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JOURNAL DU VOYAGE

VASCO DA GAMA

JOURNAL DU VOYAGE

VASCO DA GAMA

EN MCCCCXCVll

T^s/IVUIT VU TOT{TUGz^lS

ARTHUR MORELET

M»;nibre correfjjnndant de 1 Académie des Sciences de Lisbonne

iro5\i

IMPRIMERIE DE LOUIS HERKIN M DCCC LXIV

'HISTOIRE de la navigation n'offre pas d'événe- ment plus fameux que la découverte de la route ma- ritime des Indes, après celle du Nouveau-Monde par Chrijiophe Colomb. Si l'on réfléchit même al' impul- Jton que ces deux événements ont imprimée au monde, depuis la fin du quinzième fiècle , à l'influence qu'ils ont exercée fur le , domaine intelleBuel & matériel de l'homme, peut-être leur ajfignera-t-on la place la plus confidérable dans les annales de l'humanité. Deux hommes, avec de faibles reffources, opérèrent ce prodigieux réfultat; tous deux pourfuivant le même but, tous deux cherchant la route de l'Inde, ils étonnèrent leur fiècle & le remuèrent profondément en déchirant le voile qui cachait l'immenfité du globe; feulement, Colomb avait trouvé toute autre chofe que ce qu'il cherchait, Gama avait fait ce qu'il voulait faire.

La date de la naiffiince de Vafco da Gama n'eft pas exaôiement connue:

A

198510

I)

l opinion la plus accréditée le fait naître àSiiies, petite ville de l'Alem- tejo, l'an 1469, en forte qu'il n'aurait eu que vingt-huit ans lorfqu'il partit, en 1497, pour fon mémorable voyage. La famille des Gama , fans être de prem'ière noblejfe, tenait un certain rang en Portugal, ir il était lui-même gentilhomme de la maifon du roi; d'un cara£lère hardi Ù" fortement trempé , d'un tempérament violent , mais avec une rare force d'âme, il fut élevé dans la carrière des armes ir de la marine par fon père, Eflevan da Gama, qui n'était pas un homme fans valeur.

Lisbonne était alors le centre d'un mouvement maritime Ù" en même temps intelleSluel qui fixait l'attention de l'Europe; la géographie renaif- fait dans cette capitale Ù" s'enrichijfait chaque jour de nouvelles con- quêtes. Pouffes par l'efprit d'aventure Ù" encouragés par leurs fouverains , les navigateurs portugais s'élançaient à l'envi dans la carrière Ù' renver- faient fucceffivement toutes les barrières du vieil Océan. Ces glorieufes entreprifes frappèrent fans doute de bonne heure l'imaginat'ion du jeune Gama, Ù" la découverte de Colomb, dont le retentijfement fut immenfe, dut éveiller un fentiment d'émulation puiffant dans son âme. Il fallait que ce jeune homme fût doué de qualités bien éminentes pour que le roi Dom Manuel lui confiât le co>n?)iandement d'une expédition préparée depuis tant d'années, Ù" fur laquelle repofaient tant d'efpérances.

Ce fut le 8 juillet 1497, cinq ans après la découverte du Nouveau- Monde, que Gama partit avec quatre navires dont le plus grand, chargé des approv'ifionnements , jaugeait 200 tonneaux. Le 20 mai 1498, il atteignait la côte du Malabar ir jetait l'ancre devant Calicut; l'année fuivante , dans les premiers jours de feptembre, il rentrait à Lisbonne après deux ans d'abfence, ayant perdu, pendant ce rude voyage, fon frère, la meilleure partie de fes équipages ir la moitié de fes vaijfeaux. Mais il rapportait la folution d'un grand problème qui allait changer la face de fa patrie.

L'illuftre navigateur fut reçu avec des honneurs extraordinaires par

h' m Dom Manud qui le nomma fon amiral dans l'Inde, lui conféra le titre de Dom, & lui ajjïgna une dotation fur les revenus de l'État, par lettres patentes, en date de iyo2. Oiielques années plus tard, le roi le renvoya dans les mêmes contrées, à la tête d'une flotte de vingt navires qui m'tt à la voile le 20 février lyoa. Pendant le cours de ce fécond voyage, il fonda divers établijfements fur les côtes, fortifia par des alliances & des traités l'influence naiffante du Portugal en Orient, pro- mena partout fes armes viBorieusei, châtia le roi de Calicut, & fournit celui de Quiloa en lui impofant un tribut; il était de retour le \" fep- tembre 1Ç05, & recevait une dotation nouvelle en récompenfe de Jes

fervices.

Malgré les tenues magnifiques du diplôme royal de 15-04, // parait que la faveur dont jouiflait Gama déclina depuis fon fécond voyage, ir que fa carrière maritime fut brufquement interrompue fans que la caufe en foit connue. Tous les hiflor'iens portugais s'accordent pour reprocher au roi Dom Manuel d'avoir laijfé ce grand homme dans l'inatlion 6" dans l'oubli pendant une période de près de dix-huit ans, qui dura jufqu'ii la fin de fon règne. Ce fut feulement en 1521 que le roi Jean III, fon fuccejfeur, fit chercher Gama au fond de fa retraite pour l'employer encore une fois au fervice de cette patrie dont il avait fi bien mérité. Nommé vice-roi des Indes, il partit en i5'24, à la tête d'une flotte de quatorze grands navires & de cinq caravelles qui portait trois mille foldats. H emmenait fes deux fils, Efievan & Paul da Gama, qui fm- virenttous deux, avec des fortunes différentes, les traces de leur illuftre père, le premier menant jufqu'à la fin une ajjez brillante exiflence, l'autre trouvant une mort tragique dans les guerres civiles de l'Aby finie. Ce fut dans ce voyage que Gama montra la fermeté & la préfence d'efprit dont il était doué à un fi haut degré par un mot bien connu & qui peint cette âme intrépide. En approchant des côtes de l'Inde, un tremblement de terre fous-marin ébranla tout à coup les profondeurs de

l'Océiin & jeta l'effroi parmi les équipages .■ " Allons donc, dit-il à fes compagnons conflernês , voyez-vous pas que c'efl la terre qui tremble devant nous. » Il n'en fallut pas plus pour ranimer tous les courages.

Gama ne revit poi)it fa patrie; il tnourut à Cochin, peu de temps après fon arrivée, le 2<; décembre 1^24. La dépouille mortelle du grand navigateur fut transférée par la fuite en Portugal, & dépofée au cou- vent des Carmes-Déchaujfés de V'idigue'ira il avait fait conflruire un monument pour fa famille. Au temps oit écrivait Barbofa Machado (17^0), on voyait encore, dans une chapelle du monafîêre, cette tombe illuflre, recouverte d'un drap de velours noir, avec l'infcription fuivante gravée fur une pierre :

AQUI JAZ O GRANDE ARC, ONAUTA

D. VA SCO DA GAMA 1. CONDE DA VIDIGUEIRA, ALMIRANTE

DAS INDIAS ORIENTAES E SEU FAMOSO DESCUBRIDOR (l)

La découverte de la route maritime des Indes ne fut pas un réfultat du hafard, comme on l'a prétendu par ignorance ou par efprit de dénigre- tnent , mais une œuvre préparée de longue main , pourfuivie pendant quatre-vingts ans avec perfévérance , et accomplie à l'aide des lumières que fournijfait un fiècle l'art de la navigation avait fait, furtout en Portugal, de remarquables progrès. Dès l'an 141 T, la prince Henri fondait à Sagres une académie - oit étaient enfeignées les connaiffances

(i) Ici repofe le grand /Irgonaitte, D. Vafco ia Ganw , premier comte de l'idigueira. ,Jmiral de< Indef orienrale^ S" leur fjmeux explorareiir.

géographiques recueillies principalement chez les Arabes {i), & l'on apprenait l'ufage des inftruments nautiques pour calculer le temps & prendre la hauteur du pôle. Déjà germait dans ce grand cœur le projet de réfoudre, par la circumnavigation de l'Afrique, le problème fameux que r antiquité nous avait légué, & que les Arabes avaient laijfé intaôi, malgré leur efprit d'entreprife & l'étendue de leurs relations maritimes. Ce fut le prince Henri qui prépara, par fon initiative, la découverte de Gama, & qui ouvrit à la nation portugaife la carrière magnifique qu'elle a remplie fi glorieufement. En 14(2, G/7 AEnnes, l'un de fes amiraux , atteignait pour la première fois le cap Nun, &, l'année fuivante, il doublait le cap Bojador; feize ans plus tard, le cap Blanc était reconnu par Nmies Triflan: enfin, en i 4') S, Denis Fernandes s'avançait jufqu à la hauteur du cap Vert. La découverte de ce promontoire, vefiibule du pays des Nègres, fut la dernière qui récompenfa les efforts perfévérants du prince quel'hiftoire a justement fnrnommé le Navigateur: mais l'impulfton était donnée & fes fucceffeurs la fmvirent . L'Océan, dépouillé de fes myftères, ninfpirait déjà plus les mêmes terreurs; les navires portugais s'élançaient hardiment dans la haute mer, en fe guidant fur les étoiles, au lieu de rafer timidement la côte, comme on le pratiquait dans l'origine ; tout enfin fe préparait pour de plus importantes découvertes.

Sous le règne d'Alphonfe V, les expéditions maritimes, un moment interrompues par la croifade contre les Turcs, reprirent avec une nouvelle ardeur. Les Portugais franchirent pour la première fois iéquateur &

(i) Voye:;, sur Us connaifances géographiques des Arahes & fur la part qu, leur revient dans les grandes découvertes du quin-^ièmc fùcle, lafavante Introduc- tion â la Géographie d'Aboulféda,^par M. Remaud, S- le Difcours prélimmanc qui fert d'introduâion à la Relation des voyages exicutés dans VInde & à la Chine par les Arabes 6- les Perfans des le neuvième fièâe de Vère chrétienne.

[Pari',, 184', &i5

dàoitvrimit les iles de lu côte de Guinée; mais ce fut feulement fous le règne fuivant que le cap des Tourmentes, ou de Bonne-Efpérance, comme le roi Jean voulut qu'on le nommât, fut doublé far l'intrépide Dias qui s'avança jusqu'à la baie de Lagoa, à quatre-vingts lieues au delà.

Vafco da Gama ne s'embarqua donc point à l'aventure lorfque , dix ans plus tard, il partit de Lisbonne pour chercher, en contournant l Afrique, la route maritime de l'Inde. Non-feulement une grande partie de fon itinéraire était déjà tracée, mais on favait par Pero de Covilham qui, en 1487, s'était rendu par terre fur les lieux afin d'y recueillir des renfeignements, « qu'après avoir doublé l'extrémité méridionale de l'A- frique, les navires portugais devaient fe diriger, dans l'Océan oriental, fur Madagafcar Ù" Sofala. « Le grand navigateur nhéfita pas; 'il n'y a nulle incertitude dans fa route; on le voit prolonger la côte d'Afrique jufqu'à la hauteur de Mélinde, puis, à l'aide d'un pilote qu'il fe procure à Mozambique, s'enfoncer dans la mer des Indes en fu'ivant une ligne droite qui le conduit à fa dejiination. Un simple coup d' œil jeté fur la carte itinéraire de fon voyage fuffit pour dijjtper jufqu'à l ombre d'un doute.

Gama fraya la route aux Cabrai, aux d'Acunha, aux d'Albuquerque, à tous ces audacieux marins qui ne fe bornèrent pas à découvrir des terres, mais qui fondèrent la domination de leur patrie dans l'Inde fur des bafes formidables. En ifo^, la côte orientale de l'Afrique était complètement explorée; Madagafcar avait été visitée, is' l'île de Zanzibar, foumife à un tribut. Quelques années plus tard, Goa Ù" Malacca tom- baient entre les ?nains du terrible Albuquerque, Ù" le preflige du nom mufulman s' évanouijfait pour toujours dans l'extrême Orient. La prife de l'île d'Ormus & celle d'Aden affurèrcnt bientôt la pojjejjïon du golfe Perftque & de la mer Rouge aux Portugais ; alors, le mouvement commercial fuivit une d'ireS'ton nouvelle dans ces contrées, &, des mains des Arabes, il pajfa entre les leurs. Dans l'intervalle d'un ftècle, une

Vlj

petitf nation dont les njfourcei étaient uujji bornées que l'étendue de fan territoire, avait, par fon génie, ouvert au monde les folitudes de l'Océan; elle avait conquis l'Afrique orientale jujqu'à Mogadoxo, & pénétré au cœur même de l AbyJJin'ie : elle s'était établie en fouveraine fur la côte du Malabar iT dans les îles de l'Océan indien, dominant le commerce du globe, fondant des établijfements coloniaux, élevant des villes, répandant la foi catholique Ù" pouffant fes courfes aventureufes jusqu'en Chine & jufquau Japon ; de pareils réfultats, comparés aux moyens d'exécution , nous femblent un des plus grands fpeBacles de l'hifioire.

Ce font les hu/nbles commencements de cette fortune que montre le journal dont nous donnons la traduBion; fon mérite n'efi pas un mérite littéraire; il a été tracé par une main rude, plus habituée à la manœuvre du vaijfeau qu'aux travaux de la plume; mais il porte, à un haut degré, le caraSîère de la fincérité, Ù" il efl empreint de cette naïveté du vieux temps qui s'efface chez les écrivains avec la fin du feizièmc fiècle.

Il a paru deux éditions du Roteiro; la première, publiée à Porto en 1838 par MM. Diogo Kopke Ù' do Cafiello de Paiva, favants profef- feurs de l'Académie polytechnique de cette ville; la féconde ( i ), li Lisbonne, en 1861, après la mort de M. Kopke, par les foins de fon collaborateur & ceux de M. Herculano dont le nom jouit d'une grande réputation littéraire en Portugal. Nous avons eu les deux éditions fous les yeux, ir c'efl la plus récente que nous avons traduite , fans en rien retrancher, ni les difcours préliminaires, ni les notes, car ces pièces font le fruit

(i) Roteiro da Viagem de Vafco da Gama em Mccccxcvii, por A. Hercu- lano e 0 barâo do Cafiello de Paiva, fegunda ediçâo, Lisboa, imprensa nacio- nal, 1861 . Le titre modejie de Roteiro (Routier) n'exprime peut-être pas fujjifam- ment le caradtère d'une œuvre à Li fois hijiorique S- géographique.

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d'un tnivtiil eonfcieiuieux qui complète l'intérêt du texte Ù" ï éclairât en tous [es points. Quant à la part qui nous revient dans cette publi- cation, elle ejî trop modejîe pour mériter d'être revendiquée; c'efl aux éditeurs portugais que l'œuvre appartient en entier, c'efl à eux à en recueillir tout l'honneur.

AVERTISSEMENT SUR LA SECONDE EDITION

E récit du voyage entrepris par Vafco da Gama pour décou- vrir les bides, écrit par un de ceux qui prirent part à cette expédition navale, la plus célèbre de l'hijîoire moderne, ejl une des œuvres inédites les plus confidérahles qui aient été publiées en Portugal dans le courant du fiècle. La première édition de ce récit a été lue ir recherchée avec une telle avidité , àf les exemplaires en font devenus ft rares, que nous avons eu la penfée de le réimprimer. Nous nous fommes efforcé, en abordant cette tâche, de faire difparaître les imperfeSlions qui exiftaient dans le texte ainfi que dans les notes de la première édition, imperfe6iions qu'il faut attribuer à l'inexpérience des éditeurs Ù" a leur impatience de mettre au jour, au milieu de difficultés de plus d'un genre, un aujjt précieux monument hifior'ique. Tout en reproduifant les notes antérieures, dont la rédaôîion Ù" le claffement ont été améliorés, nous en avons ajouté d'autres, en regard du texte, pr'in-

cipakment des notes philologiques qui nous ont para propres à en faci- liter l'iritelligence (i).

Les premiers éditeurs avaient outre-pajfé la mefure ordinaire des règles de la diplomatique en poujfant beaucoup trop loin le fcrupule de fidélité dans la tranfcription du manujcrit original. Une pareille exa- gération ne fervait qu'à accroître les difficultés que préfente la leSlure d'une narration écrite avec rudeffè, la grammaire, & parfaite la clarté du difcours, reçoivent de fréquentes atteintes . Auffi , avons-nous réformé le j employé dans le manufcrit Ù' dans la première édition comme fupplétif de l'i, parce que ces deux fignes, qui correfpondent aujourd'hui à deux lettres différentes, étaient alors deux formes arbi- traires de la même lettre, le j ne fervant pas feulement à repréfenter le fon de l'i, mais l'i à repréfenter le fon du j. La même raifon nous a conduit à fubflituer au fyfième de numération romaine, tel qu'il était ufité dans les derniers fiècles du moyen âge, Ù' même pendant une bonne partie du feizième, le formulaire correêl que la Renaiffance des lettres ir l'étude des monuments lapidaires latins ont mis en vigueur depuis, Ù" que les paléographes ont adopté en l'appliquant aux manufcrits du moyen âge, fans penfer que l'exaBitude de la tranfcription dût en être moins rigoureufe. Partout ailleurs nous avons confervé avec le même fcrupule que nos prédéceffeurs l'orthographe barbare de l'auteur qui, appartenant à une clajje peu cultivée, exagérait, en écrivant, des fautes communes alors même parmi les meilleurs écrivains de l'époque.

Nous nous propofons de fuivre, dans cette nouvelle édition, le fyfième généralement adopté pour la publication des anciens auteurs inédits, c'efi-à-dire de fuppléer aux lacunes qui exijîent dans le texte par omif- Jton de lettres ou de fyllabes au moyen de caraôières italiques. Un document de cette importance, qui appartient à l'hifloire des nations modernes de l'Europe & qui ne concerne pas uniquement la nôtre, efi

(i) Le!: notes philologiques, fans intérêt pour le hâeur français, ont étéfup- ■primée^ dani la tradvâion. (Tr.)

non -feulement utile aux nationaux, mais encore aux étrangers qm s occupent de recherches fur les expéditions maritimes & fur les décou- vertes du quinzième & du feizième fiècle. Pour eux, de femblables lacunes ajouteraient une difficulté déplus à l'intelligence d'un écrit déjà fuffifamment barbare. Ceji aufft principalement h leur intention que nous avons indiqué en note la véritable acception de certains mots étrangement défigurés, & que nous avons pris foin de marquer ï accen- tuation, toutes les fois qu'une omifion de ce genre pouvait donner lieu à une erreur ou produire quelque obfcurité, amant mieux pécher en cette circonjlance par excès que par omiffion.

La néceftté de reaifier certaines opinions inexaBes, & de mettre plus d'ordre dans le développement des idées, nous a conduit à effeSluer diver- fes fupprefftons ou modifications dans ï avant-propos & les notes de la première édition. Ainfi, nous avons retranché ce qui fe rattachait au récit de tévêque Oforius dans la note finale de la page 9. La confpiration contre Vafco da Gama, ainfi que la réprejfion des confpirateurs, font racontées avec détail par Gafpar Correia, dans les Lendas da Ind.a, & il eft facile d'expliquer h filence de Caftanheda , de Barros & de Goes, par la crainte tnalentendue de ternir le luftre des compagnons de Gama. Nous avons aufft jugé convenable défaire rentrer dans l' avant- propos les conjectures émifes dans une note finale fur l'état inachevé du Journal, ainfi que le paffage relatif aux récompenfes que le roi D. Manuel accorda à Vafco da Gama .■ c'était leur véritable place. Enfin, en reproduifint en appendice un document relatif à ces récom- penfes, imprimé d'une manière incorreSle dans l'édition précédente, nous en avons ajouté un autre non moins précieux pour la biographie du grand navigateur qui nous ouvrit l'Orient (i).

Tout à l'heure nous faifions allufion aux Lendas da India de Gafpar Correia ; on peut dire que la publication de ce livre entreprife par

(1) Le texte porte : Do derciibridor do Oiiente.

Xlj

l'Acadé7nte eft venue donner une valeur nouvelle au Journal du voyage de Gama. Inférieures, pour la forme, aux Décades de Barros & même, fi l'on veut, à la rude hifioire de Caftanlieda, les Légendes, pour le fond, font bien fupérieures aux premières, ainfi qu'au récit modejie mais évidemment véridique de ce dernier écrivain. La grande autorité d'un homme qui prit une large part aux événements qu'il raconte is' qui, pendant longtemps, fut placé dans une excellente pofition pour bien juger des affaires de l'Inde, s'affocie à la ndiveté, dans le livre de Correia, Ù" l'on croit voir, à travers la fimplicité de fon fiyle , une peinture fi exadie Ù" fi naturelle des faits, qu'il infpire la confiance au degré le plus éminent. Dans le récit du voyage qui aboutit à la découverte, comme fur bien d'autres points de notre hifioire dans l'Inde, les Légendes font décidément fupérieures à ce que Barros Ù" Cafianheda nous ont laijfé. La vie intime des hommes qui tentèrent <Ùr menèrent afin une entreprife fi hafardeufe, les phafes morales, les péripéties de l'expédition, la lutte des pajjlons humaines fur le théâtre circonfcrit de trois navires, tout efi repréfenté avec de vives couleurs & de fermes contours dans le récit de Gafpar Correia. Mais les faits extérieurs de l'expédition , fi nous pouvons nous exprimer ainfi, demeurent fouvent vagues Ù' indécis, lorf- qu'ils n'ont pas été omis. C'efi le Journal qui vient compléter l'œuvre du chroniqueur Ù" qui, s'y affociant, nous fait connaître parfaitement aujourd'hui, dans toutes fes circonftances , un des faits les plus confi- dérables de l' hifioire des nations modernes.

En reproduifant dans cette édition la carte itinéraire de la flotte, nous devons avertir que cette carte, bien que fondée en grande partie fur des conjeâlures, eft, autant que poffible , la reproduSlion graphique du récit dans les paffages qui la concernent; quant à la partie conjeBurak du tracé, on s eft appuyé fur ce que l'on fait encore aujourd'hui des diffé- rentes routes que les navigateurs avaient coutume de fuivre, depuis la découverte , dans le trajet immenfe du Portugal aux Indes. Travail favant & confciencieux de l'un des premiers éditeurs, M. Kopke, jeune homme de grande efpérance , enlevé prématurément aux lettres, nous

Xllj

nous faifons un devoir de le reproduire avec une fidélité fcrupukufe. C'ejl par un fcrupule du métne genre, qu'avant de placer dans cette édition le portrait de Vafco da Gama qui exijiait dans la première, nous avons voulu recourir au type, c'ejl-à-dire à une copie de la peinture originale confervée dans le palais des gouverneurs de l'Inde, copie que l'archevêque de Goa, D. Francifco de Brito, fit exécuter, Ù" qui a été gravée dans l'ouvrage intitulé : Retratos e buftos de Varôes e Donas. Les accejff'oires de ce portrait avaient été modifiés dans la première édition; mais nous avons penfé qu'il valait mieux lui rendre [a fimpli- c'ité primitive, Ù' conferver au grand amiral fon coftume Ù" fies orne- ments tels qu'ils font repréfentés dans le tableau qui nous a fervi de modèle (i).

Dans la première édition, le texte était précédé d'une gravure repré- fentant le départ de la flotte , entre deux obétifques ; on voyait, en bas, la face Ù" le revers d'une médaille que le roi D. Manuel fit frapper en mémoire de la découverte. Cette œuvre d' imagination ne nous a point paru s'adapter d'une manière heureufe à un récit comme celui auquel elle fervait d'introdu6iion; la médaille même, plus purement gravée dans le tome IV de /'Hiftoire généalogique de Souza, n'offre pas un grand intérêt. Nous avons remplacé cette planche par un portrait inédit du roi D. Manuel, peint en frontifpice fur un des livres intitulés de Leitura Nova (i° de Alemdouro) dans les archives de Torre do Tomba. La beauté des enluminures qui ornent les premiers volumes de cette vafte colleBion, parmi lefquels ceux d' Alemdouro font les plus anciens, nous

(i) Ce portrait, malgré le choix qu'en ont fait les éditeurs portugais, manque ejfentiellemem de caraâere. Nous avons préféré celui qui exijfe à Lisbonne, dans la galerie du comte de Farrobo, & qui pajfe également pour une peinture contem- poraine. Vafco da Cama, d'après ce que nous en favons, était gros & de taille moyenne; il avait le teint coloré, l'exprefjion du vifagefevère &le tempérament colérique. (Tr.)

XIV

perfuadc que le portrait devait être d'une haute rejjhnblance . Nous fommes au moins certains qu'il eft de date contemporaine (i).

Le portrait deD. Manuel & celui de Vafco da Gama font accompa- gnés des Jignatures refpeSîivcs de ces deux perfonnages ho conde almirante Rey. Le fac-ftmile du manufcrit efi le même que celui de la première édition . Ony avait joint, par des motifs expofés dans t avant- propos, la fignature de Caflanheda, mais avec doute fur l'authenticité. Ce doute était fans fondement. Tous les exemplaires de /'Hiftoire de l'Inde que nous avons eus fous les yeux portent la fignature de Hauteur, qui efi indubitablement la même. Quant à la copie qui exifie du Journal, il ferait difficile de prouver quelle efi de la main de Cafianheda, quand même on retrouverait quelque écrit de cet hifiorien plus étendu qu'une fimple fignature. L'écriture curfive employée dans ce manufcrit efi d'un type extrêmement commun dans la première moitié du feizième fiècle, Ù' on ne [aurait l'attribuer fans témérité à un écrivain défigné.

(i) Noui n'avons pas reproduit ce portrait qui, fans doute, a été mal rendu par la lithographie, car il ejl plat, fans relief, fans vigueur, &■ il manque même de cette naïveté qui ejt le cachet des œuvres de l'époque. (Tr.)

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AVANT-PROPOS DE LA PREMIERE EDITION

A découverte de l'Inde a fourni au Portugal la plus belle page de fan hijloire. L'audace de ceux qui tentèrent Ù' qui menèrent à fin cette entreprife , à travers tant de périls Ù" de fnuffrances, quand l'art de la navigation n'offrait encore que des moyens bornés ir qu'une terreur fuperjlitieufe interdifait l'accès de ces mers inconnues, eji la preuve la plus éclatante de l'énergie des anciejis cœurs portugais. Trois fiècles de révolutions élevant ou abaijfant la fortune des peuples de l'Europe; le fceptre des mers pajfant avec rapidité de Venife Ù" de Gênes au Portugal, du Portugal à l'Efpagne, de l'Efpagne à la Hollande, de la Hollande à ï Angleterre ; tous ces événements, liés à la conquête de l'Inde, donnent à la découverte de Gama le caraSîère d'un fait européen, d'un fait auquel vient fe rattacher l'hifloire moderne de ces peuples qui lui durent leur grandeur Ù' leurs maux. Du fond de l'Adriatique jufqu'aux rivages lointains des Hébrides, le nom de l'Inde retentit comme un cri douloureux, éveillant à la fois des fouvenirs de gloire lùr des remords. Que de crimes, en effet , a produits cet Orient

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XV]

fi convoité , & comble?! de larmes ont payé fes aromates, [es épices ir [on or! Quelle nation pourrait fe flatter d'avoir régné fur l'Hin- dnuftan fans que fon titre de propriété n'ait été fouillé de trahifons, de parjures & de barbarie! Le Portugal a expié par plus de deux fiè- cles d'opprobre Ù" d'amertume quatre - vingts ans de crimes , lùf il a payé fa dette envers Dieu isr envers les hommes. Nos conquêtes d'Afie ont pajfé en des mains étrangères, ér une gloire pure, dégagée de nuages, efi le feul héritage qui nous revient de nos dieux. Ce sera donc une œuvre patriotique que de mettre en lum'tère tout ce qui peut rappeler leurs exploits en Orient .• auffi croyons-nous être utiles en entreprenant la publication de ce Journal.

Le manufcrit que nous offrons au public appartenait au monajlère de Santa Cruz de Coimbra, d'où il fut enlevé, avec les autres manufcrits qui compofaient ï ancienne ir précieufe collection du couvent , pour enri- chir la bibliothèque de Porto il fe trouve aujourd'hui.

On voit qu'il n'eft pas autographe aux lignes fuivantes de la page 6i\ (i) : l'auteur de ce livre a oublié de nous apprendre comment font faites les armes dont il parle. Cette intercalat'ion eft évidemment une note du copifle qui a tranfcrit l'original. Toutefois, on reconnaît , au caraBère de l'écriture , que cette copie ne faura'it être pojlérieure aux commencements du feizième fiècle, ce dont peut fe con- vaincre un leSleur exercé, en jetant les yeux fur le fac-fimile des premières lignes qui ont été reproduites dans cette publication.

Le volume porte aBuellement le 804, d'après l'ordre provifoire établi dans la bibliothèque de Porto. Le format efi in-folio; le papier, de conftflance moyenne, eft d'une teinte ajfez foncée ; outre les empreintes ordinaires de la forme qui régnent dans lefens longitudinal, on diftingue la marque de fabrique, telle qu'elle eft figurée fur la planche précédem- ment citée. La couleur de l'encre, quoique un peu altérée, eft encore très

(1) Vjgeiy de Inféconde édition. (Tr.)

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nette. Le corps du volume fe trouve [éparé, par l'effet de ïufage,de la feuille de parchemin (provenant de quelque livre d'office) qui lui fervait tant bien que mal de couverture; il commence Ù" finit par une feuille blanche dont la contexture Ù" la marque dénotent une fabrication plus inoderne que celle du papier fur lequel il efi écrit; on difiingue, fur la première, trois lignes d'une écriture inoins ancienne que celle du fnanuf- crit, Ù", malgré le foin qu'on a pris de les effacer, on parvient à lire ce qui fuit :

Pertinet ad ufum fratris Theotonij de Sandlo G Canonici

regularis In Cenobio S"" Crucis.

Immédiatement après, on lit:

Theotonio.

Et enfin, prefqne au bas de la page, en caraBeres de nos jours, & probablement de La main d'un des bibliothécaires du fufdit monaflère, ce titre :

Defcobrimento da India por D. Vafco da Gamma,

qui fe trouve répété, de la même écriture, fur le reElo de la couverture de parchemin, Ù' en haut de la page par ou commence le manufcrit.

Jufqu'à ce jour il n'a été imprimé, fur le voyage entrepris pour décou- vrir les Indes , aucun livre qui ait été écrit par un témoin oculaire de cet événement. Le feul mémoire contemporain efi la relation que Ramufio fit paraître en if^4, fous le couvert d'un gentilhomme florent'm, de paffage à Lisbonne à l'époque du retour de Vafco da Gama; rédigée d'une manière affez confufe, comme un récit dont les éléments mal digérés ont été puifés à plufteurs fources , il s'en faut de beaucoup que cette œuvre puijfe être conftdérée comme une relation hijlorique de la décou- verte des Indes (i).

Notre bibliographe Barbofa Machado attribue à Vafco da Gama lui-

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même tille relation de ce voyage, mais fans nous dire elle exifte, Ù' en ajoutant quelle n'a jajnais été imprimée. A la -page 777 du tome III de la Bibliotheca Lufîtana (17P), on trouve, après l'éloge de Vafco da Gama, la note fuivantc :

« // a écrit la Relation du voyage qu'il fit aux Indes en 1497. Cet ouvrage Ù" fon auteur font mentionnés dans Nicoldo Antonio , Bib. Hifp. Vet. lib. 10, cap. if, § 84'5, ir dans Antonio de Leao, Blb. Ind., tit. 2°, ainjt que dans le tome I, t'tt. 2, col. 27 de fon continuateur. »

U^ous n'avons pu vérifier la citation deBarbofa qui concerne Antonio de Lecio par la ra'ifon qu'il nous a été impojjïble de nous procurer fon ouvrage; mais, quant à celle qui efi tirée de la Bibliotheca de Nicolâo Antonio, nous trouvons, dans l'édition de 1672 ainfî que dans celle de 1788 {pofiér'ieure à Barbofa MacJiado), les lignes fuivantes, à l'endroit indiqué :

« Vafcus da Gania.... dédit reverfus Emmanueli fuo régi populari Portugalia idiomate navigationis fua ad Indiam anno mcdxcvii rela- t'tonem , quœ lucem vidit : » d'où l'on pourrait conclure que cette œuvre a été imprimée.. On doit héfiter, néanmoins, à donner aux mots quse lucem vidit employés par Nicolâo cAntonio l'acception ordinaire de fut imprimée , car nous avons remarqué que cet auteur n'en a pas toujours fait un ufage fcrupuleux , is" qu'il s'en efi fervi quelquefois pour des ouvrages qui n'ont jamais cejfé d'être manufcrits. La note fuivante, tirée de la Bibliotheca Hifpana Nova (éd. de 1788), tome II, p. •jcjc), en fournit un exemple : « Anonymus Lufitanus, in eadem biblio- theca fervatus, dédit in lucem, lufitanè: Derrotero defde Lifboa al Cabo de Buena Efperanza y India oriental, cumfiguris verficoloribus, Ms. in-4''. »

Il efi regrettable qu'aucun des bibliographes cités ne nous ait fait connaître la fource de fes informations, Ù' que Barbofa , notamment, nous ait laijfé douter Jt celles qu'il nous tranfmet furent le réfultat de fes recherches perfonnelles , ou s'il fe borna à copier les deux autorités

XIX

(ju'il cite. Bien qu'il s'exprime avec plus de réferve que NicolAo Anto- nio fur l'imprejjion de la relation de Gatna , cette circonjlance ne fuffit pas pour dijjiper notre incertitude, car il pouvait fort bien avoir conçu des doutes fur la publication d'un livre qu'il n'ava'it jainais rencontré.

La tradition {comme l'appelle Jofé Carlos Pinto de Soufa dans fa Bibliotheca hiftorica) qui attribuait à Vafco da Cama une relation écrite de fon premier voyage finit par être généralement répandue. La férié tout entière des DiBionnaires hifloriques français nous offre la note fuivante, reproduite d'édition en édition :

" On dit qu'il publia une relation de fon premier voyage aux Indes , mais elle ne s'efi pas retrouvée. » Cette phrafe fe Ut pour la première fois dans l'édition de 1732 du DiSlionnaire de Moreri , ?nais avec la note additionnelle, Bibliotheca Portuguefa Manufcripta.

^?(ous ne pouvons qu'émettre des conjeSiures fur l'auteur de cette Bibliothèque portugaife, les éditeurs du DiSlionnaire ne l'ayant pas nomjné; toutefois , dans leur préface , en traitant des améliorations introduites dans leur nouvelle édition, ils s'expriment ainji : << Ce qui regarde en particulier l'hijloire littéraire du Portugal ayant été oublié dans toutes les éditions de ce DiSlionnaire , if l'Académie , que le rot (de Portugal) vient d'établir avec tant de gloire dans fa capitale, ayant attiré l'attention des révifeurs fur les favants de ce royaume , qui , bien qu'en grand nombre, font prefque inconnus en France ; un écrivain por- tugais , homme judicieux Ù" d'une érudition très-étendue, a fourni des mémoires tirés d'une bibliothèque portugaife que cet auteur efpère publier incejfamment dans fa langue naturelle. » On ne rencontre rien , dans le cours de l' ouvrage , qui aide à foulever le voile de l'anonyme por- tugais. Que ce ne fait point Barbofa Machado {qui déjà, en 1724, avait commencé Ù' même fort avancé fa Bibliotheca, comme on peut le conclure de la page 23 de fa préfacé), le fait ejl plus que probable, car il n'aurait pas oublié , en mentionnant jufqu'aux éloges les plus infîgnifiants dont fon œuvre avait été l'objet avant d'être livrée a l'im- prejjion , le tribut des éditeurs de Moreri , s'il fe fit adrejfé à lui. On

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pourrait croire qu'ils ont voulu parler de D. Luiz Carlos de Menezes, comte d'Ericeira, qui fournit un volume de corre£îions Ù" d'additions à D. Jofcph de Mariavel, lorfque celui-ci fit paraître, en lyn; ^"^ traduSlion efpagnok, augmentée, du D'iBionnaire de Moreri; cependant il cjl permis d'en douter: d'abord parce que les éditeurs français n'au- raient pas manqué de dire un mot de la haute pofition du comte; enfuite, parce que l'on comprendrait difficilement qu'après leur avoir fourni des mémo'ires originaux fur les écrivains portugais, 'il eût quel- que motif pour donner enfuite un volume d'additions i^ de correBions au tradiiSleur cfpagnol. ( V. Mariavel dans fa préface Ù" la Bibl. Lufitana fur « D. Lu'is Carlos de Menezes. j>) Notons, toutefois, que l'éditeur efpagnol, en confervant la phrafe des éditeurs français, infifle avec un peu plus de force fur ï impojfibiUté de rencontrer la relation de Vafco da Gama; « No fc halla, dit Mariavel, ni fe encuentra. »

Au refle, quel que fait le bibliographe, nous n'en penfons pas moins qu'il s'efi trompé, lui, & tous les autres écrivains que nous avons cités.

Lorfque Ramiijïo forma fa colleSlion de voyages, il ne négligea rien pour fe procurer les ouvrages imprimés Ù" manufcrits les plus propres, par leur réputation Ù" leur véracité, à concourir au but qu'il s'était propofé de réunir en un feul corps d'ouvrage toutes les notions fur la navigation ir les découvertes modernes. Il fuffit de l'ire les avant- propos des Giunti, éditeurs de la colleBion, pour en demeurer con- vaincu, ou de fe rappeler qu'elle renferme plufieurs relations écrites par des Portugais, que nous ne connaîtrions pas fans cette publication. Ceci pofé, on croira difficilement que le récit du voyage de Vafco da Gama, écrit de fa propre main , fût ajfez peu connu pour échapper aux invefli gâtions de Ramufio; on le croira d'autant moins qu un femblable oubli ne faura'it s'expliquer par l'abondance des matériaux, puifque, pour inférer dans fon Recueil quelque chofe fur la découverte des Indes, il fe fervit du livre III de la première Décade de Barros qui avait publié, peu de temps auparavant , les deux premières Décades de fon Afia.

Une autre confidération , c'efl que parmi les citations empruntées à

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tant d'ouvrages complètement perdus aujourd'hui par ceux de nos hijlo- riens qui ont traité des chofes de l'Orient, on ne trouve, à notre connaif- fance, aucune trace de la relation de Gama; évidemment, fi elle eût exijlé, elle aurait joui d'une grande réputation, comine étant l'œuvre de l'homme le plus capable d'écrire l'hifioire de cette périlleufe Ù' lorieufe entreprife. Ces preuves négatives font corroborées, d'un autre côté, par l'ignorance nous la'ijfe Barbofa ainfi que les autres biblio- graphes précédemment cités fur la manière dont ils ont eu connaijfance de l'œuvre de Vafco da Gama. Ainfi, tout nous porte à croire que la « Relation » de l'amiral efl un rêve bibliographique qui a eu peut- être une origine fort fimple, fur laquelle nous allons hafarder notre opinion.

H efl probable que le manufcrit que nous publions fut fignalé aux favants qui fe font occupés de notre hifloire littéraire fous le titre qu'il portait dans la bibliothèque de Santa-Cruz, comme on peut l'inférer de ce que nous avons dit précédemment, c'efl-à-dire fous celui de Relation de la découverte des Indes par D. Vafco da Gama, ou tout autre titre analogue. Il peut bien être arrivé que la prépofition par, appliquée au mot découverte par celui qui communiqua la note, ait été rapportée, par le bibliographe qui la reçut, à D. Vafco da Gama qui aura été confidéré, par fuite d'une équivoque dans la conflruSlion grammaticale, comme auteur de la fufdite relation. Cette explication nous parait la plus vraifemblable ; nous pouvons même préfumer, fans être taxés de témérité, que ce fut le manufcrit dont nous offrons le texte au public qui nduifit à croire que l'auteur de la découverte des Indes avait écrit la relation de fan voyage. Au moins, en l'abfence de cette relation, efi-il permis de concevoir des doutes fur fon exiftence, & de former des conjeéîures fur l'origine la plus probable d'une femblable tradition littéraire.

