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HISTOIRE
DE
LA PRESSE
EN FRANCE
Typ de Poulet Mtlas^e et De Moite
HISTOIRE
POLITIQUE ET LITTÉRAIRE
LA PRESSE
EN FRANCE
AVEC URB INTRODUCTION RISTORIQUE SUR LES
ORIGINES DU JOURNAL
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE DBS JOURNAUX isnns uiB otieiNR
EUGÈNE HATIN
TOUS PnBlllEn
PARIS P0TILBT-HAUS8I8 KT DE BROISE
tlBRAIBBB-ÉDITBURB
1869
TndnclioD et rspraduction réteryéta-
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PREFACE
11 n'est pas besoin d'insister sur l'intérêt que peut offrir une histoire de la presse périodique, encore moins sur son utilité. Nous ne possédons, touchant ce sujet, que des données incomplètes, et pourtant, s'il en est un qui soit à la fois curieux et instructif, c'est bien celui-là. Interprète fidèle des temps qu*il a traversés^ le journal en reproduit la physionomie exacte ; il est pour le moral des peuples ce que l'invention de Daguerre est pour les formes matérielles, et, bien que l'existence de cette incar- nation de l'esprit moderne remonte à peine à deux siècles, il y a plus à gagner pour le penseur à la suivre dans sa marche progressive, dans ses luttes et dans ses transformations, qu'à pâlir sur les annales de certains grands empires.
L'opportunité d'une pareille publication n'est pas moins évidente. Peut-être, cependant, se rencon- trera-t*il quelques personnes disposées à la con-
VI PRÉFACE
tester. La presse se meurt, la presse est morte, entend-on répéter tous les jours et de tous les côtés. S'il en était ainsi , ce nous serait un argu- ment de plus en faveur de notre projet ; mais nous sommes loin de voir les choses aussi en noir : pour nous, la liberté de la presse est la plus vivace, la plus imprescriptible de nos libertés, comme elle en est le fondement inébranlable , et , en quelque sorte, Tâme et la vie : elle peut sommeiller; elle ne jurait périr.
Ce qui est vrai, c'est que la presse est aujour- d'hui dans un de ces moments de torpeur qui, par une loi que l'on retrouve partout dans la nature, succèdent toujours aux grandes agitations. J'ai pensé que c'était précisément dans un pareil mo- ment j alors que les passions qui s'agitent trop sou- vent autour d'elle faisaient silence, qu'il était plus opportun d'en écrire les annales, et, par l'ensei- gnement qui en découle , de rassurer et les amis et les ennemis de cette institution, si diversement jugée, qui, si elle est pour les uns l'objet de trop vives aspirations/ est pour les autres l'objet de terreurs irréfléchies.
Les difficultés d'une œuvre si vaste ne m'ont point échappé, et je ne me suis pas un instant dis- simulé mon insuffisance. Aussi n'est-ce qu'après de bien longues hésitations que je me suis décidé à
PUÉFÀCE ni
aborder cette wtreprise, et pour obéir, en quelque sorte, aux conseils, je dirais presque aux sollicita- tions de personnes dont, pour moi, Tautorité égale la bienveillance.
L'hi&toire du journalisme a été, depuis de longues années, l'objet de mes plus constantes préoccupa-- tions, le but principal de mes travaux. Dès 1846, j'ai pid)lié, sous le titre d'Histoire du Journal en France^ un petit volume destiné, dans ma pensée, à jeter un peu de jour sur l'origine de la presse pé- riodique et à appeler l'attention sur ce sujet, d'un intérêt si puissant et si varié. En 1 853, l'intelligent éditeur de la Bibliothèque Ëlzevirienne, M. P. Jan- net, donna de cet ouvrage une seconde édition, entièrement refondue et plus que doublée, à laquelle > on a bien voulu accorder quelques éloges et faire dé nombreux emprunts.
Cei)endant, conçue dans des conditions toutes spéciales, cette monographie était nécessairement écourtée, incomplète, insuffisante. Depuis lors, on n'a cessé de me répéter que je devrais compléter ce travail, le reprendre sur une plus vaste échelle, qu'il n'y avait rien sur la matière ; que sais-je, enfin ? que je pourrais faire une œuvre utile : si bien que je me suis laissé déterminer par ces en- couragements, comptant d'ailleurs sur l'assistance de tous ceux qui. savent et qui s'intéressent à la cause de c6 merveilleux instrument que l'on nomme
Y10 PR&PACB
journal, e'est-à-dire à la cause de la liberté et de la civilisation.
Si je n'ai pu donner à mon sujet le relief qu'il aurait acquis sous là plume d'un homme politique, j'ai fait, par compensation, les plus patients ef- forts pour qu'il laissât le m<^ns possible à désirer sous le rapport historique, le plus important à mon point de vue. G'es^àoela surtout que j'ai visé. Ce que j'ai voulu faire, ce n'est point une ceuvre spé^ culative, j'irais presque jusqu'à dire que ce n'est point une ceuvre politique : c'est un livre histo-^ rique.. Je me suis étudié à rassembler tous les faits touchant à la presse, à les contrôler, à les coor- donner, à montrer comment est né et a grandi le journal , par quelles phases successives et si di- verses il a passé depuis deux siècles. C'est, en un mot, l'histoire de l'instrument plutôt encore que celle de ses effets que je me suis proposé d'écrire ; et cette histoire, je l'ai demandée aux journaux eux- mêmes, je les ai laissés parler autant que possible. C'est, enfin, comme une sorte d'autobiographie des journaux que j'<^re au public. Si cette méthode était mieux appropriée à mes forces, elle m'a paru, d'un autre côté, conduire plus directement et plus sûrement au double but que j'envisageais : prépa-* rer les voies aux travailleurs, et, en même temps, satisfaire la légitime curiosité qui doit s'attacher à
uneinstitutioii dont le rôle a été si grand dans notre histoire, ou tout simplement aux aventures d'un ami de la maison, d'un hôte de notre foyer.
Ici, d'ailleurs, les faits parlent d'eux-mêmes, et la morale de la confabulation, si je puis ainsi m'ex- primer, saute aux yeux. Il ressort à l'évidence de diaque page de ces annales du journalisme que la liberté absolue, illimitée, de là presse, est impos* sible ehez nous; qu'elle est incompatible, ou, si l'on aime mieux, qu'elle n'est pas encore compatible avec nos mœurs ; mais il n'en ressort pas moins évidemment que la liberté de la presse est, nous le répétons, la plus imprescriptible de nos libertés; qu'il y aurait folie à vouloir l'étouffer, ainsi que l'avouait, au jour de l'adversité, un homme dont le témoignage ne saurait être récusé, Napoléon.
Telle est ma conviction bien profonde, et je crois que le jour où cette conviction serait partagée dans le camp de l'autorité et dans celui de la liberté, un grand pas serait fait vers l'apaisement des passions, vers cette paix intérieure si désirable pour le bon- heur de la France.
Un coup d'œil rapide sur la marche qu'a suivie le journal depuis sa naissance fera connaître Té- tendue, l'ordre et la division de ce travail.
Le journal a eu, dans les gazettes manuscrites et nouvelles à la main, dans les placards et les libelles
X PRÉFÂGB
même, des antécédents auxquels nous avons cru devoir consacrer quelques page». Poussant plus loin encore, pour ne rien omettre de ce qui a été dit sur cette matière, nous sommes allé, sur les pas d'un académicien aussi ingénieux que savant, en cher* cher les traces jusque dans la Rome ancienne.
Il est évident, néanmoins, que le journal n'a pu précéder l'imprimerie, et même ce n'est guère que deux siècles après la découverte de Guttemberg que l'on trouve les premiers essais de feuilles pé- riodiques.
Ces premiers essais se produisirent simultané- ment, au commencement du xvii* siècle, sur diffé- rents points de l'Europe; mais c'est àla France que revient l'honneur d'avoir créé le premier journal véritablement digne de ce nom, la Gazette^ dont la publication remonte aux premiers mois de .1 631 . Nous insisterons sur l'histoire de cette feuille et sur celle de son fondateur, parce qu'un grand attrait m'a semblé s'y . attacher, et aussi parce que, dans ce mouvement de retour vers le passé qui caracté— rise notre époque, on est souvent amené à en par- ler, et qu'on ne le fait pas toujours avec justesse, ni avec équité, pourrais~je ajouter. Renaudot était un homme éminemment remarquable pour son temps, auquel on n'a pas rendu la justice qu'il méritait : sa vie si remplie et si agitée, ses inna-
PRÉFACE XI
centes inventions j ses demies avec la faculté de médecine, sa lutte contre les frondeurs, sont pleins d'un véritable intérêt.
Richelieu, qui avait bien vite compris l'impor- tance d'un oi^ane dont il disposerait au gré de sa politique, avait accordé à Renaudot un privilège très-étendu qui lui donnait le monopole des gazettes et de toutes les publications ayant un caractère po- litique. Ce privilège faillit périr dans la gabarre de 1649, et Renaudot ne le sauva qu'à force d'ha- bileté. Un instant, en effet, on aurait pu croire que le journalisme sortirait vainqueur de cette guerre où coulèrent tant de flots d'encre ; mais tout s'en alla en fumée. Cependant, si la Fronde ne produisit pas de véritables journaux, elle nous en a donné amplement la monnaie dans ces milliers de satires, de libelles, d'écrits de toute nature, qu'on a baptisés du nom de MuzarinadeSj et qui tiennent trop inti- mement à notre sujet pour que nous ne leur consa- crions pas un chapitre.
De la multitude des publications de la Fronde, il resta les Gazettes en vers j dans lesquelles nous verrons l'origine de ces chroniques dont on a, de- puis lors, tant usé et abusé, et même, en y regar- dant d un peu plus près, celle du feuilleton-roman, que l'on ne croirait pas aussi ancien. Ces gazettes vécurent une vingtaine d'années, grâce surtout à la verve infatigable de leur créateur, J. Loret. Elles
xu PRÉFACE
furent remplacées en 1 672 par le Mercure galcmt, le prototype des petits journaux.
On fait généralement assez peu de cas du Mer-^ cure j nous croyons cependant qu'il vaut mieux que sa réputation, et il serait difficile de méconnaître le grand rôle qu'il a joué dans l'histoire littéraire du xviii^ siècle. Quoi qu'il en soit, en mêlant les vers à la prose, en alliant la politique à la littéra* ture , ou , si l'on veut , l'histoire à la fantaisie , il constitua, entre le journal politique et le journal littéraire, un genre mixte, dont le m(Hiopole lui fut concédé.
Le journal littéraire existait depuis quelques an- nées déjà quand de Visé fonda le Mercure, et la France encore avait eu l'honneur de précéder les autres nations dans cette voie nouyelle. En 1665, un conseiller au Parlement, Denis Sallo, homme aussi judicieux qu'érudit, avait imaginé de faire pour la république des lettres ce que Renaudot avait fait pour la politique : il avait créé le Journal des Savants. L'idée parut si heureuse et si simple à la fois, qu'elle eut immédiatement des imitateurs en Angleterre, en Italie, en Allemagne. Cependant l'exécution rencontra, en France, des difficultés que l'on ne soupçonnerait pas. Heureusement Col- bert fit pour le Journal des Savant&ce que Richelieu avait fait pour la Gazette : il le plaça sous la pro- tection du gouvernement. Grâce à ce généreux pro-
PRÊFACB XIII
•
tectorat, le grave recueil, qui est un de nos monu- ments littéraires les plus honorables, put surmonter tous les obstacles, et il a partagé avec la feuille de Renaudot le singulier privilège de traverser toutes les révolutions et de prolonger son existence jusqu'à nos jours.
Ainsi, trois privilèges, qui constituaient alors de véritables monopoles, défendaient les approches de la presse périodique : la Gazette avait le monopole de la presse politique, le Journal des Savants celui de la presse littéraire, le Mercure celui de la petite presse, de la presse légère, semi-littémire , sèmi* politique.
Le domaine de la Gazette fut longtemps respecté : la politique, alors, c'était l'arche sainte, à laquelle il était défendu de toucher sous peine de mort.
On pouvait, sans inconvénient, laisser un champ plus libre à la presse littéraire. Cependant, les pre- miers qui voulurent marcher sur les pas du Journal des Savants^ l'imiter, le compléter, le perfectionner, car c'était leur prétention à tous, durent recourir aux presses étrangères. Mais on comprit bientôt que la rigueur sur ce point était au moins inutile ; on capitula, et, moyennant un tribut payé au su- zerain des recueils littéraires, le premier venu à peu près obtint la permission d'avoir son petit journal. Le mouvement , d'abord assez lent , se précipita
XIV PRËFAGE
ensuite, et il se produisit, au milieu duxviii* siècle^ un spectacle qui s'est, depuis, plus d'une fois re- nouvelé : tt Les journaux de toute espèce devinrent la grande ressource de toute la petite littérature, parce que c'est tout ce qu'il y a de plus aisé à faire (1). » Les chroniqueurs du temps ne cessent de fulminer contre ce débordement.
Le Mercure^ sur le domaine duquel cette bande d'affamés empiétait beaucoup plus que sur celui du Journal des Savants^ poussa les hauts cris, fati- guant de ses plaintes et la ville et la cour, et les tribunaux et le conseil. Mais il eut beau dire et beau faire : la digue était rompue ; il lui fallut vivre côte à côte avec cette multitude d'intrus qui réclamaient leur place au soleil, et dont quelques-uns' lui fai- saient particulièremirat ombrage; les Petites- Affiches^ par exemple, une feuille, ou plutôt deux fetdlles avec une seule tête,^qui jouèrent dans la littérature, > pendant la dernière moitié du xyui® siècle, un rôle qu'on ne devinerait pas sur leur titre, et le Journal de Paris j le premier de nos journaux quotidiens. Le tourbillon des idées, qui entraînait bon gré mal gré le gouvernement sur la pente de la révolu- tion, amena bientôt d'autres concessions impor- tantes. Les gazettes étrangères furent admises en France, et l'on recherchait avec avidité celles qui étaient écrites dans notre langue. Ce que voyant,
(I) La Harpe, Correspond, littér., 1. 1, p. 363.
PRÉFACE XT
certains aventuriers littéraires allèrent fonder à l'é- tranger des feuilles destinées à la France, et dont ils obtenaient facilement l'introduction moyennant une contribution annuelle plus ou moins élevée : il s'établit ainsi sur nos frontières de véritables fa- briques de journaux littéraires et politiques. Le gou* vernement finit même par pousser la condescen^- dance jusqu'à permettre à quelques-uns de s'im- primer à Paris, mais cependant — pour sauver le principe — sous la rubrique d'une ville étrangère. La première feuille qui obtint cette faveur fut le Journal de Verdun^ feuille justement estimée, qui introduisit dans la presse périodique, en 1704, un genre nouveau, qu'on pourrait appeler le genre historique.
Mais tous ces journaux étaient , comme on le pense bien, obligés à la plus grande circonspection; le moindre écart les faisait arrêter. Leur rôle d'ail- leurs se bornait à celui de simples rapporteurs ; toute espèce de polémique, de discussion, leur était interdite. Ce n'est donc pas là qu'il faut chercher le mouvement des esprits, mais bien dans la presse littéraire.
Durant la première péi'iode de leur existence, les journaux littéraires ne furent guère autre chose que des bulletins bibliographiques, se bor- nant à enregistrer, à analyser les publications nou-
ivi PRÉFACE
Telles, sans presque oser se permettre la moindre réflexion. Ce n'est qu'au milieu du xTin* siècle, avec Desfontaines et Fréron, que naquit la critique, nous pourrions presque dire le journalisme.
On sait quelles entreprises la presse a pu de tout temps oser sous le pavillon littéraire ; à l'époque dont nous parlons, on connaissait déjà cette ruse de guerre. D'ailleurs, tandis que les gazettes poli- tiques étaient si étroitement muselées, les journaux littéraires jouissaient de la plus grande liberté ; à part les représentants du pouvoir et leurs actes immédiats, tout leur était abondonné, tout leur était permis , les matières politiques ou d'écono- mie sociale comme les matières religieuses. Il nous suffira de rappeler F Armée littéraire et sa longue lutte contre V Encyclopédie . Et si l'on veut un autre exemple, quand Linguet descendit dans l'arène du journalisme, il abandonna à un faiseur de gazettes la partie politique de son journal, et se réserva la partie littéraire : c'est embusqué derrière un vo- lume quelconque, qu'il décochait contre les ency- clopédistes et les économistes, contre l'académie et le barreau, un peu enfin contre tout le monde et toutes choses, ces traits acérés qui firent tant crier.
On pourra s'étonner de cette tolérance, qui n'était pourtant pas sans intermittences. Mais le gouver-
PRÈFÂGB l.vn
nement était un peu dans la position d'un homme qui se noie. Il avait bien compris le danger dont l'œuvre encyclopédique menaçait les institutions sur lesquelles il reposait, il avait voulu Tétouffer dans son germe : la force lui avait manqué, et il avait à peu près laissé faire ; mais, se sentant en- traîné par le torrent, il s'accrochait à toutes les branches ; il acceptait comme auxiliaires, sans trop aller au fond de leur moralité, tous ceux qui se posaient en champions du trône et de l'autel, comme on disait dès lors ; il tolérait, il encourageait les journaux qui réagissaient contre le parti philo* sophique, s'aveuglant sur les périls que cette lutte portait en elle-même. Il croyait avoir tout sauvé en mettant les personnes hors de la discussion, et encore n'y réussit^il pas : la critique, . bannie des journaux autorisés, se réfugia dans les journaux clandestins, qui déjouaient avec une audace vrai- ment inouie toutes les poursuites de la police ; elle se fit satire, épigramme, chanson; elle revêtit toutes les formes enfin, et l'on vit, sous ce rapport, comme une nouvelle Fronde, mais infiniment plus spiri- tuelle, et aussi, dison&-le, plus libertine.
Ce simple exposé suffira pour donner une idée de ce que fut la presse avant la Révolution, et, peut- être, une idée plus avantageuse que celle que l'on
XVIII PRÉFACE
parait s*en faire généralement ; la. presse littéraire surtout eut une réelle et grande importance.
« On ne s'imagine pas, dit un écrivain dont il ne m'appartient pas de faire Téloge (1 ), si Ton n'y a sondé directement, par places, l'immensité et la multiplicité de ce que l'histoire des journaux, avant la Révolution, aurait à embrasser dans l'intervalle de cent vingt-quatre ans, depuis 1665, date de La fondation du Journal des Savants^ jusqu'en 89. L'u- tilité et le jour qui en rejailliraient pour l'appré- ciation~ littéraire des époques qui semblent épui- sées ne paraissent point avoir été assez sentis. Dans l'histoire qu'on a tracée jusqu'à présent de la litté- rature des deux derniers siècles, on ne s'est pris qu'à des œuvres éminentes, à des monuments en vue, à de plus ou moins grands noms : les inter- valles de ces noms, on les a comblés avec des aper- çus rapides, spirituels, mais vagues et souvent inexacts. On a trop fait, avec ces deux siècles, comme le touriste de qualité qui, dans un voyage en Suisse, va droit au A{ont-Blanc, puis dans l'Q- berland, puis au Righi, et qui ne décrit et ne veut connaître le pays que par ces glorieux sommets. Le plain-pied moyen des intervalles n'a pas été exac- tement relevé, et on ne l'atteint ici que par cette immense et variée surface que présente la littéra- ture des journaux.
(I) M. Sainte-BeaTO, Portraitê contemporahu, t. II, p. 9M
PRÉFACE XIX
» Il y a en ce sens une carte du pa} s à faire, qui, à Tezemple de ces bonnes cartes géographiques, marquerait la hauteur relative et le degré de relève- ment des monts, par rapport à ce terrain intermé- diaire et continu. Jusqu'ici encore, on a, par-ci par-là, rencontré et coupé des veines au passage ; il y a à suivre ces veines elles-mêmes dans leur longueur, et bien des rapports constitutifs et des lois de formation ne s'aperçoivent qu'ainsi. Ce sont des enfilades de galeries qu'on ne se figure que si Ton y a pénétré. On aurait beau dire d'un ton léger : « Que voulez-vous tant fouiller, et pourquoi s'embarrasser de la sorte ? Ces morts sont morts et ont bien mérité de mourir; qu'ils dorment à jamais en leurs corridors noirs. Cette littérature oubliée était juste à terre de son vivant; elle est aujourd'hui sous terre, elle n'a fait que descendre d'un étage. Allez aux grands noms, aux pics éclatants ; laissez ces bas-fonds et ces marnières. » Mais il ne s'agi- rait pas ici de réhabiliter des noms : les noms en ce genre sont peu, les hommes y sont médiocrement intéressants d'ordinaire, et même les personnes mo- rales s'y trouvent le plus souvent gâtées et assez viles ; il s'agirait de relever des idées et de prendre les justes mesures des choses autour des œuvres qu'on admire. Qand on a vécu très au centre et au foyer de la littérature de son temps, on comprend combien en ce genre d'histoire aussi (quoiqu'il
u PRÉFACE
semble que là du moins les œuvres restent) , la me- sure qui ne se prend que du dehors est inexacte, et, jusqu'à un certain point, mensongère et convenue; combien on surfait d'un côté en supprimant de Vautre, et combien de loin Ton a vite dérangé les vraies proportions dans l'estime . * » Eh bien I au dix-huitième siècle, c'était déjà ainsi ; tout ce qu'on trouve de bonne heure dans les journaux d'alors est une source fréi[uente d'agréable surprise. Le Mercure^ le plus connu, n'en représente guère que la partie la plus fade et la moins origi- nale (1). Quand on aura parcouni la longue série qui va de Desfontaines, par Fréron, à Geoffroy, on saura sur toute la littérature voltairienne et philo- sophique un complet revers qu'on ne devine pas, à moins d'en traverser l'étendue. Quand ou aura feuil- leté le Pour et Contre de l'abbé Prévost, et plus tard les journaux de Suard et de l'abbé Arnaud, on en tirera, sur l'introduction des littératures étrangère^ en France, sur l'influence croissante de la littéra- ture anglaise particulièrement, des notions bien précises et graduées, que Voltaire, certes, résume avec éclat, mais qu'il faut chercher ailleurs dans leur difiEùsion. Si les Nouvelles ecclésiastiques (jan- sénistes), qui commencent à l'année 1728 et qui n'expirent qu'après 1800, ne donnent que la triste
(1) U ftiut excepter pourtant la suite très-sërieuse et très-savante qu'ofiFrit le Mercun sous La Roque, directeur. Les rédacteurs ordinaireB étaleot l'abbé Lebeof, Dreux du Kadier, Dom Toussaint Duplessis, etc.
PRÊPÂCB X3U
histoire d'une opinion , ou plutôt, à cette époque^ d'une maladie opiniâtre , étroite , fanatique , et comme dun nerf convulsif de l'esprit humain, lea Mémoires de Trévouœ^ dans les portions qui confi- nent le plus au dix-septième siècle, offrent un fonds mélangé d'instruction et dégoût, le vrai monuxn^it de la littérature des jésuites en français, et qui, ainsi qu'il sied à ce corps obéissant et dévoué à un seul esprit, n'a porté à la renommée le nom singu- lier d'aucun membre (1).
»I1 serait fastidieux d'énumérer, et moi-même je n'ai jamais traversé ces pays qu'en courant ; mai» un jour il m'est arrivé, aux champs, dans la biblio*^ thèque d'un agréable manoir, de rencontrer et de pouvoir dépouiller, à loisir, plusieurs années de cette considérable et excellente collection intitulé VEsprit des Joumanœ^ laquelle, commencée à Liège en 1772, s'est poursuivie jusque vers 4813. Je ne revenais pas de tout ce que j'y surprenais, à chaque pas, d'intéressant, d'imprévu, de neuf et de vieux à la fois, d'inventé par nous-mêmes hier. Cet Esprit des JaumoMœ était une espèce de jour* nal (disons-le sans injure) voleur et compilateur, qui prenait leurs bons articles aux divers journaux français, qui en traduisait à son tour des journaux anglais et allemands, et qui en donnait aussi quel»
(I) Je sois tenté Tapement de citer le nom de Toornemioe comme se ratta- cheat le plus en t6te à la rédaction des Mémoires de Trévoux: Touroemine art-il ol»tena oa gurdé quelque chose qui ressemble à la gloire f
un PRËPàCB
ques-uns de son cru, de sa rédaction propre. Voilà un assez bel idéal de plan, ce semble. V Esprit des Joumauœ le remplissait très-bien. Que n'y ai-je pas retrouvé, dans le petit nombre d'années que j'en ai parcourues ! Nous allons oubliant et refaisant inces- samment les mêmes choses. Cette toile de Pénélope, dans la science et la philosophie, amuse les amants de l'humanité, qui s'imaginent toujours que le so- leil ne s'est jamais levé si beau que ce matin-là, et que ce sera pour ce soir à coup sûr le triomphe de leur rêve. Savez-vous qu'on était fort en train de connaître T Allemagne en France avant 89? Bon- neville et d'autres nous en traduisaient le théâ- tre ; cette Hrosvitha, si à propos ressuscitée par M. Magnin , était nommée et mentionnée déjà en plus d'un endroit. Sans l'interruption de 89, on allait graduellement tout embrasser de rAUemagne, depuis Hrosvitha jusqu'à Goethe. Les poésies an- glaises nous arrivaient en droite ligne ; les premiers poëmes de Crabbe étaient à l'instant analysés, tra- duits. Savoir en détail ces petits faits, cela donne un corps vraiment à bien des tolères de La Harpe, aux épigrammes de Fontanes. V Allemagne de ma- dame de Staël n'en est pas moins un brillant as- saut, pour avoir été précédée, avant 89, de toutes ces fascines jetées dans le fossé. Mon Esprit des Jmimauœ me rendait sur Buffon(l) des dépositions
(I) Juin et juillet 1788.
PRÉFACE xxin
originales qui ajouteraient un ou deui traits, je pense, aux complètes leçons de M. Yillemain. Dans une préface de Mélanges tirés de rallemand, Bon- neville (et qui s'aviserait d'aller lire Bonneville si on ne le rencontrait là ?) introduisait dès lors cette manière de crier tout haut famine, et de se poser en mendiant glorieux, rôle que je n'aurais cru que du jour même chez nos grands auteurs. Jusqu'à plus ample recherche, c'est Bonneville qui a droit à l'invention. Mais on était encore en ces années dans l'âge d'or de la maladie, et un honnête homme, Sabatier de Gavaillon, répondant d'avance au vœu de Bonneville, adressait en avril 1786, comme conseils au gouvernement, des observations très -sérieuses sur la nécessité de créer des étions du mérite (1). « Epier le mérite, le chercher dans la solitude où il médite, percer le voile de la modestie dont il se couvre, et le forcer de se placer dans le rang où il pourrait servir les hommes, serait, à mon avis, un emploi utile à la patrie et digne des meilleurs citoyens. Ce serait une branche de police
qui produirait des fruits innombrables » Voilà
l'idée première et toute grossière, medisais-je; celle de se dénoncer soi-même et de s'octroyer le bâton n'est venue qu'après (2). »
(I) Btprit de* Journaux, arrll 1786 (extrait du Journal encyclopédique).
fl) On se rappelle pent-étre qoe Balzac s'aTîsa, un bean matin, de faire en i (^ntnre ane promotion de maréchaux de France. Dans mie lettre publiée par ia Presse et le Siècle, les 18 et 19 août 4829 , l'auteur de la Physiologie du mariage
uuv PRÉFACB
Je n'ajouterai rien à cette appréciation du maître, ainon que je m'estimerais heureux — qu'il me par- donne cette ambition — si, par les soins que j'ai donnés à cette partie de mon travail, sur laquelle se sont plus particulièrement portés mes efforta, j'étais parvenu à en fournir comme la démonstra-* tion et la preuve.
En 1789, une ère nouvelle s'ouvrît pour le jour* . nalisme. La presse politique, si longtemps compri- mée, fit explosion comme un feu sout^rain qui a rompu ses digues. Rien de plus impétueux, de plus éclatant, que cette éruption de la liberté ; malheureusement elle dégénéra bientôt en une licence effrénée, et il n'est pas besoin de rappeler jusqu'à quel point certains énergumènes poussè- rent la violence. Qui ne sait d'ailleurs comment on entendait la liberté dans cette lutte à mort des partis en démence, où le vaincu de la veille était le vainqueur du lendemain, et poussait à son tour le terrible Vœ victis ! Vous étiez libre à la condition de servir la cause, de flatter les passions des domi- nateurs du jour ; autrement vous étiez un empoi- sonneur de l'opinion publique, vous voyiez vos
et des Contes drolatiques n'allait à rien moina qo'à propoeer au gouTérnement d'acheter lea œavroa dea dix ou douse maréchoÊUf de France, deutrèr^re des éerivaina qm offraient à ^exploitation un» certaine surfaœ commerciale^ à commencer par cellea de l'auteur lui<-roéme, qui s'évaluait modeatement à dem: * millioDg.
PRÉFACE xxf
presses saisies au profit des imprimeurs patriotes, trop heureux enèore si vous sauviez votre tète.
Quelle mine précieuse, cependant, pour le philo- sophe et pour l'historien, que les sept à huit eents journaux que virent éclore ces années de fiévreuse ébullition 1 Mais il a été bien difficile jusqu'ici, je ne dirai pas d'en sonder les innombrables re{dis, mais même d'y pénétrer : j'ai essayé de mettre dans la main des curieux le fil qui pourra les diriger dans ce dédale.
Le mêoûie embarras n'existe plus quand il s'agit des journaux du Consulat et de l'Empire. Le rôle de la presse durant cette période est réduit à la plus simple expression. Napoléon, qui était homme pourtant à comprendre tout ce qu'une grande épo* que littéraire ajoute à la gloire d'un règne, n'ad- mettait à aucun degré l'indépendance de la pensée, et ne pouvait souffrir ni la discussion ni la contra- diction. Ce n'est qu'au jour de l'adversité, alors qu'il n'était plus temps, qu'il se résignait à faire quel- ques concessions à l'opinion publique. C'est pour- tant sous ce régime que naquit le Journal des Débats^ dont l'histoire résume à peu près toute celle du joumaUsme à cette époque ; c'est au milieu de ces circonstances difficiles que grandit cette feuille cé- lèbre, gfàoe à un biais heureux que surent prendre ses habiles et parudents fondateurs. La politique leur
T. I. **
XXVI PRÉFACE
étant interdite, et un journal, dans leur pensée, n'étant possible qu'à la condition de pouvoir parler librement de quelque chose, ils se niirent à parler de la seule chose dont on pût parler encore, ils parlèrent de la littérature et du théâtre^ et sous ce couvert ils donnèrent aux idées proscrites un asile transparent, mais qui fut respecté : le feuilleton triomphades susceptibilités ombrageuses du mai* tr^e ; les plus hautes questions politiques s'agitèrent impunément dans ses colonnes retentissantes, et^tel était le besoin de s'entendre, même à demi-mot, dans ce grand silence, que le succès d'un journal qui parlait pourtant plus souvent de prose et de vers que de gouvernement et de batailles, plus sou- vent de Racine et de Boileau que de Napoléon et de l'empereur Alexandre, atteignit des proportions jusque-là inconnues.
La Restauration, pour se faire accepter, dut se résigner à de nombreuses concessions ; une assez grande liberté fut d'abord accordée à la presse. Mais, chose étrange 1 la Cliarte donnait le gouver- nement constitutionnel, c'est-à-dire la liberté de discussion, et en même temps les hommes de cette charte reprenaient un à un tous les principes de 89, contestaient toutes les nouvelles idées de la société moderne, et voulaient à toute force ramener le pays en arrière. De là une lutte dans laquelle lejouma-
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lisme s'éleva à une hauteur qu'il n'avait pas encore atteinte et qu'il n'a pas dépassée depuis, lutte qui aboutit aux fatales ordonnances et aux journées victorieuses de juillet 1 S30.
L'affranchissement de la presse était une des premières nécessités de la monarchie nouvelle, is- sue d'une révolution faite au nom de la liberté de penser et d'écrire. On se rappelle comment une cer- taine presse usa de la liberté qui lui était rendue, avec quelle ardeur ces enfants terribles du jour- nalisme se mirent, dès le lendemain de la victoire, à démolir le nouveau gouvernement, qui fut enfin contraint par des attentats périodiques à chercher dans des lois plus énergiquement répressives son salut et celui de la société .
L'histoire de la presse sous le règne de Louis- Philippe se divise en deux périodes bien distinctes : la première appartient à l'idée, la seconde aux in- térêts matériels. La Révolution de 1830 s'était accomplie après une lutte prolongée, régulière, d'i- dées et de convictions qui semblaient ardentes et profondes. La solution mixte improvisée à cette ré-r volution pouvait déplaire à une portion notable des esprits et des cœurs; on pouvait désirer, concevoir du moins, une autre issue, un autre cours donné aux choses; mais tous, et ceux même qui se pro- nonçaient pour la solution mixte, étaient persuadés qu'il allait y avoir, pour bien des années, dans le
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corps social, une plénitude de sève, une profusion, une infusion d'ardeurs et de doctrines, une matière, enfin, plus que suffisante aux prises de l'esprit. Mais au bout de quelques années à peine tout êe beau feu s'en était allé, les partis étaient désor- ganisés, et la presse s'éteignait au sein de son triomphe. Alors, sous prétexte de se démocratiser, elle se jeta dans l'industrialisme, et changea en un trafic Tulgaire ce qui était une magistrature, presque un sacerdoce. De ce moment le journalisme ne fut plus une affaire de conviction, ne fut plus une puis* sance, mais une profession, un métier.
Nous étudierons avec tout le soin qu'elle mérite cette prétendue réforme, cette révolution qui pro- mettait tant et de si grands résultats, dans le pro* gramme de laquelle il y avait du bon assurément, mais qui, en fin de compte, n'a produit jusqu'ici que la démoralisation et le discrédit du journa- lisme.
La Révolution de Février, libérale et confiante à l'excès, mit une plume et un fusil dans les mains du premier venu. Si elle enfanta des héros, elle ne fut pas féconde en publidstes, car on ne saurait donner ce nom à ces ridicules pygmées qui croyaient imposer au monde en se couvrant du masque des héros du journalisme de 89. On sait à quoi abou- tirent ces saturnales d'une presse sans foi ni loi :
PRÉFACE
elles achevèrent de déconsidérer le journal, et le firent mettre en qndque sorte hors la loi.
. Arrivés au terme de cette longue odyssée, nous reporterons nos regards en arrière, nous mesure- rons le chemin parcouru. Nous verrons ce qu'a été la presse dans les phases si diverses qu'elle a déjà traversées, nous examinerons ce qu'elle est au^ jourd'hui, hommes et choses, journaux et journa* listes, et les enseignements du passé nous diront ce qu'elle devrait être, ce qu'il serait à désirer qu'elle fût, pour nous sortir enfin de ce cercle vicieux où nous tournons fatalement depuis près d'un siècle, allant perpétuellement de la licence à la compres* sion, et de la compression à la licence.
Nous consacrerons ensuite un chapitre à la Légis- lation de la presse y et enfin nous terminerons par la bibliographie analytique des journaux.
11 serait inutile assurément d'appeler l'attention sur ce dernier chapitre : l'importance n'en saurait échapper à ceux qui connaissent la valeur des jour^ nauxau point de vue historique, qui savent quels trésors renferme leur immense collection. Nulle part ailleurs on ne sauraût trouver des renseigne- ments plus nombreux, plus sûrs, pour notre histoire morale, politique et littéraire; mais, faute d'un guide, il n'est pas toujours facile de pénétrer dans ce dédale de publications, au fond duquel, cependant.
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rhistorien ecmsciencieux doit aller chercher la vé- rité. On n'a que le CcUtUogue Deschiens^ catalogue qui, très-rai^ d'ailleurs, est loin d'être complet, puisqu'il ne comprend guère dans sa nomenclature que les journaux de la Révolution, et encore ceux- là seulement que possédait l'auteur. Notre biblio- graphie présentera la liste raieK)nnée de tous les journaux, depuis leur origine jusqu'à nos jours , et, pour chacun, nous indiquerons, autant que possible, le lieu où on pourra le consulter.
Une Table des écrivains complétera ce Répertoire, qui, certainement, ne sera pas la partie la moins intéressante ni la moins curieuse de notre publi- cation»
On peut juger, par cette rapide esquisse, de la grandeur de la tâche que j'ai osé affronter ; les dif- ficultés qu'elle présente sont telles, elles sont si saillantes, que je crois à peine avoir besoin de ré- clamer l'indulgence. L'éminent critique que je ci- tais tout à l'heure, et auquel mieux qu'à personne il eût appartenu de tenter une pareille entreprise, s'en exprimait ainsi il y a une vingtaine d'an- nées (1) :
« Une histoire des journaux est à faire, et je voudrais voir quelque académie ou quelque librairie
(I) Bévue des Deux-Mondes, 15 décembre 1839.
PRÉPACB UEi
(si librairie il y a) provoquer à ce travail deux ou trois travailleurs conscieQcieiix et pa& trop pédants, spirituds et pas trop légers. Il est temps que cette histoire se fasse; il est déjà tard, bientôt on ne pourra plus : .on est déjà à la décadence et an bas- empire des journaux. Bayle nous en marque l'ige d'or, si court, le vrai siècle de Louis XIV, il ré- clamait déjà lui-même une histoire des gazettes. . .
» Malgré tout le soin possible, il faudra se rési-- gner, dans un tel travail, à bien des ignorances, à bien des inexactitudes. On saura de moins en moins les Trais auteurs, je ne dis pas des articles princi- paux, mais même des recueils. Quelqu'un a trouvé, l'autre jour, trè&-spirituell^nent, que les journaux sont nos Iliades, et qui ont des myriades d'Homères; en remontant , toutefois , le nombre des Homères se simplifie : par malheur ceux qui seraient en état d'éclairer, de eontrôler pertinemment les origines des journaux , manquent de plus en plus. ...
» Mais l'entreprise que je propose en ce moment et que je suppose, cette espèce de rêve aupot au iait que j'achève en face de mon écritoire, cette his- toire des joiunaux donc, dans son incomplet même et dans son inexact inévitable, se fera«t-elle? J'en doute un peu... »
Ce jugement, je ne saurais me le dissimuler, est la condamnation de mon audace, et probablement
%%%ii PRÉPACB
il eût arrêté ma pUune, si maq siège n'cât été fait quand je l'ai oonau ; mais ~- estrce ime illusion ? aUe serait ^ns tous les cas bien pardonnable -~ en le pesant brien, j'ai cru qu'il m! était aussi permis d'y. yoir eoinme une sorte de rempart derrière lequel je pouvak abriter ma faiblesse.
a L'essentiel, d'abord, ajoutait M. Sainte-Beore^ serait de former un bon corps d'histoire, d'établir les grandes lignes de la chaussée ; les perfection- nements viendraient ensuite. »
Telle a été mon unique ambition : défricher, aplanir le terrain, poser des jalons, et préparer ainsi la Toie à ceux qui viendront aprto moi.
Quant aux erreurs, aux omissions, inévitables en une matière aussi vaste, j'ose compter non-seu- lement sur l'indulgence de mes lecteurs, mais en- core sur leur bienveillant concours pour m'aider à les réparer autant que possible. Je recevrai avec reconnaissance toutes les communications que l'on voudra bien m'adresser : elles pourront faire l'dijet d'un appendice qui terminerait le dernier volume. Les rectifications de moindre importance trouve^ ront, d'ailleurs, une place convenable dans la table analytique des matières.
INTRODUCTION HISTORIQUE
, INTRODUCTION HISTORIQUE
RECHERCHES
SOR
LESORIGINES ET LES PRÉCÉDENTS DU JOURNAL
Des moyens d* information chez les anciens. Les Acta diurna des Romains,
Chercher depuis quand le journal existe, c'est, en apparence, chercher depuis quand les hommes sont sociables, tant la vie commune nous sem- blerait impossible aujourd'hui sans ce merveilleux instrumentde communication. Si, en effet, le journal est bien véritablement un pouvoir, il est encore plus une habitude ; c'est c une nécessité sociale, selon l'expression de Royer-CoUard, plus encore qu'une institution politique. » Aux nations modernes il faut des journaux, comme aux Romains il fallait les jeux du Cirque : c'est un des besoins de notre
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existence, et comme un autre pain quotidien dont nous ne saurions plus nous passer.
Mais il en est de cette admirable invention comme de tant d'autres que le temps nous a lé- guées : on en jouit sans s'inquiéter d'où elles vien- nent, ni de ce qu'elles ont pu coûter. Nous sommes si bien accoutumés à voir arriver chaque matin cet infatigable messager, qui nous apporte à heure fixe, et quelque temps qu'il fasse, les nouvelles de toutes les parties du monde ; nous trouvons cela si com- mode, si naturel même, que volontiers nous nous laisserions aller à croire qu'il en a toujours été ainsi. Et pourtant le journal ne remonte guère au- delà de deux cents ans; c'est même à peine si, chez nous, il compte un siècle de véritable existence.
Ce n'est pas que les généalogistes aient manqué au journal depuis qu'il est devenu une puissance ; il s'est trouvé des flatteurs auxquels le moyen-âge même a paru une origine trop récente pour ce par- venu, et c'est à Rome, en attendant la Grèce, qu'ils ont placé son berceau. Pour nous le journal est fils de l'imprimerie, il est impossible sans elle, il n'existe et ne se comprend que par elle et avec elle.
Cependant le besoin auquel répond la presse pé- riodique est si vrai , il est tel, qu'on peut supposer avec grande apparence de raison que les peuples qui ont successivement exercé l'empire du monde ou marqué sur la terre leur trace civilisatrice ont dû
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avoir, sinon des journaux, au moins quelque chose qui leur en tint lieu jusqu'à un certain point. 11 serait intéressant de connaître quels étaient chez ces peuples les moyens de publicité, quels étaient leurs moyens de communication, d'information; malheu- reusement nous manquons presque absolument de données à cet égard.
Des anciens dominateurs de l'Asie nous ne savons rien, sinon que les Babyloniens, si l'on en croit losèphe, auraient eu des historiographes chargés d'écrire jour par jour le récit des événements pu- blics, et ce serait d'après ces matériaux qu'au témoignage du même auteur, Bérose aurait com- posé son histoire de Chaldée.
L'histoire, des Grecs est également muette sur ce chapitre; on sait seulement qu'ils avaient des Ephémérides, sorte d'annales historiques, mais on est à peu près d'accord pour leur refuser l'usage des journaux. La vie politique en Grèce était très- active sans doute; mais, resserrée dans de petits états, elle ne demandait point d'aussi puissants in- struments de publicité que l'empire romain, par exemple, qui embrassait le monde presque tout en- tier dans son immense domination. Les citoyens d'Athènes vivaient sur la place publique ; Dé- mosthènes nous les montre se promenant dans l'Agora et se demandant les uns aux autres : Quoi de nouveau ?
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Les Romains étaient beaucoup plus avancés sous ce rapport, et nous sommes aussi mieux rensei- gnés quant à leurs moyens de publicité, grâce aux nombreux témoignages que nous ont laissés leurs historiens, grâce surtout au savant mémoire dans lequel un membre distingué de l'Académie des in- scriptions a recueilli et rapproché ces témoignages, avec autant d'esprit que de science.
Dès les premiers temps de Rome, suivant M. Victor Leclerc, le grand pontife, pour conserver les souvenirs publics, recueillait tous les événe- ments de chaque année, et les écrivait sur une table blanchie^ qu'il exposait dans sa maison pour que le peuple pût la consulter. Ces tablettes portaient en tète les noms des consuls et des autres magistrats ; elles contenaient tout ce qui concernait les aruspices, les cérémonies, les comices, les appels, le sénat, les affaires militaires,et tout ce qui fait l'objet des lois ; on y trouvait enregistrés les triomphes et les statues décernés comme récompenses publiques, la dédicace des temples et autres monuments," les fléaux, les éclipses, les prodiges de toute nature, qui devaient nécessairement occuper une large place dans des Annales rédigées par le chef suprême du sacerdoce romain.
Rome, pendant plusieurs siècles, n'eut pas d'autre histoire que ces Annales des pontifes. Elle se trouvait, aux premiers tenips de son existence, dans
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la position de la Grèce ; mais quand sa domination se fut étendue, que les parties lointaines de l'Em- pire sentirent le besoin de se mettre en rapport suivi avec la capitale, que les gouverneurs des pro- vinces, que tons les ambitieux, se virent éloignés du centre des partis, des conjurations, des luttes po- litiques, et qu'ils eurent intérêt à connaître en quelles mains passait le pouvoir, quels étaient les candidats du peuple, on dut songer à créer des moyens de correspondance. Dans un gouverne- ment où l'ambiticu était excitée et tenue sans cesse en .éveil, où l'immense chaîne des intérêts et des espérances embrassait au loin tous les rangs des citoyens , où l'ascendant de l'homme public se formait de l'appui unanime des tribus, des muni- cipes, des colonies, et même des nations étrangères, la parole, ce grand instrument politique, ne pouvait plus suffire aux communications entre les patrons et les clients, entre Rome et tous les peuples. 11 se produisit alors, sous le nom d'Acta publica , une sorte de feuille publique, absolument comme, chez nous , ce même besoin des esprits, ces mêmes sol- licitudes de la vie politique, firent naître les gazettes manuscrites, ou Nouvelles à la main^ qui circulèrent longtemps avant que l'imprimerie pût librement répandre les faits de chaque jour, de chaque heure, avec une si prodigieuse rapidité. Les Annales des pontifes avaient un caractère
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éminemment sacré; la politique proprement dite n'y avait point accès. Le voile le plus épais couvrait d'ailleurs les actes du Sénat. Ce fut César qui, dans une pensée facile à pénétrer, ordonna que les actes journaliers du Sénat seraient écrits et publiés, comme ceux du peuple, qui l'étaient depuis plu- sieurs années déjà. Dès lors les grandes Annales furent remplacées par les Acta diurna (1), qui en différèrent non-seulement par leur périodicité, mais encore par la nature de leur composition. Tandis que les Annales n'enregistraient en général que les faits les plus mémorables de l'histoire, et parti- culièrement ceux qui touchaient à la religion, les Acta donnèrent ' place aux moindres détails qui étaient de nature à inspirer quelque intérêt, même éphémère.
D'après cette conjecture les journaux seraient comme une bouture sortie du vieux tronc pontifical ; ils n'en seraient que la prolongation et l'émancipa- tion au dehors; ils auraient eu, comme le théâtre, comme la statuaire en bien des pays, leur période hiératique^ avant d'avoir leur existence populaire.
Ces Acta diurna n'étaient pas assurément des journaux tels que nous les voyons aujourd'hui, ce
(I ) Ce mot se retrouve dans le Diario di Borna, organe moderne de la cour pa- pale, et on lit dans le code Tbéodosien le mot Diumarii, qui pourrait se traduire par journalistes.
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n'étaient probablement dans Torigiiie que les procès- verbaux des Assemblées du sénat et du peuple, avec des extraits ou clés analyses des discours et des projets de lois ; mais leur cadre dut bientôt s'agrandir, pour faire place à tout ce qui pouvait piquer la curiosité publique. Ainsi on y trouvait, dit-on, comme dans nos feuilles modernes, les cé- rémonies funèbres, les incendies, les exécutions, les pluies de pierres, les banqueroutes, les longé- vités et les fécondités extraordinaires, les nomi- nations des magistrats, le récit des événements militaires, la description des fêtes et des jeux pu- blics, les rivalités des cochers du Cirque, les suc- cès ou les chutes des acteurs; et il ressort d'un passage de Tacite, parlant de l'avidité avec laquelle on lisait les Dtwrnaw pour y voir ce que n*avait point fait Thraséas (1) », que, s'ils ne se livraient pas à la discussion des actes politiques et à la critique des hommes publics, ils enregistraient du moins les actions les plus importantes des personnages considérables. Les Romains, du reste, n'avaient pas tardé à comprendre le parti que la vanité pou- vait tirer de ce nouvel agent de la renommée. Avaient-ils fait le moindre don à un temple, ils envoyaient aux journaux une note où était célébrée
l<)On sait que, lorsque le Sénat félicitait Néron sur la mort d'Agrippine, et as- sistait en corps aux funérailles de Poppée, Thraséas osa protester par son absten- ^ et son silence, et que ce silence et cette abstention lui furent imputés à crime.
4.
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leur munificence. L'orgueil de Livie, si Ton en croit Dion Cassius, lui avait suggéré Vidée de faire in- sérer dans les Actes les noms de tous les Sénateurs, et même des hommes du peuple, qui avaient été admis le matin à l'honneur de la saluer, et Agrip- pine, mère de Néron, en agit de même. Tibère, au témoignage du même auteur, faisait écrire ou écri- vait lui-même dans ces recueils publics de nou- velles, mais pour y consigner ce qu'on avait dit contre lui, quelquefois même ce qu'on n'avait pas dit, et préparer ainsi des prétextes à sa vengeance. Il n'y laissait, d'ailleurs, rien paraître de con- traire à ses vues ou à sa domination. Commode, au contraire, prenait un insolent plaisir à faire ra- conter par les journaux de Rome toutes ses cruautés et toutes ses infamies.
On peut juger, par ces témoignages empruntés aux écrivains romains, de l'importance qu'avaient acquise peu à peu les Acta diuma. Mais il y avait loin encore de ces feuilles au journal, dans le sens qu'on attache à ce mot chez les nations modernes, et qui emporte naturellement avec lui une idée de polémique et de discussion, même dans les pays soumis à l'autorité la plus absolue. « Ni sur la fin de la République, ni sous l'Empire, dit M. Sainte- Beuve dans l'article que nous avons déjà cité, pas plus dans les rares intervalles de liberté que sous la
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censure des maîtres, les journaux à Rome ne furent jamais rien qui ressemblât à une puissance; ils étaient réduits à leur plus simple expression, et Ton ne saurait moins imaginer dans un grand Etat, qui ne pouvait absolument se passer de toute infor- mation sur les affaires et les bruits du Fprum. 11 n'y ayait à Rome que le journal en quelque sorte rudi- mentaire, un extrait de Moniteur, de petites Affi- ches et de Gazette des tribunaux; le vestige de Torgane, plutôt que l/organe puissant et vivant. M. Leclerc a fait comme ces curieux anatomistes qui retrouvent dans une classe d'animaux ou dans Vembryon la trace, jusque-là imperceptible, de ce qui plus tard dominera. Si M. Magnin a su montrer la persistance et faire comme l'histoire de la faculté dramatique aux époques même où il n'y a plus de théâtre ni de drame à proprement parler, M. Le- clerc, à son tour, a pu trouver la preuve de la faculté du journal chez les Romains. Cette faculté humaine, curieuse, bavarde, médisante, ironique, n'a pas dû cesser dès avant Martial jusqu'à Pasquin. Mais qu'on n'en attende alors rien de tel (M. Leclerc est le premier à le reconnaître ) que cette puissance de publicité devenue une fonction sociale ; ceci est aussi essentiellement moderne que le bateau à va- peur. Le véritable Moniteur des Romains se doit chercher dans les innombrables pages de marbre et de bronze où ils ont gravé leurs lois et leurs vie-
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toires; les journaux littéraires du temps de César sont dans les lettres de Gicéron, et les petits jour- naux dans les épigrammes de Catulle : ce n'était pas trop mal pour commencer. S'il y avait eu des jourïiaux , dans ce sens moderne qui nous flatte , au moment où se préparait la rupture entre César et Pompée, on aurait vu Curion soudoyer, courtiser des rédacteurs, César envoyer des articles tout faits ; il y aurait eu escarmouche de plume avant Pharsale. Mais rien ; le journal de Rome manqua toujours de premier Paris aussi bien que de feuille- ton : est-ce là un aïeul? Et sous les empereurs, après Néron et dans les interrègnes, s'il y. avait eu de vrais journaux à Rome, chaque prétendant y serait allé, en même temps qu'aui prétoriens, pour se les assurer; et Trimalcion etÂpicius, dans leurs digestions épicuriennes, auraient songé à en acheter un, pour être quelque chose.
» C'est à nous, bien à nous, notre gloire et notre plaie que le ' journal ; prenons garde 1 c'est la grande conquête, disions-nous hier; nous le redi- sons aujourd'hui, et, plus mûrs, nous ajoutons : c'est le grand problème de la civilisation moderne (1). »
Nous pensons sur ce point comme l'éminent cri- tique : la parenté entre nos journaux et ceux de Rome est fort lointaine ; cependant on ïie peut nier
(I) Sainte-Beuve, PorUraitt conUmporains, U, 359.
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qu'il n*y ait une grande analogie entre ces deux créations, nées éyidemment des mêmes besoins , mais qui se sont produites dans des temps si éloi- gnés l'un de l'autre, et dans des circonstances si diTerses sbus tant de rapports.
Du reste, il ne nous est rien parvenu qui nous puisse donner une idée de la contexture de ces ga- zettes romaines. M. Leclerc indique un fait qui permettrait , selon lui , de se figurer ce qu'elles renfermaient entre le premier consulat et la dictature , de César. Cicéron, partant pour son proconsulat deCilicie, aurait chargé un de ses clients, Gélius Rufus , de le tenir au courant des événements qui pourraient l'intéresser. De cette correspondance de Célius il nous est resté dix-sept lettres , remplies de nouvelles de toutes sortes , ramassées de toutes mains par des gens payés pour cela. M. Leclerc voit dans ces lettres, d'ailleurs ingénieuses, vives, originales, le reflet brillant des Acta diuma. « Mais n'est-ce pas se faire un trop bel idéal des journaux de Rome ? C'est précisément parce que ces journaux, qui sont à peine indiqués en passant dans la cor- respondance de Célius, ne disent pas l'indispen- sable, qu'il y supplée si activement près de Cicéron. Il va jusqu'à lui copier au long un sénatus-consulte, faute du Moniteur du jour apparemment. Quand on lit cette suite de lettres , on en reçoit une im- pression qui dément plutôt l'idée d'un service officiel
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et régulier par les journaux. » On peut retourner de même l'argument tiré des lettres que Gicéron lui-même écrivait de Rome, soit à Quintus, son frère , soit à Atticus , son ami , lettres pleines des affaires et des bruits de la ville , et qui , dans la pensée du sagace dissertateur , peuvent donner éga- lement une idée de l'immense variété des matières dont se composaient les journaux de Rome. « Ces lettres , dit-il , pour une suite de plus de vingt ans , remplacent cette collection perdue; elles forment comme un journal, trop pressé sans doute de suivre les événements pour ne pas les dépasser quelque- fois; mais n'est-ce pas une ressemblance de plus avec un journal? »
On aurait une autre preuve de l'insuffisance des Acto' dans ce fait que les citoyens riches entrete- naient des esclaves dont l'occupation était de leur rapporter le bulletin quotidien des affaires publi- ques ou des sentences des tribunaux, recueillies et résumées par les actuarii ou sténographes, ainsi que les diverses nouvelles du jour : décès, naissances illustres, mariages ou divorces (1), et les mille autres petits faits qu'ils apprenaient de la bouche des nouvellistes, « coureurs effrontés de nou- velles et d'anecdotes qu'il y a du risque à dire et à savoir (2) » , grands politiqueurs , « qui , sans
(1) Il n'y a 'pas de jour, dit Sénèque, ob les Actes n'aient à enregistrer on divorce. (S) Sénèque.
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quitter le Forum , où ils s'assemblaient au pied de la tribune aux harangues, d'où leur était venu le nom de subrostrani^ savaient mieux que les généraux par quels chemins il fallait conduire l'armée, où il convenait de camper, de prendre ses quartiers d'hi- ver et de livrer bataille (1 ) . »
Les patriciens avaient encore , pour les tenir au courant de la chronique scandaleuse , le parasite , type éteint de nos jours , ou , pour mieux dire , qui s'est transformé, mais qui occupe une grande place dans l'histoire de la société romaine, dont il était le journal vivant et comme le feuilleton-chronique. • Cet homme, dit Martial, invente force nouvelles, qu'il débite comme vraies. Il sait ce que le roi des Parthes a dit dans son conseil privé ; il donne le chiffre de l'armée du Rhin et de celle des Sarmates ; il est au fait des ordres que le roi des Daces a trans- mis par écrit confidentiel ; aucun des ressorts ca- chés de la politique ne lui est inconnu, et partout il a des intelligences secrètes. 11 n'est pas moins au courant des nouvelles de la ville, dont il possède toute l'histoire scandaleuse, et il vous apprendra que telle veuve est enceinte, dans quel mois elle le devint et de qui, etc. »
C'était, comme on le voit, un personnage pré- cieux que le parasite , à une époque où l'on n'avait
(l)Tite-UTe.
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pas encore inventé les petits journaux ; mais tout le inonde ne pouvait pas se donner ce luxe , et d'ail- leurs, si l'on en juge par ce qui se passe aujourd'hui chez le peuple le plus spirituel du monde , les para- sites spirituels n'étaient sans doute pas très-com- muns. Il n'est donc pas étonnant que la spéculation se soit emparée des Acta diuma; des industriels firent commerce des copies de ces actes , et Tacite nous apprend qu'on les envoyait dans les provinces et jusque dans les armées (1). Les auteurs du temps , Cicéron entre autres , parlent de ces entre- preneurs de publicité , et nommément d'un certain Chrestus , dont la feuille , compilaiio , était célèbre et fort répandue.
Les Acta diuma paraissent s'être continués , à travers des vicissitudes diverses , jusqu'aux der- niers empereurs. Quand l'empire tomba , les jour- naux disparurent : le journal est le signe et le besoin de la vie commune , et les Barbares, après la conquête , dispersés avec les vaincus sur leurs propriétés, ne conservèrent entre eux aucun lien de centralisation; et pour les moyens d'information, ils étaient probablement, chez tous ces peuples nouveaux , aussi élémentaires que ceux que César trouva en usage dans les Gaules quand il y péné-
(I) Diurna populi romani per proviDcias, per exercitus leguntur. (Annales, XVI, 22.)
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tra: les Gaulois, à son rapport, étaient si avides de nouvelles, qu'ils couraient après les voyageurs et les forçaient de s'arrêter pour leur apprendre ce qu'ils savaient de nouveau, c Mais, dit Pelloutier dans son Histoire des Celtes , d'après Tauteur des Commentaires , comme ces nouvelles , que les voya- geurs et les marchands forgeaient souvent à plaisir, causaient quelquefois de grands mouvements et donnaient lieu à mille résolutions précipitées « les Etats bien réglés des Gaules avaient une loi qui défendait aux particuliers de répandre des nouvelles dans le public ; il fallait les porter au magistrat, qui les supprimait ou les publiait , selon qu'il le jugeait à propos. Il n'était pas même permis de s'entretenir d'affaires d'État hors de l'assemblée générale. »
Origines du Journal chez les Modernes.
La vie politique sommeilla longtemps chez les peuples modernes ; on sait d'ailleurs combien fut lente leur agrégation , si l'on peut ainsi parler, et qu'il fallut des siècles pour que les nationalités eu- ropéennes parvinssent à se constituer. En ce qui concerne la France , par. exemple , on est étonné , quand on ouvre un de nos vieux chroniqueurs, de voir combien peu, jusqu'au xv* siècle, il y avait de
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relations, de cohésion, entre les diverse^s provinces, ou même entre les villes de la même province. Chaque cité, chaque bourgade, enfermée dans une double enceinte de fossés et de murailles, vivait d'une vie tout intérieure , indépendamment des bour- gades voisines, avec lesquelles elle n'avait souvent que des communications très*difficiles.
A plus forte raison les populations demeuraient- elles absolument étrangères à ce que nous appe- lons la politique extérieure. C'était l'affaire des rois uniquement et de leurs ministres , et le populaire ne prenait nul souci de ce qui pouvait se passer chez ses voisins. Il fallut les guerres de religion pour mettre fin à cette indifférence mutuelle. Alors, en effet , un intérêt nouveau entra en jeu ; à part les rivalités des souverains, il y eut désormais un intérêt commun entre les nations. La querelle qui se vidait par les armes en Hollande ou en Alle- magne était la querelle de tous les protestants et de tous les catholiques ; chaque bataille , chaque prise de ville , mettait une moitié de l'Europe dans la joie et l'autre moitié dans la douleur. Les nou- velles . même des pays les plus lointains, furent dès lors pour toutes les classes l'objet d'une ar- dente curiosité, et la propagation rapide et régulière de ces nouvelles devint un besoin public.
C'est alors que naquit le journal. La controverse religieuse, si ardente au ivi'' siècle, dit un de nos
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plus habiles publicistes, avait trouvé dans Timpri- merie un instrument à la fois et un aliment. Les gros livres, trop longs à écrire, trop longs surtout à lire, firent place aux petits traités courants, qu'il était facile de répandre. Les traités eux-mêmes fu- rent supplantés par les manifestes, les proclama- tions, les satires, imprimés sur des feuilles isolées^ et habituellement d'un seul côté, qu'on obtenait à bon marché, qu'on se passait sous le manteau, et qu'au besoin on affichait pendant la nuit. Les par- tis, pour enflammer le zèle ou soutenir l'ardeur de leurs adhérents, faisaient imprimer et distribuer la relation des avantages qu'ils avaient obtenus. C'est par des circulaires de ce genre, cachées dans la selle d'un cheval, dans la doublure d'un manteau de voyage, que les protestants de France appre- naient les victoire! de leurs coreligionnaires d'Alle- magne, et ils se servaient à leur tour du même moyen. L'usage devint bientôt général d'imprimer sur des feuilles séparées et de vendre à bas prix les relations de tous les événements remarquables, de tous les faits propres à affriander les lecteurs. On devait être naturellement conduit à réunir plu- sieurs événements sur la même feuille ou dans le même cahier, et le jour où l'industrie d'un homme, encouragée par la curiosité croissante du public, donnerait un titre uniforme à ces feuilles volantes, établirait entre elles un ordre de succession et leur
SO INTRODUCTION
assignerait un retour périodique, la gazette, le jour- nal, serait créé (1).
Le journal naquit presque simultanément, et sous l'influence des mêmes causes, en France, en Angle- terre et en Hollande, au commencement du iyii'' siè- cle. Si Ton s'attache à la question de priorité, les dates semblent être en faveur de la Hollande et de l'Angleterre, mais« en réalité, c'est à la France, comme nous le démontrerons bientôt, qu'appar- tient l'honneur d'ayoîr donné naissance au premier journal (2).
Cependant Venise a des prétentions dont nous devons dire quelques mots. Elles reposent unique- ment sur l'étymologie du mot gazette^ gazetta^ dont on s'est longtemps servi pour désigner les feuilles politiques (3), et qui est inconteslablement un mot vénitien. Au temps des guerres contre les Turcs, le gouvernement de Venise, pour satisfaire la légitime
(4) Cucheral-Clarigny, Histoire de la presse en Angleterre.
(5) Nous laissons la Chine hors de cause. Il se pourrait faire que l'invention du journal appartint à cette étrange nation, qui a inventé tant de choses, et notam- ment l'imprimerie ; telle parait même être l'opinion de Voltaire {Dictûmnaire philosophiqtie)f qui dit que la Chine possède des gazettes depuis un temps immé- morial ; mais il ne fait qu'effleurer ce sujet, comme tant d'autres, et personnelle- ment nous ignorons absolument les droits que le céleste empire pourrait avoir à cette invention.
(3) La dénomination de;ouma/^ qui a prévalu depuis, fut d'abord réservée aux recueils littéraires et scientifiques. « Un journal, dit V Encyclopédie, est un ou- vrage périodique, qui contient les extraits des livres noavelleinent imprimés, avec on détail des découvertes que Ton fait tous les jours dans les arts et dans les
sciences Cest un moyen de satisfaire sa curiosité, et de devenir savant à peu
de frais. • Dans cette acception, le plus ancien journal est le Journal des Savants, dont nous parierons en son lieu.
HISTORIQUE ti
curiosité des citoyens, faisait lire, dit-on, sur la place publique, un résumé des nouvelles qu'il avait reçues du théâtre de la guerre, et on donnait une petite pièce de monnaie appelée gazetta pour assis- ter à cette lecture, ou pour prendre connaissance de ce qui avait été lu, ou encore, selon d'autres, pour acheter le cahier où ces nouvelles étaient con- signées : de là le nom de gazettes appliqué aux feuilles contenant des nouvelles (1). Voilà la tradi- tion, et il serait presque à désirer qu'elle fût vraie : ne serait-il pas curieux, en effet, que le journal moderne, ce raisonneur bruyant et bavard, cet instrument de discussion et de publicité, soit né, ail bégayé ses premiers mots, dans un pays qui avait fait du silence le dogme fondamental de sa politique ? N'eût-il pas été piquant de voir le gou- vernement absolu et mystérieux de Venise, le dé- fiant et soupçonneux conseil des Dix, encourager les premiers essais de ces petites feuilles destinées à devenir les plus formidables machines de guerre qui aient jamais été inventées contre l'autorité des
(I) On doDDait plas ordiDairement le nom de gaxétin aux gazettes maniucrites. — Qoelqnes mauvaises langues youdraient que les gazettes eussent pris leur nom deceloi d'un oiseau babillard, la pie, gazza. D'autres, plus forts^ le font dériver d'an mot bébreu, corrompu et renversé, izgard, qui signifie nvntius, messager. Cest bien le cas de rappeler F épigramme fameuse décochée contre Ménage par le chendierdeCailly:
Alfitoa vient d'equus sans dùfUs; Mais il faut cont^fntr aussi Qu'en Moan< de là jusqu'ici, U a bien changé sur la route*
M INTRODUCTION
gouvernements ? Par malheur on ne trouve en Ita- lie aucune trace de ces gazettes vénitiennes.
Si Ton en croyait un article de M. Sichel publié dans VAthenœum français du 2 septembre 1854, l'Allemagne aurait à la priorité des droits bien mieux fondés encore, et ce serait au commerce que les journaux devraient leur origine.
A Tépoque, dit-il, où le gouvernement de Venise publiait les Notizie scritte^ les grandes maisons de commerce de l'Allemagne commençaient déjà à faire multiplier par des copies et à échanger leurs rapports commerciaux, afin de se tenir au cou- rant des événements politiques de nature à influen- cer les affaires. Parmi ces relations écrites, qui représentaient les premiers essais du journalisme, celles qui furent rédigées à Augsbourg sous les aus- pices de la maison des Fugger prenaient à la fin du xvi« siècle une forme et une étendue qui les rappro- chent déjà de nos journaux modernes. Presque tous les jours il paraissait un numéro sous le titre de Ordinari'Zeitiimgen, et à côté d'eux des suppléments, Eœtraordinari'Zeittungen^ avec les nouvelles les plus récentes. Le prix d'un numéro ou d'un supplément était à Augsbourg même de 4 kreuzers; toute l'année, y compris les frais de distribution à do- micile, se payait 25 florins, et les Ordinari-Zeit turigen seuls, 14 florins. Une collection de ces jour-
HISTORIQUE t3
naux d'Augsboiirg qui embrasse les années 1 568- 1604, a été conservée à la bibliothèque de Vienne, et présente une source très-précieuse pour l'histoire de cette époque.
L'abondance des nouvelles contenues dans cette collection s'expliquerait par les rapports très-éten- dus de la maison Fugger . Elle avait des agents dans toutes les parties du monde, et entretenait une cor- respondance quotidienne avec toutes les grandes maisons de commerce. Ses affaires de change et d'empnmt lui faisaient jouer un rôle important dans le monde politique, et la mettaient en rapport avec beaucoup de gouvernements, avec nombre d'hommes d'Etat et de parti. Enfin elle s'était assuré, par de nombreux services, l'affection des jésuites, et recevait fréquemment de cette société, qui com- mençait à se répandre sur le monde entier, des communications confidentielles.
L'histoire de l'orient de l'Europe occuperait sur- tout une grande place dans ces journaux ; grâce aux jésuites, ils avaient de temps en temps des nou- velles d'outre-mer, de la Perse, de la Chine, du Ja- pon, de l'Amérique. Les correspondants se seraient aussi envoyé des nouvelles littéraires, annonçaient les livres curieux et en donnaient des extraits. La représentation d'une nouvelle coniédie y serait sou- vent mentionnée. Les rapports sur la récolte y se- raient très-fréquents, de même que les tableaux du
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prix du blé et d'autres denrées. Enfin il n'y aurait pas jusqu'aux réclames et aux annonces qu'on y rencontrerait de temps en temps ; il s'y trouverait un long registre Comment et où toutes les choses sont maintenant à acheter à Vienne.
Bref, si l'on prenait à la lettre le dire dé M. Si- ebel, l'Europe n'aurait fait que suivre, et suivre bien tardivement et de bien loin l'Allemagne dans la voie de la presse. Quoi qu'il en soit de cette asser- tion, peut-être un peu trop ingénieuse, et que nous n'avons pas été à même de contrôler, nous avons vu dans les correspondances commerciales un élé- ment que nous devions, signaler. N'oublions pas de dire que les Zeittungen n'étaient pas écrits dans une langue unique ; il y règne au contraire , sous ce rapport, la plus grande diversité : la plupart des lettres sont écrites dans l'idiome du pays d'où elles émanent, beaucoup le sont en italien, la langue commerciale de l'époque ; les communications des savants et des ecclésiastiques sont faites dans un latin plus ou moins intelligible.
Les Anglais, de leur côté, ont de bonne heure revendiqué pour leur pays l'initiative de ce genre de publication ; mais leurs prétentions s'appuyaient sur trois numéros d'un prétendu Mercure de 1 588, que l'on a reconnu depuis être une fraude d'éru- dit, une supercherie littéraire fort habile, mais dont
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personne ne saurait plus être la dupe aujourd'hui. Cependant, dès les dernières années d'Elisabeth et les premières de Jacques I®', on trouve en Angle- terre un grand nombre de feuilles volantes et de placards intitulés News (Nouvelles), et contenant le récit d'événements qui s'étaient accomplis en Angleterre ou sur le continent. Dans ce dernier cas, le titre indique presque toujours que les nouvelles offertes au public sont traduites de l'original hol- landais. Ce soin de la part des éditeurs anglais suf- firait seul à décider en faveur de la Hollande la question de priorité ; mais nous manquons absolu- ment de renseignements sur les premiers essais de la presse dans ce dernier pays, essais qui n'étaient probablenaent, comme la traduction, que d'impar- faites ébauches. En 1622, une association d'éditeurs commença à Londres la publication d'une feuille in- titulée : les Nouvelles hebdomadaires d'Italie, d'Alle- magne, de Hongrie, de Bohême, etc. , qui paraissait à époques indéterminées. Peu de temps après, un auteur de nouvelles à la main, profession alors fort répandue, comme nous aurons occasion de le voir bientôt, prit la direction des Weekly News^ et leur imprima une certaine régularité. Chaque exem- plaire porte, outre la date de sa publication, un nu- méro d'ordre, ce qui ferait croire à la périodicité du recueil ; mais il paraît qu'il éprouva de fré- quentes interruptions, et l'on en perd tout à fait la
T. I. . *
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trace après 1639. D'ailleurs, cette petite feuille, qui ne donnait pas en une année autant de matière qu'en contient un seul numéro du TimeSj se bornait à enregistrer à la file, pêle-mêle, sans aucune ré- flexion, les événements importants ou singuliers arrivés sur le continent ; elle ne se hasardait qu'avec une extrême timidité à parler des affaires de l'inté- rieur, ou plutôt elle s'en gardait comme d'un délit qui aurait attiré sur elle les foudres de la Chambre étoilée, ce redoutable tribunal qui fit aux pamphlé- taires une guerre si acharnée, si cruelle. Et il est à remarquer que bien longtemps après encore les journaux anglais durent s'astreindre à la même ré- serve , de peur d'éveiller la sévérité du Parlement, qui, devenu tout-puissant à son tour, ne se mon- tra pas moins jaloux que la Chambre étoilée de l'influence considérable que la presse périodique avait acquise; ils ne se permettaient non plus que bien rarement de citer des noms propres, car il était arrivé plus d'une fois que de grands per- sonnages avaient fait assommer des écrivains pour avoir parlé d'eux dans les gazettes. Revenant aux Weekly NewSj nous ne faisons aucune difficulté d'avouer que leur publication constitua, un véritable progrès dans l'histoire de la presse ; mais ce n'était pas encore un journal dans toute l'étendue de la signification actuelle de ce mot.
HISTORIQUB 17
Pendant qu'en Angleterre le journal cherchait ainsi sa voie, une feuille paraissait à Paris qui, par la régularité de sa publication, par sa circulation européenne, par l'abondance et le choix de ses ma- tières, la supériorité de sa rédaction et le nombre de ses correspondances, répondait enfin, aussi com- plètement que cela était possible à cette époque, à l'idée que nous nous faisons d'un journal : c'était la Gazette de Rœaudot, qui débuta en mai 1 631 , et se continua avec une imperturbable régularité jus- qu'en 1792, époque où elle revêtit une nouvelle forme, sous laquelle elle est venue jusqu'à nous. Il y a loin encore assurément de la feuille de Renau- dot aux journaux actuels ; mais enfin c'était le journal ; l'instrument, l'arme, était créée, le temp» devait faire le reste.
Avant d'aborder l'histoire de la mère des jour- naux, « mère Gigogne, s'il en fut, comme le dit M. de Laborde, et bien digne par sa persévérance d'avoir enfanté une pareille postérité » , nous croyons devoir, pour en mieux faire comprendre Timpor- tance et le rôle, remonter autant que possible le cours de sa filiation et chercher quels peuvent avoir été ses ancêtres. Le journal, nous l'avons fait pres- sentir, n'est pas né tout d'une pièce, on n'est arrivé à cette conception qu'à la suite de longs tâtonne- ments, cent cinquante ans seulement — la chose est remarquable — après l'invention de l'imprime
28 INTRODUCTION
rie ; il a eu des précédents, des similaires, si Ton peut ainsi dire, auxquels nous avons déjà fait allu- sion, et qui méritent de nous occuper quelques instants.
Chroniqueurs, Gazetiers et Nouvellistes, — Nouvelles à la main,
Gazettes manuscrites.
On a dit que M. Leclerc, encouragé dans cette voie de recherches par le succès de son travail sur les journaux romains, s'occupait activement de suivre au moyen-âge la trace du journal. Des jour^ naux privés, il n'en manqua jamais, même alors : on écrivait à la dernière page de sa Bible ses bons ou mauvais jours; le moine ou le bourgeois de Paris notaient dans l'ombre les événements mé- morables ou singuliers. Mais lorsqu'on entend par journal une feuille plus ou moins régulière, pério- diquement publiée, on a plus de peine à en décou- vrir, et c'est à M. Leclerc que revient le soin d'en dépister.
Dans les premiers temps de la monarchie, il n'y eut d'autres journalistes que les chroniqueurs, et encore sont-ils rares et bien insuffisants. C'est au .XV* siècle seulement que les documents commencent à abonder. Cette époque, en effet, remplie d'événe- ments si étranges, si variables, si caractérisés, de-
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yait tout ensemble secouer les intelligences, donner le désir de l'observation, et fournir aux esprits les plus paresseux une ample moisson de remarques. Aussi les chroniques abondent-elles dans ce siècle, et elles fourmillent des plus curieux détails. Dans le nombre, il en est qu'en raison de leur caractère, on pourrait appeler les chroniques bourgeoises^ et qui intéressent plus particulièrement notre sujet ; tels sont : le Journal d'un bourgeois de Paris, 1409-1449; les Mémoires de Jacques du Clercq, 1448-1467; la Chronique scandaleuse, attribuée à Jean de Troyes, 1461-1483. Ce qui caractérise en général les chroniqueurs, c'est le développement de l'esprit communal, la préoccupation des choses de la vie journalière , le mélange constant des plus petits faits aux grands événements : ils font le commérage de l'histoire ; ils narrent les scandales, racontent la pluie et le beau temps, recherchent les anecdotes ; ils reflètent pour ainsi dire le foyer do- mestique de la patrie. Ce sont, en un mot, de véri- tables gazetiers, avec l'observation en plus, et la naïveté, et la bonhomie.
Les chroniqueurs bourgeois apportent à l'his- toire, à l'histoire des mœurs surtout, un trésor de renseignements spéciaux, que l'on ne trouverait nulle part ailleurs ; ils donnent l'idée la plus com- plète de la vie dans la cité, de l'existence bourgeoise, de la politique, de l'activité turbulente des bonnes
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villes durant ces temps de trouble, et l'historien ne saurait se. dispenser de les consulter.
Ce ne serait pas sans fruit non plus qu'il inter- rogerait nos poètes des xiii* et xrv* siècles ; un exemple suffira pour donner une idée de ce que ces Tieux auteurs, si peu consultés, offriraient au chercheur qui aurait le courage de les fouiller. Dans les Faictz et dictz de maistre Jehan Molinet (Paris 1540), nous rencontrons, sous le titre de Recollection des merveilles advenues en nostre temps, commencé par très-élégant auteur messire Georges Ghastelain, et continué par maistre Jehan Molinet, une pièce qui contient , en 1 40 huitains , tous les événements historiques qui ont eu lieu de 1 428 à 1498, c'estrà-dire jusqu'à la mort de Charles VIII. Elle commence ainsi :
Qai veult ouyr nouvelles Estranges à compter. Je sçay les nonpareilles Qu'homme saurait chanter, Et toutes advenues Depuis longtemps en ça : Je les ai retenues, Et sçay comment il va.
Voici en quels termes y sont mentionnées la dé- couverte de l'imprimerie et celle de l'Amérique :
fai veu grant multitude De livres imprimés Pour tirer en estude
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fovres mal argmtez; Par ces nouvelles modes Aura maint escolier Décret j bibles et codes. Sans grand argent baiUer.
Toi veu deux ou trois isles Trouvées en mon temps De chucades fertiles, Et dont les habitants Sont (j^estranges manières Sauvages et velus, ff&r et d'argent minières Voit-on en ces poilus,
AU xvf siècle, l'horizon s'élargit tout à coup ; la lumière jaillit à flots sous le choc des passions reli- ^euses. Pendant les mouyements de la réforme, les placards, les pamphlets^ les satires, les brochures^ tiennent lieu de journaux et en préparent l'ayéne- meat. Sous la Ligue, les chaires chrétiennes sont transformées en tribunes politiques, où les prédi- cateurs déclament des premiers-Paris furibonds, et il nous est resté dans la satire Ménippée un cu- rieux monument de cette polémique ardente, pas- sionnée à l'excès. Les guerres civiles eurent ce ré- sultat de développer l'activité, l'influence, la verve de la bourgeoisie ; c'est au milieu de leurs fiévreuses agitations que se montrent les politiqueurs, les nouvellistes, les gazetiers, et que les gazettes à la main commencent à circuler en grand nombre, non- seulement en France, mais dans toute l'Europe.
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La passion des nouvelles est probablement aussi ancienne que le monde, et de tout temps il a dû se trouver des hommes pour spéculer sur cette pas- sion. Renfermée dans de justes bornes, c'est un besoin naturel, légitime, qui devait être d'autant plus vif que les moyens de communication étaient plus incomplets ; poussée jusqu'à l'excès, c'est une manie, que Bayle avait justement baptisée du nom de Nouvellisme, et de laquelle sont nés les Nouvellis- tes ^ qu'il faut eux-mêmes distinguer en nouvellistes par caractère et nouvellistes de profession, mais auxquels on peut attribuer en commun , quoiqu'à des titres différents, la paternité des Nouvelles à la mairij espèce de gazettes manuscrites ou clandesti- nement imprimées qui ont précédé le journal, et qui ensuite ont persisté comme moyen de faire circuler les nouvelles dont la censure ou l'autorité supérieure n'auraient pas permis la publication .
Nous avons vu combien. les Gaulois, nos aïeux, étaient avides de nouvelles; nous n'avons pas dégé- néré sous ce rapport, et, pour en être convaincu, il suffit d'avoir vu les rues de Paris, les boulevards surtout, à certaines époques, d'avoir assisté à l'as- saut des boutiques de journaux dans certains moments. Rien d'ailleurs de plus naturel que ce besoin. Aujourd'hui, nous avons dans le journal un intarissable causeur qui satisfait amplement notre
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curiosité ; mais jusqu'au commencement du xvu* siècle ce n'était que par ouï-dire que les citoyens pouvaient connaître même les événements qui in- téressaient le plus leur repos, leur fortune, leur vie. On ne doit donc pas s'étonner si, aux épo- ques de troubles et de révolutions, Paris se répan- dait dans les rues , et si au besoin de curiosité se joignit bientôt le besoin de polémique : il était im- possible que chacun ne dît pas son avis sur les nouvelles qui faisaient Tentretien de la journée, ff Quand le savetier a gagné par son travail du matin de quoi se donner un oignon pour le reste du jour, il prend sa longue épée, sa petite cotille, son grand manteau noir, et s'en va sur la place décider des intérêts d'Etat (1 ) . » — « Ne savez-vous pas , dit Somaize dans ses Véritables Précieuses, que le peuple tient conseil d'Etat au coin des rues et sur le Pont-Neuf, et qu'il y gouverne non-seulement la France, mais encore toute l'Europe ? » Et les dis- sertations se continuaient sous le manteau de la cheminée. « Aujourd'hui, écrivait Mornay vers la fin du XVI* siècle , il n'y a boutique de factoureau, ouvroir d'artisan ni comptoir de clergeau qui ne soit un cabinet de prince et im conseil ordinaire d'Etat ; il n'y a aujourd'hui si chétif et misérable pédant qui, comme un grenouillon au frais de la
(\) EfUretiena du Diable boiteux.
Zi INTRODUCTION
rosée, ne s'émouve et ne s'ébatte sur cette connais- sance. »
L'émotion passée, et chacun retourné à ses affai- res, il ne restait aux écoutes que les nouyellistes par caractère et les nouyellistes de profession, race éteinte aujourd'hui, mais qui avait grandement sa raison d'être avant l'existence des journaux. Le besoin dé se renseigner avait fait organiser sur di- vers points de Paris des centres auxquels venaient aboutir, comme à un commun écho, tous les bruits sur les choses de l'intérieur et de l'extérieur. Les principaux centres étaient : le jardin du Luxem- bourg, qui fut longtemps le chef-lieu du nouvel- lisme, et qui demeura toujours le point de ralliement des nouvellistes littéraires, des chenilles du théâtre^ comme les appelle Gresset (1); — le jardin des , Tuileries, où l'on rencontrait l'arrière-ban des nou- vellistes, assis sur les bancs, « à l'ombre, autour du rondeau » , et sur un autre « fort long, au bout du boulingrin » , suivant ce que nous apprend un curieux petit livre, l'Ambigu (TAuteuil (1 709, in-8); — le jardin du Palais-Royal, rendez-vous habituel de la tourbe des nouvellistes
Déguenillés, mourant de faim, *
(I) C'est à ceux-là que s'adressait ce trait de La Bruyère : « Le devoir du nou- yelliste est de dire : Il y a un tel livre qui court, et qui est imprimé chez Gramoisy, en tel caractère ; il est bien relié, et en beau papier ; il se vend tant. U doit savoir jusques & l'enseigne du libraire qui le débite. Sa folie est de vouloir faire le cri- tique. »
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De ces hâbleurs passant kwr vie
Dessous Tarbre de Cracovie (4), ,
un onne fameux, ainsi nommé des bourdes, des craques j qui se débitaient sous son ombrage ; — la salle mugissatUe du Palais (2) ; • — l'Arsenal ; le cloître des Augustins, que le voisinage du Pont-Neuf était très-propre à achalander de nouvelles, et celui des Célestins, où Ton voyait surtout des abbés. Les nouvellistes se réunissaient encore dans les cafés, où les curieux se portaient en foule, comme jadis les Athéniens à la place du marché, pour savoir les nouvelles du jour.
Il y avait rivalité entre ces différents cercles; une petite pièce de la fin du xvii® siècle , le Nouveau règlement général pour les nouvellistes ^ nous fournit à cet égard de très-curieux détails (3) :
« Dans les assemblées qui se forment de ces in&tigables curieux qui font profession actueUe de s'entretenir des grands événements, Ton n'y entend ordinairement que du galimatias et des qui-pro-
(1) Henriade travestie.
(S) Ni Luxembourg, ni quai des Augustins,
Ni du Palais la mugissante salle., En célébrant leurs coviciles mutins, N'eurent jamais, pour régler les destins, Un nouvelliste. Octave, qui f égale.
SÉNECÉ.
(3) Cette pièce carieuse, dont on connaît deux éditions, Fane in-4o, sans date, fautre de Paris, Cl. Cellier, 1703, in-8», a été reproduite par notre ami M. Edouard Foomierdans ses Variétés [historiques et littéraires, où il l'a, comme toujours, éclairée d'un de ces lumineux commentaires qui font le succès de ce recueil si émioemment intéressant, une des meilleures productions sans contredit de la Bi- bliothèque Elzevirienne.
36 INTRODUCTION
quo, au lieu de discours judicieux et vraisemblables ; cet abus a obligé les présidents de tous les bureaux établis pour le débit et Tentretien des nouvelles du temps de convoquer une assemblée générale pour couvrir ensemble et authentiquement des moyens de remédier à un tel abus.
» Mais la plus grande difficulté fut de s'ajuster sur le lieu et la manière de s'assembler, car les nouvellistes des Tuileries pré- tendaient que tous les autres devaient s'y rendre et leur céder la préséance , à cause que c'était la maison du roi. Le président du Luxembourg soutint qu'elle lui appartenait d'ancienneté, et à cause du bon air^qui fait ordinairement la substance des parti- sans de nouveautés. Mais celui du Palais-Royal disputa à tous le premier rang, par la raison que son fondateur avait été le plus grand politique de son siècle. Le président du cloître des Grands- Augustins le voulut emporter de haute lutte. H proposa, pour soutenir son droit, toutes les boutiqaes qui en dépendent, dans lesquelles on faisait une continuelle lecture de toutes les gazettes qui s'impriment dans l'Europe : de sorte qu'on devait regarder ce lieu célèbre comme le tronc copieux de toutes les nouvelles, et dont les branches s'étendent et fleurissent dans tous les autres bureaux. Néanmoins le président des Célestins s'y opposa for- mellement, sous prétexte que leur jardin était, par privil^e, destiné pour les nouvellistes de distinction , et qu'aucune autre personne n'avait la liberté d'y entrer ; il avança que de tout temps les plus habiles politiques en avaient fait leur centre, témoin Antoine Ferez, secrétaire d'Etat des dépêches universelles de Philippe II, roi d'Espagne, lequel, s'étant réfugié en France, con- çut tant d'inclination pour ce couvent, qu'il voulut qu'après sa mort on l'enterrât dans le cloître, où l'on voit encore son épita phe, qui doit imprimer un vrai respect dans l'esprit des savants nouvellistes.
» Ceux du Palais, qui ne sont nourris que d'un lait qui ne saurait jamais se cailler, formèrent empêchement à la prétention de tous les autres, et même au dessein qu'ils avaient de travailler à la réforme. Us alléguaient pour moyen le long usage où ils étaient de parler de tout sans règle et sans connaissance, en soutenant
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que les saillies d'esprit et Tinvention avaient bien plus de beauté et d'agrément qu'une froide relation de faits et d'événements ; que ce style n'était bon que pour les marchands^ qui ne comptent que sur leur propre fonds , au lieu que les personnes d'un génie vif et beureux savaient trouver dans l'imagination un plaisir et un applau« dissement qu'on ne goûtait point dans un récit simple et uni ; que c'était par le secret de faire des applications hardies des lois sur différentes matières opposées que plusieurs avocats acquéraient de la réputation et de grosses fortunes ; en un mot , que l'incli- nation des Français était toujours d'aller bien loin, sans s'embar- rasser de la science des chemins, et qu'il suffisait d'avoir une langue et du courage pour gagner bien du pays.
» Le député des cafés remontra que la question dont il s'agissait ne regardait nullement la noblesse ni l'ancienneté des lieux où les bureaux se tenaient, mais seulement ceux qui y avaient entrée et voix délibérative ; qu'on ne pouvait pas nier que présentement les cafés ne fussent le rendez-vous le plus ordinaire des nouvel- listes d'esprit et de distinction, particulièrement en hiver, où les promenades n'étaient pas de saison, et que c'était pour cette raison qu'il devait avoir la préséance dans cette grande assemblée.
» Les barbiers eurent avis des motifs pourquoi elle se tenait. Ils ne manquèrent pas d'y faire leurs remontrances, aux fins d'y être reçus comme membres de ce digne corps, fondés sur ce que^ de tout temps, ils étaient en possession d'être les premiers nouvel- listes de tous les pays, et d'être choisis pour battre l'estrade et découvrir tout ce qui se passe d'important dans ce genre de science, ayant pour cet effet beaucoup de relations auprès des personnes de la première qualité.: en sorte que c'était dans leurs boutiques que se raffinaient les plus curieuses nouveautés avant <iue de se répandre dans le public; qu'au reste ils avaient soin de prendre régulièrement les gazettes toutes les semaines, dont la lecture ne coûtait rien qu'un peu de patience, en attendant son rang d'être rasé, en y ajoutant, aussi gratis, des commentaires considérables ; concluant que, si l'on ne leur faisait pas la justice de leur accorder la préséance sur tous les bureaux, ils espéraient ftu moins d'y être agrégés pour y occuper la seconde place.
38 INTRODUCTION
» Après qa'on eoit examiné toutes les circonstaDoes de ces con- testations, les présidents et députés convinrent enfin de laisser la préséance au bureau du Palais, non-seulement à cause que c'est le magasin général des nouvelles, et où il en vient moins qu'il ne 8*en fabrique, mais encore pour n'avoir point de procès, qui achèveraient de gâter l'eprit s'ils étaient joints avec le négoce des nouvelles (4). A l'égard du rang des autres présidents et députés, il fut arrêté qu'il se prendrait comme ils entreraient, n'y ayant point de place, après celle du président du Palais, plus honorable l'une que l'autre. Les choses étant ainsi réglées, quoique avec beaucoup de peine, oh travailla sérieusement au moyen de mettre un bon ordre par tous les bureaux, qui fût ponctuellement ob- servé par tous les nouvellistes , à peine aux contrevenants de n'être pas écoutés, et de confisquer leurs nouvelles comme mar^ chandises de contrebande.
» On trouve les principaux articles de ce règlement, qui a été lu, publié et affiché dans les bureaux. »
Dans tous ces centres où les nouvellistes « célé- braient leurs conciles mutins » , une foule d'oisifs apportaient chaque jour et venaient recueillir le butin quotidien , nouvelles politiques et littéraires ,
(1) Malgré cette décisiOD, les nouTellistes des Tuileries gardèrent longtemps le pas, qu'ils ayaient pris depuis le commencement du siècle sur ceux du Luxem- bourg. Ils l'avaient encore en 1709; c'est du moins ce que l'on peut inférer de ce passage de l'Ambigu ffAuteuil : 9 Après que toutes les nouvelles sont dites an Palais-Royal, et que des histoires qui ont été rebattues déjà cent fois y ont encore été renouvelées, les coqs des pelotons choisissent ceux qu'ils trouvent dignes de leur tenir compagnie, et leur font signe de les suivre aux Tuileries. C'est sur les six heures que se fidt le trie de cette promenade, et le moins mal en ordre vient se produire dans ces magnifiques jardins, où le désajustement des autres ne se- rait pas de mise. Après le tour de la grande allée, ils se retirent sous des ormes qui sont du cèté de la terrasse qui borde la Seine. Là leà plus vénérables prennent siéance, pendant que le reste, étant debout, ne se lasse point de participer à la ré- capitulation de ce qui a été débité de plus important dans la journée, non-seule- ment au Palais-Royal, mais au Luxembourg, à l'Arsenal, an Palais, sans oublier les cloîtres, où il se fait un monde de nouvellistes, et les fameux cafés de Paris, d'où il ne manque pas de venir des députés. »
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bruits de la ville et de la cour. « L'occupation de ces oisifs , dit le petit livre que nous citions tout à rheure , est de s'entretenir de ce qu'ils ont vu et de ce qui les regarde, en particulier lorsque les nou* Telles ne fournissent pas ; et bien souvent , dans Vempressement que quelques-uns ont de donner bonne opinion de leur fait , quatre ou cinq parlent à la fois. » Mais on doit croire que les nouvelles faisaient rarement défaut, l'imagination des nouvel- listes suppléant abondamment en cas de disette. « Quelques-uns consentiraient , dit La Bruyère , à Toir une autre fois les ennemis aux portes de Dijon ou de Corbie , à Voir tendre des chaînes et faire des barricades , pour le seul plaisir d'en dire ou d'en apprendre la nouvelle. » Les affaires de l'Etat n'é* taient-elles pas d'ailleurs un thème inépuisable pour les politiqueurs de ces conciliabules ? « Le su- blime du nouvelliste est le raisonnement creux sur la politique » , dit encore notre grand moraliste. Et Montesquieu : « Il y a une certaine nation qu'on appelle les Nouvellistes. Leur oisiveté est toujours occupée. Ils sont très-inutiles à l'Etat ; cependant ils se croient considérables, parce qu'ils s'entre- tiennent de projets magnifiques et traitent de grands intérêts. La base de leur conversation est une curio- sité frivole et ridicule. Il n'y a point de cabinets si mystérieux qu'ils ne prétendent pénétrer; ils ne sauraient consentir à ignorer quelque chose. A
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peine on^il8 épuisé le présent qu'ils se précipitent dans ravenir, et, marchant au-devant de la Provi- dence , la préviennent sur toutes les démarches des hommes. Ils conduisent un général par la main, et, après l'avoir 4oué de mille sottises qu'il n'a pas faites , ils lui en préparent mille autres qu'il ne fera pas. Ils font voler les armées comme des grues et tomber les murailles comme des cartons. Ils ont des ponts sur toutes les rivières , des routes secrètes dans toutes les montagnes , des magasins immenses dans les sables brûlants : il ne leur manque que le bon sens. > On voit que les nouvellistes français ne le cédaient en rien à ceux de Rome , et la pein- ture de Montesquieu n'est que la copie brillante de celle que traçait Tite-Live dix-sept cents ans plus tôt.
