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LA FAMILLE

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TARIEU DE LANAUDIÈRE

PAR

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PIERRE-GEORGES ROY

Les larmes ne coulèrent jamais de mes yeux.

Madeleine db Vebchères

Nos cœurs à la Frauce, nos bras à l'Angleterre.

Marguerite de Lanaudièrb

1922

V

GRANDE FAMILLE, GRANDE RACE, GRAND NOM

J'appelle grande famille, grande race, grand nom, ces familles, ces races, ces noms, que de mémorables services rendus au pays, à quelque époque que ce soit, ont fait historiques, qui ont conquis leur illustration par la gloire des armes dans les camps ; par leur habileté dans les hautes négociations et dans le manie- ment des affaires politiques, et par l'éclat des talents et quelquefois du génie,dans les sciences, dans les lettres ; enfin dans la magistrature ou dans l'Eglise, par la sainteté des mœurs et la grandeur du caractère.

Voilà ce que j'appelle les grandes familles, les grandes races d'un pays. Eh bien ! je l'avouerai sans détour, ces grandes familles, je les aimeje les respecteje les vénère,parce que j'aime, je respecte, je vénère les grands souve- nirs et les grandes choses. Je ne sache pas une nation dont elles ne soient la force et la gloire, et qui n'ait une inclination naturelle à leur donner ses chefs, ses guerriers, ses ministres, ses premiers magistrats, ses administrateurs. Il y a peut-être préjugé, mais il est profond ; et, sauf les temps de trouble ce préjugé se tourne quelquefois en haine, on y revient toujours.

Un grand nom, sans doute, c'est l'héritage d'une famille et un homme illustre, en donnant à ses fils, l'éclat de la naissance, leur impose aussi l'obligation de ses vertus ; car noblesse oblige, suivant un axiome d'honneur tout fran- çais. Mais un grand nom, un grand homme, c'est aussi la gloire d'une nation, c'est la gloire de l'humanité même : par cette raison profonde que c'est un nom, c'est un homme en qui la Providence a fait resplendir ses dons, et que tous réclament leur part de cet honneur fait à la nature humaine. Voilà pourquoi l'instinct national honorera toujours les noms glorieux et les grandes races.

Mgr DUPANLOUP (1)

(1) De l'éducation, tome premier, p. 228.

Première génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanau- dière.

LA FAMILLE TARIEU DE LANAUDIERE

THOMAS-XAVIER TARIEU DE LANAUDIERE

Quatre mois avant sa mort, l'illustre fon- dateur de Québec, Champlain, demandait au roi de lui envoyer une centaine de soldats afin de forcer les Iroquois à cesser leurs dépré- dations.

Les gouverneurs qui lui succédèrent firent tour à tour la même demande. Le roi envoyait bien quelques soldats de temps en temps, mais jamais en assez grand nombre pour en imposer aux Iroquois.

Colbert se décida enfin à frapper un grand coup, et, le 18 mars 1664, il informait M. de Mézy que le roi allait envoyer à la fin de Tannée ou au commencement de 1665, un régiment d'infanterie, afin de réduire entièrement les Iroquois.

Le régiment de Carignan débarqua à Qué- bec au cours de l'été de 1665. On sait quels services ce régiment rendit à la colonie.

Plusieurs des officiers et des soldats du régiment de Carignan décidèrent de s'établir dans la Nouvelle-France.

Au nombre des premiers nous devons comp- ter Thomas-Xavier Tarieu de Lanouguère ( 1 ) ou de Lanaudière, enseigne dans la com- pagnie de Saint-Ours. Il était fils de messire Jean de Tarieu et de dame Jeanne de Samalins, de la petite ville de Mirande,archevêché d'Auch, en Guienne. Sa famille, de vieille noblesse fran- çaise, était alliée aux ducs de Mortemart, aux comtes de Maleuvrier et à la vieille famille de Montet.

Lorsque le chevalier Charles de Lanau- dière passa en France après la conquête, il renoua des relations avec toutes ces familles illustres. Dans une lettre datée de Londres, le S septembre 1786, il est dit au sujet du cheva- lier de Lanaudière, alors en France :

" Madame la duchesse de Mortemart le voit beaucoup quand elle est à sa terre de Man- neville, en Normandie, et qu'il est chez M. de Boishébert, son oncle, qui demeure au château de Rastot. M. de Montet, qui demeure à Bois- le-Clerc, est son parent. M. le comte de Maleu- vrier, ministre à Cologne, est son parent." (2)

L'intendant Talon, qui avait de si grandes vues, était d'opinion que l'Acadie pouvait con- tribuer à fortifier puissamment la Nouvelle- France. Le plus grand avantage de l'Acadie en

(1) Thomas-Xavier Tarieu de Lanaudière signait Lanou- guère. Son petit-fils adopta la forme plus moderne Lanau- dière que ses descendants ont conservée.

(2) M. de Gaspé, Mémoires, p. 93.

faveur de la Nouvelle-France, d'après Talonf était que ses ports de mer étaient libres en toute saison. De là, le projet de Talon d'ouvrir au plus vite des communications plus promptes et plus sûres entre le Canada et l'Acadie.

Le bassin de la rivière Penobscot, à l'em- bouchure de laquelle se trouvait le fort de Pen- tagoùet, communiquait dans l'intérieur avec celui du Kennebec par le portage de Kidiscuit, et en remontant la rivière Kennebec et un de ses affluents (la Moose River de nos jours), on parvenait jusqu'à la hauteur du bassin supé- rieur de la rivière Chaudière, que l'on gagnait par un nouveau portage, et par laquelle on descendait jusque dans le fleuve Saint-Laurent, un peu en haut de la Pointe-Lé vy. Ce trajet ne dépassait guère cent vingt-cinq lieues.

En 1670, M. Talon chargeait son secré- taire, M. Patoulet, de dresser un rapport sur cette route communément appelée le chemin de Kennebec.

Au mois de septembre 1671, M. Talon envoyait MM. Daumont de Saint-Lusson et de Lanaudière pour faire une exploration en règle du chemin projeté entre l'Acadie et la Nouvelle-France. Tous deux partirent en canot, mais ils ne rirent pas route ensemble. Les deux explorateurs revinrent à Québec tard dans l'automne de 1671. (1)

(1) Benjamin Suite, Histoire des Canadiens-Français, tome IV, p. 148. Il est juste d'ajouter que M. Thomas Chapais (Jean Talon, p. 366), dit que cette mission fut confiée à M. de Lanoraie. Dans un vieux manuscrit à l'écriture difficile à défricher on peut facilement lire Lanaudière au lieu de Lanoraie.

8

C'est probablement pour récompenser M. de Lanaudière du rude voyage qu'il avait fait à Pentagoùet et l'attacher davantage à son pays d'adoption, que, le 29 octobre 1672, l'intendant Talon lui concédait une superbe seigneurie sur la rive nord du Saint-Laurent, à vingt lieues de Québec. Cette concession était faite conjointement à M. de Lanaudière et à son ami et compagnon d'armes du régiment de Carignan, Edmond de Suève.

Il était dit dans les lettres de concession accordées à MM. de Lanaudière et de Suève :

14 Sa Majesté ayant de tout temps recher- ché avec soin et le zèle convenable au juste titre de fils aîné de l'Eglise, les moyens de pousser dans les pays les plus inconnus, par la propaga- tion de la foi et la publication de l'Evangile, la gloire de Dieu avec le nom chrétien, fin pre- mière et principale de l'établissement de ia colonie française en Canada, et par accessoire de faire connaître aux parties de la terre les plus éloignées du commerce des hommes sociables la grandeur de son nom et la force de ses armes, et n'ayant pas estimé qu'il y en eut de plus sûrs que de composer cette colonie que de gens capables de la bien remplir par les qualités de leurs personnes, l'augmenter par leurs travaux et leur application à la culture des terres, et de la soutenir par une vigoureuse défense contre les insultes auxquelles elle pour- rait être exposée dans la suite des temps, a fait passer en ce pays bon nombre de ses fidèles sujets, officiers de ses troupes dans le régiment

de Carignan, et autres, dont la plupart se con- forment aux grands et pieux desseins de Sa Majesté, voulant bien se lier au pays en y for- mant des terres et seigneuries d'une étendue proportionnée à leurs forces, et les sieurs de Suève, lieutenant, et Lanauguerre (Lanau- dière), enseigne d'une compagnie d'infanterie, nous ayant prié de leur en départir, Nous, en considération des bons, utiles et louables services qu'ils ont rendus à Sa Majesté en différents endroits tant en l'Ancienne France que dans la Nouvelle depuis qu'ils y sont passés par ordre de Sa Majesté, et en vue de ceux qu'ils témoignent vouloir encore rendre ci- après, en vertu du pouvoir par elle à nous donné avons accordé, donné et concédé, accordons, donnons et concédons par ces présentes aux dits de Suève et Lanauguerre (Lanaudière), l'étendue de la terre qui se trouvera sur le fleuve Saint-Laurent au lieu dit des Grondines, depuis celles appartenantes aux Religieuses de l'Hôpi- tal, jusqu'à la rivière Sainte-Anne, icelle com- prise, sur une lieue de profondeur, avec la quantité de terre qu'ils ont acquise du sieur Amelin (Hamelin), par contrat passé par devant le notaire " ( 1 )

MM. de Suève et de Lanaudière devaient jouir de leur concession en fief, seigneurie et justice, à la charge de la foi et hommage au château Saint-Louis de Québec.

(1) Pièce* et documents relatifs à la tenure seigneuriale, p. 10.

10

En 1673, le gouverneur de Frontenac déci- dait de bâtir un fort sur les bords du lac Onta- rio pour surveiller les mouvements des Iroquois. Vers la fin de juin de cette année, M. de Fron- tenac partait de Montréal, afin de mettre son projet à exécution le plus tôt possible. La flottille qui conduisit le gouverneur au lac On- tario se composait de quatre bateaux plats et de cent vingt canots, qui portaient six canons et quatre cents hommes.

M. de Lanaudière fit partie de cette expé- dition. Au témoignage de M. de Frontenac même, il s'y conduisit de brillante façon.

A son retour de ce périlleux voyage, le gou- verneur de Frontenac attachait M. de Lanau- dière à sa personne en le nommant lieutenant de ses gardes. Cet emploi militaire était très recherché.

On sait les difficultés qui s'élevèrent en 1674, entre M. François-Marie Perrot, gouver- neur de Montréal, et M. de Frontenac, gou- verneur de la Nouvelle-France. Celui-ci garda Perrot en prison pendant dix mois à Québec, puis Tenvoya en France.

Le 10 février 1674, M. de Frontenac don- nait la commission suivante à M. de Lanau- dière :

" Les plaintes et les avis que nous avons sus de la mauvaise conduite du sieur Perrot, gouverneur particulier de l'île et de la ville de Montréal, et ses contraventions aux ordres de Sa Majesté et aux nôtres, nous ont obligé de le mander en cette ville et de nous assurer de

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sa personne. Comme la santé et l'âge du sieur Dupuy, major du dit lieu, ne lui permettent pas d'agir avec toute la diligence requise pour faire arrêter et punir les coureurs de bois et empêcher les autres désordres qui se commettent dans ce gouvernement : nous avons estimé qu'il était nécessaire d'y commettre quelque personne fidèle et agissante, et nous ne pouvons faire un meilleur choix que du sieur LaNauguère, qui, ayant déjà fait paraître, dans tous les emplois de guerre qu'il a eus en France et dans ce pays, beaucoup de zèle et d'affection pour le service de Sa Majesté, nous fait prendre une entière confiance en sa fidélité, sa capacité et sa bonne conduite, et nous donne lieu de croire qu'il fera exécuter les ordres du Roi et les nôtres avec soin et vigueur. Nous l'établissons donc commandant dans la ville et l'île de Mont- réal pendant que le sieur Perrot en sera absent, et jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné par Sa Majesté ou par nous. Nous lui donnons pouvoir d'assembler, quand il jugera bon, les officiers, bourgeois, habitants, soldats et milices de ces lieux, de leur faire prendre les armes et de veiller à ce qu'ils en apprennent le manie- ment, en faisant de temps en temps l'exercice : comme aussi de terminer à l'amiable, autant qu'il se pourra, les différents des particuliers ; d'empêcher les désordres, les pilleries, les vio- lences, et principalement les courses et traites dans les bois, sans une permission expresse de nous par écrit ; de poursuivre et de faire arrêter les contrevenants, et de nous les envoyer

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sous bonne et sûre garde ; de changer même de garnison, s'il le trouve à propos ; de casser ceux de qui la fidélité serait suspecte, d'en mettre d'autres à leur place ; enfin de faire observer à tous une exacte discipline, et généralement de faire tout ce qu'il croira de meilleur et de plus avantageux pour le service de Sa Majesté, la conservation et la défense du pays, l'augmen- tation de la colonie, et pour maintenir les habi- tants de la ville et ceux de l'île de Montréal en bonne intelligence et en union tant entre eux qu'avec les Sauvages. Nous mandons au sieur Dupuy, major, de faire reconnaître par les officiers et soldats de la garnison le sieur de LaNauguère en qualité de commandant, et ordonnons aux seigneurs, aux juges, aux offi- ciers et aux habitants de toute l'étendue de ce gouvernement qu'ils aient pareillement à le reconnaître en cette qualité, et à lui obéir en tout ce qu'il commandera pour le service de Sa Majesté et pour l'exécution de nos ordres." (1) Comme les lettres de commandement don- nées à M. de Lanaudière, sans la participation des seigneurs de Montréal, pouvaient porter atteinte au droit que les lettres patentes du roi de 1644 attribuaient à eux seuls de commettre tel capitaine ou gouverneur particulier qu'ils voudraient nommer, ceux-ci jugèrent que, sans s'opposer à la commission de M. de Lanaudière, ils devaient protester juridiquement qu'elle ne pourrait nuire ni tirer à conséquence. Ils firent cette protestation devant leur juge, M. d'Aille-

(1) Archives du séminaire de Ville-Marie,! 0 février 1674.

13

boust, au commencement de mars 1674, par leur procureur fiscal, M. Migeon de Bransac. (1)

Le 14 novembre 1674, M. de Frontenac écrivait au ministre :

" Je dois vous dire que j'ai obligation aux soins que le sieur de la Nouguère (Lanaudière), que j'ai mis commandant à Montréal en l'absence de M. Perrot, a pris et prend tous les jours pour l'observation des ordres du Roi et des miens dans un lieu d'où provenait la source du mal et comme aussi au sieur de Verchères, enseigne, qui a fait cette expédition à 200 lieues de Montréal, s'en étant l'un et l'autre acquittés d'une manière qui mérite assurément quelque récompense lorsque le Roi voudra songer à ce pays. Cela ne leur a pas attiré, non plus qu'à moi, l'affection de beaucoup de gens, mais quand j'ai entrepris la chose, je m'y suis attendu et n'ai point craint de m'exposer à tout ce qui pourrait arriver pourvu que j'exécutasse les ordres qu'il me paraissait que Sa Majesté avait si fort à cœur, dans la confiance que j'en ai eue de l'honneur de sa protection."

Dans cette même lettre du 14 novembre 1674, M. de Frontenac proposait de remplacer le major de Montréal, vieux et malade, par M. de Lanaudière :

" Je vous ai déjà mandé, écrivait-il, que le major qui est à Montréal est si vieux qu'il est hors d'état de pouvoir servir et il se trouve même si mal d'une chute qu'il a faite, que je

(1) Faillon, Histoire de la Colonie Française, vol. III,

p. 484.

-14- /

ne crois pas qu'il passe l'hiver. Si vous aviez agréable d'en gratifier le sieur Lanouguère (Lanaudière), lorsque vous le retirerez du commandement de Montréal et que les affaires de M. Perrot seront terminées, personne ne s'en acquitterait mieux que lui ; sinon, je vous proposerais le lieutenant de mes gardes qui a une inclination de se marier et de s'habituer en ce pays. Il est fils du ministre de Neufchâtel et je le convertis en Candie il servit auprès de moi d'aide de camp avec beaucoup de valeur et d'expérience. Je l'avais trouvé officier dans le régiment de Maron (?) et le pris parce qu'il était fort entendu aux mines. Depuis il a eu une enseigne dans une des compagnies franches que le Roi leva en Suisse il y a quatre ou cinq ans et ne l'a quittée que pour me suivre au Canada." (1)

M. de Lanaudière resta commandant à Montréal jusqu'au retour de M. Perrot dans son gouvernement en 1675. (2)

Le gouverneur de Frontenac, pour mar- quer à M. de Lanaudière sa satisfaction du commandement qu'il avait exercé à Montréal, lui donna dès son retour à la capitale une belle promotion. Il le nomma capitaine de ses gardes. (3)

(1) Archives publiques du Canada, Correspondance gé- nérale.

(2) Presque tous nos auteurs donnent M. de Lanaudière comme gouverneur de Montréal. Comme on le voit par la commission même de M. de Lanaudière publiée ici, le brave militaire ne fut que commandant de Montréal.

(3) Jugements et délibérations du Conseil Souverain.

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M. de Lanaudière décéda à Québec au mois de mai 1678. (1)

M. de Lanaudière avait épousé à Québec, le 16 octobre 1672, Marguerite-Renée Denys, fille de Pierre Denys de la Ronde et de Cathe- rine LeNeuf. (2)

Comme la plupart des officiers qui mou- raient dans la Nouvelle-France, M. de Lanau- dière laissa plus de gloire que de fortune à sa veuve.

Celle-ci, qui était mère de trois enfants, se retira dans sa seigneurie de Sainte-Anne afin de demander à la terre sa subsistance et celle de ses enfants.

Le recensement de 1681 nous donne de précieux renseignements sur la seigneurie de Sainte-Anne. On y voit madame veuve de La- naudière, âgée de 25 ans, avec ses trois enfants et ses trois domestiques, Louis Gillet, âgé de 20 ans ; Alexandre Petit, âgé de 18 ans ; Jean- Paul Maçon, âgé de 35 ans. Dans la maison on garde trois fusils. L'étable contient quatorze bêtes à cornes. Vingt-six arpents de la terre de la seigneuresse sont en valeur.

Le même recensement donne les noms de tous les habitants établis dans la seigneurie. Ce sont Mathurin Tessier, 22 arpents en valeur ;

(1) Ce renseignement nous est donné par l'inventaire de ses biens meubles, etc., etc., dressé par le notaire Duquet, le 3 juin 1678. L'absence de l'acte de sépulture de M. de Lanaudière aux registres de l'état civil de Québec nous permet de supposer qu'il fut inhumé dnas sa seigneurie de Sainte-Anne.

(2) Contrat de mariage devant Romain Becquet, notaire à Québec, le 12 octobre 1672.

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Pierre Pinot dit Laperle, 7 arpents en valeur ; Mathurin Gouin, 20 arpents en valeur ; Pierre Lamoureux, 2 arpents en valeur ; Julien Bion ; Pierre- Jean Gendron, 4 arpents en valeur ; Jean Richard, 6 arpents en valeur ; Simon- Pierre Denis ; Pierre Levesque, 12 arpents en valeur ; Jacques Hudes ; Moïse Faure, 4 arpents en valeur ; Pierre Cartier, 4 arpents en valeur ; Louis Faucher, 3 arpents en valeur ; Michel Le Roy dit Chatellereau, 4 arpents en valeur ; Michel Feuillon, 6 arpents en valeur ; Jean Picard, 10 arpents en valeur ; Jean LeMoyne, 40 arpents en valeur ; Jean Cevelle, 4 arpents en valeur ; Gilbert LeRoux, 4. arpents en valeur ; Pierre Baubriau, 3 arpents en valeur. Fvdmond de Suève, co-seigneur, habitait aussi la seigneurie. Comme il n'était pas marié, il ne s'occupait pas de culture. Le recensement se contente de noter qu'il avait trois fusils (1).

M. de Frontenac, qui n'avait pas oublié la veuve de l'ancien capitaine de ses gardes, lui accorda au printemps de 1682 un des vingt-cinq congés de traite que le roi lui avait permis de donner aux chefs de famille dans le besoin.

Le document suivant nous apprend que madame de Lanaudière confia ce congé de traite à trois habitants de sa seigneurie et à François Langlois, habitant de Verchères :

"Ce 19 juin 1682, est comparu (au greffe de Montréal) le sieur Saint-Germain, habitant de la seigneurie de Sainte-Anne, lequel a dit

(1) Benjamin Suite, Histoire des Canadiens-Français, tome V, p. f>0.

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qu'il allait partir pour les 8ta8ak soubs deux congés, l'un de mademoiselle Denis l'autre de mademoiselle Lanaudière, celui de Mlle Denis et avec luy conduisent les canots le sieur Saint- Pierre Denis, Pierre Cartier, Thomas Drouin, François Langlois, tous habitans ou demeurant à Sainte- Anne, à la réserve du dit Langlois, habitant de Varennes, et a signé le dit compa- rant.

SAINT-GERMAIN,

Maugue. (1)

Le 4 mars 1697, MM. de Frontenac et Bochart Champigny concédaient à madame veuve de Lanaudière trois iieues de terre de profondeur derrière la terre et seigneurie de Sainte-Anne sur toute la largeur d'icelle et celle des sieurs de Suève et Hamelin avec les îles, îlets et battures non concédés qui se trouve- raient dans la dite étendue, la dite concession à titre de lief et seigneurie, avec haute, moyenne et basse justice, avec droit de chasse, pêche et traite dans toute son étendue. (2)

Un mois plus tard, le 6 avril 1697, madame de Lanaudière obtenait de MM. de Frontenac et Bochart Champigny la concession des îles qui se trouvaient devant sa terre de Sainte- Anne. Il est dit dans l'acte de concession : " Sur la réquisition à nous faite par dame Marguerite Denis, veuve du sieur de Lanaudière, de vou- loir lui accorder les îles qui se trouvent devant

(1) Document en la possession de l'auteur.

(2) Pièces et documents relatifs à la tenurê seigneurial?, p. 429.

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sa terre de Sainte-Anne, et à l'entrée de sa rivière, et, entr'autres celle est son moulin, appelée l'île du Large, attendu qu'il n'en a été fait aucune mention dans l'acquisition faite du sieur Gamelin (Hamelin) en l'année mil-six- cent-soixante-dix, ni dans le titre de M. Talon, pour lors intendant en ce pays, qui autorise la dite vente, en mil-six-cent-soixante-et-douze, à quoi ayant égard " (1)

Les difficultés que lui firent ses voisins au sujet de la propriété des îles que lui avaient con- cédées MM. de Frontenac et Bochart Cham- pigny, le 6 avril 1697, engagèrent madame de Lanaudière à demander une nouvelle conces- sion plus explicite.

Le 30 octobre 1700, MM. de Callières et Bochart Champigny lui concédaient de nouveau les mêmes îles. L'acte de concession disait cette fois : " Sur la réquisition à nous faite par dame Marguerite Denis, veuve du feu sr de Lanau- dière, de lui accorder et concéder les îles qui sont le long du fleuve Saint-Laurent, vis-à-vis l'entrée de la rivière, terre et seigneurie de Sainte-Anne, à titre de fief et seigneurie avec droits de justice, haute, moyenne et basse, et de chasse, pêches et traite avec les Sauvages, dans toute l'étendue des dites îles, Nous, en vertu du pouvoir à nous donné, avons accordé, donné et concédé, accordons, donnons et concédons à la dite dame Marguerite Denis les dites îles qui sont le long du fleuve Saint-Laurent, vis-à-vis

(1) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale, p. 26.

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l'entrée de la dite rivière, terre et seigneurie de Sainte-Anne, tout le long de l'espace et étendue d'icelle, pour jouir, faire et disposer des dites îles par la dite dame Denis, ses hoirs et ayant cause, en pleine propriété et à toujours, au dit titre de fief et seigneurie, haute, moyenne et basse justice, avec droit de chasse, pêche et traite dans toute l'étendue des dites îles. ." (1)

Après trente années de veuvage, Mar- guerite-Renée Denys, convolait en secondes noces, à Sainte- Anne de la Pérade, le 9 juillet 1708, avec Jacques- Alexis de Fleury Descham- bault, lieutenant général de la juridiction royale de Montréal, veuf de Marguerite de Chavigny.

De son premier mariage, M. de Fleury Deschambault avait eu plusieurs enfants qui s'allièrent aux Rigaud de Vaudreuil, aux Tas- chereau, aux Jolliet, etc., etc.

Un malheur n'arrive jamais seul, dit un brocard vieux comme le monde. Les bonheurs, pareillement, voyagent de concert. A plusieurs reprises les gouverneurs de la Nouvelle-France avaient essayé d'obtenir une pension royale en faveur de madame de Lanaudière. Cette pen- sion lui fut accordée l'année même de son second mariage.

Le 14 novembre 1708, MM. de Vaudreuil et Raudot écrivaient au ministre :

" Les sieurs de Vaudreuil et Raudot vous remercient de la pension dont vous leur mar- quez avoir gratifié la dame de Lanaudière." (2)

(1) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale, p. 27.

(2) Archives du Canada, Correspondance générale.

20

M. Fleury Deschambault décéda à Mont- réal, le 31 mars 1715.

Sa veuve décéda au même endroit le 3 février 1722, à l'âge de 65 ans, et fut inhumée dans l'église des Récollets.

De son mariage avec M. de Lanaudière, Marguerite-Renée Denys avait eu trois enfants :

I

Louise-Rose Tarieu de Lanaudière

Née à Montréal le 8 juillet 1674.

Placée au pensionnat des dames Ursulines de Québec, elle montra bientôt que le Seigneur avait toujours été seul maître de son cœur. Elle passa du pensionnat au noviciat.

Mademoiselle de Lanaudière reçut le voile des mains de M. l'abbé Claude-Louis Trouvé, Suipicien, le 26 mai 1691, après avoir prononcé ses vœux avec une ferveur angélique. Elle avait adopté le nom de sœur Sainte-Catherine.

" C'est surtout comme maîtresse, nous dit Y Histoire des Ursulines de Québec, que la Mère de Lanaudière de Sainte-Catherine paraît avoir excellé. Son ardeur était toute concentrée sur ses chères élèves externes, dont elle eut le soin pendant plusieurs années. Elle en a instruit un grand nombre pour la première communion, dit sa notice, et nous avons eu la consolation de voir dans la suite, ces enfants vivre en bonnes chrétiennes et élever leur famille dans la crainte de Dieu. Elle avait aussi un talent

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tout particulier pour instruire les filles sau- vages, qui ont toutes si bien profité de ses instructions qu'elles ont vécu en bonnes ser- vantes de Dieu, édifiant par leur bonne con- duite les personnes de leurs villages, ou les familles chez qui elles étaient en service/'

En 1747, la Mère Saint-Catherine célé- brait son cinquantième anniversaire de pro- fession religieuse.

Elle décéda le 5 octobre 1748, âgée de soixante-quatorze ans, dont elle avait passé cinquante-neuf en religion, laissant à sa com- munauté un bel exemple de piété et de ferveur. (1)

II Louis Tarieu de Lanaudière

à Québec le 3 juin 1676. Nous n'avons pas de données bien cer- taines sur lui.

Le recensement de 1681 le mentionne et lui donne l'âge de cinq ans.

Dans un acte du 4 novembre 1704, il est dit au sujet de Louis Tarieu de Lanaudière .... " attendu l'absence depuis huit ans de Louis Tarieu* Ecuyer, sieur de la Nouguère (Lanau-

(1) La Sœur Sainte-Catherine fut miraculeusement guérie dans sa jeunesse d'un mal étrange au bras droit par l'intercession du très dévot Frère récollet Didace Pelletier. Voir l'attestation de cette guérison reçue devant M. Charles Glandelet, vicaire-général de Québec, le 22 octobre 1699, dans le Canada-Français, vol. IV, p. 258.

22

dière), censé mort n'en ayant appris aucune nouvelle depuis le dit temps " (1)

Dans un mémoire sur le commerce de l'eau-de-vie, et qui date de 1696 ou peu après, nous lisons :

"Le carnaval de 167.., six traiteurs du fort Katarak8y, nommés Duplessis, Ptolémée, Dautru,Lamouche,Colin et Cascaret,enivrèrent tout le village de Taheyagon, dont tous les sauvages furent saouls trois jours durant. Les vieillards, les femmes et les enfants s'enivrèrent tous. Après quoi, les six traiteurs firent la débauche que les sauvages appellent gan 8 ary, courant tout nus avec un baril d'eau-de-vie sous le bras. Ils ont tous fini d'une mort misérable. Duplessis est mort à la Barbade il a été vendu par les Anglais. Ptolémée s'est noyé, tournant en canot sur un rocher auquel il a donné son nom : le Sault Ptolémée. Dautru s'est noyé dans la barque de M. de La Salle, qui périt dans le lac Huron. Lamouche s'est noyé à l'entrée de la rivière Sainte-Anne, avec un Lanodière. Colin a été brûlé aux Iroquois, en 1692, accompagnant M. le chevalier d'Eau en ambassade. Cascaret est mort, sans confession, chez un chirurgien de Montréal, rongé de vérole, aussi bien qu'un nommé Lacause, qui fut trouvé mangé des aigles à la Pointe-à- Beaudet, dans le lac Saint-François. C'était un

(1) Abandon et cession par madame de Lanaudière en faveur du sieur de la Pérade, son fils, devant Gcnaple, notaire à Québec, le 4 novembre 1704.

23

célèbre impudique et un fameux traiteur d'eau- dc-vie.w(l)

Le Lanodière mentionné ici ne peut être Louis Tarieu de Lanaudière. En effet, si ce jeune homme s'était noyé dans la rivière Sainte- Anne, sa famille aurait connu son sort. Or l'acte notarié du 4 novembre 1704 dit formel- lement qu'on en avait eu aucune nouvelle depuis huit ans.

III

Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade

Le continuateur de la lignée.

(1) Cité par M. Benjamin Suite, Mémoires de la Soeiété Royale du Canada, année 1901, p. 82.

Première génération : Thomas-Xavier Taricu de La- naudière

Deuxième génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade

PIERRE-THOMAS TARIEU DE LA PERADE

le 11 septembre 1677, il fut baptisé à Québec le 12 novembre suivant.

Comme l'acte de baptême le dit âgé de deux mois et un jour, nous pouvons présumer qu'il naquit à Sainte-Anne de la Pérade, il n'y avait pas encore de curé ni missionnaire.

Un peu plus de trois ans auparavant, le 29 mars 1674, Mgr de Laval, évêque de Pétrée, vicaire apostolique de la Nouvelle-France, avait ordonné à tous les pères et mères de faire baptiser leurs enfants au plus tôt après leur naissance. (1) Si Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade était à Québec, son père, qui était un fervent catholique, n'aurait pas attendu deux mois pour le porter au baptême. La paroisse de Sainte-Anne de la Pérade peut, croyons-nous, réclamer Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade comme le premier enfant sur son territoire.

On s'est souvent demandé pour quelle raison Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade n'avait pas pris le nom de Lanaudière qui était celui de son père. Pierre-Thomas était le second fils de M. de Lanaudière. Louis, l'aîné, disparut vers 1696. Malgré les recherches de sa mère, elle n'en eut plus aucune nouvelle certaine. C'est

(î) Mandements des évoques de Québec, vol. 1, p. 161.

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sans doute parce qu'il n'avait pas de preuves légales de la mort de son frère qui comme aîné avait le droit de porter le nom de Lanaudière, que Pierre-Thomas adopta et garda toute sa vie le nom de la Pérade.

En 1687, le jeune de la Pérade entra dans les troupes du détachement de la marine en qualité de cadet. Les cadets gentilshommes ser- vaient alors comme soldats mais avec cer- tains privilèges.

Trois ans plus tard, en 1690, il prit part à la défense de Québec attaquée par Phipps. Au- cune des nombreuses relations du siège de Qué- bec ne nous fait part des hauts faits du jeune cadet, mais, comme à l'automne de cette année, le gouverneur de Frontenac lui accorda une enseigne, nous pouvons présumer qu'il se con- duisit bravement, car Frontenac ne récompen- sait que ceux qui le méritaient.

Le 16 mars 1691, le roi confirmait l'en- seigne que M. de Frontenac avait accordée à M. de la Pérade l'année précédente. (1)

Un " rôle des officiers du Canada " fait en 1692, sous l'inspiration de M. de Frontenac, dit de M. de la Pérade :

" La Pérade. Canadien. Enseigne en 1690. Brave. Jeune." (2)

Le 2 janvier 1694, M. de la Pérade était promu lieutenant réformé. Ce grade fut con- firmé par le roi, le 16 avril 1695. (3)

(1) Laffilard, Alphabet, tome II, p. 144.

(2) Archives du Canada, Correspondance générale,vol.l20.

(3) Laffilard, Alphabet, tome II, p. 144.

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Dans une Relation de ce qui s'est passé en Canada en 1696, nous voyons que dans l'été de 1696, M. de la Pérade fut envoyé avec un cer- tain nombre de soldats sur le brigantin com- mandé par le fameux capitaine corsaire Outlas.

Le 9 juin, dit cette Relation, la frégate du roi la Bouffonne leva l'ancre de devant Québec, pour aller croiser, commandée par le sieur de la Vallière. Il avait pour lieutenant le sieur de Beaubassin, son fils, et pour enseigne le sieur de la Potherie, son autre fils.

" On mit deux soldats par compagnie tant dans cette frégate que sur un brigantin que commandait le sieur Outlas, anglais habitué depuis longtemps parmi nous, qui avait pour lieutenant le sieur de la Pérade." (1)

Comme un bon nombre des officiers des troupes du détachement de la marine, M. de la Pérade suppléait à l'insuffisance de son traite- ment en faisant la traite avec les Sauvages. Le 27 octobre 1700, les sous-fermiers de la traite de Tadoussac, la veuve Vianney-Pachot et MM. Dupont, Perthuis et Joseph Riverin, faisaient servir un protêt aux fermiers-généraux du Canada qui avaient permis à M. de la Pérade d'aller hiverner à Tadoussac sous prétexte d'y faire la chasse mais en réalité pour traiter avec

les Sauvages, "lesquels (sous-fermiers),

disait le protêt, ont dit et déclaré qu'ils pro- testent à l'encontre de messieurs les fermiers généraux de Canada de tous dépens, dommages et intérêts au sujet du canot commandé par le

(1) Collection de manuscrits, vol. II, p. 222.

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sieur de la Pérade parti ce jourd'hui pour aller hiverner sur les limites de la dite traite de Tadoussac sous prétexte de chasse nonobstant les avertissements et oppositions verbales qu'ils ont fait pour empêcher le départ du dit canot ; le départ du dit canot étant la destruction et ruine totale de la dite sous-ferme, pourquoi ils persistent en la dite déclaration qu'ils ne paie- ront point la ferme qu'ils sont obligés de payer, attendu qu'ils ne jouissent point des droits, privilèges et prérogatives dont ont joui leurs prédécesseurs en la dite sous-ferme. ..." (1)

Le 30 octobre 1700, M. de la Pérade se faisait concéder par MM. de Callières et Bo- chart Champigny un nouveau fief en arrière de la seigneurie de Sainte- Anne qui appartenait à sa mère. L'acte de concession disait :

" Sur la réquisition par Pierre-Thomas Tarieu, sieur de la Pérade, lieutenant reformé des troupes du détachement de la marine en ce pays, de lui vouloir accorder en titre de fief et seigneurie l'espace de terre qui se trouve au derrière de la terre et seigneurie de Sainte- Anne, laquelle espace contient environ deux lieues de front entre les lignes prolongées des seigneuries de Saint-Charles des Roches (les Grondines) et Batiscan sur une lieue et demie de profondeur, ensemble la rivière qui peut traverser la dite espace de terre et les islets qui peuvent s'y rencontrer, pour s'y faire le sieur de la Pérade un établissement et domaine, y

(1) Protestation et déclaration des sous-fermiers de la traite de Tadoussac devant Rageot, notaire à Québec, le 27 octobre 1700.

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placer des tenanciers et en jouir et disposer par lui au dit titre de fief et seigneurie avec haute, moyenne et basse justice, à quoi ayant égard, Nous, en vertu du pouvoir à nous conjointement donné par Sa Majesté avons accordé, donné et concédé, donnons, accordons et concédons au dit sieur de la Pérade la dite espace de terre de toute l'étendue qu'elle est ici désignée ; ensemble la rivière qui la peut traverser et les îlets qui s'y rencontreront si aucuns y a, pour en jouir, faire et disposer par le dit sieur de la Pérade, ses hoirs et ayant cause en pleine propriété à toujours aux susdits titres et droits de fief et seigneurie, haute, moyenne et basse justice, avec droit de chasse, pêche et traite " (1)

Dans un état des officiers servant au Canada envoyé au ministre le 15 octobre 1701 et apostille par M. de Callières, nous lisons :

" Le S r de la Pérade, natif du Canada, âgé de 25 ans, a servy depuis Tannée 1687 en qua- lité de cadet jusqu'en 1689 qu'il fut fait enseigne et lieutenant reformé en 1694. Bon officier." (2)

Le 4 novembre 1704, Marguerite-Renée Denys, veuve de Lanaudière, voulant aider à l'établissement de son fils, lui cédait la seigneu- rie de Sainte-Anne qu'elle faisait valoir depuis la mort de son mari. Le cadeau en valait la peine car madame de Lanaudière par sa sage administration avait beaucoup augmenté la

(1) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale,

p. 448.

(2) Archives du Canada, Correspondance générale, vol. 120.

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valeur de sa seigneurie. Afin d'indemniser sa mère, M. de ia Pérade s'engagea à lui payer jusqu'à sa mort une rente annuelle de quatre cents livres, payable de trois mois en trois mois à raison de cent francs par chaque quartier.(l)

Propriétaire d'une des plus belles seigneu- ries de la colonie, habitant un manoir superbe, apparenté aux principales familles du pays, très bien vu du gouverneur et de l'intendant, il manquait cependant encore quelque chose au bonheur de M. de la Pérade. Agé de près de trente ans, il était célibataire. En septembre 1706, il épousait, à Verchères, Marie-Made- leine de Verchères, fille de défunt François Jarret de Verchères, enseigne dans le régiment de Carignan, seigneur de Verchères, et de Marie Perrot. (2)

C'est la fameuse Madeleine ou "Madelon" de Verchères que les poètes ont chantée et dont nos historiens ont raconté les prouesses.

M. de la Pérade, il n'y a pas à le cacher, avait l'humeur plutôt difficile. Madame de La- naudière, sa mère, pendant les vingt-six années qu'elle avait exploité la seigneurie de Sainte- Anne, avait eu de temps en temps des petites difficultés avec les seigneurs voisins au sujet des bornes de leurs seigneuries respectives. Mais elle avait toujours réussi à régler ces différends sans recourir aux tribunaux. Elle connaissait sans doute la valeur du proverbe : mieux vaut

(1) Abandon et cession devant François Genaple, notaire à Québec, le 4 novembre 1704.

(2) Contrat de mariage devant Michel Lepailleur,notaire à Montréal, le 8 septembre 1706.

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te plus mauvais arrangement que le meilleur procès. A peine en possession de la seigneurie de Sainte- Anne, M. de la Pérade commençait avec les seigneurs voisins et ses censitaires une série de procès qui se continuèrent presque sans interruption jusqu'à sa mort.

La seigneurie de Sainte-Anne, on se le rappelle, avait été concédée conjointement à MM. de Lanaudière et de Suève. A la mort de ce dernier, en 1707, M. de la Pérade fit sommer le curateur de sa succession de procéder avec lui à l'arpentage de la seigneurie afin d'établir exactement ses bornes. Le curateur refusa de se rendre à la demande de M. de la Pérade.

Le 18 avril 1708, M. de la Pérade obtenait de l'intendant Raudot une ordonnance qui dé- clarait que la ligne de séparation entre la sei- gneurie de Sainte-Anne et celle des Grondines serait tirée par le nommé Laseriot (?), arpen- teur. Le curateur de la succession était con- damné à payer le quart des vacations de l'arpenteur. (1)

En 1709, M. de Ramezay fut envoyé en découverte du côté du lac Champlain avec un détachement de troupes, de milices et de Sau- vages. M. de la Pérade, qui était le neveu de M. de Ramezay, avait un commandement dans cette expédition.

La petite armée partit de Chambly à la fin de juillet. Elle côtoya le lac Champlain du côté du nord.

(1) Ordonnances des Intendants, cahier 2, folio 27.

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A la rivière des Sables, M. de Ramezay trouva deux Sauvages qui venaient du côté de Corlar. Ils l'informèrent qu'ils avaient vu des ennemis à la Pointe à la Chevelure.

M. de Ramezay se décida alors d'envoyer à la découverte afin de s'assurer du nombre et de la position des ennemis.

Mais laissons parler M. de Catalogne, qui faisait partie de l'expédition. Il faut cependant prendre ses dires avec hésitation parce qu'il ne manque jamais de donner des coups de dents à ceux qu'il n'aimait pas.

" Celui que M. de Ramezay mit à la tête des découvreurs, dit-il, était le sieur de la Pé- rade, son neveu. Comme ce départ se fit pres- que incognito, il était déjà bien loin lorsque je l'appris ; cependant je fis remontrer à M. de Ramezay qu'en pareil cas, il ne pouvait envoyer en ces endroits un homme trop sensé. Il me témoigna en être mortifié, mais il n'y avait plus de remède.

" Le jour étant sur le déclin, nous nous mîmes en marche et arrivâmes à nuit close à la rivière aux Loutres, le sieur de la Pérade devait nous attendre. Cependant, il avait passé outre et avait été vu des ennemis qui étaient à la découverte,ce qui les fit disposer à faire une embuscade à environ un quart de lieue au-des- sous de leur camp.

" Un canot de nos Sauvages qui se voyant bravés pour n'avoir pas été choisis pour aller à la découverte, prirent le mors aux dents, et partirent sans consulter personne, et nous arri-

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vâmes à la rivière aux Loutres sans y trouver le sieur de la Pérade.

" M. de Ramezay était comme un furieux, menaçant de faire casser son neveu qui, peu de temps après, arriva, qui dit qu'il avait dé- couvert la fumée du camp des ennemis, de quoi nous ne doutions pas, mais il ne disait pas qu'il avait été vu des ennemis ; enfin,la nuit on se mit en marche ayant le sieur de Montigny avec des Abénaquis à la tête.

