, engourdi pendant quatre ou cinq mois, ne pourroit s’engraisser que de l’air qu’il respire. Accordons, si l’on veut(et c’est beaucoup trop accorder), qu’une partie de cet air se tourne en nourriture : en résultera-t-il une augmentation si considé- rable ? cette nourriture si légère pourra-t-elle même suffire à la déperdition continuelle qui se fait par la transpiration? Ce qui a pu faire tomber Aristote dans cette erreur, c’est qu’en Grèce, où les hivers sont tempérés, les loirs ne dorment pas continuellement, et que, prenant de la nourriture, peut-être abondam- ment, toutes les fois que la chaleur les ra- nime , 1l les aura trouvés très-gras, quoi- qu'engourdis. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'ils sont gras en tout temps, et plus gras en automne qu’en été: leur chair est assez semblable à celle du cochon d'Inde. Les loirs faisoient partie de la bonne chère chez les Romains ; ils en élevoient en quantité. Var- ron donne la manière de faire des garennes DU LOIR. 5 de loirs, et Apicius celle d’en faire des ragoûts. Cet usage n’a point été suivi, soit qu'on ait eu du dégoût pour ces animaux parce qu’ils ressemblent aux rats, soit qu’en effet leur chair ne soit pas de bien bon goût. J’ai oui dire à des paysans qui en avoient mangé, qu'elle n'étoit guère meilleure que celle du rat d’eau. Au reste, il n’y a que Le Loir qui soit mangeable; le lérot a la chair mauvaise et d’une odeur désagréable. Le loir ressemble assez à l’écureuil par les habitudes naturelles ; il habite, comme lui, - les forêts, il grimpe sur les arbres, saute de branche en branche, moins légèrement à la vérité que l’écureuil, qui a les jambes plus longues, le ventre bien moins gros, et qui est aussi maigre que le loir est gras : cepen- dant ils vivent tous deux des mêmes alimens; de la faîne, des noisettes , de la châtaigne, d’autres fruits sauvages , font leur nourriture ordinaire. Le loir mange aussi de petits oi- seaux qu'il prend dans les nids. Il ne fait point de bauge au-dessus des arbres comme l’écureuil; mais il se fait un lit de mousse dans le tronc de ceux qui sont creux: il se gite aussi dans les fentes des rochers élevés, 36 HISTOIRE NATURELLE et toujours dans des lieux secs ; il craint l'humidité, boit peu, et descend rarement à terre; il diffère encore de l’écureuil , en ce que celui-ci s’apprivoise, et que l’autre de- meure toujours sauvage. Les loirs s’accouplent sur la fin du printemps ; ils font leurs petits en été; les portées sont ordinairement dé quatre ou de cinq: ils croissent vite, et l’on assure qu'ils ne vivent que six ans. En Italie, où l’on est encore dans l’usage de les manger, ‘on fait des fosses dans les bois, que l’on ta- pisse de mousse, qu’on recouvre de paille, et où l’on jette de la faîne : on choisit un lieu sec à l’abri d’un rocher exposé au midi ; les loirs s’y rendent en nombre , et on les y trouve engourdis vers la fin de l’automne ; c’est Le temps où ils sont les meilleurs à man- ger. Ces petits animaux sont courageux ; et défendent leur vie jusqu’à la dernière ex- trémité : ils ont les dents de devant tres- longues et très-fortes ; aussi mordent-ils vio- lemment : ils ne craignent n1 la belette, ni les petits oiseaux de proie; ‘ils échappent au renard, qui ne peut les suivre au-dessus des arbres : leurs plus grands ennemis sont'les chats sauvages et les martes. : ess L] DU LOIR. 317 Cette espèce n’est pas extrémement ré- pandue : on ne la trouve point dans les cli- xnats