Google

This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project

to make the world's bocks discoverablc online.

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the

publisher to a library and finally to you.

Usage guidelines

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to prcvcnt abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automatcd qucrying. We also ask that you:

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for Personal, non-commercial purposes.

+ Refrain fivm automated querying Do nol send aulomated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project andhelping them find additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.

+ Keep il légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search mcans it can bc used in any manner anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite seveie.

About Google Book Search

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders discover the world's books while hclping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web

at|http : //books . google . com/|

Google

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en

ligne.

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont

trop souvent difficilement accessibles au public.

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d'utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public cl de les rendre ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un quelconque but commercial.

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en aucun cas.

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.

A propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //books .google. com|

i

Légende Dorée

DE

JACQUES DE VORAGINE

NOUVELLEMENT TRADUITE EN FRANÇAIS INTRODUCTION, NOTICES, NOTES

Recherches sur les Sources

L'Am:J -13. M. ROZE

Chanoine hononirc de la Cathédrale d'Amiens

DEUXIEME PARTIE

PARIS

7IÎ, Rt(E IlE SKIN-E, 7fi

MDCCCCil

EDOUARD ROUYEYRE, Éditeur, rue de Seine, 76, PARIS

Publication honorée de la Souscription du Ministère de V Instruction publique et des Beaux- Arts

OUVRAGE COMPLET EN DIX VOLUMES

Connaissances nécessaires

Accoiu|»agnées (le Notes critiques ' TTrj Tiih/innll if/>

et DocumeoU bibliographiques t* %^ tl XJlUIflU^IHlC

recueillis et publiés par

EDOUARD ROUVEYRE

Libnire-Aiitiqnaire et Éditeur, Ofll-ierde l'inslraction publique

CINQUIÈME EDITION Dix volumes in 8* carré criX225), illustrés de 1800 figures

Prix : 80 fr.

SOMMAIRE DES DIX VOLUMES

Les volumes ne se vendent pas séparément

Premier Tolume : f i. Origine du livre. Les amateurs, les bibliophiles, iesbibliomanes. Etablissement d'une bibliothèque. Conservation et entretien des livres. ~ Deuxième Tolame : f 3. Du format des livres. Les livres les plus petits. Les livres les plus grands. ~ Les livres imprimés ou calli- eraphiés en caractères microscopiques. f 3. Ducollationnementdos livres.— Delà manière de procéder à cotte opération. Ses diflicultés. Ses ré- sultats. — ^ 4. Abréviations usitées en bibliographie, ainsi que dans les ma- nuscrits et les imprimes. d' 5. Signes disiinctifs dos anciennes éditions. i 6. Des souscriptions et de la date.— Troisième volume : ^ 7. Du choix des livres.— De la lecture.— De la connaissance des livres.— Leurs déitnitions.— Caractères auxquels on distingue un livre rare, précieux ou curieux.— Cu (fui en fait le prix.— La chasse aux livres.— Quatrième volume : i( 8. De la re- liure ancienne et moderne.— Du goût et des styles dans la reliure. Petit musée de la reliure ancienne. Cinquième volume : ^'0. Do la gravure et de ses états. De Tillustration et de la décoration intérieure des livres.— Les livres gravés ou burinés.— Les livres avec gravures supprimées, épreuves à l'état d eau forte ou avec remarques. —Les livres avec aquarelles, illustrations ou ornements placés dans le texte ou sur les marges, etc.— Sixième volume :

LlO. Les reliures aux chiffres ou à monogrammes.— Les reliures aux armes.— es EX'Libris. .^11. Les livres avec dédicaces ou annotations manuscrites, etc. Les livres de provenance curieuse ou illustre. Septième volume : i li. Les Manuscrits ^t la Peinture des livres. Huitième volume : ti 13. Les en- nemis du livre.— Moyens de préserver les livres des insectes.— Destruction des livres et falsllication des gravures*. Les voleurs et les équarrisseurs de li- vres.—| li. Altérations et fraudes.— Nettoyage et encollage des livres et des gravures. Du dédoublage des gravures. Réparation des manuscrits, des piqûres de vers, des déchirures et des cassures du papier. Restauration des estampes et des reliures. Les livres imprimés «ur peau vélin, papiers de Chine, Japon. Whatman, vélin, vergé, etc. Neuvième et dixième volumes: j 15. De la classification systématique des livres, des autographes et des gra- vures. — f 16. Lexique des termes relatifs à la Bibliographie, à l'Art typogra- phique, etc., employés dans le cours des Connaissances néeetsaxres à un BibUopItile, avec renvois aux tomes et aux pages de cette publication.

L.es sommaires DÉTAILLÉS des dix volumes sont adressés gratis

et franco. En faire la demande.

EDOUARD ROUVETRE, Editeur, rue do Seine, 76, à Paris

HISTOIRE - PHILOSOPHIE DOCUMENT

Comment discerner les Styles

du VI 11- au XLV siùclc

i»Aii « Publication honorée rte la Souscription <tu Miniitère

L. ROGER-MILËS T^ de V/nstrucUon publique et des Deaux-ArU

ÉTUDES SUR LES FORMES ET LES VARIATIONS

PROPRES A DÉTERMINER LES CARACTÈRES DU STYLE

dans

LE COSTUME ET LA MODE

U MODE - LES SYMBOLES LA TRADITION Accompagnées de Deux mille Dessins gravés par J. Mauge

D'APRÈS les TABLEAUX, MANUSCRITS cl MONUMENTS en TOUS GENRES existant dans les Musées, Dihliothèques et Collections nationales et particnlières

UN FORT VOLUME IN-4 JÉSUS (22X30) Exemplaire en cartonnage artistique, non rogné .... Quarante francs

CARACTÈRES et MANIFESTATIONS des FORMES

on

Architecture et Décoration

XVIIIe SIÈCLE

LA RÉGENCE ÉPOQUE LOUIS XV

Accompagnés de Devur. mille Dessins gravés par J, Mauge

D'APRÈS LES TABLKAUX, MANUSCRITS et MONUMENTS en TOUS GENRES existant dans les Musées, Dibliothèqucs <>t Collections nationales et particulières

UN FORT VOLUME IN-4 JÉSUS (22X30) Exemplaire en cartonnage artistique, non rogné Quarante Francs

ÉTUDES SUR LES FORMES ET LES DECORS

PROPRES A DÉTERMINER LES CARACTÈRES DU STYLE

dans les

Objets d'Art, de Curiosité, et d'Ameublement

ARMES ET ARMURES BUOCTERIB BRODERIE CKRAMIQUE UEN'TELLE

ÉMAILLERIE HORLOGERIE JOAILLERIE MEUBLES

PEINTURE SUR VBLIN ORFÈVRERIE CIVILE ET RELIGIEUSE

VERRERIE TAPISSERIE

Accompagnées de Deiur mille Dessins gravés par J, Mauge

D'APRÈS les TABLEAUX, MANUS'.RITS et MONUMENTS en TOUS GENRES existent dans les Musées, Bibliothèques et Collections nationales et particulières

UN FORT VOLUME IN-4 JÉSUS (22X30) Exemplaire en cartonnage artistique, non rogné . . . Quarante francs

Légende Dorée

Vingt-cinq exemplaires ont été imprimés

SUR

PAPIER I>U JAPON DES MANUFACTURES IMPÉRIALES DE TOKIO

Tous droits de roproductioa et de traduction reserves pour tous pays,

y compris la Suède et la Norvège.

k

La

Légende Dorée

DE

JACQUES DE VORAGINE

NOUVELLEMENT TRADUITE EN FRANÇAIS

INTRODUCTION, NOTICES, NOTES

ET

RECHERCHES SUR LES SOURCES

l'Ail ,

LAbbé J.-B. m. ROZE

ChiDoiiic lionorairi: ilo la i-allii-ilnilu J'Aïuicn!!

DEUXIÈME PtRTIE

PARIS

EDOUARD ROUVEVRE, ÉDITEUR

76, RUE DE SEINE, 76

\ -

MDCCCCll

1

THR NBW ¥eU

PUDUC LIDUAilT

390074B

««TOI, LCKOX Arm

TUiMBN flil Ni>AÏI04^

B 1M7 L

LA

LÉGENDE DORÉE

UNE VIERGE D'ANTIOCIIE*

Au IP livre des Vierges^ saint Ambroise raconte en ces termes le martyre d'une vierge d'Antioche : Il y eut naguère à Antioche une viers^e qui évitait de se mruilrer en public ; mais plus elle se cachait, plus elle enflammait les cœurs. La beaulé dont on a entendu parler mais cpi'on n'a pas vue est recherchée avec plus d'empressement à cause des deux stimulants des passions, l'amour et la connaissance, car quand on ne voit rien, rien ne saurait plaire; mais quand on connaît une beauté, on pense qu'elle aura d'autant plus à plaire. L'œil ne cherche pas à juger de ce qu'il ne connaît pas, mais un cœur qui aime conçoit des désirs. C'est pour cela que cette sainte vierge, afin d(^ ne point nourrir trop longtemps des espérances cou- pables, décidée qu'elle était à sauvegarder sa pudeur, nnit de telles entraves aux passions des méchants

* Celte lés^ende est copiée mot à mot dans saint Ambroise au II« livre des Vierges, eh. iv.

n. 1

2 , LA LÉGtNDE DOREE

qu'elle attira rattentioii avant même d'être aimée. Voici la persécution. Une jeune fille incapable de fuir, timide par son âge, afin de ne pas tomber entre les mains de ceux qui auraient attenté à sa pudeur, arma son cœur de courage. Elle fut attachée à la reli- gion au point de ne pas craindre la mort; chaste au point de l'attendre : car le jour vint elle devait recevoir la couronne, jour attendu impatiemment par tous; on fait comparaître une jeune fille qui déclare vouloir défendre à la fois sa chasteté et sa religion. Mais quand on vit sa constance dans son dessein, ses craintes pour sa pudeur, sa résolution à souffrir les tortures, la rougeur (jui lui montait au front dès (|u'elle était regardée, on chercha comment on pour- rait lui ôter la religion en lui laissant entrevoir qu'elle garderait sa chasteté : car dès lors qu'on réussissait à lui citer sa religion, regardée comme ce qu'il y avait de plus important, on pourrait lui faire perdre encore ce qu'on lui laissait.