Quant à l'auteur de notre manufcrit, nous n'avons rien pu découvrir fur fon compte. On peut conclure de la contexture de l'œuvre que ce ne fut ni un des capitaines , ni un des pilotes de la flotte , mais un

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Jïtnple foldiit ou matelot appartenant à l'équipage du vaiffeau de Paul da Gama, frère de l'amiral; on peut même fuppofer qu'il n'était pas fans quelque valeur, car nous le voyons parler de lui-même à la pre m'ière perfonne , dans des circonflances oit il efi fort à croire que le fervice était confié h des individus clioijïs. A Calicut, il fut un des douze que Vafco da Gama emmena avec lui, lorfqu'ily débarqua pour fe rendre à l'audience du Zamorin; & ce fait, infuffifant à la vérité pour nous le faire complètement connaître, nous permet déjà de hafarder quelques conjeBures. Caftanheda, dans fon Hiftoire de la Décou- verte, &c., nous a confervé les noms de plujieurs d'entre eux : il nomme Diogo Dias, comptable de Vafco da Gama; Fernîio Mart'tns, fon interprète ; fon veador (i) {qu'il ne déjigne pas autrement); Joao de Sa, comptable de Paul da Gama; un marin appelé Gonçalo Pires qui avait été élevé avec le commandant en chef; un Alvaro Velho, enfin Alvaro de Braga, comptable de Nicolâo Coelho. Maintenant, en ad- mettant, comme nous le démontrerons plus loin, que notre manufcrit ait été la principale fource Caftanheda puifa les documents de fon hiftoire, il eft infiniment probable, en conjtdérant ftrtout l'époque il vécut Ù" les peines qu'il fe donna pour rechercher la vérité , que l'auteur ne lui était pas inconnu ; Ù" comme celui-ci déclare qu'il fut un des douz£ dont nous avons parlé {p. ^4 de /'Ed. portug.) (2), il eft également préfumable qu'il fut aujji l'un de ceux que Caftanheda a défignés nominativement. Or, le contexte de l'œuvre exclut d'abord Ù"

(i) Le veador était un officier chargé de veiller à tout ce qui concernait le fervice de la table. Le veador du Roi prenait rang immédiatement après le mordomo ; c'était une charge de confiance dont était toujours revêtue quelque per- fonne conjîdérable. La noblcjfe avait aujjifes mordomos dont les fondions étaient plutôt honorifiques que lucratives. (Tr.)

(2) Le texte porte : Levou comfygo dos feus treze homens , dos quaees eu fuy huum délies, il emmena avec lui treize desjîens, 6- moi-même je fus l'un d'eux (Tr.j

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de la manière la plus évidente Diogo Dias, FernSo Martins, le veador de Vafco da Gama {quel qu'il fût), ainjt quAlvaro de Braga; il faut écarter également Joao de Sa , d'après les conjidérations fuivantes : 1" parce que l'auteur était un Jîmple foldat ou un matelot {mais plus vraifemblablement un matelot), comme on peut l'inférer des exprejjîons nous autres, quelques-uns de nous autres, dont il fe fert en diffé- rents pajfage s, lorfqu il parle de ceux de fa clajfe d'une manière générale Ù" par oppojition aux capitaines; à caufe d'une circonfiance rapportée par Caflanheda (liv. I , c. 16) qui montre que Joao de Sa doutait beaucoup du Chriftianifme (i) des habitants de Calicut , tandis que notre auteur paraît y avoir cru fermement ; en raifon de certains Jerv'ices du bord, tels que fondages , auxquels il nous apprend qu'il fut employé {p. 24 de /'Ed. portug.), Ù' qui convenaient mieux à un marin qu'à un homme de plume , bien que nous fâchions par l'hifloire que Joao de Sa fut auffi foldat Ù" marin ; enfin à caufe du flyle & de la compofition de l'ouvrage qui femblent dénoter clairement l'humble condition de notre auteur.

H pourrait exifier quelque doute entre les deux noms qui nous refient, ft Caflanheda ne nous venait en aide. De ces deux noms, favoir : Alvaro Velho Ù" Gonçalo Pires, le dernier doit demeurer en dehors de oute conjeSlure quant à l'attribution du Journal, fi l'on compare les pajfages correfpondants de Caflanheda Ù" de notre auteur, l'on voit le premier mettre en fcène Gonçalo Pires, ir le fécond difiinguer celui-ci de fa propre perfonne.

(i) Nos premiers navigateurs eurent Vimjgination remplie des récits exagérés qui couraient fur le caraâère religieux du Frètre Jean que l'on difait chrétien; ayant rencontré quelques-uns des prétendus chrétiens de San-Thomé, & ne con- naiffant guère de religion qui ne fût pas la leur ou l'ifljmifme, ils crurent natu- rellement, â leur début, que les Hindous profejfaient le chrijîianijme .

XXIV

CASTANHEDA Liv. I, c. 21.

Le gouverneur conduijît

Viifco da Gama le long de la plage, is" comme il fe méfait de ces gens- après ce qui lui était arrivé h Calicut, il donna ordre à Gonçalo Pires, le marinier, d'aller en avant aujfi loin qu'il pourrait avec deux de nous autres , &, dans le cas il rencontrerait Nicolâo Coelho avec les chaloupes , de lui dire de fe cacher ]

Les deux auteurs racontent enfuite comment ces trois hommes s'éga- rèrent en quittant la fuite du commandant en chef, puis ils ajoutent :

L'ANONYME

Pag- r4-

Pour lors ils nous menèrent le long de la plage.' Et le cojmnandant foHpçonnant quelque mauvais def- fein, envoya troishommese'n avant; s'ils trouvaient les embarcations des navires & que fon frère y fût, ils devaient lui dire de fe cacher...

CASTANHEDA (Ibidem),

Sur ces entrefaites, arriva Gon- çalo Pires avec un meffage de Nicolâo Coelho qui l'attendait avec les embarcations. . .

L'ANONYME Pag. t6.

Et fur ces entrefaites, furvint un des hommes qui s'étaient fé- parés de nous la veille au foir, & il dit au commandant que Nicolâo Coelho était depuis la nuit précé- dente avec les embarcations...

Ainji donc, il nous refle Alvaro Velho, que l'on peut fort bien joup- çonner d'être l'auteur de la relation que nous publions. Il ejl évident, néanmoins , que ceci ne dépajfe pas les bornes d'une ftmple conjeEîure fondée fur les prém'tjfes que nous avons pofées, c'efi-à-dire fur la con- naijfance que Caftanheda eut de notre auteur, & fur la véracité bien connue de l'infatigable hiflorien de la découverte des Indes, qui ne s'en eji point départi dans les paffiiges que nous avons cités.

XXV

Qjùvit au parti que Cajianheda a tiré de notre manufcrit , on en jugera par un feul fait, c'eji que la majeure partie du premier livre de /'Hiftoire des Indes a été copiée prefque littéralement fur le Roteiro, comme le leSieur peut aifément s'en convaincre en comparant les deux ouvrages. La concordance deviendra furtout manifefie Ji l'on confulte, dans cet examen, la première & très-rare édition du livre l, imprimée en i^n, où, fans parler de la prefque identité qu'offre le texte dans fon enfemble, on trouve, au chapitre XXVU' , le pajfage fuivant qui paraît ajfez fignificatif : « Les pilotes dirent qu'on était fur les bas- fonds du Rio- Grande; quant aux autres particularités concernant la route que fui vit le commandant en chef, depuis jufqu'à l'île de Santiago, je n'ai jamais pu les connaître; feulement, etc. » Dans l'édition fuivante, de iU4, cette phrafe a été retranchée , fans que la fupprejfton soit jujlifiée par l'introduSlion de circonjlances ou de faits nouveaux. Ce qui efi bien certain, c'efl que dans la première comme dans la féconde édition du livre de Cafianheda , la narration circonf tanciée du voyage ne dépajfe pas le point s'arrête l'itinéraire que nous publions, ce qui confirme pleinement l'opinion que cet écrit fut bien la fource puifa l'auteur de /'Hiftoire des Indes (ii).

Lorfque ce manufcrit tomba pour la première fois entre nos mains, la circonftance qu'il provenait de Coimbre Cafianheda écrivit & publia fon ouvrage, la certitude qu'il y avait puifé fes matériaux, comme on l'a vu, au moins en ce qui concerne le premier voyage aux Indes, enfin la reffemblance de l'écriture avec une fignature que l'on peut attribuer avec quelque fondement à Fernâo Lopes de Cafianheda, & que l'on voit à la fin d'un exemplaire du premier livre de l'édition de I5'5'4, appartenant à la bibliothèque de Porto; tout, enfin, nous perfuada que nous avions fous les yeux le propre manufcrit dont il fe fervit pour la compnfition de fon hifioire , & même une copie de fa main; en effet, il nous apprend qu'il pajfa vingt ans de fa vie h recher- cher & à tranfcrire les mémo'ires qui fe rattachaient à fon fitjet, travail qu'il effeâua au grand dommage de fa fortune & de fa fanté. Mais

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comme, en matière d'écriture, il efl extrêmement difficile de rèfoudre la quejlion d'identité par l'examen de Jmples Jignattires, nous fongedmes aujjttôt à effeâluer des recherches à l'univerfité de Coimbre {où Cafia- nhedafut bedeau (i) Ù" confervateur des archives'), afin de nous procurer des fac-fimile de [on écriture courante ainft que de fa Jîgnature; mal- heureufement jufqu'à préfent (par des raifons fur lefquelles il cji inutile d'in/ijler) , nous avons été déçus dans nos efpérances. En attendant, nous offrons à nos ledîeurs un fac-fimile de la Jîgnature dont il s'agit, non pas feulement à titre de cariofité, ?nais comme un fil qui fervira peut être à guider les invejiigateurs futurs.

Nous terminerons cette longue férié de doutes Ù' de conjeBures par une obfervation : c'eji que probablement toute incertitude cefferait fi l'on pouvait fe procurer le catalogue des manufcrits de San6la Cruz de Coimbre ÇÙ" il nous paraîtrait incroyable que ce catalogue n'exijlât pas) ; en admettant qu'il ne nous fournît pas les moyens de foulever complètement le voile de notre anonyme, nous pourrions toujours en tirer des lumières qui nous aideraient, f oit à repoujjer par des arguments fans réplique l'opinion qui attribue à Vafco da Gama une relation de fon voyage, fait à fortifier nos conjeBures fur l'auteur de celle que nous publions.

Quant au mérite du fiyle Ù" de l'exprejjion , on ne trouvera rien, dans cette œuvre inédite, qui ait la moindre valeur; comment s'en étonner, puifqu'il s'agit d'un livre écrit par un foldat ou un ?natelot, à une époque les érudits eux-mêmes ont failli bien fouvent , dans

(i) C'ejî un officier Jubaherne de l'univerfité qui marche devant le Doyen, portant une hallebarde. Il prend note des élèves qui ajjïjlent aux cours, fixe la place que chacun d'eux doit occuper dans les cérémonies publiques, proclame les licen- ciés & les doâeurs, & remplit d'autres fonâions du même genre. Il y avait autre- fois des bedeaux dans nos univerfités ; ils ont été remplacés par de fimples appa- riteurs. (Tr.)

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leurs écrits, aux règles de la grammaire > Au furplus, ce n'ejl ni dans l'expreffion, ni dansle ftyle, que confijle témérité d'une femhlabk com- pofition; fou vrai mérite ejî d'avoir été écrite par un témoin oculaire du fait prodigieux de la découverte des Indes (i).

En traçant (auft exaBement qu'il eft pofible) fur la carte itinéraire du voyage de Vafco da Gama la route fuiv'ie par ce navigateur, nous avons voulu montrer combien font mal fondées les ajfertions qui fe font produites à l'étranger, & même dans notre propre pays, fur l'igno- rance de ceux qui découvrirent les Indes & le hafard qui les y condmfit. U^ous citerons, notamment, le confeiller Antonio de Mariz Carneiro, cofmographe en chef du royaume, qui, dans fon livre intitulé ; Regi- mento de Pilotos e Roteiro da Navegaçâo da India (Lisbonne, 1642), s'exprime ainjt :

« L'Inde fut découverte au temps du Roi Dom Manuel, en l'an 1497, par Dom Vafco da Gama, gentilhomme de fa maifon; en naviguant le long des côtes de Guinée & d'Angola , il arriva au cap de Bonne- Efpérance, les terres aujirales qu'il fuivait depuis un fi grand nombre de jours venant à lui manquer , guidé plutôt par Dieu Notre- Seigneur que par des renfeignements ou des routiers capables d'indiquer en quelle partie du monde l'Inde fe trouvait , il ne craignit pas, fans autre appui que fa ferme volonté & fon invincible courage, de doubler le fufdit cap, Ù'c. »

Lorfque des écrivains nationaux défigurent a'infi les faits, 'il ne jaut pas s étonner de voir les peuples étrangers adopter des idées préjudiciables

(i) Nousfupprimons ici un pjjfage qui s'adrejfe excluf veinent aux leâeurs por- tugais; les éditeurs expofent les motifs qui les ont décidés â conferver l'ancienne orthographe &■ jafqu'auxfolécifmes du Roteiro ; ils ajoutent qu'ils fe font écartés, dans deux cas feulement, du rigoureux devoir de copijles: en mettant des ma- jufcules aux noms propres &■ en améliorant la ponâuation; 2" en corrigeant un petit nombre de famés quifonx évidemment des fautes de tranjcription. (Tr.)

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à notre renommée, jufqites dans l'exprejjion, car elles doivent fe traduire chez eux en termes moins mefurés . Déjà Pedro Nunes avait dit, dans fa Defensâo da Carta de Marear, que « ces découvertes de cotes, d'îles, de continents, ne s'étaient point faites au hafard, mais que nos naviga- teurs s embarquaient munis d' injlruments & parfaitement inftruits des règles de l'ajirologie Ù" de la géométrie. » Il fuffit, en effet, de jeter un /impie coup d' œil fur la généralité de nos hijîoriens, pour y trouver la preuve que « notre navigation fut calculée fagement , d'après de profondes combinaifons Ù" des conjeSlures d'un ordre fupérieur ; qu'elle eut pour guides les principes de la Cofmographie Ù" de la Géographie, fondements de l'Art nautique; quelle fut tracée fur un plan lumineux, confiant Ù' régulier; enfin, conduite à l'aide d'infiruments nouveaux, d'après les règles de l Afironomie Ù" de la Géométrie ( i). »

Vafco da Gama partait muni de toutes les infiruSions ir de tous les moyens d'ajfifiance que pouvaient lui fournir l'obfervation, la politique Ù" les fciences de l'époque ; c'efi ce dont nos hifioriens font foi. Sa defiination lui fut marquée d'avance : c'était Calicut, Ù' il portait au roi de cette contrée une lettre de D. Manuel. Ayant rallié fa flotte aux îles du Cap-Vert, il en partit pour s'enfoncer dans l'Océan Atlantique aufiral, par une route qui ne s'écartait pas beaucoup du Sud : ce fut alors qu'il fe fervit de la connaifiance qu'il avait des vents généraux de la côte occidentale d'Afrique, qui lui étaient contraires, ÎT de la d'ireSiion que la côte orientale, déjà reconnue jufqu à une certaine difiance par Barthélémy Dias , fuivait du Sud au Nord. Ayant atteint une latitude méridionale voifine de celle du cap de Bonne-Efpérance, il fe dirigea à l'Ouefi, ce qui montre qu'il s'appuyait fur des principes fcientifiques , fans diminuer en rien l'audace de l'entreprife. Que le choix de cette route ne fut po'int l'œuvre du hafard, c'efi ce que prouvent les connaij-

(i) Antonio Ribeiro dos Santos , Mém. de Litt. Port, da Acad. R. das Se. de Lishoa, tonw ('///, p. 169.

XXIX

fdiices qu'il pojjédait déjà fur la matière, le préfent Journal, tous les voyages enfin qui, depuis, s'effeEluèrent aux Indes (i); ù" ft Cabrai, en ifoo, découvrit le Bréjtl, c'eji qu'il prit la direBion du Sud, d'après l'exemple de Vafco da Gama , en s' écartant toutefois confidérablement dans l'Ouefi. Dans l'Océan indien, qui lui était inconnu, nous voyons l'amiral fuivre la côte d'Afrique, du Sud au Nord, jufqu'à ce qu'il ait rencontré le pilote qui doit le conduire à fa deflination; enfin, avec le même auxiliaire, il profite des moujfons, tant pour fe rendre à Calicut que pour en revenir, bien que la première traverfée fait plus heureufe que la féconde. Dans celle-ci, après avoir doublé le cap de Bonne- Efpérance, on le voit s abandonner au courant des vents généraux du Sud-Ouefl de la côte occidentale d'Afrique, pour arriver aux îles du Cap-Vert.

Telles font les particularités que nous avons voulu relater dans la carte réduite du voyage de Gama, conjlruite d'après les routes fuivies par fes navires ; ir bien que cet itinéraire ne doive être confidéré que comme approximatif , nous le croyons plus près de la vérité que les routes arbitrairement tracées fur la majeure partie des cartes cette ^ navigation efi figurée.

Le Journal que nous publions ne va pas , malheureufement, au delà du 2 y avril 1499 (2), date un peu antérieure à la féparation de Nicolas Coelho & de Vafco da Gaina. On fe demande encore aujourd'hui Jt cette féparation fut un effet de la tempête, ou du dejfein prémédité de Nicolas Coelho qui, connaijffant fa caravelle pour meilleure voilière que le vaiffeau du commandant en chef, en profita pour apporter le premier

(i) l^oyef la colleéiion des notices géographiques de l'Académie , aux voyages de Cabrai, Thome Lopes, Joâo d'Empoli, &c.

(2) L'éyèque Ofcrius commet une erreur manifejie en difant que la jloue, à/on retour en Portugal, doubla le cap de Bonne-Efpérance le 2 0 avril 1499. Nous avons vu que ce fut le 20 mars.

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la nouvelle du la découverte des Indu. Sam avoir la prétention de tran- cher un débat dans lequel nous reconnaijjmis notre incompétence, nous ne pouvons nous empêcher de donner une interprétation fâcheufe à la brufque conclufion du Journal, circonflance qui femble ajouter encore au myjlère de l'événement, en fuppofant que l'auteur, après l'incendie du navire le San Raphaël, ait pajfé fur le Berrio comtnandé par Nicolas Coelho. A la vérité, ceux de nos écrivains qui attribuent à ce navigateur des intentions coupables font en minorité; le grand nombre, au contraire, explique par l'incident d'une tempête fa féparation d'avec le commandant en chef, & ajoute, qu'arrivant à la barre de Lisbonne Ù" n'y trouvant pas de nouvelles de Vafco da Gama, il voulut retourner à fa recherche, ce dont il fut empêché par les ordres de D. Manuel. Mais voici ce qui fait naître un doute dans notre efprit : Si la féparation dont il s'agit s'ejfeôîua avant l'arrivée des deux bâtiments aux îles du Cap-Vert, comment Nicolas Coelho n'effaya-t-'il pas d'y relâcher > puifqu elles avaient été choifîes, en allant, comme point de ralliement en pareille oc- currence, elles devaient remplir le même objet au retour.

Quant à la fuite du voyage , on fait que Nicolas Coelho atteignit la barre de Lisbonne le i o juillet 1 499 , Ùr que Vafco da Gama, étant arrivé à l'île Santiago,oiifon frère Paul da Gama fe trouva férieufement malade, remit le commandement du bâtiment au fecrétaire JoaodeSâ; qu'enfmte, ayant frété une caravelle d'une marche plus rapide pour abréger la traverfée de Portugal, il relâcha à l'île Terceira is" y la'iffa fon frère qui avait fuccombé. Ce fut feulement dans les derniers jours d'août, ou dans les premiers de feptembre 1499, qu'il fit fon entrée à Lisbonne il fut reçu en grande pojnpe par la Cour. Il y eut, pour célébrer fon retour Ù' fes découvertes, de magnifiques fêtes religieufes, ir des réjouiffances publiques qui fe répétèrent dans tous les lieux notables du royaume par les ordres du roi D. Manuel.

JOURNAL DU VOYAGE

VASCO DA GAMA

JOURNAL DU VOYAGE

VcASCO T)q4 Gc^zMc^

U nom de Dieu, cAmen. En l'an 1497, le roi Dom Manuel, premier du nom en Por- tugal , envoya quatre navires à la décou- verte (m); ils allaient à la recherche des épices. De ces navires, Vafco da Gama était le commandant en chef; l'un était fous les ordres de Paul da Gama, fon frère, & un autre fous ceux de Nicolas Coelho.

Nous fommes partis de Reflello un famedi, huitième jour du mois de juillet de ladite année 1497, commençant notre route que Dieu notre Seigneur nous permettra d'achever pour fon fervice, o4men(ivy

Premièrement, nous fommes arrivés le famedi fuivant en

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2 vue des Canaries, & cette nuit nous l'avons paflTée fous le vent de Lancerote ; la nuit d'après, à Taube du jour, nous étions près de la Haute-Terre nous nous mîmes à pêcher pendant environ deux heures, & le même foir, à la nuit tombante, par le travers du rio do Ouro. Or, le brouillard fut fi épais pendant la nuit que Paul da Gama, d'un côté, & le commandant en chef, de l'autre, s'écartèrent du refte de la flotte. Lorfque le jour parut, ne l'apercevant plus, ni les autres navires , nous fîmes voile pour les îles du cap Vert, car nous avions reçu l'ordre, dans le cas nous nous perdrions, de prendre cette direflion. Le dimanche fuivant, à l'aube du jour, nous eiàmes en vue l'île du Sel, &, à une heure de là, nous aperçûmes trois navires que nous allâmes reconnaître. Nous trouvâmes le bâtiment des approvifion- nements, aihfi que Nicolas Coelho, & Barthélémy Dias qui nous accompagnait jufqu'à Mina; ils avaient également perdu le commandant en chef. Après que nous les eûmes ralliés nous pourfuivîmes notre route, & le vent nous ayant manqué, nous fûmes pris par le calme jufqu'au mercredi matin. Et, fur les dix heures, nous eûmes connaiffance du commandant en chef qui avait fur nous une avance d'en- viron cinq lieues, & fur le foir nous pûmes communiquer avec lui, ce qui nous remplit de joie, en forte que nous tirâmes force bombardes & fonnâmes des trompettes en réjouiflTance de notre réunion. Et le jour fuivant, qui était un jeudi, nous arrivâmes à l'île de Santiago & mouillâmes devant la plage de Santa-Maria avec beaucoup de conten- tement & d'allégreflTe ; là, nous fîmes provifion de viande, d'eau , de bois, & réparâmes les vergues des navires qui en avaient grandement befoin. Or, un jeudi, qui était le

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troifième jour d'août^ nous partîmes dans la direftion de Teft, & un jour, par le vent du fud, la vergue du comman- dant en chef cafla; ce fut le i8 août, à deux cents lieues environ de l'île de Santiago. Nous mîmes en panne avec la mifaine & la voile de perroquet pendant deux jours & une nuit, & le 22 du même mois, ayant le cap au fud un quart fud-oueft, nous rencontrâmes nombre d'oifeaux femblables à des garcôes (y), & quand vint la nuit, ils volaient à tire d'aile contre le fud-oueft, comme des oifeaux gagnant la terre. Ce même jour, nous vîmes une baleine, & c'était bien à huit cents lieues en mer.

Le 27 du mois d'oélobre, veille de Saint-Simon & Saint- Jude, qui fe trouvait être un vendredi, nous rencontrâmes beaucoup de baleines, & notamment de celles que l'on nomme quoquas, ainfi que des loups marins.

Un mercredi, i*^"" novembre, jour de laToulTaint, nous remarquâmes de nombreux indices de la proximité de la terre, confiftant en certaines efpèces d'algues qui naillent le long des côtes (vi).

Le quatrième jour du même mois, un famedi,deux heures avant le jour, nous trouvâmes fond par cent dix bralîes au plus, & à neuf heures nous eûmes en vue la terre 5 alors nous nous réunîmes tous & faluâmes le commandant en chef, déployant banderolles & pavillons, & tirant force bom- bardes; tout le monde était en habits de gala. Ce même jour nous virâmes tout près de la côte & courûmes au large fans avoir reconnu la terre.

Le mardi, nous gouvernâmes dans la diredlion de la terre & découvrîmes une côte bafle s'ouvrait une baie fpa- cieufe. Le commandant en chef envoya dans une embar-

4 cation Pedro d'Alcmquer pour fonder & pour chercher un bon mouillage (vu) 5 il trouva cette baie dans d'excellentes conditions, fans bas-fonds & à l'abri de tous les vents, hor- mis de ceux du nord-ouefl, & s'étendant de l'eft à l'oueft ; on lui donna le nom de Sainte-Hélène (vi 11).

Le mercredi , nous jetâmes l'ancre dans ladite baie nous demeurâmes huit jours , occupés à nettoyer les na- vires, à raccommoder les voiles & à faire du bois.

A quatre lieues de ce mouillage, vers le fud-eft, coule un fleuve qui vient de l'intérieur des terres; fa largeur, à l'embouchure, eft d'un jet de pierre, & fa profondeur, de deux à trois brafl^es, même à marée balTe. On l'appelle le rio de Santiago (ix).

En ce pays , il y a des hommes bafanés qui ne vivent que de loups marins , de baleines , de chair de gazelle & de racines de végétaux. Us fe vêtent de peaux & por- tent une manière de gaîne à leurs parties naturelles (x). Leurs armes font des bâtons d'olivier fauvage auxquels ils ajuftent des cornes paflees au feu ; ils ont beaucoup de chiens, comme ceux du Portugal, & qui aboient de la même façon.

Les oifeaux font également pareils à ceux du Portugal ; il y a des corbeaux marins, des mouettes, des tourterelles, des alouettes & nombre d'autres efpèces. Le pays efl; très fain, très tempéré, & produit de bons pâturages.

Le lendemain du jour nous mouillâmes, c'eft-à-dire le jeudi, nous defcendîmes à terre avec le commandant en chef, & nous nous emparâmes d'un de ces hommes qui était de petite flature & refl"emblait à Sancho Mixia. 11 s'en allait re- cueillant du miel à travers les halliers, car les abeilles, en ce

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pays, le dépofent au pied des buiflbns. Nous Temmenâmes fur la nef du commandant en chef qui le fit afleoir à fa table il mangea des mêmes chofes que nous (xi). Le jour fuivant , le commandant le fit habiller à merveille & le renvoya à terre. Et le lendemain, quatorze à quinze de ces gens-là vinrent à fendroitoù étaient mouillés les navires: alors le commandant en chef s'en fut à terre & leur montra diverfes marchandifes pour favoir fi le pays en produifait quelques unes de femblables; ces marchandifes confiftaient en cannelle, clous de girofle, femence de perles, or & encore autre chofe ; mais ils ne comprirent rien à ces objets de com- merce, comme gens qui jamais n'avaient vu chofe pareille; c'eft pourquoi le commandant leur donna des grelots & des anneaux d'étain. Ceci fe paflait le vendredi. Il en fut de même le famedi fuivant. Le dimanche, il en vint de qua- rante à cinquante environ, &, après dîner, étant defcendus à terre, nous leur échangeâmes contre des ceidls (i) dont nous nous étions munis, certaines coquilles qu'ils portaient aux oreilles & qui paraiflTaient argentées, ainfi que des queues de renards fixées à un bâton dont ils fe fervaient pour s'é- venter. J'achetai là, pour un ceiiil, une de ces gaines que l'un d'eux portait à fes parties naturelles. Nous jugeâmes qu'ils eftimaient le cuivre, car ils avaient de petites chaînes de ce métal aux oreilles.

Ce même jour, un certain Fernand Vellofo, de l'équipage

(i) Le ceitil était une petite monnaie de cuivre, analogue à nos centimes & valant i/6 de real. Il n'y a plus, en Portugal, de fous- multiple du reul qui eft l'unité monétaire du pays; la plus petite monnaie aéluelle vaut cinq reis. (Trad.)

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du commandant en chef, eut grand dédr d'aller avec eux à leurs cafés pour favoir comment ils vivaient, ce qu'ils man- geaient, & quelle était leur exiftence (xii). Il demanda donc comme une faveur au commandant de lui permettre de les accompagner à leur village, & celui-ci, voyant que cette importunité ne ceflerait pas qu'il n'eût obtenu fa de- mande, le laiiïa partir avec eux. Quant à nous, nous retour- nâmes fouper fur la nef du commandant tandis qu'ils'en allait en compagnie des fufdits nègres. Auflîtôt après nous avoir quittés, ils prirent un loup marin, & s'arrêtant au pied d'une montagne, dans un hallier, le firent rôtir & en donnèrent à Fernand Vellofo qui les accompagnait, ainfi que des racines de plantes dont ils fe nourriflent. Le repas terminé, ils lui dirent de s'en retourner aux navires, ne voulant pas qu'il pourfuivît avec eux. Or, quand le fufdit Fernand Vellofo fut arrivé en face des navires, il fe mit auffitôt à appeler; pour eux, ils étaient demeurés cachés dans le fourré, & nous, nous étions encore à fouper. Dès que l'on eut entendu fa voix , les capitaines ainfi que nous autres cefTant à l'inf- tant de manger, nous nous jetâmes dans une barque à voiles ; mais les nègres fe mirent à courir le long de la plage & arrivèrent fur Fernand Vellofo auflî preftement que nous. Comme nous cherchions à le recueillir, ils commen- cèrent à nous attaquer avec les zagaies dont ils étaient ar- més, fi bien que le commandant en chef & trois ou quatre des nôtres furent blefles (xiii). Ceci nous arriva pour nous être fiés à eux , les jugeant hommes de peu de courage, incapables d'ofer ce qu'ils venaient d'entreprendre contre nous, tellement que nous étions allés fans armes. En atten- dant nous ralliâmes les navires.

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Lorfque nos bâtiments furent réparés & nettoyés, & que nous eûmes fait du bois, nous quittâmes cette côte, un jeudi matin, i6 novembre, ignorant à quelle diftance nous nous trouvions du cap de Bonne-Efpérance, fi ce n'eft que Pedro d'Alemquer difait que nous pouvions être, au plus, à une trentaine de lieues en arrière du Cap ; & s'il ne l'affir- mait pas, c'eft qu'étant parti du Cap un matin, il avait pafTé par ici durant la nuit avec vent en poupe, &, qu'en allant, il avait navigué au large, de forte qu'il ne connaiflait pas le parage nous nous trouvions. Parce motif nous gagnâmes la pleine mer avec des vents du fud fud-oueft, & le famedi foir, nous eûmes en vue le cap de Bonne-Efpérance. Le même jour, nous virâmes pour prendre la bordée du large &, pendant la nuit , nous virâmes encore & courûmes à terre. Le dimanche matin, qui était le 19 du mois de no- vembre, nous portâmes de nouveau fur le Cap, mais fans pouvoir le doubler parce que les vents étaient fud fud- oueft & que ledit Cap nous restait au nord-eft & fud-oueft. Le même jour nous fîmes un bord au large &, dans la nuit du lundi, un nouveau bord à terre. Enfin, le mercredi, nous doublâmes ledit Cap en prolongeant la côte avec les vents en poupe (xiv). Or, près de ce cap de Bonne-Efpé- rance, s'étend, dans le fud, une baie très vafte qui pénètre bien à fix lieues dans les terres & dont l'entrée peut avoir la même largeur (xv).

Le 2^ dudit mois de novembre, un famedi foir, jour de Sainte-Catherine, nous entrâmes dans la baie de San- Bras (xvi) nous demeurâmes treize jours, occupés à démolir le bâtiment qui tranfportait les approvifionnements que nous chargeâmes fur les autres navires.

8 Le vendredi l'iiivanc, comme nous étions encore dans la- dite baie de San-Bras, il y vint environ quatre-vingt-dix hommes bafanés, femblables à ceux de la baie de Sainte- Hélène, & les uns allaient le long de la plage tandis que les autres demeuraient fur les hauteurs. Pour nous, en ce mo- ment, nous étions tous, ou du moins la plupart d'entre nous étaient fur la nef du commandant en chef Donc, les ayant aperçus, nous nous rendîmes à terre fur les embarca- tions que l'on avait très bien armées, & quand nous fûmes près du rivage, le commandant leur jeta fur la plage des grelots qu'ils ramassèrent ; & non feulement ils ramassè- rent ceux qu'on leur jeta, mais ils venaient les prendre dans la main du commandant, ce dont nous demeurâmes gran- dement émerveillés, car, à l'époque Barthélémy Dias vint ici, ils s'enfuyaient & ne voulaient rien prendre de ce qu'il leur offrait. Bien plus, un jour il faifait aiguade à une fource qui eft fituée près de la mer & dont feau eft excellente, ils la défendirent à coups de pierre du haut d'une colline qui la domine, en forte que Barthélémy Dias leur lâcha un coup d'arbalète & en tua un. D'après ce que nous fuppofâmes, s'ils ne s'enfuirent pas, ce fut, félon toute apparence, parce qu'ils avaient ouï dire à ceux de la baie de Sainte-Hélène, nous avions été premièrement, & qui n'efl éloignée de celle-ci que de foixante heues par mer, que nous étions gens ne faifant aucun mal &, bien au contraire, donnant du nôtre. Le commandant en chef ne voulut pas defcendre là, parce que dans l'endroit fe tenaient les nègres il y avait un grand bois; il changea donc de place & nous allâmes mouiller ailleurs fur un point découvert il defcendit, tout en faifant figne aux nègres

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de fe rendre nous allions , ce qu'ils tirent. Alors le commandant en chef prit terre avec les autres capitaines accompagnés de gens armés dont quelques - uns por- taient des arbalètes; puis il leur ordonna de fe féparer & d'approcher , au nombre d'un ou deux feulement , & cela par fignes. A ceux qui approchèrent le com- mandant fit préfent de grelots & de bonnets écarlates, &, à leur tour, ils nous donnèrent des bracelets d'ivoire qu'ils portaient aux bras, car, en cette contrée, d'après ce qu'il nous parut , il y a quantité d'éléphants ; nous trou- vions de leur fiente tout contre l'aiguade ils venaient fe défaltérer.

Le famedi, arrivèrent environ deux cents nègres, grands & petits, amenant douze bêtes à cornes, tant bœufs que vaches, ainfi que quatre à cinq moutons. Et ils fe mirent à jouer de quatre ou cinq flûtes, les uns haut, les autres bas, fi bien qu'ils concertaient à merveille pour des nègres dont on n'attend guère de mufique, & ils danfaient à la manière des nègres. Pour lors le commandant en chef fit fonner des trompettes, & nous, de danfer fur les embarcations, & le commandant lui-même, qui était de retour, de danfer avec nous. La fête terminée, nous débarquâmes au même endroit qu'auparavant & achetâmes, pour trois bracelets, un bœuf noir que nous mangeâmes le dimanche à dîner 5 il était fort gras, & fa chair auflî favoureufe que celle des bœufs de Portugal.

Le dimanche, il en vint tout autant accompagnés de femmes & de petits garçons, & les femmes fe tinrent fur le fommet d'une hauteur près de la mer; ils conduifaient quantité de bœufs & de vaches , & , s'étant arrêtés fur

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deux points, le long du rivage, ils fe mirent à jouer des inf- truments & à danfer comme le famedi. Or, il efl d'ufage parmi ces nègres que les jeunes gens demeurent dans le bois avec les armes ; mais les hommes faits vinrent con- verfer avec nous, & ils tenaient à la main des bâtons courts & des queues de renards ajuftées à un manche de bois dont ils fe fervent pour s'éventer le vifage. Et tandis que nous étions occupés de la forte à converfer par fignes, nous vîmes les jeunes garçons fe glifler furtivement à travers le fourré, portant les armes avec eux. Et le commandant en chef envoya en avant un homme nommé Martin Affonfo, qui était allé déjà au Manycongo , avec des bracelets de métal pour les troquer contre un bœuf Et quand les nègres eurent les bracelets, ils le prirent par la main & le menèrent à l'aiguade en lui demandant pourquoi nous leur avions pris de leur eau. Puis ils fe mirent à chaiïer leurs bœufs par le bois, & le commandant, voyant cela, nous ordonna, à nous autres, de nous raiïembler, & audit Martin Affonfo de fe fau- ver, parce qu'il jugea qu'il fe tramait quelque trahifon. Nous allâmes donc, après nous être ralliés, nous étions en pre- mier lieu, & les nègres nous y fuivirent. Et le commandant nous fit defcendre à terre avec nos lances, nos javelines, nos arbalètes bandées, revêtus de nos cuirafTes, dans le delTein furtout de leur montrer que nous étions en état de leur nuire, mais que nous ne le voulions pas. A cette vue, ils commencèrent à fe ramaiïer & à courir les uns aux autres^ & le commandant, pour éviter que l'on n'en tuât quelques- uns, fit raffembler les embarcations, puis, lorfque nous fûmes tous dedans, voulant leur faire comprendre que nous pouvions leur nuire & ne le voulions pas, il fit décharger

II

deux bombardes placées à l'arrière de la barque. Or, les nè<Tres étaient tous afîis fur la plage, contre le bois; quand ils entendirent la détonation des bombardes, ils fe mirent à fuir avec tant de précipitation à travers la forêt qu'ils perdirent les peaux dont ils étaient vêtus & en même temps leurs armes ; toutefois, lorfqu ils furent dans le bois, il en revint deux pour les chercher , puis ils ne tardèrent pas à fe raffembler & à fuir vers le fommet d'une montagne en chal- fant devant eux leur bétail.

Les bœufs de cette contrée font de grande taille, comme ceux de l'Alemtéjo, merveilleufement gras & très doux; ils font hongres & quelques-uns n'ont pas de cornes. Les nè- <Tres mettent aux plus gras un bât confedionné enpaille(i), à la façon de ceux de Caftille, &, fur le bât, une manière d'appui fait avec des bâtons, & c'eft ainfi qu'ils les mon- tent; quant à ceux qu'ils veulent vendre, ils leur paflent une branche de cifle (2) à travers les nafeaux & c'eft par qu'ils les dirigent.

Dans cette baie, il y a un îlot fitué à trois portées d'arba- lète en mer, &, dans cet îlot, force loups marins, quelques- uns auffi grands que d'énormes ours ; ils font très redouta- bles, armés de très grandes dents, & ils attaquent l'homme ; & il n'y a pas de lance, tant forte qu'elle foit, capable de les bleffer; il s'en trouve de plus petits & d'autres tout-à-fait petits; les grands poulTent des rugiffements comme des

(1) Tabua, c'eft une efpèce de typlia qui fert, en Portugal, à cou- vrir les chaumières. {Trad.)

(2) Efteva, nom vulgaire du cijlus ludanifirus en Portugal. (Tr.)

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lions & les petits crient comme des chevreaux. Nous allâ- mes là, un jour, nous divertir, &, tant grands que petits, nous en vîmes bien trois mille & tirâmes fur eux , depuis la mer, à coups de bombarde. Dans cet îlot, il y a des oi- feaux de la taille d'un canard qui ne volent point parce qu'ils manquent de plumes aux ailes & que l'on nomme pingouins (xvii); nous en tuâmes autant que nous vou- lûmes; ces oifeaux braient comme des ânes.