Il y avait dans chaque cercle le nouvelliste tant pis et le nouvelliste tant mieux , l'optimiste et le pessimiste. « Démophile, à ma droite, se lamente et s'écrie : Tout est perdu, c'est fini de l'Etat ; il est du moins sur le penchant de sa ruine... On a fait les plus lourdes fautes... Il débite ses nouvelles, qui sont toutes les plus tristes et les plus désavan- tageuses que l'on pourrait feindre. . . Et si vous lui dites que ce bruit est faux et qu'il ne se confirme point , il ne vous écoute pas. Il ajoute qu'un tel général a été tué , et , bien qu'il soit vrai qu'il n'a reçu qu'une légère blessure et que vous l'en assu-
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riez , il déplore sa mort , il plaint sa veuve , ses enfants , l'Etat ; il se plaint lui-même : il a perdu un bon ami et une grande protection, , . Si Ton attaque cette place , continue-t-il , on lèvera le siège ; ou Ton demeurera sur la défensive sans livrer de com- bat, ou, si on le livre, on le doit perdre; et si on le perd , voilà Tennemi sur la frontière. Et, comme Démophile le fait voler, le voilà dans le cœur du royaume : il entend déjà sonner le beffroi des villes et crier à l'alarme; il songe à son bien et à ses terres. Où conduira-t-il son argent, ses meubles, sa famille? Où se réfugiera-t-il? En Suisse ou à Venise? — Mais, à ma gauche , Basilide met tout d'un coup sur pied une armée de trois cent mille hommes; il n'en rabattrait pas une seule brigade : il a la liste des escadrons et des bataillons , des généraux et des officiers; il n'oublie pas l'artillerie, ni le bagage. Il dispose absolument de toutes ces troupes... il sait ce qu'elles feront et ce qu'elles ne feront pas : vous diriez qu'il ait l'oreille du prince ou le secret du ministre. . . Une autre fois il accourt tout hors d'ha- leine, et après avoir irespiré un peu : Voilà, s'écrie- t-il , une grande nouvelle 1 Ils sont défaits , ' et à plate couture ; le général , les chefs , du moins une bonne partie , tout est tué , tout a péri ! Voilà , con- tinue-t-il , un grand massacre , et il faut convenir que nous jouons d'un grand bonheur! Il s'assied, il soufiEie , après avoir débité ,sa nouvelle , à laquelle
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il ne manque qu'une circonstance, qui est qu'il y ait eu une bataille... (1) »
Si , du reste , Ton veut juger de l'estime dont jouissaient en général les nouvellistes , il suffit d'ouvrir nos vieux lexiques ; on lit, par exemple, dans le Dictionnaire de Trévoux : « Le caractère de nouvelliste conduit au ridicule ; c'est une espèce de profession qui rabaisse l'homme au-dessous de lui- même. Les nobles ruinés ou fainéants sont d'ordi- naire nouvellistes ou généalogistes. » Aussi la satire ne les a-t-elle pas épargnés. Hauteroche a dirigé contre eux , en 1 678 , sa comédie des Nouvellistes; et , en 1 689 , paraissait à Anvers , toujours à leur adresse , un poème héroï-comique intitulé : « Le grand théâtre des nouvellisteSj docteurs et historiens à la mode^ ou Le cercle fameux de la promenade du Luwembourgj poème héroï-comique, envoyé à un homme de qualité partisan de ce cercle , au sujet des entreprises qu'on y fait , tant contre les droits delà Gazette, par des nouvelles forgées à plaisir, que de la conversation , de la guerre , des sciences et des arts les plus sublimes , par les insultes, four^ beries et questions ridicules , dont bien souvent la solution ne s'y donne que par des injures et des coups de poing. »
De Visé, le créateur du Mercure galant ^ qui, pour
(I) La Bruy&re, Du Souverain ou de la République.
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les besoins de son journal , fréquentait beaucoup les nouvellistes , qui , par conséquent , les connaissait parfaitement, en a tracé dans ses premiers numéros une peinture dont nous reproduirons quelques traits :
« Vous avez peut-être ouï parler des Douvellistes, qu'une cu- riosité qui ne les laisse point en repos, et leur fait souvent né-" gliger leurs propres affaires pour songer à celles des autres, fait assembler en divers lieux publics de Paris, et surtout dans la grande salle du Palais et dans le jardin du Palais-Royal. C'est dans ces deux endroits où les deux plus grands corps de nou- vellistes s'assemblent tous les jours, et où la curiosité attire beau- coup plus d'honnêtes gens que d'autres. Vous aurez peut-être d'abord de la peine à croire combien, parmi les fausses nouvelles qû s'y glissent, on y en débite de véritables, et de choses cu- rieuses et spiritu^les. J'ai eu longtemps de la peine à le croire avant que d'être devenu membre de ces célèbres corps ; mais enfin j'en ai découvert les raisons. Elles viennent de la diversité des personnes de mérite, d'esprit et de naissance, qui s'y rendent de toutes parts ; et vous devez aisément être persuadé que parmi les nouvelles de tant de gens qui ont de différents emplois et de différents commerces dans le monde, il y en peut avoir beaucoup de curieuses et de véritables. Les uns apportent des lettres de leurs amis, les autres de leurs parents. Les autres ont commerce avec quelques commis des ministres, et les autres avec des gens attachés au service des princes, et qui sont même quelquefois dans leur confidence. 11 s'en trouve aussi qui ont des parents auprès des ambassadeurs que le roi a dans les pays étrangers ; et il y en a même qui connaissent ceux des autres souverains qui sont auprès de Sa Majesté, et ceux-là apprennent souvent d'eux beaucoup de choses qu'il serait difficile de savoir par d'au- tres voies. J'ai vu pendant cette campagne des nouvellistes qui avaient toutes les semaines deux fois des lettres de banquiers de Hollande qui apprenaient des choses fort curieuses, et qui ne
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pouvaient venir de Tannée que longtemps après, parce que les courriers n'étaient pas obligés de se détourner, comme ceux qui venaient des armées du roi, et les nouvellistes ont su par ces lettres le passage de Toliiys trois jours avant qu'il y eût à Paris aucune lettre de la cour qui parlât de cette belle action, qui en contient tant d'autres mémorables...
A U y a quantité de gens qui condamnent les nouvellistes sans les connaître ; mais s'ils doivent être blâmés de quelque chose, c'est plutôt à leur manière de débiter les nouvelles, et à leurs empressements pour en apprendre, qu'à leur esprit, qu'on doit trouver à redire; quand on les examinera bien, Ton connaîtra que -leur procédé ne fait rien voir d'extraordinaire que l'on ne fasse partout où les assemblées sont grandes... Ce n'est pas que je veuille justifier tous les nouvellistes, quoiqu'ils ne fassent que ce que foi^t tous les hommes... Il y a de faux nouvellistes qui se mêlent parmi les véritables et dont on ne peut se défaire... Ce que j'ai trouvé de plus remarquable parmi ces messieurs c'est que les plus fous croient être les plus sages,- et que les plus grands nouvellistes se défendent de l'être; de manière qu'il n'y a presque pas un de ceux qui composent ces assemblées qui ne croie l'être moins que son compagnon, et qui ne le raille d'être nouvelliste. L'un dit qu'il n'y vient si assidûment que pour sa- voir ce que l'on dit, parce qu'il s'est engagé d'écrire des nou- velles en province; un autre jure qu'il ne s'y rend tous les jours que pour rire de ce qui s'y passe ; et il s'en trouve qui as- surent qu'ils n'y viennent que pour se promener, quoiqu'ils y soient si assidus qu'ils consomment souvent les heures du repas plutôt que de ne pas entendre la fin d'une nouvelle commencée. C'est ainsi que chacun couvre de quelque prétexte l'avide cu- riosité si ordinaire à tant de gens.
» ... Et je prétends encore plus vous divertir par les manières dont les choses se sont débitées que par les nouvelles mêmes : car enfin il n'y a rien de plus plaisant que les disputes qui se font quelquefois entre deux obstinés ; rien n'est plus divertissant que d'entendre souvent parler de politique un homme qui n'a jamais su ce que c'est, que de voir débiter plusieurs nouvelles à
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la fois, et d'en voir quitter une à moitié pour en commencer une autre, et de la laisser aussitôt pour reprendre la première. J*ai vu quelquefois des nouvellistes dans un cruel embarras parce qu'ils ne pouvaient en même temps entendre tout ce qui se disait en différents endroits... »
Dans l'ébauche d'une comédie contre les nouvel- listes, dont il sème ça et là quelques scènes à travers ses récits , une maîtresse parle ainsi de son amant, qui passe pour un très-grand nouvelliste :
Aux affaires d'État tout entier il s'applique. Monsieur de Montangrue est, je pense, son nom.
Et d*étre très-grand politique
En tous lieux il a le renom, n pourrait gouverner lui seul mille provinces.
Et nous n'avons point aujourd*hu4
De personnes qui mieux que lui
Sachent les intérêts des princes.
Ailleurs c'est une petite bourgeoise, dont le mari est nouvelliste écoutant, et perd tous les jours son temps sous les arbres du Palais-Royal,
Avecque de faibles cervelles A qui ce jardin plaît aussi.
Cette brave femme pense que
Ce métier où Von perd son temps N'est pas le fait d'un homme sage. Qui doit songer à son ménage, Et n'est que pour les fainéants.
Elle va donc relancer son mari jusque dans ces bruyants conciliabules :
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Messieurs, je vous demande excuse Et je croyais avecque vous Trouver mon fainéant d'époux. Qui tous les jours ici s'amuse Et fait le nouvelliste au milieu de vingt fous.
Elle s'en plaint à tous ceux qu'elle rencontre : il a perdu le sens, il n'est plus propre à rien :
Quand chez un procureur il va pour ses affaires, Il oublie en causant ce qui Vy fait aller; Pourvu qu'il nouvellise, il n'y songe plus guères.
Et s'en revient sans en parler. Dernièrement, tout prêt à rendre Vâme,
Il pensa me faire enrager. Et, d'un air tout mourant, il me disait : Ma femme, N'aS'tu rien de nouveau? Si tu veux m'obliger.
Va t'en chercher, je te conjuré.
Quelque nouvelle qui soit sûre, A son apothicaire il en disait autant,
A son médecin tout de même : Ils avaient beau le voir avec un soin extrême. Sans nouvelles jamais il n'en était content ; S'ils n'en apportaient pas, il leur faisait la mine. Et nous étions obligés quelquefois
If en inventer entre nous trois Pour f engager à prendre médecine,
11 n'en dort pas, ou, s'il cède au sommeil, c'est pour rêver de ce qui l'occupe exclusivement :
Il ne songe jamais si ce n'est de nouvelles. Et, quand il croit en avoir de fort belles^ . Il me tire en rêvant j la nuit, pour m'en conter; Quand il n'a rien à faire, il lève quelque armée.
Qu'il casse quelques jours après; Et quelquefois il croit voir V Europe alarmée
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De ses chimériques apprêts.
Sa folie étant sans seconde^ Il été, en sa pensée, et donne des emplois.
Et croit que tous les rois du monde
Devraient applaudir à ses choix. Dernièrement, la nuit, il brûla trois chandeUeSy
Des six à la livre, et des belles, A compter par ses doigts, à la plume, aux jetons. Combien le Grand-Seigneur a dedans son armée,
Dont la Pologne est alarmée.
De cavaliers et de piétons ;
Puis, avec grande patience. Il vit à quoi pouvait monter cette dépense. Et, d^un si long travail las jusqu'au dernier point, Se vint coucher ensuite, et ne me parla point,
II lui faut des nouvelles à toute force; au besoin il en invente, et les appuie de mille innocents suIk terfuges. Ainsi, souvent il s'écrit à lui-même pour faire croire à une nombreuse correspondance et donner plus de créance à ses inventions; ou bien,
Si chez lui pour affaire il passe un demi-jour,
Il bâtit Sabord uns histoire. Et tâche à ses pareils de faire aussitôt croire
Qu'il vient d'arriver de la cour,
liCnouvellisme, qui d'abord n'avait été qu'une manie de curieux ou d'oisifs, devint un métier pour certains coureurs de nouvelles, qui se mettaient aux gages de quelque grand personnage, qu'ils avaient charge de tenir au courant des bruits de la ville» On avait un nouvelliste comme on avait un maître
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d'hôtel et un cocher ; c'était un meuhle de grande maison. On lit cette mention dans un compte ma- nuscrit des recettes et dépenses du duc de Mazarin : € Au sieur Portail, pour les nouvelles qu'il fournit toutes les semaines par ordre de Monseigneur, et pour cinq mois, à 10 livres par mois, 50 livres. » Ce n'était pas payer trop cher un homme dont l'emploi consistait à rechercher ou à inventer les nouvelles de la ville et de la cour ; à savoir ce qui était dans la pensée du prince, et même ce qui n'y était pas ; à connaître ou à imaginer ce que le roi avait dit tout bas à la reine, et, ainsi que le disait des nouvellistes de son temps un poète comique latin, à révéler la conversation que Jupiter avait eue avec Junon (1). Mais ils avaient certains petits profits qui compensaient un peu l'exiguité de leur pension. Ainsi, quand, par occasion, ils passaient dans le quartier vers l'heure de midi, ils pouvaient aller diner à l'office. « Et vous pensez bien, fait dire Monteil à un de ces parasites, que j'en avais tous les jours occasion. Ma place, à cet égard, était fort bonne. Pour la conserver, j'écrivais le plus que je pouvais des nouvelles à la main, des gazetins, des gazettes à la main, divisées pararticles, que je rem-
(I) Quod quisque in <mimo habet, (tut habiturus est, seiunt ; Sciwit id quod in aurem rex reginx dixerit; Sciant id quod Jtmo fabulata est cwn Jove ; Quae neque futura neque facta,'illi tamen êciunt,
(Plante, V Homme aux trois dmiert.)
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plissais de toutes sortes de contes de ruelles, de bruits de ville, d'anecdotes édifiantes ou scanda- leuses, de tout ce que je pouvais ramasser en allant, en entrant partout, en ne cessant d'écouter (1 ) • »
Dans l'origine, les nouvellistes se bornaient à se communiquer les nouvelles qu'ils avaient recueil- lies, chacun de son côté, ou tirées de leur imagina- tion, et, en se séparant, ils les répandaient de vive Yoix parla ville. Mais bientôt on en était venu, dans la plupart des cercles, à en tenir registre; on en discutait la valeur, et, si elles le méritaient, on leur donnait place dans une sorte de journal, dont les copies manuscrites étaient répandues à profusion dans Paris. Telle est l'origine de ces fameuses Nouvelles à la main dont on a tant parlé. Le com- merce s'en était même, à la fin, régularisé, autant que ie permettait leur nature clandestine ; chaque cercle avait son bureau de rédaction et de copie, ses correspondants en province, et les gazettes ma- nuscrites, ou gazetins, comptaient un grand nombre , d'abonnés auxquels on les adressait moyennant une somme qui variait suivant qu'elles se coiliposaient de plus ou moins de pages. De là au journal il n'y avait plus qu'un pas.
Il semblerait que les nouvelles à la main eussent dû disparaître devant les gaasettes imprimées. 11
(1) Monteil, Bisioirê des Français.
T. I. 3
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n'en fut rien cependant, grâce à l'avantage qu'elles avaient sur ces dernières d'être beaucoup plus libres et plus complètes. Cette liberté suffit pour les soutenir, et elles persistèrent longtemps, malgré les arrêts des tribunaux, malgré la chasse que leur donna Renaudot, qui aurait voulu, au dire de Guy Patin, son caustique adversaire, « faire pendre tous ces faiseurs de gazettes à la main, d'autant plus qu'ils étaient cause qu'il ne se vendait guère de sa gazette imprimée. »
Le même fait se produisit en Angleterre, où la presse, cependant, était relativement beaucoup plus libre. Chez nos voisins d'outre-mer, comme sur le continent, le vrai journal se fit longtemps par cor- respondance ; là aussi les grands personnages avaient des correspondants attitrés, et cet usage y avait également introduit l'industrie des let- tres-circulaires et des nouvelles à la main. La noblesse des comtés, qui venait rarement à la cour, n'avait guère d'autre moyen d'information que ces lettres-circulaires, et les établissements publics, les cafés, avaient soin d'en recevoir quelqu'une, afin de se créer, par l'appât de la curiosité, une clientèle plus élevée. Il fallut longtemps pour que la feuille imprimée se substituât complètement à la gazette manuscrite des nouvellistes, et les raisons en sont bien simples. Les premiers journalistes étaient fort mal informés, et quiconque approchait un peu les
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grands était niitiix instruit qu'eux» Et puis, dans la crainte d'attiré sur leur tête les foudres de la chambre étoilée, ib s'aventuraient rarement à par- ler d^s affaires intérieures ; les nouvellistes, au con- traire, en faisaient le principal sujet de leurs lettres, et non-seulemwt ils racontaient les faits, mais ils y joignaient des jugements, des apprécia- tions, qu'ils n'eussent osé imprimer. Les Lettres de Nouvelles (NewS'Letters)^ comme on les appelait, étaient donc beaucoup plus intéressantes que le journal imprimé, et pendant un demi-siècle elles lui demeurèrent fort supérieures en circulation et en importance. Une feuille du temps ^YEvening-Postj s'étonne que bien des gens en province consentent à payer 3 et 4 livres par an (75 à 1 00 fr.) pour rece- voir une correspondance , lorsqu'un bon journal leur coûterait beaucoup moins. Ce fut au point que plusieurs feuilles, pour faire concurrence aux nou- velles à la main, avaient imaginé de paraître avec deux pages imprimées et deux pages en blanc, afin qu'on pût se servir de son journal en guise de papier à lettres, et envoyer les nouvelles du jour à ses amis chaque fois qu'on leur écrivait. Ces jour- naux se vendaient 2 pences ou 20 centimes le nu- méro.
En France, ce qui surtout fit la fortune des nouvelles à la main, indépendamment des restric- tions apportées à la liberté de la presse, ce fu leur
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caractère éminemment satirique ; c'est dn scandale que vivaient la plupart de ces gazettes clandestines. Quelques unes cependant n'étaient que des ramassis de nouvelles fort inofifensives ; il en était même cer- taines qui, à ce qu'il parait, affectaient déjà la forme et le ton de nos chroniques et courriers. Nous trou- vons dans le catalogue de la Bibliothèque poétique de M. VioUet-Leduc, sous le titre de La Gazette; PariSj jouxte la copie imprimée à Rouen par Jean Petite 1409 (1609?), une pièce de vers que le savant bibliophile donne comme « une sorte de satire en forme de pro- gramme des gazettes àlamain,etdans ceprogramme, comme dans tous ceux que l'on fait aujourd'hui, on promettait beaucoup plus que l'on ne voulait et que Ton ne pouvait tenir. » On y fait même tant de promesses, et des promesses de telle nature, que nous serions forcé de convenir, si cette pièce n'est pas antidatée , que les gazettes manuscrites avaient pris, dès le commencement du xvii* siècle, un déve- loppemejit que nous ii'aurions pu soupçonner. Voici, du reste, ce qu'en donne M. VioUet-Leduc dans son catalogue :
La Gazette en ces vers Contente les cervelles, Car de tout Vunivers Elle reçoit nouvelles.
La Gazette a mille courriers Qui logent partout sans fourriers.
HISTORIQUE 53
// faut que chacun lui réponde.
Selon sa course vagabonde^
De çà^ delà, diversement,
De rOrient à VOcddent,
Et de toutes parts de la sphère^
Sans laisser une seule affaire,
Soit é^éditSj déclarations^
De duels, de commissions,
De pardons pléniers et de bulles,
lïambassadewrs venus en mules...
Après les nouvelles politiques, viennent les nou- velles particulières,
De malheurs, de prospérités... De larmes en cour, de piaphes (1)... De morts subites de seigneurs Pour estre trop grands besongneurs Des livres de maistre Guillaume,..
Quoi que ce soit, rien ne s'oublie. Car la Gazette multiplie Sans relasche les postillons Vistes comme les aquilons.
Il n'y a pas jusqu'aux. modes qui n'aient leur chapitre :
r
La Gazette en cette rencontre Comprend des points plus accomplis, Us courtes chausses à gros plis, Les gauches détours des roupilles, Lastrolabe des pécadilles, Dédales et compartiments, Des boutons et des passements...
(4) (?est ce qu'on nomme aujourd'hui des poufs {pull) ou des canards.
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Et pour les dames ,
les méthodes, Les inventions et les modes De cheveua nmfr à qui ks veut, De fausse gorge à qui ne peut,,. Noeuds argentéSj*lacets, échairpes. Bouillons en wigeoires de carpes^ Porte-fraizes en entonnoir, OreiUettes de velours noir, Doubleures aux masques huilées^ Des menUnmières dentellées, Des sangles à roidir le buse, Des endroits où fon met du muse, etc.
Mais dans Torigine, durant les guerres de reli- gion surtout, la plupart des gazettes à la main étaient de véritables libelles, des instruments de guerre dans les mains des partis, ainsi que les placards, avec ou sans illustrations, que Ton peut regarder comme la forme primitive du journal, et dont il nous est resté de très-curieux échantillons. Aussi leurs auteurs étaient-ils impitoyablement "pourchassés par les arrêts du Parlement et les or- donnances roj^ales , qui portaient contre eux et contre leurs éditeurs les peines les plus sévères.
Le 28 septembre 1553, arrêt tendant à prévenir les suites « de placards séditieux affichés à Saint- Innocent et à la porte du Ghastelet. » Le roi, de- mandant qu'il fût procédé en cette affaire, avait offert secours d' artillerie j poudre et boulets^enccLS de besoin. Les années suivantes, les mêmes mesures sont pri-
HISTORIQUE &5
ses contre les placards incendiaires, dont les auteurs vont toujours croissant en audace et en nombre.
Vers la même époque, les prédicateurs commen* cent à devenir l'objet d'une surveillance particu- lière. Et, en effet, l'influence de la chaire ne pouvait plus se distinguer des abus de la presse, dans un temps où l'Evangile servait de texte à des déclama- tions furibondes contre les pouvoirs temporels, eantre ceux-là même que la religion proclamait les élus de Dieu sur la terre.
Mai 1 560, ordonnance de Romorantin, déclarant « ennemis du repos public et criminels de lèse- majesté tous les prédicants non ayant puissance de prélats. . . tous faiseurs de placards et libelles diffamatoires... qui ne peuvent tendre qu'à irriter et esmouvoir le peuple à sédition. . . »
Janvier 1 561 , loi portant que «tous imprimeurs, semeurs des placards et de libelles diffamatoires, se- ront punis, pour la première fois, du fouet, et de la vie en cas de récidive. »
15 janvier 1561, arrêt réglementaire du Parle- ment qui étend les défenses et prohibitions précé- dentes aux cartes et peintures.^ et sans doute aussi aux pièces gravées sur bois. Depuis longtemps les caricatures contre la réforme et l'Eglise romaine fai- saient cause commune avec les pamphlets. L'Alle- magne et les Pays-Bas nous avaient devancés dans cette voie de publications, d'autant plus redoutables '
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alors qu'elles mettaient les produits de la presse à la portée d'un peuple qui ne savait pas lire.
10 septembre 1563, « défense de faire semer libelles diffamatoires, attacher placards, mettre en évidence aucune autre composition... sur peine d'estre pendus etestranglez, et ceux qui se trouve- ront attachant ou avoir attaché ou semé aucuns placards, seront punis de semblables peines (1 ). »
Sous Louis XIV, les gazettes à la main ont changé de nature et perdu de leur violence: ce sont des chroniques scandaleuses plutôt que politiques; cependant les poursuites ne se ralentissent pas, et la police est sans cesse à la poursuite de ces feuilles indiscrètes.
Un arrêt du 9 décembre 1 670, confirmant deux arrêts précédents, des 1«' avril 1 620et 1 8 août 1 666, fait défense à toutes personnes de vendre aucuns libelles écrits qualifiés de gazettes à la main , à peine du fouet et du bannissement pour la première fois, et des galères pour la seconde.
Un arrêt du 22 août 1 656, « sur Tavis donné que plusieurs personnes malveillantes, depuis quelque temps , s'étaient ingérées de composer plusieurs li- belles séditieux , qu'ils intitulent gazettes secrhtes , et que depuis quelque temps ils se seraient avisés de les faire imprimer, vendre et distribuer dans les
(1) V. Leber, De l'état réel de la presse et des pamphlets depuis François l" jusqu'à Louis XIV.
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rues par les colporteurs ordinaires » , condamne le nommé Louis Chevalier de Saint-Martin , Antoine et Gentil, maîtres imprimeurs, à 24 livres parisis 4'amende , applicables aux pauvres de la commu- nauté des marchands libraires, et à voir leur impri- merie fermée pour six mois.
On lit dans une ordonnance du 26 février 1 658 : « De par le roi et M. le prévôt de Paris : Aucuns s'ingèrent de composer des gazettes qu'ils font écrire à la main ; non-seulement ils les font distri- buer toutes les semaines dans les villes et provin- ces du royaume , mais aussi les envoient en pays étrangers, et d'autant que cette licence est une en- treprise faite par des personnes privées , ignorantes de la vérité des choses , qu'ils écrivent inconsidé- rément, ce qui pourrait apporter un nouveau préju- dice au service du roi , à cause des suppositions et calomnies dont lesdites gazettes sont remplies.... ordonnons... à peine de punition corporelle... »
Mais toutes ces défenses n'empêchaient pas les petites feuilles des nouvellistes de circuler dans Paris et de pénétrer dans les provinces les plus reculées ; ce qui , par parenthèse, tendrait à prouver que le métier ne laissait pas d'être lucratif. « Quant aux gazetiers dont vous me parlez, écrit le prince de Ccmdé , gouverneur de Bourgogne , au président du parlement de cette province , c'est un mal sans remède. Il n'y a pas longtemps qu'on en a mis à
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la Bastille une douzaine tout en un coup y et cela ne les rend pas plus sages. »
Cependant, les délits se renouvelant avec audace en dépit des ordonnances , les arrêts du parlement augmentèrent de rigueur : auteurs , libraires , col- porteurs, acquéreurs même de ces écrits, furent poursuivis et atteints. Les registres du parlement portent, entre plusieurs autres condamnations, à la date du 9 décembre 1661 , sentence, contre un nou- velliste , Marcelin de Laage , qui fut condamné à être fustigé et banni de la ville de Paris pour cinq ans, avec défense de récidiver, et ce à peine de la vie. Un autre arrêt, du 24 septembre 1663, con- damne EUe Blanchard, natif de Roué (Maine), pour avoir composé et écrit des gazettes , à être battu et fustigé au milieu du Pont-Neuf , ayant pendus au cou deux écriteaux, devant et derrière, con- tenant ces mots : Gazetier à la main. En 1 683 , ordre est donné à La Reynie d'attacher à la pre- mière chaîne de forçats qui partira pour les galères les nommés Bourdin et Dubois, condamnés au Châtelet pour distribution de libelles. Le secrétaire d'Etat pour la maison du roi, en transmettant, cet ordre au lieutenant-général de police, ajoute : « Le roi veut que la sentence soit entièrement exécutée. »
L'arrêt de 1 666 donnait droit aux officiers ordi- naires de juger en dernier ressort les auteurs des gazettes à la main. En 1670, La Reynie demandait
HISTORIQUB 59
à Colbert la prolongation de ce pouvoir accordé aux juges inférieurs. « Il y a. nécessité, disait-il^ de ré- primer par le& voies les plus rigoureuses la licence que l'on continue de se donner d'envoyer dans les pays étrangers des libelles manuscrits et gazettes à la main ; mais il serait d'une fâcheuse conséquence de traduire les écrivains pernicieux qui débitent de semblables pièces du premier tribunal au supérieur, et d'exposer à la vue de plusieurs et d'un'' grand nombre déjuges dé pareils libelles, qu'on ne saurait tenir trop secrets, ni trop tôt supprimer. »
Les peines dont les menaçait la répression de la justice n'étaient pas le seul danger que les gazetiers à la main eussent à redouter ; ils étaient en outre exposés sans défense à la vengeance personnelle des particuliers. C'est ainsi que le marquis de Vardes , si l'on en croit le cardinal de Retz , fit couper le nez au fameux Montandré, chef des criail- leurs du parti des princes, pour un libelle écrit contre la maréchale de Guébriant, sœur du marquis, sans que la justice s'inquiétât davantage de cet acte barbare.
Ces rigueurs expliquent les intermittences, les transformations de ce journalisme clandestin , et l'extrême rareté des gazettes manuscrites ; mais si ces feuilles nous ont échappé , en raison même de leur nature , il nous est facile de juger, aux perse-
60 INTRODUCTION HISTORIQUE
cutions qu'elles attiraient sur leurs auteurs , quels en devaient être et le caractère et Tesprit.
Sous le coup de ces dangers de toute nature , les gazettes manuscrites finirent par disparaître, et leur trace nous échappe jusqu'au milieu du siècle sui— vant, où nous les retrouverons plus vives et plus spirituelles que jamais.
HISTOIRE
POLITIQUE ET LITTÉRAIRE
SI LA
PRESSE EN FRANCE
PREMIÈRE PARTIE
LA PRESSE AVANT LA RÉVOLUTION
I
ORIGINE DU JOURNAL EN FRANCE
LA GAZETTE — TH. RENAUDOT
Thiophraste Rena/udot. r- Ses commencemmUs, — Ses Innocentes Inventions : Mont-de-Piété^ Bureau d^ adresse et de rencontre. — Cemment il est amené â la création de la Gazette.
Dans les premières années du xvii® siècle était arrivé à Paris un jeune médecin qui n'avait pas tardé à faire beaucoup parler de 1 ui : il s'appelait Théophraste Renaudot. C'était un homme à idées modernes y un de ces vifs esprits pour qui le pro- grès est un besoin, qui, dans leur impatience, peu- vent quelquefois faire fausse route, mais dont la féconde activité tourne toujours, en fin de compte, au profit de la société. De notre temps on Teût dé- daigneusement qualifié d'industriel : ses ennemis le traitaient de charlatan ; mais alors, comme au- jourd'hui, l'envie devait être impuissante contre le vrai mérite.
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Renaudot était né à Loiidun en 1584. Après avoir étudié la chirurgie à Paris, il était allé se faire recevoir docteur à Montpellier ; il avait ensuite voyagé pendant plusieurs années. Revenu dans sa ville natale, il y exerça son art avec tant de succès, que sa réputation s'étendit bientôt dans tout le Poi- tou et dans les provinces environnantes. Mais Re- naudot ne tarda pas à trouver ce théâtre trop étroit. Il revint donc à Paris en 1 61 2, et il obtint, dès son arrivée, le titre de médecin du roi. A en croire ses détracteurs, ce n'était là qu'un vain titre, et, pour vivre, il aurait été obligé d'ouvrir une école. Qu'im- porte, après tout ? Les difficultés qu'il eut à vaincre ne sauraient amoindrir son mérite, et l'envie qui s'attache à ses premiers pas milite déjà en sa faveur.
Quoi qu'il en soit, Renaudot eut le grand art de mettre le public dans ses intérêts, et de se faire de puissants protecteurs. Richelieu, qui se connaissait en hommes, le distingua bientôt, et lui donna Tof- fice de commissaire général des pauvres valides et invalides du royaume.
Renaudot méritait cette faveur à plus* d'un titre. La chimie, qui était encore dans son enfance, com- mençait à fournir à la médecine quelques curatifs nouveaux, contre lesquels tonnait la Faculté de Pa- ris. Renaudot, qui cherchait le progrès partout, se montra un des plus ardents à exploiter cette mine nouvelle, et, en dépit de la routine, ses remèdes
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chimiques eurent un succès d'autant plus grand, qu'il les donnait gratuitement aux pauvres, avec ses . consultations.
En effet, soit par un sentiment d'humanité, soit par calcul, il s'était fait le commissaire officieux, mais qualifié et breveté, des pauvres et des mala- des, de ceux qui ne voulaient pas entrer dans les hôpitaux, qui préféraient être traités à domicile : il se chargeait de leur procurer gratis médecins et médicaments.
Ce n'était pas, du reste, le seul service qu'il ren- dît aux malheureux. Dans le désir de venir en aide aux travailleurs, il avait établi une maison de prêt, ou mont-de-pieté, où affluaient les gens nécessiteux. Ce fut le premier établissement de ce genre. On y prêtait le tiers de l'estimation des objets, moyennant 3 0/0 d'intérêt et un léger droit d'enregistrement; Les dépôts, il est vrai, devenaient la propriété du prêteur s'ils n'étaient pas retirés à l'époque conve- nue ; mais on ne dit pas qiîe Renaudot ait abusé ou mêîne usé de cette clause rigoureuse. Que l'on com- pare ces conditions à celles que font nos monts-de- piété actuels I Cependant^ les bonnes gens ne man- quèrent pas de crier à l'usure. Mais Renaudot leur préparait de bien autres sujets de criailleries.
On savait à peine, en France, au commencement du xvn' siècle, ce que pouvait être, je ne dirai pas un journal dans l'acception actuelle de ce mot,
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mais même un recueil périodique; on manquait presque absolument de moyens de publicité, ou Ton n'en avait que de très-élémentaires ; il n'y avait guère plus de publicité commerciale que de publi- cité politique. Ce n'était que par ouï-nlire que Ton connaissait les événements, et ce que l'on voulait faire savoir au public, on n avait d'autre ressource que de le faire crier par les rues. Pour avoir une idée de ce que devaient être alors les relations so- ciales à ce point de vue, qu'on se figure, si l'on peut, ce qui adviendrait si les journaux et les affi- ches venaient tout à coup à être supprimés. Ce fut Renaudot qui porta la lumière dans oe ehaos.
Il établit d'abord, sous le titre de Bureau d'adresse et de rencontre^ un centre d'informations et de pu- blicité, où chacun pouvait se procurer l'adresse dont il avait besoin, ou tel autre renseignement de même nature. Là se rencontraient les acheteurs et les vendeurs, et Ton y tenait registre de ce dont ceux-ci voulaient se défaire, et de ce que ceux-là désiraient acquérir. Les nouvellistes aussi s'y don- naient rendez-vous et y tenaient de paisibles conci- liabules (1).
(I) Od ad*Ev8èl)a Renandot, fils de Théophraste, an Bicueil général des que$- tions traitées es conférences du Bureau d^ adresse, sur toute sorte de matières, par les plus beaux esprits de oe temps-, Paris, 1609, 5 volumes, pleins de choses on ne peut plus curieuses. Quand la Gazette ftit sortie du Bureau d'adresse, Fosage s'établit de désigner plus particulièrement par oe nom le lieu où l'on reoerait les nouTelles pour cette feuille, et où on la débitait. — Puis on l'appliqua flgurément aux maisons où l'on débitait beaucoup de nouTelles.
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Nous renvoyons ceux de nos lecteurs qui seraient curieux de connaître plus à fond les opérations de cet établissement, et la manière dont il fonctionnait, au tome xxii du Mercure français (1), ils y trouve- ront un discours sur Tutilité des Bureaux d'adresse, usage et commodité d'iceux, que Renaudot y intro- duisit, « pource, dit-il, que l'établissement du Bu- reau d 'adresse , fondement de cettuy-cy , des G azettes , conférences et autres belles institutions qui s'y sont faites et font journellement au contentement du pu- blic, pourra possible sembler à plusieurs digne que l'histoire en marque le commencement, qui n'a pas été remarqué ailleurs. 11 avintl'an 1630, fondé sur l'autorité d'Aristote, lequel, au iv* livre de ses Po- litiques, chap. XV, dit : Oportet esse aliquid taie cui cura sit populum consilio prcevenire ne otiosus sit. — Idem, lib. Politicorum secundo, cap. vu: Quodigitur necessariwn est in bene constituenda republica necessa riarûm adesse facultatem omnes fatentur; sed quemadr modum id futurum sit non facile est comprehendere. » On ne se serait probablement pas attmdu à ren- contrer Aristote en cette affaire. Mais Èenaudot savait ses auteurs, à telle enseigne qu'il s'appuie encore de l'autorité « du sieur de Montagne, pour servir de preuve au bien qui en reviendra (de son Bureau d'adresse) aux hommes de lettres, et mon-
(I) Sorte dfannalee historiques, fondées par un imprimeur du nom de Richur, et continuées par Renaudot. Nous y reriendrons k l'article Mercure.
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trer quel est leur avis sur cette matièrèvinême en notre âge et en celui de nos pères. »
a Feu mon père (dit le sieur de Montagne, dans le xxxiv« cha- pitre de ses Essais), homme, pour n'être aidé que de Tespérience et du naturel, d'un jugement bien net, m'a dit autrefois qu'il avait désiré mettre en train qu'il y eût es villes certain lieu dé- signé auquel ceux qui auraient besoin de quelque chose se pour- raient adresser, et faire enregistrer leur affaire à an officier éta- bli pour cet effet. Comme je cherche à vendre des perles, je cherche des perles à vendre ; tel veut compagnie pour aller à Pa- ris y tel s'enquiert d'un serviteur de telle qualité, tel d'un maître ; tel demande un ouvrier ; qui ceci, qui cela, chacun selon son be- soin. Et semble que ce moyen de nous entr'advertir apporterait non 4égère commodité au commerce public. Car à tous coups il y a des conditions qui s'entrecherchent, et pour ne s'entr'entendre laissent les hommes en extrême nécessité. J'entends avec une grande honte de notre siècle qu'à notre vue deux très-excellents personnages en savoir sont morts en état de n'avoir pas leur saoul à manger : Lilius Gregorius Giraldus (4) en Italie, Sebas- tianus Castalio [%) en Allemagne. Et crois qu'il y a mille hommes qui les eussent appelés avec de très-avantageuses con- ditions, ou les eussent secourus où ils étaient, s'ils l'eussent su. Le monde n^est pas si généralement corrompu que je ne , sache tel homme qui souhaiterait de bien grande affection que les moyens que les biens lui ont mis en main se pussent employer à mettre à l'abri de la nécessité les personnes rares et remarquables en quelque espèce de valeur, que le malheur combat quelquefois jusques à l'extrémité, et qui les mettrait pour le moins en tel état qu'il ne tiendrait qu'à faute de bon discours s'ils n'étaient contents. »
(1) Giglio Gregorio Geraldi, né à Ferrare en 1489, y mourut en 1552. Ses oarra- ges, dont les principaux sont V Histoire des dieux et les Dialogws sur les poètes, ont été recueillis par Jensius dans la belle édition de Leyde, 3 vol. in-fol., 1696.
(2) Sébastien Chasteillon, Dauphinois, né en 1515, mort en 1563. U est coona surtout par sa yersion latine de la Bible, oti il affecte de ne parler que la langue cicéronienne. Voy. Bayle, au mot Castalion.
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Parmi les arguments de Renaudot en faveur de don Bureau, nous en citerons un seul, comme eiemple de sa logique :
«Pour exemple, diUI, je cherche à donner à ferme une terre, un autre cherche à prendre une terre à ferme; faute de se s'en- tre-connaitre il ne se passe point de bail : le seigneur direct en est plus mal payé de ses devoirs ; le propriétaire, incommodé ; le fermier demeure sans emploi ; le notaire ne passe point d'ins- trument; le proxénète n'a point le pot-de-vin; la terre n'est point du tout ou mal cultivée : conséquemment l'héritage en dé- cadence, moins de fruits, moins d'occupation pour les hommes de labeur, et moins d'ouvrages et de maimfactures pour toute sorte d'artisans servant au labourage, vêtement et nourriture de ceux que l'oisiveté appauvrissante empêche de pouvoir acheter, et possible encore moins de quoi s'exercer à ceux qui vivent des a&ires d'autrui, lesquelles se multiplient par les négoces, comme elles se diminuent faute d'iceux. Car qui est-ce qui ne voit pas que plus il se passé d'affaires entre les particuliers, et plus les solliciteurs, les procureurs, les avocats, les juges, voire leç plus éloignés de telles considérations, y trouvent néanmoins de quoi maintenir avec honneur la dignité de leur charge, qui sans cet emploi deviendrait un titre inutile et sans respect , vu la malice du siècle, qui n'estime que ceux qui lui sont nécessaires. »
On comprendra «aisément, sans que nous ayons besoin d'insister davantage, quels services pouvait rendre, à cette époque, une pareille institution, si élémentaire qu'elle fût; aussi l'utilité en fut-elle uni- versellement appréciée, et les Bureaux d'adresse 86 multiplièrent rapidement, soùs l'impulsion de leur fondateur, qui en fut nommé maître général (1 ) .
(4) Une autre preuye de la yogue de cet établissemeut, c'est qu'on le mit en bal>
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C'était comme un acheminement vers la publicité par la presse, et Renaudot ne tarda pas à arriva à cette nouvelle conception, qui devait mettre le sceau à sa renommée. 11 était on ne peut mieux placé pour être renseigné sur toute espèce de choses : il savait par les Bureaux d'adresse tout ce qui se passait dans la ville, et son ami d'Hozier, le célèbre généalogiste, qui entretenait, pour les besoins de ses travaux, une correspondance très-étendue avec les provinces et l'étranger, le tenait au courant des nouvelles de l'extérieur ; il avait ainsi un inépui- sable répertoire d'anecdotes dont il amusait ses no- bles malades. Aussi n'était-il pas moins recherché pour ses vives et intarissables causeries que pour son habileté dans Tart de guérir. Voyant cette grande soif de nouvelles, la pensée lui vint d'écrire toutes celles qu'il recueillerait de différentes sour- ces, et d'en faire faire des copies, qu*il distribuait dans ses visites. Mais ces nouvelles à la main eurent tant de vogue, que Renaudot se trouva bientôt dans l'impossibilité de suffire aux demandes qui lui en étaient faites. 11 songea alors à les faire imprimer, pour les vendre aux gens qui se portaient bien, et il aurait été ainsi conduit à l'idée du Journal.
let, oe qni était alors la soprftme oonsécratioii du succès. Noua reparierons an diapitre des P^tOêt^Affiehêtf de cette créatiao, sur laqaelie des eoauaimicatioDS récentes noos ont mis à mèmede donner les renseignements les pins carieux, ainsi que sor les commencements de RenaodoL
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Fùndatwn de la Gazette ; difficultés de ses commencements. — Son cadre, son esprit, sa portée, — Détails sur les premiers numéros, sa composition et ses annexes.
Voilà, sur Torigine de la Gazette, la tradition unanime. Elle peut avoir du vrai ; mais, pour ad- mettre qu'elle soit complètement exacte, il faudrait supposer que les nouvelles à la main étaient plus intéressantes que ne le fut la Gazette. Cette feuille, dès sa naissance, se piqua de véracité, d'impartiar lité ; c'a été dès le premier jour son caractère et son mérite, et elle y insistait encore quand, en 89, elle se voyait débordée par les flots de la presse révolu- tionnaire. Mais ce ne fut jamais un journal amu- sant, et il ne nous semble pas qu'elle ait jamais été propre à distraire des malades, même quand elle avait le mérite de la nouveauté.
Quoi qu'il en soit, il n'y a rien d'étonnant à ce que Renaudot, qui, par son Bureau d'adresse et par les publications qui en émanaient, et dont nous parlerons, avait créé une véritable publicité commerciale, ait songé à créer aussi une publicité politique ; les essais tentés cbez nos voisins, essais qu'il ne pouvait ignorer, étaient là pour lui en donner l'idée, s'il n'eût pas été capable de la con- cevoir de lui-même. Nous ignorons d'ailleurs les circonstances de cet enfantement, qui, selon toutes les probabilités, dut être assez laborieux. Renaudot,
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nous le savons par lui-même, avait annoncé sa nouvelle invention par un prospectus que nous au- rions été bien curieux de voir, mais il nous a été impossible d'en trouver la moindre trace. Tout ce que nous savons, c'est que Richelieu, auquel il dut s'adresser pour obtenir l'autorisation nécessaire, s'empressa de la lui accorder, ayant bien vite com- pris de quelle importance serait pour le gouverne- ment une feuille qui raconterait les événements sous la dictée et dans le sens du pouvoir.
Renaudot donna à sa feuille le titre de Gazette, employé depuis longtemps déjà, comme nous l'a- vons vu, pour désigner les nouvelles à la main, et qu'il choisit < pour être plus connu du vulgaire , avec lequel il fallait parler (1). »
Le premier numéro parut le 30 mai 1 631 .
C'est par induction que nous donnons cette date,
(0 La première fois qae nous voyions ce mot imprimé, c'est en tête d'un petit livre d'un écrivain forésien, la Gazzette française, par Harcellin Allard, imprimée en 4804. H devait être alors bien nouveau, car il ne figure pas dans le Thresor de ia langue française de Nicot, qui parut à un ou deux ans de là, en 1606. Mais cette Gazzette fmnçoise d' Allard n'est^int un journal, comme le pourrait fedre suppo- ser ce titre, d'ailleurs assez remarquable ; c'est une sorte de salmigondis, de pot- pourri, comme il le dit lui-même, contenant l'histoire allégorique de Saint- Etienne. « Que doit donc attendre celui qui, ayant veu à l'ouverture de ce livre le mot gazzette,qai n'est autre chose que nouvelles et advis sans suite ny sans ordre, selon que le temps les produit et quelquefois la fantaisie, voudroit néanmoins y voir observer les parties et perfections cosmographiques... C'est icy non-seule- ment une forme de saugrenée oupot-pourri, contenant t<^utes sortes d'instmctioDS et de discours agréables en leur diverse variété, et riches en leur recherche cu- rieuse, mais Fhistoire admirable d'une guerre faite à toot rompre... » C'est « no petit bouquet qu'il a fait de diverses fleurs recueillies en divers florissants jar- dins, et lié de la soie crue de son industrie. »
Nous avons cité ci-dessus une petite pièce en vers, de 1600, portant aussi le titre de Gazette.
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que nous n'avons trouYée nulle part; mais pourtant nous la croyons exacte. Les premières Gazettes, en effet, ne portent ni date ni numéro d'ordre, mais seulement une signature alphabétique. Ce n'est qu'au sixième nuinéro, marqué de la signature F, que Ton rencontre, à la fin, une date, 4 juillet 1 631 . Or, comme la Gazette paraissait tous les huit jours, nous trouvons, en remontant, pour la date du pre- mier numéro, le 30 mai.
Dans tous les cas, ce n*est certainement pas dans le mois d'avril que commença la publication de la Gazette, comme l'ont avancé plusieurs bibliogra- phes, puisque la plupart des faits du premier nu- méro sont datés du mois de mai.
Voici, en effet, quelles sont les nouvelles conte- nues dans la première Gazette : de Constantinople, le 2 avril 1631; — de Rome, le 26 avril, et sous cette rubrique se trouvent des nouvelles d'Espagne et de Portugal ; — de la Haute Allemagne, le 30 ;
— de Freistad en Silésie, le 1 •■' mai ; — de Venise, le 2 ; — de Vienne, le 3 ; — de Stettin, de Lubec, le 4 ; — de Francfort-sur-l'Oder, de Prague , de Hambourg, de Leipsic, le 5 ; — de Mayence, le 6 ;
— de la Basse-Saxe, le 9 ; — de Francfort-sur-le- Mein, le 14 ; — d'Amsterdam, le 17; — et enfin d'Anvers, le 24 mai.
En citant le premier et le dernier article de ce
T. I.
i
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premier numéro du premier de nos journaux, nous croyons satisfaire une légitime curiosité :
«De Constantinople, le t avril 1631 (1). — Le roy de Perse, avec 1 5 mille chevaux et 50 mille hommes de pied, assiège Dille, à deux journées de la ville de Babylone, où le Grand-Seigneur a fait faire commandement à tous ses janissaires de se rendre sous peine de la vie, et continue, nonobstant ce divertissement-là (cette diversion] à faire toujours une âpre guerre aux preneurs de tabac, qu'il foit suffoquer par la fumée. »
a ly Anvers, le fi de may. — Le tambour sonne par toute la Haute-Allemagne. On espère que les Hollandais ne feront cette année non plus que l'autre, à raison du bon ordre que nous avons mis partout, voire que nous les attaquerons les premiers. Noos avons trois camps : l'un aux environs de Vezel, de 14 mille hom- mes ; l'autre aux environs de Lier et Melines, en Brabant, de 10 raille hommes ; et le troisième entre Ostende et Gravelines, en Flandres, de 1 S mille hommes. Nous ne manquons aussi de bons chefs, ayant entre autres le marquis de Sainte-Croix et d'Ayton, le duc de Lerme, don Carie Colomne, les comtes Jean de Nassau et Henri de Bergue, qui aura ici le commandement général des affaires de la guerre, et celui de Vaquons, qui est déclaré vice- amiral, et auquel on a assigné trois cent cinquante mille écus par an pour le desfray de l'armée de mer. »
On remarquera qu'il n'y a point de nouvelles de France dans ce numéro ; il n'en est pas davantage question dans les quatre suivants ; ce n'est qu'à la sixième Gazette qu'on trouve des nouvelles de Saint- Germain et de Paris , que nous croyons devoir transcrire :
(f ) Les rubriques sont en marge.
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« De SairU-Germain-m^Laye, le 2 jmllet audit an. — La séolie- resse de la saison a fort augmenté la vertu des eaux minérales, entre lesquelles celles de Forges sont ici généralement en usage. Il y a trente ans que M. Martin, grand médecin, leur donna la vogue; le bruit du vulgaire les approuva. Aujourd'hui M. Bonnard, premier médecin du roy, les a mises «u plus haut point de la réputation que sa grande fidélité, capacité et ^périence peut donner à ce qui le mérite vers Sa Majesté, qui en boit ici par précaution, et presque toute la cour, à son exemple. »
« De Paris, le 3 dudit mois de juillet 4634. — Depuis quinze jours sont ici décédés des fièvres continues, qui y sont fort fré- quentes, MM. Berger et de Bragelone, conseillers au Parlement, et M. Charles, le plus fameux médecin de cette ville.
» On y continue cette belle impression de la grande Bible en 9 volumes et 8 langues, qui sera parfaite dans un an. Nous invitcms toutes les nations à y prendre part, avec plus de raison que les Sybarites ne conviaient à leur festin un an auparavant. )>
Cette sixième Gazette se termioe par cette men- tion : « Du Bureau (T adresse ^ au Grand-Coq^ rue de la Calandre, sortant au marché Neuf, pris le Palais, à Paris j le 4 juillet 1631. Avec privilège. » C'est, comme nous l'avons dit, la première où l'on trouve ainsi la mention du bureau et de la date.
Voici les nouvelles intérieures de la septième Gazette :
« De Rouen, le % de juillet. — Le différend venu ces jours passés pour la danse d'une nopce a fait entretûer à trois lieues d'ici onze personnes, du nombre desquelles senties seigneurs de Fon* taine-Martel, Malleville et Boufard. »
« De Saint'Germain-en-Laye, ce 10 dudit mois de juillet. — Le âeur de Verchères, fils du premier président de Dijon, a succédé
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à la charge de son père, naguère décédé. L'ambassadeur du roy de Suède est arrivé en cette cour, et un gentilhomme de la part de l'empereur. Le marquis de La Fuenle del Toro, envoyé par le roy catholique pour se conjouir avec Sa Majesté du recouvre- ment de sa santé à Lyon, et qui arriva il y a un mois, est sur son partement pour l'Espagne, qui fait voir à la France par cette action que véritablement elle ne se haste pas trop, s'étant advisée de ce compliment lorsqu'on n'y pensait plus, comme Sa Majesté lui fit sentir de bonne grâce, lui disant qu'il y avait dix mois qu'il se portait bien. Ainsi Tibère, visité trop tard par les Thébains sur la mort de son neveu Germanicus, leur dit qu'il ne se pou* vait consoler de la mort de leur grand capitaine Achille, jadis malheureusement tué devant Troye. De vray, grâces à Dieu, jamais Sa Majesté ne se porta mieux qu'elle fait à présent. Et la tristesse que la cour avait conçue pour la fièvre continue du ma- i:échal de Schomberg est convertie en joye pour son heureuse convalescence. »
Nous bornons là ces citations , qui suffiront pour donner une idée du ton de ces premiers essais du journalisme.
Le dernier numéro de 1 631 est du 26 décembre, et porte la signature Hh : c'est pour cette première année 31 numéros, qui sont réunis en un volume sous le titre de Recueil des Gazettes de Tannée 1 634, titre que quelques écrivains ont pris à tort pour celui de la feuille. Ce premier volume est précédé d'une dédicace au roi et d'une préface au public, qui, outre les explications que Renaudot se crut dans l'obligation de donner à ses lecteurs, et que nous allons reproduire en partie, contient un aperçu de la situation géographique et historique de l'Eu-
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rope au moment où il commençait sa publication, et destiné, si nous pouvons parler ainsi, à la mettre à jour. En tête de l'exemplaire de là Bibliothèque impériale se voit un portrait de Renaudot ; il porte cette légende : Theophrastus Renaudot luliodunensis^ medicus et historiographus regius, œtatis anno 58, salutis 1 644 ; et cet exergue, par lequel il voulait faire entendre la part qu'il eut dans la création des journaux :
Invrnisse juvat, inagis erequi, ai uUima laus est Postmmam inventis apposuisse manum,
II ne faudrait pas conclure des circonstances qui ont amené la création du premier de nos journaux que ce fût un recueil de commérages. Renaudot avait pris par son côté sérieux le besoin qui tra- vaillait les esprits ; c'était une œuvre sérieuse qu'il avait entreprise, et pendant vingt-deux ans il en poursuivit Taccomplissement avec un dévouement, avec une régularité dont on appréciera tout le mé- rite, si Ton se reporte au temps où il écrivait.
Mais écoutons-le lui-même : il va nous dire, dans ses préfaces, quel sera l'esprit de sa Gazette, et comment il appréciait la portée et les avantages de cette invention :
« Sire, ditril au roi en lui offirant te recueil de la première >Bnée, c'est bien une remarque digne de Thistoire, que, dessous soixante-trois rois, la France, si curieuse de nouveautés, ne se soit point avisée de publier la gazette ou recueil pour chacune
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semaine des nouvelles tant domestiques qu'étrangières... Mais la mémoire des hommes est trop labile pour lui fier toutes les mer- veilles dont Votre Majesté va remplir le Septentrion et tout le continent. H la faut désormais soulager par des écrits qui volent, comme en un insUmt, du Nord au Midi, votre par tous lee crans de la terre. C'esl ce. que je fais maintenant, Sire, d^autant plus hardiment, que la bonté de Votre Majesté ne dédaigne pas la lecture de ces feuilles. Aussi n'ont-elles rien de petit que leur volume et mon style. Cest, au reste, le journal des rais et des p^ssances de la terre; tout y est par eux et pour eux, qui en font le capital ; les autres personnages ne leur servent que d'ac- cessoire.., »
Et dans sa préface au public :
« La nouveauté de ce dessein, son utilité, sa difficulté et son sujet (mon lecteur), vous doivent une préface.».
» La publication des gazettes eat, à la vérité., nouvelle; mais en France seulement, et cette nouveauté ne leur peut acquérir que de la grâce, qu'elles se conserveront toujours aisé- ment... Surtout seront-elles maintenues pour l'utilité qu'en re- çoivent le puMic et les particuliecs : le publie, pour ce qu'elles empêchent plusieurs iiaux bruits q^i servent souvent d'allumettes aux mouvements et séditions intestines ; voire, si l'on en croit César en ses Commentaires, dès le temps de nos ayeux leur fai- saient entreprendre précipitamment ées guerres dbnt ils se re- pentaient tout à loisir..; les-pantÂouliers, chacun d'eux syustant vo- lontiers ses affaires au modèle du ternes. Ainsi Je marchand ne va plus trafiquer en une ville assiégée ou ruinée, ni le soldat chercher emploi dans le pays où il n'y a point de guerre ; sans parier du soulagement qu'elles apportent à ceux qui écrivant à leurs amis, auxquels ils étaient auparavant obligés, pour contentée leun eu* riosité, de décrire laborieusement des nouvelles le plus souvent inventées à plaisir, et fondées sur incertitude d'un simple ouï- dire. Encore que ïe seul conteutement- que teur variété produit ainsi fréquemment, et qui sert d'un agréable divertissement es compagnies, qu'elle empêche des médisances et autres vices que
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l'oisiveté produit, dût suffire pour les rendre recommandables. Du moins sont-elles en ce point exemptes de blâme, qu'elles ne sont pas aucunement nuisibles à la foule du peuple, non plus que le reste de mes innocentes inventions; étant permis à chacun de s'en passer, si bon lui semble.
» La difficulté que je dis rencontrer en la composition de mes gaiettes et nouvelles n'est pas ici mise en avant pour en faire plus estimer mon ouvrage : ceux qui me connaissent peuvent dire aux autres si je ne trouve pas de l'emploi honorable aussi bien ailleurs qu'en ces feuilles ; c'eât pour excuser mon style, s'il ne répond pas toujours à la dignité de son sujet, le sujet a votre humeur, et tous deux à votre mérite. Les capitaines y voadraiont rencontrer tous les jours des batailles et des sièges levés ou des villes prises ; les plaideurs, des arrêts en pareil caâ; Irà personnes dévotieuses y cherchent les noms des prédicateurs, des confesseurs de remarque. Ceux qui n'entendent rien aux mystères de la cour les y voudraient trouver en grosses lettres. Tel, s'il a porté un paquet en cour, ou mené une compagnie d'un village à l'autre sans perte d'hommes, ou payé le quart de quelque médiocre office, se fftche si le roi ne voit son nom dans la Ga- »tte (4). D'autres y voudraient avoir ces mots de numseigneur ou de monsieur répétés à chaque personne dont je parle, à faute de remarquer que ces titres sont ici présupposés comme trop vul- gaires, joint .que ces compliments, étant omis en tous, ne peuvent donner jalousie à aucuns (t), D s'en trouve qui ne prisent qu'un
(0 En cherchant «w la brèche une mort indiecrète, De ea folle valeur embellit la Oazette,
(BOILBAC.)
lyélogeê on regorge, à la tête on leejette^
Et mon valet de chambre est mis danji la Gazette,
(MOLI&RE.)
(1) Ainai ce fat uoe règle constante pour la Gazette de ne jamais qualifier per^ BMoe de monsieur, Bo psrlaot des gens titrés, elle les désigne par leur titre : le "Mnfww, le comte^ etc. ; toutes les autres personnes, si distinguées qu'elles pus- mt être, sont éénonunéea le sieur. Cet usage était fondé, selon les rédacteurs, Mr ce que laGaiette de France était celle du gouTemement, et rédigée sous son Mtorisation, àTezolnaion des antres. Voluire dit à ce spjet {jBncyek^die, t» Qth SiMi) : « Les Gaiettes de Fnmoe ont toujours été revues par le ministère; c^est pourquoi les auteurs ont toujours employé certaines formules qui ne paraissent
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langage fleuri ; d'autres qai veulent que ines relations semblent à un squelette décharné, de sorte que la relation en soit toutô nue. Ce qui m'a fait essayer de contenter les uns et les autres.
» Se peut-il donc faire (mon lecteur) que vous ne me plaigniez pas en toutes ces rencontres , et que vous n'excusiez point ma plume, si elle ne peut plaire à tout lé mondé, en quelque pos* ture qu'elle se mette , non plus que ce paysan et son fils, quoi- qu'ils se missent premièrement seuls et puis ensemble, tantôt à pied et tantôt sur leur âne ? Et si la crainte de déplaire à leur siècle a empêché plusieurs 'bons auteurs de toucher à l'histoire de leur âge, quelle doit être la difficulté d'écrire celle de la se- maine, voire du jour même où elle est publiée! Joignez-y la bri-jveté du temps que l'impatience de votre humeur me donne; et je suis bien trompé si les plus rudes censeurs ne trouvent di- gne de. quelque excuse un ouvrage qui se doit faire en quatre heures de jour, que la venue des courriers me laisse, toutes les semaines, pour assembler, ajuster et imprimer ces lignes.
» Mais non, je me trompe, estimant, par mes remontrances, tenir la bride à votre censure. Je ne le puis; et si je le pouvais (mon lecteur), je ne le dois pas faire, cette liberté de reprendre n'étant pas le moindre plaisir de ce genre de lecture, et votre plaisir et divertissement, comme l'on dit, étant l'une des causes pour lesquelles cette nouveauté a été inventée. Jouissez donc à votre aise de cette liberté française; ei que chacun dise hardi- ment qu'il eût ôté ceci ou changé cela, qu'il aurait bien mieux fait : je le confesse.
» En une seule chose ne céderai-je à personne, en la recherche de la vérité, de laquelle, néanmoins, je ne me fais pas garant,
pas être dans les bienséaDces de la société, en ne donnant le titre de monsieur qu'à certaines personnes, et celui de sieur aux autres. Ces auteurs ont ou- blié qu'ils ne parlaient pas au nom du roi. » Grimm, non plus, ne peut digérer cette formule. « M. l'abbé Arnaud et M. Suard, écriMl à la date du 15 janvier 1769, composent depuis plusieurs années la Gazette de France^ c'est-à-dire la plus insi- pide, la plus impolie, et la plus correctement écrite de toutes les gazettes. Je l'appelle impolie à cause de l'affectation ridicule qu'elle a de ne donner le titre de fnonaieur à personne, et de traiter tout le monde de siewr. H est très-impertinent et fort plat d'imprimer deux fois par semaine le eieur Pitt, quand le sieur Pitt est l'arbitre de l'ancien et du nouveau continent. •
ET RENAUDOT sr
étant malaisé qu'entre cinq cents nouvelles écrites à la hâte, d'un climat à l'autre, il n'en échappe quelqu'une à nos correspon- dants qui mérite d'être corrigée par son père le Temps ; mais encore se trouverait-il peut-être des personnes curieuses de sa- voir qu'en ce temps-là tel bruit était tenu pour véritable. Ceux qni se scandaliseront possible de deux ou trois faux bruits qu'on nous aura donnés pour vérités seront par là incités à débiter au public, par ma plume (que e leur offre à cette fin], les nouvelles qu'ils croiront plus vraies, et, comme telles, plus dignes de lui être communiquées ...»
On peut juger, d'après cette préface, publiée un an après l'apparition du premier numéro, à quelles tracasseries était en butte le pauvre gaze- tier (1), comme le nommaient Içs pamphlets.
Mais, fort de l'appui du pouvoir et de la faveur publique, Renaudot poursuit son œuvre sans se laisser ébranler. On voit pourtant que ces attaques continuelles l'inquiètent et l'irritent. Pendant deux ans, il se croit obligé d'y répondre une fois par mois, tout en s'avouant à lui-même qu'il ne réus- sira point à convaincre ses détracteurs : « car, dit- il quelque part, mon récit étant l'image des choses présentes, non plus qu'elles il ne saurait plaire à tout le monde. »
Cependant le succès d'une pareille entreprise ne pouvait être un instant douteux en France : aussi fut-il rapide et grand. Dès 1633, Renaudot se place
(1) Noos saYODS que le mot n'était pas nouveau. On appelait aussi gazetiêra^ O^ittièreit les colporteurs et vendeurs de la Gazette.
8» LA GAZBTTE
au-dessus des petites jalousies ; il méprise leurs mor- sures impufssantes, et parle en homme qui est sûr de sa force :
« Les suffirages de la voix publique m'épargnent désormais de répondre aux objections auxquelles Tîntroduction que j*ai faite en France dés gazettes dbnnait lieu lorsqu'elle était encore nou- velle : car, maintenant, la chose en est venue à ce point, qu'au lieu de satisfaire à ceux à qui Texpérience n'en aura- pu faire avouer l'utilité, on ne les menacerait de rien moins que des pe* tites-maisons. Seulement ferai-je, en ce lieu, aux princes et aux Etats étrangers, la prière de ne perdre point inutilement le temps à vouloir fermer la passage à mes. nûuvelles, vu que c'est une marchandise dont le commerce ne s'est jamais pu défendre, et qui tient de la nature des torrents qu'il se grossit par la résis- tance. »
C'était là un langage digne d'un écrivain qui a la conscience de son œuvre, et que Ton croirait plus jeune de deux siècles.
« Mon autre prièrei dit-il ailleurs, s'adresse aux particuliers, à ce qu'ils cessent de m'envoyer des mémoires partiaux et pas- sionnés, vu que nos Gazettes (comme ils peuvent voir) sont épurées de toute autre passion que celle de la vérité. Mais que tous ceux qui en sont amoureux comme moi, en quelque climat du monde qu'ils soient» sans autre semonce que ceste-ci, m'adres- sent hardiment leurs nouvelles ; je leur témoignerai quelle estime j'en fais par l'adresse réciproque des miennes, qui suis en pos- session de préférer le service public à ma peine et à ma dé- pense. » (Janv. f633(.) *
Et ailleurs encore r
V Je ne parle plus ici au public pour défendre mes Gazettes, depuis qu'il n'y a plus que les fous qui leur en veulent. Mais
ET RENAUDOT 83
bien dirai^je à ceux qui se plaignent de quoi je parle quelquefois des grands sans les louer, que la vraie et solide louange se trouvant dans les actes vertueux, dire la vérité c'est louer tout ce qui le mérite. » (Mai 4633.)
N'est-ce point là parler d'or ? Et dans toutes ses explications on retrouve les mêmes sentiments honorables. Bientôt, d'ailleurs, nous le répétons, < voyant les ennemis de la Gazette abattus, il sup- prime les préambules justificatifs de ses Relations^ non toutefois sans adresser un remercîment à ceux qui, par la continuation de leur bienveillance depuis trois ans en çà, font en sa faveur une exception à la règle qui rend le changement agréable à tout le monde. »>
Une estampe de l'époque, conservée à la Biblio- thèque impériale, représente la Gazette assise sur une espèce de tribunal; sa robe est parsemée de langues et d'oreilles. Le Mensonge, démasqué, lui lance des regards pleins de haine; la Vérité au contraii*e semble heureuse d'être assise auprès d'elle. Au pied du tribunal, à droite de la Gazette, qui le désigne du doigt, Renaudot remplit les fonc- tions de greffier. Les cadets de la faveur se pressent autour de lui et lui offrent de l'argent :
Plus que de triompher nous brûlons de paraître, * Ennemis des combats et serfs d^un faux honneur; ■ Vous aurez de notre or en nous faisant faveur : Dites que nos grands coups font les Mars disparattre.
H LA GAZETTE
Mais Renaudot détourne la tète pour ne les point entendre. A gauche, sept personnages, les diverses nations j dont un à cheval, et parmi lesquels on dis- tingue un Castillan à la longue rapière, aux mous- taches retroussées, et un Indien coiffé de plumes, apportent des nouvelles et remettent des lettres à la Gazette, en chantant son éloge. .Au fond est le crieur du journal, avec un panier d'exemplaires. Chacun des personnages est supposé réciter un quatrain gravé en marge de l'estampe, et que nous croyons pouvoir nous dispenser de reproduire.
La Gazette parut d'abord une fois par semaine, le vendredi (le samedi à partir du 1 ®^ janvier 1 633), en quatre pages in-4®. Dès la seconde année elle doubla son format, qui fut porté à huit pages (1), divisées en deux cahiers, intitulés, l'un. Gazette; l'autre , Nouvelles ordinaires de divers endroits ^ divi- sion qui persista pendant de longues années, « cela pour la commodité de la lecture, qui est plus fa- cile à diverses personnes étant en deux cahiers, et aussi à cause de la diversité des matières et des
(i) Nous avons trouyé quelques Gazettes qui ayaient douze pages, mais elles sont rares. Parmi les critiques qui pleuvaient sur la Gazette, il y en eut, à ce qu'il pa< ratt, de motiyées par l'étroitesse uniforme de ce cadre. « Quelques-uns — c'est Renaudot qui parle — veulent que mes nouvelles en soient moins vraies pour ce q^'elles sont toujours de quatre feuillets, faute de savoir qu'en recevant toi^jours beaucoup plus que n'en peut contenir cet espace, que m'a limité le travail journa- lier de mes imprimeurs et la plus grande commodité du public, après qi^il est rempli, j'en retranche ce qui n'y peut tenir, et volontiers ce qui se trouve moins digne de votre lecture. » Du reste, comme on va le voir, Renaudot ne tarda pu» à donner ample satisfaction sur ce point à ses lecteurs.
ET RENAUDOT 85
lieux d'où viennent les lettres y contenues, les nouvelles comprenant ordinairement les pays qui nous sont septentrionaux et occidentaux, et la Ga- zette ceux de l'Orient et du Midi. » Elle commençait par les nouvelles étrangères, qui en occupaient la plus grande partie, et finissait par celles de la cour de France. Renaudot avait adopté cette marche, presque constamment suivie depuis, pour se con- former, dit-il, à l'ordre du temps et à la suite des dates ; sauf à ceux qui voudraient suivre celui de la dignité à commencer leur lecture par la fin, à la mode des Hébreux.
Tous les mois il publiait, sous le titre de Relor tûms des nouvelles du monde reçues dans tout le mois, un numéro supplémentaire qui complétait et résu- mait les nouvelles du mois. « Ces miennes relations de chaque mois, dit-il, servent de lumière et d'a- brégé à celles des semaines ; car il est des nouvelles comme des métaux : ceux-ci, au sortir de la mine, 8ont volontiers mêlés de quelque terre; celles-là d'abord sont ordinairement accompagnées de quel- ques circonstances mal entendues, dont elles s'épu- rent avec un peu de temps, comme font les autres étant jetés dans leurs lingotières. Alors vous les avez en leur naïveté. . . »
C'est dans ce numéro supplémentaire que, pen- dant les premières années, il répondait aux atta- ques de ses détracteurs. En tout autre temps, il se
86 LA GAZETTE
tient complètement effacé derrière son œuvre. La feuille commence par ce simple mot placé tout à fait au haut de la page^ : GAZETTE, et finit par ceux-ci : Bu Bureau d'adresse, au Grand-Coq, rue de la Ca- Umdre, sortant au marché Neuf, pr^s le Palais, à Paris. Pendant cent ans vous chercheriez vaine- ment dans ces feuilles un mot sur le journal et ses alentours.
Il paraît que ces suppléments mensuels soule- vèrent des critiques ; c'est Henaudot qui nous Tap- prend lui-même dans celui de décembre 1633. « Quelques-uns trouvant trop libre la naïveté des jugements qu'il croyait être obligé de faire dans ses Relations des mois, sous le titre d'Etat général des affaires, il résohit de clore ces états par celui de décembre 1633, et de donner désormais en leut lieu , pour servir d'entremets à ses Gazettes et Nouvelles ordinaires, la seule et simple narration des choses qui se trouveraient le mériter, à mesure qu'elles se présenteraient, à la fin des mois, au commencement ou à leur milieu, protestant de ses efforts pour en rendre la lecture agréable, jusqu'à ce que derechef il trouvât le lecteur las de ce chan- gement. »
Il donna à ces nouveaux annexes le nom d'Extra- ordinaires. Hs étaient généralement consacrés à la publication des documents officiels, au récit des événements marquants, sièges, batailles, fêtes, etc.
ET RBNAUDOT 87
La Gazette ne contenait gaèYe que ce que nous appelons des faits divers ; les Extraordinaires sont des récits- détaillés, de véritables pages historiques, dont nous n'avons pas besoin de faire ressortir rimportance. Ils portent un numéro d'ordre qui ne leur est pas particulier, mais qui indique leur rang dans le recueil des Gazettes de Tannée : ainsi le premier que nous ayons rencontré porte le n® 21 ; il est du 1 3 mars. Leur contenu est indiqué par un sommaire dont la forme varie; par exemple : « Extraordinaire du... contenant le superbe enter- rement du roi de Danemark ; » -— « Son sujet est : « La prise de la belle île dé Curaçao aux Indes par les Hollandais sur les Espagnols; » — « Vous y verrez la chasse donnée aux impériaux par les Français. . . ; »> — « H vous fera voir la nouvelle ordonnance faite par le roi pour remédier aux abus...; » etc., etc.
Outre ces Extraordinaires, Renaudot publiait encore des Suppléments (1), qui n'avaient pas de titre général, mais un titre pris de leur contenu, et qui prenaient rang à leur ordre dans le recueil des Gazettes. Ainsi nous trouvons sous le n° 94 de cette même année 1 634, à la date du 1 5 septembre, un f Arrest de la Cour de Parlement par lequel le pré- tendu mariage de Monsieur avec la princesse Mar- guerite de Lorraine* est déclaré non valablement
(4) On en trouye quelques-nns dès 1633.
88 LA GAZETTE
contracté... » Le n* 120, du 10 novembre, est une € lÀste des prédicateurs qui doivent prêcher cet Avent dans la ville et faux-bourgs de Paris. » Cette liste est précédée d'un avant-propos où on lit : « Puisque j'entreprends d'apporter de la lumière à notre histoire, et que TEglise en fait une bonne par- tie, je me trouve obligé à vous dire ce qui s'y passe, aussi bien que dans le reste du monde ; joint que cette variété, comme celle des viandes, servira à réveiller les appétits languissants... » Elle se ter- mine par un avis qui a sa petite importance biblio- graphique. Si, dans la composition de cette liste, dit Renaudot, il m'est échappé quelques erreurs je prie ceux qu'elles concerneraient de m'adresser promptement leur rectification, « pour s'en servir en la seconde impression, qui doit faire partie des Nouvelles, tant ordinaires qu'extraordinaires, de cette année. »
Ainsi le cadre de la Gazette alla promptement s'élargissant, et Renaudot put bientôt et à bon droit intituler son recueil : « Recueil de toutes les Nou- velles ^ Ordinaires, Extraordinaires ^ Gazettes ou au" très Relations, contenant le récit de toutes les choses remarquables avenues tant en ce royaume qu'en pays étrangers, dont les nouvelles nous sont venues toute l'année, avec les édits, ordonnances, décla- rations et règlements sur le fait des armes, justice et police de ce royaume, publiés toute cette année
ET RËNAUDOT 89
dernière, et autres pièces servant à notre histoire. » Disons enfin qu^indépendamment de la Gazette , Renaudot publiait , en vertu de son privilège , très- étendu comme nous allons le voir, des relations , dans tous les formats , des événements qui lui sem- blaient de nature à intéresser le public , mais qui n'entraient point dans le cadre de son journal (1 ).
Frivilége de la Gazette; son étendue, — Démêlés de Renaudot avec les imprimeurs et les colporteurs. — Contrefaçons et parodies de la Gazette.
Ces mille petites tracasseries dont noue venons de voir Renaudot assiégé n'étaient que les roses du métier; bien d'autres tribulations, et d'une nature plus grave , étaient réservées à ce père des journa- listes modernes.
Le privilège de Renaudot ne lui assurait pas seu- lement le monopole des gazettes et nouvelles, il lui permettait encore d'imprimer, faire imprimer et faire vendre ses feuilles où et par qui bon lui sem- blerait. De là des récriminations faciles à com-
(4) Voir, en outre, pour les pnblicatiooB commerciales da Bureau d'adresse ootretomeii, à l'art. Petitei- Affiches.
90 LÀ GAZBTTB
prendre. Les imprimeurs, les colporteurs même, s'insurgèrent contre ce privilège, et il s'ensuiidt une longue lutte , marquée par de nombreux incidents judiciaires, sur lesquels nous croyons devoir nous arrêter quelques instants , parce qu'ils nous parais- sent vivement intéresser l'histoire de la presse.
Nous trouvons les principales pièces du procès dans une sorte de factum publié par Renaudot en 1635, et dans lequel il a réuni tous les titres de la Gazette. Il est intitulé : « Ltttre du rai en forme de charte j contenant le privilège octroyé par Sa Majesté à Théophraste Renaudot, l'un de ses conseillers et médecins ordinaires , maître et intendant général des Bureaux d^adresse de ce royaume, et à ses enfants , successeurs et ayant-droit de lui , de faire , imprimer, faire imprimer et vendre par qui et où bon leur semblera le» gazettes, nouvelles et récits de tout ee qui s*est passé et passe tant dedans que dehors le royaume , conférences , prix-courant des marchandises, et autres impressions desdits bu- reaux, à perpétuité, et tant que lesdites gazettes, nouvelles et autres impressions auront cours en cedit royaume; et ce exclusivement à toutes autres per- sonnes : ensuite des Déclarations, Lettres et Arrêts du Conseil , naguère donnés sur le fait desdites im- pressions. »
La première pièce est une Déclaration du roi , datée du camp devant La Rochelle, le 27 dé-
ET RENÂUDOT 94
cembre 1 627^ rappelant les anciennes ordonnances, et notamment celle de Charles IX donnée à Mou- lins , pour l'impression des livres , portant défenses d'imprimer ou faire imprimer aucun livre sans la permission du roi scellée du grand sceau; et ce a sur les plaintes à nous faites qu'au mépris de ces ordonnances , plusieurs de nos sujets ne laissent de faire imprimer leurs livres sans avoir notre permis- aion sous notre grand sceau, soit par l'intelligence qu'ils ont avec les libraires pour faire courir leurs livres , et eux pour en avoir le débit , soit par la fa- cilité qu'ils trouvent d'oï>tenir le privilège en nos petites chancelleries; ce qui cause un très-grand abus à notre royaume par le moyen de la licence effrénée que chacun se donne de faire mettre en lumière toutes sortes de mauvais livres et livrets, placards, libelles et autres œuvres inutiles... »
On va voir pourquoi Renaudot rappelle cette ordonnance ; c'est de là qu'il part pour établir son droit.
« Ensuite de laquelle Déclaration , dit-il en effet , qui montre que l'intention du roi a toujours été, même ayant l'introduction des Gazettes, de res- treindre la licence d'imprimer, dont on abusait, le lieutenant au bailliage du Palais s'étant ingéré de permettre à aucuns Timpression de quelques nou- velles, Sa Majesté lui en écrivit :
9) LA GAZETTE
A notre amé et féal le sieur Gilot, lieutertant général au baiUiage
du Palais,
De par le roi ,
« Notre amé et féal , — Ayant permis dès le 30 mai dernier (4) au sieur Renaudot, Tun de nos médecins ordinaires, et général des Bureaux d'adresse dé notre royaume, de faire imprimer, vendre et distribuer dans lesdits Bureaux d'adresse, ou en tel autre lieu et par telle personne qu'il voudra , les Gazettes , Relations et Nouvelles ordinaires, tant de ce royaume que des pays estranges, privativement à toutes autres personnes, il s'en serait acquitté à notre contentement. Mais comme depuis nous avons été averti qu'il avait été irou))lé et empêché en l'impression et débit desdites Gazettes par d'autres personnes qui se sont pourvues pardevant nous, lesquelles s'ingèrent d'en faire de différentes, et d'imiter et contrefaire les siennes, qui est chose directement contraire à notre intention; à ces causes, nous voulons et vous mandons qu'en ce qui dépend de votre pouvoir et juridiction, vous ayez à tenir la main que ledit Renaudot jouisse seul, exclusivement à tous autres, de notre privilège et permission de faire imprimer, vendre et distribuer lesdites Gazettes, Relations et Nouvelles, tant de ce royaume que des pays estranges, soit dans sesdits bu- reaux ou en tel autre lieu et par telles personnes qu'il voudra choisir; avec défense à tous autres de ce faire, sous telle peine qu'il appartiendra. Ce que nous vous enjoignons sur peine de désobéissance; si n'y &ites faute : car tel est notre plaisir. Donné à Fontainebleau, l'onzième jour d'octobre 4634.— Signé : LOUIS; — et plus bas : nE Loménie. — Et scellé.
« Sa Majesté écrivit aussi sur ce sujet à monsieur le lieutenant civil , et, pour ce que le trouble fait audit Renaudot continuait » y interTinrent plusieurs
(I) Cette date coïncide avec les calculs d'après lesquels nous avons llzé la date de Tapparition du premier numéro de la Gasette.
ET RENADDOT 93
arrêts du conseil, rappelés dans la pièce suivante, qui semble avoir cFos le débat :
PRIVILÈGE DU ROI
EN FORME DE CHARTE
« LOUIS, etc. L'expérience nous ayant fait voir les utilités qui reviennent de Tintroduction faite en ce royaume de la Gazette et autres Nouvelles par notre cher et bien-amé Théophraste Re- naudot, Tun de nos conseillers et médecins ordinaires , mattre et intendant général des Bureaux d'adresse de notre royaume , et la curiosité naturelle de nos sujets nous faisant espérer que cette invention sera de jour en jour mieux reçue d'eux , Nods avons cru devoir appuyer et autoriser le soin et industrie que ledit Renaudot et ses enfants ont pris et prennent journellement à la cultiver, et les encourager de plus en plus à continuer la dépense qu'ils sont obligés de faire à cette fin : A ces causes, après avoir fait voir en notre conseil l'arrêt donné en icelui le 4 8 novembre 4 634 , portant défenses aux personnes y dénommées, et à tous autres , de troubler ledit Renaudot en l'impression et vente de sesdites Gazettes et autres dépendances de sondit Bureau d'adresse , à peine de six mille livres d'amende , dépens , dommages et inté- rêts (4); — Autre arrêt dudit conseil, du 41 mars 4633, par lequel nous avons fait itératives défenses aux syndic et adjoints des imprimeurs et tous autres, tant de Paris qu'autres lieux de ce royaume, d'imprimer ou faire imprimer, vendre ou débiter, troubler ni empêcher ledit Renaudot et les siens en l'impression
(4) Cet arrêt est rendu contre Jean Martin, Louis Vendôme, François Pomme- rai et Charles de Galonné. Parmi les pièces qu'il vise, nous remarquons : Procès- verbal de lignage, huissier en la connétablie et maréchaussée, des exemplaires par lui trouvés chez Jean de Bourdeaux, imprimeur ; — Opposition de Calonne à l'établissement des Bureaux d'adresse ; — Commandement fait auxdits Vendôme, Martin et Pommerai, de restituer audit Renaudot les caractères et exemplaires saisis à leur requête sur un sieur Blageart (sans doute l'imprimeur de Renaudot) ; on antre procè»-verbal dudit Lignage, contenant le nombre et qualité des exem* piaires de Nouvelles imprimées chez ledit Vendôme et par lui vendues en sa bou. tique au préjudice des défenses portées par ledit arrêt.
94 LA GAZETTE
et vente qu'ils feront desdites Gazettes» Nouvelles, Relations, prix-courants des marchandises , mémoires , affiches et autres impressions desdits Bureaux, ni s'ingérer au fait et connaissance d'icelles , ni intimider ou empêcher les maîtres ou compagnons imprimeurs que ledit Renaudot voudra choisir pour travailler en son imprimerie; à peine de confiscation de leurs livres et exem- plaires, caractères et presses , et autres y contenues ; et pour la contravention les parties dudit Renaudot condamnées aux dé- pens (4); — Autre arrêt, du 4 août 4634, par lequel, sans s'ar- rêter au jugement rendu par le Lieutenant civil , avons permis audit Renaudot de faire , imprimer, vendre et distribuer en ses bureaux , et ailleurs où bon lui semblera, lesdites Gazettes, Nou- velles, Relations, et autres impressions desdits Bureaux d'adresse, par qui et à telles personnes que bon lui semblera ; avec défense audit Lieutenant civil de prendre aucune connaissance desdites Gazettes, et autres circonstances et dépendances desdits Bureaux, que nous avons réservés à nous et à notre dit Conseil ; et icelle interdite à tous autres juges (t) ; — Et encore autre arrêt de notredit Conseil , du 7 novembre dernier, portant de même dé- fenses à toutes personnes autres que ledit Renaudot, et sans son aveu ; et, en cas de contravention, enjoignant au premier huissier, sergent ou archer du prévôt, à peine de privation de sa charge, et autre plus grande peine s'il y échet, sur la simple et première réquisition dudit Renaudot, appréhender au corps les contreve-
(i) Renda entre les mêmes parties , plus Jean de Bordeaux, et les syndic et adjoints de la communauté des marchands libraires et imprimeurs de VUnÎTersité de Paris, intervenants. 11 vise, entre autres pièces : Déclarations de Sa Majesté concernant le Bureau d'adresse en faveur dudit Renaudot, des dernier mars 4628 et 13 février 1630; — L'inventaire des adresses du Bureau de rencontre, avec la taUe des choses dont on y donne et reçoit avis ; — Sentences du bailli du Palais obtenues par lesdits Mairtin, Vendôme et consorts, à rencontre de Renaudot ; — ' Cahier de Gaiettes imprimées par lesdits Martin et Vendôme; — Procès-verbaux de saisies fiûtes à la re<iuète de Renaudot, etc.
(8) Cet arrêt vise un exploit d'assignation donné à Renaudot à la requête de fânquante colporteurs tendant à ce que défenses lîissrat fitites audit Renaudot de vendre ni débiter aucunes gazettes à autres qu'anxdits cinquante colporteurs. Renaudot avait r^ndu à cette assignation en demandant sou roivoi devant le Conseil : « an préjudice duqnd renvoi lesdites défenses lui auraieet éié finies pai* sentence du lieutenant civil. »
ET RENAUDOT 95
nants et les conduire au Fort-rEvèque ou autres prisons royaux , pour être contre eux procédé selon la rigueur des Ordonnances, Déclarations et Arrêts; lequel aurait été affiché par tous les car- refours de ladite ville et faubourgs de Paris, le 40 desdits mois et an, à ce qu'aucun n'en puisse ignorer. — Lesquels arrêts voulant être exécutés, et faire jouir ledit Renaudot, ses successeurs et ayant-cause , de Teffet d'iceux ; — De Tavis de notre dit Conseil, et de notre certaine science , pleine puissance et autorité royale , — Avons, en approuvant et confirmant nos dits Arrêts, dit, dédaré et ordonné , disons , déclarons et ordonnons par ces pré- sentes, signées de notre main, voulons et nous plaît que ledit Renaudot, et ses successeurs et ayantrcause, jouissent pleinement, paisiblement et perpétuellement , à lexclusion de tous autres , du pouvoir, permission et Privilège de composer et faire composer, imprimer et faire imprimer, en tel lieu et par telles personnes que bon leur semblera, les Gazettes, Relations et Nouvelles, tant ordinaires qu'extraordinaires, lettres, copies ou extraits d'icelles, et autres papiers généralement quelconques contenant le récit des choses passées et avenues ou qui se passeront tant dedans que dehors le royaume; prix-courant des marchandises, confé- rences et autres impressions desdits Bureaux ; et généralement toutes les choses mentionnées èsdits arrêts; le tout vendre et iaire vendre, exposer et débiter. Avec défenses à tous imprimeurs, libraires et attires ^personnes, de quelque condition qu'ils soient, de s'immiscer ni entreprendre aucune des choses ci-dessus, sans le pouvoir , consentement et aveu dudit Renaudot , ou des siens après lui , sans que ci-après ils puissent être troublés et privés (]e tout ou partie des émoluments procédant desdites impressions et choses ci-dessus , par quelque personne ou prétexte que ce soit ; sur les peines portées par lesdits Arrêts, ci-attachés sous le contre-scel de notre chancellerie ; nonobstant toutes déclara- tions, ordonnances, arrêts, règlements et défenses faites ou à faire pour raison de la papeterie, imprimerie et librairie; mesme celles faites à toutes personnes de tenir presses et imprimerie en leur maison, que ne voulons nuire ni préjudicier, directement ou indirectement, audit Renaudot et aux siens, et ce tant qu'il no\i«
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plaira, les Gazettes, Nouvelles et autres impressions avoir lieu en cestuy notre Royaume et lieux de notre obéissance. — Si donnons en mandement à notre très-cber et féal cbevalier le sieur Séguier, garde des sceaux de France, que ces présentes il fasse lire, publier et registrer es registres de Taudience de France, et du contenu en icelles jouir et user ledit Renaudot, ses hoirs , successeurs et ayant-eau^ , pleinement , paisiblonent et PERPÉTUELLEMENT, sans soufifHr ni permettre qu'il lui soil fait, mis et donné aucun trouble ni empêchement au contraire ; nonobstant clameur de haro, chartre normande, prise à partie et lettres à ce contraires; oppositions, appellations et empêchements quelconques; la connaissance desquels, si aucuns interviennent, Nous avons réservé et réservons à Nous et à notre Conseil, et icelle interdite à tous nos cours et juges. Et d'autant que des présentes on pourra avoir affaire en plusieurs et divers lieux , Voulons qu'au vidimus d^icelles, dûment coUationné par un de nos amés et féaux conseillers et secrétaires, foi soit ajoutée comme au présent original. Car tel est notre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours. Nous avons fait mettre notre scel à ces présentes : sauf en autres choses notre droit et l'autrui en toutes. — Donné à Paris, au mois de février l'an de grâce 4635 (4) et de notre règne le vingt-cinquiëme. Signé : LOUIS, et plus bas : Par le roi, de X^ménie; et scellé du grand sceau de cire verte, sur lacs de soie rouge et verte, et contre-scellé de cire verte.
Leu et publié, etc.
Nous n'avons pas besoin de faire ressortir l'éten" due et rimportance de ce privilège. Il assurait à Renaudot le monopole non-seulement de la Gazette, mais de tous « autres papiers généralement quel- conques contenant le récit des choses passées et
(0 C'est donc par erreur que le catalogue de la Bibliothèque impériale indique pour la date de ces lettres le 44 octobre 4631.
ET RBNAUDOT 97
avenues ou qui se passeront dans le royaume; comme aussi de toutes les impressions commercia- les, qui étaient le privilège de son Bureau d'adresse ; et de plus il lui permettait de faire imprimer et vendre le tout où et par qui bon lui semblerait, c'està-dire, d'avoir une imprimerie à lui, des col- porteurs à lui, etc.
Nous n'avons pas trouvé trace de ces Gazettes imprimées en concurrence de celle de Renaudot. La Bibliothèque impériale possède seulement quelques parodies, très-plates et très-insignifiantes, dont nous nous bornerons à citer les titres :
« Nouvelles des quatre parties de Vautre monde. — Les vieilles nouvelles des quatre parties de Tautre monde, sans date pour la diflérence de leur calendrier au nôtre, sont arrivées à notre bu- reau, dédiées aux mondains curieux. In-4<>.»
^Gazette et Nouvelles ordinaires de divers pays lointains. — De la boutique de M. Jacques Yaulemenard, musicien ordinaire de la Basse-Andalousie, le 9 janvier 4 63!i. In-I<>.»
« Le Courrier véritable. — Du bureau des postes établi pour les nouvelles hétérc^nes, le dernier jour d'avril 4632. In-i».»'
« Le Courrier véritable arrivé en poste. — On le vend à l'enseigne du Divertissement Nocturne , rue du Mauvais-Passage. (4633), m-4«.»
« VAnti'Gaiette et nouvelles arrivées en Tannée présente par tous les royaumes et provinces de l'Europe. » (Le titre de départ porte : LAnti^azette sur tenez de Renaudot. )
Il y eut pourtant, à n'en pas douter, de nom- breuses contrefaçons de la Gazette, mais on com-^
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prend qu'elles soient de la plus grande rareté, si tant est qu'il en ait survécu. Pour ma part^ après de longues recherches je désespérais d'en rencon- trer, quand un beau jour, enfin, tout dernièrement, je trouvai à la bibliothèque Sainte-Geneviève un vieux bouquin, ayant sous sa robe de parchemin Taspect le plus vénérable, les apparences les plus honnêtes, au frontispice duquel je liis avec éba- hissement ce titre : Courrier universel^ fidèle rappor- teur des choses les plus remarquables qui se sont poussées dès le commencement cfa 1 631 jusques à 1 632. A cette vue, je tressaillis comme le mineur qui croit mettre la main sur un trésor ; mon émotion s'ac- crut encore quand je vis parler dans les premières lignes de la préface — que je dévorai — de feuilles distribuées hebdomadairement, dont mon bouquin n'était que la réunion. Et remarquez que mon siège était fait, qu'avec tout le monde j'avais proclamé Renaudotle père des journalistes français. N'était-il donc qu'un usurpateur? Allais-je être obligé de descendre mon héros du piédestal sur lequel je m'étais plu à le consolider ? Un examen un peu plus attentif ne tarda pas à me tirer d'anxiété. J'étais tout bonnement en face d'un voleur. Le Courrier universel n'est , en effet , qu'une contrefaçon de la Gazette de Renaudot, imprimée à Rouen, avecpri^ vilégCj par Claude Le Villain , imprimeur et relieur du roi. II est à remarquer qu'elle ne commence
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pas avec la Gazette, mais seulement au n® 21 , et elle s'arrête après la troisième année ; du moins l'exemplaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève ne vart-il pas plus loin.
Cet exemplaire se compose de trois forts volumes petit in-8**, dont les titres varient quelque peu. Celui du 1*' volume, que nous venons de citer, a un sous-titre ainsi conçu : où Ykistoire mémorable du roi de SuMe est amplement décrite, depuis son ad" vertement en Allemagne jusques à ses conquestes d'Ausbourg et autres villes. Il est orné d'un portrait in-4" — qui se retrouve au 2* volume — du « Sé- rénissime et très-puissant prince Gustave Adolphe, par la grâce de Dieu roi des Suédois , Goths et Vandales, grand prince de Finland, duc d'Estonie, .Carelie, seigneur d'Ungrie, etc. »
Chaque volume est précédé d'une préface dans laquelle Le Yillain préconise sa publication en gé- néral, et résume, en la faisant ressortir, la sub- stance du volume. Nous reproduisons la première:
(c Le Libraire au LiccTEUR, salut :
» Les fleurs, séparées les unes des autres, ont bien quelque chose d'agréable en soi, mais beaucoup plus quand, artistement agen- cées elles ne font toutes ensembe qu'un seul bouquet. De même les cahiers qui toutes les semaines vous ont été distribués sépa- rément, et dans lesquels vous avez appris tant de rares actions passées en divers lieux, peuvent bien vous avoir apporté quelque contentement, mais ce n'est rien en comparaison de celui que vous pouvez tirer de ce livre, où tous ensemble ils no font qu'un
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corps, et de plusieurs histoires qu'une annalle, qui sera Tétonne- ment des siècles futurs, comme elle est Tadmiration de celui^.
» Ces livrets, en leur particulier, ont bien quelques appas qui procèdent infailliblement de leur nouveauté, dont la durée toute- fois se mesure avec celle d'un jour, mais leur union a des charmes puissants qui proviennent de ta parfaite connaissance qu'elle donne de la vérité, laquelle n'apporte pas moins de satisfaction à ceux qui la chérissent grandement et la recherchent avec tant de soin qu'elle se rend aimable en sa naïve beauté et se fait ad- mirer en l'immortalité de sa durée.
» C'est en ce volume où vous verrez la profonde humihté du duc de Lorraine faire hommage à la grandeur de notre incomparable Monarque ; les princes électeurs implorer sa protection ; les Po- lonais, son entremise pour la continuation d'une trêve avec les Suédois, et d'une paix avec les Moscovites, et rechercher sa fa- veur pour, obtenir avec plus de facilité la permission de tenir un ambassadeur à la Porte du Grand-Seigneur ; le roi de la Grande- Bretagne se remettre en bonne intelligence avec Sa Majesté ; le roi de Maroc contracter son amitié, et donner, à la réputation de son mérite, la liberté à tous les esclaves français étant sous sa do- mination, et le dernier des Ottomans^ contre l'ordinaire gravité de ses prédécesseurs, l'honorer de titres spécieux et se plonger bien avant dans les compliments, pour témoigner l'estime qu'il fait de la générosité de son courage.
