®^ I. ». ïttil Sthrarg Nnrtb (Earoltna g>m? (LaileQt QK901 C4 v.l NORTH CAROLINA STATE UNIVERSITY LIBRARIES SOI 948957 0 i QK901 °4 Chodat,-R la_dej 4^n3 5 I. 1 hh**± L-J-lrJ-l± TO THE R V Kindly handle tli care on account o The binding 1ms 1 siltle nnder exis i»;Ve reasonable \ and handling. Y ont' thouffhtfu 12191 This book may be kept out TWO WEEKS ONLY, and is subject to a fine of FIVE CENTS a day thereafter. It is due on the day indicated below: ft&Z&JiM 60M— 048— Form LA BIOLOGIE DES PLANTES JR. CHODAT PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE CORRESPONDANT DE L'INSTITUT DE FRANCE LA BIOLOGIE DES PLANTES LES PLANTES AQUATIQUES GENEVE PARIS ÉDITION ATAR ÉDITION ATAR CORRATERIE, 12 RUE SAINT-DOMINIQUE, 26 IMPRIME EN SUISSE UBRABY SOUS le nom de plantes aquatiques, je groupe ces catégories de végétaux qui, de près ou de loin, vivent de la vie des plantes des eaux douces. Kn introduisant ici la vie des lichens, dont beau- coup, si ce n'est la plupart, fuient les lieux humides, j'ai voulu montrer comment les algues, par une association avantageuse, peuvent quitter les milieux aquatiques proprement dits et s'habituer au milieu aérien. C'est ce qu'on verra aussi à propos des Broméliacées qui, pour d'autres raisons, subissent une évolution analogue. Un répertoire systématique à la fin du volume et un index permettront aux personnes qui s'intéressent plus particulièrement à la botanique de retrouver les indications relatives aux plantes étudiées dans ce volume. 12i9i PRÉFACE DE L'AUTEUR ZES essais biologiques que je présente au publie cultivé sont destinés a développer dans les cercles, même les plus éloignés de la recherche scientifique proprement dite, l'intérêt pour les choses de la Nature. Il ne peut s'agir, ici, de solutions (humées au a- «Enigmes de l'Univers», La Science moderne est plus prudente. Si elle connaît la forée et la valeur de ses méthodes, si elle est Jière de l'œuvre énorme accomplie, elle connaît encore mieux ses déficits. Elle sait que Science n'est pas synonyme Je solution définitive, mais bien plutôt d'ambition Je connaître, de savoir toujours mieux. Le lecteur doit donc s'attendre à plus d'une déception, en plus de âelles que vous laisse, après lecture, le titre allé- chant d'un ouvrage. Parmi les plus sensibles, pour lui, il y aura sans doute celle qui résulte de celle constatation que, malgré la science de leurs Instituts et de leurs laboratoires, tes savants sont encore si peu d'accord sur les questions fondamentales d'origine et de finalité, allais, si le lecteur veut bien consentir à suivre l'auteur de cet ouvragé dans le détail des faits, il ne pourra s'empêcher d'être saisi d'admiration devant cette Nature si riche et si accueillante. Si riche, parce que jamais l'inves- tigation scientifique n'épuise le trésor qui est en elle et qui paraît grandir. à mesure qu'on l'exploite. Si accueillante, parce que, malgré tout, elle donne à celui qui la consulte plus qu'il n'aurait osé espérer. Et si, chemin faisant, le lecteur s'aperçoit que telle théorie qui, hier encore, recueillait tous les suffrages, semble aujourd'hui devoir être défini- tivement abandonnée, il n'y verra point, comme on l'a prétendu, une faillite de la science, mais le triomphe du bon sens sur la superstition. La biologie proprement dite est une science relativement neuve. Trop longtemps la botanique et la zoologie se sont bornées à établir de com- pendieux catalogues, des systèmes habillés (tans un apparat bibliogra- phique parfois plus pédant qu'instructif. El cependant, les savants deé XVIT et XJ^IIT siécleé, Aldrovandi, Spallanzani, Bonnet, BIOLOGIE DES PLANTES Buffon //// même, étaient déjà attentifs aux faite biologiques, décri- vant avec soin, avec intelligence, les mœurs des animaux. Un Rousseau lui aussi, dans ses lettres sur la botanique saisit bien tout l'intérêt qu'il y a a suivre la plante dans ses vicissitudes au milieu de la nature. Le genevois P. Vaucher, après de belles études sur les Conferves, inau- gure la biologie végétale par son Histoire physiologique des plantes d'Europe. Mais déjà Sprengel et Kœlreuter l'avaient précédé en étu- diant la biologie des fleurs. /liais c'est a l'école anglaise du XIXe siècle que nous devons le renouveau de la biologie. Darwin dans son « Voyage autour du Monde », Wallace en publiant son « Tropical life », Th. Belt avec son « Natu- raliste au Nicaragua » et « last not least », Bâtes en faisant connaî- tre dans deux beaux volumes la vie des plantes et des animaux de l'Ama- zonie, ont donné une impulsion puissante a ce genre d'études. Malheureusement, depuis lors la biologie, dominée par la théorie trop exclusive du transformisme, a glissé sur la pente fatale de la scolas- tique évolutionniste. Ceci a provoqué une réaction qui se dessine puissante actuellement et qui demande qu'on substitue aux explications finalistes des néo-darwiniens des descriptions rigoureuses reposant sur la connais- sance mécanique des relations de cause à effet. Toute une branche inté- ressante de la botanique s'est ainsi développée, celle de la morphologie expérimentale. Dans cette dernière, on établit la dépendance de la forme avec le milieu, on montre que la lumière, la chaleur et les autres causes physi- ques impriment, chacune pour elle-même ou en combinaison les unes avec les autres, un certain faciès aux organes, à la plante entière. Cela est bien et on ne saurait assez expérimenter. Mais il n'en reste pas moins que, pour le moment, la description exacte des dépendances de l'orga- nisme vis-à-vis du milieu et l'action formatrice, morphogène de ce dernier ne permettent pas de comprendre les faits extrêmement nombreux et variés d'adaptation ou de structure qui nous paraissent comme calculés pour atteindre un certain effet. Le naturaliste est donc contraint ou de refuser de voir ces merveilleuses coïncidences ou, les constatant, de renoncer pro- visoirement à les expliquer, c'est-à-dire à en donner la causalité. L'auteur du présent ouvrage est bien de cet avis qu'une science saine ne peut accepter comme démontré que ce qui peut être répété à PRÉFACE DE L AUTEUR volonté. Selon lui, le problème biologique se ramené en dernière analyse à des équations physico-chimiques el doit pouvoir être décrit Dans le lan- gage simple et général de la mathématique. Mais la plupart des faits les plus intéressa/ils de la biologie sont encore trop peu analysés pour pouvoir être décrits de cette façon. Alors intervient, à la place d'une explication en ternies de causalité, un exposé qui consiste en des compa- raisons de phénomènes complexes, par lesquelles s'établissent les traits communs et les dissemblances. Cette classification devient naturelle si les faits sont décrits en raison de certaines coordonnées que nous fournis- sent les classifications systématiques et L'évaluation des homologies. Mon- trer, par exemple, que le même organe dans une série d'espèces du même genre est autrement conformé et que les déviations d'un type idéal sont en rapport avec la situation de la plante dans le milieu naturel auquel cette structure semble correspondre, c'est aussi faire de la science et de la bonne science. Etudier successivement, dans leur développement individuel, soit cha- que espèce, soit dans une espèce chaque organe; et reconnaître entre ces formes, à un moment donné, el les circonstances extérieures une relation définie, c'est aussi de la science. Il serait inutile, dans une introduction comme celle-ci, d'aborder une discussion trop abstraite el d'essayer de donner même les rudiments (l'une théorie générale de la biologie, c'est-à-dire de la conformité de l'organe à la fonction. Mais, dès maintenant, l'auteur se sent pressé de dire que, pour lui, celle conformité n'est pas toujours visible ; elle n'est pas toujours manifestée par des appareils qui fonctionnent sous nos yeux. Celtes des plantes qui paraissent les plus étonnantes sont évidemment celles que nous comprenons le mieux, parce que leur manière d'être parait plus étroitement, plus visiblement, correspondre à un genre de vie. Pour me servir d'une analogie, nous saisissons facilement les opé- lions successives d'un travail mécanique, l'adresse d'un artisan, la force d'un manœuvre, tandis que nous sommes incapables de saisir le méca- nisme psychologique qui préside à l'élaboration d'une œuvre scientifique ou artistique. Ainsi, beaucoup de végétaux ne paraissent pas, par leur structure extérieure, être particulièrement adaptés aux circonstances, à l'environ- nement. La concordance est à chercher alors entre des capacités de BIOLOGIE DES PLANTES nature invisible, comme la vigueur, la résistance aux conditions défavo- rables, c'est-à-dire entre la sensibilité et le milieu. C'est ce que nous ve rirons souvent au cours de cet exposé. Comme notre but était d'intéresser les esprits cultivés aux choses de la biologie végétale, nous avons, de propos délibéré, laissé de côté tout ce qui suppose des connaissances trop spécialisées et, en particulier, ce qui a rapport à ta structure microscopique des appareils compliqués, allais le sujet est si vaste que le lecteur ne s'apercevra guère de cette lacune et nous saura gré d'avoir allégé notre esquif. Je me suis aussi efforcé d'employer un langage dépourvu d'expres- sions trop techniques, de manière à rendre la lecture de cet ouvrage plus facile à ceux qui n'ont pas à leur disposition cette nomenclature scienti- fique souvent utile, mais tout aussi souvent inutilement pédante et encom- brante. Grâce à cet artifice, j'évite, me semble-t-il, l'écueil de la spéciali- sation et fe porte mon effort sur les questions les plus générales. J'ai aussi cherché à ne parler que de phénomènes que j'aie étudiée moi-même ou tout au moins de ceux seulement sur lesquels j'aie des renseignements de première main, contrôlables par moi-même ou par l'analogie qu'ils présentent avec d'autres que je connais par mes propres travaux. Ce faisant, j'ai essayé de donner à cet ouvrage une saveur originale, ce qui ne veut pas dire que je mésestime les travaux de mes confrères; je les ai mis largement à contribution. Jlais on ne parle avec autorité que des choses qu'on a expérimentées. Je dois des remerciements a des confrères ou a des collègues qui ont bien voulu me prêter des clichés ou des photographies. Ce sont MAI. Dr Brun, Prof. Emile Chaix, D' rischer. Enfin mes remerciements vont aussi a l'Editeur, la Jlaison Atar, qui n'a rien négligé pour assurer une exécution typographique soignée. Genève, octobre îgij. Biologie des Plantes Planche I % : s m % § s. //. 22 Algues des Neiges; de la chaîne du mont Blanc. Les neiges colorées. (Planche I.) £u singulier que cela puisse paraître, il y a une flore des neiges j^^ comme il y a une flore des prairies, des dunes ou des étangs. Ce sont non pas des plantes que le vent aurait accidentellement transportées sur ce milieu glacé, mais il s'agit réellement de végétaux qui appartiennent en propre à la neige et qu'on chercherait vaine- ment dans d'autres stations. N'allez cependant pas les chercher sur la neige fraîche qui vient de tomber en hiver ; il faut au déve- loppement et à l'accumulation de cette flore la durée, les neiges persistantes. Jusqu'à ces dernières années on ne connaissait dans nos Alpes que des neiges colorées estivales. Mais voici que pres- que en même temps sur la neige qui entoure en hiver les lacs de Davos et de Montana (Grisons et Valais), deux stations d'hiver, on a reconnu la présence, sur de grandes étendues, d'un nouvel organisme des neiges, une algue d'hiver, une gracieuse Péridiniacée le Glenodinium Pascberi. Comment cet organisme qui apparaît d'une manière épidémique sur la blanche neige et 3- produit des taches étendues d'un rouge brique intense a-t-il pu échapper à l'observation des biologistes ! On ne va guère en hiver dans les montagnes; les quelques alpinistes, skieurs, sportsmen, qui s'aven- turent dans ces parages en cette saison, ne sont guère préoccupés de scruter les problèmes de la nature. Les difficultés d'une course pénible, la nécessité de songer en première ligne à se tirer d'af- faire, absorbent toute l'attention. Et puis il semble qu'il faut à l'accumulation de ces micro-organismes, ce qui les rend visible à l'œil nu, une intensité et une durée de luminosité qui n'est pas réalisée partout. Les bourrasques de neige fraîche, qui viennent recouvrir l'ancienne neige tassée ensevelissent les premières ten- tatives d'une multiplication intensive. Plus haut, vers les sommets où souffle un vent glacé, les conditions de vie pour les plantes des neiges sont rarement réalisées. Si peu exigeantes qu'elles soient, BIOLOGIE DES PLANTES il leur faut l'élément liquide pour se développer.; Sans eau, pas de végétation, pas de croissance. Corpora non agunt n'ud solula, disait un vieil adage de la chimie et de l'alchimie. Si cela n'est plus vrai aujourd'hui pour beaucoup de réactions chimiques, les corps qui réagissent les uns sur les autres dans les phénomènes chimi- ques de la vie, ne le peuvent en dehors d'un milieu liquide ou imprégné d'eau proprement dite. C'est dire qu'il faut à ces organismes au moins la température de o°, celle à laquelle fend la neige pure des solitudes glacées de nos montagnes ou des calottes polaires. Or, en hiver, même dans les stations les plus ensoleillées de nos Alpes (Montana, Davos), la neige ne fojid que pendant une partie de la journée ; même vers le milieu du jour, l'ombre de la montagne ou des arbres interrompt cette fusion ; la nuit, tout redevient glacé ; les plantes microsco- piques sont prises dans les cristaux de glace qui se forment à la surface de la neige en fusion) Pendant longtemps, rien ne viendra trahir le fourmillement des organismes, des infiniment petits qui, disséminés dans la neige, assimilent, respirent et se multiplient. De même si, par une belle journée d'été, penché sur la balustrade d'un bateau à vapeur, le touriste se laisse fasciner par le bleu cristallin et profond d'un de nos lacs, le Léman par exemple, ce qui l'impressionne, l'émeut, c'est la pureté de ces eaux, leur admi- rable transparence. Mais si ses yeux avaient le pouvoir pénétrant et grossissant d'un microscope, il verrait ces eaux constellées d'or- ganismes de toute sorte, comme la voûte du ciel d'une belle nuit est parsemée d'étoiles. De même ici, dans la neige, des germes de vie sont disséminés et n'attendent que l'occasion de se multplier. Il leur faut, comme à toute plante, lumière, chaleur, nourriture. Dans nos montagnes, l'intensité lumineuse augmente rapidement avec l'altitude ; tous ceux qui ont voyagé sur les glaciers des Alpes ont éprouvé l'action intense du soleil qui fendille la peau, aveugle l'imprudent, qui ne s'est pas protégé par des enduits isolants ou des lunettes de gla- cier. Les organismes des neiges ne vont donc pas manquer de lumière, bien au contraire ; nous verrons même qu'ils seront forcés de porter, eux aussi, leurs lunettes de glacier. Il leur faut de la chaleur pour effectuer leur travail de synthèse, de nutrition végé- LES NEIGES COLOREES taie. Et voici que la neige paraît un milieu peu propice à satisfaire à ce besoin. Tout d'abord elle ne peut guère se réchauffer ; aussi longtemps qu'elle n'est pas toute fondue, la température va se maintenir constante, soit à peu près à o° centigrade. A l'ombre et le soir, elle va se refroidir et se prendre en glace : les cellules végétales seront dès lors emprisonnées dans ce milieu solide, et leur développement complètement arrêté. Elles ne sont pas les seules à supporter ces alternances de gel et de dégel ; beaucoup d'algues, de filaments verts, se maintiennent vivants pendant de longues semaines d'hiver dans la glace de nos étangs. Je me suis souvent amusé à récolter des algues en cassant la glace des étangs; à peine cette dernière était-elle fondue que l'on voyait ces orga- nismes, qui avaient comme passé par un frigorifique, manifester leur vie par l'émission d'un grand nombre de cellules propaga- trices qui nageaient avec rapidité dans l'eau glacée. A un point de vue cependant, les organismes des neiges, qui appartiennent tous à la classe des Algues, sont vraiment dans des circonstances particu- lières. (Xout leur cycle vital se fait à une seule et même tempéra- ture, celle de la neige fondante, soit o". Lorsque baisse la tempé- rature, leur vie est ralentie, suspendue comme celle d'une graine au repos. Ils ont capacité de vie, mais ne vivent plus ; ce sont comme des horloges arrêtées, la température de o° remet le balan- cier en mouvement?^ La plupart des autres plantes ont un domaine thermique beaucoup plus étendu. Le blé germe déjà en automne à une température de 5°; il se feuille, talle et croît avantageusement de 6° à 160 ; il ne mûrit cependant que si ses jeunes épis sont exposés à une température de 200. Les dattiers cultivés en Provence, à Hyères par exemple, sont aussi beaux, aussi robustes que leurs congénères de l'oasis de Biskra, mais ils ne mûrissent pas leurs dattes. Pour cela, il leur faudrait, comme à ceux du désert, le pied dans l'eau et la tête dans le feu. Tout autour de ce glacier et de ces névés, vous voyez ces robustes et pittoresques aroles, ces vigoureux mélèzes. Encore robustes végétativement à la limite de la végétation forestière, ils n'arrivent pas à mûrir leurs cônes ; les petits pâtres, qui sont très friands de leurs amandes, vont les récolter plus bas. M BIOLOGIE DES PLANTES Eli bien, les algues microscopiques des neiges ont un violon bien simplifié pour y jouer leur symphonie vitale; leur unique corde est accordée à une seule température, à une seule hauteur de son, celui de la neige fondante. Fig. i. — La Soldanelle (Soldanella alpina), plante qui peut croître et fleurir dans la neige; à droite, tiges f'ructifïères à capsules dressées, ouvertes. Dessin de R. G. Sans doute, d'autres plantes, et parmi les plus gracieuses de nos Alpes, commencent à germer, à respirer, à pousser à une température de o°; même plus d'une de ces plantes supérieures, comme les Crocus et les Soldanelles {jig. i), se frayent un chemin dans la neige et parfois balancent leurs corolles au-dessus du névé qu'elles ont percé ; mais toutes nécessitent pour leur fructification une température beaucoup plus élevée. Nos petites algues des neiges se maintiennent donc toute leur vie à une même température comme ces favorisés de la fortune LES NEIGES COLOREES qui, l'hiver durant, grâce au chauffage central, se sont maintenus dans des appartements à i8° et qui, vers l'été, ne pouvant régler la température de leurs demeures à cette douce chaleur, vont passer les canicules à 2000 m., puis reviennent en ville en passant successivement par les stations intermédiaires aménagées pour la société à température constante. Cela n'est guère varié, mais cela est ainsi pour les algues des neiges. La seule interruption à cette monotonie de température, c'est le frisson nocturne quand elles passent ainsi périodiquement de vie à trépas : espèce de mort qu'il faut bien se garder de confondre avec le sommeil. Comment se nourrissent ces minuscules plantes dans ce milieu qui paraît si peu nutritif? Il est aisé de constater que toutes les espèces, même celles qui paraissent rouges, brunes ou jaune d'or, possèdent dans leur cellule de la chloroplrylle, le vert des feuilles qui, dans la lumière, sert à toutes les plantes à extraire, de l'acide carbonique, le carbone nécessaire à leur nutrition. C'est là un mode de nutrition général chez toutes les plantes non parasites et dont nous aurons à parler plus d'une fois. Et, à ce point de vue, les algues des neiges sont vraiment favo- risées ; l'eau glacée qui circule sur le névé et dans le grain du névé inondé de lumière est beaucoup plus nutritive que l'eau chaude de nos étangs. L'acide carbonique de l'air est contenu dans ce milieu dans une proportion à peu près constante, mais l'eau froide en contient plus que l'eau chaude. Ainsi, à 5°, il y a deux fois plus de CO2 dissous qu'à 2001. L'oxygène, qui est néces- saire à l'entretien de la vie, à la respiration, sans laquelle ne peut se faire aucun travail, se dissout aussi en plus grande proportion dans l'eau froide que dans l'eau chaude. On est moins rapide- ment asphyxié dans de l'eau glacée que dans de l'eau tempérée. Voici donc deux conditions essentielles de la vie des plantes : nutrition carbonée et respiration, qui sont favorisées dans ce milieu en apparence hostile à la vie. La neige, en tombant, a aussi absorbé les poussières de l'air et entraîné les combinaisons azotées qui résultent des décharges électriques dans l'atmosphère. Elle n'a donc de la pureté que l'apparence ; en réalité, elle est A 5°, un litre d'eau du lac de Genève contient y, 3 ccm. d'oxygène et 0,6 ccm. de gaz carbonique, tandis qu'à 200, ces chiffres sont respectivement S,y et o,3 ccm. BIOLOGIE DES PLANTES souillée d'une quantité considérable d'impuretés. Toute la question est donc d'expliquer comment, à cette température basse, une croissance active, une multiplication rapide est possible. Y a-t-il, dans cette vie à o°, qui nous donne le frisson, un mystère plus grand et plus insondable que dans notre propre vie à 36° ? Nous brûlons le carbone de notre sang et de nos tissus, sans flamme, par une combustion lente, continue, mais qui, en principe, est du même ordre que celle du bois dans notre chemi- née ou de l'huile de notre lampe. Seulement, dans ce dernier cas, il nous faut y mettre le feu et le maintenir à une température de plus de 25o°, tandis que nous brûlons comme une lampe qui s'allumerait d'elle-même, qui prendrait feu spontanément à une température très basse. Si nous pouvions expliquer notre propre respiration, nous pourrions sans doute dire aussi pourquoi il arrive que d'autres organismes brûlent leurs réserves à une température encore plus basse. Il ne s'agit pas ici du combustible de respira- tion, qui est essentiellement le même chez les plantes inférieures, les plantes-feuilles et les animaux. La plrysiologie nous fait con- naître ces matières qui sont essentiellement les sucres, les fécules, les graisses. Le chimiste, dans son calorimètre, ne peut amorcer ces réactions . entre l'oxygène de l'air et les sucres et les graisses qu'en chauffant à plus de 3oo°, l'animal à sang chaud y arrive à 36°, la plante verte de 0-400, l'algue des neiges à o°. Mais ce qu'il y a de plus curieux dans ce phénomène, c'est que, à l'inverse des com- bustions chimiques, qui sont progressivement accélérées par l'élé- vation de température sans qu'on saisisse une limite supérieure, ici, avec l'élévation de température, le phénomène de la respira- tion, qui avait tout d'abord progressé, s'arrête brusquement, et cet arrêt correspond non pas comme l'arrêt par les températures basses à une simple inhibition, à un arrêt momentané, mais à une altération définitive, irréversible comme l'on dit: l'organisme meurt. Nos expériences nous ont appris que pour la plupart des algues" des neiges, pendant leur vie active, une température plus élevée .que 40 agit comme l'eau bouillante sur les organismes supérieurs. On a souvent pensé que la respiration, qui est essentiellement une combustion, serait sous le contrôle de ferments oxydants, c'est- à-dire de substances spécifiques capables de sensibiliser les LES NEIGES COLOREES réactions, d'accélérer la vitesse de ces réactions. Sans nul doute la respiration des animaux comme celle des plantes dépend de ces substances qu'une science moderne a su extraire de beaucoup d'organismes, mais il 3' a dans le phénomène si mystérieux de la respiration plus que cela. C'est comme si la nature vivante était Fig. 2. — Solitude neigeuse sur le glacier du Tour (mont Blanc) ; remarquer la teinte à gauche. Comparez fig\ 7, qui représente les organismes de la neige rouge récoltée en cet endroit. Phot. de R. C. comme un échafaudage instable, que la moindre chiquenaude fait effondrer. Nous verrons ce qu'il faut penser de cette hypothèse quand nous parlerons des Thermes. Quoi qu'il en soit, la plupart des algues des neiges meurent à une température qui est trop basse pour permettre à la plupart des végétaux de notre pays d'effectuer leur germination. Il me semble, en écrivant ce prologue, que je fais comme ces jeunes éphèbes qui, devant une salle qui attend impatiemment BIOLOGIE DES PLANTES l'exécution d'une comédie de Molière ou d'une tragédie de Shakes- peare, lit un savant mémoire sur le théâtre français ou sur l'identité réelle ou fictive de Bacon et de l'immortel dramaturge. Le public s'impatiente, il veut voir jouer la pièce et jugera par lui-même. Eh bien, sans tarder, laissons parler les artistes eux-mêmes, montons ensemble de Champex au col des Ecandies. Le chemin qui avait quitté le vallon d'Arpette s'engage maintenant sur les flancs de l'immense moraine du glacier d'Arpette ; évitant les gros blocs vacillants, nous voici arrivés au bas du col, dans une dépression en vaste cuvette ; la neige d'août a laissé, en s'évapo- rant, quelques tables de glacier. Notre petite caravane, un peu fatiguée, avance lentement. Quelqu'un me fait remarquer, sur la neige ancienne, des taches tout d'abord éparses, comme celles qu'aurait faites un liquide coloré tombant goutte à goutte, puis des espaces continus d'un beau rouge framboise. C'était en 1895 ; quoique habitué des solitudes glacées de nos Alpes, je n'avais jamais observé de la neige colorée. La première impression était que notre caravane avait été précédée par un chasseur ou un braconnier du pays, dont le petit tonneau de vin rouge qu'il a l'habitude de porter à la façon d'une gourde se serait vidé peu à peu. Il y a une énorme différence à connaître une chose par les livres ou de la savoir par l'observation personnelle. Il ne me fallut cependant pas longtemps pour me convaincre que la coloration n'était pas accidentelle. Très irrégulièrement, cette teinte envahit la neige jusqu'à plusieurs centimètres de profondeur, un peu de la même manière que les colonies bactériennes dissé- minées sur un milieu nutritif pénétrent dans la masse ou tendent à se confondre en se rencontrant dans leur expansion. Si le botaniste algologue remplit un des flacons, qu'il porte toujours sur lui, de la masse neigeuse, celle-ci est de l'apparence et de la consistance d'une glace aux fraises ou parfois, lorsque la concen- tration est plus forte, de la couleur d'une glace aux framboises. Ce n'est qu'exceptionnellement, lorsque les organismes ont pu pendant longtemps se multiplier autour d'un germe initial, que la couleur devient plus intense, rouge brique. La beauté et l'intensité du phénomène nous décidèrent sur-le- LES NEIGES COLOREES champ d'en faire une étude méthodique, en nous aidant d'un microscope que nous étions allé prendre à Champex (146.5 m.), alors notre station d'été, et que non sans peine nous avions hissé jusqu'à ces solitudes glacées. Ce n'était certes pas un laboratoire banal, le microscope sur une table de glacier, les hautes parois de la pointe d'Orny et Fig. 3. Magdalena bay (Spitzberg). Glacier qui s effondre dans la mer: la surface était couverte de neige rouge. Phot. de A. Brun. celles du Zénépi ; en arrière, le flanc de la moraine, devant nous le névé qui grimpait vers la fenêtre du col par lequel les derniers rayons du soir venaient éclairer le miroir de mon instru- ment. Plus ému encore par l'inattendue trouvaille que par la solitude sauvage du site, je -le fus davantage encore en reconnais- sant dans cette neige rouge, en plus de l'organisme habituel des neiges rouges, plusieurs autres algues qui m'étaient inconnues et dont deux se trouvaient être nouvelles pour la Science. BIOLOGIE DES PLANTES Malgré la lumière qui baissait, je continuais à me laisser absor- ber par ces curieuses observations, bien décidé de ne m'en aller qu'à l'extrême limite du jour, lorsque brusquement je fus surpris par un orage avec coups de tonnerre. C'est un phénomène gran- diose dans tous pays et à toute altitude, mais combien plus ici dans cette solitude, dans cet espèce de gouffre noir. J'allais me sauver précipitamment et je me préparais à inter- rompre mes observations lorsque je fus interpellé par un gentleman suivi de deux dames qui fu3Taient devant la tempête et qui, dans le brouillard qui nous enveloppait, avaient perdu la direction. Rassuré, il s'approche, s'étonne de ce microscope à cette altitude, à une heure si tardive. Il s'intéresse malgré la pluie qui vient, et depuis lors n'a cessé de correspondre avec l'auteur de ces lignes sur cet intéressant sujet. Tout en descendant, je lui explique ce que je sais et lui-même, fervent alpiniste, me promet de surveiller les hautes routes des névés et des glaciers, et il a tenu parole, m'envoyant de diverses grandes excursions de la neige rouge ou d'utiles renseignements. Je dois aussi à mon savant confrère le volcanologue bien connu, M. Albert Brun, la connaissance de la neige rouge du Spitzberg, qu'il a bien voulu récolter pour moi (1909). Cette première étude, poursuivie pendant plusieurs jours sur place, a été le point de départ d'observations que nous avons continuées pendant plus de vingt ans, dans diverses régions des Alpes suisses et du Jura français. Enfin, depuis la création d'un laboratoire de biologie alpine au jardin alpin de la Linnaea à Bourg-Saint- Pierre (1700 m.), nous sommes installés pour pouvoir suivre l'évolution de ces micro-organismes de la neige ; nous pou- vons facilement nous procurer de la neige rouge dès le mois de juillet, soit des névés de la Chenalette (2.889 m.), soit des amas de neige qui se maintiennent dans le Vallon des Morts, au Grand-Saint- Bernard (2.470 m.). Observée pour la première fois par le Genevois H.-B. de Saussure, qui, sans en connaître la nature, l'avait nommée, dans son voyage dans les Alpes (1778), terre rouge de la neige, (au Grand-Saint-Bernard), puis par l'expédition arctique, John Ross (1819), la neige rouge estproduite par un ensem- ble d'organismes, dont le principal fut successivement considéré comme un champignon par F. Bauer (1819), comme une rouille de LES NEIGES COLOREES la neige {ÏJredo n'walis), analogue à la rouille qui attaque les céréales, puis parle Suédois Agardh, comme une algue {Protococcus nwalis) formant une fleur de la neige, nommée par le Norvégien Sommerfelt (1824) Sphaerelta nïvalis, et Haematococcus nivalis par Flotow, qui la considérait comme une espèce parallèle de l' Haematococcus pluvialis des flaques ou des creux humides des rochers de la plaine et de la montagne. Cette dernière espèce {fuj. Ji) qui appartient à un autre genre n'est pas c rare même dans les régions élevées, mais elle ne s'est jamais rencontrée dans la neige. Dans le massif du mont Blanc, je l'ai vue colorant en rouge l'eau du bénitier du cimetière d'Orsières et de la chapelle de Ferret, puis plus haut, au-dessus du glacier de Saleinaz, dans les creux humides des rochers du Plan Magnin. C'est un organisme qui supporte des températures élevées et que nous sommes arrivés à cultiver en culture pure dans le laboratoire, ce que nous n'avons jamais pu faire pour l'organisme rouge des neiges. Le nom de cette plante microscopique unicellulaire a donc subi bien des vicissitudes. Cela provient du fait que jusqu'à ma publication en 1896, elle était très 4mal connue. En 1903, mon savant collègue et ami, le professeur Wille de Christiana, reprenant* une suggestion que j'avais faite en 1896, puis en 1902, la place définitivement dans le genre Chlam.ydomon.as (Chlamydo- monas nivalis JW'dle). C'est que cet organisme unicellulaire, comme ses congénères est excessivement variable; ellipsoïdes ou ovoïdes, ses cellules, nagent dans la neige fondante au moyen de deux longs cils qui battent sous l'impulsion de deux vacuoles dont les pulsations alternantes rappellent celles d'un cœur en activité (// La biolqgje^e^jb la science de la vie, elle cherche à expliquer les manières d wrrevàes organismes et, selon le point de vue, donne le nom d'explication à des raisonnements de valeur très différente. Etablir une relation de cause à effet, par exemple décrire la for- mation de la carotine et de l'huile sous l'influence de conditions extérieures connues, c'est introduire une explicatiom mécanique, c'est expliquer le résultat par l'antécédent. Cela n'est possible que par l'observation et l'expérience .C'est de la science proprement dite . L'autre méthode consiste à se poser des questions sur le rôle et la fonction des organes, des structures. A quoi servent ces parti- cularités morphologiques ? On établit la relation qui unit organe et fonction ; on remarque que ces organes semblent très souvent comme calculés pour fonctionner dans un milieu donné qui est justement celui où vit la plante ou l'animal considéré. Il semble dès lors que l'organisme est conforme au milieu, ce qu'on exprime en disant qu'il est adapté. / Comment se sont constituées ces merveilleuses coïncidences -entre structure et fonction, entre organismes et milieux adéquats, qui parfois semblent calculées, prévues l'une pour l'autre comme la clef pour la serrure ? C'est ce qu'il est impossible de dire aujourd'hui, malgré l'effort magnifique de l'école évolutionniste. Toute structure, toute particularité n'est pas nécessairement adaptée. En particulier, on ne voit pas très bien ce qui, dans la forme du Chlamydomonas nivalir, correspond d'une manière plus étroite au LES NEIGES COLORÉES 20 milieu spécial, la neige. Et cependant, le peu de motilité qu'exhibe cette espèce, comparée à celle de ses congénères des étangs et des mares, est évidente ; ici le transport à grande distance est quasi impossible, la multiplication se fait de proche en proche comme le développement d'une cellule microbienne dans un milieu solide gélatinisé. Dès lors, manquent les cellules migratrices ou, si elles se développent, leur pouvoir de, translation est extrêmement affaibli. Le mode d'enkystement avec les enveloppes épaisses et gélifiées protège la cellule contre une rapide dessiccation; l'accu- mulation des réserves nutritives, comme dans une semence, assure la possibilité d'une vie ralentie sans qu'intervienne une brusque contraction comme cela arrive dans les organismes délicats ou très éphémères des eaux pures. On raconte, mais je n'ai pu m'assurer de ce fait, que les cellules enkystées bourrées de nour- riture de cet organisme des neiges, qui passent par une vie de repos, peuvent, comme les cellules analogues de Y Haernatococcus rouge des pluies, se dessécher complètement et reprendre vie au contact de l'eau et à la température convenable. Quoi qu'il en soit, ces Cblamydomona à 55°. Mais voici que nous avons dans les thermes, dans les sources chaudes un milieu naturel que nous pouvons consulter pour savoir quelles espèces d'organismes peuvent au besoin supporter de pareilles températures et ceci d'une manière constante. Les thermes les mieux étudiées à ce point de vue sont celles LES PLANTES DES THERMES Fig. 16. basins Une vue générale des sources chaudes de Mammoth Springs (Yellowstone) « Pulpit les dépôts pénètrent dans la forêt qui est détruite. Phot. Prof. E. Chaix. du Yellowstone, dans le parc national des Etats-Unis. Dans ce pa3rsage volcanique de laves, d'obsidiennes, desquelles jaillissent les fameux geysers, de nombreuses sources thermales, celles des Mammoth Springs par exemple, s'épanchent en formant sur le versant de la montagne des vasques distinctes souvent disposées en hémicycle, desquelles en cascatelles que répètent plus bas les piscines en gradins, l'eau pure et transparente se concrétionne en dentelles calcaires ou siliceuses d'un blanc éclatant, tandis que, tapissant le fond de chaque cuvette, des algues multicolores con- trastent avec le bleu d'acier de l'eau chaude (// ^ ^%w \ % 1^6 I ^ Fig. 36. — Gonidies de deux lichens foliacés, Solorina saccata (voyez fig. 35, C) de la plaine, et Solorina crocea (rouge minimum en dessous) des Hautes-Alpes. Gross. 