On commanda à la vierge de sacrifier ou d'être exposée dans un mauvais lieu. Quelle manière d'hono- rer les dieux que de les venger ainsi ! Ou comment vivent-ils ceux qui portent de semblables arrêts? La jeune vierge, non pas parce qu'elle chancelait dans sa foi, mais parce qu'elle tremblait pour sa pudeur, se dit à elle-même : « Que faire aujourd'hui? Ou martyre ou vierge; on veut me ravir une double couronne. Mais celui-là ne connaît pas même le nom de vierge qui renie l'auteur de la virginité : en effet, comment être vierge et honorer une prostituée? comment être vierge et aimer (les adultères? comment être vierge et rechercher l'a-

UNE VIERGE d'aNTIOCHE

mour? Mieux vaut garder son cœur vierge que sa chair. Conserver Tun et l'autre, c'est un bien, quand on le peut, mais puisque cela devient impossible, soyons chaste aux yeux de Dieu et non par rapport aux hom- mes. Raab fut une prostituée, mais après avoir eu foi au Seigneur; elle trouva le salut. Judith s'orna pour plaire à un adultère ; mais parce que le mobile de sa conduite élait la religion et non Tamour, personne ne la regardait comme une adultère. Ces exemples se présentent heureusement : car si celle qui s'est con- fiée à la religion a sauvé sa pudeur et sa patrie, moi aussi, peut-être, en conservant ma religion, conserve- rai-je encore ma chasteté. Que si Judith eiH voulu préférer sa pureté à sa religion, en perdant sa patrie, elle eiU encore perdu son honneur. » Alors éclairée par ces exemples, et gardant dans le fond du cœur ces paroles du Seigneur : « Quiconque perdra son âme à cause de moi, la retrouvera », elle pleura, el se tut, afin qu'un adultère ne IVnlendiU même pas parler. Elle ne préféra pas sacrifier sa pudeur, mais en même temps elle ne prétendit point faire injure à J.-C. Ju- gez si elle pouvait être coupable d'adultère, en sou corps, celle qui ne le fut pas même dans le ton de sa voix.

Depuis longtemps déjà je mets une grande réserve dans mes paroles, comme si je tremblais en entrant dans Texposition d'une suite de faits honteux. PVr-r mez les oreilles, .vierges de Dieu ! La jeune fille est conduite au lupanar. Ouvrez maintenant les oreilles, vierges de Dieu. Une vierge peut être livrée à la pros- titution, et peut ne point pécher. En quelque lieu (jue

LA LÉGENDE DORÉE

soit une vierge de Dieu, est toujours le temple de Dieu. Les mauvais lieux ne diffament pas la chasteté, mais la chasteté ôte à pareil lieu son infamie. Tous les débauchés accourent en foule au lieu de prostitu- tion. Vierges saintes, apprenez les miracles des mar- tyrs, mais oubliez le langage de ces lieux. La colombe est enfermée ; les oiseaux de proie crient au dehors : c'est à qui sera le premier pour se jeter sur la proie. Alors elle leva les mains au ciel comme si elle était entrée dans un lieu de prière et non dans l'asile de la débauche : « Seigneur Jésus, dit-elle, en faveur de Daniel vierge, vous avez dompté des lions féroces, vous pouvez encore dompter des hommes au cœur farouche ; le feu tomba sur les Chaldéens ; par un effet de votre miséricorde, et non pas par sa propre nature, Feau resta suspendue pour fournir un passage aux Juifs. Suzanne se mit à genoux en allant au supplice et triompha des vieillards impudiques ; la main qui osait violer les présents offerts à votre temple se dessé- cha : en ce moment, c'est à votre temple lui-même qu'on en veut : ne souffrez pas un inceste sacrilège, vous qui n'avez pas laissé un vol impuni. Que votre nom aussi soit béni, à celte heure, afin que, venue ici pour être souillée, j*en sorte vierge. » A peine avait- elle achevé sa prière, qu'un soldat, d'un aspect terrible, entre avec précipitation. Comme cette vierge dut trem- bler à la vue de celui qui avait fait reculer la foule tremblante! Elle n'oublia pas toutefois les lectures qu'elle avait faites. « Daniel, se dit-elle, était venu pour être spectateur du supplice de Suzanne, et celle que tout le peuple avait condamnée, un seul la fit

UNE VIERGE d'aNTIOCHE 5

absoudre. Peut-être encore, sous Textérieur d'un loup, se cache-t-il une brebis? Le Christ a aussi ses soldats, lui qui a des légions. Peul-étre encore est-ce le bour- reau qui est entré ; allons, mon âme, ne crains pas ; c'est celui qui fait les martyrs. » 0 vierge, votre foi vous a sauvée! Le soldat lui dit : « Ne craignez rien, je vous en prie, ma sœur. C'est un frère, venu ici pour sauver votre àme et non pour la perdre. Sauvez- moi, pour que vous-même vous soyez sauvée. Je suis entré ici sous les dehors d'un adultère ; si vous voulez, j'en sortirai martyr : changeons de vêtements; les miens peuvent vous aller et les vôtres à moi; les uns et les autres conviendront à J.-C. Votre habit fera de moi un véritable soldat, et le mien fera de vous une vierge. Vous serez bien revêtue, et moi je serai assez dégarni pour que le persécuteur me reconnaisse. Prenez un vêtement qui cachera la femme, donnez- m'en un qui me sacrera martyr. Revêtez la chlamyde qui déguisera entièrement la vierge et qui protégera votre pudeur : prenez ce pileur *pour couvrir vos che- veux et cacher votre visage. On rougit ordinairement quand 0:1 est entré dans un mauvais lieu. Evitez, lorsque vous serez sortie, de regarder en arrière ; en vous rappelant la femme de Loth qui changea de nature pour avoir regardé des impudiques, bien qu'avec des yeux chastes : ne craignez point, le sacrifice sera complet. Je m'offre en votre place comme hostie à Dieu ; vous, vous serez en ma place un soldat de J.-C.

' Le pileur était un bonnet en feulrc (poil) que portaient exclusivement les hommes.

II. 1'

6 LA LÉGENDE DOREE

et VOUS lui ferez bon service de chasteté; Téternilé en sera la solde ; vous porterez la cuirasse de justice qui couvre le corps d'un rempart spirituel; vous aurez le bouclier de la foi, pour vous parer contre les blessures, vous serez couverte du casque du salut. En effet, se trouve J.-C. est notre défense. Puisque le mari est le chef de l'épouse, J.-C. est le chef des vierges. » En disant ces mots il s'est dépouillé de son manteau qui lui donnait la tournure d'un persécuteur et d'un adultère. La vierge présente la tête, le sol- dat se met en devoir de lui offrir son manteau. Ouelle pompe que celle-là ! quelle grâce ! ils luttent à qui aura le martyre et cela dans un mauvais lieu ! Les deux lutteurs sont un soldat et une vierge : c'est dire qu'il n'y a pas parité de nature, mais la miséricorde de Dieu les a rendus égaux. L'oracle est accompli : « Alors les loups et les agneaux paflront ensemble *. » Voyez, c'est la brebis, c'est le loup qui ne sont pas seulement dans le même pâturage, mais qui sont sa- crifiés ensemble. Que dirai-je encore? Les habits sont échangés, la jeune fille s'envole du filet**, mais ce n'est pas de ses propres ailes, puis(ju'elle est portée sur les ailes spirituelles : et ce qu'aucun siècle n'a vu encore, voici une vierge de J.-C. qui sort du lupanar. Mais ceux-là (jui voyaient par les yeux, sans voir réelle- ment, frémissent comme des ravisseurs en présence d'une brebis, comme des loups devant leur proie. L'un d'eux, plus emporté que les autres, entra ; mais dès

* Isaïe, Lxxv, 25.

** Il y a dans ce passade des allusions sans nombre aux combats antiques.

>

UNE VIERGE D^ANTIOCHE

qu'il a constaté de ses yeux ce qui s'est passé : « Qu'est ceci? dit-il; c'est une jeune fille qui est entrée, et ce paraît être un homme. Ceci n'est pas une fable, c'est la biche, à la place de la vierge * : mais ce qui est certain, c'est une vierge qui est devenue un soldat. J'a- vais bien entendu dire, mais je n'avais pas cru que le Christ a changé, l'eau en vin; le voici qui change même le sexe. Sortons d'ici pendant que nous sommes encore ce que nous avons été. Ne serais-je point changé aussi moi-même qui vois autre chose que je ne crois? Je suis venu au lupanar, je vois quelqu'un qui repré- sentera la condamnée ; et puis je sortirai changé aussi : je m'en irai pur, moi qui suis entré coupable. Le fait est constaté, la couronne est due à ce vainqueur émi- nent. Celui qui est pris pour une vierge est condamné à la place de la vierge. Ainsi ce n'est pas seulement une vierge qui sort du lupanar, il en sort aussi des martyrs.

On rapporte que la jeune fille courut au lieu du sup- plice, et que tous les deux combattirent à qui subirait la mort : Le soldat disait: « C'est moi qui suis condamné à être tué ; la sentence vous absout, et elle m'atteint. » La jeune fille s'écrie : « Je ne vous ai pas pris pour être caution de ma mort; mais j'ai souhaité vous avoir pour protéger ma pureté. Si c'est la pudeur qu'on veut atteindre, mon sexe reste. Si l'on demande du sang, je ne désire point de caution! J'ai de quoi me libérer. La sentence est pour moi, puisqu'elle a été por-

* Une biche fut substituée à Iphiiçénie, quand Ae^amcm- Don voulut sacrifier sa fille.