» C'est ici que vous pouvez apprendre les blessures, la défaite, et ensuite le trépas du général Tilly, l'un des grands capitaines de son siècle, et l'affaiblissement des forces de l'Empereur, son maître, réduit à prendre la loi de ceux qui la recevaient de lui., avec beaucoup de rigueur, et prêt à demander la paix avec hu- milité aux princes même que l'excès de son orgueil traitait avec un insupportable mépris.
«Vous entendrez y réciter les heureux progrès, les prises des villq^ et les victoires sans nombre de l'invincible roi de Suède, gagnées tant aux sièges et passages qu'aux rencontres et batailles rangées, et les glorieuses conquêtes des Hollandais, et les pertes
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honteuses des Espagnols, aussi bien en Amérique qu'aux extré- mités de l'Europe.
•Comme en un tableau agréable pour ses diversités, vous y rencontrerez l'Océan et la Méditerranée, et sur leurs ondes agi- tées de la tempête et parmi le bruit des canons vous y contem- plerez des naufrages horribles et de sanglants combats, et la cap- ture foite par des Toscans de plusieurs pirates qui pillaient jour- nellement les navires chrétiens ; et sur la terre, des montagnes inopinément crever et ravager une province, saccager des peu- ples, engloutir des villes, lancer des flammes au ciel, vomir des torrents de feu et rouler des roches tout entières. Vous y re- marquerez encore, d'un côté les bons services dignement récom- pensés, et de l'autre les déservices punis avec sévérité par le glaive de la justice, afin que désormais l'impunité ne serve de mère nourrice aux crimes que la clémence a fait trop longtemps oublier.
B Après la lecture de tant de rares et différentes nouvelles, si vous considérez mûrement le fruit que vous en recueillerez, et comme votre louable curiosité s'y trouvera amplement satisfaite, il ne se pourra pas faire que vous n'approuviez le soin que j'ai employé à conduire ce labeur jusques au point de sa perfection, et que vous ne le receviez pour un témoignage assuré du désir que j'ai de demeurer à jamais, etc. »
Le YillaJa s'est-il borné à réimprimer en volumes la Gazette de Renaudot, ou bien réimprimait-il chaque numéro à mesure de sa publication, pour le distribuer à des abonnés ? Cette dernière suppo- sition nous paraît la plus vraisemblable. Elle nous semble résulter des termes mêmes de la préface, de cette circonstance que le premier volume du Courrier universel ne commence qu'au milieu de la première année de la Gazette, et enfin des som*
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maires détaillés placés en tète de chaque numéro, et qui en résument le contenu ; ainsi :
a Là Ouatrième ^ite du Côuarisr tNrvBiiSfiL, ou porteur des ' nouvelles du temps qui court du th de novembre 1631, où 9b volent des préparations de guerre en Italie pour la dnchée de Mantoue , la prise du château de Wirtzbourg. par le roi de Suède, et la déclaration qu'il fait aux catholiques, lercraautez que les impériaux font au pays de LaMarck, une riche flotte ar- rivée à Amsterdam, voyage du duc de Guise à Lorette^ lettre du Grand-Turc au roi de France pour la délivrance des Français qull tenait esclaves, et autres nouvelles. »
Ajoutons encore que la Gazette de Le Villain est illustrée de quelques bois grossiers ; c'est ainsi que nous voyons dans le premier volume le « Portraict d'un chat sauvage trouvé au camp du Roy » , et le « Portraict d'une beste ravissante poursuivie par la noblesse et paysans dans les bois de Singlais, près la ville de Caen. »
La célèbre bibliothèque lyonnaise de M. Goste possédait douze années, 1738-1749, d'une Gazette imprimée à Lyon par Pierre Valfray, imprimeur du roi, et qui n'^it également qu'ime teptoduc- tion de la Gazette de France. « On sait, dit à ce propos l'ancien conservateur de cette riche collec- tion, M. Aimé Vingtrinier, qui a consacré aux journaux de Lyon une très-curieuse notice, on sait que les imprimeurs du roi avaient seuls le droit de réimprimer ce journal. Ils y ajoutaient, avec Tagré- ment de l'aratorité civile , le récit des farits arrivés
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dans la localité. » Est-ce en vertu de ce privilège que Le Yillain reproduisait la Gazette, dès la pre~ mière année de son existence, dans son Courrier universel ? C'est un point que nous ne saurions dé- cider.
En 1 650, pendant la Fronde, les imprimeurs du roi revinrent à la charge, croyant sans doute le mommt favorable pour réagir contre le privilège de Renaudot. Dans une pièce qui figure au nombre des Mazarinades son s le titre de : Lettres de Mon- seigneur le dm: d'Orléans et de V archiduc Léopold sur -les dispositions de la paix d!entre la France et r Espagne y des 8 et 15 septembre 16ô0, on lit in finej sous forme de Réponse au sieur Renaudot : « Les imprimeurs du roi rappellent que Renaudot n'a pas le droit d'imprimer dans sa Gazette les let- tres patentes, missives, édits, etc.; qu'ils l'ont déjà fait condamner en parlement pour la publi- cation de la Lettre du roi sur la détention des princes, encore qu'il eût surpris pour cela une lettre de ca* chet ; que leur privilège intéresse le menu peuple, fwaquHls vendent six deniers ce qv^ Renaudot vend dnq sols. En conséquence ils protestent. . . »
Nous ne sachions pas que cette protestation ait eu de suites ; le monopole de Renaudot courut d'ail- leurs, pendant la Fronde, de bien autres dangers, comme nous le verrons tout à l'heiure.
Le prix de cinq sols dont parle la pièce que
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nous venons de citer était-il le prix d'un numéro de la Gazette? Nous sommes porté à le croire; nous ne saurions cependant l'affirmer. Dulaure, dans son Histoire de Paris, dit qu'il se Tendait deux liards; mais cette assertion, qu*il n'appuie d'aucune au- torité, ne nous paraît pas admissible. Plus tard, les Mazarinades se vendirent, en effet, deux liards le cayefy comme on disait alors ; mais la Gazette, journal officiel^ journal unique avant la Fronde, outre qu'elle se composait d'au moins deux cahiers, avait une autre valeur que la plupart des canards qui pullulèrent pendant les troubles de 1 649-52. Quoi qu'il en soit, nous en sommes réduits aux con- jectures sur ce point, aussi bien que sur le prix et le mode d'abonnement. Tout ce que nous savons c'est qu'elle était « vendue et publiée par la ville de Paris » piar des colporteurs qu'on appelait gazetiers comme les écrivains de la Gazatte eux-mêmes, qu'on la lisait dans certaines boutiques, notam- ment chez Ribou, Loison, et autres regratiers (1 ) du Pont-Neuf; que de pauvres femmes allaient l'acheter au bureau de la Grande-Poste et la dis- tribuaient par mois aux personnes qui la voulaient lire, pour 30 sols (2).
(I) Ceux qui achètent des marchandises de peu de yaleur pour les revendre avec profit. — On appelait ironiquement reqroHen de Iwrea certaine» gens qui, sans être libraires, achetaient des liyres à bon marché pour les reyendre fort cher.
(8) Furetière, Trévoux.
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lUustns collaborateurs de Benaudot, *— Inimitiée que lui attirent ses svocès et la faveur dont il jouit. Sa longue querelle avec la faculté de médecine ; singulière animosité de Guy Patin. — Pamphlets dirigés contre lui.
On sait que Richelieu prenait un intérêt tout particulier à la Gazette^ qu'il regardait comme un puissant moyen de gouvernement ; il y envoyait des articles entiers, et y faisait insérer ce qu'il avait intérêt à faire connaître à l'Europe.
Nous avons peine à croire que Louis XIII, comme le contait naguère un spirituel chroniqueur de nos amis^ « quittât sournoisement «on Louvre pour se rendre à bas bruit dans la rue de la Calandre, dans cette boutique gazetière qu'annonçait si bien l'oiseau criard, le grand coq de son enseigne, et que là le pauvre roi, endoctrinant à l'aise le pédan- tesque Renaudot, s« dédommageât, par les petits commérages qu'il lui glissait à l'oreille, du silence et de l'inaction auxquels le condamnait son mi- nistre. » Mais on ne peut douter que ce monarque, qui n'osait guère avoir de volonté, ni parler un peu haut, pas même devant sa femme, ait pris une part active à la rédaction de la Gazette. Lorsqu'il y avait quelque dissidence politique dans le royal ménage, c'est à la Gazette qu'il se confiait pour conter au monde ses doléances; il écrivait ce qu'il n'osait pas dire, et riait sous cape en voyant circuler sa ven-
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geance anonyme, et en étudiant ses effets sur Tâoie altière de la reine.
Quand Louis Xltl fut mort, et que Anne d'Au- triche ent été nommée régente, Henaudot, menacé dans son privilège, dut rendre compte du passé médisant de sa Gazette, que ses envieux Taceusaient d'avoir ouverte aux ennemis de la reine. On remit à flot je ne sais quelle fâcheuse affaire d'arrestation de prisonniers espagnols dans laquelle ht reine s'était fort compromise, et Ton firt ressortir toute Tacri- monie d'un mémoire rédigé à cette occasion par le roi, et dont le gazetier s'était fait Védiieury sans croire qu'il en dût jamais être responsable. Mais Renaudot n'était pas homme à se déconcerter; vrai journaliste, il avait la riposte vive, la réplique vé- hém^ente. Il répondit par une Jtefuies^ adressée à la régente, et c'est alors qu'on apprit tout le mystère de cette haute comédie, dont le secret n'eût jamais existé si la loi sur la signature eût été promulguée dès ce temps-là.
Cette requête, dont Monteil possédait un exem- plaire manuscrit^ probablement unique, et que nous avons inutilement cherchée à la Bibliothèque impé- riale, est sans auoyin doute le plus ancien monn- ment de l'histoire de notre presse périodique. Le père des journalistes français, dit Monteil, ne pou- vait être un sot : sa défense est adroite, et, d'ail* leurs historique. Il expose qu'jl exerce depuis vingt-
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dnq ans la charge de oammissaire^énéral des pau- vres malades, auxquels il procure gratuitement les consultations de vingt médecins; qu'il en a guéri et médicamenté à ses frais plus de vingt mille; qu'il a acheté une maison destinée à être VHostel des comultations charitables^ mais qu'on traverse par des oppositions son utile entreprise. Passant en- suite, par une habile transition, de la santé de ses malades à celle de son journal, qlii ne lui tenait pas moins à cœur : c On ne peut faire de bien en France qui ne soit approuvé par une si bonne princesse, trop équitable pour s'arrêter aux mauvaises im- pressions que las esprits malfaisants lui ' veulent donner. » Et puis la ^eine n'avait alors aucune part aux affaires, il n'a pu que parler de sa vie exem- plaire, il n'a pu davantage ; et combien n'a-t-il pas fait faire de vœux à la France pour ses grossesses et heureuses délivrances. — Enfin s'adressant di- rectement à Anne d'Autriche : • Les discours que j'ai faits de la maladie du roi et de sa mort , dit* il , ont été de perpétuels panégyriques de la piété et amitié conjugale de Votre Majesté. »
Abordant alors cette affaire des prisonniers es- pagnols dont on venait, après dix ans, réveiller le souvenir pour lui en faire une accusation, il en dé- cline la responsabilité : « Chacun sait, dit-il, que le roi défunt ne lisait pas seulement mes gazettes et n'y souffrait pas le moindre défaut, mais qu'il m'en-
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voyait presque ordinairement des mémoires pour y
employer Etait-ce à moi à examiner les actes du
gouvernement? Ma plume n'a été que gref&ère... Mes presses ne sont pas plus coupables d'avoir roulé pour ces mémoires. . . que le curé qui les lirait à son prône, que l'huissier ou le trompette qui les publierait. »
Renaudot gagna son procès, et il alla plus avant encore dans la £aveur de Mazarin qu'il n'avait été dans celle de Richelieu.
Cette faveur de deux grands ministres ne dédai- gnant pas de s'appuyer sur un humble gazetier prouve assez que, dès son origine, le journal fut une puissance. S'il en fallait une autre preuve , nous la trouverions dans les attaques furieuses dont Re- naudot fut l'objet à l'occasion de sa Gazette. En pré- sence de ce nouveau succès, la violence de ses en- vieux ne connut plus de bornes ; toutes les armes leur étaient bonnes pour l'attaquer, le ridicule aussi bien que la calomnie. Ses tentatives pour faciliter les transactions et procurer au commerce le s moyens d'écoulement qui lui manquent • honteux trafic ! Ses efforts pour venir en aide aux nécessiteux : in- fâme usure I II veut faire sortir de l'ornière Fart de guérir : charlatanisme ! H donne gratuitement aux pauvres, avec ses consultations, les nouveaux cu- ratifs que lui fournit la science : charlatanisme ! charlatanisme I Pour comble, il se fait gazetier,
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courtier de nouvelles, l'équivalent de courtier d a- mourl
L'eovie ne s'arrête pas en si beau chemin ; elle va fouiller dans les plis les plus intimes de sa vie privée, et se fait une arme de ses chagrins domes- tiques (1). Une légère difformité dont il était affligé,
(1) Nous croyons devoir releyer ici une omission de la Biographie universelle ^ qui ne fait aucune mention du second mariage de Renaudot et du divorce qui le suivit : ce sont là deux circonstances trop importantes pour qu'il soit indifférent de tes omettre. Renaudot, veuf depuis plusieurs années, prit femme de nouveau eDDOTonbre 1651. Voici comment s'en exprime Loret dans sa Muse historique (u* livre, lettre 5S, du 31 décembre) :
Je ne devais pas oublier.
Mais dès l'autre mois publier
{Car c'est assez plaisante chosé^
Que le sieur Gcuutier en prose.
Autrement monsieur Renaudot,
En donnant un fort ample dot,
Pour dissiper mélancolie,
À pris une femme jolie,
Qui n'est encor (j^'en son printemps,
Quoiqu'il ait plus de septante ans.
Pour avoir si jeune compagne,
R faut qu'il ait mis en campagne
Multitude de ces louis
Par qui les yeux sont éblouis;
Car cette épouse, étant pourvue
ly attraits à donner dans la vue
Des plus beaux et des mieux peignez^
Ne l'a pas pris pour son beau nez.
Le second mariage de Renaudot ne fut pas heureux. Loret dit dans la trente- dDqaième lettre du m* livre, sous la date du 8 septembre 165S :
H faut dire ici quelque mot De Tkéophraste Renaudot, Homme d'esprit et d'importance. Et le grand gazetier de France, Qui, voulant au dieu des amows Sacrifier ses derniers jours. Ayant des ans soixante et douze Avait pris une jeune épouse Qui n'avait pas valant cent francs. Mais un corps, et des plus blancs. Contenant en plusieurs espèces, Quantité /^[fiimables richesses.
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^— il était camus, — est le sujet d'éternels sar- casmes. On va jusqu'à lui contester la légitimité de son prénom de Ifiéophraste, que Ton trouve trop pompeux pour qu'il ne soit pas emprunté (1).
Et n'allez pas croire que ce soient là propos d'enfants. Ce n'est rien moins, s'il vous plaît, que la Faculté de médecine de Paris qui trouve de pareils moyens contre un adversaire qu'elle Jalouse,
Les premiers jours du mariage Sans noise, sans bruit, sans orage, Coulèrent, sinon plaisamment, Du moins assez paisUtlement. Au mari, froid comme une souche, La femme n'était point farouche. Renaudot, sans être jahux, Lui maniait souvent le poux ; {Et c'était là tout son possible. N'étant pas cPailleurs fort sensible,)
Ces pauvres petits passe-temps Durèrent tant soit peu de tempe ; Mais enfin cette déesse orde Que Von nomme dame Discorde Parmi leur hymen se fourra.
A la fin lettre communs parents. Ayant peur que Imtrs différends. Après leur amitié détruite. Eussent w^ éternelle suite, Ontji^é très fort à propos ' Outilles fallait mettre en repos; Si bien que, par leur entremise. Les messieurs de la cowr d'église. En ayant été fort priés. Les ont enfin démariés.
Nous trouvons dans la BibUographie des Mazarinades, sous le titi^ de : L'impri- merie à Renaudot sur son mariage, l'indication d'un petit recueil de stances ei sonnets composés à cette occasion.
(0 L'aVocat de ses adyersaires le compare, à propos de ce prénom, au camé- léon, en citant un passage de Tertullien De Pallio : « Capit bestiola vermiculum
nomen grande ; mais régardez-le de près, ridebis audaciam et graciam nomi- nis. »
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et qui les articule- dans un procès solennel. Mais ce n'est pas tout. Voulez-vous savoir jusqu'où allait la rare subtilité de ces graves docteurs? Suivez bien ce raisonnement : « L'origine et les mœurs de Renaudot sont à considérer : il est né à Loudun, où il est certain, de par Laubardemont, que les démons ont établi leur domicite ; il a témoigné avoir une partie de leurs secrets et de leurs ruses. En effet, TertuUien remarquait dans son Apologétique, — on cite le passage (1), — deux circonstances qui avaient mis le diable en crédit : le débit des nouvelles et celui des recettes pour les maladies. » Or, Renaudot est gazetier, il veut être empirique, il est né à Loudun : donc, etc.
Et c'est au milieu du xvn* siècle, en plein con- seil, que se débitaient de pareilles sottises ! Il faut dire aussi que le bûcher d'Urbain Grandier était à peine éteint. Comment s'étonner alors que Renau- dot ait succombé sous de telles accusations !
Puisque ce nom d'Urbain Grandier est venu sous notre plume, disons, à l'honneur de Renaudot, que, bien qu'il ne pût ignorer quelle main frappait son infortuné compatriote, il ne craignit pas de composer son éloge et de le faire distribuer dans Paris.
(1) Quidquid ubique geratur tam facile sciunt (dsemonei) quam ênuniiant.... Venefici plané circà curas valetudinum.
Si ces arguments ne sont pas de Guy Patin, l'instigateur de ce débat retentis- se t, ils sont bien dignes de lui par leur sel et leur nialigbité.
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Il soutenait, à cette époque, contre la Faculté de Paris, un procès qui joue un grand rôle dans sa vie, et auquel nous faisions tout à l'heure allusion. Quelque occupé, en effet, que fût.Renaudot par ^son journal et par ses opérations commerciales, il n'en avait pas moins continué l'exercice de la mé- decine et la distribution de ses remèdes chimiques, dont le temps n'avait fait qu'accroître le succès. Depuis l'année 1634 ou 1635, il tenait tous les mardis une séance de consultations gratuites dans sa maison; il y assemblait pour cela plusieurs médecins, la plupart étrangers comme lui et de la Faculté de Montpellier. Enfin, il venait d'acheter dans le quartier Saint-Antoine un vaste emplace- ment pour y élever une maison spéciale de consul- tation, où lui et ses acolytes auraient toujours été à la disposition des malades pauvres. Bref, il a|Bi' chait la prétention d'exercer et de diriger tout un système de médecine gratuite à Paris, en dépit de la Faculté, de VEcole^ comme il affectait de dire un peu dédaigneusement.
La Faculté devait éclater devant de pareilles prétentions ; on comprendra, du reste, sa suscepti- bilité, si l'on se rappelle qu'à cette époque on était en tout sous le régime du privilège, et que les an- ciens règlements interdisaient l'exercice de la mé- decine à Paris à quiconque n'avait pas reçu ses grades à l'Université de cette ville. Longtemps re-
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tenue par la protection dont Richelieu couvrait le gazetier, elle avait d'abord essayé de lutter à armes courtoises. Dans une affiche portant décision du 27 mars 1639, mais qui ne fut placardée que bjen des mois après , on lit : a Les doyen et docteurs de la Faculté de médecine font savoir à tous malades et ajQGUgés de quelque maladie que ce soit qu'ils se pourront trouver à leur collège^ rue de la fiûcherie, tous les samedis de chaque semaine, pour être visités charitablement par les médecins députés à ce faire, lesquels se trouveront audit collège, et ce depuis les dix heures du matin jusques à midi , pour leur donner avis et conseil sur leurs maladies, et ordonner remèdes convenables pour leur soula* gement. » Une autre annonce plus complète de bienfaisance, commençant par ces mots : Jesu^, Maria, fut promulguée et lue dans les prônes le jour de Pâques 1 641 , en des termes tout conformes à la dévotion chrétienne. Il y était dit que cette espèce de consultation et de clinique gratuite devait se tenir tous les samedis, à l'issue de la messe qui se célébrait chaque semaine en la chapelle de la Facidté, et après laquelle on réciterait désormais les litanies de la Vierge, et l'on invoquerait parti- culièrement les saints et saintes qui de leur vivant , par profession ou par charité, avaient exercé et pratiqué la médecine. On devait cette fois non-seu- lement donner des avis, mais fournir des médica-
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ments et remèdes gratis, selon les petits moyens de la Faculté. Renaudot prétendit que c'était là une imitation et une émulation de TËcole de Paris, qui s'était piquée d'honneur sur son exemple et qui pro- fttait de son idée charitable. Il remarquait maligne- ment que les quatre docteurs spécialement préposés pour ce service gratuit du samedi recevaient chacun trente sous des deniers de la Faculté. La Faculté, au contraire, protestait contre toute idée d'imita^ tion, et soutenait que, dans cet essai de bonne œuvre publique, elle n'avait eu à s'inspirer que d'elle-même et de son amour du bien. Toutes ces discussions, où le mot de charité revenait sans cesse, ne se passaient point sans grand renfort d'invectives des deux parts et d'injures infamantes. Il y a dans toute cette querelle, et dans le fatras d'écriture qu'elle produisît, des choses fort curieuses et pour Vhistoire de la médecine et pour l'histoire des journaux en France. Ce serait Renaudot, pa- raît-il , qui aurait ouvert le feu par un factum , auquel il fut répondu par un autre factum sous le titre de : La défense de la Faculté de médecine de Paris contre son calomniateur ^ dédiée à l'éminentis- «ime cardinal de Richelieu, et signée des doyen et docteurs régents. Richelieu fit venir le doyen de la Faculté, qui était alors Duval, et flenaudot. « Son Eminence, dit celui-ci, fit l'honneur au doyen et à moi de nous dire qu'elle désirait notre accommo-
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dément, qui n'est pas purement et simplement pro- téger ceux de l'Ecole de Paris en l'action intentée contre ma charité en vêts les pauvres malades; ce qu'on nù doit aussi jamais entendre d'une si grande piété qu'est la sienne. Et n'était que je ne veux pas engager, comme ils font trop légèrement, les ora- cle» de sa bouche sacrée, je pourrais ici rapporter le blâme qu'elle donna à leur procédé. » Malgré cette défense du cardinal, il ne laissa pas de courir en- core plusieurs écrits en 1 64< .
L'instrument de la Faculté dans cette querelte , son grand exécuteur, fut Guy Patin, si fameux par son esprit caustique, et qui, selon l'expression d'un contemporain , était satirique depuis la tête jusqu'aux pied«. On avait alors, et Guy Patin plus que tout autre, des préventions et des animosités de profession et de métier; on était de sa robe, l'un du Parlement, l'autre de la Sorbonne, un autre de la Faculté de médecine; on y mettait toutes ses passions, toute son âme. En présence de pareilles dispositions, les plus simples conquêtes du bon 9«is devaient coûter beaucoup à obtenir; ceux qui les soutenaient, et qui devaient prendre sur eux- mêmes pour cela, avaient sans cesse à combattre au dehors : il n'est donc pas étonnant que tant de colères et de passions se soient dépensées dans la lutte. Guy Patin était l'homme de ces colères; il a des verves et des rages de parole tout à fait rabe-
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laisiennes , mais sans rire; il mord à belles dents et emporte la pièce.
Il faut lire sa correspondance pour comprendre jusqu'à quel point une querelle de boutique peut aveugler un homme d'esprit; on trouverait diffi- cilement un autre exemple d'une pareille animosité. Il ne peut parler de Renaudot, il n'y peut songer, sans une sorte d'horripilation, et la langue fran- çaise ne lui fournit pas de mots assez forts pour exprimer sa haine contre ce Théophraste ou plutôt Cacophraste Renaudot, ce nez pourri de gazetier, ce nebulo hehdomadarius ^ omnium bipedum nequis^ simus et mendacissimus et maledicentissimus ^ qui indiget heleboro y aut acriori mediçina , flamma et ferrOj' ce Bureau d'adresse, mem agyrta convitior tor et sycophanta deterrimus. t Si ce gazetier, écri- vait-il au mois de mai 1 641 , n'était soutenu de TEminence en tant que nebulo hebdomadarius^ dovis lui ferions un procès criminel, au bout duquel il y aurait un tombereau, un bourreau, et tout au moins une amende honorable ; mais il faut obéir au temps. Par provision , M. Moreau fait une réponse à son factum, qui est une pure satire : je pense que le gazetier y sera horriblement traité, et comme il le mérite, en attendant que le bourreau vienne à son rang tomber sur le maraut. Ce n'est pas que son livre mérite réponse; mais, comme il est mé- chant et impudent, il se vanterait qu'on n'aurait
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pu lui répondre ; c'est poyrquoi stulto juœta stulti- tiam suam respondebitur. »
L'insulte la plus fréquente que les défenseurs de la Faculté adressent à Renaudot était celle de gor zetier^ et en cela Guy Patin, emporté par sa pas- sion, était des plus inconséquents. Lui qui, dans sa malice curieuse et son amour des nouvelles , était homme à inventer les gazettes et chroniques, si un autre ne les eût inventées , il en faisait presque à Renaudot un crime d'État. « Je vous confesse, di- sait-on au nom de la Faculté, que vos gazettes vous font reconnaître pour un gazetier, c'est-à-dire un écrivain de narrations autant fausses que vraies. 11 vous eût été plus honorable de prendre la qualité i' historiographe^ puisque Lucien veut et démontre qu'il appartient plutôt aux médecins à décrire les histoires qu'à d'autres. » Mais Renaudot n'était pas facile à émouvoir sur ce point ; nous savons com- bien il était convaincu de l'utilité de ses diverses innovations et de ses établissements, de celle de sa Gazette en particulier, et qu'il s'en faisait gloire.
Des injures, d'ailleurs, n'étaient pas des raisons; la Faculté le comprenait bien . Dans celles qu'elle alléguait contre Renaudot, et pour preuve de son incapacité et de son indignité à pratiquer la méde- cine, ce qui tient la première place, c'est le trafic et négociation qu'il fait « à vendre des gazettes, à enregistrer des valets, des terres, des maisons, des
448 LAQAZETTE
gardes de malades, à exercer une friperie, prêter argent sur gages, et autres choses indignes de la dignité et de l'emploi d'un médecin. Il fallait à Thèbes, dit son accusateur, s'abstenir dix ans en- tiers de trafiquer à celui qui voulait entrer en quelque magistrature. » Ils lui reprochent d'avoir voulu faire d'une salle de fripiers et usuriers (allu- sion à son mont-de-piété), d'une boutique de jour- nal, une synagogue de médecine. Les enfants de Renaudot, qui furent depuis des hommes de mé- rite, s' étant présentés au baccalauréat devant la Faculté de Paris, il leur fallut déclarer, par acte de notaire et par serment^ qu'ils renonçaient au trafic de laur père. Renaudot, revenant sur cette condition imposée à ses fils, et expliquant comment on pouvait tenir le Bureau d'adresse sans se char- ger pour cela des détails confiés à des commis, re- connaît qu'en effet ses fils ont déclaré devant la Faculté € qu'ils ne se mêlaient point et ne s'étaient jamisds mêlés des négociations dudit bureau. » Maifi ce n'est pas, ajoute-tril, que ces négociations ne soient honnêtes et licites, c'est qu'elles gpnt re- mises aux mains de subalternes. Toutefois, voyant qu'on prétendait abuser contre lui de la déclaration de ses fils, il dut se pourvoir contre , et demander qu'elle fût rapportée.
Le procès assoupi en 1641 se réveilla en 1643. 11 fut précédé d'une plainte particulière de Renau*
ET RENÂUDOT 449
dot, qui, fatigué de s'entendre ainsi, publiquement et sans relâche, invectiver par le sarcastique doc- teur, lui intenta un procès ; mais il le perdit , et Patin , qui s'était défendu lui-même, en triomphe avec toute sa verve et son orgueil :
« Pour le Gazetier, jamais son nez ne fut accommodé comme je Tai accommodé le 4 4 d'août de Tan passé aux Requêtes de l'Hôtel, en présence de quatre mille personnes. Ce qui m'en£9lche, c'est que habet frontem meretrifii$, nescit eruliescere. On n*a ja- mais vu une application si heureuse que celle de saint Jérôme, epistola 400, ad Bonasium, contre le n^lo et bîatero : car voilà les deux mots dont il me fit procès, qui est néanmoins une qualité qu'il s'est acquise paâr arrêt solennellement donné en l'audience. Je n'avais rien écrit de mon plaidoyer, et parlai sur-le-champ, par cœur, près de sept quarts d'heure. » (Lettre du 42 août 4643.)
Quatre ans après, il revient avec complaisance sur cette victoire^ et en parle comme s'il était encore au lendemain :
«Mon plaidoyer contre le Gazetier n'est pas écrit; depuis cinq ans passés, je n'en ai eu aucun loisir. Je le fis sur-le-champ, sans L'avoir médité, et sans en avoir jamais écrit une ligne. Deux avocats qui venaient de plaider contre moi, l'un au nom du Ga- zetier, et l'autre au nom de La Brosse, me mirent en humeur de faire mieux qu'eux et de dire de meilleures choses. L'un ni l'autre ne purent prouver que nehulo et Uatero fussent termes injurieux. Ha me donnèrent si beau champ que leurs faibles raisons ser- virent à me justifier aussi bien que toute l'éloquence du monde, et mon innocence me fit obtenir si favorable audience que j'eus tout l'auditoire et tous les juges pour moi, et censùrem, et curiam, et quirites. » (Lettre du tt août 4647.)
no LA GAZETTE
Dans ce plaidoyer dont il se montre si fier, plai- doyer plus comique que sérieux, plus macaronique que français, et « qui appartenait mieux à un hôtel de Bourgogne qu'à un barreau, » Guy Patin, tout en réitérant ses sarcasmes et ses moqueries, en tournant et retournant son adversaire et en faisant rire la galerie, déclara pourtant, à ce qu'assure Ren^udot, qu'il avait entendu parler d'un autre que de lui. Ce qui ne l'empêcha pas de le poursui- vre de ses quolibets jusqu'en dehors du Palais. Abordant le malheureux gazetier à l'issue de l'au- dience : « Consolez-vous, monsieur Renaudot, lui dit l'implacable railleur, vous avez gagné en per- dant. — Comment cela ? — Vous étiez entré camus, et vous sortez avec un pied de nez (1 )., »
Après plusieurs procédures, un arrêt au fond, arrêt solennel, qui termina, le 1®' mars 1644, cette longue querelle, acheva de donner satisfaction à la rancune et à la vanité des^champions de la routine. I^ Faculté ne s'était pas bornée à demander qu'il fût interdit à Renaudot d'exercer la médecine à Paris : elle n'aurait pas trouvé son compte à ce que le procès fût ainsi renfermé dans ses justes limites; il lui fallait du scandale ; ce qu'elle voulait , c'était écraser sous la calomnie son redoutable adversaire. Voilà pourquoi, se posant en redresseur de torts,
(1) Gay Patin fit encore sur ce procès un quatrain en style de NostradaiDUS que nous verrens plus loin.
^
ET RENAUDOT 42«
à Faccusation d'exercice illégal de la médecine, elle joignit, par une étrange confusion de tous les prin- cipes, celui de trafic et d'usure- Sur ce terrain, Vmyie pouvait se donner plus largement carrière , et nous avons vu quelques-uns de ses admirables arguments. Ce qu'il y eut de déplorable dans cette affaire, c'est que les juges de Renaudot ne mon- trèrent pas plus de lumières que ses adversaires ne montrèrent de bonne foi. On était sous la ré- gence, Richelieu n'était plus là pour protéger le pauvre Renaudot, et le Parlement avait peu de goût pour les créatures du défunt cardinal. En vain une foule de témoins vinrent déposer en faveur de son talent et de l'excellence de ses re- mèdes; il avait contre lui la lettre de la loi, il de- vait succomber, et l'arrêt, que le temps en cela devait bientôt casser, condamna du même coup son moQt-de-piété comme un établissement nui- sible aux classes pauvres. Fort heureusement pour la Gazette qu'elle avait de puissants protecteurs, car elle aurait bien pu, sans cela, ne pas survivre i cet étrange procès.
C'est alors qu'il faut entendre les éclats de Guy Patin ; il triomphe avec une sorte de joie cruelle, et ses lettres de 1644 sont toutes pleines de ses bulletins de victoire :
«Un grand et solennel arrêt de la Cour, donnéàTaudienoe pu^ blique, après les plaidoyers de cinq avocats et quatre jours de T. I. 6
4n LA GAZETTE
plaidoiries, a renversé toutes les prétentions du Gazetier, et a aussi abattu son bureau , où il exerçait une juiverie hor- rible et mille autres infâmes métiers (4 i mars). — Le Gazetier ne pouvait pas se contenir dans la médecine, qu'il n*a jamais exercée, ayant toujours tâché de faire quelqu'autre métier pour gagner sa vie, comme de maître d'école, d'écrivain, de pédant, de surveillant dans le huguenotisme, de gazetier, d'usurier, de chimiste, etc. Le métier qu'il a le moins fait est la médecine, qu'il ne saura jamais. C'est un fanfaron et un ardelio, duquel le caquet a été rabaissé par cet arrêta que nous n'avons pas tant obtenu par notre puissance que par la justice et la bonté de notre cause, laquelle était fondée sur une police nécessaire en une si grande ville contre l'irruption de tant de barbares qui eussent ici exercé l'écorcherie, au lieu d'y faire la médecine. > (9 juin;)
« Je viDus dirai, écrit-il à Spon (8 mars), qu'enfin le Gazetier, après avoir été condamné au Ghàtelet, Ta été aussi à la Cour, mais fort solennellement, par un arrêt «d'audience publique pro- noncé par M. le premier président. Cinq avocats y ont été ouïa, savoir : celui du Gazetier, celui de ses enfants, celui qui a plaidé pour les médecins de Montpellier, qui étaient ici ses adhérents, ce- lui qui plaidait pour notre faculté, et celui qui est intervenu en notre cause de la part du recteur de l'Université. Notre doyen a aussi harangué en latin, en présence du plus beau monde de Paris. Enfin M. l'avocat général Talon donna ses conclusions par un plaidoyer de trois-quarts d'heure, plein d'éloquence, de beaux pas- sages bien triés et de bonnes raisons, et conclut que le Gazetier ni ses adhérents n'avaient nul droit de faire la médecine à Paris, de quelque université qu'ils fussent docteurs, s'ils n'étaient ap* prouvés de notre Faculté, ou des médecins du roi ou de quelque prince du sang servant actuellement. Puis après il demanda jus- tice à la Cour pour ieg usures du Gazetier et pour tant d'autres métiers dont il se mêle, qui sont défendus. La Cour, suivant ses conclusions, confirma la sentence du Châtelet, ordonna que le Gazetier cesserait toutes ses conférences et consultations chari- tables, tous ses prêts sur gages et vilains négoces, et même sa
ET KENAUDOT 153
chimk, de peur ce dit M. Talon, que cêt homme, qui a tant envie d'en avoir par droit et sans droit, n'ait enfin envie d'y faire la fausse monnaie (4). »
On voit à quel point le Parlement et les gens du roi entraient avant et prenaient part dans les guerres des corps contre les libres survenants.
Depuis lors, le nom du Gazetier revient moins souvent sous la plume du caustique docteur, et^ quand il apprend sa mort, il se borne à en faire loraison funèbre en deux mots : « Le vieux lliéo* phraste Renaudot mourut ici le mois passé, gueuœ comme un peintre » (lettre du 12 novembre 1653); Qe craignant pas de se donner ainsi à lui-même et aux calomnies qu'il avait si laborieusement en- tassées un éclatant démenti. Mais la vanité n'y regarde pas de si près, et Patin n'a pu résister à la satisfaction de donner ce dernier coup de pied à son adversaire. Ne voyez-vous pas le contraste? U docteur de Montpellier, le promoteur de l'anti- moine, le charlatan, est mort gueux comme un peintre , et lui , Guy Patin , le docteur de la Faculté de Paris, le champion de la saignée, le soutien de la routine, il a maison de ville et maison des
(I) Dans Feitrtit des Bee^stres de la Cour de Parlement (ÎUA) oii est relaté le ptaûdojer de M. Talon, on ne trouye point cette phrase, que M. Talon ne laissa pmt-ètre échapper qn'en conversation, si tant est qu'elle ne soit pas simplement te PioTention de Guy Patin.
Voir sur œ procès et sur son promoteur, les Lettres de Guy Patin, et un très- ioiéretsant article de M. Sainte-Beuve (Causeries du Lundi, viii, 79), qui nous a. Ammi phis d'an détail curieux.
m LA GAZETTE
champs, et peut vanter avec complaisance et le nombre de ses .poiriers, qui n'est pas moindre de cinq cents, et le nombre de ses livres, qui, dépasse dix mille.
D'ailleurs, pour être satisfaite de ce côté, la haine de Patin n'était pas assouvie. Renaudot mort, il la reporta sur ses enfants, qui, avait-il espéré, ne devaient jamais être reçus dans la Faculté de Paris^ ce qu'il n'avait pu empêcher cependant ; mais il poursuit plus particulièrement de son animosité l'aîné, Eusèbe, qu'il traite de maraud, d'effronté, d'imposteur, et qui, en effet, s'était rendu coupable d'un crime irrémissible aux yeux de Patin : il avait écrit V Antimoine triomphant!
L'antimoine, voilà, en effet, si l'on peut dire ainsi, la bête noire de Guy Patin; il souffre difii'* cilement qu'on lui en parie ; il ne veut pas qu'on touche cette corde, quœ habet aliquid odiosum. Ce n'est pas ici le lieu de rappeler cette lutte ardente, assez connue d'ailleurs, entre l'antimoine et la sai- gnée, entre la vieille méthode et les remèdes non* veaux, les remèdes chimiques; en un mot, entre la routine et le progrès. Guy Patin, doyen de la Fa- culté de Paris, était naturellement pour la vieille médecine ; Renaudot, lui , était pour la nouvelle : inde irœ, de là cette haine violente dont il le pour- suivit jusqu'à sa mort, qu'il reporta sur ses enfants, et dans laquelle se trouvèrent englobés la faculté
ET RENAUDOT 425
de Montpellier, qui avait pris fait et cause pour Renaudot, sorti de son sein, et }es apothicaires, qui penchaient pour les nouveaux remèdes, source pour eux de nouveaux bénéfices. Gomme il les accable de son dédain, ces « bons pharmaciens de Paris , ces cuisiniers arabesques, artis nostrœ scarir dala et opprobria! n Avec eux aussi il eut un procès, et — ce qui prouve au moins Thabileté avec laquelle il savait colorer, envelopper la calomnie, et s'en laver ensuite , — il en sortit encore avec les hon- neurs de la guerre :
« Pour mes chers ennemis les apothicaires de Paris, ils se sont plaints de ma dernière thèse à notre faculté, laquelle s'est mo- quée d'eux. Us en ont appelé au Parlement, où leur avocat ayant été ouï, je répondis moi-même, sur-le-champ, et ayant discouni une heure entière, avec une très-grande et très-favorable au- dience (comme j'avais eu, il y a cinq ans, contre leGrazetier), les pauvres diables furent condamnés, sifQés, moqués et bafoués par toute la cour, et par six mille personnes, qui étaient ravies de les avoir vus réfutés et rabattus comme j'avais fait. Je parlai contre leur bezoar, qui fut si bien secoué qu'il ne demeura que pondre et cendre, contre leur confection d'alkermès, leur thé- naque et leurs parties. Je leur fis voir que organa pharmacia trant organa faUadœ, et le fis avouer à tous mes auditeurs. Les pauvres diables de pharmaciens furent mis en telle confusion qu'ils ne savaient où se cacher. Dimissi etrefecti fuere tanquam ignari nAuUmes^ boni illi viri pharmacopei parisienses. Toute la ville, l'ayant su, s'est pareillement moquée d'eux : si bien que l'honneur m'en est demeuré de tous côtés ; jusque là même que notre Faculté m'a rendu grâces de ce que je m'étais bien dé- fendu de la pince de ces bonnes gens, en tant qu'il y allait de llioniieur de notre compagnie. Les juges mêmes m'en ont ca- ressé.» (Avril 4647.)
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Et qu'ils n'y reviennent paB, eux, ni les méde- cii^s de Montpellier :
« Je m'en vais travailler à quelque chose contre la cabale des apothicaires^ afin de l'avoir tout prêt pour le faire imprinnr, si jamais ils m'attaquent. — Ces coyons d*apothicaires ont trop pris de pouvoir sur l'honneur de la médecine : il est grand temps de les rabattre, ou jamais on n'en viendra à bout. » — « L'arrêt contre Eeeaadot n'est pas le premier que nous avons eu de cette nature, et quand ceux de Montpellier oseront comparaître, nous en au- rons encore d'autres. Nous ne craignons ni les guenillons de la fortune, ni les haillons de la faveur. Notre Faculté dit hardiment dt* soi-même ce que la vertu dans Claudien : Divitiis animosa suis. Nous sommes fondés sur le Saint-Esprit et la nécessité. »
Et ailleurs, débordant sur ce sujet, cet homme d'école s'écrie» dans un dernier accès de fierté et de superbe plus doctorale que philosophique :
« Tous les hommes particuliers meurent, mais les compagnies ne meurent point. Le plus puissant homme qui ait été depuis cent ans en Europe sans avoir la tête couronnée a été le cardi- nal de Richelieu : il a fait trembler toute la terre ; il a fait peur à Rome, il a rudement traité et secoué le roi d'Espagne, et néan- moins il n'a pu faire recevoir dans notre compagnie les deux fils du Gazetier, qui étaient licenciés et qui ne seront de longtemps docteurs. »
On sait maintenant quel était l'ennemi de Re- naudot.
Nous parlerons bientôt de la Fronde et de ses saturnales littéraires. Mais, pendant que nous sommes sur le chapitre de Renaudot et des aménités
ET RBNÂUDOT 4«7
de Tenvie à son endroit, nous citerons, ne fût-ce que pour faire connaître l'esprit du temps, quelques mazarinades dirigées contre lui , et dans lesquelles on reconnaîtra aisément la plume, ou tout au moins rinspiration de son implacable adversaire.
LE NEZ POURRT DE THÉOPHEASTE RENAUDOT
Grand (rnzettier de France, et espion de Mazarin, appelé dans bs chroniques nebuk hebdomadarius, de patria diabolorum; avec sa vie infâme et bouquine, récompensée d'une vérole euripienne ; ses usures, la décadence de ses Monts-de-piété et la ruine de tous ses fourneaux et alambics (excepté celle de sa Conférence, rétablie depuis quinze jours), parla perte de son procès contre les docteurs de la Faculté de médecine de Paris.
Sur le nés pourri de Théophraste Renaudot
alchymiHte, charlatau, empirique, usurier comme
un juif, perfide conune un turc, meschant
comme un renégat, grand fourbe
grand usurier, grand Gasetier
de France.
RONDEAU
C'est pour son nez, il lui faut des bureaux Pour attraper par cent moyens nouveaux Des carolus ; incaguant la police, L'on y, hardoit office et bénéfice ; L'on y voyoit toutes gens à monceaux : Samaritains, juifs, garces, maquereaux ; L'on y porUÀt et bagues et joyaux Pour assouvir son infâme avarice ; Cest pour son nez.
4SS LA GAZETTE
Qu'il fit beau voir ces ftieux animctux (4 ) Entrer en lice, et courir par troupeaux Pour soutenir la bande curatrice ! Mais tout d'un coup, ma foy^ dame Justice JHa par bas alambics et fourneaux : C'est pour son nez.
AUTRE RONDEAU
SUR LE MÊME SUJET
Un pied de nez servirait davantage A ce fripier, docteur du bas étage. Pour fleurer tout, du matin jusqu^au soir; Et toutefois on dirait, à le voir. Que c'est un dieu de la chinoise plage (2). Mais qu'ai-je dit? c'est plutôt un fromage Où sans respect la mite a fait ravage. Pour le sentir il ne fdut point avoir Un pied de nez.
Le fin camus, touché de ce langage, Met aussitôt un remède en usage. Où d*Esculape il ressent le pouvoir : Car, s'y frottant, il s'est vu recevoir En plein Sénat, tout le long du visage, Un pied de nez.
(I) Martin, advocat, intervenant pour ceux de Montpellier, les appela animaux ehaHtabUs. (S^ Les dieux de la Chine ont le nez écaché.
ET RENAUDOT 4Î9
QUATRAIN XVU
Extrait de la 22. Centurie de Michel Nostradamus, poète, ma- thématicien et médecin provençal ; prédisant la perte du pro- cez du Gazettier, soy-disant médecin de Montpellier, contre les médecins de Paris, par un arrest solennel prononcé en robbes rouges, après cincq audiances, par M** Messire Matthieu Mole, premier président, le 4. jour de mars. Tan 1644.
Quand le grand Pan (4) quittera Vescarlate, Pyre {%), venu du œsté é^ Aquilon (3), Pensera vaincre en Bataille (4) Esculape {b), Mais il sera navré par le Talon (6).
(\) Quand sera mort le cardinal de Richelieu, qui portait le Gazettier. Il est icy eomparé à Pan, dieu des Faunes et Satyres, & cause de ses impudiques et sales amours. Le sieur de Priezac dans son AmaiU solitaire : Et 'VOUS Faunes lascifs, ^i-pans et Sylvains.
(S) Pour Zopyre, qui ayait le nez coupé.
(3) Pays de malheurs, pays & tous les diables : c'est Loudun, pays du Gt- lettier.
(4) Nom de l'advecat du Gazetlier.
(5) La Faculté de médecine.
(6} C'est le nom de M. Talon, advocat général, qui a demandé justice à la Cour de la vie et de l'usure du Gazettier, et qui a donné contre lui de yéritables et rai- sonnables conclusions.
FIS
Après tout ce que nous avons dit des démêlés de Renaudot avec Guy Patin, il n'est pas difficile de deviner d'où était sortie cette diatribe. Dreux du Radier, d'ailleurs, attribue fonnellement au malin docteur le quatrain qui la termine; sa paternité ressort encore de la pièce suivante, que nous ne ÛUS0Q8 qu'analyser.
UO LÀ GAZETTE
LA CONFÉRENCE SECRÈTE DU CARDINAL MAZARIN AVEC LE GAZETIEB, ENVOYÉE DE BRUXELLES LE 7 MAI DERNIER.
(Jouxte la coppie imprimée à Bruxelles, 4649.)
C'est une longue conversation entrç Mazarin et Renaudot, où les deux compères confessent ma- tuellement leurs peccadilles, et se concertent sur la marche à suivre pour rétablir leurs affaires. En voici le début :
LE CARDINAL MAZARIN. MoDsieur Reiuiudot, mon bon ami, c^est maintenant plus que jamais que j'ai besoin de tes inventions et de ta plume. Tu vois Testât où je suis réduit ; tu vois l'orage qui s'est eslevé : il ne faut pas de moindre adresse que la tienne pour en détourner l'effort, sous lequel je ne pui^ que périr, s'il vient à fondre.
. LE GAZETiER. Monsoigueur, je croy que V. E. me joue à son ordinaire, mais par une nouvelle invention. Elle ne fut jamais plus heureuse qu'elle est à présent ; elle ne fut jamais si puis- sante et si honorée, ny avec tant de respect ; elle ne fut jamais si bien qu'elle est dans l'esprit de la reyne ; les princes ne vous furent jamais si soumis ny obéissants, les parlements et les peu- ples si dévots et si affectionnez ; et vous avez tous les sujets du monde d'être content, ou il faut dire que le contentement ne se peut pas trouver dans ce monde.
LE CARDINAL. Renaudot, trêve de compliment : ces flatteries ont été bonnes durant quatre ou cinq ans, pendant lesquels tout ce que tu viens de dire m'estoit un grand motif de gloire et de satisfaction ; j'estois monté sur le flris de la grandeur ; j'avois la conduite et les biens de toute la Fi^ce en ma disposition, et toute l'Europe me regardoit comme un dieu et l'arbitre de la paix et de la guerre. Mais à présent la charrue est tournée : ceux qui n'osaient me louer, crainte de n'en dire pas assez,, ne trouvent pas d'injure assez atroce pour m'en charger, sans appréiiension
ET RENAUDOT ^34
d'en ôire repris ; mon nom est la farce d'un peuple, qui aupa- ravant ne se prononçoit qu'à genoux ; et pour des comédies dont j'ay diverty la curiosité des Parisiens, il n'est pas fils de bonne mère qui ne voulust donner de l'argent pour assister à la tragé* die de ma propre personne.
LBGAZBTiBR. Monsoigneur, ce n'est pas le bruit commun. Y. E. n'ignore pas qu'il ne me seroit pas caché : tous ceux qui me donnent des avis sont des gens d'honneur, et qui savent tout ce qui se passe de jour et de nuit ; j'ai mes enfants à Paris qui voyent les meilleures compagnies, qui font la gazette pour le Parie- ment (4), où l'on n'oublie rien, et, dans tous les mémoires que je reçois de la part des uns et des autres, je ne vois rien qui vous doive toucher le oœur que d'une passion de gloire et de généro- sité
Et la comédie se poursuit ainsi pendant qua- rante pages in-4®. Renaudot énumère tout ce qu'il a fait jusque-là pour le cardinal; il propose ses plans, que discute Mazarin, et discute à son tour ceux de ce dernier. Bref, il proteste de son dévoue- ment sur sa foi de gazetier : « J'ai trop d'intérest, ajoute-t-il, à la conservation de vostre personne et de vostre fortune, de laquelle la mienne dépend absolument. Et si V. E. en savoit la principale raison, elle ne douteroit jamais de ma fidélité, ny de la sincérité die mes intentions à mentir pour son service, voire à devenir tout mensonge, si cela se pouvoit faire.... » Là-dessus, Renaudot raconte qu'il a fait dresser son horoscope par deux ou trois des mieux stylés en cet art.
fl) V., phn lois, la Prease durant la Fnmdê.
n% LA GAZETTE
Et je m'en repans bien fort, parce que cela m'afOige et m*ein- pesche souvent de dormir, car, sans s'estre communiquez Fun à l'autre, ils ont trouvé la môme chose par leur supputation, sça- voir, que je serois fortuné et amasserois force biens soubs le mi- nistère de deux cardinaux ; mais qu'à la mort de l'un je rece- vrois un grand eschet, et qu'à la disgrâce de l'autre je seitris entièrement matté. Or le premier m'est infailliblement arrivé à la mort de deffunct Monseigneur de Richelieu, et j'ay toutes les raisons du monde d'appréhender le second, si la fortune vous tourne le dos : car, outre les horoscopes dont je viens de vous parler, ce diable de Patin^ que je n'ay jamais su adjuster à mon pied, depuis qu'il fit rire Messieurs des Requestes de l'Hostel, en m'appelant, à cause de mon nez puant, le Eonaze de Sainc1>-IIié- rosme, ce Patin, dis-je, trouva une prophétie dans Nostradamus qui prédisoit ce qui m'arriva après la mort de défunct Monsieur le Cardinal ; et depuis huit jours en ça on m'en a envoyé une autre qu'on dit qu'il a tirée de la sixiesme centurie d'un vieux manuscrit, laquelle me menasse du gibet, si votre fortune se change.
Sur la demande de Mazarin, Renaudot lui ré- cite le quatrain que nous avons rapporté plus haut, Quand le grand Pan; et aux plaisanteries du cardinal , il répond :
Monseigneur, ne le prenez pas par là : il n'y a point de quoi rire pour moy, non plus qu'il n'y a rien de plus clair quand vous saurez l'histoire ; et si je croyois que la seconde prophétie deust arriver aussi certainement, je n'attendrois pas que l'on me pen- dist ; je les préviendrois et me pendrois moy-mesme, afin d'éviter l'infamie que mes enfants appréhendent, et que beaucoup de gens désirent, parce que je ne les ai pas traittez comme Us me- ritoient et selon la vérité dans mes Gazettes, que je n'ay compo- sées que pour satisfaire aux ministres et aux favoris. Or, pour l'intelligence de cette prophétie, Y. £. doit sçavoir que les mé-
ET RENAUDOT 433.
>
decins de Paris m'ont toujours fait la guerre, et n'ont jamais . voulu souffrir que je fisse la médecine dans la ville, tant à cause que je ne suis pas docteur de leur faculté, ny capable de Testre» qu'à cause de la profession de gazetier, qui n'est pas plus hono- rable que celle de courtier d'amour. A cette fin, il y eut grand procez entre nous, qui demeura indécis par la faveur de Monsei- gneur le Cardinal : car, tant qu'il vescut, je pratiquay la méde- cine, en faisant la nique aux médecins (4), souz son authorité; mais il ne fut pas sitost passé, que ces messieurs reprennent leurs brisées. H fallut plaider à la grand'chambre, où, quoy que le sieur Bataille, mon advocat, sceust dire en ma faveur, et des services que je rendois au public à l'occasion de mon Bureau de rei^ contre, M. Talon, advocat général, ne se contenta pas de con- clure contre moy en faveur des médecins, mais encore, remon- strant l'impiété de mon Mont-de-Piété, et l'usure abominable que j'exerçois sous le prétexte des prêts et ventes à gage, il demanda qu'il me fust interdit, souz degrièves peines, de n'en plus user à l'advenir ; et, ses conclusions suivies de point en point, je me vis en un moment privé de l'exercice de la médecine, dont je ne me souciois pas beaucoup, mais encore de celui des prests sur gage, dont je tirois plus de profit en une sepmaine que trois courtiers de change en un mois des inventions dont ils se servent en leur mestier. Or, que Y. E. voye maintenant si la prophétie n'est pas bien claire, dans laquelle mosme les advocats qui ont parlé en la cause sont nommez, et s'il pouvoit mieux exprimer la mort de Monsieur le cardinal que par le premier vers : car, le nommant le grand Paon, il fait allusion au dieu des Faunes et des Satyres, comme son Eminence l'estoit des maltôtiers, aussi bien que la vostre. Au second vers, il me dit venir du costé d'Aquilon, parce que Loudun , lieu de ma naissance , est aquilonaire à l'égard de Marseille, où Nostradamus faisoit sa demeure ; et pour les autres deux vers, on ne sçauroit exprimer plus clairement les vains efforts du sieur Bataille contre les médecins, sous le nom d'Ëscu-
(0 C'est précisément ce que disoit Guy Patin dans un passage que nous avons
cité: «Si ceGazettier n'étoit soutenu de l'EminencjB Mais il fieiut obéir au
temps. »
434 LA GAZETTB
lape, ny la playe que me fît M. Talon par ses conclusions à la gloire de mes ennemis et à mon grand dommage et regret tout ensemble. Par là Y. E. peut voir si je n'ay pas sujet d'appré- hender le succez de la seconde prophétie par celuy de la pre- mière
Après s'en être quelque peu défendu, Renaudot récite au Cardinal cette seconde prophétie, que voici :
Au temps que Nirazam, ayant gaigné la Poule, Coq et Poulets plumé, fera gille drilleux, Lors puant Boy crétois, faisant sault périlleux. Par infâme licol fera chanter la foule,
Mazarin ne voit là que des noms barbares, et une énigme encore plus difficile à deviner que la précédente :
Ah ! Monseigneur, lui dit le Gazetier, que Y. £. parleroit au- trement si elle y avoit un peu pensé ! Le nom que vous appelez barbare, et non pas sans raison, c'est le vostre, car, si vous lisez Nizaram à Tenvers, et à la façon des Hébreux, vous trouverez Mazarin. La Poule, c'est la reyne ; et pour le Coq et Poulets plu- mez, cela signifie le roy et les peuples, dont vous avez tellement épuisé les finances, que sa cuisine, faute d'argent, a été deux fois renversée, et le royaume n'est plus qu'un hospital de gueux. Et c'est ce (^ui a excité les François à demander vostre esloignement, à se roidir contre vostre tyrannie, et à protester de n'estre Ja- mais satisfaits que vous ne fussiez hors de l'Estat. Voyez s'il se peut rien dire de plus facile en matière de prophétie, et si je n'ay pas sujet de craindre le funeste événement qui est prédit par les autres deux vers
Enfin le ministre et le gazetier se séparent en
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se faisant mutuellement les plus grandes protester tions.
LE GAZBTiER. MoDseigneur, aussitost que j'auray achevé quel- ques feuilles qui me restent pour parer aux coups du gazettier de Cologne, je travailleray suivant les sentiments de Yostre Emi- nence, et avec tant d'adresse qu'elle aura sujet de me croire son .très-humble serviteur.
LE CARDINAL. Va, Rcuaudot, et que je t'embrasse, pour arres de la récompense que tu dois espérer.
LE GAZETiER. Aiusi, Mouseigueur, le croissant vous estant plus propre que la tyare, puisse Yostre Eminence devenir bientost le Grand-Seigneur ! J'espère qu'elle me fera son Grand- Visir.
Tu vois par là. Lecteur, ajoute l'auteur du pamphlet, sous forme de morale, les fourbes et les intrigues abominables dont la passion et l'intérest se servent pour l'exécution de leurs perni- cieux desseins; tu en vois tous les jours le succez et la suitte. Prie Dieu qu'il l'arreste, pour le bien de l'Eglise et de l'Estat.
LA GAZETTE BURLESQUE
ENVOYÉE AU GAZETTIER DE PARIS
Mil six cent quarante-neuf
Sont quatuor qu» nnnqram diennt «atii -. mare, vulva mulierls, Infemus et burta Gazetarii.
C'ett-k-dlre :
Il 7 a quatre choses qui ne disent Jamais c'est assez : la mer, la matrice de la femme, l'enfer et la bourse du Gaiettier.
De Naples, le idu mois que Von mange les maquereaux frais.
La mer, ayant esté extraordinairement orageuse, a vomy sur nostre rivage une telle quantité de poissons et de loaquereaux.
136 LA GAZETTE
qu'après les abondantes provisions du public, l'on en a peu en- core saler dans des banques pour en fournir à l'univers.
De Milan, le quatorzième du mois que Von tue les pourceaux
pour avoir du boudin.
Il y a eu icy un si grand meurtre de ces pauvres bestes que leurs pleurs et leurs cris, du tort que Ton faisoit à leur inno- cence» alla jusques aux oreilles du Grand-Turc, dont il eut grand pitié, car il les aime fort.
De Paris, le.,,, des calendes de juin.
Il pleut tellement deux jours durant, que les femmes qui estoient par les rues descouvroient leur cul pour couvrir leur teste; les vieillards de nouante ans ne peurent manger sans ou- vrir la bouche ; les aveugles ne se voyoient pas l'un l'autre , et l'eau ne cessa de couler par dessous le Pont-Neuf.
De Rome, le quatriesme des nones de may.
Sa Sainteté, qui par son soin paternel et pastoral veille sur son troupeau, voyant approcher l'année du S. Jubilé, ordonna, en son consistoire tenu le dit jour, que tous les princes et peu- ples chrestiens et catholiques* en soient advertis, et conviez de se tenir prests pour acquérir les fruicts de ce céleste trésor, et pour cet effet envoya par toute la chrestienté sa patente latine, qui, attrapée par le tout attrapant Gazetier de Paris, qu'il dit luy avoir esté envoyée d'icy, par luy traduite en françois, imprimée et vendue avec effronterie parmy les fragmens et haillons de sa profane boutique pour en faire bourse, ainsi qu'il fait de tous les autres fatras, ayant rempli cette traduction de mots nou- veaux et vestibules, qui montrent qu'il est mal versé au stile romain. Cependant s'il eust eu quelque pudeur chrestienne, il n'eust pas logé cette auguste, très chrestienne et divine pièce, dedans son dit Bureau de l'Adresse , cloaque, sentine, registre et mémorial funeste de tous les meurtres, massacres, incendies,
ET RENAUDOT 437
Êunines, saccagemens, vols, violemens et pilleries d'églises, sa- crilèges et désolations de toute la chrestienté, dont il est le trompette solennel, employant en ces funestes relations toute la vigueur de sa rhétorique , par le moyen de quoy il estime s'im- moftaliser, imitant ce scélérat qui pour faire parler de luy brusla le temple de Diane en Epbèse. 11 devoit'au moins faire cette traduction inœgnito, mot qu'il a pris aux Italiens, et duquel il se sert si souvent, et de cette façon il se seroit mis à couvert du reproche qu'il en reçoit. Mais quoy ! pour faire pis que les hérétiques, il a voulu incorporer cette précieuse ma- tière parmy ses escrits profanes pleins de cadavres, d'horreurs, de sang et de feu ; et , sans prendre garde que son mestier ne se doit point mesler de ce qui appartient à l'Eglise, il s'est porté à cette criminelle entreprise, non pour la décorer, mais pour indignement autant qu'avarement chercher du lucre, sem- blable aux chauves souris, qui n'entrent dans les temples que pour boire et succer l'huile des lampes et ronger les napes des'
r
sacrez autels.
N'avez-vous point aussi pris garde qu'au heu de laisser à cette sainte pièce le titre qu'elle avoit, d'Innocent, évesque, serviteur des serviteurs de Dieu, il l'a coëffée d'un préambule payen, et coq à l'asne, sur la fin duquel, en goguenardant impieusement , iJ dit qu'il luy prend envie de donner au peuple des jubilez uni- versels. Mais les chevreaux d'Esope connoissent bien à sa patte de loup qu'il n'est pas leur mère, et ce langage ne sçauroit estre que scandaleux'^aux oreilles des bons chrestiens, lesquels aussi, pour estre plus facilement desabusez, sçauront que toute tra- duction et impression des escritures concernant le S. Jubilé, et autres œuvres du domaine de notre sainte mère l'Eglise, qui doivent estre publiées dans la ville et diocèse de Paris, sont d'ordinaire veuës et approuvées par Monseigneur l'illustrissime €t reverendissîme Archevesque de Paris, ou par messieurs ses grands vicaires, toute autre version et impression estant tenue ' fausse et reprouvée.
438 LA OAZBTTE
Discours que le GazeHer a mis au commencement de la Mie
au Jubilé.
POUR LE FAIBB 8ÇAV0IR A TOUTE LA CHAtaSNTÉ.
•
, Bien que ce soit .à présent une des plus infelUibles marques d'honneur que d'être injurié dans les libelles qui courent, ce qui faisoit aussi douter à Themistocles qu'il eust rien fait de bon, avant qu'on eust mal parlé de lui, voire attribuer par le feu duc d'Espernon son en-bon-point aux calomnies de ses médisans, qu'il a estimé lui avoir fait atteindre son grand âge, comme Pline conte que^ pour faire bien prendre racine au persil et le faire croistre, il le faut fouler aux pieds et le maudire : si est-ce qu'il me prend aujour-d'hui envie, pour espargner à nos chetifs escri- vains la perte de temps et de papier qu'ils broiiillent inutilement à débaucher les esprits des peuples, de leur donner des jubilez universels où ils ne trouveront rien à contre dire. En attendant donc que chaque diocèse se prépare à recevoir humblement de ses pasteurs, et avec la révérence deuë, leur ordre particulier, le public ne pouvant estre trop tôt averti d'une si bonne nou- velle, et qui lui vient si à propos, je la lui présente ainsi qu'elle m'est n'aguères arrivée de Rome, m'asseurant qu'elle ne lui sera pas moins agréable que toutes les autres qui en viennent.
LE VOYAGE DE THÉOPURASTE RENAUDOT,
GAZETTIER, A LA COUR
Bfaistre fourbe et plus menteur que ne fut jamais le plus subtil arracheur de dents qui soit dans le domaine du Pontr Neuf, où diable allés-vous? Tout le monde sçait que le lendemain des Roys vous vous en fustes à S. Germain, crainte que vous aviés d'être enfermé dans les barricades, ou d'être ensevelf
ET RENAUDOT 439
dans l'un des tonaeaox qm servirent de reni[>ars «à la défense des bourgeois de Paris, lorsque le roy, quittant son palais, t'avoit laissé seul dans les galleries de son Louvre, où tu estois de? meure un moment pour apprendre ce qui se passoit dans l'esprit, dans la pensée, dans l'intention des habitants. 0 dieux I tu muor ques de nez, si ce n'est que les plus courts soient les plus benux, ou que les plus puants soient les meilleurs, comme l'on dit des fromages; mais tu en eus cette fois, car les païsans révoltés étoient résolus de te faire mourir dans un tonneau de la plus fine merde qui se trouve dans les marais, ou dans la rue . des Gravilliers.
Mais dy-moy, en vérité, que vas- tu faire à Gompiègne? L'on dit que le roy t'a mandé, et qu'il a dessein de t'envoyer en Ca- nada, apprendre de ces peuples la façon de dissimuler avec adresse, et faire passer des impostui^es pour des ventés ; mais il veut que tu sois monté sur un asne, afin que ta personne, tes Gazettes et ton voyage n'ayent rien qui ne sente la beste. Les autres disent que c'est pour contenter l'humeur du prince de Gondé, qui désire que tu sois à la cour, afin de rédiger par ascrit ses plus belles actions, et le mettre au rang des conque- rans, comme tu es au nombre des hommes illustres, et des plus célèbres en méchanceté.
A propos de ce discours, je me trouvay l'autre jour dans -une compagnie, où un jeune homme qui revenoit d'Italie protesta que tu serois le très-bien venu à Rome, si tu voulois y aller, pour enseigner aux Italiens les remèdes dont tu t'es servy pour te guarir de la vérole, ou les moyens de bien empoisonner quel- qu'un, sçachant qu'en ta personne, comme en celle de ta femme, tu as excellé en ces deux secrets. Pour moy, je ne te conseille pas d'y aller, et peut-estre gaigneras-tu plus icy que là, pour des raisons que tu sçais bien, et qu'il ne faut pas dire.
Les âmes moins scrupuleuses, croyent que tu vas à Gompiègne pour y apprendre quelque religion, parce que tu n'en eus ja- mais aucune, et que celle des ma^homettans t'est aussi bonne que celle des chrestiens : en effet, tu les approuves toutes, et tu n'en rejettes pas une, et tu ressembles proprement le pQë'te Aretin,
440 LA GAZETTE
qui disoit damai de tout le monde, excepté de Dieu, parce qu'il ne le conndssoit pas, et que même il ne le vouloit pas con- DOistre. L^on pourroit te comparer au caméléon, qui reçoit toutes sortes de couleurs, mais qui ne prend jamais de blancheur : tu comiois toutes les malices, mais tu ignores l'innocence, et, de toutes les mauvaises qualités que tu possèdes, la moins blâ- mable est celle de mépriser la vertu.
Les courtisans disent que tu vas à Gompiègne pour composer un Uvre à la louange de la beauté, en faveur de mademoiselle de Beauvais, parce qu'elle avoit eu assés de complaisance pour dire un jour que, si tu n'estois pas parfaitement beau, qu'au moins tu estois assés agréable, et que tu pouvois gaigner par les charmes de ton discours ce que tu pouvois perdre par les deformiiés de ton visage et les puantes infections de ton chien de nez pourry.
Pausanias dit qu'il y avoit à Laida, ville de Grèce, une statué d'Esculape plus laide qu'un démon, qui estoit neantmoins res- pectée, parce qu'elle rendoit des oracles avec une voix assés harmonieuse et assés intelligible, qui par après fut brisée par les citoyens de la même ville, à cause qu'elle avoit prédit des faussetez. Il en arrivera de même de ta personne. Tu es déjà hay pour la defformité de tes yeux, de tes mœurs, de tes actions, de tes desbauches infâmes, de tes saletés, de tes abominations ; tu ne manqueras pas à Gompiègne d'escrire et d'annoncer miile mal-heurs à la ville de Paris ou au Parlement, qui n'a pas voulu rechercher ta vie, de peur qu'en la trouvant criminelle, il ne fût obligé de la mettre avec les charognes de Monfaucon : prends garde que les mensonges de ta Gazette n'animent le peuple à te réduire en cendre.
L'on demandoit avant hier, en compagnie de plusieurs peintr&s ce que tu allois foire à Gompi^e. Les uns disent que la reyoe avoit dessein de foire tirer ton portrait , à fin d'avoir toujours devant les yeux l'image d'un démon, pour luy ester l'envie d'aller en enfer, où les objets sont si épouvantables, que leur seuie veue est capable de tourmenter les hommes et leur causer mille supplices. Léo autres protestèrent que le Grrand-Maistre, qui
ET RENAUDOT Ul
sçait presque tous les noms des diables et cocus, parce qu*il est connu des uns et des autres, soubaittoit de sçavoir comment estoit fait celuy qui tenta S. Antoine dans les déserts, et que, luy ayant dit que ton visage avoit bien du rapport avec le sien, selon au moins que nous témoignent les tableaux qui représentent cette sainte histoire, sinon que tu n*avois point de cornes à la teste : « Hé bien, répliqua le Grand-Maistre, ne fiutes aucune difficulté de luy en mettre : il est bien diable et cocu tout en- semble. » Les autres, enfin, conclurent qu'il faisoit voyage à la cour pour obliger le mareschal de Grammont, qui l'a prié ins- tamment de faire à part un volume du Mercure françoU, qui contienne Thistoire, la vie, les combats, les victoires, les mènao- rables actions de cet incomparable guerrier, qui guigne toujours en fuïantetqui est plus heureux au jeu qu'à la guerre. Plutarque dit que les princes ont esté heureux qui ont eu auprès de leurs per- sonnes des hommes capables de décrire leurs belles actions; Néron ne pouvoit rien faire que Senéque ne pût dire, et Senèque ne pouvoit rien dire t|ue Néron, dans le commencement de son règne, ne pût aussi faire. Le mareschal de Grammont a ce bon- heur : il peut conquérir tout le monde, bien qu'il ne le fasse jamais, et Renaudot peut faire le récit de ses prouesses. Mais le plus grand miracle qu'ils puissent faire tous deux, c'est de guérir l'un de la vérole, et l'autre des goûtes.
Vien-K;^, vendeur de Theriaque ; confesse ingenuë'ment et ne dissimule point, que vas-tu foire à la cour? Sans doute Mazarin a dessein de t'emplqyer et te faire imprimer des arrêts contre le Parlement. Tu me diras, et il est vray, que tu as perdu ton crédit à Paris, que ta vie y est en horreur à tout le monde, que tes impudicitez y sont découvertes, tes effronteries reconnues, tes mensonges méprisez. D'ailleurs, tu sçais que maintenant, non- seulement tu passes pour estre peu versé dans les sciences, mais pour estre ignorant tout à fait : deux cents esprits, dont le moindre te surpasse en vertu, en doctrine, en expérience, ont écrit ces jours passez avec autant d'admiration que d'éclat, qui ont donné au public les plus belles choses du monde, et qui, par la splendeur de leur sçavoir éminent, ont ensevely sous lea
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cendres d'nn oubly éternel toutes tes œuvres et tes productions. Tu vois que ta Gazette ne marche plus, que le peuple aussi bien que les curieux sont desabusez de tes impostures ; tu veux Taller débiter à la cour, où ta personne et tes mensonges seront tou- jours bien reçeus tant que Mazarin vivra. Marche, haste-toy, on te pourroit icy couper les oreilles après que le feu t'a brûlé le nez. Mais pren garde ou de ne nen écrire contre le généreux duc de Beaufort, ou de ne plus retourner icy , car, sans doute, on t'y jouëroit mauvais party.
On tient pour assuré que le cardinal te demande avec instance, et il se persuade que tu luy rendras deux bons offices : il attend ce service de ta courtoisie, et se promet de te fidélité tout ce qu'il peut espérer d'un honneste homme comme tu es. Le pre- mier sera de tant dire de bien de luy, de mander si souvent qu'il n'a autre dessein que de rendre le roy puissant et glorieux, que de rendre les peuples heureux et la France victorieuse, que de procurer une paix générale, que d'exterminer la race des mcmopoleurs et d'abolir les maudites inventions qui ruinent les sujete sans enrichir le domaine du roy, qu'à la fin le» peuples, vaincus par ces fausses persuasions, seront contrains de changer d'opinion et de croire Mazarin l'auteur et l'appuy de leur for- tune, bien que son ame malicieuse et damnée ne médite que des vengeances et des cruaulez. Ce perfide t'envoye donc quérir pour le justifier 1 Mais je croy que tu auras bien de la peine à le faire, qu'un méchant ne sçauroit guère obliger un autre méchant, et que les peuples ne sont aucunem^t disposez à donner créance^ ny à ce que tu diras, ny à ce que fera Mazarin.
Le second service qu'il prétend de vous, c'est qu'etent en cour, vous instruisiez ses nièces à faire de si beaux complimens, qu'elles puissent eaùn, par leurs discours, attraper quelques princes et les obliger à les prendre pour femmes. Mais prenez garde que les dames de France qui. y sont intéressées ne vous tesent dancer quelque cabriole.
Surtout, pour aller à Gompiègne, ne vous servez pas de la monture de votre servante : elle jure qu'elle est bien lasse de vous porter, et qu'elle aymé mieux boire au Robinet; elle ne
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vous porta l'autre jour que l'espace d'un quart d'heure dans votre imprimerie, et néantmoins elle étoit si fatiguée qu'elle n'en pou voit plus. Mais servez-vous de la Chaux, ce sera un asne monté sur une beste.
Fia
Mort de RenaudoU Le père du journalisme attend enccre qu'on lut
rende justice. Ses autres écrits.
Mais tous les pamphlets, tous les quolibets du monde, pas plus que les arrêts, ne pouvaient pré- valoir contre le bon sens public. Renaudot con- serva, malgré tout, la réputation d'un savant mé- decin; il continua, en dépit de la Faculté, à faire jouir le public de ses innocentes inventions, comme il les appelle lui-même, et il emporta dans la tombe, où il descendit le 25 octobre 1653 (1), la reconnaissance des pauvres et l'estime de tous les gens éclairés. Si l'on en croyait quelques envieux, il saurait laissé une immense fortune; mais nous avons vu Guy Patin lui-môme avouer qu'il était loin d'être riche.
Renaudot d'ailleurs avait assez vécu pour voir
(I) Voici en quête termes la Gazette du l«r novembre parle de la mort de son fendateur : « Le S5 du mois dernier mourut, au 4^ mois de sa maladie, en sa 70* année, Théophraste Renaudot, conseiller médecin du roy, historiographe de Sa Malesté, d'autant plus recommandable à la postérité que, comme elle ap- preodra de lui les noms des grands hommes qu'il a employés en cette histoire journalière, on n'y doit pas taire le sien, d'^leurs assez célèbre par son grand UToir et la capacité qu'il a fait p^urattre durant 80 ans en l'exercice de la méde- cine, et par les autres belles productions de son esprit, si innocentes que, les ayant toutes destinées à l'utilité publique, il s'est toujours contenté d'en recueillir la gloire, a
Ui LA GAZETTE
rhumiliation de ses adversaires. La Faculté avait été forcée de s'incliner devant l'évidence, et l'émé- tique avait triomphé de ses préjugés- — Quant à la Gazette , nous avons vu quel en avait été le succès.
Tel fut Renaudot, toujours envié et toujours au- dessus de ses envieux. Par quelle étrange fatalité a-t-il pu se faire que si peu d'honneur se soit atta- ché à sa mémoire, que son nom soit à peine connu, quand ses conceptions ont toutes reçu du temps une éclatante sanction y quand le germe qu'il avait déposé dans les Bureaux d'adresse a si merveil- leusement fructifié; quand tous les États ont des monts-de-piété; quand la presse enfin est devenue ce qu'elle est?
Un pareil oubli ne saurait demeurer plus long- temps sans réparation, et, sans doute, il aurasuifi de le signaler pour que justice soit enfin rendue à Renaudot.
Si la génération nouvelle , en effet, sceptique et railleuse comme ses aînées, ne se montre pas tou- jours parfaitement équitable envers le présent, au moins doit-on convenir, à sa louange, qu'elle est juste et reconnaissante envers le passé. On aime à croire, en voyant le mouvement qui, depuis quel» ques années, s'est emparé des esprits, que l'heure de la réparation a sonné enfin pour toutes les injus- tices et pour tous les oublis.
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L'ancienne société avait trop de chemin devant elle pour regarder en arrière ; elle manquait d'ail-^ leurs du flambeau qui aurait pu la guider dans cette exploration.
La Révolution vint, et la lumière jaillit à flots; mais pendant les vingt-cinq ans de ce grand drame, l'attention fut impérieiisemeùt captivée par ses pé- ripéties diversement émouvantes; c*est à peine, à cette époque, si la mémoire sufiissât à compter les hommes que chaque jour dévorait.
Mais quand le gigantesque échafaudage de l'em* pire se fut écroulé, il y eut comme un temps d'arrêt dans la marche de la société ; les esprits, fatigués de cette longue tension, se replièrent sur eux-mêmes; puis, quand on fut un peu remis de Tétourdisse- ment produit par cette violente secousse, on regarda naturellement derrière soi , on mesura le chemin parcouru, on compta les morts restés sur le champ delà civilisation. Propagé par la nouvelle presse ,^ le goût des études historiques envahit jusqu'aux provinces les plus arriérées. Chaque département, chaque ville, se mit, avec une noble émulation, à fouiller ses archives, à inventorier ses richesses, revendiquant sa part de gloire dans l'œuvre com- mune, exhumant ses morts et leur élevant de son nrieux un piédestal. Cette pieuse recqpnaissance fera l'honneur de notre ^ temps.
Il s'en faut encore cependant que l'œuvre de la.
T. I. 7
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réparation soit complète. N'est-il pas étonnant, par exemple, que rien n'ait encore été fait pour rhomme auquel nous sommes redeyables de ce merveilleux instrument de civilisation qu'on appelle le journal? Mais, nous le répétons, nous aimons à penser qu'il aura suffi de signaler un pareil oubli pour qu'il soit bientôt réparé ; et c'est plein de confiance que nous faisons appel à la presse française, aussi bien qu'à tous les hevmmes qui s'intéressent à la cause du journalisme, à la liberté de la parole. Serait-ce trop faire pour Renaudot que de consacrer sa mé- moire par une médaille qui rappellerait, avec ses traits, ces paroles, dont la vérité ressort chaque jour plus frappante : « La presse tient cela de la nature des torrents^ qu'elle grossit par la résistance? »
Renaudot a laissé, outre ses Gazettes, quelques autres écrits. Il publia, en 1643, l'Éloge funèbre de Scévole de Sainte-Marthe ; — en 1 646, l'Abrégé de la vie et de la mort de Henri de Bourbon, prince de Condé ; — en 1 646 encore, la Vie et la mort du maréchal de Gassion ; — en 1 648, la vie de Michel Mazarin, cardinal de Sainte-Cécile, frère du car- dinal premier ministre.
Mais le plus important de ses ouvrages après la Gazette, c'est la continuation du Mercwe français. Ce recueil, dont quelques-uns ont fait à tort un journal, est une compilation historique, qui ren-
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ferme de bons matériaux . Il se compose de 25 vo- lumes (les auteurs de la Bibliothèque historique de la France parlent d'un 26*, que nous n'avons point vu). Il fut commencé en 1605 par un imprimeur nommé Jean Richer^ qui compila et imprima le premier volume; les dix-neuf suivants le furent par Etienne Richer. Le 21* fut imprimé par Olivier de Varennes ; mais on ne sait au juste quel en fut l'auteur. Renaudot l'a continué, non pas à partir de 1685, comme l'ont avancé tous les biblio- graphes, mais seulement à partir de 1638 et du tome XXII. Ce tome, en effet, est précédé d'une épître dédicatoire de notre Gazetier au surintendant des &iances Boutillier, et d'une préface, dan^ la- quelle on lit :
Pour satisfaire la curiosité de ceux qui demanderont pourquoi, ne manquant point d'autres emplois^ j'ai prêté l'oreille aux exhor- tatiotts qu'on m'a faites de vouloir encore donner au public d'au- tres mémoires de notre histoire que ceux lesquds j'ai publiés jusqu'ici dans mes Gazettes, Nouvelles et Relations, tant ordinai- res qu'extraordinaires, je les prie de considérer en premier lieu que la coutume, autorisée de l'humeur de notre natibn, m'ayant prescrit si peu de champ en toutes mes relations, qu'elles ne vont pour le plus qu'à deux ou trois femlles; et quant aux Nou- velles, que je vous donne sous ce titre ou sous celui de Gazettes [nom par moi choisi pour être plus connu du vulgaire, avec le- quel il fiiut parier), chacune de leurs narrations occupant encore bien moins d'espace, cette brièveté ne saurait suffire à la des- cription particulière des choses mémorables dont l'histoire doit
être composée Cette considération, jointe au manque forcé
de liaison des faits qui sont rapportés dans les Gazettes, l'a en-
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gagé à chercher un champ plus spacieux, pour être plus utile à ses lecteurs. D'ailleurs, étant comme chacun sait, destiné pour recevoir dans cet œil du monde les récits des actions et choses mémorables qui se passent par tout Tunivera (office dont le temps fera reconnaître le mérite, et duquel je ferai juge la postérité, si les préoccupations du siècle et l'intérêt des particulfers de ce temps me les rendent moins équitables), il arrive souvent que les mémoires ne m'en sont rendus sinon après le temps que Tusage a prescrit à mes éphémérides, les privant de leur effet si- tôt qu'elles ont passé huit ou quinze jours.
Rôle et importance de la Gazette. — Ses rédacteurs depuU Renaudot jusqu'à la Révolution,
On peut juger, par tout ce que nous avons dit, de Timportance de la Gazette dès son début. Ce- pendant il faut avouer que, politiquement pariant, elle ne joua qu'un rôle incomplet, insignifiant. La nation, le peuple, n'y occupait qu'une place infi- niment restreinte ; c'était, selon l'expression même de son fondateur, « le journal des rois et des puis- sances de la terre , » et il était difficile qu'il en fût autrement à une époque où le roi pouvait dire : « L'Etat, c'est moi ! > Le corps, l'instrument, la machine était créée ; mais il lui manquait l'âme, le souffle, le ressort qui devait lui donner la vie et le mouvement ; les Watt et les Fulton de cette vapeur dont Renaudot fut le Salomon de Caux, ne devaient arriver qu'avec la Révolution françs^se.
Quoi qu'il en soit, la Gazette Renaudot, pleine
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«
d'excellents matériaux, pour l'histoire du règne de Louis XIII et de la minorité de Louis XIY, restera un de nos monuments historiques les plus pré- cieux. « Renaudot , a dit un écrivain du siècle der- nier, avait Tart de se renfermer dans les justes bornes de son sujet ; point d'écarts fatigants, jamais de réflexions triviales ou déplacées par leur inutilité ou leur malignité. Il narre avec ordre, avec intel- ligence, et son style, vif et agréable, conserve en- core toute ses grâces. »
11 paraît, du reste, que Richelieu, pour assurer le mérite littéraire de la Gazette, avait attaché à sa rédaction les hommes les plus remarquables, tels queMézeray, Bautru, Voiture et La Calprenède, qui, suivant Tallemant, fut longtemps un des arcs- boutants du Bureau d'adresse, et ne manquait pas une conférence. L'assistance de ce comité diri- geant, créé presque au début du journal, se serait, selon certaines apparences, prolongée longtemps encore. Sous le ministère du cardinal Mazarin, Renaudot communiquait, dit-on, ses Gazettes, à MM. Le Tellier, Bautru et de Lionne ; plus tard , Louvois confiait la direction de cette feuille à M. de Guilleragues, secrétaire de la chambre et du ca- binet du roi, le même à qui Boileau a adressé sa cinquième épître. « On s'est mis sur le pied, au Bureau d'adresse, dit Bayle, de ne dire rien que sur de bons mémoires. D'ailleurs, le style de la
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Gazette est fort beau et fort coulant. On m'a as- suré que M. de Guilleragues et M. de Bellizani, tous deux beaux esprits, la revoient fort exacte- ment, et en ôtent non-seulement ce qu'il y a de fabuleux, mais aussi ce qui n'est pas élégant. »
Après Renaudot, son œuvre fut continuée par ses fils, Eusèbe et Isaac, tous deux médecins (1), puis par son petit-fils Eusèbe, deuxième du nom, connu depuis sous le nom d'abbé Renaudot.
Sous Louis Xiy, la Gazette, pour enregistrer les exploits du grand roi et les magnificences de Versailles, avait porté son format de huit à douze pages. En 1762, elle augmenta encore son volume et doubla sa périodicité ; elle parut deux fois par semaine, le lundi et le vendredi, en quatre pages, petit texte, à deux colonnes, et néanmoins elle ré- duisit son prix d'abonnement de 1 8 à 1 2 livres pour tout le royaume (2) . A partir du 1 ^^ janvier de cette
(I) Quand ils furent reçus membres de la Faculté de médecine, on exigea d'eux qu'ils renonçassent au Bureau d'adresse ; mais on leur permit de continner Is Gazette, au privilège de laquelle ils avaient été associés. Cette part dans la Ga- zette leur aurait été donnée en dot, si l'on en croit le Courrwr burlesque de h guerre de Paris :
Si de toutes vos défaites Vous me demandiez des Gazettes, R faudrait être Renaudot, Qui les donne à ses fils en dot ,
dit Saint-Julien au prince de Condé. Cela tendrait à prouver que la Gazette était d'an bon revenu.
(%) On pouvait se procurer au bureau des numéros détachés, au prix de 3 sous, 9 sous 6 deniers pour les colporteurs. — Sur la demande de quelques souscrip- teurs, on continua à faire pendant plusieurs années une édition à grandes lignes en gros caractère.
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année 1 762, elle prend le titre de Gazette de France^ et porte en tête les armes royales.
C'est que, d'organe officieux du gouvernement qu'elle avait été jusque*>là, elle en devenait ouverte- ment l'organe officiel. Louis XV , par lettres patentes du mois d'août précédent, avait ordonné sa réunion au département des affaires étrangères, jugeant que par là « elle deviendrait plus intéressante , qu'elle acquerrait plus de certitude et d'authenticité, et contribuerait à fournir les mémoires les plus sûrs et les plus précieux pour l'histoire, puisqu'on n'y insérerait point de faits altérés, ni de mémoires faux ni suspects. » — « L'objet de la Gazette, disait à cette occasion l'un de ses rédacteurs, n'est pas seulement de satisfaire la curiosité du public ; elle sert d'annales pour la conservation des faits et de leurs dates. C'est un dépôt où la postérité doit puiser dans tous les temps des témoignages authen- tiques des événements dont se compose l'histoire, et des détails même dont elle ne se charge pas. »
Voici, du reste, le préambule» d'un prospectus répandu à la fin de 1 761 pour annoncer la nouvelle ère dans laquelle la Gazette allait entrer :
La Grazette doit remplir deux objets : le premier de satisfaire la curiosité publique sur les événements et sur les découvertes de toute espèce qui peuvent Tintéresser ; le second, de former un recueil des Mémoires et des détails qui peuvent servir à This- târe.
i5t LÀ GAZETTE
La première partie exige une correspondance étendue, suivie et exacte, tant au dehors que pour Tintérieur du royaume. La seconde demande qu'on insère les mémoires, les pièces et les monuments qui peuvent faire connaître Tesprit du siècle dans le- quel l'ouvrage a été composé, quelle était alors la politique, et quels étaient les intérêts des différents souverains de l'Europe.
Les particuliers qui avaient eu jusqu'à présent le privilège de la Gazette de France n'étaient pas en état de remplir un plan de cette nature, m de donner à cette Gazette toute la supériorité dont elle est susceptible. C'est pour y parvenir que Sa Majesté, attentive à tout ce qui peut contribuer à l'utilisé et à l'agrément de ses sujets, a révoqué ce privilège, et a ordonné qu'à commen- cer du 4<» janvier 4762 la Gazette serait rédigée et imprimée sous l'autorité du ministre des affaires étrangères. Elle veut que la vérité, la fidélité et l'exactitude en soient la base/ et, après avoir donné ses ordres, tant au-dedans qu'au dehors, pour tout ce qui doit aider à la rendre plus intéressante, Sa Majesté a dé- cidé qu'elle paraîtrait deux fois la semaine...
Cette Gazette, toujours reconunandable par sa sagesse, réu- nira encore les motifs de l'intérêt et de la curiosité, et l'atten- tion que le roi daigne y donner semble assurer le succès des vues qu'on se propose.
Tout cela était parfaitement juste; mais, en opé- rant cette transformation, l'on poursuivait un autre but encore, que^l'on n'avoue pas. On lit dans les Mémoires secrets ^ à la date du 1*' janvier 1 762 :
La Gazette de France paraît aujourd'hui sous la nouvelle forme qu'elle doit avoir. Elle sera dorénavant faite sous les yeux du ministre des affaires étrangères, minutée par des commis de ce département, et rédigée par M. Rémond de Sainte-Àlbine. I^ ministres du roi dans les cours étrangères ont reçu ordre d'ins- truire de tout ce qui s'y passerait d'intéressant ou de curieux ; les intendants des provinces sont obligés d'en faire autant. Oa
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espère, avec ces arrangements, la rendre piquante pour le lecteur, et, afin de lui ôter Tair de vétusté qu'on lui reproche, on la pu- bliera deux fois par semaine (le lundi et le vendredi). On a pour but de fiiire tomber les gazettes étrangères ; malheureusement le gros du public se laisse plus imposer par le ton républicain que par la véracité du rédacteur. Ainsi, malgré ces précautions, malgré les talents de M. de Sainte-Âlbine, faiseur de gazettes par excellence, il est à craindre que celle-là ne reste toujours en possession d'ennuyer, pour des raisons que l'on sent facilement.
Et c'est en effet ce qui arriva, si Ton en croit le malin chroniqueur :
Depuis le renouvellement de la (jazette de France, on la trouve détestablement écrite ; on se plaint qu'elle fourmille de contre- sens, d'amphibologies, qu'elle respire souvent l'ignorance la plus crasse et la plus absurde. On ne pourrait trop assigner à qui la ftiute; cependant M. Raymond de Sainte-Albine, le rédacteur, est celui qu'on immole aux clameurs du public : on le prive de son emploi; on lui donne 3,000 livres de pension. (Septembre 4762.)
La Gazette alors fut confiée à deux hommes aussi connus par la rare amitié qui les a unis pendant vingt-cinq ans que par leur esprit et leur caractère aimable : nous avons nommé Suard et Tabbé Ar- naud. Amenés Tun et l'autre à Paris par les mêmes goûts, ils s'étaient rencontrés au milieu de ce monde d'artistes et d'écrivains qui illustraient à cette époque certains salons de la capitale . A peine s'étaienir-ils connus qu'il avait été décidé qu'ils vi- vraient ensemble, et tous deux en effet étaient allés habiter sous le même toit, avec leur ami commun
7,
154 LA GAZETTE
iGlerbier, déjà célèbre dans toute la France par ses succès au barreau de Paris. « Jamais, dit un bio- graphe, les ressemblances et les différences ne furent mieux assorties pour servir à l'agrément et au profit des trois existences dont l'amitié n'en de- vait faire qu'une. » Suard a consacré à ce commerce vraiment antique, en tête de ses Mélanges de litté- rature^ une page qui nous a séduit par sa char- mante simplicité :
«
J*ai eu le bonheur d'avoir pour ami un des hommes les plus aimables de mon temps, qui joignait à une éruption choine un goût exquis, et à une étude réfléchie de tous les arts cette cha- leur d'enthousiasme qui fait passer dans Tàme des autres le sen- timent qu'on exprime. H plaisait dans le monde par les agré- ments de son esprit, par une élocution élégante et animée, et par les éclairs d'une imagination brillante qui répandait à la fois le charme et la lumière ; il s'y faisait aimer par la douceur de son caractère, par une bienveillance générale et naturelle, par l'amé- nité et la politesse de ses manières. II a obtenu de la célébrité comme homme de lettres, et il la devait moins à ce qu'il a pro- duit qu'à Topinion qu'il donna de ce qu'il pouvait produire ; et en effet il est aisé de juger par les écrits qui sont sortis de sa plume qu'il- aurait été un des écrivains les plus distingués de son siècle, s'il n'avait préféré à la gloire de vivre avec estime dans la postérité le bonheur séduisant de plaire tous les jours à un monde choisi. Cet ami, c'est l'abbé Arnaud...
J'avais vécu pendant près de vingt-cinq ans avec l'abbé Ar- naud, sans que rien eût altéré un seul moment notre union. Pendant cet intervalle de temps nous avions habité constam- ment sous le même toit ; nos travaux avaient toujours été com- muns ; notre petite fortune l'avait été longtemps : la mort me l'enleva en 4784. Son amitié avait embelli la plus belle partie de
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ma carrière : die a manqué aux années de Hia vie qui se sont écoulées depuis ; elle manquera à celles qui me restent à par- courir.
Les deux amis avaient déjà fait en commun le Journal étranger ^ ' dont nous parlerons dans son temps, quand la rédaction de la Gazette fut pro* posée à Arnaud. On lui offrait 5,000 francs, le lo- gement, la lumière, le feu et un secrétaire, et on ne lui demandait que de tourner un peu mieux les phrases des nouvelles politiques, sans les tourner pourtant trop bien. C'était le travail d'une heure par semaine. Cependant Arnaud allait refuser, quand Suard, lui faisant sentir sa folie, s'engagea à faire tout le travail à lui seul, en partageant le prix avec son ami, qui n'aurait aucunement à s'en occuper.
« Il est difficile, dit Garât (1), de n'être pas un peu étonné de cette différence de caractère et de con- duite entre deux hommes de beaucoup d'esprit, intimement amis et vivant ensemble. Mais l'un n'était guère jamais occupé que de beaux vers, de belle prose, et des belles langues des Grecs et des Romains; l'autre avait partagé son goût et ses études ^tre le génie des anciens et celui des modernes ; et il résultait de cette seule différence que, dans une circonstance importante pour tous les deux, le pre- mier se conduisait comme un enfant qui ne sait rien
(4) Mémoirei <ur If. Suard et sur le xviu* tiècle.