8oo fois. Dess. de R. C. forment est totalement différente selon l'origine des individus, mais est toujours réalisée de la même manière si on est parti des germes de même provenance. Or, comme ces tas de cellules ne sont pas des tissus, mais simplement un agrégat de granules, de cellules isolées, il en résulte qu'il peut exister une morphologie sociale comme il existe d'espèce à espèce une morphologie individuelle. On le voit, le microscope est impuissant à nous dévoiler tous ces caractères. Un tas de gravier ressemble à un autre tas de gravier ; ici, l'accumulation de particules en apparence identiques aboutit à des apparences tota- lement différentes. Ce n'est pas la moindre des étonnantes parti- cularités des lichens que cette grande diversité des gonidies. Autant UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE jh que nous avons pu le reconnaître, en particulier dans les genres Cladonia et SoLorina, chaque espèce de lichen a sa gonidie propre. Quant à la forme du lichen, elle varie d'espèce à espèce (fig. 28), de genre à genre, il n'y a que ce trait général que ces champignons- lichens ne ressemblent pas aux champignons proprement dits ; tous sont dans leur croissance comme préoccupés de disposer les grains verts, leurs gonidies-algues en une couche qui puisse absorber la lumière à la façon du tissu vert dans le limbe d'une feuille. Cette couche occupe une zone située un peu au-dessous de la périphérie du lichen qui, par le feutrage de ses filaments, plus dense dans cette région, est comme un épiderme protecteur, une zone limite continue. Beaucoup de lichens sont ainsi foliacés (fig. Jj> ) >' on peut, dès lors, bien affirmer que la morphologie du lichen est dominée par l'influence des cellules vertes. Le tout est un compromis, une résultante. J'ai montré plus haut que dans leur accumulation en culture, dans le laboratoire, sur des milieux artificiels , chaque gonidie a une morphologie sociale particulière. On ne s'étonnera donc pas de trouver dans l'association de deux êtres, de nature dissemblable, les éléments d'une morphologie qui est dans son ex- trême diversité, cependant spéciale à ce groupe. Ces lichens produisent comme les champignons Ascomycètes, auxquels ils sont apparentés par leur mode de reproduction, des spores de diverses catégories. Mais beaucoup d'espèces restent indéfiniment stériles. Je les suspecte même de produire des spores sans utilité. En effet, la plupart de ces spores ne germent pas. Un très grand nombre d'entre eux se disséminent par un procédé qui leur permet d'éviter l'aléa de la germination; et, comme pour pou- voir germer et se développer, il leur faut sans doute l'excitation spécifique d'une algue, à laquelle ils sont étroitement adaptés et qu'ils n'ont guère de chance de rencontrer, ils ont tourné la diffi- culté en fabriquant des propagules (corpuscules propagateurs d'origine non sexuée) de nature double auxquels on a donné le nom de sorédies (fig. j-f). La portion du lichen qui se sorédifie se résout par une des articulations de ses filaments en petits tronçons qui, se ramifiant, emprisonnent en une espèce de pilule microscopique les gonidies spécifiques sans lesquelles le lichen ne peut vivre. Ce faisant, ils y6 BIOLOGIE DES PLANTES se comportent comme ces fourmis tropicales dont l'existence est liée à l'établissement de champignonnières ; la reine qui émigré emporte avec elle dans sa bouche un peu du précieux mycète sans lequel aucun établissement, aucune fourmilière de cette espèce n'est possible. Voilà un instinct bien remarquable chez le champignon-lichen et qui explique que ces végétaux puissent être si répandus. Quel- ques-uns qui vivent sur les rochers et même dans les roches grani- tiques les plus dures, granits, gneiss, quartz, ne forment jamais de sorédies, mais en revanche sont fendillés par les alternances de sécheresse et d'humidité, dans les hautes régions par la succession brusque du gel et du dégel. Le vent emporte ces poussières qui, de nature double, germent immédiatement si elles tombent sur un milieu propice. D'après Stahl, chez un lichen de rocher, Y ~En.doca.rpon piunlluin, les gonidies entourent les appareils producteurs de spores ; lors- que ces dernières sont éjaculées, elles emportent avec elles les cel- lules vertes nourricières. Le résultat théorique de cette symbiose, c'est, semble-t-il, de permettre à l'algue de quitter le milieu aquatique pour habiter le domaine, aérien. On est en droit de supposer que, lorsque les pre- miers lichens s'essayèrent à cette symbiose, ce dut être au bord des cours d'eau ou sur les pierres humides ; là, nous pouvons nous imaginer les algues unicellulaires ou des nostocs (Jiij. jj) s'es- sayant peu à peu à la vie terrestre, rencontrant des champignons qui, indifférents d'abord, finissent par saisir l'intérêt qu'ils ont à se servir de ces gonidies vertes, vraies nourrices, qui ne demandent qu'à faire une «ballade» dans le monde. Mais, comme toujours, notre imagination est trop pauvre ; elle revient inconsciemment aux mêmes clichés. Voulons-nous l'enrichir, allons puiser à la source même de l'inépuisable richesse : à la nature elle-même. Les orga- nismes unicellulaires ont, au contraire des plus compliqués, une distribution géographique immense. Nous avons vu les neiges de l'ancien et du nouveau Monde, de la calotte arctique et de l'Inlandsis antarctique, habitées par les mêmes plantes inférieures proto- phytes, les étangs du Bengale, du Cordofan avoir, en commun avec UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 77 les mares du Salève, en Savoie, un grand nombre de Protococca- cées vertes. A l'état de spores, à l'état de cellules dormantes, ces minuscules algues desséchées supportent des déplacements énormes. Emportées avec la poussière cosmique, elles font le tour du monde. On voit aux Canaries la côte orientale de Lanzarote et Fuerte- ventura couverte jusqu'au sommet des montagnes par le sable blanc que le vent de l'est apporte du désert africain, à travers une mer large de yb milles, ce qui équivaut à i35 kilomètres. Les spores des algues unicellulaires sont cent fois plus légères que Fig. 37. — Gonidie du lichen épiphylle qui vit sur les feuilles du buis; cette gonidie (algue verte) vit aussi à 1 état isolé, en liberté. On l'appelle Phycopeltis epiphytica. Gross. 420 fois. D'après Millardet. ces grains de sable. A plus forte raison, ces germes sont retenus par toutes les surfaces poreuses, rugueuses. On les voit, par exemple, pulluler sur les champignons subéreux, les Dédales, les Polypores, dont la consistance d'amadou se prête à la fois à pom- per l'humidité et à retenir les poussières. Examinez un peu plus loin ces écorces des arbres, à demi pourries, tout au moins fen- dillées : elles sont envahies, comme l'humus de la forêt, par un monde de champignons qui continuent la désagrégation, divisent la matière végétale et la rendent poreuse. Ce sont là aussi des sta- tions de prédilection pour les poussières vertes qui, du côté de l'ombre, dans le parc humide, ont saupoudré de leur pruine verte le tronc des grands arbres. Regardez sous le microscope cet enduit vert : on y voit au hasard des circonstances se faire des rencontres ; BIOLOGIE DES PLANTES des lichens rudimentaires, des algues libres, des filaments de cham- pignons qui enlacent d'une manière engageante quelques cellules vertes (fiteinii ; I, Chl. de Baryana, b, union de deux cellules pour former l'oeuf ; J, Chl globulosa, c, gamètes qui s'unissent, d, zygote, soit œuf fécondé Dess. de R. C. est chaude, nous mesurons la température de l'eau, elle dépasse 20". C'est que ces petites mares alpines peu profondes, alimentées par le suintement des ruisselets, peuvent, dans la journée, s'échauffer beaucoup. Il ne faut donc pas s'étonner si les organismes que nous allons y découvrir sont les mêmes que ceux que nous pour- rions observer dans une mare du Paraguay ou du Cordofan. Il y a d'abord tout un monde fourmillant de Chlàmydomoncu (Jit/- Jj) et d'autres algues unicellulaires de diverses espèces, à tous les degrés de développement ; les uns comme des obus qui décrivent une trajectoire tout en tournant sur leur axe, les cils 92 BIOLOGIE DES PLANTES en avant, d'autres, aplatis comme une raie, fendent l'eau en décri- vant de curieuses spirales, d'autres cheminent de compagnie quatre par quatre ou seize par seize et, comme associés au même radeau qu'ils mettent en mouvement, battent chacun de leurs deux cils comme des galé- riens faisant manœuvrer leurs rames ( fig. -J2). Mais ce qui va capti- ver notre attention, c'est le fait de trouver, à ce niveau si inférieur du règne végétal, tous les degrés, toutes les formes de la sexualité. Sans doute, il ne nous sera pas possible d'élucider tous les problèmes qui se rat- tachent à ces constatations, au cours d'une excursion de montagne. Il y faut bien des années de patientes investigations, de travail délicat et difficile, des cultures à propos desquelles chaque germe est trié soigneusement selon des méthodes à découvrir. Plus d'in- succès que de réussites, ce qui donne du prix aux quelques résul- tats positifs. Ce serait trop long d'exposer ici comment on arrive à séparer chacun de ces organismes et à le cultiver en dehors de toute contamination. C'est affaire de spécialiste et le grand public ne s'intéresse qu'aux résultats. J'ai actuellement en culture pure plus de cent quatre-vingts espèces de ces petits organismes verts, un jardin botanique en miniature dans lequel il faut que, dans un même enclos, il n'y ait qu'une seule espèce, issue d'ailleurs d'un seul germe. Il y a grandes difficultés d'empêcher que les mauvaises herbes, dans ce cas particulier d'autres micro-organismes (donc eux aussi microscopiques) ne viennent souiller ces cultures pures. Au lieu de la mare aux grenouilles, où pullulaient côte à côte bactéries, champignons, algues d'espèces variées, ainsi que, Fig. 42. — Colonie de seize cellules de Gonium pectorale mise en mouvement par ses cils HISTOIRE BIOLOGIQUE D UN TORRENT 93 dans une prairie, voisinent des végétaux nombreux et différents, on n'a maintenant, comme dans un champ de blé, plus qu'une seule espèce en culture. Mieux encore, car on n'3r voit pas, comme dans le plus soigné de ces champs, coquelicots, bleuets, nielles, ou ivraies. Examinons maintenant ensemble deux des organismes micro- scopiques qu'après de patientes recherches nous avons réussi à isoler de cette mare de montagne. Voici Y Hematococcus plupialif qui dans certains de ses états ressemble si fort à l'organisme de la neige rouge. Cultivé dans une eau très pure, à la lumière diffuse, il perd complètement sa couleur rouge et se multiplie avec une excessive rapidité. A la lumière et en milieu nutritif, il prend une couleur rouge brique intense. Alais quelque condition que nous fassions varier, il ne produit jamais autre chose que des cellules arrondies ou des cellules mobiles, des zoospores (//}/. _/j). Voici cette autre espèce qui lui est tout à fait semblable, elle produit avec facilité, à côté des zoospores, de plus petites cellules de même forme, mais qui, même dans de bonnes condi- tions, n'arrivent pas à se développer par elles-mêmes. Au cours Fie. 43. — Haemalococcus pluvialis (Sphacrella). A, B. F, zoosporcs. c cst-à-dire cellules mobiles : C, E, D, étais enkystés au repos, cellules pleines de matière rouge (hématochrome). Dess. de R. C. 94 BIOLOGIE DES PLANTES Fig. 44. — Chlamydomonas intermedia. A, cellules sexuelles variées; B, multiplication dans l'enveloppe de la cellule mère; C, union de deux gamètes; D, commencement de la soudure par un petit processus; E, F, G, H, fusion, états successifs; J, deux gamètes très inégaux; K, L, moins inégaux. , Dess de R. C. de leurs pérégrinations dans le champ du microscope qui sert à les observer, car elles ne sont bien visibles qu'à un grossissement de 5oo diamètres, on les voit s'approcher, se rechercher et, fina- lement, s'unir par deux et se confondre en une seule cellule arrondie qui est la zygote, l'œuf fécondé (Jùj- -/-/). Comment faut- il nommer ces deux cellules? où est ici le mâle, où est la femelle? Les deux cellules sont en apparence égales, mais la grandeur et la forme ne nous renseignent pas suffisamment. En effet, nous en HISTOIRE BIOLOGIQUE D UN TORRENT 95 Fig. 4461s. — Coujugaison chez un Spirogyra. 1, deux filaments se sont anastomosés, conju- gaison habituelle, en haut, passage de la cellule mâle, en bas, la zygote est formée ; 2, ici ce sont deux cellules du même filament qui vont se confondre, on voit la cellule mâle qui a percé la paroi, en train de passer dans la cellule femelle pour s'y fusionner ; 3, phénomène analogue ; 4, îd, ; 5, la fusion s opère entre des filaments distincts, mais en outre des processus sont attirés par la cellule femelle qui excite plusieurs cellules mâles. voyons qui passent indifférentes l'une à côté de l'autre : elles sont du même sexe, elles ne s'attirent pas ; en voici deux autres qui ne paraissent pas plus différenciées que les précédentes et qui, dès la première rencontre, se sont fait des avances, se sont rapprochées, ont fini par cheminer de compagnie et par se fusionner. La sexualité, ici, ne se traduit pas par quelque chose d'extérieur, pas plus que dans les algues dont nous avons fait l'histoire, la résistance au froid ou la capacité de produire du pigment ne se trahissait extérieurement par aucun signe visible. Il est beaucoup de ces unicellulaires chez lesquels la sexualité est ainsi rudimentaire. En voici une autre qui produit dans un même milieu, selon les lois du hasard, des gamètes ou cellules sexuelles de toute dimen- sion; alors on peut voir simultanément des fusions, des copulations 96 BIOLOGIE DES PLANTES entre des cellules égales, phénomène qu'on appelle isogamie ; puis entre des cellules faiblement inégales, c'est l'hétérogamie; enfin, entre des cellules très inégales (sexualité marquée) ; alors la cellule femelle peu mobile attire à elle un élément de même forme, mais beaucoup plus petit, très agile et le plus souvent très peu coloré, que les botanistes appellent par analogie avec les mêmes organes des animaux, spermatozoïde ou anthérozoïde ( fiq. _/./)• Chez toutes les plantes supérieures, ainsi les Fougères et les Phanérogames, ou plantes à fleurs, la sexualité est, comme chez les animaux supérieurs, traduite en dernière analyse par la réunion de deux cellules : l'une, immobile, plus grosse, la cellule femelle ou œuf; l'autre, mobile, plus petite, la cellule mâle ou spermatozoïde. Mais, tandis que chez toutes ces plantes supérieures la déter- mination du sexe est absolue, au moins chez les espèces dont les sexes sont sur des pieds séparés, chez beaucoup de ces unicellu- laires il y a une indétermination déconcertante. Examinons sous le microscope les filaments un peu décolorés de cette ouate verte qui flotte sur le bord de notre mare et qui est suspendue par les bulles d'oxygène qu'elle émet au soleil. C'est un Spirogyra, bien reconnaissable à sa bande verte spiralée. J'ai beaucoup étudié ce genre et j'espère avoir encore de nombreuses occasions de compléter cette étude. Dans les cas habituels, les filaments qui sont simples sont de deux sortes, sans que souvent il soit possible de distinguer le mâle de la femelle ; d'autres fois, les cellules du filament mâle sont plus courtes que celles de l'autre sexe. Tous les auteurs ont décrit la copulation d'une manière inexacte. Il faut tout d'abord que deux filaments de sexe contraire se soient accidentellement touchés ; alors , au point de contact, les deux cellules poussent un prolongement par lequel elles se soudent, elles s'anastomosent. Ce premier contact établi, l'irrita- tion sexuelle se transmet aux cellules voisines, et de nombreux ponts s'établissent (fîg. -f-f). Un peu plus tard, on voit le contenu des deux cellules copulatrices se détacher de la membrane, puis, par un orifice que perce le gamète mâle, celui-ci se déverse insensiblement dans la cellule femelle adjacente. Finalement, la cellule mâle" vidée est opposée à une cellule œuf, résultat de l'union de deux cellules vivantes. La zygote, comme on appelle Biologie des Plantes Planche Vil R. C. ciel. Algues du Plancton d'un marécage alpin. HISTOIRE BIOLOGIQUE D UN TORRENT 97 l'œuf fécondé, se contracte, s'entoure d'une coque solide et passe par un temps de repos. Ce n'est pas là le seul mode de fécondation ; il arrive, chez certaines espèces, que les cellules successives d'un même filament s'excitent sexuellement; alors, tantôt le contenu de la cellule mâle perce la paroi de séparation, tantôt l'anastomose se fait par des becs qui s'unissent en boucle des deux côtés de la cloison. Parfois aussi une même cellule femelle provoque la production de filaments mâles de plusieurs cellules qui convergent vers cet œuf sans cependant que la copulation se fasse entre plus de deux cellules. Comment une cellule mâle mobile ou non peut-elle percevoir l'excitation sexuelle et se comporter en conséquence? Cela est bien connu des cellules mobiles, des spermatozoïdes des fougères; on sait que ces éléments fécondants sont attirés dans l'œuf par l'excitation provoquée par la sécrétion d'un acide végétal, le même qui donne aux pommes leur saveur. C'est l'acide malique. On peut, le sachant, attirer ces spermatozoïdes qui, dans l'eau, sous le microscope, se mouvaient dans tous les sens, sans orientation spéciale, en leur offrant, dans un petit tube capillaire de verre, l'acide malique qui les attire. On les voit alors immédiatement cesser leur mouvement désordonné, s'orienter et, comme une troupe au commandement, se diriger en bon ordre dans la direction du tube acidulé. Finalement tous entrent dans cette trappe comme si c'était un canal conduisant à la cellule femelle. Voilà donc une découverte bien éloquente puisque, en substi- tuant à la nature- un appareil, on arrive à tromper les cellules mâles ! On a dès lors, et encore pour d'autres raisons, tout lieu de supposer que la cellule femelle, chez toutes les plantes, sécrète une substance qui, diffusant dans l'eau autour d'elle, avertit le gamète mâle, le guide et le détermine à s'approcher, puis à se fusionner. Chaque espèce, sans doute, sécrète autour de ses œufs des substances particulières, car il est bien rare que dans la nature les spermatozoïdes, ces cellules mobiles mâles d'espèces différentes, se trompent. La copulation même, en mélange complexe, se fait d'espèce à espèce avec une précision mathématique. Voyez ce qui se passe dans l'eau d'un lac tourbeux, comme le BIOLOGIE DES PLANTES lac Champex extraordinairement riche en Desmidiées {fig. -K), merveilleuses petites algues unicellulaires. Archer, qui en a suivi attentivement la copulation, nous dit que la meilleure preuve de l'existence d'un grand nombre d'espèces dans ce groupe d'algues, c'est la régularité avec laquelle chaque forme s'unit avec une forme Fig. 45. — Eau du lac tourbeux de Champex avec cellules de Desmidiées, vues de face et de profil, Cosmarium (1), Sphaero^oma (4) et divers Staurastrum. identique, non seulement semblable par le profil du contour, mais par tous les détails de la structure de l'enveloppe. N'est-ce pas l'un des sujets les plus merveilleux de la biologie que cet instinct qui permet (ordinairement, car il y a des exceptions) à chaque être de trouver son semblable, de le distinguer des espèces voi- sines et de maintenir ainsi la pureté de la race? Retournons à nos petites mares alpines dont l'eau verte, HISTOIRE BIOLOGIQUE D UN TORRENT 99 Fig. 46. — Pediastrui trouble, est d'une grande richesse en formes curieuses. La plupart de ces dernières, appartiennent aux Protococcacées, algues uni- cellulaires qui restent isolées ou se groupent en de bizarres associa- tions {fig. jj6, 47). Chez toutes, l'enve- loppe résistante, un peu épaisse, est con- struite de manière à les protéger contre les microbes voraces ou les champignons des- tructeurs. Dans les eaux des étangs, où ce danger est réel, on les voit, comme pour évi- ter cette infection, pré- parer, au moment de leur naissance, leurs cellules filles, en les dotant déjà de toutes leurs particularités, de celles surtout qui sont nécessaires à leur maintien dans le monde liquide, plein d'enne- mis, avant de les met- tre en liberté. Au mo- ment où elles quittent le ventre de leur mère, elles sont déjà armées pour la vie comme l'oisillon que la mère chasse du nid quand il peut voler de ses propres ailes (/( 4> 10> M) les mêmes arrange- ments qui, chez les algues vertes des maré- cages, assurent la suspension : les C3rclotelles (planche lrIII3), aux cellules en boîtes arrondies réunies les unes aux autres par des bandes gélifiées; (parfois, ces bandes gélifiées se tordent en spirales, ce qui leur donne plus de rigidité et augmente leur pouvoir de suspension) ; chez les Cymalopleura, la cellule s'est largement aplatie en disque; dans le Synedra longissima (planche VIIÎ10 eLfcg. 50), la cellule est deve- Fig. 5. Fragilaria crolonensis, diatomacée dont les cellules (indi- vidusjsont disposées en peigne. Dess. de R. C. 104 BIOLOGIE DES PLANTES nue une longue aiguille ; celles du Frag'daria crotonen/is {planche VIII4'14 et fit]. 57) se sont disposées en peignes, en bandes allon- gées, parfois tordues en spirales; dans Y Asteiionella (fig. 50), les cellules se disposent en gracieuses étoiles. Et ce qu'il y a d'intéressant, c'est que toutes ces élégantes architec- tures, qui semblent comme inventées à plaisir pour satisfaire notre besoin « d'explication finaliste », n'acquièrent toute leur valeur que dans les eaux qui semblent nécessiter par leurs propriétés une mise au point perfectionnée de ces mécanismes. Ainsi, dans les eaux plus froides, c'est-à-dire qui ont un poids spécifique plus élevé qui résistent, par conséquent, mieux à la pression des corps qui chutent et dont la vis- cosité est proportionnellement encore plus grande que l'augmentation de leur densité. C'est, en effet, un fait bien connu que la cohésion de l'eau, c'est- à-dire sa viscosité, diminue plus rapi- dement avec l'élévation de température que la densité. Ceci rend les particules de l'eau plus mobiles, plus aisément déplaçables, ce qui aurait pour effet une chute accélérée des organismes suspendus, si ceux-ci ne savaient régler leur surface de sustentation en consé- quence (//>. 52). J'ai fait faire par une de mes élèves, me de processjs allongés. M"e Ravss, à partir d'une des algues D'après le Dr Ducellier. " , , les plus plastiques des eaux pures, le Coelastrum proboscideum, une recherche étendue et méthodique pour donner à ce problème une base expérimentale. Les résultats étaient conformes à la prévision. Toute cause qui amène à une plus grande Fig. 52 — Coelastrum Chodati Colonie de cellules en boule, mu HISTOIRE BIOLOGIQUE D'UN TORRENT lo5 viscosité de l'eau ou à augmenter son poids spécifique a pour effet de diminuer la surface active de suspension et vice versa. L'organisme répond d'une manière adéquate aux changements du milieu. Nous ne sommes plus, à propos d'une étude de ce genre, dans la rêverie biologique qui cherche des intentions à la nature, mais on y fait usage d'une science saine, celle qui établit la relation de cause à effet. Mais reconnaissons que l'effet obtenu semble être celui qui pouvait être le plus utile à l'espèce, en cette occurrence. Tous ces organismes sont dispersés dans l'eau claire de telle manière que si on examinait au microscope l'eau même du lac, Fig. 53. — Chodatella echidna. Reproduction de la cellule (armée de piquants) par 4 cellules spores qui déjà dans la cellule mère acquièrent la forme et les processus de l'adulte. Espèce de viviparie. Dess de R. C. comme nous avons examiné la neige rouge ou l'eau de la mare aux ChLamydpmonas, nous n'aurions aucune chance de rencontrer un seul organisme dans la goutte d'eau mise sous la lentille du microscope. Pour étudier ces organismes, on traîne lentement un filet de soie à mailles très fines pendant plus d'un quart d'heure. On filtre ainsi à travers la soie des centaines de litres d'eau : les organismes retenus sur le filtre se concentrent et peuvent être dès lors étudiés sans peine. On remarque alors que beaucoup sont accompagnés d'auréoles gélifiées, espèces de parachutes très légers. Tout ce petit monde végétal vit |près de la surface du lac ; à mesure qu'on descend, la flore s'appauvrit ; il faut aux végétaux de la lumière et celle-ci est rapidement absorbée par l'élément liquide. A vingt mètres, il n'y a presque plus de vie végétale, et 06 BIOLOGIE DES PLANTES dans les grands fonds toute plante verte à chlorophylle a disparu. Le temps est particulièrement calme aujourd'hui, je vais louer une barque légère et, pendant que le batelier rame doucement, je laisse traîner mon filet très près de la surface de l'eau. On sent à la tension modérée de la corde que tout va bien et que l'eau ne rejaillit pas hors du filet. Un jour que je faisais de même au lac de Pala- dru, le batelier qui m'accompagnait et qui m'avait observé pendant un instant, timidement, mais d'un ton qui, pour être déférent laissait cependant percer l'ironie me dit : «L'an dernier, il y en a qui sont venus de Lyon avec des appareils pour prendre du poisson, mais ils n'en ont guère pris et c'étaient pourtant des appareils de pêche ; je crains bien qu'avec votre petit filet vous n'en attrapiez pas du tout. » Je lui montrais alors qu'il ne s'agissait pas de poissons mais de nouriture du poisson, de cette poussière vivante qui, dans les eaux des lacs et de la mer, travaille sans relâche à fixer du carbone organique, à assimiler ce qui est mort, ce qui est inerte, pour lui conférer cette puissance de vie que seuls les végétaux savent multiplier aux dépens du monde inanimé. J'essayai de lui faire comprendre que ces Diatomées prenant leur énergie au soleil, constituent les prairies sous-lacustres aux- quelles viennent brouter de minuscules animaux, Crustacés Rotilères, etc., qui, à leur tour, servent de nourriture aux pois- sons. Et pour pouvoir remplir leur rôle, il faut qu'elles restent près de la surface, là où la lumière est encore active ; et pour se maintenir à un niveau convenable elles ont comme inventé ces dis- positifs, les ceintures de sauvetage sans lesquelles elles seraient fatalement entraînées vers le royaume des ombres, où il n'y a, pour les fils de la lumière, pour des plantes à chloroptrylle, qu'un tombeau sans réveil. L'homme me regardait tout ahuri. « Sauf votre respect, me dit- il, je crains bien cependant qu'avec cet engin vous ne preniez pas du poisson. » — Grand merci pour votre judicieux conseil, mais nous n'allons, en effet, pas prendre du poisson, ce que nous récoltons, c'est la nourriture du poisson, du tout petit poisson. La pâture même du plus petit que le plus petit poisson. HISTOIRE BIOLOGIQUE D UN TORRENT 07 Voyez maintenant, après l'avoir traîné dans l'eau qui est fil- trée à travers les mailles, je retire mon filet; j'ai fait par ce temps calme une pêche miraculeuse. Si je lave mon filet, à l'intérieur, avec la dernière cuillerée d'eau qui reste au fond, celle que je fais découler dans un flacon préparé à l'avance est toute troublée, jaune, dorée par les millions de minuscules organismes que le filtre Fig. 54. — Botryocnccus Braunii, algue qui se maintient à la surface de 1 eau des lacs, grâce à son pouvoir de produire de l'huile qui fonctionne comme flotteur. A, vue de l'ensemble de la colonie, grossi 100 fois; B, portion de celle-ci montrant les gros globules d'huile excrétés (flotteurs); C, D, E, F. divers aspects du détail des colonies et des cellules. Dess. de R. C. a retenus dans ses mailles si serrées. Nous avons, au moyen de ce filet, filtré des centaines, des milliers de litres d'eau, et mainte- nant que nous avons rassemblé ces plantes éparpillées dans l'eau claire, ce fond de filet est comme un bouillon en fermentation, habité par une infinité de petites algues et d'infusoires. Il serait temps maintenant de nous rapprocher du bord et d'étudier au microscope, pendant qu'ils sont encore vivants, ces organismes du plancton1. Il s'agit de ne pas tarder, car la plupart 1 On appelle plancton le monde microscopique des eaux. BIOLOGIE DES PLANTES sont excessivement fragiles, excessivement sensibles. Hors de leur milieu naturel, ils meurent rapidement, sans qu'on ait pu savoir jusqu'à présent pourquoi. Cette fois-ci nous avons pêche tout près de la surface et, dans le flacon qui contient l'eau troublée par les organismes, on voit déjà à l'œil nu nager des corpuscules verts qui ne sont pas comme les autres, entraînés au fond en une masse plus ou moins gélati- neuse. C'est le Botiyococciur Braunil dont jai élucidé en 1896 la singulière biologie (planche VIII15 el fig. 5./). Les cellules en cône assez obtus sont groupées en gâteaux irrégulièrement bosse- lés, comme fichées dans une pâte gélatineuse ; tout autour des gâteaux, eux-mêmes irré- gulièrement disposés autour d'un centre organique, il y a une vésicule gélatineuse peu consistante. C'est à l'intérieur de cette vésicule et tout autour des cellules que le BoLryococcué sécrète une huile abondante, qui lui sert de flotteur; ceci fait que, invariablement, l'algue qui serait assez lourde par elle- même et dont les gâteaux at- teignent parfois jusqu'à 1-2 mm. de diamètre, submergée par le mouvement de l'eau, revient subitement à la surface comme une bouée insubmersible. Je ne connais d'ailleurs que cette seule espèce qui fasse ainsi. C'est une algue très répandue et très variable. En hiver, par les belles journées ensoleillées, elle colore son huile en rouge, comme le fait sur la neige le Chlainydomonas nivatif. Mais ici, l'huile excessivement abondante n'est pas une réserve, elle est une sécrétion extracellulaire qui allège la plante et que la moindre pression, sous le microscope, fait déborder en grosses gouttes confluentes. Quel est maintenant cet organisme dont les cellules en boudin sont attachées les unes aux autres comme les articles d'un saucis- Fig. 55 — Deux algues pélagiques du lac de Genève. A gauche, 1 Ana- baena circinalis. espèce de Nosto- cacée, à droite. 1 Oscillatoria ru- bescens ; les deux contiennent dans leurs cellules des vacuoles remplies d'un gaz qui les allège. Dess. de R. C. HISTOIRE BIOLOGIQUE D UN TORRENT ÎOÇ son. Il est beaucoup plus petit que le BoLryococcus et d'une cou- leur vert-de-gris bien singulière. A un fort grossissement, je vois ses cellules farcies de globules rouges (fig. jj). Avec la même persistance, avec la même insistance il revient à la surface comme allégé par un flotteur. Mais j'ai beau chercher, je n'y peux trouver, comme dans l'autre espèce, de vé- sicule huileuse. Il faut songer à autre chose. Alors je me rappelle que Y Anabœna appar- tient à ce groupe des algues bleues dont plu- sieurs forment, dans les étangs, les lacs et les mers, des fleurs d'eau étendues. Au lac de Morat, l'une de ses congénères couvre par- fois en hiver toute la surface ; il arrive sou- vent, après des pé- riodes de calme pen- dant lesquelles l'algue a pu librement se mul- tiplier, s'accumuler à la surface, que le vent du nord ramène vers le rivage ce s algue s flot- tantes. Alors, comme leur couleur verte est masquée par un pigment rouge, l'écume du flot qui déferle sur la plage sablonneuse semble souillée d'un sang en décomposition. C'est ici qu'en 1476 les Suisses défirent les Bourguignons et Charles le Téméraire. La superstition po- pulaire y voit le retour périodique du sang des Bourguignons. On retrouve cette Oscillaire dans plusieurs lacs suisses. A Zurich, elle se tient régulièrement à i3 mètres de profondeur; Fig. 56 — Section à tra- vers la coquille d'une Anodome, perforée par les filaments du Foretiella pertorans ; C, vue de 1 apparence de 1 algue à la surface. Dlss. de R. C. BIOLOGIE DES PLANTES dans le lac de Genève, elle est excessivement rare. Je l'ai aussi rencontrée en grande abondance au lac de Varèse, dans la Haute- Italie. La couleur qui a valu son nom à la mer Rouge est due à l'abondance d'un organisme analogue. Chez tous, le flotteur est interne. Il s'agit d'un gaz dans lequel j'ai cru reconnaître de la méthylamine, gaz qui serait sécrété directement dans le plasma vivant et qui, ne pouvant se dissoudre dans la cellule, donnerait naissance à ces curieux globules rouges qui se font remarquer chez toutes les espèces flottantes de ce groupe si riche en espèces curieuses. On rencontre dans ce groupe des cellules arrondies, des cel- lules disposées en chaînettes, des cellules comme chez les Oscilla- torla, arrangées en longs bâtons oscillants, des filaments terminés par un long poil, etc. Dans un grand lac à eau pure, elles ne jouent qu'un rôle subor- donné comme élément de la flore pélagique (plancton), mais sur les bords elles reprennent leur importance. Les unes, ainsi au Roc de Cher au lac d'Annec3r, et en plusieurs endroits de la rive vaudoise du Léman, contribuent à déposer des tufs sous-lacustres comme elles le font dans beaucoup de thermes. Sur le rivage de nos lacs jurassiques, certaines d'entre elles, qui sont très minces, pénètrent dans les pierres calcaires, dans la pierre des galets de la beine. Peu à peu elles carient le caillou, comme les bactéries carient nos dents si nous n'y mettons bon ordre. Comme la pierre est d'une structure hétérogène, leur action s'exerce irrégulière- ment ; de là ces dessins méandriques qu'on observe sur les galets sculptés des lacs de Genève, mais surtout de Bienne et de Neu- châtel. Tous les goûts sont dans la nature, les Anabœna préfèrent se laisser balancer au gré du flot, les Scbïzolhrix, leurs voisins, ont le pouvoir de s'enfoncer dans les pierres. Il y aurait à décrire la manière curieuse dont elles usent pour déliter le caillou, com- ment en sécrétant, autour de leurs filaments ténus, des gaines qui gonflent plus tard, elles ébranlent la structure compacte de la pierre, comment finalement elles dissolvent le calcaire. Mais ceci nécessiterait des développements qui ne sont pas de mise ici. Il convient cependant de raconter ici l'histoire étonnante d'une algue que j'eus l'occasion de découvrir au lac de Genève, en 1897. HISTOIRE BIOLOGIQUE D'UN TORRENT Fig. 57. — Section à travers la coquille d une Anodonte, passant par le côté interne. On voit ligue qui a traversé la couche nacrée, venir pousser et y provoquer la formation de petites perles filaments suçoirs du côté du manteau Dess. de R. C. C'était par une froide journée d'hiver, le hasard de la promenade m'avait amené sur le rivage de la Pointe à la Bise, à la Belotte, près de Genève. Pendant que j'examinais les cailloux du rivage couverts d'algues, ma petite fille pour passer le temps ramassait des coquillages et en particulier des valves d'anodontes, dont la face intérieure nacrée charmait, par ses couleurs irisées, son ima- gination enfantine. Encore pour passer le temps, son père s'ab- sorbant dans ses observations, ne sachant plus que voir, elle imagina de regarder le soleil au travers de ces lunettes translu- cides, lorsque tout à coup elle m'appelle : « Papa, il y a une tache noire dans cette coquille». On voyait nettement quelque chose qui empêchait le passage de la lumière au travers de la masse autre part opalescente. Il ne pouvait s'agir que d'un organisme étran- ger à la coquille, et ceci fut confirmé par la couleur verte de la tranche de la valve brisée. Il ne faut jamais laisser passer la chance. Je me mis immédiatement à la chasse, cherchant dans l'eau les anodontes vivantes, qui se placent perpendiculairement dans la vase, en laissant sortir une partie de leur valve. Dans ces occasions, le biologiste n'hésite jamais ; il entre résolument BIOLOGIE DES PLANTES dans l'eau pour y recueillir les précieux objets, observer «in situ» la manière dont se comportent l'hôte et le parasite. Trempé jus- qu'aux os, — une fois n'est pas coutume, — ■ je renonce au tram pour me réchauffer, et je rentre au plus vite pour étudier ma précieuse trouvaille. L'aventure en valait la peine ; il s'agissait d'une plante tout à fait exceptionnelle: une plante verte qui eût pu si elle l'eût voulu (!) vivre honnêtement dans l'eau ou se borner à ronger des pierres. Mais l'occasion, l'herbe tendre... j'allais oublier que la coquille d'une anodonte n'est pas justement un mets délicat. Il fallait, pour qu'il en valût la peine, arriver au contact du manteau de l'animal, là où il y avait quelque avantage nutritif et, pour ce faire, notre algue verte se met à percer la valve du Lamellibranche comme au moyen d'une tarière {fig. 56), ne s'inquiétant ni de la direction des couches, ni de leur dureté re- lative, traversant cette ma- tière solide de la couche cor- née et de la couche prismatique comme si c'était du beurre, puis s'étalant contre la surface du manteau en un réseau qui ressemble à un système d'ab- sorption. Il est difficile de dire ce que cette plante retire de cette vie en commun avec le Lamellibranche vivant, mais il est bien évident que ce n'est pas pour satisfaire à une pure gloriole d'algue verte en veine d'excentricité qu'elle se met à percer les valves des ano- dontes et à pousser des suçoirs vers le manteau {fig- 57), vers les muscles qui commandent au mécanisme de cette coquille. Fig 58. — Bord méridional des cent chutes de Depuis lors, les anodontes lYguazu Stations de prédilection des Podosté- , j •» • monacées. D après Chodat et Vischer. sont devenues rares; ) ai sou- HISTOIRE BIOLOGIQUE. D UN TORRENT vent songé à reprendre cette étude, à suivre pas à pas et à loisir l'infec- tion de l'animal par la plante, la réaction pro- gressive de l'anodonte qui produit, en réponse à cette excitation, des espèces de perles. Com- ment le Forellella 1 — c'est le nom que j'ai im- posé à cette algue per- forante — se dissémine- t-il. Peut-il vivre sans son hôte? dans quelle mesure l'Anodonte en est-elle affectée ? Ce sont là des problèmes qui attendent leur solu- tion. Comme le dit un proverbe populaire de chez nous, qu'un artiste de mes amis grava un jour sur le fond d'une boîte, en souvenir d'une soirée charmante: « Il n'y a rien de si patient que le travail qui attend qu'on le fasse». Combien de problèmes qui attendent depuis longtemps leur solution. Il faudrait avoir des loisirs, et les professeurs ne les con- naissent que d'ouï-dire. Ils comptent sur leurs élèves, mais la plu- part des élèves d'aujourd'hui sont des forts en thème qui fréquen- tent assidûment les cours et les laboratoires et ne voient la nature que par les lunettes de leurs livres ou l'interprétation de leur ma- gister. Ils disent que nous avons de la mémoire, mais la vraie mé- moire, c'est le souvenir des choses vues, des expériences faites, des longues heures passées à épier un phénomène, en un mot c'est le travail personnel, face à face avec un problème difficile. Mais, disent-ils, si les professeurs étaient persuadés de cela, s'ils étaient conséquents, ils n'écriraient pas des livres ! 1 En l'honneur de F. A. Forel, le fondateur de la Biologie lacustre. Fig. 5ç>. — Apinagia yeua^uensis Apparence des pousses algoïdcs. Réduction d'un sixième. Phot. d après Chodat et Vischer. 