" Vers les deux heures après minuit le canot des Sauvages qui s'était débandé vint à notre rencontre, qui dirent que voulant débar- quer ils avaient donné dans l'ambuscade des ennemis, qui avaient tué un de leurs gens et un autre blessé, qu'ils s'étaient pourtant tirés au large sans autre accident.

" Voilà les fruits de la découverte de M. de la Pérade." (L)

En 1710, M. de la Pérade, s'appuyant sur les concessions qui avaient été accordées à sa mère et à lui-même, l'une par MM. de Fron- tenac et Bochart Champigny, le 6 avril 1697, des îles qui se trouvaient en face de la seigneu- rie de Sainte-Anne, l'autre par MM. de Cal- Hères et Bochart Champigny, le 30 octobre 1700, d'un espace de terre d'environ deux lieues de front en arrière de la même seigneurie, demandait à l'intendant Raudot de faire défense à M. Chorel Dorvilliers, héritier de M. de Suève, coseigneur de Sainte-Anne, de le troubler dans sa possession. Il demandait en

(1) Collection de Manuscrits, vol. 1, p. 616.

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même temps le partage de ia seigneurie de Sainte-Anne qui avait toujours été possédée en commun par M. de vSuève et M. de Lanau- dière, son père.

Le 8 janvier 1710, l'intendant Raudot ren- dait son jugement. Il déclarait M. de la Pérade propriétaire des îles qui étaient en face de la seigneurie de Sainte-Anne et des terres qui se trouvaient en arrière de la même seigneurie. Il commettait en même temps l'arpenteur Hilaire Bernard de la Rivière pour tirer les lignes de la seigneurie de Sainte-Anne afin de régler les contestations entre M. de la Pérade et M. Chorel Dorvilliers. Le 28 mars 1710, M. Rau- dot homologuait le procès-verbal d'alignement et partage de la seigneurie de Sainte-Anne fait par Bernard de la Rivière et défendait au sieur Dorvilliers de troubler M. de la Pérade dans la possession de la dite seigneurie. Le succès de M. de la Pérade fut cependant de courte durée. Le lendemain, 29 mars 1710, M. Raudot modi- fiait considérablement son ordonnance de la veille au profit de M. Dorvilliers. Le domaine que M. de la Pérade s'était taillé dans la sei- gneurie de Sainte-Anne au détriment de son coseigneur était diminué presque de moitié. (1)

En 1711, M. et madame de la Pérade étaient poursuivis par François Baribault, un brave cultivateur de Sainte-Anne, à qui ils avaient loué l'île Saint-Ignace. Baribault prouva si clairement qu'il ne pourrait jamais s'accorder avec M. de la Pérade et sa femme

(1) Ordonnances des Intendants, cahier 4.

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qui, disait-il, le menaçaient à tout instant de voies de faits, que l'intendant Raudot, le 29 avril 171 L, annulait le bail consenti par M. de la Pérade à Baribault et permettait au seigneur de disposer de l'île Saint-Ignace comme il l'entendrait. (1)

En 1715, nouvelles difficultés entre MM. de la Pérade et Chorel Dorvilliers, seigneurs conjoints de Sainte-Anne. M. de la Pérade avait construit le moulin banal et en retirait de ce fait tous les revenus. Le 15 février 1715, l'intendant Raudot permettait à M. Chorel Dorvilliers de construire, lui aussi, un moulin dans sa partie de seigneurie. L'intendant Rau- dot établissait en même temps un règlement de comptes entre les deux seigneurs afin d'empê- cher les contestations à l'avenir. (2)

En 1715, M. de la Pérade intentait aux habitants de sa seigneurie de Sainte-Anne un procès qui devait durer plusieurs années.

Les habitants de Sainte-Anne, depuis plu- sieurs années, faisaient pacager et herbager leurs bestiaux sur l'île au Sable qui appartenait à M. de la Pérade. Les habitants prétendaient que l'île au Sable dépendait de la commune qui leur avait été accordée par leurs titres de con- cessions.

Après cinq années de procédures et d'inter- ventions de toutes sortes, le 16 août 1720, l'intendant Bégon rendait son jugement. Il maintenait les habitants de Sainte- Anne dans

(1) Ordonnances des Intendants, cahier 5.

(2) Ordonnances des Intendants, cahier 5.

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la possession et jouissance de l'île au Sable " pour en jouir par eux comme commune ainsi qu'ils en avaient joui ci-devant à la charge d'abattre tous les ans, dans le mois de mars, un demi arpent de bois, conformément à leurs titres de concession." (1)

Le jugement de l'intendant Bégon fut porté par M. de la Pérade au Conseil du Roi. Huit ans plus tard, le 22 mai 1728, un arrêt du Conseil d'Etat cassait l'ordonnance de M. Bé- gon et maintenait M. de la Pérade dans la propriété de l'île au Sable. (2)

Le litige avait duré de 1715 à 1728, soit treize années ! Si, de nos jours, les plaideurs attendent parfois quelques années pour avoir justice, ils peuvent au moins se consoler en songeant qu'il y a des précédents à ces longues attentes.

" En 1721, écrit Mgr Tanguay, Pierre- Thomas De la Nouguère (Lanaudière) ou de la Pérade obtint de l'intendant Bégon, le privi- lège de tenir les postes pendant vingt ans entre Québec et Montréal, avec un tarif des charges gradué sur les distances. C'est la première institution postale établie en Canada." (3)

Mgr Tanguay fait erreur ici. Il a été trompé par la similitude des noms. Ce n'est pas M. de la Pérade qui obtint un privilège de l'intendant Bégon en 1721 pour tenir les postes entre Québec et Montréal, mais Nicolas La-

(1) Ordonnances des Intendants, cahier 7 72, folio 7.

(2) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904, pp. 102 et 104.

(3) A travers les registres, p. 114.

s/

noullier. Ce privilège, d'ailleurs, ne fut pas confirmé par le roi. (1)

Dans la liste des officiers de guerre qui servaient en Canada en 1722, apostillée par le gouverneur de Vaudreuii en octobre 1722, il est dit de M. de la Pérade :

" Le Sr de la Pérade, âgé de 45 ans. Il est en état de servir mais il a peu de capacité pour le commandement." (2)

En cette même année 1722, M. de la Pé- rade, malade à son manoir de Sainte-Anne de la Pérade, eut une aventure avec deux Abéna- quis qui se serait certainement terminée de façon tragique pour lui sans la présence d'esprit et la force peu ordinaire de sa femme. Celle-ci racontait elle-même le fait dans la " Relation de ses faits héroïques adressés à la comtesse de Maurepas, à la demande de M. de Beauharnois, gouverneur de la Nouvelle- France."

u L'an 1722, je me suis trouvée dans une occasion assez délicate il s'agissait de sau- ver la vie à M. de la Pérade, mon mari, et à moi. Deux Abénaquis des plus grands hommes de leur nation étant entrés chez nous, cherchèrent querelle à M. de la Pérade. Il leur dit en iro- quois : sortez d'ici. Ils sortirent tous deux très fâchés. Leur sortie qui fut fort brusque nous fit croire la querelle finie. Nous n'examinâmes

(1) Sur Nicolas Lanoullier et son privilège pour établir des postes entre Québec et Montréal, on peut consulter le Bulletin des Recherches Historiques, vol. XII, p. 3.

(2) Archives du Canada, Correspondnace générale, vol. 120.

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point leur démarche, persuadés qu'ils avaient pris le parti de s'en aller. Dans un moment nous fûmes fort surpris de les entendre tous dans le tambour de la maison, faisant le cri de mort et disant : Tagarianguen,qui est le nom iroquois de mon mari, tu es mort. Ils étaient armés : l'un d'un casse-tête et l'autre d'une hache. Celui-ci enfonce, brise la porte à coups de hache sur la tête de M. de la Pérade, qui fut assez adroit et assez heureux pour parer le coup en se jetant à corps perdu sur le sauvage ; mais il était trop faible pour pouvoir résister longtemps à un sauvage d'une stature gigantesque et dont les forces répondaient à la haute taille. Un homme de résolution qui se trouva fort à propos à la porte de la maison donna du secours à M. de la Pérade. Le sauvage qui était armé d'un casse- tête voyant son compagnon en presse entre, lève le bras pour décharger son coup sur la tête de mon mari ; résolue de périr avec lui et suivant les mouvements de mon cœur, je sautai ou plutôt je volai vers ce sauvage, j'empoigne son casse-tête, je le désarme. Il veut monter sur un coffre, je lui casse les reins avec son casse- tête et je le vois tomber à mes pieds. Je ne fus jamais plus surprise que de me voir enveloppée à l'instant par quatre sauvagesses ; l'une me prend à la gorge, l'autre aux cheveux, après avoir arraché ma coiffe ; les deux autres me saisissent par le corps pour me jeter dans le feu. A ce moment, un peintre me voyant aurait bien pu tirer le portrait d'une Madeleine ; dé- coiffée, mes cheveux épars et mal arrangés,

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mes habits tous déchirés, n'ayant rien sur moi qui ne fût pas morceaux, je ressemblais pas mal à cette sainte aux larmes près, qui ne cou- lèrent jamais de mes yeux. Je me regardais comme la victime de ces furieuses outrées de douleur de voir, l'une son mari, les autres, leur parent, étendu sur la place sans mouvement et presque sans vie. Bientôt, j'allais être jetée dans le feu, lorsque mon fils Tarieu, âgé seule- ment de douze ans, animé comme un lion à la vue de son père qui encore aux prises avec le sauvage et de sa mère prête à être dévorée par les flammes, il s'arme de ce qu'il rencontre, frappe avec tant de force et de courage sur la tête et les bras de ces sauvagesses, qu'il les obligea à lâcher prise. Débarrassée de leurs mains, je cours au secours de M. de la Pérade, passant sur le ventre de celui que j'avais étendu par terre. Les quatre sauvagesses s'étaient déjà jetées sur M. de la Pérade, pour lui arracher la hache qu'il tenait et dont il voulait casser la tête au malheureux qui venait de le manquer. Prenant le sauvage par les cheveux, je lui dis ; tu es mort, je veux avoir ta vie. Le Français dont j'ai parlé qui donnait secours à M. de la Pérade me dit : madame, ce sauvage demande la vie, je crois qu'il faut lui donner quartier. En même temps, ces sauvagesses qui jusqu'alors avaient toujours poussé des cris effroyables qui nous empêchaient de nous entendre, deman- dèrent aussi la vie. Nous voyant les maîtres, nous crûmes qu'il était plus glorieux de laisser la vie à notre ennemi vaincu que de le faire

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mourir. Ainsi je sauvai la vie à mon mari, et mon fils âgé de douze ans sauva la vie à sa mère. Cette action fut aux oreilles de M. de Vaudreuil ; il voulut s'informer du fait par lui-même, il vint exprès sur les lieux, il vit la porte cassée, il parla au Français témoin de Faction et sut dans la suite des sauvages mêmes la vérité de ce que je viens d'exposer." (1)

En 1727, l'île au Sable revenait sur le tapis. M. Voyer, curé de Sainte- Anne, ayant eu le malheur de faire couper quelques arbres sur cette île, M. de la Pérade le poursuivit devant la Prévôté. Le 14 janvier 1727, le curé était condamné pour ce crime à cinq livres d'amende envers le roi et aux dépens du procès. (2)

Comme conséquence de ce jugement, le 21 mars 1727, M. de la Pérade obtenait de l'inten- dant Dupuy une ordonnance exécutoire contre le curé Voyer pour la somme de 225 livres, montant des dépens dans son affaire avec lui. (3)

Le sieur Normandin, huissier de Batiscan, n'ayant pas mis à exécution l'ordonnance por- tée contre le curé Voyer par M. de la Pérade, celui-ci, le 8 avril 1727, obtenait de l'intendant Dupuy l'interdiction de Normandin pour trois mois. (4)

En 1728, M. de la Pérade intentait un nouveau procès à M. Chorel Dorviiliers. Cette fois, il lui réclamait les cens et rentes seigneu-

(1) Supplément du Rapport du Dr Brymner sur les Archives Canadiennes, pour 1899, p. 7.

(2) Registre de la Prévôté de Québec, 1726-1728.-

(3) Ordonnances des Intendants, cahier 12 A.

(4) Ordonnances des Intendants, cahier 12 A.

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riales sur huit arpents de terre qu'il possédait dans File Saint-Ignace sur le pied de six de- niers de cens, de vingt sols de rentes annuelles par arpent et un chapon vif aussi par arpent, à compter du 9 mars 1697. M. de la Pérade voulait de plus obliger M. Chorel Dorvilliers à prendre un titre de concession pour ses huit arpents de terre, attendu, disait-il, qu'il les possède sans aucun titre et indûment.

Le 10 juillet 1728, l'intendant Dupuy don- nait raison à M. de la Pérade sur toute la ligne.

" Avons ordonné et ordonnons, disait-il, que la dite île Saint-Ignace aussi bien que toutes celles qui sont sur la devanture de la seigneurie de Sainte-Anne seront et demeure- ront au sieur de la Pérade, faisons défense au sieur Dorvilliers de le troubler en la possession et jouissance d'icelles, ordonnons en outre que les terres que le sieur Dorvilliers a dans l'île Saint-Ignace aussi bien que les habitants qui en pourraient avoir relèveront du sieur de la Pérade à qui ils payeront les cens et rentes aux conditions ci-devant dites et seront tenus de prendre titre et contrat du dit sieur de la Pérade " (1)

Il va sans dire que M. Chorel Dorvilliers était condamné à tous les dépens de l'instance de même qu'aux frais des voyages de M. et madame de la Pérade à Québec.

Une des principales obligations des censi- taires, sous le régime seigneurial, était de faire moudre leurs grains au moulin banal. Le mou-

Ci) Ordonnances des Intendants, cahier 15.

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lin de M. de la Pérade devait avoir bien des défauts puisque les habitants de Sainte-Anne préféraient faire moudre leurs grains au mou- lin de la seigneurie de Saint-Pierre, qui appar- tenait à M. Levrard.

Déjà, en" 1707, M, de la Pérade avait obtenu de l'intendant Raudot une ordonnance par laquelle il obligeait le curé et tous les habi- tants de Sainte-Anne de porter moudre leur blé au moulin banal, avec défense d'aller ailleurs, à peine de confiscation et d'amende.

Pendant un certain nombre d'années les habitants de Sainte-Anne se conformèrent à cette ordonnance. Ils connaissaient leur sei- gneur et savaient qu'il n'était pas homme à se laisser léser sans avoir recours à la justice.

En 1728, les habitants de Sainte-Anne se sentant moins surveillés recommencèrent leurs visites au moulin de Saint-Pierre.

M. de la Pérade, en vertu de l'ordonnance rendue par M. Raudot en 1707, fit saisir chez le nommé Pierre Brisson, meunier de la seigneurie de Saint-Pierre, les blés portés à son moulin par le curé et huit habitants de sa seigneurie.

Quelques jours plus tard, M. de la Pérade faisait assigner devant l'intendant Dupuy, le curé et les habitants en faute.

Le 10 juillet 1728, l'intendant Dupuy dé- clarait les saisies faites entre les mains du meu- nier Brisson bonnes et valables et ordonnait à celui-ci de remettre les blés en question à M. de la Pérade. Le curé et les habitants furent

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de plus condamnés aux dépens tant des saisies que des assignations et aux frais de voyage de M. de la Pérade à Québec taxés à trente livres. M. Dupuy déchargea cependant les habitants de l'amende; M. de la Pérade ayant déclaré qu'il la leur remettait pour cette fois. (1)

Brisson ayant refusé de remettre les blés saisis chez lui, M. de la Pérade obtint de l'intendant Dupuy, le 20 août 1728, un exécu- toire contre l'entêté meunier qui fut de plus condamné à tous les frais et dépens et à cinq livres d'amende, pour sa désobéissance, appli- cable à la paroisse de la seigneurie de Sainte- Anne. (2)

Pendant la vacance du siège de Québec occasionnée par la mort de Mgr de Saint-Val- lier, le Chapitre de Québec avait eu la malen- contreuse idée de nommer des curés inamovibles dans les paroisses de Lachenaie, Repentigny, Château-Richer,Beaumont,Laprairie et Sainte- Anne de la Pérade. M. Voyer, nommé curé inamovible de Sainte- Anne de la Pérade le 3 février 1728, desservait cette paroisse en qua- lité de missionnaire depuis sept ans.

Informé de ces nominations insolites dès son accession au siège de Québec, Mgr de Mor- nay, qui ne passa pas dans la Nouvelle-France, donna instruction à son coadjuteur, Mgr Dos- quet, d'exiger la démission de ces six prétendus curés inamovibles.

Cinq se soumirent de bonne grâce. Le

Cl) Edits et Ordonnances, vol. II, p. 497. (2) Edits et Ordonnances, vol. III, p. 246.

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sixième, M. Voyer, curé de Sainte- Anne de la Pérade, refusa de donner la démission deman- dée. Il écrivit même à Mgr Dosquet quelques lettres peu conformes à la subordination qu'un prêtre doit à son évêque, Mgr Dosquet, piqué de ce procédé et fort de son droit, lui enleva les pouvoirs de prêcher et de confesser, puis, par le ministère de son archidiacre, M. de Lotbi- nière, le suspendit et nomma le Père Luc, récollet, pour desservir Sainte- Anne de la Pérade jusqu'à nouvel ordre.

M. de la Pérade qui avait déjà en maille à partir avec son curé, trouva le moyen d'inter- venir dans la chicane de ce dernier avec Mgr Dosquet qui ne le regardait pourtant pas en aucune façon.

On voit sa signature sur la dernière moni- tion adressée par l'archidiacre de Lotbinière à M. Voyer.

Le curé Voyer finit par entendre raison et, au mois de mars 1733, il se démettait de sa cure en bonne et due forme. Mgr Dosquet lui remit tous ses pouvoirs et M. Voyer continua à desservir la paroisse à titre de missionnaire.

Les habitants de Sainte-Anne de la Pérade qui avaient été divisés en deux camps pendant plusieurs mois reprirent peu à peu leur vie ordinaire.

Dans l'été de 1730, M. et madame de la Pérade étaient assignés devant la Prévôté de Québec par M. Gervais Lefebvre, curé de Ba- tiscan, paroisse voisine de Sainte-Anne de la Pérade, qui les accusait d'avoir fait circuler

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des propos diffamatoires contre son caractère, son honneur et sa réputation.

Si le curé Lef ebvre croyait avoir la partie belle avec le seigneur de Sainte-Anne et sa femme, il ne les connaissait pas ou les connais- sait mal. Ils se défendirent avec une énergie digne d'une meilleure cause. Ils amenèrent devant la Prévôté une foule de témoins qui avaient des griefs plus ou moins justifiés contre le curé Lef ebvre et donnèrent des témoignages qui n'avaient pas rapport à la cause mais pré- jugèrent le juge contre le curé de Batiscan.

Le 29 août 1730, M. André de Leigne, lieutenant-général de la Prévôté, rendait son jugement. Il condamnait le curé Lefebvre à la somme de deux cents livres de dommages et intérêts envers M. et madame de la Pérade " pour les avoir traduits en justice mal à propos et inconsidérément." De plus, tous les dépens du procès étaient mis à sa charge.

Le curé Lefebvre appela immédiatement au Conseil Supérieur de la Nouvelle-France du jugement rendu contre lui par la Prévôté de Québec. Il demandait au Conseil Supérieur de le décharger des condamnations de la Prévôté et exigeait des sieur et dame de la Pérade réparation d'honneur pour les fausses accusa- tions et calomnies portées contre lui. Il deman- dait, de plus, que les dépositions mal à propos reçues et admises par le lieutenant général de la Prévôté fussent mises au feu et brûlées.

Le 23 décembre 1730, le Conseil Supérieur rendait son jugement. Il déchargeait le curé

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Lefebvre des condamnations contre lui pronon- cées par la sentence de la Prévôté de Québec. Sur la demande en réparation d'honneur et les autres demandes du curé Lefebvre, le Conseil mettait les parties hors de cour et de procès, ordonnait la suppression de la procédure et condamnait M. et madame de la Pérade aux dépens des causes principale et d'appel.

M. et madame de la Pérade, on peut le croire sans peine, ne furent pas satisfaits de ce jugement qui, sans accorder toutes les demandes du curé Lefebvre, mettait cependant à leurs charges tous les frais du procès tant devant la Prévôté que devant le Conseil Supérieur.

Il n'y avait pas d'autre juridiction dans la Nouvelle-France, mais y avait le Conseil d'Etat dans la vieille France. Les frais d'un semblable appel étaient assez élevés, mais pour des plaideurs avisés comme le seigneur de Sainte-Anne et sa femme pareille considération n'entrait pas en ligne de compte.

Madame de la Pérade se décida à passer en France afin de porter elle-même son affaire devant le Conseil d'Etat. Elle s'embarqua à Québec à l'automne de 1732.

Les hauts faits de Madeleine de Verchères étaient bien connus en France. Elle recevait depuis plusieurs années une pension du roi pour sa belle défense du fort de Verchères. Le gouverneur de Beauharnois, peu après son arrivée ici, avait fait envoyer à madame de Maurepas, femme du ministre, une relation de

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ses actions d'éclat écrite par l'héroïne elle- même.

Les portes des différents ministères lui furent donc toutes grandes ouvertes. Le pré- sident du Conseil de marine, entre autres, la reçut avec le plus vif intérêt. Il s'intéressa tout de suite à son affaire sans toutefois se com- promettre.

Le 12 mai 1733, le président du Conseil de marine écrivait à MM. de Beauharnois et Hocquart qu'il ne comprenait pas comment il se faisait que dans le procès entre M. et madame de la Pérade avec M. Lefebvre, curé de Batiscan, les parties avaient été mises hors de cour et M. de la Pérade condamné aux dépens. Si le curé Lefebvre était coupable des faits imputés, pourquoi le mettre hors de cour ? S'il était innocent, pourquoi ne condamner M. de la Pérade qu'aux dépens et ne pas punir lui et sa femme comme calomniateurs ? Le prési- dent du Conseil de marine informait cependant le gouverneur et l'intendant qu'il n'accorderait pas le pourvoi en cassation afin d'éviter la conti- nuation du scandale. Le président du Conseil de marine exhortait fortement MM. de Beauhar- nois et Hocquart à concilier les parties sur le paiement des frais. (1)

Madame de la Pérade, comme on vient de le voir, n'avait pas obtenu la permission de porter son affaire devant Je Conseil d'Etat, mais le président du Conseil de marine lui avait

(1) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904, p. 176.

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fait toutes sortes de belles promesses. Les bonnes paroles coûtent peu et les ministres du grand roi en étaient prodigues.

Madame de la Pérade se rembarqua pour la Nouvelle-France au printemps de 1733. Le président du Conseil de marine poussa l'ama- bilité jusqu'à lui permettre de faire le voyage sur le vaisseau du roi. (1) C'est une faveur qu'on obtenait peu souvent alors.

Peu après le retour de madame de la Pérade au pays, le gouverneur de Beauharnois et l'intendant Hocquart, pour se conformer aux ordres du président du Conseil de marine, commençaient leur travail pour amener les parties à une entente. La tâche n'était pas facile. Le Conseil Supérieur ayant donné raison à peu près sur tous les points au curé Lefebvre, celui-ci était bien disposé à régler l'affaire à l'amiable. Mais M. et madame de la Pérade ne voulaient pas démordre. Comme nos Canadiens de la campagne lorsqu'ils s'engagent dans un procès, ils voulaient en voir le bout. Enfin, après plusieurs entrevues avec M. et madame de la Pérade, le gouverneur et l'intendant réus- sirent à régler l'affaire.

Le 21 octobre 1733, M. Joachim Fornel, chanoine de la cathédrale de Québec, au nom et comme fondé de pouvoir de M. Gervais Le- febvre, docteur en théologie et curé de Batiscan. et Marie-Madeleine Jarret de Verchères, tant

(1) Rapport sur les Archives Canadiennes, pour 1391, p. 186.

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pour elle que pour son mari Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade, signaient l'accord suivant :

" Pardevant les notaires royaux en la pré- vosté de cette ville de Québec sont comparus Me Joachim Fornel, prêtre, chanoine de la cathédrale de cette ditte ville, au nom et comme fondé du pouvoir soubs sein privé en datte du premier octobre dernier de Me Gervais Le- febvre, aussy prêtre et docteur en théologie, et dame jarret de Verchères faisant tant pour elle que se faisant fort de faire ratiffier le con- tenu en ces présentes par Pierre-Thomas Tarieu Eser, sieur de la Pérade, ofïer dans les troupes du détachement de la marine entrete- nues en ce pays pour le service du Roy, son époux, lesquels sieur Fornel et dame de la Pérade es noms nous ont dits et déclarés que nos seigneurs marquis de Beauharnois, commandeur de l'Ordre royal et militaire de St-Louis, gouverneur et lieutenant-général en ce pays, Gilles Hocquart, chevalier coner du Roy, en ses conseils, intendant de justice, police et finances en ce dit pays, ont bien voulus les concilier et acomoder sur l'affaire qu'ils ont eus au conseil dont arrest est intervenu le 23 décembre 1730, en conséquence duquel a été décerné exécutoire pour les dépends le sixième aoust 1731 et qu'au moyen de cette consiliation et accomcdement faits par nos dits seigneurs le dit sieur Fornel au dit nom tient quitte et décharge les dits sieur et dame de la Pérade des condamnations portées par le dit arrest et exé- cutoire dont et de quoy les parties nous ont

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requis acte que nous leur avons octroyés, vou- lant et promettant qu'il ne soit plus parlé ny question des différents cy-devant mus et de faire cesser tous reproches en cette occasion au moyen de la présente transaction, s'obligeant mon dit sieur Fournel de faire ratifier par mon dit sieur Lef ebvre la présente transaction toutes fois et quantes, car ainsy etc., promettant etc., obligeant etc Renonçant etc. Fait etc à Québec au Palais du Roy dans un des appartements de mon dit seigneur l'intendant après-midy le vingt-unième jour d'octobre mil sept cent trente trois, et ont les dites parties signées avec nous dits notaire.

FORNEL, Ptre

MARIE DE VERCHER DE LA PERADE

LOUET

HICHE,"(1)

Dans sa lettre du 13 avril 1734, le prési- dent du Conseil de marine félicitait chaleureu- sement MM. de Beauharnois et Hocquart d'avoir réussi à régler à l'amiable cette affaire si épineuse. (2)

Le procès du curé Lefebvre contre M. et madame de la Pérade avait passionné les esprits pendant trois années. Il y avait eu tort des deux côtés. Mais on ne peut blâmer le curé Lefebvre d'avoir revendiqué son honneur. Il était curé d'une importante paroisse et sa répu-

(1) Acte de Henry Hiché, notaire à Québec.

(2) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904, 193.

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tation devait être intacte pour y exercer son ministère avec fruit. (1)

En 1728, M. de la Pérade avait fait dé- clarer par l'intendant Dupuy qu'il était l'unique propriétaire de l'île Saint-Ignace. M. Chorel Dorvilliers, pendant ses années d'usurpation, avait concédé des terres dans l'île Saint- Ignace, à deux habitants de Sainte-Anne, Pierre Rivard Lanouette et Julien Rivard La- nouette. Ceux-ci avaient continué à payer leurs cens et rentes à M. Chorel Dorvilliers.

M. de la Pérade avait encore une belle occasion de plaider. Il ne la manqua pas. Le procès qu'il intenta à Pierre Rivard Lanouette, en 1732, dura quatre ans.

Le 25 septembre 1736, M. de la Pérade réussissait enfin à faire décider par l'intendant Hocquart que la terre acquise par Pierre Ri- vard Lanouette de M. Chorel Dorvilliers, le 30 septembre 1723, relevait de sa seigneurie comme faisant partie de l'île Saint-Ignace, et il faisait condamner Pierre Rivard Lanouette à lui paya les lods et ventes de son acquisition suivant la coutume comme aussi tous les arré- rages de cens et rentes dus et échus depuis le 20 septembre 1723, date de son acquisition. (2)

Pierre Rivard Lanouette, se conformant au jugement rendu contre lui, offrait immédia- tement de payer à M. de la Pérade tout ce qu'il lui devait. Celui-ci trouva le moyen de créer un

(1) Dans le Bulletin des Recherches Historiques, vol. VI, pp. 340 et seq., en trouvera un résumé du procès du curé Lefebvre et de M. et madame de la Pérade.

(2) Ordonnances des Intendants, cahier 24.

nouveau procès. Cette fois, l'intendant Hoc- quart, qui lui était moins favorable que l'inten- dant Dupuy, le mit proprement à sa place. Le 13 octobre 1736, il déclarait les offres faites à M. de la Pérade par Rivard Lanouette bonnes et valables et décida que, faute par M. de la Pé- rade d'accepter les lods et ventes, cens et rentes et arrérages d'icelles offertes par Rivard La- nouette, ce dernier serait bien et valablement déchargé de tout paiement. (1)

Pendant son séjour en France en 1732- 1733, madame de la Pérade s'était occupé, en outre de son procès avec le curé Lefebvre, d'une autre affaire importante.

Le 4 mars 1697, madame de Lanaudière, mère de son mari, avait obtenu de MM. de Frontenac et Bochart Champigny une conces- sion de trois lieues de terre de profondeur derrière sa seigneurie de Sainte-Anne.

Le 30 octobre 1700, M. de la Pérade avait également obtenu de MM. de Caliières et Bo- chart Champigny une concession d'environ deux lieues de terre de front sur une lieue et demie de profondeur " au derrière de la terre et seigneurie de Sainte- Anne."

Le roi n'avait pas encore ratifié ces deux concessions qui remontaient l'une à trente-six ans et l'autre à trente-trois ans parce que les tenants et aboutissants de la concession de 1700 étaient les mêmes que celle de 1697.

Madame de la Pérade obtint du président

(1) Ordonnances des Intendants, cahier 24.

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du Conseil de marine le règlement de cette affaire embrouillée.

Le 29 avril 1734, le président du Conseil de marine donnait ordre à MM. de Beauharnois et Hocquart d'annuler la concession faite à madame de Lanaudière le 4 mars 1697 et d'accorder à M. de la Pérade une nouvelle con- cession sur le derrière et sur le même front que celle qui lui avait été accordée le 30 octobre 1700. (1)

En conséquence de cet ordre, le 20 avril 1735, MM. de Beauharnois et Hocquart suppri- maient et annulaient la concession faite à ma- dame de Lanaudière le 4 mars 1697 et concé- daient à M. de la Pérade " une étendue de terre de trois lieues de profondeur à prendre derrière et sur la même largeur de la concession du 30 octobre 1700." Cette concession était faite à titre de fief et seigneurie, avec droit de haute, moyenne et basse justice, etc. (2)

Cette concession fut ratifiée par le roi le 17 avril 1736. (3)

En 1735, M. de la Pérade entrait en lice avec un nouvel adversaire, M. Louis Gatineau Duplessis, seigneur de Sainte-Marie. Le 5 avril 1735, l'intendant Hocquart pour mettre fin à leurs contestations fixait les bornes respectives

(\) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904, p. 194.

(2) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale, p. 177.

(3) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904, p. 228.

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des fiefs voisins de Sainte-Anne et de Sainte- Marie. (1)

Le 21 janvier 1736, M. de la Pérade obte- nait de l'intendant Hocquart une ordonnance qui réitérait les défenses déjà faites à tous les habitants de Sainte-Anne de faucher ni enlever aucuns foins de la commune de sa seigneurie à peine de dix livres d'amende et de punition corporelle en cas de récidive. Jean-Baptiste Grimard, qui avait enlevé du foin de la commune, était condamné en trois livres d'amende. (2)

En 1737, M. de la Pérade entra de nouveau en guerre contre M. Voyer, curé de Sainte- Anne. Il lui fit signifier défense " d'abattre, d'enlever ou de faire enlever aucun bois sur la terre du défunt Philippe Etienne ", dont le fonds, prétendait-il, lui appartenait. Pendant plusieurs semaines, le seigneur de Sainte-Anne et le curé Voyer se signifièrent par ministère d'huissier, menaces de procès, sommations, actes notariés, etc., etc. Le litige, cependant, ne fut pas porté devant les tribunaux. Du moins, nous n'en trouvons aucune trace.

En 1739, Pierre Rivard Lanouette, qui avait eu à se plaindre des procédés de M. de la Pérade, trouvait une bonne occasion de le prendre en défaut. M. de la Pérade ayant né- gligé de faire ses clôtures mitoyennes dans l'île Saint-Ignace, Pierre Rivard Lanouette, le 31 juillet 1739, obtenait de l'intendant Hoc-

(1) Ordonnances des Intendants, cahier 23.

(2) Ordonnances des Intendants, cahier 24.

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quart défaut contre lui. En plus, M. de la Pé- rade était condamné aux dépens du procès liquidés à quinze livres. (1)

Le 15 mars 1741, M. de la Pérade faisait condamner M. Chorel Dorvilliers à faire sa part de clôture mitoyenne dans l'île Saint- Ignace et ce au printemps de 1742 pour toute préfixion et délai. (2)

En 1744, nouvelle difficulté entre MM. de la Pérade et Chorel Dorvilliers. Julien Rivard Lanouette, habitant de Sainte-Anne, était-il le censitaire de M. de la Pérade ou de M. Chorel Dorvilliers ? Le 4 juin 1744, M. Hocquart tranchait la difficulté en condamnant Julien Ri- vard Lanouette à payer ses cens et rentes à M. Chorel Dorvilliers. (3) M.de la Pérade évidem- ment, avait perdu un bon ami par le départ de l'intendant Dupuy !

Daniel Portail de Gevron était le débiteur commun de MM. de la Pérade et Joseph Le- vreau de Langy. Il était parti du pays sans leur payer ce qu'il leur devait. Le 16 janvier 1747, MM. de la Pérade et Levreau de Langy obte- naient jugement de l'intendant Hocquart contre leur débiteur récalcitrant. M.de la Gorgendière, agent de la Compagnie des Indes, recevait en même temps ordre de se désaisir ni vider ses mains la somme de cinq cents et quelques livres appartenantes au sieur Portail de Gevron. (4)

(1) Ordonnances des Intendants, cahier 27.

(2) Ordonnances des Intendants, cahier 27.

(3) Ordonnances des Intendants, cahier 32. (1) Ordonnances des Intendants, cahier 34.

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Le 8 août 1747, le deuil entrait dans le manoir de Sainte-Anne de la Pérade. Marie- Madeleine de Verchères, épouse de M. de la Pérade, décédait, à l'âge de soixante-neuf ans. Elle fut inhumée sous le banc seigneurial, dans l'église de Sainte- Anne de la Pérade. (1)

Après la . mort de madame de la Pérade, nous cherchons vainement le nom de son mari dans les paperasses de nos anciens tribunaux. Un esprit soupçonneux en tirerait la conclusion que Madelon de Verchères était l'instigatrice des nombreux procès dans lesquels s'engagea son mari. N'allons pas si loin. Laissons à l'héroïne de Verchères l'auréole bien méritée que lui ont donnée ses actes héroïques.

M. de la Pérade survécut dix ans à sa femme. Il décéda à Sainte-Anne de la Pérade, le 25 janvier 1757, à l'âge de quatre-vingts ans. Il fut inhumé le lendemain, dans l'église paroissiale, sous son banc, a côté des restes de sa femme.

Du mariage de Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade et de Marie-Madeleine de Verchères étaient nés cinq enfants :

(1) Sur Marie-Madeleine de Verchères on peut consulter Joseph Frémont, Annuaire de l'Institut Canadien de Québec, 1888, pp. 69 et 73 ; Sainte-Anne de la Pérade autrefois et aujourdh'ui, p. 23 ; l'abbé Daniel, Grandes familles du Ca- nada, p. 452 ; N. E. Dionne, La Kermesse, p. 93 ; Raoul Re- nault, Revue Canadienne, vol. XXXI (1885), pp. 279 et 340 ; Fréchette, Légende d'un peuple, p. 63 ; sir J.-M. Le Moine, Les héroïnes de la Nouvelle-France, p. 14 ; Frédéric de Kast- ner, Héros de la Nouvelle-France, première série, p. 82 ; Drummond, Madeleine Verchères ; A.-G. Doughty, A daughter of New-France ; F.-A. Baillairgé, Marie-Madeleine de Ver- chères ; Edmond Roy, Madeleine de Verchères, Le Soleil, 20 mars 1909 ; Pierre-Georges Roy, La famille Jarret de Verchères.

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Marguerite-Marie-Anne Tarieu de Lanaudière

Née à Sainte-Anne de la Pérade le 3 juillet 1707.

Mariée à Québec, le 17 octobre 1727, à Richard Testu de la Richardière, capitaine de flûte, veuf de Marie Huraut.

M. Testu de la Richardière décéda à Qué- bec, le 25 octobre 1741.

En deuxièmes noces, à Québec, le 7 octobre 1743, Marguerite-Marie- Anne de Lanaudière devint la femme de Anfoine Coulon, écuyer, sieur de Villiers, lieutenant d'une compagnie du détachement de la marine, fils de Nicolas- Antoine Coulon, sieur de Villiers, capitaine, et de Angélique Jarret de Verchères.

M. de Villiers décéda à Montréal le 3 avril 1750.

Sa veuve se remaria à Sainte-Anne de la Pérade, le 12 mars 1752, à Jean-François Gaul- tier, médecin du Roi et conseiller au Conseil Supérieur de la Nouvelle-France, fils de René Gaultier de Lapénin et de Françoise Câlin, de la paroisse de la Croix en la Vranchin, diocèse d'Avranches, en Normandie.

M. Gaultier décéda à Québec le 1 1, octobre 1756.

Une tradition conservée dans la famille de Lanaudière veut que Marguerite-Marie-Anne de Lanaudière ait été sur le point de se marier en quatrièmes noces avec le célèbre de Bou- gainville.

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Madame Gaultier décéda à l'Hôpital-Gé- néral de Québec le 6 janvier 1776. Elle n'avait pas eu d'enfants.

II Charles-François-Xavier Tarieu de Lanaudière

à Sainte-Anne de la Pérade le 4 novembre 1710.

Le continuateur de la lignée.

III Louis-Joseph Tarieu de Lanaudière

à Sainte-Anne de îa Pérade le 15 août 1714.

Probablement décédé en bas âge. (1)

IV Marie-Madeleine Tarieu de Lanaudière

Née à Sainte- Anne de la Pérade le 19 novembre 1717.

Décédé au même endroit le 20 novembre 1717.

(1) Nous n'avons aucun renseignement sur lui. Un tableau généalogique de la famille de Verchères dressé par le major René Boileau (publié à la fin de la seconde édition de Zouiviana du chevalier Gustave-A. Drolet), dit que Louis- Joseph Tarieu de Lanaudière décéda garçon.

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V

Jean-Baptiste-Léon Tarieu de la Pérade

à Sainte-Anne de la Pérade le 5 mai 1720.

Il servit en qualité d'enseigne dans les troupes du détachement de la marine.

En 1747, le chevalier de la Pérade com- mandait au poste des Ouytanons. (1)

En 1748, le chevalier de la Pérade était envoyé pour servir dans les troupes de l'île Royale.

Le chevalier de la Pérade fut mortellement blessé à la bataille de la Monongahéla, le 9 juil- let 1755. Il décéda le lendemain.

Enregistrons ici l'acte de sépulture de ce héros :

" L'an mille sept cent cinquante cinq, le dix de juillet, est décédé au fort Duquesne, sous le titre de l'Assomption de la Ste-Vierge, Mr Jean-Baptiste de Lapérade, Escuyer, sieur de Tarieux, enseigne dans les troupes de l'isle Royale, ayant été blessé, le neuf du présent mois, dans le combat donné contre les Anglais,

(1) Les Ouyatanons étaient plutôt des guerriers que des amis de la terre. M. de la Pérade, pendant son séjour parmi eux, était obligé d'acheter ses provisions de bouche au Détroit. Dans le Livre de compte de la mission des Hurons de 'lîle aux Bois-Blanc, à la date du 24 septembre 1747, nous lisons : " 10 minots de blé d'Inde livré A M. de la Pérade point de prix fait. Il se vendait une pistole ; ce qui fait 100 francs." The Jesuit Relations and Allied Documents, vol. LLIX, p. 276.

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après avoir reçu les Sts sacrements de pénitence et d'extrême onction, son corps a esté inhumé dans le cimetière du mesme fort, par nous ptre récollet soussigné, aumônier du Roy au susdit fort, En foy de quoy avons signé.

Fr DENYS BARON, P.R.

aumônier."

Le chevalier de la Pérade ne s'était pas marié. (1)

(1) Mgr Tanguay (Dictionnaire généalogique, vol. VII, p. 263), lui fait épouser, en 1749, Marie Bertrand de qui il aurait eu une fille, Marie-Antoinette, qui serait née à Montréal, le 27 mars 1750. Mgr Tanguay a fait erreur.

1ère génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanau-

dière

2ème génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade 3ème génération : Charles-François-Xavier Tarieu de

I^anaudière

L'HON. CHARLES-FRANÇOIS-XAVIER TARIEU DE LANAUDIERE

à Sainte-Anne de la Pérade le 4 novembre 1710.

Comme sa mère, l'héroïque Madelon de Verchères, il commença la vie par une action d'éclat. Celle-ci, à l'âge de douze ans, avait presque soutenu un siège dans le fort de Ver- chères contre une troupe d'Iroquois. Le jeune de Lanaudière, à l'âge de douze ans, sauva la vie à sa mère en la débarrassant de quatre sauvagesses furieuses qui étaient sur le point de la jeter dans l'âtre du manoir de Sainte- Anne de la Pérade. Bon sang ne peut mentir ! Il est vrai que madame de Lanaudière venait de casser les reins au mari de l'une de ces sauvagesses qui voulaient faire un mauvais parti au seigneur de Sainte-Anne, retenu à la maison par la maladie !

Le 23 avril 1726, le baron de Longueuil, administrateur de la Nouvelle-France, donnait à M. de Lanaudière une expectative d'enseigne en second dans les troupes du détachement de la marine.

Cette enseigne lui fut confirmée par le roi, le 12 avril 1727.

Sept ans plus tard, le 13 avril 1734, M. de Lanaudière était promu enseigne en pied.

