t)Î.LAB/ei/,
■Of,
\
u Ottawa
INSTRUCTIONS
SACREMENTS EN GÉNÉRAL
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR.
SOIREES CHItETISNNBS. Explicatiùri du catéchisioe |>ar des compa- raisons et des exemples. Troisième édition (18G1) revue et aui.'- mentée de plus de quatre-vingts traits historiques. Api)rouvé par M-rr l'Evêquc de Nancy. — 6 beaux volumes in-1-2. 14 fi
COURS D'INSTRUCTIONS RELIGIEUSES, ou Exposition courte, sui- vie et raisonnee de la doctrine chrétienne, pour lectures du soir pen- dant le Carême, avec une prière et un exemple pour chaque jour. Approuvé par Mgr l'Evêque de Nancy. — 2 beaux vol. in-!-, (i fr.
DEIFICATION DE L'HOHME PAR LÀ GRACE, ou Instructions sur l'ordre suruaiurel et divin. Deuxième édition revue et augmentée. 2 beaux volumes in-12. 5 fr,
INSTRUCTIONS PAROISSIALES SUR LE SACREMENT DE MARIAGE.
1 b'^^iu volume lU-l'J. •" ""r
^tyUiAo dy
G
INSTRUCTIONS
SACREMENTS E.\ GENERAL
B4PTÈIIIE ET COWiRNATION
PAR L'ABBE GRIDEL
CHANOINE DE NANCy
LYON
GIRARD ET JOSSERAND, IMPRIMEURS-LIBRA IRES
Place Bcllecour," 50
1862
TROP Rit TÉ.
3-^ 003 OoQZs-g/Zi,'
PRÉFACK.
Pourquoi la plupart des fidèles sont-ils si indifférents pour l'instruction religieuse ? Pourquoi vont - ils entendre un sermon à peu près comme les hommes lettrés assistent à la lecture d'un discours académique? Pour les uns comme pour les autres, c'est une ré- création ou un divertissement spirituel, ou une heure d'ennui et de fatigue. A quoi cela tient-il? Nous croyons qu'une des principales causes du peu de succès qu'obtient de nos jours le ministère de la prédication, est la mauvaise méthode trop généralement adop- tée» par ceux qui sont chargés d'instruire. Chaque dimanche est un sujet nouveau qui ne se lie d'aucune façon à l'instruction pré- cédente et ne laisse aucune trace dans l'es-
prit des auditeurs. Supposons pour un mo- ment qu'un professeur de mathématiques, de physique, de philosophie ou d'histoire donne à ses élèves des leçons ainsi détachées, sans
3 7
qu'ils puissent voir aucun rapport entre elles : pensez-vous que ces élèves pourraient jamais acquérir des idées exactes sur ces sciences? Ajoutez encore que cette méthode met le pré- dicateur dans l'impossihilité d'approfondir aucune matière, et par là même d'ahorder les sujets les plus intéressants, je veux dire les grandes vérités de îa foi catholique.
Chose étrange ! à tous les degrés de l'en- seignement, de récole primaire à la Sor- honne, pour toutes les sciences et pour tous les arts, on donne des leçons suivies sur une même matière; tout est lié, enchaîné, coor- donné : de sorte que chaque leçon est la suite naturelle de la leçon précédente et la pre^pa- ration de celle qui suivra; réunies, elles for- ment un corps de doctrine complet. Pour- quoi donc ne pas suivre la même méthode lorsqu'il s'agit d'expliquer la plus impor- tante, la plus universelle et la plus pratique (le toutes les sciences?
Mais, me direz-vous, lorsque le prédica- teur explique la religion d'une manière suivie, il devient monotone et ennuyeux. — A cela
— VII —
je réponds qu'il importe de persuader aux fidèles qu'ils ne doivent point venir entendre une instruction pour se procurer un délasse- ment, mais pour s'instruire et s'édifier. Et il est certain d'autre part que le même sujet traité sous toutes ses faces, surtout s'il est approfondi et présenté dans ses rapports avec les vérités fondamentales du christianisme, au lieu d'ennuyer des auditeurs sérieux, leur plaît infiniment. Ce qui les fatigue et les re- bute, ce sont les sermons composés de phra- ses sonores, de périodes bien arrondies, mais vides de sens et de doctrine.
On se borne généralement à exposer quel- ques vérités morales et à tonner contre le vice et l'impiété, et on laisse dans l'oubli la partie la plus essentielle et la plus importante de la religion, le dogme. C'est une lacune très-regrettable et qui occasionne les plus fâ- cheux inconvénients. Le grand Apôtre, ie maître des prédicateurs ne prêchait pas ainsi. Dans les instructions qu'il adresse à tous les chrétiens, il commence toujours par l'expo- sition du dogme, puis il en tire des règles pour la conduite de la vie. Dans tous les temps l'Eglise a instamment recommandé à tous les pasteurs des âmes d'expliquer la doc- trine chrétienne d'une manière suivie et en-
Mil —
chaînée, et leur a remis entre les mains un abrégé substantiel qui doit leur servir de thème, je veux parler du Catéchisme du saint concile de Trente.
Il est vrai qu'un semblable enseignement exige de leur part un travail auquel les autres fonctions de leur ministère ne leur permet- tent pas de se livrer; car tout est à faire. Nous ne connaissons en France aucun auleur qui ait exposé la religion suivant cette méthode. Nos grands prédicateurs, Bossuet, Bourdaloue et Massillon, se sont plus occupés à combat- tre les vices de leur temps qu'à exposer le côté positif de la doctrine chrétienne. Les prédicateurs qui leur ont succédé ont suivi leurs errements, et si quelques uns ont es- sayé de nous donner des instructions suivies, leurs œuvres, très-utiles peut-être pour l'épo- que 011 elles ont paru, sont tout à fait insuf- fisantes aujourd'hui et ne satisfont nullement les besoins de la société actuelle. C'est ce qui nous a inspiré la pensée de publier nos Ins- tructions sur les Sacrements. Ce ne sont pas des chefs-d'œuvre, il s'en faut bien ; ce n'est qu'un essai eu ce genre. Notre intention est d'ouvrir la voie, avec l'espoir que d'autres la parcourront avec plus de talent et de succès. Si elles peuvent être de quelque utilité, tout
imparfaites qu'elles soient, nous aurons at- teint notre but.
Nous n'avons pas craint d'aborder quel- quefois des questions qui paraissent difficiles et abstraites au premier coup d'œil, et nous nous sommes efforcé de les traiter avec clarté et simplicité, afui de les mettre à la portée de toutes les intelligences. Il nous a semblé que rien n'était plus propre à faire concevoir une haute estime pour la religion que ces magnifiques expositions du dogme calboli- {|ue que nous ont données les plus illustres Docteurs de l'Eglise, que ces analogies si frappantes qu'ils nous font remarquer entre les lois de la nature et celles de l'ordre sur- naturel et divin ; nous avons pensé que rien n'était plus capable de faire aimer Dieu, d'é- lever l'esprit et le cœur au-dessus de ce monde sensible, que ces considérations profondes, puisées dans les entrailles mêmes de la vérité catholique. La grande difficulté que nous avions à résoudre était de les rendre intelli- gibles à tous les fidèles. L'expérience nous dira si nous l'avons résolue.
Dans ce long et pénible travail, nous nous sommes aidé de tous les auteurs que nous connaissons, et nous leur avons fait de lar- ges emprunts lorsqu'ils ont bien traité la \é-
rite que nous exposons. On verra que nous avons moins cherché à briller qu'à nous ren- dre utile.
JNous soumettons à l'avance toutes nos pu- blications au jugement de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, et nous désavouons tout ce qui aurait pu nous échapper de con- traire à son enseignement.
Divin Sauveur, aimable Jésus, bénissez ce fruit de nos labeurs, et faites-le servira votre gloire et à la sanctification des âmes. Bénis- sez-le aussi, ô Marie, Vierge immaculée, et offrez-le à votre divin Fils, afin qu'il lui soit agréable. C'est à vous que je dois le peu de bien que j'ai pu faire jusqu'ici, et c'est de vous que j'attends la grâce d'en faire plus à l'avenir. Je n'ai jamais rien entrepris et je n'entreprendrai jamais rien sans implorer votre protection. Vous avez toujours été et vous serez toujours ma douce et tendre Mère.
Mois de Marie 1861.
INSTRUCTIONS
I.ES SAGREMEZSTTS E^T GENERAL
»e^c
PREMIÈRE INSTRUCTION.
De la nature et de la iiëeessitë des Sacreiueuts.
Veni ut vitam habcant et abuîidan- îius haheant.
Je suis venu pour leur donner la vie et pour la leur donner avec plu$ d'abondance.
(JOAN., X, 10.;
Quel est donc le but que se propose la religion? N'est-ce pas de rattacher l'homme à Dieu? Et com- ment le relie-t-elle à Dieu? N'est-ce pas en lui fai- sant connaître ses glorieuses destinées, en lui ré- vélant et lui expliquant les lois qu'il doit oberver pour les conquérir, en lui mettant entre les mains tous les secours nécessaires pour éviter le vice et pratiquer la vertu, pour atteindre ce bonheur par- fait après lequel il soupire? La religion se compose donc de trois grandes parties : du dogme ou des vérités à croire, de la morale ou des préceptes à observer, du culte ou des moyens établis de Dieu
— \î —
pour onlretenir et augmenter en nous la foi aux vé- rités de la religion et la fidélité aux préceptes de l'Evangile. Or, les principaux de ces moyens sont les sacrements, destinés à produire, à conserver et à perfectionner en nous la vie surnaturelle et di- vine. Mais, avant de vous les expliquer en détail, il est nécessaire de vous donner quelques notions sur leur nature, leur nécessité, leur excellence, leurs merveilleux effets, et sur les dispositions néces- saires pour les recevoir utilement.
Qu'est-ce qu'un sacrement? C'est un signe sen- sible, efficace de la grâce, i^nslitué par notre Sei- gnè\ir Jésus-Christ pour nous sanctiuer. iTest un signe sensible ou qui tombe sous les sens, comme l'eau dangTt Baptême, l'imposition des mains et l'onction du saint chrême dans la Confirmation, le pain et le vin dans l'Eucharistie, le consentement des époux dans le Mariage. C'est un signe jefficace de la grâce, parce qu'il la produit, comme le soleil produit la lumière, comme le feu produit la cha- leur, comme la nourriture produit la force dans le corps humain. Cependant, de même que l'homme peut fermer volontairement les yeux et se plonger dans les ténèbres en plein midi, quoique le soleil inonde la terre des flots de sa lumière ; de même qu'il peut périr de froid, parce qu'il s'éloigne du feu, ou comme un malade peut mourir, parce qu'il refuse de prendre la nourriture qui lui est néces- saire, ou parce qu'il n'observe pas les règles de la tempérance ; ainsi le chrétien peut perdre la vie de l'âme, malgré tous les secours qu'il trouve dans les
— 13 — sacrements ; car, quoique d'eux-mêmes ils pro- duisent la grâce ou la vie surnaturelle et divine, ils sont sans effet pour ceux qui les dédaignent, et donnent la mort au lieu de la vie à ceux qui les re- çoivent indignement.
La fin ou le but d'un sacrement est donc de nous sanctifier, c'est-à-dire de nous communiquer la vie surnaturelle et divine. Or, deux éléments sont né- cessaires pour constituer un sacrement, savoir: un élément matériel, ou un signe sensible et palpable, et un élément immatériel qu'on ne peut ni voir ni toucher, et qui produit la vie surnaturelle et di- vine.
Qu'est-ce que l'homme? C'est une créature rai- sonnable, composée d'un corps et d'une âme for- mée à l'image de Dieu. Il y a donc en lui deux substances et par conséquent deux vies, la vie du corps et la vie de Fâme raisonnable. S'il est chré- tien, il possède une troisième vie, la vie surnatu- relle et divine, et, chose admirable 1 ces trois vies se forment, se conservent et se développent par des lois semblables.
En effet, l'enfant vient au monde par une cause indépendante de sa volonté, et quand il naît, il n'a en quelque sorte qu'un commencement de vie; car il n'existerait pas deux jours s'il était aban- donné à lui-même. Les substances qui doivent lui continuer la vie sont renfermées dans le sein de la terre comme dans un foyer, et il faut qu'une main paternelle et laborieuse lui procure son pain de chaque jour, sa nourriture et son vêtement. Que
— 14 — sont donc les substances alimentaires ? On peutles dé- finir : un signe sensible qucDieuainslituépour nous communiquer et entretenir en nous la vie du corps.
Mais l'enfant ne se donne pas plus la vie de l'in- telligence que la vie du corps : il a reçu l'une et l'autre de l'auteur de la nature. Or, pour vivre de la vie de l'âme raisonnable, il ne lui suffît pas d'a- voir une âme intelligente, car l'intelligence la plus sublime ne serait que ténèbres, si l'enseignement ne venait y faire briller la lumière : témoin le sourd- muet, qui reste dépourvu de toute idée intellec- tuelle et morale avant d'avoir reçu l'enseignement. Mais, pour s'instruire, l'homme a besoin du lan- gage, de la parole ou de l'écriture. Qu'est-ce donc que le langage, la parole ou l'écriture? C'est un signe sensible que Dieu a établi pour produire et développer la vie de l'âme raisonnable.
Par le Baptême, l'enfant reçoit la vie surnaturelle et divine, sans qu'il puisse y concourir lui-même; mais il doit l'entretenir et la développer en lui- même par d'autres sacrements.
Mais comment peut-il se faire, me direz-vous, qu'un peu d'eau, ou que du pain oudel'huile, pro- duise ou augmente la vie de la grâce, la vie surna- turelle et divine dans l'âme? C'est là, mes frères, un profond mystère que nul homme au monde ne pourra jamais expliquer; mais remarquez, je vous prie, que les lois par lesquelles s'entretiennent et se conservent la vie du corps et la vie de l'âme raisonnable sont aussi mystérieuses et incompré- hensibles que les sacrements.
En effet, que sont les substances alimentaires ? Un peu de matière, ni plus ni moins. Mais qu'est-ce que la matière? D'après tous les savants, la matière est quelque chose d'inerte et de passif; ce qui si- gnifie que c'est une substance qui n'a pas de force. 3Iais comment ce qui est sans force peut-il commu- niquer la vie, c'est-à-dire des forces? Est-ce que le froid peut produire la chaleur? Est-ce que les té- nèbres peuvent engendrer la lumière? Les savants nous parlent, il est vrai, des forces de la nature ; mais que sont ces forces? Sont-elles quelque chose de matériel ou de spirituel? Quelle est leur nature? Si c'est quelque chose de matériel, comment ce qui est purement matériel ou sans force peut-il donner des forces? Si, pressés parla logique, vous me ré- pondez qu'il y a dans la matière quelque chose de spirituel, il faut donc reconnaître qu'il y a dans le pain qui vous nourrit un double élément, un élé- ment matériel, ou un signe sensible, et un élément immatériel, ou quelque chose d'invisible et de spiri- tuel qui produit les forces et donne la vie. Mais n'est-ce pas là un mystère aussi incompréhensible que celui du Baptême et de l'Eucharistie?
De quoi se compose l'enseignement? N'est-ce pas aussi de deux éléments, dont l'un est matériel ou palpable, le langage, la parole ou l'écriture, et l'au- tre immatériel, la vérité ou la pensée? Le langage est le signe sensible, le corps de la pensée; et la pensée ou la vérité est l'élément invisible qui donne la vie à l'intelligence. Mais comment cela se fait-il? comment un peu d'air ébranlé qui va frapper
— 16 — l'oreille des auditeurs porte-l-il à leur intelligence la pensée ou la vérité ? Comment des caractères tra- cés ou imprimés sur du papier sont-ils remplis de vérités et peuvent-ils les communiquer à l'esprit? ]S'est-ce pas là un profond mystère qu'aucun sa- vant n'a jamais expliqué et n'expliquera jamais?
Hommes du monde, libres penseurs, vous ad- mettez les lois de la vie du corps et de la vie de l'âme raisonnable. Comment pourriez-vous les nier? Elles sont fondées sur des faits évidents et incon- testables. Pourquoi donc rejetez-vous les sacre- ments, c'est-à-dire les lois de la vie surnaturelle et divine? Ne reposent-elles pas aussi sur des preu- ves irréfragables, sur la parole même de Dieu? Vous n'en voulez pas, dites-vous, parce que ce sont des mystères. Mais les premières ne sont-elles pas des mystères aussi incompréhensibles?
Après cette explication , pourriez-vous encore nier la nécessité de recourir aux sacrements pour avoir la vie surnaturelle? Pourquoi, me dites-vous, faut-il recevoir les sacrements pour avoir la vie de la grâce? Mais pourquoi faut-il que vous mangiez et que vous buviez pour avoir la vie du corps? Vous me répondez que c'est là une loi de notre na- ture, et que de fait l'expérience prouve que la nour- riture matérielle est nécessaire pour entretenir et développer la vie physique. Si vous étiez privés d'a- liments, ou si vous n'aviez pas une nourriture assez substantielle, vous sentiriez, pour ainsi dire, la vie vous échapper. Au contraire, après un repas suc- culent, vous vous sentez renaître à la vie.
— 17 —
Pourquoi faut- il vous approcher des sacre- ments pour avoir la vie de la grâce? Mais pourquoi avez-vous besoin de l'enseignement pour acquérir et développer en vous la vie de l'inlelligence? ?î'est-ce pas là aussi une loi de votre nature? Avez- vous jamais vu quelqu'un vivre de la vie intellec- tuelle sans avoir jamais rien appris ni dans les écoles ni dans les livres? Ce serait un fait inouï dans l'histoire. C'est aussi une loi qui ne souffre aucune exception dans Tétat actuel du monde, à moins d'un miracle.
Est-il donc besoin que je vous prouve la nécessité de recevoir les sacrements pour avoir la vie de la grâce, pour l'entretenir et la développer? iS'est-ce pas aussi une loi que Dieu a établie dans l'ordre surnaturel, comme il a établi la nécessité des subs- tances alimentaires et de l'enseignement pour en- tretenir et développer la vie du corps et la vie de l'âme raisonnable? Quelle bonté infinie de votre part, ô mon Dieu ! Vous nous appelez à vivre de votre propre vie dans le ciel, et vous voulez que nous soyons appelés vos enfants et que nous le soyons en effet. Mais comment serons-nous vos enfants, si nous n'avons pas en nous la viedivine? Et comment aurons-nous la vie divine, si nous ne remplissons pas les conditions que vous avez éta- blies pour nous la communiquer?
Quand un père et une mère s'aperçoivent qu'un de leurs enfants ne prend plus de nourriture, ils l'interrogent sur sa santé; et quoi qu'il dise, et quelles que soient les apparences, ils sont convain-
- 18 — eus par le fait même qu'il est malade et que bientôt ils auront le malheur de le perdre; dans celte ap- préhension, ils versent d'abondantes larmes. Puis-je aussi, mes frères, ne pas pleurer moi-même, quand je vois qu'un si grand nombre de mes enfants spi- rituels ne s'approchent plus des sacrements depuis tant d'années? Non seulement ils sont malades, mais ils sont morts devant Dieu. C'est un si grand malheur, que nous devrions tous, si nous avions une foi plus vive, le pleurer avec des larmes de sang.
Pourquoi donc, mes frères bien-aimés, fuyez- vous ainsi les sacrements? Pourquoi ne vous voit- on plus vous asseoir à la table de votre Père cé- leste? Avez-vous peur des railleries du monde? Mais vous voit-on rougir de vous asseoir à la table des princes de la terre? Vous voit-on trembler de re- cevoir les leçons d'un maître pour apprendre le droit, la médecine ou les lettres? Rougissez-vous d'aller entendre les savants professeurs de nos fa- cultés? Vous vous en félicitez, au contraire; vous vous en glorifiez. Ne devriez-vous pas aussi vous féliciter avec plus de justice et vous glorifier des rapports si intimes que Dieu a établis entre vous et lui par le moyen des sacrements?
Vous n'avez plus cette vie de la grâce que vous avez reçue au Baptême, et qui vous a été rendue au moment de votre première communion, si vous l'aviez perdue auparavant. Vous ne la sentez plus couler dans votre âme comme dans ce jour d'heu- reuse mémoire, ni vous communiquer cette joie et cette paix ineffables dont vous avez été comme
— 19 — enivrés. Il s'est creusé au fond de votre cœur un vide immense, un vide affreux, que tous les plaisirs de ce monde ne sauraient combler. Une voix sourde s'y fait entendre et vous reproche vos infidélités. Combien ne souffrez-vous pas depuis que vous avez perdu Dieu ! >'on, vous n'êtes pas heureux : vous avez donc violé les lois de la vie.
Pour vous autoriser dans votre indifférence, je vous entends me dire : Mais à quoi bon ?>«e puis-je pas être vertueux et honnête homme sans aller à confesse? — Que vous soyez un honnête homme, je suis loin de le contester; et quand vous prati- queriez toutes les vertus humaines au plus haut degré de perfection, en seriez-vous plus avancés ? Persuadez-vous donc bien que les vertus humaines les plus parfaites ne vous suffisent pas pour vous faire entrer dans le ciel. Personne n'y est admis s'il ne possède la vie surnaturelle et divine. Dieu en a donné sa parole, et, vous le savez, le ciel et la terre passeront, mais la parole de Dieu ne passera pas. Votre conscience elle-même rend témoignage à cette affirmation de Dieu, puisqu'elle vous crucifie et vous torture. Sachez donc qu'il n'y a que les sa- crements, ou un désir sincère de les recevoir, s'il y avait impossibilité pour vous d'y recourir, qui puissent vous ouvrir la porte du ciel. C'est par les sacrements qu'il vous communique la vie divine, et vous ne pouvez pas plus l'obtenir autrement que vous ne pouvez conserver et développer en vous la vie du corps et la vie de l'intelligence sans les subs- tances alimentaires et l'enseignement.
— 20 — Après cela, ne vous étonnez plus que tous les peuples aient fait usage de rites sacrés ou de sa- crements. Les descendants de notre premier père, en se dispersant dans le monde, ont emporté avec eux, comme leur plus précieux trésor, l'espérance de pouvoir reconquérir le ciel qu'ils avaient perdu par le péché. Bien convaincus qu'il ne suffit pas à l'homme de vivre de la vie physique, de la vie in- tellectuelle et morale, pour entrer dans la société de Dieu même et jouir de son honheur, ils ont cherché à communiquer avec lui, non seulement par la prière, mais aussi par des cérémonies sa- crées, par des rites expiatoires et par l'immolation des victimes. Certains sacrements n'étaient pas seu- lement en usage chez le peuple juif, mais ils étaient communs à toutes les nations du monde. Aujour- d'hui encore il n'y a pas jusqu'au peuple le plus ignorant et le plus barbare qui n'ait sa divinité et son culte, des moyens pour purifier l'âme et lui rendre l'amitié de Dieu. C'est donc une vérité at- testée par toutes les générations, que l'homme a besoin de signes sensibles pour communiquer avec le monde céleste et invisible, quoique les hommes se soient trompés souvent sur l'application. En pra- tiquant un culte faux et superstitieux, ils recon- naissaient du moins la nécessité d'un culte exté- rieur pour se mettre en rapport avec Dieu et se le rendre favorable.
Les protestants se mettent donc en contradiction avec les traditions universelles du genre humain, quand ils ne reconnaissent la nécessité des sacre-
ments que pour éclairer l'esprit et ranimer la piété dans les cœurs, et lorsqu'ils prétendent qu'ils ne sont point nécessaires au salut, parce que c'est la foi seule qui l'opère. Le saint concile de Trente les a frappés d'anathème par ces paroles : « Si quel- qu'un dit que les sacrements de la loi nouvelle ne sont pas nécessaires au salut, mais superflus, et que, sans eux ou sans le désir de les recevoir, les hommes, par la seule foi, peuvent obtenir de Dieu la grâce de la justification, quoiqu'il soit vrai de dire que tous les sacrements ne sont pas néces- saires à chacun, qu'il soit anathème. » Conc. Trid., sess. 7, can. 4.)
Pourquoi donc l'homme ne peut-il, sans les sa- crements, ou du moins sans le désir de les rece- voir, obtenir lagràcede lajuslificalion, c'est-à-dire entrer dans le ciel? C'est, vous répond la sainte Eglise, parce qu'ils sont les moyens voulus de iJieu par lesquels toute justice véritable, c'est-à-dire la vie surnaturelle et divine, ou commence, ou s'aug- mente lorsqu'elle est commencée, ou se répare quand elle est perdue. N'avons-nous pas raison de dire que les sacrements sont aussi nécessaires pour la vie de la grâce que les substances alimentaires pour la vie du corps et l'enseignement pour la vie intellectuelle et morale ?
Toute l'année, et chaque jour de l'année, vous travaillez pour l'entretien et le développement de la vie du corps et de la vie de l'intelligence, et Dieu nous garde de blâmer l'ardeur qui vous anime au travail, puisque c'est parla que vous vous acquittez
'dl
de vos dettes envers la société, et que vous devenez comme les aides et les coadjuteurs de Dieu pour la conservation de ce monde. Mais pourquoi donc ne sanctifiez-vous pas mieux les jours de dimanche et de fête, et ne profitez-vous pas de ce temps de repos pour donner à votre âme les aliments desti- nés à conserver en vous la vie par excellence? Pourquoi tant d'ardeur pour augmenter votre bien- être temporel et tant de négligence pour entretenir en vous la vie divine? Pourquoi entasser trésors sur trésors? Quand vous aurez centuplé vos reve- nus, votre taille en sera-t-elle plus élégante et votre âme plus belle et plus agréable à Dieu? Vous tour- mentez, vous torturez la nature pour en extraire tout ce qui peut satisfaire les instincts de la brute, et vous avez devant vous des sources abondantes où vous pouvez puiser la vie véritable et l'augmenter sans cesse en vous, et vous n'en avez nul souci? Vous voulez étancher la soif de bonheur qui vous dévore en vous désaltérant dans des eaux bour- beuses, et vous dédaignez ces fontaines d'eaux vives dont le Seigneur enivre ses élus ? Quel déplo- rable aveuglement 1 Eclairez, ô mon Dieu, ces aveu- gles infortunés, et touchez leurs cœurs, afin qu'ils ouvrent les yeux et comprennent leurs véritables intérêts. Sauveur Jésus, vous me les avez donnés pour les sanctifier ; sanctifiez-les vous-même, et conduisez-les à la source de la véritable vie.
Le marquis de Valdegamas, un des hommes les plus remarquables de notre époque, fit un jour à Paris la rencontre d'un de ses compatriotes, dont la
— 23 —
vertu, la charité et la simplicité l'avaient singuliè- rement frappé, et lui donnaient à penser qu'il y avait, dans la profession d'honnête homme, un de- gré dont il restait encore éloigné, tout fier qu'il se croyait de son honneur et de sa vertu. Il s'était senti subjugué par cette vertu si différente des ver- tus qu'il connaissait, et il en parla à ce fervent chrétien, qui lui répondit : « Vous êtes un honnête homme, monsieur le marquis, et moi aussi; et il y a dans mon honnêteté quelque chose de supérieur à la vôtre. — Mais à quoi cela peut-il tenir? lui dit le marquis. — Cela lient, lui répond cet homme, à ce que je suis chrétien, tandis que vous ne l'êtes plus. »
En promenant vos regards autour de vous, vous trouverez aussi, mes frères, deux classes d'hon- nêtes gens. Les uns sont justes, probes, généreux même, mais cependant peu scrupuleux sur la ma- nière dont ils remplissent leurs devoirs envers Dieu, orgueilleux, hautains, recherchant l'estime du monde, avides de louanges et de plaisirs. Les autres sont justes aussi, mais plus charitables, plus dévoués, exacts à remplir leurs de\oirs religieux, modestes, se souciant peu de la considération du monde, vivant de sacrifices et d'abnégation. D'où vient cette diôerence, et à quoi tient-elle? C'est que les premiers ne sont que d'honnêtes gens, tandis que les seconds sont tout à la fois honnêtes gens et bons chrétiens. La cause de cette haute supériorité de pensées, de sentiments et de conduite est la vertu des sacrements. C'est là, mes frères, qu'ils
— 24 —
puisent celte vigueur, cette grandeur d'àrae qui les élève si prodigieusement au-dessus de tout ce qui est purement honnête. Imitez-les donc, et comme eux vous vous rapprocherez de Dieu, vous serez plus forts et plus généreux. Amen.
LA GRACE ÉLÈVE l'hOMME DIEN AU-DESSUS DE l'honnêteté.
La Corée, dit Mgr Berneux, c'est la terre des bénédictions, le paradis terrestre du missionnaire. On y travaille à se tuer. sans boire, ni manger, ni dormir, et on trouve toujours à faire. Ces pauvres chrétiens sont si pleins de bonne volonté, si avides d'entendre la parole de Dieu et de recevoir les sa- crements; ils font quelquefois tant de sacrifices, s'exposent à tant de dangers et endurent tant de fatigues pour se les pro- curer, que le missionnaire, lors même qu'il tombe de sommeil, ou épuisé par Texcès du travail, ne peut pas songer à se re- poser.
A la capitale où je réside, j'ai près de dix-huit cents chré- tiens, y compris les enfants. Parmi eux, un grand nombre appartiennent à des familles païennes qui ne s'en doutent pas : ce sont des femmes qui ont été baptisées à l'insu de leurs maris, des enfants à Tinsu de leurs parents. Les difficultés de pratiquer sont sans nombre dans une pareille position; leur foi les rend ingénieux : ils sauront trouver moyen de tromper les regards, et chaque jour ils réciteront exactement leurs prières du matin et du soir, observeront les abstinences, et, ce qui est plus difficile, éviteront les superstitions ou sortiront pour venir se confesser chaque année dans les cala- combes où nous sommes réduits à nous cacher. Que s'il vient à être découvert qu'ils sont chrétiens, on les brisera de coups, mais on ne vaincra pas leur constance.
Le caractère coréen est d'une énergie que je n'ai rencontrée
— 25 —
nulle part ailleurs. En 1839, lious avons vu des enfants de douze à quatorze ans qui, traînés devant les mandarins, se sont laissé broyer les os des jambes et décapiter ensuite plutôt que d'apostasier. J'ai près d'ici un nouveau chrétien, converti par sa mère, qui dernièrement encore a donné une belle preuve de constance. Apprenant sa conversion, ses oncles accoururent chez lui pour le supplier d'épargner à leur fa- mille l'ignominie attachée au nom chrétien; on emploie les caresses, puis les menaces, et enfin les coups, mais des coups bien assénés. « Frappez, leur dit-il, tuez-moi si vous voulez. Je me suis fait chrétien pour sauver mon âme; vos coups sont une échelle qui me conduit au ciel ; la mort que vous me donnerez m'en ouvrira la porte tout de suite. »
Or veut le conduire au mandarin : « Très-bien, je vous suis. Que peut me faire le mandarin? Me tuer? C'e.^^t m'en- voyerau ciel. M'envoyer en exil? Dieu est partout, partout je le servirai. » De guerre lasse, on Ta laissé tranquille; et cet homme m'a présenté au baptême onze païens par lui con- vertis et instruits. L'n pareil nombre m'attend maintenant pour recevoir la même grâce.
Que sommes-nous à côlés de pareils chrétiens !
Clotilde - Justine Pochon naquit au mois de septem- bre 179G. Docile à profiter de l'éducation chrétienne qu'elle reçut de ses parents, elle marcha avec une sainte émulation sur les traces de ses sœurs. Ses belles qualités la faisaient re- chercher de tous, mais elle mettait autant de soin à cacher ce qu'il y avait de bien en elle que d'autres en mettent h le faire paraître au-dehors. Exacte dans l'accomplissement de ses devoirs envers le monde, elle s'acquittait avec plus de zèle encore de ses devoirs envers Dieu, dont elle s'approchait souvent par ses communions ferventes, qui la comblaient d'i- neffables délices.
La toilette, les fêtes, toutes ces frivolités dont tant de jeu- nes filles se montrent avides, n'eurent jamais aucun attrait pour elle ,• elle aimait mieux parer son àme ; elle aimait mieux chercher ses plaisirs dans l'intimité de la vie de famille et dans les douces satisfactions que la charité procure. La ten-
5
- 26 —
dresse qu'elle avait pour ses parents la rendit inconsolable de Jeur perte.
Que dire de son esprit de mortification, de son exactitude à observer les abstinences et les jeûnes, sans vouloir profiter des adoucissements permis par l'Eglise, même pendant les dernières années de sa vie, lorsque l'âge et les infirmités la dispensaient de privations aussi rigoureuses ? Aucun rai- sonnement ne pouvait triompher de son amour de la péni- tence ; mais autant elle était sévère pour elle-même, autant elle se montrait indulgente pour les autres ; et les ménagements qu'elle se refusait, elle était la première à les conseiller à ses amis quand leur santé lui paraissait compromise. Compatis- sant aux misères du corps, elle savait compatir aussi aux mi- sères de l'àme; jamais elle ne jugeait ni ne condamnait per- sonne ; prompte à chercher des excuses à toutes les fautes, elle plaignait sincèrement ceux qu'elle ne pouvait disculper , et trouvait toujours néanmoins quelques causes atténuantes pour diminuer la culpabihté de ceux que l'on blâmait devant elle. Sa charité allait au-devant des misères qui ne récla- maient point son appui. Une de ses œuvres favorites était de placer des orphelins dans de pieux asiles. Souvent elle visi- tait les malades, les entourait des soins les plus minutieux et des prévenances les plus délicates. Les meilleurs fruits de son jardin étaient pour eux, et pour eux elle faisait des réserves d'hiver.
L'oubli de soi, l'humilité, une active et constante charité, telles furent les simples vertus qui remplirent cette vie uni- forme et paisible, s'écoulant comme ces ruisseaux dont on en- tend à peine le murmure, mais qui rafraîchissent et fertilisent les vallées qu'ils parcourent. Elle souffrit beaucoup pendant les trois dernières années de sa vie; mais elle adorait la main qui la frappait et ne proférait aucune plainte. [Journal de^ Botis Exemples.)
Voilà les merveilleux effets des sacrements.
ir INSTRIGTION.
De Tauteur des !!iaerenieut».
Ecce Deus, Salvator meus, fiducia- liter agam, et non timcbo : quia for- titudo mea et laus mea Dominus, fi factus est mihi in salulem. Haurictis aquas in gaudio de fontibus Salvato- ris.
Voici, Dieu est mon Sauveur; j'a- girai avec conflance, et je ne crain- drai point, parce que le Seigneur est ma force et ma gloire, et qu'il est devenu mon salut. Vous puiserez avec joie des eaux dans les fontaines du Sauveur.
(IsAiAS, m, 2 et ô. »
Jésus-Christ nous dit lui-même qu'il est la voie, la vérité et la vie. Il est la voie qu'il faut suivre pour arriver au ciel, car il nous enseigne par ses préceptes et ses exemples le chemin qui doit nous y conduire. Il est la vérité suprême et infaillible que nous devons écouter pour connaître Dieu et pour savoir quelle est notre origine, notre nature et notre dernière fin. Il est la vie et l'auteur même de la vie ; c'est par lui que Dieu a donné la vie à tout ce qui existe , et c'est par lui encore qu'il nous communique la vie surnaturelle et divine, qu'il l'entretient et la perfectionne en nous, si nous ré- pondons à ses pressantes sollicitations. Pour at- teindre plus sûrement ce but, notre aimable Sau-
— 28 — veura établi les sacrements de la loi nouvelle, au nombre de sept, savoir : le Baptême, la Confirma- tion, l'Eucbarislie, la Pénitence, l'Extrême-Onction, l'Ordre et le Mariage. C'est une vérité de foi catho- lique, reçue et enseignée dans toute l'Eglise ca- tholique.
Permettez-moi de vous citer un seul fait bien propre à vous confirmer dans celte croyance et à vous faire apprécier la bonne foi de certains héré- tiques. Vous n'ignorez pas que les protestants ont rejeté cinq sacrements, pour n'en retenir que deux, le Baptême et l'Eucharistie, qu'ils appellent la Sainte Cène. Ils prétendaient que notre Seigneur Jésus- Christ n'avait établi que ces deux sacrements, que les autres n'en étaient pas, mais que ce n'étaient que de pures cérémonies que les apôtres ou quel- ques papes avaient introduites dans l'Eglise, et dont l'Eglise romaine avait fait plus tard des sacre- ments. Mais on leur répondait avec raison : Si les sept sacrements n'avaient pas été établis par Jésus- Christ, et si, comme vous le dites, la plupart n'é- taient que des rites sacrés inventés par l'Eglise ro- maine, l'Eglise grecque, qui s'est séparée de l'Eglise romaine depuis bien des siècles, n'aurait certaine- ment pas reçu ces sacrements, à cause de sa haine profonde pour l'Eglise romaine. Or, l'Eglise grec- que reconnaît et a reconnu de tout temps sept sa- crements de la loi nouvelle, les mêmes que ceux qui sont admis dans l'Eglise romaine. Celte preuve était incontestable et donnait la victoire aux catho- liques. Que firent les protestants? Ils parvinrent à
— 20 — séduire un patriarche de Constanlinople, nommé Cyrille Lucar, qui s'empressa de leur adresser une prétendue profession de foi des Eglises orientales, par laquelle on ne reconnaissait que deux sacre- ments, le Baptême et la Cène du Seigneur. Mais à peine cette supercherie ful-elîe connue en Orient, qu'aussitôt les patriarches et les éveques se réuni- rent en concile, anathématisèrent Cyrille Lucar, et déclarèrent que les Eglises d'Orient reconnaissaient sept sacrements, les mêmes que ceux qui sont en usage dans l'Eglise d'Occident. Ce fait vous prouve que Luther et Calvin sont les premiers qui ne pro- fessent pas cet article de notre foi.
Au surplus, mes frères, est-il possible de croire que l'Eglise catholique ait admis, contrairement à la vérité, sept sacrements institués par notre Seigneur Jésus-Christ, tandis que de fait il n'en aurait établi que deux? S'il en était ainsi, il faudrait donc avouer que, pendant seize siècles, Jésus-Christ aurait aban- donné son Eglise aux erreurs les plus grossières, malgré la promesse qu'il lui a faite de demeurer avec elle tous les jours jusqu'à la fin des siècles? 3Iais le penser serait un blasphème. Non, non, mes frères, Jésus-Christ ne nous a pas trompés : il a accompli ce qu'il nous avait promis depuis des siècles.
L'éternelle sagesse, est-il dit dans l'Ecriture, s'est bâti une maison supportée par sept colonnes. Celte maison, mes frères, est l'Eglise catholique. que Jésus-Christ, la sagesse vivante du Père, a fondée et a fait reposer sur les sacrements qui la
— 30 —
soutiennent comme sept colonnes inébranlables contre lesquelles iront se briser toutes les puis- sances humaines.
Le Seigneur fait dire au grand-prelre nommé Jésus, par le prophète Zacharie : « Ecoutez, voici que je vais faire venir de l'orient mon serviteur. Car voici la pierre que j'ai mise devant Jésus. Il y a sept yeux sur cette pierre unique. Je la taillerai et je la graverai moi-même avec le ciseau, dit le Sei- gneur des armées, et j'effacerai en un jour l'ini- quité de celte terre. » Qu'est-ce que celte pierre, sinon Jésus-Christ lui-même, qui sert de base à sou Eglise? Dieu l'a taillée et l'a gravée avec le ciseau et le marteau des souffrances de la passion ; et il y a mis sept yeux, c'est-à-dire les sept sacrements, qui sont comme sept flambeaux destinés à éclairer les hommes et à guider leurs pas dans le chemin du ciel.
Enfin les sacrements sont encore figurés par les sept branches placées sur le chandelier d'or pour dissiper les ténèbres de ce monde ; par les sept étoiles que le prophète de Pathmos vil dans la droite de Jésus-Christ ; par les sept lampes qui brûlent constamment devant le trône de Dieu, et dont les rayons éclairent les esprits cl échauffent les cœurs.
Il vous est bien facile de comprendre qu'il n'y a qu'un Dieu qui ait pu instituer les sacrements ; c'est une œuvre vraiment divine, et qui défie tou- tes les forces et toutes les puissances de la terre. En effet, pourquoi les substances alimentaires sont- elles les seules propres à entretenir et à développer
— 31 —
la vie du corps? Pourquoi les autres substances n'onl-elles pas la même propriété? C'est que Dieu a donné aux premières une vertu qu'il a refusée aux dernières. Les plus grands monarques ont-ils ja- mais pu et pourront-ils jamais, je ne dis pas chan- ger les lois de la nature, mais même leur faire su- bir de légères modifications? Malgré les progrès étonnants qu'ils ont faits dans les sciences et dans les arts, ont-ils trouvé le secret de communiquer à la pierre, au bois ou à la terre la vertu de nourrir l'homme? Comprenez donc que s'ils ne peuvent modifier en rien les lois de la vie matérielle ou rai- sonnable, à plus forte raison sont-ils impuissants pour établir les lois nécessaires à la production et à l'entretien de la vie surnaturelle et divine; et si la toute-puissance de Dieu doit intervenir pour créer et conserver le corps et l'intelligence de l'homme, à plus forte raison est-elle nécessaire pour le faire vivre d'une vie infiniment plus parfaite, de la vie de la grâce.
Il est libre à l'homme, sans doute, d'accepter ou de repousser les éléments nécessaires à sa con- servation. Dieu l'a placé dans la main de son con- seil; il amis devant lui la vie et la mort, en lui ac- cordant toute liberté de choisir l'une ou l'autre : mais il n'appartient nullement à l'homme de chan- ger ou de modifier les lois de son existence. Qu'à l'aide de la science il découvre la vertu ou les pro- priétés d'une plante ou d'un élément restées incon- nees jusqu'alors, cela se comprend; mais qu'il puisse doter une créature d'une ^erlu qu'elle n'a
— 32 —
pas! Jamais. Quoi! l'homme, cet èlre d'un jour, ce misérable néant, pourrait de lui-même se donner la vie éternelle I Quoi 1 ce faible roseau, que le moindre souffle renverse, aurait la puissance de s'élever jus- qu'au ciel par lui-même! Il serait capable d'unir la vie à ia mort, réternitc au temps et l'infini au fini ! Qui pourra jamais se le persuader?
Pour opérer une semblable merveille, il ne fallait rien moins que la puissance infinie de Dieu. C'est pourquoi le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous. Nous l'avons vu, ce Fils unique du Père éternel, plein de grâce et de vérité, et c'est de sa plénitude que nous recevons tous la vérité et la grâce. Voulant élever jusqu'à lui et déifier l'huma- nité tout entière, il a dû établir des sacrements, c'est-à-dire des moyens de communiquer la vie di- vine à tous les hommes de bonne volonté.
Nous concevons que Jésus-Christ aurait pu dé- léguer ses apôtres pour accomplir cette grande oeuvre, en les revêtant de son autorité et de sa puis- sance divines. Cependant ne convenait-il pas qu'il s'en chargeât lui-même? Pour inspirer au peuple juif un plus grand respect pour le culte qu'il devait lui rendre. Dieu lui fit entendre sa voix du milieu des éclairs et des tonnerres, et il lui enseigna lui- même les cérémonies et les rites qui devaient être observés. Mais est-ce que la loi nouvelle n'est pas plus importante que l'ancienne loi? Est-ce que la vérité ne l'emporte pas sur les figures? Quoi ! no- tre divin Sauveur a daigné instruire lui-même la multitude, les pauvres comme les riches, et il n'au-
— 33 - rail pas établi lui-même les sacrements, qui sont de véritables professions de foi et constituent la par- tie la plus essentielle du christianisme!
Quand il paraît dans le monde, il ne se contente pas de guérir les malades, de soulager les malheu- reux et d'évangéliser les pauvres, encore qu'il soit envoyé pour guérir les infirmités de notre na- ture. Toutes ses instructions et tous ses actes de bienfaisance ont pour but d'élever l'homme à l'or- dre surnaturel, de lui faire apprécier le don de Dieu par excellence et de le disposer à le recevoir avec amour et reconnaissance. Une multitude d'hommes et de femmes le suivent jusque dans le désert pour recueillir ses enseignements divins, et ce charitable Sauveur, touché de leur zèle à écouter la parole divine, les nourrit tous avec quelques pains et quel- ques poissons. Frappé de ce prodige, tout le peuple court à sa rencontre, et tout aussitôt Jésus-Christ prend occasion de lui parler d'un pain qui ne périt pas, de la foi en la parole de Celui que le Père a envoyé. Puis, s'élevant encore plus haut, il lui an- nonce un pain plus précieux que la manne que ses pères ont mangée dans le désert, et qui ne les a pas empêchés de mourir, et il lui dit : Je suis le pain vivant; celui qui me manye vivra éternelle- ment.
Un docteur de la loi vient un jour le trouver, et lui demande des explications sur sa doctrine. Jé- sus-Christ lui fait voir qu'il n'est venu sur la terre que pour renouveler et transformer le genre hu- main dégradé. Il lui parle donc de la nécessité de
— 3* — naître de nouveau pour entrer dans le royaume des cieux. « Ce qui est né de la chair est chair, lui dit- il, et ce qui est né de l'esprit est esprit; » ce qui veut dire : Ce qui est né de l'homme est humain, et ce qui est né de Dieu est divin. Et c'est là le hut qu'il poursuit sans relâche, la transformation et la déification de l'homme par la grâce.
Qu'y a-t-il de plus beau et de plus admirable, mes frères, que de voir le Fils de Dieu lui-même devenu notre frère, parcourant les villes et les bourgades de la Judée, se mêlant avec les pauvres et les malheureux: pour les consoler dans leurs peines et les guérir de leurs infirmités? Quoi de plus touchant, lorsqu'il appelle à lui le pauvre et lui donne ces sublimes leçons de morale et de vertu qu'il avait apportées du ciel? Et cependant cela ne suffisait pas pour rendre la vie au genre humain : car il n'était pas seulement malade et sujet à toutes sortes de misères et d'infirmités ; il n'était pas seu- lement ignorant et capable de se heurter contre les erreurs les plus grossières; mais, blessé au cœur, affaibli dans sa volonté, il gémissait sous le poids de ses vices sans pouvoir s'en débarrasser. Il disait comme le poète : « Je vois ce qui est bien, ce qui est parfait, et je l'approuve; mais je me laisse as- servir par le vice. » Souvent il s'écriait avec saint Paul : « Je ne fais pas le bien que j'aime, et je fais le mal que je hais. Je sens dans mes membres une loi qui se révolte contre la loi de mon esprit, et qui nie tient captif sous son joug. Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? » Et
— 35 —
le Fils de Dieu a répondu : « Ce sera la grâce que je vous communiquerai par les sacrements. »
Oui, mes frères, la grâce nous guérira de nos mi- sères et de nos faiblesses; elle nous élèvera môme jusqu'à nous rendre participants de la nature et des perfections de Dieu, jusqu'à nous déifier. Mais il fallait la communiquer à tous les hommes, cette grâce si précieuse; il fallait donc mettre les hom- mes en communication avec Jésus-Christ, puisqu'il est notre médiateur et notre sauveur ; il fallait donc qu'il établît de mystérieux canaux pour faire couler la grâce dans le cœur de tous les fidèles, et c'est la merveille opérée par Jésus-Christ dans l'ins- titution des sacrements.
Ne vous étonnez donc pas, mes frères, que Jésus- Christ dise à ses apôtres, avant de les charger de l'administration des sacrements : « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre : comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie. Recevez le Saint- Esprit; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. » Et encore, au moment où il établit l'auguste sacrement de nos autels, il se rap- pelle, nous dit saint Jean, que son Père lui a remis tout entre les mains. D'où cela vient-il? Pour nous apprendre que l'institution des sacrements est une œuvre autrement importante que la guérison d'un malade, la résurrection d'un mort ou la multipli- cation des pains dans le désert. Jésus n'a besoin que d'un mot ou d'une parole pour opérer de sem- blables miracles : « Soyez guéri, » dit-il au paralyti-
— 36 — que , et celui-ci est guéri. Il commande au fils delà veuve de Naim de se lever, et le jeune homme se lève ; la vie lui est rendue. Quand il s'agit de la création du monde, un seul mot lui suffit : « Que la lumière soit, » dit-il, et aussitôt la lumière existe. Après qu'il a pétri le corps de l'homme de ses pro- pres mains, il lui suffit de tirer un souffle de son cœur pour l'animer. Mais quand il s'agit des sacre- ments, un seul mot ne suffit plus au Fils de Dieu ; il faut qu'il descende du ciel, qu'il vienne au monde dans une élable, qu'il travaille pendant trente ans dans la maison d'un pauvre ouvrier; il faut qu'il soit calomnié, persécuté et maudit ; il faut qu'il souffre de la faim et de la soif, et qu'il ar- rose la terre de ses sueurs et de ses larmes ; il faut enfin que, chargé de sa croix, il gravisse la mon- tagne du Calvaire, soit cloué sur un infâme gibet et y meure entre deux scélérats.
Considérez, je vous prie, ce spectacle si atten- drissant : Jésus-Christ vient de rendre le dernier soupir; un soldat lui ouvre le côté d'un coup de lance, et l'on en voit sortir de l'eau et du sang. Qu'est-ce donc que cette eau et ce sang qui coulent du côté percé de notre Sauveur? Ce sont les sacre- ments de la loi nouvelle. Entrons donc, mes frères, dans ce cœur sacré de Jésus; contemplons, admi- rons et louons son infinie bonté pour nous. Tâchons de comprendre quelle est la hauteur, la largeur et la profondeur de son amour pour notre pauvre hu- manité. Voyez-vous comment, du sommet du Cal- vaire, de cette sainte montagne, coule un fleuve de
— 37 —
vie, divisé par sept canaux, qui va arroser tous les pays et tous les siècles? C'est la source de la véri- table vie, le rocher du désert, la pierre vive qui a été frappée et des flancs de laquelle jaillissent des eaux rafraichissanlcs pour désaltérer les habitants du désert consumés par une soif qui les dévore. C'est là que sont allés étancher leur soif les pa- triarches et les prophètes, les apôtres et les mar- tyrs, les moines et les vierges, le clergé et les fi- dèles. C'est là qu'iront se désaltérer toutes les gé- nérations jusqu'à la fin des siècles. C'est du cœur de Jésus, ouvert par la lance du soldat, que la vie passera, par le moyen des sacrements, comme par autant de vastes artères, à tous les membres de son corps mystique.
Qu'est-ce donc que les sacrements? Ce sont les larmes, les sueurs et le sang de Jésus-Christ môles ensemble et élaborés par sa toute-puissance, son inlinic sagesse et sa bonté sans bornes ; c'est le résultat de ses travaux, de ses soullrances et de ses mérites, ou plutôt, mes frères, c'est Jésus-Christ lui-même appliquant aux hommes le fruit de sa mort et les élevant à la hauteur des cieux.
Honnêtes gens du monde, vous nous répétez sans cesse que vous remplissez tous vos devoirs, que vous êtes justes, polis et généreux, et que si vous ne vous approchez pas des sacrements, c'est que vous n'avez rien à vous reprocher. Mais ne voyez-vous donc pas que votre éloignement des sa- crements est un véritable crime ? >'e voyez-vous pas que c'est le mépris le plus formel des sueurs,
— 38 — des travaux, des souffrances, des humiliations et des mérites de Jésus-Christ? Vous lui dites, non point en paroles, mais par votre conduite : Je n'ai que faire de ton incarnation et de ta rédemption, de tes travaux, de tes sueurs et de tes larmes. Je n'ai pas besoin de tes mérites, mon honnêteté me suffit. Réserve tes dons pour ceux qui les désirent et qui les acceptent. Concevez-vous, mes frères, quelque chose de plus outrageant qu'une telle con- duite de la part des chrétiens, pour qui Jésus-Christ a versé jusqu'à la dernière goutte de son sang? C'est le prisonnier qui ne daigne pas même regar- der son libérateur, venu de loin et harassé de fa- tigue pour payer sa rançon ; c'est le fils exilé qui se moque des peines que son père a supportées pour aller le rechercher, des dangers qu'il a courus, des tourments horribles qu'il a soufferts, et qui lui dit insolemment de le laisser tranquille dans la terre étrangère ; c'est le malade qui répond par le silence du mépris à la tendre charité du médecin. N'est-ce pas là un grand crime ?Direz-vous encore que vous êtes innocents?
N'oubliez pas que chaque jour vous rapproche de la mort et vous avertit que la vie présente vous échappera bientôt. Tout en faisant les intrépides, vous avez une peur effroyable de mourir ; vous vous imposez les plus durs sacrifices pour prolonger vo- tre existence de quelques jours. Vour mourrez mal- gré vous ; vous mourrez avec une soif dévorante de la vie. Et devant vous et tout près de vous coule un fleuve de vie ; vous pouvez y boire à longs
— 39 — traits, et vous vous laissez mourir ! Quel aveugle- ment! Vous ne redoutez rien tant que la pauvreté, vous avez pour les richesses une passion qui tient de la fureur, quoique vous sachiez bien qu'il fau- dra vous en séparer un jour, bon gré, mal gré, et vous avez à coté de vous des arbres mystérieux (jui produisent des pommes d'or, des perles et des diamants pour l'éternité; on vous presse d'en faire une abondante provision, et vous n'en faites rien. A^ous avez tout près de vous un torrent qui roui.- des trésors infinis, vous n'avez qu à vous baisser pour les recueillir, et vous n'en prenez nul souci. V a-t-il donc folie pareille à la vôtre?
Ecoutez donc la voix de l'Eglise votre mère, qui vous conjure d'avoir pitié de vous et de profiter de toutes les avances qui vous sont faites. Les sacre- ments ressemblent h ces chars de feu qui sillon- nent les provinces et les empires ; ils apportent du ciel sur la terre des richesses infinies, et ils trans- portentles fidèles de la terre au ciel. Acceptez donc les trésors dont ils sont chargés, afin de ne point paraître devant Dieu les mains vides. Jmen.
QLKLS SONT CEUX QUI SAUVENT LA SOCIÉTÉ?
Dans le rapport sur les prix de vertu de 1838, nous lisons : a Ici c'est une simple lingère de Bonnétable, dans laSar- tlie, qui, depuis son enfance, se dévoue au soulagement des malades. M^^* Lejeune n'a rien que son travail pour secourir les misères et les infirmités les plus affreuses. Mais quand ses ressources sont épuisées, elle va frapper à toutes les portes.
— 40 —
et rarement elle est refusée, parce que tout le monde sait avec quel discernement elle fait usage des aumônes qu'elle sollicite. Ainsi M"^ Lejeune ne fait pas seulement l'aumône, elle la produit encore chez les autres. »
M. le rapporteur cite une multitude de faits semblables; puis il ajoute : « Voici encore M"^ Vian, à Aix, qui est aussi pauvre que les précédentes, et qui faitautant de bien qu'elles, allant, comme elles, de porte en porte pour obtenir des secours pour ses malades et pour ses pauvres. Eli bien î je le demande, où est le plus grand témoignage delà force de l'homme : d'é- crire à mille lieues de sa main, ou de toucher le cœur d'un mondain frivole ; de faire passer sa voix de Paris à Saint-Pé- tersbourg par le télégraphe, ou de faire passer son sentiment d'une âme daus une autre ? Calculez les résistances de la ma- tière et celles d'un monde égoïste ou indifférent : où est la plus grande insensibilité et par conséquent le plus grand triomphe? J'en demande pardon à mes confrères de l'Acadé- mie des sciences : la charité est un plus grand porte-voix que le télégraphe électrique. »
M. Saint-Marc-Girardin termine son rapport par ces graves réflexions : « Chaque fois que je lis les rapports que l'Aca- démie fait sur les prix de vertu, je me souviens involontai- rement des paroles de Dieu au prophète : « Allez dansles rues c( de Jérusalem, cherchez, voyez si vous trouvez quelque part c( un homme qui fasse le bien et qui cherche la foi, et si vous le « trouvez, je serai favorable à cette ville et je la défendrai. » Quelle puissance a donc l'intercession de la vertu ici-bas, puisqu'un seul homme de bien, un seul juste sufQt à sauver toute une ville? Et notez qu'il ne faut pas même que le juste oppose sa prière à la sévérité de Dieu pour que Dieu préfère sa miséricorde à sa justice. La présence du juste dans la ville est une intercession muette qui sauve les pécheurs sans qu'ils le sachent. S'ils le savaient, en seraient-ils plus reconnais- sauts? Viendraient-ils rendre hommage à ce juste obscur et le remercier du salut qu'il procure à la société ? Diraient-ils même, le jour de ses funérailles, voyant passer son humble corbillard ; Voilà le cercueil d'un de nos sauveurs ? Non ! Dieu
— 41 —
seul sait, dans sa miséricorde, pourquoi et à cause de qui il sauve Jérusalem ; Jérusalem l'ignore et s'en soucie peu. Ne nous y trompons pas cependant : ce sont les vertus humbles et cachées, ce sont les vertus modestes et persévérantes, qui sauvent les sociétés ici-bas ; ce sont elles qui mettent dans le monde celte dose de bien nécessaire ;i Téquilibre moral du monde. Ces épouses dévouées jusqu'à l'héroïsme, ces frères qui soutiennent et consolent leurs frères et leurs sœurs, ces bons fils, ces bonnes mères, ces bons domestiques, ces conso- latrices pauvres de plus pauvres et de plus infirmes qu'elles- mêmes, ces sauveurs qui sont toujours près du péril de leurs semblables, ces ouvriers compatissants, ces honnêtes gens de tous les degrés et de toutes les conditions, qui font obscuré- ment et patiemment le bien, qui le poussent parfois jusqu'au dévouement, sans en être plus fiers et sans croire avoir plus mérité de Dieu et des hommes, voilà les véritables sauveurs de la société, parce qu'ils sont les véritables instruments du bien moral. Otez-les un instant du monde par la pensée, que le mal prévale et l'emporte sur le bien, faites sortir de Jéru- salem le juste unique que le Dieu miséricordieux de Jérémie lui disait de chercher dans Jérusalem pour qu'elle fût rache- tée de la ruine, à l'instant môme la société périt et disparaît dans l'abîme. Honorons donc, honorons les vertus qui se dé- couvrent chaque année à nos yeux; honorons celles qui se ca- chent encore et celles qui se cacheront toujours ; vénérons ces servantes fidèles à la pauvreté de leurs maîtres, ces femmes qui s'épuisent de soins et de fatigues au lit des malades les plus abandonnés, une famille oiî tout le monde soutientetoù oui le monde est soutenu, ces pauvres qui sont bons et com- patissants, ces petits qui assistentles plus petits qu'eux, au lieu d'envier les plus grands : voilà, croyons-en la parole de Dieu et l'expérience de l'histoire, voilà les rédempteurs quotidiens de la société, voilà le sel de la terre qui l'empêche de se gâ- ter et de périr. »
Ce sont là des réflexions très-justes et d'autant plus remar- quables qu'elles nous sont fournies par un savant académi- cien. Mais il eût été fort utile de rechercher la cause de ces
— 42 — venus héroïques qu'on rencontre oans les dernières classes de la société. Ce n'est pas l'instruction, puisque la plupart de ces âmes vertueuses sont très-ignorantes; ce n'est pas non plus la contagion du bon exemple, car elles sont rares. Qu'est-ce donc, sinon les merveilleux eiïets des sacrements? 11 n'y a que le sang d'un Dieu sauveur qui puisse produire des sauveurs, des cœurs assez généreux pour tout sacrifier à la charité et au dévouement.
Iir INSTRUCTION.
Du ministre des l^acreiueuts.
Sic nos existimet homo sicut mi- nistros Christi et dispensatores myf- teriorum Dei.
Que l'homme nous considère comme les ministres de Jésus-Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu.
(I CORINTH., IV, i.)
Le cœur de Jésus-Christ est le foyer ou la source de la véritable vie, de la vie surnaturelle et divine. Il a donc fallu établir des moyens de communica- tion entre ce divin cœur et tous les habitants de la terre, afin de la faire arriver jusqu'à eux : de là l'institution des sacrements. Mais il faut quelqu'un pour faire ces rites sacrés ; et quel sera-t-il ? Sera-ce Jésus-Christ lui-même? Mais après avoir racheté le genre humain et accompli son œuvre, il a quitté le monde pour retourner à son Père. Sera-ce quelque homme en particulier? Mais, resserré de toutes parts parladuréeetTespace, comment pourrait-il atteindre jusqu'aux extrémités du monde, porter dans tous les lieux et dans tous les siècles ces eaux vivifiantes qui jaillissent jusqu'à la vie éternelle? Ne faut-il pas qu'elles coulent toujours et dans tous les pays, puisque Jésus-Christ a racheté le monde entier ?
— 44 —
Quel sera-t-il donc? Vous comprenez, mes frères, que ce ne peut être qu'une corporation ou un corps de pasteurs, parce qu'il n'y a qu'une corporation qui puisse se perpétuer et étendre son action par- tout dans l'univers.
Sans doute Dieu aurait pu communiquer sa grâce aux hommes directement et d'une manière invisible; il pouvait également l'attacher à des si- gnes sensibles pour la conférer aux hommes sans aucun intermédiaire. Mais une pareille institution eût été en désaccord avec le plan divin. Il fallait mettre le tout en harmonie, et par conséquent éta- blir un corps de pasteurs pour exercer les fonctions de ministres de Jésus-Christ et de dispensateurs des mystères de Dieu.
Comme nous l'avons remarqué, l'enfant qui vient au monde ne saurait entretenir et conserver la vie qu'il ne s'est pas donnée, mais qu'il a reçue de Dieu par la médiation de ses parents. Or, les substances alimentaires dont il a besoin sont renfermées dans le sein de la terre comme dans leur foyer naturel. Il faut donc des ouvriers pour les extraire, les pré- parer et les mettre à la portée de l'enfant; et c'est vous, cultivateurs, vignerons, jardiniers, mar- chands, vous qui travaillez à préparer toutes les choses nécessaires à la vie, et vous êtes ainsi les ministres de Dieu pour entretenir la vie du corps, ses aides et ses coadjutcurs pour la conservation du monde, et les nobles instruments de sa providence. C'est par là que Dieu vous élève bien au-dessus de la nature, qu'il vous honore et vous ennoblit, en
— 45 — vous associant à son action créatrice et conserva- trice (lu monde. Heureux ctes-vous, si vous savez reconnaître et apprécier cette liante dignité dont Dieu vous a revêtus.
Ainsi en est-il de la vie de l'intelligence : que sont les professeurs, les instituteurs et tous ceux qui enseignent, sinon les ministres de Dieu qui font briller la lumière dans l'intelligence des en- fants, nourrissent leur esprit des vérités qu'ils ont eux-mêmes puisées dans le sein d'une société éclairée? Ils parlent, et à leur parole un nouveau monde se révèle à l'enfant, le monde de la pensée et de la vérité; et l'enfant commence à vivre de la vie intellectuelle et morale.
Or, Dieu, qui est l'ordre par essence, ne l'a-t-il pas établi dans toutes ses œuvres? Encore que les trois personnes divines soient aussi parfaites et aussi an- ciennes l'une que l'autre, ne faut-il pas admettre que Dieu le Père est la première personne, qu'il possède en lui-même la plénitude de la vie, qu'il la communique à son Fils en l'engendrant de toute éternité, et que le Saint-Esprit la reçoit du Père et du Fils? Peut-il en être autrement dans les œuvres extérieures de Dieu ?
Personne ne peut donc se donner à lui-même la vie, il faut qu'il la reçoive d'un autre. C'est pourquoi il est nécessaire qu'il y ait des ministres ou des m.é- diateurs entre Dieu et les bommes, et voilà le sacer- doce catholique. Le prêtre est tout à la fois l'homme de Dieu et l'homme du peuple; il élève une de ses mains et la place sur le cœur de Dieu pour y puiser
— 46 — la vie, et il met l'autre sur le cœur de l'humanité pour la lui communiquer.
Ecoulez le grand Apôtre : « Tout pontife choisi parmi les hommes est établi dans l'intérêt des hommes pour tout ce qui concerne le service de Dieu, pour offrir des dons et des sacrifices pour la rémission des péchés, afin d'avoir pitié des igno- rants et des pécheurs, se rappelant sans cesse qu'il est lui-même rempli et environné d'infirmités. Mais que personne ne s'arroge un tel honneur; il faut qu'il soit appelé de Dieu comme Aaron. » (Heb., v, 1 et seq.)
Ce n'est donc pas parmi les anges que Dieu a choisi ses ministres, mais parmi les hommes; car, s'il a fallu, comme le dit saint Paul, que le Fils de Dieu prît lui-même notre nature et éprouvât toutes les infirmités des hommes ses frères pour devenir compatissant, comment les anges, ces esprits si purs, étrangers aux faiblesses de l'humanité, au- raient-ils éprouvé quelque sentiment de compas- sion pour ses misères? Au lieu de consoler le pé- cheur découragé, de le soutenir et de le fortifier, ne Tauraient-ils pas foudroyé d'un regard décolère ou d'une parole d'indignation? C'est donc un trait de sagesse, de bonté et de miséricorde de la part de Dieu, d'avoir choisi ses ministres parmi les hom- mes, afin qu'ils apprennent par leurs infirmités per- sonnelles à compatir aux infirmités des autres.
Mais, me direz-vous, est-ce que les chrétiens sont tous appelés à exercer ces sublimes fonctions de dispensateurs des mystères de Dieu? Luther l'a
— 47 — prétendu ; il a soutenu que tous les fidèles, quels qu'ils soient, en vertu du caractère qu'ils ont reçu au Baptême, sont établis prêtres, ministres de la parole sainte et des sacrements. Mais saint Paul ne cesse de nous répéter que, dans l'Eglise de Dieu, il en est qui doivent la diriger, qui doivent comman- der, et d'autres qui doivent obéir. L'Eglise de Dieu est un corps; mais si dans un corps, dit-il, tout est œil, où sera l'ouïe? Si tout est ouïe, où sera l'odorat? Or, Jésus-Christ a fait de tous les chré- tiens un grand corps, et il a donné aux membres une destination spéciale; il a établi des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et des docteurs pour maintenir l'ordre et l'unité, et pour empêcher que tous les fidèles ne soient emportés a tout vent de doctrine : c'est-à-dire que Jésus-Christ a donné à ce grand corps des yeux pour voir et une tête pour commander, des mains pour travailler et des pieds pour marcher.
Pour accorder le droit d'exercer une simple pro- fession, le pouvoir civil exige de l'aptitude et des connaissances spéciales de la part de ceux qui veu- lent l'embrasser. Vous rencontrez des enfants igno- rants, et, dans l'élan de votre charité, vous les réunissez pour les instruire. Prenez garde: si vous n'êtes pas muni d'un brevet en bonne et due forme, le pouvoir civil vous condamnera à l'amende et à la prison ; et il sera dans son droit. Et l'on préten- drait que tous les chrétiens sont aptes à exercer le ministère sacré, à conférer les sacrements, à admi- nistrer tout ce qu'il y a de plus grave, de plus dif-
— 48 — ficile et de plus précieux dans l'Eglise ! N'est-ce pas se moquer de la raison divine et de la raison hu- maine? Le saint concile de Trente a donc défini un dogme de sens commun aussi bien qu'une vérité de foi, en disant : « Si quelqu'un dit que tous les chrétiens ont le pouvoir d'annoncer la parole de Dieu et d'administrer tous les sacrements, qu'il soit anathème. » (Conc. Trid., sess. 7, can.10.) Et en- core : « Si quelqu'un dit que ceux, qui n'ont pas été ordonnés et envoyés légitimement par l'autorité ecclésiastique et canonique , mais qui viennent d'ailleurs, sont les ministres légitimes de la prédi- cation et des sacrements, qu'il soit anathème. » (Ibid., sess. 23, can. 7.
Pour administrer les sacrements, si nous excep- tons celui du Baptême, qui peut être donné par toute personne, il faut être appelé de Dieu comme Aaron, et avoir été ordonné et institué dans l'E- glise par ceux qui en ont le pouvoir.
Outre le caractère sacerdotal dont le dispensa- teur des divins mystères doit être revêtu, il faut encore qu'il ait l'intention de faire ce que fait l'E- glise; autrement le sacrement qu'il administre serait nul. Le saint concile de Trente l'a ainsi défini : « Si quelqu'un dit que l'intention au moins de faire ce que fait l'Eglise n'est pas requise dans les mi- nistres pendant qu'ils confectionnent et qu'ils con- fèrent les sacrements, qu'il soit anathème. »(Sess. 7, can. 11 .)
Le ministre des sacrements doit agir, en effet, comme le dispensateur des mystères de Dieu, c'est-
— 49 — a-dire sérieusement et comme pertonne publique. Un magistrat ou un notaire, quand il exerce ses fonctions, ne doit-il pas remplir certaines formali- tés ou certaines conditions pour montrer qu'il n'a- git pas en son nom privé, mais au nom du pouvoir qu'il représente? De même le ministre des sacre- ments doit déterminer par quelque chose de positif qu'il n'agit pas en son nom, mais au nom de Dieu dont il est le représentant, ou, en d'autres termes, il doit avoir au moins l'intention de faire ce que fait l'Eglise.
Mais, me direz-vous, si cette intention est re- quise, comment pourrons-nous savoir si le ministre l'a formée en administrant les sacrements, car eile est purement intérieure? Nous aurons donc tou- jours des doutes sur la validité des sacrements que nous recevons? Rassurez-vous, mes frères, cette difficulté est plus apparente que réelle. Quand un ministre agit sciemment et librement, et qu'on n'exerce sur lui ni coaction ni contrainte, il a l'in- tention nécessaire pour valider le sacrement qu'il confère, en supposant toutefois qu'il agit dans les circonstances voulues et sérieusement, et qu'il ne joue pas la comédie. N'est-il pas manifeste, en ef- fet, que, si vous faites une action avec liberté et connaissance de cause, vous avez l'intention de la faire? et si vous prétendiez que vous ne l'avez pas, vous mentiriez à votre propre conscience. Un ivrogne prend librement et sciemment une assez grande quantité de boissons pour perdre totalement la raison : ajouterez-vous foi à sa parole s'il vous
3
— 50 —
déclare qu'il n'a pas eu l'intention de s'enivrer? Un notaire passe un acte authentique avec toutes les formalités voulues ; il agit librement et sans y être contraint : s'il vous affirme qu'il n'a pas eu l'intention de faire un acte sérieux et valide, le croirez-vous ? Un juge prononce une sentence d'absolution ou un verdict d'acquittement du haut de son tribunal, sans que personne lui fasse vio- lence ; il vous dit ensuite qu'il n'a pas eu intérieu- rement l'intention d'acquitter l'accusé, et qu'il faut recommencer son procès : ne lui répondrez-vous pas qu'il se moque de vous ?
Voulez-vous savoir si les sacrements que vous avez reçus sont valides? Il vous suffit de constater deux faits, savoir : que le ministre ou le prêtre a été ordonné ou envoyé par son évêque légitime ; qu'il a exercé ses fonctions avec connaissance de cause et en toute liberté, et qu'il a rempli les con-' ditions essentielles au sacrement. Or, ces faits sont incontestables, et vous devez les regarder comme certains jusqu'à ce qu'on vous ait démontré le con- traire.
Est-il nécessaire que le ministre ait, l'intention formelle de faire une chose sacrée ou d'accomplir un acte religieux? Nullement; car un païen peut conférer validement le Baptême. S'il consent à faire ce qu'on lui demande, il a l'intention de faire ce que fait l'Eglise.
Est-il nécessaire que le ministre ait la foi ou soit en état de grâce? Pas davantage ; le saint concile de Trente l'a défini en disant ; « Si quelqu'un dit
— 51 — que le ministre qui est en état de péché mortel ne confectionne ou ne confère pas le sacrement, pourvu qu'il observe tout ce qui est essentiel pour confec- tionner ou conférer le sacrement, qu'il soit ana- thème. » (Sess. 7, can. 12.)
Vous l'avez entendu, mes frères, que le ministre des sacrements soit saint et pur comme un ange, ou coupable comme un démon, les sacrements qu'il administre ne sont pas pour cela invalides.
Mais, me direz-vous, est-il possible qu'un scélé- rat confère la sainteté? Peut-on donner ce qu'on n'a pas? Un mauvais arbre peut-il produire de bons fruits ?
Remarquez que le ministre des sacrements n'est pas la cause qui produit la grâce ou la sainteté; ce n'est qu'un instrument dont Dieu se sert pour com- muniquer la vie de la grâce. Saint Paul explique admirablement cette vérité aux chrétiens de Co- rinthe, qui étaient divisés entre eux, à l'occasion de leurs ministres. Les uns s'attachaient à Paul, les autres préféraient Apollon, et d'autres Céphas. Saint Paul leur fait une sévère réprimande, et leur dit : « jN'est-il pas visible que vous êtres charnels et que vous vous conduisez d'une manière tout humaine? Qu'est donc Paul? Qu'est Apollon? Ce sont les ministres de celui en qui vous avez cru, chacun selon le don qu'il a reçu du Seigneur: c'est moi qui ai planté, c'est Apollon qui a arrosé, mais c'est Dieu qui a donné l'accroissement. Ainsi, ce- lui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien, mais tout vient de Dieu qui donne raccroissenïent.
.— 52 — Celui donc qui plante et celui qui arrose ne sont qu'une même chose, parce que nous sommes les coopérateurs de Dieu, et vous êtes le champ que Dieu cultive et l'édifice qu'il bâtit. »(I Cor., m.)
C'est comme s'il leur avait : Peu vous importe le talent ou la sainteté de celui qui exerce le mi- nistère parmi vous ; il n'est qu'un pauvre serviteur qui exécute les ordres du suprême agriculteur qui vous a planté dans son jardin. C'est de ce grand maître que vous recevez la lumière et la chaleur dont vous avez besoin, et la bienfaisante rosée pour vous rafraîchir ; c'est donc à lui seul que vous se- rez redevables de porter de bons fruits. Que le ser- viteur du jardinier soit un saint ou un scélérat, ce n'est point votre affaire. Il n'est pour vous qu'un canal destiné à faire descendre la grâce dans vos âmes. Or, qu'un canal soit d'or ou de plomb, l'eau qu'il transporte n'est ni moins limpide, ni moins propre à fertiliser le terrain qu'elle arrose.
Ecoutez saint Augustin expliquante doctrine de l'Apôtre : « Le Baptême donné par saint Paul était le Baptême de Jésus-Christ, comme celui qui était donné par saint Pierre. Si Judas a baptisé, son Bap- tême était aussi celui de Jésus-Christ, et l'on n'a point baptisé de nouveau ceux qui l'avaient été par Judas. Jean a baptisé aussi, et l'on a baptisé de nouveau ceux qui avaient été baptisés par Jean, parce que le Baptême de Jean n'était pas le Baptême de Jésus-Christ. » (Tract. 5 in Joan.)
N'oubliez pas, mes frères, que, lorsqu'on admi- nistre les sacrements de la loi nouvelle, c'est Jésus-
— 53 — Christ lui-même qui les confère par la main des apôtres, des évêques ou des prêtres, et c'est tou- jours lui qui produit la grâce dans les âmes. Le ministre, n'agissant plus que comme inslrument. peut donner ce qu'il n'a pas. Un libraire ignorant ne peut-il pas répandre la science par les livres qu'il débite? Un professeur vicieux n'est-il pas capable de donner les plus belles leçons de vertu ? Un mé- decin malade ne peut-il pas rendre la santé? Un ministre des finances luiné ne peut-il pas enrichir ses concitoyens en puisant dans les trésors de son maître? Ainsi en est-il du ministre des sacrements. Ah ! sans doute il commet un sacrilège s'il les confère en état de péché mortel ; mais rien n'em- pêche qu'ils ne produisent leurs merveilleux effets dans tous ceux qui les reçoivent avec les disposi- tions nécessaires. Le malheureux! il ressemble au flambeau allumé dans un lieu obscur ; il se brûle et se consume, tout en éclairant les passants et en leur montrant la bonne voie; il se perd en sauvant les autres.
C'est encore un effet de la grande bonté de Dieu, que les sacrements ne perdent point leur efûcacité lorsqu'ils sont administrés par des prêtres indignes. S'il en était autrement, Dieu ne semblerait-il pas punir le juste au lieu du coupable? Doit-il repous- ser le pécheur pénétré d'une véritable componc- tion et le priver de ses grâces pour un crime com- mis par un ministre indigne? Si un prêtre en état de péché mortel ne conférait point validement les sacrements, pourriez-vous savoir si vous avez étc
— oi — baptisés ou absous? Ne sericz-vous pas dans des in- quiétudes perpétuelles ?
En établissant les sacrements, vous avez prévu, ô aimable Jésus, que des ministres indignes vous offenseraient en les conférant en état de péché mortel, et vous n'avez pas voulu empêcher cette profanation en les privant dans cette circonstance du pouvoir divin dont vous les avez revêtus. Car alors que seraient devenus les fidèles privés de ces sources abondantes de grâces ? Vous avez tout prévu, tout pesé, et vous avez dit : « Que mon sang soit profané par des mains impures; que ma personne adorable soit outragée et livrée des mil- Uons de fois à mes ennemis ; que des millions de fois je subisse toutes les horreurs et toutes les tor- tures de ma passion ; pourvu que mon sang purifie les cœurs, réconcilie les pécheurs et rende l'inno- cence aux coupables repentants , pourvu que je sauve les âmes, je suis content. Oh 1 le salut des âmes, c'est là ce que je veux, ce que je cherche, ce que j'ambitionne. Pour les sauver, je suis dis- posé à souffrir toujours. » 0 bonté ineffable de mon Sauveur ! ô miséricorde incompréhensible ! aurons- nous jamais assez d amour et de reconnaissance pour vous louer, vous bénir et vous remercier à jamais ?
Ne soyez donc pas surpris que l'Eglise ne néghge rien pour avoir des ministres irréprochables et tou- jours dignes de leur sublime ministère. Voyez avec quelle tendre sollicitude elle les prépare à exercer leurs augustes fonctions. N'est-ce pas ajuste titre?
O) —
Si un père de famille refuse de confier l'éducation de son fils à un maître inepte ou vicieux, l'Eglise peut-elle confier les âmes de ses enfants, qui sont les enfants de Dieu, à un ministre ignare ou scanda- leux? Priez donc Dieu sans cesse, mes frères, afin qu'il établisse dans sa famille des serviteurs pru- dents et dévoués qui aient soin de distribuer en son temps la nourriture à tous ceux qui ont faim. Priez, afin que nous-mêmes nous soyons constamment dignes de notre vocation, que nous traitions tou- jours saintement les choses saintes, et qu'en vous sauvant nous nous sauvions avec vous. Amen.
SAINT AUGLSTIX, APOTRE DE L ANGLETERRE.
Le pape saint Grégoire envoya quarante missionnaires dans la Grande-Bretagne pour y prêcher la foi chrétienne. Il mit à leur tête Augustin, supérieur du monastère de Saint-André de Rome.
Aussitôt après son débarquement dans l'île de Tanet, Au- gustin envoya à Ethelbert, roi de Kent, des interprètes fran- çais qu'il avait amenés avec lui, conformément aux ordres de saint Grégoire. Les Francs et les Anglais, qui étaient tous Ger- mains, parlaient la même langue ; mais Augustin ne connais- sait que le latin. Ses envoyés, admis auprès du monarque, lui apprirent qu'Augustin venait de Rome pour lui apporter une bonne nouvelle, la promesse d'un royaume éternel, la con- naissance du vrai Dieu. Ethelbert, en attendant qu'il pût exa- miner la nature de leur mission, leur Gt donner tout ce que l'hospitalité lui prescrivait à leur égard, et avec d'autant plus de bonne volonté que la reine sa femtne, Berthe, fille du roi de Paris, l'avait déjà entretenu de la fui chrétienne. Il les at- tendait en pleine campagne, dans la crainte qu'il avait de
— 56 —
quelque opération magique. Ils arrivèrent en procession, pré- cédés d'une croix d'argent et d'un tableau qui représentait Jésus-Christ, et diamant des litanies. Après que le roi les eut fait asseoir : « Je suis venu, lui dit Augustin, vous enseigner le moyen de régner après votre mort, comme vous régnez maintenant, mais avec plus de gloire, parce qu'ici-bas vous pouvez perdre votre couronne et que vous avez des ennemis, au lieu que dans le ciel vous n'aurez rien à craindre, et que vous jouirez d'un bonheur éternel. — Voilà de beaux discours, répondit le roi, voilà des promesses magnifiques ; mais comme elles sont nouvelles et incertaines, je ne puis m'y fier ni re- noncer à tout ce que j'observe depuis si longtemps avec toute la nation anglaise. Cependant, comme vous êtes venus de loin, et qu'il me semble que vous désirez nous faire part de ce qui vous paraît le meilleur et le plus vrai, je ne vous empê- cherai point d'attirer à votre religion ceux de mes sujets que vous pourrez persuader, et je veux qu'on vous fournisse tout ce qui vou.> est nécessaire. »
Les missionnaires, ainsi autorisés du consentement d'Ethel- bert, s'appliquèrent à imiter la vie des apôtres et des chré- tiens de la primitive Eglise; ils pratiquaient tout ce qu'ils en- seignaient, disposée à tout souffrir pour les vérités qu'ils annonçaient. Ils entrèrent processionnellement dans la capitale du royaume, aujourd'hui Canlorbéry, en chantant ces paro- les : « Nou3 voue prions. Seigneur, de délivrer cette ville des effets de votre colère, car nous avons péché. »
Plusieurs Anglais, touchés de la simplicité et des vertus de ces nouveaux apôtres, crurent à leur parole et demandèrent le Baptême. Le roi lui-même se convertit et fut baptisé : exemple qui rendit les conversions aussi nombreuses que fréquentes. Ce prince, ayant appris des missionnaires que la foi en Jésus-Christ devait être volontaire, ne contraignait per- sonne à l'imiter.
Pour que cette nouvelle Eglise pût subsister, ce prince voulut qu'Augustin en lût le chef. Ce saint missionnaire se rendit donc en France pour se faire ordonner évêque dans la ville d'Arles pour la nation des Anglais. Revêtu de l'épisco-
— 57 — pat, il retourna en Angleterre, où il baptisa plus de dix mille personnes à la fête de Noël. Le pape saint Grégoire, en lui en- vovant de nouveaux ouvriers et en le félicitant de la conver- sion des Anglais, Tencourageait et lui conseillait en même temps de s'humilier à la vue des grands biens que Dieu faisait par son ministère.
Comme cette Eglise naissante augmentait chaque jour, Au- gustin ordonna deux évêques en G04, et les envoya prêcher en différentes parties de l'Ile. L'un d'eux, nommé Mellit, an- no-nça l'Evangile dans la province des Saxons orientaux, sé- parée de celle de Kent par la Tamise. Londres, qui en était la capitale, faisait dès lors un grand commerce. Elhelbert y fit bâtir l'église de Saint-Paul. L'autre évêque se nommait Just; il établit son siège à Rochester, à vingt milles de Cantorbéry. Le roi Ethelbert fit aussi construire une église dédiée à saint André. Il donna de grands domaines à ces deux églises, ainsi qu'à celle de Cantorbéry. La cathédrale de saint Augustin était une espèce de monastère oii il vivait en communauté avec son clergé, composé de moines comme lui.
Ceux des ancien^ habitants de la Grande-Bretagne qui avaient autrefois embrassé le christianisme, étaient dans le schisme, et observaient plusieurs pratiques contraires à l'es- prit de l'Eglise. Augustin fit tous ses efforts pour les faire rentrer dans la bonne voie ; mais les voyant inflexibles, il leur prédit les maux dont les Anglais les accableraient, prédiction qui reçut dans la suite son accomplissement. Ce saint prélat, craignant qu'après sa mort l'état de son Eglise ne fût ébranlé, si la métropole restait un moment sans pasteur, ordonna évê- que de Cantorbéry Laurent, un des premiers compagnons de sa mission. On croit qu'il mourut le 6 mai G07.
Voilà ce que sont les ministres des sacrements : ils appren- nent aux rois à si bien gouverner les peuples, qu'ils méritent de régner encore dans l'autre monde; ou plutôt ils consa- crent rois tous les fidèles, et leur donnent droit de participer à la royauté de Dieu dans le ciel. Et que sont les rois de la terre à côté de ces rois de l'éternité?
3.
IV^ INSTRUCTION.
De la matière et de la forme des ^Sacrements.
Christus dilexil Ecclcsiam et seip - mm tradidit pro eâ, ut illam sancti- ficarct, mundans lavacro aquœ in verbo vitœ.
Jésas-Christ a aimé son Eglise et s'est livré pour elle, afin delasanc- tifler en la purifiant par l'eau et par une parole de vie.
(EpHJfs., V, 25-2U.)
Trois choses constituent les sacrements : les si- gnes extérieurs et sensibles qui en sont comme la matière, les paroles qui en sont la forme, et la per- sonne du ministre qui confectionne le sacrement. Le ministre est choisi parmi les hommes et non parmi les anges, afin qu'il sache compatir aux in- firmités de ses frères. Il doit être appelé de Dieu, ordonné et envoyé par ses supérieurs légitimes. Keprésentant de l'Eglise, il doit avoir l'intention de faire ce qu'elle fait elle-même ; mais peu im- porte qu'il soit juste ou pécheur, parce que, en ad- ministrant les sacrements, il agit comme instru- ment et non comme cause efficiente de la grâce.
Je vais donc vous expliquer ce que l'on entend par la matière et la forme des sacrements.
Nous appelons matière du sacrement le signe ou
— 59 — Ja chose sensible qui sert à le confectionner: ainsi l'eau dans le Baptême, l'imposition des mains dans la Confirmation, le pain et le vin dans l'Eucharis- tie, et ainsi des autres sacrements.
Nous appelons forme les paroles sacramentelles que prononce le ministre en appliquant la matière au sujet ou en confectionnant le sacrement.
Ne croyez pas que la matière et la forme des sa- crements soient des choses arbitraires qui dépen- dent de la volonté des hommes ; elles sont d'insti- tution divine. C'est Jésus-Christ lui-même qui les a déterminées d'une manière permanente et défini- tive. Aussi l'Eglise, quoique revêtue de la toute- puissance de son divin fondateur, ne peut-elle ni les changer, ni les modifier. C'est pourquoi le sa- crement est nul si le ministre opère quelque chan- gement essentiel dans la matière ou dans la forme ; mais il est valide si le changement n'est qu'acci- dentel. Cependant, dans ce dernier cas, le ministre se rend coupable de péché mortel, à moins que, par nécessité, il ne soit obligé de donner le sacre- ment sans avoir une matière certainement valide.
Voyez, mes frères, comme il connaissait bien la nature de l'homme, Celui qui a institué les sacre- ments de la loi nouvelle. Il savait que nous avions besoin de choses sensibles pour nous élever aux choses invisibles, pour en comprendre toute la vé- rité et toute la beauté.
i° Quel est, mes frères, notre principal défaut? N'est-ce pas l'orgueil? N'est-ce point par l'orgueil que Satan a poussé nos premiers parents à se ré-
— 60 —
voiler contre Dieu? N'est-ce pas l'orgueil qui fait les hérétiques et les libres penseurs? N'est-ce pas l'orgueil q'ii fait dire à tant de chrétiens : Je ne servirai point, ??o?i sermam? Nous avons beau combattre cet implacable ennemi et remporter sur lui d'éclatantes victoires, ses nombreuses défaites, loin de le rebuter, ne semblent que l'irriter davan- tage, et souvent, au moment où nous croyons l'a- voir terrassé pour toujours, il nous subjugue et nous broie sous son sceptre de fer. Nous ne pou- vons pas comprendre que rien ne nous est plus glo- rieux que de nous soumettre d'esprit et de cœur au grand Roi du ciel et de la terre, et que servir Dieu, c'est régner. C'est pourquoi, pour nous guérir de l'orgueil, Jésus-Christ nous oblige à nous abais- ser jusqu'à la matièrs pour lui demander la vie du corps et de l'âme. L'homme avait dit comme Luci- fer : « Je monterai jusqu'au ciel, je m'asseoierai sur le trône de Dieu, et je serai semblable au Très- Haut. » Et Dieu lui a répondu : « J'y consens, je veux bien te faire asseoir avec moi sur mon trône, je veux te rendre semblable à moi, te déifier, mais à condition que tu briseras ton orgueil en te pros- ternant devant un peu d'eau, de pain, de vin, d'huile, pour reconnaître que tu as mérité d'être placé au- dessous de la matière, c'est-à-dire anéanti. »
Que l'homme fasse profession d'une grande hu- milité en recevant les sacrements, vous en avez la preuve au-dedans de vous-mêmes. D'où vient cette répugnance que vous éprouvez de recourir à ces remèdes de vos âmes? Pourquoi tant de chrétiens
— 61 —
les ont-ils abandonnés depuis si longtemps? C'est qu'il en coûte trop à leur orgueil.
2° Ce n'est pas seulement pour nous faire prati- quer l'humilité, mais c'est aussi pour élever plus facilement notre esprit îx l'intelligence des choses divines, que Jésus-Christ a attaché ses grâces à des signes sensibles. « Si vous n'aviez pas de corps, dit saint Chrysostôme, Dieu vous aurait communiqué ses dons par des signes spirituels; mais puisque votre âme est unie à un corps, Dieu se sert des choses sensibles pour vous combler de biens invi- sibles. » De cette sorte, vous pouvez vous élever plus facilement de la matière à l'esprit. Méditez sé- rieusement sur les rites des sacrements, et vous y découvrirez bientôt une profonde philosophie. Per- cez J'écorce et pénétrez le sens de chacune des cé- rémonies, vous y trouverez une nourriture subs- tanlielle pour votre âme. Ce qui vous avait paru minutieux, absurde peut-être, parlera éloquem- ment à votre esprit et à votre cœur, et vous tou- chera jusqu'aux larmes. Que de fois des hérétiques obstinés, des pécheurs endurcis, sont revenus sin- cèrement à Dieu, pénétrés des plus vifs sentiments de componction, de confiance et d'amour qu'ils avaient éprouvés en assistant à l'administration de quelque sacrement I
3^ Quelle simplicité dans les œuvres de Dieu f Les trois vies qui sont dans le chrétien s'acquièrent, se conservent et se développent par des lois sem- blables. N'ayant pas la vie en lui-même, puisqu'il est un être contingent, il faut qu'il communique
— G2 — avec lo foyer de la vie. S'agit-il de la vie du corps? Le foyer est dans le sein de la terre ; les ministres sont les cultivateurs et les vignerons, el les signes sensibles sont les substances alimentaires. S'agit-il de la vie de l'âme raisonnable? Le foyer est dans le sein de la société éclairée ; les ministres sont tous ceux qui enseignent, et les signes sensibles sont le langage, la parole ou l'écriture. Ainsi en est-il de la vie de la grâce. Le foyer est dans le sein de Dieu, puisqu'il s'agit de la vie divine; les ministres sont les évêques et les prêtres; les signes sensibles sont la matière et la forme des sacrements.
4° Ces signes sensibles servent aussi admirable- ment à confirmer et à fortifier notre foi chancelante. Dans l'ancienne loi. Dieu avait fait à son peuple de magnifiques promesses, qu'il avait confirmées par une multitude de rites extérieurs et sensibles. Dans la loi nouvelle, Dieu a promis à tous les fidèles le pardon de leurs péchés, l'effusion de sa grâce, des vertus chrétiennes et des dons du Saint-Esprit, et enfin la vie éternelle. Mais les hommes avaient be- soin de garanties pour ajouter foi à la parole de Dieu et mettre leur confiance dans ses promesses. Il fallait donc que Dieu établit des signes sensibles que l'homme pût voir et toucher. Dans la religion, il y a une espèce de contrat passé entre Dieu et les hommes : Dieu promet de se donner lui-même pour récompense dans le ciel, et pour que nous en ayons la certitude, il nous rend déjà participants de sa nature divine par les sacrements. Les sacrements sont donc comme le sceau ou la signature de Dieu,
— G3 — signa Dei, et en les recevant nous appliquons le sceau de Dieu sur notre cœur ; c'est l'acte d'accep- tation de notre part et l'acte d'engagement par le- quel nous nous donnons nous-mêmes à Dieu.
5° Les sacrements sont encore des témoignages authentiques de notre foi. « Nous croyons de cœur, dit l'Apôtre, pour obtenir notre justification, et nous professons de bouche pour être sauvés. » Or, ce n'est pas seulement par des paroles que nous pouvons confesser notre foi ; il y a des signes qui l'expriment d'une manière plus énergique. Voyez- vous ce grand prince si sincèrement aimé de ses sujets? Il parcourt ses états, et la multitude court à sa rencontre pour le bénir et acclamer son nom. Mais les paroles sont impuissantes pour exprimer les sentiments d'amour dont son cœur déborde. Ce ne sont partout que des cris de joie, des arcs de triomphe, des symboles et des emblèmes qui rap- pellent ses plus beaux faits d'armes, ses victoires et ses bienfaits. Or, mes frères, que sont les rites et les cérémonies des sacrements? Des emblèmes et des symboles qui expriment plus énergiquement la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu ; ce sont des hymnes de louanges et d'actions de grâces. Que signifie, par exemple, la cérémonie du Baptême? Elle nous apprend, dit saint Paul, que nous avons été ensevehs avec Jésus-Christ, que nous sommes morts au monde, que nous devons vivre dans l'obs- curité comme dans un sépulcre, et vivre d'une vie spirituelle et divine. C'est tout à la fois un acte d'amour, une hymne de reconnaissance, une pro- fession de foi et un engagement solennel.
— 64 —
6"* L'Eglise est une société visible, qui doit com- battre sans cesse pour défendre la cause de Dieu. C'est une armée immense, toujours sur le champ de bataille et l'arme au bras. Il lui faut donc des généraux et des capitaines, des armes et des dra- peaux ; car à côté d'elle est une autre armée qui a aussi ses chefs et ses étendards. Ne faut-il pas que tous les fidèles reconnaissent sur-le-champ la ban- nière sacrée qui doit les conduire à la victoire? Et que sont les sacrements? des signes sensibles qui distinguent les fidèles des infidèles, les catholiques des hérétiques, les enfants de Dieu des fils de Sa- tan ; c'est l'oriflamme, l'étendard sacré, sous lequel tous les cœurs généreux doivent se grouper et marcher d'un pas ferme à la victoire. Que faites- vous donc, chrétiens faibles et timides, en abandon- nant la pratique dessacrements?Vousdésertezvotre drapeau, vous êtes des transfuges et des traîtres.
7° Enfin Jésus-Christ a voulu nous faire com- prendre qu'il est venu réhabiliter toute la création, la purifier et la sanctifier. Il fut un temps où l'ido- lâtrie s'était répandue dans le monde entier, ou toutes les créatures étaient asservies à Satan. Mais depuis que le Verbe s'est fait chair et a demeuré parmi nous, l'eau n'est plus à Neptune, ni le blé à Cérès, ni l'huile à Minerve, ni le vin au dieu de l'i- vrognerie ; toutes ces créatures ont été délivrées du joug de Satan et ont recouvré leurs lettres de no- blesse. Par une consécration spéciale, Jésus-Christ en a fait les instruments et les canaux de ses grâces ; les voilà aussi sanctifiées et divinisées.