très-froids , comme la Lapponie, la Suède; du moins les naturalistes du Nord n’en parlent point ; l'espèce de loir qu’ils indiquent est le muscardin , la plus petite des trois. Je présume aussi qu’on ne les trouve pas dans les climats très-chauds, puisque les voyageurs n’en font aucune mention. Il n’y a que peu ou point de loirs dans les pays découverts, comme l'Angleterre; il leur faut un climat tempéré et un pays couvert de bois : on en trouve en Espagne, en France, en Grèce, en Italie, en Allemagne, en Suisse, où ils habitent dans les forêts sur les col- lines, et non pas au-dessus: des hautes mon- tagnes, comme les marmottes, qui, quoique sujettes à s engourdir par le froid, semblent chercher Ja neige et les frimas. | e. L E loir demeure dans les forèts, et semble fuir nos habitations : le lérot, au contraire, habite, .nos jardins, et se trouve quelque- fois dans nos maisons; l’espèce en est aussi plus nombreuse, plus genéralement répan-— due, et il ya peu de jardins qui n'en soient infestés., Ils .se nichent dans les trous, des murailles ; ils courent sur les arbres en espa- lier, choisissent les meilleurs fruits , et: les entament tous dans le temps qu'ils com- en nn : ils semblent aimer les . Fe. nom vient Forbes de loirot, petit loir. Le lérot est en effei plus petit que le loir. On appelle aussi le lérot rat blanc; et comme ül est plus commun que le loir, et que le nom de or est plus connu que celui de Zérot, on donne sou- vent le noni de /o;r au lérot. En Bourgogne , on appelle le lérot vo/siez ou vonsteu ; en latin, sorez Plini:, selon Gesrer; en Mr à haselmuss ; en anglois, {he greaier dormouse, or sleeper, selon Ray. Tom 2, . PL&88, Pag 16, LE LOIR. LE LEROT. [Duguèt.P DANS A 4 jé LEE NS .® HISTOIRE NATURELLE: 319 pêches de préférence ; ; et si l’on veut en con- server, il faut avoir grand soin de détruire les Jérots. Ils grimpent aussi sur les poiriers; les abricotiers, les pruniers; et si les fruits doux leur manquent, ils mangent des aman- des, des noisettes, des noix, et méme des graines légumineuses : ils en transportent en srande quantité dans leurs retraites, qu'ils pratiquent en terre, sur-tout dans les jar- dins soignés, car dans les anciens vergers on les trouve souvent dans de vieux arbres creux ; ils se font un lit d'herbes, de mousse et de feuilles. Le froid les engour- dit, et la chaleur les ranime. On en trouve quelquefois huit ou dix dans le même lieu, tous engourdis , tous resserrés en boule au milieu de leurs provisions de noix et de noisettes. Ils s’accouplent au printemps, produisent en été, et font cinq ou six petits qui crois- sent promptement, mais qui cependant ne produisent eux-mêmes que dans l’année suivante. Leur chair n'est pas mangeable comme celle du loir; ils ont même la mau- vaise odeur du rat domestique, au lieu que le Loir ne sent rien; ils ne deviennent pas. 320 HISTOIRE NATURELLE. aussi gras, et manquent des feuillets grais= seux qui se trouvent dans le loir, et qui en. veloppent la masse entière‘ des intestins. On trouve‘des lérots däns tous les élimats tem- pérés de l’Europe, et même en Pologne, en Prusse ; mais il ne paroît pas qu'il y en ait en Suède, ni dans les pays septéntrionaux. | Tom 2, : MU SCARDIN. J JoguerS 4 LE MUSCARDIN *. |: } L5 muscardin est le moins laid de ‘tous les rats ; il a les yeux brillans, la queue touffue et le poil d’une couleur distinguée; il est plus blond que roux : il n’habite jamais dans les maisons, rarement