8 LA LÉGENDE DOREE

tée contre moi. Certes, si je vous avais donné pour caution d'une somme d'argent, et qu'en mon absence le juge vous eût fait payer ma dette au prêteur, vous pourriez exiger par un arrêt que je vous satisfasse au dépens de mon patrimoine. Si je m'y refusais, qui ne jugerait ma déloyauté digne de mort ? à plus forte raison dès qu'il s*agit d'une condajnnation à mort. Je mourrai innocente, et ne prétends pas vous nuire par ma mort. Aujourd'hui il n'y a pas de milieu : ou je ré- pondrai de votre sang versé, ou je serai martyre avec mon sang. Si je suis revenue aussitôt, qui oserait me chasser? Si j'eusse tardé, qui oserait m'absoudre? La loi doit m'alteiiulre, non seulement pour ma fuite, mais aussi pour le meurtre d'aulrui. Si mes membres ne pouvaient supporter le déshonneur, ils peuvent supporter la mort. On peut trouver dans une vierge un endroit oii on la frappera, quand elle n'en avait pas pour être flétrie : j'ai fui l'opprobre et non le martyre. Je vous ai bien cédé mon vêtement, mais je n'ai pas changé de qualité. Que si vous m'enlevez la mort vous ne m'avez pas rachetée, vous m'avez cir- convenue. Gardez-vous de discuter, je vous prie, gar- dez-vous de me contredire. Ne m'enlevez pas un bien- fait que vous m'avez donné. En avançant que cette dernière sentence n'ait pas été portée contre moi, vous en faites revivre une autre. Une première sen- tence est infirmée par une seconde. Si la dernière ne m'atteint pas, la première m'atteint. Nous pouvons exécuter l'une et l'autre, si vous me laissez être tour- mentée tout d'abord. Sur vous on ne pourra exercer un autre châtiment, mais sur une vierge la pudeur s'y

UNE VIERGE d'aNTIOCHE 9

oppose. Enfin vous retirerez plus de gloire pour faire une martyre d'une adultère, que pour faire une adul- tère d'une martyre. » Quel dénouement attendez- vous? Ils combattirent à deux et tous deux furent vainqueurs. Au lieu d'une couronne à partager, deux furent accordées. C'est ainsi que les saints martyrs se secondaient mutuellement, l'une ouvrait à l'autre la porte au martyre, celui-ci lui donna de le réaliser.

On porte aux nues, dans les écoles des philoso- phes *, Damon et Pythias, de la secte de Pythagore. L'un d'eux, condamné à mort, demanda le temps de mettre ordre à ses affaires. Or, le tyran plein d'astuce, pensant qu'on ne pourrait plus le retrouver, demanda une caution qui serait frappée à sa place, s'il tardait à revenir. Je ne sais ce qu'on doit le plus admirer, ni quelque chose de plus noble, de l'un qui trouve quel- qu'un s'obligeant à le représenter pour mourir, ou de l'autre venant s'offrir. Mais comme le condamné tar- dait à se présenter au supplice, son répondant vint avec un visage calme, et ne refusa pas de subir la mort. On le conduisait au lieu de rexéculion, quand son ami arrive; celui-ci vint se substituer à l'autre, et offrir sa tète au bourreau. Alors le Ivran, vovant avec admi- ration que les philosophes estimaient plus l'amitié que la vie, demanda à être admis en tiers dans l'amitié de ceux qu'il avait condamnés à mort. Tant la vertu a d'attraits, puisqu'elle gagna un tyran! Ces faits méri- tent des louanges, mais ils ne l'emportent pas sur

* C.icéron, De officih^ lib. III. Valèrc-Mîixiiiie, liv. IV,

C. VII.

10 LA LÉGENDE DOREE

ceux que nous venons de raconter. Car dans ce der- nier exemple, ce sont deux hommes, dans Tautre on voit une vierge qui, tout d'abord, avait même son sexe à vaincre. Ceux-ci étaient deux amis : ceux-là ne se connaissaient point : ceux-ci se présentèrent devant un seul tyran : ceux-là devantbeaucoup de tyrans et de plus cruels encore. Le premier pardonna, les seconds tuèrent. Entre les premiers, il y avait solidarité, dans les seconds la volonté était libre. Il y eut plus de pru- dence dans ceux-ci, parce qu'ils n'avaient qu'un but, la conservation de l'amitié, ceux-là, ne tendaient qu'à avoir la couronne du martyre. Ceux-ci combattirent pour les hommes ; ceux-là pour le Seigneur. (Saint Ambroise.)

SAINT PIERRE, MARTYR

Pierre signifie connaissant, ou déchaussant. Pierre peut encore venir depetros, ferme. Par on comprend les trois pri- vilèjçes qui distinguèrent saint Pierre : Premièrement, car il fut un prédicateur remarquable, de la qualité de connais- sant: parce qu'il posséda une connaissance parfaite des Ecri- tures et qu'il connut dans sa prédication ce qui convenait à chacun. Secondement, il fut vierge, très pur; ce qui le fait dire déchaussant, parce qu*il se déchaussa et se dépouilla les pieds de ses affections de tout amour mortel : de sorte qu'il fut vierge non seulement de corps mais de cœur. Troisièmement, il fut martyr glorieux du Seigneur ; d'où le nom de ferme, parce qu'il supporta constamment le martyre pour la défense de la foi.

Pierre, le nouveau martyr de l'ordre des Prêcheurs, champion distingué de la foi, fut originaire de la cité

SAINT PIERRE, MARTYR 11

de Vérone *. Tel qu'une lumière éclatante jaillissant de la fumée, qu'un lys qui s'élance des ronces, qu'une rose vermeille sortant du milieu des épines, il devint un prédicateur pénétrant quoique de parents aveu- glés par l'erreur : il fit paraître une splendeur virgi- nale de sainteté corporelle et spirituelle, en sortant d'une souche corrompue, et du milieu des épines, c'est-à-dire de ceux qui étaient destinés à Fenfer il s'éleva pour être un noble martyr. En effet le B. Pierre avait pour parents des infidèles et des hérétiques et il se conserva entièrement pur de leurs erreurs. A Tâge de sept ans, un jour qu'il revenait de l'école, un on- cle hérétique lui demanda ce qu'il avait appris en classe. Il répondit qu'il avait appris : « Je crois en Dieu le père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre... Credo hi Deum. » «Ne dis pas, lui répliqua son oncle, créateur du ciel et de la terre, puisqu'il n'est pas le créateur des choses visibles, mais que c'est le diable qui a créé toutes ces choses que Ton voit. » Mais Fenfant lui soutenait qu'il préférait dire comme il avait lu et croire comme il l'avait vu écrit. Alors son oncle s'efforça de le convaincre par différentes auto- rités : or, l'enfant, qui était rempli du Saint-Esprit, lui

* On comprend que le bienheureux Jac(jues de Voraginc ait traité si longuement la vie d*un saint moine de sou ordre, que, sans doute, il a connu lui-même, car saint Pierre fut assas- siné en 1252. Or, Jacques de Voragine prit Thabil de domini- cain en 1244. Au reste les Bollandistes n*ont pas mis moins de 23 pages in-folio pour rapporter les miracles du saint dont la vie a été écrite par Thomas de Leontio, dominicain, puis patriarche de Jérusalem, lequel a vécu longtemps à Vérone avec le saint.

12 LA LKGENDE DORKE

rétorqua tous ses argumenls, le défit avec ses propres armes et le réduisit au silence. Fort indiofué d'avoir été confondu par un enfant, il alla rapporter au père tout ce qui s'était passé entre eux, et il persuada à celui-ci de retirer son enfant de l'école : « Car je crains, ajoula-t-il, que quand ce petit Pierre aura été tout à fait instruit, il ne tourne vers TEçlise romaine la prostituée, et qu'ainsi il ne détruise et confonde notre croyance. » Semblable à un autre Caïplie, il disait vrai sans le savoir, quand il prophétisait que Pierre devait détruire la perfi- die des hérétiques ; mais parce que tout est dirigé par la main de Dieu, le père n'obtempéra pas aux conseils de son frère ; il espérait, quand son fils aurait terminé son cours de grammaire, le faire attirer à sa secte par quelque hérésiarque. Mais le saint enfant, qui ne se voyait pas en sûreté en habitant avec des scorpions, renonça au monde et à ses parents pour entrer pur dans Tordre des frères Prêcheurs. Il v vécut avec une grande ferveur, au rapport du pape Innocent, qui dé- clare dans une de ses lettres que le bienheureux Pierre, dans son adolescence, pour éviter les prestiges du monde, entra dans Tordre des frères Prêcheurs. Après y avoir passé près de trente ans, il avait atteint au comble de toutes les vertus. C'était la foi qui le di- rigeait, Tespérance qui le fortifiait, la charité qui Taccompagnait. Il fit tant de progrès pour se rendre capable de défendre la foi dont il était embrasé, que la lutte soutenue par lui avec intrépidité et chaleur pour elle contre ses adversaires, était de tous les jours, et (ju'il consomma ce combat sans interruption jus- qu'au moment il remporta heureusement la victoire

SAINT PIERRE, MARTYR 13

du martyre. Il conserva aussi toujours intacte la virgi- nité de son cœur et de son corps : jamais il ne ressentit les atteintes du péché mortel, coriTme on en a la preuve par la déclaration fidèle de ses confesseurs : et parce qu'un esclave délicatement nourri est insolent contre son maître, il mortifia sa chair par une frugalité habi- tuelle dans le boire et dans le manger. Pour n'être pas pris au dépourvu par les attaques ennemies, il consa- crait ses instants de loisir à méditer avec assiduité sur les ordonnances pleines de justice de Dieu ; en sorte qu'occupé entièrement à cet exercice salutaire, il n'avait pas lieu de se livrer à des actions défendues et tou- jours il était en garde contre les malices du démon. Après avoir donné un court repos à ses membres fati- gués, il passait ce qui restait de la nuit à étudier, à lire, et à veiller. Il employait le jour aux besoins des âmes, ou à la prédication, ou à entendre les confessions, ou bien à réfuter par de solides raisons les dogmes empoisonnés de l'hérésie ; et on a reconnu qu'il y excel- lait par un don particulier de la grâce. Sa dévotion était agréable, son humilité douce, son obéissance calme, sa bonté tendre, sa piété compatissante, sa pa- tience inébranlable, sa charité active, sa gravité de mœurs était remarquable en tout : la bonne odeur de ses vertus attirait à lui : il était attaché profondé- ment à la foi, et comme il la {pratiquait avec zèle, il en était le champion brûlant. 11 l'avait si profondément gravée dans le cœur, et s'y soumettait de telle sorte que chacune de ses œuvres, chacune de ses paroles reflétaient cette vertu. Animé du désir de subir la mort pour elle, il est prouvé que ses prières fréquentes

I

14 LA LÉGENDE DORÉE

et assidues, ses supplications ne tendaient qu'à obte- nir du Seigneur de ne pas permettre qu'il quittât la vie autrement qu'en*buvant pour lui le calice du mar- tyre. Il ne fut pas trompé dans son espoir.

