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LES

ANGLAIS EN GUYENNE

PARIS. IMPRIMERIE PILLET FILS AIMÉ, aUB DES GRANDS-ADGDSTINS, 5.

L'ADMINISTRATION ANGLAISE ET LE MOUVEMENT COMMUNAL

DANS LE BORDELAIS

LES

ANGLAIS EN GUYENNE

Sîsck

D. BRISSAUD

ASEÉOfi DB l'université

paopisSBua d'b:stoieb ad ltcéb charlbmashs

A PARIS

CHEZ J.-B. DUMOULIN

Lilbraire de la Société des Antiquaires ùa Franc« 13, QDAl DES GRANDS-ADGUSTIN3

1875

AVERTISSEMENT

Ce travail m'a été suggéré, il y a longtemps déjà, par l'étude de deux documents manuscrits appartenant aux archives de la mairie de Bor- deaux. Ce sont : le Livre des Bouillons et le Registre des délibérations de la Jurade, de 1414 à 1416. Je les avais consultés avant l'incendie du 13 juin 1862, qui détruisit une si grande partie des richesses de ce dépôt; ils ont pu être- sauvés, et une commission s'est formée pour les publier. Chacun d'eux doit former un volume grand in-4° de 600 pages ^ Ils vont donc être garantis dé- sormais contre les effets d'un sinistre pareil à celui qui faillit les anéantir il y a treize ans. Ils seront plus faciles à consulter et à dépouiller. Je me propose de faire connaître ce qu'ils m'ont paru fournir pour l'histoire de Bordeaux et du Bordelais pendant la période de la domination

1. Le Livre des Bouillons a été imprimé le premier en 1867. Bordeaux, Gounouilliou,

2073946

Il AVERTISSEMENT.

anglaise. Ce sera un moyen de faire apprécier l'importance de ces recueils.

Un fait incontestable, c'est qu'ils sont les pièces capitales à consulter pour Fhistoire de la commune de Bordeaux. L'origine, la formation, les développements de cette commune, depuis les premières années du xiii^ siècle jusqu'à la mort de Richard II, se trouvent surtout dans le Linre des Bouillons. Cette compilation * com- prend quantité d'actes authentiques^ envieux français, en gascon et en latin, qui établissent la juridiction du maire et des jurais, qui en déterminent la nature, en fixent les limites, les chartes émanées des souverains anglais et portant confirmation des franchises et privi- lèges dont jouissaient les habitants de Bordeaux de temps iuimémorial, ainsi que les règlements relatifs aux monnaies et à la police générale de la cité.

Jusqu'à nos jours, c'est-à-dire jusqu'à la publication qui est en cours à l'heure qu'il est, il n'avait été fait qu'un recensement raisonné de ces vieux parchemins. C'est l'analyse qu'en

1. Registre en vélin, relié avec un dos en cuir et des plats en bois. Ces plais sont munis de cinq gros ornements de cui- vre ou bouillons, disposés en croix de Saint-André. Voir, pour la descri])lion détaillée, la préface du texte imprimé.

2. Au nombre de 173.

AVERTISSEMENT. III

donna, en 1760, le savant abbé Baurein, feu- diste de la ville, et qui est demeurée à Tétat de manuscrit. L'abbé Baurein pense que la com- pilation doit avoir été faite avant le milieu du XV® siècle, lorsque Bordeaux était encore sous la domination des rois d'Angleterre. C'est pro- bable. J'inclinerais de plus à croire qu'elle a été faite peu de temps avant la bataille de Gas- tillon, et pendant la crise suprême de 1430 à 1453, lorsque le danger, de plus en plus immi- nent, de la conquête et de l'administration françaises, avertissait de multiplier les copies des chartes de libertés et des constitutions dé- mocratiques du vieux municipe aquitain.

Ce qui est certain, c'est que le Livre des Bouillons fut rendu encore plus précieux par la destruction des chartes de la ville qu'or- donna, en 1548, le connétable de Montmo- rency.

Parmi tant d'affreux épisodes de l'atroce ré- pression infligée alors aux Bordelais par l'im- pitoyable lieutenant d'Henri II, figure, en effet, l'auto-da-fé de tous les traités, chartes, lettres patentes, etc., qui établissaient les franchises municipales. Tout fut brûlé, en grande partie, devant Saint-Ylégi (l'hôtel de ville). Non pas tout, heureusement; quelque clerc de ville, patriote ingénieux autant que dévoué, réussit

IV AVERTISSEMENT.

à cacher le dernier palladium des libertés bordelaises, ce vieux Livre des Bouilloiu, "qui tenait lieu maintenant de tous les originaux détruits. La conservation en fut alors jugée si importante, qu'on crut devoir l'attacher à une table de la mairie avec une chaîne de fer.

On n'en permettait l'accès que très-difficile- ment, et l'abbé Venuti, qui désirait le consulter pour son travail sur les monnaies, fut réduit à en citer un folio d'après ce qui lui en avait été rapporté de vive voix : « J'en parle, dit-il, avec cette incertitude, parce que la lecture m'en a été refusée par une méfiance malenlendue des magistrats municipaux ^ » Reste à savoir si cette méfiance était aussi malentendue que le sup- pose l'antiquaire italien.

Si le Livre des Bouillons nous permet de suivre les différentes phases de formation par les- ^ quelles passa la commune bordelaise, le Re- gistre des délibérations de la Jurade, de 1414 à - 1416, nous montre la plénitude de sa consti- tution, la puissance de son organisation démo- cratique et l'espèce de souveraineté protectrice qu'elle exerçait, au début du xv^ siècle, sur le pays aquitain.

L'abbé Baurein, qui Ta également analysé

\. Dissertation sur les mo7inay es, i7o4, Bordeaux, p.lbi, 135.

AVERTISSEMENT. V

(1760), y constate tous les caractères d'authen- ticité dans récriture, le style, le langage. On voit, au bas de plusieurs décrets, la signature du clerc de ville, Raymond de Bernatet, qui avait présidé à sa rédaction ^ Commencé au 26 mars 1414, il finit au 23 juin 1416.

Le Registre des délibérations de la Jurade nous montre la part que prenaient les maires et jurats de Bordeaux dans tout ce qui concernait la paix et la guerre, à Tépoque Henri Y préparait la conquête de la France entière; les ressources que ses lieutenants, le comte de Dorset et le duc de Clarence, trouvaient dans la bonne volonté du peuple bordelais; Tauto- rité considérable du maire et des jurats qui, non-seulement imposaient des subsides chaque fois que la situation l'exigeait, mais qui réu- nissaient encore en leurs personnes presque tous les pouvoirs répartis plus tard entre le gouverneur de la province, Tintendant, le par- lement, etc.

On savait, sans doute, que l'Aquitaine s'était presque toujours félicitée d'appartenir à l'An- gleterre; que spécialement Bordeaux et les Bordelais avaient obstinément repoussé la conquête française, parce que le régime anglais

1. Fol. 17, verso; IS, recto et verso.

VI AVERTISSEMENT.

leur assurait ce que Guillaume de Nangis ap- pelle domiaium suœ urbis \ Mais en quoi con- sistait ce dominium, quelle destinée la royauté des Plantagenets et des Lancastres fit-elle, pendant trois cents ans,, à la région qui répond aujourd'hui au département de la Gironde? Quelle espèce de ménagements imposèrent aux souverains anglais à Fégard de cette possession héréditaire, mais si constamment disputée, les conditions géographiques, le tempérament du pays, les vieilles traditions de liberté munici- pale? Ce sont autant de questions sur les- quelles le Livre des BovÂllons et le Registre de la Jurade me paraissent fournir des réponses positives. Nous possédions la partie extérieure de cette histoire du Bordelais, les guerres, les traités, les changements de mouvance, les manifestations de la sympathie des Bordelais pour les suzerains d'outre-mer. Mais Farrière- plan, le pourquoi de cette histoire, avec les documents authentiques, les preuves certaines, il ne me semble pas que jusqu'ici on les eût mis suffisamment en lumière ^ Je ne parle que de

1. T. I, p. 325-320, édition de la Société de l'Histoire de France.

2. On ne peut considérer comme un travail sérieux l'His- toire de Bordeaux par Dom de Vienne. C'est un bénédictin du xvin* siècle, trop oublieux de la tradition du xvii«.

AVERTISSEMENT. ~ VII

la partie politique, cela va sans dire. Car toute la partie économique a été traitée avec l'éru- dition la plus étendue et dans le plus copieux détail par M. Francisque Michel, dans son Histoire du commerce et de la navigation à Bor- deaux, principalement sous la domination an- glaise. Mais ce qui concerne, d'une part, l'admi- nistration à proprement parler, c'est-à-dire la nature, les limites, les agents de la souveraineté exercée par les monarques anglais; de l'autre, le mouvement communal qui, sous le réseau administratif, se produit avec une généralité, une puissance extraordinaires, dans toute l'é- tendue du pays, à partir de la fin du xii° siècle, voilà ce qui ne me paraît avoir encore été traité nulle part et ce qui fait l'objet de cette étude. J'ai dû, pour la première partie surtout, compléter les données fournies par les docu- ments bordelais, avec les renseiguements con- tenus dans les collections de documents anglais, par exemple : les Actes de Rymer, la Collection Bréquigny, les Rôles gascons, les documents rap- portés soit de Wolfenbilltel, soit de Londres, par MM. Delpit, et analysés par eux. J'ai emprunté aussi quelques éclaircissements à la Chroni' que bordelaise, par De Lurbe(1574), et aux Va- riétés bordelaises de l'abbé Baurein, l'homme qui ait le mieux compris, au xviii^ siècle.

yill AVERTISSEMENT.

la forme et Fesprit de Fancien gouvernement de Bordeaux. Mais ce ne sont que les auxi- liaires de mon travail; son véritable fonds réside dans la série des faits que j'ai essayé de dégager des deux documents de la mairie de Bordeaux.

D. Brissaud.

Juillet 1875.

LES

ANGLAIS EN GUYENNE

LIVRE PREMIER

ADMINISTRATION

CHAPITRE PREMIER

Deux ordres de faits constituent en se combinant la vie politique du Bordelais sous la domination anglaise : l'action des maîtres sur le pays^ et le mouvement du pays lui-même entre les mains de ces maîtres. Nous connaîtrons la première en étudiant les droits que les rois d'Angleterre s'étaient réservés sur leur duché de Guyenne, les différents pouvoirs qui les y représen- taient, les attributions de ces agents et leurs rapports légaux avrc les habitants de la province, en un mot, tout ce qui compose le mécanisme administratif de la domination anglaise en Guyenne. Nous pourrons ainsi

2 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

mesurer le cercle dans lequel pouvait se mouvoir l'ac- tion des sujets et déterminer la véritable mesure de leur dépendance.

SÉNÉCHAL DE GASCOGNE. -—CONSEIL ROYAL DE GASCOGNE

Analogue à celle que les Capétiens avaient instituée dès le principe dans leurs domaines, la hiérarchie ad- ministrative des Anglais en Guyenne comprenait trois grands officiers : le Sénéchal de Gascogne, le Con- nétable (le Bordeaux et le Chancelier d'Aquitaine. A eux trois, ils exerçaient le pouvoir exécutif. Mais le chef de cette hiérarchie est le Sénéchal de Gascogne ; c'est le lieutenant ordinaire, le véritable représentant du roi d'Angleterre, et nous ne voyons pas que ce mandat privilégié ait été jamais partagé entre plusieurs *.

La dignité de Sérféchal ne peut se confondre avec celle de lieutenant du roi en Gascogne. Celle-ci est un emploi de circonstance, un grand commandement militaire, créé pour les temps de guerre, lorsqu'il s'agit de protéger le pays contre les atteintes de la France. Les lieutenants du roi en Gascogne sont en quelque sorte permanents pendant la guerre de Cent Ans, et il arrive môme qu'il y en a plusieurs à la fois. Dès le début de cette guerre, en 1338, Edouard Ili nomme deux lieutenants du roi en Gascogne, Bernard d'Albret, vicomte de ïartas, et Olivier d'Ingham, déjà

1. Baurein, Variùtés bordelaises, j). 3 il».

SÉNÉCHAL DE GASCOGNE. 3

Sénéchal de Gascogne. Ces deux chefs de guerre étaient chargés de repousser le Connétable de France, Raoul de Brienne, qui, l'année précédente, avait ravagé la province *. Ils avaient en même temps le soin de punir les rebelles et de recevoir la soumission de tous ceux qui voudraient revenir au parti anglais. Quelques an- nées plus tard, en 1357, la même mission est confiée à quatre barons de Gascogne, le sire d'Albret, le sire de Lesparre, le sire de Pommiers et le sire de Rosem ^. Jusqu'à la conquête française, la lieutenance du roi subsistera ainsi à côté de la sénéchaussée ^. Mais, mal- gré sa continuité, la lieutenance n'en est pas moins une fonction extraordinaire , sans rapport avec les attributions du Sénéchal. Le lieutenant fait la guerre, le Sénéchal administre.

La première mention spéciale que nous trouvons de cette dignité est de l'année 1170 ■*, précisément l'époque le roi Henri II, dans le court loisir que lui laissaient ses querelles avec l'Église d'Angleterre et avec ses propres enfants, travaillait à fixer son autorité dans ses domaines.

On comprend que, dès cette époque, les attributions

1. Rymer, 1338.

2. Froissart, éd. Simôon Luce, t. V, p. 81.

3. Pouvoirs de la lieutenance d'Aquitaine donnés à Jean, comte de Salop, 14o2. Kymer, t. V, part. 2, p. 42.

4. Raoul de la Fâje, sénéchal de Guyenne, est nommé parmi les seigneurs qui accompagnent Eléonore, fille d'Henri II, promise en mariage à Alphonse IX, l'oi de Castille (1170). (De- lurbe, Chron. bo)\l., p. 10.)

4 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

de ce sénéchal ont bien dépassé le cercle elles se renfermaient dans la cour des premiers rois barbares. Ce n'est plus l'officier chargé, selon la définition de Du Gange *, du soin de la maison du prince. C'est vrai- ment le gouverneur de la province de Guyenne, titre sous lequel est désigné en 1218 Savaryde Mauléon, ce sénéchal qui devait reculer devant les armes de Louis YIII -. Sur l'étendue de son pouvoir, on ne sau- rait être abusé par le terme de Balliva^ employé alors pour désigner son ressort administratif ^ Ce terme, on le sait, était générique, et ne s'appliquait pas seule- ment à la circonscription des bailliages ordinaires. L'ensemble des faits démontre que le Sénéchal de Gascogne était, par rapport au roi d'Angleterre, ce qu'étaient dans le même temps, par rapport aux rois de France, les lieutenants généraux et gouverneurs pour le roi de la Guyenne. On sait, en effet, que pendant une grande partie du xni® siècle, sous Louis VIII et sous Philippe le Bel, la province fut entre les deux nations un objet de saisies et de confiscations réciproques ; nos rois y avaient donc aussi un mandataire principal. Le Sénéchal de Gascogne était révocable, et il devait

1. Senescallus, officialis régis, vel proccrum atque adeo privatorum, cui dotnus cura incumbebat. (Du Gange, Senes- callus.)

2. Louvet, d'après Duchesne, p. 8-9.

3. Ordres donnés par Henri III au sénéchal de Gascogne, Henri de Trublevillc, au sujet de la trêve à faire observer dans les pays soumis à son administration. (Rymer, t. I, part, i, p. 104.)

SÉNÉCHAL DE GASCOGNE. S

l'être plus que partout ailleurs, à cause même de l'é- loignement du pays que lui confiaient les rois d'An- gleterre *.

11 représentait le roi non-seulement dans la Guyenne propre et la Gascogne, mais auprès des feudataires voisins qui reconnaissaient la suzeraineté du duc de Guyenne, comme le comte de Foix, le sire d'Albret, le vicomte de Béarn 2. Il était chargé de les défendre contre les entreprises des rois de France, il était leur arbitre en toute circonstance, et exigeait d'eux les services qu'ils devaient au roi. Le gouvernement de l'île d'Olé- ron faisait aussi partie de son ressort ^.

Au dehors, le Sénéchal de Gascogne était l'intermé- diaire naturel du roi d'Angleterre et des autres souve- rains ^. C'est surtout dans les démêlés avec les rois de France qu'on le voit le plus ordinairement employé comme négociateur ^.

Dans l'intérieur du duché, le Sénéchal avait plein pouvoir pour nommer ou révoquer à tous les emplois, sauf à ceux de Connétable de Bordeaux et de Chance- lier. Ainsi, il disposait des charges de sénéchaux or-

1. Révocation par Henri III du sénéchal Geoffroy de Lézinan (Lusignan), son oncle. (Rymer, t. I, part. 2, p. 41, col. 1.)

2. Rymer, t. Il, part. 1, p. 23, col. 1.

3. W., ihid., p. 163.

4. Rymer, passim.

o. Par exemple, Jean de Grailly, baron de Castelnau, Séné- chal de Gascogne et à la fois ambassadeur auprès de Phi- lippe III, en 1277. (Baurein, Variétés bord., t. III, p. 4-5.) Cf. Rymer, 1277.

6 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

dinaires, baillis, prévôts, commandants de place, juges, avocats du roi, etc. *. Il avait également le droit de fixer et d'augmenter, au besoin, les gages de tous ces fonc- tionnaires.

Des attributions si larges eussent été dangereuses pour les intérêts de la province, si le Sénéchal eût en même temps possédé le maniement des revenus; mais il avait été pourvu de bonne heure à ce qu'il ne se payât pas lui-même. Ses gages, fixés par une ordon- nance de 1318 à deux mille livres petits tournois, lui sont servis par le Connétable de Bordeaux. Le roi Edouard II lui accorde, sur les revenus du duché, des indemnités pour les frais qu'il pourra faire lorsqu'il aura été en mission aux parlements ou à la cour du roi de France, ou partout ailleurs, pour les affaires de son maître. Mais, d'une part, tant qu'il est en dehors du duché, il est tenu de tenir compte de ses gages ordi- naires à ceux qui le remplaceront dans la sénéchaussée. De l'autre, les indemnités pour frais extraordinaires ne lui seront accordées qu'avec l'assentiment des grands et princes du royaume assemblés en parlement à York 2.

Il y a ici, on le voit, une triple garantie contre les exactions d'un sénéchal. Il n'est pas chargé de la per-

1. Rymer, t. II, part, i, p. 162-3. Attributions du Sénéchal Guillaume de Montaigu, 1318. Voir encore, au t. III, part. 3, p. 183, an. 138Î), le détail des pouvoirs donnés au Sénéchal Jean Ilarpendcn.

2. Rymer, t. JI, part. 1, p. 163.

SÉNÉCHAL DE GASCOGNE. 7

ception de deniers ; il ne peut cumuler deux traite- ments sur les revenus de la province. Enfin, ses gages extraordinaires sont soumis à l'appréciation du parle- ment d'Angleterre.

Une province de France, dès le commencement du XIV® siècle, recueillait ainsi, pour la restriction des pou- voirs de son gouverneur, le bénéfice du droit de con- trôle que les représentants de la nation anglaise exer- çaient sur leurs finances depuis les règnes d'Henri III et d'Edouard II.

Une autre sûreté d'ailleurs est donnée dans le même temps au Bordelais, contre les empiétements du Séné- chal. A partir du règne d'Edouard II, apparaît fré- quemment la mention d'un conseil, dont le sénéchal est tenu de prendre l'avis pour toutes les mesures im- portantes. Sous l'habile administration d'Edouard ÏII, notamment, les mots per avisamentum consilii nostri, ou encore, per consilium dominorum et communita- tum ducatus^^ accompagnent sans cesse la désignation des pouvoirs que le Sénéchal exercera au nom du roi. Le conseil est appelé le Conseil roxj al de Gascogne, ou encore le Conseil royal de Bordeaux, parce que c'est dans cette ville qu'il siège le plus souvent ^ Ce conseil se partageait en plusieurs sections, suivant les divers

\. Rymer, t. II, part. 1, p, 39, col. 1. W., t. III, part. 3, p. 182.

2. Las gens du conseilh du dit messire lo Ray existente a Bordeu. Lim^e des Bouillons, fol. J02, recio. Cf. id., fol. 99, recto : Totius regalis consilu Vasconias.

s LES ANGLAIS EN GUYENNE.

ordres d'affaires qu'il y avait à traiter *. Le Sénéchal de Gascogne n'est donc, à partir du xiv° siècle, que le président d'un conseil de gouvernement, combinaison utile à la province en même temps qu'au roi, surtout si ce conseil était recruté, comme le ferait croire la composition d'un corps analogue dont nous parlerons bientôt, la Cour de Gascogne, parmi les notables du pays. Une fois même, c'est au Conseil tout seul, sans qu'il soit question du Sénéchal, que s'adresse le roi Richard II (1378)2.

Quelle était maintenant la nature de l'autorité exer- cée au nom du roi, dans le Bordelais, par le Sénéchal de Gascogne, assisté du Conseil royal de Bordeaux? Dans quelle mesure ces agents devaient-ils faire sentir à la province qu'elle était une possession anglaise ?

Jusqu'au règne d'Edouard II, on ne trouve rien de bien précis sur l'étendue légale des droits régaliens qu'exerçaient les agents du roi d'Angleterre dans le Bordelais. Tout était subordonné au caprice ou à l'in- térêt des princes. Nous verrons, d'ailleurs, que rare- ment le Bordelais eut à se plaindre de ses maîtres. Pour le moment, constatons que c'est sous les règnes organisateurs d'Edouard II, et surtout d'Edouard III,

1 . Vocatis illis de consilio nostro parthim illarum et aliis quos duxeritis evocandos. Rymer, t. II, part. 1, p. 39, lettre d'Edouard II au sénéchal de Gascogne relativement à la nomi- nation du maire de Rayonne, mai 1313.

2. Livre des Bouillons, fol. 102, recto.

SÉNÉCHAL DE GASCOGNE. 9

que les attributions du Sénéchal sont plus nettement définies.

Ces attributions s'appliquent alors plus spécialement à la garde du pays, à l'établissement et à la perception des taxes, et à l'exercice de la justice.

Pourvoir à la défense des châteaux et des villes ; ré- voquer toute espèce de donations sur les revenus du roi qui ne sont pas confirmées par lettres-royaux ; sur- veiller la perception de ces revenus, et contrôler les comptables chargés de les percevoir ; permettre le transport des vins du haut pays dans la ville de Bor- deaux, à la condition que ces vins payent la taxe né- cessaire pour la défense de la province ; droit de haute et basse justice sur toute espèce de criminels ; droit de grâce, de pardon, d'acquittement pour toute espèce de crimes, lèse-majesté, vols, incendies, pillages, meur- tres et rapts, etc. ; tels sont les pouvoirs qu'attribue au Sénéchal et au Conseil de Gascogne une ordonnance de Richard II (28 avril 133o), d'après les règlements établis par son prédécesseur ^ Cette ordonnance était fort opportune. A la suite des guerres qui avaient rempli le règne de Charles V et les premières années de Charles VI, il s'était produit une grande perturba- tion dans les affaires de la province, et il était néces- saire, dans l'intérêt du fisc, de rappeler à tous l'étendue du privilège royal.

i. Rymer, t. III, part. 3, p. 182.

CHAPITRE II

CONNETABLE DE BORDEAUX

Les intérêts du fisc, telle devait être en effet la prin- cipale affaire pour le Sénéchal de Gascogne. Mais afin d'assurer la rentrée des^ revenus, et en même temps pour séparer des pouvoirs dont la réunion entre les mains du Sénéchal l'eût fait trop puissant, la royauté anglaise plaça à côté de lui un officier spécialement chargé du maniement des finances, le Connétable de Bordeaux : cette désignation de connétable pour un officier de finance paraît assez étrange; mais au moyen- âge, on le sait, l'anomalie des titres est aussi fréquente que l'était le cumul de fonctions qui nous semblent incompatibles aujourd'hui. Comme le Connétable de France, chef suprême de l'armée, possédait en même temps des privilèges pécuniaires considérables, la royauté anglo-normande aura désigné l'adminis- trateur des finances de la Guyenne d'un titre qui était à ses yeux le signe de la plus haute position financière. Sous le régime du fermage des impôts, alors en vigueur en Guyenne comme ailleurs, l'administration

CONNÉTABLE DE BORDEAUX. H

des revenus d'une province supposait une grande fortune.

Ce qu'il y a de certain, c'est que le Connétable de Bordeaux a pour emploi spécial d'administrer les revenus de la province. C'est ce qu'on pourrait appeler un directeur du domaine et de la douane. Il remplis- sait en Guyenne les fonctions afférentes en Angleterre au grand trésorier.

Le Sénéchal de Gascogne recevait les déclarations des contribuables *, ordonnait la levée des deniers et prêtait main-forte aux collecteurs. Le Connétable de Bordeaux dirigeait la perception et encaissait pour le compte du roi.

Ses fonctions sont déterminées dès le commencement du xiv° siècle, à partir du règne d'Edouard IL Ainsi le roi, accordant au sire Amanieu d'Albret 2,000 livres bordelaises de pension sur le péage de Saint- Macaire, confie l'exécution de cette ordonnance au Connétable de Bordeaux ^. Une ordonnance d'E- douard IIÎ est plus explicite : en 1356, au moment le plus critique de sa guerre contre le roi Jean, il recom- mande au Connétable de Bordeaux de veiller à ce qu'au"un revenu ne soit assigné à des nobles ou autres, mais à ce que tout l'argent levé dans la province soit employé aux affaires du roi ^ De nombreux textes du

1. Voir plus bas.

2. Rymer, t. I, pan. 4, p. 497.

3. Rymer, t. III, part. 1, p. lii.—Id., t. II, part. 3, p. 138.

12 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

livre des Bouillons et du registre de 1415 prouvent enfin que le Connétable de Bordeaux recevait les droits du roi sur les vins qu'on chargeait sur la Garonne. Les jurats de Bordeaux, voulant vérifier la gestion de cet officier, ordonnent qu'on ira consulter le registre du Connétable, au sujet de deux vaisseaux partis depuis peu, pour savoir le nombre de tonneaux de vin qui y étaient chargés ^

C'est donc par l'entremise du Connétable de Bor- deaux que le roi d'Angleterre, à partir d'Edouard II, connaît la valeur de tous les revenus de ?on duché d'Aquitaine. Il s'ensuit qu'à cet officier seulement appartiendra la nomination de tous les trésoriers et receveurs de la province ^. C'est un des principaux

1. « Et plus ordeneren en commissaris Arnaud fort et lo Tresauren que angan veder lo paper deu conestable de las doas naus qui son derreirament partidas et far relacion nom per nom quant de vin y an passât.» Registre de 1414-1415, fol. 115, recto. Cf. Livre des Bouillons, fol. HO, verso.

2. « Et pur escliuir les damages et dispens que vienent pur ceo que plusours sont a ore Trésoriers et Receivoirs de lad. Duchie, accordez est que desliore nul Tresoiùer ne Receivour ne soient en Agent, Peregortz ne aillours en la Duchie, fors ceux que le Constable de Burdeux voldra mettra à son péril ; ceux que ore sont, soient ostez, et per le dit constable tieux mis per queux il vodra respoundre a son péril. » Rymer, t. II, part. 2, p. 61.

Au xv^ siècle, cet officier est assisté d'un procureur fiscal royal. Dans une lettre de l'archevêque David de Montferrand à Henri V, il est question d'un Procurato)' fiscalis rcgius in civitate Burdegalensi. J. Delpit, Doc, p. 227, d'après les archives de l'Échiquier.

CONNÉTABLE DE BORDEAUX. 13

objets de l'ordonnance rendue en 1323 par Edouard II pour la réformation du duché. Jusque-là la nomination des receveurs des taxes avait fait partie des attributions du Sénéchal. L'ordonnance d'Edouard II signale les dommages causés par cette confusion de pouvoirs, prescrit le remplacement des anciens trésoriers, et charge le Connétable d'en établir de nouveaux, ceux qu'il voudra, sous sa responsabilité.

Ainsi dans le même temps, en Aquitaine comme dans les provinces soumises au roi de France^ se clas- saient plus régulièrement les services administratifs. Le progrès que Phihppe le Bel venait de réahser dans ses domaines par la séparation des pouvoirs politiques, judiciaires et financiers, s'accomplissait en Guyenne sous l'empire des doctrines que faisaient partout pré- valoir les écoles des légistes.

S'il recueillait les profits du fermage *, le Conné- table de Bordeaux devait pourvoir à toutes les dépenses publiques de la province.

D'abord il ne pouvait toucher aucun émolument avant d'avoir payé au Sénéchal et autres officiers royaux leurs gages, féodset assignations avec leurs arrérages. On ne trouve qu'une dérogation à cette règle : c'est en 1409, sous le roi Henri lY de Lancastre. Les malheurs

l . « Ita quod de exitibus indè medio tempore esit prove- nientibus nobis respondeat, et in ofûcio illo feodum percipial consuelum pro tempore quo in offlcio steteiùt supradicto.» Rymer, t. II, part. 3, p. 158.

14 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

causés par la guerre contre la France ont diminué considérablement les revenus de la connétablie, et aug- menté les charges de l'Angleterre. La nécessité de défendre avant tout l'honneur et les intérêts de la royauté Anglaise, contraint Henri IV à révoquer les anciennes ordonnances sur les obligations du Conné- table ; mais il met grand soin à s'excuser de cette mesure auprès du sénéchal de Guyenne, Gualliard de Durfort ^

Indépendamment des gages à servir, le Connétable de Bordeaux était donc encore responsable de tous les frais que nécessitait la garde du duché ; c'était le véri- table intendant de la province. Réparer les forteresses, payer la solde des troupes, acheter les services et le dévouement des seigneurs gascons, c'étaient de fortes dépenses dans un pays toujours enclin à marchander sa fidélité. Enfin, si l'Aquitaine avait à fournir une flotte, c'étaient les revenus de la connétablie qui en faisaient les frais, et le Connétable qui la commandait. A cet effet, il changeait provisoirement de titre, le roi le nommait vice-amiral et désignait un lieutenant de la connétablie^. Un financier chargé d'un commandement

1. « Per la garda et provision du castel royau de Fronssat, et autres evidentz et expédients despens necessaris i)er gardar la lionor et proffeit du Rey nostre senhor, et au proffeit et utilitat de la causa publiqua, videntz et regardans que les re- veunus de la dcita conestablaria eran mnlt petitas et no habondantz a las deytas carguas satisfar, tant per los guerras et esterilitaz susdit, etc. » Rymer, ibid.

2. Rymer, t. II, part. 3, p. 138. En 1337, le Connétable de

CONNÉTABLE DE BORDEAUX. 15

naval, voilà ce qui se produisait à la même époque et dans la même guerre chez les Anglais et chez les Français. Le connétable-amiral d'Aquitaine, Nicolas d'Usmer, chargé de combattre la flotte de Philippe de Valois en 1337, n'avait pas faire un meilleur apprentissage de marin que le trésorier Nicolas Béhuchet qui perdit la bataille navale de l'Écluse. Ce qu'on a reproché au roi de France comme une absur- dité ^ n'était pas moins absurde de la part d'E- douard III. De part et d'autre, il y avait même impru- dence, ou plutôt même ignorance des conditions du succès, même complication des services adminis- tratifs.

Deux documents du xiv' siècle nous renseignent sur les sources des revenus que touchait le roi d'An- gleterre par l'intermédiaire du Connétable. Ces docu- ments^ sont deux tableaux dressés par un subordonné du Connétable, le trésorier Richal Filongley, qui par méritent une place importante dans l'histoire financière de la Guyenne. Ils présentent le relevé des revenus et des dépenses de la principauté de Guyenne du jour ces revenus avaient été abandonnés par Edouard III à

Bordeaux, Nicolas d'Usmer, est nommé vice-amiral de la flotte d'Aquitaine ; son intérim de Connétable est rempli par un lieutenant, Antoine

1. Henri Martin, t. V, p. 49.

2. Nous en devons l'analyse à M. J. Delpit, dont l'excellent travail m'a beaucoup servi pour celte question. (J. Delpit, Introd., p. 121 et suiv.)

J6 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

son fils, le Prince Noir, de 1362 à 1370. Mieux que tout autre texte, ils nous font connaître les différentes sortes de profits que le Bordelais pouvait procurer au duc de Guyenne. Ils se rapportent en effet à la période qui vit briller dans Bordeaux la cour princière la plus dispendieuse. « L'état du prince et de madame la prin- cesse était donc si grand et si étoffé que nul autre de prince ni de seigneur en chrétienté ne s'accom- parait au leur^ » On peut croire sans doute que l'ar- gent de France ne fut pas seul à défrayer l'existence belliqueuse et splendide du Prince Noir en Guyenne pendant ces huit années, et qu'il prenait aussi sur tous ses autres revenus accumulés dans le même temps en Angleterre et dans le pays de Galles. Mais dans cette période de faste, on dut demander à la province tout ce qu'elle était capable de donner, et frapper toutes les matières à impôts qui formaient en quelque sorte l'arsenal de la fiscalité du Prince Noir. En recueillant les innombrables désignations de revenus que men- tionnent les comptes de Filongley, nous trouvons qu'elles peuvent se ranger sous cinq chefs principaux ; impôts fonciers, impôts sur les produits du sol, revenus du monnayage, droits de justice et douanes.

Impots fonciers. Cette première catégorie com- prend un grand nombre d'articles qui peuvent se ré- duire à quatre espèces de taxes : les revenus féodaux, les loyers, les cens annuels et le fouage.

d. Froissart, Éd. Buchon, 1. I, ch. ccxv.

DROITS DU FISC. 17

Revenus féodaux. A cette désignation se ratta- chent d'abord tous les articles qui se rapportent au droit d'épave ou de confiscation, et qui sont indiqués par les mots escaeta, forisfactura, hona confiscata. Puis, les droits sur les objets abandonnés, de extrahuris, les dons ou secours volontaires accordés par les bonnes villes ; d'autres revenus qui varient suivant les localités, quoiqu'ils soient peut-être à peu près synonymes ; en Rouergue, par exemple, ce qu'on appelle /??2«?îcia feo- dorum; en Bigorre, affeude; dans le comté de Gaure, à Lectoure, jeudis et feude. Vient enfin Vesporle, synonyme d'investiture, et particulier au pays bor- delais. Nous devons nous arrêter un instant sur cette nature de taxe, parce qu'elle explique la destinée toute privilégiée de la propriété féodale dans les sénéchaussées qui nous occupent.

Pour les charges qui grevaient cette propriété, il ne faudrait pas nous en rapporter exclusivement aux comptes de Filongley. Ces comptes sont le tableau de l'administration financière d'un prince exigeant et ty- rannique; ils pei^onent un temps d'exactions, et nous expliquent les plaintes véhémentes que les Gascons portèrent au roi de France Charles V, l'intervention française dont elles furent suivies et les succès de Du- guesclin. Nous y voyons figurer certaines taxes qui, de l'aveu même de Filongley, ne furent que des expé- dients passagers, comme la custuma compositionisj qui n'exista qu'une année, les capitagia, cens par tête, qui

2

18 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

ne furent payées que deux ans, et seulement dans le comté de Gaure*. On peut donc dire des comptes de Filongley que c'est le rôle de contributions le plus détaillé qui nous soit resté de l'administration anglaise en Guyenne, sans croire pour cela que tous les règnes aient inscrit un chiffre de taxe à toutes les colonnes de ce tableau.

La situation ordinaire, légale, de la propriété féodale dans le Bordelais, nous est révélée sous un jour plus vrai par l'existence de Vesporle, et par les désignations différentes des terres que comprenait la province. On voit dans ces deux faits la preuve que les rois d'An- gleterre avaient su concilier de bonne heure les intérêts de leur fisc avec ceux d'un pays de possession précaire. Sans parler ici des tempéraments, des ménagements de circonstance par lesquels nous verrons certains rois modifier l'assiette ou la quotité de l'impôt, la propriété foncière du Bordelais payait peu de chose au conné- table.

Ces avantages lui sont reconnus, dès le xm® siècle, par un acte du règne d'Edouard I", dressé pour la reconnaissance générale des fiefs, droits et redevances de Guyenne (1272)'-. Le sénéchal de Gascogne, Luc de Tany, siégeant dans l'église de Saint-André, avait reçu les déclarations des tenanciers de tout le Bordelais,

\. J. Delpit, Introd., p. 138-139.

2. Ms. Wolfenbuttel, par MM. Delpit; imp. royale, 1841, p. 15-17.

DROITS DU~FISC. 19

du Médoc, de l'Entre-Deux-Mers, de l'Entre-Dordogne, du Bazadais et de la partie de l'Agénois soumise au roi d'Angleterre*.

Rien de moins uniforme que les obligations de ces tenanciers. Les uns ^ paieront une redevance, mais sans être tenus de prêter au roi l'hommage ou le serment de fidélité. Au contraire, le serment sera prêté par d'autres qui ne devront^ni aucune redevance ni le ser- vice militaire^. D'autres, enfin, font accepter la décla- ration qu'ils ne tiennent rien du roi et que, par con- séquent^ ils ne lui doivent rien *.

Les propriétés que comprend la région bordelaise sont de deux sortes : le fief et \ alleu. Le premier, le fief, se trouve en Guyenne, dans des conditions bien plus avantageuses que partout ailleurs. Le genre de redevance auquel il est soumis s'appelle esporle ou acapte. Du Cange et, d'après lui, Laurière le définis- sent ainsi : C'est proprement ce que le vassal donne ou offre à son seigneur pour obtenir de lui l'investiture de quelque fief^ ou ce qu'il lui offre pour relief dans le

\ . Les actes de ces déclarations sont signés par le notaire public de la ville de Bordeaux. Id., p. IS-19.

2. Par exemple, Pierre Bacqu^, de Saint-Emilion. Id., p. 20-21.

3. « Elyas di Castellione débet facere homagium et sacra- mentum Gdelitatis, (pod nibil aliud débet facere, item quod non débet facere exercitum domino Régi. » Ms. Wolfenbuttel, p. 20-21.

4. L'évêque de Bazas et d'autres. Id., ihid.

20 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

cas de mutation ^ Des exemples cités par Du Gange, prouvent que Yesporle existait hors de la Guyenne ; mais elle était spéciale pour cette province, et n'était ailleurs qu'une exception ^.

Or, dans les autres provinces, les droits de relief et de mutation étaient généralement payés par les sous- feudataires, à chaque changement de seigneur et à chaque changement de tenancier. En Guyenne, au contraire, ils ne sont dus par le fief médiat qu'à chaque changement de seigneur. On ne trouve jamais dans les actesque nous a conservés le manuscrit de Wolfenbut- tel, que cette formule : in mutatione domini, qui s'applique au roi d'Angleterre comme duc d'Aquitains. Le mandataire d'une abbaye a même la précaution d'ajouter : in mutatione domini^ non prions, c'est-à. dire le seigneur le plus prochain, le tenancier direct.

L'existence de Yesporle caractérisait donc et consti- tuait le fief dans le Bordelais. C'était un principe re- connu dans la province, qu'il fallait qu'il y eût esporle pour qu'il y eût fief. On employait même ces deux mots l'un pour l'autre. Dans le manuscrit précité, un tenan- cier, au Jieu de dire qu'il a reçu sa terre en fief, dit qu'il l'a reçue en esporle, c'est-à-dire à la charge de payer Yesporle ^.

1 . Du Gange, Verho Esporle. Laurière, Glossaire du droit français, t. I, p. 421.

2. Cf. Delpit, ms. Wolfenbuttel, p. 25-26.

3. « Secunduni nostram consuet.udinem non sit feudum nisi

DROITS DU FISC. 21

Ajoutons enfin que cette redevance était minime. On voit des fiefs considérables qui ne doivent que deux deniers de cens ou d'esporle*.

Si le fisc du roi d'Angleterre exigeait si peu de chose de la terre féodale dans le Bordelais, il va de soi qu'il n'eût aucun droit sur la seconde espèce de propriétés, V alleu. L'alleu, en effet, est une terre libre de toute su- bordination, de toute inféodation, c'est l'ancienne pro- priété romaine, et elle apparaît dans la province par- tout où la jurisprudence de Rome a conservé son action. Ces propriétés allodiales étaient donc très-nombreuses dans tout le midi de la France, pays de droit écrit. Quelle fut leur destinée en Guyenne, sous la domina- tijn anglaise? On conçoit que les rois d'Angleterre n'aient pas favorisé leur extension.

Dans les villes nouvelles, dans les communes de fon- dation purement anglaise;, la propriété dominante est la propriété féodale, celle qui rapporte au fisc, si peu que ce soit. C'est le cas oià se trouve la commune de Libourne, création d'Edouard I" (1270). Lorsque le maire de cette ville comparaît au nom de ses conci- toyens devant le sénéchal, et que celui-ci lui demande si les Libournais possèdent des alleux, il répond néga- tivement -. 11 en est de même de la Sauve-Majeure, pe-

sit ibi sporla. L'Esporla emporta èenhoria. » Ane. Coutume de Bordeaux, 176. Cf. Delpit, ms. Wolfenbuttel, p. 25-26.

1. Id., ihid.

2. Manusc. Wolfenbuttel, MM. Delpit, p. 39.

22 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

tite ville de l'Entre-Deux-Mers. Ses bourgeois répon- dent que, comme membres de la commune, ils n'ont pas d'alleux ^

Dans les villes anciennes, au contraire, la terre a conservé ses vieilles franchises, c'est-à-dire qu'elle est allodiale. A Bordeaux, par exemple, l'alleu est larègle^. Le fisc, par conséquent, n'a rien à prétendre sur toute terre de bourgeois bordelais. C'est un point que nous établirons avec plus de détails au chapitre de la Com- mune de Bordeaux.

Les droits de forfaiture, de confiscation et l'esporle constituent la somme la plus importante des revenus que le roi d'Angleterre tirait de la propriété féodale dans le Bordelais. Les trois autres articles signalés dans les comptes de Filongley, relativement à la pro- priété foncière, y tiennent peu de place, et semblent n'avoir été qu'accidentels. Ils ne s'apphquent, en effet, qu'à la terre non féodale, et comme, en dehors de cette espèce de terre, il n'y avait dans le Bordelais que des alleux, on peut croire que ces articles n'indiquent que ces taxes arbitraires qui soulevèrent les réclamations des Bordelais devant le parlement de France. Les cens annuels^ par exemple, ne sont mentionnés que dans un petit nombre d'articles, par les mots census dena- rius, hlada censualia ^. C'était la condition de la vente

1. « Dixerunt qiiod dicta villa Silve-Majoris, ut communitas, non habebat allodiora. » Id., ibid.

2. Voir au chapitre Commune de Bordeaux.

3. J. Delpit, Introd., p. 138-139.

DROITS DU FISC. 23

d'une terre, ou censivc, dans les arrière-fiefs de l'A- quitaine ; ce qui ferait croire que le Prince Noir pos- sédait quelques arrière-fiefs dans les trois sénéchaus- sées du Bordelais. Le fouage^, dont le Prince ordonna la perception pendant toute la durée de son adminis- tration, fut regardé par les Aquitains comme un acii^^minement vers l'impôt foncier, pour le payement régulier des gens de guerre, et l'on sait combien cette fantaisie lui coûta cher. Quant aux logres ^, c'était quelque chose de si peu régulier, que Du Gange n'en a pas connu la véritable signification. Il conjecture que ce terme désignait l'usufruit des terres pour les lods et ventes, un droit sur les loyers, ou sur 1^ vendeurs de mauvaise foi. Cet article n'est mentionné d'ailleurs que dans les sénéchaussées de Poitiers et d'Angou- lême ^

Revenus du monnayage. Du jour oii les rois d'Angleterre furent ducs de Guyenne, ils frappèrent une monnaie appropriée aux usages et aux intérêts de la province, une monnaie giiyennoise^ comme on di- sait, facile à échanger contre les tournois de Fiance, comme contre les sterlings d'Angleterre. Bordeaux, à titre de capitale du duché, reçut, entre autres préro- gatives, celle du monnayage. Cette monnaie y était frappée au coin, aux armes et au nom de ses princes,

1. Ici., ibicl., p. 139-140.

2. Du Gange, Logres. Logra, vel logrum, ab Hispanico, ut videtur logro, fruitio^ possessio. Leurre, fraude, dol.

3. J. Delpit, Introd., p. 138-139.

24 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

souvent même au nom seul de la ville. Caria monnaie, qui est appelée dans les anciennes chartes solidi bur- degalenses, lui appartenait en propre, et cette monnaie avait cours dans toute la province, à l'exclusion de toute autre monnaie étrangère.

La base du monnayage guyennois fut, dès le prin- cipe, celle du monnayage tournois ^ A partir duxiv'' siè- cle, les monnaies les plus usitées en Aquitaine, et principalement dans le Bordelais, étaient les guyen- nois noirs (monnaie de billon), et les guyennois ster- lings ^. Ceux-ci étaient de meilleur aloi que la monnaie de cuivre, ou nigra^ hruna^ contaminata ; ils formaient la monnaie alba, ou blanchie, pour qu'elle parût d'ar- gent aux yeux du peuple ^ Les guyennois sterHugs étaient, avec les guyennois noirs, dans le rapport de S à 1 *. Les Comptes de Filongley indiquent, non-seu- lement le rapport de ces monnaies entre elles, mais

1. D'après les registres de la Chambre des comptes de Paris àl'an i313, les Sourde/rtis (Burdegalenses) valaient 4 deniers tournois. (L'abbé Venuti, Dissertation sur les monayes, 17o4, p. lo6-i57.) Cf. Rymer, 1. 1, part. 1. p. lOS, ord. d'Henri III, 1228.

2. J. Delpit, Comptes de Filongley, int., p. 240.

3. D'oîi les Blancs tirèrent lem^ nom. Cf. l'abbé Venuti, p. lo6-lS7.

4. « Est mémorandum quod summe sunt de moneta nigra, in dictis partibus currentibus, prœsertim Bui'digalensibus, Vasatensibus et I.andis, que summantur particulariter in sterlingis gyenensibus : Cujus monete quinque denarii gye- nenses nigri faciunt unum denarium sterlingum gynensem. » Préambule des Comples de Filongley, dans Delpit, p. î33.

DROITS DU FISC. 25

leur rapport avec le sterling anglais, le franc d'or, le marc d'argent, et le noble d'Angleterre '.

Cette monnaie guyennoise eut toujours pour étalon la monnaie de Bordeaux. Que les rois d'Angleterre fissent frapper monnaie dans d'autres villes, comme Poitiers, Périgueux, Angoulême, Saintes, Agen, la Réole, ces villes étaient obligées de prendre pour leur monnaie le prix, Taloi et le poids de la monnaie de Bordeaux-, ad vitandam maliciam quorumdam, dit une ordonnance d'Edouard III, novembre 1351, et sous peine de la confiscation des espèces ^. Pour que la monnaie guyennoise ne perde jamais de son crédit, les rois ne concèdent à personne, fût-ce au plus grand personnage, le droit de la frapper. Richard II, par fa- veur spéciale, accorde bien à son oncle, le duc de Lan- castre, la permission de battre monnaie à Bayonne, Dax ou ailleurs pendant deux ans : toute espèce de monnaie, dit-il, de quelque métal et aloi que ce soit, mais excepté les monnaies d'Angleterre et de Guyenne ^

1. Ainsi, 17,467 1, 10 s, 8 deniers en sterl. anglais dépassent le même nombre de sterlings gwjoneis de 434 1. 12 d.. 12,000 nobles d'Angleterre valent 6,0541., 6 s., 3 d. en sterlings anglais Un franc d'or vaut 4 sous sterling guyoneis. Le marc d'argent vaut 23 sous st. guyon. Nota : Le noble d'Angle- terre, en 1374, valait 2 francs d'or. Delpit, Comptes de Filongley, int., p. 240, et l'article intitulé: La Recepte foreyne des constables de Bourdeaux et trésoriers d'Aquitaine.

2. Rymer, t. I, part, i, p. 103.

3. L. des Bouillons, fol. 48, verso.

4. D'après Delpit, Loc , p. 198.

26 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

Les souverains anglais, il faut bien le reconnaître, donnaient ainsi au commerce bordelais l'une des meilleures garanties qu'il pût désirer. Cette monnaie guyennoise était une création toute locale ; fabriquée d'après les usages et sous la surveillance des négo- ciants de la province, elle était à la fois la sauvegarde de leurs bénéfices et le signe authentique de leur na- tionalité. Aussi ne rencontre-t-on aucune réclamation des habitants de la province contre le privilège assuré à la monnaie de Bordeaux. Il y eut un moment pen- dant la période anglaise oîi l'argent guyennois fut me- nacé de céder la place à une monnaie étrangère ; c'est à l'époque oîi Philippe le Bel, enhardi dans l'applica- tion de son régime d'unité absolue par sa victoire sur le Saint-Siège et par la destruction des TempUers, voulut imposer à toutes les provinces de France l'usage exclusif de la monnaie royale. La monnaie de Phi- lippe le Bel avait trop peu de crédit, pour que cette unité monétaire fût profitable aux Aquitains (1314). Ils la repoussèrent avec énergie, et dans les lettres qu'Edouard II lui adressa à cette occasion, le prince anglais ne fut que l'organe des plaintes unanimes de la province ^ Il y avait bien de quoi tenter la cupidité du roi faux-monnayeur dans la refonte des espèces guyennoises ; mais elles furent sauvées par sa mort.

f. u Qaod in nostri prœjudicium et exhœrcdationem, ac dampnum omnium et singulorum hominum de ducatu prae- dicto cedere dinoscitur manifeste. » Rymer, t. II, part. 1, p. 60, col. 2 ; ibid , p. 68.

DROITS DU FISC. 27

Les bénéfices sur le monnayage et les produits du change étant proportionnés au titre de la monnaie, la fabrication et le change devaient constituer pour le duc de Guyenne une source précieuse de revenus. Les béné- fices sur le monnayage d'or s'élevaient en effet à quatre fois les frais de la fabrication, à trois fois sur le mon- nayage d'argent, bénéfices bien supérieurs à celui dont on suppose généralement que se contentaient les rois de France, et qui n'étaient que d'un seizième*.

Quant au change, les souverains anglais s'en étaient attribué le monopole à Bordeaux comme à Londres. Nous voyons Henri V, en 1413, affermer la garde de l'office du change à un nommé Louis-Jean « pour y acheter et vendre l'or et l'argent, en lingots, monnaies ou bijoux, et pour y recevoir l'argent des voyageurs et pèlerins^. »

Toutefois, il en était en Guyenne des revenus du monnayage comme des revenus féodaux ; les rois d'An- gleterre cédaient une partie de leurs avantages à la province. Nous les voyons partager les revenus du monnayage avec certains dignitaires ou certaines cor- porations. Edouard III abandonne à l'archevêque de Bordeaux le tiers des profits de la monnaie frappée ou à frapper dans cette ville ^. Une autre charte du même roi parle de cette portion de droits que le chapitre et

i. J. Delpit, Introd., p. 240-241.

2. Id., ibid.

3. L'abbé Venuti, Dissertation sur les monnaies, p. 156. Charte de 133S, juin.

28 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

le doyen de Saint-André retiraient de la monnaie*. En- fin, en 1354, la ville de Bordeaux voulut s'assurer plus complètement cette rétribution, et fît un échange de son droit sur la monnaie avec plusieurs bénéfices que le roi unit à la manse capitulaire^.

Sur le fait des monnaies comme sur l'exercice des autres pouvoirs du souverain, il y a donc pour les Bor- delais une sujétion adoucie par des faveurs ; le privi- lège ducal semble se déguiser sous les avantages qui sont faits à la province^ et, s'il est défendu contre les empiétements du suzerain suprême, le roi de France, c'est autant pour le bien des gouvernés qu'au profit du gouvernement.

Droits de justice. Pour cette troisième sorte des revenus perçus par le connétable de Bordeaux, le do- cument le plus détaillé que nous possédions est encore le tableau dressé par le trésorier Filongley. Il fournit un nombre incroyable d'articles. M. Delpit a calculé qu'en y comprenant les articles qui se rapportent à l'écriture des actes, tels que droits de greffe, de no- taire, etc., le chiffre de leurs divisions et subdivisions s'élève à plus de la moitié du nombre total des arti- cles qui composent ces comptes ^

Il y avait d'abord les droits ordinaires payés par les lusticiables aux différentes juridictions supérieures et

1. Id. Charte de juin 1340. D'après le Catalogue des rôles gascons.

2. Id. Charte de Westminster, 20 mai 1354.

3. J. Delpit, I/z^rod , p. 223-224.

DROITS DU FISC. 29

inférieures, telles que la cour des appels de la province, la cour du juge ordinaire de Gascogne, celle des séné- chaux, des châtelains, des prévôts, des baillis, sans parler de la juridiction arbitrale qui s'était formée pour éviter le dédale des autres tribunaux.

De plus^ à chacune de ces cours se rattachaient dif- férentes espèces de droits, tels que les droits de greffe, les droits de sceau, de contre-sceau. Chacun de ces droits se subdivise en une multitude de désignations dont la nomenclature serait ici superflue, mais qui toutes formaient des revenus distincts, exploités ou donnés par le duc de Guyenne ^

Il faut dire aussi que beaucoup de ces désignations se rapportent à des taxes arbitraires que les officiers royaux trouvaient moyen de prélever sur les adminis- trés, sous prétexte de droits de justice.

Ce qu'il y avait de fâcheux en Guyenne comme dans les autres provinces de France à cette époque, c'est que ces impôts étaient perçus indépendamment des droits levés par les officiers royaux pour leurs gages. Les fonctions de sénéchaux, connétables, prévôts, n'étaient pas rétribuées ; elles se donnaient, se ven- daient ou s'affermaient.

Il ne faut donc pas chercher à placer la Guyenne an- glaise bien au-dessus des autres provinces de France, sous le rapport de la taxation judiciaire. La fiscalité de

1. J. Delpit, Mrod., p. 223-224.

30 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

la procédure était le fléau du moyen âge. Deux res- trictions cependant peuvent être faites en faveur du Bordelais. II ne faut pas oublier d'abord l'observation que nous avons faite plus haut sur les comptes de Fi- longley : ils rappellent un temps mauvais pour les Aquitains, un temps d'extorsions. On ne peut étendre à toute la période anglaise les données qu'ils nous fournissent sur les droits de justice, plus que les chiffres qu'ils ahgnent pour les revenus fonciers ou autres. En second lieu, ce qui devait singulièrement diminuer les revenus judiciaires du duc de Guyenne, c'était la multiplicité des juridictions indépendantes de celle du suzerain ; l'argent payé à ces juridictions ne sortait au moins des mains des justiciables qu'au profit d'autres habitants de la province. Les juridic- tions ecclésiastiques et les juridictions municipales disputaient à la connétablie de Bordeaux une bonne partie des revenus judiciaires. Dans le Bordelais sur- tout, comme nous le verrons au chapitre du mouve- ment communal, tout justiciable membre d'une com- mune ne relevait que de la justice communale, et la qualité seule de propriétaire allodial affranchissait de la juridiction monarchique : « Quand je suis forcé, dit un tenancier de Barsac, de comparaître en justice devant le roi, c'est par violence et non par droite »

{. « Dixit etiam quando stabit jure coram pra^posito de Barssiaco, hoc facit violentiam. » Ms. Wolfenbuttel, dans Del- pit, p. 20-21.

DROITS DD FISC. Zi

Impôts sur les produits du sol. Pour cette nature de revenus, les Comptes de Filongley contiennent d'assez nombreuses désignations de taxes levées sur les blés^, les moulins et les fours, les vins, les prairies et pâturages, les forêts, les dégâts ruraux, la pêche, le sel, etc. Mais toutes ces taxes n'appartenaient pas au duc de Guyenne dans toutes les parties de la province. Ainsi, le Prince Noir lui-même ne possédait aucun droit de forêts dans le Bordelais et les Landes. Les droits de prairies et de pâturages ne sont signalés que pour la sénéchaussée des Landes ^. La taxe de taverne pour la vente des vins n'est mentionnée qu'à Bordeaux et à Poitiers ; le droit de jaugeage .ne se payait qu'à Libourne et à Bordeaux ^.

oîi elle se payait, à Bordeaux par exemple, la taxe de taverne pouvait être d'un revenu considérable. Les sommes qu'elle rapporta sous le gouvernement du Prince Noir sont d'un chiffre relativement très-élevé *.

i. « Blada, bladagium, blada censualia, hlada baillivia, frumentum, avene, minagium, cesteral, voata bladorum, cul- tura, quarta, quinta, agreriis. Forestagium, emendationes, compositiones , redditus, venditiones forestarum, etc. Nassa, paxeria, piscaria, fîrnia aquarum. » J. Delpit, Comptes de Filongley, 136-140.

2. Guidonagium vnccarum. î)'a\:>rès un acte des Rôles gascons, c'était un impôt sur les vaches qui traversaient un pont. Id., ibid,

3. Suivant une conjecture de M. Delpit, ce droit était prélevé sur les navires plutôt que sur les vins. Introd., p. 240.

4. Une année, en 1365, elle s'éleva jusqu'à 5, 9001., 8s., 6d. guyennois. Comptes de Filongley. Delpit, p. 136-137.

32 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

Mais ici, encore une fois, il s'agit d'une époque excep- tionnelle.

Droits de douane, octrois Compris sous le nom générique de coutumes, custuma, ces droits portaient sur l'entrée des légumes, du miel, des vins, de l'huile, sur le passage des étrangers. On peut y rattacher les droits sur les foires et les marchés * et la taxe appelée Recette foraine, c'est-à-dire les bénéfices sur la vente des vivres et équipements que le prince faisait apporter d'Angleterre^. Les chiffres de cette recette foraine, dans le temps auquel se rapportent les comptes de Filongiey, sont souvent très-élevés^. Nous n'en con- clurons rien encore sur les entraves que l'administra- tion anglaise a pu mettre au commerce des Aquitains, et spécialement des sénéchaussées bordelaises.

Il faut, en effet, pour savoir jusqu'à quel point les Aquitains auraient eu le droit de se plaindre en com- parant leur situation à celle des autres provinces de France, suivre la série des lettres-patentes rendues par les rois d'Angleterre au sujet des deux dernières caté- gories d'impôts que nous venons d'indiquer, les impôts sur les produits du sol, et les droits dédouane. Comme ces impôts touchaient aux intérêts les plus étroits d'une

1. « Nundinee, pars fori mercatorii, veaditio victualium. » Id., ihid.

2. Morue, harengs, stockfisch. Delpit, Infroc?., p. 141-142.

3. En 1367, ils montent à 66,504 1. Os., 19 d., st. guyenn.. îd., p. 136-137. Dans les autres années, de 1363 à 1370, ils os- cillent entre 3,000 et 13,000 livres.

DROITS DU FISC. 33

province riche et commerçante, nous en suivrons les variations sous les différents règnes. Ils sont ordinaire- ment l'objet d'importants privilèges concédés aux Aqui- tains par leurs ducs,, et ces privilèges contiennent toute l'histoire de l'industrie et du commerce bordelais. Dans le livre de M. Francisque Michel sur le commerce de Bordeaux, on voit que la souveraineté des ducs anglais capitula le plus souvent avec les prétentions des pro- vinciaux, et qu'en Guyenne l'immunité commerciale, comme l'autonomie politique, se fit place à côté de l'au- torité ducale. Cet antagonisme, ou plutôt cette conci- liation de deux intérêts opposés, est, ne l'oublions pas, le trait caractéristique de cette histoire.