456 LÀ GAZETTE
faire ni pour son ami ni pour lui-même; le second, en homme d'esprit juste et d'un cœur généreux, qui voit du premier coup-d'œil le moyen de mieux arranger son sort et celui de son ami. »
Le traitement toutefois, réduit ainsi par le par- tage à 2,500 francs pour chacun, n'était ni brillant pour l'abbé Arnaud, homme du monde autant que savant helléniste, ni suffisant pourSuard, qui avait un petit ménage, et qui vivait aussi dans le grand monde.
Leurs amis faisaient vingt plans pour améliorer leur position . L'abbé n'en savait pas assez dans ce genre pour juger ce qui pouvait le mieux réussir; mais Suard, lorsqu'on lui en fit part, jugea que ce qu'il y avait de plus simple et de plus facile, c'était de faire étendre les attributions et les profits de la Gazette de France, en étendant leurs travaux, en leur confiant l'administration des bureaux comme la rédaction de la Gazette. 11 garantissait par ce moyen un produit beaucoup plus considérable, à partager entre la caisse des affaires étrangères et celle des rédacteurs.
Ce projet, auquel tout le monde devait trouver son compte, fut unanimement approuvé. Madame de Tessé, amie dévouée de l'abbé Arnaud, se mit en campagne; elle intéressa à la cause des deux écrivains la princesse de Beauvau, et la duchesse de Grammont , sœur de M. de Ghoiseul , et ces
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dames firent si bien que le ministre accorda tout ce qu'on lui demandait.
L'épreuve confirma promptement ce qu'avait ga- ranti Suard au duc de Ghoiseul, et la part des deux amis s'éleva jusqu'à 20,000 francs; mais cette pe- tite fortime, qui comblait tous leurs vœux, était suspendue comme par un fil à la puissance du mi- nistre auquel ils la devaient. M. de Choiseul tombé, ils furent enveloppés dans sa disgrâce, et la Gazette leur fut ôtée. Tout ce que purent obtenir les plus puissantes intercessions auprès du nouveau minis- tre, le duc d'Aiguillon, ce fut une pension de 2,500 livres pour chacun des deux journalistes dépossédés.
Si l'on en croyait les mauvaises langues, les nouveaux rédacteurs n'auraient pas répondu à ce qu'on devait espérer de leurs talents; les plaintes auraient continué sur « la négligence et l'impéritie avec lesquelles on faisait le journal de la nation. » Ce qui est certain c'est que le rôle des rédacteurs de la Gazette était aussi ingrat littérairement par- lant que politiquement; ils étaient loin d'être libres dans leurs allures, le caractère de cette feuille les obligeant à la plus grande circonspection. C'est ainsi qu'Arnaud et Suard purent être dépossédés sous le prétexte d'une indiscrétion en apparence bien innocente , pour ces trois lignes qui s'étaient
458 LA GAZETTE
glissées dans un de leurs numéros, à ^article de Londres :
« On dit que madame la comtesse de Yaldegrave, épouse du duc de Glocester, a obtenu une pension de 5,000 liv. sterl. siu* rétablissement d'Irlande.»
L'ambassadeur d'Angleterre se serait plaint de oet énoncé comme d'une indiscrétion désagréable à sa cour, attendu que le mariage du duc de Glocester n'y était pas déclaré ni reconnu, et le duc d'Aiguillon prétexta de ce grief pour destituer les protégés du duc de Ghoiseul. Il donna leur succession à Marin, censeur de la police.
Ce fut un toile général dans le camp des lettres. Beaumarchais, entre autres, auquel Marin s'était imprudemment attaqué, le stygmatisa, dans un de ses mémoires, avec cette verve qu'on lui connaît. Remontant jusqu'à son enfance, il le montre gagiste à la Ciotat, où il touchait de l'orgue; puis il con- tinue :
n quitte la jaquette et les galoches, et ne fait qu'un saut de Torgue au professorat, à la censure, au secrétariat, enfin à la Gazette. Et voilà mon Mann les bras retroussés jusques aux coudes et péchant le mal en eau trouble ; il en dit hautement tant qu'il veut, il en fait sourdement tant qu'il peut. Censure, gazettes étrai^res, nouvelles à la main, à la bouche, à la presse, jour- naux, petites feuilles, lettres courantes, fabriquées, supposées, distribuées, etc., tout est à son usage. Écrivain éloquent, conteur habile, gazetier véridique, journalier de pamphlets, s'il marche, il rampe comme un serpent, s'il s'élève , il tombe comme un cra-
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paud. Enfin , se traînant, gravissant, et par sauts et par bonds, il a tant £ait par ses journées, que nous avons vu de nos jours le corsaire aller à Versailles tiré à quatre chevaux sur la route, portant pour armoiries, aux panneaux de son carrosse, dans un cartel en forme de buffet d'orgues, une Renommée en champ de gueules, les ailes coupées, la tête en bas, raclant de la trompette marine, et pour support une figure dégoûtée , représentant l'Eu* rope; le tout embrassé d'une soutanelle doublée de gazettes, et sarmonté d'un bonnet carré, avec cette légende à la houpe : Que$'à<o? Marin, (4)
Grimin , dans sa Correspondance , s'égaie ainsi aux dépens du nouveau Gazetier :
« L'incendie qui a réduit en cendres une partie de THôtel-Dieu , dans la nuit du 29 au 30 décembre (1772) , nous a valu une pompeuse et magnifique description dans laquelle lé sieur Marin, rédacteur de la Gazette de France^ s'e&t surpassé lui-même. Non, je ne crois pas qu'il soit possible de rien lire de plus bête. Depuis feu M. Lagarde , surnommé Bicêtre, qui faisait l'article des spectacles avec tant de distinction pour le Mercure de France^ on n'a rien vu de cette force. . . La description qu'il a faite de l'inondation causée par les eaux du lac de Waener, en Suède, peut figurer à côté de l'incen- die de l'Hô tel-Dieu... L'auteur s'est complu dans le talent qu'il se croit pour ébaucher de grands ta-
(1) Ce dicton provençal, qai veut dire: Qu'est-ce que cola? plut si fort à la Daiuphine, lorsqu'elle lut ce Mémoire, qu'elle l'adopta et le répétait à tout propos, li bien qu'il devint un quolibet de cour. Une marchande de modes s'avisa de pro- fiter de la circonstance, et imagina une coiffure qu'elle appela un quetaco^ et qui eut beaucoup de vogoe*
460 LA GAZETTE
bleaux... On a donné depuis quelque temps le nom de Marinades à ces sortes d'articles. Et comme le personnel de M. Marin , 'qui accoutume ses lec- teurs à ses platitudes sous toutes les formes imagi- nables, n'invite pas à l'indulgence , le dénombre- ment de la France, dont il s'est si ridiculement occupé le mois dernier, lui a valu Tépigramme suivante :
Ifune Gazette» ridicule Rédacteur faux, sot et crédiUe, Qui, bravant le sens et le goût. Nous répètes sans nul scrupule Des contes à dormir d^)Out, A ton dénombrement immense Pour qu'on ajoutât quelque foi. Il faudrait qu'à ta ressemblance , Chaque individu pût, en France, Devenir double comme toi.
A la fin de 1771 , on lança dans Paris, sous le titre de : Supplément à la Gazette y une feuille qui n'était, à proprement parler, qu'un pamphlet di- rigé contre le chancelier Maupeou, mais qui eut d'abord un grand succès.
Cette feuille , disent les Mémoires secrets, prend véritablement la tournure d'une feuille de nouvelles, quoique son principe soit toujours de tirer au clair les diverses liquidations. Ce genre de faits est aujourd'hui le moindre objet qui y soit traité ; on cherche à rendre ce Supplément piquant par un recueil d'anecdotes bien scandaleuses , bien bonnes. L'auteur paraît vouloir succéder à celui de la Gazette ecclésiastique; il tâte le goût du public, et Ton ne doute pas qu'insensiblement il ne le remplace. Le janâé-
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nisme ayant perdu son grand mérite , son intérêt véritable^ par Textinction des Jésuites en France, s'est transformé dans le parti du patriotisme. U faut rendre justice à celui-là , il a toujours eu beaucoup d'attraits pour Tindépendance. Il a combattu le despo- tisme papal avec un courage invincible ; le despotisme politique n'est pas une hydre moins terrible à redouter, et il dirige aujour- d'hui vers cet ennemi toutes ses forces , désormais inutiles dans l'autre genre de combat.
Et plus loin :
n paraît un Cinquième Supplément à la Gazette de France, plus long que les précédents. L'auteur a étendu sans doute ses correspondances, et donne des nouvelles des principales villes du royaume. Il prend consistance de phis en plus ; c'est aujourd'hui une gazette scandaleuse très en règle , mais dont les retours pé riodiques ne sont pas encore très assurés.
Les numéros suivants contiennent des anecdotes très-intéressantes si elles' étaient vraies ; mais il faut se tenir bien eii garde contre ce qui y est rap- porté, « dont une partie est fausse, l'autre altérée, et le tout écrit d'un très-mauvais ton et dans un genre d'ironie dure et plate. » Ce qui n'empêchait pas « qu'on y courût comme au feu, tant l'homme a d'ardeur pour le mensonge (1 ) . »
Marin, qui, à défaut de talent, ne manquait pas de dévouement, — ni de cupidité , — imagina un singulier moyen de combattre ces invisibles et re- doutables ennemis, et, en même temps, d'aug- menter les revenus de sa charge. « Il fît entendre
(<) Nous Terrons encore d'autres satires ou parodies se produire sous le titre desfeuiUes en rogae, notamment des Petites Affiches.
4eS LA GAZETTE
au chancelier eï aux autres ministres que, pour mieux disposer la nation à prendre Tesprit du Gouvernement , il serait bon de répandre une ga- zette manuscrite, où, sans affectation, on décrédi- terait les faits contraires , et on exalterait ceux ten- dant à Taccroissement et à la justification du sys - tème. Sous ce prétexte, il eut permission tacite de travailler à ces bulletins, dont il infecta la province, avide de tout ce qui vient et parle de Paris, et qu'il envoyait jusque dans les pays étrangers. »
Tant de zèle fut mal récompensé. En 1774, on ôta à la fois à Marin la direction de la Gazette éL sa place de censeur, et on poussa la rigueur jusqu'à lui refuser la grâce , qu'il demandait , de paraître se retirer volontairement.
L'abbé Aubert , qui lui succéda , apporta dans ses nouvelles fonctions, l'intelligence qu'il avait déjà montrée dans la rédaction d'autres feuilles , mais sans grand profit pour la Gazette ni pour le public ; il fut d'ailleurs réduit, peu de mois après, à la partie de la comptabilité , qu'il entendait mieux, paraît-il , que la partie politique , et la di- rection générale fut donnée à Bret, « honune fort honnête, dit La Harpe, qui a eu le malheur de s'ob- stiner à écrire sans talent pendant quarante ans. »
Ces changements , dont on fit un certain bruit , et l'ordre donné par le roi qu'on lui envoyât régu- lièrement les épreuves de la Gazette , firent penser
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qu'elle allait entrer dans une nouvelle voie ; mais elle persista jusqu'à la Révolution dans ses an- ciens errements et la froide gravité d'un journal officiel i
Nous citerons encore parmi les rédacteurs de la première Gazette : Hellot, l'abbé Laugier, de Quer^ Ion, de Mouhy, Fallet et Fontanelle.
>
En 1787, le ministère voulut bien consentir que le sieur Panckoucke prît à titre de bail l'exercice du privilège de la Gazette de France. Ce libraire, afin de répondre à cette marque de confiance, pro- mettait d'améliorer, par plusieurs moyens qu'il avait en vue , notamment par l'extension des cor- respondances, ce papier national, et de lui donner un nouveau degré d'intérêt. Rien, du reste, n'était changé au plan , à la forme ni au prix de la Ga- zette. « Elle continuera , dit l'avertissement que nous analysons , d'avoir le caractère d'authenticité et de véracité qui a toujours fait son mérite dis- tinctif , et dont elle ne s'est jamais écartée depuis son origine. C'est ce caractère de vérité qui, en temps de paix comme en temps de guerre , en a toujours fait l'écrit politique de l'Europe le plus estimé. On la regarde avec raison comme le recueil le plus précieux pour l'histoire, parce qu'il n'a ja- mais été permis d'y insérer des faits hasardés ou des mémoires suspects. » — Le Bureau général de
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la Gazette est toujours rue Croix-des-Petits-Champs, hôtel de Beaupréau . — Le sieur Fontanelle , rue du Petit-Bourbon , faubourg Saint-Germain , est seul chargé de la rédaction.
En 1 791 , la Gazette rentra au ministère des af- faires étrangères. Le public en fut prévenu par un avertissement que nous transcrirons :
Les années qui se sont écoulées depuis que la Gazette de France a cessé d'être, pour un temps, sous Tadministration directe du département des afiEaires étrangères, à qui la pro- priété en appartient, ont presque toutes été des années de trou- ble , pendant lesquelles on se serait vainement flatté d'attirer sur elle Tattention du public.
Cette feuille, établie depuis près de deux siècles, et mère de toutes les gazettes et de tous les journaux , sans exception , a conservé jusqu'ici un caractère de vérité, de simplicité et de sagesse, qui Ta fait distinguer par TEurope entière des nombreux papiers auxquels elle a donné naissance. « Les Gazettes de France^ dit Voltaire dans un article destiné pour TEncycIopédie, ont été revues par le ministère. Ces journaux publics, qui peuvent, ajoute-t-il, fournir de bons matériaux pour l'histoire, parce qu'on y trouve presque toutes les pièces authentiques, que les souve- rains même y font insérer, n'ont jamais été souillés par la médi- sance, et ont toujours été assez correctement écrits. Il n'en est pas de même des gazettes étrangères » (4).
Ce fut pour assurer à la Gazette de France cette supériorité marquée sur lés autres gazettes que le feu roi ordonna de la
réunir au département des affaires étrangères Le public n'y
a effectivement guère vu depuis que des faits vrais, que des nou- velles exactes. Cette Gazette n'a jamais été , en conséquence,
(i) « Les gazettes françaises faites à l'étranger, ajoute Voltaire, ont été rare- ment écrites arec pureté^ et n'ont pas peu servi quelquefois à corrompre U langue. »
I
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très-vo]umiDeu8e. C'est à celles qui recueillent les bruits popu- laires, les faux rapports, qu'il appartient de l'être; et l'on peut encore citer ici Voltaire, qui, écrivant au maréchal de Richelieu sur un livre intitulé : Des erreurs et de la vérité, dit que, s'il était bon, il devait contenir cinquante pages in-folio pour la première partie, et une demi-page pour la seconde.
Voici , au surplus . sous quel aspect M. Rémond de Sainte- Al* bine, qui a rédigé avec distinction pendant plus de trente ans la Gazette de France, fit envisager ce papier national lors de sa réunion au département des affaires étrangères : « L'objet de la Gazette n'est pas seulement de satisfaire la curiosité du pu- blic; cet écrit nous sert d'annales pour la conservation des faits et de leurs dates. C'est un dépôt où la postérité doit puiser, dans tous les temps , des témoignages authentiques des événements dont se compose l'histoire, et des détails même dont elle ne se charge pas. Elle est encore utile aux citoyens, et surtout aux né- gociants, qui prennent des mesures pour leurs affaires de com- merce suivant les avis qu'ils reçoivent des événements publics et particuliers. Il est donc très-important de ne donner que des nouvelles vraies, »
Cette importance, on doit en convenir, devient encore plus grande sous le règne de la liberté , parce que chaque citoyen a un intérêt plus pressant d'être au courant des affaires publiques. Il est auâsi très essentiel que les corps administratifs soient fidè- lement instruits les uns par les auti*es , dans un papier commun à tous, et où les nouvelles des pays étrangers sont en outre con- signées, de tout ce qui se passe de réel tant au dedans qu'au dehors du- Royaume; sans quoi, dans une infinité de circonstances, ils manqueraient de lumière pour se conduire , ou s'égareraient en en suivant de fausses.
On ne craint pas de dire que le défaut de guides sûrs dans l'immense quantité de papiers-nouvelles que la Révolution a fait naître est ce qui a perpétué les troubles, et qu'aujourd'hui le vœu général des Français , d'accord avec celui que ne cesse de former le coeur du meilleur des rois , appelant avec instance le retour du calme, ils doivent, pour Tobtenir, agir dans un sens
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contraire à cette otwervatioii , trop bien prouvée , du plus ingénu de nos poètes :
Vhomme est de glace aux vérités; Il est de feu pour les mensonges.
Quand un patriotisme éclairé animera tous les esprits, et que , dans les délibérations comme dans les démarches relatives au bien de TÉtat» ils montreront une égale ardeur à ne s'appuyer que sur des faits vrais et authentiques , on verra insensiblement renaître la concorde et la paix. H importe donc d'avoir 'un dépôt sûr de cm faits , et il n'en saurait exister de plus sûr, principa- lement pour les événements du dehors, que la Gazette de France, où Ton n'insère aucune nouvelle qui ne soit puisée à sa source.
Le département des affaires étrangères vient d'annoncer qu'il allait travailler à rendre cette Gazette plus intéressante qu'eUe ne Va été jusqu'à présent; son intention néanmoins n'est pas d'en augmenter le prix, et il continuera d'être proportionné aux facultés de tous les citoyens , c'est-à-dire fort inférieur à celui même des papiers publics dont l'abonnement est le moins coûteux. Ce sera à compter du mois de janvier prochain qu'on recueillera le fruit des mesures que ce département a prises et de celles qu'il prendra encore afin que cet écrit , qui n'est pas d'ailleurs indifférent à la gloire de la nation , lui devienne de plus en plus utile , en l'éclai- rant sur ce qui se passe habituellement dans son sein, conmie sur ce qui arrive chez les peuples avec lesquels elle a des rapports d'affaires et de commerce.
Le nouveau rédacteur (M. Fallet) ne négligera rien de son côté pour conserver à la Gazette de France le ton décent qu'elle a toujours eu depuis son origine, et pour remplir, au moyen des matériaux précieux qui lui seront fournis , toute l'idée renfermée dans la définition suivante : Un bon gazetier doit être prompte- ment instruit, véridique, impartial, simple et correct dans son style; cela signifie que les bons gazetiers sont très rares.
C'est toujours , on le voit , la même préoccupa- tion, nous dirions presque la même illusion : rendre
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a
la Gazette intéressante^ plus intéressante qu'elle ne ta été jusqu'à présent; la phrase est soulignée dans l'avertissement , comme si cent quarante ans d'ex- périence n'avaient pas suffisamment prouvé qu'un journal officiel a son rôle dont il essaierait vaine- ment de sortir, qui est d'instruire, et non d'inté-* resser, c'est-à-dire d'amuser.
Le l''' mai 1792, la Gazette rentra dans le droit commun. Ce jour-là finit ce que nous appellerons son premier âge ; là aussi doit s'arrêter cette .étude, que nous achèverons en son lieu. Nous ajouterons encore, cependant, quelques détails techniques, pour ainsi dire, qui ont aussi leur petit intérêt.
Le nouveau format adopté par la Gazette en 1762 semhle mieux se prêter aux petites nouvelles; aussi quelques faits divers commencent - ils à se glisser à la fin du journal , et même , en y regar- dant de bien près , on peut découvrir, entre une mort et un mariage, l'annonce d'une carte géogra* phique ou de quelque livre nouveau. Peu à peu , les annonces prennent de l'extension ; l'on en fait un paquet (c'est bien le mot), que l'on place au bas du journal , sous filet. Elles se suivent toutes sans aucun signe de distinction , et sans autre sépara- tion qu'un petit trait entre les trois seules rubriques qui soient encore admises : livres , gravures , mu- sique. Ce n'est que dans les premières années de
U8 LA GAZETTE
la Révolution qu'on les voit classées avec plus d'in- telligence , et je n'ai pas été peu étonné de trouver dans les Gazettes de 1792 fe type des annonces dites anglaises^ dont l'importation, comme l'on voit, ne serait pas nouvelle , si tant est que ce soit une importation. L'on était entré dans la voie des ré- formes, et le progrès devait se faire sentir jusque dani^les plus petites choses.
L'effet de la concurrence aussi devient visible. La Gazette jouissait depuis cent cinquante ans d'un privilège incontesté , quand elle se vit tout à coup menacée dans son existence par une foule de ri- vaux qu'avait déchaînés la liberté de la presse. Elle doit songer aux moyens de se défendre. A partir du 1 •' mai 1 792 , elle paraît tous les jours. Trois mois après , en inscrivant sur son front les mots de liberté ^ égalité , la Gazette nationale de France agrandit son format « dans le désir de plaire au public , et de lui offrir, dans un moment où les événements se succèdent avec rapidité , un faisceau de nouvelles plus complet. Ecrite dans les principes de la Constitution , elle joindra au mé- rite exclusif de la fraîcheur des nouvelles étran- gères , des détails plus circonstanciés sur les évé- nements de la guerre, sur l'état des départements et de la capitale. » Mais comme ces améliorations entraînent de nouveaux frais , ^on prix , déjà porté de 1 5 à 25 livres, est élevé à 36 livres.
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Comme on le voit , la concurrence a enfanté la réclame. Désormais, la Gazette ajoute à son titre les conditions de son abonnement. On lit même , en tête de la première colonne des numéros de décembre, cette phrase devenue sacramentelle : M Messieurs les souscripteurs dont l'abonnement expire au 1*" janvier prochain sont priés, etc. » Dans quelques numéros , cette phrase est suivie d'un avis ainsi conçu : c L^s personnes qui désire- raient faire publier des avis ou annonces , de quel- que nature qu'ils soient, et même des lettres et des opinions particulières sur toutes sortes de sujets (ce sont nos faits divers ou articles communiqués)^ peuvent les adresser au bureau de la Gazette , où ils seront insérés avec exactitude dans un supplé- ment du journal. Les articles qui n'auront que six lignes coûteront 30 sous , et 7 sous par ligne s'ils ont plus d'étendue. » C'est à peu près le tarif des annonces omnibus^ mais appliqué aux annonces anglaises. On voit quel chemin a fait depuis l'in- dustrie des annonces; il faut dire aussi que les journaux d'alors n'étaient pas frappés des droits énormes qui pèsent sur ceux^d'aujourd'hui.
C'est dans le courant de cette même année 1 792 que la Gazette commença à annoncer les spectacles ; plie enregistrait le cours des effets publics depuis
nos.
T. I. • 8
470 LA GAZETTE
Bibliographie de la GazeUe. — Quetgues partioulairiié» relativee à ses premières années.
La collection de Tancienne Gazette se compose de 161 volumes, portant pour titre, tantôt : Recueil des Gazettes y Nouvelles^ Relations j etc.; tantôt: Recueil de toutes les Nouvelles... Gazettes et autres Relations... Ce titre varie presque chaque année, jusqu'en 1 752 ; alors il se simplifie , ce n'est plus que Recueil des Gazettes de France^ et enfin, en 1 766, plus simplement encore : Gazette de France.
A partir du volume de 1762 jusqu'à celui de 1 778 , la Gazette a publié deux éditions , Tune à deux colonnes , petits caractères , l'autre à longues lignes, gros caractères. Toutes deux portent à l'a- dresse : A Paris, de V Imprimerie de la Gazette de France j aux Galeries du Louvre; — à partir du 1*' janvier 1779 : A Paris, de V Imprimerie Royale; — le 2 janvier 1787 : A Paris, de V Imprimerie du Cabinet du Roi; — le 4 septembre : A Paris, de V Imprimerie des bâtiments du Roi ; — le 14 sep- tembre : A Paris , de V Imprimerie de la Gazette de France;, — le 3 janvier 1792 : A Paris, de l'Im- primerie Royale; — le 1 «' mai de la même année : De r Imprimerie du Bureau de la Gazette [de France.
Rappelons qu'en 1 787 le privilège de la Gazette avait été cédé à Panckoucke, et qu'il fut repris en 1791 par le département des affaires étrangères.
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A ces 1 61 volumes dont se compose la collection de rancienne Gazette , il faut joindre une Table ou abrégé des 1 35 premières années ( 1 631 -1 765 ) , ré- digée par Genêt , et publiée dans le courant des années 1766-1768(1).
Cette table était annoncée comme devant con- tenir deux parties : V un Abrégé chronologique résumant, dans l'ordre successif des Gazettes, l'Jiis- toire particulière du royaume et celle des pays étrangers ; 2® un Dictionnaire ^ par ordre alphabé- tique , de tous les noms français mentionnés dans les 1 35 volumes , avec les anecdotes dont il pou- .vait être utile pour l'Etat et pour lea familles que la mémoire fût conservée. La première partie de- vait former un volume, et la seconde, deux. Cette seconde partie a seule été faite , et elle comprend trois volumes , au lieu de deux qui étaient an^pon- ces , non compris les tables partielles publiées en- suite successivement chaque année. Nous n'avons pas trouvé trace de l'Abrégé chronologique, et nous l'avons d'autant plus regretté que , d'après le Prospectus , il devait être précédé d'un mémoire
(1) Elle fut publiée par liTraisons qui se distribuaient en même temps que le journal, moyennant un supplément annuel de IS fr. On vendait aussi des numéros séparés, dont le prix variait en raison du nombre que l'on prenait, et des tirages qiédanx étaient fiûts pour les personnes qui désiraient avoir plus de trois exem- plaires des numéros qui les intéressaient particulièrement. Les abonnemoits de- vaient être remis : pour Paris, aux Galeries du Louvre, à l'imprimerie de la Gazette, et pour la province et les pays étrangers, à s<hi bureau, rue Neuve-S.-Roch. Quel- ques années plus tard, la Gazette avait un second bureau, cul-de-sac St-Thomas- du-Louvre. En 1773, nous la trouvons installée rue Neuve-des-Filles-St-Thomas, et «■> HM, me Croix-des-Petits-Cbamps.
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historique sur l'origine des Gazettes, sur toutes les formes que l'on a fait prendre à celle de France depuis son établissement, ainsi que sur les diffé- rentes personnes à qui le privilège en a été accordé» et que l'on y devait joindre la liste des auteurs auxquels la composition en avait été confiée ; toutes questions qui nous ont demandé de longues re- cherches y et que nous n'avons pas toujours réussi à éclairdr.
Telle qu'elle est , cette table, qui résume cent trente-cinq années de notre histoire , qui fait pas- ser sous nos yeux , avec un cortège de particula-r rites, de petits faits, d'anecdotes, qu'on ne trou- verait nulle part ailleurs , tous, les personnages qui ont joué un rôle quelconque pendant cette longue période , cette table , disons-nous, est d'une utilité, offre un intérêt , sur lesquels il n'est pas besoin d'insister.
Quelques années de cette précieuse collection sont assez rares ; ce sont les années 1 635 , 1 649 , 1 652 et 1 653, 1 656 et 1 657, 1 670 , 1 672 et 1 673, 1677 et 1678, 1682 et 1683, 1715, 1749, 1751 et 1752. Mais aucune de ces années n'est aussi rare que la première de toutes , qui manque à plu- sieurs bibliothèques, soit que l'incertitude sur la continuation de l'ouvrage ait empêché les curieux de rassembler les premiers numéros , qui se seront perdus, comme ceux de la première année (1777)
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du Journal de Paris , soit qu'il n'en ait été tiré qu'un petit nombre d'exemplaires.
Mais, indépendamment de la rareté de ce pre- mier volume , il est encore fort difficile de le trou- ver bien complet; nous croyons donc utile d'en indiquer la composition : 1® Le titre : Recueil des Gazettes de F année 1631 , dédié au Roi y avec une préface servant à l'intelligence des choses qui y sont contenues j et une Table alphabétique des matières. Au Bureau d^addresse, au Grand-Coq , rue de la Cor- iandre^ sortant au Marché-Neuf^ près le Palais y à Paris. M. DC. XXXII. Avec privilège ; 2® une Dédi- cace au Roi, signée Théopbraste Renaudot, et 3^ une Préface : le tout formant 1 2 pages ; 4® une Table alphabétique des matières contenues es Gazettes de l'année 1631 , laquelle table a 28 pages, et renvoie à la signature de chaque feuille , à la page , à l'ar- ticle, et même à la ligne de l'article ; 5* 31 Gazettes, sous les signatures A-Hh.
La première feuille de cette année , dont le pre- mier article, daté de Gonstantinople, 2 avril , com- mence, comme nous l'avons vu , par ces mots : Le roi de Perse , manque assez souvent , et cela parce que la deuxième, par suite d'une faute d'impres- sion , porte la signature A , comme la première, au lieu de B , la suivante étant bien signaturée G.
On ajoute à cette première année cinq feuilles annexes, intitulées : Nouvelles ordinaires de divers
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endroit^; la première du 28 novembre, la deuxième du 5 décembre , la troisième du 1 2 , la quatrième du 19, et la cinquième du 26 du même mois. Ces cinq feuilles manquent souvent; cependant, quoi- que imprimées sous leur propre signature , depuis A jusqu'à E inclusivement, elles appartiennent évi- demment à la Gazette de 1 631 . Nous avons vu qu à partir de 1 632, les Nouvelles ordinaires étaient de- venues partie intégrante de la Gazette.
Terminons enfin par quelques singularités qui nous ont semblé dignes d'être signalées dans l'his- toire de l'ancienne Gazette,
La Gazette du 31 décembre 1683 parut avec sa première lettre imprimée en rouge. Cette parti- cularité, comme bien on le pense, ne manqua pas d'intriguer singulièrement ses lecteurs, qui se per- dirent en toutes sortes de suppositions; mais cène fut que bien longtemps après qu'on eut le mot de l'énigme. Bachaumont nous en a laissé la curieuse explication que voici (24 juillet 1763) :
Oq a découvert parmi les livres de la bibliothèque du col I^uis-le-Grand un manuscrit in-folio, coté et paraphé par M. d'Ar- genson , lieutenant-général de police , contenant un détail d'une conspiration formée par les jésuites et Tarchevôque de Paris, du Harlay, -contre les jours de Louis XIV. Cette conspiration avait été découverte par Tabbé Blache, et voici ce qu'on en sait :
Cet abbé Blache était de Grenoble , avait d'abord entré dans
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les ordres, vint à Paris, aumôoier des relieuses de la Ville- i'Evêque.
Quand il eut découvert la conspiration en question , il con- sulta trois jésuites pour savoir ce^ qu'il devait faire ; on sait le nom de deux, le P. Dupuis et le P. Guilleret. Leur réponse fut qu'il fallait laisser agir la Providence, et qu'il n'était point obligé â la révélation. Peu satisfait de cette décision, il consulta sépa- rément le prieur de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés et celui des Blancs-Manteaux : ils furent du sentiment contraire. En con- séquence il fit parvenir à M. Le Tellier, lors chanceîier, un mé- moire détaillé contenant tout ce qu'il savait de la conspiration prétendue. Il pria le chancelier de ne pas lui faire de réponse directement, pour ne point l'exposer à la vengeance secrète des auteurs du complot^ mais pour sa tranquillité et pour certitude que sa lettre et ses instructions avaient été remises, il pria le chancelier de faire mettre une lettre rouge initiale à la Gazette de France le 34 décembre 4683. Ce qui a été exécuté. Cette lettre majuscule G est grise dans toutes les autres Gazettes. »
Quoi qu'il en soit, en 1 704, l'abbé Blache fut ar- îèté en vertu d'une lettre de cachet et mis à la Bas- tille, où il est mort. Le jour de son emprisonnement le lieutenant-général de police, commissaire en cette partie, dressa un procès-verbal contenant inven- taire des papiers de l'abbé Blache. Ces papiers fu- rent rangés par cote et paraphés par M. d'Argenson, et c'est dans le nombre que s'est trouvé le ma- nuscrit en question. Il a été déposé au greffe le 14 juillet par MM. les commissaires du Parle- ment chargés de ce qui concerne le collège de Loui8-le<*Grand et autres maisons des Jésuites à Paris.
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Voici un autre fait, plus digne de remarque en- core, et qui se rapporte également à Tannée 1 633 : Le n^ 54 de cette année, du 4 juin, doit être double, parce qu'il en a été fait deux éditions toutes diffé- rentes, pour des raisons que l'on rapporte ainsi : La veille du jour que devait paraître ce numéro, Tabbé Le Masle, prieur des Roches, attaché au car- dinal de Richelieu, vint entre dix et onze heures du soir chez Renaudot, pour lui ordonner d'insérer dans la Gazette un article de 28 lignes, commençant par ces mots : « Le sieur de Lafemas, intendant de. .. Champagne, a fait amener avec lui plusieurs pri- sonniers d'Etat, entre lesquels est le sieur Dom Jouan de Méàicis, etc. » L'ordre du ministre venait trop tard : la Gazette était déjà imprimée, et même en partie expédiée. Renaudot eut beau donner ses raisons, il fallut obéir. L'article dont le cardinal ordonnait l'insertion étant de 28 lignes, Renaudot fut obligé d'en retrancher le même nombre à dif- férents endroits, pour gagner de la place. L'insertion prescrite fut mise à la dernière page de ce numéro, page 236 du volume, et l'abbé des Roches enleva tous les exemplaires qui restaient du numéro pros- crit. Mais quelques personnes l'avaient déjà reçu, et elles négligèrent de se procurer celui qui y fut substitué ; quant à ceux qui reçurent ce dernier, ou ils ne connurent pas l'autre, ou ils ne purent l'obte- nir : en sorte que dans les recueils de Gazettes ac-
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tuellement existants, on ne trouve point ces deux numéros réunis, mais seulement l'ancien ou le nouveau.
Enfin une dernière remarquée faire au sujet de cette année 1633, c'est que les n*>' 41 et 42 y man- quent absolument, et que dans ce volume on passe brusquement du n" 40 au u? 43, et de la page 176 à la page 1 85, sans qu'il soit possible de démêler la cause de ce vide, qui existe dans tous les exem- plaires.
Quelques personnes trouveront peut-être ces dé- tails un peu futiles ; mais nous ferons observer que, rétablissement de la Gazette ayant précédé de plu- sieurs années celui des journaux littéraires et des Mémoires d'académies, ce sont précisément les vieilles Gazettes que les curieux recherchent, et qu'ils consultent avec avantage, non pas seulement sur les faits politiques et militaires, mais encore sur plusieurs traits relatifs aux sciences, aux arts et à la littérature. Ainsi, sans sortir de cette année 1633, nous choisirons trois faits, sur lesquels la Gazette donne des développements, des particula- rités, que Ton ne s'attendrait peut-être pas à y trouver.
Il y eut cette année-là une très-nombreuse pro- motion dans l'ordre du Saint-Esprit. La Gazette ra- conte tous les détails de la réception des chevaliers,
8.
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et ajoute la particularité que voici y concernant le festin donné par le roi aux chevaliers de ses ordres, à la suite de la cérémonie :
Au commencement du dessert, le roi (qui était seul à sa table, les chevaliers à deux autres tables placées à côté de celle du monarque) envoya un rocher de confitures, qui avait été servi devant Sa Majesté, et d'où sourdait une fontaine d'eau de nofhU, au cardinal duc de Richelieu, qui arrosa de cette eau tous ceux qui étaient près de lui.
C'est aussi en cette année 1 633 que fut créé un parlement à Metz, et c'est le 17 septembre que Ton y plaida la première cause, celle « de la dame du Puy-Arnoul, prisonnière pour avoir tué de deux coups de pistolet un gentilhomme nommé Antoine de Monfaucon, dit La Barthe, en se défendant d'un attentat par lui fait à sa pudicité, dont elle fut dé- chargée à l'audience, d
C'est en cette année encore que le célèbre Galilée fut condamné par le tribunal du Saint-Office, à Rome, pour les raisons que tout le monde sait. Or la Gazette rapporte en entier la sentence de ce tri- bunal, traduite en français, dans une relation cotée n® 122, qui manque dans beaucoup d'exemplaires.
Enfin on lit dans la Gazette du 30 avril, sous la rubrique de Madrid :
Le P. Lerma, de Tordre de Saint-Dominique, l'un des plus éloquents prédicateurs de cette cour, ayant voulu, en un sermon qu'il a fait devant le roi d'Espagne, censurer nos ministres d'Etat
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et les charger de nos mauvais événements, fut interdit de prê- cher, et relégué dans un couvent à l'extrémité d*Espagne, pour y finir ses jours, et apprendre qu'il lait dangereux dire du mal de ceux qui vous en peuvent faire. Gela n*empéche pas que plu- sieurs n'attribuent tous nos désordres au manque de dévotion, qui parait en ce qu*il ne se fotAetta jamais ici moins d'Espagnols que cette semaine sainte, là où tout avait accoutumé d'en re- tentir.
Citons encore quelques articles de la première année.
La Gazette du 1 9 septembre se termine par cet article : « Plusieurs ecclésiastiques de ce diocèse se meurent aussi, notamment d'entre les curés. Ces vers vous feront voir que tous ne sont pas habiles à leur succéder :
Voyant tant de curés qui se mouraient à to5,
Un enfant sans souci, du troupeau d'Epioure,
A chercher une cure ayant perdu ses pas :
Totis mourraientj lui dit-on, que vous n*en auriez pas.
Car n'avoir point de soin c'est n'avoir point de cure.
Dans quelques exemplaires on a retranché le premier vers de ce plat calembour. Au surplus, cette Gazette n'est pas la seule de Tannée où se trouvent des vers. Dans celle du 12 septembre on lit trois' distiques latins d'Oger, avec la traduction française, sur la réception du cardinal de Richelieu au Parlement; celle du 1 7 octobre contient un qua- train latin sur la paix d'Italie et la mort du fils aîné du duc de Mantoue, etc. , etc.
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On voit dans la Gazette du 5 septembre, sous la rubrique de Salé, 12 novembre, un article assez singulier pour que nous croyions devoir le trans- crire tout entier :
On commence à renouer ici (à Salé) le trafic discontinué de- puis quinze ans qu'il y a que notre paix fut révoquée avec la France par le vol de la bibliothèque du roi de Maroc, où était le manuscrit original des Œuvres de Saint-Augustin, estimée tant pour le prix des volumes que, notamment, des pierreries dont ils étaient enrichis, à quatre millions de livres, qu'avait empor- tée un renégat de la foi catholique et de la nation française, en Espagne, qui les détient jusques à présent, quelque instance qu'on ait faite pour les ravoir. On eût suivi, à faute de mieux, l'expédient proposé de nous rendre les peaux écrites, en retenant pour eux les couvertures, si elles eussent été encore en leur en- tier. Mais les Espagnols n'y gagneraient guère à présent, ayant fait voir, par l'ordre qu'ils y ont donné de bonne heure, qu'ils trouvent les écrits des Saints Pères assez riches d'eux-mêmes, et qu'ils aiment la vérité toute nue.
La Gazette du 5 septembre fait mention d'un ballet donné le 28 août par les domestiques du prince cardinal de Savoie,
Devant Sa Majesté et celle de la reine, dans la salle de la comédie, à Monceaux, où ils démentirent le proverbe qui dit que deux montagnes ne se rencontrent jamais, car ils en firent trou- ver quatre, d'où une femme, qui représentait la vaine Renommée, fit sortir quatre à quatre divers habitants, bizarrement, mais su- perbement vêtus de la livrée du lieu de leur demeure ; assavoir : ceux de la montagne résonnante couverts de sonnettes, un tam- bour en main et une cloche en tête ; ceux de la montagne ardente, une lanterne en chaque main, et afiPublée d'une autre ; ceux de la montagne venteuse, un soufflet en main et coiffés d'un moulin
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à vent; et ceux de la montagne ombreuse voilés d'un crêpe, coiffés de cbats-huants et parés de plumes de toute sorte d'oi- seaux de nuit. Puis descendit des Alpes une autre femme, repré- sentant la vraie Renommée, qui, au son de ses trompettes, fit disparaître la vanité de ces barons de Fa^neste, et introduisit en leur p]ac« neuC cavaliers, encore plus ricbement couverts , aux- quels elle laissa libre le champ de la gloire, où ils dansèrent le grand ballet, etc.
Ce ballet nous en rappelle un autre, qui fut dansé au Louvre en mars 1632, dans une fête qui dura depuis huit heures du soir jusqu'au lendemain pa- reille heure, et dont le sujet était le château de Bicêtre prhs Paris ^ et les personnes ^ les animaux et les esprits auxquels il sert de rendez-^ous jour et nuit. Les amateurs de ballets figurés trouveront dans la Gazette de 1632, pag. 104-106, une descriptio.n très-détaillée de celui-ci, où parurent le comte de Soissons et les seigneurs les plus distingués. La reine y dansa avec le comte de Soissons, la prin- cesse de Condé avec le duc de Longueville.
Puisqu'il s'agit de fêtes, nous citerons encore la narration du voyage de la -reine-mère et de l'in- fante à Anvers, au mois de septembre :
Elles y arrivèrent par l'Escaut, dans la frégate de Tinfante, fort ricbement parée au dedans, et couverte au dehors de velours noir avec banderoles de taffetas violet à la croix rouge, et soi- gneusement vitrée par les côtés. Toute la rivière était presque couverte de leur train, qui emplissait plusieurs autres frégates... Durant ce trajet on n'ouït que salves de canonnades et mous- queleries des forts et redoutes qui sont le long de Teau... Ce fut
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néanmoins peu que tout cela, au prix du tonnerre de six cents coups de canon que les remparts de la ville, la citadelle et les vaisseaux de Tamirauté firent éclater à leur entrée dans la ville... La foule était si grande qu'aucuns tombèrent en Teau, d'autres furent étouffés dans la presse au sortir des vaisseaux. Pour dire en un mot la multitude du peuple qui se trouva lors à Anvers, (m y payait H sous pour gîter... Le dimanche 7 se fit la grande procession de la caremesse. L'appareil en fut si ma- gnifique que les seules machines demeurèrent une heure et demie à passer : c'étaient des chars triomphaux faits avec tant d'art et de dépense qu'ils pourraient entrer en comparaison avec ceux de l'ancienne Rome. Six mille bouigeois la suivaient, richement vê- tus et armés de même, à quoi se passa une autre heure et de- mie... Le mardi les Pères jésuites donnèrent à Sa Majesté le plaisir de la tragi-comédie de Qodoalde, qu'ils firent représenter par la jeunesse de leur collège... Sa Majesté en admira les ma- chines, et loua ce quelle vit de l'action, qui ne put être achevée le même jour, pour n'avoir .été commencée qu'à quatre heures après midi...
11 y aurait bien d'autres articles curiei^x à signaler dans ces premiers volumes des Gazettes ; mais ce que nous avons cité suifira pour montrer de quelle uti- lité peuvent être ces anciennes feuilles, et combien Ton y peut puiser de notions peu communes intéres- sant la littérature et les arts. Nous en dirons autant des Nouvelles ordinaires qui en dépendent. Dès la première nous trouvons, à l'article Bruxelles ^ un fait singulier, que nous transcrivons dans les ter- mes du Nouvelliste :
Notre curé qui avait donné l'invention des chaloupes est -après rajuster ses vieilles propositions et prendre mieux ses me- sures. Or voici ces inventions et propositions qu'il nous fait :
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^'^ il promet de jeter de demi-lieue une lettre dans une ville ; 2^ mille livres de pain par jour à même distance ; 3o de jeter de fort loin des grenades et pots à feu dans le camp des ennemis ; 4« de brûler les ports par le même artifice ; 5<> monter sur les remparts sans toucher aux fossés ; 6° armer légèrement les sol- dats, toutefois à l'épreuve du mousquet ; 7° boucher les rivières, en sorte que les vaisseaux n'y puissent passer ; 8<> détruire les vaisseaux ennemis en diverses manières; 9» faire des bateaux portatifs capables de passer sept ou huit personnes; 40« passer des troupes à travers les plus profondes rivières; 44o passer 4 ,000 hommes dans les forts de l'ennemi sans qu'il les voie et les puisse blesser ; if° faire des ponts en une heure pour passer une armée ; 4 Z° des canons légers comme des mousquets qui au- ront l'effet de l'artillerie ordinaire ; 4 i» assurer avec peu de sol- dais les forts de Flandre sans murailles, aussi bien que s'ils en avaient, engageant sa foi, son honneur et sa vie, s'il y manque ; car il remet toute la faute de l'entreprise passée sur le Père Phi- lippe et sur Barnefeld, Hollandais réfugié en Flandre, qui assu- raient que les grands vaisseaux ne pourraient suivre les bateaux plats ou chaloupes, ce que l'expérience a démenti, et qu'il y avait cinq pieds d'eau dans les terres inondées, et il ne s'en est trouvé que deux.
C'est probablement de ce même curé que parle la Gazette du 5 septembre (art. Hambourg, 1 4 août) , en ces termes : < Un curé d'entre Malînes et Ville- brong, psalmodiant sur les orgues avec telle atten- tion que Ton peut penser, s'est avisé d'ajuster des canons de nouvelle invention en forme desdites orgues, dont il promet de faire une étrange mu- sique. »
Cela ne rappelle-t-il pas involontairement Fieschi et sa machine infernale ?
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Nous n'en finirions pas si nous voulions glaner dans rimmense collection de la Gazette. Nous nous bornerons donc, pour terminer cette monographie déjà bien longue, à citer un article de Racine qui a échappé à tous ses éditeurs.
Parmi les lettres de lajeunesse du célèbre tragique, plusieurs sont datées d'Uzès, où Tavait attiré Tes- pérance de succéder à un bénéfice possédé par le père Sconin, son oncle maternel. Dans le nombre s'en trouve une adressée, le 26 décembre 1661, à . Tabbé Levasseur, son camarade de collège, laquelle se termine par cette phrase : « Mandez-moi des nou- velles de tout, et, entre autres, d'un petit mémoire que f envoyai pour la Gazette, il y a huit jours. » M. La Rochefoucault-Liancourt, dans ses Etudes inédites deRacine^ signalait ce passage comme devant donner lieu aune recherche dans la Gazette, et cette , recherche, faite par M. Rathery, amena bientôt la découverte du petit mémoire.
Voici, en effet, ce qu'on trouve dans la Gazette de France de 1 661 , p. 1 372 ; il faut se rappeler que toutes les villes de France fêtaient à l'envi la nais- sance de Louis, dauphin, né le 1*' novembre de cette année.
lyUsez, le 35 décembre 1661.
Outre les réjouissances qui se sont ici faites par l*ordre de nostre évesque, pour la naissance de Monseigneur le Dauphin, nos consuls, voulant aussi en signaler leur joye, firent, le 18 du
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courant, allumer un feu dont le succez répondit des mieux à la beauté du dessein. Après que la Renommée, qui estoit élevée sur un pied d'estal^ eut fait sonner trois fois un cor chargé de pétards, qu'elle avait en sa main, une colombe partit d'un autre costé toute en feu, qui, tenant à son bec un rameau d'olive, vint allu- mer l'artifice. En mesme temps on ouït un grand bruit de bom- bes et de pétards, et Tair se couvrit d'une épaisse fumée, à la- quelle succéda une grande clarté, qui découvrit un rocher fort élevé vomissant des fiâmes de toutes parts, au sommet duquel paroissoit la Paix, avec une corne d'abondance ea Tune de ses mains, et s'appiiyoit de l'autre sur un dauphin, ayant à ses pieds les vertus cardinales, qui jettoyent quantité de fusées, comme elle en épanchoit un grand nombre, qui alloyent semer en Tair une infinité d'étoiles : tellement que cette machine parut des plus industrieusement inventées. »
Si Ton considère que la lettre est du 26, qu'elle annonce un mémoire envoyé pour la Gazette il y a huit jours, c'est-à-dire le 1 8, et que la Gazette donne précisément, dans une relation datée d'Uzès, les détails d'un feu d'artifice tiré le 1 8 en réjouissance de la naissance du Dauphin, fils de Louis XIY , on ne doutera pas que Tarticle que Ton vient de lire ne soit le petit mémoire dont il est question dans la lettre. Ainsi Racine, qui avait été l'un des poètes de rhymen dans son ode la Nymphe de la Seine , fut aussi l'un des chroniqueurs de la ^naissance.
Après la Gazette de France, qui compte aujour- d'hui 227 années d'existence non interrompue, le
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plus ancien journal de l'Europe, à notre connais- sance, et beaucoup de nos lecteurs en seront éton- nés assurément, c'est la Gazette officielle de Suède, Postosch Inrikes Tidning^ fondée en 1 644, sous le règne de la reine Christine, la fille de Gustave- Adolphe le Grand, et continuée depuis là sans in- terruption.
Le Harlem courant^ le doyen des journaux hol- landais, date du 8 janvier 1 656.
De tous les journaux anglais créés au milieu du xvu® siècle, un seul à survécu, la Gazette de Lon- dresj dont la publication fut ordonnée par Charles II , qui voulait avoir en Angleterre le pendant de la Gazette de France. Elle commença à paraître le 1 3 novembre 1 665. Il s'en publia pendant quelques années une édition en français faite par un cer- tain Moranville, à qui on faisait quelquefois altérer ce qu'il traduisait, ce qui donna lieu à des plaintes de la part du Parlement.
Le premier journal publié en Russie le fut en 1703, par ordre de Pierre-le-Grand, qui non-seu- lement prit une part active à sa direction, mais en corrigea les épreuves, ainsi que cela résulte des placards qui existent encore, et qui portent des si- gnes et des corrections de sa main .
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APPENDICE
UN PAMPHLÉTAIRE AU XVfl« SIÈCLE. — EU8TACHE LE NOBLE
On sait quelle guerre à outrance les gazetiers et les pamphlétaires de Hollande firent à Louis XIV, et le ressentiment qu'en éprouvait ce monarque. La Gazette ne pouvait suffire à la riposte. Quelques- uns des conseillers du roi auraient donc voulu qu'il se défendît par les mêmes armes ; mais il refusa de 8e donner un défenseur dans lequel son instinct profondément monarchique pressentait un ennemi redoutable pour la royauté absolue. Vauban, par exemple, proposait la création d*un escadron d'an- Mardonniers^ qui aurait eu pour mission de re- pousser les attaques de cette terrible phalange qui faisait pleuvoir sur la tête du grand roi une grêle incessante de traits si cruels. « Les ennemis de la France, lit-on dans le manuscrit original des Oisi- vetésj ont publié , et publient tous les jours une in- finité de libelles diffamatoires contre elle et contre la sacrée personne du roy et de ses ministres... La France foisonne en bonnes plumes... Il n'y a qu'à en choisir une certaine quantité des plus vives, et à les employer. Le roy le peut aisément sans qu'il luyen coûte rien, et, pour récompenser ceux qui réussiront, leur donner des bénéfices de 2, 3, 4, 5
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à 6,000 livres de rente, ériger ces écrivains les uns en anti'lardonnierÈj les autres en anti-gazetiers.,, »
La proposition de l'illustre tacticien ne fut point acceptée; mais plusieurs écrivains se constituèrent de leur chef les défenseurs de la monarchie , et Ton peut croire que les encouragements ne leur manquèrent pas. Entre tous se distingua Eustache Le Noble, qui se fit une grande réputation, vers la fin du XYII® siècle, par ses talents, et peut-être plus encore par les désagréments que lui attira sa mauvaise conduite et par ses aventures avec la belk épicière. De 1 688 à 1 709 Le Noble publia une dou- zaine de volumes de pamphlets qui firent beaucoup de bruit, et qui touchent plus que les autres à notre sujet par leur mode de périodicité. Comme les bi- bliographes parlent très-peu de ces pamphlets, assez rares pour qu'ils leur aient échappé, il ne sera pas hors de propos d'entrer à leur sujet dans quelques détails.
Ils forment plusieurs séries. La première, sous le titre : La Pierre de touche politique^ comprend 28 dialogues, d'octobre 1 688 à novembre 1 691 (3 vol. in-12). Chaque dialogue a un titre particulier; le titre général que nous venons de citer ne se trouve sur le frontispice qu'à partir de janvier 1690 (6* dialogue), époque à laquelle la publication devint mensuelle. Nous citerons les titres de quelques-uns de ces pamphlets :
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4. Le Gibisme. Premier dialogue entre Pasquin et Marfqrio sur les affaires du temps. Jouxte la copie imprimée à Rome, che» . Francophile Alethophile. Octobre 4688.
3. Le Ceuronnemeiit de Guillemot et de Gkiillemette; avec le Sermon du grand docteur Bumet. Jouxte la copie imprimée à Londres, chez /. Benn, 4689, satire violente contre le roi Guil- laume, — Il y a encore : Le Feetin de Guilkmoi (1689), la Bi- Uiothique du roi GuiUemot (janvier 4690).
5. La Chambre des comptes d'Innocent XI. Dialogue entre saint Pierre et le Pape, à la porte du Paradis. Septembre 4689.
46. Les Mercures, ou la Tabatière des Etats d'Hollande (no- vembre 4690). Brûlé à Amsterdam, par ordre des Etats-Géné- raux.
%t. Le Réveille-matin des Alliés. Jouxte la copie imprimée à Monts y chez Guillaume le Chasseur^ rue des Sept-Dormantes , au Coq qui les réveille. Mai 4 694 .
27. Le Jean de retour. Jouxte la copie imprimée à Loo , chez GuiUaume Pied-de^Nez, rue Perdue j au Bien revenu.
Ces pamphlets eurent tant de succès qu'on en fit des contrefaçons à Rouen, Paris, Orléans, Châlons, Reims, Lyon, Corapiègne, Soissons; tandis que d'un autre côté, certains écrivains composaient des dialogues politiques de leur façon, que Ton vendait sous le nom de Le Noble.
Emprisonné en décembre 1 691 , Le Noble ne publia en 1692 qu'un petit nombre de lettres, dont voici les titres :
La fable du Rossignol et du Coucou, avec la lettre de maître Pasquin à maitre Jacquemar. Jouxte la copie imprimée à la Vilk^ auX'Asnes.
Dialogue de la Samaritaine avec le Grenier à Sel , et la fable ài Sapin et du Buisson.
490 LA GAZETTE
Le Renarcl pris au trébuchet. 3* lettre. Jouœiê la copie tmpn- mée à S^inleerke, chfiz Guillamne V Eveillé^ rua Bea/ujeu, au Co^ manqué. Sur la bataille de Steinkerque.
Le Paroli à la Samaritaine, ou le Censeur savetier. I«. Jouxte la copie imprimée à la Grange^Baudet , Nioaise Protocole, rue du Grenier à sel, au Nouveau Midas.
Le Reuard démasqué. 5*. Traduit de l'original anglais. JouoBté la copie imprimée à la Kénoque, chez GuiUaiume de Beau-Projet, rue de la Marquerie, au Chat éehaudé.
Plus deux dialogues sous le titre de rEcole des Sages^ qui semblerait annoncer une nouvelle série, et portant, par exception, le nom de l'autear : Par M. Le Noble de Tennelièrej baron de Saint-George.
En 1 693 Le Noble commença une nouvelle série, sous le titre de : Les Travaxm d' Hercule , qui vont de janvier 1693 à août 1694, et se composent de 21 parties (3 vol. in-12). Ce sont des dialogues entre la Gloire et l'Envie, entre Hemskerke et milord Paget, entre Apollon, Calliope, Clio et Eutejse, entre le ministre Jurieu et l'esprit de Van Buning- hen, entre Grue et le bourguemestre Oyzon, entre le Rhin et le Danube, entre Wit'hal et la Tamise, entre les ombres de Philippe II et de dom Emma- nuel de Lira, etc.
Au mois de septembre 1694, Le Noble change le titre de Travaux d'Hercule pour celui de l'Esprit d'Esope^ sous lequel parurent les quatre derniers dialogues de l'année.
Après une interruption de sept ans, la guerre
BT RENAUDOT 491
de la succession d'Espagne lui rendit la parole, et cette fois c'est avec privilège du roi qu'il reprit son rôle de pamphlétaire. Il commença en juillet 1 702 la publication de Nouwauœ entretiens politiques^ pu blieation qui se poursuivit jusqu'en juillet 1 709; du moins est-ce à cette époque, au 87^ entretien^ que s'arrête la collection de la Bibliothèque impé- riale. La plupart des titres de ces nouveaux pam-^ phlets ressemblent à des titres de fables ou de pro- verbes; c'est, par exemple : le Renard à bout, — A beau jeu beau retour, — FEtui de chagrin, — le Pas de clerc, — les Poules foUes, — rOurs piqué, ou les Abeilles vengées, — Qui trop embrasse mal étreinty etc. Quelques-uns cependant ont une signification plus précise ; ainsi : le Secret des communes, — l Embarras de Vienne, etc. , etc.
Le Noble est assurément, de tous les pamphlé- taires de cette époque, celui qui a déployé le plus d'esprit et de verve. Il donne à entendre quelque part qu'il recevait des ministres de Louis XIY des communications officieuses, et il est permis de le croire : il est, eq effet, généralement bien informé^ et peu d'écrivains, dans tous les cas, ont défendu le grand roi et combattu ses ennemis avec autant de feu et d'habileté. Je ne lui accorde pas cependant que ses Pasquinades (c'est ainsi qu'on appelait se» pamphlets) soient la meilleure histoire du temps ;
49t LA GAZETTE
mais elles sont sans contredit très-bonnes à consul- ter. La forme eh est généralement vive et légère ; on y trouve beaucoup d'épigrammes et de saillies heureuses. Bayle faisait grand cas des talents de Le Noble : « Il a, dit-il, infiniment d'esprit et beau- coup de lecture ; il sait traiter une matière galam- ment, cairalièremeût ; il connaît l'ancienne et la nouvelle philosophie. Cependant il se vante d'avoir fait beaucoup d'horoscopes qui ont réussi, et il s'attache avec soin à maintenir le crédit de l'astro- logie judiciaire (1). »
Le Noble, indépendamment de ses Dialogues, a laissé un grand nombre d'ouvrages, dont quelques- uns sont curieux et méritent d'être recherchés.
(I) Pensées diverses sur la comète.
LA PRESSE
DURANT LA FRONDE
T. I.
II
LA PRESSE DURANT LA FRONDE
LES MAZARINADES
Explosion de ^esprit polémique. — Ce qu*on entend par Mazarinades, — Leur caractère et leur esprit.
Pour ne pas interrompre Thistoire de la Gazette, nous avons traversé, sans nous y arrêter, une époque qtii, pourtant, intéresse vivement notre sujet : nous voulons parler de la Fronde. On sait. a\ec quelle force éclata, pendant ces jours d'effer- vescence, Tesprit polémique, et, pour ceux qui ont étudié ce mouvement, il y a lieu de s'étonner que la liberté de la presse n'en soit pas sortie victo^ rieuse ; on a peine à comprendre qu'après avoir si largement usé et abusé de la liberté de parler et d'écrire , Paris ait pu si facilement être ramené au régime de la Gazette et du monopole.
496 LA PRESSE
Mais si la Fronde n'a pas produit de journaux dignes de ce nom, elle nous en a donné amplement la monnaie dans ces myriades de libelles connus aujourd'hui sous le nom de Mazarinades^ qui pendant près de quatre années vinrent chaquQ jour ali- menter, aviver, la curiosité et les passions de la multitude, et ce ne sera pas nous éloigner de notre sujet que de consacrer quelques pages à cette petite presse de la Fronde, peu consistante, sans doute, et de peu de valeur au fond, mais si vive, pourtant, si hardie, et parfois même si spirituelle.
Les Mazarinades sont, à proprement parler, les pamphlets, satires, libelles, en vers et en prose, publiés durant la Fronde contre le Mazarin. Ce nom leur est venu de la pièce la plus célèbre du genre, la Mazarinade (en vers), portant la date du 11 mars 1651. Plus tard, Tusage s'est introduit de comprendre également sous cette dénomination les écrits pour le Cardinal, et même, dans un s«i& plus général, toutes les pièces publiées à l'occasion de la lutte de Mazarin contre le Parlement et les Princes .
Le nombre des Mazarinades est prodigieux. M. Moreau, à qui l'on doit une excellente bibliogra- phie de ces libelles^ estime que l'on peut évaluer à 4000 environ les pièces produites par la Fronde dans ses diverses phases, du mois de janvier 1 649 au mois d'octobre 16^2, et encore ne comprend-^il
DURANT LA FRONDE 49Î
pas dans ce nombre celles qui sont restées ma- nuscrites, et qui peuvent entrer pour un quart dans le chiffre total. M. Leber {De Fétat réel de la presse et des pamphlets jusqu'à Louis XIV) pense que ce ne serait pas exagérer ce chiffre que de le porter à sept ou huit mille. Les contemporains en parlent comme d'essaims de mouches et de frelons qu'auraient en- gendres les plus fortes chaleurs de l'été (1). La Fronde a duré quatre ans, et à peine trois mois s'étaient-ils écoulés depuis la déclaration de la ré- volte que les Mazarînades se comptaient déjà par centaines. Vlnterprete des écrits du temps^ s'adres-- sant au Cardinal, vers la fin de mars 1 649, annonce huit cents nouveaux venus depuis le mois de jan-* vier précédent :
Huit cens petits livres nouveaux Qu'on appelle brides à veaux.
Mais la qualité ne répondait pas à la quantité :
Pour moi, après les avoir lus. Je les nomme des amusettes Et des tirÇ'Sols de pochettes : Car, interprétant sainement Le fort de leur raisonnement, Otez les mots qui vous accusent. Ce sont des fous qui s'y amusent.
Jamais pareille explosion n'avait éclaté en France ;
(0 Quàm tit muscarum et cràbonwn quùm calet maxime, dit Naudé dans son tfatcurat.
198 LA PRESSE
jamais, même pendant les guerres de religion, les publications politiques n'avaient pris de pareilles proportions. C'est que la Fronde combattit avec la plume beaucoup plus qu'avec l'épée. On discutait dans le Parlement, on bavardait dans les ruelles, et toutes ces grandes colères se dissipaient en paroles et en libelles. Tout le monde se mêlait d'écrire. « Il n'était en&nt de bonne mère, il n'était véritable Français, qui ne se crût obligé de donner une pièce au public. » — < C'est une cbose admirable, dit le Remerciement des imprimeurs à Monseigneur le Car- dinal Mazarin (1649), de quelle façon nous tra- vaillons. Votre vie est un sujet inépuisable pour les auteurs et infatigable pour les imprimeurs... Il ne se passe pas de jour que nos presses ne roulent sur plus d'un volume de toute sorte d'ouvrages, tant de vers que de prose, de latin que de français, tant en caractères romains qu'italiques, canon, gros- canon, petit-canon, parangon, gros-romain, saint- augustin, cicéro, etc. Une moitié de Paris imprime ou vend des imprimés, l'autre moitié en compose : le Parlement, les prélats, les docteurs, les prêtres, les hermites, les religieux, les chevaliers, les avo- cats, les procureurs, les clercs, les secrétaires de Saint-Innocent, les filles du Marais , enfin le che- val de bronze et la Samaritaine, écrivent et par- lent de vous. Pierre du Guignet (1) ne saurait plus
^1) Pierre de Cngnières, sarnommé du Coi^et, dont le clergé arait placé U
DURANT LA FRONDB 499
garder le silasce^ qu'ont rompu des flatteurs, puis- que les morts mêmes ressuscitent pour venir dire lear sentiment de la conduite de Votre Excellence. Les colporteurs courbent sous le poids de leurs im- primés en sortant de nos portes ; ils ne font pas cent pas qu'ils ne soient soulagés du plus pesant de leur fardeau, et ils reviennent à la charge avec une chaleur plus que martiale. »>
Guy Patin, dans ses lettres, parle de ce débor- dement à peu près dans les mêmes termes : .
On a fait ici courir depuis huit jours quantité de papiers volants contre le Mazarin ; mais il n'y a encore rien qui vaille. Même j'apprends que le procureur général en a fait des plaintes au Parlement, qui a ordonné que Ton empêchât l'impression et la distribution de ces écrits satyriques et médisants ; mais je pense que toutes ces défenses n'empêcheront pas d'en imprimer, à me- sure qu'ils en auront. Et entre autres ils ont imprimé un jour- nal de tout ce qui s'est passé depuis le mois de juin au Parle- ment. Le cardinal est sanglé là dedans tout au long et très-vilai- nement, comme il le mérite. D me semble que c'est la meilleure pièce de tout ce qui s'est fait ; mais je ne sais pas ce qui se fera à l'ayenir. (tl }9mer 4649.)
Déjà à cette époque il prévoyait qu'on formerait
itatae eo on petU coins (caigMt) du chœur de l'église Notre-Dune, « en office, dit Rabelais, de esteindre ayec son nez... les chandelles, torches, cierges, bon- gies et flamiMavz allumés. • Les Conies d^Eutrapel rapportent ainsi la cause qui ▼alut à Pierre de Cugnières cette vengeance des gens d'église : « Tesmoing, dit Koël du rail, la statue ignominieuse de maistre Pierre de Cugnières, estant en l'église de Nostre-Dame de Paris, Tulgairement appelé maistre Pierre du Coignet, à laquelle par gaudisserie on porte des chandelles. Le paillard, estant lors advo« cat-général, soutint que le roy Philippe de Valoisj son maistre, se devoit ressaisir do temporel ecclesiastic, pour eetre le fondement d'iceluy mal exécuté, et seule cause de la dissolution des geut d'église et empeschement du vray serf ice de Weu. ■
fOO LA PRESSE
la collection de ces libelles, et qu'on réimprimerait les meilleurs : c il y en a déjà environ cent cin- quante ; mais je ne crois pas que le tiers en mérite rimpression. » Plus loin, dans la même lettre, il ré- pète qu'on en imprime de tous côtés, « tant en vers qu'en prose, tant en français qu'en latin, bons et mauvais, piquants et satyriques, il n'importe; tout le monde y court comme au feu. » (1 6 mars 1 649.) Dans une lettre suivante on lit ceci : « Il y a ici hor- riblement de libelles contre le Mazarin. Quand on ne prendrait que les bonnes pièces, il y en a pour en faire un recueil de cinq ou six tomes in-4®, à quoi j'apprends que Ton travaille, en ôtant et retran- chant les mauvaise piècess. Cela est merveilleux et sans exemple qu'on ait pu dire tant de différentes choses d'un seul homme. » (2 avril 1649.) < Depuis quatre mois, écrit-il encore, à la date du 28 mai de la même année, les presses n'ont roulé que sur les paperasses mazarines, des meilleures desquelles on Pons fait ici espérer qu'on fera un recueil en trois ou quatre tomes in-4**. »
Il faut dire aussi que le plus grand nombre de ces libelles parut à Paris, à une époque où l'ab- sence complète de pouvoir répressif permettait aux moins courageux de tout dire et de calomnier im- punément.
D'ailleurs, nous le répétons avec M. Moreau, l'énergie réelle, dans les publications de la Fronde,
DURANT LA FRONDE JO*
est en raison inverse de la quantité ; elles ne sont ni aussi vives, ni aussi spirituelles, que les pamphlets de la régence de Marie de Médicis, comme ces pam- phlets eux-mêmes n'ont ni Toriginalité, ni Tâcreté, ni la verve des libelles de la Ligue. Cela s'explique par l'abaissement des intérêts, d'où devait nécessaire- ment résulter l'affaiblissement des passions : il y avait un abîme, en effet, entre les profondes et terri- bles passions de la Ligue et le bouillonnement super- ficiel de la Fronde. Celle-ci, néanmoins, a produit des pièces très-hardies, très-importantes, qu'il faut toujours consulter pour la vérité de l'histoire, et un plus grand noinbre de pièces très-amusantes, très- gaies, qu'on peut lire encore. Tout alors s'écrivait en vers, les controverses comme les récits. Cet usage, nous dirions presque cet abus de la poésie, est un des caractères extérieurs de la Fronde, et à . son tour la poésie de la Fronde a un caractère propre : elle est burlesque. Le burlesque était le genre à la mode depuis le Typhon de Scarron, pu- blié vers 1 640, et il faut avouer que, si un événement politique prêta jamais à ce genre, ce fut bien la guerre de la Fronde.
Aussi est-ce par ce dernier côté surtout, par leur peu de sérieux, disons mieux, par leur caractère burlesque, que se distinguent les pamphlets de la Fronde, où, du reste, il y a de tout, de la gros- sièreté, du cynisme, de la bigoterie, de l'impiété,
9.
HOIK LA PRESSE
de l'esprit, de la verve, parfois même du bon sens, et ce caractère est surtout frappant dans les Maza- rinades de 1649, qui offrent quatre pièces bouf- fonnes pour une sérieuse. Scarron et les poètes bu^ lesques ses rivaux étaient devenus les vrais pu- blicistes du parti . L'accent italien de Mazarin est, pour ces premiers pamphlétaires, un texte plus fé- cond que la misère du peuple ; on se moque du ministre plus encore qu'on ne le maudit; sans compter que bon nombre de libellistes se moquent à peu près impartialement de tout le monde. La Fronde, il faut bien le dire, n'avait pas la foi; elle n'était pas très-consraincue de la justice de sa cause, et elle croyait peu à son succès. De là vint qu'elle ne sut ni négocier ni combattre; de là vint aussi qu'elle fut, dans l'esprit de ses contemporains, justiciable du burlesque. Toutes les agitations, les tumultes, ne suffisaient pas pour cacher aux yeux les moins ouverts l'impuissance des partis, et les haines contre Mazarin, si vives qu'elles fussent, ne faisaient pas illusion sur le désintéressement des princes et des seigneurs. Le peuple lui-même ne s'y trompait guère, et il trouvait bon qu'on l'amu- sât aux dépens des généraux qui lui « ferraient la mule , » des soldats citoyens qui « ne passaient pas Juvisy, » et aussi un peu du Parlement, où il voyait assis sur les fleurs de lys tant d'enfants de la maltôte.
DURANT LA FRONDE SOd
Les pièces b.urle9ques sont, d'ailleurs, infini- ment supérieures aux autres par la forme; quant au fond, l'on [comprend avec quelle réserve il les faut accueillir. Le burlesque ne se pique pas d'exac- titude, de raison ou de justice ; son rôle, son but« a été surtout de provoquer le rire par l'ironie, par le sarcasme, par l'invective. Il ne juge pas, il ne raconte pas même ; il raille, il veut être plaisant, spirituel, et il y réussit souvent. Il a des saillies ingénieuses, des boutades piquantes, des railleries fines ; il a même rencontré quelques éclairs de pas- sion dans l'audacieux cynisme de ses insolences. Mais son sel est d'ordinaire fort gros ; le nom qu'il porte dit assez qu'il n'a souci ni de la délicatesse, ni de la mesure, ni de la convenance, et souvent, dans les mots comme dans les pensées, il brave Thonnèteté. Son excuse est dans des habitudes de langage qu'il a reçues, qu'il n'a point faites, dans l'état d'une civilisation qui tenait beaucoup au fond, mais peu à la forme, enfin dans la facilité avec la^ quelle il jetait au vent de la curiosité ses composi- tions, destinées à disparaître avec les opinions et les circonstances qu'elles avaient pour objet de servir (1).
(4) Pélisson, dans son Histoire de l'Académie, déplore cette invasion du genre tniriesque, qui nous vint d'Italie : « Non^seulement le burlesque passa en France, mais il y déborda et il y fit d'étranges ravages. Chacun s'en croyait capable, de- puis les dames et les seigneurs de la cour, jusqu'aux femmes de chambre et aux valets. Cette fureur de burlesque était venue si avant, que les libraires ne vou- laient rien qui ne portât ce nom, que, par ignorance , ou pour mieux débiter leur
toi LÀ PRESSE
La Fronde était née^ comme on le sait, d'une question d'impôt, dans laquelle le Parlement s'était posé en défenseur du peuple contre des exigences, des vexations, devenues intolérables. Ces vexations, comme tous les maux de TEtat, étaient imputées à Mazarin. Aussi les premiers pamphlets, en 1649, roulent-ils principalement sur le Cardinal et sur la maltôte :
Depuis tantôt cinq ou iix ans^ L'avarice des partisans, Traitans, sous-traitans, gens d'affaire, Bace à notre bonheur contraire. Pillait avec impunité Les biens du peuple en liberté, Etj sous prétemte du tariffe. Rien ne s'échappait de leur griffe. Ce mal nous allait dévorant. Et, comme Von voit un torrent Tombant du sommet des montagnes, Se répandant sur les campagnes. Etendre partout sa fureur. Porter la crainte et la terreur Dans les viUes, dans les villages, Ainsi VeoDcès de leurs pillages, Comme celui de leur pouvoir. Nous réduisait au désespoir. Quand le bon démon de la France, ToucM de voir notre souffrance.
marchandise, ils donnaient aux choses les plus sérieuses du monde, pourvu seu- lement qu'elles fussent en vers. D'où vient qu'en 4649 on imprima une pièce assez mauvaise, mais sérieuse pourtant, avec ce titre, qui fil justement hoireur à ceux qui n'en lurent pas davantage : La Passion de Notre Seigneur JésuS'Christ m vers burlesques, u
DURANT LA FRONDE f05
Fit que, perdant le jugement. Ils se prirent au Parlement.,. (1)
Après lés pièces financières et mazariniques, ce qui abonde le plus dans les libelles de la première année, ce sont les visions ^ les apparitions j les pro- nosticationSj pièces généralement sans art et sans esprit. Enfin un certain nombre de cayerSj comme on disait alors, étaient consacrés aux louanges du Parlement. Le Parlement gouvernait alors, il était Yéritablement le roi de la Fronde : il devait avoir ses courtisans et ses flatteurs. Au reste, les Maza- rinades de 1 649 ne touchent que bien rarement aux grosses questions de la politique.
L'année suivante les pamphlets sont devenus raisonneurs, bavards; ils traitent avec une certaine liberté des affaires du Gouvernement ; ils roulent principalement sur les négociations de Munster, les prétentions du prince de Condé et la prison des Princes. Il y en a qui laissent reparaître Faigre le- i^ain du vieux parti de l'étranger et du fanatisme, et qui osent reprocher à Mazarin le traité de West- phalie comme contraire à l'Eglise, et la révolte de Naples contre son souverain légitime; d'autres, dans un esprit tout opposé, l'accusent de n'avoir pas dignement continué son illustre prédécesseur.
En 1 651 , année qui vit l'alliance des deux Fron-
(1) Agréable récit de ce qui s'est passé aux dernières barricades de Paris, descrUes en vers burlesques.
tO« LA PRESSE
des, puis leur rupture et la guerre des Princes, les pamphlets pleuvent comme grêle et redoublent de yiolence. Ils prennent alors un caractère d'au- daoe qu'ils n'avaient pas encore eu; ils abordent sans hésitation les questions les plus hautes, les plus ardues, les plus irritantes. Le Mazarin est en- core poursuivi avec rage; mais c'est surtout contre la reine qu'ils s'acharnent. Et ils s'attaquent non- seulement aux personnes royales, mais même à la monarchie : on voit reparaître les républicains de la Franco-Gallia et du JuniusBrutus. « On ne parlait publiquement dans Paris que de république et de liberté, en alléguant l'exemple de l'Angleterre, et l'on disait que la monarchie était trop vieille et qu'il était temps qu'elle finît. » C'est, du reste, l'époque des pamphlétaires les plus illustres : Gondi, Joly, Sarrazin, Patru, Gaumartin, Portail; après lesquels on peut encore citer Dubosc-Montandré, les deux LafTémas, Du Châtelet, Verderonne, Fauteur de V Agréable récit des BarricadeSj dont nous avons cité tout à l'heure quelques vers, et qui est sans con- tredit la plus spirituelle et la meilleure pièce bur- lesque du temps ; Davenne, Mathieu de Morgues, Sandricourt, Du Pelletier, Jamin, Mercier, Mathieu Dubos, Du Crest, etc., etc. C'est seulement alors, en effet, qu'on voit intervenir dans la guerre des pamphlets des personnages et des littérateurs con- nus; jusque là la polémique avait été à peu près
^
DURANT LA FRONDE tOT
abandonnée aux écrivains de la Samaritaine et aux secrétaires de Saint-Innocent. Disons d'ailleurs que les pamphlets sont très-rarement signés, et que, quand ils le sont, c'est le plus souvent d'un nom à peu près inconnu aujourd'hui ou d'un pseudo- nyme.
Les tiraillements qui signalèrent l'année 1652 imprimèrent une nouvelle face aux pamphlets. Le peuple ne pouvant percer les mystères de l'in- trigue, une espèce de fièvre agitait cette multitude ardente et passionnée, que ses chefs officiels pré* tendaient retenir dans une neutralité impossible. La foule était arrivée, par excès d'impatience, à détourner presque son courroux du Mazarin pour le rejeter sur les corps constitués, qui ne savaient ni ramener amiablement le roi à Paris, ni chasser Mazarin par la force ; et la réaction allait sans cesse grandissant contre l'aristocratie de robe. Désabusée de toutes les espérances fondées sur le Parlement, flottant de l'abattement à la fureur, mais désirant par-dessus tout la paix, la popula- tion parisienne avait fini par se tourner vers les Princes, non par sympathie, mais par manière de pis-aller. Il y a de curieuses observations à faire sur les pamphlets publiés vers cette époque dans l'intérêt des Princes : la violence démagogique y perce sous la violence nobiliaire. Le type de cette combinaison d'éléments hétérogènes, c'est l'infati-
MS LA PRESS B
gable libelliste Duboso-Montàndré, que nous avons déjà cité, personnage singulier, écriyain incorrect et confus, mais qui s'élève parfois jusqu'à l'éloquence. Il était, dit-on, aux gages du prince de Condé. En effet, s'il attaque à la fois les usurpations royales et les usurpations parlementaires, s'il soutient que la plénitude de la souveraineté n'appartient qu'aux états-généraux, que les lois fondamentales sont au- dessus des rois, et les états-généraux au-dessus des lois fondamentales, c'est, à ce qti'on peut croire, au profit de l'aristocratie, puisqu'il ajoute que c les rois ne peuvent former d'entreprises de consé- quence sans l'aveu dés princes de leur sang et des grands de leur état » ; que les ministres « ont ôté la connaissance du gouvernement aux véritables ad- ministrateurs en éloignant les nobles, et en appe- lant, pour les remplacer, des bourgeois. » Dans un autre de ses pamphlets, cependant, dans le Point de V Ovale, où il poussait avec une exaltation féroce à l'extermination de tout le parti mazarin et abso- lutiste, et qui fut condamné par le Parlement, éclate, comme une dissonnance terrible, ce cri échappé du fond des entrailles du peuple : « Les grands ne sbnt grands que parce que nous les por- tonssur nos épaules; nous n'avons qu'à les secouer pour en joncher la terre. » C'est l'épigraphe que Loustalot, un siècle et demi plus tard , inscrivait en tête de son journal les Révolutions de Paris-
DURANT LA FRONDE 209
« Les grands ne nous paraissent grands que parce
que nous sommes à genoux Levons-nous! »
On peut juger par là de la confusion dans la- quelle étaient tombés les esprits en 1652. La Fronde était aux abois.
11 ne faudrait pas croire que le parti de la Cour soit demeuré sans réplique. Dès les premiers jours Mazarin avait manifesté Tintention d'accepter la lutte avec la Fronde sur le terrain de la publicité, et d opposer aux pamphlétaires ses écrivains à lui. On lit dans un de ses agendas (1 ) qui sont parvenus jusqu'à nous cette note, remontant à 1 648 : « Court un livre en latin contre moy dont la conclusion est que je m'entends avec le Turc, et que absolument je lui délivreré l'Europe, si on me laysse faire, etc. Le vray moyen pour dissiper toutes ces méchan- cetez, ce serait de faire un livre dans lequel on dît contre moy tout ce qui peut tomber dans l'esprit de plus méchant, afin que, etc. » Cet etc., qui forme la conclusion de plusieurs notes des agendas , est facile à interpréter : l'exagération des calomnies
0) Au xVii* siècle on avait conservé l'usage des tablettes portatives, carnets de poche ou agendas, comme les appelle le Cardinal : « Oultre ce que j'écrivis déjà dans ma dernière agenda. » La Bibliothèque impériale possède seize de ces agendas de Mazarin, qui sont un véritable trésor. Ces petits carnets, mémento de chaque jour, souvenir de tous les instants, sont écrits entièrement de la main dn Cardinal, par courts alinéas, par mentions rapides, d'une ligne, d'un mot, tracés ici à l'encre, là au crayon, tantôt en italien, tantôt en français, et souvent en espagnol, pour être mieux compris de la reine, entre les mains de laquelle ont été, sans aucun doute, tous ces petits livrets, qui lui servaient de guide et de con - «eiller.
110 LA PRESSE
devait en être le remède. Là est peut-être Texplica- tion de la violence ou du ridicule de certaines pièces.
Lorsque la Cour se retira à Saint-Germain, Ma- zarin se fit suivre par une imprimerie, dont il donna la direction à Renaudot. C'était bien le moins que la Cour eût ses presses à elle, quand le duc d'Orléans, le prince de Condé, leCoadjuteur, et jusqu'au ma- réchal de l'Hôpital, avaient leurs imprimeurs en titre, qui faisaient, pour ainsi dire, partie de leur maison militaire. Cependant les pamphlets maza- rins ne sont pas très-nombreux, ils sont à peine un contre vingt; mais on doit convenir qu'ils ne sont pas aussi inférieurs en esprit et en raison qu'ils le sont en nombre.
Rentré à Paris, Mazarin fit répondre une fois pour toutes aux pamphlets par un gros livre, couvre d'un homme d'un grand savoir et d'un esprit vaste et original, mais que ses habitudes d'érudi- tion un peu diffuse ne rendaient pas essentiellement propre à la polémique : c'était Gabriel Naudé. Le Mascurat de Naudé fut comme la Ménippée de la Fronde ; mais il ne vaut pas l'ancienne Ménippée, et n'a pas, comme elle, survécu aux circonstances qui l'avaient fait naître (1). Il ne fit du reste que
(4) CepeodBDt cet énonne io-4* de plus de 700 pages fait encore les délices de bifflu des énidits friands : Charles Nodier, dit-on, le relisait, ou du moins le refeoil- letait, une fois chaque année ; M. Bazin en a beaucoup profité dans ton histoire de la Fronde. Le Téritable titre de cet ouTrage est : Jugement de tout oequia iti imprimé contre le cardmal MaxaiHn depuis le eixiàme janvier juequee à la Dé- claration du l«r awrU 1649. C'est un dialogue entre un imprimeur et un ool-
DURANT LÀ FRONDE tU
fournir un nouvel aliment aux passions, que rien ne pouvait refréner. Mais on sait que Mazarin, pour sa part, finit par en prendre philosophiquement son parti, regardant avec la plus profonde indif- férence ce furieux débordement d'injures. Et quand on pense qu'on se barricadait, au dire de Tallemant, pour lire la Miliade, pamphlet contre Richelieu, publié à Anvers, on ne peut s'empêcher d'admirer la patience débonnaire de son successeur.
Cependant le Parlement, voyant que certains li- bellistes ne respectaient ni le ciel, ni la terre, ni même V autorité de la Compagnie ^ fit, à diverses re- prises, des efforts pour réprimer cette licence ef- frénée ; mais tous ces efforts ne pouvaient avoir grand résultat dans une pareille crise; les pam- phlets semblaient, au contraire, se multiplier sous les sévérités de la justice. En vain
Par arrêt il fut défendu
Qu'on if imprimât plus aucun livre
porteur de Mazarinades, Mascwrat et Saint-Ange, qui, attablés dans un cabaret, passent en revue les principaux pamphlets parus alors, et que Naudé appelle dt groi escadrons de médisances. Sous ce couvert, il défend cbandement et fine- ment le cardinal son maître, et montre la sottise de tant de propos, populaires qui se débitaient à son siget ; puis, chemin faisant, il y parle de tout; dans son style, resté franc gaulois et gorgé de latin, il trouve moyen de tout fourrer, de tout dire; je ne sais vraiment ce qu'on n'y trouverait pas : il y a des tirades et eufllades de curiosités et de documents à tout propos, des kyrielles à la Rabelais, od le bibUograpbe se joue et met les séries de son catalogue en branle, ici nir les novateurs et faiseurs <f utopies, là sur les femmes savantes, plus loin sur les bibliothèques publiques, ailleurs sur tous les imprimeurs savants qui ont honoré la presse, h un autre endroit sur toutes les académies d'Italie, que sais-Je ? ^nr qui aurait un traité h écrire sur l'un quelconque de ces sujets, le Mascurat toumirait tout aussitôt la matière d'une petite préface des plus érudites. Cest ue^Bine à fouiller.
«1Î LA PRESSE
Dont le débit avait fait vivre Quelque misérable imprimeur Et quelque burlesque rimeur, Quij comme un second Mithridatt, Etait plus friand qu'une chatte Du poison qui le nourrissait Dant rinstant qu'il le vomissait.
• Cela ne fit que ranimer Cette criminelle manie.
On ne vit onc tant de satires.
C'est au commencement de la conférence de Ruel, en 1 649, qu'on essaya de réagir contre ce déborde- ment.
Lorsque, sans empêchement, Paris vit naître Vespérance Uune fourrée conférence, On commença de réprimer Cette licence â^ imprimer. Lieutenant civil et commissaires,
Pour empêcher de barbouiller, Chez les imprimeurs vont fouiller, De nuit, par cruauté extrême. Jusque dedans la cave même.
La police avait recours à d'autres moyens en- core; on lit dans une Mazarinade, le véritable ami du public (1649) : « Ceux qui liront ces cahiers ap- prendront qu' ils ont été déchirés, ayant été pris dans l'imprimerie par un méchant espion de Mazarin, duquel on ne se donnait point de garde, parce qu'il
DURANT LA FRONDE ÏU
est de Fart de rimprimerie, et, comme un double traître, sert d'instrument aux ennemis pour dé- couvrir et accuser les autres. J'avais encore la mé- moire fraîche de mon écrit quand j'ai su qu'il avait été ravi et porté à M. le Lieutenant civil. »
Plusieurs imprimeurs même furent mis en pri- son, d'autres obligés de se cacher.
Soyons sages, par exemple. Voyons La Caille, ou bien Monet, Dont le premier fut mis tout net Dedans une affreuse demeure Où la nuit se trouve à toute heure. Même sort serait pour rimeur Que fut celui de V imprimeur (4).
Mais rien n'y faisait.
On ne peut empêcher d^ écrire Par menace ni autrement. Et les arrêts du Parlement N'ont pas assez de suffisance Pour empêcher la médisance (t).
Seulement les imprimeurs prirent plus de pré- cautions pour se soustraire aux poursuites. On sait que les pamphlets sur copie imprimée à Bruxelles^ à Anvers y sortaient des presses de Paris : on vit alors
Sortir au jour^ sans nom ni marque^ De la presse de Variquet, Prevetay, Sara, Cottinet^
(0 La Raillerie eans fiel... 4649.
(î) Monologue de Maxarin sur sa bonne et sa mauvaise fortune, en ▼ère bur- lesques. IM9.
tl4 LA PRESSE
Qui ne 9$ vend H ne 9'ackète Qu*entve chien et hup^ en cachette. Des satyriques ouvra^ en ven Jouœte sur easemplaires d^ Anvers (4).
Le duc d'Orléans crut donc devoir interposer son autorité, se flattant qu'elle serait plus écoutée que celle du Parlement. 11 s'adressa au Corps de ville; il fit entendre aux magistrats de la cité « qu'il s'étonnait fort des bruits qui se répandaient dans Paris, et encore plus de ce qu'on y laissait impunément composer, imprimer, vendre et débi- ter ouvertement une foule de libelles infâmes, dont les auteurs n'avaient pour but que de surprendre^ par les calomnies qu'ils y insèrent, les personnes simples et faibles, et, leur faisant croire que Leurs Majestés ont des intentions contraires à leur re* pos, les soulever contre elles » ; et il conclut en demandant, au nom du roi, qu'on prît des mesures pour réprimer une pareille audace.
Le Corps de ville, se rendant à ses instances, or- donna aux colonels et quarteniers d'assembler les capitaines, lieutenants et enseignes de chaque co* lonelle, les cinquanteniers et dixeniers de chaque quartier, pour leur faire entendre les bonnes inten- tions de la reine, et les inviter à empêcher de tous leurs moyens la publication des libelles diffama* toires, « en se saisissant de ceux qui les compose»
(i)La Nocturne chasêe du lieutenant civil.
DURANT La fronde 245
raient , imprimeraient , vendraient et débiteraient, pour les mettre es mains des juges ordinaires, et même prêter main forte à ceux-ci en cas de néces- sité. » Mais ce n'était pas assez que d'arrêter les coupables et de les juger. Un imprimeur avait été condamné deux fois, par le Châtelet et par le Par* lement, à être pendu, pour avoir publié jine pièce de vers très-injurieuse à l'honneur d'Anne d'Au- triche ( la Custode du lit de la Reine) : comme on le conduisait au gibet, la multitude se jeta sur les archers, et le tira par force de leurs mains (1).
1m Auteurs des Mazarinades, — Comment elles étaient composéeSy
imprimées et vendues.
Nous avons nommé les principaux pamphlétaires; il est aisé de comprendre qu'il dut y en avoir de plusieurs espèces dans cette longue succession d'in* térêts et d'événements qui constituent la Fronde.
(0 « Samedi dernier, de grand matin, dit Guy Patin dans mie lettre du 24 juillet 4<U9, nn imprimeur, nommé Morlot, fut ici surpris imprimant un libelle dilfomatoire contre la reine, sous ce titre la Custode du lit de la reine. Il fut mia ui Châtelet, et dès le même jour, il fut condamné d'être pendu et étranglé. Il en appela à la cour. Lundi on travailla à son procès. Hier mardi il fut achevé, et la sentence confirmée. Quand il fut sorti de Ui cour du Palais, le peuple commença s crier, puis à jeter des pierres, à tomber à coups de bftton et d'épée sur les ar- chers, (fin étaient en petit nomJore. Ils commencèrent à se défendre, puis à se sauver. Le bourreau en fit de même. Ainsi fût sauvé ce malheureux, et un autre qui était au cul de la charrette, qui devait avoir le fouet et assister à Fexécution «le Morlot. Il y eut un archer de tué ; plusieurs furent blessés. De caeterie Deus prO" videbit.» Guy Joly raconte que le lieutenant criminel, qui commandait les archers, reçut plusieurs coups de bâton et eut assez de peine à se sauver. Pendant qu'une iMude délivrait ainsi Moriot aux abords du Palais, une autre bande se portait sur la place de Grève pour y détruire l'instrument du supplice. Elle abattit la potence.
246 LA PRESSE
Les uns ont été acteurs directs dans cette tragi- comédie, et la plume de ceux-là obéissait à une conviction personnelle ou aux exigences d'un parti.
Tel fut le cardinal de Retz, dont la nature re- muante et aventureuse se plaisait au milieu de ces luttes, où son esprit brillait de toutes ses qualités. La presse, dont il avait bien vite compris la force et la portée, devait être un puissant moyen d'action dans des mains si hardies ; aussi le vit-on tout d'abord s'en servir comme d'une arme contre ses adver- saires, et comme d'un maFche-pied pour son am- bition. Chacune de ses démarches avait un premier- Paris sous forme de Mazarinade. Ainsi, au retour de sa fameuse démarche à Compiègne, il écrit : » 11 y eut dès le lendemain un libelle qui mit tous mes avantages dans leur jour. » Du reste, il con- vient lui-même, dans ses Mémoires, de sa partici- pation à cette guerre de plume ; il se reconnaît l'auteur de plusieurs pamphlets et se vante d'avoir été l'instigateur d'un plus grand nombre. Ses aveux à ce sujet sont pleins d'une rare franchise. Parlant d'un pamphlet de Marigny qui avait produit un grand effet, il ajoute : « Je pris cet instant pour mettre l'abomination dans le ridicule, ce qui fait le
rompit l'échelle en plusieurs morceaux, lança des pierres dans les vitres de FHô tel-de- Ville, et continua le bruit et le désordre dans la place jusqu'à 9 heures da soir. Selon Guy Jojy et le cardinal de Retz, les libérateurs de Morlot étaient des garçons libraires ou imprimeurs.
H
DURANT LA FRONDE ^7
plus dangereux et le plus irrémédiable de tous les composés (1 ) . » Dans son grand discours à M. de Bouillon, en 1649, s'identifiant avec les auteurs des libelles, il dit : « Nous égayons les esprits par nos satires, par nos vers, par nos chansons ; le biruit des trompettes, des tambours et des timbales, la vue dea étendards et des drapeaux, réjouit les boutiques (2). » Et en 1652 il reprend son ardeur, un moment endormie : « Les libelles recommen- cèrent, et j'y répondis. La trêve de l'écriture se rompit, et ce fut dans cette occasion, ou au moins dans les suivantes, où je mis au jour quelques-uns de ces libelles (3). »
Mazarin n'ignorait pas la part que prenait Gondi aux pamphlets dirigés contre lui. On lit dans ses agendas : c Le Goadjuteur continue à faire impn** mer des libelles et faire des gazettes par Ménage que on envoie par les provinces écrites à la main et on fayt courir par Paris. » Â la date de juillet 1 650 on trouve cette note significative : c Fayre quelque papier et l'imprimer, pour informer le peuple du sujet de mécontentement du Goadjuteur, un autre, de sa vie et mœurs, et comment sa maison s'est établie en France, d Cette pièce fut, en effet, rédi- gée par le fameux d'Hozier. Cinq ans plus tard, en
(0 Mémoires, édit. in-19, 1849, 1. 1, p. 434.
(l)/6id.,I,7«,
(t)At(i.^H, 166.
T. I. 40
248 LA PRESSE
juillet 1655, Mazarin adresse au pape un factiim intitulé : Mémoire des crimes sur lesquels le proak doit être fait tm cardinal de Retz, et les pamphlets fi- gurent au nombre de6 griefs dont il le charge: (c Que ledit cardinal de Retz a été auteur de toutes les^ persécutions faites à monsieur le cardinal Mazarin, de tant de libelles infâmes contie son honneur et de tant d'arrêts contre son bien et sa vie, qu'il semble s'être rendu indigne de jouir des privilèges d'un caractère qu'il a si fort méprisé et outragé. »
Gondi, pour réussir plus sûrement à mettre l'a- bomination dans le ridicule, s'était dioisi d'habiles auxiliaires. Il s'était entouré d'amis et de servi* teurs, tels que Sarrazin, Marigny, Portai, Cauma^ tin, et avait constitué au petit archevêché un comité de rédaction dont il était Tâme, et d'où partaient, avec un merveilleux à-propos et une incessante activité, des journaux, des pamphlets, des libelles de toute espèce. Dans cette association de gens d'es- prit. Ménage, si nous en croyons la note de Maza- rin que nous venons de citer, s'était chaigé des gazettes. Ces papiers volants se passaient sous le manteau, dans les ruelles et dans les cercles, jusqu'au moment où, suivant leur mérite, quelque libraire s'en emparait et les livrait au public en feuilles imprimées.