— 05 —
0 homme du monde, il vous sied mal de tourner en ridicule la piété et le respect des fidèles pour la matière des sacrements. Ne recourez-vous pas cha- que jour à celte même matière pour conserver en vous la vie du corps et la vie de l'âme raisonnable? Ne concevez-vous pas que, comme un habile mé- decin qui mêle à un remède plein d'amertume un breuvage du goût de son malade pour le lui faire prendre avec moins de répugnance, Jésus-Christ, pour nous arracher aux choses sensibles qui nous passionnent et nous entraînent au péché, s'est servi de ces mêmes choses sensibles pour en détacher notre cœur et le reporter vers le ciel? Il vous sied bien de vous moquer de la simplicité du chrétien qui vénère l'eau bénite et l'huile sainte, vous qui prostituez votre cœur ix la matière et qui adorez la boue I Que vous êtes aveugles et ignorants avec toute votre science !
La forme des sacrements consiste dans certaines paroles que prononce le ministre, en appliquant la matière au sujet ou en confectionnant le sacre- ment.
Dans le langage commun, on appelle matière ce qui sert à confectionner un objet. Les pierres sont ]a matière pour la construction d'un édifice, une étoffe pour la confection d'un habit, un bois choisi pour la fabrication d'un meuble. On appelle forme ce qui distingue les choses les unes des autres. C'est la forme qui sert à distinguer une plante d'un arbre, une maison d'un palais et un homme d'un animal. La forme donne aussi la vie.
— G6 —
En effet, un sculpteur prend un bloc de marbre, et, saisissant son ciseau, il le travaille et lui donne une forme selon l'idée qu'il a dans l'esprit. Son œuvre terminée, on reconnaît Charlemagne. Ce grand bomme est représenté avec tant d'expres- sion, qu'on le dirait vivant. Avec du génie, un ar- tiste sait donner la vie à une matière infime et fort commune. Ses concitoyens le proclament grand et le disent créateur.
A plus forte raison Dieu sait-il donner la vie à ses œuvres. Dans les sacrements, la matière c'est de l'eau, de l'buile, du pain et du vin ; c'est bien com- mun. Attendez que le ministre ait prononcé quel- ques paroles et appliqué la forme à la matière, et vous verrez cette matière s'animer, ou plutôt rem- plie de vie et répandant partout la vie. L'eau du Baptême est tout imprégnée de la vertu divine ; elle possède la vertu d'opérer dans les âmes ce que le Saint-Esprit a opéré en Marie par l'incarnation du Verbe divin. Le prêtre prononce quelques pa- roles à l'autel, et le pain et le vin sont changés au corps et au sang de Jésus-Chpist unis à sa divinité.
Qu'est-ce que Tâme de l'homme? C'est, répond saint Thomas, la forme de ^On corps, parce que le corps est un peu de matière à laquelle l'âme donne une forme en lui communiquant la vie. Qu'est-ce que la grâce sanctifiante? C'est la forme de l'âme, comme l'âme est la forme du corps, parce que c'est la vie de l'âme. Saint Paul donne le nom de forme à la nature d'un être, en disant que le Verbe, étant en la forme de Dieu, s'anéantit, prenant la forme d'es-
— 67 — clave, pour signifier que le Verbe, étant vrai Dieu ou possédant la nature divine, s'est fait homme ou a pris la nature humaine.
Ecoutez encore ce même apôtre : « Jésus-Christ, dit-il, a purifié son Eglise par l'eau unie à la parole de vie, c'est-à-dire par le Baptême : Mundans cam lavacro aquœ in verbo vitœ. » Comme s'il nous disait que les paroles sacramentelles donnent la vie à ceux qui reçoivent le Baptême. Il appelle donc avec raison la forme du Baptême une parole de vie. Quelle justesse et quelle sublimité de langage !
Quand l'historien sacré nous raconte qu'à l'ori- gine des temps Dieu n'eut besoin que d'une parole pour créer l'univers, nous reconnaissons aussitôt que ce langage n'est pas de ce monde. Il a fallu que l'auteur fût inspiré pour parler d'une manière aussi sublime et aussi digne de Celui dont il célé- brait les merveilles : // a dit : Que la lumière soit, et la lumière fut; il a parlé, et tout a été fait. Quelle parole puissante que celle qui fait sortir l'u- nivers du néant et jaillir la lumière du sein de l'E- temel pour inonder le monde de ses flots 1 Nous tombons à genoux, saisis d'étonnement et d'admira- tion, et nous ne savons plus qu'adorer Dieu dans un profond silence.
Lorsque, plus tard, nous voyons le Fils de Dieu parcourant les villes et les bourgades de la Judée, rendant la santé aux malades et la vie aux morts par une seule parole, nous nous écrions : Celui-là est vraiment le Fils de Dieu. Eh quoi ! mes frères, chaque jour s'opèrent sous vos yeux des œuvres
— 68 — encore plus merveilleuses, et vous n'y faites nulle attention.
Si vous ôlez les paroles sacramentelles, l'eau, dit saint Augustin, est tout simplement de l'eau, qui n'a plus que ses qualités naturelles; mais ajoutez ces mômes paroles, et cette eau, versée sur la tête d'un enfant qui vient de naître, fait descendre dans son âme la grâce sanctifiante et le fait vivre de la vie même de Dieu ; d'un esclave du démon, elle en fait un ange.
Par l'application de deux éléments, l'eau et le feu, la science moderne a fait des prodiges que vous admirez tous les jours : elle a donné à vos chars des ailes de feu pour vous transporter en un clin d'œil d'un bout du monde à l'autre. Mais ie prêtre ne fait-il pas chaque jour des merveilles beau- coup plus étonnantes? Avec la matière et la forme des sacrements, il purifie les âmes, il les sanctifie et les divinise ; il les fait monter en un clin d'œil de la terre au ciel. Avec un peu de matière et quel- ques mots sacrés, il fait descendre le Fils de Dieu sur l'autel, il le porte dans ses mains, il le distri- bue aux fidèles. Avec quelques paroles, il ressus- cite, non les corps, mais les âmes mortes à la grâce.
Qu'est-ce donc qui fait la difl'érence de l'homme grossier et de l'homme poli, de l'homme sauvage et de l'homme civilisé? C'est la forme, non pas cette forme qui n'est qu'apparente, mais cette forme qui affecte l'homme tout entier et en fait un homme nouveau. Que fait donc le ministre de Dieu, quand il applique aux fidèles la matière et la forme des
— 69 — sacrements ? Il en fait des hommes nouveaux, il les rend participants de la force, de l'intelligence, de l'amour et de la beauté de Dieu, il les transforme. Respectez donc, mes frères, et vénérez ces élé- ments sacrés qui sont pour vous des semences d'immortalité. Vivez de manière qu'on vous en fasse une fréquente application, pour vous donner une plus belle forme, une plus grande abondance de vie divine, afin que vous resplendissiez d'une gloire plus éclatante au grand jour de rélornité.
A l'origine des temps, Dieu crée d'abord la ma- tière; puis il parle, et celte matière s'anime; Dieu en produit les plantes, les animaux et le corps de l'homme, c'est-à-dire ce magnifique univers que nous admirons. Enfin Dieu tire de sa poitrine un souffle de vie, et l'àme de l'homme existe. Or, qu'est-ce que la réhabilitation de l'homme par la grâce? C'est une nouvelle création infiniment plus merveilleuse que la première. Les beautés du monde matériel, les merveilles du monde intellectuel et moral nesont qu'un pâlereflet, qu'une image gros- sière des beautés et des merveilles du monde sur- naturel et divin. Et comment se fait cette merveil- leuse création? Par les sacrements. Comme Dieu dont il tient la place, l'homme prend un peu de matière, puis une parole sort de sa bouche et de son cœur, et voilà tout un nouveau monde créé. Quelle admirable harmonie entre ces mondes! Quelle in- Hnité de merveilles que la foi ne se lasse pas d'ad- mirer! Quelle bonté infinie qui se donne elle-même aux hommes! Et nous n'aimons pas Dieu, et nous
— 70 — l'offensons chaque jour! Pleurons notre insensibi- lité et notre ingratitude, afin que nos larmes nous obtiennent de Dieu pardon et miséricorde. Amen.
CARACTÈRE DU PEUPLE IRLANDAIS.
« Peuple religieux et ardent, cénobite et guerrier, mission- naire et civilisateur, et lorsque la foi est venue lui demander le grand témoignage de l'amour, le témoignage du sang, peu- ple martyr! Jamais plus grande selon la forte expression des saints livres, que dans cette longue mort, ou plutôt dans cette vie toujours mourante et toujours résistante : Grandis inte- ritu. lEzéchiel, xxii,6.)
« Le service de la vérité et la régénération des âmes, telle est la vocation des enfants de l'Irlande; tel est, Tun d'eux me le révélait un jour, tel est le but providentiel et comme le sens divin de leurs épreuves. Qu'on me permette ce souvenir per- sonnel : « Ils ont pour mission d'être sur la croix et de souf- « frir pour la propagation de l'Evangile, » me disait à Londres O'Connell en i839. Mais l'Irlande, je le dis avec unredouble- ment de respect et de tendresse pour elle, l'Irlande partage avec une autre nation, elle partage avec la France celte mis- sion glorieuse. L'Irlande et la France, voilà les deux nations apostoliques donnéespar Dieu au monde chrétien pour le monde infidèle. Seulement, par une conduite différente et bien mys- térieuse de Dieu, tandis qu'il a toujours été dans la destinée de la France d'être forte et prospère, l'Irlande depuis longtemps n'a au front que la couronne de ses malheurs. Mais, à leur commun dévouement, ces deux lilles de l'Eglise catholique âc sont toujours reconnues pour sœurs. Le prêtre français a toujours aimé le prêtre d'Irlande, et le prêtre irlandais a tou- jours trouvé dans la France une seconde patrie. Toujours nous en avons compté dans nos rangs. Il était Irlandais, cet abbé Edgeworth, qui nous a ravi à tous, prêtres français. Thon-
neur d'accompagner Louis XVI à Tlieure suprême, de mon- ter avec lui les degrés de réchafaud sanglant, et de lui dire l'immortelle parole : « Fils de saint Louis, montez au ciel. »
(( Peuple apôtre et peuple martyr I Oui, martyr, car ils out toutsoufl'ert pour leur foi, tout.
« Leur nationalité persiste avec toutes les qualités de leur caractère, et si ces qualités de la race irlandaise ne sont pas de celles qui se mesurent, se comptent et trop souvent se vendent, ce sont celles que chérissent et vénèrent toutes les âmes sympathiques à ce qui honore l'humanité : amour du sol natal, passion sincère et tendre pour les vieilles habitudes, respect ardent pour les choses du passé, et tout cela avec le génie poétique, avec l'éloquence, avec le charme du cœur qui ne gâte rien, et surtout avec cette incroyable faculté de souf- frir sans mourir des misères sans nom.
(( Toutes ces qualités de leur race, tous ces traits de leur caractère national, ils les ont gardés.
« Ils ont gardé mieux encore, et avec une fidélité à toute épreuve, la foi de leurs pères ; rien ne les en a pu détacher : indomptables dans la souffrance, ils ont été indomptables dans la foi.
« Non, je ne sache pas une hdélilé plus courageuse, une foi plus noblement gardée et pratiquée que celle du peuple ir- landais.
« Vous qui visitez ce noble pays, entrez dans les églises, et voyez ce peuple en prières, ces pauvres hommes, ces pau- vres femmes prosternés la face contre terre et se frappant la poitrine : où trouverez- vous une plus vive et plus attendris- sante image de Tadoration, de l'anéantissement de l'homme devant Dieu? Pourrez-vous entendre sans un saisissement, au moment de l'élévation de la sainte hostie, leurs gémissements et JÊurs prières à haute voix pour leurs pères, leurs mères, leurs fils, leurs exilés, leurs malades? Et cette foi si vive, ce n'est pas seulement la foi populaire : leurs chefs les plus re- nommés en donnent l'exemple de père en fils. Permettez-moi de vous en citer un trait touckant, que me racontait il y a peu de jours un Irlandais.
« Cet Irlandais était grand admirateur d'O'Connell, et allait souvent l'entendre à la chambre des communes. Un soir, en liiver, au mois de février, il y eut au parlement un £?rand dé- bat, qui se prolongea jusqu'à deux heures du matin : O'Connell parla le dernier et près de deux heures. L'Irlandais dont je parle avait entendu dire que c'était l'habitude d'O'Connell de communier tous les dimanches et jours de fête, à la messe de six heures, dans une des pauvres petites chapelles catholi- ques qu'on trouvait alors à Londres. Il se dit : « J'ai là une « excellente occasion de voir quelle est sa fidélité à ses habi- tt tudes religieuses. » Dans celte pensée, il se rendit, par un temps affreux, ù la petite chapelle; mais sa tristesse fut grande de n'y découvrir que quelques servantes et de pauvres ou- vriers. Cependant il se disait à lui-même qu'une journée de si grande fatigue, terminée par un long discours, à une heure si avancée de la nuit, était une excuse suffisante. Puis bientôt ses yeux s'accoutumant à l'obscurité de la pauvre chapelle, il aperçut, appuyé contre un pilier, un homme de haute taille^ enveloppé dans un manteau. Son cœur lui dit quel était cet homme. Au moment de la communion, O'Connell, c'était lui, se débarrassa de son manteau, et alla s'agenouiller à la sainte table, au milieu de ses pauvres compatriotes.
(( Voilà la foi, la piété des Irlandais, des plusgrands comme des plus humbles. »
Mgr Dl'pa>loup, évéque d'Orléans.
Y INSTRUCTION
Iles dispositions requises pour recevoir les Sacreniesits.
Prœparate corda vcstra Domino. Préparez vos cœurs an Seigneur (I Reg., VII, 3.)
Quoique les sacrements produisent la grâce par eux-mêmes, il est nécessaire cependant que l'homme y apporte certaines dispositions sans lesquelles il les recevrait sans fruit ou même pour son malheur. Mais quelles sont ces dispositions? C'est ce que nous allons vous expliquer, et par là vous com- prenez toute l'importance d'un pareil sujet, puisque l'acquisition, la conservation et le développement de la vie surnaturelle et divine dépendent des dis- positions avec lesquelles on reçoit les sacrements.
Comme les enfants ont péché par la volonté d'un autre, il est juste, dit saint Augustin, qu'ils puis- sent être sauvés par la volonté d'autrui. C'est pour- quoi Dieu n'exige aucune disposition de leur part, et ils peuvent recevoir validement les sacrements qui impriment un caractère, le Baptême, la Confir- mation et l'Ordre.
Quant aux adultes, ils doivent avoir l'intention
i
— 74 — de recevoir les sacrements. On ne doit donc jamais user de violence ni de coaction à l'égard de qui que ce soit pour l'obliger à recevoir un sacrement. Mais que penser de celui qui se présenterait librement pour recevoir un sacrement, tout en protestant in- térieurement qu'il n'en veut pas? Il est probable qu'il le recevrait valldemcnt, parce que l'action qu'il fait librement est bien plutôt l'expression de sa vo- lonté que la parole intérieure qu'il prononce, et qui ne peut être que mensongère dans cette circons- tance.
Un hérétique peut recevoir validement les sa- crements, si l'on excepte celui de la Pénitence. Donc tout hérétique qui reçoit le Baptême, la Con- firmation, l'Ordre, le Mariage, est réellement bap- tisé, confirmé, ordonné ou marié ; mais il ne reçoit pas la grâce du sacrement.
Parmi les sacrements, il en est qui sont destinés à augmenter, à perfectionner la grâce dans les âmes, et pour cette raison on les appelle les sacrements des vivants. Il faut que le chrétien vive de la vie de la grâce pour les recevoir. Ce sont la Confirma- tion, l'Eucharistie, l'Extrême-Onction, l'Ordre et le Mariage. On doit donc les refuser aux pécheurs pu- blics, tels que les excommuniés, les interdits, les infâmes, ceux qui vivent publiquement dans l'adul- tère ou le concubinage, les magiciens, les blasphé- mateurs et tous pécheurs notoires.
D'autres sacrements, savoir le Baptême et la Pé- nitence, ont pour but de conférer la grâce à ceux qui ne l'ont pas encore, ou de la rendre à ceux qui
— 75 —
i'ont perdue. Ponr cette raison, on les appelle les sa- crements des morts.
Toute la question est donc celle-ci : Quelles sont les dispositions avec lesquelles les adultes doivent s'approcher du Baptême ou de la Pénitence? Le saint concile de Trente répond : « Les adultes se disposent à la justice, lorsque, excités et aidés par la grâce de Dieu, concevant la foi par l'ouïe, ils se portent librement vers Dieu, croyant et tenant pour véritables les choses que Dieu a révélées et promi- ses, et celle-ci surtout, que c'est Dieu qui justifie le pécheur par sa grâce, en vertu de la rédemption de Jésus-Christ; ensuite, connaissant qu'ils sont pé- cheurs, et étant utilement ébranlés par la crainte de la justice divine, ils passent de cette crainte à la considération de la miséricorde de Dieu et s'élèvent à l'espérance, se confiant que Dieu les traitera avec miséricorde pour l'amour de Jésus-Christ, et ils commencent à l'aimer comme la source de toute justice; et c'est pourquoi ils sont portés contre leurs péchés par une certaine haine et détestation, c'est-à-dire par cette pénitence qu'il faut porter au Baptême; enfin ils prennent la résolution de rece- voir le Baptême, de commencer à mener une vie nouvelle et d'observer les commandements de Dieu.
« Touchant cette disposition, il est écrit : Pour s'approcher de Dieu, il faut premièrement croire qu'il est et qu'il récompense ceux qui le cherchent. Et encore : Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis. Et : La crainte du Seigneur chasse le péché. Et : Faites pénitence, et que chacun de
— 76 — vous soit baptisé au nom de Jésus-Clirist pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. Allez, instruisez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint- Esprit, leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai prescrites. Et enfin : Préparez vos cœurs au Seigneur. » (Sess. vi, cap. 6.)
Reprenons. \^ Pour se disposer à recevoir la grâce de la justification, il faut d'abord que le pé- cheur soit aidé de la grâce de Dieu. En effet, le pé- ché, en lui ôtant la vie surnaturelle, l'a mis dans un état de mort. Or, un mort peut-il se rendre la vie? Et d'ailleurs qu'est-ce que la justification? C'est une participation à la vie de Dieu. Or, de l'homme à Dieu, ou de la vie humaine à la vie di- vine, il y a une distance infinie. Est-il possible, par exemple, que la pierre puisse par elle-même se don- ner la vie de la plante, ou que la plante se donne la vie de l'animal, ou que l'animal se donne la vie hu- maine? Non, certes; car il y aurait contradiction dans les termes : on affirmerait qu'un être peut par sa nature s'élever au-dessus de sa nature. Il est donc de toute impossibilité à l'homme de se dispo- ser à la justification ou de tendre à la vie surna- turelle et divine par ses propres forces ou par sa nature. Dieu lui-môme, quoique tout puissant, ne saurait créer un être assez parfait pour pouvoir se donner la vie divine par sa propre nature, puisque sa nature sera toujours la nature humaine, et sa vie une vie humaine, quelque grandes que soient ses perfections. Il faut donc que Dieu lui communique sa grâce par un don purement gratuit.
— 77 —
2"" Mais il faut aussi que l'homme coopère libre- ment à cette grâce. Quand Dieu touche le cœur du pécheur, il le fait avec tant de douceur et de sua- vité, que l'homme reste toujours libre de suivre l'inspiration d'en haut ou de la repousser, et qu'il demeure constamment maître de ses actions. « Le saint concile de Trente déclare que le commence- ment de la justification, dans les adultes, doit se prendre de la grâce prévenante de Dieu par Jésus- Christ, c'est-à-dire de sa vocation, par laquelle ils sont appelés, sans qu'il y ait aucun mérite de leur part, afin qu'au lieu que leurs péchés les éloi- gnaient de Dieu, sa grâce, en les excitant et les aidant, les dispose à se convertir à lui, pour leur justification, par un consentement et une coopéra- tion hbre à cette même grâce; en sorte que, quand Dieu touche le cœur de l'homme par la lumière du Saint-Esprit, il n'est pas vrai que l'homme soit sans action en recevant cette inspiration, puisqu'il peut même la rejeter, quoiqu'il soit vrai que, sans la la grâce de Dieu, il ne peut se porter, par le libre arbitre de sa volonté, vers la justice. C'est pour- quoi, lorsqu'il est dit dans les saintes Lettres : Convertissez-vous à moi, et je me convertirai à vous, nous sommes avertis que nous sommes li- bres ; et lorsque nous répondons : Seigneur, con- vertissez-nous à vous, et nous serons convertis, nous reconnaissons que c'est la grâce de Dieu qui nous prévient. » (Sess. vi, c. 5.)
Pourquoi Dieu exige-t-il que l'homme coopère à sa propre justification? Pour deux raisons qui font
— 78 — ]a gloire de Thommc. Et d'abord, c'est là ce qui donne du prix aux hommages qu'il rend à Dieu. S'il était forcé de courber son front devant le Roi des rois, il ne lui rendrait pas plus de gloire que le soleil et les astres, les arbres et les plantes, et il n'aurait pas plus de mérite que les êtres inanimés. En second lieu, en lui accordant la faculté d'ac- quiescer ou de résister à la grâce, Dieu lui commu- nique quelque chose de sa propre grandeur. Pour- quoi, en effet, Dieu est-il si grand? C'est qu'il existe par lui-même, qu'il est l'auteur de son être, de ses perfections, de sa vie, de son bonheur. Dieu a voulu que l'homme pût dire aussi, avec la diffé- rence qui existe entre le Créateur et la créature : Je suis l'auteur de ma vie et de mon bonheur, je vis de la vie divine, je jouis du bonheur de Dieu, parce que je l'ai voulu. Voyez-vous quel profond respect le Fils de Dieu témoigne au fils de l'homme f Il le prie, il le supplie de lui donner son cœur, il verse des larmes sur son sort, il le rachète au prix de son sang. Arrière les esclaves I Dieu ne veut, pour le servir, que des cœurs généreux, des âmes nobles et vraiment libres.
3° Le pécheur est donc attiré vers Dieu par la grâce, mais si doucement qu'il demeure toujours libre de résister à son attrait. El la grâce exerce son action sur les puissances de l'âme, sur son in- telligence, sa mémoire, sa volonté; elle lui inspire successivement des sentiments de foi, de crainte, de confiance en Dieu, de repentir de ses fautes, d'amour et de ferme propos de servir Dieu à l'ave-
— 79 — nir; elle lui fait faire des actes de ces différentes vertus, jusqu'à ce qu'il arrive à la plénitude delà vie surnaturelle. Le saint concile de Trente nous apprend même la manière dont s'opère dans l'âme du pécheur sa transformation en homme céleste et divin. Ainsi il commence par croire comme certai- nes toutes les vérités que Dieu a révélées cà son Eglise, et en particulier qu'il ne peut être sauvé que par la médiation de Jésus-Christ. Se sentant coupahlc et chargé de péchés, il est effrayé au sou- venir des jugements de Dieu ; mais reportant son esprit sur la miséricorde et la bonté infinies avec lesquelles Jésus-Christ a toujours accueilli les pé- cheurs repentants, il espère qu'il aura pitié de lui, et il commence à aimer Dieu comme source de toute justice. Cet amour excite dans son cœur une haine profonde pour le péché, et par conséquent un vif désir d'expier ses fautes par la pénitence et d'observer fidèlement à l'avenir toute la loi de Dieu. C'est ainsi, mes frères, que le pécheur obtient la grâce de la justification, c'est-à-dire devient un homme surnaturel et divin.
Admirez encore ici, mes frères, cette magnifique harmonie entre le monde naturel et le monde sur- naturel.
La terre la plus fertile ne produit rien d'elle- même, il faut qu'on dépose une semence dans son sein ; et pour que cette semence germe, qu'elle élève sa lige et porte des fruits, il faut l'action si- multanée de deux agents, l'un intérieur et l'autre extérieur. L'agent intérieur est une certaine force
— 80 — d'attraction renfermée dans la semence, qui attire à soi la nourriture ou les sucs qui lui sont propres. L'agent extérieur est un sol convenable, une cer- taine humidité, la lumière et la chaleur du soleil. Ainsi la nature humaine la plus parfaite ne peut rien produire pour l'ordre surnaturel sans la grâce, qui est comme une semence que Dieu dépose dans le cœur de l'homme. Cette semence divine donne au libre arbitre la faculté de faire des actes de vertu, et s'il en suit les mouvements, il attirera à lui les aliments dont il aura besoin pour que l'homme sur- naturel soit complet. Cependant il faut encore que Dieu répande sur cette semence la rosée divine, la lumière et la chaleur du soleil des intelligences, jusqu'à ce que, par l'action simultanée de ces deux causes, la grâce et la coopération du libre arbitre, la racine soit devenue plante et ait produit les fruits de la charité.
La formation de l'homme physique n'cst-elle pas encore l'image de la formation de l'homme surna- turel? N'en est-il pas de même de la vie de l'in- telligence? Telle est donc la loi universelle pour tout ce qui existe, la plante, l'animal, le corps de l'homme. Sa vie raisonnable et sa vie surnaturelle et divine commencent, se fortifient et se dévelop- pent sous l'empire des mêmes lois. Et de môme qu'à l'origine des choses Dieu créa et constitua Adam avec toute sa nature et toutes ses facultés développées, ainsi encore, par le Baptême, il crée dans les enfants, sur-le-champ et sans aucune dis- position de leur part, l'homme surnaturel complet.
— 81 —
Si un enfant vient au monde avec une constitu- tion incomplète pour ce qui concerne les fonctions vitales, il est déclaré non viable, et il est incapable d'hériter. Quelque chose de semblable se passe à la mort des chrétiens; car, s'ils entrent dans l'autre monde sans avoir la plénitude de la vie de la grâce, ou ne la possédant que d'une manière imparfaite, par exemple, la foi, l'espérance seulement, ou peut- être encore un commencement de charité, ils sont déclarés non viables pour le ciel et sont incapables d'hériter des biens de leur Père céleste.
Certains chrétiens dans le monde prétendent que, s'ils ne sont pas meilleurs, ce n'est pas de leur faute, mais bien de la faute de leur nature cor- rompue, ou delà faute de la grâce, qui ne leur est pas donnée assez abondamment. Les malheureux ! ils font à Dieu un crime de ses bienfaits. Ils vou- draient n'être pas libres, afin d'être dispensés de coopérer à la grâce et de travailler à leur salut. Mais quelle serait donc la gloire du général qui ne devrait la victoire qu'à la valeur et au nombre de ses bataillons? Qu'est-ce donc qui fait son mérite, si- non la sagesse de son plan de campagne et le cou- rage qu'il déploie sur le champ de bataille? Mais s'il ne s'occupe en rien des dispositions qu'il doit prendre, s'il est sans énergie et sans vigueur au mo- ment du combat, au lieu de cueillir glorieusement les lauriers de la victoire, il est honteusement dé- fait et mis en fuite; au lieu d'être porté en triom- phe, il sera flétri comme il le mérite et couvert de honte et d'infamie.
Â.
- 82 —
Voyez-vous ce négociant qui travaille nuit cl jour pour acquérir la fortune? Malgré toutes les peines qu'il se donne, les légers bénéfices qu'il réalise sont absorbés par son entretien et celui de sa famille. Il a beau déployer toutes les ressources de son intel- ligence et de son activité, il reste dans la môme si- tuation. Ah! si quelqu'un venait lui révéler le se- cret d'augmenter ses revenus à volonté, quelles ne seraient pas sa joie et sa reconnaissance! Eh bien ! mes frères, c'est là ce que Dieu a fait à notre égard ; car nous serons d'autant plus riches en grâces que nous apporterons des dispositions plus parfaites à la réception des sacrements. Il ne tient donc qu'à nous d'augmenter nos trésors spirituels.
Considérez cette jeune personne qui se contemple dans un miroir : elle n'est point satisfaite de son lot; elle trouve qu'elle pourrait être moins laide, ce qui lui fait pousser de profonds gémissements et verser des larmes. N'a-t-elle pas une compagne beaucoup plus belle et à laquelle tout le monde rend hom- mage? Mais voilà qu'un ange paraît à ses côtés et lui dit : Cessez de pleurer; je viens de la part de Dieu vous faire connaître un moyen de corriger tous les défauts de votre nature et de croître en beauté selon votre désir. Surprise, confondue, elle ne peut en croire ni ses yeux, ni ses oreilles ; mais confir- mée par des témoignages authentiques de la part de l'envoyé céleste, elle ajoute foi à sa parole et fait part de son bonheur au ciel et à la terre. Or, savez- vous ce que c'est que l'obligation d'apporter de saintes dispositions à la réception des sacrements?
— 83 —
C'est le privilège que Dieu nous donne d'augmenter en beauté selon notre bon plaisir, puisque la grâce est une participation à la beauté de Dieu, et que nous obtiendrons d'autant plus de grâces que nos dispositions seront plus parfaites.
Un enfant se livre à l'étude des sciences et des arts; mais, malgré le travail le plus opiniâtre, il n'y fait aucun progrès. Il a l'esprit lourd, la mémoire ingrate, l'imagination calme et froide. Que ne don- nerait-il pas pour avoir plus de talents? Fallût-il s'imposer les plus grands sacrifices, il s'y résigne- rait volontiers. Or, quand Dieu exige notre coopé- ration pour la vie de la grâce, il nous dote du pou- voir d'augmenter à notre gré toutes les facultés de notre âme; car la grâce est une participation à l'in- telligence, à la puissance, à la sagesse et à la bonté de Dieu, et il ne tient qu'à nous d'y participer tou- jours plus largement.
Parcourez toutes les carrières, interrogez tous ceux qui les suivent, vous n'entendrez sortir de leur bouche qu'une seule plainte : Il n'y a pas d'avancement. Tel officier devrait être général, tel substitut procureur général, et tel employé préfet. Que l'Empereur soit assez puissant pour faire tom- ber toutes les barrières, et qu'il donne à chacun de l'avancement selon sa volonté, quelle joie univer- selle ! quel cantique d'actions de grâces ! Or, à quoi revient l'obligation de concourir à l'action de Dieu pour répandre sa grâce dans nos âmes? A l'insi- gne faveur d'obtenir chaque jour de l'avancement, si nous le voulons. C'est la loi du progrès indéfini.
— 84 — Soyez parfaits, nous dit notre divin Maître, comme votre Père céleste est parfait. Tel est le terme de votre perfection , l'infini ; c'est le modèle que vous devez imiter d'une manière de plus en plus par- faite.
0 mon Dieu, que nous sommes ingrats ! Nous
considérons comme des obligations trop lourdes, comme des charges trop pesantes, ce qui, en réa- lité , est une faveur insigne et un effet de votre bonté infinie. Etablis rois sur une petite contrée, il ne tient qu'à nous d'élargir incessamment le cer- cle de nos domaines, d'étendre les limites de notre empire, d'acquérir plus de gloire, plus de noblesse, plus de grandeur, et nous nous plaignons I Quel aveuglement ! quelle folie !
Pécheurs qui m'écoutez, ne dites pas que vous ne vous sentez pas encore assez de force pour vous disposer à recevoir les sacrements, ou que vous n'avez pas une foi assez vive. Il vous est possible, avec la grâce qui ne vous fera jamais défaut , de préparer votre âme à se réconcilier avec Dieu. Priez-le avec ferveur, avec confiance et persévé- rance. Demandez-lui qu'il change votre cœur, qu'il le remue puissamment, qu'il l'arrache à ses mau- vais penchants et le tourne vers le ciel ; qu'il dompte et brise votre orgueil, comme il fit autre- fois de saint Paul sur le chemin de Damas. Forti- fiez votre foi par la méditation de l'Evangile et l'é- tude sérieuse de toutes les preuves sur lesquelles la vérité de la doctrine chrétienne est établie. Ré- •fléchissez sur vos fins dernières ; pensez sérieuse-
— 85 — ment à la mort qui vous enlèvera bientôt à vos pa- rents et à vos amis, et vous jettera au tribunal de Dieu pour y être jugé sévèrement et sur le mal que vous aurez fait et sur le bien que vous auriez dû faire. N'oubliez pas que vous êtes suspendus entre le ciel et l'enfer, et qu'il ne faut qu'un moment pour vous précipiter au fond de ces abîmes de feu, séjour du remords et du désespoir. Puis, tournant vos regards vers la croix, considérez avec quelle ineffable miséricorde Jésus-Cbrist vous tend les bras et vous offre votre pardon. A cette vue, la confiance renaîtra au fond de votre âme ; vous aimerez Dieu, vous voudrez vous réconcilier avec lui. Par ces pieux exercices, vous vous disposerez à recevoir les sa- crements qui vous donneront la plénitude de la vie surnaturelle et divine, avec laquelle vous serez ad- mis dans la plénitude du bonheur et de la gloire. Jmen.
SAINTE ROSE DE VITERBE. — SON ENFANCE.
Après avoir longtemps persécuté l'Eglise, Tempereur Fré- déric P*" lui avait confié on mourant son fils au berceau. Tou- jours généreuse, la papauté se montra digne de cette sublime confiance du père, et adopta l'enfant de son ennemi. Inno- cent III employa tout son génie, toute l'énergie de sa grande âme, à lui conserver la couronne de Sicile que sa mère lui avait laissée. Pupille de TEglise, à laquelle il devait tout, il semble que Frédéric II, quand l'élection Teut fait à son tour empereur d'Allemagne, eût dû se souvenir de son enfance et ne pas tourner ses armes contre celle qui lui avait servi de mère. Mais l'orgueil du pouvoir, l'amour des voluptés païen- nes et les séductions de l'hérésie l'entraînèrent bientôt dans
— 86 —
la révolte. 11 était jeune, énergique et puissant, et il aimait les lettres : il devint la tête et les bras de tout ce qui com- battait et raisonnait contre l'Eglise. Sous sa protection, l'hé- résie et rimpiélé se répandirent à l'aise dans ses vastes do- maines. Les évoques qui lui résistèrent, il les brisa ; les reli- gieux qui élevèrent la voix, il les cliassa ; il dépouilla les égli- ses, vendit leurs biens, abolit les immunités, étouffa toute li- berté, toute justice sous son joug de fer. Les jurisconsultes applaudissaient, les hérétiques se réjouissaient, les savants ad- miraient. Après avoir joué la papauté qui voulait diriger cette énergie puissante conire les infidèles, après s'être réconcilié une fois avec elle pour la mieux détruire en la trompant, il leva enfin le masque, et résolut de s'emparer de toute l'Italie. L'Italie soumise, il voulait faire du Pape un simple évoque de son empire, qu'il eût nommé, changé, déposé selon ses ca- prices. La papauté, représentée alors par un vieillard pres- que centenaire, semblait humainement perdue. Mais Dieu avait donné à ce vieillard un courage invincible. A la vue de ce grand péril, son cœur ne trembla pas; il ne fléchit pas ; il ne chercha pas à transigner, à sauver au moins les débris de sa fortune : au nom de Jésus-Christ qu'il représente, il parle en maître à cet empereur si puissant, et prononce contre lui la sentence d'excommunication qui allait rendre les derniers jours du pontife errants, fugitifs, incertains d'un abri, d'un vêtement et du pain. Le cœur bat de joie en rappelant celte glorieuse fermeté séculaire, en nommant Grégoire IX.
Frédéric II était dans le nord de l'Italie quand il apprit Tex- communicationque le Pape avait lancée contre lui. Impatient de se venger, il part à la tête de son armée. Il descend dans la Toscane, qu'il soumet. Il entre dans le duché de Spolète, au centre des possessions de l'Eglise, et toutes les villes lui ou- vrent leurs portes.
Le cardinal Colonna, qui commandait les forces du Pape, trahit son maître pour se donner à l'empereur. Au mois de mars de l'année 1240, Frédéric II entrait à Viterbe, qui était alors une des plus fortes villes de l'Etat romain. Du haut des montagnes qui l'entourent, il pouvait apercevoir cette Rome,
— 87 —
dernier rempart où s'abritait la papauté. Déjà sa cavalerie parcourait la campagne romaine et allait insulter Grégoire IX jusqu'aux portes de sa capitale, où elle le tenait enfermé.
C'est en ce moment que naquit à Viterbe, au pied même du palais qu'habitait Frédéric II, une jeune fille dont la parole elles miracles devaient réveiller la foi de Tllalie et renverser le puissant empereur qui se croyait déjà maître de l'Eglise.
Derrière le couvent des religieuses de Sainte-Marie des Roses vivait une pauvre et noble famille toute dévouée au service du couvent. Le père s'appelait Jean et était déjà vieux, et sa femme, nommée Catherine, était stérile. Tous deux ser- vaient Dieu avec crainte et gémissaient sur les maux de l'Eglise et la corruption de leur temps. Dieu abaissa ses regards sur cette pieuse famille, et Catherine mit au monde, au printemps de 1240, cette Rose qui devait réjouir la papauté au milieu des épines qui la déchiraient.
Dès sa première enfance, notre Seigneur montra, par un étonnant prodige, la puissance dont il l'avait investie et la mission à laquelle il la destinait. Elle n'avait encore que trois ans, lorsque mourut une de ses tantes, sœur de sa mère. Le cadavre était déjà exposé dans le cercueil ; la famille en pleurs se disposait à l'accompagner à l'église, lorsque la sainte enfant s'approche de sa tante et l'appelle à haute voix. A cet ordre, la mort obéissante rend sa proie, et cette femme se lève au milieu des assistants épouvantés. En un moment le bruit de ce miracle se répand dans Viterbe ; le peuple accourt pour être témoin de cette résurrection. La foi se ranime dans ces cœurs égarés par les séductions des hérétiques, et avec la foi le courage. Enhardie par ce témoignage de la puissance di- vine, la foule prend les armes, s'empare du palais du gouver- neur nommé par Frédéric II, et le force de se retirer dans la partie de la ville où est aujourd'hui la cathédrale. L'empereur revint avec son armée assiéger Viterbe ; mais il ne put triom- pher alors de la résistance héroïque des habitants. Ce ne fut que quatre ans après que ses troupes parvinrent à rentrer dans la ville.
Cependant la sainte enfant, pour échapper à l'admiration
— 88 — de ses concitoyens, s'était renfermée dans une petite cham- bre de la maison de son père. Elle y passa six années dans la prière et la pénitence, ne sortant que pour aller à Téglise ou pour secourir les pauvres. Elle jeûnait presque continuelle- ment, ne vivant que d'un peu de pain et d'eau, et restant quel- quefois une semaine entière sans manger. Elle n'avait d'autre vêtement qu'un cilice, marchait la tête et les pieds nus, et dormait sur la terre. La nuit, elle se donnait la discipline, rougissant de son sang les murs de sa cellule, afin d'apaiser la colère de Dieu appesantie sur son Eglise. Dans cette vie de retraite et de silence, quelques miracles venaient seuls la rap- peler à ses concitoyens. Un jour son père, effrayé de ses au- mônes, voulant la forcer de lui montrer ce qu'elle portait aux pauvres. Dieu changea en des roses magnifiques le pain de sa charité, comme il avait déjà fait pour plusieurs de ses servantes. (Ribadeneira.)
Cet exemple doit nous confondre, nous qui [avons tant de peine à faire quelques actes de mortification pour nous pré- parer à recevoir les sacrements.
VF INSTRUCTION.
Iles effets gëBiérau:iL êtes ^aeremeiits.
Venite ad me omnes qui laboralts et onerati estis, et ego reficiam tos.
Venez à moi, vous tous qui tra- vaillez et qui êies chargés, et je vous referai.
,Mattu.,xi,28.]
Le Fils de Dieu s'est fait homme, mes frères, pour racheter le genre humain, le refaire, le recréer en l'élevant à l'ordre surnaturel. Mais afin de ren- dre l'homme plus semblahle à Dieu, il a voulu qu'il coopérât à cette mystérieuse transformation par la- quelle il devient participant de la nature divine. Pourvu donc qu'il dispose son âme, et qu'il ne mette aucun obstacle à l'effusion de la grâce, il la reçoit certainement, parce que les sacrements la contiennent et la produisent par leur propre vertu.
Ne croyez donc pas que les dispositions soient la cause qui produit la grâce dans les âmes. La fenêtre que vous ouvrez dans un appartement n'est nulle- ment la cause de la projection de la lumière ; c'est seulement une condition nécessaire pour que la lu- mière pénètre dans l'appartement : de même les dispositions de l'âme ne sont qu'une condition sans laquelle la grâce ne coulerait pas dans les âmes. Comme le feu contient et produit la chaleur, ainsi
— 90 — les sacrements de la loi nouvelle contiennent et produisent la grâce par eux-mêmes ; c'est ce qui les distingue des sacrements de la loi ancienne. Ceux- ci, en effet, ne produisaient pas la grâce, mais ils la figuraient et excitaient dans le cœur de vifs sen- timents de loi, de confiance et d'amour, en vertu desquels Dieu répandait sa grâce dans les âmes. Saint Paul les appelle, dans son langage énergique, des éléments vides et sans force. Au contraire, les sacrements de la loi nouvelle signifient, contien- nent et communiquent la grâce, à peu près comme des charbons ardents signifient, contiennent et com- muniquent le feu, pourvu que la matière à laquelle on les applique soit inflammable. Cette qualité de la matière d'elre inflammable, qui marque les dis- positions de l'âme, n'est pas la cause qui produit le feu, mais une condition nécessaire pour que le feu renfermé dans les charbons lui soit communi- qué. Ecoutez maintenant la grande voix de l'E- glise avec tout le respect qu'elle mérite :
« Si quelqu'un dit que les sacrements de la loi nouvelle ne contiennent pas la grâce qu'ils signi- fient, ou qu'ils ne confèrent pas la grâce elle-même à ceux qui n'y mettent point d'obstacle, comme s'ils étaient seulement des signes extérieurs de la justice ou de la grâce qui a été reçue par la foi, ou de simples marques de la profession du christia- nisme, par lesquelles on discerne aux yeux des hommes les fidèles d'avec les infidèles, qu'il soit anathèmc.
« Si quelqu'un dit que la grâce, autant qu'il est
— 91 — du dessein de Dieu, n'est pas donnée toujours et à tous par ces sacrements, quoiqu'ils soient reçus avec les conditions requises, mais que celte grâce n'est donnée que quelquefois et à quelques uns, qu'il soit anathème.
« Si quelqu'un dit que les mêmes sacrements de la loi nouvelle ne confèrent pas la grâce par leur propre vertu, mais que la seule foi aux pro- messes de Dieu suffit pour obtenir la grâce, qu'il soit anathème. » (Conc. Trid., sess. vu, can. 6, 7 et 8.)
Il est donc de foi catholique que les sacrements de la loi nouvelle contiennent et confèrent la grâce, qu'ils la communiquent toujours et à tous ceux qui n'y mettent point obstacle, qu'ils la communiquent par eux-mêmes et par leur propre vertu.
Voulez-vous vous convaincre encore mieux de cette vérité ? méditez attentivement les paroles de leur institution : ^< Si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit saint, nous dit Jésus-Christ, il ne peut entrer dans le royaume des cieux. » Donc quiconque est né de l'eau et du Saint-Esprit peut entrer dans le royaume des cieux, et par consé- quent il a reçu la grâce sanctifiante, puisqu'on ne saurait y entrer sans elle.
Les apôtres imposaient les mains à ceux qui avaient été baptisés, et ils recevaient le Saint-Esprit. Mais le Saint-Esprit ne demeure que dans les âmes ornées de la grâce sanctifiante.
Parlant de l'Eucharistie, Jésus-Christ nous dit : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sanc^, a
)
— 92 —
Ja vie éternelle. » Or, la vie éternelle est la posses- sion de Dieu ; c'est donc aussi la possession de la grâce sancliliante.
lien est de même de tous les autres sacrements.
Ecoutez Tertullien : « Le corps est lavé, nous dit-il, afin que lame soit purifiée; le corps reçoit l'onction, afin que l'âme soit consacrée; le corps est marqué du signe de la croix, afin que l'âme soit fortifiée ; le corps reçoit l'imposition des mains, afin que l'âme soit éclairée; le corps se nourrit de la chair et du sang de Jésus-Christ, afin que l'âme soit engraissée de Dieu. »
Considérez ce qui se passe dans la nature, nous disent les Docteurs de l'Eglise. Comme la terre pro- duit ses fruits d'elle-même, comme le feu engendre par lui-même la chaleur, comme le soleil répand sa lumière, ainsi les sacrements produisent des fruits divins , une chaleur divine et une lumière toute céleste. Cependant nous ne saurons jamais comment cela se fait, parce que tout est mystère, même dans la nature.
Expliquez-moi, dit saint Grégoire de Nysse, le mystère de la naissance de l'homme selon la chair, et je vous expliquerai le secret de sa renaissance selon l'esprit. De part et d'autre, c'est une vertu divine, une efficacité incompréhensible, dont au- cune science ni aucune raison ne sauraient rendre compte.
Et comment se fait-il qu'il n'y ait que les subs- tances alimentaires qui nourrissent l'homme ? C'est, répondent les savants, parce que ces subs-
— 93 — tances seules renferment des sucs nutritifs pro- pres à soutenir la vie physique de Thomme. Mais pourquoi les autres substances n'en renferment- elles pas ? Parce que tel.'e est la volonté de Dieu.
Comment se fait -il que le langage soit le seul moyen propre à la formation de la vie de l'intelli- gence? Tel est le bon plaisir de Dieu.
Si donc vous me demandez : Comment les sacre- ments produisent-ils ou augmentent-ils la grâce dans les âmes? Telle est la volonté de Dieu, vous répondrai-je. Vous êtes bien convaincus que sans la nourriture vous ne pouvez conserver la vie de votre corps, et vous avez grand soin de prendre vos repas chaque jour. Vous savez apprécier les avantages de l'instruction, et vous ne reculez de- vant aucun sacrifice pour vous instruire et pour faire instruire vos enfants , sans vous inquiéter des profonds mystères que renferment les lois de la vie humaine. Pourquoi donc vouloir approfondir les mystères bien plus insondables de la vie di- vine? Avez-vous l'entière certitude que les sacre- ments sont les moyens que Dieu a établis pour nous communiquer cette vie? Cela doit vous suffire, et vous ne devez plus avoir qu'un soin, celui de vi- vre saintement, afin de pouvoir vous en approcher tous les jours. Or, pourriez-vous avoir le moindre doute à ce sujet? Votre croyance ne repose-t-elle pas sur l'autorité infaillible de l'Eglise, sur la pa- role de Dieu, sur l'enseignement de tous les Pères et de tous les Docteurs de l'Eglise, de tous les évo- ques du monde catholique? Que vous faut-il de
- 94 — plus? Dans la pratique de la vie, rexpérlence seule suffit pour vous déterminer. Eli bien ! l'expérience constate journellement les merveilleux effets des sacrements.
En effet, d'où vient au chrétien qui fréquente les sa- crements avec les dispositions exigées celte paix et celtetranquillitéd'àmc qui faitsajoieetson bonheur? C'est un homme du monde, en possession d'une belle fortune qui lui permet de satisfaire ses goûts et ses caprices; il peut, comme Salomon, ne rien refuser à son cœur. C'est Guillaume, duc d'Aquitaine, qui regorge d'honneurs et de richesses. Il est bien fait de sa personne; il est versé dans toutes les sciences humaines; il est très-habile dans l'art de la guerre et dans l'administration, et, par ses rares qualités, il est devenu l'ami intime de Charlemagne. Que peut-il désirer de plus? Il avoue cependant qu'il n'est pas heureux, et qu'il y a dans son cœur un vide immense que rien ne saurait combler. Il s'ar- rache donc au monde et à toutes ses jouissances pour vivre pauvrement dans la solitude. Son uni- que bonheur est de communier souvent, et chaque fois qu'il se relire de la table sainte, il verse d'abon- dantes larmes de joie.
Mais chaque jour des milliers de faits semblables se révèlent au milieu de vous, au sein même de vos familles. Interrogez vos mères, vos épouses, vos sœurs, vos filles, qui s'approchent souvent des sa- crements, et demandez-leur si ce n'est pas là qu'el- les vont puiser le bonheur. .Mais à quoi bon les interroger? La joie de leur âme qui se reflète sur
~ 9o — leur visage, dans leur maintien et dans toute leur conduite, vous dit assez qu'elles sont heureuses. Plus d'une fois vous vous êtes dit, en les considé- rant : Que ne puis-je goûter le même bonheur !
Considérez aussi ces chrétiens de tous les temps, en butte à la haine implacable des païens, des in- fidèles, des hérétiques et des philosophes ; car dans tous les temps l'Eglise a souffert d'horribles persé- cutions. Ignorez -vous que, pour les faire apostasier, il n'y a pas de supplice qu'on n'ait inventé, pas de tourment qu'on ne leur ait fait subir? Tout a été mis en œuvre, et le feu et le glaive, et les croix et les chevalets, et le plomb fondu et les brasiers ardents ; et au milieu de ces affreux tourments, dont le seul souvenir nous fait encore frissonner d'horreur, pas une plainte, pas un murmure, pas la moindre ré- sistance : tous meurent calmes et résignés, priant pour leurs persécuteurs et leurs bourreaux. D'où leur est donc venu ce courage héroïque? Martyrs de Jésus-Christ, secouez la poussière du tombeau et paraissez ; dites-nous donc le secret de cette force vraiment divine qui vous a fait braver les plus cruels supplices. J'entends vos maîtres qui vous ont for- més à ces terribles combats, saint Chrysoslôme, saint Basile, saint Ambroise, saint Cyprien ; et ils me disent que les sacrements ont été pour vous l'armure de Dieu qui vous a rendus invincibles, et que, lorsque vous en étiez munis, vous parais- siez dans l'arène plus terribles que des lions par votre courage magnanime et votre inaltérable pa- tience.
- 96 -
Honnêtes gens du monde, philosophes ou hbres penseurs, vous n'ajoutez pas foi à l'affirmation de ces hommes si savants et si désintéressés, vous niez même qu'il en soit ainsi; mais votre négation ne rend pas raison des faits que je vous signale. Tnc négation ou un doute n'explique rien. Cepen- dant ce fait, qui se produit sans cesse dans l'Eglise catholique, a une cause. Or, quelle peut être cette cause, sinon l'efficacité des sacrements?
]Se voyez-vous pas encore une foule de fervents catholiques, prêtres, évêques, religieux, religieuses, qui pratiquent les conseils évangéhques dans toute leur perfection? Les uns se retirent dans la solitude, pour expier, par d'austères pénitences, leurspropres péchés et les péchés de leurs frères ; les autres se consacrent à l'instruction et à l'éducation de la jeunesse, et d'autres enfin au soulagement des pau- vres et des malades.
Est-il besoin de vous dire ce que font les Char- treux, les Trappistes, les Capucins, les Frères de Saint-Jean de Dieu, les Frères de la Doctrine chré- tienne, les Trappistines, les Carmélites, les Claris- ses, les Sœurs de la Charité et de la Doctrine chré- tienne, les Petites Sœurs des Pauvres? Chaque jour vous êtes témoins de leurs mortifications, de leurs travaux, de leur héroïque dévouement. Et parmi ces simples laïques, ces chrétiens à la foi robuste qui composenl les conférences de Saint-Vincent de Paul, et ces dames généreuses qui font partie de toutes les associations de charité et de bienfai- sance; qui les forme? qui les soutient et les pro-
— 97 —
page? N'est-ce pas l'esprit de Jésus-Christ? Et où vont-ils se remplir de l'esprit de Jésus-Christ, sinon dans la pratique des sacrements?
Dans l'Eglise catholique seule, vous rencontrez des chrétiens qui se montrent semblables à Jésus- Christ : ils font des miracles comme lui ; comme lui, ils pratiquent parfaitement les vertus de pau- vreté, d'humilité, de chasteté, d'obéissance, de cha- rité, de patience, de dévouement; comme lui, ils sacrifient leur repos, leur santé, leur honneur, leur vie pour la gloire de Dieu et le salut du prochain , comme lui, ils meurent, pour sauver leurs frères, au milieu des plus cruels supplices. 'Ils ont donc le même esprit et la même vie surnaturelle, puis- qu'ils font les mêmes œuvres.
Mais si ces étonnants phénomènes ne sont pas les merveilleux effets des sacrements, nous devons les retrouver dans les sectes religieuses ou philo- sophiques. Or, je vous défie de nous citer quelque chose de semblable en dehors du catholicisme. Pro- testants ou philosophes, montrez-nous, je ne dis pas des milliers de chrétiens semblables à ceux dont je viens de parler, mais un seul saint Laurent, un seul Charles Borromée, un seul François Xavier, un seul Vincent de Paul; montrez-nous un seul chartreux, un seul missionnaire, une seule fille de la Charité.
Direz-vous que ce courage héroïque, ce dévoue- ment personnel, cette immolation de soi-même, sont l'effet de l'imagination, du fanatisme, de la superstition? Mais comment se fait-il que ces faits
5
— 98 — merveilleux ne se produisent que parmi les catho- liques qui fréquentent les sacrements? L'imagina- lion, le fanatisme et la superstition seraient-ils donc le fait des seuls catholiques? Et comment ne les retrouvons-nous pas partout ailleurs? Ce n'est pas tout : dites-nous encore comment l'imagina- tion, le fanatisme et la superstition poussent à la pratique des plus suhlimcs vertus des personnes de tout âge, de toute condition, et cela chez tous les peuples catholiques, chez les peuples les plus po- lis, les plus éclairés et les plus civilisés.
Prétendez-vous, au contraire, que c'est là le ré- sultat de l'instruction, du progrès dans les sciences et dans les arts? Mais alors rien ne devrait èlre plus commun que l'héroïsme chez les philosophes, eux qui se croient les seuls savants et les seuls éclai- rés, et rien ne devrait être plus rare que le dévoue- ment et l'héroïsme chez les catholiques, eux qui, s'il faut vous en croire, sont les plus grossiers et les plus ignorants des hommes.
Partagez toute cette ville en deux camps : l'un sera composé de ceux qui fréquentent les sacre- ments, et l'autre de ceux qui ne les fréquentent pas. De quel côté trouverez-vous non seulement la probité et la justice, mais l'amour du travail, l'hu- milité, le mépris des biens de la terre, le dévoue- ment personnel, ou la charité qui se sacrifie? Ja- mais nous ne craindrons de subir une semblable épreuve, car elle sera tout entière en faveur des sa- crements.
Deux hommes cultivent deux champs voisins
— 90 —
l'un de l'autre et de même nature. Tous deux les cultivent à peu près de la même manière. L'un n'y mct aucun engrais et ne recueille que quelques ra- res épis ; l'autre y met de l'engrais et récolte cha- que année une abondante moisson. Si l'on vous demande quelle est la cause qui produit dans le champ de ce dernier des épis si beaux, si pleins et si serrés, vous répondrez aussitôt que c'est l'en- grais qu'il y répand, et vous direz vrai. De même l'Eglise catholique cultive le cœur humain; l'héré- sie et la philosophie le cultivent aussi. La philoso- phie et l'hérésie ne donnent que la culture, c'est- à-dire l'instruction, et np recueillent que quelques rares fruits de vertu. L'Eglise catholique, outre la culture ou l'instruction, met de l'engrais sur son champ, c'est-à-dire confère les sacrements aux fi- dèles, et le cœur humain, qu'elle a ainsi engraissé de la grâce divine, produit une abondante moisson d'œuvres admirables et d'actions héroïques. Quelle en peut être la cause? >''est-ce pas évidemment la réception des sacrements de la loi nouvelle?
Mais, me direz-vous, n'y a-t-il pas aussi beau- coup de chrétiens qui fréquentent les sacrements et qui sont loin d'être vertueux? >'ous ne le nions pas, mes frères; nous reconnaissons le fait et nous le déplorons. Mais à qui la faute? N'y a-t-il pas aussi des personnes qui sont toujours malades, quoiqu'elles soient bien nourries? Cela vous empê- chc-t-il de prendre vos repas tous les jours? >''y a-t-il pas des hommes qui demeurent ignorants toute leur vie, quoiqu'ils aient reçu des leçons de
.'>\
— 100 —
maîtres très-habiles? D'où vient leur ignorance? iS'est-ce pas de leur incapacité ou de leur paresse? Ainsi en est-il des chrétiens qui s'approchent sou- vent des sacrements sans en devenir meilleurs; ils les reçoivent sans les dispositions exigées, sans foi vive, sans piété et sans dévotion.
Pourquoi donc, mes frères, montrez-vous tant d'indifférence pour les sacrements? Si vous n'en connaissez pas le prix, vous êtes dans une igno- rance bien profonde, et un jour vous paierez chè- rement votre négligence à vous instruire. Si vous les appréciez, d'où vient que vous ne vous disposez point à les recevoir? Ne serez-vous jamais passion- nés que pour les choses sensibles et périssables de ce monde? Quel profond regret n'éprouverez-vous pas un jour, quand vous paraîtrez devant Dieu les mains vides, tandis que vous auriez pu si facile- ment vous enrichir pour le ciel !
Quand les empereurs romains faisaient leur en- trée triomphante à Rome, ils jetaient, dit-on, des pièces d'or et d'argent au peuple assemblé sur leur passage. L'un d'eux, au heu de pièces d'or et d'ar- gent, fit jeter des billets. Le peuple, n'en connais- sant pas la valeur, s'indigna contre l'empereur et foula aux pieds les billets. Cependant quelques uns mieux avisés en ramassèrent autant qu'ils purent, les présentèrent à l'intendant des finances, et en reçurent le montant. Vous pouvez vous faire une idée du désappointement et du regret de ceux qui avaient méprisé ces billets, et qui auraient pu si aisément amasser de grands trésors. Or, mes frè-
— 101 — res, les sacrements sont des billets d'une valeur in- finie, puisqu'ils contiennent la vie divine. Le Fils de Dieu les a marqués de son sceau, y a imprimé son image et les a mis en circulation. >'e perdez donc pas votre temps, mais hâtez-vous et amassez la plus grande quantité de billets qu'il vous sera possible. Heureux screz-vous lorsque vous les pré- senterez au sortir de cette vie et que Dieu lui-même vous les soldera. Amen.
SAINTE ROSE DE VITERBE- — SES TRAVAUX ADMIRABLES.
A l'âge de huit ans, sainte Rose tomba malade par suite de ses austérités. Cette infirmité dura une année, qu'elle passa dans la prière et dans la patience. La veille de la Saint-Jean de Tan 1247, quelques dames étant venues la visiter, la bienheureuse enfant eut une extase, pendant laquelle notre Seigneur lui montra l'armée chrétienne, commandée par saint Louis, sur le point d'attaquer Damietle. Elle dit aux person- nes qui l'entouraient : « Prions Dieu de donner au roi de France la force de dissiper ses ennemis. » Elle se mit en effet en prières, et l'on vit les larmes couler en abondance le long de ses joues. Ce ne fut qu'un mois après que l'on apprit en Italie la prise de Damielte.
Ce même jour de la vigile de Saint-Jean, vers le soir, la très-sainte Vierge lui apparut environnée d'un nombreux cor- tège. « Ma fille, lui dit-elle, je veux que demain tu visites dé- votement les églises du précurseur saint Jean-Baptiste et du pauvre confesseur François ; tu iras ensuite, au milieu de tes compagnes, à mon église de Sainte-Marie, où tu prendras rhabit de saint François. Il te faudra combattre alors avec courage les ennemis de mon Fils et endurer beaucoup de per- sécutions; mais aie confiance dans la protection divine. Ceux qui l'écouleront seront récompensés de Dieu, tandis que ceux qui te mépriseront en seront sévèrement punis. »
— 102 —
La très-sainte Vierge disparut, et il tardait à sainte llusc que le jour arrivât pour accomplir sa parole. Des le matin, elle envoya sa mère réveiller ses compagnes; puis, ayant pris un habit du tiers-ordre qu'elle trouva au chevet de son lit, avec une corde grossière, elle visita les églises de Saint-Jean, de Saint-François et de Sainte Marie du Poggio, dans la der- nière desquelles elle reçut l'habit et prononça ses vœux. En s'en retournant, elle prêchait la pénitence au peuple, un cru- cifix à la main. La foule la suivait, écoulant avec respect cette voi.K enfantine, et admirant les merveilles que Dieu opérait en elle.
Quelque temps apiès, un jour qu'elle méditait la passion de notre Seigneur, il lui apparut étendu sur la croix, cou- ronné d'épines, le corps tout sanglant. A cette vue, la sainte enfant tomba comme morte, et s'écria : «. Ah ! mon Seigneur, ah ! mon Père, qui vous a réduit à cet état? — C'est l'amour, répondit notre Seigneur. — Et qui a eu la barbarie de vous faire mourir sur cette dure croix? — Ce sont les péchés des hommes. » reprit son bon Maître. Alors elle se mit à crier miséricorde, et sortant de sa maison avec son crucifix, elle parcourut les rues de Viterbe, en disant : a Frères et sœurs, faisonstous pénitence, apaisons la c jlère divine, car de grands malheurs nous menacent. » Le peuple s'assembla autour d'elle, pleurant et criant aussi miséricorde ; ce fut une émotion gé- nérale dans toute la ville, oii les pécheurs commencèrent à rentrer en eux-mêmes.
De ce jour, elle ne cessa plus de prêcher la pénitence sur les places et dans les rues de Viterbe. Dieu donnait à sa pa- role une éloquence et une sagesse qui frappaient d'admiration tous ceux qui l'entendaient. Encore qu'elle n'eût reçu aucune instruction humaine, elle connaissait parfaitement l'Ecriture, et citait dans ses discours de nombreux passages de l'Evan- gile et des prophètes. Elle prouvait les vérités de la foi et la nécessité de la soumission à la papauté avec une force et une logique invincibles. Elle confondit tous les hérétiques qui voulurent entrer en lutte avec elle, et les réduisit bientôt au silence.
— 103 —
Notre Seigneur augmentait encore l'autorité de ses prédi- cations par les miracles qu'elle opérait. Elle guérissait les malades qu'on lui offrait, et rendit la vue à un aveugle au milieu de tout le peuple. Un jour qu'elle prêchait l'obéis- sance à la papauté en présence d'une foule immense, comme sa petite taille l'empêchait d'être vue, la pierre sur laquelle elle était fut miraculeusement élevée dans les airs, et resta suspendue jusqu'à la fm de son discours. Alors elle s'abaissa doucement et reposa la sainte enfant sur le sol. Ce prodige, renouvelé plusieurs fois, fut constaté par des milliers de té- moins.
Le bruit de ces merveilles se répandit bientôt par tout»- l'Italie ; des contrées voisines de Viterbe et des provinces les plus éloignées, on accourait pour la voir et pour l'entendre. Elle prêcha constamment pendant près de dix-huit mois, con- vertissant les hérétiques et ramenant les révoltés aux senti- ments d'obéissance dus au Souverain Pontife. A peine avait- elle fini de parler, que des cris formidables s'élevaient du sein de la foule : Vive la sainte Eglise! vive le Pape! vive notre Seigneur Jésus-Christ ' Viterbe changea entièrement d'aspect. Au lieu de la licence que les hérétiques y avaient apportée, on ne voyait plus régner que la sainte austérité des mœurs chrétiennes. On n'entendait plus chanter dans les rues que de divins cantiques. Souvent sainte Rose les parcourait au milieu de ses compagnes, faisant retentir dans les airs les louanges de notre Seigneur et de sa très-sainte Mère.
Cependant les hérétiques et tous les partisans de Frédéric II frémissaient de rage à la vue des conversions que sainte Rose opérait dans leurs rangs. Leur nombre diminuait de jour en jour, et leur puissance s'affaiblissait. Us avaient essayé de la dégoûter de sa mission par leurs outrages. Un jour l'un d'eux l'avait heurtée violemment comme par mégarde; mais la sainte enfant, se retournant, lui dit avec l'autorité d'un pro- phète : « Dans trois jours Dieu te frappera à son tour, et tous les hommes te montreront au doigt. » En effet, au bout de trois jours, sa barbe et ses cheveux tombèrent, et il ne pouvait sor- tir sans que les passants se montrassent ce visage si défiguré .
— 104 —
Furieux de cette nouvelle défaite, les iiérétiques allèrent trouver le gouverneur, afin qu'il empêchât sainte Rose de sé- duire le peuple. Le gouverneur la lit venir et lui défendit de prêcher désormais. Mais levant son crucifix, la sainte enfant répondit courageusement que, tant qu'elle aurait un soufde de vie, elle ne cesserait d'annoncer la parole de Dieu et d'exalter sa foi et sa loi. Le gouverneur lui fit souîTrir alors mille outrages et la renvoya. Mais ces injures, loin de la re- froidir, enflammèrent son zèle, en sorte qu'elle continua de prêcher avec plus de hardiesse que jamais. (Ribadeneira.)
Montrez-nous, en dehors du catholicisme, un personnoge semblable à sainte Rose de Viterbe.
Vir INSTRUCTION.
Des effets particuliers des l^iaereiiieiits.
Sapienlia œdificavil sibi domum; cxcidit colnmuas septi-m : immolavit viclimas suas: miscuit vinum et pro- posuil mensam suam.
La sagesse s'est bâti une maison; elle a taillé sept colonnes; elle a immolé ses victimes: elle a préparé le vin et disposé sa table.
(Prov., IX. 1 et 2.)
Jésus-Christ nous a recommandé de ne pas avoir trop d'inquiétude pour la nourriture et le vêtement. « Voyez, nous dit-il, les oiseaux du ciel : ils ne sè- ment point et ne moissonnent point ; mais votre Père céleste les nourrit. N'ôles-vous pas plus que des oi- seaux? Voyez les lis des champs : ils ne travaillent point et ne filent point; et je vous dis que Salomon, dans toute sa gloire, n'a jamais été vêtu avec au- tant de magnificence que l'un d'eux. Si Dieu prend tant de soin d'une herbe qui est aujourd'hui et qui demain serajetée au four, à combien plus forte rai- son aura-t-il soin de vous ! »
Et, en effet, Dieu ne se contente pas de nous don- ner les choses nécessaires à la vie, mais il com- mande à la terre de produire toutes sortes de fruits et des fruits de toutes les saisons, et la nature obéissante nous prodigue ses trésors.
Mais si Dieu se montre si libéral envers nous
— 106 —
pour tout ce qui concerne celte misérable vie du corps, pouvons-nous croire qu'il lésera moin^ pour ce qui regarde la vie surnaturelle? N'est-ce pas pour nous la communiquer qu'il nous a envoyé son Fils unique et qu'il l'a livré à la mort de la croix? N'est-ce pas pour sauver les âmes qu'il fait la paix et la guerre, qu'il arme les peuples les uns contre les autres, qu'il bouleverse les royaumes et les em- pires? Omnia propter electos. Profondément tou- chés de sa bonté infinie, remercions-le, mes frè- res, de nous avoir ménagé tant de moyens pour produire, conserver et développer en nous la vie de la grâce, et de nous avoir donné à tous, selon les divers états que nous pouvons embrasser et les différentes circonstances dans lesquelles nous pouvons nous trouver, des secours nombreux et proportionnés aux besoins de nos âmes.
Le sacrement de Baptême est destiné à donner la vie de la grâce pour la première fois, et le sacrement de Pénitence à la rendre quand on l'a perdue. L'Extrème-Onction peut aussi dans certains cas, et par sa destination secondaire, suppléer au sa- crement de Pénitence. Cependant, si déjà la pre- mière grâce existe, ces sacrements l'augmentent : par exemple, si un adulte qui, avant de recevoir le Baptême ou le sacrement de Pénitence, a obtenu la grâce de la justification par un acte de parfait amour de Dieu, ou qui reçoit le sacrement de Pé- nitence sans être retombé dans le péché mortel, re- çoit l'un ou l'autre de ces sacrements, il augmente en lui la ^rrâce.
— 107 —
Les autres sacrements ont pour but d'entretenir et de perfectionner la vie de la grâc3 déjà reçue. Ils peuvent cependant produire accidentellement la première grâce. Ainsi, d'après la doctrine de saint Thomas, le chrétien qui confesse des fautes graves dont il croit recevoir l'absolution, quoique en réalité il ne la reçoive pas, soit parce que le prè- Ire auquel il s'est adressé n'a pas le pouvoir néces- saire, ou parce qu'il a oublié de l'absoudre, ce chré- tien obtiendra la rémission de ses péchés en rece- vant le sacrement d'Eucharistie avec les sentiments d'une sincère et véritable attrition.
Il y a aussi trois sacrements, le Baptême, la Con- firmation et l'Ordre, qui, outre la grâce sanctifiante qu'ils produisent comme tous les sacrements, im- priment dans l'âme un caractère ineffaçable. On ne peut donc les recevoir qu'une fois, et quiconque les recevrait plusieurs fois se rendrait gravement cou- pable devant Dieu.
Mais qu'est-ce que ce caractère ? C'est une mar- que spirituelle imprimée dans l'âme, et qui consa- cre à Dieu pour toujours celui qui reçoit ces sacre- ments; c'est une participation au caractère du Fils de Dieu. Rappelez-vous, mes frères, que le Père éternel engendre son Fils de toute éternité, et que ce Fils porte enr lui-même le caractère ou la ressem- blance de son Père; c'est pourquoi saint Paul l'ap- pelle le caractère de la substance du Père. Or, le Fils de Dieu, en sa qualité de médiateur entre Dieu et les hommes, a reçu un triple caractère, à cause des fonctions qu'il devait remplir comme Fils de
— 108 — Dieu, comme roi et comme pontife : caractère de Fils, pour engendrer de véritables enfants à son Père; caractère de roi, parce qu'il devait régner et conquérir des âmes; caractère de pontife ou de prêtre, parce qu'il devait offrir le grand et solennel sacrifice. C'est pourquoi son Père lui dit : « Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré au- jourd'hui; demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage... Dominez au milieu de vos ennemis... Le Seigneur l'a juré, et il ne s'en re- pentira pas : vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech. »
Or, mes frères, Jésus-Christ imprime à son tour ces trois caractères par les trois sacrements dont il est question : par le Baptême, il imprime son ca- ractère de Fils; par la Confirmation, il imprime ce- lui de roi conquérant, et par l'Ordre, celui de prê- tre. Chacun de ces caractères a sa nature propre et se distingue des deux autres, comme le fils, \v soldat et le prêtre sont des personnages bien diffé- rents Pun de l'autre, considérés au point de vue de leur position sociale.
Mais comment se fait-il que le caractère soit ineffaçable, tandis que la grâce peut se perdre? La comparaison suivante vous le fera comprendre. Quoique les hommes soient tous composés d'un corps et d'une âme, il très-rare de rencontrer deux personnes qui se ressemblent parfaitement. D'où vient cette différence qu'on remarque entre eux? De leur caractère physique. N'est-il pas vrai que chacun de nous a des traits caractéristiques qui lui
— 100 —
sont propres et qui le distinguent des autres? Or, ces caractères résultent de la grandeur et de la con- formation des membres, et en même temps de leurs rapports ou de la constitution physique de l'individu. Vous pouvez donc perdre la beauté de votre visage; mais votre caraclcre physique, jamais. Il vous est tellement inhérent, que vous ne pouvez pas plus le changer ou le modifier que vous ne pouvez chan- ger ou modifier votre conslilution. Ainsi en est-il du caractère imprimé dans l'âme par les sacre- ments : ce caractère affecte l'âme tout entière avec toutes ses facultés, tandis que la grâce sanctifiante lui communique la vie surnaturelle et divine, et la rend belle de la beauté de Dieu. Le chrétien peut donc perdre cette beauté et même cette vie de l'âme sans perdre son caractère, comme le corps perd sa beauté et même sa vie sans perdre son caractère.
Outre la grâce sanctifiante, chacun des sacre- ments confère encore une autre grâce appelée sa- eramentelle, et qui est propre à chaque sacrement : elle consiste dans le droit d'obtenir les grâces né- cessaires pour l'accomplissement des devoirs qui sont imposés en vertu du sacrement qu'on vient de recevoir. Ainsi la grâce sacramentelle du Bap- tême donne droit au chrétien à tous les secours né- cessaires pour remplir les obligations qu'il contracte par les promesses ou les vœux du Baptême; celle de la Confirmation lui assure le droit à tout ce qui est nécessaire pour être un bon soldat de Jésus- Christ. Il en est de même de tous les sacrements.
Ceci vous fait comprendre qu'il a toujours dû y
— \\0 — avoir des sacremenls; et nous en trouvons en effet dans rancienne loi et même du temps des patriar- ches. Des prières ou des sacrifices offerts par les parents effaçaient le péché originel dans les en- fants. Une cérémonie religieuse les préparait à la vie de l'adolescence. Les pécheurs obtenaient le pardon de leurs fautes par des sacrifices, des expiations , des purifications , et môme par la confession. Les prêtres immolaient des victimes auxquelles les fidèles participaient. Les malades étaient religieusement secourus par des prières et d'autres cérémonies pieuses. Les prêtres et les lé- vites recevaient une consécration spéciale. Enfin on appelait les bénédictions du ciel sur les époux qui s'unissaient par le mariage.
3ïais pourquoi Dieu a-t-il institué sept sacrements cl non pas cinq ou dix? Et pourquoi ces sacrements produisent-ils différentes grâces ? Parce que Dieu voulait proportionner les secours aux divers be- soins des hommes dans toutes les circonstances où ils peuvent se trouver. C'est ce qui nous montre de plus en plus l'admirable harmonie qui règne dans toutes les œuvres de Dieu.
Assez souvent, dans la sainte Ecriture, l'homme est comparé à un arbre planté dans le jardin du Père céleste, et son divin Fils a été envoyé par lui comme un jardinier habile, actif et vigilant, pour le cultiver et lui faire porter de bons fruits. Or, pour qu'un arbre porte de bons fruits, il faut 1°le gref- fer : autrement il ne donnerait que des fruits sau- vages; c'est un mystère de la nature que les sa-
— 111 —
vanls n'expliqueront jamais, pas plus que nous ne pouvons expliquer le mystère de la transmission du péché originel. Il faut 2° lui donner un tuteur ou un point d'appui, sans quoi un coup de vent ou une tempête briserait la grelTe. 3'' Comme la terre a été maudite et que d'elle-même elle ne produit que des ronces et des épines, le jardinier doit mellre au pied de l'arbre de l'engrais où il puise une sève abon- dante et vigoureuse. 4*^ Il doit le préserver ou le guérir du chancre ou d'autres maladies, couper et retrancher les branches gourmandes qui absorbe- raient la sève et empêcheraient l'arbre de porter des fruits, o'^ S'il est affecté d'une maladie grave qui menace de le faire périr, il doit appliquer un dernier remède sur les racines. 6'^ Si le jardin est vaste, le jardinier doit s'associer des ouvriers qui travaillent sous sa direction, qui plantent, arrosent et cultivent les arbres selon les instructions qui leur sont données. 7^ Enfin, comme les arbres de- viennent vieux et périssent, le jardinier doit les remplacer par de jeunes. De là la nécessité d'une pépinière qui fournira autant de sujets qu'il en sera besoin, pour que le jardin donne toujours une abon- dante récolte et rempUsse les greniers du père de famille.
C'est ainsi, mes frères, que Jésus-Christ cultive le jardin de son Père, c'est-à-dire l'Eglise.
1° Par le Baptême, il greffe sur lui-même tous les chrétiens : autrement ils ne seraient que de mi- sérables sauvageons qui ne produiraient que des fruits sauvages, c'est-à-dire que leurs œuvres ne
— 112 —
seraient que des aclions purement naturelles qui ne pourraient être rceompensées dans le ciel. Mais une fois greffés sur Jésus-Christ, la sève qu'il leur communique, c'est-à-dire sa grâce qu'il répand dans leur âme, leur fait porter des fruils divins qui se garderont éternellement dans le ciel.
2'' Par la Confirmation, il leur communique le Saint-Esprit avec tous ses dons pour être leur tu- teur et les rendre fermes dans le bien. Fortifiés par la puissance de ce divin consolateur, ils sont ca- pables de braver la violence des vents et des tem- pêtes que soulèvent les passions, et de triompher de tous les obstacles qu'ils rencontrent dans la voie du salut.
3° L'Eucharistie est comme l'engrais qui les nourrit et leur communique une sève divine. Ainsi engraissés de la substance de Dieu, ces arbres grandissent, élèvent leurs branches jusqu'au-des- sus des nues et se chargent de fruits suaves et sa- voureux.
i*" Par la Pénitence, le divin jardinier guérit les âmes de toutes leurs maladies spirituelles ; il re- tranche les mauvaises inclinations qui épuiseraient toute l'activité de l'âme en la poussant au désordre ; il arrache les ronces et les chardons qui croissent dans cette terre ingrate ; il donne une bonne direc- tion aux sentiments légitimes du cœur ; il leur montre dans le bonheur du ciel, le seul capable de les satisfaire, la possession de la véritable gran- deur, des richesses solides et impérissables , et d'une éternelle félicité.
— n 3 —
5" Parle sacrement d'Extrême-Onction, il ad- ministre au chrétien malade le dernier remède, et l'applique sur les organes des sens, qui sont comme les racines de l'âme, afin d'en arracher tous les restes de la maladie.
ô*' Par le sacrement de l'Ordre, il institue des aides-jardiniers qui doivent travailler sous ses or- dres et cultiver la portion de terrain qui leur sera confiée : ce sont les évêques, les prêtres et les curés, et tous les pasteurs des âmes.
7*^ Enfin, par le Mariage, il plante, pour ainsi dire, une pépinière de jeunes arbres pour rempla- cer ceux qui périssent, de telle sorte qu'aucune place du jardin ne reste inculte, mais que tout soit garni d'arbres, afin de remplir de bons fruits le grenier du divin propriétaire.
En considérant les divers besoins de l'homme, soit individuellement, soit en société, vous y trou- verez encore une admirable analogie avec ses be- soins dans l'ordre surnaturel.
1° Il faut que l'homme vienne au monde.
2" Il faut qu'il y ait dans sa nature un principe d'accroissement et de développement qui le fasse grandir et atteindre la perfection que comporte sa nature : autrement il resterait toujours à l'état d'enfance.
S'' Mais il a besoin, pour entretenir et développer sa vie physique, d'une nourriture proportionnée à sa nature.
4° Par suilc de sa dégradation primitive, les ma- ladies et les infirmités de toutes sortes sont deve-
— Ili —
nues comme son apanage, et il a besoin de re- mèdes soit pour s'en préserver, soit pour s'en gué- rir quand il en est aflecté.
5" Si la maladie est grave et fortement enracinée, les remèdes ordinaires ne lui suffisent plus; il lui faut un régime particulier pour le débarrasser com- plètement du principe morbifique.
G*" Comme l'homme ne saurait vivre, ni pyhsique- ment ni intellectuellement, isolé de ses semblables, il a besoin tous les jours et à tous les instants de leurs services; il faut donc qu'il vive en société, et qu'il y ait dans la société des magistrats ou fonction- naires pour le service public, pour maintenir et don- ner à chacun les choses dont il a besoin et qu'il ne pourrait se procurer autrement.
7** Puisqu'il est dans les desseins de Dieu que le genre humain se perpétue, et qu'il ne peut se per- pétuer que par le mariage, il est nécessaire que l'homme quitte son père et sa mère pour s'attacher à son épouse et fonder une famille.
Or, pour satisfaire aux besoins de l'âme analo- gues à ceux dont nous venons de parler, Dieu a établi les sacrements de la loi nouvelle,
1" Le Baptême engendre les chrétiens ou les en- fants de Dieu, et fait naître les hommes dans l'or- dre surnaturel etdivin. Avant son baptême, l'homme n'a que deux vies, la vie du corps et la vie de l'âme raisonnable; mais, devenu chrétien, il a de plus la vie de la grâce, la vie divine ; il est frère de Jésus- Christ.
2* La Confirmation dépose dans son âme un
— 115 —
principe d'accroissement et de développement pou- le faire grandir ou devenir parfait chrétien.
3° Mais cette vie de la grâce, reçue par le Bap- tême, perfectionnée par la Confirmation, ne saurait se conserver ni se développer sans une nourriture en rapport avec celte vie, c'est-à-dire une nour- riture divine ou l'Eucharislie.
4° Depuis la chute d'Adam, l'homme est plus porté au mal qu'au bien, et il ne luiarri\e que trop souvent de tomber dans le péché mortel et de per- dre cette précieuse vie. Dieu lui a donc ménagé dans le sacrement de Pénitence un remède pour le guérir de toutes ses maladies de l'âme, et môme pour lui rendre la vie de la grâce.
5" Mais s'il est retenu sur son lit de douleur par une maladie dangereuse, ou s'il ne peut plus confesser ses péchés, le sacrement de l'Extrême- Onction les effacera, ôtera les restes des péchés et le mettra en état d'entrer plus tôt dans le ciel.
6° Comme chrétien, l'homme doit vivre aussi en société et former avec tous ses frères répandus dans le monde entier une grande famille qu'on appelle TEghse catholique. Il faut donc aussi des magis- trats spirituels pour maintenir l'ordre et dispenser les mystères de Dieu destinés à entretenir la vie de la grâce dans le cœur des fidèles.
7^ Enfin, comme il entre dans les desseins de Dieu d'augmenter chaquejour le nombre des saints, de faire participer à son bonheur une multitude d'êtres intelligents et libres, il a élevé le mariage à la dignité de sacrement, afin de donner aux
— 116 —
époux la grâce nécessaire pour vivre chrélienne- ment, avoir légitimement des enfants et les élever dans la crainte de Dieu.
Témoins de l'heureux accomplissement de la pré- diction du prophète, chantons avec lui une hymne de reconnaissance. 0 enfants de Dieu, s'écrie-t-il, apportez des victimes au Seigneur; rendez-lui le tribut d'honneur et de gloire qui lui est dû, célé- brez la gloire de son nom, adorez le Seigneur dans son saint temple. La voix du Seigneur retentit sur les eaux; le Dieu de majesté a fait gronder son ton- nerre; il en a fait entendre les éclats sur la vaste étendue des eaux pour les bénir et les sanctifier, afin qu'elles purifient le monde et donnent nais- sance à un monde nouveau. La voix de Dieu est pleine de force ; elle donne la force et le courage aux chrétiens; elle en fait de vigoureux athlètes de Jésus-Christ. La voix de Dieu est pleine de niagni- ficence, lorsqu'elle fait descendre du ciel le Fils de Dieu pour le donner en nourriture à tous ses enfants. La voix du Seigneur brise les cèdres; le Seigneur brisera les cèdres du Liban, les cœurs des pécheurs orgueilleux et endurcis; il les brisera par la pénitence et les rendra dociles comme des agneaux. La voix du Seigneur divise les traits de flamme, établit le sacerdoce catholique avec ses degrés hiérarchiques pour porter partout la parole de Dieu, la grâce et les dons du Saint-Esprit. La voix du Seigneur ébranle les déserts et les rend fertiles ; elle donne au mariage sa fécondité et sa .sainteté. La voix du Seigneur prépare les cerfs à la
— 117 —
course, en donnant aux malades la force de s'é- lancer de leur lit de douleur au séjour de la gloire. C'est ainsi que le Seigneur donnera la force à son peuple; le Seigneur répandra des bénédictions sur son peuple et le maintiendra dans la paix. (Psal. XXVIII.) Amen.
SAINTE ROSE DE VITEr.BE. — FIN DE SA MISSION.
Effrayés de la puissance que sainte Rose obtenait sur le peuple, les hérétiques retournèrent auprès du gouverneur. (( Président, lui dirent-ils, si vous ne vous débarrassez de celte enfant, avant quelques jours vous et nous serons chassés de Yiterbe : la ville veut secouer le joug de l'empereur et rentrer dans Tobéissance du Pape. C'est à vous de couper court à ce désordre, dont nous allons au reste avertir l'empe- reur. » Le gouverneur fit arrêter sainte Rose aussitôt. 11 eut d'abord la pensée de la condamner à mort ; mais craignant un soulèvement populaire, il se contenta de la chasser de la ville avec ses parents, leur défendant d'y rentrer sous peine de la vie.
On était au commencement de décembre de Pau 1250; le froid était horrible, et la neige couvrait les montagnes. Au sortir de Yiterbe, les exilés s'égarèrent dans les bois, la neige ayant effacé tous les chemins. Ils y passèrent la nuit, errant au hasard, exposés à un vent glacial; mais sainte Rose, en- core que, selon sa coutume, elle eût la lête et les pieds nus, et ne fût couverte que d'un cilice, les encourageait et louait hautement le Seigneur de ce qu'il l'avait trouvée digne de souffrir pour son nom. Tout en marchant, elle pensait à la passion de son Maître ; ses pieds déchirés par les épines arro- saient la neige de son sang.
Enfin, après cette nuit cruelle, ils retrouvèrent le chemin, et arrivèrent au village deSoriano, à huit milles de Yiterbe, dans la montagne. Le peuple de ce pays, ayant reconnu sainte Rose,
— 118 -
accourut aussitôt pour la voir. Toute fatiguée qu'elle élait^ elle se mit à leur prêcher la foi et la soumission à l'Eglise romaine. Le soir, comme elle priait encore, Tange du Sei- gneur lui apparut et la consola, en lui disant que Dieu avait accepté ses souffrances et qu'il allait rendre la paix à son Eglise. Le lendemain, qui était la veille de saint Nicolas, la sainte enfant annonça à la foule assemblée sur la place du village la mort procliaine de Frédéric H. « Je vous apporte, leur dit-elle, une bonne nouvelle, et qui sera d'un grand sou- lagement à toute la chrétienté. Il a plu à notre Seigneur de retirer de ce monde l'empereur Frédéric, l'ennemi acharné, le cruel persécuteur de l'Eglise catholique. D'ici à peu de jours vous en aurez des avis certains. L'Eglise de Dieu Ta triompher enfin en recouvrant sa liberté. Réjouissons-nous donc, et rendons grâces à la clémence divine, qui, après tant d'années, veut enfin consoler son peuple. »
Frédéric II mourut en effet dans la Fouille, province du royaume de Naples, le 13 décembre de la même année, ou quelques jours auparavant.
De Soriano, oij elle convertit beaucoup d'hérétiques, sainte Rose alla prêcher à Vilorcliiano. Comme elle arriva, on lui présenta une jeune fille aveugle, à laquelle elle rendit la vue en faisant sur elle le signe de la croix. Il y avait dans ce pays une malheureuse femme adonnée à la magie, qui avait séduit le peuple par ses prestiges et le retenait dans l'hérésie. Ne pouvant la convaincre par ses paroles, sainte Rose fit allu- mer un grand bûcher, dans lequel elle entra, et où elle resta jusqu'à ce que le bois fût entièrement consumé. A la vue de ce miracle, la sorcière demeura stupéfaite et sans voix. Alors la sainte enfant s'approclia d'elle en lui disant : « Amie et sœur dans le Seigneur, dépose maintenant ton incrédulité, et reconnais la foi de notre mère la sainte Eglise romaine. Notre Seigneur, qui m'a sauvée de ces flammes, est prêt à te rece- voir dans le sein de sa miséricorde. » Cette femme fondit en larmes en se jetant à ses pieds, et tous les hérétiques revin- rent avec elle à la vérité.
Sainte Rose visita encore plusieurs pays de celle contrée,
— 119 —
qu'elle fit rentrer dans l'obéissance due à l'Eglise. Copendant la nouvelle de la mort de Frédéric 11 était arrivée à Viierbe; le peuple s'était aussitôt soulevé^ avait chassé le gouverneur avec ses adhérents et rétabli l'autorité du Souverain Pontife. Sainte Rose fut rappelée dans sa patrie, où ses concitoyens la reçurent en triomphe. Le pape Innocent IV, qui s'était réfu- gié en France^ revint en Italie. Il apprit tous les services que sainte Rose avait rendus à l'Eglise, et lui permit de continuer ses prédications. Il ordonna même, par une bulle, à l'archi- prêtre de Saint-Sixte de Viierbe de commencer le procès sur la vie et les miracles de sainte Rose.
Depuis l'année 12ol, oii la sainte enfant rentra dans la pe- tite maison de son père, jusqu'à l'année 12o8, où elle mou- rut, elle ne sortit plus guère que pour aller à l'église. Sa mis- sion était accomplie. Tout son temps était employé à la prière et aux austérités, dans lesquelles elle passa les dernières an- nées de sa vie. Elle eût voulu se renfermer au couvent de Sainte-Marie des Roses ; mais les religieuses refusèrent de la recevuir, sous prétexte que leur nombre était complet, et en réalité parce qu'elle était pauvre et sans dot. Elle leur dit alors avec un esprit prophétique : « Cette jeune fille que vous méprisez pendant sa vie viendra vous trouver après sa mort ; vous la recevrez avec joie et la garderez précieusement. «
Beaucoup de ses compagnes s'étaient mises sous >a con- duite ; elle les dirigeait par ses conseils et par ses exemples dans la voie de la perfection, i'ais son âme languissait sur la terre et soupirait après les embrassements de son divin Epoux. Enfin les anges vinrent lui annoncer la bonne nou- velle de ses noces. Elle dit adieu à ses disciples, reçut avec ferveur les sacrements de l'Eglise, et, embrassant son crucifix avec amour, elle rendit à son Créateur son âme angélique. Je 6 mars de l'an i2o8, à Tâge de dix-sept ans et dix mois.
En ce moment les cloches de sa paroisse sonnèrent d'elles- mêmes, comme pour annoncer son entrée dans le ciel. A ce bruit, le peuple accourut en foule pour voir une dernière fois celle qu'il avait si souvent admirée pendant sa miraculeuse mission. Le lendemain, elle fut portée dans l'église de Sainte-
— liO —
Marie du Poggio, sa paroisse^, que la piété populaire avait dé- corée de guirlandes de roses. Après l'office, on l'enterra au pied du bénitier ; et Dieu honora ce pauvre tombeau d'une infinité de miracles. (Ribadeneira.)
Son corps s'est conservé sans corruption jusqu'à ce jour.
Si cette jeune fille d'une pureté vraiment angélique a cru devoir recourir aux sacrements pour y puiser la vie divine, à plus forte raison devons-nous y recourir nous-mêmes.
VIIP INSTRUCTION.
De cœtero, fralres, ■confortamini in Domino et in potenliâ virlulis ejus.
Au reste, mes frères, fortifiei-vous dans le Seigneur et dans la puissance de sa vertu".
(Ephbs., 71, 10.)
Après vous avoir expliqué ce qui concerne tous les sacrements en général, et avant de les expli- quer les uns après les autres, il m'a semblé, mes frères, qu'il serait utile de vous dire un mot de cer- taines pratiques qui ne sont pas des sacrements, mais auxquelles cependant l'Eglise reconnaît une certaine vertu. Ce sont quelques prières telles que l'Oraison Dominicale, la Salutation Angélique, et d'autres prières commandées par l'Eglise; l'usage de l'eau bénite, le pain bénit, la confession de ses péchés en dehors du sacrement de Pénitence, comme celle qui se fait au commencement de la Messe, ou à la récitation de Prime et de Compiles; l'aumône faite au nom de l'Eglise; la bénédiction de l'évêque ou celle du prêtre à la fin de la Messe.
L'Eglise recommande instamment ces pieuses pratiques aux fidèles et les appelle sacramentaux ou petits sacrements, pour nous faire comprendre que; si elles ne sont pas des sacrements propre-
0
— 122 — ment dits, elles ont cependant une certaine vertu : elles fortifient la foi, réchauffent la piété et mettent en fuite les démons. Mais pour nous en faire appré- cier l'importance, je dois vous rappeler une vérité irop oubliée de nos jours, je veux dire l'action des démons sur le monde... Le sourire d'incrédulité que je remarque sur les lèvres de quelques uns d'entre vous ne m'étonne pas, mais il m'afflige. Permettez-moi de justifier sur cet article la foi de l'Eglise catholique.
Ecoutez d'abord le grand Apôtre : « Au reste, mes frères, fortifiez-vous dans le Seigneur et dans la puissance de sa vertu. Revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin que vous puissiez vous défendre con- tre les embûches du démon ; car nous avons à com- battre non seulement contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances de l'enfer, contre les démons qui règnent'dans les té- nèbres de ce monde, contre les esprits de malice répandus dans les airs : c'est pourquoi prenez l'ar- mure de Dieu, afin qu'au jour de la tentation vous puissiez leur résister et demeurer fermes et invin- cibles. Tenez-vous debout, et que la vérité ceigne vos reins comme un baudrier, et que la justice soit votre cuirasse. Ayez les pieds chaussés comme des hommes prêts à annoncer l'Evangile de la paix. Armez-vous du casque du salut et de l'épée de l'es- prit, qui est la parole de Dieu. Priez Dieu continuel- lement et de tout votre cœur, de toutes manières et avec beaucoup d'instances ; priez avec soin et avec persévérance pour vous et pour tous les chré-
- 123 -^ Vfôns; priez aussi pour moi, afin que Dieu mouvre ia bouche et me donne la grâce de prêcher avec confiance et avec courage le mystère de l'Evan- gile. » (Ephes., VI.)
Ces paroles remarquables doivent vous faire com- prendre que les démons existent et qu'ils exercent sur ce monde une puissance formidable, puisque l'Apôtre recommande si instam-ment aux chrétiens de ne rien négliger pour repousser leurs attaques. Il leur fait voir que c'est un combat de géants dont les chrétiens ne sortiront victorieux qu'autant qu'ils seront munis de l'armure de Dieu, de ia foi, de la justice et de la prière continuelle.
Qu'il y ait dans le monde un certain genre d'es- prits malfaisants que nous appelons démons, c'est une vérité proclamée par tous nos saints livres, en- seignée par tous les Docteurs de l'Eglise et profes- sée par tous les peuples. Les disciples de Platon et de Pythagore, les plus savants et les plus raison- nables de toute l'antiquité, assurent comme une vé- rité très-constante, dit Bossuet, qu'il y a des dé- mons, des esprits d'un naturel obscur et méchant. Les histoires grecque et romaine, ajoute-t-il, sont remplies de faits extraordinaires attribués aux dé- mons. Il n'est donc pas nécessaire d'être chrétien p^îir croire à Texistence des démons, il suffit d'ê- tre homme raisonnable et sensé.
Certains libres penseurs ne manqueront pas de répondre que les sciences plus perfectionnées ex- pliquent naturellement ces faits que l'ignorance at- tribuait autrefois aux démons. >^ous ne le contes-
— 124 —
Ions pas; mais toujours est-il que tous les peuple» de l'univers ont admis l'existence des démons.
A ne considérer l'Ancien et le Nouveau Testa- ment que comme un monument historique digne de foi à tous égards, puisqu'aucun livre ne saurait re- vendiquer des titres aussi imposants au respect des hommes, la vérité dont je parle est hors de doute. Moïse nous apprend que la première femme fut ten- tée par le diable. David nous dit que les Israélites immolaient leurs enfants aux démons. Dans le li- vre de Job, nous lisons que Dieu a permis à Satan d'éprouver la vertu de ce saint homme. Mais remar- quez de quels moyens il se sert pour le tenter. Un jour un homme vint dire à Job : « Lorsque vos bœufs labouraient et que vos ânes paissaient au- près, les Sabéens sont venus fondre tout d'un coup, ont tout enlevé et ont lue vos gens. » Il parlait en- core lorsqu'un autre vint lui dire : « Le feu du ciel est tombé sur vos moutons et sur ceux qui les gar- daient, et il a réduit tout en cendres. » Il n'avait pas achevé qu'un troisième vint dire : « Les Chal- déens se sont jetés sur vos chameaux, les ont enle- vés et ont tué ceux qui les gardaient. » Un qua- trième se présente et dit : « Lorsque vos fils et vos filles mangeaient et buvaient dans la maison de vo- tre fils aîné, un vent impétueux a ébranlé les qua- tre coins de la maison ; vos enfants ont été accablés sous ses ruines, et ils sont morts. » Enfin Satan frappa Job d'un ulcère malin qui le couvrait depuis la plante des pieds ju^u'à la tête. Vous voyez par là que, pour tenter Job et lui enlever ses enfants et
— 425 —
ses biens, le démon se sert de toutes les créatures, des hommes, du vent et de la foudre.