CHAPITRE III

JUSTICE

L'énumération des droits de justice payés au duc par les Aquitains, nous a donné une idée de la multipli- cité des juridictions qui se partageaient la province. En Guyenne comme ailleurs, le morcellement féodal et le groupement communal avaient couvert le pays d'une infinité de justices qui s'enchevêtraient et se dis- putaient les justiciables. La domination anglaise enve- loppa ces mille juridictions de certains tribunaux d'ins- tance, d'appel et d'arbitrage dont le lien hiérarchique n'est pas toujours facile à saisir. Il faut d'abord distin- guer deux époques dans l'histoire des institutions judi- ciaires delà Guyenne anglaise, le xm^ siècle ou époque féodale, et le xiv^ ou époque des légistes.

Au xiif siècle, toute la justice ducale se réduit encore, pour l'ensemble de la province, à une cour de barons, la cour de Gascogne, bien plutôt chargée de juger les débats des seigneurs que de protéger les intérêts privés des provinciaux, et qui n'est pas permanente. Nous la

JUSTICE. COUR DE GASCOGNE. 3S

voyons fonctionner pour la première fois sous Henri III, en 1262, à propos d'un procès survenu entre le roi d'Angleterre d'une part, et de l'autre Renaud de Pons et Marguerite de Turenne au sujet des terres de Gensac et de Bergerac. Déjà pourtant, l'élément bourgeois s'est introduit dans cette cour seigneuriale comme dans le p&rlement de Saint Louis. En tête de la sentence, on voit figurer, à côté des premiers barons de la province, les maires de quatre communes, Bordeaux, Bayonne, Dax et Bourg ^ Soùs le règne suivant, la cour de Gas- cogne n'est toujours qu'un instrument d'autorité entre les mains du roi, pour châtier les vassaux turbulents et rebelles, instrument peu efficace, comme le prouve le procès du vicomte de Bearn^

A son retour de Palestine, en 1272, Edouard l" s'achemine vers la Gascogne pour y apaiser les troubles que ce seigneur y avait excités contre son autorité, et Gaston de Béarn est assigné à la cour de Saint-Sever devant le sénéchal de Gascogne. Le vicomte ne s'ét^nt pas présenté, le sénéchal ordonne la saisie de ses terres. Mais Gaston résiste à main armée, et le chevalier de Lauro, commissaire du roi, envoyé à Orthez pour in- struire le procès, est arrêté et fait prisonnier par les habitants. Effrayé des suites de cet acte de violence

1. Msc. Wolfenbuttel, p. 13S, dans Delpit.

2. Montlezun, Hist. de Gascogne, t. II, p. 404, d'ap. Thomas Walsingham; cf. Guill. de Nangis, ann. 1272, édit. delà Société de l'Histoire de Franco, 1. 1, p. 243.

36 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

commis pour sa cause, le vicomte se décide à se rendre devant le roi pour répondre sur les griefs. Edouard P' le fait d'abord prisonnier et ne le met en liberté qu'à des conditions très-rigoureuses et avec de grandes ga- ranties prises contre lui.

Mais l'affaire est loin d'en rester là. Gaston de Béarn viole les conditions souscrites, court se fortifier dans le château d'Orthez, et, de là, envoie des commissaires faire des excuses devant le sénéchal et toute la cour de Gascogne siégeant à Saint -Sever. Le simulacre de sou- mission n'ayant pas satisfait les représentants du duc, les commissaires du vicomte de Béarn en appellent au roi de France. Mélange de bravades et de faux-fuyants qui sera, jusqu'à Louis XI, la tactique du baronnage gascon.

Comme on n'avait pas épuisé toute procédure de- vant la cour de Gascogne, Edouard I" convoque de nouveau cette cour^ qui se trouve composée cette fois des cours particulières de Bordeaux, de Bazas et de Saint-Sever. C'était la troisième convocation depuis le début du procès. Seulement, on le voit, la composition de cette cour de Gascogne n'avait rien de fixe ; le nombre et l'importance de ses membres variaient sui- vant la gravité des conjonctures.

Cette nouvelle cour trouve la procédure illégale, fait citer de nouveau le vicomte de Béarn, et l'abbé de Saint-Sever se transporte à Orthez, accompagné de plusieurs députés des trois cours et des maires de

COUR DE GASCOGNE. 37

Saint-Emilion, de Saint-Macaire et de Dax. A la som- mation des députés, Gaston répond, comme la pre- mière fois, par un refus. Nouveaux recours aux armes; Edouard P'" se met à la poursuite de Gaston, qui en appelle de nouveau à Philippe le Hardi, roi de France.

De guerre lasse, £t contre l'avis de la plupart de ses conseillers, le roi d'Angleterre respecte cet appel que ne justifiait ni un faux jugement ni un déni de justice. Il leva le siège d'Orthez et se contenta de faire pour- suivre la cause à la cour de France. Après avoir essayé de se dérober à cette juridiction suprême qu'il avait invoquée le premier, le vicomte de Béarn se décide à se présenter en personne devant le parlement de France. Mais il essaye d'en imposer ; il appelle le roi d'Angleterre traître, faux et injuste juge, et s'offre à le combattre en personne. Quelques barons acceptent le défi; le vicomte, pris au mot^ se retranche dans l'ac- ception la plus étroite du terme en 'personne ; il re- fuse le gage de bataille des champions d'Edouard I" et ne veut combattre qu'avec le roi lui-même *.

Ce procès, on le voit, est un type expressif d'une cause féodale en Gascogne. Il n'est pas d'expédient que n'emploie le vicomte de Béarn pour échapper à la juri- diction de son suzerain. Tantôt les armes, tantôt les désaveux insuffisants, tantôt, enfin, l'appel au suzerain supérieur et, en dernier ressort^ la voie de bataille, tel

\. Montlezun, id., ibid.

38 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

est bien le cours de la justice comme l'avait trouvée Saint Louis au début de son règne, et comme elle de- vait durer longtemps encore dans les provinces qui n'étaient pas de son domaine.

Edouard I" eut-il, enfin, devant le parlement, rai- son de ce vassal qui comptait pour si peu la cour de Gascogne ? On ne saurait le dire. D'après Guillaume de Nangis, l'affaire s'apaisa ; Philippe IIÏ ne voulut pas la laisser juger. Il ménagea une réconciliation, et le sénéchal de Gascogne, Jean de Grailly, rendit au vicomte les châteaux saisis *.

D'après ïh. Walsingham, Gaston aurait été con- damné par Philippe III à se mettre à la discrétion d'Edouard. Il serait passé en Angleterre, en 1275, conduit, la corde au col, aux pieds du monarque an- glais. Mais celui-ci, après lui avoir fait grâce de la vie, l'aurait enfermé quelques années dans un château, puis il l'aurait relâché et renvoyé dans son pays. Quoi qu'il en soit, un tribunal si peu respecté et d'une for- mation si peu régulière que la cour de Gascogne de- vait laisser les justiciables à la merci de l'arbitraire sous la juridiction ordinaire des sénéchaux, -des baillis

1. « Venit ad regem trepidus, et genu flexo junctisque ma- nibus ipsum suppliciter exoravit ne hujus facinoris, sine causa sibi impositi, suspectas haberetur ; promittens se pur- gaturum scuto et lancea, vel eo modo quo Palatinorum sen- teulia judicaret. Qui in tali statu diu crans regem, vix tan- dem obtinuit ut, suspicion e sopita, rex sibi veniam iudulge- ret. » Guill. de Nangis, t. I, p. 244.

RÉFORME D'EDOUARD II. 39

et des prévôts. Les sujets de Guyenne n'avaient à attendre le redressement de leurs griefs que du, carac- tère des princes qui comprenaient le mieux leur inté- rêt. Il fallait la présence de ces princes et la menace du châtiment pour empêcher leurs officiers de grever et défouler les Aquitains. A plusieurs reprises Edouard P'' vient les armes à la main réparer quelques-unes des injustices commises par ses sénéchaux ^ ; mais les ex- cès s'étant renouvelés, une réforme devint nécessaire ; elle fut l'œuvre d'Edouard II (7 août 1319). S'attachant surtout à protéger les classes inférieures, ce prince^ ordonna'une enquête sur les exactions des officiers de justice, et régla qu'à l'avenir la charge de bailli ou de juge ne serait donnée qu'à vie, que ces officiers ne pourraient exercer qu'une charge, qu'ils résideraient dans le lieu de leur juridiction, que l'emploi de gref- fier ne serait donné qu'à des hommes lettrés, et qu'on diminuerait le nombre excessif des sergents^.

Il y a certainement dans cette réforme une imitation des sages règlements que la royauté française, depuis Saint Louis, avait appliqués à ses domaines, et surtout de la fameuse réforme de la prévôté de Paris *. Elle dut

1. En 1274, à son retour de Paris il avait été rendre hommage à Philippe' le Bel (Jouannet, Doc. hist de la Gi- ronde, t. {, p. 203) et en 1282 (L. des Bouillons, folio 51, verso, et 32, recto).

2. Esclapot de Montségur, Cf. Jouannet, 16.

3. L. des Bouillons, fol. 51-32 : La Ordenation que fettios- tre senhor lo Rey de sous officiers.

4. Joinville, édit. de Wailly, p. 234.

40 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

être au moins un soulagement passager pour toute la Guyenne. Si maintenant, entre les douze sénéchaus- sées qu'elle renfermait, nous considérons particulière- ment la situation de nos trois sénéchaussées de Bor- deaux, de Bazas et des Landes, pour le fait de la jus- tice, nous devrons faire de grandes réserves. Nous verrons bientôt combien de privilèges apportaient dans cette région de la Guyenne un précieux correctif à la justice seigneuriale ou à celle du duc représenté par ses sénéchaux. Dès le xui® siècle, la concurrence même des juridictions crée des garanties pour les bourgeois de certaines villes ; l'obligation de paraître en justice devant le roi ou ses officiers est restreinte à des cas plus rares. Nous trouvons même un exemple le choix du tribunal est laissé aux justiciables ; c'est à la Sauve. Si l'abbé de cette ville ou tout autre intente un procès aux bourgeois de la Sauve, ceux-ci peuvent en appeler au duc ou à son bailli, à Bordeaux ou ailleurs, partout enfin oh ils croiront trouver un bailli meilleur et qui leur soit plus favorable ^

Du xiif au XIV® siècle, les développements de la science du droit amènent en Guyenne l'extension du personnel judiciaire et l'établissement de juridictions nouvelles. La législation anglaise semble se préoccuper davantage des relations civiles des provinciaux, et elle exige des titulaires des offices les grades de bacheliers ou de docteurs en droit civil et en décret.

1. Msc. Wolfenbultel, ap. Delpit, p. 27.

JUSTICE. ORDONNANCE D'ÉDODARD II. 41

L'effort des légistes pour multiplier les garanties que le droit écrit opposait à l'arbitraire se manifeste au début du xiv* siècle, dans cette ordonnance très- remarquable rendue par Edouard II, en 1323, pour la réformation de la province, et que nous avons déjà mentionnée à propos du connétable de Bordeaux. C'était un remaniement complet des différents ordres de fonc- tionnaires de la Guyenne, et des gages affectés à cha- cun d'eux ^

Il y est question de la création de notaires garde- sceaux dans plusieurs villes du Bordelais, comme Blaye, Libourne, Saint-Macaire, la Bastide de Croon, Bordeaux. A côté des sénéchaux particuliers d'Agé- nois, des Landes, de Périgord, de Saintonge, siègent un procureur général, un procureur ordinaire, un con- seiller ; les noms de ces magistrats n'ont, pour la plu- part, aucune physionomie nobiliaire, mais ils sont précédés de la désignation de maître, c'est-à-dire de docteur. Nous remarquons de plus que ce sont tous des noms de Gascons.

Au-dessous des sénéchaux de chaque province, il y a pour les villes des magistrats inférieurs, dont le nom varie suivant les localités. A Bordeaux, le juge de la ville, pour les justiciables qui relèvent du duc de Guyenne, s'appelle le prévôt de l'Ombriôre'. A Aire, dans les Landes, c'est l'offîcial ; en Agénois, la séné-

1. Rymer, t. II, pièce 2, p. 61-62.

2. Du nom de l'hôtel il siégeait, le palais de l'Ombrière.

42 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

chaussée comprend deux subdivisions confiées à deux juges particuliers, le juge ordinaire de çd-Garonne, et le juge d'outre-Garonne ^

Nous manquons de documents qui déterminent l'é- tendue de la compétence de ces juges inférieurs ; on peut croire, d'après ce que nous savons des juridictions supérieures, que ces sénéchaux ordinaires connais- saient des affaires de police ou des causes civiles de peu d'importance. Rymer et le livre des Bouillons nous en apprennent un peu plus sur le Juge de Gascogne, la Cour de Gascogne, la Cour suprême d'Aquitaine et les tribunaux d'arbitrage.

D'après la chronique de De Lurbe, le Juge de Gascogne était le lieutenant du sénéchal de Guyenne pour le fait de la justice^. Comme le sénéchal de Guyenne, il devait donc présider la Cour de Gascogne, qui paraît être devenue, au xiv® siècle, un tribunal permanent et un tribunal d'appel. Elle connaissait des appels des causes jugées par les maire et jurats de Bordeaux ^, et jugeait an contentieux pour les conflits survenus entre les tribunaux laïques et les tribunaux ecclésiastiques. Cette compétence de la Cour de Gascogne, dans les débats des tribunaux séculiers et religieux, lui fut attri- buée au milieu du xiv® siècle, en 1347, c'est-à-dire à l'épocjue oîi partout les juridictions spirituelles étaient

i. Rymcr, t. II, part. 2, p. 62.

2. Chron. bordel., p. 13, recto.

3. Id., ibid.

COUR DE GASCOGNE. . 43

attaquées et vaincues par le pouvoir civil. Nous devons au livre des Bouillons la relation d^un curieux épisode de cette grande guerre.

Les maire et jurats de Bordeaux disputaient au chapitre de Saint-Seurin-lez-Bordeaux la juridiction haute et basse dans les quartiers de Caudéran, Bouscat et Yillenave ; d'autres chefs faisaient le sujet de con- testations diverses qui duraient depuis très-longtemps. Le chapitre de Saint-Seurin, pour ne parler que du débat principal, prétendait que les habitants des trois quartiers de Caudéran, Bouscat et Yillenave étaient questaux^^ et que de temps immémorial il était en possession de les regarder et traiter comme tels ^.

Pour le moment, et comme la compétence dans une cause de ce genre n'avait encore été attribuée à aucun tribunal, ce fut le conseil royal de Gascogne qui pro- nonça par voie d'arbitrage. Conformément à l'ordre d'enquête rendu, le 16 novembre 1346, par Henri de Lancastre, sénéchal d'Angleterre et lieutenant d'E- douard III en Guyenne et France, le sénéchal de Guyenne, Thomas l>ok, président du conseil, confia le soin de ménager une transaction à Pierre de Permet, abbé de Sainte-Croix^ et à Géraud du Puy, licencié es

1. C'est-à-dire taillables à discrétion et attachés à la terre. Cf. Du Cange, Quœstales,

2. « Cum plenissima potestate questandi eos ad volunta- tem et arbitrium suum, et quamplura alia servitia et deveria imponendi et recipiendi ab eisdem. » I. des Bouillons, folio 96, verso, H5.

44 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

lois, chanoine et sacriste de Saint -André, qui joignait à ces qualités celle de juge des appels dans la cour de Gascogne ^ La transaction fut examinée -par le séné- chal et par le conseil du roi en présence duquel elle fut conclue du consentement des parties.

Les termes dans lesquels elle est conçue témoignent de l'antagonisme des deux juridictions séculière et re- ligieuse. Pour les mettre d'accord, le conseil royal dut leur partager le jugement des questaux ; mais il attri- bua au tribunal de la jurade la connaissance des cas les plus graves. Ainsi, il fut convenu que le chapitre de Saint-Seurin, remis en possession de ces serfs, du consentement des maire et jurats, aurait la juridiction civile sur tous les habitants de ses terres, qu'il aurait même la connaissance de toutes les injures, violences , batteries et plaies, .pourvu qu'il n'y eût aucune mutila- tion ou aucun coup mortel, ou que l'amende qui serait encourue n'excédât pas la somme de 65 sols^. On fixait avec soin les formes dans lesquelles devait s'exercer cette juridiction. Par contre, les maire et jurats au- raient la haute et basse justice, et toute juridiction dans les mêmes bornes, à l'exception du territoire ap- pelé la Sauveté de Saint-Seurin^ lorsqu''il serait ques- tion de mutilation des membres, du droit de pilori, et

1. Il ne faut pas confondre cette charge avec celle de Juge de Gascogne. Le juge des appels dans la cour de Gascogne était le conseiller chargé d'instruire les appels portés devant la cour. Le Juge de Gascogne était le président de la cour.

2, I. des Bouillons, folio 97, verso.

JUSTICE. 4S

de toutes les amendes qui excéderaient 65 sols. La ju- rade, néanmoins, ne devait pas exiger de pilori ni de fourches patibulaires dans l'étendue des trois quartiers ; elle ferait exécuter les criminels dans l'enceinte de Bor- deaux, au lieu ordinaire des exécutions. On ne lui per- mettait, dans les limites de ces quartiers, que de tenir des sergents, et à la condition que ceux-ci ne tracasse- raient pas les habitants.

La transaction stipulait en même temps pour les habitants de Bordeaux qui possédaient des terres dans le fief du chapitre. Pourvu que ces terres ne fussent ,pas questables, ces Bordelais restaient justiciables de la jurade, tant au civil qu'au criminel. Mais, ici encore, une exception était faite au sujet des questions féodales, dont la connaissance appartenait au seigneur du fief, quel qu'il fût, de même qu'au sujet, des droits parro- chiaux que le chapitre de Saint-Seurin gardait sur ces habitants de Bordeaux, propriétaires dans les limites de son fief ^ Le roi, le sénéchal ou ses officiers seraient juges civils et criminels entre les familles des chanoines et les habitants de la juridiction, ainsi qu'entre les étrangers seuls, sauf les cas déjà attribués au chapitre.

Quatre sortes de juridictions difïérentes s'entremê- lent donc sur un espace de quelques kilomètres carres : le chapitre, les tribunaux de fiefs, la jurade et les offi- ciers royaux. Telles sont les complications qu'engen- drait nécessairement une sentence d'arbitrage sous le

i. L. des Bouillons, folio 96, recto.

46 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

régime du morcellement féodal. Cette sentence du conseil royal de Gascogne marque pourtant la transi-» tion entre l'indépendance des tribunaux ecclésiastiques et la suprématie des juges séculiers. Dans l'espèce, en effet, elle donne à ces derniers la part la plus impor- tante ; elle ne laisse au chapitre, dans la circonscription des trois quartiers, que les causes secondaires^ et ne lui réserve la juridiction absolue que sur le petit espace oij s'exerçait son antique droit d'asile. De plus, elle donne, pour l'avenir, la compétence en matière de cau- ses analogues au pouvoir temporel. Les démêlés qui surviendront entre les chanoines de Saint-Seurin et la jurade seront du ressort du sénéchal de Guyenne et des officiers du roi^ La cour de Gascogne, à partir de la date de 1347, se trouvait donc investie du conten- tieux entre les justices rivales, et les tribunaux ecclé- siastiques delà Guyenne lui étaient subordonnés comme ceux de l'autre ordre.

De l'importance que prend, dans la seconde moitié du XIV® siècle, son premier magistrat, le Juge de Gas- cogne.

Les règlements rendus en 1378 par Jean de Nevill, lieutenant du roi, au nom du conseil royal de Bor- deaux, faisaient du Jugi3 de Gascogne le principal ins- trument de la justice dans la province^. Au civil, c'était lui qui faisait les citations pour dettes, qui rédigeait

1. L. des Bouillons, folio 96, recto.

2. L. des Bouillons, folio 102, verso.

JUSTICE. 47

les publications de ventes de biens, les publications de sauvegarde^ les lettres de grâce pour acquittement de dettes. Il rédigeait aussi les arrêts en police correction- nelle, les appels, les renvois et les sentences défini- tives ^ Enfin, il devait visiter une fois la semaine tous les prisonniers « pour leur rendre bonne et briève justice^. »

La multiplication des appels portés à la cour de Gascogne força bientôt le roi d'Angleterre de dédoubler le service de l'instruction de ces appels. Jusqu'en 1387 un seul conseiller était juge à la fois des appels civils et des appels criminels^. La première année de son règne, en 1399, Henri IV de Lancastre divise ces fonc- tions; il nomme juge des appels civils Bertrand de Asta, docteur en droit, et juge des appels criminels, maître Guillaume de Bouen*.

Après le jugement rendu par la cour de Gascogne, il y avait encore un recours, c'était celui de la cour suprême à laquelle ressortissait le tribunal de tout grand fief, c'est-à-dire le parlement de Paris. Jusqu'à l'époque de la guerre de Cent Ans, c'était en effet devant le parlement de Paris qu'étaient portés en appel les procès des Aquitains contre les gens du roi d'Angle-

i. Livre des Bouillons, folio 102 et 103.

2. Id., folio 103.

3. Rymer, t. III, part. 3, p. 37, nomination de maître Guillaume Bonewe ; et part. 4, p. 12, celle de Réginald An- dréa, bachelier utriusque juris, natif de la Réole.

4. Rymer, t. III, part. 4, p. 174.

48 LES ANGLAIS EN GUYENNE,

terre*. Mais lorsqu'après les victoires de Crécy*et de Poitiers le traité de Brétigny eut stipulé en faveur d'Edouard III la possession de la Guyenne en toute souveraineté, ce prince cessa de reconnaître la suze- raineté judiciaire du parlement de Paris, et, à titre de suzerain de l'Aquitaine, il institua, au-dessus de la cour de Gascogne, une cour ducale, une cour suprême, curia superioritatis Aquitanœ, cour de suzeraineté de l'Aquitaine. Le nom même de cette cour était bien, on le voit, l'affirmation de son nouveau titre de propriété. C'était en vertu de cette possession souveraine de l'Aquitaine qu'il avait transporté à son fils, dès 1360, le titre et les avantages de duc.

Le grand procès porté, en 1370, par les Gascons devant Charles V, fut l'occasion de rétablissement de cette cour. Les seigneurs de Gascogne, accablés d'exac- tions par le Prince Noir, avaient réclamé auprès du roi de France, et celui-ci, en raison des infractions com- mises par le Prince Noir au traité de Brétigny^, n'avait pas tenu compte des termes de ce traité qui abolissaient

{. V. par exemple le procès de i3I2, dans Rymer, t. II, part, d, p.21, col. 1.

2. Notamment à l'article 22, concernant le maintien des li- bertés et franchises dont les pays, abandonnés de part et d'autre, jouissaient au moment de la conclusion du traité, et à l'article 40, concei-nant l'obligation pour les deux parties contractantes d'échanger à Bruges les renonciations mutuelles dans des actes spéciaux et sous forme définitive. V. Rymer, t. III, p. 519. Cf. Livre des Bouillons, texte imprimé, p. 48 et 54.

COUR SUPRÊME. 49

sa suzeraineté en Guyenne; il avait accueilli les plaintes des Gascons, et cité son prétendu vassal Edouard III devant le parlement de Paris.

On sait avec quelle colère hautaine Edouard III reçut cette citation. Mais, tout en s'apprêtant à repousser la conquête française par les armes, il repoussa l'ingé- rence de la justice de Charles V, en substituant au par- lement de France pour les appels portés de la cour du duc d'Aquitaine une cour de souverain ressort jugeant en son propre nom. Le préambule de l'ordonnance d'institution reconnaissait les torts et dommages faits par le Prince Noir aux Aquitains ; mais Edouard III j: proclamait que l'exercice de la justice suzeraine lui appartenait de plein droit, et il n'entendait pas que les Aquitains eussent d'autre recours que lui-même ^

Comme il eût été dangereux d'exiger des Aquitains qu'ils vinssent plaider leurs causes en Angleterre, Edouard III plaçait dans la province même le siège de ce souverain ressort, ayant bien soin de faire valoir aux yeux de ses justiciables de Guyenne le soin qu'il prenait de leur épargner les fatigues et les dépenses d'un voyage au delà de l'Océan^. Ainsi, en 1370, la

i. « Desiderantes populum nostrum partium earumdein in pacis bono fovere, et a quibus cumque gravaminibus et noxis prout uobis possibile fuerit prœservare, ac volentes superiori tatem et rcsortum hiijus modi in terra nostra Aquitania, prout ad nos pleno jure pertinel superioritatis et resorti hujus modi exercitium, exercere, etc. » Rymer, t. III, p. 2, p. 167.

2. « Ut subditorum nostrorum ipsarum parlium laboribus

4

50 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

cour suprême est convoquée à Saintes, « parce que cette ville renferme un grand nombre de personnages experts en jurisprudence et qu'on y trouve grande pro- vision de vivres. » Rien d'ailleurs n'est oublié dans le libellé de l'ordonnance pour rappeler aux Aquitains le plein droit du roi d'Angleterre : la ville de Saintes est appelée cité roijale, et Edouard III décrète, suivant la formule royale, en vertu de son bon plaisir.

Une pensée sagement politique présidait au reste à la composition de la cour de souverain ressort. Les circonstances étaient critiques; il fallait retenir par des garanties efficaces la fidélité des Aquitains, presque ruinés par les exactions du Prince Noir, et leur faire oublier que leur dernier recours était celui d'un roi d'Angleterre, du père même de celui dont ils avaient tant à se plaindre. En conséquence, Edouard III s'atta- cha le plus possible à enlever à la cour suprême toute physionomie étrangère; il la composa presque exclu- sivement de notables de la province. Les Aquitains gagnaient en définitive à ce changement de suzeraineté judiciaire. Relevant de Charles V, du parlement de Paris, ils auraient été jugés par des Français, c'est-à- dire par des juges qu'ils considéraient comme des étrangers. Sous la souveraineté d'Edouard III, ils

parcamus, dispendiis et expensis, apud regiam civitatem nos- tram Xantoneiisem ubi peritorum et victualiuni liabuudat co- pia, pro nostro beneplacito providimus statuendum. » Rymer, t. III, part. 2, p. i tJ7.

COUR SUPRÊME. 51

avaient pour juges leurs compatriotes. Ainsi, en 1372, les membres du ressort in partions Aquita?iiœ s'ont : l'archevêque de Bordeaux, l'évêque de Poitiers, les religieux de Saint-Seurin de Bordeaux et de Saint- Maxence du Poitou, le chancelier d'Aquitaine, les abbés des monastères, Florimond, sire de Lesparre, Bernard d'Albret, Guillaume l'archevêque, seigneur de Parthenay, Louis d'Harcourt, vicomte de Châtei- ryrand. Le tribunal devait se composer au moins de quatre des membres désignés, plus deux barons; l'ar- chevêque de Bordeaux, l'évêque de Poitiers et le chan- celier devaient toujours en faire partiel En 1373, sur les quatre membres désignés, il n'y a qu'un Anglais'-^, et les termes de l'ordonnance expriment le même zèle pour le repos et la sécurité des Aquitains^. En 1375, le nombre de ces juges d'appel est élevé à sept, et ce sont tous des Gascons*. La cour de souverain ressort fonctionne ainsi pendant

i. Rymer, t. III, part. 2, p. 195.

2. Id., t. III, part. 3, p. 5.

3. « Ad majorem quictera ligeorum nostrorum in dominio nostro Aquitanise et partibiis illis, ne ipsos oporteat ad per- sonam nostram pronriam pro juribus causarum accedere, loci distantia ac periculis patsagiorum hue et illuc. Ici., ibid.

4. Rymer, t. ÏII, part. 3, p. 27. Cf. année 1378, acte de Richard II sur le même sujet, t. III, part. 3, p. 78. Voir aussi le mandement de ce roi relatif aux exactions des seigneurs de Guyenne, 13'.t7 (13 mars). Il est adressé d'abord à son oncle, Jean, duc d'Aquitaine et de Lancastre, puis aux juges de la cour suprême d'Aquitaine qui est nommée à part, et avant le sénéchal de Gascogne. L. des Bouillons, texte imprimé, p. 214.

52 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

toute la seconde période de la guerre de Cent Ans. Mais par l'effet de la suprématie' qu'affectaient en France les Lancastres, eUe acquiert au commencement du xv^ siècle une importance plus grande et de nouveaux développements. Sous Henri IV, qui prend le titre de regni Franciœ superior, suzerain du royaume de France % la cour suprême d'Aquitaine est investie d'une compétence générale, égale à celle du Parlement de Paris. Elle n'est plus seulement chargée, comme sous Edouard III, d'examiner les griefs des Aquitains contre leur duc ; ce n'est plus seulement une juridiction défensive au profit des arrière-vassaux contre le feu- dataire médiat. A titre de suzerain du royaume de France , Henri IV de Lancastres en fait une cour d'appel pour toute espèce de prrcès, un véritable com- plément jComrnQiX le dit lui-même, detoutejiisticedans les pays qu'il «occupe de fait, c'est-à-dire l'Aquitaine et les provinces adjacentes^. La cour de suzeraineté d'Aquitaine est ainsi promue au rang qu'occupait pour les Français restés fidèles aux Valois le parlement de Charles VI. Elle est appelée à centraliser toute justice dans le royaume de France au fur et à mesure que la

b. Rymer, t. IV, part. 1, p. 137.

^,^ « Sciatis quod nos juxta debilum suscepti regiminis om- 'nibus et singulis ad nos, ut ad regni Franciae superiorem et dominii ducatus Aquilaniœ et partium adjacentium, quere- 'lantibus, iirovocantihus et appellantibus desideranlcs fîeri plénum jusUtiœ coinplcmentum. » Rymer, t. IV, part. \, p. i37.

LE CHANDELIER. o3

conquête anglaise annexera de nouvelles provinces à l'Aquitaine. L'extension de sa compétence, d'après les termes mêmes de l'ordonnance de 1408, suit le progrès de la dnminîrtion des Lancastres dans notre pays.

La cour de Gascogne ne disparaît pas pour cela. Elle avait, nous l'avons vu, sa juridiction spéciale, qui con- sistait à recevoir les appels portés devant le duc d'Aqui- taine. Elle subsiste si bien qu'en 1399, deux lettres- patentes, rendues le même jour, règlent la composition de la cour de Gascogne et celle de la Cwna siiperiorita- tisK Mais celle-ci constitue un deuxième degré d'appel, les appels du duc au roi, et c'est pourquoi elle reçoit une organisation analogue à celle de la cour de Gas- cogne. Les sept membres dont Henri IV la compose en 1408. sont institués juges au civil et au criminel. Deux de ces membres sont désignés pour porter les arrêts interlocutoires, et trois pour les arrêts déjQni- tifs ^. Comme l'exigeaient ces attributions nouvelles de la cour, tous ces membres sont gradués en lois et en décret, et tous appartiennent à la nation d'Aquitaine^.

Le même mouvement qui avait fait naître et gran- dir la cour de souverain ressort augmenta l'impor- tance d'un magistrat que nous n'avons encore nommé qu'en passant, mais qui finit par être le plus haut di- gnitaire de la justice de Guyenne, c'est le Chancelier.

{. Rymer, t. III, part, 4, p. 174. 24 décembre 1390.

2. Rymer. t. IV, part. \, p. 137.

3. Id. Ibid.

Si LES ANGLAIS EN GUYENNE.

Chargé de la garde du sceau ducal et de l'enregistre- ment des procès, le chancelier ne pouvait être nommé, comme le sénéchal de Gascogne et le connétable de Bordeaux, que par le roi d'Angleterre, sur l'avis de ces deux officiers et des membres du conseil royal de Gascogne*.

Au commencement du xiv® siècle, la charge do Chancelier avait passé par la réforme générale accom- plie sous Edouard II, en 1323, à la faveur des vic- toires que remportait partout le droit écrit sur le droit féodal. Jugeant avec raison que les intérêts de ses peuples de Guyenne seraient mieux défendus si le pre- mier magistrat de la province appartenait à la classe des légisteSj il avait décrété que désormais le sceau ne serait confis qu'à un clerc, ou suffisant homme et sage en loi écrite"-. Lorsqu'au-dessus de la cour ducale eut été instituée la cour de souverain ressort, le Chan- celier fut le gardien du sceau de cette cour souve- raine ^, et son titre de chancelier de Gascogne fut rem- placé par celui de chancelier d'Aquitaine.

Nous arrivons ainsi au couronnement de la justice

1. Rymer, t. II, part. 2, p. G2.

2. Per ceo que le jugement de la duchie et les besoignes touchant nous et notre poeple iliecs s'amendront molt, si un clerc suffisant fnst chancellier et gardein du scel de la duchie, accordez est que un suffisant home sages en loy escrit, soit chancellier et gardein dudit scel et que face register les pro- cès et les remambrantz que louchant cela gardez come nostre trésor per nos et per nostre poeple. Rymer, t. II, part. 2, p. 62.

3. Rymer, t. IV, part. 2, p. 84.

JUSTICE. o5

ordinaire en Guyenne. Autant que les documents per- mettent de le constater, l'organisation de la justice ducale aurait donc été constituée dans la province de la manière suivante : au-dessus des prévôts, des baillis et des sénéchaux, le Sénéchal de Gascogne, président de la Cour de Gascogne, qui est une cour de barons jusqu'à la fin du xui® siècle, et une cour de légistes pendant la plus grande partie du xiv' siècle. A partir de la prépondérance du droit écrit, les pouvoirs du Séné- chal de Gascogne sont délégués à un juge de droit écrit, le Juge de Gascogne, auquel aboutit tout le service ju- diciaire du duché. La rupture d'Edouard III avec Charles V provoque la création d'un nouveau degré de juridiction approprié à la qualité nouvelle de proprié- taire souverain affectée en France par le roi d'Angle- terre, la cour de souverain ressort, remplaçant, eii Guyenne, le parlement de Paris pour les appels portés du duc au roi. Enfin, au-dessus de tous les officiers de justice, l'égal en dignité du Sénéchal de Gascogne et du Connétable de Bordeaux, le Chancelier ou gardien du grand sceau.

Nous retrouvons, dans cette organisation judiciaire de la Guyenne^ les mômes cadres que dans les autres provinces de France, et il n'y a pas sans doute à s'en étonner beaucoup, puisque, dans cette période du moyen-âge, l'ordre de choses établi en x^ngleterre pour la justice différait peu de celui qui était en vigueur chez les Capétiens. Les Aquitains durent, toutefois, sa-

56 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

voir gré au gouvernement anglais de ne pas les avoir traités en étrangers, en province conquise, comme il avait fait de l'Irlande par exemple, et de s'être borné à développer les institutions judiciaires que contenait en germe le système féodal de France. Il n'y a rien dans la nature des juridictions dont nous avons exposé la hiérarchie qui rappelle la défiance jalouse et la com- pression d'une domination étrangère. Non-seulement les rois d'Angleterre ne s'attaquèrent pas aux justices locales des arrière-fiefs ; mais nous les avons vus et nous les verrons, dans l'histoire du mouvement com- munal, favoriser l'extension de la juridiction des pairs par les privilèges judiciaires qu'ils octroyaient aux jurades. Dans un pays oiije droit écrit avait toujours été la base de la loi, ils s'attachèrent, dès le réveil de cette jurisprudence^ à en assurer partout la prépondé- rance, accommodant ainsi leur pratique administrative aux manifestations spontanées de l'opinion dans un pays continental. Ils évitèrent même, dans la composi- tion des tribunaux, de faire sentir aux Aquitains la su- prématie de l'étranger. Sauf de rares exceptions en effet, le personnel des cours de justice était recruté parmi les habitants de la province, précieux avantage à une époque la prédominance de l'esprit provin- cial assimilait à des étrangers, à des ennemis, les ma- gistrats envoyés du nord de la France dans le midi par la royauté Capétienne. Il résultait de cette préférence donnée par l'Angleterre aux Aquitains sur les Anglais

JUSTICE ARBITRALE. 57

pour la composition des tribunaux que^ sous Philippe le Bel ou sous Philippe de Valois, la Guyenne pouvait se croire dotée d'une justice plus impartiale et plus douce que d'autres provinces du Midi déjà rattachées à la couronne de France, comme le Languedoc. C'était certainement l'un des heureux résultats de la poli- tique anglaise, qui consistait à faire des avances au dé- vouement des Gascons ; quelle qu'en ait été la cause, l'Aquitaine recueillait le profit de ce système J)our son régime judiciaire aussi bien que pour l'administration financière.

Pour épuiser ce que les documents contemporains de la période anglaise nous apprennent sur l'exercice de la justice en Guyenne, il nous reste à dire quelques mots de deux juridictions exceptionnelles, les tribu- naux d'arbitrage et la cour militaire de Bordeaux.

La plupart du temps, la juridiction arbitrale appar- tenait au conseil royal de Gascogne. Les deux circons- tances les plus notables nous le voyons remplir le rôle d'arbitre se rapportent aux règnes d'Edouard II et de Richard II.

Sous Edouard II, en 1314, il s'agissait d'un conflit de pouvoir entre la jurade de Bordeaux et le prévôt de rOmbrière, le représentant du prince dans la circon- scription de la ville. Il paraît même, d'après les termes de la sentence, qu'il y avait eu entre ces deux autorités de vifs et fréquents débats, que cette guerre avait sou- vent troublé la tranquillité de la ville, et que vainement

58 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

le roi ou ses agents s'étaient efforcés d'y mettre un terme*. Une transaction fut enfin ménagée par le con- seil royal de Gascogne, sous la présidence du sénéchal Amaury, seigneur de Créon, et ce qui est à remar- quer, c'est que, dans une cause oîi la jurade était par- tie, les maire et jurats de la commune étaient admis à prononcer. Membres titulaires du conseil royal de Gas- cogne, il semble qu'ils eussent abdiquer, dans une affaire de cette nature, leurs attributions judiciaires, descendre du tribunal et se ranger parmi les plai- gnants. Il n'en est rien, et ils figurent à la fois comme juges et assesseurs du sénéchal de Gascogne, dans le préambule de l'accord et dans ses clauses, comme adversaires du prévôt de l'Ombrière. Si une pareille anomalie prouve combien était grande encore à cette époque l'ignorance des règles juridiques ^ , elle témoigne en même temps du respect et de la confiance que le gouvernement anglais accordait aux magistra- tures municipales du Bordelais'. Par ce qu'on pourrait

1. « Nos pleno desiderantes affectu nednm articulis supi'a- dictis, scd omnibus aliis quatenus esset nobis Dec prœstante possibile quieti et tranquillitati villœ et commmunitatis pros- picere.... viabiis repetitis par nos ei alios fîde dignes grandi labore faciamus ad rapiendum et extirpandum omnis dissen- tionis materiam » L. des Bouillons, folio 98, verso.

2. « Universis.... Araalricus de Gredonio ducatus Aquitanise senescallus et maïoi' et jurati coramunitatis Burdegalensis sa- lutem.... noveritis quod cum inter Prœpositum de Umbre- ria ratione ofQcii domini nostri régis una parte et nos majo- rem et juratos ratione totiuscommuniiatis exaltera... » L. des Bouillons, ibid.

JUSTICE ARBITRALE. 59

appeler un scrupule d'impartialité politique, il violait en leur faveur les conditions de l'impartialité judiciaire. Sous Richard II, en 1386, ce fut dans une querelle toute féodale que le conseil royal de Gascogne s'inter- posa ; mais comme le débat s'était élevé entre deux sei- gneurs, le conseil royal respecta le principe du juge- ment par les pairs^ et il n'intervint que pour remettre l'arbitrage à des juges de l'ordre féodal. L'affaire, d'ail- leurs, était grave et, comme toutes les querelles de sei- gneurs, pouvait entraîner pour la province des dévas- tations indéfinies.

Florimond de Lesparre, alors prisonnier en Espa- gne, disputait à Jean de Grailly, son sociiis armonim, la moitié de la rançon de trois prisonniers que celui-ci avait faits à Limoges. Il intenta une action à Archam- baud de Grailly, oncle du Captai, par-devant Jean de Harpdanne, sénéchal de Guyenne, et les seigneurs du conseil royal siégeant à Bordeai},x.

Ceux-ci arrêtèrent que cette affaire serait décidée par quatre chevaliers, deux de chaque côté, et, en cas de par- tage, le comte de Foix était choisi pour vider le diffé- rend. Soit que la sentence des arbitres n'eût pas satis- fait les deux adversaires, soit qu'ils n'eussent rien décidé, la discussion recommença en 1387, et elle de- vint si sérieuse que les barons, les gens d'égUse, les maire et jurats de Bordeaux en donnèrent avis au roi d'Angleterre et au duc de Lancastre, lieutenant pour le roi en Guyenne ; on redoutait le danger d'une guerre

60 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

qui eût mis toute la province en feu. L'intervention de Richard II suffit pour la conjurer. Il écrivit à Flori- mond de Lesparre et à Arcliambaud de Grailly, et il paraît que l'affaire se termina à l'amiable en 1393*.

Enfin, nous voyons des tribunaux d'arbitrage cons- titués par le roi, en dehors même du conseil royal de Gascogne. En voici un exemple dans un procès oii l'on avait épuisé plusieurs juridictions. Comme en 1314, l'objet en litige était la propriété de cinq questaux de corps et de biens^ réclamés à la fois par l'abbé et le couvent de Sainte-Croix de Bordeaux et par un simple chevalier, Bertrand de Caillou. Les questaux se por- taient eux-mêmes défendeurs contre l'abbé et le che- valier (1390).

Le procès fut plaidé d'abord devant le maire et le juge de Bordeaux, qui prononcèrent contre l'abbé et contre Bertrand, et les condamnèrent aux frais et dé- pens.

Ceux-ci interjetèrent appel de ce premier jugement devant Jean de Lancastre, oncle de Richard II et son lieutenant en Aquitaine. Jean de Lancastre prononça sententialiter et deffmitive dans un sens tout opposé au premier arrêt. Il ordonna que les questaux fussent rendus à l'abbé, au couvent et à Bertrand de Caillou, et les condamna de plus aux dépens. Il les avait con- damnés indebite^ dit le rapport reproduit par Ryraer^.

{ . Variétés bordelaises de Baurein, t. I. p. 228-230. 2. Rymer, t. III part. 4, 51.

JUSTICE. 61

Les questaux appelèrent donc de cette sentence, comme injuste, et, cette ibis, devant le roi et son con- seil d'Angleterre.

L'appel fut porté par un légiste, maître Arnaud Vi- tal, notaire public du duché d'Aquitaine, désigné par les questaux comme leur syndic et leur procureur*.

Ce qui aggravait la situation de l'abbé et consorts, c'est qu'après la sentence rendue par le lieutenant d'Aquitaine, ils avaient fait briser et jeter les pen- nons royaux que Richard II avait fait planter sur les maisons des questaux en signe de protection et de sauvegarde^. Non contents de cette insulte à la pré- rogative royale, ils s'étaient mis tout de suite en pos- session des défendeurs comme hommes questaux, de leurs biens et de leurs cens, au mépris de l'appel porté devant le prince ^

Pour toutes ces violences, les ([uestaux firent uu nouvel appel, et le roi, pour leur faire droit, nomma un tribunal composé de trois personnes, l'archevêque de Bordeaux et deux hommes de loi, Jean de Yirida- riis (des Verdiers), docteur en décret, et Jean de Bur- dyn, docteur en lois. Ces arbitres devaient juger l'affaire suivant .le droit et les coutumes des parties ; Richard il leur recommandait, en outre, de faire en

1. Rymer, t. III, part. 4, p. 5|.

2. In nostri gravée offensam. Rymer, t. III, part. 4, p. 51.

3. « Innovando et atlemptando contra dictam appellatio- nem in noslrî gravamen ac contemptum ac coutra volunta- tem ipsorm appellantium. » Id. ibid.

631 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

sorte que les défendeurs ne courussent pas le risque d'être poursuivis de nouveau pour cette affaire.

En définitive, les cas sont assez rares dans l'histoire de la Guyenne anglaise, oh Tinsuffisance des juridic- tions ordinaires nécessite l'intervention des tribunaux d'arbitrage, et lorsque cette intervention a lieu, elle parvient à garantir la paix publique, ou à faire triom- pher les droits de la bourgeoisie et des classes infé- rieures. Il n'y avait donc rien dans l'organisation et dans le cours de la justice en Guyenne qui pût faire désirer aux Aquitains le protectorat de la royauté Capé- tienne. Ils étaient jugés au contraire d'après les fors et coutumes de la province, c'est-à-dire, par une juris- prudence qui avait pour eux l'avantage de n'être ni anglaise ni française ; les sentences nous apparais- sent conformes la plupart du temps à la légalité et à l'impartialité relatives que comportaient l'état des mœurs et les premiers progrès de la science du droit. ' Entre provinciaux, les procès, nous l'avons vu, se vident, sous le regard du gouvernement anglais, dans le sens le plus favorable soit au pouvoir séculier, soit à l'émancipation des communes, soit à celle des colons ou des serfs. <.

Entre Aquitains et Anglais les procès sont rares, attendu que peu d'Anglais avaient fixé leur séjour dans la province. Nous rencontrons pourtant, au début du XV® siècle, deux procès de ce genre, et nous y voyons la preuve de l'impartialité observée par le gouverne-

COUR MILITAIRE DE BORDEAUÏ. 63'

ment anglais. Ces deux procès se plaidèrent devant la dernière juridiction dont nous ayons à parler, la cour militaire de Bordeaux.

On en trouve une première mention à la date de 1400 ^ Le roi d'Angleterre y est représenté par un connétable et un maréchal spéciaux. Il semble qu'elle soit particulièrement chargée déjuger les causes quipeu- vent entraîner le combat judiciaire. Une dame de Bor- deaux^ Idoine Hert, exécutrice prétendue du testament de Robert Grenacre, Guillaume Hert (on ne dit pas que ce soit son mari), et un Anglais, Baker, de Londres, ont porté leur querelle devant le connétable de la curia militaris Burdegaliœ. Le connétable a rendu un arrêt en faveur d'Idoine. La chronique ajoute qu'appel a été porté devant le roi au nom de Guillaume Hert.

Plus instructif est le document relatif au second pro- cès, celui de deux citoyens de Bordeaux, Jean Bo- lemere et Bertrand Usane (juin 1408). Le premier avait tenu devant le second des propos injurieux pour les Anglais et proféré des menaces contre leur domi- nation en Guyenne. Le second, « cousturiez et petit' burgeis de Burdeux, » comme il le dit lui-même dans son appel à la cour militaire, n'avait pu tolérer ces pa- roles, et les avait dénoncées à la curia militaris^ avec le serment qu'elles avaient été prononcées. Il s'enga- geait, en outre, à prouver, avec l'aide de Dieu et de

1. Rymer, t. III, part. 4, p. 178-79.

64 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

saint Georges, formule de la provocation en duel, la véracité de sa dénonciation.

Le connétable et le sénéchal de la cour militaire dé- crétèrent que la preuve par le combat aurait lieu. Elle eut lieu, en effet, devant le roi, à Nottingbam, et au grand honneur des deux adversaires, qui se portèrent et soutinrent les plus beaux coups. Henri IV, par let- tres-patentes, rend compte du jugement et du duel, afin, dit-il, d'exciter l'émulation de ses soldats.

Comme renseignement sur les dispositions des deux partis qui divisaient alors la Guyenne au sujet de la domination anglaise, il faut surtout remarquer l'appel énergique de Bertrand Usane, et la reproduction par lui faite de son dialogue avec Jean Bolemère^

4. Rymer, t. IV, part. 1, p. 135-136.— V. l'Appendice, I.

LIVRE II

MOUVEMENT COMMUNAL

Le fait caractéristique de l'administration anglaise en Guyenne, c'est la tolérance pratiquée par les souve- rains étrangers en faveur du mouvement communal de la province. La multiplication des communes en Guyenne et notamment dans le Bordelais, l'extension toujours croissante, du xni= au xiv° siècle, des libertés municipales, tels sont les résultats qui apparaissent tout d'abord, quand on examine la destinée de ce pays sous les Plantagenets et les Lancastres.

Au milieu d'un grand nombre de seigneuries laï- ques et ecclésiastiques se détachent, sur la carte géo- graphique du Bordelais au moyen-âge, dix-sept com- munes, chiffre remarquable, si l'on songe que ccîte prospérité communale se prolongea, dans le Bordelais, plus de deux siècles au delà de Féppque qui vit finir les communes dans les autres provinces de la France Ca- pétienne, et que le territoire ces communes angio-

5

66 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

françaises étaient ramassées répond à la circonscription du département de la Gironde.

Outre ces dix-sept communes, rentrent dans l'his- toire de l'émancipation des classes inférieures un grand nombre de villes appelées bastides.

De l'aspect tout particulier de la Guyenne anglaise, en opposition avec celui que présente le reste de la France pendant les derniers siècles du moyen-âge. Ailleurs, c'est la marche vers l'unité et la centralisa- tion monarchique; ici, c'est le règne durable des li- bertés locales. Dans le nord, dans le centre, et même en Languedoc, le développement des libertés commu- nales, hardi et retentissant aux xii'' et xni° siècles, s'ar- rêta, au xiv% sous la main de la monarchie Capétienne.

En Guyenne, obscur à son origine, dépourvu de cet intérêt dramatique qu'offrent les communes du nord, telles que Laon et Amiens, ou celles du midi, comme Toulouse et Montpellier, il se poursuit- graduellement, sans péripéties violentes ; il se fortifie à chaque siècle, et^ au lieu d'être une exception et un accident, comme dans le reste de la France, il devient ici un fait géné- ral et persistant.

Aussi dans le classement qu'il fait des villes libres de la France municipale au moyen âge *, Aug. Thierry donne-t-il aux communes de Guyenne un rang hono- rable. Mais, pour ne parler que de celle qui fut comme

1. Essai sur l'histoire du Tiers-Etat, p. î;47.

MOUVEMENT COMMUNAL. 67

le modèle et le type des autres, la commune de Bor- deaux, il me semble qu'on pourrait la placer plus haut encore qu'il ne l'a fait ; car elle a le double avantage d'une prospérité ininterrompue jusqu'au xv*^ siècle, et d'une constitution aussi libre et aussi réglée à la fois que le fut jamais celle des plus puissantes communes de la France ou de la Flandre.

Si la lutte des Plantagenets et des premiers Capé- tiens, et, plus tard, la guerre de Cent Ans, amenèrent pour la France monarchique tant d'humiliations et de catastrophes, on reconnaît, en suivant le mouvemen communal du Bordelais, que la Guyenne n'aurait pas eu de raisons pour épouser nos inimitiés nationales. On a vu, dans le livre précédent, que le système admi- nistratif appliqué par les rois d'Angleterre à la Guyenne était loin de ressembler à des entraves ; que, pour ce qui concerne notamment les droits du fisc et l'exercice de la justice, la souveraineté anglaise était moins lourde que ne l'était ailleurs celle des rois de France. Yoyons maintenant quelle part de libertés et de privi- lèges lui firent ses maîtres étrangers, et d'abord quelle existence fut faite à sa capitale.

CHAPITRE PREMIER

COMMUNE DE BORDEAUX LE MAIRE LES BOURGEOIS

1835

Dès les premières années du xiii® siècle, l'importance commerciale rte Bordeaux lui valait de notables privi- lèges. En 1205, Jean-sans-Terre accordait aux Bor- delais l'exemption, à titre perpétuel, de toute maltôte ou coutume pour leurs marchandises, tant dans leur ville que sur toute la Gironde ^ L'année suivante, le même roi déclarait que tout étranger venu à Bordeaux, et qui, après avoir prêté serment de fidélité au roi et à la commune, séjournerait un mois dans la ville sans être poursuivie raison des services dus à son seigneur, demeurerait pleinement affranchi de ces devoirs, sans que sa liberté pût lui être contestée par qui que ce fût ^.

C'étaient des acheminements à l'émancipation municipale. Déjà même la charte de 1206 donne à

1. L. des Bouillons, \exiG 'uaprimé, p. 156- (Les citations d'après le texte imprimé appartiennent à l'époque j'ai ré- visé mon travail sans avoir sous la main le manuscrit.)

2. Id., p. 240.

COMMUNE DE BORDEAUX. 69

Bordeaux le titre de commune, et fait la distinction entre le serment de fidélité que les étrangers devaient prêter au roi et celui qu'ils devraient prêter à la com- mune de cette ville ^ Si cette commune toutefois avait un maire à sa tête, c'était un magistrat de nomination royale 2, et Bordeaux n'était encore qu'une ville de bourgeoisie, administrée par des fonctionnaires anglais. Ce n'est, en effet, qu'en 1233 que Bordeaux est élevée à la condition de commune véritable, avec toutes les libertés appartenant à ce mode de cité, et spéciale- ment le^ droit de nommer son maire. Cette impor- tante concession s'explique par la situation précaire d'Henri III. Le fils d'Isabelle de la Marche était en- guerre avec les barons anglais, méprisé pour son ineptie et sa lâcheté des populations de Guyenne, qui lui pré- féraient son frère, Richard de Cornouailles, menacé dans ses possessions françaises par la veuve de Louis YIII, Blanche de Castille. L'appui des Bordelais 1 ui était indispensable; il crut l'acheter par Toctroi d'une charte de commune ^

{. « Quod omnes qui de forincecis partibus venerint ad ma- nendum in villa Burdegale, et nobis et communie illiiis ville fi- delitatem juraverînt... {Id., ihid.)

2. D'après M. Rabanis (CommwsîO?i des documents historiques de la Gironde, 1831, p. 20), les registres Je l'ancienne muni- cipalité de Bordeaux donnaient la liste des maires de Bordeaux à paT.iir de 1218.

3. « Sciatis nos concessisse et bac carta nostra conOrmasse, pro nobis et beredibus nostris, dilectis civibus nostri? Burdi- gale, quod ipsi et bei'edes sui inperpetuum habeant et faciant

70 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

La concession était d'autant plus opportune qu'à cette époque la province était désolée par les brigan- dages des sénéchaux et des baillis. Ces officiers ne s'attaquaient pas seulement aux cultivateurs et aux habitants des bourgs ; ils pillaient les biens d'église et les domaines du roi. Toutes les paroisses d'Entre-deux- Mers, en partie ruinées et dépeuplées, jetèrent un cri de détresse et leurs plaintes furent transmises à Henri III par l'archevêque et le clergé de Bordeaux ^

Le roi chargea trois commissaires d'informer des griefs articulés, et de vérifier soigneusement la légalité des privilèges invoqués. Entre les accusations formulées contre Henri de Trepeville, sénéchal de Gascogne, fi- gurait celle de permettre les guerres privées, et de prendre parti pour un des adversaires. L'archevêque de Bordeaux, Géraud de Malemort, s'étant entremis pour arrêter la lutte entre les seigneurs de Blanquefort et de Lesparre, le sénéchal l'avait empêché de remplir

de seipsis majorem.... et quod habeant similiter communiam in eadem civitate, cum ommibus libertatibus et liberis con- suetudinibus ad majoritatem et hujusmodi communiam per- tinentibus. Apud Westmohasterium, 13 juillet 1235. » L. des Bouillons, texte imprimé, p. 241-242.

i. Voir l'enquête ordonnée sur ces faits et qui eut lieu en 1236, dans Baurcin, Variétés bordelaises, t. I, p. 3H-31o. Cf. Statistique de la Gironde, t. I, p. 198 et suiv. pour la note de M. Jouannet sur cette enquête. M. Jouannet en a retrouvé deux copies, l'une en latin, l'autre en gascon. Celle-ci a pour titre : Lo libro deus iwivileyges de Entre dos Mars. (Cahier par- chemin ms. in-4°.) L'autre copie est conservée dans le petit Cartulaire de la Sauve^ p. 12G et suiv.

SIMON DE LEICESTER. 71

son office de paix; il s'était jeté avec sa troupe sur les hommes d'armes de Tarchevêque, et les uns avaient été tués, les autres enfermés dans le château de Blanhac. Les Bordelais avaient donc maintenant la faculté de se garantir eux-mêmes contre depireilles violence?, et la protection d'une charte. C'était le moyen d'obtenir du roi de nouvelles franchises. En 1242, Henri III reconnaissait aux membres de la commune le privilège de n'être point tenus au service militaire pour le roi en dehors du diocèse*. Mais c'est contre le roi lui-même qu'ils tournèrent d'abord leur force nouvelle. Henri III avait été encore amoindri à leurs yeux par ses défaites de Taillebourg et de Saintes. En 12S0, ils ne lui per- mirent pas de quitter leur ville avant de lui avoir ex- torqué un don de 40,000 marcs d'argent et une nou- velle charte. Henri III, de retour en Angleterre, exigea cette somme des prélats du royaume; de sorte, dit Mathieu Paris, qu'après avoir perdu le Poitou, il ap- pauvrit l'Angleterre ; aussi les Gascons lui devinrent odieux, et il épuisa son trésor pour se venger 2. Il leur envoya, en effet, comme gouverneur, Simon de Leicester, qui les traita fort durement.

La tyrannie du prince et de Leicester fut telle qu'un complot se forma pour livrer la Guyenne à Alphonse X

1. Lettres-patentes du 17 juin 1242; ce privilège fut con- firmé le 30 juin 1254. L. des Bouillons, texte imprimé, p. 243 81239.

2. Math. Paris, éd. de 16'tO, in-4o, p. 77o. Ideoque Gas- cones exosos habens, suum thesaurum vendidit ut vendicaretur.

72 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

de Castille, dont un ancêtre avait épousé Aliéner, fille d'Henri- II Plantagenet. Les Gascons pensaient qu'ils retrouveraient en Espagne toutes les facilités que leur offrait l'Angleterre pour la vente deleurs vins; Cor- doue, Séville, Valence, récemment conquises par les chrétiens, seraient pour leurs produits des débouchés lucratifs. A la date de 1252, Mathieu Paris exprime en termes affligés la crainte que les exactions du roi n'en- traînent pour l'Angleterre la perte de la Guyenne ^ ; les Gascons l'annoncent tout haut, et, si ce malheur ar- rivait, dit l'historien, jamais, dans les temps suivants, les ancres anglaises ne se fixeraient dans la terre d'Outre-Mer \

Le danger, cette fois, ne venait pas de la France. Saint Louis était encore en Palestine, « et, d'ailleurs, dit Mathieu Paris, le roi des Français dédaigne la Guyenne ^ » C'est au roi de Castille, Alphonse X, qu'un grand nombre de seigneurs -gascons allèrent porter leur fidéhté. C'étaient surtout des seigneurs

1. « Quia ad Hispaniam modo liabent Gasconenses refu- gium ad vina sua vendenda, qiiibus solis subsidiis recreantur, videlicet ad Cordubam, Sybillam, Valenliam m.agnam, quse modo cultui subjacent christiano, Ibrmidatur ne relictis, par- tibus anglicanis, in quibus tôt vexantur angastiis et injuriis, maxime per regias exactiones, ad partes de cœtero se transfé- rant ultiores. » Id.,p. 833.

2. Matb. Paris, id., p. 833.

3. « Nunc per ignaviam et falsitatem regum Anglifp abbre- viatur mutilata vix Gasconia vacillaus, quam rex Francoruui contemnit. » Id.,ibid,

BORDEAUX RESTE FIDÈLE A HENRI III. 73

riches, qui avaient l'habitude d'envoyer leurs vins en Angleterre, et ils abandonnaient Henri HT, parce que ce prince « ne rougissait pas de détenir leurs denrées et d'en disposer à son gré *. »

Le chef de la ligue gasconne était le vicomte Gaston de Béarn ; il faisait dans tout le pays d'affreux ravages, au point que la ville de Bordeaux elle-même^, qui était le centre d'approvisionnements de toute la Gascogne^, commençait à souffrir de la disette.