C'étaient là les lutteurs les plus sérieux.
DURANT LA FRONDE $49
Certains libellistes, écrivaina merèeuaires, s'é- taient vendus à une coterie ou à un homme. Quel* ques-uns composaientdes pamphlets pour s'amuser; quelques-autres spéculaient sur la vente de leurs écrits. Puis il y avait la tourbe des séditieux qui ne demandaient qu'a faire du bruit, et des affamés qui cherchaient dans le scandale leur pain de chaque jour. Quelques barbouilleurs de papier se mettaient aux gages des libraires, et s'engageaient, moyen- nant une pistole, à « faire rouler la presse » toute la semaine.
Enfin, ditM.Leber, comme si le libellisme eût été un devoir pour toutes les* classes de la société, on voyait des muses improvisées en cottes de bure et en cornettes, des héros de cuisine chanter les héros de la Fronde, et faire, au lieu d'un brouet pour Monsieur, une brochure pour la veuve Coulon (1). La pièce intitulée Le^ admirables sentiments d'une villageoise à Monsieur le Prince, et plusieurs autres niaiseries du même genre, sont, dit-on, de la ser- vante d'un hbraire, « qui en faisait, dit Naudé, après avoir écuré ses pots et lavé ses écuelles. > C'était à qui donnerait son coup de pied au ministre proscrit.
En général, les élucubrations de ces faiseurs, les
(0 C'étdt la TcuTe Antoine Coulon qnS imprimait les pièce» les plus séditieuses. Les meilleures sortaient des presses de la Teuve Guillemot, de Robert Sara et de Cardin Besogne.
ttù LA PRESSE
vers comme la prose, se payaient à la rame, 3 livres ou UD écu, c'estrà-dire que l'auteur recevait 3 livres par rame de papier imprimé.
Hélas I que nous seriims contents Si vous en vendiez quatre rames,.* Car nous en aurions quatre écus (4)«
Quand la pièce promettait par sa violence ou son obscénité un succès de scandale, l'imprimeur allait (usqu'à 4 livres ; mais c'était fort rare, et il lui arri- vait bien plus souvent de marchander les pauvres composeurs de rimes burlesques et de leur faire atten- dre leur maigre salaire.
Lorsque sans honte Ils nous entendaient commencer Le discours de nous avancer De ^argent pour boire chopine, Ils nous faisaient fort froide mine ; Et après, avec un ml doux. Us nous disaient : « Voilà cinq sous ; Sans doute vous aurez le reste, Croyez-le, Von vous en proteste. Quand le papier sera vendu* » Ayant leur propos entendu, Nous disions sans arrogance : « Messieurs, nous aurons patience*,..» » Le lendemain, Yheure arrivée Que la pièce était achevée, Nous étions prêts pour aller voir,
(0 L'ÀdUu et U déêttjpoir 'jie$ authewrs et eeciriwûns de \tal guerre civilej eo vers burlesques.
DURANT LÀ FRONDE tSI
Comme c'était notre devoir.
Si la piéGe tétait vendue,
LorSy d'une mine morfondue
Us nous disaient qu'en vérité
Von n'en avait pas acheté
Une rame du tout entière,
Et^ qu'ainsi nous ne gagnions guère.
Et, pour un peu nous consoler.
Ils commençaient à nous parler
QtiUs croyaient même que les pies
Fissent^ comme nous, des copies,
Carplus.de trente tous les jours,
Toutes diverses, avaient cours.
Mettant la main à la pochette,
Ils nous disaient : a Je vous regrette,
Voire peine mérite plus. »
Après ces discours superflus.
Us nous donnaient quelque monnoie^
Pour nous mettre le cœur en joie,
Nous promettant qu'à f avenir,
Afm de nous entretenir.
Ils nous donneraient davantage (4).
Aussi pourrait-on dire que les libraires en avaient pour leur argent. Ils n'y mettaient pas, du reste, à ce qu'il parait, beaucoup d'amour-propre, car la forme de ces libelles ne vaut d'ordinaire pas mieux que le fond. Publiés en général par les libraires du mont Saint-Hilaire, ils se ressentent du lieu qui les a vus naître ; il n'y en a peut-être pas un qui ne soit corrompu par les fautes les plus grossières ;
(I) L'Àdtêfê et U déaeipoir de$ authtwrs $t ncrivaint d* la ifwrr9 eiviU, en ▼en buriwques.
tn LÀ PRESSE
les vers, souvent trop longs ou trop courts, y ou- tragent la mesure, et les mots y sont altérés d'une façon si déplorable qu'ils en deiriennent parfais inintelligibles.
Les Mazarinades étaient vendues par une foule de colporteurs, qui les criaient dans les rues dès le matin, sortant de la presse, « à la même heure, dit Naudé, qu'anciennement à Rome on vendait le dé- jeuner des petits enfants » ; ils les assaisonnaient de superbes boniments, comme les crieurs d'aujou^ d'iiui leurs canards*
Avecques leurs Umgs préaimbt/^
Je les trouve si ridieuks.
Qu'ils me font tout inotirtfr de rire (4).
Le prix courant était de deux liards le feuillet ou cahier. Ceux, dit une Mazarinade.
Qui veulent avoir quelque chose, SmÏ m vers ou bien soit en prose, Ils paient deuàs liards le cahier.
Et les colporteurs avaient pour salaire une remise d'un quart sur le montant de la vente. .
Six deniers pour quatre feuillets Entrent dans mon gousset tout nets, L'imprimeur payé de sa feuille (S).
<l) Lf FoHHque burtnque, dédié à Ànaraothe.
(9) Le Burlesque remerciement des imfyrimeurs, etc.
DURANT LA FRONDE ti3
Et à ce taux le métier ne laissait pas que d'être bon, si Ton en juge par le succès de quelques Maza- rinades, vendues jusqu'au nombre de cinq ou six mille exemplaires (1). Aussi ne comptait-on pas moins d'un millier de colporteurs.
Grâce auas bons et numoaiê aiui^u€$, MiUe offices de eolportews, Téus de oréaiùm nouvelle. Font braire à pkine cervelle^ Et â^un 8ten torique gosier, Chargés de boutiques é^osier, Cent et cent marchands de gaziHtes.
Ce qui est certain, c'est que cette guerre à coups de plumes fit vivre une multitude de gens, écrivainsi imprimeurs, colporteurs, etc., que l'autre guerre avait réduits à la misère. Nous avons déjà cité un Remerciement des imprimeurs à Mazarin; on trouve encore dans les Mazarinades un Burlesque remer^ ciement des imprimeurs et colporteurs aux auteurs de ce temps j
Par un imprimeur Qui ne fut jamais grand rimeuTy Qui ne sait règle ni méthode, Mais qui fait des vers à sa mode. Que Von chante sur le Pont-Neuf, Van mil six cent quarant&neuf.
(I) On lit dMB les Agendas de Mazarin, à la an de 4649 : « On a envoyé plus de • m. copies du libel contre moy et d'Hemery dans toutes les provinces. •
n4 LA PRESSE
En voici quelques passages :
Ce9t un métier de grand tracas De composer tant de fracas. De fadaises, de goguenettes. De bagatelles, de sornettes. Il est vrai qu'ils se vendent mieux Que tous ces ouhrages pieux Qu'on imprime, la Quarantaine, Dont Von ne vend qu'un par semaine* Sans tous ces petits rogcitons. Sans les Condés et les Gastons^ Sans les pasquiU et vaiudeoiUes, Sans les écrits les plus habiles. Sans Rivière et sans Cardinal. Nous àllûms bien souffrir du mal; Sans le petit bossu en poche (I) Notre ruine était bien proche. Et sans les riches isurieux Ma femme eût bien chié des yeux, Les libraires, la librairie, les imprimeurs, la confrérie, tes relieurs et les colporteurs. Eussent souffert de grands malheurs; Enfin, sans ces petits ouvrages. Les demi-seins, les pucelages. Les bagues et les beaux atouf% Eussent fait échauffer les fours-; Il eût fallu emprunter, vendre. Mourir de faim ou s'aller pendre. Mais, grâce à tous ces bons esprits, Nous ne sommes point là réduits;
CO Le prince de Conti, c'est-à-dire les pamphlets sur le prince de Conti, comme plus haut les pamphlets sur les Condés et sur les Gastons, sur La Rifièrt et sur le cardiual Mazarin.
DURANT LA FRONDE IÎ5
Les sous, les deniers, pHe-méh, Tombent sur nous comme la grék. Quand quelque chose de nouveau Vient de chez nous ou du Bureau (4).
C'est rimprimeur qui parle ainsi ; vient ensuite le tour du colporteur, qui commence son compli* ment par une épigramme :
Graves auteurs de rogatons De qui chacun fait grande estime. Soit pour la prose ou pour la rime. Je crois que vous étiez cachés Aussi loin que nos vieux^ péchés, Alors que toutes les maltôtes Voulaient opprimer tous les hôtes ; Car en ce temps les sansonnets Comme poissons étaient mu/ets. L'éclat de la rouge calotte Vous donnait à tous la menotte; Mais s'en allant à Saint-Germain, Il vous a délié la main. Vos écrits, Vencre, f huile ou graisse Ont bien fait cheminer la presse; Les partisans ou maltôtiers Ont bien relevé nos métiers. Nous avions aussi triste mine Que le pain à la mazarine Quand la démangeaison a pris A tous vos excellents esprits. Nous sommes huit cents, voire mille, Qui tous les jours courons la ville, Depuis le matin jusqu'au soir, Offrant, par un humble devoir.
0) Le Bareau d'sdreue.
40.
«16 LÀ PHESSB
Vos œuvres à qm les demande; Et si ne faut point qu'on marchande : Six deniers pùur quatre femOets Entrent dans mon gousset tout nets. L'imprimeur payé de sa feuille. Que cela dure. Dieu le veuille ! Car pourtant sans le parOsant Nous serions tous morts à présent. Je vous remercie; orateurs. Bores esprits^ braves auteurs, Comppseurs de rimes burlesques. Inventeurs de titres grotesques l^), Avocats, pédants, écoliers, Qui fessiez si bien les cahiers: * Vos ouvrages, faits à Venvie^ Nous ont à Ums sauvé la vie. Si vous continuez toujours A faire de pareils discours. Pourvu qu'on ne nous fasse niche, Chacun de nous deviendra riche. Et je dirai, comme dit on : Quelquefois le malheur est bon. Pour acquérir de la finance. Pourvu qti'on sauve la potence. Et le fouet et la fleur de lys^ Baste du reste ! Je finis. Après que, pour nos compagnies. Je proteste à ces grands génies
(1) Le titre, le préambule, le boniment, était alors, comme tovjoixrs, d'une grande importance ; de son contexte et de la façon dont il était orié dépendait souvent le succès de la pièce. Aussi, dit V Adieu et le désespoir des autheurs, nous prenions grand souci
De poumoir trowoer de bons titres, Afin de n'itre point biUtres, Et de contenter les humeurs De tant de divers imprifneurs. Qui ne faisaient pas trop de compte De nos cayers
DURANT LÀ FRONDE ttl
Que ce qui viendra de leur part Sera si matin et si tard Crié par nous à voix si forte. De rue en rue, de porte en porte, Qu'ils auront grand contentement lïowr publier hautement La production de leur cervelle.
La paix de Saint^Germain arrêta un instant le commerce des pamphlets ; il faut entendre alors le Désespoir des AiUheurs et eserivains de la guerre civile :
Héku ! puisque la paix est faitSy
Il nous faut sonner la retraite ! ^
Nous ne pouvons plus dans Paris
Faire rouler avec grands cris
Les pièces que notre génie
InvenUUt pour la compagnie
De messieurs les coUeporteurs^
Aussi bien que nous grands menteurs.
Maintenant que voilà la paix. Que nous sommes bien attrapés ! Nous ne savons fUer ni coudre, Ni moins à qiun nous faut résoudre. Alors que la guerre régnait ^ Chacun de nous ne se plaignait : Il faisait toujours bonne chère Et se moquait de la misère , // se levait de grand matin Pour aller goûter du bon vin. Son cœur était plein de liesse Quand il avait fait une pièce Qu'il portait à son imprimeur, iitfsst bien que lui bon grumeur.
U8 LA PRESSE
Il travaiUctit aimi ^*un bairhe Pour la copie de la bafbe, C est-à-dire pour un festin Qui durait depuis le matin Jusque qu'il eût la rouge trogne Semblable à celle ^un ivrogne. Le lucre et la nécessité, Ls plaisir et la volupté. Dans la passée conjoncture^ Nous ont contraints, je vous assure. De forcer nos corps et nos sens Pour faire trois miUe dnq cents Odes, poèmes et libeties. Qui remplissaient nos escarcelles ff argent, que selon nos désirs Nous employions pour nos plaisirs. Las I il nous faut plier bagage, Ce qui nous fait mourir de rage.
Mais la mêlée avait bientôt recommencé de plus belle, à la satisfaction de tous ces pauvres diables, et plus particulièrement des colporteurs : car le métier facile de colporteur était la ressource de ceux qui n'en avaient pas d'autre, et ils étaient nom- breux alors ceux qui se trouvaient dans ce cas.
En ce temps difficile. Personne n'a ni oroià) ni pik. Les riches sont bien empêchés : S'ils ont des biens, ils sont cachés; Les marchands ferment leur boutique ; Les procureurs sont sans pratique; Les pâtissiers, pour le douzain, Au lieu de gâteaux font du pain. Les vendeurs de vieille ferraille.
DURANT LÀ FRONDE «M
Les crieurs d'huitres à l^éeaille, les (apprentis et les plue gumuD Ne sont pas les plus nuUheureuoi, Car, n'ayant aucun eacereice, Uabord^ comme en titre d'offioe, Eux et messieurs les crocketeurs Se sont tous faits colkporteurs; Et sitôt que le jour commence, Crient, sans mettre d^Eminenoe : Voici TÀrrèt de Mazarin, Voici rArrét de Mascarin, La Lettre du cavalier George {Si le nom n'est vrai, Von le forge) ; Puis, Voici le Courrier françois, Arrivé la septième fois ; Voici la France mal régie ; Puis votre Généalogie ; la Lettre au prince de Gondé, Qui vous a si bien secondé ; Après, Maximes autentiques , Tant morales que politiques ; Remonstrances du Parlement, Qui sont faites fart doctement; Item, la Lettre circulaire A qui vous servez de matière; Lettre de consolation A Madame de Chastillon. Bref, tout au long de la journée, Chacun, comme une âme damnée, * S'en va criant par ci par là Et vers, et prose, et cœtera; Il n'importe pas sous quel titre, Car c'est vous seul que Von chapitre , Et sous d'autres noms quelquefois On vous donne dessus les doigts. De dire par quelle espérance
no LA PRE s SB
jy honneur, de gain, ou de vengeance, Les bons et les mmnoais OMteum Donnent matière aux imprimeurs,
m
Cest ce que je ne puis bien dire. Je sais bien qu'on en voit écrire Quelques^ns par ressentiment. Et d'autres par émolument; Ety comme chacun veut repaiire. Le valet qui n'a fdus de mo^lro Ne voit point de plus prompt métier Que de d&>iter le cayer (4).
Ce qui paraît certain, c'est que le métier de col- porteur valait souvent mieux que celui d'écrivain, et l'on ne s'étonnera pas que plus d'un auteur ait quitté la plume pour le panier. On trouvait, du reste, des pamphlets et des journaux dans les bou- tiques, chez les apothicaires ; ils se vendaient dans les théâtres, et même aux portes des églises ; mais le principal commerce \s'en faisait sur le Pont- Neuf, autour de la Samaritaine, qui était devenue « la bibliothèque commune de tout Paris, » dit un pamphlet de 1649 (2). Il y avait en outre une
(4) Lettre à monsieur le Cardinal burlesque (4 mars 4649). Nauidé met cette lettre au-dessas des pièces burlesques dé Scarron. Elle est de Pabbé de LalSéfflas, fils d'Isaac de Laffëmas.
(5) Le Pont-Neuf était couvert de libraires étalagistes , qui eurent souTent maille à partir avec les libraires en boutique. « Il y a ici un plaisant procès, dit Guy Patin dans une lettre du 45 septembre 4650. Le syndic a obtenu un nonvel arrêt, après environ trente autres, par lequel il est défendu à qui que ce soit de vendre ou d'étaler des livres sur le Pont-Neuf. Il Ta fait publier et a ^t quitter la place à environ cinquante libraires qui y étaient, lesquels soUieitent pour y rentrer, et enfin ils ont obtenu un terme de trois mois, afin que durant ce temps- là ils puissent trouver des boutiques. » On trouve dans les Haisarinades une Bequite des marchands librafres du PonP^Neuf prt^sentée à nos êsigmwrs de h Basoche, en vers burlesques, composée à cette occasion.
DURANT LÀ FRONDE «31
multitude de colporteurs dandestins, recrutés par- mi les gens à qui leur état ouvrait la porte des maisoft^. « Les Tiotous/ dit l'auteur du Hasard de la Blanque renversée^ sont devenus gazetiers^ isomme ils sont dispos et légers du pied, ils vont d'un bout à l'autre de Paris en trois ou quatre ca- prioles, et, comme ils sont connus dans les plus grandes maisous, ils donnent des pièces d'état au lieu de sarabandes. »
Quelques indications historiques et bibliographiques.
Voici, d'après M. Leber , quelles sont, parmi ces myriades de pièces, celles qui se recommande* raient plus particidièrement à l'attention de l'histo- rien :
Parmi les pièces historiques et politiques : le Théologien d'EUai, — Adms omoo grands de la terre, — le Courtisan qui déclare ce qui est de V autorité royale, < — la France languissante, — Manuel du bon citoyen, --«- Lettre de deux amis sur la prise de la Bastille, — Discours d* estât et de religion, — Advis à la Reyne sur la conférence de Ruel, — les Maxi- mes, — la Question décidée, — V Epilogue du bon Citoyen, — le Catéchistne royal (excellent), — Adms contre le ministère étranger, -— le Mouchoir, — &i la voix du peuple est la voix de Dieu^ etc.
tKdS LA PRESSE
Le Catéchisme royal est peut-être la meilleufe de toutes les Mazarinades de cette classe.
La plus fameuse est intitulée Remontrances de François Paumier (pseudonyme) au Roy sur le poih- voir et autorité que S. M. a sur le temporel de l' estai ■ecclésiastique. Paris, Ant. Etienne, 1650, in-4^ Cette brochure, qui excita beaucoup de rumeur, fut supprimée si exactement qu'on n'en connaît depuis longtemps que deux exemplaires.
La Mazarinade la plus scélérate est, à notre avis, le Tarif du prix dont on est convenu dans une as- semblée de notables pour récompenser ceux qui
*
délivreront la France de Mazarin. 1 652.
Parmi les pièces licencieuses, cyniques, eflBron- tées, mais fortement frappées : le Ministre flambe,
— la Plainte de Carnaval^ — Dialogue de dame Perrette et de Jeanne la Crotée^ — la Jalousie des c... de la Càur^ — la Custode de la Reyne^ qui dit tout^
— la pure Vérité cachée^ — la Famine^ ou les pth tains à c..^ — Imprécations contre T engin de Mazor rin^ — le Tempérament des test de Mazarin,
— la Bouteille cassée attachée avec une fronde au c. . de Mazarin.
Il y a encore une foiile d'autres pièces spirituelles, comiques, originales, plus ou moins piquantes, qui mériteraient quelque distinction, telles que : la Mazarinade j — V Eloge du gouvernement de Son Eminence, ou laMiliade (qu'il ne faut pas confon-
DURANT LA FRONDE t33
fondre avec la Miliade contre Richelieu, réimprimée dans le même temps), — la Gazette de la place Mau* bert, — la petite Nichon^ — les Paysans de Saint-Ouenj — les deux Guespins, — la Lettre au Cardinal bur^ lesque, — la Question Dasticotée, — la Guerre des tabourets j — les Caquets de V Accouchée, — les 1 •' "et 2* Triolets, etc., etc.
Ce ne sont là, sans doute, que des indications bien sommaires ; pour les lecteurs qui voudraient approfondir ce sujet, nous ne pourrions mieux faire que de les renvoyer au Choix dé Mazarinades publié par M. Moreau, et à son excellente biblio- graphie.
Les pièces imprimées en forme de lettres, de mémoires ou de volumes, n'étaient pas tout l'arse- nal de la Fronde; elle avait encore les placards col> lés sur tous le^ murs , et les illustrations satiriques au moyen de la gravure. Ainsi on accrocha un beau jour aux extrémités du Pont-Neuf des placards et des tableaux peints à l'huile, où l'on avait figuré le cardinal en rochet et en camail, la corde au cou^ a\ec cette légende : JULES MAZARIN, pour avoir empêché par diverses fois la conclusion de la paù» générale ; pour avoir publiqu>ement vendu tous les 6éf- néfices ; pour avoir suborné F esprit de la cour; pour avoir violé les lois du royaume, à été condamné a
ÊTRE ÉTRANGLÉ ET PENDU.
tu LÀ PRESSE
Loret^ hommfi de bon sens, écriyait à ce sujet, le samedi 5 noirembre 1 650 :
Jeudis la nuit, quelques badauds Attachèrent à des poteaux, En assez vilaine posture, Du cardinal la pourtraiture. Cet acte, avec impunité. Témoigne bien, en vérité, Un. règne impuissant et débile. Je ne suis pets assez habile Pour savoir s'ils ont droit ou tort ; Mais je hais l'insolence à mort.
Un certain nombre de ces brochures sont accom- pagnées de gravures, sont illustrées j comme on dit de nos jours. C'était un moyen assuré d'en aug- menter le débit, en piquant davantage la curiosité. * La publication des Mazarinades ayant eu lieu dans un espace de temps assez court, on les im- prima presque toutes sur une. même sorte de pa- pier, plié petit in-4®, et, comme le dit Guy Patin, au moyen d'un titre général imprimé on put déjà de son temps en faire des volumes et en former des collections ; il en existe un grand nombre avec la reliure du temps. Ces collections sont très-nom- breuses dans les bibliothèques publiques. Comme en toutes choses, la Bibliothèque impériale est la plus riche sous ce rapport, celle de l'Arsenal vient ensuite. La bibliothèque du Louvre compte en Ma- zarinades environ 60 volumes, la Mazarine une cin-
DURANT LA FRONDE 139
qiiantaine, et les bibliothèques SainterGenevièye et de la Chambre des Députés en ont chacune un assea riche contingent.
Plusieurs bibliographies de ces pièces fugitives ont été essayées, mais la plus complète est celle qui a été publiée pour la Société de l'histoire de France par M. C. Moreau (1), véritable travail debénédie^ tin, auquel on ne saurait donner trop d'éloges, et qui nous a été fort utile pour cette partie de notre travail, aussi bien que les Courriers de la Fronde publiés par le même dans la Bibliothèque Elzevi- rienne de M. Jannet.
Maintenant, s'il nous était permis d'exprimer notre opinion sur ces milliers d'écrits qu'on a bapti- sés du nom de Mazarinades, nous dirions qu'op n'en a pas fait assez de cas, qu'ils n'ont .pas. été mieux appréciés que la Fronde, dont ils sont l'expression, et qui demanderait assurément a être étudiée avec plus de soin et traitée avec plus de gravité qu'on ne l'a fait. Le cardinal de Retz dit quelque part dans ses Mémoires : « Il y a plus de soixante volumes de pièces composées dans le cours de la guerre civile, et je crois pouvoir dire avec vérité qu'il n'y a pas cent feuillets qui méritent qu'on les lise. » Mais il est permis d'appeler de ce jugement, par trop par- tial, qui a fait dire avec raison au Père Lelong
:0 Paris, 48M et s., S vol. ia-«*.
«3« LÀ PRESSE
qu'apparemment le Cardinal ne faisait cas que des pamphlets publiég par lui-même, et qui, en effet, ne comprennent guère moins de cent feuillets. Sans doute ce n'est qu'avec une extrême réserve que doivent être accueillis les faits mis en avant dans ees écrits, la plupart anonymes et qui portent l'em- preinte de la violence des haines de parti ; le plus souvent les jugements sur les personnes sont in- justes, les relations des faits inexactes et passion- nées. Cependant, nous le dirons avec M. de Sainte* Âulaire, c'est par l'examen attentif de ces pam- phlets plus que par l'étude même des bons ouvrages qu'il est possible de se faire une idée exacte et de l'esprit général du temps, et -de la politique des divers partis. ÏSi ce n'est pas à titre d'his- torien qu'on peut interroger le pamphlet, surtout le pamphlet burlesque, dit M. Moreau, il est fort utile de l'entendre comme témoin. Il est toujours l'écho et bien souvent l'organe d'un parti ou d'un homme. 11 a écrit en présence des événements, sous l'influence du sentiment et des idées qui prévalaient alors, et qu'il a traduits à sa manière, pour le succès des controverses qui passionnaient le public, et dans lesquelles il est entré avec son caractère de dénigrement sceptique et d'impudente bouffonne- rie. Il a été l'instrument de toutes les rivalités, de toutes les jalousies, de toutes les haines; il s'est prêté à toutes les passions comme à tous les inté-
DURAKT LA FRONDE S37
rets. C'est assez dire que son témoignage ne doit pas être reçu sans défiance; mais les divers mou- yements de cette société si agitée, dont il a suivi les variations, s'y reflètent avec une vivacité pleine d'enseignements ; et il y a tout un côté des mœurs publiques qu'il enlumine de couleurs éclatantes, qu'il éclaire d'une chaude lumière. C'est dans ses vers surtout qu'on voit bien la foule qui grouillait sur le PontrNeuf, autour du cheval de bronze ou devant la Samaritaine, dès que le moindre bruit se répandait par la ville, et qui vociférait au Palais et jusque sous les piliers de la grand'salle dans les jours d'émeute. Sa langue même, toute parsemée de proverbes et de locutions proverbiales, d'exprès* siens surannées, de termes populaires, sa langue est un curieux sujet d'étude et de réflexion.
LES JOURNAUX
Jhubk jeu de Renàudot et de ses fils : la Gazette et le Courrier français. — Les Courriers burlesques de Saint-Julien.
Autres essais.
Une chose étonnante, nous l'avons déjà dit, c'est que le privilège de la Gazette n'ait pas été en* glouti par cette marée montante de prose et de vers, c'est que le journalisme ne soit pas sorti de ce grand
238 LA PRESSE
mouvement Panni les formes que pouvait revêtir la littérature polémique, celle du journal, connue déjà depuis près de vingt ans, semblait devoir être une des premières qui se présenteraient à Tesprit des panaphlétairea. Renaudot lui-même en jugeait ainsi, et un instant il parut craindre poiur le mono- pole dont il éta^t en possession ; une circonstance vint augmenter encore les appréhensions dont il n'avait pu se défendre envoyant s'engager la guerre des pamphlets*
Quand la Cour sortit de Paris, le 6 janvier 1 649, Renaudot eut ordre de la suivre à Saint-Germain. Mazarin lui avait donné la direction de l'imprimerie -qu'il faisait «nport^*, et qui fut établie dans un des appartemmts de l'Orangerie (1). Outre la nécessité de faire imprimer les arrêts du Conseil, les lettrée
(4) • Le 4 ma», le roi étant allé visiter son imprimerie, établie dans Fan d» appartements de son Orangerie à St-Germain-en-Laye, et S. M. ayant voula &ire imprimer quelque cho»e, celui à qui Leurs Majestés ont donné la direction de cette imprimerie (Renandot) dicta sur-le-champ quelques vers sur la première confé- rence de Ruel. Voici les derniers, les seuls que Fauteur publie, les premiers ayant été enlevés par les courtisans :
facapU cet augwê en fa/oewr de f histoire Qu'à l'instant que Paris se met à la raison. Mon prince, visitant sa royale maison, ' Va fournir de sujet a/ux outils de sa gloire, Embrassez-vouSf Français t Espagnols, à genoux. Pour recevoir la loi, car la poix est chez nous ! »
(Le Siège jnia devant le Poutean de mer («te)...
StrGermaiD, 4M9.)
Le roi, cela va sans dire, récompensa magnifiquement les ouvriers.
On attribua à Renaudot toutes les pièces sorties de llmprimerie de StOuiuais; mais M. Morean n'en sait que huit dont la paternité lui appartienne certaioe- ment. Dans la collectiou des lettres de Letellier-Lonvois (ms. de la Bibliothë<iQe
DURANT LÀ FRONDE 23»
et les déclarations du roi, pour lea répandre et left faire connaître, le Cardinal avait l'intention d'ac-» cepter la lutte avec la Fronde sur le terrain de la publicité, d'opposer aux pamphlétaires ses écri- ▼ains, d'avoir, comme le Parlement et les géné- rain,, ses pièces de pol^ique ef ses feuille^ va* lantes. Pour cela, le fondateur de la Gazette était bien l'homme qu'il lui fallait : rompu aux habitudes de la controverse, il connaissait à foncl toutes les petites finesses, toutes les ruses du métier qu'il avait exercé le premier.
Si Renaudot convenait à la fonction , la fonction aussi convenait fort à Renaudot : elle devait néces-* sairement l'affermir dans là faveur de la reine, du Cardinal, de la Cour, et l'aider par conséqu^it à conserva, malgré l'instabilité des choses à cette époque, le privilège de la Gazette. 11 n'eut donc garde de refuser. Mais quitter Paris, c'était laisser le champ libre à la concurrence ; le Parlement pou* vait autoriser la publication d'un journal, breveter quelque écrivain qui consacrerait son savoir-faire à le défendre. La guerre finie, qui l'emporterait, du gazetier du Palais-Royal ou de celui du Palais de justice? Mazarin pouvait rester le maître, sans doute; mais il pouvait être sacrifié ; ou bien encore
^o^pér., vol. 88.) se trouTe noe adresse au peuple pour l'engager à ne pas s» montrer hostile à la cour. A ce projet est joint un ordre du roi pctrtaat que Re* oaudot publiera cette pièce sans nom d'imprimeur, et la répandra sana nommer Twiaar.
240 LA PRESSE
la paix pouvait se faire par un compromis. Dans cette hypothèse, la Gazette serait-elle assez favorisée pour conserver son monopole? Le cas était douteux. En politique habile, Renaudot marcha résolument contre la difficulté. Il avait deux fils, attachés avec lui à la rédaction de la Gazette : if les laissa à Paris avec le plan d'un nouveau journal, et, pendant qu'il écrivait la Gazette à Saint*Germain pour la Cour, ses enfants écrivirent, à Paris, le Courrier français j journal du Parlement (1). Qui sait même si Mazarin ne fut pas pour quelque chose dans ces calculs? Il était assez fin pour cela. On pouvait présumer que le Parlement, qui gouvernait à Paris, voudrait avoir, comme la Cour, sa gazette à lui : n^étaitril pas d^une hahile politique, de la part du Cardinal, de la lui faire faire par des hommes à sa dévotion ?
Quoiqu'il en soit, la combinaison réussit au delà des espérances de Renaudot. La Gazette avait créé dans lès habitudes des Parisiens un besoin de cu- riosité que les événements ne pouvaient que rendre de plus en plus vif. « Depuis les grands jusques
•
(1^ Un fidt à noter, c'est que les numéros de la Gazette imprimés à St-€ennaio pendant le a^nr qu'y fit la eoor cootùraent à porter la souscription : « A Paris, du Bureau d'adresse, ani Galleries du Louvre, devant la rue Saintp-Thomas. * Le numéro du 9 janYier,4e premier qui fut imprimé à St-Germain, confiait cette mlniqae?
mDe SaûU-Gennmn^m'Layê, I0 ^jamnêr 1649. Leurs Ifaijestéa et Umte la cour arrivèrent tct, le 6 de ce mois, sur les 9 henres du matin. »
Voilà tout; rien des motifs de ce vojage nocturne, pas un mot dea troHb|e8«
DURANT LÀ FRONDE 244
aux petits, dit une Mazarinade que nous donnerons tout à l'heure, on ne parle d'affaires que par la Gazette. Les aisés les achètent et en font des re* cueils ; d'autres se contentent de les lire en payant des droits pour cette lecture, ou se cotisent entre eux pour l'avoir à moindres frais. > Aussi, dès les premiers jours du blocus, « les Parisiens^ renfermés dans leurs murs, souffraient moins de la disette de pain que du manque de gazettes... 11 semble que tout soit mort depuis que la Gazette n'existe plus; l'on vit comme des bêtes, sans savoir ce qui se passe. »
Le Courrier français ne pouvait donc arriver plus à propos ; aussi son succès fuMl très-grand ; « le pain ne se vendait pas mieux ; l'on y courait comme au feu, l'on s'assommait pour en avoir; les colporteurs donnaient des arrhes la veille, afin qu'ils en eussent des premiers; on n'entendait, le vendredi, crier autre chose que le Courrier fran* çaisy et cela rompait le cou à toutes les autres pro- ductions de l'esprit. » Il est vrai que ses rédacteurs étaient des gens habiles, les dignes fils de leur père; et leur habileté leur était d'autant plus néces- saire, il leur était d'autant plus utile d'être < ins- truits de toutes les manigances qu'il fallait prati- quer, » qu'ils n'étaient pas des mieux renseignés, si l'on en croit Naudé. c Le Courrier de nouvelle in- vention, dit-il, qui se clabaude tous les matins, de
ut LA PRESSE
fort bonne heure, est assez mal informé de tout ce qui se passe à Paris, et, pour le dehors, si la Ga- zette de St-6ermain ne suppléait tellement quelle- ment à ses oubliances, nous ne saurions rien du tout. . . Et puis voilà de belles nouvelles que celles dont il nous fait part ! Elles sont le plus souvent si vieilles et si rebattues que déjà les enfants en vont à la moutarde. »
Malgré tout, la vogue du Courrier^ qui se vendait un sou, fut, nous l'avons dit, rapide et grande^ et, comme cela devait être, elle éveilla l'envie et excita les appétits. Des libraires le contrefirent; d'autres usurpèrent son titre. Quelques auteurs l'imitèrent; un, mieux avisé, nommé Saint-Julien, eut l'idée de le traduire fidèlement en vers burlesques. Cette traduction n'était, en quelque sorte, qu'une para- phrase; mais son mérite dépassait dé beaucoup celui de l'original. Le vers, lestement et facilement fait, ne manque ni de gaieté ni d'esprit; les traits y sont parfois assez plaisants. Mais ce qui irsi^ppe surtout, c'est la rapidité avec laquelle son auteur improvisait ce journal, dont chaque numéro compte six à huit cents vers. Le Courrier français était vendu le vendredi, et le surlendemain dimanche Saint-Julien en donnait la copie rimée.
Citons un passage pris au hasard :
Cependant que la ville ordonne Aux chefs et maitres des maisons.
DURANT LA FRONDE 213
Nonobstant toutes leurs raisons.
De venir eua>-mémes en garde,
Portant mousquet ou liaîlebardej
Et d'être chez leurs officiers
Aux mandements fMrticuliers,
De suivre à beau pied^ non sans lance (4),
Leur capitaine^ et, s*il les tance,
Endurer la correction.
Et souffrir jusqu'au morion (%) ;
De venir, quand on les appelle,
En faction ou sentinelle,
Selon que veut le caporal, .
Qui bien souvent est un brutal.
Toujours ignorant, parfois ivre;
Mais, bien qu'il ne sache pas vivre,
Fit-il, en commandant, un rot,
n faut suivre sans dire mot.
Et là prendre mainte roupie,
Si le caporal vous oublie,
S't7 cause, s'il dort ou s'il boit.
Sans oser sortir de ^endroit
Où pour sentinelle il vous pose,
Tant qu'il boit, qu'il dort ou qu'il cause (3).
(4) AUêT à beau pied sans kmce, aller à pied, se disait particulièrement de celui qui ét^X ruiné, qui n'avait plus le moyen de faire le fan&ron.
(5) Cbfttiment infligé aux soldats dans les corps de garde pour une faute légère. C'étwent quelques coups donnés sur les fesses avec la crosse du mousquet ou la hampe de la hallebarde.
(S) Ordonnance de messieurs les prévôt des marchands et échevins de la ville de Paris portant règlement général pour la garde ordinaire des portes de ladite Tille et faubourgs de Paris, et autres expéditions qui seront commandées pour le service du roi et la conservation de ladite ville. Du quatorzième février 1649.
On lit sur le même sujet dans le Journal politique de la guerre parisienne :
Un drôle à qui l'on dit : « Ami, tenes-voue prêt. Ayez les a/rmes en main pour faire sentinelle; » Bépondit fièrement :• Tu me la baiUes belle l Commande à tes veUets ; sais-tu bien qui je suis ? » Lors son sergent lui dit : « Un icureur de puits. •
Citons encore, pour Védiflcation de nos soldats citoyens, quelques articles d'un
tu LA PRESSE
La traduction, cela va sans dire, était, comme Tofiginal, parlementaire et antimazarinique, et tout porte à croire qu'elle en partagea le succès, car tout aussi exacte, elle est beaucoup plus gaie et plus amusaiite.
En 1650, quand la vieille Fronde s'allia au car- dinal Mazarin, en haine de la jeune Fronde ou de la Fronde des princes, que le prince de Condé eut été enfernié dans le château du Havre, Saint-Julien, qui s'était rangé, à la suite de son protecteur, le marquis d'Alluye, au parti du duc de Beaufort, revit son Courrier j le corrigea, l'accommoda aux opinions nouvelles, aux intérêts nouveaux du parti, et en donna une seconde édition, sous le titre de: Le Courrier burlesque de la guerre de Paris j envoyé à Monseigneur le prince de Condé ^ pour divertir Son Altesse durant sa prison j ensemble tout ce qui se passa jusqu'au retour de Leurs Majestés. Ce n'est plus au
règlement qu'il faut joindre à l'ordonnance ci-dessus ; il a pour titre : Règht gêné- nUeê et statuts militaires qui doivent être observés par les bourgeois de Paris et autres villes de France en la garde des portes desdites villes et faubourgs (1649).
Art. 7. Tout bourgeois ou soldat doit révérer le corps de garde et le tenir conune un lieu saint, où il ne se doit point proférer de paroles dissolues ni pro- fones ; au contraire, se tenir dans la Àscrétion, conune en la chambre et en pré« sence du roi.
Art. 8. Quiconque donne un démenti à son camarade dans le corps de garde? lui donne un soufflet, ou jure ou blasphème le saint nom de Dieu, doit recevoir de son dit camarade un autre soufflet devant le capitaine (si autrement raccord ne se peut faire entre eux); et pour les blasphèmes, il doit être condamné à une amende telle que de raison.
Art. 9. Tout bourgeois ou soldat qui se trouvera indiscret josqu'an point de roter, péter ou pisser dans le corps de garde, qui s'y déchaussera sans le congé de son caporal, doit payer l'amende, quoiqu'il n'ait déchaussé qu'un de ses souliers.
DURANT LA FRONDB ti5
premier ministre qu'il s'attaque alors, il n'a pour lui que des caresses et des flatteries ; c'est contre le prince de Gondé que sont dirigées ses imprécations et ses railleries. Le nouveau Courrier fut soigneuse- ment expurgé de toutes les petites injures qu'il con- tenait précédemment contre Mazarin ; les vers favorables à la cause du Parlement furent effacés ou retournés; enfin cette nouvelle édition s'en- richit de nombreuses variantes dans le genre de celles-ci:
COURBIEH FIIANÇ4».
Et que, vu que le CardincU Est seul auteur de tout le mal Et de la misère présente, Dont on a preuve suffisante...
GOURRISa BURLESQUE.
Et parce que le Cardinal Leur semblait Vauteur de ce mai, Qui depuis^ par son ministère j Lmr a bien prouvé le contraire.
Autre variante ; il s'agit de la milice bourgeoise.
GOURRIEB FHANÇAIS.
Ls samedi, neuf dudit mois, Sertit force vaillants bourgeois Pour faciliter les passages Aux hommes des prochains villages. Qui, trouvant libre le chemin. Fournirent les marchés de pain. Qu'on reçut avec allégresse.
«16 LÀ PRESSE
GOUaRIER BURLBSQRE.
l£ $amedi neuf fut choisie De la plus leste bourgeoisie Que Von pensait faire sortir; Mais eUe n'y put consentir. Neantmoins c'était la plus leste : Jugez donc par eUe du reste l Et dès ce jour on connut bien Que la meilleure n'en vaut rien.
La palinodie était complète ; mais c'était chose trop commune alors pour qu'on en fit un grief à l'auteur; bien mieux, le Courrier^ dans sa forme nouvelle, eut une fortune que n'a surpassée celle d'aucun pamphlet de la même époque : les libraires les plus renommés s'associèrent pour l'exploiter, et il en parut deux éditions à la fois, l'une in-4^, et l'autre in-1 2.
Encouragé par l'accueil qu'il avait reçu du pu- blic, Saint-Julien entreprit, vers la fin de 1650, de raconter en vers burlesques les luttes de la Cour et dti Parl^Metit {«èndatit l'année 1648. C'aait, en effet, une introduction presque nécessaire à son Courrier. 11 composa donc le Courrier burlesque en- voyé à Monseigneur le Prince de Condé, pour divertir Son Altesse pendant sa prison, lui racçontant tout ce qui se passa à Paris en 1 648 au sujet de l'arrêt d'u- nion. Le fond en est emprunté à Y Histoire du temps, qu'il abrège, mais qu'il suit presque toujours, qu'il
DURANT LA FRONDE %il
traduit même quelquefois, comme il a traduit le journal des fils de Renaudot. Toutefois Saint- Julien n'a garde d'être frondeur entêté et violent à l'égal de Du Portail. Les circonstances sont changées, et on sait déjà qu'il change volontiers avec les circons- tances. Il n'est, non plus, ni mazarin autant que dans le Courrier burlesque de la guerre de Paris, ni parlementaire avec la même soumission que dans le Courrier français. La vieille Fronde est en train de se rapprocher du parti des princes ; elle n'a pas rompu tout à fait avec le cardinal Mazarin, mais elle travailie secrètement contre lui, elle intrigue dans le parlement et à la cour. Saint-Julien profite de cette attitude incertaine de ses maîtres pour jeter le ridicule sur les hommes et sur les événements de 1648 avec ime liberté qui est presque de l'impartia- Jité. Il se moque du duc d'Orléans et du vieux Broussel, de Gondi et de Mazarin, des orateurs du Palais et des héros de la rue. Jamais peut-être il n'a montré plus d'esprit et déployé plus de verve ; jamais son vers, plus souple et plus facile, n'a été néanmoins d'un meilleur burlesque. C'est sans con- tredit une des plus plaisantes pièces de la Fronde. Citons un ou deux traits, les premiers que nous rencontrons. Le Parlement s'est prononcé pour rUnion :
L'an que Vautorité du roi
Se trouva courte dam les halles.
U9 LÀ PRESSE
Et que quelques trois milles colles (4)
Pcn'lèrent du gouvernement
Selon leur petit jugement ;
Van que^ parmi nos brouiUeries,
L'unique pont des Tuileries
Fut le pont fidèle et loyctl
Qui tint pour le PcUais-Boycd,
L'union, bien eaxuninée,
Le treize mai de cette année
Fut résolue au parlement.
Cet arrêt mit en grand émoi Tout le privé conseil du roi.
Le GhaDcelier vit quelques-uns des membres les plus influents.
Et tâcha de les délier;
Mais il n'y fit que de l'eau claire.
On en voulait au ministércj
Et, comme ils lui dirent tout plat :
Il fallait réformer VEtat.
C'était là toute Fenclouure,
On voyait des gens de roture,
Des partisans plus gras qfte lard,
Se coucher tôt, se lever tard,
Jusques au col dans les délices.
Par-dessus les yeux dans les vices,
Et dessus la tête dans Vor,
Tandis que languissent encor
Tant de maisons, qui, vertueuses,
N'ont pas de pain pour leurs dents creuses.
(1) Espèce de coiffure de femme, et, par extension, les femmes qni porteot cette coiffure.
DURANT LA FRONDE 249
Lu Mne, n'ayant plus de digues Pour opposer à ce torrent, Devint plus sèche qu'un hareng, De soins et de mélancolie^ Et détesta cent fois sa vie. Son conseil manda Du Tilkt, Qui met tous les arrêts au net. Du Tillet vient. Chacun racoueiUe ; On lui demande cette feuille; Et, comme il se voit tourmenter^ Il dit : Dieu vous veuille assister ! Varrét n*est pas en ma puissance. L'on reconnaît son innocence^ Et ïon dit qu'avec Du Tillet fiuénégaud et Carnavalet Iront dans le greffe le prendre.
Mais Tarrêt avait disparu, et un jeune commis auquel ils s'adressèrent, avec quelque rudesse, « les envoya faire... »
Dont les suppliants indignés Lui voulant donner sur le nez, Il se fit un si grand vacarme Que, sans un pauvre père carme Qui mit à propos le holà, Carnavalet demeurait là. Et certes il Véchappa beUe, Car, jusqu'à la Sainte-Chapelle, Qui le reçut plus mort que vif, On ne voyait qu'aune et canif. Pour Guénégaud, son camarade. Ayant reçu quelque gourmade, n chanta Vhymne In exitu. Qu'il fait bon n'être pas fétu
HbO LA PUB S SB
Et n'avoir pas tant ée courage, ■ Puisque, s*il n'eût plié bagage. Il ne vivrait plus à gogo, Ce bon monsieur de Guinégaud.
Is lendemain, Messieurs reçurent
L'ordre, en une lettre qu'ils lurent,
De venir au Patais-Boyal,
Et d'apporter ^original
De leur arrêt rendu la veille;
Mais la Cour fit la sourde oreiUe.
On met cependant en délibération la question de savoir si la Cour doit se rendre auprès de la reine, — sans Tarrèt, bien entendu. Les plus ardents opinent contre. Vous savez bien, dit l'un,
Vous savez bien, mes camarades. Les affronts et les rebuffades Qu'on nous a faites dans ce lieu.
Qu'aller faire au Palais-Royal ? Disons que nous nous trouvons mal. Nonobstant cette remontrance, Qui tirait sur l'impertinence, La Cour fut d'avis de partir; Et de fait on la vit sortir. Sur les neuf heures et demie. Dans une grande modestie, Plus droite que n'est un chenet. Avec sa robe et son bonnet. Il faisait beau voir en bataille Nos sénateurs de toute taille , Grands et petits, en souliers neufs^ Qui marchaient comme sur des osufs.
DURANT LA FRONDE t54
Lu enfarUê, devant et derrière, Couraient comme après la bannière Us courent aux processions Dans le temps des Rogations, Tout le bourgeois, à la fenêtre. Curieux de les voir paraître. Faute de baume ou dejasmin^ Jette aussitôt par le chemin Des épluchures de salade. Le Savoyard (i), au lieu d*aubade, Dès qu'il les eut vus, entonna Dessus le Pont-Neuf Hosanna t A quoi quelque marionnette Répondit d^une voix aigrette. Et Carmeline (2) s^offrit bien De leur tirer les dents pour rien. Si quelqu'une leur faisait peine. Madame la Samaritaine Les pria de boire en passant. Partout Je peuple, en avançant, Les bénissait dessus leur voie. Une femme en pissa de joie. Bref, jusques au Palais-Royal Us eurent un accueil égal. Mais, hélas ! ils pouvaient bien dire Ce qu'on dit quand on a fait cuire Son pain blanc avant son pain bis.
La première chose qu'on leur demanda, en effet, ce fut : « Avez- vous votre arrêt en poche ? » et sur leur réponse négative, ils furent, on le sait, fort
(i) Àyeugle qui se tenait sur le Pont-Nèuf et chantait les chansons en Togue. Son nom était Philippot.
(%) Célèbre arracheur de dents, dont l'enseigne, entourée d'une guirlande de dentSi portait cette deyise virgilienne :
Uno aioulêo, non déficit <iUer.
5K51i LÀ PRESSE
mal reçus. Mais ils ne firent qu'en persister avec plus de fermeté dans leur opposition.
Les ministres, épouvantés De voir nos Messieurs aheurtés A rhabiller de neuf la France j Ont recours à la violence.
*
On décide l'enlèvement du conseiller Broussel, et
On prend le jour du Te Deum (4) Pour ravir ce paUadium,,. Et, sous prétexte du cantique Qu'on voulait rendre magnifique^ Selon la grandeur du succès,.. Le conseil fit une malice : Il mande toute la milice ' Qui pouvait être dans Paris,
et la dispose de manière à être maître de tous les ponts et des abords de Notre-Dame.
Cependant partout on publie Que c'est pour la cérémonie Que se fait ce grand appareil.
D'un autre côté tout a été préparé pour le coup de main dirigé contre « ce bon grisou de Brousselle, le Beaufort de ce temp&-là. »
Une heure était déjà sonnée : Chacun songeait à la dinée. Et chacun^ pour voir à son pot,
(i ) Pour la bataille de Leos.
DURANT LA FRONDE S$3
Allait moins le pas que k h'ot. Déjà le bonhomme Brousselle Avait fait dresser son écueUe; La seule peur de se brûler L'empêchait lors de travailler. Il soufflait déjà sur sa soupe^ Quand void venir une troupe De gens bien faits dans sa maison. Lui qui vit, sans comparaisony Plus sobrement qu'aucun ermite. Et don$ la petite marmite Ne contient rien de superflus, ■ Vofgant tom ces nouveaux venuSy Dit à sa servante : « Marie,, Courez à la rôtisserie, » Et, sitôt qu'il peut se lever : « Messieurs, vous plait'-il de laver ? VotiS ferez très^mauvaise chère ; Excusez, la viande est bien chère. — Piarot, faites venir du pain. — Thoinon, allez tirer du vin, Dit-il à Voreille à l'ainée. Fille très-bien disciplinée.
— Papa, dit-elle, il est au bas.
— Ma filUf n'y allez donc pas. » Sur ce dialogue, un maroufle Saisit ce bonhomme en pantouffle, Et, sans qu'on lui donne le temps De prendre ni manteau, ni gants, Ni de baiser ses pauvres filles.
En leur disant : ce Soyez gentilles t »
Suivi de sa seule vertu
Et drelle seuk revêtu,
On le jette au fond d'un carrosse.
HKSi LÀ PRESSE
la nouvelle tfépamd partout. Paris st émeut de hewt en boiU, Paris, cette bête fèrooe, Paris, cet horrible colosse. Qui, tfil allait faire un faux pas, Entrainerait la France à bas. Les gardes qu'on avait postées Sur le Pont'Neuf sont tapotées. Et dessm tous les autres ponts On frotte les eolins^tampons. Aux environs de Notre-Dame, te bourgeois aiguise sa lame, Que pour tirer de son fourreau Le bonhomme s*est mis en eau. Lame dont la garde à la Suisse Lui meurtrira bientôt la cuisse En dandinant à son côté Dans un baudrier mal porté.
Cette trilogie de SaintJulien, qui nous a semblé mériter à plus d'un titre d'être signalée, embrasse les temps écoulés du 1 3 mai au 24 octobre 1 648, et du 6 janvier au 1 ®' avril 1 649 ; elle a été réunie par M. Moreau, sous le titre de : Les Courriers de la Fronde en vers burlesques (1), et annotée avec l'a- bondance et le savoir que l'on pouvait attendre de l'auteur de la Bibliographie des Mazarinades.
*
La fortune de ces Courriers devait nécessaire- ment appeler des concurrents; aussi les deux Frondes virent elles successivement apparaître une
(1) Deux yolumes de la bibliothè<iue Elzeririenne.
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foule d'imitations datns l'une ou l'autre des deux formes que le succès avait également consacrées. Les journaux, ou plutôt des semblants de jour- naux, s'improvisaient au jour le jour, les uns pour la Cour, le prince de Condé ou le Parlement, les autres pour le Coa(^uteur ou pour le duc de Beau- fort, chacun s'efforçant de justifier la conduite, de prôner les actes du chef de parti auquel il s'inféo- dait. Quelques autres, que leurs intérêts ne ratta- chaient à aucune de ces coteries, se mettaient de la partie uniquement pour augmenter le tapage. Nous citerons, pour l'acquit de notre conscience, quel- ques unes de ces feuilles mort-nées.
Le CoutHet de la CaUr., portant les nouvelles de St-6ermain, derpuis le 15 mars 1649 jusques au 22, —depuis le 22 jusqu'au 29 (2 n*'). Ce n'est qu'une pâle copie du Courrier français y dont il ne fait que répéter les nouvelles. Nous citerons seule- ment le préambule : « Messieurs, puisque tout le monde se mêle de vous donner des nouvelles, j'ai
cru que vous ne trouveriez pas mauvais que je vous
•
fisse part de celles que j'ai apprises depuis huit jours. Mais n'attendez de moi ni de grandes pré- faces, ni des paroles étudiées, et moins encore des louanges ou des invectives affectées. Je laisse ces petits soins à ceux qui veulent remplir leurs feuilles à quelque 'prix que ce soit, ou qui établissent leur gloire sur des papiers volants. »
S56 LÀ PRESSE
Pour que la ressemblance fût complète, le Cour- lier de la Cour eut une traduction, du, si Ton Tcut, une parodie en vers burlesques^ qui ne compta non plus que deux numéros , assez cependant pour exci- ter la bile de Saint-Julien :
Qwn que nous veuilk faire entendre Un iot Courrier qu'on devriût pendre Et qui prend le nom de la Cour, Imposteur, homme sans amour. Sinon pour le parti contraire. Qui devrait bien plutôt se taire Que de mentir si puamment.
Mais Saint-Julien se reproche bien vite à lui- même cette boutade contre ce « Courrier dépêché sans besoin, à la monture boiteuse, » qu'il accuse « d'avoir pris son nez pour ses fesses. »
Lecteur y si je Vai pris à tâche.
Ne pense pas que je me fâche ;
Je ne veua rien que t^avertir
Que je ne puis owgr mentir,
Ni même lire de Gazettes,
Pour être pleines de sornettes.
Lecteur, pour une bonw fois,
Ne crois que le Courrier frauçois.
Les autres, abus, hagatdles !
Mais, pour le mien, bonnes noumlles !
L'Histoire journalière de ce qui s'est passé tant dedans que dehors le royaume (5 septembre— H octobre 1 649 ; 3 numéros) ^st, comme le Cour^
DURANT LÀ FRONDB «57
rier français j une sorte de doublure de la Gazette. Son auteur était Charles Robinet de Saint-Jean, qui avait commencé sa carrière sous la direction de Reoaudot, et dont le Mercure annonçait la mort, en mai 1698, en ces termes : « Charles Robinet de St-Jean mourut le 25 avril 1698, âgé de plus de 90 ans ; il avait travaillé pendant plus de 60 ans à la composition de la Gazette de Paris. » Nous ne croyons pas qu'il y ait un autre exemple d'un aussi long exercice du métier. Robinet, conseiller his- toriographe du roi, n'avait été toute sa vie qu'un gazetier, et un gazetier sans génie. Outre VHistoire journalière^ faite à l'imitation de la Gazette de Ré- naudot, il a publié les Lettres en vers à Madame^ à rimitation de la Muse historique de Loret et de la Gazette burlesqus de Scarron, et Momus et le Nouvel- liste^ à l'image du Mercure galant.
Le Journal poétique de la guerre parisienne ^ par Mathurin Questier, dédié aux amis du roi, des lois et de la patrie, est, malgré ses bonnes intentions, un très-pauvre journal, que Naudé met au nombre des pièces dont les auteurs s'étaient obligés à faire rouler là presse moyennant une pistole par se^ maine, pauvres diables que Alfieri qualifie d'écri- vains à impulso artificiale; il parut cependant pen- dant douze semaines. Nous en avons cité tout à Theure quelques vers qui peuvent donner une idée
f$S LÀ PRESSE
de la composition de la milice bourgeoise de la Fronde, et du. respect qu'elle portait à la discipline militaire.
Le Babillard du temps ^ en vers burlesques; six numéros, sans valeur.
hà, Gazette des Halles y touchant les affaires du temps, continuée par la Gazette de la place Maubert, en tout trois numéros, n'a d'un journal que le titre. A l'exception de quelques faits sans importance, elle ne contient que des louanges en l'honneur du duc de Beaufort, et des injures à l'adresse du Car- dinal et du prince de Condé ; le tout écrit dans un style qui surpasse en trivialité obscène et nauséa- bonde cette littérature des halles que plus tard de- vait illustrer Vadé.
Vous qui faites de vos cerveUes Un répertoire de nouvelles Et qui repaissez vos esprits Des bruits qui courent dans Paris, N'allez plus chercher les Gazettes : On vous apprendra jusqu'au bout Les nouvelles les plus secrètes.
C'est ainsi que s'annonce le Burlesque On de ce tempsy qui sait, qui fait et qui dit tout, petit journal rempli de verve et d'esprit, qui eut beaucoup de succès et alla jusqu'à huit numéros.
On y lit à propos d'un Règlement de Monseigneur F illustrissime et reverendissime archevêque de Puais
DURANT LA FRONDE J59
touchant ce qui se doit pratiquer durant ce saint temps de carême (du 1 8 février) :
On a fermé les boucheries Deux jours devant Pâques fleuries. Maint boucher en est endévé; Mais Paris se fût soulevé Si Von n*eût fait cette ordonnance, Et la halle était en balance D'équiper quantité de bras Contre tous les mangeurs de gras.
Voici en quels termes Saint-Julien parle de ce Règlement dans son Courrier français :
Ce jour, V archevêque régla. Et pcMT son réglefnent sangla Messieurs de j&ûne et de carême Qui s'en venaient à face blême, Victorieux du carnaval. Pour seconder le cardinal Et nous ôter la bonne chère. Mais la farine était trop chère; Ce qui fit que notre pasteur, Usant envers nous de douceur, Par une forme d^indulgence Et sans tirer à conséquence Nous accorda de manger ceuf, Poulet, mouton, goret et bœuf, Fromage^ veau, perdrix, éclanche. Jeudis lundi, mardi, dimanche, En réservant les mercredis, Les vendredis et samedis. Et hute la sainte semaine. Temps qu'il laisse sous le domaine
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Vun carême très^goureux Qui sera k reste aux Chartreux.
Et dans le Courrier burlesque de la guerre de PariSj il ajoute, en modifiant ie dernier vers :
Qtit fut tout le reste aux Chartreux Ou qui du moins^ y devait être ; Mais il se vint camper, le traître. Chez quelques pauvres habitants. Qui, disent-ils, devant ce temps Jamais si hng ne le trouvèrent. Et dès les Rois le commencèrent; Si bien qu*en mangeant son harant. Par un effet bien différent, Pour jours gras le gneuœ fit carême ; Le riche rien fit pas de même, Car, ayant toujours force plats, Son carême il fit les jours gras.
Le Courrier du Temps, malgré son nom et les nouvelles qu'il reçoit des principales villes de l'Eu- rope, n'est point un journal ; c'est un simple libelle, mais un des meilleurs de la Fronde, et des plus ar- dents contre Mazarin. « On n'a rien imprimé de meilleur ici, depuis quatre mois, dit Guy Patin, que le Courrier du Temps : ce sont huit cahiers anti- mazariniques, qui sont fort bons. » Son auteur, le conseiller Fouquet de Croissy, suppose des lettres à lui adressées de pays et d'autres, et toutes ces correspondances imaginaires médisent à l'envi du Cardinal. Ainsi :
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« D'Amsterdam^ ce 1 *' septembre 1 649. — 11 est arrivé ici cette semaine plusieurs vaisseaux des Indes. Entre les autres richesses dont le bon voilier était chaîné, il a apporté une douzaine de singes, les plus beaux et les plus rares qu'on ait encore vus dans ces quartiers. Le cardinal Mazarin les a fait venir pour les mettre en sa garde-robe et ses anti- chambres^ afin de divertir ceux qui lui font la cour, et juger, par la civilité et les bons traitements qu'ils feront à ces animaux favoris de Son Eminence, de l'affection qu'ils ont pour son service. »
Lb' Courrier bourdelais^ commencé avec la pre- mière guerre de Bordeaux, celle de 1 649, reparut pendant la 2® et la 3« (1 1 n*'). L'auteur se plaint de « quelques singes qui se sont efforcés de le contre- faire pendant l'interruption de ses courses. » 11 eut, en effet, un concurrent qui prit le titre de Courrier de la Guyenne 9 et même, à côté de ces deux cour^ riers frondeurs, s'était établi un Courrier de Bor-^ deauxj qui était royaliste. Les rivaux ne vivaient pas en parfaite intelligence ; on apprend par leurs querelles que le Courrier bordelais^ comme le Cour- rier polonais y le Courrier de Pontoise, et tutti quanti^ se composait à Paris, par un écrivain des Galeries, c'estrà*dire par un écrivain qui ramas- sait ses nouvelles dans les galeries du Palais, un des grands centres, comme nous l'avons vu, des
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nouvelliâtes et gazetiers. « D'où pensez-vous, dit le Politique burlesque^ dédié à Amaranthe (1649),
ffoù pensez-vous que les Courriers, Qui se vendent par milliers,
Viennent ?
Cest ici (au Palais] que dessus nos bancs On fait les Courriers allemands, Ceux qu'on appelle polonais Et tous les Courriers français.
Nommons encore le Journal contenant les nou- velles de ce qui se passe de jAus remarquable dam k royaume j qui parut toutes les semaines depuis le 23 août jusqu'au 25 octobre 1652, et qui donne sur la guerre civile de cette année des détails inté- ressants ; — et le Mercure de la Cour, pamphlet plutôt que journal, mais spirituel, hardi jusqu'à l'insolence, et rempli d'anecdotes.
Nous ne pousserons pas plus loin la nomenclature de ces journaux, qui, pour la plupart, n'avaient pas de lendemain. Disons, d'ailleurs, que cette dé- nomination de journal, ou autres équivalentes, qui s'appliquent à de nombreuses pièces écrites pendant la Fronde, indiquent plutôt des relations partielles d'événements isolés que des feuilles à périodicité régulière embrassant les faits généraux.
Et puis, il faut bien le reconnaître, malgré le succès de certaines gazettes, de toutes les formel^
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que prit alors le pamphlet, celle-ci fut traitée avec le moins de talent. En général nulle idée ne domine ces sortes d'écrits, aucun plan ne les guide; ce sont des relations dont la forme le plus souvent ne vaut pas mieux que le fond. Le journal, qui vient d'être créé, n'est pas encore né à la vie politique; ce n'est encore qu'une simple chronique , qui s'adresse moins à la passion du public qu'à sa curiosité, et les chances de succès sont à celui qui intéresse ou amuse le plus ses lecteurs. C'est ce qui explique la faveur réservée aux gazettes burlesqued. Nous avons dit le succès des Courriers de Saint-Julien et du Burlesque On; nous verrons bientôt la vogue plus grande encore de la Muse historique de Loret^ qui survécut à toutes les productions de ce genre que la Fronde avait vues naître, et qui, en quelque sorte, fit école.
Aussi, quandaprès la guerre, la Gazette, revenue à Paris, réclama sa place et voulut rentrer dans ses droits, elle ne trouva devant elle que des cadavres ou des fantômes. Seul, le Courrier français y pour sauver les apparences et dérouter les soupçons qu'avaient pu faire naître les liens qui unissaient les rédacteurs des deux feuilles, fit un semblant de résistance, dont Renaudot eut facilement raison. La Gazette fut rétablie par arrêt de justice dans son privilège ; les fils de Renaudot y reprirent leur collaboration, et Mazarin eut si peu de ressentiment
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de l'opposition qu'ils lui ayaient faite dans le Cour- rier qu'à son retour de Saint-Germain, il donna à l'un et à l'autre des marques signalées de sa fayeur.
Le Courrier français eut 1 2 numéros, et parut du 5 janvier jusqu'au 7 avril. 1649, c'est-à-dire qu'il vécut tant que dura la guerre.
Cette comédie si habilement jouée par'Renaudot donna lieu à une pièce très-curieuse, qui figure parmi les Mazarinades, et que nous croyons devoir reproduire :
LE OOVMBRGE DBS NOUVELLES RESTABLT, OU LE GOURRIEB ARRESTÉ PAR LA GAZETTE. A PARIS, V DG.XLIX
La babillarde Renommée, qui court la prétentaine par toute la terre , qui fourre son nez dans toutes les a£Eaires du monde , et qui nous corne incessamment aux aureilles ce qu'elle Sçait et ce qu'elle ne sçait pas , ayant de tout temps esleu son principal do- micile dans la France, pour y avoir tousjours trouvé plus de lo- gement qu'en quelque part qu'elle peusse aller, dans les chambres vuides des cerveaux curieux , qui ne se garnissent que de nou- velles et de contes à dormir debout ; voyant toutes fois qu'à rai- son des remuëmenages arrivez dans l'Europe depuis les guerres, elle estoit obligée d'estre partout pour donner ordre au com- merce de cette marchandise, après avoir bien resvé , ne trouva point de meilleur expédient que d'establir des lieutenans Géné- raux pour maintenir sa puissance dans tous les cantons connus et à connoistre, trancher en son absence de son authorité, tailler et rogner de son domaine, et faire des choux, des raves et des pastez de ce qui se dit , et de ce qui se fait, dans ce monde et dans l'autre.
D'abord elle constitua dans cette fameuse dijgnité haute puis^
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gante Princesse Madame Y Histoire , qui s'aquitta long-temps de cette charge sans que Ton peust former aucun reproche contre son ministère. Messieurs les Mémoires, ses Agends, estoient du bon temps auquel on ne pouvoit mentir ^ Urnns que de rougir aussi- tost , et sans baille Ty goust , ces fîdelles commis luy don- Doient des viandes toutes maschées, qu'elle ne foisoit qu'avaller ; bien souvent aussi sans se fier qu'à soy-mesme, ses yeux forti- 66Z de lunettes et ses aureilles de cornes en façon d'entonnoirs, elle vouloit estre présente à toutes les actions mémorables, et sans embellir ny forder la vertu , elle escnvoit un tel a bien fait en telle occasion, ou tel est un lasche, et n'a rien fait qui vaille ; observant la justice distributive qui donne à chacun ce qui luy appartient : ce n'estoit pas là parler par ouy dire , puisque ses aureilles et ses yeux luy foumissoient tousjours de quatre tes- moins contre qui l'on ne pouvoit s'inscrire en faux , et, donnant d'un je Tay veu par le nez , elle pouvoit envoyer promener ceux qui luy auroient voulu contredire.
Les esprits estant devenus plus raffinez et curieux, on ne fust ^ plus si religieux à l'observation de ses ordres; l'on s'immag^na que c'estoit mal parler que de dire la vérité, et qu'il falloit men- tir pour escrire à la mode ; dès-lors Madame Y Histoire n'eust plus de vogue ^ chacun luy donna quelque lardon, l'on se torcha le cul de ses escrits , et l'on la descria comme la fausse mon- noye. Une conjuration se forma contre son authorité dont un Prince malaisé nonuné Roman s'institua le chef ; c'estoit le plus grand ennemy de la venté , il mentoit comme un arracheur de dents , et pour habler et controuver des contes , il n'en craignoit teste d'homme vivant. Cet adroit courtisan fit si bien par ses galanteries et complaisances estudiées qu'il attira bien du monde à son party ; et surtout le beau sexe, qui se charme de vétilles, le trouvant fort propre pour l'instruire à faire l'amour et le rendre sçavant jusques aux dents en fait de compliments, fleurs de bien dire et cageolleries, le supporta si bien et si beau, qu'à sa faveur il débusqua Y Histoire , et s'installa dans son domaine avec tant d'éclat et d'approbation qu'on ne parloit que par Ro- man. D s'estudioit principalement à mentir avec grâce, inventer
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des noms extraordinaires, espouventables pour les guerriers, et dorés pour les Dames et doux comme du sucre; controuver des incidens miraculeux , des combats prodigieux , et des palais en- chantez dans des pays de Caucaigne où les allouëttes tombent toutes rôties ; et couronner toutes ces aventures par un mariage délicieux, pour faire venir Teau à la bouche des friandes Damoi- selles qui passent les nuicts dans les pensées dont leurs es- prits s'entretiennent après cette lecture fabuleuse. Les Amadys, Chevalier du Soleil, des Miroirs, et aux Armes dorées, Palmerins d'Olive , Gerileon d'Angleterre , Morgant le Gréant , Yalentin et Orson , Pierre de Provence , le Boy Hugon , Gharlemagne et les douze Pairs de France , furent de la première couvée et s'acqui- rent une merveilleuse réputation ; mais Nerveze et Desescuteau raffinèrent leur stile et commencèrent à parler Phœbus ; ils fo- rent les mignons des Dames, et quelques-imes les portoient au lieu d'heures à TEglise ; s'il se formoit entr'elles quelque diffé- rent touchant un terme, on s'en rapportoit à Nerveze , et qui l'eust voulu contredire auroit esté chassé comme un peteur de la compagnie. Depuis, la mode changeant de jour en jour, As- trée, Ai^enie , Ariane, le Polexandre et la Cassandre , ont donné de la casse à ces pédants , mais ils n'en auront pas meilleur marché que les autres ; l'on se détrompe tous les jours de ces fadaises, et, comme on dit, MaistreGonin est mort, le monde n'est plus grue.
Madame VHistoire, ayant reconnu les causes de sa décadence et les moyens dont ce (onthe s'estoit servy pour luy donner du croc en jambe, employa les mesmes artifices à luy rendre la pa- reille. Affin de s'accommoder aux esprits, sçacfaant que toutes veritez ne sont pas bonnes à dire , qu'il faut quelquefois dorer la pillulle , et qu'un peu de ragoust Mt trouver la viande meil- leure, elle s'insinua petit à petit dans l'esprit de quelque Prince ambitieux, desguisa la vérité et luy donna le masque de flatterie qui le fit passer pour un héros, ses moindres actions pour des exploits merveilleux, et ses vices pour des petites vertus; elle changea de nom et de qualités pour cacher les rides de sa vieil- lesse et paroistre plus jeune et plus agréable , et tantost sous
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le nom de Légende, tantost sous la qualité de Code, de Mé- moires, de Commentaires Hyatoriques, de Chroniques, de Décades et ô'Annalles, elle a tasché de se maintenir et de tirer des puis- sances des pensions et de bonnes nipes, qui luy ont donné le moyen d'habiller de pied en cap cette pauvre Vérité, honteuse de pa« roistre toute nue comme elle estoit chez les grands, qui la chas- soient et n'en vouloient point entendre parler; c^estoit la moindre de ses suivantes : dans ses entretiens ordinaires elle la faisoit taire tout plat , et Mademoiselle Flatterie avait seule le privilège de parler des Princes^ et des Roys, parce qu'elle sçavoit et sçait encore donner du plat de la langue en perfection, et les gratter où ils se démangent.
Au commencement elle avoit la patience de voir régner et mourir un Monarque pour en escrire la vie ; mais, soit que les Damtasques qui ne vivent que de nouvautez se plaignissent que c'estoit leur mettre le Garesme bien haut, ou que, n'ayant point d'autre revenu que ce commerce, la nécessité Tobligeast de mettre plus souvent qudque chose sous la presse , affin de mettre quelque chose sous la dent , elle borna ce terme  l'es- pace de dix ans, et réduisit la Chronique en Décades, Dè»-lor8 elle se donna bien de garde, en jouant de ce délicat instrument^ de toucher sur la grosso corde, de peur que ses récompenses ne fussent de bois flotté, dont elle auroit esté très mauvaise mar- chande ; il fallut sous-mettre ses escrits à la censure des courti- sans, et souffrir les corrections du Prince ou du Ministre d'Estat; en sorte qu'assez souvent ils escrivoient eux mesmes leurs belles actions, et contrsdgnoiént cette bonne Dame d'estre faussaire en Intimant des enfants qu'elle n'avoit jamais produit. Mais elle 9^ de pis en pis; ses moyens diminuant aussi bien que le Règne des Roys, il fallut amplifier la matière, ampouler le stile, faire de rien grande chose , et ramasser des fadaises et des contes jaunes pour en faire un volume tous les ans ; cela passoit sous le Ultre d*Annaile8, mais c'estoit plustost des rogatons pour de- mander les estrdaes, et si Ton eust examiné la dose des drogues de cette composition , on n'y auroit pas treuvé un dragme de vérité parmy deux livres de mensonges.
n% LÀ PRESSE
Le Mercure François fut de cette fabrique ; quoyque son tilire fût différent, et qu*il fût habillé d'une autre façon, il en a conté des plus mures, et bien fait accroire aux gens de là l'eau ; à son conte tout a bien esté jusques icy, les Ministres d'Estat ont fait merveilles, le peuple est plus heureux que jamais, nous sommes chanseux en fait de guerre, les victoires nous assassinent, l*Estat s'augmente de jour en jour par nos éonquestes ; ceux qui gou- vernent les Finances sont gens de bien et de conscience qui ne veulent que le bien de la France ; bref il n'y a point de Royaume qui jouysse d'un repos plus asseuré : je m'en rapporte à ce qui en est, mais j'ay bien peur que ce Mercure ne fessé comme le céleste , qui traâque de nouvelles, et d'autres choses que je ne diray point.
Ce n'estoit pas encore assez d'avoir restably ces rentes an- nuelles , principalement depuis que la guerre a taillé tant de be- sogne à cette greffière corrompue ; il s'est trouvé des cerveaux trop avides de nouvautez qui ne s'en peuvent passer non plus que de chemises , et dont la curiosité fait son pain quotidien de relations et d^incidens ; pour faire des emplastres aux blessures de ces esprits, la bonne Dame choisit une esperlucatte qui luy servait deDamoiselle suivante, affectée au possible, extrêmement dissimulée et malicieuse comme un vieux singe ; on l'appeloit du nom de Gazette , son inclination l'avoit de tout temps portée à cet exercice , et bien auparavant qu'elle fût installée dans cette dignité, elle ne fàisoit autre chose que de courir le guildou, aller de ça de là trotter chez les voisins, visiter ses voisines, fureter jusques aux ruelles du lict et dans les lieux secrets , parler de messire chacun, drapper tantost cettuy-cy, tantost cettuy-Ià , et mettre indifféremment sur le tapis et les uns et les autres; enfin elle n'alloit jamais sans sa langue , et , quand elle n'avoit rien à dire, son esprit malicieux forgeoit sur le champ des nouvelles, bonnes ou mauvaises , telles qu'elles luy venoient à la bouche. Mademoiselle Flatterie estoit en bonne intelligence avec cette fine mouche, c'estoit deux testes dans un bonnet; l'une n'alloit jamais sans l'autre, et lorsque Gazette estoit empeschée à faire quelque relation , celle-cy ne manquoit point d'estre au près
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d'elle, et de luy souffler aux aureilles les termes dont elle devoit se servir.
La voilà donc establie par intrigues et par faveur dans ce vé- nérable employ ; Dame Histoire, qui commence à radoter, se re- pose entièrement sur sa vigilance, et luy remet sa charge et son authorité pour en disposer à sa fantaisie, et faire ses fonctions accoustumées ; elle en use avec tant de liberté qu'elle change d'abord Tordre estably par sa maistresse, et se résout de donner aux curieux du fruict nouveau toutes les semaines ; elle feint d'avoir des correspondances par toute la terre , et d'estre des plus connues ; elle sçait ce qu'on fait à Naples , en Spède et en Bavière tout en mesme temps , trotte comme un postillon de ville en ville et de province en province, et lorsque toutes ces matières illustres manquent à son sujet , elle revient à son vil- lage et trouve dans Paris assez de fatras et d'incidents pour en emplir ses cahiers jusques au goulet, dira qu'une telle Dame est accouchée d'une fille , qu'elle a esté baptisée dans telle Eglise, que tels et telles l'ont tenue' sur les fonds , qu'un tel a pourveu son fils de la charge de Conseiller , que tel autre a résiné son Abbaye à un tel, qu'il a soustenu une Thèse en Sorbonne , que l'on a tiré devant le Roy un feu d'Artifice , et en expliquera les particularitez, qu'un tel Seigneur n'est plus malade , et qu'il se porte bien de sa goûte , que l'on a trouvé quelque machine nou- velle pour faire des carosses à peu de frais, que la rivière est fort grosse , et que le pain est à bon marché. Ne sont-ce pas là de belles nouvelles à mettre dans l'Histoire ? Ne sommes nous pas bien gras et satisfaits d'achepter des contes que nous sça- vons devant que l'on ait songé à les imprimer? et n'est-ce pas nous chariataner adrettement que d attirer l'argent de nos po- chettes par les papiers , qui, pour estre trop minces et de mau- vaise fabrique, n'estant pas propres pour les beuriers, ne sçau- roient servir que de mouchoirs pour le derrière.
Cette fine matoise s'est toutes fois si bien intriguée dans cet estât, sous ombre qu'elle s'accompagne quelques fois de la Don- zelle Vérité^ qu'on luy donne une générale approbation ; depuis les petits jusqu'aux grands on ne parle d'afiàires que par Gazette^
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les aisez en font des recueils et les acheptent, d'autres se con- tentent de les lire en payant certain droit pour cette lecture , et bref, dans la plus sérieuse compagnie, on dira : Que dit-on de nouveau? qu'apprenez-vous de bon? comment vont les affaires? avez-Yous vu la Gazette d'aujourd'huy? parle t'elle de cy ou de cela? dit-elle que le Roy revient bien tost? touche t*elle quelque chose d'Angleterre? et mesmes si Ton met en avant quelque nou- velle, il ne faut pour la rejetter que dire : Gela n'est point dans la Gazette, et par ccmséquent cela est faux, et s'il estoit vray la Gazette n'auroit pas manqué d'en parler.
Mais il est aisé de juger de la cause de cette haute faveur ; il ne faut point de lunette pour descouvrir le secret de cette intri- gue; un aveugle y mordoolt s'il y vouloit mettre son nés ; et dés que l'on voit Flatterie avec érajselte, on ne doute plus qu'elle doit estre bien en cour, et que les cadets de la faveur la doivent adorer comme celle qui peut faire leur fortune. Aussi voit on continuellement chez elle des troupes de ces jeunes gens, qui viennent mandier sa plume, et la prier d'enluminer leurs belieB actions avec un peu d'ancre^ et Gazette, qui fait son meilleur re- venu de ce commercé, s'en sert avec un secret si merveilleux, qu'il n'y a point de carmin n*y d'outremer qui puissent mieux faire esclatter une peinture. S'il s'est passé quelque occasion, elle en fait une sanglante deffaite ; si dans une attaque quelque pa- gnotte en vjoulant reculer a receu de celuy qui le commande qudque coup de cane sur la teste, pourvu qu'il contente Made- moiselle Gazette ce sera l'estramasson d'un sabre des ennemis qui luy aura fait cette blessure ; tel à qui la lancette d'un chirur- gien aura percé quelque faveur de Venus se dira blessé d'un coup de picque ou d'estocade, et quelqu'autre qui pendant cette affaire estoit à Paris, dans un lieu où véritablement il faisoit un peu chaud, sera mis au rang des premiers attaquants et de ceux qui ont le mieux payé de leurs personnes; enfin tout va selon le caprice de cette rusée ; la plus haute vertu se trouve estouffée sous le silence, à faute de la bonneter, et la plus grande lascbeté passera pour généreuse, pourveu qu'elle passe par la Gazette.
Voilà ce qui la fait maintenir en authorité, ce qui luy donne la
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TOgue; lesecrel qu'elle a trouvé de vendre l'honneur et la répu- tation fait qu'elle est recherchée des uns et redoutée des autres ; elle est dangereuse en diable, il fait fort mauvais l'attaquer, sa plume et sa langue font des blessures que le temps augmente au lieu de guérir, et quand elle fait estime de quelqu'un elle oblige la postérité d'en faire le mesme jugement.
Il y avoit déjà longtemps que les nouvelles passoient par ses mains, et les^privilèges autantiquea.dont elle estoit munie sem- bloient l'assurer tout à fait en cette pocession, lorsque, le trouble survenant en cet estât et les cartes estant brouillées, il fallut né- cessairement qu'elle fit flux aussi bien que beaucoup d'autres : comme elle avoit toujours torché le cul à la faveur et qu'elle a^'oit suivy les plus lasches ordres qu'on luy avoit prescrit, voyant cette mesme faveur eschouée, elle se vit au bout de son rollet, et,. ne sçachant plus de quel bois faire flesche, fut trop heureuse de se taire et de se retirer; le peuple, eschaufTé pour son propre interest, n'auroit pas reçu de trop bonne part des nou- velles de sa façon, non plus qu'elle eust peu se résoudre à dire les veritez de quelques personnes dont elle estoit esclave et mer- cenaire. Quoy que ses relations parlassent des gens de cour, ce Q'estoit que parmy le peuple qu'elle en iaisoit le débit ; mais son règne n'eatoit plus de ce monde, la chance estoit retournée, il falloit changer de maxime et se tenir au rang des peche^ ou- bliez, de peur que sa teste ne fît mal à ses pieds, et que, les affai- res venant à changer de face, elle ne se vit convaincue' d'avoir laschement abandonné pendant leur disgrâce ceux desquels elle disoit tant de bien durant qu'elle tiroit sa protection de leur fa- veur.
Gazette donc se résolut assez sagement de se retirer, et son silence fut la marque de son interdiction ; la tristesse l'accable, la pauvreté l'accueille, la faveur l'abandonne, et le mal-heur du temps l'enveloppe indiferamment dans la misère publique. Cent fois durant ces tintamares la démangeaison luy prend d'escrire les beaux faits des généraux du peuple ; mais en même temps la crainte du retour, qui vaudroit (us que mâtine, luy fait redouter l'autre party. D'ailleurs, tous les chemins estant bouchez, et les
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avenues de cette grande ville entièrement bloquées , ses agends et correspondances ne sçauroient apporter aucunes nouvelles des pays esloignez ; toutes les lettres qu'on luy escrit sont interceptées, et leurs porteurs ajustez tout de rosty, ses despesches sont des- peschées^ et de ses Mémoires autant en emporte le vent ; elle n'ose plus mettre : de Rome un tel jour; de Munster tel autre jour; de Kracow, de Dantzite, de Londres, de Lisbonne, de Rayonne, de Naples, de Piombine, de Venise, de Grennes, de Gazai, etc., mais seulement de Paris, puis c'est tout. Elle ne peut parler de gê- nerai Konixmarc, Roze^ Lamboy, Fairfax, etc., et ceux de Paris sont les seuls dont elle peut dire quelque chose : autrement il se- roit trop facile de la convaincre de fausseté, et se seroit faire douter de tout le reste en controuvant de si manifestes menteries; bref elle se voit contrainte de souffrir le plus grand supplice qu'une famé puisse supporter, qui est la peine du silence ; son encre se sèche dans son cornet, et ses plumes ne servent qu'à des volants pour divertir cette profonde melancholie.
Ce fut là rinterrègne de Madame ï Histoire; on n'entendit durant quelque temps ny vent ny voye, on ne sçavoit ce qu'elle estoit devenue, les curieux la cherchoient partout, et la disette du pain ne leur estoit pas tant insupportable que le manque de Gazette ; ils ne sçavoient de quoy contenter les chancres affamez de leurs cerveaux ; quand ils se rencontroient l'un l'autre, c'estoit à de- mander : Que dit-on de nouveau? je ne sçay rien, je n'apprends rien ; cela est est range qu'on ne sçait aucune nouvelle, il semble que tout soit mort depuis que la Gazette ne va plus, l'on vit comme des bestes, sans sçavoir rien de ce qui se passe ; ainsi sans quelques rogatons dont les colporteurs en vuidant leurs po- chettes remplissoient ces chambres vuides de cervelle, ils pre- noient le grand chemin des petites maisons. D'autres, pour sup- pléer à ce deffaut, forgeoient eux-mêmes des nouvelles pleines d'immaginations bourué's et de coq à Tasne, en faisant accroire aux simples et donnant à rire aux sérieux ; bien souvent eb pa^ lant d'un homme que l'on tenoit pour mort, il passoit à cheval devant eux monté comme un sainct George et crevant de santé : d'autres fois ils publioient que nos gens avoient gagné quelque
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poste, et deffait le party contraire, lors qu'ils en revenoient après en avoir esté chassés eux mesmes et battus dos et ventres en enlans de bonne maison.
Ce desordre obligea dame Histoire à se servir d'une personne interposée qui ne fût ny suspecte ny taxée de Flatterie, et choi- sit pour cet effet certain Courrier inconnu, qui se nomma Fran- çoi$y mais il ne se devoit nommer que Parisien, d'autant que ses courses ne s'estendoient point hors des portes de cette ville; elle instruisit cet homme de toutes les manigances qu'il falloit prati- quer, comme il falloit adoucir et couler les mauvaises nouvelles, exagérer les avantageuses, asseurer les douteuses délicatement, si bien que l'on ne s'en peut dédire sans contradiction, et faire en sorte de se faire bien venir des puissances, agréer du peuple, et n'attirer sur soy la haine ny la malédiction de personne ; après ces instructions il prit la place de Gazette^- et sceut si bien enchérir par dessus son stile, que dès sa première arrivée, qui fut de son logis chez l'imprimeur, on cria Ftvaf , adieu Gazette et courre le Courrier,
Je m'imaginois au commencement que c'estoit un piqueur de chevaux qui fût toujours en selle et le foiiet à la main, qu'il eust les fesses endurcies comme un postillon, qu'il courût inces- samment la poste, la botte tirée jusques au pommeau de la selle, et qui fît des cinquante Heuë's par jour sans s'arrester jamais deux heures en une place ; mais la première rencontre que j'en fis chez l'imprimeur me détrompa de cette créance, et me le fit connoistre pour un piqueur d'escabelle qui ne levoit que rare- ment le cul de dessus, si ce n'est qu'il eust affaire au Palais ou à l'Hostel de ville.
N'estoit-ce pas un homme fort propre à cette profession? N'estoit-il pas bien nommé Courrier françois ? et donnant dans Paris des nouvelles seulement de Paris, avoit-il pas bonne rai- son d'adjouster à son titre ces mots, apportant toutes sortes de nouvelles ? puisque celles dont il nous faisoit part estoient le plus souvent si vieilles et rebattues; que dis-je les enfans en alloieut à la Moutarde.
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n est bien vray qu'il «l'estoit pas ignorant, ses préambules estoient tousjours farcis de latin et sa relation ayoit bien du stile d'un sermon de village ; il sçavoit les lieux communs, dont il enrichissoit son discours assés à propos , et, lorsque les nou- velles n'estoient pas assez abondantes, il trouvoit le moyen, comme estant de pratique, de tirer et d'allonger la matière pour achever le cayer et remplir la mesure ; lorsque nos généraux n'avoient rien exécuté de nouveau, Ciceron avoit dit de belles choses ; do VHistoire françoise n'ayant rien & dire, on avoit re- cours à la Bomaim^ dont on rapportoit des exemples qui n'avoient aucune application.
Il avoit ioutesfois bien ohoisy son temps, et, comme personne ne le contredisoit, il pouvoit faire ses orges, et faire accabler son imprimeur de sols bossus ; le pain ne se ve&doit pas mieux que ses papiers, on y couroit comme au feu, l'on s'assommoit pour en avoir, et les colporteurs donnoient des arres dès la veille affîn qu'ils en eussent des premiers; on n'entendoit, les vendre^ dis, crier autre chose que le Courrier {rançoi$, et cela rom* poit le col à toutes les autres productions d'esprit parmy les- quelles il se pouvoit trouver quelque bonne pièce.
Mais enfin, après douze de ses arrivées, qui n*estoient,jComoie j'ay dit, que de son logis à l'imprimerie^ et dans toutes lesquelles il n'a jamais usé qu'une paire de souliers, la Paix,. nous remet- tant dans le bonheur, fit la fin de son n^oce et de sa bonne for- tune, son travail cessa quand tous les autres recommencèrent, et il commença de se plaindre quand tout le monde ne songea plus qu'à se resjouir. Ainsf va le monde, chacun à son tour, il n'est pas tousjours temps de rire, et l'on ne peut pas esUre et avoir esté.
Toutes les chps^ estant rétablies par cet acccNrd, chacun vou- lut rentrer dans ses liroits, et surtout Mademoiselle Gautte, 80^ tant de son trou de boulin, où elle s*esU>it tenue recluse et le bec clos à crocquer le marmot durant tout je temps de la guerre, pria sa maistresse de luy rendre ce qu'elle ne luy avoit esté qu'à cette condition ; la bonne dame ne luy peut pas refuser une re- queste si juste, mais, pour contenter son Courrier, qui ne vouloit
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point démordre, elle luy conseilla de luy laisser encore faire une de ses corvées. Il fallut passer par là malgré son impatient dé- sir d'en desgoiser après un si long et si pénible silence; mais comme le drosle vouloit encore continuer ses courses, elle le fît arrester et prendre au collet dans le temps qu'il alloit chez l'im- primeur, et le fît conduire au palais de sa maistresse, comme re- belle à ses ordonnances et ses privilèges; il deffendit sa cause le mieux qu'il luy fut possible^ alléguant pour ses raisons qu'une famé n'estoit pas capable de cet.employ, et que c'estoit une in- dignité de laisser un si sage gouvernement en gynocratie. Je TOUS laisse à penser si, parlant en presenced'une famé qui estoit le juge de ce different, ses deffenses pouvoient estre bien receuës; il fut donc condamné haut et court à foire vidi aquam, tenu de prendre Mademoiselle Gazette par la main, et la remestre en sa place qu'il vouloit usurper avec injustice.
Cela se fit en pompe et cérémonie ; la Donzeile parut avec plus d'esclat que jamais, et eut un si riche équipage qu'il est besoin d'en dire les particularitez.
Premièrement sa taille estoit fort avantageuse, affin de pouvoir descouvrir partout, et d'avoir toujours le nez au vent; elle estoit laide comme un eu, mais sa compagne Flatterie luy avoit mis un masque qui la faisoit paroistre belle comme le jour; sa coiffure à Ul mode enrichie de galons de toutes sortes de couleurs , mais je trouvay fort estrange qu'elle faisoit comme vanité de monstrer de grandes vilaines aureilles dans les trous desquelles elle avoit fiché les bouts de quantité de petits entonnoirs d'argent, dont chacun portoit gravé le nom de quelque province; elle avoit à la droite une plume fort bien taillée à la mode des procureurs, et rescritoire pendiie à la ceinture de sa robbe en façon de monstre oo de drageoir ; son ooUet estoit de point de Gennes, sa chemise de toille de Hollande , ses manchettes de Flandre, et sa robbe à l'Italienne ,de taffetas changeant, parsemée de langues et d'aureilles en broderie; elle avoit autour d'elle autant de miroirs qu'une revendease, dans lesquels, de quelque costé qu'elle se toumast, on pouvoit remarquer tout ce qui se passoit aux environs, mais les objets y paroissoient plus beaux qu'ils n'estoient, et les glaces
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n*en estoient guère fidelles; elle avoit des aisles à ses patins, ses pieds n*estoient jamais en repos et sembloient faire beaucoup de chemin quoy qu'ils ne bougeassent de leur place ; des pacquets de papiers sortoient de ses pochettes , Ton luy dardoit incessam- ment des lettres et des despesches, et les pacquets vosloient au- tour d'elle comme les mouchoirs sur le théâtre d'un charlatan. Le siège où elle se devoit asseoir estoit pliant , fait de bois de tremble , dont la boule de la Fortune faisoit le marchepied , et toute cette machine estoit sur un pivot, au haut duquel estoit une girouette, qui, tournant à toutes sortes de vents, tournoi t quant et quant le siège et la personne qui y estoit assise ; dès qu'elle y eut esté conduite par l'infortuné' Courrier, elle luy fît une révérence et luy dit serviteur très-humble. Après s'être fait rendre les marques et les ornements de sa dignité , aussitôt je vis entrer des Espa- gnols, Allemands, Flamands, Suisses, Portuguais, Italiens, Catalans, Napolitains, HoUandois, Anglois, Escossois, Hibernins, Danois, Suédois, Hongrois, Polonois^ Vénitiens et toutes sortes de nations, qui la vinrent congratuler de son restablissement, et luy conter tant de belles choses que, ne pouvant souffrir davantage tous ces caquets, je sortis de la chambre tout estourdy, avec un desgoust estrange de tous ces fagotteurs de nouvelles, et souhaittant de trouver une personne qui fût assez homme de bien pour es- crire franchement, sans desguisement , Flatterie, ny dissimu- lation, n'ayant que la Vérité pour guide, qui doit est^ Famé de VHistoire.
Coupd'ml sur la marche de la presse en Angleterre durant la même période. — Défaveur qui s'y attache, ainsi qu'en France, au métier de gazetier. — Obstacles opposés au journalisme; comment il en triomphe.
Un fait que nous devons signaler comme pou- vant servir à expliquer Tinfériorité du journalisme dans ce grand mouvement polémique de la Fronde,
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mais qui s'explique assez difficilement lui-même, c'est le peu de faveur qui s'attachait, à cette époque et longtemps encore après, à la qualité de gazetier. Et, chose remarquable, il en fut de même en An- gleterre. Hâtons-nous de dire cependant que la presse avait été plus heureuse chez nos voisins , et qu'elle y avait promptement grandi, à la faveur des troubles qui les divisaient. Ce n'est pas qu'elle n'eût rencontré de l'opposition et de puissants ob- stacles ; mais elle en avait triomphé avec cette téna- cité qui est dans le caractère anglais. Les premiers journalistes se trouvèrent en face de la Chambre étoilée, qui fit si longtemps à la presse une guerre acharnée, employant contre les écrivains les sup- plices les plus cruels et les plus barbares. N'osant se permettre la moindre allusion à ce qui se pas- sait en Angleterre, ils se bornaient à enregistrer les nouvelles de l'étranger, dans lesquelles la cen- sure taillait à tort et à travers, et quelques petits faits amassés péniblement et au jour le jour, qu'ils donnaient tout secs, se gardant de toute réflexion, de tout commentaire, comme d'un délit qui aurait attiré sur eux les foudres du redoutable tribunal. A peine se hasardaienirils à citer des noms propres» car il était arrivé plus d'une fois que de grands per- sonnages avaient fait assommer des écrivains pour avoir parlé d'eux dans les gazettes.