L'Evangile nous apprend qae le démon a porté l'audace jusqu'à se saisir de Jésus-Christ et le transporter sur le pinacle du temple et sur une haute montagne pour le tenter. Ce divin Sauveur ainsi que les apôtres attribuent aux suggestions du démon les plus grands crimes, l'incrédulité des Juifs , la trahison de Judas , l'aveuglement des païens, les maladies cruelles; et ils nous parlent de véritables possessions du démon. Ils le nom- ment le père du mensonge, l'ancien serpent qui s'est fait adorer par les païens. Jésus-Christ le chassait du corps des possédés, et il donna à ses apôtres le même pouvoir.
Direz-vous que ce sont là des fictions, des mé- taphores, des allégories? Mais tous les Docteurs de l'Eglise, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Au- gustin, saint Thomas, et tous les autres ont pris ces paroles au pied de la lettre. Ils regardent les démons comme des êtres vivants, des esprits mal- faisants. Tous les auteurs catholiques, Bourdaloue, Hassillon, et le grand Bossuet lui-même, comme vous pouvez vous en convaincre en lisant les deux discours fort remarquables qu'il a faits sur les dé- mons; en un mot, tous les catholiques instruits, évêques, prêtres ou laïques, ont pensé et pensent comme les Pères de l'Eglise. S'il vous est permis de ne voir là que des fictions ou des allégories, que répondrez-vous à ces philosophes allemands qui prétendent que Jésus-Christ et les apôtres ne sont
— 126 —
que des personnages allégoriques ou fabuleux? Con- clurez-vous avec eux que l'Evangile n'est qu'une fiction ou une fable? Mais il vous reste encore une difficulté à résoudre : Comment se fait-il que le peuple chrétien, qui s'étend d'un pôle à l'autre, et qui porte partout les sciences, les arts et les bien- faits de la civilisation, qui forme la société la plus puissante qui fut jamais, soit le produit d'une fa- ble? Comment se fait-il que les membres de cette société se croient obligés de combattre sans cesse leurs passions, et leur livrent en effet une guerre incessante, n'ayant pour tout motif que des fictions et des fables? Telles sont les conséquences de vo- tre doctrine. Vous sentez-vous assez forts pour dé- vorer de pareilles absurdités?
Combien de faits extraordinaires se sont passés dans tous les temps, et qu'il est impossible d'expli- quer que par l'intervention des démons? Combien de fois n'a-t-on pas rencontré des personnes qui découvraient les pensées intérieures des autres, parlaient et comprenaient des langues étrangères et inconnues sans les avoir jamais apprises, connais- saient les événements futurs et ce qui se passait dans des lieux fort éloignés, étaient invulnérables et ne pouvaient être blessés avec la pointe la plus aiguë d'une épée, s'élevaient dans les airs et se te- naient suspendues les pieds au plafond et la tête en bas? Direz-vous que ces faits sont controuvés? Mais comme ils réunissent toutes les conditions exigées pour la certitude, si vous les niez, il vous faudra nier toute l'histoire.
— 127 —
Mais pourquoi les démons? En voici la raison. Afin d'établir une magnifique harmonie dans tou- tes ses œuvres, Dieu a créé des esprits purs, des corps et des êtres mixtes; de sorte que, du dernier insecte jusqu'au séraphin le plus parfait, on monte par degrés sur une échelle non interrompue. Or, les anges ayant été soumis à une épreuve, les uns en sortirent victorieux, et les autres succombèrent à la tentation. Enflés d'orgueil, ils se posèrent les rivaux de Dieu, et d'anges de lumière ils sont de- venus esprits de ténèbres; de chantres divins qui, par une éternelle mélodie, devaient célébrer les louanges de Dieu, ils sont tombés à un tel degré de misère, qu'ils éprouvent une sorte de joie à le blasphémer et à le maudire. Dieu l'a permis pour nous montrer ce que peut le libre arbitre quand il s'écarte de son principe.
Voulez-vous vous faire une idée de la puissance du démon sur la nature? Considérez l'homme : d'où lui vient sa force? De son intelligence. Comment est-il parvenu à se rendre maître de la matière, à la manier à son gré, à en faire sa servante et son es- clave? Par son intelligence. Or, les anges sont de pures intelligences, et Dieu les ayant destinés à communiquer le mouvement aux astres, aux pla- nètes et aux autres grands corps célestes, il les a doués d'une force prodigieuse. En perdant la grâce, ils n'ont point perdu leur vigueur naturelle, et si Dieu ne retenait leur fureur, dit Bossuet, nous les verrions agiter le monde avec la même facilité que nous tournons une petite boule. Ce sont des es-
— 128 —
prils purs, incorporels; tout y est actif, tout y est nerveux : aussi saint Paul les appelle-l-il les prin- ces de ce monde.
Mais cette formidable puissance, les démons la tournent contre les hommes. Ne pouvant s'égaler à Dieu, ils s'en déclarent les rivaux et tâchent de se revêtir de la majesté divine. Comme ils ne sau- raient faire de nouvelles créatures, ils adultèrent tous les ouvrages du Créateur, ils apprennent aux hommes à en corrompre l'usage ; et les astres, et les éléments, et les plantes, et les animaux, ils tournent tout en idolâtrie ; ils abolissent, autant qu'ils le peu- vent, la connaissance de Dieu, et dans tous les pays ils se font adorer à sa place, suivant ce que dit le pro- phète : « Les dieux des nations sont les démons. » C'est donc à j ustc titre que Jésus-Christ appelle Satan le prince du monde, et que l'Apôtre le nomme le gouverneur des ténèbres, le dieu de ce siècle.
Non seulement Satan se fait offrir des sacrifices et présenter des vœux, mais il veut encore simuler les œuvres de Dieu ; de sorte que les saints Pères l'appellent avec raison le singe de Dieu. En effet, Dieu a ses vierges qui lui sont consacrées , et le diable a eu ses vestales ; il a eu ses temples et ses autels, ses mystères et ses sacrifices; il a eu ses ministres pour ses impures cérémonies qu'il a ren- dues autant que possible semblables à celles de Dieu, parce qu'il veut paraître son égal. Dieu régé- nère ses enfants par l'eau du Baptême, et le diable fait semblant de vouloir expier les crimes par di- verses aspersions. L'Esprit de Dieu, au commence-
— f2!9 — ment, était porté sur les eaux, et le diable, dit Ter- tuliien, se plaît à reposer dans les eaux. L'Eglise, dans les premiers siècles, pénétrée de cette doctrine, nous a laissé cette forme que nous observons en- core aujourd'hui, d'exorciser les eaux baptismales. Dieu, par son immensité, remplit le ciel et la terre, et Satan, par ses anges impurs, occupe, autant qu'il le peut, toutes les créatures. De là vient cette cou- tume des premiers chrétiens de les purger et de les sanctifier par le signe de la croix, comme par une espèce d'exorcisme. (Bossuet.)
Aujourd'hui, malgré les progrès des lumières, la science avoue son impuissance à expliquer la cause de certaines maladies et la présence de ces éléments délétères qui corrompent presque toutes les substances. Or, les prières de la liturgie catho- lique nous donnent l'explication toute naturelle de CCS fléaux, qui viennent, à certaines époques, af- fliger le genre humain. Elles supposent avec raison que les démons ont le pouvoir, avec la permission de Dieu, de se servir des créatures pour tenter les hommes et les porter au désespoir, d'exciter des tempêtes, et de jeter sur les peuples et sur les ani- maux domestiques des maladies contagieuses et pestilentielles. L'histoire du saint homme Job est là comme un monument impérissable de cette vérité.
Qu'est-ce donc que la nature pour les démons ? Un vaste cabinet de physique, un immense laboratoire où, par leurs connaissances naturelles, ils trouvent mille moyens de nous nuire. Si un savant physi- cien peut diriger le fluide électrique dont il vient
— 130 — (le charger un conducteur sur quelqu'un qu'il trouve à sa portée, pourquoi le démon ne pourrail- il pas diriger le fluide électrique qu'on appelle la foudre sur certaines personnes et les tuer? Il n'y a rien en cela qui répugne à la bonté de Dieu. Quand un père a un enfant méchant et indocile, et que, pour le corriger, il a épuisé tous les moyens de douceur et de persuasion, ne peut-il pas le livrer entre les mains d'un méchant domestique pour lui infliger le châtiment qu'il mérite? De même, quand Dieu a fait tout au monde pour rappeler les chré- tiens à l'accomplissement de leurs devoirs, lors- qu'il les a exhortés à la pénitence par la voix de ses ministres sans pouvoir rien obtenir, pourquoi ne leur enverrait-il pas les grands missionnaires qu'on appelle la guerre, la peste, la famine, les inon- dations, pour leur faire entendre une voix plus formidable et les pénétrer de la crainte de ses châ- timents? Et pourquoi, dans ces circonstances, ne laisserait-il pas agir les démons comme les exécu- teurs de sa justice, en se servant de leur malice pour sauver les hommes?
Vous le voyez, mes frères, les savants de nos jours ont mauvaise grâce à se moquer de nous, parce que nous regardons les calamités comme des châtiments que nous n'avons que trop mérités par nos prévarications, ou comme les effets de la ma- lice des démons contre nous, tandis qu'eux-mêmes ne peuvent rien expliquer, et que, pour contester nos principes, ils sont forcés de nier des faits ap- puyés sur la plus haute certitude, de contredire tous
— 131 —
ies anciens philosophes, tous les Docteurs de l'E- glise, tous les savants catholiques, et même bon nombre de savants incrédules, c'est-à-dire de con- tredire le sens commun. Ne dirait-on pas que les anges des ténèbres les ont aveuglés au point de ne plus voir la lumière en plein midi?
Mais si la puissance du démon est si formidable, n'avons-nous pas de quoi trembler ? Oui, sans aucun doute. Ne nous décourageons pas néanmoins. Car, si le démon est si puissant, ce n'est que contre les lâches et les timides; il est faible et impuissant con- tre les chrétiens prudents et courageux. Il tourne autour de nous pour nous dévorer, voilà qui est ter- rible; mais résistez-lui seulement, et vous le met- trez en fuite. Ayez recours à ces pratiques pieuses que nous appelons les sacramentaux ; portez sur vous quelque objet bénit sur lequel a été invoqué le nom de Jésus-Christ, ce nom si terrible aux puissances infernales : vous en mettrez en fuite d'innombrables légions par un simple signe de croix, et même avec uiie goutte d'eau bénite.
Tertullien, ddins son 3.dmïïMe Apologétique, dit aux païens que toutes leurs divinités sont des es- prits malfaisants, et il leur donne le moyen de s'en écîaircir par une expérience bien convaincante. <,( 0 juges, leur dit-il, vous qui nous tourmentez avec une telle inhumanité, c'est à vous que j'a- dresse la parole. Qu'on me produise devant vos tribunaux : je ne veux pas que ce soit en un lieu caché, mais à la face de tout le monde ; qu'on y produise un homme notoirement possédé du démon ;
— 1Î2 -—
que l'on fasse venir quelque chrétien, le premier venu, et si, en sa présence, il n'est contraint non seulement de parler, mais encore de vous dire ce qu'il est et d'avouer sa tromperie, n'osant mentir à un chrétien, là môme, sans plus différer, sans aucune nouvelle procédure, faites mourir le chré- tien imprudent qui n'aura pas pu soutenir par l'ef- fet une promesse si extraordinaire. »
Puis il leur dit encore : « Le pouvoir que nous avons sur les démons nous vient du nom de Jésus- Christ et des menaces que nous leur faisons de sa part et de celle de Dieu. Craignant le Christ en Dieu, et Dieu dans le Christ, ils sont soumis aux servi- teurs de Dieu et du Christ. Ainsi, en notre présence, à notre commandement, effrayés par la pensée et par l'image du feu éternel, vous les voyez sortir des corps, pleins de fureur et couverts de honte. Vous les croyez lorsqu'ils vous trompent, croyez- les aussi quand ils vous disent la vérité. Les témoi- gnages de vos dieux font beaucoup de chrétiens, parce qu'on ne peut les croire sans croire en Jésus- Christ. Oui, ils enflamment la foi en nos saintes Ecritures, ils affermissent le fondement de notre espérance. Toute cette confession de vos dieux qui avouent qu'ils ne le sont pas, qu'il n'y a point d'au- tre Dieu que celui des chrétiens, suffit sans doute pour vous convaincre d'adorer le mensonge. »
Saint Irénée nous dit aussi : « C'est de Jésus- Christ seul que ceux qui le servent tiennent la grâce d'opérer des merveilles pour l'utilité des hommes. Les uns, en effet, chassent les démons avec une
— 133 — autorité si souveraine, si efficace, que ceux qui en- étaient tourmentés, surpris et reconnaissants de leur délivrance, se convertissent à l'Eglise. »
Saint Cyprien, écrivant àDémétrius, persécuteur des chrétiens, lui dit : « Oh ! si vous vouliez enten- dre vous-même vos démons et voir comme nous les conjurons, comme nous les torturons avec nos fouets invisibles I Vous les entendriez jeter des cris, pousser des hurlements , des gémissements avec une vois humaine, sous les coups que la puissance divine leur fait sentir par nos paroles... Venez donc et connaissez la vérité des faits que nous vous ci- tons ; et puisque vous vous dites adorateurs des dieux, croyez ce qu'ils vous disent sur eux-mêmes. . . Vous verrez ceux que vous suppliez nous supplier, et ceux que vous adorez nous craindre. Vous ver- rez, sous notre main, vos maîtres tremblants et en- chaînés. Certes, vous aurez lieu de rougir de vos erreurs, lorsque vous les verrez forcés par nos ques- tions à dévoiler en votre présence et leurs pratiques et leur imposture. »
Vous le voyez, mes frères, ce ne sont pas les dé- mons que nous devons craindre, puisque Jésus- Christ nous a revêtus de sa puissance pour les com- battre et pour les vaincre; mais c'est nous-mêmes que nous devons redouter, ce sont nos vices et nos passions plus dangereuses que les démons mêmes. Arrachons-les de nos cœurs et n'y laissons jamais entrer le péché mortel. En nous conservant dans l'état de grâce, nous serons plus forts que tout l'en- fer conjuré contre nous, parce que nous aurons
— 134 —
Dieu lui-même qui combattra avec nous et pour nous, et la victoire sera certaine. Amen.
FAITS QUI CONSTATENT LE POUVOIR DU DÉMON SUR LE MONDE.
Les hommes apostoliques qui sont arrivés les premiers chez les peuples intidèles pour y prêcher TEvangile, y ont trouvé des hommes possédés du démon. L'histoire ecclésiastique en cite des inilliers.
Un missionnaire nommé Lacour raconte ce qui lui est ar- rivé à lui-même en Cochinchine en 1733, au mois de mai. Etant dans une église, on lui amena un jeune homme de dix- huit à dix-neuf ans, et ses parents lui dirent qu'il était pos- sédé du démon. Après avoir fait une communion indigne, il avait disparu du village, s'était retiré dans les montagnes, et ne s'appelait plus lui-même que le traître Judas.
Quelques jours après, le missionnaire se rendit à l'hôpital où était ce jeune homme. Il l'interrogea en latin, et il répon- dit sur-le-champ dans la même langue, sans l'avoir jamais apprise. Le missionnaire se retira épouvanté; mais étant re- venu bientôt après, il voulut l'exorciser. « Je commençai, dit- il, par de nouveaux commandements probatoires, observant toujours de lui parler latin, que le jeune homme ignorait. Je commandai au démon de le jeter par terre sur-le-champ, et je fus obéis dans le moment même; il le renversa avec une grande violence ; tous ses membres étaient tendus et raides comme une barre ; on aurait cru, par le bruit, que c'était plutôt une poutre qu'un homme qui tombait.
« Lassé, fatigué de sa longue résistance, je pris la résolu- tion de faire un dernier effort : ce fut d'imiter l'exemple de Mgr l'évêque de Tilopolis en semblable occasion. Je m'avisai donc, dans un exorcisme, de commander au démon, en latin, de le transporter au plancher de l'église, les pieds les pre- miers et la tête en bas. Aussitôt son corps devint raide, et comme s'il eût été impotent de tousses membres, il fut traîné
— 13:3 — du milieu de l^église h uae colonne, et là, les pieds joints, le dos collé à la colonne, sans s'aider de ses mains, il fut transporté en un clin d'œil au plancher, comme un poids qui serait attiré d'en haut avec vitesse, sans qu'il parût qu'il agit. Suspendu, les pieds collés au plancher et la tête en bas, je fis avouer au démon, comme je me l'étais proposé pour le con- fondre, l'humilier et l'obliger à quitter prise, la fausseté de la religion païenne. Je lui fis confesser qu'il était un trompeur, et en même temps je l'obligeai d'avouer la sainteté de notre rehgion. Je le tins plus d'une demi-heure en l'air, dans celte posture, et n'ayant pas assez de constance pour le tenir plus longtemps, tant j'étais effrayé moi-même de ce que je voyais, je lui ordonnai de le rendre à mes pieds sans lui faire de mal. Il mêle jeta sur-le-champ comme un paquet de linge sale, sans l'incommoder, et depuis ce jour-ià mon énergu- raène fut beaucoup soulagé; chaque jour ses vexations dimi- nuaient, et aujourd'hui c'est le meilleur chrétien de la Co- chinchine. »
Voici un célèbre médecin, un homme qui n'a aucune croyance religieuse, le docteur Calmeil, qui raconte des faits étonnants qui se sont passés dans une communauté religieuse de Loudun en 1632, et le docteur Bertrand a complété son récit :
« Deux religieuses ayant été atteintes de violentes convul- sions, accompagnées de symptômes bizarres, on les exorcisa, et le prêtre leur ayant, suivant l'usage, adressé la parole, comme s'il parlait au diable lui-même, elles répondirent en conséquence, et les diables parlèrent par leur bouche...
« Le mal ne resta pas enfermé dans la communauté ; plu- sieurs filles séculières de la ville tombèrent dans un état sem- blable à celui des religieuses, et furent également exorcisées. La contagion gagna même les villes voisines. Cependant on continuait les exorcismes, auxquels on donnait la plus grande publicité... Telle rehgieuse, couchée sur le ventre, les bras tordus sur le dos, défie de la sorte le prêtre qui la poursuit avec le Saint-Sacrement. Celle-ci, courbée en arrière, pliée en double, affecte de marcher la nuque posée sur les talons^
— 136 — celle-là imprime à sa tête des mouvements étranges... a Je a vis une chose qui me surprit beaucoup, dit un témoin ocu- « laire, et qui était commune à toutes les possédées : c'est (( qu'étant renversées en arrière, la tête leur venait aux ta- « Ions, et elles marchaient ainsi avec une vitesse surprenante « et fort longtemps... Quant à leurs cris, c'étaient des hur- « lements de damnés, de loups enragés, de betes horribles. « On ne saurait imaginer de quelle force elles criaient... »
« La supérieure répondait d'abord en latin aux questions du rituel ; mais dans la suite elle et les autres répondirent en quelque langue qu'on jugeât à propos de les interroger, en turc, en espagnol, en italien.
En 1849, le Constitutionel a rapporté des faits aussi extraor- dinaires. La Gazette des Tribunaux a parlé aussi de bruits étranges qu'on entendait dans certaines maisons de Paris. Tout à coup les meubles se mettaient en mouvement, se heurtaient les uns contre les autres, sortaient par une fenê- tre et rentraient par une autre ; des pierres, des tuiles cas- sées étaient lancées dans les chambres, sans qu'on pût décou- vrir d'où elles partaient ; et les hommes de la police étaient là, regardant tout, sans pouvoir mettre la main sur l'auteur ou les auteurs de ces faits.
Mais lisez l'ouvrage remarquable de M. le comte de Mir- ville, qui a pour titre : Bes Esimts, et la Mystique du célè- bre philosophe allemand Gœrres.
INSTRUCTIONS
SDR
LE SACREMENT DE BAPTÊME
3t«{00-
PREMIÈRE INSTRUCTION.
lie Baptême est un «acrement.
Nisi qnis renatus fueril ex aqud et Spiritu sancto, non polest introire in regnum Dci.
Si quelqu'un ne renaît de l'eau ei du Saint-Esprit, il ne saurait entrer dans le royaume de Dieu.
(JoAN., m, 5.)
Qaand un voyageur arrive devant le portail d'une magnifique cathédrale, il s'arrête un moment pour en considérer l'ensemble et l'harmonie générale ; puis, lorsqu'il s'est rendu compte de la hardiesse du plan et de la beauté de l'exécution, il en visite l'intérieur, considère et admire successivement la variété, la perfection et les richesses des diverses parties de l'édifice. Or, le Fils de Dieu, comme nous l'avons dit, s'est bâti une maison magnifique qu'on appelle l'Eglise, et il a taillé sept colonnes pour la supporter; il a préparé le vin et disposé la table. Déjà nous avons étudié l'ensemble de ce superbe palais, nous allons en parcourir les détails. Arrê-
— 138 — tens-nous d'abord à la porte d'entrée, elle est digne de toute noire attention.
La porte donc par laquelle on entre dans la mai- son de Dieu est le Baptême, le premier de tous les sacrements. Ce mot Baptême a diverses significa- tions dans les saintes Lettres : tantôt il exprime simplement l'action de se nettoyer le corps ou de prendre un bain, et tantôt il signifie les lotions lé- gales dont les Juifs avaient coutume de se servir pour se purifier de quelque péché contre la loi. D'autres fois il marque une grande affliction qui vient inonder l'âme comme les eaux d'un torrent qui déborde et ravage ce qu'il rencontre. Ainsi parle David lorsqu'il dit : « Les eaux sont entrées jus- qu'au fond de mon âme; délivrez-moi, Seigneur, de la profondeur de ces eaux. » C'est dans ce sens que la pénitence et la charité parfaite sont appelées Baptême, parce qu'elles purifient l'âme à peu près comme le Baptême. Notre divin Sauveur appelait aussi Baptême sa passion et sa mort. « Pouvez- vous, dit-il à ses disciples Jacques et Jean, être baptisés comme je dois être baptisé moi-même?» C'est aussi dans ce sens que le martyre est appelé Baptême. « >'e vous étonnez pas, dit saint Jean Chrysoslôme, que j'appelle Baptême le martyre, car l'Esprit saint s'y trouve avec l'abondance de ses grâces. Les péchés sont effacés et l'àme est puri- fiée d'une manière étonnante et admirable, et ceux qui souffrent le martyre sont purifiés par leur pro- pre sang, de la même manière que ceux qui sont baptisés sont purifiés avec de l'eau. »
— 139 —
Jésus-Christ emploie aussi ce même mot pour exprimer une abondante effusion de ses grâces dans les âmes; il dit à ses apùtres, en les quittant pour remonter au ciel, que dans quelques jours ils seront baplisés dans le Saint-Esprit, pour leur faire entendre qu'ils recevront le Saint-Esprit avec l'a- bondance de ses dons. Saint Pierre se sert de la même expression pour rappeler les effets du dé- luge, qui fut comme un baptême pour le monde. Enfin ce mot exprime aujourd'hui le premier sa- crement,qu'on peut définir : un sacrement de la loi nouvelle par lequel les hommes sont régénérés spi- rituellement dans l'eau par l'invocation des trois personnes de la sainte Trinité, ou bien un sacre- ment qui efface le péché originel et tous les autres dont on est coupable, qui remet toutes les peines dues au péché et nous fait enfants de Dieu et de l'Eglise.
On a donné à ce sacrement une multitude de noms qui expriment quelques uns de ses merveil- leux effets. Il a été appelé le bain de l'eau vitale, le sceau ou le gage de la foi ou de la Ti-inité, le bain de la régénération, la rémission des péchés, la nouveauté de la vie, la sanctification, la sépulture de l'homme avec Jésus-Christ pour mourir au monde, l'illumination ou le sacrement de l'illumi- nation. Saint Grégoire de Nazianzc (Orat. xl iii Baptismo], voulant exprimer les merveilles qu'o- père ce sacrement, lui donne les plus beaux et les plus doux noms. « Le Baptême est la splendeur des âmes, dit-il, la réforme de la conduite, la pu-
— uo —
reté de conscience devant Dieu, l'appui de noire faiblesse, le mépris de la chair, le témoignage du Saint-Esprit, la participation au Verbe divin, la cor- rection de notre fragilité, le déluge ou la purifica- tion du péché, la fuite des ténèbres, la communi- cation de la lumière. Le Baptême est un char qui nous conduit à Dieu, un pèlerinage en compagnie de Jésus-Christ, le soutien de la foi, la perfection de l'esprit, la clef du royaume céleste, la délivrance de la servitude, le brisement de nos chaînes ; enfin c'est le plus beau et le plus précieux de tous les bienfaits de Dieu. »
Le Baptême est un sacrement de la loi nouvelle. « Il est le premier de tous les sacrements, il est la porte de la vie spirituelle ; car c'est par lui que nous devenons membres de Jésus-Christ et que nous ap- partenons au corps de l'Eglise. Et comme par le premier homme la mort est entrée dans tous les hommes, si nous ne renaissons de l'eau et du Saint-Esprit, a dit la Vérité, nous ne pouvons en- trer dans le royaume des cieux. » Telles sont les paroles du concile de Florence, et le saint concile de Trente n'est pas moins explicite, puisqu'il défi- nit expressément que le Baptême est un sacrement de^la loi nouvelle.
/Un docteur de la loi, étant venu pendant la nuit trouver notre divin Sauveur, lui dit : « Maître, nous savons que vous êtes venu pour nous instruire comme un docteur; car personne ne saurait faire les prodiges que vous opérez, si Dieu n'est avec lui. » Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité, je
— 441 — vous dis que personne ne peut voir le royaume de Dieu, s'il ne naît de nouveau. » Le docteur lui dit : « Mais comment un homme qui est déjà vieux peut- il renaître? Est-ce qu'il peut rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois? » Jésus lui ré- pondit : « En vérité, en vérité, je vous dis que si quelqu'un ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit... » Le docteur lui dit : « Comment cela peut-il se faire? » Jésus lui répondit : « Quoi I vous êtes docteur en Israël, et vous ignorez ces choses?» Ces paroles de Jésus-Christ vous montrent de la manière la plus évidente que le Baptême est un véritable sacrement. En effet, qu'est-ce qu'un sa- /crement? C'est un signe^ensiblc institué par notre seigneur Jésus:illiiialtJ)Our nous sanctifier~oû^ nous coînmuniquer la grâce sanctifiante. Or, il y a ici un signe^sensible, l'ablution de rhomme; car il faut renaître de l'eau et du Saint-Esprit, et ce signe sen- sible, appliqué à l'homme, produit la grâce sancti- fiante. En disant que si quelqu'un ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu, Jésus-Christ nous fait clairement entendre que quiconque sera rené ou né de nou- veau de l'eau et du Saint-Esprit, entrera dans le royaume de Dieu. Or, pour entrer dans le ciel, ne faut-il pas que l'âme soit ornée de la grâce sancti- fiante, qu'elle vive de la vie même de Dieu? Enfin ce signe sensible a été institué par Jésus-Christ d'une manière permanente dans son Eglise; car il
— 142 — veut le salut de tous les hommes, puisqu'il est venu sauver tout ce qui avait péri. C'est pourquoi, avant de remonter au ciel, Jésus-Christ fait à ses apôtres un commandement spécial de baptiser tous les peu- ples. <i Allez, leur dit-il, baptisez toutes les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ce- lui qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. »
Dans sa seconde apologétique en faveur des chré- tiens, après avoir énuméré les principales disposi- tions qu'on doit apporter à la réception du sacre- ment de Baptême, saint Justin ajoute : « Nous con- duisons les catéchumènes au lieu oii se trouve l'eau, et ils sont régénérés de la même manière que nous l'avons été nous-mêmes, et ils sont baptisés dans l'eau au nom du Seigneur Dieu, Créateur de toutes choses, de Jésus-Christ notre Sauveur et du Saint- Esprit. Car Jésus-Christ a dit : Si vous n'êtes point régénérés, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Les apôtres nous ont fait connaître la rai- son de cette pratique. Ignorant notre première nais- sance, et ayant été créés sans notre consentement, nos parents nous ayant engendrés, nous sommes entrés dans ce monde; nous avons été élevés avec des mœurs dépravées, et nous avons grandi dans de mauvaises habitudes, de sorte que nous demeurions assuj'Jlis à la nécessité et à l'ignorance; et nous avons été régénérés pour devenir des enfants de choix et d^ science, et pour obtenir par l'eau la ré- mission des péchés que nous avions comtois aupa- ravant. »
— U3 —
Savez-vons quelle était la croyance des hommes les plus éclairés d'entre les Juifs et les Gentils? Tous ont reconnu la nécessité d'avoir une vie nou- velle pour entrer en société avec Dieu et obtenir le bonheur promis à la vertu. Ils appelaient cette ré- génération paiiyigénésie, ou seconde naissance. Phi- losophes, historiens, professeurs, poètes, tous ex- pliquaient, racontaient ou chantaient celte trans- formation religieuse qui doit s'opérer dans l'homme pour le rendre digne d'entrer dans la gloire. Aussi Nicodème encourt-il un reproche sévère de la part du divin Maitre, lorsque, prenant ses paroles dans leur sens matériel, il demande : « Comment un homme peut-il naître une seconde fois? — Quoi! lui dit Jésus-Christ, vous êtes docteur en Israël, et vous ignorez ces choses! » Comme s'il eût dit : Vous avez étudié les écrits de Moïse et des prophè- tes, et vous n'avez pas remarqué qu'ils ordonnent au pécheur de se purifier, s'il veut se réconcilier avec Dieu? vous n'avez pas vu qu'ils parlent sans cesse de la nécessité d'avoir un cœur, un esprit nou- veaux pour s'unir à Dieu? Les Gentils ont même re- connu cette vérité, et vous, docteur, vous l'ignorez ! vous ignorez à quelle fin Moïse vous a astreints à des purifications et à des ablutions de toutes sortes? Quoi! vous ignorez cette vérité fondamentale de la religion, qui a été connue et admise dans tous les temps et dans tous les pays !
Il y avait, en effet, chez tous les peuples deë ablutions ou des purifications, non seulement pour les adultes, mais encore pour les jeunes enfants.
- U4 — Cette pratique reposait sur une tradition universelle, le dogme de la dégradation du genre humain dans la personne de son chef. Après avoir considéré les contradictions qui tyrannisent l'homme pendant toute sa vie, ce mélange de grandeur et de bas- sesse, de force et de faiblesse, de majesté et d'ab- jection, d'amour du bien et d'inclination au mal, le plus grand des orateurs romains a laissé échapper cette parole si remarquable : « L'homme est une âme en ruine. » En parlant ainsi, il n'était que l'écho de toutes les générations qui se sont succédé sur la terre. Partout l'on était convaincu que l'homme vient au monde souillé et corrompu, et qu'il fal- lait, pour le rendre agréable à la Divinité, le faire passer par des ablutions et des purifications. Aussi a-t-il existé chez tous les peuples des rites expia- toires pour purifier l'enfant à son entrée dans la vie. Ordinairement cette cérémonie avait lieu le jour où on lui donnait un nom. Ce jour, chez les Romains, était le huitième pour les filles elle neu- vième pour les garçons, et on l'appelait lustrait à cause de l'eau lustrale qu'on employait pour pu- rifier le nouveau né. Les Egyptiens, les Perses et les Grecs avaient une coutume semblable. Dans certaines contrées, on apportait l'enfant dans le temple, et le prêtre lui versait de l'eau sur la tête en lui donnant un nom. Aux iles Canaries, c'é- taient les femmes qui remplissaient celte fonction à la place des prêtres. Les mêmes expiations étaient prescrites par la loi chez les Mexicains. La sage- femme, en invoquant le Dieu qui vit dans le séjour
— 145 —
des bienheureux, jetait de l'eau sur la tête et la poi- trine du nouveau né. Après avoir prononcé diffé- rentes prières dans lesquelles l'eau était considérée comme le symbole de la purification de l'âme, la sage-femme faisait approcher des enfants qui avaient étéinvités pour donner un nom au nouveau né. Dans quelques provinces, on allumait en même temps du feu, et l'on faisait semblant de faire passer l'enfant par la flamme, comme pour le purifier par l'eau et par le feu. Il est donc bien prouvé, pour quicon- que connaît l'histoire ancienne, qu'un certain bap- tême était commun à toutes les anciennes nations de l'Orient.
Qui d'entre vous ne serait attendri en lisant le poète latin, lorsqu'il nous représente les âmes des jeunes enfants que la cruelle mort a moissonnés sur le sein de leurs mères, et qui font entendre des cris plaintifs et déchirants sur le seuil de l'autre vie sans pouvoir y entrer? Qui a pu lui inspirer l'idée que ces âmes n'étaient pas dans la gloire ? Car enfin ces enfants n'avaient encore pu se rendre criminels par leur propre volonté. Il avait donc entendu la grande voix du genre humain qui racontait à toutes les gé- nérations et le bonheur primitif de l'homme, et sa déchéance justement méritée, et la corruption de tous les enfants des hommes par suite de cette ré- volte ; elle lui avait dit comme au Prophète-Roi : Ma mère m'a conçu dans l'iniquité.
Le grand Apôtre ne prêchait donc pas une doc- trine nouvelle quand il disait : « Le péché est en- tré dans le monde par un seul homme, et la mort
7
— ue —
par le péché, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes par un seul homme, en qui tous ont pé- ché. » Mais saint Paul et les autres apôtres pou- vaient seuls ajouter : « Comme donc c'est par le péché d'un seul que tous les hommes sont tombés dans la damnation, ainsi c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justifica- tion. »
Le Baptême a-t-il subsisté dans tous les temps, ou plutôt les hommes ont-ils toujours eu un moyen d'effacer le péché originel et d'obtenir la vie sur- naturelle et divine ? Les Docteurs catholiques ré- pondent que Dieu, qui veut le salut de tous les hom- mes, leur a donné, dans tous les temps, les moyens de salut nécessaires. Sous la loi et du temps des patriarches, les adultes pouvaient obtenir la rémis- sion de leurs péchés par la foi exprimée par quelques signes, comme la prière ou le sacrifice, et ils pou- vaient par ce même moyen effacer le péché originel dans leurs enfants. Tel est l'enseignement de saint Augustin et de saint Thomas.
« Avant l'Evangile, dit le cardinal-archevêque de Reims, les nations avaient des moyens de salut pour les enfants comme pour les adultes. « Tous les fi- « dèles qu'on a pu rencontrer chez les nations, dit « saint Bernard, nous croyons qu'ils le sont de- « venus, les adultes par la foi et les sacrifices, et « les enfants par la foi seule de leurs parents, » ex- primée sans doute par quelque signe extérieur. » (Mgr Gousset, Théol. mor., t. II, n° 76.)
Quand Jésus-Christ a-t-il institué le Baptême ?
— U.7 —
Suivant la doctrine des saints Pères {Catechism. Conc. Trid.),i\ l'institua lorsqu'il fut baptisé par saint Jean-BaptistedansleJourdain. Il voulutetre baptisé, dit saint Augustin, non parce qu'il en avait besoin, car il était la sainteté même, mais parce qu'il voulait sanctifier l'eau par le contact de sa chair adorable et lui communiquer la vertu de purifier les âmes du péché.
Hélas! mes frères, vous êtes tout émus de pitié à la pensée qu'un seul enfant puisse mourir sans le Baptême, quoiqu'il n'y ait pas de sa faute ; et vous êtes insensibles sur votre propre sort, vous qui per- dez si facilement et de votre faute la grâce sancti- fiante que vous avez reçue au Baptême. N'avez-vous donc pas entendu saint Paul vous parler de l'extrême difficulté de réparer cette perte? Il est impossible, s'écrie-t-il, que ceux qui sont une fois tombés puis- sent être renouvelés par la Pénitence. Et saint Am- broise, qui exhortait les pécheurs à la pénitence avec des paroles si vives et si touchantes qu'il les forçait à pleurer avec lui, disait néanmoins : ^( J'ai trouvé plus de chrétiens qui ont conservé la grâce du Bap- tême, que je n'en ai trouvé qui aient fait une véri- table pénitence après avoir perdu cette précieuse grâce. » Et pourquoi cela? C'est parce que la grâce du Baptême se donne par le seul mérite de la pas- sion du Fils de Dieu , et tous peuvent facilement l'obtenir : c'e'st un pur don de Dieu ; mais peu de chrétiens obtiennent le pardon des péchés commis après le Baptême, parce qu'on ne saurait l'obtenir que par les durs travaux de la pénitence.
— 148 — La pénitence est un second baptême , mais un baptême de larmes, un baptême laborieux, pénible et douloureux, comme parle le saint concile de Trente. Les péchés commis après le Baptême sont sans contredit plus énormes et plus indignes de pardon que les péchés des infidèles. Quel effroya- ble châtiment ne les attend-il pas ? Les chrétiens ont la connaissance de Dieu; ils savent ou ils doivent savoir ses divins commandements, et quel grand mal ils commettent en offensant une si haute et si puissante majesté 1 Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et qui ne la fait pas, sera plus rudement châtié que celui qui ne la connaît pas, a dit Jésus-Christ lui-même. Hâtez-vous donc, mes frères, de revenir à Dieu, de vous repentir sincère- ment de toutes les fautes que vous avez commises depuis votre Baptême, de les expier par de dignes fruits de pénitence, afin de recouvrer la grâce sanc- tifiante que vous avez perdue. Amen.
SAINT GENES, MARTYR.
On faisait des réjouissances à Rome, et l'empereur Diocié- tien s'y était rendu. Le comédien Genès crut ne pouvoir mieux divertir la cour impie qu'en contrefaisant par dérision les cérémonies du Baptême. 11 parut coudié sur le théâtre comme s'il eût été malade, et demanda à être baptisé pour mourir tranquille. On lit paraître deux autres comédiens tra- vestis, l'un en prêtre, et l'autre en exorciste. Ils s'approcliè- renl du lit et dirent à Genès : « Mon enfant, pourquoi me faites-vous venir? » A l'instant le cœur de Genès fut entière- ment changé, et il répondit sérieusement : « Parce que je veux recevoir la grâce de Jésus-Ghrisl> et, par sa sainte régé-
— 149 —
uération, obtenir la délivrance de mes péchés. » On crut qu'il ne faisait que continuer son rôle. Ou accomplit les cé- rémonies du sacrement, et quand on l'eut revêtu de ses ha- bits blancs, des soldats le prirent en continuant la pièce, et le présentèrent à l'empereur pour être interrogé comme les jnartyrs. Genès, proûlant de la facilité naturelle qu'il avait pour la parole, d'un air et d'un ion inspirés, fit ce discours du lieu élevé où il était ; « Ecoutez, empereur et courtisans, sénateurs, plébéiens, tous les ordres de la superbe Rome, écoutez-moi. Naguère, lorsque j'enlendais seulement pronon- cer le nom de Jésus-Christ, je frissonnais d'horreur, et j'ou- trageais, autant qu'il était en moi, ceux qui professaient sa doctrine ; j'ai pris en haine même plusieurs de mes proches et de mes alliés, à cause du nom chrétien, et j'ai détesté cette religion, au point de m'inslruire exactement de ses mystères, comme vous l'avez pu voir, afin d'en faire une dérision pu- blique. Mais au moment oii l'eau du Baptême a touché mon corps, mon cœur s'est changé, et à l'interrogation qu'on m'a faite, j'ai répondu sincèrement que je croyais. Je voyais une main s'étendre du haut des cieux, et des anges étincelantsde lumière planer au-dessus de moi. Us ont lu dans un livre terrible tous les péchés que j'ai commis dès mon enfance, les ont effacés aussitôt après; ils m'ont ensuite montré le li- vre plus blanc que la neige. Vous donc maintenant, grand empereur, et vous, spectateurs de toutes conditions, que nos jeux sacrilèges ont fait rire de tous ces mystères, croyez, avec moi qui suis plus coupable que vous, que Jésus-Christ est le Seigneur, le digne objet de nos adorations, et tâchez d'en ob- tenir aussi miséricorde. »
L'empereur Dioclélien, également irrité et surpris, fit d'a- bord frapper Genès à coups de bâton ; puis il le remit au pré- fet Plautin, afin de le contraindre à adorer les idoles. Le préfet employa toutes les tortures en pure perte ; il le fit éten- dre et disloquer sur le chevalet, déchirer les côtes avec des ongles de fer, et lui appliquer sur le corps des flambeaux ar- dents. Genès souffrit tout avec un courage et une constance qui ne se démentirent pas un seul instant, et il disait haute-
— 150 —
ment : « Il n'est point de maître comparable à celui qui vient 'lem'apparaître; je Tadore et le chéris de toute mon âme. Quand j'aurais mille vies à perdre^ rien ne me séparera de lui y jamais les tourments ne m'ôteront Jésus-Christ de la bou- che et du cœur. Je sens la plus vive horreur de tous mes éga- rements passés, et je regrette d'avoir commencé si tard ù le servir. »
Quelles belles paroles! quels sentiments nobles et élevés ! Mais ce qui est encore plus admirable, quelle patience ! quel courage héroïque à supporter les plus affreux tourments! Imitons ce saint martyr et répétons avec lui dans toute la sin- cérité de notre cœur : Il n'est point d'autre Dieu que Jésus- Christ; quand on me ferait nourir mille fois, on ne l'arra- chera pas de mon cœur, on ne l'ôtera pas de ma bouche. Oui, mon Sauveur, vous seul êtes Dieu avec le Père et le Saint- Esprit. Faites-nous la grâce de souffrir les plus cruels sup- plices plutôt que de reconnaître jamais d'autre Dieu que vous, de mourir par le fer et par le feu plutôt que de dé- mentir jamais les promesses que nous vous avons faites au Baptême, d'employer notre esprit, notre cœur, notre bouche, toute notre vie à vous adorer, à vous aimer, à vous louer et à vous servir dans le temps, pour régner avec vous durant l'é^ lernité.
ir INSTRUCTION.
^'ëee^isité du Baptême.
Nisi quis renatus fuerit ex aquà. et Spiritu saucto, non potest inlroire in regnum Dei.
Si quelqu'un ne renaît de l'eau et du Saint-tsprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu.
(JoAN., m, 5.)
Nous ne sommes pas chrétiens par notre nais- sance, dit saint Jérôme, nous le devenons par no- tre Baptême. Ce sacremen_Leiil donc le premier de touSj puisque c'est par lui que nous naissons à la oraf^p^ qiip. nous cnmnipnrnnsj_gYktpr dans l'ordre
surnatureLeLdivin C'est anssile plus nécessaire de tqus_les sacremenls. puisque sans lui, ou au moins sans le désir djLlc recevoir,^ joint à la contrition parfaite, il..£st-4mpo8&it>le d'entrer dans l& ciel. Ecoutez avecrespect^e^e rEglise_DO"< pngpjgno à_çe_si4eL'.
« Si quelqu'un soutient que le péché d'Adam n'a été nuisible qu'à lui-même et non à sa postérité, et que la justice et la sainteté qu'il avait reçues de Dieu, il les a perdues pour lui seul et non point pour nous en même temps; ou que, souillé par le péché de désobéissance, il n'a transmis à tout le genre humain que la mort et les peines corporelles.
— 152 — et non le péché qui est la mort de l'âme; qu'il soit anathème : car il contredit l'Apôtre, qui dit que le péché est entré dans le monde par un seul homme et la mort par le péché, et qu'ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui dans lequel tous ont péché.
« Si quelqu'un soutient que ce péché d'Adam, qui est un dans sa source, et qui, étant transmis à tous par propagation et non par imitation, se trouve en chacun propre à chacun, est effacé ou par les forces de la nature humaine, ou par d'autres re- mèdes que les mérites du Médiateur unique, notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a réconciliés dans son sang, en devenant notre justice, notre sancti- fication et notre rédemption ; ou s'il nie que les mé- rites mêmes de Jésus-Christ sont appliqués aux en- fants et aux adultes par le sacrement de Baptême conféré suivant es formes usitées dans l'EgUse; qu'il soit anathème : car nul autre nom sous le ciel n'a été donné aux hommes, par lequel nous de- vions être sauvés. Ce qui a donné lieu à cette pa- role : Voici l'Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte le péché du monde. Et cette autre : Vous tous qui avez été baptisés, vous avez été revêtus de Jésus- Christ.
« Si quelqu'un nie que les enfants nouvellement sortis du sein de leurs mères, même ceux qui sont nés de parents baptisés, aient besoin de recevoir le Baptême, ou s'il dit qu'ils sont à la vérité baptisés pour la rémission des pochés, mais qu'ils ne tirent d'Adam aucune faute originelle qui ait besoin d'être
— 153 — expiée par l'eau de la régénération pour obtenir la vie éternelle, d'où il s'ensuivrait qu'en eux la forme du Baptême pour la rémission des péchés serait fausse et non véritable ; qu'il soit anathème : car il ne faut pas entendre autrement que l'Eglise ca- tholique répandue partout ne les a toujours enten- dues ces paroles de l'Apôtre : Le péché est entré dans ce monde par un seul homme, et la mort par le péché, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui dans lequel tous ont péché. C'est en vertu de cette règle de foi, suivant la tradition des apôtres, que les petits enfants mêmes qui n'ont encore pu commettre aucun péché personnel sont véritablement baptisés pour la rémission des péchés, afin que la régénération efface en eux ce qu'ils ont contracté de souillure par la génération : car qui- conque ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit ne peut entrer dans Je royaume de Dieu. » (Conc. Trid., sess. V, can. 2, 3 et 4.)
Il est donc de foi catholique que tous les hom- mes, même les enfants des chrétiens, sont coupa- bles de péché originel, et qu'ils ne peuvent obtenir le salut que par le saint Baptême. La transmission de cette tache originelle sera toujours un grand mystère, sans doute ; mais c'est un fait certain, un fait dogmatique incontestable, appuyé sur la parole de Dieu et l'autorité infailUble de l'Eglise, sur la doctrine de tous les Docteurs, l'enseignement de tous les pasteurs, la tradition universelle de tous les peuples. D'un autre côté, nous savons que Dieu est juste. Que voulons-nous de plus? En nous re-
— \u —
présenlaiil le père du genre humain comme l'agent responsable d'une grande société commerciale qui agit au nom de tous les sociétaires ou du genre humain, il nous sera facile de comprendre qu'il bénéficie ou qu'il perd pour tous les membres de cette société. Ainsi en sera-t-il du second Adam, Jésus-Christ, qui est devenu le Sauveur de tous les hommes en vertu du même principe de solidarité. Nous ne nous plaignons pas quand il s'agit des bé-> néQces; nos plaintes sont-elles justes quand il s'a- git des pertes?
Mais, me direz-vous, comment des enfants nés de parents chrétiens et vertueux peuvent-ils être souillés du péché originel? Est-ce qu'une eau bour- beuse peut sortir d'une source claire et limpide? Est-ce que la lumière peut engendrer les ténèbres? Ou bien encore, si nous contractons ce péché de nos premiers parents quoique à soixante siècles de dis- tance, à plus forte raison devons-nous contracter es péchés do ceux qui nous ont créés et mis au monde. Saint Augustin vous répond : Les enfants sont conçus et engendrés selon la nature et non selon la grâce ; et quoique les parents soient d'une sainteté éminente, leurs enfants viennent au monde souillés et coupables du péché dont la nature hu- maine tout entière a été souillée dans son chef ou dans sa source. Ainsi nos parents nous communi- quent le péché d'Adam dont ils ont été purifiés, et ils ne nous communiquent ni la grâce dont leur âme est ornée, ni les péchés qui pèsent sur leur conscience , parce que ce ne sont que les quaUtés
ou les défauts de la nature qui se transmettent de génération en génération, et non les qualités ou les défauts des individus. Un homme savant engendre un fils ignorant; il ne saurait lui communiquer la science qu'il possède, et il lui donne l'ignorance qu'il n'a pas , parce que la science est une perfec- tion de la personne, et que l'ignorance est une im- perfection de la nature.
Ce grand Docteur dit encore : Vous semez dans votre champ un froment pur et séparé de la paille ; mais le froment qui en proviendra ne sera pas pu- rifié comme le premier, il viendra toujours enve- loppé de sa paille. Si vous jetez en terre la semence d'un fruit délicieux, l'arbre qui en sortira ne pro- duira que des fruits sauvages. Pour qu'il donne des fruits savoureux et agréables au goût, il faut le greffer, y insérer la branche dun arbre franc. Pourquoi cela? Qui pourra vous rendre compte de ce mystère de la nature ? Il n'a d'autre raison que la volonté de Dieu, qui a voulu, par cette loi si éton- nante, nous rendre sensible et palpable la transmis- sion du péché originel et la nécessité du Baptême, et nous faire voir que l'enfant né de parents chré- tiens vient au monde avec le péché originel, et qu'il est absolument nécessaire que Jésus-Christ soit inséré en lui ou qu'il soit greffé en Jésus-Christ.
Remarquez encore que quand nous ne naîtrions pas coupables du péché originel, le Baptême nous serait nécessaire, non pour nous purifier, mais pour nous communiquer la vie de la grâce.
Et que deviennent les enfants qui meurent sans
— 156 — Baptême? Ils sont exclus du royaume des cieux, puisqu'ils ne possèdent pas la grâce sanctifiante : c'est une vérité de foi catholique ; et il n'y a pas de milieu entre le ciel et l'enfer. Cependant l'Eglise vous permet de croire qu'ils ne souffrent pas la peine des sens, et qu'ils jouissent même d'un cer- tain bonheur naturel, de sorte qu'ils considèrent leur existence comme un bienfait et qu'ils en re- mercient Dieu. La privation du ciel n'est pas pour eux une peine, parce qu'ils sont morts sans la grâce et qu'ils n'ont aucune idée de l'ordre surnaturel.
Mais pourquoi Dieu permet-il qne ces enfants soient exclus du ciel sans qu'il y ait de leur faute? Pourquoi permet-il que l'enfant d'une mère chré- tienne meure sans Baptême, et que celui d'une fille débauchée le reçoive avant de mourir? C'est que Dieu a créé l'homme libre, et que la liberté devient la cause d'accidents fâcheux. Mais la justice de Dieu li'est pas en défaut, puisqu'il rend à chacun ce qui lui est dû, et que les enfants morts sans Baptême n'ont aucun droit de posséder le royaume de Dieu. Nous devons croire que tous les jugements de Dieu sont pleins d'équité, et ne point chercher à connaî- tre ce qu'il a voulu nous cacher. Sa conduite sera justifiée au grand jour des révélations. Concluons de là que nous devons travailler à notre salut avec crainte et tremblement, puisque les jugements de Dieu sont si impénétrables. Combien de chrétiens seront sauvés après avoir mené une vie libertine et scandaleuse ! Combien d'autres seront damnés après avoir vécu longtemps dans l'innocence 1 Les pre-
— 157 —
miers se seront convertis avant de mourir, et les seconds seront morts en état de péché mortel. De quel côté serons-nous? 0 profondeur de la sagesse et de la science de Dieu, quevos jugements sont in- compréhensibles!
Mais revenons à la nécessité du Baptême. Le saint concile de Trente a défini cette vérité : « Si quel- qu'un dit que le Baptême est libre, c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire pour le salut, qu'il soit ana- thème. » Déjà il avait défini que la justification, de- puis la promulgation de l'Evangile, ne peut se faire sans l'eau de la régénération ou sans son désir.
« Si vous voulez être catholique, s'écrie saint Augustin, ne croyez pas, ne dites pas, n'enseignez pas que les enfants qui meurent sans Baptême peu- vent obtenir la rémission de leur péché originel. » [De Orig. animm, lib. III, cap. xix.'
Considérez avec quelle tendre sollicitude l'Eglise veille au salut des enfants des hommes. Elle presse de toutes manières, par ses prières, par ses larmes, par ses menaces, par ses châtiments, les prêtres et les fidèles de prendre de telles précautions, qu'au- cun enfant ne meure sans avoir reçu le Baptême. Tantôt elle frappe d'analbème les hérétiques qui nient la nécessité de ce sacrement, et tantôt elle châtie sévèrement les adultes qui ne veulent le re- cevoir qu'à l'article de la mort.
Cependant le Baptême peut être suppléé par le martyre, selon ces paroles de Jésus-Christ : « Celui qui perdra sa vie à cause de moi, ou à cause de l'E- vangile, sera sauvé. » 3ïarc, viii, 33.) Il dit en gé-
— 458 —
lierai : Celui qui donnera sa vie, qu'il ait ou qu'il n'ait pas la conscience de son acte, peu importe, il la sauvera. Ainsi les enfants avant l'usage de raison peuvent être martyrs. « Nous avons encore un se- cond Baptême, dit Tertullien, savoir le Baptême de sang, dont le Seigneur a dit : J'ai un Baptême dont je dois être baptisé. Ce Baptême de sang supplée au Baptême d'eau, et il le restitue quand on Taperdu. » (Lib. De Bapîism.y cap. xvi.)
« Pour nous, dit saint Cyprien, qui, avec la per- mission de Dieu, conférons le Baptême d'eau à ceux qui croient, nous préparons tous ceux qui l'ont reçu à un autre Baptême qui est plus grand en grâce, plus sublime en puissance, plus excellent en gloire. C'est un Baptême par lequel les anges baptisent, qui fait tressaillir de joie le Seigneur et son Christ. Après ce Baptême, personne ne pèche plus; c'est ce Bap- tême qui porte notre foi à sa dernière perfection; c'est ce Baptême qui, en nous retirant de ce monde, nous unit immédiatement à Dieu. Si nous recevons la rémission de nos péchés par le Baptême d'eau, nous recevons par le Baptême de sang la couronne de nos vertus. » (Praefat. in lib. De Exhortât, mai'- îyrii.)
Ecoutez encore le Docteur Angélique : « L'efîu- sion du sang pour Jésus-Christ et l'opération inté- rieure du Saint-Esprit sont appelées Baptême, parce qu'elles produisent son effet; car le Baptême d'eau n'est efficace que par la passion de Jésus-Christ et la vertu du Saint-Esprit. Or, ces deux causes opè- rent dans chacun de ces trois Baptêmes, et d'une
— 159 —
manière très-excellente dans le Baptême de sang. En effet, la passion de Jésus-Christ opère dans le Baptême d'eau, par une certaine représentation fi- gurative; dans le Baptême de charité, par une cer- taine affection qu'elle excite dans l'âme, et dans le Baptême de sang, par l'imitation véritable et réelle de la passion. La vertu du Saint-Esprit opère égale- ment dans le Baptême d'eau, par une certaine vertu cachée; dans le Baptême de charité, par un mou- vement du cœur, et dans le Baptême de sang, par la plus ardente ferveur de la charité, selon cette pa- role du Sauveur : « Personne n'a une plus grande « charité que celui qui donne sa vie pour ses amis. »
Pourquoi l'Eglise a-t-elle défendu de prier pour les martyrs? Parce que le Baptême de sang efface tous les péchés et remet toutes les peines dues au péché. Il fait injure au martyr, celui qui prie pour lui, dit le pape Innocent III. L'Eglise accordait môme la rémission des pénitences canoniques à la recommandation des martyrs.
Pour faire périr l'enfant Jésus, Hérode fait mas- sacrer les enfants âgés de deux ans et au-dessous, et l'Eglise les honore comme martyrs, parce qu'ils ont perdu leur vie à cause de Jésus. L'empereur a voulu être le parrain de tous les enfants qui sont nés le même jour que l'enfant impérial; Dieu fait plus : il élève à la plus haute gloire tous les en- fants qui sont venus au monde à l'époque où est né Jésus; il en fait des princes du sang, qui forme- ront la cour du Roi du ciel pendant l'éternité.
Cependant, pour que le martyre efface les pé-
— 160 — chés et ouvre la porte du ciel à l'aduite qui le souffre, il faut qu'il se repente de ses péchés et qu'il ait l'amour de Dieu dans le cœur; car saint Paul a dit : « Si je livre mon corps au tourment du feu et si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. Aussi voyez-vous avec quel empressement l'Eglise confère le Baptême aux catéchumènes bien disposés, récon- cilie les pécheurs vraiment contrits, et munit tous los fidèles du pain des forts à l'approche des persé- cutions? C'est le motif et non la peine qui fait le martyr. Que les hérétiques etlesschismatiqucs meu- rent pour le nom chrétien, ils ne sont pas martyrs, parce qu'ils n'ont pas la charité chrétienne. Mais TEglise honore comme martyrs les prêtres et les fi- dèles qui, sous l'empereur Valérien, sont morts en soignant les pestiférés, pour l'amour de Dieu, dans la ville d'Alexandrie. N'oubliez donc pas que si la mort vous surprend dans l'exercice de la charité en- vers des pestiférés, l'Eglise chantera sur vos dé- pouilles mortelles : 0 heureux chrétiens, si l'épée de la persécution vous a fait défaut, l'amour du pro- chain a fait de vous de saintes victimes et vous a égalés en quelque sorte aux martyrs.
Le Baptême peut encore être suppléé par un acte de charité parfaite joint au désir de recevoir le sa- crement.
« Celui qui m'aime, dit Jésus, sera aimé de mon Père, et nous viendrons en lui, et nous ferons en lui notre demeure. » (Jean, xiv, 21 .) « L'impie qui aura fait pénitence de ses péchés vivra de la vie et ne mourra point. » (Ezéch., xxiii, 21. )« Quiconque
- 164 — croira en Jésus-Christ nesera pas con fondu . » (Rom . , X, 11 .) Ces promesses sont formelles et ne souffrent point d'exception.
Dans son oraison funèbre de l'empereur Yalen- tinien, saint Ambroise s'exprime ainsi : « Je vous entends regretter qu'il n'ait pas reçu le sacrement de Baptême. Mais, dites-moi, qu'y a-t-il autre chose en notre pouvoir que la bonne volonté et la prière ? Or, il y a longtemps qu'il avait cette volonté de re- cevoir le Baptême de mes mains, et c'est pour cela qu'il m'a mandé avant tous les autres. N'a-t-il donc pas reçu la grâce qu'il a demandée, qu'il a désirée? Assurément, puisqu'il l'a demandée, il l'a reçue. Comment le savons-nous? Par cette parole du Saint- Esprit : « Quelle que soit la mort qui vienne frapper « le juste, son âme sera dans le rafraîchissement. » Si les martyrs sont purifiés par le sang, Valenti- nien l'a été par sa piété et sa bonne volonté. »
Vous avez entendu les paroles de saint Thomas. Dieu n'a-t-il pas dit qu'il veut le salut de tous les hommes; que nous devons mettre toute notre con- fiance en lui; qu'il nous accordera tout ce que nous lui demanderons ; que la volonté de pécher est ré- putée pour le fait? Mais si, dans l'impossibilité de recevoir le sacrement, la charité parfaite ne suffi- sait pas pour justifier le pécheur, pourrait-on dire que Dieu veut le salut de tous les hommes, que la prière est toute puissante, et qu'on ne doit jamais désespérer? Quoi donc ! la seule volonté du mal suf- fit pour mériter l'enfer, et la charité parfaite ne suffirait pas pour mériter le cieH
— 162 —
Cependant on ne peut pas dire qu'il y a trois Baptêmes ; car il n'y a que le seul Baptême d'eau qui imprime un caractère. Les deux autres lui sup- pléent en justifiant le pécheur.
Ecoutez maintenant ces paroles de Son Erainence le cardinal-archevêque de Reims : « Le Baptême étant absolument nécessaire au salut pour les en- fants comme pour les adultes, les parents sont obligés de les faire baptiser le plus tôt possible, moralement parlant. Ils se rendraient coupables d'une faute grave , s'ils retardaient pendant un temps considérable, un mois par exemple, à leur procurer le Baptême. Il suffirait même, pour qu'il y eût péché mortel, que ce retard fût de quinze jours, si l'on n'avait pas de raison légitime de différer aussi longtemps. Il est des Docteurs plus sévères encore, qui pensent qu'on ne peut, sanspéché mor- tel, différer le Baptême d'un enfant au-delà de huit jours, et même de cinq ou six jours. C'est donc un devoir pour les curés d'exhorter et de presser les parents à faire baptiser leurs enfants le jour même ou au plus tard le lendemain ou le surlendemain de leur naissance. » [Théol. mor.j tom. II, n° 79.)
Comprenez donc, mes frères, combien sont aveu- gles et coupables tout à la fois les parents qui, sous le moindre prétexte, diffèrent de plusieurs jours et quelquefois de plusieurs semaines de faire adminis- trer le Baptême à leurs enfants. Si le chef de l'Etat assurait une pension à votre fils, et que vous eussiez de graves raisons de craindre qu'il pût en être frustré, dans le cas où vous différeriez de quelques
— 463 —
jours de le présenter au magistrat civil, aucun de vous ne serait négligent et ne manGjuerait de remplir la condition imposée le jour même de la naissance de l'enfant. Oubliez-vous qu'il s'agit d'as- surer à vos fils et à vos filles le droit à un bonheur éternel et infini, et que le moindre délai peut les en priver? Quoi! la France envoie chaque jour des missionnaires dans les pays sauvages et bar- bares pour conférer le Baptême aux enfants et aux adultes, ces prêtres sacrifient tout pour envoyer au ciel les âmes de ces infidèles, et des parents chré- tiens négligent de procurer ce même bienfait à leurs enfants ! Où est donc leur foi ? où est leur amour pa- ternel? Le moindre accident peut occasionner la mort à ces frêles créatures et les exclure à jamais dn royaume des cieux, et leurs parents sont sans souci et sans inquiétude ! et ils dorment tranquilles 1 0 mon Dieu, quelle insensibihté ! quelle cruauté !
Réveillez donc votre foi, mes frères, et soyez plus exacts à remplir les obligations que vous impose votre dignité de père et de mère. Vos enfants eux- mêmes vous en béniront pendant toute l'éternité. Jmen.
SAINTE ÉMERÀNCE, SAINTE CATHERINE^ ETC.
Il est raconté dans la vie de sainte Emerance, encore caté- chumène, que, pendant qu'elle priait sur le tombeau de sainte Agnès, elle fut surprise par des païens qui lui reprochèrent en termes très-durs de contribuer par ses pratiques supersti- tieuses à répandre le bruit des prétendues merveilles qu'on attribuait à cette criminelle enterrée. Indignée de ces blas-
— 164 —
phèmes, la jeune tille leur représenta vivement leur corrup- tion et leur incrédulité; mais ces hommes cruels en furent tellement irrités qu'ils assommèrent, sur la place même, cette courageuse héroïne de la foi. C'est ainsi qu'elle reçut le baptême de sang.
L'empereur Maximin, dans le but de faire aposiasier sainte Catherine, née à Alexandrie en Egypte, femme célèbre par ses connaissances, après avoir essayé inutilement par toutes sortes de moyens, résolut de l'amener à l'idolâtrie par des dissertations savantes ; c'est pourquoi il rassembla les philo- sophes les plus instruits et les chargea de confondre la jeune fille. Mais le résultat ne répondit point à son attente. La plu- part d'entre eux, et peut-être tous, furent tellement frappés de l'éloquence de cette jeune fille, de la force des preuves qu'elle apportait pour établir la divinité de la religion chré- tienne, qu'ils embrassèrent le christianisme. L'empereur, blessé au vif à la vue d'un pareil spectacle, ordonna aussitôt qu'on les fît mourir par le feu, supplice auquel ils se soumi- rent de bon cœur. Seulement ils se plaignaient auprès de sainte Catherine de ce qu'ils seraient obUgés de mourir sans baptême. Mais la sainte, faisant le signe de la croix sur eux, les tranquillisa en leur disant : « Ne soyez pas inquiets à ce sujet, car bientôt vous serez baptisés dans votre propre sang. » Encouragés par ces consolantes paroles, ils marchèrent gaî- ment à la mort, et entrèrent dans la vie en recevant le bap- tême de sang. (Laurent Surius, 2o nov.)
Pendant que l'on conduisait saint Georges au martyre, un grand nombre d'estropiés se jetaient à ses pieds, et recou- vraient la santé dès qu'il avait fait sur eux le >>igne de la croix. Parmi les infirmes se trouvait un homme de la campagne, nommé Clirécius, qui s'écria tout à coup, animé d'un saint transport : « Le Dieu des chrétiens est vraiment grand! » A ce cri, l'empereur le fit aussitôt saisir et ordonna qu'on le conduisît au martyre. Il obéit avec joie, tout en priant le Sei- gneur d'accepter, en compensation du Baptême, le martyre qu'il allait endurer ; ce qui lui fut accordé.
Le 2 septembre 1792, le massacre des prisons eut lieu à
— 165 —
Pari:;. Un de ces monstres qui se faisaient un jeu de la vie des liommes, après avoir massacré un grand nombre de victimes et avoir touché le salaire de l'homicide, embrassa la profes- sion de boucher et se maria. Sempronia et Lucrèce furent les noms qu'il donna à ses deux filles. Pour célébrer la naissance de ces deux enfants, il réunit ses amis dans un repas, et, au milieu d'une joie accompagnée de blasphèmes contre Dieu et contre la religion, il jure qu'aucun de ses enfants ne recevra Je Baptême, et que si jamais un prêtre s'approchait de sa mai- son pour les baptiser ou leur parler de religion, il Téventre- rait; puis, tirant un couteau, il ajoute : « Avec celui-ci, j'ai tué quatorze prêtres aux Carmes et cinq a Saint-Firmin, sans compter les autres à l'Abbaye. »
En 1813, sa fille Lucrèce tomba malade d'une maladie de langueur et touchait à ses derniers moments. Quelques per- sonnes pieuses engagèrent son père à la faire baptiser ; mais il renouvela ses premiers serments. Dès lors il parut impos- sible de l'amener à de meilleurs sentiments. Cependant une personne charitable crut devoir parler à un ecclésiastique de cette indigne conduite. Sa charité s'enflamma pour sauver rame de cette fille malheureuse, au risque d'y perdre la vie. Pour arriver près d'elle, il prend des habits étrangers à son état, et s'en va dire au père qu'ayant appris que sa fille se mourait d'une maladie de langueur et était abandonnée des médecins, il venait lui offrir un remède qui pouvait la sau- ver. Le père est ému ; il verse quelques larmes, remercie et accepte les secours offerts. Il promet même une récompense si on lui rend son enfant. Ce ministre n'en veut aucune, et demande à la voir. On le conduit dans une chambre où il trouve une jeune personne d'environ quatorze ou quinze ans, affaissée par la maladie, et paraissant avoir peu d'heures à vi- vre. Le père lui dit qu'il lui amenait un brave voisin posses- seur d'un excellent remède qui pouvait la guérir. Le prêtre lui donna la moitié de ce que renfermait sa fiole, ce qui pa- rut la soulager; et pendant que le père préparait une tasse de thé, le prêtre dit à la jeune fille : « Mon enfant, vous allez peut-être mourir; votre corps va périr, mais sauvons votre
— 166 —
fîme. Je m'expose à périr pour vous sauver ; mais les instants sont chers, n'en perdons aucun. Voulez-vous être baptisée? — Ah! monsieur, lui dit-elle, oui, je serai heureuse de rece- voir le Baptême; je le désire, et puisse Dieu vous récompenser de votre zèle ! w Aussitôt il lui verse de l'eau sur la tête et lui t'onfère le sacrement de Baptême. Le père rentre bientôt, et sa fille lui dit qu'elle est heureuse, qu'il pense à sa conduite passée... puis elle expire. Le père vomit des imprécations, et le prêtre s'esquive.
IIP IiNSTRUGTION.
De la matière et de la forme du Bajitéme.
Dùm irent per viam, veneiunl ad quamdam aqiiam, et ait eunuchus : Ecce aqua, quid prohibct me bapli:ari?
Pendant qu'ils cheminaient, ils arri- vèrent prés (l'un endroit où il y avait de l'eau, et l'eunuque dit : Voilà de l'eau, qu'est-ce qui empêche de me baptiser?
(AcT., VIII, 56.)
Quelle est la matière du sacrement de Baptême ? Certains hérétiques ont prétendu que c'était du feu. Luther enseigne que c'est toute liqueur propre à nettoyer le corps, et Calvin, que les paroles du Sau- veur doivent être prises dans un sens métaphori- que et s'entendre de la contrition du cœur. Majs l'Eglise catholique^nseigne_quê_^c'estUlgau natu^. relle^ « La matière du sacrement de Baptême, dit le concile de Florence, est l'eau véritable ou natu- relle, peu importe qu'elle soit chaude ou froide. » Ecoutez ce que dit le saint concile de Trente : « Si quelqu'un dit que l'eau naturelle et véritable n'est pas de nécessité pour le Baptême, et pour ce sujet détourne à quelques explications métaphoriques cette parole de notre Seigneur Jésus-Christ, qu'il soit anathème. » (Sess. vu, can. 2.^
Le prophète Ezéchiel avait annoncé cette ma- gnifique institution : « Je répandrai sur vous une
— 168 — eau pure , dit le Seigneur, et vous serez purifiés de toutes vos souillures. » (Ezech., vi, 25.)r<< Appro- chons-nous donc de Dieu, dit saint PauVavec un cœur vraiment sincère et avec une foi parfaite, ayant les cœurs purifiés des souillures de la mauvaise conscience par une aspersion intérieure, et les corps lavés dans l'eau pure. » {Héb., x, 22.)
II est donc de foi catholique l^ne l'eau naturelle est la matière nécessaire du sacrement de Baptême, peu importent ses qualités, qu'elle soit douce ou salée, bonne ou mauvaise. Si l'on doutait qu'elle fut de l'eau naturelle, on pourrait s'en servir, en cas de nécessité, à défaut d'eau pure ; mais il faudrait réitérer le Baptême le plus tôt possible.
Pour que le Baptême existe, il faut qu'il y ait ablution, soit par infusion, en versant de l'eau sur le corps de la personne; soit par immersion, en le plongeant dans l'eau; Soit par aspersion, en je- tant de l'eau sur lui. Dans l'Eglise latine, le Bap- tême se confère et doit se conférer par infusion.
Pour assurer le Baptême, il ne suffit pas de faire tomber quelques gouttes d'eau, ni de tremper son doigt dans l'eau et de l'appliquer au sujet ; il faut prendre de l'eau dans un vase et la verser sur celui qu'on baptise. Il faut que l'eau touche immédiate- ment le corps. Il est donc nécessaire que celui qui baptise séprjp les cheveux avec la main et fasse arriver l'eau jusque sur le corps.
Il suffit de verser l'eau une seule fois; mais, pour le Baptême solennel, l'Eglise prescrit, selon l'an- cienne discipline, d'en verser trois fois en formant
— 1G9 — le signe de la croix, tandis qu'on prononce les pa- roles sacramentelles. C'est une profession publique du mystère de la sainte Trinité.
On doit verser l'eau sur la tète de la personne qu'on baptise, non seulement parce que l'Eglise l'ordonne, mais aussi parce qu'il y a quelque doute si le Baptême est valide lorsqu'on verse l'eau sur quelque autre partie du corps. Cependant, en cas de nécessité, il faut baptiser un enfant sur quelque membre que ce soit, quand on ne le peut sur la tète. L'eau est très-convenable pour la matière du sa- crement de Baptême, selon la doctrine de saint
_T h ornas.
J^JIlje-est^^amme le principe des créatures ; car Dieu créa d'abord les eaux, et l'Esprit de Dieu re- posait sur elles pour leur communiquer la fécon- dité. Dieu prononce ensuite une parole, et la terre et les eaux produisent toutes les créatures. Or, par le Baptême, il s'opère une nouvelle création infini- ment plus merveilleuse que la première ; et quand l'ancien monde oublie sa céleste origine. Dieu le
purifie et le régénère par les eaux du déluge.
'î° Comme le Baptême est absolument nécessaire au salut, il fallait une matière facile à trouver, et
(^ l'eau est le plus commun des éléments, le plus aisé
/à se procurer.
/ 3° L'eau exprime très-bien les effets du Bap- tême. Elle nettoie et purifie le jîCirp;Je_Baptème purifie l'âme. L'eau rafraîchit le corps, et le Bap- tême amortit le feu de la concupiscence. L'eau éclaire, car c'est elle qui nous fournit cette belle
V. 8
_ no —
' lumière qui éclaire nos grandes cités pendant la
\nuil; le Baptême chasse les ténèbres de l'intelli- gence et y fait luire une lumière céleste. ' i° L'eau nous rappelle le sépulcre de Jésus- Christ, avoc lequel nous sommes morts et ense- velis par le Baptême, selon ces paroles de l'Apôtre :
Ç« Ayant été baptisés au nom de Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort, nous avons été en •
1 sevelis avec lui par le Baptême pour mourir au pé ché et vivre d'une vie nouvelle. » C'est ce qu'ex- primait bien le Baptême par immersion.
Efforcez-vous donc, mes frères, de pénétrer cette profonde philosophie du grand Apôtre, et contem- plez Jésus-Chiist expirant sur la croix : il meurt au péché, au monde, à la chair. Ainsi, en vertu de no- tre Baptême, devons-nous mourir au péché, c'est-à- dire aux blasphèmes, aux profanations du saint jour du dimanche, aux haines, aux querelles, aux dissensions, aux paroles licencieuses, aux impu- retés, aux injustices, aux mensonges, aux médi- sances, aux calomnies. Nous devons mourir au monde, à ses vanités, à ses pompes, aux gran- deurs, aux richesses et aux plaisirs du monde, aux spectacles, aux danses, aux amusements criminels, et à tout ce qui pourrait être une occasion de pé- ché. Nous devons pratiquer les vertus chrétiennes, l'humilité, le détachement des biens de la terre, la modestie, la patience, la mortification et la charité chrétiennes. Nous devons mourir à nous-mêmes, aux passions déréglées de la nature corrompue, à l'ambition, à la cupidité et à la volupté.
— 171 —
Cette mort du vieil homme en nous est une con- dition indispensable de la vie chrétienne, puisque Dieu ne nous a rachetés de la mort éternelle qu'en nous imposant l'obligation de mourir à nos vices. C'est comme l'abrégé de toute la doctrine de saint Paul. « Puisque par le Baptême, nous dit-il (Rom. ,vi) nous sommes morts au péché, comment donc le ferons- rous revivre en nous ? Par le Baptême , nous le savons, notre vieil homme a été crucifié avec Jésus-Christ, afin que la masse du péché soit détruite, et que désormais nous ne soyons plus les esclaves du péché, comme Jésus-Christ une fois ressuscité ne meurt plus. Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel, de manière que vous n'obéissiez plus à ses concupiscences. » Et ailleurs (Gai., v, 24) il dit formellement que ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses convoitises.
Avcz-vous bien entendu cette maxime? Le grand Apôtre ne dit pas que les Chartreux, les Trappistes et les Carmélites qui ne pratiquent pas la mortifi- cation n'appartiennent pas à Jésus-Christ, mais il prononce d'une manière absolue et générale que ceux qui ne sont pas mortifiés n'appartiennent pas à Jésus-Christ*
Ecoutez saint Jean Chrysostôrae : « Le Baptême est pour nous ce que la croix et le tombeau ont été pour Jésus-Christ, et il doit produire en nous les mêmes effets. Il doit nous faire mourir, nous cru- cifier et nous cacher au m.onde. C'est pour cela que la grâce qui nous a été donnée au Baptême est un
— 172 — esprit de pénitence qui nous oblige à mourir au monde. Or, un homme mort est insensible à ce qui se passe autour de lui; qu'on le place sur un trône et qu'on le comble de louanges, il n'éprouve pas le moindre sentiment d'orgueil; qu'on le jette à la voirie et qu'on l'expose à tous les outrages, il ne se fâche ni ne s'irrite d'aucune façon. »
Permettez-moi donc de vous demander mainte- nant : Etes-vous chrétiens ?Etes-vous véritablement morts au péché, au monde et à vous-mêmes ? Avez- vous crucifié votre chair avec toutes ses convoiti- ses? Avez-vous détruit en vous le vieil homme et celte masse de péché qui vous rend esclaves des mauvaises passions? Etes-vous insensibles à la louange, au blâme ou au mépris des hommes? S'il en est ainsi, réjouissez-vous, et rendez grâces à Dieu : vous êtes véritablement chrétiens, vous ap- partenez à Jésus-Christ, puisque vous marchez à sa suite dans le chemin royal de la croix; vous êtes crucifiés avec lui, et c'est un gage certain que vous ressusciterez avec lui.
Mais si, au contraire, vous ne vous occupez qu'à flatter vos passions, à obtenir des dignités et des honneurs, à faire fortune, à vous procurer sans cesse de nouveaux plaisirs, à .vous établir dans ce monde comme si vous ne deviez jamais en sortir, tremblez; car vous n'êtes plus chrétiens, puisque vous ne vivez que pour le monde et que vous n'aimez que les choses de ce monde. Vous démentez votre Baptême, et vous êtes en con- tradiction formelle avec la profession que vous
— 173 — faites de la doctrine de la croix et du crucitie- ment.
Jé^ngXhnst^dit. à ses apotre.s : « AlJpy, pnspj-
gnez toutesj£S-Jiaiions, baptisezJes-a«— ftftm--du Père et_JjLlii-^-"Çt_ii]i..SaijQi:Esj3i^^ ces pa- roles se trouve la forme du sacrenienl.de EapLcSij
« Voici, dit le concile de Florence, la forme de ce sacrement : Je le baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ^'ous ne nions pas cependant que le Baptême ne soit valide, lorsqu'on le confère par ces paroles : Qu'un tel serviteur de Jésus-Christ soit. __bâptisé au nom du Père et du Fils et du Saint-Es- prit, puisque, comme la principale cause qui doniM au Baptême sa vertu est la sainte Trinité, et que la cause instrumentale est le ministre qui confère ex- térieurement le sacrement, si on exprime l'acte qui est fait par le ministre lui-même avec l'invocation de la sainte Trinité, le sacrement est parfait. »
Ecoutez le saint concile de Trente : « Si quel- qu'un dit que le Baptême qui est donné même par les hérétiques au nom du Père et du Fils et du Saint- Esprit, avec l'intention de faire ce que fait l'Eglise, n'est pas un vrai Baptême, qu'il soit anathème. »
Tous les Pères de l'Eglise enseignent que cette forme a été instituée par Jésus-Christ lui-même. Quand les évêques catholiques voulaient s'assurer de la validité du Baptême conféré par des héréti- ques, ils s'informaient soigneusement s'il avait été donné avec de l'eau naturelle et l'invocation ex- presse des trois personnes divines. Le ministre ne doit donc rien changer à la formule, ni la modifier
— 474 — en aucune manière, de peur de rendre le sacrement nul.
Pour la validité du Baptême, il faut que la même personne qui verse l'eau prononce en même temps les paroles sacramentelles.
Cette forme, dit saint Thomas, convient parfaite- ment, parce qu'elle exprime la cause du sacrement, le ministre qui le confère et la sainte Trinité qui lui communique sa vertu, et son précieux effet ou l'ef- fusion de la grâce divine.
Nous avons déjà vu que saint Paul, parlant de la forme du Baptême, l'appelle une parole de me. Si donc la matière de ce sacrement nous rappelle que nous sommes morts au monde, la forme nous en- seigne que nous mourons pour revivre, que nous nous dépouillons avec Jésus-Christ d'une vie mor- telle et fragile pour reprendre avec lui une vie glo- rieuse et immortelle. Nous mourons au péché, au monde et à nous-mêmes, mais pour vivre à Dieu et à sa grâce ; nous sommes crucifiés avec Jésus-Christ pour ressusciter avec lui; nous faisons mourir le vieil homme pour nous revêtir du nouveau.
L'Eglise nous marque ces effets surprenants dans les prières qu'elle récite pour la bénédiction des fonts sacrés. Elle conjure l'Esprit de Dieu de les sanctifier comme il fil à l'origine du monde. Elle prie Dieu de bénir ces eaux, afin qu'elles soient, comme celles du déluge, le tombeau des vices et la source de toutes les vertus ; qu'elles soient une fon- taine vivante qui régénère, une onde qui sanctifie; qu'on voie en sortir une génération nouvelle et tout
— 475 —
à fait céleste ; qu'elles ressemblent à ces quatre fleu- ves qui sortaient du paradis, et qu'elles portent aux quatre coins du monde les trésors de la grâce di- vine, comme ces eaux du désert qui, d'amères qu'elles étaient, devinrent douces et agréables au goût, comme cette source qui jaillit du Hanc du ro- cher pour abreuver tout le peuple de Diei'., comme cette eau changée en vin aux noces de Cana pour célébrer la figure de l'union sainte de la nature di- vine et de la nature humaine.
Yoycz-vous ISaaman le Syrien, tout couvert de la lèpre, allant, par l'ordre du prophète, se laver sept fois dans le Jourdain, et obtenant ainsi sa guérison? C'est la figure de cet autre lépreux qui, pour accom- plirtoute justice, s'avance vers Jean-Baplistecomme les autres pécheurs, descend dans le Jourdain, et y fait descendre l'ancien monde avec lui pour s'y purifier; et quand il en sort, c'est un monde nou- veau qui parait. Ecoutez cette voix du ciel qui fait entendre ces magnifiques paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. » Et saint Jean a vu le Saint-Esprit descendre sur lui et s'y reposer. Ainsi, lorsque l'enfant aura été plongé dans les eaux régénératrices, le Père éternel le pro- clamera son fils, et le Saint-Esprit descendra en lui pour lui communiquer la vie divine.
C'est donc à juste litre que saint Denys appelle l'eau du Baptême le sein maternel des chrétiens et les entrailles d'adoption. Quelle dignité, quelle ad- mirable prérogative que celle d'être fait enfant de Dieu, frère de Jésus-Christ, par la communication
— 476 —
et l'effusion du Saint-Esprit! Quand le divin Maître compare la naissance opérée par le Baptême à la naissance du corps de l'homme, il veut nous faire entendre que la vie produite par le Saint-Esprit est divine parce que sa cause est la nature divine, comme la chair du Fils de l'homnMî est chair parce qu'elle provient d'nne cause charnelle. Par le Bap- tême, nous sommes donc nés du Saint-Esprit, c'est- à-dire que le Saint-Esprit nous communique de sa vie et nous rend participants de ses propres perfec- tions; il nous pénètre comme le feu pénètre le fer et lui communique ses propriétés.
Mais notre conduite, mes frères, est-elle à la hau- teur de notre naissance? La vie d'un prince ne doit- elle pas être plus parfaite que celle du simple ci- toyeflîNe se manquerait-il pas à lui-même, s'il n'a- vait pas des idées plus élevées et des sentiments plus nobles que les autres hommes? Que dis je? Quand vous avez un domestique, vous exigez avec raison qu'il soit sage et vertueux; vous ne voulez pas qu'il trahisse l'honneur qu'il a de vous appartenir, et vous avez raison. Mais vous qui êtes les enfants de Dieu et les frères de Jésus-Christ, vous qui avez reçu le Saint-Esprit pour être l'esprit et la vie de votre âme, quelle est votre conduite? Est-ce bien la conduite des enfants de Dieu? N'est-ce pas plutôt la conduite des païens, ou peut-être même la conduite de ces êtres sans raison qui ne trouvent leur bonheur que d?.ns la fange?
Saint Denys nous explique la manière dont on conférait le Baptême de son temps. Le pontife or-
donnait au diacre de déchausser et de déshabiller le catéchumène qui se présentait pour être baptisé ; il commandait à celui-ci de se tenir debout, le visage tourné vers le soleil couchant, qu'il devait en quel- que sorte repousser en portant les mains de ce côté ; puis il lui ordonnait de souffler par trois fois contre Satan et de prononcer son abjuration. Lorsque le catéchumène avait prononcé son abjuration et pro- mis de garder la foi, le pontife le faisait tourner vers rorient, regarder le ciel, élever les mains pour s'en- rôler dans la milice de Jésus-Christ. On lui faisait ensuite des onctions en forme de croix, on le plon- geait trois fois dans les fonts sacrés, et il était re- vêtu de la robe blanche.
En dépouillant et en déchaussant lecatéchumène, on voulait lui faire entendre qu'on le dépouillait de sa première vie, qu'on le détachait de toutes les af- fections qui pouvaient retenir son cœur, même les plus petites. Par la posture dans laquelle on le fai- sait tenir, dépouillé et déchaussé, le visage tourné vers le soleil couchant ; par le mouvement des mains qu'il faisait comme pour repousser le soleil, on lui montrait qu'il devait repousser loin de lui toute com- munication avec le vice qui remplit l'âme de ténè- bres. On lui ordonnait de souffler et de chasser avec son haleinetoutes les mauvaises habitudes qu'il avait contractées; enfin il semblait qu'on lui faisait faire profession de renoncer absolument à tout ce qui pouvait l'empêcher de devenir semblable à Dieu. Ainsi débarrassé de toutes les affections vicieuses, n'ayant plus de liaison avec elles, on le faisait tour-
8.
- 178 — ner vers l'orient pour lui montrer que, par un en- tier renoncp-ment au vice, il obtiendrait la paix du cœur, et qu'il jouirait d'un regard pur de la lumière divine. Le catéchumène levait les mains, parce que les créatures douées d'entendement ne peuvent ar- river à l'habitude immuable de la divine ressem- blance qu'en s'élevant continuellement, avec toute l'altenlion et la force de leur esprit, vers la Divi- nité, et en mortifiant tout ce qui peut y être con- traire; car ce n'est pas assez de ne commettre au- cun péché, il faut encore résister avec un courage généreux et magnanime à tout ce qui pourrait nous faire retomber dans le vice, ne jamais donner au- cun relâche à l'amour sacré de la vérité, mais ten- dre vers elle avec toute la force de nos désirs, en travaillant tous les jours à faire de nouveaux pro- grès dans la vertu et l'amour de Dieu. C'est ce que figurent les onctions que fait le pontife, et que font après lui les prêtres, sur le corps du catéchu- mène, comme s'ils l'oignaient pour le faire entrer dans la lice des saints combats, le faire triompher des ennemis de son salut et de tout ce qui s'oppose à son union avec Dieu; et cette union s'opère par la mort à tout péché selon le modèle de la mort de Jésus-Clirist et de sa sépulture, que représente la triple immersion. On revêt ensuite de nouveau le baptisé d'habits blancs, qui sont le symbole de la lumière, parce que, par celte constante fermeté d'esprit qui nous affranchit de la servitude des pas- sions, par les véhémentes aspirations vers Dieu, ce qui était déréglé en nous est remis dans l'ordre, ce
— 179 — qui était difforme est embelli par l'éclat d'une vie parfaitement lumineuse. Amen.
NOTIONS SUR LES CÉRÉMONIES DU BAPTÊME.
Les cérémonies préparatoires une fois aclievées, un diacre et une diaconesse conduisaient, chacun les catéchumènes de leur sexe, aux fonts baptismaux. Aussi longtemps que l'im- mersion fut en usage, les catéchumènes étaient leurs vête- ments. Ce sentiment de la pudeur éf ;iit poussé si loin, que les sexes montaient séparément aux fonts baptismaux, après s'être dépouillés de leurs habits derrière un rideau suspeniiu autour des fonts.
Les catéchumènes descendaient dans le baptistère de ma- nière que l'eau leur montait jusqu'aux épaules. L'évêque ou le prêtre mettait la main sur la tête et la plongeaii trois fois dans Teau, en prononçant les paroles sacramentelles.
Dans l'Eglise latine, lorsque le Baptême était accompli, le prêtre qui se trouvait à côté de l'évêque faisnit avec le saint chrême des onctions sur le sommet de la tète du baptisé, qui se tenait debout auprès du baptistère. Cette cérémonie signi- (iait que le nouveau baptisé portait avec raison le nom de chrétien, qui signifie oint. Après l'onction, le prêîre couvrait la tête du nouveau chrétien d'un petit bonnet ti::su de lin épais. Le milieu était traversé par un fil rouge destiné à figu- rer la passion de Jésus-Christ. Les nouveaux baptisés por- taient ce bonnet pendant huit jours, ainsi que la robe blanche du Baptême.
L'onction, là où elle était en usage, était suivie d'un bai- ser, comme nous l'apprend saint Cyprien. C'était le symbole de la joie qu'éprouvait l'Eglise en voyant entrer un nouvel enfant dans son sein, et l'emblème de la charité vraiment fraternelle qu'on devait avoir pour le nouveau baptisé. La formule : Allez en 'paix, et le baiser lui-même, selon notre ancien rituel, quand le baptisé était un garçon adulte, altes- tcnt l'usage de cette cérémonie.
— 180 — A une époque plus reculée, on présentait aussi du lait et ilu miel aux nouveaux baptisés, pour signiûer, suivant Clé- uienl d'Alexandrie, que le nouveau baptisé pouvait espérer d'entrer un jour dans la céleste Jérusalem, où coulent des fleu- ves de Idit et de miel. Saint Jérôme voit dans celte coutume le symbole de l'innocence recouvrée par le Baptême.
Avant d'être conduits devant l'autel, les nouveaux baptisés étaient revêtus d'une longue robe de lin de couleur blanche, qui était très-étroite et réunie par une ceinture. Les saints Pères parlent souvent de cette robe blanche, comme étant la figure de l'innocence baptismale. Saint Cyrille disait : « Vous avez déposé le vieil habit et revêtu la robe blanche, qui est selon l'esprit; marchez constamment revêtu du vêtement blanc. » Eusèbe raconte, dans la vie de Constantin, que quand il eut fait ce qui était nécessaire pour recevoir le Baptême, il se revêtit d'un magnifique vêtement blanc richement brodé et qui brillait comme la lumière. A la robe blanche on ajou- tait quelquefois une petite couronne de fleurs, ou autre orne- ment fait de branches de palmier. Enfin chaque baptisé rece- vait à la main un cierge de cire blanche, symbole de la lumière de la foi, de la charité ardente et de l'éclat des bon- nes œuvres. 11 le portait allumé à tous les offices de l'octave, et le rendait le dimanche après Pâques.
Revêtu d'ornements aussi éclatants et non moins signiGca- lifs, le prêtre conduisait les nouveaux baptisés à l'autel de l'église baptismale, où l'évêque leur administrait le sacrement (le Confirmation, et disait pour eux la messe, à laquelle ils communiaient. Origène compare le moment où le nouveau baptisé se rendait des fonts baptismaux à l'autel pour y re<;e- voir la sainte Eucharistie à l'entrée dans la Terre-Promise, et Tertullien appelle du nom de bénis les nouveaux baptisés.
A la fin de la Messe, l'évêque leur donnait la bénédiction, et la cérémonie se terminait par le chant du commencement de l'Evangile selon saint Jean. Lorsque les nouveaux baptisés avaient de la fortune, ils distribuaient des aumônes et invi- taient à dîner les fonctionnaires de l'Eglise et leurs parrains. A Rome, c'était déjà Tusage, au milieu du V siècle, de don-
— 481 —
ner aux baptisés une image de. cire bénite représenlimt un agneau, en signe de l'esprit de douceur dont ils devaient désormais être animés. Pendant les huit jours qui suivaient leur Baptême, les baptisés recevaient une instruction plus complète des vérités de la religion, et, comme ils étaient in- corporés au ciiristianismo, ils parlicipaient alors aux mystères les plus augustes de la religion, et étaient chaque jour nour- ris du corps et du sang du Dieu fait homme. Le jour du iiaptême était pour les premiers chrétiens un jour si rcmar- (juable, qu'ils en célébraient tous les ans l'anniversaire avec beaucoup de solennité, et renouvelaient les vœux qu'ils avaient faits au Baptême. Cette pratique les fortifiait dans la foi et les prémunissait contre le danger de l'apostasie. Aussi saint Grégoire de Nazianze appelle-t-il ce jour le brillant jour de la lumière. [Catr-chismc historique).
IV' INSTRUCTION.
Du ministre et du sujet du sarremeitt de Baptême.
Euules docete omnes gentes, 'baplt- tantes eos in nomine Patr-is et Filii et Spiritûs sancli.
Allez, enseignez routes les nations, et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Sainl-Esprit.
(Matth., xxviii, 29.)
Nous allons vous parler dans cette instruction du ministre et du sujet du sacrement de Baptême. Et d'abord quel est le ministre? « En cas de néces- sité, dit le concile de Florence, non seulement le prêtre et le diacre, mais encore un laïque, une femme, bien plus, un infidèle ou un hérétique, peut baptiser, pourvu qu'il observe la forme re- quise et qu'il ait l'intention de faire ce que fait l'E- glise. » Le concile de Trente a défini la même vé- rité.
Saint Thomas va vous en rendre raison. « Il est de la miséricorde de Dieu, dit-il, qui veut sauver tous les hommes, qu'il leur fournisse, dans les cho- ses nécessaires au salut, un remède qu'ils puissent facilement se pro»;urer. Or, de tous les sacrements le plus nécessaire est .sans contredit le Baptême, qui seul peut communiquer la vie de la grâce aux en- fants. Dieu a donc établi que l'eau naturelle, ma-
— 183 — tière si commune, serait la matière de ce sacre- ment, et que toute personne serait le ministre, afin que personne ne perde le ciel par le défaut du Bap- tême. » (Smi., 3 p., q. 67, a. 3.)
Mais comment un païen ou un hérétique peut-il avoir l'intention de faire ce que fait l'Eglise? Parce qu'il a l'intention d'accorder ce qu'on lui demande, et puisqu'on lui demande un vrai Baptême, il veut nécessairement faire ce que fait l'Eglise; ou bien en- core parce qu'il croit à refQcacité du Baptême.
Lorsque, en cas de nécessité, il y a concours de plusieurs personnes qui peuvent baptiser, il faut préférer le plus digne, un prêtre à un laïque, un chrétien à un païen, un homme à une femme, à moins que la pudeur ne donne la préférence à celle-ci, ou que la femme ne sache mieux ce qui est nécessaire pour l'administration de ce sacre- ment.
Après avoir tracé cette règle. Son Eminence le cardinal-archevêque de Reims ajoute : « Puisque toute personne peut et doit baptiser dans le cas de nécessité, il est important que tous les fidèles, et surtout les sages-femmes et les médecins, soient parfaitement instruits de la manière d'administrer le Baptême. Les curés auront soin de la leur faire connaître, principalement aux sages-femmes. Ils répéteront souvent, dans leurs instructions, en ter- mes clairs, que, pour baptiser, il faut que la per- sonne prenne de l'eau naturelle, la verse sur la tête de l'enfant, en sorte qu'elle touche la peau, et qu'elle prononce en même temps ces paroles : Je
— ^184 - îc baptise au nom du Père et du Fils et du Saint- Esprit. » [Théol. mor., t. IIÏ, n*^ 71.)
Or, nous avons appris que quelques sages-fem- mes se contentent, pour baptiser, de tremper leur doigt dans l'eau bénite, et de faire ensuite un signe de croix sur l'enfant, en disant : Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Parents chrétiens, veillez donc par vous-mêmes au salut de vos enfants, et n'accordez pas une trop grande con- fiance à l'expérience et à l'instruction des sages- femmes.