11 4 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE Chodat, R. — Algues vertes de la Suisse. Berne (1902). — Etudes de Biologie lacustre. Bull, de l'Herbier Boifjier (1897, 1898). — Sur la structure et la biologie de deux algues pélagiques. Journal de Botanique, Paris (1896). SAUVAGEAU, C. — Sur la présence de Y Hydrurus joelldus à Lj-on. Journ. de Bot. (1895). FOREL, F. A. — Le Léman, Monographie liranologique, III (1901), Lausanne. Bachmann. — Das Phytoplankton des Susswassers. Luzern (1911). Le Roux. — Recherches biologiques sur le lac d'Annecy. Ann. Biol. lacustre. Bruxelles (1907). Wesenberg-Lund. C. — Studier over de danske scers planhton. Kjobenhavn (1904). Biologie des Plantes Planche IX «. C del. Podostémonacées des chutes de l'Ygna^u et de l'Alto-Parana. Cascades et Podostémonacées. (Planche IX.) IL est pour le moins singulier que seuls les rapides, les cas- cades des tropiques aient réussi à développer une flore parti- culière. Les belles chutes du Niagara, celles du Rhin ne montrent sur leurs rochers battus par le courant que des algues, incrustées dans la pierre, ou des mousses. Cependant, en cherchant un peu, il ne serait pas difficile de trouver aussi chez nous, dans les torrents, même jusqu'à leur ori- gine, des espèces spéciales. N'avons-nous pas parlé plus haut de cette Flagellée dorée qui se développe et se maintient dans l'eau agitée des torrents de montagne {planche V~). Sur un revêtement visqueux fortement adhérent à la pierre, elle pousse des espèces de filaments qui par leur consistance muqueuse n'offrent à l'action déchirante du remous de l'eau qu'un minimum de résistance. Chose singulière, elle est la seule de son groupe qui soit arrivée à former de semblables chevelures. Car tous ses congénères sont des végétaux unicellulaires, rarement associés en petites boules ou en espèces de fascicules. Celle-ci, par un mode singulier de croissance, après sa division, qui se fait, comme chez toutes les Flagellées, par un plan longitudinal de seg- mentation, fait glisser l'une des deux cellules en arrière, tandis que la première, qui conserve le pouvoir de se diviser active- ment, se segmente de nouveau et ainsi de suite {fi(j. jo, B). On pourrait presque dire que les cellules s'ajustent successivement comme si elles grimpaient les unes sur les autres. Chez d'autres, chaque cellule irait errer au loin, dans l'eau ; ici, dans l'eau cou- rante, il se forme autour de chacune un fourreau de mucus qui, se confondant avec les précédents, retient ces unicellulaires en un filament, lequel peut atteindre plus de 10 cm. de longueur (fig. 40). Plus bas, dans le ruisseau aux eaux rapides, les mousses Fontinalur semblent courir avec l'eau qui entraîne leurs longues BIOLOGIE DES PLANTES Fig 60. — Podostemon Warmingii, 1, 2, 5, fleur, on voit en 2 et 5 la fleur nue qui a rompu la spathelle, espèce de coiffe dans laquelle elle était enfermée alors que la plante était submergée ; il y a deux étamines portées sur un filet commun bifurqué, et un pistil à deux stigmates; 3, base d'une feuille avec sa stipule, on voit la feuille avec son limbe divisé en deux a la base de la fleur, et à l'opposé une jeune feuille. — Apinagia yguaçuensis, 4, base de la plante avec son disque d'adhésion, le stipe de son thalle ; en 6, 7, les lames qui ressemblent à des algues. D'après Chodat etVischer. tiges flexibles (Jig. J(f)- Ce sont aussi les plus robustes de nos mousses. Cependant, aucune plante à fleur, phanérogame, ne se ren- contre dans nos eaux fortement agitées. C'est à peine si, dans les rivières à courant marqué, les Potanwgeton et les Zanichellia, comme la mousse citée plus haut, en longues chevelures, indiquent la direction du courant. Mais dans la nature tropicale qui est si CASCADES ET PODOSTÉMONACÉES 117 riche, il y a une famille de plantes à genres nombreux et à espèces excessivement variées qui s'est fait une spécialité de ces localités. Découvertes pour la première fois dans les rapides de la Guyane française, les Podostémonacées ont dès lors (1770) été retrouvées dans les principales rivières et fleuves de l'Amé- rique tropicale et subtropicale. La station la plus méridionale est celle du Salto-Grande de l'Uruguay; la plus septentrionale est aux Etats-Unis (Mass.). En Afrique, on les connaît surtout du Ca- meroun ; aux Indes, M. Willis les a étudiées à Ceylan, dans les Nilghiries et jusque dans le Khasia (////. 6j). Si je décrivais tout de suite leur apparence, le lecteur pourrait douter" de leur réelle situa- tion systématique. Il les prendrait pour des Lichens d'eau, des Hépatiques ou des Mousses aquatiques, ou même pour des Algues marines qui auraient remonté les fleuves, changeant le régime salé pour celui de l'eau douce, comme le font certains poissons migrateurs. Et cependant ces plantes qui, dans leurs appareils végétatifs, ne rappellent en rien les Phanérogames, ont des fleurs, des étamines et des pistils comme tant d'autres (fi-| — Vue d'une partie des cent chutes l'Yguazu, côté de l'Argentine. D'après Chodat et Vischer. BIOLOGIE DES PLANTES 78)> _ Chez ces curieux végétaux le marécage n'est donc pas tout autour, il est dans la plante elle-même. En Europe, nous n'avons guère que les Dipsaciur qui, par la soudure de la base de leurs feuilles, récoltent l'eau de pluie et la ^ ,a^E Fig 77. — Bromelia Serra Fourré d'une Bromé- liacée dont les feuilles en chéneau dirigent l'eau vers le centre. D après Chodat et Vischer. 38 BIOLOGIE DES PLANTES conservent pendant la toute première période de leur végétation, c'est-à-dire avant l'allongement de leur tige florifère. Si nous avions la curiosité de nous approcher, d'examiner le contenu de ces sacs remplis d'eau nous y trouverions tout un monde d'organismes en voie de putréfaction, une véritable sen- tine, et cependant ce liquide nauséabond ne cause aucun préjudice au végétal supérieur qui paraît vouloir, au con- traire, maintenir à la fois la fraîcheur de ses vigoureux bour- geons et leur assurer un sup- plément de nourriture azotée. Chez nos grandes Bromé- lia, le liquide est ordinaire- ment plus clair, moins nauséa- bond. Cependant, avec le temps, il prend une teinte colo- rée jaunâtre ou brunâtre comme l'eau d'un marécage ou d'une tourbière. Pour de si grandes plantes l'enracinement est mé- diocre ; sans nul doute, l'eau conservée autour de la jeune inflorescence favorise son déve- loppement rapide. On la voit en peu de jours, comme une asperge vigoureuse, et géante, s'élever du cœur mouillé et épanouir ses fleurs. Puis, quand, par les colibris, la fécondation est opérée, les fruits agrégés à la base de chaque fleur, à l'aisselle d'une écaille, se développent en de grosses baies juteuses. L'ananas, qui est une plante du même pays, mais qui préfère les bois humides, remplace lui aussi le gros pompon de bractées roses et de fleurs pourprées, par une accumu- lation de baies qui, avec la tige charnue, forme la grosse pomme de pin comestible bien connue. Fig. 78. — Aechmea polystachya (comparez avec la planche X) dans les sables du Chaco : on voit bien les feuilles en chéneau qui conduisent l'eau d'une manière centripète aux citernes formées par les gaines. D'arpés Chodat et Vischer. CITERNES VÉGÉTALES ET MARÉCAGES SUSPENDUS l3o. Allons maintenant plus à l'ouest vers les plaines arides, par- fois inondées, parfois desséchées, du Gran-Chaco. Mêlé aux grands Palmiers à cire ou aux Espinillares presque impéné- trables, sur les argiles comme sur les sables et autre part aussi sur les rochers les plus secs, un autre représentant de cette fa- mille, X Aechmea polystachya, haut de quarante à soixante centimètres, presse les unes contre les autres ses touffes rigides {planche X cl fig. jH) ; ses feuilles dressées ou à peine étalées vers l'extérieur, de couleur glauque, vert bleuâtre, semblent faites de tôle vernie. Elle aussi, au moment de la floraison, pousse une tige, couron- née d'admirables calices roses et de bractées écarlates. Appro- chons-nous, malgré les épines qui nous déchirent les mains, en a3'ant soin d'éviter les serpents qui souvent aiment à se réfugier dans ces brousses. Chaque feuille nous apparaît comme un ché- neau qui se dilate à la base en une citerne pouvant contenir jus- qu'à un demi-litre d'eau. Le voyageur, par la sécheresse terrible qui, dans cette région, dure de longues semaines, peut trouver ici le salut ; c'est un puits dans le désert. Je dis qu'il peut, il aurait fallu dire il trouve de quoi étancher la soif qui le brûle. Nous avons circulé dans ces parages par S1/" de chaleur, alors que l'eau dans nos gourdes s'était, au soleil, échauffée jusqu'à 410. Mais nous savions trouver le soir au campement l'eau nécessaire à calmer notre soif. Dans ces conditions, le voyageur, s'habitue ra- pidement à boire des eaux brunes du marécage, à plus forte raison de l'eau moins réellement croupissante des citernes de nos Aechmea (Bromelia). M. Barbrocke Grubb, dans son beau livre d' Un peuple inconnu dans un pays inconnu (Les légendes dans le Chaco) nous raconte une halte dans le désert en ces termes : « Comme la sécheresse durait depuis quelque temps, il n'y avait plus à notre disposition que l'eau qu'on pouvait trouver dans la plante Caraguata (on nomme ainsi toutes les Broméliacées-citernes), qui est le salut des voya- geurs dans le Chaco pendant la saison sèche. Les longues feuilles en chéneau rassemblent la rosée et la pluie, et c'est ainsi qu'une provision d'eau est conservée pendant quelques mois. J'accompa- gnai les femmes dans la forêt (clairière), là où cette plante utile 1/fO BIOLOGIE DES PLANTES se rencontre ; nous avions apporté avec nous tout ce que nous avions de pots et de jarres en terre. «Le Caraguata, qui ressemble extérieurement à un grand aloès, est muni d'épines nombreuses, ce qui empêche les animaux d'en boire l'eau et ce qui, d'autre part, le rend difficile à manier. Au moyen d'un couteau (machete), nous coupons en travers les som- mets épineux des feuilles sans détacher la plante de ses racines ; nous les tenions par-dessus des pots d'argile et, les poignardant par en bas, nous laissions l'eau s'échapper des «citernes». Chaque plante nous donnait une grosse tasse d'eau. Chaque fois qu'un des vases était rempli, nous filtrions l'eau d'un pot dans l'autre en la faisant passer au travers d'un tampon d'herbes, pour la débarrasser du grand nombre d'araignées et d'autres insectes, comme aussi des débris végétaux, qui s'accumulent dans ces plantes. » Et, dans un autre voyage : « Nous voyageâmes ainsi jusqu'au milieu du jour à travers un pays ouvert et des forêts de palmiers, et comme nous avions une soif intense, nous nous mîmes à la recherche de bosquets dans lesquels nous aurions quelque chance de trouver des Caraguata, mais nous ne trouvâmes que des indi- vidus presque à sec...» Voici donc des végétaux qui, pendant de longues semaines, se maintiennent frais par cet ingénieux système des citernes foliaires. Grubb dit que ces feuilles récoltent la rosée ; cela peut paraître surprenant dans un pays dont on parle avec terreur à cause de sa sécheresse. Mais justement ces plaines et ces rochers brûlés par le soleil ardent du jour, sont froids par les nuits claires; elles sont nombreuses et rafraîchies par le rayonnement intense. Nous avons assisté en plein hiver à des variations de température vraiment surprenantes. A une heure de l'après-midi le thermomètre marquait Zj°. Ce n'est qu'avec peine que sous ce soleil implacable nous pouvions encore nous intéresser aux parti- cularités biologiques si curieuses de ces déserts, notant, photo- graphiant, examinant sous la loupe ce qui attirait notre attention, nous efforçant de ne pas nous laisser gagner par l'indifférence, la paresse. Et puis, la nuit, sous la tente, la température baissait, vers les 4 à 5 heures du matin, à 40. Dehors, le thermomètre CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 141 marquait 1° ou 20; une abondante rosée couvrait les plantes et les Caraguata, avec leurs feuilles dressées, étaient particulièrement aptes à diriger cette abondante rosée vers leurs citernes, d'autant Fia. 70. — Aechmea pulchra. Broméliacée arboricole (comparez avec fig. 78), dont l'ensemble des feuilles constitue un entonnoir plein d'eau. D après Chodat et Vischer. mieux que leur surface, couverte de poils, ne se laisse pas mouil- ler dans leur moitié supérieure. Nous ne nous étonnerons dès lors plus autant de trouver, sur les arbres du sud de l'Amérique une vraie cohorte de Bromélia- 1^2 BIOLOGIE DES PLANTES cées de tous genres. Tout d'abord, un Aechmea (A. pulcbra) très semblable au précédent et dont les racines ne servent guère qu'à fixer la plante à l'arbre, mais qui, soit par leur structure — ■ ce sont plutôt des câbles — soit par leur masse, sont incapables d'alimenter en eau cette grosse plante épiphyte. D'ailleurs, soit l'écorce ru- gueuse de l'arbre, soit le peu d'humus qui s'est accumulé autour des racines fixatrices ne pourraient être utilisés parla plante comme réservoir d'eau. La plante Broméliacée se tire donc d'affaire en utilisant l'eau qui, inévitablement s'accumule à la base de ses feuilles, dans les citernes déjà décrites (f'uj- jg). Le botaniste qui des troncs détache ces gros bouquets de feuilles renverse involon- tairement leur contenu sur sa tête. Parfois, sur un même tronc, se sont groupées plusieurs espèces : des Billbergla, aux magnifiques inflorescences pendantes, rouges, bleues et vertes (planche X\, des Tillandsia aux feuilles renflées à leur base en une outre, dont l'ori- fice étroit est en communication avec l'étroit limbe canaliculé, des Nidulariiiin, vrais entonnoirs (fuj. 96), dont le cœur est égayé de bractées roses ou écarlates. Chacune de ces plantes retient, d'une manière ou d'une autre, une quantité considérable d'eau, qui y persiste pendant toute la saison sèche; là pullulent les organismes habituels des marécages. On y peut récolter des algues vertes microscopiques, des Diatomacées, des mousses et des hépatiques aquatiques. Même des plantes supérieures y élisent domicile et quelques-unes semblent avoir choisi ces stations de préférence, comme ces Utriculaires qui, vivant dans le minuscule marécage, dans le puits rempli d'eau, grimpent d'une citerne à l'autre au moyen de tiges allongées, émettant de longs flagelles dont le som- met, attiré par l'eau, vient plonger successivement dans ces lacs groupés autour d'un centre organique ou étages sur les branches. Dans la forêt tropicale ou subtropicale, quand à la faveur d'un cours d'eau on peut en voir l'intérieur, c'est une vraie merveille que ces Broméliacées épiphytes, plus vivement colorées que les plus belles Orchidées, garnissant les grosses branches et suspen- dant leurs brillantes inflorescences au-dessus de l'eau noire ou éclatant de couleurs, qu'elles savent rendre brillantes par la pro- duction d'espèces de cellules, de lentilles qui, collectant la lumière, brillent dans l'ombre comme autant de pierres précieuses. Certains CITERNES VEGETALES ET MARÉCAGES SUSPENDUS 143 botanistes attribuent aux plantes des 3'eux et localisent dans l'épiderme des feuilles un S3rstème de lentilles qui, comme le cristallin de notre œil, sait faire converger la lumière sur un fond coloré. Je n'irai pas jusqu'à parler d'yeux à propos de plantes, car un œil, ce n'est pas seu- lement une lentille, un appa- reil qui reproduit une image, c'est cet organe sans pareil qui sait voir, qui s'adapte, qui s'efforce, qui scrute, qui est relié à un cerveau. De tout cela, nous ne trouvons guère que des rudiments dans le végétal, et cependant avec quel soin ne semble-t-il pas attirer parfois l'attention sur lui, souvent, comme ici, se parant bruyamment, avec une exubérance de couleurs qui, autre part que sous les tropiques, paraîtrait de mauvais goût (planche X). La vivacité du coloris dépend sans doute le plus souvent de l'intensité de la lumière ; mais ici nous voyons la Nature si déconcertante parer, dans la forêt même, les Broméliacées des plus étonnantes teintes et des contrastes les plus accentués. Dans cette forêt sombre ne voyons-nous pas aussi les Rubiacées, aux corolles translucides, briller comme des améthystes, des fruits don- ner des feux comme des rubis, et les feuilles de certains Poivres luire comme de superbes émeraudes. Si nous en avions le loisir, nous pourrions montrer que ce ne sont pas, pour la plupart, des bizarreries, mais que ces yeux de couleurs variées, qui dans l'ombre brillent comme ceux d'un félin, assurent au végétal qui les possède Fie. 80 — Bromelia du Paraguay, en fleur, aux bractées rutilantes et aux feuilles fonctionnant comme chéneaux. D'après Chodat et Vischer. 1^4 BIOLOGIE DES PLANTES un avantage indiscutable. Dans tous les cas, nous n'avons pas de peine à en imaginer un. La question est toujours la même : vivant dans telle station, cette plante est comme construite pour y vivre. Partant de ce point de vue, nous pourrions poursuivre l'histoire de nos plantes de marécage, lesquelles ayant abandonné la mare de leurs ancêtres ont continué, sur l'arbre, à vivre dans l'eau et à se comporter comme des plantes aquatiques. En effet, leurs racines ne servent guère qu'à les fixer ; elles n'acquièrent jamais le grand développement de celles des plantes terrestres. Emigrées sur les arbres, les Broméliacées continuent, accentuent même cette réduction des racines qui, chez beaucoup d'espèces, ne sont plus, au moment de la croissance et du développemert des fleurs, que des cordons desséchés, de nature cornée, noircis et qui, en cram- pons, se sont attachés à l'arbre-support ou qui, se moulant sur l'écorce fissurée, s'y sont collés comme par une masse adhésive. Les feuilles de toutes ces Broméliacées ont une structure qui, au point de vue physiologique, paraît contradictoire. Une section pratiquée au travers du limbe montre qu'il y a, du côté supérieur, au-dessous d'une épaisse cutine, espèce de vernis protecteur, un tissu de cellules incolores, véritable réservoir d'eau comme celui qui se forme dans la majeure partie des plantes grasses, chez les plantes des rochers secs et des déserts. A la face inférieure, ce tissu aquifère alterne avec un tissu vert en relation avec les sto- mates, petits orifices qui permettent la respiration, l'assimilation de l'acide carbonique et la transpiration. Mais ce tissu est construit comme chez une plante aquatique. Les cellules étoilées laissent entre elles de grosses lacunes. Cette structure de plante aquatique s'exagère encore dans la citerne, dans la région qui est inondée. La plante citerne hésite donc, comme beaucoup de plantes de marécage, entre le danger d'être étouffée par l'eau peu aérée et celui non moins réel (pour la portion qui hors de l'eau est exposée à la lumière et à l'air) d'être desséchée par le vent, la chaleur et la lumière. La Broméliacée-citerne pare donc adroitement à ces deux dangers contraires. Protégée contre une rapide dessiccation, soit par ses réser- voirs internes, cellulaires, soit par sa carapace de cutine, la Broméliacée peut puiser l'eau nécessaire à couvrir son déficit de CITERNES VÉGÉTALES ET MARÉCAGES SUSPENDUS 45 transpiration par les poils absorbants en écusson qui tapissent la région inondée des citernes et dont le pied s'enfonce dans la feuille en tissu conducteur. On trouve aussi sur la portion exondée du limbe des poils • ï Ja'^&vi / : i ~ 't. **Jr \ .' a- tr,,,.v\ ■■ c 3|p *Q4:' Y VMJk/' -^fc^ "'-■ ■''--<£ . 3 w^'--^r*t--^ 1 , ♦■■'■■ ^JSr -£ m ' Fig. 81. — Myrtacée du Paraguay, sur les branches de laquelle sont venus se fixer des Tillandsia ; on voit en haut des toulïes grises, portant des tiges dont les unes laissent pendre les capsules (fruits) ouverts (au milieu de l'espace entre les deux branches) : de jeunes plantules se sont implantées en dessous (étoiles blanchesi (Tillandsia loliacea). D'après Chodat et Vischer. semblables qui se laissent mouiller avec rapidité. Ces deux carac- tères, citernes et poils absorbants des feuilles, permettent de comprendre la biologie d'autres Broméliacées. Les unes ont encore des citernes et sont intermédiaires entre les précédentes et les autres qui, dépourvues d'appareils pour conserver l'eau et, comme nous allons le voir, de racines pour l'extraire du sol, de l'écorce ou des rochers, vivent exclusivement de l'air, ce qui leur a valu le nom caractéristique de « Flor del aire». Celles- ci appartiennent toutes au genre Tillandsia. Il en est de très 46 BIOLOGIE DES PLANTES petites, à peine d'un pouce de longueur ; d'autres, plus rares, attei- gnent jusqu'à un mètre et plus de hauteur. Chez ces plantes qui vivent exclusivement ou sur la couronne extérieure des arbres de la forêt tropicale, exposées à la vive lumière {fig. 81), ou sur les branches des grandes épines des Espi- nillares des plaines para- néennes ou chacoennes, les feuilles sont couvertes d'un indûment presque continu de poils en écusson qui vont, en entonnoir, s'implanter dans la feuille. Par le temps sec, ces poils appliqués contre la feuille lui donnent une apparence finement cha- grinée, comme poussiéreuse, comme parsemée de petites écailles nacrées ou argentées {fig. 88, 8g). Par le temps humide, cette apparence de lichen, d' Usnea ou de Cetra- rla, disparaît et fait place à une teinte vert grisâtre. Du milieu des petites rosettes aux feuilles étroites, en bouquet, part une tige florifère munie d'écaillés et terminée par quelques fleurs dont on ne voit poindre, hors des bractées imbriquées, que la corolle tri- lobée. La couleur en est généralement pâle, jaune ou violacée. Fécondées, ces fleurs produisent une espèce de longue. sili que dans laquelle mûrissent des semences minuscules, fusiformes, accom- pagnées par une aigrette de poils, soyeuse ou cotonneuse. A la maturité, on voit ces étroites siliques s'ouvrir sous la pression des poils qui foisonnent, et les semences, allégées par leur fine cheve- lure, se laisser balancer par la brise et transporter par les remous du vent, un peu comme chez nous, au printemps, sont disséminées les semences des peupliers {fig- 82, 8f). Fig. 82. — Dissémination par viviparie du TU- landsia loliacea. En haut on voit la capsule-fruit ouverte, laissant échapper non pas des graines, mais des plantules munies à leur base des poils de la graine, hors de laquelle elles ont germé déjà dans la capsule. En bas, à droite, deux plantules réunies en chaînette et emportées par la brise, à gauche, cette chaînette s'est accrochée à la branche d'un haut buisson et l'une des plantules va pousser une racine crampon (comparez fig. 84). D'après Chodat et Vischer. CITERNES VÉGÉTALES ET MARÉCAGES SUSPENDUS M7 Les Broméliacées à fruits charnus sont recherchées par les oiseaux, les chauves-souris, les singes. Dans la forêt tropicale et subtropicale américaine, la vie animale se passe principalement dans l'étage supérieur ; il faudrait, pour comprendre la vraie biologie de la forêt amazonienne ou paranéenne, pouvoir suivre d'arbre en arbre les singes qu'on entend hurler en bandes dans le lointain de la forêt, observer les mœurs des nombreux oiseaux frugivores qui se nourrissent des baies des Broméliacées, des cerises aromatiques des Myrtacées et des fruits charnus des Aroïdées ; surveiller, le soir, les habitudes des chauves-souris dix fois plus nombreuses que chez nous, de jour, les perroquets qui se régalent de baies, et jusqu'aux fantastiques Toucans aux gros et longs becs qui remplacent les longs bras et la queue prenante des singes par l'informe appendice nasal qui les défi- gure. Tous ces frugivores ont contribué et contribuent à dissémi- ner les plantes épiphytes à fruits charnus, sur la couronne des arbres et en particulier sur la fourche des troncs ou des grosses branches sur lesquelles ils viennent se percher. Les Tillandsia sont à ce point de vue d'une tout autre bio- logie. Il serait difficile de trouver à l'intérieur d'une autre famille, aussi naturelle que celle des Broméliacées, un contraste plus frap- pant, au point de vue des fruits, que celui que nous présentent les Fig. 83. — Chaînette Je trois plantules attachée par des poils à deux branches voisines ; on voit déjà les petites racines dans les deux plantules de droite Tillandsia avec leurs semences légères qu'emporte la moindre brise et les lourds fruits charnus, isolés ou agrégés, des Aechmea et des Ananas (Jïij. 6-ii • ■- y ■'■ i ■ Bis i&^sPS' %\V#>r-$WA !^M *^&:<&M- ilfiHBHI^ l»MlP§§iPrrF Fie. g3. — Au sommet du Cerro San Tomas, Paraguay central ; on voit sur le rebord rocheux deux boules d'une cactée ( Echinocactus Schumannianus), entre lesquelles s'est placé un Til- landsia (T. Duratij ; comparez avec fig. 92. Il semblerait que dans ce groupe étonnant les espèces eussent voulu, dans une espèce de surenchère, nous surprendre au con- cours. Pour vivre sur l'arbre et3T suspendre leurs citernes, il sem- 160 BIOLOGIE DES PLANTES blerait qu'elles dussent toutes produire, au moins dans leur jeu- nesse, quelques racines crampons. Mais voici des espèces qui se sont habituées à grimper dans les arbres sans racines. Ce sont en général de grosses plantes. Nous les avons étudiées dans les ravins des plateaux rocheux des « Causses » de Tobaty et des falaises de San Tomas et, plus au nord, dans les Espinillares de Concepcion. L'une de ces espèces, quand elle est encore sur le sol, par exemple dans un ravin rocheux, sans prendre racine, dresse une tige garnie de feuilles disposées sur deux rangs, et dont l'extrémité se recourbe spontanément en crochet, lequel finit par s'enrouler en queue de scorpion ; elle s'appuie contre la pente sans s'y cramponner (fig. y-f). Ceux des exemplaires qui, à 1-2 mètres, ont atteint aux premières branches d'un petit arbre, changent alors de manière de faire : les feuilles, en voie de développement, se renversent dans tous les sens en corbeille inversée, et par leurs extrémités qui se courbent en crochets, elles s'attachent à cette branche, l'enroulent ensuite de leurs spires et, soutenu par ces échasses, le végétal con- tinue à allonger sa tige, à pousser en avant ses longues feuilles en flagelles, en espèces de fouets, pour s'accrocher plus haut. On en trouve qui ont grimpé jusqu'au sommet des grands arbres. La portion située au-dessous de la corbeille renversée (f'uj. ()y), des échasses, disparaît avec le temps, elle se détruit. Cette espèce évidemment connaît la direction de la pesanteur et c'est ce sentiment qui lui fait pousser en avant ses feuilles jeunes et recourber ses feuilles âgées, pour s'établir sur une es- pèce de trépied, sur une espèce de cône, en équilibre parfait. Beaucoup de ces Tillandsia ont simplifié leur cycle évolutif en accélérant leur germination; ce phénomène, pour certaines espèces, est si général, qu'il l'emporte sur la multiplication par semences, qu'emporterait le vent. Chez celles-ci la germination se fait im- médiatement dans la capsule et, lorsque le vent emporte le coton qui enveloppait ces semences, les plantules déjà munies de radi- celles sont prêtes à s'implanter au contact avec les branches des arbres. Il faut supposer que la capacité de germination dure peu et que, plus rapide est le développement, plus les chances de fixation sont augmentées. Dans tous les cas, cela facilite la colo- CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS nisation des arbres voisins, en quelque sorte la prise de pos- session de la branche de proche en proche. Nous avons trouvé cette viviparie chez des espèces de Tillandsia de toutes les régions de l'Amérique du Sud. Notre biologie des Bromé- liacées serait incomplète si nous oubliions l'une des plus remar- quables, dans tous les cas la plus répandue des espèces de cette famille, le Tillandsia iu>~- iieoidej; qui, de loin, donne aux Légumineuses du Tebicuari et du Parana, comme aux chênes de la Floride, l'apparence de nos forêts de montagnes, quand elles sont garnies des longues barbes ou des fila- ments, des étoupes, des lichens, 1' Ufnea barbala ou YAlecloria jubala. Il est excessive- ment rare de voir cette minuscule Bro- méliacée se fixer par des racines (fig. 91); le plus souvent, elle se suspend par ses plantules aux feuil- les recourbées en crochet qui, produisant de longs stolons filiformes munis de quel- ques feuilles et d'autres stolons qui simulent, en effet, l' Ihmea de nos sapinières. La grande extension des Tillandsia usneoides est due aussi au fait que des oiseaux (Oslinops decumanus) s'en servent pour la con- fection de leurs nids. Elle se reproduit rarement par semences ; le vent en emporte Fig. 94. — Le Tillandsia Duratii en voie de grimper : à gauche, un exemplaire qui correspond au stade photographié (voir fig. q3) ; à droite, la phnte allongée et dont le sommet s'est cramponné par ses feuilles-crochets, tandis qu'elle continue à progresser. D'après Chodat et Vischer. 1Ô2 BIOLOGIE DES PLANTES les tronçons et les suspend comme de la laine qui s'accroche aux buissons, aux branches des bois humides. Nous avons parlé des citernes et des marécages suspendus. Les Tillandsia avec leur surface spongieuse, d'autres Broméliacées avec leurs feuilles grisâtres et rugueuses, par l'abondance de poils qui pompent de l'eau, sont aussi des espèces de tourbières sus- pendues ; vous avez sans doute vu les Sphagnum de nos sagnes, Fig. g5 — Spécimen dont les feuilles en corbeille renversée reposent sur le haut d'un arbre. de nos tourbières élevées. On s'en sert pour maintenir humides les paniers suspendus dans lesquels nos jardiniers cultivent les Orchidées arboricoles. On y trouve aussi, à côté de cellules vertes des cellules mortes qui pompent de l'eau par capillarité. Eh bien! ces amas de mousse hygroscopiques sont envahis par de petites algues vertes, les mêmes qui dans l'indument des Tillandsia trouvent l'humidité journalière qui leur est nécessaire. N'est-ce pas un paradoxe que l'histoire de ces habitants des demi-déserts qui font de leur surface une tourbière en miniature? Je me suis souvent promené avec des gens du monde ; le plus souvent je me suis tu. Il me plaisait de me détacher de mes pré- occupations pour entendre leur aimable et spirituelle conversation. CITERNES VÉGÉTALES ET MARÉCAGES SUSPENDUS l63 Fig. 96. — Grand figuier du Brésil sur la base du tronc duquel s est fixé un épiphyte du type des plantes citernes. Photographie commerciale Le naturaliste ne perd pas ses droits, même dans la société bruyante et mondaine. Il y a des puits de science, des citernes profondes, des marécages aussi et des tourbières de l'esprit. La science de l'observation ne s'arrête pas au domaine de la botani- ^4 BIOLOGIE DES PLAINTES que. Mais je n'ai jamais pu goûter le jugement superficiel qu'ils portent souvent sur la Science de la nature et sur les savants qui, préoccupés de menus détails, ne peuvent, disent-ils, s'élever aux grandes vues, aux vues générales. Ah 1 la pauvreté des idées générales, des jugements d'ensemble, cette admiration conventionnelle des gens du monde pour ce pay- Fig. 97. — Gazon fleuri d'un Tillandsia (T. rupestris) sans racines, simplement posé dans les interstices de l'éboulis, vivant donc exclusivement de l'air (voir la forme fixée dans la fig. 86). D'après Chodat et Vischer. sage qu'aucun des spectateurs peut-être n'a compris, ni dans son agencement, ni dans sa tonalité. Courbez la tête, artistes et sa- vants, il vous faut, pauvres d'imagination que vous êtes, l'obser- vation lente, le travail persévérant, avant de saisir les grandes lignes et encore après avoir passé votre vie à saisir des rapports, c'est à peine si vous pouvez formuler une règle. L'homme du monde, le politique, le journaliste ont des solutions concrètes à tous les problèmes. Devant la nature même, devant un paysage reconnu sublime, ils savent s'émotionner selon les formules consa- CITERNES VÉGÉTALES ET MARÉCAGES SUSPENDUS l65 crées ; ce sont les formules de tout le monde, on les écoute. Et parfois, pourtant, j'ai parlé de ces choses qui nous pas- sionnent, et j'ai vu les plus indifférents attentifs. C'est lorsque, résumant une question longtemps, patiemment, étudiée, on saisis- sait le lien invisible qui unit tous ces phénomènes. Ici même je ne sache pas qui pourrait rester indifférent devant l'histoire contée en toute simplicité, des Broméliacées, nombreuses et variées et pourtant si différentes de toutes les autres plantes, de leur voyage terrestre et aérien. L'histoire biologique d'une famille est plus passionnante qu'un choix d'anecdotes ramassées un peu par- tout. En approfondissant un sujet, en limitant ses recherches à un petit espace, à un clan, on pénètre bien plus avant dans la biologie générale, car l'histoire d'une famille, c'est aussi l'histoire d'un peuple. On pourrait, à propos d'un groupe quelconque de plantes, faire un cours de biologie générale. C'est ce qui m'a autorisé à m'étendre un peu plus que de coutume sur le sujet, presque iné- puisable de la vie des Broméliacées. Et je n'ai pas dit comment se comportent celles qui ont les feuilles, charnues comme des aloès et les fleurs, brillantes comme des jacinthes ni comment se dissé- minent leurs graines ailées. Comment fonctionnent leurs appareils floraux parmi les plus brillants du règne végétal? Il ne s'agit pas de tout dire, il importe seulement d'attirer l'attention. Je voudrais qu'à la lecture de ces essais biologiques quelques-uns, désirant en savoir plus long, m'accusent d'être incomplet. l66 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE Bâillon. — Histoire des plantes. PlCADO. — Les Broméliacées épipkytes considérées comme milieu biologique. Tkese, Paris (1913). Schimper, A. W. — Die epipkyte Végétation Amerikas, Biolog. Jlitt. aus den Tropen, Jena (1888). — Die Epipkyten Westindiens. Bot. Centralblatt, XVIII (1884). Mez, C. — Die Wasserbkonomie der extremen Tillandsieen. Jahrb. f. u'/.ivr. Bolanik, XL (1904). Chodat, R. et VlSCHER, W. — Broméliacées in Ckodat, Végétation du Paraguay. Keiline, E. — Revue générale de Botanique, Paris. XXVII (i8i5). Biologie des Plantes Planche XI R. C. del. Etang-tourbière de la «.Gruyère» (Jura bernois) avec Pin de montagne. Sphagnum, Myrtilles et Drosera. Arbres amphibies. (Planche XI.) A un certain degré, toutes les plantes sont aquatiques, puisque, sans eau, pas de végétation ; leurs racines doivent plonger dans un sol suffisamment humide. On transforme des déserts en plaines fertiles par l'irrigation. Au milieu du Sahara, l'Arabe brise la couche d'alios en forant des puits jusqu'à 70 m. de profondeur pour amener l'eau à la surface et constituer une oasis, une palmeraie, où les dattiers ont, comme on dit, le pied dans l'eau et la tête dans le feu. Cependant, la plupart des arbres meurent si l'eau qui séjourne dans le sol est trop abondante. Un verger trop inondé voit pourrir les racines des pommiers ; l'élévation du niveau d'une rivière fait périr les arbres plantés le long des rivages. Leurs racines ne sup- portent pas cette asphyxie prolongée, et on assiste à ce phéno- mène singulier de platanes \flg. ç$) qui ont le pied dans l'eau et dont les feuilles se dessèchent faute d'eau. La fermentation des racines a amené à la destruction des radicelles et à l'oblitération des conduits. Et cependant, il est, même chez nous, des arbres qui supportent l'inondation, même permanente : les saules des rives, les aulnes de nos marécages, parfois les bouleaux des tourbières. Chose étonnante, le pin sylvestre, dans sa variété monlana, occupe souvent, autour de nos tourbières ou sur nos tourbières, un espace considérable, comme par exemple à l'étang de la Gruyère, dans le Jura bernois. On le voit, à la faveur des touffes des laiches (Carex Aricta) s'avancer dans l'eau et plonger finalement ses grosses racines dans la vase humide. Il constitue alors des forêts maré- cages, régulièrement inondées aux hautes eaux. Et cependant rien dans sa structure n'indique un arbre aquatique ; ni son écorce épaisse, ni ses feuilles dures ne rappellent le feuillage large et mince des plantes amphibies (fit/. ij() et planche XI). Beaucoup d'arbres tropicaux supportent l'inondation pendant plusieurs semaines, et même certains de ces arbres n'habitent que des régions périodiquement inondées, ainsi le palmier à cire du sud de l'Amérique. Et cependant on ne saurait le mettre dans la l68 BIOLOGIE DES PLANTES catégorie des arbres amphibies, car il lui faut tout autant une sécheresse prolongée lorsque les eaux ont baissé, faute de quoi il finit par pourrir (Copernlcia aiurtralur, C. cerlfera) (flff. 121). C'est qu'un sol humide est un sol mal aéré. Les pins échappent à cet inconvénient en remplaçant le pivot qu'ils envoient habi- tuellement dans la profondeur s'ils se trouvent dans un sol nor- Fig. 98. — Deux platanes dont la base est inondée et qui meurent lentement par asphyxie de leurs racines; on voit encore, en bas, des pousses feuillées; les branches supérieures sont desséchées à cause de 1 inondation. Phot. D' Masson. mal, par des racines qui cheminent à ras du sol, là où la vase est plus aérée. D'ailleurs, chez le pin de montagne, il n'y pas de racine pivotante, le système radiculaire est étalé au-dessous de la surface (////• ()()). Plus encore que le pin des tourbières, le cyprès chauve (Taxo- dium iTislichum) des Etats-Unis (Virginie, Caroline, Louisiane) pé- nètre à demeure dans les grands marécages (fia. 100) où abondent les nénuphars variés (des Neluinbiiun, des Brasenla) un peu à la façon de nos pins de marécages en formant une lisière forestière qui se reconnaît de loin aux troncs en gros cônes renversés à la base et ARBRES AMPHIBIES 169 à la haute couronne en parasol. C'est l'un des rares conifères qui perde son feuillage en hiver. Au lieu de détacher ses feuilles une à une, il désarticule des petits rameaux qui chaque année portent les aigrettes délicates. Chose curieuse, le mélèze (Larlx decidua), qui appartient aussi Fig. 99. — Etang de la Gruyère, près de Saignelégier (Jura bernois) : on voit la sagne entourée par une forêt de Pins de montagne; au premier plan les arbres pénètrent dans la tourbière, s'étant implantés dans les touttes solides des laiches (Carex strictaj. Phot. de R. C. à la catégorie des arbres conifères à feuilles caduques, est une plante continentale des régions les plus sèches de nos Alpes et de la Sibérie à climat continental. Rien de plus triste qu'une forêt de mélèzes en hiver ; ce ne sont que fûts et bâtons desséchés comme si le feu avait passé par là. Tout aussi désolées, les forêts de C3Tprès chauves pendant la période de dé feuillaison. A l'apparence chauve vient ici se joindre la désolation qu'ajoute l'eau, les cadavres flottants ou accumulés 170 BIOLOGIE DES PLANTES des troncs que le vent a renversés. Paysage d'inondation en hiver. Quelques barbes grises de Tdiand/ia usneoides {fuj. 91) (Spanish moss) pendent lugubrement des branches qui se tordent ou se tendent comme un personnage tourmenté. Fig. 100 — Dismal Swamp. Lac Drummond, Cyprès chauves en hiver, portant une végétation d'épiphytes (Tillandsia usneoides). D'après Kearney. Dess. de R. C. Mais lorsque revient le printemps, quelle délicate frondaison 1 On voit tout le long des branches sortir les ramuscules qui porte- ront les feuilles d'un vert gai. C'est comme au mois de mai les bois de mélèzes, dans la montagne. Il faut aller voir cet arbre dans le Dismal Swamp, à la limite de la Virginie du N. où il forme, avec le gommier américain ARBRES AMPHIBIES (Nyssab'tftora, N.aquatica), des forêts mj'stérieuses dans lesquelles l'habitant ne s'avançait autrefois qu'avec crainte (////. 