Les Bordelais comprirent qu'ils n'avaient rien à gagner au triomphe de cette coalition féodale ; ils res- tèrent fidèles au roi et lui dénoncèrent les conspira- teurs, tout en l'avertissant qu'il devait réprimer les excès du comte de Leicester, principale cause de l'in- surrection'. Dans leurs avis officieux, ils grossirent même le mal, afin de presser l'arrivée d'Henri HL

Ce prince descendit bientôt en Guyenne (1253). Il avait obtenu du pape un bref d'excommunication contre ses ennemis, sous le prétexte qu'il avait pris la croix.

Le doyen du chapitre de Bordeaux, chargé des pou- voirs du Saint-Siège, somma les rebelles de déposer

{. « Adha3serunt miilti de nobilibus Gasconio?, relicto rege Anglorum, i-egi Hispanifp, et maxime divites qui vina sua ve- nalia in Angliam mitlere consueverant, quœ rex Arigliœ pro libitu detinere et diripere non erubuit. » Id., p. 804.

2. « Quœ toti Gasconiœ victualia consuevit ministrare, cœ- pit egere. » Id., p. 80 5.

3. Id., p. 867 : Addentes quod per tyrannidcm comitis Simo- nis, multos subditos et amicos {quod falsum fuit) perdidisset.

74 COMMUNE DE BORDEAUX.

les armes, publia l'excommunication dans les diocèses de Bordeaux et deBazas, et ordonna à l'évêque d'Aire de la faire publier dans son diocèse * . Le roi de Castille ne vint pas soutenir ses partisans et, en 1254, Henri III, après avoir cruellement châtié les récalcitrants, s'en- gagea à indemniser les seigneurs gascons de toutes les pertes qu'il leur avait fait essuyer^. Il abandonna en- suite à son fils Edouard tous ses droits sur ses posses- sions continentales^.

Quant à la nouvelle commune, elle avait trouvé la politique qui devait désormais régler ses rapports avec les souverains anglais : exploiter leurs embarras en se faisant chèrement payer le mérite de ne pas s'unir à leurs ennemis.

Vingt-six ans s'écoulèrent sous le régime d'une mairie élective. Mais des rivalités se produisirent entre plusieurs prétendants au titre de maire, et, par suite, des factions tumultueuses. En 1261, nous trouvons la commune partagée entre deux partis à la tête desquels figurent deux familles puissantes : les Capulet et les Montaigu de Bordeaux sont les Colomb et les Solers, Colembenses et Solerienses. La lutte fut assez vive pour fournir au prince Edouard un prétexte à inter- vention et le moyen de ressaisir les pouvoirs abandonnés aux Bordelais en 1235, spécialement la nomination

1. Rymer, t. I, p. i70.

2. ld.,ih., p. 181.

3. Id., p. 296.

STATUTS DE 1261. 75

du maire. Le 19 octobre 1261 , à la suite d'un arbitrage qui rétablissait la paix entre les chefs des deux factions, Gailhard Colomb et Gailliard de Solers, Edouard im- posait à la ville des statuts de réformation, qui faisaient faire aux Bordelais un pas en arrière et maintenaient soigneusement la prérogative du prince au-dessus des pouvoirs de la commune.

Les Bordelais auront toujours un maire *, mais il sera nommé par le prince. Le maire sera chargé des recettes et des dépenses afférentes à la mairie ; si les dépenses surpassent les recettes, il y sera pourvu par un impôt ; dans le cas contraire, l'excédant sera remis u prince.

Si le maire fait tort à un Bordelais, celui-ci pourra en appeler au prince ou à son sénéchal pendant tout le temps que le maire sera en exercice et pendant toute l'année suivante; jusqu'au jugement de l'appel, le plai- gnant ne sera soumis à la juridiction du maire que s'il y consent.

Le maire, en entrant en charge, jurera, sur les saints Evangiles et les reliques, dans l'église de Saint- André, de veiller au maintien des droits du prince ; les jurats, chaque année, prêteront le même serment.

1. «In primis sciendum est quod jurati et probi liomines communie liurdegalensis concesscrunt nobis et quod nos con- cedamus eis majorem pro voluntate nostra. » L. des Bouillons, folio 101, verso. Cf. la copie du document original faite et si- gnée par Bréquigny, le 26 août 1765, Archives de la mairie de Bordeaux.

76 COMMUNE DE BORDEAUX.

Si un jurât détient un domaine du prince, il sera jugé à Bordeaux par le prince ou son délégué ; il en sera de môme pour les personnes accusl&es de contre- façon du sceau du prince ou de fabrication de fausse monnaie.

Dans chaque paroisse, le prince établira, tous les ans, deux personnes pour veiller au maintien de ses droits sur les vins, et pour ju^er les difficultés qui s'élève- ront en cette matière, sauf au maire à faire réformer l3ur décision, si elle a été injuste.

Un noble * ne pourra devenir citoyen de Bordeaux sans l'autorisation du prince.

Si le prince ou le sénéchal veut construire un châ- teau dans Bordeaux, il devra payer les terrains et les édifices dont il aura besoin, d'après l'estimation faite par des prud'hommes, sous la direction des maire et jurats.

Ces statuts, plus détaillés et plus précis que la charte de 1235, protégeaient les Bordelais contre l'arbitraire des agents royaux, tout en maintenant effective la su- zeraineté du duc de Guyenne : nec rationi dissona, nec domino contraria^ comme dit le prince Edouard dans l'article relatif à la révision des articles. On y sent la marque d'un esprit net et d'un caractère ferme.

Il sut tirer parti de la rivalité des deux factions.

1. « Si aliquis miles vel domicellas, auteorum heeredes, ci- ves Burdegalenses Geri voluerint, non poterunt cives fieri sine domini licentia speciali. » L. des Bouillons, texte im- primé, p. 380.

LES COLOMB ET LES SOLERS. 77

En 1273, douze des principaux des Colomb, avec leur chef Amanieu, se dérobèrent à la juridiction du maire qui appartenait sans doute à la faction opposée, et se placèrent sous la juridiction du sénéchal. Le prince Edouard n'était pas étranger à cette manœuvre ; ils dirent avoir agi du consentement exprès du roi, et pour le temps qu'il leur plaira ; ils déclarèrent en même temps ne renoncer à aucune des libertés ou franchises dont jouissaient les autres citoyens de Bor- deaux ^ Les souverains anglais avaient intérêt, en effet, à entretenir cette division. On les voit tantôt s'unir étroitement aux Colomb, et leur confier le soin de faire rentrer la ville sous leur obéissance, tantôt faire prêter aux Solers le serment de ne conclure aucune trêve avec la faction des Colomb ^ A ce double jeu, le prince Edouard gagnait une notable augmentation de reve- nus. Car c'était maintenant au nom du roi que le maire devait recevoir tout l'argent destiné aux dé- penses municipales. Ces fonds devaient être sans doute affectés au service ordinaire de la commune ; mais si les rentrées excédaient les dépenses, l'excédant devait appartenir an roP.

i . MM. Delpit, Ms de \J'olfenbuttel, p. G6-67.

2. A l'appui de ces faits, i\}M. Delpit invoquent plusieurs documents conservés dans le t 25 de la collection Bréquigny. On pourrait y joindre le texte de plusieurs serments prêtés à Heni'i III par un certain nombre de citoyens de Boi'deaus, entre autres Galhard de Solers, et que MM. Delpit ont trouvés dans le Msc. de Wolfenbuttel, p. 09-72.

3. « Et quod Idem maior percipiat nomine nostro omncs

78 COMMUNE DE BORDEAUX,

Pour mieux assurer la dépendance du nouveau maire, une ordonnance fixait les termes du serment d'usage prêté par le maire et par les jurats, relative- ment aux droits du roi, dans les limites de la com- mune. Cette formule obligeait les magistrats non-seu- lement à faire payer pour le compte du monarque tous les droits qui lui étaient dus, mais encore à s'enquérir de tous ceux qui avaient pu être aliénés dès le temps le plus ancien, et à les restituer à Henri III. Les ma- gistrats municipaux retombaient ainsi au rang de con- trôleurs et d'officiers comptables du roi d'Angleterre*.

Au-dessous du maire figurait un officier municipal, sur les fonctions duquel nous reviendrons plus tard,

proventus, et exitus ad maioriam pertinentes tam de justitia- ria quam de aliis, et exinde faciat sumptus ad maioriam per- tinentes, et si quid defuerit quod ex proventibus expleri non possit, ad illud supplendum flet per maiorem et juratos tallia, ut fieri consuevit ', et quod superaverit de proventibus perti- nentibus ad maioriam predictam erit nostrum. » L. des Bouil- lons, folio 101, verso.

2. «Item maior jurabit in preesentia populi, in creatione sua, super nostra Evangelia et Reliquias ut moris estmajorem jurare apud sanctum Andrœam quod omnia jura domini, quœcumque etubicumque sint, infra metas civitatis Burde- galaî vel ex tra, pro sais viribus conservabit illaesa; et omnia quœ alienata sciverit aut dicere potuerit, tam antiquo tem- pore quam novo, domino vel mandato suo denuntiabit et ma- nifestabit; et cuni do minus vel mandatum suum ei répétera voluerit; ipse domino consulet bona Cde, et eum diriget et ju- vabit utinde ptossit dominum, vel mandatum suum recuperare jus suum.... consimile juramentum jurabit, singulis annis, unusquisque juratorum, post hujusmodi juramentum majo- ris. » L. des Bouillons, l'olio 101, verso.

LE CLERC DE VILLE. 79

avec plus de détails, mais qui semble être dès cette époque une sorte de secrétaire général de l'hôtel de ville. C'est le clerc de ville ou clerc de la commune^ le principal collaborateur du maire pour l'administra- tion de la cité. L'ordonnance de 1261 le transforme également en fonctionnaire du roi. Il sera chargé de tenir registre de toutes les redevances qui reviennent au roi ; il sera nommé et révocable par le roi ou par son sénéchal, et ce qu'il y a de plus humiliant pour la commune, c'est que ce fonctionnaire royal, auquel on laisse le titre menteur de clericus communitatis, sera payé par la commune elle-même K

Les maire et les jurats restent libres d'en nommer un ou plusieurs autres pour les affaires particulières de la cité.

Enfin, pour contenir plus facilement la turbulence des bourgeois, et ménager à celui qui le représente dans Bordeaux un poste fLxe et sûr, le roi se réserve le droit de faire construire un château-fort dans la cité elle-même. Les frais de cette construction seront cou- verts par une taxe levée sur les maisons des citoyens, et dont la perception est confiée à la fîdéhté du maire et des jurats ^

{ . « Dominus vel senescallus suus ponant clericum communi- tatis pro se ad expensas ipsius communitatis, qui omnia jura domini conservet et scribat Eumdemvero dominus aut se- nescallus suus poterunt amovere et aliuni constituerez pro suœ voluntatis arbitrio. » Id. folio 102, recto.

2. « Si dominus vel senescallus, autalterius eorum manda-

80 COMMUNE DE BORDEAUX.

Dans cette situation, la commune de Bordeaux doit sans doute nous paraître fort déchue de l'importance politique l'avait élevée pour quelque temps l'acte de 123S. Henri III venait de resserrer le lien féodal qui la rattachait à l'Angleterre, et de lui faire mieux sentir qu'elle était sa sujette. On conçoit, d'ailleurs, que telle devait être la conséquence du traité de 1259 avec Saint Louis. Au moment cessait toute contes- tation sur la possession du duché de Guyenne, et la suzeraineté du roi d'Angleterre ne paraissait plus ex- posée aux risques qui l'avaient menacée depuis Phi- lippe-Auguste^ le roi d'Angleterre voulait replacer sous sa suzeraineté les communes de Guyenne, et assurer de nouveau leur soumission. Mais, quoiqu'il fût main- tenant assez tranquille du côté de la France pour n'a- voir plus autant de ménagements à garder vis à vis des Bordelais, la sujétion de ceux-ci était encore fort limi- tée. Il y avait à Bordeaux un passé, des habitudes contre lesquels la prérogative royale n'aurait pu pré- valoir, de vieilles hbertés qu'il fallait se garder d'abo- lir, une coutume, enfin , héritage inaliénable du droit municipal, et qui n'avait cessé d'être une loi et une tu- telle pour les Bordelais, à travers les fluctuations, les

tum, voluerit çonstruere caslruin aliquod in civitate Burde- galeiisi, dominus vel seaescallus, vcl oorum maudatum faciaat laxari domos, plateas, et edii'Iicia, ad opus dicli castri necessaria, per probos viros civitatis Burdegal, Et major et jurati dirigent ipsos in lioc, etc. » L. des Bouillons, folio 102, recto.

LES STATUTS DE BORDEAUX. 81

incertitudes et les violences des temps antérieurs à la domination anglaise. Cette coutume, dont les chartes anglaises ou les règlements municipaux ne seront ja- mais que le développement approprié aux progrès des temps, est toujours invoquée, dans les actes relatifs aux franchises bordelaises, comme une loi imprescriptible et aussi ancienne que la cité elle-même. Si nous n'en avons aucun texte remontant à l'époque qui nous oc- cupe, son existence çt son empire à ce moment sont du moins constatés par le décret même de 1261, qui en ordonne la révision, et la réforme, s'il y a lieu, au pro- fit du roi d'Angleterre*. La pensée d'autorité qui en commanda le remaniement eut, du moins, un bon effet pour la conservation de ces statuts. Henri lil voulut qu'on en rédigeât trois exemplaires : l'un pour le roi, l'autre pour la commune, l'autre pour être déposé dans une des principales églises de Bordeaux ; c'est à ce der- nier qu'on pourrait recourir en cas de difficulté ou de contestation.

Ce que l'ordonnance réformatrice d'Henri HI, sous l'empire de ces statuts, laissait aux Bordelais de fran-

i. « Rotulus et statuta civitatis Burdej;^. per discrètes viros clericos et laicos ad hoc ex parte domini deputatos dili!:,'enter investigentur, et si qua inveniantur ratione dissona aut do- mino contraria, deleantur, et que approbanda fuerint ajipro- bentur; et si qua deiïuerint, que pra-dictoruni virorum consideratione , domino et communiee utilia censeantur, addantur, et approbata addicta conOrnientur et permaneant in œternum. » L. des Bouillons, folio 102, recto.

6

82 COMMUNE DE BORDEAUX.

chises et de privilèges suffisait encore pour faire de Bordeaux, sinon une commune dans toute la force du mot, puisqu'elle n'avait plus la nomination de son maire, au moins une bourgeoisie très-favorisée.

Le service militaire que les citoyens de Bordeaux devaient au roi était restreint aux limites du diocèse *, et pour la sénéchaussée, à la durée de quarante jours ^.

Le maire restait, en principe, le gardien de la sûreté et de la liberté personnelle des bourgeois contre les gens du duc. Si ceux-ci se rendaient coupables d'injure, de voie de fait ou de vol envers un membre de la commune, à la dequête du maire, le duc, son sénéchal, ou celui qui tenait sa place dans le château, devaient rendre pleine justice à l'offensé ^. Si, au contraire, l'of- fenseur était citoyen de Bordeaux et l'offensé membre de la maison du duc, la connaissance et la punition du fait appartenait au maire, qui jugeait en présence du

i . Ce privilège est consigné dans deux chartes antérieures au décret de 1261 (1242, 1254). L, des Bouillons, folio 69, verso ; folio 70, recto. Mais nous ne voyons pas qu'il soit re- tiré par l'ordonnance réformatrice d'Henri III.

2. L. des Bouillons, folio 101, verso. Cf. Delurbe, Chronic, p. H, verso.

3. « Si aliquis de familia domini aut senescalli aut castellani ex parte domini, alicui de communia verba coutumeliosadixe- rit, vel manus in ipsum invexerit violentas, aut aliquid eidem injuriosus extiterit, et passus injuriam inde conquerivoluerit, dominus velscnescallus, vel qui major in Castro fuerit ex parte domini, ad rcquisitionem majoris Burdeg. vel injuriam passi, tenentur cidem justicie facere complementum. » fi. des Bouil- lons, folio 102, recto.

LIMITES DE LA JURIDICTION ROYALE. 83

duc OU du sénéchal, mais suivant les fors et coutumes de Bordeaux. Si le procès du bourgeois durait plu- sieurs jours, le coupable restait sous la garde du maire, qui l'amenait lui-même au château et le ramenait à la ville dans l'intervalle des audiences.

Pour les étrangers, la connaissance du fait et la pu- nition immédiate appartenaient aux gens du roi *.

L'exercice de la juridiction royale, chaque fois qu'un citoyen de Bordeaux se trouvait en cause, était res- treint aux murs mêmes de la cité. Le roi n'avait pas le droit de le citer ailleurs qu'à Bordeaux, si ce n'est dans les affaires qui concerneront un domaine tenu à bail ou à cens ; et encore, même dans ces cas-là, la cause ne pourra êtfe évoquée en dehors du diocèse de Bordeaux ^.

Des garanties sont assurées contre les extorsions des officiers de finances, collecteurs ou inspecteurs : le citoyen qui aurait à s'en plaindre sera exempté de la coutume, c'est-à-dire de la taxe, et pour qu'il obtienne

{. ld.,ibid. Cf. un article trouvé sur le registre noir du châ- teau de rOmbrière : »c Item pro excessu, violentiis et injuriis factis gentibus, ofûcialibus et ministris domini régis et fa- miliis eorum,cognitio et punitio pertinet ad dominum regem, senescallum ejus, vel ad illum qui major erit in Castro Bur- degal. ; ita tamen quod si excedens vel comittens sit Burgensis vel civis Burd.,maior, pendente causa coram prœdictis, habe- bit custodiam delinquentis et adducet ad castrum et reducet, causa pendente, donec judicium sit contra ipsum latum. » D'après le L. des Bouillons, folio 102, recto.

2. L. des Bouillons, folio 102, recto.

84 COMMUNE DE BORDEAUX.

ce dédommagement, le témoignage du maire suffira : SIC decet, dit l'ordonnance *.

Les empiétements politiques de la royauté n'ont pu, on le voit, priver la commune de ses droits essentiels. La prérogative d'Henri III, en matière de service mili- taire, de justice, de finances, n'est rétablie que dans des limites qui laissent intactes la sécurité et la dignité individuelle des communiers. On retrouve dans ce décret les principes essentiels de l'administration d'un municipe et les règles d'une équité tutélaire.

Aussi la population bourgeoise de Bordeaux a-t-elle continué de s'accroître depuis et malgré sa déchéance politique. Sa vieille enceinte ne suffit plus : des mai- sons de bourgeois s'élèvent sur les murs mêmes de la ville, s'adossent par dehors à ces murs , comblent les fossés, et s'étendent jusque sur les bords de la rivière et sur les terrains restés vacants jusqu'ici^ et que nous voyons toujours désignés sous le nom de Padouens. En vain le prince Edouard^, lieutenani de son père en Guyenne, a-t-il i éclamé contre ces usurpations sur un sol qu'il prétendait devoir rester réservé, une décision du 29 octobre 1262 maintient les bourgeois en posses- sion de toutes les maisons nouvelles, tout en désignant les portions de la ville qui devront à l'avenir rester padouens, c'est-à-dire sans constructions ^.

{. « Si gravare vellent, civis per testimonimn maioris po- terlL liberari a cusliiina : sic decet. » ld.,ihid. 2. L. des BouillunSf folio dd, 100, recto et verso. La dési-

ÉTAT CIVIL. 85

Les avantages attachés, dès le xiii" siècle, à la con- dition de bourgeois bordelais ne sont pas seulement attestés par le progrès de la population et par l'exten- sion de la cité matérielle au moyen-âge; l'avènement d'une classe d'hommes au rang de citoyens s'annonce surtout par l'institution d'un état civil en faveur de cette classe, et c'est ce qui eut lieu pour les commu- niers de Bordeaux à cette même date de 1261. Quand l'homme cesse d'être un serf, un villain, un homme de poëste, on le compte pour une personne civile, on en- registre sa naissance et sa mort. A l'époque oii nous sommes (xni' siècle), ce n'est pas seulement la réhabi- litation du chrétien qui est inscrite sur les registres des paroisses : c'est l'émancipation de 1 homme civil. Henri III décrète que le recensement des citoyens de Bordeaux, fait préalablement dans chaque paroisse,

gnation de ces Padoiiens offre un intt^rèt particulier pour riiistoire de la topographie de Bordeaux. Cf. lettres-patentes d'Edouard II (l:i24) ordonnant à la réquisition de la com- mune, de faire dc-molir les appentis que le connétable Richard de Havering avait fait construire sur les Padouens de la ville, près de la porte de l'Ombrière, pour y faire batire mon- naie; il leur promettait que cette construction ne tournerait point au préjudice de la ville, et qu'il la détruirait à leur vo- lonté dès qu'il en serait requis. Dépôt Bréquign}', II, p. 12, 13. Cf. lettres-patentes de 1342, pour le même objet, p. 15. Dans le L. des Bouillons, Cf. l'acte signé par Jean de Haustède, sénéchal de Guyenne, relativement à la maison l'oa battait monnaie à Bordeaux ; il reconnaît que cette mai- son et son emplacement appartiennent à la commune, 4 cet. 1329. Folio 121, recto et verso.

86 COMMUNE DE BORDEAUX.

sera transcrit en double sur deux registres, dont l'un sera déposé chez le roi, et l'autre à l'hôtel de ville de la commune *.

C'est bien l'état civil dans le sens tout moderne du mot, et tel qu'il n'a été institué pour toute la France que par l'Assemblée Constituante. Ce recense- ment des bourgeois, fait au nom des pouvoirs publics, et indépendamment de toute prévoyance religieuse, marque d'une manière solennelle l'importance et le prix du titre de citoyen bordelais dès 1261, et l'on est forcé d'y voir à la fois le bienfait d'une tradition vivace et l'honneur d'un progrès très-précoce^ accéléré par cette tradition.

Aussi ce titre était-il assez recherché, même par des membres de la féodahté, pour que le roi s'en alarmât dans l'intérêt de son propre pouvoir. Il essaya de mo- dérer l'empressement des Aquitains de toute classe à s'agréger à la commune. Nul ne put être citoyen de Bordeaux sans prendre l'engagement de tenir domicile perpétuel dans la ville même ^, et quant aux cheva-

i. « Item omnes cives Burdeg. per singulas parochias des- cribantur, et ûant inde rotuli duplicati quorum una pars in- tégra pênes dominum remaneat, et alia pênes communiam. Ita si quis rcoriatur, caucelletur in rotulo parocliie sue; si quis vero novus civis efûciatur, subscribatur in rotulo ^jaro- chie in qua eligerit se mansurum. » L. des Bouillons, folio 101, verso.

2. « NuUus Qat deinceps civis Burdeg. nisi ibidem tencat domum, focum et propriam fdmiliam continue, sicut et cae- teri cives. » L. des Bouillons, folio 101, verso.

COMMUNE DE BORDEAUX. 87

liers damoiseaux^ ou leurs héritiers, il leur faudra une permission spéciale du roi d'Angleterre ^ .

1 . « Si aliquis miles vel domicellus, aut eoram hferedes, cives Burdeg. fieri voluerint, non poterunt cives Geri sine Domine licentia speciaii, » Id., folio i02, re'bto.

CHAPITRE II

LA TERRE LU BOURGEOIS BORDELAIS EST ALLEU flS93

Tant vaut la terre, tant vaut l'homme.

Cet adage du moyen âge se trouve parfaitement jus- tifié dans la commune de Bordeaux. La situation pri- vilégiée du citoyen bordelais tient, avant tout, à la nature de sa propriété. Protégée par la force du droit romain contre les atteintes de Vinféodation^ la terre du bourgeois de Bordeaux a traversé les temps bar- bares et celui de l'établissement du système féodal, sans subir la subordination et les redevances seigneu- riales qui pèsent sur le fief. Elle est restée l'ancienne propriété romaine, c'est-à-dire l'alleu, nom dont on désigne^ depuis l'invasion, toute terre sans seigneur, sans autre seigneur que le roi et l'Etat.

Comme nous l'avons vu_, la commune de Bordeaux ne fait pas seule exception à cette règle universelle de la société féodale, que toute terre relève d'une autre terre. Dans le midi de la France, et notamment en

L'ALLEU BORDELAIS. 89

Guyenne^, on trouvait, encore au xiii* siècle, un assez grand nombre de propriétaires allodiaux, qui, à ce titre, ne prêtaient hommage et ne payaient de rede- vance à aucun autre propriétaire. Mais, s'il est permis de croire, d'après la supposition très-fondée de M. J, Delpit, que, dans les cités d'origine gallo-romaine, la forme allodiale de la propriété était la règle, rien n'est plus certain pour la commune de Bordeaux. Lors du recensement ordonné par Edouard I" (1273), des terres de toute espèce que comprenait le duché de Guyenne^, il fat constaté^ que la propriété de tout bourgeois bor- delais était alleu. Les Bordelais invoquèrent même, avec un remarquable orgueil municipal, leur titre de citoyens de Bordeaux, comme la preuve la plus authen- tique d'un droit ancien et sacré à la propriété allodiale. Jean de Lalande, invité à déclarer s'il a des alleux, se contente de répondre : P^^out civis burdigalensis. Les magistrats donnèrent à ce sujet une réponse géné- rale^ : (( Nos maisons, c'est-à-dire les maisons des ci- toyens de Bordeaux,, nos vignes, nos terres, sont allo- diales, pour la plupart, quel qu'en soit le possesseur. C'est pourquoi ces possesseurs ne doivent répondre à personne au sujet de ces propriétés, et c'est de là,

1. V. p. 30, la fiére réponse du Bourgeois de Barsac, Delpit, ms. Wolfenbuttel, p. 20-21.

2. Delpit, ms. Wolfenbuttel, p. 39-40.

3. Id., ibid. D'après un acte conservé par les frères La- mothe, Coutumes du ressort du parlement de Bordeaux, i. II, p. 303-305.

90 COMMUNE DE BORDEAUX.

comme le rapportent nos anciens, qu'on a donné aux propriétés de cette nature le nom d'alleu, c'est-à-dire, sans discours, sine sermoneK Et notre cité a observé ces usages depuis sa première origine, et même du temps des Sarrasins, à ce que nous croyons. »

Cette déclaration a cela de curieux, que les bour- geois, tout en proclamant bien haut le caractère allo- dial de leurs propriétés, s'efforcent avec beaucoup d'art de faire ressortir tous les avantages que le roi d'An- gleterre pouvait retirer de ces alleux. Les rois d'Angle- terre faisaient, en effet, à cette espèce de propriété, une guerre très-sérieuse, et, sans se faire illusion sur l'é- tendue et Tutilité des droits qu'ils pouvaient avoir sur les alleux, ils aimaient beaucoup mieux les convertir en fiefs ^ Aussi les bourgeois redoutent si fort cette transformation, qu'ils prennent le plus grand soin de démontrer au roi qu'il y a pour lui tout profit à leur laisser leurs alleux. « D'abord, disent-ils^ il exerce sur ces propriétés le droit de justice aussi bien que sur les fiefs. De plus, il a sur les alleux trois droits spéciaux. Le premier est celui-ci : Si quelqu'un comparaît de-

1. Cette étymologie du mot alleu, donnée parles magistrats de 12T3, paraît très-contestable. On croit généralement au- jourd'hui que ce mot s'est formé des racines germaniques all-od, en toute propriété.

2. On voit, en effet, beaucoup de comparants, soit que le roi les ait dédommagés d'avance, soit que les alleux ne soient pas encore suffisamment protégés, déclarer qu'ils les ont convertis en fiefs, ou qu'ils les convertissent par l'acte même de leur déclaration. J. Delpit, ms. Wolfenbuttel, p. 44-46.

COMMUNE DE BORDEAUX. 91

vant le roi au sujet d'une propriété féodale, le procès est renvoyé au seigneur du fief; tandis que, s'il s'agit d'un alleu, le procès reste au roi, et il percevra les droits de jugement et d'exécution ; ce qui îi'est pas sans grand honneur et profit pour lui. Le second, c'est que, dans le cas un possesseur d'alleux et de fiefs meurt sans testament et sans héritier légitime, les alleux appartiendront au roi, tandis que les fiefs seront dévolus à leurs seigneurs respectifs ; ce qui est un grand et évident profit pour le roi. Le troisième enfin, c'est que, s'il arrive que quelqu'un commette un crime qui entraîne la confiscation de ses biens, les alleux appar- tiendront au fisc royal ; les fiefs, au contraire, aux sei- gneurs de ces fiefs. Ce qui démontre de plus en plus que les 7'ois ont et peuvent avoir des droits sur les alleux *. » Mais après cette énumération complaisante, les ma- gistrats demandent instamment à garder leurs alleux, et ils le font dans un langage qui semble un anachro- nisme, et respire un sentiment tout moderne du droit naturel : « Il ne nous reste qu'à ajouter que tous les hommes et toutes les terres sont libres de leur na- ture, que toute servitude est usurpée et contraire au droit commun ^ Et, puisqu'il en est ainsi, et que les

1. Delpit, msc. WolfenbuUel, p. 44, 4o. D'après les coutumes citées tout à l'heure.

2. « Mirum autem alias non restaret nisi quod diceremus quod oinnes homineset omnes terrée liberœ Suntdesui natura et omnis servitus est contra jus commune et ex impossessione, et sic cum in tali libertate. » Id., ibid., p. 303.

92 COMMUNE DE BORDEAUX.

citoyens de Bordeaux ont toujours été libres, eux et leurs terres, nous demandons à notre seigneur le roi, et le supplions de nous maintenir toujours dans cet état. »

Cette attitude à la fois déférente et fière, etcetartde faire valoir ce qu'on donne, en dissimulant le prix de ce qu'on veut garder, caractérisent assez bien ce moment de l'existence d'une classe d'hommes oià elle acquiert une conscience plus nette de sa valeur et de ses droits. Les prétentions des bourgeois eurent le dessus dans la guerre sourde qu'il leur fallait soutenir contre le roi; car, deux siècles plus tard, au sujet des alleux ils faisaient toujours la même réponse : « Prout civis burdegalis *. »

Pour le moment, les rois d'Angleterre eux-mêmes, dominés par la force des choses, consacrent cette dis- tinction de rang que revendiquaient avec tant d'énergie et d'habileté les citoyens de Bordeaux. Ainsi, en 1287, nous voyons ces bourgeois, dans une affaire politique de la plus grande conséquence, assimilés aux plus grands seigneurs de la Guyenne. Le roi d'Angleterre, Edouard I'"', avait été choisi comme médiateur entre le roi d'Aragon et son compétiteur, Charles le Boiteux, prince de Salerne, que l'amiral Roger de Loria avait fait prisonnier.

Pour conduire cette négociation avec succès, Edouard Y' devait d'abord obtenir la délivrance du

\. Voir l'hommage rendu le iS mars 1439 à Henri VI par un autre citoyen, du même nom de Jean de Lalande. Cou- tume du ressort du parlement de Bordeaux, t. II, p. 298.

LE BOURGEOIS BORDELAIS. 93

prince de Salerne. Mais le roid'Aragon, dans une confé- rence tenue à Oloron, en Béarn (25 juillet 1287), n'ac- corda la délivrance de son captif qu'en échange d'un cer- tain nombre de personnages très-notables qui lui seraient remis par le roi d'Angleterre. Edouard 1" y consentit, et dans cette liste d'otages dressée par deux princes souverains pour la délivrance d'un roi, figurent, à côté du vicomte de Béarn, du comte d'Armagnac, du sire d'Albret, etc., trois citoyens de Bordeaux, Arnaud Monadey, Jean Colom et Arnaud Raimon Dusoley K

Ce fait nous donne la mesure de l'importance qu'a- vait acquise déjà la bourgeoisie bordelaise. La faveur dont le roi d'Angleterre récompensa Tun de ces ci- toyens, Arnaud Monadey, prouve à la fois le prix qu'il attachait au service que lui avait rendu Arnaud, et la considération dans laquelle il tenait ce bourgeois. Il lui permit d'avoir une maison construite sur les murs de la ville, avec une porte privée à son usage, et prati- quée dans le mur même ^.

i. Baurein, Variétés bord., p. 64-68 ; Cf. Rymer, t. I, p. 3, et 46, col. 2. Cf. Rôles gascons, 1288.

2. Rymer, t. I, p. i; p. 46, col. 2; 4 mai 1289. Cf. Rôles gascons, Ti.'^S, et Baurein, Var bord., t. IV, p. 65, 66. « Il parait que cette concession fut conûrmée sous Edouard II, car les Rôles gascons de l'an 131o, 1316, indiquent une charte ex- pédiée « pro Arnaldo Monetario, cive Burdegalensi, obsidepro liberatione Régis Siciliœ, liabendo doraum ilJam quœ sita est Burdegalœ apud Hosellam » Baurein, p. 67. Cette maison était située entre la porte de la Rousselle (près l'ancienne porte des Salinières) et la rivière.

CHAPITRE UI

JURATS. - JURIDICTION DU MAIRE ET DES JURATS. SUZERAINETÉ FÉODALE DE LA COMMUNE

Les privilèges commerciaux et les différents genres d'immunités conquises dès la fin du xiii* siècle par la bourgeoisie bordelaise expliquent suffisamment le haut rang qu'elle occupait dans la hiérarchie sociale. Ils pré- paraient aussi de nouveaux progrès sur le terrain des droits civils, de ce qu'on appelle Vautonomie de la cité.

Deux ans après ce recensement, à l'occasion duquel les bourgeois ont fait reconnaître l'indépendance de leurs propriétés, le maire et les jurats engagent avec le connétable de Bordeaux une lutte pacifique, mais suivie, pour la défense de certains privilèges que ce représentant du roi d'Angleterre a essayé d'en- lever, soit à la commune, en matière commerciale, soit à la municipalité, en matière de juridiction. Ici, nous ne nous occupons que des attributions judiciaires re- vendiquées par la jurade.

COMMUNE DE BORDEAUX. 9S

Le conflit qui éclata en 1275 entre les magistrats de Bordeaux et le connétable Jean de la Vera marque le réveil de la justice municipale. Le maire et les jurats nous paraissent alors investis, pour certains cas assez graves du moins, de la double juridiction criminelle et civile, et, conformément à l'espritde toute corporation, cette autorité porte le caractère d'une protection assu- rée aux membres de la commune. Ils rappellent au sé- néchal de Gascogne, Luc de Tany, que de temps immé- morial, ils sont en possession du droit de faire exécuter les criminels de la ville ou de la banlieue qui ont mé- rité la perte d'un membre, la peine du pilori, ou celle de courir nus par la ville ; et que, si le coupable a mé- rité la peine de mort, c'est aux maire et jurats qu'il appartient de le juger et de le livrer au prévôt du roi, qui^ de concert avec eux, exécutera la sentence*. Le conné- table de Bordeaux les ayant troublés dans l'exercice de ce droit, ils s'en plaignent au sénéchal, et celui-ci les y maintient. Le point contesté de juridiction civile était le droit de garder en dépôt les biens des personnes mortes ah intestat^ ou sans héritiers légitimes qui fussent pré- sents lors du décès. Le connétable de Bordeaux s'était emparé d'un Ht et d'un coffre appartenant à un Irlan- dais qui était accusé d'avoir tué un de ses compa-

!. « Item conquesti sunt eidem senescallo de preedicto con- s'abulario quodcumipsi sint et fuerint, a temporibus a quibus non exstat memoria, in possessions vel quasi qiiod, si aliquis

crimeu aliquod vel flagitium, etc > Livre des Bouillons,

fol. 110, verso.

96 COMMUNE DE BORDEADX.

triotes. Les maire et jurats avaient demandé la restitu- tion de ces objets : il était, disaient-ils, d'un grand in- térêt pour la ville qu'ils fussent remis à ceux auxquels ils devaient revenir, afin que les citoyens de Bordeaux ne fassent point inquiétés àce sujet dansles autres pays, et qu'on n'usât point de représailles à leur égard*. Telle était déjà la prévoyance tutélaire qu'inspirait à la législation communale la confraternité bourgeoise, que cette législation veillait sur le sort des bourgeois bien au delà des limites de la commune, et jusque dans les pays étrangers.

Sur cette question, et sans doute parce . que les objets disputés à la jurade appartenaient à un étranger, le sénéchal ne voulut point statuer lui-même ; il ordonna que, par provision, ces objets fussent remis entre les mains du prieur des Frères prêcheurs de Bor- deaux, jusqu'à ce que le roi eût prononcé à cet égard ^.

En dehors de leur juridiction personnelle, le maire et les jurats sont loin de rester indifférents à l'action judiciaire des autres pouvoirs sur les membres de la commune. oii ils ne sont pas eux-mêmes instru- ments de la loi, ils veillent à ce que la loi ne soit pas outrepassée. Sous ce rapport, on peut voir en eux les vrais successeurs des defensores des municipes ro-

4. « Ne propter hoc cives alibi pignorentur, vel vexentur. » Id., Col. H I, recto. 2. L. des Bouillons, fol. Hl, verso.

LA JURADE ET SAINT-SEURIN. 97

mains, cette magistrature d'indulgence et de charité qu'avaient fait naître au iv« siècle les excès du despo- tisme impérial. Quand la justice du roi ou celle de l'Eglise sévit avec rigueur ou cruauté, lajurade pro- teste. Des changeurs de Bordeaux ont été arrêtés par les gens du roi, et jetés au fond de la Tour de la Réelle, cil l'un d'entre eux, Hélie Descombes, a suc- combé. Les autres ont se racheter au prix de 2,000 marcs. La jurade va aussitôt porter plainte au séné- chal au nom duquel les changeurs ont été si durement traités, et celui-ci leur promet d'intervenir pour les accusés auprès du roi, ou, s'il n'en peut rien obtenir, de leur rendre justice lui-même *.

Le doyen et le chapitre de Saint-Seurin, dans le ressort de leur juridiction, c'est-à-dire la sauveté de Saint-Seurin, ont donné le scandale d'une punition criante (1277). Ils ont condamné deux frères à être mis sur l'échelle, peine aussi infâme à cette époque que le fut depuis celle du carcan ^. L'abus du droit de justice est si manifeste que les habitants sont sur le point de se soulever. Bien que cette violence ait été commise sur le terrain d'une juridiction particulière, le maire et les jurats, forts de leur autorité morale, entrent en délibération, décident que le cas exige qu'ils se trans- portent dans le faubourg et, avec toute la pompe de

1. L. des Bouillons, fol. Hl, recto et verso.

2. L. des Bouillons, note, fol. H 2, recto. Note de Baurein, feudisîe de la ville.

7^

98 COMMUNE DE BORDEAUX.

leur cérémonial *, ils se présentent devant le chapitre, escortés d'une foule tumultueuse. On mande le doyen et ses collègues, et les jurats l'invitent à réparer l'af- front qu'ils ont fait aux deux frères. Le doyen leur promet alors de faire observer ce que le chancelier du château de Bordeaux et le maire lui-même régleront à cet égard. La proposition est acceptée, et le corps de ville se retire sans qu'aucun dommage ait été causé ce jour-là aux membres du chapitre.

Mais à la nouvelle de leur démarche, le sénéchal de Gascogne trouva mauvais que la jurade eût accepté la proposition du doyen, au lieu de passer outre et de faire justice elle-même. Les officiers du roi d'Angleterre faisaient alors une guerre systématique et violente aux pouvoirs religieux ^ La jurade s'était liguée avec le sénéchal pour attaquer la juridiction et les droits finan- ciers de l'archevêque et du chapitre de Saint-Seurin, Aussi le lendemain, au signal du beffroi de la com- mune, la multitude revint en armes, pilla et incendia les demeures du doyen , de plusieurs chanoines et de divers habitants du bourg; toutes ces violences se

\. « Brunus de Saya maior, jurati et communia Burdegalœ, consilio inito et concordato inter ipsos, vénérant com trumpis et bucinis ad salvitatem sive Burgum dictai Ecclesiaî. » L. des Bouillons, fol. 112, recto.

2. Cf. Rjmer, t. I, part. 2, p. Io0-151, 177, les plaintes adressées à Philippe le Hardi jusqu'en 1279, par l'archevêque de Bordeaux, et les évêques de Lectoure, d'Oloron, de Bazas, d'Aix, etc., au sujet du pillage des biens d'église par le séné- chal et les baillis de Gascogne.

LA JURADE ET SAINT-SEURIN. 99

commirent avec Tassenti ment et même par les ordres du sénéchal. Les excès furent si graves que l'archevêque de Bordeaux, Simon de Rochechouart, et le doyen de Saint-Seurin portèrent plainte au roi de France, enve- loppant dans la même accusation la jurade et le sénéchal de Gascogne . Entre autres griefs, il en est un qui se rat- tache à l'antagonisme déjà très-vif dans toute la France entre les tribunaux civils et les juridictions ecclésiasti- ques. Le sénéchal s'était concerté avec les nobles et les maires des communes de la province pour empêcher tout laïque, sous peine de soixante-cinq sous d'amende, d'en citer un autre devant un tribunal ecclésiastique, sauf dans des cas exceptionnels. Cette ligue interdisait de même à toute perso ime, quelle qu'elle fût, de citer un laïque devant un tribunal ecclésiastique pour le jugement d'une action personnelle, et obligeait les avocats qui voulaient être admis à exercer auprès d'un tribunal séculier, à jurer de ne pas faire porter les procès de ce tribunal devant un tribunal ecclésiastique*. Pour examiner ces griefs, le roi de France délégua deux commissaires, et, en leur présence, intervint, le 7 juillet 1277, une transacîion : des indemnités pécu- niaires devaient être payées àTarchevêque et au cha- pitre de Saint-Seurin par le sénéchal, le maire et les

i. L. des Bouillons, fol. 113, recto. « Per hoc volens arcere cruce signatos et clericos actione laicoruni ad forum ecclosie, quamc|uam de jure et consuetudine suos adversarios ad fo- rum ecclesie trahere possint. »

100 COMMUNE DE BORDEAUX.

jurats, pour le dommage causé au chapitre par des inconnus, mais par la faute des magistrats. Quant à la juridiction ecclésiastique, le sénéchal consentit à ce que l'ancien état de choses fût rétabli ; on n'encourrait donc plus les peines nouvellement édictées pour n'avoir pas cité un laïque devant un tribunal séculier , et les avocats ne seraient plus astreints au serment de ne faire porter les procès devant les tribunaux ecclésias- tiques que dans des cas spécialement déterminés ^ Le parlement de Philippe le Hardi approuva cette trans- action, et la paix fut rétablie « à la charge que dé- sormais chacun se contenterait de ses droits sans usurper sur autrui ^. »

Les tendances despotiques et conquérantes de Phi- lippe le Bel eurent pour effet de rapprocher les popu- lations de la Guyenne de leurs maîtres anglais. En 1282, Edouard 1" avait demandé àla province un secours en hommes pour l'aider dans sa guerre d'Ecosse. Phihppe le Bel avait usé de son droit de suzerain pour interdire tout envoi de troupes ; mais les communes éludèrent cette défense en faisant à Edouard un don gratuit de sommes considérables^.

Aussi, en 1293, lorsqu'à propos du conflit des galères

i. L. des Bouillons, fol. 115-H6.

2. Delurbe^ Chr. bord., p. ii, recto.

3. Rymer, t. I. part 2, p. 21 9, 1283 : Lettre de remerGiement adressée par Edouard aux villes de Bordeaux, Bazas, Bourg, Libourne, Saint-Érailion, Saint-Macdre, Langon, La Réelle, Saint -Sever, Auch.

LA JURADE ET PHILIPPE LE BEL. ^0^

gasconnes et des bâtiments normands, Philippe le Bel feignit une violente colère contre son vassal, parce qu'il n'avait pas comparu en personne devant son parlement, et qu'Edouard I", toujours occupé en Ecosse, autorisa son frère Edmond à remettre au roi de France le duché de Guyenne avec sa capitale, ce ne fut pas sans difficulté que la commune de Bordeaux subit cette dangereuse mouvance. Le connétable de France, Raoul de Cler- mont, après avoir pris possession, dans l'église de Saint-André, du château et de la ville, somma Jean de Havering, sénéchal de Guyenne pour le roi d'Angle- terre, d'ordonner aux jurats de prêter serment de fidélité au roi de France. Le sénéchal obéit; mais les jurats demandèrent à réfléchir avant de se conformer à cet ordre ; ils déclarèrent, après s'être entendus entre eux, qu'ils n'obéiraient que sur un ordre du roi d'Angleterre lui-même ^

Jean de Havering répondit qu'il n'agissait que d'après les instructions de son souverain, telles qu'elles lui avaient été transmises par le frère de ce prince ; il montra une copie authentique de ces instructions, et promit d'en remettre une semblable aux jurats. C'est seulement alors que ceux-ci promirent de prêter ser- ment au roi de France ^

A cette occasion apparaît une mention plus solennelle des jurats comme assesseurs du maire, et des attribu-

1. L. des Bouillons, fol. 107, recto,

2. L. des Bouillons, fol. 107, recto.

102 COMMUNE DE BORDEAUX.

tions qui leur appartiennent. Dans la formule du ser- ment qui fut prêté le 2 mars i293 à Philippe le Bel, en présence de Raoul de Clerraont, figurent nommé- ment trente-cinq jurats, et le nombre réel devait être plus considérable, car ces jurats déclarent qu'ils prêtent serment non-seulement pour eux-mêmes, m-ais pour leurs collègues absents*, pro se et aliis absentihus.

Le caractère de ce serment, qui oblige en même temps tous les membres de la commune^, mérite d'être signalé. Loin d'être un acte d'obéissance et de sou- mission pure et simple, sans condition;, tel que pour- raient le prêter de véritables sujets, c'est un engage- ment réciproque entouré pour les jurats et la commune de solides garanties. Ainsi, non-seulement ils stipulent qu'en retour de ce serment, le connétable de France s'engage, pour le roi et pour ses successeurs, à respecter tous les privilèges, libertés, droits, us et coutumes et statuts de la commune^, et à la protéger et défendre fidèlement contre toute injustice et toute violence ; mais ils constatent avec soin que leur serment n'est prêté qu'à la suite de celui du connétable. C'est leur nouveau

1. L. des Bouillons, fol. 107, recto et verso.

2. « Jurati juraverunt pro se et suis successoribus et etiam pro totâ communia et universitate et nomine universitatis... » Id., ibid.

3. « Protcstato tum in primis per dictes juratos, et nomine pra3dicte communie, quod ea qua; ipsi dixerant et responde- rant, ipsi dicebant salvis eis et dicte communie omnibus et singulis eorum privilegiis, libertatibus, foris, usibus et con- suetudinibus et statutis... » L. des Bouillons, fol. 107, verso.

JURIDICTION DE LA JURADE. l03

maître qui, dans cette sorte de contrat, se lie le pre- mier ; la commune ne s'engage qu'après le suze- rain *.

On peut croire que cette fois l'appui du roi d'Angle- terre, dépossédé du duché de Guyenne par suite des manœuvres déloyales que l'on connaît, ne manqua pas à la commune ; il était intéressé à lui faire prendre vis à vis de Philippe le Bel une position plus forte que celle qu'il lui avait laissé prendre vis-à-vis de lui-même. Toutefois, comme les choses étaient réglées ainsi du consentement d'Edouard I", c'était une conquête défini- tive pour la commune ; le précédent serait aussi valable plus tard devant le roi d'Angleterre, si celui-ci rentrait un jour en possession du duché.

En attendant, la municipalité, devenue plus hardie entre ces deux souverains rivaux, commence à défendre sa vieille juridiction contre les usurpations qui l'avaient restreinte dans les années précédentes. Faisant droit à ses réclamations, le sénéchal de Guyenne pour le roi de France, Jean de Burlac, lui restitue (10 sept. 1294) les haute, moyenne et basse justices qu'elle avait exercées, dit-il, de toute ancienneté, ab antiquo^ dans les limites de la banlieue de Bordeaux, et ces limites

{. « Prsefatus dominus conestablus nomine et vice domini régis Franciœ, primo juravit prœdictis juratis quod. . . etc. . quo facto jnrati juraverunt. , . etc.. Salvo etiam eis et re- tento expresse quod, antequam ipsi jurent domino, dominus in primis haberet jurare eisdem. » M , ibid.

104 COMMUNE DE BORDEAUX.

sont exactement désignées dans la charte*. On abolit notamment la prévôté de Bar et de Comparriau qui avait été créée depuis peu au préjudice de la justice bordelaise. Philippe le Bel ne se réserve que la juri- diction du château de l'Ombrière qui avait appartenu au roi d'Angleterre^ et en vertu de laquelle son droit de justice ne s'exerçait que sur les gens de sa maison et sur les étrangers venant de plus loin que la banlieue de Bordeaux.

Lorsque la Guyenne eut été rendue à Edouard I", les rois d'Angleterre durent à leur tour accepter la si- tuation qu'ils avaient faite eux-mêmes au roi de France. Mais, cette fois, la commune se retrouvant en face du prévôt de l'Ombrière, avec des pouvoirs que celui-ci ne lui avait pas reconnus auparavant, il en résulta des difficultés et des conflits.

Les premières années du règne d'Edouard II sont remplies, pour l'histoire de Bordeaux, par de longs dé- mêlés entre la municipalité et le prévôt de l'Ombrière ^.

1. Livre des Bouillons, fol. i 6, recto et verso. Cf. Philippine, d'ap. Delurbe, Chron. bord., p. 13 et 14.

2. Rymer, Acta,i. I, part. 4, p. 157, aM 309; t. II. part. 1, p. 3, p. Hj col. I, 1312. « Cum super quibusdam libertatibus et juridictionibus quas major, jurati et communia civitatis nostrae Burdigalœ, in eadem civitate, ad se vindicent perlinere, inter ipsos majorerai, juratos et communitatem pro parte sua et xninistros nostros ducatus prœdicti pro nobis, dissensiones a tempore non modico, hue usque, ut intelleximus, exstiterint et adliuc existant in noslri et confluentium ad eamdem civi- tatem damnum non modicum et gravamen. »

COMMUNE DE BORDEAUX. 105

Le sénéchal de Gascogne reçoit les plaintes, tantôt de l'un, tantôt de l'autre ; il en réfère au roi, et celui-ci nomme une commission qui, d'après les termes des traités antérieurs, doit fixer de nouveau les attri- butions des autorités rivales, et rétablir entre elles le bon accord. Cette commission, en 1312, fut composée du sénéchal de Gascogne, Jean de Ferraris, de son parent Amanieu d'Albret, et du connétable de Bor- deaux, Jourdain Moraunt. On lui adjoignit deux doc- teurs en droit civil, le prieur du Mans, Bernard Prat, et Guillaume ; et ainsi constituée, elle travailla, de con- cert avec le conseil royal de Gascogne ^, à opérer une transaction.

Le procès ne fut terminé qu'en 1314, et l'accord passé entre le prévôt et la municipalité ne fît que con- firmer cette dernière dans les avantages qu'on lui avait fait prendre vis-à-vis du roi de France ^. Les stipula- tions de 1293 furent renouvelées, soit pour ce qui con- cerne le droit de haute, moyenne et basse justice ac- cordé alors à la commune, soit pour les limites de la banlieue. Seulement, le pacte de 1314 fait connaître incidemment certains privilèges municipaux dont il n'avait pas été question jusqu'ici. Ainsi, l'on rappelle que, bien que le domaine et la garde du fleuve appar- tiennent au duc de Guyenne, môme dans la banlieue,

1 . Rymer, Acta, t. IL p. 3.

2. L. des Bouillons, fol. 16, verso, 17, recto, 98, verso.

1Ô« COMMUNE DE BORDEAUX.

le maire et les jurats gardent toujours la faculté faire des règlements dans l'intérêt public, sous l'appro- bation du roi ou du sénéchal *.

Il est aussi fait mention, pour la première fois, du pouvoir militaire de la jurade. On reconnaît aux maire et jurats le droit de faire prendre les armes aux bour- geois, mais avec prudence, ajoute l'accord, et sans qu'il arrive aucune émotion parmi le peuple^.

La question des statuts de la ville, dont on décida la révision, amena aussi les commissaires à reconnaître à la jurade l'autorité législative. Ces vieux statuts, d'oii on avait déjà tiré de si précieuses garanties, étaient probablement l'œuvre accumulée des magistrats qui s'étaient succédé dans les premier3*:temps. Aussi, le roi ne peut procéder seul à leur réformation : il faut l'avis commun des conseillers de la ville et de ceux du roi^. Ce qui prouverait encore que ces statuts sont l'héritage d'une municipalité séculaire, c'est que, d'a- près les termes de cette transaction, il est admis que les maire et jurats pourront en faire de nouveaux. On semble prévoir, comme un fait habituel et résultant d'un droit tout naturel de la jurade, que les muni-

i. L. des Bouillons, fol. 98, verso.

2. Id., ibid.

3. « Si sint bene, remanebunt ; si emendatione indigeant, de communi consilio consiliariorum villœ et consiliariorinm domini nostri régis et ducis emendabuntur ad utilitatem domini nostri régis et ducis et villfp. et totius reipublicœ. » L. desBouillonS) fol. 99, recto.

POUVOIR LÉGISLATIF DE LA JURADE. 107

cîpalités à venir augmenteront le recueil des statuts*.

Les maire et jurats sont donc maintenant plus que les gardiens de la coutume : ils en sont les auteurs, ils la font, ils la réduisent en loi.

Remarquons toutefois que, même pour les affaires particulières de la cité, la jurade ne possède pas la plénitude de l'autorité législative. Elle est encore sou- mise au contrôle du suzerain, du duc : si les nouveaux statuts soulèvent quelque plainte, ils pourront être ré- formés par le roi ou par son sénéchal ^

Sur plusieurs points, on le voit, l'association des citoyens bordelais est encore loin de constituer une commune dans le sens absolu, bien que, dans tous les actes de cette époque, elle soit désignée par les noms de : communitas, U7iwersitas, respiiblica. Ces mots- là, au moyen âge, spécialement pour les communes de la Guyenne et pour le temps oîi nous sommes, ont un sens relatif et restreint. Quoique les liens de subordi- nation qui rattachent la bourgeoisie bordelaise au duc de Guyenne paraissent se détendre de plus en plus, ils sont encore trop nombreux et trop bien fixés pour qu'on puisse assimiler Bordeaux à une véritable répu- blique.

D'après la condition générale des villes de France, appelées vulgairement communes^ et quelque privi-

1. (( Et si in posterum fièrent nova statuta per naajorem et juratos. . . » L. des Bouillons, fol. 99, recto.

2. « Si sit inde querela, poterunt examinari et corrigi per dominum regem et ducem et ejus senescallum. » Id.,ibid.

108 COMMUNE DE BORDEAUX.

légiée qu'elle ait pu être au plus beau temps du mou- vement communal, on peut dire qu'il n'en est pas qui vive complètement dégagée d'une suzeraineté féodale, qui ne relève en tout et pour tout que d'elle-même. Loin de : nous ne voyons dans la commune qu'une nouvelle espèce de fief, une sorte de fief collectif, formé de ceux qui ont secoué la dure poésie, et qui, sous un nom générique, prennent placeàleur tour dans la hié- rarchie féodale. C'est une nouvelle classe de vassaux, décorés d'un titre particulier ; ils ne sont ni comtes, ni ducs, ni barons ; ils sont bourgeois, désignation qui, nous le verrons bientôt, a bien aussi, dans le langage féodal, sa valeur aristocratique.

Comme les barons, ces bourgeois ont leurs privilèges et libertés ; mais Y autonomie complète, ils ne l'auront jamais entière et absolue comme les républiques an- ciennes. Ils en approcheront sans doute ; mais il y manquera toujours quelque chose, parce qu'ils seront toujours sous une mouvance féodale quelconque. Et, à cette date de 1314, on voit combien de droits réels possédait encore sur la bourgeoisie de Bordeaux le pouvoir suzerain de l'Angleterre. Arbitrage féodal, redevances particulières, nomination du maire, par- tage de la juridiction, partage du pouvoir législatif, ce sont encore bien des entraves à la liberté d'action de la commune.

L'intérêt de son histoire réside précisément dans la continuité de ses efforts pour élever sa condition, dans

COMMUNE DE BORDEAUX. 109

la lenteur laborieuse de ses conquêtes sur l'autorité suzeraine. C'est, malgré bien des différences, un spec- tacle analogue à celui que présente, dans l'histoire de la formation de la République romaine, cette série non interrompue de victoires remportées par la constance opiniâtre des tribuns sur les privilèges du patriciat. Dans plusieurs communes du moyen âge, et notam- ment à Bordeaux, le travail d'émancipation, sans avoir le même éclat que les luttes du Forum romain, s'ac- complit avec une persistance aussi honorable de la part des bourgeois, et une conscience aussi ferme de leurs droits et de leur dignité.

Avec les progrès de la corporation se développera chez elle le sentiment jaloux de sa force; à mesure qu'elle se dégage des liens de l'autorité ducale, elle trace soigneusement la ligne de séparation des droits res- pectifs. Elle défend contre tout empiétement jusqu'aux symboles de son autorité, le cérémonial de la jurade et l'instrument de sa justice. Ainsi, dans l'accord de 1314, il est expressément stipulé que le roi aurait ses trom- pettes particulières; mais que si, par hasard, par né- cessité ou autrement, il se servait de celles de la ville, ce serait sans aucun préjudice pour le droit de la com- mune *. Il sera permis également au roi et au duc de se servir, pour les exécutions qu'ils auront ordonnées, des fourches de la ville (carcan), et de réclamer le ministère

1. L. des Bouillons, fol. 99, versu.

no COMMUNE DE BORDEAUX.

du roi des ribauds de Bordeaux. Mais ils seront tenus de payer à celui-ci le droit ancien et accoutumé *. On leur signale ainsi le terrain sur lequel ils ne sont pas les maîtres.

Nous avons dit qu'une commune était une seigneu- rie collective, et que celle de Bordeaux , notamment, répondait beaucoup plus à cette idée qu'à celle d'une republique indépendante et isolée. Si, en effet, la su- zeraineté qu'elle ne cesse pas de subir lui donne la condition et la forme d'un fief, celle qu'elle exerce elle- même achève de la constituer en seigneurie féodale. Elle a le droit de disposer des terrains qui lui appar- tiennent en toute propriété, c'est-à-dire des Padouens, en faveur des citoyens de la ville. Elle les leur con- cède h titre de fiefs héréditaires, et reçoit d'eux, en retour, le droit féodal à'esporle, qui se payait à chaque changement de seigneur, plus un cens annueP. Si,

f. « De furchis villaî et rege Ribaldorum licebit régi et duci uti in exceptionibus, salvo dicto régi Ribaldorum redditu et deverio solito et antique. » L. des Bouillons, fol. 99, verso.