IN'oubliez pas non plus, quand on apporte un en- fant à l'église pour le baptiser, de le faire accom- pagner par une personne portant un vase rempli d'eau, afin que, si, dans le trajet de la maison pa- ternelle à l'église, l'enfant se trouvait en danger de mort, on eût sous la main la matière nécessaire pour lui conférer le Baptême sur-le-champ.
Hors le cas de nécessité, il n'appartient qu'aux évêques et aux prêtres de conférer le sacrement de Baptême. C'est à eux que Jésus-Christ en a donné le pouvoir. Les apôtres et les disciples ont adminis- tré ce sacrement.
Saint Thomas nous a donné la raison de cette loi de l'Eglise. « Les prêtres, nous dit-il, sont ordon- nés pour confectionner le sacrement du corps de Jésus-Christ, qui est le sacrement de l'unité de l'E- glise, suivant ces paroles de l'Apôtre : « Nous tous « qui mangeons du même pain et qui participons au << même calice, nous formons, quoique plusieurs, un « seul pain et un seul corps. ))I Cor., x.iOr, homme
— iSo — devient participant de l'unité de l'Eglise par le Bap- tême, qui lui donne droit d'approcher de la table du Seigneur. C'est pourquoi, comme il appartient au prêtre de consacrer TEucliaristie, puisque c'est la principale fonction du sacerdoce, l'adminislralion du Baptême doit lui appartenir également. Il paraît en effet convenable que le même ministre opère le tout, c'est-à-dire ce qui constitue l'unité de l'Eglise et dispose l'homme à en devenir membre. Le Sei- gneur a donné sans doute aux apôtres l'un et l'au- tre pouvoir, celui d'enseigner et celui de baptiser, mais non l'un comme l'autre. Il les charge de prê- cher par eux-mêmes, la prédication étant la plus im- portante de leurs fonctions; mais il leur donne le pouvoir de baptiser avec la faculté de le déléguer à d'autres. C'est pourquoi ils ont eux-mêmes baptisé assez rarement. y>{Sum., 3 p., q. 67, a. 2.)
Cette raison nous paraît décisive» Le but même du sacerdoce est d'offrir à Dieu la victime sans ta- che, et par conséquent de la distribuer aux fidèles. Donc, par la nature même de ses fonctions, le prê- tre doit conférer les sacrements de Baptême et de Pénitence, afin de préparer les cœurs à recevoir l'Eucharistie. Dans les premiers temps, les prêtres ne baptisaient que ceux qui étaient en danger de mort; l'évêque s'était réservé l'administration so- lennelle de ce sacrement, qui n'avait lieu que la veille de Pâques et de la Pentecôte. Quel souvenir ineffaçable devait s'imprimer dans l'âme des néo- phytes qu'on avait plongés dans les eaux baptis- males le samedi saint, le jour où l'Eglise célébrait
— 486 — la sépulture de Jésus-Christ, pour ressusciter aveclui le jour de Pâques, ou bien la veille de la Pentecôte, de ce jour où les apôtres ont clé baptisés dans le Saint-Esprit et sont devenus des hommes nouveaux !
Cependant les évêques et les prêtres ne peuvent, sans délégation, bapiiser hors de leur diocèse ou de leur paroisse, et ils ne doivent point baptiser les enfants des étrangers, excepté ceux des voyageurs et des vagabonds.
Quel est le sujet du sacrement de Baptême? Tous les hommes, même les enfants. L'Eglise a frappé d'anathème ceux qui prétendent le contraire. « Si quelqu'un dit que les petits enfants, après leur Bap- tême, ne doivent pas être mis au nombre des fidè- les, parce qu'ils ne sont pas en état de faire un acte de foi, et que pour cela ils doivent être rebaptisés lorsqu'ils ont atteint l'âge de discrétion, ou qu'il vaut mieux ne point les bapiiser du tout que de les baptiser dans la seule foi de l'Eglise avant qu'ils produisent eux-mêm.es un acte de foi, qu'il soit ana- thème. » Conc. Trid., sess. vu, can. 13.)
Pourquoi donc les enfants seraient-ils exclus du précepte général donné aux apôtres de baptiser tou- tes les nations? Ne font-ils point partie des nations? S'ils ne sont point instruits dans la foi, qui empê- chera de les instruire quand ils auront l'âge de rai- son? Le Baptême ne peut-il être valable sans une instruction préalable? Mais comme personne ne peut entrer dans le ciel sans le Baptême, si les en- fants ne pouvaient le recevoir, Jésus-Christ les au- rait donc exclus du royaume des cieux? Pouvez-
— 187 — vous croire qu'il a été aussi impitoyable sur le sort de ces enfants, lui qui les appelait, les embrassait, les bénissait et leur imposait les mains? Iladécîaré que le royaume des cieux leur appartenait, et que nous devions nous rendre semblables à eux pour l'obtenir nous-mêmes; et il les aurait déclares in- capables d'être baptisés? Quoi! le Sauveur Jésus, ce Dieu si bon, si miséricordieux pour les plus grands pécheurs, quand il apercevait le repentir au fond de leurs cœurs, il aurait été sans miséricorde pour des enfants coupables du seul péché originel? Le sort des enfants, sous la loi de Moïse, eût donc été préférable à celui des enfants sous la loi de grâce, car ils recevaient la circoncision huit jours après leur naissance. Elle serait donc fausse, cette parole de saint Paul : La grâce a surabondé là où le pèche' avait abondé?
« Le Sauveur est venu sauver tous les hommes, a dit saint Irénée; tous, ajoute-t-il, tous ceux qui re- naissent en Dieu par lui, les nouveaux nés, les petits enfants, les enfants, les jeunes gens et les vieillards. C'est pourquoi il a voulu passer par tous les âges : il s'est fait tout petit enfant pour sanctifier les plus jeunes enfants, et il s'estfaitjeunehommepoursanc- tifier les jeunes gens. » [Lib. Il Advers. hœres., xxii.
« Nous baptisons même les enfants, dit saint Jean Chrysostôme, afin d'effacer en eux le péché et de leur communiquer la sainteté, la justice, l'adoption, l'hérédité, la fraternité de Jésus-Christ, afin qu'ils soient ses membres et la demeure du Saint-Esprit. > [Hom, ad Neophytos.)
-- i88 - « Si par le péché d'un S3ul, dit saint Thomas rappelant les paroles de saint Paul, la mort a régné dans le monde, à plus forte raison, par l'obéissance d'un seul, qui est Jésus-Christ, la grâce régnera en tous. Or, les enfants sont souillés du péché origi- nel, puisqu'ils sont sujets aux maladies et à la mort, qui sont les peines du péché originel. A plus forte raison les enfants peuvent-ils recevoir la grâce par Jésus-Christ pour régner dans la vie éternelle. Mais personne, a dit Jésus-Christ, n'entrera dans le royaume des cieux, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit saint. Il est donc nécessaire de baptiser les enfants, afin que, comme ils ont encouru la dam- nation par leur naissance en Adam, ils obtiennent le salut par leur renaissance en Jésus-Christ. Mais comment des enfants peuvent-ils vivre de la vie chrétienne sans connaître cette vie et sans croire en Dieu? La régénération qui se fait par le Baptême ressemble à la naissance corporelle, en ce que les enfantS;, encore dans le sein de leur mère, ne se pro- curent pas la nourriture par eux-mêmes, mais par leur mère; ainsi les enfants, avant l'usage de rai- son, sont constitués dans le sein de l'Eglise leur mère, et ils reçoivent le salut non par eux-mêmes, mais par l'Eglise. Saint Augustin nous dit : L'Eglise notre mère offre sa bouche maternelle aux enfants pour recevoir nos mystères, parce qu'ils ne peuvent |.as encore croire dans leur propre cœur pour la jus- tice, ni confesser de bouche pour être sauvés. Ils n'ont pas l'intention par eux-mêmes, puisque sou- vent ils résistent et pleurent; mais ceux qui les
— 189 — présentent au Baptême ont pour eux l'intenlion né- cessaire. y>[Sum., 3 p., q. 67.)
Les enfants sont capables d'être souillés du pé- ché originel sans avoir l'usage de raison; pourquoi ne pourraient-ils pas être purifiés et sanclifiés?C'est par la volonté d'autrui qu'ils ont encouru la mort; n'est-il pas juste, dit saint Auc;'ustin, qu'ils obtien- nent la vie par la volonté d'autrui?
Des hérétiques ont prétendu que les enfants bap- tisés avant l'âge de raison ne sont tenus d'accom- plir les promesses faites en leur nom qu'autant que, parvenus à l'âge de raison, ils les auront ratifiées par eux-mêmes avec connaissance de cause. Le saint concile de Trente les a déclarés hérétiques par ces paroles : « Si quelqu'un dit que les petits enfants ainsi baptisés doivent, quand ils sont grands, être interrogés s'ils veulent ratifier ce que leurs parrains ont promis en leur nom tandis qu'on les baptisait, et que, s'ils répondent que non, il faut les laisser à leur liberté, sans les contraindre à vivre en chré- tiens par aucune autre peine que la privation de l'Eu- charistie et des autres sacrements jusqu'à ce qu'ils viennent à résipiscence, qu'il soit anathème. » (Sess. VII, can. 14.)
Un riche et puissant seigneur est sur le point de mourir, et il veut laisser sa fortune à un enfant qui n'a que quelques jours. Il fait un testament à son profit avec quelques charges à remplir. Les parents acceptent au nom de l'enfant. Pensez-vous que ce dernier ait le droit de décliner les charges sous pré- texte qu'il ne les a point acceptées par lui-même.
— 190 — et qu'il ne sera obligé de les remplir qu'autant qu'il aura ratifié ce qui aura été fait en son nom? Mais il n'y a pas un seul tribunal au monde qui ne prononce cette sentence : Ou remplissez les charges, ou renon- cez à la succession. Par suite de l'acceptation faite en votre nom, vous êtes tenu de remplir les obli- gations exprimées dans le testament et en toute jus- tice. Si d'un côté vous avez des devoirs, d'un autre côté vous avez des droits précieux. Si vous étiez mort, comme tant d'autres, avant l'âge de raison, en vertu de votre Baptême, vous seriez entré dans le royaume des cieux , sans qu'il vous en coûtât rien. Or, partout où il y a des droits, il y a des de- voirs.
Si aujourd'hui vous n'étiez point baptisé, si vous connaissiez l'excellence et la nature du Baptême, il y aurait pour vous une obligation rigoureuse de le recevoir, parce que c'est le moyen voulu de Dieu pour atteindre votre fin. Conlesterez-vous à Dieu le droit de vous assigner une fin surnaturelle, c'est-à- dire de vous destiner à jouir de son propre bonheur? N'est-il pas libre de vous dicter ses conditions? Et si vous avez la possibilité de les remplir, pouvez- vous encore vous plaindre?
Saint Paul a donc raison de dire que par notre Bap- tême nous sommes obligés de changer de vie; et quand il nous demande une nouvelle vie, dit saint Chrysostome, il exige de nous un changement to- tal, une conversion entière; et nous avons grand sujet de gémir et de verser d'abondantes larmes, en considérant les grandes obligations que nous avons
— 191 — contractées en recevant le Baptême et notre négli- gence à les accomplir.
Saint Denys nous rapporte que de son temps, lors- que quelqu'un voulait recevoir le Baptême, il de- vait s'adresser à un chrétien, le supplier de le pré- senter et d'être son parrain. Mais ce chrétien trem- blait souvent de tous ses membres et ne savait trop à quoi se résoudre; car, d'un côté, il désirait vive- ment le salut de cet infidèle; mais, d'un autre côté, il était saisi d'épouvante h la vue de la faiblesse de l'homme mise en regard de l'importance de cette affaire. Toutefois il le présentait à l'évêque, à qui le postulant demandait humblement le Baptême, après s'être accusé d'avoir vécu si longtemps dans l'igno- rance de Dieu et de ses devoirs. L'évoque lui faisait sentir que, pour devenir chrétien, une demi-volonté ne suffisait pas, mais qu'il fallait une volonté en- tière, ferme, généreuse, puisqu'il s'agissait de s'u- nir à Dieu, qui est infiniment parfait. Il lui expli- quait ensuite avec détail toutes les obligations qu'il aurait à remplir pour vivre selon Dieu. Le postu- lant lui faisait les promesses les plus solennelles de mettre tout en œuvre et de déployer toutes ses forces pour atteindre la perfection qu'on lui propo- sait. Mais pour qu'il ne fit point de démarches à la légère, l'évêque lui faisait subir deux ou trois ans d'épreuve, pendant lesquelles il devait assister aux instructions, s'exercer au jeûne, à la prière et à la mortification pour essayer s'il pourrait mener la vie pénitente et austère des chrétiens. Cette conduite de l'EgUse doit vous faire comprendre, mes frères, que
— 192 —
les promesses du Baptême ne sont pas des paroles en l'air, mais des engagements sérieux et sacrés que nous sommes obligés de remplir.
Saint Paul nous enseigne que, comme celui qui se circoncit s'engage à observer toute la loi de Moïse, quiconque reçoit le Baptême s'oblige à garder toutes les lois de l'Evangile. Or, la religion chrétienne est une profession de pénitence, de croix, de mortifica- tion, de sainteté et de perfection. Quiconque a reçu le Baptême de la loi de grâce, dit saint Basile, est obligé de vivre selon l'Evangile; et il s'est engagé, par un contrat irrévocable, à imiter Jésus-Christ en toutes choses, c'est-à-dire à vivre entièrement et parfaitement en Dieu.
Mais vous ne voulez pas vous compromettre, di- tes-vous ; car si vous viviez dans l'obscurité et la pauvreté, dans l'observalion de tous vos devoirs re- ligieux, si vous ne vous occupiez pas à faire for- tune et à vous avancer dans le monde, l'on se mo- querait de vous, l'on vous tournerait en ridicule, l'on dirait que vous n'êtes qu'un hypocrite, un bi- got, peut-être même un jésuite. C'est assez proba- ble qu'il en serait ainsi ; car le disciple n'est pas au- dessus du maître, et il doit s'estimer heureux de n'être pas plus maltraité que son maitre. Mais où est donc votre parole? N'avez-vous pas promis, à votre Baptême, de vous montrer chrétien et disciple de Jésus-Christ? >''avez-vous pas promis de décla- rer la guerre au monde, de combattre sans cesse ses maximes corrompues, de mortifier constamment votre chair avec ses vices? Quoi donc ! vous trem-
— 193 — blez que le monde ne vous donne des qualifications odieuses; mais ce devrait être pour vous un sujet de gloire, car cela signifie que vous êtes un bon chrétien. C'est comme si un soldat disait : Je veux être un brave guerrier; mais je n'irai ni aux exer- cices militaires ni au combat, parce que les enne- mis de ma patrie se moqueraient de moi et m'ap- pelleraient Français. Pourquoi êtes-vous soldat? Pourquoi êtes-vous chrétien? 0 chrétien, s'écrie saint Jean Chrysostôme, vous vous trompez étran- gement, si vous croyez triompher sans remporter la victoire, remporter la victoire sans combattre, combattre sans avoir des ennemis, ou avoir des en- nemis qui ne vous soient pas contraires. Prenez donc courage; combattez vaillamment; considérez à quelles conditions on vous a fait chrétien, sous quel étendard vous êtes enrôlé. Vous êtes voleur aux yeux de Dieu, si toutes vos pensées, toutes vos affections et toutes vos actions ne sont pas pour lui ; car vous lui appartenez par droit de naissance et par droit de conquête, par votre création et par votre ré- demption, et encore par cette donation entière et irrévocable que vous lui avez faite de vous-même au Baptême. Vous êtes en quelque sorte parjure, puisque vous rompez des engagements que vous avez juré d'observer; vous vous rendez coupable d'une espèce de sacrilège, vous profanez une créa- ture consacrée à Dieu par le saint chrême et l'effu- sion de la grâce; vous êtes incendiaire, vous exci- tez le feu des passions en vous-même et vous brû- lez le temple de Dieu ; vous êtes un misérable trans*
— 194 — fuge, vous abandonnez le drapeau de Jésus-Chrisl pour vous ranger sous celui du démon.
Rappelez-vous souvent, mes frères, les promesses de votre Baptême, et renouvelez-les chaque année, le jour anniversaire de cette grande solennité. Vous direz à Dieu du fond de votre cœur : Je renonce à Satan, à ses œuvres et à ses pompes ; je renonce au inonde, à ses vanités, à toutes ses folies et à ses maximes corrompues; je renonce à moi-même, au vieil homme ou à l'homme de péché qui est en moi. Je me tourne vers vous, ô mon aimable Jésus, mon Sauveur, mon Rédempteur, l'unique espérance de mon salut; j'approuve, je ratifie les promesses que l'on vous a faites pour moi au saint Baptême ; je me donne tout à vous; je vous donne mon corps, mon cœur et mon âme; je veux être à vous à la vie eli à la mort. Amen.
ÉPREUVES ET CÉRÉMONIES QUI PRÉCÉDAIENT L'ADMINISTRATION DU BAPTÊME.
La réception au rang des catéchumènes, c'est-à-dire de ceux qui se préparaient à recevoir le Baptême, était faite par l'évêque ou par des prêtres qui le remplaçaient. L'évêque commençait par faire le signe de la croix sur le front du ré- cipiendaire. Si la réception avait lieu publiquement, les prê- tres assistants et les autres clercs faisaient également sur le récipiendaire le signe de la croix ; ensuite l'évêque lui im- posait les mains, et pendant ce temps les prêtres et les per- sonnes présentes à la cérémonie priaient avec ferveur, afin que le catéchumène fût reçu sous la protection du Saint-Es- prit, dont les effets merveilleux sont figurés par l'imposition
— 195 -^
des mains. Les saints Pères attribuaient une grande vertu à c€t acte de consécration. « Par le signe de la croix^ disait saint Augustin aux catéchumènes, l'Eglise vous a reçus dans son sein. » Tertullien dit que les païens paraissaient comme revêtus d'une forme nouvelle dès qu'ils avaient été reçus par le signe de la croix parmi les novices du christianisme. On pouvait à tout âge être admis parmi les catéchumènes. Les enfants des chrétiens qui n'avaient pas été baptisés dans leur enfance y étaient admis à l'âge de Tadolescence ; les enfants mêmes des païens pouvaient y entrer à Tâge de sept ans.
L'évêque instruisait lui-même les catéchumènes ou les fai- sait instruire par un prêtre ou un diacre qui s'appelait caté- chiste. Pendant l'instruction, il s'asseyait, et les catéchumènes restaient debout ; cependant, dans certaines églises, il leur était permis de s'asseoir. L'instruction se faisait ordinaire- ment dans le lieu saint, quelquefois dans la demeure des ca- téchumènes. Le temps du catéchuménat n'était point déter- miné, mais il dépendait de l'application des cathécumènes et de leur empressement à être admis au Baptême. Les anciens Pères insistaient pour qu'il fût de longue durée. Clément d'Alexandrie prescrivait douze années pour les Juifs qui se convertissaient. Les constitutions apostoliques n'exigent que trois années, mais en remarquant qu'il ne faut pas tant avoir égard à la durée du temps qu'au changement de vie. Un ca- téchumène se rendait-il coupable d'un péché grave, la récep- tion était différée, et il devait faire une pénitence sévère. Les pécheurs d'habitude étaient etïacés de la liste des disci- ples du christianisme, et ils étaient renvoyés.
Outre le zèle qu'ils devaient montrer à se faire instruire dans les vérités du christianisme, les catéchumènes devaient encore se livrer chez eux à de fréquents exercices de prières, jeûner, examiner leur conscience, se mortifier, pratiquer les œuvres de Tamour du prochain et soigner les malades. Pen- dant l'office divin, il fallait que leur conduite fût irréprocha- ble et même exemplaire.
Conformément a un antique usage, l'Eglise latine n'avait coutume d'administrer solennellement le Baptême aux caté-
— 196 —
ciiumènes que deux lois Tannée : à Pâques et à la Pentecôte ; l'Eglise grecque l'administrait encore le jour de l'Epiphanie, parce que ce fut en ce jour que notre Sauveur fut baptisé dans le Jourdain. Au reste, ces jours-là n'étaient que pour les adultes et en temps de paix, lorsqu'il n'y avait aucun danger à différer le Baptême. Mais quand les petits enfants étaient en danger, on pouvait les baptiser en tout temps et à toute heure. Le X*' canon du premier concile de Nicée ordonnait expressé- ment de baptiser les enfants nouveaux nés le quatorzième jour après leur naissance , et le pape Simplicius nomma à Rome plusieurs prêtres qui devaient toujours être prêts à baptiser les enfants. Quelquefois on les baptisait le huitième jour, pour honorer la circoncision de l'enfant Jésus.
Quelques siècles plus tard, comme l'usage de baptiser les adultes devenait de plus en plus rare, celui de baptiser à Pâ- ques et à la Pentecôte disparut entièrement, et il ne resta plus que celui de la bénédiction de l'eau, telle que nous l'avons encore aujourd'hui. La loi qui ordonne cette bénédiction est d'origine apostolique. Cependant on réserva encore longtemps pour le Baptême solennel les enfants les plus robustes et qui paraissaient hors de danger de succomber. Néanmoins cet usage disparut insensiblement vers le xi^ siècle.
Au commencement de l'ère chrétieime, l'administration solennelle des sacrements, et par conséquent celle du Bap- tême, était uniquement réservée aux évêques ; mais le chris- tianisme prenant de jour en jour un développement plus considérable, les évêques ne purent suffire seuls à cette tâche. De plus, comme le Baptême est absolument nécessaire au salut, on permit même aux laïques, à défaut d'un prêtre ou d'un diacre, de baptiser.
Néanmoins Tancienne Eglise faisait aux femmes une dé- fense très-sévère d'administrer le Baptême, hors le cas de nécessité extrême. « On ne permet pas à la femme, dit Ter- lullien, de parler et d'instruire à l'église, non plus que de baptiser. « (Lib. De VeL virg., c. ix.)
On trouve la même défense consignée dans les constitution? apostoliques. Aussi ne rencontre-t-on dans l'histoire ecclé-
— 197 —
siastique de l'Eglise primitive aucun exemple de Baptême ad- ministré par une femme. Dans les siècles postérieurs, plu- sieurs conciles changèrent cette disposition par mesure de prudence et de nécessité, et recommandèrent instamment aux femmes d'apprendre la formule du Baptême dans leur langue maternelle, ainsi que la manière de baptiser. {CoM- :hisme historique.]
T INSTRUCTION.
lie Baptême Justifie le péeliear et lui imprime un earaetère iiiefTaçable.
Sahos nos fecit per lavacrum rege- nerationis et renovatiouis Spiritûs sancti qucm effudil in nos ahundè per Jesum Chrislitm Sahaloremuostrum,ut justificati gratid ipsius, hœrcdes simus secundùm spem vilœ œternœ.
Il nous a sauvés par l'eau de la re- naissante et par. le renouvellement du Saint-Esprit qu'il a répandu sur nous avec une riche effusion, par Jésus- Christ notre Sauveur, afin qu'étant justifiés par sa grâce, nous devinssions les héritiers de la vie éternelle, selon l'espérance que nous en avons.
(AdTit., ni, 5, G et 7.)
Le sacrement de Baptême est une source de grâ- ces et de trésors spirituels pour les chrétiens. Il est donc nécessaire de vous expliquer, mes frères, les nobles et glorieuses prérogatives qu'il nous confère.
Et d'abord le Baptême justifie le pécheur, en ef- façant tous les péchés dont on est coupable, en re- mettant toutes les peines ducs au péché, et il im- prime dans l'âme un caractère ineffaçable.
Le concile de Florence s'exprime ainsi : « L'effet du sacrement de Baptême est la rémission de tout péché, originel ou actuel, comme aussi de toute peine qui est due pour le péché lui-même. C'est pourquoi on ne doit imposer aucune satisfaction aux baptisés ; mais s'ils meurent avant d'avoir commis
— ^99 — aucune faute, ils parviennent aussitôt au royaume des deux et à la vision de Dieu. »
Le saint concile de Trente est encore plus formel : « Si quelqu'un nie que par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui est conférée dans le Baptême, l'of- fense du péché originel soit remise, ou soutient que tout ce qu'il y a proprement et véritablement de pé- ché n'est pas ôté, mais est seulement comme rasé et non imputé, qu'il soit anathème. Car Dieu ne hait rien dans ceux qui sont régénérés, parce qu'il n'y a point de condamnation pour ceux qui sont véri- tablement ensevelis avec Jésus-Christ pour mourir; qui ne marchent point selon la chair, mais qui, dé- pouillant le vieil homme et se revêtant du nouveau qui a été créé selon Dieu, sont devenus innocents, sans tache, purs, sans péché, agréables à Dieu, ses héritiers et cohéritiers de Jésus-Christ, en sorte qu'il n'est plus rien qui fasse obstacle à leur entrée dans le ciel. » (Sess. v, can. 5.)
Ecoutez comment s'exprime le Fils de Dieu : « Si quelqu'un ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu... Ne vous étonnez pas que je vous aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau ; ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'esprit est esprit. » C'est pourquo'i on appelle enfants ceux qui sont nouvel- lement baptisés. « Semblables à des enfants nou- veaux nés, dit le prince des apôtres, désirez et re- cherchez le lait raisonnable sans aucune trom- perie. »
Saint Paul nous enseigne qu'il n'y a plus rien de
— 200 —
damnation dans ceux qui sont en Jésus-Christ, parce qu'ils ont été ensevelis avec lui et par là purifiés de leurs péchés. Après avoir rappelé aux chrétiens de Corinthe les divers crimes dont ils s'étaient souillés, il ajoute : ^< Vous avez été tout cela; mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été jus- tifiés. »(ICor., VI, 11.)
Toutes les fois que l'Esprit saint nous parle du Baptême et de ses effets, il nous le fait considérer comme une renaissance, une régénération et une rénovation de l'homme tout entier, et nous déclare que les péchés sont remis, lavés, effacés, et qu'il n'en reste plus rien.
Ecoutez les Pères de l'Eglise : « Heureux sacre- ment de Baptême, dit TertuUien, qui nous purifie des péchés de notre ancien aveuglement et nous sauve pour la vie éternelle... Quoi donc! n'est-ce pas une chose digne d'admiration que la mort soit détruite par le Baptême?... L'Esprit saint descend des cieux, se repose sur les eaux, les sanctifie par sa sainteté, et, ainsi sanctifiées, elles ont la vertu de sanctifier. .. Par le Baptême sont remises la coulpe et la peine, l'homme est restitué à Dieu, et il reprend la ressemblance de celui qui fut autrefois créé à l'i- mage de Dieu. » ^Lib. De Baptism., c. i, iv, v.)
« Par le Baptême, dit saint Jérôme, tous nos cri- mes nous sont pardonnes, et, après avoir reçu ce pardon, nous n'avons plus à craindre la sévérité du Juge. » [Epist. 82 ad Océan.)
Saint Jean Chrysostôme se plaît à énumérer les heureux effets du Baptême : « Voilà, dit-il, que ceux
— 201 — qui, un peu auparavant, étaient retenus captifs, jouissent du bienfait de la liberté ; et ils sont deve- nus citoyens de l'Eglise, ceux qui s'égaraient dans l'exil; ils marchent dans le sentier de la justice, ceux qui étaient couverts de la confusion du péché. Ils ne sont pas seulement libres, mais ils sont saints ; non seulement saints, mais justes ; non seulement justes, mais enfants de Dieu; non seulement en- fants de Dieu, mais encore héritiers ; non seulement héritiers, mais encore frères de Jésus-Christ; non seulement ses frères, mais encore ses cohéritiers; non seulement ses cohéritiers, mais aussi ses mem- bres ; non seulement ses membres, mais encore des temples; non seulement des temples, mais encore les organes du Saint-Esprit. Voyez combien sont nombreuses les prérogatives du Baptême : beaucoup s'imaginent que la grâce céleste de ce sacrement consiste seulement dans la rémission des péchés, et voilà que nous avons énuméré dix prérogatives. » [Hom. ad Neophytos.)
« Par le Baptême, dit saint Thomas, la passion de Jésus-Christ nous est communiquée, comme si nous avions souffert nous-mêmes, parce que nous mourons avec lui, nous sommes enseveHs avec lui pour revivre de sa vie. » ( Sum., 3 p., q. 69.)
Le sacrement de Baptême efface donc tous les péchés, remet toutes les peines dues au péché et sanctifie le pécheur. De plus, il exprime dans l'âme un caractère ineffaçable. Ecoutez l'Eglise : « Si quelqu'un dit que par les trois sacrements du Baptême, de la Confirmation et de l'Ordre il ne
9.
— 202 — s'imprime point dans l'âme un caractère, c'est-à- dire un certain signe spirituel et ineffaçable qui fait que les sacrements ne peuvent être réitérés, qu'il soit anathème. » (Sess. vu, can. 9.)
En expliquant ces paroles de la sainte Ecriture : « Un seul Seigneur, une seule foi, un seul Baptême ; — Il estimpossible que ceux qui ont été illuminés une fois et qui sont tombés soient renouvelés par la pé- nitence ; — Celui qui a été lavé n'a plus besoin que de se laver les pieds; » tous les Docteurs les appli- quent au Baptême^ et enseignent qu'il n'y en a qu'un seul et qu'on ne peut le recevoir qu'une fois; que ceux qui, après l'avoir reçu, retom- bent dans le péché, ne sauraient en obtenir la ré- mission en le recevant de nouveau, et que celui qui a été baptisé, s'il perd la grâce qu'il a reçue, n'a plus besoin que de se purifier par la péni- tence.
« Voyez-vous, dit saint Augustin, cette marque qu'on imprime sur le corps du soldat, et l'effigie du prince gravée sur les pièces de monnaie? Ainsi en est-il du caractère imprimé dans l'âme du chrétien par le Baptême. Que le soldat se révolte contre son prince, qu'il lui déclare la guerre en combattant sous l'étendard de ses ennemis, il porte partout et tou- jours la note qu'on lui a imprimée; que la monnaie ait cours dans tout le pays, ou qu'elle soit remise entre les mains des plus ardents adversaires du prince, elle conserve toujours l'image gravée sur elle ; de même, que le chrétien demeure ferme dans la foi, ou qu'il se range sous l'étendard du démon,
— 203 — .il conservera toujours le caractère imprimé dans son âme par le sacrement de Baptême. y>
Le Baptême est une renaissance, ou la naissance dans le monde surnaturel et divin. Or, l'homme ne naît qu'une fois, il ne doit donc renaître qu'une seule fois.
Le Baptême est la représentation de la mort et de la résurreclion de Jésus-Christ. Or, Jésus-Christ n'est mort et n'est ressuscité qu'une fois, le Bap- tême ne doit donc se donner qu'une fois.
La fin principale du sacrement de Baptême est d'effacer le péché originel ; il ne remet les autres que par circonstance. Or, le péché originel une fois effacé ne revit plus.
Parle Baptême, l'homme est consacré à Dieu. Or, quand une église est consacrée, elle l'est pour tou- jours; si elle est souillée, on la purifie.
Nous avons dit que notre divin Sauveur a été marqué du caractère de son Père en sa qualité de Fils pour lui engendrer des enfants adoptifs. Or, c'est par le Baptême qu'il les engendre, c'est donc par le Baptême qu'il leur imprime son caractère ; et ce caractère est ineffaçable, comme un fils qui porte la ressemblance de son père ne saurait l'effacer quoiqu'ilfasse. Ainsi le chrétien sera toujours mar- qué du caractère d'enfant de Dieu, et il le portera éternellement sur son front, ou comme un signe d'honneur et de gloire, ou comme une note de honte et d'infamie.
Youlez-vo us mieux comprendre ce qui se passe dans l'homme lorsque Dieu lui remet ses péchés?
— 204 — Considérez d'abord quelles sont les suites du péché.
Quand un être quelconque viole une loi nécessaire à la conservation de sa vie, il meurt; ainsi, le corps de l'homme esl-il lésé dans une de ses fonctions es- sentielles, il est frappé de mort. Cette violation de ses lois détruit la vie, et à l'instant tout le corps se corrompt et devient hideux. Supposons qu'il s'a- gisse d'effacer sur ce corps le péché ou la violation delà loi qui l'a réduit à cet état de mort, de laideur et de pourriture; que faut-il faire? racler ou effa- cer les taches livides ou hideuses qu'on aperçoit sur ce cadavre? Mais, quand on y parviendrait, le péché subsisterait toujours dans ses principaux effets. Pour qu'il n'en reste plus la moindre trace, il faut que la vie avec toutes ses puissances soit rendue à ce corps déjà corrompu, et alors disparaîtront toutes les taches et toute la laideur.
Or, mes frères, l'âme a ses lois à observer comme le corps ; si elle en viole une seule qui soit essen- tielle à sa vie, il faut qu'elle meure. Mais en per- dant la vie de la grâce, l'âme perd en même temps les biens attachés à cette vie ; elle perd sa force et sa beauté ; elle devient laide et hideuse à sa façon. Il est donc bien clair que, pour effacer entièrement le péché de l'âme, il ne suffit pas de la racler pour faire disparaître sa laideur; car, en supposant qu'on réussisse, cène serait jamais qu'un beau cadavre, et le péché ne serait point clïacé, puisque la vie ne lui serait pas rendue avec toutes ses puissances. Vous comprendrez ainsi facilement que, d'après la
— 205 —
doctrine catholique, la justification n'est pas seule- ment la rémission des péchés, mais •qu'elle eslaussi la sanctification et la rénovation de l'homme inté- rieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. (Conc. Trid., sess. vi, c. 7.) L'homme est juste, ami de Dieu et héritier de la vie éternelle. Il est juste parce qu'il a reçu en lui la justice, que l'Es- prit saint départit comme il lui plaît et suivant sa coopération et ses dispositions personnelles. En un mot, il vit de la vie de Dieu, et il participe à la na- ture de Dieu.
Mais il y a trois manières de posséder la nature divine ; la première et la plus parfaite est celle qui est propre au Fils de Dieu et au Saint-Esprit. Ces deux personnes n'ont d'autre nature que celle du Père; c'est pourquoi elles sont tout à fait sembla- bles et égales au Père. Cette manière de posséder la nature divine est incommunicable aux créatures. Il y a contradiction qu'un être créé n'ait d'autre nature qu'une nature incréée et éternelle.
Une seconde manière de posséder la nature di- vine est celle qui est commune à toutes les créa- tures. Comme Dieu est présent partout, il pénètre tous les êtres de sa substance ; mais il ne fait que leur communiquer la vie propre à leur nature.
La troisième manière consiste à devenir, par un don tout à fait gratuit, participant des perfections divines, qui sont tellement propres à Dieu, qu'aucun être ne saurait y prétendre par sa propre nature. Il a un mode de se voir, de se connaître, de s'aimer et de jouir de soi qui n'est propre qu'à lui, parce
— 206 —
qu'il le tient de sa nature incréée et éternelle. Or, le mode de se connaître et de s'aimer, Dieu le com- munique par sa grâce aux anges et aux hommes, et en même temps le mouvement et la vie con- formes à la nature divine, de sorte que l'homme connaît Dieu comme Dieu se connaît, qu'il l'aime comme Dieu s'aime lui-même, et qu'il agit comme Dieu agit. Il n'a plus seulement une vie humaine, mais il a une vie divine. De même qu'un fer péné- tré du feu ne perd pas sa nature de fer, mais ac- quiert toutes les propriétés du feu ; ainsi l'âme pé- nétrée de la nature divine parla grâce participe aux perfections divines d'une manière particulière, et elle vit de la vie même de Dieu ; elle n'est pas Dieu, mais elle est déifiée.
De cette union ineffable de la nature divine avec l'homme résulte une qualité surnaturelle qui donne à l'âme une vie nouvelle, et qui devient le principe de certaines vertus ou facultés surnaturelles sura- joutées aux facultés naturelles. Ainsi, dans l'ordre de la nature, vous pouvez connaître Dieu par les créatures et par le raisonnement; vous pouvez es- pérer en lui et l'aimer. Mais ces vertus sont pu- rement naturelles, parce qu'elles n'ont d'autre principe que votre propre nature. Or , il faut que l'homme, élevé à l'ordre surnaturel, puisse connaître Dieu, espérer en lui et l'aimer d'une ma- nière conforme à cet ordre. C'est pourquoi, avec la grâce sanctifiante. Dieu répand dans l'âme trois vertus surnaturelles : la foi, l'espérance et la cha- rité; ce sont comme trois puissances ou facultés
— 207 — surnaturelles qui ordonnent l'âme par rapport à Dieu.
C'est une vérité de foi catholique, mes frères, que par le Baptême vous avez reçu les vérités de foi, d'espérance et de charité, et que ces vertus étaient inhérentes à votre âme, quoique vous ne puissiez pas encore en faire des actes ; comme par votre création vous avez reçu avec votre âme ses fa- cultés naturelles, l'intelligence et la volonté, quoi- que vous n'ayez pu connaître et aimer que du mo- ment où vous êtes parvenus à l'âge de raison.
Mais il ne suffit pas à l'homme de recevoir avec la grâce sanctifiante des puissances ou facultés surnaturelles qui l'ordonnent par rapport à Dieu et le mettent en état d'atteindre sa fin surnaturelle. Comme il doit vivre en société, il a des devoirs à remplir envers les autres hommes, et Dieu lui a donné des vertus naturelles pour remplir ces de- voirs : la prudence, la justice, la force et la tempe- rance. Mais aussitôt qu'il est élevé à l'ordre surna- turel, il a besoin de recevoir des vertus surnatu- relles analogues, afin que tous ses actes soient conformes à sa nouvelle vie. C'est pourquoi aux vertus théologales Dieu ajoute les vertus morales, la prudence, la justice, la force et la tempérance, pour ordonner l'homme surnaturellement à l'égard des autres hommes.
Ce n'est pas tout : pour faciliter au chrétien l'ac- complissement de ses devoirs comme enfant adoptif de Dieu, le Baptême lui confère encore le Saint-Es- prit avec tous ses dons. Or, les dons du Saint-Es-
— 208 — prit sont des perfections surnaturelles qui disposent l'âme à suivre les impressions du Saint-Esprit ; ils sont destinésà perfectionner les vertus chrétiennes, comme nous vous l'expliquerons bientôt.
Adam avait trois vies : la vie du corps, la vie de l'âme raisonnable et la vie divine. Mais il s'est ré- volté contre Dieu et a mérité sa colère. La juste punition qui lui fut infligée fut l'inimitié de Dieu et l'esclavage du démon ; l'ignorance et le dérègle- ment des passions, c'est-à-dire l'affaiblissement de la vie intellectuelle et morale; enfin les misères de cette vie et la mort, ou une détérioration de la vie corporelle. Tel est aussi l'état dans lequel nous nais- sons; mais le Baptême nous restitue la vie surna- turelle et divine en répandant dans notre âme la grâce sanctifiante, les vertus chrétiennes et les dons du Saint-Esprit; il restaure la vie naturelle, mais incomplètement, et nous donne droit à la ré- surrection glorieuse après que nous aurons passé par les misères de cette vie et la mort.
Mais pourquoi, me direz-vous, le Baptême n'ef- face-t-il pas tous les effets du péché originel ? L'E- glise vous en donne la raison : « En reconnaissant et en confessant que la concupiscence ou le foyer du péché reste dans les personnes baptisées, la- quelle ayant été laissée pour être combattue, ne peut nuire à ceux qui n'y donnent pas leur consen- tement et qui résistent courageusement par la grâce de Jésus-Christ : au contraire, celui qui aura légi- timement combattu sera couronné. Cette concupis- cence que l'Apôtre appelle quelquefois péché, le
— 209 —
saint concile déclare qu'elle n'a jamais été regardée par l'Eglise catholique comme un véritable péché, à proprement parler, dans ceux qui sont régéné- rés ; mais qu'elle n'a été appelée ainsi que parce qu'elle est un effet du péché et qu'elle porte au péché. Si quelqu'un est de sentiment con- traire, qu'il soit anathème. » (Conc. Trid., sess. v, can. 5.)
Cette concupiscence qui reste en vous après le Baptême doit faire de vous tous de braves guer- riers. Or, les soldats courageux ne craignent ni les fatigues, ni les dangers, quand ils savent qu'il dé- pend d'eux de remporter la victoire. Leur bonheur est de respirer l'air des camps et d'entendre le bruit terrible des combats.
Dieu a voulu aussi vous rappeler sans cesse l'ex- cellence de la grâce qu'il a accordée à nos premiers parents, et les suites funestes de leur révolte contre Dieu. Il est si difficile de nous faire comprendre combien le péché est odieux à Dieu et funeste à nous-mêmes! Hélas! nous sommes si ingénieux pour nous faire illusion sur la gravité de nos fautes! Mais à la vue de tant de misères et de calamités qui afiQigent tous les hommes, à la vue de ces que- relles, de ces injustices, de ces assassinats, de ces cruelles vengeances, de ces maladies plus affreuses les unes que les autres, pouvons-nous encore nous persuader que le péché n'est rien? iXe devons-nous pas trembler dans la crainte des supplices éternels, dont les maux de cette vie ne sont qu'une bien fai- ble image? Ne devons-nous pas redoubler de zèle
— 210 —
et d'efforts pour conserver précieusement la grâce de notre Baptême?
Si le Baptême nous avait rendu toutes les préro- gatives accordées à Adam, n'était-il pas à craindre de nous voir servir Dieu par égoïsme, uniquement pour les biens matériels que nous aurions reçus? N'aurions-nous pas demandé le Baptême pour être préservés des maladies et de la mort ^ Et que se- raient devenues les plus belles vertus chrétiennes, la foi, Tamour de Dieu, la force, la patience et le dévouement ? Ne fallait-il pas, au contraire, que nous fussions sans cesse dans les peines, dans les travaux et les souffrances, afin d'être plus sembla- bles à notre Chef couronné d'épines et mourant sur une croix? Loin de nous plaindre, rendons à Dieu d'éternelles actions de grâces pour nous avoir rendu la vie divine par le Baptême, et fasse le ciel que nous ne la perdions jamais! Amen.
NÉBRIDIUS, CÉDCALLA, LE PRINCE NOIR ET LES INDIENS.
Saint Augustin avait un ami nommé Nébridius qui, comme lui, n'avait pas encore trouvé Jésus-Christ. Nébridius tomba dangereusement malade à Milan, comme nous le raconte saint Augustin lui-même, et fut pendant longtemps exposé à un danger extrême de mort. Comme on doutait de sa convales- cence, il fut, d'après le conseil de quelques amis, baptisé sans qu'il le bût. Augustin, à celte époque, considérait le Baptême comme uiie pure cérémonie, et lorsque Nébridius eut recouvré la santé et qu'il apprit qu'on lui avait adminis- tré le Baptême, il se mit à plaisanter sur cette sainte action et à la tourner en ridicule. Mais quel ne fut pas l'étonnement d'Augustin lorsqu'il entendit Nébridius lui adresser de sévères
— 211 —
reproches, et lui déclarer que s'il ne mettait fin à ses raille- rieSj il cesserait désormais de le compter au nombre de ses amis? Augustin, à qui un semblable changement dans son ami paraissait inexplicable, espéra lui faire adopter de nou- veau ses sentiments lorsqu'il serait guéri parfaitement, et il se tut. Toutefois ses espérances furent loin de se réaliser, car Nébridius mourut bientôt après en vrai et fervent chrétien. « C'est ainsi, dit saint Augnstin, qu'il fut enlevé à mon éga- rement, afin que, ce qui maintenant fait ma consolation, il fût élevé jusqu'à vous, ô mon Dieu ! »
Pendant le voyage que fit à Rome Cédualla, reine des Bre- tons, pour y recevoir le Baptême, elle pria Dieu de toute la ferveur de son cœur qu'il lui plût de Tenlever de ce monde et de la conduire dans la céleste patrie dès qu'elle aurait reçu le Baptême. Arrivée à Rome, elle fut baptisée le samedi saint par le pape Sergius, qui lui imposa le nom de Pierre. Elle portait encore l'habit blanc lorsqu'elle tomba malade et mou- rut, âgée d'environ trente ans. {Catéchisme historique.)
Le prince noir qui commandait dans les places maritimes du Congo, en 1489, avait un si ardent désir du Baptême, qu'au premier avis de l'arrivée des missionnaires envoyés par le roi de Portugal, il accourut au port, accompagné d'un grand nombre de ses sujets, les reçut au bruit des cymbales et des trompettes, dans des transports de juie incroyables. Vieillard et craignant de perdre cette heureuse occasion que Dieu lui ménageait dans son infinie bonté, il voulut être baptisé au plus tôt avec le plus jeune de ses fils, trop jeune encore pour pouvoir demander lui-même le Baptême. Un temple de ra- meaux et de feuillages s'élève; tous y travaillent avec ardeur. Trois autels, aussi de feuillages, sont dressés. C'est sous ce temple de verdure qu'on entonna de saints cantiques et qu'on baptisa ce prince africain, qui reçut pour nouveau nom ce- lui d'Emmanuel, et son fils celui d'Antoine.
Ce pieux noir, heureux d'être chrétien, ne se contenta pas d'édifier les 23,000 noirs qui assistèrent à celte pieuse et touchante cérémonie; il assembla encore ses peuples et éleva la voix pour condamner leurs fausses divinités et leurs su-
212
perslitions criminelles. Il publia un édit par lequel il ordon- nait la recherche la plus sévère des idoles. Après les avoir entassées les unes sur les autres, il y fit mettre le feu.
Depuis le jour heureux de son Baptême, Emmanuel, qu'on pourrait surnommer le pieux Africain, adressait à Dieu de continuelles et d'instantes prières pour obtenir de sa bonté la grâce de réparer, dans le peu de temps qu'il pouvait lui res- ter à vivre, les impiétés et les profanations au milieu des- quelles il avait vécu et passé la plus grande partie de ses jours. Avec quelle ardeur il demandait au Seigneur qu'après avoir servi si longtemps le démon, il pût au moins se consacrer à Jésus-Christ et persévérer jusqu'à la mort dans les exercices d'une sainte piété ! (Trésor des Noirs.)
Le P. Sorin, arrivant chez ses néophytes de Notaonas- sibi, demanda ce qu'ils étaient devenus. « Père, lui répondit- on, le changement de cette tribu est devenu le sujet de toutes les conversations du pays. Jusqu'à l'hiver dernier, c'était une bande d'ivrognes et de voleurs, le scandale et l'effroi de tout le voisinage. Depuis leur Baptême, ce ne sont plus les mêmes hommes ; tout le monde admire leur sobriété, leur honnê- teté, leur douceur, et surtout leur assiduité à la prière. Leurs cabanes retentissent presque continuellement de pieux cantiques. »
Un vieux chasseur canadien lui dit : « C'est un mystère pour moi que le spectacle de ces Indiens, tels qu'ils sont au- jourd'hui. Groiriez-vous que j'ai vu de mes yeux ces mêmes sauvages, en 1813 et 1814, livrant au pillage et aux flammes les habitations des blancs, saisissant les petits enfants par le pied et leur écrasant la tête contre les murailles ou les jetant dans des chaudières bouillantes? Et maintenant, à la vue d'une robe noire, ils tombent à genoux, baisent sa main, comme des enfants celle d'un père ; ils nous font rougir nous- mêmes. » [Annales de la Propagation de la Foi, tome XVIL)
Vf INSTRUCTION.
lie Baptême nous fait enfants de Hieu.
Non accepislis spirilum servitulis in timoré, sed accepislis spirilum adop- tionis fiUorum, in qiio clnmamus : Abba, Paler; ipse enim Spirilu$ Icili- monium reddit spirilui nostro, quàd su- mus filii Dei.
Vous n'avez pas reçu un esprit d'es- clavage pour vivre de nouveau dans la crainle; mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des enfants, avec lequel nous nous écrions : Abba, c'est-à-dire mon père; car l'Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.
(Rom., VIII, lÙ-16.)
Sur le point de remonter au ciel, notre Sauveur dit à ses apôtres : « Allez, enseignez toutes les na- tions, et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » C'est un commandement formel qu'il a fait à ses apôtres, et par là même à toute son Eglise. Nous ne rencontrons rien, ni dans l'Evan- gile, ni dans les Actes des apôtres, ni dans leurs épîtres, ni dans la tradition, qui indique qu'il ait dispensé, en quelque circonstance, de prononcer ces paroles sacramentelles en conférant le sacre- ment de Baptême. Quand il est dit que quelques uns furent baptisés au nom de Jésus-Christ, cela signifie qu'ils avaient reçu le Baptême du divin Sauveur, pour le distinguer du Baptême de saint
— 214 - Jean, el quelques uns l'avaient reçu avant de rece^ voir celui du Fils de Dieu.
Cela devait être ainsi, car l'effet principal de cha- que sacrement doit ôlre exprimé par la forme. Vous comprenez que le principal effet de la Confirmation est de fortifier les chrétiens dans la foi, lorsque vous entendez l'évêquc prononcer ces mots : Je te marque du signe de la croix, et te confirme du chrême du salut ; que le sacrement de Pénitence a pour but de remettre les péchés, lorsque vous en- tendez le prêtre dire au pénitent : Je t'absous de tes péchés. La matière du sacrement de Baptême ex- prime, il est vrai, un de ses effets, la rémission des péchés et la purification de l'âme ; mais ce n'est ni le plus noble, ni le plus excellent : car le plus pré- cieux est de nous consacrer au nom des trois per- sonnes divines, du Père et du Fils et du Saint-Es- prit, c'est-à-dire de nous faire enfants adoptifs de Dieu, frères et membres de Jésus-Christ et temples du Saint-Esprit.
Saint Jean l'évangéliste, qui eut le bonheur de reposer sur le cœur de Jésus et de puiser dans ce cœur sacré les secrets des plus profonds mystères de la religion chrétienne, commence son Evangile par nous raconter les opérations intérieures de Dieu, la génération du Verbe. Comme l'aigle qui l'a figuré, il s'élance d'un vol rapide jusque dans le sein de Dieu, et ose le contempler d'un regard ferme et assuré. Et cependant il commence son Evangile comme s'il racontait une chose fort com- mune el très-ordinaire : « Au commencement étaitle
— 215 — Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.» Il ne dit pas un mot pour exciter notre atten- tion ou notre étonnement. Mais nous parle-t-il du mystère de notre adoption? Il ne peut plus contenir son admiration. Voyez donc, nous dit-il, regardez bien, examinez avec attention quelle charité Dieu a eue pour nous, puisque nous sommes appelés en- fants de Dieu, et que nous le sommes en effet. Si c'est une gloire d'être le fils d'un homme illustre par sa science ou ses exploits guerriers, d'un prince, d'un roi ou d'un empereur , quel honneur et quelle gloire incomparable d'être enfants de Dieu, les fils du Roi des rois ! Saint Jean en est ravi d'admiration, et il désire nous inspirer ses sentiments : Voyez, s'écrie-t-il, quelle charité Dieu le Père a eue pour nous: Videte qualem charitatem dédit 7io bis Pa- ter. » (I Joan., III, 1.)
Au premier chapitre de son Evangile, le même apôtre nous apprend que le Verbe était Dieu, que c'est par lui que toutes choses ont été faites... « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas connu ; il est venu chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçu. » Sur ces paroles, saint Jean Chrysostôme se demande : Comment l'é- vangéliste ne parle-t-il pas des châtiments dont Dieu a frappé les Juifs, pour avoir répondu par le mépris à cet honneur infini que le Fils de Dieu leur avait fait? Comment ne rapporte-t-il pas les mal- heurs et les calamités dont ils ont été accablés au siège de Jérusalem? Comment ne dit-il pas un mot de la destruction de cette ville, de la ruine du tem-
— 216 — pie, de la dispersion et de la désolation du peuple juif? C'est, répond ce grand Docteur, qu'il rapporte la plus grande punition qu'ils aient reçue et qu'ils pouvaient recevoir : ils ont été privés de l'honneur incomparable d'être faits enfants de Dieu. Il dit donc : « A tous ceux qui l'ont reçu il a donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu, à tous ceux qui croient en son nom, qui sont nés de Dieu, et non du sang ni de la volonté de l'homme, ni de la volonté de la chair. » (Joan., i.)
Dans le Symbole des apôtres, il est dit que nous croyons en Jésus-Christ, Fils unique du Père, et cependant, en récitant la divine prière que notre Seigneur nous a enseignée, nous disons : Notre Père qui êtes dans les cieux. Nous appelons Dieu notre Père; nous sommes donc aussi ses enfants. Comment donc pouvons-nous dire que Dieu n'a qu'un Fils unique? Distinguons différentes manières d'être père et d'être fils. Vous êtes père par na- ture, quand vous donnez à quelqu'un l'être de votre substance et que vous lui communiquez votre na- ture ; sa chair vient de votre chair et son sang de votre sang. Vous êtes père par adoption, lorsque, par amour pour un étranger, vous le traitez comme s'il était votre fils, et vous lui donnez le droit d'hé- riter de tous vos biens, comme s'il était votre fils. Vous êtes père par office, lorsque vous rendez à quelqu'un les mêmes devoirs et les mêmes services que s'il était votre fils. Ainsi l'Evangile appelle saint Joseph le père de Jésus, parce qu'il l'a vêtu, nourri, élevé, comme s'il eût été son fils.
— 217 —
Or, mes frères, la foi nous enseigne que Dieu est Père par nature de notre Sauveur, et Jésus- Christ seul est Fils de Dieu par nature, parce que seul il est engendré de la propre substance de Dieu, et il est vrai Dieu de vrai Dieu; il possède toute la nature divine et toutes les perfections divines comme Dieu son Père. Il a pris dans le temps un corps de la substance même du corps de l'auguste Vierge Marie, et son âme a été créée de rien comme les nôtres, en sorte qu'il est tout à la fois vrai Dieu et vrai homme, vrai Fils de Dieu par nature, parce qu'il n'y a en lui qu'une personne engendrée de la subtance même de Dieu son Père.
Tous ceux qui ont reçu le Baptême sont enfants de Dieu par adoption ou enfants adoptifs de Dieu. Nous avons reçu l'Esprit d'adoption de Dieu, dit saint Paul, par lequel nous appelons Dieu notre Père, et l'Esprit de Dieu rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Vous ve- nez d'entendre les paroles de saint Jean.
Mais Dieu n'est pour ainsi dire que Père par of- fice à l'égard de tous ceux qui ne sont pas chré- tiens. Il leur donne ce qui leur est nécessaire pour la vie du corps et la vie de l'âme raisonnable ; et quoiqu'il leur ait préparé les grâces nécessaires au salut, de fait ils ne sont pas encore ses enfants adoptifs.
Considérez surtout, mon frère, l'excellence de cette adoption divine par laquelle vous êtes devenu enfant de Dieu. C'est elle qui vous donne droit d'être l'héritier de votre père d'adoption, comme si
iO
— 2\H — -^ous étiez son fils par nature. C'est la conséquence que tire saint Paul, et elle est très-juste; elle est admise par toutes les législations du monde. Si nous sommes les enfants de Dieu, nous sommes donc ses héritiers, les héritiers de Dieu et les cohé- ritiers de Jésus-Christ. Or, les richesses de Dieu ne consistent pas en des campagnes immenses, de vastes forêts, des palais magnifiques ou des coffres remplis d'or ou d'argent : c'est la possession de la nature divine et des perfections divines.
Saint Paul nous enseigne que nous devons pos- séder ces richesses de Dieu comme si nous étions fils de Dieu par nature. Si nous sommes enfants de Dieu, dit-il, nous sommes donc ses héritiers et les cohéritiers de Jésus-Christ. Nous partagerons donc les biens de Dieu et nous en jouirons comme Jésus- Christ. Or, le corps et l'âme de Jésus-Christ sont pénétrés de la nature et des perfections de Dieu, comme le fer rougi au feu est pénétre de la nature et des propriétés du feu. L'âme de Jésus-Christ connaît Dieu comme Dieu se connaît, puisqu'elle connaît Dieu avec l'intelligence divine qui la pé- nètre; elle aime Dieu comme Dieu s'aime, puis- qu'elle l'aime avec le cœur même de Dieu qui pé- nètre son cœur. C'est ainsi que tous les enfants adoptifs de Dieu sont appelés à jouir de ses biens.
Croyez bien que ce n'est pas là une pieuse exa- gération. Ecoutez l'apôtre saint Jean : « Considérez, nous dit-il, quelle charité Dieu le Père a eue pour nous, de vouloir que nous soyons appelés et que nous soyons en effet enfants de Dieu. C'est pour
— 219 —
cela que le monde ne nous connaît pas, parce qu'il ne connaît pas Dieu. Mes bien-aimés, nous sommes déjà enfants de Dieu ; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore. Nous savons que lorsque Jésus-Christ se montrera dans sa gloire, nous se- rons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. » Or, voir Dieu tel qu'il est, dans sa propre essence, n'est-ce pas le voir par lui-même et sans aucun intermédiaire? N'est-ce pas lui être uni substantiellement pour le voir avec son intelligence? Pour le voir tel qu'il est, il faut donc lui être sem- blable, être déifié et divinisé comme Jésus-Christ.
Souvent, dans le monde, un père n'adopte d'en- fants que parce qu'il n'en a point lui-même ou parce que les siens sont morts. Pourquoi donc Dieu ayant un Fils par nature en a-t-il adopté d'étrangers? Saint Thomas nous en donne la raison. Le Père éternel adopte par excès d'abondance et d'amour, parce qu'il est le souverain bien et qu'il trouve son bonheur à se communiquer même à de pures créa- tures. Les hommes, au contraire, adoptent par pau- vreté, parce qu'ils ont besoin d'un objet d'affection. Les enfants adoptifs de Dieu, si nombreux qu'ils soient, seront aussi riches et aussi heureux que si chacun d'eux était seul, parce que les biens de Dieu sont infinis. Tous les habitants de la terre jouissent de la lumière du soleil, comme si chacun d'eux était seul au monde. Il n'en est pas ainsi des enfants des hommes : ils sont d'autant moins riches qu'ils sont plus nombreux.
Les enfants adoptifs des hommes demeurent dans
— 21^0 — ia maison de leur père d'adoption, qui les nourrit et les élève comme s'ils étaient ses propres enfants. Cependant ils n'ont pas le même sang que leur père d'adoption, ni par conséquent la même vie. Au con- traire, les enfants adoptifs de Dieu participent à la nature et à la vie même de Dieu; car, par la grâce sanctifiante, Dieu donnant à nos âmes une vie sur- naturelle et divine, il devient notre Père et nous devenons ses enfants, nous vivons de la vie même de Dieu. De même qu'une goutte d'eau qui tombe- jait dans un océan d'une liqueur divine en serait pénétrée et partagerait toutes les propriétés de cette liqueur, ou comme un petit lingot de cuivre qui se- rait fondu et mêlé avec une montagne d'or serait brillant et précieux à peu près comme l'or, ainsi les enfants adoptifs de Dieu sont tout remplis de la substance même de Dieu et sont déifiés.
L'adoption divine est donc un bienfait si grand, que Dieu lui-même ne peut en accorder de plus grand. Peut-il élever un être plus haut que lui- même, et peut-il lui rien donner de mieux que sa propre substance? Et, après cela, nous n'aimerions pas Dieu! Ne serions-nous pas les plus ingrats des enfants des hommes?
On compte aujourd'hui à peu près deux cent cin- quante millions de chrétiens, c'est-à-dire à peu près la quatrième partie du genre humain. Chacun de nous ne doit-il pas se dire : Pourquoi suis-je venu au monde en France, et non pas en Afrique ou en Chine? Pourquoi suis-je né de parents catholiques, et non de schismatiques grecs, de Turcs ou de pro-
221
testants? Pourquoi suis-je né au xix*^ siècle de Tère chrétienne, et non pas cinq ou six siècles avant Jé- sas-Christ ? Pourquoi Dieu m'a-t-il fait la grâce de me comprendre dans celle quatrième partie qui a reçu le Baptême, et ne m'a-t-il pas laissé avec les sept cent cinquanle millions qui ne l'ont pas reçu? Je n'ai certes pas mérité cette faveur, et Dieu ne me i'a accordée que par un amour de prédilection et de préférence. Y aura-t-il jamais assez de reconnais- sance dans mon cœur pour le remercier d'un sem- blable bienfait?
Dieu ne pouvait donc pousser plus loin sa ten- dresse paternelle pour ses enfants adoptifs, car il dit aussi de chacun d'eux : Celui-ci est mon fils bien- aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. Il veut pour eux tous le bien qu'il se veut à lui-même et le bonheur dont il est en possession . Devons-nous après cela nous étonner qu'il accorde si facilement des grâ- ces extraordinaires aux âmes sanctifiées parla grâce? Il préserve de l'embrasement de Sodome la petite ville de Ségor pour l'amour de Lolh, et la ville de Samarie du siège et de l'extrême famine pour l'a- mour du prophète Elisée. Il répand ses bénédictions sur la maison de Laban, à cause de Jacob ; sur celle de Putiphar, à cause de Joseph; sur celle d'Assué- rus, à cause de Mardochée. Il donne à saint Paul la vie de tous ceux qui sont dans un vaisseau avec lui et les préserve du naufrage. Saint Thomas nous dit même que si Dieu ne remplissait le ciel et la terre de son immensité, il quitterait le ciel pour venir demeurer dans une âme ornée de la grâce
222
sanctifiante, tant elle a de charmes pour lui, et tant il a (l'affection pour elle.
Un jeune homme nommé Raphaël s'en va dans le >'ouveau-Monde pour y faire fortune; tout lui réussit, et bientôt il devient fort riche. Il reçoit la visite d'un de ses parents, pauvre et mal élevé, qui lui demande quelques secours ; mais craignant d'en être déshonoré, il le congédie. Cependant Raphaël tombe malade et meurt, après avoir constitué son légataire universel ce pauvre cousin qu'il a renvoyé si honteusement. Le notaire qui a le testament en- tre ses mains lui expédie un courrier; mais celui- ci le trouve en prison pour dettes, accablé d'infir- mités et de maladies. Alors il lui dit : « Que feriez- vous si je vous échangeais votre prison contre un palais, vos vêtements tout usés contre des habits brodés d'or et d'argent, et si je vous donnais le moyen de recouvrer la santé et de ^^vre en prince? — Monsieur, lui répond le prisonnier, ne vous mo- quez pas de moi ; mais si vous me voulez quelque bien, payez mes dettes et faites-moi sortir de pri- son. » Ce courrier paie les dettes en effet, lui pro- cure des habits magnifiques, de superbes équipages, des domestiques nombreux, puis le conduit dans le Nouveau-Monde, où le notaire le met en posses- sion de son immense fortune. Jugez quel dut être son ravissement!
Et tout cela, mes frères, n'est pas un grain de poussière, si nous le comparons à la fortune que Jésus-Christ nous a acquise par sa mort, et que nous obtiendrons sûrement, si nous observons fid(^
223
îement les commandements de Dieu. Oh ! combien serez-vous surpris, ravis et transportés liors de vous- mêmes, vous surtout qui vivez dans la pauvreté, la souffrance et le mépris, lorsque la mort viendra vous mettre en possession de tous les biens de votre Père céleste, sans craindre d'en être jamais dépos- sédés !
Mais sou venez- vous de cette maxime : y o blesse oblige. Votre titre d'enfants de Dieu vous impose des devoirs envers Dieu, envers le prochain et en- vers vous-mêmes.
Rendez-vous à Dieu votre Père tout le respect que vous lui devez? ^'e peut-il pas dire aussi de vous : Si je suis votre Père, où est l'honneur que vous me devez? Si ego Pater, ubi honor meus? L'Esprit saint vous dit : Honorez votre père dans toutes vos œuvres, par votre parole et votre pa- tience. In omni opère et sermone et patientia ho- nora patrem. (Eccli., m, 9.) Un fils bien élevé parle à son père avec un profond respect, et ne parle de lui qu'avec un vif sentiment d'estime et d'affection; il se garde bien de critiquer ce qu'il dit ou ce qu'il fait; il reçoit ses conseils et ses ré- primandes avec docilité, et partout il prend la dé- fense de son honneur, quand il est attaqué. Est- ce ainsi que vous vous conduisez envers Dieu? Vous montrez-vous les dignes enfants du Père cé- leste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants? Aimez-vous vos ennemis? Faites- vous du bien à ceux qui vous persécutent?
L'histoire nous dit que le fils de Crésus, muet de
— 224 —
naissance, voyant un soldat, au siège d'une ville, sur le point de tuer son père sans le connaître, fit de tels efforts que sa langue se délia et prononça ces mots : « Garde-loi de tuer mon père, c'est le roi. » Quand vous seriez le plus timide des hom- mes, ne devez-vous pas prendre en main la cause de Dieu, et défendre sa religion ou sa gloire, si elle est attaquée devant vous? Souvenez-vous que vous êtes son fils, et que sa gloire est votre patrimoine confié à votre bravoure et à votre fidélité. Ne mur- murez pas, s'il vous visite par la pauvreté, les ma- ladies ou les afflictions; il vous traite comme un enfant chéri qu'il veut corriger de l'orgueil, de l'en- vie, de l'intempérance, de la colère et de la pa- resse ; il veut vous former à la pratique des vertus d'humilité, de douceur, de patience, d'obéissance et de charité. Ne punissez-vous pas vous-mêmes vos enfants, quand ils le méritent, afin d'en faire des hommes vertueux?
Quel respect avez- vous pour votre prochain? Pre- nez garde, vous dit Jésus-Christ, de scandaliser un de ces petits enfants, dont les anges voient sans cesse la face de Dieu. Prenez garde qu'ils ne con- tractent de mauvaises habitudes. Vos enfants sont plus que des enfants de France, ce sont les enfants de Dieu comme vous.
Vous êtes enfants de Dieu : ne soyez pas indi- gnes d'une si haute noblesse, et ne vous avilissez pas par des passions basses et honteuses. Vous êtes enfants de Dieu : jouissez donc de la liberté des en- fants de Dieu, et ne soyez jamais les esclaves des
— 225 —
hommes, du respect humain ou de vos mauvais penchants. Saint Cromace, préfet de Rome, s'étant converti à la foi, reçut le Baptême avec toute sa fa- mille, et donna la liberté à ses esclaves, en leur di- sant : « Vous êtes maintenant les enfants de Dieu, vous ne devez plus être les esclaves d'un homme. > Et vous aussi, mes frères, vous avez reçu le Bap- tême, et vous êtes les enfants de Dieu. Honorez votre Père qui est dans le ciel et votre Mère la sainte Eglise qui est sur la terre. Respectez vos frères, ce sont des princes du sang ; respectez votre éminente dignité, et vous serez bénis de Dieu. Amen.
INGO. — UN CHEF INDIEN.
Ingo^ duc de Carinthie, avait plusieurs de ses parents qui n'étaient pas disposés à renoncer aux idoles. Un jour il fit préparer un grand festin, auquel il invita ses parents encorp païens, ainsi qu'une foule immense d'ouvriers pauvres, mais chrétiens. Les grands furent servis dans la cour avec du pain tout ordinaire, de mauvaise viande, du vin commun, et avec de la vaisselle en terre, tandis que les pauvres furent placés à la table du duc, servis en coupes d'argent et en vins précieux, rassasiés des mets les plus exquis ; en un mot, le duc fit tout ce qui dépendait de lui pour les recevoir d'une manière princière. Les nobles et les grands furent vivement blessés de cette conduite, et, ne pouvant plus contenir les éclats de leur morgue blessée au vif, ils entrèrent furieux dans la salle oii était le prince, et lui demandèrent le motif de cette préférence. Le prince répondit avec calme : « Ne soyez pas trop étonnés de ma conduite. Ces hommes que vous voyez là, quoique pauvres en biens temporels, ont été enri- chis, par le Baptême, de grâces divines; ils sont les enfants et les héritiers du Très-Haut, je les reconnais pour mes frères en Jésus-Christ. Vous, au contraire, bien que riches selon le
10.
— 226 —
siècle, vous êtes néanmoins pauvres en trésors spirituels; votre âme est encore souillée de la tache originelle et d une foule d'autres fautes qui vous sont personnelles ; vous êtes encore les esclaves du démon et les adorateurs de stupides divinités. Cela étant, qu'y a-t-il de surprenant si je regarde votre société comme déshonorante, et si, au contraire, je me fais un honneur d'avoir autour de moi mes frères chrétiens?» Ce langage calme, mais ferme et sévère, du duc eut pour ré- sultui d'amener la plupart des grands et des nobles à se con- vertir au christianisme, car bientôt après ils se firent baptiser par Arno, évêque de Saltzbourg. (Bru>>"Er.)
M. Odin, qui, pendant de nombreuses années, a produit un bien immense dans l'œuvre des missions de TAmérique, nous raconte la touchante histoire qui suit : a Comme je revenais d'un petit voyage que j'avais fait, j'aperçus plusieurs sauva- ges occupés à chasser. Dès qu'ils m'eurent remarqué, ils ac- coururent et s'écrièrent en me prenant la main : « Bonjour « robe noire ; que nous sommes heureux de te voir ! Aie la « bonté de venir avec nous ; notre chef est bien malade ; il te « verra avec beaucoup de plaisir. » Je me rendis auprès du vieux sauvage, étendu sur son lit et en proie aux douleurs les plus atroces. Un sauvage qui le détestait avait eu la cruauté de répandre du poison sur son pied, ce qui le lui avait enflé démesurément. Je m'approchai de lui et lui adressai ce lan- gage : «Vous êtes bien malade, mon frère? — Ohî oui, robe a noire, je souffre cruellement! — Vous auriez sans doute « beaucoup de plaisir à entrer, après votre mort, dans la tt maison du Grand-Esprit? Mais vous ne pouvez y être admis « si je ne vous lave la tète (si je ne vous baptise). — Oh ! « alors, robe noire, répondit le chef malade, lavez-moi la « tête ; j'aime de tout mon cœur le Grand-Esprit. » Après que j'eus entendu cette touchante réponse, je commençai à instruire le malade sur les principales vérités de la foi, en lui demandant de temps en temps si réellement il croyait tout ce que je lui disais. « Je le crois, robe noire, parce que tu le « dis.» Ces sauvages ont une telle horreur pour le mensonge, qu'ils ne peuvent pas croire qu'un homme qu'ils respectent
— 227 —
soit capable de les tromper, et ils ont en grande vénération les robes noires ou les missionnaires catholiques.
« Le lendemain je retournai près de lui, je lui rappelai les enseignements que je lui avais donnés la veille, et lui deman- dai s'il désirait toujours le Baptême. « Oh! robe noire,, s'é- « cria-t-il en soupirant^ hâte-toi, je t'en prie, de me laver la « tête; toujours je pense au Grand-Esprit, et je désire ar- ec demment recevoir le Baptême. » Cependant je différai en- core de le baptiser, convaincu que les sauvages ne sont pas si facilement disposés à pardonner une injure. Comme celui- ci avait été empoisonné par son ennemi, je craignais avec raison de ne pouvoir parvenir à lui faire pardonner entière- ment sa faute. C'est pourquoi je pris en main mon crucifix ; je lui exposai les souffrances qu'avait endurées le Grand-Es- prit en mourant pour nous sur la croix; je lui représentai que c'étaient les enfants blancs qui lui avaient causé ces terribles tourments, et que malgré cela il leur avait tout par- donné avant sa mort, et était même allé jusqu'à intercéder pour eux auprès de son Père. Je lui fis remarquer que le Grand-Esprit exigeait principalement que tous ses enfants, quelle que fnt d'ailleurs leur couleur, devaient de bon cœur se pardonner mutuellement leurs offenses, et qu'il ne les re- cevrait pas dans sa maison s'ils refusaient de le faire. « Eh « bien ! répondit le malade, je lui pardonne, puisque telle est « la volonté du Grand-Esprit. » Et, pour prouver qu'il par- donnait avec sincérité, il ordonna à tous ses sauvages de ne point le venger de son ennemi. De semblables dispositions étaient suffisantes pour qu'il fût jugé digne de recevoir le Baptême. Dès qu'il vit que je mettais mes ornements sacrés, il se leva, s'assit sur son lit, prit lui-même mon crucifix dans ses mains, et, pendant tout le temps que dura cette cérémo- nie, il fixait en pleurant ses regards sur ce signe de notre rédemption, ou les élevait vers le ciel. Quatre jours après, il s'endormait du sommeil des bienheureux. {Catéch. hist.)
VIP INSTRUCTION.
lie Baptême nous fait frères et isienibres de «fésus-Clirist.
Mcmbra sumus corporis ejus, de car ejus et de ossibus ejus.
Nous sommes les membres de s L'orps, (le sa chair cl de ses os. (Epiies., V, 50.J
Le sacrement de Baptême nous engendre à la vie divine et nous confère le beau titre d'enfants de Dieu ; il nous rend donc aussi frères de Jésus- Christ. Et, en efifet, saint Paul nous dit que Jésus- Christ n'a pas rougi de nous appeler ses frères, et il appelle encore notre aimable Sauveur le premier né entre beaucoup de frères. Ce qu'il y a de plus admirable, c'est que lui-même nous donne le doux nom de frères. Après sa résurrection, il dit à Marie- Madeleine : Allez dire à mes frères : Je monte vers mon Dieu et votre Dieu, vers mon Père et votre Père. Or, les chrétiens peuvent-ils avoir le même Père que Jésus-Christ sans être frères de Jésus- Christ? C'est là sans doute ce qui a inspiré à son tendre cœur ces belles et touchantes paroles qui sont tombées de ses lèvres un instant avant de rendre le dernier soupir sur la croix : Femme, voilà votre fils, dit-il à sa Mère en lui montrant son dis- ciple bien-airaé, le représentant de tout le peuple
— 2I!9 —
chrétien ; puis, s'adressantà son disciple, il lui dit : Fils, voilà votre mère.
Puisque nous sommes les frères de Jésus-Christ, nous sommes les enfants de Marie; car nous vivons de la même vie que Jésus-Christ, et nous pouvons dire que son sang coule dans nos veines. Mais il y a toujours une différence infinie entre lui et nous; car en lui la nature humaine s'est unie à la per- sonne du Verbe divin, tandis que la nature divine s'unit à la personne humaine dans les chrétiens. Cependant, quelle magnifique prérogative! Miséra- bles mortels que nous sommes, nous voilà deve- nus les frères d'un Dieu, et nous pouvons dire avec vérité : C'est mon frère qui a créé le ciel et la terre. Mon frère est tout puissant; il peut, d'une seule pa- role, faire sortir du néant des milliers de mondes. C'est mon frère qui a fondé sur la terre cette grande société qu'on appelle l'Eglise. C'est mon frère qui règne au plus haut des cieux et qui jugera un jour les vivants et les morts.
Ce n'est pas tout : il existe entre nous et Jésus- Christ une union plus intime encore ; car nous sommes les membres du corps dont il est le chef.
Vous croyez peut-être, mes frères, que les fi- dèles forment un corps comme les sujets d'un même empire, ou comme les habitants d'une même ville, ou comme les membres d'une société savante ou commerciale. Vous ne vous trompez pas; mais il y a une union plus intime entre les membres de l'Eglise et son chef. En effet, vous êtes mem- bres de l'Eglise, comme vos bras et vos pieds sont
— 230 — membres de votre corps, et tous les membres de l'Eglise sont unis entre eux et avec Jésus-Christ, comme les membres de notre corps sont unis entre eux et avec la tête.
Ecoutez saint Paul : « Comme le corps naturel est composé de plusieurs membres qui se rendent un service réciproque, ainsi le corps de Jésus- Christ, qui est l'Eglise, contient plusieurs fidèles qui reçoivent leur action et leur influence de leur chef; et quoiqu'ils ne soient pas partagés aussi avanta- geusement les uns que les autres, ils s'entr'aident réciproquement, étant membres les uns des autres. » Rom., XII, 4.)
« Comme le corps est unique et qu'il a plusieurs membres, et comme les membres de ce corps qui est un, bien qu'ils soient plusieurs, ne forment qu'un seul corps, il en est ainsi de Jésus-Christ; car nous sommes tous baptisés en un même esprit, pour être un même corps avec lui. »(I Cor., xir, 12.) Et plu- sieurs fois encore il répète la même chose, tant il désire nous faire bien comprendre que l'Eglise est un corps semblable au corps naturel de l'homme, et non pas au corps d'une communauté.
Au psaume xcviii% qui s'entend du Fils de Dieu, notre divin Sauveur dit : « Mon Dieu, vous con- naissez ma folie , et mes péchés ne vous sont point cachés. » Notre Sauveur pouvait-il commettre quelque folie, lui qui est la sagesse éternelle? Pou- vait-il faire quelques péchés, lui qui est la sainteté même? Non, sans doute; mais il parle au nom de l'Eglise, qui est son corps, et au nom des fidèles, qui
— 231 —
sont ses membres; et puisque le chef et les mem- bres ont une même chair, pourquoi n'auraient-ils pas une même voix?
Jésus-Christ dit encore : « Personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est au ciel. » (Joan., m, 13.) En pre- nant ces paroles dans toute la rigueur de l'expres- sion, il s'ensuivrait que Jésus-Christ seul doit aller au ciel. Mais est-ce que 1 auguste Mère de Dieu, et les apôtres, et les martyrs, et les prophètes, et tant d'autres saints ne sont pas au ciel? Ils y sont, sans aucun doute ; mais ils sont une même chose avec Jésus-Christ, parce qu'ils sont ses membres.
Cette manière déparier nous fait voir qu'il n'y a pas seulement une union morale entre les membres de l'Eglise, mais une union substantielle, semblable à celle qui existe entre les membres du corps hu- main. En effet, si un conseiller de la cour faisait une folie, le président ne dirait pas : J'ai fait une folie ; et si un habitant de la commune commettait un crime, le maire ne dirait pas qu'il a lui-même commis ce crime, parce qu'il n'y a là qu'une union morale. Si l'empereur allait à Rome avec un grand nombre de ses sujets, on ne pourrait pas dire qu'il est allé seul à Rome, encore que l'empereur et le peuple soient un corps social. Il n'en est pas ainsi de l'union qui existe entre les membres du corps hu- main. Si ma main commet un crime, ma tête dit aussitôt : J'ai commis un crime. Si je me rends quelque part avec mes membres, je puis dire que personne ne s'y trouve que moi, parce que mes
— 232 —
membres et ma tête ne sont qu'une seule et même personne. C'est ainsi que notre divin Sauveur a pu dire qu'il a commis des péchés, parce que ce sont ses membres qui les ont commis, et que seul il montera au ciel, parce que les saints sont une môme chose avec lui.
Au dernier jugement, Jésus-Christ dira : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire. » Mais le chef d'une communauté ne pourrait pas dire en vérité à celui qui aurait assisté un de ses frères dans la détresse : J'étais malheureux, et vous m'avez soulagé.
Le grand saint Augustin, et après lui saint Léon, comparent l'eau du Baptême au sein immaculé de la très-sainte Vierge Marie, en ce que, si l'un a engen- dré le chef, l'autre a produit les membres, mais tous deux par la toute-puissance du Très-Haut, par la vertu du Saint-Esprit, par la même fécondité et la même opération divine. » (Serm. 63, de Tempore.)
« Le chrétien doit aux fonts du Baptême ce que Jésus-Christ doit au sein de Marie, puisque ce Verbe divin a donné à cette eau ce qu'il avait donné à sa Mère; car la même vertu du Très-Haut, la même fécondité du Père, la même opération du Saint-Es- prit qui a fait que la sainte Vierge est devenue la Mère du Sauveur, la même vertu, la même fécon- dité, la même opération fait que l'eau du Baptême engendre les fidèles qui sont les membres du Sau- veur. » (S. Léo, serm. 5, de Nativitate Domini.)
Saint Augustin a même ajouté : « L'eau baptis- male a été en quelque sorte plus richement dotée
— 233 — que l'auguste Vierge ; car si Marie a mérité pour elle la pureté, l'eau du Baptême opère en nous la sain- teté; si Marie a mérité d'être exempte du péché, l'eau du Baptême nous en a délivrés; si Marie a éloigné d'elle toutes sortes de crimes, l'eau du Bap- tême nous remet, par la grâce de Dieu, ceux que nous avons commis. » Serm. 03, de Tempore.
Saint Léon dit encore que, dans le Baptême, nous sommes engendrés à la vie divine par l'opération du Saint-Esprit de la même manière que le Fils de Dieu a été conçu dans le chaste sein de Marie; et notre régénération si noble, si excellente et si di- vine, approche et imite de si près la conception de Jésus, elle nous fait si véritablement ses membres, elle nous incorpore si réellement en lui, que saint Grégoire de Nazianze ose la comparer et presque régaler à l'incarnation même; car, comme les au- tres Pères prouvent la divinité de Jésus-Christ parce qu'il est Fils de Dieu par nature, saint Gré- goire, dont l'autorité a toujours été si grande dans TEglise que les anciens l'ont surnommé le Théolo- gien, titre que seul il a partagé avec l'évangélisto saint Jean, saint Grégoire prouve la divinité du Saint-Esprit en ce qu'il nous engendre et nous déifie par le Baptême. Ses paroles sont fort remar- quables : « Si le Saint-Esprit ne doit pas être adoré, nous dit-il, comment me fait-il dieu par le Bap- tême? »S'ieniwac?oranf/w5 non est Spiritus, guo- modo me deum per Bapîismnm efficit ? (Orat. 5, de Théo lo g ia.) Si YOVLS lui demandez pourquoi le Fils de Dieu s'est fait homme, il vous répond : « Afin
— 23i —
que je devienne dieu autant que le Christ s'est fait homme. » Ut ipse quoque tantum deus efficiar, quantum Christus est homo. (Ibid., orat. 3.) Saint Augustin n'est pas moins formel : « La grâce par laquelle cet homme est devenu le Christ est la même qui nous rend chrétiens. » Eadem gratia fit quisque christiaiius , qua ille homo factus est Christus. (De Prœdestin. sanctorum, c. v.) INous sommes donc les membres du Fils de Dieu, et nous ne formons avec lui qu'nn seul et même corps, non pas seulement en un sens moral, mais réellement et substantiellement; car nous avons été baptisés en un seul esprit pour former un seul corps. Si nous n'avions qu'une seule et même âme, nous ne se- rions qu'une seule et même personne. C'est parce que tous les membres de mon corps sont animés et mis en mouvement par une seule et même âme, qu'ils ne forment qu'un seul corps. Or, le même Saint-Esprit qui remplit, vivifie, conduit et anime l'âme et le corps de Jésus, remplit aussi, vivifie, conduit et anime tous les membres de l'Eglise. Ecoutez saint Paul : « Parce que vous êtes ses en- fants. Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos cœurs. » [Galat., m, 6.)<( L'Esprit de Dieu habite en vous. » (I Cor., III, 16.) « Vos membres sont le temple du Saint-Esprit. » (ICor., vi, 19.)
De cette vérité si solidement établie découlent naturellement certaines obligations envers Jésus- Christ, envers le prochain et envers nous-mêmes.
1° Les membres ont pour leur chef un amour si grand et si désintéressé, que, si vous êtes sur le
23o
point de recevoir une blessure sur la tête, la main se présente aussitôt, par un mouvement spontané et avant toute réflexion, pour parer les coups, s'il est possible, pour les recevoir elle-même et épar- gner la tête. Qu'est-ce qui rend les membres aussi affectionnés pour leur chef? C'est qu'ils savent par un instinct naturel que leur conservation, leur vie et leur santé dépendent de la tête ou de leur chef. Tels doivent être les rapports des fidèles avec Jé- sus-Christ. Sont-ils les vôtres? Etes-vous plus sen- sibles à sa gloire qu'à votre propre réputation? Hélas! si quelqu'un vous dit une injure, vous en êtes profondément affligés, et vous en demandez quelquefois la réparation en justice. Si l'on vous fait tort, vous n'avez ni paix ni tranquillité jusqu'à ce que vous ayez recouvré les pertes qu'on vous a occasionnées. Mais qu'on insulte Jésus-Christ dans «a religion, dans son culte ou dans ses ministres, vous en êtes moins touchés que de la pluie ou du beau temps. Qu'on ravisse des âmes à Jésus-Christ, et qu'on les entraîne dans l'abîme du péché, votre repos n'en est point troublé, votre sommeil n'est pas moins paisible. Ne serait-ce pas là un signe non équivoque que vous êtes des membres morts, puis- que vous êtes si insensibles ?
Les membres défendent la tête, parce que c'est de la tête que dépendent leur conservation et leur vie. Mais il en est de même de vous. Pouvez-vous être bien avec vous-mêmes si vous n'êtes pas bien avec Jésus-Christ ? N'éprouverez-vous pas au fond du cœur une peine, un malaise, un vide qui fera
— 236 — votre tourment? Si votre épouse ou vos enfants ne sont pas bien avec Jésus, pourront-ils être bien avec vous et les uns avec les autres ? Si votre épouse n'ainoe pas Dieu, comment peut-elle vous aimer ? Si elle vous aime, ne sera-ce pas d'un amour naturel, intéressé et inconstant, sur lequel vous ne devez pas compter? Si elle n'est pas fidèle à Dieu, le sera- t-elle à vous-même? Le serment qu'elle vous a fait sera-t-il plus sacré à ses yeux que celui qu'elle a fait à Jésus-Christ? Si vos domestiques ne servent pas Dieu, vous serviront-ils bien vous-même? S'ils sont traîtres envers Dieu, croyez bien qu'ils le se- ront aussi envers vous.
2° Vous devez, en second lieu, respecter votre prochain et vous montrer pleins de déférence pour lui. Soyez candides, ouverts et sincères les uns en- vers les autres, parlez avec simplicité et sans hy- pocrisie, parce que vous êtes les membres d'un même corps. Ephes.,iv, 25.)Qu'iln'yaitni schisme ni division entre vous, mais que tous s'entr'aident comme les membres d'un même corps. Si l'un est dans la gloire, tous les autres se réjouissent ; si l'un est dans la souffrance, tous les autres souffrent avec lui. I Cor., xii, 25.)
Si une épine est entrée dans votre pied, dit saint Augustin, tous les membres en sont inquiets; le dos se courbe et les yeux s'appliquent pour la chercher. Si quelqu'un vous dit : Elle est là, les oreilles s'ouvrent pour écouter, et la main s'y porte promptement pour l'arracher. Quelle belle image de la charité qui doit régner parmi les chrétiens '
— 237 — Si l'un reçoit quelque avantage, s'il est élevé aux emplois, s'il se rend recommandable par sa con- duite et par toutes ses œuvres, tous les autres doi- vent applaudir. Mais si l'un est dans la peine, dans la misère, dans la pauvreté, tous doivent s'empres- ser de lui tendre la main, de l'assister dans son in- digence, de le soutenir dans sa faiblesse, de le con- soler dans ses peines. Ne faites-vous pas souvent le contraire? Ne vous affligez-vous pas du bonheur de votre frère, et n'êtes-vous pas bien aises de le voir souffrir?
Lorsqu'un membre souffre, les autres veulent bien souffrir pour le soulager ; l'estomac souffrira la faim, le bras permettra qu'on lui ouvre la veine, le pied se fatiguera pour donner de l'exercice au corps; ainsi devons-nous souffrir pour soulager nos frères. Saint Jean va jusqu'à nous dire que nous devons donner notre vie pour nos frères. Quel- que grands et quelque puissants que vous soyez, vous êtes obligés de remplir ce devoir à l'égard du plus pauvre et du plus misérable de vos frères, parce que vous êtes les membres du même corps.
Saint Paul, avant sa conversion, persécutait les chrétiens et se rendait à Damas pour enchaîner ceux qui tomberaient sous sa main. Mais il est ter- rassé, et il entend une voix qui lui crie : Saul, Smil, pourquoi me persécutes-tu? Et Saul dit : « Qui êtes-vous, Seigneur? » Et on lui répond : Je suis Jésus que tu persécutes. Ce divin Sauveur ne dit point à Saul : Pourquoi persécutes-tu mes amis, mes serviteurs ou mes frères? Mais il lui dit : Pour-
— 238 —
quoi me pcrsécutes-tu? Cependant Jésus-Christ était remonté au ciel; comment saint Paul pouvait-il le persécuter? Il le persécutait dans ses membres; car il y a une union si étroite entre les membres et la tète, que, si le plus petit membre soutire, la tête ressent toute la douleur et s'en plaint. Si donc vous persécutez un chrétien, si vous l'injuriez, si vous ie calomniez, vous persécutez, vous injuriez et vous calomniez Jésus-Christ; car un jour il vous dira : « Ce que vous avez fait au plus petit d'entre mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait. » Si au contraire vous honorez ou vous secourez votre frère, c'est Jésus-Christ lui-même que vous hono- rez et que vous secourez.
3*^ Parce que nous sommes les membres de Jé- sus-Christ, nous devons aussi nous traiter nous- mêmes avec un grand respect. « j\e savez-vous pas, dit saint Paul, que vos corps sont les membres de Jésus-Christ? Prendrez-vous les membres de Jésus- Christ pour en faire les membres d'une prostituée? Ne savez-vous pas que vos membres sont le temple du Saint-Esprit? » (I Cor., vu, 15.) Et sur ces pa- roles saint Augustin nous dit : « Saint Paul n'a pu rien dire de plus grave et n'a pu nous détourner plus vivement et plus puissamment du vice impur qn'en disant que nous sommes les membres de Jé- sus-Christ; et si quelqu'un n'a pas horreur de ce vice, il est lui-même en horreur à Dieu... Combien est aimable ce doux Sauveur qui a daigné nous rendre ses frères 1 Et ce n'était pas encore assez pour sa tendresse, il nous a faits ses membres. Une
si haute dignité aurait-elle peu de prix à nos yeux parce qu'elle nous a été accordée avec tant de bien- veillance? Si elle n'avait pas été accordée, on la dé- sirerait; et parce qu'elle a été donnée, on la mé- prise. Mais ce que vous méprisez en vous, n'est-ce pas Jésus-Christ dont vous êtes les membres ? n'est- ce pas le Saint-Esprit dont vous êtes le temple? » 'Serm. 18, de ApostoL, c. i.)Quoi donc ! vous êtes un membre du corps de Jésus-Christ, et vous per- mettez que le diable vous foule aux pieds?
Chrétiens, qui que vous soyez, riches ou pauvres, maîtres ou domestiques, reconnaissez l'excellence de votre dignité, la noblesse à laquelle vous avez été élevés, l'alliance divine à laquelle vous parti- cipez. Souvenez-vous que vous avez l'honneur d'ê- tre les membres du corps de Jésus-Christ, non pas en idée, mais en réalité. Souvenez-vous qu'étant votre chef, vous devez vous conformer à lui ; car on ne saurait lier à une belle tête des membres dif- formes sans former quelque chose de monstrueux. Prenez donc garde de le déshonorer. Jésus a la douceur de l'agneau, la pureté de la lumière, la simplicité delà colombe; il est patient, dévoué, gé- néreux. Et vous, qui êtes-vous? n'êtes-vous pas des chrétiens irascibles, orgueilleux et égoïstes?
Quand vous entrez dans une maison, votre tète passe-t-elle par une porte et vos membres par une autre? Cela n'est pas possible, dites-vous; il faut que la tête et les membres passent par le même chemin et entrent par la même porte. Ignorez-vous donc par quelle porte Jésus-Christ est entré au
— 240 — ciel? ]S'est-ce pas par le chemin de la croix et la porte des souiïrances? Sachez donc que c'est aussi le chemin que vous devez suivre; vous ne serez glorifiés avec votre chef qu'autant que vous aurez souffert avec lui. Acceptez donc les travaux, les peines et les souffrances; acceptez-les de bon cœur et avec joie, votre récompense n'en sera que plus glorieuse dans le ciel. Amen.
TRAITS HISTORIQUES.
Mgr Rey, évêque d'Annecy, célébrait solennellement tou- tes les années, avec quelques pieux amis^ la mémoire du jour de son Baptême, en renouvelant les promesses qu'il avait fai- tes, et en remerciant Dieu des grâces qu'il en avait reçues depuis ce jour fortuné. Le 22 avril 1770, il écrivait à l'un de ses amis : « J'ai eu le bonheur de devenir chrétien deux heu- res après être venu au monde comme homme. Hélas ! à quoi m'eût servi ma première naissance, si par la miséricorde di- vine je n'avais été régénéré de l'eau et du Saint-Esprit? Cette renaissance, je la célèbre solennellement tous les ans, et en re- nouvelant les promesses et les vœux que j'ai faits au Sei- gneur, je lui rends grâces du titre glorieux de chrétien que j'ai obtenu. » Telles sont les pensées salutaires qui doivent aussi nous occuper le jour anniversaire de notre Baptême.
Le dauphin, père de Louis XVI, disait à ses enfants : « La religion ne met aucune distinction entre le riche et le pauvre ; régénérés par le même sacrement^ ils ont droit aux mêmes grâces, et celui-là est le plus grand aux yeux de Dieu qui s'y montre le plus fidèle. » Deux de ses fils avaient été seule- ment ondoyés au moment de leur naissance. Lorsqu'ils eu- rent sept à huit ans, on suppléa les cérémonies du Baptême. Ce prince se fit apporter les registres de la paroisse oii leurs noms étaient inscrits, et leur faisant remarquer que celui qui les précédait était le fils d'un pauvre : « Vous voyez, leur
— 241 —
dit-il, aux yeux de Dieu, les conditions sont les mêmes ; il n'y a de distinction que celle que donnent la foi et la vertu. Vous serez un jour plus grands que cet enfant aux yeux du monde; mais il sera lui-même plus g'and que vous devant Dieu, s'il est plus vertueux. »
La pauvreîé et la richesse ne sauraient établir de dilîérerice entre les enfants de Dit^u, qui possèdent d'immenses trésors spiriluel>, et qui doivent tous partager un jour les biens infi- nis de Dieu.
Un riche et puissant seigneur avait adopté par compas- sion le tils de l'un de ses débiteurs après la mort de son père. Parvenu à l'âge de raison, ce seigneur le fit comparaître devant lui. Lorsque l'enfant entra dans sa chambre, il re- marqua sur une table deux lettres, dont l'une était entourée de bandes noires avec un cachet de la même couleur. L'autre, au contraire, était cachetée avec de la cire brillante comme de l'or, et ses bords étaient garnis de vignettes ornées des plus vives couleurs. Le seigneur présenta d'abord la lettre noire à l'enfant, avcc ordre de l'ouvrir et de la lire. L'enfant lut la lettre et vit les dettes nombreuses que son père avait contractées auprès de son maître, dettes qui n'avaient pas été payées, non plus que les dépenses que ce dernier avait faites pour son entretien. Elîrayé de la lecture qu'il venait de faire, l'orphelin remit la lettre à son maître, attendant avec anxiété de nouvelles explications de sa bouche. « Vous le voyez, lui dit alors ce dernier, ces dettes sont le seul héritage que vous a laissé votre père ; mais, à la demande de mon fils unique, je vous remets toutes vos dettes, ainsi que celles de votre père, et pour gage de la sincérité de mes paroles, je déchire cette lettre de créance. » Et au même moment la lettre fut mise en mille pièces. « Cependant, reprit le maître d'un ton affectueux, bien que vous soyez maintenant entièrement li- béré, vous restez toujours pauvre et sans fortune ; c'est pour- quoi, dans le but de me conformer entièrement aux inten- tions de mon fils, je vous remets cette lettre de grâce, par l.iquelle je vous adopte pour mon enfant et vous constitue avec mon fils héritier de tous mes biens. Maintenant vous
11
— 242 —
voilà non seulement libéré, mais riclie fit ennobli. » Enfin le seigneur lui communiqua encore une portion de son intelli- gence cl lie son amour^U!»e partie de toutes les belles quali- tés de son esprit et de hon cœur. Il en avait reçu «le Dieu le [ouvoir, et comme il était très-savant et très vertueux, le jeune orphelin se vit tout à coup transformé en un homme nouveau; il voyait tout un nouveau monde se révéler h ses yeux, et il se sentait lui-même tout à fait changé; il ne vi- vait plus seulement de sa vie, mais il vivait encore de la vi<> tie son maître ; et le maître ne le coo^dérait pas seulement comme son fils, il le chérissait comme l'un de ses membres, parce qu'il voyait en lui un écoulement de sa vie.