Etant à faire de l'eau dans cette baie de San-Bras, un mercredi, nous y élevâmes une colonne (i) avec une croix faite d'un mât de mifaine & qui était très haute. Et le jeudi fuivant, comme nous nous apprêtions à quitter ladite baie, nous vîmes dix à douze nègres qui renversèrent, avant que nous fuffions partis, la croix ainfi que la colonne. Après nous être munis de tout ce qui nous était nécef- faire, nous quittâmes ce parage & , le même jour, nous mouillâmes de nouveau à deux lieues du point d'où nous étions partis, car le vent nous manqua. Le vendredi, jour de Notre-Dame de la Conception, nous remîmes à la voile dans la matinée & pourfuivîmes notre chemin. Et le mardi fuivant, veiUe de Sainte-Luce, nous eiimes une forte tem- pête & couriàmes vent en poupe, la mifaine très bafle; & dans cette courfe nous perdîmes Nicolas Coelho qui nous

(i) Padram,padrâû; c'était une colonne de marbre aux armes du Portugal, furmontée d'une croix de fer, que les navigateurs éri- geaient fur les points les plus faillants de la côte au fur & à mefure de leurs découvertes; ces colonnes, embarquées à Lisbonne & tranfportées fur place, conftataient la prife de poffeffion du lieu, comme le drapeau national y eût été planté. (Trad.)

'3 eft revenu dans la matinée de ce jour. Nous l'avions aperçu, au coucher du foleil, du haut de la hune, à quatre ou cinq lieues en arrière, & penfions qu'il nous avait vus; nous avions allumé des feux & nous tenions en panne ; au mo- ment où le premier quart finilïait, il vint fe rallier à nous, non pas qu'il nous eût vu durant le jour, mais parce que le vent étant du plus près, il ne pouvait faire autrement que de tomber dans nos eaux.

Le vendredi , dans la madnée, nous découvrîmes une terre correfpondant aux îlots que l'on appelle ChSos(x\'ii\) qui gifent à cinq lieues plus loin que l'îlot da Crui. De la baie de San-Bras audit îlot da Cruz, il y a foixante lieues, & tout autant du cap de Bonne-Efpérance à la baie de San- Bras. Des îlots Chaos à la dernière colonne pofée par Bar- thélémy Dias, il y a cinq autres lieues, & de la colonne au rio do Infante, quinze lieues.

Le famedi qui fuivit, nous paffames en vue de la dernière colonne, & comme nous naviguions en rangeant la côte, deux hommes fe mirent à courir le long de la plage en fens inverfe de la diredion que nous fuivions. Le pays eft fort plaifant & bien affis; nous y vîmes force bétail vaguant par la campagne, & plus nous avancions, plus le terrain s'améliorait & fe couvrait d'arbres élevés.

La nuit d'après, nous demeurâmes en panne, car déjà nous avions atteint la hauteur du rio do Infante, dernière terre découverte par Barthélémy Dias , & le lendemain , avec le vent en poupe, nous longeâmes la côte jufqu'à l'heure de vêpres il fauta à l'eft; nous virâmes alors, mettant le cap au large , & louvoyâmes en courant des bordées, tantôt au large, tantôt du côté de la terre, jufqu'au

mardi oii le vent tourna à loueft vers le coucher du Ibleil : c'eft pourquoi nous demeurâmes en panne cette nuit -là afin d'aller reconnaître, le jour fuivant , la terre & le parage nous nous trouvions. Quand vint le matin, nous por- tâmes droit à terre &, à dix heures, reconnûmes l'îlot da Cruz, à foixante lieues en arrière de notre eflime. Cela vint des courants qui font ici très forts. Ce même jour, nous reprîmes la route que nous avions déjà fuivie, avec un bon vent de poupe qui nous dura trois jours, en forte que nous franchîmes les courants qui nous faifaient grandement ap- préhender de ne pouvoir atteindre l'objet de nos défirs. A partir de ce jour. Dieu permit, dans fa miféricorde, que nous allaffions en avant fans plus rétrograder ; puifle-t-il vouloir qu'il en foit toujours ainfi !

Le jour de Noël, 25" du mois de décembre, nous avions découvert foixante -dix lieues de côtes. Ce même jour, après dîner, en établiflant une bonnette, nous trouvâmes le grand mût fendu à une bralTe au-deflbus de la hune, <Sc la fente s'ouvrait & fe fermait alternativement. Nous le raccommodâmes au moyen de galhaubans, en attendant que nous puffions gagner un abri fiir pour procéder à une ré- paration. Et le jeudi, nous mouillâmes le long de la côte 6c prîmes quantité de poifTons ; puis, quand vint le coucher du foleil, nous remîmes à la voile & pourfuivîmes notre voyage. En cet endroit, nous perdîmes une de nos ancres par la rupture d'un petit câble qui nous retenait au mouil- lage. A partir de là, nous navigâmes durant un fi long temps fans prendre terre, que nous n'avions plus d'eau pour boire & que nous nous fervions uniquement d'eau falée pour pré- parer nos aliments; notre ration journalière était réduite à un

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qiiartilho (i), en l'orte qu'il devint néceflaire d'aborder quel- que part. Or, un jeudi, le lO du mois de janvier (xix), nous découvrîmes, un petit fleuve 6c mouillâmes en ce pa- rage, le long de la côte. Et le lendemain, étant allés à terre dans les embarcations, nous y trouvâmes nombre de nègres, hommes & femmes, d'une haute ftature, & ayant un fei- gneur parmi eux. Et le commandant en chef fit débarquer un certain Martin Affonfo qui avait été longtemps au iMany- congo, accompagné d'un autre individu, & les nègres leur firent bon accueil. C'eft pourquoi le commandant envoya à leur feigneurune jaquette & des chauflTes rouges, avec un bonnet maurefque & un bracelet. Et il dit que tout ce qu'il y avait en fon pays dont nous aurions befoin, il nous le donnerait de grand cœur ; ce fut ainfi que le comprit ledit Martin Affonfo. Cette nuit, lui & fon compagnon s'en furent avec ce feigneur coucher en fon logis, & nous, nous rega- gnâmes nos navires. Et pendant le trajet, il revêtit Fhabille- ment dont on lui avait fait préfent, & il difait avec grand contentement à ceuxqui venaient le recevoir: «Voyez-vous ce qu'ils m'ont donné! » & ceux-ci battaient des mains par politefle, ce qu'ils répétèrent trois ou quatre fois jufqu'à fon arrivée au village 5 là, il courut tout le pays dans le cof- tume il était, & finalement, étant entré chez lui, il en- voya loger les deux hommes qui l'avaient accompagné en un enclos il leur fit porter de la bouillie fiiite avec du millet, très abondant en cette contrée, & une poule comme celles de Portugal. Et durant toute cette nuit , nombre d'hommes & de femmes vinrent pour les voir. Le lende-

(1) Le quartilho équivaut à peu près à un tiers de litre. (Trad.)

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main matin , le feigneur les fut vifiter & leur dit de s'en retourner ; puis il fit partir deux autres hommes avec eux, & leur donna des poules pour le commandant en chef, en leur difant qu'il s'en allait montrer ce dont on l'avait gra- tifié à un grand feigneur qu'ils ont pour chef; or, d'après ce que nous conjedurâmes, ce devait être le roi du pays. Et lorfqu'ils arrivèrent au port étaient les embarca- tions, il y avait bien deux cents perfonnes qui les accom- pagnaient pour les voir.

Autant que nous pûmes en juger, ce pays efl fort peu- plé, & il s'y trouve nombre de feigneurs. Il nous fembla que les femmes étaient en plus grand nombre que les hommes, car, venaient vingt hommes, arrivaient quarante femmes. Les maifons font en paille, & les armes des habitants confiftent en très grands arcs, ainfi que flè- ches & zagaies en fer. La contrée, à ce qu'il nous parut, fournit beaucoup de cuivre ; ils en ornent leurs jambes, leurs bras & les trèfles de leurs cheveux 5 il y a aufii de l'é- tain qu'ils portent en garniture à leurs poignards dont les gaines font d'ivoire. Les gens de ce pays font grande efti- me de la toile de lin , car ils nous offraient quantité de ce cuivre pour des chemifes , en cas que nous euffions voulu leur en vendre. Us ont de grandes calebafl"es dont ils fe fervent pour puifer de l'eau de mer qu'ils portent à l'inté- rieur & verfent en des puits creufés dans le fol afin d'en fa- briquer du fel. Nous demeurâmes cinq jours, occupés à faire notre provifion d'eau qui était tranfportée fur les em- barcations par ceux dont nous recevions la vifi te. Nous n'en prîmes pas autant que nous l'aurions voulu parce que le vent favorisait notre voyage 5 puis, nous étions à l'ancre le

17 long de la côte, expofés à la houle du large. Nous donnâmes à cette contrée le nom de terra da "Boa Genre, ôc, au fleuve, celui de rio do Cobre.

Un lundi, étant en mer, nous découvrîmes une terre fort balTe, plantée d'arbres très hauts & très ferrés, &, tout en pourfuivant dans la même diredion, nous vîmes un fleuve à large embouchure ; or, comme il était néceflTaire de bien favoir nous étions, nous laifl"âmes tomber l'an- cre &, un jeudi, pendant la nuit, nous entrâmes. Le navire "Berrio fe trouvait déjà depuis la veille, étant arrivé huit jours avant la fin de janvier. Cette terre efl: fort bafle, ma- récageufe, plantée de grands vergers qui donnent des fruits en abondance & de beaucoup d'efpèces, & les habitants s'en nourriflent.

Ce peuple eft noir & de bonne preftance; il va nu, hor- mis une petite pièce de coton dont il fe couvre les parties naturelles; les feigneurs portent ces pagnes plus grandes. Les jeunes femmes, qui ont bon air en ce pays, fe percent les lèvres en trois endroits & y introduifent des morceaux d'étain tordus. Ces gens -là fe plaifaient infiniment avec nous; ils apportaient à notre bord ce qu'ils avaient, dans des almadiesÇi) à leur ufage, & nous aUions également chercher de l'eau à leur village.

Il y avait deux ou trois jours que nous étions en cet en- droit, quand nous reçûmes la vifite de deux feigneurs du pays; ils étaient fi orgueilleux qu'ils ne firent aucun cas de ce

(i) " oAlmadie efl; une barque fubtile qui n'appréhende pas tant les corfaires à caufe de fa vitefl"e. » Voy. de Pietro délia Valle, t. IV, p. 109. (Trad.)

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i8 qu'on leur offrit ; l'un d'eux était coiffé d'un turban, avec des liferés bordés en foie 5 l'autre portait une forte de bonnet de fatin vert. En compagnie de ce dernier vint un jeune homme natif d'un autre pays éloigné, comme ils nous l'apprirent par fignes, & il difait qu'il avait déjà vu des na- vires aufïï grands que ceux que nous avions amenés. De tels indices nous réjouirent fort parce qu'il nous femblaque nous ne tarderions pas à arriver au but de nos défirs. Ces gentils- hommes firent élever à terre, au bord du fleuve & non loin des navires , des cabanes ils demeurèrent environ une femaine 5 de là, ils envoyaient vendre à bord, chaque jour, des pièces de coton qui portaient des marques faites à l'encre rouge. Et lorfqu'ils eurent afTez de ce féjour, ils s'en furent fur des almadies en remontant le cours du fleuve. Pour nous, nous refiâmes trente-deux jours, occupés à renou- veler notre provifion d'eau, à nettoyer les navires & à ré- parer le mât du 'Raphaël. Plufieurs des nôtres y tombèrent malades ; leurs pieds enflaient ainfi que leurs mains, & leurs gencives avaient crû tellement par-defl^is les dents qu'ils étaient incapables de manger fxx). Nous élevâmes en ce lieu une colonne que nous appelâmes la colonne de San- Raphaël, à caufe du bâtiment qui portait ce nom 5 le fleuve reçut celui de rio dos 'Bons Signaes (xxi).

Nous partîmes de un famedi, 24 février, & durant cette journée nous couriames au large ; puis, la nuit qui fuivit, à l'eft, pour nous éloigner de la côte qui était d'un fort plaifant afpedl. Et le dimanche, nous fîmes route au nord-eft, &, à l'heure de vêpres, nous découvrîmes trois petites îles au large ; il y en avait deux couvertes de grands bois; la troifième était dénudée & moindre que les

19 autres, & de l'une à l'autre il pouvait y avoir quatre lieues. Comme il faifait nuit , nous portâmes au large & pafTâmes à travers durant l'obfcurité. Le lendemain, nous continuâmes notre route & naviguâmes pendant fix jours, nous arrêtant pendant la nuit. Or, un jeudi, premier jour de mars, fur le foir, nous eûmes connailTance des îles & de la terre dont il fera queftion plus loin ; mais, à caufe de l'heure avancée, nous reprîmes le large & mîmes en panne jufqu'au matin, & alors nous arrivâmes au pays dont on va parler.

Le vendredi, dans la matinée, Nicolas Coelho voulant pénétrer dans cette baie manqua le chenal & toucha; ôc, en virant de bord pour rallier les autres navires qui venaient par derrière , il vit des barques à voile fortir du village de cette île, ce dont il informa le commandant en chef & fon frère avec de vives démonftrations de joie. Nous conti- nuâmes donc à courir ce même bord au large afin de pou- voir arriver au mouillage. Se, plus nous avancions, plus ils nous fuivaient en nous invitant par fignes à les attendre. Or, comme nous jetions l'ancre dans la rade de cette même île d'où s'était détachée la barque, vinrent à nous fept ou huit de ces barques & almadies, & ceux qui les montaient s'avançaient au fon des anafils (i) dont ils étaient munis, & ils nous engageaient à pénétrer dans l'intérieur, offrant de nous conduire au port fi nous le délirions; puis ils montèrent à bord des navires, mangèrent & burent de ce que nous man- gions & buvions, & s'en allèrent lorfqu'ils en eurent alTez. Les capitaines furent d'avis d'entrer dans cette baie pour

(i) Sorte de clairon. {Tnid.)

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lavoir quelle forte de gens étaient ceux-ci : Nicolas Coelho dut aller en avant avec fon navire pour fonder la barre, &, fi rentrée était praticable, on décida que nous entre- rions. Or, Nicolas Coelho s'apprêtant à entrer vint à don- ner contre la pointe de file & brifa fon gouvernail; mais, aufîitôt qu'il eut touché il gagna le large, & j'étais moi- même avec lui. Dès que nous fûmes en pleine mer, nous amenâmes nos voiles & laiflames tomber l'ancre à deux portées d'arbalète du village.

Les habitants de ce pays font cuivrés (xxii), bien bâtis, & de la fe6le de Mahomet : ils parlent le langage des Maures & s'habillent d'étoffes de lin & de coton très fines, rayées de diverfes couleurs, riches & bien ouvragées. Tous portent des turbans avec des liferés de foie brodés de fil d'or ; ils font marchands, & trafiquent avec les Maures blancs qui avaient juftement, en ce mêmeparage, quatre navires chargés d'or, d'argent, de clous de girofle, de poivre, d'anneaux d'argent & de quantité de perles, de femence de perles & de rubis, toutes chofes que portent fur eux les gens de ce pays. Nous crûmes comprendre, d'après ce qu'ils nous dirent, que la totaUté de ces marchandifes était importée, & que c'étaient les Maures qui les apportaient, hormis for; que plus avant, nous allions, il y en avait à foifon ; & qu'enfin les les pierres fines, la femence de perles & les épices s'y trou- vaient en telle abondance qu'on n'avait nul befoin de les acheter, mais qu'on les ramalîait à pleins paniers. Le tout était ainfi compris par un matelot que le commandant en chef avait amené avec lui, & qui, ayant été jadis capdt des Maures, entendait ceux que nous avions rencontrés ici. De plus, ces mêmes Maures nous apprirent que lur la route

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qui nous reliait à taiie nous trouverions nombre de bas- fonds ; que nous verrions auffi nombre de villes le long de la côte, & que nous rencontrerions une île la moitié des habitants étaient des Maures & l'autre moitié des chré- tiens (xxin) ; que les chrétiens étaient en guerre avec les . Maures, & que l'île renfermait de grandes richeffes.

Ils nous dirent encore que le prêtre Jean ne demeurait pas loin d'ici ; qu'il pofledait maintes villes fur la côte, & que les habitants de ces villes étaient de puiflants marchands qui équipaient de grands navires; mais que la réfidence dudit prêtre Jean fe trouvait fore avant dans l'intérieur, & que nous ne pourrions nous y rendre qu'à dos de chameau. Les fufdits Maures avaient amené ici deux chrétiens de l'Inde captifs; ces récits qu'ils faifaient, ainfi que beaucoup d'au- tres, nous rendaient fi joyeux que nous en pleurions d'aife & demandions à Dieu de vouloir bien nous accorder la fanté pour voir ce que nous défirions tant contempler.

En ce parage & cette île qu'on nomme Mozambique, il y avait un feigneur, pareil à un vice-roi, qu'ils appelaient Sultan, & qui venait fouvent à notre bord en compagnie des fiens. Le commandant le régalait très bien; & il lui fit un préfent qui confiftait en chapeaux, capes, filières de corail & nombre d'autres chofes ; & il était fi orgueilleux qu'il dédaignait tout ce qu'on lui offrait & demandait de l'écarlate dont nous n'avions point apporté ; mais nous lui donnions de ce que nous avions avec nous.

Un jour, le commandant en chef lui fit fervir une collation abondante de figues & de confitures, & le pria de lui donner deux pilotes pour nous accompagner; ilyconfentit, pourvu qu'ils fuffent contents de nous; & le commandant leur

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o(5lroya à chacun trente mitkals d'or (xxiv) & deux capes ; ce fut à condition, qu'à partir du jour ils auraient reçu ce paiement, l'un d'eux demeurerait toujours à bord, en cas qu'ils vouluffent s'abfenter, ce dont ils furent très fatisfaits. Et un famedi, lo du mois de mars, nous partîmes & fûmes mouiller à une lieue au large, près d'une île, afin que le di- manche on pût célébrer la mefle, & que ceux qui le vou- laient fe confefTafTent & communiaflent.

Un de ces pilotes demeurait dans l'île, en forte qu'après avoir mouillé, on arma deux embarcations pour aller à fa recherche; l'une portait le commandant en chef, l'autre Nicolas Coelho. Or, pendant qu'ils allaient ainfi , vinrent à leur rencontre cinq à fix barques avec nombre de gens armés d'arcs, de flèches très longues& derondaches(xxv), & ils faifaient figne aux nôtres de retourner en ville. Quand le commandant vit cela, il s'aflura du pilote qu'il menait avec lui, & ordonna de tirer à coups de bombarde fur ceux qui s'avançaient dans les barques. Alors, Paul da Gama, qui était refté fur les vailTeaux pour porter fecours depuis en cas d'événement, ayant ouï le bruit de l'artillerie, mit à la voile avec le 'Bcrrio; & quand les Maures, qui déjà s'étaient dé- bandés, s'aperçurent que le navire était en marche, ils fe prirent à détaler de plus belle & gagnèrent la terre avant que le 'Berrio pût les joindre, en forte que nous retournâmes au mouillage. Le dimanche, nous entendîmes la mefle dans Fîle, fous un bocage fort élevé, &, la meflTe dite, nous re- tournâmes à bord, mîmes incontinent à la voile & commen- çâmes à faire route, munis de bon nombre de poules, de chèvres & de pigeons que nous avions troqués en cet en- droit contre des raflades de verre jaune.

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Les navires de ce pays font grands & non pontés ; ils ne font pas cloués, mais coufus avec des cordelettes de fpar- terie, & il en eft de même des embarcations ; leurs voiles font des nattes de palmier^ & les marins qui les dirigent ont des aiguilles génoifes, ainfi que des quarts de cercle & des cartes marines (xxvi).

Les palmiers de la contrée donnent un fruit auffi gros qu'un melonj & c'eft Tamande intérieure que l'on mange ; elle a le goiit du junça lorfqu'il eft fec (i). Il y a auffi force concombres & melons dont on nous apportait comme objets d'échange.

Le jour Nicolas Coelho entra^ le feigneur du lieu vint à bord avec une fuite nombreufe & reçut de lui très bon accueil ; il lui donna une capuche rouge, & le feigneur lui fit préfent à fon tour d'un chapelet noir dont il fe fervait pour fes oraifons, comme gage de fécurité ; puis il lui de- manda l'embarcation pour s'en retourner & on la lui donna. Et lorfqu'il fut à terre, il emmena en fon logis ceux qui l'a- vaient accompagné, & leur fit donner à manger, après quoi il les congédia en les chargeant, pour Nicolas Coelho, d'un pot de dattes écrafées, mêlées à une conferve de clous de girofle & de cumin. Il envoya également plus tard diffé- rentes chofes au commandant en chef. Ceci advint au temps il nous prenait pour des Turcs ou des Maures de quel- que autre lieu; &, en effet, ils nous demandaient fi nous ve-

(i) Junça eft le nom vulgaire du cyperus efculentus L. qui croît abondamment en Portugal & aux Açores. Les enfants font friands des petits tubercules de cette plante que l'on fait fécher à l'ombre, dans un lieu bien aéré, &qui deviennent alors très fucrés. [Trad.)

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nions de Turquie, & nous priaient de leur montrer les arcs de notre pays & les livres de notre loi. ^t quand ils furent que nous étions chrétiens , ils fe concertèrent pour nous furprendre & pour nous tuer par trahifon ; mais leur pilote, que nous emmenions, nous découvrit tout le mal qu'ils fe propofaient de nous faire fi leur complot réufllITait.

Le mardi, nous vîmes une terre accidentée par de hautes montagnes qui s'élevaient au-delà d'une pointe, & cette pointe était plantée, le long de la côte, de grands arbres reffemblant à des ormes & clair-femés. Ladite terre pouvait être à une vingtaine de lieues, au plus, du point d'où nous étions partis ; & nous eûmes des calmes le mardi & le mercredi. La nuit fuivante, nous portâmes au large, avec une faible brife de l'ell, &, fur le matin, nous nous trou- vions à quatre lieues en arrière de Mozambique. Ce même jour, continuant à naviguer jufqu'au foir, nous vînmes mouiller contre l'île nous avions entendu la mefle le di- manche précédent, & y demeurâmes huit jours à attendre un temps favorable. Dans l'intervalle , le roi de Mozam- bique nous fit dire qu'il fouhaitait faire la paix avec nous & devenir notre ami ; & l'ambalTadeur chargé de ce mef- fage fut un Maure blanc qui était fchérif, ce qui veut dire prêtre (xxvu), d'ailleurs un grand ivrogne. Comme nous étions en ce parage, vint un Maure avec un petit garçon qui était fon fils; il s'établit fur un de nos vaifleaux, difant qu'il voulait s'en aller avec nous parce qu'il était des environs de la Mecque & qu'il avait fait le voyage de Mozambique, en qualité de pilote, fur un navire de ce pays. Or, comme le temps ne nous favorifait pas, il devint néceflaire d'entrer dans le port de Mozambique pour prendre l'eau dont nous

2T avions befoin; Taiguade fe trouvait de l'autre côté, lur la terre ferme ; ceft la même eau que boivent les habitants de rile, car ils n'en ontpas d'autre, chez eux, que de Feau falée.

Un jeudi, nous entrâmes dans le fufditport &, quand la nuit fut tombée, nous mîmes les embarcations à la mer; & fur la minuit, le commandant en chef, Nicolas Coelho, ainfi que plufieursde nous autres, fûmes reconnaître était l'eau, en compagnie du pilote maure plus dilpofé à s'échap- per, s'il le pouvait, qu'à nous montrer l'aiguade. Or, il s'em- brouillafi bien qu'il neputjamaisnousenfeigneroùelleétait, ou ne le voulut pas, de forte que nous demeurâmes en quête jufqu'au matin. Nous retournâmes donc fur les navires &, le foir, revînmes encore une fois à terre, accompagnés du même pilote. Et comme nous étions déjà près de l'aiguade, nous vîmes une vingtaine de ces gens -là qui s'en allaient efcarmouchantle long de la plage, leurs zagaies à la inain, & faifant mine d'en défendre l'approche ; c'efl; pourquoi le commandant en chef leur fit tirer trois volées de bombardes afin de les obliger à nous laiffer débarquer. Et comme nous touchions terre ils fe cachèrent dans fépaiiïeur du bois, en forte que nous prîmes autant d'eau que nous en voulûmes. Quand nous nous retirâmes le foleil allait fe coucher, & nous nous aperçûmes qu'un nègre du pilote Jean de Coimbre s'était enfui.

Le famedi, 24 du mois de mars, vigile de Notre-Dame, dans la matinée, vint un Maure en face des navires, & il dit que fi nous voulions de l'eau nous n'avions qu'à en aller chercher, donnant à entendre que nous trouverions à qui parler. Voyant cela, le commandant en chef réfolut d'y aller pour leur montrer qu'il ne tenait qu'à nous de leur faire

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du mal nous en avions la volonté; nous prîmes donc fur- ie-champ la dire(5lion du village avec les embarcations ar- mées & l'artillerie en poupe . Or, les Maures avaient confirait de fortes palifllides & lié enfemble quantité de planches épaiffes, en forte que ceux qui étaient derrière fe dérobaient à notre vue; & ils allaient le long de la plage , armés de rondaches, de zagaies, de coutelas, d'arcs, & de frondes avec lefquelles ils nous lançaient des pierres. Pour nous, avec notre artillerie, nous répondîmes fi bien à leurs avan- ces qu'ils jugèrent à propos de vider la plage , & de fe réfugier derrière la paliflade qu'ils avaient élevée & dont ils recueillirent plus de mal que de profit. Nous palTâmes en- viron trois heures occupés de la forte & vîmes deux hommes morts, un quenous avions tué fur la plage, l'autre en dedans de l'eflacade. Quand nous fiâmes las de cette befo- gne nous retournâmes dîner à bord, & à l'inftant ils fe mi- rent à fuir & à charger leur bagage fur des almadies pour gagner un village fitué de l'autre côté. Pour nous, après dîner, nous allâmes voir, fur les embarcations, fi nous ne pourrions pas en prendre quelques-uns, afin de les échanger contre les deux Indiens chrétiens qu'ils retenaient captifs & le nègre qui s'était enfui. En conféquence, nous nous mîmes à la pourfuite d'une almadie du fchérif qui était chargée de bagage, & d'une autre montée par quatre nègres dont s'empara Paul da Gama; quant à celle qui portait le ba- gage, les gens qui s'y trouvaient prirent la fuite en tou- chant terre & l'abandonnèrent à la côte. Avec celle-ci, nous en rencontrâmes encore une autre le long de la mer; & les nègres que nous prîmes furent emmenés à bord des navires. On trouva dans les almadies quantité de toile

27 fine de coton, des paniers en feuilles de palmier, une jarre vernifTée pleine de beurre, des fioles de verre avec des eaux de fenreur, des livres de leur loi, un coffre qui renfer- mait maints écheveaux de coton , un hamac en filet éga- lement de coton, enfin plufieurs cabas remplis de mil. Tout ce que l'on prit en cette circonftance fut abandonné par le commandant en chef aux marins qui fe trouvèrent avec lui ou avec les autres capitaines, hormis les livres qu'il garda pour les montrer au Roi. Le dimanche fuivant, nous allâmes faire de l'eau &, le lundi, nous nous préfentâmes fur les em- barcations armées devant la bourgade ; & les Maures nous parlaient à l'abri de leurs maifons, n'ofant plus s'aventurer fur la plage. Après leur avoir lâché quelques volées de bom- bardes, nous ralliâmes les navires &, le mardi, nous nous retirâmes & fûmes mouiUer près des îlots de Saint-Georges nous demeurâmes encore durant trois jours, dans l'efpoir que Dieu nous accorderait un temps favorable. Enfin, le jeudi 2g du mois de mars, nous quittâmes lefdits îlots, &, comme il y avait peu de vent, quand vint le famedi matin trentième jour du même mois, nous n'en étions qu'à vingt- huit lieues.

Le même jour, dans la matinée, nous avançâmes jufqu'au pays des Maures d'où nous avions été ramenés par la force des courants.

Le dimanche, premier jour d'avril, nous atteignîmes cer- taines îles très rapprochées de la terre, & la première reçut le nom Hlha do cAçoutado (xxviii) parce que, dans la foirée du famedi , le pilote maure que nous emmenions avec nous ayant menti au commandant en difant que ces îles étaient la terre ferme, avait été fuftigé par fon ordre pour ce

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mcnCongc. Les bâtiments du pays naviguent par quatre hralTes entre la côte & les îles ; mais nous, nous paflTâmes au large. Ces îles font nomhreufes & tellement rapprochées que nous ne pouvions les diftinguer les unes des autres & elles font habitées. Le lundi, nous eûmes en vue d'autres îles fituées à cinq lieues au large (\xi.x).

Le mercredi, quatrième jour d'avril, nous fîmes voile, le cap au nord-oueft &, avant midi, nous eijmes connaiflance d'une grande terre & de deux îles fifes dans le voifinage ; cette terre eft environnée de quantité de bas-fonds. Lorfque nous en fûmes allez près pour que les pilotes la puflent re- connaître, ils dirent que l'île des chrétiens gifait à trois lieues en arrière; en conféquence, nous manoeuvrâmes durant toute la journée pour tâcher de l'atteindre, mais fans y par- venir, le vent du ponent étant trop élevé. Alors les capi- taines furent d'avis de laiffer arriver pour gagner une cité dont nous étions à quatre journées & que l'on appelle iMombaza.

Cette île, que nos pilotes difaient habitée par des chré- tiens, était une de celles que nous étions venus chercher (xxx). Nous laiiïames donc arriver, qu'il était déjà tard, le vent étant très frais, &, à la nuit tombante, nous aper- çûmes une île confidérable qui nous reftait au nord (xxxi). D'après le récit des pilotes maures que nous emmenions, il y avait en cette île une ville de chrétiens & une autre de Maures; & quand vint la nuit, nous ne vîmes plus la terre; toutefois, ayant fait route au nord-oueft, nous la retrouvâmes furie foir.

Dans la nuit qui fuivit nous fîmes route au nord quart nord-oueft &, à l'aube, nous gouvernâmes au nord-nord-

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oueft. Pendant que nous marchions ainfi avec un vent pro- pice, il arriva , deux heures avant le jour, que le navire San-T{aphaél donna fur des bas-fonds qui gifent à deux lieues de la terre ferme. Comme il toucha, on le cria aux autres qui venaient à la fuite, & les cris ayant été entendus, ils mouillèrent incontinent à la diftance d'une portée de bom- barde & mirent leurs embarcations dehors. A marée baffe le navire demeura totalement à fec; alors, avec les embar- cations, on élongea plufieurs ancres au large, &, quand vint la marée du jour qui fut une haute marée, le bâtiment fe remit à flot ce dont nous nous réjouîmes tous grande- ment.

Sur la terre ferme, vis-à-vis de ces bas-fonds, il y a ,une chaîne de montagnes fort élevées & d'un agréable afpedl à laquelle nous donnâmes le nom de San-Raphaël de même qu'aux écueils (xxxii).

Tandis que le navire était échoué, deux almadies s'en approchèrent & vinrent aufïï vers nous ; elles apportaient quantité d'oranges de fort bonne qualité , meilleures que celles de Portugal. Deux Maures demeurèrent à bord & nous accompagnèrent le jour fuivant à une cité du nom de Mombaza.

Le famedi matin , feptième jour du même mois & veille des Rameaux, nous vîmes, en prolongeant la côte, des îles gifant à quinze lieues de la terre ferme & qui pouvaient avoir fïx lieues d'étendue (xxxiii) ; ces îles fournifTent nombre de mâts qui fervent à mater les navires du pays, & toutes font habitées par des Maures. Au coucher du foleil, nous allâmes jeter l'ancre en face de ladite cité de Mombaza, mais nous n'entrâmes pas dans le port ; et à notre arrivée

vint à nous une lavra (i) chargée de Maures, &, devant la ville, on voyait force navires, tous pavoifés de leurs pavil- lons. Et nous, pour leur faire compagnie, nous en fîmes tout autant fur nos vaiffeaux & même davantage, car rien ne nous manquait hormis les hommes que nous n'avions pas; encore le peu qui nous reliait était-il gravement ma- lade. Ce fut avec une vive fatisfa<ftion que nous mouil- lâmes là, perfuadés que le jour fuivant nous irions à terre entendre la meffe avec les chrétiens que l'on nous avait dit s'y trouver, y vivant féparés des Maures & ayant leur alcade.

Les pilotes que nous avions emmenés racontaient que cette île de Mombaza était occupée & habitée par des Maures & des chrétiens qui vivaient féparément les uns des autres & avaient chacun leur feigneur, &, qu'à notre arrivée, ils nous feraient grand accueil & nous mèneraient en leurs maifons. Or, ils difaient cela pour en arriver à leurs fins & nullement parce que c'était la vérité.

La nuit fuivante, à minuit, vinrent environ cent hommes fur une zavra, tous avec des coutelas & des rondaches ; lorfqu'ils furent arrivés fe trouvait le commandant en chef, ils voulurent entrer avec leurs armes ; mais il ne le permit pas , & il n'en entra que quatre ou cinq des plus qualifiés qui demeurèrent avec nous environ deux heures puis après s'en allèrent; notre opinion fur cette vifite fut qu'ils étaient venus pour s'aflurer s'il n'y aurait pas moyen de s'emparer de quelqu'un des navires.

(i) Sorte de brigantin. ÇTrad.)

Le dimanche des Rameaux, le roi de Mombaza envoya au commandant en chef un mouton avec quantité d'oran- ees, de cédrats & de cannes à Tucre : il lui fit remettre aulFi un anneau, comme gage de fécurité, lui mandant que s'il voulait entrer, il lui fournirait tout ce dont il aurait befoin ; or, ce préfent fut apporté par deux hommes très blancs qui fe difaient chrétiens, & il nous parut qu'ils l'étaient en effet. A fon tour, le commandant fit préfent au roi d'une filière de corail, en lui mandant qu'il entrerait dans le port le len- demain 5 & le même jour, quatre Maures des plus qualifiés demeurèrent à bord de fon navire. Or, le commandant en- voya deux hommes au roi de cette ville pour mieux confir- mer ces alTurances de paix 5 & lorfqu'ils eurent débarqué, une foule confidérable les accompagna jufqu'à la porte du palais. Avant d'arriver en préfence du roi, ils passèrent par quatre portes fe tenaient quatre gardiens, chacun d'eux à une porte, le fabre nu à la main; & quand ils furent de- vant le roi, il les reçut très gracieufement & leur fit montrer toute la ville. Us s'arrêtèrent en la demeure de deux mar- chands chrétiens qui leur firent voir, à tous deux, un papier qu'ils adoraient & fur lequel était repréfenté un Saint-Efprit. Enfin , lorfqu'ils eurent tout examiné, le roi envoya des échantillons de clous de girofle, de poivre, de gingembre & de blé trémois au commandant , toutes chofes dont il nous permettait de faire un chargement.

Le mardi, en levant les ancres pour entrer, la nef du commandant en chef ne voulut point abattre & elle allait donner, en culant, fur le navire qui fe trouvait en poupe. Nous laiffames donc tomber l'ancre de nouveau 5 alors les Maures que nous avions à bord voyant que nous n'entrions

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pas le ralîemblèrent fur une zavra, &., au moment elle palTait en poupe, les pilotes qui étaient venus de Mozambi- que avec nous Te jetèrent à la mer & ceux de la zavra les recueillirent. La nuit venue, le commandant fit fubir la quellion de l'huile bouillante (i) à deux Maures que nous avions à bord pour leur faire confefler s'ils avaient ourdi quelque trahifon ; & ils avouèrent qu'on avait concerté de s'emparer de nous, après notre entrée dans le port, & de tirer vengeance de notre conduite à Mozambique. Et comme on apprêtait le fupplice du fécond, il s'élança dans la mer, les mains liées, & l'autre s'y jeta au quart du matin.

Vers le milieu de cette même nuit, deux almadies s'ap- prochèrent de nous 5 elles portaient un grand nombre d'hommes qui fe mirent à la nage tandis que les embar- cations demeuraient au large ; les uns fe dirigèrent vers le navire 'Benio , les autres vers le T{aphaèl. Ceux qui furent au "Berrio commencèrent à couper l'amarre, & les hommes de veille fe figurèrent que c'étaient des marfouins; mais ayant reconnu la vérité , ils avertirent par leurs cris le relie de la flotte. Déjà les autres s'étaient accrochés aux chaînes des haubans de la mifaine du %aphael ; fe voyant décou- verts, ils fe turent, defcendirent & prirent la fuite. Telles furent les méchancetés, fans parler de bien d'autres, que ces chiens ourdifTaient contre nous; mais Notre-Seigneur ne leur permit pas de réuflîr parce qu'ils ne croyaient point en lui.

(i) Tingar, fupplice qui confiftait à verfer des gouttes d'huile ou de réfine bouillante, & même de métal fondu fur la peau, pour obtenir du patient un aveu.

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Cette cité eft vafte & elle eft alTife fur une hauteur battue par la mer ; c eft un port entrent chaque jour bon nom- bre de navires ; on voit à l'entrée une colonne & , contre la metj une forterefle baffe (xxxiv). Ceux qui allèrent à terre nous rapportèrent qu'ils avaient rencontré par la ville quantité d'hommes chargés de fers, & nous jugeâmes que ce devaient être des chrétiens, car les chrétiens, en ce pays, font en guerre avec les Maures.

Les chrétiens établis en cette cité font des marchands qui y réfident paffagèrement ; ils y font trèsaffujettis, ne faifant rien que ce que le roi maure leur commande.

Dieu permit, dans fa miféricorde , qu'aufTitôt que nous eûmes atteint cette ville, tous les malades que nous avions recouvraffent la fanté ; l'air, en effet, eft très falubre en ce parage.

Nous demeurâmes encore le mercredi & le jeudi, après avoir reconnu la malice de ces chiens & la trahifon qu'Us avaient ourdie contre nous 5 nous en partîmes dans la ma- tinée, avec peu de vent, & vînmes mouiller près de terre, à huit lieues environ de Mombaza. A faube du jour, nous vîmes deux barques fous le vent des navires, à trois lieues environ au large, & auffitôt nous nous dirigeâmes fur elles pour tâcher de nous en emparer, car nous défirions nous procurer des pilotes qui fuffent en état de nous conduire nous voulions aller. Et, à l'heure de vêpres, nous joi- gnîmes l'une des fufdites barques que nous capturâmes ; l'autre nous échappa en gagnant la terre. Or, dans celle que nous prîmes, nous trouvâmes dix-fept hommes, de l'or, de fargent , beaucoup de mil & de provifions , enfin une jeune femme, époufe d'un vieux Maure, homme confidéra-

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hle & qui fe trouvait là. Au moment nous les abordâmes ils fe jetèrent tous à la mer, & nous nous mîmes à les re- cueillir dans les embarcations.

Le même jour, au coucher du foleil, nous jetâmes l'ancre en face d'un lieu qui s'appelle Mélinde & qui gît à trente lieues de Mombaza. De Mombaza à ce bourg de Mélinde on rencontre, dans l'ordre fuivant, d'abord "Benapa, puis Toça & tN^guO'Quionieie .

Le jour de Pâques, les Maures que nous avions capturés nous dirent qu'il y avait, dans ladite bourgade de Mélinde, quatre navires appartenant à des chrétiens qui étaient indiens; que fi nous voulions les y conduire, ils nous donneraient en leur place des pilotes chrétiens & tout ce dont nous aurions befoin, comme de la viande, de l'eau, du bois & encore d'autres chofes. Or, le commandant en chef qui défirait vivement obtenir des pilotes de l'endroit ayant traité cette affaire avec les Maures, nous allâmes mouiller près du bourg à une demi -lieue de terre; mais les habitants n'osè- rent point venir à bord parce qu'ils étaient déjà prévenus, & qu'ils n'ignoraient pas que nous avions capturé une barque avec les Maures qui la montaient.