2. L. patentes d'Edouard II, 1320 : «> Sciatis quod illam domura, etc.. Ad requisitionem nostrani major et jurati dicte civitatis nostre pro se et suis successoribus ac tota com- munia ejusd. civitatis dederint et concesserint, tradiderint et liberaverint dictam domum cum suis pertinentibus universis, prQut est infra confrontationes praedictas eidem Lupo h^ben- dam et tenendam in feodum pro se et suis beredibus in per- petuum, secundum foros et consuetudines civitatis nostre praedicte, jiro quinque solidis monete Burdeg. spoi'le in mu- tatione domini, et pro quinque solidis dicte monete annui census reddendis singulis annis. » Dépôt Bréquigny, 1. Biblioth. municip. Cf. 1. pat. d'Edouard III, 1337, confirmant

SUZERAINETÉ DE LA JURADE. Hl

pour les concessions que nous rapportons, la confirma- tion est nécessaire, c'est sans doute par cette circons- tance que les maisons inféodées par la coraratme sont situées près des murailles de la ville et contiguës à une des portes. Il n'en est pas moins certain que ces con- cessions soni faites par la commune elle-même, que les rois d'Angleterre les reconnaissent/ws^es et régulières : « Quatenus juste et rite facta fuerint^ ^ » et que' si la commune n'avait pas eu ce droit d'inféodation sur ses Padouens, ils n'auraient pas pris la peine de solliciter de la jurade celles dont il s'agit dans les lettres patentes que nous citons.

Au-dessous des bourgeois devenus feudataires de la commune, une série de chartes de l'année 1322 nous signale, non plus comme vassaux, mais bien comme sujets , ou plutôt comme lés administrés de la jurade, les habitants de onze paroisses. Ces paroisses font partie de la banlieue de Bordeaux; ce sont : Bruges, Mérignac, Pessac, Aysines, Saint-Médard en Jales, Sestas, Canejan, Bègle, Léognan, Yillenave, Gradignan. Nous voyons qu'elles sont tenues de payer à la jurade un droit de bian pour la réparation des portes et des ponts de la ville '\ et, dès lors, figure à

une donation analogue faite au bourgeois Seguin par la com- mune, et celles de 1340 en faveur d'Amaurin Dalliau. Id, Dépôt Bréquigny, n»* 7, 9.

\. Bréquigny, p. 10, id., ibid.

2. Ce droit de Bian varie entre 22 livres iO sous et 8 livres 10 sous. L. des Bouillons, fol. liS-121 , recto et verso. Pour

112 LES ANGLAIS EN GUYENNE.

l'hôtel de ville de la commune un trésorier spécial chargé de recevoir les sommes dues par les paroisses circonvoisines *. C'est bien une prérogative toute seigneuriale, et si les bourgeois de Bordeaux l'exer- cent à l'égard de populations placées au-dessous d'eux dans la hiérarchie sociale, ce n'est certes pas en qualité de membres d'une république souveraine; c'est comme suzerains et seigneurs. Car, au moyen âge, le droit de lever des impôts n'appartient qu'à ceux qui font partie de la féodalité. La commune est pour ces paroisses ce que le duc de Guyenne est pour la commune.

l'étymologie, v. Du Gange : Biennum, corvée, tant d'hommes que de bêtes.

1. Martin de Saint-Julian est qualiOé Bossey, c'est-à-dire Boursier, du trésorier de la ville de Bordeaux, dans diverses quittances par lui données. Id., fol. 118, recto et verso.

CHAPITRE IV

ÉPOQUE DE DÉVELOPPEMENT

Édonard III, 199'S-t3'31 Bichard II, 139Ï-1399

Les jarats premiers juges en toute matière. Bordeaux annexé à per- pétuité à la couroune d'Angleterre. La mairie et la jurade électives. Le serment. Gouvernement et police. Les nobles admis à la jurade.

Avec Edouard III, le plus heureux conquérant et le souverain le plus habile de l'Angleterre au xiv® siècle, nous entrons dans la période du développement le plus large et le plus complet de la commune de Bordeaux.

Jusqu'ici et depuis Henri III, la commune, dans son travail de reconstitution, avait rencontré plus d'un obstacle. Indépendamment de la suzeraineté très-éten- due et déjà ancienne des ducs de Guyenne, elle avait été fort gênée par la tyrannie ombrageuse et fantasque des premiers Plantogenets. Suivant, en partie, la des- tinée de la province tout entière, elle n'avait pu pren- dre son essor que par soubresauts, h la faveur des luttes partielles et des guerres féodales de l'Angleterre et de la France. Dans ces intervalles de combats entre

114 COMMUNE DE BORDEAUX.

le suzerain et le vassal, et lorsque le despotisme des rois d'Angleterre devait nécessairement se plier à des ménagements passagers à l'égard d'un pays d'une pos- session précaire, elle avait bien réussi, àforce de cons- tance, à ressaisir son existence municipale; mais elle n'était encore qu'imparfaitement constituée. La jurade pouvait encore réclamer l'octroi d'un grand nombre de garanties et de pouvoirs sur le domaine de la justice et de la police urbaine; les bourgeois, de nouveaux privilèges pour la sûreté de leur ville, les facilités de leur commerce et l'emploi de leurs finances ; la com- mune tout entière, des chartes plus explicites, pour pouvoir s'administrer elle-même et s'administrer avec équité, mùthode et conformément au plus grand bien de tous.

Ce fut pour Bordeaux le bénéfice delà guerre de Cent Ans. Edouard III et son fils comprirent que, dans une province de France qui devait être, pendant cette lutte des deux nations, le quartier général des Anglais et le rendez-vous des sympathies qu'ils voulaient con- quérir, il fallait entrer franchement dans la voie des concessions. Le développement des libertés commu- nales, non-seulement à Bordeaux, mais dans toute la Guyenne, fut dès lors un des principes de leur poli- tique, et il est incontestable que c'était la plus habile tactique qu'on pût adopter contre l'invasion du sys- tème français. Tandis que la royauté française, depuis Philippe le Bel surtout et sous les premiers Valois,

COMMUNE DE BORDEAUX. 115

installait partout, aussi bien dans le Languedoc que dans le centre et le nord de la France, sa fiscalité, sa justice, et tout l'appareil de l'unité administrative, les rois d'Angleterre la combattaient en Guyenne, en in- téressant la fidélité de la province à leur administration par des privilèges de plus en plus étendus. Nous avons vu et nous verrons encore qu'ils n'amvèrent jamais à y faire naître un véritable patriotisme anglais ; nous en savons les raisons. Mais ils réussirent, du moins, à se l'attacher par des liens d'intérêt assez solides pour qu'elle confondît sa cause avec celle de l'Angleterre. De le contraste si marqué que présente la destinée des communes de Guyenne, au xiv" siècle, avec celle de leurs pareilles dans les autres parties de la France. On sait que, partout ailleurs, lexiv^ siècle est un temps de décadenee pour les communes. Leurs droits politi- ques disparaissent devant l'invasion de l'autorité mo- narchique ; elles ne garderont tout au plus qu'une ju- ridiction de police, et, dans le Languedoc même, les deux plus puissantes, Toulouse et Montpellier, seront frappées mortellement sous Charles YL

En Guyenne, et notamment à Bordeaux, ce qui se remarque dans la destinée des communes au xiv^ siècle, c'est un mouvement en sens inverse. Jamais le progrès ne fut plus général ni plus suivi ; jamais la po- litique des rois anglais ne sutmieux entrelenirl'antago- nisme des privilèges Aquitains et de la monarchie Capé- tienne. On ne s'étonne plus devant la série et l'étendue

116 COMMUNE DE BORDEAUX.

des chartes octroyées aux communes de Guyenne pen- dant les règnes d'Edouard III et de Richard II, de voir cesser toute incertitude dans les sentiments de la pro- vince * en faveur des Anglais. Pendant plus d'un demi- siècle, à l'exception de la grande émeute provoquée en 1365 par les taxes arbitraires du Prince Noir, nous n'apercevons aucun signe marqué de rébellion contre la domination anglaise, aucune de ces menaces ou de ces tentatives de retour sous la suprématie des rois de France, commes celles qui s'étaient produites pendant la période précédente et surtout pendant le règne d'Edouard IL Loin de là, les villes de Guyenne, et sur- tout Bordeaux, tiennent à rester anglaises, c'est-à- dire, libres et opulentes ; elles s'efforcent à plusieurs reprises de resserrer les liens qui les rattachent à l'An- gleterre, et de s'incorporer en quelque sorte à cette nation. Ces dispositions de la Guyenne ne sont pas le fait le moins instructif pour l'appréciation du régime politique et de la liberté commerciale qu'elle dut à l'Angleterre pendant la guerre de Cent Ans, et on en trouve le secret dans les documenta administratifs que nous analysons. Si les chroniques ne racontent plus maintenant de combats sérieux entre les Aquitains

1. Sous les trois fils de Philippe le Bel, on avait sourdement, mais activement travaillé auprès des Bordelais pour les déta«- clicr de l'Angleterre, et la cour de France essayait par mille moyens d'entamer la juridiction d'Edouard II. Rymer, t. II, part. 1, p. 129, col. 1, p. o3, 4o, 111, 120 j et part. 2, p. 67 68, 92-93.

INCURIE D'EDOUARD II. H7

et les Anglais, ce silence s'explique par le langage des chartes. Il y a, entre les deux peuples, fusion d'intérêts et concorde durable ; c'est à peine si les triomphes de la France, après les miracles de Jeanne Darc, suffiront pour briser l'alliance et pour étouffer dans le cœur des Aquitains le regret de la domination étrangère.

La première condition à remplir pour cimenter cette alliance, c'était de mettre la province en état de défense, et de protéger surtout sa capitale contre un coup de main des Français. Sur ce point, l'adminis- tration d'Edouard II avait laissé beaucoup à dé:4rer. Dans les dernières années de son règne, de 1325 à 1327, des partis français avaient occupé plusieurs points de la Guyenne ; Bordeaux n'était plus en sûreté : ses remparts étaient insuffisants, et, dans l'inté- rieur même de la vill^ l'ennemi pratiquait des intel- ligences. Plusieurs fois, les habitants avaient fait con- naître leur situation critique au roi d'Angleterre. Mais ce malheureux prince ne s'appartenait pas. Ses favoris, les Hugues Spenser, dont le pouvoir scanda- leux devait bientôt s'écrouler sous le poids de la colère de tous les sujets anglais, n'avaient tenu aucun compte des avis répétés du connétable de Bordeaux, Jean de Tavers. L'invasion française avait continué de faire les progrès les plus menaçants, et Bordeaux, toujours laissée à découvert, avait réclamé inutilement des fortifications nouvelles et des administrateurs plus zélés

118 COMMUNE DE BORDEAUX.

pour la défense ^ La coupable incdrie des ministres d'Edouard II et l'anxiété des Bordelais n'eurent un terme qu'en 1327. La ville étant aux abois, on donna enfin des ordres pour relever ses murailles. Mais le roi ne put faire lui-même les frais du travail. Il les laissa à

1. 1325. Février. « Il n'y a ni troupes, ni vaisseaux, ni argent ; la quele terre est du tôt dégarnie de quant que li est besoigne. . . . Notre seigneur le Roy ad moUbesoign à Bordea un bon raeyre qui conoyssc les gens et soyt diligent por li et por ses lionur et profit garder ; et aussint un bon provost à Lombreyre, et jeo croy, verayment à ceo que jeo vebu avant ces bores, que en temps de guerre, il ne poet avoyr nulb melbor do Ernaud Cailbau ; quar celi est sages et ayme le dit notre seigneur le Roy et son bonur et profit, et si ad la con- noyssence de les gens par de cea et aussint, sire, messire Simon de Montbreton sera molt aprofeitable en la provoste de Lombreyre, ou en la meyrete de Rordeu, si le dit nostre senbor le Roy ne y met Ernaud Cailbau ; . . . et la vile de Bordeu ad molt besoign de estre bien efforcée et douze, et que les ovres se fassent mieux, et de plus, grant volunté que ne ont eslées faites avant ces bores, ni ancores ne se font, et il i soyt un tiel mère qui les fasse le plus baster et mieus ovrer de cuer, et que cil face vuyder la dite vile de Bordeu de tous les sospicions qui i sont, por quoy nule faussine ou traytion ue i puisse estre fête, et est bien besoign, sire, que le dit nostre senbor le Roy mande toz les sospices et qui sont de la nation du terreour des Franceys ou du royaume de France estre bostez et gitez bors de la dite vile de Bordeu, et aussint de tôt le demorant de votre ducbé...» {Archives de l'Échi- quier, Cbapter-House, d'après le Mémoire de J. Delpit, p. 54.) 16 octobre, nouvelle lettre de Jean de Tavers, connétable de Bordeaux, à Hugues le Dépensier, pour lui rendre un compte plus détaillé de la situation du ducbé. avec un mémoire sur les moyens à employer pour mettre la province en état de défense, et la maintenir dans de bonnes dispositions en faveur des Anglais. Id., ihid., p. 55, ti8.

EDOUARD III. 119

la charge de la commune * à titre d'avance faite par les Bordelais à la couronne, et l'affreuse catastrophe qui mît fin à son règne ne lui laissa pas le temps d'acquitter sa dette (1327).

Les choses changèrent vite avec Edouard III. On reconnaît, au nombre et à la substance des lettres pa- tentes que ce prince rendit en faveur des Bordelais, une administration active, habile et ferme, un pouvoir éclairé qui ne néglige aucune mesure utile, aucun sa- crifice, pour conquérir la fidélité de ses sujets du con- tinent.

Les fortifications de Bordeaux furent achevées dès 1328, et, dans les années suivantes, Edouard III écri- vit plusieurs fois au sénéchal de Gascogne pour qu'elles fussent très-soigneusement entretenues ^. Quant aux sommes que la commune avait dépensées pour ces tra- vaux, et qui se montaient à plus de 500 livres sterl., il les fit acquitter par le sénéchal de Gascogne, et, sur la requête du maire et des jurats, il fit cesser toutes lé^ poursuites commencées contre les bourgeois qui n'avaient pas encore fourni leur contingent.

Bordeaux avait donc recouvré sa sécurité ; sous l'égide d'Edouard III, elle pouvait reprendre son titre de ville anglaise. Ce prince allait s'appliquer à la rendre plus prospère et plus libre. Tandis qu'il lui

!'. Lettres patentes du 4 avril 1327. Archives municipales, Dépi^t Bréquigny, n" 2, p. \.

2. Archives municipales. Dépôt Bréquigny, n°^ 3, .t, 6. Lettres patentes de 1328, 133i, 1333.

120 COMMUNE DE BORDEAUX.

donnait deux grandes foires franches, de seize jours chacune *, qu'il construisait un phare à l'embouchure de la Gironde^, et ordonnait les premiers travaux pour rendre risle navigable^, il était singulièrement atten- tif à maintenir les droits de la jurade, trop souvent contestés ou violés par les pouvoirs séculiers ou ecclé- siastiques dont la juridiction s'entremêlait avec celle de la commune. A cette époque de légalité mal défi- nie et confuse, oii plusieurs justices locales s'enchevê- traient sur un étroit espace, les co:iflits étaient fré- quents. Mais grâce à la vigilance d'Edouard III et à son arbitrage équitable, nous ne voyons pas que, sous son règne, ils aient été suivis d'agitations fâcheuses, et chaque fois qu'ils se renouvellent, le conseil de Guyenne, convoqué par le prince, invoque les anciens droits ou ménage des transactions. En tout cas, les pri- vilèges de la jurade restent intacts. Ainsi^ dans les années 1337, 1342, 1344, 1334, à la suite d'instruc- tions dirigées par le conseil de Guyenne, le roi con- damne ses officiers, le sénéchal et le connétable, qui ont usurpé les droits du maire et des juratsdansla banlieue de Bordeaux *, à restituer à ceux-ci la haute et

1. 14 juin 1341. Livre des Bouillons, texte imprimé, p. 1 iO. (rPendantsept ans, les marchands qui vendront à ces foires se- ront quittes de tous droits sur leurs mai'chandises, et, après ce terme, il ne sera levé au proQt du Roi que quatre deniers par livre sur le vendeur, et autant sur l'acheteur. »

2. Banrein, Variâtes bordelaises.

3. Antiquités de Vésone, t. 11^ an. I'i28.

4. Archives municipales, Dépôt Bréquigny, p. I^-IS. j,^

LA JURADE ET SAINT-SEURIN. 121

la basse justice. De même que les chartes antérieures, celle du 1" juillet 1342 signale ces droits de la jurade sur la banlieue comme existant antiquitus.

De 1346 à 1347, autre démêlé : Qette fois c'est avec le chapitre de Saint-Seurin que la municipalité est en procès. Il s'agit de la juridiction sur les villages de Cau- deran, Bouscat et Yillenave. Le chapitre prétend que les habitants de ces paroisses sont ses questaux ou serfs, et qu'il a toujours été en possession de les regar- der et traiter comme tels : Cum plenissima potestate questandi eos ad voluntatem et arbitrium suum^. Les trois paroisses ont secoué le joug du chapitre, suivant l'expression du sénéchal, comte de Derby : rebellionis cornua erigentesj ; elles se sont placées sous l'autorité protectrice de la jurade. De là, de très- longues con- testations qu'Edouard III sut terminer par un sage compromis. Cette transaction réservait les droits du chapitre, tout en accordant à la jurade, magistrature maintenant plus respectée que les autres justices locales, la connaissance des cas les plus graves. Il fut convenu que le chapitre aurait la juridiction civile sur tous lés habitants questaux de ces trois paroisses, qu'il

Lwre des Bouillons, fol, 42, recto, i9, recto, lOS, recto, et suivants.

1. L. des Bouillons, fol. 9G, verso. Pour \e sens de qusestales, V. Du Cange : « Los questaus no poden lexa la terra de la questalitat per ana Iiabitar en autre part » D'après le registre de la connétablie do Bordeaux, notatura A, fol, 9.

2. Louvet, 2-^ partie, p. Cll-72.

12? COMMUNE DE BORDEAUX.

aurait même la connaissance de toutes les injures, vio- lences, batteries et blessures, mais que les maire et jurats posséderaient la même juridiction sur les habi- tants de Bordeaux qui auraient des biens dans les limites du fief ecclésiastique, et sur toute personne questale ou non, lorsqu'il serait question de mutilation des membres, du droit de pilori et d'amendes excédant 60 sols. Seulement la jurade ne pourrait dresser pilori ni fourches patibulaires dans l'éiendue du domaine de Saint-Seurin ; elle ne pourrait faire exécuter ses cri- minels que dans Bordeaux, aux lieux désignés à cet effet. Il ne lui était permis, dans les limites de ce fief, que d'y tenir des sergents, et sans grever les habitants. Pour tout démêlé qui surviendrait entre les chanoines et les jurats, le jugement appartiendrait au sénéchal de Guyenne ou à ses lieutenants*.

Sans sortir des bornes de l'équité, cet arrêt annon- çait une faveur marquée pour la jurade. Edouard III manifesta plus librement son bon vouloir, lorsque ce fut une portion d'autorité qu'on lui demanda de sacrifier. En 1343, il se dessaisit d'une partie de sa juridiction Criminelle pour la transporter aux jurats. Ce n'était, il est vrai, qu'une concession à terme, pour quinze années. Mais elle pouvait devenir irrévocable, si les Bordelais continuaient de la mériter. S'il leur aban- donne, en eff3t, ses droits de justice pour une période limitée, c'est, comme il le dit dans le préambule de

1. L. des Bouillons, fol. 06,97, recto et verso, 23 août d347

LES JURATS PREMIERS JUGES AU CIVIL. 123

ses lettres patentes, afin de reconnaître les bons et loyaux services de la commune, et la récompenser des lourds travaux et des dépenses multipliées qu'elle a supportés pour sa cause '. Il ajoute que le présent lui répond de l'avenir.

Edouard III ne pouvait plus clairement indiquer le système libéral qu'il voulait mettre en pratique, et rarement ses successeurs s'en écarteront.

De nouvelles difflcultés ayant été soulevées en 1366 par le sénéchal de Guyenne à propos d'un procès de succession entre deux dames anglaises, citoyennes de Bordeaux , Alice de Groston , veuve de Richard de Groston, et Marie de Lugbon, sœur du même Richard, le roi débouta le sénéchal de sa prétention à juger le litige, et renvoya les parties devant la jurade. A cette occasion, il fut solennellement proclamé que les maire et jurats étaient les premiers jup:es en toutes causes civiles des bourgeois, sans que le privilège de bour- geoisie pût être annulé par la qualité d'étranger ^

Remarquons, en passant, que ce n'était pas seule- ment ici une victoire pour la jurade; c'était aussi le triomphe de la législation territoriale, conforme au

1. « Nos ad grata et utilia obsequia nobis per prœdictos majorem, juratos et communitatem civitalis pncdictef^, non sine laboribns îndefessis et sumptubus onerosis multiplicatis impensa et in fosterum impedeiida consideralionem condignam habentes. » Archives municipales, copies Bréquigny, 43 i3,

1er juin.

2. I. f% Bouillons, fol. 44, recto et verso. 1366, 7 juillet.

124 COMMUNE DE BORDEAUX.

droit romain, que représentait la jurade, sur la législa- tion personnelle, imposée si longtemps par les cou- tumes barbares.

La complaisance d'Edouard III étendit la juridiction de la jurade aux procès dans lesquels le roi lui-même ou son sénéchal serait la partie plaignante *. L'accusé, pourvu qu'il fût bourgeois, serait toujours jugé par le maire.

Edouard III reconnaissait ainsi l'utile assistance que lui prêtaient les Bordelais dans sa lutte contre les Français ou contre quelques seigneurs de Gascogne ^ qui avaient pris parti pour la France. En 1345, Bor- deaux avait envoyé plus de 40 bâtiments au comte de Derby pour l'aider à prendre Auberoche et à battre le comte de l'isle Jourdain^. Pendant tout le cours de la guerre, c'est Bordeaux qui est le quartier général du Prince Noir, et, en 1336, pour la campagne qui se ter- mina par Maupertuis, il avait pris l'épée et l'étendard de la main de l'arclievêque de Bordeaux sur l'autel de Saint-Seurin.

i . « Establit es que si nostre senhor le Rey o son senescaus, 0 sons baylles se corellan d'aucun homme de la communia, lo mager fera dreyt de l'homme de la communia, segont los establissement de la communia. » Cité par Baurein, Bulletin polymathiqiie, t. X, p. 364.

2, Froissartj 1, I, part. 1, p. 185, éd. Buchon. « Et ne sa- vaient les Bordelais comment bien fester le comte de Derby et messire Gautier de Mauny ; car la renommée courait que par leur emprise avaient été devant Auberoche les Gascons des- confits, et pris le comte de l'isle, et plus de 200 chevaliers; si leur faisait grant joie et haute honneur. . . » Id., p. 194.

JURADE EST NOBLESSE. 125

C'est pourquoi le moment la lutte est le plus acharnée coïncide avec celui oii la commune arrive à la plénitude du pouvoir judiciaire à l'égard des bour- geois, et plus nous avancerons dans la guerre de Cent Ans, plus nous verrons les bourgeois eux-mêmes ap- procher de la plénitude de l'état républicain.

Sans qu'il fût besoin de la suivre dans de nouvelles conquête^, pourrions-nous déjà placer la commune de Bordeaux au même rang que les communes du Lan- guedoc, bien qu'Augustin Thierry place ces dernières avant celles de toutes les autres provinces * ? Nous aurons l'occasion de revenir sur cette comparaison ; mais quant aux communes de Provence, il est bien évident qu'elles n'ont pas, comme celle de Bordeaux, le mérite de ne devoir leur illustration qu'à l'élément bourgeois. Augustin Thierry nous montre dans les cités provençales l'action de la noblesse combinée avec celle de la bourgeoisie, et l'importance de ces com- munes résultant du rôle d'un antique patriciat autant que des privilèges conquis récemment par les roturiers. A Bordeaux, nous ne voyons aucune trace de cette distinction entre la noblesse et la bourgeoisie : celle-ci tire tout son éclat d'elle-même. Elle ne doit son impor- tance qu'aux pouvoirs qu'elle exerce. Loin que l'aristo- cratie ennoblisse ici la jurade, c'est la jurade qui donne la noblesse. Les grands seigneurs du Bordelais et du reste de la Guyenne épousent en effet des filles des

i . Aug. Thierry, Histoire du Tiers-Etat, p. 243-244.

126 COMMUNE DE BORDEAUX.

jurats; et les exemples de ces mariages sont assez nom- breux pour prouver que, dès le milieu du xiv* siècle, une famille de bourgeois n'avait rien à envier à celles de la première noblesse, pourvu qu'elle eût fourni à la commune des maires ou des jurats ^ Il y a plus : à Bor- deaux comme à Florence et dans toutes les républiques oij l'élément démocratique forme seul la société com- munale, l'aristocratie féodale est frappée de^défaveur. Dans l'opinion des communiers, c'est un démérite que de sortir d'une souche seigneuriale, et le préjugé anti- nobiliaire sera bientôt assez fort pour exclure de jurade les personnes nobles, comme indignes. En 1375, un édit municipal défendra qu'aucun jurât soit

1. Arnaud de Caupène, chevalier et seigneur de Parram- puyre, épousa en 1318 Jeanne de Magessan, fille d'un citoyen de Bordeaux. La dame Miramonde de Calhau, fille d'un simple citoyen de Bordeaux, Pierre Calhau, mais d'une mai- son qui avait fourni plusieurs maires à la ville, avait épousé un des puissants barons du pays, le seigneur de Langoyran. Quoique d'origine bourgeoise, elle possède de son chef la sei- gneurie de Podensac, et elle prend la qualité de noble dame, « nobla dona. » Baurein, Variétés bordelaises, t. III, p. 170, 176, 198. Le second exemple est emprunté à une charte de 1335, en langage gascon. En 1363, lorsque le Prince Noir, prenant possession de son nouveau domaine, convoqua, pour l'ecevoir leur hommage, tous ses vassaux d'Aquitaine, sei- gneurs et villes, un citoyen de Bordeaux porta fièrement devant lui son titre de bourgeois : « Picrs Caillau de Ryahao, borgeys de Bordeu, protestant qu'il ne déportait de sa borgessie de Bordeux, et dissoit qu'il devoit faire un chevalier de l'ost, quant le Roi ou le Prince noz très sovereins seignours man- dant lours ost.» D'après les Archives de l'Échiquier, J. Delpit, Doc, p. 90.

COMMUNE DE BORDEAUX. iZl

noble ou chevalier, miles^. L'orgueil de la roture était aussi accentué à Bordeaux que, dans le même temps, chez les ciompi de Florence.

Arrivée à cette situation de ville à la fois libre et protégée, la commune apprécia les avantages du ré- gime anglais. Cette domination à l'ombre de laquelle elle grandissait et florissait, valait mieux pour elle que l'agitation tumultueuse d'une cité complètement aban- donnée à elle-même, et, dès 1342^ nous voyons que les Bordelais n'ont rien tant à cœur que d'enchaîner leur destinée à celle de l'Angleterre. Ils ne demandent pas seulement à n'être jamais gouvernés que par des rois anglais. Ils se prémunissent contre les effets que pour- rait produire sur leur régime municipal la conquête de la France entière par Edouard III. Celui-ci, remplaçant les Valois, roi de France à son tour, ne pourrait-il pas les annexer à sa nouvelle couronne? C'est ce qu'ils ne veulent pas. Car que deviendront leurs libertés et leurs richesses, quand ils seront incorporés à ce royaume que des rois de race anglaise devront gouverner en dé-

{. Delurbe, Chronique, p. 21. Delurbe ajoute: «De même qu'anciennement, à Rome, parla loi sacrée de Brutus, l'entrte était close aux patriciens pour être tribuns du peuple. « L'assimilation est tout à fait inexacte. Les Bordelais, pour exclure les nobles de la Jurade. n'avaient pas les mêmes rai- sons que la plèbe de Rome pour exclure les patriciens du Tri- bunal. Nous aurons plus lard la preuve qu'à Bordeaux cette exclusion était l'effet du préjugé démocratique. Cf. Livre des Bouillons, fol. iJ.J, recto= « Que nul gentil dassi en avant ao passa estre jurât de la dey ta vila. »

12S COMMUNE DE BORDEAUX.

finitive d'après les principes monarchiques appliqués parles Capétiens? Ce qu'ils redoutent avant tout, c'est l'existence faite aux provinces françaises par le gouver- nement de Philippe le Bel et de ses héritiers quels qu'ils soient. Voilà les conséquences de la conquête anglaise auxquelles ils veulent échapper. Aussi obtien- nent-ils d'Edouard III, en 1342, la promesse que, s'il parvient à la couronne de France, il gardera toujours sous sa main la ville de Bordeaux, en lui laissant tous ses droits; qu'il ne l'aliénera en aucune façon, et qu'il ne la transmettra qu'à son héritier futur pour le royaume d'Angleterre, Bordeaux devant rester à perpétuité annexée à la couronne anglaise*. Précieuse annexion en effet : car l'Angleterre a déjà contracté envers la commune des engagements qui promettent aux Borde-

1 . « Sciatis quod nos grata memoria ûdelitatem et constan- tiam et dilectionem quas dilecti et fidèles nostri, maior, jurati et communitas civiiatis nostrse. Burdeg. corcne Angliœ sem- per magnanimiter ostenderant et proinde volentes ipsos co- rone predicte annectere.... concesbimus eis pro nobis et hœ- redibus nostris et etiamsi possessionem regni nostri Francise ad nos jure successorio jam delati adipisci nos contingat, fidè- les nostros preclictos, dictam civitatem, altam et bassara jus- tiliam, etc.... per venditionem, donationem, permutationem, seu alio titulo extra manum nostram 7}isi futuro hœrecli An- gliœ no7i ponemus, nec a corona Anglie, nisi futuro hœredi An- gliœ, ut est dictum segregare vel transferre quomodolibet fa- ciemus, nec libertates, privilégia, consuetudines, ressortum, appellationes, seu alla jura vel deveriaeis competentia quibns usi sunt liactenus ralionabiliter et gavisi, ab eis aliqualiter auferemus. » 4 juin 1342. Westminslei'. L. des Bouillons, folio 90, verso.

ORDONNANCE DE 1376. 129

lais l'avenir le plus prospère. Les règlements rendus en 1376 vont encore étendre leurs privilèges, au profit de leur sécurité, de leur fortune et de la police inté- rieure de la cité.

Nous devons nous arrêter un instant à cette date de 1376, parce qu'elle est signalée par une sorte de re- maniement de la législation municipale de Bordeaux à l'occasion duquel ses franchises furent élargies et son mécanisme administratif complété. La volumineuse ordonnance qui fut alors élaborée dans le palais de Westminster paraît être le testament politique laissé à la commune par le prince auquel elle devait tout, et qui, disons-le aussi, avait bien mérité de lui. Bordeaux, en effet, n'avait pris aucune part aux protestations portées devant Charles V par les seigneurs et les com- munes de la Haute-Gascogne contre le fouage de dix sous par feu qu'en 1368 le prince Noir avait imposé pour cinq ans à la province. Parmi ceux qui recoururent au souverain ressort du roi de France, nous voyons figurer « ceux du Poitou, de Saintonge, du Quercy, du Limousin, du Rouergue, de la Rochelle, les comtes d'Armagnac, de Périgord, de Comminges, le sire d'Albret, plusieurs hauts barons et grands chevaliers des hautes marches de Gascogne, et des cités et bonnes villes de leur ressort^, » mais il n'est pas question des Bordelais. Il paraît môme que dans la guerre qui fut la

1. Froissart, 1. I, part, 2, p. o47-348, éd, Buclioa. Juin- octobre 136S.

9

136 COMMUNE DE BORDEAUX.

conséquence de cet appel des Gascons au parlement de France, l'Angleterre reçut l'assistance de la com- mune, comme l'indique un mandement d'Edouard III (1373, 13 mars), oii les expressions de sa gratitude donnent la mesure de la fidélité des Bordelais : « Por les grantz et aggreables services que noz chers et fealx, les maire, juretz et comunaltée de nostre citée de Bor- deaux nous ont fait en les présentes guerres, et afin qu'ils soient le plus afforciez et encoragez a demorer tout dis en notre vraie obéissance, veuilliantz faire a eux grâce especiale de notre certaine science, etc., nous quitons, remettons et pardonons à les avantditz maire, juretz et comunaltée tous forfaitz et trespas, commis et perpétrez par eulx ou aulcun d'eulx avant le jour présent, en aulcuns temps passez, encontre les ordenances de nos monoies, en aulcun autre manière quelconque*. » Cette amnistie ne porte, on le voit, que

i. Rymer, t. III, part. 3, p. 4. Les procédés d'Edouard III variaient, on le conçoit, à l'égard de ses sujets d'Aquitaine, sui- vant la façon dont ils s'étaient comportés pendant cette guerre si fatale à la domination anglaise. Froissart rapporte que Guillaume de Pommiers, seigneur de Fronsac, ayant été ac- cusé de suivre le parti français, fut décapité publiquement à Bordeaux, avec son secrétaire, Jean Colom, par l'ordre de Thomas de Felleton, grand sénéchal et lieutenant du roi, a de quoi on fut moult émerveillé, et tindrent ce fait à grant blâme ceux du lignage; et se partit de Bordeaux, ce gentil chevalier, oncle audessusdit, messire Aymonde Pommiers, et prit ce fait à grant vergogne... et deffla tantôt le seigneur de Lcsparre, Gascon, et lui fit grant grune, pour tant qu'il avait été au jugement. » L. II, ch. i et ii, éd. Buchon.

MAGISTRATURES MUNICIPALES. 13l

sur les infractions aux ordonnances relatives aux monnaies ; il n'y est pas fait la moindre allusion à des actes de rébellion et de guerre. Il était d'ailleurs d'autant plus politique de multiplier les faveurs aux sujets de France, que, depuis 1375, les Anglais ne possédaient plus en Guyenne que Bordeaux et son territoire.

Il semble donc que, sur la fin de sa carrière (il meurt en 1377), Edouard III ait voulu fixer, d'une manière définitive, les institutions de liberté et de justice qui faisaient alors de cette ville l'une des cités les mieux ordonnées de l'ancienne France. Comme on va le voir, ce travail d'organisation ne faisait que sanctionner le droit de la jurade au gouverneineïit de la ville et les améliorations que le corps de ville avait réalisées dans toutes les parties de ce gouvernement. On verra en même temps de quelles conditions de moralité la sagesse des magistrats, ratifiée* par celle du prince, avait en- touré l'exercice du pouvoir muoicipal, et quelle austère préoccupation du bien commun ils apportaient dans les règlements imposés à leurs concitoyens. A l'époque 011 nous sommes arrivés, le personnel municipal a pris une grande extension. L'ordonnance de 137 5 mentionne de nouvelles magistratures, ce qui atteste déjà une ad- ministration plus savante. Au-dessous du maire, des jurats, du clerc de ville et du trésorier, figurent le

{. Cette ordonnance est rendue « à la requête des maire, jurats et habitants de Bordeaux j», L, des Bouillons, folio 133, recto.

132 COMMUNE DE BORDEAUX.

sous-maire, le procureur-syndic, le prévôt de la ville, le conseil des Trente, les trois cents prud'hommes, des notaires publics, des avocats et des officiers de police, tels que les courtiers et les visiteurs des marchandises. Avant d'entrer dans le détail de ces fonctions urbaines, une question sepiésente. Cette commune si privilégiée a-t-elle du moins reconquis sa mairie élective?

Un siècle s'est écoulé, nous le voyons, depuis le jour Henri Jll s'était réservé le droit de nommer le maire.

Dans cet intervalle, aucun des documents relatifs à la commune de Bordeaux ne constate en termes expli- cites le rétabhssement d'une mairie élective. Mais à défaut de mention positive, plusieurs preuves indirectes nous paraissent lever tous les doutes sur cette question, et tout autorise à conclure que les Bordelais avaient recouvré le droit d'élire leur maire dès le début même du xiv^ siècle. On peut d'abord juger de ce qui se pas- sait à Bordeaux , par l'exemple des communes de Guyenne que nous verronsfiuahfîée du titre de filleules de Bordeaux. La constitution de ces communes est littéralement calquée sur celle de la commune-mère, et il est de toute invraisemblance qu'une filleule eût été en possession d'un droit aussi important, s'il n'était en même temps exercé par les Bordelais. Or, dèa l'année 1312, la commune de Saint-Emilion, l'une des filleules les plus rapprochées de Bordeaux, élit elle-même son maire *. Edouard II confirme ce droit aux jurats et aux

1, Voir commune de Saint-Egiilion.

LA MAIRIE ÉLECTIVE. 133

Cent Pairs de cette ville. Cette concession ne peut être ici que l'imitation des usages bordelais.

A l'appui de cette induction, nous rapporterons un mandement d'Edouard II (20 février 1325), d'oîi il res- sort que, si les Bordelais se sont vu enlever la mairie élective par la fantaisie de ses prédécesseurs, ce prince est disposé, selon leurs vœux, à la leui* faire rendre. Il charge, en effet, le connétable de Bordeaux, Jean Travers, conjointement avec Robert de Corp, chevalier, et maître Albert Médici, de faire une enquête sur l'épo- que et les causes de la séquestration de la mairie par ses ancêtres ^ Avant cette date de 1323, les Bordelais avaient donc été déjà mis en possession du droit d'élire leur maire. Enfin, pour l'époque de 1376, le fait d'une m.airie élective est attesté par l'étroite soli- darité qu'établissent entre le maire d'un côté, les autres officiers municipaux et tous les bourgeois de l'autre, les serments mutuels rapportés par le document que nous analysons. Les graves devoirs imposés aux uns et autres par ces engagements réciproques, l'appel fait sans cesse à la loyauté et à la probité de l'un, à la fidé- lité et au concours des autres, l'appareil solennel et religieux qui entoure cette cérémonie du serment de la commune entière, en un mot, cette mutualité de

1 , « Ad informandum vos omnibus viis et modis, quibiis melius exiiedire videritis super modo, causa et tempore cap- tionis officii majoritatis in manus progenitorum nostrorum. » L. des Bouillons, folio 49, recto.

134 COMMUNE DE BORDEAUX.

dévouement et d'honneur communal, sont la preuve manifeste que le maire est le représentant responsable de la commune, un mandataire librement élu par ses concitoyens.

Rien ne proclame plus hautement l'origine et le caractère démocratique de cette magistrature que la formule du serment qu'il prête, à son entrée en fonc- tions, d'abord devant l'ancien maire, les anciens et nouveaux jurats^ et le conseil des Probes hommes, et ensuite devant le peuple entier sur le fort Saint-Seurin * et les Évangiles : Jejureque je remplirai bien et loyale- ment l'office de maire, que je défendrai et garderai tous et chacun contre tout tort et violence, que je ferai droit et raison à tous et chacun de la commune, aussi bien au pauvre qu'au riche, sans considération d'amis ni d'ennemis, et que je tiendrai à tous et chacun de la commune les fors, coutumes, statuts, privilèges et libertés de la ville et de la commune, sauve la fidélité due au roi^.

1 . La châsse qui contenait les reliques du saint.

2. « Jurera solire lo tort senl Seurin que ben et leyaument se portera en l'offici de la mayoria ; e totze sangles de la co- munia de la bila de Bordeu deffendra et gardera de tort et defforsa, de sined'autruy; efaradrcit e razon a tolz et sengles de la comuniatant ben au paubre cum au rie, no gardant amie ni enemic, et tendra a tolz et sengles de la comunia fors, costumas, usatges, estatutz, preuilegiselibexiatzde la bila

e comunia, sauban la fideutat dcu Rey Mayor jurât coi^am

toto populo su])ra sacro-sancta Dei Evangelia lacta idem sacra- mentum quod supra. » L. des Bouillons, folios 134-136.

LES DOUZE JURAIS. 135

Que l'élection du maiçe ne fût pas remise au peuple tout entier, mais seulement aux membres de la jurade, c'est ce que ferait croire le mode d'élection des jurats, qui se recrutaient eux-mêmes. Les jurats, d'ailleurs, étant depuis longtemps les élus des citoyens, l'origine de la mairie n'en émane pas moins do la volonté de la commune. On évite seulement par cette élection res- treinte le tumulte et les longueurs d'une élection par le peuple en masse, et le danger d'un choix malheureux.

De vingt-quatre qu'ils étaient anciennement, les ju- rats sont réduits à douze, chiffre correspondant aux circonscriptions nouvelles de la ville. Ils sont nommés par les jurats sortants; chacun des anciens jurats nomme pour le remplacer un citoyen de sa jurade. Des garanties de civisme et de moralité sont rigoureuse- ment exigées des candidats. Il faut d'abord n'être pas gentilhomme^ : de plus, être natif de Bordeaux, avoir 25 ans accompHs, être de légitime mariage, être maître de ses droits et hors de la dépendance d'autrui, être chef de maison, avoir un domicile à Bordeaux^ y faire résidence et avoir mille livres de revenu ^.

Il y a dans ce règlement sur les conditions d'éligibi- lité à la jurade le mélange d'une sévérité républicaine,

\, L. des Bouillons, folio 133, recto. « Que nul gentil dassi en avant no pussa estre jurât de la deita bila. »

2. Id., ibid. D'après Louvet (p. H I), les jurats étaient deux ans en charge. « Les jurats, dit-il encore, portent robe et cha- perons de damas bleu et rouge. Le maire porte robe de ve- lours blanc et bleu, avec un rebord de brocatel. »

136 COMMUNE DE BORDEAUX.

qui trahit le tempérament d'un vieux municipe, et d'une sagesse précoce, dont la trace ne reparaîtra que dans des constitutions plus modernes. Nous retrouvons ce double caractère dans les devoirs imposés aux élec- teurs. Avant d'entrer dans le conclave pour procéder à l'élection des nouveaux jurats, ils prêtent, dans l'é- glise de Saint-Eloy et sur le corps de Jésus- Christ, le serment de n'avoir égard à aucune considération de parenté, d'affection ou d'inimitié, de n'élire que ceux qui leur sembleront les plus sages et les plus capables de bien gouverner la ville, de n'écouter que la voix de leur conscience et de repousser la corruption et toute manœuvre déshonnête^ Les précautions les plus grandes sont prises pour assurer autant que possible la sincérité de l'élection. Les jurats ne pourront sortir du conclave que lorsqu'ils auront nommé leurs rempla- çants. S'il survient quelque débat pendant Télection, on pourra appeler le maire, et celui-ci, après avoir entendu ce qui faisait le sujet du différend, devra sortir

1. «No auen affeccion ni regart meis ad una persona que adautra, ni per parentaige, amictat ni desenamictat, ni per

amorny per affeccion ni per loguey de deguna persona e

que nompneran e eslegiram aquet o aquetz qui plus proho- mes e plus sufficiens lor sembleran, a honor e profîeit deu

Rey e au bon gobern e utilitat de la comuna e de la bila,

e tans que, en lor bertadeira conscience, se penssen que, per favor, amor ni doptanssa de nulba persona, o per corrupcion o autra deshonesta pregaria, no foran, etc. » L. des Bouil- lons, folio 133, rectû.

SERMENTS DES JDRATS ET DU PEUPLE. 137

et se tenir à la porte du conclave, ainsi qu'il était an- ciennement pratiqué * .

Après l'élection, le maire fera sortir les jurats de l'hôtel de ville, et tous, accompagnés des citoyens les plus considérables, se rendront dans la nef de Saint- André ; on y fera part de l'élection au peuple, qui aura été averti la veille au soir à son de trompe ^. Là, les nouveaux jurats prêtaient devant l'assemblée du peuple un serment analogue à celui du maire ; le maire et les jurats se juraient réciproquement confiance et discré- tion ; la même formule était prononcée par tous les autres officiers municipaux ; enfin le peuple lui-même, assemblé devant la porte de Saint-André, et les mains levées du côté de l'autel, prêtait serment, dans les termes les plus solennels, d'obéir au maire, et de lui porter à lui et aux autres officiers de la commune aide et assistance, de défendre le droit, et de révéler sans retard aux magistrats les faits qui pourraient tourner au préjudice du roi, de la jurade et de la commune ^.

1. Id., ibid. « Lodeit magers'en salhira deffora, et estera a la porta, per la forma que es acostumat ancianemeat. »

2. L. des Bouillons, folio 134, recto.

3. « E si bine a lor notice et conoyssence aucune cose qui fos 0 poscos redondar au prijudice deu Rex, nostre senhor, de mondeit senhor lo mage e de la deita bila, edz lo reueleran au plus breu que lor sera possible a mond. senhor lo mage, etc. » Id., folio 143, recto. Cf. folio 136, recto. « Totus populus loco nomine sui et trecentornm jurant manihus leva- tis versus altare et ecclesiam, et in exitu januarum ecclesiee. » Entre tous les torts auxquels la commune peut être exposée,

i38 COMMUNE DE BORDEAUX.

On pourrait, tans invraisemblance, rapporter à la même époque ce fragment de charte que cite Baurein sans indication de date, mais en l'attribuant au règne d'Edouard III, et d'après lequel les maire et jurats de Bordeaux auraient eu le droit de juger tout homme de la commune, dans le cas même oiî le roi ou son séné- chal serait la partie plaignante, et cela, dit la charte, « segont los establissementz de la comunia * » .

Les formules des serments rapportés par le décret de 1376 nous renseignent plus complètement sur les fonctions des divers officiers placés sous les ordres de la jurade. Le clerc de ville n'est pas seulement une sorte de secrétaire général de la mairie. Il a voix consultative au sein de la jurade, et comme celle-ci est le tribunal suprême de la commune, c'est le clerc de ville qui remplit auprès de cette cour judiciaire les fonctions cumulées de juge d'instruction et de gref- fier ^

le .serment cité au folio -1 37 signale en première ligne ceux qui peuvent lui être faits par les barons ou chevaliers. C'est toujours la vieille association populaire contre les seigneurs, toujours la pensée anti-féodale : « Jureran qui, si ave nulh baron, caualey ni autre, de quanque condicion e estât que sian, qui bolos far o fes mal ni daraptnage ad aucun officier, borgnes ni habitant de la dita bila, petit ni grant, que edz se- ran adjudantz, etc. »

1. Baurein, Bulletin polymathique, t. X, p. 364.

2. « Que sera résident continuadement ans mandemens deu mager et juratz per escriure ben e leyaument so qui s' fara en cort, o en jurada, o en autre loc, au proITeit deu mager e juratz e deu comun de la bila e que en les causas qui se

PROCDREUR-SYNDIC. SOUS-MAIRE. 139

Le procureur-syndic est à la tête de l'administration financière de la cité. C'est lui qui est chargé de faire toutes les informations relatives aux droits pécuniaires de la commune, et de recouvrer toutes les créances arriérées ' .

Le sous-maire remplace le maire absent. C'est un des jurats désigné à cet effet par le maire lui- même.

Le prévôt de la ville, élu par le maire et les jurats, à la pluralité des voix, représente ce qu'on appelle ail- leurs le prévôt des marchands. 11 est chargé de la police du commerce, et exerce une juridiction subor- donnée à celle du maire, Il est assisté d'un clerc par- ticulier qui rédige ses sentences. C'est entre les mains du prévôt que sont déposés les étalons des mesures du blé, de l'avoine, de la chaux, du vin et de l'huile, et la marque de ces mesures ^.

Quelques prévôts ayant abusé de leur autorité pour commettre des extorsions, la jurade fit les règlements

raeneran en la cort, no aura major atfecciou a l'una part que a l'autra. Los actes per la forma que seran appunclatz entre los avoquatz escruira, e las scentencias per la fox'ma que seran deltas, etc. » 1. des Bouillons, folio 134, recto.

1. L. des Bouillons, folios 138 et 165. Cf. Registre des Déli- bérations de la jurade, folio 40. Dans le procès de succes- sion dont nous avons parlé p. 35, c'est le procureur-syndic qui défend contre le sénéchal de Guyenne les intérêts de la ville.

2. Registre des Délibérations de la jurade, folios 19,24, 70. Les règlements relatifs aux fonctions du prévôt de la ville avaient été dressés par le maire Jean de Molton. L. des Bouil- lons, texte imprimé, p. 512.

140 COMMUNE DE BORDEAUX.

suivants qui furent publiés le 2 août 1376. Pour que ce magistrat rendît bonne et brève justice, il fut or- donné que les parties n'emploieraient ni avocats ni écritures, mais qu'elles diraient verbalement leurs rai- sons*. Curieux retour à la procédure de l'Aréopage athénien I On permettait seulement la rédaction des plaidoiries des parties par le greffier du prévôt.

Le prévôt ne prendrait connaissance des causes entre créanciers et débiteurs que jusqu'à la somme de 50 livres. Il ne pourrait infliger à la partie condamnée une amende supérieure à la somme de S sols, sauf dans le cas 011 les adversaires se diraient des injures en sa présence ; l'amende s'élèverait alors à 20 sols. Il au- rait le droit de faire arrêter par son sergent les au- teurs de contraventions aux règlements sur les me- sures; mais il ne pourrait rendre les effets saisis sans la permission de la jurade. *

S'il permettait d'user de fausses mesures, il était regardé comme parjure, et privé à perpétuité de son office.

Il ne pourrait exiger que 5 sols pour la vérification (appatronnement) des nouvelles mesures ^

C'était aussi au prévôt de la ville qu'appartenait le pouvoir de punir les fabricants de barriques qui em-

•1. Que dassi en avant nulla causa en la cort deudeit prevost no sia pleiciada per avocat, ni nulha escriptura balhada, mas que l'actor fassa sa demanda de boqua. » L. des Bouillons, folio 135.

2. Id., ibid.

LE PRÉVÔT DE LA VILLE. 141

ploieraient du merrain prohibé, et les marchands de vin qui vendraient en cabaret deux sortes de vins en- semble. Il devait infliger à ces derniers, au profit de la ville, une amende de 45 sols, et une autre de 20 sols qui lui revenait. Il avait aussi le droit de percevoir sur celui qui criait le prix du vin par la ville un pichey et un verre de vin.

Quant à son costume, « ses robes, » et à tout ce qui lui était nécessaire pour l'exercice de ses fonctions, il devait se le procurer à ses frais ; la ville n'y contri- buerait en rien '.

Pour toute infraction aux devoirs de sa charge, les statuts rappellent au prévôt de la ville qu'il est passible de la destitution, et qu'il sera flétri comme parjure. On a pris toutes les mesures pour que cette charge, si importante dans une commune de commerçants, ne pût être exploitée par la cupidité ou par la faveur^.

Entre ces diverses magistratures et l'assemblée gé- nérale du peuple, ont pris place pendant le xiv' siècle deux assemblées qui, dans les circonstances graves, doivent assister et éclairer la jurade. Ce sont le conseil

1. L. des Bouillons, ihid. »

2. Quant au trésorier de la ville, qu'il ne faut pas confon- dre avec le procureur-syndic, indépendamment de la garde du trésor communal, il était chargé de garder les trompettes delà ville avec leurs panonceaux, la bannière communale, le cachet de la trésorerie, la clef des armoires des comptes, et celle de VEsquaquer (l'Echiquier, lieu se tenaient certaines assemblées). Registre des Délibérations de la Jurade, folio 21, recto.

142 COMMUNE DE BORDEAUX.

des Trente et le conseil des Trois-Cents. Les membres de ces conseils sont nommés par la jurade elle-même et choisis parmi les « probes hommes » de la ville *.

Pour s'assurer le concours de tous les hommes utiles et donner au pouvoir communal la base la plus large, la jurade adjoint à ces deux conseils un nombre indé- terminé de conseillers extraordinaires qui ^oni pen- sionnés à cet effet par la ville, et désignés sous ce nom particulier^.

Il y a là, on le voit, tous les éléments d'une com- mune disciplinée et libre à la fois, un mécanisme com- plet et simple : la participation d'un très-grand nom- bre de citoyens à la direction de la commune, la concentration du pouvoir exécutif entre les mains du maire et des douze jurais, et comme lien de la disci- pline, le serment qui enchaîne tout membre de la com- mune, depuis le mairejusqu'au bourgeois. Celui-ci est lié par un double engagement : car, indépendamment du serment collectif qu'il prête dans l'assemblée du peuple après l'élection de la jurade, il a prêter un serment individuel à l'époque de sa réception dans la commune^, et se lier à elle sans condition, en dépit de

1. L. des Bouillons, folios 134, recto; 136.

2. Id., ihid. Cf. Délibérations de la Jurade, 1415, folio 107. Pierre Rivière et (iuillauaie Sarpot touchent, comme «pen- sionnés » de la ville, 20 livres par an. Il est à croire que ces conseillers sont les mêmes que ceux qu'on appelle encore les Cen^ Pa<>.s'. Baurein, Bulletin polymatlbique, t. X, p. 364.

3. L. des Bouillons, folio 138, verso. « Sera obéissant à tous

OFFICIERS DE POLICE. 143

tout engagement contracté envers un prince ou un seigneur. La solidarité communale n'admetpas de par- tage.

Au-dessous de ces magistrats qui constituent le gouvernement général de la cité, se rangent les offi- ciers publics institués pour Ja protection des intérêts matériels des citoyens, tous offices jurés. Ce sont les préposés à la garde des portes de la ville et au guet, les avocats à la cour de lajurade*, les notaires ^, les visiteurs de la ville pour l'inspection des différentes denrées apportées dans Bordeaux, les visiteurs du merrain, les estimateurs du poisson ^, les visiteurs de la pierre qu'on portait à Bordeaux pour y être ven- due *, les préposés pour le pied fourchu^, les receveurs

mandements de messi. les maire, etc et à toutes heu- res que par eulx ou l'un d'iceulx sera mandé, quelque sere- ment qu'il eust à aultre prince ou seigneur, réservé le mande- ment du Roi notre senhor. »

1. Saint-Yliége, Saint-EIoi, l'Hôtel de ville.

2. Cartularii. Ils ne devront faire d'actes pour homme ou femme qui ne soit en son pouvoir ou qui soit mineur, que de- vant le juge de chacun et par son autorité, soit pour contrat de vente, soit pour testament ou mariage. Les registres de leurs actes seront déposés entre les mains de la jurade. Ils ne pourront faire le double d'un acte sans licence des magis- trats. » L. des Bouillons, folio 138, recto.

3. « Devront au pauvre comme au riche, hien et loyaument le poisson estimer à droit prix, toute fraude et dol cessant. » M., ibid.

4. « Ils sont appelés visiteurs des doublerons ou de la Cayria. » Il faut y joindre les visiteurs des paux, des lattes et de la bû- che. {Faux, pluriel de pal, échalas.)

5. Ils recevaient deux deniers et maille par livre de bétail

144 COMMUNE DE BORDEAUX.

des coutumes (octroi) 1, les gardiens chargés de sur- veiller aux portes de la ville l'entrée et la sortie des marchandises, et les courtiers de la ville, c'est-à-dire ceux qui surveillaient la dégustation et la vente des vins^.

Cette statistique, à elle seule, montre jusqu'à quel point ces édiles du xiv^ siècle possédaient le savoir administratif, les règles de la police commerciale, la prévoyance de détail, et quels enseignements ils ont légués à l'expérience des temps postérieurs.

L'organisation intérieure de la commune devait au décret de 1376 ses plus importants développements ; le règne de Richard II ne fit que continuer sur ce point l'œuvre de son aïeul.

Ce prince, Bordelais de naissance^ et auquel le sé- jour de la Guyenne et de sa ville natale fut toujours si cher, ne manqua jamais d'accéder aux réclamations et

qu'on amenait à Bordeaux et en rendaient compte au tréso- rier de la ville.

i. Ils percevaient sur les diverses marchandises qui en- traient dans Bordeaux, soit 12 deniers par livre, soit 2 de- niers et maille par livre, plus 2 deniers de droit d'Escarte. (Esgardium, visite des marchandises. Du Gange, V". Esgar- dium.)

2. Il leur était défendu de conduire les étrangers hors de la ville pour y goûter d'autres vins que ceux des bourgeois. Ils devaient faire vendre ces vins à un prix raisonnable, sans qu'il leur fût permis de les décrier. Leur salaire était fixé par un règlement municipal. Pour tout ce qui pi'écède, voir L. des Bouillons, folios 139 et 142.

3. Il était à Lormont, à 4 kilomètres de Bordeaux.

LE MAIRE EST IRRÉVOCABLE. 14S

aux vœux que lui adressèrent plusieurs fois ses compa- triotes. Il serait superflu de rappeler ici les différentes chartes par lesquelles il confirma les privilèges an- ciens ou nouveaux de la jurade*. Nous ne rapporterons que ceux qui sont mentionnés pour la première fois sous son règne. L'un des plus importants est celui qui garantissait l'indépendance du maire vis à vis du séné- chal de Guyenne (28 avril 1385). Le roi, en détaillant les pouvoirs de Jean Harpenden, auquel il a donné pour deux ans cette sénéchaussée, lui spécifie que, par- miles officiers qu'il aura le droit de révoquer, ne figure pas le maire de Bordeaux^. La mairie bordelaise est donc revêtue d'un caractère d'inviolabihté.

1. L. des Bouillons, folio 5.^, 58, 62. En J382, Richard donna une sanction solennelle à l'autorité des archives borde- laises. C'était, il est vrai, dans une circonstance il avait lui-même intérêt à l'invoquer. Plusieurs bourgeois de Bor- deaux, en vue de s'affranchir des redevances qu'ils avaient à payer au roi pour leurs fiefs ou tenures, s'étaient avisés de contester la valeur des chartes ou registres conservés dans le château de l'Ombrière. Le roi, à cette occasion, publia un mandement dans lequel il rappelait l'antiquité de ces ar- chives, « quœ ibidemper ducentos annos et amplius remanse- runt, » et interdisait à ses agents de n'admettre aucune con- testation à ce sujet : « Nos, libros et registra illa qua^ antiqui- tate hujusmodi fulciri dinoscuntur, de tanta ac tali auctoritale reputantes, quod alicui ligeo nostro ad allegandum contra ea- dem, seu eisdem in aliquo contrariandum, nobis inconsultis, absque specialitate primo optenta, in judicio vel extra, au- dientia aliqualis dari non debeat, etc. » Cette défense fut en- voyée à tous les magistrats et officiers du duché. Rymer, t. m, part. 3, p. 136.

2. Rymer, t. III, part. 3, p. 183. A" 1385.

10

146 COMMUNE DE BORDEAUX.

L'enceinte matérielle de la commune semble par- tager ce privilège avec son premier magistrat. Le re- présentant le plus accrédité de Richard II, Jean de Lancastre, son frère, qui a été investi du duché de Guyenne (2 mai 1389), demande aux maire et jurats la permission de traverser leur ville pour se rendre à Saint-Seurin, oii il veut établir pour quelque temps son séjour, tlette permission, il est vrai, lui est accor- dée (9 janvier 1394). Mais le duc doit promettre au préalable de n'exercer aucune juridiction dans la ville, et jurer que son passage ne portera aucun préju- dice aux bourgeoise Ce qui prouve que le duc de Lan- castre ne subit pas cette obligation comme une exi- gence tracassière de la commune, mais bien comme un devoir impérieux, c'est que nous le voyons, quelques jours après (20 mars), confirmer ou augmenter les pou- voirs de la jurade. Il défend aux officiers royaux de faire vendre dans la commune des effets mobiliers par des officiers de la sénéchaussée, la jurade ayant de tout temps procédé elle-même à cette vente par l'inter- médiaire de VEncanteur de la ville. Il interdit égale- ment au prévôt de l'Ombrière de s'arroger toute juri- diction sur les filles de joie, et réserve cette juridiction à la jurade avec les redevances exigées. Le droit d'in- spection sur les changeurs, avec le pouvoir de les insti- tuer et de les casser, est rendu aux magistrats. Les

1. L. des Bouillons, folios 71, 72.

POLITIQUE DE RICHARD II. 147

habitants de la commune rentrent en possession du privilège ancien de faire passer le fleuve aux pèlerins (Roumins on Roumipètes), soit à l'aller, soit au retour, et de lever sur ces pèlerins les anciens péages*. Le dac de Lancastre abandonne pour dix ans à la jurade les 5 sols qui lui revenaient sur les 65 sols d'amende infligés à ceux qui se sont querellés ou battus dans l'enceinte de la commune ^. Le duc et ses gens n'habi- teront que dans des logements à eux ou loués par eux ; dans la ville et la juridiction de Bordeaux, ils devront obtenir le consentement des propriétaires des mai- sons^. Richard II prend un tel souci des intérêts pé- cuniaires des Bordelais, qu'il leur vient en aide pour recouvrer tous les péages qui leur appartiennent. Le sénéchal de Gascogne devra prêter main-forte à la jurade contre tous ceux qui se refuseraient h payer les taxes communales. C'était presque dénaturer en faveur de la jurade les attributions du sénéchal ^.