La vie de saint Pierre fut illustrée par de nombreux miracles. Un jour, il examinait à Milan un évêque héré- tique dont s'étaient saisis les fidèles. Or, beaucoup d*é- vêques, et grand nombre de personnes de la ville se trouvaient ; l'examen s'élant prolongé fort longtemps et la chaleur excessive accablant tout le monde, l'héré- siarque dit en présence du peuple : « 0 méchant Pierre, si tu es aussi saint que le prétend cette foule stupide, pourquoi te laisses-tu mourir de la chaleur et ne pries- tu pas le Seigneur d'interposer un nuage afin que ce peuple insensé ne succombe pas sous ces feux ardents? » Pierre lui répondit : « Si tu veux promettre d'abjurer ton hérésie et d'embrasser la foi catholique, je prierai le Seigneur, et il fera ce que tu dis. » Alors les fau- teurs des hérétiques se mirent à criera l'envi : « Pro- mets, promets, » car ils croyaient impossible que la promesse de Pierre fût réalisable, d'autant qu'il n'y avait pas en l'air l'apparence du moindre nuage. Les catholiques furent attristés, dans la crainte que leur foi n'en ressentît quelque déshonneur. Quoique l'héré- tique n'eût pas voulu s'engager, saint Pierre dit avec grande confiance : « Pour preuve que le vrai Dieu est créateur des choses visibles et invisibles, pour la con- solation des fidèles et la confusion des hérétiques, je prie Dieu de faire monter un petit nuage qui vienne s'interposer entre le soleil et le peuple. » Après avoir fait le signe de la croix, il obtint ce qu'il avait demandé :

\

SAINT PIERRE, MARTYR 15

pendant Fespacc d'une grande heure, un léger nuage couvrit le peuple qui se trouva abrité comme sous un pavillon. Un homme, nommé Asserbus, qui avait les membres retirés depuis cinq ans, et qu'on traînait par terre dans un boisseau, fut conduite saint Pierre, à Milan. Le saint fit sur lui le signe de la croix, et le guérit. Le pape Innocent rapporte, dans la lettre citée plus haut, quelques miracles opérés par rentre- mise du saint. Le fils d'un noble avait dans le gosier une tumeur d'une grosseur horrible ; elle Tempèchait de parler et de respirer; le bienheureux leva les mains au ciel, et fit le signe de la croix en même temps que le malade s'était couvert du manteau de saint Pierre ; ù rinstant il fut guéri. Le même noble, affligé plus tard de violentes convulsions qu'il craignait devoir lui don- ner la mort, se fit apporter avec révérence ce même manteau qu'il avait conservé depuis lors ; il le mit sur sa poitrine, et peu après il vomit un ver qui avait deux têtes et était couvei^t de poils; sa guérison fut complète. Un jeune muet auquel il mit le doigt dans la bouche reçut le bienfait de la parole; sa lan- gue avait été déliée. Ces miracles et bien d'autres en- core furent dus au saint auquel le Seigneur accorda de les opérer, pendant sa vie.

Cependant comme la contagion de l'hérésie multi- pliait ses ravages toujours croissants dans la province de la Lombardie et dans un grand nombre de villes, le souverain pontife, pour détruire cette peste diabo- lique, délégua plusieurs inquisiteurs de Tordre des frères Prêcheurs, dans lesditférentes partiesde la Lom- bardie. Mais comme à Milan les hérétiques, nombreux

16 LA LÉGENDE DOREE

et appuyés sur la puissance séculière, avaient recours à une éloquence frauduleuse et à une science diabo- lique, le souverain pontife, connaissant pertinemment saint Pierre dont le cœur magnanime ne se laissait pas épouvanter par la multitude des ennemis, appréciant en outre la constance de son courage qui le faisait ne pas céder même dans les petites choses à la puissance des adversaires, informé de son éloquence au moyen de laquelle il démasquait avec facilité les ruses des hérétiques, n'ignorant pas non plus la science pleine et entière dans les choses divines avec laquelle il ré- futait par ses raisonnements les paradoxes des héré- tiques, l'établit dans Milan et dans son comté comme un champion intrépide de la foi, et, de sa puissance plénière, il l'institua son inquisiteur, comme un guer- rier infatigable du Seigneur. Pierre se mit alors à exercer ses fonctions avec soin, recherchant partout les hérétiques auxquels il ne laissait aucun repos : il les confondait tous merveilleusement; les repoussait avec autorité, les convainquait avec adresse, en sorte qu'ils ne pouvaient résister à la sagesse et à l'Esprit qui parlait par sa bouche. Les hérétiques désolés pen- sèrent à le faire mourir, dans l'espoir de vivre tran- quilles, dès lors qu'ils seraient débarrassés d'un per- sécuteur si puissant. Or, comme ce prédicateur intré- pide, qui bientôt allait être un martyr, se dirigeait de Cumes à Milan pour rechercher les hérétiques, il gagna, dans ce trajet, la palme du martyre, ainsi que le pape Innocent l'expose en ces termes : « En sortant de Cumes, se trouvait un prieuré de frères de son ordre, pour aller à Milan afin d'exercer contre les héré-

SAINT PIERRE, MARTYR 17

tiques les fonctions d'inquisiteur qui lui avaient été confiées par le Siège apostolique, selon qu'il l'avait prédit dans une de ses prédications publiques, quel- qu'un d'entre les hérétiques, gagné par prière et par argent, se jeta avec fureur sur le saint voyageur. C'était le loup contre l'agneau, le cruel contre l'homme doux, l'impie contre le saint, la fureur contre le calme, la frénésie contre la modestie, le profane contre le saint ; il simule une insulte, il éprouve ses forces, il fait des menaces de mort, il assène des coups atroces sur le chef sacré de saint Pierre, il lui fait d'affreuses blessures ; l'épée est toute ruisselante du sang de cet homme vénérable qui ne cherche pas à éviter son ennemi ; mais il s'offre de suite comme une hostie, souffrant en patience les coups redoublés de son bour- reau qui le laisse mort surla place (l'esprit du saint était au ciel), et qui, dans sa fureur sacrilège, redouble ses coups sur le ministre du Seigneur. Cependant le saint ne poussait aucune plainte, aucun murmure ; il souf- frait tout avec patience, recommandant son esprit au Seigneur en disant : « In manns tuas.,. Seigneur, dans vos mains, je remets mon esprit. » Il commença encore à réciter le symbole de la foi, dont il avait été le Hérault jusque-là, ainsi que l'ont rapporté par la suite et le malheureux qui fut pris par les fidèles, et un frère dominicain son compagnon, qui survécut quel- ques jours aux coups dont il avait été frappé lui- même. Mais comme le martyr du Seigneur palpitait encore, le cruel bourreau saisit un poignard et le lui enfonça dans le côté. Or, au jour de son martyre, il mérita en quelque sorte d'être confesseur, martyr, n. 2

18 LA LÉGENDE DOREE

prophète et docteur. Confesseur, en ce qu'il confessa avec la plus éminente constance la foi de J.-C, au milieu des tourments, et en ce que, ce jour-là même, après avoir fait sa confession comme de coutume, il offrit à Dieu un sacrifice de louange. Martj^r, en ce qu'il versa son sang pour la défense de la foi. Pro- phète, car il avait alors la fièvre quarte, et comme ses compagnons lui disaient qu'ils ne pourraient pas arriver jusqu'à Milan, il répondit : « Si nous ne pou- vons parvenir jusqu'à la maison de nos frères, nous pourrons recevoir l'hospitalité à Saint-Simplicien. » Ce qui arriva : car, comme on portait son saint corps, les frères, en raison de la foule extraordinaire de peuple, ne purent le conduire jusqu'à la maison, mais ils le déposèrent à Saint-Simplicien il resta cette nuit-là. Docteur, eji ce que pendant qu'il était attaqué, il enseigna encore la vraie foi en récitant à haute voix le svmbole de la foi.

Sa passion vénérable paraît encore avoir eu plu- sieurs traits de ressemblance avec la passion de Noire- Seigneur. En effet J.-G. souffrit pour la vérité qu'il prêchait, Pierre pour la vérité de la foi qu'il défen- dait. J.-C. souffrit la mort du peuple infidèle des Juifs, Pierre, de la foule infidèle des hérétiques. J.-C. fut crucifié au temps de Pâques, Pierre souffre le mar- tyre dans le même temps. Le Christ souffrant disait : « Seigneur, en vos mains, je remets mon âme » ; Pierre qui était tué criait les mêmes paroles, J*.-C. fut livré pour trente deniers afin qu'il fût crucifié, Pierre fut vendu pour quarante livres de Pavie afin qu'il fût tué. J.-C. par sa passion attira à la foi beau-

SAINT PIERRE, MARTYR 19^

coup de monde, Pierre par son martyre convertit une foule d'hérétiques. Et quoique cet insigne docteur el ce champion de la foi eût amplement déraciné la croyance empoisonnée des hérétiques pendant sa vie, après sa mort toutefois, par ses mérites et les miracles éclatants, elle fut tellement extirpée que beaucoup abandonnèrent Terreur pour retourner au giron de la sainte Église. La ville de Milan et son comté, se trouvaient tant de conventicules de la secte, en furent puisés de telle sorte que les uns ayant été chassés^ les autres convertis à la foi, il ne s'en trouva plus aucun qui eût l'audace de se montrer nulle part. Plu- sieurs même d'entre eux, devenus de très grands et de fameux prédicateurs, sont entrés dans Tordre des frères Prêcheurs et aujourd'hui encore, ils sont les ad- versaires courageux des hérétiques et de leurs fau- teurs. C'est pour nous un autre Samson qui tua plus de Philistins en mourant, qu'il n'en avait occis étant vivant. C'est le grain de froment tombé sur la terre et ramassé par les mains des hérétiques, qui meurt et rapporte une moisson abondante. C'est la grappe foulée au pressoir qui rejaillit en une copieuse liqueur ; c'est Tarome pilé dans le mortier qui en répand une plus forte odeur ; c'est le grain de sénevé écrasé qui offre des ressources sans nombre.