102 ). Nous n'avons rien en Europe qui pourrait rappeler ces marécages forestiers avec leurs eaux foncées (i-3 pieds) rendues livides par la lumière chlorotique qui filtre à travers le feuillage et qui sem- blent cacher de profonds abîmes, vasières dans lesquelles on s'enlise Fig. 101. — Le Sterculia Wigmanni à Java. «Sapopema». c'est-à-dire arbre tropical dont les racines, à leur insertion sur le tronc, se sont élevées en forme de planches et constituent un socle. • Dess. de R. C, d'après une photographie de A. Ernst. sans espoir (Dark Swamp). Ici s'accumulent d'immenses quantités de substance organique, des forêts englouties de cyprès plus que millénaires; c'est donc l'un des endroits du monde où l'on peut le mieux se représenter la manière dont se sont formés les charbons dans la période carbonifère. Il y a par places jusqu'à trois mètres et plus de matière charbonneuse noire. C'est là, dans ces eaux sombres, que croît une forêt dont les principaux représentants ont la base élargie en un immense BIOLOGIE DES PLANTES socle qui, dans le cyprès chauve, atteint parfois huit à dix fois l'épaisseur des troncs au-dessus du renflement (fig- 100). Le plus singulier de ces arbres a reçu, à cause de cette particularité, au lac Drummond (fig. 100), le nom de Samson Afaul. Cet élargissement de la base s'observe aussi dans les autres arbres de ces stations, en particulier à la base du tronc des Ny. — Xylocarpus obovatus ; A, graine vue de côté; B, section longitudinale de la graine ; C, graine en germination dans la situation qu'elle a lorsqu'elle nage sur l'eau. D'après Karstcn. Chez toutes les espèces de la formation des Palétuviers, on a constaté une remarquable conformité entre le mode de dissémina- tion et les nécessités de la station. Il y a là de troublantes confor- mités au milieu, que la plus ingénieuse physiologie n'explique pas. ARBRES AMPHIBIES l87 Fig. 114. — A, B, C, légumes indéhiscents d'une Mimosacée sud-américaine, llnga uruguensis, dont les graines, qu'on voit dans la section D, sont enveloppées dans une espèce de liège flotteur. Dess. de R. C Ainsi les semences de beaucoup d'arbres et de plantes de ri- vages germent en peu de jours, même souvent perdent rapidement leur faculté de germination. Sans doute, l'absence de période de repos est commune chez les semences des espèces aquatiques; l'humidité favorise la germi- nation. Mais il faudrait expliquer aussi la structure adéquate du fuseau alourdi des embuons des mangliers qui est dirigé exacte- ment comme le veut la théorie de l'adaptation ; expliquer aussi que chez ces espèces les cot3dédons se désarticulent au bon moment ; dire pourquoi dans la semence du Xylocarpwr le lest est BIOLOGIE DES PLANTES accumulé du côté qui devra laisser passer la radicule en germina- tion et tant d'autres particularités curieuses de ces plantes éton- nantes. Il faudrait avoir le temps de décrire , à côté des semences de cette Méliacée, comme calculées dans leur structure pour ce voyage en mer, les semences ailées des grandes espèces sylva- tiques du genre Cedrela, de la même famille, emportées par le vent lorsque l'arbre est défeuillé, ou chez d'autres genres de Méliacées, les TrichiLia et les Guarea, les semences suspendues sous le feuil- lage, ou exposées sur le feuillage, avec des arilles charnus, de couleur vive, qui attirent les oiseaux de la forêt tropicale, friands de cette pulpe douceâtre, pour bien montrer le lien qui unit le mode de dissémination et l'habitat. Les espèces hydrophiles n'ont pas leurs semences construites pour la dissémination par le vent, celles des forêts n'auraient que faire de flotteurs. Cela est tout aussi évident dans d'autres familles. Prenons, en remontant le grand fleuve, sur les bords de l'Amazone, là où cesse déjà le cordon des Palétuviers, par défaut d'eau saumâtre, comme exemple, les grandes lianes du grand Entaàa polyslachya qui, sur les bords de la forêt riveraine, s'élèvent jusqu'à 10 et 20 mètres de hauteur. C'est une Mimosacée dont le fruit a la forme d'un grand haricot aplati. A la maturité, la peau du fruit se détache succes- sivement par lambeaux et met à nu l'intérieur du gros haricot dont les nervures marginales, formant cadre, retiennent encore pour un temps les semences. Celles-ci sont enfermées chacune dans un flotteur aplati, de la nature et de la consistance de ce liège dont on fabrique les bouchons. Dans le grand genre Jllimosa, qui comprend plus de'trois cents espèces américaines, il est des espèces qui vivent dans l'eau et qui ont développé . — et cela ne se trouve que chez les espèces aquatiques ou riveraines . — le même mode de dissémination que les Enlada de l'Amazonie. C'est en particulier le cas d'une plante que nous avons rencontrée autour des lacs et des étangs du Paraguay et qui, dans l'eau, forme une brousse épineuse presque inaccessible {/fîimosa aspcrata). On attribue la grande dissémination de V Entada scandais, dont les fruits peuvent atteindre un mètre de long, à son mode de ARBRES AMPHIBIES désarticulation qui permet à ses semences d'être transportées par les courants marins. Il faut aussi citer, dans la même famille des légumineuses, les grands Inga, arbres sur échasses, qui bordent les fleuves de pres- que toute l'Amérique du Sud et dont chaque espèce a un mode particulier de dissémination par l'eau. Voici, par exemple, le fruit Fig. n5. — Marais, espèce d'«Ygapo», bordée d'une foret à' Inga, au Paraguay. d'une espèce de ce genre qui abonde sur les rives du Paraguay. Les semences sont portées dans un légume cylindrique qui ne s'ouvre pas à la façon des haricots, mais dont toute la paroi trans- formée en un tissu spongieux sert de flotteur (fuj- u-f)- Mais, dira-t-on, toutes les plantes, tous les arbres de maré- cage, tous ceux qui bordent les cours d'eau montrent-ils, chacun dans leur genre, des dispositifs aussi évidemment en rapport avec leur mode de vie? Certainement pas. Dans chaque formation végétale, à côté de plantes dont on peut lire sur leurs organes visibles, sans trop de difficulté, la manière de se conformer au 190 BIOLOGIE DES PLANTES milieu, vous en trouvez d'autres, souvent beaucoup d'autres, dont la réaction n'est pas aussi évidente, beaucoup qui dans leur structure visible ne trahissent rien de parti- culier. Des arbres qui, pendant de longues périodes, des semaines, des mois, vivent inondés jusqu'à hauteur d'homme et qui semblent n'avoir pas réagi vis-à-vis de ce milieu si peu aéré. Ainsi, sur les bords des grands fleuves sud-américains, on rencontre quantité de végétaux qui, malgré leur présence exclusive dans ces sta- tions, n'ont développé, au cours de leur histoire supposée, aucun appa- reil particulier. Et cependant, ils sont soumis à des inondations pério- diques et souvent persistantes, par- fois pendant plusieurs mois chaque année, pendant lesquels les arbres jeunes et les buissons pendant toute leur existence doivent être doués de la curieuse propriété de survivre à cette submersion complète et pro- longée, ce qui constitue pour eux une espèce d'hibernation (Spruce). Beaucoup d'ailleurs se disséminent alors que les eaux se sont retirées. Il y a d'abord toute la frange de graminées habituelles sans autre adaptation que celle d'avoir des la- cunes plus abondantes et une végé- tation plus vigoureuse. Souvent ce premier cordon est dépassé par une magnifique graminée, le Gynerhun saccharoldes, qui, en masses com- Fig. 116. — Grand haricot (légume) d'une Mimosacée de l'Amazonie, \ En- tada volystachya : on remarque que l'enveloppe du fruit se détache par lambeaux (ep.) : 1 intérieur se divise en articles formés d'un liège qui contient au centre une semence et à laquelle il sert de flotteur. Dess. de R. C. ARBRES AMPHIBIES pactes, croît le long des rives inondées de l'Amazone et que j'ai eu aussi l'occasion d'observer dans les mêmes stations du ; Rio Parana et du Rio Paraguay. D'ailleurs, presque chaque espèce imfwp^ S» TOi Fig. 117. — Palmeraie-marécage («s Buriusales »). formée par le Mauritia vinifera. Matto-Grosso, Brésil. Phot. D' Endlich. qui habite l'Ygapo, ou les forêts riveraines, est représentée par un congénère sur terre ferme, ce qui fait supposer que l'une des formes dérive de l'autre ou que les deux ont une origine commune. 192 BIOLOGIE DES PLANTES On l'appelle en «tupi» Uirva ou arbre flèche. Ses chaumes, de quatre à cinq mètres de hauteur, dépassent les hautes grami- nées ; épaisse comme le poignet, la tige montre des nœuds qui lui donnent de la solidité. On ne lui voit point de feuilles jusqu'à l'en- droit où, sur deux rangs serrés, il porte un merveilleux éventail de feuilles en grandes lanières dont les extrémités, gracieusement recourbées, ajoutent à la grâce de l'écran. Au moment de la floraison de cette herbe, un pédoncule d'un à deux mètres de long porte une belle inflorescence qui rappelle, mais en plus robuste, celle de nos roseaux d'Europe ( Pbragmites commuais) . Souvent, en arrière des Gynerium, on voit des graminées plus vigoureuses encore, des Chusquea, des Guadua, espèces de grands bambous grimpants, faire reposer, comme de gigantesques plumes d'autruches, leurs chaumes de dix à vingt mètres, sur la paroi de la forêt riveraine. Ici et là un saule (SalLx Humboldiiand), une espèce de saule pleureur, penche ses branches flexibles au-dessus des eaux. Ce sont aussi, par places, les troncs, droits et blancs, arti- culés, des arbres à trompettes, les Cecropia, qui élèvent contre le ciel bleu leurs rameaux verticillés et leurs grandes feuilles argen- tées en dessous, palmées comme celles de nos marronniers. Ce sont aussi les Erythrina aux troncs tortueux qui font penser, par la disposition de leurs branches, à des saules têtards, mais qui, au moment de la floraison, offrent aux colibris des fleurs papiliona- cées d'un rouge éclatant. Ou bien, plus au nord, ce sont les palmeraies chacoennes infi- nies, périodiquement inondées, ou, en Amazonie, dans les îles basses, un monde d'autres palmiers amphibies sur un sol vaseux dépourvu de tout sous-bois. On y trouve, entre autres, YUbussu, un palmier sans tronc, dont les feuilles arrangées en bouquet élevé, dressé autour de la souche, ne sont pas complètement déchirées ou découpées comme celles des autres espèces de cette famille, mais restent à peu près entières, s'élevant toutes droites comme de gigantesques plumes d'oiseau, de 5 à 7 mètres de longueur sur 1 m. 80 à 2 mètres de largeur. Chacun de ces végétaux est assez caractéristique pour retenir l'attention, mais on n'est pas encore complètement informé sur les particularités de leur biologie de plantes amphibies. ARBRES AMPHIBIES ig3 Pour bien comprendre la biologie de ces îles, de ces plaines ou de ces rives inondées, il faudrait pouvoir séjourner longtemps dans ces régions insalubres, errer au milieu des arbres pendant l'inon- dation, les surprendre plus tard quand l'eau s'est retirée et qu'à l'humidité succède parfois une extrême sécheresse. Bâtes, Spruce et, plus récemment, mon ancien assistant et ami le Dr Jacques Huber y ont fait d'intéressantes constatations; mais l'Amazonie, le Brésil, avec plus de 40.000 espèces de Phanérogames, seront longtemps encore des terrains à exploiter pour ceux qui auront le courage et la force de tenter de semblables aventures. Déjà maintenant nous connaissons de ces végétaux, caractéris- tiques pour ces terrains d'inondation, quelques particularités biolo- giques intéressantes. Parmi les plus curieuses, les plus générales sont celles qui caractérisent les plantes américaines nommées m\rmécophiles, c'est à-dire amies des fourmis. Beaucoup de végé- taux arborescents en Amérique donnent, en effet, asile à des four- mis, ce qui a donné lieu à plusieurs interprétations entre lesquelles il faut choisir. Les plus connus de ces végétaux, les plus souvent cités, sont les arbres du genre Cecropia, dont les troncs, comme ceux d'un bambou, d'une graminée, sont fistuleux et divisés en chambres superposées. On ne rencontre guère de Cecropia, du Paragua3r à l'Amazonie, qui ne soit habité par des fourmis. Il suffit de frapper contre le tronc pour les voir sortir de leurs cachettes, de leurs chambres, cher- chant à se défendre de l'agresseur. Ce sont des fourmis Azteca (A. Aluelleri) . L'arbre (il en est de plusieurs espèces, Cecropia aàenopus, C. palmata) atteint i5 m. ; sa ramification est en candé- labre et rien de spécial, quoi qu'on ait dit, ne trahit de l'extérieur la présence des insectes. Si on suit attentivement la colonisation des Cecropia par leurs commensaux, on constate que la reine fécondée à' Azteca Aluelleri choisit une jeune plante de 1-2 mètres de haut et pénètre dans l'une des chambres. A cet effet, elle perce dans la paroi du tronc un orifice circulaire. Ce travail lui est facilité par cette curieuse coïncidence qu'il y a déjà prédispo- sition à cette perforation ; le bourgeon axillaire semble avoir dans le bouton, dans le bourgeon, empêché la paroi du tronc de s'épaissir à cet endroit précis, si bien que l'animal n'a qu'à i3 94 BIOLOGIE DES PLANTES forer une épaisseur minime et peu résistante. Arrivée dans la grande « cellule », la femelle oblitère l'ouverture avec un peu de la substance médullaire visqueuse qu'elle y trouve. Le résidu de la moelle sert à sa nourriture. Alors elle se met à pondre et élève quelques ouvrières qui émigrent en ouvrant la paroi qui s'est recon- stituée par cicatrisation du premier orifice, et celles-ci vont à leur tour coloniser une chambre située plus haut. Peu à peu, s'établissent dans beaucoup de ces chambres des colonies partielles, lesquelles finissent par se concentrer dans une région supérieure du tronc qui affecte parfois une apparence renflée et comprend quatre à cinq en- trenoeuds reliés par des perforations. Ces four- mis se nourrissent de la moelle de la jeune plante ou de celle des entre- nœuds supérieurs encore en voie de croissance. On voit aussi ces bestioles rechercher des glandes brillantes qui sont à la base des pétioles épaissis, du côté inférieur. Ces glandes sont mêlées à des poils brunâtres ; finissant par se détacher de leur pédicelle, elles ne sont plus retenues que par le lacis des poils dans le- quel elles sont suspendues comme des œufs minus- cules dans un gazon mi- croscopique. Ces corps sont riches en huile et en substances azotées et, ig. 118 — Cecropia adennpus. A, sommet d un rameau avec bourgeon enveloppé d'une stipule gaine ; on voit au 2° entrenœud une fossette allongée par laquelle l'insecte pénètre en perforant ; dans le premier entre- nœud on voit la fourmilière avec les larves ; puis suc- cessivement des chambres dont la moelle a été évidée ; dans l'entre-nœud inférieur, on remarque la chambre vide et le trou par lequel elle communique avec l'exté- rieur. — B, section dans une tige jeune du même arbre ; dans l'entrenœud supérieur, la moelle non encore complètement rongée (en grisi, dans la 4° chambre, des fourmis. Dess. de R. C. ARBRES AMPHIBIES 196 bien que les fourmis ne soient pas liées à n'utiliser que cette nourriture et qu'elles ne s'en servent pas pour nourrir les larves, elles paraissent en être très friandes. Le naturaliste Belt, qui a publié sur le Nicaragua un remar- quable volume de biologie (The naturalist in Nicaragua) est le premier qui ait fait la supposition que ces fourmis Azteca vivraient en symbiose avec les plantes sur lesquelles elles ont élu domicile, la plante fournissant logis et couvert. Mais quel serait le profit pour le végétal? Il le voyait dans la protection qui en résulte- rait pour les plantes myrmécophiles contre les ravages de ces terribles ennemis de la végétation américaine tropicale, les four- mis découpeuses, les fourmis jardinières, qui, avec les débris de feuilles, établissent des terreaux sur lesquels elles cultivent des champignons. Pendant longtemps cette hypothèse a été acceptée ; développée en théorie par F. Muller et par Schimper, elle n'a pu tenir devant la critique. En réalité, la protection conférée par ces commensaux est minime si même elle est réelle. Tout d'abord elle serait nulle dans les jeunes Cecropia, qui sont libres de fourmis avant d'avoir atteint la dimension indiquée plus haut. Les fourmis Azteca sont peu guerrières, et leurs combats sont menés contre toute espèce de fourmis qui les dérangent. Les Cecropia ont d'ailleurs d'autres ennemis plus dangereux, comme par exemple les paresseux, qui aiment à manger leurs feuilles et leurs fruits. Quoi qu'il en soit, la présence de ces fourmis n'est pas un inconvénient pour le végétal, qui semble s'être parfaitement accommodé de cet hôte. Ce n'est pas non plus un simple accident, car il y a trop de particularités qui sont comme accordées entre la plante et son hôte. Parmi ces structures, il faut citer la prépa- ration des portes à percer, la production de glandes nutritives, etc. En 1869, le botaniste Spruce, qui avait passé en Amazonie quinze années comme botaniste vo3rageur, de 1849 à 1864, envoyait à Darwin, pour être lu à la Société Linnéenne de Londres et éventuellement pour être publié dans ses Transactions un Mémoire sur les Changements ou modifications dans ta structure des plantes, produits par le moyen des fourmis, et dans lequel il expo- sait, d'une manière excessivement suggestive une théorie qui a été, 96 BIOLOGIE DES PLANTES d'une manière indépendante, reprise beaucoup plus tard, en 1900, par Jacques Huber et Buscalioni lesquels, évidemment, ne connais- saient pas les recherches de Spruce sur le même sujet. Ce travail fut lu en séance le i5 avril 1869 et, comme de coutume, soumis au Conseil pour décider de sa publication. Après mûre considéra- tion, la décision fut communiquée à Spruce. Le Comité, qui semble avoir été préoccupé de maintenir pure une doctrine darwinienne, opposée à l'hérédité des caractères acquis, fait savoir au naturaliste, qui connaissait alors le mieux la biologie amazonienne, que son Mémoire demande quelques modifi- cations avant que ce Comité puisse en recommander la publication. En réalité, il n'y avait dans la communication de Spruce autre chose que ce que depuis longtemps Lamarck et ses disciples avaient affirmé et que beaucoup de demi-savants, aujourd'hui, confondant l'évolution avec les théories de l'évolution, appellent darwinisme. Le titre expose bien le point de vue de l'auteur : Ant agency in Plant structure, ou « les modifications dans la structure des plantes qui ont été produites par des fourmis [par la longue durée de l'action desquelles ces modifications sont devenues héréditaires et ont acquis une permanence suffisante pour pouvoir être employées comme caractères botaniques] ». J'ai mis entre parenthèses la partie du titre incriminée par le comité de la Société Linnéenne. « Dans les forêts de l'Amazonie et de l'Orinoco et autre part dans l'Amérique tropicale, il y a de nombreuses plantes apparte- nant à des familles très différentes, qui possèdent de singulières dilatations de tissus et des membranes, sous la forme de sacs sur les feuilles ou de nœuds fusiformes creux sur leurs pétioles ou leurs branches (transformés en tubercules sur les rhizomes), ou même des branches minces allongées d'une manière désordonnée et fistuleuses. J'ai des raisons de suspecter que toutes ces struc- tures, en apparence anormales, doivent leur origine aux fourmis et sont encore maintenues par elles, de telle façon que si leur action était supprimée les sacs immédiatement tendraient à dispa- raître des feuilles, les branches dilatées à devenir cylindriques et les rameaux allongés à se 'raccourcir, et, quoique l'hérédité de structures qui n'auraient plus raison d'être puisse dans bien ARBRES AMPHIBIES 97 des cas se maintenir pendant des milliers d'années sans atténua- tion sensible, je suppose que dans quelques cas cette hérédité cesserait et que la feuille ou la branche retournerait à sa forme primitive. » Darwin, au mois d'avril 1869, dans une lettre intéressante, lui dit : « Vous me demandez mon opinion ; si vous m'aviez posé cette question il y a un ou deux ans, je vous aurais dit que je ne pour- rais croire que la visite des fourmis puisse produire un effet héré- ditaire ; mais récemment je suis arrivé à croire un peu plus à l'hérédité des mutilations, J'ai avancé contre cette croyance que les galles ne sont jamais héréditaires... « Avez-vous observé le commencement de ces sacs dans de jeunes feuilles non encore déploj^ées qui n'auraient pu à ce moment déjà être visitées par des fourmis?... « J'ajouterai que vous n'êtes pas tout à fait dans la vérité (à la fin de votre Mémoire) en supposant que je crois que les insectes modifient la forme des fleurs. Je crois seulement que des varia- tions spontanées adaptées à la structure de certains insectes réussissent et sont conservées. » Or voici que Spruce nous apprend, et ceci a été pleinement confirmé par les observations de Huber, que toutes ces plantes myrmécophiles de l'Amazonie sont trouvées dans ces parties de la forêt qui sont adjacentes aux rivières et qui peuvent être inondées par ces dernières ou par les lacs ; parfois elles se rencontrent dans la profondeur de la forêt vierge, mais là seulement où le sol est assez bas pour que l'eau des pluies puisse s'accumuler jusqu'à former un petit lac d'une certaine profondeur. Ce sont donc des plantes de forêts riveraines dont plusieurs sont submergées lors de la crue et qui offrent aux fourmis un refuge contre l'inondation. Presque toutes les fourmis arboricoles, alors même que dans la saison sèche elles pourraient descendre sur le sol et y prendre domicile estival, gardent les sacs et les tubes mentionnés comme habitations permanentes, et plusieurs espèces paraissent n'avoir jamais d'autre domicile toute l'année. Il y a, il est vrai, quelques fourmis qui continuent à habiter des Tococca dans des régions où BIOLOGIE DES PLANTES il n'y a aucun danger d'inondation, comme cela est le cas pour le T. plerocalyx qui croît sur des pentes boisées des Andes. On pourrait citer aussi les Cecropia qui d'habitude bordent les cours d'eau, mais s'élèvent parfois sur les pentes des forêts. Spruce a comparé ce cas à celui des palafitteurs habitants des lacs de l'estuaire de l'Orénoque et des savanes inondées de Guayaquil, dont les descendants, qui habitent la terre ferme, bien loin du domaine des inondations et des marées de l'océan, continuent à bâtir leurs demeures sur des pilotis, à 6 ou 8 pieds au-dessus du sol. Or, ce qui nous intéresse ici, c'est que tout un groupe biolo- gique de plantes appartenant à des familles différentes et qui n'ont pas répondu par une structure adéquate, visible, à l'action de l'eau périodiquement agissante, pendant l'inondation des « Ygapo » ont acquis au cours de leur histoire, en compagnie avec les four- mis, des structures particulières qui en font des refuges de fourmis. Toute la question serait de savoir si ces sacs et autres appa- reils, qui sont comme calculés pour les recevoir, sont, ainsi que le croyait Spruce, des ripostes à l'action de ces insectes, dont quel- ques-unes seraient devenues héréditaires, ou s'il faut avec Darwin penser que les êtres varient spontanément et que, dans ces varia- tions, la nature choisit celles qui correspondent à certaines condi- tions ou qui sont utiles. C'est là l'opposition du lamarckisme (hérédité des caractères acquis par l'usage, par les mutilations, etc.) et du darwinisme (variation spontanée lente et sélection dans la lutte pour l'existence des formes adaptées qui ainsi l'emportent et survivent). Mais aujourd'hui encore, après tant d'années de patientes recherches, l'incertitude est tout aussi grande. Le comité de la Société Linnéenne, dont j'ai le grand honneur d'être membre étran- ger, ne me paraît pas avoir, à ce moment-là, été bien inspiré en refusant l'impression telle quelle de la superbe contribution du sagace naturaliste anglais. Cette question serait aujourd'hui plus avancée, car, à propos de ces plantes myrmécophiles, sous l'in- fluence de Belt, de Muller et de Schimper, on a bâti des romans biologiques inacceptables au lieu de poursuivre logiquement la question d'origine. ARBRES AMPHIBIES 199 La biologie contemporaine connaît sa faiblesse ; c'est une science descriptive comme les autres : elle expose les mœurs des plantes et des animaux sans pouvoir dépasser dans ses explica- tions la limite incertaine des présomptions. C'est à la science de l'hérédité proprement dite, à la génétique expérimentale, qu'est dévolue la tâche de nous dévoiler l'origine des formes, la trans- mission des caractères et l'ordre de cette transmission. Mais cette jeune science est prudente ; elle a devant elle une tâche im- mense, qu'elle veut aborder méthodiquement. Dans ce livre, nous ne faisons pas encore d'expériences, nous groupons des faits analogues et nous essaj'ons d'entrevoir des solutions. Ceux qui n'ont pas visité les Tropiques se font difficilement une idée de l'importance des insectes et, en particulier, des fourmis et des termites dans l'économie biologique de ces contrées. Tous les voyageurs s'accordent sur ce point. Ecoutons plutôt Spruce, qui se plaint du monde des insectes. Après avoir gémi sur les moustiques et les tiques, il ajoute : « ....et les fourmis faisaient leur nid au milieu de mes collections de plantes sèches et les saturaient d'acide formique ou même les découpaient pour les transporter au loin. Quel souvenir que celui d'une ren- trée à la maison, où je trouvais celle-ci envahie par une armée de fourmis Arriero ou de Saùba, qui étaient en train de découper scientifiquement mes piles de spécimens séchés, en disques circu- laires, dont le diamètre était exactement égal au plus long dia- mètre de l'artiste. Le peu de notes sur les insectes éparses dans mon journal de voyage se rapportent en effet â des fourmis, qui méritent d'être considérées comme les véritables propriétaires actuels de l'Amazonie bien plus que le Peau-rouge ou l'Homme blanc. » On comprendra dès lors l'importance de ce facteur dans la biologie végétale des Tropiques. On commence seulement aujourd'hui à mieux saisir les dépendances mutuelles qui existent entre les deux règnes, plantes et animaux. Nous savons que, même chez nous, les fourmis jouent un grand rôle dans la dissémination des semences. Et ce qu'on connaît moins, ce sont les migrations noc- BIOLOGIE DES PLANTES turnes, ces hordes d'insectes que le voyageur imprudent s'expose à rencontrer inopinément sur son chemin et qui le mordent cruelle- ment. Au premier cri que poussent ses compagnons, le voyageur B Fig. 119. — A, feuille de Mélastomacée (Tococca guianensis) avec sac à fourmis à la base. — B, base d une feuille de Tococca lancifolia, montrant les deux sacs formicaires. Fig. A, dess. de R. C. ; fig. B, d'après Schumann. est amusé de les entendre en gémissant, sauter sur une jambe ou sur l'autre jusqu'à ce qu'à son tour il soit forcé de faire la même danse, les mêmes grimaces. Mais il s'agit ici de ces curieuses fourmis qui se sont réfugiées sur les végétaux inondés des Ygapo. Nous avons déjà parlé de ARBRES AMPHIBIES celles des Cecropia. Encore un mot sur ces arbres à trompettes. On les trouve en Amazonie, formant souvent au-dessus du cordon de G3rnerium une frange régulière, à un niveau qu'atteint certaine- ment la crue périodique. Sur le cours de certains affluents de l'Amazone, les Cecropia constituent, dans les bas-fonds, des forêts presque pures de tout mélange. Nous les avons vus le long du Rio Parana former une lisière au-dessus de la ligne régulière des bambous géants, vers la limite de l'inondation. Quant aux Tococca de la famille des Mélastomacées, ce sont des buissons de 2 à 4 m. ; leurs feuilles opposées, lancéolées ou ovales, possèdent à leur base, tantôt sur chaque paire, tantôt seulement sur l'une des feuilles de chaque paire, un sac ou deux sacs accouplés (_////. 119)- La majorité des espèces de ce genre ont des feuilles à trois nervures, réunies par des anastomoses disposées en échelle ; il y a cependant un petit nombre d'espèces à cinq ou même à sept ner- vures. Chez toutes, l'origine des nervures les plus internes se prend à 2-3 cm. au-dessus de la base du limbe, sur la nervure moyenne. C'est cette portion du limbe située au-dessous de cette insertion qui se développe en sac. Celui-ci tantôt occupe une partie de la largeur du limbe, tantôt toute la largeur ; le sac s'ouvre en haut par un orifice étroit. Parfois, il y a des sacs des deux côtés de la nervure moyenne. On y trouve toujours des fourmis brunes, très guerrières, qui attaquent le botaniste qui herborise ; ces fourmis mordent mais ne piquent pas. Chez l'une des espèces basses qui, lors de l'inondation, est complètement noyée, les feuilles ne portent pas de sac à fourmis. Ces bestioles ne pourraient pas y trouver de refuge. D'ailleurs, toutes les feuilles ne portent pas nécessairement des sacs à four- mis. Chez les Mélastomacées, pour une cause inconnue, des deux feuilles opposées, la plus grosse seulement en porte. On pourrait supposer que ces excroissances, qui paraissent anormales, sont comme les replis ou les poches qui se forment sur plusieurs espèces de feuilles sous l'influence de certains aphides. Ce sont alors de véritables galles qui résultent d'une irritation locale provoquée par la présence de ces petits animaux et de leurs BIOLOGIE DES PLANTES sécrétions. Tout autour du point d'irritation, les tissus de la feuille se multiplient, elle devient bullulée (vigne : Phytlocoptes vills, aca- riose) ou en sacs singuliers qui rappellent ceux des Tococca; par exemple dans les Len- tisques. Mais, comme le dit justement Darwin, aucune de ces galles n'est héréditaire. Ici, au contraire, avant même que la plante ait pu être en contact avec les fourmis, elle leur pré- pare une demeure. Dans les serres à Kew, près Londres, les Tococca cul- tivées produisent sponta- nément de ces poches. Mais déjà Spruce avait remarqué que la présence des fourmis provoque une exagération de ces ren- flements. Dans cette même fa- mille, les genres Jfîyrml- done, /llajela, Calophysa ont des espèces myrmé- cophiles, habitant les mêmes Ygapo. Chez le Alajela gidanensis Aubl., les branches, épaissies au nœud, sont fistuleuses, ce qui met en communication les sacs des deux feuilles opposées. On trouve également des sacs à fourmis à la base des feuilles d'une Rubiacée américaine, le Durola sacclfera (Amaiona). Ils sont moins marqués chez les Remijia physophora (Rubiacée) et chez la Schizobalanacée Hirtella physophora, tous de la région amazonienne des inondations. Sur les îles inondées des Uaupés, croît un bel arbre de 10 m., le Tacbygaiia cavipes et le T. ptychophysa ; leurs feuilles pennées de Césalpiniées (Légumineuses) ont leur pétiole renflé en sac à - Borraginacée de terrains d inondation, le Cordia nodosa de l'Amazonie dont le nœud est renflé en formicaire ; à gauche, section longitudinale ; à droite, vue de l'extérieur; on a coupé les feuilles. Dess. de R. C, d'après des matériaux conservés dans l'alcool. . ARBRES AMPHIBIES 2o3 fourmis, qui donne réellement asile à des fourmis noires très petites, lesquelles y pénètrent par un orifice au-dessous du sac. Les Sclerolobium ne sont pas en général des arbres de la forêt riveraine ; la seule espèce myrmécophile croît sur la berge du Rio Negro, qu'il parfume de ses belles inflorescences jaunes. On trouve aussi des nids de fourmis sur les branches de cer- taines Borraginées arborescentes appartenant au genre Cordia, qui se renflent au-dessus des feuilles groupées en faux verticilles, Cordia nodosa (Pao de formiga), C. forinicaruin, C. callococca, etc. Enfin, parmi les plus répandues des plantes à fourmis de la grande dépression amazonienne-paraguayenne, les Pofygonacées de divers genres comme les Triplaris, les Coccoloba, les Ruprecbtia des stations inondées des forêts riveraines ont, comme les Cecropid, leurs branches fistuleuses, quelquefois le tronc tout entier, de la racine presque jusqu'au sommet des jeunes branches, évidées par l'action des fourmis Tachi, qui toutes piquent violemment. Elles entrent dans leurs demeures par une ouverture qui aboutit à l'in- térieur d'une stipule caractéristique pour cette famille, et qui, en un fourrreau brun, enveloppe chaque base d'entrenœud. Il reste des recherches de Spruce ce fait bien établi, comme aussi des confirmations d'HuBER et de Buscalioni, qu'en Ama- zonie, et probablement partout dans l'Amérique du Sud, la myr- mécophilie a pris naissance dans le pays d'inondation et que, de même que les hommes, des végétaux, pour échapper à l'inondation, élèvent leurs demeures sur des échasses, sur des pilotis, les four- mis des Ygapo ont su ou profiter des accidents qui se sont formés à la base des feuilles, ou de la nature des tiges des arbres à bois tendre et à croissance rapide, comme le sont les arbres des maré- cages tropicaux, en y creusant ou en agrandissant les cavités natu- relles, ou bien peut-être aussi ont-elles été la cause de la formation et de la fixation de ces curieuses structures qui semblent parfois calculées pour elles. Comme le dit Spruce, chaque «structure du végétal » doit être ramenée à l'action de forces non seulement internes, mais aussi extérieures à la plante elle-même. « Dans cette merveilleuse «Vie », qui n'existe que par un chan- 20-f BIOLOGIE DES PLANTES Fig. 121. — Paysage de Chaco paraguayen, pays d'inondation, avec les grandes palmeraies (Copernicia australis) ; les Capparidacées, arbres à couronne arrondie (Crataeva Tapia), et les brousses à Acacia Cavenia, plante myrmécophile. Dess. de R. C. gement perpétuel, chaque équilibre est instable, et ce que nous appelons «permanence» n'est peut-être qu'un état transitoire. » Aujourd'hui, la majorité des naturalistes s'est ralliée à la théorie de Huber et Buscalioni qui dit que les fourmis arbori- coles ne rendent aucun service à leur plante hospitalière. Cela est peut-être exagéré. Il faudrait connaître mieux encore toute la bio- logie des myrmécophiles des Ygapo pour pouvoir être si affir- matif. On ne peut cependant ne pas être confondu devant certains dispositifs, ceux qui ont provoqué et l'étonnement de Belt et sa théorie de la symbiose. J'ai en vue les Acacia myrmécophiles comme V Acacia jphœrocepbala, Y Acacia cormgera qui non seulement donnent asile aux fourmis dans leurs grosses stipules métamor- ARBRES AMPHIBIES phosées en chambres hospitalières après la chute des feuilles, mais leur offrent, comme le font aussi les Cecropia, un corpuscule nour- ricier qui, ici, se développe au sommet de chaque loliole. Au Paragua3r, \' Acacia Cavenia, qui possède les mêmes stipules, est aussi une plante de pays d'inondation. En décrivant cette vie curieuse des arbres amphibies, nous avons voulu montrer combien complexe est la nature dans ses manifestations. Nous ne saisissons de ses intentions à peu près que celles par lesquelles elle semble aller au-devant de nous en copiant les nôtres. Sommes-nous bien sûrs des nôtres? Connaissons-nous bien nos semblables? De même que cette plante qui, inondée pen- dant des mois, ne réagit apparemment d'aucune manière, il est beaucoup de taciturnes qui sentent profondément, mais dont rien sur le visage ne trahit l'émotion. Il me serait facile de montrer que toute action extérieure ne se manifeste pas nécessairement par une réaction visible, mais qu'elle est suivie de modifications internes qui interviennent dans les procès physiologiques de la respiration, de la nutrition, de la périodicité et de bien d'autres caractéristiques de la vie. Encore à propos de cette catégorie, nous constatons que le matériel vivant est une mosaïque de caractères, de possibilités qui, différente dans chaque espèce, ne laisse apparaître son dessin que selon l'action des conditions extérieures. "ts&sr 206 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE Borgesen, F. og. OVE PaulSen. — Om vegetationen paa de danskvestindiske oër, Copen- hague (1898). Hubert, J. — La végétation du Rio Purus (Amazonie), Bull, de l 'Herbier Bousier, Genève, II' série (1906). Kearney, T. H. — Report on a botanical Survev of the Dismal Swamp région, in Contrit. U. S. Nat. Herb., V (1901). Spruce, R. — Notes of a botanist on the Amazons and Andes, Edit. by A. R. Wallace, London (1908). Schimper, A. F. W. — Die indomalayische Strandflora, Bot. Mitteil. aus den Tropem, III (1891). — IJ. Pflanzengeographie (1898) ^16. — IJ. Wechselbeziehungen zwischen Pflanzen und Ameisen, 1. c. (i883). Schenk, H. — Die Luftwurzeln von Avicennia tomentosa u. Laguncularia racemosa, Flora LXXII (1889). Buscalioni, L. et Hubert, J. — Eine neue Théorie des Ameisenpflanzen, Blolog. C. B., IX (1900). Chodat et Vischer, in Chodat, la végétation du Paraguay, IX (1919). Chodat, R. et Carisso, L. — Une nouvelle théorie de la Myrmécophilie, Archives, Genève, (1920). Biologie des Plantes Planche XII r • * 1 ïW-:>. i. SAXIFRAGA HIRCÛ LUS sur la tourbière. 