Le onzième article de l'accord passé entre le duc de Lancastre et les trois Etats de Guyenne (22 mars 1394) est relatif aux habitants de la campagne bordelaise,

1. Le droit de passage sur les pèlerins (^tait considérable, puisque l'exaction qu'on exerçait à leur égard attirait l'atten- tion des trois Etats de la province. En consentant à l'entrée du duc et à sa réception dans la ville, les jurafs exigent et ob- tiennent qu'il la leur abandonne. L. des Bouillons, folio 74. verso.

2. Ici., folio 74, verso.

3. Id., folio 73, recto et verso.

4. Id., folio "0, verso.

148 COMMUNE DE BORDEAUX.

appelés vulgairement questaux, et, d'après le vieux droit aquitain, originaris ou ascriptiti. C'étaient des sujets seigneuriaux, sorte de colons ou serfs ; il y en avait qui vivaient sous la dépendance absolue des bourgeois, aussi bien que d'autres sous celle d^ nobles et des gens d'église. A l'égard de ces taillables, dont la condition, paraît-il, approchait fort de la ser- vitude romaine*, et quiformaient la plus grande partie de la population rurale dans le Bordelais, la classe bourgeoise prenait les mêmes sûretés que les deux autres ordres. Le duc de Lancastre s'engageait à ne pas accorder à ces questaux, à l'insu de leurs proprié- taires et sans connaissance de cause, des lettres de sauve-garde, en vertu desquelles les questaux pussent amener leurs maîtres devant les juges royaux pour obtenir leur franchise ^.

1. Baurein, Var. bordelaises, t. V, p. 143-145, d'après A u- thomme, Comment, de la coutume de Bordeaux, art. 97, p. 556.

2. « Comme aucuns de trois estais, gens de saincte-église, barons et nobles, bourgoys et habitantz d'icest pais aient plu- sieurs questalx et autres subgiz, que en droyt sent appelles originaris ou ascriptiti, voulens venir a franchise et liberté, afin qu'ilx puissent leurs seigneurs justement ou injustement mettre en plet avec les officiers royals, aient empêtre, ou par aventure douptent vraysemblablement que veuillent empê- trer aucunes sauvegardes^ en grant préjudice et grevance du seigneur de qui sont questals ou subgiz, nous aient supplie que, asdiz questals ne ascriptiti ne soit octroyé aucune sauve- garde, en préjudice de leurs seigneurs ou de leurs possessions, sanz appeller lesdiz seigneur et sanz cognissance de cause. » L. des Bouillons, folio 73, recto et verso.

LA JURADE OUVERTE AUX GENTILSHOMMES. 149

Reste à signaler pour ce règne une importante inno- vation dans la constitution de la jurade. On a vu que jusqu'à la fin du règne d'Edouard III les statuts de la cité imposaient rigoureusement aux jurats sortants de n'élire, parmi leurs successeurs, aucun gentilhomme. Cette loi d'exclusion avait pu avoir sa raison d'être à l'époque de la première formation de la commune, lorsque les violences féodales l'environnaient de périls et lui commandaient une prudence ombrageuse. Mais, à la fin du xiv^ siècle, la protection du gouvernement anglais était pour elle un sûr rempart. Avec la sécurité et la force, le caractère libéral du génie aquitain reprit le dessus sur les vieux préjugés démocratiques. La jurade bordelaise, plus éclairée sur les conditions de la vraie liberté, ressentit une sorte de honte devant cette interdiction imméritée dont la noblesse avait été frappée. Elle reconnut que l'exclusion des gentils- hommes ne lui faisait pas d'honneur, et elle prit l'ini- tiative* pour l'établissement d'une loi plus conforme au droit naturel. A sa prière, Jean de Lancastre sup- prima (28 octobre 1392) dans la formule du serment les termes relatifs à la noblesse.

N'était-ce pas d'ailleurs, outre un honneur pour la

i. « Les maire et jurats nous ont humblement suppliés que la dite coutume quant aux paroles : nul gentil, etc.. vousis-

seons ouster et amouvoir du dit serement laquelle chose

est en grand vitupère et mcspris des burgcoys et citeins de nostre citée. » L. des Bouillons, folio 79, recto.

130 COMMUNE DE BORDEAUX.

cité, une garantie contre les usurpations des nobles, que de les admettre à la bourgeoisie? Devenu membre de la commune, le seigneur ne peut se permettre à son ^ard aucun genre d'injustice. Il est lié par son ser- ment*. A une époque et dans un pays oîi bourgeoisie vaut noblesse, ce serait une sorte de félonie que de manquer à ses devoirs de bourgeois, et une sorte de dégradation que d'être privé du droit de cité. Aussi voyons-nous que, depuis la fin du xiv° siècle, la com- mune s'associe les plus puissants et les plus redoutés de son voisinage, entre autres le sire de Lesparre et le sire de Montferrand. Et si ces bourgeois-nobles com- mettent quelque violence, ils sont requis sévèrement, à titre de bourgeois, de faire droit à la commune. Lors- qu'on 14io, le sire de Montferrand retiendra prison- niers des hommes de Pessac, justiciables des magis- trats de Bordeaux, la jurade rendra arrêt contre lui comme contre un simple bourgeois ^. Arrêt que le sei- gneur ne doit pas trop mépriser, car en 1420, à la suite de nouveaux empiétements sur les paroisses de Cauderan et de Mérignac, il se verra attaquer par

1. Nous voyons même certains nobles-bourgeois assujettis, comme les autres bourgeois, à la résidence dans la ville : le sire de Lesparre et Gaillardde Jonqneyres. Rôles Gascons, 1. III, p. 201. Registre des délibérations de la Jurade, folio 18.

2. « Ordeneren que a ladite requeste à mossenhor de Mont- ferrand per les homes de Pessac, que las relaxe, et que, cum Borgues, sia requestat. » Registre des délibérations de la Jurade, fol. 112, recto.

COMMUNE DE BORDEAUX. 151

toute la milice communale de Bordeaux*, et donnera bientôt satisfaction ^.

L'adjonction des gentilshommes à la bourgeoisie bordelaise n'était pas moins utile à cette époque au roi d'Angleterre lui-même qu'à la commune. Devant les progrès des armes françaises pendant les dernières années du règne de Charles V, la foi des seigneurs aquitains était souvent incertaine ; ils se faisaient tan- tôt Anglais, tantôt Français. En 1377, le duc d'Anjou avait fait une campagne brillante contre les sires de Duras, de Muciden, de Rosen et de Langoiran ; après les avoir faits prisonniers, il ne les laissa libres que sous le sermentqu'ils ne porteraient jamais les armes contre les Français. Des défections se produisirent alors dans la classe des gentilshommes. Le roi d'Angleterre n'avait pas à redouter ce danger de la part de ceux qui devenaient membres delà commune. Confondus parmi les bourgeois, ils restaient enchaînés à la fidélité que les Bordelais gardaient alors invinciblement à l'Angle- terre. Richard II eut, en 1379, la preuve que le dé- vouement des cités communales lui était assuré. Bordeaux était déjà bloquée par les Français du côté de la terre ; mais les Anglais avaient toujours la ri-

1. Registre des délibérât, de la Juradc, fol. 16, verso.

2. L'obligation, pour les nobles qui veulent entrer dans la commune, d'obtenir l'autorisation du roi d'Angleterre sub- sistera jusqu'à la fin. Rôles gasco7is, années 1431, 1432, 1433, 1434, 1. 1, p, 213, cités par Baurein, Variétés bordelaises, t. IV, p. 86-89.

152 COMMUNE DE BORDEAUX.

vière libre, et pouvaient ravitailler la ville. Toutes les villes de commune, situées sur la Dordogne et sur la Garonne, Bourg, Blaye, Libourne, Saint-Émilion, Cadillac, Saint-Macaire, Castillon, Rions, formèrent alors une ligue avec Bordeaux pour résister aux Fran- çais, et cette curieuse association sauva Bordeaux de la conquête française. La situation de ces places sur les rives ou dans le voisinage des deux fleuves, en faci- litant leurs relations, facilitait aussi l'arrivage des trou- pes que pouvait leur envoyer l'Angleterre ; mais le succès de leur confédération montre aussi à quel degré de puissance elles étaient maintenant parvenues!. Quelques années plus tard (1392), les magistrats de Bordeaux étaient les premiers à signaler à Richard 11 les faits de contrebande de guerre que commettaient des marchands dont les navires jetaient l'ancre hors de la ville. En conséquence, le roi autorisa le maire et les ju- rats cl contraindre ces marchands de mettre à terre les vivres qu'ils apportaient, dans la crainte qu'ils n'al- lassent approvisionner les ennemis et les rebelles ^.

\ . De I.urbe, Chron. de Bordeaux, a" 1 379.

2. Livre des Bouillons, fol. 70, verso. 24 juillet 1392.

CHAPITRE V

PRIVILÈGES COMMERCIAUX

Sans vouloir refaire ici l'histoire du commerce Bor- delais, nous croyons utile d'analyser les principales chartes commerciales qui furent octroyées à cette par- tie delà Guyenne par les rois d'Angleterre. C'est aussi bien dans les conditions avantageuses de leur trafic que dans leurs libertés administratives qu'est le prin- cipe de la puissance des Bordelais et le motif de leur antipathie pour la domination française. A l'époque oii nous sommes arrivés dans l'histoire municipale de la commune, c'est-à-dire à la fin du règne de Ri- chard II, sa prospérité commerciale était déjà bien établie, et, par suite de concessions accumulées de siècle en siècle, elle constituait un centre de richesses dont le suzerain pouvait espérer l'assistance, à la con- dition delà solliciter et d'en user discrètement. Vendre leurs vins aux Anglais, acheter celles des marchandises d'outre-mer qui leur étaient utiles, le tout sans avoir à payer les aides et les traites foraines dont le système

154 PRIVILEGES COMMERCIAUX.

s'établissait en France dès la fin du xin° siècle, telle était la principale préoccupation des habitants du Bor- delais. Tout le secret de leur attachement au régime anglais est dans cette réponse expressive d^un bour- geois de Bordeaux à un de ses compagnons qui parlait mal de l'Angleterre : « Eh ! comment pourraient sub- sister les pauvres gens de la campagne et les sujets du roi, lorsqu'ils ne pourraient plus vendre leurs vins ni se procurer les marchandises d'Angleterre, ainsi qu'ils ont accoutumé ^ ? »

Si, d'une part, on ne voit pas que les prédécesseurs d'Edouard III aient beaucoup encouragé les débuts de l'industrie commerciale en Guyenne, on peut dire de l'autre que l'absence de privilèges était moins sensible à une époque oîi le mouvement du trafic n'avait pas encore pour stimulants le progrès de la population, le développement des franchises administratives et la con- solidation de l'état poHtique. Nous pouvons suivre tou- tefois le travail de l'émancipation commerciale à partir des premiers temps de la domination anglaise.

Le point de départ au xn° siècle est le recueil célèbre des Rôles dOléron'^'^ recueil d'usages anciens, sanction- nés par des arrêts authentiques à dater d'Eléonore de Guyenne. M. Pardessus, dont l'opinion peut être invo- quée en sûreté, pense que, d'après les manuscrits d'Ox- ford et de Londres, ces usages ont été fixés par écrit à la fin

\. Voir l'Appendice, I.

2. Pardessus, Lois maritimes, t. I, p. 283 et suiv.

LES ROLES D'OLÉRON. 155

du XI® siècle, que, par conséquent ils ont être connus et pratiqués en Aquitaine avant que cette province fût portée par Eléonore au roi Henri II. Il ajoute que les Rôles d'Oléron sont une loi d'origine française, et qu'ils n'appartiennent pas spécialement à l'île d'Oléron, mais à tout le commerce maritime qui se faisait le long du littoral de la France depuis Bordeaux jusqu'aux côtes de Flandre, d'Angleterre et d'Ecosse. Il est d'accord sur ce point avec Cleirac qui appelle les Rôles d'Oléron « une pièce française et native de Gas- cogne*. »

Un grand nombre d'articles de ces rôles sont relatifs aux navires se rendant à Bordeaux ou partant de cette ville chargés de barriques de vin. C'est une preuve de l'ancienneté du commerce de Bordeaux, et de sa situa- tion déjà florissante avant l'occupation anglaise. On doit même penser que c'est l'importance de ce com- merce qui nécessita la rédaction des Rôles à partir du XI* siècle. Les contestations maritimes en effet n'avaient jamais cessé d'être jugées d'après des preuves écrites ou testimoniales et d'après les principes de l'équité naturelle ; on n'y connaissait pas les épreuves judi- ciaires ni le droit de bataille. De la nécessité pour

1. Cleirac, Us et coutumes de la mer, in-4°j Rouen, 1671. La discussion de M. Pardessus, relativement à la rédaction des Rôles d'Oléron, réfute l'opinion de Cleirac sur la prétendue composition de ces Rôles par Eléonore de Guyenne et par Richard.

1S6 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

les juges (comteS;, amiraux, consuls, prud'hommes, arbitres) de connaître les règles et les décisions ren- dues. M. Pardessus conjecture que la copie de ce ma- nuel a peut-être été rédigée ou certifiée par un greffier ou par un notaire de l'île d'Oléron. D'après l'analyse qu'il en a faite, trente-cinq articles concernent les pro- priétaires des navires, les patrons, les équipages, les ^ voyages, les marchandises, la police maritime, les char- geurs. Vingt articles portent spécialement sur les bris, naufrages et épaves maritimes.

Des chartes confirmatives de la teneur des Rôles sont rendues dès la fin du xn^ siècle, sous le gouvernement intelligent d'Henri II. En 1174 ce prince rendit com- munes à l'Aquitaine certaines améliorations qu'il avait introduites dans la législation maritime de l'Angle- terre. On sait combien était odieux le droit d'avarech (Wrechum) que les seigneurs exerçaient avec une bar- barie révoltante. Tout navire naufragé sur leurs ri- vages était déclaré vacant et confisqué avec ses mar- chandises. C'était l'abus dont la restriction était la plus urgente. Henri II régla que le navire et sa charge ne seraient déclarés vacants qu'après un délai de trois mois, et qu'au cas un seul homme du bord, voire un seul animal aurait survécu au désastre, il ne serait porté aucune atteinte aux droits des propriétaires ; les effets échoués leur seraient fidèlement rendus*. Par

i. Rymer, H74, 1. 1, p. 42.

ÉLÉONORE DE GUYENNE. 157

malheur, cette loi devait rester longtemps lettre- morte. M. Francisque Michel donne plusieurs exemples de la persistance avec laquelle le droit d'avarech fut exercé jusqu'au xiv® et même jusqu^au xv" siècle. Il était en- raciné dans les habitudes du moyen-âge, et .Edouard III ne pouvant l'abolir, se résigna à le régler à son profit. Vingt ans plus tard, à l'époque oîi les démêlés d'Iïenri II avec l'Église et avec ses propres enfants avaient permis à la reine Eléonore d'exercer sa souve- raineté sur la Guyenne, elle ratifiait en faveur des habitants d'Oléron les privilèges inscrits dans les Rôles (1194). Oléron était son séjour préféré ; c'est elle qu'Eléonore gratifie la première. Le détail des avanta- ges qu'elle leur accorda* figure dans une charte confir- mative de celle d'Eléonore, et rendue en 1198 par Othon IV de Brunswick, que son oncle Jean sans Terre avait investi du duché d'Aquitaine lorsqu'il était en lutte contre Richard. Outre une liberté pleine et en- tière relativement au mariage des filles, des veuves et de leurs enfants mâles, comme au droit de tutelle, au droit de tester et de partager leurs biens, les habitants d'Oléron obtiennent une liberté absolue de commerce pour leurs vins, leur sel et leurs autres denrées. Sont abolies pour toujours toutes les mauvaises coutumes et droits de douane, qui ont pu être établis dans l'île de- puis le mariage d'Eléonore et d'Henri II.

1 . Cleirac, Us et coutumes de la mer.

2. Ryraer, t. 1, p. 34.

Ib8 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

Redevenue duchesse d'Aquitaine par la mort de son fils Richard (6 avril 1199), Eléonore confirme la même année les libertés antérieures ^ Elle rappelle que ces libertés sont anciennes, et là, comme ailleurs, la men- tion de l'ancienneté des privilèges accompagne celle d'une liberté nouvelle ; car, pour la première fois, il est question de la commune et des jurats d'Oléron 2.

A mesure que nous avançons, les usages d'Oléron s'étendent aux ports du continent. Cleirac^ attribue déjà au règne de Richard Cœur-de-Lion un règlement favorable aux patrons de navires bordelais ou d'autres lieux, chargés de vin ; c'est une sorte de garantie contre les risques maritimes, et cette garantie réside tout entière dans un serment. Pour que le patron et ses mariniers, s'ils ont été surpris par le mauvais temps, ne soient pas responsables du vin perdu par la rupture des tonneaux, il suffît qu'ils consentent à jurer que la perte n'est pas le résultat de leur improbité ou de leur négligence 4.

1. Rymer, t. I, p. 3S.

2. « Carta Reginaî Alienora^ per quam confirmât commu- niai de Olerone lil^ertatcs suas et consuetudines antiquas. » Id., ihid.

3. Us et coutumes de la mer, p. 44.

4. « Si une nef est cliargée à Bordeaux ou en autre lieu et lève la voile jiour mener les vins, et n'officient point bien le maître et ses mariniers leurs voiles comme ils devraient, et le mauvais temps les surprend en la mer, par telle manière que la futaille crolle et défonce, soit pipe ou tonneau, et la nef arrive à sauveté à sa droite décharge : le marchand dit au

JEAN SANS TERRE HENRI III. 159

Après la restriction des usages barbares ^, vint bientôt celle des entraves fiscales. Au moment oij. Jean sans Terre perdait ses provinces françaises du Nord, il crut utile de s'attacher plus sûrement celles du Midi." En 1205 (février) il affranchit de tout taillage les bourgeois d'Oléron, et un mois plus tard il accorde aux habitants de Bordeaux l'exemption à perpétuité de toute maltôte et de toute autre coutume sur leurs marchandises, non- seulement dans l'enceinte de la ville, mais sur tout le parcours de la Garonne ^

Henri III alla plus loin. Les premières concessions avaient porté leur fruit. Comme il l'exprime dans le préambule de ses lettres patentes du lO février 1234, il n'avait eu qu'à se louer, pendant sa lutte contre Louis IX, de la fidélité et des services des Bordelais^.

maître que par la futaille est perdu son vin. Le maître dit que non. Lors le maître doit jurer, lui et ses mariniers, soit 4 ou 6, ou ceux que les marchands voudront, que les vins ne sont perdus par eux, ni leur futaille, ni par leur défaut; comme les marchands leur mettent sus, ils doivent être quittes et délivrés ; mais si ainsi est qu'ils ne veuillent jurer, sont obligés à la payer. » Cleii'ac, p. 44.

1. Pour le droit de Baleine, voir l'Appendice, IL

2. Rymer, t. I, p, 44. L. des Bouillons, fol. 49, recto.

3. Quia decet majestatem regiam et ejus int«rèst dignitatis ejus gratia gratulari eos qui in suo fideli servitio diu labora- runt, et fidèles et dilecti civitatis nostra' Burdegake niultum laudabiles et lîdeliter nobis fecerunt, et pro defensione terne nostra} pluries magna sustinuerunt, multis se periculis expo- nentes, non sine magnis laboribus et expensis, noscant prse- sentes et futuri quod nos fldelitatis eorum constantiam semper integram et illaesam, laborem continuum et servitium in-

160 PBIVILÉGES COMMERCIAUX.

Il exempte donc les marchands de Bordeaux qui por- taient des vins en Angleterre, en Irlande et dans le pays de Galles, de toute redevance en nature à prendre sur les tonneaux de vin qui étaient déchargés dans ces contrées. Il excepte deux barriques sur chaque vaisseau; elles devaient être prises l'une à l'avant, l'autre à l'ar- rière du navire. Encore stipule-t-il que ces deux barri- ques devront être payées aux marchands suivant le tarif en usage dans chaque port. Il insiste en outre auprès de ses baillis et autres officiers pour que le dé- chargement des barriques ne soit pas différé de plus de huit jours après l'arrivée des navires : concessions garanties par le serment que Pierre de Montfort, man- dataire d'Henri III, est chargé de faire sur l'âme du roi, ainsi que par la signature de plusieurs témoins de marque et par le sceau royal. Le 21 mars 1254, le roi déclare que les marchands de Bordeaux, pour jouir du privilège précédent, n'ont qu'à présenter des lettres patentes, scellées du sceau de leur commune, et attes- tant que les vins qu'ils apportent appartiennent à des Bordelais. Ces lettres patentes furent renouvelées en 1256*.

Il paraît que, depuis cette époque jusqu'au règne d'E- douard I"", la connétabhe de Bordeaux, trop zélée pour

tuentes, meritis suis exigentibus eis gratiam facere affectantes, pro nobis et htcredibus nostris damus et concedimas... » L. des Bouillons, fol. 02, verso. i. Id., fol. 69, recto.

VINS DE CRU BORDELAIS. 161

les intérêts du fisc, méconnut les droits des citoyens bordelais propriétaires de vignobles. En 1273, le maire et les jurats portèrent plainte au sénéchal de Gascogne contre le connétable Jean de la Véra, qui avait indûment exigé la taxe d'un citoyen bordelais, Guilhem-Arnaud de Conques*, pour les vins qu'il avait récoltés dans les vignes de La Réole. « Il est certain, disent les magis- trats, que les hommes de Bordeaux et les bourgeois qui y font leur habitation sont libres, et l'ont été de toate ancienneté, en sorte qu'ils ne paient aucun droit ou coutume provenant de leur cru. y) En consé- quence, les maire et jurais demandaient au sénéchal la restitution de ces droits. Le sénéchal, Luc de Tany, sur ce point, comme sur d'autres dont il a été déjà ques- tion, reconnut la légitimité de ces plaintes, et sur-le- champ il fit restituer par le connétable les droits qu'il avait indûment perçus, avec défense de récidiver^.

On le voit, il s''agit ici des vins récoltés par un Bor- delais sur son propre vignoble; pour cette espèce de vin, il y a immunité entière, privilège attaché à la qualité de bourgeois de Bordeaux. Il en était de même pour les vins d'une provenance quelconque chargés par des citoyens bordelais au port de Lormont, placé sous la mouvance de l'archevêque ^. Quant à ceux qui, chargés ou déchargés à Bordeaux, n'étaient pas du cru d'un

1. L. des Bouillons, fol. IIO-HI, verso.

2. Id., ibid. 4 novembre 1275.

3. L. des Bouillons, M. Il0,\evso.

n

162 PRIVILEGES COMMERCIAUX.

citoyen ou ne rentraient pas dans la catégorie que nous venons d'indiquer, le roi avait droit sur eux à une taxe s'élevant au vingtième du prix d'estimation. Mais le connétable exigeait une somme bien supérieure. Les maire et jurats réclamèrent la restitution du sur- plus, « attendu que c'était au grand préjudice de la cité, des marchands et de tout le monde*. »

Le commerce de vins avait pris dès cette époque assez d'importance pour que les marchands bordelais fissent enregistrer leurs créances dans les archives de la mairie de Londres, à Guild-HalP. Presque toutes ces créances proviennent des bons vins qu'ils ont vendus ; le qualificatif n'est jamais oublié. La plus importante de ces créances est celle d'Arnaud Chyket de Bordeaux : elle monte àla somme de 12^000 1. sterl. Dans le nombre des marchands aquitains désignés comme créanciers des citoyens de Londres, nous voyons figurer aussi (127o) des habitants de Saint-Macaire, de la Réole, de Saint-Emilion, de Libourne même, ville qui comptait à peine deux ou trois ans d'existence ^.

Sous la domination passagère de Philippe le Bel, les

{. « Idem constabularius longe plus reciperat et recipiebat, ia maximum prœjudicium civitatis et mercatorum aliurura; quod plus sibi seu mercatoribus restitui pétant, cum valde interesset ipsorum et totius communiœ Burdegaleasis. » L. des Bouillons, fol. 110, verso.

2. J. Delpit, Docum. français, p. '6. Indieations éparses dans un registre de la fin du xiii'= siècle.

3. Id., ibid.

PHILIPPE LE BEL. 163

privilèges commerciaux du Bordelais s'imposèrent à la politique de ce souverain fiscal aussi bien que la juri- diction communale du maire et des jurats. En 1295, il leur accorda l'exemption de toute maltôte et autre coutume tant sur les vins que sur toutes autres mar- chandises qui se transportaient par toute la rivière de Gironde. Exception n'était faite que pour les vins étrangers à destination de l'étranger, comme pour tomes les marchandises qui se transportaient par mer*. Encore l'estimation de ces vins devait-elle être faite, fûts déduits, parles maire et jurats, d'après le prix moyen des vins de Sainte-Croix, de Saint- André et de Saint-Seurin. Deux ans après, il leur reconnaissait le droit, dont ils étaient déjà en possession, de lever des taxes sur les blés, vins et marchandises qui entraient dans Bordeaux, lorsque les besoins de la ville l'exige- raient-. Les chartes accordées parles rois d'Angleterre, et dont celle de Philippe leBel n'était que la continuation, constituaient donc un précédent que le roi de France crut devoir respecter. Elles sauvèrent le Bordelais des lourdes exactions qu'à partir de 1297 Philippe le Bel fit peser sur ses nouveaux sujets de Flandre.

Comme on pouvait le pressentir, les bourgeois de Londres ne tardèrent pas à, protester, dans l'intérêt de

1. « Cum probi hoinines manentes apud Burdegalam a re- gibus olim Angliaî ducibus Aquitaniœ quiltanciam obtiaue- runt de omni malatolta et omni aha coasuetudine... » L. des Bouillons, fol. 17, etc.

2. Id., verso.

1C4 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

leurs finances municipales, contre les immunités bor- delaises. Les chartes accordées jusqu'ici aux bourgeois de Bordeaux avaient été rédigées dans des termes trop absolus ; en étendant ces immunités à tout le terri- toire de la Grande-Bretagne, elles n'avaient pas ré- servé l'enclave de la cité de Londres. Le moment de- vait arriver oîj les deux privilèges se heurteraient. Ce fut en 1289 que le procès s'engagea entre les deux grandes communes. Les Bordelais se plaignirent à Edouard P"", alors en Guyenne, que la cité de Londres* entravât le commerce de leurs vins dans l'intérieur de cette ville, et ils invoquèrent avec raison les libertés accordées par Edouard I'^' et ses prédécesseurs. La commune de Londres répliquait avec non moins de justesse que, si les Bordelais avaient l'immunité pour vendre leurs vins ou pour les échanger contre des draps ou autres objets dans des localités autres que Londres, ce droit ne pouvait s'exercer dans l'enceinte même de la ville, en violation de ses propres privilèges, sous prétexte qu'ils la rencontraient sur leur route ^.

^ 1. J. Delpit, Doc. français, p. 9, d'après les Archives de la Mairie de Londres.

2. « Cum ex parte civium ipsorum Londiaensium nobis sit plenius intimatum quod in suum et civitatis ejusdem ac libertatum eis a nobis et progenitoribus nostris regibus Angliœ concessarum dampnum et maximum pra^judicium redun- daret, si dicti cives et mercatores Burdegal. vina sua ve- nienlia ad loca remotiora transferrent, seu ea ibidem pro pannis aut mercimoniis aliis permutarent. » J. Delpit^ Docum. français, p. 9, ibid.

EDOUARD I". f6o

En conséquence^ Edouard I" manda à son lieute- nant-général en Angleterre, Edmond, comte de Cor- nouailles, d'assembler son conseil et de faire examiner si, en effet, les privilèges des marchands bordelais, étaient contraires à ceux delà cité de Londres (28 jan - vier 1289). Il voulait bien, disait-il, départir aux premiers autant de facilités et d'avantages que pos - sible, mais il n'entendait pas leur sacrifier un droit opposé*.

Le procès dura vingt-six ans. D'après les reproches qu'Edouard P"" adresse, en août 1291, aux maire et vi- comtes de Londres^, ceux-ci ne s'étaient pas pressés de lui envoyer une réponse catégorique sur les droits réels que les Bordelais avaient pu posséder antérieure- ment dans leur ville. Les marchands de Londres con- tinuaient de leur défendre de louer des maisons pour eux-mêmes et des celliers pour leurs vins, d'héber- ger d'autres étrangers, et de les recevoir à leur table. Ils exigeaient un droit de pontage ^ sur chaque navire, et deux deniers sur chaque tonneau. Le roi voulait savoir avec certitude si de tout temps les Bordelais avaient été soumis à toutes ces obligations. Il dut par- ler d'un ton très-ferme, et exiger qu'on lui répondît

1. « Nos licet dictis civibus Burdeg. fîeri velimus et impar- tiri omnem gratiam et favorem quas potimus, absque offensa juris alieni nolentes sicut nec velle debemus. » Id., ibid.

2. Id., ibid., p. 35.

3. Droit de passage que paient les bateaux qui passent sous un pont. Du Gange.

166 PRIVILEGES COMMERCIAUX.

sur-le-champ, d'une manière claire et positive*. Il s'in- téressait à la question de droit plus vivement que la commune anglaise, et ne voulait pas mécontenter celle de Bordeaux sans y être contraint par la force des précédents.

La réponse arriva enfin. Elle était défavorable aux Bordelais. Des magistrats anglais affirmaient que tout marchand étranger, bordelais ou autre, ne pouvait ha- biter dans Londres de maisons particulières, qu'il ne devait être reçu que dans celles des bourgeois de la cité, n'habiter que sous leur clef, et seulement pendant qua- rante jours, et que, par conséquent, ils devaient s'ar- ranger pour avoir vendu leurs marchandises dans ce délai ; réponse analogue sur le droit de pontage. Les faits, paraît-il, ne semblèrent pas à Edouard P' suffi- samment constatés, et pour le moment les bourgeois bordelais eurent gain de cause ^. Si quelque restric- tion fut apportée aux privilèges aquitains, ce ne fut pas au profit de la commune de Londres, mais seu-

i . « Volentes inde per vos plenius certiores fieri, vobis man- damus, firmiter injungentes quod nos super prœmissis om- nibus distincte et aperte sub sigillis vestris reddatis plenius certiores, » J. Delpit, Doc. français, p. 33, d'après les Archives de la Mairie de Londres.

2. On n'a pas trouvé l'arrêt même d'Edouard P"". Mais il ressort d'un mandement de son flis, à la date de 1309 (9 mai) et dans lequel Edouard II, pour accorder aux Bordelais les libertés qu'ils réclamaient, se réfère à une sentence de son père. J. Delpit, Doc. français, p. 42, Archives de la Mairie de Londres.

EDOUARD I". 167

leraent pour le compte du roi lui-même, comme le prouve l'accord qui fut passé le 13 août 1302.

A côté des libertés que stipule cette charte, elle in- dique le prix que les souverains Anglais attachaient aux produits du Bordelais et les précautions qu'ils pre- naient pour que ces vins ne sortissent pas d'Angle- terre une fois qu'ils y étaient entrés ^ Les marchands de Guyenne, dit Edouard P', peuvent commercer librement dans tous les États du roi d'Angleterre et vendre leurs marchandises en gros et en détail, soit aux naturels du pays, soit aux étrangers, prendre en retour des marchandises, excepté riéanmoins les vins qu'ils ne peuvent faire sortir hors des Etats du roi d Angleterre sans son consentement et sans saper- mission.

Ils sont quittes et exempts de payer l'ancien droit de prise, c'est-à-dire de deux barriques de vin sur chaque navire qui abordait en Angleterre. Il était convenu qu'on leur paierait ce qui se trouverait au-dessus de la jauge, comme eux-mêmes étaient tenus de parfaire ce qui y manquerait.

Lorsque les navires chargés de vin nouveau aborde- raient en quelque lieu d'Angleterre, on ferait aussi-

1. L. des Bouillons, fol. 50, recto et verso. La date de cette pièce que Baurein croit pouvoir attribuer à Edouard III aussi bien qu'à son grand-père, est déterminée par deux indica- tions : Hugues Spencer figure parmi les témoins; elle est, dit le prince, de la 30«^ année de notre règne.

168 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

tôt la recherche des vins vieux qui se trouveraient gâtés en ce lieu, et, d'après le jugement tant desdits marchands que des gens de probité dudit lieu, on ren- drait la justice accoutumée*. On peut inférer de cet article que les marchands de vin étaient responsables envers leurs acheteurs de la façon dont les vins se com- portaient d'une année à l'autre.

Il était enjoint aux baillis et aux commissaires des foires de rendre aux marchands aquitains bonne et briève justice et conformément aux lois. Les débats qui survenaient au sujet des marchandises devaient être jugés par des arbitres pris par moitié parmi les mar- chands de Guyenne et parmi les gens probes du pays.

En retour de ces garanties, les marchands de vin étaient obligés de payer au roi d'Angleterre, outre les anciennes coutumes, deux sols, quarante jours après que les vins avaient été débarqués et déchargés.

Les souverains anglais avaient un intérêt tout per- sonnel à régler le commerce des marchands bordelais. Ils étaient pour ceux-ci des clients importants et qu'il était utile de contenter. En septembre 1307, Edouard II, qui venait de succéder à son père, donna l'ordre exprès au sénéchal de Gascogne et au connétable de Bor- deaux de faire charger mille barriques de bon vin, des- tinées aux fêtes de son couronnement^. Il donna en

1. L. des Bouillons, fol. 50. « Et de vinis corruptis justitiam faciant consuetam.»

2. Rymer, t. I, part. 4, p. 92.

EDOUARD II. 169

même temps à la compagnie des Friscobaldi, mar- chands florentins auxquels étaient affermés les droits de sortie du duché, l'ordre de payer sans délai tous les frais relatifs à cet envoi, achats du vin, fret, garde des barriques, etc. Cette commande exceptionnelle n'a rien qui étonne d'ailleurs, quand on songe qu'elle inaugurait un règne de dépenses ruineuses, et qu'à ce moment le triste Edouard II était retombé sous la dé- pendance du Gascon Gaveston.

En attendant, la commune de Londres se débattait toujours contre l'immunité des Bordelais. Ceux-ci étaient à chaque instant molestés et grevés en dépit de l'arrêt rendu par Edouard P''. Auprès d'Edouard II qui donnait à ses sujets tant de motifs de mécontentement, les bourgeois de la cité anglaise furent plus forts. Le roi dut mettre une double restriction aux exemptions qui leur portaient préjudice, et, en 1309, il imposa aux Bordelais les droits de murage ^ et de pontage dont les avait affranchis la charte d'Edouard P^ Il était re- connu qu'ils avaient toujours été soumis aux deux droits avant la confection de cette charte^.

Ce compromis ne suffit pas à la ville de Londres. Elle souleva une nouvelle discussion (mars lâlo) à

1. Droit qui se levait dans les villes pour la construction et la réparation des fortifications et des autres édifices publics. Du Gange.

2. J. Delpit, Doc. français, p. 42. Archives de la Mairie de Londres.

170 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

propos des vins et autres denrées que les Bordelais vendaient dans la ville à des marchands étrangers qu i les revendaient en détail*. Elle ne cherchait par celte chicane que matière à contributions.

Pendant que le conseil royal examinait la cause, les Anglais saisirent et imposèrent des vins de Gascogne. Le roi s'en plaignit amèrement. Comme toujours, la cité de Londres répondit en alléguant son privilège, et ne rendit pas le vin saisi. Nouveau mandement du roi (4 avril) en faveur des marchands gascons. Les Anglais ne l'observèrent pas mieux que le premier ; ils bravèrent les menaces du roi qui se trouvait ainsi per- sonnellement offensé, puisque les sévices contre les marchands bordelais suivaient leur cours pendant que le procès s'instruisait devant le conseil royal.

En temps ordinaire, ce n'était pas chose facile pour un roi d'Angleterre que de mettre d'accord deux com- munes aussi fortes et aussi attentives à l'augmentation de leurs recettes. Mais Edouard II était moins fait que tout autre prince pour défendre la commune d'Aqui- taine contre ses sujets anglais. Chez ceux-ci l'âpreté fiscale était animée de toute l'irritation que leur cau- sait la scandaleuse faveur de Gaveston auprès du sou- verain. L'exécration qu'ils ressentaient contre ce mi-

3. « Pro eo quod quidam Gerardus Dorgoil, mercator forin- secus, vendidit cuidam Willelmo de Elchin, forinseco rcgra- tatori, unum dolium vini ad revendendum, contra libertatem et consuetudinem dicte civitatis, arrestavimus dictum dolium vini tanquam foris factum. » Id,, pp. 48-49.

ANTAGONISME DE LONDRES ET DE BORDEAUX. 171

nistre corrompu et corrupteur s'étendait à tous les hommes de race gasconne. Depuis plusieurs années la ville de Londres était devenue inhabitable pour les Gascons ^ Les rixes se multipliaient entre les hommes des deux nations. Dans une de ces batailles plusieurs Anglais furent tués, et le roi dut faire crier dans les rues de la cité une ordonnance défendant les voies de fait aussi bien aux Gascons qu'aux Anglais^. Une trêve eut lieu enfin en 1313, mais ce fut le roi qui en fit les frais ; la commune de Londres paya aux marchands de Bordeaux la somme de six cents marcs, comme in- demnité des dégâts commis dans les derniers troubles, et le roi lui fit abandon de la taille qu'elle lui devait'. En somme, dans ce long démêlé, la faveur du gou- vernement anglais pour les marchands Aquitains s'était hautement déclarée. Edouard II n'avait cessé de prendre parti pour ses sujets de France contre ceux d'Angle- terre, et comme il lui était impossible d'anéantir les prétentions de la commune de Londres, il s'était résigné

1. « Pur ceo qe nous avoms entendu que aukuns utrages et despitz uni este fetz en la dite cité à nos bone gentz de Gas- coigne, repeyrantz en mesure la cité... E ceo ne lessez, si com vous volez eschieure nostre indignation et la peyne qui y affert. » Mandement d'Edouard II aux magistrats de Londres (24 juin). J. Delpit, Mairie de Londres, p. 43.

2. J. Delpit, Arch. de la Mairie de Londres, p. 43.

3. « Per istud brève facta fuit solucio sexcentarum raarca- rum praidictis Vasconibus et ipsi liberarunt majori et alder- manis tallam de recepta régis dictam summaria continentem. » Id., p. 50-31.

172 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

à un sacrifice personnel pour faire droit à celles des Gascons.

Il leur ménageait d'autres compensations. Attentif à saisir toutes les occasions d'augmenter la prospérité commerciale de l'Aquitaine, il accorda, en 1325, à tous les sujets du roi de Castille, nobles, marchands et autres personnes, la liberté de venir en Aquitaine avec leurs marchandises, biens et autres choses, d'y passer, d'y demeurer, de la quitter , partout et quand ils voudraient, à la condition d'y payer les coutumes et péages ordi- naires, et de se conformer à la loi du pays*. La con- cession s'étendait aux patrons de navires et mariniers.

Le conflit des deux nations Anglaise et Gasconne avait porté peu de préjudice au commerce de la der- nière. L'activité de son trafic principal, dans les pre- mières années du xiv* siècle, nous est attestée par un document curieux, qui, bien que relatif à une seule ville, donne la mesure du mouvement commercial de tout le duché. L'exécuteur testamentaire de Jean de Grailly, vicomte de Ben auges et de Castillon, rendant ses comptes à Pierre de Grailly, fils et héritier de Jean, y fait mention d'une somme de 282 livres 12 sols et 2 deniers bordelais qu'il avait reçue de Guillaume de Bazas, receveur à Langon, pour le péage qu'avait droit d'y recevoir Jean de Grailly. Or, ce péage était aussi modique que possible; il consistait en 3 oboles, plus

1. Rymer, t. II, part. 2, p. 123.

PRIVILÈGES COMMERCIAUX. 173

la moitié d'une pite * par tonneau de vin. Pour avoir produit la somme de 282 livres, etc., il fallait que le chiffre des tonneaux arrivés à Langon dans l'année 13 H -1312 s'élevât à 4 1,739 2. On a ici la base d'un calcul fort satisfaisant déjà pour toute la province.

i. Menue monnaie de billon. Du Cange, Pogesia, poge.

2. « Par quod tempus dominus Gailhardus computavit se récépissé de dicto pedagio pertinente ad dominum Petruin de Grely, videlicet de quadraginta uno milliarum septies cen- tum triginta novem tonellis vini, computatis pro quolibet tonello tribus obolis et média pogesa, qui valent ducentas quater viginti duas libras duodccim solidos et duos denarios burdegalenses. » Baurein, Variétés bordelaises, t. V, p. 15-16.

CHAPITRE YI

PRIVILÈGES COMMERCIAUX

Après ce que nous avons dit dans les chapitres pré- cédents sur l'heureux concours de circonstances qui améliorèrent la situation de la Guyenne à partir d'E- douard IIIj il nous reste à préciser par l'analyse des chartes ce que les guerres de l'Angleterre sur le con- tinent rapportèrent aux Aquitains dans l'ordre des faits commerciaux. Sur cl' point le Livre des Bouillons fournit d'utiles compléments au Recueil des actes de Rymer.

Avec le début de la guerre contre les Ecossais (1333) avait coïncédé une déclaration permettant à tous les marchands étrangers, de quelque pays qu'ils fussent, de venir dans les domaines du prince avec leurs navires et leurs biens, et d'y vendre leurs marchandises*. Ce n'était encore pour les étrangers que le libre accès des états d'Edouard III, mais sans aucune suppression de droits fiscaux ^.

1. Rymer, t. II, part. 3, p. 99.

2. « Solvendo costumas débitas et usitatas, 16 août 1333.

EDOUARD III. 17S

En i337j l'ouveTture des hostilités avec Philippe de Valois fut le signal de faveurs spéciales pour les habi- tants du duché de Guyenne. Le droit de pourvoirie était exercé en Guyenne, comme ailleurs, par les of- ficiers royaux lorsqu'ils passaient d'une partie du duché dans une autre. En France, c'est en 43S6 seulement qu'il fut question de l'abolir. Les États Généraux de cette époque révolutionnaire en demandèrent la sup- pression; mais il continua d'exister. Dès 1337^ le roi d'Angleterre lui-même prit l'initiative de cette réforme. Défense fut faite (14 septembre) au sénéchal de Gas- cogne, à ses connétables, officiers, baillis et leurs- subalternes, d'enlever, contre le consentement et au préjudice des propriétaires, des lits et autres effets mo- biliers lorsqu'ils se déplaçaient dans l'intérieur du duché. Les raisons que donne le prince de celte dé- fense, faite sous peine de punition exemplaire, méritent d'être rappelées. « C'est, dit-il, que non-seulement le peuple est foulé par ces sortes de vexations, ce qui tourne à notre honte, in nostri dedecus; c'est aussi que les officiers ont des salaires assez élevés pour que le peuple ne soit pas grevé à leur passage, ne populus per accessum vestrum gravetur^.

Les ordonnances royales ne suffisaient pas sans doute pour mettre immédiatement un terme aux abus et aiix

i. L. des Bouillons, fol. 43, verso, et 46, recto. Cette défense fut renouvelée dans des lettres patentes datées de Westminster, 26 janvier 1344. Id., ibid.

176 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

vexations. Pour le droit de pourvoirie, comme pour d'autres violences féodales, le prince dut renouveler ses mandements. Mais ce qu'il est utile ici de constater, c'est sa bonne volonté de remédier au mal chaque fois qu'il se reproduit. Nous avons déjà signalé les statuts d'Henri II contre l'exercice du droit d'avarech. Edouard III, en 1341, en rappela l'observation au sire d'Albret, qui, de même que ses ancêtres du xn^ siècle, réduisait en servage tous ceux que la tempête jetait sur son littorale Edouard III supprima en même temps les péages arbitraires auxquels ce seigneur soumettait les marchands qui traversaient l'Adour; un autre seigneur, le vicomte d'Orthez, dut cesser de détrousser les voya- geurs sur la route de Bayonne à Bordeaux^.

Il devenait urgent de se conciUer les bonnes disposi- tions de la grande commune d'Aquitaine. Depuis 1338, Edouard III avait pris le titre de roi de France, et le meilleur moyen de légitimer sa nouvelle royauté, c'é- tait de confirmer et d'étendre les privilèges des bour- geois marchands de vin, les vinetarii, comme les ap- pellent les documents. Aussi, à partir de cette époque les chartes de privilèges se multiplient, comme pour

1. On lit dans VArt de vérifier les dates (Édit. de 1770, p. 734) : « que le sire d'Albret, Bernard Ezill, après avoir été grandement affectionné au service du roi d'Angleterre, passa ensuite à celui de Philippe de Valois, et qu'il prêta serment de fidélité au prince Jean, en la Sainte-Chapelle de Paris, sur les Reliques. «

2, Rôles gascons, p. 104, n"* 3, 4 et 5.

EDOUARD III. 177

rassurer les Bordelais sur les effets de leur annexion à un pays oîi le régime absolu est déjà en ligueur. En 1341 (15 juin), en reconnaissance, dit-il, des services importants que lui ont rendus et que lui rendent les . habitants de Bordeaux, le roi établit dans cette ville deux foires qui devaient durer, chaque année, pendant trente-deux jours. Pendant les sept premières années, les marchands qui s'y rendraient seraient exempts de tous droits de péage. Au delà de ce temps, ils paieraient 4 deniers par livre ; les bourgeois de Bordeaux seuls seraient exempts de tout droit, « ainsi qu'ils l'étaient parle passé ^ ».

En 1342 (l®' juillet), sur la requête des bourgeois se plaignant de la violation d'un privilège déjà ancien, exemption leur est accordée de toute coutume sur les vins qui leur appartenaient, croissants et recueillis dans le duché de Guyenne, en quelque main qu'ils pussent passer, pour être transportés de Bordeaux à l'étranger ^.

A cette date les progrès militaires des Français pou- vaient menacer la sécurité de la Guyenne. Il fallait donc que le roi réservât à ses lieutenants la libre dis- position de toutes les matières imposables sur lesquelles ils devaient trouver l'argent nécessaire à la défense du pays. Le 14 juillet 1342, il accorde à Pierre de Grailly, vicomte de Benauges, et à Jean de Grailly, captai de

i. L. des Bouillons, fol. 46, recto et verso.

2. Copie Bréquigny, Archives de la Ville, 1342,

12

178 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

Buch, l'autorisation de lever une taxe sur les marchan- dises qui seraient apportées ou qui passeraient dans leur district. Cette taxe était de 6 deniers par livre sur l'acheteur et autant sur le vendeur ; elle devait servir à fortifier et réparer ceux de leurs châteaux-forts qui étaient situés sur la frontière et dans le voisinage des ennemis. Mais, malgré la gravité des circonstances, la taxe ne fut pas applicable aux marchandises apparte- nant aux membres de la commune ; le roi déclara qu'il n'entendait préjudicier en rien aux privilèges et fran- chises des habitants de Bordeaux ^

Les ménagements du prince envers la commune semblèrent au contraire augmenter avec les nécessités de la défense. D'anciens privilèges royaux exemptaient les clercs, fils de bourgeois, bénéfîciers et occupés au service ecclésiastique, de toute coutume sur leurs pro- pres vins, recueillis sur leurs propres vignes ^. Bien que cette concession ne s'étendît pas aux clercs, fils de bourgeois, non bénéfîciers, non occupés au service ecclésiastique, et vivant de leurs revenus, de leur commerce ou de leur métier, toutefois, avant même cette concession et de temps immémorial cette seconde catégorie de clercs avait participé à l'exemption de la coutume comme à tous les privilèges des bourgeois.

Le connétable de Bordeaux, appliquant à la lettre le

i. L. des Bouillons, fol, 46, verso. Charte renouvelée en 1358. Id., fol. 45, recto. 2. Id., 1289, 2 juin, charte d'Edouard I".

LE JAD6EUR DES VINS. 179

privilège royal, avait assimilé ces clercs, fils de bour- geois^ mais non bénéficiers et non occupés au service ecclésiastique, à des clercs étrangers et non bourgeois*. Edouard III reçut les plaintes du maire et des jurats, et, toujours en considération des services rendus à l'Angleterre par les Bordelais, il défendit au connétable de leur enlever les privilèges dont ils avaient joui jus- que-là; il alléguait pour tous l'usage antique, prout lo- tis temporibus retroactis fleri coiisuevit. Les lettres pa- tentes, rendues à ce sujet en 1343, furent renouvelées enl3S5etenl3652.

La confiance mutuelle est si bien établie dès cette époque entre le prince et les bourgeois qu'Edouard III croit pouvoir leur demander la permission de nommer un titulaire à l'un des offices les plus importants, celui de jaugeur des vins dans Bordeaux et dans tout le duché de Guyenne. D'après la lettre qu'il adressa (1344) à cette occasion aux maire et jurats, aux Cent Pairs et à toute la commune, on peut croire que Bor- deaux avait jusque-là son jaugeur spécial, et que ce fonctionnaire avait été nommé par la jurade. Edouard III voulait récompenser les services signalés de Richard Sompter; il pria donc la commune d'autoriser cet of- ficier à cumuler l'office de jaugeur pour la ville avec celui de jaugeur pour le duché. Richard Sompter devait

1. L, des Bouillons, fol. 47, recto. Cf. Rymer, t. III, part, i, p. 111-112.

2. L. des Bouillons, fol. 48, verso.

180 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

percevoir pour son droit un sterling de la monnaie de Bordeaux par tonneau ou deux pipes de vin ; étaient exceptés de ce droit les vins que les bourgeois recueil- laient dans la banlieue*.

Le mouvement commercial de Bordeaux , malgré cette exception, devait procurer un beau revenu au protégé du roi. On voit, en effet, dans un mémoire de Bré- quigny^, qu'il existait dans les archives de l'Échiquier un document d'après lequel^ pendant l'année 13o0, il était parti du port de Bordeaux seulement 141 navires d'un fort tonnage.

En retour des restrictions maintenues par Edouard à propos de la nomination de Richard Sompter, la jurade rendait des statuts dans l'intérêt du fisc royal. En 13ol(14 novembre), elle défendit qu'on laissât sortir des barriques vides de la ville lorsqu'elles seraient en- tièrement cerclées ; on ne pourrait laisser sortir que celles qui ne seraient cerclées qu'à demi, afin que, lors- qu'elles seraient remplies on les rapportât à Bordeaux pour achever de les cercler ^. 11 était de plus défendu

i. L. des Bouillons, fol. 43, verso.

2. J. Delpit, Introd.. p. 141, d'après les Mémoires de VAcad. des inscri'ptions, t. XXXVII.

3. L. des Bouillons, fol. 53, recto. « Quod nullus a civitate posset aliqua vacua dolia plene circulis cooperta, sed dun- taxat semicircultatii vel minus extradera ita quod oporteat dolia, cum vino fuerint adimpleta ad ripam civitatis reducere et ibidem plene circuletare. » « Il fallait sans doute, dit à ce propos Baurein, qu'il n'y eût alors de tonneliers que dans Bordeaux j autrement il eût été aisé de faire la fraude eo

DROIT DE CERCLAGE. 181

de charger des vins pour l'étranger depuis l'Estey- Crebat (aujourd'hui les Chartrons) jusqu'à Castillon (en Médoc).

La jurade voulait, par ce statut, empêcher qu'on ne fraudât les droits da roi, en faisant sortir de Bordeaux des barriques bien cerclées qu'on remplissait de vin dans la campagne, et qu'on chargeait ensuite sur des navires sans les faire transporter à Bordeaux. La dé- fense de charger des vins pour l'étranger depuis l'Estey- Crebat jusqu'à Castillon était un monopole exorbitant accordé aux marchands bordelais au détriment de tous les lieux de production intermédiaires.

Comme le droit de cerclage, le droit de jauge était une concession que la commune permettait de faire à un vassal, sauf, bien entendu, le privilège des négociants bordelais. En 136o, le sire de Mussidan avait obtenu ce droit sur les vins de la Guyenne. Le chiffre de cette concession servit de règle pour le droit de jauge que le connétable de Bordeaux devait lever sur les bourgeois ; seulement les vins croissants dans la banlieue et ap- partenant à ces bourgeois devaient être exemptés *.

Si les vins venant de la banheue n'ont pas été récol- tés sur la propriété même des bourgeois, ils peuvent être soumis à certains droits. Tel est, par exemple^ celui

faisant fabriquer des barriques dans la campagne ou en ache- vant de les y faire cercler et de les mettre en état de résister à la mer. » 1. L. des Bouillons, fol. 47, recto.

182 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

que le connétable levait sur cette catégorie de vins quand ils étaient vendus dans le château du prince, à Bordeaux. C'était une coutume de 13 sols 4 deniers. Le trésorier d'Aquitaine s'était permis de l'élever pen- dant cinq ans à 20 sols bordelais. Sur la plainte du maire et des jurats (1369), ordre lui fut donné de ne pas dépasser l'ancien chiffre *.

Cette taxe devait être peu onéreuse pour les bour- geois, car nous les voyons protéger avec un soin jaloux leur droit de fournir le château de l'Ombrière contre toute concurrence, notamment contre les portiers du château. En 1373 (20 mars), Edouard III défendit à ces derniers de vendre des vins du haut pays, soit à broche ^, soit à taverne, dans l'enceinte de l'Ombrière, « comme chose, dit-il, qui n'est honorable pour nous ni profitable pour la sauvegarde du château. » On était alors en temps de guerre, et le roi avait assez de con- fiance dans la loyauté des bourgeois pour ne vouloir laisser entrer dans la forteresse que des hquides reçus de leurs m-ains. Les maire et jurats avaient invoqué le privilège en vertu duquel ces vins du haut pays ne pouvaient être vendus par d'autres que par eux, ni dans la ville, ni dans les faubourgs ; la défense royale fut conforme à cette réclamation ^

1. X. des Bouillons, fol. 47, verso,

2. A même la barrique, de broca, cannelle qu'on met à un tonneau pour en tirer la liqueur. Du Gange.

3. I. des Bouillons, fol. 44, recto.

LES TAVERNIERS. 183

Déjà les vins de crus de bourgeois, nous l'avons vu, avaient obtenu, eux aussi, de précieuses exemptions. En 1375, à l'immunité s'ajouta le monopole pour la vente en ville. Cette année 1373 devait être une date mémorable en tout point pour la commune ; car nous l'avons déjà signalée comme l'époque oîi fut complétée par Edouard III la constitution de sa jurade. Le mono- pole des vins de crus bourgeois fut constitué par un règlement sur les taverniers. Placé sous la sauvegarde de la jurade, ce règlement* imposait aux taverniers de ne vendre dans la ville aucune espèce de vin prohibée, c'est-à-dire d'autre vin que de cru de bourgeois, tant qu'il y en aurait. Si un bourgeois ouvrait lui-même ta- verne, un tavernier ne pouvait vendre au détail à côté de ce bourgeois qu'au bout de trois jours. Les taver- niers devaient s'engager aussi par serment à ne pas déprécier le vin des bourgeois, mais à les aider au con- traire à le vendre au meilleur compte que possible^. Les bourgeois obtenaient enfin pour cette vente au détail l'exemption du droit féodal d'escat ^, que le pro-

1. « Jureran que edz no bendran a tauerne aucuns Lins quedz sapian estre prohibit, et^ tant corne y aura deu bin deu cru deus borgues, no bendran dautre bin. » L. des Bouillons, fol. 142, verso.

2. « Jureran que edz no diffameran lo bin deus borgues, ny habitans de la deita bille et ciutat; aus ajuderan ausd. borgues et babitantz a bendre et despacbar losd. bins au me- Ibor que far poyran. » Id., f. 143, recto.

3. « Tout bou rgeoys de la cytat est frant du droyt de l'eychat, et no doyt rien payer su le vin quil vant en taverne de ses propres vignes ou du vin dautres. »

184 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

duit eût été recueilli sur leurs propres vignes ou qu'il fût d'autre provenance ^

Quelques années auparavant (1358), une filleule de Bordeaux, Saint-Macaire, avait participé aux fa- veurs obtenues par la- commune-mère. Sur la demande des habitants, le grand sénéchal d^Aquitaine, Jean de Cheverston, au nom du prince de Galles, avait révoqué tout subside sur le vin qui s'y vendait en ta- verne 2.

A côté des statuts relatifs aux vinetarii, le Livre des Bouillons en mentionne deux autres, concernant le tra- vail des orfèvres et l'aunage des draps d'Angleterre, tous deux également conçus dans l'intérêt de la com- mune. Par le premier (6 avril 13S8), défense est faite aux orfèvres de Bordeaux de vendre aucun ouvrage d'or ou d'argent que par-devant les changeurs et les maîtres de la corporation. Ils ne doivent vendre qu'en public, afin qu'on puisse juger si leur ouvrage est de bon aloi ; ils ne peuvent tenir boutique en ruelle ou venelle, mais seulement en rue publique. Tous les or- fèvres du duché de Guyenne sont soumis à la même loi et obligés de se présenter devant le connétable de Bordeaux pour venir chercher certaine touche d'or et le poinçon à tête de léopard pour marquer leurs ou-

{. Escat, escacta, eychac, eycheuta, voyez Du Gange : toute redevance convenue dans une vente ou un marché.

2. Charte datée de Bordeaux, et citée par Louvct, part. 2, p. 80-81.

AUNAGE DES DRAPS ANGLAIS. 185

vrages. Les orfèvres enfin étaient placés sous la juri- diction de lajurade*.

Le second (31 janvier 1373) était un accord passé, sous la médiation du duc de Lancastre^, lieutenant d'Aquitaine pour Edouard III, entre le pays bordelais et les marchands de draps anglais. Il y avait eu un dé- bat au sujet du cordage et de l'aunage des draps que ces marchands apportaient et vendaient en Aquitaine. Les Anglais prétendaient que la mesure employée par les habitants du pays bordelais était plus longue que la mesure réglementaire d'Angleterre. A la prière du duc de Lancastre, il l'ut convenu que provisoirement la mesure en usage à Bordeaux serait remplacée jus- qu'à la Pentecôte prochaine par une autre mesure que fixait le duc. En attendant, celui-ci ferait venir d'An- gleterre une mesure authentique. Si elle n'arrivait pas avant la Pentecôte ou dans la quinzaine suivante, on reprendrait, jusqu'à ce qu'elle arrivât, celle qui était en usage à Bordeaux ; si elle arrivait auparavant, on cesserait sur-le-champ de se servir de la mesure fixée par le duc de Lancastre. Jusqu'au terme indiqué, les marchands anglais devaient donner des assurances à leurs acheteurs, ou des cautions, pour compenser la perte provenant de la différence ^, si la mesure fixée

d. L. des Bouillons, fol. 43, recto.

2. Jean de Gand, troisième fils d'Edouard III, et qui prend dans cet acte le titre de roi de Castille et de Léon. L'Angle- terre ne reconnaissait pas Henri de Transtamare.