Après le glorieux triomphe du saint héros, Dieu le rendit illustre par de nombreux miracles que le sou- verain Pontife rapporte en petit nombre. Après sa mort, les lampes appenducs à son tombeau s'allumè- rent plusieurs fois d'elles-mêmes, miraculeusement, sans Taide et le ministère de qui que ce fût : parce

f

20 LA LÉGENDE DOREE

qu'il convenait que pour celui qui avait brillé par le feu et la lumière de la foi, il apparût un miracle de feu et de lumière. Un homme qui était à table dépréciait sa sainteté et ses miracles, il prit, en témoi- gnage de son dire, un morceau qu'il ne pourrait ava- ler, s'il faisait mal en parlant ainsi : aussitôt il sentit le morceau s'arrêter dans sa gorge sans pouvoir le rc jeter ni l'avaler. Il se repentit de suite et son visage changeait déjà de couleur, lorsque, sentant les appro- ches de la mort, il fit vœu de ne plus proférer à l'a- venir de semblables paroles. Il rejeta à l'instant ce nu»rceau et fut guéri. Une femme hydropique ame- née par son mari au lieu le saint avait été tué, y fit sa prière et fut guérie tout à fait. Il délivra des possédés en leur faisant rejeter les démons avec des flots de sang ; il chassa les fièvres, il guérit toutes sor- tes de maladies. Un homme qui avait un doigt de la main gauche percé de plusieurs trous d'une fistule, fut guéri miraculeusement. Un enfant avait fait une chute si grave qu'on le pleurait comme mort; le mou- vement et le sentiment avaient disparu. On lui mit sur la poitrine de la terre imprégnée du sang précieux du niartvr, et il se leva tout sain. Une femme encore qui avait la chair rongée d'un cancer fut guérie, après qu'on eut frotté ses plaies avec cette même terre. Bien d'autres infirmes qui se firent porter au tombeau du saint y recouvrèrent une parfaite santé et en revinrent seuls.

Lorsque le souverain Pontife Innocent IV eut mis saint Pierre au catalogue des saints, les frères Prê- cheurs s'assemblèrent en chapitre à Milan : ils vou-

SAINT PIERRE, MARTYR 21

laient placer son corps dans un endroit plus élev»î, et quoiqu'il fût resté plus d'une année sous terre, ils le trouvèrent sain et entier, sans aucune mauvaise odeur, comme s'il eût été enseveli ce jour-là même. Les frè- res le mirent avec grande révérence sur une estrade élevée à la même place, et il fut montré entier devant tout le peuple qui l'invoqua avec supplications. Outre les miracles racontés dans lettre précitée du souve- rain pontife, il y en eut encore plusieurs autres : car souvent quelques religieux et d'autres personnes aper- çurent visiblement, sur le lieu de son martyre, des lumières descendant du ciel. Au milieu de ces lumiè- res, ils rapportèrent qu'on distingua deux frères en habitde frères Prêcheurs. Un jeune homme no ramé Gunfred, ou Guifred, de la ville de Cumes, possédait un morceau de la tunique du saint ; un hérétique lui dît, en forme de moquerie, que, s'il croyait à la sain- teté de Pierre, il jetât ce morceau dans le feu ; s'il ne brûlait point, certainement Pierre était saint, et lui- même embrasserait la foi. Tout de suite Guifred jeta le morceau sur des charbons ardents ; mais le feu le rejeta en l'air ; ensuite le même morceau retomba sur les charbons enflammés qui furent aussitôt éteints. Alors l'incrédule dit : « Il en sera de même d'un mor- ceau de ma tunique. » On mit donc d'un côté le mor- ceau de la tunique de l'hérétique et d'un autre côté le morceau de la tunique de saint Pierre. Or, le mor- ceau de la tunique de l'hérétique n'eut pas plutôt senti le feu, qu'il fut instantanément consumé, mais le mor- ceau de celle de saint Pierre fut maître du feu, qui s'é- ieignit, et pas un fil de ce drap ne fut endommagé. A II. 2-

22 LA LÉGENDE DOREE

celte vue, Thérétique rentra dans le sentier de la vérité et publia partout ce miracle. A Florence, un jeune homme, infecté de la corruption de l'hérésie, était de- bout devant un tableau était représenté le martyre du saint, dans Téglise des frères de Florence ; en voyant le malfaiteur qui le frappait avec son épée, il dit à quelques jeunes gens qui se trouvaient avec lui : « Si j'avais été là, .j'aurais encore frappé plus fort. » Il n'eut pas plutôt parlé ainsi qu'il devint muet. Et comme ses camarades lui demandaient ce qu'il avait, et qu'il ne pouvait pas leur répondre, ils le recondui- sirent chez lui. Mais ayant vu sur son chemin l'église de saint Michel, il s'échappa des mains de ses compa- gnons et entra dans l'église il pria à genoux saint Pierre, de tout son cœur, de lui pardonner, en faisant vœu, comme il put, que s'il était délivré, il confesse- rait ses péchés et abjurerait toute hérésie. Alors subi- tement il recouvra la parole, vint à la maison des frères, après avoir abjuré l'hérésie, il se confessa, en donnant la permission à son confesseur de dire dans ses prédications ce qui lui était arrivé. Lui-même, au milieu d'un sermon fait par un prêcheur, raconta le fait devant toute l'assistance. Un vaisseau, en pleine mer, allait faire naufrage : il était furieusement ballotté par les flots, la nuit était noire ; les matelots se recommandaient à tous les saints ; mais ne vovant pas d'espoir de salut ils craignaient fort d'être perdus, quand l'un d'eux, qui était de Gênes, fit taire les au- tres et parla ainsi : « Mes frères, est-ce que vous n'a- vez pas entendu raconter qu'un frère de l'ordre des Prêcheurs, appelé frère Pierre, a été tué parles héré-

SAINT PIERRE, MARTYR 23

tiques il nV a pas longtemps pour la défense delà foi catholique, et que par son entremise le Seigneur opère beaucoup de miracles. Eh bien ! en ce moment, im- plorons sa protection avec grande piété, car j'espère que nous ne serons pas déçus dans notre demande. » Tous s'accordentà invoquer le secours de saint Pierre : Et pendant qu'ils priaient, la vergue qui tient la voile parut toute pleine de cierges allumés; l'obscurité dis- paraît devant l'éclat de ces flambeaux et la nuit qui était affreusement noire est changée en un jour très clair. Comme ils regardaient en haut, ils virent un homme en habit de frère Prêcheur debout sur la voile, et il n'y eut aucun doute que ce ne filt saint Pierre. Or, ces matelots arrivés sains et saufs à Gènes vinrent à la maison des frères Prêcheurs où, après avoir rendu grâces à Dieu et à saint Pierre, ils racontèrent tous les détails de ce miracle. Une femme de la Flandre avait eu déjà trois enfants morts-nés, et son mari l'avait prise en dédain ; elle pria saint Pierre de venir à son aide. Elle mit au monde un quatrième fils qui fut aussi trouvé mort. Sa mère le prit et supplia de tout son cœur saint Pierre de vouloir rendre la vie à son fils et d'exaucer ses ardentes prières. A peine avait-elle terminé que l'enfant reprit la vie. On le porta donc au baptême, et on convint de l'appeler Jean ; mais le prêtre au moment de prononcer le nom de l'enfant, sans le savoir, le nomma Pierre : ce qui dans la suite lui fit avoir grande dévotion à ce saint. Dans la province de Teulonie, à Ulrechl, des femmes, occupées à filer sur la place, virent un grand concours lie peuple à l'église des Frères Prêcheurs, en l'honneur

e

24 LA LÉGENDE DOREE

de saint Pierre, martyr. Elles dirent à ceux qui étaient : « Oh! ces Prêcheurs! ils savent tous les moyens de gagner de Targenl; car pour en amasser une grosse somme, et pour bâtir de grands palais, ils ont trouvé un nouveau martyr. » En disant cela et autres choses semblables, voici tout à coup que leur fil est tout cou- vert de sang, et les doigts avec lesquels elles filaient en sont tout couverts. A cette vue, elles furent éton- nées et s'essuyèrent les doigts avec précaution dans la crainte de s'y être fait quelque coupure : mais quand elles virent tous leurs doigts entièrement sains, et le fil ensanglanté de la sorte, elles eurent peur et se repen- tirent : « Vraiment, dirent-elles, nous avons mal parlé du sang d'un précieux martyr et c'est pour cela que ce miracle si extraordinaire nous est arrivé. » Elles coururent donc à la maison des Frères, et exposèrent le tout au prieur en lui montrant le fil plein de sang. Or, le prieur, à la sollicitation d'un grand nombre de personnes, convoqua le peuple à un sermon solennel, et rapporta en présence de son auditoire tout ce qui était arrivé à ces femmes; il montra même le fil ensan- glanté. Alors un maître de grammaire, qui assistait à la prédication, se mit à se moquer beaucoup de ce fait et à dire à ceux qui se trouvaient : « Voyez donc, comme ces frères trompent les cœurs des gens sim- ples. Ils se sont entendus avec quelques femmelettes de leurs amies, leur oui dit de teindre leur fil dans du sang, et ils racontent cela comme un miracle. » A peine il finissait de parler qu'il fut frappé par la ven- geance divine : la fièvre le saisit vis-à-vis de tous, d'une manière si violente que ses amis furent obligés

SAINT PIERRE, MARTYR 23

de le porter de l'églisie en sa maison. Mais fièvre devenant de plus en plus forte, il eut peur de mourir de suite, fit appeler le susdit prieur, et après avoir confessé sa faute, il fit vœu à Dieu et à saint Pierre que si, par ses mérites, il recouvrait la santé, il au- rait toujours envers lui une dévotion spéciale et qu'il ne dirait jamais plus pareilles sottises. Chose merveil- leuse! Il n'eut pas plutôt fait ce vœu qu'il fut entiè- rement guéri. Une fois, le sous-prieur de celte même maison conduisait dans un bateau de magni- fiques et grosses pierres pour la construction de la dite église; le bateau toucha, à Timproviste, le rivage, de sorte qu'on ne pouvait le dégager. Tous les mate- lots étaient descendus et s'étaient mis ensemble à pousser le bateau, mais sans pouvoir le remuer. Ils croyaient le bâtiment perdu, quand le sous-prieur les fit tous mettre de côté et approcha la main du bateau qu'il poussa légèrement en disant : « Au nom de saint Pierre martyr, pour l'honneur duquel nous portons ces pierres, va. » Aussitôt le bateau s'ébranla avec vi- tesse, s'éloigna du rivage. Les matelots tout joyeux montèrent et gagnèrent leur chantier.