dans les jardins , et se trouve, comme le loir, plus souvent dans les bois , où il se retire dans les vieux arbres creux. L'espèce n’en est pas, à beaucoup près , aussi nombreuse que celle du lérot; on trouve le muscardin presque toujours seul dans son trou, et nous avons eu beaucoup de peine à nous en procurer quelques uns : cependant il DARoTte qu'il est assez commun en Italie: que même il se trouvé dans les cl. mats du Nord: puisque M. Linnæus l’a com- pris dans la liste qu’il a donnée des animaux de Suède : et en même temps il semble qu’il nese trouve point en Angleterre ; car M. Ray, * Muscardin , de son nom en italien moscardino;: on l'appelle aussi ratdor ou ratdort en Bourgogne ; : ‘en anglois, dormouse, or sleepere din: RARE UN UE 322 HISTOIRE NATURELLE qui l’avoit vu en Italie, dit que le petit raË dormeur qui se trouve en Angleterre, n'est pas roux sur le dos comme celui d'Italie, et qu’il pourrbit bien être d’une autre espèce. En France il est le même qu’en Italie; et nous avons trouvé qu'Aldrovande l’avoit bien indique : mais cet auteur ajoute qu’il y en a deux espèces en Italie, l’une rare dont l’ani- mal a l'odeur du musc , l’autre plus com- mune dont l’animal n’a point d’odeur; et qu à Bologne on les appelle tous deux zzus- cardins, à cause de leur ressemblance tant par la figure que par la grosseur. Nous ne connoissons que l’une de ces espèces, et c’est la seconde ; car notre muscardin n’a point d’odeur, ni bonne, ni mauvaise. Il manque, comme le lérot, des feuillets graisseux qui enveloppent les intestins dans le loir : aussi ne devient-il pas si gras; et quoiqu'il n’ait point de mauvaise odeur, il n’est pas bon à manger. Le muscardin s’engourdit par le froid, et. se met en boule comme le loir et le lérot:; 1l se ranime, comme eux, dans les temps doux, et fait aussi provision de noisettes et d’autres fruits secs. IL fait son nid sur les À } ‘DU MUSCARDIN. 323 arbres, comme l’écureuil; mais il le place ordinairement plus bas, entre les branches d’un noisetier, dans un buisson, etc. Le nid est fait d'herbes entrelacées; il a environ six pouces de diamètre, et n’est ouvert que par le haut. Bien des gens de la campagne m'ont assuré qu’ils avoient trouvé de ces nids dans des bois taillis, dans des haies, qu’ils sont environnes de feuilles et de mousse, et que dans chaque nid il y avoit trois ou quatre petits. [ls abandonnent le nid dès qu’ils sont grands, et cherchent à se gitèr dans le creux ou sous le tronc des vieux arbres; el c’est là qu’ils reposent, qu’ils font leur provision. et qu'ils s’engourdissent. Fin du tome second. \ 5 & # p Li M 4 "AT a HU, N " st) à a: ÿ < 4 | * a? 5 £ ï É L/ r : 1 : L ; 2 AR e £ dt 1 , $ à Le » } x 4 ï roi $ Y ÿ : LS ax Des articlés contenus dans ce volume. < i# PAR 11 Less ANIMAUX SAU- VAGES, page I. Le cerf,12 Le daim , 6r. Le chevreuil , so. Le lièvre, 80. Le lapin, 112. LES ANIMAUX CAR- NASSIERS, 129; Le loup \ 172 Du loup noir, 190. Le renard, 192. Le blaireau, 205. La loutre , 213. La fouime, 219; La iwarte, 225. Le putois, 229. Le furct, 233. La belette, 240. L'hermine, ou le rose- let, 245. L’é M de 248. Le rat264 7 La souris, 26r. Le mulot, 264. Le rat d’eau, 272. Le campagnol, 275. Le cochon d’Inde, 278; Le hérisson, 282. La musaraigne, 287. La musaraigne d'eau, 290. _— La taupe, 297. La chauve-souris, 298. . Le loir, 308. Le lérot, 318. Le muscardin, 32r. DE L'IMPRIMERIE DE PLASSAN. 28h (EAN ÿ le { ’ 1 ñ LATINE AA | RANCE We À ‘ hey et 1H N