3. L. des Bouillons, fol. iOI, recto. « Pour ce que le dit

186 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

par le duc était plus courte que celle d'Angleterre.

C'était une transaction qui ne devait pas paraître onéreuse à des négociants de bonne foi.

On ne voit pas qu'Edouard III ait jamais placé les intérêts de ses sujets naturels avant ceux de son duché de Guyenne. Il eut soin, pendant tout le cours de ses guerres, d'assurer une pleine liberté au commerce d'exportation, non-seulement de Bordeaux, mais de toute la province. Les marchands ou les officiers an- glais ont beau vouloir traiter les Aquitains comme des étrangers, le roi s'attache à pratiquer entre les deux nations le système de l'égalité.

En 1 33 1, il fut interdit aux receveurs des impôts en Angleterre d'exiger des marchands du duché de Guyenne aucun droit pour les marchandises qui n'é- taient ni portées ni vendues à terre, dans le cas oîi les vaisseaux qui les transporteraient en Flandre seraient contraints par la tempête de relâcher dans les divers ports d'Angleterre, ou même de les y transborder dans d'autres navires. Ces marchands purent même y faire un séjour aussi long qu'ils jugeraient à propos, entrer et sortir librement *. Le roi leur permit de transporter

corde qui est ore ordeigne ne feust si long ou non trast tant corne ycell que vendera dEngleterre... et lesd. pièges ne dépar- tiront de pays pardeca devant quils laisseront tant de leurs biens deins de la dite villa de Bordeulx corne pourroient mon- ter lesd. mointzvalance. »

1. L. des Bouillons, fol. 45, recto. 14 novembre. Charte conQrtnée par Richard II, 2S septembre 1380. Id., fol. GO,

COMMERCE DES NEUTRES. 187

des blés pris et achetés en Angleterre ou dans la prin- cipauté de Galles, pourvu qu'ils n'en fissent point part aux ennemis de l'État *.

Relativeraent au commerce des neutres avec Bor- deaux, nous savions déjà, d'après Rymer, qu'en 1358, Edouard III statua que le port de Bordeaux serait ou- vert aux vaisseaux de commerce pendant les trêves. Le Livre des Bouillons nous apprend qu'il tenait à ce que, même pendant les hostilités, le commerce étranger avec Bordeaux ne souffrît aucune interruption.

En novembre 1351, il défend au sénéchal de Gasco- gne et au connétable d'arrêter les vaisseaux chargés de marchandises que les étrangers amenaient à Bordeaux. « Ce serait, dit-il, obliger ces étrangers à ne plus venir dans ce port, oii, à raison des denrées qu'ils y appor- taient, ils payaient des droits considérables^. Cette cessation de commerce apporterait un préjudice nota-- ble à la ville et à tout le peuple, grave damnum et jac- turam. »

Au lieu de saisir les marchandises de ces forains, roi veut qu'on leur fasse le meilleur accueil qu'il serait possible, afin de les attirer de plus en plus^

recto; en 1383 (!«■• juillet), id., fol. 65, recto; en 1388, 13 juin, id., fol. 89, verso.

1. L. des Bouillons, fol. 45, verso. 14 novembre 1351.

2. « Costumas non modicas solvere solebant. » L. des Bouil- lons, fol. 56, verso.

3. « Sed mercatores et alios cum navibus et mercandisis suis ad eamdem civitalem confluentes amabiliter et civiliter

188 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

Quant aux denrées venant à Bordeaux, de pays en- nemi et rebelle, il est tout simple qu'elles subissent des droits ; mais ce n'est pas au profit du trésor royal ; Edouard III les abandonne à la commune.

En 1373 (15 mars), il permet aux jurats d'imposer toute marchandise provenant du pays limité par la Dor- dogne et par la Garonne au-dessus de Saint-Macaire, , ainsi que celles de l'Agenais et du Bazadais. A cette date, ces contrées étaient au pouvoir des Français ; la domination anglaise allait entrer dans une phase de revers.

Duguesclin, après sa victoire de Chizé et la prise de Poitiers^ refoulait les Anglais au-delà de la Garonne. Bordeaux était menacée ; Edouard III ne pouvait plus, comme en 1328, payer de ses propres deniers la répa- ration des remparts de la commune. Il lui fournissait du moins un expédient pour relever ses tours et ses créneaux sans qu^il en coiàtât rien aux bourgeois*.

Edouard III avait, en définitive, constitué sur la base la plus large la législation commerciale de Bordeaux et du duché. Les marchands de Bordeaux lui devaient l'exemption de toute maltôte, la prohibition de la vente en cabaret, dans la ville même, de tout vin qui ne fût pas de cru de bourgeois, celle des vins appartenant aux marchands qui avaient pris parti contre le roi, la

pertractetis ut libentiores animos exiude attrahat facultas dictse civitatis limina frequentandi. » Id., ibid. \. L. des Bouillons, fol. 48, recto.

RICHARD II. 489

défense faite aux barons et gens nobles de lever toute imposition insolite sur les marchandises de bourgeois, lorsque ces marchandises passaient dans leur district ; l'exemption de toute nouvelle taxe sur les denrées que des marchands de Bordeaux transportaient dans l'in- térieur da duché. Aux commerçants de tout le duché, il avait donné l'immunité pour tous les navires qui ne faisaient que relâcher en Angleterre, et leur avait as- suré le libre commerce avec les neutres.

Ses successeurs restèrent fidèles à cette tradition libérale et sage. Richard II traita toujours avec faveur l'Aquifaine, et spécialement Bordeaux, sa ville natale. Dans les premiers temps de son règne, il donna des lettres patentes (10 avril 1382) très-explicites, oii il confirmait et ratifiait toutes les franchises accordées par son aïeul à Bordeaux et au duché ^ C'était comme le programme de son administration future. Lorsqu'il lui arriva plus tard d'accorder un privilège particulier à certaines personnes ou certaines villes, il ne man- quait pas de déclarer qu'il n'entendait préjudicier en rien à ceux de la ville de Bordeaux ^.

Le droit de vente en taverne, octroyé précédem- ment aux bourgeois, était également recherché par le clergé bordelais. Richard II (1392, 24 janvier) permit

i. L. des Bouillons, fol. 55-58.

2. 1388, 24 octobre. L. des Bouillons, fol. 62, recto. 1392, charte accordée à la jurade de Dax. Id,, fol. 80, verso. Cf. fol. 81, recto.

190 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

à l'archevêque, aux chapitres de Saint-Seurin et de Saint- André, aux prêtres et à tous les ecclésiastiques qui desservaient ces églises, de vendre leur vin en ta- verne. De même que pour les bourgeois. L'exercice de ce droit était subordonné à trois conditions : les ecclé- siastiques devaient faire leur séjour dans Bordeaux ; les vins vendus par eux devaient provenir de leurs bé- néfices et de crus situés dans le diocèse de Bor- deaux *.

Bientôt Richard II dut intervenir entre sa ville de prédilection et une cité voisine, de la domination française, la Rochelle. Celle-ci faisait aux Bordelais une concurrence opiniâtre, et leur disputait même pour les vins le marché anglais. Les marchands de Bordeaux ne manquaient jamais l'occasion de saisir les bâtiments rochelais, de les confisquer ou de les brûler. La Rochelle usait de représailles, et l'histoire des deux cités au moyen âge n'est qu'une suite de tracasseries et d'hostilités mutuehes. On aurait pu croire que, pour le temps des trêves conclues entre les deux villes, la Rochelle aurait obtenu de sa puissante rivale la liberté de son commerce. Il n'en était rien. Le monopole des Bordelais, même aux heures de paix, éiddt miYdiliB,h\e. Le Livre des Bouilio7is nous a conservé le souvenir d'une de ces nombreuses querelles qui n'ont leur vraie cause que dans une âpre jalousie de marchands.

1. L. des Bouillons, fol. 79, verso.

ANTAGONISME DE BORDEAUX ET DE LA ROCHELLE. 191

En 1393, une trêve avait été passée entre les deux villes. Sur la foi de cette trêve *, un bâtiment appar- tenant à un bourgeois de la Rochelle, nommé Guiot Potard, s'aventura dans les parages bordelais avec des vins et autres marchandises. C'était une barque de cinquante tonneaux et que son propriétaire estimait 3^000 francs. Sur l'ordre du maire et de la jurade de Bordeaux, cette barque fut prise et brûlée. Le con- servateur de la trêve pour la Rochelle, pour ceux de France, comme dit le document en question, Renaud de Pons, autorisa les Rochelais à user de représailles Gt à faire saisir un certain nombre de bourgeois bor- delais qui furent emprisonnés au château de Pons. Les magistrats de Bordeaux portèrent plainte devant le heutenant d'Aquitaine, Henry de Percy, conservateur des trêves pour le roi d'Angleterre et de France. In- voquant également les termes de la dernière trêve, ils réclamèrent la mise en liberté des bourgeois avec payement des dommages estimés deux mille francs 2. Les Rochelais y consentaient à la condition qu'au préa- lable la commune de Bordeaux leur payât pour leur

d. L. des Bouillons, fol. 124, verso, et fol. 125, recto. « Une barche avec cinquante toneux de vin, laquielle était arsse par lesditz mère, jurez et commune de Bordeaux, laquielle chouse disoit estre faite contre le tenour des trJeves, conlenantez que les nas povent aler et converser envers les autrez avecque leurs merchandises vehues... »

2. « Et requéroient que lesdits burgeys fussent relaxes, avecque lez domagez et despentz fetz, lesquiels estiment deux mile franc. » L. des Bouillons, fol. 124, verso.

192 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

barque brûlée une indemnité de trois mille francs. Sur ce point, les Bordelais se récrièrent ; ils répondi- rent qu'ils avaient été dans leur droit, et se retranchè- rent derrière leurs « privilèges, franchises et libertés, costumes, observances et estabhssements *.»

Devant des prétentions aussi obstinées et aussi fondées en apparence de part et d'autre, les deux arbitres étaient fort embarrassés. Ils se contentè- rent de rendre un accord provisionnel en vertu du- quel Bordeaux et la Rochelle devaient, pour le mo- ment, se faire des réparations réciproques. Mais au mois de juillet de la même année, des lettres patentes de Richard II vinrent trancher la question du commerce Rochelais tout en faveur de Bordeaux ^ .

Qu'on ne s'y trompe pa?, toutefois. Ces bons procé- dés à l'égard des Aquitains sont le fait du gouverne- ment royal, non pas celui de la nation anglaise. Comme ses prédécesseure, Richard II est à chaque ins- tant obligé de protéger ses sujets d'Aquitame contre les extorsions ou les fraudes des agents anglais. La multiplicité même des chartes que contient le Livre des Bouillons sur des objets identiques tient à ce que les Anglais méconnaissaient trop fréquemment les or- dres de leur souverain. La faveur royale sert de rem-

1. « Ce ceux onnt ars barchez, ils ont fet bien et dehiiment, selonc droit et rason, et selonc leurs privilégez, franchisez, liberteez, costumez, observances et establissements. » Id.,ibid.

2. L. des Bouillons, îoL 61, recto.

ORDONNANCE DU 4 JUILLET 1392, J93

part aux Aquitains aussi bien contre les ennemis de la France que contre les Français eux-mêmes. Le»s mar- chands anglais ne se faisaient pas faute de faire avec la Rochelle, ville de la domination française, un commerce illicite et fort nuisible aux négociants de Bordeaux. Us venaient dans cette dernière ville avec des cargai- sons de blé, et, au lieu d'y prendre des marchandises en retour, ils se faisaient payer en espèces qu'ils em- ployaient ensuite en achats de vins pris à la Rochelle. C'était une perte à la fois pour le commerce bordelais et pour le fisc du duché de Guyenne ; l'intérêt du roi, d'accord ici avec celui des négociants de Bordeaux *, explique l'ordonnance du 4 juillet 1392. Richard II y prescrit que tout marchand qui partira d'Angle- terre, donnera caution devant la chancellerie anglaise qu'il déchargera les blés de s:?, cargaison à Bordeaux, qu'il reviendra en Angleterre, soit avec des marchan- dises bordelaises, soit avec l'argent qu'il recevra en échange du blé vendu, et qu'il rapportera un certifi- cat scellé du sceau de la commune bordelaise *.

i. « Unde non modica incommoda tam nobis qnam fide- libus nostris civitalis proedictée sfftpius eveniunt, et multo magis evenire formidantur, pro eo quod mercatores prœd, vina sua apud eamdem civitatem actenus emere, ac costumas et subsidia apud castrum Burdig. solvere consueverunt, qui jam aliqua vina in eadem civitate emere aut costumas seu subsidia solvere non intendunt... Nos dcsiderantes intime, pro comodo et stabilitate civitatis prsed. quœ varia discrimina et pericula per iniraicorum nostrornm et invasiones et aggressus

13

194 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

Ce n'était pas seulement aux dépens des Rochelais que le commerce de Bordeaux savait tirer parti de l'état de guerre entre Richard II et Charles YI. Si quelques villes du duché étaient amenées, degré ou de force, à quitter le parti du roi d'Angleterre, les Bor- delais les traitaient aussitôt en pays ennemi ; ils se chargeaient de leur faire expier leur défection en frap- pant leurs marchandises de taxes arbitraires. Vaine- ment en 1396, à la requête de Maurelet de Montmer, sénéchal, pour le roi de France, du Bordelais, du Ba- zadais et des Landes, le sénéchal de Guyenne s'op- posa-t-il à ces exactions. Sur l'appel interjeté au nom du maire et des jurats par le procureur de la commune, Raymond de Bernatet, le duc de Guyenne, Jean de Lancastre, leva cette défense, en considération des services que la commune avait toujours rendus aux rois d'Angleterre*.

fréquenter sustinuit, quatenus poterimus débite providere, etc. » L. des Bouillons, fol. 01, recto.

i. 1 Pour ce est-il que nous, considérans les amours et ser- vices que nos av. dits maire, jurez et commune de notre avd. cité ont fait avant ces heures à noz progenitors et à nous, et font encores à présent, et avons espoir que feront dassi en avant. » L. des Bouillons, fol. 71, recto et verso.

CHAPITRE VII

LES LANCASTRES 1399-1453

Travaux et obligations de la jurade. Elle est responsable devant le peuple. Sentiment de l'honneur municipal. Gouvernement dé- mocratique. — Haut patronage de Bardeaux sur la province.

L'usurpation des Lancastres en Angleterre ne pou- vait rien ôter à la commune bordelaise. Loin de : les deux premiers princes de cette famille, si avisés et si prudents, ne firent que reprendre en Guyenne le rôle de ceux qu'ils avaient renversés à Londres, et l'impulsion nouvelle qu'ils donnèrent à la conquête an- glaise sur le continent étendit et accéléra, encore plus que les règnes antérieurs ne l'avaient fait, le mouve- ment communal de Guyenne. Il y eut pourtant, au début du règne d'Henri IV, une crise qui eût pu de- venir sérieuse si le conseil de Charles VI avait su en profiter. A la nouvelle de la captivité de Richard H, les Bordelais, qui l'avaient toujours vivement affectionné, menacèrent de se donner à la France si on ne le tirait de sa prison de Pontefract, Le duc de Bourbon essaya

196 COMMUNE DE BORDEAUX.

un moment de tirer parti de ces dispositions ; mais il recula devant Robert Knolles *.

Le chagrin et la colère furent plus vifs encore à Bor- deaux quand on apprit que Richard avait succombé à une mort peu naturelle. Un de ceux qui furent soup- çonnés d'avoir participé à ce meurtre étant venu par hasard à Bordeaux, le peuple le mit à mort, lui coupa le bras, le plaça au bout d'une pique et l'attacha au sommet du château de l'Ombrière ^. On parla en- core de se donner à la France. Le duc de Bourbon s'avança jusqu'à Agen, et envoya quelques agents pour entretenir cette fermentation; Bordeaux, Dax et Bayonne nommèrent même des députés pour conférer avec lui. Le duc leur remit un projet de traité par lequel le roi de France accordait à ces villes les privi- lèges les plus étendus si elles abandonnaient le parti de l'Angleterre.

Mais des gens bien avisés firent remarquer qu'il, était à craindre que le conseil de Charles VI ne tînt pas ces promesses, que la France, d'ailleurs, était ac- cablée d'impôts, que les Aquitains seraient forcés de partager ces charges, et qu'en définitive, ils tiraient beaucoup plus de l'Angleterre qu'ils ne pouvaient es- pérer de la France '. Sur ces entrefaites, Thomas de Percy et l'évêque de Londres arrivèrent avec un corps

1. Froissart, 1. IV, c. 20.

2. De Lurbe, Chron. bord., p. 20-22.

3. Id., ib. Cf. Froissart, id.,ibid.

HENRI IV. 197

de troupes, et toute négociation avec la France fut rompue (1401).

Plus tard, de novembre 1406 à janvier 1407, les Bordelais, craignant une attaque des Français, renou- velèrent leur serment de fidélité au roi d'Angleterre devant le portail de Saint-André. Le connétable de France, Charles d'Albret, s'empara de Blaye par la trahison de l'abbé de Saint-Romain ; mais la place re- tomba bientôt au pouvoir des Anglais, et les jurats de Bordeaux requirent le sénéchal de s'y transporter pour détruire l'abbaye de fond en comble.

Une expédition du duc d'Orléans contre Bourg-sur- Dordogne n'eut pas plus de succès ; à la première alarme, les jurats de Bordeaux ordonnèrent de murer toutes les portes de leur ville qui étaient sur la rivière ; puis les gens de la commune se portèrent sur leurs na- vires contre ceux du duc, et « les déconfîrent en Gi- ronde, au grand déshonneur du duc et de tout le royaume de France, » dit une chronique bordelaise ^

Les rapports se rétablirent donc bientôt dans les meilleurs termes entre le nouveau roi et la commune. Tous deux semblèrent comprendre que, devant la France, ils avaient la même cause à défendre. Si les Lancastres avaient besoin de l'appui des Bordelais, Bordeaux voyait son existence mise en question par les progrès des armes françaises.

l. I. des Bouillons, texte imprimé, p. 538.

198 COMMUNE DE BORDEAUX.

D'ailleurs, la commune avait tellement grandi pen- dant le xiv^ siècle, le séjour de onze années qu'y avait fait le prince de Galles, l'éclat vraiment royal par le- quel sa présence avait rehaussé la dignité des bour- geois, et les faveurs tout exceptionnelles qu'ils avaient reçues de Richard II, commandaient si impérieuse- ment à l'usurpateur une politique de ménagements , que la commune dut prendre confiance. En effet, à la suite d'une amnistie générale accordée par le prince pour les auteurs des troubles de 1400 \ une longue série de chartes confirmatives des privilèges de la ju- rade ^ et de nouveaux avantages lui furent assurés à elle et aux bourgeois. La jurade (12 mai 1401) fut do- rénavant dispensée de toute reddition de compte au roi d'Angleterre pour les droits qu'elle avait touchés sur les biens de la ville, et ainsi fut rompu le dernier lien qui avait rattaché l'administration de la commune à l'action du suzerain^.

Les menaces les plus sérieuses furent adressées soit au chapitre de Saint-Seurin, soit au comte d'Ornon et à d'autres seigneurs, au sujet des usurpations et des sévices qu'ils s'étaient permis contre des justiciables de la jurade*, et, en 1409, la vente faite par l'arche-

1. V. Froissart, 1. IV, c. 20.

2. L. des Bouillons, fol. 83-89.

3. Id., ihid.

4. « Scientes quod, si hujus modi excessus de cetera accop- tare presumpseritis, ad vos et vestra taliter cum rigore capic- mus, quod aliis cedet in exemplum talia prsejudicialia et

HENRI IV. 199

vêque d'York à la commune du comté d'Ornon la délivra pour toujours d'un dangereux voisinage*.

Enfin, à la même époque, s'annonce l'avènement de la commune au plus haut rang qu'une bourgeoisie ait jamais atteint : à l'intérieur, la plénitude du gouverne- ment démocratique par la convocation fréquente d e l'as- semblée du peuple pour décider les affaires les plus gra- ves ; au dehors, le patronage de la commune bordelaise sur toute la province, et la reconnaissance la plus res- pectueuse par toute la Guyenne de son titre de capitale.

Ce double fait prendra son plus grand développe- ment sous les règnes d'Henri V et d'Henri YI, et il s'expliquera dès lors par deux causes toutes naturelles : d'une part, la situation critique des Anglais dans la province, et la nécessité pour les rois d'Angleterre de demander toujours de nouveaux subsides à la com- mune; de l'autre, l'accroissement considérable de la population et des ressources des Bordelais, ce qui les mettait plus en état d'étendre leur protection à tout le voisinage.

dampnosanobis et populo nostro facere evitandi. » Les justi- ciables dont il s'agit étaient des habitants de Canderan, du Bouscat et de Villenave. La charte du H février 1401, confir- mative d'une charte d'Edouard III (20oct. 1354), interdisait au chapitre de Saint-Seurin de mettre aux fers {in ferris), dans des basses-fosses (tmssis), ou à la gêne (cippis aut aîiis tor- mentis), ceux de ces habitants qui, défendeurs eu matière ci- vile, offraient une garantie suffisante de se représenter en justice. Id., ibid., § 4.

1. De Lurbe, Chron., p. 23.

200 COMMUNE DE BORDEAUX.

Sous Henri IV, le peuple s'assemble en masse à l'hôtel de ville, en 1408, à l'occasion du départ du maire pour l'Angleterre, départ qui cause beaucoup d'émoi; de concert avec les jurats et les Trente, le peuple procède à l'élection d'un lieutenant du maire *. En 1410, c'est simplement pour établir de nouveaux règlements municipaux. Un entre autres mérite d'être signalé; il témoigne de la rigidité des communiers dans la pratique des devoirs de bourgeois. Le peuple décrète que tout bourgeois qui, appelé au conseil de la ville, ne comparaîtra pas sans excuse légitime, sera non-seulement condamné à une amende, mais verra la porte de sa maison brisée par les sergents -.

En dehors de la cité, dans l'Entre-deux-Mers, jla ju- rade prend la défense des populations rurales que mal- traitait la famille des seigneurs de Canteloup (1408). Ces seigneurs voulaient faire reconstruire la forteresse de Canarsac. La jurade voyait dans cet acte un danger pour les habitants du pays. La contrée étant pauvre,

i. Registre des délibérations de la jurade, fol. 126, recto. L'ofûce de lieutenant du maire était distinct de celui de sous-maire; celui-ci n'exerçait, comme les jurats, que pendant deux années. Le lieutenant du maire reslait en fonctions pendant toute la durée de l'absence du maire, au delà même de l'expiration de l'année.

2. Usage ancien d'ailleurs : « E si es lo cas que no benguan, que en contra los defalhentz sia procedet, si cum antiquement se sole far en cas semblant : soes assaver que lo sia piquada la porta per lo pendart. » Baurein, Bulletin polymathique, t. X, p. 365. Cf. De Lurbe, Chron., p. 23.

HENRI V. 201

les seigneurs de Canteloup pillaient les récoltes et les provisions des habitants, et les murs de Canarsac rele- vés assuraient l'impunité du brigandage. La jurade protesta d'abord devant le sénéchal. Mais celui-ci n'ayant pas répondu, elle menaça de convoquer le peuple. Le sénéchal et son conseil agirent alors : dé- fense fut faite aux Canteloup de relever leur forteresse, sous peine de SOO marcs d'argent, et le prévôt de l'Om- brière reçut ordre de veiller à l'exécution de l'arrêt *.

A mesure que s'anime le grand combat entre la France et l'Angleterre, le frein moral se serre davan- tage dans la commune, pour les chefs comme pour les administrés. L'indépendance de la cité puise de nou- velles forces dans le caractère plus impérieux de la loi générale. On remet à la jurade une autorité plus étendue, c'est-à-dire qu'elle est astreinte à une plus grande vigilance.

Sous Henri V, les Registres de ses délibérations ré- vèlent une remarquable activité de la part de cette ma- gistrature communale. Ils nous donnent l'idée de la multiplicité des affaires qu'elle avait à régler. Non- seulement les jurats administraient la justice, mais tout le travail intérieur de la commune était soumis à leur surveillance. C'est bien véritablement la concen- tration dans leurs mains de toute l'autorité politique et législative, et de la police la plus détaillée. Chefs d'une

2. Registres de l'hôtel de ville, 1^08.

202 COMMUNE DE BORDEAUX.

commune, dont la richesse principale est le commerce des vins, ils sont appelés à régler tout le travail qui se rattache à cette industrie : le prix de la journée des tonneliers, des vignerons; le prix de la vente du vin; le chiffre des droits à lever sur les tavernes ; la police du port (juillet 1414) ^

A côté d'arrêtés qui intéressent l'approvisionnement de la cité ^ et garantissent même la bonne qualité des consommations, nous en trouvons dont la prévoyance ne s'arrête pas au bien-être matériel des citoyens, mais s'étend à la moral; de leur conduite, et frappe d'une sanction qui semblerait bien sévère aujourd'hui, «n délit devenu commun, le jeu. 11 y a une rigidité lacédémonienne dans cette ordonnance de la jurade (juillet 1414), qui défend de jouer de l'argent, « sous peine d'être attaché en chemise à un poteau pendant

d. Pour les tonneliers, IB sterlins par jour; pour une douzaine de barriques neuves, 4 francs. Si pour éviter l'exé- cution de celle ordonnance, aucun tonnelier sortait de la ville, I en serait banni pendant un an. Registres, fol. 12, 8, 61, 63, n, H7.

2. Règlements sur le poids des blés et farines; vérification des poids de l'étain et autres marchandises; défense de ne pas vendre de poisson en cachette, tout doit être porté au marché; défense à qui que ce soit d'en recevoir dans sa maison, de vendre en gros les bouteilles de poisson. Dès que le poisson frais sera arrivé, il devra être porté au marché pour y être détaillé. Défense aux poissonniers de vendre le poisson dans leurs maisons, sous peine de perdre le droit de bourgeois et d'être bannis. On nommait chaque année deux priseurs de poisson. » Id., fol. 17, 43, 22.

TRAVAIL DE LA JURADE. 203

un jour, et d'avoir les doigts attachés et fermés avec une clef ^ » On doit croire sans doute qu'une pénalité si forte n'était motivée que par le goût d('jà trop ré- pandu pour les jeux d'argent; mais elle prouve aussi la force de discipline qui régissait jusqu'aux loisirs des bourgeois, et la rectitude morale au prix de laquelle on achetait l'honneur de la bourgeoisie.

« Le bien public » étant la loi des jurats, comme le répètent à chaque page les décrets de l'hôtel de ville, leur labeur administratif ne se relâche jamais. Il est difficile de trouver une magistrature aussi constam- ment occupée. Lorsqu'ils sortent de charge, au dernier jour de leurs fonctions, ils doivent encore redoubler d'activité. Pendant la nuit qui précède le jour de leur remplacement, ils sont tenus de léguer à la cité de nouveaux décrets conformes à l'utilité commune, et, pour ceux de 1414, les Registres des délibérations mentionnent jusqu'à soixante-sept ordonnances ren- dues dans cette nuit solennelle. Il n'y aura pas un instant d'interruption dans le gouvernement : le pre- mier acte des nouveaux jurats sera d'ouvrir les der- niers décrets de leurs prédécesseurs, et de les mettre immédiatement à exécution ^.

i. Registres des délibérations de la jurade, fol. 48, verso. « Que nul no sia si ardit de joquar a largent sotz la pena de estre mis tôt nnt am camissas per tôt un jorn, los digtz en part de deutz claussicatz. »

2. Registres, fol. 12, i4, 20.

204 COMMUNE DE BORDEAUX.

Les pouvoirs sont vraiment ici des devoirs. Magis- trats électifs, les jurats sont responsables devant leurs concitoyens. S'ils sont affranchis, comme nous Tavons vu, du contrôle du roi d'Angleterre, ils n'échappent pas à celui de la commune. Au sortir de sa charge, l'ancien sous-maire, Jean du Freysse, déclare qu'il est prêt à répondre, dans le cas oii quelqu'un aurait sujet de se plaindre de lui ^ Jean Ferradre, prévôt de la ville, fait la même déclaration. Au premier rang de leurs devoirs figure la garde du registre des chartes et privilèges. Ce précieux dépôt, vrai palladium des li- bertés bordelaises, est soigneusement renfermé dans une boîte dont le sous-maire, le prévôt et deux jurats reçoivent chacun une clef ^. Ces archives ne peuvent sortir de l'hôtel de ville. Si quelque haut personnage, fût-ce l'archevêque lui-même, veut prendre connais- sance d'un statut, il se rendra à Saint-Élegi ; on lui fera lecture de la pièce, et, s'il veut l'examiner plus amplement, il enverra un commissaire spécial. « Le déplacement des archives tirerait à conséquence ^. »

1. 1404, Reg. des délibér., fol. 7, verso.

2. « Las quatre claus deus previletges foren balhadas la una a Guilhem..., la autra a Johan..., la autra a Johan Ferradre..., la autra a Johan Guasse... » Registres des délibérations, 1414, fol. 20.

3. « Et plus fo ordenat que si Moss. l'archevecque vol veder en lo registre la ténor deu previletge, que done commissar par lo veder a Sent Elegi... quar autrament no lo sia portât lo original part de la ne trahat ad consequentiam. » Registres des délibérations, 1414, fol. 76, verso.

ÉLECTION DES JURATS. 205

Pour l'élection des nouveaux jurats^ l'appareil des précautions contre la brigue est redoublé : les jurats électeurs sont barricadés avec soin dans leur con- clave *.

Comme on redoute de plus en plus les secrètes ma- nœuvres de la France, ils ont expressément juré de ne nommer à la jurade personne qui ne soit de Bordeaux, du Bordelais ou de la nation d'Angleterre ^ Aupara- vant, on y admettait des hommes de race et de langue françaises, pourvu seulement qu'ils fussent bourgeois de la commune.

Le peuple entier est pris à témoin de la régularité et de la sincérité de l'élection. Lorsqu'elle a été faite, la cloche de l'hôtel de ville sonne, les jurats sortent du conclave et vont à Saint- André, le peuple est rassem- blé. Là, le clerc de ville montre à la multitude lo em- postat, le papier cacheté sont écrits les noms des nouveaux jurats, et api-ès quelques bonnes paroles, il l'ouvre et fait à haute voix lecture de la nouvelle liste \

\. En dedans, la porte de l'hôtel de ville est fermée à clef par les jurats; en dehors, avec une grosse barre et une chaîne. » Id., fol. 90, verso.

2. Registres des délibérations, fol. 70, verso.

3. Pour l'année 1415, le registre nous a conservé les noms de ces élus; c'étaient : Jean Estève, Ramon Gassias, Arnaud Apostal, Arnaud Miqueu, Galhard de Junqueyra, Bernard Jaubert, Arnaud Bosseu, Amanieu de Montlarin, Arnaud Fort, Arnaud de Bros, Richard Cadet, Guillaume Aysselia. Id., fol. 71.

206 COMMUNE DE BORDEAUX.

Pour les magistrats municipaux de cette époque, la journée de travail commence de bonne heure : à sept heures du matin, en vertu d'une ordonnance de la jurade elle-même*.

La commune, qui les fait si puissants, ne se confie à eux qu'avec des sûretés. Pour qu'une jurade nouvelle ne détruise pas l'œuvre de ses prédécesseurs, les jurats ne pourront révoquer un règlement ancien sans l'avis des trente conseillers de la ville, qui représentent ici la tradition et l'élément conservateur ^. Reste à les sou- tenir dans leur action, et alors reparaît le serment, mais encore plus général et plus explicite qu'en 1376. Non-seulement les bourgeois, chefs de maison, le prê- tent pour leur compte; mais ils sont tenus de le faire prêter à leurs valets, et tous jurent d'exécuter et de faire exécuter les ordonnances de la jurade ^.

Il s'en faut que, dans une commune, ce soit une formalité vaine. Le sens du serment est assez bien compris pocr que la responsabilité mutuelle développe chez les bourgeois le sentiment de l'honneur commu- nal. Les torts d'un seul citoyen de Bordeaux suffisent pour décrier toute la ville. En 1414, un bourgeois,

i. « Viniquossan en jurada dintz sept de clocha. » Id., fol. 72.

2. Registres des délibérations, fol. 71.

3. « Que cascun borgue de bostau fassa jurar sous bajlets oed fassa bon por lor, et plus que fassar far a loto maneyra de borgues et babitanlz'* segrament de tenir las ordenanssas. » Id., fol. 17, recto.

SOLIDARITÉ COMMUNALE. 207

nommé Bernard Volant, a commis des pillages sur la terre d'Albret et enlevé beaucoup d'argent à des parti- culiers, sous prétexte qu'un vassal du sire d'Albret ne lui paye pas ce qui lui est dû. La jurade ressent vive- ment le tort fait par ce bourgeois à l'honneur de la cité. Nous en avons la preuve dans les lettres que les magis- trats écrivirent à cette occasion au seigneur et à la dame d'Albret. Ils leur expriment, avec un accent très-vrai de dignité offensée, tout le déplaisir que leur causent les méfaits de leur concitoyen. Ils en rougis- sent (( pour l'honneur de la ville, » et, sans chercher à atténuer le délit de Bernard Volant, sans accepter comme excuse le motif de sa créance, ils l'engagent formellement à réparer les dommages, et à punir le coupable de telle sorte que la commune soit bien vengée * .

Déplus en en plus susceptibles sur tout ce qui touche à leurs droits et immunités, les bourgeois, par l'organe delà jurade, invoquent la protection du roi d'Angle- terre (mai 1416) avec un ton de confiance et de fermeté que n'affaiblit pas la courtoisie de la forme ^ C'est bien le langage de gens dont on a besoin et qui peuvent faire leurs conditions.

1 . « Les doumatges seron bien repparey et honnour de la cité y sera reper. » Registres des délibér., fol. 3, 4.

2. Voyez la lettre écrite à Henri V au sujet d'un péage qu'Henri IV avait accordé à Charles Alpherilz de Navarre sur certaines marchandises, ce que les jurats considèrent comme une atteinte aux privilèges bordelais, Id., fol. 126-127.

208 COMMUNE DE BORDEAUX.

Contre le roi lui-même ils se sentent plus forts. En 1415, commeon souffrait delà disette, les jurats avaient défendu de faire venir à Bordeaux du vin du haut pays (qui tenait alors pour les Français), à moins que les bâtiments n'apportassent à proportion autant de blé que de vin. L'ordonnance portait un dommage notable au roi, qui se trouvait privé par de la dîme de 30 sols par tonneau, perçue de tout temps par les rois d'An- gleterre sur les vins du haut pays qu'on chargeait pour l'étranger.

Aussi, dans une grande assemblée, présidée par le sénéchal, le procureur fiscal d'Henri V réclama.

Il prétendit que les j urats n'avaient pu rendre cette ordonnance sans le consentement du sénéchal ou de son conseil.

Le procureur-syndic, défenseur delà commune*, se contenta de répondre que, de tout temps, les maire et jurats étaient en possession du droit de faire des statuts conjointement avec le peuple.

Le connétable de l'Ombrière ayant voulu protester à son tour, les jurats convoquèrent les Trois-Cents et le peuple entier. La question fut soumise à l'assemblée et, d'une voix unanime, on proclama que l'ordonnance subsisterait. La victoire resta à la commune. Les cir- constances du moment y avaient aidé sans doute; mais

1. Une de ses principales fonctions était de recouvrer les créances de la ville. Registres desdélibér., fol. 14, verso.

ASSEMBLÉES POPULAIRES. 209

la jurade en avait su tirer parti pour l'avantage de la cité *.

Cette intervention du peuple dans le gouvernement de la commune devint sous Henri V un fait régulier. Bordeaux offrit alors le spectacle d'une véritable dé- mocratie. Ce n'était plus seulement, en effet, par l'in- termédiaire de ses représentants que la commune s'ad- ministrait ; c'était par le vote de tous les communiers rassemblés sur le parvis de Saint-André, le forum chrétien du vieux municipe. Curieux spectacle, en effet, qu'un populaire délibérant et votant sur les plus graves affaires d'une ville, et cela au xv* siècle, au mi- lieu d'arrogants barons et en face de royautés ombra- geuses. En 141S, trois fois, le peuple est convoqué à son de trompe : en février, pour entendre les nouvelles qu'on a reçues de la guerre contre les Français; en mars, pour faire connaître les griefs qu'on pourrait avoir contre les officiers du duc^; en novembre, parce que le maire et le clerc de ville, envoyés en ambassade auprès d'Henri V, ne veulent pas partir sans en avertir le peuple et sans prendre congé de lui^ On devait en même temps informer la ville d'un succès remporté par le roi en Picardie. Quant à l'objet de l'ambassade, c'était de saluer le nouveau roi au nom de la commune, et de lui offrir un présent de 200 tonneaux de vin pour

1. Reg. des délibér., fol. 14, verso.

2. Registres des délibérations, fol. 4, recto,

3. Id , fol. 102, recto.

14

UO COMMUNE DE BORDEAUX.

lui, et de 100 pour les seigneurs de sa cour. Offre qui n'est pas désintéressée ; car les magistrats ambassadeurs doivent demander en retour à Henri Y la confirmation des privilèges et franchises de la ville.

On peut craindre déjà qu'à la faveur de cette inter- vention du peuple en masse, les corporations les plus puissantes n'imposent leur volonté au corps entier de la commune. Nous voyons en effet qu'en février 1414, k corporation des bouchers demanda que les prison- niers faits dans les combats contre les Français lui fus- sent donnés en garde, et qu'il lui fût permis de les tenir dans ses maisons. Une première fois cette prétention fut repoussée ^ On connaissait les habitudes violentes des suppôts de la boucherie, et on craignit que les prisonniers ne fussent traités sans ménagement. N'ou- blions pas en effet que plusieurs mois auparavant avait éclaté à Paris la révolution cabochienne, dont il semble que la tentative des bouchers bordelais ait été un contre- coup. Ils réussirent en effet quelques mois plus tard ; le 3 juin la commune leur abandonna les prisonniers d'Agen^.

C'est surtout à la suite d'une demande de subsides par le roi d'Angleterre que l'appel à l'assemblée géné-

-1. « Ordeneren que la supplicacion feita per los boeuceys que los prisoneys los fossar balhatz et que los possessan tenir en lors liostaus, que no los sian balhatz, quar dopte sere que los trattessan mau. » Registres des délibér., fol. 117, recto.

2. Id., fol. 127, verso.

ASSEMBLÉES POPULAIRES. 211

raie devient obligatoire. La commune tout entière, dans ces circonstances, est maîtresse absolue. Les ma- gistrats se garderaient bien de rien décider sans elle, et ils déclinent toute responsabilité. En avril 1420, une assemblée d'Etats ayant été indiquée à Dax pour y dé- libérer sur un subside demandé, le conseil des Trente, consulté par la jurade, jugea qu'avant toute chose, on devait convoquer le peuple et lui faire lecture des lettres du roi et de son sénéchal, afin qu'il donnât aux députés les pouvoirs nécessaires, et que rien ne se fît sans son avis et consentement ^

L'hôtel de ville de Saint-Eloi fut alors le théâtre d'une des plus solennelles assemblées qu'il eût vues depuis longtemps : tous les citoyens actifs de la cité étaient là, réunis devant les jurats, les Trente et les Trois- Cents, qui formaient le conseil extraordinaire de la commune. Trois mille personnes vinrent au rendez- vous, pour délibérer et voter ensemble.

L'assemblée fut ouverte par le clerc de ville qui, après avoir lu les lettres du roi et du sénéchal, exposa briève- ment le sujet de la convocation, et exhorta chacun à dire librement son avis. Les jurats, disait-il en terminant,

1, « Que doman que sera digmenge lot la poble sia apperat et ajuptat à Sent Ylegy, et que per donnar poder aus senbors qui iran per nome de la ciutad de Dax, siao monstrada las letras deu rey nostre senhor et deu loctenent deu senescaut au poble, et que sia feit so que se l'ara en aquesta part ab lor volher et cosselb. » Délibération du -27 avril, d'après Baurein, Bulletin polymathique, t. X, p. 339.

212 COMMUNE DE BORDEAUX.

étaient prêts à s'y conformera L'opinion qui prévalut d'abord fut celle de Jean Ferradre, qui ne voulut pas qu'on accordât ni taille, ni imposition par feu. 1,300 communiers des plus notables, plus l'unani- mité des Trois-Cents, embrassèrent cet avis.

Ce vote n'était pas définitif. La commune, mise en face d'une demande de subsides, avait songé d'abord à ses franchises, et son premier mouvement avait été de la repousser comme une atteinte à ses privilèges.

Mais, après cette satisfaction donnée à la dignité de la commune, un retour s'opéra dans les opinions. Con- tente d'avoir prouvé au roi d'Angleterre qu'elle pouvait refuser le subside, la commune en appela à elle-même, et revint à une décision plus conforme aux circonstances. Quelques jours après, en effet, il fut résolu d'un com- mun accord qu'on donnerait aux députés des pouvoirs compatibles à l'honneur de la cité, qui, disait-on, n'a- vait manqué en aucun temps à ce qu'elle devait à son souverain^. On donna donc aux députés plein pouvoir de consentir aux intentions du roi ; mais avec cette clause que ce qui serait adopté par les États ne pourrait préjudicier aux libertés et statuts de la commune

i. « Sur so que casum aqui pressent voulus dire son abis... quar lor senhors jurais son entenden ab gobernar ab lor bon abis et cosselh. » Ici., ibid.

2. « Car bon sera que ayan tan poder que sia honor de la ciutat, la quau nuls temps no ha de falhit de far son degut envers lo rey, nostre senbor, et ayssi que sia au plasir deu rey. » Délibération du 29 avril, p. 361.

ASSEMBLÉES POPULAIRES, 213

(l"mai 1420). Lorsque les députés furent de retour, le peuple fut convoqué de nouveau, 10 juin, pour en- tendre le rapport de ce qui s'était fait à Dax. Lecture lui fut donnée d'une lettre d'Henri V qui le remerciait des frais que la commune s'était imposés pour la dé- fense du pays. Elle lui avait accordé cent hommes d'ar- mes pour trois mois, ce qui lui coûtait une imposition de 20 sols sur chaque tonneau sortant de la ville ^ A ce prudent calcul qui règle les dons de la commune au suzerain, répond naturellement une liberté toute spon- tanée de la part de tous les citoyens, quand il s'agit d'assister la jurade elle-même. Dans le temps même oîi le peuple s'interroge si longuement sur les secours de- mandés par Henri V, nous voyons toutes les corpora- tions empressées de fournir à la jurade les sommes nécessaires pour subvenir à des besoins locaux ^. Plu- sieurs feuillets du Registre des délibérations sont remplis des chiffres des avances faites librement au trésorier

1. Registre des délibérations^ fol. 20 et 21.

2. Un article des établissements de Bordeaux, cité par M. Jules Delpit (manusc. anglais, Introd., p. 229), montre combien était sévère, pour ne pas dire impitoyable et absurde dans certains cas, cette loi de solidarité. Si un noble ou un clerc, débiteur d'un bourgeois, refuse de comparaître en justice devant le maire, toute relation directe ou indirecte de tous les bourgeois avec lui, les siens ou leurs représentants, doit immédiatement cesser. Le bourgeois qui enfreint cette « excommunication réelle » devient personnellement resi^on- sable de la dette. Si ces moyens ne suftisent pas, la commune tout entière doit aider son associé à se faire rendre justice.

214 COMMUNE DE BORDEAUX.

de la ville par les boulangers, les bouchers, les reven- deurs, la banlieue d'Entre -deux-Mers, et les quartiers de Cauderan, Colinhan, Bouscat et Talence*.

Encore fortifiée par les dangers de la guerre, cette solidarité ramènera, pour toutes les affaires qui pour- ront intéresser la commune, la convocation de l'as- semblée populaire. On vient d'apprendre (18 novembre 1420) qu'un vaisseau ennemi a paru dans la rivière, chargé d'un grand nombre de gens d'armes et de trait. Aussitôt, sur l'avis d'un jurât, on convoque le peuple ^ Même recours à l'opinion universelle, lorsqu'on an- nonce que le dauphin de France approche, et que son intention est de venir mettre le siège devant Bor- deaux ^ Il semble qu'au contraire l'aggravation du péril eût concentrer davantage le gouvernement dans les mains de la jurade. Loin de là, plus il aug- mente, plus l'action s'étend à la masse; la jurade pa- raît abdiquer, et se borner à exécuter les volontés de l'assemblée populaire. Mais si les institutions de li- berté s'accroissent à l'excèS;, si le pouvoir exécutif lui- même tombe aux mains du peuple, n'est-il pas à craindre que la démagogie ne fasse regretter l'antique direction de la jurade? Il est permis de supposer que de violentes perturbations, dont le bruit s'est perdu pour nous dans le tumulte croissant de la guerre na-

1. Registre des délibérations, fol 130, 134. ?. Id., fol. 57, verso. 3. Id., fol. M 7, verso.

FORCES MILITAIRES. 215

tionale, aient fini par rompre, en 1453, l'équilibre établi dans la commune par le travail du xiv* siècle. En attendant, la commune ajoute à sa puissance politique l'appareil d'une force militaire respectable. La milice de ses bourgeois est la première armée que fournisse la Guyenne, la première dont le secours soit invoqué par les souverains d'Angleterre et par la pro- vince. En 1420, c'est la commune de Bordeaux qui se charge d'assiéger Saint-Macaire, tombée au pouvoir des Français. Les jurats * ordonnent de faire porter à ce siège des engins, brides, canons et bombardes. Tous les bourgeois, propriétaires ou marchands, sont tenus de se rendre au siège. Les marchands fermeront leurs boutiques jusqu'à nouvel ordre. Les maire et jurats ont seuls le droit de lever et de commander ces troupes bourgeoises. La commune combat pour l'An- glais, mais sans être à son service. On a décidé, il est vrai, que dans cette circonstance on porterait, non pas la bannière de la ville, mais celle de Saint-George, afia de faire mieux éclater le dévouement de Bordeaux à la cause anglaise. Mais la commune n'abdique pas néanmoins son indépendance par rapport au service militaire ; et on arrête en même temps que, « pour faire les honneurs de la cité, il serait fait un cri géné-

1. « Que tota maneyra de gens angan au seti a Sent Ma- kari, et que los hobraduys sian barratz, entro que siat au- trament hordenat. » Registres des délibérations, 1420, 1421, fol. 25.

216 COMMUNE DE BORDEAUX.

rai ^ )) Le patriotisme des Bordelais, ne l'oublions pas, ne sort pas à cette époque de l'enceinte de la cité. On se bat contre les Français, mais sans aucune sympathie pour la nation anglaise. Les Aquitains n'étaient pas plus aimés des Anglais; car, lorsque, par suite des pertes qu'ils avaient éprouvées pour le service du roi, ils se retiraient en Angleterre, ils y étaient fort mal reçus par les sujets du souverain pour lequel ils avaient combattu dans leur pays ^. Aussi, toutes les parties im- portantes du service militaire ne sont confiées qu'à des bourgeois : l'artillerie, les patrouilles de nuit, la visite des corps de garde ^

{ . « Que sia feyta la honor de la ciutat, et que sia feyt ung crit generau. » Regist., ibid.

2. Ces émigrés étaient appelés, en Angleterre, alliantz. Beaucoup se plaignaient d'être accablés de vexations et d'in- jures. Ils réclamaient d'Henri IV le droit de demeurer, ven- dre, acheter, posséder et acquérir terres, rentes, pour eux et leurs hoirs, et d'user de leurs biens en toute liberté, comme les sujets nés en Angleterre, « ainsi, disaient-ils, que droit et « raison le requièrent. >. Ils demandaient que les offlciers et ma- gistrats royaux empêchassent qu'il ne fût fait désormais aucun attentat à leurs corps et biens. Henri IV fît droit à leur requête par lettres patentes du 7 février 1412. Rymer, t. IV, part. 2, p. 5 et 6.

3. Les capitaines chargés de commander l'artillerie sont les bourgeois Johan Estèbe et Vigoros Estèbe. Id., ibid. Ils avaient des canons d'un calibre énorme. Le 14 déc. 1420, les jurats ordonnèrent de faire achever au plus tôt le grand canon qui était commencé, et qui devait tirer des charges de sept quintaux. Un nommé Jean Gautier, officier de l'artillerie de la ville, fabriquait ces pfèces monstrueuses. Les jurats pas- sèrent avec lui un contrat pour la fonte d'un autre gros canon de la charge de cinq quintaux ; ils s'engageaient à lui fournir

JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE. 217

Pour le siège de Budos, en 1422, ce sont deux jurats qui sont chargés de commander la milice bordelaise. Si le connétable de Bordeaux reçoit, par hasard, le titre de capitaine de la ville, ce n'est que du consente- ment de la jurade *, et quand le roi d'Angleterre invite la commune à faire une expédition dans la Saintonge et le Poitou, la jurade commence par convoquer les Trente et les Trois-Cents. On délibère, et l'armée communale ne se met en marche que sur l'avis des magistrats ^.

Aucun moment n'eût été plus opportun pour l'ex- tension des privilèges de la jurade aux dépens de toute autorité rivale ; aussi la voyons-nous alors profiter du prestige que lui donnait son rôle dans la défense du pays, pour restreindre la juridiction ecclésiastique. Dès le 30 juillet 1419, les jurats avaient fait publier défense à tous bourgeois^ procureurs en cour d'Église, sous peine d'être privés du droit de bourgeoisie ',

« tôt lo fer et tôt lo carbon que beson sara affar lodeyt canon. » Ces bombarbes, malgré leur pesanteur prodigieuse, se trans- portaient comme le reste de l'artillerie; on trouve qu'elles ont été employées pour divers sièges : Budos, Lamarque, Monguion, Saiat-Macaire, Lamothe, Montrevel, Rions, Puynormand, Ma- lengent. Baurein, Bulletin iwlymathique, t. X, p. 367-369. i. Id., fol. 36, verso.

2. Registre etc., fol. iii, verso. Sont frappés d'une forte amende les bourgeois qui se dispensent d'aller à la guerre. Le seigneur de La Lande portait l'étendard de la ville, fonction héréditaire dans cette famille.

3. « Sub la pêne destar privât de borguesia. » Reg. des délibér., fol. 34, verso.

218 COMMUNE DE BORDEAUX.

d'instancer aucun bourgeois par-devant les juges ec- clésiastiques, à moins que les bourgeois ne fussent tenus de comparaître en vertu de quelque charte ou contrat. Ils avaient en même temps défendu aux no- taires de recevoir aucun acte dans lequel les parties se soumettraient par serment à la sentence d'un juge d'église. L'archevêque de Bordeaux, David de Mont- ferrand, répondit que c'était une atteinte portée à la disposition des saints canons et une usurpation sur sa juridiction. Il soutint en conséquence que les jurats avaient encouru l'excommunication majeure \ et il leur fît même écrire par le pape Martin V, qu'ils eussent à rétracter leur défense et à réparer le tort qui en ré- sultait.

Les jurats, au lieu de déférer au désir du souverain pontife, invoquèrent l'autorité du roi, qu'ils croyaient favorable à leur prétention, et firent sommation à l'ar- chevêque de se soumettre à la volonté royale^. Ils firent en outre publier défense de payer les cens et rentes dus, tant à l'archevêque qu'aux chapitres de Saint-André, de Saint-Seurin et aux autres gens d'église, ce qui était une saisie de leur temporel. Cette défense fut bientôt rétractée devant les censures de l'Église ; mais on mit en délibération la question de

1. « Cum non esset dubium ipsos summam excommunica- tionem a canone contra talia perpétrantes incurrisse. » Reg. des délibér., fol. 35, recto.

2. « Et que sia requerit que fassa la voler deu rey. » Id,, fol. 16, verso.

JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE. 219

savoir si ceux qui l'avaient portée avaient encouru les censures, et s'ils devaient se présenter à l'archevêque pour lui en demander l'absolution *.

Plusieurs furent d'avis d'en conférer avec les gens du conseil du roi; mais quelqu'un représenta que les jurats ne se tenaient pas pour excommuniés, et que rien, par conséquent, ne devait les empêcher de pro- céder à l'élection qui devait se faire, en ce moment, d'un nouveau membre de la jurade ^.

Les jurats ne laissèrent pourtant pas de se pourvoir, tant devant le roi que devant le pape. Un député, en- voyé à Rome, en rapporta trois bulles dont une conte- nait une citation contre Tarchevêque ^. D'un autre côté, le maire de la ville et le sénéchal de Guyenne, qui tous deux revenaient d'Angleterre, en rapportèrent des lettres patentes adressées à l'archevêque pour qu'il suspendît ses poursuites *.

Cette double intervention du pape et du roi changea tout à coup le langage du prélat sans modifier au fond son attitude. Il prétendit qu'il n'avait point porté d'ex- communication contre les jurats ; il soutint seulement qu'il n'avait fait que ramener à exécution les anciennes

i. Reg. des délibér., fol. 2o, verso.

2. Id., fol. 26, verso.

3. Id.,M, 37, recto.

4. « Daquet medi jorn arriberen a Bordeu Moss' lo mager et Moss'' lo senescaut de Guiana, et portan a plusors las letras deu rey notre S' que eran dirigadas a Moss"" larcebesqne de Bordeu. » Id., fol., 43, verso.

220 COMMUNE DE BORDEAUX.

constitutions synodales et provinciales ; que ce n'était point lui, mais le droit, qui excommuniait la jurade, et que, d'ailleurs, cette excommunication était réservée au pape*. Aussi les jurats firent-ils appel par provi- sion de l'excommunication que l'archevêque devait faire publier contre eux dans les églises paroissiales de Bordeaux. Le procureur-syndic signifia cet appel à l'archevêque et lui demanda les apôtres'^ ^ c'est-à-dire le renvoi vers le juge devant lequel l'appel devait être relevé.

Pendant le débat que nous venons de résumer^ le sénéchal de Guyenne avait formé un projet d'accord ; mais David de Montferrand ne jugea point à propos d'y déférer ; il fit au contraire dénoncer dans tout le dio- cèse un projet d'excommunication contre les jurats.

Il était temps pour ceux-ci de prendre une résolu- tion. Ils tinrent une assemblée solennelle, et, dès le début delà délibération, ce fut une pensée de concilia- tion qui se fit jour. Jean Olivier, l'un des premiers opinants, dit qu'il était déjà avancé en âge, qu'il ne voulait point être excommunié, et qu'il fallait rendre à l'ÉgHse ce qui lui était dû^ Après lui, Guillaume Potevin exposa qu'il était nécessaire que les jurats et les trente conseillers fussent animés du même esprit.

1. Reg. des délibér., fol. 47, recto et verso.

2. « Et la foren demandât apostels. » Reg. des délibér., fol. 89, verso.

3. Id., ibid.

INTERVENTION D'HENRI V. 221

et qu'ils agissent d'un concert unanime ; mais il ajouta qu'il fallait envoyer des sergents aux portes des églises, pour arrêter ceux qui porteraient la sentence d'excom- munication. Ce dernier avis parut excessif, et quel- qu'un fit observer qu'il y avait déjà assez de mal sans qu'on en fît encore davantage.

L'opinion de Potevin prévalut ; si, comme on peut le présumer^ la jurade recueillit le prix de sa modéra- tion, c'est au roi qu'elle en fut redevable. Sur les plaintes qu'elle lui avait adressées, Henri Y envoya un de ses clercs à Rome, pour recommander l'affaire à l'évêque d'Hertford, son procureur auprès du Saint- Siège. Ce prélat était invité à rendre aux jurats, en cour de Rome, tous les services qui dépendraient de lui. Quant à l'archevêque, le roi lui témoigna son mé- contentement, et le cita pour se rendre en Angleterre, oii les jurats envoyèrent aussi des députés chargés de défendre leur cause.

Nous ne savons au juste quelle fut l'issue du débat, car c'est au milieu de ces événements qu'est inter- rompu le Registre de la jurade ; mais nous avons du moins la lettre qu'Henri V lui écrivit à cette occasion, et elle témoigne des dispositions les plus favorables : « Très-chers et féaulx, par les lettres que dernerement escript nous avez et autrement, avoras sceu les peines, travalx, vexacions, et dommages par vous suffers et sustenus par les griefs, poursuites feytes contre vous et ordonnez par révérend père en Dieu larcevesque de

222 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

Bordeaux, dont nos navons este ne sommes ben con- tents, et pour ce avons escript en cour de Rome a révérend père en Dieu nostre cher et féal levesque de Hertford nostre procureur et autres nos amys que en iceluy procès ils vous facent ayde tout et concel, com- fort et suivant qu'ils pourront, etc. ^ »

Le réveil de la guerre avec la France au début de la période Lancastrier ne donna une nouvelle activité au commerce bordelais. Nous avons vu que Richard II avait poussé aussi loin que possible la partialité en fa- veur des marcbands de la commune ; il leur avait aban- donné un monopole qui devenait oppressif et ruineux pour les trafiquants des autres pays.

Une si grande latitude dut entraîner des abus. Aussi le successeur de Richard II, Henri IV de Lancastre, s'empressa-t-il de réglCinenter le commerce des vins. L'ordonnance qu'il rendit le 8 juin 1401 contient le détail de la police à laquelle ce commerce devait être soumis désormais. Nous y trouvons des prescriptions sur la jauge, l'estimation, la visite des vins, et sur le jugement des contraventions et des fraudes. Le roi confirme sans doute tous les privilèges accordés par ses prédécesseurs aux marchands bordelais pour le trans- port de leurs produits ; mais il veut, en retour, assureii- aux acheteurs la quantité et la qualité. Entre les mar- chands de la Guyenne et les étrangers, les procès se-r

1. Reg. des déljbé/., fol. 89, verso.

LES COURTIERS DE LA VILLE. 223

ront jugés par des arbitres {médiates), pris roi-partie dans le duché, mi-partie dans le lieu on le différend se sera élevé *.

La jurade, à son tour, prit, en 1414, un arrêté pour garantir, par rapport à la qualité du vin, l'intérêt du .vendeur et celui de l'acheteur. Il y avait déjà à cette époque des offices de courtiers ^. C'étaient de siniples commissions qu'on n'exerçait qu'au nom de la ville, et qui s'affermaient chaque année. Leur principale obligation était de s'assurer de la qualité du vin. Si le vin se comportait mal après avoir été vendu, les bour- geois ne devaient pas en souffrir ; c'était la faute des courtiers qui auraient le mettre eux-mêmes à Té- preuve. Afin d'éviter tout débat et toute perte pour le vendeur, la jurade défendit aux courtiers de demander du vin soi-disant éprouvé, sous peine d'être privés de leur office et de couri?' la ville, c'est-à-dire d'être fus- tigés par les rues de la cité ^

L'explosion de la guerre contre la France amena bientôt des décrets de prohibition contre la vente et l'entrée dans Bordeaux de tout vin qui n'était pas de

1 . L. des Bouillons, fol. 92, recto et verso.

2. .Regist. des délibér. de 1414-1416, fol. 16, recto et verso.

3. « Et plus ordenam que nuih no sia si ardit de balhar vin a la proa, en pena de perdre le vin et quinze liuras de guatge per cascuna pessa (pièce, Du Gange), ni corratey si ardit de demandar, et que en cas que nulh ne demande, que totz aquety ataus sian pribatz de l'office et corre la bila et que aquesta ordenanssa angua a la trompa. » Reg. des dôlibér., fol. 16, verso.