2. BETULA NASA, buisson arctique des sagnes. Les Sagnes. (Planches XII et XIII.) J'AI déjà décrit plus d'une formation végétale qui doit son existence à l'exclusion de concurrents, éliminés par des fac- teurs extrêmes, qui ne peuvent leur convenir. Le plancton des neiges est protégé, dans sa station, par la froi- dure constante, l'extrême insolation, l'action comburante de la neige au soleil, tandis que les Cyanophycées des thermes, étant les seules à supporter une température habituellement supérieure à 5o°, res- tent maîtresses du terrain. L'eau agitée des cascades tropicales protège les Podostémonacées contre tout concurrent. Il y a ainsi dans la Nature des conditions extrêmes qui assurent à certaines catégories de plantes un domaine réservé. En est-il de même des Sagnes ? Mais disons tout d'abord ce que c'est qu'une Sagne. Sous cette dénomination on comprend, dans le Jura suisse romand, une formation bien définie, la tourbière élevée : cette tourbière qui, à son apogée, est un bassin d'eau dans une dépression imperméable, alimentée principalement par l'eau de pluie, complètement ou presque complètement rempli de mousses du genre Sphagnum (les Sphaignes). Ces mousses forment un immense coussin, bombé en son centre, et souvent de couleur vert pâle, ou à reflets rougeâtres, ou même parfois franchement rouges. Lorsque la Sagne est constituée définitivement, le voyageur peut s'avancer sans crainte sur ces canapés élastiques; il sent son pied comprimer la mousse ce qui fait jaillir l'eau par compression. C'est comme une masse spongieuse imbibée, vraiment comme une éponge pleine de liquide. La surface de ce canapé végétal est parsemée de buttes ou de coussins secondaires qui s'élèvent jusqu'à vingt-cinq centimètres au-dessus de la superficie générale. Mais malheur à l'imprudent qui s'est aventuré dans une sagne en formation ; il peut voir l'éponge céder sous ses pas, s'ouvrir, l'engloutir pour toujours. 2o8 BIOLOGIE DES PLANTES Revenons prudemment sur la « tourbière élevée » déjà sus- ceptible d'exploitation. Les fossés, les creux à tourbe nous montrent l'eau brune bien au-dessous du niveau de la surface végétale ; cette tranche nous permet de reconnaître que, de la profondeur à la surface, la tourbe a subi des altérations profondes ; presque noire au niveau de l'eau, elle est brune au-dessus, puis, vers la surface elle pâlit ; maintenant nous pouvons, en écartant un peu les tiges dont elle est formée, reconnaître que cette surface est vivante, à une profondeur qui varie de six à vingt centimètres. Elle est tout entière constituée par les extrémités, serrées les unes contre les autres et dressées, des tiges des Sphaignes qu'on peut suivre bien profondément dans la masse tourbeuse, mais qui ne sont plus, au delà de cette zone vivante, que des fibres jaunies et mortifiées. Si nous suivons l'une de ces tiges dans la profondeur nous verrons qu'elle n'est que la rami- fication de tiges plus profondes encore qui, toutes, portent des rameaux dressés. Tige et rameaux sont couverts de feuilles imbri- quées, qu'on n'aperçoit guère parce qu'elles sont dressées et appliquées les unes contre les autres. C'est un revêtement de petites écailles qui recouvrent l'axe central, la tige, les rameaux. C'est d'ailleurs une mousse 'ig. 122. — Sommet d'une mousse de sagne, . ,., du genre Sphagnutn, rameaux garnis de assez Singulière ,' Sans racines, feuilles. •! j> i ,• Gross. 2 fois. Dess. de R. c. sans poils d absorption, sans sys- LES S AGNES 209 tème conducteur dans la tige, sans nervures dans les feuilles. Elle est cependant capable d'élever de l'eau de la profondeur de l'étang vers la surface. Au fait, nous pourrions faire une expérience ! Dans un verre à moitié rempli d'eau, je vais placer cette tige feuillée de vingt centimètres de longueur; bientôt je m'apercevrai que le sommet se remplit d'eau et que peu à peu cette eau s'écoule en gouttes qui tombent lourdement de l'extrémité qui s'est penchée. J'ai ainsi fabriqué une petite fon- taine qui va, si je n'y mets bon ordre, vider le verre et répandre le liquide sur les feuilles éparses de mon manuscrit. L'eau a été pompée par capil- larité parce que tout, dans la struc- ture de cette plante, est disposé pour en faire un élévateur d'eau ; il y a d'abord la manière dont les feuilles, qui se laissent mouiller, sont étroitement appliquées con- tre la tige ; elles ménagent ainsi des espaces capillaires comme ceux qui se forment entre les pages d'un livre et qui deviennent actifs quand par malheur, ayant renversé l'encrier, elles sucent le fâcheux liquide. Avec l'aide d'un microscope je pourrais vous mon- trer que la succion capillaire est encore facilitée par une structure tout à fait adéquate. La tige Fig. 123. — Un fragment de la surface dune sagne, mélange de Sphaignes (Sphagnumj et de Polytrichum, dont on voit la capsule portée sur un long pédicelle. Gross. i'/s fois. Dess. de R. C. 14 BIOLOGIE DES PLANTES vivante est enveloppée par un manteau de cellules mortes; les feuilles, à ce fort grossissement, nous montrent une régulière alternance de cellules mortes incolores, encadrées par de plus étroites cellules vivantes dont on voit bien les grains de chlorophylle. Il s'est donc fait ici une division du travail. Les cellules vertes qui assimilent doivent nécessairement rester en contact les unes avec les autres et, par la base de la feuille, avec la tige qu'elles nourrissent. Les cellules mortes sont maintenant renflées comme autant de petits tonneaux ; leur paroi est encerclée par une spirale interne de sou- tien qui les maintient tendues. Par des orifices circulaires, une espèce de bonde, ces petits tonneaux peuvent se remplir à condition que les espaces qui séparent deux cellules soient assez étroits pour que la capillarité s'exerce d'une manière efficace. Et ceci, elles l'obtiennent facilement en se développant en vésicules d'un seul côté de la feuille, ce qui rapproche les outres du côté exté- tieur. Les orifices sont ménagés de telle façon qu'ils se regardent d'une vésicule à l'autre. Or, ceci se répétant autour de la tige, l'eau monte par capillarité d'une vésicule à la suivante, puis, retenue par la même force entre les feuilles imbriquées, elle finit par vaincre cette adhésion et par tomber goutte à goutte du som- met de la tige. Il y a, d'une espèce de Sphagnum à l'autre, des variations, mais le principe reste le même. L'intérêt augmente quand on constate que dans le Sphagnum cuspidatum, lorsqu'il est submergé, les nouveaux rameaux formés ne développent pas cet appareil capillaire. On voit dès lors que la plante réagit d'une manière adéquate. Toutes les autres mousses sont dépourvues de ce système d'ampoules ; cependant, le Leacobryum, une Bryacée des tour- bières, sait aussi élever l'eau par capillarité et s'imbiber d'eau. Mais chez celle-ci la feuille a deux coussinets de cellules vésicules recouvrant une lame verte, mince. Ces ampoules communiquent aussi par des trous. Voici encore un exemple de deux plantes qui appartiennent à deux genres de familles très éloignées des mousses, et qui, dans les mêmes stations, savent utiliser le même principe d'hydrosta- tique. Il ne nous faut pas chercher bien longtemps pour décou- vrir dans le Sphagnum des colonies du Leacobryum glaucum. LES SAGNES La quantité d'eau que peut absorber le Sphagnum sec est vrai- ment étonnante. Cela va de 17 à 20 fois son poids et même plus. Dans la grande guerre, on s'en est beaucoup servi comme succé- dané du coton-charpie Ivygrophile. Mais il ne suffit pas de décrire ce qui est ; il faudrait savoir ce qui a été, comment ce tapis épais de tourbe, surmonté de la zone vivante, a pu se développer. Il est des sagnes qui ont pris naissance à partir d'un maré- cage. Il faut évidemment que ce marécage ne soit pas trop pro- fond. La première condition, pour la formation d'une tourbière élevée, c'est que la réserve minérale s'épuise. C'est ce qui arrive si, au bout d'un certain temps, le fond étant occupé par des dépôts imperméables, une végétation active de Potamots, de Myriophyl- lum, de Nénuphars, etc., a épuisé la réserve en matières minérales nutritives. Mais il y faut aussi le caractère acide de l'humus qui se forme, à l'abri de l'air, par une fermentation lente. Ces matières colloïdales brunes retiennent les matières salines de l'eau, précipitent une grande partie du calcaire et, d'autre part, jouent le rôle d'auximones 1, positives pour les Sphagnum et négatives pour d'autres plantes de marécages. Si les Sphagnum manquent, le marécage peut être complètement ou presque com- plètement stérilisé, les plantes supérieures disparaissent. L'analyse chimique montre que, toutes choses étant égales, l'eau d'un pré marécageux ou d'une roselière (Phragmitée) con- tient jusqu'à 6 1/z fois plus de matières minérales que celle d'une tourbière à Sphagnum* On remarque aussi qu'il s'est fait, dans cette dernière, une intense décalcification. L'eau d'une sagne est donc une eau pauvre en substances nutritives et presque décalcifiée. C'est dans ce milieu appauvri qu'accidentellement sont trans- portés les Sphagnum. Ces mousses commencent par se multiplier comme plantes flottantes jusqu'à ce que, accumulées, elles soient forcées de vivre côte à côte. Elles forment un tapis suspendu, sur lequel il est imprudent, dangereux même de s'aventurer. Ce n'est qu'au bout de siècles d'activité végétale que, les anciens ma- tériaux, plus profonds, s étant tassés successivement et ayant cons- titué la base solide de la tourbe, la sagne prend l'apparence et la 1 On appelle anximone, une substance qui accélère le développement ; on dit quel- ques fois aussi vitamines. BIOLOGIE DES PLANTES consistance d'un immense coussin bombé et élastique. C'est là le type de nos grandes tourbières. La sagne peut aussi se former dans une forêt humide, dont le sol peu profond a été appauvri par la végétation et dans lequel l'excès d'humidité a provoqué la destruction lente, à l'abri de l'air, de matières végétales. Dans ce sol acide, tourbeux, s'établissent enfin des touffes de Sphagnum qui bientôt, en buttes, s'élèvent de l'humus, entourent le pied des arbres et, progressant, finissent par se confondre. Grâce au mode de ramification, qui est centri- fuge, cette disposition, qu'on retrouve dans les plantes à coussi- MM hum mm â 4 Fig. 124. — Butte de Sphagnum, dont on a représenté la section transversale (hauteur 55 cm.); à la surface une zone vivante, au-dessous un cœur progressivement mor- tifié ; ces buttes qui peu à peu se dessèchent sont plus tard colonisées par une végéta- tion de végétaux supérieurs ou de Poly- trichum. Marais des Ponts. D après Frùh et Schroeter. Fig. 125. — Butte de Sphagnum, colonisée au sommet par un gazon sec de Polylrich- um (v. fig. 123); au pourtour du sommet par des Andromeda, plus bas par de la bruyère (Calluna vulgaris). Marais des Ponts. D après Friih et Schroeter. nets, les mousses des murs ou le Silène dcaulur des Hautes- Alpes, est rapidement atteinte. Mais, tandis que chez ces plantes supérieures chaque coussin a une racine pivotante centrale unique, ici, il n'y a pas de racines. Alors que chez ces mousses de rocher la disposition est telle que les poussières de l'atmosphère, la terre, sont retenues entre les rayons du coussinet, et qu'il se fait par cela même un terreau individuel, ici, chez les Sphagnum, il n'y a rien de semblable ; sur le sol humide ou inondé même, la sagne est simplement posée ; elle fonctionne exclusivement comme éponge. On voit parfois de ces tourbières qui sont suspendues sur le flanc des montagnes comme en certaines régions élevées des Alpes, là LES SAGNES 2l5 où l'eau qui est amenée par les ruisselets, ne circule plus qu'avec lenteur. Cela commence souvent par un marécage à Eriophorum (Linaigrettes) ou à mousses ordinaires, puis vient le Sphagnum qui tend à régner désormais en maître. Dans le nord de l'Eu- rope, en Scandinavie, on admire sur les pentes des montagnes Fig. 126. — Au lac de Mattmark. (Alpes pennines). En arrière, un gazon continu de jonc arc- tique (Juncus arcticus), en avant, une colonie de Linaigrette (Eriophorum Scheuch^eri) . Phot. R. Chod. de belles tourbières qui, en moelleux tapis, s'étendent sur le sol et en atténuent tous les contours. Il faut d'ailleurs à la constitution de ces sagnes un climat humide, des brouillards, car l'action desséchante des mousses aquatiques est très forte. On a constaté que, toutes choses étant égales, une même surface de terrain ou de marécage occupé par la sagne évapore jusqu'à cinq fois plus qu'une même surface d'eau librement exposée à l'air. Au soleil, la surface de la sagne perd 214 BIOLOGIE DES PLANTES souvent assez d'eau pour paraître, en été, complètement desséchée. Le Sphagnum n'en est pas sensiblement altéré, car il supporte assez bien une dessiccation prolongée ; il a la capacité de revi- viscence. Lorsque la pluie tombe ou que le brouillard permet une absorption d'eau équi- librée avec celle qui s'évapore, le Sphag- num reprend sa teinte verte et rouge qu'il avait échangée, pen- dant la sécheresse, contre l'apparence blanchâtre d'un tissu plein d'air. C'est dire que Feau d'une tourbière élevée provient, en grande partie, de l'atmosphère et que la circulation de cet élément liquide se fait tout aussi bien de la surface de la masse de Sphagnum vers la profondeur qu'inverse- ment. Si donc, en été, il arrive que la sur- face de la sagne se dessèche, c'est que, dans ces régions de la tourbière, les sphaignes ne pouvaient élever l'eau du niveau inférieur parce que les tissus profonds ne sont plus capables de conduction. C'est maintenant sur cette tourbière élevée, sur ce grand coussin de mousses, que viennent s'implanter, en un jardin bien caractéristique, un certain nombre de plantes supérieures. Il y a d'abord les linaigrettes (Eriophorum vaginatum) (Jig- 126 et planche XIII) qui, en touffes serrées, viennent dresser leurs Fig. 127. — Deux plantes (Ericacées) des buttes de Spha- gnum. A, Andromeda polyfolia, aux fleurs rosées ; B, Oxy- coccos palustris, aux fleurs franchement roses et au feuil- lage brillant. Dess. de R. C. Biologie des Plantes Planche XIII Tourbière dans le Jura suisse; au fond les pins, plus près SWERTIA, COMARl'M et Linaigrettes. LES SAGN'ES pompons soyeux et blancs. Quelques Carex (laiches), les C. ftricta, C. anipullacea, grosses espèces qu'on voit au pourtour de la sagne. Dans les coussins de mousses, ce sont de plus fins Carex {C. paucl- /l'ora, C. heleona.rtes, C. cbordorrhiza, C. canescenJ). Ne font jamais défaut les gracieux Rosolis aux feuilles rouges étalées sur la mousse et dont les tentacules portent à leur som- met une goutte de « rosée » {planche XI), les Lycopodes, qui préfèrent les flaques ou mares d'eau noire non encore envahies par le S'phagnum {L. inundatum). De minuscules bru3'ères en fines dentelles sèment ici et là leurs fleurs roses (Oxycoccos paluft/'Lr). Un ;peu plus robuste, V Andromeda polyfolia fait la transition aux bruyères proprement dites {fig. 127 et planche XI) : les myrtilles (V'accinium jffyrtilluj), les airelles (/". Vilis Idœaè), l'airelle des marécages {Jr. uliginosunC) et, finalement, les Calluna qui, vers la fin de l'été, garnissent les buttes de leurs épis roses. Ce sont déjà [des sous-arbrisseaux, dont les branches et les racines se ramifient dans la profondeur des mousses. Ici et là un buisson un peu plus élevé, c'est le bouleau nain {planche XII et fig. 152) avec ses petites feuilles orbiculaires et ses chatons dressés, dont on ne voit que l'extrémité des branches poindre hors de la sagne. Dans les stations jurassiques et en Allemagne, ce paysage mélancolique s'égaie en été par les étoiles dorées du Saxifraga Hirculus aux pétales ponctués de rouge {planche XII). On le voit souvent s'associer aux Parnassia, qui le copient mais en blanc. Par place, une potentille aux fleurs d'un pourpre rouge foncé (Comarum palustre) surprend le jeune bota- niste habitué aux potentilles jaunes {planche XIII). Avec le temps, la surface de la sagne est plus longtemps sèche; alors s'installent, au sommet des buttes, des touffes d'une grande mousse aux feuilles dressées et qui porte une livrée de petit conifère. Celle-ci est aussi souvent fructifiée que le Spha- gnum l'est rarement {fig. 12}). Ce n'est qu'exceptionnellement que de zélés botanistes réussissent à découvrir dans cette immense étendue une plante de sphaigne portant une capsule. La présence des Polylrichum annonce déjà la sécheresse : des tertres de bruyères et de lichens viennent ensuite et alors il n'y a plus guère BIOLOGIE DES PLANTES de différence floristique entre cette surface tourbeuse et la lande proprement dite. En effet, les plantes les plus caractéristiques des landes alpines (Empeirum nlgrum), les Gnaphaiiuin aux pompons blancs et roses (Anlennaria dio'tca), les rhododendrons eux-mêmes et les arnica viennent fleurir ces sagnes-landes. C'est qu'entre les deux formations il y a, dans l'Europe moyenne et l'Europe septentrionale, toutes les transitions. Au delà du cercle arctique et dans nos Alpes, au-dessus de la limite du dernier sapin, la lande appauvrie, qu'on appelle toundra, passe de même, dans ces stations plus humides, aux sagnes minuscules des hautes régions. En effet, ce qui caractérise toutes ces formations homolo- gues, c'est la pauvreté du sol ou de l'eau en sels nutritifs et aussi l'absence de calcaire ; le degré d'humidité et de chaleur détermi- nera si la lande est une sagne, une sagne-lande, une bruyère ou une toundra. Mais il reste cependant un certain nombre de plantes qui, dans l'Europe centrale, n'existent que sur le Sphagnum. J'appel- lerai ces espèces «espèces caractéristiques». Celles qui, d'une autre formation où elles sont abondantes passent aussi sur le Sphagnum, seront appelées «transfuges». Ainsi les Drosera ne se trouvent pas dans les landes, ni X Oxy- coccos, ni les deux gracieuses Orchidées qui accompagnent souvent les Rosolis sur le Sphagnum. Ce sont des plantes qui ont bien réellement des caractères qui les rendent propres à vivre dans ce milieu. Soit les Drosera, soit les Orchidées citées s'élèvent en étages dans le Sphagnum à mesure que sa surface se hausse. Ils croissent donc à la façon de la mousse sphaigne elle-même {fig. 12g, îjO, etc.). Mais les airelles et les bruyères sont ici seule- ment des transfuges, car, dans leurs landes de plaine ou de la montagne, elles ne sont pas accompagnées du Sphagnum et des Rosolis. Deux arbres seulement s'aventurent dans les sagnes propre- ment dites, un conifère {Piniur montana) et un bouleau {Betuta pu- bescens) . LES SAGNliS 217 Il nous faut aller voir, à l'étang de la Gruyère, dans le Jura bernois, la superbe sagne-forêt qui se reflète dans l'eau noire (planche XI et fig. 99). Pénétrée par les Sphagnum rouges, les airelles et les bru3Tères, la forêt est exclusivement formée par le pin de montagne au tronc droit, à la couronne étroitement pyra- Fig. 128. — Le Pin de montagne (Pinus montana) sur les rochers calcaires du Jura (Court- Mouticr). Comparez la forme rabougrie avec les fûts de la variété de tourbière (fig. qg). Phot. Alb. Sauter. midale ; on la voit s'avancer vers l'étang à la faveur des touffes des laiches (Carex ampuUacea, C. stricto). Et de cet arbre, si voisin du pin sylvestre, dont il diffère surtout par l'obliquité des cônes et leur asymétrie, les botanistes nous disent qu'il n'est pas lié à ces stations humides. Descendons de Tramelan à Court, à l'entrée des superbes cluses de Court-Moutier ; dans les rochers, le pin de montagne découpe sa silhouette tourmentée sur le gris lilacin de la pierre (fiis. Dess. de R. G. froide. Rares dans les Alpes, elles jalonnent le Jura, des Rousses au Jura septentrional. Partout elles sont remarquables par la pauvreté relative de leur flore. Partout elles frappent le biologiste par le contraste qu'offrent les plantes supérieures insérées sur le sphagnum avec la mousse elle-même. En effet, ces bruyères, ce genévrier, le pin de montagne lui-même, ont tous la structure de végétaux de lieux secs, le bouleau nain y compris. En effet, le Calluna a réduit ses feuilles et cache ses stomates dans des sillons, VEmpe- truin les a enveloppés dans un c^dindre, fait du reploiement de la LES S AGNES 229 feuille. Le nryrtille se débarrasse de ses feuilles et les remplace par des tiges vertes et ailées comme le font les genêts des landes sèches ; la face inférieure des feuilles y est couverte de cire, qui diminue la transpiration; V Andromeda, VOxycoccoJ" ont aussi des feuilles de plantes xérophytes. Aucune modification ne s'observe qui indiquerait que ces végétaux des landes, qui sont parmi les stations les plus sèches, les plus arides, les plus pauvres, auraient subi sur le milieu humide de la tourbière une adapta- tion hygrophile. C'est que les racines de plusieurs de ces espèces circulent dans la mousse humide sans atteindre le niveau de l'eau ; ainsi qu'on l'a dit plus haut, la couche supérieure du sphagnum se dessèche avec facilité au soleil. Plus encore, vers l'automne, lorsque la tourbière est refroidie, plus tard encore avec les premiers gels, alors que l'absorption de l'eau glacée est rendue difficile, le soleil et le vent agissent fortement pour dessé- cher ces plantes qui ont conservé leurs feuilles pendant la mau- vaise saison. La contradiction qui semblait évidente entre la structure de ces plantes et leur situation sur l'eau est donc moins choquante. Mais on a déjà dit que la lande ne s'établit que sur cette portion du Sphagnum qui est la plus sèche, il vaudrait mieux dire la moins humide. En réalité, ce que ces plantes trouvent ici, c'est le milieu pauvre en sels nutritifs qui leur convient, comme elles le trouvent aussi dans le bois pourri de nos forêts qui, avec ses mousses, fait souvent l'effet d'une tourbière en miniature. «e&sp i3o BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE Fruh et Schroeter, C. — Die Moore der Schweiz, in Soc. helvétique des Sciences naturelles, Nouveaux Mémoires (190^). 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Aussi le devoir du botaniste en voyage est-il de recueillir pieusement les traditions populaires, les dénomina- tions par lesquelles plantes, parties de plantes ou groupements végétaux sont désignés dans chaque pays. Même sous une appa- rente erreur se cache une observation juste. Ainsi j'ai entendu des femmes du Val d'Hérens appeler les colchiques et les crocus «trèfle». Ce n'est sans doute pas le trèfle du botaniste, mais le nom est bien choisi, il fait remarquer la symétrie de la fleur qui est sur le t3Tpe trois. Avant que de sourire, le jeune botaniste fera bien de s'informer, il trouvera généralement les habitants des champs remarquablement bien informés sur les plantes et leurs groupements habituels. En Espagne, le paysan distingue très clairement la forêt (monte) du maquis (monte-bajo) de la garigue à labiées (tomillares) ; il a désigné par un nom spécial les landes à cistes (charales) et les génistées (tojal). Mais il n'en a sans doute pas toujours été ainsi. Le terme de lande exprime l'idée du pays non cultivé (Land) par opposition aux cultures, de même que le terme équivalent, lui aussi d'origine ger- manique, « Heide » s'applique primitivement à tout terrain non cultivé, sauvage. En France, on fit ensuite la distinction entre « lande » et « friche », pays incultivable et pays sauvage non BIOLOGIE DES PLANTES cultivé mais cultivable. Or, comme les landes à bruyères sont les plus répandues des terres stériles, Passociation des définitions amène peu à peu à caractériser les landes comme des terrains incultes couverts de bruyères, de genêts, de fougères et autres plantes spontanées de peu de valeur (Littré). Ici, le caractère de stérilité, l'absence de valeur au point de vue agricole est le point de départ du terme ; il ne s'agit pas d'un vague instinct de géo-botanique, mais c'est le résultat d'une observation et d'une expérience populaires. Dans le Jura suisse, le mot Sagne désigne, nous l'avons vu, une tourbière élevée, envahie par les mousses du genre Sphagiium et puis ensuite par les éléments des landes, bruyères et lichens. Frappé comme le vulgaire par des définitions instinctives, le botaniste qui fait l'énumération des plantes d'un pays, localise ses plantes selon ces grandes divisions de la géo-botanique populaire. Cependant, chez les botanistes eux-mêmes, l'idée de grouper les plantes selon des associations définies ou selon des définitions géographiques, ne se fait jour que peu à peu. Les anciens, en situant leurs plantes, font comme les peuples primitifs, ils sont moins guidés dans leurs énumérations par des considérations scientifiques que par le souci d'utiliser les termes consacrés dans le langage usuel ; ils parlent de lieux incultes, lieux arides, soli- taires, lieux aréneux, rochers, marécages, sol inutile et aride, sol âpre et aride, les prés, les champs, les haies, les forêts, lieux ensoleillés, rivages, rivages maritimes, lieux humides, prés humides, vignes, lieux secs et brûlés par le soleil, après les moissons, etc. C'est ce qu'on rencontre à chaque page de ce vieux livre de l'Ecluse sur les plantes d'Espagne, la première énumération des richesses végétales de l'Ibérie. Même chez les modernes, ainsi dans la Géographie botanique raisonnée de De Candolle, la notion d'association et de relation entre le milieu et la flore est à peine esquissée. Il en est tout autrement de la distribution par zones. Les anciens n'avaient de la géographie botanique que de vagues lueurs ; ceux du moyen âge croyaient retrouver en France et en Allemagne ou en Espagne les plantes d'Orient énumérées par les anciens, Dios- ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 233 • ;;, . . ^Bifii ■ 1 ^S^w^jL SI ' : . Fig. i35. — Phragmitaie en floraison. Pinchat, Genève. coride, Pline, Théophraste. De là une confusion qui se perpétue jusque dans les temps modernes. .Mais peu à peu on s'aperçoit que chaque région a ses plantes spéciales à côté de plantes plus répandues. Les flores énumèrent ces productions et bientôt, mais surtout au XIXme siècle, des travaux étendus montrent que la distribution des plantes suit des règles qui dépendent du climat, du sol, de l'altitude, etc. On distingue ainsi des régions, arctique, tempérée, méditerranéenne, subtropicale, etc. Dans chaque terri- toire se laissent de même définir des subdivisions d'autant plus nombreuses que le pa3^s est plus accidenté; elle sont constituées par des aires régulièrement étagées selon la longitude ou la latitude si le pays est géographiquement plus uniforme. Ainsi dans l' Hurtoria Slirpiu/n Helyetice de H aller, en 1768, où se trouve définie une géographie botanique selon l'altitude et la latitude. (Voir H. Christ, La Jtore Je la Suisje et ses origines.') Mais, en plus, les botanistes depuis Humboldt ont attiré l'attention sur ces apparences de végétation qui font que l'ensemble présente une certaine phy/iognonùe. De loin on reconnaît une pinède, 234 BIOLOGIE DES PLANTES une sapinière, une palmeraie, une brousse, une savane ou une steppe herbeuse. Cela provient, ou bien de ce que la majorité des plantes qui font partie de cette catégorie végétale sont d'une seule espèce (espèces sociales), soit de ice que, comme dans la brousse épineuse, la plupart des arbrisseaux ou des arbustes sont du même type épineux, ou comme dans la prairie toutes les herbes ont pris plus ou moins la même apparence graminoïde. Mais, dans la forêt, il y a plusieurs étages de végétation, le couvert des arbres, le sous-bois, les épiphytes, c'est-à-dire les plantes qui vivent sur les arbres ; dans la prairie également, entre les hautes herbes, se dressent, comme sous leur protection, de minuscules végétaux qui y végètent en espèce de sous-bois en miniature. Nous avons montré qu'en pleine dune, sous les buis qui fournissent une ombre épaisse, peut se cacher une végétation de sous-bois en raccourci. La saison fait aussi varier la flore et son apparence. Au printemps, avant la feuillaison, le sous-bois de la chênaie fleurit ; en été, l'apparence du couvert^, est tout autre. D'ailleurs, le terme prairie est exclusivement physiognomique, car la composition d'une prairie alpine ou d'une prairie améri- caine des Etats-Unis, quand même les deux sont des étendues de végétaux herbacés, leur composition est tout autre ; une liste de plantes montrerait tout de suite cette différence. On a dès lors établi une règle qui malheureusement n'est pas toujours suivie. Tout d'abord établir une liste des plantes en donnant, dans cette énumération, à chaque espèce sa valeur propre comme fréquence, comme abondance d'individus, ou comme importance au point de vue de la masse végétale. Ainsi, dans une associa- tion, comme on appelle ces groupements habituels, il y a rarement un groupement pur d'une seule espèce ; il y a presque toujours un assemblage d'espèces variées qui sont les unes vis-à-vis des autres dans une sorte de dépendance harmonique. Certaines prédominent, ce sont les plus nombreuses en individus ou les plus importantes comme masse (espèces prédominantes) ; il y a ensuite une graduation à établir qui va des espèces abondantes en individus jusqu'aux espèces rares. Enfin il y a dans chaque station des étages dominants, comme celui de la couronne des ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 235 arbres dans une forêt, et les étages dominés, tel que le sous-bois buissonnant, et sous ce dernier les herbes et les mousses. Et cependant cette association, parfois complexe, a une certaine phy- siognomie générale qu'elle doit habituellement à l'espèce abon- dante ou aux espèces prédominantes. Si l'on fait abstraction de la plrysiognomie, on classera les associations d'après une ou deux des espèces abondantes. Ainsi l'association du Pinus sylvestris dans les Alpes, celle du Pin d'Alep, sur les côtes de la Méditerranée, ou celle du Pin parasol, sur les dunes maritimes. Mais toutes ces pinèdes ont un air de famille, un même faciès qui est dû à la silhouette familière des espèces du genre Pinus. Ce sont les Pinières ou Pinèdes, comme il y a des Chênaies, des Hêtraies, des Châtaigneraies, des Aulnaies, des Sapinières, etc. Et toutes sont des forêts, les unes à feuilles persistantes, les autres à feuilles caduques. Si maintenant nous poursuivons cette enquête, nous verrons que les Pinèdes sont habituellement sur un sol aréneux léger, les Châtaigneraies fuient le calcaire, les Anlnaies s'établissent sur un sol compact et humide. Il est donc assez facile, pour certaines associations, de trouver un rapport entre la nature du sol et leur présence en cet endroit. Ce sont les lieux édaphiques, les conditions de terrain. Les forêts de Mélèzes (Laricaies) et les Hêtraies seront rarement en compétition, car le Mélèze préférant un climat continental, et le Hêtre ne poussant pas dans ces mêmes conditions, les deux arbres rarement s'associeront. Au contraire, souvent la forêt sera, au moins dans l'Europe moyenne, une association complexe d'arbres variés, Sapins, Érables, Chênes et Hêtres. La définition de forêt perd alors de sa netteté comme association, car en ces stations la prédominance d'une espèce n'est pas clairement mar- quée. Il en sera des sociétés végétales comme des sociétés humaines, il en est de simples et de complexes. Dans tous les cas, botaniquement parlant, l'association, c'est-à-dire l'énumération des espèces qui vivent habituellement ensemble, est de toutes ces notions la plus essentielle, c'est la base de toutes autres sortes de considérations géo-botaniques. On pourra, par exemple, choisir une espèce, disons le roseau ordinaire, et noter, dans toutes les stations où on les rencontrera, ses associés. Or, comme cette 2 56 BIOLOGIE DEL PLANTES Graminée a une immense extension — on la connaît du centre de l'Afrique, de l'Amérique comme de l'Asie, — on s'attendra à la trouver associée à des végétaux bien différents. Et cependant partout ses exigences vis-à-vis de l'humidité sont les mêmes ; c'est toujours une haute Graminée dont le pied est dans l'eau une partie de l'année ou toute l'année. Il y a donc des plantes de grande extension et d'autres si rares qu'elles ne sont connues que d'une seule localité. Cette extrême localisation est rare chez les plantes aquatiques ou amphibies, car l'eau est un milieu assez uniforme. Dès lors, si nous choisissons comme plante type pour caracté- riser une association : la Phragmitaie i, le terme signifiera autre chose dans l'Ouganda, au Mississipi, sur les bords du Danube ou au pourtour de nos étangs. Le terme qui devait désigner une « association » ne garde sa valeur que pour un territoire restreint dans lequel les commensaux restent les mêmes, tandis que pour un territoire plus étendu il sert à caractériser une « formation », c'est-à-dire un faciès particulier des pièces d'eau et des marécages. Dès lors, la rigueur qu'on aimerait voir régner dans la nomenclature disparaît, la notion est élastique, le terme s'applique à deux catégories différentes de la géographie des plantes. On passe de la notion de société à celle de station. Dans le premier cas, le Phragmites était la plante la plus caractéristique de sa compagnie ; dans le second cas, il est comme le réactif qui fait connaître la nature du sol. Mais voici une nouvelle complication ; le géographe qui, de loin, voit un marécage, ou qui, peu informé, de près, reconnaît des roseaux, décrit cette apparence comme une Roseiière, et cepen- dant le Phragmites est absent de cette roselière. A la place du Phragmite il y a, ou le grand roseau du Midi, Y Arundo Donax, ou, chez nous, une plus petite Graminée, le Phalaris arum.dina.cea, ou enfin, sous les tropiques, des fourrés de Bambous ou de Gi/ne- riitm. Toutes ces grandes Graminées, dans des stations analogues, ont la même apparence sociale, celle de grands roseaux, c'est la Roselière, notion physiognomique tout d'abord, puis, après examen de la station, notion édaphique, c'est-à-dire réactif du milieu géo- graphique. A des conditions de vie analogues correspondent des Paraqmdej eommunis. Roseau. ZONES DE VÉGÉTATIONS ET ASSOCIATIONS 2 37 formes analogues. Il y a coïn- cidence. Sur les rochers, on trouve des plantes grasses, des plantes épineuses, des plantes en coussinets, toutes ces formes font défaut aux plantes aquatiques. Soit dans leur mode d'implantation dans la vase ou sur le rocher sub- mergé, soit dans la structure de leurs organes immergés ou émergés, on remarque de nou- velles coïncidences qui sont comme des ripostes au milieu ; c'est comme si ces formes étaient adaptées à ce milieu, comme construites pour vivre dans ces stations. Décrire pour chaque catégorie de sta- tion la conformité de structure au milieu, c'est étendre à un nouveau domaine l'enquête sur les associations. Les plantes sont donc non seulement habituelle- ment associées en groupements définis, mais dans les groupements qui, parleur ensemble, se marquent avec une certaine physionomie la structure interne, la disposition des parties et leur développe- ment se répètent analogues de station en station, quand même les plantes sont différentes, quand même elles appartiennent à des familles, à des genres, à des espèces distinctes. Il y a des plantes grasses parmi les Cactacées, Crassulacées, Géraniacées, Asclépia- dacées, Euphorbiacées, des apparences de Bruyères chez des Coni- fères, des Euphorbiacées, des Polygalacées, des Myrtacées, des Mélastomacées, etc., des Joncs dans les plus différentes familles. Aussi les anciens botanistes, se laissant guider par l'apparence, donnaient-ils les mêmes noms aux plantes les plus diverses. Ainsi Clusius, qui réunit les Empetrum aux vrais Erlca et leur associe même une Algue brune éricoïde de la Méditerranée. i38 BIOLOGIE DES PLANTES a b c d e f Fig. 137. — Lac avec rivage : schéma, montrant les zones de végétation sur la grève humide, les roseaux entremêlés de laiches (Carex strictaj; puis un premier cordon ifc) de roseaux (Phragmites) dans l'eau ; un second de joncs (Scirpus) avec, au fond, le gazon des Chara; c, des potamots ; d, des nénuphars ; e, de nouveau des joncs ; f, les potamots et les myrio- phyllum. La biologie végétale réunit ces différents points de vue, elle s'en sert pour essayer d'effectuer une espèce de synthèse, repré- senter la plante vivante dans son milieu, trouvant son équilibre vis-à-vis du milieu changeant et en relation avec ses associés. On conçoit dès lors que le problème puisse être compliqué et que, pour cette cause, plus d'une question attende encore sa solution. Choisissons comme exemple, pour illustrer ce qui vient d'être dit, les formations qui, chez nous, s'établissent au pourtour des étangs et des lacs-étangs, en laissant de côté ce qui a trait à la flore microscopique. Il vaut mieux choisir pour cette démonstration des bassins profonds de 20 à 25 m. ; on saisira mieux chez eux la zonation qui résulte de l'augmentation de profondeur. On peut tout de suite reconnaître au bord de ces lacs -étangs les zones géographiques suivantes : a) La grève exondée, plus ou moins humide. b) La grève inondée, talus plus ou moins abrupt qui indique l'action érosive de l'eau. c) Une surface à peu près horizontale, la beine ou blanc-fond, qui résulte de l'effondrement du bord primitif et dont les ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 23ç matériaux se sont alluvionnés. Cette beine est de 1 m. 5o à 3 m. au-dessous de la surface. d) Le mont, la pente nouvelle formée par la beine d'alluvion. e) Le reste du talus primitif. F) Le plafond du lac. A chacune de ces zones correspond une végétation particu- lière (fit). 