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En 1741, il recevait une nouvelle promo- tion. Il était fait lieutenant.

En 1743, M. de Lanaudière était choisi comme aide-major de la ville et gouvernement de Québec. M. Péan de Livaudière était alors major de Québec. M. de Lanaudière lui rendit de précieux services car M. Péan de Livaudière commençait à vieillir et n'avait pas l'activité nécessaire pour remplir efficacement ses diffi- ciles fonctions.

De 1726 à 1743, M. de Lanaudière dut faire bien des campagnes. Mais nous ne voyons son nom mentionné dans aucune des relations qui nous ont été conservées de cette période héroïque de notre histoire.

Les officiers de grade inférieur se battaient avec autant de bravoure et de dévouement que les commandants de compagnies et les officiers d'état-major mais les relations officielles, alors comme aujourd'hui, gardaient tous leurs éloges et leurs compliments pour les chefs.

Jîn 1746, M. de Lanaudière fit partie de l'expédition envoyée en Acadie sous les ordres de M. de Ramezay. Cette expédition, au dire de M. l'abbé Casgrain, est l'un des faits les plus héroïques des annales de la Nouvelle-France. On vit deux cent cinquante Canadiens partir au cœur de l'hiver (janvier 1747), faire plus de soixante lieues en raquettes à travers les forêts, et venir attaquer au village de la Grande-Prée, une troupe de plus de cinq cents anglo-améri- cains cantonnés dans les maisons, dont l'une était en pierre et armée de canons. Après une

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lutte soutenue durant douze heures, une partie des ennemis fut tuée et un grand nombre fait prisonniers.

M. de Lanaudière ne put cependant prendre part à la glorieuse attaque de la Grande-Prée, ayant reçu ordre du gouverneur de Beauhar- nois, dès le mois d'août précédent, de revenir à Québec. Il arriva dans la capitale le 5 septembre 1746.(1)

En mars 1747, le gouverneur de Beau- harnois chargeait M. de Lanaudière de lever cent soixante quinze hommes sur la rive sud du Saint-Laurent, dans le gouvernement de Qué- bec. Ces hommes devaient être envoyés à l'île aux Coudres, afin de mettre ce poste avancé en état de défense contre une attaque possible des Anglais.

Dans l'été de la même année 1747, le gou- verneur de Beauharnois donnait une autre mission de confiance à M. de Lanaudière. Il le chargea de la tâche délicate d'un échange de prisonniers que lui avait proposé M. Shirley, gouverneur du Massachusetts. M. de Lanau- dière s'acquitta de sa mission à la parfaite satisfaction de M. de Beauharnois.

Au printemps de 1748, M. de la Galisson- nière, qui avait succédé à M. de Beauharnois au gouvernement de la Nouvelle-France, envoyait M. de Lanaudière commander chez les

(1) Dans le Canada-Français (Documents inédits), tome deuxième, pp. 10 et seq, on trouvera deux relations très détaillées et extrêmement intéressantes, de cette audacieuse expédition, l'une du chevalier de la Corne, et l'autre de M. de Beaujeu, le futur héros de la Monongahéla.

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Miamis. Il partit avec le convoi destiné à Dé- troit. Ce convoi, sous le commandement de M. de Céloron, un des officiers les plus capables de la colonie, était composé de cent Français, de dix ou douze Népissingues et de plusieurs cou- reurs de bois. M. de Lanaudière agit comme commandant en second de l'expédition jusqu'au Détroit.

De Détroit, M. de Lanaudière se rendit aux terres des Miamis avec une petite escorte.

Ces expéditions étaient toujours extrême- ment dangereuses. Les convois étaient le plus souvent défendus par des escortes peu nom- breuses et les tribus sauvages qu'on rencon- trait étaient plutôt hostiles.

M. de Lanaudière ayant rendu compte au gouverneur de son heureuse arrivée aux Miamis, M. de la Galissonnière lui écrivait le 9 novembre 1748 :

" J'ai appris avec plaisir, Monsieur, que vous aviez effectué sans encombre votre voyage aux Miamis. J'appréhendais que la sécheresse qui a sévi dans toute cette contrée, ne vous eût empêché de vous y rendre. J'espère qu'avec l'ascendant que vous avez sur les Sauvages et la juste terreur qu'ils ont de nos armes, nous parviendrons sans peine à ramener les mutins. Le meurtre qui a été commis à Ouabache doit être puni. On l'impute avec quelque fondement aux Hurons ; cependant je suis plus porté à croire que c'est le fait des Miamis de la Demoi- selle. Tâchez de démêler la vérité et n'épargnez rien pour vous faire livrer le coupable, afin d'en

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faire justice. C'est la meilleure manière de réduire les autres et de rétablir la paix. Comme, par la suspension d'armes entre la France et la Grande-Bretagne, les choses doivent se retrou- ver sur le même pied qu'elles étaient avant la guerre, et que les Anglais n'ont pas droit de faire la traite à la Rivière-Blanche non plus qu'à la Belle-Rivière, vous pouvez, si vous en avez l'occasion, faire notifier aux traiteurs de cette nation qu'ils aient à se retirer, sinon qu'on les expulsera de force. Si cela devenait néces- saire, vous me diriez ce que je dois envoyer de troupes au printemps. On a mal interprété la suspension d'armes ; on a fait courir le bruit dans quelques postes, et même à Frontenac, que cette suspension n'était que transitoire. C'est un faux bruit semé à dessein par les traiteurs anglais, qui, à l'aide de cette super- cherie, espèrent pouvoir prolonger le trouble et en profiter. Ce n'est pas ainsi que les gou- verneurs et les habitants de Boston et de New- York en ont jugé. Ils n'ont pas plutôt appris cette suspension qui est perpétuelle, qu'ils se sont réjouis de voir cesser ces courses qui désolaient leur pays et qu'ils se sont empressés de le témoigner. Veuillez donc rétablir les faits, et, puisque vous devez aller à Ouitanons, infor- mez-vous de l'état des esprits." (1)

Au retour de M. de Lanaudière à Québec, dans l'été de 1749, le gouverneur de la Jon- quière, pour lui témoigner sa satisfaction de

(1) L'abbé Daniel, Histoire des grandes familles fran- çaises du Canada, p. 459.

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son heureux voyage chez les Miamis, demanda au roi de lui accorder une gratification de 2000 livres. Le roi, sans doute pour ne pas créer de précédent, refusa de donner cette gratification pourtant bien méritée.

En mai 1749, M. de Lanaudière obtenait enfin le commandement d'une compagnie. Il servait depuis vingt-trois ans. Les promotions étaient alors moins rapides que de nos jours on voit des lieutenants monter au grade de colonels en quelques mois.

Le 1er mars 1750, MM. de la Jonquière et Bigot concédaient à M. de Lanaudière une étendue de terrain de deux lieues ou environ de front à prendre au bout de la profondeur du fief de Carufel, sur la profondeur qui pourrait se trouver jusqu'au lac Maskinongé, le dit lac compris dans toute son étendue avec les îles, îlots et battures qui pourraient se trouver dans ce lac.

Cette concession était faite à perpétuité et à toujours, à titre de fief et seigneurie, avec haute, moyenne et basse justice, droit de pêche, chasse et traite avec les Sauvages, etc., etc. (1)

La concession de ce fief fut ratifiée par le roi le 24 juin 1751.

C'est la seigneurie qui prit dès lors le nom de seigneurie du lac Maskinongé ou de seigneu- rie de Lanaudière.

Les malheurs des temps empêchèrent M. de Lanaudière de mettre à exécution les projets

(1) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale, p. 216.

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qu'il avait formés pour le développement de cette magnifique seigneurie.

L'arpenteur-généraî Joseph Bouchette écrivait en 1815, au sujet de la seigneurie du Lac Maskinongé :

" C'est une belle étendue de terrain, d'un sol fort et fertile et bien boisé de hêtre, d'érable, de bouleau, de pin et de quelques chênes. Elle est arrosée par plusieurs petits lacs, mais prin- cipalement par la rivière Maskinongé, dont le courant sort du lac du même nom, qui a environ neuf milles de circonférence, et qui est bien pourvu de différentes espèces d'excellents poissons. Le voyage d'alentour possède plu- sieurs beautés naturelles dans le genre sauvage et sublime, offrant un amphithéâtre d'éminences et de vastes collines, couronnées par derrière par la magnifique chaîne de montagnes qui se prolonge à l'ouest depuis Québec, et plusieurs autres des traits hardis qui forment un pays romantique. On y a encore fait très peu d'éta- blissements ; mais elle peut certainement s'améliorer en très peu de temps, et devenir une propriété précieuse." (1)

Le 5 janvier 1768, M. de Lanaudière donnait son fief du Lac Maskinongé ou de Lanaudière à son fils aîné le chevalier de La- naudière. (2) A la mort de celui-ci il passa à sa fille, Marie-Anne Tarieu de Lanaudière, qui le vendit, le 17 mars 1814, à M. Toussaint

(1) Description topographique de la province du Bas- Canada, p. 29*

(2) Acte devant Saillant, notaire à Québec, le 5 janvier 1768.

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Pothier, négociant à Montréal, pour la somme de deux mille livres. (1)

A partir de 1756, on peut dire que M. de Lanaudière fut à peu près continuellement absent de son foyer. La guerre était recom- mencée et le brave officier était partout il y avait des coups à donner ou à recevoir.

M. de Lanaudière était à la prise de Choua- guen, le 14 août 1756. Le surlendemain de cette belle victoire le marquis de Montcalm écrivait au chevalier de vis :

" Dites à votre camp que j'ai été très con- tent de Messieurs de la colonie." (2)

Sous la plume de Montcalm cette petite phrase disait beaucoup car on sait qu'il n'aimait pas les officiers canadiens.

L'année suivante, le 9 août 1757, M. de Lanaudière prenait part au siège du fort William-Henry sous les ordres de M. de Mont- calm. Là encore la victoire fut éclatante. Elle fut malheureusement ternie par le massacre du lendemain.

A la bataille de Carillon, le 8 juillet 1758, M. de Lanaudière recueillit de nouveaux lauriers.

Le lendemain même de cette belle victoire, le 9 juillet 1758, du champ de bataille encore fumant, le valeureux Montcalm faisait con- naître au gouverneur de Vaudreuil ceux qui s'étaient le plus distingués. Il écrivait :

(1) Acte devant Joseph Planté, notaire à Québec, le 17 mars 1814.

(2) Thomas Chapais, Le Marquis de Montcalm, p. 139.

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4* Monsieur de Raymond qui avait l'hon- neur de commander les troupes de la colonie a montré bien du zèle et de l'intelligence et je ne saurais trop me louer de lui, de Messieurs de Saint-Ours, Lanaudière, Gaspé et généralement du très petit nombre d'officiers que vous y aviez.

" Nous devons cet avantage au courage des troupes, aux sorties que Monsieur le che- valier de Lévis a fait faire à la droite des piquets et compagnies de grenadiers en même temps qu'il avait envoyé les Canadiens ingambes dans la trouée, aux bonnes dispositions et à la fer- meté de Monsieur Bourlamaque à la gauche ; tous les commandants des corps et généralement tous les officiers se sont comportés de façon que je n'ai eu que le mérite de me trouver le général de troupes aussi valeureuses et d'avoir attention de les faire secourir successivement suivant que les parties de notre abattis étaient plus ou moins attaqués." (1)

En janvier 1759, M. de Lanaudière rece- vait la récompense suprême de tous ceux qui se battaient pour le roi et pour la France : il était créé chevalier de Saint-Louis.

Sa belle conduite à la bataille de Carillon lui avait valu cette marque de distinction de son roi.

Le 1er juin 1759, le gouverneur de Vau- dreuil donnait l'ordre suivant à M. de Lanau- dière :

" Il est ordonné au sieur de Lanaudière, chevalier de Saint-Louis, capitaine d'infanterie,

(1) Collection de manuscrits, vol. IV, p. 170.

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de se transporter sur le champ à Beauport et d'y réunir toutes les familles de la côte de Beaupré, qui ont émigré en deçà du Sault Mont- morenci, afin de les conduire ensuite sur le lac Saint-Charles, dans les profondeurs de Lorette, il fera faire des cabanes pour eux, des parcs pour leurs bestiaux. Il veillera à ce que per- sonne ne s'arrête dans les lieux habités, notre intention étant de faire évacuer, sous peu de jours, ces endroits eux-mêmes et d'en obliger les habitants à se réfugier dans les bois ainsi qu'il en a été ordonné dans toutes les parties de ce gouvernement. Nous n'avons pas besoin de recommander à M. de Lanaudière d'user de douceur et de modération dans l'exécution de ces mesures que le malheur des temps nous oblige à prendre ; ses sentiments bien connus envers les habitants nous font espérer qu'il aura recours le plus possible aux moyens de persuasion pour arriver à ses fins." (1)

Le gouverneur de Vaudreuil, canadien lui- même, n'ignorait pas que les pauvres habitants des campagnes déjà si éprouvés par la guerre n'hésiteraient pas cependant à s'imposer de nouveaux sacrifices s'ils leur étaient demandés par ceux en qui ils avaient confiance. La mission dont M. de Lanaudière venait de s'acquitter avec tant de succès engagea le gouverneur à lui en confier une autre bien autrement difficile. Ce fut de se transporter dans les campagnes

(1) L'abbé Daniel, Histoire de» grandes familles fran- çaises du Canada, p. 461.

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et d'engager les habitants à livrer leurs provi- sions pour nourrir \qs soldats.

M. de Lanaudière avait déjà commencé cette opération importante mais extrêmement délicate lorsqu'il reçut la lettre suivante du gouverneur de Vaudreuil :

" Vous trouverez ci- joint, monsieur, un ordre suivant lequel je vous prie de vouloir bien continuer la levée de bœufs jusqu'à Maskinon- gé. Telle est la confiance qu'ont en vous les habitants que nous avons cru ne pouvoir faire un meilleur choix que celui de votre personne pour une semblable mission. En la remplissant, vous rendrez un immense service, et vous n'au- rez pas moins de mérite que si vous serviez à l'armée. Aussi, vous pouvez être assuré du plaisir que j'aurai à faire valoir votre zèle en cette occasion. Avec cet ordre, vous trouverez l'ordonnance rendue conjointement avec l'inten- dant, qui enjoint aux habitants de déclarer leurs animaux. Vous ne manquerez pas, j'en ai la conviction, de leur remontrer avec toute la dou- ceur possible qu'il y va de leur propre intérêt de se prêter à ce que demande d'eux le salut de la colonie. Vos manières insinuantes sont ce qu'il y a de mieux pour les amener à faire ce qu'on exige d'eux. J'écris en même temps à M. de Noyelle, commandant aux Trois-Rivières, pour qu'il facilite le passage des animaux et fournisse aux conducteurs les sommes qui leur seront nécessaires. Vous ferez bien, je crois, de faire traverser, vis-à-vis des Grondines, les animaux que vous aurez levés dans le sud. J'en

dis un mot, suivant vos désirs, à M. de Vau- queiin. Vous ne laisserez pas de prendre vos précautions pour éviter toute surprise." (1)

M. de Lanaudière ne s'était pourtant pas fait illusion sur la difficulté de l'entreprise. Mais lorsqu'il se trouva au milieu des paroisses désertes, face à face avec les vieillards restés pour garder les pauvres habitations, il fut presque pris de découragement et de remords. Il écrivit donc au gouverneur de Vaudreuil pour lui faire part de la peine qu'il éprouvait.

M. de Vaudreuil lui adressa alors ses encouragements :

14 Je sais très bien, monsieur, lui écrivait-il, la peine et l'embarras que vous donne la mission dont je vous ai chargé, et qui ne peut qu'aug- menter la situation si triste des habitants ; mais il est essentiel que nous pourvoyions à la subsistance de l'armée et que, pour cet effet, nous ayons recours à tous les moyens : nos besoins sont pressants et le moindre retard peut nous devenir funeste. Je vous prie donc, mon- sieur, de continuer votre tournée jusqu'au Cap de la Madeleine, et d'achever la levée dont je vous ai chargé. Quelle soit votre répugnance, il ne faut pas que vous laissiez plus d'une char- rue de deux en deux habitants ; quant aux vaches, limitez-en le nombre à l'indispensable nécessaire pour faire vivre les familles. En revenant du Cap de la Madeleine, vous voudrez bien faire une nouvelle levée dans les paroisses,

(1) L*abbé Daniel, Histoire des grandes familles fran- çaises du Canada, p. 461.

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que vous avez trouvées le plus en état de se supporter, particulièrement à Lorette, etc. L'estime dont vous jouissez auprès des Cana- diens me persuade que vous pourrez leur faire comprendre que le parti que je prends les inté- resse tous en général et chacun en particulier ; que si, faute de subsistance, j'étais obligé de renvoyer l'armée, la colonie serait perdue ; et que d'ailleurs, je n'entends pas les priver des animaux que je leur demande, mais qu'ils leur soient exactement remplacés par ceux que nous ferons lever dans le gouvernement de Montréal. Je me repose donc sur vous, monsieur, pour cette opération dont vous sentez toute l'impor- tance, et je m'en rapporte aux arrangements que vous prendrez pour faire passer ces ani- maux de paroisse en paroisse et les faire par- venir à l'armée. On ne peut rien ajouter à la sincérité des sentiments avec lesquels je suis, monsieur, votre, etc." (1)

Le 13 septembre 1759, M. de Lanaudière était sur les Plaines d'Abraham, à la tête de sa compagnie. On sait quel fut le résultat de cette rencontre.

M. de Lanaudière prit également part à la bataille de Sainte-Foy, le 28 avril 1760, cette dernière mais glorieuse victoire des armes fran- çaises en Canada.

Après l'arrivée de la flotte anglaise devant Québec, M. de Lanaudière suivit l'armée à Montréal. Après la capitulation de cette ville,

(1) L'abbé Daniel, Histoire des grandes familles fran- çaises du Canada, p. 463.

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le 8 septembre 1760,prisonnier de guerre comme tous ses compagnons d'armes, il passa en France. Il laissait sa femme au pays. Leurs adieux devaient être éternels car madame de Lanaudière décéda pendant le séjour de son mari au pays de ses ancêtres.

M. de Lanaudière vécut trois ans en France. Les parents qu'il y avait et les amis qu'il s'était créés là-bas firent l'impos- sible pour le décider à rester en France. Son cousin, M. Tarieu de Taillant, seigneur de Marceillan, qui résidait à Auch, fut celui qui insista la plus à l'entraîner dans cette direction. Il fit toutes les recherches nécessaires pour lui trouver en France une terre convenable à son état de fortune. Il le pressa mais inutilement d'acheter le domaine du trop célèbre Mirabeau, invoquant même pour l'y faire consentir, le désir qu'en avaient exprimé, plusieurs fois, le cardinal de Bernis et le célèbre abbé Douglas, tous deux amis de M. de Lanaudière. (1)

En mai 1763, M. de Lanaudière ayant obtenu du gouvernement anglais les passeports nécessaires s'embarqua pour la Nouvelle- York il arriva dans les premiers jours de juillet.

Le général Amherst, qui commandait alors à la Nouvelle- York, et qui avait connu M. de Lanaudière pendant sa campagne au Canada, le reçut avec beaucoup d'égards. Il poussa l'obligeance jusqu'à requérir tous les comman- dants des postes, depuis Albany jusqu'à Saint-

Ci) Autrefois et aujourd'hui à Sainte-Anne de la Pérade,

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Jean, de lui donner toute l'aide possible pendant le cours de son voyage.

Le gouverneur Murray ne fut pas moins aimable pour M. de Lanaudière. Ce brave lieu- tenant de Wolf e avait des vues plus élevées que les quelques boutiquiers véreux qui étaient ve- nus s'établir à Québec aussitôt après la conquête du pays. Pour lui comme pour tous les gens sensés et désintéressés, le meilleur moyen d'amener le peuple canadien à accepter le nou- veau régime était de lui laisser le libre usage de sa langue, de sa religion et de ses institutions en autant que la constitution de la Grande-Bre- tagne le permettait. Le régime militaire, qui suivit immédiatement la conquête, quoi qu'on en ait dit, fut un régime honnête, juste, presque paternel. Si le général Murray ne fut pas le plus brillant de nos gouverneurs anglais, nous ne croyons pas exagérer en le comptant comme le plus sympathique à notre race. Et nous en avons la preuve dans les regrets universels que souleva son rappel.

Lors de son départ pour l'Angleterre en juin 1766, les seigneurs du gouvernement de Québec envoyèrent au roi une adresse dans laquelle ils lui faisaient part des regrets que leur causaient son rappel. Ils lui énuméraient en même temps toutes les obligations qu'ils de- vaient à son impartialité et à sa bonté.

Cette adresse signée par vingt-et-un sei- gneurs fut rédigée par M. de Lanaudière. Ce document n'est pas un modèle de style. Le gen- tilhomme qui était sorti de l'école pour entrer à

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l'armée, trouvait l'épée plus légère que la plume. Son adresse lui fait néanmoins autant d'honneur qu'à M. Murray lui-même. Ce témoignage de reconnaissance dut être bien sensible au gouverneur Murray qui avait ren- contré tant d'ingratitude de la part de ses propres compatriotes qu'il avait aidés de toutes les façons pendant ses six années de gouver- nement.

M. de Lanaudière disait :

" L'honorable Jacques Murray, en 1759, entouré des Canadiens qu'il devait regarder comme ses ennemis, n'a eu pour eux que de l'indulgence ; de ce temps il s'acquit nos cœurs ; sa générosité et celle de ses officiers animés par son exemple qui par les aumônes qu'ils ont répandues, ont tiré les peuples de la misère dans laquelle les malheurs de la guerre les avaient plongé, nous ont forcé de l'admirer et de le respecter.

" Après l'entière conquête de cette pro- vince, il nous a par son affabilité contraint de l'aimer ; il établit dans son gouvernement un conseil militaire composé d'officiers équitables qui sans prévention et sans émoluments ont jugé ou plutôt ont accommodé les parties processives ; point d'exemple d'aucun appel de leurs juge- ments ; combien de familles n'a-t-il pas aidées et soutenues? Nous avons joui jusqu'à l'époque du gouvernement civil d'une tranquillité qui nous faisait presque oublier notre ancienne pa- trie; soumis à nos sages jugements et ordon- nances,nous étions heureux, les anciens sujets ne

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pensaient point à se plaindre ; nous regrette- rons longtemps la douceur de ce gouvernement. Nos espérances ont été détruites par l'établis- sement du gouvernement civil, que l'on nous avait si fort exalté, nous vîmes naître avec lui la cabale, le trouble et la confusion, et nous fûmes étonnés de voir paraître dans des libelles infâmes, dont les auteurs ont été impunis, la plus basse et la plus insigne calomnie. Nous, accoutumés à respecter nos supérieurs et à obéir aux ordres émanés de notre souverain, à quoi nous sommes portés par notre éducation autant que par notre religion, nous avons révéré les nouveaux officiers civils, nous nous sommes tenus à leurs jugements, nous avons exécuté leurs ordres ; le haut prix des salaires de ces officiers nous a étonnés à la vérité mais sans nous révolter ; frappés de l'irrégularité dans plusieurs circonstances, nous avons gémi sans nous plaindre, nous garderions encore le silence si nous n*y étions forcés par un coup le plus sensible qui vient de nous être porté ; notre père, notre protecteur, nous est enlevé ; comme père, il écoutait nos plaintes, comme protecteur, il y remédiait ou du moins les dimi- nuait avec promptitude, et il nous consolait avec bonté, et sans lui que serions nous deve- nus ? Les anciens sujets, du moins le plus grand nombre, depuis l'époque du gouverne- ment civil, n'ont cherché qu'à nous opprimer, à nous rendre leurs esclaves et peut-être à s'emparer de nos biens. L'émigration d'un nombre de nos meilleurs concitoyens, que nous

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regrettons, a été les funestes suites de leurs mauvais procédés et des bruits alarmants, qu'ils n'ont cessé de répandre, il nous en reste des mo- numents authentiques." (1)

Le 13 novembre 1767, M. de Lanaudière, déjà propriétaire des seigneuries de Sainte- Anne, de Tarieu et du Lac Maskinongé ou La- naudière, se rendait acquéreur de la moitié du fief et seigneurie de la Durantaye contenant une lieue et demie de front ou environ sur le bord du fleuve Saint-Laurent sur quatre lieues de profondeur avec tous les droits de cens, rentes foncières et seigneuriales, moulin banal, droits honorifiques, etc., etc. (2) M. de Lanaudière paya son acquisition trente mille livres, c'est-à- dire trente mille chelins argent courant de la. Province. Les dames religieuses de l' Hôpital- Général de Québec, propriétaires de la seigneu- rie de Saint- Vallier depuis le 18 août 1720, avaient été obligées de la vendre pour payer un emprunt que les malheurs des temps les avaient obligées de faire à M. Benjamin Comte.

Les dames de l' Hôpital-Général se dessai- sirent de leur seigneurie de Saint-Vallier avec beaucoup de regrets car elle était leur princi- pal moyen de subsistance.

Nous lisons dans Mgr de Saint-Vallier et r Hôpital-Général de Québec :

(1) L'adresse des seigneurs du gouvernement de Qué- bec a été publiée en entier dans le Rapport sur les archives du Canada pour 1888, p. 18.

(2) Acte de vente devant Jean-Claude Panet, notaire à Québec, le 13 novembre 1767. Cette moitié de la seigneurie de la Durantaye était connue »ous le nom de fief ou seigneu- rie de Saint-Vallier.

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" Toutes ces négociations (pour le paie- ment des sommes dues à Y Hôpital-Général par le gouvernement français) n'avaient pu se con- clure avant le terme fixé par M. Benjamin Comte pour le paiement des sommes qui lui étaient dues. En vain M. du Roveray lui écrivit- il de la manière la plus pressante pour l'engager à accorder aux religieuses un nouveau délai. M. Comte, à bout de patience, signifia sa réso- lution de procéder en toute rigueur de justice. Dans cette pénible situation nos mères eurent recours à la prière. Puis la mère Thérèse de Jésus assembla le chapitre : on envisagea la question sur tous les points de vue; Mgr Briand et M. de Rigauville mirent dans la balance le poids de leurs sages conseils. Pour dernière mesure, on se décida à vendre la seigneurie de Saint-Vallier à M. de Lanaudière pour 30,000 livres comptant, et cette somme fut remise le même jour (1.6 novembre 1767), (1) entre les mains de M. Benjamin Comte.

" La seigneurie de Saint-Vallier avait coûté beaucoup par les améliorations qu'on y avait faites d'année en année. Le sol y était productif en toute espèce de grains. On y trouvait en grande quantité le hêtre, le merisier, l'épinette, la pruche et l'érable ; le chêne même n'y était pas étranger. Un bateau transportait facilement ces produits jusqu'à Notre-Dame des Anges. Les lods et ventes, les cens et rentes, ainsi que les autres redevances, figuraient bien aussi sur les comptes de la dépositaire. En

(1) L'acte de vente en fut passé le 13 et non le 16.

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faisant le sacrifice de cette propriété, nos mères se dépouillaient d'un seul coup de leur principal moyen de subsistance et de Tunique bien qui leur appartint en propre et, pourtant, elles ne se trouvaient pas encore quittes avec M. Comte. Elles purent enfin le satisfaire pleinement dans le cours de l'année 1768 " (1)

M. de Lanaudière qui avait toujours été l'ami de l' Hôpital-Général et qui comptait plusieurs parentes parmi les religieuses de cette communauté n'avait pas fait l'achat de la seigneurie de Saint-Vallier dans un but de spéculation. C'est à la demande même des bonnes dames qui voyaient leur maison acculée à la ruine si elles ne pouvaient satisfaire leur créancier, qu'il fit cet achat.

Sir Guy Carleton qui succéda au général Murray dans le gouvernement du Canada n'était pas moins favorable aux Canadiens- Français, ou " nouveaux sujets " comme on les appelait alors, que son distingué prédéces- seur.

A peine avait-il pris les rênes du pouvoir qu'il suggérait à lord Shelbourne, un des principaux secrétaires d'Etat de Sa Majesté, d'appeler quelques Canadiens-Français au Conseil exécutif de la Province.

Le 15 mars 1769, il revenait à la charge auprès du comte de Hillsborough, qui avait succédé à lord Shelbourne. Pour remplacer M. Benjamin Price, membre du Conseil exécutif,

(1) Mgr de Saint-Vallier et l'Hôpital-Général de Québec, 392.

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décédé en octobre 1768, il ne trouvait que trois noms à suggérer dans toute la population anglaise de la colonie, MM. James Johnstone, Jacob Jordan et John Gray. Sir Guy Carleton en profitait pour dire au ministre quels avan- tages retirerait la Couronne en faisant entrer dans le Conseil un certain nombre de Cana- diens-Français. " Ce serait, écrivait-il, le moyen de concilier toute la population et de donner une nouvelle vigueur et une plus forte influence au gouvernement. " Ces Canadiens- Français, ajoutait-il, aideraient grandement le Conseil en le renseignant sur les anciennes lois du pays, ils lui rendraient pareillement des services précieux auprès des .Sauvages sur lesquels ils ont beaucoup d'influence/'

Sir Guy Carleton suggérait de porter le nombre des membres du Conseil de douze à dix- sept et d'y faire entrer cinq Canadiens-Fran- çais. Parmi les seigneurs canadiens qu'il suggé- rait au ministre comme membres du Conseil nous voyons les noms de MM. de Léry, de Lanaudière, de Contrecœur, de Tonnancour, d'Ailleboust de Cuisy, de Gaspé, de Saint-Ours, de Saint-Luc, de Bellestre, de Rouville, de Montesson, et de Niverville. (1)

Cette sage suggestion de sir Guy Carleton ne fut pas acceptée tout de suite. Le gouver- nement anglais hésitait à appeler dans le Conseil exécutif des Canadiens catholiques. Les préjugés contre les papistes étaient encore

(1) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1890,p.41-

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si fortement ancrés dans les esprits en Angle- terre î

Le 23 août 1769, M. de Lanaudière faisait une autre importante acquisition. Il achetait de Charles Levrard le fief et seigneurie de Levrard plus connu sous le nom de Saint-Pierre les Becquets. M. de Lanaudière paya son acquisi- tion treize mille livres ou chelins de la province. M. Levrard ne garda pas une grosse part de cette somme, puisqu'il la devait presque en entier. (1)

Le fief et seigneurie de Levrard ou de Saint-Pierre les Becquets avait été originaire- ment concédé en 1672 par MM. de Frontenac et Duchesneau au notaire Romain Becquet. Celui-ci étant décédé sans remplir les conditions de sa concession,MM.de la Barre et de Meulles, pour se conformer aux ordres du roi, par leur ordonnance du 12 mars 1683, la remirent dans le domaine de Sa Majesté. Mais quelques semaines plus tard, le 27 avril 1683, ils la con- cédaient de nouveau aux deux filles du notaire Becquet, Catherine-Angélique Becquet, plus tard épouse de Louis Levrard, et Marie-Louise Becquet, plus tard épouse de Jean- Jacques LeBé. Cette dernière étant décédée sans enfant, la seigneurie passa au fils de sa sœur, Charles Levrard, celui-là même qui vendit à M. de Lanaudière.

M. Joseph Bouchette disait de la seigneurie de Levrard ou Saint-Pierre les Becquets, en 1815 :

(1) Acte de vente devant Jean-Claude Panet, notaire k Québec, le 23 août 1769.

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" Cette seigneurie est très peu habitée, quoique le sol en soit fertile, et qu'elle produise de bonnes récoltes de grain de toute espèce ; elle est généralement composée de belle argile, et d'une terre grasse et noire. Elle est abondam- ment garnie de bois de construction dont une partie est de la meilleure qualité ; mais la plus grande partie est du bois de chauffage dont une grande quantité sert à la consommation de la capitale. Elle est arrosée par une partie de la rivière Duchesne et par quelques petits cou- rants. Dans la première et la seconde rangées de concession, il y a quelques fermes dans un très-bon état d'améliorations." (1)

L'acte de Québec de 1774 créait un Con- seil Législatif pour la province de Québec. Sir Guy Carleton, plus tard lord Dorchester, qui était un des amis de M. de Lanaudière, l'appela à faire partie de ce Conseil Législatif avec MM. La Corne de Saint-Luc, Chaussegros de Léry, Pécaudy de Contrecœur, Saint-Ours d'Eschail- îons, Picotté de Belestre, des Bergères de Rigauville, etc., etc.

Le Conseil Législatif s'assembla pour la première fois à Québec le 17 août 1775. Ce fut, croyons-nous, la seule apparition de M. de Lanaudière au Conseil Législatif.

Atteint de nombreuses infirmités qu'il avait contractées dans ses campagnes, M. de Lanaudière, afin d'obtenir les soins que requé-

(1) Description topographique de la province du Bas- Canada, p. 353.

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rait son état précaire, venait de se retirer avec sa femme à F Hôpital-Général de Québec.

C'est dans cet asile béni qu'il décéda le 1er février 1.776, à l'âge de soixante-six ans. Il fut inhumé le lendemain dans l'église de ce monastère.

L'honorable M. de Lanaudière avait épousé à Québec, le 6 janvier 1743, Louise- Geneviève des Champs de Boishébert, fille de feu Henry-Louis des Champs de Boishébert, capitaine dans les troupes du détachement de îa Marine, seigneur de la Rivière-Ouelle, et de Louise-Geneviève de Ramezay.

Madame de Lanaudière décéda à Québec le 4 juillet 1762, et fut inhumée dans l'église des Ursulines.

Madame de Lanaudière était une personne de beaucoup d'esprit. Pendant les dernières années du régime français, son salon fut un des plus recherchés de la capitale.

"La petite rue du Parloir, (1) dit M. l'abbé Casgrain, était un des principaux centres se réunissait le beau monde de Québec ; deux salons y étaient recherchés ; celui de Mme de Lanaudière et celui de Mme de Beaubassin, toutes deux renommées pour leur élégance et

(1) La petite rue du Parloir mentionnée ici n'est pas celle qui est connue sous ce nom de nos jours et conduit au parloir du couvent des Ursulines. Cette rue du Parloir était exactement en face de l'archevêché actuel et conduisait au parloir du séminaire. M. de Lanaudière avait acheté, rue du Parlo?r, le 23 janvier 1748, la maison du docteur Sarrazin, mort en Î7H4. Cette maison était située précisément à l'en- droit où est l'archevêché actuel. Elle resta en la possession de la famille de Lanaudière jusqu'en 1843. Voir Mgr Henri Têtu, Histoire du palais épiscopal de Québec, p. 112.

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leur esprit Mme de Lanaudière, née

Geneviève de Boishébert, était fille du seigneur de la Rivière-Ouelle, et Mme Hertel de Beau- bassin, née Catherine Jarret de Verchères, était fille du seigneur de Verchères. Leurs maris servaient tous deux en qualité d'officiers de la milice canadienne. (1) Les charmes de la con- versation de Mme de Beaubassin semblent avoir eu particulièrement de l'attrait pour Montcalm, car son salon était celui qu'il fréquentait le plus souvent. Ailleurs comme chez l'intendant, ou chez 'Mme Péan,il se désennuyait,quelquefois il s'étourdissait ; chez Mme de Lanaudière, il s'intéressait ; mais chez Mme de Beaubassin, il s'attachait. La condescendance ou la politesse l'entraînaient ailleurs ; ici, c'était l'amitié." (2) M. de Lanaudière se remaria, à Montréal, le 12 janvier 1764, à Marie-Catherine, fille de Charles Le Moyne, baron de Longueuil, et de Catherine-Charlotte Le Gouès.

Madame de Lanaudière décéda à Québec le 15 avril 1788, et fut inhumée le lendemain, dans la cathédrale, au bas de la chapelle Sainte- Anne.

Du mariage de Lanaudière-de-Boishébert naquirent sept enfants dont six moururent en bas âge ; du mariage de Lanaudière-de-Lon- gueuil il y eut dix enfants :

(1) Erreur. MM. de Lanaudière et Hertel de Beaubassin étaient officiers dans les troupes du détachement de la marine.

(2) Montcalm peint par lui-même d'après des pièces inédites, p. 14.

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I

Charles-Louis Tarieu de Lanaudière

à Québec le 14 octobre 1743.

C'est le célèbre chevalier de Lanaudière.

La Nouvelle-France avait tant besoin de soldats que les études du chevalier de Lanau- dière durent être écourtées.

On était au commencement de la lutte héroïque qui devait se terminer par la perte du Canada. La France nous envoyait si peu de soldats que les jeunes Canadiens de quinze et seize ans devaient prendre les armes.

A seize ans, le jeune de Lanaudière était déjà officier dans les troupes du détachement de la marine.

A la bataille des Plaines d'Abraham, le 13 septembre 1759, il fut assez heureux de s'en tirer sans une seule blessure.

A la bataille de Sainte-Foy, le 28 avril 1760, M. de Lanaudière agissait en qualité d'aide-major du régiment de la Sarre.

Le rapport officiel de cette bataille nous apprend qu'il reçut une balle dans la jambe. (1) Transporté à HHôpital-Général de Québec, il y demeura pendant plusieurs semaines. Deux vieilles religieuses de cet Hôpital, les mères Saint-Alexis et Sainte-Catherine, qui étaient ses parentes, déclaraient plus tard : " Cet imparfait enfant gâté de Lanaudière nous don-

Ci) E.-B. O'Callaghan, Documents relative te the history of the state of New-York, vol. X, p. 1084.

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nait à lui seul plus de trouble pendant sa maladie que tous les blessés qui encombraient notre hospice."

Après la capitulation de Montréal, M. de Lanaudière suivit son régiment en France. Il servit là-bas jusqu'en 1767.

La tradition, dans sa famille, veut qu'il fut de nouveau blessé très grièvement en France. Un de ses neveux qui lui faisait quelques questions sur ses campagnes en France reçut la réponse suivante. " J'ai fait, dit-il, des exploits bien glorieux en France contre mes- sieurs les contrebandiers î On employait tou- jours les jeunes officiers pour ce service hono- rable. Aussi était-il convenu entre nous que lorsque nous les avions embusqués d'un côté, nous passions par l'autre. Nous n'étions guère disposés à nous faire échiner sans gloire aucune pour l'amour et au bénéfice de messieurs les fermiers généraux, qui étaient d'aussi grands coquins que les brigands qu'on nous ordonnait de combattre."

En 1767, M. de Lanaudière accompagna à Londres le comte de Châtelet, ambassadeur de France.

Dans Sainte-Anne de la Pérade autrefois et aujourd'hui, nous trouvons une anecdote typique de ce premier séjour de M. de Lanau- dière en Angleterre.

" Georges III aimait beaucoup le plaisir et s'entourait, en conséquence, de la joyeuse jeunesse de son royaume, qu'il invitait fort souvent à la Cour. Entre ces heureux court i-

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sans, s'en trouvait un en particulier qui, jeune, beau et spirituel, avait captivé en quelque sorte l'esprit du roi ; et il le savait. Un soir que M. Charles de Lanaudière avait été invité à la table royale, il se trouva placé à côté du mignon, le beau Brummel, qui s'empressa de lui faire part de toutes les bontés du souverain à son égard, et de l'ascendant qu'il avait su prendre à son tour sur ce dernier.

" Légèrement ému sans doute par le bon vin, et cédant à un sot orgueil qui le poussait à vouloir prouver au jeune de Lanaudière jusqu'où pouvait aller sa familiarité avec le haut maître de céans." Vous allez voir, dit-il, dans un instant, ce que je puis faire ici.

" Alors, s'adressant à George III lui- même : Sire, lui dit-il, veuillez donc sonner pour le domestique, j'ai besoin qu'il vienne. Oui reprit le roi, sans même lever les yeux ni laisser voir le moindre signe de mécontentement sur sa figure ou dans sa voix.

u Le serviteur s'étant présenté, le roi, d'un ton de grande indifférence, s'exprima en ces termes : J'ai sonné pour vous ordonner de faire venir immédiatement à la porte du palais, la voiture de ce monsieur, le désignant du doigt, car il en a un pressant besoin.

" En entendant ces quelques mots à son adresse, le " beau Brummel " ne comprit que trop la disgrâce dont il était frappé et se retira immédiatement, couvert de confusion, avec l'intime conviction que ses nombreux rivaux éprouvaient une vive joie en le voyant ainsi mis

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à la porte du château, i) ne remit jamais le pied/' (1)

Le fond de cette anecdote, nous n'en vou- lons pas douter, est vrai. Mais on a confondu George III avec son fils qui fut plus tard George IV. Le beau Brummel fut le favori non pas de George III mais de George IV. Si l'épisode raconté ici a réellement eu lieu en 1767, George IV n'était encore que prince de Galles car il monta sur le trône en 1820 seule- ment, après avoir été régent du royaume pen- dant dix ans.

Pendant qu'il était à Londres, M. de Lanaudière obtint du gouvernement anglais un passeport pour venir au Canada prendre pos- session des biens de sa mère décédée.

Une fois au pays natal, probablement à la suggestion de son père, il décida de sacrifier les honneurs militaires qui l'attendaient en France, afin de mettre au service de son pays ses forces, ses talents et son énergie.

Sir Guy Carleton était alors gouverneur de la province de Québec. Ami intime de M. de Lanaudière père, il ne tarda pas à accorder toute sa confiance au chevalier de Lanaudière. Il le choisit même peu de temps après son retour dans la colonie comme un de ses aides de camp.

En août 1770, le gouverneur Carleton s'embarquait pour l'Angleterre. Il s'en allait faire connaître aux ministres la situation du

(1) Autrefois et aujourdh'ui à Sainte-Anne de la Pérade,

p. G3.

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Canada. M. de Lanaudière fit le voyage avec sir Guy Carleton.

En 1775, pendant l'invasion américaine, M. de Lanaudière fut un des officiers qui ren- dirent le plus de services au gouverneur Carle- ton. Sa connaissance de l'art militaire, la popu- larité dont il jouissait parmi ses compatriotes, son activité et son dévouement à la chose publique, en faisaient un aide puissant pour le gouvernement.

Au commencement d'octobre 1775, MM. de Lanaudière et Godefroy de Tonnancour réussirent à lever aux Trois-Rivières et dans les environs soixante-sept hommes pour aller à la défense de Montréal.