224 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

cru bourgeois. La jurade voulait surtout écarter les vins de France, et, pour l'extension de son privilège, elle s'associait pleinement aux sentiments d'hostilité dont les Anglais étaient animés à l'époque de la guerre d'Azincourt. En mars 141 S, des taverniers s'étaient permis de vendre d'autre vin que du vin bourgeois. Ils furent mandés à l'hôtel de ville, et défense leur fut faite de récidiver, sous peine d'être mis au pilori et d'être bannis de la ville pour un an*.

Des Anglais qui avaient fait à la Rochelle leur pro- vision de vin ne furent pas épargnés. Les Trente fu- rent convoqués au sujet de ce vin ennemi, et il fut décidé qu'il ne serait pas déchargé au port de la ville 2.

La prohibition fut étendue aux vins chargés sur des navires appartenant aux filleules de Bordeaux. Il fut arrêté (janvier 1415) que des marchands de Libourne, entrés dans le port de Bordeaux, ne paieraient pas de droits pour les vins qu'ils avaient à bord de leur navire, s'ils prêtaient serment que ces vins n'appartenaient à aucun Français. Mais si ces vins entraient en ville, ils seraient taxés, quand même ils sortiraient ensuite de Bordeaux pour être reportés à bord ^. Quoique n'ap- partenant à aucun Français, ces vins pouvaient être de provenance française, et, à la faveur du déchargement,

ï. « Sotz pena de estre mes au pilhauren et de estre banis de la bila por i an. » Reg. des délibér., fol. 57, recto.

2. Id., fol. il 2, recto, janvier 1415.

3. Reg. des délibér., fol. 110, recto.

PRIVILÈGES COMMERCIAUX. 225

faire concurrence au vin de bourgeois. C'est sans doute ce qui motive la restriction. Nous voyons, en effet (avi'il 1416), quela jurade ordonna à son trésorier de rendre aux Libournais ce qu'ils avaient payer à la Bilhette *, parce qu'ils avaient juré sur l'autel de Saint- Antoine qu'ils étaient étrangers, non Français ^

Les mêmes motifs qui rendaient alors la commune si vigilante pour la défense de son monopole et de ses revenus, la déterminèrent à défendre le transport de toute espèce de monnaie hors de Bordeaux et du pays bordelais. Elle rappela à cette occasion les ordonnances des rois d'Angleterre, et il fut décidé que quiconque ferait sortir la monnaie hors des limites prescrites, sauf le cas de dépenses personnelles à acquitter, serait pas- sible de la confiscation du métaf, moitié pour le roi, moitié pour celui qui aurait surpris le délit ^.

L'effet de cet arrêté fut d'en amener un autre sur le change de la monnaie d'or. De riches particuliers s'é- taient livrés à ce négoce, et en tiraient de beaux pro- fits. La jurade le leur interdit, en rappelant qu'il y avait des changeurs d'office, qu'eux seuls avaient le droit de bénéficier du change, et les délinquants furent passibles d'une amende d'un marc d'argent pour cha- que pièce d'or*.

1. Imposition frappée sur ciiaque tonneau de vin. Expli- cation donnée par l'abbé Baurein.

2. Reg. des délibér., fol. 122, recto.

3. Id., fol 95, verso, septembre 1414.

4. Reg. des délibér., fol. 05, verso, lia* valeur du marc

IS

226 PRIVILÈGES COMMERCIAUX.

Le Registre de 1414-1416 nous fournit plusieurs fois la preuve que la guerre acharnée qu'Henri V fai- sait alors à la France était pour les marchands et pour les armateurs de Bordeaux une source abondante de bénéfices. Ils appareillaient des navires, au compte des Anglais, pour le transport des troupes d'Henri V dans la vallée de la Charente *. Ils étaient autorisés à armer des navires en course pour faire la chasse aux bâtiments de France ou d'Espagne ^ Les corsaires de Bordeaux en voulaient surtout au commerce de la Rochelle; nous en trouvons une preuve dans un procès qui s'é- leva en 1415, entre Bordeaux et Saint-Sébastien. Deux corsaires bordelais avaient pris une barque richement chargée et appartenant à un bourgeois de Saint-Sébas- tien, Domingo Bayres, qui, sur la foi des trêves, était allé à la Rochelle pour y vendre ses marchandises ; il en avait rapporté une somme considérable pour le temps^ 1,763 écus ^ Les magistrats de Guipuzcoa et de Saint-Sébastien réclamèrent au nom de la trêve. Une correspondance s'engagea à ce sujet entre la jurade de Bordeaux d'une part, et ceux d'Espagne et de Bayonne

d'argent était de huit francs et un quart de la monnaie cou- rante.

1. Id., fol. 92, verso.

2. Le corsaire l'Aigle, commandé par Picard Olivey, por- tait cinquante-six hommes, dont le Registre donne les noms. Id., fol. 96. Dans le dialecte bordelais, les navires de cette espèce sont appelés baleneys.

3. Reg. des délibér., 1414-J6, fol. 83-87.

BORDEAUX ET LONDRES. ' 227

de l'autre ; les magistrats de Bordeaux finirent par pro- mettre satisfaction.

La commune de Bordeaux était assez riche pour faire à Henri Y des dons volontaires. Pendant que ce prince assiégeait Harfleur, il leur fit une commande de vins et de vivres pour son armée; c'était comme une avance qu'il leur demandait. Les Bordelais s'imposèrent selon son désira Mais lorsque Harfleur eut été pris, il les dédommagea. JeanDubourdieu, archidiacre de Médoc et docteur du roi, écrivit aux maire et jurats pour leur demander cinq à sept cents tonneaux de vin qui, cette fois, devaient être payés ^. « Veuillez lui com- plaire, dit-il en terminant, car il vous aime de bon cœur, et il a grande confiance en vous et en' la cité. »

Mais le grand embarras pour le roi d'Angleterre, c'était toujours de mettre d'accord le privilège de Bor- deaux et de celui Londres. C'est un conflit qui n'aura cessé de se produire que bien rarement pendant les trois cents ans de domination anglaise. Il durait encore à 1^ veille même de la conquête française. En 1446, Lonr dres prétendait toujours qu'elle possédait, avec le pri- vilège de commercer dans toutes les possessions an-

■I. Reg. des délibér., fol. 90, verso.

2, « Ed aura plaser sied pode liaver am son argent una quanlitat de vins dacjue a cinq cents o 700 lonetz, cum vos leyratz per sas letras lasquans ed ma balhat... Vulhatz com- plaser a luj-, qnar ed vos ^pgiiji de bon cor et a gran Gdantsa eu vos et eu la ciutat. » 14.. fol. 90, verso.

128 PRIVILEGES COMMERCIAUX.

glaises, le droit de manium^^ c'est-à-dire le droit de s'indemniser par la saisie d'un navire de la ville qui aurait exigé d'en Londinien un impôt quelconque^. Ces prétentions du commerce anglais nous prouvent une fois de plus que les sujets de la Grande-Bretagne étaient loin de s'associer aux ménagements que leurs souverains gardaient envers l'Aquitaine. Elles devaient amener des rixes fréquentes, car les marchands de Bordeaux soutenaient leurs droits dans Londres même^ les armes à la main. Une lettre du maire et des aldermen de Londres^, en date du 15 septembre 1446, nous est restée comme le témoignage de l'hostilité des deux capitales en matière de trafic. Les expressions amicales du préambule ne trompent pas sur l'antago- nisme des intérêts. Les magistrats anglais se plaignent qu'au mépris de leurs privilèges et sous prétexte de certaines impositions ^, on a saisi des marchandises à plusieurs de leurs citoyens. Ils invitent les Bordelais à restituer' ce qu'ils ont pris, et à ne plus inquiétera l'avenir les habitants de Londres dans la jouissance de leurs droits.

1. Probablement contraction de maniamcntum, droit de répression, de justice. Du Gange.

2. J. Del|:it, Introd. aux Documents, p. 237-238.

3. Archives de la Mairie de Bordeaux, parchemin muni d'un sceau en cire rouge (V. l'Appendice IV). Il m'a été commu- niqué par M. l'archiviste Detcheverry, auquel je suis heureux d'exprimer ici ma gratitude pour l'aimable obligeance avec laquelle il a facililé mes recherches.

4. C'étaient les droits do lastagium (lestage), picagium

COMMUNE DE BORDEAUX. 229

Quoi qu'il en soit de ce débat particulier, on ne peut s'étonner des témoignages de bon vouloir et des avances faites par Henri V à la commune bordelaise, quand on songe qu'à l'époque nous sommes arrivés, c'est-à- dire en 1420, elle est devenue véritablement le rempart de la domination anglaise en Guyenne.

En dehors de la cité, les jurats sont assez accrédités dans la province comme chefs militaires, pour pouvoir prendre, au service de la commune^ même des gen- tilshommes *, ou pour protéger de puissants seigneurs, comme le sire de Lesparre, lorsqu'ils sont maltraités par les Français ^, ou calomniés auprès du roi d'An- gleterre.

C'est maintenant à eux qu'est remise en quelque

(droit que payaient les marchands forains pour avoir la per- mission de faire, dans la terre, les trous nécessaires à la con- struction de leurs baraques), passagium (droit pour l'entre- tien de la chaussée des chemins), teloneum (tonlieu, droit de passage, d'entrée, de douanes). Du Cange.

1. Le seigneur de Castillon, en Médoc, reçoit une gratifi- cation de 400 écus de la commune pour garder le bas de la rivière contre les invasions des habitants de Talmond. « Que aucuna causa fos dada rasonablament a mossenhor de Castel- hon, por tenir bas la ribeyra segura deus Talamoners. » Reg. des délibér., fol. 00, recto.

2. Voir la lettre de la dame de Lesparre aux jurats, 1414, Reg., fol. 37-38, et celle de 1 M 5, fol. 6S'. Nous voyons alors figurer parmi les bourgeois de Bordeaux plusieurs grands seigneurs du voisinage, Gaillard de Jonqueyres, le sire de Montferrand, Bernard de Lesparre, qui était déjà sénéchal de l'Agenois depuis 1400. Id., fol. 18, 112. Cf. Rôles gascons, 1. 1, p. 202.

230 COMMUNE DE BORDEAUX.

sorte la destinée de la province. Une ville assez forte d'ailleurs, Blaye, menacée d'une attaque française, les invoque comme son plus puissant recours*. A l'oc- casion de la trêve proposée par les rois de France et d'Angleterre en avril 1415, la jurade bordelaise fut consultée par les jurats de la Réole, de Cazas, de Rions , deLangon, par le comte d'Armagnac, la dame d'Al- bret, le captât de Buch, c'est-à-dire par les premiers barons du Midi^ Elle ouvrit avec eux une correspon- dance détaillée, elle envoya à tous ses avis ou ses or- dres, elle étendit sur tous son utile patronage^, et, au même moment, sa renommée d'indépendance et de force lui procurait l'alliance de la commune de Bruges^ l'une des premières de ces communes flamandes qui étaient les plus respectées de toutes au moyen âge.

La démarche des bourgeois de Bruges auprès de ceux de Bordeaux aurait mis ces derniers dans une si- tuation très-faiisse vis-à-vis du roi d'Angleterre, s'ils n'avaient pas été en mesure de braver le suzerain lui- même. Henri V avait fait conduire dans le port de Bor- deaux des bâtiments brugeois saisis par la flotte anglaise au port de Zelay. Sur la sollicitation de la commune de de Bruges, les Bordelais traitèrent en amis les prison- niers dllenri Y, mirent en sûreté leurs personnes et

1. Reg. des délibér., fol. 53.

2. Jd.,fol. 59, 105.

3. Reg. des délibér., 1414-16, fol. 3, reclo et verso. V. l'Ap- pendice III.

BORDEAUX ET BRUGES. 231

leurs biens, et cette courtoisie de commune à commune leur valut de la part des Brugeois une lettre dans la- quelle la cité flamande les remerciait avec la plus vive cordialité, et leur exprimait le désir de faire avec eux une étroite alliance*.

Elevée au rang d'une cité flamande, la commune de Bordeaux ne pouvait monter plus haut dans la hiérar- chie communale. Elle avait qualité de puissance souve- raine et, à ce titre, elle était investie, presque à la veille de sa chute, du patronage le plus recherché à cette époque par les rois eux-mêmes, celui d'une université. A la requête du maire et des jurats, un rescrit du pape Eugène IV (1441) instituait à Bordeaux une univer- sité organisée sur le modèle de celle de Toulouse; les magistrats de la cité étaient déclarés patrons de la cor- poration enseignante, et un dignitaire du clergé bor- delais, l'archidiacre de Saint-André, devait en être le chancelier perpétuel'. Cette institution pontificale et le privilège tout royal qu'elle concédait à la jurade de Bordeaux donnent la mesure du crédit dont jouissaient à la fin de la période anglaise les chefs de la commune,

i. La commune avait alors à son service une sorte d'agents secrets, appelés Pensionnaires de la ville. En décembre 14 lo, Pierre Rivière et Guillaume Sarpot sont nommés pension- naires de la ville, avec un honoraire de 20 francs par an- Ils prêtaient le serment d'informer et de conseiller loyalement les jurats pour la cause de la commune, et de garder le secret. îd., fol. 107 et 108.

2. De Lurbe, p. 24. Cf. Hist. du Collège de Guyenne, par M. Gaullieur, archiviste de la ville de Bordeaux, Introduction.

232 COMMUNE UE BORDEAUX.

et sont en quelque sorte le couronnement de leur autorité.

Telles sont les phases du développement de la com- mune bordelaise. Entre toutes les formes si diverses que présente la vie politique au moyen âge, c'est in- contestablement l'une des plus dignes d'intérêt, par le mélange de persévérance et d'habileté qui caractérise cette bourgeoisie laborieuse, avisée et fière, par l'à- propos avec lequel elle saisit toutes les occasions d'étendre ses libertés, par le caractère exceptionnelle- ment démocratique qu'avait revêtu sa constitution, au moment même elle allait êtr? absorbée dans l'unité française.

Du jour oii elle passe avec le duché d'Aquitaine sous la domination directe de l'Angleterre, elle profite du conflit qui s'engage dès ce moment entre l'occupa- tion anglaise et la suzeraineté jalouse des rois de France pour ressusciter d'antiques statuts dont elle nie la prescription. Après avoir mis un siècle à faire ac- cepter de ses maîtres étrangers la juridiction tutélaire de son maire et le caractère allodial de la propriété bourgeoise;, elle complète, du xni® au xiv" siècle, sa constitution municipale, et s'élève insensiblement au rang de seigneurie féodale. La guerre de Cent Ans donne à ses libertés un essor nouveau. La lutte des deux forces qui se la disputent lui laisse la complète indépendance de ses mouvements, et elle se maintient ainsi jusqu'au règne de, Charles Vîl dans un équilibre

COMMUNE Dli BORDEAUX. 233

hardi, et dans un isolement fécond. A l'intérieuiv la jurade conquiert toutes les attributions qui rentrent dans le gouvernement politique d'un état libre, jus- tice, police, administration financière et militaire, droit de paix et de guerre avec les nations étrangères. Sous la menace de l'invasion française, le gouverne- ment de la cité cesse d'être une délégation. La jurade sent le besoin d'un point d'appui;, et le principe de la souveraineté populaire est appliqué dans toute sa vé- rité. Le sort de tous est fixé par tous, à ciel ouvert, sur le parvis de Saint-André. Au dehors, cité puissante et riche sous cette suzeraineté discrète et à peine sentie des rois d'Angleterre, Bordeaux constitue un État à part, sut generis, une nation, une patrie. Les autres communes de Guyenne copient ses institutions, s'a- britent sous son patronage et s'honorent du titre de ses fîUeules ; enfin le maire et les jurats traitent d'égal à égal avec les plus hauts souverains, et les rois sollici- tent la qualité de bourgeois de la ville et commune de Bordeaux.

A quoi donc s'est réduite en définitive la suzeraineté de r Angleterre sur cette capitale? A être le témoin et l'auxiliaire de son émancipation graduelle. Cette éman- cipation a eu son point de départ dans le droit romain ; sa cause occasionnelle, dans la possession nominale de la province par l'Angleterre; ses moyens, dans les pro- cédés d'affranchissement et dans les garanties qu'offrait le système féodal ; son prétexte persistant jusqu'au

234 COMMUNE DE BORDEAUX.

XV* siècle, dans le danger pour l'Angleterre de voir tomber Bordeaux sous la puissance immédiate de la France.

Ainsi se trouve en grande partie justifié le jugement du savant abbé Baurein sur la forme du gouvernement de la ville de Bordeaux pendant le temps qu'elle était annexée à la couronne des rois d'Angleterre : « Ces rois, dit-il, ne se mêlaient en aucune façon du gouverne- ment politique de Bordeaux ; pourvu que les Bordelais leur restassent fidèles^ ils les laissaient maîtres de se gouverner eux-mêmes, comm.^ ils le jugeaient à pro- pos ^ )) Nous savons, par mille détails de l'histoire générale, que cette proposition peut être retournée, et que la fidélité des Bordelais fut toujours subordonnée au respect des ducs de Guyenne pour leurs libertés.

L'administration française ne tarda pas à leur faire sentir le prix de ce qu'ils avaient perdu en changeant de maîtres. Aux premiers jours de la conquête, le conseil de Charles VII avait cm devoir garder des ménagements envers des populations qui ne dissimu- laient pas leur antipathie pour les vainqueurs 2; car

1 . Mémoire iiistor. sur l'esprit et la forme du gouverne- ment de Bordeaux. Bulletin polymathique de Bordeaux, 1^12, t. X, p. 337-3^:9.

2. En 1442, lorsque les Français furent chassés de Saint- Loubès, les femmes elles-mêmes se mêlèrent aux combattants aquitains, et, pendant plusieurs jours, se chargèrent d'amener dans la ville les prisonniers français. » Journal de l'ambassa- deur anglais Beckington, p. 6.

CHARLES VII TRAITÉ DE 145L 235

partout, jusqu'aux moindres bourgades, elles avaient défendu pied à pied le territoire aquitain. Le traité conclu le 12 juin 1451 par Saintrailles, Jean Bureau et un mandataire de Dunois avec les trois Etats de Bordeaux et du duché de Guyenne' , stipulait le mai ntien des habitants du Bordelais, du Bazadais et de l'Agenais « en leurs franchises, privilleges, libériez, statuz, loyx, coustumes, establiments , estilles, observances et usances » de leur pays^. Ceux des habitants de ces pays qui ne voudraient pas prêter serment d'obéissance au roi de France ni devenir Français, auraient un an pour régler leurs affaires et emporter tous leurs biens meubles; aucun de ceux qui resteraient en prêtant serment ne serait dépossédé, non-seulement de ses héritages et possessions quelconques, mais de ses di- gnités et offices ^ ; aucun nouvel impôt, taille^, gabelle, fouage, cartage*, ni autre subside quelconque, ne pourrait être étabh : « et ne seront tenus de paier doresennavant que les droit anciens deus et acoustumes en la dicte ville de Bordealx et es pays dessusdits ^. »

i. L. des Bouillons, texte imprimô, p, 533. Il fut ratiflé par Charles VII le 20 juin 14ol.

2. u El leur sera le roy bon prince et droicturier seigneur, et les guardera de tort et de force, de soy mesmes et de tous autres, et leur fera ou fera fere droit, raison et accomplice- menl de justice. » Id., p. 337.

3. M., p. 537, 538, 539.

4. Redevance rurale ; de quarta , mesure de froment. V. Du Gange.

5. L. des Bouillons, p. 539.

236 COMMUNE DE BORDEAUX.

Les marchandises importées dans le Bordelais ne se- raient point grevées de nouveaux droits*. Une cour souveraine serait établie à Bordeaux pour juger toutes les causes d'appel ; les rois de France ne pourraient as- treindre leurs nouveaux sujets à les suivre gratuitement à la guerre hors du pays de Guyenne, Ils feraient battre monnaie à Bordeaux; mais les monnaies anciennes auraient encore cours pendant un an ou deux, et Charles YII abandonnerait une partie de son droit de monnayage pour améliorer la monnaie nouvelle. Enfin, les officiers de justice du roi jureraient de respecter les privilèges et les coutumes du pays qui, d'ailleurs, con- serverait ses anciennes juridictions^.

Les plus précieuses de ces garanties disparurent bientôt ; comme toutes les autres provinces du domaine, la Guyenne fut soumise au régime de la taille fixe, des garnisons permanentes, de l'aide du quart du vin. Aussi lorsque Talbot descendit dans le Médoc (20 octo- bre 1452), loin de rencontrer de la résistance, il vit s'ouvrir devant lui les portes de la plupart des villes. (( Et, disait-on lors communément, ceux du pays de Bordelais s'estoient volentiers rendus aux Anglais, pour le grant desplaisir qu'ils prenoient en ce que le roy, depuis sa conqueste, avait assis au païs grands tailles et grous subsides, et si les traictoient les gens du

1 . I. des Bouillons, p. S39.

2. Id., p. 539-340.

BORDEAUX RECONQUIS PAR LES FRANÇAIS. 237

roy, trop plus durement qu'ils n'avoient accoutumé estre traictés des Anglais *. »

"L'histoire de la conquête définitive et du châtiment infligé au Bordelais par le conseil et par les lieutenants de Charles VII ne rentre pas dans notre cadre ; elle est d'ailleurs suffisamment connue. Après l'entrée de Charles VII dans Bordeaux, en 1453, il ne resta rien du traité de 1451 . Le roi consentit à laisser aux habi- tants la vie et leurs biens, mais aux conditions les plus rigoureuses ; la ville dut renoncer à ses privilèges et franchises, et s'obliger à payer une amende de 100,000 écus d'or. Les seigneurs de Lesparre, de Duras, de Rosem, de l'Estrade et seize autres, tant nobles que bourgeois-, furent exceptés de l'amnistie, et bannis à perpétuité des pays de Guyenne et Bordelais. Les Anglais obtinrent de repasser librement en Angleterre. Mais la flotte fut remise au roi^, et la soumission de la ville fut assurée par la construction des forteresses Tropeyte (Trompette) et du Hâ. Ce fut Jean Bureau, nommé maire perpétuel de la villC;, qui fut chargé du- commandement de ces deux châteaux.

En 14.')4, sur les supphcatiotis que des députés de Bordeaux vinrent lui porter au Plessis-les-Tours^ Charles VII voulut bien adoucir un peu ces conditions.

1. Monstrelet, t. III, p. 55, Paris, 1595. Cf. Thomas Basin, t. I, p. 258, 260.

2. Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 71-78, édit. de la Société de l'Histoire de France.

238 BORDEAUX RECONQUIS PAR LES FRANÇAIS.

L'amende de 100,000 écus fut réduite à 30,000, et leurs droits et privilèges furent rendus à l'hôtel de ville, ainsi qu'à différentes églises et communautés ^ Mais k roi garda le choix du maire et d'un cei tain nombre de jurats; il ne donna pas à Bordeaux le par- lement qu'il lui avait promis avant la rébellion ; il ac- corda seulement qu'un président et quatre conseillers au parlement de Paris viendraient annuellement juger les appels à Bordeaux. Les Bordelais purent «jouir du vin de leur cru, c'est-à-dire les vendre et faire sortir hors de la viHe et du pays sans payer aucune coutume, combien que, ajoute le roi, ce soit notre bien et ancien domaine; » mais tous les vins qui seraient exportés soit par la Gironde, soit par terre, seraient grevés d'une taxe de 25 sous tournois et 4 deniers sur chaque tonneau ; toutes les denrées et marchandises importées et exportées paieraient un droit de 12 deniers par livre ^. L'impôt sur les vins fut réuni au domaine, c'est-à-dire rendu perpétuel.

On sait aussi qu'un grand nombre de riches bour- geois émigrèrent en Angleterre. Mais comme le com- merce ne cessait d'attirer les Anglais à Bordeaux, et

1. Charte du 11 avril 1454.

2. « Fors et excepté sur poisson frais, chaire à détailler pour vendre, toute poulaille et volaille privée et étrange, et toutes autres mêmes choses pour manger qui garder ne se pourroient longuement. » Extrait des registres des Ordon- nances royaux registres en parlement; Archives de Bordeaux, parchemin, 1456.

LOUIS XI. 239

que ces visites donnaient des inquiétudes au gouverne- ment français*, un règlement de 14S5 obligea les mar- chands anglais de s'arrêter à Soulac, à l'entrée de la rivière, en attendant un sauf-conduit pour se rendre à Bordeaux. Ils devaient laisser leur artillerie et leurs munitions de guerre à Blaye et payer un écu par navire; à Bordeaux ils devaient être logés par le fourrier de la ville, ne pas paraître dans les rues avant cinq heures du matin ni après sept heures du soir ; s'ils achetaient du vin hors de Bordeaux, ils devaient se munir d'une autorisation du maire et des jurats, être accompagnés par les archers de la ville ^, et payer au connétable, outre les anciens droits, le droit de la branche de cyprès « pour marque d'avoir été à Bor- deaux ^ »

Louis XI comprit encore mieux que Charles VII l'utilité d'une politique de concessions à l'égard d'une ville qu'il appelait « la clé du païs de par delà^ » Il sembla prendre soin de dédommager les Bordelais d'une partie des pertes de toute nature qu'ils avaient faites depuis 1453. Quelques mois apiès son avène- ment, voulant, dit-il, contirmer les privilèges dont la cité jouissait avant sa première occupation, il attri-

\. Le roi d'Angleterre continua de nommei', pendant plu- sieurs années, un sénéchal de Gascogne et un maire de Bor- deaux.

2. Clause abrogée en 1413 par une déclaration de Louis XJ.

3. De Lurbe,-C/i/"0?i. hovd., p. 25, verso.

4. Lettres patentes du 12 novembre 1478.

240 BORDEAUX RECONQUIS PAR LES FRANÇAIS.

bua aux bourgeois la nomination de quatre jurats ciia- que année, et réserva le choix du cinquième au maire. Il restitua également à la municipalité la nomination du clerc de ville.

Pour diminuer le tort que faisait aux vins de cru bordelais la concurrence de ceux du haut pays, il in- terdit à ces derniers de descendre au-dessous de Saint-Macaire avant le jour de Noël *.

En 1466, une taxe de dix sols par tonneau ayant été imposée au profit du roi sur tous les vins récoltés dans le pays bordelais et chargés sur la Gironde, Louis XI exempta de cette taxe les bourgeois de Bor- deaux ^^

C'est lui aussi, on se le rappelle, qui avait rempli l'une des promesses cont nues dans l'acte de 14ol, en fondant un parlement à Bordeaux (1462). En i 478, les taverniers de la ville, trouvant du vin à meilleur compte que celui des crus des bourgeois, avaient introduit au parlement une procédure tendant à leur permettre la vente de toute espèce de vins. Les bourgeois réclamè- rent la confirmation d'un de leurs plus importants pri- vilèges. Louis XI cassa et annula toute la procédure faite en la cour par MM. de (Jandale^ de Duras,, de Montferrand, contre le procureur-syndic de la ville, et défendit aux taverniers de vendre en détail des vins

1. Lettres patentes du S octobre 1461, parchcuiin muni du sceau. Archives de la Mairie de Bordeaux.

2. Parchemin conserv*^ aux Archives de la Mairie.

BORDEAUX RECONQUIS PAR LES FRANÇAIS. 241

d'autre cru que de celui des bourgeois, « tant qu'il y en aurait à vendre. » Par une interprétation qui sem- blerait fort erronée aujourd'hui, Louis XI condamnait la prétention des taverniers, parce que, disait-il, « ils voulaient préférer leur singulier profit au bien commun de la cité. »

Quelle que fût la valeur de ces compensations pour les bourgeois de Bordeaux, ils ne pouvaient plus compter sur le retour des temps d'indépendance opu- lente, lis étaient exposés maintenant à toutes les exi- gences d'un pouvoir arbitraire. S'il faut en croire De Lurbe;, ce même Louis XI, qui à certains moments affectait un zèle si vif pour le bien commun, eut un jour la fantaisie de contraindre tous ceux qui à Bor- deaux se livraient au commerce par eau, d'entrer dans une confrérie qu'il avait instituée en l'honneur de la Vierge Marie*. Quelque chose de plus fâcheux pour le commerce bordelais, c'étaient les obstacles apportés par le gouvernement français aux communications de la ville avec les trafiquants de la Grande-Bretagne, et malheureusement pour eux, c'était une loi de stricte prudence imposée à nos souverains dans l'intérêt de la sécurité du pays et de l'intégrité nationale.

1. De Lurbe, Chron. bord., p, 20. «La Confrérie de Mon- luzat. »

16

CHAPITRE YIII

LES FILLEULES OE BORDEAUX

L'exemple de Bordeaux n'est pas le seul qui prouve que le Bordelais fut au moyen âge le point de rencontre des deux formes du régime communal. Les Actes de Rymer * signalent quatre autres communes oîi la mairie du Nord est associée à la jurade du Midi ; ce sont : Saint-Macaire, Saint-Emilion, Libourne et Bourg. Ce mélange des institutions municipales des deux parties de la France se retrouve également dans les douze autres villes du Bordelais, sur lesquelles nous avons pu recueillir des documents, savoir : Langon, Mimizan-en-Born, Meilhan, Bazas^ Bouglon, Cadillac, la Réole, Bourg-sur- Dordogne, Rions, Belin, la Sauve- Majeùre et Blaye. Quant aux consuls, magistrature toute particulière au Midi, ils ne paraissent dans le Bordelais qu'à Castillon. A part cette exception, tout

1. Rymer, t. II, p. 84, a" 1315. Cinquante autres villesdu du- ché de Guyenne sont appelées universitates ; mais leurs ma- gistrats sont désignés sous le nom de consuls.

LES FILLEULES DE BORDEAUX. 243

ce qui est au nord de la Garonne est admmistré par un maire et des jurats.

Un autre trait commun aux villes municipales du Bordelais, c'est le lien fédéral qui les unit à Bordeaux. La commune bordelaise, de toutes celles de la province la première en date, semble avoir fourni aux autres le cadre de leurs institutions et le programme de leurs libertés. Les franchises qu'elle a propagées chez ses voisins sont placées, dès le xiv^ siècle, sous son patro- nage, et toutes les communes du Bordelais- prennent alors la désignation expressive de filleules de Bordeaux. Le Bordelais n'est certainement pas en France la seule région qui présente ce protectorat exercé sur un cer- tain nombre de villes libres par une cité plus puissante ; mais nous ne voyons pas qu'il ait pris ailleurs le carac- tère de maternité adoptive qui devait serrer si fortement les nœuds de la confédération communale, et lui don- ner la puissance d'une famille politique. A propos de l'alliance contractée par la ville de Bourg avec Bor- deaux, la Chronique de De Lurbe (1379) s'exprime ainsi : « Elles entrèrent en confédération étroite, à la charge toutefois que Bordeaux, comme capitale, tien- drait le premier rang et y commanderait, ainsi que es autres villes de la province; et a esté toujours gardé jusques au jour que les Anglais furent chassés de la Guyenne, que lorsque la guerre était échauffée entre les Français et les Anglais, et qu'il y avait danger de surprinse, que les maire et jurats de Bordeaux en-

244 MOUVEMENT COMMUNAL.

voyaient aucuns de leurs bourgeois es villes de ladite province, pour y commander et prendre garde à leur sûreté. Et de est venu que les villes de Blaye, Bourg, Libourne, Saint-Emilion, Castillon, Saint-Macaire, Cadillac et Rions, sont appelées filleules de ladite ville de Bordeaux*. »

On voit, par ce passage, jusqu'à quel point la guerre de Cent Ans contribua à former cette fédération de villes libres. De même que, dans l'intérieur d'une commune, elle servit à l'émancipation progressive de la bourgeoisie, elle réunit en un faisceau toutes les corporations de la province. Devant le danger de l'in- vasion française, ce fut une association analogue à celle qui se forma dans la Grèce antique contre la tyrannie de la Macédoine d'abord, et de Rome ensuite, une sorte de ligue achéenne. Les droits de Bordeaux dans la confédération se réduisaient à une espèce d'hégé-- monie militaire qui, sans attenter aux franchises par- ticulières de chaque cité, assurait la sécurité de toutes.

SAIKT-ÉMILION.

La plus importante, comme la plus ancienne de ces filleules de Bordeaux, c'est la commune de Saint-Émi- lion. Elle a déjà son histoire, et, comme nous ne pour- rions ici que reproduire le travail si judicieux et si

ï. De Lurbe, Chron., p. 21, recto et verso.

SAINT-ÉMILION. 245

complet de M. Guadet*, nous n'en parlons que pour signaler qu'elle figure, après Bordeaux, à la tête des municipalités bordelaises.

Fondée par Jean sans Terre (il99), la même année que la commune d'Oléron, dont les privilèges étendus devaient servir de base à toutes les autres chartes de la Guyenne^, elle eut à soutenir au xni' siècle, contre le châtelain de Fronsac, une longue et cruelle guerre. Elle en sortit victorieuse avec l'appui du sénéchal de Gascogne (124 1) ^ et, dès le règne d'Edouard I" (1273), sa municipalité est constituée d'après les usages de la commune de Bordeaux. Le manuscrit de Wolfenbuttel nous apprend que les jurats désignaient trois pru- d'hommes de la ville comme éligibles à la mairie, et qu'eux-mêmes choisissaient le maire parmi ces trois candidats*. Pour les attributions judiciaires de la ju- rade, la charte concédée par Edouard I", en 1289, re- produit textuellement celles qui, dans le même temps, étaient accordées aux Bordelais.

Un fait assez curieux, signalé par M. Guadet, c'est que jusqu'au temps de la Révolution française, les li-

1. L'Histoire de Saint-Emilion, par M. Guadet, a été cou- ronnée par l'Institut. Elle a été écrite d'après les documents les plus authentiques et, notamment pour la période anglaise, d'après les Archives municipales de la cité. C'est l'une des meilleures monographies de commune que nous connaissions.

2. V. Guadet, Pièces justificalives, p. 272. Pour Oléron, V, Rymer, t. I, p. 36.

3. V. Guadet, p. 57.

4. MM. Delpit, m?. Wolfenbuttel, p. 82.

246 MOUVEMENT COMMUNAL.

mités du territoire soumis à la juridiction des magis- trats municipaux restèrent toujours celles que déter- minait la charte de 1289 K

Sous Edouard II (1312), paraît la mention d'une magistrature municipale dont Saint-Émilion nous pré- sente le seul exemple dans le Bordelais. Ce sont les Cent Pairs. Ils correspondent sans doute aux Trois- Cents de Bordeaux ; mais ils ont de plus que ceux-ci le privilège de partager avec les jurats le droit d'élire le maire. Quant à leur nom de pairs, il paraît être un emprunt fait aux communes de Normandie. On le retrouve en effet à Rouen et à Falaise ^. Si la domina- tion anglaise, commune aux deux provinces de Nor- mandie et de Guyenne, établit des rapports d'institu- tions entre leurs communes respectives, c'est donc à Saint-Emilion surtout que paraît, pour le Bordelais, la trace de ces relations ^

Un autre trait de similitude entre Saint-Émilion et la commune de Bordeaux, c'est la durée du service militaire pour le duc de Guyenne*. Nous avons vu quelles étaient sur ce point les obligations des Bor- 'delais ^.

1. Guadet, p. 63.

2. Du Gange, Pares communitatis.

3. Malgré l'opinion de M. Augustin Thierry, elle nous paraît beaucoup moins sensible à Bordeaux.

4. V. Noiices et Extraits des mss. de la Bibliothèque du Roi; ])ar MM. Delpit, t. XIV, part. 2, p. ilG.

5. V. p. 82.

LIBOURNE. 247

Enfin, comme à Bordeaux, Edouard III garantit à Saint-Érailion, sur la demande de ses officiers munici- paux, le privilège de rester annexée à perpétuité à la couronne d'Angleterre*. Nous avons déjà indiqué, à propos de Bordeaux, les motifs de ce fait; il s'explique tout naturellement quand on se rappelle l'objet de la guerre de Cent Ans, et nous ne pouvons partager l'opinion de M. Guadet, qui y voit la confusion de tous les principes du droit public alors en vigueur. Le droit public de cette époque se réduit à l'intérêt provincial; la vraie nation française n'est pas en- core formée, il ne peut donc y avoir pour elle de droit public.

LIBOURNE.

De fondation plus récente que les deux communes qui précèdent, celle de Libourne ne mit pourtant pas plus de temps à conquérir des privilèges aussi étendus. La dynastie des Édouards, mais surtout le règne d'Edouard III, la mit, au xiv^ siècle, sur la même ligne que Bordeaux et Saint-Émilion.

Sur la rive du petit port de Fozera ou Fozela ^, avan- tageusement situé au confluent de la Dordogne et de risle, Edouard 1" avait élevé une ville, que sa position et son nom caractéristique {Liburna^ navire léger)

1. Cf. Rymer, Acta, t. TI, part. 3, p. 89.

2. V. Guadet, Histoire de Saint-Emilion, p. 60-61.

248 MOUVEMENT COMMUNAL.

destinaient à un bel avenir commercial (1270). Dans le principe, ses privilèges avaient été limités. La ville nouvelle payait au roi d'Angleterre 12 deniers de cens sur les terres, 12 deniers à^esporle au changement de seigneur, 10 sols de cens annuel sur les bâtiments. Mais dès cette époque (1273), le roi ou son lieutenant devaient choisir pour maire l'un des deux candidats que leur présentaient douze jurats nommés par le peuple. Avant la fin du xni^ siècle, Libourne possédait donc le cadre d'une organisation communale : saju- rade est élective, et sa mairie ne tardera pas à l'être *.

En attendant, sur la réclamation des Libournais, Edouard V (1280) leur accorde trois foires, les tient francs et quittes de tout péage, et promet de les aider à réparer leurs murailles lorsque lui-même aura acquitté ses dettes ^.

En 1289, la mairie est restituée aux bourgeois. Les privilèges commerciaux marchent de front avec les progrès delà liberté municipale. Le roi renonce pour sept ans à tous les droits qui se percevaient à son profit sur les marchandises sortant de Libourne, pour les employer aux fortifications de la ville. En 1292, il per- met aux Libournais d'avoir une barre pour fermer

1. MM. Delpit, mnsc. Wolfenbuttel, p. 78-79. Cf. Travaux de la Commission des documents historiques de la Gironde, 1841, p 90, et le Livre Velu, recueil des privilèges locaux de Libourne, Blaye, Bordeaux, etc.

2. Guinodie, Histoire de Libourne, pièces justificatives, V. d'après Bréquigny, t. XVÏ.

LIBOURNE. 249

leur porte; c'était la concession d'un octroi. Elle est, il est vrai, limitée à six années, et faite en vue d'indem- niser la commune des dépenses qu'elle a faites pour construire des maisons *. Mais nous la voyons renou- velée, au XIV® siècle, sous Edouard III 2, et comme le produit de cet octroi ne suffit pas encore à couvrir les frais dos fortifications, le sénéchal de Guyenne aban- donne aux Libournais tout le lest, sable et caillou que porteraient les navires entrant dans les rivières de l'isle et Dordogne.

Dans la guerre de 1340, les habitants de Libourne avaient montré pour la cause anglaise beaucoup de zèle et de dévouement. Edouard III ne se contenta pas de les féliciter ^. Il confirma les privilèges octroyés par ses prédécesseurs. Il établit qu'à l'avenir, ni lui jii ses héritiers ne pourraient vendre, donner ni échanger la juridiction et les revenus de Libourne. Il imposa aux marchands dont les vaisseaux seraient chargés de sel et autres marchandises, et entreraient dans la Dor- dogne, de ne s'arrêter nulle part dans le parcours de Bourg à Libourne, afin de réserver aux Libournais la faculté d'acheter leurs denrées. Il acquitta lui-même ce qui restait à payer pour les murailles et fossés de la ville. Enfin il exempta les bourgeois de Libourne de

1. Guinodie, Hist. de Libourne, pièces justif., V, d'apr. Bré- quigny, t. XVI, p. 23. Cf. Rymer, t. I, part. 3, p. 93.

2. Charte de 1330, d'après le Livre Velu, fol. 22, recto.

3. Rymer, t. II, part. 1, p. 78.

250 MOUVEMENT COMMUNAL.

toute coutume exigée jusque-là dans Bordeaux pour leurs marchandises *.

Les dispositions d'Edouard lïl étaient trop favora- bles pour ne pas être mises à profit. Aussi, en 1343, lors du renouvellement de la guerre avec la France, les magistrats de Libourne adressèrent diverses suppliques au roi d'Angleterre. Ils le priaient d'interdire à Jean de Grailly, vicomte de Benauge et de Castillon, la levée d'un droit de 12 deniers sur leurs marchandises passant sur les terres de ce seigneur, de défendre aux nobles comme aux roturiers de bâtir des châteaux ou fortifications quelconques sous les murs de Libourne, ni dans le ressort de la juridiction de la commune. En- fin, ils demandaient que les navires entrant dans la Dordogne, et chargés de sel, fussent contraints de dé- charger dans leur ville et non ailleurs, entre Bourg et Bergerac ^ Il fut fait droit à toutes ces demandes.

Cependant, pour subvenir aux frais de la guerre, le roi avait levé des droits sur les vins et marchandises des villes et bourgs du duché. Ces nouveaiîx impôts étaient fort onéreux pour les Libournais. En 1348, toujours aussi confiants dans la bienveillance d'E- douard III, ils osèrent en demander la suppres- sion; ils ne furent pas moins heureux qu'en 1343 :

1. Guinodie, t. I, p. 36, d'après les Archives de Livourne et le Livre Velu Cf. Catalogne des Rôles gascons, t. I, p. 106.

2. Rymer, Acta piiblica, t. II, part. 4, p. 153. Cf. Guinodie, p. 37.

LIBOURNE. 231

le roi leiir accorda la faveur spéciale de l'immunité *.

Le principe de l'égalité des devoirs et des charges, l'une des bases de l'association communale, fut bientôt après étendu par les bourgeois au corps ecclésiastique qlii voulait s'y soustraire, et sanctionné par le roi lui- même. Pendant la lutte contre la France, le service militaire était très-fatigant pour les bourgeois de la cité. Les ecclésiastiques et les gens de la basse classe avaient contribuer d'une autre manière à la défense de la ville : ceux-ci par des corvées, ceux-là en payant à la commune 6 deniers st. par feu. Ils devaient payer en outre, pour le vin de leur consommation, un droit semblable à celui qui était perçu sur le vin vendu en détail. Quoiqu'ils eussent des bénéfices, les gens d'église résidant à Libourne ne remplissaient aucune de ces obligations. Les maire et jurats s'en plaignirent au sénéchal, Jean de Chiverston, et celui-ci leur reconnut le droit de contraindre les ecclésiastiques à solder les subsides dont ils étaient redevables, et de saisir les vins et autres marchandises dont les gens d'église n'acquitteraient pas les taxes (1354)^.

Toutefois, malgré la bonne volonté du prince ou de son sénéchal, il arrivait souvent que les privilèges d'une commune fussent annulés parles tracasseries des agents subalternes. C'esttrop souvent l'histoire des Libournais.

1. Cf. Guinodie, p. 4i-42

2. Guinodie, Pièces justificatives, t. I, p. 36S, d'après les Archives de Libourne. Livre Velu, fol. 31.

2o2 MOUVEMENT COMMUNAL.

Soit sous Edouard III, soit sous Richard IV, ils ne ces- sent de réclamer contre les exactions dont ils sont vic- times de la part des officiers du sénéchal ou du conné- table. La bienveillance du souverain éclate alors par la sévérité des répriinandes qu'il adresse à son représen- tant (1354-1358-1388).

Comme il y avait aussi jalousie et conflit d'intérêts entre ces communes diverses qui se disputaient les fa- veurs de l'Angleterre, les sénéchaux ou connétables ne savaient pas toujours rester étrangers à ces rivalités, et s'ils prenaient parti pour un:; ville, c'était souvent pour la plus puissante. En 1355, le sénéchal, pour se rendre agréable aux deux grandes cités de Bordeaux et de Bayonne, interpréta dans un sens contraire à Libourne une ordonnance d'Edouard III, qui ne donnait lieu pourtant à aucune équivoque. Edouard III ayant dé- fendu aux marchands anglais d'acheter des vins ailleurs qu'à Bordeaux et à Bayonne, le sénéchal en avait conclu que les marchands de Libourne, de Bergerac et de Saint-Emiîion ne pouvaient transporter leurs vins en Angleterre. L'explication de la charte était subtile et forcée. Heureusement Edouard III s'em- pressa de rétablir le sens véritable, et depuis lors tous les intérêts furent respectés ; car sur ce point nous ne voyons pas que les Libournais aient eu besoin de pro- tester de nouveau*.

I . Guinodie, t. I, p. 42-43. Rymer, Acta, i. III, part. 4, p. 18.

MIMIZAN-EN-BORN. 253

MIMIZAN-EN-BORN \

Les premiers documents relatifs à cette commune landaise remontent au règne d'Edousrd I". Il paraît que c'était déjà une cité importante, car elle partageait avec Saint-Sever et Labouheyre le privilège d'être le lieu de réunion des États de la province. Dès 1273, elle avait son établissement municipal, ses coutumes et ses franchises. Par une charte de cette année, le prince Edouard (Edouard II) reconnaît que, s'il a reçu des bourgeois de Mimizan une aide de 200 livres pour la guerre contre Gaston de Béarn, ce don ne tire point à cons: quence, et il leur maintient l'exemption du service de Vost, en tant qu'ils en jouissent par leurs privi- lèges ^.

Une charte du Prince Noir (136u) confirme les droits

1. Chef-lieu de canton (Landes), arr., et à 74 kil. N.-O. de Mont-de -Marsan ; il y avait autrefois un port, aujourd'hui comblé par les sables.

1. Commission des Documents et Mon. hist. de la Gironde, dSol, p. 46. La charte en latin est à la page 49. Des let- tres patentes de liOuis XI, confirmant les anciens privilèges de cette commune, renferment quelques ails curieux sur le partage des épaves entre les habitants et le seigneur, et sur le partage de certaines pèches, entre autres celle de la baleine : « Dauphin et tout autre poisson est du trouveur, excepté cu- rays{l) ou baleine auquel le trouveur n'a sinon la barbe, et ung loupin de redont en tel lieu qu'il le voudra; la tierce partie desquels droicts compete et appartient à l'œuvre de l'esglise Notre-Dame dudit Mimisan. » Commission des Doc, et Mon. hist. de la Gironde, 185J, p. 51.

254 MOUVEMENT COMMUNAL.

des bourgeois de Mimizan, sous la redevance d'un cens annuel de 15 livres, et les garantit contre les vexations des baillis royaux. Les droits stipulés sont : la liberté de commerce, la pratique de la coutume de Bordeaux, appelée la bonne coutume^ le privilège pour les accusés de ne pouvoir être emprisonnés hors de Mimizan, ni distraits de la cour de la commune ; en cas d'appel, le privilège de pouvoir se présenter à la cour de Bordeaux ou de toute autre cité, et d'invoquer les autres us et cou- tumes de Gascogne ; le droit de scel, le droit de sauveté devant les croix du territoire de Mimizan pour toute personne qui viendra y chercher refuge, enfin le mo- nopole du vin et du blé, dans les limites de la com- mune*.

LA SAUVE-MAJEURE ^.

Le recensement de 1273, qui nous a déjà servi à établir la situation de la commune bordelaise au xin* siècle, nous révèle aussi l'importance des quatre cités de Sauve-Majeure, Bouglon, Saint- iVlacaire et Bourg- sur-Mer.

. Toutes quatre avaient des libertés très-étendues, la même coutume et les mêmes droits que Bordeaux. Les bourgeois de la Sauve-Majeure déclarent à

2. Commission des Docum. et Mon. hist. de la Gironde, 1851, p. 52-53.

1. Air., et à 25 kil. S.-E. de Bordeaux (Gironde). Ce i^'e^i aujourd'hui qu'un village de 900 habitants.

BOUGLON. SAINT-MACAIRE. 2b5

Edouard I" (20 mars 1273) qu'ils ne sont tenus à l'é- gard du duc de Guyenne qu'à des redevances honori- fiques, analogues à ces formalités dont un vassal s'ac- quitte vis-à-vis d'un suzerain. Ainsi la première fois que le duc viendra visiter leur ville, ils lui offriront un pain, une poule, et ce sera tout. Mais, de son côté, disent-ils, le seigneur-duc doit protéger les bourgeois contre toute injustice et toute violence. Du reste, ils rappellent qu'ils sont immunes, libres de tout service militaire, de toute chevauchée, de tout droit, taille et corvée*.

En matière de justice, ils jouissent de la plus grande latitude pour le choix de la juridiction d'appel. Si l'abbé ou tout autre leur intente un procès, ils peuvent en appeler au duc ou à son bailli, à Bordeaux ou ailleurs, partout ils croyaient trouver un bailli meilleur et qui leur fût plus favorable-.

BOUGLON ^. SAINT-MACAIRE *.

Les bourgeois de Bouglon reconnaissent qu'ils tien- nent des fiefs du roi d'Angleterre ; mais, comme les vassaux privilégiés, ils ne sont astreints qu'aux obliga-

1. MM. Delpit, ms. Wolfenbuttel, p. 73-76.

2. Ms. Wolfenbuttel, Delpit, p. 27.

3. Chef-lieu de canton (Lot-et-Garonne), arr. et à 12 kil. S.-O. de Marmande.

4. Chef-lieu de canton (Gironde), arr. et à 13 kil. 0. de La Réole.

256 MOUVEMENT COMMUNAL.

lions exigées pour le changement de seigneur. Ces obligations sont un peu plus compliquées ici que pour la Sauve-Majeure : les citoyens de Bouglon doivent offrir cent hommes d'armes, du pain, du vin, une cer- taine quantité de viande de bœuf et de porc, des choux et de la moutarde, des oignons et du verjus, ou bien du foin, de l'avoine et des chandelles. C'est, comme on le voit, un don très-modique de joyeux * avènement, comme n'en payent jamais que les cités habitées par des bourgeois de premier ordre ou par des nobles.

Saint-Macaire est encore plus favorisée. Les débris encore imposants de ses vieux remparts qui couron- nent une très-belle position militaire, rappellent une commune capable de se faire respecter. Ses bourgeois déclarent qu'ils ne tiennent rien du roi. Ils sont en dehors de sa suzerainctù comme de son domaine'^. Il y a bien, disent-ils, dans la ville de Saint-Macaire, quel- ques bourgeois qui tiennent des maisons en fief; mais ces maisons i essortissent au bailli royal, Bertrand de Bonneville, qui connaît les redevances dont elles sont chargées. D'où il suit que la plupart d'entre eux sont

\. u Dixerunt tcneri... . in mutatione domini cura centum

niilitibns, de ])ane, vino, carniltus bovinis et porcinis, cum

caulibus et cinapi, item de gallinis afFatis cntn sepe et agresso,

sive feno, sive avena, et sive candelis. » Ms. Wolfenbutlel,

p. 87-8S.

2. « Dixerunt quod ipsi non tenent in villa Sancti Macharii nec in domiuio, uec in honore, aliquid a domino rege. » Id.,p. 90.

BOURG-SUR-MER. 257

exempts de tout droit féodal. Ils ne sont astreints, comme habitants de la Guyenne, qu'au serment de fidélité. Encore, Edouard III leur reconnut-il le privi- lège (1363) de n'être pas obligés de sortir de leur ville pour le prêter*.'

La déclaration des communiers de Bourg-sur-Mer respire une singulière fierté (22 mars 1273). Elle dé- taille tous les privilèges de la commune avec une pré- cision minutieuse, et pour bien marquer l'étendue de ces privilèges, elle les rapproche, par une curieuse comparaison, de ceux des villes de la Lombardie; Bourg-sur-Mer est encore plus libre que ces cités. « Nous n'avons pas de biens communaux, dit-elle, comme ceux que possèdent les villes de la Lombardie et beaucoup d'autres. » Par l'absence de cette espèce de terre, le roi perd toute prise de souveraineté sur la commune. La propriété est essentiellement isolée, in- dividuelle, libre. « Nous ne pouvons pas dire que nous tenions rien en fief du roi ; car, suivant notre coutume, nous ne devons que le droit d'esporle ou d'investiture. Nous avons l'usage des carrières, des places, des murs, des fossés, et de tout ce qui est sous le pouvoir des communes. Nous avons l'usage du fleuve pour pécher, naviguer, etc. Nous avons un grand nombre de libertés concernant soit les personnes, soit les biens ; mairie et jurade, avec les pouvoirs ordinaires. Quant au com- merce, pour tous les vins de nos vignes, qu'il y en ait

i. Commission des Doc. hisL de la Gironde, 1842, p. 83.

17

258 MOUVEMENT COMMUNAL.

peu ou beaucoup, nous ne devons au roi que deux de- niers, et à ce prix, tout bourgeois est libre de charger ses vins en bateau, ou de les vendre en taverne. Si quelqu'un vient acheter des vins dans la ville de Bourg, pour les revendre ou les charger, l'acheteur devra payer au roi et aux autres seigneurs de Bourg un denier pour chaque tonneau K

Ces libertés, si fermement énumérées, furent con- firmées sous Edouard III, Richard II, et même au delà de l'époque anglaise, sous Charles VII.

A quelle circonstance Bourg-sur-Mer les devait-elle? A son étroite alliance avec Bordeaux, à laquelle avaient la rattacher de bonne heure les intérêts commer- ciaux ^.

La commune bordelaise tenait en effet les habitants de Bourg-sur-Mer sous le plus soigneux patronage^. Après avoir exercé sur eux une sorte de suzeraineté*, elle avait fini par leur accorder, avec le bénéfice de sa

1. Ms. Wolfenbuttel, p. 73-74. Cf. charte du 16 décem- bre 1261, collection Bréquigny, t. 29. D'après MM. Delpit.

2. A une époque la production vinicole du district bor- delais était bien moins considérable qu'aujourd'hui, les négo- ciants de Bordeaux devaient trouver une précieuse ressource dans les vignobles de Bourg-sur-Mer qui, à l'heure qu'il est, est une succursale si importante de leur industrie.

3. «A la queu vila de Bore nos juratz de Bordeu avem

specian dilleltiori, considérant la grant leyautat que tôt jorn la deyta vila de Bore a agut vers nostre rey messire et espe- ciaument affection devers nos. » L. des Bouillons, f. 117, recto.

4. « Cum eds eran Estais tôt jorn nostres bons besins et hobedients a lots nos 1res maadaments et encaras. » Id., ibid.

BOUT\G-SUR-MER. 259'

coutume et de son droit judiciaire, le partage de tous ses privilèges ' . Les bourgeois de Bourg-sur-Mer avaient accepte cette communauté d'existence avec empresse- ment ef. gratitude. Ils n'avaient qu'à y gagner, à cause des solides garanties de justice et de sécurité qu'ils trouvaient dans les statuts de Bordeaux. Dans le préam- bule du traité conclu en 1379, la commune de Bourg proclamait elle-même les avantages de la coutume bordelaise et la bontéde ses règlements ^ Unepreuve re- marquable du prix qu'elle attachait à l'alliance de Bor- deaux, c'est l'article suivant : Les gens de Bourg stipu- lent que, dans le cas oii, par ordre du roi d'Angleterre, la ville de Bordeaux et le pays bordelais seraient obligés de faire cavalcade^ c'est-à-dire de marcher au service du roi, la milice de Bourg ne se séparera pas des habi- tants de Bordeaux, et qu'elle ne marchera que sous la bannière des Bordelais ^ Les bourgeois de Bourg-sur- Mer tenaient donc à ne faire qu'un, dans toute circons- tance, avec leurs puissants voisins. Ces Hens d'amitié, si fortement resserrés par le traité de 1379, expliquent leur prospérité et leur ton d'assurance dans leurs rap- ports avec le suzerain.

1. V. le traité d'alliance conclu entre les deux communes en i37y. L. des Bouillons, fol. 117, recto et verso.

2. « Com los juratz et comurlia de la vjla de Bore aguossan suppUcat a nos, cum plusors bonas ordenansas sossan esta- das mesas al pensadas a la deyta vila de Bordeu por for gardar et matitenir justitian et dreyturan.... » Id., ibid.

3. L. des Bouillons, fol. 1 17, recto.

260 MOUVEMENT COMMUNAL.

Cadillacne s'était pas émancipée d'aussi bonne heure. En 1 280, nous la voyons encore gouvernée par le captai de Buch. Elle avait bien des consuls ; mais ces magis- trats n'avaient que des fonctions d'édilité et de police secondaire. C'était le captai de Buch qui lui envoyait ses règlements, ses lois criminelles ; il soumettait ses marchandises à un tarif très-dé taillé'. Toutefois, des let- tres patentes de cette année signalent un premier travail d'affranchissement^. A la supplication des habitants qui sont appelés bourgeois^ le seigneur leur accorde le droit de vendre, d'aliéner, de marier leurs filles, de faire des testaments, certaines garanties judiciaires et des abréviations de procédure. Trente-cinq ans plus tard (1315), Cadillac n'en est plus à une charte oc- troyée, elle traite librement avec son seigneur. Une convention est passée, devant notaire, entre Pierre de Grailly et les habitants dont plusieurs sont nommés ; six sont spécialement désignés comme jurats.

Ici encore, on invoque les usages de la grande com- mune de Bordeaux. Les mesures de vin vendues à Ca- dillac seront de la même grandeur et de la môme forme que celles des Bordelais. La ville sera close et fermée. Le vicomte devra participer aux frais de construction des murailles, ainsi que ceux qui auront des maisons sur le territoire de Cadillac, sans être ha- bitants de la ville. Les bourgeois seront exempts de

1. Douhet, Privilèges de Cadillac, 1770, p. 1-16.

2. Id,, ibid.

BELIN. LA RÉOLE. 261

toute taille pour la vente du blé, du vin, du bois. L'intervention des Bordelais n'est pas étrangère à cette convention; parmi les personnages pris à témoin, figure un bourgeois de Bordeaux ^

Les mêmes phases se présentent dans les communes de Rions ^, Belin, la Réole, Laugon, Meilhan et Bazas. Raconter en détail leur formation,, ce serait à peu de chose près répéter ce qui vient d'être dit des autres communes.

Rappelons seulement l'ancienneté des privilèges de Belin ^! La première charte rédigée remonte à 1200; cette pièce est la confirmation d'une charte antérieure, octroyée par Éléonore de Guyenne, et qui, elle-même, rappelle d'anciennes franchises. Les habitants de Belin avaient une immunité pleine et entière, dont ils joui- rent jusqu'à la fin du xni® siècle ^ Elle ne fut res- treinte que sous la domination temporaire de Philippe le Bel^ qui exigea de Belin un droit de onze livres bor- delaises et six deniers par an. Quant à La Réole, ses archives contiennent une ^série de chartes données par

1. Douhet, p. 16-13.

2. Les privilèges de Rions furent recueillis et rédigés par Bernard d'Albret, qui aclieta, en 1317, de Guilhem Séguin de Rions le château et la jus'ice de cette ville. » Commission des Docum. et Mon. hist. de la Gironde, 1851, p. 29 et suiv.