Chacun de nous n*est-il pas ce malheureux orphelin, cet enfant privilégié devenu, d'esclave du démon, véritable en- lant de Dieu ?
Vlir INSTRUCTION.
lie Baptême uoiis fs&it le» temple$^ «îia Sasiît-Esprsf.
NescKùi quia lemplnm Dei estif, el Spiritus Dei habitat in vobis?
Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habile en vous ?
{\ Cou.. IIT, 10.
Ce sont de beaux titres, mes frères, que ceux d'en- fants de Dieu, de frères et de membres de Jésus- Christ; car, encore que Dieu soit tout puissant, il ne saurait nous élever plus haut. Cependant une troisième prérogative découle de ces premières et en rehausse le prix.
Au moment où Jean baptisait Jésus, Dieu le Père fit entendre sa voix et dit : « Celui-ci est mon Fils bieu-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. » En même temps le Saint-Esprit descendit sur Jésus et s'y reposa. Ainsi, au moment même où un enfant est baptisé, le Père éternel l'adopte pour son fils bien-aimé, le Saint-Esprit descend dans son âme, en fait sa demeure et son temple.
David ayant triomphé de ses ennemis et jouissant d'une paix profonde, dit à l'un de ses amis : « J'ha- bite un magnifique palais, tandis que l'arche du Sei- gneur n'a pas de demeure assurée; elle habite sous des pavillons, dans un tabernacle portatif. J'ai formé
— 244 —
le projet de lui bâtir une maison, ou plutôt un tem- ple de la plus grande magnificence. » Le prophète Nathan lui répondit : « C'est Dieu sans doute qui vous a donné cette bonne pensée, et je vous con- seille de la mettre à exécution. » Mais le lende- main le prophète vint lui dire de la part de Dieu : « Je n'ai pas besoin d'une maison matérielle de bois et de pierre, puisque je m'en suis bien passé jusqu'cà présent. Mais votre piété m'est si agréable que, bien que je ne veuille pas que vous me bâtis- siez un temple, parce que vous avez les mains tein- tes du sang que vous avez répandu à la guerre, j'ac- cepte néanmoins votre bonne volonté, et en récom- pense je vous donnerai la victoire sur vos ennemis, une prospérité toujours croissante, une postérité nombreuse, et surtout un fils rempli de sagesse qui accomplira votre dessein ; et de votre race naîtra le Messie, dont le règne subsistera éternellement. »
Quelque temps après, la peste ravageait le peu- ple d'Israël, et David voyait en l'air, sur une grande place, un ange, ministre de la justice de Dieu, armé d'une épée vengeresse qui répandait celte maladie contagieuse. Ayant appris que rien n'est plus pro- pre à apaiser la colère de Dieu que de s'humilier sous sa main puissante et de reconnaître son sou- verain domaine sur toutes les créatures, il dressa un autel en ce même lieu pour y ofl'rir un sacrifice ; et ne pouvant plus se procurer la gloire de lui bâ- tir un temple, il résolut au moins d'acquérir un lieu pour une si louable entreprise. Pour mieux aiïermir sa résolution, il en fit vœu et s'y obligea avec ser-
— 243 — ment, comme il nous l'apprend au psaume Mémento. « J'ai fait vœu, dit-il, de ne point rentrer à ma mai- son jusqu'à ce que j'eusse trouvé un lieu propre à bâtir un temple ; je ne m'étendrai point dans mon lit, je ne dormirai point, je ne prendrai aucun re- pos que je n'aie trouvé une place pour bâtir la mai- son de Dieu. » Le Seigneur lui fit connaiti e aussitôt que c'était dans le lieu même où il se trouvait, et David en fit l'acquisition, et pendant tout son rè- gne il amassa d'immenses trésors et prépara les ma- tériaux. Des auteurs prétendent que Salomon dé- pensa pour la construction du temple une somme équivalente à douze milliards de notre monnaie; c'est-à-dire que, si l'on avait dépensé un million par jour, il aurait fallu à peu près trente-deux ans pour le bâtir. 0 grand roi, que vous connaissiez bien la grandeur infinie de la majesté de Dieu ! Vous sa- viez que, quand toutes les richesses du monde se- raient anéanties pour son honneur, ce ne serait rien en comparaison de ce qu'il mérite. Si le Roi des rois, le Créateur des mondes daigne visiter sa créa- ture, quelle maison assez digne peut-on lui prépa- rer? une maison de cèdre, de marbre, de jaspe ou de porphyre? Mais quand toute la terre serait chan- gée en or le plus pur, quand les meilleurs ouvriers en feraient le plus magnifique de tous les palais, cet ouvrage si parfait ne serait pas encore digne d'être l'escabeau de ses pieds.
Admirez donc, mes frères, la bonté de Dieu, qui se fait de l'âme du chrétien, par le sacrement de Bap- tême, un temple digne de lui. Ecoutez saint Paul :
— 246 —
« Ne savez-YOus pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu demeure en vous? » (I Cor., m, 16.) Il ne cesse de répéter la même chose dans ses Epitres, afin de faire entrer profondément dans l'esprit des chrétiens cette importante vérité. Il vou- lait les convaincre que par le Baptême ils étaient consacrés à Dieu d'une manière spéciale, et qu'ainsi ils devaient se respecter eux-mêmes comme le tem- ple de Dieu. Il n'est pas rare d'entendre dire aux martyrs qu'ils portent Dieu en eux-mêmes. Le pré- fet Pasquasius disait à sainte Lucie : « J'ai compris, il n'y a rien à espérer de toi tant qu'il n'est ques- tion que de menaces ; mais tes grands mots finiront bientôt, lorsqu'on en viendra aux grands coups. » Lucie lui répondit : « Tu te trompes : les belles et courageuses paroles ne manqueront jamais aux vrais serviteurs de Dieu. Le Seigneur Jésus-Christ a dit ceci : Lorsque vous serez appelés à rendre compte de votre foi en présence des présidents et des rois, ne vous inquiétez pas de ce que vous avez à dire et de la manière de le dire ; car ce n'est pas vous qui pariez alors, mais c'est le Saint-Esprit qui est en vous, qui parle pour vous et par vous. — Tu as donc le Saint-Esprit en toi? reprit Pasquasius. — Oui, certainement, répond la courageuse vierge; car ceux dont la vie est pieuse et pure sont des tem- ples vivants du Saint-Esprit. » L'empereur Marc-Au- rèle, dans la lettre qu'il écrivit au sénat romain, dit que lui et son armée se trouvant sur le point de pé- rir de soif par le manque d'eau, les soldais obtin- rent de la pluie après s'êlre prosternés à terre ol
— 247 — avoir invoqué leur Dieu qu'ils portent dans leur conscience, quem in co \scientia gestant.
Quand vous venez à l'église, dit saint Augustin, c'est un temple qui entre dans un autre temple. Et saint Bernard nous montre que, dans l'administra- tion du Baptême, l'Eglise observe à peu près les mêmes cérémonies que dans la consécration d^ine église; elle emploie les cierges allumés, l'eau bé- nite, les signes de croix et les onctions, parce que baptiser un enfant c'est consacrer au Saint-Esprit une église beaucoup plus sainte, plus auguste, plus digne, plus agréable à Dieu que les temples maté- riels fabriqués de bois et de pierre, parce qu'> ces derniers ne sont sanctifiés que pour l'amour des chrétiens qui doivent y prier pendant leur vie et y être enterrés après leur mort. Les colonnes et les murs sont sanctifiés par la bénédiction de l'évêque, par la lecture et la prédication de la parole de Dieu, par les prières des âmes innocentes et pures, par les précieuses reliques des saints et la visite des anges qui les fréquentent incessamment. Mais ce n'est pas pour eux que nous sanctifions ces tem- ples matériels, et ce n'est pas pour eux que nous les honorons ; c'est à nous-mêmes que se rappor- tent la bénédiction de l'évêque, la parole de Dieu, les prières des fidèles, l'intercession des saints et la visite des anges. Ces temples sont donc saints à cause de nos corps, nos corps sont saints à cause de nos âmes, et nos âmes sont saintes parce que le Saint-Esprit demeure en nous pour nous sanctifier. iSerm. I et i, de Dedicat.)
— 248 —
Pourquoi, aux offices solennels, encensc-t-on les fidèles et les autels où reposent les reliques des saints? L'encens n'est-il pas Texpression du culte d'adoration que nous rendons à Dieu? Cependant nous n'adorons ni les reliques des saints, ni les corps des lidèles ; notre adoration a pour objet le Saint-Esprit lui-même dont ils sont les temples et les sanctuaires. Dans l'ancienne loi, Dieu avait or- donné de brûler de l'encens devant l'arcbe d'al- liance. Etait-ce pour l'arche elle-même, pour ce temple matériel? Non, certes ; mais Dieu voulait qn'on y adorât sa majesté divine. Or, Dieu ne ré- sidait dans l'arche qu'en ombre et en figure pour rendre ses oracles et pour exaucer les prières de son peuple, tandis qu'il habite substantiellement dans le cœur des fidèles ; il y est pour les sancti- fier et les animer de sa propre vie.
Si nous étions vivement pénétrés de ces vérités si sublimes et si consolantes, nous nous garderions bien d'offenser nos frères par nos paroles et par nos actions ; nous leur rendrions, au contraire, toutes sortes d'honneur et de respect comme à des choses saintes. Vous êtes scandalisés à bon droit quand un chrétien profère des paroles de mépris contre une église ou quelque autre objet sanctifié; pourquoi ne l'êtes-vous pas lorsque des chrétiens prononcent des malédictions ou des injures contre leurs femmes, leurs enfants ou leurs ouvriers? Ne sont-ils pas des temples plus augustes et plus saints que nos églises? Quiconque méprise son frère, qui est le temple de Dieu, méprise Dieu, qui y fait sa
- n^ —
demeure. Mais il est vicieux, dites-vous. Qu'im- porte? Il a été consacré à Dieu par le Baptême. Lorsqu'une église est renversée, on en respecte encore les ruines. Encore qu'un chrétien ait ruiné le temple de Dieu dans son cœur, le corps qui en était la place est toujours digne de respect. Si nous avions une foi plus vive, au lieu de saluer nos amis ou les étrangers par politesse seulement, nous le ferions pour les honorer comme les temples de Dieu, pour adorer en eux le Saint-Esprit qui y ré- side.
Lorsque Dieu fit construire le tabernacle dans le désert, il voulut que tout le peuple y contribuât selon ses facultés, et il donna le Saint-Esprit aux ouvriers qui devaient le construire. Mais ce taber- nacle n'est que la figure du temple. vivant que vous portez tous en vous-mêmes, et Dieu veut que vous travailliez à la construction et à l'ornementation de ce temple par vos paroles et par vos exemples. Mais pour y travailler utilement, vous avez encore plus besoin du Saint-Esprit que les ouvriers du ta- bernacle. Adressez-vous donc souvent à Dieu, et conjurez-le de vous l'envoyer pour vous apprendre à bien conduire votre famille, à élever saintement vos enfants et vos domestiques. C'est une affaire très-grave et très-importante. Elever saintement vos enfants! mais c'est réprimer en votre fils l'or- gueil, l'ambition, l'intempérance, la colère, la pa- resse ; c'est lui inspirer la modestie, la douceur, la sobriété, l'amour du travail; c'est corriger votre fille de son amour pour la vanité et les plaisirs du
il.
— 2o0 —
inonde, et imprimer dans son cœur la simplicité, riiumilité, la mortilication et la patience. Or, c'est là une œuvre surnaturelle, et eussiez-vous autant d'esprit que les anges et autant de science que ceux qui en ont le plus, vous ne ferez rien, absolu- ment rien, si Dieu ne vous vient en aide.
Quand vous apprenez qu'un homme riche a con- sacré une partie dki sa fortune à bâtir ou à orner une église, vous en êtes édifiés, et vous en rendez grâ- ces à Dieu. Mais Dieu n'agrée l'or et l'argent qu'on lai offre qu'à cause de l'amour, qui est le princi})e de la générosité. S'il prend plaisir qu'on lui élève des temples riches et magniâquement ornés, c'est afin que les fidèles y viennent plus volontiers, et que par cette magnificence ils conçoivent une plus haute idée du Dieu qu'on y adore ; c'est afin qu'ils le prient avec plus de respect, plus d'attention et de piété : autrement les temples les plus superbes, les plus riches ornements, les parfums les plus exquis, les cérémonies les plus augustes ne sont rien devant Dieu. Mais si vous édifiez votre prochain, si vous le retirez du vice et l'affermissez dans la vertu, vous faites une œuvre infiniment plus agréable à Dieu que si vous construisiez les plus belles églises qu'on eût jamais vues. N'est-ce pas pour tous un honneur et une gloire incomparables? Le pauvre aussi bien que le riche peut se montrer grand et généreux; car il peut travailler comme le riche à l'édification de son prochain par ses paroles cl par les exemples d'une sainte vie.
Ces temples matériels , quelque sojides qu'ils
soient, ne durent pas toujours : le temps, ce grand destructeur des œuvres humaines, finit par renver- ser ou détruire les plus fermes basiliques. Ce tem- ple que vous édifiez dans l'âme de votre prochain, et les ornements dont vous l'embellissez, c'est-à- dire les vertus chrétiennes, sont, par leur nature, destinés à demeurer toujours : ainsi le beau temple que sainte Monique a bâti par ses instructions et ses bons exemples dans le cœur de saint Augustin son fils, et les vertus dont elle l'a orné, servent en- core à la gloire de Dieu et au salut des fidèles, et y serviront jusqu'à la fin du monde.
Puisque votre corps est la maison de Dieu, ce doit être aussi une maison de prière. Comment donc passez-vous des journées entières sans songer à adorer Dieu au-dedans de vous-mêmes, à lui de- mander pardon de vos ingratitudes, à le remercier de ses bienfaits, à solliciter ses grâces? Pourquoi, dans vos doutes, dans vos anxiétés, ne le consultez- vous pas, lui, le conseiller le plus éclairé, le plus généreux et le plus dévoué à vos intérêts? Pour- quoi ne lui demandez-vous pas la force dont vous avez besoin, lorsqu'il s'agit d'accomplir quelques devoirs difficiles, ou de combattre des passions, ou de déraciner les habitudes invétérées? Pourquoi n'i- mitez-vous pas les fervents chrétiens qui, cent fois par jour, s'entretiennent avec Dieu et implorent son secours? ]\'ètes-vous pas mille fois heureux d'avoir si près de vous le bien-aimé de votre cœur, l'Esprit saint qui fait le bonheur du Père et du Fils, qui est le cenlic de leurs affections, l'amour personnel de
Tun et de l'autre? Que diricz-vousd'un seigneur qui aurait dans son palais un oratoire consacré par la pré- sence de Dieu, sans jamais y aller réciter sa prière?
L'église est un lieu saint destiné à offrir à Dieu des sacrifices : immolez-lui donc dans le temple de Totre cœur vos âmes et vos corps et tout ce qui vous appartient. II y a dans votre cœur comme au temple de Jérusalem deux autels, l'un intérieur, où vous devez ofirir f'encens de la prière et le parfum des vertus, et l'autre extérieur, où vous immolerez la victime sanglante, vous sacrifierez vos sens par la mortification. Sacrifiez un bon mot blessant pour la charité; sacrifiez votre mau\aise humeur, votre volonté propre, votre penchant pour la sensualité, et tout désir de vengeance.
C'est un sacrifice très-agréable à Dieu, dit saint Augustin, et un parfum de la plus suave odeur, non seulement quand nous nous élevons vers lui par les soupirs de notre cœur, par de vives aspirations d'a- mour, mais aussi lorsque nous mortifions les pen- sées et les alTeclions qui ne sont pas de lui ni pour lui. Dans l'ancienne loi, on n'offrait pas seulement à Dieu en sacrifice des taureaux, des béliers et des génisses, mais aussi des tourterelles, des colombes et des passereaux qui coûtaient fort peu. Faire à Dieu le sacrifice de sa vanité et de son amour-pro- pre, de sa curiosité et du désir de parler sans cesse ; renoncer à ces mille fantaisies qui reviennent si souvent, ce n'est pas, croyez-le bien, pratiquer de petites vertus; elles coûtent souvent plus que d'au- tres qui sont plus éclatantes.
— 253 —
On va aussi à l'église pour y prêcher ou enten- dre la parole de Dieu; mais c'est en vain que les prédicateurs l'expliquent, si le Saint-Esprit n'ou- vre les oreilles du cœur. Qui annonça jamais mieux cette divine parole que le Sauveur Jésus? Et cepen- dant ses apôtres ne le comprenaient pas toujours. Lui-même leur dit après sa résurrection : « J'ai en- core beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les entendre. L'Esprit consolateur que je vous enverrai vous les apprendra. »
Vous l'avez reçu, mes frères, ce céleste Docteur, et il est au milieu de vous; d'où vient donc que vous comprenez si peu le sens des vérités chré- tiennes? N'est-ce point parce que vous ne l'écoutez pas, ou parce qu'il se fait trop de bruit dans votre temple, bruit qui vous empêche d'entendre le pré- dicateur? Si dans ce moment l'on faisait un bruit tel que mes auditeurs ne pussent m'entendre, je descendrais de chaire et je me retirerais. Prenez donc garde que l'Esprit ne vous abandonne et ne se relire.
Deux fois notre aimable Sauveur s'est mis en co- lère pour chasser les vendeurs du temple, parce qu'ils profanaient la maison de Dieu et troublaient la prière des fidèles. Faites donc taire ces vains bruits du monde qui troublent la tranquillité de votre âme; chassez les vendeurs du temple, ces dé- sirs mondains qui échangeraient les biens du ciel pour les biens de la terre, afin que vous puissiez entendre la voix du Saint-Esprit. Si vous ne prêtez l'oreille à ce qu'il vous dit, il descendra de sa chaire^
— 254 —
(luillera le temple et n'y fera plus retentir la divine parole.
Souvent, quand un prédicateur explique une vé- rité chrétienne, ses paroles les plus simples tou- chent et remuent les cœurs; des larmes de repen- tir coulent en abondance. Cependant, parmi les auditeurs, il en est qui sont insensibles, qui criti- quent le prédicateur et relèvent tous ses défauts. D'où vient cette ditlérence? C'est que les uns, tout en entendant la parole qui frappe leurs oreilles, con- jurent l'Esprit saint de leur en donner l'intelligence, de toucher leur cœur et de le porter au bien ; les autres, au contraire, s'étourdissent pour ne pas en- tendre cette vois intérieure, ils se jettent dans le bruit et le tumulte, et, loin de se convertir, ils s'en- foncent de plus en plus dans les ténèbres de l'er- reur et la corruption du vice.
Il faut respecter le temple de Dieu et n'y com- mettre aucune irrévérence ou profanation. Qui ne serait indigné, s'il apprenait qu'on a profané l'é- glise en y commettant des actions honteuses? Et vous n'êtes pas indigné contre vous-même, quand vous profanez le temple de votre corps I Et vous ne tremblez pas à cette menace du Tout-Puissant : Si (juelqu'un viole le temple de iicu. Dieu le perdra! Vous n'oseriez commettre de semblables crimes dans une maison respectable, et vous vous les permet- tez dans la maison de Dieu qui est en vous! Songez donc qu'elle a été sanctiliée par le saint Baptême et (ju'elle est devenue le temple du Saint-Esprit.
Oue diriez-vou-s à votre domestique, si, malgré
— 235 —
votre défense formelle, il jetait des saletés dans vos appartements et sur le seuil de vos portes? Le châ- timent ne se ferait pas attendre, et, s'il ne s<^ corri- geait, vous le chasseriez honteusement. Et vous ne craignez pas de salir la maison de Dieu qui est en vous, de prononcer des paroles déshonnètes, et de souiller ainsi vos lèvres, qui sont comme le seuil du temple du Saint-Esprit! Saint Cyprien disait à un chrétien qui était tombé dans un péché moriel après son Baptême : « Pensez-vous que Dieu s'apaise aisément, après que vous avez violé son temple par un sacrilège aussi détestable? » lib. De Lapsis.)
Pleurez donc, mes frères, priez et gémissez; de- mandez à Dieu grâce et miséricorde; conjurez-le de vous envoyer de nouveau l'Esprit de lumière et de force pour vous relever de vos chutes et vous afTer- mir dans le bien; dites-lui avec le prophète : Mon Dieu, créez en moi un cœur pur, et renouvelez dans mes entrailles l'Esprit de droiture et d'équité. Ame7i.
VICTOUIN.
Victorin, orateur Irôs-célèbre, avait été professeur do rhé- torique à Rome. Il avait passé sa vie dans l'étude des arts li- béraux et s'y était reudu très-habile ; il avait lu, examiné el éclairci presque tout ce que les anciens philosophes ont écrii : il avait été le maître de presque tout ce qu'il y avait de plus considérable parmi les sénateurs romains; enfin il avait exercé sa profession avec tant de succès et d'éclat^ qu'il avait mérité et obtenu une statue qui lui fut dressée dans la place publique de Rome, ce qui passait pour un des plus grands honneurs où un homme put parvenir. Il était cependant en-
— 256 —
core païen et adorateur des idoles; et non seulement il les avait adorées lui-même, mais il avait encore employé son éloquence à engager les autres à les adorer.
Quelle grâce ne fallait-il pas pour touclior et convertir ce cœur ! Voici le moyen dont Dieu se servit. Victorin lisait les saintes Ecritures, et ce fut après s'être appliqué avec soin à cette lecture et à celle des autres livres de la religion chré- tienne, qu'il dit en particulier à saint Simplicien : « Je vous apprends une houvelle qui vous intéressera, c'est que je suis chrétien. — Je n'en crois rien, lui répondit saint Simplicien, et je ne vous croirai chrétien que lorsque je vous verrai dans l'église où se tiennent les assemblées des fidèles. — Eh quoi î dit Victorin, est-ce par une enceinte de murailles qu'on est chrétien? » Toutes les fuis qu'il protestait qu'il était chré- tien, SimpUcien lui disait la même chose, et Victorin s'en tirait toujours par le même trait de raillerie.
Ce qui le retenait, c'est qu'il craignait d'irriter ses amis idolâtres, dont la haine l'écraserait si elle venait à tomber sur lui; mais enfin le courage et la générosité lui étant venus à force de lire et d'ouvrir son cœur à ce qu'il lisait, il comprit que ce serait un crime énorme de rougir des mystères de Jé- sus-Christ, et de ne pas rougir des superstitions païennes et sacrilèges. Un jour donc qu'il se sentit plus déterminé, il vint tout à coup dire à Simplicien, dans le temps que ce saint homme y pensait le moins : « Allons à l'église; je suis résolu, non seulement d'être, mais de paraître chrétien. » Simpli- cien, transporté de joie, l'y mena sur-le-champ et le fit ins- crire sur le catalogue de ceux qui demandaient le Baptême. Toute la ville de Rume fut dans l'étonnement et l'admiration ; la joie s'en répandit bienlôt dans toute l'Eglise, à raison de la célébrité et île la réputation de ce grand homme.
Enfin arriva l'heureux jour destiné à la profession de foi qu'on faisait avant le Baptême. La coutume de l'Eglise de Rome était de la faire en des termes qu'on apprenait par cœur, et qu'on prononçait à haute voix en présence de tous les fidèles. Les prêtres, par déférence, offrirent à Victorin de la lui faire prononcer en particulier, ce qu'on n'accordait
2^0/
d'ordinaire qu'aux personnes timides ; mais Victorin voulut professer hautement, en présence de tout le peuple, la doc- trine céleste qui devait le conduire au salut. Dès qu'il pa- rut à la tribune oij il était monté, un soudain transport de joie fit retentir son nom dans la bouche de tout le monde ; et, quoique chacun modérât sa joie par respect pour la sainteté de l'action et du lieu, un léger murmure faisait entendre de toutes parts ces paroles : C'est Victorin ! c'est Victorin I Tout le monde se tut bientôt pour l'entendre, et lui, plein d'une sainte hardiesse, prononça à voix haute et distincte les vérités qui sont l'objet de notre foi. 11 n'y eut personne dans l'as^^em- bléequi n'eût souhaité l'enlever et le mettre dans son cœur ; chacun l'y mettait en effet par la joie qu'on avait de le voir chrétien. Cette conversion éclatante eut de grandes suites ; et quand saint Augustin l'eut entendu raconter à Simplicien, il avoua qu'il s'était senti un grand désir de suivre l'exem- ple de Victorin, ce qu'il exécuta plus tard entre les mains de saint Ambroise, à qui saint Simplicien avait servi de père à son Baptême. {Confess. de saint Augustin.)
IX" INSTRUCTION.
De la flflélitë hujl eusaKeitients du Baiitéiiie.
Vos autem genus electum, ngalc sdcerdolium. gens sancta, populus ac- quisitionis: ul virlules annuiUielh ejus qui de lenebris vos vocavit in admira- bile Inmen suum.
Quant à vous, vous êtes la race choisie, l'ordre des prétres-rois, la na- tion sainte, le peuple conquis, aOn que vous publiiez it-s grandeurs de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière.
(I Pet., Il, 9.)
Le Baptême nous élève si haut devant Dieu et nous comble de si grands bienfaits, que la recon- naissance seule devrait nous attacher tellement au service du Seigneur, quHl nous fût comme impos- sible de l'abandonner jamais; de même qu'il a été impossible à Jésus-Christ de mourir une seconde fois, après qu'il est sorti victorieux du tombeau. Examinons donc sérieusement les motifs qui nous engagent à demeurer fidèles à Dieu, et à nous mon- trer toujours dignes de la noblesse toute divine dont le Baptême nous a conféré le titre.
Pour que le Baptême soit valide, il faut le confé- rer avec l'invocation expresse et distincte des trois personnes divines; il faut dire : Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Pour- (juoi cela? l*arce que lo {principal eiïet du Baptême
— 259 —
est de nous rendre participants de la nature divine, de nous mettre en relation directe et immédiate avec les trois personnes de la sainte Trinité, expri- mées nommément par ces paroles : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Ecoutez attentivement l'admirable doctrine de saint Ambroise : « On ne doit pas mépriser la na- ture humaine de la chair, laquelle a mérité d'entrer par notre Seigneur Jésus-Christ en la substance et en le commerce de la sainte Trinité. » In Sijmbol. apostoL, c. Li.) C'est-à-dire que depuis l'incar- nation la nature humaine a été tellement ennoblie, qu'elle est entrée dans l'ordre de la sainte Trinité. Nous pouvons dire en toute vérité qu'un homme notre frère est assis sur le trône de Dieu, qu'un homme notre frère est l'une des trois personnes divines. Par son union avec la nature divine dans la personne du Verbe, la nature humaine est asso- ciée aux grandeurs et aux perfections de la sainte Trinité. li est donc vrai de dire qu'un homme no- tre frère est le Verbe divin, le Fils de Dieu par nature, le principe et l'origine du Saint-Esprit.
Or, mes frères, par le Baptême nous sommes in- corporés à la sainte humanité de Jésus-Christ, qui nous met dans les rapports les plus intimes avec les trois personnes divines et nous fait contracter une espèce de parenté divine. Le Père nous adopte pour ses enfants, le Fils nous reçoit pour ses frè- res et pour ses membres, et le Saint-Esprit s'établit en nous comme en des sanctuaires vivants.
Qu'est-ce que la noblesse, sinon une extension
— 260 -- de la royauté? Et plas une famille se rapproche de la royauté, plus sont intimes les liens qui l'unis- sent aux membres de la famille royale, plus elle est noble, plus elle est élevée. Qu'est-ce donc que la grâce sanctifiante que nous recevons par le Bap- tême, sinon une extension et une communication de la divinité? Et ce sacrement nous rapproche tellement des trois personnes divines, que nous nous trouvons au premier degré de parenté avec elles. >'ous sommes les enfants adoptifs du Père, les frères du Fils, et les temples du Sainl-Esprit, qui devient comme l'époux de nos âmes. Quelqu'un peut-il avoir des rapports plus étroits, des lions plus serrés avec une famille royale , que d'être fils du roi, frère du roi ou épouse du roi?
Mais comment l'homme, cet être fini et borné, peut-il devenir participant de la nature divine, être associé aux grandeurs et aux perfections de la sainte Trinité? Mais si je laisse tomber une goutte d'eau dans l'océan, elle participe aussitôt à toutes les qualités de l'océan, à son immensité et à sa pro- fondeur. Ainsi l'homme n'est qu'un grain de sable ; mais aussitôt qu'il tombe dans l'océan delà nature divine, il participe à l'intelligence, à la toute-puis- .sance, à la bonté infinie, à l'éternité même de Dieu. Oh ! si nous comprenions le prix de la grâce du Baptême, nous sentirions que la perdre est l'ingra- titude la plus monstrueuse qu'on puisse imaginer. Ecoutez saint Paul : « Celui qui violait ancienne- ment la loi de Moïse, nous dit-il, était condamné sans miséricorde à la peine de mort, sur la dépo-
— 261 — sition de deux ou trois témoins ; à combien plus forte raison celui-là mérite de plus grands châti- ments qui aura fouie aux pieds le Fils de Dieu, violé l'ancienne alliance cimentée par le sang du Sauveur, et fait injure au Saint-Esprit. » (Heb., x, 28.) Il brise les rapports si intimes qui l'unissent aux trois personnes divines.
Et d'abord il brise ses rapports avec Dieu le Père, avec lequel il a contracté une alliance solen- nelle. Or, d'après le consentemeut universel de toutes les nations, qu"y a-t-il de plus sacré et de plus inviolable que la foi publique des traités d'al- liance et des contrats affermis par le serment des parties contractantes? Toute alliance est l'établis- sement et la conservation de la paix, et si ce n'é- tait pas une chose sacrée, les guerres seraient éternelles, les procès sans fin, les ennemis irré- conciliables.
Ce qui rend les alliances plus respectables en- core et plus sincères, c'est qu'elles sont ordinai- rement cimentées par le serment, par l'invocation du saint nom de Dieu. Pour les rendre plus invio- lables, les anciens offraient un sacrifice à la Divi- nité, et on arrosait du sang de la victime les deux parties contractantes. La victime étant elle-même séparée en deux parts, ceux qui faisaient alliance passaient au milieu, pour marquer qu'ils invo- quaient la vengeance du ciel sur les parjures, et qu'ils consentaient que leur sang fût répandu et leur corps divisé comme celui de celte victime, s'ils rompaient sans raison leur alliance. De là ces ma-
— 262 —
iiièics de parler chez les anciens : ferire oupercu- terefœdus, frapper alliance, c'est-à-dire faire al- liance en frappant ou en tuant la victime.
Que de fois Dieu n'a-t-il pas puni très-sévère- ment, même dès cette vie, ceux qui violent la foi jurée! Saiil rompt Talliance que Josué avait formée avec les Gabaoniles il y avait plus de quatre siè- cles ; Dieu envoie à son peuple une horrible fa- mine, qui dure trois ans, et qui ne cesse que lors- que les Gabaonites sont satisfaits, qu'on leur a livré les sept enfants de Saûl pour les faire mourir sur d'infâmes gibets. Le roi Sédécias viole l'alliance qu'il a faite avec Nabuchodonosor ; Dieu s'irrite et lui fait dire par son prophète : « Celui qui s'est conduit de cette sorte réussira-t-il dans ses des- seins, et y trouvera-t-il sa sûreté? Après avoir violé les conditions qu'il avait jurées, échappera- t-il à son sort? Je jure par moi-même, dit le Sei- gneur Dieu, qu'il sera emmené au pays même de ce prince, qu'il mourra au milieu de Babylone, et tous les déserteurs qui l'ont suivi tomberont par l'épée, et vous saurez que c'est moi qui suis le Sei- gneur qui ai parlé. » (Ezcch., xvii.)
Les Carthaginois ayant fait prisonniers des sol- dats romains , Annibal en envoya dix à Rome pour proposer un échange entre eux et les Cartha- ginois prisonniers à Rome; mais il leur fit jurer de retourner à Carthage, si le sénat n'acceptait pas ses propositions. Deux de ces députés, après être sortis de Rome, y rentrèrent aussitôt, sous prétexte qu'ils avaient oublié quelques objets né-
~ 263 — oessaires à leur voyage, et avec l'inlenlion de s'ac- quitter ainsi de leur serment. Le sénat n'ayant pas accepté l'échange, les huit autres députés re- tournèrent à Carthage, et les deux faussaires de- meurèrent à Rome ; mais ils furent sans cesse poursuivis par la haine et le mépris de leurs con- citoyens, au point que, se faisant horreur à eux- mêmes, ils mirent fin à leurs jours.
Or, en recevant le sacrement de Baptême, nous avons contracté avec Dieu une alliance inviolable et perpétuelle, par laquelle Dieu nous a promis de nous traiter comme ses enfants, de nous faire as- seoir à sa table, de nous faire vivre de sa vie ; et, de notre côté, nous avons promis de l'honorer, de lui obéir, de le servir comme notre Père. Cette al- liance a été confirmée par le sang précieux de Jé- sus-Christ, qui s'appelle le sang du testament ou de l'alliance. Le Baptême a été pour nous le sceau de Dieu, et en l'acceptant nous lui avons juré obéis- sance.
Mais si des païens n'ont pu supporter la honte et le mépris qu'ils se sont attirés en violant leur serment, pourrions-nous être assez audacieux pour rompre cette alliance solennelle que nous avons formée avec le Roi des rois, le Créateur et le Maî- tre du monde? Pourrions-nous nous rendre coupa- bles d'une aussi noire et aussi ingrate perfidie? Cela serait-il possible?
Hélas! mes frères, baissons la tête et humilions- nous. Méditons sérieusement sur la gravité de l'in- jure que nous avons faite à Dieu et sur la perle im-
— 264 — niense que nous a causée le péché mortel. Alors, louches de repentir et couverts de honte, nous irons nous jeter aux pieds de notre divin Sauveur et le conjurer de nous rendre la vie de la grâce que nous avons perdue. Nous sommes tellement enne- mis de nous-mêmes, que nous ne prenons pas le temps de réfléchir sur la malheureuse situation de notre âme. Si un roi faisait chaque année alliance avec un de ses voisins, et que chaque année il rompit celte alliance sans aucun motif, ne serait-il pas l'opprobre des rois, le déshonneur et la honte du genre humain? Et nous, mes frères, nous fai- sons si souventallianceavecDieu, et nous la violons, et nous la violons sans cesse sans aucun motif, et nous n'en mourrons pas de honte et de regret ! . . .
Notre propre intérêt ne devrait-il pas être un motif assez puissant pour nous faire garder la pa- role que nous avons donnée à Dieu? Car enfin que désirons-nous? que voulons-nous? que cherchons- nous? Nous désirons la gloire, nous voulons les richesses, nous recherchons les plaisirs. Mais quelle gloire plus grande que celle du Fils de Dieu? Si nous ne la connaissons encore que par la foi, la parole divine ne nous suffit-elle pas? Ne savons- nous pas qu'en entrant dans l'autre vie elle se déploiera dans toute sa magnificence, si notre âme est ornée de la grâce? Mais il faut la mériter, celte gloire, il faut l'acheter par les mépris et les humi- liations. Devons-nous nous en plaindre? Ne con- sentons-nous pas volontiers à nous abaisser pour obtenir les grandeurs de ce monde?
— 265 —
Nous voulons la fortune ; mais par Je Baptême nous sommes les enfants et les héritiers de Dieu, nous sommes par la grâce ce que son Fils unique est par nature, et nous sommes ses cohéritiers. Y a-t-il plus belle fortune que celle de Dieu? Que sont toutes les richesses de l'univers à côté des ri- chesses de Dieu? Mais il faut les mériter en prati- quant la pauvreté. Trouvez-vous la condition trop dure? Mais que ne faites-vous pas pour acquérir la fortune dans le monde? N'accepteriez-vous pas avec empressement de vivre pauvres pendant dix ou quinze ans pour obtenir une fortune de quelques millions? Et que sont les richesses de la terre? Peuvent-elles rendre l'âme heureuse?
Nous poursuivons le bonheur, nous le deman- dons à tout ce qui nous environne. Demandez au jeune homme qui prend le parti des armes pour- quoi il va s'exposer à tous les dangers des batailles ; au négociant, pourquoi ses courses, ses voyages, ses veilles, ses fatigues; au magistrat, pourquoi tant d'études, de méditations sur les lois. Tous vous répondront qu'ils veulent être heureux, et qu'ils prennent la route qui doit les conduire au bonheur. Mais qu'est-ce que le bonheur sur la terre? Y a-t-il quelque chose qui puisse remplir tous les désirs du cœur de l'homme? Qu'est-ce que le bon- heur qui dure si peu?
Mais il n'en est pas ainsi du bonheur dont Dieu nous assure la possession : il est éternel et infini, il est assez grand pour contenter le cœur infini de Dieu; que voulez-vous de plus? Mais il faut méri-
42
— !^66 — ter ce bonheur par une vie de peines, de travaux, de sacrifices et de souffrances. Et que ne souffrons- nous pas Irès-volontiers pour nous procurer quel- ques plaisirs, ou ce que nous appelons quelques moments de bonheur?
Saint Pierre nous dit que nous sommes une na- tion choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple conquis. Et, en effet, nous sommes tout à la fois rois et prêtres ; mais voyez combien notre royauté l'emporte sur toutes les royautés terrestres ! Les rois possèdent de grandes richesses, portent des habits magnifiques, ont les grands princes pour courtisans, commandent de grandes armées, et se couvrent de gloire dans les combats.
Mais que sont les richesses des rois à côté des richesses du chrétien? Ce n'est pas un grain de sable comparé à des mondes d'or et d'argent. Les trésors du chrétien sont infinis et impérissables ; ce sont les trésors de Dieu.
Les rois sont vêtus avec magnificence; mais le chrétien a Jésus-Christ lui-même pour vêtement, selon cette parole de saint Paul aux chrétiens : « Revêtez -vous de Jésus-Christ. » Mais Jésus-Christ est lui-même la splendeur, ou, si je puis parler de )a sorte, le vêtement de Dieu.
Les rois ont des princes pour courtisans; et le chrétien a pour courtisans les princes de la cour céleste, les anges devenus ses serviteurs et ses sen- tinelles vigilantes, chargées de monter la garde nuit et jour auprès de son auguste personne. Le Fils de Dieu lui-même ne semble-t-il pas lui faire sa cour?
— 267 —
Il est descendu du ciel, il s'est fait homme, et il de- meure à côté de nous, pour obtenir de nous une parole d'affection et d'amour; et, ingrats que nous sommes, nous la lui refusons.
Les rois commandent des armées et se couvrent de gloire par leurs exploits guerriers. Mais le plus grand des orateurs païens, Cicéron, prouve que l'homme est plus grand par les victoires qu'il rem- porte sur ses passions que par celles qu'il gagne sur le champ de bataille, parce que, dans ce dernier cas, il est plutôt redevable de la victoire au nombre et à la valeur de ses troupes qu'à son habileté et à son courage. Le chrétien ne doit la victoire, après la grâce que Dieu lui accorde, qu'à sa fidélité à y coopérer et à l'énergie de sa volonté.
Les rois ont une table somptueusement servie; mais que sont les mets les plus délicats à côté de la nourriture divine que Dieu a préparée au chré- tien?
IN^ous sommes rois et nous sommes prêtres. Ce caractère que nous avons reçu au Baptême est comme une émanation de la divinité de Jésus- Christ, une effusion et un écoulement de la per- sonne même du Verbe divin, une communication de la prêtrise royale de l'Homme-Dieu. Notre corps est un temple consacré par la présence du Saint- Esprit; c'est un sanctuaire vivant, et chaque jour nous devons offrir à Dieu sur l'autel de notre cœur la sainte victime. Et comme chacun de nous peut dire avec l'Apôtre : Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi, en nous offrant en sa-
— 2G8 — crilice à Dieu, c'est Jésus-Christ qui est toujours le prêtre et la victime ; nous nous offrons en lui et avec lui.
Quel sublime sacerdoce nous exerçons en vertu de notre titre de chrétien ! Quelle noble et précieuse victime nous pouvons offrir chaque jour à Dieu! 0 prince des apôtres, vous dites bien, nous sommes une nation sainte, toute resplendissante de sainteté. Comme enfants de Dieu le Père, nous vivons de sa vie, nous sommes saints de sa sainteté; comme frè- res et comme membres de Jésus-Christ, nous ne pouvons pas avoir une autre sainteté que la sienne ; et comme temples du Saint-Esprit, nous som- mes encore sanctifiés par sa présence. Que de grâ- ces, que de richesses inestimables et infinies nous procure le saint Baptême!
Quand un homme qui connaît parfaitement la va- leur d'un objet le paie à un prix très-élevé, ne faut- il pas conclure qu'il est très-précieux et qu'on doit le conserver avec le plus grand soin? Or, savez- vous que la formation d'un seul chrétien est une œuvre plus difficile et plus merveilleuse que la créa- tion de l'univers? Pour créer le monde, Dieu n'a besoin que d'une parole; mais pour faire un chré- tien, il faut bien autre chose. Le Fils de Dieu des- cend du ciel, il vient au monde dans une étable, et de la crèche au Calvaire, il travaille, il instruit, il prie, il souffre, il meurt pour former le chrétien. Comptez donc les larmes qui ont coulé de ses yeux, les sueurs dont il a arrosé la terre, tout le sang qu'il a répandu; comptez ses peines, ses travaux, ses fa-
— 269 — ligues, ses tourments ; comptez toutes ses plaies et ses tortuces morales, sondez-en la profondeur, et dites-vous : Voilà ce qu'il en a coûté au Fils de Dieu pour me rendre moi-même enfant de Dieu, son frère et son membre, et pour me faire prêtre et roi.
0 mes bien-aimés frères, fuyez le péché, car le péché briserait en un clin d'œil une œuvre qui a coûté si cher à Jésus-Christ. Vous êtes un peuple conquis, et pour la conquête duquel Jésus-Christ a livré les plus rudes combats pendant trente-trois ans; et vous compteriez pour rien une pareille ran- çon 1 Pour un plaisir d'un moment, vous retombe- riez dans l'esclavage du démon, dont le Sauveur vous a délivrés avec tant de peine! Et vous auriez la barbarie de le crucifier de nouveau 1 iSon sans doute ; mon esprit se refuse à y croire.
Moïse et Josué, sur la fin de leurs jours, faisaient aux Hébreux les plus vives instances pour les en- gager à demeurer toujours fidèles à Dieu, et ils leur répétaient ces paroles : « Vous avez choisi aujour- d'hui le Seigneur, afin qu'il soit votre Dieu; vous lui avez promis de garder ses commandements et de marcher dans toutes ses voies. Cette pierre en sera témoin, » disait Josué en montrant une pierre qui était dans le temple. Et vous, mes frères, vous avez promis de vivre en chrétiens, ou comme Jésus- Christ a vécu en ce monde; vous avez promis de pratiquer les vertus d'humilité, de pauvreté, d'obéis- sance, de mortification et d'abnégation de vous-mê- mes. La pierre des fonts baptismaux et toutes les pierres de cette église, qui ont entendu vos pro-
— 270 —
messes, en seront témoins ; et les anges et les saints, en présence desquels vous avez passé votre contrat avec Dieu, rendront témoignage contre vous.
Le Seigneur vous a choisis et vous a reçus par le sacrement de Baptême, afin que vous fussiez son peuple privilégié, un peuple saint et parfait, comme doivent l'être des personnes consacrées à la majesté divine. « Ne .vous trompez pas, disait Josué, Dieu ne permet pas qu'on se moque de lui, car il est un Dieu jaloux et puissant. Si vous manquez à vos pro- messes, il ne vous épargnera pas ; mais si vous les observez, il gardera aussi celles qu'il vous a faites : il vou^ rendra célèbres entre toutes les nations, vous serez toujours son peuple chéri; il vous com- blera de ses faveurs durant celte vie, et vous accor- dera le bonheur du ciel pour l'éternité. » Amen.
SAIKTE JDLITTE.
La persécution qui désola TEglise sous Dioclétien obligea Julitte à quitter Jeône pour se retirer à Séleucie avec Cyr, son fils, qui n'avait encore que trois ans, sans rien emporter de ses grandes richesses. Mais elle trouva la persécution aussi violente à Séleucie qu'à Jeône. Alexandre, qui en était gouver- neur, était encore plus féroce que Dioclétien, et l'empereur venait de porter un nouvel édit qui ordonnait d'exterminer les chrétiens. Julitte quitta donc encore Séleucie, se mit en che- min pour se réfugier à Tarse en Cilicie; mais il arriva que le tyran Alexandre partit le même jour de Séleucie et prit la même route que Julitte : elle fut donc reconnue et arrêtée avec son fils qu'elle portait entre ses bras. Alexandre lui de- manda son nom, son pays et sa condition. Julitte ne répondit autre chose, si ce n'est : « Je suis chrétienne. » Le gouver-
— 27'l —
neur en colère ordonna qu'on lui otât son enfant et qu'on la frappât de nerfs de bœuf; il se fit donner le petit Cyr. Rien n'était plus aimable que cet enfant; un certain air qui mar- quait son illustre origine, joint à son innocence, lui attirait les vœux et les regards de tous ceux qui étaient présents. On eut toutes les peines du monde à Tarracher des bras de sa mère ; il étendait lui-même les siens d'une manière tout à fait touchante, en tournant sans cesse de son côté ses tendres re- gards. Les bourreaux le portèrent au gouverneur, qui, le pre- nant par la main, s'efforçait de l'apaiser. Il le mit sur ses ge- noux, lui souriant et lui faisant des caresses; mais l'enfant, ayant toujours les yeux fixés sur sa mère, se débattait de tou- tes ses forces, repoussait le gouverneur avec ses petites mains, lui donnait des coups, et se défendait autant qu'il le pouvait avec les faibles armes que la nature lui fournissait. Lorsque sa mère, au milieu des tourments, s'écriait : <i Je suis chré- tienne ! T) il redisait aussitôt : « Je suis chrétien ! n ce qui excita tellement la rage du gouverneur, que, sans avoir égard pour un âge qui trouve de la pitié dans les cœurs les plus in- sensibles, il prit ce tendre enfant par un pied et le jeta contre terre. Le petit martyr, en tombant, se donna de la tête contre les marches du tribunal qu'il arrosa de son sang, et sa cer- velle se répandit jusque dans le parquet, où il vint expirer.
Le juge parut tout honteux et ensemble tout épouvanté de son crime envers l'enfant ; mais sa fureur ne devint que plus grande envers la mère. Il la fit étendre, la menaçant de la faire écorcher toute vive ; il lui fit verser de la poix fondue sur les pieds, pendant qu'un des bourreaux lui criait.: « Ju- litte, sacrifiez ! » mais elle criait encore plus haut : « Je ne sacriGe point aux démons. J'adore Jésus-Christ, Fils de Dieu. J'ai hâte de rejoindre mon fils. » Le gouverneur la condamna à avoir la tête tranchée, et le corps de son fils à être traîné où l'on jette ceux des criminels. Julitte mit les genoux en terre, et ayant demandé quelques moments aux bourreaux, elle fît cette prière : « Je vous rends grâces, ô mon Dieu, de ce que vous avez bien voulu donner à mon fils une place dans votre rovaume: avoz encore la bonté d'v recevoir votre
— 272 —
sen'ante, quelque indigne qu'elle en soit, afin qu'elle vous bénisse à jamais. » Le bourreau lui abattit la tête dans le inoinenl que sa bouche prononça : Amen. Son corps fut jeté dans le mûme endroit oîi l'on avait jeté celui de son fils. [Actes des martyrs.)
Pendant la persécution des Vandales en Afrique, une femme distinguée, nommée Denise, fut arrêtée avec son fils unique, très-jeune encore, et on voulut la contraindre d'ab- jurer la vraie foi. Lorsque la mère s'aperçut que son petit en- fant tremblait à la vue des instruments du martyre, elle l'en- couragea avec tant d'éloquence et d'énergie, qu'il déclara avec fermeté qu'il voulait vivre et mourir dans la même croyance que sa mère. A ces paroles, il fut dépouillé de ses vêtements et battu cruellement de verges, spectacle déchi- rant pour le cœur d'une mère, et pourtant elle lui criait tou- jours : « Songez, mon fils, que nous avons été baptisés au nom de la sainte Trinité et dans la foi catholique, la seule vraie et véritable religion. Ne permettons pas qu'on nous ar- rache le vêtement de notre innocence, même par les tour- ments les plus violents, de peur que, quand le Seigneur vien- dra au festin nuptial, il ne nous chasse, comme cet hûte dont il est parlé dans l'Evangile, dans les ténèbres extérieu- res. Soyez donc ferme et inébranlable, ô le bicn-aimé de mon cœur! Après ces supplices d'un moment, vous jouirez d'un bonheur éternel. Souffrez avec constance, et après avoir con- servé sans tache le vêtement de votre innocence, vous ob- tiendrez la palme du martyre. » L'enfant endura tout avec patience, et alla célébrer dans le ciel la victoire qu'il venait de remporter. C'est ainsi qu'une mère chrétienne doit airacr ses enfants. [Catéch. hist.)
X^ LNSTRUGTION.
Ues eérëiiiouies du Baiitêine.
Amen dico vobis : non potest Filins facere quidfuam, nisi quod viderit Pa- Irem facinniem; quœcumqne enim ille feceril, hœc et Filius simililer facit.
En vérité je vous le dis : le Fils ne peut faire que ce qu'il a vu faire à son l'ère; car tout ce que le Père a fait, le Fils \e fait scrablablenient.
(JOAN., v, iy.;
Par ces paroles noire divin Sauveur nous fait voir que, dans tout ce qu'il a fait ou établi sur la terre, il a eu pour but de représenter et d'imiter les actions de son Père. De même que sa personne divine est l'image et la ressemblance parfaite de son Père, ainsi toutes ses œuvres ressemblent aux œuvres de son Père. Vous comprenez par là que les signes sensibles ou extérieurs employés dans l'administration des sacrements sont nécessaire- ment l'expression de vérités sublimes , comme Jésus-Christ lui-même est la manifestation sensi- ble de Dieu le Père, ainsi qu'il l'a dit lui-même : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père. » C'est ce que nous allons vous rendre sensible en expliquant les cérémonies du Baptême.
On commence par donner un nom au catéchu- mène ; jusque là il est censé n'en point avoir, parce qu'il est comme un néant devant Dieu, et on
42.
— 274 — ne donne pas de nom à ce qui n'est pas. Mais on lui donne un nom à son Baptême, parce que par ce sacrement il devient quelque chose, une sainte et noble créature, capable de porter un nom illustre.
\ient ensuite Texorcismc, par lequel le prêtre chasse le démon, afin qu'il ne s'oppose point aux effets du Baptême, et que le sacrement soit traité avec plus de respect, étant conféré à une créature qui n'est plus sous la puissance du diable.
Le prêtre le chasse par la salive et l'attouche- ment des doigts, ainsi que fit Jésus-Christ lui-mê- me pour déUvrer un homme possédé d'un démon muet, en lui appliquant de la salive et en lui met- tant ses doigts dans les oreilles. Mais c'est surtout par l'insufflation que se fait l'exorcisme ; ce qui nous remet sous les yeux les plus importantes vé- rités chrétiennes.
Rien n'est plus opposé au démon que le Saint- Esprit, puisqu'il cherche sans cesse à détruire ses œuvres. Or, le Saint-Esprit est représenté par le souffle, parce qu'il est lui-même produit par un soupir d'amour du Père et du Fils, et nous l'appe- lons la spiration active du Père et du Fils , ainsi que le souffle part du cœur et sort de la poitrine , poussé par la force des poumons. Satan a en horreur le souffle, parce que cela lui rappelle que notre Sau- veur souffla sur ses apôtres pour leur communi- quer sa toute-puissance et les envoyer par toute la terre, afin d'y détruire l'empire de cet ange révolté et d'y ressusciter les âmes mortes à la grâce. Qu'est-ce que la poitrine du prêtre, sinon un sanc-
- 275 — ' tuaire vivant où demeure l'aimable Jésus comme sur un trône? Le souffle qui en sort est donc terri- ble au démon; c'est comme un feu qui le dévore, comme la foudre qui l'écrase. Enfin ce souffle mar- que la faiblesse du démon, puisque l'Eglise peut le mettre en fuite, non pas avec des armées, mais avec un souffle, comme Dieu lui-même n'a besoin que d'un souffle pour tuer l'impie.
Cette cérémonie, très-ancienne et très-respecta- ble, est un monument authentique de la croyance de l'Eglise à la transmission du péché originel; elle vous fait comprendre que vous devez être sur vos gardes pour ne pas laisser rentrer le démon dans votre cœur après qu'il en est sorti. S'il se promène dans des lieux arides, dans les cœurs des infidèles et des pécheurs, ce n'est que pour un temps. Comme il n'aime qu'à ravager et à détruire, il veut re- tourner en sa première maison, dans l'âme du chré- tien qui a reçu le Baptême; il la trouve purifiée et ornée de la grâce. Comme il n'est point assez fort pour y rentrer seul, il prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui , il s'en empare et y demeure, et le dernier état de cet homme est pire que le premier. Le chrétien qui pèche après son Baptême est plus malheureux et plus coupable que les païens et les infidèles.
Prenez garde aussi de jamais maudire vos en- fants et de les souhaiter en la puissance du dé- mon. Si le patriarche Noé n'a pas osé maudire son fils Cham, qui lui avait si gravement manqué de respect, parce que Dieu l'avait béni au sortir
- 276 - de l'arche, comment osez-vous maudire vos en- fants que Dieu a si généreusement bénis sur les fonts sacrés? Comment osez-vous donner au dé- mon celui que vous avez consacré aux trois per- sonnes divines? Ne devez-vous pas, au contraire, mettre tout en œuvre pour l'empêcher de retom- ber sous le joug de Satan? Si aujourd'hui Jésus- Christ vous adressait la question qu'il fit à des pa- rents qui lui présentaient leur fils possédé du dé- mon pour l'en dcUvrer , et vous disait : Depuis quel temps est-il dans cet état? vous pourriez lui dire aussi : Depuis son enfance. Depuis quand vo- tre fils est-il jureur et indocile? Depuis son en- fance. Depuis quand est-il orgueilleux, emporté, paresseux, libertin? Depuis son enfance. Depuis quand votre fille est-elle si légère, si vaniteuse, si passionnée pour les parures et les plaisirs? Depuis son enfance. Et, au lieu de réprimer ces mauvais penchants, vous n'avez fait que les fortifier dans leurs cœurs.
Le prêtre fait ensuite le signe de la croix sur le front, les yeux, la poitrine, les épaules, les oreilles et la bouche de l'enfant, afin de sanctifier par la vertu de la croix tous ses membres et tous ses sens, pour les disposeràrecevoirlagrâce deDieu,à bien comprendre sa loi et à l'observer toujours. Or, quand un objet a été bénit et consacré à Dieu, OQ ne doit plus l'employer qu'à de saints usages. Ne vous servez donc plus de vos yeux pour voir des choses criminelles , de vos oreilles pour enten- dre des médisances ou des propos licencieux, de
- 277 - votre bouche pour proférer des blasphèmes ou des paroles déshonnêtes, de votre cœur pour aimer tout ce qui est défendu.
Le prêtre impose la main sur le catéchumène pour lui montrer qu'il n'est pas seulement un ob- jet consacré au service de Dieu, mais encore une victime qui doit s'immoler chaque jour pour Dieu. Autrefois, avant de frapper la victime, le pontife lui imposait les mains pour marquer qu'elle était substituée aux hommes. Considérez-vous donc comme des hosties vivantes, selon l'énergique ex- pression de saint Paul, comme des victimes saintes et agréables à Dieu, consumées par la charité. Si le soldat est heureux de verser son sang pour sa pa- trie et de mourir pour sauver son pays, ne devez- vous pas vous estimer mille fois plus heureux de vous immoler pour la gloire de Dieu ?
Le prêtre met dans la bouche du catéchumène le sel bénit pour lui dire que, lorsqu'il aura obtenu la grâce du saint Baptême, il devra se garantir de la corruption du péché et goûter tous les charmes de la vertu et de la sagesse divines. Il lui fait sen- tir que, devenu membre du Verbe divin, toutes ses paroles doivent être assaisonnées de sagesse, de prudence, de douceur, de charité, de pureté et d'innocence. Est-ce là le caractère de vos discours et de vos conversations ? Sont-ils conformes aux règles tracées par l'Esprit saint? Ne respirent-ils pas trop souvent la haine, l'envie, l'orgueil, l'im- pureté, l'avarice ou l'intempérance? Ont-ils pour but la glorification de Dieu et l'amour du prochain ?
Le prêtre touche avec de la salive les oreilles et les narines du catéchumène en disant : Epàphetha, ouvrez-vous pour Todeur de la suavité; et toi, Satan, prends la fuite, car le jugement de Dieu approche. Puis il conduit le catéchumène aux fonts sacrés. Ainsi notre divin Sauveur toucha autrefois avec de la salive les yeux de l'aveugle qui avait imploré son secours, et lui ordonna d'aller aussitôt se laver dans la piscine de Siloé ; ce qui lui rendit la vue. Il y a aussi dans l'eau du Baptême une vertu divine qui ouvre les yeux de l'intelligence pour voir la céleste vérité. Cette cérémonie vous apprend que vous devez avoir les oreilles ouvertes aux vérités de l'Evangile et en respirer la bonne odeur.
Le catéchumène renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, par lui-même, s'il est adulte, et par ses parrain et marraine, s'il n'a pas l'âge de raison. Or, renoncer à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, c'est renoncer à tout ce qui peut vous rendre coupables devant Dieu, méprisables devant les hommes et ignobles à vous-mêmes ; c'est vous engager à ne rien faire que ce qui peut vous rendre grands devant Dieu, honorables aux yeux du monde et estimables à vos propres yeux.
En renonçant à Satan, vous vous engagez à ne jamais le reconnaître pour chef et à ne jamais lui obéir. Vous promettez d'obéir à Dieu comme un fils à son père, un serviteur à son maître, un sujet à son roi. Qu'est-ce qui peut vous rendre coupables .devant Dieu, sinon la désobéissance seule? Qui
— 279 — empêche un fils de se présenter avec confiance de- vant son père, un serviteur devant son maître, un sujet devant son roi? n'est-ce pas la désobéissance? Et vous avez beau chercher à vous étourdir, vous ne parviendrez jamais à vous persuader qu'il vous est honorable ou utile de désobéir à Dieu. Quand vous avez violé une de ses lois, vous vous sentez mal à l'aise en sa présence; vous baissez la tête comme un enfant indocile devant son père, un serviteur désobéissant devant son maître, et un su- jet révolté devant son prince.
En renonçant à Satan, vous promettez de ne rien faire qui puisse vous compromettre aux yeux du prochain. En effet, ce qui rend l'homme méprisa- ble aux yeux de ses semblables, c'est le vice, quel qu'il soit, et rien que le vice, l'orgueil, l'ambition, la cupidité, l'impureté ou le libertinage, la colère, la paresse et l'intempérance. Et quoique le monde soit entaché de tous ces défauts, il ne laisse pas que de mépriser et souvent haïr les orgueilleux, les avares, les libertins, les ivrognes et les pares- seux. Il met tout en œuvre pour vous faire ses complices, il ét^le à vos yeux tout ce qu'il a d'at- traits, il vous entraîne dans ses fêtes et dans ses plaisirs, et si malheureusement vous tombez dans ses pièges, il s'empresse de pubUer partout vos fai- blesses et vos misères ; malgré votre repentir, il ne vous pardonnera jamais, vous serez toujours mé- prisables à ses yeux.
Si, au contraire, vous êtes sourds à ses promes- ses, insensibles à ses critiques, inébranlables con-
— 280 —
tre ses séductions ; si vous attaquez courageusement l'orgueil avec tous les vices dont il est le père, afin de planter sur leurs ruines les belles vertus d'hu- milité, de désintéressement, de douceur, de chas- teté et de tempérance; si l'on voit briller en vous toutes les vertus chrétiennes, vous n'aurez pas l'a- mitié du monde, parce que le monde ne saurait ai- mer ceux dont la conduite le condamne ; mais vous aurez son estime. Les hommes les plus orgueilleux et les plus corrompus ont toujours estimé les âmes humbles, chastes et dévouées; et dans les circons- tances graves où leurs intérêts seront mis en jeu, c'est encore à vous qu'ils donneront leur con- fiance.
Renoncer à Satan, c'est prendre l'engagement d'éviter tout ce qui pourrait vous rendre malheu- reux en vous-mêmes et de faire tout ce qui procure la douce paix de la conscience. Si vous vous laissez séduire par Satan et si vous faites ses œuvres, lors même que vous obtiendriez la réputation la plus brillante, vous ne seriez pas heureux; votre cons- cience vous répéterait sans cesse que vous n'êtes pas dignes de l'estime dont vous jouissez, que vous n'êtes pas estimables. Au sein de l'abondance et des plaisirs, au faîte des honneurs et au comble de la fortune, il y aurait dans votre cœur un vide immense que rien ne pourrait remplir. Si, au contraire, vous surmontez les tentations, et si vous remplissez exac- tement tous vos devoirs, quelles que soient vos pei- nes d'ailleurs, vous serez lieureux, parce que vous aurez la paix de la conscience.
— 281 —
Ne vous étonnez pas que l'Eglise exige de vous ee'renoncement : il n'y a pas de société, quelle qu'elle soit, fût-ce la franc-maçonnerie, qui n'impose à ses membres l'obligation de renoncer aux ennemis de cette société et d'accomplir fidèlement ses lois et ses règlements. Pourquoi cette condition? Parce qu'elle est nécessaire pour constituer toute société: car si tous les membres n'épousent pas ses intérêts et ne sont pas disposés à combattre ses adversaires, la société est dissoute avant d'être formée, elle n'existe pas.
Le catéchumène doit donc se disposer au combat. C'est pourquoi le prêtre l'oint de l'huile sainte à la poitrine et entre les épaules, afin de fortifier le cœur et les épaules, et de les mettre en état de porter cou- rageusement la croix de Jésus-Christ. Le Baptême fait de lui un vigoureux athlète pour combattre vail- lamment les puissances des ténèbres, les esprits mal- faisants répandus dans les airs ; il l'armera de toutes pièces pour demeurer ferme aux jours mauvais.
Le ministre dit au catéchumène : « Croyez-vous en Dieu, le Père tout puissant, Créateur du ciel et de la terre? Croyez-vous en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui est né et qui a souffert pour nous? Croyez-vous au Saint-Esprit, la sainte Eglise catholique, la communion des saints, la ré- mission des péchés, la résurrection de la chair, la vie éternelle? » A chacune de ces questions, il ré- pond : « Je crois. » Cette profession de foi a été im- posée par le divin Maître, quand il a dit : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. » Il faut donc
— 282 — croire avant de recevoir le Baptême. C'est de toute justice. Personne ne peut être admis dans une so- ciété, s'il ne s'engage à observer la charte qui la régit. Il faut donc qu'il la connaisse. Or, le Sym- bole des apôtres est la charte de l'Eglise catholique, et la loi morale n'en est que le développement et les conséquences.
Vous avez fait ces promesses, mes frères; mais comment les observez-vous? Ne les violez-vous pas tous les jours? Il ne vous reste qu'un moyen de sa- lut, la pénitence. Mais ne différez pas d'un jour: de- main ne vous appartient pas.
Le prêtre dit au catéchumène : « Voulez-vous être baptisé? » et celui-ci répond : « Je le veux. » Pour- quoi cette question? Parce que l'intention de rece- voir le sacrement est une disposition essentielle à sa validité. Pour sauver les hommes. Dieu leur accorde ses grâces ; mais il exige en même temps qu'ils y concourent librement. .Jésus-Christ dit au paraly- tique : « Voulez-vous être guéri? » et à l'aveugle né il dit encore: « Que voulez-vous que je vous fasse?» N'est-ce pas pour nous montrer qu'il n'accorde ses grâces qu'à ceux qui les désirent et les acceptent librement?
Le Roi des rois ne ressemble point aux princes de la terre, qui ont recours à la contrainte pour le- ver leurs troupes. Jésus-Christ, notre vaillant capi- taine, ne veut que des soldats volontaires, et il crie à tous les hommes : 5* quelqu'un veut venir après moi. Il sait qu'il n'y a que les soldats de bonne vo- lonté qui soient courageux et intrépides, et qui ne
— 283 — reculent jamais devant les obstacles. Il veut donc des engagés volontaires, afin qu'ils remplissent de grand cœur les promesses qu'ils ont faites en toute liberté.
Le prêtre verse par trois fois de l'eau sur la tête du catéchumène, en faisant le signe de la croix et en disant : Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Il verse de l'eau par trois fois pour rappeler le mystère de la sainte Trinité et les trois jours pendant lesquels Jésus-Christ est de- meuré dans le tombeau, pour marquer au néophyte que par son Baptême il a été enseveli avec Jésus- Christ pour mourir au monde, à la chair et au pé- ché, et qu'il doit vivre d'une vie nouvelle.
Le prêtre lui fait au sommet de la tête une onc- tion avec le saint chrême pour lui rappeler que, de- venu par son Baptême membre de l'Eglise, il est uni à son chef Jésus-Christ et participe à son sacerdoce royal. N'oubliez jamais, mes frères, que, par suite du péché originel, nous étions tellement détestés de Dieu, que sans l'incarnation nous n'eussions pas obtenu miséricorde. Mais le Fils de Dieu, en se re- vêtant de notre nature, en nous unissant à lui comme les membres au chef, nous a rendus dignes de nous présenter à son Père. Car, pour s'approcher d'une si haute majesté, il faut n'être ni vil ni esclave, mais libre et noble; il faut être prêtre et roi. Notre divin Sauveur a été fait prêtre par une onction di- vine, par l'application de la personne du Verbe, que saint Paul appelle le caractère et la figure de la subs- tance du Père. Les chrétiens sont donc prêtres et
— S8i —
doivent offrir des sacrifices à Dieu, le sacrifice de la prière, des aumônes, des œuvres de la pénitence et de la mortification. Mais pour qu'ils puissent l'of- frir dignement à Dieu, ils sont consacrés par le Bap- tême et participent au sacerdoce de Jésus-Christ. Ainsi, mes frères, le jour de votre Baptême a été le jour de votre sacre, le jour de votre onction solen- nelle; c'estencejourqu'on vous a rendus dignes de vous adresser à Dieu de la part de son Fils et comme ses membres pour lui offrir des hosties spirituelles et des actions saintes.
Le ministre revêt le baptisé de l'habit blanc, en lui disant : « Recevez cette robe blanche, et portez- la sans cesse devant le tribunal de notre Seigneur Jésus-Christ, pour avoir la vie éternelle. » Cette cé- rémonie vous rappelle que le Baptême vous donne droit à la gloire de la résurrection du Sauveur, à cette gloire divine dont il laissa échapper quelques rayons sur le Thabor, et pour cela il vous commu- nique la sainteté représentée par l'habit blanc. Car, de même que la couleur blanche est produite par la réflexion de tous les rayons de la lumière créée, ainsi la sainteté se forme dans l'âme par la réflexion de tous les rayons de la lumière divine. Les anges sont souvent apparus aux hommes vêtus d'habits blancs. Chez les Romains, on donnait des robes blanches le jour où ils devenaient libres, comme aux consuls et aux généraux qui jouissaient des honneurs du triomphe.
Pour imprimer plus profondément dans l'esprit des chrétiens la nécessité de conserver l'innocence
— 28o — de leur Baplème, les nouveaux baptisés devaient porter l'habit blanc pendant huit jours; ils le dépo- saient ensuite et le conservaient précieusement pendant toute leur vie, comme le témoin de leurs promesses.
Le ministre remet entre les mains du baptisé un cierge allumé, pour marquer qu'il doit sans cesse nourrir par la charité la foi qu'il vient de recevoir dans son Baptême, et il lui dit : « Recevez cette lampe ardente, soyez irrépréhensible, et gardez votre Baptême. Observez les commandements de Dieu, afin qu'au jour où le divin Epoux viendra pour célébrer les noces avec les élus, vous puissiez aller au-devant de lui avec tous les saints et obte- nir la vie éternelle. » Ce cierge allumé, dit saint Charles, signifie les trois vertus théologales répan- dues dans l'âme du chrétien, la foi, l'espérance et la charité : la foi, par la clarté de la lumière; l'es- pérance, par son mouvement d'ascension vers le ciel, et la charité, par sa chaleur. « Autrefois vous étiez ténèbres, vous dit saint Paul, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez donc comme des enfants de lumière; car le fruit de la lumière est dans toute bonté, dans toute justice, dans toute vérité, cherchant à connaître quel est le bon plaisir de Dieu, et ne communiquez pas avec les œuvres infructueuses des ténèbres. »(Ephes.,v.) « Vous êtes tous des enfants de la lumière et des enfants du jour; nous ne sommes point en- fants de la nuit ou des ténèbres. Ne nous endor- mons donc pas comme les autres, mais distin-
— 286 —
guons-nous par notre vigilance et notre sobriété. » (Tbess., V.)
Le ministre rédige ensuite l'acte de Baptême, et au moment où il l'écrit, les anges en font le double dans le ciel, l'enregistrent et le déposent dans les archives de l'éternité. Il ne peut donc pas se per- dre, et il vous sera présenté au jour de votre juge- ment. Heureux serons-nous, mes frères, si nous avons rempli toutes les obligations qu'il renferme; car alors le Seigneur nous dira : Courage, bon et fidèle serviteur; entrez dans la joie de votre Sei- gneur. Amen.
NOTIONS SDR QUELQUES ANCIENNES CÉRÉMONIES DU BAPTÊME.
Dans les premiers temps du christianisme, il n'y avait pas de lieu spécial pour l'administration du Baptême. Les apô- tres et leurs disciples baptisaient où cela leur paraissait plus convenable. Philippe baptisa le trésorier de la reine de Can- dace avec de l'eau qu'ils rencontrèrent en allant à Gaza. Ter- tullien dit que saint Pierre baptisait dans le Tibre ceux qui voulaient embrasser le christianisme, et les enfantait ainsi à Jésus-Christ. En Orient, il existait certaines personnes qui pensaient que Teau du Jourdain avait été consacrée par Jésus- Christ, et pour ce motif demandaient à y être baptisées. On baptisait aussi, dans les temps de persécution, dans les cata- combes ou dans d'autres endroits cachés et dans les prisons. Mais, après que la paix fut rendue à l'Eglise, les évoques commencèrent à construire des édifices uniquement desti- nés à cet usage, qu'on appelait cfjlises du Baptême ou baptis- tères. Ces édifices étaient ordinairement séparés de l'église principale ou épiscopale, ou bien ils s'y rattachaient par une galerie couverte qui les unissait l'un à l'autre. La forme du
— 287 -^
baptistère était habituellement ronde comme une tour, quoi- qu'il veut des baptistères sexagones et octogones. L'intérieur était souvent tapissé de peintures et de riches décorations. Il n'avait ordinairement qu'un autel sur lequel on célébrait la Messe après l'administration du Baptême, et où l'on donnait la communion aux nouveaux baptisés. Dans le milieu se trou- vaient les fonts baptismaux; ils étaient le plus souvent en mar- bres précieux^ ronds et ayant la forme d'une croix. Trois ou quatre degrés servaient aux catéchumènes pour y monter. Le plus ancien baptistère est celui qui est situé près de l'église de Saint-Jean de Latran, construit par Constantin, sous Tin- vocation de saint Jean-Baptiste, ce qui a fait donner à tout l'édifice le nom de Saint-Jean de Latran. C'était une grande salle carrée, dont les murs étaient de marbre et de porphyre, 011 était un grand bassin de porphyre, revêtu d'argent, dans lequel on plongeait les néophytes, selon la coutume de ce temps-là, et au milieu de ce bassin une colonne de porphyre soutenant un vase d'or, pesant cinquante livres, et contenant le saint-chrême dont on oint les nouveaux baptisés. Auprès de cette colonne, il y avait un agneau d'or qui jetait de Teau dans le bassin, et aux deux côtés, deux statues d'argent, celle de notre Seigneur et celle de saint Jean-Baptiste, pesant cha- cune cent soixante-dix livres, et sur les bords du bassin, sept grands cerfs d'argent, du poids de quatre-vingts livres chacun, qui jetaient de l'eau dans le bassin.
Dans les églises paroissiales de la campagne, où l'on n'a- vait pas d'églises baptismales, le baptistère se trouvait dans l'église même. Un concile de Saltzbourg statua que les fonts baptismaux seraient enlevés du milieu de l'église et placés au côté gauche. L'administration du Baptême dans les maisons était généralement défendue. Cependant, dans les pays froids, on permit débaptiser hors des éghses, ou dans la sacristie, ou dans d'autres endroits chauds de l'église, et de se servir d'eau tiède.
A Pâques et à la Pentecôte, les catéchumènes se rendaient, vers l'heure de midi, à l'église baptismale pour y subir la dernière épreuve (le dernier scrutin], qui durait ordinaire-
- ^88 — nient une heure; puis ils retournaient chez eux. Vers minuit, ils se réunissaient de nouveau 5 l'église, afin qu'après avoir été arrachés aux ténèbres du péché, semblables à une belle aurore, ils apparussent dès le matin de la résurrection, comme des enfants nouvellement nés à la lumière. Au milieu du si- lence de la nuit, et après la lecture des prophéties, on faisait la bénédiction solennelle du cierge pascal et de Teau baptis- male. Ensuite les catéchumènes réitéraient Tabjuration qu'ils avaient faite les premiers jours d'épreuves, ce qui, cette fois encore, avait lieu par demandes et par réponses. L'évêque posait la question : « Renoncez- vous à Satan? » et le catéchu- mène répondait : « Je renonce, etc. » L'abjuration était sui- vie de l'onction avec les saintes huiles. Dans l'Eglise grecque, révêque ou le prêtre, après avoir trempé son doigt dans l'huile, faisait des onctions sur plusieurs parties du corps, tandis que dans l'Eglise latine on n'en faisait que sur la poitrine et sur l'omoplate. Venait ensuite la récitation du Symbole, pendant laquelle, les yeux et les mains dirigés vers le ciel, les catéchu- mènes répétaient chacun des articles en réponse aux interro- gations de l'évêque. Dans quelques églises, il était prescrit à chaque catéchumène de signer sa profession de foi de sa propre main. Saint Ephrem dit à ce sujet que les anges re- produiront au dernier jugement l'écrit sur lequel nous avons tracé, denotre propre main, notre abjuration ou notre profes- sion de foi.
Xr INSTRUCTION.
Iles parrains et des marraines.
Sicut modo genili infantes, rationabile $ine dolo lac concupiscile, ut in eo crei- catis in salut em.
Comme des enfants nouvellemeut nés, désirez le lait spirituel et pur, afin qu'il vous fasse croître pour le salut,
(IPet., II, 2.)
C'est pour nous, mes frères, une obligation grave de vous exhorter instamment à ne rien négliger pour qu'aucun enfant ne meure sans avoir reçu le Baptême; et c'est aussi pour vous un devoir rigou- reux de le leur faire conférer aussitôt après leur naissance, soit qu'ils viennent au monde avec leur constitution complète, soit que, par suite d'acci- dents, ils meurent quelques mois ou quelques se- maines après leur conception. Pères et mères, vous dit la foi chrétienne, prenez bien garde : dans ce corps à peine formé, ou plutôt dans cette masse informe, se trouve une âme immortelle; hâtez- vous de lui conférer le Baptême, s'il présente quel- que apparence de vie ; s'il paraît mort, baptisez-le sous condition; s'il est difforme ou monstrueux, baptisez-le de même ; s'il y a danger qu'il meure avant sa naissance, baptisez-le avant sa naissance. Oh ! je vous en supplie, ne négligez rien pour sau- ver ces âmes rachetées au prix du sang de Jésus -
13
— 290 — Christ, et faites qu'au jour du jugement il n'y en ait aucune qui puisse vous reprocher de l'avoir je- tée en pâture à des animaux immondes, comme font les Indiens et les Chinois.
Il ne nous reste plus qu'à vous dire un mot de la nécessité, des obHgations et des qualités des parrains et marraines.
La présence des parrains et marraines n'est nul- lement nécessaire pour rendre le Baptême valide; et l'on peut, en cas de nécessité, le conférer aux enfants sans la présence de parrains et de marrai- nes. Quand donc saint Augustin les requiert pour professer la foi chrétienne au nom de l'enfant, ce n'est pas d'une manière absolue, puisque les en- fants, avant l'âge de raison, sont baptisés en la foi de l'Eglise. Mais, dans tous les temps, les saints conciles ont ordonné qu'il y eût des parrains et marraines pour l'administration solennelle du Bap- tême des enfants. Ecoutez ce que vous dit la sainte Eglise :
Elle « ordonne, suivant les statuts des saints ca- nons, qu'un seul, soit homme, soit femme, ou tout au plus qu'un seul homme et une seule femme tiennent au Baptême celui qui est baptisé, entre lesquels et celui môme qui est baptisé et son père et sa mère, et aussi entre celui qui baptise et celui qui est baptisé, et le père et la mère du baptisé seu- lement, se contracte la parenté spirituelle.
« Le curé, avant de se disposer à faire le Bap- tême, aura soin de s'informer de ceux à qui il ap- partiendra quel est celui ou quels sont ceux qu'ils
— 291 —
ont choisis pour tenir sur les fonts sacrés celui qui leur est présenté, et il ne recevra précisément que lui ou qu'eux. Il écrira leurs noms sur un registre, et les instruira de la parenté qu'ils ont contractée, afin qu'ils ne puissent prétexter aucune cause d'i- gnorance... Si, par la faute ou la négligence du curé, il se fait autrement, celui-ci en sera puni au jugement de l'évèque. » (Conc. Trid., sess. xxiv, c. 2, de Reform.)
Ainsi un parrain ne peut épouser ni sa filleule, ni la mère de sa filleule, et une marraiue ne peut épouser ni son filleul, ni le père de son filleul, sans avoir obtenu dispense de cet empêchement ; au- trement le mariage serait nul et de nul efifet. Le même empêchement existe entre celui qui baptise et le baptisé, et le père et la mère du baptisé.
L'usage des parrains et marraines a toujours été mis en pratique dans l'Eglise. Saint Augustin en parle dans plusieurs endroits de ses ouvrages, Ter- tullien en fait mention dans son livre Du Baptême, et saint Denys en rapporte l'origine aux apôtres.
Saint Pierre compare ceux qui viennent de rece- voir le Baptême à des nouveaux nés à qui l'on doit donner du lait pour nourriture. tDe même qu'un enfant a besoin des soins d'une nourrice et des le- çons d'un maître, ainsi celui qui est baptisé réclame la sollicitude d'un précepteur pour lui donner la nourriture spirituelle dont il a besoin. Voilà pour- quoi on donne aussi des parrains et des marraines aux adultes, parce qu'ils sont enfants dans la foi et la vie chrétienne.
— 292 —
Les devoirs des parrains et marraines sont 1° d'ai- mer avec une tendresse toute chrétienne leurs filleuls; 2° de prier pour eux d'une manière spé- ciale; 3^* de veiller avec le plus grand soin à ce qu'ils soient instruits et élevés dans la foi chré- tienne, et, dans le cas oii les parents négligeraient Taccomplissement de cet important devoir ou vien- draient à mourir, de les remplacer près des en- fants; 4" d'avoir soin qu'ils reçoivent le sacrement de Confirmation en temps opportun; 5° de ne rien négliger pour qu'ils comprennent la gravité et l'é- tendue des obligations qu'ils ont contractées pour eux au moment de leur Baptême, et surtout pour qu'ils les remplissent avec fidélité. Les parrains et marraines sont tenus d'accomplir ces devoirs sous peine de péché mortel, non seulement à titre de charité, mais encore à titre de justice. Non, non, ils ne remplissent pas seulement l'office de sim- ples témoins d'une cérémonie religieuse quelcon- que, comme on le croit trop communément, tant on a perdu le sens des vérités chrétiennes.
Ceci vous fait comprendre que tous les chrétiens ne sont point aptes à remplir les fonctions de par- rain et de marraine. Les règles de l'Eglise ex- cluent 1" le père et la mère de l'enfant qui doit être baptisé, mais le mari et la femme peuvent tenir ensemble sur les fonts du Baptême un enfant qui ne leur appartient pas ; 2" les religieux et les reli- gieuses; 3^ les évêqucs, les curés et les clercs en- gagés dans les ordres sacrés ; 4° les infidèles, c'est- à dire ceux qui ne sont pas encore baptisés ; 5^ les
— 293 — apostats, les hérétiques et les schismatiques no- toires; 6° ceux qui sont publiquement excommu- niés ou interdits, les pécheurs publics coupables de quelques crimes et ceux qui sont notés d'infa- mie : ainsi on n'admettra point ceux qui, ayant été condamnés à des peines infan:iantes, n'ont en- core offert aucune satisfaction, aucune réparation; ni ceux qui vivent publiquement dans l'adultère ou dans le concubinage; ni ceux qui ne sont point mariés devant l'Eglise, quoique mariés civilement; ni les femmes publiques, ni les usuriers notoires; ni ceux qui font ouvertement profession d'impiété; ni les bateleurs, ni les danseurs de corde, ni les histrions, dont la profession est justement flétrie par l'opinion publique; 7° enfin ceux qui ne sont pas sains d'esprit, ou qui ignorent les premiers éléments de la foi. (Mgr Gousset, Théol. mor., tome II, n°' H 2 et suiv.)
Il est facile de comprendre les motifs qui ont déterminé l'Eghse à porter ces règlements. Tertul- lien appelle les parrains et marraines recelants ou répondants, parce qu'ils reçoivent les baptisés au sortir des fonts, et qu'ils ont répondu pour eux; saint Augustin les nomme docteurs de la foi et garants de la foi : ce qui signifie que les parrains et marraines sont de véritables cautions qui devien- nent responsables des obligations contractées par les enfants. L'Eglise exclut donc les infidèles, les hérétiques et les schismatiques, ainsi que les juifs, les Turcs et les protestants. Il est évident que ces personnes ne rempliront jamais leurs devoirs de
-- 294 — parrains et de marraines. Ne serait-il pas à crain- dre , au contraire , qu'ils n'exerçassent leur in- fluence sur leurs filleuls pour les entraîner à l'infi- délité, au schisme ou à l'hérésie?
Mais pourquoi exclure les religieux et les ecclé- siastiques? Ne sont-ils pas plus capables que per- sonne de soigner l'instruction et l'éducation chré- tienne de leurs filleuls? Ce serait sans doute un avantage sous ce rapport , et ce motif engage quel- quefois les évoques à lever cette défense. Mais il y aurait à craindre que, dans certaines circonstances, les religieux et les ecclésiastiques ne fussent con- traints de négliger les intérêts de leurs filleuls, ou de s'occuper d'affaires purement civiles et contrai- res à l'esprit et aux règles du saint état qu'ils ont embrassé.
Sont exclus tous ceux qui ne connaissent pas suffisamment la doctrine chrétienne, parce qu'ils sont incapables de comprendre l'importance et l'é- tendue de leurs obligations , et plus incapables en- core de les remplir, de servir de maîtres et de mo- dèles à leurs filleuls. C'est par ce même motif qu'on n'admet point les pécheurs publics.
Il convient aussi de n'accepter aucun enfant qui n'a pas encore fait sa première communion ; et Ton ne doit faire aucune exception à cette règle, à moins que l'enfant que l'on présente pour être par- rain ou marraine ne soit le frère ou la sœur de cet enfant, et qu'il n'y ait une personne avec lui qui ait fait sa première communion et qui soit instruite des vérités de la foi.
— 295 — >'ous ne pouvons vous exhorter trop vivement, mes frères, à ne choisir jamais pour parrains et pour marraines à vos enfants que des personnes vertueuses et véritablement chrétiennes, afin qu'el- les puissent vous remplacer près de vos enfants, dans le cas où vous viendriez à mourir et à les lais- ser orphelins. C'est le but que l'Eglise, toujours pleine de sollicitude el de tendresse pour les en- fants, s'est proposé en établissant cette loi si pro- pre à sauvegarder les intérêts religieux et maté- riels des enfants. Les noms mêmes de parrain et de marraine, qui dérivent de ceux de père et de mère, leur rappellent sans cesse qu'ils doivent regarder leurs filleuls comme leurs propres en- fants, les soigner et les aimer comme leurs en- fants, surtout s'ils sont orphelins. N'est-ce pas là, parents chrétiens, un puissant motif de vous con- soler au lit de la mort, si Dieu vous appelait à lui avant que vos enfants fussent élevés? Yous au- riez au moins l'espoir bien fondé qu'ils trouve- raient, dans les parrains et les marraines que vous leur aurez choisis, des pères et des mères qui en auraient soin, et les maintiendraient dans le che- min de la vertu par leurs prières, par leurs sages conseils et leurs paternelles exhortations. Prenez si bien vos mesures que nous n'ayons jamais la douleur d'être forcés à refuser ceux que vous nous présenterez pour être parrains el marraines de vos enfants. Maintenant que vous êtes prévenus, vous serez seuls responsables de la peine et de l'affront qui résulteraient de notre refus consciencieux.
~ 296 —
Mais que ferons-nous à l'égard des personnes ignorantes ou qui ne satisfont pas au devoir de la confession et de la communion pascales? La pru- dence, nous dit-on, ne vous permet point de les repousser, s'il n'y a pas d'autre obstacle, soit à rai- son du trop grand nombre de fidèles qui se trou- vent dans ce cas aujourd'hui, soit parce qu'en les admettant vous aurez l'occasion de leur rappeler utilement les obligations qu'ils ont à remplir comme chrétiens. Ces motifs, il faut bien l'avouer, mes frè- res, trahissent une situation morale bien déplorable et bien douloureuse pour les pasteurs des âmes. Quoi donc 1 nous recevrons comme parrains et mar- raines des personnes ignorantes ou qui ne sont chré- tiennes que de nom et qui sont tout à fait païennes par leur conduite! Et nous devrons les recevoir, parce que le nombre en est trop considérable I Mais dans toutes les administrations, dans toutes les car- rières, on n'est point admis à remplir des fonctions quelconques, sans qu'on ne justifie de sa capacité, sans qu'on ne remplisse certaines conditions pres- crites par les lois ou les règlements; on repousse impitoyablement tous ceux qui n'offrent pas les ga- ranties voulues; et il nous faudra recevoir, pour les fonctions si honorables de parrain et de marraine, ceux qui en sont absolument inca- pables! Quelle profonde misère! quelle grande pau- vreté !
Mais on nous fait un devoir de mettre à profit cette occasion de leur rappeler leurs droits de chré- tiens. Ne soyez donc pas surpris, si nous nous per-
— 297 — mettons de leur montrer qu'ils se mettent en op- position formelle avec eux-mêmes, et si nous leur disons : Voulez-vous vivre et mourir en la foi de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, et nous promettez-vous d'avoir soin que cet enfant y soit nourri et élevé? A celte question, ils répondent aus- sitôt affirmativement, sans trop savoir pourquoi. En effet, si nous leur disions en détail ce que ren- ferme cette première question, leur réponse serait certainement négative. Voulez- vous vivre en la foi de l'Eglise catholique, c'est-à-dire voulez-vous ob- server tous les conynandements de Dieu et ceux de l'Eglise? Voulez-vous acquitter le devoir de la prière, respecter le nom adorable de votre Père qui est dans les cieux, sanctifier les jours de dimanche et de fête? Voulez-vous honorer vos parents et leur obéir en tout ce qui n'est pas contraire à la loi de Dieu? Voulez-vous vivre en bonne intelligence avec votre prochain, ne plus souiller vos yeux par des regards indécents, ni vos lèvres par des paroles impures, ni votre cœur par des désirs ou des affections cou- pables, ni votre corps par des actions criminelles? Voulez-vous ne plus commettre d'injustice, ne plus employer la ruse et le mensonge pour vous enrichir au détriment de votre prochain? Voulez-vous vous abstenir de médisances, de calomnies et de mau- vais rapports? Voulez-vous renoncer à vos senti- ments d'orgueil, d'ambition, de vanité, d'envie et de jalousie? Voulez-vous éviter la colère, la pa- resse et l'intempérance?
Si nous parlions ainsi, mes frères, et si nous
13.
— 298 — adressions toutes ces questions aux parrains et aux marraines, croyez-vous que la plupart répon- draient sur-le-champ en toute sincérité : Nous le voulons?
Parrains et marraines, réfléchissez un moment, je vous prie, et sachez bien que vous êtes caution pour cet enfant qui ne peut pas encore répondre par lui-même. Nous allons lui demander s'il re- nonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, et vous répondrez pour lui : J'y renonce. Est-ce bien vrai? Quoil vous renoncez à Satan 1 Mais vous lui êtes vendus corps et âme, et wqus n'êtes que ses misérables esclaves. Vous vous vantez d'être d'hon- nêtes gens et de n'avoir jamais fait tort à personne ; soit: quand cela serait aussi vrai que peut-être cela est faux, vous n'auriez encore observé qu'un seul précepte du Décalogue. Et que faites-vous des neuf autres? Vous passez des semaines et peut-être des mois entiers sans prier Dieu; vous blasphémez son saint nom; vous travaillez et vous faites travailler les jours de dimanche et de fête; vous n'assistez à la Messe et aux offices de la paroisse que lorsque vous n'avez rien de mieux à faire; vous ne remplis- sez plus le devoir pascal depuis bien des années ; l'orgueil, la volupté, la soif insatiable de l'or et de l'argent, se disputent toutes les aff'ections de vo- tre cœur : qu'est-ce donc que tout cela, sinon les œu- vres de Satan? Les plaisirs et les divertissements du monde vous entraînent, son éclat mensonger vous éblouit, ses dignités et ses honneurs sont l'objet de tous vos désirs et de tous vos travaux ; et vous nous
— 299 — dites que vous renoncez à Satan, à ses pompes et à ses œuvres! Mais y avez-vous pensé?
Nous allons demander à cet enfant : Croyez-vous en Dieu, le Père tout puissant, Créateur du ciel et de la terre? Croyez-vous aussi en Jésus-Christ, son Fils unique? Croyez-vous encore au Saint-Esprit, à la sainte Eglise catholique, à la rémission des pé- chés, à la vie éternelle? Vous répondrez au nom de l'enfant : Je crois. Mais parlez-vous sérieusement? Vous croyez en Dieu, vous qui vivez comme s'il n'y avait pas de Dieu, vous qui ne croyez qu'en votre sagesse, en votre habileté, en votre crédit! Tous croyez en Jésus-Christ ! Mais êtes-vous son disciple? Pratiquez-vous les vertus dont il a donné l'exemple? Portez-vous votre croix à sa suite? Tous croyez au Saint-Esprit! Et vous ne faites que l'attrister par votre conduite, et vous vous moquez des pasteurs qui sont ses ambassadeurs et ses ministres. En- fants ingrats, vous déchirez sans cesse le sein de votre mère la sainte Eglise catholique.. Votre con- duite donne le démenti le plus formel à vos pa- roles. Ce que vous faites est-il un jeu d'enfants? est-ce une moquerie sacrilège des choses saintes? ou bien venez-vous jouer la comédie dans le tem- ple du Seigneur? Quoi donc! vous ne remplissez pas les engagements que vous avez contractés en- vers Dieu, et vous osez promettre que cet enfant remplira ceux que vous contractez pour lui ! Vous êtes banqueroutiers, et vous vous portez caution pour d'autres ! Mais s'il s'agissait de la vente d'un objet minime, accepteriez-vous pour caution un
— 300 — homme criblé de dettes? Si l'on vous en présentait un semblable, ne croiriez-vous pas qu'on se moque de vous? El vous voulez que nous vous acceptions pour garantie du salut d'une âme, vous, homme ruiné spirituellement! Qu'aurez-vous à dire à voire filleul, s'il foule aux pieds ses obligations? Ah ! de grâce, s'il vous reste encore quelque sentiment de pudeur ou d'honnêteté, changez de conduite et met- tez-la d'accord avec vos paroles ; alors vous ne men- tirez plus ni à Dieu ni aux hommes, quand vous direz : Je renonce à Satan, à ses pompes el à ses œuvres.
Il nous est aussi ordonné de ne pas souffrir qu'on impose aucun nom profane, absurde ou ridicule, mais seulement le nom d'un saint ou d'une sainte qui soit pour l'enfant un avocat dans le ciel et un modèle sur la terre. Il ne convient pas de donner le nom d'une sainte à un garçon et le nom d'un saint à une fille, si ce n'est le nom de Marie et ce- lui de Joseph ou de Joséphine; encore est-il con- venable d'en ajouter un autre. Mais laissez, je vous prie, ces noms bizarres ou au moins fort étranges qui ne sont d'aucun saint ni d'aucune sainte con- nus. Pourquoi rejetez-vous les noms des apôtres, Pierre, Paul, Philippe, Thomas, Jacques et Jean, et ces autres, Basile, Ambroise, Augustin, Nicolas, Martin, Bernard, François ou Dominique? Pourquoi n'acceptez-vous plus ceux-ci, Lucie, Agnès, Cécile, Agathe, Françoise, Jeanne, Catherine, Marguerite? C'est sans doute parce qu'ils sont trop communs, qu'ils sont portés par la plupart des paysans, des
— 301 — domestiques et des servantes. Il vous faut donc des noms plus rares, des noms d'une consonnance mu- sicale et poétique. Vous ne dites plus Marie, mais Maria. C'est beaucoup mieux sans doute. Hélas 1 quel pitoyable amour-propre I Et vous ne voyez pas que les noms que je vous ai cités ne sont si com- muns que parce qu'ils sont populaires, et qu'ils ne sont populaires que parce qu'ils ont été portés par les personnages les plus illustres? Qu'y a-t-il donc de plus noble, de plus grand, de plus puissant au- près de Dieu que les apôtres, les martyrs, les Pè- res et les Docteurs de l'Eglise? Qu'y a-t-il de plus beau et de plus grand que ces vierges et ces saintes femmes dont je vous ai cité les noms? Donnez-les donc à vos enfants, ces noms si populaires et si communs, et apprenez-leur à les porter aussi no- blement que leurs patrons. C'est ainsi qu'ils seront votre gloire sur la terre et votre couronne dans le ciel. Amen.
NOTIONS HISTORIQUES SUR LES PARRAINS ET MARRAINES.