137), Une ceinture littorale de roseaux et de joncs, qui émergent d'ordinaire et qui s'avancent sur la beine. On y distingue habi- tuellement un premier cordon de roseaux (JPhragmites commuais) qui peut plonger jusqu'à 1 ou 2 m. de profondeur; une seconde zone plus interne de Scirpiur lacustrif, formée par des joncs qui s'enfoncent jusqu'à 3 m. de profondeur mais qui, habituellement, vont moins profondément. Mais, dans d'autres cas et parfois dans les baies du lac de Genève, la Scirpaie est externe. Plus à l'inté- térieur et occupant des fonds de 2 à 4 m. dans les lacs-étangs du Jura et généralement en une zone de peu d'étendue qui souvent se mêle aux précédentes, une nupharaie à nénuphars jaunes ou blancs, dont les feuilles, portées sur de longs pétioles, atteignent la surface et nagent. a b c d e î Fig. i38. — Etang avec pente accentuée; a, cordon de laiches (Carex stricta) ; b, alisma ; c, Typha (Massettes) ; d, myriophyllum ; e, nénuphars ; /, potamots. 240 BIOLOGIE DES PLANTES La zone suivante ne comprend que des plantes submergées pendant la majeure partie de leur existence et qui ne sortent de l'eau que leur extrémité florifère. Ce sont les Polainoyclon et le Alyriopbyllum spicatum ou le Ceratophyllum detriersum. Le fond du lac, jusqu'à des profondeurs de 20 à 3o m., est occupé par des gazons étendus d'algues calcaires in- crustées, les Chara, ou sans calcaire, les Ni- tella. Cette zone est habituellement par 10 à i5 m. de fond. Les Characées n'atteignent sur le fond que de 10 à 20 cm. de hauteur, mais elles y constituent souvent de vrais gazons {Chara bispida, Cb. ru- (Tur, Cb. eeratophylla, Cb. contraria, Cb. aspe- ra) (Ni te lia syncarpa). Disons tout de suite que les deux zones ex- ternes, Phragmitaie et Scirpaie, même la Nu- pharaie, ne se main- tiennent, au lac de Genève, que dans les petites baies abritées, là où le caractère la- custre fait place au Fig. i3g. — Le Nuphar juraman de Magnin: forme des eaux caractère étang maré- profondes des petits lacs jurassiques. T ^v D'après Ant. Magnin. cageux. La Characaie Biologie des Plantes Planche XV . -J , ---- ■ 1 ) % % 1 1 ,f / •' é: P/»2^^'^^^^CmP©i» BH H . ! | ■ /. Passage de la roselière à la joncaie et à la nupharaie. 2. Grèves inondées du lac de Genève avec Renoncules, Myosotis et Littorella. ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 241 et la Potamogétonaie s'établissent normalement. On voit du pont des bateaux à vapeur qui circulent sur le lac de grandes traînées ou des taches étendues de ces gazons sous-lacustres. Aux mois de juillet et d'août, les Potamots, enracinés par i5 m. de fond, vien- nent épanouir leurs épis à la surface jusqu'à 200 m. du rivage, et les rames des bateliers viennent s'enchevêtrer dans le lacis compliqué de leurs longs câbles. Jamais au lac de Genève la Nupharaie ne s'établit dans le lac proprement dit. Quant aux Roselières et aux Joncaies, elles s'abritent volontiers dans les anses, où la vague est moins forte. M. Magnin, qui a minutieusement étudié les lacs du Jura, fait une distinction nette entre le mode de vie du Nénuphar aux roses blanches, qui prend pied par un gros rhizome, lequel se ramifie dans la vase, à 20 cm. ou 1 m. de fond, tandis que le Nénuphar jaune a le rhizome sur le sol et atteint des fonds de 2 à 4 m. sur les bords de la beine. Dans sa variété juranum, ce dernier développe, dans les eaux profondes, des pétioles et des pédoncules de 4 m. de longueur. Mais cette espèce n'est pas rare dans les étangs sur le Plateau suisse, entre les grands lacs, dont il semble craindre les vagues et l'eau trop pure. A chacun de ces types correspond, dans les eaux moins pro- fondes, des formes biologiquement parallèles. Les petites flaques sur la grève caillouteuse ont, dans les Renoncules aux feuilles na- geantes, un modèle réduit des Nénuphars ; aux Phragmites cor- respondent de plus petites graminées, comme le Phalaris arundi- nacea, plus petite encore comme le Deschainpsla iilloraiuf, aux Scirpes correspondent les menus Eleocharis paLiurtr'w plus petits encore E. acicularis et le minuscule E. Leresch'ù, tandis que, en prairie sous-lacustre, alors stérile ou en cordon plus rapproché du bord, un plantain aquatique vient dresser hors de l'eau ses fleurs aux étamines oscillantes {fig. 140). Pour compléter cette florule de végétaux nains, une renoncule rampe dans l'eau et fleurit à l'air, tandis que le myosotis, tout autour, rachète l'exiguïté de sa taille par de superbes fleurs bleues et roses (planche Xf, b). Là où l'eau est un peu plus profonde, 1 ' HippurU répète les 16 BIOLOGIE DES PLANTES gazons des littorelles ou se mêle à ces dernières, tandis que, plus près du bord, il porte ses fleurs rudimentaires à l'aisselle de cha- cune de ses feuilles en verticille. Fig. 140. — Le Littorella lacustris. plantaginacée des rivages et des eaux peu profondes. Selon la profondeur de 1 eau, le pédicelle floral s allonge plus ou moins pour amener à l'air la fleur, dont les étamines à longs filets vont secouer au vent leur pollen ; C, forme aquatique stérile à feuilles rubannées. Dess. de R. C, en partie d'après Gluck. Si maintenant, plus en arrière, nous étudions, comme par exemple, dans les eaux mortes de Coudrée, entre la forêt et le nouveau rivage, la zonation des plantes aquatiques dans les étangs qui sont entourés par des dunes lacustres, nous trouvons au centre une Nupharaie qui se mêle aux Phragin'ttes et aux Sclrpus, puis aux Cladliun. Vers le bord, des touffes de Carex en mottes tendent à se souder et à former un terrain solide ; elles sont en- core à moitié immergées dans l'eau du marais et avancent pro- ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 2^3 gressivement jusqu'à la Phragmitaie, même dans la Phragmitaie . Enfin, un nouveau cordon fait du Schoeniur nigricans puis, à la limite de la zone inondée, une haie continue de Scirpus Holoschoeiius, Cette succession se répète autre part et elle est tout à fait ty- pique pour ces eaux mortes enclavées dans les sables. Ainsi, dans ces diverses stations se marquent des zones bien définies, chacune d'elle correspondant à des degrés d'humidité va- riable. Cependant, chacune de ces plantes peut vivre, quand elle n'est pas en concurrence, dans d'autres zones. C'est ainsi que les Scirpes (joncs) peuvent se développer sous l'eau sans fleurir, alors elles allongent leurs feuilles ; les Littorella en gazons ou les Hip- puris se multiplier végétativement pendant longtemps, sans fleurir. D'ailleurs, dans nos marécages et nos étangs, beaucoup d'au- tres végétaux s'associent à ces plantes-types dont il a été ques- tion et souvent simulent leur faciès. Aux Phragmites correspondent les graminées CalamagrosLur, Epigeios, Phalarif arundinacea. Aux Scirpes, aux. joncs simples, VEquifetàm limosum, les hautes Massettes, les joncs (Juncus acidi- Jl'oriur, J. obltt/t/l'oriuf), le Raniincultu? Lingua, les Ombellifères aquatiques aux feuilles à segments linéaires, etc. (Oenanthe phellan- driutri). Puis, dans la région extrême des Phragmites, les iris d'eau, les Butomes, les Sparganium, les Cyperus, YAcorus Calamuf. Au Carex oiricta se mêlent les Carex ampullacea et beaucoup d'autres espèces, selon les stations. Un ail même, vient se mêler aux joncs qui bordent la littorellaie et répète l'apparence des Eriophorum et des Scirpus gazonnants. Puis ce sont les Trigio- chin, les A Usina, etc. Et ces faciès végétaux se répètent dans le monde entier. Autour des grandes Nupharaies du Victoria regia (V. orbi- gniana) des eaux mortes du Rio Paraguay, on voit, répétant le type des joncs, de singuliers Solanum aux tiges simples, qui se dressent, comme autant de Scirpus, en un cordon de bâtons inon- dés. Dans les marécages, mêlés aux Cypéracées, les Polygala joricoïdes et équisétoïdes, des Asclépiadacées et une foule d'au- tres plantes tropicales auxquelles a été donné le nom de joncoïdes, 244 BIOLOGIE DES PLANTES équisétoïdes, subtiles, ténus, tenuicaidif, semblent porter l'em- preinte du marécage et la livrée de ses joncs. C'est une journée chaude de juillet ; dans les saulées et les eupatoires qui bordent l'étang, quelques lianes ont grimpé dans Fig. 141. — Bord d'un marais, avec dunes lacustres, de Sciez (lac de Genève) ; on voit bien le cordon externe du jonc, le Scirpus Holoschoenus. Phot. R. C. les buissons : les grands liserons ouvrent au soleil leurs coupes blanches ; de gros bourdons se glissent jusqu'au fond des calices ; la douce-amère secoue ses gracieuses fleurs violettes et porte déjà des baies vertes ou rouges par-dessus les lysimaques jaunes. Le bord argileux est garni de grands Aiuma, dont les inflorescences dressées ressemblent à de gracieux candélabres ; leurs corolles aux trois pétales bleu-lilas alternent avec les fleurs non écloses et les fruits déjà mûrs (fig. i-jy)- ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 245 Dans l'eau, de grandes massettes (Typha) ont déjà perdu leurs fleurs mâles et mûrissent leurs fruits disposés en robustes pom- pons cylindriques. Puis, c'est l'eau plus profonde, masquée par places par l'accumulation des lentilles d'eau (Lemna). Les pota- mots sont venus étaler sur l'eau leurs feuilles nageantes ; on voit déjà leurs rameaux fructifères qui ont renversé dans l'eau leurs épis presque mûrs. Une seule plante à ce moment fleurit dans l'eau, — je veux dire pousse sa tige florifère hors de l'eau, — c'est le Myrlopbylium {planche XI Y), le millefeuille d'eau. Il a ses tiges flottantes entre deux eaux; d'autres sont encore enracinés. La plupart nagent librement sans racines, portant à chaque nœud une croix de feuilles ramifiées en peigne. Les jeunes inflorescences sont encore submergées, mais voici que ces dernières se mettent à dres- ser leur épi hors de l'eau par une courbure de l'entrenœud situé entre les deux derniers verticilles de feuilles. Plus tard, quand les fruits mûriront, cette courbure se fera en sens contraire et l'épi fructifère sera entraîné dans l'eau. La plante paraît donc savoir à quel moment elle doit élever son extrémité au-dessus de la surface de l'étang et change de sentiment avec l'âge (tonus). Les botanistes qui aiment à classifier et qui trouvent avantage à se servir d'expressions choisies, disent que son tonus change avec l'âge. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. » Il n'y a pas que les plantes qui changent d'humeur en vieillissant. D'abord, le fflynophyllum sait maintenir ses branches termi- nales tout près de la surface de l'eau ; il sait aussi effectuer une courbure comme calculée pour amener non pas les feuilles hors de l'eau — elles s'y dessécheraient rapidement — mais toute la portion florifère. La courbure continue jusqu'à ce que l'axe soit parfaite- ment vertical; alors les tiges inondées s'arrangent à faire balancier et à maintenir à l'inflorescence sa direction normale. Si pour une cause ou pour une autre le rameau était déplacé par une courbure de compensation, la région qui a déjà effectué la première courbure rétablirait l'équilibre rompu et l'épi sortirait de nouveau, droit vers le ciel. Les pl^siologistes disent aussi que cette plante est géotro- pique, c'est-à-dire qu'elle s'oriente par rapport à la pesanteur; elle n'est en équilibre que lorsque son épi occupe, au-dessus de 246 BIOLOGIE DES PLANTES l'eau, une situation verticale. Mais le reste de sa tige, ses feuilles dans l'eau, n'occupent aucune situation particulière, sinon d'être près de la surface ; pour percevoir l'orientation, il faut à la Fig. 142. — Myriophyllum spicatum, fortement grossi. A, Sommet de la tige florifère (com- parez avec planche XVI) ; 1, boutons des fleurs mâles encore clos ; 2, les étamines ont soulevé les pétales, dont deux sont déjà tombés dans la fleur de droite ; fleur mâle épanouie avec bractée, préfeuilles et calice : de ce dernier s élèvent les filets des étamines. B, fleur femelle nue, située plus bas (cfr. planche XVI), on voit la bractée, les préfeuilles et le pistil avec ses stigmates papilleux. Dess. de R. C. plante son épi en voie de développement, et, chose intéressante, ce mouvement qui se fait au profit de l'inflorescence ne s'exécute pas par une partie de l'inflorescence, mais par le dernier ou l'un des derniers entrenœuds foliifères. Remarquez aussi- que les ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 247 feuilles, disposées en croix, se disposent de manière quelconque par rapport au fil à plomb ; la seule chose qui paraît leur être nécessaire, c'est de s'écarter de la tige, de s'étaler complètement. Mais, choisissons parmi ces innombrables épis qui s'élèvent de 5 à 10 cm. au-dessus de l'eau celui-ci, qui est déjà bien développé. Je vois que l'épi comprend des étages assez nombreux. A chaque étage, il y a quatre feuilles rudimentaires, les plus inférieures res- semblent encore aux feuilles submergées, elles sont encore pecti- nées en peigne ou, si elles sont plus simplifiées, simplement den- tées. Les croix alternent à chaque étage; dans les moyens et les supérieurs, les bractées, — comme on appelle la feuille qui pré- cède un bouton floral, — sont simples et portent, à l'angle qu'elles forment avec la tige, une fleur. Commençons par les dernières fleurs qui sont encore en boutons; chacun de ces petits boutons ovoïdes est accompagné de deux feuilles minuscules : les brac- téoles des botanistes, aussi nommées pré feuilles. On voit clai- rement que le développement se fait de bas en haut de l'inflores- cence, car les plus petites, les moins avancées, sont au sommet. A ce moment-ci, il y a encore trois étages de boutons disposés par quatre ; ils sont encore contigus, les uns au-dessus des autres. Je détache une des fleurs les plus avancées mais non encore ou- verte et j'aperçois un calice court à quatre dents, puis une corolle dont les quatre pétales rouges en dehors, se recouvrant les uns les autres, enveloppent les étamines comme d'un capuchon. Au dedans, il y a huit étamines et, au dedans de ces étamines, quatre ovaires rudimentaires, qui devraient donner le fruit après la fécondation. Mais voici que je m'aperçois qu'il y a, à la base de l'inflorescence, des étages de fleurs d'un autre type ; ce sont les femelles ; elles sont aussi, chacune, précédées par deux minuscules bractéoles, mais je n*3r aperçois ni calice ni corolle ; elles ne sont donc pas protégées, leurs quatre carpelles tiennent ensemble en un ovaire turbiné en toupie, couronné par quatre stigmates disposés en croix et couverts de longues papilles, de poils roses. Ces fleurs femelles non protégées exhibent et étalent leurs stigmates, offrant cette surface au pollen qui doit y être amené par un véhicule ou un autre. Ces fleurs-ci ne peuvent donc se passer d'une fécondation croisée puisqu'elles ne possèdent pas les organes mâles, les éta- 248 BIOLOGIE DES PLANTES mines, le pollen qui est la poussière fécondante. On trouve ainsi quatre ou cinq étages de fleurs femelles qui se séparent successive- ment par l'allongement des entrenœuds. Comme à ce moment-ci les fleurs mâles situées plus haut ne sont pas encore ouvertes, la fécondation doit se faire, et se fait réellement, par le pollen apporté d'épis voisins, par le vent. C'est à la fois un des objets les plus simples et parmi les plus intéressants que l'épi florifère du Mynophyllum. Examinons à loisir et, pour cela, transportons nos plantes aquatiques à la mai- son, nous nous organiserons un laboratoire dans la chambre de bain on sur la terrasse. Cela ne sera d'ailleurs pas compliqué : dans une cuvette nous placerons soigneusement les tiges sous l'eau, par une pierre plate nous maintiendrons l'orientation primitive. Les épis étant bien verticaux, situés comme dans le marécage hors de l'eau, nous pourrons à chaque moment, et les vacances d'été nous en laissant le loisir, revenir voir ce qui se passe. Eh bien! ce qui va suivre est assez singulier. Voici les fleurs mâles près de s'ouvrir (planche XT^I1 et fig. 1-/2); leurs pétales encore recourbés sont d'une vive couleur rouge ; bientôt je m'aperçois que la fleur ne s'épanouit pas comme celle que je connais, comme par exemple une fleur de pommier, en étalant ses pétales en une gracieuse étoile. Ici, je vois les pétales se détacher par leur base, et réunis encore par leur sommet en une espèce de capuchon, être poussés en avant par le développement des étamines, plus justement dit par l'allongement des filets des étamines qui soulèvent les anthères (sacs à pollen), encore enve- loppées par le capuchon formé par les quatre pétales. Ce petit manège prend bien une demi-journée. Les étamines maintenant commencent à diverger et, ce faisant, décollent les pétales qui, un à un, sont éliminés avant même que le pollen soit complètement mûr. Voici donc une fleur qui possédait quatre beaux pétales rosés, ornement habituel d'une fleur, et qui les rejette comme on se débarrasse d'un vêtement inutile. D'ailleurs, les fleurs femelles, situées plus bas, sont nues, elles aussi mais elles le sont dès le début; elles ont jugé inutile ce développement de pétales, car, plus rapidement mûres, les pre- mières sorties de l'eau, elles n'ont pas besoin de cette enveloppe Biologie des Plantes Planche XVI /. MYRIOPHYLLUM qui vient fleurir au-dessus de l'eau 2. POTAMOGETON dans le lac de Genève. ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 249 protectrice. Les fleurs mâles, au contraire, vont se développer étage après étage ; ce développement sera précédé par l'allonge- ment de l'entrenœud sous-jacent. C'est dans leur capuchon que les anthères vont préparer leur pollen jusqu'à l'y amener à la maturation presque complète. Il faut à chaque étage le temps d'une journée. Le pollen, pour garder son activité, doit ne pas se dessécher, et les anthères, pour arriver à leur maturation et pré- parer leur mécanisme d'ouverture qui permettra l'émission du pollen, doivent se développer dans une atmosphère humide sous la protection de la corolle. Mais maintenant, pour cette sorte de fleur, la corolle est inutile. Le JjfyriophyUunt pouvait choisir entre deux modes de fécondation: par les. insectes, par le vent; il a préféré ce dernier véhicule. En effet, les filets des étamines maintenant érigés, minces mais élastiques, portent chacun une anthère ou double sac à pollen, que le vent, que la moindre brise fait osciller, et hors desquels le pollen, comme une pous- sière sèche et légère, s'échappe d'un coup en une fumée légère et soufrée. La corolle serait plutôt gênante ; la plante sait fort bien s'en débarrasser au bon moment, après s'en être servie pendant la maturation du pollen comme enveloppe protectrice. Remarquez aussi avec quelle apparente sagesse cette plante développe successivement les étages de fleurs mâles. A chaque jour suffit sa peine ; elle multiplie les chances de réussite en ne mettant pas tous ses œufs dans un même panier. Comme un joueur prudent, elle espace ses mises ; c'est là un caractère qui est souvent réalisé chez les plantes qui se servent du vent comme intermède de leur pollinisation. Mais chez peu de végétaux il y a cette régulière périodicité qui assure une dissémination accordée au développement rythmique correspondant des fleurs femelles, dans les inflorescences plus jeunes. En choisissant le vent comme intermède, le ffîyriophyllum ne s'est pas conformé à une règle qui serait générale dans les plantes aquatiques. Voyez le Nénuphar aux grandes fleurs ouvertes, l'Alisma aux corolles lilacines (Jïy. 7-/j)> les Utriculaires aux fleurs éperonnées, elles sont, celles-là, visitées par les insectes et ne s'en portent pas plus mal. D'ailleurs, chez le Jlynophyiiiun, cette ané- mophilie ou fécondation par l'intermède du vent n'est pas non 200 BIOLOGIE DES PLANTES plus un caractère de famille, car non loin d'ici, tout près même, sur le bord de l'étang, des Epilobes de deux espèces (de la même famille) attirent tout un monde d'insectes. Mais, chez eux, la corolle aux quatre pétales roses s'étale et contribue, après l'épa- nouissement, à rendre la fleur visible aux insectes. Il y a d'ailleurs des anémophiles terrestres (beaucoup de nos arbres : coudriers, Fig. 143. — Fleur (fortement grossie) de YAlisma Planlago : on voit la collerette, qui réunit les bases des étamines, produire dans l'intervalle une gouttelette de nectar. Dess. de R. C. bouleaux, aulnes, chênes, frênes, etc.), mais chez tous il manque le nectar, cette sécrétion sucrée qui attire les insectes et la vive coloration des corolles ou des inflorescences. Puisque nous y sommes, ne quittons pas cet étang. Il y a plus de choses curieuses à étudier ici que nous n'avions tout d'abord pensé. Malgré la chaleur humide, toujours désagréable aux rhu- matisants, nous allons surveiller YAlisma et ses fleurs aux trois pétales violet pâle. Au besoin, nous nous servirons de jumelles pour l'étudier à notre aise, et bien installé sur cette touffe de lai- che, nous attendons les insectes butinants. Ils sont variés. Remarquez maintenant, comment, en se promenant dans cette fleur largement ouverte, l'insecte se couvre de pollen en frôlant les ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS anthères portées sur les filets divergents, tandis qu'il touche avec son abdomen aux stigmates, étalés en rayons, des nombreux car- pelles du centre de la fleur. Il va butiner le nectar qui brille en gouttelettes limpides sur le bord de la collerette qui réunit les étamines par leur base (/'//• i-fï)- Cet Alisma est le t3rpe d'une famille vaste que plusieurs ont subdivisée en sous-familles, mais qu'on peut sans danger pour la systématique laisser sous le nom d'Hydrocharitées ou de Naïa- dées. Sans aller bien loin, nous pouvons, à son sujet, faire une incursion dans l'un des domaines les plus passionnants de la Biologie végétale. Chez les Potamots, leurs alliés qui sont repré- sentés dans nos marécages et dans nos lacs par plus de 20 espèces, le plus souvent, les épis florifères qui ressemblent extérieurement à ceux des rflyriophylLtun, sont aussi anémophiles. Mais ici les fleurs sont hermaphrodites, c'est-à-dire qu'on trouve les deux sexes dans un même bouton ; cependant, ces fleurs à étamines et à pistils ne peuvent se féconder d'elles-mêmes, car les organes des deux sexes dans une même fleur ne mûrissent pas en même temps. Ici, chez les Polainoijeton (planche XVI 2), les stig- mates sont déjà prêts à recevoir le pollen alors que les anthères de cette même fleur sont encore appliquées contre la base de l'ovaire et, pour longtemps encore, incapables de s'ouvrir pour laisser échapper le pollen. Il y a donc, dans cette fleur, un premier stade femelle. La fécondation étant faite par l'intermède du vent qui apporte le pollen étranger, les étamines qui étaient restées inac- tives s'étalent, ouvrent leurs sacs et émettent un pollen abondant. Nous voici maintenant dans la phase mâle : le pollen, par le temps calme, s'accumule en sortant des anthères dans des appa- reils en forme de cuiller qui sont des appendices des filets de l'éta- mine et, lorsque le vent vient à souffler gentiment par-dessus l'étang, on voit partir des inflorescences, comme un nuage de soufre. N'avez-vous jamais assisté, dans la montagne, au départ du pollen qui s'était accumulé pendant le calme entre les écailles des chatons maies des sapins et qui tout à coup est enlevé par la brise : on voit alors partir de l'arbre comme une fumée soufrée que le vent emporte où il veut. Ce qui nous intéresse ici, c'est la formation, sur l'étamine elle- 2Ô2 BIOLOGIE DES PLANTES même, de cette cuiller sur laquelle le pollen expulsé de l'anthère est déposé provisoirement. A part ces écailles dorsales des étamines, les Potainogelon ne possèdent aucune espèce d'enveloppe florale ; les fleurs y sont vertes et nues. Rien n'y attire ou ne retient les insectes. Rarement, quelques collecteurs de pollen s'y arrêtent un instant. Quelques espèces de Polaino- geton semblent pouvoir fleurir sous l'eau ; mais leur biologie est en- core mal connue. Mais à défaut d'espèces de ce genre nous avons les ZanichelLia (Zanichellia pa- lustris) qui ressemblent extérieu- rement aux minces Potamogeton des cours d'eau ou des lacs de montagne. Ici, les fleurs sont tou- jours submergées; elles sont ré- duites à la plus simple expres- sion. Il en est de mâles et de femelles ; les premières dévelop- pent une seule étamine, les se- condes ont au dedans d'une en- veloppe en forme de sac ouvert _( carpelles dont les stigmates, en forme d'entonnoir, sont aptes à accumuler les poussières, le pollen par conséquent. Celui-ci, qui est du poids spécifique de l'eau, reste suspendu dans le liquide ; les mouvements occasionnés par les variations de température et l'agi- tation le déplacent et l'amènent accidentellement vers le stigmate des fleurs femelles. Ici donc l'in- Fig. 144. — Potamoget on lucens, réduit , 'j* ■ >^_l> *. 1 „ 11 au iu. Dess. de R. C. termediaire c est f eau, et le pollen ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 253 s'arrange en conséquence ; il n'est plus ni visqueux comme celui des plantes visitées par les insectes, ni sec et léger comme le pollen des fleurs anémophiles ; il a la densité de l'eau, ce qui l'empêche à la fois d'être amené à la surface ou de tomber lentement vers la profondeur. Chose intéressante déjà chez ce ZanlcbeUia et mieux encore chez une autre Naïadée de l'océan, le pollen s'allonge en une sorte de bâton, ce qui augmente sa résistance à la chute, comme nous l'avons déjà vu à propos des Kaphidlum et des Synedra du plancton. Mais la Nature partout infiniment ingénieuse s'est, semble-t-il, chez les plantes aquatiques, surpassée encore ; elle déroute le bio- logiste qui veut mettre de l'ordre et de la méthode dans ses clas- sifications. Nous aimons à nous imaginer une nature enfantine maladroite qui, lentement, accumule ses expériences, faites autant d'échecs que de réussites ; nous nous la sommes imaginée évoluant, corrigeant ses erreurs, progressant toujours. Mais à coup sûr, une nature réalisant du premier coup, sans tâtonnements, un appareil com- pliqué, cette Nature-là nous est incompréhensible. Dans tous les cas elle n'expose guère, comme les bons artistes, que les réussites, gardant pour elle, le plus souvent les détruisant, les ébauches. C'est une idée un peu puérile que celle qui nous est libéralement exposée par les charlatans du transformisme, à savoir que les dif- férentes espèces d'un même genre sont comme une série d'ébauches, tentatives plus ou moins réussies d'une suite d'essais pour arriver à la forme parfaite. Je connais d'honnêtes, mais naïfs naturalistes qui, dans cette exposition universelle, plus réellement universelle que nos foires et exhibitions internationales, accordent aux espèces, en leur qualité de jurés, des diplômes d'encouragement, des prix de ire et de 2me classe et même des «hors-concours». Il y a, pour ces jurés, des espèces peu évoluées, des espèces à un degré de perfec- tion plus avancé que d'autres. Le barème de ces jugements? C'est en général le degré de complication visible ; pour eux, l'espèce évoluée c'est celle qui paraît le mieux adaptée à son milieu par une certaine coïncidence entre sa structure, sa biologie et les con- ditions de vie. Pour moi, plus j'avance dans cette étude plus je vois que ce que nous retenons, ce sont les cas les plus simples, ceux 20_( BIOLOGIE DES PLANTES dans lesquels la relation entre le milieu et la structure est la plus évidente. Voici une plante qui, de tous temps, a fait l'admiration des élèves de première année, c'est le J"aULmeria spiralis, mais je ne vois rien dans sa biologie que je ne trouverais au même degré, quoi- que sous une autre forme, dans le modeste Myriophyllum. Comme le Valiumeria, la plante étudiée en tête de ce chapitre sait éle- ver ses fleurs hors de l'eau ; elle sait détacher des organes comme les pétales devenus inutiles, sérier sa pollinisation de façon à la rendre efficace, etc., etc. Chez le Vallîsneria tout cela se lit plus aisément, prend une tournure plus dra- matique, frappe donc plus l'imagination. En réalité, chaque forme vivante se révèle à qui sait l'interroger comme un appareil merveilleusement construit, tantôt étroitement ajusté à des circonstances très spéciales, tantôt capable par une moins exclusive spécialisation d'oc- cuper d'immenses espaces en vertu de toute la gamme de ses possibilités. Mais nous aurons à reprendre ces ques- tions de philosophie botanique. Revenons donc au lrattis- neria. C'est encore une plante de la même famille des Naïa- dées, comme les Potanwgeton et les ZanicheUia. Fixée au fond d'eaux stagnantes peu profondes, elle développe en- B Fig. 145. — Vallisneria spiralis. A, Schéma re- présentant la plante femelle au moment où les rieurs ont été élevées à la surface de leau. B, Plante mâle dont on voit à gauche le bou- ton d'inflorescence qui contient dans son inté- rieur les fleurs mâles globuleuses qui devront se détacher et arriver à la surface. ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS tre ses feuilles longuement rubanées, sur un pédicelle de longueur variable, une spathe comme celle qui, dans les Alisma, enveloppe les jeunes inflorescences ; ici, elle est formée de trois pièces soudées en un capuchon, dans lequel il y a une fleur quand il s'agit de plantes femelles, ou tout un petit épi de fleurs aux boutons globuleux, quand il s'agit de la plante mâle. Lors de la maturation, le pédicelle, au-dessous de la spathe femelle, s'al- Fig. 146. — Fécondation du Vallisneria américain (v. Wylii nob.) ; au centre le sommet de la fleur femelle, dont on voit les trois pièces d enveloppe en gris et les trois stigmates divisés et spirales en plus clair, le tout au fond d'une cuvette produite par l'action même de la fleur sur 1 eau : autour, sur leau, quatre fleurs mâles nageant au moyen de leurs sépales renversés, ce Fetit esquif couronné par les deux étamines qui ont émis leur pollen : voir au pourtour de entonnoir la culbute des fleurs mâles. Dess. de R. C, d'après Wylie. u longe beaucoup, sans que tout d'abord la fleur soit élevée jusqu'au niveau de l'eau ; alors il s'enroule en spirale et finit, au dernier moment, par se dérouler presque complètement en s'allongeant et en se redressant. A ce moment la fleur femelle sortie de sa spathe, est portée sur un pédicelle spécial. Pour atteindre la sur- face de l'eau, les pédicelles s'allongent parfois jusqu'à plus d'un mètre de longueur; les feuilles rubanées peuvent atteindre jusqu'à 80 cm. de longueur. Alors l'allongement du pédicelle cesse, la fleur femelle écarte ses trois sépales (il n'y a plus dans cette fleur 2Ô6 BIOLOGIE DES PLANTES que de minuscules pétales au fond du calice) ; puis les trois stigmates échancrés s'étalent entre les sépales qu'ils arrivent à dépasser extérieurement. Alors dans les plantes mâles, dont la spathe est portée par un pédicelle qui n'atteint que quelques centimètres de longueur, se fait une curieuse transformation. Par la fente irré- gulière de la spathe qui s'ouvre on voit les boutons mâles — il en est parfois plus de mille — petits globules de o,3 à 0,4 millimètres de diamètre — se détacher de l'axe du centre de la spathe et monter dans l'eau comme des bulles d'air. En effet, chacune de ces fleurs mâles, non encore épanouïes, renferme de l'air, ce qui l'allège. Souvent, dans les pays où ces plantes abondent, il y a des traînées de fleurs mâles qui, en parfait équilibre sur l'eau, sont poussées par le vent. Arrivées à la surface, les trois sépales verts s'étalent, se recourbent en arrière et constituent ainsi un appareil à trois nacelles qui repose sur la surface de l'eau sans se mouiller. Des trois étamines, habituellement deux seulement se développent, leurs filets divergent ; poussées par le vent ou le courant, les fleurs mâles épanouïes arrivent au contact des fleurs femelles; la position des anthères est telle que la pollinisation se fait par contact entre ces dernières et les stigmates qui sont venus comme à leur rencontre. La fleur fécondée est ensuite ramenée sous l'eau par l'enroulement du pédicelle. Le fruit plus lourd que l'eau mûrit et germe sur le fond (/()- Mais chez une espèce voisine américaine, la fécondation se fait un peu autrement. La fleur femelle qui arrive, par son long pédicelle, à la surface de l'eau, est garnie extérieurement d'un revêtement de cire, ce qui empêche l'adhésion de l'eau ; il se forme autour de chaque fleur femelle une espèce de petite cuvette parce que l'eau ne peut la mouiller. Alors les fleurs mâles, dont les étamines sont contiguës et qui portent leur pollen en une espèce de massue, chassées par le vent, arrivent dans le voisinage de la fleur femelle. Si la vague est plus accentuée, la fleur femelle oscille et plonge plus ou moins, ce qui approfondit la cuvette en un entonnoir. Dans celui-ci culbutent les fleurs mâles qui, cette fois peuvent chavirer, sans danger pour elles, car elles sont capturées par la fleur femelle au moment où elle s'enfonce légèrement. On voit les petites fleurs mâles culbuter les unes sur les autres ; ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS lorsque la fleur femelle remonte, le film d'eau retire une partie de ces fleurs mâles, tandis que d'autres, plus avancées, restent dans la fleur femelle au contact des stigmates. Ce manège excessivement curieux, surveillé par M. Wylie, rappelle celui de YElodea cana- densis, la peste d'eau, chez laquelle les fleurs mâles se détachent aussi, montent à la surface, mais, cette fois-ci, explosent subitement en jetant leur pollen sur l'eau. Le vent se charge de conduire le Fig. 147. — La lentille d eau (Lemna minor). Toute la plante formée de feuilles-tiges bourgeon- nantes et munie d'une à deux racines qui plongent dans 1 eau. Dess. de R. C. pollen vers la fleur femelle qui à la surface de l'eau, par les mouvements de plongée, capture les graines de pollen (/(66 BIOLOGIE DES PLANTES C'est ce que font aussi les Bananiers qui laissent au vent le soin de diviser leurs feuilles en menues lanières, ou les Palmiers qui, dès le début, les dilacèrent, tantôt selon le mode des Dattiers, tantôt selon le mode des Chamaerops ou des Lataniers. Mais ici le résultat biologique est tout autre, les grandes feuilles de ces arbres offrent une moins grande résistance au vent, tandis que dans X Aponogeton fenestralis la perforation du limbe a pour effet d'augmenter, dans des eaux chaudes, stagnantes, pauvres en air, la surface de respiration. Ce groupe des Naïades a des représentants dans toutes les parties du monde ; dans les petits lacs de nos Alpes, on trouve en abondance des Potamogeton comme dans les mares arctiques ; le Vallisneria n'apparait que plus au sud, par exemple dans les lacs insubriens, puis tout autour de la Méditerranée. Cette plante supporte d'ailleurs, ce qui est rare chez les végétaux supérieurs, une température habituelle de 420, comme certaines Algues des thermes. Ces plantes, on l'a vu, mécaniquement détachées ou broutées par les mollusques aquatiques, produisent des rameaux nageants qui s'accumulent parfois en véritables radeaux aquatiques. \J Hy- droçharhf yjfonnur Ranae, qui est de la même famille, est un végétal nageant, à feuilles d'un petit Nénuphar ; d'ailleurs par sa fleur blanche, elle aussi, rappelle les Nymphaea ; elle couvre parfois des étendues considérables grâce à ses tiges horizontales minces qui se terminent par un bourgeon d'où sortiront de nouvelles rosettes de feuilles nageantes et des fleurs. En automne, elle émet des bourgeons ovoïdes nommés hibernacles qui se détachent et qui, plus lourds que l'eau, descendent et hivernent au fond sur la vase, pour revenir, au printemps suivant, allégés, flotter à la surface et s'y développer en nouvelles plantes nageantes. Cette catégorie de végétaux nageants méritait d'être désignée par un nom qui en traduisît la biologie : on l'appelle macroplanc- ton, par opposition au microplancton formé par les algues suspen- dues des eaux douces et des eaux salées ou saumâtres. Les len- tilles d'eau dont j'ai déjà parlé en sont chez nous l'expression la plus parlante. Appartenant à une famille dans laquelle nous trou- vons le gouet ou Pied de veau, celle des Aroïdées, qui comprend ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 267 aussi les Calla (Richardià a/ricana) aux grands cornets blancs, et les Anthurium aux spathes écarlates de nos serres, les Leinna ont simplifié leur végétation en renonçant presque totalement aux notions de la morphologie habituelle. On me demandera en effet ce que sont ces lentilles qui bourgeonnent en produisant de nouvelles lentilles. Si ce sont des feuilles, où sont les tiges? Si ce sont des tiges, où sont les feuilles? En réalité, la plante se moque de nos catégories ; nous avons classé pour nos convenances les organes des plantes en racines, tiges (ou axes) et feuilles. Cependant, toute plante commence par un œuf qui est une cellule; à ce moment au moins il n'y a aucun de ces membres. L'embryon des plantes supérieures qui se développe à partir de cet œuf par multiplication de cellules, rapidement se décide à fabriquer une petite racine ou radicule, puis une bu deux premières feuilles ou cotylédons et, enfin, une tige rudimentaire représentée par un minuscule bourgeon. Notre lentille d'eau est donc une plante supérieure, car à cer- tains moments elle produit de minuscules fleurs qui ont carpelles et étamines. La fécondation faite, l'œuf se développe en embryon logé dans une petite graine. Cet embryon a ceci de particulier qu'il ne développe pas sa tige rudimentaire, mais que, élevé vers la surface de l'eau par un flotteur, il produit toute la plante par prolifération, par bourgeonnement d'une première feuille, nommée cotylédon. C'est un cas assez rare dans le règne végétal que cette multiplication à partir de la feuille qui fonctionne