Ce détachement partit des Trois-Rivières, le 10 octobre, sous le commandement de M. de Lanaudière.

Dans sa lettre au ministre Darmouth, du 25 octobre 1775, Carleton raconte la mésaven- ture arrivée à son aide de camp.

Les soixante-sept Trifluviens enrôlés par MM. de Lanaudière et de Tonnancour n'étaient pas armés. On -devait leur donner des fusils à Montréal.

Le détachement à son arrivée à Berthier- en-haut fut entouré par les habitants de cette paroisse qui étaient plutôt favorables aux Amé- ricains. M. de Lanaudière voulut leur en impo- ser mais les habitants qui étaient armés jus- qu'aux dents enlevèrent leurs épées à MM. de Lanaudière et de Tonnancour et les firent prisonniers.

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Le Journal de Jean-Baptiste Badeau nous dit que les deux officiers furent menés chez le nommé Buron, capitaine de Saint-Cuthbert. Fort heureusement pour eux, le curé de la paroisse, M. l'abbé Pouget, se trouvait alors chez son paroissien Buron. M. Pouget sollicita si fort auprès du sieur Martel, chef des révoltés, qu'il obtint leur élargissement.

M. Badeau ajoute :

" Ce qui devait certainement être morti- fiant pour nos messieurs, c'est qu'après qu'ils furent faits prisonniers, toutes les femmes qui se trouvaient sur les chemins ils passaient, criaient à leurs maris : " Certes ; vous avez fait bonne chasse aujourd'hui," et cela en dérision." (1)

Quelques jours plus tard, M. de Lanau- dière eut une autre aventure à Nicolet qui le consola peut-être un peu de l'humiliation reçue à Berthier-en-haut.

Le colonel MacLean, accompagné de MM. de Lanaudière et de Niverville, se transporta à Nicolet pour amener les habitants de cette paroisse à marcher contre les Américains.

Les trois officiers se rendirent à la maison d'un nommé Rouillard qui était le chef des mécontents.

Rouillard avait eu le soin de se cacher. MacLean demanda à la femme étaient son mari et son fils. Elle répondit qu'elle n'en savait rien.

(1) L'abbé Verreau, Invasion du Canada, p. 171.

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" Eh bien, dit le colonel MacLean, si vous ne me dites est votre mari et votre fils, je vais mettre le feu à votre maison.

La femme Rouillard répondit :

Eh bien, mettez ; pour une vieille mai- son, vous m'en rendrez une neuve.

Alors MacLean ordonna d'allumer le feu;

Quand la vieille vit le feu au pignon de sa maison, elle en sortit et courut vers le bois en criant :

Saint Eustache, préservez-moi du feu ! Saint Eustache, préservez-moi du feu ! Voici

une bande de b qui veulent me faire

brûler.

Le colonel MacLean, voyant qu'il ne ga- gnerait rien, fit aussitôt éteindre le feu.

De là, MacLean, de Lanaudière, de Ton- nancour et les quelques soldats se dirigèrent vers une petite île les habitants s'étaient retirés avec leurs armes.

MacLean et de Lanaudière traversèrent la rivière dans un petit canot. M. de Tonnan- cour et les soldats traversèrent à gué. Les habitants en voyant la petite troupe traverser la rivière se mirent à fuir dans les bois comme si des diables les avaient poursuivis. (1)

Les habitants de nos campagnes, il faut l'avouer, n'étaient guère enthousiastes pour la défense du sol natal en 1775.

On connait l'héroïque résistance de la gar- nison du fort Saint- Jean dans l'automne de 1775.

(1) Jean-Baptiste Badeau, Journal, p. 173.

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M. de Lanaudière était-il au nombre des défenseurs du fort Saint- Jean ?

En 1786, le Courrier de l'Europe publiait la note suivante :

" La noblesse canadienne n'aurait jamais pris les armes (en 1775), si M. de Lanaudière ne lui avait donné l'exemple. Le général Car- leton lui rend la justice qu'il mérite et convient qu'il ne pouvait être aidé d'une manière plus efficace qu'il ne l'a été par le corps de la noblesse canadienne. Il est connu qu'elle n'aurait jamais marché, si M. de Lanaudière ne s'était mis à sa tête."

Cette assertion mensongère froissa toute la noblesse canadienne. En août 1787, lorsque ce journal parvint au pays, vingj:-et-un sei- gneurs signèrent la protestation suivante qui fut envoyée au Courrier de l'Europe :

" Lorsqu'en 1775, l'ennemi parut à Saint- Jean, une des frontières de cette province, la noblesse et un nombre de citoyens canadiens s'y transportèrent et y tinrent poste jusque et après l'arrivée des troupes, avant que ce Mon- sieur (de Lanaudière) pût en avoir connais- sance, étant pour lors à plus de quarante lieues de Montréal. Et ce corps n'a depuis rien omis pour contribuer à la défense de cette province. Nous en appelons au témoignage de Son Excellence le très honorable lord Dorchester pour la vérité de nos avancés. Les impressions désagréables que ce paragraphe pourraient laisser sur ce corps, si elles n'étaient détruites,

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nous font espérer que vous voudrez bien insérer cette lettre dans votre journal."

Nous avons sous les yeux la liste officielle complète des défenseurs du fort Saint-Jean en 1775. Le nom de M. de Lanaudière ne s'y trouve pas. (1)

Nous sommes bien convaincu que M. de Lanaudière ne fut pour rien dans la note inju- rieuse pour la noblesse canadienne publiée par le Courrier de l'Europe. D'ailleurs, sa présence au fort Saint- Jean n'aurait rien ajouté au mérite de M. de Lanaudière pendant cette campagne. Les nombreuses relations qui nous sont parvenues de l'invasion américaine de 1775 nous montrent M. de Lanaudière partout il y avait des dangers à courir. S'il n'était pas au fort Saint -Jean c'est que son devoir le rete- nait auprès du gouverneur Carleton dont il était l'aide de camp.

Le 12 novembre 1775, Montréal capitu- lait. Montgomery prit possession de la ville le lendemain. Heureusement, le gouverneur Car- leton, accompagné de son aide de camp, M. de Lanaudière, et de plusieurs autres officiers, était parti de Montréal l'avant-veille sur un des bâtiments d'une flottille qui se rendait à Qué- bec pour y conduire des soldats.

Montgomery, aussitôt qu'il eut vent de la fuite de Carleton, envoya le colonel Eaton à sa poursuite.

Mais les éléments semblaient conspirer contre Carleton. A Lavaltrie le vent changea

(1) Bulletin des Recherches Historiques, vol. XII, p.315.

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et soufflant avec violence du côté du nord-est força la plupart des bâtiments à mouiiler devant cette paroisse.

Il en fut ainsi jusqu'au 16 novembre. Le gouverneur Carleton craignant alors de tomber entre les mains des Américains manda tous les capitaines de ses vaisseaux à son propre bord afin de les consulter. Tous furent d'avis qu'il fallait tenter tous les moyens possibles pour conduire le gouverneur à Québec sa présence était absolument nécessaire au salut de la colonie. Le capitaine Bellet, qui était un marin d'expérience et d'un courage à toute épreuve, et qui avait fait bastinguer sa goélette armée pour la garantir des boulets ennemis, s'offrit de rester en arrière avec son vaisseau afin d'occuper les chaloupes des Américains et permettre au gouverneur de se rendre en toute sûreté à Québec. Le capitaine Jean- Baptiste Bouchette, qu'on surnommait la Tourte à cause de la célérité de ses voyages, s'offrit de conduire le gouverneur à Québec dans une barge, et c'est ce moyen qu'accepta Carleton.

Dans la nuit du 16 au 17 novembre, le gouverneur Carleton, son aide de camp, M. de Lanaudière, et le chevalier de Niverville s'embarquèrent dans la barge de Bouchette. (1) Celui-ci avait fait envelopper de drap la partie des rames qui portait sur le bois afin d'éviter

(1) M. Benjamin Suite écrit que le gouverneur Carleton se déguisa en habitant pour ne pas être reconnu s'il tombait «ux mains des Américains (Bulletin des Recherches Histo- riques, vol. V, p. 318.

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le bruit. En passant par le chenal de l'île du Pas, les nageurs, pour plus de précautions, mirent leurs rames de côté et ne nagèrent qu'avec leurs mains.

Le lendemain, 17 novembre, à midi précis, l'embarcation de Bouchette arrivait aux Tr ois- Rivières. Le gouverneur et ses amis allèrent diner chez M. Godefroy de Tonnancour, puis, à trois heures de l'après-midi, se rembarquèrent dans la barge de Bouchette.

Au pied du Richelieu, Bouchette rencontra le senau armé Fell commandé par le capitaine Napier. Le gouverneur décida de continuer son voyage dans ce senau qui avait plus de commo- dités qu'une simple barge.

Le gouverneur Carleton arriva à Québec le dimanche, 19 novembre, dans l'après-midi, accompagné de M. de Lanaudière, du capitaine Owen, du lieutenant Telwyn, du 7ème Régi- ment, et de quelques soldats.

Le gouverneur Carleton fit bien de se confier au capitaine Bouchette car, quelques jours plus tard, la flottille tout entière encore ancrée à Lavaltrie se rendait aux Américains. Ceux-ci prirent onze vaisseaux, et firent plu- sieur officiers et 120 soldats prisonniers de guerre. (1)

Dans l'été de 1777, M. de Lanaudière, de concert avec son parent, M. de Lacorne Saint- Luc, prit part à la malheureuse expédition du général Burgoyne contre la Nouvelle- York.

(1) L'abbé Verreau, Invasion du Canada, p. 235.

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Les détachements canadiens et sauvages qui avaient pour commandant suprême le colonel de Saint-Léger se mirent en marche de Montréal vers le milieu de juin.

Le 10 août 1777, M. John Mackenna, prêtre irlandais, qui accompagnait les troupes canadiennes en qualité d'aumônier, écrivait de Wood-Creek, près du fort Stanwick, à M. Montgolfier, supérieur du séminaire de Saint- Sulpice, à Montréal, que trois jours auparavant le colonel Johnson avait attaqué les Bastonnais à quelques lieues du fort Stanwick, en avait tué deux cents, parmi lesquels, leur chef, le général Harkisman. "M. de Saint-Léger,ajoutait-il,est à la tête des troupes qui assiègent le fort (Stanwick). Tous nos canadiens, MM. Roy, Well, Stone, de Salaberry, Vassal, Bazin sont bien. Nous sommes de bonne humeur."

La joie ne devait pas durer. Six jours plus tard, le 16 août 1777, à Bennington, plusieurs centaines d'Anglais furent tués ou faits prison- niers avec un bon nombre de Canadiens et de Sauvages.

Peu après, les Sauvages froissés des ordres de Burgoyne qui leur défendait de commettre des atrocités et de se livrer au pillage l'aban- donnaient à peu près tous.

M. Montgolfier, le 26 août 1777, appre- nait toutes ces mauvaises nouvelles à Mgr Briand, évêque de Québec, et ajoutait :

" Les rebelles avaient une embuscade qu'on prétend avoir été d'environ cinq mille hommes, qui ont enveloppé le parti royal, dont ils ont fait un grand carnage. Bien des familles cana-

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diennes sont dans la consternation. Chacun craint pour les siens. Il y a à cette occasion une grande déroute dans l'armée. Presque tous les Sauvages se retirent. MM. de Saint-Luc et de Lanaudière sont arrivés hier à midi à Montréal. Ils ne disent point de détails, mais ils partent aujourd'hui pour Québec." (1)

Mais tout ceci n'était que le prélude du sort qui attendait le général Burgoyne. A Sara- toga, le 14 octobre 1777, il dût capituler avec toute son armée. (2)

MM. de Lacorne Saint- Luc et de Lanau- dière revenus au Canada à la fin d'août 1777, échappèrent donc à ce désastre.

Dans l'automne de 1778, sir Guy Carîeton s'embarquait pour l'Angleterre avec sa famille. Il amenait avec lui son fidèle aide de camp, M. de Lanaudière, et M. l'abbé Bailly de Messein, curé de la Pointe-aux-Trembles, comme pré- cepteur de ses enfants.

M. de Lanaudière devait passer huit ans en Angleterre.

C'est pendant ce troisième séjour de M. de Lanaudière en Angleterre que le gentilhomme canadien présenta un mémoire à William Pitt et à lord Sydney dans lequel il exposa les services qu'il avait rendus à la Couronne et les pertes qu'il avait subies pendant l'invasion.

(1) L'abbé Auguste Gosselin, L'église du Canada, après la conquête, 2e partie, p. 107.

(2) Le 26 mai 1778, devant la Chambre des Communes d'Angleterre, Burgoyne commit la lâcheté de rejeter la faute de sa défaite sur M. de Lacorne Saint-Luc. Celui-ci, dans une lettre datée de Québec, le 23 octobre 1778 et qui fut publiée en français dans les journaux de Londres, le remit proprement à sa place.

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C'est probablement ce mémoire et la pro- tection de Carleton qui lui firent donner l'importante charge de grand-voyer du Bas- Canada avec un salaire annuel de 500 louis.

On a dit que George III avait une mémoire prodigieuse des hommes. Il lui suffisait, parait- il, de voir une personne une seule fois pour se la rappeler pendant le reste de sa vie. M. de Lanaudière, au cours de son troisième voyage en Angleterre, fit la flatteuse expérience de la bonne mémoire du souverain anglais.

M. de Lanaudière, lors de son passage en Angleterre en 1767 avec le comte de Châtelet, avait été présenté à George III. Il était alors sujet français.

Ses amis anglais lui ménagèrent une nou- velle entrevue avec le monarque. Celui-ci reconnut aussitôt le gentilhomme canadien, et lui dit en français :

Vous m'avez été présenté jadis comme sujet français, mais je suis heureux de vous recevoir aujourd'hui comme un de mes sujets.

Puis, il ajouta, en se servant cette fois de la langue anglaise : But I forget that you speek english fluenthy (J'oubliais que vous parlez anglais avec aisance), et il continua la conversation dans cette langue.

M. de Gaspé à qui nous empruntons cette anecdote ajoute que son oncle était celui des anciens Canadiens qu'il avait connus qui par- lait le mieux la langue anglaise. Nous l'appe- lions, dit-il, notre oncle anglais, car, tandis que les messieurs de son âge avaient conservé les manières de leurs ancêtres français, il avait

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adopté les manières plus f roides,moins démons- tratives des vrais gentilshommes anglais, les- quelles^ la vérité,difïéraient peu alors de celles des gentilshommes français. (1)

M. de Lanaudière, avant de se rembarquer pour îe Canada, se décida à passer en France afin de renouer connaissance avec ses parents et ses amis qu'il n'avait pas vus depuis bientôt vingt ans. Son cousin, Charles-Louis-Roch de Saint-Ours, l'accompagnait dans ce. voyage. Les deux Canadiens se rendirent jusqu'en Allemagne. Le grand Frédéric était alors sur le trône de Prusse. Le monarque leur accorda gracieusement la permission d'assister aux revues de ses troupes à Berlin et à Magdebourg. Le billet remis à M. de Lanaudière était ainsi conçu :

"M. le capitaine de Lanaudière, c'est avec plaisir que je vous accorde la permission d'assister à mes revues prochaines, d'ici, de Berlin et de Magdebourg ; et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, M. le capitaine de Lanau- dière, en sa sainte et digne garde.

" Postdam, le 10 de mai 1785.

Frédéric."

Frédéric voulut bien recevoir MM. de Lanaudière et de Saint-Ours et se montra très aimable pour eux.

Le 26 octobre 1786, sir Guy Carleton, qui venait d'être élevé à la pairie sous le nom de

(1) Mémoires, p. 96.

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baron Dorchester, arrivait à Québec après un séjour de quelques années en Angleterre.

Lord Dorchester était porteur d'instruc- tions royales datées du 23 août 1786 et qui lui prescrivaient de former un nouveau Conseil législatif. Ces mêmes instructions nommaient comme conseillers législatifs quatorze Anglais et neuf Canadiens-Français : MM. François Levesque, Chaussegros de Léry, Picotté de Bellestre, Roque de Saint-Ours fils, François Baby, Le Moyne de Longueuil, Boucher de Boucherville, Le Compte Dupré et le chevalier de Lanaudière. (1)

La société que M. de Lanaudière avait fréquentée dans ses différents séjours en France et en Angleterre avait été pour lui une occasion de dépenses énormes. Son père qui lui était venu en aide plusieurs fois disait plaisam- ment :

Si je mettais mon fils dans une balance et dans une autre l'or qu'il m'a coûté avant de recevoir sa légitime, il l'emporterait de beau- coup.

" Ce n'était pas, dit à ce propos M. de Gaspé, dans la société du duc d'Orléans (Philippe Egalité) et dans celle du prince de Galles, depuis George IV, que mon cher oncle pouvait faire des épargnes : il se consolait de la perte d'une partie de sa fortune en disant : J'ai fait bien des folies pendant ma jeunesse, mais toujours en bonne compagnie." (2)

(1) Short et Doughty, Documents concernant l'histoire constitutionnelle du Canada, p. 528.

(2) Mémoires, p. 97.

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M. de Lanaudière, propriétaire de cinq seigneuries qui malgré la richesse de leur sol et leur situation avantageuse ne lui rappor- taient pas beaucoup de revenus, saisit au vol à la fin de 1787 l'occasion que lui offrit le Conseil législatif de refaire en peu d'années la fortune qu'il avait dépensée en compagnie de ses amis, les grands seigneurs d'Angleterre et de France.

En 1787, le Conseil législatif, à la demande du gouvernement anglais, avait formé des comités chargés d'examiner l'état des lois et de la justice, du commerce, de l'instruction publique, de la tenure des terres, etc., etc.

Au mois de janvier 1788, M. de Lanau- dière présentait au gouverneur Dorchester, pour être soumise au comité de la tenure des terres, une requête qui proposait d'adopter, dans la concession des terres incultes, le free and common soccage, tenure franche anglaise.

Elle était ainsi conçue :

" Les seigneuries dont j'ai héritées de mes ancêtres, et qui leur furent accordées en récompense de leurs services, me sont parvenues après avoir été possédées par la quatrième génération. Quand je regarde l'étendue immense des terres qu'elles contiennent, qui se monte à plus de trente-cinq lieues en superficie, dont je suis possesseur, la petite portion de ces terres en valeur, le peu d'habitants qui y sont établis, j'aurais les plus grands reproches à me faire, si je n'en avais pas recherché les causes, et, après les avoir trouvées, si je gardais le silence. Cette province est, à bien considérer, encore dans l'enfance : elle ne peut espérer sa

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grandeur future que de l'encouragement de la Grande-Bretagne, d'où doit s'étendre sa popu- lation, ainsi que de l'émigration de l'Europe et de nos voisins. Mais, pourrons-nous, nous sei- gneurs,possesseurs de fiefs immenses,croire que ces mêmes hommes qui auront quitté leur patrie pour prendre des terres dans cette province, voudront donner la préférence à nos seigneu- ries pour s'y établir, s'ils les voient réglées par un système de lois qu'ils ont en horreur, qu'ils ne sauraient entendre, et dans lequel l'incerti- tude des charges est déjà un vasselage onéreux; J'ose espérer que Votre Seigneurie voudra bien prendre en sa sage considération la dure situa- tion dans laquelle se trouvent les intérêts de ma famille, et que, pour m'en relever, Votre Excel- lence voudra bien reprendre les titres de mes seigneuries, avec tous les privilèges et honneurs qui y sont attachés, et me les reconcéder en franc et commun socage, pour que, par ce chan- gement, je puisse donner de l'encouragement à prendre mes terres. Si l'Etat m'obligeait à rem- plir toutes les conditions suivant leur teneur le peu de revenus que j'ai pour supporter ma famille suffirait . à peine pour en payer les charges."

" L'influence du juge en chef Smith, dit M. Garneau, s'était fait sentir à ce comité comme aux autres. Il avait trouvé un appui dans un des principaux seigneurs canadiens. Charles Tarieu de Lanaudière, grand-croix de Saint- Louis, (1) aide de camp du gouverneur et

(1) Erreur. M. de Lanaudière n'était pas grand-croix ni même chevalier de Saint-Louis.

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intendant-général des voies publiques, était un gentilhomme d'un esprit cultivé. Il avait visité l'Angleterre il avait appris à calculer. Ses seigneuries avaient près de trente-cinq lieues en superficie, et une très petite portion en était concédée. Il savait que s'il devenait le proprié- taire absolu du sol, il triplerait sa fortune, puisqu'il pourrait vendre ou concéder ses terres à tels prix qu'il voudrait ; et que s'il perdait par le changement de tenure des cens et rentes, lods et ventes, droits de banalité et de justice, il convrirait toutes ses pertes, plus apparentes que réelles, nar les prix qu'il exigerait des colons." (1)

Cette supplique de M. de Lanaudière sou- leva une véritable tempête dans tout le pays. Les seigneurs se hâtèrent d'envoyer une contre- requête au gouverneur. Elle fut présentée par MM. de Saint-Ours, Juchereau Duchesnay, Picotté de Belestre, Taschereau, de Bonne, Panet, Berthelot, Dunière, Bédard, etc., etc.

" Ayant appris, disait cette requête, qu'un projet de loi avait été soumis à Son Excellence pour le changement de la tenure en cette pro- vince, ils demandaient qu'il leur fut permis d'exprimer leurs appréhensions les plus vives qu'il n'eût son effet, la regardant comme l'acte le plus destructif des bases de leurs droits de propriété, conservés par la capitulation, et des titres confirmés par l'acte constitutif du pou- voir législatif en cette province. Ils ajoutaient que loin de chercher à augmenter leur fortune

(1) Histoire du Canada, tome III, p. 60.

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et leur importance aux dépens des laboureurs, ils n'avaient rien tant à cœur que de contribuer à leur bonheur, en s'unissant à eux pour s'oppo- ser à un changement préjudiciable aux intérêts de cette classe d'hommes la plus utile au pays et à l'avancement des terres. Il n'y avait qu'un seul seigneur, poursuivaient-ils, M. Charles de Lanaudière, qui eût sollicité cette innovation ; que les réponses données en son nom au comité renfermaient des insinuations contraires à l'état actuel et réel de la tenure et faisaient rémuné- ration de servitudes humiliantes tombées depuis longtemps en désuétude, abrogées par la réfor- mation même de la coutume adoptée dans le pays ; qu'aucun avantage réel ne semblait devoir résulter de la tenure proposée ; qu'au contraire, le franc et commun socage serait un obstacle à l'avancement de la culture, à cause de la vaste étendue des terres déjà concédées et en partie défrichées ; enfin, qu'il établirait, au choix de quelques-uns, la confusion dans les propriétés, parce que les seigneurs, devenant maîtres absolus d'immenses territoires, pour- raient diviser, concéder ou vendre le sol aux conditions les plus dures et que les cultivateurs seraient privés du droit de les obliger à concéder leurs terres en roture, dispense qui arrêterait les défrichements et compromettrait ce déve- loppement de la population devenu sensible depuis que le pays n'était plus en guerre avec hs Sauvages et les colonies voisines." (1)

(1) L'abbé Daniel, Les grandes familles françaises dm Canada, p. 479.

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Devant les raisons si claires et si fortes apportées par la contre-requête, impressionné d'ailleurs par les considérations non moins justes du juge Mabane, le Conseil législatif à qui avait été soumise la proposition de M. de Lanaudière, n'osa rien changer à l'état de choses existant.

La constitution de 1791 faisait de l'ancienne province de Québec deux provinces distinctes, la province du Haut-Canada et la province du Bas-Canada, chacune avec un Conseil législatif et une Assemblée législative.

L'honorable M. de Lanaudière fut un des premiers appelés à siéger dans le nouveau Con- seil législatif. Les autres Canadiens-Français nommés à cette charge importante en même temps que lui furent les honorables Chausse- gros de Léry, Picotté de Belestre, de Saint- Ours, Baby, de Longueuil et Boucher de Bou- cherville.

On voit que le roi d'Angleterre savait reconnaître les services rendus au pays par les anciens nobles puisque les membres canadiens- français du Conseil législatif furent exclusive- ment choisis dans cette caste. C'était une réponse éloquente à ceux qui prétendaient qu'à la Cession tous les nobles avaient abandonné le pays.

Dans la Gazette de Québec du 31 mai 1792, nous trouvons une note de M. Gouin, agent de M. de Lanaudière à Sainte- Anne de la Pérade. Il s'agit, évidemment, des élections qui eurent lieu dans l'été de 1792 pour la Chambre d'Assemblée.

107

Sous le titre Au public, M. Gouin écrivait: " Il m'a été rapporté qu'il courrait un bruit parmi mes compatriotes que Monsieur de Lanaudière et moi avons eu un différend occa- sionné par la prochaine élection. Je déclare sur mon honneur, que personne ne peut me ravir et encore bien moins les méchants, que je diffère en rien sur ce point avec lui ainsi que bien d'autres notables du comté, et qu'il y a plus de cent trente ans que mes ancêtres ont été conti- nuellement au service de sa famille, et qu'il y a près de cinquante ans que je les régie moi- même.

" Que mes ancêtres ainsi que moi n'ont jamais eu aucune raison de se plaindre, que bien au contraire nous avons toujours été regardés plutôt comme des enfants chéris de cette famille que comme des agents. Une pareille histoire ne peut être crue que par des hommes aussi mépri- sables que l'inventeur de ce diabolique men- songe. Après cette déclaration de moi que les vilains se servent de toutes sortes de moyens pour faire réussir leurs détestables projets.

"LOUIS GOUIN.

Fait à Sainte-Anne, ce 29ème jour de mai 1792."

Cette lettre prouve qu'on comptait encore avec les seigneurs. S'ils avaient maltraité leurs censitaires, comme on l'a écrit, ceux-ci auraient été plus pressés de voter contre les candidats de leur choix.

En 1794, M. de Lanaudière s'opposa for- tement au sein du Conseil législatif à l'adoption

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du bill dit " Acte pour la division de la province du Bas-Canada, pour amender la judicature d'icelle et pour abroger certaines lois y men- tionnées."

Il prit la peine d'écrire son dissentiment. Il donnait quatorze raisons contre cette loi, et terminait son argumentation par un éloge ampoulé du juge en chef William Smith, pré- sident du Conseil législatif, mort quelques mois auparavant. (1)

" Je finis disait-il, parce que je vois avec peine que ce bill a plutôt passé par une division que par des débats, par nombre que par argu- ment. Mais malgré le peu de succès de mes efforts pour arrêter qu'il ne prit place dans cette séance afin de donner occasion au public de le connaître avant qu'il fut loi, je jouirai au moins du plaisir que l'on trouvera et lira dans ce registre que je m'étais opposé à sa passation, prédisant de plus qu'il sera la ruine d'un nombre de sujets de Sa Majesté. Cette maison a le pou- voir mais je doute du savoir pour une loi qui embrasse tant d'objets, surtout n'ayant plus dans ce Conseil l'assistance de cet homme, qui remplissait ce fauteuil avec tant d'éclat, et qui était reconnu pour le plus grand jurisconsulte de l'Amérique Septentrionale. Il n'est pas à douter qu'à ce moment sa place est remplie, que la personne sur qui le choix est tombé est digne de l'occuper et que nous devons espérer de l'avoir sous peu dans cette maison. Pourquoi donc par notre précipitation nous sommes-nous

(1) Le 6 décembre 1793.

109

frustrés des connaissances légales qu'il aurait pu donner sur un objet particulièrement il doit jouer le premier rôle. Je le repète, le peuple au lieu d'avoir une favorable impression de nos démarches en entretiendra un sentiment bien différent et loin de désirer de revoir cette légis- lature se rassembler une autre année il craindra sa réunion." (1.)

Le 25 juin 1799, M. de Lanaudière était nommé quartier-maître général de la milice canadienne.

Cette charge, tout comme celle de grand- voyer qu'il exerçait depuis plusieurs années, ne demandait pas une grande application de M. de Lanaudière. Au bon vieux temps de l'oligarchie, les sinécures n'exigeaient aucun travail des heureux mortels qui les obtenaient mais leur rapportaient tout de même de forts jolis salaires.

John Lambert, qui visita le Canada dans les premières années du dix-neuvième siècle, dit de M. de Lanaudière :

"' M. de Lanaudière est un des plus res- pectables gentilshommes français de la colonie. Il était officier dans l'armée de Montcalm, et fut blessé sur les Plaines d'Abraham. Il est maintenant âgé de 70 ou 80 ans ; mais a si admirablement conservé toutes ses facultés qu'on ne lui donnerait pas plus de 50 ans ; et il est plus actif et plus intelligent que plusieurs hommes de cet âge. Il est sincèrement attaché

(1) Le dissentiment de M. de Lanaudière a été publié en entier dans les Documents constitutionnels de MM. Doughty et Me Arthur, p. 123.

11.0

au gouvernement anglais, et dans sa conduite, ses manières, ses principes, il semble un Anglais. Il y a plusieurs années, M. de Lanau- dière visita l'Angleterre, il vécut dans les cercles les plus élevés, et il est, en conséquence, bien connu de plusieurs des princes. A son retour au Canada, il fut nommé grand-voyer de la Province. Cet emploi l'oblige de faire chaque année le tour de la Province, pour voir à l'état des chemins, ponts, etc., dans les diffé- rentes paroisses. Il a un salaire de 500 louis par année. Il y a aussi des grands-voyers à Qué- bec, Montréal et Trois-Rivières, qui ont leurs districts respectifs, et sont sous les ordres du grand-voyer de la province. M. de Lanaudière possède l'estime de ses concitoyens, et tous les gentilshommes anglais qui viennent dans le pays, sont assurés de recevoir une chaude réception à sa maison." (1.)

Quand John Lambert écrit que M. de La- naudière faisait, chaque année, en sa qualité de grand-voyer, le tour de la Province afin de voir à l'état des chemins, ponts, etc., etc., il semble encore sous le charme des politesses qu'il avait reçues de l'aimable gentilhomme. La province était divisée en trois districts et il y avait un grand-voyer pour chacun. Les grands- voyers faisaient la visite des chemins et ponts dans leurs districts respectifs et le grand-voyer général dirigeait leur travail.

(1) Lambert, Travels.

111

L'honorable M. de Lanaudière décéda à Québec le 2 octobre 1811, et fut inhumé dans la cathédrale.

M. de Gaspé, son neveu, nous apprend, dans ses Mémoires, de quelle façon tragique ce gentilhomme estimé de tous trouva la mort.

" A l'âge de soixante-dix ans, (1) lors de sa mort tragique, M. de Lanaudière était encore plein de vigueur et montait à cheval avec autant d'aisance qu'un jeune homme. Invité à dîner à Notre-Dame de Foie (Sainte-Foy), chez un M. Ritchie, il offrit une place dans son gig à son ami George Brown, dont le fils, colonel dans l'armée anglaise, a joué un certain rôle dans le procès de la reine Caroline, femme de George IV. Un jeune groom suivait la voiture à cheval.

" Le docteur Buchanan, ami de M. de Lanaudière, lui fit observer pendant le repas qu'il mangeait du poisson à moitié cuit, ce qui est très indigeste.

" Bah ! fit-il, j'ai bien faim, je n'ai jamais eu d'indigestion de ma vie, et je ne commencerai certainement pas à en avoir une à mon âge.

" Lorsqu'ils se retirèrent vers minuit, M. de Lanaudière dit à son domestique de recon- duire M. Brown chez lui, tandis qu'il retourne- rait à cheval : La nuit est si belle, fit-il, que ça sera une promenade bien agréable pour moi. Le jeune domestique de retour à domicile détela le cheval, et rentra dans la maison pour attendre son maître, mais s'endormit malheureusement.

(1) Il avait 68 ans.

112

" Entre cinq à six heures du matin, un domestique du lord bishop Jacob Mountain, se rendant à une ferme de son maître, aperçut un cheval qui paissait paisiblement près du corps inanimé d'un homme couvert de frimas, car par une fatalité cruelle, quoiqu'on ne fut qu'au commencement de septembre, il avait fait une forte gelée pendant la nuit. Grande fut la sur- prise de cet homme en reconnaissant dans ce lieu et à cette heure M. de Lanaudière.

" C'était pourtant lui-même qui gisait inanimé sur le même champ de bataille il avait combattu un demi-siècle auparavant, au même lieu, peut-être, d'où l'on releva alors son corps sanglant pour le transporter à l'hospice de l'Hôpital-Général.

" Cet homme, voyant qu'il donnait encore quelque signe de vie, s'empressa de dénouer sa cravate ; et M. de Lanaudière, après plusieurs efforts, vomit abondamment. Il reprit aussitôt sa connaissance et reconnaissant le domestique, il lui dit : John, you give me life ! (John, vous me rappelez à la vie).

" Il survécut trois semaines à cet accident, mais parla bien peu. Il fit venir à son chevet le jeune domestique dont j'ai parlé, et lui dit :

" Pourquoi m'as-tu abandonné ? Je n'au- rais pas été si cruel envers toi.

" Mon oncle était très sobre quoique vivant à une époque l'on se livrait beaucoup au plaisir de la table ; et il répéta plusieurs fois avec amertume :

113

" Moi un de Lanaudière ! être ramassé sur les Plaines, comme un ivrogne après une nuit de débauche !

" Les médecins furent d'opinion que telle était la force de son tempérament, qu'il aurait recouvré la santé après avoir rejeté les vivres indigestes qui i'étoufïaient, sans le froid intense auquel il avait été exposé pendant près de six heures." (1)

Un petit trait caractéristique sur M. de Lanaudière. C'est feu sir Antoine-Aimé Do- rion, juge-en-chef de la Cour d'Appel, qui le raconte :

M. de Lanaudière, quoique bon et assez conciliant, était pourtant quelque peu processif. Il avait hérité de ce défaut de sa grand'mère, la fameuse Madelon de Verchères, qui sortait d'un procès pour entrer dans un autre, quand elle n'en conduisait pas deux de front. De temps à autre donc, M. de Lanaudière, lorsqu'il habitait sa seigneurie de Sainte-Anne, allait vider ses querelles à Québec, devant les tribu- naux. Son principal adversaire était M. Dorion, important marchand de Sainte-Anne de la Pérade. (2) M. de Lanaudière se rendait tou- jours à Québec en compagnie de son adversaire qu'il faisait monter dans sa voiture. Arrivés à la capitale, ils se séparaient pour se rencontrer devant les juges saisis de leurs griefs respec- tifs, et, quelque fut le résultat du procès, tous les deux s'en retournaient ensemble à Sainte-

Ci) Mémoires, p. 97.

(2) Père de sir Antoine-Aimé Dorion.

114

Anne de la Pérade, d'aussi bonne humeur que si jamais procès n'avait existé entre eux.

L'honorable Charles-Louis Tarieu de Lanaudière avait épousé, à Montréal, le 10 avril 1769, Geneviève-Elisabeth-Louise de La Corne, fille de Louis de La Corne de Chapt, seigneur de Terrebonne, et de Elisabeth de Ramezay.

Elle décéda à Québec le 30 mars 1817, et fut inhumée dans la cathédrale.

Un écrivain anonyme faisait un bel éloge de madame de Lanaudière dans la Gazette de Québec du 3 avril 1817 :

" Le grand nombre non seulement des personnes les plus distinguées par leur rang, qui ont assisté à ses funérailles, mais aussi des pauvres qui sont venus y déplorer la perte de celle qui possédait à un degré éminent cette vertu bienfaisante qui soulage les malheureux, parle bien plus éloquemment en faveur de cette dame respectable que ne le pourrait celui qui paye en ce moment un tribut mérité à la vertu et à l'amitié sincère. Jamais l'indigent ne sortit de sa présence sans éprouver du soulagement dans sa misère, tant par des secours pécu- niaires, que par ces paroles de consolation qui font oublier au malheureux ce qui doit l'humi- lier. La mort même qui élève une barrière insurmontable entre elle et nous ne permet pas de découvrir ce qu'elle cachait avec soin, par l'humilité et de lever le voile et mettre au jour ses actes de bienfaisance sans nombre qu'elle pratiquait en secret. Madame de Lanaudière captivait tous ceux qui ont eu le bonheur de la

11.5

connaître, et par l'aménité de son caractère, s'est attaché des personnes par des liens encore plus étroits que ceux du sang." Elle avait eu trois enfants :

I Charles-Luc Tarieu de Lanaudière

à Montréal le 28 février 1770.

Décédé au même endroit le 17 septembre 1771, et inhumé dans la chapelle Saint- Amable de l'église paroissiale.

II Marie-Elisabeth-Joseph Tarieu de

Lanaudière (1)

Née à Québec le 6 octobre 1777.

Décédée à Saint-Vallier le 26 janvier 1823.

Nous lisons dans la Gazette de Québec du 30 janvier 1823 :

" Mourut à St-Vallier, le 26 janvier 1823, après une maladie douloureuse qu'elle souffrit avec la résignation d'une vraie chrétienne Délie Marie-Anne Tarieu de Lanaudière de la Pé- rade, fille unique de feu Charles Tarieu de La Naudière de la Pérade, de son vivant un des Conseillers Législatifs de cette Province. Les soins que l'on pouvait attendre d'un gentil- homme qui avait eu l'avantage de fréquenter les cercles brillants de l'Europe, avaient été prodigués à l'éducation d'une fille chérie, qui d'ailleurs douée par sa nature de talents admi- rables, en ont fait pendant longtemps les délices de ses parents et amis et l'ornement des sociétés."

(1) Elle fut connue sous les prénoms de Marie-Anne.

116 III Catherine-Elisabeth Tarieu de Lanaudière

Née à Québec le 27 mars 1779.

Décédée à Québec le 20 janvier 1784, et inhumée dans la chapelle Sainte- Anne de la cathédrale. (1)

II Nicolas-Antoine Tarieu de Lanaudière

à Québec le 25 avril 1745. Décédé au même endroit le 13 mai 1745. (2)

III

Thomas Tarieu de Lanaudière

à Québec le 2 mai 1746.

Décédé au même endroit le 18 mai 1746.

IV Roch Tarieu de Lanaudière

à Québec le 26 juin 1747.

Décédé au même endroit le 12 août 1747.

V

Roch Tarieu de Lanaudière

à Québec le 4 juillet 1752. Décédé au même endroit le 25 septembre 1752.

(1) L'acte de sépulture porte Catherine-Geneviève mais il s'agit de Catherine-Elisabeth.

(2) L'acte de sépulture dit Charles-Philippe mais il s'agit, sans doute possible, de Nicolas-Antoine.

117

VI

Anonyme

et décédé à Québec le 2 août 1753. VII Anonyme

et décédé à Québec le 24 juillet 1758.

VIII Marie- Anne Tarieu de Lanaudière

Née à Québec le 3 avril 1765.

Mariée à Québec, le 27 février 1786, à l'honorable François Baby, membre du Conseil législatif. (1)

à Montréal, le 4 octobre 1733, M. Baby comme ses trois frères prit une part active à la défense de la colonie dans les dernières années du régime français. Il se distingua dans plusieurs expéditions, servit sous M. de Beaujeu à la bataille de la Monongahéla et tint cam- pagne jusqu'à la reddition de Québec. En 1760, M. Baby passa en France avec l'intention de s'y établir. Après le traité de Paris, en 1763, il revint au Canada, prêta le serment d'allé- geance à son nouveau souverain et devint un sujet loyal et fidèle. Lors de l'invasion de 1775, M. Baby fut fait capitaine de la deuxième

(1) Contrat de mariage devant Berthelot d'Artigny et Panet, notaires à Québec, le 23 février 1786.

118

compagnie de milice de Québec ; peu après il était promu major des milices du district de Québec,, puis en 1778 lieutenant-colonel des mêmes milices. En janvier 1779, il était nommé commissaire des transports militaires, et, en 1781, il devenait adjudant-général des milices. 11 fit partie du Conseil législatif puis du Conseil exécutif. M. Baby fut chargé de plusieurs missions de confiance par le gouvernement et il fut le conseiller et l'ami de tous les gouver- neurs généraux du Canada qui se succédèrent pendant sa longue carrière.

L'honorable M. Baby s'éteignit à Québec, le 9 octobre 1820, à l'âge de 87 ans. Les direc- teurs du séminaire de Québec, pour témoigner de l'estime et de la considération qu'ils avaient pour ce bon citoyen, réclamèrent comme une faveur de déposer ses restes près de ceux des bienfaiteurs de leur maison dans le caveau de leur chapelle.

Madame Baby décéda à Québec le 27 janvier 1844, à l'âge de 78 ans, et fut inhumée dans la cathédrale.

La Gazette de Québec du 31 janvier 1844 fait l'éloge de madame Baby dans les termes suivants :

" Décédée, samedi, le 27 courant, à l'âge de 78 ans, 9 mois et 22 jours, madame Marie- Anne Tarieu de Lanaudière, veuve de feu l'honorable François Baby, en son vivant membre des Conseils exécutif et législatif du Bas-Canada. Cette dame, par son air imposant, ses manières nobles et distinguées, inspirait le respect même à ceux qui ignoraient ses pré-

119

cieuses qualités. Elle était, pour nous servir de l'expression d'un grand écrivain, le type de ces dames de l'ancien régime qui par leurs qualités physiques et morales font l'admiration de tous et disparaissent malheureusement trop vite quelque soit la durée de leur vie. Douée d'un jugement sain, de beaucoup d'esprit et d'une excellente mémoire, elle racontait les événe- ments avec beaucoup de grâce et de charme. Obligée par sa position sociale de figurer beaucoup dans le monde, elle n'en remplissait pas moins ses devoirs religieux avec une scru- puleuse exactitude. Les membres du clergé la citaient partout comme un modèle et sa maison comme un modèle de maison chrétienne. Sa charité ne se confinait pas à faire l'aumône aux pauvres qui la lui demandaient, elle faisait rechercher ceux qui étaient dans le besoin et leur aidait avec une délicatesse ingénieuse. Elle sera longtemps regrettée par ses enfants,petits- enfants et tous ceux qui l'ont connue."

Du mariage de l'honorable François Baby et de Marie-Anne Tarieu de Lanaudière naquirent douze enfants. (1)

IX Marie-Agathe Tarieu de Lanaudière

Née à Québec le 26 mars 1766. Décédée à Sainte-Foy le 7 avril 1766, elle fut inhumée au cimetière de cette paroisse.