Les catéchumènes qui espéraient recevoir bientôt le sacre- ment de Baptême transmettaient leurs noms à l'évêque^ la quatrième semaine du Carême, pour les transcrire sur les registres de TEglise. Le nom païen qu'on avait porté jusqu'a- lors n'était pas toujours remplacé par le nom d'un saint; ainsi Tertullien, Origène, saint Ambroise, saint Sergius, saint Bac- chus^ etc., conservèrent leurs noms. Cependant saint Cliry- sostôme et Denys d'Alexandrie avertissaient les fidèles de ne point conserver au Baptême les noms qu'ils tenaient du pa- ganisme, quoique venant de leurs ancêtres, mais de leur substituer le nom d'un saint, afm qu'excités par l'exemple
— 302 —
des saints, les catéchumènes s'efforçassent aussi à imiter leurs vertus. Dans les premiers temps, c'était ordinairement l'évê- que ou le prêtre qui tenait sa place qui imposait le nom. Ainsi, au Baptême de l'épouse de Théodose le Jeune, l'évêque lui donna le nom d'Eudoxie.
Plus tard ce furent ou les parents ou les parrains qui im- posèrent le nouveau nom. Nous trouvons aussi qu'autrefois on donnait au baptisé le nom du saint dont on célébrait la fête ce jour-là. Ainsi Epiphane et Paschasius reçurent ces noms parce qu'ils furent baptisés, Tun le jour de l'Epiphanie, et l'autre à Pâques. On donnait aux filles l'un des noms des trois vertus théologales, la Foi, l'Espérance et la Charité. Des événements extraordinaires, survenus pendant le Baptême, décidaient aussi souvent du nom qu'on imposait à celui qu'on baptisait. Ainsi la fille d'un tribun nommé Rémésius, qui était aveugle dès sa naissance, ayant recouvré la vue-au bap- tistère, fut appelée du nom de Lucilla.
Ceux qui avaient initié les catéchumènes aux vérités fon- damentales du christianisme et qui les présentaient à l'évêque pour être admis au Baptême, étaient considérés comme les garants des enfants qu'on leur confiait. Us devaient, en effet, attester que leurs catéchumèiies possédaient les connaissan- ces requises et que leur conduite était telle qu'on l'exigeait. C'était sur eux que l'évêque se reposait pour les admettre au Baptême, dans lequel ils figuraient en qualité de témoins. Us portaient le nom de recevants, parce qu'ils recevaient les bap- tisés lorsqu'on les enlevait des fonts baptismaux ; ils s'appe- laient aussi pères spirituels. Ce ne fut que vers le milieu du Yiii^ siècle qu'on les appela x^ci^^^^CLins et marraines. 11 paraît assez vraisemblable que cet usage est d'institution apostoli- que. Au temps des persécutions, les parrains étaient très-né- cessaires, tant pour attester que le Baptême avait réellement eu lieu que pour fortifier les catéchumènes dans la foi. Pour le Baptême des adultes, c'était ordinairement un diacre ou une diaconesse, ou autres pieuses filles, qui remplissaient les fonctions de parrains ou de marraines, comme le prescri- vaient d'ailleurs les conslilulions apostoliques. Après avoir
— 303 —
aidé aux catéchumènes à se dépouiller de leurs vêtementS; ils descendaient avec eux, les pieds nus, aux fonts baptismaux, auxquels on parvenait par quelques degrés ; ensuite ils leur passaient la main droite sur la tête ou sur les épaules, et, après le Baptême, les conduisaient hors de Teau, puis de là à Tau- tel, après les avoir essuyés et aidés à remettre leurs habits.
Instruire leurs néophytes sur les vérités fondamentales de la religion, tel était le principal devoir des parrains ; ils de- vaient, en outre, veiller à ce qu'ils fussent fidèles aux enga- gements qu'ils avaient contractés et vécussent conformément aux principes de la foi. C'est pourquoi saint Augustin aver- tissait tous ceux qui se chargeaient de cette importante fonc- tion de se rappeler chaque année, à l'approche de la fête de Pâques, quel compte ils auraient à rendre à Dieu de ces en- fants ; qu'en conséquence ils ne devaient pas cesser de les exhorter avec un amour tout paternel à vivre dans une chas- teté inviolable, à s'abstenir de toute imprécation et de tout jurement, à ne point chanter de chansons obscènes, à se préserver de l'orgueil, de l'envie et de la colère, à fréquen- ter assidûment les églises, à n'y point entretenir de conversa- tions, à aimer et à respecter leurs pasteurs et leurs parents.
INSTRUCTIONS
SACREMENT DE CONFIRMATION
<>o»ioo-
PREMIERE INSTRUCTION.
Da ministre et du sujet du sacrement de Couiiriuatioii.
Tune imponehant maints super illos,ct accipiebanl Spirilum sancUim.
Les apôtres leur imposaient les mains, et ils recevaient le Saint-Esprit.
(AcT., VIII, 17.)
Par le Baptême vous êtes devenus les enfants adoptifs du Père éternel, les frères et les membres de son Fils unique, et les temples du Saint-Esprit. Quels beaux titres de noblesse! Est-il possible qu'il y ait des chrétiens assez ingrats et assez aveu- gles pour ne pas les apprécier? Mais sans le Bap- tême que seraient-ils devenus? Pour se débarras- ser du soin de les nourrir, leurs parents n'auraient- ils pas fait comme les barbares et les sauvages? ne les auraient-ils pas jetés dans quelque rivière ou donnés en pâture aux animaux immondes? ou, s'ils les avaient élevés, ne seraient-ils pas aujour- d'hui les misérables esclaves de quelque maître
— 306 — dur et cruel? Qui donc a rendu sacré le petit en- fant qui vient de naître? Qui en a fait un ange aux yeux de ses parents? N'est-ce pas Jésus-Christ par le sacrement de Baptême? N'est-ce pas lui aussi qui nous a rendus libres en nous faisant ses frères? Rendons-lui d'immortelles actions de grâ- ces pour un tel bienfait.
Mais c'est assez sur le Baptême, et il est temps de vous expliquer la Confirmation, que les Doc- teurs appellent imposition des mains, chrême du, salut, sceau du Seigneur , sceau du Saint-Esprit y sacrement du saint chrême , sacrement de la perfection ou de la consommation ; mais on l'ap- pelle plus communément Confirmation, parce qu'il nous affermit dans la foi et qu'il fortifie la grâce que nous avons reçue au Baptême, que nous y confirmons les promesses que nous avons faites à Dieu, et que Dieu, par une nouvelle et plus abon- dante effusion de son Esprit, nous y confirme les dons qu'il nous a faits.
La Confirmation est un sacrement de la loi nou- velle qui confère le Saint-Esprit aux chrétiens pour confesser avec courage et intrépidité la foi de Jésus-Christ.
Les hérétiques des derniers temps ont prétendu que la Confirmation n'était qu'une simple cérémo- nie, une espèce d'examen que l'évêque faisait subir aux jeunes gens parvenus à l'adolescence. L'E- glise les a frappés d'analhème par ces paroles : H. Si quelqu'un dit que la Confirmation, dans ceux qui sont baptisés, n'est qu'une vaine cérémonie et
— 307 —
non pas un sacrement véritable et proprement dit, ou qu'autrefois ce n'était qu'une espèce de caté- chisme où ceux qui approchaient de l'adolescence rendaient compte de leur foi en présence de l'évê- que, qu'il soit anathèrae. » fConc. Trid., sess. vu, de Conf., can. 1.)
Ecoutez ce que dit l'Ecriture : « Ayant appris que la ville de Samarie avait reçu la parole de Dieu, les apôtres qui étaient à Jérusalem y envoyèrent Pierre et Jean, qui, étant venus, prièrent pour eux pour qu'ils reçussent le Saint-Esprit, car il n'était encore descendu sur aucun d'eux; mais ils avaient été seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors ils imposaient les mains sur eux, et ils rece- vaient le Saint-Esprit. » Et plus loin il est dit en- core : « Ayant entendu ces choses, ils furent bap- sés au nom duSeigneur Jésus; et lorsque saint Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descen- dit sur eux, et ils parlaient diverses langues, et ils prophétisaient. » (Act., viii, 44, et xix, 5.)
Ne voyez-vous pas là un véritable sacrement, le signe sensible ou l'imposition des mains qui produit la grâce? Car le Saint-Esprit ne demeure dans l'âme que de celui qui reçoit en même temps la grâce. Et ce signe sensible a été institué d'une manière permanente dans l'Eglise , puisque dans tous les temps l'Eglise a fait aux fidèles un devoir rigoureux de recevoir la Confirmation.
En recevant le Saint-Esprit, les premiers chré- tiens recevaient aussi le don des langues ou des miracles ; et quoique la Confirmation ne produise
— 308 — plus aujourd'hui ces merveilleux effets, elle ne communique pas moins le Saint-Esprit aux fidè- les. Le don des miracles était nécessaire à l'Eglise à son berceau. Le jardinier arrose le jeune arbre qu'il vient de planter, et il cesse de l'arroser quand il a poussé de profondes racines : ainsi Jésus-Christ a fortifié son Eglise naissante par les miracles ; mais il lui a retiré cette faveur après qu'elle a poussé des racines assez vigoureuses pour résister aux plus furieuses tempêtes.
Il est inutile de vous citer les nombreux passa- ges des saints Pères. Ils enseignent constamment que les disciples de Jésus-Christ baptisaient , mais qu'ils ne donnaient pas le Saint-Esprit, parce qu'ils n'en avaient pas le pouvoir ; c'était le droit des seuls apôtres; c'est pour cela que ce sont les évêques et non les prêtres qui donnent le Saint- Esprit.
A la doctrine des saints Pèresjoignez la pratique constante de toutes les Eglises, dans tous les temps et dans tous les lieux. Tantôt on administre la Confirmaiion aux enfants avec le Baptême et l'Eu- charistie; tantôt on la confère à ceux qui sont parvenus à l'âge de discrétion. Il est expressément défendu aux prêtres et aux diacres de l'adminis- trer; il n'y a que les évêques qui en aient le droit. Ce n'est donc pas une pure cérémonie ni un sim- ple examen, mais un sacrement proprement dit.
L'évêque seul est le ministre ordinaire du sacre- ment de Confirmation ; mais un simple prêtre peut aussi l'administrer lorsqu'il en reçoit le pouvoir
— 309 —
du Souverain Pontife ; et, dans ce cas, il doit se servir de saint chrême bénit par un évêque.
Ecoutez saint Thomas : « Dans une œuvre quel- conque, c'est toujours le chef supérieur qui y met la dernière main. S'agit-il d'un édifice? les ou- vriers inférieurs préparent les matériaux et les mettent à leur place ; mais l'architecte, qui con- naît la destination de l'édifice, peut l'achever. S'a- git-il de l'expédition des affaires? le secrétaire écrit les lettres, et le magistrat les signe et y met son sceau. Or, d'après la doctrine de saint Paul, les chrétiens sont des édifices spirituels ; les prêtres les construisent par le Baptême, mais les évêques en font la dédicace et les consacrent à Dieu par la Confirmation. Les chrétiens sont comme une épitre que les prêtres écrivent et que les évêques signent en conférant le sacrement de Confirmation. C'est pourquoi l'administration de la Confirmation est réservée aux seuls évêques, qui ont la plénitude du pouvoir dans l'Eglise, étant les successeurs des apôtres. Nous lisons en eflet dans le livre des Actes que les apôires seuls imposaient les mains pour conférer le Saint-Esprit. » (Sum., 3. p., q. 32, art. 1 1 .)
L'évêque ne peut conférer licitement la Confir- mation qu'à ses diocésains, et il pécherait grave- ment s'il la donnait à d'autres sans le consentement exprès ou tacite de l'évêque sous la juridiction du- quel ils sont placés.
C'est un devoir rigoureux et qui obhge sous peine de péché grave, pour tout évêque chargé du
— 310 — soin des âmes, de parcourir son diocèse assez fré- quemment pour administrer aux fidèles le sacre- ment de Confirmation.
Comprenez-vous, mes frères, la beauté et tous les avantages de cette doctrine? Le Souverain Pon- tife peut accorder, et il accorde en effet dans des temps de persécution, à de simples prêtres le pou- voir de conférer le sacrement de Confirmation. S'il n'avait point ce pouvoir, il arriverait souvent qu'une multitude de fidèles seraient privés de ce sacrement dans le moment môme où ils en au- raient le plus besoin pour les fortifier dans la foi et leur donner la force de confesser Jésus-Christ même au péril de leur vie. Quand l'enfer se dé- chaîne contre l'Eglise de Dieu, il porte d'abord ses coups sur le chef ou sur l'évèque, afin d'avoir plus facilement raison du troupeau privé du pasteur. Il faut donc que l'évèque, pour échapper à la fureur des tyrans, se tienne caché dans quelque retraite ignorée, d'où il donne ses ordres et ses pouvoirs pour le bon gouvernement de son diocèse. Vous voyez par là, nàcs frères, que ce privilège, accordé quelquefois à de simples prêtres, n'est pas une distinction honorifique qui flatte leur amour-propre, mais une mission délicate et périlleuse, toute au profit des fidèles. Ceux qui en seront revêtus au- ront la gloire du marlyrc peut-être, ou s'exposeront du moins à être persécutés pour l'amour et le nom de Jésus-Christ.
Le Souverain Pontife fait assez souvent usage de cette faculté de délégation en faveur des mission-
— 314 —
naires qui vont porter la lumière de l'Evangile chez des nations infidèles ou barbares. L'histoire ne nous montre-t-elle pas que ceux qui embrassent les premiers la foi catholique chez un peuple sont toujours soumis à de cruelles et à de sanglantes épreuves? Il est donc nécessaire qu'ils soient re- vêtus de la force d'en haut, du sacrement qui fait les héros chrétiens ou les martyrs ; et parce que la plupart ne verront pas l'évèque une fois dans leur vie, il est nécessaire que de simples prêtres puissent leur donner le Saint-Esprit.
Pourquoi un évêque ne peut-il pas déléguer un simple prêtre pour administrer la Confirmation? Parce que, s'il avait cette faculté, il sérail peut-être tenté de se décharger du devoir si important de la visite de son diocèse; et il priverait ainsi les âmes confiées à sa sollicitude d'une grande abondance de grâces et de bénédictions.
En effet, sans compter les avantages matériels qui résultent nécessairement des visites épiscopa- les, il vous est facile de comprendre que sa pré- sence communique la vie et le mouvement partout. En examinant les choses de près, vous pourriez vous convaincre que chaque année une somme de plus de cent mille francs est mise en circula- tion, à l'occasion de la visite de l'évèque dans son diocèse, soit pour la décoration des églises, soit pour l'achat des habits des confirmands, soit pour d'autres dépenses qu'il est plus facile de prévoir que d'exprimer. Et certes, mes frères, ce n'est pas à dédaigner pour un siècle qui n'apprécie les
— 312 —
choses qu'à prix d'argent; car, d'après ce calcul, ce sont huit millions utilement dépensés chaque année en France par suite de l'administration d'un sacrement.
Au point de vue religieux et moral, la visite de l'évêque exerce la plus salutaire influence sur le clergé et les fidèles. Il s'assure par lui-même delà situation morale de chaque paroisse; il voit de ses propres yeux si la discipline est observée, si les églises sont tenues avec décence et propreté, si les fidèles sont instruits, si la foi règne dans les cœurs, si les sacrements sont fréquentés. Il distribue le blâme et l'éloge à ceux qui le méritent; il relève les cœurs abattus, encourage la bonne volonté, et fait connaître les moyens propres à corriger les abus, à raviver la piété chrétienne, à faire marcher tous les fidèles d'un pas plus ferme et plus rapide dans le chemin de la vertu.
La visite de l'évêque est toujours un grand jour de fête pour une paroisse. Que dis-je? c'est un évé- nement qui fait époque dans la vie des générations qui se succèdent. Voyez comme la joie est peinte sur tous les visages, et comme tous, grands et pe- tits, courent à sa rencontre au moment de son ar- rivée. Aux yeux de la foi qui les anime, ce n'est pas seulement la visite d'un grand personnage, mais celle du représentant même de Jésus-Christ, d'un successeur des apôtres. Son air de bonté, de douceur et d'afl'abiUté les touche et les attendrit jusqu'aux larmes. Bientôt ils se rassemblent à l'é- glise; l'homme de Dieu leur adresse des paroles
— 313 —
d'édification. Aux parents, il recommande la piété, la vertu, le bon exemple; aux enfants, le respect, l'amour, l'obéissance; aux maîtres, l'affection, la justice, la vigilance; aux domestiques, 1 amour du travail, le dévouement, la fidélité; aux riches, la charité et la compassion; aux pauvres, la patience et la résignation. Il compatit à toutes les souffran- ces, il console toutes les peines, il adoucit toutes les douleurs. Des larmes de bonheur coulent de tous les yeux. Ses bienfaits, comme ses paroles, seront gravés dans tous les cœurs. Qui pourra ja- mais apprécier les heureux résultats des encoura- gements donnés par le premier pasteur d'un dio- cèse dans les visites qu'il fait chaque année?
Tout chrétien est obligé de recevoir le sacrement de Confirmation quand il le peut. Nous disons quand il le peut, parce que ce sacrement n'est pas néces- saire au salut comme le Baptême. Le chrétien qui n'aura pu le recevoir ne sera pas exclu du ciel pour ce motif.
Suivant la doctrine du saint concile de Trente, l'Eglise désire avec ardeur que tous ceux qu'elle a régénérés par le Baptême deviennent parfaits par la Confirmation. Le savant pape Benoît XIV, en par- lant des personnes qui n'ont pas reçu validement le sacrement de Confirmation, dit que les évêques doivent les avertir qu'elles commettraient une faute grave, si elles négligeaient ou si elles refusaient de le recevoir lorsqu'elles en auront l'occasion. Les fi- dèles sont donc obligés, sous peine de péché mortel, de recevoir ce sacrement lorsqu'ils le peuvent.
14
— 314 —
Ecoulez saint Thomas : « C'est l'intention de la nature, nous dit-il, que quiconque naît corporel- Icmenl atteigne son développement complet; mais c'est encore bien plus l'intention de Dieu que tout arrive à sa perfection ; car c'est de lui que la na- ture elh-même a reçu ce désir, suivant cette pa- role : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, l'âme, dont la nature est de naître et de croître spirituel- lement, est immortelle; et de même qu'elle peut naître à la grâce quand l'homme est déjà vieux, elle peut aussi atteindre à sa perfection quand il est jeune encore, parce que l'âge du corps ne saurait nuire à l'âme. On est donc obligé de recevoir la Confirmation à tout âge.
« Dans l'état militaire, on n'admet pas des per- sonnes de tout âge, de toute forme, de toute con- dition; on en exclut les esclaves, les femmes, les vieillards et les enfants. Il n'en est pas ainsi quand il s'agit des combats de Dieu : la carrière est ou- verte à tout âge, à tout sexe, à toute condition. Il est même permis aux femmes de combattre; et il en est qui se sont distinguées par un courage vrai- ment viril ; d'autres ne l'ont cédé en rien aux hom- mes, et d'autres enfin se sont montrées plus vail- lantes et plus courageuses que des hommes, comme on peut s'en convaincre par les Actes des Martyrs. Donc on doit donner le sacrement de Confirmation à tous les fidèles, même aux malades et aux mori- bonds, afin qu'ils ressuscitent dans la perfection de la vie spirituelle. Hugues de Saint- Victor enseigne qu'il est tout à fait dangereux de sortir de ce monde
— 315 — sans avoir reçu le sacrement de Confirmation, non pas qu'on serait exclu du ciel, à moins qu'on ne l'ait refusé par mépris, mais à cause de la perte spirituelle qu'on fait. »
Les fidèles sont donc obligés de recevoir le sa- crement de Confirmation par cette loi fondamentale de leur nature que vous invoquez si souvent, par la loi du progrès, puisqu'il est destiné à donner la plénitude de la vie divine. Semblable au soleil qui resplendit d'une lumière plus vive à mesure qu'il avance dans sa course, le chrétien doit croître et grandir chaque jour en perfection.
La Confirmation a aussi pour but de fortifier le chrétien, de lui donner des armes puissantes pour combattre ses ennemis si nombreux et si redouta- bles. Ecoutez le prince des apôtres : « Le diable, votre adversaire, tourne sans cesse autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un pour le dévorer; résistez-lui, forts dans la foi. » N'est-ce pas de la Confirmation que veut parler saint Paul quand il jette ce cri de guerre : « Revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin que vous puissiez demeurer fermes contre hs embûches du diable. »
Quand nous vous exhortons à la pratique de la vertu, mes frères, vous prétextez qu'elle est au-des- sus de vos forces; si vous tombez dans le désordre, vous en accusez votre faiblesse. N'est-ce pas une preuve assez convaincante que vous devez recourir au sacrement que Dieu a préparé pour donner de la vigueur à vos âmes? Le repousser serait lui jeter l'insulte et lui dire : Je ne me soucie de ta grâce et
— 3i6 — de ton secours; je suis faible, il est vrai, et mes passions m'entraînent au mal ; mais peu importe que je perde mon âme et que tu sois offensé! Voyez quelle dérision, quel mépris de Dieu et de ses bienfaits !
Vous me direz sans doute : Ce qui manque aux hommes, c'est l'instruction; montrez-leur tout ce qu'il y a de beau et de noble, inspirez aux jeunes gens le désir de se distinguer par des actions gran- des et généreuses, et vous aurez bientôt réformé la société. L'âme de l'homme est un champ fertile de sa nature ; il suffit de le bien cultiver pour lui faire produire les plus beaux fruits. C'est là ce que les honnêtes gens répètent sur tous les tons, comme si l'instruction seule pouvait rendre l'homme ver- tueux. Mais est-ce que des faits malheureusement trop nombreux ne donnent pas le démenti le plus formel à cette belle théorie? Que sont donc, je vous le demande, ces grands criminels que vos cours d'assises jettent sur l'échafaud ou dans les bagnes? Si vos principes sont vrais, ces scélérats doivent être des ignorants, et les prix de vertu ne peuvent être accordés qu'aux lettrés et aux savants. Mais vos statistiques établissent tout le contraire. Ces hommes que frappe le glaive de la loi sont pour la plupart versés dans toutes les connaissances hu- maines. L'instruction n'a servi qu'à développer les instincts dépravés de leur nature et à leur faire mieux connaître les moyens de les satisfaire.
Mais un seul fait suffit pour vous convaincre que la vertu n'est pas une conséquence nécessaire de
— 3n —
l'instruction. Il y a dix-huit siècles que parut dans le monde, dans un coin de la Judée, le plus sa- vant, le plus habile et le plus vertueux de tous les maîtres. Pendant trois ans il donna à quelques dis- ciples les plus sublimes leçons de vertu en les for- tifiant par la puissance de l'exemple. Cependant ar- rivent des jours d'épreuves : les plus intrépides lâ- chent pied et prennent honteusement la fuite; ils se rendent coupables de la plus noire ingratitude. Ce n'est qu'après avoir reçu le Saint-Esprit, c'est-à dire le sacrement de Confirmation, qu'ils devien- nent des hommes tout nouveaux, fermes dans la foi et dans la vertu.
Concluons. Tout fidèle qui néglige l'occasion de recevoir le sacrement de Confirmation, ou qui, par mépris ou par respect humain, refuse de le rece- voir, pèche gravement, surtout à notre époque, où l'on rencontre tant de difficultés de persévérer dans la vertu. D'où il suit que les parents, les tuteurs, les maîtres et les supérieurs qui ne se mettent pas en mesure pour préparer leurs enfants, leurs domes- tiques et leurs ouvriers à recevoir le sacrement de Confirmation en temps opportun, se rendent cou- pables de péché mortel.
Maintenant que vous connaissez vos obligations, remphssez-les, je vous en conjure. Si quelqu'un d'entre vous n'a pas encore reçu le sacrement de Confirmation, qu'il se dispose à le recevoir à la pre- mière occasion. Si d'autres l'ont reçu en état de pé- ché mortel, je leur dirai : Ne vous désespérez pas; vous avez commis un grand crime, il est vrai, mais
— 348 -^ Dieu vous offre votre pardon. Ne le refusez pas; et au moment même où le prêtre prononcera sur vous la sentence d'absolution, vous recevrez la rémis- sion de vos péchés et en même temps la grâce de la Confirmation. Amen.
SAINT CLÉMENT, ÉVÊQUE D'aNCYRE.
Saint Clément naquit en la ville d'Ancyrede parents nobles et riches. Il perdit son père quelques jours après sa naissance ; mais sa mère, qui s'appelait Sophie, l'éleva avec le plus grand soin. Sentant sa fin approcher, elle lui dit : « Mon fils, je t'ai donné le corps que tu as^ mais Jésus-Christ t'a engendré par son esprit; reconnais-le pour ton père, et tâche de n'avoir pas en vain ce nom de fils; ne sers que Jésus-Christ et mets en lui toute ton espérance. Quiconque obéit à ce Seigneur surmontera toutes choses , et ne triomphera pas seulement des rois et des tyrans qui adorent les idoles, mais aussi des démons qui parlent en elles. » Elle lui annonce ensuite qu'il sera martyr et lui dit : « C'est à ce coup, mon fils, que je me sépare de toi. Je ne te demande d'autre récompense, pour t'avoir mis au monde et nourri avec tant de soin, que d'être glorifiée en tes membres. Je te prie, ma lumière, ma vie, mes entrailles, que je ne sois point frustrée de mon espérance. Une femme de la nation des Hébreux engendra sept martyrs, mais j'aurai assez de toi pour ma gloire et pour tenir le rang de bienheureuse parmi les autres mères. Je serai séparée de toi de corps, mais mon âme sera unie à la tienne et je me glo- rifierai en tes travaux. » Puis elle l'embrasse tendrement et lui dit : « Que je suis heureuse de baiser les membres d'un martyr, qui doivent être offerts en sacrifice à Jésus-Christ! »
Après avoir enterré honorablement sa mère. Clément em- brassa la vie monastique, prenant Dieu pour père. Une femme nommée Sophie, aussi sainte et aussi noble que sa mère, vou- lut la remplacer près de lui, et elle en prit soin comme s'il eût été son fils.
— 319 —
il arriva enGalalie une grande stérilité, pendant laquelle Clément recueillait tous les pauvres, les orphelins et les en- fants qui se traînaient par les rues tout nus et affamés. Il les habillait et les instruisait, afm de les fortifier dans la foi et l'amour de Jésus-Christ, et la plupart d'entre eux devinrent martyrs. Sophie les traitait tous comme ses enfants. Clément ne vivait que de légume!^; et croissait de jour en jour en sain- teté, si bien qu^il fut chargé d'annoncer la parole de Dieu ; puis il fut fait diacre et prêtre.
Elu évêque à l'âge de vingt-deux ans, il prit encore un plus grand soin des orphelins, leur administrait le Baptême et leur enseignait la doctrine céleste, il prenait encore un soin plus particulier des enfants que leurs parents lui ame- naient pour les instruire.
L'empereur Maximien le fait comparaître devant lui et essaie de le faire apostasier; mais ses promesses et ses menaces sont inutiles. Il le fait donc attacher à un pieu, et on lui déchire le corps avec des peignes de fer. Les bourreaux lui arrachent beaucoup de chair de ses plaies, de sorte qu'on voyait ses en- trailles. Il est si déflguré et si couvert de sang qu'on ne peut le regarder sans compassion. Mais le saint martyr ne s'étonne point, il ne fait entendre ni cri ni plainte, mais il loue cons- tamment notre Seigneur qui le soutient.
De nouveaux bourreaux prennent la place de ceux qui sont épuisés et lui font souffrir de plus cruels tourments; mais il s'y montre insensible. Le tyran s'étonne de sa constance et se trouve vaincu. Il le fait détacher du poteau. On lui a tant emporté de chair qu'il n*a plus la figure d'un homme. Le juge essaie encore une fois de le gagner par de belles promesses. Le saint lui répond qu'il peut éprouver sur lui tout ce qui lui paraît insupportable. Le juge furieux le fait frapper rudement à coups de pierres sur les joues et sur le visage, et saint Clé- ment se réjouit et remercie notre Seigneur. Maximien le ren- voie en prison et se détermine à l'envoyer à l'empereur Dio- clétien, qui était à Rome, en lui faisant le récit de ce qui s'est passé.
Clément est conduit à Rome et présenté à l'empereur. Ce-
— 320 —
lui-ci, voyant le visage riant du prisonnier et sachant les sup- plices atroces qu'il a déjà endurés, s'étonne de le voir vivant, et lui fait apporter, d'un côté, de l'or, de l'argent, de riches vêtements et les marques des dignités qu'il lui promet, et d'autre part, des charbons, des lits, des roues et des peignes de fer, avec tous ies autres instruments dont on tourmentait les martyrs; puis, regardant le saint martyr d'un visage doux et riant, il lui offre toutes ces richesses et tous ces biens, s'il veut adorer ses dieux. Clément, jetant un profond soupir, lui répond : « Que vos dieux puissent être confondus et vous avec eux ! » Alors l'empereur lui montre les instruments d^ supplice et lui dit : « Voilà ce que j'ai préparé pour ceux qui blasphèment contre nos dieux. » Clément lui répond : « Si vos tourments sont insupportables, comme vous pensez, et vos dons si précieux et si magnifiques, que sera-ce des dons de Dieu et des châtiments qu'il a préparés pour punir les mé- chants? » (RiBADENEFRA,)
ir INSTRUCTION.
De la matière et de la forme du sacrement de Coiifiriiiation.
Qui confirmai nos in Christo, et qui unxit nos Deus, et dédit pigmis Spiritu.' in cordibus nostris.
Dieu nous a confirmés en Jésus-Chrisl. et nous a oints, et nous a donné le gage lia Saint-Esprit dans nos cœurs
(II Cor.. I, 21.;
Ce que nous avons dit sur les dispositions néces- saires pour recevoir les sacrements nous dispense d'entrer dans de longs détails. Outre l'intention, une seule disposition est requise pour recevoir va- lidement la Confirmation, savoir le caractère du Baptême; car c'est par le Baptême que les hommes naissent à la vie surnaturelle et divine, et c'est par la Confirmation qu'ils atteignent la perfection et la plénitude de cette vie : or, ne faut-il pas exister avant de croître? ne faut-il pas être au monde pour grandir?
Tous ceux qui ont été baptisés peuvent donc re- cevoir la Confirmation, même les enfants et les idiots. Cependant l'Eglise nous avertit qu'il ne con- vient pas de l'administrer à ceux qui n'ont pas en- core l'usage de raison ; car le but principal de ce sacrement est de mettre les fidèles en état de con- fesser courageusement leur foi, de triompher du
u.
— 32i —
respect humain, des scandales et des railleries du monde. Mais ce n'est qu'à l'âge de raison que ce devoir oblige. On reçoit d'ailleurs ce sacrement avec plus de fruit quand on en connaît l'excel- lence et les précieux effets.
Les adultes doivent être en état de grâce pour recevoir la Confirmation, puisque c'est un sacre- ment des vivants, et ils doivent s'y préparer par le jeûne et d'autres œuvres de piété, comme les apôtres se disposèrent à recevoir le Saint-Esprit.
Ce sacrement se confectionne et se confère par l'imposition des mains que l'évêque fait sur le chrétien et par l'onction du saint chrême sur le front, en prononçant les paroles sacramentelles : telle est la matière et la forme de la Confirmation.
L'évêque commence la cérémonie en imposant les mains sur ceux qu'il doit coufirmer, et en ré- citant en même temps une prière. Si quelqu'un arrivait après cette cérémonie, il ne devrait pas se présenter pour recevoir le sacrement ; mais il faudrait prévenir l'évêque, afin qu'il réitérât cette première imposition pour lui , ou qu'il lui adminis- trât le sacrement en particulier. Il est cependant très-probable que l'imposition essentielle au sacre- ment est celle que fait l'évêque avec la main sur la tête du confirmand au moment où il fait l'onc- tion.
Cette imposition des mains signifie que Dieu prend possession do sa créature ou du fidèle, qu'il le tient comme dans sa main pour en faire l'ins- trument de son adorable volonté. Le chrétien doit
— â23 — se regarder comme une victime olïerte à Dieu, et en même temps comme un pontife ou un prêtre qui s'offre lui-même en sacrifice, comme le repré- sentant du Très-Haut, revêtu d'un pouvoir divin, et sur lequel Dieu étend sa protection particulière. Vous tous qui avez reçu le sacrement de Confirma- tion, soyez donc saints et irréprochables, et con- duisez-vous dans le monde aussi dignement que fait dans une cour étrangère l'ambassadeur d'un puissant monarque. La main de Dieu sera conti- nuellement suspendue sur votre tête et vous dé- fendra contre vos adversaires; elle sera pour vous un bouclier impénétrable contre lequel viendront se briser tous les traits de vos ennemis.
Rentrez en vous-mêmes, mes frères, et voyez si vous êtes de véritables victimes offertes à Dieu pour lui rendre le culte qui lui est dû. Dans l'an- cienne loi, lorsque le prêtre offrait un sacrifice, il égorgeait d'abord la victime, et la plaçait ensuite sur des charbons ardents pour la consumer. Voyez donc, êtes-vous morts à vous-mêmes , morts au monde et à ses vanités? êtes-vous consumés par le feu de la charité divine? Les forces de votre corps et les puissances de votre âme sont-elles mises en mouvement par la charité? L'oblation de vous-mêmes est-elle entière et complète? Ne reste- t-il rien de la victime? Toutes vos pensées, toutes vos affections, toutes vos œuvres ont-elles pour but la gloire de Dieu? Avez-vous dans toute votre conduite la gravité du prêtre, la sainteté du pontife, la dignité ou la majesté de l'ambassadeur?
— 3H —
L'onction du saint chrême fait aussi partie de la matière du sacrement de Confirmation. Or, le saint chrême est un mélange d'huile et de baume qui se fait avec la bénédiction de l'évêque. Ces deux cho- ses sensibles et mêlées ensemble montrent la diver- sité des dons du Saint-Esprit qui nous sont com- muniqués par la Confirmation. Et certes il eût été difficile de trouver une autre matière plus propre que celle du saint chrême à représenter les effets de ce sacrement. L'huile, qui de sa nature est grasse, coule et se répand facilement, exprime la plénitude de la grâce qui par le Saint-Esprit se ré- pand de Jésus-Christ notre chef sur ses membres, semblable au parfum qui coula sur la barbe d'Aaron et jusque sur ses vêtements; car Dieu a versé l'huile de joie sur son Fils avec plus d'abondance que sur tous les autres, et nous avons tous reçu de sa plénitude.
Le baume, dont l'odeur est très-agréable, signifie la bonne odeur de toutes les vertus que les fidèles doivent répandre partout, après qu'ils sont devenus parfaits par la Confirmation ; ce qui leur permet de dire avec saint Paul : Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ devant Dieu. Une autre pro- priété du baume est d'empêcher de se corrompre les choses qui en ont été enduites; ce qui explique admirablement la vertu de la Confirmation, dont la grâce préserve aisément les cœurs de ceux qui la reçoivent dignement.
Le saint chrême est consacré par l'évêque, le représentant le plus direct de Jésus-Christ, pour
— 325 —
nous faire comprendre que le saint chrême tire toute sa vertu de cet aimable Sauveur; et saint Cyrille de Jérusalem lui en attribue une si grande, qu'il compare le saint chrême, après sa consécra- tion, au pain eucharistique , et il assure qu'il opère par la présence de la Divinité. « INe vous imaginez pas, dit-il, que ce parfum soit une chose commune. Car de même que le pain de l'Eucharistie, après l'invocation du Saint-Esprit, n'est plus un pain or- dinaire, mais le corps de Jésus-Christ même; ainsi le saint chrême n'est plus quelque chose de simple, ou, si vous voulez, de profane, mais un don de Jé- sus-Christ et du Saint-Esprit, qui est devenu effi- cace par la présence de la Divinité. »
L'évêque consacre le saint chrême le jeudi saint, le jour anniversaire de l'institution de l'Eucharis- tie, pour nous rappeler que le sacrement de Confir- mation a pour but de nous faire parfaits chrétiens, afin que nous soyons fermes et stables dans la vertu et en état de communier souvent. Ne faut-il pas en effet, pour s'approcher fréquemment de la table sainte, être exempt de péché mortel et de toute affection au péché véniel? Or, com- ment pourrions-nous, si remplis de misères, si enclins au mal que nous sommes, nous main- tenir constamment dans un état aussi parfait, sans être revêtus, comme les apôtres, de la force d'en haut, de la vertu toute puissante du Saint- Esprit?
L'huile, dont l'effet ordinaire est d'adoucir et de fortifier, signifie que le sacrement de Confirma-
— 326 — lion produit une grâce particulière qui adoucit ce que la loi de Dieu peut avoir de trop pénible, et fortifie la volonté pour l'observer avec courage. Désirez-vous savoir, mes frères, si le Saint-Esprit que vous avez reçu au moment de la Confirmation habite en vous? Examinez s'il produit ces deux heureux effets. Ne trouvez-vous pas trop pénibles l'observation du jeûne et de l'abstinence et la mor- tification des sens? Ne trouvez-vous pas trop par- faites les vertus prescrites par l'Evangile, le renon- cement à sa volonté, le pardon des injures et le crucifiement de la chair? S'il en est ainsi, il est fort à craindre que vous n'ayez chassé le Saint- Esprit de votre cœur.
Cependant Dieu ne vous demande pas ce qui est impossible, c'est-à-dire que vous aimiez à vivre pauvrement et à être accablés d'infirmités ou d'af- fliclions; car la grâce ne détruit pas la nature. Mais il exige que le courage ne vous fasse pas dé- faut, quand il s'agit d'observer ces lois si contraires à notre nature dégradée, et que vous sachiez vous élever au-dessus de ses mauvaises tendances. Si vous triomphez de ses répugnances , c'est une preuve que le Saint-Esprit demeure en vous et qu'il vous fortifie par sa présence.
On se sert d'huile d'olive pour faire le saint chrême, autant parce qu'elle est la meilleure que parce que l'olivier, étant toujours vert, exprime mieux la vigueur toujours nouvelle du chrétien confirmé et la miséricorde du Saint-Esprit. L'oli- vier est aussi le symbole de la paix, et il nous fait
~ 327 — comprendre que le chrétien doit jouir d'une pais profonde, mais en combattant sans relâche ses nombreux ennemis. Or, mes frères, en est-il ainsi de vous? Votre courage est-il constant et votre vigueur toujours nouvelle? Avez -vous combattu avec assez d'énergie vos passions désordonnées pour qu'elles vous laissent jouir aujourd'hui d'une tranquillité parfaite ? Pouvez-vous porter toujours à la main le rameau d'olivier comme symbole de la paix de votre âme ?
Comme le baume empêche la corruption, le saint chrême signifie que le Saint-Esprit nous pré- serve du péché par sa grâce et nous fait répandre la bonne odeur de Jésus-Christ. Or, cette grâce nous a-t-elle préservés de la corruption du péché '^ Hélas I que de chutes lamentables depuis l'époque où nous avons reçu la Confirmation! Cette grâce n'est-elle pas la même que celle qui a changé les apôtres et en a fait des hommes tout nouveaux, qui leur a fait aimer la pauvreté, le mépris et les souffrances? >''est~ce pas cette même grâce qui a fait les martyrs et leur a donné cette grandeur d'âme qui consternait les bourreaux et convertis- sait les geôliers? D'oii vient qu'elle n'a point pro- duit en nous les mêmes fruits de vie? Mais en nous elle est tombée dans des cœurs orgueilleux, atta- chés aux choses de la terre, ou passionnés pour les plaisirs ; les apôtres et les martyrs étaient hum- bles, pleins de mépris pour les biens de ce monde, zélés pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Au lieu de coopérer à la grâce et de combattre jus-
— 328 —
qu'au sang, nous avons cédé au premier choc, et nous avons rendu les armes.
Quelles n'ont pas été les suites déplorables de notre résistance aux grâces de Dieu? Au lieu d'a- voir été la bonne odeur de Jésus-Christ, nous avons répandu une odeur de corruption; au lieu d'être une odeur de vie, nous avons été une odeur de mort. Lorsque les premiers chrétiens répandaient leur sang pour Jésus-Christ, le courage surhumain dont ils étaient animés donnait du cœur aux plus lâches, et le sang des martyrs devenait une semence de chrétiens. Que d'âmes n'aurions-nous pas sauvées, si nous nous fussions montrés supérieurs au res- pect humain, à la calomnie ou à la peur! Mais, en nous voyant fuir, les autres ont fui avec nous. Re- prenons nos armes, et vengeons-nous de nos nom- breuses défaites en remportant de glorieuses vic- toires.
La forme du sacrement de Confirmation consiste dans ces paroles qui accompagnent l'onction : Je te marque du signe de la croix, et je te confirme par le chrême du salut, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Cette forme explique parfaitement la nature et la substance du sacrement; car la puis- sance de Dieu qui y opère comme cause principale, la force de l'esprit et du cœur qui, par l'onction sainte, est donnée aux fidèles pour leur salut, et le signe dont est marqué celui qui va entrer dans la milice chrétienne, sont clairement exprimés par les paroles que nous venons de rapporter.
L'évêque prend du saint chrême avec son pouce
— 329 — de la main droite, et, appelant le confirmand par son nom de baptême, il lui fait l'onction sur le front en forme de croix en prononçant les paroles de la forme. Il applique le saint chrême avec le pouce de la main droite pour nous marquer que c'est le Saint- Esprit surtout qui opère dans le sacrement de Con- firmation ; car, dans la sainte Ecriture et dans la liturgie, il est appelé le Doigt de la main droite du Père, Digitus paternœ derterœ. Il est ainsi nommé, dit saint Thomas, parce que, comme le pouce est le doigt le plus fort de la main droite de l'homme, ainsi le Saint-Esprit est la plus grande force de la main droite de Dieu, et il ne la déploie que quand il s'agit de communiquer aux chrétiens ce qu'il a de plus précieux, de les protéger et de les défendre d'une manière toute spéciale ; ce qui veut dire que dans le sacrement de Confirmation Dieu déploie sa toute-puissance pour remplir notre âme de l'abondance de ses grâces, pour l'environ- ner de sa protection comme d'un rempart inex- pugnable.
L'évêque fait Tonction en forme de croix pour nous rappeler que toutes les grâces que nous rece- vons de Dieu nous ont été méritées par notre Sei- gneur Jésus-Christ en mourant sur la croix. Le voyez-vous élevé entre le ciel et la terre, et les bras étendus pour embrasser tous les peuples dans la tendresse de sa miséricorde? De son cœur ouvert par une lance il coule de l'eau et du sang pour pu- rifier le monde. Ce divin cœur est comme un océan sans fond ni rives qui renferme la plénitude des
- 330 — grâces, et par cette large plaie elles coulent sur toute l'Eglise, au moyen des sacrements, qui en sont les mystérieux canaux.
L'évêque fait cette onction sur le front et en forme de croix pour nous avertir que nous devons nous glorifier dans la croix de Jésus-Christ, profes- ser ouvertement notre foi, nous armer d'une sainte hardiesse contre tout ce qui pourrait nous détour- ner du service de Dieu, et ne jamais rougir de vivre en chrétiens. Vous faites un acte de piété; l'on se moque de vous, et le rouge vous monte au front, parce que c'est sur le front que se reflète la lâcheté et la faiblesse. Il convenait donc, dit saint Thomas, de faire l'onction sur le front, puisque le but de la Confirmation est de communiquer au chrétien le courage qui l'empêche de rougir de sa foi. Enfin, le signe de la croix étant pour lui un bouclier et un signe de ralliement, il devait être visible à tous, par conséquent imprimé sur le front.
L'onction étant faite, l'évêque donne un léger soufflet au confirmé en lui disant : La paix soit avec vous, pour lui rappeler qu'il doit être prêt à souf- frir toutes sortes de mépris, d'outrages et d'humi- liations pour Jésus-Christ, et que ce n'est qu'à cette condition qu'il jouira de la véritable paix.
Les Romains affranchissaient leurs esclaves en leur donnant un léger soufflet. Le soufflet donné par l'évêque au confirmé lui rappelle qu'il devien- dra libre en recevant une abondance de lumière et de force. D'où vient l'esclavage, sinon de la fai- blesse d'intelligence et de volonté? Le chrétien qui
— 331 — meurt pour ne pas renier sa foi est supérieur au ty- ran qui le torture ; car il ne relève que de Dieu, et le tyran est l'esclave de ses passions.
Pourquoi ètes-vous si souvent les esclaves du res- pect humain? Par faiblesse d'intelligence et de vo- lonté. Vous n'avez pas ces convictions fortes et iné- branlables, fruit d'une étude approfondie de la re- ligion, d'une connaissance solide des preuves qui démontrent sa divinité; la moindre objection vous déconcerte. Le courage vous fait défaut, parce que vous n'avez pas conservé la grâce du sacrement de Confirmation. L'évêque vous avait affranchis, et vous êtes retombés dans l'esclavage, et vous portez le châtiment de votre apostasie; au lieu de cette paix qui faisait les délices de votre cœur, le re- mords le tourmente et le déchire sans relâche.
Les confirmés portaient autrefois pendant huit jours un bandeau de toile blanche placé sur leurs fronts; le huitième jour, ils se rendaient à l'église, les prêtres le leur étaient et leur essuyaient ensuite le front. C'était pour les avertir de conserver avec le plus grand soin l'onction intérieure de la grâce.
On donnait aussi aux confirmés des parrains et des marraines pour rendre témoignage de leur foi et de leur conduite, pour les former comme de nou- veaux athlètes à la milice de Jésus-Christ; car on donne des maîtres d'armes à ceux qui apprennent le métier de la guerre.
Enfin l'évêque termine la cérémonie en récitant une prière pour les confirmés et en leur donnant sa bénédiction .
— 332 —
Vous souvenez-vous, mes frères, d'avoir reçu un léger soufflet de l'évêque quand il vous a confirmés? Il ne le semble pas. Quand nous vous exhortons à vous montrer fidèles à tous vos devoirs de chré- tiens, à faire partie d'une association ou d'une pieuse confrérie, vous nous répondez aussitôt que vous vous compromettriez, qu'on se moquerait de vous, et vous tremblez d'effroi. Mais pourquoi donc avez-vous reçu un soufflet à la Confirmation?
Quand nous exhortons vivement les filles et les femmes chrétiennes à observer les règles de la sim- plicité et de la modestie dansleurs vêtements, elles avouent que nous avons raison ; mais elles ajoutent aussitôt qu'elles sont obligées de suivre les modes, sous peine de passer pour ridicules : c'est-à-dire qu'elles consentent à pratiquer la vertu lorsqu'elle ne leur coûtera rien. Qu'auriez-vous donc fait dans les premiers siècles de l'Eglise, à cette époque où être chrétien et être martyr était une même chose? Est-ce ainsi qu'ont raisonné saint Justin, saint Lau- rent, saint Maurice et ses compagnons, sainte Lu- cie, sainte Agnès, sainte Cécile, sainte Catherine, sainte Agathe, et tant d'autres? Avez-vous oublié ce que Jésus-Christ répondit à saint Pierre qui le détournait d'aller à Jérusalem, de peur d'y être mis à mort? « Retire-toi, Satan; tu ne goûtes point les choses de Dieu, mais les choses du monde. » Vou- lez-vous qu'il vous applique un reproche aussi san- glant? Quand Pierre l'Ermite et saint Bernard ex- hortaient nos pieux ancêtres à prendre les armes et à voler au secours des chrétiens d'Orient, ont-ils
— 333 — répondu : Mais c'est un voyage trop long et trop pénible ; nous allons compromettre notre santé, no- tre bourse, notre vie même. Les entendez-vous s'é- crier tous d'une voix : Dieu le veut! Dieu le veut! N'étes-vous donc pas, mes frères, les descendants des martyrs et les fils des croisés? Elevez donc vos pensées au-dessus des misérables intérêts de cette vie; montrez au monde que vous avez reçu le sa- crement de Confirmation, et que vos poitrines ren- ferment des cœurs généreux et intrépides qui sa- vent mourir et ne se rendent jamais. Amen.
GLORIEUX COMBATS DE SAINT CLÉMENT D'aNCYRE
Dioclélien, indigné de la réponse de Clément, le fit atta- cher à une roue que les bourreaux tournaient impitoyable- raentj et ils le battaient avec des verges. Quand la roue le traî- nait par terre, elle lui brisait les os, et lorsqu'elle le relevait en haut, les bourreaux le fouettaient sans pitié. Ce saint évê- que eut recours à notre Seigneur et le supplia de le fortifier pour sa gloire et la confession de son saint nom et pour la confusion de ses ennemis, et de le rendre capable de souffrir encore de plus grandes douleurs pour l'amour de lui. Aussitôt le mouvement de la roue cesse, les cordages se délient, et le martyr se trouve en parfaite santé. Frappés de ce prodige, plusieurs Romains se convertissent. Le saint remercie Jésus- Christ, prophétise la fin de riclolàtrie et annonce que les em- pereurs iront faire la révérence à ceux qui sont morts pour Jésus-Christ.
Dioclétien, plein de ra^'e, ordonne qu'on lui déchire la bouche avec des pointes de fer ; on lui casse les mâchoires et l'on ébranle toutes ses dents. Mais le martyr continue à parler avec la même liberté, et les bourreaux ont beau lui dire de se taire, il parle toujours et même plus fort. L'empereur le
— 334 —
renvoie en prison, et tous ceux qui se sont convertis et qui s'y trouvent viennent le trouver, se prosternent à ses pieds et lui dennandent le Baptême. Il les baptise, ainsi que leurs enfanis.
Bientôt une clarté divine apparaît, et un homme au milieu avec un visage riant et une robe brillante. Il s'approche de saint Clément et lui met entre les mains un pain et un calice ; puis il disparaît, laissant les spectateurs dans l'étonnement. Clément célèbre la sainte Messe et donne la sainte commu- nion à tous ceux qu'il a baptisés. Tout le peuple court à la prison, et le nombre des fidèles s'augmente au point d'en faire une église. Les geôliers avertissent l'empereur de ce qui se passe, et Dioclétien fait saisir et exécuter tous ces chrétiens avec leurs enfants. Il n'en reste qu'un seul, nommé Agatange, qui sera désormais le compagnon inséparable de saint Clément.
Le tyran fait appUquer le saint à un autre tourment : il le fait tirer par plusieurs hommes, chacun de son côté, tandis que quatre bourreaux le frappent avec des nerfs de bœuf. Clément endure ce tourment avec une admirable constance, et l'empereur ordonne qu'on cesse de le frapper, qu'on l'at- tache à un poteau et qu'on déchire sa peau avec des griffes de fer, jusqu'à ce qu'il ne reste que les os. Après ce supplice, le martyr, regardant son corps, dit au tyran : a Ce n'est pas là mon corps que tu déchires, car je ne souffre pas quand on le tourmente ; le corps que la nature m'a donné est consommé par les supplices ; ce corps neuf que tu tortures m'a été donné par Jésus-Christ, et quand il sera détruit, il m'en donnera un autre. »
A ces paroles, l'empereur ordonne qu'on le brûle avec des torches ardentes, et elles sont si agréables au martyr qu'elles l'éclairent sans le brûler. Dioclétien admire sa force; mais, pour ne point s'avouer vaincu, il l'envoie à Maximien pour le tourmenter de nouveau et voir s'il le vaincra. De Rome Clé- ment part pour Nicomédie, où demeure Maximien, et tous les fidèles qui peuvent le suivre l'accompagnent en pleurant, se prosternent à ses pieds, lui demandent sa bénédiction, se
frotlenl avec son sang, le touchent avec une grande dévotion, et ne peuvent se séparer de cet homme admirable qui est plus dur que le fer dans les tourments.
Le saint s'embarque, et Agatange entre secrètement et se cache dans le navire; puis, quand il en trouve l'occasion, il se jette aux pieds du martyr, lui fait connaître qui il est. comment le saint l'a baptisé dans la prison, et lui dit que, poussé par une inspiration divine, il vient pour l'accompa- gner en son martyre. Le saint est vivement touché ; il remer- cie notre Seigneur de lui avoir envoyé ce compagnon, et le supplie de le fortifier pour supporter les travaux qui l'atten- dent. Ils font tous deux une longue prière, étant encore à jeun ; car ils nourrissent leurs âmes du pain vivant et de l'eau de la grâce. Les soldats et les matelots, pleins de compassion pour eux, leur offrent à manger; m.ais ils ne veulent rien prendre, et ils leur disent qu'ils attendent des vivres de DieU; qui les leur fournit abondamment parle ministère des anges.
Ils prennent terre dans Pile de Rhodes, et Tévêque, nommé Photin, vient les trouver avec plusieurs fidèles, leur offre des vivres et supplie le martyr de célébrer les saints mystères. Pendant le sacrifice, on voit un brasier ardent sur l'autel et des anges qui voltigent autour. Les assistants se prosternent la face contre terre ; ils ne peuvent soutenir l'éclat de cette splendeur. Ce miracle attire plusieurs infidèles avec leurs enfants et beaucoup d'infirmes. Clément les guérit par l'im- position des mains, et ouvre les yeux à beaucoup d'infidèles qui se convertissent.
Iir INSTRUCTION.
Du clou de crainte de Dieu.
Initium sapienliœ limor Doniitu .
La crainte du Seigneur esi le commen- cement de la sagesse.
(PSAL. CI, 10.)
Ce qui est propre au sacrement de Confirmation, mes frères, c'est de perfectionner la grâce du Bap- tême; car ceux qui sont devenus chrétiens par le Baptême ressemblent à des enfants nouveaux nés, et ils ont la légèreté et la faiblesse de cet âge ; mais par le sacrement du saint chrême ils deviennent plus robustes contre les suggestions de la chair, du monde et du démon, et leur âme est confirmée tout à fait dans la foi pour confesser et glorifier le nom de notre Seigneur Jésus-Christ ; car c'est de ce sa- crement qu'ils tirent leur propre nom de chrétiens.
Il ne confirme pas seulement la grâce, mais il l'augmenlc encore. Le Saint-Esprit, qui descend sur les eaux du Baptême pour leur communiquer une vertu vivifiante, donne la plénitude de la grâce pour l'innocence dans le Baptême; mais dans la Confirmation il donne l'augmentation par la grâce, et il ne l'augmente pas seulement, mais il l'aug- mente d'une manière admirable; ce qui est très- bien exprimé dans l'Ecriture par le terme de vête-
— 337 —
ment dont se sert Jésus-Christ en disant à ses apô- tres : Demeurez ici jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut; c'est-à-dire que la grâce de la Confirmation est tellement abondante qu'elle environne le fidèle de toutes parts et l'en- veloppe comme d'un large vêtement.
Pour en comprendre toute l'efficacité, il faut considérer ses merveilleux effets sur les apôtres. Avant la passion et au moment même de la pas- sion, ils sont tellement faibles et lâches, qu'ils prennent tous la fuite lorsque les Juifs se saisis- sent de Jésus-Christ. Pierre lui-même, qui avait été désigné pour être la pierre et le fondement de l'Eglise, et qui avait donné si souvent des preuves non équivoques de la fermeté et de la grandeur de son âme, épouvanté à la voix d'une pauvre ser- vante, il nie, non pas une fois ou deux, mais il nie trois fois qu'il soit le disciple de Jésus-Christ ; et, après la résurrection, tous se tiennent cachés par crainte des Juifs. Mais, le jour de laPentecôte, ils sont tous remplis d'une si grande force, qu'ils s'en vont courageusement et librement prêcher la doctrine de l'Evangile qui leur avait été confiée, non pas seulement dans la Judée, mais dans le monde entier, bien persuadés qu'ils ne peuvent avoir de plus grand bonheur que d'être trouvés dignes de souffrir les mépris, les prisons, les tourments et la mort même pour le nom de Jésus-Christ. [Caté- chisme du concile de Trente.)
La Confirmation communique le Saint-Esprit avec l'abondance de ses dons. Or, le prophète Isaïe
15
— ooo —
naus fait connaître ses dons en l'appelant l'Esprit de sagesse et d'intelligence, l'Esprit deconseiletde force, l'Esprit de science et de piété , et l'Esprit de la crainte du Seigneur. Z' Les sept dons du Saint-Esprit sont appelés rayons de feu, parce que le Saint-Esprit d'où ils rayonnent s'en sert comme d'un foyer d'amour pour faire ses diverses opérations dans les âmes : il abaisse les esprits orgueilleux par le don de crainte; il amollit les endurcis par le don de piété ; il éclaire les téné- breux par le don de science; il donne la fermeté aux esprits faibles et flottants par le don de force ; il redresse ceux qui s'égarent par le don de con- seil ; il polit les grossiers et les bruts par le don d'intelligence, et enflamme ceux qui sont froids par le don de sagesse : de sorte que le Saint-Esprit nous communique par ces dons la lumière des vraies connaissances et les ardeurs de la charité divine ; et ce sont là les deux plus grands biens et les deux plus riches dons qu'il lui soit possible de nous accorder ici-bas, pour nous faire goûter par avance la félicité de Dieu, qui nous est promise. (S. Bonav., lib. De Septem DoniSt c. 2.) '" Les dons du Saint-Esprit sont des perfections surnaturelles destinées à nous faire pratiquer plus facilement et plus parfaitement les vertus chré- tiennes. Mais dans quel ordre correspondent-ils à ces vertus? Nous n'avons rien de certain à cet égard ; il nous semble néanmoins qu'il existe des rapports assez frappants entre les dons et les ver- tus, do la manière suivante : le don de crainte de
— 339 — Dieu perfectionne la tempérance; celui de force, la vertu de force ; celui de piété, la justice ;celuide conseil, la prudence; celui d'intelligence, la foi; celui de science, l'espérance, et celui de sagesse, la charité.
Commençons par le don de crainte. Il ne s'agit pas ici, vous le comprenez, mes frères, de la crainte servile qui nous fait éviter le péché par la seule crainte du châtiment. D'où viennent les rapports du serviteur à son maître? De l'autorité du maître sur son serviteur, parce qu'il le tient pour ainsi dire sous sa main et en dispose à son gré. Mais les rapports du fils au père suivent l'ordre con- traire, et vont du fils au père, auquel le fils se sou- met par un amour vraiment filial ; et c'est de là que vient la crainte filiale, la plus parfaite de toutes. Cependant toute crainte, il faut bien l'avouer, vient de quelque amour, puisque nous ne craignons le mal que parce qu'il est contraire à ce que nous ai- mons. Nous craignons la pauvreté parce que nous aimons les richesses ; nous craignons les mépris parce que nous aimons la gloire. Un père craint tout ce qui peut nuire à son fils, parce qu'il aime son fils. « Quiconque est arrivé à la perfection de l'amour de Dieu, doit avoir atteint le degré le plus parfait de la crainte que produit, non la peur du châtiment ni le désir de la récompense, mais la grandeur de l'amour, comme celui qu'un bon fils éprouve pour le plus tendre des pères, un frère pour son frère, un ami pour son ami, une épouse aimante et chaste pour un époux plein d'amabilité ;
— 3i0 — li lui inspire la plus vive crainte, non des cbâli- menls ni des reproches, mais de l'offense la plu& légère qu'il pourrait commettre contre l'objet aimé ; et dans toutes ses actions et dans toutes ses pa- roles, il est toujours sur ses gardes pour conser- ver aussi vive la flamme de son amour. » (Cas- sien, Collât., XI, c. 13.)
C'est cette crainte filiale que nous considérons comme un des sepldons du Saint-Espril,parcequ elle est inséparable de la charité qui en est le principe et la vie. Elle communique à Tâme la soumission, en lui inspirant une grande vénération pour Dieu, en lui faisant craindrede l'offenser et de se soustraire à son obéissance. La crainte filiale est donc le pre- mier don du Saint-Esprit, puisque les autres le sup- posent et que c'est par lui qu'on arrive aux autres. /^ La crainte de Dieu est le commencement de la ' sagesse ; ainsi le premier échelon pour monter jus- qu'à la hauteur de la sagesse est le don de crainte de Dieu. « L'âme commence à goûter Dieu, dit saint Bernard; quand elle commence à le craindre. Vous craignez la justice de Dieu, vous redoutez son pou- voir ; le Dieu juste et puissant vous est donc sa- voureux, caria crainte est une espèce de saveur. <Jue si la crainte est une espèce de saveur, elle ébauche assurément la sagesse dans l'homme, parce que, comme la science rend l'homme savant, et comme les richesses le font riche, ainsi la con- naissance savoureuse le rend sage. La connais- sance prépare nos esprits aux grandes affaires ; mais comme la vanité se ghsse aisément dans nos con-
— 341 — naissances, si la crainte ne s'y oppose, la crainte «stle commencement de la sagesse, parce qu'elle s'oppose à la sottise. » (Serm. 23 in Canticum.) -
La crainte filiale est le premier des dons du Saint- Esprit, la première des grâces de Dieu, la mère et la gardienne de toutes les vertus, parce que rien ne peut nous séparer de Dieu que le péché. Or, la crainte nous rend soumis à la majesté infinie de Dieu et bannit loin de nous le péché; elle nous dis- pose ensuite à la réception des dons célestes et à l'acquisition de toutes les vertus. La crainte chasse l'orgueil, le premier de tous les vices, la cause de tous nos maux, et plante sur ses ruines la vertu d'humilité, la source de tous les biens et de toutes les faveurs divines. La crainte est la première à s'ar- mer contre la négligence; elle prend le bouclier et l'épée pour se défendre contre elle et la jeter par terre ; c'est elle qui donne à l'âme ses terreurs sa- lutaires, qui la font rentrer en elle-même pour exa- miner attentivement ce qui s'y passe ; c'est elle qui la réveille de son assoupissement, lui fait ou- vrir les yeux et se mettre en devoir d'exécuter tout et de ne manquer à rien.
La crainte de déplaire à Dieu vous servira, mes frères, de ceinture pour arrêterles pensées de votre cœur, de frein pour modérer et diriger votre lan- gue, d'éperon pour aiguillonner votre volonté et de règle pour ne vous écarter en rien de la ligne de vos devoirs. Celui qui craint Dieu ne néglige rien, mais il accomplit sa volonté même dans les petits détails. Craindre Dieu est la racine de la sagesse. « Si vous
— 342 —
vous tenez constamment dans la craiatedu Seigneur, votre maison ne tombera pas de sitôt en ruines. » (Eccli., I, 27.) « La crainte du Seigneur est la gloire, l'honneur, la joie et la couronne de l'allé- gresse. »(Ibid., VII, 19.)
Si vous possédez la crainte de Dieu, elle produira en vous trois principaux effets.
P Elle vous inspirera une retenue parfaite et une composition très-modeste, qui tiendra votre âme de- vant Dieu dans un profond respect et un saint tremblement, comme les séraphins qui s'inclinent avec une sainte frayeur devant l'infinie majesté de Dieu. Telle était la disposition de l'âme de Jésus- Christ quand il se prosternait devant son Père. C'est ainsi qu'elle s'humilie encore dans un grand respect en présence de la Divinité. Voyez-le au jar- din des Oliviers, le divin Sauveur, prosterné la face contre terre; il voudrait s'anéantir, parce que, in- finiment plus éclairé que nous, il avait de la majesté de Dieu la plus haute idée.
Abraham était pénétré de ce respect religieux lors- qu'il reçut la visite de trois anges qui lui appa- rurent sous la figure de trois jeunes hommes ; il prépare lui-même tout ce qui est nécessaire pour les bien recevoir, et il se tient debout sous un arbre pour les servir. Un si grand personnage, un patriarche si illustre, si recommandable par tant d'actions héroïques, un si vénérable vieillard, âgé de près de cent ans, .se tenir debout comme un domestique pour servir trois jeunes gens assis et mangeant à sa table, quel merveilleux respect !
— 3i3 — Et, après le repas, il adresse la parole à l'un d'eux en disant : « Je prendrai la hardiesse de parler à mon Seigneur, bien que je ne sois que cendre et poussière. »
Saint François de Sales était si respectueux en- vers Dieu, qu'il ne récitait jamais ses prières assis ou appuyé à quoi que ce fût, mais toujours à genoux ou debout et la tète découverte. S'il était en voyage, il s'arrêtait, il descendait de sa monture, quand la faiblesse de sa santé l'obligeait à s'en servir; et un jour que la pluie le surprit dans ce saint exercice, il resta immobile et continua sa prière avec la même gravité, sans s'inquiéter que ses vêtements étaient tout détrempés d'eau qui pénétrait tout son corps.
Le Seigneur a dit : « Sur qui arrèterai-je un re- gard favorable, si ce n'est sur celui qui s'humilie de- vant moi, qui connaît sa misère et sa pauvreté, qui tremble de respect en ma présence et entend mes paroles avec un saint frémissement? » (Isaïe,
LXYI, 20.)
Le don de crainte inspire aussi un grand respect pour l'homme, parce qu'il est l'image de Dieu, et qu'on voit reluire sur son front les traits de la gloire ftde la majesté de Dieu. D'ailleurs, Dieu lui-même ne traite-t-il pas l'homme avec le plus grand res- pect?
2° Si vous possédez le don de crainte de Dieu, vous aurez une viveappréhension de l'offenser, une extrême aversion pour tout péché, et le plus grand soin de fuir toutes les occasions du péché. Vous
— 344 — ne craindrez rien tant que le péché, vous l'aurez en horreur ; vous aimerez mieux vous jeter dans les flammes et dans tous les tourments de l'enfer que de commettre un seul péché. Combien de femmes et de filles chrétiennes se sont exposées aux plus cruels supplices plutôt que de se rendre cou- pables d'un seul péché ! Combien d'entre elles, expo- sées dans l'amphithéâtre à la fureur des tigres et des lions, étaient moins occupées des souffrances horribles que leur faisaient endurer les bêtes féro- ces que du soin de se couvrir de leurs robes en lambeaux, pour ne pas blesser la pudeur même in; volontairement?
3° Si vous avez ce don du Saint-Esprit, vous concevrez le plus vif regret des fautes les plus légè- res; vous serez honteux d'avoir offensé Dieu, vous ne comprendrez pas comment vous avez pu vous oublier jusqu'à ce point, et vous voudriez expier vos fautes par l'effusion de votre sang. C'est à peine si vous oserez encore lever les yeux; il vous sem- blera voir toutes les créatures vous reprocher votre ingratitude. Supposons qu'une dame de qualité se rend coupable d'infidélité envers son mari; celui- ci, irrité d'un pareil outrage, la bannit de sa pré- sence et la renferme dans un lieu obscur de son château pour y passer le reste de ses jours dans les regrets et les larmes. De temps à autre il l'eu fait sortir pour venir s'asseoir à sa table, manger avec lui et boire dans une coupe qui lui rappelle son crime. Qui pourrait peindre sa douleur, exprimer sa confusion en présence de son mari, et le regret
— 345 —
d'avoir si mal répondu à sa vive affection? C'est l'image du chrétien qui craint Dieu ; et tels étaient ces admirables pénitents de la Thébaïde, brisés de repentir, accablés sous le poids de leur douleur, demandant sans cesse pardon à Dieu avec des sou- pirs, des sanglots et des cris si lamentables qu'ils auraient attendri des rochers. Ils ne se nourris- saient que d'un peu de pain noir et grossier, mêlé avec de la cendre et de la poussière, et un peu d'eau mêlée à leurs larmes ; ils n'avaient plus que la peau sur les os.
Le don de crainte perfectionne la vertu de tempé- rance. En eifet, la tempérance est une vertu chré- tienne qui nous fait renoncer aux plaisirs défendus et user avec modération des choses permises. Or, si vous avez le don de crainte, vous considérerez les créatures comme appartenant à Dieu seul ; vous vous persuaderez que vous ne devez en user qu'autant qu'elles vous sont nécessaires pour at- teindre votre fin. Aller au-delà vous semblerait une injustice, d'autant plus qu'ayant offensé Dieu, vous ne vous regarderez plus que comme de grands cou- pables indignes de vivre, comme des galériens qui doivent se contenter d'une nourriture grossière, et en si petite quantité qu'il n'y ait tout juste que ce qu'il faut pour ne pas les laisser mourir de faim.
Voyez au contraire les chrétiens qui ont perdu le don de crainte de Dieu; voyez-les réciter leurs prières ou assister aux offices divins : ils sont lé- gers et dissipés ; ils regardent de tous côtés et con- versent avec les premiers venus. Vous croiriez qu'ils
15.
— 346 —
s'occupent d'affaires sur une place pubHque ; ils parlent à Dieu avec moins de respect qu'à des ache- teurs ou à des vendeurs, à leurs parents ou à leurs amis. Leur familiarité envers Dieu les conduit in- sensiblement à l'insolence et au mépris. Ils ont peur de Dieu et de tout ce qui leur rappelle la pen- sée de Dieu; ils ont peur de ses jugements; ils dé- tournent leurs regards du ciel pour les reporter sur la terre ; ils évitent tout ce qui serait de nature à les faire rentrer en eux-mêmes. Pour s'arra- cher à cette pensée de Dieu qui les tourmente, les trouble et les épouvante, quoiqu'ils aient l'air de ne rien craindre, ils se livrent corps et âme aux affaires matérielles, à la dissipation et aux plaisirs.
^ Bientôt ils méprisent aussi les hommes, qui ne sont plus pour eux des frères bien-aimés, mais des compétiteurs et des rivaux. Leur unique soin est de les dominer, d'exercer sur eux une tyrannie d'autant plus injuste et révoltante qu'ils sont plus petits par l'intelligence et par le cœur. Ils les re- gardent avec dédain, leur parlent avec hauteur et les traitent comme des esclaves. Malheur à ceux qui vivent sous leur dépendance! L'épouse est hu- miliée et avilie, les enfants maltraités ou mal éle- vés, les domestiques abrutis ou indignement ex- ploités, les ouvriers injustement trompés ou dupes de leur bonne foi. En un mot, ils se font dieux, et il faut brûler de l'encens devant l'idole. " Aux yeux de tels chrétiens, le péché est tout au plus un accident, une faiblesse, une imperfection.
Us se jettent dans tous les désordres et ne savent plus rougir. Quelquefois même ils se glorifient de leurs crimes et de leurs turpitudes; ils sont tombés au fond du précipice. Au lieu de respecter les créa- tures, ils les déshonorent en les faisant servir à leurs caprices ou à leurs passions criminelles. Ils ressemblent à ces insectes qui souillent tout ce qu'ils touchent, et qui laissent partout des traces de leur passage.
Pour concevoir de Dieu une crainte filiale, ayez d'abord recours à l'esprit de méditation. Dites-vous souvent : Me voilà en présence de ce grand lieu qui d'une parole, d'un signe de sa volonté, a tiré l'univers du néant, lequel y retomberait à l'instant si la main toute puissante qui le soutient se reti- rait; tous les anges se prosternent devant lui et se couvrent de leurs ailes, ne pouvant soutenir l'éclat de sa majesté. Ecoutez le Roi-Prophète : « Dans ma tribulation, j'ai crié vers mon Dieu, et il a entendu ma voix. Alors la terre a été ébranlée et a tremblé : les fondements des montagnes ont été épouvantés, parce que le Seigneur était en colère contre eux. La fumée s'est élevée dans sa colère, le feu s'est allumé en sa présence, les charbons ont été em- brasés. » [Psal. XVII.)
N'oubliez jamais que Dieu est infiniment saint et souverainement juste. Comment pourrez-vous sou- tenir son regard plus terrible que la foudre, quand il faudra paraître devant lui, vous, misérables pé- cheurs, qui vivez dans l'oubU de tous vos devoirs de chrétiens? Tous souvenez-vous avec quelle se-
— 348 — vérité il a traité les anges rebelles, coupables d'un seul péché d'orgueil; comment il a chassé de l'E- den nos premiers parents pour lui avoir désobéi? Dépouillés de la grâce et de tous les dons surnatu- rels, ils furent condamnés à tous les maux. Consi- dérez tous les désordres, toutes lés peines, toutes les souffrances, tous les crimes, toutes les guerres qui ont affligé le genre humain; ce sont les suites du péché. Contemplez le Sauveur Jésus portant sa croix, épuisé par la flagellation, le front ensan- glanté par la couronne d'épines, et méditez ses pa- roles : « Femmes, pleurez sur vous et sur vos en- fants; car si l'on traite ainsi le bois vert, que fera- t-on du bois sec? » Si celui qui est la sainteté même subit des tourments aussi cruels, parce qu'il a les apparences du péché, que seront les supplices des pécheurs eux-mêmes? Considérez ce grand jour où toutes les générations paraîtront devant le souve- rain Juge pour y entendre prononcer leur sentence, leur jugement définitif, et portant écrites sur leur front toutes leurs œuvres et toutes leurs pensées. Considérez souvent ce lieu d'horreur où seront tour- mentés à jamais les ennemis de Dieu. Pénétrés de ces grandes vérités, vous servirez Dieu dans un respectueux tremblement.
N'oubliez pas surtout de demander à Dieu cette crainte salutaire : c'est un don du Saint-Esprit; lui seul peut vous le communiquer. Dites-lui donc sou- vent avec le prophète : « Pénétrez ma chair et mes os de votre crainte, afin que je garde toujours le respect que je vous dois. Faites qu'elle m'environne
- 349 — comme d'un vêtement, afin que le péché ne puisse entrer dans mon âme. » Amen.
SUITE DES GLORIEUX COMBATS DE SAINT CLÉME5T.
Clément et Agatange poursuivirent leur navigation jusqu'à Nicomédie, où était Maxiraien. Saciiant ce que le martyr a déjà souffert et regardant son maintien, sa force et sa gaîté, le tyran n'ose rien entreprendre seul, de peur d'être vaincu; il s'excuse sur les occupations de la guerre et remet l'affaire au président Agrippin, qui lui demande s'il s'appelle Clé- ment. Le martyr lui répond qu'oui^, et il ajoute qu'il est ser- viteur de Jésus-Christ. Agrippin ordonne aux soldats de le souffleter, et lui dit qu'il s'appelle serviteur des empereurs et non pas de Jésus-Christ.
Il interroge aussi Agatange, qui lui répond : « Je suis chré- tien par la grâce de Dieu, et par le ministère de Clément, serviteur de Jésus-Christ, j'ai acquis ce bienheureux nom. » Le juge commande qu'on élève Clément en l'air pour le bat- tre et lui couper les membres, et qu'Agatange soit cruelle- ment fouetté de nerfs de bœuf. Après ces tourments, il les renvoie en prison, et fait préparer au théâtre, pour le lende- main, différentes espèces de bêtes féroces pour les dévorer.
Mais dans la prison ils ne cessent de prier; les anges leur apparaissent, les consolent et les encouragent au martyre. A cette vue, les autres prisonniers se jettent aux pieds des saints et les prient de leur faire connaître Jésus-Christ et de trouver bon qu'ils le confessent aussi. Ils les instruisent donc jusqu'à minuit, les purifient par le Baptême et les confirment dans ia foi; puis Clément, par sa prière^ ouvre la porte de la prison et renvoie tous les prisonniers, qui s'en vont pleins de joie ; il demeure seul avec son compagnon.
Le jour venu, on les expose aux bêtes, mais elles ne leur font aucun mal; elles les regardent amicalement et leur lè- chent les mains et les pieds. Le tyran, plus cruel que ces bêtes féroces, fait apporter de longues alênes ardentes qu'il
— Ô-J\J —
leur fait enfoncer eulre les doigts jusqu'au poignet de la main, et d'autres sous les aisselles qui traversent jusqu'aux épaules. Le peuple, voyant cette cruauté et admirant la vertu des saints, lance des pierres contre le tyran et s'écrie ; a Que le Dieu des chrétiens est grand ! » Le juge s'en fuit, et les martyrs se retirent en un lieu de sûreté, sur une montagne ; mais le tyran finit par les trouver. Il les fait étendre sur une table de pierre, leur fait briser les os avec des leviers, et, après les avoir ainsi moulus et brisés, il les fait mettre dans des sacs et attacher à une grosse pierre, puis ou les roule jusque dans la mer qui battait au pied de la montagne.
Les martyrs restent longtemps sous l'eau, puis on les voit reparaître et flotter vers le bord. Là, on les détache, et leurs membres et leurs corps sont sains et entiers. Vers minuit, notre Seigneur leur envoie ses anges pour les rafraîchir de leurs travaux et leur porter des vivres. De là ils retournent à la ville, racontant les merveilles de Dieu, qu^ils remercient de tout leur cœur.
Maximien, ayant appris tout ce qui s'est passé, les renvoie à Ancyre, et charge Curie, son président, de les tourmenter plus que jamais. Celui-ci fait rougir une broche au feu et la leur enfonce dans le corps par-dessous les aisselles; puis on les attache à des pieux et on les frappe cruellement de tous côtés. Le tyran fait encore chauffer un casque tout rouge et le fait poser sur la tête de saint Clément. Aussitôt la fumée de la chair grillée sort par la visière, et le saint, jetant un soupir, fait à Dieu cette prière : « Envoyez-moi, Seigneur, une goutte de votre rosée, et, puisque vous nous avez retirés de l'eau, délivrez-nous encore du feu et nous rafraîchissez. » Le fer se refroidit peu à peu, et ceux qui frappent Agatange n'en peuvent plus. Epouvanté de tout ce qu'il voit, le tyran les renvoie en prison, et sainte Sophie, qui avait adopté Clé- ment pour son fils, vient le trouver ; elle l'embrasse et arrose de ses larmes son visage, ses mains et ses membres sacrés qui ont tant souffert pour l'amour de Jésus-Christ. Elle le prie de lui raconter ses combats et les victoires qu'il a remportées. Pendant qu'il lui en fait le récit, elle nettoie avec des linges
— 351 —
le sang et les plaies du saint; puis elle lui présente quelque nourriture.
Le juge, désespérant de pouvoir vaincre les martyrs, charge Domitius d'achever leur procès. Mais Sophie ne peut se sé- parer de ceux qu'elle tient embrassés dans son cœur, et elle vient gaîment avec tous ceux qui ont été instruits et baptisés par saint Clément. Maximien, Tayant appris, ordonne que, si ces Ijommes quittent Clément, on les laisse aller en liberté et on ne leur fasse aucun mal. Mais les soldats ne peuvent les arracher d'auprès du martyr ; ils se jettent par terre, ils se tiennent aux pieds du saint, et ils aiment mieux mourir que de quitter leur maître ; et la pieuse Sophie les fait tous en- terrer.
Le nouveau juge fait séparer Clé.ment d'Agatange, afin qu'ils ne puissent plus s'encourager l'un l'autre. Il fait remplir une citerne de chaux vive et y fait jeter les saints; il place deux soldats à l'entrée pour empêcher que les chrétiens ne les retirent. Ils y demeurent un jour tout entier, le vendredi saint^ sans ressentir aucun mal. La jiuit suivante, les deux soldats voient briller sur eux une lumière du ciel, et, comme la grâce les éclaire intérieurement, ils se jettent dans la même citerne pour se joindre aux saints.
Le tyran, ayant appris le lendemain que les deux martyrs n'avaient aucun mal et que les deux soldats s'étaient unis à eux, ordonne que les deux soldats soient crucifiés, qu'on enlève la peau de dessus les épaules de Clément et de son compagnon, et qu'ils soient ensuite battus de verges. Tout cela est inutile. Alors il fait apporter deux lits de fer, y fait étendre les martyrs, tandis qu'on allume un grand feu par- dessous et qu'on jette sur eux de l'huile bouillante et de la poix fondue avec du soufre. Croyant qu'ils sont morts, il fait jeter leurs corps dans la rivière ; mais ils ont dormi d'un doux sommeil sur ces lits. Jésus-Christ leur apparaît envi- ronné d'anges, et leur dit de ne pas craindre, parce qu'il est avec eux. (Ribadeneira.)
IV^ INSTRUCTION.
Du dou de force,
Dominus illuminatio mea cl salus mea, qvem limebo ? Dominus protector vitœ meœ, à quo Irepidabo ?
Le Seigneur est ma lumière et mon salul, que craindraije? Le Seigneur est le protecteur de ma vie, devant qui tremblerai-je?
(PSAL. XXVI, i.)
Le don de force a pour but de perfectionner la vertu qui porte le même nom. Or, la vertu de force est une certaine fermeté d'âme capable de résister aux attraits du vice , de réprimer les mauvais pen- chants, de dompter les passions pour les soumettre à la raison. Elle fortifie l'âme dans la pratique du bien et dans la fuite du mal. Semblable à ces vail- lants soldats auxquels on remettait une épée et un bouclier : l'épée pour attaquer l'ennemi ou le re- pousser, le bouclier pour se garantir contre ses at- taques, le chrétien muni de la vertu de force est capable d'entreprendre de grandes choses et de faire des actions éclatantes , et il peut en même temps supporter avec constance tous les coups de l'adversité; et c'est dans cette dernière circons- tance que la force se montre dans toute sa beauté et sa perfection. Si les martyrs ont été invincibles dans leurs combats, c'est par leur grandeur d'âme,
— 353 — qui n'a jamais ployé ni sous la volonté des tyrans, ni sous la cruauté des supplices ; mais non par l'é- nergie du corps, puisqu'il a été broyé sous la pres- sion des instruments de supplice, ou sous la dent, des lions et des tigres. Ceux qui sont fermes et constants dans l'adversité ou les supplices, dit saint Thomas, sont plus forts que tous les autres, et on doit les estimer les plus vaillants, selon cette pa- role de l'Ecriture : « Mille boucliers sont suspendus à la citadelle de David, les principales armures des braves. »
Nous ne parlons pas de la force, vertu purement humaine que nous rencontrons chez les païens et les honnêtes gens du monde, mais de la force, vertu chrétienne qui est communiquée à l'âme avec la grâce sanctifiante, et qui a pour but la gloire de Dieu, l'accomplissement de sa sainte volonté. Or, le don de force est plus précieux encore ; car il porte l'âme à entreprendre hardiment des actions héroïques sans être rebutée par les obstacles , et il lui donne une constance à toute épreuve au milieu des circonstances les plus difficiles. Le don de force produit donc des actes plus parfaits que la vertu de force, parce qu'ils viennent d'un principe plus élevé et d'un bras plus puissant, du doigt de Dieu ou de sa toute-puissance.
Dieu doua Samson d'une force prodigieuse ; car, un jour qu'il rencontra un lion furieux, il le saisit et le mit en pièces, et un autre jour il rompit de gros câbles qui lui liaient les mains, avec autant de facilité qu'un fil de soie. Avec une mâchoire d'âne,
— 36'if *- il tua mille Philistins; et enfin il s'empara des portes de la ville de Gaza, où ses ennemis l'avaient renfermé, et il les transporta sur le sommet d'une montagne voisine. C'est l'image du don de force dans les âmes. Si vous le possédez, vous vous riez des rugissements de ce lion qui rôde autour de vous pour vous dévorer. S'il veut mettre obstacle à ce que vous entreprenez pour la gloire de Dieu et la sanctification des âmes, s'il semble vous lier les mains, vous brisez ses liens sans beaucoup d'ef- forts; avec une médaille de Marie, un chapelet ou un scapulaire, vous mettez en fuite des légions d'ennemis; et quand ils ont construit autour de vous de solides remparts, d'un souffle vous les jetez par terre. Dieu remplit de vigueur celui qui est fatigué, dit le prophète Isaïe ; il multiplie le courage et la force dans ceux qui paraissent anéantis. Transformés en des hommes nouveaux, ils prendront leur essor d'un vol rapide, comme l'aigle ; ils courront sans se fatiguer, et marcheront à pas de géants dans le chemin de la perfection. « Le don de la force, dit saint Bernard, rend un homme fort, invincible, imperturbable, intrépide dans toutes les adversités : ce qui a fait dire à Salomon que le juste est ferme comme un lion, et qu'il sera sans peur. Ils étaient doués tous de cet esprit de force, ceux dont le grand Apôtre nous dit: Les saints ont souffert avec un courage invinci- ble les moqueries, les outrages, les fouets, les chaînes, les prisons et toutes sortes de supplices. (Serm. De Bonis Sp.s., c. 4.) LeSaint-Esprit donne
— 3oo — à rame à laquelle il se communique une vigueur intérieure et un courage divin, en sorte que ce qui lui paraissait impossible lui devient facile et agréa- ble; elle éprouve plus de bonheur et de joie qu'un avare qui a trouvé des trésors, quand elle supporte des travaux, des veilles, des jeûnes, et toutes les autres observances qui seraient plus amères que la mort même, si Dieu ne les adoucissait par l'onc- tion du Saint-Esprit. »(Serm. 2 in fest. Peut.]
C'est une grande merveille de Dieu, mes frères, qu'un homme si faible par lui-même, si accablé d'infirmités, se dépouille de toutes les craintes et de toutes les affections de la pauvre nature hu- maine, pour demeurer ferme et inébranlable dans l'adversité. C'est avec raison que ce saint vieillard d'Alexandrie répondit aux païens qui lui repro- chaient d'adorer Jésus-Christ, sans qu'il fit des miracles : « Le miracle qu'il a fait est la force qu'il me donne de ne point m'offenser ni m'émouvoir des injures que vous me dites et des peines que vous me faites ; et cette force est assez grande pour supporter de plus grandes peines encore. »
Il ne faut pas une vertu moins grande pour de- meurer calme et intrépide au milieu des afflictions, des souffrances et des tourments que pour rendre la vue aux aveugles, la santé aux malades et la vie aux morts. N'est-ce pas quelque chose de prodi- gieux que des hommes si faibles, si présomptueux et si vains ne se laissent point enfler dans la pros- périté ni abattre par l'adversité? Munis du don de force, ils reçoivent les injures, les outrages, les af-
— 33G — fronts avec tranquillité d'esprit; ils se vengent par des bienfaits. Ils n'entreprennent rien sans y avoir beaucoup réfléchi ; ils ne mettent la main à l'œu- vre que quand ils la croient voulue de Dieu, et une fois entreprise, rien ne saurait les arrêter. S'ils réussissent, ils en attribuent à Dieu la gloire; s'ils échouent, ils ne s'en prennent qu'à leurs péchés et ne sont nullement troublés; ils supportent tous les maux sans chagrin et sans murmure.
C'est le don de force, mes frères, qui vous em- pêchera de tomber dans quelque excès. Bannissant toute légèreté et toute précipitation, vous réprime- rez les impétuosités de la nature, vous mettrez un frein à vos sens, et vous ne défendrez pas même votre vertu et votre réputation attaquées. Vous au- rez un maintien grave, une démarche mesurée, un regard humble et modeste, une grande simplicité dans vos vêtements, un ordre parfait dans votre conduite. Vous serez tellement maîtres de votre cœur, que vous resterez calmes au milieu des con- trariétés et des difficultés de tous genres, et même des plus grandes afflictions. Vous ne serez étonnés de rien, ni impressionnés en rien.
Le don de force est une espèce de cuirasse qui vous enveloppe de tous côtés et vous rend invul- nérables et capables de supporter les plus effroya- bles calamités, la perte de l'honneur, des biens, de la santé et de la vie même. Le courage héroïque des martyrs n'en est-il pas une preuve convain- cante? Voyez-vous ces femmes délicates, ces jeu- nes veuves, ces vierges timides, ces enfants qui
I
— 357 —
ont à peine l'âge de raison? Les voyez-vous tou- jours fermes, toujours inébranlables, ne cédant ja- mais aux promesses ou aux menaces des tyrans, ni aux larmes et aux prières de leurs parents, de leurs époux, de leurs enfants ou de leurs amis? On leur fait souffrir les plus horribles tourments que la fu- reur des hommes et la rage des démons aient ja- mais pu inventer, et ils supportent tout avec calme, avec fermeté, avec joie; pas une plainte, pas une parole d'injure ou de malédiction contre leurs per- sécuteurs ou leurs bourreaux. Ils se rendaient au lieu du supplice comme à quelque fête solennelle ou au festin de leurs noces. Semblables au diamant qui, au lieu de se briser sous les coups du marteau, n'en devient que plus poli et plus brillant, l'adver- sité ne sert qu'à donner plus d'éclat à leurs vertus. Le jour où Jésus-Christ vous communique le don de force, il vous dit comme au prophète Jérémie : « N'aie pas peur de ces gens-là, parce que je t'ar- merai de force, et t\i n'auras aucun sujet de les craindre ; car je te rendrai comme une ville impre- nable qu'on attaque inutilement, comme une co- lonne d'acier qui émousse tous les traits lancés contre elle, comme un mur d'airain qui rend inu- tiles toutes les batteries. C'est ainsi que je te pré- senterai aux rois de Juda, à ses princes et à ses prêtres, et à tous les peuples de la terre. Tous te déclareront la guerre et combattront contre toi; mais ils ne prévaudront pas, parce que je suis avec toi, dit le Seigneur, pour te délivrer de leurs mains. » (Jérém., i, IT.'
~ 358 — Si nous n'avons pas vu ces précieux effets du don de force se révéler dans les temps de persécu- tion, nous les voyons se manifester chez des chré- tiens qui souOVent cruellement. Combien de fois n'avons-nous pas été touchés jusqu'aux larmes en voyant ces âmes courageuses conserver toute leur liberté d'esprit au milieu des douleurs les plus atroces, et disposées à souffrir encore dix, vingt ou trente ans, selon le bon plaisir de Dieu? Ce n'est pas là, il faut bien le reconnaître, le résultat de l'énergie naturelle de l'homme, mais l'effet d'une grâce particulière que Dieu lui donne pour s'élever au-dessus de sa nature.
Voulez-vous quelque chose de plus merveilleux encore? La bienheureuse Angèle de Foligny ra- conte que, par une grâce particulière, Dieu lui avait communiqué une force toute divine, de sorte qu'elle souhaitait ardemment de mourir de la mort la plus cruelle, de souffrir toutes les douleurs ras- semblées sur elle, d'éprouver toutes les rigueurs dans chacun de ses membres. Elle n'était nulle- ment surprise de tout ce que les martyrs ont souf- fert, puisqu'elle était disposée à en endurer encore plus; elle eût été ravie qne tout le monde l'eût chargée d'injures, d'affronts et de coups : c'eût été pour elle un grand bonheur de prier pour tous ceux qui l'auraient ainsi maltraitée. Elle pensait que les martyrs qui ont prié pour leurs bourreaux n'ont pas fait quelque chose de bien extraordinaire; il lui semblait même qu'ils devaient prier avec plus de ferveur et leur obtenir quelque grâce signalée.
Si vous considérez la faiblesse de la nature hu- maine et son opposition contre tout ce qui l'humilie, la contrarie ou la fait souffrir, poiivcz-vous ne pas reconnaître le doigt de Dieu dans ce courage héroï- que, dans celte [constance des martyrs au milieu des plus cruels supplices, dans cette fermeté de ca- ractère des chrétiens brisés par l'adversité, dans cette grandeur d'âme de certains malades qui sup- portent si patiemment des souffrances inouïes? L'homme peut-il s'élever ainsi au-dessus de sa na- ture parles seules forces de sa nature?
C'est le don de force qui vous élèvera au-dessus de la pauvreté et de ses privations, au-dessus des honneurs et des mépris, au-dessus des richesses et de la misère, au-dessus des plaisirs et de la dou- leur, au-dessus de la vie et de la mort. Gardez-vous doncbiende vous en attribuer la gloire. Semblables à un enfant qui aurait remporté une victoire éclatante sur un géant et ne songerait nullement à la rap- porter à ses propres forces, voyant bien quelle im- mense disproportion existe entre les siennes et celles de son ennemi, rendez de continuelles ac- tions de grâces à Dieu, s'il daigne vous accorder un aussi grand courage. Un jeune martyr, nommé Pierre, fut arrêté à Lampsaque, sous l'empereur Dèce. Interrogé par le proconsul s'il était chrétien, il répondit sur-le-champ : « Je suis tout à fait chré- tien. » Comme on lui rompait tous les membres et qu'on lui brisait tous les os sur la roue, plus ses tourments étaient cruels et ses douleurs violentes, plus il sentait son courage se fortifier; et après
— 360 — avoir jeté sur son juge un regard d'indifférence et de mépris, il leva ses yeux au ciel en disant : « Je vous remercie de tout mon cœur, Seigneur Jésus- Christ, de ce que vous avez daigné m'accorder le bonheur de souffrir ces tourments et me donner assez de patience et assez de force pour triompher de ce tyran rempli d'injustices et d'iniquités. »
Avec le don de force, vous serez courageux et invincibles ; rien ne pourra vous ébranler ni vous étonner. Mais si vous en êtes privés, vous serez né- cessairement faibles et lâches; vous rencontrerez des difficultés partout, un rien vous jettera dans le trouble et l'épouvante. Avec le don de force, les roseaux ont la force du chêne séculaire, et sans lui, les chênes plient comme des roseaux. Avec lui, des vierges timides et délicates, les Agnès, les Agathe, les Lucie, les Catherine et tant d'autres sont fortes et indomptables comme des lions; sans lui, les cœurs les plus intrépides tremblent au moindre bruit et s'enfuient comme la colombe ou l'hiron- delle; sans lui, David etSamson succombent à une légère tentation, les apôtres abandonnent Jésus- Christ à l'heure du danger, saint Pierre le renie trois fois à la parole d'une servante. Avec lui, vous n'aurez rien à craindre; vous ne brûlerez pas au milieu des flammes ; vous ne ferez point naufrage, quoique agités par les plus furieuses tempêtes ; vous ne vous laisserez point abattre ni par la violence des vents, ni par la crainte des écueils cachés sous les flots; au milieu de la corruption, vous ne serez point souillés; marchant sur un terrrain glissant,
— 361 — vous ne tomberez pas. Mais sans ce don, tout en respirant l'air le plus pur, vous languirez et vous mourrez ; vous tomberez surune belle route ou dans une prairie; les rayons du soleil ne vous récbaufife- ront pas, ils vous brûleront ; la pureté de la lumière vous souillera ; vous ferez naufrage au port, et une étincelle produira le plus désastreux incendie.
Avec le don de force, vous prierez Dieu avec piété et recueillement, quoique absorbés par mille occupations ou jetés sur les places publiques, et sans lui, vous serez dissipés dans la retraite et au fond des solitudes. Avec lui, vous conserverez la chasteté, quoique exposés à toutes les tentations, et sans lui, vous éprouverez des révoltes de la chair, même dans la compagnie des anges. Avec lui, vous serez pleins de modestie et d'humilité au milieu des succès les plus éclatants et avec la pratique des plus hautes vertus, et sans lui, vous vous glorifie- rez de vos défauts et de vos vices. Enfin, avec lui, les enfants deviennent de courageux guerriers, et sans lui, les plus vaillants sont vaincus.
Mais que faire pour obtenir et conserver en vous le don de force ? 1"* Demandez-le à Dieu comme le prophète et dites-lui : « 0 mon Dieu, fortifiez mon bras de la vigueur du vôtre et remplissez-moi de cou- rage. Heureux celui dont le Dieu de Jacob est le sou- tien, et qui met son espérance dans le Seigneur son Dieu; car il garde pour toujours la vérité et la fidé- lité à ses promesses, il rend justice à ceux qui sont opprimés. Le Seigneur donne la nourriture à ceux qui ont faim, il délivre ceux qui sont dans les fers,
16
— 362 — il ouvre les yeux des aveugles, il relève ceux qui sont courbés, il aime les justes. » (Psal. cxlv.)
Pour prier Dieu avec ferveur, pour assister aux offices avec piété, pour élever vos enfants dans la pratique de la vertu, pour pardonner à vos ennemis, pour triompher des passions mauvaises, pour ré- primer les désirs enfantés par l'ambition, la cupi- dité et la volupté, il vous faut certainement une grande force d'âme que vous n'avez pas en vous- mêmes. Demandez à Dieu de vous venir en aide et de prendre en pitié votre grande pauvreté.