3. Comm des Doc. hist. de la Gironde, 1848, p. 43. «Les habitans dud loc et juridiction de Belin sont franz et liberaus de totas questas, tailhas, nianobres (corvées), de totas servitutz et subsides, ne a aucune exception. »

4. Cf. confirmation par Edouard 11, 1284. Id. p. 45-46.

262 MOUVEMENT COMMUNAL.

des rois d'Angleterre et de France, et qui commence à Jean sans Terre (1206) ^ Elle ne tarda pas à devenir une des filleules de Bordeaux; un traité d'alliance fut signé en 1230 entre les deux communes. La Réole ob-^ tenait la permission de descendre ses vins h Bordeaux. Mais, ce qui paraît assez rare entre villes de Guyenne ainsi confédérées, les rapports de La Réole et de Bordeaux ne furent pas toujours exempts de démêlés. Edouard III (l 347) dut intervenir pour rétablir la paix entre lesdeux villes, au nom des usages et coutumes qu'elles avaient observés de tout temps. Les causes de cette guerre ne sont pas indiquées dans les lettres pa- tentes du roi. Elles disent seulement : Saper quibus- dam commotiombus et dissensionibus inter ipsos (La Récle) et g entes villœ Burdegaliœ subortis ^.

Langon, Meilhan et Bazas n'étaient pas des com- munes aussi libres que les précédentes. Leurs habi- tants reconnaissent qu'à l'exception de quelques fiefs, ils tiennent toutes leurs possessions du roi, qu'ils lui doivent le service militaire sans aucune restriction ^, qu'ils sont obligés de défendre eux-mêmes leur ville en temps de guerre, enfin que le roi a sur eux tous les droits de justice.

Pour Bazas spécialemont, il paraît que ses privilèges

1. Comm. des Doc. histor. de la Gironde, 1841, p. 84.

2. Rymer, t. III, part. 1, p. \i.

3. « Potest inde i'acere placilum et gueiTam juste vel in- juste. » MM. Delpit, ms. Wolfenbuttel, p. 88-89.

BAZAS. Î63

avaient été réduits à la suite d'une guerre entre le roi et la ville*. C'est ce qui expliquerait pourquoi, au lieu de libertés communales de son propre choix, elle ne posséda que des franchises empruntées au régime constitutionnel de l'Angleterre. Sachante renferme, en effet, des détails relatifs à la loi anglaise à'Habeas corpus ^ .

{. MM. Delpit, ms. Wolfenbuttel, p 91-99.

2. Comm. des Doc. hist. de la Gironde, 1 84 1 , p. 92.

CHAPITRE IX

BASTIDES. HOMINES FISCALES

Dans l'histoire du mouvement communal de la Guyenne rentre naturellement une dernière classe de \illes appelées Bastides, sorte d'asiles ouverts, dans les temps de guerre, aux populations des campagnes, serfsiet questaux, et qu'on pourrait comparer aux Villes-Neuves de la France capétienne, ou aux Pfahl- burger (bourgeois des palissades) des bords du Rhin. Les noms de Sauveterre et de Monségur, particulière- ment, rappellent encore cette ancienne destination {salva terra^ mons securns) *.

Une bastide est une enceinte munie d'une simple

\ . Statistique du département de la Gironde, par Jouannet, 1. 1, p. 202 et suiv., d'après les Rôles gascons, 1281 -'.282, et des chartes de 1265, 121)7, 1271, relatives à la fondation de Mon- ségur. Leur copie se trouve dans VEsclapot (Eclat de bois) de Monségur, registre recouvert par deux planches de bois garnies de basane. Il est rédigé sur parchemin, eu latin et en patois gascon. C'est la chai'te de commune accordée à la ville de Monségur par Edouard II, en 1 ;06, suivie des confirmations dont elle lut l'objet. Cf. Cumm. des Doc. Iiist. de la Gironde, 1841, p, 88. VEsclapot est un manuscrit du xv'' siècle.

BASTIDES. MONSÉGUR. 265

palissade avec fossé extérieur, et soumise à un plan régulier. Sa construction présente en général le mode d'architecture militaire.

« Aux populations rurales destinées à l'habiter, le roi assignait une certaine étendue de terre, soit rele- vant de la couronne, soit achetée aux seigneurs voi- sins. De ces terres, une partie devait être bâtie, l'autre mise en culture. La construction de l'enceinte murée était à la charge de la commune, celle des quatre portes restait à la charge du roi. Puis, on déterminait la rede- vance annuelle à laquelle seraient tenus les habitants pour les portions de terrain, toutes égales, qui leur étaient concédées, comme dans les colonies romaines. Enfin, le prince formulait la charte civile et politique, ou les statuts qui devaient régir la communauté *. » Les rues de ces bastides étaient tracées au cordeau et à angles droits, avec une place centrale au milieu de la- quelle s'élevait l'hôtel de ville, et dont les quatre côtés étaient bordés de maisons portant sur des galeries, encore aujourd'hui appelées couverts. Deux chariots pouvaient facilement se croiser sous ces passages cou- verts, qui offraient un abri contre le soleil et contre la

I. M. Rabanis, Cornm. des Doc. hist. de la Gironde, 1^47, p. 41, et suiv. Ij'Esclapot de Monségur mentionne les premiers statuts qui furent accordés par « la Dona Helianors duguessa del duguat de Guiaïna. » I,a première pièce du volume est l'évangile de saint Jeaiij légende de la création primitive. La dernière, ui statut de la commune, destiné à ari'èter les émi- grations qui la dépeuplaient deux siècles plus laid.

266 MOUVEMENT COMMUNAL.

pluie. Les maisons étaient entièrement isolées, et cependant très-serrées les unes contre les autres. L'église s'élevait à l'an des angles de la place centrale ^

D'après VEsclapot de Monségur les rues de cette bastide auront 4 escats (24 pieds) de largeur, les mai- sons 4 escats de largeur et 12 escats (72 pieds) de pro- fondeur. Elles seront bâties, un tiers la première année, un tiers la seconde, le reste, quand il sera pos- sible ^.

Le roi fera construire la première clôture en pierre ; les bourgeois seront chargés de l'entretien et des répa- rations.

Le roi concédera à chaque bourgeois autant de terre qu'une paire de bœufs pourra en labourer en un jour, plus un esturon (?) de terre pour un jardin, plus une coucade ^ de terre pour y planter de la vigne.

Les habitants paieront annuellement au roi 12 de- niers de cens pour les emplacements qui leur sont cé- dés, plus 12 deniers d'esporle à chaque changement de seigneur, moyennant quoi ils seront quittes de toute autre imposition, entre autres celles de travage (ter- rassement) et de fenestrage.

Ils ne paieront point pour l'eau qui dégoutte de leurs toits sur le pavé seigneurial.

1. Cf. Annales archéologiques de Didron, t. VI, p. 71 et suiv., article de M. Félix de Verneilh.

2. D'après M. Jouannet, Statistique de la Gironde, p. 202, note.

3. Deux tiers d'un arpent. Du Gange, v' Coucade.

BASTIDES^ MONSÉGUEl. W

Les monnaies courantes, les poids et les mesures seront les mêmes qu'à La Réole.

La construction et le prix de la bastide ainsi réglés, ses habitants sont constitués politiquement comme ceux d'une commune. A vrai dire, la seule différence qui existe entre ces bastides et les communes propre- ment dites, c'est que les premières sont de créatiop monarchique; tout chez elles, maisons et citoyens, sont de la main du roi, tandis que les communes étaient des agglomérations déjà anciennes.

Les bourgeois de Monségur (1280) seront gouvernés par douze jurats, élus tous les ans parmi les cinquante prud'hommes ou caps d'oustou de la cité. Ces jurats désigneront eux-mêmes leurs successeurs, de concert avec le prévôt royal.

La nouvelle jurade, comme dans une commune, pourra faire des statuts ou règlements de police admi-p nistrative. Le principe même de la solidarité commu- nale est proclamé là, aussi hautement qu'à Bordeaux : la commune prendra fait et cause pour celui de ses habitants qui sera cité hors de la ville, en cour laïque ou ecclésiastique. Nul bourgeois ne pourra être ni le procureur fondé, ni le conseiller, ni l'avocat d'un étranger ou d'un seigneur contre un habitant de la commune.

Le service militaire est restreint au rayon d'une journée de marche, aller et retour compris.

Liberté entière de tester, avec cette seule restriction

26S MOUVEMENT COMMUNAL.

que les bourgeois ne pourront disposer de leurs biens en faveur d'une église ou d'un baron sans le consente- ment du roi.

Dans les poursuites judiciaires, le prévôt ou bayle ne pourra mettre sous le séquestre ni comprendre dans les saisies : le lit des débiteurs ; ses habits ou ceux de sa femme ; son armure ; le blé préparé pour être porté au moulin ; la pièce de vin mise en perce pour l'usage de la famille.

Enfin il y aura marché chaque semaine; deux foires franches par an. La bastide de Monségur avait même obtenu, dès son origine, qui remonte à Eléonore de Guyenne, l'une des garanties auxquelles tenaient le plus alors les corporations privilégiées, celle qui con- cerne les juifs : la reine s'interdisait formellement le pouvoir d'y établir un juif sans le consentement de la commune ^

D'après l'un des documents qui viennent d'être cités, d'autres bastides furent instituées dans le voisi- nage de Bordeaux par Henri III et Edouard I" ^ Ce sont Belin, Castelnau d'Auros, Créon, Sainte-Foi, Valence d'Agenais, Villefranche, Puy-Guilhem, Li- bourne, qui, nous venons de le voir, devait être promue plus tard au rang de cornmune, et enfin Sauveterre.

1. Pour tont ce qui précède, Commiss. des Doc. hist. de la Gironde, dS47,arlicle de M. Rabanis, pr/ssim.

'2. Commission des Docum. et Monum. hist. de la Gironde, 1847, Rabaais, p. i et suiv.

BASTIDES. SAUVETERRE. 269

M. Rabanis fait observer que cette dernière est celle dont la création (1280-1283) rencontra le plus d'oppo- sition de la part des seigneurs. Déjà la noblesse avait protesté, dans une assemblée solennelle des États de la Guyenne tenue à Bordeaux en 1278, contre le préju- dice que lui causait l'établissement de ces bastides. Les seigneurs revendiquèrent h divers titres les ter- rains que celle de Sauveterre devaient occuper. On s'explique d'ailleurs les protestations des seigneurs par l'étendue des avantages que stipulait la charte de fondation. Cette charte reproduit, en effet, des clauses à peu près identiques à celles qu'Eléonore avait ins- crites dans la charte de Monségur. Les différences sont en faveur de Sauveterre. La nouvelle bastide, aura quatre foires par an.

Les bourgeois pourront posséder dans le domaine du roi toute espèce de terres, aïeux, fiefs et conquestats, excepté les possessions et terres pour lesquelles ils étaient autrefois hommes-liges et questaux.

Ils auront la libre exploitation des forêts sans aucun droit de forestage, « ad domos suas construendas et perficiendas^ et ad omnia vasa sua et supellectilia. »

Les bourgeois ne sont justiciables du sénéchal que dans les causes concernant le roi ; dans les autres cas, ils seront jugés par les jurats.

Un notaire sera établi dans la bastide, mais avec le consentement du roi et des jurats.

Deux autres clauses montrent bien le soin pré-

270 MOUVEMENT COMMUNAL.

voyant avec lequel le roi garantit la nouvelle ville de toute exaction féodale : les biens-meubles derhomi- cide seront confisqués au profit du roi ; ses immeubles seront dévolus à ses héritiers, pourvu que ceux-ci payent ce qui est aux créanciers des coupables. Le roi n'établira dans la nouvelle ville aucun sei- gneur sans la volonté et le conseil des jurats et de la commune. Les rois, en effet, se réservaient de donner des bastides à titre de prévôtéS;, de baillies * ou d'usu- fruits à des seigneurs qui en percevaient les revenus, sans pouvoir rien changer à leurs privilèges. Mais on conçoit que, malgré cette restriction, les bourgeois d'une bastide ne fussent pas rassurés sur les procédés d'un prévôt ou baiUi au choix duquel ils n'auraient pas concouru. Ici le roi mettait les nouveaux bourgeois en position d'écarter eux-mêmes le péril d'une faveur mal placée.

HOMINES FISCALES.

Au dernier échelon de ces classes d'habitants qui obtiennent une émancipation relative, se placent ceux qu'on appelait homiiies fiscales. Ce n'étaient pas des serfs affranchis, mais des débris de l'ancienne popu- lation romaine qui s'étaient maintenus libres dans les campagnes comme dans quelques cités. Leur préten-

1. Redevance payée à celui qui protège ou qui juge. Du Gange, v" Bailia.

HOMINES FISCALES. 271

tion était de dépendre du roi seulement, protecteur seul assez puissant pour les défendre contre les vio- lences féodales. Tel est le sens des déclarations faites en 1273 par des fiscales, propriétaires libres de Bazas, de la Réole, de l'Entre-deux-Mers et de Barsac : ils ne se reconnaissent que les hommes du roi. Les rede- vances auxquelles ils sont assujettis à son égard ont l'avantage d'être fixes et assez faibles. Aussi recon- naissent-ils lui devoir le serment de fidélité, le service militaire, les droits de justice et de gîte. Quelques-uns déclarent qu'ils ne peuvent aliéner leurs biens sans la permission du roi qui doit percevoir les droits de vente. Mais ceux de l'Entre-deux-Mers peuvent vendre leurs terres à qui bon leur semble, et se faire les hommes francs de qui ils veulent : « et se facere hominem fran- cum alterius ^ » Pour la plupart, l'origine de leurs re- devances devait être peu reculée; ils avaient les subir par la nécessité de recourir à un patronage effi- cace.

Du reste, ils ne jurent fidélité au prévôt que lorsque celui-ci leur a d'abord fait serment de protéger leurs personnes et leurs biens. Dans leur énergique décla- ration de 1273, ils se nomment encore ho?nmes liberi, ligii franci, casati m terra régis, home francau de leur cors, hume francau deu rei ^.

i. Ms. Wolfenbuttell, Delpit, p. 47-57. Cf. Cartulaire de la Sauve, biblioth. de Bordeaux, fol. ■129, 7-8. 2, Ms. Wolfeahuttel, p. 55, recto.

CHAPITRE X

ÉTATS PROVINCIAUX

En dehors des limites de leur enceinte, les com- munes jouent un rôle important dans le règlement des intérêts collectifs de la province, et dès les pre- miers temps de leur existence nous voyons leurs re- présentants figurer dans les Etats généraux de la Guyenne, ou dans les assemblées particulières de chacune des trois sénéchaussées (Bordelais, Bazadais, Landes).

De tout temps, dès l'origine du fief de Guyenne, les ducs avaient convoqué des assemblées d'Etats. Aux xf et xn* siècles,' elles ne se composaient encore que des prélats et des barons ^ Au xnf siècle, dès la première apparition des communes, les assemblées du pays bordelais comprennent les trois Etats. Elles devaient être convoquées souvent, à en juger par la nature des

i. En 1096, Guillaume VII, dans une assemblée de prélats et de barons qu'il tint à Bordeaux, donna une charte, datée du 2o mars, il prenait les titres de duc d'Aquitaine et de comte de Toulouse. Art de vérifier les dates, édit, de 1779, p. 717.

ÉTATS PROVINCIAtTx. 273

affaires qu'elles étaient appelées à discuter. En 12S5, Henri III les réunit pour un simple litige entre deux particuliers ; il est vrai que l'un des contestants est un bourgeois bordelais.

La propriété de la seigneurie de Blanquefort était disputée par Pierre Bertrand, de Bordeaux, et la dame Thalésie, châtelaine de la Marque. Cette dame s'étant adressée au prince Edouard, fils aîné d'Henri III et duc de Guyenne depuis 1252, celui-ci fit expédier des lettres patentes à Etienne Longue-Epée, sénéchal de Guyenne (26 octobre 1255), pour la convocation des prélats, barons, chevaliers, religieux, clercs et bourgeois du pays bordelais. Les Trois Etats devaient faire une enquête sur la vérité des faits allégués parla dame Tha- lésie ; s'ils étaient exacts, les trois Etats devaient la met- tre en possession de la seigneurie de Blanquefort, sauf la somme en argent qui paraissait être due à Bertrand de Blanquefort, et qu'on prétendait avoir été employée aux fortifications de ce château.

L'assemblée se réunit le 4 avril 1256 dans la cham- bre capitulaire des Frères prêcheurs de Bordeaux. Elle n'avait point à se prononcer sur le point de droit, mais à constater des taits. Le sénéchal reçut la déposi- tiqn des assistants * et prononça contre Pierre Ber-

I . Il s'y trouvait Gérard de Malemort, archevêque de Bor- deaux, quantité d'abbés, ecclésiastiques, barons, chevaliers, citoyens de Bordeaux, eL deux templiers, Ramond de Tartas et Martin de Maiiniac. Baurein, Variétés bord. , t. III, p. 258 et suiv.

18

274 ÉTA^S PROVINCIAUX.

trand. « Le patriotisme qui régnait pour lors, ajoute l'abbé Baurein, faisait que les affaires particulières devenaient en quelque sorte des affaires publiques, de sorte que chacun y prenait part. » Ce que Baurein ap- pelle hyperboliquement le patriotisme n'était que la facilité plus grande de s'intéresser aux affaires des particuliers, quand la patrie s'étendait pour les Borde- lais de Bazas à Libourne tout au plus.

Dans la suite, c'est pour des questions d'un intérêt plus général que des assemblées d'Etats sont mention- nées par le Livre des Bouillons et par le Registre de la jurade. Elles sont convoquées surtout sous Henri Y et Henri YI à propos des subsides à fournir pour la guerre contre la France.

En mars 1 41 4, sur la convocation faite par le corn. te de Dorset, lieutenant du roi, les trois Etats du Borde- lais et des Landes, réunis en parlement à Bordeaux, votent un subside de deux francs par l'eu. Le 5 du même mois, le comte de Dorset écrit à toutes les villes qui ont été représentées pour les prier d'activer lalevée du subside « garanti^ dit-il, au darrain (dernier) parle- ment ; n ce qui fait supposer la fréquence de ces as- semblées. Il les remercie ensuite à l'avance, et on peut remarquer que les termes qu'il emploie sortent du style ordinaire des formules*.

1, « Et aussi vueillez savoir que nous avons receu vostre lettre et bien entendu par ycelle que vous avez mis et ineteres de jour en jour en tant comme a vous se appartient, tout la

ÉTATS PROVINCIAUX. 275

Les jurats de Bordeaux répondirent qu'ils feraient toute la diligence possible*, mais la somme se fit at- tendre. Sur une seconde lettre du comte de Dorset, les Bordelais expliquèrent le retard par une épidémie qui s'était répandue dans le pays et par l'absence d'un grand nombre de bourgeois qui étaient alors en rou~ mivatge (pèlerinage) ^.

Nouvelles instances du comte de Dorset en août ; cette fois la lettre aie ton de la plus humble supplique^. Mais les temps étaient difficiles pour la province, la guerre française la mettait en feu, et elle traversait une

bonne diligence que fere porres de cuilher et lever ces 2 ffrancs dont nous vous remercions de tout nostre entier cueur. Si vous prioms affectuosement de ce continuer et quils puissent estre levez pour les jours à ce assignez, car en ce faisant vous nous feres cspecial plaisir si autant que nous vous en scaurons très bon gre. » Registre des délibérât, de 1415, fol. 1, verso. u « Asso le plustost que hom poyra. » Id., fol. 17, recto,

2. Id., fol. 2, recto.

3. « Très chers et bien amez, nous bous saluons très souvent et pourtant que nous scavons bien bous avez en nombre les promesses que bous et les aultres estâtes du pais nous avez fet de 2 ffranz par chacun feu et que nous deusses esire paie du premier paiement al feste de Pasche darrirement passe et del autre paiement a la feste de sainct Michel prochain benut, lasquellez promesses neont este bonnement observeez en tostes parties si comme bous scavez, si bous prions très hum- blement et vous requérons par boie de justice de mètre vostre bon voloir en ceste matière que nous soions pleniement payez desditz 2 ffranz si ben de lun terme coma de lautre ainssi que a nostre benue de part de la nous aions cause de bous en sentir très bon gre et faveur pour bous et bostres en temps abenir. « Registre, 1414, fol. 30, verso.

276 ÉTATS PROVINCIAUX.

terrible crise financière. Il y avait dans tout le pays disette d'argent monnayé *, le peuple commençait à murmurer, on ne savait comment se procurer des vi- vres et défendre son bien contre l'ennemi. L'assemblée des trois Etats de Bordeaux et des Landes, réunie au château de l'Ombrière , avait été réduite à un péni- ble expédient. Elle avait décidé que, contrairement à la loi bordelaise, on se servirait de la monnaie d'or ayant cours en Angleterre, et que le noble ^ qui serait de poids, c'est-à-dire de cinq deniers et maille*, serait échangé pour deux sterlings. L'emploi du noble an- glais présentait l'avantage d^une monnaie de détail, parce qu'il y avait alors des demi-nobles et des quarts de noble.

Mais la nouvelle monnaie frappée à Londres s'écar- tait fort de l'aloi convenu. S'il fallait en croire les plaintes adressées par la municipalité de Bayonne à celle de Bordeaux, les officiers du roi d'Angleterre au- raient usé de contraintes et de fraudes exorbitantes ; ils voulaient faire passer les nobles battus depuis peu pour 160 sterlings de monnaie bordelaise, et les demi- nobles pour 80. On les refusait donc partout, les paie- ments ne s'effectuaient pas, et la cité de Bayonne, en

1. Id., fol. 3, recto.

2. Registre, d4i4, fol. 8, recto.

3. Monnaie anglaise valant 23 francs 71 centimes.

4. Maille, moitié d'un denier. Le sterling, en 1414, valait de 4 deniers à 4 deniers et maille tournois. Registre de 1414, fol. 3, recto.

ÉTATS PROVINCIAUX. 277

particulier, déclarait hautement qu'elle n'accepterait jamais les nobles anglais '.

Ceux de Bordeaux se montrèrent plus accommodants. Dans une seconde assemblée des trois Etats de leur sé- néchaussée, ils consentirent à l'échange de 160 ster- lings pour un noble, mais à condition qu'il serait en- tier et de bon or. Ils décidèrent en outre qu'il serait interdit de laisser sortir le billon de tout le pays de Guyenne^.

Les autres sénéchaussées persistant dans leur refus, les Trois Etats de la sénéchaussée bordelaise écrivirent au sire de Lescun, sénéchal des Landes, pour lui ren- dre compte de ce qui s'était passé dans l'assemblée de rOmbrière, et ils le prièrent de convoquer les Trois Etats de sa sénéchaussée afin de les faire délibérer sur cette question. Semblable lettre fut écrite aux maire et échevins de Bayonne, et une circulaire convoqua ceux du pays bordelais pour une troisième assemblée ^

Dans l'intervalle, Henri Y adressa (16 août) une lettre très-caressante aux magistrats de Bordeaux, il les conjurait de presser la levée de son subside. Il invoquait leur vieille fidélité, et affectait de les considé- rer comme médiateurs entre la couronne d'Angleterre et les autres parties de la Guyenne *.

1. Registre de 1414, fol 8, recto.

2. Id., fol. 10, recto.

3. Reg., 1414, fol, 10 et 1 1, et 19, recto.

4. Id,, fol. 30, recto et verso.

27« ÉTATS PROVINCIAUX.

L'assemblée annoncée s'ouvrit le 20 août 1414, dans la chapelle de l'archevêché ; on y remarquait, avec les jurats et les 30 conseillers de Bordeaux, l'archevêque, le sénéchal de Guyenne, le seigneur de Duras et de Blanquefort, ceux de Lesparre, de Gramont, de La- barde, le clergé et les gens du conseil du roi. Lecture fut faite des lettres des jurats de Bourg, de Libourne et de Saint-Erailion, et, en dernière analyse, les gens des Trois Etats proposèrent au sénéchal d'élever le sterling de 4 deniers à la valeur de 4 deniers et maille seulement, et la monnaie de 16 sols 8 deniers à celle de 18 sols 2 deniers ^

Sous des termes respectueux, les Trois Etats fai- saient entendre au sénéchal qu'il y avait grand péril pour l'honneur et le bien du roi d'Angleterre à ne pas faire frapper dans le pays de la monnaie blanche et noire, que la situation n'était plus tenable, que toutes les transactions étaient arrêtées, et que des paroles sé- ditieuses circulaient déjà parmi le peuple. On avait d'autant plus à redouter une insurrection, disaient-ils, que les vendanges approchaient, et que si, à cette épo- que, les marchés ne pouvaient se conclure faute d'une monnaie de bon aloi, il serait difficile de maintenir les habitants à l'état de liges et fidèles sujets ^ Ils insis-

i. Id., fol. 25, recto et verso.

2. Registre, 1414, fol. 26, recto. l.e Registre rapporte également les lettres des magistrats de Bourg et de Saint- Émilion.

ÉTATS PROVINCIAUX. 279

taient donc sur la nécessité pour le sénéchal d'adopter les expédients arrêtés en dernier lieu.

Le sénéchal se trouvait dans le plus grand embar- ras. Il n'avait pas d'ordre du roi pour faire frapper à Bordeaux de la monnaie blanche et noire, et, d'autre part, Henri V ne pouvait compter sur le subside que s'il se rendait aux observations, ou plutôt aux menaces contenues dans la réponse de l'assemblée. Le comte de Dorset pria donc les Trois Etats d'assumer la responsa- bilité de la mesure qu'on exigeait de lui, dans le cas il serait appelé en Angleterre pour se justifier ; l'as- semblée fit droit à sa requête.

Elle l'emporta en définitive sur le roi. Celui-ci avait écrit aux Bordelais une nouvelle lettre (en octobre) pour les supplier de remplir la promesse qu'ils lui avaient faite, c'est-à-dire de payer au comte de Dorset 29,000 écus que celui-ci avait fournis de ses deniers pour les frais de la guerre. Nous ne savons pas si ce paiement fut effectué avant que satisfation eût été don- née aux Trois Etats de la province. Mais ce qui est cer- tain, c'est qu'au début de l'année 1415, Henri V ren- dit une ordonnance conforme à leur dernier arrêté, qui n'était lui-même que l'accommodement accepté d'a- bord par les Trois Etats du Bordelais. Considérant qu'on ne pouvait trouver de changeurs qui consentis- sent à ouvrir des bureaux de change pour la monnaie frappée à Londres, le roi ordonnait de frapper des no- bles au poids entier et de bon or, sous peine, pour les

280 ÉTATS PROVINCIAUX.

changeurs d'office qui contreviendraient à cette pres- cription, d'une amende d'un demi-marc d'argent par noble*. Toutes les transactions conclues en dehors du règlement étaient annulées.

En matière de procédure judiciaire comme en ma- tière de monnaie, les trois États du Bordelais faisaient prévaloir leur volonté; c'était toujours, comme dans l'épisode qui précède, le résultat de discussions libres et d'un accord amiable avec le représentant du sou- verain. Ils demandèrent et obtinrent un règlement en vertu duquel les procès, traînés en longueur jusque-là, ne devaient durer qu'un an ; les avocats et procureurs durent jurer de se conformer à ce règlement (juillet 1414). L'ordonnance fut délibérée et rédigée par les trois États, avec l'assentiment du duc d'York, lieutenant du roi en Guyenne 2.

Sans forcer les analogies, on peut comparer les pou- voirs et l'attitude des États bordelais vis-à-vis du roi d'Angleterre au rôle du parlement de Westminster. Les souverains anglais étaient portés d'eux-mêmes à leur attribuer une situation pareille ; car, dans le lan- gage de leurs ordonnances, on a pu le remarquer déjà, l'assemblée des trois États est appelée Faiblement.

Le sénéchal, à cette époque, n'entre en fonctions

1. Registre de 141 o, fol. 95, verso.

2. Id., fol. 16, recto. « Ordenan que lordcnanssa qui fo feyta per los très estatz am lo boler et auttoritat de Moss"" diork cum locten deu rey ntress. soes assaver de labravyaraent dcus pleitz. I)

ÉTATS PROVINCIAUX. 281

qu'après avoir prêto devant les représentants des trois ordres le serment auquel étaient astreints tous les ma- gistrats et tous les citoyens des communes. Le 18 juin 1415, Henri V annonçait aux maire et jurats de Bor- deaux qu'il avait nommé à cette dignité Jean Tiptort. Les trois États s'assemblèrent alors dans la chapelle du collège * pour examiner les lettres {.atentes de nomination, et le peuple fut convoqué, suivant l'usage, à son de trompe. Le nouveau sénéchal se rendit en- suite à Saint-André ; on fit lecture au juge de Gascogne des lettres patentes données à Jean Tiptort; le juge de Gascogne lui fit un discours de bienvenue; puis les lettres furent traduites en langue vulgaire par le clerc de ville pour le peuple, et Jean Tiptort prêta devant tous le serment dont nous connaissons déjà la formule ; seulement après cette formalité, le peuple lui fit à son tour son serment^.

Décider de la paix et de la guerre, c'est un des princi- paux droits des États de la province. Lorsque la dame d'Albret, qui suivait le parti de la France, proposa une trêve aux habitants de la sénéchaussée bordelaise

1 . Ce ne pouvait pas être encore le Collège des Arts ou de Grammaire, qui devint, en 1S53, le Collège de Guyenne. Ce Collège des Arts ne fut fondé qu'en même temps que l'Uni- versité de Bordeaux, c'est-à-dire en 1441, comme l'a très-bien établi M. Gaullieur, archiviste de la ville de Bordeaux, dans son Histoire du Collège de Guyenne. Paris, Sandoz et Fischba- cher, 1874.

2. Registre des délibérations de la jurade, 1414-1416, fol. 83, verso.

282 ÉTATS PROVINCIAUX.

(septembre 1415), un parlement des trois États se rassembla à Maquau * ; la commune de Bordeaux y dé- puta pour son compte le maire, le sous-maire, le prévôt de la ville, le clerc de ville et le trésorier^. Pour le mode ordinaire de nomination des députés, nous ne trouvons rien de précis. Au sujet de la proposition faite par la dame d'Albret, nous voyons que les députés de la ville lurent nommés par la jurade seulement, et même par une partie de la jurade ; les jurats électeurs désignés par le registre de 1414 sont au nombre de huit^ Nous ne pourrions dire s'ils nommaient la re- présentation de la commune tout entière, ou seulement la représentation particulière de la jurade.

La dame d'Albret s'était adressée aux maire et jurats de Bordeaux comme aux chargés d'affaires d'Henri V dans toute la Guyenne. C'était en eux, en effet, que le roi d'Angleterre plaçait son point d'appui, et ils se reposait sur eux avec confiance du soin de ses intérêts. Cette situation rendait la jurade bordelaise quelque peu suspecte de complaisance aux yeux des autres sénéchaussées ; on la trouvait toujours trop dis- posée à plaider la cause du souverain quand il deman- dait de l'argent à toute la province. C'est ce qui arriva

{. Commune du Médoc.

2. Registre, fol. 88, 89. La lettre de la dame d'Albret aux maires et aux jurats est au fol. 88.

3. Arnaud Boneu , prévôt, Gualbard de Jonquières, Ri- chard Cedet, Arnaud Fort, Guillaume Aysselin, Arnaud de Vios, Bernard Jaubert, Amanieu de Montlavin, fol. 89.

ÉTATS PROVINCIAUX. 283

en 1420 lorsque Henri Y chargea le connétable de Bor- deaux, Jean Radcliff, de proposer aux trois Etats du pays l'établissement d'un noble d'or par feu.

L'assemblée des députés du Bordelais et des Landes se réunit à Dax, dans le réfectoire des Frères mineurs. Le roi avait écrit préalablement aux jurats et aux no- tables de Bordeaux pour qu'ils se fissent devant les re- présentants des deux sénéchaussées les avocats de la nouvelle taxe*. L'archevêque de Bordeaux, les sei- gneurs de Montferrand, de la Lande, d'Usar, de la Mothe de Roquetaillade, aussi bien que les députés des communes de Bordeaux, Libourne, Saint-Emilion et Bourg, lui donnèrent les meilleures assurances ^

11 n'en fut pas de même des députés des Landes ; ils témoignèrent leur désapprobation en demandant à délibérer séparément sur la demande du souverain. Vainement l'archevêque de Bordeaux, David de Mont- ferrand, soutint que la lettre du roi était adressée à tous les députés des deux sénéchaussées, qu'il ne devait y avoir aucune division d'opinion, « que le bien et l'honneur du pays bordelais étaient le bien et l'honneur du pays des Landes, comme le bien et l'honneur du pays des Landes étaient le bien et l'honneur du pays bordelais^. »

i. Registre, 1420-21, fol. 2, recto.

2. Id., fol. H, verso.

3. Que deben aber et tenir leur advis et conselh tôt en- semble conjustament, e en aquesta parlament no y debe aber separacion ne division de conselh en auguna maneyra..,. quar

284 ÉTATS PROVINCIAUX.

Malgré ces représentations, les députés des Landes, entraînant leur sénéchal, Fontaney de Lescun, se ren- dirent dans une salle séparée, et tinrent conseil entre eux, sans vouloir qu'aucun des représentants de la sénéchaussée bordelaise assistât à leur délibération : ce qui fut, dit l'archevêque, de très-mauvais exemple.

De leur côté, les députés bordelais jugèrent que ceux des Landes devaient supporter leur part de l'imposi- tion ; mais ils convinrent qu'on ne pouvait faire aucune réponse positive au connétable sans connaître l'avis de ceux des Landes, « attendu que ce qui concerne tout le monde doit être approuvé et ratifié par tous*. »

Les Bordelais prirent donc le parti de se retirer avec promesse que, lorsqu'ils seraient rentrés chez eux, on s'assemblerait avec le sénéchal et le connétable, pour prendre une délibération conforme aux intérêts du roi et à la conservation du pays^

En 1420, cette fatale année du traité de Troyes, la Guyenne était assez rassurée sur l'effet des armes françaises pour que le pauvre pays des Landes se crût dispensé de faire des générosités à Henri V. Vingt ans

lo ben et honor deu païs des Bordales eran et es lo ben e honor et profeit deu païs de las Lanas, et per semblant ma- neyi'a lo ben e honor e profeit deu païs de las Lanas era e es lo ben e honor e profeit deu païs de las de Bordales. » Re- gistre, 1420-21, fol. 12, recto.

1 . « Quar ce que toqua tôt, per tôt deu estar laudat, approat et confermat. » Id., ibid. verso.

2. Registre, 1420-21, fol. 12, verso.

ÉTATS PROVINCIAUX. 285

plus tard, les situations étaient renversées. Cette fois (1442) les États de toutes les sénéchaussées invoquaient avec instance le secours des Anglais, et chargeaient l'archevêque de Bordeaux, Pierre Berland, de porter leurs supplications en Angleterre ^ Nous savons quel en fut le triste résultat, et^ en 1431 , les Etats particuliers de Bordeaux, comme les États généraux de tout le duché de Guyenne, ne furent plus convoqués que pour arrêter avec les représentants de Dunois les conditions du traité (12 juin) qui livrait le pays à Charles VIP. L'assemblée nomma six mandataires : l'archevêque, Pierre Berland, Bertrand de Montferrand, Galhard de Durfort, seigneur de Duras, Jean de Luide, seigaeur de Brèdre, Bertram d'Angien, seigneur de Rions, et Guillaume Oderon, seigneur de Lansac. Les repré- sentants du duché s'en étaient remis à la commune de Bordeaux du soin de leurs intérêts ; car ses mandataires sont désignés comme les représentants de la ville et c^té de Bordeaux. Du moins dans cette circonstance la Guyenne conservait-elle encore le simulacre de ses libertés provinciales; elle semblait régler elle-même sa destinée nouvehe, et la loi française lui était présen- tée sous forme de traité et d' appointement ^. Il y eut de nombreux pourparlers entre les mandataires des deux pays, et Dunois permit à ceux de Guyenne de

\. De Lurbe, Chron. bord., p. 24, verso.

2. Mathieu d'Escouchy, t. I, p. 338-;i39.

3. Mathieu d'Escouchy, 1. 1, p. 338-339.

286 ÉTATS PROVINCIAUX.

débattre longuement la question capitale, celle de la conservation des privilèges administratifs et commer- ciaux. Il n'en fut pas de même en 14S3. L'institution séculaire des États particuliers et généraux des trois sénéchaussées disparut pour toujours comme les fran- chises communales.

CONCLUSION

De ce qui précède il est aisé de conclure que l'ad- ministration Anglaise avait agi en Guyenne en sens inverse du mouvement suivi ailleurs par la royauté Capétienne. Tandis que les provinces du domaine royal sont rattachées à la couronne par des liens de plus en plus étroits depuis saint Louis et surtout depuis Phi- lippe le Bel, que partout le sort des villes est remis entre les mains du souverain, et que la centralisation suit une marche progressive, la domination Anglaise laisse éclore en Guyenne et développe avec le temps les fran- chises municipales. L'action des cités s'exerce à l'aise sous le réseau administratif qui les entoure sans peser sur elles, l'arbitraire des agents anglais rencontre à chaque pas l'obstacle d'une force effective qui réside dans les murailles des villes, dans l'autorité de leurs magistrats soutenus par des milices bourgeoises. Les attributions légales de ces agents sont déterminées de façon à constater la souveraineté du prince sans gêner le règlement des intérêts de la province par elle-même, et, s'ils outrepassent la limite, la justice du suzerain.

288 CONCLUSION.

invoquée fièrement au nom des chartes, est souvent la première à les faire rentrer dans le devoir. Nous avons même vu qu'une sorte de lien fédératif, sous forme de clientèle, s'était formé peu à peu entre les petites villes du Bordelais et la commune-mère, et qu'ainsi, au lieu de l'isolement qui finit par livrer les communes de France à l'omnipotence monarchique, le Bordelais en- leva toute prise à l'^autorité de ses princes par l'assem- blage des groupes communaux. La consistance de ces groupes résulte, non pas seulement du protectorat qu'exerce la commune-mère, mais de la similitude des constitutions communales. Dans le Bordelais, et c'est ce qui fait de ce pays un assemblage original et tout à fait à part sur la carte de la France municipale, le caractère commun est l'association de la mairie à la jurade. Ce sont deux magistratures étroitement unies, connexes, solidaires. Aussi, lorsqu'au mois d'octobre 14o3, Charles VII imposa un maire aux Bordelais, Jean Bureau^ et que ce maire fut institué à titre per- pétuel, cette transformation de la première magistra- ture de la cité produisit l'effet de tout l'écroulement de l'édifice municipal; la solidarité qui avait été le ciment de l'ancienne commune était brisée du même coup. A vrai dire la commune de Bordeaux, comme corps politique, avait cessé d'exister.

Ce qui donne encore un caractère tout spécial à Bor- deaux et à ses filleules, c'est qu'efies participent à la fois du régime consulaire d'Itaheetde lacommune jurée du

CONCLUSION. 289

Nord, sans qu'il soit possible de les faire rentrer dans l'une ou l'autre de ces classes de constitutions urbaines. Comme les cités de Toscane et de Lombardie, elles se donnèrent des magistrats à la fois juges, administra- teurs et généraux; elles eurent des assemblées sou- veraines où se décrétaient la guerre et la paix. Mais leurs chefs électifs ne prirent pas le nom de consuls. Elles ont un maire comme les villes du Nord ; le lien de l'association communale est le serment, la conjuratiOy comme dans les villes du Nord.

Si le but de l'association communale dans le Bordelais est, comme ailleurs, l'égalité des droits et l'affranchis- sement du travail, les communes bordelaises se sé- parent des deux catégories précédentes par leur prin- cipe, et par leur mode de développement. Au xn" siècle, à l'époque de leur formation, nous n'y trouvons pas un fond d'institutions municipales et d'habitudes de domi- nium aussi ancien, aussi persistant que dans les villes de Toscane et de Lombardie. D'autre part aussi, la constitution urbaine n'y jaillit pas soudainement, par le fait d'une insurrection plus ou moins violente de même que dans les communes du Nord. Elle est un souvenir, qui se réveille, et qui se traduit en fait par le bienfait d'un octroi monarchique. Si elle est une reven- dication, c'est moins aux dépens de ce pouvoir royal que contre un autre pouvoir local, celui de l'évêque par exemple, avec lequel elle ne cesse d'être aux prises pendant toute la durée de sa carrière.

19

2(Ki CONCLUSION.

Elle ne construit pas son organisme tout d'un coup, ni tout d'une pièce * ; nous l'avons vu, c'est une con- stitution qui s'étend, s'élève, se consolide de règne en règne, par l'ejffet de la communauté d'intérêts qui unit de plus en plus étroitement les Bordelais et les Anglais. C'est l'œuvre d'une population laborieuse, intelligente, avide de richesses qui, à tout moment, sait tirer parti du conflit des deux nations anglaise et française. Son organisation municipale et son gouvernement démo- cratique finissent ainsi par prendre une ampleur et une vigueur singulières, dont nous ne trouvons l'analogue au XV* siècle que dans les villes de Flandre. Et ici encore, faudrait-il se garder de forcer l'analogie. Car les démocraties de Flandre sont agitées, tumultueuses, sanguinaires dans leurs emportements.

Dans le Bordelais, le peuple intervient régulièrement, avec calme, contenu par le serment, armé du vote, et d'autant moins porté à la violence, qu'il sait que son pouvoir ne lui est nullement contesté. Sans s'écarter du respect et de la fidélité qu'elle devait à ses princes, la démocratie bordelaise se maintenait aisément dans toutes ses franchises, et gardait toute sa liberté mouvement;

Elle a grandi lentement ; c'est le secret de sa force

2. Contrairement à l'opinion de M. Aug. Thierry [Hist. du Tiers-État, p. 247), nous ne pouvons admettre qu'en 1244 le corps de ville se composât déjà d'un maire annuel, de SO ju- rais, de 30 conseillers et de 300 citoyens élus par le peuple, sous le nom de Défenseurs.

CONCLUSION. 291

et de son ealme. C est bien à une cité comme celle-là que peut s'appliquer ce jugement porté par Aug. Thierry sur la bourgeoisie des communes : « L'ordre, la régularité, l'économie, le soin du bien-être de tous, n'étaient pas seulement un principe, une maxime, une tendance ; c'était un fait de tous les jours, garanti par des institutions de tout genre, d'après lesquelles chaque fonctionnaire ou comptable était surveillé sans cesse, et contrôlé dans sa gestion'. »

Aussi, quand nous considérons l'origine, la nature, la croissance de la commune de Bordeaux, il nous est impossible de la placer dans l'une des trois ou même des cinq zones entre lesquelles M. Aug. Thierry a partagé le territoire de l'ancienne France pour la géographie des constitutions urbaines. Les trois séné- chaussées de Bordeaux, de Bazas et des Landes, qui constituaient, depuis saint Louis surtout, la Guyenne propre, nous paraissent former une zone distincte. Ce sont, dirons-nous, les communes de domination an- glaise, nées d'un heureux concours de circonstances, et surtout de l'accord de la sagesse libérale de leurs maîtres et des volontés populaires affirmées pour le succès de ce qui était juste, et affirmées à propos. Au- tonomie complète, liberté commerciale aussi large que possible, richesses immenses, renom lointain, voilà le résumé de l'histoire du Bordelais de 1206 à 1451. Il

\ . Hist. du Tiers-État, p. 34-35.

292 CONCLUSION.

a tout cela à la suzeraineté des souverains anglais qui était pour lui, non une gêne, mais un rempart. Le pays, en effet, était gardé et administré, mais non occupé par les Anglais. Il n'y avait habituellement dans le Bordelais qu'un très-petit nombre de gens de race anglaise ; il n'existait de troupes anglaises que dans les cas extraordinaires, dans les temps de guerre avec la France. A Bordeaux même, il n'y avait qu'un très- petit nombre d'étrangers d'outre-mer, et, sinon quel- ques particuliers qui, par prédilection pour ce climat, y avaient fixé leur séjour, il n'y avait ordinairement dans cette ville que les équipages des navires anglais qui y abordaient pour le commerce*. Aussi voit-on que, malgré une possession de trois siècles, les Anglais ne laissèrent presque nulle empreinte dans les mœurs, dans les sentiments et dans la langue du pays. La Guyenne sortit de leurs mains sans avoir rien perdu de sa nationalité provinciale.

Nous n'avons pas à rappeler quelles catastrophes amenèrent les succès de Charles Yll pour les Anglais et pour Bordeaux. En Angleterre, l'aristocratie, exas- pérée par la douleur, s'entr'égorgea pendant les trente ans de la guerre des deux Roses. A Bordeaux, une multitude de familles émigrèrent pour le pays d'oii leur était venue la fortune ; les autres attendirent dans une morne prostration que Charles VII et Louis XI vou-

4. Baurein, Variétés bord,., t. III, p. 148-149.

CONCLUSION. 293

lussent accorder à leurs enfants la restitution de quel- ques-uns seulement de leurs privilèges municipaux ou commerciaux : concession d'ailleurs bien précaire, et qui devait être ruinée par les émeutes de 1548. Aussi la région des trois sénéchaussées mit-elle des siècles à devenir Française de cœur. Faudrait-il en vouloir à ce coin de la France de l'ouest, si prospère sous ses ducs anglais, d'avoir gardé un patriotisme provincial si intense, si fidèle au souvenir de la richesse et de la liberté perdues, si maussade devant l'introduction de la fiscalité et de la justice des Valois? Au fond, les bourgeois de Bordeaux ne tenaient pas à être consi- dérés comme des nationaux d'Angleterre : loin de là, ils étaient, avant tout, Bordelais de nation. Nous savons très-bien la nature du sentiment qui leur faisait désirer la conservation de leur pays par l'Angleterre : les An- glais ne taxaient pas leurs vins, et les payaient riche- ment. Les rois de France leur faisaient une condition toute différente. La rancune dut être longue ; elle éclata violemment sous Henri II; elle se manifesta encore sous Louis XIII, sous Mazarin, dans la querelle de Bordeaux contre le duc d'Épernon. Pendant la Fronde, le peuple fit les scènes démagogiques du Parlement de rOrmée. Louis XIV s'en souvint, et en 1675, à la suite de l'affaire de la marque sur la vaisselle d'argent, il crut prudent d'accorder amnistie aux rebelles, et de supprimer les droits qui étaient odieux aux Bordelais. C'est que le peuple ne s'était pas contenté de crier :

sa* CONCLUSIOM.

« Vive le roi sans gabelle» ! » il s'était tenu des discours très-insolents sur l'ancienne domination des Anglais, et l'intendant de Guyenne, auteur principal et ministre responsable des nouveaux édits, osait écrire à Colbert (24 avril 167S) que, « si le roy d'Angleterre voullait profiter des dispositions de h province, il donnerait dans la conjoncture beaucoup de peine ^ » .

1. V. cette lettre dans_P, Clément, Histoire de Colbert, p. 365-366.

.UCJ

APPENDICE

I

DUEL ENTRE UN MAKCHAND ET UN TAILLEUR DE BORDEAUX AU SUJET DE LA DOMINATION ANGLAISE (1399) *

Bertrand Usana, marchand et, bourgeois de Bor- deaux, arrête dans la rue Poitevine Jean Bolomère, tailleur d'habits et bourgeois de cette même ville, et lui tient des propos contraires à la fidélité qu'on devait aux Anglais. Bolomère, surpris et se regardant, quoi- que simple artisan, comme homme-lige qui avait fait serment de fidélité à son prince, crut qu'il se rendrait coupable de trahison envers lui s'il ne l'avertissait des trames secrètes qu'on pouvait ourdir contre son auto- rité. Il présenta donc à Henri lY la requête suivante :

« A notre très-excellent et très-redouté seigneur le roi d'Angleterre et de France, ou à très-honorés et hauts seigneurs ses connétable et maréchal d'Angte- terre, ou à leurs lieutenants et commissaires.

« Attendu que chaque homme, petit ou grand,

i. Nous traduisons le texte latin de Rymer (t. IV, partie 1, p. 133, col. 2, édit. 1740).

296 APPENDICE.

pauvre ou riche, qui est en l'obéissance et sous le ser- ment de fidélité, ou qui est homme-lige, ou demeure en l'obéissance de notre très-souverain seigneur le roi, soit tenu de garder le bien, l'avantage et l'honneur de notre très-souverain seigneur, etc. ;

« Et, en outre, que s'il venait à sa connaissance que quelqu'un tramât quelque trahison, soit contre lui, ses États ou sa couronne, qu'il lui doit notifier et dé- noncer, sans quoi il passerait pour traître,

« Et quoique moi, Jean Bolomère, couturier ou tailleur et petit bourgeois de Bordeaux, ne sois qu'un pauvre homme et de fort petit état, je suis pourtant homme-lige de notre très -souverain seigneur le roi, etc. ;

' « C'est pourquoi, très-excellent, etc.... afin qu'à l'avenir personne ne puisse me dire que je suis un mauvais homme ou traître envers le roi, je vous no- tifie et déclare les choses suivantes :

« Savoir : que l'an I" du règne de notre très-souve- rain seigneur le roi, entre le jour de Noël et le premier jour du carême suivant, et dans la rue appelée Poite- vine, en la cité de Bordeaux, ledit Bertrand Usane m'a dit, de sa propre bouche, en Tan, terme, lieu et place susdits, les paroles suivantes :

« Maître Jean Bolomère, je veux vous faire part d'une chose de conséquence, et surprenante, par ma foi.

« Et je lui répondis : Je le veux bien, dites-moi ce qui vous plaira.

« Certes, reprit ledit Bertrand, les Anglais sont de mauvaises gens et capables de faire les plus grands outrages, il n'y a pas longtemps qu'ils allèrent à Mar-

APPENDICE. 297

gaux et à Macau, qu'ils y rompirent les branches d'arbres chargées de fruits, et qu'ils les portèrent dans leurs navires; et sachez, Bolomère, qu'il faut que nous nous départions de leur obéissance et domination.

c( Sainte Marie, lui répondis-je, Sire, comment se pourrait-il que la ville, qui, de tout temps^, a été si loyale envers la couronne d'Angleterre, et qui, moyen- nant la grâce de Dieu, le sera encore à l'avenir, se départît de son obéissance ? Et comment pourraient subsister les pauvres gens de la campagne et les sujets du roi, lorsqu'ils ne pourraient plus vendre leurs vins, ni se procurer les marchandises d'Angleterre, ainsi qu'ils ont accoutumé?

« Laissez faire, Bolomère^ repartit-il, nous vi- vrons sans eux ; nous taillerons nous-mêmes la moitié de nos vignes, et nous y cueillerons le double du vin.

« Ne me tenez plus de pareils propos, lui répon- dis-je, car j'aimerais mieux mourir que d'être de votre opinion.

« Vous en ferez bon gré mal gré, me répondit-il, ou vous passerez la ville (c'est-à-dire, vous en serez chassé), vous, et tous ceux qui seront de votre avis.

« El pour lors, je lui dis, ne m'entretenez plus sur cette matière; je ne veux plus en entendre parler. Je préfère m'occuper de mon état de tailleur, et faire mes pauvres boutons. »

« Et si ledit Bertrand Usana voulait dire qu'il ne m'a pas tenu tous ces propos, je lui prouverai, avec Taide de Dieu et de saint George, par un combat de mon corps contre le sien, en présence du roi notre doux souverain.

« Faisant protestation de plus dire et déclarer,

2t*'8 APPlilNDICE.

d'ajouter ou diminuer, si besoin est, gardant tou- jours la substance de mon exposé. »

Le connétable et le maréchal d'Angleterre, après avoir écouté pendant longtemps les débats des deux parties, et voyant qu'il ne leur était pas possible de dé- couvrir la vérité sur un fait qui s'était passé sans té- moins, ordonnèrent, suivant Tusage, que la contesta- tion serait décidée par un duel.

Le roi d'Angleterre en assigna le jour, et ordonna aux parties de se trouver dans la ville de Nottingham, au douzième jour du mois d'août 1407 (l'assignation s'était fait attendre sept ans).

Les deux Bordelais entrèrent en champ clos avec une intrépidité qui fut admirée. Le signal donné, Bolo- mère fond avec courage sur son adversaire. Bertrand Usana n'est pas moins preux.

Le combat dura longtemps. La cour d'Angleterre l'honorait de sa présence ; elle fut émerveillée de voir tant de vigueur, de noblesse et de prouesse en fait d'armes, chez deux vieillards presque décrépits^ « propter eorum nohilitatem, prohitatem ac ipsorum œtatem quasi decrepitam. )>

Enfin le roi d'Ecosse, les enfants du roi et tous les princes de sa cour, pleins d'admiration pour ces deux combattants, et désirant leur conserver la vie, suppliè- rent le roi d'Angleterre de faire cesser le combat.

Le roi y consentit, et réserva au tribunal de Dieu le jugement de cette affaire, vindictam demeriti divino judicio reservantes.

Néanmoins^ voulant faire connaître la valeur et le courage avec lesquels ces deux vieillards avaient com- battu, il fit dresser une charte par laquelle il déclarait

APPENDICE. 299

qu'ils s'étaient acquis de la gloire dans l'esprit de tout le monde. Cette charte est datée du 20 juin 1408.

Il

DROIT DE BALEIN

Les rois d'Angleterre s'étaient attribué les droits de baleine et les avaient incorporés h leur domaine. Une charte de Jean sans Terre (H99) relate ceux que les pêcheurs acquittaient au port de Biarritz (Noël de la Morinière, Histoire des pêches, p. 229, d'après les Archives de la Tour de Londres).

Edouard II se réserva l'échouement des baleines sur les côtes de Biscarosse et de Sart (Terre de Labourd), et, en 1338, Edouard III, voulant dédommager Pierre dePuyanne des dépenses qu'il avait faites pour équi- per à Bayonne l'escadre dont il était amiral, lui délégua les droits qu'il percevait au port même de Biarritz, 6 hv. sterl. sur chaque baleine qu'on y amenait (2^., ib., d'après Rymer).

Une prérogative réclamée par Edouard II en 1324 lui attribuait la tête de chaque baleine, la queue étant réservée pour la reine (Noël de la Morinière, p. 231, d'après Prynne, Tractatus de auro reginœ, p. 127).

Le droit d'échouage était un droit royal ou ducal; il se réglait pour le marsouin comme pour la baleine. L'exercice de ce droit était quelquefois incertain entre le duc et ses feudataires. Toutefois, la prérogative n'en existait pas moins en Guyenne, comme en Normandie et en Angleterre. L'échouement des baleines et des

300 APPENDICE.

marsouins y était considéré comme la matière d'un droit seigneurial. Malgré les privilèges des Basques, il fut toujours dans le domaine des rois d'Angleterre ou des seigneurs qu'ils admirent à le partager avec eux, ou qui en obtinrent la concessinn comme droit aliéné (Noël de la Morinière, p. 237, d'après les Rôles gas- cons et normands. Cf. Rymer, t. I, part. 3, p. 87, col. 2; lettres patentes du lieutenant du roi, Maurice de Creon, concédant au sire de Lesparre une baleine échouée sur le rivage de sa seigneurie, et le harpon qui l'avait blessée, 1291).

III

LETTRE DES BOURGMESTRE ET ECHEVINS DE LA VILLE DE BRUGES, EN FLANDRE

Pour remercier les maire et jurais de Bordeaux de leurs bons procédés à l'égard de certains bourgeois de Bruges, dont les vaisseaux arrêtés par la flotte anglaise au port de Zelay (Zèle, sur l'Escaut) avaient été conduits à Bordeaux, mai 1414. {Registre des délibérations de 1414-16, fol 3, recto et verso.)

« A honourables et sages senhors les maire et jurez de la cité de Bourdeaulx.

« Nos avoms receu vos amiables lettres escriptes le 23® jor de jambvier par lasquielles et auxi pour ce que Lorens Bauden et daucunsaultres nos borgois nos a relate de bouche, avoms sceu le grant amour et bonne amicte que par vos bontés remonstre nos avez en la délivrance des grains et autres denrées de nos dessusd. borgois arrestez ja pressa au port de Zelay par la flote d'Engleterre et menez à Bourdeaulx, et ce auxitost que

APPENDICE. 301

VOS otes receu nos lettres certifficatours et sceu lesd. biens appartenir aux dessd. nos borgois, et en oultre avez gracieusement octroyé en favouret contemplacion de nos que les dessd. grains pussent estre traitz fors de le cite de Bourdeaulx, quelque part il plairait a nos dessusd. borgois ou a lours fatteurs, nonobstant la deffense qui en avait este faicte en lad. cité de Bour- deaulx au contraire, dont, honourables et sages senhors, nos vos remercioms tant et si entièerement de cœur comeplus povoms et sçavoms, et aurons, si Dieu plaist, en mémoire por le temps abenir la graiute et cour- teisie que en ce faicte et exhibe vos avez, et le dessui- rons a nostre povoir envers les bons marchans de Bourdeaulx, s'ils aient aulcune chouse a fere part decea que nous puissons. »

Il est probable que la lettre était rédigée soit en latin, soit en flamand, et qu'elle fut, selon l'usage, traduite en langage bordelais par le clerc de ville de Bordeaux, pour être mise à la connaissance du peuple.

IV

LETTRE DU MAIRE ET DES ALDERMEN DE LONDRES AUX MAIRE

ET JURATS DE BORDEAUX (15 Septembre 1446)

Au sujet des marchandises saisies par les Bordelais sur plusieurs bâti- ments anglais. Archives de la mairie de Bordeaux.

{( Omnibus et singulis majoribus, locumtenenti, prœpositis juratis, etc.

« Notum vobis facimus quod inter ceteras liberta- tes, consuetudine^ et privilégia tam per cartas domini

302 APPENDICE.

régis nunc et progenitorum suorum a conquesta An- glise civibus civitatis Londonii concessas et confirma- tas quam per diversa statuta et parliamenta eorura- dem ratificata et confirmata ac approbata civibus civitatis prœd, concessas et per nostrum dominum regem confirmatas, subscripti articuli continentur quod omnes cives civitatis prsed. per totam terram potestatis régis libère et sine impedimento tam per mare quam per terram de rébus et mercandisis suis negociari possunt prout sibi viderint expedire, et quod omnes dicti cives sint quieti ac liberi, ac omnes eorum res per totam potestatem régis tam citra mare quam ultra et per portus maris tam citra mare quam ultra de omni theoloneo, passagio, lastagio, picagio^^ pon- tagio, pavagio^, muragio^, prisis vini et omni alla consuetudine. »

1. Picagium, droit que payeut les marchands qui vont aux foires, pour avoir la permission de faire dans la terre les trous nécessaires à la construction de leurs baraques. Du Cange.

2. Pavagium, droit que l'on paie pour l'entretien de la chaussée des chemins. Du Cange.

3. Droit qui se levait dans les villes pour la construction et la réparation des fortiflcations et des autres édifices pu- blics. Id.

FIN.

TABLE DES MATIERES

Avertissement i

LIVRE P^ Administration 1

Chapitre I" \

Sénéchal de Gascogne. Conseil royal de Gascogne. 2

Chapitre II. Connétable de Bordeaux 10

Chapitre III. Justice 34

LIVRE IL Mouvement communal fio

Chapitre I". Commune de Bordeaux. Le maire.

Les bourgeois (123o) 68

Chapitre II. La terre du bourgeois bordelais est

alleu (1273) 88

Chapitre ÏII. Jurats. Juridiction du maire et des

jurats. Suzeraineté féodale de la commune

(1275-1327) 94

Chapitre IV. Époque de développement.

Edouard III (1327-1377).— Richard II (1377-1399). 113

Chapitre V. Privilèges commerciaux (1174-1327). lo3

Chapitre VI. Privilèges commerciaux (1327-1433). 174

Chapitre VII. Les Lancastres (1390-1453) 195

Chapitre VIII. Les Filleules de Bordeaux 242

Chapitre IX. Bastides. Ilomines fiscales 264

Chapitre X. États provinciaux 272

Conclusion 287

Appendice 295

Paris. Impr. Pillet fils aine, rue des Grands-Augustios, 5.

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