Dans la province de France, en la ville de Sens, une jeune fille qui passait dans l'eau fut entraînée par le courant, y tomba et resta longtemps dans la rivière; enfin elle en fut retirée morte. Il y avait qua- tre causes de mort : le long espace de temps, le corps raide, froid et noir. Quelques personnes la portèrent à l'église des Frères, firent un vœu à saint Pierre, et aussitôt elle revint à la vie et à la santé. Frère Jean, Polonais, souffrait de la fièvre quarte à Bologne :

26 LA LÉGENDE DOREE

il devait, le jour de la fête de saint Pierre, adresser un sermon au clergé ; comme il s'attendait à avoir son accès cette nuit-là, d'après le cours ordinaire de la fièvre, il eut grande peur de manquer le sermon qu'il avait reçu ordre de prononcer. Mais ayant eu recours aux suffrages de saint Pierre, à l'autel duquel il vint prier afin de recevoir secours de celui dont il devait publier la gloire, cette nuit-là même, la fièvre le quitta et dans la suite il n'en éprouva plus jamais les atta- ques. — Une (lame nommée Girolda, femme de Jac- ques de Vausain, était obsédée depuis quatorze ans par des esprits immondes : elle vint dire à un prêtre : « Je suis démoniaque, et l'esprit malin me tourmente. » A l'instant le prêtre saisi s'enfuit à la sacristie, y prit le livre dans lequel se trouvent les cxorcismes, avec une étole qu'il cacha sous sa coule : il revint avec bonne société trouver la femme qui ne l'eut pas plutôt aperçu qu'elle dit : « Larron infâme, as-tu été? Qu'est-ce que tu portes caché sous ta coule? » Mais le prêtre faisait ses conjurations et n'apportait aucun soulagement, cette femme alors vint trouver le bien- heureux Pierre, car il vivait encore, et lui demander secours. Il lui répondit en forme de prophétie : a Con- fiance, ma fille, ne désespérez point; car si je ne puis à présent faire ce que vous me demandez, il viendra cependant un temps ce que vous demandez de moi, vous Tobtiendrez complètement. » Ce qui arriva en effet : car, après son martyre, cette femme étant venue à son tombeau, fut entièrement délivrée du tour- ment de ces démons. Une femme nommée Euphé- mie de Corrion;^o, dans le diocèse de Milan, fut tour-

SAINT PIERRE, MARTYR 27

nientée du démon pendant sept ans. Quand on Tamena au tombeau de saint Pierre; les démons se mirent à l'agiter davantage, et à crier par sa bouche de manière à être entendus de tous : « Mariole, Mariole, Pierrot, Pierrot. » Alors les démons sortirent et la laissèrent pour morte; mais elle se leva guérie un instant après. Elle assurait que principalement les jours de diman- che et de fête, et surtout lors de la célébration de la messe, les démons la tourmentaient davantage. Une femme appelée Vérone, de Bérégno, fut tourmentée pendant six ans par les démons ; elle fut conduite au tombeau de saint Pierre, et c'était à peine que beau- coup d'hommes pouvaient la contenir. Parmi eux se trouvait un hérétique, nommé Conrad, de Ladriano, venu pour se rire des miracles de saint Pierre. Or, comme il tenait cette femme avec les autres, les dé- mons lui dirent par la bouche de la femme : « Pour- quoi nous tiens-tu ? n'es-tu pas des nôtres? Ne t'avons- nous pas porté à tel endroit lu as commis tel homi- cide? Ne t'avons-nous pas conduit en tel et tel lieu, tu as commis telle et telle infamie ? » Et comme ils lui révélaient beaucoup de péchés que nul autre que lui seul ne connaissait, il fut fort épouvanté. Alors les démons écorchèrent le cou et la poitrine de la femme qu'ils laissèrent à demi morte en sortant ; mais vpeu après elle se leva guérie. Pour ce Conrad, quand il vit cela, il en fut stupéfait et il se convertit à la foi catholique.

Un hérétique, très fin raisonneur, d'une éloquence singulière, discutait avec saint Pierre et exposait ses erreurs avec subtilité et esprit ; il pressait audacieu-

28 LA LÉGENDE DOREE

sèment le saint de répondre à ses arguments. Celui-ci demanda à réfléchir, et alla dans un oratoire qui était proche prier Dieu de défendre la cause de sa foi, et de réduire à la vérité ce parleur orgueilleux, ou de le punir en le privant de Tusagc de la parole, de peur qu'il ne s'enflât d'orgueil contre la vraie foi. Puis revenant à Thérétique, il lui dit en présence de l'as- semblée d'exposer ses raisons de nouveau. Mais cet homme fut pris d'un tel mutisme qu'il ne put pro- noncer un seul mot. Alors les hérétiques se reti- rèrent confus et les catholiques rendirent grâces à Dieu. Un homme nommé Opiso, hérétique crédule, était venu à Téglise des frères, à l'occasion d'une héré- tique de ses cousines qui était forcenée. Arrivé au tombeau de saint Pierre, il y vit deux deniers qu'il prit en disant : « C'est bon, allons les boire » : et à l^instant il fut saisi d'un tremblement tel qu'il ne put en aucune manière se retirer de là. Effrayé, il remit les deniers à leur place et s'en alla. Mais reconnaissant la vertu de saint Pierre, il abandonna l'hérésie, et se convertit à la foi catholique. Il y avait en Alle- magne, au monastère d'Octembach, diocèse de Cons- tance, une religieuse de l'ordre de saint Sixte, qui, depuis un an et plus, souffrait de la goutte au genou : aucun remède ne l'avait pu guérir. Comme il lui était impossible de visiter de corps le tombeau de saint Pierre (car elle était sous obédience, et la maladie très grave dont elle était atteinte l'en empêchait), elle pensa du moins à visiter ledit tombeau par un pèle- rinage mental avec une attentive dévotion. Elle apprit qu'on pouvait aller en treize jours à Milan du lieu

SAINT PIERRE, MARTYR 29

elle se trouvait; tous les jours, pour chaque journée de voyage, elle récitait cent Pater noster en l'honneur de saint Pierre. Manière mer\'eilleuse ! A mesure qu'elle faisait ce pèlerinage mental, successivement, toujours et peu à peu elle commença à se trouver mieux. Quand elle eut atteint sa dernière journée et qu'elle fut parvenue mentalement au tombeau, elle se mit à genoux comme si réellement elle Teût eu devant elle, récita tout le Psautier avec une très grande dévo- tion. Sa lecture achevée, elle se sentit tellement déli- vrée de son infirmité qu'elle n'en ressentait plus presque rien. Elle revint de la même manière qu'elle était allée et avant d'avoir terminé toutes ses journées, elle fut complètement guérie. Un homme de Cana- picio de la villa Mazzati, nommé Rufin, tomba grave- ment malade : il avait une veine rompue dans les parties basses du devant, d'où il découlait sans cesse du sang ; aucun médecin n'y avait pu apporter remède. Or, après six jours et six nuits d'écoulement continu, cet homme invoqua avec dévotion saint Pierre à son secours : sa guérison fut si instantanée qu'entre sa prière et sa délivrance, il ny eut presque aucun inter- valle. Or, comme il s'endormait, il vil un frère en ha- bit de frère Prêcheur, gros et brun de figure, qu'il pensa être le compagnon de saint Pierre martyr, par- ce qu'il avait réellement cette tournure. Ce frère lui présentait ouvertes ses mains pleines de sang avec un onguent d'agréable odeur, et disait : « Le sang est encore frais : viens donc à ce sang tout frais de saint Pierre. » Le malade à son réveil alla visiter le tombeau du saint. Certaines comtesses du château

30 LA légrndf: dorée

Massin, au diocèse d'Ypozença, avaient une dévotion spéciale en saint Pierre ; elles jeûnaient la veille de sa fête. Étant venues pour assister aux vêpres dans une éçlise qui lui était dédiée, une d'elles mit brûler une chandelle en l'honneur de saint Pierre martyr devant un autel du saint apôtre. Quand elles furent rentrées chez elles, le prêtre par avarice souffla et éteignit le cierge ; mais tout de suite la lumière reprit et s'alluma de nouveau. Il voulut l'éteindre une seconde et une troisième fois, mais elle se ralluma toujours. Agacé de cela, il entra dans le chœur et trouva devant le maître-autel un cierge qu'y avait déposé un clerc en l'honneur de saint Pierre, dont il passait la vigile en jeûnant. Deux fois le prêtre voulut l'éteindre sans le pouvoir. Le clerc irrité dit en voyant cela : « Diable ! est-ce que vous ne voyez pas un miracle évident, et que saint Pierre ne veut pas que vous éteigniez son cierge? » Alors le prêtre et le clerc ébahis mon- tèrent au château et racontèrent à tous ce miracle. Un homme du nom de Roba, de Méda, avait tout perdu au jeu, jusqu'à ses habils : en revenant le soir chez soi avec une lanterne allumée, il alla à son lit et se voyant si mal vêtu après de si grandes pertes, il se mit, de désespoir, à invoquer les démons et à se re- commander à eux avec des paroles infâmes. Aussitôt se présentèrent trois démons qui, jetant la lumière allumée dans la chambre, le saisirent au cou ils le serrèrent si fort qu'il ne pouvait absolument pas par- ler. Et comme ils le secouaient vivement, ceux qui étaient à l'étage au-dessous montèrent chez lui et lui dirent : a Qu'y a-t-il, que fais-tu, Roba? » Les démons