2° Approchez-vous souvent et dignement du sa- crement de l'Eucharistie, appelée si justement le pain des forts. Vous vous incorporerez le corps, le sang, l'âme et la divinité de Jésus-Christ, celui qui est appelé le bras du Tout-Puissant et le lion de Juda. Pour expliquer la force extraordinaire d'A- chille, les païens supposaient qu'on l'avait nourri de la moelle de lions. Que serez-vous donc, si vous vous nourrissez fréquemment de la chair et du sang, de la moelle et de la vie même d'un Dieu? Quelle vigueur ne communiquera pas à votre âme la subs- tance même de Dieu? Nous sortons de "la table sainte, dit saint Chrysostôme, jetantfeu et flammes, comme des lions, intrépides et redoutables au dé- mon lui-même. Aussi l'Eglise avait-elle grand soin de munir de cette divine armure les chrétiens qui devaient souffrir le martyre. Pourquoi ne se lais- saient-ils pas attendrir aux plaintes si touchantes de leurs parents éplorés, ni aux cris des enfants qu'ils laissaient orphelins? C'est qu'ils s'étaient
, — 363 —
enivrés de ce vin mystérieux, dit saint Augustin, et ils en ressentaient les célestes fumées. Voyez- vous saint Laurent, cet invincible athlète de la foi? Il est calme et tranquille tandis que les flammes dé- vorent son corps et tous ses membres ; il semble avoir perdu le sentiment de la douleur, parce qu'il a reçu le corps et le sang de Jésus-Christ ; il s'est engraissé de cette viande sacrée, et il s'est enivré de ce vin précieux.
3° De même que le corps acquiert de la force par l'exercice, rien n'est plus propre à fortifier i'âme que la pratique de la vertu. Voulez-vous avoir une âme énergique et fortement trempée? Accou- tumez-vous à vous vaincre chaque jour, même dans les petites choses ; mettez plus de régularité et de gravité dans votre maintien ; déracinez vos vices : réprimez votre vivacité ; soyez plus attentifs et plus recueillis dans vos devoirs de piété ; soyez plus ré- servés dans vos paroles ; faites expirer sur vos lèvres le mot que l'amour-propre ou le défaut de charité y avait amené ; montrez-vous plus fidèles à exécuter vos bonnes résolutions; réprimez votre curiosité; sup- portez plus patiemment la faim et la soif, le froid et le chaud ; endurez la mauvaise humeur du prochain; recevez avec calme ses injures et ses mépris ; souf- frez la contradiction : c'est par de tels exercices que vous acquerrez une grande force d'âme. Dans la milice chrétienne, vous ne serez jamais capitaines ni colonels si vous n'êtes brisés dans les exercices et la stratégie. Avant de renverser Goliath, David avait terrassé des ours et des lions. Quand donc
— 364 — vous aurez vaincu vos passions, qui sont comme des ours et des lions qui dévastent la propriété de votre âme, Dieu vous donnera plus de courage et plus de force, afin que vous remportiez des victoi- res encore plus éclatantes. Amen.
FIN DES GLORIEUX TRAVAUX DE SAINT CLÉMENT.
Domitius, désespérant de vaincre Clément et Agatange, le» renvoya à Maximien, qui se trouvait à Ancyre. Ils étaient gardés par des soldais et suivis par beaucoup de fidèles. Mais comme ils mouraient de soif en traversant un long désert, à la prière de saint Clément, une source jaillit, et tous purent se rafraîchir.
Le bruit de ce miracle se répand de tous côtés, et des ma- lades accourent vers le saint, qui leur rend la santé. Brûlant de l'amour divin et désirant souffrir davantage. Clément fait à Dieu une ardente prière, et notre Seigneur lui répond que sa prière est exaucée et que son martyre durera vingt- huit ans.
Aussitôt qu'ils lui furent présentés, l'empereur les fit jeter dans un grand feu, où ils demeurèrent un jour et une nuit sans en recevoir la moindre atteinte. Maximien furieux com- mande aux bourreaux de les traîner publiquement et de les battre jusqu'à les faire mourir; mais tout est inutile, et les païens témoins de cette constance héroïque reconnaissent la vertu de Dieu et croieni en Jésu^-Christ. L'empereur les con- damne ensuite à quatre ans de prison; mais, les quatre ans révolus, ils sortent de la prison plus courageux que jamais. Maximien, ne voulant plus s'en mêler dans la crainte d'être vaincu, les renvoya à d'autres juges qui leur firent endurer tous les tourments imaginables, afin de les faire mourir. L'un d'eux les fit battre de verges au point que toute la chair était emportée et qu'ils n'avaient plus que les nerfs et les os. Ils retournèrent en prison, et les fidèles les suivaient pour ra-
— 365 —
masser les morceaux de chair qui tombaient et le sang qui coulait. Un autre fit préparer un lit garni de clous d'un pied de long, y fit étendre Clément sur le dos, et commanda aux bourreaux de frapper sur son ventre avec de gros bâtons, afin de l'enfoncer dans les pointes des clous, et de verser du plomb fondu sur la tête d'Agatange. Un troisième juge ordonna qu'on leur attachât au cou des meules de moulin et qu'on les roulât dans les rues de la ville, qu'on leur jetât des pierres et qu'on excitât la populace contre eux. Mais ces tourments ne servirent qu'à leur donner plus de force et à convertir un grand nombre d'infidèles. Après cela il les condamna à une perpétuelle prison.
Maximien, ayant appris qu'ils étaient d'Ancyre, les renvoya au président de cette ville, qui les fit mettre en prison après les avoir attachés et comme empalés ; ils ne pouvaient se re- muer. Le lendemain, il fit appliquer des poinçons ardents aux oreilles d'Agatange et brûler les côtés avec des torches allumées. Enfin, le S novembre, il lui fit trancher la tète, et Sophie l'enterra à la porte de l'église. Saint Clément remercia Dieu de la fin glorieuse de son compagnon.
Par ordre du tyran, on asséna à saint Clément cent cin- quante coups sur le visage, de sorte que tout son corps était couvert de sang; mais les anges le secoururent la nuit sui- vante et guérirent ses plaies. La pieuse Sophie assembla tous ses domestiques et les hommes qu'elle avait choisis, entra la nuit dans la prison, détacha le martyr et l'emmena dans sa maison. Ensuite elle lui donna une robe blanche, en signe de joie, et en prit une de la même couleur; elle mil l'Evangile entre les mains du martyr, et l'on entra dans l'église avec des flambeaux et des parfums odoriférants.
Saint Clément pria d'abord pour sa mère, puis pour le clergé et tout le peuple, et enfin pour tous ceux qui devaient im- plorer son intercession après sa mort. Le jour de l'Epiphanie, il célébra les saints mystères, donna la communion à ceux qui se présentèrent, les consola par de douces paroles, et leur prédit la fin de la persécution, a L'empire romain, leur dit-il, jouira de la paix, toules les villes et les provinces connaî-
— 366 —
Iront Jésus-Christ, les églises seront ouvertes et les temples des idoles fermés, n Tout arriva comme il avait dit. Sainte Sophie distribua de grandes aumônes aux pauvres.
Le dimanclie suivant, saint Clément célébra la Messe, et quand il eut donné la communion aux Odèles, un magistrat entra accompagné de soldats et lui fit trancher la tête. Ses deux diacres furent décapités avec lui. Sainte Sophie eut soin de les faire enterrer dans l'église même ; puis elle s'assit au pied de leurs tombeaux et leur adressa une fervente prière en versant un torrent de larmes. (Ribadeneira.)
Cet exemple nous montre quelle force toute divine le Saint-Esprit communique aux âmes pures et généreuses. Saint Clément et s^n compagnon, n'ayant d'autres armes que la prière, délie'"!: toi^te la puissance des empereurs romains pen- dant vingt-licii uns : quel prodige !
I
V^ INSTRUCTION.
Du don de piété.
Pietas ad omnia utilis est ; promis- sionem hahens vilœ quœ mine est et fu- lurœ.
La piété est utile à tous; elle a les promesses de la vie présente et de la vie future.
(I TiM., IV, 8.)
Au seul mot de piété, les gens du monde fron- cent le sourcil, parce que sans doute il sonne mal à leurs oreilles. Aies entendre, la piété n'est que du fanatisme ou de la folie, et un homme pieux ne peu^ être qu'un fou, un imbécile ou un frénétique. Mais depuis quand donc ont-ils ainsi tntendu la piété? Parce que parfois ils ont rencontré sur leur chemin l'ignorance ou la faiblesse d'esprit qui, sous le masque de la piété, sont tombées dans tou- tes sortes d'excès ou de scandales, ils n'ont plus que des anathèmes à lancer contre la piété. Que des chrétiens hypocrites cherchent à usurper une réputation qui ne leur appartient pas, et veuillent paa-aître pieux en faisant de longues prières ou en se livrant à de longs exercices religieux, cela ne doit étonner que des sots ou des ignorants; mais que des hommes sensés se scandalisent de certains abus introduits par la corruption de notre nature jusque dans les choses saintes, cela ne se comprend
— 368 — plus. Prétendent-ils justifier ainsi leur indifférence ou leur éloignement de la religion? Parce qu'ils auront remarque quelques défauts ou quelques im- perfections dans les personnes pieuses, croient-ils s'en glorifier comme d'un triomphe pour eux et d'une défaite pour la religion? Ils s'écrieront: Voilà ce que sont les dévols. Ne vaut-il pas mieux être honnête homme, franc, laborieux, charitable, que de cacher sous le masque de la piété la dé- loyauté et l'injustice? Oui, sans doute, leur répon- drons-nous, il vaut mieux se fracturer un membre que se briser la tête ; mais il vaut infiniment mieux ne se faire ni plaie ni blessure.
Par piété l'on entend quelquefois cette inclina- tion naturelle qui nous porte à témoigner de l'af- fection et du dévouement, de l'amour et de la ten- dresse à nos parents et aux personnes qui nous sont chères. Elle est aussi cette vertu chrétienne qui fait que nous nous acquittons avec bonheur et fidélité de tous nos devoirs religieux ; et le don de piété est une perfection surnaturelle qui nous unit à Dieu comme au plus tendre des pères, et nous unit en même temps à tout ce qui lui appartient d'une manière plus ou moins étroite. Le Saint-Es- prit étant spécialement l'Esprit du Fils de Dieu, en- tre autres mouvements qu'il nous communique, nous presse vivement à prendre un esprit filial et un cœur d'enfant envers Dieu comme envers notre Père, suivant cette parole : Vous avez reçu l'esprit d'adoption des enfants qui nous fait crier du fond de nos cœurs : iôôa, c'est-à-dire mon Père. Le
— 369 —
don de piété nous prépare à recevoir ce mouvement divin, celte céleste impression, de manière qu'il nous unit d'abord à Dieu par un esprit filial, comme par une chaîne d'or, et il nous unit ensuite par cette même chaîne à toutes les créatures de l'univers en tant qu'elles appartiennent à Dieu. {Sum., p. 2, q. 21,a. 1.)
L'effet principal du don de piété est d'inspirer au chrétien tous les sentiments qu'un bon fils doit avoir pour son père. Or, 1° si vous êtes un enfant bien élevé, vous aimez votre père sans qu'on vous com- mande de l'aimer ; peu importe que votre père soit riche ou pauvre, vous l'aimez parce qu'il est votre père. Si vous êtes séparé de lui, votre amour n'en est point refroidi; il semble même qu'il croît à raison de la distance des lieux. Les caresses et les biens que vous recevez de lui nourrissent et forti- fient votre affection, mais ne la produisent pas. S'il vous châtie, vous ne vous irritez point; vous savez que votre père est si bon qu'il ne vous afflige qu'à regret et pour votre plus grand bien.
Tels sont vos sentiments pour Dieu, si vous avez le don de piété. Vous l'aimez parce qu'il est votre Père, sans vous inquiéter du précepte qui vous fait un devoir de l'aimer. Le Saint-Esprit a déposé cet amour dans votre cœur, vous n'avez qu'à suivre ses inspirations. Les grâces et les bienfaits que vous en recevez attisent le feu de votre amour. Si la douleur ou la peine torture votre corps ou déchire votre âme, loin de murmurer contre la main qui vous irappe, vous trouvez du bonheur dans vos souf-
16.
— 370 — frances, parce que vous les considérez comme des moyens propres à vous détacher des choses péris- sables de ce monde pour ne plus vivre que pour Dieu. Vous acceptez tout avec une résignation par- faite, et encore que la nature crie et se révolte, vous la faites taire, et vous dites avec Job : Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux? Les peines et les afflictions de cette vie ne sont que de justes châ- timents pour l'expiation de nos péchés ou d'utiles épreuves pour affermir notre vertu.
2° Si vous êtes un enfant bien élevé, vous res- pectez votre père par toutes vos paroles et par toute votre conduite. Chaque jour vous lui expri- mez les sentiments d'amour filial et de respec- tueuse tendresse dont votre cœur est animé pour lui. Malheur à quiconque oserait attaquer en votre présence l'honneur de votre père! il paierait chère- ment son audace ou sa haine. Mais aussi quel n'est pas votre bonheur quand vous entendez faire son éloge, publier ses qualités et ses bienfaits!
C'est ainsi que vous honorez votre Père céleste, si vous avez le don de piété; vous ne manquez ja- mais de le prier, de le remercier et de le bénir; vous lui exposez vos besoins, et vous lui exprimez vos sentiments d'amour et de respectueuse ten- dreté. Quand vous lui parlez de votre attachement et de votre dévouement sans bornes-, ce ne sont pas des paroles vaines; votre invincible courage à dé- fendre son honneur et voire fidélité à exécuter ses ordres, si difficiles qu'ils soient, en sont des preu-
— 371 —
ves incontestables. Votre plus grand bonheur est de le faire connaître et de le faire aimer de tous les hommes.
3^ Si vous êtes un enfant bien élevé, vous êtes toujours soumis à votre père. Vous ne vous permettez jamais de discuter les ordres qu'il vous donne ; vous n'examinez point s'ils sont difficiles ou non ; vous les trouvez tous faciles, parce qu'ils vous sont don- nés par le meilleur des pères. Vous n'attendez pas qu'il vous commande; une intention, un désir est pour vous comme un commandement : vous n'avez de bonheur qu'à faire le bon plaisir de votre père.
Si vous avez le don de piété, vous recevez avec vénération les ordres de votre Père céleste, et vous les exécutez avec promptitude; ils sont toujours pleins de raison et de sagesse, parce qu'ils sont donnés par Celui qui est la raison et la sagesse même. Si l'accomplissement parfait de tous vos devoirs est un joug, c'est pour vous un joug doux et léger, parce que c'est l'amour le plus paternel qui l'impose, et l'amour filial qui le reçoit. Votre seule crainte est de n'avoir pas une obéissance as- sez parfaite.
4*^ Si vous êtes un enfant bien élevé, vous pro- curez à votre père tous les secours dont il a be- soin. Est-il malade? vous souffrez avec lui, et vous adoucissez ses peines autant que vous le pou- vez; vous le consolez dans ses afflictions, vous l'assistez dans sa pauvreté; vous placez votre bon- heur à ne le laisser manquer de rien.
Telle est votre conduite envers Dieu, si vous
— 372 — avez le don de piété ; votre cœur éprouve tous les mouvements du cœur de Dieu : sentiments d'indi- gnation contre les blasphémateurs et ces superbes impies qui se glorifient de leur impiété; sentiments de pitié et de commisération pour les malheureux pécheurs qui se perdent; sentiments de peine à la vue des outrages faits à Dieu par le péché; senti- ments de joie pour la gloire que lui rendent les jus- tes par leur persévérance et les pécheurs par leur conversion ; enfin sentiments de charité qui exci- tent votre compassion pour les pauvres et vous por- tent à les soulager. C'est ainsi que vous consolez Dieu dans ses peines, que vous le soulagez dans sa douleur, et que vous l'assistez dans sa pauvreté.
Si vous avez le don de piété, vous avez aussi un amour filial pour votre mère la sainte Eglise; elle ne forme qu'un seul corps dont Jésus-Christ est le chef et les saints sont les membres. Vous vous sou- mettez à ses décisions avec docilité; vous accom- phssez ses préceptes avec joie et simplicité; vous vénérez ses cérémonies, lors même que vous n'en comprenez pas le sens; vous souff'rez de ses maux, et vous vous affligez de ses peines ; vous la vengez des calomnies, et vous la défendez contre ses per- sécuteurs. Si des enfants dénaturés se révoltent et lui déchirent le sein, vous en versez des larmes de douleur, et vous mettez tout en œuvre pour rame- ner dans le sein de leur mère ces frères qui s'éga- rent et se perdent.
Pourriez-vous ne pas aimer Marie, l'auguste Mère de Dieu, la créature la plus parfaite, la Fille
— 373 — du Père, la Mère du Fils et l'Epouse du Saint-Es- prit? Avec quel bonheur vous voyez revenir chaque année ces fêtes solennelles consacrées à son hon- neur et à sa gloire 1 Avec quelle dévotion vous la priez chaque jour! Avec quel empressement vous allez décorer ses éghses et ses autels 1 Ah 1 si seule- ment vous pouviez parcourir l'univers pour annon- cer partout sa bonté et sa tendresse, et pour la faire aimer 1
Et les saints, ces amis de Dieu, ces frères de Jésus-Christ, ces enfants bien-aimés de Marie, vous les aimez aussi comme des frères, des protec- teurs, des personnages illustres par la sublimité de leurs vertus et mis en possession de Dieu. Com- bien ils vous sont chers! Quelle joie n'éprouvez- vous pas quand vous les voyez honorés , invoqués et imités 1
Le don de piété vous inspire une grande charité pour tous les hommes, parce qu'ils appartiennent à Dieu par des tires authentiques et merveilleux ; ce sont les images vivantes de Dieu, les chefs- d'œuvre de ses mains, ses enfants adoptifs, les frères et les cohéritiers de Jésus-Christ. On vous voit le visage toujours gai et toujours ouvert, des paroles gracieuses sur les lèvres, prompt à rendre service, indulgent pour excuser les fautes d'autrui et sévère pour vous seul, facile à pardonner à tous excepté à vous-même, plein de compassion pour ceux qui souffrent, affable, honnête, poli envers tout le monde; vous bénissez ceux qui vous mau- dissent, vous priez pour ceux qui vous calomnient,
— 374 —
et vous faites du bien à ceux qui vous persécutent.
Si vous tombez dans quelque faute grave, vous vous humiliez aussitôt devant cette majesté infi- nie que vous avez offensée, et, bien que votre péché paraisse impardonnable, vous ne vous déses- pérez pas néanmoins. Vous savez que Celui que vous avez offensé est le meilleur des pères ; vous allez vous jeter à ses pieds et vous lui dites : Mon Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous; je ne mérite plus d'être appelé votre fils, mais trai- tez-moi comme un de vos mercenaires. Vous re- doublez d'ardeur dans l'exercice de la pénitence, et, par un amour plus vif, plus sincère, plus dé- voué, vous vous efforcez de dédommager le cœur de Dieu de la peine que vous lui avez causée.
Vous pouvez donc comprendre comment le don de piété perfectionne la vertu de justice ; car il fait que nous rendons à Dieu et à notre prochain tous nos devoirs avec bonheur et avec joie. Il nous ins- pire une telle ardeur, que, sans calculer jusqu'où s'étend l'obligation, il nous suffit de savoir que nous faisons le bon plaisir de Dieu pour nous por- ter à la pratique des conseils. Il imprime à toutes nos actions un caractère religieux qui en fait au- tant d'oeuvres de piété, parce qu'il nous fait con- sidérer les créatures comme représentant Dieu lui- même. N'éprouvons-nous pas un certain sentiment de respect à l'égard des domestiques qui portent la livrée d'un prince et d'un roi, et ne les traitons- nous pas comme si nous avions affaire au prince ou au roi dont ils sont les serviteurs? Tels sont
— 375 —
nos sentiments à l'égard des créatures, parce qu'el- les portent la livrée du Roi du ciel.
Pour mieux apprécier les avantages du don de piété, considérez ce que devient le chrétien qui en est privé. Ne comprenant plus sa filiation divine, ni ces rapports si doux et si intimes qui existent entre lui et Dieu, il se fait centre de tout, il se fait comme un petit dieu que tout le monde doit ado- rer. Dieu n'est plus pour lui qu'un étranger et même un tyran, il ne le prie plus, il ne lui rend plus aucun devoir. L'adversité vient-elle le visi- ter? Dieu n'est plus un bon père qui le châtie pour le rendre meilleur, c'est un ennemi qui le persé- cute. Ce n'est plus l'effet d'une providence toute paternelle qui veut réveiller un enfant qui s'endort au sein des plaisirs, c'est le hasard ou le sort qui le poursuit. Comme le mauvais serviteur de l'E- vangile, il ne voit plus en Dieu qu'un maître dur et inexorable, qui prend où il n'a rien rais, et qui veut récolter où il n'a rien semé. Les exercices de piété sont oubliés et méprisés; le son des cloches, la vue d'une église ou même d'un prêtre le met en fureur. Dites-lui que Dieu nous a imposé tel pré- cepte, ce sera pour lui une raison de l'enfreindre; dites-lui qu'il nous a défendu telle action, il se fera gloire de la faire. Comme Satan , on dirait qu'il éprouve du bonheur dans sa rébellion.
Pour lui, l'Eglise n'est plus qu'une réunion de du- pes ou d'hypocrites qui exploitent la crédulité publi- que, qui obligent à croire des absurdités, qui mécon- naissent les droits de la raison et détruisent l'intel-
— 376 — ligence humaine. Il méprise ses enseignements, son autorité, ses pasteurs et ses cérémonies; il s'en moque elles tourne en ridicule.
Ce n'est pas tout : il brise tous les liens qui l'u- nissent à ses semblables et méconnaît toute auto- rité. Le fils ne voit dans son père qu'un maître et un nourricier dont il a besoin dans son enfance; mais attendez l'âge de quinze ans, et l'heure de l'émancipation aura sonné, et il aura secoué tout joug, toute loi, toute autorité. Le chef de l'Etat n'est plus qu'un agent de pûlice dont il peut trom- per la surveillance et braver le pouvoir.
Vous lui prouverez sans doute qu'il a tort, qu'on ne vit jamais de peuple sans une autorité respec- tée, et que, partout où elle est méconnue, il n'y a que désordre, anarchie, révolution, ruines. Que peut la logique contre des passions déchaînées? Les démonstrations les plus claires, les preuves les plus solides ne sauraient éclairer celui qui ferme les yeux à la lumière.
Que sont les autres hommes à son égard? Des tyrans ou des rivaux, et par conséquent des enne- mis, et il les traite en ennemis. 11 est de ces hom- mes dont parle saint Paul, pleins d'amour d'eux- mêmes, sans affection pour personne, cupides, dé- daigneux, superbes, sans pitié, farouches et cruels. (IITim., III, 2.) Ce portrait vous semble fait à plaisir, mais détrompez-vous ; car le chrétien sans piété est un impie, selon l'énergique signification du mot. Or, un impie n'est-il pas un homme qui ne croit à rien et qui méprise toute croyance? S'il aime, c'^st
— 377 —
par calcul, par intérêt ou amour de lui-même. Il fera dçs sacrifices comme l'avare, quand il aura la certitude que ce sont des avances de fonds qui lui feront réaliser de gros bénéfices.
lie négligez rien, mes frères, pour conserver et perfectionner en vous le don de piété. C'est un fruit divin transporté du ciel sur la terre; c'est un ruisseau qui coule de la miséricorde de Dieu dans nos âmes pour les rafraîchir, les vivifier, y faire germer et croître les vertus chrétiennes. C'est un rayon du Soleil de justice qui nous révèle les tré- sors immenses de notre filiation divine. C'est une participation à la charité infinie de Dieu qui nous porte à nous communiquer par amour, comme il fait lui-même. C'est comme une émanation du Saint-Esprit, qui nous déifie et nous communique les sentiments de Jésus-Christ pour estimer, hono- rer et aimer Dieu notre Père, comme il l'honore et l'aime lui-même. Exerçons-nous à la piété, puis- qu'elle est utile à tout, qu'elle possède les promes- ses de la vie présente et celles de la vie future.
Accoutumez-vous à cette belle et noble pensée, que Dieu est votre Père, que vous êtes ses enfants de prédilection ; rendez-vous la si familière qu'elle vous soit comme naturelle, qu'elle vous accom- pagne partout et soit comme l'âme de toutes vos pensées et de toutes vos actions. Pensez à Dieu et parlez-lui comme à votre Père; adressez-lui vos prières et vos demandes avec cette confiance entière qu'un fils témoigne au meilleur des pères ; traitez toutes vos afl'aires avec lui, comme vous le
— 378 — feriez avec le père le plus compatissant et le plus généreux; recevez de sa main paternelle les maux comme les biens, parce qu'il ne permet ou ne vous envoie que ce qui doit contribuer le plus efiBcace- ment à voire bonheur; en un mot, conduisez-vous toujours en toutes choses avec un esprit vraiment filial, comme il vous y engage lui-même par son prophète en disant : « Commencez au moins dès maintenant à m'appeler votre Père, et con- duisez-vous avec moi comme un enfant digne de moi. y>
Quand vous traitez avec les hommes, faites-le toujours avec un même esprit de piété qui vous montre en eux les enfants adoptifs de Dieu, les frères de Jésus-Christ et les temples du Saint-Es- prit, ou plutôt voyez en eux d'autres Jésus-Christs, puisque Jésus-Christ vit en eux, les anime de son esprit et leur communique sa propre vie. Traitez- les, honorez-les, servez-les, comme si vous trai- tiez, vous honoriez, vous serviez Jésus-Christ lui- même en personne, puisque tout ce que vous aurez fait au plus petit d'entre ses frères, c'est à lui- même que vous l'aurez fait, et il vous en récom- pensera. Amen.
SAINT FÉLIX DE CANTALICE.
11 naquit l'an iSlo, de parents pauvres et simples, naais très-vertueux. Instruit et élevé dans la crainte de Dieu, il fit de grands progrès dans la piété, et les autres enfants disaient en le voyant venir : Voici le saint. Son père l'occupa à gar- der le bétail; mais il ne cessait de louer Dieu et de réciter les
— 379 —
prières qu'on lui avait apprises. La nuit^ pendant que les au- tres bergers dormaient, il se retirait à Técart, se jetait au pied d'un chêne où il avait gravé l'image de la croix, et pas- sait une partie de la nuit à méditer et à pleurer sur la pas- sion de notre Sauveur.
A Page de douze ans, il devint domestique d'un genfîl- liomme fort riche qu'il servait avec zèle et fidélité. On l'em- ployait à garder les troupeaux, à labourer la terre, et à toute autre chose, où il fciisait l'apprentissage des plus rares vertus. 11 était ennemi juré du mensonge, abhorrait les murmures, fuyait la compagnie des débauchés et parlait peu; il se montrait toujours humble, patient, doux, et si quelqu'un Toffensait, il lui disait en riant : Va, puisses-tu devenir un saint !
Il mangeait peu et observait les jeunes commandés par l'Eglise; il ne prenait son repas que le soir, après avoir fait quelques prières à genoux. Il avait une très-grande dévotion envers le saint Sacrement de l'autel, et souvent il quittait ses troupeaux pour entendre la Messe ; et Dieu envoyait un ange qui, sous la forme d'un jeune homme, les gardait à sa place.
La lecture des livres spirituels lui plaisait beaucoup. Or, un jour, écoulant attentivement la lecture de la vie des saints anachorètes, il eut le désir de les imiter; mais, considérant les dangers de la vie solitaire, il préféra la vie religieuse et s'en alla au couvent des capucins. Le père gardien, pour l'é- prouver, lui dit : « Les travaux du couvent sont continus et l'obéissance absolue; c'est pourquoi, mon bon ami, quittez votre projet et n'y pensez jamais plus. » Et il lui répondit . « Mon père, je prends Dieu à témoin que je viens de sa part, et sans aucun autre intérêt que celui de son service. C'est lui seul qui m'inspire, me presse et m'enjoint d'entrer avec vous. Voulez-vous que je résiste à ses inspirations et néglige l'hon- neur qu'il me fait de m'y appeler? C'est à lui, et je le prends pour juge, que visent mes intentions, et sou seul honneur est le but de ma poursuite. »
Félix fut admis, et, s'élant revêtu de l'habit de l'ordre, il
— 380 —
se mit à combattre sa chair et ses passions avec une telle ar- deur, qu'il en obtint en peu de temps une parfaite victoire. Sa vie n'était qu'une prière continuelle, et il suppliait le maî- tre des novices de doubler ses pénitences. Par le moyen de cette haine et de ce mépris de lui-même, il devint comme une copie vivante de saint François. Il fut chargé des fonc- tions de quêteur, et il remplit cette charge pendant qua- rante ans.
Lorsqu'il quêtait, il avait toujours le chapelet à la main, et, l'esprit élevé et recueilli en Dieu, il disait souvent à son compagnon : « Sus, mon frère, le chapelet en main, les yeux en terre et l'esprit au ciel. »
Il était très-charitable envers les malades, et, avec la per- mission de ses supérieurs, il les visitait la nuit, ne pouvant le faire de jour, les consolait et leur rendait toutes sortes de services, non seulement à ceux de la maison, mais encore à ceux de la ville. Les dimanches, il visitait les hôpitaux, ser- vait les malades, quêtait pour eux et leur portait toujours quelques petits présents. Il les disposait à se confesser et à sauver leur âme. Quand il rencontrait quelque jeune débau- ché dans la rue, il l'arrêtait tout court et lui disait à l'oreille ; « Mon ami, où vas-tu ? Ne vois-lu pas que tu te damnes? Pense un peu à ton àme; souviens-toi que tu dois bientôt mourir et rendre un compte exact de ton âme. »
Il reprenait aussi hardiment les riches et les nobles, et leur donnait des leçons avec une prudence admirable. Il avait promis de petites croix à une dame romaine et les donna à d'autres. Celte dame, l'ayant appris, lui en fit des reproches, tt Voilà qui est fort honnête, lui dit-elle, promettre et ne pas tenir! » Félix lui répondit : a Et combien de choses ne pro- mettons-nous pas à Dieu et que nous ne tenons pas ! »
Il aimait beaucoup saint Philippe de Néri, et il en était très- aimé. Quand ils se rencontraient, ils se donnaient des témoi- gnages de la plus vive affection. Un jour ils se jetèrent à ge- noux tous deux à la fois, se demandant la bénédiction l'un à l'autre ; mais, ne voulant céder ni l'un ni l'autre, ils s'embras- sèrent et reprirent leur chemin. En se saluant, l'un disait :
— 381 —
« Que ne puis-je vous voir brûler ! — Et moi vous voir sur la roue ! répondait Tautre. — Que les mains vous soient bientôt coupées! disait celui-ci. — Et vous la tête ! répondait celui-là. — - Puissiez-voas être fouetté et assommé à coups de pierres ! disait saint Philippe. — Et vous tenaillé et noyé dans le Ti- bre ! » répondait Félix. Ces étranges manières de se saluer nous font voir le grand désir qu'ils avaient l'un et l'autre d'endurer le martyre pour Jésus-Christ. (Ribadeneira.)
Vr INSTRUCTION.
Du don de eoiiseil<
Consilium cuslodiet te et prudenlia serva- bit te, ut eruaris à vid malâ.
Le conseil vous gardera et la prudence vous 'conservera, pour vous arracher de la mauvaise voie.
(Prov., II, 11.)
Pourquoi, mes frères, rencontrons-nous si sou- vent des chrétiens pleins de foi et de science, ne sachant néanmoins comment se conduire dans le monde, ni traiter les affaires les plus ordinaires de la vie? C'est qu'ils n'ont des choses et des person- nes qu'une certaine connaissance spéculative; mais s'agit-il d'en venir à la pratique, ils ressemblent à des voyageurs égarés dans une nuit profonde et n'osant avancer le pied par crainte de se jeter dans quelque précipice : ce qui prouve que les hommes même les plus instruits ont besoin d'une vertu particulière qui les dirige dans toutes leurs voies et les empêche de tomber dans quelque excès, c*esfe*-à-dire de la vertu de prudence, qui n'est pas seulement une vertu morale, mais encore la maî- tresse des autres vertus. En effet, sans la prudence, la tempérance sera cupidité ou prodigalité ; la force, témérité ou audace; la justice, rigueur ou faiblesse; la charité, profusion ou cruauté; l'espérance, pré-
— 383 — somption ou désespoir; la foi, incrédulité ou su- perstition ; l'humilité, bassesse ou arrogance ; et ainsi des autres.
Cependant que de fois la prudence ne nous ferait- elle pas défaut, si le don de conseil ne venait la sou- tenir et la perfectionner! Il faut donc que l'Esprit de Dieu éclaire notre intelligence d'une lumière surnaturelle, non seulement pour mieux discerner le bien du mal, mais encore pour connaître, dans les cas particuliers et difûciles où la raison hu- maine est à bout, ce qu'il faut dire ou ce qu'il faut faire. Ce fut cette lumière divine qui inspira à Jo- seph la pensée de fuir et d'abandonner son man- teau entre les mains de la femme de Putiphar qui voulait l'entraîner au mal; à la chaste Suzanne, d'aimer mieux mourir innocente, quoique désho- norée aux yeux des hommes, que de commettre le péché en présence de Dieu; au jeune Daniel, de séparer les deux vieillards et de les interroger à part pour découvrir la fausseté de leur accusation ; et à Salomon, de vouloir partager en deux avec une épée l'enfant disputé par deux mères, afin de dé- couvrir quelle était la véritable.
Le don de conseil n'a pas pour but de nous don- ner une connaissance plus parfaite de notre fin, mais de nous rendre plus habiles dans le choix et l'exécution des moyens qui doivent nous y con- duire. Encore que la prudence nous suffise pour la conduite ordinaire de la vie, le don de conseil nous est nécessaire dans les affaires graves et difficiles. C'est surtout dans les choses douteuses, auxquelles
— 384 — il faut donner des solutions ditférentes selon la dif- férence des temps, des lieux et des personnes, que le don de conseil se manifeste, parce qu'il nous devient plus nécessaire que jamais, et que c'est pour cette fin qu'il nous est donné.
Dieu nous communique d'abord la vertu de pru- dence pour être la règle de notre conduite, la gou- vernante de nos actions, l'œil de toutes nos vertus pour bien les diriger dans la pratique. Or, la vertu de prudence remplit trois fonctions importantes : elle cherche les moyens propres à nous tirer d'em- barras ou à nous faire mener à bonne fin l'œuvre que nous avons entreprise ; elle apprécie la bonté des divers moyens, en constate l'efficacité, afin de distinguer les uns des autres et de pouvoir choisir les meilleurs; enfin elle commande l'exécution, et c'est là sa fonction principale, dit saint Thomas, parce que son but particulier est d'exécuter les ré- solutions qu'elle a discutées et arrêtées, suivant cette définition qu'on en donne, qu'elle est la rai- son droite et la règle juste pour agir.
La prudence, dit saint Thomas, possède comme trois facultés dont elle se sert dans toutes ses opé- rations : la première est une bonne et sage conseil- lère, parce que sa fonction est de donner de bons conseils; la seconde est le jugement, parce qu'elle doit juger sainement des choses ordinaires, renfer- mées dans les termes de la loi; la troisième est le discernement, parce qu'elle a pour but de juger des choses extraordinaires, auxquelles la loi chré- tienne n'a point pourvu ni pu pourvoir, à cause
— 385 -
des circonstances imprévues qui surviennent si souvent dans les affaires.
Ces trois facultés sont nécessaires à la prudence pour produire tous ses actes avec perfection. Car il faut d'abord qu'elle trouve des moyens pour at- teindre la fin particulière qu'elle se propose; il faut ensuite qu'elle les apprécie ou en constate la bonté en les comparant aux maximes de l'Evangile, aux lois divines et humaines qui forment la règle de notre conduite et de nos mœurs. Et quand les lois n'ont pas prévu la difficulté qui se présente, il faut un grand discernement pour la résoudre conformé- ment aux principes de la foi chrétienne.
Suivant saint Thomas, la prudence, pour bien agir, a besoin de la mémoire, de l'intelligence, de la docihté, de la vivacité, de la raison, de la pré- voyance, de la circonspection et de la précaution : la mémoire, pour avoir la connaissance de la loi, de ses explications et de ses applications diverses, afin de voir clair pour le moment actuel; l'intelli- gence, pour connaître les circonstances présentes et les apprécier; la docilité, pour accepter les con- seils que notre prudence ou la prudence des autres voudra bien nous donner, quand même ils choque- raient notre orgueil ou contrarieraient nos pas- sions; la vivacité, pour découwir à propos et assez à temps les moyens d'exécution qui nous sont né- cessaires ; la raison ou le jugement, pour faire une sage application des conseils qui nous sont donnés ; la prévoyance, pour découvrir à l'avance les obs- tacles que nous rencontrerons et les moyens que
17
- 386 - nous devons prendre pour les surmonter ; la cir- conspection, pour examiner toutes les causes, toutes les circonstances, toutes les suites de l'ac- tion ou de l'entreprise, de manière à ne rien laisser au hasard ni à la malice des hommes, si cela est possible; enfin la précaution, pour se ménager des moyens efficaces pour sortir des embarras divers qui pourraient survenir.
Cependant, si parfaite que nous paraisse cette prudence, souvent elle est encore trop faible pour dissiper les ténèbres qui obscurcissent notre intel- ligence, et pour nous éclairer dans une multitude d'affaires compliquées et difficiles, oiinos pensées, dit le Saint-Esprit, sont craintives, et nos esprits flottants, ne sachant ce qu'il faut dire ni ce qu'il faut faire. D'un autre côté, nous sommes environ- nés d'ennemis r>usés qui multiplient sous nos pas des pièges si bien cachés que nous ne les aperce- vons pas. C'est pour nous éclairer et nous indiquer la route que nous devons suivre au milieu de tant d'écueils et de tant de périls, que Jésus-Christ nous communique son esprit, afin qu'il nous éclaire dans les voies du salut, qu'il nous montre l'état que nous devons embrasser, les précautions que nous avons à prendre dans les différentes circons- tances de notre vie pour arriver au ciel. Eclairés du don de conseil, nous ne faisons rien par préci- pitation ou en désordre , mais nous agissons avec maturité et circonspection, ou nous différons d'a- gir selon l'inspiration divine; nous allons vite ou lentement, selon que l'œuvre l'exige, mais nous
— 387 — ne faisons rien à la légère, ni avec lenteur, ni avec précipitation.
C'est par le don de conseil que le Saint-Esprit vous pousse vers la perfection et vous indique les voies pour y arriver sûrement. Il veut vous rendre semblables à lui, spirituels comme lui, détachés des choses de ce monde, et aspirant sans cesse aux biens du ciel. Il vous fait vivre dans le recueille- ment et le calme de l'àme, et dirige vos facultés vers Dieu avec la même force que la loi d'attrac- tion pousse l'eau des rivières dans l'Océan, les pierres vers le centre de la terre et la flamme vers les régions supérieures. Il vous fait voir que toutes les créatures vous invitent à regarder le ciel comme votre fin dernière, et à vous servir d'elles-mêmes pour pratiquer les vertus chrétiennes, la patience, la charité, l'humilité, la miséricorde, la douceur et la justice.
C'est le don de conseil qui vous fait estimer la pauvreté plus que les richesses, les mépris et les humiliations plus que les honneurs et la gloire . les souffrances et les mortifications plus que tous les plaisirs de la terre. C'est lui qui a inspiré à une multitude d'âmes d'élite tant de choses étonnantes, si contraires aux idées du monde et aux règles de la prudence humaine. Ici, c'est saint Siméon Sty- lite qui embrasse un genre de vie si étrange; là, c'est saint Alexandre le charbonnier, qui veut ca- cher les plus sublimes vertus sous les haillons de la misère. Plus loin, c'est saint François d'Assise qui fait tout au monde pour qu'on le prenne pour
— 388 — un insensé; ce sont saint Crépin et saint Crépinien qui se font cordonniers pour devenir apôtres avec plus de sécurité et de succès. La prudence hu- maine a condamné tous ces grands saints comme elle condamne encore aujourd'hui tous ceux qui embrassent avec amour la doctrine de la croix pour aller plus vite et plus sûrement au ciel. Mais le plus grand des philosophes païens, Aristote, les a justifiés à l'avance , en disant que ceux qui sont poussés par l'esprit de Dieu ne doivent point con- sulter la raison humaine, puisqu'ils marchent sous la conduite d'un guide plus éclairé et plus sûr. Qui donc a changé cet homme du monde, cet homme de fêtes et de plaisirs, pour en faire un homme pieux, sobre, trouvant ses délices dans la pratique de la charité, de l'humilité, de la mortifi- cation et de la patience? C'est le don de conseil ; car le don de force ressemble à la foudre qui ébranle la nature entière pour la vivifier; il change le& loups en agneaux, et les lions rugissants en timi- des colombes . Mais le don de conseil agit avec moins de bruit; il saisit le voyageur arrêté par un fleuve ou par une montagne escarpée qu'il ne sau- rait franchir; puis il lui montre un pont qu'il ne voyait point, ou un sentier détourné qui le con- duira à «on but sans aucun péril. Vous vous de- mandez : Comment cet homme du monde a-t-il pu renoncer à une vie de bonne chère et de plaisirs pour mener une vie dure et laborieuse? C'est que le don de conseil a été son guide : il a fui les occa- sions du péché et les mauvaises compagnies: il a
— 389 —
eu recours à la prière ; il s'est placé sous la protec- tion de la sainte Vierge ; il a médité sérieusement sur ses fins dernières, sur l'enfer, la mort, le juge- ment, l'éternité ; il a purifié souvent sa conscience au tribunal sacré, et s'est nourri du pain des an- ges. De cette sorte, ce qui vous parait impossible lui est devenu facile. En appliquant le feu de la charité sur la glace de son cœur, il a produit une force semblable à celle qui donne des ailes de feu à nos chars et les fait voler à travers l'espace.
Considérez au contraire ce qui se passe dans le chrétien qui a éteint en lui l'Esprit de Dieu : il n'y a rien de suivi dans sa conduite ; vous le voyez con- fus dans ses pensées, aveugle et irrésolu dans ses desseins, précipité dans ses résolutions, inconsidéré dans ses paroles, téméraire dans ses entreprises, lâche et inconstant dans l'exécution de ses projets. On dirait un malheureux voyageur traversant un désert immense et inconnu et ne sachant de quel côté diriger ses pas ; il ne se relève d'un précipice que pour tomber dans un autre. Oh ! qu'il esta plaindre! qu'il est digne de compassion et de larmes 1
Ce voyageur, ne serait-ce pas vous, mon frère, qui ne vous relevez d'une chute que pour en faire une plus lourde? rs'en êtes-vous pas venu à ce point de croire la vertu impossible? Comment êtes-vous descendu si bas? N'est-ce point parce que vous avez méprisé les conseils du Saint-Esprit, et que vous n'avez pas voulu éviter les occasions ou rom- pre des liaisons criminelles? N'est-ce point parce
— 390 — que vous n'avez pas fortifié votre âme par la prière, la méditation et la fréquentation des sacrements ? Prenez garde de ressembler à cet économe infidèle dont parle Jésus-Christ. Après que son maître lui eut ôté l'administration de ses biens, ne voulant pas travailler et rougissant de mendier, il prit les conseils de Satan. Il fit souscrire des billets fraudu- leux à son profit et au détriment de son maitre. N'avez-vous pas aussi mal géré vos affaires, et n'est- il pas à craindre que vous ne soyez amené à une liquidation forcée, à une faillite ou à une banque- route? Pour vous rétablir, n'aurez-vous pas recours à la ruse, au mensonge, à la fraude, à ces artifices qu'on décore du nom d'habileté et de savoir-faire, tandis que la conscience les repousse comme de criantes injustices?
Ah ! mon frère, que vous êtes prudent dans vos affaires temporelles ! Vous ne négligez aucune pré- caution pour vous garantir de tout accident et de toute surprise. Votre maison est assurée contre l'in- cendie, vos vaisseaux contre le naufrage, vos mois- sons contre la grêle ; vos capitaux sont placés sur hypothèques, et vos affaires ne sont confiées qu'aux hommes les plus habiles et les plus expérimentés. Mais un jour le Seigneur vous dira : Pourquoi, ayant été si prudent pour les affaires de ce monde, vous êtes-vous montré si imprudent dans l'aflaire importante de votre salut? On vous a répété sans cesse qu'en vivant selon les maximes corrompues du monde, vous aviez mille raisons de craindre de mourir dans l'état de péché, et vous n'avez point
— 391 —
assuré le salut de votre âme, malgré toutes les ins- tances qui vous ont été faites; vous avez fermé l'o- reille à toutes les menaces qu'on vous annonçait de ma part ; vous vous êtes roidi contre les exhorta- tions les plus touchantes, et vous avez étouffé les remords qui tourmentaient votre conscience. Mais à quoi vous serviront vos richesses, vos digni- tés et vos plaisirs? Que sert à l'homme de gagner tout l'univers, s'il vient à perdre son âme?
Vous avez assuré vos moissons contre la grêle ; mais si unoragg eût détruit vos récoltes, vous n'en seriez pas mort de faim : des âmes charitables au- raient eu pitié de vous. Mais en ne cultivant pas le champ de votre âme, en n'y semant pas les vertus chrétiennes, que récolterez-vous au temps de la moisson? Ne savez-vous pas que ceux qui sèment dans îa chair moissonneront la corruption? Sachez donc qu'une faim cruelle et dévorante tourmentera éternellement ceux qui n'auront rien à moissonner.
Vous avez assuré vos vaisseaux et vos marchan- dises contre le naufrage ; cependant une perte d'ar- gent peut se réparer Pourquoi n'avez-vous pas as- suré votre vertu ? Mille fois elle afait naufrage, et vous n'avez pas eu la pensée de ne plus vous aventurer sur la mer orageuse du monde Qnoi donc ! vous mettez en pratique tous les conseils de la prudence la plus consommée, vous vous imposez des sacri- fices de tous genres, lorsqu'il s'agit des biens de ce monde, et quand il s'agit d'éviter un malheur éter- nel et de vous assurer un bonheur infini, vous dé- daignez les avis de vos guides spirituels, vous mé-
— 392 —
prisez les conseils que vous donne le Saint-Esprit I Il est bien vrai que notre divin Sauveur nous prévient que les enfants de ce siècle sont plus pru- dents que les enfants de lumière; il ne leur promet pas toujours néanmoins de brillants succès dans leurs propres affaires. La prudence humaine la plus raffinée est souvent bien courte, et les plus habiles sont bientôt à bout de leurs lumières. Combien de savants ont été condamnés à traîner le boulet dans les bagnes! SaintPaul nous enseigne que Dieu livre souvent les sages du monde à leur sens réprouvé, et leur sagesse devient folie. Dieu ôle l'esprit aux. princes de la terre, dit le prophète, et par de secrets jugements il les abandonne à leur fausse sagesse, les laisse tomber dons des ténèbres si profondes et commettre de si lourdes fautes, qu'ils se font plus de mal à eux-mêmes que leurs plus cruels ennemis. Que sont devenus les plus habiles politiques de ces derniers temps? Ils ne manquaient ni de trésors pour acheter les consciences qui se vendaient à prix d'argent, ni d'audace pour les mettre en œuvre, ni de ruse pour faire jouer tous les ressorts. Un léger souffle a jeté par terre la ruse, la politique, la puis- sance, la richesse, la grandeur, les couronnes et les trônes.
Ce sont là, mes frères, des leçons terribles que Dieu nous donne pour nous faire voir le néant de la prudence humaine. Il veut nous convaincre que les sages du monde ne sont souvent que des insen- sés, et que lui seul fait les hommes vraiment sages en leur communiquant l'esprit de conseil pour les
- 393 — diriger dans toutes les voies. Demandez-le vous- mêmes, mes frères, à notre Seigneur Jésus-Christ, l'Ange du grand conseil, et disposez vos cœurs pour le recevoir ; purifiez-les par les sentiments d'une contrition parfaite, d'une profonde humilité et d'un entier détachement des biens de la terre.
N'entreprenez rien de quelque importance sans consulter Dieu et sans le prier de vous éclairer de ses divines lumières. Quand les députés desGabao- nites vinrent trouver Josué, ils le trompèrent; et l'Esprit saint nous en donne la raison, c'est qu'il ne s'adressa point à Dieu pour savoir ce qu'il fallait répondre. Prions donc le Seigneur qu'il nous ins- pire toujours ce que nous devons dire et ce que nous devons faire ; disons-lui avec David : Montrez- moi vos voies, Seigneur, et apprenez-moi à marcher dans vos sentiers; dirigez-moi dans la vérité et en- seignez-moi.
Défions-nous surtout de notre science et de notre habileté ; ne rougissons jamais de prendre conseil d'hommes sages, prudents, expérimentés, pieux et chrétiens. Ces sentiments de défiance de nous- mêmes toucheront le cœur de Dieu ; car il accorde sa grâce aux humbles. Soyons fermement résolus à toujours obéira la voix de Dieu, quand même elle paraîtrait contraire à nos propres intérêts. Alors le Saint-Esprit sera notre guide, nous accompagnera durant le pèlerinage de cette vie et nous déposera sur le seuil de la bienheureuse éternité. Amen.
— 394 —
SAINT FÉLIX DE CAMALICE.
Félix avait tant d'estime pour l'obéissance qu'il se regarda toute sa vie comme l'âne commun de tout Tordre, et non comme un religieux. Il obéissait non seulement à la voix, mais aux moindres signes de ses supérieurs. Il n'était pas moins zélé pour la pauvreté. Toute sa vie il porta l'habit étroit, court et rempli de pièces en dedans et en dehors. Quand il rencontrait quelques haillons, il les cousait à son habit et disait que c'était son velours et sa pourpre.
Ses abstinences et ses austérités étaient incroyables ; car, non content des jeûnes si fréquents dans son ordre, il s'en imposait d'autres comme son père saint François. Il ne man- geait rien les trois derniers jours de la semaine sainte. Il couchait sur deux ais qu'il couvrait d'une vieille natte, se servait d'un tronc de bois pour coussin ou d'un fagot de sar- ments. Il ne dormait que deux heures, et encore fort rare- ment. Il passait le reste de la nuit en prières et se donnait trois fois la discipline, et souvent il en faisait autant le jour.
Sur la fin de ses jours, il souffrit d'atroces douleurs avec une patience admirable. Son médecin ini demanda un jour comment il se porlaif , et il répondit en riant : <( Ce méchant corps ne peut se résoudre à soullrir, et il s'en dispenserait volontiers s'il le pouvait ; mais il faut bien qu'il s'y habitue malgré lui. — Demandez à Dieu qu'il vous guérisse, comme vous faites pour les autres. — Je m'en garderai bien ; les souffrances sont des faveurs que Dieu m'envoie, voulez-vous que je les refuse? » Au plus fort de ses douleurs, il disait : « Voici, mes frères, des fleurs et des roses du paradis. »
Il jeûnait au pain et à l'eau la veille de toules les fêtes de la sainte Vierge, et le carême que jeûnait saint François en son honneur, depuis l'octave de saint Pierre jusqu'à l'As- somption. Il récitait le chapelet tous les jours et le rosaire tous les samedis.
Il avait toujours à la bouche le nom de Jésus, et il exhor- tait les enfants à le répéter souvent, ainsi que ces mots : Deo
— 395 —
grattas. Aussitôt que les enfants l'apercevaient, ils criaient : (.(Beo gratias, frère Félix; »et lui leur répondait en pleurant de joie : « Beo gratias, mes enfants. »
Les larmes que sa dévotion lui faisait répandre Tempè- chaient de répondre au célébrant en servant la Messe. Il com- posa quelques cantiques pleins du feu de Famour divin. Comme on lui demandait comment il pouvait être toujours uni à Dieu^ il répondit : u Toutes les créatures du monde sont capables de nous élever à Dieu, si nous les regardons d'un bon œil. »
Un jour qu'il priait, il fut saisi d un sentiment d'amour si violent, qu'il s'approcha de l'autel et pria la Mère de Dieu de lui donner son petit Jésus. La sainte Vierge lui apparut et lui mit entre les bras le petit Jésus. Dieu seul sait quelle fut sa joie, de quelles caresses, de quels baisers et amoureux em- brassements il le couvrit. Puis il le rendit avec tous les re- merciements possibles.
Tout le monde le vénérait à Rome, le clergé et le peuple, les ouvriers, les grands seigneurs, les cardinaux et les papes. Mais il était toujours humble, et repous?ait les honneurs qu'on voulait lui rendre. Il fuyait les singularités et paraissait comme les autres religieux. Mais il se livrait en secret à des austérités incroyables. Il marchait toujours nu-pieds, excepté les dernières années de sa vie ; on lui commanda de porter des sandales. Quand on lui demandait pourquoi il allait pieds nus, il répondait : « Parce que je marclie mieux et avec plus de commodité. »
Quand on le louait en sa présence, il partait sur-le-champ ; et s'il ne pouvait quitter la compagnie, il détournait la con- versation. Il souffrait les injures avec un merveilleux conten- tement.
De bonnes filles s'étant mises à genoux pour lui baiser les mains, il leur permit seulement de baiser ses habits, en leur disant : « Çà, mes filles, contentez votre dévotion, à la bonne heure. Un jour viendra bientôt que cet habit sera regardé comme précieux, et tous courront à l'envi pour en avoir une pièce. i>
— 39G —
Le dernier jour de sa vie, la sainte Vierge lui apparut, après qu'il eut reçu les sacrements avec une grande dévo- tion. 11 rendit doucement son âme à Dieu le 18 mai 4587, âgé de soixante-duuze ans.
A peine sa mort fut-elle connue dans la ville de Rome, que tous coururent au monastère pour le voir, le toucher ou em- porter quelques reliques. On lui enleva, pièce par pièce, tous ses habits jusqu'à trois fois. D'autres lui coupèrent les cheveux et la barbe, et quelques uns lui rognèrent les ongles des pieds et des mains, et lui coupèrent même des morceaux de chair. Après sa mort. Dieu a opéré une infinité de miracles par son intercession.
VIF INSTRUCTION.
Un fîosî d'intelligence.
Intellectus tibi dabo et instruam te. Je TOUS donnerai l'intelligence et je vous instruirai.
(PSAL. XXXI, 8.)
Nous vous avons montré, mes frères, comment le don de crainte de Dieu perfectionne la vertu de tempérance; celui de force, la vertu de force; ce- lui de piété, la vertu de justice; celui de conseil, la vertu de prudence. Il nous reste à vous faire voir que le don d'intelligence perfectionne la vertu de foi; le don de science, l'espérance, et le don de sagesse, la charité.
N'oubliez pas que les dons du Saint-Esprit sont les trésors les plus précieux du chrétien, et pour les apprécier il faut les bien connaître. Si vous en avez une connaissance approfondie, vous les esti- merez plus que toutes les richesses du monde, vous les rechercherez avec empressement, vous les de- manderez à Dieu avec ferveur, et quand vous les posséderez, vous les conserverez avec le plus grand soin.
Pour vivre de la vie du corps, il faut que l'homme puisse distinguer les objets du monde sensible; et c'est dans ce but que Dieu lui a donné l'œil du
— 398 — corps, afin qu'il puisse discerner les substances ali- mentaires du poison.
Pour la vie de l'âme raisonnable, Dieu lui a donné aussi un organe, l'œil de l'âme ou l'intelligence, afin de pouvoir discerner la vérité de l'erreur, le bien du mal, puisque la vérité et le bien sont l'ali- ment de l'âme, tandis que l'erreur et le mal en sont le poison et la font périr.
Pour la vie surnaturelle et divine, qui surpasse infiniment l'intelligence la plus élevée. Dieu a dû nous donner aussi comme un sens surnaturel pour connaître notre dernière fin et les moyens qui doi- vent nous y conduire. Or, cet œil de l'âme que Dieu nous a donné dans l'ordre de la grâce, c'est la foi ; car c'est elle qui nous donne la connaissance des vérités chrétiennes, et cependant elle ne nous en fait pas pénétrer le sens profond : c'est le propre du don d'intelligence, car ce mot signifie lire de- dans, c'est-à-dire pénétrer le fond d'une vérité. La foi dispose l'entendement et la volonté à croire fer- mement les vérités qu'elle enseigne; mais pour porter sa vue plus loin et jusqu'au centre même des vérités, pour connaître les secrets des divines Ecritures et les merveilles de nos mystères, le chrétien a besoin que Dieu lui communique une plus grande et une plus forte lumière : c'est ce que nous appelons le don d'intelligence.
Mais on remarque comme trois degrés dans le don d'intelligence. Le premier consiste à montrer à l'âme la vérité de nos mystères par des raisons solides qui nous les rendent certains, indubita-
— 399 - blés, et digues de notre croyance. Car tout homme fidèle qui possède la grâce sanctifiante est pourvu du don d'intelligence pour savoir et croire toutes les vérités nécessaires au salut. Combien n'y a-t-il pas de chrétiens qui n'ont aucune notion des scien- ces, qui ne savent pas même lire et qui sont inca- pables de rendre raison de leur foi, et qui cepen- dant sont si fermement attachés à nos mystères, que rien au monde ne peut les arracher de leur cœur! Et ce n'est pas tant par une lumière distincte que par une impression divine qui les rend fermes comme des rochers dans la foi ; et cette impression leur en donne une si haute estime, que rien ne leur semble approcher de leur vérité et de leur excellence, et que pour rien au monde, ni par l'espoir des ri- chesses, ni par la crainte des supplices, ils ne con- sentiront à les révoquer en doute ou à les nier.
Le second degré tient le milieu entre cette pre- mière effusion de la lumière et le grand jour que produit le troisième ; il ressemble au soleil levant, précédé de l'aurore et suivi des clartés éblouissantes de midi. Vous le comprendrez mieux après que nous vous aurons fait connaître le troisième degré, qui consiste dans cette lumière vive dont parle David : « Seigneur, vous m'avez découvert les merveilles et les secrets cachés de votre sagesse. » (Psal. l, 8.) « Vos mystères sont admirables, mon Dieu, et les beautés qu'ils renferment sont dignes de ravisse- ment : c'est pourquoi je me suis efforcé de les scru- ter et de les approfondir. La révélation que vous en faites aux petits et aux humbles par le don d'intel-
— 400 — ligence que vous leur accordez et qui les leur mon- tre dans tout leur jour, les ravit d'étonnement et d'admiration. »>Psal. cxviii, 129.)
Saint Augustin avoue qu'avant sa conversion et son baptême il ne pouvait, avec toute la pénétra- lion de son esprit et toute la force de sa haute in- telligence, concevoir le mystère de l'Incarnation, et il ajoute qu'après avoir reçu le Baptême, qui lui communiqua le don d'intelligence, il fut comme transporté hors de lui-même en contemplant ce même mystère : « Je ne pouvais me lasser d"admi- rer la profondeur de vos conseils. Seigneur, et les moyens merveilleux que vous avez employés pour sauver le genre humain. »
Sans aucun doute, les mystères de notre foi res- teront toujours des mystères pour les chrétiens sur la terre; cependant, avec le don d'intelligence, ils entrevoient les beautés ravissantes et les richesses inestimables qu'ils renferment, ce qui leur donne un avant-goût du bonheur céleste.
Le don d'intelligence élève donc votre âme pour vous montrer l'excellence de l'ordre surnaturel, l'ensemble parfait de toutes les vérités de la reli- gion. Il vous fait voir qu'il n'y a rien qui ne soit saint, auguste et vénérable; que la moindre céré- monie renferme une profonde philosophie ; que le christianisme s'accorde avec la révélation mosaïque comme l'âme avec le corps ; qu'il n'y a rien qui ne soit lié et enchaîné à quelque vérité fondamen- tale ; que les articles de notre foi, loin de contre- dire la raison, relèvent et l'agrandissent jusqu'à la
— 401 — raison de Dieu. Vous ressemblez alors au voyageur placé sur le sommet de la plus haute montagne ; d'un seul regard vous embrassez un vaste et ma- gnifique horizon qui vous jette dans le ravisse- ment.
Le don d'intelligence vous découvre la conduite de Dieu sur les peuples et sur les individus. Vous comprenez pourquoi il vous afflige par des mala- dies, par la perte de vos biens, de votre honneur, de vos parents et de vos amis; pourquoi vous n'avez pas plus d'esprit, plus de jugement, plus de science ; pourquoi vous ne réussissez pas dans toutes vos entreprises ; pourquoi vous êtes placés dans telle situation plutôt que dans telle autre. Dieu vous avait d'abord caché ces merveilles pour vous donner lieu d'exercer votre foi, votre charité, votre obéissance et votre humilité. Il vous accorde le don d'intelligence pour vous récompenser de votre fi- délité et de votre persévérance. Il est dans votre in- telligence comme un flambeau d'une lumière pure et étincelante, pour vous révéler la beauté de nos mystères. Si vous renfermiez dans un appartement obscur tout ce que la nature et l'art peuvent pro- duire de plus parfait, vous n'y verriez rien, eussiez- vous le regard perçant de l'aigle; mais si vous y introduisez de la lumière, il s'offre à vos regards étonnés un spectacle magnifique. De même, quand le don d'intelligence luit dans votre âme, votre raison découvre dans les mystères des beautés, des harmonies et des merveilles qui la ravissent. Com- bien d'ouvriers, de domestiques et de servantes qui
— 402 —
connaissent infiniment mieux les véritées chrétien- nes que tous les savants de nos jours!
Sans ce divin flambeau, vous ne découvrez rien dans les choses de Dieu ; ce sont pour vous lettres closes, et l'on peut vous dire comme Jésus-Christ à ses apôtres : Et vous aussi vous êtes sans intelli- gence. Vous ressemblez à des enfants qui assistent à une cérémonie religieuse ; vous ne voyez que la beauté des ornements et les mouvements du clergé, mais vous ignorez la signification des rites sacrés. Au contraire, aidés de cette lumière divine, vous devenez savants, capables de contempler les mer- veilles de Dieu et de vous entretenir des journées entières dans la méditation de ses œuvres. Vous verrez et vous serez comme environnés de lumière, a dit le prophète ; votre cœur s'élargira, et vous serez dans l'admiration. Voyez-vous le soleil briller au firmament et vivifier toute la nature par sa lu- mière et par sa chaleur? C'est l'image du soleil des intelligences qui vivifie les âmes. L'éclat des fleurs et la suavité de leurs parfums figurent les vertus chrétiennes, qui sont la plus belle parure de l'âme et le plus agréable parfum pour les chrétiens. Que dis-je? l'univers tout entier avec toutes ses ma- gnificences vous paraîtra d'une laideur extrême comparé au monde surnaturel et divin.
Vous assistez à une superbe soirée ; vous voyez paraître dans tout leur éclat de nobles dames pa- rées des toilettes les plus riches et les plus élégan- tes ; des lustres et des candélabres tout resplendis- sants d'or et d'argent réfléchissent les rayons de
— 403 — mille bougies étincelantes ; des flots d'iiarmonie se répandent dans un salon décoré avec la plus grande magnificence. Ou bien c'est une fête célébrée dans la capitale, où le luxe étale avec orgueil toute sa pompe et toutes ses richesses; les maisons sont pavoisées d'oriflammes, les rues sillonnées de tro- phées et d'arcs de triomphe. Ou bien c'est l'im- mense palais de cristal, où sont exposés les chefs- d'œuvre de l'industrie et des arts du monde entier. Tout cela est très-beau, et c'est tout ce que l'on peut olTrir déplus beau aux amateurs de ce monde. Ce- pendant vous n'aurez qu'un profond mépris pour toutes ces choses sensibles, si vous avez contemplé un moment les merveilles du monde surnaturel. En voici la raison. Si vous habitiez depuis long- temps les palais des rois, et que vous eussiez con- templé de vos yeux ces fêtes brillantes qu'on y cé- lèbre depuis tant d'années, que répondriez-vous à un paysan qui vous engagerait à assister à une su- perbe fête qui doit avoir lieu dans son hameau? Rien sans doute, et vous hausseriez les épaules en entendant une telle proposition. Car, si brillante que soit la fête du hameau, peut-elle approcher de celles auxquelles vous avez pris part? Ainsi en est- il des chrétiens éclairés du don d'intelligence pour les fêtes de ce monde. Que peuvent être les plus beaux spectacles de la terre pour ceux qui ont con- templé les merveilles et les beautés ravissantes du monde surnaturel et divin? Ce n'est pas même la fête d'un hameau comparée aux fêtes les plus ballantes de la capitale.
— 404 —
En effet, tout ce qu'il y a de bon, de vrai, de beau, de grand, de noble, de brillant et de majestueux dans toute retendue de l'ordre naturel n'est qu'une image imparfaite etgrossière de la bonté, de la beauté, delà grandeur, de la noblesse et de la majesté de Dieu Or, le monde surnaturel et divin est la manifesta- tion des perfections infinies de Dieu, telles qu'elles sont en elles-mêmes, et la vue qu'en ont les saints les jette dans une admiration et un ravissement perpétuels. Encore que vous ne puissiez les con- templer qu'à l'aide de la foi et du don d'intelligence, vous en avez déjà une vue si claire et si distincte, que toutes les beautés de c© monde ne vous parais- sent que laideur à côté de ces beautés divines, et l'idée, quoique imparfaite, que vous avez de la grâce et de la gloire du ciel, vous donne la con- viction que toute la gloire des mondes créés n'est que néant à côté de la beauté des âmes ornées de la grâce.
Suivant saint Bernard, on ne peut rien concevoir de plus beau et de plus admirable que notre Sei- gneur Jésus-Christ dans toutes les circonstances de sa vie et de sa mort. Mais, pour le voir ainsi, il faut que lui-même ouvre les yeux de notre âme et nous enrichisse du don d'intelligence. Alors nous laisse- rons tout le reste pour méditer uniquement les mystères de cet aimable Sauveur; ce sera un nou- veau monde à contempler qui nous ravira de joie et de bonheur.
Oh ! que vous êtes aveugles et insensés, hommes du monde qui fermez les yeux de votre âme à ce
— 405 —
soleil de justice 1 Voulez-vous avoir une idée de votre folie? Représentez-vous un père de famille doué de la plus haute intelligence et versé dans toutes les sciences humaines. Ce qu'il désire et ce qu'il demande à Dieu sans cesse, c'est d'avoir un fils à qui il puisse communiquer toutes ses richesses intellectuelles. Enfin Dieu lui donne un fils rempli des plus rares qualités de l'esprit et du cœur, qui pénètre toutes les questions et apprend avec une merveilleusefacilitétoutcequesonpèrelui enseigne. On peut concevoir la joie de ce bon père, mais il est impossible de l'exprimer. Cependant le jeune homme révèle des instincts grossiers, et, malgré les avertissements paternels, il se livre à l'intempé- rance, s'abrutit et tombe dans une espèce d'idio- tisme. Quel malheur ! qui pourrait assez le déplorer? Autant ce père avait été heureux des espérances qu'il avait conçues sur l'avenir de son fils, autant est profonde sa peine de le voir réduit à l'état d'im- bécillité. Quelle torture!
Voilà votre image, hommes du monde qui avez chassé le Saint-Esprit de votre cœur. Quand vous le possédiez, vous pouviez vous élever jusqu'au monde surnaturel, jusqu'aux plus sublimes véri- tés de la religion. Mais, depuis que le péché est entré dans votre âme, les ténèbres y sont entrées avec lui; vous avez perdu le don d'intelligence, et votre foi est morte. Le monde de la grâce n'est plus qu'une folie et un scandale, comme le monde intellectuel et moral l'est pour l'ivrogne et le libertin.
— 406 —
Nous avons vu, il y a quelques années, des philo- sophes qui avaient reçu une éducation chrétienne oublier tellement le sens des mots les plus vul- gaires, qu'ils ont prétendu que Dieu est le mal et que la propriété est un vol. Est-il possible de des- cendre plus bas? Dieu Ta permis sans doute pour nous faire voir ce que deviennent les savants eux- mêmes privés des dons du Saint-Esprit.
Mais combien ne serait pas heureux le père de famille dont nous avons parlé, si un médecin pou- vait guérir son fils ! Ne donnerait-il pas volontiers toute sa fortune pour obtenir cette guérison? S'il fallait que le jeune homme fût obligé de prendre un remède un peu amer, que ne ferait pas son père pour l'engagera l'accepter et à triompher de sa répu- gnance?
Ce père malheureux, mes frères, c'est votre pas- teur, qui gémit et qui pleure sur la folie et les éga- rements de ses enfants bien-aimés. Ornés autrefois de la grâce sanctifiante et des dons du Saint-Esprit, vous possédiez la connaissance du monde surna- turel; mais, depuis que le péché a souillé votre cœur, vous avez perdu cette vue de l'âme, vous êtes plongés dans les plus épaisses ténèbres. Com- bien doit souffrir le cœur de votre père spirituel, qui porte dans ses mains un remède efficace pour gué- rir ses enfants malades et leur rendre les yeux du cœur qu'ils ont perdus! Avec quel bonheur il don- nerait tout ce qu'il possède, son repos, sa santé, sa vie, pour sauver ces malheureux enfants qu'il aime plus que lui-même !
— 407 —
0 vous qui entendez sa voix, montrez-vous do- ciles à ses paternelles exhortations et acceptez le re- mède qu'il vous présente. La perte de votre raison ne serait rien en comparaison de la perte du don d'intelligence; car, en mourant dans la folie avec la grâce sanctifiante, vous recouvrerez votre raison, et vous en jouirez pendant toute l'éternité; si au contraire vous mourez privés de la grâce sancti- fiante et des dons du Saint-Esprit, vous serez ex- clus du ciel pour toujours et condamnés à ne ja- mais voir Dieu, parce que vous aurez perdu l'œil de l'âme qui vous rendait dignes de cette vision. Le don d'intelligence vous est donc infiniment plus précieux que la raison elle-même, puisque c'est une participation à l'intelligence même de Dieu.
Conservez donc avec le plus grand soin cette grâce et cette faculté divine, vous qui avez le bon- heur de la posséder, et vous pourrez chanter avec le prophète dans toute la joie de votre âme : Bien- heureux est l'homme à qui vous daignez servir de Maître, ô mon Dieu ; heureux celui à qui vous en- seignez votre loi. (Psal. xciii, 12.) Pour la bien comprendre, vous lui avez communiqué votre es- prit. Donnez-moi, Seigneur, ce don d'intelligence, et je m'appliquerai à la méditation de votre loi, et je l'observerai de tout mon cœur. Eclairez les yeux de mon âme, ou plutôt donnez-moi des yeux tout divins, et je méditerai les merveilles de'votre loi. Je suis votre serviteur; donnez-moi l'intelUgence, afin que je connaisse votre sainte volonté ; donnez-moi l'in- telligence, et je vivrai. (Psal. cxviii, 34.)
— 408 — Je vivrai d'une vie toute nouvelle, de votre propre vie. Dieu le Père, principe et source de toutes les lumières, éclairez-moi ; Dieu le Fils, splendeur et image du Père, instruisez-moi; Dieu le Saint-Es- prit, soleil des intelligences, illuminez et échauffez mon cœur, affermissez ma foi : je comprendrai d'autant mieux que je croirai plus fermement. Je vous demande cette grâce au nom et par les mé- rites de mon Sauveur Jésus. Ayez pitié d'un pauvre aveugle ; rendez-lui la vue de l'âme, afin qu'il con- temple ici-bas les merveilles de vos mystères et qu'il vous contemple vous-même pendant l'éternité . A men .
LE BIENHEUREUX BENOÎT LABRE.
Ce saint naquit le 26 mars 1748, dans le village d'Amette, au diocèse de Boulogne, et était Taîné de quinze enfants. Son oncle, l'abbé Labre, curé d'Erin, le prit avec lui à Tâge de douze ans, et lui enseigna le latin, espérant qu'il devien- drait prêtre. Benoît montrait en effet du goût pour la vie reli- gieuse. Il ne se mêlait point aux amusements des jeunes gens de son âge ; il aimait la solitude, la prière, la lecture des li- vres de piété ; il était charitable, et se privait de son pain pour le donner aux pauvres.
Après la mort de son oncle, il courut à la Trappe, après avoir obtenu avec beaucoup de peine le consentement de ses parents. Mais il n'avait que dix-huit ans, il ne put être reçu. Il fut accueilli à la Chartreuse de Louguenesse, mais il quitta le couvent six semaines après. Rentré chez son père, il se livra à de grandes austérités; il couchait sur une planche. Il entra à la Cliarlreuse de Montreuil,d'où il sortit six semaines après ; on ne lui croyait pas de vocation. Il se présenta de nouveau à la Trappe et en fut renvoyé pour toujours.
— 409 —
Pour ne pas être à charge à ses parents, il prit le chemin de Rome. Au mois de novembre 1770,11 ht un pèlerinage à Notre-Dame de Lorelte, et partit pour Assise. Il visita tous les sanctuaires de cette nouvelle Sion, et se ht agréger à une confrérie de saint François.
D'Assise il se rendit à Rome, et fut reçu à l'hôpital de Saint- Louis-des-Français. L'année suivante, il repartit pour Lo- rette, et visita tous les sanctuaires du royaume de Xaples. Il revint à Rome pour les fêtes de Pâques i772. Il aimait les grandes solennilés de la semaine sainie, et tenait à vénérer les précieuses reUques qui sont alors exposées. Il passa ainsi le reste de ses jours à faire des pèlerinages en France, en Espagne et en Allemagne. Se rappelant sans cesse que l'homme n'est ici-bas qu'un pauvre pèlerin, il marchait avec bonheur vers l'éternité, méditant les grandeurs de Dieu au milieu des montagnes, son immensité sur les bords de la mer, sa bonté dans les plaines fertiles qu'il traversait, et il vivait d'au- mônes.
Malgré son recueillement, sa sohlude, son oubli de la soif et de la faim, il trouvait que les distractions des voyages Té- loignaient de Dieu, et il retourna à Rome, d'où il ne sortit plus que pour aller chaque année à Lorette.
Il passa les trois premières années de son séjour à Rome dans une obscurité et une solitude absolues. Nul ne le con- naissait, excepté son confesseur. Il vivait le jour dans les églises, la nuit dans une ruine antique, priant et souffrant du froid et de la fdim. Ces austérités et l'habitude de rester à genoux firent enfler la moitié de son corps; il allait périr, lorsqu'un mendiant le fit recevoir de M. Mancini. Le repos, une nourriture meilleure, l'eurent bientôt rétabli. M. ?tîan- cini lui permit de revenir coucher chaque soir dans son hos- pice, où il logeait douze pauvres.
Le soir, un peu avant l'ouverture de l'hospice, pendant que les autres pauvres causaient à la porte. Labre se mettait à ge- noux derrière une colonne du palais Santarelli, et attendait en priant. Après la prière commune, au lieu de se coucher, il restait longtemps à genoux, se relevait la nuit pour prier en-
18
— 440 —
core. Le malin, quand les pauvres se réveillaient, ils le trou- vaient priant déjà. Aussitôt après la prière du matin, il se rendait ordinairement à l'église de Ja Madone des Monts, et s'agenouillait à celle même dalle sous laquelle il fut enterré. H y restait jusqu'à midi, faisant oraison, entendant les messes, récitant l'office divin. A midi, il allait à la porte de quelque couvent recevoir la portion de soupe et de pain qui lui ser- vait d'unique repas. Avant de prendre cette nourriture, il élevait vers le ciel la pauvre écuelle qui la contenait, et priait Dieu avec une ferveur qui touchait jusqu'aux larmes les pau- vres ses compagnons. Il passait le reste du jour à l'église, priant ou lisant quelque livre de piété. Le soir, il recevait la bénédiction du Saint-Sacrcmenl, et revenait à l'hospice.
Il ne parlait presque jamais, répondait en peu de mots, ne voyait personne, et vivait uniquement avec Dieu. Son cos- tume répondait à sa pauvreté. Sa vue, au premier aspect, était désagréable et rebutante : les jambes à demi nues, les reins ceints d'un assez mauvais cordon, toute la tête fort négligée, mal couvert, et mal enveloppé d'un manteau usé et déchiré, tout l'extérieur enfin du plus misérable mendiant. Un jour qu'il avait donné à un pauvre une baïoque qu'il venait de re- cevoir, celui qui avait fait cette aumône crut qu'il la mépri- sait, se jela sur lui tout furieux, et le battit d'un instrument qu'il tenait à la main. Une autre fois, il reçut à la jambe un palet qui fit jaillir le sang ; il ne se retourna même pas pour voir celui qui l'avait frappé. Au €olysée, il voulut reprendre quelques enfants qui profanaient ce sanctuaire des martyrs. Les enfants, le voyant si misérable, le poursuivirent à coups de pierres. Un passant les arrête : «Laissez-les, dit Labre; si vous me connaissiez, vous feriez comme eux. »
Cependant une douleur profonde dévorait le corps de La- bre. Cet amant de Dieu, si insensible à ses propres peines, ressentait toutes les injures que faisaient à Dieu chaque jour les incrédules. Il éprouvait une torture affreuse de voir son Père céleste, son ami, son époux, maltraité, foulé aux pieds par des frères ingrats, mais qu'il aimait, parce qu'ils étaient comme lui les enfants du même Père et rachetés par le même
— 411 —
sang de Jésus-Christ. Il dit un jour à son confesseur : « Mon père^ cette douleur me tue. »
Il mourut le mercredi 16 avril 1783, à l'âge de trente-cinq ans. Le lendemain, on se mit à crier dans toute la ville de Rome : « Le saint est mort! où est la demeure du saint qui vient de mourir?» II fallut placer des gardes pour contenir la multitude. Rome tout entière accompagna le convoi. Ni Louis XIV ni Louis XV n'eurent d'aussi magnifiques funé- railles. Une foule immense se porta sur son tombeau, et tous les malades étaient guéris.
Vlir INSTRUCTION.
Du don de seienee.
Hoc oro ut chahlas vcstra magis ac magis abundet in scientia et in omni sensu.
Je prie Jésus-Christ que TOlre cha- rité croisse de plus en plus eu science et en toute intelligence.
(Phil., I, 9.)
Avec le don d'intelligence, vous pénétrez le sens des vérités chrétiennes; mais vous ne les connais- sez encore qu'en elles-mêmes. Vous ignorez leurs rapports, ou les liens qui les rattachent les unes aux autres; c'est le don de science qui doit vous les révéler. Connaître une chose, c'est en avoir une idée exacte, de manière à pouvoir la distinguer des autres choses; en avoir la science , c'est con- naître encore les rapports qui l'unissent aux autres choses.
Qu'est-ce que l'homme? C'est une créature rai- sonnable composée d'un corps et d'une âme : voilà la simple connaissance de l'homme. Mais pour en avoir la science, il faut de plus que vous sachiez quels sont les rapports de l'homme avec Dieu, avec ses semblables et toutes les créatures. Vous con- naissez le soleil, et vous savez aussi que c'est la lu- mière et la chaleur du soleil qui donnent la vie à toute la nature ; mais vous ignorez comment cela
— 4^3 — se fait; vous ne connaissez pas les rapports de la lumière et de la chaleur avec les êtres créés, les arbres, les plantes et les animaux; vous avez une certaine connaissance du monde matériel, mais vous n'en avez pas la science. On vous demande si vous connaissez un personnage qu'on vous dé- signe, et vous répondez affirmativement, parce que ses traits vous sont connus. Mais on vous demande quelles sont ses bonnes et ses mauvaises qualités, et quelle position il occupe dans la société, ou quels sont ses rapports avec les autres hommes ; vous ne répondez pas, parce que vous les ignorez : vous n'avez pas la science. En un mot, la science est la connaissance des choses en elles-mêmes et dans leurs rapports.
Or, dans le monde matériel, quand on connaît les êtres dans leurs rapports, on sait pourquoi et comment ils existent, se conservent et se dévelop- pent, et l'on parvient ainsi à acquérir ce qu'on ap- pelle les sciences physiques.
Dans le monde intellectuel et moral, onposecer- tains principes, et l'on en tire des conséquences : par exemple, si, en jetant vos regards sur le monde, et en y voyant éclater une puissance, une sagesse et une bonté qui vous ravissent d'admiration, vous en concluez que Celui qui en est l'auteur est né- cessairement un être puissant, sage et bon; et si, en considérant la nature et les opérations de l'âme, vous démontrez qu'elle doit être spirituelle et libre, et que l'homme a nécessairement des devoirs à rempHr envers Dieu, envers le prochain et envers
— 414 —
lui-même, si vous donnez des preuves solides de ces grandes et importantes vérités, vous aurez la science de Dieu et de l'homme dans l'ordre naturel : c'est ce qu'on appelle la philosophie.
Il en est de même de l'ordre surnaturel et divin. Comme les incrédules et les hérétiques ont souvent attaqué la vérité et la divinité du christianisme, les mystères delà sainte Trinité, de l'incarnation, de la rédemption, de la rémission des péchés par le sacrement de Pénitence, de la présence réelle de Jésus-Christ dans le sacrement de l'Eucharistie, les docteurs catholiques ont démontré toutes ces vérités et les ont appuyées sur des preuves solides. D'autres ont prouvé de la même manière toutes les autres vérités. C'est ce qui constitue la théologie, ou science de la religion chrétienne, qui s'acquiert par l'étude et le travail, et peut se trouver dans les pécheurs comme dans les justes. Mais ce que Dieu n'accorde qu'aux âmes pures , c'est le don de science, qui fait connaître les choses créées dans leur principe le plus élevé, dans les desseins de Dieu sur le but final de la création, de sorte que l'âme les voit dans leur liaison et leur enchaîne- ment avec l'intention pour laquelle Dieu les a créées. Dirigés par ce don de science, vous rapporterez toutes vos connaissances à ce but final; vous ferez servir toutes les créatures à votre salut, et vous en tirerez les plus pressants motifs d'admirer, de louer, de bénir, de remercier et d'aimer Dieu, Créateur du ciel et de la terre.
Cette science n'est pas le fruit de l'étude et du
— 415 — raisonnement comme celle des philosophes et des théologiens. C'est une lumière du Saint-Esprit qui éclaire l'âme sur toutes les choses créées, pour vous les faire apprécier à leur juste valeur et vous montrer l'usage que vous devez en faire en votre qualité d'hommes et de chrétiens. Cette lumière vous montre ce que sont les créatures de la part de Dieu et ce qu'elles sont en elles-mêmes, com- ment Dieu les a tirées du néant par un acte de sa toute-puissance, comment il les conserve et leur communique sans cesse tout ce qu'elles renferment d'être, de vie et de perfection, et vous fait voir que par elles-mêmes elles n'ont ni vie, ni pouvoir, ni valeur, ni mérite; elle vous fait connaître enfin leur dépendance de Dieu, les rapports ou les liens qui les unissent à Dieu.
Quelle est donc la raison première des œuvres de Dieu et le hut final de toute la création ? C'est que Dieu veut vous rendre participants de sa félicité et vous accorder le bonheur suprême comme don et comme récompense. Voilà ce que le don de science vous fait particulièrement connaître, sans que vous soyez obligés de faire tous les raisonnements que font les théologiens ; il vous le montre d'une vue claire et distincte par une lumière divine. Par le don de science, vous savez que toutes les créatures ne doivent être que des moyens qui vous sont don- nés pour vous faire connaître, aimer et servir Dieu avec plus de ferveur et de fidélité ; qu'elles doivent former comme une échelle dont le pied est sur la terre et le sommet dans le ciel pour vous faire
— 416 — monter jusqu'à Dieu ; que l'univers tout entier n'est qu'un livre immense qui vous parle de Dieu, ou bien un miroir où viennent se refléter ses divines perfections. Le soleil est l'image du Dieu que vous adorez : il n'y a qu'un seul Dieu, comme un seul soleil; il y a trois choses bien distinctes dans le soleil : le globe lumineux, la lumière et la chaleur, et CCS trois choses ont existé simultanément; il y a trois personnes en Dieu, aussi anciennes l'une que l'autre. Le soleil fait sentir partout l'influence de sa lumière et de sa chaleur et communique la vie à toute la nature; Dieu est infini, et c'est en lui que tous les êtres ont la vie, le mouvement et l'être. Le soleil, qui luit au firmament avec ses sept rayons, est un pâle reflet de la lumière incréée et des dons du Saint-Esprit. La lumière se divise en sept cou- leurs différentes pour varier à l'infini le tableau de la nature entière; et le Saint-Esprit, avec ses dons, produit celte variété de vertus qu'on trouve dans tous les saints,
La pauvre servante comprend à merveille ce lan- gage de la nature. La sérénité du ciel est pour elle le symbole de la pureté de son âme et lui fait sou- pirer après le moment où elle s'y trouvera réunie à son Dieu. Le feu qu'elle attise lui rappelle qu'elle doit alimenter celui delà charité que Dieu a allumé dans son cœur, et elle l'enflamme par le souvenir de l'amabilité infinie de Dieu et des bienfaits qu'elle en a reçus. La pluie qui rafraîchit la nature est l'i- mage de la rosée spirituelle qui doit descendre dans son âme pour y éteindre les ardeurs de la conçu-
— 417 - piscence. L'eau dont elle se sert pour nettoyer les objets et blanchir le linge lui remet sous les yeux les eaux mystérieuses de la grâce qui purifient sou âme et la rendent belle aux yeux de Dieu. Le pain dont elle nourrit son corps lui dit qu'elle a besoin d'un pain spirituel pour nourrir son âme, et que, pour avoir le bonheur de manger souvent le pain des anges, elle doit éviter tout péché avec le plus grand soin. En faisant sa toilette, elle se souvient qu'elle doit songer surtout à orner son âme. à la parer de la robe nuptiale, afin d'être toujours prête à entrer dans la salle des noces. Si elle sert son maître avec affection, fidélité et dévouement, c'est parce qu'il lui représente Jésus-Chrisl, qu'elle sert et qu'elle honore dans la personne de son mailre.
Si vous avez le don de science, vous savez que les choses qu'on estime le plus en ce monde, les richesses, les honneurs, la brillante renommée, la beauté extérieure, les plaisirs des sens, n'ont rien de réel, ne sont que vanité et mensonge. Aussi, tandis qu'elles séduisent et entraînent tant de cœurs faibles, elles ne font pas la moindre impression sur vous ; vous les avez examinées dans leurs rapports avec votre fin dernière, et elles ne sont à vos yeux que de superbes bagatelles et des hochets d'en- fants.
Le don de science vous fait connaître les che- mins divers que vous devez suivre pour atteindre plus aisément et plus sûrement le terme de votre voyage , les armes dont vous devez vous servir pour combattre vos vices, les moyens que vous devez
18.
— 418 — employer pour évites les ruses et les pièges de Sa- tan, pour acquérir les vertus et arrivera la perfec- tion.
Vous comprenez maintenant pourquoi les hon- nêtes gens (lu monde, si savants qu'ils soient, n'ont jamais rien vu dans cette philosophie chrétienne et ne peuvent y rien voir. Celte haute science est l'a- panage des fidèles dont l'âme est ornée de la grâce sanctifiante, lors même qu'ils n'ont aucune con- naissance des lettres.
Les gens du monde sont très-habiles dans toutes les sciences humaines; ils ont surpris à la nature ses secrets, ils expliquent avec beaucoup de saga- cité les lois du monde sensible, et cependant la plu- part ignorent la première et la plus haute raison des choses; ils prennent pour première cause ce qui n'est qu'une cause secondaire, et la nature n'a point de son ni de voix pour eux. Ils ressemblent à des enfants qui voient et admirent la forme et la couleur des beaux caractères imprimés sur un li- vre, et qui en ignorent la signification. La satis- faction de l'esprit et des sens de l'homme, voilà, disent-ils, la fin dernière de la création. Ils font de leur être un petit dieu, auquel tout doit se rappor- ter. Orgueilleux de leur science tout humaine, ils se complaisent dans leurs conceptions, ils mendient la louange à la fortune et à l'opinion. Etcomme'le corps a aussi ses besoins et ses jouissances, ils se livrent sans honte et sans retenue aux passions de l'ignominie, et pour calmer les remords delà cons- cience, ils appellent le mal bien et le vice vertu.
— 419 —
Les gens du monde ne comprennent rien à celle philosophie chrétienne, parce qu'ils veulent tout juger par leur raison, et que cette science est au- dessus de toute raison humaine. Il n'y a que l'Es- prit de Dieu qui puisse l'enseigner, et ils ne veulent pas d'un tel maitre. L'univers est muet pour eux, ou un instrument qui fait du bruit. Mais pour vous c'est une lyre qui, sous le doigt de Dieu, rend la plus douce et la plus suave harmonie ; toutes les créatures sont comme autant de voix mélodieuses qui chantent les éternelles louanges de Celui qui leur a donné l'existence. Vous êtes heureux d y joindre votre faible voix : pourriez-vous garder le silence au milieu de ce concert universel, de cette ineffable harmonie ?
Le don de science vous découvre encore les liens qui unissent tous les êtres et vous montre qu'ils forment une vaste hiérarchie. Etes-vous domestique, ouvrier, enfant ou soldat? vous vous soumettez au pouvoir, et vous obéissez comme Jésus-Christ, parce que vous voyez Dieu dans la personne de votre maitre, de votre capitaine ou de votre père. Etes- vous maitre, chef de famille ou magistrat? comme Jésus-Christ, vous vous sacrifiez pour ceux qui sont sous vos ordres, vous les traitez avec bonté, vous les gouvernez avec justice, vous les reprenez avec douceur, vous avez pour eux des entrailles de père, et vous les regardez comme vos enfants.
En est-il ainsi parmi ces honnêtes gens du monde qui ne veulent d'autre guide que la raison ni d'autre lumière que celle de leur intelligence? Ignorant le
— 420 — but final des œuvres de Dieu, ils rapportent tout à eux-mêmes. Loin de considérer le pouvoir comme un service public qui commande le sacrifice et l'abnégation, ils s'en emparent pour l'exploiter à leur profit : honneurs, emplois, réputation, fortune, tout leur appartient. Impatients de tout joug, ils ne peuvent souffrir de maître ; la subordination est une servitude qui humilie et dégrade l'homme, car il ne relève que de lui-même. L'histoire vous dit ce que produisent ces principes désorganisateurs dans la famille et dans la société. L'insurrection s'est établie en permanence au foyer domestique, sur les places publiques et dans le palais môme qu'habite le pouvoir ; de là ces révolutions sanglantes qui ruinent les peuples et les familles.
Le don de science vous découvre les rapports qui unissent les vérités chrétiennes. Puisque Dieu a poussé la bonté jusqu'à nous rendre participants de ses perfections et de son bonheur, vous croyez volontiers tous les mystères, parce qu'ils ne sont plus pour vous que de hautes et d'éclatantes mani- festations de l'amour infini de Dieu pour nous ; et plus il vous paraissent incroyables, plus vous les trouvez dignes de votre croyance, parce qu'il est plus manifeste que la raison humaine ne les a pas in- ventés.
Les gens du monde privés du don de la science ne voient dans nos mystères que des mots vides de sens, ou des absurdités, des contradictions dans les termes, comme qui dirait des cercles carrés, ou bien encore des pratiques superstitieuses emprun-
— 421 —
lées au paganisme. Et ne discutez pas avec eux, ils ne vous comprendront pas.
Il est donc bien certain que le don de science perfectionne l'espérance. En vous montrant que la gloire de Dieu est le but final de toutes ses œuvres, que toutes les créatures et tous les événements sont des moyens pour nous la faire atteindre , que les biens de ce monde sont faux et trompeurs, il nous inspire un profond mépris pour les honneurs, les richesses et les plaisirs, et une grande estime pour les biens invisibles, les seuîs réels, solides et durables ; il détache notre cœur de tout ce qui n'est pas Dieu, et nous fait aspirer sans cesse au bonheur de le posséder. Il arrive ainsi que nous mettons toute notre espérance en Dieu. Connais- sant d'une part notre grande misère, et de l'autre la toute-puissance delà grâce, nous nous défions de nous-mêmes et de notre fragilité, nous ne négli- geons aucun moyen d'assurer notre salut, bien convaincus que si nous n'abandonnons point Dieu les premiers, il ne nous abandonnera jamais, et que, si grands pécheurs que nous soyons, sa misé- ricorde est encore plus grande. Nous évitons ainsi tout à la fois la présomption et le désespoir. Les gens du monde, au contraire, se persuadent que Dieu est trop grand pour qu'ils puissent expier l'in- jure qu'ils lui ont faite parle péché, ou pour qu'il s'occupe de ce monde, et ils n'ont de confiance qu'en eux-mêmes.
Conservez donc précieusementcedon de science. C'est lui qui purifie, sanctifie et déifie notre esprit,
— 422 — nos études et nos travaux, et nous les fait rappor- ter à leur véritable fin ; c'est lui qui nous fait bien apprécier la valeur de toutes choses, parce qu'il nous les montre dans leurs rapports. Qu'est-ce que la science humaine à côté de cet admirable don? Quels avantages peut-elle nous procurer? Quelques jouissances matérielles, un peu d'or ou un peu d'argent, et cependant c'en est assez pour enflam- mer la plupart des hommes d'une ardeur indomp- table pour acquérir la science. On ne trouve pas que les maîtres soient trop exigeants; on accepte leurs conditions, on se soumet à tout, parce qu'on veut s'enrichir. Que serait-ce si l'on pouvait ac- quérir la science sans débourser un centime? Per- sonne n'en serait privé. Et Dieu nous accorde gratuitement le don de science, ce don qui nous découvre tant de merveilles et qui nous procure des trésors infinis pour le ciel, et nous ne vou- lons nous imposer aucun sacrifice , soit pour l'obtenir, soit pour le conserver ! Quel aveugle- ment!
Le Docteur Angélique nous enseigne que le plus petit bien de l'ordre surnaturel l'emporte sur le plus grand bien de l'ordre naturel. Priez donc Dieu avec ferveur qu'il vous accorde le don de science, puisqu'il est infiniment préférable à l'esprit du plus grand des philosophes ; que dis-je? il vaut mieux que l'esprit naturel de tous les hommes et de tous losanges. Dites donc souvent à Dieu, et du plus profond de votre cœur : Esprit saint, Dieu de lu- mière, accordez-moi le don de science ; donnez-
— 423 —
moi un cœur bon, soumis et éclairé : Bonitalem et discipiinam et scientiam doce me. Amen.
SAINT BENOÎT LE MORE.
Ce saint naquit vers l'an lo26. Son père était esclave et en même temps fervent chrétien, et il prit le plus grand soin de l'éducation de son fils. Il ne lui apprit point les lettres hu- maines : il ne savait ni lire ni écrire, et Benoit n'en ^ut ja- mais plus que lui. Il gardait les troupeaux, et quand les en- fants allaient le trouver, ils le surprenaient toujours à genoux et absorhé dans la prière ; aussi ne Tappelaient-ils que le saint More ou le saint Nègre. D'autres fois ils l'accablaient de rail- leries et d'injures; ils se moquaient de sa naissance, de la noirceur de sa peau, de l'esclavage de ses parents. Saint Be- noît endurait avec patience toutes ces moqueries. A l'âge de dix-huit ans, à force de peines et de privations, il parvint à ramasser le prix d'une paire de bœufs. Dès lors il travailla seul, priant et méditant en conduisant sa charrue.