Le lundi, dans la matinée, le commandant en chef fit dépofer le vieux Maure fur un récif, en face de la ville, &il vint une almadie pour le chercher. Ce Maure s'en alla communiquer au roi les défirs du commandant, & lui dit combien il ferait fatisfait de faire la paix avec lui. Or, après déjeûner, le Maure revint fur une zavra que le roi de cette bourgade expédiait avec un de fes cavaliers & un shérif; il en- voyait trois moutons, & faifait dire au commandant qu'il fe réjouirait d'être en paix & d'entrenir de bons rapports avec

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lui ; que s'il Ibuhaitait quelque chofe de Ion pays, il le lui donnerait très volontiers, comme des pilotes ou toute autre chofe. Et le commandant en chef lui fit réponfe qu'il en- trerait le lendemain dans le port 5 en même temps il lui envoya par les porteurs du meflage un balandran, deux fi- lières de corail, trois baflîns d'airain, un chapeau, des gre- lots & deux pièces de drap rayé (i).

Or donc, le mardi, nous nous approchâmes encore plus près de la ville, & le roi envoya au commandant fix mou- tons, avec une bonne quantité de clous de girofle, cumin, gingembre, noix mufcades & poivre, lui faifant dire que le mercredi, s'il lui plaifait qu'ils se rencontraiïent en mer, il irait fur fa zavra, & qu'il vînt, lui, dans fon embarcation.

Le mercredi, après dîner, le roi vint fur une zavra & s'ap- procha des navires; pour lors, le commandant s'embarqua dans fon canot qui était parfaitement équipé, &, quand il eut rejoint le roi, à finftant celui-ci fe mit près de lui. s'é- changèrent nombre de propos, entre autres les fuivants : le roi ayant dit au commandant qu'il le priait de venir avec lui fe délalTer en fon palais, & qu'il fe rendrait à fon tour à bord de fes navires, le commandant lui répondit qu'il n'avait pas congé de fon feigneur pour defcendre à terre, & qu'en y defcendant il donnerait mauvaife opinion de lui à qui l'avait envoyé. Et le roi demanda quelle opinion de fa per- fonne il donnerait lui-même à fon peuple, & ce que Ton di- rait, s'il fe rendait fur fes vaifleaux ? Il s'informa enfuite du

(i) Lambel, étoffe de coton rayée dont l'exportation fut confi- dérable à la naiffance des relations commerciales avec l'Afrique.

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nom que portait notre roi & fe le fit écrire, ajoutant que fi nous repartions par ici, il enverrait un ambaflâdeur ou écri- rait. Après avoir ainfi caufé l'un & l'autre de ce qu'ils vou- lurent, le commandant fit amener tous les prifonniers maures que nous avions & les lui donna, ce dont il fe montra très fatisfait, difant que ceci lui était plus agréable que fi on lui eût fait préfent d'une ville. Et le roi, pour fe divertir, s'en alla faire le tour des navires qui déchargèrent force bombardes en fon honneur, & il s'amufait fort à voir tirer. Trois heures environ fe passèrent de la forte, &, quand il partit, il laifl!a fur le vaifleau un de fes fils & un de fes shé- rifs pendanii que deux des nôtres l'accompagnaient à fon logis; ce fut lui-même qui les demanda, voulant qu'ils vinflent voir fon palais. Il dit encore au commandant que puifqu'il ne fe fouciait pas de defcendre à terre, il allât le lendemain fe promener le long du rivage, & qu'il y enverrait chevaucher fes cavaliers.

Voici quel était l'équipage du roi : premièrement, une robe de damas doublée de fatin vert, &,fur la tête, un turban très riche; puis, deux fiéges de bronze avec leurs couffins & un dais de fatin cramoifi, de forme ronde, fixé à un bâton. Son page était un homme âgé qui portait un coutelas dont la gaîne était d'argent : ajoutez plufieurs anafils & deux trompettes d'ivoire, de la hauteur d'un homme, par- faitement ouvragées, dont on jouait par un trou percé en leur milieu ; le fon de ces trompettes s'accorde avec celui des anafils.

Le jeudi, le commandant en chef & Nicolas Coelho montèrent fur les embarcations avec bombardes en poupe & s'en furent le long de la bourgade. On voyait à terre

^7 beaucoup de monde &, dans la foule, deux hommes à cheval joutant & fe divertiflant mfiniment, à en juger du moins par leurs démonftrations. Et là, ils prirent le roi fur les degrés de pierre de fon palais & le portèrent en palan- quin jufqu'à l'embarcation fe tenait le commandant. Alors, le roi le pria de rechef de defcendre à terre, difant que fon père qui était perclus ferait joyeux de le voir, & que lui & fes fils iraient demeurer fur fes vaifleaux, ce dont le commandant s'excufa.

Nous trouvâmes ici quatre navires de chrétiens de l'Inde (xxxv); & lorfque ces chrétiens vinrent pour la première fois fur la nef de Paul da Gama fe trouvait le comman- dant en chef, on leur fit voir un tableau repréfentant Notre- Dame avec Jéfus-Chrift dans les bras, au pied de la croix, & avec les apôtres. Et les Indiens à la vue de cette peinture fe proflernèrent fur le fol , & durant tout notre féjour ils vinrent faire leurs oraifons, apportant des clous de giro- fle, du poivre, ainfi que d'autres offrandes.

Ces Indiens font des hommes bruns, légèrement vêtus; ils portent de grandes barbes & des cheveux très longs qui font nattés ; ils ne mangent point de chair de bœuf, d'après ce qu'ils nous dirent, & leur langage diffère beaucoup de celui des Maures; toutefois il y en a qui favent quelque peu d'arabe par fuite des rapports continus qu'ils entretiennent avec les gens de cette nation .

Le jour le commandant en chef fut fe promener en bateau près de la ville , on déchargea force bombardes à bord des navires des Indiens chrétiens ; &, le voyant paf- fer, ils élevaient les mains, s'écriant tous avec une vive allé- greffe : Chrift! Chriji! En cette occurrence, ils demandèrent

58 l'agrément du roi pour nous fêter durant la nuit ; &, en effet, la nuit venue , ils firent grande réjouiflance , tirant force artillerie, lançant des artifices & pouffant de grands cris.

Bien plus, ces Indiens avertirent le commandant en chef de ne point aller à terre & de ne pas fe fier aux careffes des Maures, parce qu'elles n'étaient guère l'expreffion de leurs fentiments ni de leur volonté.

Le dimanche qui fuivit, vingt-deuxième jour du mois d'a- vril, la zavra du roi vint nous accofler, portant un de fes favoris ; & comme deux jours s'étaient écoulés déjà fans que perfonne vînt aux navires, le commandant mit la main fur lui & fit demander au roi les pilotes qu'il lui avait pro- mis. Dès qu'il eut reçu ce meffage, le roi lui envoya un pilote chrétien, & le commandant relâcha incontinent le gentilhomme qu'il retenait à bord. Et nous nous réjouîmes fort d'avoir le pilote chrétien que le roi nous avait don- né (xxxvi).

Nous apprîmes ici que cette île qu'on nous repréfentait à Mozambique comme peuplée de chrétiens, eft une île réfide le roi même de Mozambique, & dont la moitié ap- partient aux Maures & l'autre moitié aux chrétiens. Elle produit abondamment la femence de perles, & fon nom efl Quiloa ; les pilotes maures avaient voulu nous y conduire, & nous avions eu nous-mêmes le défir d'y aller, car nous les avions crus fur parole.

Le bourg de MéUnde eft affis au fond d'une baie & bâti le long de la plage ; il reffemble à Alcouchete ; les maifons font élevées, parfaitement blanchies à la chaux & percées de nombreufes fenêtres. Du côté de la campagne , elles font bordées d'un bois de palmiers très hauts qui touche

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aux habitations. Tout le pays aux alentours eft cultivé en mil & autres légumes .

Nous demeurâmes neuf jours devant cette bourgade, &, durant ces neuf jours, il y eut conftamment à terre des ré- jouilTances & des joutes à pied, le tout avec force mufique.

Le mardi, 24 dudit mois, nous partîmes de là, avec le pilote que le roi nous avait donné, pour gagner une cité du nom de Calicut dont ledit roi avait connailTance, & nous fûmes la chercher dans l'eft. Ici la côte court du nord au fud, la terre formant un vaste golfe & un détroit ; & au bord de ce golfe, d'après les renfeignements dont nous étions munis, fe trouvent plufieurs villes de chrétiens & de Maures, une entre autres du nom de Cambaye , & fix cents îles connues. C'eft qu'eft la mer Rouge & le temple de la Mecque. Le dimanche fuivant, nous vîmes l'étoile du nord que nous avions cefle d'apercevoir depuis longtemps, & un vendredi, dix-feptième jour du même mois, nous décou- vrîmes une haute terre. Il y avait vingt- trois jours que nous n'avions aperçu la terre , ayant toujours marché, durant cet intervalle, avec le vent en poupe; en forte que pendant cette traverfée nous avions faire pour le moins fix cents lieues. La terre , quand nous la découvrîmes, était à huit lieues environ de diftance ; on fonda & on trouva quarante-cinq braffes. Durant la nuit, nous fîmes route au fud-efl; pour nous écarter de la côte &, le jour d'après, nous allâmes la chercher, mais fans pouvoir en approcher affez pour que le pilote en eût parfaite connailTance ; ceci venait des nom- breufes averfes & des orages qui régnèrent pendant cette traverfée fur la terre & fur la côte que nous fuivions. Le dimanche , nous étions tout près des montagnes qui do-

40 minent la cité de Calicut, & nous en approchâmes aflez pour que notre pilote les reconnût & nous dît que cette contrée était bien celle nous défirions arriver. Et le même jour, fur le foir, nous fûmes mouiller à deux lieues en def- fous de Calicut, parce que le pilote prit pour cette ville une bourgade du nom de Capua qui exiftait en cet endroit; & plus bas que cette bourgade s'en trouve une autre appelée Pandarany. Nous jetâmes donc l'ancre le long de la côte, à une lieue & demie de terre environ. Et lorfque nous eûmes mouillé de la forte, quatre barques fe détachèrent du rivage & vinrent reconnaître qui nous étions; on nous apprit alors & on nous montra était Calicut. Le jour fuivant , les mêmes barques revinrent aux navires, & le commandant envoya un des déportés à Calicut. Ceux avec qui il y alla le menèrent chez deux Maures de Tunis qui favaient parler le caftillan ainfi que le génois, & le premier falut qu'il en reçut fut le fuivant : Que le diable t'emporte ! qui t'a amené ici? Puis ils lui demandèrent ce que nous étions venus chercher fi loin, & il leur répondit : Nous venons chercher des chrétiens & des épices. Pourquoi, lui dirent- ils, le roi de Caftille, le roi de France & la feigneurie de Venife n'y envoient-ils pas auffi.'' Et il leur répondit que le roi de Portugal ne permettrait pas qu'ils y envoyafTent; à quoi ils repartirent qu'il avait raifon. Enfuite ils lui firent accueil & lui donnèrent à manger du pain de froment avec du miel; & lorfqu'il eut mangé, il revint aux navires. Et l'un de ces Maures l'ayant accompagné (xxxvii),fe prit à dire dès qu'il fut à bord : Bon fuccès, bon fuccès : force rubis, force émeraudes ; vous devez rendre de grandes ac- tions de grâces à Dieu pour vous avoir conduit en un pays

41 il y a tant de richefles. Nous fûmes fi grandement ébahis que nous l'écoutions parler fans y croire, ne pouvant nous perfuader qu'il y eût à pareille diftance du Portugal quel- qu'un qui entendît notre langue.

La cité de Calicut efl habitée par des chrétiens qui font gens bafanés ; quelques-uns portent de grandes barbes & des cheveux longs ; d'autres ont la tête rafée ou ton- due ; ils confervent au fommet une forte de toupet pour indiquer qu'ils font chrétiens. Ils portent auffi des moufta- cheSj fe percent les oreilles & y mettent beaucoup d'or. Ils vont nus jufqu'à la ceinture & fe couvrent le bas du corps de pagnes de coton très-fines; ceux qui s'habillent ainfi font les plus qualifiés ; les autres fe vêtent comme ils peuvent. Les femmes du pays font laides, en général, & de petite llature ; elles portent au cou maints bijoux d'or, aux bras quannté de bracelets, & aux doigts des pieds des anneaux enrichis de diamants. Toute cette population eft d'un bon naturel et fenfible, du moins elle le paraît; ce font des gens qui femblent ignorants, à première vue, d'ailleurs extrême- ment avides.

Lorfque nous arrivâmes à cette cité de Calicut, le roi en était à quinze lieues; le commandant en chef lui dépêcha deux hommes pour lui dire qu'un ambafladeur du roi de Portugal était arrivé, qu'il apportait des lettres de fon fou- verain, & qu'il irait les lui remettre à fa réfidence s'il le trou- vait bon. Le roi ayant reçu ledit meflage du commandant fit présent aux deux hommes qui Pavaient apporté de fort belles étoffes ; puis il lui fit répondre qu'il était le bienvenu, & que lui-même allait fe rendre incontinent à Calicut, comme en effet il partit fur-le-champ, accompagné d'une

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l'uite nombrcufc. Par le retour de nos deux hommes, il nous envoya un pilote pour nous conduire en un parage nommé Pandarany, plus bas que notre premier mouillage, car nous étions pour le moment devant la cité de Calicut : nous y trouverions un bon port nous devions nous amarrer, tandis que celui nous étions ne valait rien & avait un fonds de rocher; enfin c'était la coutume des bâtiments qui venaient en ce pays de mouiller pour leur sécurité. Le commandant, voyant ce meflage du roi, & jugeant d'ailleurs que nous n'étions pas bien, donna ordre de larguer incon- tinent les voiles, & nous fûmes jeter l'ancre dans le port en queftion. Toutefois nous n'entrâmes pas auflî avant que le voulait le pilote que le roi nous avait donné. Et quand nous fiimes établis & amarrés dans ledit port, vint un meflage du roi annonçant au commandant en chef qu'il était déjà dans la ville ; il envoyait au bourg de Pandarany un per- fonnage qu'on nomme le baile(ï) (forte d'alcade qui mar- che toujours efcorté de deux cents hommes armés d'épées & de targes), pour accompagner le commandant en chef à l'endroit il fe tenait avec d'autres perfonnes de diftinélion. Or, le jour parvint ce meflage, il fe faisait déjà tard & le commandant ne voulut pas y aller. Et le lendemain matin qui était un lundi, 28 du mois de mai, il s'en fut parler au roi & mena avec lui treize hommes de fes équipages parmi lel- quels je me trouvai. Nous partîmes tous en habits de gala,

(1) Probablement de l'arabe wa/«, prince, gouverneur, chef mi- litaire. Gafpar Corrèa (Lenda, 1, c. 17) l'appelle gozil, par cor- ruption du mot arabe wazir, miniftre du roi. Les autres hifloriens le nomment catual.

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avec de rartillerie fur les embarcations, des trompettes & quantité de bannières. En abordant, le commandant trou- va ce même alcade au milieu de beaucoup d'hommes ar- més et de quelques autres ftns armes qui le reçurent avec force démonftrations de joie & d'amitié, comme gens en- chantés de nous voir. Ces individus, à première vue, n'a- vaient pas une mine raflurante car ils tenaient leurs armes nues à la main. Là, on amena au commandant en chef une forte de litière à dos d'hommes dont les perfonnes quahfiées ont coutume de fe ferviren ce pays, ainfi qu'un petit nombre de marchands qui, pour en ufer, paient au roi certaine redevance. Le commandant s'y inftalla, & fix hommes le portèrent en fe relayant; puis, avec tout ce monde à notre fuite, nous prîmes la route de Calicut & allâmes à un autre bourg du nom de Capua. Là, ils dépolêrent le commandant en chef dans la maifon d'un notable du lieu, & firent préparer pour nous un repas confiftant en riz, avec beaucoup de beurre, & en excellent poiflon bouilli. Le com- mandant ne vouliàt pas manger en cet endroit, & quand nous eûmes achevé, il alla s'embarquer fur un fleuve qui eft tout proche & qui coule le long de la côte, entre la mer & la terre ferme. Les barques fur lefquelles nous montâmes étaient au nombre de deux, liées enfemble, afin que nous pulFions naviguer de conferve ; il y avait en outre une grande quantitéd'autres embarcations qui portaient encore beaucoup de monde; je ne dis rien de ceux qui fuivaient par terre en nombre infini & qui, tous, étaient venus pour nous voir. Nous fîmes environ une lieue fur ce fleuve nous remar- quâmes maints gros & grands navires échoués fur la rive, par la raifon qu'il n'y a pas de port en cet endroit. Et lorfque nous

44 eûmes débarqué, le commandant reprit fa litière, & nous poursuivîmes notre chemin au milieu d'une telle foule ac- courue pour nous voir qu'on n aurait pu la dénombrer ; les femmes, elles-mêmes, fortaient de leurs maifons avec leurs enfants fur le bras, & s'en venaient à notre fuite. Arrivés là, ils nous conduifirent à une grande églife l'on remarquait ce qui suit :

Premièrement, le corps de i' églife efl de la grandeur d'un monaftère ; elle efl entièrement conflruite en pierres de taille & recouverte en tuiles; & , à la porte principale, il y a une colonne de bronze aufTi haute qu'un mât &, au fommet de cette colonne , un oifeau qui femble être un coq; puis une autre colonne delà hauteur d'un homme & fort grofle. Au milieu du vaifleau de l'églife on voyait un dôme tout en pierres de taille ; & il y avait une porte pour laifler pafTer un homme, ainfi que des degrés en pierre pour monter à cette porte qui était de bronze ; dans l'inté- rieur fe trouvait une petite image qu'ils difaient être de No- tre-Dame, & devant la porte principale de l'églife, le long du mur, étaient fufpendues fept petites cloches. Là, le com- mandant en chef fit fes oraifons, ainfi que nous autres (xxxviii) ; mais nous ne pénéffâmes point dans l'intérieur de cette chapelle parce que leur règle efl qu'on n'y entre pas, hormis certains individus qui font au fervice des églifes & qu'ils noravaent quafee s . Ces quafees portent une manière de corde jetée fur l'épaule (c'ell l'épaule gauche) & pafTant fous le bras droit, comme les diacres portent l'étole. Ceux- ci nous afpergèrent d'eau bénite & nous donnèrent une terre blanche que les chrétiens de ce pays ont accoutumé de porter à la tête, à la poitrine, derrière le cou & aux avant-

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bras. Toutes ces cérémonies, ils les firent au commandant, & lui préfentèrent de cette terre pour qu'il s'en fervît; & il la prit & la donna à garder, laiflant entendre qu'il en fe- rait ufage plus tard. Sur les murailles de l'églife on voyait maintes autres peintures repréfentant des faints qui portaient des diadèmes, & ces images étaient de diverfes façons, car quelques-unes avaient des dents fi grandes qu'elles fortaient d'un pouce de la bouche; & chaque faint avait quatre ou cinq bras. Au bas de cette églife était un grand^baifin conf- truit en pierres de taille, comme plufieurs autres que nous avions remarqués le long du chemin.

Nous quittâmes ce lieu, &, à l'entrée de la cité, on nous mena à une autre églife fe voyaient les mêmes chofes que celles qui ont été relatées plus haut. Ici, s'accrut tel- lement la foule accourue pour nous voir, que le chemin ne pouvait plus la contenir ; aulïï, lorfque nous fûmes aflez avant dans la rue, on dépofa le commandant dans une mai- fon & on nous y fit entrer avec lui, à cause de l'affluence qui était devenue confidérable. Là, le roi envoya un fi'ère du baile, qui était un feigneur du pays ; il venait pour accom- pagner le commandant & menait avec lui bon nombre de tambours, de clairons, d'anafils, ainfi qu'une efpingole que l'on déchargeait devant nous. Ce fut ainfi qu'ils conduifirent le commandant, avec de grandes démonftrations de refpefl, c'eft-à-dire autant & même plus qu'on n'en ferait en Efpa- gne pour un roi. La foule était fi grande qu'on n'aurait pu la dénombrer ; les toits & les maifons débordaient de cu- rieux, outre ceux qui nous environnaient, parmi lefquels il y avait bien deux mille hommes armés. Et plus nous avan- cions vers le palais oii était le roi, plus l'affluence croifiliit.

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En approchant de la résidence royale, des perlonnages du plus liaut parage & des grands feigneurs vinrent à la rencon- tre du commandant, fans compter bon nombre d'autres qui déjà cheminaient avec lui : il pouvait être une heure avant le coucher du foleil. Et lorfque nous fûmes arrivés, nous en- trâmes par une porte dans une cour fpacieufe &, avant de parvenir à celle du roi, nous en franchîmes quatre autres, nous faifant jour par force & diftribuant force horions au- tour de nous. Parvenus à la dernière porte qui donnait chez le roi, nous en vîmes fortir un vieillard de petite taille qui cfl une efpèce d'évêque, le roi fe dirigeant d'après lui en ce qui concerne les chofes de l'Eghfe; il embraflTa le comman- dant fur le feuil de cette porte, &, en entrant, il y eut des gens blefles & nous n'y pénétrâmes qu'avec de vigoureux efforts.

Le roi était dans une petite cour, couché fur un ht de re- pos difpofé de la forte : en bas, un drap de velours vert ; par-delTus, un fort bon matelas &, fur le matelas, un linge de coton parfaitement blanc & plus fin qu'aucune toile de lin ; enfin le lit était garni d'oreillers du même genre. De la main gauche, il tenait une énorme coupe d'or, auffi haute qu'un pot d'une demi -almude (i), large de deux palmes à l'ouverture & fort épaifle en apparence ; il rejetait dans ce vafe le marc de certaines herbes que les gens du pays mâchent à caufe de la chaleur & qu'ils nomment aram- bor (xxxix); à droite, il y avait un balfin d'or qu'un homme

(i) L'almude eft une mefure de capacité qui correfpond à feize litres & demi environ. (Tnid.)

47 eût à peine meluré de fes deux bras & qui contenait ces herbes, puis plufieurs aiguières d'argent ; enfin, le ciel du lit était tout doré. Or, quand le commandant entra, il fit fa révérence félon la coutume du pays qui confifte à joindre les mains & à les élever vers le ciel, comme les chrétiens le font ordinairement en s'adreflant à Dieu ; puis, après les avoir élevées, ils les ouvrent & les ferment vivement. Alors le roi, de la main droite, fit figne au commandant de venir au bas de Feflrade qu'il occupait ; mais le commandant n'ap- prochait point parce que l'ufage du pays ne permet à per- fonne d'approcher du roi, hormis un de fes favoris qui lui préfentait ces herbes ; & fi quelqu'un lui parle , c'ell en mettant la main devant la bouche & en fe tenant à diftance . Tout en faifant figne au commandant, il jeta les yeux fur nous, & ordonna que l'on nous fît afTeoir fur un banc, près de lui, en un endroit il pouvait nous voir, & qu'on nous donnât de l'eau pour les mains ; puis il fit apporter une forte de fi^uit qui eft fait comme un melon, fauf qu'à l'extérieur il eft rugueux, mais à l'intérieur il efl doux; il en fit apporter aulfi un autre femblable à la figue & d'un goût excellent. Nous avions des hommes occupés à nous les préparer, tan- dis que le roiobfervait comment nous mangions, nous fou- riait, & caufait avec fon favori qui fe tenait à fon côté pour lui donner à mâcher les herbes dont on a parlé. Après cela, jetant les yeux fur le commandant afîls en face de lui, il lui dit de s'adrefler aux perfonnes qui fe trouvaient là, qu'elles étaient de haute condition, & qu'il pouvait leur dire ce qu'il fouhaitait; qu'enfuite elles le lui tranfmettraient. Le commandant en chef répondit qu'il était ambafladeur du roi de Portugal & porteur d'un meflage qu'il ne devait

48 remettre qu'à lui-même. Le roi dit que c'était fort bien, puis le fit mener à l'inflant en une chambre, &, lorfqu'il y fut, fe leva de fa place & alla le trouver. Pour nous, nous demeurâmes au même endroit ; ceci fe paflait vers le cou- cher du foleil. Et quand le roi fe leva, un vieillard qui était dans la cour vint auflîtôt enlever le lit, mais la vaiflelle refla. Le roi étant allé fe trouvait le commandant fe jeta fur un autre lit de repos garni d'étoffes brodées d'or, puis il lui demanda ce qu'il voulait. Le commandant ré- pondit qu'il était ambafTadeur d'un roi de Portugal, fei- gneur d'un grand royaume, riche en toute efpèce de chofes , bien plus qu'aucun monarque de ces contrées : que depuis foixante ans les rois fes prédécelTeurs avaient envoyé chaque année des navires à la découverte en ces quartiers, fâchant qu'il s'y trouvait des rois chrétiens comme eux 5 que cette raifon les avait engagés à faire rechercher ce pays, & nullement le befoin d'or ou d'argent, car ils en pofledaient en fi grande quantité qu'ils n'avaient que faire d'en tirer de cette contrée; que les capitaines defdits na- vires naviguaient l'efpace d'un an ou deux, jufqu'à ce que les vivres leur manquaffent, & que, sans rien avoir trouvé, ils étaient revenus en Portugal. Qu'aéluellement , un roi du nom de Dom Manuel lui avait fait conftruire ces trois navires dont il lui avait donné le commandement en chef, & lui avait enjoint de ne point revenir en Portugal qu'il n'eût trouvé ce roi des chrétiens , finon qu'il lui ferait couper la tête ; que dans le cas il le découvrirait il lui remît deux lettres, dont il ferait remife le lendemain; qu'enfin il lui mandait par fa bouche qu'il était fon frère & fon ami. Le roi, répondant à ce difcours, dit au commandant qu'il était

4V le bienvenu ; qu'à fon tour il tenait le roi de. Portugal pour fon frère & ami, & qu'il lui enverrait des ambalTadeurs par fon entremife, ce que le commandant lui demanda comme une faveur, attendu qu'il n'oferait paraître devant le roi fon maître fans ramener quelques-uns de fes fujets. Ces pro- pos & bien d'autres s'échangèrent entre tous deux dans la fufdite chambre, & la nuit s'avançant, le roi s'informa du commandant s'il fouhaitait loger chez des chrétiens ou chez des Maures ; & le commandant repartit qu'il ne voulait loger ni chez des chrétiens, ni chez des Maures; mais qu'il lui fît la grâce de lui donner un logement à part il n'y eût per- fonne. Le roi dit qu'il en ordonnerait ainfi; fur quoi le com- mandant prit congé, & vint nous retrouver dans l'endroit oii Ton nous avait mis, fous une véranda qui était éclairée par un grand chandeUer de bronze; il pouvait être déjà quatre heures de nuit. Pour lors, nous prîmes tous avec le comman- dant le chemin de notre logis, efcortés par une foule in - nombrable ; la pluie tombait fi fort que l'eau ruiflelait dans les rues, & le commandant était porté par fix hommes. Nous cheminâmes parla cité durant fi longtemps qu'il s'en- nuya d'aller ainfi & fe plaignit à un Maure de qualité, fac- teur du roi, qui l'accompagnait pour le mener à ion logis. Et le Maure le conduifit à fa maifon & le fit entrer dans une cour intérieure s'élevait un pavillon couvert en briques ; il y avait quantité de tapis étendus & deux énormes chandeliers , femblables à ceux du roi, portant en haut de grandes lampes de fer allumées , remplies d'huile ou de graisse; & chaque lampe était munie de quatre inèches qui répandaient une grande lumière. Ce font ces lampes qu'ils ont coutume de porter en guife de torche. Or, ledit Maure

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fit amener un cheval afin que le commandant pût gagner Con logis ; mais comme on l'amena fans Telle, il refufa de le monter : nous reprîmes donc le chemin de notre gîte où, quand nous arrivâmes, fe trouvaient déjà certains des nô- tres, avec le lit du commandant & maints autres objets qu'il avait apportés dans le deffein de les offrir au roi. Le mardi donc, le commandant tint prêtes les chofes fuivantes pour les envoyer au roi, lavoir : douze pièces de drap rayé, quatre capuces écarlates, fix chapeaux, quatre filières de corail, un fervice de baffins compofé de fix pièces, une caifle de fucre, enfin quatre barils pleins, deux d'huile & deux de miel. Et, comme il eft d'ufage ici de ne rien envoyer au roi fans en avoir avifé en premier lieu le Maure qui eft fon facîteur &, après lui, le baile, le commandant les fit prévenir. Us vin- rent donc & fe prirent à rire d'un femblable préfent, difant que ce n'était point chofe à offi-ir au roi, que le plus pauvre marchand arrivant de la Mecque ou des Indes en donnait davantage, & qu'enfin, s'il voulait faire un préfent, il en- voyât de l'or, le roi n'ayant que faire de tout cela. Le com- mandant fut contrifté de ces propos : il dit qu'il n'apportait point d'or, que d'ailleurs il n'était pas marchand, mais am- bafladeur ; qu'il donnait de ce qu'il avait & que c'était de fon bien, non de celui du roi. Que quand le roi de Portu- gal l'enverrait de rechef, il le chargerait alors de bien d'au- tres préfents infiniment plus riches ; que fi le roi Camo- lim (i) rcfufait celui-ci, il le renverrait aux navires ; à quoi

(i) Zamorin , dénomination des rois de Calicut , bien connue dans l'hiftoire des Indes.

ils répondirent qu'ils ne fe fouciaient pas de le remettre au roi, ni ne fouffriraient qu'on le lui préfentât. Et lorfqu'ils furent partis, vinrent des Maures, de ces trafiquants, qui tous affecflèrent du dédain pour le préfent que le comman- dant deftinait au roi.

Voyant, d'après leur détermination, qu'il ne fallait plus fonger à cet envoi, le commandant déclara que puifqu'on l'empêchait de faire remettre fon préfent au roi, il irait lui parler, mais qu'il voulait d'abord retourner fur fes navires ; ils répondirent que c'était bien, qu'il attendît un peu, qu'ils ne tarderaient pas à le rejoindre & qu'alors ils iraient en- femble au palais. Et le commandantattendit leur retour du- rant toute la journée, mais on ne les revit plus. Dans fon irritation de fe voir entouré d'hommes auflî flegmatiques & fur lefquels on pouvait faire fi peu de fond, le comman- dant voulait fe rendre fans eux au palais; toutefois il trouva mieux d'attendre au lendemain. Nous autres, après tout, ne laiflions pas que de nous divertir, de chanter, de danfer au fon des trompettes & de nous donner du bon temps. Quand arriva le mercredi, les Maures vinrent dans la ma- tinée pour conduire le commandant au palais, & nous y al- lâmes avec lui. On y voyait circuler nombre de gens armés; & pendant quatre grandes heures, le commandant demeura avec ceux qui l'avaient amené devant une porte qu'on leur ouvrit feulement quand le roi eut fait dire qu'ils pouvaient entrer, que le commandant ne prît pas plus de deux hommes avec lui & choisît ceux dont il voulait être accompagné. Il dit alors qu'il défirait faire entrer avec lui Fern. Martin, celui qui connailTait la langue, & fon fecrétaire, jugeant, comme nous autres, que cette féparation ne difait rien de bon. Et

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lorlquil fut en préfencc du roi, celui-ci lui dit que le mardi il avait attendu fa vifite ; & le commandant répondit qu'il avait été fatigué de la route & n'était pas venu pour cette raifon. Le roi reprit & dit qu'il s'était annoncé comme ve- vant d'un royaume très riche, & qu'il ne lui avait rien ap- porté; qu'en outre il s'était dit chargé d'une lettre pour lui & qu'il ne la lui remettait pas. A cela, le commandant ré- pliqua que s'il ne lui avait rien apporté, c'eft que l'objet de fon voyage était feulement d'obferver & de découvrir; que quand viendraient d'autres navires , il verrait ce qu'on lui apporterait; qu'enfin, à l'égard de la lettre dont il s'était dit porteur, rien n'était plus vrai, & qu'il allait la remettre à l'inftant.

Pour lors le roi lui demanda : Qu'était-ce donc qu'il était venu découvrir, des pierres ou des hommes? S'il était venu pour des hommes, comme il le difait, que n'apportait-il quelque chofe ? De plus, on lui avait afluré qu'il pofTédait une Sainte-Marie en or. Le commandant répondit que la Sainte-Marie qu'il pofTédait n'était pas en or ; & que, fût- elle en or, il ne s'en deffaifirait pas, car elle l'avait guidé fur mer & le ramènerait en fon pays. Le roi lui dit alors de lui remettre la lettre dont il était porteur. Et le commandant répondit que comme les Maures lui étaient hoftiles & la traveftiraient , il demandait en grâce qu'on fît appeler un chrétien fâchant parler arabe. Le roi dit que c'était fort bien, puis envoya quérir incontinent un jeune homme de petite taille qui avait nom Quaram. Alors le commandant annonça qu'il était porteur de deux lettres ; l'une écrite en fa propre langue, l'autre en maurefque ; qu'il entendait fort bien celle qui était écrite en fa langue & favait qu'elle ne

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laiflait rien à défirer ; mais que pour Taurre, il ne l'enten- dait pas ; qu'elle pouvait être bien, comme elle pouvait ren- fermer quelques erreurs. Or, comme le chrétien ne favait pas lire le maurefque, quatre Maures prirent la lettre, la lu- rent entre eux, & vinrent enfuite en faire lecflure au roi qui en demeura fatisfait. 11 demanda enfuite au commandant quelles fortes de marchandifes fe rencontraient en fon pays. Le commandant répondit qu'il y avait abondance de blé, d'étoffes, de fer, de cuivre, & il en nomma encore plufieurs autres. Le roi s'informa s'il avait avec lui quelques marchan- difes; il repartit qu'il avait apporté un peu de tout, pour la montre ; qu'il demandait la liberté de retourner à bord de fes navires pour faire débarquer ces objets, & que quatre ou cinq de fes hommes demeureraient à l'endroit ils étaient logés. Le roi répondit que non, qu'il pouvait s'en retourner, qu'il emmenât tout fon monde avec lui & fît bien amarrer fes vaifTeaux, qu'il mît fa marchandife à terre & la vendît du mieux qu'il le pourrait. Après avoir pris congé du roi, le commandant s'en revint au logis avec nous au- tres, &, comme il était déjà tard, il ne fe mit point en peine de partir. Or, le jeudi matin, on lui amena un cheval non fellé, mais il ne voulut point le monter & demanda un cheval du pays, c'eft-à-dire une litière , parce qu'il ne lui convenait pas de chevaucher à poil. Pour lors, on le con- duifit en la demeure d'un très riche marchand, du nom de Guzerate, qui fit préparer une de fes litières, & dès qu'elle fut prête, le commandant y monta & prit, accompagné d'une foule nombreufe, le chemin de Pandarany étaient les navires ; nous autres, ne pouvant fuivre fon allure, nous demeurâmes fort en arrière. Et, comme nous cheminions

f4 ainfi, l'urvint le bailc qui nous dépafTa & rejoignit le com- mandant. Pour nous, nous nous trompâmes de route & allâmes bien avant dans l'intérieur ; mais ledit baile nous dépêcha un homme qui nous remit dans notre direcflion. En arrivant à Pandarany, nous trouvâmes le commandant dans une de ces hôtelleries comme il y en a plufieurs fur ces routes pour abriter contre la pluie les paflants & les voyageurs ; avec lui étaient le baile & bon nombre d'autres perfonnes. Quand nous ffimes là, le comman- dant demanda au baile de lui faire donner une almadie afin que nous nous rendiiïions tous à bord ; mais il répon- dit, de concert avec les autres, qu'il était déjà tard (& en effet le foleil fe couchait), & que nous partirions le jour fuivant. Le commandant reparut que s'ils ne la lui don- naient pas, il retournerait vers le roi, car il l'avait renvoyé fur fes navires ; qu'eux, cependant, le voulaient retenir, ce qui était très-mal agir puifqu'il était chrétien comme eux. Quand ils virent le mécontentement du commandant, ils lui dirent qu'il pouvait partir, & qu'ils lui fourniraient trente almadies s'il en avait befoin d'autant. Pour lors, ils nous menèrent le long de la plage, & le commandant, foupçonnant quelque mauvais deflein, envoya trois hom- mes en avant : s'ils trouvaient les embarcations des navires & que fon frère y fût, ils devaient lui dire de fe cacher. Ils allèrent, ne trouvèrent rien & s'en revinrent ; & comme on nous fit prendre une autre direélion, nous ne pûmes pas nous rencontrer. Lors, ils nous conduifirent en la maifon d'un Maure, car il était déjà nuit clofe, & dirent, en y arrivant, qu'ils s'allaient mettre en quête des trois hommes qui ne nous avaient pas rejoints. Après leur départ, le

commandant fit acheter force poules avec force riz, & nous foupâmes, bien que très-fatigués d'avoir marché pendant toute la durée du jour. Quant à eux, du moment ils fe furent éloignés, ils ne revinrent plus qu'au matin. Et le commandant difait que ces gens-là lui paraiflaient honnêtes, car s'ils avaient mis obftacle à notre départ la nuit d'avant, ils l'avaient fait dans de bonnes intentions ; cependant, d'autre part, nous les tenions tous en fufpicion & les jugions mal difpofés, en raifon de ce qui nous était advenu les jours précédents à Calicut. Et quand le lendemain ils revinrent, le commandant leur ayant demandé des embar- cations pour regagner fon bord, ils fe mirent tous à chu- chotter entre eux, puis lui dirent de faire avancer fes navires plus près de terre & qu'il pourrait alors y retourner. Le commandant répondit que s'il donnait l'ordre aux navires d'approcher, fon frère penferait qu'on le retenait captif & qu'il cédait à la violence ; qu'alors il mettrait à la voile & s'en irait en Portugal. Ils répUquèrent que s'il refufait de faire avancer fes vaifTeaux, il n'y retournerait d'aucune autre façon. Le commandant repartit que le roi Camolim l'ayant renvoyé fur fes navires, s'ils ne lui permettaient pas de s'y rendre, comme l'avait ordonné le roi, c'efl à lui-même qu'il s'adrefTerait ; qu'il était chrétien comme lui 5 que s'il s'oppofait à fon départ & voulait le retenir en fes Etats, il s'en réjouirait infiniment. Ils répondirent que oui, qu'il y allât. Toutefois, ils n'y prêtaient guère la main, car les portes du lieu nous étions furent toutes fermées incontinent, & la maifon remplie de gens armés qui nous gardaient de fi près qu'aucun des nôtres ne pouvait fortir fans être bien accompagné. Enfuite ils en vinrent à nous demander de

f6 leur donner les voiles & les gouvernails ; mais le comman- dant déclara qu'il n'avait rien de tout cela à leur donner puifque le roi Camolim l'avait renvoyé fans condition à fon bord ; qu'ils fiflent ce qu'ils voudraient de fa perfonne, mais qu'ils n'obtiendraient rien de lui.