\

SAINT PIERRE, MARTYR 31

leur répondirent ; « Allez, soyez tranquilles, et cou- chez-vous. » Ces personnes croyant que c'était la voix de Roba se retirèrent tout aussitôt. Quand elles furent parties, les démons recommencèrent à Tagiter plus violemment encore. Les voisins, qui comprirent ce qui se passait, allèrent de suite chercher un prêtre : celui- ci n'eut pas plutôt adjuré les démons, au nom de saint Pierre, que deux esprits malins sortirent à Tinstanl. Le lendemain, on amena Roba au tombeau de saint Pierre. Frère Guillaume de Verceil s'approcha et se mit à faire des reproches au démon. Alors Roba, qui n'avait jamais vu le frère, l'appela par son nom : « Frère Guillaume, lui dit-il, ce ne sera pas toi qui me feras jamais sortir, parce que cet homme est le nôtre et fait nos œuvres, » Le frère lui ayant demandé son nom : « Je m'appelle Balcéfas, lui répondit-il. » Cependant, quand il eut été adjuré au nom de saint Pierre, il jeta Roba par terre et s'en alla de suite. Roba fut parfaitement délivré, et accepta une salutaire péni- tence. — Le jour des Rameaux, saint Pierre prêchait à Milan devant un auditoire très nombreux composé d'hommes et de femmes : il dit publiquement et à haute voix : « Je sais de science certaine que les héré- tiques trament ma mort : déjà pour cela l'argent est donné. Mais qu'ils fassent tout ce qu'ils peuvent, je les persécuterai plus vivement mort que vif. » Ce qui se réalisa. A Florence, au monastère des Rives, une religieuse était en oraison le jour que saint Pierre souffrit la mort : elle vit la Sainte Vierge assise dans la gloire sur un trône élevé, et deux frères de l'ordre des Prêcheurs montant au ciel, qui furent placés de

i

32 LA LEGENDE DOREE

chaque côté de la Vierge Marie. Comme elle s'infor- mait quels ils étaient, elle entendit une voix lui dire : « C'est le frère Pierre qui monte glorieux comme un parfum d'aromates en présence du Seigneur. » Et il fut vérifié que saint Pierre fut tué ce jour-là même que la religieuse eut cette vision. Or, comme depuis longtemps elle souffrait d'une maladie grave, elle se mit en dévotion à prier saint Pierre et reçut bientôt santé entière. Un écolier qui revenait de Mague- lonne à Montpellier, en faisant un saut, se rompit à Faine au point de se faire grand mal et de ne pouvoir avancer un pas. Entendant dire qu'une femme avait étendu de la terre arrosée du sang de saint Pierre sur un cancer qui lui rongeait les chairs : « Seigneur Dieu, dit-il, je n'ai point de cette terre, mais vous avez donné tant de mérite à cette terre, vous pouvez bien aussi en donner à celle-ci. » Il prit donc de la terre, fit le signe de la croix, invoqua le martyr, et la mit sur l'endroit malade et aussitôt il fut guéri. L'an du Seigneur 1239, il y avait à Compostelle un homme nommé Benoît dont les jambes étaient enflées comme des outres, le ventre comme celui d'une femme enceinte, la figure horriblement bouffie, et tout le corps gonflé de telle sorte qu'on eût cru voir un monstre. Comme il avait peine à se soutenir sur un bâton, il demanda l'aumône à une dame qui lui répon- dit : « Tu aurais plus besoin d'une fosse que de tout autre bien, mais suis mon conseil ; va au couvent des frères Prêcheurs, confesse les péchés, et invoque le patro- nage de saint Pierre. » Il vint donc le matin à la mai- son des frères dont il trouva la porte fermée. II se

SAINT PHILIPPE, APOTRE 33

mit devant et s*endormît. Et voici qu'un homme véné- rable, habillé comme les frères Prêcheurs, lui appa- rut, le couvrit de son manteau et le fit entrer. Celui- ci, à son réveil, se trouva être dans Téglîse et vit qu'il était guéri parfaitement. L'admiration et la stupeur furent générales quand on vit un homme près de mourir, sitôt guéri d'une pareille infirmité.

SAINT PHILIPPE, APOTRE

Philippe sigQÎfîe bouche de lampe, ou bouche des mains : ou bien il vient de philos, amour, et uper, au-dessus, qui aime les choses supérieures. Par bouche de lampe, on entend sa prédication brillante ; par bouche des mains, ses bonnes œuvres continuelles ; par amour des choses supérieures, sa contem- plation céleste.

Saint Philippe, apôtre, après avoir prêché vingt ans en Scy thie, fut pris par les païens qui voulurent le for- cer à sacrifier devant une statue de Mars. Mais aussitôt, il s*élança de dessous le piédestal un dragon qui tua le fils du pontife employé à porter le feu pour le sacri- fice, deux tribuns dont les soldats tenaient Philippe dans les chaînes : et son souffle empoisonna les autres à tel point qu'ils tombèrent tous malades. Et Philippe dit : (f Croyez-moi, brisez cette statue, et à sa place adorez la croix du Seigneur, afin que vos malades soient guéris et que les morts ressuscitent. » Mais ceux qui étaient soufl'rants criaient : « Faites-nous seulement guérir, et de suite nous briserons ce Mars. » II. 3

•H LA LÉGENDE DOREE

l^hilippe commanda alors au dragon Je descendre au désert, pour qu'il ne nuisît à qui que ce fût. Le mons- tre se retira aussitôt, et disparut. Ensuite Philippe les guérit tous et il obtint la vie pour les trois morts. Ce fut ainsi que tout le monde crut. Pendant une année entière il les prêcha, et après leur avoir ordonné des prêtres et des diacres, il vint en Asie dans la ville de Hiérapolis, il éteignit Thérésie des Ebionites qui enseignaient que J.-C. avait pris une chair fantasti- que. Il avait avec lui deux de ses filles, vierges très saintes, par le moyen desquelles le Seigneur convertit beaucoup de monde à la foi. Pour Philippe, sept jours avant sa mort, il convoqua. les évêques et les prêtres, et leur dit : « Lcf Seigneur m'a accordé ces sept jours pour vous donner des avis. » Il avait alors 87 ans. Après quoi les infidèles se saisirent de lui, et l'atta- chèrent à la croix, comme le maître qu'il prêchait. 11 trépassa de cette manière heureusement au Seigneur. A ses côtés furent ensevelies ses deux filles, l'une à sa droite, et l'autre à sa gauche. Voici ce que dit Isidore de ce Philippe dans le Livre de la Vie, de la naissance et de la mort des saints * : « Philippe prêche J.-C. aux Gaulois ; les nations barbares voisines, qui habi- taient dans les ténèbres, sur les bords de l'océan fu- rieux, il les conduit à la lumière de la science et au port de la foi; enfin, crucifié à Hiérapolis, ville de la province de Phrygie, et lapidé, il y mourut, et y re- fuse avec ses filles. » Quant à Philippe qui fut un des sept diacres, saint Jérôme dit, dans son martyro-

* CIl.XLV.

SAINTE APOLLONIE (APOLLINE) 35

loge, que le des ides de juillet, il mourut à Cé- sarée, illustre par ses miracles et ses prodiges ; à côté de lui furent enterrées trois de ses filles, car la qua- trième repose à Eplièse. Le premier Philippe est diffé- rent de celui-ci, en ce que le premier fut apôtre, le second diacre; Tapôtre repose à Hiérapolis, le diacre à Césarée. Le premier eut deux filles prophétesses, le second en eut quatre, bien que dans l'Histoire ecclé- siastique * on paraisse dire que ce fut saint Philippe, apôtre, qui eut quatre filles prophétesses : mais il vaut mieux s'en rapporter à saint Jérôme.

SAINTE APOLLONIE (APOLLINE)

«*

Au temps de l'empereur Dèce, une affreuse persé- cution s'éleva à Alexandrie contre les serviteurs de Dieu. Un homme nommé Devin devança les ordres de l'empereur, comme ministre des démons, en excitant, contre les chrétiens, la superstition de la populace qui dans son ardeur était dévorée de la soif du sany^ des justes. Tout d'abord on se saisit de quelques per- sonnes pieuses de l'un et de l'autre sexe. Aux uns, on déchirait le corps, membre après membre, à coups de fouets ; à d'autres, on crevait les yeux avec des ro- seaux pointus, ainsi que le visage, après quoi on les chassait de la ville. Quelques-uns étaient traînés aux pieds des idoles afin de les leur faire adorer; mais

* Eusèbe, Histoire ecclésiastique^ I. III, c. xxxi. ** Idem, Ibid., liv. VIIÏ. ch. xxxi.