Trois ans après, il vendit tout et se mit sous la conduite d'un saint homme nommé Lanza, et entra dans la congréga- tion des Ermites de saint François. Il se livra dès lors à de très-grandes austérités^ ne buvant jamais de vin, ne mangeant qu'une seule fois chaque jour, et châtiant son corps par de rudes disciplines. Mais sa congrégation ayant été dissoute, il entra dans un couvent de Franciscains réformés, situé en Si- cile, etrempUt les fonctions de cuisinier du monastère.
Un jour d'hiver, il ne se trouva plus rien au couvent, et il y avait de la neige en telle abondance qu'on ne pouvait aller quêter à la ville. Le soir, Benoît prit avec lui le frère qui l'aidait à la cuisine, et ils remplirent d'eau plusieurs grands vases qui étaient là. La nuit se passa en prières, et le matin les vases se trouvèrent remplis de poissons encore palpitants, et en si grand nombre, qu'ils suffirent pour les besoins de la communauté.
Le jour de Noël, l'inquisiteur de Sicile, qui fut archevêque de Palerme, vint célébrer cette fête au couvent de Sainte-
— 424 —
Marie, avec les religieux réformés. Le bienheureux ne son- geait guère au dîner de l'inquisiteur, il ne pensait qu'à fêler la venue de noire Seigneur; aussi passa-l-il celle nuit en prières et même toute la matinée caciié derrière une tapis- serie. On le cherchait partout pour préparer le dîner. Aux re- proches qu'on lui fit quand on l'eut trouvé, il se contenta de répondre qu'on pouvait sonner le dîner. Dans le même mo- ment, deux jeunes hommes vêtus de blanc se présentèrent dans la cuisine en présence de tous les religieux ; relevantles manches de leurs tuniques, ils commencèrent à préparer le repas. A peine les religieux furent-ils à table que les mets furent servis par les anges.
Il fut choisi pour être supérieur du couveni, et ce fut pour lui une grande douleur. Il supplia qu'on le dispensât de por- ter ce pesant fardeau, mais il fallut céder. Il commanda avec une douceur et une humilité admirables, reprenant avec une charité si ingénieuse qu'on tombait à ses pieds pour le re- mercier de ses paternels avis. Il était respectueux envers les religieux prêtres, charitable avec les laïcs, condescendant pour k-s novices, patient avec les hommes de service, affable pour tous. Les religieux menaient la vie la plus austère. Une oraison presque perpétuelle formait leur principale occupa- lion. Ils employaient deux heures chaque jour à la méditation, outre la pieuse récitation de l'office divin, suivi de roffice des morts, de celui de la très-sainte Vierge et des sept psau- mes de la pénitence. Leur abstinence était admirable : le di- manche et le jeudi seulement ils mangeaient des mets cuils ,• ils se contentaient les autres jours de pain, de fruits et d'her- bes crues. Outre les jeûnes de l'Eglise, ils observaient rigou- reusement le carême de quarante jours à partir de l'Epiphanie, ceux de l'Ascension à la Pentecôte, de l'octave du prince des apôtres à l'Assomption, et du 20 août au 29 septembre. Ils réprimaient la révolte de leurs sens par divers genres de mor- tification : les uns dormaient sur la terre nue, les autres sur de rudes planches ; d'autres portaient aux cuisses des cercles de fer, d'autres de rudes cilices et des chemises également en fer.
— 423 —
Saint Benoît avançait de jour en jour dans la voie de la sainteté, et Dieu se plaisait à opérer par son serviteur des prodiges éclatants, en sorte que partout où il passait les peu- ples accouraient pour le voir, toucher ses vêtements et re- cevoir sa bénédiction. Il rendait la vue aux aveu;:les, Touïe aux sourds; à sa parole, les boiteux marcb.aient, les paraly- tiques se levaient, les morts ressuscitaient. H semblait que notre Seigneur eût donné à ce pauvre nègre tou!e sa puis- sance sur la vie et sur la mort.
Un homme de la campagne lui offrit un panier de raisins; le saint en prit quelques uns, et lui rendant le reste : «Je garde seulement, lui dit-il, ce qui vient de votre vigne. » Les autres grappes avaient été prises en efiet dans la vi^ine du
voisin. (RiBADCNEIRA.)
Saint Benoît avait le don de science : il appréciait les choses dans leurs rapports avec la fin dernière. Nous le verrons en- core mieux par la fin de sa vie après l'instruclion suivante.
W INSTRUCTION.
Du tlou de sagesse.
Propterhoc optavi, et datus est mihi sensus: elinvocavi, elvcnil in me Sp'i- rilus sapientiœ ; et prwposui illam re- gnis et sedibus, et divitias nihil esse duxiin comparatione illius.
C'est pourquoi j'ai désiré l'inielli- gence, et elle m'a été donnée: j'ai invo- qué le Seigneur, et l'Esprit de sagesse est venu en moi; je l'ai préféré aux royaumes et aux trônes, et j'ai pensé que les richesses n'étaient rien au prix de la sagesse.
Ce sont là, mes frères, de bien belles paroles et qui doivent nous donner une haute idée et une grande estime de la sagesse. L'écrivain sacré ajoute : « Je ne lui ai point comparé les pierres précieuses, parce que tout l'or du monde est un grain de sable à côté de la sagesse, et l'argent en sa présence sera considéré comme delà boue. Elleestplus belle que le soleil, plus brillante que les étoiles, plus écla- tante et plus pure que la lumière. »
Qu'est-ce donc que la sagesse? C'est une espèce de saveur, dit saint Bernard, parce qu'elle est pour la vertu un assaisonnement qui la rend agréable, d'amèrc et d'insipide qu'elle était auparavant. On pourrait donc la définir le goût du bien.
La sagesse est un goût savoureux et un déli- cieux plaisir que l'on éprouve, comme nous l'en-
— 427 — seigne le Saint-Esprit par ces paroles : « Goûtez et voyez comme leSeigneur est doux. » C'est une affec- tion bonne etsainte, forte, suave et pleine d'onction, qui fait que Tàme trouve ses délices dans les choses de Dieu parce qu'elle est assaisonnée du sel de la , sagesse. C'est pour l'âme une lumière, à cause des splendeurs dont elle la remplit; c'est du miel, à cause des douceurs ineffables qu'elle lui fait sentir; c'est un soleil qui chasse les ténèbres et change la nuit en un grand jour dans l'âme; c'est l'œil du cœur et le fruit le plus délicieux ; c'est le paradis qui transforme l'homme terrestre, mortel et misé- rable en un homme céleste, immorte! et divin : de sorte que l'âme est toute lumière, tout œil, sem- blable à ces animaux mystérieux d'Ezéchiel qui avaient quatre visages et étaient parsemés d'yeux; il n'y a plus rien en elle qui ne soit éclairé de cette divine lumière.
L'objet de la sagesse comprend toutes les choses de Dieu, et par conséquent les choses de la nature, de la grâce et de la gloire, entant qu'elles viennent de Dieu et nous conduisent à Dieu. Elle nous les fait voir dans leurs profondes raisons et dans leurs premiers principes, ce qui procure à l'âme une dou- ceur incomparable. Son premier acte consiste à nous montrer les choses divines avec une grande clarté ; le second, à nous en faire porter un juge- ment sain ; le troisième, à les goûter et à les savou- rer. Or, dit saint Thomas, nous pouvons juger sai- nement d'une chose de deux manières : par la connaissance et par le sentiment. Le médecin juge
— 428 — d'une maladie par la connaissance de son art; le malade en juge par ce qu'il en éprouve. Un philo- sophe libertin sait par la science que la chasteté est une vertu excellente; et le chrétien vertueux en porte le même jugement par le sentiment du bonheur qn'il éprouve en la pratiquant. Le don de sagesse est donc pour l'âme un vif sentiment qui lui fait connaître qu'une chose est bonne ou mau- vaise par le plaisir ou la peine qu'elle lui fait sentir, à peu près comme la sensation que le goût lui fait éprouver, et par laquelle il distingue ce qui est doux de ce qui est amer.
Si un homme riche vous conduit dans ses vastes domaines et vous montre d'immenses campagnes couvertes des plus riches moissons, de beaux jar- dins, un superbe palais, cette vue vous réjouit; mais s'il ajoute que tout cela peut vous appartenir, en vous montrant le testament qui vous en assure la possession dans un avenir prochain, votre bon- heur devient plus grand et plus vif; cependant il ne sera complet que lorsque vous jouirez de tous ces biens. La jouissance est donc le dernier degré de la perfection du bonheur matériel. Or, le don d'in- telligence vous donne une vue magnifique du monde surnaturel ; le don de science vous fait voir par quels moyens vous pourrez entrer en posses- sion de ces biens infinis, et le don de sagesse vous les fait goûter et savourer avec délices.
Si vous le possédez, ce don de sagesse, vous goûtez dans le service de Dieu un bonheur si grand qu'il surpasse tout ce que le monde peut vous of-
— 429 —
frir de plus agréable. Sainte Thérèse nous apprend que dans les commencements de sa vie religieuse elle se trouvait infiniment plus heureuse de rem- plir les plus modestes fonctions, comme de balayer, de nettoyer ou défaire toute autre chose semblable, que de porter un sceptre d'or et de ceindre son front de la plus belle couronne du monde. Toutes les grandeurs et toutes les gloires de la terre, tou- tes les jouissances de l'esprit et tous les plaisirs des sens n'inspirent plus que du mépris. Saint Augus- tin s'abandonne d'abord à ses instincts grossiers, et le sens dépravé lie son âme comme une chaîne de fer, de telle sorte qu'il ne croit pas pouvoir la briser. Mais quand le don de sagesse est descendu dans son cœur, il trouve une douceur infinie à prati- quer l'angélique vertu de pureté. Saint François d'Assise, ce noble chevalier de la sainte pauvreté, trouve plus de douceur à servir sa fiancée que ne peut en donner à l'avare la possession des plus riches trésors; les souffrances et les mortifications sont pour lui une satisfaction plus vive que la vo- lupté pour le libertin; enfin il est plus glorieux des mépris et des humiliations que les ambitieux ne le sont des premières dignités de l'empire.
Les fruits de la sagesse sont admirables : tous les biens l'accompagnent et entrent avec elle dans les cœurs; c'est un trésor infini pour ceux qui la possèdent. Honnêtes gens du monde, vantez-nous tant qu'il vous plaira voire philosophie que vous décorez vainement du nom de sagesse; dites-nous si elle vous empêche de tomber dans le vice, si elle
— 430 — vous fortifie dans les luttes de la chair contre l'es- prit et vous console dans vos peines. N'est-ce pas lorsque vous avez plus besoin de ses lumières qu'elle vous abandonne? Vous nous donnez de belles leçons de vertu : où en est la pratique?
Humbles serviteurs de Dieu, saint Antoine, saint Jérôme, saint François, saint Vincent de Paul, ra- contez-nous le bonheur que vous éprouviez à prier et à méditer des nuits entières, lorsque vous vous plaigniez de ce que le soleil levant venait vous dis- traire et vous arracher à l'oraison qui faisait les chastes délices de votre âme. Vous aimiez d'unir ainsi votre âme à Dieu, delà coller à son cœur comme l'enfant au sein de sa mère pour y puiser la vie divine, source de toute consolation et de toute félicité.
Le don de sagesse, qui remplit les saints et anime leurs pensées, leurs sentiments et leurs ac- tions, les rend doux et affables envers tous, si violents et emportés qu'ils soient, charitables et compatissants sur les misères et les souffrances de leurs frères, courageux dans les afflictions, invin- cibles dans les combats. « La sagesse, dit l'apôtre saint Jacques, est chaste, pacifique, modeste, fa- cile, traitable, pleine de miséricorde et de bonnes œuvres. » (Jacob., ni, 17.) Elle est chaste, parce que, en savourant les délices de l'âme, elle dé- daigne les plaisirs des sens; elle est pacifique, parce qu'elle aime la justice ; elle est modeste, parce que, étant la mère de l'ordre, elle règle tous les mouve- ments, toutes les paroles, toutes les actions; trai-
1
— 431 —
table el facile à persuader, parce qu'elle rend le cœur flexible à tous les mouvements du Saint-Es- prit; elle est pleine de miséricorde, parce qu'elle est la splendeur de Dieu, son image et :-■■ osem- blance, et que Dieu est tout amour; enfin eiie est abondante en bonnes œuvres et en fruits délicieux, parce qu'elle est remplie de charité et qu'elle veut se communiquer.
Les honnêtes gens du monde se soucient peu des grâces et des dons du Saint-Esprit; ils ne connais- sent point les choses de Dieu et ne les apprécient point; ils n'éprouvent que du dégoût et de l'ennui dans les exercices de la piété chrétienne; les céré- monies les plus pompeuses et les plus touchantes, les chants les plus harmonieux et les plus doux, les lectures les plus intéressantes, les instructions les plus solides et les plus pressantes, tout enfin les laisse dans une complète indifférence. Parlez-leur de fêtes, de banquets, de parties de plaisir : à la bonne heure! ils vous prêtent une oreille attentive. Il est vrai qu'ils se promettent d'abord de ne jamais franchir la limite qui sépare le bien du mal ; mais quelle volonté humaine peut arrêter les passions indomptées de notre nature corrompue? A peine ont-ils porté à leurs lèvres la coupe qui contient la liqueur enivrante, qu'ils boivent à longs traits, sans pouvoir jamais étancher la soif qui les dévore ; puis ils chancellent et tombent. Ils courent d'un plai- sir à un autre plaisir, d'une fête à une autre fête, jusqu'à ce qu'ils deviennent cadavres.
D'autres, poussés par Je démon de l'orgueil et de
— 432 ~
l'ambition, poursuivent les emplois et leshonnours. ils ont d'immenses propriétés et des coffres remplis d'or; ne sont-ils pas dignes des postes les plus élevés dans la magistrature ou l'administration? Que de bassesses pour obtenir ce qu'ils sollicitent, car il faut monter et monter toujours ! Quel est le capitaine qui ne se croie capable d'être ministre de la guerre, le juge qui n'aspire à être premier pré- sident, le professeur qui ne convoite la dignité de grand-maître de l'Université? Ils passent ainsi leur vie à poursuivre des fantômes. Pour contenter toutes les ambitions, ne faudrait-il pas autant de dignités que d'individus? Ne serait-il pas possible de créer des régiments où tous les soldats seraient capi- taines ou colonels , de fonder des établissements d'instruction où il yauraitautantde professeurs que d'élèves? Dans ce long voyage qu'ils entreprennent à la recherche des dignités, la plupart meurent en route. Ils se consolent en criant à l'injustice. C'est la faveur seule qui distribue les emplois, et on ne peut les obtenir que par protection. Le mérite est oublié, parce qu'il est modeste.
Mais les gens du monde ont autant besoin de plaisirs que de dignités : n'ont-ils pas un corps et un cœur que rien ne saurait rassasier? Chaque jour ne demandent-ils pas des fêtes et des spec- tacles? Il y a sans doute, parmi les chrétiens, des âmes généreuses qui ferment l'oreille aux cris de la volupté, qui châtient leur corps et crucifient leur chair ; mais, hélas ! ce n'est pas le grand nombre ; et parmi ceux qui marchent dans cette voie étroite
— 433 — et difficile, combien n'y en a-t-il pas qui rebrous- sent chemin ? Vous les croyez élevés au dernier degré de la perfection, aussi saints que David, aussi sages queSalomon, aussi forts"que Samson ; sem- blables au cèdre du Liban, ils portent leur tête jusqu'au ciel, etils semblent être à l'abri des orages, mais une tempête s'élève et les jette dans la fange. C'est une affection un peu vive, une conversation trop familière, un regard indiscret, voilà l'arme dont le démon s'est servi pour renverser le géant.
Mais où s'arrêteront-ils ces voluptueux qui cou- rent après les plaisirs? Au tombeau. Après quel- ques années leur santé est ruinée; ils sont vieux à vingt ou à trente ans. Le vice a pénétré jusqu'à la moelle de leurs os, et il dormira avec eux dans leur sépulcre.
Puis ces voluptueux, ces avares, ces ambitieux n'ont que du dégoût pour les choses de Dieu. Gar- dez-vous bien de leur parler d'une autre vie ou de les engager à purifier leur âme dans les eaux salu- taires de la pénitence ; vous ne ferez que provoquer leur colère. Quoi! vous leur parlez de Dieu! Mais ils voudraient qu'il n'existât pas, ou que ce fût un Dieu aveugle qui n'eût aucun souci des choses hu- maines, afin de se livrer impunément aux passions les plus grossières ; comme l'enfant prodigue, ils se contenteraient de la condition de ces animaux im- mondes que la faim l'avaitréduit à garder et dont il enviait le sort. Ils haïssent Dieu et tout ce qui peut leur rappeler l'idée de Dieu. Entendent-ils le son harmonieux des cloches qui annoncent une fêteso-
19
— 434 —
Icnnelle de l'Eglise? Assistent-ils à une instruction solide faite par un homme de talent et de génie? Reçoivent-ils la visite d'un pasteur zélé? Leur con- tenance trahit de la gêne, de la mauvaise humeur, et, malgré leurs efforts, leur colère éclate. La vue d'une église, d'une croix, d'une procession, d'une sœur de charité ou d'un homme de bien les exas- père et les met quelquefois en fureur.
Ces excès ne sont pas aussi rares que vous pour- riez le penser ; ce sont les suites ordinaires de l'or- gueil, de l'ambition et du libertinage. Quand on a lâché la bride aux passions, elles ne connaissent plus de frein. Quel est l'homme qui a sondé les honteux mystères de Satan? Qui sait les goûts dépravés qu'il inspire à ses adeptes? Interrogez ces malheureuses victimes de leurs passions, et elles vous répondront qu'elles ne sauraient, sans rougir et sans se couvrir la figure de leurs mains, penser aux turpitudes dont elles se sont déshonorées dans le secret des té- nèbres.
iVallez pas croire qu'il vous est libre de repous- ser l'esprit de Satan en secouant le joug que vous impose l'Esprit de Dieu. Non, non, il vous faut ac- cepter l'un ou l'autre pour guide , il vous faut su- bir l'empire de l'un ou de l'autre. En présence des honteux excès dans lesquels l'esprit du monde en- traîne ses partisans, pourriez-vous encore vous li- vrer à lui? Si, au contraire, vous considérez que la sagesse n'entre jamais dans un cœur sans que tous les biens ne l'accompagnent, la modestie, la joie, la paix de l'âme, comment ne pas l'aimer par des-
1
— 435 —
sus lout? « La sagesse, dit saint Bernard, réprime les mauvaises inclinations de la chair, affaiblit la délectation des sens, purifie l'entendement, guérit le palais du cœur et lui rend le goût des choses cé- lestes. » (Serra. 80, in Cant.)
Quoi donc! mes frères, nous nous passionnons pour la vanité et le mensonge, et nous ne serions pas vivement touchés des divins attraits de la sa- gesse , et nous ne mettrions pas tout en œuvre pour l'acquérir et la posséder ? Il faut qu'arrivés sur le bord de notre tombe, nous puissions dire avec Sa- lomon : « J'ai aimé passionnément la sagesse, et tout mon bonheur était de l'avoir pour épouse, tant ses perfections et ses charmes ont fait d'impression sur mon cœur et m'ont rendu amoureux de sa beauté. » (Sap., viii, 2.)
Considérez Madeleine près du tombeau du Sau- veur Jésus. Elle sait bien qu'il n'y est plus, car elle a regardé plusieurs fois pour s'en assurer. Cepen- dant elle le cherche toujours. Le désir si véhément de le voir, de lui exprimer l'ardeur de la charité qui la consume ne lui laisse pas un seul moment de repos ; elle ne peut pas même s'éloigner. La constance de sa charité est récompensée ; Jésus s'approche d'elle, il lui parle, il la console, il la charge même d'une importante mission près de ses apôtres. Imitons Madeleine; désirons instamment voir la sagesse de Dieu, cherchons-la loin du tu- multe du monde, dans la solitude, près des tom- beaux, et Jésus, la sagesse incarnée de Dieu, vien- dra à notre rencontre, il nous suivra et nous ac-
— 436 —
compagnera dans toutes nos voies. Dieu aura égard à nos vœux ; invoquons-le, et la sagesse descendra sur nous. « Si quelqu'un d'entre vous, dit l'apôtre saint Jacques, a besoin de la sagesse, qu'il la de- mande à Dieu, car il la donne abondamment à tous. » (Jacob., I, 5.)
Sachez bien que sans elle vous ne ferez rien de bon, vous ne saurez pas même ce que vous devez faire. Vous ignorez comment Dieu distribue la lu- mière et la chaleur dans la nature, comment votre âme est unie à votre corps, et comment votre corps lui-même subsiste et se conserve. Dans les affaires matérielles et sensibles, vous ne savez souvent quel parti prendre ; comment donc pourriez-vous con- naître par vous-mêmes la conduite à tenir dans l'ordre surnaturel et divin, où toute la sagesse hu- maine n'est plus que folie?
Adressez souvent à Dieu cette prière : « Dieu de miséricorde, donnez-moi cette sagesse qui est as- sise auprès de vous dans votre trône, et ne me re- jetez pas du nombre de vos enfants, parce que je suis votre serviteur et le fils de votre servante. Vous m'avez choisi pour être roi, car vous m'avez sacré le jour de mon Baptême; je dois régner sur moi et sur le monde. Vous m'avez commandé de vous bâtir un temple en moi-même et devons dres- ser un autel au fond de mon cœur. Envoyez-moi votre sagesse, afin qu'elle soit avec moi et qu'elle travaille avec moi, et que je sache ce qui vous est agréable; elle a l'intelligence et la science de toutes choses; elle me conduira dans mes œuvres avec
— 437 —
circonspection et me protégera par sa puissance. >» (Sap., IX.)
Il est inutile de vous faire voir quels sont les rapports du don de sagesse avec la charité, car il vous est impossible de ne pas les remarquer. Par la charité, nous aimons Dieu et les choses divines ; et par le don de sagesse, nous goûtons et nous sa- vourons Dieu et les choses divines. Ainsi le don de sagesse perfectionne la vertu de charité.
Humilions-nous sous la puissante main de Dieu, et reconnaissons devant lui notre misère et notre pauvreté. Reconnaissons qu'il nous est impossible, dans tout ce qui concerne notre salut, d'avoir une sainte pensée ou un pieux désir sans le secours du Saint-Esprit. Mais surtout purifions notre cœur, car le Saint-Esprit n'entre pas dans une âme méchante et ne demeure point dans un corps souillé par le péché. Alors nous pourrons l'invoquer avec con- fiance ; il viendra en nous et demeurera avec nous jusqu'à notre dernier soupir. Amen.
SAINT BENOÎT LE MORE.
On vint un jour lui demander des oranges pour un ma- lade. Ce n'était plus la saison de ces fruits, et il n'y en avait plus un seul sur les orangers du couvent. Le saint voulut qu'on y montât et qu'on cherchât bien. « Père^ je ne trouve rien, lui dit le frère qui était monté sur l'arbre. — Bien^ ré- pliqua Benoît... Et sur votre tête? Ces fruits ne sont donc pas des oranges? Regardez bien au-dessus de vous. » André lève les yeux et voit en effet cinq oranges magnifiques. Il donna trois de ces oranges au malade, qui les prit et guérit
— 438 —
instantanément ; il en conserva une comme relique^ et donna l'autre à un prêtre ami du saint.
Quand il allait quêter du vin, au retour il donnait à boire à tous les pauvres qu'il rencontrait. Dieu se plaisait à le lui rendre aussitôt : son vase était toujours plein quand il ren- trait.
Jamais il ne souffrit qu'on refusât l'aumône aux pauvres. Un jour qu'il eu vint beaucoup, le portier distribua tous les restes du pain ; puis, voyant qu'il n'avait plus que la provi- sion nécessaire aux religieux, il renvoya les autres qui se présentèrent. Saint Benoît les rencontra comme ils s'en re- tournaient tout fâchés. Il les ramène avec lui et gronde le portier. «Mais, père gardien, lui dit celui-ci, il reste à peine assez de pain pour les religieux. — Peu importe, reprit le gardien ; portez l'aumône à ces pauvres, et la providence de Dieu ne nous manquera pas. » Le portier prit encore dix pains et les distribua ; il revint ensuite compter ce qui lui restait, et il en trouva plus qu'il n'y en avait d'abord.
Trois années après, il fut créé vicaire du couvent et maître des novices. Après matines, il expliquait à ses religieux les leçons de la sainte Ecriture. Rien n'était plus admirable que d'entendre ce saint ignorant, qui ne savait pas même lire, développer les sens les plus cachés avec l'exactitude d'un docteur, et citer de longs passages de la Bible que Dieu seul avait révélés à son cœur. Aussi les théologiens et les savants venaient-ils le consulter dans leurs doutes, et il en donnait la solution.
11 y avait à Palerme un Dominicain très-célèbre par la con- naissance profonde qu'il avait du droit canonique et civil. Un jour qu'il ne pouvait expliquer un passage difficile de la sainte Ecriture, il s'en alla au couvent. A peine Benoît l'eut- il aperçu, qu'il lui dit avant même de le saluer : « De grâce, mon frère, ne vous troublez pas; si vous n'avez pas bien com- pris ce passage de la sainte Ecriture, je vais vous l'expliquer clairement. » Benoît dissipa ses doutes avec tant de profon- deur et de clarté, que le docteur en demeura rempli d'admi- ration.
— 439 —
Le temps de sa charge de maître des novices étant écoulé, le saint noir reprit avec bonlieur ses fonctions de cuisinier. Les plus grands seigneurs se faisaient gloire de l'aller trouver dans sa cuisine où il les consolait, les éclairait, les guérissait suivant leurs besoins. Le supérieur lui avait donné l'ordre de répondre à tous, et il était toujours prêt. Il passait le reste du temps dans la prière; ses nuits étaient consacrées à la contemplation. Plusieurs fois on le surprit à l'église tout ravi en Dieu et resplendissant d'une lumière céleste.
Il opéra encore un grand nombre de miracles que nous ne pouvons rapporter. Un jour il dit aux religieux de ne pas je- ter les restes de la table, mais de les donner aux pauvres, en ajoutant : C'est le sang de ceux qui nous ont fait l'aumône pour l'amour de Dieu. Les jeunes religieux se mirent à rire et continuèrent comme auparavant. Alors le saint prit le petit balai avec lequel ils balayaient ces restes, et, le pressant dans sa main, il en sortit un sang vif et abondant.
Sentant que sa fin s'approchait, il voulut recevoir tous les sacrements. Il mourut le 4 avril lo89, âgé de soixante-cinq ans. Des miracles sans nombre se sont multipliés à son tom- beau. Il a été canonisé par Pie VII. (Ribadeneira.)
X^ INSTRUCTION.
lia Coiifirittation fait da clirëtien un soldat.
Labora sicut bonus miles Christi Jesu. Nemo mililans Deo impUcal se negoliis secularibas, ut et pluceat cui se probavit.Nam et qui certat in agone, non coronatur nisi légitime certaverit.
Travaillez comme un bon soldat de Jésus-Cbrist. Quiconque est enrôlé dans la milice de Dieu no s'embarrasse plus des affaires du siècle, pour ne s'occu- per qu'à plaire à Celui à qui il s'est donné. Car celui qui combat dans les jeux publics n'est couronné qu'après avoir légitimement combattu.
(II TxM., II, 3,4 et 5.)
Par le Baptême nous sommes faits enfants de Dieu, héritiers du ciel, frères de Jésus-Christ et membres de celte grande famille qu'on appelle l'E- glise; par la Confirmation nous devenons parfaits chrétiens, nous sommes tous faits soldats de Jé- sus-Christ. La marque de notre enrôlement est le caractère imprimé par le sacrement. Il faut que nous combattions les combats de Dieu. Or, mes frères, sommes-nous de bons soldats? Avons-nous l'esprit, le désintéressement, l'obéissance elle cou- rage du soldat?
Voyez d'abord ce que fait le jeune homme qui embrasse l'état militaire. Il quitte tout ce qu'il a de plus cher au monde, parents, famille, amis, et
— m —
se sépare de tout ce qui a fait sa vie jusque là. Il quitte ses vêtements, ses mœurs, ses habitudes et en quelque sorte son langage, pour prendre d'au- tres vêtements, d'autres mœurs, d'autres habitu- des et un autre langage. Que de sacrifices à faire chaque jour ! Mais il s'y résigne, il surmonte tou- tes les répugnances de la nature dans l'espoir d'ob- tenir ce qu'il convoite : la croix d'honneur, un grade élevé, une magnifique retraite. Voulez-vous être bons soldats de Jésus-Christ? imitez ce jeune homme : quittez vos parents, vos amis et vos biens pour Dieu ; c'est-à-dire ne les aimez plus que pour Dieu et en vue de Dieu. Dépouillez-vous du vieil homme, de vos habitudes et de vos mœurs païen- nes, et de votre langage païen ; revêtez-vous de Jésus-Christ, prenez les habitudes, les mœurs et le langage des saints et des martyrs, ces héros en- fantés par l'Evangile. Mais vous hésitez, vous avez peur des sacrifices. Quoi donc ! aurez-vous moins de courage pour gagner le ciel que le jeune homme habitué aux plaisirs et à la mollesse pour se fa- çonner à la vie dure de la caserne et des camps? Aurez-vous moins de courage que tant de jeunes vierges qui embrassent avec joie la vie austère du cloître?
Voyez-vous le jeune soldat qui s'exerce sans cesse dans le maniement des armes? Cependant, au premier coup d'œil, rien ne paraît plus absurde que les exercices militaires. Ne suffit-il pas d'a- voir un bras vigoureux pour frapper fort et mettre l'ennemi en déroute? A quoi bon ces exercices pé-
— 442 —
nibles et multipliés pour faire marcher au pas ré- glé et charger son fusil en douze temps? A quoi bon ces évolutions, ces manœuvres, ces combats, ces sièges simulés? Ainsi parle l'ignorant qui ne con- naît en rien le métier des armes. Mais les vieux ca- pitaines qui ont blanchi sous les drapeaux vous ré- pondront : Rien n'est plus philosophique que ces exercices militaires qui vous paraissent absurdes. Une expérience de quatre mille ans prouve que ce sont ces exercices qui font les bons soldats, et que celui qui les ignore ne sera jamais un vaillant guer- rier sur le champ de bataille. C'est ce qu'attestent Alexandre, César et Charlemagne: ces illustres con- quérants ne doivent-ils pas être crus sur parole? Que sont à vos yeux, hommes du monde, nos exercices religieux? Des cérémonies ridicules, di- tes-vous, ou de grossières superstitions. Pour être bon chrétien, ne suffit-il pas d'être honnête homme ou de pratiquer la vertu? A quoi bon les confréries, les processions, la confession de ses péchés, la com- munion, l'assistance aux offices? .«lais si nous con- sultons l'expérience, elle nous répondra que ce sont les exercices religieux qui font les bons sol- dats de Jésus-Christ. Tous ceux qui les ont mé- prisés ou négligés ont été défaits à la première rencontre; ce ne sont plus que des hommes pusil- lanimes que renverse et jette par terre le son de la trompette guerrière. Comme autrefois saint Pierre, ils renient leur Dieu à la voix d'une servante. C'est ce que vous répètent les Augustin, les Basile, les Ambroise, les François de Sales, les Vincent de
— 443 — Paul, ces vaillants capitaines qui ont remporté de si grandes et de si nombreuses victoires sur l'en- nemi du genre humain. Mais ce sont les exercices religieux qui font descendre sur vous la grâce de Dieu; ils sont aussi nécessaires pour la pratique de la vertu que les exercices militaires pour vaincre l'ennemi sur le champ de bataille.
Hommes du monde, vous ne voulez pas recon- naître la nécessité de certaines exercices religieux, parce qu'ils contrarient vos passions. Eh bien ! di- tes-moi, où en est votre vertu? où en est votre cha- rité, votre patience, votre chasteté, votre probité, et peut-être votre foi? Vous vous plaignez de la vio- lence de vos passions, et vous ne faites rien pour les vaincre. Tous ne connaissez rien au maniement des armes, vous ne voulez point d'exercices; est-il étonnant que vos combats soient autant de défaites? Priez sans cesse, fréquentez les sacrements, médi- tez la parole de Dieu : voilà des armes invincibles avec lesquelles vous remporterez d'éclatantes vic- toires.
Un bon soldat se préserve de la licence des camps et n'est point attaché aux richesses. Avez-vous ja- mais rencontré des soldats avares, prêtant de l'ar- gent à usure? En voyez-vous acheter des champs, des prés, des vignes, des maisons ou des châteaux? Mais à quoi tout cela lui servirait-il? Tant qu'il est sous les drapeaux, il n'a point de demeure fixe ; aujourd'hui il est à Paris et demain à Toulouse. L'Etat lui fournit la nourriture et le vêtement, que lui faut-il de plus? Une seule pensée l'occupe
— 444 — tout entier : c'est d'être brave, intrépide; c'est de battre l'ennemi sur le champ de bataille, de mon- ter en grade, d'obtenir la croix d'honneur, l'estime et la reconnaissance de sa patrie.
Etes-vous détachés de la terre comme un bon soldat? Ne sont-ce pas, au contraire, les affaires de ce monde qui vous occupent le plus? Quelle acti- vité infatigable pour amasser de l'or, pour augmen- ter vos capitaux et agrandir vos domaines! Vous achetez des maisons, vous faites bâtir des palais, vous voulez vous procurer la vie la plus douce, la plus confortable, comme si vous ne deviez jamais mourir. Avez-vous oublié que, soldats de Jésus- Christ, vous pouvez recevoir à chaque instant du Dieu des armées un ordre de descendre la garde, et vous rendre, non d'une province dans une autre, mais de ce monde dans l'autre? A quoi vous servi- ront vos amis, vos richesses, vos palais? De tous vos biens il ne vous restera qu'un suaire et quatre planches; vous aurez six pieds de terre pour toute propriété, et encore ne les posséderez-vous pas long- temps. Un autre prendra votre place et vous succé- dera jusque dans le tombeau; vous serez alors ce je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune lan- gue. Que sont devenus les rois, les conquérants, les savants du monde? A peine eonnaît-on le tom- beau de quelques uns d'entre eux. Il n'y a que les saints à qui Dieu semble avoir déjà accordé l'immor- talité dès ce monde, dont on conserve le souvenir.
Le bon soldat observe son code militaire- et sa consigne. Son capitaine lui dit : Va, et il va : Viens,
— 445 — et il vient : Fais cela, et il le fait. Jamais il ne dis- cute le commandement ; il obéit sur-le-champ, avec joie, avec bonheur, eût-il la certitude qu'il marche à la mort. Voilà l'obéissance parfaite. Est-ce la vô- tre, mon frère? Obéissez-vous à vos chefs spirituels sans murmure et même avec joie? Trouvez-vous que servir Dieu est aussi glorieux que servir sa pa- trie? Observez-vous votre code militaire? Le met- tez-vous en pratique tout entier? Vous vous félicitez d'être un honnête homme, c'est-à-dire d'observer un seul article de votre code. Et que sont devenus les neuf autres? Ne tremblez-vous pas d'être un jour renfermé dans cet éternel cachot d'où l'on ne sort jamais?
Des dix commandements de Dieu, les impies re- poussent le premier, les blasphémateurs le second, les âmes cupides le troisième, les enfants indociles la quatrième, les vindicatifs le cinquième, les li- bertins le sixième, les voleurs le septième, les mau- vaises langues le huitième; et ils prétendent que, comme vous, ils ont le droit de n'admettre que ce qui leur plaît. Alors que devient la morale? Une feuille de papier qu'on jette au vent. Comprenez donc une bonne fois que les commandements de Dieu sont tout d'une pièce ; il faut les accepter tous ou les rejeter tous.
Le soldat observe sa consigne ; il monte la garde, il passe la revue, il approprie ses vêtements, ses ar- mes, son appartement. Malheur au soldat négligent ou malpropre 1 Est-ce ainsi que vous observez votre <îonsigne? Etes-vous dans la main de votre capi-
- 446 — laine? Peut-il faire de vous tout ce qu'il veut?Tenez- vous vos vêlements cl vos armes dans une propreté parfaite? Avez-vous soin de conserver la pureté de conscience et de faire briller en vous toutes les ver- tus chrétiennes? Pouvez-vous, sans craindre le châ- timent, vous présenter à la revue chaque jour et à tous les inslanls du jour? Prenez-y garde! Le Dieu des armées vous avertit que vous ne savez ni le jour ni l'heure où il vous fera passer la grande et der- nière revue. Malheur à vous, s'il vous trouve en dé- faut! On ne se moque pas impunément de Dieu.
Le bon soldat est courageux; il ne redoute ni les dangers, ni les privations, ni les souffrances. Il a en horreur les temps de paix, parce qu'il sent ses forces s'affaiblir et son courage s'éteindre. Il ne s'inquiète ni des fêtes ni des plaisirs du monde, il ne rêve que combats ; la plus belle harmonie à ses oreilles, c'est le bruit du tambour et le sonde la trom- pette guerrière, c'est le bruit du canon et le tu- multe des armes. Avec quelle joie il entend le récit des guerres et des batailles ! Avec quel bonheur il respire l'air des camps et la fumée de la poudre! L'amour de la patrie le dévore ; servir son pays et se couvrir de gloire, telle est sa devise.
Et vous, mes frères, qui avez reçu le sacrement de Confirmation, avez-vous ce courage du bon sol- dat? ^e recherchez-vous pas l'oisiveté, la bonne chère et les plaisirs qui amollissent le cœur et cor- rompent les bonnes mœurs ? >'e fuyez-vous pas la pauvreté, les privations, les souffrances? Avez-vous en horreur le monde avec ses fêtes? Souffrez-vous
— 447 — avec joie les humiliations et les mépris du monde ? AveZ'VOus soif de la justice? Eles-vous dévorés du zèle de la maison de Dieu et delà sanctification des âmes? Aimez-vous avec passion de lire la vie des saints, le récit de leurs combats et de leurs vic- toires ? Aimez-vous à respirer l'air de la solitude, l'air de la cabane et de la mansarde ? Servir Dieu et mourir pour sa gloire, est-ce là votre devise?
Vous vous étonnez, mes frères, de voir tant de patience dans l'adversité, tant de grandeur d'âme sous le poids du malheur, tant d'amour de la péni- tence, tant de soif des humiliations dans tous les héros chrétiens, saint Jérôme, saint Dominique, saint François, saint Charles, saint Vincent de Paul ; mais oubliez-vous que ces illustres person- nages avaient reçu le sacrement de Confirmation et se considéraient comme de vrais soldats, obligés par profession d'imiter en toutes choses Jésus- Christ, leur vaillant capitaine? Us se dépouillaient de tout, ils renonçaient à tout, ils menaient la vie la plus dure, parce que c'était combattre. Ils ne res- piraient que les mépris, les afflictions, les austérités, la pauvreté et la souffrance, comme le bon soldat aime à respirer l'air des camps et la fumée de la poudre. Sont-ce là vos modèles ?
Voyez-vous ces guerriers qui reviennent de la bataille? Leurs drapeaux sont percés de balles, leurs habits déchirés et tombant en lambeaux, leurs corps tout couverts de blessures; mais la joie brille sur leurs fronts, et, fiers de leur triomphe, ils en- tonnent le chant de la victoire. La foule accourt
— 448 — sur leur passage et les salue par des cris d'en- thousiasme. Ainsi en esl-il des saints et des héros chrétiens. Ils combattent sans cesse contre l'or- gueil, la cupidité et le libertinage. Ils sont vêtus pauvrement, la calomnie et le mépris du monde les poursuit, leurs corps sont exténués par les jeûnes et les macérations ; mais leur cœur est plein de joie, et ils chantent le triomphe de la grâce. Dieu les contemple du haut du ciel, et il dit à ses anges : Voyez -vous ces hommes généreux qui mettent leurs richesses dans la pauvreté, leur gloire dans les humiliations et leur bonheur dans la souffrance? Les anges et les saints du ciel applaudissent aux victoires et aux triomphes des saints de la terre.
Quand un soldat s'est distingué par des actions d'éclat ou par des actes de courage et de dévoue- ment, il est décoré de la croix d'honneur, et il la porte noblement sur sa poitrine. A cette vue, les autres soldats envient son bonheur et brûlent de se signaler comme lui, afin d'obtenir la même distinc- tion. Mais mille fois plus heureux encore celui qui obtient trois ou quatre croix d'honneur I
Lorsqu'un chrétien se distingue par sa fidélité à observer les commandements de Dieu, par son cou- rage à résister à ses mauvais penchants, le Roi du ciel lui accorde des croix. Les gens du monde se scandalisent en voyant les plus fervents chrétiens aux prises avec la maladie, la calomnie ou la per- sécution ; mais pour le chrétien éclairé ce sont au- tant de croix d'honneur. Vous dites : Heureux hs «oldats qui obtiennent de l'avancement et des croix
— 449 — d'honneur ! Le Sauveur du monde vous dit : « Heu- reux les pauvres, heureux ceux qui pleurent, heu- reux ceux qui souffrent, heureux ceux qui sont persécutés pour la justice! » C'est de part et d'au- tre le même langage, parce que c'est la même gloire et le même bonheur. Toute croix ennoblit celui qui la porte, et lui donne droit à une plus grande gloire et à un plus grand bonheur.
Remarquez que tout est à l'avantage du chrétien. Car il est évident qu'il lui en coûte plus de remplir tous ses devoirs qu'à un soldat de mener la vie mi- litaire. Ce changement de costume, de langage, d'esprit, de mœurs, ne lui impose pas de très-grands sacrifices; tandis que le chrétien doit lutter chaque jour contre lui-même pour se changer et se trans- former. La nature, avec ses mauvais penchants, combat contre l'esprit chrétien, recherche ses aises, aime les distinctions, et il faut que le chrétien la crucifie sans cesse avec ses convoitises, qu'il pra- tique l'humilité et la pauvreté. La vie militaire est honorable aux yeux du monde, flatte l'amour-pro- preet l'orgueil. Il n'y a rien d'humain dans la vie chrétienne, rien qui caresse les passions. Le soldat vit avec des hommes qui ont le même esprit, qui pensent et agissent comme lui. Le chrétien est sou- vent obligé de vivre avec des personnes qui sont partout en contradiction avec lui.
La profession militaire étant honorable, il n'y a rien d'humiliant à se livrer à ses exercices. Tout le monde admire ceux qui s'y rendent habiles. Mais qu'un chrétien soit exact à fréquenter les offices de
— 450 —
sa paroisse, qu'il récite pieusement son chapelet, ses prières avant et après les repas, qu'il s'approche souvent de la table sainte, qu'il observe les lois du jeûne et de l'abstinence, ce n'est plus qu'un sot, un imbécile, un fanatique. Le monde saisira toutes les occasions de le tourner en ridicule et de le cou- vrir de son mépris. Avoir de la piété est une flétris- sure aux yeux du monde. Quelle force d'âme ne lui faut-il pas pour persévérer dans la pratique de ses devoirs 1
Le désintéressement du soldat ne lui coûte pas cher : tant qu'il est sous les drapeaux, il ne manque de rien, et il obtiendra une retraite s'il y reste as- sez longtemps pour y avoir droit. Le chrétien doit être complètement détaché de tout : s'il est dans l'abondance, il doit vivre pauvrement et être dis- posé à faire le sacrifice de tous ses biens; s'il est pauvre, que de privations pour pourvoir à sa sub- sistance et à celle de sa famille ! que d'inquiétudes pour son avenir et celui de ses enfants 1
Si le soldat est obéissant et remplit fidèlement ses devoirs, il n'est occupé qu'à certaines heures de la journée, et le reste est à sa libre disposition. Il faut que le chrétien obéisse toujours; tout est réglé, son temps de travail et son temps de repos, ses occupations et ses divertissements. C'est une obéissance de tous les jours et de tous les instants; il faut que tout en lui se rapporte à Dieu. C'est une dépendance continuelle et absolue, c'est un re- noncement perpétuel à sa volonté pour ne plus faire que la volonté de Dieu.
— 451 —
Le soldat doit être courageux, mais de puissants motifs animent son courage, la musique guerrière, l'exemple de ses chefs et de ses compagnons d'ar- mes, l'espoir d'obtenir la croix d'honneur ou un grade plus élevé. Le chrétien doit être toujours courageux, seul ou en pubhc, lors même que ceux qui devraient l'encourager le scandalisent. Le sol- dat ne déploie son courage qu'en temps de guerre, ce qui est assez rare ; le chrétien est toujours sur le champ de bataille, l'arme au bras ; le démon, le monde et la chair ne lui laissent aucun moment de repos; la vie de l'homme est un combat continuel.
Et combien n'est-il pas plus difficile de vaincre ses passions que les ennemis de la patrie ? >''a-t-on pas vu d'invincibles guerriers et d'illustres conqué- rants esclaves des plus honteuses passions et en- chaînés comme de malheureux captifs par leurs vices dégradants? Aucun de vous n'ignore qu'il est plus facile de terrasser son ennemi sur le champ de bataille que de détruire dans son cœur l'orgueil ou l'impureté.
Qu'est-ce donc qui donne tant d'éclat à la vie militaire? C'est que le soldat, par son obéissance et son dévouement, par la disposition où il est de se sacrifier lui-même, défend son pays contre les ennemis du dedans et du dehors, maintient la paix et la tranquillité dans l'Etat, et procure ainsi la prospérité et le bien-être à toute la nation. Le chré- tien n'est-il pas encore plus utile à la société? Je ne parle pas des avantages spirituels qu'il procure par ses prières, ses mérites et ses exemples de vertu,
— 452 — mais seulement des effets temporels qui résultent de sa conduite; car enfin quels sont les ennemis les plus redoutables de la société ? Ce ne sont, croyez-le bien, ni les Russes, ni les Cosaques, ni les Anglais, ni les Bédouins; ce sont les péchés ca- pitaux, l'orgueil, la vanité, l'ambition, la colère, le libertinage, l'intempérance et la paresse. Ces ennemis ne nuisent pas seulement aux intérêts ma- tériels de la société, mais aussi et surtout aux in- térêts moraux; ils ne font pas seulement périr le corps, mais ils tuent l'âme de la société, c'est-à- dire la vertu. Car de même que l'âme conserve la vie du corps en combattant les mauvaises inclina- tions de la chair et des sens, ainsi le chrétien dé- fend la vie matérielle de la société en combattant les mauvaises passions par ses paroles et par ses exemples.
Si la gloire militaire est quelque chose de grand et de noble qui brille dans le monde comme les astres au firmament, la gloire du chrétien est en- core plus belle ; elle resplendira comme le soleil dans le séjour immortel de la gloire.
Napoléon le Grand avait compris cette vérité, lorsqu'il disait au général Drouot : « Vous êtes le plus brave officier de mon armée, parce que vous êtes le plus chrétien. » La gloire militaire est donc rehaussée par l'éclat des vertus chrétiennes. Si l'antiquité nous cite deux grands noms, illustres dans le métier des armes, César et Alexandre, notre belle patrie ne peut-elle pas lui opposer deux noms plus illustres encore, saint Louis etCharlemagne?
— 453 — Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, aulani ils surpassent ces fameux monarques par l'élévation de leurs pensées, la noblesse de leurs sentiments, la droiture de leurs intentions, la sublimité de leur but. Telle sera aussi votre gloire, si vous combat- tez constamment sous l'étendard de Jésus-Cbrist jusqu'à votre dernier soupir. Amen.
•" SAINT GEORGES.
Ce saint est né en Cappadoce, de parents nobles et riches; il fut instruit dans la religion chrétienne et se fit soldat. Comme il était intelligent, adroit et robuste, il devint tribun de l'empereur Dioclétien, qui Thonorait beaucoup à cause de ses belles qualités, et voulait l'élever à de plus hautes di- gnités.
Cependant l'empereur ayant soumis à son conseil son pro- jet de détruire la religion chrétienne, Georges osa seul le contredire, tandis que tous les autres y applaudirent. Sans s'épouvanter, il se tourna vers l'empereur et lui dit : « Il vous serait plus avantageux, ô Dioclétien, de connaître et d'adorer le vrai Dieu, et de lui offrir un sacrifice de louanges; car, en le servant ainsi, il vous donnerait un empire plus riche et plus durable que celui que vous avez, puisque votre empire est périssable de sa nature, s'évanouit entre les mains, et ne peut servir de rien à celui qui le possède. Pour moi, qui ai cette lumière et cette connaissance, ne pensez pas, ô empe- reur, me persuader de renoncer au vrai Dieu ,• vos promesses ne peuvent me séduire, ni vos menaces m'épouvanter. »
L'empereur furieux le fit jeter en prison et charger de chaînes. On l'étendit sur le pavé, et on roula sur lui une grosse pierre. Le lendemain il fut amené devant l'empereur, et, après un assez long interrogatoire, celui-ci le fit tourmen- ter avec une roue armée tout autour de pointes tranchantes comme des rasoirs, qui mirent en pièces tout le corps de
— 454 — Georges. Mais une voix du ciel lui cria : « Georges, ne crains point, car je suis avec toi. » On vit paraître un homme res- plendissant et vêtu d'une robe blanche qui lui tendit laraain, i'embrassa et Tencouragea dans ses travaux.
A la vue de cette constance, quelques païens se conver- tirent, entre autres deux préteurs, hommes de grande auto- rité ; lis se nommaient Anatole et Protole, et ils furent déca- pités pour l'amour de Jésus-Christ. Plus on augmentait les tourments du saint, plus il montrait de patience et de con- fiance en Dieu. Enfin l'empereur essaya de le gagner par de belles promesses.
Georges, désirant faire éclater davantage la puissance de Dieu, lui dit : « S'il vous plaît, ô empereur, allons au temple, et nous verrons les dieux que vous adorez » L'empereur fut satisfait; et, simaginant que Georges avait changé de senti- ment, fit assembler le sénat et le peuple dans le temple pour assister au sacrifice qu'il croyait que Georges devait offrir. Quand tous furent réunis, le saint s'approcha de l'idole d'A- pollon, et lui demanda en étendant la main : « Veux-tu que je te fasse un sacrifice comme à Dieu? » Puis il fit le signe de la croix. Alors le démon répondit : « Je ne suis pas Dieu, et il n'y a pas d'autre Dieu que celui que tu prêches. » Le saint lui dit : « Comment oses-tu donc demeurer ici en ma pré- sence, puisque je connais et adore le vrai Dieu ?» A ces pa- roles, on entendit des cris et des gémissements épouvantables qui sortaient comme de la bouche des idoles, puis elles se brisèrent d'elles-mêmes.
Les prêtres païens indignés excitèrent le peuple à s'em- parer du saint, et dirent à l'empereur qu'il fallait mettre à mort ce magicien, de peur que le mal ne s'augmentât. Georges fut mené au lieu du supplice, et ayant obtenu la permission de ses bourreaux, il adressa à Dieu une prière fervente en lui disant : « Seigneur mon Dieu, qui êtes avant tous les siècles, vous m'avez élu pour vous dès mon enfance; vous êtes l'u- nique et véritable espérance des chrétiens, le refuge assuré de vos serviteurs, l'inépuisable trésor de tous ceux qui ont mis leur confiance en vous ; vous gratifiez ceux qui vous aiment.
— 455 —
même avant qu'ils ouvrent la bouche pour vous demander quelque chose. Ecoulez-moi, Seigneur, puisqu'il a plu à votre miséricorde de me donner la patience et la force d'endurer les tourments et de confesser votre nom : recevez mainte- nant mon âme et placez-la parmi vos élus dans la gloire éter- nelle. Pardonnez à ces gens ce qu'ils ont fait contre moi et à l'endroit de vos autres serviteurs; donnez-leur la lumière par laquelle ils puissent se reconnaître, et puisque vous désirez que tous les hommes soient sauvés, donnez la main à tous ceux qui vous invoquent et implorent votre faveur avec une sainte crainte et une charité enflammée, atln que, vous ai- mant par-dessus toutes choses, ils suivent la trace des saints, pour jouir conjointement avec eux de vous à qui appartient l'empire, la gloire et la félicité. » Sa prière achevée, il se mit à genoux et fut décapité le 23 avril 304. (Ribadeneira.)
Xr INSTRUCTION.
•fësus-Clirist roi des cltrëtiens.
Habet in vcstimenlo scriplum . Rexre- Qum et Dominus dominantium.
Il porte écrit sur son vêtement : Roi (les rois et Seigneur des seigneurs. (Aroc, XIX, 10.)
Jésus-Christ est venu dans ce monde pour y établir son royaume, pour régner sur les intelli- gences et sur les coeurs, sur les peuples et sur les rois. Son Père lui a donné les nations pour héri- tage. Mais remarquez que ce royaume lui appar- tient à titre de Créateur et à titre de Rédempteur. Comme Créateur, tout lui appartient, et comme Rédempteur, il l'a conquis pour être avec nous et nous aider à faire nous-mêmes la conquête du ciel. C'est dans ce but qu'il nous a faits ses soldats.
Sans doute, si nous combattions seuls, nous se- rions bientôt mis en déroute ; mais Jésus-Christ a bien voulu se mettre à notre tête pour nous servir de capitaine, et il nous presse de nous ranger sous sa bannière : pourrions-nous hésiter un seul mo- ment? Mais les plus pressants motifs nous y enga- gent, et une voix céleste nous crie à tous les ins- tants : Aux armes !
1°Les rois de la terre, si savants qu'ils soient,
— 457 —
n'ont pourtant que des connaissances bornées; d'où il arrive que les plus habiles commettent de gran- des fautes. Encore qu'ils exercent la plus exacte vigilance, ils ignorent une multitude de choses, et,, malgré toute leur bonne volonté, ils laissent leurs soldats dans la peine et dans la souffrance, parce qu'ils ne sauraient connaître les besoins de tous et de chacun en particulier. Mais Jésus-Christ, notre Roi, a une intelligence infinie; il .connaît tout, il n'a pas besoin d'officiers pour tout examiner, il n'oublie rien parce qu'il voit tout par lui-même et qu'il pourvoit à tout. Etes-vous dans l'affliction ? il est près de vous pour vous consoler. Etes-vous dans les ténèbres, ne sachant plus de quel côté di- riger vos pas? il est là pour les dissiper et vous in- diquer votre route. Etes-vous malade? il est là pour vous guérir. Etes-vous tombé en défaillance? il est là pour vous fortifier. Un mot, un cri de votre cœur suffit pour qu'il s'empresse de vous secourir.
2" Les rois de la terre, si riches qu'ils soient, ne peuvent soulager toutes les misères, tant elles sont grandes et nombreuses. Combien de malheureux souffrent toutes sortes de privations dans toute Té- tendue de leurs Etats! Ils ne peuvent pas même secourir tous les pauvres de leur ville capitale. Et quand ils disposeraient de trésors infinis, il y a tant de douleurs qu'on ne soulage point avec de l'or et de l'argent I Jésus-Christ peut soulager tous ceux qui soulfrent; il connaît les hesoinsde tous, et il y pourvoi t. Mais pourquoi donc laisse-t-il tant de fi- dèles dans la peine ou la douleur? ^e croyez pas
20
— 458 — que ce soit par impuissance. C'est que la pauvreté ou la peine leur est plus utile que l'abondance ouïe plaisir, et que c'est par là qu'ils mériteront une cou- ronne plus brillante.
S"" Les rois de la terre ont le droit de faire grâce ; mais cependant ils ne peuvent pas toujours par- donner ; leur clémence doit avoir des bornes. Ne faut-il pas sauvegarder la société et empêcher que l'ordre public ne soit ébranlé? Jésus-Christ, au contraire, est toujours miséricordieux. Vous ré- voltez-vous cent fois, mille fois contre lui? il vous pardonnera autant de fois, si vous implorez sa clé- mence avec le repentir dans le cœur. Non seule- ment il est disposé à vous pardonner, mais il vous ordonne d'aller lui demander grâce, et il veut que vous espériez toujours l'obtenir. Et cette facilité n'é- branle en rien l'ordre public dans son royaume. C'est au contraire ce qui fait aimer son gouverne- ment. Que quelques uns de ses sujets abusent de cette miséricorde, cela se comprend ; mais elle sera plus tard le plus puissant motif pour les engager à se convertir.
4*» Les rois de la terre ne sauraient récompenser tous les mérites; ils ne les connaissent même pas et ne peuvent les connaître. Et quand ils les con- naîtraient, pourraient- ils les bien apprécier? Mais Jésus-Christ connaît tout et pèse tout dans sa main divine. Le plus léger mérite , un verre d'eau froide donné en son nom aura sa récompense. L'n jour il couronnera quiconque aura légitimement combattu, et dès ce monde même il nous récompensera par
— 459 — une plus abondante effusion de ses grâces, c'esl-à- dire de son intelligence et de sa force.
5° Si bons et si généreux que soient les rois de la terre, ils sont forcés d'imposer des tributs à leurs sujets. Pourraient ils autrement subvenir à tous les besoins de l'Etat? Comment feraient-ils un trai- tement à tous ceux qui s'occupent des intérêts gé- néraux de la société? Si le service public était un moment interrompu, l'Etat serait en danger, comme, lorsque la circulation du sang s'arrête dans le corps humain, il périt. Mais, au lieu de nous charger d'impôts, Jésus-Christ paie les noires ; il acquitte les dettes immenses qne nous avons con- tractées envers Dieu, et qu'il nous était impossible de payer nous-mêmes, quand même on nous eût vendus avec tout ce que nous possédons. Sans lui, nous serions morts banqueroutiers et condamnés aux galères perpétuelles.
Considérez encore combien sa conduite diffère de celle des rois de la terre sous d'autres rapports.
1° Quand les rois paient quelque chose, c'est avec l'argent de leurs sujets ; et Jésus-Christ paie nos dettes de son propre fonds. Par nos péchés d'orgueil, nous avons mérité toutes sortes d'humi- liations, et, pour les expier, il devient le mépris du peuple et l'opprobre des hommes. Par nos péchés de cupidité, nous avons mérité d'être réduits à la dernière indigence, et Jésus-Christ souflre toutes les privations de la pauvreté pour nous enrichir. Par nos péchés de volupté, nous avons mérité tous les supplices de l'enfer, et Jésus-Christ s'est fait
— 460 — homme de douleur pour souffrir tout ce qu'on peut imaginer de plus cruel. Où trouverez-vous jamais pareille générosité?
2" Les rois de la terre imposent souvent des lois sévères; la conservation de la société l'exige. Jé- sus-Christ nous donne des lois très-douces, très- faciles à accomplir. Ses préceptes ne sont pas lourds, nous dit saint Jean, ni difficiles à observer. Cet aimable Sauveur nous déclare lui-même que son joug est douxct son fardeau léger. Et, en effet, ceux qui en contractent l'habitude ne trouvent rien de plus facile que l'observation de la loi de Dieu ; ils s'y portent d'eux-mêmes, parce que c'est là qu'ils trouvent la paix et le bonheur.
3'^ En temps de guerre, les rois de la terre se mettent rarement à la tête de leurs troupes ; ils se font remplacer par des généraux habiles. S'ils combattent en personne, on ne les laisse manquer de rien. Jésus-Christ marche toujours à la tête de ses soldats, et dans les combats il est toujours au plus fort de la mêlée; il se trouve partout, mar- chant devant vous pour vous encourager. Etes-vous tenté par l'orgueil? suivez Jésus à l'établc de Beth- léem, à l'atelier de Nazareth, sur la montagne du Calvaire. Est-ce la cupidité qui vous entraîne? sui- vez Jésus dans toute sa vie ; il n'a pas où reposer sa tête; il finit par ne plus rien posséder que sa croix. Avez-vous à lutter contre l'amour des plaisirs ? suivez Jésus dans le désert et dans tout le cours de sa passion, du jardin de Gethsémani au Golgotha. Quel que soit votre champ de bataille, Jésus-Christ
— 461 — sera devant vous pour combattre avec vous et pour vous.
4° Si les rois font la guerre à leurs propres enne- mis, ils ne la font pas toujours aux nôtres. Jésus- Christ n'ayant point d'ennemis personnels, en ce sens que rien ne peut troubler son bonheur et qu'il est souverainement heureux par lui-même, n'est occupé qu'à combattre nos propres ennemis. Ayant vu que par nous-mêmes nous serions toujours mis en déroute, il est descendu des cieux pour se mettre à notre tête. Or, sous la conduite d'un chef aussi habile et aussi puissant, pouvons-nous être vaincus?
5^ Quand les rois font la guerre, ils ne sont pas certains de la victoire ; elle ne se met pas toujours du côté des plus gros bataillons ni des capitaines les plus habiles. Jésus-Christ nous promet la victoire et nous la garantit. Par le sacrement de Confirma- tion, il nous donne la science et la force dont nous avons besoin pour vaincre. Ignorons-nous les piè- ges que nous tendent nos ennemis? consultons Jésus-Christ, et il noas les fera connaître. Sommes- nous effrayés de leur nombre et de leur force?Mais Jésus-Christ est avec nous; qu'avons-nous à crain- dre? Ne sommes-nous pas capables de braver l'enfer conjuré contre nous et de triompher de toutes le.< puissances qui nous font la guerre?
G'^Les rois accordent comme récompense aux plus braves guerriers des croix d'honneur et des pensions de retraite. Mais combien meurent sur le champ de bataille ! combien dont le courage et la bravoure
— 462 —
sont méconnus ! Ces récompenses sont de courte durée, et n'empêchent nullement les maladies ou les infirmités. Avec Jésus-Christ, tons les braves sont récompensés; le combat ne dure que quelques instants, et le triomphe est éternel. Que sont soixante ou quatre-vingts ans à côté de l'éternité? Quel triomphe que celui où Dieu déploie toute sa magnificence 1 Quelle récompense que celle où Dieu donne son propre bonheur ou se donne lui-même !
Je vous parle de combats, mes frères ; mais vous y êles-vous jamais présentés? Depuis si longtemps que Jésus-Christ vous presse, avez-vous daigné l'entendre? Ecoutez donc, car il vous dit à tous : Si quelqu'un veut être mon disciple, il faut qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix tous les jours et qu'il me suive. Comprenez-vous tout ce qu'il y a d'aimable dans ces paroles? D'abord il ne veut que des soldats volontaires ; car il est venu pour nous affranchir, nous rendre libres et indé- pendants. C'est pourquoi il nous traite lui-même avec un grand respect. El cependant il a prévu les abus de la liberté, et il a vu sortir de là la révolte des mauvais anges, la chute de nos premiers pa- rents, la corruption du monde, la famine, la guerre, la peste et tous les crimes qui ont souillé la terre. Il a sondé les abîmes qu'a creusés l'abus de la li- berté, et il a mieux aimé l'enfer avec ses éternels supplices que la privation de laliberté dans l'homme.
Mais voyez aussi comme il nous presse à combat- tre avec lui et sous ses étendards 1 D'un côté, il nous montre un abîme de châtiments ouvert sous
— 463 —
nos pieds, si nous refusons de le suivre, et de l'au- tre, un bonheur infini au-dessus de nos têtes, si nous sommes courageux et braves, ^est-ce pas plus qu'il n'en faut pour nous détourner du vice et nous faire pratiquer la vertu ?
4° Cependant il en est qui s'obstinent à fermer l'oreille à cette voix si douce et si miséricordieuse qui les appelle. Dieu a beau leur envoyer des pré- dicateurs, ils n'écoutent rien. S'il leur remet entre les mains des armes puissantes, ils les jettent ou les brisent, et fuient le champ de bataille. Leur unique soin est de se procurer tous les plaisirs de ce monde. Lutter contre leurs passions, cela leur paraît trop dur. Pourquoi d'ailleurs Dieu leur a- t-il donné des passions, sinon pour les satisfaire? Dites-leur qu'ils ne sont sur la terre que pour con- quérir le ciel ; qu'il n'y a rien de plus vain et do plus trompeur que les biens de ce monde, et que, loin de remplir l'immensité de leur cœur, ils ne fe- ront qu'irriter ses désirs; qu'ils peuvent gagner le bonheur du ciel par la pratique des vertus chré- tiennes, ils ne daignent pas vous entendre.
2° Il en est d'autres qui consentent à combattre, mais non avec les armes que Jésus-Christ leur a remises, ni de la manière dont il leur ordonne de combattre. Ils ne veulent ni de la foi, ni de l'espé- rance, ni de la charité; ils s'enveloppent d'une certaine vertu qu'ils appellent l'honnêteté, et pré- tendent que Dieu doit être content d'eux. Vous le voyez, ce n'est plus le capitaine qui commande au soldat, mais le soldat qui donne l'ordre au capi-
— 4()i — tainc. Dieu est bon, disent-ils; il ne nous a pas créés pour nous damner, mais pour nous sauver et nous rendre heureux. Rien de plus vrai ; reste à savoir s'il veut les sauver en remplissant certai- nes conditions ou en les laissant vivre à leur fan- taisie. Mais ils prétendent qu'ils connaissent la re- ligion mieux que le Pape et que tous les évêques du monde. Qu'ont-ils besoin de vos avis ou de vos instructions? Ne sont-ils pas bacheliers es lettres et es sciences?
3° Il en est d'autres qui acceptent les armes que leur présente Jésus-Christ, mais ils ne veu- lent pas combattre selon les ordres de ce grand capitaine; ils acceptent la foi, mais avec réserve; ils veulent bien croire telle vérité, mais non telle autre; ils vous soutiennent que le péché d'Adam n'est point transmis à sa postérité, que la confes- sion faite au prêtre n'est pas nécessaire pour se réconcilier avec Dieu, et que l'enfer n'est pas éter- nel. Il faut aimer et servir Dieu, disent-ils, mais chacun à sa manière. Ainsi on peut lui rendre hommage au fond de son cœur, sans qu'on soit obligé pour cela d'assister à la Messe les jours de dimanche et de fêle, ni d'observer les lois de l'abstinence. L'Evangile est le code de morale le plus parfait, mais il faut l'entendre, et c'est nous seuls qui le comprenons bien.
i*' Enfin quelques uns, plus conséquents avec eux-mêmes et avec leurs principes, acceptent tou- tes les armes que leur fournit Jésus-Christ, et veu- lent bien combattre selon ie commandement du ca
— 465 — pilaine. Toute leur occupation est de cuhiver en eux la foi, l'espérance et la charité, la patience, la chasteté, la mortification et l'obéissance. Ils re- noncent à eux-mêmes, ils portent leurs croix, et ils suivent Jésus partout, et ils combattent brave- ment avec lui. Et Jésus les associe à sa gloire et à sa puissance, car il les fait déjà participer à sa royauté.
1'^ Un roi s'assied sur un trône qui l'élève bien au-dessus de ses sujets. Et vous, mes frères, vous qui êtes fidèles à Jésus-Christ vous êtes assis sur un trône plus élevé que le monde , vous êtes plus élevés que les nues et que le firmament. La grâce de Dieu vous a saisis et placés sur le trône même de Dieu. Puisque vous méprisez les dignités et les grandeurs de la terre, vous avez sous vos pieds tout ce qu'il y a de plus grand et de plus élevé dans ce monde.
2'' Un roi porte une couronne sur la tête; et vous, mes frères, n'avez-vous pas le front couronné d'honneur et de gloire, puisque les vertus que vous pratiquez vous font honorer des grands et des pe- tits, des riches et des pauvres? Vous croyez qu'il est estimé ce riche rentier qui mène une vie toute païenne, parce qu'il est environné de flatteurs qui se courbent devant lui; détrompez-vous : ces pré- tendus amis le connaissent trop bien pour l'estimer : ils savent que, sous ce vernis de politesse et d'ur- banité, il cache les vices les plus grossiers ; ils l'ho- norent par intérêt, ils ont besoin de son appui et de sesécus; mais ils le détestent cordialement, et au
— 406 — fond ils le méprisent. Mais ils estiment toujours le chrétien vertueux, fût-il leplus pauvre des hommes.
S*" Un roi porte un sceptre à la main comme mar- que de sa puissance ; mais le vrai chrétien a aussi un sceptre que nul au monde ne saurait briser. Voyez saint Basile : le gouverneur Modeste le cite à son tribunal, et, pour le faire apostasier, il lui parle de la confiscation de ses biens , de l'exil et de la mort; et saint Basile lui répond avec calme : << Vous voulez confisquer mes biens; vous n'en serez pas plus riche : je ne possède que quelques livres et des vêtements tout usés. Vous me menacez de l'exil; mais le chrétien n'a d'autre patrie que le ciel, et partout où il se trouve dans ce monde, ce n'est qu'un pauvre exilé. Vous me parlez de la mort; mais vous voyez que je n'ai plus qu'un souf- fle de vie, et, en me délivrant des infirmités de ce corps mortel, vous me rendrez un éminent service. >• Modeste dit à l'empereur : « Seigneur, nous sommes vaincus. » Tel est le véritable chrétien : il tient sous ses pieds toutes les choses d'ici-bas, et il règne en souverain.
i'* Un roi a des ministres et des officiers nom- breux ; mais le chrétien en a plus encore, car il est servi par tous les événements, il ne veut que ce que Dieu veut. Est-il dans la prospérité? il ne s'enfle point; il s'humilie plus profondément de- vant Dieu. Est-ii dans l'adversité? il ne se décou- rage jamais; il se réjouit comme les apôtres d'avoir tHé trouvé digne de soufi*rir pour Jésus-Christ.
5'' La cour d'un roi est formée des hommes les
— 4G7 — plus illustres du royaume ; mais le chrétien a aussi un royal cortège : il est environné des anges et des saints. Si d'une part il se trouve au milieu des puis- sances des ténèbres qui le poussent au mal, d'autre part il a pour le défendre des milliers d'esprits cé- lestes et une multitude de saints qui le gardent nuit et jour. Que sont tous les gardes du corps à côté des princes de la cour céleste?
6° Un roi a besoin de conseillers, d'hommes ex- périmentés dans les affaires, et assez courageux pour dire la vérité qui déplaît et non celle qui flatte. Or, le chrétien a ses conseillers qu'il peut consul- ter toujours, à la ville et à la campagne, à la mai- son et dans ses voyages ; conseillers intègres, francs, désintéressés, intelligents, quin'ontd'autrebut que l'intérêt du maître, et ces conseillers sont les dons du Saint-Esprit.
7® Un roi a de grands trésors • c'est ce qui fait sa gloire et sa force. Comment se ferait-il servir, s'il ne pouvait récompenser ses serviteurs? Mais, me direz-vous, 011 sont donc les trésors du chrétien^ Son coffre-fort est son cœur ; c'est là qu'il ren- ferme ses trésors, et il n'y a aucune puissance qui puisse les lui ravir, à moins qu'il ne veuille les perdre. Quel magnifique trésor que la grâce sanc- tifiante, les vertus chrétiennes et les dons du Saint- Esprit! C'est le ciel tout entier, puisqu'avec la grâce le chrétien possède Dieu, et en possédant Dieu, ne possède-t-il pastout ? Que pourrait-il encore désirer? Il est tellement élevé qu'il fait alliance avec Dieu et traite ainsi de puissance à puissance.
- 468 — Quel est donc, mes frères, celui d'entre vous qui ne se glorifierait d'avoir Jcsus-Chrisl pour roi et pour capitaine? Qui ne s'enrôlerait avec bonheur sous ses étendards? Qui ne combattrait avec cou- rage et énergie à la suite du Dieu des armées? Souvenez-vous de ces belles paroles : servir Dieu, c'est régner. Si vous êtes de courageux soldats de Jésus-Christ, déjà sur la terre vous participerez à sa royauté; votre front sera ceint d'un diadème, et, le sceptre à la main, vous commanderez avec autorité à tous vos sens, et vous régnerez sur vos passions et sur le monde entier. Avec quelle noble indépendance ne vous conduirez-vous pas dans toutes les affaires de la vie ? Attachez- vous à Jésus- Christ, à ce Maître si bon et si généreux, et vous serez plus grands et plus puissants que les rois et les empereurs de la terre, et vous régnerez avec Jésus-Christ pendant toute l'éternité. Amen.
SAIM MAURICE.
L'etnpereur Maximien avait dans son armée une légion ap- pelée Tiiébciine, composée de soldats intrépides et tuus fer- vents clirétieiis. Ils reçurent l'ordre de rechercher les chré- tiens, de s'en emparer et de les conduire à la mort, mais ilfi déclarèrent qu'ils ne pouvaient exécuter des ordres aussi in- justes. Maximien l'ayant appris fit décimer la légion, c'est-à- dire fit mourir un soldat sur dix. Ce châtiment, loin d'épou- vanter ceux qui restaient, ne servit qu'à exciter dans leur cœur l'amour du martyre. Maximien la fit décimer une se- «"onde fois, et les autres persévérèrent dans leur refus.
Ces soldats étaient encouragés par Maurice, Exupère et Candide. Ces trois officiers ne cessaient de leur représenter
— 469 — ]a sainteté du serinent qu'ils avaient fait à Jésus-Christ et ia fidélité qu'ils lui devaient comme à leur véritable empereur; ils leur faisaient voir qu'il était beau de mourir pour la défenst-! de la loi de Dieu; que l'exemple de leurs compagnons qu'ils voyaient étendus comme autant de victimes sacrifiées à ce grand Dieu devait merveilleusement les encourager,- que, du haut du ciel où ils venaient de monter, ils leur tendaient la main et leur montraient des couronnes semblables à celles qu'ils voyaient briller sur leurs têtes. Ils n'eurent pas de peine à allumer dans le cœur de leurs soldats ce feu divin dont ils brûlaient eux-mêmes. Cependant ils firent présenter à l'empereur une requête conçue à peu près en ces termes :
« Seigneur, nous sommes vos soldats, il est vrai ; mais nous sommes aussi les serviteurs du vrai Dieu, et nous nous faisons gloire de le confesser. Vous nous avez honorés de la milice ; mais nous devons à Dieu le don inestimable de l'in- nocence. Nous recevons de vous la solde comme une récom- pense due à nos travaux; mais nous tenons de Dieu la vie comme un don purement gratuit, et que nous ne pouvons jamais mériter. Il ne nous est donc pas permis d'obéir à notre empereur, dès que notre Dieu nous le défend ; oui^ notre Dieu et le votre, seigneur. Commandez-nous des choses justes, vous nous trouverez soumis, obéissants, prêts à tout entreprendre pour votre service et pour votre gloire. Montrez- nous l'ennemi, et nous répondons de sa défaite : nos mains n'attendent que votre ordre pour les tremper dans son sang ; mais nous ne répandrons jamais celui de nos frères et de vos sujets. Avons-nous pris les armes pour exterminer les Ro- mains ou pour les défendre? N'est-ce pas pour la justice, pour la conservation dePempire, pour le maintien de la tranquil- lité, que nous avons combattu jusqu'à présent? C'a toujours été le prix aussi bien que le motif de tant de périls oij nous nous exposons chaque jour. Mais enfin, seigneur;, si nous manquons à la fidélité que nous avons promise à Dieu, quelle assurance aurez-vous que nous vous garderons celle que nous vous avons jurée? Un double serment nous lie envers Dieu et envers notre empereur; si nous violons le premier.
— 470 —
pouvez-vous compter que nous garderons le second ? Vous nous commandez d'égorger des chrétiens ; que n'employez- vous à ce grand exploit vos autres soldais ? Ils vous ont si bien servi lorsque vous leur avez ordonné de mettre à mort nos compagnons ! Pourquoi n'en faites-vous pas autant de nous? Qui vous arrête? Nous confessons un Dieu, Créateur de toutes choses, et un Jésus-Christ, son Fils et Dieu comme son Père. Nous avons vu nos compagnons expirer par le fer de vos uourreaux, et nous sommes tout couverts de leur sang. Avons-nous versé une larme? avons-nous fait la moindre plainte ? vous a-t-on dit que nous déplorions leur mort pré- maturée? Mais nous l'avons accompagnée de nos vœux et de mille marques de joie. Nous envions leur sort, et nous les es- timons heureux d'avoir été trouvés dignes de souffrir pour leur Dieu. Ne craignez pas que nous nous révoltions; la crainte de la mort n'armera point notre bras pour repousser celle qu'on voudra nous donner. Nous ne parerons point les coups que l'empereur nous fera porter, et nous ne nous servirons point de nos armes pour empêcher l'exécution de ses ordres, quelque injustes qu'ils soient. Nous aimons mieux mourir que de faire le moindre mal à nos frères, et entre mourir innocents et vivre coupables, nous n'avons pas à ba- lancer. Enfin nous sommes chrétiens, et nous ne pouvons nous résoudre à verser le sang des chrétiens. »
Maximien, après avoir lu cette requête, ordonna que tous eussent la tête tranchée. Ces généreux soldats mirent bas les armes et se présentèrent à leurs bourreaux. (Ribadeneira. ,
FIN.
TABLE.
Préface v
INSTRUCTIONS SUR LES SACREMENTS EN CENERAL.
Première Instruction. — De la nature et de la néces- sité des Sacrements 11
La grâce élève riiomme au-dessus de ^honnêteté. . 24
ll"^ Instruction. — De Tauteur des Sacrements. ... 27
Quels sont ceux qui sauvent la société? 39
IIP Instruction. — Du ministre des Sacrements ... 43
Saint Augustin, apôtre de l'Angleterre 5Î)
IV^ Instruction. — De la matière et de la forme des
Sacrements 58
Caractère du peuple irlandais "0
V^ Instruction. — Des dispositions requises pour re- cevoir les Sacrements 73
Sainte Rose de Viterbe. — Son enfance 85
VP Instruction. — Des effets généraux des Sacre- ments 89
Sainte Rose de Viterbe. — Ses tra^.'aux admirables. 101
— 472 — VIP Instjiuctiox. — Des effets particuliers des Sacre- ments iûri
Sainte Rose de Viterbe. — Fin de sa mission. ... 117
VHP Instruction. — Des Sacramentaux 121
Faits qui constatent le pouvoir du démon sur le monde 134
INSTRUCTIONS SUR LE SACREMENT DE BAPTEME.
Première Instruction.— Le Baptême est un sacrement. 137
Saint Genès, martyr 148
IP Instruction. — Nécessité du Baptême 151
Sainte Emerance, sainte Catherine, etc 163
HP Instruction. — De la matière et de la forme du
Baptême 167
Notions sur les cérémonies du Baptême 179 ^
IV^ Instruction. — Du ministre et du sujet du sacre- ment de Baptême 182
Epreuves et cérémonies qui précédaient l'adminis- tration du Baptême 104
V« Instruction. — Le Baptême justifie le pécheur et
lui imprime un caractère ineffaçable 198
Nébridius, Cédualla, le prince noir et les Indiens. . 210
VI*^ Instruction. — Le Baptême nous fait enfants de
Dieu 213
Ingo. — Un clief indien 225
VIP Instruction. — Le Baptême nous fait frères et
membres de Jésus-Christ 228
Traits historiques. 240
VHP Instruction. — Le Baptême nous fait les temples
du Saint-Esprit 243
Victorin , 255
I
— 473 —
IX^ Instruction. — De la fidélité aux engagements
du Baptême 2o8
Sainte Julitle 270
X^ Instruction. — Des cérémonies du Baptême . . . 273 Notions sur quelques anciennes cérémonies du Bap- tême 286
Xl^ Instruction. — Des parrains et des marraines. . 289
Notions historiques sur les parrains et marraines . . 301
INSTRUCTIONS SUR LE SACREMENT DE CONFIRMATION.
Première Instruction. — Du ministre et du sujet du
sacrement de Confirmation 30Î)
Saint Clément, évêque d'Ancyre 318
11^ Instruction. — De la matière et de la forme du sa- crement de Confirm.ition 321
Glorieux combats de saint Clément d'Ancyre .... 333
HP Instruction. — Du don de crainte de Dieu. . . . 330
Suite des glorieux combats de saint Clément .... 349
IV^ Instruction. —Du don de force 352
Fin des glorieux travaux de saint Clément 364
V« Instruction. — Du don de [^iété 367
Sain», Félix de Cantalice 378
VI^ Instruction. — Du don de conseil 382
Saint Félix de Cantalice (suite) 394
VIP Instruction. —Du don d'intelligence 397
Le bienheureux Benoît Labre 408
VIII'' Instruction. — Du don de science 412
Saint Benoît le More 423
I.V Instruction. — Du don de sagesse 426
Saint Benoît le More (suite) 437
— 47i - X' Instruction. — La Cjiiûrmalion fait du chrétien
un soldat ^^^
Saint Georges ^^^
\V Instruction. — Jésus-Christ, Roi des chrétiens . 456
Saint Maurice ^^^
FIN DE LA TABLE.
Lyon. — Impr. do Girard et Josserand ruo Sl-Dominique. 13.
A LA MEME LIBRAIRIE
CATÉCHISME EN EXEMPLES
ou
LA DOCTRINE CATHOLIQUE EXPLIQUÉE
PAR 1,200 TRAITS
Tirés de llcritnre sainte, des saints Pères et de l'Histoire eci
PRÉCÉDÉ
D'U^E MÉTHODE POUR BIEN FAIRE LE CiTÉCfllSME Par nn Sdircctenr de Séminaire
4 beaux volurries in-i2. — Prix : 14 francs.
Les souscripteurs à VExiplication du Catéchisme de Lyon, en 4 vol. in-\^, et au Grand DondeDieuà îaterre, cours com- plet de religion, par l'abbé Monnier, en 4 vol. m-12, ne paieront cet ouvrage que 10 fr., au lieu de 14 fr.
Les bonnes explications de catéchisme ne manquent pas : sans parler de celles imprimées par d'autres éditeurs, nous citerons les Coirées chrétiennes, ou Explication du Caté- chisme, par l'abbé Gridel, parvenue en peu de temps à sa 3® édition ; la Nouvelle Explication du Catéchisme de Lyon, et le Grand Bon de Dieu à la terre, trois ouvrages excellents que nous venons de publier^ et qui répondent, on peut le dire, à tous les besoins. Mais ce que les catéchistes récla- ment sans cesse^ et ce que Ton ne saurait trop multiplier,
sont des exemples en giand nombre venant à l'appui de chaque explication. C'est, selon nous, le seul moyen derendre bien proGlable renseignement de la religion; car la voie des préceptes est longue, mais celle des exemples est courte et efficace, surlont dans l'enfance et dans la jeunesse. En effet, les exemples réveillent l'atienlion, frappent l'imagina- tion et captivent l'esprit par le charme de récits à la fois intéressants et utiles. D'ailleurs, si les paroles peuvent émou- voir, les exemples seuls savent entraîner. On se dit avec saint Augustin : Ce que d'autres ont fait, ne pouvons-nous le faire?
Ces idées, appliquées à l'éducation et à l'enseignement de la religion, ont donné naissance au Catéchisme en exemples. Un choix de faits puisés aux sources les plus pures de l'his- toire sacrée et profane vient à l'appui de chacune des vérités du christianisme, de chacun de ses préceptes, et présente aux familles, aux catéchistes, aux personnes adonnées à l'é- ducation dans le christianisme en action, un secours aussi attrayant qu'efficace. Puis quelques sentences remarquables, des allégories frappantes, des comparaisons puisées dans le grand livre de la nature, trouvent une place parmi les faits et leur donnent en quelque sorte plus d'autorité, sans nuire à l'ordre, à la clarté, à la brièveté nécessaires dans les ou- vrages de ce genre. Ce livre est donc un bouquet de fleurs choisies dans le vaste champ de l'histoire, une corbeille de fruits cueillis dans les jardins de l'Eglise. Nous espérons qu'il obtiendra d'excellents résultats dans l'enseignement de la religion.
Cet ouvrage servira donc de complément et d'auxiliaire h tous les catéchismes, au Grand Don de Dieu à la terre, à V Explication du Catéchisme de Lyon et de Belley, etc. Sans négliger les travaux de ses devanciers, l'auteur a su être neuf.
Puisse Dieu bénir cet ouvrage et lui obtenir le succès qu'il mérite : celui de contribuer k la gloire de Dieu et au bien des iimes !
LE GM\D BO^ DE DîEl A LA TERRE,
Ou Explication complète de la doclrine calholique : Dogme, iMorale, Sacrements et Liturgie. Ouvrage servant de dé- veloppement à l'Atlas catholique ; par l'abbé xMonnier, ancien curé de canton, aumônier de la providence de Ma- çon. Approuvé par Mgr le Cardinal-Archevêque de Lyon et par Mgr l'Evêque d'Aulun. — 4 beaux vol. in-12. U fr.
Le Grand Don de Dieu à la terre, tel est le titre de l'ouvrage remar- quable qui vient de paraître, et qui est le développement de Witlas cctholi- que, petit chef-d'œuvre dont on a déjà pu apprécier et reconnaître l'utililé. L'auteur de pieuse mémoire, M. l'iibbé Monnier, a consacré à ce grand tra- vail une partie de sa vie, et l'on peut dire qu'il a laissé en mourant l'ou- vrage le plus complet et le plus exact qui existe .«ur la doctrine chrétienne.
^OimiE EXPLICATION BL CATÉCOiSME.
Ou Exposition théologique et rationnelle de la doctrine ca- lholique, suivant le texte du catéchisme des diocè.-es de Lyon et de Belley; par l'abbé **^, ancien professeur de théologie. Approuvé par l'autorité ecclésiastique. — 4 vol. in-i2. 1862. J4 fr.
Voici un livre qui prendra rang a côté des meilleures explications du caté- chisme, et qui a de plus l'avantage d'être tout à fait proportionné aux ten- dances et aux besoins de notre époque. On ne peut rien désirer de miciix. soit quant au fond, soit quant à la forme. On y trouve solidité, exactitude, clarté, ordre et concision. L'auteur, homme du ministère et profond théo- logien, a suivi partout la véritable méthode caiéchistique, la méthode ensei- gnée par Bossuet, qui, procédant par demandes et par réponse.^, fait péné- trer la vérité dans les esprits delà manière la plus facile et la plus opportune. Si le texte du catéchisme de Lyon et de B;.'lley a été choisi de préférence, ce n'est pas seulement parce qu'il manquait encore d'un bon commentaire, mais aus^i parce qu'il est bien fait et présente le résumé complet et exact de la plus#ha'Jte et de la plus importante des sciences : la théologie.
SOIREES CnRETIEXXES,
^
Explication du calécliisme par des comparaisons et des exemples; par M. l'abbé Gridel, chanoine de Nancy. Troi- sième édition revue et augmentée de plus de quatre-vingts traits historiques. Approuvé par Mgr l'Evêque de Nancy. 6 beaux vol. in-12. 14 fr.
Cet ouvragp est une explication complète, méthodique et familière de la doctrine chrétienne; c'est un excellent commentaire du catéchisme, mettant â la portée des plus simples intelligences les plus hautes vérités de la Reli- gion par des exemples et par une foule de comparaisons frappantes etsensibles.
L'écouloment rapide des deux premières éditions a engagé l'auteur h re- voir cette troisième édition avec encore plus de soin; les corrections et les additions qu'il y a faites ne peuvent manquer d'augmenter le succès toujours croissant de ce catéchisme par excellence.
Ouvrages du même auteur :
COIRS D'IXSTRICTIONS RELIGIEISES,
Ou Exposition courte, suivie et raisonnée de la doctrine chrétienne, pour lectures du soir pendant le CarèmC;, avec une prière et un exemple pour chaque jour. Approuvé par Mgr l'Evêque de Nancy. — 2 beaux vol. in 12. 6 fr.
DÉIFICATION DE L'HOMllE,
Ou Instructions sur Tordre surnaturel et divin. Deuxième édition revue et augmentée. — 2 vol. in-12. 5 fr.
IXSTRICTIOIVS PAROISSIALES
sur le sacrement de Mariage. — i beau vol. in-12. 2 fr. SO c.
IXSTRICTIOXS SIR LES SACRE)IE\TS EN GÉNÉRAL.
Le Baptême et la Confirmation. — 1 beau vol. in-12. 3 fr.
INSTRICTIONS SIR LE SACREMENT DE L ElCOARIStlE.
1 beau vol. in-12. [Sous presse.)
ATLAS DE LA DOCTRINE CATHOLIQLE, OU Cours com- plet de Religion en tableaux synoptiques, comprenant le dogme, la morale, les sacrements et la liturgie ; par M. l'abbé iMonnier, ancien curé de canton, aumônier de la providence de ^[àcon, etc. Approuvé par S. E. Mgr le Cardinal-Archevêque de Lyon et par Mgr l'Evêque d'Autun. -— 1 vol. grand in-8. 5 fr.
Cet Atlas, dont le Grand Don de Dieu à la terre offre le développement, est uu livre subslanliei, plus riche de choses que de mots, un abrégé parfait de la doctrine catholique. Il présente l'harmonie de toutes les parties de la Religion, en facilite l'inieliigence et les grave [irofondément dans la mémoire. C'est un résumé analytique et synthétique à la fois. Les professeurs, les ca- téchistes, les prédicateurs y trouvent un recueil de plans excellents sur le dogme, la morale, le culte et la liturgi;'. L'ordre, c'est la lumière, a dit un homme distingué h propos de cet ouvrage. 11 est diflicile, en effet, de trouver une plus lumineuse exposition et un livre qui ait plus d'ordre dans son en- semble et ses développements.
DÉFEXSE DE L'ÉGLISE contre les erreurs historiques de MM. Guizot, Aug. et Ain. Thierry, Miclielet, Ampère, Quinet, Fauriel, Aimé-Martin, etc. ; par l'abbé J. -M. -S. Go- rini, chanoine honoraire de Belley et membre de plusieurs sociétés savantes. Deuxième édition revue et augmentée. — 3 beaux volumes in-'-. i8 fr.
Dans une approbation on ne peut plus flatteuse, Mgr l'Evêque de Beliey a désigné ce livre comme devant occuper la première place dans une bibliothè- que chrétienne.
La deuxième édition, qui a paru il y a peu de temps, a clé revoe par l'au- ieur avecla plus scrupuleuse attention et contient des additions importantes qui donnent un nouveau prix à l'ouvrage.
DE L'ORAISOX, ou de la Méditation et de la Contemplation, traité dont la doctrine est empruntée aux grands maîtres de la vie spirituelle ; par l'abbé Desgeorge, supérieur des Missions diocésaines de Lyon. Ouvrage approuvé et recom- mandé par un grand nonibre d'évêques. — ln-12. 3 fr.
Ce nouveau et excellent traité d'oraison se divise en cinq livres qui traitent successivement 1° de l'oraison en général et de son excellence; 2° de la mé- ditation et de sa méthode; 3« de la contemplation et de ses divers degrés ; 4° de la conduite ii tenir dans les épreuves qui peuvent se rencontrer sur le chemin de 1 Uraison ; 5» enfin de la vanité des objections que l'on allègue pour se dispenser de ce pieux exercice.
MANUEL DU MISSIONNAIRE séculier et régulier et du pasteur ordinaire appelée coopérer à l'œuvre des missions et des retraites; par le P. Namipon, S. J. Troisième édition revue, corrigée et augmentée. — 1 fort vol. in- 12. 4 fr.
Cet ouvrage, dont deux éditions se sont écoulées eu peu de temps, est devenu le vademecum du missionnaire. Sous sa forme nouvelle, il deviendra le conseiller du pasteur ordinaire et d'une fuule d'hommes apostoliques, en- gagés dans le ministère des paroisses, qui désirent pioduire dans les âmes ces effets extraordinaires dont les missions et les retraites ont seules le secret.
RÉPONSES POPULAIRES aux objections les plus répandues contre la Religion ; par le R. i'. S. Franco, de la Compa- gnie de Jésus. Traduction faite avec l'autorisation de Fau- teur par Tabbé Nannbride de Nigri. — 2 vol. in-12. 6 fr.
Cet ouvrage, traduit sur la rjuatricme édition italienne, peut, dans les cir- constances aciuelles, fiiirc beaucoup de bien et dissiper bien des préjugés; c'est un recueil de réponses courtes, clsires et péremptoires aux diflicultés de toute nature propij,'é(S contre la Religion.
Mgr de Ségur, dans son opuscule sur la Révolution, recommande plasienrs bons ouvrages et nie eiiUv autres les excellentes Réponses populaires du P. Franco, qui résument, avec une lucidité merveilleuse et une très-pure doc- trine, toutes les conlrover>es à l'ordre du jour.
MÉDITATIOXS sur les vérités de la foi et de la morale pour tous les jours de l'année ; par le R. P. Rroust, avec un choix de celles du P. Dupont. Deuxième édition entière- ment Fêvue, augrnontée et mise en meilleur ordre. Ap- prouvé par NN. SS. les Evèqucs de Belley et de Gap. — 5 vol. in-12. 14 Ir.
Le R. P. tir' Bussy, de sainte mémoire, disait en parlant des Méditations do P. Kroust : « Les bons ouvrages de méditations sont fort rares; je ne connais que celui du P. Kn)i;>i qui réponde enlièiemi-nt à mes vœux. » Nou> ajouterons qu'il est impossible de trouver un murs de méditations aussi com- plet et aussi nourri (i'E<Titure sainte. Mgr l'Evéque de Gap confirme en ces termes le jugement du P. de Bussy dans une lettre adressée au traducteur au sujet de la deuxième édition :
« Mon cher abbé,
« Déjà j'avais hautement applaudi à l'heureuse idée que vous aviez eue de « traduire les Méditations du P. Kroust : c'était là, il me semblait, un vra; « "service rendu au clergé ei aux simples fidèles. Le public en a jugé comme « moi, et la première édition de cet excellent ouvrage, épuisée en moins Ac « deux ans. atteste que votre [lensée a été comprise, parce qu'elle a été juste.
o Je ne doute donc pas de l'accueil qui sera fait à cette nouvelle édition « bien améliorée et du succès dont sera couronné ce travail entrepris pour la o seule gloire de Dieu et le salut des âmes.
« Quant à moi, je recommande avec rie vives instances, dans mon dio- e cèse, ces Méditations admirables par la belle distribution des ma- u tières. la profondeur des pensées, la force des raisonnements et l'onc- u lion de la piété. t IRKNÉE, évêque de Gap. »
LA VOIX DU PASTELR, Instructions familières pour tous les dimanches de l'année ; par Réduis, curé du diocèse de Gap. — 2 beaux volumes in-12. 5 fr.
On rencontre diflicilemcnt de-^ sujets de prônes ou de sermons plus couve nables, plus heureusement développés, plus clairement traités d'un bout à l'autre que dans le pieux P.éguis. Doctrine solide, léllexioiis a la portée ctc loos. amour sincère des vérités que l'on prêche, nous ne rroyons cas qu'on puiase dé^l^er davantage, et tout cela se iiduve dans la Voix du Pasteur. » [Bibliographie catlwlique]
PRAXIS COXFESSARII, Conduite du Confesseur ; par saint Alphonse de Liguori. Traduit en français par M. iabbé Cal- lin. - 1 ';u!. iii-12. 2fr. 2l;c
Bibliothèques Université d'Ottawa Echéance |
Libra University < Date |
FPB ) 4 1989 |
|
m ; 9 t9S9 Û5 FEV. 1993 JAN 1 9 1993 |
V. |
^ 0 J4IV, t.qo'? |
|
22 OCT. 1997 |
J |
OCT 15199/ |
|
MAR . i iutti |
|
.^.«a^^'^- |
&
iZl lôbE
a39003 00^2581856
COLL ROfW MODULE SHELF BOX PC« C 333 02 04 05 21 12 3
»u '^