Ayant tous l'âme fort attriflée, bien qu'au dehors nous montraffions peu de fouci de leurs procédés, le comman- dant dit que puifqu'on refufait de le laifTer retourner aux navires , on permît au moins à fes gens d'y aller, car ils mouraient de faim en cet endroit. La réponfe fut qu'ils devaient refter ; que s'ils mouraient de faim ils prifTent patience, que pour eux ils n'en croyaient rien. Sur ces entrefaites, furvint un des hommes qui nous avaient perdus la veille au foir, & il prévint le commandant que Nicolas Coelho l'attendait fur la côte depuis la nuit précédente avec les embarcations. Auffitôt que le commandant eut reçu cet avis, il dépêcha un meflager à Nicolas Coelho, le plus fecrètement qu'il put & en ufant de beaucoup d'adrefle, car nous avions une garde nombreufe autour de nous ; il lui mandait de quitter ces lieux au plus vite, de fe retirer fur les vaifTeaux & de les mettre en fureté ; ce mefiage parvint à Nicolas Coelho qui s'éloigna précipitamment. Or, ceux qui nous gardaient ayant été avifés de fon départ, armèrent en toute hâte plufieurs almadies & le pourfui- virent jufqu'à une certaine diftance ; mais voyant qu'ils ne pouvaient l'atteindre, ils revinrent trouver le commandant, & lui dirent d'écrire à fon frère qu'il rapprochât de terre fes navires et entrât plus avant dans le port. Le commandant répondit qu'il ne demandait pas mieux, mais que fon frère ne le ferait pas ; & que, quand même il y confentirait, fes

)7 compagnons s'y oppoferaient & ne voudraient pas courir a leur perte 5 à quoi ils répartirent qu'il la leur donnait belle, qu'ils favaient bien que s'il ordonnait, il ferait obéi.

Le commandant ne voulait pas faire entrer les navires plus avant dans le port parce qu'il penfait, & c'était aufll notre fentiment, qu'une fois dans l'intérieur, ils pourraient bien s'en emparer & nous égorger, en commençant par lui & par nous autres qui déjà nous trouvions en leur pou- voir.

Toute cette journée, nous la paflames dans l'anxiété comme on l'a vu ; quand vint la nuit, il y eut bien plus de monde encore autour de nous 5 on ne nous permit plus de circuler dans l'efpèce d'enclos nous étions placés, mais on nous mit dans une petite cour pavée en briques, & on nous entoura d'une quantité de gens infinie. Nous trou- vant ainfi au milieu d'eux, nous nous attendions, le lende- main,àêtre féparés lesuns des autres, ou à fubir quelque autre traitement funefle, tant ils nous paraiflaient animés contre nous. Ce nonobftant, nous ne laiffâmes pas que de fort bien fouper de ce que l'on trouva dans la bourgade. Pendant la nuit, nous fûmes gardés par plus d'une centaine d'individus armés d'épées, de haches, de rondaches, d'arcs & de flèches ; & ils s'arrangeaient de telle façon, que les uns dormaient, quand les autres veillaient, alternant ainfi toute la nuit.

Le lendemain, qui fe trouvait un famedi, deuxième jour du mois de juin, les feigneurs vinrent dans la matinée &, cette fois, avec meilleur vifage. Ils dirent au commandant que puifqu'il avait manifeflé au roi l'intention de mettre à terre fa marchandife, il la fît débarquer ; car, d'après la coutume du pays, les navires qui y abordent quels qu'ils

foient, doivent mettre incontinent leur cargaifon à terre ainfi que tout leur équipage, &, jufqu'à la vente complète de la marchandife, le vendeur ne retourne pas à bord. Le com- mandant répondit qu'il y confentait & qu'il écrirait à fon frère de l'expédier ; ils dirent que c'était bien &, qu'auflltôt après le débarquement des marchandifes, on le laifTerait regagner les navires. Le commandant écrivit donc à fon frère de lui envoyer certaines chofes que celui-ci expédia fur-Ie-champ ; & dès qu'ils les eurent vues, ils lui permi- rent de retourner à bord, & deux hommes demeurèrent à terre avec les marchandifes. Nous nous réjouîmes tous infiniment de ce réfultat, & rendîmes de grandes adions de grâces à Notre-Seigneur pour nous avoir tirés des mains de pareils hommes, auffi incapables d'entendre la raifon que des brutes ; nous favions bien, en effet, qu'une fois le commandant fur fes vaifleaux, d'autres pouvaient refter à terre fans qu'il leur fût fait aucun mal. Quant à lui, de retour à bord , il ne voulut pas envoyer pour le moment une plus grande quantité de marchandifes. A cinq jours de là, le commandant fit favoir au roi comment, après avoir été renvoyé par lui fur fes navires, certains des fiens l'a- vaient empêché d'y retourner en le retenant fur la route durant un jour& une nuit; il ajoutait qu'il avait fait mettre à terre fa cargaifon, comme il le lui avait commandé, mais que les Maures ne venaient que pour la déprécier ; qu'il vît donc ce qu'il lui plairait d'ordonner parce qu'il n'atta- chait aucune importance à ces marchandifes ; qu'il demeu- rait d'ailleurs à fon fervice, lui & fes navires. Le roi fit au(îî- tôt répondre que ceux qui s'étaient comportés de la forte étaient de mauvais chrétiens &: qu'il les châtierait; puis il

Î9 envoya fept ou huit marchands examiner la marchandife afin qu'ils Fachetaflent fi elle était à leur gré ; en outre, il envoya fijr place un homme qualifié, pour y demeurer avec le fadeur, & ils avaient ordre de tuer tout Maure qui appro- cherait, fans être aucunement recherchés pour ce fait.

Les marchands envoyés par le roi demeurèrent une huitaine de jours ; mais loin d'acheter, ils dépréciaient la marchandife. Quant aux Maures, ils ne vinrent point du tout au magafin elle était dépofée, & leur inimitié s'en accrut à tel point que, fi quelqu'un de nous allait à terre, ils crachaient fur le fol, dans fintention de nous mortifier, en difant : « Portugal, Portugal » ; d'ailleurs, dès le principe, ils avaient cherché les moyens de fe faifir de nous & de nous mettre tous à mort. Or, quand le commandant vit que la marchandife n'était pas en un lieu favorable à la vente, il le manda incontinent au roi, témoignant le défir de fexpé- dier à Calicut & demandant fon agrément. A cette requête du commandant, le roi s'emprelTa d'ordonner au baile de prendre autant de monde qu'il en faudrait pour charger à dos la totaUté des marchandifes & pour la tranfporter immédia- tement en ville, ajoutant que les frais feraient à fa charge, & que rien de ce qui appartenait au roi de Portugal ne devait payer en fes Etats. Mais tout cela cachait le deflein de nous faire un mauvais parti, àcaufe de la méchante opinion qu'on lui avait fait concevoir de nous en nous repréfentant comme des larrons qui cherchions l'occafion de voler] toutefois il fit, comme on fa vu, tout ce qui vient d'être rapporté.

Un dimanche, jour de faint Jean-Baptifle & vingt-qua- trième du mois de juin, la marchandife partit pour Calicut, &, une fois là, le commandant voulut que tout le monde

6o allât en ville de cette façon : chaque navire enverrait un homme qui, au retour, ferait remplacé par un autre ; en forte que tous pourraient voir la cité,& chacun faire emplette de ce qui lui plairait. Ceux qui faifaient ainfi la route rece- vaient beaucoup d'honnêtetés de la part des chrétiens ; ils étaient tous pleins de joie lorfque quelqu'un des nôtres allait manger ou coucher en leur logis, & ils leur donnaient de bon cœur de tout ce qu'ils poffédaient. De même, nombre d'individus venaient à bord échanger du poiffon pour du pain & y recevaient très-bon accueil ; beaucoup d'autres amenaient avec eux leurs fils & leurs petits garçons, & le commandant leur fallait donner à manger. Nous agiffions ainfi dans le but de nouer avec eux des liens de paix & d'amitié, & pour les engager à dire de nous du bien & non du mal. Et ils venaient en fi grand nombre que nous en étions importunés & que, maintes fois, il était nuit clofe, que nous ne pouvions pas les faire fortir des navires, ce qui s'explique par la grande population de ce pays & la rareté des fubfiftances. S'il arrivait, parfois, que quelques- uns de nos hommes allalTent raccommoder une voile & em- portaflent du bifcuit pour leur repas, ils étaient affaillis par une troupe fi nombreufe de petits garçons & d'hommes faits, que le morceau leur était arraché des mains & que , fina- lement, ils n'en mangeaient pas une bouchée. Nous allâmes donc à Calicut, tous tant que nous étions fur les navires, comme je vous l'ai dit, deux à deux & trois à trois, portant à vendre de ce que nous avions, comme bracelets, hardes, étain, chemifes, chacun enfin fuivant fes facultés; & l'on vendait, bien que nous n'obtinffions pas de ces objets le prix que nous avions eu l'efpoir d'en tirer à notre arrivée de

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Mozambique ; car une chemife très-fine, valant trois cents reis en Portugal, fe donnait pour deux fanés, qui repréfen- tent ici trente reis ; il eft vrai qu'une valeur de trente reis n'eft pas peu de chofe en ce pays. Faifant ainfi bon mar- ché des chemifes, on en faifait autant du relie, afin de rap- porter quelques échantillons des produits de la contrée; on achetait donc de ce qui fe vendait par la ville, des clous de girofle & de la cannelle, ainfi que des pierres fines ; & chacun, après avoir fait emplette de ce qui lui plaifait, s'en retournait à bord fans que perfonne lui dît un mot. Le commandant, voyant l'excellent naturel de cette population, réfolut de lailTer fur place un facfleur & un clerc, avec la marchandife, & quelques autres individus. Or, fépoque de notre départ approchant, il envoya au roi un préfent d'ambre, de corail & de maints autres objets ; il lui faifait favoir qu'il fe difpofait à retourner dans fa patrie, & demandait s il voulait envoyer quelques perfonnes au roi de Portugal, ajoutant qu'il laiflTerait ici un faéleur & un clerc, ainfi que plufieurs autres individus, avec la marchandife ; qu'il lui offrait ce préfent, & le priait de faire expédier au roi, fon maître, un bahar de cannelle, un autre de girofle, ainfi que de toute autre forte d'épicerie à fon gré ; que le fa61eur opérerait des rentrées & s'acquitterait envers lui s'il l'exigeait. Quatre jours s'écoulèrent fans qu'il fût pofllble de parler au roi , à partir du moment ce mefllige du commandant parvint à fa réfidence ; & quand celui qui en était porteur fut introduit en fa préfence, le roi lui fit mau- vais vifage & lui demanda ce qu'il voulait. L'envoyé lui tranfmitle meflage du commandant, tel qu'il a été rapporté plus haut, & ajouta qu'il lui envoyait le fufdit préfent. Le

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roi lui dit de remettre au facfteur ce qu'il lui apportait &. ne le voulut point voir ; puis, il le chargea de dire au comman- dant que puifqu'il voulait partir, il lui payât fix cents xérafims (i) & s en allât en paix ; que telle était la coutume du pays & de ceux qui y venaient. Diego Dias, qui était chargé du mefTage, dit alors qu'il allait rapporter cette réponle au commandant. Et lorfqu'il s'en fut, certains individus partirent avec lui, & étant arrivés au magafin fe trou- vait la marchandife, à Calicut, ils y mirent du monde afin d'empêcher ceux qui la gardaient de fortir ; en même temps ils firent publier par la cité défenfe à toute embarcation de communiquer avec les navires. Or, quand les nôtres fe virent ainfi prifonniers, ils chargèrent un jeune nègre qui était avec eux d'aller voir le long de la côte s'il trouverait moyen de fe faire mener à bord des navires pour dire comment ils avaient été arrêtés par les ordres du roi. 11 s'en fut donc au bout de la ville, demeuraient certains pêcheurs, & l'un d'eux le conduifit pour tr6\% fanôs ; & s'il le fit, c'eft que la nuit commençait à s'épaiflîr & qu'on ne pouvait les aper- cevoir de la cité; auffi, dès qu'il l'eut mis à bord, s'éloigna- t-il fans tarder davantage : ceci fe partait un lundi, treizième jour du mois d'août 1498.

Cette nouvelle nous affligea tous, non-feulement parce que nous voyions plufieurs des nôtres entre les mains de leurs ennemis, mais à caufe du grand empêchement qui en réfultait pour notre départ. Nous ne fûmes pas moins

(1) Le xéraphim eft une unité monétaire ufitée encore aujour- d'hui à Goa ainfi que dans les autres poffeffions portugaifes de l'Inde, & valant trois cents rm, ou environ i fr. fo c. (,Tr.)

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fâchés qu'un roi chrétien nous jouât un aufli méchant tour, quand on faifait acfle de libéralité envers lui ; d'autre part, cependant, nous ne trouvions pas fa faute aulîi grave qu'elle le paraiflait, fâchant à n'en point douter que les Maures de l'endroit, qui étaient des marchands de la Mecque & de bien d'autres lieux, & qui nous connaiflTaient, fuppor- taient impatiemment notre préfence. Ils difaient au roi que nous étions des larrons, & que fi nous nous mettions à naviguer en ces parages, aucun bâdment de la Mecque, de Cambaye ou des Imgros, ni même d'autres contrées, ne viendrait plus en fes Etats ; qu'il n'en retirerait d'ailleurs nul profit, car nous n'avions rien à lui donner, mais bien au contraire à lui prendre, & que ceci pouvait amener la ruine de fon pays. Non contents de ces propos, ils s'efforçaient de le gagner par des préfents pour qu'il nous fît arrêter & mettre à mort, afin que nous ne retournaffions pas en Portugal. Les capitaines en furent avifés par un Maure du pays qui leur dévoila ce qui fe tramait & les prévint de ne point quitter leurs navires pour fe rendre à terre, prin- cipalement le commandant en chef. Outre l'avis de ce Maure, on fut par deux chrétiens que fi les capitaines dé- barquaient, on leur couperait la tête, le roi en ufant de la forte à regard de ceux qui venaient en fes Etats & ne lui donnaient point d'or.

Telle était notre fituation ; le lendemain fe pafl"a fans que nulle barque accoftât les navires 5 mais le jour d'après, vint une almadie avec quatre jeunes gens qui apportaient des pierres fines à vendre. Nous jugeâmes qu'ils venaient plutôt comme mandataires des Maures, que dans le but de vendre des pierreries, & que l'on voulait voir fi nous leur

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ferions quelque choie ; mais le commandant les reçut à merveille 6c, par leur entremife, écrivit une lettre à nos compagnons qui étaient à terre. Quand on vit que nous ne leur avions rien fait, quantité de marchands arrivèrent jour- nellement à bord, ainfi que d'autres individus qui, n'étant pas marchands, y venaient par curiofité ; tous recevaient un bon accueil & nous leur donnions à manger. Or, le di- manche fuivant, il nous arriva environ vingt-cinq hommes dont fix étaient des perfonnes qualifiées ; pour lors, le com- mandant, jugeant qu'en échange de ceux-ci on lui ren- drait nos gens arrêtés & emprifonnés à terre, mit la main fur eux & en fit faifir encore douze de moindre condition, ce qui fit, en totalité, dix-neuf qu'il garda prifonniers. Quant aux autres, il les fit conduire à terre dans une de fes embarcations avec une lettre pour le Maure, faéleur du roi, par laquelle il lui mandait de lui renvoyer les hommes qu'il retenait, qu'à fon tour il rendrait ceux dont il s'était faifi. Et quand on vit que nous avions fait des prifonniers, quan- tité de perfonnes fe tranfportèrent à leur fujet au comptoir des marchandifes, & amenèrent les nôtres au logis du fac- teur, mais fans leur faire aucun mal.

Le mercredi, vingt-troifième jour dudit mois, nous mîmes à la voile, annonçant que nous allions retourner en Portugal & que nous penfions revenir fous peu ; qu'on verrait bien alors fi nous étions des larrons. Et nous allâmes mouiller fous le vent de Calicut, à quatre lieues environ, à caufe du vent qui était de ravant5 & le jour qui fuivit, nous courûmes un bord à terre , mais nous ne pûmes doubler certains bas-fonds qui fe trouvent devant Calicut, en forte que nous virâmes & jetâmes l'ancre en vue de la cité. Le

6f famedi, nous reprîmes la bordée du large, & mouillâmes fi avant en mer qu'à peine diftinguait-on la terre. Or, le di- manche, comme nous étions à l'ancre en attendant la brife, vint du large une barque qui était à notre recherche pour nous dire que Diego Dias fe trouvait au palais du roi, & qu'on promettait, à l'on retour, de ramener nos compa- gnons à bord. Mais le commandant perfuadé qu'on les avait fait mourir & qu'ils difaient cela pour nous retenir jufqu'à ce qu'on eût armé contre nous, ou qu'il furvînt des navires de la iVlecque pour nous capturer, leur enjoignit de fe reti- rer & de ne plus fe préfenter à bord fans les hommes ou fans lettre d'eux ; qu'autrement , il les recevrait à coups de bombardes; qu'enfin, s'ils ne revenaient au plus tôt avec un meffage, il comptait bien faire couper la tête à fes pri- fonniers. Après cet incident, la brife fe leva, &nous filâmes en prolongeant la côte; puis, au coucher du foleil, nous jetâmes l'ancre de rechef.

Comment le roi fit appelé?- Diego Dias & lui dit ce qui fuit :

Quand la nouvelle de notre départ pour le Portugal par- vint au roi, comme il n'y avait plus moyen de pourfuivre l'objet qu'il avait en vue, il fongea à raccommoder ce qu'il avait gâté précédemment. Il manda donc Diego Dias, & lorfque celui-ci parut en fa préfence, il lui fit grand accueil, ce qui n'avait pas eu lieu précédemment quand il avait apporté le préfent; puis, il lui demanda pourquoi le comman- dant s'était faifi des hommes dont on a parlé ? Diego Dias répondit que c'était parce que lui-même mettait obflacle

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au retour de fes compagnons à bord & les retenait en ville prifonniers ; à quoi le roi repartit qu'il avait bien fait. Puis il reprit & demanda fi le fadeur avait montré quelque exigence, voulant donner à entendre qu'il ne favait mot de ce que cet homme avait fait, & que fa conduite avait eu pour objet de leur extorquer quelque chofe. « Ignore- t-il donc, dit-il, en s'animant contre lui, qu'il y a peu de temps j'ai fait mourir un autre faéleur pour avoir commis une exaélion fur des marchands venus en ce pays? Pour toi, ajouta le roi, retourne aux navires avec ceux de tes compagnons qui font ici, et dis au commandant de me renvoyer les hommes qu'il retient captifs ; quant à la colonne qu'il m'a témoigné le défit d'élever à terre, ceux qui te conduiront la rapporteront & la mettront en place ; dis-lui de plus que tu demeureras ici avec la marchandife. » En même temps il envoya une lettre au commandant pour la remettre au roi de Portugal, & elle était écrite de la main de Diego Dias fur une feuille de palmier, car on emploie ces feuilles pour tout ce qui s'écrit en ce pays 5 quant à la plume dont on fe fert, elle eft de fer. Or, la teneur de cette lettre était comme il fuit :

« Vafco da Gama, gentilhomme de votre maifon, eft venu en mon royaume, ce qui m'a été agréable. En mon royaume il y a force cannelle , force girofle , gingembre, poivre, & pierres précieufes en quantité ; ce que je défire du tien, c'ell de l'or, de l'argent, du corail & de l'écarlate. »

Le lundi, 27 dudit mois, dans la matinée, comme nous étions en panne, nous vîmes venir fept barques montées par un grand nombre de gens qui nous amenaient Diego Dias ainfi qu'un autre dont il était accompagné ; & n'ofant pas

67 les mettre à bord, ils les dépofèrent dans l'embarcation du commandant qui fe trouvait encore en poupe ; quant à la marchandife, ils ne lavaient pas apportée, penfant que le fufdit Diego Dias reviendrait à terre. Mais, quand le com- mandant les vit fur le vaifleau, il ne voulut pas permettre qu'ils y retournaflent & donna la colonne aux gens de la barque pour la mettre en place, comme le roi l'avait com- mandé ; puis, en échange des nôtres, il rendit fix priibnniers, les plus qualifiés qu'il avait, & en garda autant, difant que le lendemain on apportât la marchandife, & qu'alors il donnerait ceux qui étaient reftés.

Le mercredi matin, comme nous étions en panne, un Maure de Tunis qui entendait notre langue vint fe réfugier à bord parmi nous ; il difait qu'on l'avait dépouillé de tout ce qu'il pofledait, & qu'il craignait qu'on ne lui fît pis encore ; que telle était fon appréhenfion ; que les gens du pays l'accufaient d'être chrétien & d'être venu à Calicut comme mandataire du roi de Portugal, en forte qu'il aimait mieux s'en aller avec nous que demeurer en un pays où, chaque jour, il s'attendait à être mis à mort. Sur les dix heures du matin, nous vîmes venir fept barques chargées de monde ; trois d'entre elles portaient, fur les bancs des rameurs, les pièces de drap rayé que nous avions laifTées à terre, pour nous donner à entendre que toute la marchan- dife arrivait. Ces trois barques approchèrent des navires, tandis que les quatre autres demeuraient au large 5 cepen- dant, tout en approchant, elles fe tinrent à bonne dif- tance ; ceux qui les montaient nous dirent de faire defcendre les prifonniers dans notre barque, qu'ils y transborderaient la marchandife & prendraient leurs hommes. Et le com-

68 mandant en chef s'étant avifé de leur tromperie, leur en- joignit de s'éloigner, en leur difant qu'il n'avait point fouci de la marcliandife , mais feulement d'emmener les prifonniers en Portugal ; qu'ils fiflent bien attention qu'in- ceiïamment il comptait revenir àCalicut, & qu'ils fauraient alors fi nous étions des larrons, comme les Maures le leur avaient dit.

Un mercredi, vingt-neuvième jour du mois d'aoïit, con- lidérant, qu'en fomme, nous avions découvert ce que nous étions venus chercher, que nous avions trouvé des épices & des pierres précieufes, & qu'il fallait renoncer à quitter le pays en bonne -intelligence avec les habitants, le comman- dant en chef, d'accord avec les capitaines, réfolut de partir & d'emmener les prifonniers , attendu qu'à leur retour à Calicut ces hommes nous aideraient à former des relations d'amitié ; nous mîmes donc incontinent à la voile & prîmes la route de Portugal, tous extrêmement joyeux d'avoir eu la fortune d'effeduer une auffi grande découverte que celle que nous avions faite. Le jeudi, à l'heure de midi, nous trouvant en calme, à peu près à une lieue au-deflous de Ca- licut, nous vîmes venir à nous environ soixante-dix barques chargées d'une multitude de gens infinie. Ces gens por- taient, fur la poitrine, une armure défenfive faite d'un gros drap rouge , comme un très-fort plaftron ; ce font leurs armes pour le corps, les mains & la tête... (i). Lorsqu'ils

(i) L'auteur de ce livre a oublié de nous apprendre comment ces armes font faites. Note intercalée dans le manufcrit & de la même écriture.

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furent arrivés à portée de notre artillerie, la nef du com- mandant en chef tira fur eux, & ainfi firent les autres. Ils nous fuivirent de la forte durant une heure & demie envi- ron ; mais tandis qu'ils nous pourfuivaient, furvint un grain qui nous emporta au large ; fe voyant alors réduits à l'im- puiflance , ils retournèrent du côté de la terre, & nous continuâmes notre chemin.

Cette contrée de Calicut, appelée flnde fupérieure, ell celle d'où viennent les épices qui fe confomment au cou- chant, au levant, ainfi qu'en Portugal & même dans tous les quartiers du monde ; c'eft également de la ville appelée Calicut que l'on tire maintes pierres précieufes de toute forte. La même cité produit fur fon propre territoire les épices fuivantes : quantité de gingembre, de poivre & de cannelle, bien qu'elle ne foie pas auffi fine que celle qu'on tire d'une île appelée Çillam (Ceylan), diftante de huit journées de Calicut. Toute cette cannelle vient s'entre- pofer dans cette cité de Calicut, & dans une île nommée éM'elequa (Malacca) qui lui fournit le clou de girofle. C'eft que les navires de la Mecque prennent leur chargement d'épices pour le tranfporter à une ville des Etats de la Mecque qui a nom Judeà (Djedda). Depuis cette île jufque là, on compte cinquante jours de mer avec vent de poupe, car les vaifleaux de ce pays font mauvais bouliniers. Là, ils déchargent leur marchandife & paient au grand Soudan fes droits ; puis ils l'embarquent de rechef fur de plus petits bâtiments qui la tranfportent, par la mer Rouge, en un lieu nommé Tuz/^ (Suez) (xl), proche de Santa-Caterina du Mont Sinaï, oii ils paient un nouveau droit. En cet endroit, les marchands chargent les épices fur des chameaux de

70 louage, à raifon de quatre cruzades par tête, &, en dix jours, les conduifent au Caire ils ont à payer encore un droit. 11 leur arrive maintes fois, fur cette route du Caire, d'être détroulTés par les voleurs que Ton rencontre en ce pays, tels que les cAlarves (Arabes) & d'autres encore. Là, ils recommencent à embarquer leur marchandife fur un fleuve appelé le Nil qui vient des Etats du Prêtre Jean, dans les Indes inférieures ; ils naviguent fur ce fleuve durant deux jours, jufqu'à ce qu'ils atteignent un endroit appelé Rofette, ils paient un autre droit. Enfin, on charge encore une fois la cargaifon fur des chameaux qui la portent, en un jour, à une cité du nom d'Alexandrie, laquelle eft port de mer. C'eft en cette cité d'Alexandrie que les galères de Venife & de Gênes viennent chercher les épices dont il fe trouve que le grand Soudan tire fix cent mille cruzades de droits ; il en donne annuellement cent mille à un roi nommé Cidadym pour faire la guerre au Prêtre Jean ; quant à ce titre de grand Soudan, il s'achète à prix d'argent & ne fe tranfmet pas de père en fils.

Je reviens à parler de notre retour.

Naviguant ainfi le long de la côte, à caufe de la faiblelTe du vent, avec des brifes de terre qui alternaient avec des brifes de mer, nous jetions l'ancre durant le jour par le calme. Or, un lundi, dix du mois de feptembre, comme nous longions ainfi la côte, le commandant en chef envoya au roi Camolim, par un des hommes que nous avions emmené & qui était privé d'un œil, des lettres écrites en

71 maurefque & de la main d'un Maure qui s'en venait avec nous. Le pays nous débarquâmes le porteur de ces lettres fe nomme Compia, & le roi Biaquolle; il eft en guerre avec celui de Calicut. Et le jour fuivant, comme nous étions en calme, vinrent à nous des barques qui nous apportaient du poiflbn, & les bateliers montèrent fans aucune appréhenfion fur nos vaifleaux. Le famedi d'après, quinzième jour dudit mois, nous nous trouvâmes près de certains îlots fitués à deux lieues de terre environ ; ayant mis une embarcation à la mer, nous élevâmes fur ledit îlot une colonne que nous appelâmes du nom de Santa- Maria (xli) ; & ceci, parce que le roi avait dit au comman- dant d'élever trois colonnes & de donner, à l'une, le nom de San-Raphaël; à l'autre, celui de San-Gabriel, & à la troi- fième, celui de Santa-Maria. Avec ceUe-ci nous achevâmes de les mettre en place toutes les trois, favoir : la première ou de San-Raphaël, au rio dos Bons Signaes ; la féconde ou de San-Gabriel, à Calicut ; & enfin cette dernière qui était celle de Santa-Maria. Ici nous vinrent encore nombre de barques apportant à bord du poiflTon ; &le commandant fit donner des chemifes aux gens qui les montaient, les accueil- lit très-bien, & leur demanda s'ils feraient fatisfaits de lui voir élever une colonne fur cet îlot. Ils répondirent qu'ils s'en réjouiraient fort, & que 11 nous le faifions, on pourrait dire alors que nous étions chrétiens comme eux ; en forte que cette colonne y fut placée du meilleur accord.

La nuit fuivante, nous fîmes voile avec la brife de terre & pourfuivîmes notre navigation. Or, le jeudi d'après, dix- neuvième jour dudit mois, nous nous trouvâmes près d'une haute terre, fort plaifante & falubre, à laquelle fe ratta-

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chaient lix petites iles ; là, nous mouillâmes tout près de la côte & mîmes une embarcation dehors, afin de nous appro- viiîonner d'eau & de bois en quantité fuflifante pour la traverfée que nous efpérions effeéluer, fi les vents fécondaient nos défirs. Et quand nous fûmes à terre, nous rencontrâmes un jeune homme qui nous vint montrer, au bord d'une rivière, une fource d'excellente eau naiffant entre deux rochers. Le commandant en chef fit préient d'un bonnet à ce garçon & s'enquit de lui s'il était Maure ou chrétien ; il dit qu'il était chrétien, & lorfque nous lui apprîmes que nous l'étions nous-mêmes, il témoigna beaucoup de joie. Le lendemain, dans la matinée, vinrent à nous quatre hom- mes dans une almadie, & ils apportaient quantité de citrouilles & de concombres. Le commandant s'étant infor- mé d'eux fi le pays produifait de la cannelle, ou du gin- gembre, ou quelque autre forte d'épices, ils dirent que pour de la cannelle il n'en manquait pas, mais qu'il n'y avait aucuneautre forte d'épice. Pour lors, le commandant envoya deux hommes à terre avec eux afin qu'ils lui en rapportaf- fent de la montre. On les conduifit dans un bois fe trou- vaient une infinité d'arbres de cette efpèce, & ils en coupè- rent deux grofies branches chargées de leurs feuilles; & quand nous allâmes dans les embarcations faire de l'eau, nous ren- contrâmes ces deux hommes avec les branches de cannellier qu'ils rapportaient, & ils avaient déjà une vingtaine d'indi- vidus à leur fuite. Ceux-ci étaient munis de force poules, lait de vache, citrouilles pour le commandant; & ils lui dirent de renvoyer ces deux hommes avec eux parce qu'ils avaient, à quelque diftance de là, quantité de cannelle sèche qu'ils iraient voir & dont ils rapporteraient de la montre. Quand

75 nous eûmes fait notre provifion d'eau, nous regagnâmes les navires ; pour eux, ils promirent de revenir à bord le jour fuivant & d'apporter un préfent de vaches, de porcs & de poules au commandant. Le lendemain, à la pointe du jour, nous vîmes, près de la côte, deux grandes barques qui pou- vaient être à deux lieues de nous environ & dont nous ne tînmes aucun compte. Nous allâmes faire du bois à terre, en attendant que la marée nous vînt & nous permît d'entrer dans le fleuve pour prendre de l'eau. Et comme nous étions occupés à couper du bois, il fembla au commandant que ces barques étaient plus grandes qu'il ne l'avait d'abord jugé; à l'inftant même il ordonna que tout le monde fe rembarquât & s'en fût prendre des aliments, puis, qu'auffi- tôt après avoir mangé, on allât fur les embarcations s'affurer fi ces gens étaient maures ou chrétiens. Et quand ledit commandant en chef fut fur fa nef, il fit monter un matelot dans la hune pour voir fi l'on apercevait quelques navires. Celui-ci découvrit, à fix lieues environ au large, huit bâti- ments qui étaient en calme, ce qui fit que le commandant ordonna fur-le-champ de virera pic. Or, ces navires ayant fenti la brife, ferrèrent le vent d'aufii près qu'ils le purent ; & lorfqu'ils furent à notre hauteur, & que nous jugeâmes qu'ils pouvaient nous apercevoir, quoique nous en fuffions bien éloignés de deux lieues, nous tirâmes droit à eux. Dès qu'ils virent que nous leur courions fus, ils laissèrent arriver vent arrière du côté de la terre, & l'un d'eux ayant brifé fon gouvernail avant d'avoir atteint la côte, ceux qui étaient dedans fe jetèrent dans fembarcation qu'ils avaient en poupe & gagnèrent le rivage. Pour nous qui ferrions de plus près ce bâtiment, nous l'abordâmes incontinent ; mais

lO

74 nous n'y trouvâmes que des provilîons de bouche & des armes ; les vivres confiftaient en cocos & en quatre jarres de fucre de palmier ; tout le refle n'était que fable fervant de left. Les fept autres navires furent s'échouer, & nous allâmes les bombarder fur les embarcations.

Le lendemain matin, étant à l'ancre, vinrent à nous fept hommes fur une barque; ils nous apprirent que lesdits navires venaient de Calicut, & qu'ils étaient en quête de nous pour nous tuer tous s'ils nous prenaient. Le jour fui- vant, après avoir quitté ce parage, nous fûmes mouiller à deux portées de bombarde du lieu nous étions d'abord, près d'une île que l'on nous avait dit pourvue d'eau (xLii). Le commandant en chef envoya donc Nicolas Coelho fur une embarcation armée reconnaître l'aiguade , & celui-ci trouva, dans ladite île, les ruines d'une églife bâtie en pierres de taille de grande dimenfion , mais détruite par les Maures , d'après le dire des gens du pays , hormis la chapelle qui était couverte en paille ; & ils faifaient leurs oraifons devant trois pierres noires placées au centre de cette chapelle. Nous trouvâmes, en outre, au-delà de cette églife , un balfm en pierres de taille & de même travail nous primes autant d'eau que nous voulûmes ; & tout au haut de l'île, il y avait un vafle réfervoir de quatre braffes de profondeur. Enfin, vis-à-vis l'églife, nous rencontrâmes une plage nous calfatâmes le "Berrio Se la nef du com- mandant en chef 5 quant au T^aphaêl, il ne fut pas halé à terre par fuite des contrariétés relatées ci-dessous.

Un jour nous nous trouvions fur le "Berrio qui était échoué, nous vîmes venir à nous deux grandes barques en manière de fuftes, portant une multitude de gens innom-

Vf brable; elles marchaient à la rame, au ion des tambours & des trompettes, avec des étendards au haut des mâts, tandis que cinq autres ftationnaient le long de la côte pour les protéger. Avant qu'elles euflent atteint les navires, nous demandâmes à ceux que nous emmenions quels étaient ces gens & à quelle nation ils appartenaient. Ils nous dirent de ne point les lailTer monter à bord, que c'étaient larrons venus pour nous furprendre s'il y avait moyen; que les hommes de ce pays, qui vont armés, s'introduifaient avec les apparences de l'amitié fur les navires &, une fois de- dans, s'en emparaient s'ils fe trouvaient en force. C'eft pourquoi , lorfqu'ils furent à portée de bombarde , le %aphaël tira fur eux, ainfi que la nef du commandant en chef. Pour lors ils fe mirent à crier « Tambaram » , en difant qu'ils étaient chrétiens, car les chrétiens de ce pays des Indes appellent Dieu Tambaram ; mais quand ils virent qu'on ne fe payait pas de cette raifon, ils commencèrent à fuir du côté de la terre. Nicolas Coelho les pourfuivit fur une embarcation durant quelque temps, jufquà ce que le navire du commandant en chef lui eût fait le fignal de rallier.

Le jour fuivant, comme les capitaines étaient à terre avec beaucoup de monde, occupés à approprier ledit navire 'Berrio, vinrent deux petites barques, montées par une douzaine d'hommes proprement vêtusj qui apportaient en préfent au commandant en chef une braflee de cannes à fucre. Et lorfqu'ils furent à terre, ils lui demandèrent la licence d'aller vifiter les navires; mais, jugeant qu'ils ve- naient en efpions, le commandant fe mit à s'emporter contre eux. Sur ces entrefaites, arrivèrent deux autres barques avec autant de monde. Or, les premiers venus, voyant que le

76 commandant ne leur faifait pas bon accueil, dirent aux furvenants de ne point prendre terre & de s'en retourner. Eux-mêmes fe rembarquèrent incontinent & s'en furent à leur fuite.

Pendant que l'on appropriait la nef du commandant en chef, furvint un homme d'une quarantaine d'années qui parlait le vénitien à merveille (xliii); il était entièrement vêtu de toile de lin, & coiffe d'un fort beau turban, avec un coutelas à la ceinture. Auffitôt qu'il eut débarqué, il vint embrafler le commandant en chef ainfi que les capi- taines, & fe mit à raconter comment il était chrétien, origi- naire des contrées du levant & venu tout petit en ce pays ; comment il demeurait avec un feigneur qui commandait à quarante mille cavaliers & qui était un maure 5 comment il était maure lui-même, mais tout-à-fait chrétien au fond du cœur ; que fe trouvant au logis de ce feigneur, on était venu lui apprendre qu'il y avait à Calicut des gens que perfonne n'entendait & qui allaient entièrement vêtus ; qu'ayant ouï ce récit, il s'était dit que de tels gens ne pou- vaient être que des Francs, car c'efl ainfi qu'on nous appelle en ces contrées; qu'alors, il avait demandé la permiflîon de venir nous trouver, en difant qu'un refus le ferait mourir de chagrin 5 que pour lors fon feigneur & maître lui avait dit d'aller, & de nous faire favoir que s'il y avait en fes domaines quelque chofe à notre convenance, il nous en faifait don, & nous offi"ait des navires & des vivres ; que de plus, fi nous vouUons demeurer fur fes terres, il en aurait grande fatisfaclion . Le commandant l'ayant beaucoup remercié de tout cela, car il parailîait de bonne foi, il ajouta qu'il de- mandait comme une faveur qu'on lui fit don d'un fromage

77 pour l'envoyer à un fien compagnon demeuré dans le pays, à qui il avait promis, fi tout allait à fouhait, de faire tenir un gage pour le tranquillifer. Pour lors le commandant lui fit donner un fromage avec deux pains mollets , & il relia à terre, parlant tellement & de tant de chofes que par mo- ment il s'embrouillait. Cependant Paul da Gama s'en fut trouver les chrétiens du pays qui l'avaient amené, & leur demanda quel était cet homme ; ils dirent que c'était l'ar- mateur venu pour nous attaquer, & qu'il tenait fes navires à la côte avec beaucoup de monde. Ceci connu, avec ce que l'on put comprendre encore, on le faifit, on l'emmena fur le bâtiment échoué, & on fe mit à le fijfliger pour lui faire confeffer s'il était réellement l'armateur qui nous avait fuivis, & à quelle intention. Il nous avoua qu'il favait bien que tour le pays nous était hollile, & que nous étions envi- ronnés d'un grand nombre d'hommes armés, embufqués dans les anfes voifines ; mais qu'ils n'ofaient venir nous atta- quer, attendant quarante voiles que l'on était en train d'ar- mer pour nous donner la chafle ; qu'il ignorait, néanmoins, quand elles fe mettraient en mouvement. Sur lui-même, il n'ajouta rien de plus que ce qu'il avait dit en premier lieu. 11 fut interrogé encore à trois ou quatre reprifes ; bien qu'il ne s'exprimât pas très clairement, il fe faifait enten- dre par geftes, confefiant qu'il était venu vifiter les navires pour s'aflurer de nos forces & favoir comment nous étions armés.

Nous demeurâmes douze jours en cette île nous man- geâmes force poiflons que les gens du pays nous venaient vendre, avec force citrouilles & concombres -, ils amenaient aulTi des barques chargées de bois vert de canncllier dont

les branches portaient encore leurs feuilles. Et quand les navires furent nettoyés, que nous eûmes pris l'eau nécef- faire & démoli le bâtiment que nous avions capturé, nous partîmes, un vendredi, cinquième jour du mois d'o(flobre.

Avant que le bâtiment ne tût démoli, on en offrit au commandant mille fanones (i) ; mais il dit qu'il ne le ven- drait point, parce qu'il venait de fes ennemis, & fe conten- terait de le briàler.