comme point végétatif à la façon d'une tige. Ceci a également lieu chez les Utriculaires flottantes (Jùj. ^J~j)' Mais ce n'est pas toujours que les plantes nageantes du macro- plancton arrivent à leurs fins par une simplification à l'extrême ; la plupart suivent un autre chemin. D'ailleurs, nous verrons que chacune a sa manière de se comporter. Je vous transporte maintenant dans un marécage du Chaco, ce pays aux grands horizons, encore incomplètement connu, car il est dangereux de s'y aventurer. A certains moments, inondé par les crues du fleuve, c'est un immense et incertain marécage, domaine des alligators qui semblent flotter dans l'eau peu profonde comme 268 BIOLOGIE DES PLANTES autant de vieux troncs d'arbres ; à d'autres moments, l'eau se retire et laisse des espaces déserts, brûlés par le soleil tropical. Dans les bas-fonds, l'eau séjourne, s'échauffe et devient propice au développement rapide du macroplancton. Je ne pense pas que nulle autre part on ait cité une telle abondance de végétaux flot- tants. Au Pilcomayo, rivière aux bords incertains qui traverse ce pays sauvage, l'abondance des végétaux flottants — en particu- Fig. i53 — Amaranthacée nageante (Alternantkera Hassleriana), dont la tige, sous l'influence de l'eau, se transforme en flotteurs renflés, portant aux nœuds les feuilles dressées et qui, avec les deux groupes de racines, fonctionnent comme balancier. Dess. de R. C. lier des graminées — est telle à certains moments de l'année que des expéditions bien outillées, munies de canots automobiles, ont été forcées de renoncer à aller plus avant. Approchons-nous d'un de ces marécages comme nous en avons vu au Chaco ; nous allons y rencontrer tout d'abord deux plantes inattendues dans cette compagnie des végétaux aquatiques flot- tants. La première est une amaranthacée dont presque tous les congénères sont des habitants des campos les plus secs (espèces de steppes américaines) (fig. 155)- Leurs fleurs, groupées en capitules, sont enveloppées dans des pétales glumacés, de la nature de la paille, ce qui les fait ressem- bler tantôt à des immortelles, tantôt à des graminées. Ces ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 269 capitules blancs, roses ou jaunes d'or, sont d'un effet ornemental assez puissant pour en avoir justifié l'introduction dans les jar- dins (Amarantbus, CeloAa, etc.). Celle qui nous intéresse n'a qu'un capitule blanc argenté brillant, mais elle nous surprend par son mode de vie ; elle occupe sur l'eau, des espaces considérables y ramifiant ses tiges, renflées en forme de gros cigares ou de ton- neaux allongés, couverts de grossiers poils rouges. Ces flotteurs sont à moitié plongés dans l'eau, à la façon d'un navire, d'un tor- pilleur à demi immergé. Le tout est lesté par les deux feuilles assez grosses qui se dressent dans un plan vertical. Elles servent en même temps de balancier à cet esquif en équilibre mobile. Des racines, qui divergent, complètent le système du balancier. Les poils cités ont pour effet, à la surface de l'eau, d'aug- menter l'adhésion par leur force capillaire ; en outre, ils amènent à la surface des tiges, mal protégées par ailleurs contre la dessicca- tion, l'eau nécessaire à leur complète imbibition : c'est le principe de l'éponge. On le voit, c'est comme si chaque particularité avait été calculée pour la flottaison de cette plante vraiment merveil- leuse. Cette même plante peut vivre au pourtour du marécage en végétal terrestre. Alors elle dresse ses entrenœuds qui ne dévelop- pent plus de poils; elle change donc d'humeur par rapport à la pesanteur, ses nouvelles branches s'amincissent, les feuilles y sont plus étroites et le végétal tout entier rappelle à s'y méprendre une espèce déjà connue du bord des marécages sud-américains, YAlter- nantbera pbyUoxeroides. Le systématicien qui, en Europe, examinerait les formes terrestre de ces deux plantes les classerait certainement dans la même espèce et en ferait une même variété. Mais voici que les deux entrent dans l'eau, l'une et l'autre gonflent leurs entrenœuds, mais celle-ci n'ar- pas à former les gros cigares-flotteurs, ni les poils-éponges, __ les grosses feuilles-balanciers. Identiques en apparence sur la terre terme, les deux espèces se révèlent distinctes au contact de l'élément aqueux. « C'est au travail qu'on connaît l'ouvrier. »> La Nature vivante est riche en exemples de cette sorte, mais les botanistes de cabi- net, d'herbier et aussi parfois de laboratoire n'y ont pas pris rive ni BIOLOGIE DES PLANTES garde. Le plus souvent ils tuent la plante avant de l'examiner, de l'étiqueter. Il est temps qu'on traite la Botanique comme une science de la Nature et que la pseudo-science du collec- tionneur fasse place à l'in- vestigation, à la résolution de problèmes que suggèrent les phénomènes du vivant. Il faudra sans doute toujours des collectionneurs et des collections, mais, de grâce, qu'on ne donne pas à cela le nom de science ; les ma- tériaux sont nécessaires, mais le problème essentiel, c'est de saisir la vie sur le fait, c'est d'observer et d'ex- périmenter pour contrôler les observations. Voici, dans le même ma- récage, une autre plante plus étonnante encore. Elle appartient au genre Phyl- lanthus, genre d'Euphorbia- cée qui comprend plus de 400 espèces. De toutes ces espèces, une seule est nageante. Découverte pour la première fois par Richard Spruce en Amazonie, ce savant naturaliste écrivait : « Quoique aussi éloigné de Sahinià (fougère aquatique nageante) que les pôles le sont l'un de l'autre, le PhyLLanthus ftuitans\m res- semblait tellement, dans son apparence générale, que je pouvais à peine croire mes yeux en reconnaissant qu'il appartenait aux plantes à fleurs. C'est un des nombreux cas que j'ai rencontrés de plantes qui, totalement différentes par la structure de leurs fleurs et de leurs fruits, arrivent à se ressembler dans leurs appareils Fig. 154. — Euphorbiacée nageante (Phyllanthus fluitans) ; on voit les feuilles munies de deux bosses et entourées d'un rebord plat adhérent à la surface de leau. Dess. de R. C. ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 271 végétatifs lorsqu'elles sont soumises aux mêmes conditions d'exis- tence. C'est l'une des causes, je ne saurais en douter ; mais il y en a probablement d'autres, cachées quelque part, plus profondes, que nous n'avons été jusqu'à présent capables de pénétrer, qui ont, comme dans le cas analogue nommé « mimic^ » chez les insectes, aidé à provoquer ces étonnantes et inattendues simulations. » En effet, la ressemblance est frappante au premier coup d'œil: comme dans la fougère aquatique, dont il faudra dire quelques mots pour la comparer à une autre fougère de notre marécage, la tige filiforme porte deux rangées de feuilles qui sont comme posées sur l'eau, tandis que des racines plongent dans l'élément liquide. Mais, à l'examen, cette ressemblance du Phyllanlhus /fui 'tans et de la Sahinia ne paraît plus que superficielle. Chacune de ces plantes a réalisé le problème de la flottaison à sa façon. Ici, la feuille orbiculaire, de couleur verdâtre fortement teintée de rouge, de la couleur rouge d'une belle prune, repose sur l'eau par sa nervure moyenne et par son bord membraneux, tandis que des deux côtés de la nervure elle s'élève en une vési- cule dont le rebord, formé par la marge de la feuille, vient adhérer à la superficie de l'eau. Grâce à ce dispositif, chaque feuille forme avec la surface de l'eau un double sac qui emprisonne une grosse bulle d'air. Voyez, en outre, l'ingéniosité de ce flotteur : l'eau peut humecter la marge inférieure, mais la cire qui, comme un mince vernis, recouvre d'une pruine légère la surface extérieure, rosée, de la feuille, empêche celle-ci d'être mouillée du côté supé- rieur (fuj. 154). Ainsi, la plante se maintient en un constant équilibre qui lui permet, comme à la lentille d'eau, d'occuper d'immenses étendues. Tout à l'heure, nous avons mentionné une fougère nageante, la Sahinia natans. N'étaient les organes reproducteurs, espèces de sacs sporifères qui sont exactement du type général des fou- gères, on aurait quelque peine à reconnaître dans ce végétal un parent des Porypodes et des Adiantum. Cette plante, absolument dépourvue de racines, possède à côté des deux séries de feuilles nageantes, une troisième série de feuilles qui simulent des racines, mais qui sont en réalité des feuilles vertes ramifiées comme celles BIOLOGIE DES PLANTES d'une renoncule submergée. Ce sont à la fois des flotteurs-balan- ciers et des appareils d'absorption. Grâce aux aspérités qui cou- vrent la surface des feuilles et à la cire qui les empêche d'être mouillées, ces dernières résistent à l'agitation de l'eau et reviennent auto- matiquement à la surface (fig. lyy)- Telle autre1, beau- coup plus grande, est encore une fou- gère dont la tige, très courte, ne s'en- racine pas; les feuil- les sont munies à leur base d'un gros flotteur plein d'air, tandis que leur limbe étalé sur l'eau est, de même que les précé- dents, recouvert de cire. On voit ces grosses feuilles en éventail proliférer sur leur bord et, par un bourgeonnement particulier qui rappelle celui des lentilles d'eau (Leinna), donner naissance à de nouvelles plantes qui se détacheront et iront propager l'espèce. Enfin tout près, dans ce même marécage, voici les Pontédé- riacées nageantes, elles aussi constituées par une rosette de feuilles munies à leur base d'un simple flotteur. Dans ces eaux chaudes, elles se multiplient rapidement. Au bord du lac Ypacaraj^ et dans les eaux du Chaco, elles s'accumulent sur de grandes étendues, refoulant toute autre végétation. Comme elles portent sur une tige assez courte une belle inflorescence violette, de l'apparence et de la couleur de celle d'un petit Iris, au moment de la floraison, elles couvrent ces eaux comme d'un jardin suspendu. Avec les Graminées flottantes qui ont renflé leurs chaumes et qui s'agrè- gent en gazons denses, elles arrivent à former des îles flottantes Ceratopteris tballctrotdes. Fig. i55. — Le Salvinia natans, fougère aquatique nageante. ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 2/3 qui entravent la navigation. Dans ces îles circule une vie végétale et animale intense ; elles sont animées par le cri, le jacassement de milliers d'oiseaux qui ont élu domicile sur les troncs d'arbres à moitié pourris qui, entraînés de la rive, sont arrêtés par cette barrière ; des buissons y ont germé et s'élèvent déjà à une cer- taine hauteur, comme les Neptunia, les Caperonia et bien d'autres qui ont cette même capacité de produire des flotteurs. Miss Pallis a observé de semblables îles flottantes, mais con- stituées en majeure partie de roseaux (Phragmites communis), dans le Delta du Danube l. On assiste parfois à la migration de ces îles flottantes (nommées en Amazonie « Cannarana») sur l'Orinoco, le Mississipi, l'Amazonie et le Rio Paraguay. Elles occupent parfois une étendue de 1 à 2 hectares. Elles se forment naturellement dans les marais qui com- muniquent avec les fleuves ou dans les baies tranquilles, où ces graminées sont faiblement enracinées ; souvent même la base des chaumes est déjà pourrie lorsque la crue arrive ; les gazons compacts sont facilement détachés de la vase et entraînés vers la rivière. De même que dans nos lacs les Potamots arrivent à atteindre la longueur de 4 à 5 mètres, dans les eaux mortes de l'Amazone supérieure, Spruce a mesuré des Paspalum (P. pyrami- dale) (Paspalum repens, selon Huber), graminées de ces îles, qui possédaient 78 nœuds avec une longueur de 10 mètres. Il y a des îles flottantes qui atteignent 6 à 10 mètres en épaisseur. Des nœuds, partent des racines allongées. La surface de ces radeaux porte à certains moments d'innombrables panicules, ce qui les fait ressembler à une prairie artificielle de chez nous, au mois de juin. C'est aussi dans ces îles qu'abondent les SaU'iiua, les Ceratopteris, les Llmnoblum, des Polygonuin aquatiques, grandes renouées qui ressemblent aux Alteriianthera dont on a parlé. Le danger que courent les vaisseaux qui naviguent sur les grands fleuves de l'Amérique, pendant la crue, n'est pas petit. On a vu des vapeurs ancrés dans le fleuve, emportés par la masse végétale et faire naufrage. Parfois des alligators, des gros serpents d'eau, énormes Eunectes, même des Jaguars, sont emportés sur ces îles par le courant. Cf. s. Linn. Soc. ^5. 274 BIOLOGIE DES PLANTES On conçoit dès lors que ces masses flottantes puissent servir à propager beaucoup d'espèces qui, sans elles, tomberaient rapi- dement, en s'imbibant, au fond de l'eau ou altéreraient leurs semences par un séjour prolongé dans l'eau. Nulle part dans la nature nous ne voyons d'une manière plus évidente que chez les plantes aquatiques, amphibies ou nageantes, la morphologie s'écarter plus singulièrement du type général. On est bien forcé dès lors de considérer la vie aquatique, chez les plantes supérieures, comme le mode exceptionnel. En nous pla- çant au point de vue de la filiation, il n'y a pas lieu de douter que les plantes terrestres ne doivent être, chez les Spermaphytes (à fleurs et à semences), considérées comme les plus primitives, les moins déviées du plan général. La vie aquatique qui a rendu superflue, chez beaucoup d'es- pèces, l'existence de nervures compliquées pour la circulation de l'eau, qui a fait disparaître les pores qui mettent l'intérieur de la plante en communication avec l'extérieur, avec l'air, ou qui les a localisés sur les faces exposées à l'air, a cependant ordinairement respecté la structure générale de la fleur qui, le plus souvent, reste aérienne ou doit arriver à la surface pour y être fécondée. Mais elle a profondément modifié la morphologie des feuilles ; certaines espèces répondent à ce milieu spécial d'une manière si adéquate qu'on en reste confondu d'admiration. Etudions, pour terminer, l'une des plus curieuses des formes nageantes, celle des Utriculaires. Ici, comme chez les lentilles d'eau, la plante a renoncé aux définitions étroites de la mor- phologie habituelle : elle est constituée tout entière par des feuilles qui s'allongent en stolons, flanqués d'appendices foliacés, lobés, et d'autres appendices en forme d'utricules, ce qui leur a valu leur nom. Lorsque le moment de la floraison est venu, on voit se dresser un fil qui, cette fois-ci, porte des feuilles écailleuses et, à son sommet, dans l'air, des fleurs jaune d'or, que viennent visiter les insectes. Chez l'une des espèces qui habitent les maré- cages du Chaco déjà citées, chaque inflorescence porte, dans l'eau, à sa base, de singuliers appendices disposés en croix et dont la région moyenne est renflée en sacs allongés, en flotteurs. La ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 275 Fig. i55dfs. — Apparence générale de ÏUtricularia vulgaris. D'après Kerner. stabilité de l'inflorescence est donc facilitée, assurée, par le jeu de ce balancier, véritable ceinture de sauvetage qui règle le niveau auquel doit se maintenir le végétal pour être fécondé par les insectes. On a cru pendant longtemps, et c'était l'opinion de Pyrame de Candolle, que les utricules étaient les véritables organes de sus- pension, qu'ils avaient la faculté de s'alléger et de s'alourdir selon les nécessités. Ce sont, en réalité, des trappes au moyen des- quelles l'Utriculaire complète sa nutrition par un supplément de BIOLOGIE DES PLANTES viande fraîche. Rien de plus surprenant que ces utricules carnivores. La cavité est tapissée du côté intérieur par des glandes digestives qui sécrètent un suc gastrique très actif. De petits animaux Copépodes, Ostracodes (Cypris) sont attirés vers les urnes par la sécrétion d'un mucilage. Involontairement, ils poussent devant eux l'obturateur de l'urne, espèce de porte, qui cède faci- lement à un animal venant du dehors, mais par le jeu d'un cran d'arrêt, ne permet pas la sortie aux animaux qui sont entrés dans la trappe. Ces petits animaux sont rapidement étouffés par la gelée qui est abondante dans l'urne ; bientôt la Fig. i56. — Portion d'une «tige» submergée de ÏUtri- cularia minor, montrant les lobes foliacées et les urnes (ascidies). Dess. de R. C. Fig. 157. — Utriculana vuigarh, por- tion d une «tige» avec lobes foliacés et lobes «urnes». Dess. de R. C. digestion s'y effectue, comme dans un estomac le bol alimentaire se ramollit pour être finalement digéré et absorbé dans l'intestin. Tout ceci se passe sous l'eau. Il en est de même chez X Aldrovandia {fig. 159, 160) des eaux tempérées du centre et du sud de l'Europe. Comme 1' Utriculana, cette plante est sans racines ; ses feuilles sont à chaque nœud en verticille de 8 à 9, chacune portée sur un pétiole, lui-même terminé à son sommet par un groupe de soies assez raides. Le limbe foliaire est si clairement construit pour la capture des petits animaux qu'il vaut la peine de l'étudier en détail. Etalé, il comprend des deux côtés de la nervure médiane : ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 277 i° au centre, une zone couverte de glandes digestives ; i" autour de cette zone active, une zone dépourvue de glandes et entourée à son tour par une marge glutineuse qui attire les animaux ; le tout est bordé par un liseré muni de soies. Pour comprendre ce mécanisme, il faut examiner, tout d'abord, la structure générale et puis aborder ensuite l'analyse des particularités. Lorsque la feuille qui, au repos, dispose ses deux moitiés selon un angle de 6o°, est fermée, on remarque que la zone interne, bombée vers l'extérieur forme une vésicule hermétique- ment close : les marges, large- ment aplaties, sont venues s'ap- pliquer l'une contre l'autre comme les deux valves d'une huître. La proie est ainsi en- fermée dans une cavité diges- tive, dans laquelle elle peut encore se débattre, pendant un certain temps. Il y a donc une trappe qui se ferme brusque- ment sur l'imprudent qui pénètre dans l'aire de la zone interne. C'est qu'en progressant vers l'in- térieur, l'animal a rencontré des organes sensibles, qui sont des soies, que le moindre attouche- ment déforme et irrite ; cette irri- tation se transmet au limbe et en particulier à la nervure qui, par un mouvement de charnière, ferme la boîte sur l'imprudent visiteur. Alors entrent en action d'autres poils, beaucoup plus courts, qui sécrètent un suc digestif. En même temps la feuille émet une bulle d'air qui refoule le suc de Fig. i58. — Structure des poils sensibles d Aldrovandia vesiculosa. A, poil sen- sible ; /, socle ; hu ht et h3, les étages à cellules allongées et à parois externes épaisses ; g, articulation perceptive à pa- rois minces ; B, articulation avec les cel- lules voisines ; C, la même après courbure, on voit la déformation que subira le plasma sensible. D'après Haberlandt. BIOLOGIE DES PLANTES digestion, en quelque sorte le bol alimentaire, vers l'extérieur, c'est-à-dire vers la marge, où sont situées les papilles digestives et absorbantes. Cette région fonctionne donc comme un intestin, tandis que la plus interne a le rôle d'une cavité stomacale. L'ani- mal étouffé est rapidement digéré. Fig. i5g. — Aldroi>andia. L'une des feuilles verticillées (comp. avec fig 160) à limbe étalé: a, pétiole muni au sommet d appendices en forme de soies ; b, rebord plat de la feuille qui, lorsque la feuille repliera ses deux valves, s appliquera exactement sur le rebord correspondant de l'autre moitié ; d, région bombée vers l'extérieur, sur la- quelle sont les soies sensibles et qui peut contenir l'insecte. Dess. de R. G. Quant à la perception de l'irritation, causée par le contact de l'animal avec les soies sensibles, elle est facilitée par un ingénieux dispositif étudié par M. Haberlandt. Chacune de ces soies est rigide dans sa partie inférieure et sa pointe, mais les deux régions sont reliées entre elles par une zone moyenne moins résistante. ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS 279 Toute pression exercée sur l'extrémité a, pour effet, de la déplacer latéralement, tandis que le pied de la soie reste rigide. De cette manière, la zone moyenne est tendue d'un côté, de l'autre elle est pincée, comprimée, ce qui lui fait faire un pli. Ceci agit comme une égratignure, une piqûre sur un épithélium sensible; de là l'intensité de la réaction effectuée par la nervure foliaire qui, en un mouvement réflexe, fonctionne comme une charnière (Jig. 158)- Fig. 160. — Feuille de l'Aldrovandia, dont le limbe s'est replié et s'est fermé : les deux valves sont appliquées 1 une contre l'autre par leurs bords b. Dess. de R. C. Si l'irritation a été produite par un corps dur quelconque, inerte, l'occlusion des valves se fait immédiatement, mais ces der- nières ne tardent pas à s'étaler de nouveau ; ceci n'a pas lieu si l'irritation a été produite par un corps vivant, par une proie ! C'est une idée répandue que les plantes manquent de vraie sensibilité, ou que si elles en ont une, ce n'est qu'exceptionnelle- ment qu'elle se manifeste, par une réaction visible, comme dans le cas de Y ALdrovandia qui, au moindre contact, ainsi qu'une paupière, se ferme brusquement. Comme chez les animaux, Y Aldrovandia réagit par un mou- vement effectué par une zone motrice. La nervure foliaire joue le rôle du muscle qui se contracte ; mais, pour obtenir cet effet, il ne suffit pas d'irriter cette nervure, il faut toucher une place 280 BIOLOGIE DES PLANTES sensible, ici localisée dans l'articulation, au milieu de la longueur des soies, spécialement construites à cet effet. Cette irritation doit être conduite jusqu'à l'organe moteur; il y a donc bien ici, comme chez l'animal, la chaîne bien connue du réflexe nerveux. Mais, pour être plus frappante ici que dans les autres mouvements des végé- taux, cette localisation de zones sensibles et motrices ne fait pas défaut autre part. De quoi s'est-il agi dans l'exposé que j'ai fait des équilibres variés que prennent, selon les circonstances, les organes des végé- taux aquatiques, sinon de sensibilité vis-à-vis de ces excitations? Lorsque le Myriophylium ou le Potamogeton effectue la courbure de sa tige, qui amènera l'épi florifère au-dessus de l'eau pour y fleurir et s'y féconder, la perception se fait par l'épi jeune qui est en quelque sorte la cervelle du système, tandis que la courbure s'effectue bien plus bas, dans l'eau, par la zone de la tige qui a conservé le pouvoir de croissance, c'est-à-dire par l'un des derniers entre nœuds. Tous ces mouvements par lesquels la plante maintient son niveau, dispose ses feuilles par rapport à l'horizon ou la sur- face de l'eau, entraîne ses fruits pour les mûrir sous l'eau, toutes ces flexions, ces plongées savantes et, par conséquent, comme minutieusement calculées, sont possibles parce que, quelque part dans le végétal, il y a comme un cerveau, comme des ganglions, des fibres sensibles qui perçoivent les variations du monde ambiant et qui, vis-à-vis de cçs variations, amènent à un nouvel équilibre Plus encore, et bien moins compréhensible à notre pauvre petite jugeotte, il y a ces changements de sensibilité amenés par l'âge, par la dépendance mutuelle des parties, coordonnées en un mot, dépendant de l'état de l'individu à un moment donné. Mais, toutes les plantes, dans les mêmes circonstances, ne se comportent pas de même. En naissant, elles avaient déjà leur nature propre, leur personnalité. On peut, il est vrai, forcer presque toutes les Monocotylédonées amphibies à déve- lopper, dans l'eau profonde, des feuilles d'un seul et même type, des lanières étroites, mais qu'on baisse le niveau et le naturel, c'est-à-dire le spécifique, «revient au galop», celle-ci produisant des feuilles ovales, alors que celle-là les forme en fer de lance, une autre en cœur. ZONES DE VÉGÉTATION ET ASSOCIATIONS Tandis que ce Potamot nageant, pour entraîner ses fruits dans l'eau, courbe ses pédoncules, son voisin ne fait que les défléchir latéralement 1 Ainsi notre science nous permet, il est vrai, de savoir que ces mouvements, comme toutes nos actions, ne peuvent s'effectuer sans puiser dans l'énergie accumulée en nous par la nutrition et libérée de nos tissus et de notre sang par la respiration ; mais elle ne sait pas encore nous expliquer en quoi consiste ce clavier sensible sur lequel dame Nature joue quelques airs, mais qui dif- fère de plante à plante. Celui qui devant tant d'énigmes à résoudre désespérerait ne serait pas de la race des chercheurs ; à la quête de l'absolu l'homme de science, sans y atteindre, enrichit l'humanité de quel- ques expériences. Ce faisant, il gagne, lui aussi, en méthode et renonce à quelques erreurs. ^^ BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE GluCK, H. — Biologie und morphologische Untersuchungen iiber Wassergevvàchse, Jena (1906-191 1). Warming, E. — Lehrbuch der okologischen Pflanzengeographie. KlRCHNER, Loew u. Schroeter. — Lebensgeschichte der Bliitenpflanzen, Stuttgart (1904, se continue). Kerner, V. Marilaun. — Das Pflanzenleben der Donaulânder, Inspruck (i863). Flahault, Ch. — Projet de nomenclature phytogéographique, Comptes rendus du Congrès, Paris (1900). Magnin, A. — Les lacs du Jura, Paris (1904). Moss, C.-E. — The fundamental Units of végétation, New PbylologUt, IX (1910). The Journal of Ecology, Cambridge University Press (1913 et seg.) 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De ce tronc partent les feuilles et les fleurs qui sont élevées par de longs pétioles ou pédoncules jusqu'à la surface de l'eau ; les feuilles se placent sur l'eau quand le pétiole n'est pas assez robuste, mais chez certaines espèces la vigueur est suffisante pour élever le limbe au-dessus de la surface ; il en est de même des fleurs qui, presque toujours, s'épanouissent à l'air et à la lumière. Cependant, dans deux espèces, l'une et l'autre de l'Amérique équatoriale, les fleurs peu brillantes semblent pouvoir se féconder sans s'ouvrir. Rien de plus intéressant que le procès de régulation par lequel les Nénuphars s'adaptent à des niveaux d'eau variables. La lon- gueur des pétioles et des pédoncules dépend de la hauteur de la colonne d'eau. On peut s'assurer de cet ajustement en plaçant des plantes en culture dans un milieu où l'eau est plus profonde. On verra le lendemain que leurs pétioles se sont allongés de quelques centi- mètres et que les limbes nagent de nouveau à la surface de l'eau. Si l'on a mis la plante dans de l'eau moins profonde, les feuilles dont les pétioles sont trop longs n'ont qu'à augmenter l'angle qu'ils font avec le point de départ, et les limbes sont de nouveau à la sur- face de l'eau. Par contre les nouvelles feuilles ne développent que des pétioles de la longueur nécessaire pour atteindre la surface. D'ailleurs, ces plantes ont un remarquable instinct pour utiliser la place, un peu comme les feuilles des arbres de nos forêts qui savent 284 BIOLOGIE DES PLANTES se placer en de curieuses mosaïques comme pour utiliser la lu- mière de la manière la plus avantageuse. Ici, chez les Nénuphars, Fig. 161. — Serre dans laquelle on a cultivé le Victoria regia ; au premier plan, la fleur épa- nouie; grandes feuilles qui adhèrent si fortement à l'eau qu'un jeune homme peut s'y tenir debout. Phot. commerciale. comme pour céder la place aux feuilles plus jeunes, les anciennes allongent leurs pétioles, ce qui les écarte de plus en plus de la verticale qui passe par le point de départ, le point végétatif. Les causes physiques qui interviennent pour renseigner la plante sur LES NÉNUPHARS — LES NUPHARAIES î85 ce qu'elle doit faire sont encore mal connues ; il semble pourtant que la tension de l'oxygène joue un rôle dans ce phénomène. Quant au limbe qui nage, son insertion sur le pétiole est telle que la submersion n'est guère possible. En effet, le limbe étant plus ou moins attaché en son milieu, la tension du pétiole tend à appliquer la lame sur l'eau. Si ce pétiole était inséré à la base du limbe par tension du premier, il y aurait submersion. On constate un semblable ajustement pour ce qui est des fleurs. Il a déjà été Fig. 162. — Serre dans laquelle on a cultivé le Victoria regia. Grandes feuilles qui adhérent si tortement sur l'eau qu une jeune fille peut s'y tenir debout. Phot. du Jardin botanique de Moscou. dit que si le niveau s'élève, le pédoncule s'allonge pendant le développement de la fleur jusqu'à ce que la surface ait été atteinte. Mais si on fait croître un nénuphar dans un bassin peu profond, le pédoncule floral, qui continue à croître malgré le peu de profon- deur, trouve moyen, par une courbure appropriée, de garder le bouton floral sous l'eau jusqu'à la maturation de la fleur. Alors ce pédoncule se raidit, se redresse et élève la fleur épanouie hors de l'eau {Nymphœa Jtavo-vireiif). Ces « roses des eaux » ont l'habitude de n'ouvrir leurs fleurs que pendant quelques heures et à certaines heures du jour. M. Conrad a établi pour les espèces cultivées par lui (Phila- 286 BIOLOGIE DES PLANTES delphie) un horaire de Flore. Il faut se lever matin pour assister au réveil du nénuphar des Amazones, lequel s'épanouit vers trois à quatre heures du matin et se ferme déjà vers cinq à six heures. C'est seulement alors, par contre, que notre commun nénuphar (var. candld'isfima) s'épanouit, pour fermer sa corolle vers le milieu de l'après-midi. Le N. rudgeana, espèce originaire de l'Amérique tropicale, commence sa floraison à neuf heures du soir et l'a déjà terminée à minuit. Notre nénuphar blanc ouvre ses fleurs à des heures variées selon la latitude ; on a indiqué 7 heures du matin pour Upsal et 8-9 heures pour Innsbruck. La fleur du N. amazonum s'ouvre deux nuits de suite. La pre- mière nuit, son bouton est encore plongé d'un centimètre dans l'eau ; vers 3 heures du matin, elle commence à étaler ses sépales jusqu'à 4 h. i5. A 4 h. ^5, cette fleur se prépare déjà à se refermer et l'occlusion est complète à 6 h. du matin. La seconde nuit, l'épanouissement est plus avancé ; déjà vers le soir les sépales commencent à diverger, mais ce n'est que vers 3 heures du matin que le centre de la fleur s'étale un peu et que les étamines s'ouvrent. A 5 heures, au plus tard à 6 heures du matin, l'occlusion est par- faite et le bourgeon floral est progressivement retiré sous l'eau, ce qui prend à peu près 8 heures. Ce second jour, le mouvement des sépales qui s'ouvrent est assez rapide pour être vu ; parfois l'espace parcouru par un sépale à son sommet était de 5 cm. en 6 minutes. La lumière est le principal facteur qui influe sur cet épanouis- sement périodique, mais la chaleur intervient. Certaines espèces ne font ces mouvements que si la température est suffisamment élevée. Mais notre JY. alba est beaucoup moins sensible à ces variations de température que les espèces exotiques. La fécondation se fait par des coléoptères qui viennent visiter ces grandes fleurs pour en récolter le pollen ; tantôt il y a fécon- dation croisée, tantôt directe. Après la pollinisation, le pédoncule retire la fleur sous l'eau, ou comme chez le lotus d'Egypte par une courbure en crosse, ou chez la plupart des autres par LES NÉNUPHARS — LES NUPHARAIES 287 un enroulement en spirale, un peu comme cela a lieu chez le PraL- iumeiia spiralis. Si la fleur n'a pas été fécondée, ces mouvements n'ont pas lieu. Dans l'eau, où il a été ainsi retiré, le fruit mûrit et de la capsule ouverte s'échappent finalement les semences qui montent à la surface au moyen d'un appendice qui fonctionne comme flotteur; au lieu de germer sur place, elles sont ainsi dis- séminées par le courant de l'eau. Finalement, les semences, débarrassées de leur flotteur, se noient et vont germer dans la vase du fond. Chaque plantule développe tout d'abord une feuille étroite joncoïde, puis des feuilles aquatiques submergées et seulement ensuite les feuilles nageantes à longs pétioles. Comment ne pas être saisi d'étonnement devant cette série d'actes qui semblent comme calculés pour un effet proche ou loin- tain et qui s'enchaînent logiquement. Je voudrais qu'au lieu de dépenser tant de talent et d'énergie à identifier des milliers d'es- pèces et de variétés déjà cent fois, mille fois cataloguées, nos jeunes naturalistes, après l'apprentissage systématique nécessaire et utile, s'essayent à suivre dans leur histoire les espèces d'un groupe naturel de plantes d'Europe. L'un ferait germer des om- bellifères de prairie ou de marécage, l'autre étudierait la dissé- mination des fruits charnus par les oiseaux, un troisième l'enra- cinement et la conquête du terrain par les composées bisannuelles ou persistantes. Mais pour cela il faudrait transformer l'ensei- gnement des sciences dans les Universités puis dans les écoles spéciales qui forment les maîtres, en détournant les élèves des sciences exclusivement verbales, ou même de l'anatomie, science le plus souvent morte, pour les diriger du côté de la vie et de ses manifestations. Ces magnifiques plantes, si décoratives, caractérisent la zone dite des Nupharaies dans le monde entier, de la Nouvelle-Zé- lande au nord de l'Amérique. Le Nymphœa alba s'élève jusqu'à 1200 m. dans nos Alpes. Il est des espèces qui sont extrêmement répandues comme celle-ci, qui va de l'Europe au nord de l'Afrique. Les deux espèces de lotus des anciens qui figurent sur les monu- ments égyptiens sont le N. lotus, espèce à floraison nocturne, et le X. cœrulea ou lotus bleu, à floraison diurne. Le D' Schweinfurth BIOLOGIE DES PLANTES qui a étudié les plantes des tombeaux égyptiens, a reconnu le lotus bleu non seulement à ses pétales aigus, mais à ses feuilles Fig. i63. Le Victoria cru^iana, couvrant de grandes étendues, au Rio Paraguay. entières, sur plus d'une décoration de sarcophage ; enfin, on a par- fois rencontré des décorations, de la période ptoléméenne, où le lotus est peint en bleu. Le même voyageur-naturaliste a pu cons- tater que, soit l'une soit l'autre de ces espèces, souvent conservées LES NÉNUPHARS — LES NUPHARAIES 289 comme guirlandes des morts, documents aussi certains que des échantillons récents d'herbier, n'avaient varié en rien depuis les i5oo-2ooo ans avant J.-C. qui nous séparent de la XXe et XXIe dynasties. Remarquable constance de l'espèce ! Blanches comme dans le Nymphœa alha, les fleurs sont presque identiques, mais bleu pâle, dans le Nymphœa cœrulea, jaune d'or Fig. 164. Nuphar luteum. A, fleur (comparez avec planche XIV) ; B, frui Dess. de R. C, d'après Magnin. dans le N. sulfurea, rouges dans N. rubra; quelques espèces comme N. rubra, N. Zanzibaren/ur et N. gigantea ont des fleurs de plus de 3o cm. de diamètre. Ces Nénuphars de l'Inde, du Mexique et des Etats-Unis, avec leurs hybrides de toutes nuances, sont les orne- ments favoris de nos étangs et de nos serres. Du même type biologique, le Victoria regia de l'Amazonie et son cousin, espèce parallèle, le V. cruziana du haut Paraguay, l'emportent sur toutes les autres comme grandeur et beauté des fleurs ; leurs immenses feuilles à bords repliés, retroussés comme ceux d'une feuille à gâteau, ont parfois deux mètres de diamètre. Ces immenses limbes résistent à l'action déchirante des tempêtes par le réseau solide de leurs nervures à la face inférieure. Cet arran- gement explique aussi que de grands enfants puissent, sans danger, igo BIOLOGIE DES PLANTES se placer sur ces limbes sans que ceux-ci se replient. Ils sont comme portés sur un cadre et un treillis solides (fig. 161 et 162). Beaucoup d'autres végétaux aquatiques sont du même type. Ainsi au point de vue des feuilles, plusieurs Potamogétons, des Hydrocharitacées et des Alismatacées aux feuilles nageantes, plus ou moins orbiculaires, avec le pétiole au milieu du disque et des fleurs qui ressemblent à de petits nénuphars, sans appartenir à la même famille. Ce sont là des phénomènes de convergence et qui frappent l'une ou l'autre des espèces dans les familles les plus diverses. Ainsi, dans les rlyTdrocharitacées, 1' ' Hydrocharis inorsus rancv des tourbières du plateau suisse, le Liinnantheinuin Huin- boldl'ianiun, Gentianacée des Tropiques, les Renoncules d'eau comme les Ranunculus aquaG.Hr, R. trichophylluf ; mais chez der- nières, il y a aussi des feuilles submergées, en pinceau (branchies). Les Nuphars jaunes des lacs du Jura et des tourbières du nord de l'Europe représentent un second type de Nénuphars, mais dont l'ovaire est complètement libre. Leur biologie est à peine diffé- rente de celle des précédents. Il y a dans ce groupe plusieurs espèces mal définies et qui sont reliées les unes aux autres par des intermédiaires embarrassants même pour le botaniste systé- maticien (planche XII" et fig. 139, i6jf). Il faut encore citer, de cette famille, les Nelumbo asiatiques, aux feuilles dressées et terminées en entonnoir, de l'Asie tropicale et de l'Extrême-Orient. "«ES»" Les Joncs. — Les Roseaux. IE type le plus caractéristique des jcncs de chez ncus est le _^ Scirpiiif lacustrif, dont les tiges, au moment de la floraison, atteignent parfois plus de deux mètres de hauteur. Il est le modèle de beaucoup de plantes de la même station et qui, toutes, ont pris cette apparence joncoïde à tige simple, lisse et flexible, et le long de laquelle l'eau n'adhère que passagèrement {Planche XJr el J'ii]. 