Les mêmes faits, d'ailleurs, se produisirent en
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Franee; le titre de gàzetier n'était pas plus en hoa— neur dans un pays que dans l'autre, et c'est une chose étrange que cette répulsion de l'opinion pu- blique venant s'ajouter aux persécutions du pou- voir contre une institution si éminemment utile aux intérêts des masses. Ce qui est certain, c'est que les esprits eurent quelque peine à s'habituer à l'idée qu'on pût faire commerce public de nouvelles ; une gazette imprimée était une nouveauté si surpre- nante, et qui faisait tant de bruit, que Ben Jonson crut voir là un excellent sujet de comédie. Il fit jouer, en 1625, F Appravinonnement de Nouvelles y dans lequel il ridiculise l'entreprise des Weekly News^ et leur rédacteur Butter, qu'il appelle maître Cymbal, mais dont le vrai nom, qui signifie beurre en anglais, revient à chaque instant dans la pièce sous fofrme de calembour. Ben Jonson lui donne pour collaborateurs réguliers quatre coureurs de nouvelles ou émissaires, chargés de recueillir tout ce qui se dit à la cour, au cloître de Saint*Paul, rendez-vous des badauds de Londres, à la Bourse, et à Westminster, où siégeaient les tribunaux. Ben Jonson ajoute à ces quatre nouvellistes un mauvais poète, un docteur en médecine, et, comme rédacteur irrégulier, Lèche-ses-Doigts, cuisinier- poète, qui consacre ses loisirs à faire des devises et autres vers de confiseur. Le personnel adminis- tratif se compose de maître Cymbal, d'un secrétaire
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qui enregistre les nouvelles à mesure qu'elles arri- vent, de deux commis, et d'une foule de cartons •avec de grandes étiquettes. Une brave paysanne se présente au bureau de maître Gymbal et demande pour deux liards de nouvelles, afin d'en faire pré- sent à son curé : on la prie d'attendre quelques instants, parce que, si elle était servie à la minute, le public pourrait croire qu'on fabrique les nou- velles, au lieu de les recueillir. • La même année, Shirley mettait en scène, dans les Ruses de V Amour ^ la grande nouveauté du jour, et faisait un portrait peu flatteur des marchands de nouvelles. « Ces gens-là, dit-il, avec une heure devant eux, vous décriront une bataille, dans quel- que coin de l'Europe que oe soit, et pourtant ils n'ont jamais mis le pied hors des tavernes. Ils vous dépeindront les villes, les fortifications, les géné- raux, les forces de l'ennemi ; ils vous diront ses alliés, ses mouvements de chaque jour. Un soldat ne peut pas perdre un cheveu de sa tète, ne peut pas recevoir une pauvre balle, sans avoir quelque page à ses trousses, format in-4^. Rien n'arrête ces gend-là, que le défaut de mémoire, et, s'ils n'ont point de contradicteur, ils ne tarissent pas • • • » Cette scène de Shirley, que nous abrégeons, est une première édition, très-complète, de toutes les satires qu'on a faites depuis lors du journalisme. Pendant longtemps les écrivains politiques dédai-
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gnèrent de se mêler aux conteurs de aouvelles, auxquels ils refusaient le titre d'écrivains. » Un journaliste, écrivait Clé veland , a autant de droit au titre d'écrivain qu'un colporteur au titre de commerçant ; quant à l'appeler historien , autant vaudrait qu'on appelât ingénieur un faiseur de souricières. » Il faut bien dire aussi que les pre- miers rédacteurs de gazettes furent loin de donner à la presse cet éclat et cette autorité qu'elle^devait recevoir un jour du talent et du caractère de ses écrivains.
Mais il y a trop de bon sens chez la nation an- glaise pour que de pareilles préventions pussent longtemps prévaloir contre l'évidence, pour que les partis ne comprissent pas la puissance de cette nou- velle arme. D'un autre côté, les journaux, au milieu du mouvement général imprimé aux esprits par les luttes de parti, devaient se fortifier, acquérir le sentiment de leur valeur, et, arrivés à ce point, il était impossible qu'ils ne prissent pas fait et cause pour les wighs ou les tories, qu'ils ne se rangeas- sent pas sous une bannière, celle du gouvernement ou celle de l'opposition. Enfin les sévérités même de la Chambre étoilée devaient, par leurs exagéra- tions, hâter la réaction en faveur de la presse. C'est, en effet, sous la pression de l'irritation populaire, que Charles P' se détermina à abolir ce tribunal dé- testé. Cette concession équivalait à la proclamation
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de la liberté de la presse ; aussi vit-on éclore aus- sitôt des milliers de pamphlets pour ou contre la royauté, pour ou contre Téglise anglicane. De nom- breux journaux s'établirent à Londres et dans les provinces, et ces journaux firent un premier pas dans le domaine de la politique en reproduisant les débats parlementaires, puis ils s'enhardirent à pu* blier des nouvelles de l'intérieur et à discuter les affaires du pays. Ce n'est pas que ce droit leur fût re- connu : le parlement ne se montra pas plus tolérant que la Cour; il n'est sorte d'entraves qu'il n'imposât aux journalistes. Ce sont ces persécutions du par- lement qui donnèrent lieu aux célèbres pamphlets de Milton en faveur de la liberté de la presse. Mais les journaux avaient dans les nécessités du temps un meilleur avocat encore que Milton. Le parlement et la royauté étaient en lutte ouverte, et des deux côtés on cherchait un appui dans l'opinion publi- que. On s'aperçut bientôt que les journaux étaient un instrument fort supérieur aux pamphlets; chaque parti voulut avoir son organe, et, comme en France à la même époque et dans des circonstances à peu près identiques, on se fit la guerre à coups de plume autant et plus qu'à coups de fusil. Seulement, en France, comme nous l'avons fait remarquer, le pamphlet demeura l'arme favorite, tandis qu'en Angleterre ce fut le journal. Les dix-neuf années qui s'écoulèrent de 1 641 à la restauration des Stuarts
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virent naître et mourir plus de deux cents jour- naux. La plupart de ces feuilles tenaient sans doute encore beaucoup du pamphlet ; mais elles ten- daient à perdre ce caractère. Il y avait une polémi- que suivie entre les journaux de la Cour et ceux du Parlement ; on s'attaquait, on se répondait de part et d'autre; on se parodiait quelquefois, on s'inju- riait très-souvent. Le journal n'était plus un objet de commerce ; c'était un instrument politique*
La restauration des Stuarts porta un rude coup aux journaux ; leur liberté fut restreinte, les persé- cutions recommencèrent contre eux, et, si Jacques II avait triomphé, toute liberté de la presse, par con- séquent tout journalisme, eût cessé d'exister en Angleterre- Mais la révolution de 1688 changea complètement la face des choses, et rendit l'essor à la presse jusqu'à mettre le gouvernement sous son contrôle, suivant l'expression de M. Macaulay. Non-seulement les journaux se multiplièrent, tous les partis en fondant à l'envi, mais leur rôle s'a- grandit tout-à-coup, un peu par suite de la faiblesse du gouvernement, mais surtout par suite de la rivalité des deux grands partis qui s'en servaient pour se combattre. Enfin l'activité intellectuelle qui fit du règne de la reine Anne l'âge d'or de la littérature anglaise contribua puissamment encore au développement et à la transformation du jour- nalisme, et depuis lors, malgré l'acharnement des
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communes contre ce pouvoir nouveau, qui exerçait sur elles une surveillance importune et leur dis- putait la direction de Topinion publique, malgré les impôts dont on Ta surchargée, dans l'intention avouée de la tuer, impôt du timbre, impôt sur le$ annonces, impôt sur le papier, elle n'a cessé de grandir en influence et en autorité. Elle n'a pour- tant pas complètement triomphé dans sa lutte avec les communes. Aujourd'hui encore les journaux an- glais n'ont pas le droit de publier les débats du Parlement ; s'ils le font — et on sait avec quel dé- veloppement, — c'est grâce uniquement à la tolé- rance des deux Chambres, et non en vertu d'un droit reconnu et incontestable. Un des premiers actes du gouveniement des Stuarts avait été d'in- terdire la publication des débats du Parlement. Quand le pouvoir fut passé- à la Chambre des com- munes, cette Assemblée, qui avait fait un crime aux Stuarts de leur Chambre étoilée et de leurs persé- cutions contre la presse, refusa de subir à son tour ce contrôle de la publicité qu'elle avait elle-même imposé à la royauté ; elle se transforma en une vé- ritable Chambre étoilée pour venger ses propres injures. Toute allusion à ses débats intérieurs, toute réflexion sur les mesures votées par elle, devinrent des délits, punis par l'amende, l'emprisonnement, le pilori. Jusqu'à la fin du xvni® siècle elle maintint avec une extrême rigueur l'interdiction prononcée
284 LA PRESSE
autrefois par les Stuarts dans une pensée politique; on la voit renouveler périodiquement la déclara- tion, « que c'est une insulte à la Chambre et une violation de ses privilèges, d'oser donner dans un journal, manuscrit ou imprimé, aucun compte- rendu ou détail des débats ou délibérations de la Chambre ou de ses commissions, et que les cou- pables seront poursuivis avec la plus grande sévé- rité. » Les journaux, pour satisfaire leucs lecteurs et échapper aux rigueurs du Parlement, étaient obligés de recourir à mille expédients ; mais un jour vint enfin où la volonté des Communes se trouva impuissante devant la curiosité publique, et le Par- lement, de guerre lasse, laissa imprimer le compte- rendu de ses séances. Néanmoins les défenses de la Chambre des communes subsistent encore; mais on les laisse sommeiller, et l'on peut dire que, malgré cette restriction, la presse anglaise jouit de la plus entière liberté (1).
Si nous étions entrés les premiers dans la car- rière, nos voisins, on le voit, n'avaient pas tardé à nous distancer; mais nous conservâmes l'avan- tage sur un autre terrain, où nul ne nous a dépassés, dans un genre éminemment français, le genre spi- rituel. A défaut de luttes politiques, la France se
(4) V. V Histoire de la presse en Angleterre, par M. Cucheyal-Clarigny. qae oous avons déjà citée.
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passionna pour les luttes littéraires, et c'est dans la petite presse, dans les recueils littéraires, que chez nous, il faut chercher, pendant cette longue enfance de la presse politique, le mouvement des esprits.
C'est, d'ailleurs, à la France encore, que l'Eu- rope dut l'inyention des journaux littéraires : notre Journal des Savants^ qui date de 1 665, est le père de tous les ouvrages de ce genre dont le monde est aujourd'hui rempli. Mais nous remettrons à parler plus tard de ce vénérable recueil , pour ne pas in- terrompre l'ordre, le fil des idées, et suivre, autant que cela est possible, les vestiges de la presse poli- tique, ou, si l'on veut, de celle qui n'est pas pure- ment littéraire.
LA
PETITE PRESSE
II
LA PETITE PRESSE
GAZETTES EN VERS
Loret, — La Muse historique.
Entre la Gazette et le Journal des Savants , deux feuilles qui avaient leur intérêt , mais qui n'étaient pas précisément amusantes, se glissa un troisième genre, essentiellement léger, et qui, picorant, si Ton veut bien me passer cette expression , sur le ter- rain des deux autres, se proposait d'amuser, beau- coup plus que d'informer on d'instruire. Le Mercure est le type de ce genre éminemment français; mais il a eu dans les gazettes en vers des précédents re- marquables , et c'est au milieu des troubles de la Fronde qu'il faut aller chercher' le berceau de ce que nous appellerons la petite presse de ce premier âge du journalisme.
T. I. u
290 GAZETTES EN VERS
Quand nous avons dit que, de tous les essais de journaux faits pendant la Fronde, aucun n'avait eu de consistance réelle, aucun n'avait survécu, nous réservions dans notre pensée une petite gar zette qui prit bien naissance au sein de la Fronde , mais qui n'en procédait pas directement, et se distinguait de la multitude des Mazarinades par un caractère à elle propre: nous voulons parler de la Muse historique de Loret, gazette burlesque et en vers , comme il convenait au temps , mais qui n'en est pas moins la patronne de ces chroniques pari- siennes dont on a depuis tant usé et abusé.
La Muse historique dehovei^ après avoir joui, dans sa nouveauté, d'une très-grande vogue, est demeurée pendant deux siècles dans un complcit oubli, dont elle méritait bien qu'on la tirât. Les eauseries heb- domadaires du poète couiliisan de mademoiselle de Longueville n^ont pas, je le veux bien, la valeur de certaines causeries d'aujourd'hui; mais pourtant un recueil dans lequel sont consignés tous les faits re- marquables, politiques et littéraires, tous les bruits de la ville et de la cour, pour vme période de quinze années , remplie d'événements de toute nature , une gazette qui a eu le singulier privilège d'inténsser pendant aussi longtemps la soeiété la plus polie et la plus éclairée, ne saurait manquer d'avoir ime grande importance historique, et devait être comprise une
LORET 291
des premières dans l'œuvre de réparation que notre époque accomplit avec tant de zèle et de dévoue- ment.
Loret naquit à Carentan , au commencement du 1 7® siècle, de parents peu aisés , qui ne purent lui donner d'autre éducation que celle qu'on recevait alors dans une pauvre école de village. Venu à Paris pour y chercher fortune , il s'y fit bientôt re- aiarquer par son esprit naturel, et ses premiers essais poétiques lui valurent la protection de quel- ques grands seigneurs, qui le recommandèrent à Mazarin.
Il débuta par un volume de Poésies naturelles, composé de petites pièces adressées, la plupart, à des personnages connus ou à des amis. Dans une épître au lecteur placée en tête de ce volume, il nous apprend lui-même qu'il n'a pas « la connaisawç^ des moindres commencements de la science, » et que « si de hasard on rencontre dans ses œuvres quelques belles et raisonnables pensées, on doit être tout assuré que ce ne sont point des ornements antiques, ni des beautés étrangères. » Dans une ode contre les médisants, qui fait partie du même volume , il dit , pour motiver le titre donné à son recueil,
Vart tout divin que je poursuiê A pris quant et moy nourriture;
29t GAZETTES EN VERS
CTmI tin instinct de la nature Qui m'a rendu ce que je suis,
IjC même aveu se retrouvé dans un Discours sur la Muse historique fait par un des amis de l*auteur^ et qui sert de préface à ce recueil.
c Celui qui nous a préparé ce beau sujet d'en- tretien l'a fait , au commencement, sans y user de longues préméditations; il n'apoint passé de longues années dans les collèges, et il n'a point feuilleté les livres grecs et les latins; mais avec cela on peut remarquer que, sans autre connaissance que celle de sa langue maternelle , il a admirablement réussi à ce qu'il a entrepris. . . Que les lecteurs ou auditeurs ne s'imaginent pas que celui qui fait ainsi parler la Mlise depuis quelques années se soit employé à cela avec toute Vétude et tout l'appareil des grands maîtres, et qu'il y ait longtemps qu'il se soit donné la peine de courtiser les neuf sœurs dessus leur fa- meuse montagne. » Loret lui-même avoue, avec cette bonhomie qui le caractérise, que ce mont fa- meux est beaucoup trop loin pour sa paresse.
// n'est point dans le Danemarc, Ni dans les terres de Saint-Mare, Dans la France^ ni ^Italie, Mais^ ce dit-on, en IhessoHe : Que diantre irais-je faire là ? Mais ne songeons point à cela, Quittons cette antique matière : Ce mont-là n*est plus à la mode.
LORET 293
// ne faut pas chercher si loin
Les choses qui me font besoin.
Ma chambre, encore qu'un peu basse.
Me tient lieu de mont de Parnasse;
De Veau fraîche plein un flacon
Est ma fontaine d'Hélicon;
Plusieurs voisines que je prise
Sont les muses que je courtise;
Bref, le bon ange protecteur
Que m'a donné le créateur
Est l'Apollon que je consulte (4).
Et ailleurs :
Je n'affecte que peu la gloire Que Von acquiert par Vécritoire; Quand il me faut versifier, Cest sans m'aUer fortifier Dans Vauteur des Métamorphoses,
Loret, d'ailleurs, revient fréquemment sur ce sujet dans ses Lettres, et^ loin de rougir de son igno- rance, en homme d'esprit qu'il est, il en tire habile- ment parti, et, véritablement, sa muse facile gagne en naturel ce qui lui manque en acquis.
Je n'avais garde d^ espérer De si longtemps persévérer En un métier si difficile; Je me jugeais trop imbécile. N'ayant eu dans mes jeunes ans Nuls de ces livres instruisants Dont ïart et la philosophie
(I) Nous verrons bienlAt quel était ce boa ange.
«94 GAZETTES EN VERS
Les faibles esprits fortifie. Madame V Université, Ne m'a jamais de rien été, Et tout riche et docte langage Dont les gens savants ont l'usage, Hors le français et le normand. Est pour moi du haut allemand.
11 n'en accomplit pas moins jusqu'à son dernier jour la rude tâche qu'il s'était imposée, et qui se résume en fin de compte par un chiffre de plus de 400,000 vers, où sont relatés, nous l'avons dit, tous les menus faits de l'histoire de quinze années, avec leur date précise, leurs détails minutieux, et des jugements empreints de la véritable couleur du temps.
A ce métier
Sa plumé eût été vite usée Et sa paktvre veine épuisée, Ne sachant ni latin ni grec Il eût été bientôt à sec, Sans quelque assistance céleste... Sans un ange qui ^inspirait,
ou , pour parler en vile prose , sans la cassette d*une jeune et belle princesse , mademoiselle de Longueville , depuis duchesse de Nemours , dont il s'était fait le nouvelliste, et qui escomptait généreu- Bement ses rimes.
C'est en 1 650 , à partir du 1 2 mai , que hotei
LORET^ t95
commença à écrire ses L^^tre^ envers^ qu'il adressait à sa bienfaitrice le samedi ou le dimanche , et qu'il continua juequ'avi commencement de 1 665 avec une régularité qui ne s'est pas une seule fois démentie , ne se donnant de répit que la semaine sainte, où il Êdsait relâche pour vaquer à ses dévotions. Et vrai** ment quand on sait comment s'enfantent les grands projets, combien, pour la plupart, le développement en est long et pénible, on estime fort notre gazetier, qui dès le premier jour donna à sa publication l'étendue, la forme, la périodicité, qu'il lui conserva imperturbablement pendant quinze années, sans collaborateurs^ et, peut-être même à cause de cela, sans variations ni interruptions.
« Lorsqu'il prit résolution de paraître un peu dans le monde , lit-on dans le discours que nous avons déjà cité, comme il se plaisait naturellement à la poésie, il se mit à écrire en \prs ce qui se passait chaque semaine , et il le faisait assez heureusement pour divertir ceux à qui cela pouvait être commu- niqué. Ce n'était toutefois que pour plaire à une grande princesse et à un petit nombre de personnes de sa confidence qui méritaient que l'on eût soin de leur agréer; tellement qu'il ne se faisait qu'une copie de son ouvrage, qui était lue devant ceux qui la voulaient écouter, ou qui passait en diverses mains. La curiosité de quelques gens fut cause que l'on en fit bientôt plusieurs autres copies manus-
996 GAZETTES EN VERS
crites; mais, pour ce qu'il n'y avait pas moyen d'eo forrnir à tous ceux qui en souhaitaient, et qui étaient des gens de considération, et même parce qu'en les transcrivant, les copistes y ajoutaient tou- jours faute sur faute, il sembla plus à propos de les commettre à l'impression, qui est une invention excellente pour produire en même temps plusieurs exemplaires d'une seule pièce. »
Un autre motif encore avait dét^miné Loret : ses vers avaient eu le sort de toute chose qui a du succès; les plagiaires s'en étaient bien vite emparés.
Des débiteurs de faux papiers, Pires cent fois que des fripiers. Faisaient imprimer ses gazettes. Sans craindre ni Un ni syndic. Pour en faire un lâche trafic.
La « noire et lâche action de ces audacieux bé- lîtres » le mettait ^ fureur :
Noble et généreuse Marie, fai Vàme tout à fait marrie Pour la sotte supercherie Que me font ces gens de voirie. Mes vers sur le Pont Neuf on crie : 0 maudite criaillerie! Àh! cela me met en furie. Peste de leur imprimerie!
Vous avez tant d'aversion Pour la noire et lâche action De ces audacieux belitres
LORET S97
Qui font imprimer mes épitres, Que je crois que votre Grandeur, Détestant leur peu de candeur. Sans doute fera bientôt faire Quelque châtiment eaoemplaire De ces sots falsificateurs Et des crieurs et colporteurs^ Qui, par leurs mesquines pratiques, Les rendent tout à fait publiques.
Tels sont les motifs qui déterminèrent Loret à li- vrer ses lettres à Timpression, et non point, comme on pourrait le croire, un désir de gain, qui, après tout, eût été fort naturel. Encore une circonstance fortuite paraît-elle avoir avancé l'exécution de ce projet.
Un mal lequel à ^improviste A surpris monsieur mon copiste M'a fait, en cette occasion^ Recourir à l'impression,
lit-on dans un Avis au lecteur qui termine la lettre du 29 septembre 1652, la première qui fut impri- mée.
D'ailleurs, rigoureusement parlant^ il n'avait pas la libre disposition de son œuvre. Ce n'était pas, si l'on veut, par ordre qu'il écrivait; mais quand il avait commencé cette entreprise, c'était unique- ment pour mademoiselle de Longueville, qui l'en avait prié, et qui le payait pour cela ; c'était uni- quement
M.
998 GAZETTES EN VERS
Pour complaire à sbs volontés Et mieux mériter ses bontés
4
qu'il s'était fait un bureau d'adresse vivant. Prodi- guer à tout venant un divertissement dont elle eût pu revendiquer le privilège exclusif, c'eût été en amoindrir le prix, et s'exposer à perdre dans Tesprit de sa bienfaitrice. Aussi a-t-il bien soin d'ajouter :
0
Mais sache, lecteur débonnaire, Eneor que des mains du rimeur Cette gazette épistolaire Passe en celles de Vimprimeur, Qu^elle n'en est pas plus com/mune, Car, sans abus ni fraude aucune. Il doit observer cette loi. De n'en tirer chaque semaine Quune unique et seule douzaine, Tant pour mes amis que pour moi ; Après cela point de copie, En dût-on avoir la pépie. *^
Mais la princesse de Longueville ne se montra point exclusive : elle ne pouvait, après tout, qu'être flattée des succès de son protégé, et il était naturel qu'elle s'intéressât à la propagation de ces feuilles qui, selon l'expression d'un bel esprit du temps, de Colletet, volant plus loin que les ailes de la Renom- mée, allaient, chaque semaine, porter ses louanges jusqu'aux extrémités de l'Europe.
Et puis les lettres de Loret étaient trop du goût de cette époque remuante et frondeuse pour qu'elles
LORET tn
restassent longljeiiips le privilège du cercle un peu circonscrit de Mademoiselle de Longueville. Il ne fut bientôt plus question dans toutes les ruelles que des caquets du poète gazetier, et les traits les plus saillants volaient de bouche en bouche par tous les coins de la ville. « Son travail, dit Fau- teur du Discours j étant donc passé dans l'impression depuis quelques années, il faut avouer qu'il a eu un applaudissement universel, et qu'il n'y a guères d'honnêtes gens qui n'aient souhaité d'en avoir la vue. Il a même été assez heureux pour obtenir l'ap- probati<m du plus grand roi et de la plus grande reine du monde, leurs Majestés s'en étant assez souvent diverties. Les princes et les princesses, les grands seigneurs et les dames de notre cour, les hommes même de longue robe et de profession sé- rieuse et studieuse, quittent leurs autres emplois pour quelques moments afin de se récréer à ceci, et y apprendre les choses qu'ils n'ont pas vues, ou que, s'ils en ont été les témoins et les spectateurs (comme cela rapporte ordinairement les actions pu- bliques et connues), ils prennent plaisir à voir dé- peindre agréablement, les ayant vues en effet, de même qu'un homme qui a contemplé autrefois un beau jardin et le cours d'une agréable rivière est fort aise, après, de les voir naïvement dépeints en un tableau. »
Mes vers, dit lui-même Loret,
300 GAZETTES EN VERS
Mes vers ne sonnent jnrint trop mal Dans le domkHe roycU; Le Boi, la Reine et FEminence Leur donnent parfois audience ; Monsieur, qui leur fait bon accueil,
En veut même faire un recueil.
t
Mais, ajoute-t^il,
Mais, 6 Princesse, quelles peines D'en faire toutes les semaines.
Le succès, du moins, était bien fait pour l'en- courager, car ses Lettres n'amusaient point seule- ment Paris et la province, elles n'avaient pas tardé à franchir les frontières ; » il n'y avait point de postes et de messagers qui n'en fussent chargés ordinai- rement. » Princesse, écrit-il,
' L'anti^veille du jour des Rois, L'an mil six cent cinquante^trois. Princesse en bontés sans seconde Et' des plus aimables du monde. Voici le tiers an révolu Depuis que le del a voulu Que, par un sort assez propice, Taye fait pour votre service Bien ou mdl, à tort et travers. Plus de trente et deux miUe vers, Lesquels vers {chose très certaine) Ont bien couru la prétentaine, Savoir aux climats Suédois, Chez les Flamands et Hollandais, En Angleterre ou Grand* Bretagne, En Danemarc, Pologne, Espagne,
LORBT 301
Naples, Rome, Milan, Turin, Sur k Danube et sur le Rhin ; Et même Von m' a- dit encore Qu'ils avaient passé le Bosphore, Et qu'on leur faisait do^Vhonneur A la Porte du Grand-Seigneur,
Il est étonné lui-même du bruit qu'il fait. A cette occasion, il se compare aux beaux esprits du temps, dont il cherche à caractériser le talent dans quel- ques vers que nous allons citer. On comprendra que la rime et d'autres considérations aiœt in- fluencé ces appréciations, qui, pour la plupart, sont loin d'avoir été ratifiées par la postérité; mais ce passage n'en est pas moins curieux sous beau- coup de rapports.
Pour dire vrai, ces miens ouvrages Sont cent fois plus heureux que sages, Et, certes, Von voit dans Paris Des régiments de beaux esprits Dont les conceptions et rimes Sont infiniment plus sublimes. Et dont le mérite éclatant Ne fait pas tant de bruit pourtant. Je suis de la dernière classe, Je n'en vois point qui ne me passe ; Leurs vers me ravissent le cœur Mieux que la plus douce liqueur; Quand je les /ts, je les admire. Et voici ce qu'on en peut dire : Ceux de Chapelain sont briUants; Ceux de Benserade galants;
ut GAZETTBS EN VERS
Ceux de Saint- Atoand admirabki; Ceux de ComeiUe incomparables; Ceux de Du Ryer sont merveiUeux; Ceux de Godeau nûraeuleux ; Ceux du sieur Gùmbauld sont auffuetes; Ceux de Boi^-Bobert nets et justes; Ceux de Quillet forts et piquants; Ceux de CoUetet étégants. Scarron n'est point en cette ville^ Mais, au rapport de plus de miUe, Eneor qu'un peu malicieuXy Ses vers sont très facétieux. Ceux du sieur Ménage sont rares ; Ceux de Sandricourt sont barbares; Ceux de Scudéry sont charmants, Àusii bien que ses beaux romans; Ceux de Neuf-Germain sont grotesques; * Ceux de Dassoucy sont burlesques; Ceux de Marigny sont cruels ; Ceux de Tristan sont immortels; Ceux d^un tel sont mélancoliques ; Ceux de Segrais sont hérdiques; Les miens sont naifs, et rien plus...
Les critiques ne manquèrent cependant point à Loret, comme bien on le pense. Sa tâche était de- venue plus difficile à mesure que le cercle dç ses auditeurs s'était agrandi.
Le métier qu'il faut que je fasse
Bien plus qu'autrefois m'embarrasse..
Quelques beaux esprits modérés
Souhaitent qu'ils soient (mes vers] tempérés;
If autres veulent que la Gazette
Sente un peu Vépine^inette.
LORBT 303
Mais ces miem .vers, quand ils sont telSf
Me font des ennemis mortels.
D'ailleurs, ma rime n'est point bonne
Quand je n'égratigne personne.
Bref, mes vers, tant ici qu'aux champs.
Sont méchants s'ils ne sont méchants.
Voyez quelle est mon infortune J
Si je pique un peu, j'importune,
Et, lorsque je ne pique pas,
Mes vers sont froids et sans appas.
Mais que les fous ou que les sages
Fassent la nique à mes ouvrages.
Je mépriserai leur mépris.
Pourvu que ces petits écrits
Soient bien reçus de Votre Altesse...
D'autres se formalisaient de le voir traiter en style burlesque des aSEaires de TEtat.
Princesse pour qui notre plume, Durant le beau feu qui m'allume, Fait toujours quelques vers nouveaux. Approuvés de maints bons cerveaux. Aucuns, pourtant, qui mes vers lisent, Par-ci par-là se formalisent Lyrsque j'y paru en quelque lieu Du Roi, de VEtat et de Dieu ; Ils allèguent que le burlesque, Comme étant un style grotesque. Ne doit point avoir pour objets De grands et suprêmes sujets ; Disent que je suis téméraire, , Et qu'au moins je me devrais taire De Dieu, de l'Etat et du Roi, Qui sont trop hauts sujets pour moi;
904 GAZETTES EN VERS
Bre(, que trop souvent je me pique De morale et de politique. Je répons à ces suffisons Que depuis sept mois et trois ans J'ai toujours écrit de la sorte. Si bien ou mal, je m'en rapporte; Mais jusqu'ici ni potentat. Ni grande ni ministre d^Etatj Ni directeur de conscience. Ne m'ont point imposé silence. Touchant le Roi, qui m'est si cher. On ne me peut rien reprocher; Etant Français, et des plus fermes. Je n'écris de lui qu'en bons termes : Je ne lui suis donc point suspect De Dieu, fen parle avec respect ; Et pour VEtat toujours mon zèle A paru constant et fidèle. Et sachent lesdits malcontents Qu'écrivant les choses du temps. Tout événement historique Doit avoir place en ma chronique. Pourvu que ce soit bonnement.
Un jour cependant Loret s'était trouvé en face d'un ennemi avec lequel il ne faisait pas bon plai- santer. Quelques membres du Parlement, indignés qu'un gazetier eût osé parler d'eux
Dans ses pauvres petits ouvrages^
ameutèrent contre lui la turbulente assemblée, et cette fois la critique faillit se formuler en un bel et bon arrêt.
LORET 305
Quelques-uns, voyant de travers Mes malheureux et pauvres vers, Et les tournant à œnséquence, 0 princesse! on ma fait àéfense D'écrire politiquement. Ni de railler aucunement. Cki nomme sanglante critique Mon innocente rhétorique, Et plusieurs traitent (Patientât Le zèle que fai pour VEtat, Quoique j'aye Vàme assez bonne. Et point de fiel contre personne. Quelques messieurs du Parlement N'aiment pas mon raisonnement. Si que, craignant^ en ce rencontre, Que Von me donne un arrêt contre (Car ces messieurs sont absolus ), Je ne raisonnerai donc plus Sur Vétat présent des affaires, Pour n'irriter tels adversaires ; J'en parlerai tout simplement. Pour obéir au Parlementa- Mais aussi mes tristes gazettes Ne seront plus que des sornettes.
Loret fit semblant de s'amender; mais il n'en continua pas moins à dire sa façon de penser sur toutes choses avec la même bonhomie. Sa politique d'ailleurs n'était ni turbulente, ni dangereuse ; on la voit toujours la même, aussi invariable que sa Muse historique l'est dans sa forme et dans son esprit. Loret était un représentant, et peut-être le dernier, de cette grande famille qui, depuis les trou-
306 GAZBTTBS EN VERS
vères et les troubadours, chantait en tendant la main. 11 demeura fermement attaché à la royauté, parce que le roi c'est la cour, la cour son élément, et qu'en somme les pensions sont payées plus régu- lièrement là qu'ailleurs. Il jugea du reste les événe- ments avec un bon sens mis rudement à l'épreuve, il faut en convenir, par l'obligation de suivre toutes les semaines les écarts d'une politique qui avait ses révolutions quotidiennes, et il s'en tira avec une grande habileté. Ainsi on lit dans sa Lettre du 2 sep- tembre 1 650 :
Ce jour on a fnis ocoision
De faire la translation.
Mais très cachée et très soudaine^
Des trois prisonniers de Vinceine,
Plaise à la divine bonté
Que la dure captivité
Par eux constamment endurée
Ne soit pas de longue durée !
Il ne va pas plus loin : il avait des ménagements à garder avec le cardinal. Six mois plus tard il publie ce qui suit, avec une franchise également pleine de réserve ; il avait des ménagements à gar- der avec le Parlement :
Mardi, messieurs du Parlement, Examinant eaxMctement Ceux qui, par arrêt et sentence, Etaient allés en diligence Sur les pistes du cardinal,
LORET 307
Virent dans le procès-verbal Quantité de choses atroces^ Dont en voici deux des plus grosses [Ce fut de deux clercs d^avocats Dont, à peu près, fai su le cas) : Savoir quun homme de village À déposé pour témoignage Que Jules, s'étant retiré Chez un bonhomme de curé, Avait quitté cette chaumière Sans donner à la chambrière. Autre manant, sur le chemin, A déclaré que Mazarin Qui marchait la nuit, sans lanterne, Ayant bu dans une taverne Du vin à seize sous le pot. Quand ce vint à payer Vécot, Qui ne consistait, pour tous vivres,
Qu'à la somme de quatre livres.
On ne put tirer de ses mains
Qu'un écu léger de trois grains.
Dont il se fit rendre le reste;
Et que le tavemier proteste
Qu'il perdit sur ledit écu
Pour le moins demi-quart ^écu.
Hé bien ! sont-ce pas là des crimes
Dignes de foudres ou ^abîmes ?
Son exil ou bannissement
N*art-il pas un grand fondement?
0 vous qui de Son Eminence
Prenez sans cesse Vinnocence
Et qui lui servez d'avocats.
Que répondrez^ous sur ce cas?
Cette fine moquerie, que Ton retrouve à chaque page, valait mieux assurément et était aussi coura-
308 GAZETTES EN VERS
geuse que beaucoup de grands raisonnements. Et l'on remarquera qu'il était alors indépendant du eardinal : ce n'est que vers 1 655 qu'il compta parmi ses nombreux pensionnaires.
On était en pleine Fronde quand Loret commença à écrire, et la mobilité des hommes et des choses se reflète dans ses vers^ qui, s'ils n'ont point conservé jusqu'à nos jours la grâce de la nouveauté, comme le leur promettait un contemporain, sont encore lus avec plaisir. Citons quelques traits :
Lyris ne sait quel parti prendre, Tant il a peur de se méprendre. Madame la Fronde et la Cour Attirent son cœur tour à tour. Aujourd'hui Vune le possède; Une heure après Vautre V obsède ; Il est entre deux suspendu. Et, n'étant gagné ni perdu. Il dit à Vune : Allez au peautre ! P%ns il en dit autant à Vautre. A Vune il dit : Je suis à vous; A Vautre il dit : Unissons-nottâ. On lui fait harangue : il écoute, Il conteste, il balance, il doute, H voit le mal, il voit le bien; Mais enfin il ne résou$ rien. ^ Quelques partisans de Corinthe, Qui pour la Cour sont pleins d'absinthe, Et tout plein de petits frondeurs, Jusque même à des ravaudeurs, . Avec une ardeur sans seconde
LORET 309
Lut parlent pour dame la Fronde. I/autreSj vrais serviteurs du roi^ Gens de probité, gens de foi^ Le sollicitent pour la reine, Qui de nous tous est souveraine* Comment se démélera-t-il Uun labyrinthe si subtil , Et que faudrcht-il qu'il réponde? Sera-P-il Cour? sera-t-il Fronde? Je n'en sais rien, foi de Normand ! Et si je disais autrement. Mon audace serait extrême. Car il ne le sait pas lui-même.
Ecoutez-le se moquer des chevaliers de la paille :
Ce jour, par étrange manie, De Paris la tourbe infinie, Suivant un ordre tout nouveau. Mit de la paille à son chapeau. Si sans paille on voyait un homme^ Chacun criait : Que Von Vassomme ! Car c'est un chien de mazarin. Mais avec seulement un brin. Eût-on quelqw bourse coupée, Eût^on tiré cent fois Vépée, Eût-on donné cent coups mortels, Eût-on pillé deux mille autels. Eût-on forcé cinquante grilles Et violé quatre cents fiUes, On pouvait, avec sûreté^ Marcher par toute la cité, En laquelle, vaille que vaille, Tous étaient lors des gens de paille,
Mazarin prend-il la fuite, Paris est dans Tivresse ;
340 GAZETTES EN VERS
bourgeois, rentiers et populace se répandent dans les rues, et trois volumes ne lui suffiraient pas s'il voulait enregistrer tous les sots propos débités en cette occasion,
Où Von remarqua maint courtaud Qui tournait le visage en haut. Croyant qu'après cette sortie Laîouette, toute rôtie. Lui tomberait dedans le bec.
L'Hôtel-de- Ville tire le canon d'allégresse, et le Parlement poursuit TEminence
 grands coups Jarrets sur arrêts.
Mais apprend-on
Que ledit Jules fait voyage
A la Cour en grand équipage.
Alors messieurs du Parlement
Parlent, dit-on, plus doucement.,.
Tel qui disait : Faut qu'on Vassomme,
Dit à présent qu'il est bonhomme;
Tel qui disait le Mascarin,
Avec un ton de révérence.
Dit maintenant : Son Eminence,.,
0 les âmes faibles et vaines !
0 les fragilités humaines!
A peine le cardinal est-il rentré dans Paris, que THÔtel-de- Ville s'empresse de le fêter. ,
Aujouréthui^ dans fHôtelrde-Villey D^une façon toute civile, Les consuls et les échevins. Avec (^ntiU de bons vins
LORBT 344
Et des poissons en abondance. On fait un banquet (Timportance Et qui coûte mamt bon fhrin A monsieur Jules Jfazartn, Lequel toute la compagnie Reçut avec joie infinie. . Outre les mets délicieux Qui délectaient même les yeuœ^ On joua du plat de la langue, Car on lui fit mainte harangue, Maint beau discours et compliment^ Qui rélevaient au firmament.
Quand les princes séparèrent leur cause de celle de la reine, Loret, quoique pensionnaire de Thôtel de Longueville, resta, en homme prévoyant ou déjà intéressé, fidèle au parti de la cour, tout en ména- geant le parti des princes, qu'il a toujours soin de distinguer de celui de la* Fronde. Cela ne l'empêche pas de se moquer des courtisans, qui, à tout pro- pos.
Jurent mort ! ventre l sang ! ou tête ! Car le courtisan se croit bête Et ne savoir pas son métier ^il ne jure comme un chartieT.
11 ne craint même point de blâmer la reine de cé- der à la nécessité de se faire des créatures par des promotions inconsidérées qui,
Rendant Vhermine Plus commune que Vétctmine,
déconsidèrent les plus hautes dignités.
34S GAZETTES EN VERS
La reine a fait en abùndance
De nouveaux maréchaux de France,,.
Ils n'étaient que quatre autrefins
Sous Henri quatre et Henri trois;
Mais c'est qu'à toutes aventures
On veut faire des créatures,
Et ïon jugey en voyant ce point,
Qu'on en a grandement besoin.
Ce n'est pas qw de ceux qu'on nomme
Chacun ne soit assez brave homme;
Mais la trop grande quantité
Avilit cette dignitéy
Qui, pour être si conférée,
N'en est pas si considérée.
D'ailleurs, comme tous les hommes sensés, Lo* ret déplorait sincèrement les maux que la discorde civile avait attirés sur la France; car, dit-il, en s'a- dressant aux Espagnols, *
Si les Français ont du dessous. Si vous avez barres sur nous^ Si nos pertes sont infinies, Remerciez-'en nos manies^ Et nos noires dissensions Que fomentent vos passions.
Plus d'une fois le tableau des maux
Dont le pauvre Etat est la prote
vient glacer sa verve, et lui arracher des impréca- tions contre
Les malins auteurs de la guerre.
LORET 343
11 gémit
De voir Ut discorde civile
Jtégner dans cette grande ville
Qui jadis était un s^our
De paiXy d'abondance et d'amom,..
Une ville enfin sans seconde.
Et, bref, la merveille du monde.
Maintenant son bonheur fait fluœ.
On ne la connaît presque plus;
Sa splendeur est quasi ternie ;
La liberté s'en voit bannie.
Et Von peut dire avec raisoti
Qu'elle est une grande prison
D'où n'ose plus sortir personne.
Non pas seulement pour Charonne^
Bagnolet, Saint-Cloud, Saint-Denis,
Et miUe autres lieux infinis,
Où, les fêtes et ks dimanches,
Les bourgeois, les mains sur les hanches.
Allaient humer un air nouveau,
Quand le temps était clair et beau.
Et il ajoute :
Depuis trois ou quatre ans je prône Que le peu d'amour pour le trône Pourrait un jour dans la citéf Causer grande perplexité; Mais f ai beau prier qu'on me croye, Je suis la Cassandre de Troye, Qui de loin les choses voyait, Et jamais on ne la croyait.
La politique ne remplissait pas exclusivement les lettres de Loret. Bruits de la ville et de la cour,
T. ï. u
3U GAZETTES EN VERS
entrées princières, fêtes publiques, festins royaux, représentations théâtrales, bals et ballets chez le roi ou les riches seigneurs de la cour, naissances, mariages et morts illustres, nouvelles littéraires, apparition de livres nouveaux, sermons des prédi- cateurs en vogue, institutions nouvelles et inven- tions utiles, curiosités de toute nature, mystères de la ruelle, et parfois même secrets de Talcôve, Loret tient note de tout, révèle tout, décrit tout en vers abondants et faciles, spirituels et naïfs, bur- lesques, mais pleins de bon sens, libres, mais non effrontés, empreints toujours d*im profond respect pour la vérité.
Citons quelques exemples, dans des genres di- vers :
La pauvre Marion Dehrme, De si rare et plaisante forme, A laissé ravir au tombeau Son corps si charmant et si beau. Quand la mort avec sa faucille Assassine une belle fille, fen ai toujours de la douleur Et tiens cela pour grand malheur.
Vautre soir, le brave Rouvilk Allant assez tard par la ville. Son carrosse fut arrêté^ Et son manteau fut emporté. Il avait lors pour camarade
LORET :345
Le beau fnomieur de Benserade,
Qu'on prit peine aussi de voler,
Dont il ne se peut consoler.
A la clarté de la bougie.
Il avait fait une élégie
Que Von tira de son gousset,
S'il en fut fâché, Dieu le sait!
Plus, une ode toute divine
Sur le sujet d'une blondine.
On lui prit aussi tout de gob
Son ravissant sonnet sur Job,
Que, par raison ou par manie,
Plitëieurs aimaient mieux qu'Uranie,
Quelques vers pour la Saint-Mégrin,
D'autres pour monsieur Mazarin ;
Item, une heureuse anagramme
Finie en pointe d'épigramme.
Deux ou trois chansons pour Philis,
Des stances pourAmoriUs,
Des paroles pour Arrparante
Faites sur Y air d^une courante;
Un beau siçpain de quatre vers.
Dix ou douze fragments divers.
Et des pièces, enfin, si belles,
Qu*iï en eut des douleurs moi^telks.
Quand il fut arrivé chez lui,
Pkin d'inquiétude et (f ennu»,
Il dit, fouillant dans sa pochette :
« Grands Dieux! quelle perte ai-je faite !
Que mon malheur est sans égal!
Qu'on m'a pris un beau madrigal!
Las! je vois que je suis moins riehe
Que je n'étais ^un acrostiche !
0 mes triolets bien aimés!
0 chers et subtils bouts rimes !
346 GAZETTES EN VERS
Que je vous plaine et vous regrette î Grands dieux! quelle perte ai-je faite! Mes vers pour V aimable Brégis, ' Ceux de madame de Congis, La lettre que je fis expresse Pour la chienne de ma maitresse,,. Las I vous m'êtes donc échappés, Et vous avez été grippés Par cette canaiUe indiscrète ! Grands dieux ! quelle perte ai-je faite ! Pourtant^ dit-il à ses valets. On ne m'a point pris mes poulets; Cela tant soit peu me console. » Enfin, après cette parole Il déboutonna son pourpoint, Se déshabilla de tout point, Mit de la cire à ses moustaches. Mangea dix ou douze pistaches^ Prit son mouchoir et se moucfia Et puis après il se coucha.
Voici le compte rendu par Loret, dans sa Lettre du 6 décembre 1659, des Précieuses ridicules de Molière, qui avaient été représentées le 18 no- vembre :
Cette troupe de comédiens Que Monsieur avoue être siens Beprésentant sur leur théâtre Une action assez folâtre, ' Autrement un sujet plaisant, A rire sans cesse induisant Par des choses facétieuses. Intitulé les Prétieuses, Ont été si fort visita
LORET an
Par gens de toutes queUités^ Qu'on n'en vit jamais tant ensemble Que ces jours passés^ ce me semble^ Dans Vkôtel du Petit-Bourbon Pour un sujet mauvais ou bon. Ce n'est qu'un sujet chiméri^^, Mais si bouffon et si comique Que jamais les pièces du Ryer, Qui fut si digne de laurier; . Jamais l'Œdipe de Corneille, Que Von tient être une merveille; La Cctësandre de Bois-ttobert Le Néron de monsieur Gilberi.., N'eurent une vogue si grande. Tant la pièce semble friande A plusieurs tant sages que fùus. Pour moi, j'y portai trente sous; Mais, oyant leurs fines paroles, fen ris pour plus de dix pistoks.
Remarquons que mademoiselle de Longueville était une précieuse y que Molière, à peine connu, ne méritait pas d'être nommé, et que ces considéra- tions n'ont pas empêché Loret de faire Téloge de la pièce .
On lit dans sa Lettre du 26 août 1 653, à propos de l'établissement de la petite poste à Paris :
On va bientôt mettre en pratique. Pour la commodité publique, Un certain établissement {Mais c'est pour Paris seulenient)
348 GAZETTES EK VERS
De boites nombreuses et drues Auoi petites et grandes rues. Où, par soi-même ou son laquais, On pourra porter des paquets. Et dedans, à toute heure, mettre AviSf billet, missive ou Uttre, Qw des gens commis pour cela Iront chercher et prendre là. Pour d'une diligence habile l£S porter par toute la ville... Ceux qui n*ont suivants ni suivantes. Ni de valets, ni de servantes, Ayant des amis loin logés. Seront ainsi fort sondages. Outre plus, je dis et f annonce Qu'en cas qu'il faille avoir r^nse, On Vaura par même moyen. Et si Von veut savoir combien Coûtera le port d^une letire (Chose qu*il ne faut pas omettre), Afin que nul ne soit trompé. Ce ne sera qu^un sou tapé (4).
Il rendait compte des productions de la librairie et des produits du commerce, dans une forme plus attrayante que la quatrième page de nos feuilles quotidiennes. S'agit-il de nouveaux livres?
(4) Ce projet s'eut pas le succès que son inooDte8taA>le utUité semblait devoir lui assurer. « Gertaiues boêstes, lit-on dans le Roman bourgeois de Furetière, es- toient lors nouvellement attachées à tous les coins des rues, pour taire tenir des lettres de Paris à Paris, sur lesquelles le ciel versa de si malheureuses influences que jamais aucune lettre ne fut rendue à son adresse, et, à Fouvertare'desboëstes, on trouva pour toutes choses des souris que des malicieux y avaient mises. • Un siècle après, rétablissement de 1653 était si bien oublié, que, M. deChamousset l'ayant remis sur pied, on lui en fit honneur comme s*il en eftt en le premier l'idée.
LORBT 319
On les vendra soirs $t fMtins Sur le quai des Grands-Augustins, En la boutiqtie d^un libraire Imprimeur ou non ordinaire ; Et si le lecteur demande où, Cest justement chez Jean Ribou.
L'étaiû est-il devenu un métal usuel, applicable à tous les ustensiles de ménage, il proclame ses avantages et il assure
Que les plus fins et les pltis sages Prendraient â^ abord ces beaux ouvrages. Tant Féclat en parait joli. Pour un bel argent bien poli.
Enfin il donne place jusqu'à cette invention qui sert encore d'enseigne à plus d'un bottier,
Des bottes faites sans couture. Bottes d'hiver ou bien d*été.
On voit que la réclame n'est pas chose nouvelle.
Enfin, nous le répétons, il ne se passait rien de remarquable à Paris, ou dans le reste de la France, qu'il ne le décrivît c naïvement et agréablement. Et ce qui est de plus à louer, ajoute son éditeur, quoi- que les sujets soient quelquefois assez facétieux d'eux-mêmes, et semblent lui donner une certaine liberté de parler, il s'est tellement réglé, que l'on n'y voit point de paroles licencieuses, ni de mots à deux-entendre qui puissent offenser la pudeur des dames et des plus sévères esprits. » Ajoutons la
320 GAZETTES EN VERS
pudeur des dames du xvii* siècle ; car, quelque circonspect que dût être Loret dans un ouvrage adressé à une femme, on ne laisse pas que de ren- contrer de temps à autre des pièces légèrement gra- veleuses, qui effaroucheraient la pudeur de notre siècle collet-monté ; mais alors
Le français dans les mots bravait rhonnêteté.
Nous en citerons une seule, qui achèvera de mon- trer le genre de Fauteur et le goût de l'époque :
Vautre jour ^ une demoieeUe, Jeune, aimable, charmante et beiUe, Non sans se faire un peu de ma/, En clMssant tomba de cheval, Et Zéphir; la prenant pour Flore, Hormis qu'elle est plus fraîche encore, Lui souleva, quand elle chut. Chemise et cotillon. Mais chut t Je suis si simple et si modeste, Que fai peine à dire le reste. On ne vit qu'un beau cul pourtant, Admirablement kiaiant, Et dont la blancheur sans pareiUe Des autres culs est la merveille. Cul royal et des plus polis. Puisqu'il est tout semé de lis ; Cul qui, cette fois, sans obstacle. Fit voir t*n prodige ou miracle : Car c'est là pure vérité Que, dans un des chauds jours d'été, Quand il fit ce plaisant parterre. On vit de la neige sur terre.
LORET 3S4
PUisiewrSj se trouvant vis-d-vts, De cet objet furent ravie^ Le nommant, en cette aventure, Un chef -é^ oeuvre de la nature; Et même un auteur incertain Composa ce joli huitenn ;
Trésor cachée beauté jumelle, Brillant séjour de l'embonpoint, Ta splendeur a paru si belle Et mit ta gloire à si haut point, Qu'il faut qu'incessamment Von prâne, 0 cul qui les dieux charmerait. Que, si tu n'es digne du trône. Tu l'es au moins du tabouret.
Un autre mérite de Loret, suivant son éditeur, c'est de « faire servir son dessein à la gloire de plu- sieurs grands hommes, en rapportant leurs plus belles actions et ne manquant point à faire leurs éloges quand l'occasion s'en présente, et, lorsque leur mort arrive, leur dressant d'honorables épi- tafes. » Nous citerons un de ces épitafes qui a plus particulièrement trait à notre sujet ; voici en quels termes Loret annonce la mort de son con- frère le gazetier en prose , dans sa lettre du 1 •^ no- vembre 1 653 :
Benaudot, le grand Gazetier,
Dont le nez n'était pas entier,
Mais disert historiographe.
Et digne d*un bel épitaphe.
Dimanche fut mis au tombeau,
44
Zn GAZETTES EN VERS
A la clarté de maint flambeau.
Sentant en mon cœur qudque transe,
A ca\à»e de la resgemblanoe
De son métier avec le mien^
Et pour faire acte de chrétien.
Je conduisis son froid cadavre
Jusqu'à son dernier port ou havre,
Et là, pour son salut je dis
Dévotement De profundis.
La grande déesse emplumée
Qu'on appelle la Benommée
Eut ^ceil humide, et non pas sec,
Quand la mort lui ferma le bec :
Il était un de ses trompettes,
Un de ses meilleurs interprètes,
Un de ses plus fameux agents,
Un de ses plus adroits régents,
Un des plus grands clercs de son temple,
Enfin un esprit sans exemple.
Qu'elle devait bien secourir.
Et non pas le laisser mourir.
Depuis que, par son peu de force,
Un fâcheux et triste divorce
Se mit entre sa femme et lui.
Rien ne consola son ennui ;
Sa santé fut toujours faiblette.
Il devint sec comme un squel^te;
Le jour on ^entendait gémir,
La nuit il ne pouvait dormir,
n sentait de rudes atteintes ;
Sa bouche était ouverte aux plaintes.
Il soupirait à tout propos.
Maintenant il est en repos,
Car on peut pieusement croire
Qu'il fit ici son purgatoire.
LORET 3S8
De certain passage de Tallemant des Réaux il résulterait que ces beaux épitaphes n'étaient pas toujours désintéressés, et que Loret se faisait vo- lontiers payer en belles espèces sonnantes Thon- neur qu'il faisait à tel ou tel fat de coucher tout du long son nom dans sa gazette. Scarron, que nous verrons tout à rheure marcher sur ses traces, lui adresse le même reproche, et, tout en faisant son éloge, lui décoche ce trait :
LoTBt écrit pour qui lui donne.
Et en effet on trouve assez fréquemment dans ses vers de véritables réclames qu'il n'a pu songer à insérer sans y avoir un certain intérêt. Après tout, il n'y aurait là rien que de bien naturel, et ce n'est pas aujourd'hui, quand la réclame joue un si grand rôle dans les journaux, même les plus respectables, qu'on pourrait faire un crime à Loret d'avoir tiré parti de la publicité dont il disposait. 11 est bon de se rappeler, d'ailleurs, que, venu pauvre à Paris, il n'avait d'autres ressources que celles qu'il s'était conquises par sa plume. 11 avait commencé sa carrière de journaliste avec une pen- sion de 250 livres que lui faisait la princesse de Longueville, dont il était « serviteur gagé. »
Princesse, enfin votre ordonnance M'a fait toucher quelque finance ; On m'a payé tout un quartier De ma charge de gazetier.
3U GAZETTES EN VERS
/( faut donc que je persévère, •
Et si le ciel^ en qui fespère^
M'éclaire un peu Ventendement,
Vous aurez du contentement
Pour vos deux cent cinquante livres.
Ou bien fy brûlerai mes livres^
Cette pension fut augmentée « d'un certain nom- bre de louis, » dès Tannée 1651, ainsi qu'il nous rapprend lui-même; mais il paraîtrait qu'elle n'é- tait pas toujours régulièrement payée, car on ren- contre dans ses lettres d'assez fréquentes réclama- tions.
Princesse, que le ciel bénisse^ A qui foi voué mon service, I Et sacrifié tous mes soins ^
Durant quatre mois pour le moins, Nous avons fait le devoir nôtre : 11, est temps de faire le vâtte.
Le succès des Lettres en vers ne tarda pas à valoir à leur auteur d'autres faveurs du même genre. Fouquet n'était pas homme à négliger cette trom- pette : il porta le gazetier pour 200 écus sur la longue liste de ses créatures pensionnées. Celui-ci reconnaît ses bontés en suivant ses mouvements, en décrivant ses fêtes, en vantant ses prodigalités.
Le modèle du vrai prudent. Monseigneur le surintendant, Dont les bontés me sont si chères. Est de retour.
LORET 32$:
Lorsque le surintendant fut arrêté pour répondre de ses mahersations , Loret en. exprima publique-^ ment ses regrets, et il y avait bien à cela quelque courage, car il aurait pu retrouver sur TEtat ce qu'il perdait par la ruine du financier.
Ld sieur surintendant de France, Je ne sais fnyurquoi ni comment.
Est arrêté présentement
Certes f ai toujours respecté
Lbs ordres de Sa Majesté
Et cru que ce monarque auguste
Ne commandait rien que de juste;
Mais étant remémoratif
Que cet infortuné captif
M*a toujours semblé bon et sage
Et que dun obligeant langage
U m'a quelquefois honoré,
T avoue en avoir soupiré.
Ne pouvant, sans trop me contraindre.
Empêcher mon cosur de le plaindre.
Si, sans préjudice du roi
— Et je le dis de bonne foi —
Je pouvais lui rendre service
JEt rendre son sort plus propice
En adoucissant sa rigueur.
Je le ferais de tout mon cosur;
Mais ce mien désir est frivole.
Et prier Dieu qu'il le console
En l'état qu'il est aujourd'hui,
Cest tout ce que je puis pour lui.
Fouquet fut sensible à cette fidélité reconnais- sante, et Ménage nous apprend comment il l'en ré-
3S6 GAZETTES EN VERS
compensa. « Quoique M. Fouquet fût privé de toutes ehoses et qu'il eût d'ailleurs de grandes dépenses à soutenir, néanmoins, ayant été informé de la chose, il fit prier madame de Scudéri d'envoyer secrète- ment à Loret quinze cents francs. Pour exécuter ce qu'il souhaitait, madame de Scudéri choisit une personne de confiance, à qui elle donna les quinze cents francs. Cette personne alla trouver Loret, et fit si bien, après s'être entretenue avec lui, qu'elle sortit de chez lui après y avoir laissé cette sonune dans une bourse sans qu'il s'en aperçût. » Et Fou- quet put lire, dans la Gazette qui parut le samedi suivant , les remercieinents que Loret adressait à son bienfaiteur inconnu.
Dès 1654, Mazarin avait récompensé par une pension de deux cents écus la bonne direction poli- tique suivie par la Muse historique au miUeu des troubles de la Fronde. A la mort du Cardinal, Lorét élève ses regrets jusqu'aux plus hautes considéra- tions politiques, revêtues d'images poétiques assez heureuses; mais il les fait précéder d'ime remarque un peu prosaïque :
Par cette mort, qw je lamente, Je perds deux cents écus de rente Qui furent, pour mon entretien. Mon plus clair et solide bien. Et que ùBtte sage Eminence àf avait donnés pour récompense
LORET 3Yr
D'avoir c^nistamment persisté D'être to^iùwr8 du bon côté.
Mais, ajoute-t-il bien vite,
Mais, quelque perte que je fasse, Et quelle que soit ma disgrâce, L'Etat, fen jurerais ma foi, Perd infiniment plus que moi.
J'abandonne aux plumes savantes A dépeindre ses grands talents. Et je vais seulement écrire Le quart de ce qu'on en peut dire. Ce Jule dont, pour nos péchés. Les jours sont trop tôt retranchés, Fut un génie incomparable j Un homm^e vraiment admirable. Un homme dont les faits divers Ont étonné tout V univers
Quoi qu'il en soit, c'est avec un étonnement mêlé de joie qu'il apprend, à l'ouverture du testament laissé par Mazarin, que cette pension est devenue une rente viagère, et il en exprime chaleureusement sa reconnaissance.
Plus tard, il aurait bien voulu voir cette rente s'augmenter d'une pension sur la cassette du roi. C'était le temps où Colbert formait sa fameuse liste de gens de lettres pensionnés. Loret n'y était porté ïii par Chapelain, ni par Conrart, et il en mau- gréait; il ne s'expliquait pas son exclusion, lui qui se voyait assiégé par les gens de lettres qui voulaient
39S GAZETTES EN VERS
avoir une mention dans sa gazette comme moyen d'obtenir ce que lui-même sollicitait vainement. Il s'en plaint avec amertume.
Hélas I mon infortune est telle Qw je n'ai pas dans la cervelle Du latin et du grec à tas Et ne suis pas un savantas.
Et cependant, ajoute-t-il, je puis me vanter
Que mes relations en vers
Font quelque bruit dans Vunivers,
Et le roi n'eût fait que justice en le mettant au nombre de ses pensionnaires :
Car y si c'était pour à jamais Faire éterniser ses beaux faits^ J'en connais tel qui y ce me semble^ A plia écrit qu'eux tous ensemble De ses augustes actions.
Mais, à défaut de pensions j les gratifications ne lui manquèrent pas, comme il le proclame lui- même :
Vous saurez donc. Mademoiselle, Pour première et bonne nouvelle, Que les vers que je fais pour vous Ont un sort si rare et si doux Que leur production féconde Agrée au meilleur roi du monde^ Et que, pour me le témoigner. Sa Majesté m'a fait donner {Tant elle me croit honnête homme) De cent écus d'argent la somme.
LORET 3*9:
Que foi depuis un peu de tempe Beçus par madame Bontemps.
Et à la fin de la lettre où il annonce cette faveur à la princesse se lit un Remerciement au Roij qui se termine ainsi :
Vous pauvez de quelques pistoles Payer mes vers et mes paroles; Mais, Sire, vrai comme le jour. Rien ne peut payer mon amour.
•
Un autre jour, c'est Marie de Mancini, qui, ayant besoin de ses ménagements, ou craignant peut-être ses indiscrétions, lui envoie de beaux louis d'or, qu'il accepte avec une prétendue confusion,
Puisqw votre onde débonnaire. Dont je suis le pensionnaire Depuis quatre ou cinq ans passéSy M*a déjà fait du bien assez.
Une autre fois c'est le généreux Habert de Montmor
Qui par ses soins et par son or. Bonté, franchise et bienveillance, Lui rendit bien de l'assistance.
Par elle-même, d'ailleurs, la Muse historique devait être d'un assez bon revenu : elle comptait de nombreux abonnés, auxquels on l'adressait sous bande, comme on fait de nos journaux actuels. Mais, quel que fût son produit, quelles que fussent les libéralités de ses protecteurs, Loret n'en était
33d GAZETTES EN VERS
pas plus riche, et nous le voyons toujours qué- mander : c'est qu'il av^it malheureusement la pas- sion du jeu, si commune alors. Le destin, dit41, l'avait £ait trop libertin ;
72 aimait trop battoirs, raquettes. Cartes, quinolas, quinolettes. Prime, hoc, piquet, reversis.
Et tout le long de ses lettres il s'accuse de ce dé- faut capital :
Loin (Tcocereer ma pauvre veine, 0 Princesse, cette semaine J'ai tant joué par ci par là Au plaisant jeu de quinola, A la houle, et même à la paume, le plus noble jeu du royaume, Que je me suis vu sur le point De ne rimer ni peu ni point. Comme je fais à V ordinaire Pour Votre Altesse débonnaire,,. Peste de la petite prime, Qui, durant le temps de la rime. Les jours passés trop m'ofxsupa ! fen dis trois fois meà culpâ.
J'ai joué durant deux nuitées, Jusques à quatre heures comptées. Ha ! f avoue ici que fai tort, Et certes j'appréhende fort (Non sans faire laide grimace) Que les vers qu'il faut que je fasse En deux ou trois heures au plus Ne valent pas un karohis.
LORET 331
Princesse, il faut que je ViMvoue, Je devrais avoir sur la joue. Ma muse est presque au désespoir. Car certainement, hier au soir. Au lieu de songer à la rime. Je jouai si tard à la prime, Que je dors .encor tout debout. Et ne sais pas bien par quel bout Je dois commencer ma copie, Tant ma pauvre éme est assoupie,
r
Ainsi jouant et buvant le jour et la nuit, Loret, honnête homme du reste, faisait souvent des dettes; il Tavoue sans vergogne ; il ne serait pas éloigné de s'en vanter pour en tirer parti ; il ne craint pas du moins de mendier pour les payer : 0 très-excellente Princesse, on m'a fait espérer
Que de moi vous auriez souci.
Et que, pour réparer les pertes
Que depuis un peu fai souffertes,
Vous prendriez dans votre trésor
Quelques pièces d'argent ou d'or.
Que je recevrais avec joie,
Pour contenter, par cette voie.
Deux ou trois créanciers que j'ai,
Auocquels je me suis obligé,
En foi d'honnête et galant homme.
De payer au moins quelque somme
Au terme Saint-Jean, échu d'hier.
Or monseigneur le créancier ' :
Se fait aujourd'hui fort de fête.
Croyant la somme toute prête.
If autant qu'entre eux fai le bonheur
Dépasser pour homme d^ honneur.
nt GAZETTES EN VERS
Eêpérant donc que Voire AUesee if ordonnera quelque largesse. Je finirai suppliant Dieu, etc.
Si nous avons touché à ces questions plus per- sonnelles que littéraires, c'est que nous avons pensé qu'en faisant connaître le journal, il n'était pas sans intérêt de faire connaître aussi le journaliste. Nous ne chercherons point d'ailleurs à excuser Loret; nous nous bornerons à rappeler combien de son temps les idées étaient différentes de ce qu'elles sont à présent. De nos jours l'indépendance de l'homme de lettres est possible, elle est nécessaire même pour ceux qui tiennent à leur dignité ; dans la société où vivait Loret, il fallait à l'écrivain, même le plus sûr de sa force, un protecteur. Quant au parti qu'il tirait de sa plume, il n'y a rien là qui doive surprendre aujourd'hui : s'il y a de la diffé- rence entre les deux époques, elle n'est que dans les procédés, qui se sont bien perfectionnés depuis deux cents ans.
Les citations que nous avons faites, et que nous avons faites nombreuses, parce que c'était le plus sûr moyen de faire connaître l'humoristique ga- zetier, sa manière, sa facilité, sa gaieté, son esprit, permettent de juger de ce qu'était la Mme histo- rique.
C'est aujourd'hui le seul monument peut-être,
LORET 333
et certainement 1q plus complet qui nous reste, des opinions politiques et littéraires de cette époque- fé- conde. La Fronde, les intrigues auxquelles elle a donné lieu, les personnages qui y figurent, une partie des pièces de Corneille, toutes celles de Mo- lière, y sont appréciés jour par jour et selon l'esprit du temps, toujours avec bonne foi, souvent avec esprit. A côté des anecdotes des ruelles et des sa- lons, on y trouve des détails de caractère et de mœurs, des renseignements précieux, qu'on cher- cherait vainement ailleurs. Il y a là, en un mot, pour les esprits chercheurs qui s'occupent du xvii* «iède, toute une mine à exploiter»
u Les Lettres en vers de^Loret, disent ses nouveaux éditeurs (i), sont assurément un des ouvrages les plus curieux à consulter, une des sources les plus abondantes en précieux renseignements auxquelles il soit possible de puiser, pour quiconque veut étudier avec soin l'histoire politique ou littéraire de la France pendant la période de temps qu'embrasse cette gazette rimée. Pour seize années de la vie du grand siècle, on y trouve, en effet, outre la relation de tous les actes importants de la minorité et des premiers jours du règne de Louis XIV, le récit dé- taillé de ces mille petits faits divers qui préparent,
(4) Voir, pour cette nouvelle édition de la MtM historique, à la fin de cet article.
334 GAZETTES EN VERS
qui expliquent les grands événements, qui ont passé presque inaperçus des contemporains eux- mêmes , et dont les plus pénibles et les plus minu- tieuses recherches n'amèneraient pas toujours l'his- torien à saisir la trace ailleurs. Là, toutefois, ne se borne pas le mérite de la Muse historique. Un certain attrait nous pousse tous, plus ou moins, à rechercher les particularités intimes de la vie des personnages que Thistoire fait poser devant nous; or, cette curiosité est , ici , très amplement satis- faite.
Sous le rapport des informations et de la pein- ture des moeurs , le mérite de Loret est doncincon- testable. Le mérite littéraire ne lui sera pas aussi facilement concédé; nous croyons cependant que personne ne lui refusera au moins la facilité, la fécondité , le naturel.
Et quand on songe aux circonstances, aux con- ditions dans lesquelles il travaillait , on ne peut se défendre d'une sorte d'admiration pour la constance de ce pauvre gazetier à remplir sa tâche pendant près de quinze ans , sans faiblir, saBs se négliger un instant, avec la même exaolitode, avec la inême gaieté. La misère, la maladie, la tristesse, l'humeur, qui quelquefois l'atteignent , et qu'il ne dissimule point, ne le faisaient . pas ralentir d'une semaine. « Il n'y avait point à se résoudre ou à s'aviser;
LORET 335
ayant commencé ce trayail , il fallait s'en occuper sans relâcbe. On demandait cela de lui , on Fen priait, et au besoin on l'y aurait doucement forcé» Il fallait satisfaire tant de gens d'honneur et de qualité, et ne pas leur déplaire. On atten4ait de lui un divertissement qui ne manquait point, qui était toujours nouveau : car avec quelle merv«U>- leuse invention d'esprit ne savait-il pas accom- moder les choses en leur donnant toujours une nouvelle face ! » Mais aussi
Il lui fallait plus d^une fois Se mordre bien serré les doigts, t. Pour satisfaire à son devoir.
Et sa gazette achevée, tout n'était pas fini : « pour montrer l'ardeur et le zèle » qu'il avait pour sa princesse , il allait lui porter lui-même sa lettre , quelque temps qu'il fît, « malgré les rivières qui tombaient du haut des gouttières; » et à pied, bien entendu, avec ses bottes de Roussy, couvert d'un manteau de vinaigre qui le faisait souvent ehrhu* mer, car
Il n'avait chaise ni carrosse. Ses pauvres petits revenus Etant trop courts et trop nienus Pour lui permettre le lou€tge De l'un ou de Vautre équipage,^
336 GAZETTBS BN VERS
Lorat lui-même, au commencement de 1 663, rap- pelait que sa Muse historique avait d^à exigé de lui 700 préambules divers et autant de péroraisons; il se permettait de faire remarquer que l'inépuisable variété dont il avait fait preuve excitait des étonne- ments et trouvait des approbateurs, et il repousse avec fierté l'insinuation qui tendrait à le faire soup- ^'^onner d'avoir
Des magasins de préambules. De dates et de comptimentSy De fins et de commencements,
qu'il tirerait de son armoire et appliquerait comme une selle à tous chevaux.
Les contemporains^ en effet, étaient dans l'admi- ration de cette mamère de dire toutes choses sur- le-champ, facilementetsans se répéter. Sorel, grave personnage , l'ami de Guy-Patin , ^i manifeste son étonnement: « Le sieur Loret, depuis l'annéei 1650, n'a point manqué de donner toutes les semaines une lettre en vers appelée ordinairement la Gazette burlesque; en quoi Ton a admiré la fertilité de son esprit pour tant de diverses préfaces , et l'adresse qu'il avait pour réciter agréablement toutes choses qui arrivaient. » Un pareil éloge a d'autant plus de valeur dans la bouche de Sorel, qu'au dire de son ami, c'était un homme fort doux et taciturne, point bigot ni mâzarin , tandis que Loret , au contraire , était ouvert, pieux , et mazarin.
LOREJ 337
A cette même époque de 1 663, où Loret jette un coup-d'œil sur le chemin parcouru par sa Muse^ il énumère ce qu'il a déjà composé de vers pour sa princesse , et il arrive au chiffre de trois cent mille.
Qui sont^ à dire vérité. Une étonnante quantité»
Dans des conditions pareilles de composition abondante, rapide , livrée à heure fixe , sans dis- continuation pendant quinze années , Loret a droit assurément à l'indulgence.
« La manière de notre auteur est toute naturelle et sans affectation aucune ; il ne cherche point de mots ampoulés pour étonner ; il ne fait point de di- gressions inutiles, et suit son sujet agréablement et naïvement. » Cette simplicité, il faut l'avouer, est quelquefois poussée jusqu'à la négligence. Les che- villes, les parenthèses hors de propos, les redites, ne l'effraient pas ; quand la rime lui manque, il l'avoue bonnement; quand il la trouve mal, il s'en excuse, ou bien il la prend sans mieux choisir. 11 convient lui-même presque à chaque page du peu de préméditation qu'il apportait dans son travail :
Quand je commence chaque lettre. Je ne sais ce que j'y dois mettre; Dans ^humeur qui vient m'agiter^ y écris sans rien préméditer.
T. I. ^ft
aa»- GAZETTES EN VERS
Et ailleurs :
Princesse^ quand 2» beaux etprUs
Composent Uuts divins éetits.
Ils les relisent d^ordinaire.
Et si quelque mot de grammaire
N'est pas comme il faut appliqué.
Il est tout soudain révoqué , •
On en met un autre à sa place
Qui donne au discours plus de grâcei
Bref, ils sont par eux si polis
Qu'ils en sont cent fois plus joHs.
Moij chétif poëte lyrique^
Inculte^ ignorant et rustique,
Quand j'écris gazette ou chanson.
Je n'y fais pas tant de façon ;
Je Us rime U>ut d^une haleine.
Et s'il fallait prendre la peine
D'y raturer et corriger.
Cela me ferait enrager.
Ce n'est donc pas chose fort rare
Si mon style est un peu barbare.
C'est-à-dire indigeste et cru.
Et quelquefois très-incongru.
Ainsi, sans aucun artifice,
Je me fais moi-même justice.
Et ceci, dont je suis l'auteur.
Servira d'avis au lecteur.
Et encore :
Mes vers jamais je ne retâte; Ils partent dès qu'ils sont rimes. Sitôt faits, sitôt imprimés.
Mais dans la fièvre de cette production hâtive , JLoret rencontre fréquemment des expressions heu-
LORBT 339
reusee, d'autres très-baufTonnes et véfitablmient burlesques. Ses Ters, souvent spiritudfsv sont tou^ jours abondants et fiaciles, toujours pleins de verr^» et d'originalité. Il avait en lui des qualités qui ne s'usent point et dont on ne se lasse jamais : une charmante bonhomie jointe à une rare bonne foi. 11 savait assaisonner chacun de ses. récits d'une gaieté ingénieuse et sans malice, qui en soutient encore aujourd'hui le charme et} Fin^téfrèt. ^
Les lettres de Loret sont toutes jetées: dans le même moule. En tète de chaciiiie se lit, en guise de titre, une épithète qui a un rapport quelconque^ général ou particulier, avec le contenu de la Irttre, qui affecte, en un mot, la prétention de la caraçté^ riser. Mais on conçoit que la nécessité d'en trouver une nouvelle toutes les semaines dut le jeter par- fois dans d'étranges recherches. Celle-ci est sen- sibky celle-là est niaise; celle-ci mélancolique^ celle- là folâtre ; l'une est ingénieitsc^ l'autre vulgaire ; Tune égale^ l'autre oblique; quoi encore? longuette j ambulatoire^ assaisonnée^ goguenarde^ piteuse^ éco- nomique^ congrue^ et jusqu'à jubilisée ; il ne recule pas même devant le titre de chassieuse^ qu'il inflige à une lettre où il parle d*un mal d*yeux qui lui est survenu.
La lettre commence. par un préainbule, qu'il fait plus ou moins long, selon qu il est plus ou moins
340 GAZETTES EN VERS
pressé, mais qu'il varie avec un artifice qui exci- tait, comme nous l'avons vu, Tétonnement des con- temporains, et que son éditeur fait justement re- marquer : < Qui n'admirerait son artifice à faire toujours de nouveaux préfaces à sa princesse, de- puis tant d'années qu'il lui adresse son ouvrage sans discontinuation ? C'est ce qui fait estimer son travail, avec ses autres beautés particulières, » C'est là que notre rimeur parle plus particulière- ment de sa bienfaitrice et de lui-même, qu'il expose ses besoins, qu'il adresse ses remerciements, qu'il dit s'il est en bonne ou mauvaise santé, qu'il fait ses plaintes contre ses concurrents, qu'il converse enfin avec son public. On a de nombreux exemples de ces préambules dans les citations que nous avons faites ; citons encore :
Princesse, encore que mes vers, Courant dans des climats divers, Ayent maintenant quelque vogue, Je n*en suis pas pourtant plus rogue; fécris toujours timidement. Et je confesse ingénument Que la plupart de mes ouvrages Sont cent fois plus heureux que sages. Car, n^ayani rien du tout d*acquis, Comme en tel cas serait requis^ N'ayant appris, en conscience. Art, discipline ni science. Et jouant tant que le jour luit, Et bien souvent toute la nuit,
LORET 341
Il n$ faut point dans mes gazettes Chercher ni pointes ni fleurettes ; Si Von y voit quelque ornement, Cest plutôt hasard qu'autrement, Et je n*ai qu'une narrative • Toute simple et toute naïve.
Princesse pour qui ma Musette A griffonné mainte gazette. Moi qui sur fonts fus nommé Jean Vous souhaite bon jour^ bon an.
Princesse que presque j'adore..» Illustre et haute demoiselle... Pucelle en vertus éminentes...
Quelquefois il s'adresse à sa muse ou invoque Apollon ; d'autres fois il entre brusquement en ma- tière :
Aujourd'hui f ai plus de matière Qu'il n'en faut pour la feuille erUière : Belle princesse, eascusez donc Si le compliment n'est pas long.
Après le préambule venaient les nouvelles de la semaine, pour lesquelles Loret puisait à toutes les sources d'information. Sa constante occupation était de recueillir les bruits qui couraient « tant dans les ruelles qu'au cours ; » il s'aidait
Des biUets divers Que, pour discourir dans ses vers.
342 GAZETTES SN VERS
De sages gens f/rmoÀmt la peine De lui fournir chaque semaine,
et qu'il rimait , a^rès en avoir séparé u le civil d'avec le barbare. »
Les gazettes du jour, manuscrites ou imprimées, lui fournissaient les nouvelles politiques, qui acqué- raient un intérêt nouveau par la forme poétique ou burlesque dont îl lès revêtait. Aussi n'en cache-t-il nullement l'origine :
Renaudot Va dit manivioi.
Et en puisant dans la Galette, il se garde bien de la calomnier; il en fait l'éloge, au contraire, cDniïn^ de sa « bonne amie, » et y renvoie ses lec- teurs :
Cet imprimé judicieux
L&s instruira, ^ Cfô(s, du mieux.
Le Bureau d'adresse, d'où soïtaient alors, paraît- il, quelques gazettes manuscrites et beaucoup de «DiHinér^s vejt xié médisances., iui était aussi d'un Htafid «ecpuffs :
Ces singes du bureau d^ adresse, 'Qui fi^^fsM point roul&r la presse, Makq^ dans les champs et Paris Font courir divers manuscrits.
Pour ce qui se passait dans le grand monde, Lo-
LORET ^i3
ret| noD-Hieuleinent comme pensionnaire de Ma- dame de Longueville et familier de Thôtel du ma- réchal de Schomberg, mais en sa qualité même de gazetier, était en position d'être parfaitement in- formé. Il n'y avait pas de grande fête à laquelle on ne l'invitât : la vanité est éternellement la même, et il n'y a entre la Muse historique et les journaux ac- tuels que la différence de deux siècles. Nous voyons Loret recherché, à l'égal de certains chroniqueurs d'aijQQurd'hui, par les maîtres et maîtresses de mai- son qui donnaient des fêtes, et qui aimaient fort à voir louer leurs magnificences dans une gazette qui comptait tant et de si illustres lecteurs. 11 n'était pas jusqu'aux fêtes de la cour auxquelles l'heureux poète ne fût convié.
Mnne, cette reine (tdmirabley futrù mes vœux $i favorable Que, par son ordre et par ses- soins, Je fus un des heureux témoins De la diversité féconde Du. plus beau spectacle du monde, Charwit, brjime et noble seigneur, Et tout à fait homme d*honneur. Me plaça près trois demoiselles Nonrseulement blanches et belles, Mais pleines, très certainement. De lumière et d'entendement.
Et — chose à laquelle Loret était fort sensible — tm allait jusqu'à lui ofTrir des rafraîchissements
344 GAZETTES EN VERS
dans les entr'actes, comme aux persomies les plus qualifiées de la cour :
Quelqu*un m'apporta de quoi vivre ; Bontemps me fit présent d^un livre; De la bougie on me donna; Personne ne m'importuna; Bref Lavenage et Méneville D*une façon toute civile. Et deux ou trois eooempts du roi, Eurent heauœup de soin de moi.
Et il faut le voir se rengorger au souvenir des honneurs qu'on lui a faits, en rappelant
Qu'un brave exempt de la reine De le conduire a pris la peine. Et cria d'un ton haut et net : « Ouvrez tôt, c'est monsieur LoretI »
Nous n'avons pas besoin de dire quel intérêt le récit de ces fêtes splendides,'OÙ il y avait si peu d'appelés, ajoutait aux Lettres de Loret, et combien il était de nature à les faire rechercher de plus en plus.
Si répandu que fût Loret, quelque attentif qu'il fût aux moindres bruits, il lui arrivait cependant quelquefois d'être à court de nouvelles,
D^autant que la Gazette en prose Et V Extraordinaire aussi N'ont rien de propre à mettre ici.
Alors il se mettait à courir Paris, et nous trou-
LORET 345
Yons dans sa lettre du 21 octobre 1 656 une pein- ture assez plaisante de ses tribulations.
Agréable Princesse nôtre,
Moi qui suis le serviteur vôtre,
Et, déplus, votre historien,
Certes ne sachant presque rien
Pour débiter à Votre Altesse,
J*ai violenté ma paresse
Et tournoyé par tout Paris,
Sans avoir nuUe chose appris.
J'ai parcouru les Nouvellistes,
Les hâbleurs, les méchants copistes ;
Mais leurs contes sont si douteum
Que je n*ai rien emprunté é^eux.
fai visité quelques notables.
J'ai fréquenté de bonnes tables, •
Moins pour le plaisir du gustus
Que pour celui de Tauditus ;
J'ai même été dans les ruelles
Pour ramasser plus de nouvelles;
Mais des drôles, tant là qu'ailleurs,
M'ont dit, avec des tons railleurs ;
Charles de Bourbon a pris Rome;
Monsieur Bayard fut un brave homme ;
Pépin le Bref fut un ragot;
Défunt Gustave un grand roi got ;
La reine Marguerite est morte.
Moi fai dit : Diantre vous emporte,
VotAS et vos contes surannés !
Eux, me faisant un pied de nez.
Mont répondu, les bons apôtres :
Pardy, nous n'en savons point d'autres.
Or, ces fadaises n'ayant pas
Poux les lecteurs de grands appas,
45-
;ai6 GAZETTES EN VERS
levais, pour contenter t Europe, Où notre Uttrê en vers galope. Apprenant d'ailleurs ma leçon, NouveUiser d^ autre façon.
Les informations qu'il recueillait ainsi de toutes mains n'étaient pas toujours exactes, et il lui arri- vait quelquefois de se tromper, ou plutôt d'être trompé.
Nous autres écrivains d'histoires. Quelquefois par de vains mémoires. Sans foi ni probité conçus Sommes abusés et déçus. Partout on ne saurait pas être Pour à fond les choses connaître. Et souvent s'en faut rapporter A quiconque en vient débiter, Cest ainsi que je faiSy car, comme Je suis franc, sincère et bonhomme. Sans m'en mettre trop en souci, Je crois que chacun Vest aussi.
Mais, dans ce cas, il mettait à se rétracter, à dé- noncer son erreur, le plus louable empressement.
Quand absolument il n'avait pas assez de nou- velles pour remplir son cadre — c'était pour cha- que lettre 200 à 250 vers, — il y faisait entrer tant bien que mal quelque canard qu'il avait en réserve.
Sa revue terminée, il la couronnait par un petit épilogue flatteur en l'honneur de sa princesse, ou quelques vers qu'il lui adresse d'une manière plus directe ; par exemple :
LORET m
Mais, 6 Vrincme barme et sage ! Cest ici la troisième page. Et je sens que fai tant rimé Que fenni V esprit enrhumé. Il faut donc qu*une fin je mette A cette épitre un peu longuette. Priant 'le Ciel de tout mon cœur Qaepùurvous il soit sans rigueur.
Cest, pour ce jour, en bonne foi, Tout ce que peut savoir de moi Vôtre AHesse, que Dieu bénie I Adieu d9nQ, mns eérémonie»
Voilà ma Gazette achevée! Si de vous eUe est approuvée, 0 Princesse qu'on aime tant ! Je serai, certes, plus content Que si je trouvais en ma voie Un sac plein d'or ou de monnoie.
9
Enfin \ient la date^ qui se trouve déjà en tête de la lettre, sous la forme ordinaire, et qu'il répète à la fin dans le style qui lui est propre.
fai fait ces vers tout d'une haleine, Le jour diaprés la Madeleine,
Le dix de mai ceci fut fait. Dont je ne suis pas satisfait.
Ces vers sans ragoût et sans suc, Ont été faits le jour Saint-Euc.
Fait au mois de juillet, le douze, En mangeant une talemouse.
348 GAZETTES EN VERS
Ecrit le vingt et cinq de mors, Ayant mangé des épinards.
Fait, appuyé contre un lambris, Dies quindecim octobris.
Il n'y a qu'une excuse pour le burlesque de cette rédaction, mais cette excuse en vaut une autre : Loret mit sept à huit cents fois son esprit à la tor- ture pour y satisfaire.
Dans le dernier numéro de chaque année, il fai- sait une revue générale de l'état du monde.
Après ces six ou sept articles Que fai griffonnés sans besicles. Comme tous les ans, bien ou mal, - Je fais un état général. Quand Van vers son penchant décline^ De toute la ronde machine, Oti, par livres^ récits ou gens, J'ai par'Ci par-là des agens. Je quitte les simples nouvelles Pour venir aucc universelles.
Il avait du reste bientôt fait son tour du monde :
Dans la relation présente,
0 Princesse très-eoccellente !
En moins de cinquante et huit vers
On voit Vétai de Vunivers,
Il avait hâte de rentrer dans son Paris, d'aller lorgner les belles qu'il aimait tant, et plus encore peut-être de reprendre sa partie interrompue.
LOR£T 319
Après avoir bien fait la ronde. Et circuit la plupart du monde Par un sentier fort peu connu^ Enfin me voilà revenu Dans mon charmant lieu de plaisance, Cest-chdire à Paris^ en France^ Où les jeux et ris à foison Sont quasi toujours de saison, Et qui dans ses murs tient encloses Tant de belles bouches de roses. Tant de teints d*ceillets et de lis. Tant de Chloris, tant de Philis, Et, bref, tant d'objets adorables Que je les tiens presque innombrables.
Comme noua Tavons dit, Loret remettait tous les samedis à la princesse de Longueville la copie auto- graphe de sa lettre. Il était fait lecture, au milieu d'un cercle brillant, des improvisations du poète, et le succès qu'eurent ses vers devait tout naturelle- ment amener à en demander des copies. En 1 652 les copistes furent remplacés par la presse, mais on n'en tira d'abord que douze exemplaires. En 1654 ce chiffre dut être augmenté, car, nous l'avons déjà dit, plusieurs contrefaçons faisaient concur- ren<!e à l'exploitation régulière, et Loret se plaint amèrement
De ces fripons, de ces pervers. Qui, malgré lui, vendent ses vers.
Une de ces contrefaçons, celle probablement qui motivait plus particulièrement les plaintes de Lo-
350 GAZETTES EN VERS
ret, est parvenue jusqu'à nous ; elle est intitulée : La Gazette du temps en vers burlesques. Le premier numéro est du 25 août 1 652 ; le dernier, au moins de ceux que nous connaissons, porte la date du 19 octobre. C'est dans Tintervalle, le 29 septembre, ainsi que nous l'avons vu, que Loret se décida à faire lui-même imprimer ses lettres ; mais le con- trefacteur n'en continua pas moins son commerce, et il annonçait même, dans son numéro du 12 oc- tobre, que le public recevrait toutes les semaines un nouveau cahier intitulé : Gazette en vers burlesques. Aussi Loret jette-t-il feu et flammes.
Illustre et haute demoiselle
Pour qui la Muse a tant de zèle,
Princesse pour qui dans mon cœur
f avais une ardente vigueur.
Qui tirait de ma pauvre veine
Plus de deux cents vers par semaine,
Je suis si fort découragé
Par ce fou, par cet enragé, ^ Quty persévérant dam ses crimes.
Fait de mes misérables rimes
Un infâme et sordide gain
Pour avoir un morceau de pain, Hue je ne bats plus que d'une aile;
Je n*ai quasi plus de cervelle.
Et si je n*ai bientôt raison
De cette noire trahison.
Plus que juive et qu'arabesque, . Adieu la Gazette burlesque.
Tel est le préambule de sa lettre du 1 2 octobre ;
LORET 351
il y revient dans une apostille qui termine la même lettre :
Ce détestable plagiaire^ Cette âme basse et mercenaire. Qui ma Gazette imprimer fit Pour en tirer quelque profit^ Ayant, de peur de plaie ou bosse. Discontinué son négoce. Cet impudent, cet insensé, La depuis peu recommencé; Mais si ce misérable hère En son vol encor persévère, Soit qu'il soit gueux ou bien huppé. Il sera sans doute attrapé. Que s*il reste à ce personnage Un rayon encor d'homme sage. Il doit profiter prudemment De ce mien avertissement.
Enfin il menace de rompre sa lyre,
Si le chef de la justice. Homme d*honneur et de justice, •Ne fait, par droit et par raison, Trainer ces pendards en prison.
Mais il ne faudrait pas prendre cette colère au pied de la lettre : Loret était essentiellement bon« Ce qu'il voulait, c'était obtenir un privilège qui lui assurât la tranquille jouissance de son succès, et il fit si bien qu'il en vint à ses fins.
Sachez enfin que ce grand homme Qui {comme est dit) Mole se nomme
358 GAZETTES EN TERS
Wa le priviiége accordé Depuis si longtemps demandé.
Ce privilège est daté du 1 9 mars 1 655. En voici un passage : « Notre bien-aimé le sieur Loret nous a fait remontrer que depuis Tannée 1650 il aurait composé plusieurs lettres en vers, dédiées à notre très-chère cousine Mademoiselle de Longueville, les- quelles même il aurait fait imprimer en feuilles vo- lantes par Tordre et du consentement de notre dite cousine ; ce qui aurait donné occasion à plusieurs libraires, voyant que lesdites lettres recevaient quel- que sorte d'approbation, d'en faire imprimer aussi plusieurs copies pour en tirer de Tutilité ; mais ils les auraient tellement gâtées, falsifiées et corrom- pues, que ledit Loret ne les peut voir sans les désa- vouer. Ce quiToblige, pour réparer le préjudice que cela fait à sa réputation, de faire imprimer en un ou plusieurs volumes toutes lesdites lettres. . . »
Loret céda son privilège à Charles Chenault, im- primeur bien connu des bibliophiles, qui dès le 4 janvier 1 656 avait achevé d'imprimer, in-4*^, le premier volume ou la première année des lettres de Loret. Un avis aux lecteurs prévient que c ces lettres en vers dont on voit le premier volume ne sont pas de celles qui ont été imprimées toutes les semaines depuis le mois de septembre 1652. Celles-ci n'ont jamais passé à l'impression ; et au temps qu'elles ont été faites. Ton les donnait seulement manus-
k
. LORET 353
crites, de sorte qu'elles sont si rares qu'il ne s'en trouve plus aucune copie que ce qu'en a pu fournir Tauteur à Mademoiselle de Longue ville, à qui elles ont toujours été dédiées, et à deux ou trois de ses amis. »
]>k)tre poète se chargea d'annoncer lui-même cette édition de sa Gazette, paraissant désormais sous la forme d'un livre, et d'un livre illustré de son portrait et d'un titre gravé, représentant l'His- toire.
Mon imprimeur présentement
En débite pubUqwment
Le coup d'essai, le premier livre,
Où Von voit mon portrait en cuivre.
Or le susdit livre s*achette
En la rue de la Huchettey . ' *
Au bout d'en bas, et non d'en haut; :
L'imprimeur s'appelle Ckenault.
Une nouvelle édition de cette première année, mais in-folio cette fois, fut faite en 1 658, et les deux premières années furent réunies en 1669., ainsi que liOret nous l'apprend lui-même dans sa lettre du '9 avril de cette année, où il avertit ses lecteurs
Que les deux premières années Des lettres par lui griffonnées Se débitent tout de nouveau^ En parchemin, vélin ou veau, En public, et non en cachette. Dans la rue de la Huchette, Chez Chenault, imprimeur du roi.
TM GAZETTES EN VERS
Les lettres de Loret furent longtemps sans être baptisées; elles portaient simplement en tète la «wscription :
A sm Altesse Mademaiselle de Lmgueville.
a II est vrai que vulgairement on les a appelées dès le commencement la Gazette burlesque^ à cause ^qn elles rappertaiisnt ce qui se passait, et qu'elles le faisaient en style plaisant et agréable ; toutefois leur auteur &e leur a jamais attribué ce nom par écrit, ou ne Ta fait que fort rarement. Il a bossé quelque temps le choix aux bons esprits du titre qu'ils voudraient donner à ses .ouvrages; mais, ayant vu enfin que quelques écrivains nouveaux en- treprenaient des poë'mes ordinaires sous le titre de comiques et burlesques, qu'ils appelaient des ga- zettes, et à qui chacun donnait encore ce nom, il a voulu montrer que son intention était tout autre, et que sa première pensée n'avait été que d'adresser aes écrits à Mademoiselle de Longueville, princesse de haute naissance ^t de care mérite, qui est au- jourd'hui Jtfadame .la duchesse de Nemours, la- quelle avait souhaité de lui cette sorte de divertis- sement, qui n'était pas encore en usage. C'est en cette considération qu'il a appelé ceci Lettres en vers^ non-seulement pour y donner un nom conve- nable, mais pour en faire distinction de ce que quelques autres auteurs composent en forme de gazettes. »
LORET 3S5
Quand elleiB furent réunies en Tolumes, €6 fut 60US le titre de : La Mme historique ^ ou Recueil des Lettres en vers j contenant les nouvelles du temps ^ écri- tes à Son Altesse Mademoiselle de LongueviUe^ depuis duchesse de Nem^ours^ par J. Loret. « Le nom de Ga- zette qu'on lui a donné autrefois, dit à ce propos l'éditeur, n'est point quitté par mépris; ce n'est que pour le laisser aux relations qui sont faites en prose, au lieu que, celles dont nous parlons itant en vers, on se doit bien imaginer qu'elles sont débitées par l'une des Muses, et même par celle qui a l'in- tendance de l'histoire, puisqu'elle nous fournit de mémoires journaliers où toute l'histoire du temps est comprise, de sorte qu^à bon droit la dignité de Muse historique lui est attribuée. »
Outre cette réimpression en trois volumes, on trouve dans les bibliothèques des collections plus ou moins nombreuses des lettres originales, portant encore pour la plupart la marque de leurs plis. Elles sont, comme la réimpression, in-folio à deux colonnes ; mais les lignes sont plus ou moins espa- cées et le caractère plus ou moins fort, selon que la verve de Loret avait été plus ou moins féconde. L'imprimeur s'arrangeait de manière à terminer toujours au bas de la troisième page, afin de laisser la quatrième blanche. 11 faut croire qu'on écrivait les noms des abonnés sur une bande, comme au- jourd'hui, car on ne voit pas de nom tracé sur la
356 GAZETTES EN VERS
quatrième page ; une seule des lettres conservées à la Bibliothèque impériale, du 14 octobre 1656, porte la suscription manuscrite suivante : « Pour Monseigneur le Cardinal. »
Pour être complète, la Muse historique doit aller jusqu'au 28 mars 1665. Dans le numéro précédent,
Ecrit en mars le vingt et deux ' Dans un état assez piteux, - •
Loret parle de ses maux, et de la défense que lui a faite le docteur de s'occuper de vers; et cependant il compose encore une lettre, celle du 28 mars, mal- gré la Faculté et ses propres pressentiments ;
Et quand dans peu fon devrait dire : « Loret est mort pour trop écrire, les vers Vont mis au breluquet, » Je vais hasarder le paquet.