Nous nous trouvions à deux cents lieues au large, envi- ron, du point d'où nous étions partis, quand le Maure dont on s'était faifi dit que le tei'nps lui paraiflait venu de ne plus rien diffimuler : qu'il était vrai que fe trouvant chez fon feigneur, on était venu l'avertir que nous étions égarés le long de la côte, fans pouvoir retrouver la route de notre pays, & que, par fuite, nombre de flottilles croifaient pour tâcher de nous capturer -, que fon feigneur lui avait dit alors de s'alTurer de la façon dont nous nous gouvernions, & d'aller voir s'il pourrait nous attirer fur fes terres, car on difait que fi nous étions pris par l'armateur, il n'en re-

(i) On verra plus loin (p. 107 de l'éd. portug.j que cinquante fanor.es faifaient trois cruzades ou mille deux cents réis ; ainfi, les m\\\efanones offerts pour le navire équivalaient à vingt-quatre mille réis ou mille trois cent cinquante-huii francs de notre monnaie. Cette fomme paraîtrait bien peu confidérable, fi l'on ne tenait compte de la dépréciation que le numéraire a fubie depuis le temps de Gama ; on peut s'en former une idée en comparant le prix du blé qui, en ip3, peu d'années après l'expédition des Indes, valait fix cents réis à Lisbonne, tandis que la même mefure fe paie quarante-deux mille réis, c'efl-à-dire foixante dix fois, plus, aujourd'hui. (7r.)

79 cevrait aucune parc, candis que, une fois débarqués, il s'emparerait de nous, & qu'écanc de vaillancs hommes, il nous emploieraic à guerroyer concre les aucres rois du voi- finage : il avaic compcé fans fon hôce.

Cette traverfée dura fi longtemps que nous y confumâ- mes trois mois moins trois jours à caufe des calmes fré- quents & des vents contraires que nous rencontrâmes. Il en réfulta que tous les équipages fouffrirent des gencives ; elles croiflaient par defTus les dents, au point qu'il n'était plus poflîble de manger; les jambes enflaient aufli, & d'autres enflures confidérables fe manifeftaient fur le corps elles fe développaient tellement que le patient fuccom- bait fans être atteint d'aucun autre mal. Trente perfonnes en moururent dans cet efpace de temps, fans compter un nombre égal que nous avions déjà perdu. Ceux qui tra- vaillaient à la manoeuvre étaient réduits à fept ou huit in- dividus fur chaque vaifl^eau, encore n'étaienc-ils pas tous valides comme ils auraient pu l'être ; aufli, je vous affirme que fi cette fituation fe fût prolongée au delà de quinze jours, nous demeurions à la merci des flots, n'ayant plus perfonne à bord pour gouverner. Nous en étions arrivés au point que tout était déjà défordonné; &, dans notre affliflion, nous faifions maintes promelTes aux faints & maintes quêtes fur les navires. Déjà les capitaines avaient pris la réfolution de regagner la terre de l'Inde, d'où nous étions partis, fi nous étions favorifés par un vent qui nous y poufl"ât. Mais, Dieu daigna, dans fa miféricorde, nous accorder une brife tellement propice que , dans l'efpace de fix jours, elle nous conduilit en vue de terre, ce donc nous nous réjouîmes autant que fi cette terre eût été le

8o Portugal. Nous avions, en effet, l'erpoir d'y trouver notre guérifon, avec l'afriftance divine, comme nous l'avions déjà trouvée une fois; & ce fut un mercredi, deuxième jour de février de l'an 1499. Comme nous étions près de la côte & qu'il faifait nuit, nous virâmes de bord & mîmes en panne 5 &, quand vint le matin, nous allâmes recon- naître la terre, afin de favoir en quel lieu le Seigneur nous avait conduits , car il n'y avait plus à bord ni pilote, ni perfonne qui fût en état de juger fur une carte le parage nous nous trouvions. Quelques-uns afluraient, il eft vrai, que nous ne pouvions être ailleurs qu'entre certaines îles lituées par le travers de Mozambique, à trois cents lieues de terre environ ; & ceci , parce qu'un Maure que nous avions pris à Mozambique difait que ces îles étaient très- infalubres , & que les habitants y fouffi-aient eux- mêmes du mal dont nous étions atteints. Or, nous nous trouvâmes en face d'une grande cité dont les maifons avaient plufieurs étages ; le centre était occupé par de vaftes palais, & il y avait quatre tours à la circonférence ; cette ville, bâtie tout contre la mer, appartient aux Maures &fe nomme Mogadoxo. Nous étant avancés fuffifamment pour en être tout proches, nous lâchâmes force coups de bom- barde & pourfuivîmes notre route en rangeant la côte, avec bon vent en poupe, marchant de jour & nous arrê- tant de nuit, car nous ne lavions pas à quelle diftance nous pouvions être de Mélmde nous nous propolions d'aller. Et le famedi, cinquième jour dudit mois, comme nous étions en calme, furvint inopinément un grain qui rompit les itagues du Raphaël. Pendant que nous étions occupés ;'i réparer ledit navire, un armateur fortit d'un bourg nommé

8i Pâte & vint fur nous avec huit barques chargées de monde ; mais étant arrivées à portée de notre artillerie, nous tirâmes, & elles s'enfuirent incontinent vers la terre : on ne les pour- fuivit pas attendu que le vent manquait.

Le lundi, neuvième jour dudit mois, nous fômes mouiller devant Mélinde, & le roi nous dépêcha fur-le-champ une longue embarcation qui portait beaucoup de monde; il envoyait des moutons & mandait au commandant qu'il était le bienvenu, qu'il l'attendait depuis quelque temps déjà, ajoutant maintes autres paroles de paix & d'amitié. Le commandant expédia un homme à terre, en compagnie des envoyés, pour en rapporter le lendemain des oranges que nos malades défiraient ardemment, comme de fait il en rapporta avec bon nombre d'autres fruits ; mais les malades n'en profitèrent guère, car la terre les éprouva de telle façon que plufieurs trouvèrent ici leur fin. Nombre de Maures venaient aulTi à bord, par ordre du roi, & appor- taient à vendre des poules & des œufs en quantité. Le commandant voyant tous les égards que ce prince nous témoignait dans un moment nous en avions fi grand befoin, lui envoya un préfent, & le fit prier par un des nôtres (celui qui favait parler arabe) de lui donner une trompe d'ivoire pour l'offrir au roi fon maître, et de faire élever à terre une colonne qui y demeureraiten témoignage d'amitié. Le roi répondit qu'il ferait de grand cœur tout ce qu'il demandait, par amour pour le roi de Portugal dont il voulait être & demeurerait toujours le ferviteur:, &, en effet, il envoya fur l'heure la trompe au commandant & fit mettre en place la colonne. Il nous donna aulîî, pour partir avec nous, un jeune Maure qui avait le défir de viliter le

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Portugal ; le roi le fit recommander particulièrement au commandant, en lui mandant qu'il lui envoyait ce jeune homme pour que le roi de Portugal fût combien il défirait fon amitié.

Nous palTâmes cinq jours à nous divertir & à nous repofer des fatigues endurées pendant une traverfée nous avions tous vu la mort de près. Et un vendredi, dans la matinée, nous partîmes, & le famedi, douzième jour du- dit mois, nous paiïames près de Mombaza. Le dimanche, nous fûmes mouiller fur les bas-fonds de San-Raphaël nous mîmes le feu au navire de ce nom, car la manœuvre de trois vaifleaux devenait impoffible avec le peu de monde que nous étions. Là, nous transbordâmes tout ce que ren- fermait le bâtiment fur les deux autres qui nous refiaient. Nous demeurâmes cinq jours en cet endroit l'on nous apportait, d'une bourgade iîfe en face de nous et nommée Tamugata, force poules à vendre ou à échanger contre des chemifes & des bracelets. Or, un dimanche, vingt-fep- tième jour duditmois, nous quittâmes ce parage avec un très bon vent de poupe, &, dans la nuit qui fuivit, nous mîmes en panne. Au matin, nous étions près dune île fort étendue, appelée Jamjiher (Zanzibar) ; elle eft peuplée d'un grand nombre de Maures & peut bien être à dix lieues de la terre ferme . Et le foir du premier février, nous jetâmes l'ancre devant les îles de Saint-Georges en Mozam- bique; &, dans la matinée du jour fuivant, nous allâmes dreflfer une colonne fur l'île nous avions ouï la mefle à notre premier paffage . La pluie tombait fi fort que nous ne pûmes parvenir à allumer du feu pour faire fondre le plomb nécciTaire au fcellement de la Croix, en forte que

83 le monument en demeura privé. Nous retournâmes enfuite aux navires & partîmes incontinent.

Le troidème jour du mois de mars, nous atteignîmes la baie de San-Bras nous primes quantité d\ichoa (i), ainfi que des loups marins & des pingouins dont nous fîmes des falaifons pour la traversée, &, le douze dudit mois , nous mîmes à la voile. Comme nous étions à dix ou douze lieues de Taiguade, il venta fi fort du ponent que nous fijmes con- traints de retourner au mouillage dans la fufdite baie ; le calme rétabli , nous fortîmes de rechef, & Notre-Seigneur nous accorda un vent favorable que, le vmgtième jour dudit mois, nous doublâmes le cap de Bonne-Eipérance. Ceux d'entre nous qui étaient parvenus jusque-là le trou- vaient fains et difpos, bien que parfois à demi morts de froid, à caufe des fortes brifes qui nous accueillirent en ce parage , ce que nous attribuâmes moins à Tintenlité du froid qu'à notre arrivée d'un pays chaud. Nous pourfuivî- mes notre route avec un grand défir d'en voir la fin , & navigâmes avec un vent de poupe qui nous dura bien vingt- fept jours &qui nous conduiht tout près de l'ile de San- tiago ; le plus loin que nous pouvions en être, d'après les cartes marines, devait être cent lieues, & quelques-uns faifaient déjà leur compte d'y arriver; mais ici le vent tom- ba, & le peu qui foufflait n'était qu'une fraîcheur de l'avant. Or, fâchant nous étions, grâce à quelques orages qui nous venaient de terre , nous ferrions le vent autant qu'il nous était polîîble, & un jeudi, vingt-cinquième jour du

(l) Peut-être enxovu (anchois).

84 mois d'avril, nous trouvâmes fond par trente-cinq brafTes, &, tout le jour, nous fuivîmes cette route ; le moindre fond était de vingt braiïes, fans que nous eufTions connaiflance de la terre, & les pilotes difaient que nous étions fur les bas fonds du Rio Grande.

Les noms infcrits ci-dejfous font ceux de certains royaumes fnués fur la cote fud de Calicut, ainfi que les produélions de cha- cun d'eux & leur valeur : toutes ckofes que fai apprifes de la manière la plus certaine d'une perfonne fackant notre langue, qui était venue, trente ans auparavant, d'cAlexandrie en ces quartiers.

Premièrement, Calicut nous fommes allés: fe ren- dent toutes les marchandifes énumérées ci-deflous; c'efl auiïî dans cette cité que les vaifTeaux de la Mecque pren- nent leur chargement. Le roi, que Ton nomme Camolim, peut raffembler cent mille hommes de guerre, avec les contingents qu'il reçoit, fa propre juridiction s'étendant fur un très -petit nombre.

Voici les marchandifes qu'apportent les navires de la Mecque, & leur valeur dans toute cette partie de l'Inde.

Du cuivre ; hfraiala, qui faitprefque trente livres, vaut cinquante fanones ou trois cruzades (i).

(i) Cette indication nous donne la valeur des mille yà«o«M dont il est question à la page 78. (Tr.)

De la pierre de Baqua, qui vaut l'on pelant d'argent. Des couteaux, à un fanon la pièce. De l'eau de rofe, valant cinquante fanones la frazala. De l'alun, à cinquante fanones la frazala. Du camelot, valant fept cruzades la pièce. Du drap écarlate ; lep^'^uj, correfpondanc à trois pal- mes, vaut deux cruzades.

Du vif argent, valant dix cruzades la frazala.

cAune T{oycHime.

Ouorcngolii (xLiv) eft pays chrétien & le roi eu chré- tien ; la diflance, depuis Calicut, eft de trois jours de mer par un bon vent. Le roi peut réunir quarante mille com- battants. Le pays produit force poivre, valant neuffanones la frazala : à Calicut, il en vaut quatorze.

oiune Tioyaume.

Colcu (xiv), pays chrétien, eft à dix jours de mer de Calicut par un bon vent. Le roi peut raflembler dix mille hommes; cette contrée fournit beaucoup de toile de coton, mais peu de poivre.

aiuirc Tioyaume.

Caell (xiv i) , dont le roi eft maure & la population chré- tienne, eft à dix jours de mer de Calicut. Le roi peut réunir quarante mille hommes de guerre & cent éléphants de combat ; il y a ici force perles.

86

aiutie T{oyaiime.

Chomandarla (xLVii) efl pays chrétien avec un roi chré- tien; celui-ci peut réunir cent mille hommes. Il y a ici force goiTime laque, à une cruzade les deux frazalas ; on y fabrique aussi force toile de coton.

oiutre 'Royaume.

Ceylan, qui eft une tort grande île, eft pays chrétien & le roi eft chrétien ; on compte huit jours de mer depuis Calicut par un bon vent. Le roi peut réunir quatre mille hommes ; il possède en outre nombre d'éléphants pour la guerre ainli que pour la vente. C'elT: ici que le trouve toute la cannelle fine de l'Inde ; il y a auffi quantité de faphirs fupérieurs à ceux des autres pays, & des rubis en petite quantité, mais ils ont du prix.

Camaiarra (xLViii) eft chrétien, à trente journées de Calicut par un bon vent. Le roi peut réunir quatre mille hommes de guerre et mille cavaliers, ainfï que trois cents éléphants de combat. La contrée produit beaucoup de foie écrue, valant huit cruzades la frazala ; elle fournit auiîî force gomme laque, au prix de dix cruzades le bachar, qui correfpond à vingt frazalas.

Xarnaui (.\Li.x) eft chrétien & le roi de même; la dif- tance de Calicut eft de cinquante journées par un bon vent. Le roi peut réunir vingt mille hommes de guerre & quatre mille cavaliers ; il polTède aulîî quatre cents éléphants de combat. Ce pays produit force benjoin, à trois cruzades la

87 frazala ; on y récolte quantité daloes, valant vingt-cinq cruzades la frazala.

Tenacar (l) eft chrétien avec un roi chrétien ; on compte, de Calicut, quarante jours de mer par un bon vent. Le roi peut réunir dix mille hommes de guerre & il possède cinq cents éléphants de combat. En ce pays, il y a beaucoup de bra^U qui donne une auffi belle teinture rouge que le kermès; il vaut ici trois cruzades le bachar, &, au Caire, il en vaut foixante. Il y a aulfi de l'aloés, mais peu.

"Bengala; en ce royaume il y a quantité de Maures & peu de chrétiens ; le roi eft Maure ; il peut réunir vingt mille hommes de guerre & dix mille cavaliers. Le pays fournit maintes étoffes de coton & de soie, ainli que beaucoup d'argent ; de Calicut, on compte quarante jours de navi- gation par un bon vent.

cAunc T{oyaumc.

<iMeh\]ua eft chrétien & le roi eft chrétien ; la diftance, depuis Calicut, eft de quarante journées par un bon vent. Le roi peut réunir dix mille hommes de guerre , favoir : deux cents cavaliers & le relie fantaflîns. Dici provient ex- clufivement le clou de girofle ; il vaut, fur place, neuf cruzades le bachar. Il y a beaucoup de porcelaine, beau- coup de foie, beaucoup d'étain dont on fabrique une mon- naie ; mais cette monnaie eft grofle, &de fi mince valeur, que trois frazalas ne valent pas plus d'une cruzade. On voit, en ce pays, quantité de gros perroquets dont le plumage eft rouge comme du teu .

Tegûo eft chrétien & le roi eft chrétien ; les habitants

font tous blancs comme nous autres. Le roi peut réunir vingt mille hommes de guerre , lavoir : dix mille cavaliers & le refte fantaflîns, ainfi que quatre cents éléphants de com- bat. Ce pays produit tout le mufc du monde. Le roi pos- sède une île diftante de la terre ferme d'environ quatre jours de navigation par un bon vent, & cette île elt peuplée de certains animaux, femblablesàdes biches, qui portent au nombril une manière de poche ce mufc efl renfermé. Or, à certaines époques de l'année, ils fe frottent contre les arbres, & perdent leurs poches que les gens du pays vien- nent alors ramaiïer : leur abondance eft telle que, pour une cruzade, on vous donne quatre de ces grandes poches, ou dix à douze petites, capables de remplir un grand coffre. Sur la terre ferme ily a quantité de rubis & quantité d'or, à tel point que, pour une cruzade, vous pouvez acheter autant d'or ici que l'on vous en donnerait pour vingt-cinq à Ca- licut. Il y a aufli force gomme laque, & du benjoin de deux efpèces, du blanc & du noir ; le blanc vaut trois cruzades la frazala, & le noir une & demie ; & l'argent qu'on vous donne ici pour dLx cruzades en vaudrait quinze à Calicut. Ce pays eft à trente jours de Calicut par un bon vent.

'Bemguala a un roi maure : la population eft mêlée de Maures & de chrétiens, & la diftance de Calicut efl de trente-cinq jours par un bon vent. Il peut y avoir ici vingt- quatre mille hommes de guerre , fa voir : dix mille cavaliers &le refte fantaffins, outre quatre cents éléphants de combat. Les marchandifes du pays confiftent en force blé & quantité d'étoffes d'un grand prix ; en achetant ici pour dix cruzades de ces étoffes, on en trouvera quarante à Calicut ; il y a auffi beaucoup d'argent.

89

Conimata (l i) a un roi chrétien & la population elt auflî chrétienne ; la diftance de Calicut ell de cinquante jour- nées par un bon vent. Le roi peut réunir cinq à fix mille hommes de guerre, & il a mille éléphants de combat. Le pays produit force faphirs & force brasyll.

Tarer efl chrétien, avec un roi chrétien ; en ce royaume il n'y a pas un Maure. Le roi peut réunir quatre mille hom- mes de guerre & il possède cent éléphants de combat. Le pays produit force rhubarbe, valant fur place neuf cruzades la frazala ; il fournit auffi quantité de rubis balais & de laque, valant quatre cruzades le bachar; la diftance de Calicut est de cinquante jours de navigation par un bon vent.

De la manière dont comhanent les éléphanis en ce pays.

On fait une maifonnette en bois, capable de contenir quatre hommes, & cette maifonnette s'adapte fur le dos de l'éléphant avec les fufdits hommes dans l'intérieur ; & l'a- nimal porte cinq épées nues à chaque défenfe, en forte que les deux défenfes font armées de dix épées ; ils font alors tellement redoutables que perfonne n'ofe les affronter fi la fuite eft poffible. Tout ce que commandent aux éléphants ceux qui vont fur leur dos eft exécuté par eux auffi ponc- tuellement que par des créatures raifonnables; en forte que s'ils leur difent : tue celui-ci, ou, fais ceci ou cela, ainfi font-ils.

T)e la manière dont on prend les éléphants fauvages dans les bois.

Quand on veut prendre un éléphant fauvage, on fe fert

12

go d'une femelle apprivoifée, & Ton creufe une très grande foiïe dans les lieux fréquentés par l'éléphant ; & l'ouver- ture étant recouverte de bruyère , on dit à cette femelle : Va , & fi tu trouves un éléphant, attire-le contre cette folTe de manière qu'il y tombe ; mais toi, n'aies garde d'y tomber. Pour lors elle s'en va & fait comme on lui a commandé, c'eft-à-dire que fi elle en trouve un, elle le conduit de telle façon qu'il tombe nécefiairement dedans : or la fofle eft aiïez profonde pour qu'il lui foit impoflîble d'en fortir de lui-même.

De la manière dont on s'y prend pour les tirer de la foffe & les apprivoifer.

Une fois que l'éléphant eft au fond de la folTe, il fe pafle d'abord cinq à fix jours avant qu'on lui donne à manger. Ce temps écoulé, un homme lui apporte une très petite quantité de nourriture, & chaque jour il lui en donne davantage, jufqu'à ce qu'il vienne manger de lui-même. Ceci dure l'efpace d'un mois pendant lequel ceux qui lui apportent des aliments l'apprivoifentpeu à peu & finiflent par defcendre dans la fofle, ce qu'ils répètent durant plu fieurs jours, jufqu'à ce qu'ils puiflent mettre la main fur fes défenfes ; enfuite un homme defcend au fond & lui en- toure les pieds de grofles chaînes. En cet état ils l'élèvent fi bien qu'il ne lui manque que la parole. On tient ces ani- maux dans des écuries, comme les chevaux ; un bon élé- phant vaut deux mille cruzades.

Ceci ejl le prix auquel je vendent les épiceries a (Alexandrie .

Premièrement, un quintal de cannelle vaut. 2f cruzades

Un quintal de clous de girofle 20 >■

Le quintal de poivre 15' "

Le quintal de gingembre 11 »

Et à Calicut, un bachar qui correfpond à cinq

quintaux vaut vingt cruzades.

Le quintal de noix mufcades vaut .... 16 »

Le quintal de laque vaut i<i »

Le quintal de brafil vaut 10

La livre de rhubarbe vaut 12

Le mitkal demufc vaut i

La livre de bois d'aloës vaut 2

La livre de benjoin vaut 1

Le quintal d'encens vaut 2

& à la Mecque, d'où on le tire, il vaut deux cruzades le bachar.

Ceci eji le langage de Calicur.

Pour : regarde, nocane. Entends-tu, que que ne. Ote-lui, criane. Tirer, balichene. Corde, coraoo. Elargis, lacany. Donne-moi, cornda. Boire, carichany. Mange, tinane. Prends, j na. Je ne veux, totenda. Marcher, mareçane. Va-t'en, poo. Viens ici, baa.

Tais-toi, pote. Lève-toi, legany. Jeter, carecane. Parler, para ne. Fou, moto.

Sage, monday decany. Manchot, mura call. Tomber, biamçe. Beaucoup, balidu. Main, bétail. Vent, clarle. Peu, chiredu. Donne-lui, criane. Bâton, mara.

92

l'icrrc, calou. Dents, faley. Lèvres, cire. Nez, muco. Yeux, cana. Front, necheim. Cheveux, talanay. Tète, tabu. Oreilles, cadee. Langue, naoo. Cou, caeftez. , jnulay. Mammelles, nane. Bras, carit. Eftomac, barri. Jambes, cali.

ccinay.

seyrim.

cudo. Mains, lamguajem. Doigts, beda.

cula. Poiffon, miny. Mât, mana. Feu, tiir. Dormir, teraquy. Homme, a?>ioo. Femme, pf«a. Barbe, tari. Homard, xame. Perroquet, tata. Pigeons, cayninaa.

baly. Baifer, mucane. Mordre, canchany.

Regarder, noqitany. Entendre, çegade. Battre, catane. BlefTure, morubo. Epée, batarty. Targe, cutany. Arc, cayny. Flèche, ambum. Lance, concudoo. Tirer de l'arc, heany. Soleil, nerara. Lune, neelan. Ciel, mana. Terre, caraa. Mer, caralu. Vaiffeau, capell. Barque, cambuco. Nuit, erabiit. Jour, pagalala. Manger, tinane.

matara. S'affeoir, arricany. Se tenir debout, anicany. Aller, narecane. Embraffer, traigany. Horions, talancy. Pleurer, que ne. Lever, alagany. Danfer, canechane. Frapper à coups de pierre ou de

bâton, ouriany. Chanter, /a;T?!j. Pluie, ma jaa. Eau, îany. Aveugle, curuge.

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Mutilé d'une main, miiraquay.

Aiguille, ciidoo.

panany.

Vergue, parima.

Prends, emay.

Rame, tandii.

Allons-nous-en, pomga.

Bombardes, ve dit.

L'eft, careçache.

Hune, talii.

L'oueft, mecache.

Driffe, anguaa.

Le nord, barcangache.

Ancre, napara.

Lefud, tycamgarche.

Bannière et étendart, çoù

Chien, naa.

Gouvernail, xoca.

Chienne, pena.

Pilote, cupajaoo.

Garçon, hum née.

Chauffes, cacu paja.

Enfant, co poo.

Bonnet, tupy.

Maifon, pura.

1)oici quels fom leurs noms.

Tenae. Pumi. Paramganda. Uja pee. Quilaba. Gouaa. Aja paa. A rreco. A xirama. Cuerapa. Cu- totopa. Anapa. Canapa. Gande, Rremaa. Mamgala.

^OTES

UELQUES perfonnes ont attribué à Améric Vefpuce la relation du voyage deVafco da Gama inférée dans la ColleBion deT{amufio (t. i, p. 137); nous citerons, en- tr'autres, Sebaftiâo Francifco de Mendo Trigofo, dans l'Introduc- tion aux deux cartes d'Améric Vefpuce qui forme le 4 de la ColleSiion des Notices pour fei~vir ii l'HiJioire des Nations d' Outre-mer, publiée par l'Académie des Sciences de Lisbonne, & Antonio Ri- beiro dos Santos, dans fon Mémoire fur l'antériorité de la naviga- tion portugaife au quinzième fiècle [Mém. de Littérature de ï Aca- démie, t. VIII, p. 348); nous préfumons que cette opinion leur a été fuggérée par Bandini, le premier qui ait attribué la relation dont il s'agit à la plume d'Améric 'Vefpuce {Vita e Lettere d'Americo Vefpuccio, i74f).

Il ne nous a pas été poffible de confulter l'ouvrage de Bandini, qui nous efl uniquement connu par les citations que lui ont em- pruntées d'autres écrivains, par exemple Tirabofchi, t. vi, part. 1,

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p. 2^ y, il y aurait donc témérité de notre part à nous élever contre une affertion dont nous ne pouvons apprécier les fonde- ments (i). Nous oferons cependant affirmer que, fi la relation du voyage de Vafco da Gama, dont il eft: queftion, fut écrite, comme le déclare Ramufio en la donnant pour la première fois au public, par un gentilhomme florentin qui fe trouvait à Lisbonne; d'après le même récit, quand Vafco da Gama revint de découvrir les Indes, ce gentilhomme ne pouvait être Améric Vefpuce.

Vafco da'Gama arriva à Lisbonne le 29 août 1499, félon Goes, ou dans les premiers jours de feptembre, félon Caihinheda ; il avait été précédé, le 10 juillet, par Nicolas Coelho qui fe fépara de lui, comme on le fait, le 27 avril, pendant la route du cap de Bonne-Efpérance à l'ile de Santiago du Cap-Vert. La relation, pour concorder avec ces dates, a donc être écrite dans les derniers fix mois de 1499.

Nous n'entrerons pas dans la queftion (fi l'on peut employer ce terme) qui s'efl élevée fur la date des voyages d' Améric Vefpuce. Nous doutons, en effet, qu'il y ait véritablement queftion fur un point où, en réduifant la controverfe à fa jufte valeur, les preuves demeurent fi fortes d'un côté qu'il n'y a plus matière à débat. Mais, dans l'hypothèfe des amis de Colomb comme dans celle des ad- mirateurs de Vefpuce, nous prouverons qu'il était impoffible que ce dernier fe trouvât à Lisbonne pendant le fécond femeftre de l'année 1499.

Les écrivains efpagnols, s' appuyant fur l'autorité d'Herrera {Hijl. gênerai das Indias), fixent au 20 mai 1499 '^ départ d' Améric Vefpuce pourfon premier voyage; d'après cette date, ce naviga- teur était certainement embarqué Se bien loin de Lisbonne à l'épo- que dont il s'agit, comme nous allons le voir.

Les auteurs qui attribuent à Améric Vefpuce, au préjudice de

(i) Cette affertion de Bandini a été réfutée viiftorieufement & pièces en mains par Canovai, dans la préface de fon ouvrage fur Améric Vefpuce. Voy. Viciggi d'Amerigû Vejpucci, &c., dçl padre S. Canovai, Firenze 1817, p. i j & fuiv. ( Trjd.)

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Colomb, la gloire d'avoir découvert le Nouveau-Monde, font remonter fon premier voyage à l'année 1497. Nous avons confulté , dans la bibliothèque de Porto , uVie copie très-an- cienne des quatre lettres d'Améric Vefpuce qui contiennent le récit de fes quatre voyages, dont deux furent entrepris pour le fervice du roi de Caftille, & deux pour celui du roi D. Ma- nuel de Portugal. Ces lettres fe trouvent à la fin d'un petit traité par « Martinus llacorainus », intitulé : Cofmographia intro- du6iio , &c,, in -4°, en caradlères gothiques, imprimé « apud Argentoratos (Strasbourg) par Joannes Gruniger, 1 5^09 (i); » elles font dédiées à René, roi de Sicile, duc de Lorraine. &c. Il paraît que ce fut l'édition dont fe fervit Simon Gry nœus dans fon « CNiovus Orbis, Sec.,» imprimé à Bâie, en in7'> car, dans la tranfcription des lettres dont il s'agit, il a reproduit les fautes typographiques qui s'y trouvent. La date des voyages de Vefpuce eft indiquée dans ce traité d'une manière paffablement confufe ; toutefois il ne fera pas difficile d'en diffiper l'obfcurité.

Dans le premier voyage, le départ de Cadix eft fixé au io mai 1497, & le retour au 1 ^^ oétobre 1499; il y a évidemment une faute de typographie dans la date du retour, puifqu'il réfultede la teneur de cette première lettre que la navigation dura près de dix-huit mois; on doit donc lui fubflituer celle de 1498.

Le départ de Cadix, dans le fécond voyage, efl placé au mois de mai 1489 (le jour précis, i 1 du mois, nous efl connu par l'édi- tion des lettres de Grynœus) ; la date de l'année, évidemment er- ronée, doit être 1499 ; celle du retour eft fixée au 8 feptembre de l'année fuivante , 1^00.

Dans le troifième voyage, le départ de Lisbonne eft à la date du 10 mai i^oi Qe Summario das Navigaçces de Vefpuccio, inféré dans les œuvres de Grynœus & de Ramufîo, la porte au 1^ du

(i) Le véritable nom de l'auteur qui, fuivant la mode du temps, avaii adopté un pfeudonyme, était WaldreemùUer. Il fit imprimer pour la première fois fon livre en 1507, à Saint-Dié, fa ville natale, Si le dédia à l'empereur Ma\imilien. (Tr.)

1^

98

mois), & le retour cfl placé dans l'année 1^02, après feizc mois environ de navigation, bien que la verfion italienne de Ramudo donne à cet événement la date du 7 feptembrc i5'02.

Le quatrième voyage commence, en partant de Lisbonne, le 10 mai I f03, &fe termine le 28 juin 1 ^04. Il y a une différence de dix jours entre cette date & la verfion de Ramufio qui fixe le retour au 18 du même mois.

Ainfi, en combinant les dates & les textes de l'édition de 1Ç09, de celledeGrynœusde in? & de la verfion italienne de Ramufio, nous arrivons à affigner les dates fuivantes aux quatre voyages d'Améric 'Vefpuce :

l" VOYAGE. 2' VOYAGE. j' VOYAGE. 4' VOYAGE.

Vepjir:

20 mai 1497.

II mai 1499. looiii^maii^oi. lomaii^oj.

fy h R I 8 feptembre 1 500. 7 feptembre 1 502. iSouaSjiiin 1 504.

D'après ces dates, il efi: impoffible qu'Améric 'Vefpuce pût fe trouver à Lisbonne dans le dernier femeftre de l'année 1499.

Mais il y a mieux : nous acceptons pleinement l'invention des deux premiers voyages d'Améric 'Vefpuce. Dans le récit du pre- mier, qu'il entreprit pour le fervice du roi D. Manuel, il déclare expreffément qu'il arriva à Lisbonne en ifoi, quand la flotte fur laquelle il s'embarqua était déjà prête à mettre à la voile. Or, cette flotte leva l'ancre en mai, & l'on aura beau allonger l'intervalle qui s'écoula jufqu'au retour de 'Vefpuce, jamais on ne pourra reculer cet événement jufqu'aux derniers mois de l'année 1499.

Ainfi donc, fi nos prémiffes font vraies, quelle que foit l'opinion que l'on adopte fur la réalité ou la non-réalité des voyages d'Amé- ric'Vefpuce, il eft impoffible de fouteniravec quelque fondement qu'il foit l'auteur de la relation qu'on lui attribue.

Il nous femble que le même Antonio Ribeiro dos Santos fe contredit dans fes affertions, quand on compare ce qu'il dit à ce

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fujet avec ce qu'il a écrit dans le mémoire intitulé ; Da Antiguidadi- da Obfervaçâo dos çAJiros, inféré au tome v, part, i, p. 77 des Mé- moires de l'Académie. On y lit que le même gentilhomme floren- tin aurait voyagé avec Vafco da Cama , alTertion non-feulement contradiétoire, mais qui n'ell pas foutenable en préfence du texte de la relation dont il s'agit.

11 exifte, à la bibliothèque de Porto, un exemplaire de cette première édition du livre i" de ÏHiJloire des Indes parFernâo Lopes de Caftanheda. Barbofa Machado, dans la notice qu'il en donne, dit que ■< trois ans plus tard, ce livre fut réimprimé in-folio avec une autre dédicace adreffée au même fouverain (D. Joâo III), & quelques variantes dans le nombre des chapitres & le commence- ment du premier; » mais, en comparant cette édition avec celle de I f 5'4, on peut fe convaincre que les changements & les correc- tions font plus confidérables qu'il ne les indique. Nous en avons mentionné plufieurs dans nos notes, & nous ajouterons ici que la différence entre le nombre des chapitres (l'édition de 17^1 en compte quatre-vingt-quinze & celle de i5'5'4 quatre-vingt-dix- fept) réfulte d'un remaniement que fit l'auteur, pour difcuter une infcription latine prophétifant la découverte de l'Inde, qui fut trouvée à Cintra, dit-on, au temps du roi D. Manuel; & auffi pour inférer dans fon livre la lettre que le même fouverain écrivit au zamorin de Calicut par Pedro Alvares Cabrai, ainfi que la defcription des armoiries oétroyées par le roi de Cochin à Duarte Pacheco. Au refle, comme plufieurs tradudions de cette édition ont été faites en langues étrangères, notamment une en efpagnol, imprimée à Anvers en i^5'4, (& que nous connaiffons par un exemplaire appartenant à la bibliothèque de l'univerfité de Coïm- bre), les incorredions & les fautes qu'elle renferme fe font ainfi propagées , & on en retrouve la trace chez plufieurs écrivains tant anciens que modernes. Pour en citer un exemple , il était

lOO

dit, J.ins CL-tio prcmicrc édition, que Barthclemy Dias retouina de l'île de Santiago en Portugal, affertion qui, bien que corrigée dans l'édition fuivante par cette variante : fitivit la route de Mina, n'en fubfifle pas moins encore aujourd'hui dans la Biographie iiniverfelle ainfi que dans d autres ouvrages.

L'auteur ou plutôt le rédacfteur du Summario da Bibliotheca Lujttana eft inexacft & ne reproduit pas fidèlement Barbofa, quand il donne à entendre que toutes les œuvres de Caftanheda, imprimées en içp, furent corrigées & augmentées dans les différentes années qu'il indique; il efl certain que le premier livre était feul imprimé en ifn, & que ce fut feulement en iS^4 qu'il fut réimprimé, quand le fixième & le feptième parurent pour la première fois. Bar- bofa Machado pèche lui-même contre l'exadlitude en difant que le premier livre fut publié avec celui d'Oforius : De rébus Emma- nuelis,en i ^8i, à Paris, chez François Etienne, traduéVion de S. G. S.; ce tradudeur, en effet, profita des douze livres d'Oforius & ne recourut que poftérieurement aux derniers de Caflanheda, ainfi que nous l'avons vérifié.

III.

Ces navires étaient ; \e San-Gabriel, de cent vingt tonneaux; le San-Rapha'el, de cent; la caravelle Berrio, de cinquante; enfin le bâtiment qui portait les approvifionnements, jaugeant deux cents tonneaux. Les deux premiers navires avaient été conftruits fous la direélion de Barthélémy Dias (qui avait déjà l'expérience des mers auflrales), avec les bois que le roi Jean II, dans le but de pourfuivre les découvertes, fit couper par Joâo de Bragança, fon garde des forêts ( wofo do monte), & tranfporter à la Cafa da Mina en 1494 (i). L'agence de cette conftruAion navale &

(i) On fait qu'en Portugal, le commerce de l'Afrique & des Indes fui e.xcluli- vement placé dans l'origine entre les mains de l'Etat , qui n'accorda qu'avec le temps, à un petit nombre de particuliers & à titre de récompenfe (par exemple à

loi

I expédition de la flotte avaient été confiées à Fernâo Lourenço, tréforier de la même adminiftration, un des feigneurs les plus magnifiques de fon temps. La caravelle fut achetée par le roi D. Manuel à un pilote de la petite ville de Lagos, appelé Berrio, dont elle prit le nom, particularité que plufieursont ignorée (no- tamment MafFei, Ifiorie dell'hidie Orientait). Le roi D. Manuel fit également l'acquifition du bâtiment de deux cents tonneaux près d'un certain Ayres Correia ; il était réfervé au tranfport des ap- provifionnements néceflaires à la durée d'un voyage auffi long que celui que l'on prévoyait, la capacité reftreintc des navires ne laiffant pas de place pour l'arrimage ; les inflruélions du comman- dant en chef portaient, d'ailleurs, que ce bâtiment ferait défarmé & brûlé dans la baie de San-Bras. Enfin, Barthélémy Dias devait' naviguer de conferve avec la flotte jufqu'à la hauteur de Mina fur une caravelle comme on les équipait d'ordinaire pour trafiquer en ces parages; le commandement lui en avait été donné afin qu'il en tirât quelque profit, en confidération des fervices qu'il avait rendus par fes précédentes découvertes, & pour le récompenfer de la part qu'il avait prife aux préparatifs de l'expédition qu'il accompa- gnait.

Le principal navire, le San -Gabriel, portait le commandant en chef, Vafco da Gama; il avait pour pilote Pero d'Alemquer qui était allé avec Barthélémy Dias jufqu'au rio do Infante , en l'année 1487 (Cafado Giraldes dit qu'ils doublèrent le Cap en 1493); &, pour officier comptable, Diogo Dias, frère du fufdit Barthélémy.

Le capitaine du San-Kapha'él était Paul da Gama, frère du com-

Vafco da Gama), le privilège de trafiquer en ces parages. L'adminiftralion de ce monopole s'appela d'abord Caja da Mina, alors que les découvertes ne s'éten- daient pas encore bien loin fuir la côte occidentale de l'Afrique, &. que le centre des opérations était Saint-Georges de Mina. Plus tard, en fe développant, elle prit le nom de Cafj dii India, Mina e Ceutj, avec les attributions d'un niiniftère delà marine & des colonies. {Tr.)

102

mandant en chef; le pilote, Joâo de Coinihra , & le comptable, Joâo de Sa.

Le capitaine du Berrio était Nicolas Coelho; le pilote, Pero Efcobar, & le comptable, Alvaro de Braga (i).

Le bâtiment qui tranfportait les approviflonnements était fous les ordres d'un certain Gonçalo Nunes, de la maifon du commandant en chef; Caftanheda, dans la première édition de fon premier livre, l'appelle Gonçalo Gomes, méprife qu'il a corrigée dans la féconde en lui refVituant le nom de Nunes.

Les interprètes de l'expédition étaient Fernâo Martins (2) pour la langue arabe &, pour celle des nègres, Martim AfFonfo qui avait féjourné longtemps au Manicongo.

L'hiftoire nous a confervé en outre les noms d' Alvaro Velho, Fernâo Vellofo (Caftanheda & Barros), Gonçalo Pirez (Caflanheda), Gonçalo Alvarez, maître d'équipage du navire 5an-GainV/ (Barros), Sancho Mexia (notre auteur), Pedro de Faria e Figueiredo Se fon frère Francifco qui moururent tous deu.x au cap Corrientes (Faria e Soufa), enfin Leonardo Ribeyro (Manuel Correia) (3).

(i) Joâo Franco Barreto, daiiâ Ton Index des noms propres, que l'on trouve annexé à plufieurs éditions des œuvres de Camoëns, dit, au mot Diego, que Joâo de Barros donne à Diogo Dias &. a Alvaro de Braga les noms d'Alvaro Dias & de Diogo Correia. Ce n'efl pas ce que nous voyons dans la première Décade, 1. 4, c. 3 Si 10 on lit Diogo Dias &. Alvaro de Braga.