(1) On trouvera des détails généalogiques sur eux dans l'ouvrage de M. P.-B. Casgrain, Mémorial des familles Cas- grain, Baby et Perrault, p. 107, et appendice B.

120

X

Marie- Catherine Tarieu de Lanaudière

Née à Québec le 17 février 1767.

Mariée à Québec, le 28 janvier 1786, à Ignace Aubert de Gaspé, fils de Philippe- Ignace Aubert de Gaspé, seigneur de Saint- Jean-Port-Joli, et de Marie-Anne Coulon de Villiers.

M. de Gaspé fut appelé au Conseil Légis- latif en 1812. Il en fut un des membres les plus utiles, si ce n'est par de pompeux discours au moins par la sagesse de ses votes.

L'honorable M. de Gaspé mourut à son manoir de Saint- Jean Port- Joli, le 13 février . 1823. Il fut inhumé le surlendemain dans Tégîise de la paroisse, sous le banc seigneurial.

Il était à sa mort colonel de milice et sei- gneur de Saint-Jean Port-Joli et de la Poca- tière.

" Juste et libéral envers ses censitaires, il n'a jamais, dans l'espace de quarante ans qu'il a géré ses seigneuries, intenté une seule pour- suite contre eux."

Madame de Gaspé mourut à Québec le 13 avril 1842, et fut inhumée dans l'église de Saint- Jean Port- Joli, le 18.

" Pendant plus de cinquante ans, sa main charitable répandit à Saint- Jean Port- Joli ses bienfaits sur l'humanité souffrante ; aussi méritait-elle, à juste titre, le nom de " mère des pauvres " que ses censitaires lui donnaient.

121

Elle ne survécut que neuf jours à sa sœur, (1) qui ne s'était jamais séparée d'elle pendant leur longue carrière et succomba à la même maladie."

Du mariage de Pierre-Ignace de Gaspé et de Marie-Catherine Tarieu de Lanaudière naquirent six enfants: Philippe- Joseph,l'auteur des Anciens Canadiens ; Charles-Guillaume, mort en bas âge ; Antoine-Thomas, dont les descendants habitent Montréal; Ignace-Xavier, mort en bas âge ; Catherine, morte en bas âge ; Marguerite, morte en bas âge. (2)

XI

Marie-Louise Tarieu de Lanaudière

Née à Québec le 4 mars 1768.

Elle résida pendant plusieurs années à Saint- Vallier avec sa sœur Agathe.

M Les deux sœurs, dit M. de Gaspé, se livraient à des exercices qui, suivant moi, sont du ressort exclusif du sexe masculin. Autant j'admire un homme à la figure mâle guidant avec adresse deux chevaux fougeux, autant j'éprouve de malaise en voyant les femmes de nos jours se livrer à ces exercices : la faiblesse inhérente à leur sexe leur ôte toute grâce lorsqu'elles tiennent les guides dans des mains délicates plus propres à tracer des fleurs gra- cieuses sur un canevas, à courir légèrement sur

(1) Marie-Louise Tarieu de Lanaudière décédée à Qué- bec le 4 avril 1842.

(2) Consulter sur Pierre-Ignace de Gaspé et ses des- cendants notre ouvrage La famille Aubert de Gaspé.

122

le clavier d'un piano, qu'à réprimer un cheval qui peut s'emporter au moindre bruit inusité, à la vue d'un objet qui lui cause de la frayeur. Passe encore pour l'équitation ; quelques dames certainement s'en acquittent avec grâce. Quant à mes deux chères tantes dompter les chevaux à la campagne était un de leurs passe-temps les plus agréables." (1)

Après la mort de sa sœur Agathe, en 1838, mademoiselle Marie-Louise de Lanaudière se retira à Québec chez son autre sœur Marie-Ca- therine mariée à M. de Gaspé.

C'est qu'elle décéda le 4 avril 1842, à l'âge de 75 ans.

XII

Charles- Gaspard Tarieu de Lanaudière

à Québec le 9 septembre 1769. (2) I^e continuateur de la lignée.

XIII Xavier-Roch Tarieu de Lanaudière

à Québec le 20 avril 1771.

M. Homfray Irving, dans son ouvrage, Officers of the British Forces in Canada during de zvar of 1812-15,(3) dit que M. de Lanaudière servit pendant l'invasion américaine de 1775,

(1) Mémoires, p. 522.

(2) L'acte de baptême lui donne seulement le prénom Charles.

(3) P. 27.

123

dans un bataillon de milice des Trois-Rivières. Il est évident qu'il Ta confondu avec son frère aîné, le chevalier de Lanaudière.

En 1775, M. de Lanaudière avait cinq ans.

Pareillement, dans ses Grandes familles françaises du Canada, (1) M. l'abbé Daniel écrit que M. de Lanaudière servit pendant quelque temps dans la marine royale d'Angle- terre. Nous n'avons pu obtenir nulle part la confirmation de cet avancé.

Le 31 octobre 1794, M. de Lanaudière était nommé traducteur français et secrétaire français de la province du Bas-Canada.

Le 6 novembre 1801, M. de Lanaudière recevait une commission d'avocat, mais il n'exerça jamais cette profession.

En 1805, M. de Lanaudière obtint un congé de l'honorable Thomas Dunn, adminis- trateur du Canada, et passa en Angleterre. Son voyage dura plusieurs mois. Il visita les prin- cipaux pays du continent européen. Il fut rem- placé pendant son absence dans sa charge de traducteur par son neveu, Philippe Aubert de Gaspé, le futur auteur des Anciens Canadiens et des Mémoires.

Sir George Prévost, nommé pour rempla- cer sir Henry Craig au gouvernement du Ca- nada, débarqua à Québec le 14 septembre 181.1. Le Congrès américain était à lever 175,000 hommes et à les armer. La guerre était à la veille d'éclater entre les Etats-Unis et l'Angle- terre et il était évident que le Canada serait

(1) P. 101.

124

envahi. Prévost, soldat d'expérience, dès son arrivée à Québec, se rendit compte que la milice avait besoin d'être réorganisée.

Le 9 octobre 1811, M. de Lanaudière était nommé député-adjudant -général des milices canadiennes, avec le grade de lieutenant-colonel en remplacement du lieutenant-colonel Vassal de Monviel promu, le même jour, adjudant- général.

M. de Lanaudière n'avait pas fait l'appren- tissage des armes, dit M. Suite, mais sa nomi- nation se justifiait par ses qualités adminis- tratives. (1)

M. de Lanaudière avait certainement fait l'apprentissage des armes dans la milice sinon dans l'armée régulière car dans son testament olographe daté à Québec le 22 avril 1807, quatre ans,par conséquent,avant sa nomination au poste de député-adjudant-général des milices, il léguait son sabre et son uniforme d'officier qu'il avait fait venir d'Angleterre, à son ami, l'honorable Gabriel-Elzéar Tasche- reau.

M. de Lanaudière décéda à Québec le 5 février 1813.

Nous lisons dans la Gazette de Québec du 11 février 1813 :

" Mourut, vendredi, le 5 février 1813, François-Xavier Roch Tarieu de Lanaudière, écuyer, député-adjudant-général des milices de cette province, et assistant secrétaire français

(1) Histoire de la milice canadienne-française, p. 116.

125

de Thonorable Conseil Exécutif, à l'âge de 41 ans, 9 mois et 15 jours.

" Ses restes furent enterrés lundi dernier, dans Tégiise cathédrale de cette ville, avec les honneurs dûs à son rang et accompagnés d'un concours extraordinaire de toutes les classes.

"M. F. X. de Lanaudière était un de ces hommes rares dont tous les instants de la vie sont dévoués à la plus scrupuleuse exactitude de leurs devoirs. Sa religion fut ses délices ; et personne ne l'a surpassé en zèle pour son prince ; aussi les fatigues qu'il éprouva l'automne dernier sur les frontières, l'ont-elles conduites au tombeau à un âge si peu avancé. Ceux qui l'ont connu particulièrement savent qu'il n'avait rien à lui, et que les pauvres par- tageaient plus que la moitié de sa fortune ; aussi leur laisse-t-il par son testament une partie de ses revenus, les reconnaissant, comme il l'expri- ma lui-même, pour ses meilleurs amis."

M. de Lanaudière ne s'était pas marié.

XIV Antoine-Ovide Tarieu de Lanaudière

à Québec le 12 juillet 1772.

M. de Lanaudière vécut presque toute sa vie à la campagne. En 1812, il laissa pendant quelques mois sa vie tranquille pour défendre le pays contre l'invasion américaine. Le 20 avril 1812, il acceptait le grade de major au 1er bataillon de Saint- Jean Port-Joli.

M. de Lanaudière décéda à son manoir

126

seigneurial de Saint-Vallier de Bellechasse, le

16 décembre 1.838, à l'âge de 66 ans.

" Les pauvres perdirent en lui leur meil- leur ami. Tant qu'il vécut il fut le père de sa paroisse ; jamais on ne frappa à sa porte en vain. On aurait pu inscrire sur sa tombe : Franc, probe, honnête, loyal, ami des pauvres, et sûrement jamais une voix n'aurait pu lui nier ces qualités." (1)

M. de Lanaudière avait épousé, à Québec, le 18 décembre 1807, Marie-Joséphine d'Esti- mauville,fille de Jean-Baptiste-Philippe-Charles d'Estimauville, sire et baron de Beaumoucheî, et de Marie-Josephte Courault de la Côte.

Madame de Lanaudière décéda au manoir seigneurial de Saint-Vallier de Bellechasse le

17 janvier 1825.

" Exemplaire durant sa vie pas ses vertus domestiques et par l'affabilité de ses manières, elle laisse après elle un mari inconsolable de sa perte ; et le concours de presque la totalité des habitants de la paroisse et d'un grand nombre de celles du voisinage, et les gémisse- ments des pauvres dont elle s'était toujours empressée de soulager les besoins autant qu'il était en son pouvoir, qui ont suivi son convoi funèbre, sont les témoignages les plus mani- festes de l'estime générale dont elle avait joui, et de la sincérité du regret que sa perte causait universellement à tous ceux qui avaient été souvent à même d'apprécier ses qualités plus particulièrement à ses parents dont elle était si

(1) La Gazette de Québec, 22 décembre 1838.

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tendrement aimée et auxquels sa mémoire sera toujours chère." (1)

Aucun enfant n'était de leur ma- riage. (2)

XV

Pierre- Charles Tarieu de Lanaudière

à Québec le 5 juin 1773. Décédé à Sainte-Foy le 9 juillet 1773, il tut inhumé au cimetière de cette paroisse.

XVI Agathe Tarieu de Lanaudière

Née à Québec le 15 mai 1774.

Décédée à Saint-Vallier le 24 février 1838.

Dans ses Mémoires, M. de Gaspé dit de sa tante Agathe Tarieu de Lanaudière :

" A propos de mes tantes, Tune d'elles, Agathe, morte fille, comme sa sœur Margue- rite, et que la famille appelait Charlotte Corday, son héroïne, parce qu'elle disait souvent qu'elle aurait voulu naître homme pour assassiner quelques-uns des scélérats qui avaient versé tant de sang innocent pendant la révolution de 92, à propos, dis-je, de ma chère tante Agathe, sa bravoure doit lui faire trouver place ici. Une

(1) La Gazette de Québec, 3 février 1825.

(2) Sur les d'Estimauville de Beaumouchel, on peut consulter notre Famille d'Estimauville de Beaumouchel.

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bande de voleurs très-bien organisée répandait il y a trente ans (1) la terreur parmi les per- sonnes riches ou censées l'être dans la cam- pagne. On doit se rappeler les vols audacieux qu'ils commettaient, les personnes isolées, les familles entières que ces brigands liaient pen- dant la nuit, et toutes les horreurs auxquelles ils se livraient. Ma tante Agathe de Lanau- dière, co-seigneuresse de Saint-Vallier et réputée riche, vivait seule avec ses domestiques dans une anse de cette paroisse isolée de tous voisins : un charmant bocage très touffu, à une dizaine d'arpents sur le bord de la grève, don- nait à MM. les communistes toutes les facilités de s'y cacher même avec leur chaloupe pendant le jour qu'ils n'eussent préféré débarquer, la marée aidant, pendant une nuit sombre à cent pieds du domicile de ma chère tante.

" Elle était pendant ce règne de terreur, sous l'impression assez naturelle aux personnes dans sa position, qu'elle pouvait être attaquée d'une nuit à l'autre ; on l'avait même prévenu qu'on avait vu rôder depuis quelque temps dans les environs une chaloupe montée par des hommes à figures sinistres. Mais comme elle avait disposé ses batteries en conséquence, elle était préparée à tout événement, et toujours sur le qui-vive.

" Elle couchait seule dans la partie nord- est de la maison, séparée de son fermier qui occupait le côté opposé, par un appentis atte- nant aux deux édifices : ses deux domestiques

(1) M. de Gaspé écrivait en 1866.

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restaient avec la famille du dit fermier était aussi la cuisine.

" Elle entre un jour sur la brune dans sa cuisine après avoir fait sa ronde ordinaire aux alentours, et y trouve un homme seul le dos tourné à la cheminée dans laquelle il y avait un reste de feu. Elle lui demande ce qu'il y a pour son service. Jean-Baptiste, très farceur, pour toute réponse se met à battre la campagne et à tirer quelques quolibets qui furent très mal accueillis par mon héroïne, qui ne crut voir en lui qu'un émissaire de la bande redoutable cherchant à connaître les airs de la maison.

" Je n'avais pas d'armes dans les mains, disait-elle, et je craignais qu'en me baissant pour prendre le tisonnier ii ne m'assommât, mais j'avais heureusement mes galoches (1) ferrées dans les pieds, dont je lui appliquai un si vigoureux coup dans le ventre qu'il culbuta parmi les tisons au grand dommage de ses culottes. J'allais redoubler, lorsqu'il me cria en détachant les tisons qui le chauffaient : C'est moi, mademoiselle Agathe, c'est moi Pelletier, l'ami de votre fermier qui suis venu lui deman- der à couvert.

kk Ma tante au désespoir fit mille excuses de sa promptitude au pauvre diable de Pelletier, mais lui reprocha aussi de s'y être exposé dans un temps tant de voleurs rôdaient dans la campagne. Elle répara le dommage de son mieux (car elle avait le cœur aussi bon qu'elle

(1) Les crampons des galoches d'autrefois étaient d'un pouce de longueur.

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était prompte) en ordonnant à sa fermière de préparer à leur hôte un bon souper dont la seigneuresse elle-même ferait les frais ; et poussa je erois même la générosité jusqu'à faire remplacer la malheureuse paire de culottes qui faisait jour de toutes parts par la foncière.

44 Ce fut quelques jours après cette scène, vers la fin d'octobre, que j'arrivai le soir chez ma bellliqueuse tante. Nous conversions tran- quillement après souper lorsque son domestique et sa servante entrèrent dans le salon portant un paquet de cordes qu'ils attachèrent à chacun des contrevents déjà fermés, lesquelles cordes après avoir traversé tous les appartements finirent par se réunir dans la chambre à coucher de mademoiselle Agathe de Lanaudière. Cu- rieux de voir à quoi tout cela aboutirait, je la suivis dans cette chambre elle se mit aussitôt à attacher les dites cordes à quatre sonnettes qu'elle accrocha au haut des quatre poteaux de son lit. Elle ouvrit ensuite une armoire, en tira quatre pistolets dont elle déposa deux sur une petite table et me présentant les deux autres ëlt me dit : " Ces armes sont chargées par moi et ne nous feront pas d'affront si nous sommes attaqués cette nuit par ces coquins."

" Savez-vous, ma chère tante, lui dis-je que Vauban lui-même n'a jamais mieux fortifié une citadelle que vous !

" Vois-tu, mon fils, répliqua-t-elle, je n'ai jamais craint un homme lorsque j'ai été sur mes gardes, mais ces lâches pourraient me surprendre pendant mon sommeil ; ce que je les défie de faire à présent. Quoique bien armée

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mes nuits étaient sans sommeil, lorsque j'ai eu l'heureuse idée de me mettre à l'abri de toute surprise.

" Vous êtes bien, chère tante, la digne nièce de nos deux grand'tantes de Verchères, qui défendirent à la tête d'autres femmes, en l'année 1690, et en l'année 1692, un fort attaqué par les Sauvages, et les repoussèrent.

" Ah ! mon fils ! fit-elle, en soupirant, si le ciel eût voulu que je fusse née homme !

" Je ne pouvais m'empêcher, termine M. de Gaspé, d'admirer tant de courage dans un corps si frêle et si petit." (1)

XVII Charlotte-Marguerite Tarieu de Lanaudière

Née à Québec le 16 septembre 1775.

Aussi belle que spirituelle, si mademoiselle de Lanaudière ne se maria pas ce ne fut pas faute de prétendants. Mais comme ses sœurs Marie-Louise et Agathe elle préféra sa liberté aux liens du mariage. Elle décéda à Québec le 17 novembre 1856, à l'âge de 82 ans.

" Charlotte-Marguerite de Lanaudière, écrit M. de Gaspé, était la plus jeune des enfants de mon grand'père, M. Charles de La- naudière, et elle survécut à ses frères et sœurs. Sans avoir autant d'esprit que ses deux sœurs aînées, madame Baby et ma mère, elle n'en était pas moins très spirituelle et surtout très satyrique. C'était le jugement que réminent

(1) Mémoires, p. 519.

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prélat Mgr Plessis, ami intime de ma famille, portait sur les trois sœurs. Mais si elle n'avait pas l'esprit supérieur de sa sœur aînée, ni l'esprit ni le jugement si sain de ma mère, elle avait toute la force d'âme de la première et une volonté à faire tout ployer devant elle. Elle a mené une vie retirée pendant les dix à quinze ans qui ont précédé sa mort, ce qui n'empêchait pas les gouverneurs et les personnes éminentes voyageant au Canada, de visiter cette vieille et dernière relique d'une génération maintenant éteinte. Etait-ce curiosité de la part des visi- teurs de converser avec cette vieille noblesse ?

" Ma vieille tante avait pris ces visites au sérieux, et s'y attendait toujours. Lord Elgin (il ne disait pas lui, noblesse, par mépris), lui lit aussi une visite.

" Comment se porte, milady, fit made- moiselle de Lanaudière ?

" Mais très bien, fut la réponse.

" J'en suis charmée, milord ; lorsque j'étais plus jeune, je ne manquais jamais d'aller rendre mes hommages aux représentants de ma souveraine; mais depuis que l'âge m'en em- pêche,tous les gouverneurs et leurs épouses ont eu la condescendance de rendre visite à la petite-fille du second baron de Longueuil, gou- verneur de Montréal avant la conquête.

" Lady Elgin rendit visite à la vieille demoiselle quelques jours après." (1)

On nous ferait sûrement un reproche de ne pas reproduire ici les pages spirituelles que M.

(1) Mémoires, p. 514.

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de Gaspé a consacrées à sa tante Charlotte- Marguerite de Lanaudière :

u Quelques Canadiens se rappellent encore aujourd'hui, continue le vieux conteur, un régiment stationné à Québec il y a plus de soixante ans, tant il a laissé de tristes souve- nirs. Le major qui commandait ce corps d'officiers turbulents était un jeune homme de vingt-deux ans, de la même trempe qu'eux ; et le gouvernement civil d'alors ne pouvait leur imposer aucune contrainte. Je dois ici rendre la justice de dire que tous les officiers des autres régiments que j'ai connus, à la rare exception d'un individu par ci par échauffé par le vin, avaient les plus grands égards pour les dames; celui qui aurait agi autrement aurait été mis en coventry. Mais le régiment dont j'ai parlé tenait une conduite différente ; on citait plu- sieurs dames que certains officiers de ce corps avaient insultées.

" C'était le printemps et un jour d'office à la cathédrale ; les rues alors non pavées, étaient dans un état affreux et un groupe d'officiers s'était emparé du haut du parapet de la rue de la Fabrique, afin d'obliger les pas- sants de patauger dans l'eau et dans la boue. Les femmes en avaient pris leur parti et louvoyaient au beau milieu de la rue, les robes retroussées jusqu'à mi-jambe, et assaillies des brocards sans fin de ces galants messieurs. Mademoiselle de Lanaudière alors fort jeune arrive avec trois ou quatre de ses amies qui veulent rebrousser chemin en voyant que la phalange hostile serre les rangs comme à

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Fontenoy ; alors, sans se déconcerter, elle s'avance seule et leur dit de l'air superbe d'une impératrice : 4t S'il est un seul gentleman parmi vous qu'il fasse livrer passage aux dames." Ce reproche piquant eut l'effet désiré, et la voie fut aussitôt libre.

" La. jeune fille canadienne avait rompu la colonne anglaise, comme la brigade irlan- daise avait puissamment aidé à enfoncer la colonne anglaise à Fontenoy. Je ne puis m'em- pêcher de citer un passage des Mémoires si précis, si véridiques du marquis d'Argenson au sujet de cette bataille : ne serait-ce que pour montrer en quelle estime les Français avaient le bouillant courage des enfants de la verte Erin.

" Le roi demanda le corps de réserve et le brave Lordendall, mais on n'en eut pas besoin. Un faux corps de réserve donna. C'était la même cavalerie qui avait d'abord donné inuti- lement, la maison du roi, les carabiniers, et ce qui restait tranquille des gardes françaises, des Irlandais, excellents surtout quand ils marchent contre les Anglais et les Hanovriens. C'est M. de Richelieu qui a donné le conseil et qui l'a exécuté, de marcher à l'ennemi comme des chasseurs ou comme des gourrageurs,pêle-mêle, la main baissée, le bras raccourci : maîtres, valets, officiers, cavaliers, infanterie, tout

ensemble ce fut l'affaire de dix

minutes que de gagner la bataille avec cette botte secrète."

" Mais je reviens à propos de la petite scène dont ma tante fut l'héroïne. Je suis pour

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ma part de la vieille école, et je m'empresse tou- jours de livrer passage aux dames sur les para- pets, sauf souvent à marcher dans la boue : celui qui avait autrefois cette attention, un jeune homme même, en était récompensé par une petite inclination de tête, mais dans le siècle de progrès nous vivons j'en suis quitte, à l'âge de 79 ans, pour mes frais de courtoisie. Mes amis me reprochent souvent cet excès de politesse envers des bégueules ; et moi de répondre : Celui qui a été bien élevé passe difficilement de la politesse au manque d'égards sur ses vieux jours." Ceci me rappelle la réponse que fit jadis un de mes amis canadiens assez mauvais sujet à un jeune anglais surpris de lui voir faire sa prière du soir : / cannot, my friendj break m y self of it (Je ne puis m'en corriger).

t4 Lorsque la frégate française la Capri- cieuse visita les parages du Canada, il y a neuf ans (en 1855), le commandant de Belvère ne manqua pas de rendre visite à mademoiselle de Lanaudière ; la conversation roula principa- lement sur la France : sujet très intéressant pour la vieille canadienne, mais elle finit par lui dire : " nos cœurs sont à la France mais nos bras à l'Angleterre." Voyez, messieurs les Anglais, cette vieille noblesse qui avait pris au sérieux le serment de fidélité que son père et ses frères avaient prêté aux souverains de la Grande-Bretagne.

" Un officier de la même frégate, ayant nom Gaultier, sut, je ne sais comment, qu'une de nos tantes avait épousé avant la conquête

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un médecin du Roi, nommé Gaultier ; j'ai vu quelque part que c'est lui qui a découvert le thé canadien auquel il a donné le nom de Gaultha- ria, le même thé, je suppose, que l'on cherche à utiliser aujourd'hui. Le dit officier réclama donc parenté avec la vieille dame qui s'y prêta de bon cœur ; il l'appelait en riant ma tante et elle l'appelait en badinant son neveu. Mais ma chère tante était accoutumée à donner de vertes semonces à ses neveux, témoin l'auteur de ces Mémoires, lequel âgé même de soixante ans, la craignait encore. Pour en revenir à mon cousin de la Capricieuse, puisque cousin il y a, croyant sans doute flatter la vieille tante, il lâcha en sa présence quelques paroles hostiles contre l'Angleterre.

ik Vous n'êtes pas, monsieur mon neveu, rit-elle, un bon et fidèle sujet de votre empereur, que je n'aime pourtant guère, puisque vous montrez des intentions hostiles à ses alliés, et surtout dans un moment vous êtes reçu par eux d'une manière si cordiale.

" Ma chère tante malgré son caractère despotique n'en avait pas moins un excellent cœur, et je n'ai point souvenance qu'elle se soit brouillée avec une seule de ses amies, bien au contraire. J'ai bien connu deux demoiselles anglaises, ses compagnes d'enfance, qui après la mort de leur père, tombèrent de l'opulence dans un état voisin de l'indigence ; elles furent abandonnées de presque toutes leurs amies,mais elles n'en furent pas moins les amies de cœur de ma tante ; elle les emmenait passer souvent avec elle une partie de l'été, chez ma mère à la

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campagne, et lorsqu'elle tint ensuite elle-même maison avec ses frères à Québec, les premières invitations étaient toujours pour ces pauvres demoiselles. Je ne crains pas d'ajouter que toute ma famille avait les mêmes sentiments.,, (1)

Dans un autre endroit de ces mêmes Mémoires, M. de Gaspé, parle avec humour des talents de mystificateur de sa tante Marguerite. Il raconte à ce sujet une aventure qui vaut la peine d'être reproduite :

" La scène que je vais raconter eut lieu quelques années avant ma sortie du pensionnat du séminaire de Québec.

" La société anglaise, peu nombreuse à cette époque, prisait beaucoup celle des Cana- diens-Français infiniment plus gaie que la leur. En effet les Canadiens n'avaient encore rien perdu de cette franche et un peu turbulente gaieté de leurs ancêtres. Une des mes tantes maternelles, Marguerite de Lanaudière, âgée alors d'une vingtaine d'années, et aussi belle qu'elle était gaie et spirituelle faisait fureur surtout parmi les Anglais. Je ne sais comment avec des traits si beaux, si réguliers, elle réus- sissait à leur donner l'expression de la vieil- lesse, de l'idiotisme et de tous ceux qu'elle vou- lait personnifier. Sa voix naturellement douce devenait méconnaissable. C'était surtout pen- dant ses fréquentes visites à la campagne qu'elle jouait ses petites comédies.

(1) Mémoires, pp. 514 et seq.

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f* Il est inutile d'observer qu'elle ne mysti- fiait, en se déguisant, que les personnes dont elle était bien connue.

" Quelques amis arrivent chez mon père et s'informent de Mademoiselle Marguerite qu'on leur dit être absente ; et elle fait son entrée au salon un quart d'heures après, sous le costume d'une femme d'habitant qui vient consulter le seigneur sur un procès qu'elle veut entreprendre, ou dont elle était menacée ; sur les querelles qu'elle a avec son mari, ou avec son donateur pour la rente en nature qu'elle est obligée de lui payer annuellement. Et jamais véritable Josephte (1) n'est mieux personnifiée.

" Tantôt c'est une parente à demi-idiote que sa famille a renvoyée chez ses amis. Elle excellait dans ce rôle : son visage n'offrait plus, alors, que l'expression de l'idiotisme le plus pitoyable. Il fallait ensuite l'entendre faire les remarques et les questions les plus saugrenues.

" Mais je reviens à la scène que j'ai pro- mise.

" Ses amis de Québec avaient souvent entendu parler de ces farces ; et la défiaient depuis longtemps de les tromper n'importe sous quel déguisement elle se présentât : lorsque sa belle-sœur Madame Charles de Lanaudière lui proposa de lui donner l'occasion d'en faire l'essai à une soirée qu'elle donnerait chez elle et à laquelle celles qui lui avaient jeté le gant seraient conviées.

(l)-Josephte, sobriquet que les citadins donnent aux femmes de la campagne.

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" Les invitations sont faites en consé- quence et mon oncle de Lanaudière s'étant chargé à dessein de faire personnellement celle de Monsieur Seweli, alors procureur du Roi, finit par lui dire :

4k Qu'il tenait fort à ce qu'il ne lui fit pas défaut : qu'une vieille seigneuresse, son amie

Madame X était arrivée la veille pour

consulter un avocat sur un procès qui pouvait compromettre la fortune de ses enfants et qu'il lui avait conseillé de s'adresser à Monsieur Seweli lui-même, l'avocat le plus éminent de la cité de Québec, que la vieille dame l'avait remercié ; mais qu'il lui avait proposé de faire chez lui la connaissance de son avocat, afin de fixer un jour pour lui communiquer ses nom- breux titres et papiers, et le mettre au fait de cette affaire importante. Comme j'étais charmé, ajouta Monsieur de Lanaudière, de lui faire une politesse, j'ai fait une pierre à deux coups en invitant aussi quelques-uns de nos amis. La vieille dame est très-riche et vous paiera généreusement.

" Je me ferai un vrai plaisir, dit Mon- sieur Seweli, tout en rendant service à cette vieille dame, d'obliger en même temps un ami ; ainsi comptez sur moi. Quant aux hono- raires vous connaissez mon désintéressement et que ce n'est pas l'amour du gain qui me fait agir. Et, par rare exception, c'était vrai !

" Je dois observer ici, que son épouse, Madame Seweli, était celle qui avait porté le plus fort défi à son ami d'enfance Marguerite de Lanaudière.

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" Il est six heures du soir ; toute la société est réunie. Les dames . Smith, Sewelî, Finlay, Fargues, Mountain, Taylor, de Salaberry, Du- chesnay, Dupré, etc., sont à leur poste.

" est Marguerite ? dirent plusieurs dames à la fois.

" Croirez-vous, dit la maîtresse de la mai- son, qu'elle s'est avisée d'avoir ce soir une migraine affreuse, et qu'elle m'écrit qu'il lui est impossible de sortir.

" Les plus indulgentes compatirent aux souffrances de leur amie, tandis que d'autres se répandirent en invectives contre cette maussade de Marguerite qui s'avisait d'avoir cette malen- contreuse migraine qu'elle aurait bien remettre au lendemain.

" Monsieur de Lanaudière dit ensuite à un domestique assez haut pour être entendu de tout le monde :

" Venez me prévenir aussitôt que la sei-

gneuresse X sera arrivée afin que

j'aille la recevoir lorsqu'elle descendra de voiture.

" Après quelques minutes d'attente, Mon- sieur de Lanaudière faisait son entrée au salon, sa sœur appuyée au bras ; ce n'était plus la jeune et belle fille qui faisait l'admiration de tout Québec, c'était une vieille dame marchant courbée et dont le visage était méconnaissable, ses beaux sourcils d'un noir d'ébène étaient si démesurément allongés, qu'ils se rejoignaient au bas du front, son visage couvert de rouge, comme c'était la mode du temps de Louis XV, était parsemé de mouches de taffetas noir,

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tandis qu'une emplâtre de ces mouches noires très en vogue alors, lui couvrait la majeure partie du nez. Quant au costume, c'était celui de la cour de Louis XV, avec un tel accompa- gnement de bijoux, bagues, bracelets, diamants, boucles d'oreilles pendant jusqu'aux épaules, que la vieille dame brillait comme un soleil ; tous les écrins de la famille avaient été mis à sec. Après les introductions d'usage, auxquelles elle répondait par des révérences à émousser le tapis, elle prit la parole :

" J'arrive bientôt à l'âge auquel tout désir de plaire doit cesser ce qui ne m'empêche pas d'éprouver une grande confusion de me présen- ter dans le piteux état que vous voyez par suite d'un fâcheux accident dont je dois accuser la rigueur de la saison, mon pauvre nez couvert de mouches vous explique ma triste aventure, Monsieur de Lanaudière peut rendre témoi- gnage que ce même nez qui se cache si honteu- sement ce soir a fait tourner, autrefois, la tête à bien des galants ; et j'ajouterais, si je ne crai- gnais de rendre la maîtresse de céans jalouse, que le seigneur de la Pérade (1) lui-même ne s'en est pas retiré sans de graves blessures ; car vous étiez à cette époque, mon cher de La- naudière, un grand mangeur de cœur.

" La vieille dame après avoir poussé deux à trois soupirs, et lancé autant de tendres œil- lades à son ancien ami, tira de sa poche une immense et magnifique boîte d'or, dans laquelle son trisaïeul devait avoir fréquemment prisé

(1) Charles de Lanaudière, sieur de la Pérade.

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du tabac d'Espagne : se leva majestueusement et faisant le tour de la chambre s'arrêta en faisant une belle révérence devant chaque per- sonne de la société en disant : en usez-vous ? " La révérence était strictement rendue par tous les assistants qui ne voulaient pas être en reste de courtoisie envers cette vénérable douairière. Et elle faisait la même corvée toutes les dix minutes la tabatière d'une main et un mouchoir de l'autre,en disant: "en usez-vous? avec forces révérences que chacun s'empressait de lui rendre. Tous les convives, obligés de se tenir à quatre pour s'empêcher de rire étaient au supplice, tandis que mon oncle de Lanaudière riait fran- chement tout en se réfugiant dans une chambre voisine dans laquelle le suivaient plusieurs de ses amis indignés de sa conduite discourtoise.

" Nous sommes surpris, de Lanaudière, disaient Messieurs Sewell, de Salaberry et le major Doyle, (1) qu'un gentilhomme aussi bien élevé que vous l'êtes, puissiez sous votre toit, manquer aux égards que l'on doit à la vieillesse et à une dame aussi respectable.

" Que voulez-vous ! mes chers amis, disait mon oncle : c'est plus fort que moi, la bonne femme est si ridicule qu'il m'est impos- sible de m'empêcher de rire.

" Une conversation très animée s'engagea bien vite entre les jeunes dames et la douairière ; chacune d'elle la complimentait sur sa toilette, de l'air îe plus sérieux du monde ; et la vieille

(1) Le major Doyle avait épousé une demoiselle Smith, sœur de Madame Sewell. Il est mort général, dans la Péninsule, je crois.

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de faire rénumération de toutes les conquêtes que sa robe de velours cramoisi lui avait jadis values. Madame Smith, veuve du juge en chef de ce nom et mère de Madame Sewell, Madame Smith déjà sur l'âge admirait franchement une toilette qu'elle comparait à un habillement sem- blable qu'elle avait vu à sa grand'mère ; et regrettait beaucoup de ne pouvoir parler la langue française afin de converser avec la res- pectable seigneuresse.

" Ce ne fut qu'après avoir conversé pen- dant longtemps, ou avoir fait souffrir de ses ridicules, de ses excentricités, suivant leur caractère, ceux qui l'entouraient qu'elle leur dit :

kk Vous avez eu l'obligeance de me transporter aux beaux jours de ma jeunesse qui commencent, hélas ! à fuir avec rapidité, et c'est avec beaucoup de regret que je me vois forcé de m'occuper pendant quelques minutes d'une affaire sérieuse pour l'avenir de ma famille ; Monsieur l'avocat du Roi a eu la bonté de s'intéresser au sort d'une pauvre vieille dame menacée d'un procès ruineux qui peut la conduire au tombeau ; et avec votre permission je vais profiter de son obligeance et lui donner un petit aperçu de cette déplorable affaire qui m'a fait vieillir de cinquante ans dans l'espace d'un mois ; oui, mesdames, il y a à peine quinze jours, j'avais encore les roses de la jeunesse sur ce visage flétri, j'aurais pu même passer pour la sœur cadette de cette belle dame, ( 1 ) épouse

Cl) Madame Sewell, était une femme de grande beauté.

1,44

du célèbre avocat général, toujours prêt à secourir l'infortune.

" M. Sewelï se prêta avec complaisance au désir de la douairière qui l'entretint pendant vingt minutes, au moins, à haute voix et avec volubilité du plus beau procès de chicane que jamais Normand chicanier et à tête croche ait inventé. La comtesse de Pimbesche des Plai- deurs de Racine n'était qu'une sotte comparée à ma chère tante. Rien ne l'embarrassait ; les noms des notaires qui avaient passé les actes, leurs dates précises, les citations tirées des dits actes : tout coulait avec une abondance à éton- ner le savant avocat qui l'écoutait.

" On annonce le souper. C'était alors la mode, et même vingt ans plus tard, de chanter au dessert, les messieurs et les dames alterna- tivement ; et Madame de Lanaudière pria la vieille seigneuresse de vouloir bien les favoriser d'une chanson.

" J'avais encore, il y a trois jours, dit la douairière, une voix aussi douce qu'à l'âge de vingt ans, mais le malencontreux froid qui a gelé mon pauvre nez, a eu aussi l'effet, hélas ! de m'affecter les poumons, mais je ferai l'impos- sible pour contribuer à l'agrément de cette charmante fête ; et elle entonna, d'une voix virile, rude et cassée, comme celle d'un vieillard, la chanson à boire suivante, et cela en accen- tuant fortement le premier mot : " Ba a a chu u, (Bacchus) assis sur un tonneau " M'a défendu de boire de l'eau."

" Ce fut, alors, une explosion générale de ceux qui avaient jusque conservé à peu près

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leur sérieux, tandis que les plus graves enfon- çaient les mouchoirs dans leurs bouches pour s'empêcher d'éclater de rire.

" Tire le rideau ; et va te débarbouiller, Marguerite, s'écria mon oncle de Lanaudière : la farce est finie.

" Les jeunes dames se mirent alors à crier toutes à la fois :

" Ah ! Marguerite ! Diablesse de Mar- guerite ! Que tu nous as fait souffrir.

" Et puis s'armant de mouchoirs, d'éven- tails, que sais-je, elles poursuivirent de chambre en chambre la fugitive, laquelle une fois dé- masquée, s'était enfuie de la table, et la rame- nèrent de vive force à la place qu'elle venait de laisser, au milieu d'un brouhaha à ne pas entendre Dieu tonner.

" Mademoiselle Marguerite, fit Mon- sieur Sewell, quand le calme fut un peu rétabli, ce n'est pas moi mais vous que notre Souverain aurait du nommer procureur du Roi, car jamais procès de chicane plus ingénieux, plus embrouillé, n'a été exposé d'une manière plus lucide, même par nos plus vieux procureurs de la cité de Londres.

" Vous oubliez, Monsieur l'avocat gé- néral, répliqua-t-elle, que mes ancêtres étaient normands et que je dois tenir un peu de la famille."

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4k Je n'ai pas assisté à cette scène, j'étais alors trop jeune, mais elle m'a été racontée si souvent par ma famille que j'en ai saisi les parties les plus saillantes. Le juge en chef Sewell lui-même me disait en riant de cette mystification, vingt ans après, que ma tante aurait fait le désespoir des juges, si, née homme, elle eût embrassé la carrière du bar- reau." (1)

(1) Mémoires.

1ère génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanaudière 2ème génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade 3ème génération : Charles-François-Xavier Tarieu de Lanaudière

4ème génération : Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière

Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière

à Québec le 9 septembre 1769.

Sa mère, restée veuve en 1776, l'envoya compléter ses études en Angleterre. Pendant ses vacances, le jeune de Lanaudière passa sur le continent afin de rencontrer son frère aîné qui se trouvait en France.

" II y avait nombreuse compagnie le soir, lorsque M. de Lanaudière et son jeune frère firent leur entrée au salon de leur oncle, le baron de Germain. Le frère aîné dit à Charles- Gaspard : Charles,maintenant cherches ta tante. L'enfant promena ses regards sur le cercle des dames assises à l'entour de la chambre, et se dirigeant sans hésiter vers madame la baronne de Germain, il lui dit : Vous êtes ma tante. Il l'avait reconnue à la ressemblance qu'elle avait avec sa mère.

" On entoura le petit anglais, comme les dames françaises le proclamèrent à cause de son costume qu'elles admirèrent beaucoup, et qui contrastait avec celui des enfants français. En effet, les derniers étaient vêtus comme des petits marquis : habit traînant sur les talons, culottes avec boucles au-dessous du genou, bas de soie, souliers avec larges boucles d'or ou d'argent, queue énorme entourée de ruban, et cheveux poudrés.

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" Le costume du petit anglais,au contraire, était semblable à celui des matelots de la marine royale britannique : gilet, veste et pan- talon bleus, bas de coton blanc, escarpins noués sur le coup du pied, avec un ruban noir, chemise ouverte au col à la Byron, et cheveux ras sans poudre. C'était probablement le pre- mier enfant vêtu à l'anglaise que ces dames voyaient car elles s'écrièrent :

li Voilà comme nos enfants français devraient être vêtus ! Voyez comme il est à l'aise dans ses habits et libre de tous ses mouve- ments, tandis que nos enfants semblent empesés comme les coiffes des bourgeoises du faubourg Saint-Denis !" (1)

Le 31 mai 1794, une nouvelle ordonnance de milice était adoptée pour la province de Qué- bec. Dans ses grandes lignes, la nouvelle loi de milice avait été copiée sur l'organisation de milice qui avait existé sous le régime français.

M. de Lanaudière, qui s'était toujours intéressé aux choses de la milice, accepta le grade de capitaine aide-major de la division de Lavaltrie.

Nous lisons dans la Gazette de Québec du 10 septembre 1794 :

44 Berthier (en haut), comté de Warwick, le 25 août 1794.

"Le 18e et 19e de ce mois, la milice de cette paroisse et celle de Saint-Cuthbert a été inspectée par l'honorable Paul Roc de Saint- Ours, écuier, colonel de ce district, et messieurs

(I) M. de Gaspé, Mémoires, p. 100.

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Georges Me Beath, écuier, J.-\H. Arvieux, (Harvieux ?), écuier, majors, et Gaspard de Lanaudière, capitaine et aide-major. Ce serait faire une injustice de passer sous silence la satisfaction que les capitaines, officiers et mili- ciens en ont reçu dans ces deux paroisses de la part de l'honorable Paul Roc de Saint-Ours, écuier, leur lieutenant-colonel, de la générosité et peines considérables qu'il a prises à chaque revue des différentes compagnies, d'expliquer pendant l'espace de deux heures et demie l'or- donnance du 31e jour de mai présente année concernant la milice, et leur harangue sur les devoirs des fidèles sujets, en leur faisant com- prendre le bonheur qu'ils jouissent sous l'empire britannique, par ce discours grand et généreux on a vu dans l'instant la joie écrite sur les visages de tous les spectateurs, lesquels se réjouissent hautement, disant qu'un pareil discours ne manquerait de faire un bien consi- dérable et que tous ceux qui s'étaient abusés de fausses machinations se voient dans ce moment justement convaincus, et par une juste recon- naissance, nous soussignés prenons la liberté de lui faire nos très humbles remerciements."