Il termine par cette date mélancolique : '
Le vingt-huit mars f ai fait ces vers^ Souffrant cinq ou six maux divers.
Enfin ce numéro se termine par deux avis qui semblent l'adieu d'un malade et les dernièrea dis- positions d'un mourant.
LORET 357
AVIS AJJX LECTEURS
Aux jours de la fête pascale Aucuns vers français je n'étale: On songe à des actes meilleurs; fen ai dit les raisons ailleurs. Ainsi, lecteurs de mes ouvrages, Gens de cîtdteaux et de villages. Gens de cour, nobles et bourgeois, Adieu jusques à f autre mois. Si le Ciel point ne me refuse, La grâce en moi toujours infuse. Quoique ni peu ni point savant, J'écrirai comme auparavant, En cas que ma douleur lugubre Soit en un état plus salubre, Et qu'alors je me porte bien : Autrement je ne promets rien,
AUTRE AVIS
A quelques Messieurs dont je reçois pension ^ mais qui sont en très-petit nombre.
Je conjure ceux qui me doivent Pour ma lettre en vers qu'ils reçoivent Tous les huit jours précisément De me donner contentement. Pour aller prier vos personnes Uétre envers moi justes et bonnes, Jies maux ne me permettent pas De quitter mes tisons â^un pas, La somme que je vous demande (Comme vous savez) n'est pas grande. Et pourriez bien me f envoyer
3«l GAZETTES EN VERS
Juêqvtes au coin de mon foyer; Le porteur, ehose très oertawe, Ne perdrait nullement sa peine. Leffet de ceci que j'attends Puisse arriver en peu de temps ! Mais ma santé plus tôt encore, Car le chagrin qui me dévore D'être si longtemps catereuœ Est un tourment bien figoureuoo.
Ce furent les derniers vers du pauvre poète, qui s'éteignit peu de jours après, la plume à la main, et méditant probablement quelque nouveau com- pliment à sa princesse.
La Muse historique est devenue presque introu- vable. Aussi les biblippbiles désiraient-ils vivement une réimpression de cette précieuse chronique, mais une réimpression intelligente, qui fît dispa- raître les voiles, souvent bien épais, que, lors de la réunion de ses lettres en volumes, Loret avait dû jeter par prudence sur un grand nombre de figures de son musée historique, qui donnât la clef de tant d'énigmes aujourd'hui presque indéchiffrables, qui restituât enfin le texte original dans toute sa vérité. C'est ce qu'a entrepris M. Ravenel, le savant con- servateur des imprimés à la Bibliothèque impériale, de concert avec l'éditeur de la Bibliothèque Elzeri- rienne, M. P. Jannet. Ces deux noms disent assez ce que sera, sous le rapport matériel aussi bien que
LORET 3W.
SOUS le rapport des soins littéraires, cette nouvelle édition y dont le premier volume, d'ailleurs, est. déjà dans les mains de tous les amateurs^.
En attendant l'achèvement de cette grande et dif- ficile entreprise, si digne d'encouragement, les cu- rieux consulteront avec intérêt et avec fruit une co^^ pi«use notice que M. Léon de Laborde a consacrée. à Loret et à son œuvre dans son splendide volume sur le palais Mazarin, notice dans laquelle noua avons nou&-même puisé à pleines mains.
Continuateurs et imitateurs de Loret^
Lagravète de Mayolas, Lettres en vers et en prose; naissance du feuilleton-roman. — Robinet, Lettres en vers à Madame» -^ Scarron, Epttres en vers burlesques. — Subligny, La Muse Dauphine, — Etc,
Loret eut des continuateurs et de& imitateurs ; il paraîtrait même qu'avant de mourir il avait disposé de son sceptre littéraire et s'était donné un succès*» seur. C'est du moins ce que l'on peut inférer d'un passage de Ch. Robinet, qui avait, lui aussi, entre- pris une continuation aux Lettres en vers :
jy ailleurs, avant son heure extrême. Par un soin digne de lui-même. Voulant avoir un successeur Qui pût lui faire qtielqu* honneur, Il en fit avec diligence Recevoir un en survivance»
360 GAZETTES EN VERS
D'un autre côté, l'auteur de la Biblùdhèque fran- çaise^ Sorel, écrit à la date de 1 666 : « Le sieur de Mayolas est celui qui a continué son dessein de- puis sa mort, dédiant toutes les semaines sa gazette en vers à Madame de Nemours. Quelques autres se sont meslez de faire de ces lettres en vers ; mais elles ont souvent eu de la discontinuation, au lieu que le sieur de Mayolas y persévère avec bon suc- cès. » Nous n'ajouterons rien à cette appréciation de Sorel, sinon que le continuateur s'est appliqué à reproduire son modèle et à rendre la transition imperceptible, et qu'il nous a paru y avoir réussi aussi heureusement qu'il était possible; on sent pourtant qu'il est plus savant, moins naturel, que Loret, et qu'il n'a pas la longue habitude de son prédécesseur à manier l'arme, ou, si l'on veut, à agiter les grelots du burlesque.
Outre sa continuation de la Mme historique^ pous* sée jusqu'à la fin de 1 666, Mayolas a laissé des Lettres en vers et en prose, dédiées au roi, écrites eii style familier, mais non plus burlesque, les- quelles offrent une particularité très-remarquable. La disposition est la même que celle des lettres de Loret, ainsi que le format ; la Lettre proprement dite, commençant par un préambule, et finis- sant par une date rimée dans le même genre , n'occupe également que les trois premières pages ;
MAYOLAS 361;
mais la quatrième, au lieu d'être blanche, contient une partie en prose :
Grand roi, pour plaire aux goûts divers^ J'ajoute de la prose aux vers,
qui n'est rien de moins qu'un feuilleton-roman en lettres, dont Mayolas annonce ainsi le sujet dans le préambule de sa première lettre :
Vous veirez la lettre gakinte De Célidie et de CUante Découvrir et cacher leurs vœux, Couronnés d'un hymen heureux, Et chacune aura sa devise Pour répondre à leur entreprise. Pendant que ces deux beaux esprits Vont travatUer à leurs écrits, Puissant Roi, faites-moi la grâce Uouir un peu ce qui se passe.
Chaque feuilleton se compose d'une lettre du ber- ger et de la réponse de la bergère, d'une étendue à peu près égale, disposées en regard l'une de l'autre, caractérisées par un substantif ou une courte phrase placée en tète, comme les Lettres de Loret l'étaient par un adjectif, et terminées, comme le dit l'auteur, par une devise c qui répond à leur entreprise , » qui en résume la substance.
Nous transcrirons le premier feuilleton.
T. I. 16
162 GAZBTTBS BN VERS
«
LETTRE I
DB CLIANTB A CÉLIDIB
Offîre de iervice.
. Si vous étiez moins parfaite, ou que je fusse moins juste, et si je n'étais aussi sensible que vous êtes belle, je n'oserais prendre la liberté de vous déclarer franchement que je vous aime. Cet aveu, quelque légitime et fidèle qu'il soit, n'a pas laissé de me causer de la peine, dans l'incertitude où je suis de la manière dont vous le recevrez, et dans la crainte que j'ai qu'il ne passe pour une faiblesse en un grand courage. Mais j'ai surmonté ce dernier en apprenant que les conquérants les plus fiers ont sou- mis leur sceptre, leur couronne, leur empire et leur victoire aux pieds d'une beauté qu'ils ont plus estimée que tout cela. C'est sans regret qu'à leur exemple j'offre à votre mérite un comté, deux marquisats, quelque gouvernement et cent mille livres de rente, encore avec mon coeur et ma liberté, qui me sont beau- coup plus chers que le reste. H n'y a que le premier soupçon qui me peut chagriner, de douter de quel œil vous verrez ce que je vous écris. Mais conmie j'y ai pensé longtemps avant que de vous le dire, j'ai eu aussi celui de me résoudre à souffrir toutes les cruautés et les mépris dont vous êtes capable. Il est donc inutile d'user de rigueur en mon endroit, puisque je vous déclare que je suis l'homme du monde le plus constant ; et pourvu que vou» relâchiez un peu de cette fierté qui vous est naturelle, vous ajou- terez à vos charmes le seul agrément qui leur manque pour être la plus aimable personne de l'Europe.
De tu mirar, mi fortuna.
D'un seul de tes regards dépend tout mon bonheur.
MAYOLAS 3ed
RÉPONSE
DE'CÉLIDIB A GLIANTE
Rebut.
il a tenu à peu que votre lettre n'ait été brûlée avant que de la lire, et si je n'avais cru qu'elle me devait donner quelque avis important, ou me parler de quelque affaire considérable, je ne l'aurais pas seulement reçue ni ouverte. Ce qui me console* est que je crois que vous êtes devenu fou, et que je ne sais ce que TOUS me voulez dire. Amour est un dieu que je ne connais point, ni je n'ai aucune envie de le connaître ; je suis muette pour y repondre, et je n'ai point d'oreilles pour écouter ceux qui m'en entretiennent. Toute la grâce que je vous puis faire, c'est d'ou- blier votre témérité, et de vous défendre de m'en parler de votre vie. Avouez que vous en êtes quitte à bon marché, et que sans les belles qualités que vous possédez, je vous aurais pu répondre plus rigoureusement. Au reste^ je ne suis nullement crédule, ni facile à tromper par la flatterie ou par les richesses. Vos offres sont belles, mais je ne les reçois point, et les biens ni les charges, avec leur plus grand éclata ne sauraient m'éblouir. Si je suis assez heureuse pour que vous trouviez en moi quelques traits qui ne vous fassent point peur et qui ne vous rebutent point, je vous déclare qu'ils ne seront jamais embellis par la douceur, car j'ai fait vœu d'être sévère. J'avoue qu'un coeur fidèle pourrait deve- nir aimable ; mais je ne crois point qu'il y en ait au monde.
De mis ojos rayos.
Il ne sort de mes yeux que rigueur et que flamme.
Clîante, bien entendu, n'est pas la dupe de ce
364 GAZETTES EN VERS
Rebut; il écrit une nouvelle lettre qui a pour épi- graphe : Persévérance.
Je suis si glorieux d'avoir reçu une de vos lettres que^ quand elle m'aurait coûté la vie, je n'y aurais point de regret après ce bonheur...
Antes morir que mudar. Je prétends de mourir plutôt que de changer.
Célidie, naturellement, affecte la Colère.
Je riais la première fois que je vous ai écrit ; mais c'est tout de bon, à la seconde, que je suis en colère... J'ai déchiré et brûlé vos deux lettres. Ne soyez pas assez hardi pour m'en écrire une troisième : car, quelque curieuse que je sois de lire de jol^ billets^ je serais bien marrie de jeter les yeux sur les vôtres...
Antes morir que amar, Aimetf selon mon sens, est pire que mourir.
Dès la troisième semaine, Cliante, encouragé par une cousine de sa belle, recourt aux moyens de sé- duction; il hasarde un Présent. Profitant de l'occa- sion- que lui offi*e la fête de la dame, il lui envoie un bouquet de diamants.
Je ne doute point que les fleurs ne vous eussent été plus agréables, soit pour leur senteur, soit pour leur peu de valeur ; mais je n*ai pas cru que leur fragilité et leur peu de durée m'o- bligeassent à me servir d'elles, dans le sentiment où je suis de ne point tous donner des marques de mon estime qui ne soient aussi fortes et ne durent autant que ma passion. Leur beauté n'eût aussi rien paru auprès de la vôtre ; les roses et les lys ^'on voit en tout temps sur votre visage auraient terni tout leur
MAYOLAS 365
éclat, et, comme il passe en moins d'une heure, vous auriez été bientôt exempte de penser à celui qui vous l'avait donné. Ce n'est pas que vos yeux ne soient plus brillants que ces pier- reries, et que leur feu n'en soit plus aimable et plus précieux ; mais je suis assuré du moins que le temps ne les saurait dé- truire, et que, si votre cœur en a la dureté, le mien a autant dé constance...
Mi coraçon va œn il ramiUete. Agréez que mon cœur s'attache à ce bouquet.
Dans sa réponse, Célidie ne montre plus qu'une Fierté radoucie.
Comme, au jour de ma fête, je reçois indifféremment tous les bouquets qu'on me donne, je ne pouvais pas honnêtement refu- ser le vôtre, qui vaut infiniment plus que tous ceux qui m'ont été présentés. Bien qu'il soit de haut prix, je vous avoue qu'il est, à mon gré, plus considérable par la bonne volonté de celui qui me l'envoie, que par sa propre valeur....
Il ramillets, no mas.
Je trouve que c'est trop seulement du bouquet.
Elle ne le garde pas moins, et à la 4** lettre elle est arrivée à la Civilité ;k\a5''^ elle en est kV Estime.
Ainsi embarqués dans l'esquif du sentiment, nos amants naviguent pendant plusieurs années sur le fleuve du Tendre, et cette longue navigation est marquée par toutes les péripéties que comportait alors un pareil voyage, jusqu'à ce qu'enfin ils arri- vèrent au port heureux de Y Union.. W nous suffira, pour achever d'en donner une idée, de citer encore lé titre de quelques lettres.
M6 GAZETTES EN VERS
Lettre vu. Indiepoeition. — Condoléance, — ix. Sur les couleurs»
— U bleu. — X. Bal et comédie. — Complaisaince. — xi. Partie de maeque, -^ Déguisement découvert. — xiii. Offre du prix du carrousel. — Refus. — xiv. Service signalé. — Reconnaissaince parfaite. — xv. Procès sollicité. — Bemereiement. — xvi. ParUe de chasse.-^ Louange. — xvii. Jalousie. — Erreur,--^ xviii. Songe,
— lUusion. — XIX. Combat. — Tendresse. — xxi. Sur des cheveux.
— Bracelet. — xxiii. Bendez-vous. — Consentement. — xxv. Bap- tême. — Acceptation. — xxvi. Proposition de mariage. — Béfu- Mion. — XXVII. Départ. — Begret. — xxviii. Absence. — Solitude.
— XXIX. Sur des forêts. — Sur un jardin. — xxx. Sur les chaleun deVété. ^^ Sur la fraîcheur. — xxxvi. Victoire. — Bi^ouissance. — xxxvii. Blessure. — Affliction. — xxxviii. Convalescence. — Plaisir extrême. — xl. Betour. — Surprise. — xu. Sur le deuil.
— Sur la mode. — xliii. Sur la chasse. — Sur la pêche. — xuv. Sur la guerre. — Sur la paix. — xlviii. Sur le changement. — Sur la constance. — lxxiii. Sur des mouches. — Sur de la poudre. — lxxvi. Sur la foire de Saint-Germain. — Sur la co-
-médie en musique. — lxxxi. Sur le mal de dents. — Sur la migraine, etc., etc.
On peut aisément sur ces données bâtir le roman de Cliante et Célidie, qui ne brille peut-être pas par l'invention, mais qui ne manque ni d'esprit ni d'élégance.
Les lettres de Mayolas paraissaient une fois par semaine, mais non paç sans interruption, puisque la première année, qui va du 9 décembre 1668 au 24 décembre 1 669, ne contient que 49 lettres. Outre cette première année, la Bibliothèque impériale possède un autre fascicule de ces mêmes lettres qui va du 12 janvier au 29 décembre 1 671 , et du
ROBINET 367
n* 73 au n° 92 ; il manque donc l'année 1670 et les n®' 50 à 72. Y eut-il une quatrième année? C'est ce que nous ne saurions dire. Le feuilleton qui porte le n* 92 a bien pour titre : Mélange — Uniouj mais le contenu ne semble pas indiquer que €élidie ait dit son dernier mot, et que le moment soit venu, ce moment .si longtemps attendu par Cliante, où les deux amants vont confondre leurs destinées.
Nous venons de dire que Robinet, que nous avons déjà rencontré parmi les journalistes de la Fronde, avait également entrepris de continuer la gazette de Loret. Ses Lettres en vers à Madame sont calquées en tout point sur celles de son prédécesseur. La pre- mière parut le 25 mai 1 665.
Viens là, Musette! as-tu du eceur? Voici pour toi bien de l'honneur ; On f ouvre certe une carrière Qui doit te rendre beaucoup fière,
Cest à la divine Henriette, A ce grand astre de la Cour, Que tu dois écrire en ce jour.
11 s'agit de la sœur de Charles P% Henriette d'An- gleterre, première femme de Monsieur, mariée le i^' avril 1661 , morte empoisonnée le 30 juin 1670.
Voici la date de la lettre :
ses GAZETTES EN VER
Il faut enoor la date mettre : fat donc fait cette course ou lettre Le vingt-cinq du mois le plus pat, Qu'on ne prend point sans verd et qu'on appeUe mai.
Robinet ne mit pas son nom en tète de ses Lettres, mais il n'en faisait pas un mystère.
Madame^ c'est assez écrire ; Je m'en vais clore mon cornet. Car, si je vous faisais trop /tre, On pourrait m'appeler un plaisant Robinet.
Un privilège lui fut accordé pour sa gazette le 10 décembre 1665, « pour aussi longtemps que le- dit exposant sera capable de la pouvoir faire. » Brunet et autres bibliographes assurent qu'elle fut continuée jusqu'en 1678.
Dans sa lettre du 5 juillet 1 670, en annonçant la mort de Madame, il s'adresse à son ombre royale :
Ombre auguste, ombre glorieuse,
et il continua ses lettres sous ce titre, jusqu'à ce qu'il eût obtenu l'autorisation de les adresser à Monsieur.
Les imitateurs de Loret furent assez nombreux, et peut-être cette concurrence ne contribua-t-ellc pas peu à soutenir la verve de notre poète.
De tous le plus célèbre est Scarron, et ce n'est pas un médiocre honneur pour Loret que d'avoir eu un pareil copiste , d'autant qu'on est assez gé^ néralement porté à croire que c'est lui qui a imité
SGARRON 369
le créateur du genre burlesque. Il est un fait certain, c'est qu'en Tannée 1655, alors que la Muse histo- rique^ répandue depuis cinq ans dans Paris, voyait chaque semaine s'accroître le nombre de ses lec- teurs, Scarron descendit dans cette arène de publi- cations périodiques, et il nous est parvenu sous son nom un Recueil de 32 épîtres en vers burlesques sur ce qui s'est passé de remarquable en l'année 1655.
Les quinze pi^emières épîtres appartiennent seules à Scarron. La forme est absolument la même que celle adoptée par Loret, au point qu'on remarqua dès lors qu'il le copiait. Et il ne s'en défendit pas ; au contraire, il rend justice à son devancier.
L'un d'euœ^ qui pour sa seuk rime
A de Vamour et de Vestime,
A voulu faire trouver froids
Mes vers en leurs plus beaux endroits.
L'autre, matin comme une pie.
M'appelle de Loret copie.
Quand de Loret je la serais^
Pas moins je ne m'en priserais :
Loret, en ce genre d'écrire
(Et l'on me Va toujours oui dire)
Est singulier j est exceUentj
Et c'est, sans doute, son talent.
Mais chacun a part au bien faire^
Et s'il plait un, autre peut plaire.
Nous n'avons pas, en bonne foi.
Mêmes motifs, Loret et moi,
Loret écrit pour qui lui donne;
46-
^0 GAZETTES EN VERS
féoris pour ma seuk perBonne.
Me» vers vont comme il pMt à Dieu,
Sans affecter homme ni Dieu. ;
Je les donne à qui les demande.
Sans qu'autre chose je prétende,
Loret gagne avec maint seigneur;
Avec moi gagne un imprimeur.
Il envoie^ ou lui-même livre.
Deux feuillets chers comme un bon livre;
Quatre des miens à fort bas prix
Battent le pavé de Paris.
Loret avec sa rime gaie
Non pas seulement se défraie.
Mais même en reçoit non pour peu
De quoi frire et jouer beau jeu;
Au Ueu que mon ingrate rime
Trouve à grand^peine qui ^imprime,
Et que crédit je n'aurais pas
Sur mes vers d'un petit repas.
Mais sur les siens le grand Malherbe
A peine trouva-t-il de l'herbe;
En ses vieux ans il n'eut de bon
Que du laurier j comme un jambon.
Ailleurs il fait dire à Jacquemard parlant à la Samaritaine :
Sur votre pont passent sans cesse, De tous côtés, de toutes partSy Des citoyens y des campagnards : Ainsi vous pourrez, ma fidèle, Bendre nouvelle pour nouvelle. Pour moif je serai ponctuel. En ce commerce mutuel^ Comme est Loret dans ses gazettes ; Autant plaisantes que bien faites^
\
SGÂRRON 374
Dont Vaifnàble diversité. Témoigne la fécondité.
Chaque lettre se termine, sinon par la date exacte comme celles de Loret, au moins d'mne façon à peu près pareille :
Fait à Paris, prés de Vincennes, L'an qu'on prit deux villes lorraines, Et que r Espagnol ne prit pas Notre bonne ville d^Ârras*
Sgarron.
Le plus souvent, faisant parade de ses maux , il signe son épître :
De notre Chaise, auprès du feu, Oùy pendant que je fais des rt'mes, Deux de mes amis plus intimes Au piqiuet jouent fort beau jeu.
Ilpviisait aux mêmes sources d'information que son modèle , et s'en rapportait aussi à la Gazette de Renaudot :
La Gazette nous apprendra Si tel bruit faux ou vrai sera.
Je m'en rapporte à la Gazette.
Ne pouvant, comme Loret, se mettre en quête de nouvelles , il aurait voulu détourner à son profit le cours des lettres et des renseignements qui affluaient dans le bouge de ce dernier; il fait appel aux nou- vellistes :
m GAZETTES EN. VERS
AVIS.
Si qudqu^un,- de près ou de loin. M'assiste de quelque mémoire^ Car on sait que fen ai besoin. Je lui donnercû de la gloire.
Il paraît que cet appel produisit peu d'effet, car il le renouvelle un mois après :
A TUTI QUANTI.
Gens de la ville et de la Cour, Si mes lettres vous divertis^ty Que les vôtres, donc m'avertissent De ce qui se fait chaque jour.
Avec l'esprit de Scarron, Ton pouvait à la rigueur se passer d'informations; mais à une gazette il faut de l'exactitude, et il n'était pas homme à s'astreindre à paraître à jour fixe ; dès la cinquième lettre il est en retard de deux jours : >
De notre chaise, ce mardi, f aurais bien achevé lundi; Mais je préfère à juste tit^e Mes passe-temps à mon épitre.
Or le libraire ne pouvait trouver son compte à cette nonchalance toute poétique; il eut recours à des écrivains plus ponctuels. Le premier envoie une Lettre à M. ScarroUj écrite de r armée du Roi par un sien ami, sur le sujet de ses épttres qu'il donne au public toutes les semaines. La seconde Epîlre à
SGARRON 373
M. Scarronpar un sien ami se plaint de TinteiTup- tiôn de sa gazette :
D*où vient donc, monsieur Scarron, Qu'un esprit si bel et si bon, Et^ que le vôtre peut être, Ne fait plus à présent paraître Quelque beau plat de son métier?
Cette question amenait la réponse, et d'épître en épitre on parvint tant bien que mal à la fin de Tannée , de manière à pouvoir offrir au public un petit vo- lume in-quarto, dont nous ne pouvons dire le succès, mais qui est aujourd'hui de la plus grande rareté ; il a pour titre : Recueil des Epîtres en vers burlesques de M. Scarron et d'autres auteurs sur ce qui s'est passé de remarquable en Tannée 1655. Paris, 1656. Les huit premières lettres de Scarron sont intitulées alternativement : Epître de Jacquemard, horloge de Saint'Paulj à la Samaritaine, horloge du Pont-Neuf j et Réponse de La SAMARrrAiNE, horloge j etc. Les n"' 9 et 15 portent : Epître de M. Scarron a... avec le nom du destinataire. Le n® 16 est la Lettre à M. Scarron que nous venons de citer. Les numéros suivants ont pour titre : Epttre... avec le nom du personnage auquel la lettre s'adresse , et souvent l'indication des événements qui y sont relatés. On ne connaît que deux exemplaires complets de ce recueil; l'un ap- partient à la bibliothèque de l'Arsenal, et l'autre à une bibliothèque particulière.
374 GAZETTES EN VERS
L'éditeur de ce yolume ^ Alexandre Less^n, que le succès de Loret empêchait sans doute de dormir, avait lancé dès 1 654 la Muse héroï-comique j au Roi, même format , même disposition et même style que la Muse historique, mais paraissant le dimanche, au lieu du samedi, quand elle paraissait, car elle ne s'astreignait pas à une inflexible régularité , et elle arrivait
Si non de huitaine en huitaine.
Au moins de quinzaine en quinzaine,
et encore !
En 1656, la Muse héroï-comique changea de nom et devint la Muse Royale , à madame la princesse Palatine.
Madame, sans trahir la foi Que je dois à Louis mon rot. Et sans passer pour désertrioe. Je me jette à votre service.
Elle changea aussi d'imprimeur, nous ne savons pour quels motifs; mais Lesselin, qui tenait abso- lument à avoir sa gazette, en entreprit bientôt une autre sous le titre de Mu^e de la cour. On jugera de Taménité des procédés littéraires à cette époque par la façon dont la Muse royale traite la nouvelle venue.
AVIS.
La Muse qui rôde et qui court Se disant Muse de la Cour
SUBLIGNY 375
Fart mal à propos se dit teUe : Cest une simple bagateUe, Et la pauvre veuve qu'elle est Se contentera, s'il lui phit, Uétre comme simple gredine Loin de Cabinet en cuisine. Cest là le vrai him qu'il lui faut, ly autant que, pour premier défaut, Étant sans fonds et sans liquide. Elle a souvent le ventre vide... Elle demande argent ou pain : Voilà Vun de ses caractères. Le second, elle a tant de pères Qu'on la peut nommer au hasard La fiUe du tiers et du quart. Le premier fagoteur de rime A faire la belle s'escrime ; Puis le père avecque V enfant... S'en va braire de porte en porte. Pour trouver qui les reconforte... Le père, en qui pauvreté brille. Lui dit : Seigneur, voici ma fille, La belle Musb de la Cour, Qui se donne à vous en ce jour; Mais, Seigneur, la gueuse pucelle N^a pas le liard en l'escarcelle. Et la misérable est à eu. Si ne lui donnez quelqu'écu... Mais de tels sales écrivains Ont fait cette Muse coureuse Qui, bien qu'alors belle et pompeuse, &en allait, oh! quel déshonneur C'était pour un fameux auteur ! Pour faire encor de la gredine, A la belle mode Esseline,
376 GAZETTES EN VERS
Cest-chdire de LBSSêlin, Affamé comme un pou mal plein : Cest rimprimeur de cette Mwe Qui fait qu*avec sa comemi^e En vielleuse elle va jouer Partout pour gagner le denier Et faire aUef dans son ménage Un peu de pain et de fromage. Mais au lieu de quoi bien souvent Elle n*attrape que du vent : Témoin son épftre dernière, Qu'on mit à part pour la beurrière, N'étant digne que de rebut...
Cette Muse de la Cour se composait en effet d'une épître adressée chaque semaine à une nouvelle et éminente personne. C'était , on le pense bien , une manière de se créer un protecteur, un abonné, ou d'extorquer une gratification; mais on arrive rare- ment à la fortune par cette voie, et la pauvre Muse allait mourir de faim quand son propriétaire eut Theureuse idée de l'appeler d'un nouveau nom , en même temps qu'il lui donnait pour rédacteur un homme d'esprit qui devint célèbre , plus tard , par ses comédies en prose et en vers, par sa grande activité littéraire, et aussi par ses querelles avec Racine. T. P. de Subligny, avocat au Parlement, et assez bon poète , consentit à publier, à partir du 3 juin 1666 , une continuation à la Muse de la Cour sous le titre de Muse Dauphine. Le cadre de la nouvelle gazette fut le même que celui des autres
SUBLIGNY 377
feuilles du même genre, maison y remarque un ton plus littéraire et une tournure plus poétique. Elle paraissait le jeudi de chaque semaine. Je ne sais eombien elle vécut; mais, selon les apparences, elle n'aurait pas achevé sa première année. La Bi- bliothèque impériale en possède un volume, in-i2, contenant trente semaines , et allant du 3 juin au 24 décembre 1666. Ce volume est de 1668, et à pagination continue. C'est donc une réimpression, et il est à supposer qu'elle comprend tout ce ()ui avait été pubb'é.
Il y eut d'autres tentatives du même genre, mais qui ont à peine vécu et ne méritent point que nous nous y arrêtions. D'ailleurs les Lettres en vers bur- lesques avaient fait leur temps, et si quelque chose doit nous étonner, c'est qu'elles aient joui d'une si longue vogue. Leur cadre, avec quelque esprit qu'il fût rempli , ne présentait pas assez de variété pour captiver longtemps les esprits. May olas, en mariant la prose aux vers , avait indiqué un progrès que le Mercure galant réalisa.
LE MERCDRE
« Le public a toujours été partagé sur l'estime que l'on doit faire de cet ouvrage périodique. Les uns l'ont regardé comme un livre dont x>n ne sau-
•
rait se passer ; les autres l'ont absolument méprisé comme un ouvrage beaucoup moins utile qu'un al- manaeh ; mais il faut prendre le milieu entre ces deux jugements. 11 en est du Mercure galant comme d'un grand nombre d'autres livres dont on n'aurait dû dire ni tant de bien, ni tant de mal. L'exactitude et le choix pouvaient faire de celui-ci un recueil dont l'histoire n'aurait pu se passer. Les événements sont accompagnés de beaucoup de circonstances qui, dans le temps de leur nouveauté^, ne paraissent pas importantes ; ces circonstances s'effacent bien* tôt de la mémoire du public, et la postérité regrette les avantages qu'elle en aurait pu tirer pour l'exac- titude de l'histoire. 11 est certain qu'on trouire beaucoup de choses de cette espèce dans le Mer- cure ; mais les gens qui ne veulent rien que de choisi, et tous ceux qui n'aiment point à s'amuser
LE MBRGURB 979
longtemps sans s'instruire, n'ont pu se résoudre à faire cas d'un livre où les bonnes choses sont comme noyées dans une infinité de mauvaises, où ce qui peut servir de preuve et d'éclaircissement à l'histoire ne se trouve que trop souvent mêlé de circonstances douteuses et équivoques (1 ) . »
Ce jugement date du commencement du xviii® siè- cle, d'une époque où le Mercure n'avait encore fourni que la moitié à peine, «t la moitié de beau- coup la moins importante, de sa longue carrière. Une saine critique n'en porterait pas un autre au- jourd'hui. Je sais bien qu'il est assez de mode de se moquer de ce pauvre Mercure ; on en rit volontiers — souvent sans le .connaître ; mais il a pour lui sa longue existence, de près d'un siècle et demi, et sa masse très-respectable de dix-huit cents volumes. Ce sont là, ce me semble, d'assez bonnes preuves, et, quoi qu'on en puisse dire ou penser, il faut bien re- connaître qu'un journal qui a pu fournir une pareille
(I) Gamosat, Biêtoire critique des journaux, Amsterdam, 4734, iii-4S. M. Ch. de MonseigDat (Un chapitre de la Bévolution française) dit que « cette histoire seraitmieux intitulée : Histoire de la Gazette de France et du Journal des Savants, parce que ce sont les seuls journaux dont il y soit question. » Cest une erreur que nous croyons devoir âignaler,pour épargner des recherches aux travailleurs, que le titre même de ce volume assez rare pourrait induire en erreur. Nous rappelle- rons que les journaux et les gazettes étaient, à cette époque, deux choses tout à fait distinctes, que les rédacteurs des gazettes étaient des gazetiers, et non des joaroalistea, titre exclusivement réservé alors aux rédacteurs des recueils litté- raires. L'histoire de Camusat n'est, à proprement parler, que l'histoire du Jour- nai des Saioants, qui est suivie de courtes notices sur le Msrcure et une demi-dou- zaine de journaux de médecine, de sdences mathématiques, et de littérature. Mais ii D^y est pas dit un mot de la Gazette de France ; une note seulement roule sur l'origine des gazettes et l'utilité de ces sortes d'écrits. Nous reviendrons d'ailleurs sur cet ouvrage en parlant des journaux Httéraireè.
380 LE MERCURE
carrière y qui a eu le singulier privilège d'intéresser pendant tant d'années une société qui n'était pas précisément sotte, ne saurait être sans une certaine valeur. Evidemment dans une aussi volumineuse collection il doit se trouver bien de la mauvaise prose et de mauvais vers ; mais, en revanche, on croirait difficilement, quand on n'a pas feuilleté ce recueil, dont le genre, après tout, n'était pas plus frivole que celui auquel on nous ramène insensible- ment, combien d'excellentes choses il renferme,^ et quelles lumières il a répandues en badinant. Du reste, tout en se moquant du Mercure, on l'a pillé, on le pille encore à outrance. Pensez donc aussi, 1 ,800 volumes ! Quelle mine précieuse pour un chroniqueur aux abois, si mélangé qu'y soit l'or ! Et véritablement, nous le répétons, il n'y est pas si rare qu'on voudrait bien le dire. Même, qu'on veuille bien le remarquer, je ne défends ici que le Mercure galanty le Mercure de de Visé et de ses pre- miers successeurs; car le Mercure de France^ le Mercure des Laroque, des Marmontel, des La Harpe, qui comptait parmi ses rédacteurs les plus grands noms de la science et des lettres, qui pouvait sur ses bénéfices annuels servir jusqu'à 30,000 fr. de pensions aux gens de lettres, ce Mercure-là n'a pas sérieusement besoin d'être défendu. Rappelons en- core un caractère propre du Mercure : c'est qu'il était accessible à tous ; c'était une tribune ouverte à
LE MERCURE 884
toutes les opinions, à toutes les idées, une lice où se rencontraient et se combattaient, des points les plus éloignés, les plus habiles jouteurs.
Il est bon d'ailleurs de faire observer que ce fut à sa naissance que le Mercure eut à essuyer les attaques les plus violentes, que ce furent les con- temporains qui lui donnèrent cette teinte de ridicule qui ne s'est jamais depuis complètement effacée. C'est toujours et partout le sort de toute entreprise qui réussit, d'avoir à lutter contre l'envie ; mais il y eut à cette hostilité contre le Mercure une cause particulière, inhérente à la personne de son fonda- teur ; il arriva au Mercure ce qui était arrivé à la Gazette. En s'attaquant à la routine, Renaudot avait ameuté contre lui tous les Purgons de la faculté de médecine : de Visé, par ses critiques peu mesu- rées, par la violence qu'il apporta dans certaines querelles littéraires, souleva contre son œuvre la gent irritable des poètes. Plus tard l'àpreté que le Mercure apporta dans la défense de son privilège, et ses prétentions au monopole, accrurent encore ces dispositions hostiles .
Donneau de Visé était né à Paris en 1 640. Des- tiné par ses parents à l'état ecclésiastique, il en porta l'habit dans sa jeunesse ; mais, entraîné par un penchant irrésistible vers la carrière des lettres, il n'avait pas tardé à quitter le petit collet Dès 1 663
389 LE MERCURE
il avait fait connaître son goût pour la satire en pu- bliant, à la suite d'un recueil de nouvelles, l'exa- men des ouvrages de Molière et une critique de la Saphanisbe de Corneille. Peu de temps après, l'abbé d'Âubignac ayant attaqué ce dernier écrivain, de Visé, par un reviremmt étrange, en prit la défense et se constitua le champion de notre grand tragique, avec lequel sans doute il avait fait sa paix. Mais il continua de harceler Molière, soit qu'il n'appréciât pas ce rare génie, soit qu'il cédât à une basse jalou- sie. En 1665 il aborda le théâtre, et débuta par k Mère coquette , ou les Amants brouillés ^i\ixei suivirent, à des intervalles rapprochés, plusieurs autres piè- ces, toutes en vers, et qui eurent un grand nombre de représentations.
De Visé était donc déjà très-connu dans le monde littéraire quand il commença, en 1672, la publica- tion du Mercure galant. Ce n'était pas, comme je le vois imprimé partout, une suite, une résurrection du Mercure français de Richer ; il n'y a aucune es- pèce d'identité entre ces deux recueils . Le liim de Richer était, comme je l'ai dit ailleurs, une sorte d'annuaire historique ; le Mercure galant était, ain&i que l'indique son titre, un recueil essentielle- ment léger, qui embrassait, mais en les efiBeunint seulement, toutes les matières qui sont le butin des Chroniques, Courriers, feuilletons de théâtre, et Revues d'aujourd'hui : nouvelles politiques et litté-
LE MERCURE 383
raireSy promotions et nominations, mariages, baptêmes et morts, spectacles, histoires galantes, réceptions aux académies, plaidoyers, sermons, ar-* rétfi, petites pièces de poésie, énigmes illustrées, chansons avec musique, dissertations, quelquefois savantes et quelquefois enjouées, tout y entrait, tout y trouvait place. Boursault, dans une pièce dont nous parlerons tout à l'heure, fait dire à un de ses personnages :
Me croyez-vous la cervelle assez bonne
Pour résister longtemps à remploi qu'on me dorme? Tant que dure le jour fai la plurM à la main ; Je sers de secrétaire à tout le genre humain» Fable, histoire, aventure, énigme, idylle, éghgue, Epigramme, sonnet, madrigcU, dialogue, Noces, concerts, cadea^tœ, fêtes, bals, enjouements, Soupirs, larmes, clameurs, trépas, enterrements. Enfin quoi que ce soit que Von nomme nouvelle, Vous m'en faites gaxiier un mémoire fidèle.
Mais laissons l'auteur nous exposer lui-même le plan qu'il s'était proposé.
Je vous écrirai tous les huit jours une fois, et vous ferai un long et curieux détail de tout ce que j'aurai appris pendant la semaine. Je vous manderai des choses que les gazettes ne vous apprendraient point, ou du moins qu'elles ne vous feraient pa» savoir avec tant de particularités. Les moindres choses qui se passeront ici n'échapperont point, à ma plume. Vous saurez les mariages et les morts de conséquence, avec des circonstances qui pourront quelquefois vous donner des plaisirs que ces sortes de nouvelles n'ont pas d'elles-mêmes. Je tâcherai de développer la vérité des belles actions de ceux dont la valeur se fera remarquer
384 LE MERCURE
dans les armées, et voua éclairerai souvent des choses dont la renommée est toujours mal instruite, parce qu'elle n'attend ja- mais pour partir qu'elles soient bien éclaircies, et que les premiers bruits qu'elle sème ne sont que rarement véritables... Comme on entend de temps en temps parler de procès si extraordinaires et si remplis d'aventures que les romans les plus surprenants n'ont rien qui en approche, je ne manquerai pas de vous en divertir et de vous en mander les véritables circonstances, qui ne sont jamais bien sues que de ceux qui se donnent la peine de les rechercher avec soin.
Je vous enverrai toutes les pièces galantes qui auront de la réputation, comme sonnets, madrigaux et autres ouvrages sem- blables. Je vous manderai le jugement qu'on fera de toutes les comédies nouvelles et de tous les livres de galanterie qui s'im- primeront.
J'espère vous écrire souvent quelques aventures nouvelles en forme d'histoire. Paris est assez grand pour m'en fournir, et il y arrive chaque jour des choses assez considérables et extraor- dinaires*.. J'ajouterai à toutes ces choses toutes les nouvelles des ruelles les plus galantes, et vous manderai jusques aux modes nouvelles. On est ravi en province de les apprendre, et, de tout ce que l'on y peut mander, rien n'y egt souhaité avec plus de passion. Vous croyez bien que les coquettes de Paris me four- niront assez de quoi vous écrire sur ce sujets et que toutes les choses que je viens de promettre me fourniront séparément de quoi vous entretenir d'un nombre infini de nouvelles. Je ne vous en manderai pas beaucoup d'étrangères ni d'état, et je vous parlerai seulement de ces grandes nouvelles publiques dont s'en- tretiennent ceux même qui ne font pas profession d'en savoir. Comme il n'y a pas de nouvelle si publique qui n'ait quelque chose de particulier et qui n'est pas su de tout le monde, je vous informerai de ce qu'en croiront ceux qui doivent être les mieux informés.
Si je puis venir à bout de mon dessein, et que vous conserviez mes lettres, elles pourront dans l'avenir servir de mémoires eu-
LE MERCURE 385
rieuY, et Ton y trouvera beaucoup de choses qui ne pourraient se rencontrer ailleurs^ à cause de la diversité des matières dont elles sont remplies.
Ce plan n'était pas irréprochable assurément; mais il était nouveau et réalisait un progrès réeL La presse littéraire n'existait alors que depuis six ou sept ans, et elle n'avait encore produit que quel- ques recueils spéciaux, s'adressant à une classe pri- vilégiée. La presse politique datait déjà de quarante années, mais on sait combien la Gazette, restée son unique expression en France à l'époque où pa- rut le Mercure, était aride et insignifiante. De Visé voulut, en combinant ces deux éléments et les éten- dant, faire un journal qui parlât de tout, qui fût ouvert à tous et convînt à tous ; il comprit que là était le succès, et ses calculs ne furent point trom- pés.
Le fait seul de cette alliance de la littérature et de la politique, opérée par le Mercure, constituait pour l'époque, et dans les circonstances où elle se produisit, un véritable progrès. C'est là ce qu'on ne regarde pas assez quand on juge ce recueil. Nous ne voulons pas le surfaire assurément ; mais nous pensons qu'on n'en a pas fait tout le cas qu'il mé- ritait. On ne veut y voir qu'un ramas de fadaises littéraires, et la vérité est qu'il donnait une large place à la politique, ou du moins — si ce mot ne
peut se séparer de l'idée de discussion — aux nou- T. I. n
3S6 Le MERCURE
Telles politiques, aux faits historiques. Il est vrai qu'il accommodait l'histoire au tempérament de ses lecteurs; mais il n'en présente pas moins une masse de détails, de petits faits, qui importent es- sentiellement à notre histoire, et qu'on ne rencon- trerait pas ailleurs. Sa littérature avait le même caractère de légèreté, de frivolité, si l'on veut, elle n'était pas toujours très-choisie ; mais cela entrait dans le plan de son fondateur : ce qu'il avait voulu faire, nous le répétons, c'était un journal pour tous, un journal de tout le monde. L'applaudissement avec lequel fut accueilli le Mercure prouve tout au moins que son auteur avait bien jugé de la société au milieu de laquelle il vivait.
Malheureusement de Visé porta dans le Mercure cet esprit satirique qui lui était naturel ; il se cons- titua juge suprême de toutes les matières de goût, et, par un travers qui n'est pas à sa louange, il sem- bla prendre à tâche de rabaisser le mérite des maîtres, comme Racine et Molière, réservant les éloges et les .encouragements aux écrivains les plus obscurs. Ainsi, à propos des Femmes savantes^ aux- quelles d'ailleurs iljrend justice, il prend contre Molière la défense de Cotin , déjà immolé par Boi- leau à la risée publique.
Jamais, dans une seule année, Ton ne vit tant de belles pièces de théâtre, et le fameux Molière vient de faire représenter an Pdlais-Royal les Fumnm savantes, pièce de sa façon, qui est
LE MBRCURB m
tout à fait achevée. Bien des gène font des applications de cette comédie. Un homme de lettres est, dit^m, représenté par M. Tri- cotin ; mais M. Molière s'est suffisamment justifié de cela par une harangue qu'il a faite au public deux jours après la première re» présentation de sa pièce. D'ailleurs ce prétendu original de cette agréable comédie ne doit pas s'en mettre en peine, s'il est aussi iBge et aussi habile homme que Ton dit, et cela ne servira qu'à faire éclater davantage son mérite, en faisant naître l'envie de le connaître, de lire ses écrits et d'aller à ses sermons.
Nous ne pensons pas que les Femmes savantes aient empêché qu'on fût assis à Vaise aux sermons de l'abbé Cotin; mais nous ne croyons pas non plus que la harangue prononcée par Molière avant la re- , présentation de cette pièce ait fait prendre le change à personne sur ses véritables intentions, et nous ne voyons dans ce discours qu'une malice du grand homme, ne voulant laisser ignorer à personne que c'était l'abbé Cotin qu'il avait mis en scène sous le nom de Tricotin^ changé depuis par lui-même en celui de Trissotin.
Dans la querelle sur la prééminence des an- ciens ^et des modernes, Visé se déclara pour Per- rault, ce qui lui attira plusieurs épigrammes, entre autres celle-d, de Boileau, adressée à Perrault :
Le bruit œurt que Bacchus, Junon, Jupiter, Mars,
ÀjKAUm le dieu des beaux^arts. Les Ris méme^ les Jeux, ks Grâces et leur mère,
Et tous les dieux enfants d'Homère,
Résolus de venger kwr père, Jettent d^à sur vous de dangereux regards.
nS LB MBRCURE
PerravH, craignez mfn çtiaigtie trisU aventuré ! Comment souttendret-vow un choc si violent ?
Il est vrai, Visé vous assure
Que vous avez pour vous Mercure ;
Mais c^est le Mercure galant.
Voici une autre épigramme, dont nous ignorons l'auteur :
le sot livre qu*on voit dans les mains des bourgeois,
Revenant à toutes les lunes ! Serait-ce pas dégoût du Parnasse françois?
Non, mais c'est que, selon les lois
Au sexe féminin communes,
La Muse française a ses mois.
Ah fi ! direz'Vous, quelle ordure ! De Visé cependant en fait sa nourriture
Et Corneille en Uche ses doigts,
11 s'agit ici de Thomas Corneille, que de Visé avait attaché à la rédaction de son journal, après avoir fait quelques comédies avec lui.
On sait l'arrêt que La Bruyère fulmina contre le Mercure en le mettant immédiatement au-dessous de rien. Mais les plus violentes attaques lui vinrent de Gacon, qui nourrissait pour son auteur des sen- timents peu bienveillants. Nous citerons une bou- tade du poète sans fard qui résiune assez exacte- ment les principaux reproches que l'on adressait
au Mercure :
«
Quoi ! depuis si kmgtempe Corneille et de Visé Fatiguent le public d'un livre méprisé,
LE MERCURE r»9
Et je n'ai pas encor contre leur sot Mercure Décoché dans mes vers quelques traits de censure!
Ah! c'est trop attendu, mon silence est suspect; Il est temps de bannir un frivole respect. Si le nom de Louis qui pare leur volume A pu jusques ici mettre un freina ma plume, Las de le voir en proie à ce couple ignorant, Je me laisse entraîner et je cède au tinrent.
Vient-il de la province un oxi/vrage insipide, Dût-il déshonorer les faits de notre Aldde, Si Vécu neuf le suit, il trouve un doux accueil Et tiendra le haut bout dans le fade recueil,
Cest là que tous les fnois la basse académie Se montre ouvertement du bon sens ennemie, Cest là que Longepierre, enflant son chalumeau, Croit chanter comme un cygne et croasse m corbeau. Et c'est là que Le Clerc, De Vins et ses semblables Par le plus sot lecteur se font donner aux diables.
Après quelques sonnets, impromptus, madrigaux.
Le Mercure s'étend sur les livrés nouveaux.
Et, prodiguant Vencens au flatteur mercenaire.
Il porte jusqu'aux deux l'auteur le plus vulgaire.
Is conte vient ensuite, où d'un Um doucereux
De Visé fait parler des amants langoureux.
Si ron était encore aux siècles des fleurettes,
Il pourrait divertir par ses historiettes ;
Mais par malheur pour lui le temps en est passé.
Et pour prendre une place on va droit au fossé.
Ainsi, sans s'arrêter à l'amoureuse histoire.
L'on passe tout d'un coup jusqu'aux chansons à boire,
Dont les airs, très-souvent aussi durs que les vers,
Forment en les chantant les plus aigres concerts.
190 LE MERCURB
Lb lecteur effrayé tourné vite la page.
Et, poursuivant le fil de ce galant ouvrage.
Il tombe sur Vendrait où cent bizarres noms
Semblent un exorcisme à chasser les démons.
Sa crainte alors redouble, et de l'affreux Meroure
îl est prêt à quitter la magique lecture;
Quand Vénigm» parait. Après bien des frayeurs,
Si pour la deviner il voit quelques lueurs,
H la relit deux fois, non sans quelque sorupuk
Du temps que lui ravit ce labeur ridicule.
Après plusieurs efforts; si le mot ne vient pas,
Le lecteur passe enfin au récit des combats ;
Mais, f)oyant le Mercure, écho de la Gazette,
Répéter mot pour mot une vieille défaite,
Il maudit de Visé, Corneille et ses consorts,
Et voudrait voir leurs noms dans la liste des morts.
Cette critique est amère ; mais on sait que Gacon mettait peu de retenue dans ses satires, et qu'il n'épargnait même pas les écrivains les plus célèbres. L'auteur des Réflexions sur les défauts d* autrui nous semble avoir mieux jugé Tœuvre de Visé.
« On reproche au Mercure galant^ dit-il, d'être un ramas de nouvelles^t de pièces différentes, qui courent le monde. Je réponds que, si l'auteur est fidèle dans le ramas qu'il fait de ces nouvelles et de ces pièces, il n'en faut pas davantage : son livre est bon ."Si dans ce nombre il se trouve des pièces qui ne méritent pas d'être lues, ne les lisez pas ; ne vous attachez qu'à celles qui sont bonnes, et laissez
les autres L'auteur n'a point prétendu s'ériger
en juge ; il s'est proposé de donner ce qui court,
LE MERCURE »M
VOUS laissant la liberté d'en juger. Vous ne pouvez raisonnablement blâmer dans Fauteur du Mercure gaiant que ce qui est de lui, et si vous vous atta- chez à ce qui est de lui, vous trouverez un style pur et aisé, beaucoup de diversité, et assez d'art pour vous obliger vous-même, qui blâmez son livre,, à le lire dès qu'il paraît. En un mot le Mercu/re galant est un livre que l'auteur ne donne qu'à la curiosité du public. Ce livre est bon pour tous ceux qui trouvent à y contenter leur curiosité, et il y a peu de gens pour qui il ne soit bon, puisqu'il y a peu de gens qui n'y trouvent quelque chose ou qu'ils ne savaient pas ou qu'ils ne savaient qu'à demi. »
Camusat, ou plutôt son éditeur, à qui appartient la notice sur le Mercure, s'ingénie à répondre point pour point aux reproches adressés au journal de de Visé. Nous ferons grâce à nos lecteurs de cette phraséologie surannée ; ce que nous avons voulu niontrer, c'est le bruit qui se fit autour du Mercure dès ses premières années. Rien ne devait manquer à sa vogue : Boursault en fit le sujet d'une comédie, qui eut un grand succès. Il lui avait donné pour titre le nom même du bruyant recueil ; mais de Visé s'opposa à ce qu'elle fût jouée sous ce nom. Bour* «aolt ne vit rien de mieux alors que de l'appeler la Comédie sans titre. Dans cette pièce, du reste, Boursault n'attaque point,comme l'avait fait Gacon^
39t LE MERCURE
rbonneiir de de Visé ; il rend même justice à ses bonnes qualités ^ et lé représente comme un homme désintéressé ; c'est même moins contre le Mercure que contre les passions qu'il mettait en mouTemenit que s'exerça la verve de Boursauït ; il a soin de s'en expliquer lui-même dans un avertissement placé en tête de la dernière édition de sa comédie : « Mon dessein en faisant cette pièce de théâtre n'a pas été de donner atteinte à un livre que son débit justifie assez, mais seulement de satiriser un nombre de gens de différents caractères qui prétendent être en droit d'occuper dans le Mercure galant la place qu'y pourraient légitimement tenir des personnes d'un véritable mérite. Je croirais avoir rendu un service important à son auteur, et même à ceux dont je vais parler, si j'avais fait des portraits assez ressemblants pour épargner à l'un la peiné d'écou- ter tant de sottises, et aux autres la honte de les dire{1). »
Nous citerons quelques scènes de cette comédie, qui nous ont paru présenter un intérêt à la fois moral et littéraire.
(0 Boursauït, dans sa jeunesse, s'était lui-même essayé au métier de gasetier. Il rédigea quelque tempe une gaaette en yers qui eut un grand succès à la cour, et lui valut une pension de S,000 francs. Mais s'étant avisé un jour de rimer une aventure galante arrivée à uo capucin, sa gazette fut supprimée, sur les plaintes du confesseur de la reine, et sans la protection du grand Gondé il aurait été en- voyé à la Bastille. Quelques années aprèa il entreprit une autre gazette, qui fîit en- core supprimée pour deux méchants vers contre le roi Guillaume d'Orange. La France était alors en guerre avec ce prince, et Boursauït, en l'attaquant, avait cru faire acte.de bon courtisan; mais il se trouva, malheureusement pour le ga- setier inconsidéré, que Louis XIV songeait eo ce moment à dire la paii.
LE MERCURE 393
ORONTB, à qui Lucidas, le rédacteur du Mercure, a cédé momen- tanément el sa maison et son emploi pour assurer la réussite de ses amours.
Je te Vai déjà dit, Vune de nos surprises,
Cest de voir tant de gens dire tant de sottises.
Ijucidas est le seul, délicat comme il est.
Qui puisse avec tant d*art démêler ce qui plaît.
Depuis deux ou trois jours que je le représente
Je ne vois que des fous d'espèce différente,
Lun^ qui veut qu'on fimprime et n'a point d'autre but.
Croit que hors du Mercure il n*est point de salut.
Vautre, dans la musique ayant quelque science.
Croit de celle du Roi mériter l'intendance.
Celui-ci, d'une énigme ayant trouvé le mot.
Se croit un grand génie, et souvent n'est qu'un sot.
Cet autre, d'un sonnet ayant donné les rimes.
Croit tenir un haut rang chez les esprits sublimes.
Enfin, pour être fou, j'entends fou confirmé,
A Venoi l'un de Vautre on veut être imprimé.
AS'tu chez le libraire appris quelques nouvelles?
MEELIN
Oui, Monsieur.
ORONTE
Et de qui?
MERLIN
D'un commis des gabelles Qui, n'ayant pu trouver les profits assez grands, A fait un petit vol de deux cent mille francs...
ORONTB
Cela, qu'est-ce ?
MERLIN
Un pwtrait d'une jeune duchesse
Qui se fait distinguer par sa délicatesse.
47.
Zn LB MERCURE
Un pli qui par hasard est resté dans ses draps
Lui semblé un guet-^tpens pour lui meurtrir les hrm;
Il n'est point de repas qui pour elle ait de charmée
Si Von met de travers Vécusson de ses armes ;
Qui lui porte un bouillon trop doux ou trop salé
ly auprès de sa personne ^t sûr d^étre exilé ;
Et même elle refuse, étant fort enrhumée,
De prendre un lavement lorsqu'il sent la fumée.
Mais chut ! un gentilhomme entre ici.
M. MIGHÀUT
Servitiur, N'étes-vous pas l'auteur du Merowre?
ORONTE
Oui, Monsieur. M. MiGHAirr
Le Mercure est une bonne chose!
On y trouve de tout, fable, histoire, vers, prose, Sièges', combats, procès, mort, mariage, amour. Nouvelles de provinces et nouvdlesde cour. Jamais livre à mon gré ne fut plus nécessaire.
ORONTE
Je suis ravi, Monsieur, qu'il ait Vheur de vous plaire. Je ne le cèle point, j'ai toujours souhaité Les applaudissements des gens de qualité. Je ne puis exprimer le plaisir qv^ je goûte...
M. MIGHÀUT
Vous trouvez donc, Monsieur, que j'ai ¥ air grand?
ORONTE
Sam dMte. Vous êtes fort bien fait, on ne peut l'être mieux.
M. MIGHAUT
Pourriez-vous, en payant, me faire d^ tneux?...
LB MERCURE 395
OBO?ITE
De$ aiêux! Et comment vqfilez-vous que je faste? A moins d'avoir un titre et solide et constant, PuiS'je,..
M. MICHAUT
Bon! tous ks jours vous en faites autant. Tout vous devient possible étant ce que vous êtes. Vos Mercures sont pleins de nobles que vous faites, De noms si biscornus, s*il faut dire cela. Qu'on ne peut être noble et porter ces noms-là,..
ORONTB
Je voudrais fort. Monsieur, vous pouvoir obliger. Je puis à la noblesse ajouter quelque lustre. Et rappeler de loin une famille illustre; Mais dans tous mes écrits jamais aucun appas Ne m*a fait anoblir ce qui ne tétait pas, Ifentrevoyez^vcus point, dans toute votre race, De gloire ou de valeur qudque légère trace? Aucun de vos aieux ne s' est-il signalé?
M. MICHAUT
Ma foi, mon père est mort sans m'en avoir parlé. Et de tous mes àieuas, puisqu'il ne faut rien taire, Je n'en ai point connu par delà mon granârpère,
ORONTE
Qu'était-il? Avait-il quelque gradée?
M. MICHAUT
Entre nous Feu mon grand-père était mousquetaire à genouas.
ORONTE
QueUe charge est cela ?
M. MICHAUT
Cest ce que le vulgaire En langage con^mun appeUe apothicaire.
a96 LE MERCURE
OaONTB
Fi!
M. MICHAUT
Dépend-il de nous d'être de qualité? Quand on m'a voulu faire, ai-je été consulté? Sans savoir ce qu'il fait le hasard nous fait naitre Et ne demande point ce que nous voulons être. Mon père fut d'un rang plus noble que le sien : Il se fit médecin, gagna beaucoup de bien, N'eut que moi seul d'enfant, et, passant mon attente, Me laissa par sa mort cinq miUe écus de rente. Comme Paris est grand, fai changé de quartier; Je me fais par mes gens appeler chevalier; La maison que f occupe a beaucoup d'apparence, Et personne à présent ne sait plus ma naissance.
Faites-moi gentilhomme, il n'est rien plus aisé
Greffes-moi sur quelque vieille tige,
Cherchez quelque maison dont le nom soit péri; Ajoutez une branche à quelque arbre pourri.,.
OaONTB
Votre nom n'est pas noble assurément,
M. MICHAUT
Qu'importe?.,. Croyez-vous qu'à la cour chacun ait son vrai nom. De tant de grands seigneurs dont le mérite brille. Combien ont abjuré le nom de leur famille I Si les morts revenaient, ou d'en haut ou (f en bas^ Les pères et les fils ne se connaitraient pas... Je n'escroquerai point vos soins ni vos paroles : fai certain diamant de quatre-vingts pistoUs.,.
OaONTE
Je vous Vai déjà dit, Monsieur, aucun appas Ne me fera jamais dire ce qui n'est pae.
LE MERCURE 397
M. MIGHAUT
ParbkUj tant pis pour vous d^étre si formaliste ! Adieu, je vais trouver un généalogiste, Qui, pour quelques louis que je lui donnerai, Me fera sur-l^-champ venir d'où je voudrai.
Autre scène.
MADAME GUILLEMOT
Est-ce VOUS qui faites le Mercure, Monsieur ?
ORONTE
Oui, Madame.
' MADAME GUILLEMOT
Oui ! raveu m'en semble bon !
ORONTE
En aveZ'Vous besoin, Madame ?
MADAME GUILLEMOT
Qui ? moi ! non. A moins d'être d*un goût insipide et malade, Peut-on s'accommoder d'une chose si fade ?..«
ORONTE
Je crois qu'avec raison vous êtes en colère; Mais je ne sais par où je vous ai pu déplaire....
MADAME GUILLEMOT
Regardez mon habit : il vous en dit assez; Ne P entendez-vous pas ?
ORONTE
Non, je vous le confesse,
MADAME GUILLEMOT
O ciel ! qu0 vous avez l'intelligence épaisse! Puisqu'il faut ai^ec vous ne rien dissimuler^
398 LB MERCURE
On dit que (fest de moi que vous voulez parler Quand certaine bourgeoise^ à qui la mode est douos^ Pour être en cramoisi fit défaire une housse... Pour le mot de bourgeoise, un peu trop répiU, Les bourgeois de ma sorte ont de la qualité; Quand vous voudrez écrire^ ajustez mieux vos contes, Et sachez que je suis auditrice des Comptes,
Autre scène.
LONGUEMAIN
N'est-ce pas vous^ Monsieur^ qui faites ce beau livre Qui n'est pas plutôt vieux qu*il redevient nouveau?,.. Pour vivre en honnête homme il faut avoir du bien. La vertu toute nue autrefois était belle; Mais le vice à son aise est aujourd'hui plus qu'dle, Et, de quelques talents dont on soit reoétUy Oti ne fait point fortune avec trop de vertu. Cela posé, foi cru pouvoir tout me permettre Dans les divers états où Von m'a voulu mettre. Dès mes plus jeunes ans, dans mes plus bas emplois, J*ai toujours eu le soin d'étendre un peu mes droits. Cette inclination augmentant avec Vàge, Dans des postes meilleurs je prenais davantage. Mais tous ces petits gains, par leurs faibles appas. En flattant mes désirs ne les remplissaient pas^ Si bien que, tout d*un coup, V occurrence étant belle, De deux cent miUe francs fai fraudé la gabelle; Et vous m'obligeriez, après ce beau coup-là. De donner dans le monde un bon tour à cela. Quand on a comme vous une plume si bonne
OftONTB
Et qud diable de tour voulezHvous que j'y donne ? Après un vol si grand,,.
LE MERCURE 399
LONGUBHAIN
Comment^ vol ! parlez mmuD, Et ne vous servez pas de ce terme odieux. Tant pour vous que pour moi, mettez-vous dans la tête Quê frauder la gabelle esf un mot plus honnête. Cest me déshonorer qu'employer de tels mots.
On a reconnu notre voleur d'une des scènes pré- cédentes. Il veut absolument que le Mercure arrange sonaffiiire: qu'a-t-il fait auprès de ce qui se pratiqué tous les jours ?
Combien n'en voit-on pas^ banqueroutiers parfaits.
Vivre du revenu des crimes qu'ils ont faits ?
Pour un à qui Von fait ces injures atroces,
Plus de diasy à Paris, ont deux ou trois carrosses.
Qu'un homme ait de bien clair jusqu'à cent mille écus,
On lui prête sans peine un million et plus ;
Chacun, ouvrant sa bourse à la moindre requête^
Lui jette avec plaisir son argent à la tête.
Et quand ses créanciers redemandent leur bien.
L'emprunteur infidèle, abandonnant le sien,
A la face des lois fait un vol manifeste.
Et pour cent mUle écus un million lui reste...
Avec ce que j'ai pris, comparez cette somme,
Vous verrez que j*en use en bien plus galant homme.
Pour messieurs les fermiers qui font des gains si grands.
Qu'est-ce, de bonne foi, que deux cent miUe francs ?
Gros seigneurs comme ils sont, ont^ils lieu de se plaindre ?
A rien de plus modique ai-je pu me restreindre,
Et, de vider ma caisse ayant fait le serment,
Pouvais^e, en conscience, en user autrement ?
Mettez^vous à ma place
Enfin pourtant il veut bien faire quelques con-
iOO LE MERCURE
cessions pour l'acquit de sa conscience ; il a trouYé un excellent moyen :
L'argent que Von a pris fait de la peine à rendre;
Mais on souffre enœr plus quand on se laisse pendre.
Ainsi, soit par faiblesse ou par bonne amitié.
Des deux cent mille francs je rendrai la moitié.
Ce sont cent miUe francs que je perds ; mais qu'y faire ?
fairnSy quand je le puis, à conclure une affaire.
Les fermiers généraux, voyant ma bonne foi,
Me pourront confier quelque meilleur emploi,
Cest ce qu'avec grand art, comme par bonté pure, .
Il faut insinuer dans le premier Mercure,
Si je suis, par vos soins, à Vabri de la hart ,
Du butin que j'ai fait vous aurez votre part...
Au dernier acte, survient M. Beaugénie, qui pro- pose à la compagnie une énigme, mais une énigme si belle
Qu'elle fera du bruit dans plus d'une rueUe.,, L'énigme qui jadis causa tant de vacarme, Fit verser tant de sang, ouvrit tant de tombeaux, Des monarques thébains mit le trône en lambeaux, Et fut cause qu'OEdipe eut la douleur amère De faire des enfants à madame sa mère. Cette énigme, en un mot, qui fit' tant de fracas, A ceUe que j'ai faite aurait cédé le pas.
Or Yoici la fameuse énigme proposée par M. Beau- génie :
Je suis un invisible corps Qui de bM lieu tire mon être, Et je n'ose faire connaître Ni qui je suis, ni d^où je sors»
LB MERCURE 404
Quand on m'ôte la liberté, ' Pour m'échapper fuse d'adresse. Et deviens femelle traitresse, De mâle que f aurais été.
Ses auditeurs ayant donné leur nez aux
<4iiens, M. Beaugénie leur fait de la chose une ga- lante explication, que nous nous dispenserons de reproduire, pour des raisons faciles à sentir. Bour- sault avait compris , du reste , qu'on pourrait trou- ver M. Beaugénie un peu bien osé, et il crut devoir s'en expliquer dans sa préface. « L'énigme qui est à la fin du 5® acte, y lit-on, n'est point de ma façon ; mais dans le dessein que j'avais de critiquer les énigmes, qui d'ordinaire cachent des sottises sous de pompeuses paroles, je crus ne pouvoir faire un meilleur choix, pour en montrer tout le ridicule, qu'en jetant les yeux sur celle-là. »
Une pareille comédie, on le comprend aisément, ne pouvait que servir les intérêts du Mercure (1). Du reste, les critiques auxquelles il fut en butte, loin de nuire à son succès, contribuèrent à l'aug- menter et à accroître la fortune de son rédacteur. Je représente, dit Oronte, dans la comédie de Bour- sault, un auteur,
(I) Le théâtre italien ne pouvait nuuiquer de s'emparer de l'ceu^i'd de de Visé et d'en exploiter la vogue, comme cela était dans ses habitudes. Il donna, le Si jan- vier 468i, Arlequin Mercure galant, comédie en 3 actes, dans laquelle Arlequin, déguisé en Mercure, débite à Jupiter toutes sortes de nouvelles saugrenues. C'est une parodie des plus innocentes, dans laquelle nous n'avons pas trouvé un mot à relever.
iOS LB MBRGURB
A qui, de compte fait, le débit de $e$ livres Rapporte tous les ans plus de dix mille livres.
Le Mercure entrait probablement pour la plus forte part dans ce chiffre de bénéfices. Il était ex- ploité par le libraire Blageart, qui payait de Visé à raison de tant par numéro, et ils y trouvaient l'un et Vautre leur compte, si Ton en croit le libraire Boniface qui, s'adressant à de Visé, lui parle ainsi de son éditeur :
H doit être content Savoir votre pratique : On ne déserte point son heureuse boutique; Du rnoHn jusqu'au soir il ne voit qu'acheteurs. Vous n'êtes point maudit comme certains auteurs, Qui feraient beaucoup mieux de ne jamais rien faire Que de mettre à f aumône un malheureux libraire.
Et le bénéfice eût été bien plus considérable encore sans les nombreuses contrefaçons qui se fai- saient du Mercure , en France et à l'étranger.
De Visé recevait, on outre, de fréquents bienfieiits de la Cour, en retour des louanges qu'il prodiguait à Louis XIY . Avec le titre d'historiographe du roi, il avait obtenu une pension de cinq cents écus et un logement au Louvre , et , si désintéressé qu'il fût, on peut supposer que, dispensant comme il le faisait la célébrité, il dut recevoir d'autres libéra- lités que celles de la Cour. Votre plume, lui dit un solliciteur,
Votre plume aujourd'hui, par son invention. Met ce que bon lui semble en réputation;
LE MERCURE 403
Pour être, dans le mondes UliAStre à juste titre, Il faut dans le Mercure occtiper un chapitre.
Or, ces chapitres élogieux, pour lesquels on obsédait de Visé, devaient nécessairement grossir, sous une forme ou sous une autre, le chapitre des bénéfices.
Quoi qu'il en soit, de Visé continua son œuvre avec succès jusqu'à la fin de sa carrière. 11 mourut le 8 juillet 1 710, à l'âge de 70 ans; il avait, depuis trois ou quatre années, perdu presque complète- ment l'usage de la vue.
Le Mercure galant était rédigé sous la forme d'une lettre, dans laquelle venaient s'enchâsser, d'une ma- nière souvent ingénieuse , les faits, les récits, les historiettes, les poésies, en un mot tout ce qui en composait le bagage ordinaire. Pendant les pre- mières années, de Visé, empêché par la maladie ou préoccupé de ses succès au théâtre, apporta peu de régularité dans sa publication; il n'en donnait guère qu'un volume tous les trois mois. Il l'inter- rompit même tout-à-fait pendant deux ans. Mais à partir de 1 678, le Mercure parut régulièrement tous les mois, en un volume petit in-1 2, de trois à quatre cents pages, dont le prix était de trois livres.
Sitôt qu'un mois commence^ on m'apporte un Mercure; C'est mon plaisir â^élite et ma chère lecture^ Ety depuis qu'il parait, ce qui m'en a déplUf C'est qu'il est trop petit, et qu'on Va trop tôt lu.
404 LE MERCURE
Quelquefois même, pour peu que Tabondance des matières l'exigeât, les volumes se suivaient à un intervalle plus rapproché, ce que Ton compren- dra aisément, si l'on se rappelle que le Mercure se vendait au volume.
Quel mérite j)lus grand s'est jamais rencontré! Avant que vous fussiez, quelles rapides fdumes Enfantaient tous les ans jusqu^à seize volumes I Au moindre événement qui fait un peu de bruit. Votre fécondité va jusques à dix-huit.
De Visé publiait en outre, trois ou quatre fois par an, des suppléments plus spécialement consa- crés aux matières politiques ou au récit d'événe- ments importants, à l'instar des Extraordinaires de la Gazette. Pour cette partie, comme pour les autres, d'ailleurs, il avait fait appel à tous ceux qui pourraient et voudraient lui adresser des mémoires, indiquant, en outre, trois jours par semaine où on le rencontrerait chez lui pour les communications verbales qu'on aurait à lui faire.
Il manquait au fondateur du Mercure le génie, qui seul donne la vie aux œuvres littéraires ; mais il avait de l'esprit et de la facilité. Outre douze pièces de théâtre, jouées la plupart avec succès, il a laissé plusieurs ouvrages, entre autres des Nouvelles ga- lantes et comiques^ V Amour échappé et le Parlement d'Amour^ pâle imitation de Martial d'Auvergne ; des Mémoires pour servir à r histoire de Louis XIV , 10
LE MBRCURB 405
Tolumes in-folio édités avec un tel luxe qu'on les réduirait aisément à un volume in-1 2, et qui d'ail- leurs ne contiennent guère que des reproductions du Mercure ; un Recueil de diverses pièces touchant les préliminaires de la paix proposée par les alliés et rejetée par le roij volume très-rare, parce qu'il a été supprimé dès qu'il parut, etc.
La mort de de Visé n'interrompit point la publi- cation du Mercure. Rivière Dufresny demanda le privilège de ce recueil, qu'il appelait le garde-- meuble du Parnasse ; il avait appuyé sa demande de ce placet adressé au roi :
Plaise au roi par brevet vouloir autoriser Lb privilège ancien que fai de Vam^iser, Plaise à ma Muse aussi d^étre badine et sage. Plaise à moi, me bornant au prudent badinage. De ne point ressembler à ces fous sérieux Qui veulent pénétrer jusqu aux secrets des dieux. Mercure a pris Vessor^ emportant ses nouvelles : Plaise au roi m'ordonner de lui rogner les aiks, l/égayer la fadeur d^un style rdMttu,
Sans blesser bon sens ni vertu^ De louer sans flatter, de blâmer sans médire^
If être badin sans m'oublier.
Point ridicule en faisant rire,
Et sérieux sans ennuyer. En un mot, plaise au roi que je tâche à lui plaire. ' Mais plaise au roi surtout mon désir de bien faite; Plaise au roi mon Mercure, et de là s'ensuivra Qu'aux gens de bon esprit mon Mercure plaira.
iO« LB MBRGURB
Le roi, qui avait toujours aimé Dufresuy, lui fit accorder aussitôt le privilège qu'il sollicitait ; il prit donc la rédaction du Mercure au mois de juin 1710, et la continua jusqu'à la fin de 1713.
a Dufresny, dit la notice déjà citée, consola bien vite le public de la perte qu'il avait faite en la per- sonne d'un homme qui depuis tant d'années em- ployait ses soins à lui apprendre tout ce qui se passait de plus curieux. Le style agréable et léger de l'ingénieux auteur des Amusements sérieux et comiqueSy l'enjouement dont il savait accompagner tout ce qui sortait de ses mains, la vivacité de son génie, tout cela charma la cour et la ville, et fit oublier de Visé, que sa première réputation avait pourtant soutenu, malgré les censeurs, jusqu'à la fin de sa course. Grâce aussi au goût de la nation pour la variété, le changement d'auteur fit recevoir avidement le nouveau Mercure. « Ajoutons que cette faveur était méritée. Inférieur à de Visé pour le style, Dufresny sut mieux choisir les pièces qu'il faisait entrer dans son recueil; il est vrai qu'il avait pour cela des procédés fort commodes, pre- nant volontiers son bien partout où il le trouvait ; ce qui lui attira cette algarade de Rousseau : « Je fus averti que ce galant homme se donnait la liberté d'imprimer pièce à pièce mes ouvrages, habillés à sa mode et au goût des honnêtes gens à qui il vou- lait faire plaisir. Je lui écrivis sur cela, aussi dvi-
LE MBRCURB 407
lement que j'aurais pu faire à un auteur qui aurait mérité quelques égards. Il ne jugea pas à propos de m'honorer d'une réponse; au contraire, il recommença de plus belle à user de mes vers, comme d'un bien dont on aurait obtenu confisca- tion, et il a continué de vivre de sa proie jusqu'à ce qu'elle lui ait manqué tout-à-fait ; en sorte qu'une partie de mes écrits a déjà eu l'honneur de paraître sous les enseignes du sieur Dufresny , et de grossir un livre qui, après quarante années de possession, se soutient toujours fièrement dans la place qu'un auteur lui a assignée au-dessous de rien. »
Disons aussi que Rousseau était l'ennemi déclaré de Dufresny . 11 ne laisse échapper aucune occasion de l'attaquer. Dans la préface de ses œuvres im- primées à Soleure en 1712, il écrit que Dufresny « avait toutes les qualités que les amis du défunt pouvaient désirer pour faire longtemps regretter son prédécesseur; n il n'avait pas d'ailleurs attendu jusque là pour manifester les sentiments qui l'a- nimaient à l'égard du nouveau rédacteur du Mer- cure. Dufresny ayant donné, dans son premier numéro, les bouts rimes de trente^ quarante^ etc. , Rousseau bâtit là-dessus une pièce fort plaisante , qui se terminait par ces deux vers :
A la vieille Bahetje le ferais pour rien. Pourvu que je te visée étrillé comme un chien.
Cette vieille Babet était une bouquetière qu'on
408 LB MBRCURB
avait longtemps nommée la Belle Bouquetière , et à laquelle sa beauté avait attiré autrefois des cha« lands de plus d'une espèce.
Quoi qu'il en soit, les volumes du Mercure pu- bliés par Dufresny sont peut-être les meilleurs de la collection ; Rousseau s*y trouvait en excellente compagnie, à côté des Corneille, de Racine, de Fontenelle et autres excellents auteurs , et si le même choix eût toujours présidé à la rédaction de ce recueil, il n'aurait jamais été mis au--dessou8 de rien. Dufresny apporta en outre dans la partie poli- tique une modération inconnue à de Visé, auquel on reprochait d'aimer plus sa patrieque la vérité, et de « médire brutalement des princes qui étaient en guerre avec la France. > Cette modération de Du- fresny ne contribua pas peu au succès du Mercure à l'étranger. U se montra aussi moins facile sur le chapitre de la louange, ce qui n'empêcha pas « les rigides partisans de la vérité de prétendre qu'il la devait dire plus hardiment, » au rapport de Madame Dunoyer, qui lui trouvait, pour son compte, trop de complaisance. « 11 la pousse si loin, ajoute cette dame, que, pour se conformer à cet esprit de dé- votion qui règne maintenant à la cour, il va puiser dans la Vie des saints de quoi enjoliver son Mer- cure, et prendre les noms de ses héroïnes dans les Litanies. Le cas est nouveau, et je ne me serais pas attendu à trouver la conversion d'Aglaé dans un
LE MBRCURE 409
Mercure galant. Le baptême de Mademoiselle de Valois en a donné l'occasion, et notre auteur ne Ta pas laissée échapper. On voit bien qu'il veut tout mettre à profit. On trouve l'utile où l'on ne trouvait autrefois que l'agréable, et je ne désespère pas qu'avec le temps le Mercure galant ne devienne un livre de dévotion, ou que du moins , par un beureux assemblage de sérieux et de comique, on n'y trouve de quoi faire la matière de ces sermons dans lesquels les prédicateurs italiens trouvent le secret d'émouvoir plusieurs passions à la fois. »
C'est l'histoire de Renaudot , « dont la plume ne pouvait plaire à tout le monde, en quelque pos- ture qu'elle se mît, non plus que ce paysan et son fils, quoiqu'ils se missent premièrement seuls et puis ensemble, tantôt à pied et tantôt sur leur âne. » C'est celle de Loret, que « son métier très- fort embarrasse. »
Voyez quelle est mon infortune ! Si je pique un peu, f importune. Et lorsque je ne pique pas^ Mes vers sont froids et sans appas.
Ce sera l'étennelle histoire de tous ceux qui ma- nient la plume, et des journalistes plus que de tous autres.
Un fait certain, c'est que Dufresny ne s'enrichit pas au Mercure. Loin de là, paraît-il, puisqu'un de ses amis était amené à lui dire un jour, sous forme
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de consolation : « Pauvreté n'est pas vice. — C'est bien pis , » répondit l'insouciant gazetier. On sait qu'endetté de 30 pistoles envers sa blanchisseuse, il l'épousa^ pour s'acquitter. Au reste, il ne pouvait s'en prendre de sa pauvreté qu'à lui-même et à sa conduite déréglée. Bien vu de Louis XiV, dont il avait été valet de chambre dans sa jeunesse, rien ne lui eût été plus facile que de se créer une existence heureuse ; mais ses goûts dissipés ne lui permirent jamais de penser à l'avenir ; il n'avait pas plutôt un écu qu'il le dépensait, et Voltaire a dit avec raison:
Et Dufremy^ plus sage et moins dissipateur.
Ne fût pas mort de faim, digne mort d^un auteur.
Avec un pareil caractère , Dufresny n'était pas homme à s'astreindre longtemps aux exigences d'un recueil périodique. Aumoisde décembre 1 713, il céda son privilège à Le Fèvre de Fontenay, en se réservant sur le Mercure une pension dont il jouit jusqu'à sa mort. Le Fèvre rédigea le Mercure de mai 1714 à octobre 1716. Un arrêt du Conseil, du 28 novembre de cette dernière année, lui fit dé- fense de le continuer, « à cause qu'il se glissait dans le Mercure des choses scandaleuses, et même inju- rieuses à la réputation de plusieurs personnes. » Ce sont les termes de l'arrêt.
A Le Fèvre succéda l'abbé Buchet, qui reprit le Mercure en janvier 1 71 7', après une interruption de deux mois, et le conduisit jusqu'au mois de
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mai 1721, c'est-à-dire jusqu'à sa mort, arrivée le 30 de ce mois. Au titre de Mercure galant, le nouveau rédacteur avait substitué celui de Nouveau Mercure^ semblant promettre par là une rédaction plus sé- rieuse, moins frivole. Et en effet les 53 numéros qu'il publia se font remarquer par le bon choix des matières. L'abbé Buchet donnait en outre réguliè- rement deux fois par semaine une gazette manus- crite fort recherchée, à laquelle il occupait cinq ou six copistes. On attribua sa mort prématurée — il n'était âgé que de 42 ans — à la vengeance de quel- ques petits-maîtres qui se seraient trouvés offensés de certains traits un peu trop piquants qu'il leur avait décochés dans un Mercure.
Si Ton en croyait la notice de Gamusat, ou plu- tôt de Bernard, son éditeur, qui cependant est con- temporaine, le Mercure aurait passé des mains de l'abbé Buchet dans celles des frères de La Roque, qui lui auraient donné le titre de Mercure de France. Il y a là une erreur que nous croyons utile de rele- ver, car elle a été constamment répétée depuis. Entre le Nouveau Mercure^ de l'abbé Buchet, et le Mercure de France^ il y a» sous le simple nom de Mercure^ une série de 36 volumes, comprenant les années 1 721 , 22 et 23. Le titre ne porte pas de nom d'au- teur; mais le privilège en est donné aux sieurs Du- fresny , de La Roque et Fusellier, qui firent précède;* cette nouvelle série d'un avertissement dont nous
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transcrirons quelques passages propres à faire con- naître la transformation que subit alors le Mercure :
Nous annonçons au public que plus d'un auteur est à présent chargé de la composition du Mercure. Il n'est pas de ces livres qui ne doivent absolument être rédigés que par la môme plume; il peut rassembler autant d'écrivains qu'il rassemble de matières: elles sont si indépendantes les unes des autres, et si opposées, que, loin d'exiger de l'égalité dans le style, elles y demandent un contraste perpétuel. Ainsi on gardera la forme des derniers Mercures, qui, dégagée des liaisons, parait la plus convenable à un recueil. Cette forme est d'autant plus sensée qu'elle admet une commode distribution de travail, et que chacun, en suivant la route différente qui lui est destinée, se trouve sans embarras et sans contestation au bout de sa carrière. Le choix des tran- sitions, souvent absurdes, presque toujours forcées, dans un ou- vrage qu'on n'a jamais le loisir de limer, n'est qu'une délicatesse inutile, qu'il faut rejeter entièrement du Mercure, aussi bien que le style épistolaire, qu'il a si longtemps affecté : ce style répan- drait trop d'uniformité dans notre journal, et y amènerait in- failliblement toutes les phrases fastidieuses que le compliment traîne à sa suite...
Non-seulement nous avons résolu de préférer tous les ouvrages qu'on nous enverra'au nôtre; mais encore nous ne nous en rap- porterons pas toujours à notre jugement dans le choix que aous ferons des pièces dignes d'être mises au jour. Nous avons des amis savants, judicieux, éclairés, qui veulent bien nous aider dans l'examen de cette multitude prodigieuse de manuscrits que l'on envoie de la ville et des provinces aux auteurs du Mercure...
Nous regardons le* fifercure comme un cirque que nous sommes obligés d'ouvrir sans préférence aux athlètes ingénieux qui cher- chent à se distinguer par des combats littéraires. Nous nous contenterons d'être les témoins de leurs exploits, nous n'en serons jamais les juges. Le Mercure doit être toujours neutre, et ne jamais entrer dans les considérations de la cabale... L'impartialité sera le premier de nos devoirs...
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n en est qui s'obstinent encore à compter au Mercure pour un défaut la variété qui constitue son caractère. Ignorent^ils que ce journal est fidt pour tout le monde, et qu'il doit des mets â, tous les goûts?
Les vers, qui n'ont pas encore paru dans les anciens Mercures, seront très-bien reçus dans le nôtre. Journalistes de la poésie et de l'éloquence, nous le serons aussi de la musique et de la peion ture; nous tâcherons d'instruire le public de tout ce qui pourra contenter son goût» On lui annoncera tous les livres nouveaux», les tableaux des grands maîtres, les estampes des plus habiles graveurs, les statues des sculpteurs distingués, enfin les fabriques des plus fameux architectes. Nous rendrons un compte fidèle des ouvertures des académies et de leurs travaux. Nous n'oublierons pas les programmes des professeurs, et les thèses choisies des quatre acuités. Les esprits les plus délicats ne refusent pas de jeter les yeux sur ces sortes d'ouvrages, depuis que Descartes a conduit la raison dans les collèges.
A l'égard des théâtres, nous ne vanterons que les ouvrages applaudis. Cbronologistes sincères des succès et des chutes de Melpomène et de Thalie , nous ne tromperons pas les provinces et les pays étrangers en leur exagérant Texcellence et la richesse des poèmes dramatiques qui n'auront fait qu'une fortune mé- diocre : les louanges prodiguées deshonorent le panégyriste sans illustrer ceux qui les reçoivent, et qui souvent les mendient. Le Mercure se fait sifQer lorsqu'il contredit le parterre.
Voilà notre plan général. Nous joindrons aux pièces différentes qui nous seront confiées les nouvelles galantes, politiques et lit- téraires.
Nous ne pouvons mieux finir qu'en apprenant au public la plus glorieuse prérogative du Mercure : il a l'honneur d'être lu au Roi...
A partir de 1 724, le Mercure devint, comme nous l'ayons dit tout à l'heure, le Mercure de France :
Le titre de Mercure de France que nous donnons aujourd'hui à
lu LE MERCURE
notre journal, au lieu de celui qu'il avait porté depuis son ins- titution, disent à ce sujet les auteurs, ne doit pas faire craindre que nous voulions en retrancher ces matières agréables qui font tant de plaisir au monde galant et poli. Ce n'est point là notre dessein ; nous cherchons à ajouter des beautés à notre ouvrage, plutôt que d'en retrancher ; mais pour mettre notre Hercnre à la portée de toutes sortes de' personnes, nous renonçons à un titre qui semblait le consacrer aux jeunes gens et aux dames, exclu- sivement à tous autres lecteurs. Les plus sérieux et les plus enjoués y trouveront paiement de quoi s'occuper et de quoi s'amuser. Rien de trop libre n'entrera dans notre ouvrage, mais nous n'en exclurons rien de ce qui nous paraîtra fin et délicat; flous y insérerons même un nouvel article de bons mots. Noos prions tous ceux qui prendront quelque intérêt au Mercure de vouloir bien nous faire part des choses qui viendront à leur con- naissance sur ces matières : bons mots, réparties vives et piquantes, contes facétieux, naïvetés plaisantes, pasqninades in- génieuses, sans aucune maligne application; pensées choisies, questions curieuses, traits d'histoire intéressants et de morale instructive; jeux de mots, griphes, logogriphes...
Mais la livrée que le Mercure yeaait d'endosser, l'honneur qu'on lui faisait à la cour, lui imposaient d'autres devoirs encore , auxquels il ne pouvait faillir :
Comme les sentiments du roi sont au-dessus de son ftge, et qu'il n'y a point de mois que le Mercure ne puisse rapporter quelque action ou quelque discours reinarquable de Sa Majesté, nous redouterons nos soins pour ne rien oublier qui puisse servir un jour à l'histoire de oe jeune monarque. La postérité nous saura gré de lui avoir transmis jusqu'aux moindres par- ticularités d'une vie que chaque jour distingue par quelque trait de vertu. Quelle gloire pour le Mercure d'en être le premier héradt!...
Quoi qu'il en soit, on doit reconnaître qu'il y avait
l
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un grand et yéritable progrès dans le nouveau pro^ gramme ; et de fait le Mercure entra de ce moment dans une voie toute nouvelle , il prit un essor et une extension littéraires qu'il n'avait jamais eus. La direction de ce recueil devint un gros privilège et une excellente affaire; si bien que le gouverne- ment, qui avait alors en fait de propriété littéraire des idées assez étranges, crut devoir s'en emparer, non pas à son profit cependant, mais dans l'intérêt des écrivains. Le directeur du Mercure, dont il se réservait la . nomination, ne fut plus en quelque sorte qu'un fonctionnaire littéraire, ayant un trai- tement fixe, et rendant compte à l'Etat des bénéfices de la publication. Mais ces bénéfices n'entraient pas dan^ le trésor public ; ils étaient affectés au service de pensions accordées à des gens de lettres. Les ministres pouvaient ainsi se montrer généreux sans qu'il en coûtât rien à l'Etat. A la mort des titulaires de ces pensions, elles étaient transportées à* d'autres écrivains ; et le plus souvent ces parties prenantes étaient absolument étrangères au Mercure. Cepen- dant M. de Saint*Florentin , voulant, avec raison, faire tourner ces encouragements à l'avantage du recueil et lui assurer une valeur littéraire plus grande, avait décidé qu'il n'y aurait plus doréna- vant de pensions données sur le Mercure qu'aux écrivains qui l'auraient enrichi de leurs produc- tions ; mais nous doutons que cette prescription si
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équitable ait toujours été respectée. Ce qui est plus eertain, c'est que ces pensions furent l'objet d'in- cessantes et avides compétitions. Sans doute aussi qu'elles furent l'occasion de quelques belles actions; nous pouvons du moins en citer une. L'abbé Raynal avait sur le Mercure une pension de 1 ,200 livres ; il la perdit quand, poursuivi pour son Histoire phi- losophique des Indes^ il fut forcé dé s'expatrier. Le ministre offrit alors à Garât de lui transporter cette pension ; mais celui-ci répondit qu'il ne savait point s'enrichir des dépouilles des vivants.
Garât donna encore une autre preuve de désinté- ressement, et, à la fois, de dignité, queGrimm rap- porte ainsi (édit. Taschereau, t. xii, p. 363) :
« Le Mercure de France est une entreprise typo- graphique dontle produit appartient au département du ministre de Paris. La majeure partie est affectée à des pensions; le reste est distribué annuellement en gratifications aux jeunes littérateurs qui ont travaillé à ce journal. Dans la distribution que M. de Bre- teuil vient de faire de ces bénéfices, il a compris pour 300 livres tournois, une fois payées, M. Ga- rât. Ce jeune philosophe, couronné trois fois par l'Académie, et l'un des coopérateurs les plus labo- rieux et les plus distingués du Mercure de France, s'est trouvé si humilié de l'exiguité de cette récom- pense, qu'il s'est permis d'adresser à son bienfai-* teur la lettre que voici :
LE MBRGURE 447
. « Monsieur le baron, M. Panckoucke m'a appris que vous m'accol*diez une gratification de cent écus sur les fonds du Mercure ; Je n'en suis pas, M. le baron, à cet état d'bumiliation et de détresse qui peut réduire un homme de lettres à accepter une gratification de cent écus. Sans doute il vous sera aisé de faire une disposition plus beureuse de cette somme, et peut-être aussi il est trop de gens assez malheureux pour la recevoir sans honte et avec re- connaissance (1 ) . »
On lit à ce sujet dans la Correspondance secrhtey à la date du 14 juillet 1785:
« Il est inutile de dire à combien de commentai- res cette lettre, rendue publique, a donné lieu. Le& militaires et les gens du monde se récrient sur son style : ils prétendent qu'un don du souverain ne peut déshonorer personne. Les gens de lettres, d'un autre côté, disent que la modicité de la somme est véritablement désobligeante pour M. Garât ; ils se rappellent que cet écrivain laborieux a refusé le prix de M. de Valbelle, et qu'il a porté la délicatesse jusqu'à ne point accepter six cents livres de pension que le gouvernement avait retirées à l'abbé Raynal
(f ) Garât, le chanteur, avait été plus fayorisé que son oncle le philosophe ; il avait obtenu presqu'en arrivant.en France une penûon de deux mille écus. On sait ce quatrain de Rivarol :
Deux Garât sont connus : Vun écrit, Vautre chante. Admirez, f y iitmeene, leur talent, que l'on vante ; Maià ne préférez pae, ei voua formez un vceu, La cervelle de Voncle ou gosier du neveu.
48.
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lorsque son ouvrage fut supprimé. Enfin les mau- vais plaisants, car la plaisanterie se mêle ici par- tout, justifient le refus de M. Garât en disant que ce qu'il voit autour de lui lui a fait un devoir de re- jeter une pareille gratification. Il se trouve placé, disent-ils, entre M. Suard et son propre frère (1). Le premier, qui n'a jamais rien fait, et qui ne fera jamais rien, jouit de plus de 30,000 livres de ren- tes en bienfaits du gouvernement, et le second, qtii n'a que son gosier, a reçu une pension de 6,000 li- vres. Par quelle fatalité un de nos plus assidus lit- térateurs n'obtient-il que 300 livres de pension une fois payées? L'argument est pressant ; mais on sait que la réponse n'est pas bonne à dire tout haut. >
En 1762, le Mercure servait 28,000 livres de pensions ; ce n'était donc pas sans fondement que de La Place, qui le dirigeait alors, le présentait aux gens de lettres comme étant leur patrimoine, et faisait valoir l'intérêt' qu'ils avaient à lui prêter leur concours.
S'il était possible d'en croire La Harpe sur ce chapitre, la gestion de La Place n'eût pas été heu- reuse. Pendant les deux ans qu'il eut le privilège du Mercure, « il l'aurait fait si mal que les sous- criptions, fort diminuées, ne pouvaient plus suffire
(i) C'était son neveu. — . n y a en outre dans les sommes quelques différences, mais qui importent peu.
LE MERCURE 149
pour payer les pensions, quoiqu'il y en eût la moi- tié moiùs qu'aujourd'hui. Aussi disait-on que le Mercure était tombé sur la place^ expression dont on se sert pour les papiers et effets qui baissent à la bourse. M. de La Place fut obligé de renoncer à son priTilége, et, pour récompense de ses bons et loyaux services j il eut 5 ,000 livres de pension sur le même Mercure qu'il avait fait tomber. Quand Marmontel, qui le faisait très-bien, le quitta, deux ans après, il n'eut que trois mille francs (1 ) . »
Quoi qu'en dise le critique jaloux, on ne saurait nier les louables efforts que de La Place ne cessa de faire pour améliorer le recueil confié à sa direction, et en augmenter encore la vogue. Et ces efforts ne fu- rent pas sans succès, si Ton en juge par la liste des souscripteurs qu'il publia à la fin de 1763, « pour s'acquitter, autant qu'il était en son pouvoir, de la reconnaissance due aux personnes assez attachées à la gloire de la nation pour diriger l'objet de leur amusement vers l'utilité des gens de lettres, en con- tribuant au succès du Mercure de France^ devenu leur patrimoine par les grâces qu'il a plu à Sa Ma- jesté de leur assigner sur son produit. » Cette liste comprend environ 1 ,600 souscripteurs, et dans le nombre il y en a des plus illustres : en tête figurent le roi, la reine, toute la famille royale, les Menus plaisirs du roi pour 1 2 exemplaires, le Bureau de
(f ) Correspond, littir., let. 57.
>90 LE MERCURE
la ville de Paris pour 8. Les souscripteurs se répar- tissent ainsi : Paris, 660; province, 900; étran-» ger, 30 à 40.