(2) On lit encore dans l'Index de Joâo Franco Barreto cité plus liaut, au mol Fernâo ou Fernando, que Goes donne à Martim Affonfo le nom de Fernâo Mar- tins. 11 y a ici une nouvelle erreur ; Goes (C. de D. Manuel, P. i, c. j6 & jq) ne confond pas ainfi fous un même nom deux individus différents.

(3) OEuvres du grand Camoèns, &.C., avec les Commentaires de Manuel Corrèa 8ic., Lisbonne, 1720, chez Jofeph Lopes Ferreira. Dans une note fur la (lance quarantième du fixième chant, le commentateur affirme tenir de Camoëns que le véritable nom de Leonardo, mis en fcène ici par le poète, était Leonardo Ribeyro. 11 efl à noter que Manuel de Faria e Soufa, dans fon AJïa Porluguèja, dit que le Leonardo de la quatrième fiance du fixième chant des Uijïades était Francifco de Faria e Figueiredo ; 8t, dansfes Commentaires fur les Lujîades (Ma- drid, Joâo Sanchez, 1659), il s'exprime ainfl dans une note fur la même (lance:

I03

Fana c Soufa cite encore, dans fon Afîa, comme chapelain de la flotte, Pcrode Cobillones, religieux de l'ordre de la Trinité, en fe fondant fur d'anciens titres tout à-fait dignes de foi (dit-il), Se fur le témoignage de frère Chrifloval Oforio, du même ordre, configné dans des éloges que ce frère a compofés.

On n'eft: pas d'accord fur le nombre de perfonnes qui s'embar- quèrent pour ce voyage ; Caflanheda (i), Oforius & Goes comp- tent cent quarante-huit individus ; Barros, Dec. I, 1. 4, c. 11, porte ce chiffre à cent foixante-dix ; &, dans le livre V, c. 1, de la même Décade, il parle de centfoixante environ ; Faria e Soufa s'arrête à cent foixante. Quant au nombre de ceux qui revinrent en Portugal, tous les auteurs qui ont précifé un chiffre s'accordent, à très-peu d'exceptions près, fur cent cinquante-cinq. San Roman (1. I, c. vu) dit que, tant marins que foldats, il y eut d'embarquées centfoixante perfonnes, dont quatre-vingt-treize moururent, y compris Paul da Gama, ce qui porte à foixante-fept le nombre des furvivants.

Nous penchons pour le chiffre le plus élevé, & nous préfumons que la différence entre les nombres cent quarante-huit & cent foixante provient de ce qu'il n'a pas été tenu compte, dans le nombre inférieur, des dix ou douze déportés que Vafco da Gama

« Il peut bien avoir été foldat (Leonardo) dans la compagnie; mais le faitimporte peu & n'était nullement néceffaire pour qu'il fut introduit fur la fcène par le poète qui écrit un poème & nullement une hiftoîre. n

(i) Dans la première édition du premier livre de Caftanlieda, p. 87, le chiffre cent quatre-vingts efl en contradiélion avec ce que dit l'auteur à la page 7 ; auffi a-t-il été remplacé par cent quarante-huit dans l'édition de 1 5 54. 11 eft à noter que Ramufio, dans la relation de ce voyage inférée dans fa colle^iîtion & que nous avons déjà citée, compte également, en tout, cent quatre-vingts per- fonnes. Quelques-unes des éditions italiennes de Maffei portent foixante hom- mes, bien que les pertes de Gama foient évaluées, dans les mêmes éditions, à une centaine de perfonnes. Les éditions latines font plus correfles, car elles donnent le chiffre de cent foixante.

Lafitau & quel ,ues autres comptent cent foixante-dix hommes. Dans VHijloire Générale des Voyage' on lit, p. 22, cent foixante &., p. ^2, cent huit hom- mes, &c.

I04

emmenait avec lui (Goes, Cliron.deD. Manuel, ç. i, c. xxxvi), pour être débarqués fur les points il jugerait utile de recueillir des renfeignements, & repris par la flotte à fon retour en Portugal. Les écrivains qui s'arrêtent au chiffre de cent quarante huit hom- mes n'ont peut-être pas voulu mentionner cette circonflance, ou auront oublié de le faire, bornant leur calcul à deux claffes, celle des marins & celle des hommes de guerre.

IV.

On pourra concevoir quelque doute fur la date exacte du départ de Vafco da Gama, fi l'on fe borne, dans la vérification des faits qui fe rattachent à l'hiffoirede nos découvertes, à puifer à des fources indirectes. Tel efl le cas qui fe préfente ici. Ramufio, San Roman, MafFei & Laclade fixent au 9 juillet 1487 le départ de la flotte de Gama (i) ; Antonio Galvâo place l'événement au 20(2); Barrow, au '] (5); &, pour nous bornera une dernière citation, le vicomte de Santarem vante l'exactitude d'un ancien manufcrit, confervé à la bibliothèque royale de Paris, qui donne la date du 2 )uin 1497(4).

fi" Ramufiu, 1" volume & 2' édition àellc Navigaticni, etc.; in Venetui Ttella Jiamperij de Giunfi, l'anno 15^4, (i. i;o, dans le voyage de Vasco da Gama en 1497, écrit par un gentilhomme florentin qui fe trouvait à Lisbonne au temps la flotte revint de la découverte de l'Inde. San Roman, Hiftoria Gene- ral de la India Oriental, Valladolid, 1605, p. 40. MafTei, Le IJiorie dell'lndie Orienfjii, Milano, 1806, t. I, p. 67. Laclade, Hi/îoire générale du Portugal,

Paris, i7J5> '■ 4, P- 99-

(2) Antonio Galvâo, Tratado dos defcubrimientoi antigos & modernes. Lisboa, por Miguel Lopes Ferreira, i7ji, à la page j4.

(3) Barrow, Abrégé chronologique, etc. (traduction des voyages de l'auteur de l'anglais en français par Targe), Paris, 1761.

(4) Notiiia dos S^îss. na bibliotheca real de 'Paris pelofegundo vifconde de San- tarem, Lisboa. 1827, p. 74.

lO)

Pour nous, la véritable date de cet événement eft établie d'une manière irréfragable par l'autorité colleéVive de ceux de nos écri- vains qui ont traité des affaires de l'Inde & qui, les premiers dans l'ordre du temps, le font auffi dans notre eftime. Caftanheda, Barros, Goes, Faria e Soufa (i) font unanimes pour fixer le départ de l'expédition au famedi 8 juillet 1497, & leur témoignage eft corroboré par l'autorité de notre anonyme qui fufîirait, au befoin, pour décider la queffion, non feulement à caufe du degré de con- fiance qu'il mérite, mais par fuite de l'enchaînement de fon récit, l'on voit les dates fubféquentes découler toutes de ce point de départ.

Il n'eft donc pas poffible , d'après les citations précédentes, d'affigner au départ de Vafco da Gama une autre date que celle du 8 juillet 1497. Maintenant il importe de reiftifier une citation inexa(fle qui a été faite, à ce propos, dans la Notice mentionnée plus haut. On y lit que, dans l'A/ia de Faria e Soufa, c. 4, part, i , le jour du départ de Vafco da Gama a été omis ; or, en vérifiant cette affertion, nous trouvons cette mention expreffe : il fortit du port de Lisbonne un famedi, huit juillet 1497.

Nous relèverons encore, en paffant, une légère faute d'exac- titude dans une citation de la Notice à propos du départ de Joâo da Nova en l'année i5'oi. On y affirme que Faria e Soufa, dans fon W/?a, & Barros, Dec. i,l. f,c. 10, placentle départ de ce capitaine dans le même mois & la même année que le manufcrit 10023 <î"' donne !a date du i <; mars i J'oi, mais fans indiquer le jour. Ceci n'eft

(i) Caftanheda, 1. i, c. 2 ; Barros, Dec. i, I. 4, c. 2 ; Goeâ, Chronica de D. Manuel, p. i, c. j5 ; Faria e Sousa, z/^îa, t. i, part, i, c. 4. La date du 2 juillet 1497 du chapitre 25 de Goes cité plus haut ne faurait faire naître de doute, car elle réfulte évidemment d'une faute du copifte ou du typographe. Dans le chapitre 35"^ que nous venons de citer, le même auteur s'exprime ainfi : Vafco da Gama partit de Lisbonne, comme il J été dit précédemmenr, un famedi 8 juillet, etc. L'erreur pourrait exifter, affurément, auffi bien d'un côté que de l'autre ; mais l'indication du fjmedi lève toute incertitude, & montre elle exifte défait, puifque le 2 juillet 1497 ne tombait pas un/jmeai.

14

To6

vrai qu'à l'égard de Faria e Soufa, car Barros le fixe au <; du même mois & de la même année, comme il efl: facile de le vérifier.

Nous ajouterons que la date du 19 novembre i f 09, affignée par Faria e Soufa au départ de D. Fernando Coutinho {Afia, t. i, part. 2, c. 3), nous paraît être, chez cethiûorien, une faute du co- pifle ou de l'imprimeur. Dans le Memoriade todas as armadas annexé à fon Afia (mémoire auquel fe rapporte la note b de la préface des navigations de Cadamoflo, dans la Collection des notices fur les nations d'outre-mer publiée par l'Académie) , Faria e Soufa ne précife que l'année du départ, fans parler du mois ni du jour, ayant averti précédemment, comme d'un fait notoire « que ces départs s'efTedluaient d'ordinaire entre février & avril ; quant à ceux, remarque-t-il, qui auront eu lieu à d'autres époques, nous dirons ce que l'on en fait...» Or, arrivant à l'expédition com- mandée par D. Francifco Coutinho, il fe borne à noter l'année, d'où nous devrions conclure, d'après l'avertiffement de l'auteur, que la flotte partit entre février & avril, ce qui efl en contra- didtion avec la date du 19 novembre. En effet, la date du 12 mars concordant avec le manufcrit 10023 eft celle qui eft généralement admife.

L'omiffion des jours de départ, dans le Memoria dus Armadas de Faria e Soufa, & cette circonflance que la période de 1412 à 1640 y eft comprife, montrent bien que le Diana du manufcrit 10023 ne faurait être le mémoire cité de cet auteur. Quant à fuppofer que le même Diario pourrait être celui que Francifco Luiz Ameno laiffa en manufcrit, prêt à être imprimé avec licences, comme le rapporte Barbofa dans fa Bibl. Luftt., t. 4, p. 136, c'efi: une queftion que nous pouvons trancher hardiment par la négative. Il exifle, dans la bibliothèque de Porto, une copie de l'œuvre inédite de F. L. Ameno, &■ l'on reconnaît, en y jetant les yeux, qu'elle diffère du manufcrit 10023 : i°ence qu'elle comprend la période de 1410 à 1761 ; 2" en ce qu'elle affigne au départ de Vafco da Gama la date du ?> juillet 1497. Nous pourrions en dire davantage fur la fource d'où découle \e Diario du manufcrit 10023 ; mais cette difcuffion eft étrangère à notre fujet.

/

I07

V.

Garçâo, dans l'acception d'oifeau, ne fe trouve pas dans les dic- tionnaires ; mais il efl: évident que ce mot n'eft pas autre chofe qu'un augmentatif de garça, oifeau aquatique (i).

« A cent lieues environ à l'ouefl du cap de Bonne-Efpérance, on commence à voir de grands oifeaux avec l'extrémité des ailes brunâtre & le corps blanc : on les nomme gaivotôes. » (Pimentai, Arte denavegar.)

VI.

Plante aquatique ; probablement le [argaJ]'o & les trombas dont parlent nos navigateurs fubféquents : « au delà des îles de Triftâo, en fe dirigeant fur le Cap, on rencontre des taches de fargajffo, ap- pelées montas de BretSo, & des tiges avec quantité de racines à une

de leurs extrémités, que l'on nomme trombas On voit aufli

des oifeaux appelés ^Hffwaw (2) & de grands corbeaux au bec brun. >> (Pimentel, Arte de navegar.)

Vil.

Caftanheda & Goes difent que Nicolas Coelho fut envoyé pour fonder. Il eft beaucoup plus vraifemblable que cet ordre fut donné à Pedro d'Alenquer, qui avait déjà doublé le cap de Bonne- Efpérance, avec Barthélémy Dias, & touché à divers points du voi- finage.

VIII.

Il ne faut pas confondre avec l'île de Sainte-Hélène, baignée par

(1) Cur^a eft le nom du héron, en portugais (Tr.)

(2) Des albatros. (Tr.)

io8

l'Océan Atlantique, l'anfe ou l'aiguade de même nom fîtuée fur la côte occidentale du continent africain. Cette erreur (qui pro- vient affurément d'une fimple méprife) a été commife par Sebafliâo Francifco de Mendo Trigofo (t. vm des Mémoires de Litt. de l'Aca- démie, p. ^71, à la note i); par Francifco Luiz Ameno (dans le manufcrit déjà cité), & par plufieurs autres écrivains. L'île de Sainte- Hélène fut découverte par Joâo de Nova, en \<j02,A fon retour de l'Inde. Le fait eft mentionné par Francifco Luiz Ameno lui- même. Dans l'Hifloire Générale des Voyages, Paris, 1746, ouvrage traduit de l'anglais, Caftanheda e{\. accufé mal à propos d'avoir confondu la baie de Sainte-Hélène avec l'île du même nom. On doit croire que le compilateur qui rédigea le voyage de Vafco da Gama pour cet ouvrage, tout en citant Barros & Caflanheda, n'avait qu'une connaiffance bien imparfaite du portugais & de l'efpagnol, ou qu'il fe fervit de traduétions bien peu fidèles. Le tradudteur de l'ouvrage, Prévofl, eft exadement dans le même cas.

IX.

Aujourd'hui la rivière Berg.

X.

La phrafe à laquelle fe rapporte cette note eft celle dont fe fervit Caflanheda dans l'édition de ifp, en décrivant les ufages des habitants de la baie de Sainte-Hélène ; mais elle a été retran- chée des éditions fuivantes. Le fcrupule n'a pas été pouffé fi loin par l'évêque de Silves, Jeronymo Oforio, qui, dans le livre intitulé <c De rébus geftis Emmanuelis », s'exprime ainfî : pudenda ligneis vaginis includunt.

XI.

Damiâo de Goes dit: « 11 but ôc mangea de tous les mets qu'on lui fervit, avec deux mouffes à qui Vafco da Gama commanda de lui faire bonne compagnie. » Barros dit la même chofe en d'au-

très termes. Il eft très probable que l'inexacflitude n'eft pas du côté de notre auteur, la circonftance d'avoir mangé à la table du com- mandant en chef n'étant pas de celles qu'il pût oublier.

XII.

Le fait dont il s'agit eft raconté diverfement par les hiftoriens ; Caftanheda efl celui qui fe rapproche le plus de notre auteur, & Barros celui qui s'en éloigne davantage. Goes prétend que Fernâo Vellofo abandonna la fociété des Cafres parce que « le ragoût de loup & les us du pays lui causèrent une fatisfaétion mé- diocre; en forte que, le feftin terminé, il reprit la route du lieu étaient les navires. » Barros rapporte (Dec. i, 1. 4, c. 4) qu'après le départ de Fernâo Vellofo avec les nègres, Paul da Gama s'en fut à la pêche, & que les matelots ayant harponné un baleineau, coururent le rifque d'être fubmergés par le monftre qui fe débattit en fe fentant bleffé. Ni Caflanheda, ni Goes, ne font mention de cet incident ; & certes, s'il avait eu lieu, il n'aurait pas été omis par l'auteur minutieux du Journal dont le filence infirme également ce que dit Barros de Nicolas Coelho, qui aurait attendu à terre, en coupant du bois, le retour de Fernâo Vellofo. Lafîtau, tout en ayant fous les yeux Caftanheda, Barros, Goes & plufieurs autres de nos hiftoriens, défigure étrangement le fait.

XUI.

Parmi les bleffés, Barros nomme Gonçalo Alvarez, maître d'équi- page du navire le San-Gabriel.

XIV.

D'après le compte de notre Journal, le cap de Bonne-Efpérance fut doublé par la flotte le 22 novembre 1497 ; en forte quel'affer- tion de Caftanheda, de Barros & de Goes qui placent cet événe-

I lO ment au 20, doit être redifiée. Quant au jour de la femaine, Caf- tanheda s'accorde bien avec notre auteur en indiquant un mercredi; feulement, l'avant-dernier mercredi de novembre 1497 tombait le 22 du mois.

XV.

C'eft la baie Falfa, entre le cap Falfo &■ celui de Bonne-Efpé- rance.

XVI

Ce n'eft pas une tâche facile que de faire concorder les ancien- nes dénominations géographiques avec les noms modernes cor- refpondants.

Entre le cap des Aiguilles (qui a gardé le flen) & le rio do Infante, mieux connu à l'étranger fous les noms de Grande rivière des Poiffons, GreatFifli River, Grote-Vis-River, il y a cinq baies prin- cipales, dont la plus occidentale porte encore aujourd'hui le nom de Saint - Sébajiien que lui donna Manuel de Mefquita Peref- trello; les autres, en allant de l'ouefl: à l'eft, ont reçu des Hollan- dais ceu.x de Mojfel, Plettenberg, Camtoo et Zwarts- Kop, auxquels doivent correfpondre les noms portugais de San-Braz, Formofa, San-Francifco ir Lagôa. Notre opinion fe fonde fur la comparaifon de plufieurs cartes modernes, comme celles de Barrows, Arrowf- mith, Pinkerton, Faden & Wyld, les noms hollandais ont été adoptés, avec la carte réduite de l'Afrique auftrale, inférée dans le Neptune Oriental, Manneviilette, le routier de Pereflrello fous les yeux, affigne aux différents points de la côte les noms portugais qui leur correfpondent. Nous avons, de plus, en faveur de cette nomenclature, une carte manufcrite appartenant à la Bibliothèque de Porto, exécutée pendant les années 1781, 1782, 1784& 178^ par Duminy, capitaine de frégate & capitaine de port au cap de Bonne-Efpérance, qui l'adreffa à M. Van-de-Graaf , gouverneur

1 1 1

& direrteur général de la colonie du Cap ; on y trouve expreffé- ment notée la concordance du

Hollandais Moffel avec le portugais San-Braz » Plettenberg » Formosa

» Camtoo » San-Francifco

» Zwarts-Kop » da Lagoa.

Nous ne fommes donc pas d'accord avec ceux qui, comme d'Anville, appellent la baie de San-Braz Wlees-bay ; ou, comme l'au- teur du célèbre Neptune Oriental, la baie Formofa Mojfel-bay; ou qui donnent, comme Malte-Brun, à la baie de San-Braz, la pofition de celle de Saint-Sébastien, & placent, généralement celle de San-Braz eft: indiquée, la baie Moffel ou (dit l'auteur) de Sanéta- Catherina.

Quant à la véritable polltion de Wlees-bay ou Flesh-bay (qui, tout en variant félon les cartes, n'en eft: pas moins confondue d'or- dinaire avec celle de San-Braz), nous penfons qu'elle doit cor- refpondre à celle de la baie das Vaccas, à l'oueft de la baie de San- Braz, &, fur ce point, nous fommes d"accord avec Barrows, Pin- kerton & Duminy. Ceci nous conduit à ajouter que nous différons d'opinion avec l'auteur du Neptune Oriental, en ce qu'il donne le nom de Vis-bay {Fish-bay ou Baie des PoiJJons) à la baie de Sanéla- Catherina ; en effet, cette dernière eft indubitablement fituée à l'eft du cap Talhado, tandis que la pofition généralement affignée à Vif- hay eft à l'oueftdu même cap Se de Moffel-bay, &, plus ordinairement, entre cette dernière baie & celle de Wlees.

XVll.

Le nom que nos hiftoriens donnent communément à ces oifeaux, & que l'auteur du Journal leur applique lui-même dans un autre paffage, eft celui desotilicairos. Manuel de Mefquita Pereftrello les décrit, dans fon Routier, d'une manière plus circonftanciée : " on y trouve (dans l'îlot de la baie de San-Braz) une multitude innom-

1 12

brable de loups marins, quelques-uns d'une incroyable dimcnfion, & des oifeaux, de la taille & de la forme d'un canard, que l'on nomme sotilicairos : ces oifeaux n'ont pointde plumes aux ailes pour voler ; les extrémités feules font couvertes d'un duvet très-fin ; ils s'en fervent pour plonger & pêcher leur fubfiflance, ainfi que celle de leurs petits qu'ils élèvent dans des nids conflruits avec des arêtes de poiffon, apportées par eux & parles loups marins. )>

Les fitilicairos ou manchots appartiennent au groupe des Apteno- dyta demerft de Linné, parmi lefquels on cite, comme fynonymes, le Manchot du cap de Bonne-Efpérance & le Manchot à bec tronqué de Buffon; c'efi: le Pinguin, LeJJer pinguim. Cape pinguim, Black-footed pinguin des naturalifles anglais. Les Français leur donnent commu- nément le nom de pingouins. Ces oifeaux fe trouvent auffi dans les mers du nord, mais avec quelque divcrfité de ftrudure & de ca- raélères. D'après Brotero, ceux du nord ont les ailes plus four- nies déplumes que les pingouins ou manchots du sud. Les manchots, appelés auffi Cotetes, font plutôt des demi-oifeaux que des oifeaux parfaits.

XVI

Il y a divergence d'opinion entre Caflanheda, Barros & notre auteur fur le point Barthélémy Dias plaça fa dernière colonne, Goes s'accordant, du refle, avec Caftanheda. Le réfumé compris dans le tableau fuivant facilitera la comparaifon du texte de ces écrivains: les lieues intercalées indiquent la dif(:ance d'un point à un autre, d'après l'eflime de chacun d'eux.

Nous remarquerons, en premier lieu, que Caflanheda s'eft écarté du texte original pour avancer une chofe abfurde. Nos navi- gateurs allaient du fud au nord &, le i ^ décembre, ils avaient en vue les îlots Chaos, la date du 16 décembre donnée par Cafta- nheda étant erronée, puisque le vendredi tomhah le i f décembre de l'année 1497. Comment donc purent-ils, le jour fuivant, dépaffer l'îlot da Cruz qui leur reftait déjà en poupe (dans le fud) . Il faut bien avouer auffi que notre auteur a manqué d'exatflitude, en difant

"3

que de la baie de Sainte-Hélène à celle de San-Braz il y a foixante lieues par mer, diftance qu'il attribue, dans le même paffage, à l'intervalle qui fépare le cap de Bonne-Efpérance de la baie de San-Braz. Peut-être, par une inadvertance du copifte, les mots par mer auront été fubftitués aux mots par terre dans le manufcrit de ce Journal.

NORD

JOURNAL DU VOYAGE

de

CASTANHEDA & COES.

BARROS.

VASCO DA CAMA.

Rio do Infante

Rio do Infante

Rio do Infante

{i') lieues)

(if lieues)

(20 lieues)

Dernière colonne de

Barthélémy Dias

(y lieues)

Ilhéus Chaos

Ilhéus Chaos

Ilhéus Chaos

(f lieues.)

l<; lieues)

(f lieues)

Ilhéu da Cruz

Ilhéu da Cruz ,

Ilhéu da Cruz ou

(60 lieues)

Barthélémy Dias pofa

Penedo das Fontes,

la dernière colonne.

Barthélémy Dias pofa

(f f lieues)

la dernière colonne.

Angra de S.-Braz

Angra de S.-Braz

Angra de S.-Braz

(60 lieues)

(60 lieues)

(60 lieues)

Cap de B=. Efpérance.

CapdeB". Efpérance.

Cap de B'=. Efpérance.

SUD

En examinant ce tableau, on voit que la dernière colonne de Barthélémy Dias fe trouve, d'après notre auteur, à cinq lieues en deçà des îlots Chaos, tandis que les autres écrivains cités la placent

114

à cinq lieues au fud des mêmes îlots, c'eft-à-dire fur l'îlot da Cruz (dont le nom dérive, fuivant eux, de celui de la colonne) ; de plus, Barres affirme qu'il y avait contre l'îlot da Cruz un rocher appelé das Fontes.

Nous penfons que l'on n'héfitera guère à préférer laverfion de notre navigateur qui vit ces lieux que les autres n'ont connus que par tradition; d'ailleurs, fon témoignage fe trouve corroboré par une autorité que l'on peut confidérer comme irréfragable. Manuel de Mefquita Pereflrello fut envoyé par le roi D. Sébaflien, en l'année i f7f, pour reconnaître la côte orientale de l'Afrique, depuis le cap de Bonne-Efpérance jufqu'au cap Corrientes ; à la fuite de fon voyage, il publia un Routier les latitudes Se l'orien- tation des points les plus notables font indiquées avec une exafti- tude qui, fans être abfolument exempte d'erreurs, n'en eft pas moins remarquable pour l'époque, et fait beaucoup d'honneur à ce navigateur privé des moyens d'exécution perfectionnés dont on peut difpofer de nos jours. Telle eft l'eftime dont fes obfervations &fes délimitations jouiffent à l'étranger, que fon Routier a été traduit en français, & inféré dans l'excellent recueil de cartes de Mannevillette, intitulé le Neptune Oriental. Nous nous fommes fervi, pour les extraits que nous allons en donner, d'un exemplaire manufcrit ap- partenant à la bibliothèque de Porto, car ce que l'on en trouve dans ïcArte de Navegar de Pimentel fe borne à unfimple réfumé.

« La baie de Lagoa renferme du côté du ponent quatre

îlots appelés da Cruz dont l'un eft plus grand que les trois autres qui font autour... ils courent de l'efl: à l'oueft, ainfi que deux autres îlots fitués dans la direélion du levant & que l'on nomme Chaos, parce qu'ils font fi bas qu'on ne peut les apercevoir à plus de deux

lieues de diftance Les extrémités de la colonne font à quatre

lieues au levant des îles Chaos à fa bafe fe trouve un îlot

ce doit être le lieu s'élevait la colonne de San Gregorio, érigée par Barthélémy Dias au temps il explora cette côte par le com- mandement du roi D. Joâo II, car les écrits témoignent qu'il la plaça fur un îlot, entre les îles Chaos & le riodo Infante, parage il n'en exiûe pas d'autre; c'eft: pourquoi je l'ai dénommé ainfi...

A huit lieues de diflance du rio do Infante, on voit, fur le rivage, plufieurs embouchures de rivières, &, à trois lieues plus loin, on trouve des berges efcarpées au pied defquelles s'élève le rocher ap- pelé Fontes : c'eft une roche, pour ainfi dire, tranchée par le milieu, qui paraît être une île, mais n'en eflpas une. »

Tel eft le fens dans lequel doivent être redtifiées les fauffes dé- marcations qui ont été adoptées par les écrivains cités plus haut, & reproduites fur un grand nombre de cartes d'une manière plus ou moins confufe.

Quant à la concordance des dénominations modernes avec celles que nous offre le Journal, on voit que les noms des petites îles Chaos & da Cruz fubfiflent encore avec plus ou moins d'alté- ration. Le rio do Infante, appelé ainfi du compagnon de Barthé- lémy Dias (Joâo Infante, félon Barros, ou Lopo Infante, félon Goes), efl aujourd'hui connu fous le nom de Groote-Visce-%ivier , la Grande Rivière des Poijfons ; il ne faut pas s'en rapporter aux cantes ce fleuve eft confondu avec le rio de S. Chriftovam qui coule à huit lieues au nord, fuivant Pereftrello.

XIX.

Le lo janvier de l'année 1498 tombait un mercredi, & nullement un jeudi comme le porte notre manufcrit : ce n'eft pas la feule négligence de ce genre que l'on y trouve ; ainfi, plus loin, à la page 34, après avoir mentionné le jeudi 29 mars, l'auteur date le famedidu 30, erreur évidemment manifefte. Au refte, il eft facile de reélifier des fautes d'auffi peu d'importance, affez fréquentes chez les écrivains qui ont traité des affaires de l'Inde.

Joâo de Barros (Dec. i, 1. 4, c. 4) dit : « Le jour des Rois ils entrèrent dans la rivière de même nom ; quelques-uns l'appellent rio do Cobra. » Il réfulte évidemment du texte de notre auteur corroboré par Goes, Caftanheda &• Oforius, que le 6 janvier, la flotte était à la voile, & que ce fut feulement le 10 ou le 11 que l'on entra dans le rio do Cobre. Barros femble confondre deux cours d'eau en un feul, le rio dos Reis cS: celui do Cobre qui ont

ii6

été diftingués l'un de l'autre fur la carte de l'Océan oriental de Bel- lin jointe à l'Hiftoire générale des 'Voyages ; le rio dos Reis y efl: placé beaucoup plus au fud que le rio do Cobre (ou aiguade da Boa Paz). Nous trouvons aufli, fur une des cartes de Linfchott, le rio dos Reis correfpondant à la rivière d'Aroé de la carte de d'Anville que nous avons déjà citée : ce fleuve y eft figuré comme débouchant dans la baie deLourenço Marques.

L'aiguade da Boa Gente a confervé fon premier nom, car on l'ap- pelle encore au]ourd'hui, le plus ordinairement, aiguada da Boa Paz; elle gît au nord de la baie da Lagôa (ou deLourenço Marques), entre le fleuve qui porte le nom de Lagôa & celui d'inhampura.

XX.

C'eft le fcorbut, évidemment, dont les effets furent alnfi funef- tes à nos navigateurs.

XXI.

Barrosdit que 'Vafco da Gama « paffa hors de vue de la ville de

Sofala & qu'il entra dans un très grand fleuve à cinquante lieues

plusbas»; il aurait fallu dire, au contraire, ^/ai/waf, car Sofala, rela- tivement au rio dos "Bons Signaes, demeure en arrière du naviga- teur qui marche du fud au nord. Quant au rio dos Bons Signaes, l'extrait suivant le fait connaître très clairement :

« Ce rio de Cuama efl: appelé Zambèfe par lesCaffres

Une trentaine de lieues avant d'arriver à la mer il fe divife en deux bras....& tous deux pénètrent dans la mer Océane Ethiopique à trente lieues de diftance l'un de l'autre. Le principal & le plus fort fe nomme rio de Luabo ; il fe partage également en deux bras dont l'un s'appelle vieux rio de Luabo, l'autre, vieux Cuama : d'où, fans doute, toutes ces rivières ont pris le nom de Cuama. Le bras le moins important porte le nom de rio de Quilimane, ou de rio dos Bons Signaes, que Dom 'Vafco da Gama lui donna, quand il y parvint, en allant à la découverte de l'Inde, à caufe des bonnes nouvelles

117

& desindices favorables qu'il y trouva De ce fleuve fort auffi un

bras confidérable qu'on appelle le rio de Linde. » {Ethiopia Oriental de Fr. Joâo dos Santos,l. 2, c. 2.)

Il efl: à noter que ces cours d'eau, fur les anciennes cartes, font tracés d'une manière fort inexafte. Hugo de Linfchott, par exem- ple, a reproduit iirax fois le rio de Cuama fur la côte orientale.

XXII.

Caftanheda, dans le paffage correfpondant, s'exprime ainfi : " Ceux qui venaient dans lesbarques étaient gens bafanés (baços)», en quoi il a été fuivi par Goes. Oforius écrit : « homities atitem erant colorati », expreffion qu'un ancien traducfteur a rendue par ii^arrf^ de couleurs. Dans l'Hifloire générale des Voyages on lit, un peu noirs.

La couleur des habitants de Mozambique étant connue comme elle l'eft aujourd'hui, le fens que l'on doit donner au mot ruivos de notre auteur devient manifeûe. Si nous prenons note d'une par- ticularité auffi infignifiante, c'eft que nous avons vu, dans des livres étrangers, ces mots cor ruiva traduits par compkiçâo ruiva ; de font nés des doutes fur les incidents qui ont marqué les pre- mières explorations maritimes des côtes orientales de l'Afrique, doutes fondés fur la fuppofîtion que des hommes à cheveux roux, ruivos, redhaired, y avaient été rencontrés, quand les textes por- tugais ne difent rien de femblable (i).

XXIII.

Nous avons déjà dit, dans l'avant-propos, quel était le genre de notions qui circulaient chez les nôtres furie chriftianifmede l'Inde; nous ajouterons ici que, parmi les inftrudions données à Vafco da

(i) Le fcrupule des éditeurs paraît ici exagéré &. leur explication n'efl pas très claire. (Tr.)

ii8

Cama, il lui avait été recommandé de fe mettre en rapport avec le Prêtre Jean des Indes ; ce prince paffait pour chrétien ; mais il exiftait beaucoup d'incertitude fur la fituation de fes Etats.

XXIV.

Goes (P. I, c. J7) dit que le metical valait 420 réis; Barres (Dec. I, I. 4, c. 4), que ■50 wîpttVaw pouvaient aller à 14000 réis.

XXV.

Tavolachinha ou tavollachinha eft un mot que nous n'avons ja- mais rencontré ; mais on peut induire de fon étymologie qu'il s'agit d'une arme défenflve, préfentant une furface de la largeur d'un écu (efcudo), ou mieux, en raifon du diminutif, d'un petit écu, efcudete.

Cette acception devient efFeftivement évidente (1 l'on compare les paffages correfpondantsde notre auteur etde Caflanheda.

NOTRE AUTEUR.

Pag. 27... Cinq à fix barques portant nombre de gens armés d'arcs, de très longues flèches 8c de tavoîachinhas.

Pag. '}2... Us allaient le long de la plage, armés de tavoîachin- has, dezagaies, decoutelas, d'arcs & de frondes.

Pag. ^8... Il vint environ cent hommes, tous armés de fabres recourbés & de tavoîachinhas.

C.\STANHEDA.

c. 7... Six barques portant nombre de Maures, armés d'arcs, de flèches très longues, à'efcudos & de lances.

c. 7... Ils allaient au nombre d'une centaine de Maures, armés à'efcudos, decoutelas, dezagaies, d'arcs, de flèches & de frondes.

c. 9... Ils étaient environ cent Maures, tous avec des fabres re- courbés & des efcudus.

De plus, Goes ainfi qu'Oforius certifient que l'écu faifaitpartie des armes de cette population.

119

Nous les citerons l'un & l'autre :

Liv. I Aduncis gladiis ac-

cincfli, parmafque brachiis infer- tas geflabant.

Ibid... Gladiis & fcutis armati.

Part. I, c. ]6... Les gens qui étaient dans ces barques... por- taient à la ceinture des fabres maurefques, & des targes (adar- gas) aux bras. .

Ibid. C. 37... 11 vint cent hom- mes fur une grande barque, avec des sabres recourbés & desécus (efcudos.)

Dans l'Hifloire générale des Voyages, les expreffions employées par Goes dans la première citation ont été traduites par des épées & des poignards , ce qui réfulte évidemment d'une confufion entre les mots adarga, écu, & adaga, poignard.

XXVI.

Nous avons ici un témoignage de plus en faveur de l'ancien ufage de la bouffole & des inflruments d'aftronomie nautique chez les peuples qui pratiquaient les mers orientales. Voyez le Mémoire publié par Antonio Ribeiro dos Santos fur ce fujet, dans le tome s, partie 1 , de l'HHloire & des Mémoires de l'Académie.

L'affertion ridicule d'après laquelle Vafco da Gama aurait appris des pilotes de ces mers l'ufage de la bouffole &, à fon retour, l'au- rait introduit en Europe, n'avait pas befoin de ce paffage pour être réfutée.

XXVIl

Schérif, comme tout le monde le fait, fignifîe un chef, un per- fonnage revêtu d'un titre, d'une charge honorifique, & nullement un eccléfiaftique ou un prêtre.

I20

XXVIU.

Ce font les îles appelées Querimba, parmi lefquelles celle do Açoutado efl la plus méridionale. On la trouve, fous ce nom, fur un très petit nombre de cartes ; mais, plus ordinairement, elle eft défignée par celui de Cabras ou Qitiziba. Joâo de Barros dit que, de l'île de Mozambique à celle do Açoutado, il y a 70 lieues.

XXIX.

Probablement les îles voifines du cap Delgado, bien que leur diftance de la terre, d'après les cartes, ne foit pas auffî grande que le dit l'auteur.

XXX.

On voit plus loin, pag. 38, qu'il s'agit de l'île de Quiloa dont le roi était alors prépondérant fur la côte, fa domination s'étendant fur les « Maures de Çofala, Cuama, Angoya & Mozambique » (Duarte Barbofa, au titre de Quiloa).

XXXI. L'île de Momfia.

XXXII.

Barros (Dec. 1, 1. 4, c. f & 11) rapporte que le nom de San- Raphaël fut donné aux bas-fonds dont il s'agit dans ce paffage, non point parce que le navire de ce nom y toucha, mais parce qu'il s'y perdit à fon retour en Portugal : erreur manifefte, d'après ce que dit notre auteur à la page 82. Goes fuit la verfion de ce dernier (Voy. c. 44). Les montagnes de San-Raphaël font fituées fur la terre ferme, vis-à-vis l'extrémité la plus feptentrionale de l'île Zan-

121

zibar. On les trouve indiquées (montagnes, terres ou bas-fonds) fur prefque toutes les cartes.

XXXIIl.

Nous penfons que l'auteur veut parler de l'ile de Pemba. Quant à cette particularité qu'elle produifait beaucoup d'arbres propres à faire des mâts, nous ferons remarquer que les iles fituées en face, mais plus rapprochées de la terre ferme que ne l'indique notre auteur, font défignées, fur plufieurs cartes, par le nom d'Ilhas das Arvores (îles des Arbres).

XXXIV.

Ce rempart acquit plus tard de l'importance ; mais on voit qu'il exiflait déjà quand Vafco da Gama paffa par là, ce qui efl: en con- tradiftion avec l'affertion de Barros qu'il fût conftruit poJ}ériein-e- me/tt. Quand levaifTeau de Sancho de Toar, qui faifait partie de la flotte de Pedro Alvares Cabrai, fe perdit dans ces parages, les Maures profitèrent de fept ou huit pièces d'artillerie que leurs plongeurs retirèrent du fond de la mer pour en armer ledit rem- part ; ce fut leur confiance en ce moyen de défenfe qui leur donna l'audace malavifce de réfifter au vice-roi D. Francifco d'Ameida, en l'année i fo^' (Barros. Dec. 1,1.8, c. 7).

XXXV.

11 efl: très-préfumable, comme l'affirment Caflanheda & Goes, que ces marchands étaient de Cranganor, ville fituée fur la côte du Malabar, fe confervait une tradition du chriftianifme qui, du refte, n'était point particulière à ce lieu mais s'étendait à d'autres populations de l'Hindouflan méridional. Les Portugais virent en eux des difciples de faint Thomas & n'épargnèrent rien pour les ramener à la pureté de la foi catholique romaine. On peut voir fur ce fujet l'Itinéraire de l'archevêque de Goa , D. Francifco

16

122

Aleixo de Menezes, dans les montagnes du Malabar, &, plus parti- culièrement fur les croyances & les fuperftitions de ces préten- dus chrétiens, les articles du Synode convoqué par le même prélat à Diamper, lefquels font joints à {'Itinéraire.

Quant à ce qui concerne les chrétiens d'Abyssinie, on confultera avec fruit les œuvres du père Francifco Alvares, du père Jeronymo Lobo (édition de Legrand, 1728), du père Balthazar Telles, ou, pour mieux dire, du père Manuel d'Almeida & de Fr. Joâo dos Santos, qui donnent fur eux des renfeignements circonfl:anciés, enfin nos hiftoriens pajjim.

XXXVI.

Ce pilote était Malemo Cana (Cana ou Canaca eu un nom de cajle) dont les fervices furent fi utiles à Vafco da Gama.