16-f b'u). Il y a tout d'abord le groupe important et nombreux en espèces des joncs proprement dits (Junciur tantprocarpUs, J. alpinus, J. oblusi/l'oriur), puis les Eleocharur petits et grands (E. paliudruf, E. uniglumir, E. setacea), les Schoenus (S. nigricans), les Cyperus. N'oublions pas de citer ici ces plantes joncoïdes qui, par leurs feuilles, font penser aux Allium, comme la Ciboule ( Allhun Schœnoprasum) et qui se retrouvent dans les familles les plus diverses et les plus éloignées les unes des autres, au point de vue systématique. Toutes ces ciboules vivent dans les mêmes stations : zones humides ou submergées ou temporairement inondées. Ainsi, dans les Isoètes, espèces de Lycopodinées de marécage qui simulent un Eleocharis, ou aussi, chez cette singulière Plantaginée, des eaux mortes de nos lacs, le L'dloreUa laciurtrur qui souvent forme des prairies de petites Ciboules, parfois immergées. Alors elles vont porter leur unique fleur hors de l'eau, sur un pédoncule, ce qui permet aux étamines, disposées comme chez le plantain lancéolé (Plantago lanceolata) , d'osciller à l'air et de laisser emporter leur pollen par le vent (fig. i-fo A. B.). On remplirait un livre de la description des espèces joncoïdes dans les diverses familles. Je veux citer encore, dans les flaques autour des lacs, ce singulier Ranunculiur replans que l'on voit dessinant sur la vase de nos grèves lacustres des réseaux de tiges filiformes munies de feuilles étroites, ou un peu spatulées ; 292 BIOLOGIE DES PLANTES dans l'eau les feuilles de cette espèce deviennent semblables à celles d'un LiltoreUa ; elles perdent leur limbe et sont parfaite- ment joncoïdes ( Planche XV}. Toutes ces plantes cheminent sur des tiges souterraines peu profondes qui se rami- fient en jeu d'orgue ou en série régulière. (Jig.166). Si les rhizomes, on nomme ainsi ces tiges souterraines qui cheminent horizontale- ment, sont profonds, les racines qui en sor- tent semblent fuir la vase et s'approcher de la surface comme pour y respirer. Les joncaies acquièrent dans les maré- cages tropicaux une importance énorme. On y retrouve les mêmes formes biologiques que chez nous, mais en plus grand. Ainsi, le Pa- pyrus des anciens, qu'on trouve déjà en Europe dans les marécages de la Sicile, à Syracuse, mais qu'il faut aller voir là où il est réellement chez lui, au cœur de l'Afrique. Dans les immenses marais du pourtour des grands lacs il forme des fourrés puissants dans lesquels se cachent les hippopotames. Il est de la famille des Cypéracées dont la majorité des espèces préfère les milieux humides. Et parmi les espèces si nom- breuses de cette famille, il en est de toutes les régions aquatiques, les Eléocharis inon- dés, les Scirpiur des grands lacs, les Cyperus Papyrus des marais subtropicaux, les Carex (600 espèces) de toute sorte. Quelques formes de Carex s'échappent des eaux et deviennent des plantes de prairies, de ro- Fig. 164&W. — Scirpus la- chers ou de forêts. custris. Sommet delà tige ti / 1 / /-r j 1 simple avec 1 inflorescence. H est alors instructif de comparer les (Comparez avec pi. XV). j- j r • s~* j j_ 1 •! Dess. de r. c. diverses catégories: Carex des tourbières LES JONCS — LES ROSEAUX ig3 dont les feuilles et les épis étroits rappellent les joncs, ceux des marais inondés, aux feuilles raides, dressées et qui vivent en touffes ; les Carex des rochers et des sables, aux feuilles étalées et brillantes et à structure hautement xéroplryte, et enfin les espèces sylvatiques aux feuilles minces et flexueuses. Le jeune biologiste fera bien de surveiller les Cypéracées dans leurs stations ; il verra combien chaque forme semble comme construite pour un terrain donné. •sn -r-.Wv /? H. h. S. C, R, s. h. H. P. Fig. i65. — Section au travers d'un marais à la forêt de Coudrée (Savoie). Dans l'eau, au centre, le roseau (Phragmites communis), roselière R. ; tout autour les buttes-touftes des laiches (Carex stricta), encore dans l'eau ; à la limite de l'eau (s), Schoenus nigricans ; plus à 1 extérieur, le cordon du Scirpus Holoschoenus exondé ; sur la pente de sable l'Hippophae rhamnoides et au sommet le Pin. Dess. de R. C. Plus d'une espèce constitue des touffes, en se multipliant par de nouvelles pousses serrées les unes contre les autres, comme dans le Carex stricta, ce qui assèche la station ; peu à peu les touffes se rejoignent et la prairie remplace le marécage. Les laiches et leurs congénères, en général des plantes peu élevées, sont dépassées par les Roselières, grandes graminées, qui, elles aussi, se constituent en société, grâce à leurs rhizomes, ramifiés dans tous les sens, et grâce aussi à leurs stolons qui ram- pent sur le sol à plusieurs mètres de distance {fuj- îjj)- Par le vent, on voit les feuilles de ces roseaux tourner comme des girouettes et leur limbe indiquer la direction du vent. Cela est possible, grâce au fait que la gaine des feuilles, peu adhé- rente et lisse à l'intérieur, se déplace autour du chaume ; il y a aussi une espèce d'articulation à leur base. 294 BIOLOGIE DES PLANTES Dans le Midi de l'Europe, les Roselières sont faites sou- vent de YAruhdo Douax, de la Canne ; au centre de l'Afrique, les roseaux de Phragmites commuais (c'est une forme géante de Fig. 166. — Eleocharis acicularis. A. forme aquatique stérile. B, forme terrestre sur sol tout à tait sec, prolongé de hampes fertiles et de hampes stériles. Dess. de R. C, d après Gluck. LES JONCS — LES ROSEAUX 2ç5 Fig. 1Ô7. Récolte du Cyperus gigantens, dans une lagune du Paraguay central Phot. commerciale. notre plante d'Europe) atteignent la hauteur d'une jeune forêt. A errer dans ces fourrés, on se croirait au milieu d'un bosquet de bambous. Citons aussi les joncaies immenses des lacs sud-américains avec leur Cyperus glganteus qu'on récolte en grand pour la con- fection des nattes (////• 16 j). Dans chacune de ces régions du lac, de la tourbière ou du marécage, bien d'autres plantes se mêlent aux espèces types signa- lées ; plus on s'écarte de la terre ferme plus aussi les espèces de familles différentes doivent, pour supporter l'immersion temporaire ou permanente, être munies de dispositifs qui les associent aux espèces dominantes. Alors dans la Nupharaie, dans la Joncaie, dans la Phragmitaie se constituent des sociétés qui tantôt comprennent des plantes qui ont toutes le même faciès aquatique, toutes taillées 896 BIOLOGIE DES PLANTES à la même mesure ou qui, au contraire, utilisent le milieu et l'association selon leur nature. Ainsi même dans la Phragmitaie on peut trouver des lianes, comme le grand Convoivuluf sepium ou le Solanuin dulcamard, des Iris jaunes (I. pseuJo-acoriur), des Buto- tnus à l'apparence caricoïde, etc., etc., et une foule d'espèces chez lesquelles la vie subaquatique n'a pas essentiellement modifié la structure et la morphologie externe. Dans le marécage ordi- naire, à la joncaie du lac succède la Phragmitaie du bord, puis la Caricaie de la lisière ; à cette dernière vient se mêler la cohorte des espèces des prairies marécageuses les Eupatorium, Ly/unacbia, Lytbrian Salicaria, Acoriur Calanius, Rumex, Gentianes, Renon- cules, R. lingua, R. sceleralus, Thalicirum flavum, Spiraea Ulmaria, Sanguurorba officinalls, Lotus uliginosus, Eupborbla pahudrïf, Oeno- thera ; Ep'dobium roseum, Cicuta virosa, Oenaiûhe, Erythraea CenLau- rhun, Menyaiûhes Irifoliata, Syinpbytum officinale, ScuteLlaria galeri- culata, Menlba, Gratlola officinale, Pedicularis palustr'ur, Valeriana officinalls; puis dans ces pâturages acides s'aventurent des buissons comme le Salix repenf, le S. purpurea, S. incana, le Rbainniur fran- gula, le Viburnum Opuliur. Enfin les Aulnes, les Peupliers finissent par dessécher la tourbière et préparent l'avènement d'une flore plus xérophyte, plus amie de la sécheresse. Chaque station se modifie donc spontanément, par sa propre activité ; il y a des successions comme disent les Américains, une histoire des formations aquatiques. Celles-ci se laissent particuliè- ment bien déchiffrer dans les marécages autour des étangs qu'elles finissent par envahir. A leur tour elles sont supplantées par la flore voisine des "prairies. La succession d'étages de végétation, que nous venons d'es- quisser, n'est pas particulière aux formations des pays tempérés. Dans les régions subtropicales et tropicales, des zones semblables se forment autour des étangs, des marécages. Mais aux Cypéra- cées, aux Graminées s'associent des plantes appartenant à d'au- tres familles des Monocotylédonées : de grandes Aroïdées, de puissantes Cannacées et Marantacées, des touifes d'Eriocaulo- nacées et de Centrolépidacées. L'apparence de ces Roselières ou de ces joncaies est, de loin, la même que chez nous, mais la vigueur a doublé ou triplé ! En remontant en bateau les fleuves du LES JONCS — LES ROSEAUX 297 Brésil ou des pays platéens, on peut, comme dans un cinémato- graphe, voir se dérouler un film, celui de la succession des forma- tions littorales. Ainsi, le long des fleuves à étiage, comme à l'Alto Parana, les zones se marquent, sur un parcours de plusieurs centaines de kilomètres, avec une netteté extraordinaire et une désespérante monotonie. Au niveau le plus bas, une zone d'algues, puis une assise glauque de graminées amphibies à la- quelle succède un cordon gris de l'Euphorbiacée des marécages, le Croton urucurana ; enfin, encore dans la zone inondable, une forêt de grands bambous qui s'étend sur tout le cours du fleuve, de Posadas aux chutes de la Guayra. Ces grandes Graminées sont en quelque sorte la Phragmitaie des régions tropicales et sub- tropicales. Grâce au système des rhizomes souterrains les Bam- busaies deviennent exclusives sur le bord des cours d'eau et y constituent des fourrés presque infranchissables et ceci à un niveau bien défini. Pendant de longues années, leurs troncs ramifiés en gigantesques plumes d'autruche ont formé, le long de ces- fleuves, une admirable frange de gracieux panaches. Mais voici que le voyageur qui s'était habitué à voir, chaque année, s'allonger les arceaux et les rameaux, assiste, un jour, à un phénomène unique dans le monde végétal. Sur plus de 400 kilomè- tres, le même mois de la même année, les bambous, qui jusqu'alors n'avaient jamais fleuri, se mettent, comme d'un commun accord, à se couvrir de thyrses et à secouer leurs étamines au vent qui se joue dans leur fier plumage. Je dis d'un commun accord, oui, car tous les individus fleurissent sur un espace immense comme si, après avoir tant tardé, ils s'étaient donné le mot. On voit, chez nous, au printemps, les arbres fruitiers fleurir en même temps ; il y a un temps de floraison et un temps de feuillaison. Cela est si régulier chaque année que nous le trouvons tout naturel. Mais chez ces bambous, la floraison ne se fait qu'une fois dans la vie; les gigantesques chaumes porteront des semences, puis, l'an suivant, de nouveau, comme d'un commun accord, toute cette végétation s'arrête. On voit, au-dessus du cordon argenté des Croton uru- curaua (Euphorbiacée à feuilles de guimauve), sur des centaines de kilomètres, la forêt lisière des bambous desséchée. Certains bambous fleurissent tous les cinq ans ; d'autres 298 BIOLOGIE DES PLANTES attendent trente années et même plus. Leur vitesse de croissance es tout d'abord lente, puis s'accélère ; dans le Bambusa amnd'inacea, on a vu la tige s'allonger de plus de 91 cm. en un jour; chez le PhylioAachys inltis de 84 cm. en 24 heures. Certaines espèces poussent, de leurs rhizomes, des asperges qui, en une matinée, s'élèvent à la hauteur du tabouret de bambou sur lequel le bota- niste est assis pendant qu'il fait ses observations. Cette coïncidence de la floraison de certains bambous va même si loin que la même année le PhylloAaehxjs pubenda qui ne fleurit qu'à des périodes très éloignées, c'est-à-dire tous les soixante ans, a porté des fleurs dans tout l'Extrême-Orient et, chose plus curieuse, la même année aussi, en Europe, dans les parcs où cette espèce a été introduite. Cela ne paraît pas aller de soi ; il faudrait à cette mystérieuse concordance une cause extérieure, la saison, un phénomène climatique extrême. Mais comment, même dans une région aussi uniforme que l'Alto-Parana, de Pcsadas au Guayra, imaginer que tous les bambous, tous les individus de ces forêts riveraines seraient sous la même influence édaphique (du • sol) et climatique, que tous, au même moment, auraient la même dispo- sition individuelle ? A plus forte raison nous paraîtra étonnante la simultanéité de floraison des bambous, d'une certaine espèce, au Japon, en Suisse et en France, alors que dans tous les pays où cette espèce a été introduite elle a tardé plus d'un demi-siècle à fleurir. C'est que précisément la rareté du phénomène établit la néces- sité d'un point de départ unique : ou bien tous les bambous d'une région sont reproduits asexuellement par voie végétative, par l'extension des rhizomes tout le long d'une même région, d'une même zone, d'un étage qui est celui qui leur convient ; ou bien il s'agit de semences emportées par les eaux et déposées la même année le long de tout le rivage d'amont en aval, et la germination au niveau déterminé de la berge se fait simultanément. Dès lors, il y aurait uniformité du point de départ. Chez les végétaux annuels ou qui fleurissent bisannuellement la floraison, à une époque déterminée de l'année, est sensiblement fixée ; les flores indiquent avec une certaine approximation la période de floraison. L'espèce est prin- tanière, perce-neige (Galanlhus nivalir) ; tardive (Colchicum autant- LES JONCS — LES ROSEAUX !99 nale); automnale, le lierre ( He- déra Hclix). Malgré certaines différences il y a une régula- rité assez frappante pour que le botaniste annonce avec une forte chance de réelle prévi- sion la floraison ou le début de la floraison au moins pour le mois. La périodicité de ces plantes est relativement fixée; à moins de circonstances ex- ceptionnelles, elles fleurissent, se feuillent, fructifient et se défeuillent à des périodes dé- terminées. On peut sans doute altérer plus ou moins cette périodicité par des facteurs extérieurs exceptionnels, mais il n'y a, dans le retard ou l'avancement du phénomène, qu'un déplacement anormal hors règle et qui montre, qu'en dehors de la périodicité inhé- rente à chaque organisme, il y a la dépendance relative de cette périodicité, de ce naturel, si je puis ainsi m'exprimer, vis-à-vis des conditions extérieures. Or, il est certain que la floraison des bambous pour être espacée de 5-i5-3o- 60 années souffre de quelques irrégularités qui dépendent de causes exceptionnelles. Si l'on pouvait prévoir l'année de floraison, on arriverait par l'intervention de la fumure ou par une autre action extérieure, à retarder ou à avancer ce moment. On sait que l'action de l'éther avance le moment de la floraison de cer- taines plantes horticoles ; d'autres conditions, comme l'élévation de la température en hiver, permettent de « forcer » les plantes. Mais ici, il s'agit d'une périodicité annuelle, tandis que chez les bambous la périodicité est beaucoup plus espacée, parfois à phases soixante fois plus longues. Dans ces conditions, les facteurs Fig. 168. — Bords du canon du Rio Aho- Parana, limite de l'Argentine et du Paraguay. On voit la zonation des formations selon letiage qui vaut ici de 20 à 3o m. Bambusaie desséchée au-dessous de la foret. Photo R. G. BIOLOGIE DES PLANTES individuels sont évidemment moins importants, l'exactitude de la prévision, ou si l'on aime mieux la régularité du cycle, devient plus grande ; disons, dans le cas du Phylloslachys, soixante fois plus grande au moins. C'est comme le joueur qui répète le même geste à un jeu de hasard, la probabilité augmente rapidement avec la fréquence ; ici, la fréquence, c'est le grand nombre de jours, de mois, d'années. Je pense que la simultanéité de floraison doit être d'autant plus parfaite que les intervalles spécifiques du rythme sont plus longs. Si on examine la croissance d'une plante, par exemple d'une graminée (comme l'est aussi le bambou), on voit que, considérée dans son ensemble, l'augmentation en poids qui est la seule mesure vraiment inéquivoque et qui tient compte de la plante entière, suit une courbe régulière ; cette augmentation, lente tout d'abord, va s'accélérant. Mais cette accélération comme la chute des corps suit une règle bien définie. C'est ce qu'on appelle une courbe loga- rithmique, celle qui exprime le mode d'accélération d'une réaction chimique qui marche d'elle-même et où la cause d'accélération est donnée par la quantité de matière déjà formée. Que l'on compare la croissance d'un enfant ou de l'avoine, on verra que les deux phénomènes se laissent décrire de la même manière; mathématiquement parlant, c'est un seul et même phéno- mène. Si l'on examine non pas une plante d'avoine mais cent plan- tes, non pas un enfant mais cent enfants pris au hasard, la crois- sance est un phénomène continu, régulièrement accéléré, jusqu'à un moment qui est celui du ralentissement et qui, pour l'avoine comme pour l'homme, correspond à la maturation sexuelle. Vers ce moment, il intervient un nouveau facteur qui travaille en sens contraire et tend vers un autre équilibre. Or, toute périodicité, toute maturation et, par extension, toute réaction chimique après avoir été accélérée, tend vers un équilibre. Cela est dû, par le jeu des réactions secondaires, à la production de déchets, poisons, produits accessoires qui, en petite quantité au début, n'avaient aucune action marquée, mais qui, par leur accumulation, travaillent en sens contraire de la réaction princi- pale et tendent à l'arrêter. Il y a alors équilibre, il y a arrêt. Or, cet arrêt, ce peut être une période de repos, l'hivernage ; pendant cette période, les fonc- LES JONCS — LES ROSEAUX 3oi tions de respiration arrivent à détruire ces matières qui entravaient le développement. Et si, comme dans le repos hivernal, l'abaisse- ment de la température favorise l'action d'un ferment qui attaque le produit accessoire, cause de la fatigue, du ralentissement, de la défeuillaison, etc., alors, cette cause d'arrêt étant supprimée, avec les beaux jours recommence une nouvelle poussée. Ou bien, avec la maturation et la production des semences, la plante est arrivée à l'équilibre ; elle désassimile et meurt. Ce qui dans nos bambous surprend, c'est la simultanéité du phénomène. Mais nous ne devons pas perdre de vue que ces bam- bous, sur d'immenses étendues, ne sont peut-être que les pousses d'une même plante, multipliée végétativement, par les organes sou- terrains ; par conséquent chaque partie est comme une bouture, et on sait combien uniforme est la multiplication par boutures. Il se pourrait aussi que, chez les bambous qui montrent cette remar- quable périodicité, les semences se forment, comme chez beaucoup de plantes supérieures, sans vraie fécondation, par une espèce de parthénogenèse, par une bouture intra-ovarienne. Nous connaissons beaucoup d'exemples de cette perte de la sexualité chez des plantes qui continuent à fleurir, à développer des étamines et des pétales, mais sans s'en servir dans la fécondation. Ainsi, l'embryon d'un pissenlit se forme sans fécondation ; en est-il de même des bambous périodiques ? je le suspecte et je pense qu'à cela est due cette extrême régularité. Mais dans le cas des PhylloAaehyj le problème est plus simple. Une enquête soignée a montré que tous ces Phylloslachyj- introduits de l'Extrême-Orient en Europe l'ont été par multiplication végétative de plantes pro- venant d'une même région. Il y a donc uniformité . — ■ il s'agit en quelque sorte d'un seul individu — et la périodicité s'y manifeste avec une régularité vraiment mathématique. Partout nous trouvons dans le monde végétal une espèce de périodicité, souvent très précise, très étroitement liée à un rythme régulier et alternant. Tout à l'heure, on a cité la régularité de la floraison des nénuphars, les uns la nuit, les autres le jour; cer- taines de ces fleurs ne s'ouvrent que deux fois successivement, d'autres plusieurs fois de suite. On sait que diverses conditions amènent à une certaine inversion de ce rythme, mais cela n'est que passager. Car la périodicité — le rythme • — est une qualité BIOLOGIE DES PLANTES inhérente à la nature de chaque espèce ; chacune a son oscillation, en quelque sorte sa longueur d'onde. Ce caractère comme tout autre, peut-être dévié, déplacé ; mais avec une persistance remarquable l'oscillation revient à sa valeur première dès que la cause incidente a cessé d'agir. Il n'y a pien de si triste que la forêt de bambous l'année qui suit la floraison ; pendant quatre jours de navigation nous avons suivi le long du chenal du Haut Parana, à l'infini, le cor- tège des Chusquea desséchés, lugubres bâtons gris ou jaune vio- lacé, qui font penser à un lendemain de catastrophe, à une épi- démie, une peste végétale à laquelle rien n'aurait résisté. Et ce que nous avons observé en Amérique se voit périodiquement au Bengale, au Japon, partout où les bambous occupent de grandes surfaces. Mais nulle part il n'est possible, comme le long du grand fleuve américain, d'assister à ces gigantesques funérailles sur la totalité de l'aire d'une espèce. C'est un phénomène grandiose et lugubre à la fois, mystérieux dans sa grandeur comme d'autres le sont dans leur infinie petitesse. 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StaL, Japan. n° 38 (1911), i-44> P^- ^ et ^- TABLE DES PLANCHES Planche I , p. 11 Chlamydomonas nivalis. i, zoospore mobile à deux cils; 2, id. mais immobile; 3, multiplication par spores; 4, petite zoospore qui a perdu ses cils; 5, cellule arrondie à l'état de repos, entourée d'une auréole de gelée; 6, grosse cellule à l'état de repos ; 7, division en deux cellules ; 8, zoospore mobile à deux cils ; 9, 10, fusion latérale de deux cellules; 1 1, zoospore arrêtée; 12, état de repos, arrondi ; i3, multiplication par quatre ; 14, cellule arrêtée ; i5, zoospore géante dont on voit en avant les deux trous par lesquels passent les cils. Gonidie de lichen, 16, 17. — Scotiella nivalis, 18, 19, 21, 22, 23, divers états de la même algue. — Raphidium nivale (Ankislrodesmus nivalis), 20, 24, 25. — Ankislrodesmus Vireti, 26. — Ancylonema Nordenskiôldii, 27, 28. — Glenodinium Pascheri, 29 (lac de Montana). Planche II p. 3y A. Vue générale des cascades incrustantes à Mammoth Spring, Yellowstone. Voir les teintes jaunâtres, livides, dues aux algues. B. Autour de la vasque d'eau chaude, la bordure des Cyanophycées aux couleurs changeantes. (D'après une photographie commerciale.) Planche III p. Bg A. Vue prise au Grand S'-Bernard ; au premier plan, pierre incrustée du lichen Rhi^ocarpon geographicum. Remarquer les teintes vertes sur les mon- tagnes et les rochers autour du lac. B. Placodium, lichen couleur de minium qui est, à gauche, représenté comme incrustant la pierre ; il donne, au coucher du soleil, la couleur vive des toits couverts d'ardoises. 3o4 BIOLOGIE DES PLANTES Planche IV p. 81 A. Portion de feuille de Buis, grossi 6 fois, sur laquelle on voit le lichen épiphylle Strigula Buxi s'étaler sous la cuticule de la feuille ; le centre est déjà désorganisé. • B. Id., moins fortement grossie; on voit au bord antérieur un autre lichen épiphylle, le Catillaria Bouteillei, au bord supérieur, un petit thalle de Parmelia. Planche V p. 87 Torrent de montagne (Praz de Fort, Valais) dont les pierres se colorent par YHydrurus (en jaune) et par les Trentepohlia (en rouge). Planche VI p. 91 Desmidiées, algues vertes du groupe des Conjuguées, rencontrées dans une même mare tourbeuse à Saas-Fée (1800 m.). Espèces diverses des genres: 1, Penium ; 2, Penium ; 3, 4, 5, Costnarium ; 6, 7, Euastrum vue de face et profil; 8. 9, 10, Xanthidium ; 11, 12, i3, 14, divers aspects, de face et de profil, de plusieurs espèces de Staurastrum ; i5, 16, 17, 18, Euastrum; 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, Cosmarium divers; 27, 28, œufs fécondés (zygotes) de Desmidiées ; 29, Spirotaenia. Planche VII p. 97 Algues vertes vivant ensemble dans une mare de montagne: 1, cellules arrondies (4) à paroi étoilée du genre Trochiscia; 2, Polyèdre; 3, Scenedesmus acutiformis ; 4, Pediastrum à 8 cellules ; 5, Kirchneriella en forme de lune; 6, Oocystis fusiforme ; 7, Scenedesmus (espèce voisine du S. quadricauda; 8, Polyèdre muni de longs piquants; 9, Oocystis bernardinensis; 10, Ankistro- desmus falcatus ; 11, 12, Scenedesmus wisconsinensis ; i3, Tetraedron mini- mum; 14, Tetraedron caudatum ; i5, Scenedesmus falcatus ; 16, Golenkinia radiata ; 17, Selenastrum Bibrayanum ; 18, Pediastrum octocellulaire ; 19, Chlorella en multiplication formant ses spores ; 20, Scenedesmus quadri- cauda, avec 4 piquants; 21, Kirchneriella conlorta ; 22, Raphidium (An- kistrodesmus falcatus) en faisceau; 23, quatre cellules d'un Kirchneriella en croissant: 24, Zoospore biciliée d'un Chlamydomonas ; 25, quatre cellules associées du Scenedesmus bijuga ; 26, deux cellules retenues par les deux valves de la membrane de la cellule mère brisée : 27, Colonie flottante du TABLE DES ILLUSTRATIONS 3o5 même Dictyosphaerium Ehrenbergianum, en arbuscule rayonnant; 28, quatre cellules du Scenedesmus obliquus ; 29, Cellule à quatre soies du Lagerheimia genevensis. Planche VIII . p. 100 1, 2, Sphaerocyrstis Schroeteri ; 3, Cyclotella Cotnta, diatomacée ; 4, 14, Fragilaria crotonensis, diatomacée dont les cellules sont disposées en peigne; S, Petite Cyclolella ; 6, Melosira catenata, petite diatomacée, vue de profil ; 7, Ankistrodesmus lacustris ; 8, Dinobryon stipitatum, flagellée jaune dorée, ciliée ; 9, Peridinium tabulatum, flagellée munie d'un long cil ; 10, Synedra lorigissima, diatomacée en longue aiguille; 11, Coccomyxa lacustris; 12, 16, Cosmarium, espèce deDesmidiée; i5, Botryococcus Braunii, colonie de l'algue émettant de gros globules d'huile ; 17, Ceratium hirundinella. Planche IX . . . . . p. n5 Podostemon Warmingii, des lanières-racines, rose violacé, partent des feuilles et, en a, une fleur qui vient de sortir de son enveloppe (spathelle) ; on voit les deux étamines et le pistil (en brun). — Apinagia Ygua^uensis, espèce de racine-cordon sur lequel sont fixées des lames, plus ou moins rami- fiées et arquées, terminées par des touffes branchies. — Podostemon alrichus (comparez avec fig. 69 du texte). Planche X p. i55 A. Paysage du Chaco paraguayen ; au premier plan, les touffes de la Broméliacée Aechmaea polystachya, la plante-citerne avec ses inflorescences rouges ; plus en arrière, le palmier Copernicia australis, puis une lagune et dans le lointain, la Palmeraie. B. Tronc moussu, portant par-dessus la rivière une Broméliacée du genre Billbergia aux bractées roses ; forêt paraguayenne. Planche XI p. 167 .4. Etang-tourbière de la Gruyère (Jura bernois), avec Sphagnum et touffes de Carex dans lesquelles se sont implantés les arbres Pinus Montana; "au premier plan le Sphagnum, à gauche, de couleur rouge. B. Surface de Sphagnum avec Myrtille en fleur, à gauche, Oxycoccos au feuillage ovale, Drosera, à droite, avec ses feuilles en train de digérer de petits insectes. 3o6 BIOLOGIE DES PLANTES Planche XII p. 207 A. Saxifraga Hirculus sur la Sagne, en arrière le bois de Betula pubescens. B. Branches du Bouleau nain (Betula nana) dans la Sagne. Planche XIII p. 2i5 Tourbière dans le Jura suisse ; au foryi tè^ pins, plus près Swertia, Comarum et Linaigrettes. -vttrt^ 1 Planche XIV . . V v.y*SA • P- 23i Le Nuphar luteum fleurissant à la surface d'un marécage. Etang de Bienne. Planche XV p. 241 A. Roselière (Phragmites communia), plus avant dans le lac, la joncaie (Scirpus lacustris), puis la Nupharaie (Nymphaea alba). B. Grève mouillée du lac de Genève à la Belotte. Ranunculus reptans avec ses stolons rampants et qui prennent racine. A gauche, le Myosotis, plus en arrière, la graminée Deschampsia littoralis ; à droite, des tiges de Littorella lacustris. Planche XVI p. 2^9 A gauche, deux pousses florifères du Myriophyllum spicatum ; en arrière sur la rive, des saules au feuillage argenté et des joncs ; un premier épi qui vient fleurir au-dessus de l'eau, on ne voit encore que les fleurs mâles rosées; plus près, l'épi est plus émergé, les fleurs supérieures sont encore fermées; il y a deux étages de fleurs qui ont dressé leurs étamines, puis plus bas les fleurs femelles déjà prêtes à être pollinisées. A droite, le Potamogeton lucens.. <*%%&> INDEX SYSTÉMATIQUE 1 Pages Acacia Cavenia (Mimosacée) . . . 205 Acorus Calamus (Aroïdée) . 243, 296 Aechmea (Broméliacée) 1 38, i3g, 141 142 Aegiceras (Myrsinacée) i85 Airelle (Vaccinium Vitis Ideae, Ericacée) 22$ Aldrovandia vesiculosa (Droséra- cée) 277 Alectoria jubata (Lichen) .... 174 Algues 5g, Algues bleues (Cyanophycées) 32, 42 Allium schoenoprasum (Ciboule, Liliacée) 291 Alternanthera (Amaranthacée) 268, 273 AlismaPlantago(Alismatacée) 239, 244 243, 25o, 258, 260, 261 Amaranthus (Amaranthacée) ... 209 Anabaena (Cyanophycée) .... 108 Ananas (Broméliacée) i36 Ancyionema (Alg. Desmidiée) 26, 27 Andromeda (Ericacée) 212,214,225, 228 Ankistrodesmus nivalis (Raphi- dium, Algue verte) 26 Ankistrodesmus Vireti (Alg. verte) i3 3i Antennaria dioica (Composée) . . 216 Anthurium (Aroïdée) 269 Apinagia (Podostémonacée) 116, 122 123 Aponogeton fenestralis (= Ouvi- randra) (Aponogétonacée) . . . 263 1 Voir pour les noms d'espèce le renvoi au Pages Arnica montana (Composée) ... 216 Arole (Pinns cembra) (Conifère) i3 ArundoDonax (Canne, Graminée). 236 Asterionella gracillima (Alg. Dia- tomacée) 102, 104 Avicennia (Verbénacée) . 176, 178, i85 Bactéries thermophiles (Bactéria- cées) 17 Bambou {Bambusa, Chusquea, Phyllostachys, Graminées) 236, 297 Betula nana (Bétulacée) 224 » pubescens 216 Bidens (Graminée) 260 Billbergia (Broméliacée) 142 Blé {Triticumvulgare, Graminée) i3 Blechnum capense (Fougère) . . 227 Botryococcus Braunii (Algue) 107, 108 Bouleau (Bétulacée) 216 » nain 2i5 Brasenia (Nymphéacée) 168, 174, 221 223 Bromelia serra (Broméliacée) i35, i37 i43 Bruguiera(Rhizophoracée) 176,178, 181 i85 Bruyères (Ericacées) 2i5 Butomus (Butomacée) . . . 243, 296 Cabomba (Nymphéacée) 259 Calamagrostis (Graminée) .... 243 x pages indiquées. 5o8 BIOLOGIE DES PLANTES Pages Calluna (Ericacée) . . . 212, 225, 228 Calophysa (Mélastomacée) .... 202 Caperonia (Euphorbiacée) .... 273 Caraguata ( Br'omelia) . . . . 140, 141 Carex (Cyperacée) . 217, 238, 242, 243 » stricta 167 Cecropia (Moracée) 192, ig3, 194, 2o3 Cedrela (Méliacée) 188 Celosia (Amaranthacée) 269 Ceratophyllum (Cératophyllacée) . 240 Ceriops (Rhizophoracée) 176, 178, 186 Cetraria (Lichen) 83, 146 Chara (Alg. Characée) . . . 238, 240 Chusquea (Graminée) 3o2 » (Bambusée) 3o3 Chlamydomonas (Algue) . . 37, 91 » intermedia ... 94 » nivalis ... 21, 28 Chodatella (Algue) .... 100, io5 Chytridiacées (Champignon) . . 60 Cicuta (Ombellifère) 269 Cladium (Cyperacée) ...... 242 Cladonia (Lichen) 60, 81 » rangiferina 84 Coccoloba (Polygonacée) 2o3 Coccobotrys (gonidie, algue) ... 66 Cocos Romanzofïiana (Palmier) . 1 33 Coelastrum (Alg. verte) 104 Coenogonium (Lichen) 80 Colchicum (Liliacée) 296 Comarum palustre (Rosacée) ... 21 5 Convolvulus sepium (Convolvula- cée) 296 Copernicia cerifera (Palmier) . . . 168 » australis .... 168, 204 Cordia nodosa (Boraginacée) . . . 202 Cosmarium (Alg. Desmidiée) . . 98 Crataeva tapia (Capparidacée) . . 204 Crocus (Iridacée) 14 Croton (Euphorbiacée) 297 Cryoplancton 32 Pages Cyanophycées 42, 49 Cymatopleura (Diatomacée) . . . io3 Cyperus (Cyperacée) . . 243, 291, 295 Cyprès chauve (Taxodium, Coni- fère) 168, 170, i73 Cystococcus (Alg. verte, Gonidie) 73 Dactylococcus (Alg.) 73 Dattier {Phœnix, (Palmier) . . . i3 Deschampsia (Graminée) . . . '. 241 Desmidiées (Algues) 32, 98 Diatomacées (Algues siliceuses) . io3 » fossiles ... 53, 54. 55 Diplozygopsis (Champignon). . . 60 Dipsacus (Dipsacée) 137 Drosera (Droséracée) 225 Duroia (Rubiacée) 202 Dinobryon (Algue) 101 Eleocharis (Cyperacée) . 241, 291, 294 Elodea (Hydrocharitacée) .... 257 Empçtrum (Empétracée) 216, 228, 237 Endocarpon (Lichen) 76 Entada (Mimosacée) .... 188, 190 Epilobium (Oenothéracée) .... 296 Equisetum (Equisétacée) 243 Erica (Ericacée) 237 Eriocaulonacée 227 Eriophorum (Cyperacée). . 214, 227 Erythraea (Gentianacée) 296 Erythrina (Papilionacée) 192 Euphorbia (Euphorbiacée) .... 296 Evernia (Lichen) 157 Farmeria (Podostémonacée) Fischerella (Cyanophycée) . Flagellées (Algues) . . . . Fontinalis (Mousse) . . . . Foreliella (Algue) Fragilaria (Alg. Diatomacée) INDEX SYSTEMATIQUE 009 Pages Galanthus (Liliacée) 298 Glenodinium (Algue, Péridiniacée) 11 Gloeocapsa (Cyanophycée) . . 42, 52 Gonidies (Alg.) 33, 65, 66, 67, 73, 74 Gonium (Alg. verte) 92 Gratiola (Scrophulariacée) .... 296 Grirlïthella (Podostémonacée) 120, 123 Guarea (Méliacée) 188 Gvnerium (Graminacée) . . . 190, 236 Haematococcus (Alg.) .... 25, g3 Hapalosiphon (Cyanophc.) . . 43, 47 Hippophae (Eléagnacée) 293 Hirtella (Schizobalanacée) .... 202 Hottonia (Primulacée) 259 Hydrobryum (Podostémonacée) . 120 123 Hydrocharis (Hydrocharitacée) . . 263 266, 290, 299 Hydrurus (Algue, Flagellée), 89, 90, 1 15 Hippuris (Oenothéracée) 241 Inga (Mimosacée) 187, 189 Iris (lridacée) 296 Juncus (Juncacée) . . . 238, 243, 291 » stygius 223 Jussieua (Oenothéracée) . . 177, 180 Kandelia (Rhizophoracée) 184, i85 Laguncularia (Combrétacée) . . . 176 Laiche (Carex) 167, 21 5, 238, 239, 296 Larix decidua (Conifère) 169 Lawia (Podostémonacée) 122 Lemna (Aroïdée). . 245, 257, 267, 272 Leucobryum (Mousse) 210 Lichens 64, 71 Pages . . 290 . . 273 214 242, 291 287 175 180 215, 227 42, 43 296 . . 296 Limnanthemum (Gentianacée) Limnobium (Hydrocharitacée) Linaigrétte (Eriophorum) . . Littorella (Plantaginée) . . Lotus bleu (Nymphéacée) . . Lumnitzera (Combrétacée). Lycopode (Lycopodiacée) . Lyngbya (Cyanophycée) . . . Lysimachia (Primulacée) . . Lythrum Salicaria (Lythracée) Majeta (Mélastomacée) 202 Manglier (Rhizophora) 176 Mauritia (Palmier) 191 Mayaca (Mayacacée) 227 Mélèze {Larix, Conifère) .... 169 Menyanthes (Gentianacée) .... 296 Mimosa asperata (Mimosacée) . . 188 Mourera (Podostémonacée) . 128, i3o Myriophyllum (Oenothéracée, Ha- loragidée) . 238, 23g, 240, 245, 280 Myrmidone (Mélastomacée) . . . 202 Myrtille (Vaccinium Myrtillus) . 2 15 Neige rouge (Chlamydomonas ni- valis) 20 Nelumbium (Nymphéacée) . 168, 174 290 Neptunia (Mimosacée) 273 Nymphaea (Nymphéacée) 174, 238, 23ç 283, 285, 286, 289 Nitella (Alg. Characée) 240 Nostoc (Cyanophycée) . 43, 69, 7$ Nuphar (Nymphéacée) . 240, 242, 290 Nyssa (Nyssacée) . . . 171, 173, 174 Oenanthe (Ombellifère) 243 Olpidiopsis (Champignon) .... 60 Oscillatoria (Cyanophycée) 42, 43, 108 Oxycoccos (Ericacée) 228 3io BIOLOGIE DES PLANTES Pages Palétuvier (Rhizophora) 175 Parmelia (Lichen) . ... 71, 81 , 1 57 Paspalum (Graminée) 273 Papyrus (Cypéracée) 292 Pediastrum (Alg.) 99 Pedicularis (Scrophulariacée) . 296 Peltigera (Lichen) 71 Péridiniacées (Algues) 11 Peste d'eau (Elodea) 257 Peuplier (Populus) 296 Phalaris (Graminée) . . 236, 241, 243 Phragmites (Roseau, Graminée) . 233 242, 2g3 Phycopeltis (Alg.) 77 Phyllanthus (Euphorbiacée) . . . 270 Phyllostachys (Bambusée) .... 298 Pin de montagne (Pinus montana) 167, 217, 216, 220 Pin sylvestre (P. sylvestris) ... 235 Platane (P. acerifolia) 168 Pleurococcus vulgaris (Alg.) ... 73 Polygala joncoïde (Polygalacée). . 243 Podostemon (Podostémonacée) . 116 117, 119, 125, 126, 127 Polygonum (Polygonacée.) . . . . 273 Polytrichum (Mousse) 2i5 Potamogeton (Potamogétonacée) . 25 1 252, 280 Potamots (Potamogétonacée) 238, 23g Protococcus 22 Prunus Padus (Rosacée) 227 Pteromonas (Alg.) 27 Ramalina (Lichen) 71, 83 Ranunculus (Renonculacée) 124, 243 259, 290, 291, 296 Raphidium (Alg. verte) 3o Remigia (Rubiacée) ...... 202 Richardia (Aroïdée) ....... 267 Rivularia (Cyanophycée) 43 Rhamnus (Rhamnacée) 296 Pages Rhizophora (Rhizophoracée) 175, 177 182 Rhododendron (Ericacée) . . . .216 Roseaux 2g3, 294 Rosolis (Drosera) 2i5 Ruprechtia (Polygonée) . . . . 2o3 Sagittaria (Alismatacée) 258, 260, 261 Salix (Salicinée) ...... 192, 296 Salvinia (Fougère) .... 271, 272 Sapopema 172 Saxifraga hirculus (Saxifragacée) . 2 15 225 Scheuchzeria (Scheuchzériacée) . 222 Schizophycée (Cyanophycée) ... 42 Schizothrix (Cyanophycée) . . ^3, 110 Schoenus (Cypéracée) . 243, 291, 293 Scirpus (Cypéracée) 238, 242, 291, 292 293 » Holoschoenus 243 Scleria (Cypéracée) 227 Sclerolobium (Césalpiniacée, Lé- gumineuse) 2o3 Scotiella (Algue) 28 Scutellaria (Labiée) 296 Scotiella nivalis (Alg.) 26 Scytonema (Cyanophycée) .... 43 Solanum dulcamara (Solanacée) . 296 Soldanella (Primulacée) 14 Solorina (Lichen) .... 71, 74, 75 Sonneratia(Sonnératiacée) 176, 180, i85 Sorédies (Lichen) 70, 72 Sparganium (Sparganiacée) . . . 243 Sphaerozoma (Alg. Desmidiée) . . 98 Sphagnum (Mousse) .... 208, 209 Spirogyra (Algue verte) . 60, g5, 90 Staurastrum (Desmidiée) .... 98 Sterculia Wigmanni (Sterculiacée) 171 Stichococcus nivalis (Alg. verte) 3i, 73 Strigula (Lichen) 78, 80 Symbiose (Lichen) 85 INDEX SYSTEMATIQUE Symplocos (Symplocacée) .... 227 Synedra longissima (Alg. Diato- macée) . . 102, io3 Tachygalia (Légumineuse) .... 202 Taxodium distichum (Conifère) . 168 •74 Thalictrum (Renonculacée). . . . 296 Tillandsia (Broméliacée) i32, 142, 145 146, 147, 148, i52, 1 55, 1 56, 161 164, 170 Tococca (Mélastomacées) . . 197, 200 Trapa (Oenothéracées) . 177, 239, 245 Trentepohlia (Alg. verte) 87 Trichilia (Méliacée) 188 Trientalis (Primulacée) . . 223, 225 Triglochin (Scheuchzériacée) . . . 243 Triplaris (Polygonacée) 2o3 Usnea (Lichen) Pages 146, 157, 174 Vaccinium (Lricacée) 2 15 Valeriana (Valérianacée) 296 Vallisneria (Hydrocharitacée) 254, 263 287 Verrucaria (Lichen) 66, 81 Viburnum (Caprifoliacée) .... 296 Victoria (Nymphéacée) . 243, 284, 285 288, 289 Villaresia (Icacinacée) 227 Willisia (Podostémonacée) .... 120 Xylocarpus (Méliacée) . 177, i85, 186 Zanichellia(Potamogétonacée) 1 16, 252 TABLE DES MATIERES Introduction 6 Préface de l'auteur 7 Les neiges colorées 11 Les plantes des thermes 3y Une audacieuse entreprise 5q Histoire biologique d'un torrent 87 Cascades et Podostémonacées 1 1 5 Citernes végétales et marécages suspendus 1 35 Arbres amphibies 167 Les Sagnes 207 Zones de végétation et associations 23 1 Les nénuphars — les Nupharaies 283 Les joncs — Les roseaux 291 .Table des planches 3o3 Index systématique 307 CLICHES ET IMPRESSION ATAR, GENEVE (SUISSE)