Cette publication était une nouveauté que les ennemis du Mercure ne pouvaient laisser passer sans lui décocher quelques quolibets : c elle n'était propre qu'à jeter un plus grand ridicule sur ce pi- toyable ouvrage ; on faisait figurer dans la liste les noms d'abonnés morts depuis plusieurs années ; on ne savait à quoi revenait un détail de cette espèce ; c'était un usage d'Angleterre. » On n'eût pas tant crié si l'on n'eût su quel était le but et quel pou- vait être l'effet de cette habile manœuvre. De La Place, lui, le comprenait parfaitement ; à un savdr incontesté, il joignait le savoir-faire, ce qui n'était pas inutile dans sa position, constamment battue en brèche. Nous en trouvons une autre preuve dans la manière dont il annonçait, cette même année, la souscription de la ville de Paris :
Considérant (le Bureau de la ville) combien il était intéressant pour les lettres de soutenir un journal sur lequel la protection bienfaisante du roi a assigné le fonds le plus considérable des ré- compenses destinées à ceux qui s'y distinguent, la ville de Pms^ en souscrivant pour un nombre de volumes du Mercure, vient de donner un exemple trop louable pour n'en pas faire mention. Elle fait par là un acte de mère, en concourant au soutien d'un éta- blissement auquel ses enfants peuvent avoir part. Toutes les grandes villes du royaume pourraient avoir les mêmes motife, puisque leurs citoyens ont autant de droits de prétendre aux ré* compenses littéraires.
LE MERCURE iSI
Voici d'ailleurs des chiffres qui répondent victo- rieusement aux attaques des détracteurs du Mçr-- cure : il était arrivé, à cette époque, à produire 60,000 livres; il servait, comme nous l'avons dit, 28,000 livres de pension ; il avait 16, 000. livres de frais ; le reste représentait les non-valeurs, les som-^ mes arriérées et recouvrements à faire, etc. C'était là, pour le temps, et ce serait encore même aujour-^ d'hui, une assez grosse affaire, et capable de tenter bien des ambitions.
Elle séduisit un avocat-libraire, J. Lacombe, qui offrit, si on voulait lui abandonner l'entreprise, de payer tous les ans pour le service des pensions une somme nette de 30,000 livres, indépendamment d'une rente de 5,000 livres à de La Place, à la seule condition qu'il serait maître de confier la rédaction à qui bon lui semblerait. Le ministère, fatigué des tracas inséparables d'une gestion de cette nature, s'en déchargea à ces conditions.
Ce Lacombe était, suivant les Mémoires secrets, un avocat homme de lettres, qui faisait des livres < en communauté avec un de ses frères, avec les Macquers et autres auteurs, et qui, tyrannisé par les imprimeurs, s'était dévoué pour la société, avait quitté la robe et s'était fait recevoir libraire. Ce nouvel état lui avait inspiré de la cupidité ; il avait étendu son commerce, envahi tous les journaux, et était devenu formidable à ses confrères. Il pré-
4n LE MERCURE
tendait mettre le Mercure sur le meilleur pied, et d'avance Tenvie aiguisait ses traits contre les pro- ductions de ce qu'on appelait sa coterie littéraire, Le premier numéro des nouveaux rédacteurs parut enfin. On remarqua tout d'abord qu'ils avaient changé l'ancienne épigraphe : Diversité^ c'est ma de- vise. Après bien des recherches, dit-on, ils s'étaient décidés pour celle-ci : Mobilitate viget, allusion sa- vante à la triple signification du mot qui leur seiv vait de titre : métal — dieu — journal. Cependant on ne peut disconvenir de la valeur de ce premier numéro, mais... Mais laissons parler les malins chroniqueurs.
Le nouveau Mercure est, en effet, supérieur à tous ceux, qui paraissent depuis longtemps, par le choix des pièces qu*on y a insérées et la variété répandue dans Touvrage. Mais, outre que ces fugitives, très-bonnes en elles-mêmes, ont déjà paru dans différents journaux et autres papiers publics, c'est qu'il est mo- ralement impossible de remplir 44 volumes par an de morceaux d'élite. Un des défauts de l^ancien journaliste était de prodiguer des éloges à tout propos, et d'enivrer de son fade encens le moindre , cuistre littéraire, le plus petit histrion. Celui-ci, plus modéré sur les louanges, aura peut^tre peine à s'expliquer librement sur quantité de gens qu'il aura intérêt de ménager, et surtout sur les comédiens, dont il tient ses entrées au spectacle, suivant l'usage. Ajoutez à cela les entraves de toute espèce qu'a nécessairement en France un auteur couvert d'un privilège du roi, et toujours sous la main directe du gouvernement. Ck)ncluons que le Mercure est par essence une rapsodie tronquée, monoton,e et fastidieuse, et ne sortira jamais du rang où l'a placé, il y a longtemps^ un critique judicieux, c'est-à-dire immédiatement au-dessous de rien.
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On ne se serait sans doute pas attendu à une pa-^ reilie conclusion, surtout après les prémisses, si Ton ne savait ce dont la passion est capable. Cepen- dant si Lacombe soutint la valeur littéraire du Mercure, il sut moins bien en soutenir la prospérité financière; pour avoir voulu trop entreprendre, il se trouva bientôt gêné dans ses opérations, et les pensionnaires, mal payés, firent entendre des plain- tes bruyantes et réclamèrent des réformes. Un vide s'étant produit, sur ces entrefaites^ dans les rangs de la rédaction, par la mort de de Lagarde (1), an- cien collaborateur de de La Place, et qui était resté chargé des théâtres, avec un traitement de mille écus, ils présentèrent au comte de Saint-Florentin un mémoire où ils faisaient voir que les recettes ne suffisaient plus pour les payer, et demandaient en conséquence que la place vacante ne fût pas remplie. Le ministre promit d'examiner leur de- mande.
Mais l'emploi était à la convenance de trop de gens pour qu'il ne fût pas ardemment brigué. En tête des compétiteurs était La Dixmerie, qui depuis
(1) Une des victimes de Grimm, qui, d'ailleurs, n'aimait pas le Mercure ni ses rédacteurs, et ne laissait échapper aucune occasion de les maltraiter.
m M. de Lagarde, dit-il (Correspond. lUtér.^ éd. Taschereau, t. III, p. 98), peut hardiment se r^^arder comme l'aigle du royaume des bêtes ; les Trublet ne sont que des enfants auprès de lui. Quoique j'aie tous les mois un plaisir exquis et sûr à lire les articles de M. de Lagarde, et que je lui rende la justice de conyenir qu'il n'y a point d'écrivain en France aussi réjouissant, plus bête et plus impertinent que lui, je ne puis me dissimuler qu'il est in4écent qu'un joumaï qui se fait sous la protection particulière du gouvernement soit abandonné à des écrivains qui Font rendu méprisable et burlesque. »
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six ans alimentait de contes le Mercure presque gra- tuitement ; il accusait d'infidélité le mémoire des pensionnaires, et demandait, comme une justice qui lui était due, la place et le traitement de de Lagarde. Le ministre ordonna la compulsion des registres, et, après une longue enquête, il donna aux uns et aux autres une demi-satisfaction. Pour compléter les 30,000 livres de pensions qu'il s'était réservées sur le nouveau privilège du Mercure, il donna 600 livres à La Dixmerie ; il en donna autant à l'abbé de La Porte, qui avait été également colla- borateur de de La Place , et à Poinsinet , « auteur de l'épitre à Madame la marquise de Langeac; » 200 de supplément à Marin, censeur de la police, qui en avait déjà une ; 300, aussi de supplément, à l'abbé Le Blanc, « espèce de brocanteur littéraire, qui par ses intrigues s'était fait mettre sur la liste depuis longtemps. »
C'était quelque cbose que d'avoir son brevet en poche, mais cela ne suffisait pas. Lacombe fit toute sorte de difficultés; il refusa de payer les pension- naires sur leur simple quittance appuyée de la pro- duction de leur brevet ; il voulait être autorisé par un arrêt du Conseil, prétendant ainsi opposer aux sangsues du Mercure la gêne d'une formalité dont ils avaient jusqu'alors été exempts. L'affaire fut portée au Conseil^ qui se prononça pour les pension- naires ; il fut enjoint à Lacombe de payer à la fin
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de l'année, et même tous les six mois, à ceux qui le demanderaient, sans autres formalités que celles d'usage.
Au bout de dix ans, Lacombe, après avoir épuisé tous les expédients, tomba en déconfiture, et il s'en* suivit pour le Mercure une crise violente, qui se fit ressentir à tous les ouvrages périodiques. Il fut alors uïL instant question, parait-il, de supprimer la vieille feuille de de Visé, et plusieurs autres qui lui faisaient une concurrence gênante sans grand pro- fit pour elles-mêmes, et d'enrichir de toutes ces dé- pouilles un nouveau journal, qui, libre dans ses allures, marcherait d'un pas plus ferme dans des voies nouvelles.
Le Mercure fut sauvé par un spéculateur aux ap- pétits non moins grands que ceux de Lacombe, mais qui se montra plus habile et fut plus heureux : nous voulons parler de Charles-Joseph Panckoucke, le fondateur de la célèbre maison de ce nom. Panc- koucke, qui, en homme intelligent, avait jeté son dévolu sur les journaux, qu'il considérait comme d'utiles instruments à la fois et de bonnes opéra- tions, sollicita et obtint le privilège du Mercure. Il se faisait fort de le régénérer ; il annonçait l'inten ^ tion d'y réunir le Journal de Bruxelles^ dont il était propriétaire, de le faire paraîtretrois fois par mois, et de prendre les rédacteurs principalement parmi
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les académiciens, en dépit des assertions de La- combè, qui attribuait sa banqueroute d'un demi- million aux œuvres de plusieurs académiciens, et, entre autres, aux Incas de Marmontel. L'extension qu'il donna tout d'abord au titre indiquait déjà les améliorations qu'il projetait : Mercure de France^ dédié uu roi par une société de gens de lettres, corUe^ nant le journal politique des principaux événements de toutes les cours; les pièces fugitives nouvelles^ en prose et en vers; V annonce et l'analyse des ouvrages nouveaux ; les inventions et déœuvertes dans les scien- ces et les arts ; les spectacles, les causes célèbres ; les académies de Paris et des provinces ; la notice des édits, arrêts ; les avis particuliers, etc.
Avant de parler des rédacteurs dont il fit choix, retournant sur nos pas, nous dirons qu'après les frères Laroque le Mercure avait eu successivement pour directeurs ou rédacteurs principaux : Louis Fuzelier et Charles de La Bruère, l'abbé Raynal, Louis déBoissy, Marmontel, qui, après y avoir pu- blié ses Contes moraux^ y insérait encore en 1789, 1790 et 1791 , ses Nouveaux contes moraux; de La Place et de Lagarde. Â partir de juillet 1 768 , quand le privilège fut passé aux mains de simples éditeurs, les noms des collaborateurs, réels ou pu- tatifs, inscrits sur les couvertures, devinrent tdle- ment nombreux que nous ne saurions les mention- ner tous; nous nous bornerons à nommer : Imbert,
LE MERCURE 117
La Harpe, qui ne cessa d'y coopérer que vers la fin de17d3; Lacretelle, Garât, Naigeon, Saint-Ange, Chamfort , Gingoené , Dubois-Fontanelie, Tabbé Rémy et Gaillard. Les écrivains les plus illustres, d'ailleurs, ne dédaignaient pas de prêter leur col- laboration à ce recueil, que nos grands génies d'au- jourd'hui tiennent en si peu d'estime.^ Pour n'en eiter qu'un, Voltaire, pendant quelque temps, y coo* péra presqu'à titre de rédacteur ordinaire. Voici comment en parle l'abbé Grosier dans le premier volume de son Journal de littérature, des sciences et des arts : « Personne n'ignore que, dans le courant de l'année 1 777, l'auteur de Mérope ne dédaigna pas de fournir plusieurs articles au journal du sieur Fanckoucke. Des plaisanteries légères, des saillies de gatté, décélèrent d'abord la plume brillante à laquelle ces morceaux étaient dus ; mais on vit avec regret que ces différents articles n'offraient ni dé- veloppement, ni analyse, ni critique solide et rai- sonnée. Le lecteur riait aux dépens de l'auteur per- sifflé, et n'en était pas plus instruit de ce que con- tenait son ouvrage . » On sait qu'une partie de YEssai sur les mœurs parut d'abord dans le Mercure.
Revenant à Panckoucke et à ses projets, voici la liste des collaborateurs qu'il annonçait s'être choisis, et les attributions de chacun d'eux : Fon- tanelle était chargé de la partie politique; Dau- benton de l'histoire naturelle ; Macquer et Bucquet
4)8 LE MERCURE
de la médecine et de la*' chimie ; Tabbé Remy et Guy ot de la jurisprudence ; Suard de tout ce qui concerne la philosophie, les sciences et les art« ; La Harpe, enfin, de tout ce qui est du ressort de la littérature et des spectacles. Imbert devait fournir des contes ; Dorât et Berquin des idylles, des ro- mances et des pièces fugitives -, et Dalembert, Mar- montel et Condorcet couronneraient le tout par des articles de morale et de métaphysique. La Harpe eut la direction générale (1).
Ajoutons qu'il devait paraître tous les dix jours un numéro de cinq feuilles in-1 2, trois de littérature et deux de politique, et qu'allant même au-delà de ses promesses, le nouvel éditeur ne tarda pas à en publier un toutes les semaines.
Il y avait, certes, dans ces noms, dans ces condi- tions, de puissants éléments de succès ; mais, dit lui- même le directeur de cette troupe illustre, « tout cela était bon pour des annonces, suivant l'usage ; mais, suivant l'usage aussi, tout cela se réduisit à fort peu de chose, et la plupart des prétendus coo- pérateurs ne fournirent guère que leur nom. » Ce-
ci) La Harpe, qui avait on talent tout particulier pour se faire des ennemis, ne conserva pas longtemps cette position : Panckoucke se vit contraint de le sacrifier aux plaintes qui s'élevaient de toutes parts contre lui, il fut réduit à la partie des spectacles avec mille écus d'appointements ; bientôt même il dut se retirer toat à Caût, mais pour revenir ensuite comme simple collaborateur. U fut ronplacé, dans ses fonctions de critique dramatique, par Levacher de Charmois, qui ftit ré- munéré à liaison de 150 livres la feuille. Voyez d'ailleurs, pour le passage de U Harpe au Mercure, l'article consacré à ce célèbre critique dans notre tome U, et aussi, dans notre tome III, l'article Linguet.
LE MERCURE A%9
pendant Panckoucke ne reculait devant quoi que ce fût pour assurer à son recueil une suprématie in- contestée. Rencontrait-il sur sa route une feuille ^ui lui fît obstacle, qui l'offusquât, s'il ne pouvait s'en débarrasser autrement, il l'achetait et l'absor- bait ; la Gazette réclame-t-elle contre ses empié- tements , pour faire cesser ses plaintes, il s'en fait donner le privilège. Aussi l'accusait-on de vouloir envahir tout le domaine littéraire.
Voici un prospectus, daté de 1786, qui appren- dra ce qu'était le Mercure à cette époque.
Cet ouvrage périodique, le plus ancien et le plus varié de tous les journaux, paraît le samedi de chaque semaine. On y a réuni d'abord \é Journal politique de Bruxelles (4) et les souscriptions du Journal Français, du Journal des Dames, du Journal des Spec- tacles, de la Gazette littéraire. L'on y a ajouté ensuite le journal intitulé : Des Affaires d'Angleterre et d Amérique, le Journal de la Librairie, qu'on imprime sur la couverture, et, à la fin de la partie politique, la Gazette des tribunaux, abrégée. Quoique aug- menté de 64 feuilles par an , et paraissant 52 fois, au lieu de 4 6, il est resté au même prix : 30 livres pour Paris et 32 pour la province.
Il est toujours composé d'une ou deux pièces de vers, d'un conte ou de quelques pièces fugitives en prose, de l'énigme, du logogriphe, des charades, bouts-rimés, acrostiches, questions; des jugements critiques sur les ouvrages nouveaux ; de quelques articles d'arts, d'inventions et découvertes, de spectacles; d'avis particuliers, de l'annonce des livres nouveaux. Quant aux arrêts, édits et déclarations, annonces des académies de Paris et de pro- vince, anecdotes, événements publics et particuliers, on les
(1) Voir, pour ce journal et les suivants, lee articles que nous leur consacrons plus loin.
430 LE MERCURE
trouve à rarticle Paris, de la partie politique, etc. — Cette partie contient les mêmes objets que le Journal historique et politique de Genève. On y insère, sous V Article de BruoseUes, les nouvelles les plus piquantes ; on y joint, à la fin des nouvelles politiques, un article intitulé : Précis des gazettes anglaises et autres nou- velles des pays étrangers.
Voilà un beau cadre assurément, et je suis pe^ suadé qu'un recueil fait sur ce plan, bien fait, trou- verait aujourd'hui encore de nombreux lecteurs. Ce qui est certain, c'est qu'il fut singulièrement goûté alors ; le Mercure parvint, dans cette dernière période, à la plus haute prospérité, et compta, dit-on, jusqu'à 1 5,000 abonnés, chiffre considérable pour le temps, et que même il a été donné à bien peu de feuilles du même'genre de surpasser, ou seu- lement d'atteindre.
En 1 791 , le Mercure de France devint le « Mercure français j politique, historique et littéraire, com- posé par M. de La Harpe quant à la partie litté- raire , par M. Marmontel pour les contes, et par M. Framery pour les spectacles. M. Mallet du Pan, citoyen de Genève, était seul chargé du Mercure politique et historique. » Ce n'était là qu'un simple changement de titre : la division en Mercure de France^ partie purement littéraire, et Mercure his^ torique et politique , datait déjà de plusieurs années^ et les rédacteurs restaient les mêmes. La partie po- litique, à mesure que les événements grandissaient, avait pris de l'extension et acquis ime importance
LE MERGURB m
réelle, sous la plume de Dubois-Fontanelle^ qui en était chargé depuis 1778, et plus encore sous celle de Mallet du Pan, qui lui succéda en 1784, et ne quitta la place qu'après le 10 août 1792, la lais^ sant à Geoffroy, le célèbre critique qui devait faire plus tard la fortune du Journal des Débats.
Dans le cours des années III, IV, Y et VI delà République, le Mercure français eut pour directeur Lenoir-Laroche, dont les collaborateurs étaient Ca- banis, Destutt-Tracy, Lottin jeune, Mongez, Alex. Barbier, etc.
M. Agasse ayant cessé l'impression du Mercure dans les premiers mois de l'an VU (1799), il passa dans les mains du libraire Caillau, qui publia cette année-là huit volumes, in-12, sous le titre de «Mer^ cure de France^ journal politique, littéraire et dra- matique, par une société de gens de lettres. » Après une interruption de plusieurs mois, Fontanes, La Harpe et l'abbé Morellet se chargèrent de faire re- vivre le Mercure sous le titre que lui avait donné Caillau; il reparut donc à partir de messidor an VIII, mais dans le format in-8®, sous la direc- tion d'Esmenard, et se continua jusqu'en 1820, ayant pour rédacteurs principaux Fontanes, Cha- teaubriand, Fiévée,de Wailly,deBonald, Gueneau de Saint-Victor, Auger, etc. ; Ginguené, Amaury- Duval, et autres rédacteurs de la Revue phitoso^ phiquey qui se réunit au Mercure ; Legouvé, Feletz>
i32 LE MERCURE
de Roquefort, Benjamin Constant, Jay, Jouy, La- cretelle, etc.
Plusieurs tentatives ont été faites dans ces trente dernières années pour ressusciter le Mercure, ou plutôt plusieurs recueils ont tenté de se fonder sous ce titre. En 1 823, une réunion d'écrivains libéraux fonda le Mercure du xix* siècle^ dont les principaux rédacteurs furent MM. Tissot, directeur; Artaud, Bert, Berville, Félix Bodin, Dulaure, Em. Dupaty, Senancourt, etc. Après quatre années d'existence, il changea de titre et de rédacteurs, et fournit, sous le nom de Mercure de France au xix* siècle, une nou- velle carrière de cinq années. Tombé en 1832, il essaya de se relever, en réduisant son titre à la plus simple expression : Mercure; mais il n'eut pas la force de faire deux pas.
Enfin 1851 vit naître encore un Mercure de France, revue universelle de la littérature et des beaux-arts, qui vécut jusqu'au commencement de 1853, l'espace de trois volumes.
Nous reviendrons en temps et lieu sur le rôle politique qu'a joué le Mercure depuis la Révolu- tion. Mais nous croyons devoir dès à présent résu- mer sous la forme d'un tableau, dressé d'après le catalogue de la Bibliothèque impériale, la biblio- graphie de ce volumineux recueil; elle pourra épar- gner quelques ennuis aux chercheurs, car les indi*
LE MERCURE m
cations données à cet égard par les bibliographes et les encyclopédistes sont loin d'être d'accord, et pourraient jeter dans d'étranges confusions.
Le Mercure galant, années 1672 — 4674. 6 voL
Les années 4675 et 4676 n'ont pas été publiées. Le Nouveau Mercure galant, 4677. 40
Mercure galant, 4678, avril 4744. 477
Extraordinaires du Mercure, 4 678 — 4 685. Annexe du Mercure, rédigée, comme le journal, par de Visé, et paraissant tous les trois mois. 32
Affaires du temps, 4 688 — 4 692. Autre annexe, ré- digée également par de Visé, et paraissant tous les mois. 4 2
Nouveau Mercure galant, mai 4744 — oct. 4746. 33
Dont 3 volumes de Relations. Le Nouveau Mercure, 4747 — ^mai 4724, 54
Le Mercure, juin 4724—4723. 36
Mercure de France, dédié au Roi, 4724—4794. 977
Mercure français, 47 déc. 4794 — an VU. 54
Mercure de France, an Vil — 4820. 84
Pont 8 volumes in-4 2 seulement et 76 in-S». Les volumes de vendémiaire — prairial an VIII, de mai — août 4845, de février 4848 à juin 4849, n'ont pas été publiés.
C*est pour le Mercure proprement dit, 4772 vol.
Si Ton y ajoute : Le Mercure du 49« siècle, 4823—27, t. I— XVIII. 48 Le Mercure de France au 49« siècle, 4827 — 32, t. XIX— XXXVI. 48
Mercure, 4832, t. XXXVU. 4
Le Mercure de France, nov. 4864 — fév. 4853, 4 vol. in-folio et 2 vol. in-4^ 3
On arrive au nombre respectable de 181 S vol,
T. I. 19
i3i LE MERCURE
Il existe encore un Nouveau Mercure j dédié à Son Altesse Sérénissime le prince de Dombes, et publié à Trévoux par l'abbé Nadal et Piganiol de la Force. Il va de janvier 1 708 à mai 1 71 1 , moins les mois d'avril 1 709 - décembre 1 71 0, qui n*ont pas été publiés, et se compose de 14 volumes in-12.
Le libraire Chaubert publia, en 1757 et années suivantes, un Choiœ des anciens MercureSj dont il donna 9 vol. in-1 2. La spéculation lui ayant paru bonne, il entreprit un Nouveau choix de pi^es ti- rées des anciens Mercures et des autres joumavo)..,^ qui se compose de 99 vol. in-1 2. Le titre porte pour les tomes I à XV : par M. de Bastide ; à partir du tome XVI : par M. Marmontel; et à partir du tome XL : par M. de La Place: Ces 108 volumes sont complétés par une table générale, publiée en 1765,1 vol. in-1 2.
« Cette collection, dit l'auteur de la table, est à la fois, de l'avis de tous ceux qui la connaissent, la plus riche, la plus variée et la plus utile qu'il soit possible de se procurer. Par sa nature elle est non- seulement un corps d*ouvrage indispensable pour les grandes bibliothèques, mais encore un réper- toire précieux, instructif et amusant pour tout le monde. C'est une bibliothèque universelle, où tous les lecteurs trouveront également des matières qui leur conviennent. Les amateurs de l'histoire y li- ront des morceaux uniques dans ce genre ; plus de
LB MBRCURE 435
deux mille pièces de vers satisferont le goût des par- tisans de la poésie; les contes, les anecdotes, les nouvelles, les romans, contenteront ceia^ qui se plaisent à des lectures plus frivole«> et ce recueil leur ^ offrira un grand nombre de cette eepèee. . . . Veut-on des sujets de morale, de grands traits d'élo- quence, des découvertes dans les arts, dans les sciences, dans l'histoire naturelle? Le Choix des journaux présente sur tous ces objets des pièces nom- breuses, rares, originales, et presque toujours com- posées par des auteurs connus et de la plus grande réputation. »
Voici la liste chronologique des jaumaittx et au- tres ouvrages périodiques d'où furent tirés les mor- ceaux qui composent les 1 08 volumes du choix :
Mercure Français. |
4605 |
Journal des Savants. |
4665 |
Mercure galant. |
4672 |
Mémoires et Conférences |
» |
Nouvelles découvertes sur toutes les partji^s de la mé- |
|
decine. |
4679 |
Journal de Médecine. « |
4682 |
Nouvelles de la République des liettres. |
1684 |
Bibliothèque universelle. |
4686 |
Histoire des ouvrages des Savants. |
» |
Lettres historiques. |
4692 |
Journal de Trévoux. |
4701 |
Essais de littérature. |
4702 |
Lecture ambulante. |
.» |
Bibliothèque choisie. |
4703 |
6 LE MERCURE |
|
Bibliothèque enjouée. |
4703 |
Journal de Verdun. |
4704 |
Recueil de pièces fugitives. |
» |
Journal littéraire. |
4705 |
Bibliothèque ancienne. |
4744 |
Mémoires de littérature. |
4715 |
Nouvelles littéraires. |
» |
Bibliothèque Germanique. |
47Î0 |
Mémoires littéraires de la Grande-Bretagne. |
» |
Jugements des Savants. |
mt |
Histoire littéraire de l'Europe. |
47Î6 |
Bibliothèque Anglaise. |
47î7 |
Bibliothèque raisonnée. |
4728 |
Le Pour et Contre. |
4730 |
Recueil de pièces d'histoire et de littérature. |
4731 |
Bibliothèque Britannique. |
4733 |
Bibliothèque Française. |
» |
Lettres secrètes. |
1734 |
Le Nouvelliste du Parnasse. |
» |
Observations sur les écrits modernes. |
4735 |
Réflexions sur les ouvrages de littérature. |
4736 |
Nouveaux Amusements du cœur et de Tesprit. |
4737 |
Bibliothèque de campagne. |
4738 |
Amusements littéraires. |
4740 |
Jugements sur quelques ouvragés nouveaux. |
4744 |
Le Contrôleur du Parnasse. |
4745. |
Recueil alphabétique, A, B, etc. |
» |
Lettres d'une comtesse. |
47i6 |
Le Glaneur littéraire. |
» |
Nouvelles littérah*es de Qément. |
4748 |
La Bigarrure. |
4749 |
Lettres sur quelques écrits de ce temps. |
|
Observations sur la littérature moderne. |
» |
Le nouveau Magasin français. |
1750 |
Le Petit Réservoir. |
475« |
»
LE MERCURE 437
Journal GEconomique. »
Nouveaux Mémoires d'histoire, de critique, etc. 4752
Bibliothèque amusante et instructive. 4753
Petites Affiches de province. »
L'Année littéraire. I754 Bibliothèque des Sciences et des Beaux-Arts. Journal chrétien.
Journal de Physique. »
Journal étranger. >»
Recueil périodique d'observations de Médecine. » .
L'Abeille. -J755
Choix littéraire. »
Amusements de la Toilette. ' 4756
Le Conservateur. »
Journal Encyclopédique. »
Etat politique d'Angleterre. 4757 L'Observateur hollandais. Journal du Commerce.
Le Nouveau Spectateur. 4758
L'Observateur littéraire. »
Génie de la Littérature italienne. 4759
Semaine littéraire. » '
L'Avant-Coureur. 4760
Le Censeur hebdomadaire. »
Journal des Dames. »
Journal ecclésiastique. »
Le Monde. »
Ld Moniteur français. »
La Nature développée. »
Papiers anglais (4). »
a La collection entière de tous ces diflférents
(1) Nous aurons occasion de parler de la plupart de ces journaux, de tous ceux du moins qui se recommandent à l'attention par quelque cdté, et sur les- quels nous aurons pu nous procurer des renseignements.
»
438 LE MERCURE
journaux, ajoute notre auteur, contient plus de dix mille volumes dans lesquels il y a plus de six mille pièces très-curieuses qui ne «e trouvent point ailleurs. »
Voulût-on rabattre de ces chiffres, que ce Choix des journaux n'en demeurerait pas moins une mine très*précieuse, qui est trop peu connu^^ presque inexploitée, et que nous croyons devoir recomman- der aux travailleurs. Il eut, en quelque sorte, sa suite et son complément dans V Esprit des journaux^ 1 772-1 81 8, et dans quelques autres recHieils repro- ducteurs dont nous parlerons en leur lieu.
En 1 81 0, M. Merle publia, sous le titoe de : Esprit du Mercure de France... un nouveau choix, en 3 vol. in-8®, pour lequel il dit avoir profité du tra- vail de Marmontel et de La Place (1), qu'il conti- nua jusqu'en 1792.
A notre tour, nous croyons devoir citer comme spécimen de la littérature de ce recueil, qui fit si longtemps « les délices de la ville et de la cour, » et de ses nombreux imitateurs, quelques pièces choi-
(î) M. Merle fit précéder ses trois volumeé d'une courte préface, qui ne bville pas précisément par l'exactitude. Ainsi il écrit que « ce fut Marmontel qui entre- prit un clnriK du Mercure ; -~ que le Merc&re 4e France est de tous les journaux littéraires celui dont l'existence est la plus ancienne ; — que sous le nom de Mercure français, il n'était, dans son origine, qu'un recueil aride de quelques ^vénenents pan ibtéissflftDtB de la conr et éa la Tille, • ««tant d'erreurs que de •mots; — « que la coUaotioB du Heroiire se ooiBpose de plus de^OO TOlomes, » etc. Ces inexactitudes, commises dans de pareilles circoostaDces, peuvent fUre juger de celles où sont tombés tous ceux qui, depuis, ont écrit du Mercure.
LE MBRGURE 439
sies dans des genres différents. Nous aurions bien voulu donner pour nos lectrices — ^ si nous sommes assez heureux pour en avoir — quelques-unes des petites nouvelles dont ces feuilles abondent; mais cela nous eût entraîné trop loin, et nous ne pou- vous que renvoyer les curieux — ou curieuses — aux ouvrages que nous venons de citer.
PRÉDICTION TIRÉE D'UN VIEUX MANUSCRIT
CRITIQUE DU ROMAN DE M. ROUSSEAU
{La nouvelle Hélùise)
En ce temps, il paraîtra en France un homme extraordinaire, venu des bords d*un lac ; il criera au peuple : Je suis possédé du démon de l'enthousiasme ; j'ai reçu du ciel le don de l'incon- séquence : je suis philosophe et professeur du paradoxe.
Et la multitude courra sur ses pas , et plusieurs croiront en lui.
Et il leur dira : Vous êtes tous des scélérats et des fripons ; vos femmes sont toutes des femmes perdues, et je viens vivre parmi vous.
Et il abusera de la douceur naturelle 'de ce peuple pour lui dire des injures absurdes.
Et il ajoutera : Tous les hommes sont vertueux dans le pays où je suis né , et je n'habiterai jamais le pays où je suis né.
Et il soutiendra que les sciences et les arts corrompent néces- sairement les mœurs; et il écrira sur toutes sortes de sciences et d'arts.
440 LE MERCURE
Et il soutiendra que le théâtre est une source de prostitutiou et de corruption ; et il fera des opéras et des comédies.
Et il écrira qu'il n'y a des vertus que chez les sauvages, quoi- qu'il n*ait jamais été parmi eux , et qu'il soit bien digne d'y être.
Et il conseillera aux hommes d'aller tout nus ; et il portera des habits galonnés, quand on lui en donnera.
Et il dira que tous les grands sont des valets méprisables ; et il fréquentera les grands , sitôt qu'ils auront la curiosité de le voir, comme un animal rare, venu des pays lointains.
Et il s'occupera à copier de la musique française ; et il dira qu'il n'y a pas de musique française.
Et il dira aussi qu'il est impossible d'avoir des mœurs et de lire des romans ; et il fera, un roman , et dans son roman on verra le vice en action , et la vertu en paroles ; et ses person- nages seront forcenés d'amour et de philosophie.
Et il voudra faire entendre à tout l'univers qu'il a été un homme à bonnes fortunes , et qu'il sait écrire des lettres d'a- mour, et qu'il en a reçu; et cependant on connaîtra évidem- ment qu'il a composé lui-même les lettres qu'il a reçues.
Et dans son roman , on apprendra Tart de suborner philoso- phiquement une jeune fille.
Et l'écolière perdra toute honte et toute pudeur , et elle fera avec son maître et des sottises et des maximes.
Et elle lui donnera la première un baiser sur la bouche, et elle l'invitera à venir coucher avec elle , et il y couchera ; et elle deviendra grosse de métaphysique, et ses billets doux seront des homélies philosophiques.
Et le philosophe lui apprendra que les parents n*ont aucune autorité sur leurs filles quant au choix d'un époux , et il les peindra comme des barbares et des dénaturés.
Et il refusera de recevoir des honoraires de la main du père, par la délicatesse naturelle à tout homme qui craint la peine afflictive, et il recevra de l'argent de la fille, mais en cachette; et il prouvera que c'est très-bien fait.
LE MBRGURE 441
Et il s*eniyrera avec un seigneur anglais, qui Tinsultera ; et il proposera au seigneur anglais de se battre avec lui ; et sa maî* tresse, qui aura perdu Tbonneur de son sexe, décidera de celui des hommes , et elle apprendra au maître qui lui a tout appris qu'il ne doit point se battre.
Et il recevra upe pension du mylord , et il ira à Paris , et il n'y fréquentera point les gens sensés et honnêtes, et il n'y verra que des filles et des petits-maîtres, et il croira avoir vu Paris.
Et il écrira à sa maîtresse que les femmes sont des grena- diers, et qu'elles vont toutes nues, et qu'elles ne refusent rien à tous les hommes qu'elles rencontrent.
Et lorsque ces mêmes femmes le recevront à la campagne, et auront commencé à sourire à sa vanité , il trouvera en elles des prodiges de vertu et de raison.
Et les petits-maîtres le mèneront chez des filles de mauvaise vie , et il s'y enivrera comme un sot ; et il couchera avec ces filles; et il écrira son aventure à sa maîtresse; et elle le remer- ciera.
Et il recevra le portrait de sa maîtresse , et son imagination s'allumera à la vue de ce portrait ; et sa maîtresse lui fera des leçons obscènes de chasteté solitaire.
Et cette fille si amoureuse épousera le premier homme qui viendra du bout du monde ; et cette fille si habile n'imaginera aucun expédient pour empêcher ce mariage, et elle passera har^ diment des bras d'un amant dans ceux d'un époux.
Et le mari saura , avant de l'épouser, qu'elle est amoureuse et aimée à la fureur d'un autre homme, et il fera volontairement leur malheur, et il sera pourtant un honnête homme , et cet honnête homme sera pourtant un athée.
Et aussitôt après le mariage , la femme se trouvera très-heu« reuse ; et elle écrira à son amant que, si elle était encore libre , elle épouserait son mari plutôt que lui.
Et le philosophe voudra se tuer.
Et il fera une longue dissertation pour prouver qu'on doit tou- jours se tuer quand on a perdu sa maîtresse ; et son amie lui
19.
U% LB MERCURE
prouvera que la chose n'en vaut ^ la peine , et le philosophe ne se tuera pas.
Et il ira faire le tour du monde , pour donner aut enfants de sa maîtresse le temps de croître , et pour revenir ensuite être leur précepteur, et leur apprendre la vertu comme à leur mère.
Et il n'aura rien vu dans le tour du monde.
Et il reviendra en Europe.
Et cependant le mari de sa maîtresse , qui sait toute leur in- trigue, fera venir le bel ami dans sa maison.
Et la femme vertueuse sautera à son cou à son arrivée, et le mari sera charmé , et ils s'embrasseront chaque jour tous les trois; et le mari leur fera de jolies plaisanteries sur leur aven- ture, et il les croira devenus raisonnables, et ils s'aimeront tou- jours avec transports, et ils prendront plaisir à se rappeler leurs tendresses et leurs voluptés , et ils se serreront la main et ils pleureront.
Et le bel ami, étant dans un bateau seul avec sa maîtresse, voudra la jeter dans Teau, et se précipiter avec elle.
Et ils appelleront tout cela de la philosophie et de la vertu.
Et à force de parler philosophie et vertu, on ne comprendra plus ce que c'est que vertu et philosophie.
Et la vertu, selon leurs maximes, ne consistera plus dans la crainte et la fuite du danger ; elle consistera dans le plaisir de s'y exposer sans cesse ; et la philosophie ne sera plus que Tart de rendre le vice intéressant.
Et la maîtresse du philosophe aura quelques arbres et un ruis- seau dans son jardin, et appellera cela son Elysée, et personne ne pourra comprendre ce que c'est que cet Elysée.
Et elle donnera tous les jours à manger à des moineaux dans #6on jardin ; et elle veillera sur ses domestiques mâles et femelles, pour qu'ils ne fassent pas les mêmes sottises qu'elle.
Et elle soupera au milieu de ses vendangeurs , ei même elle en sera respectée ; et elle teillera du chanvre avec eux , ayant son amant à ses côtés.
Et le philosophe voudra teiller du chanvre le lendemain , le surlendemain, et toute sa vie.
LB MERCURE 443
Et les vendangeurs chanteront des chansons ; et le philosophe sera enchanté de leur mélodie , encore que ce ne soit pas de la musique italienne.
Et elle élèvera ses enfants avec grand soin , prenant garde qu'ils ne parlent jamais en compagnie, et que personne ne leur apprenne qu'il y a un Dieu.
Et elle sera gourmande; mais efle ne mangera des pois et des fèves que rarement, et dans le salon d'Apollon; et le tout par mortification philosophique.
Et elle sera pédante dans tout ce qu'elle fera et dira; et toutes les femmes seront méprisables auprès d'elle.
Et le bel ami ira pécher dans un lac avec sa maîtresse , et il prendra des poissons , et il les rejettera dans l'eau , sans s'em- barrasser si les gens ont de quoi dîner; et il craindra de nuire aux animaux, et il mangera de tous.
Et il aimera le vin et il en boira ; et quand il en aura bu avec excès, il regardera la gorge des Yalaisanes avec concupiscence; et il prendra querelle avec son meilleur ami.
Et il dira des ordures grossières à sa céleste et sainte maî- tresse ; et il fera pis encore avec des filles de joie.
Et il aimera toujours le vin, et il en boira toujours ; et il sou« tiendra qu'il n'y a que les ivrognes qui soient honnêtes gens, et que les gens sobres sont des fourbes.
Et lorsque sa maîtresse lui aura promis un rendez-vous , et qu'au lieu de ce rendez-vous , elle lui proposera de faire une ac- tion d'humanité et de chanté, il dira qu'il déteste la vertu , et il entrera en fureur.
Et il deviendra amoureux de l'amie de sa maîtresse , étant à côté de sa maîtresse.
Et l'amie de sa maîtresse deviendra amoureuse de lui.
Et il lui appliquera un baiser ardent sur la main, et cepen- dant il aimera toujours sa maîtresse comme un furieux ; et il s'écriera toujours : 0 sainte vertu !
Et sa maîtresse mourra.
Et , avant que de mourir, elle prêchera encore , suivant sa
4U LE MERCURE
coutume ; et elle parlera toujours , jusqu'à ce que les forces lui manquent ; et elle se parera comme une coquette, et elle mourra comme une sainte.
Et elle écrira cependant à son bel ami qu'elle finit comme elle a commencé, c'est-à-dire qu'elle T^ime avec autant de paBsion que jamais.
Et le mari enverra cette lettre à l'amant.
Et l'on ne saura jamais ce que l'amant est devenu.
Et l'on ne se souciera guère de le savoir.
Et tout le livre sera moral, utile et honnête , puisqu'il prou- vera que les filles sont en droit de disposer de leur cœur, de leur main et de leurs faveurs, sans consulter leurs parents, sans aucun égard à l'inégalité des conditions.
Et que, pourvu qu'elles parlent toujours de vertu, il est inutile de la pratiquer.
Et qu'une jeune fille peut d'abord coucher avec un homme et qu'elle doit ensuite en épouser un autre.
Et qu'en se livrant au vice, il suffit d'avoir de temps en temps des remords pour être vertueux.
Et qu'un mari doit recevoir l'amant de sa femme dans sa maison.
Et que la femme doit l'embrasser sans cesse, et se prêter de bonne grâce aux plaisanteries du mari et aux égarements de l'amant.
Et elle dira que l'amour est inutile et déplacé entre deux époux, et elle le prouvera ou croira le prouver.
Et la livre sera écrit d'un style emphatique, pour en imposer aux personnes simples.
Et l'auteur entassera les phrases , et croira entassef les rai- sonnements.
Et il entassera les exagérations, et il ne fera jamais d'excep- tions.
Et il voudra paraître nerveux, et il ne sera qu'outré, et il aura grand soin de conclure toujours du particulier au général.
Et il ne connaîtra jamais ni la simplicité, ni la justesse, ni le
L£ MERCURE 445
naturel ; et son esprit fera des tours de force jusque dans les choses les plus puériles ; et le sarcasme lui tiendra toujours lieu de raison.
Et tout le talent de Fauteur sera de donner des entorses à la vertu et le croc-en-jambe au bon sens; et il contemplera tou- jours les fantômes de son imagination , et ses yeux ne verront jamais la nature.
Et semblable aux empiriques , qui font exprès des blessures pour montrer l'excellence de leur baume , il empoisonnera les âmes pour avoir la gloire de les guérir ; et le poison agira vio* lemment sur Tesprit et le cœur, et l'antidote n'opérera que sur Tesprit, et le poison triomphera.
Et il se vantera d'avoir ouvert un précipice ; et il se croira exempt de tout reproche en disant : Tant pis pour les jeunes filles qui y tomberont , je les ai averties dans ma préface ; et les jeunes filles ne lisent jamais les préfaces.
Et, après que dans son roman il aura dégradé tour-à-tour les mœurs par la philosophie , et la philosophie par les mœurs , dira qu'il faut des romans à un peuple corrompu.
Et il dira sans doute aussi qu'il faut des fripons chez un peuple corrompu.
Et on le laissera tirer la conséquence.
Et il dira encore, pour se justifier d'avoir fait un livre où res^ pire le yice^ qu'il vit dans un siècle où il n'est pas possible d'être bon.
Et pour s'excuser, il calomniera l'univers entier.
Et il menacera de son mépris tous ceux qui n'estimeront pas son livre.
Et les gens vertueux considéreront sa folie d'un œil de pitié.
Et on ne l'appellera plus le philosophe , et il sera nommé le plus éloquent des sophistes.
Et on admirera comment, avec une âme pure et honnête, il a pu faire un livre qui ne l'est pas.
Et ceux qui croyaient en lui n'y croiront plus.
446 LE MERCURE
CONTRE-PRÉDICTION
AU SUJET DE LA NOUVELLE HÉLOISB
Roman de M. RùusseaUj de Genève
En ce temps-là, il sortira des bords du lac de Genève un jeone homme sage et vertueux , qui voyagera chez le peuple le plus éclairé de l'univers. Après avoir longtemps étudié , examiné les mœurs de ce peuple , il lui dira : Vous êtes savant , mais cor- rompu. C'est la société qui a commencé le mal; les arts, les sciences l'achèveront ; et peu de personnes le croiront , parce que le mal a déjà des racines très-profondes.
Et il le\;r dira : Je suis venu vivre parmi vous pour m'ins- tmire, et j'ai été lâché de voir la corruption de votre société.
Et il dira encore : On est beaucoup plus vertueux dans le pa^'S où je suis né, et je compte aussi retourner parmi les miens.
Et il écrira que les sauvages sont moins corrompus que les peuples des grandes villes ; que les vices augmentent à mesure que la société s'agrandit ; que les arts et lés sciences favorisent les progrès du vice , et il aura raison.
Et il soutiendra que le théâtre est une mauvaise école pour former les mœurs ; et les partisans du théâtre lui donneront tort , et ils trouveront extraordinaire qu'il ait fait un opéra.
Et il dira que la compagnie des grands est dangereuse ; et ce- pendant il fréquentera quelques grands, et>on trouvera encore cela extraordinaire.
Et il fera un livre pour dire que nous n'avons point de bonne musique , et les musiciens , courroucés contre lui , ne pourront lui répondre que par des injures.
Et il dira aussi que les peuples qui ont des mœurs ne lisent pas des romans, et il ne fera point de romans , mais un livre de mœurs, auquel il donnera la forme d'un roman pour le faire passer : c^est ainsi qu'on frotte de miel les bords d'un vase, pour en faire avaler la liqueur amère.
LE MERCURE 447
Et dans ce livre , l'amitié , Tamour, l'honneur, la vertu , ne seront point fondés sur l'intérêt personnel , ne seront point de vains sentiments pris dans la société , mais ce seront des affec* tions réelles , qui auront leur source dans le cœur, et c'est ce qui déplaira aux plus éclairés de la nation.
Et dans ce livre , on verra encore un jeune homme prendre un véritable amour pour une jeune fille , ce qui étonnera bien des gens, qui n'ont jamais connu le véritable amour. Et la mat- ti'esse donnera la première un baiser à son amant, et, après avoir plus combattu que celles qui résistent , entraînée par la violence de ses feux , elle succombera.
Et elle aura des regrets plus grands que sa faute, et ceux qui connaissent l'amour Texcuseront.
Et on verra encore dans œ livre que les parents abusent quel- quefois de l'autorité qu'ils ont sur leurs enfants, qu'ils les for- cent souvent à des mariages où leur cœur n'a point de part . et que l'intérêt fait aujourd'hui beaucoup de ménages malheureux.
Et il s'élèvera une dispute entre l'écolier et un seigneur an- glais, ce qui donnera occasion à un très-beau discours sur la fu- reur du duel et du faux point d'honneur ; et le seigneur anglais, reconnaissant son tort , en fera ses excuses d'une manière qui surprendra l'admiration.
Et l'écolier, devenu l'ami du mylord, se rendra à Paris, n'y verra point les philosophes, fréquentera les honnêtes gens^ écrira à sa maîtresse que les femmes du bel air ont le ton grenadier, qu'elles ont peu de retenue, et qu'elles sont trop faciles à céder.
Et malgré le soin d'éviter la mauvaise compagnie, il se trou- vera, sans le savoir, chez des filles de mauvaise vie, et ne s'en apercevra qu'après la faute ; et il écrira son repentir à sa maî- tresse, et elle lui pardonnera.
Et les éclairés de la nation se récrieront et diront que* tout cela n'est pas dans la nature ; et cette fille, toujours amoureuse, cédant aux ordres de ses parents, épousera un honnête homme, qui a sauvé la vie à son père; et, malgré sa faute et son amour, elle fera le bonheur de son époux et le sien.
éiS CE MERCURE
Et on sera fort étonné qu'un homme épouse une jeune fille dont il sait que le cœur appartient à un autre ; et les phUoso* phes seront étonnés que ce mari soit un honnête homme, et que cet honnête homme soit un athée.
Et les gens raisonnables seront surpris de la contradiction de ces philosophes, qui, ayant établi qu'un athée peut être un hon- nête homme, nient que le mari de cette jeune fille le soit, parce qu'il est athée.
Et l'amant, pour dissiper son chagrin, ira voyager ; et il aura beaucoup vu dans le tour du monde, et il reviendra en Europe.
Et de retour, il sera reçu dans la maison de sa maîtresse, qui sautera à son col à son arrivée ; et le mari , qui sait toute leur intrigue, n'en sera point jaloux , ce que bien des gens ne pour- ront concevoir.
Et on croira que, parce que l'amante a eu une faiblesse étant fille, elle doit pécessairement continuer à en avoir étant femme.
Et l'on sera étonné que le jeune homme et cette tendre épouse sachent conserver leur vertu et se respecter en demeurant en- semble, et que le mari plaisante sur leurs aventures.
Et les honnêtes gens croiront aisément que tout cela peut se concilier ; mais les méchants seront dans l'étonnement , et ne pourront jamais y rien comprendre.
Et les plaisirs de l'époux , de l'épouse et de l'amant, seront simples et innocents. La maîtresse veillera sur ses domestiqpes, et s'en fera aimer ; dans le temps de vendange , elle jouera au milieu des vendangeurs, et en sera respectée : elle teillera du chanvre avec eux , et le jeune homme prendra plaisir à rimiter, et ceux qui ne connaissent pas ces innocents plaisirs s'en mo- queront.
Et l'amant présidera à l'éducation des enfants ; il leur appren- dra surtout à ne parler qu'à propos dans les compagnies , et on ne les instruira dans leur religion que dsms l'âge mûr, afin qu'ils la sachent mieux, ce qui ne plaira pas à tout le monde.
Et les repas seront frugals, on saura s'y priver de certains mets qui pourraient faire plaisir, pour mieux les goûter ensuite; et les méchants appelleront cela gourmstndise.
LE MERCURH 4id
Et la maîtresse aura beaucoup de raison , de bon sens et de jugement; et les beaux esprits en seront courroucés.
Et le philosophe remarquera que les gens faux doivent être sobres , et que la trop grande réserve de la table annonce assez souvent des mœurs feintes et des âmes doubles.
Et l'ami ira pécher dans un lac avec sa maîtresse, et il rejeta tera dans les eaux les petits poissons dont ils n'auront pas be- soin pour leur dîner ; ce qui révoltera les gloutons* . Et dans un voyage qu'il fera chez leâ Valaisans y il boira un peu plus de vin qu'à l'ordinaire ; il sera choqué de l'énorme am- pleur de la gorge des jeunes Valaisanes, et les sots en riront.
Et lorsque sa maîtresse lui aura promis un rendez-vous , Ja violence de son amour lui. fera regretter d'être obligé de man« quer au rendez-vous pour faire une bonne action^ et il fera ce- pendant cette bonne action.
Et. l'amie de sa maîtresse deviendra amoureuse de lui, et lui ne sera point amoureux d'elle, quoiqu'il lui donne un baiser sur la main ; ce qui étonnera encore.
Et enfin, sa maîtresse mourra.
Et avant que de mourir elle écrira à son amant que la vertu qui les sépara sur la terre les unira dans le ciel, qu'elle est trop heureuse d'acheter au prix de sa vie le droit de Taimer tou^ jours sans crime.
Et le mari enverra cette lettre à l'amant.
Et on ne saura jamais ce que l'amant est devenu.
Et les méchants ne se soucieront guère de le savoir.
Et les honnêtes gens le rechercheront , et désireront de con- naître un pareil amant.
Et tout le livre sera moral, utile et honnête, puisqu'il prouvera que les pères ne sont point en droit de disposer du cœur de leurs filles sans les consulter, et que , pour faire des mariages heu« reux , on ne doit pas toujours avoir égard à l'égalité des condi* tiens.
Et que, pourvu qu'on pratique la vertu , il est inutile d'en parler.
450 LE MERCURE
Et qu'une jeune fille peut avoir une faiblesse avec un homme, et être ensuite forcée par ses parents d'en épouser un autre.
Et qu'en se livrant au bien, on n'a jamais des remords de ravoir fait.
Et qu'un mari , sûr de la vertu de sa femme , peut recevoir son ancien amant dans sa maison.
Et que la femme peut embrasser quelquefois scm aneieii amanti sans que le mari en conçoive de la jalousie*
Et elle dira qœ deux époux peuvent ôtre heureux sans amour.
Et le livie sera éerit d'un beau style pour en imposer aux philosophes.
Et Tmiteur pressera les raisonnements pour mieux les con- vaincre.
Et il accumulera les preuves, et ne les convaincra pas.
Et son style sera orné, fleuri, sublime, nerveux, et on dira qu'il a des endroits si pleins de feu qu'ils brûlent h papier.
Et il connaîtra la simplicité, la justesse, le naturel, et il n'em- ployera la force que pour détruire le vice; et quelquefois le sar- casme dans les choses indifférentes.
Et le talent de l'auteur sera de faire briller la vertu , et de faire parler la raison et le bon sens. S contemplera toujours la nature, et donnera rarement carrière à son imagination.
Et semblable aux médecins qui ordonnent un remède pour prévenir le mal, il produira son livre sous le titre de roman, et par cet innocent artifice il réussira à guérir des coeurs corrom- pus et à faire aimer la vertu.
Il ne se vantera point d'avoir &it un livre utile ; et comme il aura mis à la tête de son livre un titre décidé, pour qu'une fille chaste sache à quoi s^en tenir en l'ouvrant , il dira : Celle qui, malgré ce titre, en osera lire une seule page , est une fille per- due ; mais qu'elle n'impute point sa perte à ce livre : le mal était fait d'avance; puisqu'elle a commencé, qu'elle achève de le lire , elle n'a plus rien à risquer. Et il aurait pu ajouter : elle ne peut même qu'y profiter.
Et après que , dans son roman , il aura fait triompher les
1
LE MERCUHB 451
nOBttrs en détruisant la philosophie, il dira qu'il faut laisser les TomaBS aux peupled corrompus.
Et il pourra dire aussi qu'il y a des fripons chez les peuples corrompus.
Et on le laissera tirer la conséquence.
Et les philosophes voudrait le hte» de M juetifisr d'avoir fait un livre où respire hi vertu.
Et il aura soin de menacer de son mépris tous «eux qui n'es* timeront pas son livre.
Et les gens vertueux le liront arec Attendrissement.
Et on ne l'appellera phis le Philosophe^ et il sera reconnu comme un des plus éloquents et des plus vertueux des honunes.
Et on ne sera point étonné comment, avec «ne àme pure et honnête, il a fait un livre qui le soit.
Et les philosophes qui l'avaient loué le calomnieront.
Et ceux qui ne croient pas à la vertu trouveront que le livre les ennuie.
Et ceux qui croient en lui y croiront plus que jamais.
MADRIGAL
Au temps heureux où régnait Vinnoeence^ On goûtait, en aimant, mille et mille douceurs^ Et les amants ne faisaient de dépense Qu'en soins et qu'en tendres ardeurs. Mais aujourd'hui, sans opuknce. Il faut renoncer aux plaisirs. Un amant qui ne peut dépenser qu'en soupirs N'est plus payé qu'en espérance.
Mérb.
452 LE MERCURE
CATÉCHISME POLITIOUE DES ANGUIS
«
TRADUIT DE LEUR LANGUE
D« Comment déûnis80ii&-nou8 la politique ?
R. C'est la science pratique de tout ce qui est injuste et déshonnète.
D. Avons-nous les dispositions nécessaires pour cette science^
A. Nous passons pour y exoeller.
D. En quoi la faisons-nous consister particulièrement ?
R. Dans l'abus de la paix et de la guerre.
D. Qu'est-ce que la paix ?
R, C'est ce qui nous fait désirer la guerre.
D. Qu'esirce que la guerre?
R, C'est ce qui nous fait désirer la paix.
D. A quoi nous appliquons-nous pendant la paix ?
R. A tromper nos voisins.
D. Et pendant la guerre ?
R. A nous tromper nous-mêmes.
D. Qu'est-ce que le droit de la nature ?
R. C'est un vieux code du cœur humain, que nous venons de rectifier sur des exemplaires qui ne se trouvent qu'en Barbarie.
D. Qu'est-ce que le droit des gens ?
R. Quand on se croit tout permis , c'est une connaissance inutile.
D, Qu'est-ce que des limites?
R. C'est ce que nous n'avons point envie de savoir.
D. Où les Français reçoivent-ils nos insultes avec le plus de docilité ?
R, Sur nos théâtres.
D. Quelle satisfaction faisons-nous à un vaisseau neutre après l'avoir attaqué mal à propos?
R. Nous nous contentons de le mettre à contribution pour les coups que nous lui avons tirés.
LE MERCURE 153
D. Quand un vaisseau ennemi a payé une fois sa rançon à un de nos armateurs, que peut-il faire?
R. R peut en toute sûreté en préparer une seconde pour le premier qu'il rencontrera , et se disposer à daller en Angleterre avec le troisième.
i>. Que doivent éviter les officiers qui commandent nos es-» cadres ?
i?. De se battre quand ils n'ont pas au moins le double des forces- de l'ennemi.
i>. Pourquoi avons-nous commencé la guerre longtemps avant que de la déclarer?
R. C'est pour qu'on ne soit pas surpris si nous la continuons longtemps après qu'elle sera finie.
EPI6RAMME
Voulez-vous guérir promptement De je ne sais quel mal^ qui, je ne sais comment.
Vous ôte votre bonne mine ?
Prenez-moi sans retardement Je ne sais pas combieti, ni de quelle racine; Joignez-y je ne sais quelle herbe également ; Mettez je ne sais où le tout bien chaudement :
Vous guérirez je ne sais quand.
Maint grand docteur en médecine
Ne vous dirait pas autrement.
Bruzbn de la Martinière*
khi LB MBRCURB
RÉFLEXIONS SUR LB MAIS.
On appelle la particule mat> une particule advmatk». Qot le mata est haïssable!
C'est la particule de la médisance, et des exoep&ioiia déiawuh tageuses. Dorilas est un honnête hooune, mais,,. l/roni^A beau- coup de mérite; elle a de Tesprit, de la politesse, du tour, dss manières; elle est enjouée, sérieuse; elle fait d'elle toutc«([u'eUe veut, mats... Le Père Bourdaloue est un bon prédûoftleur» moM... Mais d'où vient, pour dire mot^ à mon tour, d'où, vient. que le bien qu*on dit du prochain ne fait que friser l'oreille, et que le mois est écouté do toutes les oreilles?
Jfats est encore la particule de Vobjeotioni, terrett^de k paresse et de l'orgueil. Gomme ce dernier prétend à l'infaillibilité, il faut nécessairement livrer bataille au mats. S'il arrive que le mats ait raison, l'orgueil entre en furie, il se désarçonne, il sort des rangs, il dit des injures, il prend le ton des héros d!Homère ; il laisse la victoire au mats^ au grand plaisir des spectateurs, qui ordinaire- ment sont les bons amis du mais. A l'égard du paresseux, s'il loi échappe de dire quelque chose^ voici le mats qui l'oblige à parler encore : autre supplice bien plus grand que celui de l'orgueU, parce que ce dernier se console du mats dans la confiance d'eo triompher. Oui, le paresseux aimera mieux reculer devant le mats que d'en soutenir l'assaut.
Le mats est aussi la particule de la contradiction, car la con- tradiction est différente de l'objection en ceci : c'est que l'objec- tion ouvre la carrière d'une conférence, ou plutôt d'une dispute dans les formes, au lieu que la contradiction est du ressort de ia conversation, elle en est le fléau. PoUmon a du inérite infiniment; il a beaucoup d'esprit) et sa conversation plairait s'il n'était pas toujours à l'afiût de la contrariété, et s'il n'avait pas toujours le mats sur le bord des lèvres. Il n'y a rien de plus redoutable que ce caractère pour les esprits doux. L'objection et la contradic- tion ont ceci de commun, c'est que l'une et l'autre blessent l'or* gueil et la paresse. Pour l'orgueilleux, il n'est pas à plaindre s'il
LE MBRCURB 455
est homme d'esprit, pourvu qu'il ne soit pas paresseux; il est au -contraire flatté par la contradictioB, parce qu'il a réponse à qui fxilà? Mais si, n'ayant point d'orgueil, il se trouve paresseux, il n'y a esprit qui tienne , il aimera-mieux soufhrir la contradic- tion que de contredire à son tour, être le plastron que de porter la botte ou de la parer.
Mais est aussi la particule du refus. Je voudrais bien vous don> ner ou vous prêter ceci, ou cela, mais j'en ai besoin. Je suppose un homme opulent au-delà de ce que peuvent posséder, non des particuhers, mais des princes et des souverains, il me semble l'entendre dire : Ah! que n'û-je les trésors de Crésusl Quel plaisir de faire fleurir les arts et les sciences , d'aller au devant des besoins de la République, de faire des fondations pieuses, de ne permettre pas que personne souffre, non-seulement dans les lieux où je suis établi^ mais même dans des climats éloignés! mais.,. Il n'y a point de mais qui trouve plus de raisons à allé- guer que celui-ci.
Mais est une particule fatalg à l'ambition et à la vanité, ces sources inépuisables de désirs. Elle arrête ordinairement tout court les Je voudrais. Si on consulte Tintérieur des hommes, il ne s'en trouvera guère qui ne fussent bien aises d'être grands, d'être princes et rois ; et même, à voir la conduite des grands envers leurs inférieurs, et leur aigreur dans les mauvais succès, on com- prend aisément qu'un peu de divinité ne les incommoderait pas, mais,.. Non-seulement cela, le mais vient à la traverse des com- modités de la vie, et même du nécessaire. Je voudrais avoir un carrosse, mais,,. Je voudrais bien avoir du bois pour me chauffer, un habit pour me garantir du froid pendant cet hiver, mais,,. Il ne devrait point y avdr, 'dira-t-on, de pareils mais en pays d'humanité : je l'avoue, maâ..,. Le mats est donc la particule de l'avarice, et le bridon de la générosité et de la compassion.
Le mais est la particule favorite du grand adversaire de tout bien, c'est l'instrument funeste des controverses, c'est-à-dire d'un des plus grands fléaux de la société et de la religion. Quand le prince de la paix vint au monde pour réunir le genre humain ^
456 LE MERCURE
il ne trouva point de plus grand anta^niste que le mais. Les apôtres allaient porter la doctrine salutaire par tout le inonde; à peine eurent-ils passé de Jérusalem à Ântioche, que le mats les obligea d'y retourner pour arrêter les progrès de la contradiction. Inutilement , le mats a toujours été le plus fort. Après avoir fait la guerre à la paix avec la plume, il s'est armé du fer, il a al- lumé le feu, et il a fait du monde le théâtre de mille scènes sanglantes. En un mot, on peut dire que le mats est la remore de tous les agréments de la vie.
Il y a pourtant des occasions ou le mats est assez aimable. Qu'il vient à propos dans la bouche d'un fâcheux! Je vous en- tretiendrais plus longtemps, mats... D'un prédicateur ennuyeux: Il serait temps de p-^ ser à une seconde partie, mats... J'aime bien le mats qui me sauve d'une visite, active ou passive, quand elle est incommode. Si le mats ne retenait la colère, que de fracas en mille occasions 1 Neptune allait lancer son trident contre Eole, mats...
Quos ego.., sed motos prœsltt componere fluctus.
Par la mort Il n'acheva pas.
Car il avait Vàme trop bonne»
En un mot, je me réconcilierai avec le mais, s'il ne s'emploie jamais que pour exprimer les obstacles au mal et au crime.
ÉPIGRÂMME
A mon avis, le plus grand des trésors Cest une femme honnête ; je m'explique : Je veux qu'elle ait l'esprit comms le corps. Que son devoir soit sa seule pratique ; Qu'en son coeur soit toute sa rhétorique, Que sa raison ne conteste aucun point. Heureux qui Va, cette merveille unique! Mais plus heureux encor qui ne Va point !
LE MERCURE 457
BAIL DU CGEUR DE GLORIS.
Par-devant les notaires garde-notes du roi Cupidon, notre sire, dans toute l'étendue de Tempire amoureux, soussignés ; fut présente la belle Gloris, boui^eoise de la ville de Cypre, de- meurante rue et proche du Temple d'Adonis, laquelle a, par ces présentes, baillé et délaissé, à titre de loyer, promis faire jouir et garantir de tous troubles et empêchements, à l'amoureux Daphnis, aussi bourgeois de la dite ville de Cypre, demeurant rue et proche du Temple de Vénus, à ce présent et acceptant, un cœur à elle appartenant, par rétrocession qui lui en a été faite par l'inconstant Hilas, son époux, par act" passé par-devant le Dégoût et le Mépris, notaires en la vin^' de Saint-Léger, sur l'Euripe, duquel acte (fait double entre les parties) n'a été laissé aucune minute, du consentement d'icelles. Le présent bail dudit cœur fait audit Daphnis avec toutes ses appartenances, savoir :
Deux beaux yeux, dont le cœur anime d*un feu pur
Vétincdant crystal^ le transparent azur;
Où des divers objets que forme la nature
On peut voir en petit la nàive peinture ;
Où, tout voilé qu'il est, le cœur, sans y penser,
Se peint fidèlement, et ne peut s'effacer;
Où Von peut découvrir, à travers de la flamme^
Un amour recelé jusques au fond d'une âme ;
Enfin, où les amants, curieux de leur sort,
Trouvent toujours écrite ou leur vie ou leur mort.
Lisent le jour fatal aux grandes entrepriseSj
Et le moment heureux pour en venir aux prises»
Lesquels deux beaux yeux ladite Cloris sera tenue d'arrêter, en sorte qu'ils ne s'égarent plus sur les différents objets, qu'ils veillent sans cesse à la sûreté du cœur, et qu'ils ne servent qu'aux usages que ledit Daphnis en prétend faire. Sera tenue pareillement ladite bailleresse de mettre de bons contrevents en dehors, pour servir de défenses contre les voleurs.
T. I. 20
458 LE MERCURE
La modestie et la pudeur Servent de contrevente aux fenêtres du cœur;
Et Claris s'est assujétie. Sans préjudider pourtant à son amour^ ly opposer aux voleurs, et de nuit et de jour^
La pudeur et la modestie.
Ces beaux yeux, en public toujours si retenus. En secret pour Daphnis perdront leur retenue. Ils verront les Amours tout nus. Et la volupté toute nue. Ils sauront exciter les amoureux désirs. Ils sauront ménager les amoureux plaisirs. Ils marqueront de la nature Les plus tendres mouvements; Et ces bienheureux moments. Qui payent avec tant d*usure Les mauvais jours des amants.
Plus deux petites oreilles, bien ourlées et rebordées, qui servent au cœur de conduit et de passage pour les cajoleries, les fleurettes, les déclarations d'amour, les protestations de fidélité, les soupirs, les plaintes, les prières^ et pour tous les autres divertissements de cette nature à quoi il s'occupe. S'oblige ladite Cloris de les fermer, condamner du côté du mauvais vent, en sorte que ledit preneur n'en puisse être endommagé.
Qu'ainsi la méfiance, et F envie, et la haine. Rencontrent en tout temps ce passage fermé.
De crainte que par leur haleine,
Le cceur ne soit envenimé; Que Daphnis, affranchi de ces mortelles pestes. Ne se sente jamais de leurs souffles funestes; Que Cloris, des jaloux méprisant le dépit
Fasse ses oreilles au bruit;
LE MERCURE i&9
Que leurs plaintes, en Vair toujours évaporées.
Se dissipent en s'élevant, Et qu*ils grondent enfin à ces portes sacrées Sans que le cœur en ait le moindre vent.
Plus,
Une bouche fraîche et vermeille,
Qui sert au cœur de truchement,
Pour s'expliquer précisément
Sur ce qu'il reçoit par Voreille;
Une bouche où la volupté, Cette reine des cœurs flattetAse et délicate. Accorde la douceur avec la majesté. Et règne mollement sur un lit d'écarlate; Une bouche où Zéphir répand l'esprit des fleurs,
Où l'Amour, avec ses trois sœurs,
Folâtre sur un tas de roses
Et, désarmé du trait fatal.
Entre deux lèvres demi-closes.
S'amuse d'un dard de corail.
Et parce que ladite bouche servait ci-devant d'un passage commun à l'artifice et à la dissimulation, au compliment et à la flatterie, qui logent sur le derrière dudit cœur, dans un appar- tement détaché d'icelui , il a été convenu que ledit coeur de- meurerait affranchi de cette servitude, sauf à ladite Cloris à dédommager lesdits hôtes oomme elle avisera. S'oblige aussi la- dite bailleresse de donner de la pente dans ledit passage, pour faire écouler toutes les ordures et immondices qui pourraient se former dans ledit cœur, comme les dépits, les chagrins, les soupçons, les dégoûts et les tentations nouvelles.
Que ces eoocréments de Vamour N'infectent jamais son séjour; Qu'ils ne croupissent point, qu'ils coulent à leur aise. Et que, par ce canal secret.
160 LE MERCURE
lé cceur se tienne toujours netj
Et ne garde point deau punaise. Plus, Deux beaux bras, que le cœur, par des liens cachés.
Tient à son service attachés. Et qui, pour écarter les maux qui se présentent.
Pour saisir les biens qui le tentent,
Sont incessamment dépéchés,
Ladile Cloris ayant déclaré que lesdits bras n'avaient servi jusqu'à présent qu'à défendre l'approche aux insolents et aux importuns, qui tranchent des petits-maîtres, et qui font profession de l'amour entreprenant et de l'amour brusque , il a été convenu qu'outre ces fonctions, dans lesquelles elle s'oblige de les entre- tenir, elle les rendra souples, et propres à servir à l'amour tendre et caressant que ledit Daphnis prétend loger avec lui dans le- dit cœur ; et comme le cœur qu'occupe cet amour fait, par l'en- tremise des bras, la plus grande partie de ses affaires les plus touchantes, et que,
Par la vigilance éternellej Par Vunion forte et fidèle De ces ministres pleins de zèle, 'Brûlant d'amour, gros de désirs, Et las de perdre des soupirs. Il semble voler aux plaisirs, Et se fondre avec ce qu'il aime
Ladite Cloris consent, pour gagner du temps, et pour plus grande facilité, que ledit Daphnis mette lui-même ces beaux bras en état de rendre tout le service dont il aura besoin, pro- mettant d'agréer tout ce qui pour cela aura été fait par ledit sieur preneur, même de le lui allouer et lui en tenir compte sur le prix du présent bail.
Plus deux globes plus blancs que la neige nouvelle. Aux côtés du cœur flanqués, . Où les pôles sont marqués,
LE MERCURE 461
lïune framboise étemelle
Ces globeSy dont le cœur est le premier mobile, Servent à découvrir ses divers mouvements.
Quiconque en amour est habile
Sait par eux le sort des amants; Par Vélévation de leur habile pôle,
m
Le progrès du voyage où Von s'est embarqué,
A qui sait cartes et boussole.
Est assez nettement marqué
Sûr de sa route nuit et jour.
Il ne consulte plus d^ étoiles,
Et, mettant au vent toutes voiles. Il entre heureusement et mouille au port d* amour.
Ladite bailleresse a promis et promet de tenir lesdits globes clos et couverts, et de les mettre, par de bonnes barrières, hors d'atteinte, en sorte que les passants et les curieux ne soient pas en pouvoir de les toucher et de les flétrir
L* Amour combat avec chaleur
Contre un vieux fantôme d^honnewr^ Qui s'oppose sans cesse aux biens de la nature, V Amour j quand ce combat est trop rude et trop Umg^ Se rebute soutient, et souvent fait retraite. Et jamais il n'obtient de victoire parfaite
Si le plaisir n'est son second
Mais quand V Amour a mis son ennemi par terre.
Toute la dépense n'est rien ; Il triomphe en prodigue, et met tout en usage.
Sauf à vivre après de ménage.
Le présent bail fait pour le temps de dix années, à commencer du jour des présentes, moyennant
Grande fidélité, grand soin et grand amour. Bons services de sa personne. Que Daphnie rendra chaque jour, Au gré de la belle mignonne.
462 LE MERCURE
Et encore à la charge de faire dans ledit cœur, appartenances, circonstances et dépendances, toutes menues réparations, satis- faire aux charges de ladite ville de Cypre, et enfin user de tout en bon père de famille, et rendre les lieux en bon état, après les dix années expirées, sauf à proroger, s*il y échet. Et pour Texécution des présentes, lesdites parties ont élu leur domicile, savoir : ladite bailleresse en la maison où elle est à présent de- meurante, en ladite ville de Cypre, rue d'Adonis, auxquels lieux lesdites parties consentent que toutes les assignations qui leur seront données soient valables, sauf à changer lesdits domiciles quand ils verront bon être, en s'avertissant toutefois par un ex* ploit fait à propre personne : car ainsi a été accordé, promettant, obligeant, renonçant.
Fait et passé en Tétude des notaires, à Cypre, le 1«'' avril 4670.
Expédié double, et n'a été laissé minute.
Signé : CLORK, DAPHNIS. Le DÉSIR et le RESPECT, notaires.
LA PÈCHE
J'avais une pèche, hélas!... mon unique soinl l'orgueil de mon jardin!... si belle! si grosse! On me Ta volée; mais j'ai bientôt trouvé mon petit voleur. C'était l'Amour même. Fanny était la receleuse. Je les ai pris sur le fait ; j'ai reconnu ma pèche, quoique les fripons l'eussent déjà mise en pièces. Les deux moitiés étaient allées se placer sur un sein de lys : elles y forment encore les deux plus jolis hémisphères... Le vermillon clair qui la colo- rait a passé sur des joues de roses. Le fin duvet dont elle était revêtue éclate sur la plus belle peau. J'en ai senti le parfum dans une délicieuse haleine. Ce feu, cette douce chaleur, ces rayons du soleil qui la mûrissaient, brillent dans les yeux de Fanny. Le moyen de regretter ma pêche! J'allais m'applaudir d'un emploi si charmant; mais, ô cruel souvenir! ce qu'elle avait de plus dur,
le noyau enfin, je le cherche, je le demande! L'ingrate, la
perfide, l'a caché dans son cœur !
ADDITION 463
ADDITION A LA PAGE 176.
Nouveaux détails sur une remarquable particularité d'une des premières années de la Gazette,
J'ai fait remarquer qu'il y a deux états de U Gazette du 4 juin 1633, et j'en ai dit la raison. Je
crois devoir revenir sur ce fait, d'ailleurs assez important, parce qu'il en a été donné une explica- tion inexacte, qui, déjà reproduite par une publi- cation en quelque sorte officielle, irait ainsi se répétant au détriment de la vérité historique. Le Catalogue de la Bibliothèque impériale, s' appuyant sur l'autorité d'un historien du règne de Louis XIII, s'explique ainsi sur cette particularité, en la signa- lant : « Le n® 54 de cette année (1 633) se trouve en deux états : le premier, dans lequel il est fait mention, bien que pour le démentir, d'un projet de répudiation formé par le roi à l'égard de la reine ; le deuxième, dans lequel cet article a été sup- primé. » C'est le contraire qui est vrai : l'article prétendu supprimé a été introduit après coup, par ordre, et l'état regardé comme le premier est réelle- ment le deuxième. Cela ressort du ton même de cet article, que voici d'ailleurs :
Le sieur de Lafemas, intendant de la justice es province et armée de Champagne, est arrivé depuis trois jours en ce lieu, et a fait amener avec lui plusieurs prisonniers d'estat; entre les*
461 ADDITION
quels est le sieur Dom Jouan de Médicis, lequel fut par luy ar- restô à Troyes, venant de Bruxelles en habit desguisé, se faisant nommer marquis de Sainct-Ange. On tient qu'il estoit chargé de plusieurs papiers imp)ortants, et particulièrement de plans de villes et places de ce royaume , et de lettres tendantes à descrier le Roy et le gouvernement de son estât/ dont on ne sçait pas les particularitez. Mais ce qui se peut savoir est que par Tune des- dites lettres on supposoit que le Roy envoyoit à Rome pour trois choses, aussi malicieuses qu'elles sont esloignées de toute ap- parence, à sçavoir :
Pour répudier la Royne;
Pour faire déclarer M. le duc d'Orléans inhabile et incapable de succéder à la couronne ;
Et pour avoir liberté de protéger les Luthériens.
Comme aussi on a trouvé dans lesdits papiers des lettres de créance de l'Archiduchesse au Cardinal Infant, et une figure sur la naissance du cardinal duc de Richelieu, faite par un nommé Fa- brone, qui est à Bruxelles auprès de la Royne mère, où l'on tient que le nom dudit sieur cardinal est escrit de la main dudit Fabrone. On croit qu'il n'a pas passé en France sans dessein, pource qu'il a séjourné quatre jours à Paris, et conféré avec plu- sieurs personnes suspectes. Le temps, et la visite de ses papiers, descouvriront le secret de sa négociation.
Évidemment c'est là un communiqué, dont Tin- tention est facile à saisir ; Renaudot n'aurait pas tiré de pareilles choses de son fonds, et surtout n'aurait pas pu les imprimer. Mais l'inspection des deux états ne peut laisser aucun doute. J'ai dit comment l'article avait été apporté à Renaudot, comment, pour lui faire place, il avait dû suppri- mer vingt-huit lignes. Or, quand on examine les deux numéros, le travail de remaniement auquel il
ADDITION 465
lui fallut se livrer saute immédiatement aux yeux : des alinéas , des phrases > des parties de phrases , ont été élaguées du numéro primitif et ne se retrou- Tent plus dans celui où figure l'article en question; tandis que, si cet article eût fait partie du premier étaty on se serait borné à Tenlever, et à remplir le Tide tellement quellement, sans toucher au reste.
Quant à la manière dont les faits se sont passés, j'ai pour garant l'abbé de Saint-Léger, dont l'auto* rite en pareille matière est généralement admise.
Ce qui précède était sous presse quand une trou- yaille inespérée est venue me fournir de nouveaux détails sur le fait en question. J'ai parlé, page 1 06, d'après Monteil , d'une Requête de Renaudot à la reine, que le savant historien signalait comme ayant une grande importance pour l'histoire du journa- lisme. J'avais iiiutilement cherché ce document, et désespérsus de jamais le trouver, quand un heureux hasard me le fit découvrir au beau milieu d'un vo- lumineux recueil factice de pièces concernant l'uni- versité, et spécialement la faculté de médecine.
Je ne fus pas moins surpris de voir que le prin- cipal des griefs auxquels cette requête avait pour
but de répondre était précisément l'article que l'on
so.
«6e ADDITION
yient de lire, et qui avait motivé le remaniement de la Gazette du 4 juin 1633. Voici conmient Renaudot lui-même explique ce fait; ou remarquera que son explication ne diffère de celle que j'ai donnée que sur un point secondaire, l'heure à laquelle l'article lui fut apporté :
Cet article de la Gazette du 4 juin 4633, qui est le seul dont on fait du bruit, et pour lequel on tâche, mais en vain, vu l'équité, bonté et justice de Votre Majesté, de m'aliéner Thonneur de ses bonnes volontés, ne saurait donner aucune prise contre moi. L'innocence ne se cache point : il me fut envoyé le matin de ce jour-là par lé défunt Cardinal duc, de la part du Roi , qui avouait toutes ses actions, plus de la moitié desdites Gazettes étant déjà imprimées; ce qui fut cause qu'il ne se lut qu'en ce qui restait à tirer.
Il contenait qu'entre plusieurs prisonniers que Vintendant de la justice en Champagne avait amenés avec lui était Don Juan de Médicis.,., Lesquelles impostures étant par moi appelées maH- cieuses et éloignées de toute apparence, c'est tout ce que pouvait faire un bon Français et autant affectionné au service de Votre Majesté qu'il le doit être.
Voilà néanmoins le grand crime que Ton me met à sus, et sur le sujet duquel, Madame, je supplie très-humblement Votre Majesté de considérer que quand aujourd'hui, quelque prince étranger ayant été arrêté en France, votre conseil me comman- derait, pour justifier son procédé, d'en publier les causes, ou que ses principaux ministres me , donneraient ordre d'informer le public de quelque autre chose de telle imp)ortance, quel moyen j'aurais de m'en dispenser?...
Ce que le conseil du Roi défunt me dictait, ce que Sa Majesté approuvait, et où elle ne trouvait rien à redire, me doit-il être aujourd'hui reproché, après une suite de tant d'années? Aucun n'en eût osé parler alors; Votre Majesté même, Madame, n'en a
ADDITION m
rien dit, qui soit venu à ma connaissance, durant tout ce tempe- là. Voulait^on que je fusse plus puissant qu'elle pour m'opposer à ce qu'elle passait sous silence? Et avec grande raison, vu qu'il n'y a aucun de ceux qui parlent aujourd'hui si haut qui, en ap- parence ou en effet, ne pliât sous cette autorité, ce qui s'appelait servir le Roi, comme d'y résister, crime de lèse-majesté....
Que n'ai-je ici assez de champ pour opposer à ces mauvais offices qu'on me rend à tort auprès de Voire Majesté tous les 'éloges que je lui ai donnés en un temps durant lequel il m'a fallu passer par tant de mauvais pas, el lorsque la plupart des autres écrivains se taisaient de Votre Majesté, élevés si fréquents qu'on en pourrait faire un juste volume 1... Depuis l'heureux avènement de Votre Majesté à la régence, n'ai-je point cherché toutes les occasions de faire sentir à ses peuples l'heur et le contentement qu'ils ont et qu'ils doivent attendre d'une telle administration, et de lui rapporter tous nos avantages? Sur quoi ne font point de réflexion ceux qui censurent, dix ans après, avec si peu de raison, de justice et de charité, une demi-ligne de mes nouvelles, entre plus d'un million d'autres qui possible mé- riteraient quelque témoignage de leur approbation.
On Voit que Monteil ,.dans l'analyse que nous avons citée, p. 106, et que nous venons de complé- ter, ne surfaisait pas l'habileté du père des journa- listes français. Renaudot termine par le regret de ne pouvoir « atteindre par son style trop bas au faîte des héroïques et royales actions de la régente, dont les louanges vont faire suer ses ouvriers et gé- mir ses presses. »
' Cette Requête, comme tous les actes de Renaudot, émut la bile de ses adversaires , qui se déchargea dans un factum intitulé : Examen de la Requête pré-
468 ADDITION
sentée à la Reine par M^ Théophraste Renaudot. Je ne connais cette pièce que par une Réponse qui y fut faite et portée à son autheurpar Machurat^ compagnon imprimeur. C'est également dans cette réponse que j'ai trouvé la Requête elle-même, qui y est trans- crite tout au long.
La Réponse, dont Renaudot fut éyidemment l'ins- pirateur, s'il ne Ta pas écrite lui-même , ne nomme pas l'auteur de l'Examen, mais elle le désigne assez clairement pour qu'on reconnaisse dès les premières lignes l'implacable ennemi du médecin-gazetier, Guy Patin.
Je t'y trouve donc encore, camarade, après un silence de trois ans, qui n'a été interrompu que par les boufifonneries de ton ridicule plaidoyer, qui appartenait mieux à un hôtel de Bour- gogne qu'à un barreau (4], partagé de la pitié que les uns avaient de ton ignorance, et de la risée qu'excitait aux autres ton mauvais français, ta façon niaise, et ce badin de serment : Vrai comme vélà le jour de Dieu, Messieurs, que tu répétais souvent faute de bonnes raisons, en cette satisfaction que tu fis en public à M. Renaudot, déclarant que c'était d'un autre, et non pas de lui, que tu avais écrit les médisances contenues en l'épitre liminaire des œuvres de Sénerte naguère imprimées en cette ville.
Du reste , la violence de ce factum, dont on pourra juger par quelques citations empruntées à la Réponse, trahit tout d'abord la plume acrimo- nieuse du satirique docteur.
Ce n'est pas sans cause, dit le prétendu Machùrat, qu'il intitule
(I) Voir page lao.
ADDITION 469
son livre Eooamm : c'est un essaim et un amas d'injures, qu*il entasse sans aucun respect du nom majestueux de la IVeine, qu'il met aussi en tête. Mais , s'il a envie d'être cru, chacun le peut voir par son commencement, qui est tel : La MaitTB des Gazettes fil ne faut pas salir le papier de son nom, qui sera odieux et eoDécrable à la postérité) a d&)itè, ces jours passés, une requête non moins insolente que téméraire qu'il a présentée à la Reine.
Renaudot est attaqué dans ce libelle comme mé- decin, comme maître des Bureaux d'adresse et com- missaire des pauvres, et comme gazetier. Laissant de côté les premiers chefs, sur lesquels, d'ailleurs, nous aurons occasion de revenir, je me bornerai à relever ici les inculpations, pour ne pas dire les ou- trages , dirigées contre le rédacteur de la Gazette et contre la Gazette elle-même.
Il ne se contente pas — c'est toujours Fauteur de la Réponse qui parle — r d'appeler celui qu'il calomnie avec tant de passion méchant et détestiible prévaricateur, qui tient la place d^un homme de bien, qui emploie le meilleur de son temps et de son âge à com- poser des mensonges et des impostures, de le qualifier menteur à gages ; mais, se déclarant ennemi juré de la réputation des armes du Roi, il a eu assez d'impudence pour avoir fait imprimer et publier que toujours les Gazettes multiplient nos victoires, taisent ou dissimulent nos pertes, mettent nos armes en réputation parmi les étrangers, grossissent nos armées de troupes imaginaires, ex- ténuent les forces de nos ennemis, rendent nos royaumes florissants en toutes sortes de biens, et ceux de nos ennemis pauvres et né" cessiteux, mettent la tranquillité chez nous et la discorde avec le désordre chez eux : termes qu'il a copiés mot à mot d'un poème latin imprimé à Anvers il y a huit ans, intitulé Gazeta parisien- sis, auquel ledit sieur Renaudot répartit en même temps par un autre poëme, qui a pour titre Crazeta antuerpiensis , auquel je
470 ADDITION
renvoie ceux qai seront curieux de voir s*il se sait bien démêler en toutes façons de ceux qui l'entreprennent.
Il blâme Vauteur de ces Gazettes de ce que ses narrations timnmt tantôt le parti des huguenots contre les catholiques et tantôt celui des catholiques contre les huguenots; au lieu que, sans parler de Tintérêt que nous avons de conserver nos alliés, plusieurs desquels ne sont pas catholiques, une cervelle mieux timbrée que la sienne aurait conclu de là que celui qu'il blâme observe la principale condition d'un bon historien, qui est d'être «ans passion
Le pamphlétaire accuse ensuite Renaudot d'avoir exagéré l'importance de sa Gazette.
Les fourbes gazétiques n'ont point acquis de nouvelles terres au roi y elles ne Font point fait empeteur; élks n'ont su, jusqu'à pré- sent, persuader aux Electeurs de quitter le parti de la maison d'Autriche; elles n'ont point empêché les rébeUùms du Poitou et de la SaintongCf ni les mouvements de la Normandie (où vous re- marquerez comme la manie de cet ennemi de la France se plaît, en mentant, à publier nos maux , même intestins) ; elles n'ont point augmenté ni les finances, ni le revenu du roi ; dles n'ont point disposé les princes souverains à une paix universelle : Je. ne pense point , dit-il, que des services de cette nature puissent avancer beaucoup les affaires du roi et de VEtat. Se peut-il voir une con- séquence plus inepte?... Quelle effronterie l s'écrie- tril encore, de s'imaginer que ses Gazettes servent à l'Etat, et que les men- songes ^'elles étalent perpétuellement le maintiennent et le con- servent ! Tant cet honnête homme a de dépit de quoi il y a eu si longtemps des Gazettes en France, dépit qui lui continuera en- core longtemps, vu que, pour user des termes du sieur Renaudot :
jEquum est Hoc etiam sola nostris ratione placere, Quod tantam moveant hostili in pectore bilem.
ADDITION 471
Un bonheur, une trouvaille, en amène une autre. Dans une réponse de Renaudot à un gazetier de Co- logne, dont je viens seulement d'avoir connaissance, on lit, entre autres choses :
La Gazette est un écho qui réfléchit les bruits éloignés, et qui tient de ces phares que les rois de Perse avaient disposés sur les rivages de la mer, où, par les diverses figures des flambeaux allumés à distance de vue, les derniers représentaient les mêmes caractères que les premiers, et ainsi communiquaient leurs des- seins, comme ^ l'instant, d'un bout à l'autre de leurs grands États : si le premier manquait, le dernier n'en avait pas le blâme ; ce lui était assez de l'avoir imité ; encore que les fautes que vous m'im- putez soient, à votre ordinaire, d'assez mauvais petits contes surannés, autrefois inventés à plaisir par ceux qui voulaient dé- créditer la môme Gazette, dont la candeur a survécu à la médi- sance...
Etudiez donc mieux, une autre fois, vos injures, si vous dé- sirez qu'on les croie ; et pour vous donner un meilleur avis que les vôtres, si vous voulez persuader à un chacun que le Gazetier de Cologne puisse corriger celui qui fait les Gazettes à Paris, qu'il commence à en^aire de meilleures que lui , et qu'il le fasse croire au peuple, juge qui ne flatté point, et à qui vous vous devez prendre de ce que celles que vous envoyez sont de si mauvais débit qu'il y a peu de personnes qui en veuillent pour le port, et moins pour leur prix, quelque petit qu'il soit, et moindre que le parisis des nôtres (4) : de sorte que, si vous pré-
Ci) J'ai enfin rencontré ici, par un heureux hasard, ce que j'ai si longtemps cherché inutilement : le prix du numéro de la Gazette. C'était, comme on le voit, un parisis, sans doute un sou parisis, de quinze deniers, environ six centimes, représentant une valeur actuelle de près du triple. Du moins c'est l'induction la- plus plausible qu'on puisse, à mon sens, tirer de ce passage. Je rappellerai que le Courrier français fait par les fils de Renaudot pendant la Fronde se vendait un sou (V. page SUS ; voir aussi page 404).
Resterait toujours à savoir si l'abonnement modifiait ce prix, et ce que la Gazette coûtait en province. Disons, d'ailleurs, qu'elle était réimprimée dans les princi-
47« ADDITION
tendez avoir des lecteurs, vous serez contraint de les distribuer aux passants, comme on fait ici les affiches des charlatans sur le Pont-Neuf; tandis que celles de Paris manquent plutôt que les curieux pour les arracher des mains des colporteurs, encore toutes moites de Timpression, que les courriers attendent, re- tardant souvent leur partement pour les emporter par tout le monde, où elles ont le bonheur d'être lues avidement , mes im- primeurs et commis savent mieux que moi avec quelle satisfac- tion, par le débit qu'ils en font, qui en est la plus certaine marque (4).
pales TÎUet da royaume : la Bibliothèque impériale possède des réimpressions ftites à Lyon, Avignon, Rouen, Aix; mais, je Tai déjà dit, je n'ai trouvé aucune trace de oelies fiûtes à Paris, et qui motivèrent les procès dont nous avons parlé, page 89 et suivantes.
(1) Response de Théophraste Renaudot, conseiller et médecin du Roy, maistre et intendant général des Bureaux d'adresse de France, et historiographe de Sa Majesté, à l'autheur des libelles intitulés : Avis du Gazetier de Cologne à celui de Parie; Reeponee dee peuplée de Flandre au Donneur éPaoie français, et Béfu- taiion du Correctif dee ingrédients, etc. Du Bureau d'adresse, 1648, in^» de 476 pages, avec cette épigraphe : Non fumum ex luce, eed ex fumo dore lucetn,
Dans ce volumineux foctum^ Renaudot défend longtfement certaines apprécia- tions, certains faits avancés par la Gazette, et qui avaient motivé des attaques de la part de gazetiers et de pamphlétaires étrangers. Cest ainsi qu'U en agissait toutes les fois que lui ou les inspirateurs de la Gazette jugeaient à propos de ré- pondre, et que hi réponse ne pouvait trouver place dans la Gazette eUe-même, dont le cadre se prêtait peu à la polémique. Renaudot, d'ailleurs, avait la riposte vive, et ne refusait jamais la lutte, sur aucun terrain : nous venons de le voir ré- pondre par un poème latin à une attaque qui avait pris cette forme.
FIN DU PREMIER VOLUME.
TABLE
w
Préface. v
INTRODUCTION HISTORIQUE. 4
Recherches sur les origines et les PRécÉBENTS bu
JOURNAL. 3
— Des moyens d'infonnation chez les anciens. — Les
Acta diuma des Romains. 3
— Origines du Journal chez les modernes. 47
— Chroniqueurs, Gazetiers et Nouvellistes. — Nouvelles
à la main, Gazettes manuscrites. 28
HISTOIRE POLrriOUE ET LITTÉRAIRE DE LA PRESSE EN FRANCE.— PREMIÈRE PARTIE : LA PRESSE AVANT LA RÉVOLUTION. 61
Origine du Journal en France. — La Gazette et son Fondateur. 63
1
i7i TABLE
— Théophraste Renaudot. — Ses commencements. —
Ses innocentes inventions : Mont-de-Piété, Bu- reau d'adresse et de rencontre, — Comment il est amené à la création de la Gazette. 63
— Fondation de la Gazette ; difficultés de ses commen-
cements. — Son cadre, son esprit, sa portée. — Détails sur les premiers numéros, sa composition et ses annexes. 71
— Privilège de la Gazette ; son étendue. — Démêlés de
Benaudot avec les imprimeurs et les colporteurs.
— • Contrefaçons et parodies de la Gazette. 89
— Illustres^ collaborateurs de Renaudot. — Inimitiés que
lui attirent ses succès et la faVeur dont il jouit. — Sa longue querelle avec la Faculté de Médecine; singulière animosité de Guy Patin. — Pamphlets dirigés contre lui. 405 et 469
— Mort de Renaudot. Le père du Journalisme attend
encore qu'on lui rende justice. — Ses autres écrits. U3
— Rôle et importance de la Gazette. — Ses rédacteurs
depuis Renaudot jusqu'à la Révolution. 448
— Bibliographie de la Gazette. — Quelques particularités
relatives à ses premières années. 470 et 163
— Appendice. — Un pamphlétaire au xvii» siècle : Eus-
tache Le Noble. 487
LA PRESSE DURANT LA FRONDE. — Les Mazarinades. 493
— Explosion de l'esprit polémique. «- Ce qu'on entend
par Mazarinades. — Leur caractère et leur esprit. 495
— > Les auteurs des Mazarinades. — Comment elles étaient
composées, imprimées et vendues. M
— Quelques indications historiques et bibliographiques. 234
Les JôURNAtJx. 237
— Double jeu de Renaudot et de ses fils : La Gazette et
le Courrier Français. — Les Courriers burlesques de SaintrJulien. — ^Autres essais. 237
— - Coup-d'ceil sur la marche de la presse en Angleterre du- rant la même période. — Défaveur qui s'y attache, ainsi qu'en France, au métier de gazelier. — Obstacles opposés au journalisme ; comment il en triomphe. 276
TABLE 475
LA PETITE PRESSE. — Gazettes en vers. . 287
— Loret : la Muse Historique. 28^
— Continuateurs et imitateurs de Loret. — Lagravète
de Mayolas : Lettres en vers et en prose; naissance du roman-feuilleton. — Robinet : Lettres en vers à Madame, — Scarron : Épitres en vers burlesques. — Subligny : La Muse Dauphine. — Etc. 359
Le Mercure. 37&
Addition à la page 176. Nouveaux détails sur une par- ticularité très-remarquable d'une des premières années de la Gazette. 46.^
FIN DE LA TABLE