XXXV 11'.

Barros l'appelle Monçaide ; Caftanheda, Bontaibo. II rendit de nombreux fervices à Vafco da Gama, & l'accompagna en Portugal il mourut chrétien.

XXXVllI.

Ce fut en cette occurrence que Joâo de Sa, pilote du San-Ra- pha'él, frappé de la laideur des images dont la pagode était ornée, 4it, étant à genoux &s'adrefrant à Vafco daGama : Si ce font des diables, moi j'adore icilevrai Dieu : ce qui fîtfourire le commandant en chef (Caflanheda). Un écrivain anglais trouve dans cette dévotion des Portugais une belle occafion pour s'écrier : tant l'ignorance Ù" la fuperfi'ition font étroitement unies ! La maxime eftauffi mal appliquée qu'elle eft belle.

XXXIX.

Le pilote portugais qui écrivit le voyage de Pedro Alvares Ca-

123

bral (Collect. de Not. de l'Acad.) défigne auffî la plante appelée plus communément bétel par le nom de atambor que lui donne ici l'auteur du Journal Se qui dérive d'une mauvaife prononciation du mot arabe tambul. Comme nos premiers navigateurs commu- niquèrent avec les naturels de l'Inde par l'intermédiaire des Maures arabes, ils adoptèrent dès le principe leur manière d'exprimer les chofes qui s'offraient à la vue. Bétel eft le nom malabar de la plante & le temps l'a vulgarifé parmi nous. Voyez Joâo Hugo de Linfchott, Garcia d'Orta, ainfi que plufieurs autres.

XL.

Il eft évident que l'auteur veut parler de Suez.

XLI.

Cet îlot a reçu, avec ceux qui l'entourent, le nom de Santa-Ma- ria. Ils gifenttous entre Bacanor &Baticala.

C'eftl'ile d'Anchediva.

XLII.

XLIII.

Cet individu que l'on reconnut plus tard pour un juif natif de Pofen, en Pologne, fe fit chrétien Se prit le nom de Gafpar da Gama. Le roi D. Manuel l'employa à diverfes négociations dans l'Inde, le fit chevalier de fa^maifon & lui donna des penfions, des traitements & des charges qui lui procurèrent une honorable exiftence.

XLIV.

L'auteur veut fans doute parler deCochin, & il femble qu'il ait pris, pour le nom du royaume, celui du bourg ou de la ville de

124

Crangalor qui , renfermant une population nombreufe & diverfi- fiée (d'après ce que rapporte le pilote portugais auteur du voyage de Pedro Alvares Cabrai inféré dans le tome I*"^ de la colledion de Ramufio), était probablement, fous le rapport des affaires & du trafic, le point le plus important de ces parages. Le petit nombre de foldats qu'on pouvait y lever, fuivant lui ; le poivre, qui était la principale produdion du lieu, fait commun fans doute à tout le Malabar (Barros, Dec. i, 1. 9, c. ^), mais particulièrement appli- cable à Cochin, d'après Duarte Barbofa (T. 2, p. 347 de la collec- tion de Notices de l'Académie) & Hugo de Linfchott (P. II, Ind. Orient., c. i";), tout concourt à nous perfuader qu'il a voulu défigner Cochin. Il eft: poffible encore qu'il s'agiffe de Torum- guli, pays voifin de Cochin dont parle Couto, Dec. 7, 1. 10, c. 10; mais ceci paraît moins probable.

XLV.

Coulao ; ce pays, réuni aux Etats de Cranganor, Cochin &Porca, forme aujourd'hui la partie du Malabar appelée Travancor, qui diffère par fon étendue de l'ancien Travancor, & s'étend main- tenant du nord au fud, en fuivant la côte, depuis Cranganor juf- qu'à l'extrémité du cap Comorin & jufqu'à la chaine des Chattes dans l'intérieur. Barros (Dec. i, 1. 9, c. 1) dit que le royaume de Coulao fe terminait au village de Travancor ; mais Duarte Barbofa le prolonge jufqu'à la ville de Cael fituée au delà du cap Comorin, fur la côte orientale, & connue aujourd'hui fous le nom de Pef- caria . Les révolutions continuelles du Malabar expliquent ces différences. Il paraît qu'à l'époque de la découverte des Indes les divifions étaient telles que l'indique Barbofa (qui écrivait en 1716); le roi de Travancor ne poffédait alors qu'une très petite étendue de côtes (fi toutefois il en poffédait), & feulement aux environs de Travancor, du côté du couchant. Parla fuite, il fit irruption de l'intérieur, s'avança vers le littoral, à l'ouefi: , au fud <Sr à l'efl: , Se s'empara de la majeure partie du royaume de Coulao, tellement qu'au temps de Joâo de Barros, fa domina-

12)-

tion s'étendait fur toute la côte, depuis Travancor (ou peut-être mieux Travanderam il fonda fa nouvelle capitale qu'il faut dif- tinguer de l'ancienne), jufqu'au cap de Canhameira ou Calimere fur la côte orientale. Nousfavons en effet d'une manière certaine que fes ufurpations allèrent toujours en progreffant. Au temps de D. Fr. Aleixo de Menezes, archevêque primat des Indes, c'eft-à- dire vers 1600, on voit le royaume de Coulao divifé en deux Etats, Coulao & Calle-Coulao ; le roi de Travancor s'était alors tellement rapproché de Coulao, qu'il avait bâti un chateau-fort à Manugé, à une lieue au-deffous de Coulao, fur l'anfe d'un fleuve qui, de cette dernière ville, communiquait avec Cochin ; il poffédait, en outre, une fortereffe fituée prefque à portée de canon de celle que les Portugais confervaient à Coulao (Voyez l'Itinéraire de D. F. Aleixo, part. 2, c. 8 & 1 1). 11 y avait une autre bourgade du nom de Covolan ou Coulao fur la côte orientale, au delà du cap Comorin, qu'il ne faut pas confondre avec les villes de Coulao & Calle-Coulao dont il vient d'être queflion.

XLVl.

Cael efl mentionnée par Duarte Barbofa, par Luiz Barthema(qui l'appelle Chail, comme on peut le voir dans Ramufio) & par d'au- tres écrivains plus modernes. Marco Polo l'avait déjà citée. On trouve le nom de Cael fur la carte d'Hugo Linfchon correfpondant à la page 20 de fes Navigations; mais le deffin incorretft des côtes & la rédu(flion de l'échelle ne permettent pas d'en tirer de lumières pour fixer la pofition du lieu. En revanche, Duarte Barbofa ef): tellement explicite, qu'il nous permet de décider que Cael ou Calle (i), ville fituée dans la -province ou fur le territoire alors nommé Quilicare ou Calle-care (2), non loin du cap Calymere,

(i) Dans l'exemplaire manufcrit du livre de Duarte Barbofa quj exifte à la Bibliothèque de Porto, on trouve tantôt dille, tantôt Calle-care. (2) Cjre fignifie pays ; Calle-care, pays de Calle.

I 26

dans le fud, prit plus tard le nom du diflridV, & figure aujourd'hui furies cartes fous celui de Killicare, Quillicari, &c. Dans la verfion italienne du livre de Duarte Barbofa qui nous a été confervé par Ramufio, la diftance de Cael au cap Comorin eu évaluée à 90 milles; cette eftime, dans la tradurtion coUationnée fur une copie en langue portugaife que l'Académie royale des fciences de Lis- bonne a publiée, fe réduit à 80 milles, le mille ayant été probable- ment calculé d'après une autre échelle. Ce que rapporte notre auteur, d'après les renfeignements qui lui avaient été communiqués & contrairement à Barbofa, que Cael était un royaume diflinél de Coulao, ne faurait faire difficulté ; en effet, ce dernier voyageur qui écrivait en ip6, nous apprend que le prince qui gouvernait Cael pour le roi de Coulao était « fi riche & fi puiffant, que tout le pays lui rendait les mêmes honneurs qu'au roi »; ou, d'après une variante de l'exemplaire de la Bibliothèque de Porto, était « fi riche &fi puiffant, que tout le monde leconfidérait prefque comme un roi » : il n'eft donc pas difficile d'imaginer que cette ville ait été fignaléeà notre auteur comme formant un royaume indépendant. Coufin Le-Bar & Malte-Brun fuppofent fans fondement que Cael était identique à Calle-Coulao, erreur grave, comme on peut en juger par notre Journal & par la relation de Duarte Barbofa. Puif- quenous avons dit un mot des variantes qui exiflent entre la copie du livre de Duarte Barbofa publiée par l'Académie royale des fciences & l'exemplaire de la Bibliothèque publique de Porto déjà cité, nous croyons qu'il ne fera pas hors de propos d'inférer ici le paffage fuivant, l'auteur décrit la pêche des perles aux environs de Cael ; ce paffage, qu'on ne rencontre ni dans Ramufio, ni dans la copie de l'Académie, fe trouve dans l'exemplaire de la Biblio- thèque qui nous paraît être une tranfcription faite en if^çfur une copie de l'année i^'aç.

<( Tout proche de l'île de Ceylan il y a un bas-fonds de huit à dix braffes qui s'étend entre l'ile et la terre ferme ; on y rencontre en fort grande quantité la femence de perles, tant groffe que petite, ainfi que des perles, & c'efl: que vont pêcher, deux fois l'an, en vertu d'une ordonnance, les Maures* les gentils de Cale, ville du roi

127 de Coulao. Ces perles fe trouvent dans des huîtres plus petites & plus liffes que cellesde nos pays; les pêcheurs les détachent enplongeant avec des pots de grès appliqués contre le nez, & ils viennent de Cale fur de petits bâtiments appelée champanas, à l'époque le roi de Cale rend la mer libre. 11 arrive ainfi de deux à trois cents champanas, chacune portant dix à quinze hommes, avec les provifions nécef- faires pour le temps qui leur a été fixé pour la pèche ; tous débar- quent fur une petite île inhabitée ils établiffent leur campement, comme on difpofe, dans les Algarves, les madragues à prendre le thon, & chaque barque, partant de là, s'en va pêcher pour fon compte. C'efl-à-dire qu'ils s'affocient deux à deux & s'en vont jeter l'ancre il leur plaît; puis, l'un defcend au fond de la mer avec des pots en grès appliqués contre le nez, une pierre attachée aux pieds * une bourfe en filet paffée autour du cou ; l'autre compagnon demeure fur la champana, tenant en main une corde qui aboutit à la bourfe en filet. Celui qui efl au fond s'y tient l'efpace d'une demi- heure, occupé à ramaffer des huîtres, jufqu'à ce que le filet foit plein ; alors il lâche la pierre qu'il avait aux pieds &■ remonteà la fur- face, tandis que l'autre hàle fur la corde & retire le filet avec les huîtres ; le premier, une fois en haut, l'autre defcend à fon tour, & c'eft ainfi que s'effeélue leur pêche. Après cela, ils emportent leurs huîtres &■ les déchargent à terre elles demeurent expofées aufoleil jufqu'à ce qu'elles pourriffent; puis, ils les lavent bien dans des chaudières & des fébiles, & recueillent la semence qu'elles renferment; s'ils viennent à trouver une grofl"e perle, elle appar- tient au roi qui a des gens pour enregiflrer Se percevoir fon ; la femence de perles fe pèfe, afin que le roi prélève fes droits, après quoi les pêcheurs emportent chez eux ce qui leur refle. Le roi de Ceylan perd le bénéfice de cette pêche pour ne pas avoir de marine, car cette fource de richeffes fe trouve fur fon domaine, & le roi de Coulao, qui réfide fur la terre ferme, vient ici l'exploi- ter. J'ai interrogé maintes fois les nègres fur la manière dont s'en- gendrait la femence de perles, & ils m'ont répondu qu'ils avaient obfervé ce qui fuit, c'eft-à-dire que, pendant l'hiver, les huîtres s'élèvent à la furface de la mer & reçoivent l'eau de pluie dans

128

l'intcrieur de leur coquille; or, autant de gouttes y pénètrent, au- tant de grains de femence ; & la goutte qui entre dans la chair de l'huître devient un grain parfait, tandis que celles qui tombent du côté de la coquille demeurent à l'état de demi-grains. »

XLVII

Coromandel, partie confidérable de la côte orientale de l'Inde, foumife, à cette époque, au roi de Narfinga ou Bifnaga. Elle com- mençait au cap de Canhameira (aujourd'hui Calymere) & finiffait à la pointe Guadavarim (aujourd'hui Godewar), à l'une des bouches du Niffapour. Le royaume de Narfinga fut démembré par fuite des révolutions fucceffives dont il a été le théâtre, & la portion la plus confidérable de cet Etat qui eft refiée intadle forme la Carnatique, l'on retrouve, à peu près, les territoires que Duarte Barbofa attri- buait au Coromandel.

XLVIII.

Les trente jours de navigation que l'auteur compte de Calicut à cette contrée & la quantité de foie qu'elle produifait , d'après lui, montrent qu'il eft queflion de l'île de Sumatra, fituée en travers delà pointe de Malacca, au-deffous de la Ligne. Cettefoie, que men- tionnent également Barros & Barbofa, était peut-être le coton de foie dont parlent Marfden & Malte-Brun, qui, tout en paraiffant à l'œil & au toucher fupérieur à la foie véritable, eft néanmoins très fragile & impropre au filage. Du temps de Barros, l'île était partagée en plufieurs petits royaumes qui fe réunirent fucceffive- ment pour fe féparer de nouveau, tellement qu'on y compte encore aujourd'hui un grand nombre d'Etats différents; le principal eft le royaume d'Achem, fi célèbre dans notre hiftoire de l'Inde.

XLIX.

Si nous nous laiffions guider par l'analogie des fons, le pays dont l'auteur veut ici parler ferait le royaume de Siam, que Mendes

129

Pinto appelle auffi Sornau; mais, d'après les particularités relatées dans l'article auquel fe rapporte cette note, il s'agit probablement de l'île de Bornéo dont le nom aura été défiguré par la prononcia- tion. Si le voyage de Sumatra durait ^o jours, & celui de Bengala "jf, comme l'auteur le dit plus bas, on ne pouvait pas employer habi- tuellement fo jours de navigation pour gagner la côte occiden- tale de Siam, car il en aurait fallu 70 ou 80, proportionnellement, pour atteindre la ville d'Udia, capitale du royaume, à caufe de la néceffîtéde doubler la pointe de Malacca & de pénétrer dans le golfe de Siam. D'un autre côté, on s'étonnera fans doute qu'en parlant des producflions de Bornéo il ne cite que le benjoin & l'a- loës , quand la plus célèbre de toutes était & eft encore aujour- d'hui le camphre, qui paffe pour le meilleur connu. On ne peut rien conclure du benjoin & de l'aloës, pas plus à l'égard de Bornéo que de Siam, ces deux contrées les produifant en abondance. Enfin le petit Etat militaire dont parle l'auteur ne peut convenir en aucune façon à Siam, qui comptait plus d'un million de foldats, d'après ce que rapportent Barros, Mendes Pinto & d'autres écrivains. La con- jeélure la plus probable fur la contrée dont il s'agit eft donc en faveur de l'île de Bornéo.

Ce doit être Tenafferim, royaume qui fit partie du Siam ou qui en dépendit jadis ; il était fitué fur la côte occidentale de la pénin- fule tranfgangétique, &fa capitale, qui portait le même nom, s'éle- vait entre les villes que Barros nomme Megui & Cholam, aujour- d'hui Mergui & Junkfeylon. Tenafferim , à la fuite des révolu- tions qui furvinrent dans le milieu du xviii^ fiècle , fut annexé à l'empire de Birmans (Bramas ou Bremas de Mendes Pinto Se Barros); & Siam, d'après Malte-Brun, ne poffède plus maintenant qu'un lam- beau de la côte, qui s'étend au delà de cette ville dans la diredion de Malacca, & fe trouve le port de Junkfeylon. Le Vénitien Nicolao, dont le voyage inféré par Poggio dans le livre intitulé Hiftoria de varietate Fortuna a été joint à la tradudVion portugaife de

17

Marco Polo, imprimée à Lisbonne en i f 02, eft le feul, à notre con- naiffance, qui faffe une mention fpéciale de la grande abondance de bois de Bréfil exiftant dans le royaume de Tenafferim. Lalou- bère, le père Gervais, Turpin & nos hiftoriens, ne nous apprennent aucune particularité fur ce pays, & Barthema lui-même qui le décrit fi longuement ne dit rien du bois de Bréfil. Quanta la petite quantité de bois d'aloës ou agutla mentionnée dans ce paffage parmi les produélions de Tenafferim, on peut confulter Garcia da Orta & le Mémoire du père Loureiro sur la plante qui donne l'aloës.

LI.

Nous ne hafarderons pas une opinion formelle fur les royaumes quel'auteura déilgnés par ces deux noms. Toutefois, nousinclinons à croire que Pater correfpond à Pedir, Se Conimata, à l'île de Timor où, d'après Eredia (Jnformaçao da &4urea CherÇonefd), il y avait un port appelé Canamaça.

APPENDICE

OM MANUEL, par la grâce de Dieu roi de Portugal & des Algarves de l'une à l'autre mer ; en Afrique, fei- gneur de Guinée & des pays conquis, de la navigation Se du commerce avec l'Ethiopie, l'Arabie, la Perfe & l'Inde, à tous ceux qui verront les préfentes faifons favoir ceci : La découverte de la terre de Guinée ayant été entreprife par l'infant dom Henri, notre oncle, en l'an 143^, avec le deffein & l'efpoir de parvenir par la côte de ladite terre de Guinée à la découverte & à la ren- contre de l'Inde, pays qui jufqu'alors n'avait jamais été atteint par là, non feulement en vue de la haute renommée qui en rejaillirait fur ces royaumes & du profit qu'ils retireraient des grandes richeffes que l'Inde renferme & que les Maures ont toujours poffédées, mais afin que la foi en Notre-Seigneur fût répandue & fon nom connu dans un plus grand nombre de lieux; plus tard, le roi dom Alphonfe, notre oncle, & le roi dom Jean, fon fils, étant animés d'un égal défir de pourfuivre ladite entreprife, les découvertes s'étendirent, en leur temps, au prix de grands facrifices d'hommes

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& d argent, jufqu au rio do Infante reconnu en 1482 (1), ce qui fait mille huit cent quatre-vingt-cinq lieues à partir du point commença premièrement l'exploration. Nous-même, animé d'un défir non moins vif de pourfuivre l'œuvre commencée par ledit infant & parles rois nosprédéceffeurs, certain que Vafco da Gama, gentilhomme de notre maifon, était bien l'homme qui convenait à notre fervice, & que l'accompliffement de fon mandat lui tiendrait plus à cœur que les dangers de fa perfonne & le rifque de fa vie, nous l'envoyâmes fur notre flotte avec le titre de commandant en chef {capitao mor), & avec lui Paul da Gama, fon frère, & Nicolas Coelho également gentilhomme de notre maifon , à la recherche de ladite terre de l'Inde. Pendant ledit voyage il nous fervit fi bien, qu'après tant d'années écoulées depuis le commencement de l'entreprife, & quand maints capitaines qui y avaient été employés n'étaient parvenus à reconnaître que ces mille huit cent quatre- vingt-cinq lieues de côtes, lui, dans fon feul voyage, en décou- vrit quinze cent cinquante, outre une mine d'or confidérable & quantité de bourgades & de villes très-riches &• très-commerçantes. Enfin, pour couronner fon œuvre, il découvrit & trouva l'Inde, cette contrée que tous les écrivains qui ont décrit le monde placent au-deffus des autres pour la richeffe, que tous les fouverains Se monarques qui ont exifté ont convoitée par-deffus toute chofe, & pour laquelle tant de dépenfesont été faites en ces royaumes, tant de capitaines, fans parler des autres, ont perdu la vie; enfin dont tous les rois n'ont pas feulement défiré la poffeffion, mais la décou- verte. Ce réfultat, dont les commencements furent l'œuvre de tant d'années, il ne l'obtint pas à un prix moindre que fes prédéceffeurs, mais avec une perte d'hommes & d'argent plus confidérable, & en courant lui-même de plus grands dangers qu'ils n'en avaient eu à affronter au début & par la fuite de l'entreprife, Paul da Gama, fon

(i) Cette date qui efl erronée &. qui doit être attribuée à une faute du co- pifte, comme le leéleur en a été averti dans la première édition, fe trouve sur tous les regiftres de Torre do Tombo le document a été promulgué.

'33

frère, étant mort pendant ledit voyage, ainfi que la moitié des gens que nous avions fait partir fur la flotte avec laquelle il fut expofé à de grands périls, non feulement à caufe de la longueur de l'exploration qui dura plus de deux années, mais parce qu'il voulut nous rapporter des renfeignements parfaitement exadls fur le pays et fur tout ce qui s'y rattachait. C'eft pourquoi, confidérant les fervrces impor- tants qu'il nous a rendus ainfi qu'à nos Etats par lefdits voyage* découverte, et les grands avantages que peuvent en retirer, non feulement nosdits Etats , mais toute la chrétienté, ainfi que le dommage caufé aux infidèles qui jufqu'au temps préfent ont re- cueilli les bénéfices de l'Inde; confidérant plus particulièrement l'efpérance dont on peut fe flatter de voir toutes les nations de ladite Inde ralliées à Notre-Seigneur, attendu qu'il paraît facile de les diriger dans la véritable connaiffance de fa fainte foi, plufieurs d'entre elles étant déjà fuffifamment inftruites pour y être & de- meurer folidement affermies ; voulant le récompenfer en quelque manière des fervices importants qu'il nous a rendus dans cette cir- conftance, comme doit agir un prince envers ceux qui le fervent auffi bien & auffi grandement; pour lui donner une marque de notre faveur* de notre libéralité, de notre propre mouvement, libre vo- lonté, fcience certaine, pouvoir royal & abfolu, fans qu'il l'ait de- mandé, ni perfonne pour lui, nous lui faifons purement, librement & irrévocablement donation, de ce jour à tout jamais, d'une rente annuelle de ■500,000 réis tranfmiffible par héritage, à lui & tous fes defcendants ; &, pour paiement d'une partie de cette fomme, nous lui donnons la nouvelle dîme fur le poiffon de la ville de Synes &de Villanova de MiUefontes, telle qu'elle nous appartient ainfi qu'à la couronne & continuera de nous appartenir, à compte &pourfolde de 60,000 réis qu'elle rapporte annuellement. Dans le cas cette dîme viendrait à augmenter, il en profitera , lui 3c fes héritiers, de même que fi elle vient à diminuer nous ne ferons point tenus del'indemnifer; cette dîme nous a été rendue pardoni Martynho deCaflelbranco, intendant de nos finances, qui la tenait de nous, afin que nous la donnions audit Vafco da Gama, ce dont nous l'avons dédommagé d'une autre façon. Nous lui donnons auffi

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& voulons qu'il ait, chaque année, fur nos accifcs de ladite ville de Synes, i]o,ooo réis, femme que lefdites accifes valent raifonna- blement aujourd'hui ; nous voulons & mandons qu'il ne foit fait fur lefdites accifes aucune dépenfe quelle qu'elle puiffe être, tant pour nous que pour notre assentamento (i), ni pour aucune autre caufe quçlque particulière qu'elle foit, avant qu'il n'ait été intégralement payé de ladite fomme de i 30,000 réis. L'excédant fera encaiffé pour notre compte par notre furintendant, &, en cas d'infuffifance, il fe couvrira du déficit fur nos accifes de Santiago deCacem; & il établira lui-même un receveur dans ladite ville de Synes afin de percevoir & recouvrer lefdits i '50,000 réis. S'il advenait que les fermiers des accifes fuffent en perte ou ne vouluffent pas payer comme ils y font tenus , il nous plaît que ledit Vafco da Gama, ou fes héritiers, ou fon receveur, puiffent contraindre & faire faifir lefdits fermiers pour leur dû, jufqu'au paiement complet &■ intégral de ladite fomme, comme le ferait notre furintendant s'il recouvrait pour nous lefdites accifes : à cet effet, celui-ci leur cé- dera fa caution, & les fermiers pourront recourir ou en appeler à notre contrôleur des finances Se fe faire indemnifer fur notre pro- pre domaine s'ils fe trouvent léfés; & pour que ce paiement foit encore plus fur & certain, nous ne délivrerons aucune décharge aux fermiers defdites accifes dans le cas ils fubiraient des pertes. En outre de ceci, nous lui donnons & voulons qu'il ait, luicSc tous fes defcendants, sur nos accifes de la ville de Santiago, 40,000 réis de revenu annuel dont il jouira & qui lui feront payés intégralement & fans diminution, à chaque trimefVre, par notre receveur audit lieu, lequel lui paiera fon quartier avant de faire aucune autre dépenfe, & ainfi de quartier en quartier jufqu'au bout de l'année. Il le paiera de la même manière, par quartiers, fans diminution, en la ville de Synes, quelle que foit la fomme

(i) L'jjfenxamento était un jhpendium que le roi accordait aux nobles qui remplinaient quelque charge à la Cour ; il dépendait du bon plaifir du roi & ne palTait point au fils, à moins que celui-ci ne fut revêtu des mêmes dignités. (Tr.)

I5T

dont il pourrait être à découvert, jufqu'à concurrence des i 30,000 réis, en fe faifant délivrer par notre contrôleur de Beja un certi- ficat conftatant le déficit defdites accifes de Synes : & nous man- dons à celui-ci, qu'auffitôt qu'elles feront afifermées & que le déficit fera connu, il ait à délivrer ledit certificat au receveur, qui opérera fes recouvrements & verfera en compte à notre furintendant ou receveur de ladite ville de Beja à qui nous ordonnons par les pré- fentes de recevoir les fonds. Quant aux 70,000 réis qui manquent pourcompléter la fomme de 300,000 réis, nous les lui avons fait donner & affurer incontinent , avec le même droit de tranfmiffion héréditaire, fur l'entrée des bois dans cette ville de Lisbonne, ce dont il a reçu notre lettre patente. Et, par celle-ci, nous mandons à nos furintendant Se contrôleur de Beja qu'ils aient à le mettre immédiatement en poffeffion de ladite dîme de Synes fur le poifl'on ; qu'ils le laiffent en jouir, la pofféder, l'affermer cS: la percevoir comme il l'entendra; qu'ils le laiffent auffi pofféder, recevoir* percevoir par lui-même, chaque année, pour fon compte & celui de tous fes héritiers & defcendants, à partir du mois de janvier der- nier de l'année ifoo, fur lefdites accifes de Synes, lefdits 130,000 réis, de la manière qui a été prefcrite par cette feule lettre, fans qu'il foit néceffaire d'en expédier une autre ; Se, pour la copie de celle-ci qui fera enregiftrée fur le livre dudit furintendant, il lui fera porté en compte lefdits 130,000 réis de Synes, ainfi que les 40,000 qui lui reviennent fur Santiago. En outre, nous le faifons amiral de l'Inde avec tous les honneurs, prééminences, libertés, droits de juftice, revenus, privilèges & taxes qui appartiennent léga- lement à cette charge, & dont jouit l'amiral de nos royaumes en conformité de ce qui efl: exprimé plus au long dans le règlement des amiraux; lefquels revenus & taxes doivent s'entendre des lieux & terres qui, par la volonté de Notre-Seigneur, feront placés Se demeureront fous notre obéiffance. De plus, nous octroyons Se concédons gracieufement, avec tranfmiffion par héritage, de ce jour à tout jamais, fans que notre donation puiffe être révoquée à aucune époque, audit Vafco da Gama Se à tous ceux de fes defcen- dants qui hériteront Se jouiront des 130,000 réis, le droit d'en-

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voyer 200 cruzades aux Indes, par nos navires, à chaque voyage qu'ils effectueront, ce qui doit s'entendre une fois fan, & d'em- ployer cette fomme en marchandifes fuivant leur volonté , fans nous payer ni droits ni taxes d'aucune forte, hormis le vingtième qu'ils paieront à l'ordre du Chnft. Et nous ordonnons à nos capi- taines '& adminiftrateurs qui s'y rendront de fe charger des 200 cruzades & d'en rapporter la valeur en marchandifes. Nous conférons, en outre, audit Vafco da Gama le titre de Dom, &, en fa confidération, nous voulons & il nous plaît que fes frères Ayres da Gama & Tarayja da Gama jouiffent auffi du titre de Dom &: puiffent tous dorénavant prendre ce titre, ainfi que leurs fils, petits- fils &- tous leurs defcendants. Nous lui faifons la préfente donation de ce jour à tout jamais, avec droit de tranfmiffion héréditaire, comme il a été dit, nonobftant toutes lois, ordonnances, droit ca- nonique & civil, glofe, ftatuts, coutumes, opinions des dodeurs, capitulaires des Cortès & toutes chofes qui y feraient contraires ou pourraient être faites en oppofition par la fuite, lefquelles, énoncées Se exprimées ici, nous déclarons caduques & de nul effet, chacune féparément & toutes enfemble. Nous voulons & ordon- nons que le préfent titre de donation ait & conferve une valeur effedlive pour tout ce qui y efl inclus , & nous nous enga- geons, pour nous & nos fucceffeurs futurs, non feulement à ne ja- mais y déroger en tout ou en partie, mais à le faire toujours ref- pedler & à le maintenir dans fa teneur. Nous demandons* recom- mandons également à nos fucceffeurs, par notre bénédiélion, de ne point y déroger en tout ou en partie, mais au contraire de le faire refpeAer & de le maintenir tel que nous l'avons conflitué, attendu que tel eft notre bon plaifir. En outre, nous voulons & or- donnons que les héritiers dudit Vafco da Gama auxquels échoira cette récompenfe prennent en même temps le nom de Gama, en fouvenir & mémoire dudit Vafco da Gama ; en foi & témoignage de quoi nous lui faifons remettre la préfente, fignée de notre main & fcellée de notre fceau royal. Donnée en notre ville de Lisbonne, le 10 du mois de janvier : Gafpar Rodrigues l'a faite, l'an de Notre- Seigneur Jéfus-Chrift if02. ÇLiv. IlIdeD. Joao III, fol. 166.)

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DOM MANUEL, &c. A tous ceux qui verront la préiente fai- fons favoir que l'amiral dom Vafco da Gama nous a fait préfenter une lettre dont le contenu eft tel que fuit . ■< Dom Manuel &c. .. De même que la juftice divine accorde juftement dans l'autre monde des prix & des récompenfes éternelles à ceux qui ont vécu dans celui-ci au fein de notre fainte foi catholique en pratiquant de bonnes œuvres, & que les mérites de chacun font la mefure de ces récompenfes ; de même & d'aprës cet exemple il eft jufle & équi- table que les rois & princes de la terre, établis par la main de Dieu pour rendre la juflice& gouverner ceux qui leur ont été confiés, encouragent & récompenfent les hommes qui les fervent bien, non feulement en vue de reconnaître & rémunérer leurs fervices, mais afin que ce folt un exemple propre à encourager lés autres & à fufciter en eux un puiffant défir de bien faire. Il eu de fait no- toire en nos Etats, & même au dehors, que Vafco da Gama, amiral de l'Inde, nous a rendu à nous & à nos royaumes un grand & 11- gnaléfervice en découvrant ladite contrée de l'Inde durant le pre- mier voyage qu'il y fit par nos ordres ; découverte dont les confé- quences ont été fi grandes & fi magnifiques pour nous, & qui a valu à nofdits royaumes & fujets un accroiffement confidérable de profits & de richeffes, ce dont il faut rendre grâce à Notre-Seigneur, avec l'efpoir d'obtenir plus encore par fon appui. En effet, ce qui avait été ambitionné depuis un fi long temps par les Romains & par nombre d'empereurs, de rois, de princes, fans compter nos prédéceffeurs -, ce qui avait été cherché à travers tant de labeurs, de dépenfes, de morts & de périls, ledit amiral, par notre ordre, le découvrit & le trouva du premier coup, atteignant amfi le but ou tous s'étaient efforcés d'arriver. C'eft ainfi que les avantages con- voités par tant de nations nous ont été acquis, à nous & à nos royaumes, au prix de rudes épreuves, de rifques perfonnels, & de lexiftence même de ceux qu'il emmena avec lui, car plus de la moitié de fes équipages fuccomba dans ce premier voyage, & no- tamment Paul da Gama, fon frère, que nous avions fait partir avec lui. Pour cepremierfervice, à fon retour, nous le récompenfâmes & relevâmes en dignité, rémunérations que nous lui accordâmes

18

;38

alors avec le ferme propos de l'élever toujours davantage en pro- portion de ce qui était dii à son grand mérite. Une autre fois, de- puis fon retour, nous réfolùmes de le renvoyer dans l'Inde pour le bien de notre fervice avec une autre flotte confidérable. Dans ce voyage & tout ce qui s'y rattacha , fon mérite & les fervices fîgnalés qu'il rendit brillèrent &- ne brillent pas moins que dans le premier qu'il effedua. Ainfi , par exemple, le roi de Quiloa qui eff un roi maure, le premier en arrivant aux Indes, ne s'étant pas montré auffi zélé pour notre fervice qu'il s'y était engagé par fes lettres & fes mefTages, il le foumit, le rangea fous notre obéif- fance, Se l'obligea par force à nous payer un tribut annuel de 1,^00 meticaes d'or, dont il verfa incontinent la première année; lefquels tribut & redevance il nous apporta & remit entre nos mains avec un engagement écrit, fuivant la loi du pays, par lequel il s'obligeait, comme notre propre & naturel vaffal, à nous fervir, reconnaître & obéir en tout temps, ainfi qu'à fon roi & feigneur légitime, &, en outre, à prendre notre bannière, comme un figne plus manifefle& plus obligatoire encore de fon vaffelage & de fa foumiffion. Pendant le temps que ledit amiral y fut, il y rendit pu- bliquement la juftice en notre nom, comme fur notre véritable do- maine. Ce roi de Quiloa efl: un roi très-riche & puiffant; il pof- fède les mines d'or de Sofala, les plus célèbres par leur richeffe qu'il y ait en ces quartiers ou même que l'on connaiffe ailleurs, en forte que fon nom eft très-fameux & renommé par toutes les Indes. Auffi, parmi les fervices qu'il a rendus & les mérites qu'il s'eff acquis, doit-on confidérer comme digne des plus grands éloges & de la plus haute eflime, comme infiniment glorieux & mé- ritoire, un fait auffi nouveau & auffi extraordinaire que la foumif- fion d'un roi fameux, puiffant & renommé dans l'Inde, devenu tri- butaire d'un royaume chrétien, d'ailleurs fi éloigné; il eu donc jufle qu'en recevant cette nouvelle faveur & ce don nouveau, parmi tant de faveurs & de bienfaits que le Seigneur nous a accor- dés dans cette entreprife, nous lui adreffions des acftions de grâces toutes particulières pour un fait tellement inouï que, non feulement en aucun temps il n'en avait rendu témoin nul autre roi ou

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royaume chrétien, mais que perfonne n'avait jamais rien lu ni ouï dire de femblable. Dans toutes les autres occurrences de ce deuxième voyage il s'eft montré entièrement dévoué à notre fer- vice, auffî bien lorfqu il fut néceffaire de faire la guerre à ceux qui s'oppofaient à nos opérations, guerre Notre-Seigneurlui fit rem- porter maintes vidoires, notamment fur les Maures de la Mecque, ennemis de notre fainte foi catholique, qui s'efforcèrent par tous les moyens poffibles de nuire aux intérêts de notre fervice, mais auffi dans toutes les autres conjondures l'on traita amiablement & pacifiquement avec les rois de ces contrées ; en forte que nos intérêts font demeurés folidement établis par fa fageffe &fon juge- ment, & qu'il a ramené à bon port, chargée de grandes richeffes, la flotte que nous lui avions confiée. Pour ces motifs, mais furtout pour le fait principal de la découverte qui doit procurer à nos Etats tant d'avantages, de gloire & de profits, &qui, pour nous, eft un fi grand fervice, il eft en droit de recevoir, à titre de premier auteur, des faveurs & des récompenfes qui en perpétueront la mémoire & le fouvenir. Voulant nous acquitter envers lui, comme il convient à un roi & comme il le mérite, efpérant d'ailleurs qu'il nous conti- nuera fes fervices, de notre propre mouvement, fcience certaine, pouvoir royal Se abfolu, fans qu'il l'ait demandé ni d'autres pour lui, il nous plaît de lui faire une donation gracieufe, pure, libre Se irrévocable, à dater du premier jour de cette année i f 04 & à per- pétuité, tant pour lui que pour fes defcendants màles en ligne di- refte, de 400,000 réis de rente annuelle dont nous voulons &- dont il nous plaît qu'il foit pourvu, lefquels lui feront affurés &- payés fur notre taxe du fel dans cette ville de Lisbonne, par quar- tiers, intégralement & fans retenue, en vertu de ce titre de dona- tion, & fans qu'il foit néceffaire d'en expédier un autre de notre bureau des finances. En conféquence, nous mandons à nos rece- veurs tant préfents que futurs de ladite adminiftration de la gabelle, ainfi qu'au greffier de ce département, de verfer & payer défor- mais, à partir du premier jour de janvier dernier, audit amiral & à fes defcendants, lefdits 400,000 réis de rente annuelle, par quar- tiers, intégralement & fans retenue, comme il a été dit ; d'effeéluer

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toujours ce paiement avec exartitude, lans y apporter aucune ef- pèce d'obftacle, de difficulté ou d'empêchement, attendu que tel eft notre bon plaifir &■ notre volonté; en foi de quoi nous lui faifons remettre cette lettre fignée de notre main & revêtue de notre fceau royal. Donnée à Lisbonne, lefeptièmejour de février: Gaf- pard Rodriguez l'a faite en 1 5'04. Et, pour la tranfcription de la préfente qui fera enregiftrée par le greffier de ladite adminiflra- tion fur fon livre de comptes, avec quittance de l'amiral & de fes defcendants, nous mandons à nos contrôleurs de porter lefdits 400,000 réis au compte de l'adminiflrateur ou receveur de la ga- belle.

Pour ce qui efl des 400,000 réis, nous entendons les délivrer & affurer ainfi qu'il fuit : 200,000 fur la branche de nos accifes de Villa de Nyfa, à partir du 21 janvier prochain ifi6. Ladite dona- tion ayant été annulée, & l'enregiftrement qui la concernait ayant été conféquemment biffé fur le livre d'adminiftration de ladite im- pofition, ainfi qu'au bureau de nos finances : pour les 200,000 réis qui reftent, nous lui faifons remettre cette lettre afin qu'il puiffe s'en fervir pour les toucher fur ladite impofition du fel & en jouir, à partir du 21 janvier prochain if 16, de la manière & façon dont il jouiffait defdits 400,000 réis, en foi de quoi nous lui faifons re- mettre cette lettre fignée de notre main & fcellée de notre fceau royal, & lui mandons de fe garder & conformer à ce qui y efl in- clus. Donnée en notre ville de Lisbonne, le 29 du mois d'août. Jorge Fernandes l'a faite l'an if if. {Liv. XXIV de D. Manuel, fol. 120.)

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RECTIFICATIONS APRÈS IMPRESSION.

95, ligne 5, au lieu de: « aux deux cartes d'Améric Vefpuce »

Ufe:f : <• aux deux lettres. » Page 97, ligne 8, lîu heu de : « Ilacominus » i>fr{ ■' " liacomylus. » Page 97, lignes 12, 35 et ;o, & page 98, ligne 9, au lieu de : " Grynœus »

î//(?j •■ o Grynœus. » Page loi, ligne 12, au /i'eu ife ; » San-Bras » hfe^ : « San-Braz. » Page 124, lignes 15 8t fuivantes, au heu de: <• Coulao » l'Je^ : " Coulâo. »

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