Cette pièce baroque qu'il faut lire deux fois avant de la comprendre était signée par Pierre Pelland, Joseph Roch, Louis Vadenais, capitaines ; Antoine Roch, Antoine Vadenais, Jean Rival, Antoine Guignard, lieutenants ; Pierre Coulombe, Pierre-Sulpice Saint-George fils, Pierre Beaupré, C.-F. Hayfiemard, enseignes.

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La nouvelle ordonnance de la milice n'était pas reçue partout avec le même enthou- siasme délirant. Quelques semaines auparavant, le 29 juin, jour de la Saint-Pierre, une grande assemblée des miliciens de tous les environs avait été convoquée à l'Assomption. Les prin- cipaux officiers de milice du district, MM. de Saint-Ours, de Lavaltrie, Panet, Faribault et de Lanaudière, se trouvaient sur l'estrade élevée pour la circonstance sur la place publique.

" Le doyen de ces messieurs, en grand uniforme militaire, se mit à haranguer la foule sur la grande bonté du souverain et sur le devoir incontestable qui s'imposait à tous de le défendre, lui et sa couronne, contre les ennemis. A peine avait-il prononcé quelques phrases, qu'un murmure sourd, mais non équivoque, s'élève du sein de l'assemblée, et, tout à coup sous la pression de ceux qui étaient chargés secrètement de la chose, l'estrade s'effondre avec tous ceux qui y avaient pris place, aux cris mille fois répétés ; A bas les

seigneurs, à bas les messieurs ! Ce fut

un pêle-mêle général, et durant la confusion qui s'en suivit tous les officiers disparurent. Seul, M. de Lanaudière demeura sur place, et se juchant, au plus tôt, sur une clôture voisine, se permit de reprocher aux gens, en termes énergiques, leur conduite déloyale, et de leur exprimer tout le mépris qu'elle leur inspirait ; le calme se rétablit.

" Cet acte de bravoure de M. de Lanau- dière produisit le meilleur effet sur les émeu-

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tiers, alors l'un des principaux meneurs, s'appro- chant de lui, dit d'un ton insolent :

" Il vous sied bien de nous parler ainsi lorsque vous avez vos pistolets en mains et votre sabre au côté !

" Qu'à cela ne tienne, reprit avec colère M. de Lanaudière, lançant en même temps ses pistolets au loin, après les avoir tirés en l'air et brisant son épée en deux sur son genou, il en laissa tomber les tronçons à ses pieds : A vous maintenant, mes amis ! s'écria-t-il.

" Frappés d'admiration à la vue d'une telle intrépidité, personne ne se présente devant lui, au contraire de vigoureux applau- dissements se firent entendre de toute part.

" Après quelques instants, M. de Lanau- dière reprenant la parole, s'écria :

" Mes bons amis, je m'en vais chez M. le colonel de Saint-Ours, qui m'a invité à dîner, mais, sur les quatre heures cette après-midi, je m'en retournerai chez moi, à Lavaltrie, en passant par le chemin ordinaire, celui de la Savanne ; si quelqu'un ou plusieurs d'entre vous désirent m'y rencontrer et s'assurer si j'ai peur ils seront les bienvenus. Je serai accompagné de mon unique domestique qui vous est bien connu et sans armes tel que vous me voyez maintenant.

" Sur ce, il se retira et s'en alla rejoindre, chez le seigneur, les autres officiers de l'état - major. On se mit bientôt à table, mais sur les quatre heures, rien ne put empêcher M. de La- naudière de prendre la route conduisant à

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Lavaltrie : conseils,suppliques,représentations, etc., rien n'y fit.

" Quelques heures après, il descendit de voiture au manoir de Lavaltrie, sans avoir aperçu un seul individu désireux de le molester. Pendant de longues années, les parents racon- taient à leurs enfants cette admirable conduite de M. de Lanaudière, et le souvenir ne s'en est pas encore complètement effacé dans les vieilles seigneuries de Lavaltrie, de Berthier et de l'Assomption." (1)

M. de Lanaudière qui avait dans les veines, tant du côté de son père que de celui de sa mère, le sang de plusieurs générations de preux guer- riers, était, comme on le voit, d'une bravoure à toute épreuve. Comme le personnage d'Athalie il aurait pu dire :

Je crains Dieu, cher Abner, Et n'ai point d'autre crainte.

Mais il est juste d'avouer qu'il était doué d'une force musculaire extraordinaire. Dans toute la région de Québec, il n'y avait peut-être que l'honorable M. de Salaberry, père du héros de Châteauguay, qui lui était supérieur sur ce point. Et encore la force de ces deux athlètes se balançait-elle pas mal comme on le verra par le fait suivant que nous empruntons encore à M. de Gaspé.

"M. de Salaberry et mon oncle Gaspard de Lanaudière, aussi d'une force remarquable, étaient, un dimanche, avant la messe, au pres-

(1) Autrefois et aujourd'hui à Sainte-Anne de la Pérade,

p. 68.

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bytère du Cap-Santé. Un groupe des habitants de la paroisse entouraient une cloche, dont j'ai oublié le poids ; elle était destinée au clocher de Tégiise renversé par la foudre, et les hommes les plus forts essayèrent en vain de lever de terre la lourde masse, lorsque mon oncle les rejoignant, souleva non seulement la cloche, mais la fit tinter plusieurs coups à la grande surprise des spectateurs dont il avait d'abord essuyé un déluge de quolibets dirigés contre les messieurs qui voulaient faire les hommes. De retour au presbytère, il dit en riant au curé qu'il venait de sonner le tinton de la messe.

" Très bien ! Gaspard, dit M. de Sala- berry, vous tenez de votre père, l'homme le plus fort que j'aie connu.

lk On dine au presbytère ; et le curé annonce ensuite en consultant sa montre, qu'il est l'heure de chanter les vêpres. M. de Sala- berry s'esquive alors sans rien dire et un instant après, on entend sonner la cloche à toute volée. L'hercule rentre en riant et dit :

" Mon cher Lanaudière, vous avez sonné la messe et moi les vêpres. (1)

En 1796, toute l'Europe était en armes. L'Angleterre ayant besoin de toutes ses troupes, afin de parer aux événements, lord Dorchester, dans le but de permettre aux troupes anglaises qui étaient en Canada de passer sur le continent européen, leva dans le pays un régiment qui fut appelé le Royal Canadien Vohtnteers ou Royal

(1) Mémoires, p. 475.

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Canadien. Ce régiment fut formé de deux bataillons dont le premier, composé entièrement de Canadiens-Français, avait pour commandant le colonel Le Moyne de Longueuil. Le major était M. de Salaberry, père du héros de Châ- teauguay. (1)

M. de Lanaudière reçut une commission de lieutenant dans ce régiment. Les autres officiers étaient MM. de la Bruère Piedmont, Louvigny de Montigny, Dambourgès, Sabre- vois de Bleury, Vassal de Montviel, d'Estimau- ville, Chaussegros de Léry, Hertel, Bouchette, Boucher de Montizambert, de la Morandière, Taschereau, Ermatinger, de Boucherville, de Beau jeu, Pétrimoux, etc., etc. Le Royal Cana- dien fut débandé en 1802, après la paix d'Amiens.

Aux élections pour la Chambre d'Assem- blée de la province du Bas-Canada qui eurent lieu en juillet 1796, M. de Lanaudière fut élu député du comté de Warwick. Cette division électorale comprenait alors le comté actuel de Berthier.

Dans la Gazette de Québec , du 14 juillet 1796, nous trouvons la lettre suivante que M. de Lanaudière adressait à :

" Messieurs les libres électeurs de Warwick,

" Messieurs,

" Je saisis la première occasion de vous faire publiquement mes remerciements

(1) Sur ce régiment on peut consulter M. Benjamin Suite, Histoire de la milice canadienne-française, p. 17.

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pour la confiance que vous avez bien voulu mettre en moi, en me nommant un de vos représentants. Vous m'avez aussi rendu justice, Messieurs, lorsque vous vous êtes persuadés que je n'aurais jamais signé l'écrit qui fut présenté aux candidats, avant l'élection, par le capitaine Rocq, bien convaincus que je ne ferai jamais rien de contraire aux vrais intérêts de notre heureuse constitution, qui sont si étroite- ment liés avec les vôtres.

J'ai l'honneur d'être avec respect, Messieurs, Votre très humble et très

obéissant serviteur, Chs. Gasp. de Lanaudière.

Québec, 13 juillet 1796."

M. de Lanaudière débuta dans la carrière parlementaire par un faux pas. Deux candi- dats avaient été proposés à la présidence de la Chambre, l'honorable M. Jean-Antoine Panet, qui avait si dignement rempli cette charge pen- dant le premier parlement, et M. John Young. Celui-ci eut l'appui de tous les députés de langue anglaise et de quatre Canadiens-Fran- çais, MM. de Lanaudière, de Bonne, Montour et Foucher. M. Panet fut tout de même élu. A cent-vingt-deux ans de distance, il est difficile de saisir les motifs qui firent agir M. de La- naudière en votant de préférence pour M. Young qui comprenait à peine le français et ne le parlait pas du tout et était d'ailleurs une

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créature du gouvernement si adverse aux inté- rêts canadiens-français.

Aux élections générales de 1804, M. de Lanaudière fut de nouveau élu membre de la Chambre d'Assemblée mais cette fois pour le comté de Leinster. C'est le comté de l'Assomp- tion de nos jours.

M. de Lanaudière fit partie de la Chambre d'Assemblée jusqu'en 1808.

Il ne semble pas que M. de Lanaudière ait pris une grande part aux délibérations de la Chambre d'Assemblée. Du moins, les rapports de la Chambre, assez incomplets, il est vrai, mentionnent à peine son nom.

M. de Lanaudière fit à peu près vers cette époque un second voyage en Europe. De ce voyage de son oncle, M. de Gaspé dit dans ses Mémoires :

" Grande fut sa surprise, pendant un second voyage qu'il fit, quelques années après, dans les provinces de France, à l'aspect des bergers et des bergères, si différents de ceux qu'il avait vus sur les théâtres de Paris : Impossible de se figurer, disait-il, des êtres plus dégoûtants !

Et quant aux bergères, ajoutait-il, en jurant un peu en famille, s'il n'y avait qu'elles et moi dans le monde, le monde finirait bien vite !"

u Une petite scène caractéristique des mœurs anglaises, et je clos la notice sur mon cher oncle Gaspard. Il était, un soir, au théâtre de Convent Garden, je crois. La reine Char- lotte, femme de George IV, entre dans sa loge

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et fait une révérence que le souverain peuple ne trouva pas apparemment assez profonde,car on cria du parterre et surtout des galeries : " lowcr, Charlotte r (plus bas, Charlotte). La reine s'exécuta alors d'assez mauvaise grâce, en faisant, à i'aide de sa jambe boiteuse, un plongeon jusqu'à terre. Et le galant peuple anglais, en retour de cette courtoisie royale, d'éclater en un tonnerre d'applaudissements à faire écrouler le vaste édifice !" (1)

M. de Lanaudière décéda au manoir de Lavait rie le 7 juin 1,812, et fut inhumé dans l'église paroissiale, sous le banc seigneurial.

Nous lisons dans la Gazette de Québec du 18 juin 1812 :

" Dimanche, le 7 juin 1812, à Lavaltrie, dans la 42e année de son âge, décède Charles- Gaspard de Lanaudière, colonel de la division de Lavaltrie, après une longue et pénible maladie qu'il souffrit avec la patience et la rési- gnation d'un homme vraiment attaché à sa Religion ; il est enlevé à un âge peu avancé, à une épouse chérie et à une jeune famille, qui ressentiront longtemps la perte irréparable qu'elles viennent de faire par sa fin prématurée. Il se distingua en toute occasion par son zèle pour le service de son Roi et de son pays ; ses qualités et ses vertus sociales l'avaient rendu cher à tous ses amis, à ses vassaux et à tous ceux qui avaient l'avantage de le connaître. Son corps fut inhumé mardi, le 9 du courant, dans l'église de Lavaltrie avec les honneurs dûs à

(1) Mémoires, p. 101.

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son rang. Un cortège nombreux de personnes les plus respectables des environs se trouva présent, et témoigna les regrets sincères dus au vrai mérite."

Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière avait épousé à Lavaltrie, le 22 octobre 1792, Suzanne-Antoinette Margane de Lavaltrie, fille de Pierre-Paul Margane de Lavaltrie, seigneur de Lavaltrie, et de Marie-Angélique de LaCorne de Chapt.

Madame de Lanaudière décéda à Laval- trie le 7 juin 1222, et fut inhumée dans l'église paroissiale, sous la chapelle de la Sainte Vierge.

Par la mort de madame de Lanaudière disparaissait le dernier membre de la famille de Lavaltrie qui avait joué un si beau rôle dans notre pays pendant un siècle et demi. (1)

Du mariage de Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière et de Suzanne-Antoinette Margane de Lavaltrie étaient nés trois enfants :

I Pierre-Paul Tarieu de Lanaudière

à Lavaltrie le 30 juin 1794. Le continuateur de la lignée.

(1) Sur les ancêtres de madame de Lanaudière voir notre Famille Margane de Lavaltrie.

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II Marie-Charlotte Tarieu de Lanaudière

Née à Lavait rie le 31 août 1795.

Mariée à Lavaltrie, le 27 septembre 1813, à Barthélémy Joliette, notaire, fils de feu An- toine Joliette,notaire,et de Catherine Faribault.

C'est le fondateur de l'importante ville de Joliette.

M. Joliette décéda dans la ville qui lui de- vait l'existence le 21 juin 1850, à l'âge de 62 ans.

M. l'abbé Joseph Bonin écrivait en 1874, en terminant sa belle Biographie de l'honorable Barthélemi Joliette :

" La reconnaissance des citoyens de Joliette a élevé depuis longtemps un monument impérissable à la mémoire du bienfaiteur de cette localité : ce monument, c'est son nom vénéré, son souvenir si cher, gravé en carac- tères ineffaçables dans le cœur de cette popu- lation si distinguée par son bon esprit, sa cordiale entente, et son zèle bien connu pour toutes les entreprises charitables et généreuses. Cependant, ce n'est peut-être pas encore tout ce que les enfants de l'honorable M. Joliette pourraient faire pour honorer sa mémoire. Ne serait-il pas à désirer que le sentiment de reconnaissance qui les honore, se manifestât pour l'exemple et l'instruction de la jeune géné- ration, si elle devenait oublieuse de son devoir.

" Dans tous les temps, la gratitude des peuples a élevé des statues, des monuments,

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pour transmettre à la postérité, le souvenir des hommes exceptionnels qui ont brillé au milieu de leurs concitoyens.

ik Naguère encore, on parlait avec raison, d'ériger des monuments de ce genre, en l'hon- neur de trois des plus illustres défenseurs de notre nationalité canadienne : les honorables MM. Lafontaine, Morin et Cartier. Eh quoi ! l'honorable M. Joliette, après vingt-cinq ans de sacrifices pour la fondation d'une ville aujourd'hui florissante, n'aurait pas mérité cet honneur ? N'est-il pas une de nos gloires natio- nales les plus pures ? Son intrépidité, son indomptable énergie, son dévouement à toute épreuve, son intelligence d'élite, ne l'élèvent- iîs pas au rang de nos illustrations canadiennes?

" Sans lui, que serait la cité qui porte son nom ? Peut-être, encore une forêt, ou, tout au plus un champ à demi-déf riche, dont le sol avare produirait à peine de quoi nourrir ses habitants ?

" Non, la gratitude des citoyens de cette ville ne sera pas stérile, mais elle apparaîtra tôt ou tard, dans l'érection d'un monument digne de son nom, digne de sa générosité." (1)

Le vœu patriotique de M. l'abbé Brien s'est réalisé ! Le 30 septembre 1902, on dévoi- lait à Joliette, en présence d'une foule consi- dérable, une superbe statue de l'honorable Bar- thélemi Joliette élevée par la reconnaissance unanime des habitants de cette ville.

(1) Biographies de l'honorable Barthélemi Joliette et de M. le grand vicaire A. Manseau, p. 163.

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Madame Joliette décéda plus de vingt ans après son illustre époux, à Joliette, le 28 janvier 1871, à l'âge de 76 ans.

Le souvenir de la bonté et de la charité de l'honorable M. Joliette s'est conservé vivace dans toute la région de Joliette quoiqu'il soit disparu depuis bientôt trois quarts de siècle.

Disons à l'honneur et à la juste louange de sa noble épouse qu'elle ne lui en cédait guère sous le rapport de la douceur, de la bonté et de la charité. Citons encore ici M. l'abbé Brien qui eut l'honneur de connaître ces époux si dignes l'un de l'autre.

" Digne héritière de la noblesse d'origine et de sentiment, de la charité proverbiale de la famille de Lanaudière,dit-il de madame Joliette, jamais on ne vit son cœur et sa bourse fermés devant l'infortune ou la misère.

" Type de la femme forte et accomplie, on la voyait dès l'aurore, occupée aux soins de sa maison qu'elle dirigeait à la tête de ses servantes. Un pauvre frappait-il à la porte du manoir ? Elle-même allait s'informer du motif de sa visite et des détails de son indigence. Elle s'affligeait avec lui, au récit de son malheur ou de ses privations. ne s'arrêtait pas sa sym- pathie et sa charité ; car, après l'avoir fait manger en le servant elle-même, elle ne man- quait pas de le gratifier encore d'une abondante aumône.

" Un jour, c'était en l'absence de son époux, la seigneuresse assiégée par un cer- tain nombre de mendiants, n'avait su résister à l'entraînement de son bon cœur : d'une aumône

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à l'autre élit avait donné jusqu'à quinze minots de blé ! A la fin de la journée, réfléchissant qu'elle avait peut-être plus consulté sa géné- rosité que sa discrétion, elle craignait de recevoir des reproches à cause d'une pareille prodigalité. Son inquiétude était assez vive. Pour prévenir la réprimande, elle avait chargé un ami d'avertir son époux de ce qui était arrivé.

" En apprenant cette conduite, celui-ci vint la trouver et la félicitant sur sa bonne action ; fais à l'avenir, lui dit-il, selon que te le con- seillera ton cœur généreux, tout ceci t'appar- tient, ajouta-t-il, en lui désignant du geste, le manoir et les environs." Digne et noble réponse, qui entoure de la même gloire, et la charité de l'épouse et la grandeur d'âme de l'époux.

lk Dans une autre circonstance, madame Joliette, dont l'œil vigilant surveillait tout, s'était transportée auprès du vaste four d'où l'on retirait en ce moment le pain qui devait nourrir sa nombreuse famille de serviteurs. Sur ses pas, comme d'habitude, les pauvres étaient accourus demandant l'aumône. Emue jusqu'aux larmes à la vue des haillons qui les couvraient, de la misère peinte sur leur figure la noble dame leur distribua toute la fournée de pain. Les mendiants s'en retournèrent en bénissant son nom et celui de son époux, tandis qu'en souriant, elle donnait des ordres pour une nouvelle fournée." (1)

(.1) Biographies de l'honorable Barthélemi Joliette et de M. le grand vicaire A. Manseau, p. 86.

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Encore un trait sur cette admirable chré- tienne.

Un jour, elle reçoit une magnifique étoffe de soie fabriquée à Lyon du Père Querbes, fon- dateur de la communauté des Clercs de Saint- Viateur, en reconnaissance des services rendus à sa communauté naissante. Madame Joliette accepte ce don avec joie. Elle avait son idée. Aussitôt elle en fait confectionner une chape blanche qu'elle envoie gracieusement à l'église de sa paroisse. (1)

Du mariage de l'honorable Barthélemi Joliette et de Marie-Charlotte de Lanaudière était un fils, qui mourut à l'âge de cinq ans.

III

Marie- Antoinette-Suzanne Tarieu de Lanaudière

Née à Lavaltrie le 5 mars 1805.

Mariée à Lavaltrie, le 5 mars 1821, à Peter-Charles Loedel, chirurgien.

Madame Loedel décéda à Joliette le 15 août 1879.

Nous lisons dans le Foyer Domestique du 1er septembre 1879 :

" La tombe vient de se fermer sur une existence bien chère à tous ceux qui l'ont con- nue et à tous les habitants de la ville de Joliette Marie-Antoinette-Suzanne Tarieu de Lanau- dière, veuve de Peter-Charles Loedel, Ecr.

(1) L'abbé A.-C. Dugas, Gerbes de souvenirs, tome 1er p. 311.

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ik Madame Loedel était née à Lavaltrie le 5 mars 1805 et était par conséquent âgée de 74 ans, S mois et 10 jours, quand la mort Ta frappée, vendredi, le 15 août dernier, à la résidence de son gendre, B.-H. Leprohon, Ecuier, shérif de Joliette. Elle s'était mariée en 1821 au docteur P.-C. Loedel, qui l'a précédée dans la tombe de quatre mois seulement.

''Avec madame Loedel disparait la der- nière survivante des personnes qui, en 1825, vinrent fonder le village d'Industrie. Elle était la sœur de feu madame Barthéiemi Joliette.

" Femme charitable, toujours prête à tendre la main au malheur et à secourir la misère, son nom restera toujours béni et vénéré parmrceux dont elle a été la bienfaitrice.

"Il y a encore peu de temps, madame Loedel jouissait d'une bonne santé et elle entre- prenait le voyage de Joliette à Saint-Jean, demeurent deux de ses petites filles, et son petit-fils, le docteur James Leprohon. Atteinte bientôt de la maladie qui devait l'emporter, elle s'empressa de revenir à Joliette pour recevoir les derniers soins de sa fille bien-aimée, madame docteur Leprohon, qui la regrettera toujours ainsi que tous ses petits enfants, qu'elle affec- tionnait tout particulièrement."

Du mariage de Peter-Charles Loedel et de Marie-Antoinette-Suzanne Tarieu de La- naudière naquirent deux enfants, dont l'aîné mourut en bas âge et l'autre, Caroline, devint l'épouse du docteur Bernard-Henri Leprohon.

1ère génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanaudière 2ème génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade 3ème génération : Charles-François-Xavier Tarieu de Lanaudière

4ème génération : Charles-Gaspard Tarieu de Lanau- dière

5ème génération : Pierre-Paul Tarieu de Lanaudière

PIERRE-PAUL TARIEU DE LANAUDIERE

à Lavaltrie le 30 juin 1794.

Il fut coseigneur de Lavaltrie.

De santé très délicate, M. de Lanaudière ne s'occupa jamais d'affaires publiques. Il se contenta de faire valoir sa part de seigneurie.

M. de Lanaudière décéda à Lavaltrie le 1er mai 1832, et fut inhumé dans l'église de cette paroisse.

Il avait épousé, à Lavaltrie, le 4 novembre 1814, Véronique Gordon, fille de Charles Gor- don et de Véronique Corbin.

De ce mariage naquirent trois enfants :

I

MARIE-ANGELIQUE-JOSEPHTE TA- RIEU DE LANAUDIERE

Née à Lavaltrie le 11 janvier 1816. Mariée à Lavaltrie, le 14 février 1831, à Antoine-Toussaint Voyer, médecin.

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II

SUZANNE-ANTOINETTE-ALMESIME TARIEU DE LANAUDIERE

Née à Lavaltrie le 15 septembre 1826. Décédée à Montréal le 12 janvier 1844, et inhumée dans l'église de Lavaltrie.

III

CHARLES-BARTHELEMI-GASPARD TARIEU DE LANAUDIERE

Le continuateur de la lignée.

1ère génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanaudière 2ème génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade 3ème génération : Charles-François-Xavier Tarieu de lanaudière

4ème génération : Charles-Gaspard Tarieu de Lanau- dière

5ème génération : Pierre-Paul Tarieu de Lanaudière 6ème génération : Charles-Barthélemi-Gaspard Tarieu de Lanaudière

CHARLES:BARTHELEMI-GASPARD TARIEU DE LANAUDIERE

au manoir de Lavaltrie le 16 novembre 1821.

Il n'avait que onze ans lorsqu'il perdit son père.

Il fit ses études au collège de Nicolet et au collège des Jésuites de Georgetown, près de Washington.

Au sortir du collège, le jeune de Lanau- dière se mit à étudier la loi et s'établit à L'Industrie (Joliette) chez son oncle et tuteur, l'honorable Barthélemi Joliette.

M. de Lanaudière, qui était un fervent chrétien et un patriote dans toute la force du terme, consacra sa fortune à l'œuvre patrio- tique et religieuse de M. Joliette.

Lorsque le village de L'Industrie fut érigé en ville sous le nom de Joliette en 1864, il en fut choisi comme le premier maire. Il abandonna ce poste en 1872, mais, deux ans plus tard, en 1874, on l'élisait de nouveau.

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M. de Lanaudière décéda à Juliette le 25 juillet 1875, à l'âge de cinquante-quatre ans.

" Comme ses ancêtres, dit M. l'abbé A.-C. Dugas, M. de Lanaudière chantait à ravir, sur- tout le Memorare, îe Regina Coeli, Y Aima Re- demptoris Mater, le grand Magnificat de je ne sais qui et qu'on appelait au collège : " le Ma- gnificat de M. de Lanaudière " et aussi une* foule de cantiques qu'il savait rendre avec tant d'âme et de cœur." (1)

Le regretté M. Ernest Gagnon écrivait de M. de Lanaudière :

'k J'ai gardé un souvenir attendri de ce bon, sympathique et excellent chrétien qui nous édifiait par sa voix au timbre plein, mais souple, sonore, mais moelleux, chaud de la chaleur de i'âme."

M. de Lanaudière avait épousé à Saint- Louis de Kamouraska, îe 29 avril 1846, Julie- Arthémise Taché, fille de Paschal Taché, sei- gneur de Kamouraska, et de Julie Larue.

Madame de Lanaudière décéda à Joliette le 23 janvier 1888, et fut inhumée dans l'église paroissiale.

De leur mariage étaient nés onze enfants :

(1) Gerbes de souvenirs, tome premier, p. 286.

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I

CHARLES-BARTHELEMI-PIERRE-

PASCHAL-GASPARD TARIEU

DE LANAUDIERE

à Joliette le 3 mars 1847. Décédé au même endroit le 10 juillet 1847, il fut inhumé dans l'église paroissiale.

II

UTIGHANNE-ARTHEMISE TARIEU DE LANAUDIERE

Née à Joliette le 2 mai 1848. Décédée au même endroit le 9 octobre 1849, elle fut inhumée dans l'église paroissiale.

III

ANTOINETTE-HELENE TARIEU DE LANAUDIERE

Née à Joliette le 10 septembre 1849. Décédée au même endroit, le 29 mai 1853, elle fut inhumée dans l'église paroissiale.

IV

JOSEPH-ANTOINE-ALPHONSE TA- RIEU DE LANAUDIERE

à Joliette le 12 janvier 1851. Décédé à Joliette le 1er décembre 1853, il fut inhumé dans l'église paroissiale.

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!; v

JOSEPH-EDOUARD-GASPARD TA- RIEU DE LANAUDIERE

à Joliette le 6 juillet 1853. Décédé au même endroit le 22 juillet 18S3, il fut inhumé dans l'église paroissiale.

VI

JOSEPHTE-ANTONINE TARIEU DE LANAUDIERE

Née à Joliette le 11 décembre 1855.

Mariée à Joliette, le 10 juillet 1878, à Louis-Arthur McConville, avocat.

à Saint-Paul de Joliette, le 20 décembre 1849, de parents irlandais, M. McConville fut admis au barreau, le 12 janvier 1871.

En 1875, il fut un des rédacteurs du Nou- veau-Monde, de Montréal, qu'il laissa, en 1876, pour aller se fixer à Joliette il fonda L'Industrie, tout en se livrant à la pratique de sa profession.

Après la résignation de l'honorable M. Baby comme ministre de l'Intérieur, et sa nomination à la Cour du Banc de la Reine, M. McConville fut choisi par les électeurs du comté de Joliette pour remplacer M. Baby à la Chambre des Communes. Il fut élu, le 9 dé- cembre 1880, par une majorité de 444 voix.

M. McConville décéda à Joliette le 9 mai 1882, après une maladie de quelques jours seulement, et fut inhumé dans le cimetière paroissial.

171 ,

" Doué de toutes les qualités du cœur et de l'esprit, il avait su conquérir l'estime et le respect de tous ses concitoyens, qui n'atten- dirent pas le nombre des années pour lui accor- der la confiance qu'il méritait à tant de titres." (1)

Madame McConville, deux ans après la mort de son mari, le 2 mai 1884, renonçait au monde en entrait au monastère du Précieux- Sang à Saint-Hyacinthe. Elle y fit profession le 14 septembre 1886, sous le nom de sœur Marie de la Croix.

Elle est maintenant au monastère du Pré- cieux-Sang de Nicolet. La Sœur Marie de la Croix qui est aujourd'hui dans sa trente- huitième année de profession a exercé les prin- cipales charges de sa communauté. (2)

VII

ANNE-CAROLINE-JOSEPHTE TARIEU DE LANAUDIERE

Née à Joliette le 3 décembre 1856.

Décédée à Saint-Antoine de Lavaltrie, le 30 juillet 1857, elle fut inhumée dans l'église de cette paroisse.

(1) La Gazette de Joliette, 12 mai 1882.

(2) Du mariage de Arthur McConville et de Josephte Antonine Tarieu de Lanaudière naquirent deux enfants morts tous deux en bas âge.

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VIII

JOSEPH-JEAN-GASPARD TARIEU DE LANAUDIERE

à Joiiette le 23 décembre 1857.

Décédé au même endroit le 5 février 1858, il fut inhumé dans l'église paroissiale.

IX

JEAN-BAPTISTE-ANTOINE-JOSEPH TARIEU DE LANAUDIERE

à Joiiette le 23 juin 1859. Décédé au même endroit le 8 août 1859, il fut inhumé dans l'église paroissiale.

X

MARIE DES ANGES-ALICE TARIEU DE LANAUDIERE

Née à Joiiette le 2 octobre 1860.

Mariée, à Joiiette le 16 février 1885, à Norman-John-Rieutord Neilson, fils de John Neilson et de Laura-Carolin Moorhead, et petit-fils de l'honorable John Neilson, l'ami et le défenseur des Canadiens-Français.

Du mariage Neilson-de Lanaudière sont nés huit enfants dont quatre sont décédés.

173 XI

JOSEPH-GASPARD-CjHARLES TARIEU DE LANAUDIERE

à Joliette le 10 septembre 1862.

Il a été admis à la pratique du droit le 10 juillet 1883.

M. de Lanaudière est depuis 1912 lieute- nant-colonel dans la milice canadienne. Il com- mande le Régiment de Joliette.

M. de Lanaudière aurait fait mentir son nom s'il ne s'était pas enrôlé l'un des premiers pour aller combattre avec les alliés contre les Allemands dans la Grande Guerre. Parti en qualité de major dans le célèbre 22ème Régi- ment, il occupa en France plusieurs postes importants, et il fut décoré par le président de la République Française.

Nous lisons dans la Presse du 15 janvier 1922 :

'■ L'un des nôtres, le lieutenant-colonel Charles Tarieu de Lanaudière,vient de recevoir un beau témoignage du président de la répu- blique française pour ses services de guerre en France, alors qu'il était commandant de place dans la zone des armées. Le lieutenant-colonel de Lanaudière, qui, en 1914, était l'officier com- mandant du 83ième régiment de Joliette, fut un des premiers à offrir ses services, lorsqu'on organisa le 22ème bataillon il accepta le grade de major. En Angleterre, il commanda pendant quelque temps le 23ème bataillon de réserve et en France, après avoir servi au front

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avec son bataillon, le 22ème, il fut nommé commandant de place, position qu'il occupa jusqu'à la fin de la guerre. En reconnaissance de ses services, la France vient de lui décerner, par décret en date du 16 mars 1919, la médaille de la reconnaissance française. Cette médaille est en bronze avec bas relief et est attachée à un ruban tricolore. La citation suivante accom- pagne la médaille : " Major au 22ème bataillon d'infanterie canadienne, il n'a cessé de se rendre utile à la population civile de son secteur, en lui apportant une aide matérielle considérable, en même temps que le réconfort le plus utile." Ce parchemin, daté de Paris, est signé par le prési- dent de la commission de l'ordre national de la Légion d'honneur, par le secrétaire général de l'ordre et par le ministre des affaires étrangères, M. Stephen Pichon.

"Le lieutenant-colonel- de Lanaudière a reçu du général Armstrong, commandant de la division de Montréal, des félicitations aux- quelles nous joignons les nôtres."

APPENDICE

MADELEINE DE VERCHERES

Dans le salon de Son Excellence Lady Grey, à Rideau Hall, le visiteur peut voir, reposant à une place d'honneur, le bronze très beau l'artiste Philippe Hébert a arrêté les traits immortels de Madeleine de Verchères, cette jeune fille de quatorze ans qui, dans l'automne de 1692, défendit pendant huit jours l'habitation fortifiée de sa famille contre les attaques des Iroquois. Cette composition, parfaite de forme et d'exécu- tion, est une des plus poétiques et des plus dra- matiques à la fois que notre histoire ait inspirée jusqu'ici à l'art statuaire au Canada.

De prime abord, il semble qu'il n'y ait qu'une femme qui puisse comprendre toute la poésie chevaleresque, toute la grâce naïve et la noble ardeur qui passent en souffle ardent à travers l'histoire de Madeleine de Verchères. Ce n'était pas tout de faire une jolie fille ; de glisser sous la rigidité du métal la souplesse d'un corps féminin. Il fallait mettre en saillie la beauté de l'âme, la grandeur du dévouement, donner à la forme encore enfantine des traits, l'expression d'énergie qui devait les animer. Comment couler dans des veines de bronze un alliage d'innocence et de bravoure capable d'émouvoir et de saisir ?

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L'artiste a vaincu, non sans bonheur, la diffi- culté du sujet. On peut dire qu'il l'a rendu avec une remarquable énergie, et que son œuvre est d'une réalité vraiment saisissante. Ce n'est ni une virago, ni une amazone, encore moins m mousquetaire en jupon, c'est une personnalité bien féminine, toute vibrante, frappée d'une marque spéciale, que l'artiste offre au ravisse- ment de nos yeux.

Toute la statue est d'un beau mouvement. Madeleine, debout, dans une attitude pleine de crânerie énergique, ne manque ni de noblesse, ni de grâce chaste et sincère. Le profil se découpe de la façon la plus heureuse. On dirait que la jeune fille s'apprête à s'élancer sur un ennemi invisible. La tête légèrement renversée, et coiffée d'un chapeau de soldat d'où s'échappe la cheve- lure qui retombe négligemment en tresses à la mode du temps sur l'épaule droite, est vraiment héroïque. Qu'est-ce donc qui anime ses traits accentués ? Est-ce le défi, la crainte ou l'exalta- tion ? Si les yeux, aux pupilles dilatées, paraissent chercher au loin quelque secours inespéré, et si les narines sont frémissantes, en revanche c'est bien le défi qui court au bord de ces lèvres entr'ouvertes et légèrement dédaigneuses. Et, sur ce front énergique, ce qu'il faut voir, c'est l'intrépidité et l'assurance qui vont rendre du cœur aux soldats démoralisés et aux femmes craintives blotties dans le fort. Sans doute que l'émotion se trahit sur ce visage. Mais si l'héroïne semble attristée, effrayée même, on sent bien que son courage la soutiendra jusqu'au bout. La façon ferme dont ses mains tiennent le long fusil de chasse en arrêt nous dit assez qu'elle est prête à l'attaque comme à la défense.

Ce que nous ne saurions trop louer encore, c'est le costume si simplement drapé de Made- leine. Il se compose d'un corsage lacé sur la poitrine et d'une jupe bien tombante qui bouffe

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légèrement sur la jambe gauche comme remuée par une brise invisible. Cette robe d'un jet si naturel obéit avec grâce au mouvement de la jeune fille et dessine les formes souples et puis- santes de son corps virginal.

Prise isolément, la statue de Hébert est certes une belle figure, mais rapprochée de l'his- toire, rend-elle pleinement le caractère de Made- leine de Verchères ? L'artiste s'est-il vraiment pénétré des sentiments qui animaient l'héroïne et les a-t-il résumés dans son œuvre ?

Celui qui écrit un livre peut indiquer au bas de la page les sources il s'est inspiré. Il n'en est pas de même du statuaire. Il est pourtant certain que l'œuvre qu'il a ébauchée n'a pas jailli tout d'un coup, telle Minerve sortant toute armée du cerveau de Jupiter. Comment suivre la marche de sa pensée restée invisible ? Relisons les vieilles chroniques il s'est documenté et nous verrons que Hébert a vraiment idéalisé, non seulement l'héroïne auréolée de Verchères, mais l'époque tout entière elle a vécu.

II

Il est inutile de reconstituer ici, pour des lecteurs déjà avertis, la scène qui a rendu la mémoire de Madeleine de Verchères si célèbre. Ce récit, venant après tant d'autres, servirait tout au plus à rectifier quelques dates mal arrêtées, ou a donner quelques détails de pure érudition dont l'intérêt ne serait que d'une importance secondaire. D'ailleurs, nous renvoyons le lecteur à l'admirable version en langue anglaise que Parkman en a donné dans son livre "Count Fron- tenac and New France under Louis XIV" (éd. de 1897, vol. II, p. 75) . C'est cette version même qui a été reproduite dans le " Fourth Reader", et que tous les enfants d'Ontario savent pour l'avoir apprise par cœur sur les bancs de l'école.

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Dans cette étude, nous essaierons simplement de faire comprendre par quels degrés cette jeune fille, encore dans toute la candeur naïve de l'innocence, arriva à déployer tant de vaillance et de courage, et nous dirons ensuite la femme vraie qu'elle fut en la montrant au milieu de sa famille et dans sa vie intime.

François Jarret, sieur de Verchères, de bonne noblesse dauphinoise comme les Saint-Ours et les Contrecœur, auxquels il était allié, vint au Canada en 1665 avec les troupes du régiment de Carignan. Enseigne d'une compagnie il fit la campagne contre les Iroquois, sous le marquis de Tracy, puis après la déroute de l'ennemi s'en alla cantonner sur l'île d'Orléans, près de Qué- bec. C'est qu'il rencontra une robuste fille de paysan qu'il épousa. Son régiment licencié, les officiers reçurent l'offre que César avait faite à ses légions romaines, de se partager le territoire conquis, et il décida de rester au pays et d'y fonder une famille. Le Roi lui fit découper un beau domaine sur la rive droite du fleuve Saint- Laurent, à huit lieues en aval de Montréal. Ver- chères y bâtit une habitation entourée d'une palissade de pieux et flanquée d'une redoute armée de pierriers comme cela se pratiquait alors dans la région, et il y vint s'installer en 1672, avec sa jeune femme et quelques compagnons d'armes, anciens soldats de sa compagnie.

C'est que naquit, le 3 mars 1678, Made- leine, l'héroïne de Verchères, la quatrième d'une famille de douze enfants.

Le marquis de Denonville, gouverneur de la Nouvelle-France, a raconté dans un mémoire resté célèbre (1686) la rude vie que menaient alors ces gentilhommes de France qui avaient pris des terres au Canada. Tous supportaient noblement leur pauvreté. Les enfants ne s'épar- gnaient pas, et les filles elles-mêmes, si délicate- ment élevées qu'elles fussent, coupaient les blés

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et tenaient la charrue. Dès ses plus jeunes années, Madeleine s'occupa donc aux travaux rustiques, et elle a raconté comment, toute petite bergère, elle menait au pâturage les bestiaux de son père. Cette vie au grand air, sur les grèves, ou dans les champs à peine ébauchés, à côté de la forêt sombre lui plaisait. Elle aimait aussi la pêche et la chasse. L'historien la Potherie, qui l'a connue alors qu'elle était toute jeune, rapporte qu'il n'y avait pas de " Canadien ni d'officier qui tirât un coup de fusil plus juste que cette demoiselle."

La terre seigneuriale de Ver chères était alors aux avant-postes, en pleine ligne de feu de la zone dangereuse si souvent dévastée par les Iroquois. Pas un coin du pays n'a plus souffert des incursions de ces barbares que cette cam- pagne charmante, vrai paysage d'idylle, qui s'épanouit doucement depuis Sorel jusqu'à Mont- réal. Pas une heure sans alerte : embuscades au coin d'un bois, surprises au creux d'un ravin, attaques nocturnes. Pendant que les laboureurs s'en allaient aux champs, le fusil en bandoulière, les sentinelles veillaient du haut des bastions du manoir fortifié. Mais, on avait beau faire bonne garde, le sauvage agile, endurant, capable de passer des journées entières sans manger ni boire, attendait caché, derrière un tronc d'arbre, le moment de surprendre sa proie. Combien de colons tombèrent ainsi à côté du sillon qu'ils venaient de creuser ? Combien, traînés au plus profond des bols, périrent dans les plus atroces tortures ?

Jamais on ne saura le nombre ni les noms de tous les malheureux qui furent tués ou menés en captivité pendant ces années terribles des commencements. Rien que dans la famille de Verchères, sur laquelle les Iroquois semblent s'être acharnés de préférence, on compte trois victimes, de 1687 à 1691. Ce fut d'abord un jeune officier plein d'avenir, le sieur de l'Etang, lequel

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avait épousé Marie-Jeanne, la fille aînée du sei- gneur. Il fut tué par les Iroquois, un an après son mariage, laissant une femme à peine âgée de treize ans.Celle-ci,suivant la coutume de l'époque, contracta presque aussitôt mariage avec un autre officier, Antoine Duverger d'Aubusson. Ce der- nier fut massacré à son tour en 169Î. La même année, les barbares tuaient le fils aîné de Ver- chères, à peine âgé de seize ans. Trois morts, deux gendres et un fils bien-aimé, disparus en moins de quatre ans, voilà qui peut compter pour double campagne. Et Frontenac le comprenait bien, lorsqu'en annonçant ces tristes nouvelles au ministre, proposait que le malheureux père fut nommé à un emploi dans les troupes de la colonie, quoiqu'il fut déjà lieutenant réformé de Carignan. C'est au milieu de ces scènes de terreur et de désolation que s'épanouit l'enfance de Madeleine. Quand elle avait travaillé et peiné tout le jour, et qu'elle rentrait harassée au ma- noir, bien souvent c'était pour entendre, le sein palpitant et les yeux en pleurs, le lamentable récit de la disparition subite de quelques-uns de ses parents, ou de ses voisins. Parfois encore, alors que les bûches embrasées jetaient une lueur sombre autour du foyer, et que les sentinelles montaient la garde auprès de l'habitation, le seigneur de Verchères rassemblait ses enfants et leur apprenait à lire et à écrire, car dans ce temps là, l'éducation se donnait à la maison. Quelles leçons de choses il devait leur inculquer ! Il leur disait sans doute ses expéditions lointaines à travers les forêts à la poursuite des sauvages. Et, alors, défilaient les tueries épouvantables, les femmes traînées en captivité, les enfants torturés, les villages pris d'assaut, les moissons dévastées. Et, pour que ces jeunes imaginations ne fussent point hantées par de vaines terreurs, il racontait les actions courageuses de ses compagnons

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d'armes ; comment ils savaient regarder la mort en face et braver l'ennemi. Puis, ouvrant quelque vieux livre apporté de France, il disait l'histoire de Jeanne d'Arc et celle de Jeanne Hachette, ces deux grandes âmes de femme incarnant la vieille patrie française. La lecture finie, le vieil officier soulevait sur sa large poitrine ses enfants, tout émus encore des récits qu'ils venaient d'entendre, pour leur donner le baiser du soir, et ceux-ci sentaient passer dans leur être le souffle vaillant qui animait leur père. Défendre le foyer et la famille, vendre chèrement sa vie, tels étaient les sentiments presque exclusifs qui vibraient dans ces jeunes âmes. C'était l'histoire parlée de tous les jours. Et ce que nous recevons ainsi avec le sang et le lait, c'est la chose vibrante et la vie même.

" La nature a fait aux femmes, a dit Lamar- tine, deux dons douloureux, mais célestes, qui les distinguent et les élèvent souvent au-dessus de la condition humaine : la pitié et l'enthou- siasme ; elles s'exhaltent. Exaltation et dévoue- ment, n'est-ce pas tout l'héroïsme ? Elles ont plus de cœur et d'imagination que l'homme. C'est dans l'imagination qu'est l'enthousiasme, a'est dans le cœur qu'est le dévouement. Les femmes sont donc plus naturellement héroïques que les hérps et quand cet héroïsme doit aller jusqu'au merveilleux c'est d'une femme qu'il faut l'attendre. Les hommes s'arrêteraient à la vertu. Quand tout est désespéré dans une cause natio- nale il ne faut pas désespérer encore s'il reste un foyer de résistance dans un cœur de femme ..."

A cet état d'âme tout particulier à la femme, qu'analyse si délicatement le chantre d'Elvire, ajoutons l'entraînement d'une vie passée au milieu des bois, grandie dans les alarmes, bercée au récit effrayant des calamités sans cesse renouvelées, aiguillonnée par les plus beaux

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exemples de courage et d'héroïsme. Ceux qu'é- tonnent et surprennent ces grands dévouements comprendront alors, comment à l'âge les enfants de notre époque jouent encore à la balle ou caressent leurs poupées, une Madeleine de Verchères a pu s'enfermer dans un fort mal défendu,organiser la résistance,tenir les Iroquois en échec pendant huit jours, et les forcer enfin à la retraite.

En parlant de l'enfant et de la formation qu'elle reçut n'allons pas oublier la mère, cette paysanne robuste que le noble de Verchères avait épousée. En 1690, les Iroquois ayant su que celle-ci était seule à l'habitation, s'approchent du fort, sans être aperçus, et se mettent en devoir d'escalader la palissade. Madame de Verchères, avec un sangfroid admirable, décroche un fusil suspendu au mur de la maison et les couche en joue. Ceux-ci reculent. Mais honteux d'avoir fui devant une femme, ils reviennent a la charge. Nouvelle tentative de franchir la muraille et nou- veaux coups de fusil. Ceux-ci sont tirés avec tant de précision que les sauvages désespèrent de s'emparer d'un fort qu'ils croyaient dégarni, et ils se retirent. " Madame de Verchères se battit de la sorte pendant deux jours, raconte le vieil historien Charlevoix, avec une bravoure et une présence d'esprit, qui auraient fait honneur à un vieux guerrier."

N'est-ce pas que cette défense est un beau prélude au combat homérique que Madeleine de Verchères allait livrer deux ans plus tard ?

III

C'est une chose assez curieuse à constater qu'une action aussi belle que la défense du fort de Verchères, qui égale en vaillance ce que l'on rapporte des anciens preux, ne soit pas men-

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tionnée dans les correspondances officielles du temps, échangées entre les autorités coloniales et celles de la métropole. C'était l'habitude alors d'adresser chaque année au ministre une relation des principaux événements et faits de guerre. Or, dans les lettres de Frontenac, de Champigny et de Gallières, qui furent écrites dans l'automne de 1692, quelques jours à peine après cette remarquable aventure, il n'y est pas fait la moindre allusion. Même silence en 1693. C'est à peine si Callières, gouverneur de Montréal, rap- porte en passant que les ennemis ont fait des prisonniers à Verchères, tué quelques personnes, emmené les bestiaux dans les bois et levé la che- velure d'un soldat à St-Ours. Et, encore, il dit que cette nouvelle lui est venue par un canot qui retournait de Chambly. Pas un mot de la fière résistance de Madeleine de Verchères.

Qu'est-ce à dire ?

La légende et la tradition auraient-elles grandi hors de toute proportion un fait qui à l'époque put paraître bien ordinaire ? Il ne faut pas oublier que plus d'une femme de colon joua alors obscurément le même rôle que l'héroïne de Verchères. Nos vieilles chroniques sont remplies de ces tragiques épisodes. Combien tombèrent en défendant leurs foyers ou en voulant arracher leur mari ou leurs enfants à la mort et qui dorment dans l'oubli éternel ? L'héroïne de Verchères eut donc des prédécesseurs, comme elle de son vivant et après sa mort des émules.

Certes, en relevant sommairement ces faits historiques, nous n'avons nullement le désir insensé de diminuer la gloire réelle de Madeleine, nous voulons seulement montrer qu'elle ne fut pas hors de toute analogie, de toute tradition et de tout antécédent.

Ceci expliquerait jusqu'à un certain point le silence des autorités à son égard. Ce serait faire injure à la mémoire de Frontenac que de penser

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un instant qu'il ait pu négliger de porter à l'ordre du jour une action de cette valeur. Le grand gou- verneur s'y connaissait trop en individualités vraiment nationales pour n'avoir pas compris toute la beauté du geste chevaleresque de Made- leine de Verchères. Nous préférons donc croire qu'il l'ignorait absolument lorsqu'il écrivait à la cour le 11 novembre 1692, soit près de vingt jours après l'événement, et que ce ne fut que l'année suivante qu'il l'apprit, lors d'un voyage qu'il fit à Montréal. C'est pour cela sans doute qu'il voulut alors porter sur les fonts baptismaux et donner son nom au dixième enfant du sei- gneur de Verchères. Cet hommage tardif rendu à une famille si vaillante et qui avait donné le meilleur de son sang au roi n'aurait pas suffi cependant, et l'un des plus émouvants épisodes de nos temps de chevalerie ne serait pas parvenu jusqu'à nous, si un officier de l'administration, Bacqueville de la Potherie, contrôleur de la marine, ne se fut chargé de le faire connaître. C'est grâce à lui que Madeleine de Verchères n'est pas rentrée dans l'obscurité et qu'elle traverse notre histoire à l'égale d'une héroïne de l'anti- quité.

Créole de la Guadeloupe égaré au milieu des neiges du Canada, de la Potherie s'était pris d'amitié pour les colons de son pays d'adoption. Il y servait depuis quelques années déjà quand il épousa en 1700 une demoiselle de Saint-Ours, fille du seigneur de ce nom, dont la terre se trouvait tout près de celle des Verchères, sur les bords enchanteurs de la rivière Richelieu. Made- leine était la filleule de la belle-mère de la Pothe- rie et sans doute que ce dernier la rencontra souvent dans les visites fréquentes qu'il faisait au manoir de Saint-Ours. Il entendit raconter son histoire et en fut émerveillé. Et comme la famille de Verchères se trouvait alors dans de pénibles

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circonstances, le père chargé d'enfants, déjà très vieux, et sans aucune fortune, le jeune officier de marine qui était apparenté à la femme du ministre Pontchartrain crut qu'en s'adressant à cette dernière il pourrait en obtenir quelque secours pour une famille honorable et si digne de sympathie. Pour nous servir de ses propres expressions : " Cette action d'une fille qui n'avait que quatorze ans lui paraissait trop belle et trop 'extraordinaire pour ne pas espérer qu'elle pour- rait lui mériter quelque grâce du roi." Il écrivit donc une lettre il raconta ce trait de valeur d'une Canadienne de naissance dont les actions .sont d'une véritable amazone." Puis, il conseilla à Mademoiselle de Verchères d'écrire elle-même à la comtesse. On était alors au mois d'octobre 1699. Il y avait déjà sept ans par conséquent que l'événement était passé. Cette pauvre fille d'un seigneur du Canada, parfaitement inconnue à la cour et sans protection aucune avait bien peu de chance d'être entendue, quelqu'éloquente que put être sa voix. Comment ensuite raconter des faits qui la touchaient de si près ?

N'était-ce pas comme si elle eut voulu faire commerce d'une action honorable afin d'attirer sur elle et les siens un peu de pitié ? Mais l'amour filial de Madeleine fit taire toutes ses répugnances, et elle écrivit la lettre que l'on va lire et dont l'original est conservé à Paris, dans la collection Moreau Saint-Méry :

" Nos Canadiens ne reçoivent du bien que sous les auspices de Mgr le comte de Maurepas, qu'ils regardent comme leur protecteur. Les cruelles guerres que nous avons eues jusqu'à présent contre les ïroquois, ont donné lieu à plusieurs de ma patrie de donner des preuves du zèle ardent qu'ils ont pour le service du prince. Quoique mon sexe ne me permette pas d'avoir d'autres inclinations que celles qu'il exige de moi,

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cependant permettez-moi, madame, de vous dire que j'ai des sentiments qui me portent à la gloire comme bien des hommes.

" Le hasard a fait que me trouvant à l'âge de quatorze ans environ, à quatre cents pas du Fort de Verchères, qui est à mon père, à huit lieues de Montréal, dans lequel il n'y avait qu'un soldat de faction, les Iroquois qui étaient cachés aux environs dans les buissons, firent tout à coup une irruption sur tous nos habitants dont ils enlevèrent une vingtaine. Je fus poursuivie par un Iroquois jusqu'aux portes, mais, comme je conservai dans ce fatal moment le peu d'assu- rance dont une fille est capable et peut être armée, je lui laissai entre les mains mon mou- choir de col et je fermai la porte sur moi en criant aux armes et sans m'arrêter aux gémisse- ments de plusieurs femmes désolées de voir en- lever leurs maris, je montai sur le bastion était la sentinelle. Vous dirais-je, madame, que je me métamorphosai pour lors en mettant le chapeau du soldat sur ma tête et que faisant plusieurs petits mouvements pour donner à con- naître qu'il y avait beaucoup de monde, quoiqu'il n'y eut que ce soldat, je chargeai moi-même un canon de quatre livres de balles que je tirai sur eux. Ce coup si précipité eut heureusement tout le succès que je pouvais attendre pour avertir les forts voisins de se tenir sur leurs gardes, crainte que les Iroquois ne fissent les mêmes coups.

" Je sais, madame, qu'il y a eu en France des personnes de mon sexe dans cette dernière guerre qui se sont mises à la tête de leurs paysans pour s'opposer à l'invasion des ennemis qui entraient dans leur province. Les Canadiens n'auraient pas moins de passion de faire éclater leur zèle pour la gloire du roi, si elles en trou- vaient l'occasion.

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" Il y a cinquante-cinq ans que mon père est actuellement au service ; sa destinée n'est pas heureuse, la nôtre l'est encore moins. Nous regardons Mgr de Maurepas comme le soutien du Canada. Pour nous, madame, honorez-nous, nous autres filles, de vos bontés. Qu'il piaise à votre générosité de me faire avoir une petite pension de cinquante écus, comme à plusieurs femmes d'officiers du pays qui en ont. Si je ne puis espérer cette grâce, que le bien que vous voudriez me faire rejaillisse du moins sur un de mes frères qui est cadet dans nos troupes. Faites lui donner, s'il vous plaît, une enseigne. Il sait le service, il s'est trouvé dans plusieurs expéditions contre les Iroquois. J'en ai même eu un de brûlé par eux. Nous serons obligés de continuer nos prières à Dieu pour votre prospérité et celle de Mgr de Maurepas.

" Je suis avec un très profond respect, votre très humble, très obéissante et très respectueuse servante,

MARIE MADELEINE DE VERCHERES."

N'est-ce pas que cette lettre de Madeleine de Verchères est admirable de forme et de ton ? Et comme nous devons être heureux maintenant de ce silence inexplicable des fonctionnaires dont nous nous plaignions tout à l'heure. Sans cette lettre, en effet, nous n'aurions pas comme une percée lumineuse sur la vie et le caractère de cette fille vraiment héroïque. Voyez comme elle s'efface tout d'abord pour mettre au premier pian les preuves du zèle ardent que ses compatriotes ont toujours eu pour le prince. C'est son entrée en matière. Puis, elle s'excuse en quelque sorte, elle toute jeune fille, de ce qu'elle ait été obligée de sortir de la réserve qui appartient à son sexe pour prendre les armes comme tous ces vaillants. Mais, que voulez-vous, elle aussi, elle a des senti-

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ments qui la portent à la gloire comme bien des hommes.

Gomment aurait-elle pu s'empêcher de suivre les si beaux exemples qu'elle avait sous les yeux? Et puis, elle connaît son histoire. N'y a-t-il pas eu en France des femmes héroïques qui se sont mises à la tête des paysans pour s'opposer à l'invasion ? Pourquoi les Canadiennes n'en fe- raient-elles pas autant. Et quand elle s'est ainsi justifiée, elle raconte tout simplement son aven- ture comme ia chose la plus naturelle du monde, et sans se mettre en scène plus que de raison.

La narration proprement dite couvre à peine la moitié de la lettre. La jeune fille a hâte d'en venir au dénouement, car la pensée qui l'anime, ce n'est pas tant son action glorieuse que la pau- vreté des siens, cette pauvreté navrante qui la force malgré elle à se jeter de l'avant et à écrire des choses qu'elle aurait voulu cacher sans doute. Elle parle donc des cinquante-cinq années de service militaire de son vieux père. Sa destinée n'est pas heureuse, celle de sa famille l'est encore moins. Et voilà le drame poignant de l'angoisse domestique qui se détache du tableau, car c'est sur lui qu'il faut concentrer toute ia lumière. Remarquez dans ce dernier paragraphe de la lettre comme les phrases sont courtes et vont juste au point. On dirait des inscriptions en style lapidaire. Enfin, le dernier trait est lancé. Elle demande une petite pension de cinquante écus, mais ce qui peut sembler terre à terre dedans est relevé tout de suite par une phrase incidente qui rappelle à la comtesse que c'est ainsi que l'on agit au Canada pour les femmes d'officiers. Et pourquoi demande-t-elle cette pen- sion pour elle ? Elle le cache discrètement. Mais nous le savons bien. C'est que sa mère n'est pas de sang noble et que si son père meurt elle n'aura point la pitance que l'on donne d'ordinaire aux

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veuves d'officiers. Et puis, si on ne la juge pas digne, elle, pauvre fille, de cette pension, qu'on fasse au moins rejaillir les grâces du roi sur son frère, le cadet dans les troupes. Il est bien digne celui-ci d'un brevet d'enseigne. Voyez comment il sert depuis longtemps déjà dans l'armée. Il a déjà fait plusieurs campagnes contre les Iroquois. Et de peur que madame de Ponchartrain ne sache pas tout ce qu'il y a de danger pour le frère cadet dans ces sortes d'expéditions, elle ajoute une toute petite phrase, isolée, en plein relief, et qui va le peindre : " J'en ai même eu un de brûlé par eux." On se souvient sans doute de ce frère qu'elle perdit alors qu'il n'avait pas seize ans, et dont la mort broya de noir la vie de cette famille déjà si désolée. C'est à lui qu'elle fait allusion dans cette supplique suprême, comme si elle vou- lait appeler à son aide jusqu'au souvenir des morts gloriux de sa famille tombés au service du roi.

IV

Comment la lettre de Madeleine fût-elle accueillie à la cour ?

Aux temps de la chevalerie, quand Jeanne Hachette défendit avec les femmes du peuple la ville de Beauvais assiégée par les Bourguignons, le roi Louis XI la dota généreusement et voulut que son mari fut exemptée des tailles. Il ordonna encore que les femmes de Beauvais prendraient le pas sur les hommes dans les processions publiques et qu'elles eussent le privilège de porter les vêtements qui jusque avaient été réservés aux familles nobles.

Mais les temps de chevalerie sont passés et la figure de la jeune fille du seigneur de Verchères se perd, effacée dans l'ombre des grands bois canadiens si loins de l'autre côté de l'océan.

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La Potherie, dans un ouvrage qu'il écrivit longtemps après, dit qu'il ne veut pas entrer dans un détail de toutes les circonstances qu'il fallut donner encore à la cour pour confirmer une chose que l'on avait cachée jusqu'alors, (t. IV, p. 324).

Ce que l'historien n'a pas voulu écrire, nous le savons par la correspondance qui fut échangée à ce propos entre le ministre et les autorités de la colonie et que l'on conserve aux archives de France. Voici d'abord la lettre que Ponchartrain adressait à l'intendant Champigny, le 5 mai 1700:

" Vous trouverez ci-joint, un placet d'une fille de Canada, qui demande une pension ou une place d'enseigne de compagnie pour l'un de ses frères ; faites-moi savoir qui elle est, et si ce qu'elle expose est véritable."

Nous n'avons pas besoin d'insister sur l'humeur cavalière de cette note. Elle n'a pas lieu de surprendre ceux qui ont été à même d'étudier le régime français aux sources manuscrites. Elle est bien dans le ton et dans le goût de l'époque. De quoi se mêle-t-elle cette fille de Canada, d'avoir de la bravoure et du courage ? Il faut d'abord savoir qui elle est, ensuite l'on avisera.

Cette lettre écrite au printemps de 1700 arriva à Québec par les premiers vaisseaux. Elle eut jeté sans doute le découragement dans l'âme du vieil officier qui avait servi fidèlement son pays pendant plus d'un demi siècle. Mais, il ne la vit pas. La mort était venue le chercher, le 26 février précédent, dans son manoir de Verchères, angoissé sans doute à la perspective de la vie de misère qui se préparait pour la famille qu'il laissait derrière lui, mais espérant toujours que le roi viendrait à son secours.

Au mois d'octobre, l'intendant Champigny répondait au ministre :

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" Ce que la fille du Sr de Verchères expose dans la lettre qu'elle s'est donné l'honneur d'écrire à Madame la comtesse de Pontchartrain, est véritable, l'action qu'elle a faite, plus de 60 ans de service de son père qui était gentilhomme et la disgrâce que sa famille vient d'éprouver par sa mort, perdant les appointements de lieutenant réformé et une gratification de 150 livres que le roi avait la bonté d'accorder au père comme officier du régiment de Garignan, qui servaient à leur donner du pain sont des motifs assez grands pour engager la charité de Sa Majesté à accorder à la veuve qui se trouve avec cinq enfants sans bien, la continuation de la gratification, et à la iilie qui est bien raisonnable, une pension pour aider à tirer cette pauvre famille de la plus profonde misère."

Le Roi n'accorda pas tout ce que l'intendant demandait, mais il lui fit savoir, au mois de mai 1701, que la pension du lieutenant de Verchères serait versée à l'avenir sur la tête de sa fille, à la condition qu'elle en ferait profiter sa mère. La Potherie, toujours bien au courant, nous rapporte de son côté que ce fut la comtesse de Pontchar- train qui prit les intérêts de Madeleine avec tant de générosité qu'elle lui procura cette pension pour toute sa vie. Nous aimons à laisser tout le mérite de cette bonne action à cette grande dame.

Quant au frère, cadet dans les troupes, auquel Madeleine s'intéressait si fort, et que Charlevoix nous dépeint comme un jeune officier de grande espérance, il n'eut pas son brevet d'enseigne, mais il alla tout de même se faire tuer au service du roi en 1708 sous les murs de Haverhill. C'est ainsi que cette famille payait sa dette de reconnaissance.

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Marie Perrot, la veuve de M. de Verchères, put jouir jusqu'à sa mort de la pension du roi que sa fille lui servit fidèlement. Elle ferma les yeux en son manoir seigneurial, le 30 septembre Î728, à l'âge de 72 ans.

Depuis longtemps déjà, Madeleine n'habitait plus la vieille maison ancestrale illustrée par sa valeur. Elle avait épousé, le 8 septembre 1706, ie seigneur de la Pérade, Pierre-Thomas Tarieu de Lanaudière. On a raconté que ce mariage fut le dénouement d'une aventure tragique elle avait sauvé la vie de ce jeune officier des mains îles sauvages. Mais pourquoi prêter aux riches ? Cette légende ne s'appuie sur rien. Madeleine n'était pas une femme à coup de tête ; elle attendit que l'heure sonna elle rencontrerait un com- pagnon digne de son grand cœur. Tout nous prouve qu'elle contracta un mariage de raison comme il convenait à une fille de vingt-huit ans. M. de la Pérade la dota de plusieurs mille livres et lui assura l'usufruit sa vie durant de ses terres seigneuriales qui comprenaient une étendue de trente-cinq lieues de pays. Madeleine déclara au contrat qu'elle possédait en propre cinq cents livres, " amassés par ses épargnes et soins." Ceci nous prouve qu'elle était une fille sage et éco- nome, et que l'intendant Champigny l'avait bien jugée.

Mademoiselle de Verchères s'en fut tout bonnement mener la vie de châtelaine sur les propriétés de son mari, situées à quelques lieues de Trois-Rivières. Peut-être que l'on n'aurait plus jamais entendu parler d'elle, si, en 1722, Bacque- ville de la Potherie ne se fut avisé de publier son Histoire de l'Amérique Septentrionale qu'il te- nait en portefeuille depuis son retour du Canada à cause de la guerre toujours à la veille d'éclater

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entre la France et l'Angleterre. Au bout d'un quart de siècle écoulé, le jeune officier de marine de 1699 gardait encore dans un coin de son cœur le souvenir ensoleillé de l'accorte Jeune fille qu'il avait rencontrée autrefois au manoir de Saint- Ours. Et, à deux reprises différentes, il raconte dans son ouvrage le beau fait d'armes de 1692. Le nom de l'héroïne mis de nouveau en vedette par la publication de ce livre vola de bouche en bouche.

Madeleine eut encore l'occasion de montrer son courage à quelque temps de là, lorsque d'un coup de casse-tête elle brisa les reins à un sau- vage abénakis qui était venu chercher querelle à son mari, au manoir de la Pérade, et mit en fuite trois sauvagesses accourues à la rescousse de leur camarade. M. de Vaudreuil, qui était alors gouverneur de la colonie, prit la peine de la venir féliciter sur les lieux mêmes, témoins de ce nouvel exploit.

Lorsque le marquis de Beauharnois vint remplacer M. de Vaudreuil en 1726, il voulut connaître à son tour cette femme dont on racon- tait tant de merveilles, et il lui demanda de rédi- ger par écrit un mémoire de ses aventures. C'est à cette démarche que nous devons la deuxième relation du siège de Verchères dont l'original est conservé aux archives de Paris, dans la collection Moreau Saint-Méry. Cette nouvelle version était connue depuis longtemps de quelques-uns de nos érudits qui en possédaient des copies manus- crites, mais ce n'est qu'en 1904 que le texte en langue française en a été publié en entier par M. Richard, dans le rapport du bureau des archives du Canada. Nous nous contenterons de le com- menter sommairement.

Dans la lettre de 1699, Madeleine, jeune fille que la crainte de la misère talonne, vise à la con- cision afin d'être sûre d'être lue. Elle sait que les

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grands sont si occupés qu'ils vont tout droit à la signature et laissent faire le reste à leurs secré- taires.

Cette fois,elle a quarante -huit ans, déjà l'âge des bonnes et longues causeries au coin de la table, .et elle s'adresse à un gentilhomme aimable qui ne demande pas mieux que de l'écouter. Elle se met donc en frais de détails. Elle précise les dates, elle donne des noms, elle multiplie les incidents, elle rectifie sans avoir l'air d'y toucher quelques futiles erreurs qui se sont glissées dans le livre de la Potherie. Le récit dramatique, vivant, enlevé, coule vraiment de source à travers des phrases toujours alertes, assaisonnées parfois d'une petite pointe de gaieté gauloise, comme, par exemple, lorsqu'elle assure que les femmes parisiennes sont naturellement peureuses. Le recul des années par un phénomène bien connu de la mémoire, donne à la châtelaine une vision si nette de ces événements, passés il y a tantôt trente-cinq ans, qu'elle marque même l'heure exacte les Iroquois se précipitèrent sur elle. Elle dit la neige et la grêle qu'il faisait par ces jours sombres d'automne, elle nous montre les bestiaux qui reviennent du pâturage et trouvent la porte du fort fermée, et le linge de la famille en train de sécher dans la prairie et dont les sauvages vont s'emparer si elle n'y prend garde. N'est-ce pas que ces derniers traits sont comme autant de coups de crayon qui nous font passer sous les yeux la campagne qui environne le fort de Verchères. Et, après que sa mémoire a battu le rappel de tous ces petits incidents, Madeleine fait le récit de la délivrance.

Il y a huit jours que le fort est assiégé. Elle s'est assoupie, la tête sur une table, son fusil de travers dans ses bras. Tous à coup la sentinelle crie que Ton entend parler sur l'eau. Du haut du bastion, elle demande : Qui êtes-vous ? On lui répond : " Français ? C'est la Monnerie qui vient

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vous donner du secours. Elle fait ouvrir îa porte du fort, y piace une sentinelle et s'en va au bord de l'eau pour recevoir ses sauveteurs. Et voici le dialogue qui s'engage entre la jeune fille et l'officier. " Monsieur, soyez le bienvenu, je vous rends les armes."

" Mademoiselle, répond l'officier d'un air galant, elles sont en bonnes mains."

" Meilleures que vous ne croyez ", lui ré- plique-t-eile.

Voilà bien comment devait alors parler une jeune fille chevaleresque et un jeune officier, galant homme du monde.

Mais, nous dira-t-on, donc cette jeune fille élevée à la campagne et qui a toujours vécu retirée loin du monde, a-t-elle pu apprendre l'art de narrer et d'écrire d'une façon si dramatique et si élégante à la fois ? A cela nous répondrons avec Paul Louis Courrier que la moindre femme- lette de ce temps-là causait et écrivait mieux que les académiciens de nos jours. Et que l'on n'aille pas croire que Madeleine, grisée de la démarche du gouverneur auprès d'elle, de la publicité faite autour de son nom, ait voulu poser devant la postérité en refaisant après coup une narration plus ornée. Elle n'a jamais parlé de cette grande action de sa vie que lorsqu'on lui a demandé, et quand elle l'a fait, elle y a toujours mis un si grand accent de sincérité qu'on ne saurait soup- çonner pour un instant chez elle, calcul, habilité ou mensonge. Cette femme a mené une vie trop pure et trop noble, et elle exprime, chaque fois qu'elle écrit, de trop beaux sentiments pour qu'on puisse avoir l'ombre d'un doute sur l'exac- titude des faits qu'elle raconte. La Potherie, l'intendant Champigny, l'ingénieur Catalogne, dans un mémoire de 1715, Charlevoix, dans son journal de voyage en 1721, sont autant de té- moins contemporains qui viennent attester en sa

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faveur. Et de nos jours, l'écrivain Parkman, qui unissait au flair le plus sagace de l'érudit, le sens parfait de l'histoire, a accepté sans en presque changer une ligne le récit de l'héroïne.

Madeleine mentionne dans son récit des faits et des noms. Elle dit son âge, elle parle de l'absence de son père à Québec, elle se moque de Marguerite Antiome, la parisienne, qui était la femme du sieur Fontaine. Nous avons voulu, un peu pour édairer notre religion, un peu aussi comme un exercice et comme un divertissement de l'esprit, contrôler quelques-uns de ses dires. Et quel a été le résultat de notre enquête et quelles impressions a fait naître en nous l'étude plus attentive et plus serrée des documents ? Les registres de Sorel nous ont prouvé que Madeleine avait quatorze ans lorsqu'elle repoussa les Iroquois. Les plumitifs du Conseil Supérieur à Québec nous ont signalé, de façon à ne pas s'y méprendre, la présence du seigneur de Verchères en cette ville pendant tout le mois d'octobre 1922. Enfin, l'acte de mariage de Marguerite Antiome nous déclare qu'elle était née à Saint-Eustache de Paris et la fille d'un exempt du Grand Prévôt de cette ville. Il serait fastidieux d'insister davan- tage sur ces recherches, disons seulement que ces vieilles pièces manuscrites dormant depuis deux siècles dans les archives et se levant de la poussière de leurs tombeaux pour rendre témoi- gnage à la véracité de l'héroïne de Verchères, nous ont fait voir non plus l'image auréolée, mais la femme sincère et toute entière. Et, alors, son histoire s'est étendue et éclairée. Nous avons senti l'âme sous les faits arides et secs. Et cette

héroïne, que nous avions aperçue dès l'enfance à travers le nuage de la légende, s'est élevée de ses ailes plus fortes jusqu'à la vérité, aussi poé- tique que le rêve.

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VI

Après 1726, l'héroïne de Verchères rentre une deuxième fois dans l'ombre et la paix du foyer domestique, et c'est que nous voudrions pouvoir la saisir sur le vif afin de la mieux faire connaître encore.

Grandie au milieu des émotions les plus vives, ayant eu tant de fois sous les yeux des scènes de violence et de carnage, Madeleine a senti se développer dans son âme une résolution et une énergie précoces. Mais l'assurance qu'elle a acquise n'a-t-elle pas gâté chez elle la réserve et la timidité si propres à son sexe ? Dans les habitudes, dans les allures, dans le caractère même de la jeune châtelaine de la Pérade n'est- il pas resté un peu de cette virilité si nécessaire à la vie que l'on menait aux avant-postes de Verchères ?

Il semble encore que cette enfance, si remplie d'alarmes et d'alertes, a manquer particulièrement de cette éducation féminine dont on a dans tous les temps senti l'importance, nous voulons dire le goût et la pratique du mé- nage, l'art de tenir une maison.

L'ingénieur Franquet a laissé sur les salons de la Nouvelle-France qu'il fréquenta, et il rencontra précisément les femmes de l'âge et du monde de Madeleine de Verchères, un tableau charmant. " Les femmes sont de figure jolie, dit-il ; leur constitution est forte. Elles ont la démarche gracieuse et posent bien. Elles ont généralement beaucoup d'esprit, et parlent un français épuré, sans le moindre accent. Polies, enjouées, elles ont une conversation agréable. Pleines d'attentions pour les étrangers, elles sont très affectionnées à leurs maris et à leurs enfants.

Malgré donc le rude apprentissage qu'elles reçurent dans leur enfance, les femmes de ce temps-là n'en furent pas moins élevées pour

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plaire et se faire aimer, et elles surent entretenir le goût des belles manières et tout ce qui fait la grâce et le charme de leur sexe. Les mères avaient l'art de former le cœur, de tremper le caractère, de remplir et de fortifier l'esprit de leurs enfants." (1)

Nous aimons à nous représenter Madeleine de Verehères dans son manoir seigneurial de la Pérade, à l'âge de cinquante ans ou environ,sous les belles couleurs que nous montre le pinceau de Franquet. Et c'est bien ainsi qu'elle devait être, si nous en jugeons par un médaillon pré- cieusement conservé dans sa famille. Avec ses cheveux en bandeaux qui retombent en tresses sur ses épaules, ses yeux à demi baissés et son costume modeste et simple, il semble qu'elle ait gardé quelque chose de la timidité et de la réserve de la jeune fille. Si son front calme marque la fermeté, il nous dit aussi la paix douce et le bonheur discret qui régnent en son foyer. Les sourcils bien arqués et la bouche petite et mignonne semble voltiger un sourire nous rappellent la Madeleine, très gaie à ses heures, et qui savait si bien tenir la plume quand elle le voulait.

Il y a quelque chose cependant qui semble démentir l'infinie douceur qui s'épand sur les traits de cet unique portrait qui soit resté de Madeleine de Verehères.

Racontant la lutte qu'elle eut à soutenir en 1722, aux portes du manoir de la Pérade, contre trois sauvagesses qui la voulaient jeter dans le feu, elle écrit cette phrase typique: "A ce moment un peintre me voyant aurait pu tirer le portrait d'une Madeleine ; décoiffée, mes cheveux épars, mal arrangés, mes habits tout déchirés, n'ayant rien sur moi qui ne fut en morceaux, je ressem-

(1) Mémoire de 1752.

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biais pas mal à cette sainte, aux larmes près qui ne coulèrent jamais de mes yeux."

Quoi ! Cel^e qui a fait couler tant de douces larmes rien qu'au seul souvenir de sa défense héroïque de Verchères, ne sentit donc jamais ses paupières s'humecter ? Et ces beaux yeux à demi baissés que le peintre nous montre, auraient-ils donc été insensibles à toute émotion ?

Non, chassons loin de nous ces pensées. Les larmes n'ont jamais été les interprètes néces- saires du cœur. Madame de Sévigné l'a écrit il y a déjà longtemps.'4 Il faut plaindre sincèrement celles qui n'ont pas le don des larmes, et qui sentent de ces douleurs, les yeux ne soulagent point le cœur." Rappelons-nous encore les beaux vers de Victor Hugo, dans ses " Feuilles d'Automne":

La fleur qui s'ouvrit avec l'aurore en pleurs, Et qui fait à midi de ses belles couleurs Admirer la splendeur timide, Sous ses corolles d'or, loin des yeux importuns, Au pied de ce calice sont tous ses parfums, Souvent cache une perle humide.

Si donc les larmes ne coulèrent jamais des yeux de Madeleine, elle n'en a pas moins éprouvé les plus grandes émotions qui puissent étreindre un cœur de femme.

Debout sur le bastion du fort de Verchères, elle a prouvé qu'elle aimait sa patrie jusqu'à vouloir verser son sang pour elle ; c'est l'amour profond qu'elle porte à son père et à sa famille qui la pousse à implorer la pitié pour les siens ; et quand elle voit son mari aux prises avec un sauvage, elle nous l'avoue ingénument dans sa relation, ce sont " les mouvements de son cœur " qui l'entraînent à périr avec lui plutôt que de le laisser mourir seul et sans défense.

Ces trois amours sont trop beaux et trop grands pour qu'il soit nécessaire de les déflorer par de vaines fictions. Sans attacher plus d'im-

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portance qu'il ne convient à tous les détails semi- romanesques dont quelques écrivains ont voulu entourer Madeleine, disons une fois pour toutes qu'il n'y a pas besoin de l'imagination pour grandir le réel vraiment sublime de sa vie.

La bonne châtelaine de la Pérade n'a jamais eu dans son cœur ni dans son cerveau les condi- tions voulues pour devenir une héroïne de feuil- leton. Jeune fille, elle nous dit qu'elle eût la passion de la gloire, mais elle ne s'en servit que pour défendre son foyer. Quand elle fut épouse et mère, l'affection sincère qu'elle porta à son mari et à ses enfants lui suffit amplement.

Le manoir de la Pérade, situé sur la grande route qui relie Québec à Montréal, et presqu'à mi-chemin entre ces deux villes, était le rendez- vous de tous les voyageurs de distinction. Nous savons que les gouverneurs de Vaudreuil et de Beauharnois aimaient à le visiter et quel officier de l'armée n'aurait pas voulu s'arrêter pour causer avec cette femme dont la valeur était connue dans tout le pays.

Le mari de Madeleine, M. de la Pérade, possédait quelques-unes des plus belles seigneu- ries de la Nouvelle-France, mais comme il était d'une santé frêle et délicate il avait remis à sa femme le soin d'administrer le patrimoine familial, et celle-ci sut s'en acquitter à merveille. L'hospitalité de la famille de Lanaudière était large et généreuse, mais la bonne Madeleine n'oublia jamais les bonnes leçons d'économie qu'elle avait apprises dans sa jeunesse. Nous nous la représentons volontiers comme une grande dame de l'ancienne noblesse qui ne quittaient jamais l'aiguille même pour recevoir les visi- teurs, à moins que leur rang les y obligeât.

Le premier dimanche du mois d'août 1747, le curé de Sainte-Anne de la Pérade annonçait à son prône la mort de Marie-Madeleine Jarret de

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Verchèresja seigneuresse de sa paroisse.Elle était décédée dans la soixante et neuvième année de son âge, munie de tous les sacrements de l'Eglise.

La seigneuresse de la Pérade laissait cinq enfants. Les filles entrèrent dans les familles Margane de Lavaltrie et Deschamps de Bois- hébert. Les garçons prirent du service dans l'armée. L'un d'eux tomba à la bataille de Monongahéla ; un autre fut décoré de la croix de Saint-Louis pour sa belle conduite au siège de Québec. C'est de ce dernier que descendait Charles de Lanaudière, qui fut aide de camp du gouverneur Carleton.

On sait comment, dans l'automne de 1775, cet officier, si plein de charme et de distinction, ramena à la tête de 300 Canadiens le gouverneur Carleton, de Montréal à Québec, au moment cette ville menacée par les soldats du Congrès, allait ouvrir ses portes à l'ennemi. Carleton organisa la résistance et la colonie fut sauvée. Charles de Lanaudière mourut célibataire, mais il laissa deux sœurs qui sont restées célèbres dans la région de Québec elles vivaient encore au milieu du siècle dernier. Retirées pendant l'été dnas leur manoir de Saint- Vallier de Bellechasse, qu'elles avaient armé comme une forteresse à cause des voleurs de grand chemin qui infes- taient la contrée, elles venaient passer l'hiver à Québec, leur salon était le rendez-vous de tout ce que la colonie comptait de personnes distinguées. C'est l'une d'elles qui, en 1855, recevant M. de Belvèze, le commandant du pre- mier navire de guerre français qui soit venu au Canada après la conquête, le salua de ces fîères et mâles paroles : " Commandant, nos bras sont à l'Angleterre, mais nos cœurs sont toujours à la France."

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Madeleine de Verchères garda jusqu'à la fin la part d'héritage qu'elle avait reçue dans la seigneurie qui devait rendre son nom si célèbre. Ce n'est qu'en 1746, un an avant sa mort, qu'elle la vendit à son frère Jean-Baptiste Jarret. Ce dernier abandonna bientôt après, pour cent pistoles, les droits honorifiques du domaine pa- trimonial qu'il tenait à titre d'aînesse, à l'un de ses gendres Pierre Hertel de Beaubassin. Depuis lors, cette belle propriété, morcelée par des par- tages, des ventes ou des achats, est passée entre les mains de branches collatérales éloignées. L'ancien manoir a été depuis abattu. Ce n'est plus qu'à l'aide de cartes qu'on peut à peu près localiser le site du fort immortalisé par la fïère résistance de Madeleine. Seule, près de la rive du grand fleuve, le beau village de Verchères mire ses maisons blanches et ses grands arbres verts, une tour aux murs massifs, aux fenêtres percées en mâchicoulis et au toit en poivrière, résiste aux ravages du temps. C'est le vieux moulin banal de la seigneurie. A l'époque de la moisson, un meunier y vient encore moudre les grains des censitaires. Et, quand, dans la nuit noire, le moulin bat l'air de ses ailes frémissantes, le passant attardé croit entendre chevroter une chanson : la chanson mélancolique des choses mortes.

Aussitôt après la conquête le dernier des- cendant des Verchères, dans la ligne masculine, s'enfonça dans les prairies de l'Ouest il fit la traite et la chasse aux bisons, à la tête d'une bande de sauvages. L'on n'entendit plus jamais parler de lui. Sa veuve, une LeMoyne de Lon- gueuil, mourut à Québec en 1792, et le prince Edouard, duc de Kent, père de la reine Victoria, alors dans la capitale, voulut assister à ses funé- railles à la tête des officiers de son régiment. Ce suprême hommage rendu par un prince touchant

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de si près au trône, à celle qui porta pour la dernière fois le nom des Verchères, n'est-il pas pour nous une éloquente leçon ? Elle nous enseigne que les héros et les héroïnes du Canada, à quelque race qu'ils appartiennent, sont le patrimoine commun de la nation et que leur mémoire doit être glorifiée.

Et voilà pourquoi les nobles châtelains de Rideau-Hall, épris d'art et très avertis des choses de notre histoire, ont voulu mettre en place d'honneur, dans leur résidence vice-royale, le beau bronze de Hébert.

Il n'est pas besoin de la magie des mots pour expliquer l'impression que cause Madeleine de Verchères, la sympathie qu'elle excite, la lumière qui rayonne d'elle. Comme le disait un jour Son Excellence le gouverneur-général, cette héroïne résume toute une époque de gloire. Par son père elle descend des nobles familles de France, par sa mère elle touche à la bonne terre canadienne. Par son action courageuse et sa vie si complète et si bonne, elle tient au peuple entier.

Elle symbolise la femme vaillante du Canada.

J.-EDMOND ROY (1)

EDMOND DE SUEVE, SEIGNEUR EN PARTIE DE SAINTE-ANNE DE LA PERADE

De quelle partie de la France venait Edmond de Suève ? Pour l'histoire des premiers habitants de la Nouvelle-France les contrats de mariage sont des sources d'informations extrêmement

(1) Le Soleil, 20 mars 1909.

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précieuses.Les notaires de l'ancien régime ne manquaient jamais d'enregistrer les noms des pères et mères des futurs conjoints et d'indiquer les paroisses qu'ils habitaient dans la vieille France.M.de Suève n'ayant pas jugé à propos de se marier a donc privé les historiens du précieux document qui leur aurait dit de quelle partie de la France il était originaire.

Edme ou Edmond de Suève était lieutenant dans le régiment de Garignan et il passa ici avec cette troupe dans l'été de 1665.

Après le licenciement du régiment de Gari- gnan, il décida de rester au pays.

Le 29 octobre 1672, l'intendant Talon con- cédait conjointement à MM. de Suève, lieutenant au régiment de Garignan, et de Lanaudière, enseigne au même régiment, " l'étendue de terre qui se trouvera sur le fleuve Saint-Laurent au lieu dit des Grondines, depuis celles apparte- nantes aux Religieuses de l'Hôpital jusqu'à la rivière Sainte-Anne, icelle comprise, sur une lieue de profondeur, avec la quantité de terre qu'ils ont acquise du sieur Amelin "

C'est le fief et seigneurie de Sainte-Anne de la Pérade.

M. de Suève au lieu de coloniser le beau domaine que venait de lui accorder M. Talon s'occupa à satisfaire son goût pour la chasse. L'avoir qu'il avait à son arrivée dans la Nouvile- France s'épuisa bientôt et il se trouva vis-à-vis de rien.

Le 13 novembre 1680, l'intendant Duches- neau écrivait au ministre :

" Les officiers des troupes continuent d'em- ployer ce qu'il plait au Roi et à vous, Monsei- gneur, de leur accorder à payer leurs dettes. J'ai oublié l'année dernière de vous demander une semblable gratification pour le sieur de Moras, lieutenant, qui est un gentilhomme chargé de

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huit enfants dans une grande pauvreté. Il y en a encore d'autres pour lesquels je n'ai pas osé vous parler parce que ce sont des gens qui équipent pour eux des coureurs de bois, excepté le sieur de Suève, vieux garçon de 60 ans ; qui a été lieutenant, qui avait toujours passé pour avoir du bien et qui est tombé cette année dans une grande misère." (1)

Le recensement de 1681 nous apprend que M. de Suève résidait dans sa seigneurie de Sainte-Anne. Il lui donne cinquante ans. Il s'occupait évidemment plus de chasse que de défrichement car le même recensement le dit propriétaire de trois fusils et oublie de men- tionner ses arpents de terre en valeur.

Le 8 août 1691, M. de Suève donnait à la fabrique de la paroisse de Sainte-Anne de la Pérade, " deux habitations de deux arpents de front sur quarante arpents de profondeur, tenant l'une à l'autre, prenant par devant à la rivière Sainte-Anne, par côté par-dessus à Charles Vallée et d'autre côté par dessous à Philippe Etienne."

L'une des deux terres était donnée pour le service du curé et de ses successeurs, l'autre devait servir pour élever la future église de la paroisse.

Cette donation était faite quitte de toutes sortes de rentes pour l'avenir et à perpétuité. (2)

M. de Suève décéda à Sainte-Anne de la Pérade le 1er mars 1707, et fut inhumé dans l'église paroissiale. (3)

(1) Archives du Canada, Correspondance générale.

(2) Acte devant Michel Roy, notaire à Sainte-Anne, le 18 août 1691.

(3) Dans son étude Le régiment de Carignan, M. Ben- jamin Suite, a confondu Edme de Suève, seigneur en partie de Sainte-Anne, avec Lesueur, le fameux explorateur et traiteur. Il n'y eut aucune relation quelconque entre ces deux personnages.

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Par son testament fait le 16 juin 1695, M. de Suève avait légué à Edmond Chorel la part et moitié de la seigneurie de Sainte-Anne qui lui avait été concédée le 29 octobre 1672. Il lui don- nait en outre : lo une terre de cinq arpents de front sur le bord de la rivière Sainte-Anne, sur quarante arpents de profondeur, joignant d'un côté à Daniel Le Merle et d'autre à Jean Picard ; 2o une autre terre de quatre arpents de front, dans l'île Saint-Ignace, traversant la dite île, joignant d'un côté madame veuve de Lanaudière, mitoyenne de la dite seigneurie avec le sieur Dentigny, et d'autre part à Jean Picard; 3e une autre terre de quatre arpents de front, située entre les terres de madame veuve de Lanaudière et du sieur Desruisseaux ; 4e une autre terre de deux arpents de front, située entre les terres du sieur Desruisseaux et du sieur Saint-Romain.

Le donateur obligeait Edmond Chorel à rendre la foi et hommage, et à payer les dettes qu'il pourrait avoir au jour de son décès. Il se réservait en outre l'usufruit et jouissance de sa moitié de seigneurie et de ses terres. Il exigeait aussi d'eux cent messes basses pour le repos de son âme dans l'an de son décès.

M. de Suève prenait la peine de déclarer dans son testament qu'il faisait don de ses biens à Edmond Chorel pour le récompenser des bons et réels secours et amitiés qu'il lui avait rendus, et avec l'espoir qu'il les continuerait à l'ave- nir. (1)

(1) Testament devant Cusson, notaire au Cap de la Madeleine, le 16 juin 1695.

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NICOLAS-ANTOINE COULON DE VILLIERS (1)

à Verchères le 25 juin 1708, (2) il était fils de Nicolas-Antoine Coulon de Villiers, offi- cier dans les troupes du détachement de la marine, et de Angélique Jarret de Verchères.

Vers 1725, M. de Villiers père était nommé commandant pour le roi au poste de la Rivière Saint-Joseph des Illinois. C'est que le jeune Coulon fit ses premières armes.

En août 1730, MM. de Saint-Ange, de Noyelles et de Villiers attaquaient les Renards près du fort qu'ils s'étaient bâti près du Rocher, sur la rivière Saint- Joseph des Illinois. Après un siège de vingt-trois jours, ils réussirent à les écraser. La plupart de ces féroces Renards furent massacrés. C'est M. Coulon qui fut chargé d'aller porter la nouvelle de ce beau succès au gouverneur de Reauharnois.

Le 12 mars 1732, M. Coulon était fait enseigne en second.

M. Coulon prit une part active à la cam- pagne de 1733, contre les Sakis. Le 16 septembre 1733, M. de Villiers père, devenu commandant du poste de la Baie des Puants, était tué dans une attaque contre les Sakis. M. Coulon remplaça son père au commandement du poste de la Baie des Puants.

Le 11 novembre 1733, MM. de Beauharnois et Hocquart informaient le ministre du coup des Sakis et lui demandaient de donner une lieute- nance vacante à M. Coulon.

" Le sieur de Villiers, disaient-ils, qui s'est fort distingué, qui a eu son père et son frère tués et autre frère, cadet à l'aiguillette blessé, méri-

(1) Connu sous le nom de M. Coulon.

(2) Baptisé à Contrecœur le 26 août 1708.

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terait la lieutenance vacante, la dernière affaire n'ayant roulé que sur lui." (1)

Le ministre accueillit favorablement cette demande et M. Coulon fut fait lieutenant le 20 mars 1734.

Le 30 octobre 1742, le gouverneur de Beau- harnois demandait au ministre de donner une compagnie à M. Coulon. (2)

L'année suivante, le 20 octobre, M. de Beau- harnois revenait à la charge auprès du ministre en faveur de M. Coulon. " Il est bon officier, disait-il, et très propre pour les négociations des pays d'en haut." (3)

En 1742 ou 1743, M. Coulon descendit des pays d'en haut. Il semble avoir vécu à Québec de 1743 à 1746.

Le 24 avril 1744, le ministre informait enfin M. Coulon que le roi lui accordait une compagnie.

En juin 1746, M. de Ramezay était chargé de conduire une importante expédition en Acadie. C'est M. Coulon qui fut le second en commande- ment du détachement.

En février 1747, M. Coulon commandait l'attaque contre les Anglais établis aux Mines. Elle réussit parfaitement, mais M. Coulon reçut au bras une blessure qui le força à retourner à Québec. Il ne devait jamais guérir de cette blessure.

A l'automne de 1747, il passait en France pour aller prendre les eaux à Barèges, station thermale des Pyrénées.

Le 3 novembre 1747, M. de la Galissonnière écrivait au ministre :

" J'ai l'honneur de vous représenter qu'il y a des officiers qui par leurs blessures ou par quelqu'autre action d'éclat méritent la croix de

(1) Archives du Canada, Correspondance générale,vol.59.

(2) Archives du Canada, Correspondance générale, vol.75.

(3) Archives du Canada, Correspondance générale,vol.79.

209

Saint-Louis, ou d'autres récompenses ou toutes les deux. Le sieur Coulon de Villiers est dans ce dernier cas ; le voyage qu'il est obligé de faire en France pour sa blessure dérangera entière- ment sa fortune si vous n'avez la bonté de l'aider libéralement." (1)

La recommandation de M. de la Galisson- nière fut écoutée par le ministre puisque, en février 1748, M. Coulon était nommé major des Trois-Rivières, en remplacement de M. de Rigaud promu lieutenant de roi à Québec. Le roi lui donna en même temps la croix de Saint- Louis.

Sur les entrefaites, la majorité de Québec étant devenue vacante par la promotion du che- valier de Longueuil à la lieutenance de roi, M. Coulon la demanda au ministre. Mais elle fut accordée à M. de Ramezay.

M. Coulon revint dans la Nouvelle-France dans l'été de 1749 et prit aussitôt possession de sa charge de major des Trois-Rivières.

Il ne devait pas la garder longtemps. Son bras qui n'avait pas guéri, le faisant horrible- ment souffrir, les chirurgiens décidèrent de le lui enlever. Il mourut peu après, à Montréal, le 3 avril 1750. M. Coulon n'était âgé que de 41 ans. (2)

(1) Archives du Canada,Correspondance générale, vol.87.

(2) Nous avons emprunté la plupart de nos renseigne- ments sur M. Coulon à l'important ouvrage de Mgr Amédée Gosselin, Notes sur la famille Coulon de Villiers.

210 RICHARD TESTU DE LA RICHARDIERE

Richard Testu de la Richardière fut un des rares Canadiens, qui, sous le régime français, parvinrent à une position un peu importante dans le service de la colonie. Et c'est peut-être pour cette raison que plusieurs de nos historiens ont cru qu'il était d'origine française.

Richard Testu de la Richardière naquit à L'Ange-Gardien, près de Québec, le 15 avril 1681, du mariage de Pierre Testu dit du Tilly, mar- chand, et de Geneviève Rigault.

Il servit d'abord dans les troupes et reçut une blessure assez grave dans un engagement.

En 1722, M. Testu de la Richardière com- mandait la Suzanne. Les Frères Hospitaliers de Montréal obtenaient du Conseil de marine de faire passer au Canada des ouvriers sur ce vaisseau.

Le 19 février 1726, le Conseil de marine écrivait au gouverneur de Beauharnois, au sujet de la navigation du Saint-Laurent. Il serait nécessaire que, pour la sûreté de la navigation des vaisseaux du roi allant en Canada, il fut embarqué un officier à bord connaissant bien la navigation du Saint-Laurent. Autrefois le sieur de la Grange, de Rochefort, avait été nommé capitaine de flûte, en raison de ses connaissances sur cette navigation et il s'embarquait tous les ans sur les vaisseaux du roi. Le Conseil de marine priait M. de Beauharnois de s'informer des capacités du sieur Testu de la Richardière, canadien, qu'on proposait pour cet emploi.

Le 30 octobre de la même année, MM. de Beauharnois et Dupuy écrivaient au ministre de la marine et lui. suggéraient de nommer M.

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Testu de la Richardière capitaine de port à Québec :

" Le S. Testu de la Richardière que vous avez chargé d'accompagner le vaisseau du Roy à cause de l'expérience et de la connaissance qu'il a de la rivière, souhaitte cette place et vous prie de la luy accorder.

" Le S. de la Richardière est du métier et est sur cela d'une capacité à n'y avoir pas par le païs deux voix sur son chapitre, il est propre à former des pilottes pour cette rivière il y a une très grande nécessité d'en avoir à cause de la traverse, qu'il est de conséquence de bien connoistre.

"Il faudrait pour cela aller tous les printems sonder les bancs que les glaces en partant font changer de place, y mettre des bouées selon leur changement au nombre de quatre ou cinq avec des ancres d'une seule patte d'environ quatre cent à 450 pesant et autant de chaînes de 12 à 15 brasses proportionnées au poids des ancres.

" On éviterait par les risques de toucher à la traverse, et sur les autres bancs qu'on ne connait pas assés, et après le départ des vais- seaux on ferait relever les ancres.

"On se servirait de cet officier pour mettre le cul de sac en état de recevoir le3 vaisseaux des particuliers, mêmes les vaisseaux du Roy s'il en était besoin. Plusieurs y ont couru risque cette année, et dans les années passées quelques uns y ont resté, il s'y trouve même quantité de roches que l'on pourrait ôter à marée basse.

" Le cul de sac est mal étably faute d'y avoir un quay avec des amares dont chaque habitant devrait estre obligé de faire la construction devant une partie au moins de son terrain qui peut-estre luy est concédé à ces conditions.

" On pourrait encore avec un bâtiment de 40 T. fait en goélette ou en brigantin l'envoyer sonder tout le reste de la rivière, surtout du costé

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du sud qui n'a point esté travaillé sur la carte du S. de la Haye, au nord de laquelle tous les mouil- lages et dangers sont bien marqués et dont les pilottes font état.

" Le capitaine de port mettrait des balises sur les caps et les hauteurs qu'on pourrait abattre et supprimer dans les tems l'on ne voudrait pas qu'on eu usast, il donnerait con- naissance des ances, des havres, des bayes favo- rables et bons mouillages, et se mettrait au fait le long des costes et dans la profondeur des bayes et des rivières des bois de chesnes et de pin et des rivières propres à les tirer ayant luy-même une parfaite connaissance des bais de ce pays cy et tout le talent nécessaire pour l'arrimage des bois dans les navires.

" Quelques autres nous ont donné les placets que nous avons l'honneur de vous envoyer, pour la même place, mais nous ne les connaissons pas si particulièrement et leur capacité ne peut même entrer en concurrence avec celle du S. de la Richardière." (1)

Le 8 octobre 1727, MM. de Beauharnois et Dupuy écrivaient au ministre :

"Le sieur Testu de la Richardière a fait l'option de la place de capitaine de port et se destine à faire, dans ce port, son service avec une telle vigilance que les bâtiments y trouvent tout le secours convenable, soit pour se mettre en rade soit pour y être à l'abri des coups de vent qui pourraient les chasser à la côte.

" Il vous supplie, Monseigneur, par la consi- dération que l'emploi de capitaine de port n'a presque point d'appointements, de lui continuer ceux de capitaine de flûte, jusqu'à ce que vous en ayez disposé autrement ; il se charge de con-

(1) Archives du Canada, Correspondance gé.nérale,vol.48.

213

duire le vaisseau du Roi jusqu'à la Traverse pour la lui faire faire.

" C'est vers ces endroits, Monseigneur, que seraient fort nécessaires des bouées, relevées à propos, pour que la facilité qu'elles nous procu- reraient ne tournassent point à notre désavan- tage.

" Il propose pour cela une dépense qui con- sistera dans la construction d'une chaloupe qui servirait aussi à aller audevant du vaisseau du Roi et autres bâtiments en danger dans la rivière avec trois ou quatre ancres d'une seule patte du poids de 600 1. avec chacune une chaîne propor- tionnée de grosseur et de douze ou quinze brasses de longueur ; il demande encore que, pour l'entretien de ces chaînes et bouées et de la chaloupe dont il se chargera il lui soit permis de prendre, par chaque bâtiment, au-devant duquel il ira, un écu par chaque pied que le bâtiment tirera d'eau, et pour tenir le port net et le Cul-de- Sac de Québec en état de recevoir les bâtiments qui viendront s'y échouer pour y avoir les radoubs nécessaires, de pouvoir se faire payer à proportion qui sont les douceurs accordées à l'Amérique et autres endroits aux capitaines de port." (1)

Le 4 mars 1727, le Conseil de marine infor- mait le gouverneur de Beauharnois qu'il accor- dait passage au Canada au sieur Testu de la Richardière, capitaine de flûte. " Il lui est acordé congé d'un an, ayant perdu sa femme depuis son départ de Québec (Marie Hurault)."

L'année suivante, le Conseil de marine don- nait enfin à M. Testu de la Richardière la charge de capitaine de port à Québec, vacante depuis la mort du sieur Prat. On lui accordait 500 livres d'émoluments au lieu de 150 qu'avait son prédé- cesseur.

(1) Archives du Canada, Correspondance générale.

214

Le 1er octobre 1728, MM. de Beauharnois et d'Aigremont écrivaient au ministre au sujet de M. Testu de la Richardière :

" L'ordre qui nous a esté adressé pour la place jle capitaine de port à Québec a été remis au S. Testu de la Richardière. Il a accepté avec plaisir la condition de conduire les vaisseaux de Sa Majesté jusqu'à la traverse pour la leur faire, sans aucune augmentation de dépense, et il luy rend de très humbles grâces des cinq cens livres d'appointement qu'elle a bien voulu luy accorder.

" Nous l'avons informé que Sa Majesté n'a point approuvé la proposition qui avait esté faitte de luy accorder un droit de 3 livres par pied tirant d'eau de chaque bâtiment marchand, mais que Sa Majesté trouverait bon qu'il tire des capi- taines ou propriétaires des vaisseaux marchands qui voudront profiter de ses soins, la rétribution dont il conviendra avec eux de gré à gré, Sa Majesté luy déffendant d'en rien exiger autre- ment. Le S. de la Richardière nous a promis de se conformer à cette décision et nous y tiendrons la main." (1)

M. Testu de la Richardière rendit de grands services en 1729, lors du naufrage de l'Eléphant, vis-à-vis de l'île aux Grues. Le 28 mars 1730, le Conseil de marine priait MM. de Beauharnois et Hocquart de lui exprimer la satisfaction du roi pour avoir aidé d'une manière aussi efficace au sauvetage des effets du naufrage de l'Eléphant.

Le 4 avril 1730, le Conseil de marine priait MM. de Beauharnois et Hocquart d'envoyer M. Testu de la Richardière au Bic pour y attendre le vaisseau du roi, Le Héros, et le guider jusqu'à Québec afin de prévenir le malheur qui était arrivé, l'année précédente, à l'Eléphant.

Le 15 octobre 1730, MM. de Beauharnois et

(1) Correspondance générale, Canada, vol. 50, f. 57.

215

Hocquart rendaient le bon témoignage suivant de M. Testu de la Richardière :

" Le Sr. la Richardière, capitaine de port, depuis la réception de vos ordres, a cessé de pré- tendre aucune rétribution pour les soins qu'il se donne pour conduire les navires marchands dans cette rivière. Mr de L'Estenduère peut, Monseigneur, vous rendre comme nous tesmoi- gnage de sa capacité, de son expérience et de l'attention particulière qu'il a eue à conduire le vaisseau du Roy en sûreté jusques dans cette rade. Nous ne cessons point, Monseigneur, de vous demander pour cet officier les appointe- ments de capitaine de flûte que nous eûmes l'honneur de vous demander l'année der- nière." (1)

Au mois de mai 1731, l'intendant Hocquart donnait l'ordre suivant à M. Testu de îa Richar- dière :

" Gilles Hocquart, etc.

" Il est ordonné au s. La Richardière, capi- taine de port, de s'embarquer sur la goélette du roi le Thomas-Marie armée en ce port de cinq hommes d'équipage, y compris Pierre Dizet, pilote, et de parcourir la côte du nord et celle du sud de cette rivière, pour y observer les mouil- lages, sondes, et généralement faire toutes les remarques et observations qu'il estimera néces- saires, pour faire naviguer sûrement les vais- seaux du roi. Il en dressera son journal et en fera tenir un semblable par le sieur Dizet pour nous les représenter à son tour. Mandons. Fait à Québec, le vingt-deux mai 1741.

Hocquart." (2)

MM. de Beauharnois et Hocquart avaient tellement confiance en M. Testu de la Richardière

(1) Correspondance générale, vol. 52, c, 11, f. 50.

(2) Ordonnances des Intendants, vol. 19, f. 103.

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que le 9 octobre 1731, ils proposaient au ministre de le nommer au commandement de la flûte qu'on construisait pour le compte du roi sur les chantiers de Québec :

" Nous prenons la liberté de vous proposer pour le commandement de la flûte qui est en construction le Sr. La Richardière, capitaine de port ; vous connaissez, Monseigneur, ses talens et son expérience à la mer ; il sera en état de la conduite à Rochefort et à toute autre destination, si vous l'agréez. Nous vous supplions de nous le faire sçavoir l'année prochaine, afin que le Sr La Richardière puisse if arranger pour cela ; nous pourrions recevoir trop tard vos ordres en 1741.

" Nous estimons, Monseigneur, que vous ne voudrez pas mettre sur ce navire un fort état- major, et dans ce cas deux officiers du départe- ment de Rochefort suffiront avec le S. La Richardière, la dépense en sera beaucoup moins considérable." (1)

Quelques jours plus tard, le 15 octobre, MM. de Beauharnois et Hocquart écrivaient de nou- veau au ministre :

" M. de la Richardière a parcouru le prin- temps dernier avec la goélette du Roy, la coste du nord de cette rivière, il a fait toutes les observations nécessaires à la navigation sur les différents courants, sondes et mouillages dont il a fait un journal exact avec le nommé Diset qui est un des pilotes du vaisseau du Roy resté à Québec l'automne dernière et qui est remplacé cette année par le nommé Garnier autre pilote auquel nous ferons faire pareille course du costé du sud au printemps prochain avec le dit sieur de la Richardière. Vous avez eu agréable, Monseigneur, d'accorder à cet officier une grati- fication de 300 livres, trouvez bon que nous vous

(1) Correspondance générale, vol. 71, f. 20.

217

représentions que le voyage qu'il a fait cette année dans lequel il n'a vécu que de biscuit et de lard salle éqiûvaut à une campagne de 3 ou 4 mois et qu'il nous paraist qu'il est de votre justice de luy accorder une gratification plus considérable, son zèle et son attention pour le bien du service la luy font mériter, il est actuelle- ment à bord du vaisseau du Roy, et le conduira jusqu'à l'isle aux Lièvres l'isle verte. M. le comte des Gouttes doit vous rendre compte de son activité et de ses soins." (1)

En 1732, le Rubis fut destiné à faire le voyage du Canada. Le 4 mars, le Conseil de marine écrivait à MM. de Beauharnois et Hoc- quart que M. de l'Etanduère et le comte des Gouttes s'étaient si bien trouvés des secours que le sieur Tes tu de la Richardière leur avait don- nés dans le fleuve Saint-Laurent qu'il convenait de l'envoyer de nouveau à l'île Verte pour y attendre le Rubis.

Cette même année 1732, le roi accorda une gratification de 500 livres à M. Testu de la Richardière, en récompense de ses services.

Cette gratification lui fut encore accordée l'année suivante.

En 1734, M. Testu de la Richardière pilote encore le Rubis.

Le président du Conseil de marine ordonnait à MM. de Beauharnois et Hocquart, le 20 avril 1734, de confier au sieur Testu de la Richardière l'exploration du Saint-Laurent, depuis le Cap Chat jusqu'à Gaspé, et, en remontant depuis les Sept-Iîes jusqu'à la Malbaie. Il devait aussi aller examiner le passage du détroit de Belle-Ile.

Les soins que M. Testu de la Richardière se donnaient pour la sûreté de la navigation lui valurent, en 1734, la continuation de la gratifi- cation de 500 livres.

(1) Correspondance générale, vol. 54, c. 11, f. 188.

218

En 1735 et 1736, M. Testu de la Richardière fut assez heureux pour recevoir encore 500 livres de gratification.

En 1737, les appointements de M. Testu de la Richardière furent portés à 1000 livres mais il ne devait plus recevoir de gratification.

Le 1er octobre 1737, MM. de Beauharnois et Hocquart écrivaient au ministre au sujet du sondage et du pilotage du fleuve fait par M. Testu de la Richardière :

M. de la Richardière, capitaine de port, a repassé dans la colonie sur le vaisseau du Roy et il l'a piloté depuis les Pellerins jusqu'à Qué- bec sans aucun accident ; il doit l'aller recon- duire à l'ordinaire.

" M. Duquesnel vous a informé, Mgr, de l'erreur qu'il a faite dans sa navigation, aux atterrages du Chapeau Rouge par les fausses sondes qu'il a trouvées. Nous estimons qu'il con- viendrait que M. de la Richardière visitât l'année prochaine avec le pilote qui doit rester icy les côtes de Terreneuve, depuis le Cap Raze jusques au Cap de Rays, ainsy que les isies, bancs et battures qui s'y trouvent dont il dressera une carte et un journal.

" En 1739, il fera avec le même pilote une visite depuis le Cap de Rays jusqu'au port Achois. Le petit brigantin du Roy est absolument hors de service et M. Hocquart qui doit envoyer au printemps prochain des farines à l'Isle Royale prêtera comme il a fait en 1736 un bâtiment pour le transport de ces farines sous le comman- dement du Sr La Richardière, lequel après leur déchargement ira faire sa tournée le long des costes de Terreneuve dans le golfe et dans le fleuve. Cet arrangement coûtera beaucoup moins au Roy que s'il fallait faire un armement exprès pour cette destination.

" Le pilote qui doit hiverner cette année et la suivante est le nommé Pellegrin qui a déjà de

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l'expérience dans la navigation de ce pays cy il a fait trois voyages, et comme il est important de former un plus grand nombre de pilotes, nous avons cru qu'il estait du bien du service de rete- nir le fils du Sr Galocheau et de l'envoyer avec le Sr la Richardière. C'est un jeune homme âgé de 17 à 18 ans qui a déjà fait 4 ou 5 voyages avec son père, qui sçait bien le pilotage et qui a bonne volonté de s'instruire et devenir bon pratique. M. Hocquart le traitera comme le pilote.

"Le Sr La Richardière vous a proposé à ce qu'il nous a dit d'établir des bouées dans la traverse qui seraient posées au printemps et relevées l'automne. Il y avait longtemps que cet officier nous avait parlé d'ouvrir une avenue à travers le bois sur l'Isle aux Raux ; cette avenue a été faite à l'arrivée du vaisseau du Roy en présence du Sr La Richardière et des pilotes de Rochefort qui ont donné l'alignement. C'est un amets invariable pour passer la traverse aujour- d'huy en gouvernant sur le milieu. Elle est de 100 pieds de largeur sur 1000 de longueur. Cela n'a presque rien coûté, M. Duquesnel ayant donné une vingtaine de matelots qui y ont travaillé avec 10 habitants gens de hache qui ont abbatu les bois, il reste encore deux amets à fixer le long de l'Isle d'Orléans. Le premier à la rivière Delphine et l'autre à la pointe St-Jean. Ces deux pointes ne pouvant estre bien distinguées que par un temps fort clair, parce qu'elles sont très basses, retardent souvent l'arrivée du vaisseau du Roy et des vaisseaux marchands. Il est ques- tion d'élever sur chacune des deux pointes un pan de mur ayant la face au N. 2 de 30 pieds de largeur et 25 à 80 pieds de hauteur sur 3 pieds d'épaisseur. Ces deux . pans de muraille un peu ouverts seront les amets qu'il faudra suivre pour éviter les battures. M. de La Richardière et les pilotes ont marqué les endroits il faudra

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bâtir ; il y aurait environ 50 toises quarées de maçonnerie à élever, lesquels à raison de 22 livres à cause de la sur-épaisseur feraient la somme de 1100 livres ce qui n'est pas un objet en égard aux avantages et à la sûreté de la navi- gation.

" L'entretien des bouées, orins, anchres ou picasses coûteraient par an environ 200 livres de sorte qu'il se trouve encore de l'économie à construire les pans de muraille proposés. Ce- pendant, avant de le faire nous attendrons vos ordres que nous pourrons exécuter dès l'année prochaine si vous avez agréable de nous les envoyer de bonne heure par la voye de l'Isle Royale.

" L'objection qui se présente d'abord contre tous ces amets, est qu'en rendant la navigation facile et sûre aux bâtiments fiançais les ennemis en profiteraient s'ils voulaient faire quelqu'en- treprises contre la colonie. Dans ce cas on les tromperait par de nouveaux amets à l'Isle aux Raux et on renverserait ceux qui seraient établis à l'Isle d'Orléans." (1)

Le ministre ayant approuvé les suggestions de MM. de Beauharnois et Hocquart, i'ordre suivant fut donné à M. Testu de la Richardière :

" Il est ordonné au S. de La Richardière, capitaine des brûlots de Sa Majesté et du port à Québec, de prendre le commandement du bri- gantin l'Hyrondeile et de partir incessamment de cette rade pour se rendre à la côte de Terre Neuve avec les jeunes pilotes Pellegrin et Galo- cheau, et y faire toutes les observations et remarques nécessaires pour perfectionner la navigation du golfe de St-Laurent ainsi que celle

(1) Correspondance générale, Canada, vol. 67, p. 6.

221

du fleuve dans l'allée et le retour. Fait à Québee le premier mai 1738.

BEAUHARNOIS." (1)

En même temps, le mémoire qui suit était remis à M. Testu de la Richardière.

" Mémoire pour le S. La Richardière au sujet du voyage qu'il est sur le point de faire dans le fleuve et golfe St-Laurent et à la côte de Terre-Neuve avec les deux jeunes pilotes qui doivent s'embarquer avec lui dans le brigantin l'HyrondelIe.

" Le S. de La Richardière partira dans tout le courant de ce mois de la rade de Québec et se rendra à la côte de Terre-Neuve.

" Il visitera la côte de cette île depuis le cap Raze jusqu'au cap de Rays ainsi que les îles, battures,mouillages et havres qui s'y rencontrent, observera les gisements de toutes ces terres, les différents fonds qui s'y trouvent, la latitude des lieux et la variation de la boussole.

" Le banc à vert étant une des principales reconnaissances pour assurer la navigation des vaisseaux, il tâchera d'en connaître l'étendue, la situation et les différents fonds.

" Il fera faire toutes ces observations aux deux jeunes pilotes qui sont embarqués avec lui afin qu'ils soient en état à leur retour d'en dresser une carte pour être envoyée à Sa Majesté.

" Il leur fera tenir un journal exact de leur navigation dans lequel ils comprendront non seulement les observations ci-dessus, mais toutes celles qu'ils pourront faire dans le golfe St- Laurent et le fleuve jusques à Québec.

Fait à Québec le premier mai 1738.

BEAUHARNOIS." (2)

(1) Ordonnances des Intendants, vol. 26, f. 103.

(2) Ordonnances des Intendants, vol. 26, f. 104.

222

M. Testu de la Richardière s'acquitta de cette tâche à la satisfaction du gouverneur et de l'intendant.

Le 26 avril 1740, le gouverneur de Beauhar- nois donnait l'ordre suivant à M. de la Richar- dière :

" Charles, marquis de Beauharnois, il est ordonné au sr. de la Richardière, capitaine de port à Québec, de prendre le com- mandement de la goélette l'Hirondelle et de se mettre incessamment en estât de partir pour se rendre à l'Ysle Royale ou yl remettra les vivres et munitions que M. Hocquart doit faire charger sur le d. Bâtiment et qui sont destinés pour les magasins du Roy à Louisbourg.

" Il visitera ensuite le passage de Cançeaux, l'Ysle St-Jean, la Baye des Chaleurs et le reste du Golfe qui n'a point encor esté parcouru et yl fera dans le cours de cette visite les observations nécessaires pour perfectionner la navigation.

k< Il examinera en particulier quel avantage on pourrait tirer de la Baye des Chaleurs, on prétend qu'il s'y trouve une quantité considérable de chesnes propres pour les constructions, et que les terres du fond de la Baye sont propres aux cultures.

" Les srs Pellegrin et Galocheau, Pilottes du Roy, s'embarqueront avec luy. Il leur fera tenir un journal exact de la campagne qu'il va faire, pour nous être remis à son retour qui sera dans le courant du mois de septembre prochain fait à Québec le vingt six avril 1740.

Signé BEAUHARNOIS,

Pour copie,

HOCQUART.

M. de la Richardière mourut à Québec le 25 octobre 1741, à l'âge de 60 ans, et fut inhumé

223

dans la chapelle de l'Ange Gardien de la cathé- drale.

MM. de Beauharnois et Hocquart annon- çaient sa mort au ministre, le 30 octobre, dans les termes suivants :

" M, de la Richardière, capitaine de port, est mort le 25 de ce mois, à son retour du vaisseau du Roy qu'il a conduit jusques à la Prairie. Il se présente trois sujets pour remplir cette place, tous trois bons navigateurs qui depuis 15 ou 20 ans commandent des bâtiments marchands pour la France, les Isles et l'Isle Royale et qui con- naissent bien la Rivière ; ce sont les Sieurs Daillebout de Cerry, le Gardeur de Beauvais et Aubert, gentilshommes du pays. Le dernier a une santé fort délicate, nous ne pouvons vous le proposer ; les 2 autres nous paraissent également bons, et vous pouvez, Monseigneur, choisir ou le Sr Cerry ou le Sr. Beauvais, le premier com- mande un navire pour les Isles qui est sur son départ, le second en commande un autre qui estoit l'esté dernier à Bordeaux, et qui ne doit revenir que l'année prochaine.

" Le S. de la Richardière estait un officier zélé qui avait fait la guerre dans ce pais cy ou il avait reçu une blessure considérable. Depuis 15 ans il a piloté le vaisseau du Roy, en allant et revenant, il a visité et parcouru presque chaque année les différents endroits de la Rivière ou du Golfe avec les pilotes du Roy, pour assurer d'au- tant mieux la navigation des vaisseaux de Sa Majesté ; il laisse une veuve sans autre bien apparent qu'une maison et quelques meubles ; elle nous a prié de nous intéresser auprès de vous pour luy obtenir une pension, elle nous parait estre dans le cas de la mériter." (1)

(1) Correspondance générale, vol. 75, f. 73.

224

CONTRAT DE MARIAGE DE THOMAS LA

NAUGUIERE (THOMAS-XAVIER DE LA-

NAUDIERE) ET DE MARGUERITE-

RENEE DENYS DE LA RONDE

(ROMAIN BECQUET, 12

OCTOBRE 1672)

Pardevant Romain Becquet notaire garde nottes etc furent pnts. en leurs personnes Thomas La Nauguière Ecuyer seigneur en partie de Sainte-Anne enseigne d'une compagnie d'infan- terie au régiment de Carignan, demt, ordinaire- ment en sa d. seigneurie de Sainte-Anne, fils de deffunct Jean de La Nauguière vivant escuyer conseiller du Roy en l'eslection d'estat, et de damoiselle Jeanne de Samalins ses père et mère lors de leur décès demeurant en la ville de Mirande evesché d'Och, d'une part ; et damoi- selle Marie Catherine LeNeuf tant en son nom que comme femme et procuratrice gnal. et speeialle de Pierre Denis escuyer sieur de la Ronde absent par procuration passée par devant le notaire qui reçoit les pntes, le vingt, jour de juillet dernier, laquelle a esté xhibée et remise es mains de lad. damelle. Denis pour s'en servir en ses aut. affaires, stipulant aud. nom pour damoiselle Marguerite Renée Denis leur fille à ce pnt., tous demeurant en cette d. ville parc, de Notre Dame, d'autre part, lesquels, ont de leur bon gré et volonté sans aucune force ny contrainte recognu et confessé avoir fait les traitté acords et promesses de mariage qui en suivent, c'est à scavoir que le d. sieur de La Nau- guière a promis et promet prendre pour sa légi- time épouse la d. damelle Denis, comme

aussy lad. damelle Denis du consentement de lad.

225

Damelle. sa mère esd. nom promet prendre à mary et légitime espoux led. sieur d eLa Nou- guère pour iceluy mariage faire faire et solem- niser en face de nostre mère Sainte église catho- lique apostolique et romaine le plus tost que faire se pourra et ql. sera advisé et délibéré entr'eux leurs parents et amis sy Dieu et nostre d. mère sainte église y consentent et accordent, pour estre les d. futurs conjoints uns et communs en tous biens meub. et conquests immeubles du jour de le. espouzailles à l'advenir suivant la coustume de Paris, ne seront lesd. futurs con- joints tenus aux debtes l'un et l'autre payées et acquittées par celuy qui les aura faictes et créés et sur son bien, sera douée et doue lad. future espouze du douaire coustumier ou de la somme de deux mil livres tournois pour une fois payée et au choix de lad. damelle. future espouze, iceluy douaire à prendre et avoir sur le plus beau et plus chair des biens dud. sieur futur espoux qu'il en a dès à présent chargées et hipotecquées, et a led. sieur de la Nouguère futur espoux pris la d. future expouse avec tous ses droits noms raisons et actions qu'elle a de présent et qui luy pourront eschoir cy-après tant par succession, donnation qu'autrement, en faveur dud. futur mariage lad. damelle Denis es noms a promis et promet par ces pntes, de donner à lad. damoi- selle future espouze sa fille en avancement d'ouairie la somme de quinze cent livres tournois payab. aud. sieur futur espoux dans deux mois d'huy pour tout délay laquelle somme de quinze cent livres tiendront nature de propre à lad. damoiselle future espouze et aux siens de son costé et lignée, et arrivant désolution dud. futur mariage sans effrants procrées d'iceluy, les d. sieur et damelle futurs conjoints se sont faits et font donnation de tous leurs d. biens en la meilleure forme et manière que donnation puisse

226

avoir lieu et sortir son effect en tout son contenu de tous et chacun leurs biens meunles acquêts et conquets qui se pourront leur apar tenir au jour de trépas du premier mournat sans, aucune chose en reserver ny retenir pour par le survi- vant d'eux deux du tout faire jouir et disposer ainsy que bon luy semblera au moyen des pntes, et pour faire insinuer y celles etc Car ainsy etc., promettant etc., obligeant chacun en droit soy etc Renonçant de part et d'aut. etc Fati et passé aud. Quebecq en la maison dud. seigneur de Becancour, l'an g b ye soixante et douze après midy le douze, jour d'octobre, en présence de Jean-Baptiste Gosset et de Simon Baston demeu- rant aud. Quebecq appelés pour tesm. qui ont signé avec lesd. s. futur conjoints, parents, amis et notaire suivant l'ordonnance.

THOMAS LANOUGUERE, MARGUERITE RENEE DENYS, LOUIS DE RUADE FRONTENAC, M. CATHERINE LENEUF DENYS, DANIEL DE REMY COURCELLE, LENEUF DE LA POTTERIE, TALON,

RORINEAU DE BECANCOUR, MARIE ANNE LENEUF, FRANÇOIS DORFEUILLE, RERTHIER,

PIERRE DE RECANCOUR, LE GARDEUR, GOSSET,

MARIE RENEE DE GODEFROY, RENE ROBINEAU, BASTON, BECQUET,

Et arrivant aujourd'huy datte des pntes. est comparu led. sieur de La Nouguière nommé au contrat de mariage cy-à costé leql. damelle. Le-

227

Neuf femme de Pierre Denis Ecuyer sieur de la Ronde y nommé par les mains dud. sieur de la Potterie aussy y nommé la somme de quinze cents livres y contenus dont quittant et pro- mettant, obligeant et renonçant.

Fait et passé aud. Quebecq estude du notre, sousb, Fan g b y soixt. et douze avant midy vingt troz. jour d'octobre ez près, de Jean Baptiste Gosset et du sieur Baston dem. aud. Quebecq qui ont signé avec le d. sr. de La Nouguière et nore suivant Tord.

GOSSET, J. BASTON, LANOUGUERE, BECQUET, (1).

(1) Archives Judiciaires de Québec, acte de Becquet.

Ai

,*

INDEX DES PRINCIPAUX NOMS CITÉS DANS CET OUVRAGE

Pages

Baby, L'honorable François 117

Boishébert, Louise-Geneviève Des Champs de ... . 84

Coulon de Villiers, Antoine 57,207

Denys de la Ronde, Marguerite-Renée 224

Deschambault, Jacques-Alexis de Fleury 19

D'Estimauville, Marie-Joséphine 126

Gaspé, L'honorable Ignace Aubert de 120

Gaultier, Jean-François 57

Gordon, Véronique 156

Joliette, L'honorable Barthélémy 159

La Corne, Geneviève-Elisabeth-Louise de 114

Lanaudière, Agathe T. de 127

Anne-Caroline-Josephte T. de 171

Antoinette-Hélène T. de 169

Antoine-Ovide T. de 125

Charles-Barthélemy-Gaspard T. de .... 166

Catherine-Elisabeth T. de 116

Charles-Pierre-Paschal-Gaspard T. de 169

Charlesr-François-Xavier T. de 58,61

Charles-Louis T. de 86

Charles-Luc T. de 115

Charles-Gaspard T. de 122,147

Charlotte-Marguerite T. de 131

Jean-Baptiste-Antoine-Joseph T. de ... 172

Jean-Baptiste-Léon T. de 59

Joseph-Gaspard-Charles T. de 173

Joseph- Jean-Gaspard T. 172

Joseph-Antoine-Alphonse T. de 169

Joseph-»Edouard-Ga$pard T. d;e 170

Josephte-Antonine T. de 170

Louis T. de 21

Louis-Joseph T. de 58

Louise-Rose T. de 20

230

Marie-Anne T. de 117

Marie-Agathe T. de 119

Marie-Antoinette-Suzanne T. de 163

Marie-Catherine T. de 120

Marie-Charlotte T. de 159

Marie-des-Anges-Alice T. de 172

Marie-Madeleine T. de 58

Marie-Elisabeth-Joseph T. de 115

Marie-Louise T. de 121

Marguerite-Marie-Anne T. de 57

Nicolas-Antoine T. de 116

Pierre-Thomas T. de 23,25

Pierre-Paul T. de 158,165

Pierre-Charles T. de 127

Roch T. de 116

Suzanne-Antoinette-Almésine T. de ... . 166

Thomas T. de 116

Thomas-Xavier T. de 5,224

" Utichanne-Arthémise de 169

Xavier-Roch T. de 122

Lavaltrie, Suzanne-Antoinette de 158

Loedel, Peter-Charles 163

Longueuil, Marie-Catherine LeMoyne de 85

McConville, Louis-Arthur 170

Neilson, Norman-John-Rieutort 172

Pérade, Jean-Baptiste-Léon T. de la 59

Pierre-Thomas T. de la 23,25

Richardière, Richard Testu de la 57,210

Suève, Edmond de 203

Taché, Julie-Arthémise 168

Verchères, Marie-Madeleine Jarret de 30, 175

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