36 LA LÉGENDE DORÉE

comme ils s'y refusaient avec horreur, ou leur liait les pieds avec des chaînes, on les traînait à travers les rues de toute la ville, et leurs corps étaient arraches par lambeaux dans cet atroce et épouvantable supplice. Or, il y avait, en ce temps-là, une vierge remarquable, d'un âge fort avancé, nommée Apollonie, ornée des fleurs de la chasteté, de la sobriété et de la pureté, semblable à une colonne des plus solides, appuyée sur Tesprit même du Seigneur, elle off^rait aux anges et aux hommes le spectacle admirable de bonnes œuvres inspirées par la foi et par une vertu céleste. La mul- titude en fureur s'était donc ruée sur les maisons des serviteurs de Dieu, brisant tout avec un acharnement étrange ; on traîna d'abord au tribunal des méchants la bienheureuse Apollonie, innocente de simplicité, forte de sa vertu, et n'ayant pour se défendre que la constance d'un cœur intrépide, et la pureté d'une cons- cience sans tache; elle offrait avec grand dévouement son âme a Dieu et abandonnait à ses persécuteurs son corps tout chaste pour qu'il fût tourmenté. Lors donc que cette bienheureuse vierge fut entre leurs mains, ils eurent la cruauté de lui briser d*abord les dents; en- suite, ils amassèrent du bois pour en dresser un grand bikher, et la menacèrent de la brûler vive, si elle ne disait avec eux certaines paroles impies. Mais la sainte n'eut pas plutôt vu le bûcher en flammes, que, se re- cueillant un instant, tout d'un coup, elle s'échappe des mains des bourreaux, et se jette elle-même dans le brasier dont on la menaçait. De l'efl'roi des païens cruels qui voyaient une femme plus pressée de rece- voir la mort qu'eux de l'infliger. Eprouvée déjà par

SAINTE APOLLOME (aPOLLINE) 37

différents supplices, celle courageuse martyre ne se laissa pas vaincre par la douleur des tourments qu'elle subissait, ni par Tardeur des flammes, car son cœur était l)ien autrement embrasé des rayons de la vérité. Aussi ce feu matériel, attisé par la main des hommes, ne put détruire dans son cœur intrépide Tardeur qu'y avait déposée l'œuvre de Dieu. Oh ! la grande et l'admi- rable lutte que celle de cette vierge, qui, par l'inspira- tion de la grâce de Dieu, se livra aux flammes pour ne pas brûler, et se consuma pour ne pas être consu- mée ; comme si elle n'ei\t pas été la proie du feu, et des supplices ! Elle était libre de se sauvegarder, mais sans combat, elle ne pouvait acquérir de gloire. Celte vierge et martyre intrépide de J,-C. méprise les déli- ces mondaines, foule par ses mépris les joies d'ici-bas, et sans autre désir que de plaire au Christ, son époux, elle reste inébranlable dans sa résolution de garder sa virginité, au milieu des tourments les plus violents. Ses mérites éminents la font distinguer au milieu des martyrs pour le glorieux triomphe qu'elle a heureuse- ment remporté. Assurément il y eut dans celte femme un courage viril, puisque la fragilité de son sexe ne fléchit point dans une lutte si violente. Elle re- foule la crainte humaine par l'amour de Dieu, elle se saisit de la croix du (Christ comme d'un trophée; elle combat et remporte plus promptement la victoire avec les armes de la foi qu'elle n'aurait fait avec le fer, aussi bien contre les passions que contre tous les genres de supplices. Daigne nous accorder aussi cette grâce celui qui avec le Père et le Saint-Esprit règne dans les siècles des siècles.

u. 3'

38 LA LÉGENDE DORÉE

SAINT JACQUES, APOTRE (LE MINEUR)

Jacques veut dire, qui renverse, qui supplante celui qui se hâte, qui prépare. Ou bien il se tire de ta, qui signifie Dieu^ et cobar, charge, poids. Ou bien Jacques vient de yocu/t/m, jave- lot, et cope, coupure, coupé par des javelots. Or, on le dit qui renverse parce qu'il renversa le monde par le mépris qu'il en fit : il supplanta le démon qui est toujours hâtif : il prépara son corps à toutes sortes de bonnes œuvres. Les mauvaises passions résident en nous par trois causes, ainsi que le dit saint Grégoire de Nisse : par mauvaise éducation, ou conver- sation, par mauvaise habitude du corps, ou par vice d'igno- rance. Elles se guérissent, ajoute le même auteur, parla bonne habitude, par le bon exercice, et par l'étude de bonne doc- trine. Ce fut ainsi que saint Jacques se guérit et qu'il eut son corps préparé à toutes sortes de bonnes œuvres. Il fut un poids divin par la gravité de ses mœurs ; il fut coupé par le fer, en souffrant le martyre.

Saint Jacques, apôtre^ est appelé Jacques d'Alphée, c'est-à-dire fils d'Alphée, frère du Seigneur, Jacques le mineur, et Jacques le Juste. On l'appelle Jacques d'Alphée, noir seulement selon la chair, mais encore selon l'interprétation du nom : car Alphée, veut dire docte, document, fugitif, ou bien millième. Il est nommé Jacques d' Alphée, parce qu'il fut docte, par inspiration de science ; document, par l'instruction des autres; fugitif, du monde qu'il méprisa; et millième, par sa réputation d'humilité. On le nomme frère du Seigneur, parce qu'il lui ressemblait au point que beau- coup les prenaient Tun pour l'autre en les voyant. Ce fut pour cela que lorsque les Juifs vinrent se saisir de J.-C, de peurde prendre Jacques à sa place, Judas^

SAINT JACQUES, APOTRt: (lE MINEUR) - 39

qui vivant avec eux savait les distinguer, leur donna pour signal le baiser. C'est encore le témoignage de saint Ignace en son épttre à saint Jean Tévangéliste il dit : « Si cela m'est possible, je veux vous aller joindre à Jérusalem, pour voir ce vénérable Jacques, surnommé le juste, qu'on dit ressembler à J.-C. de figure, de vie, et de manière d'être, comme s'ils avaient été deux jumeaux de la même mère : ce Jacques dont on dit : si je le vois, je vois en même temps J.-C. dans chacun de ses membres. » On l'appelle encore frère du Seigneur, parce que J.-C. et Jacques, qui des- cendaient de deux sœurs, descendaient aussi, prélen- dait-on, de deux frères, Joseph et Cléophas : car on ne le nomme pas frère du Seigneur parce qu'il aurait été le fils de Joseph, l'époux de Marie, mais d'une autre femme, d'après certains témoignages, mais parce qu'il était fils de Marie, fille de Cléophé : Et ce Cléophé fut bien le frère de Joseph, époux de Marie, quoique maître Jean Beleth (ch. cxxiv) dise que Alphée, père <le Jacques dont nous parlons, fut frère de Joseph, époux de Marie. Ce que personne ne croit. Or, les Juifs appelaient frères ceux qui étaient parents des deux souches : Ou bien encore on l'appelle frère du Seigneur en raison de la prérogative et de l'excellence de sa sainteté pour laquelle, de préférence aux autres apôtres, il fut ordonné évêque de Jérusalem. On l'appelle en- core Jacques le mineur, pour le distinguer de Jacques le majeur, fils de Zébédée ; car quoique Jacques de Zébédée eût été plus âgé, il fut cependant appelé après lui. De vient la coutume qui s'observe dans la plupart des maisons religieuses que celui qui vient le

i

40 LA LÉGENDE DOREE

premier s'appelle major j et celui qui vient le dernier s'appelle minov, quand bien même celui-ci serait plus ancien d'âge ou plus digne par sa sainteté. On l'ap- pelle aussi Jacques le Juste, à cause du mérite de son excellenlissime sainteté : car, d'après saint Jérôme, il fut en telle révérence et sainteté au peuple, que c'é- tait à qui pourrait toucher le bord de son vêtement. En parlant de sa sainteté, Hégésippe, qui vivait peu de temps après les apôtres, écrit, selon les Histoires ecclé-^ siasliqnes : « Jacques, le frère du Seigneur, généra- lement surnommé le Juste, fut chargé du soin de l'Eglise depuis J.-C. jusqu'à nos jours. Il fut saint dès le sein de sa mère ; il ne but ni vin, ni bière ; il ne mangea jamais de viande ; le fer ne toucha pas sa tête ; il n'usa jamais d'huile, ni de bain; il était toujours couvert d'un? robe de lin. 11 s'agenouillait tant de fois pour prier que la peau de ses genoux était endurcie comme la plante des pieds. En raison de cet état de justice extraordinaire et constante, il fut appelé juste et abha^ qui veut dire défense du peuple et justice. Seul de tous les apôtres, à cause de cette éminente sainteté, il avait la permission d'entrer dans le saint des saints. » (Hégésippe.) On dit encore que ce fut le premier des apôtres qui célébra la messe; car, j)our l'excellence de sa sainteté, les apôtres lui firent cet honneur de cé- lébrer, le premier d'entre eux, la messe à Jérusalem, après l'ascension du Seigneur, même avant d'avoir été élevé àl'épiscopat, puisqu'il est dit, dans les Actes, qu'avant son ordination, les disciples persévéraient dans la doctrine enseignée par les apôtres et dans la communion de la fraction du pain, ce qui s'entend de

SAINT JACQUES, APOTRE (LE MINEUr) 41

la célébration de la messe : ou bien peut-être, dit-on qu'il a célébré le premier en habits pontificaux, comme plus lard saint Pierre célébra la messe le premier à Antioche, et saint Marc à Alexandrie. Sa virginité fui perpétuelle, au témoig-nage de saint Jérôme en son li- vre contre Jovinien. Selon que le rapportent Josèphe et saint Jérôme, en son livre des Hommes ilUistres, le Sei- gneur étant mort la veille du sabbat, saint Jacques fit vœu de ne point manger avant de l'avoir vu ressus- cité d'entre les morts; et le jour de la résurrection, comme il n'avait pris jusque-là aucune nourriture, le Seigneur lui apparut ainsi qu'à ceux qui étaient avec lui, et dit : « Mettez la table et du pain. » Puis pre- nant le pain, il le bénit et le donna à Jacques le Juste en disant : « Lève-toi, mon frère, mange, car le fils de l'homme est ressuscité des morts. » La septième année de son épiscopat, les apôtres s'étant réunis à Jérusalem, saint Jacques leur demanda quelles mer- veilles le Seigneur avait opérées par eux devant le peuple; ils les lui racontèrent. Saint Jacques et les autres apôtres prêchèrent, pendant sept jours, dans le temple, en présence de Caïphe et de quelques autres Juifs qui étaient sur le point de consentir à recevoir le baptême, lorsque tout à coup un homme entra dans le temple et se mit à crier : « O Israélites, que faites- vous? Pourquoi vous laissez-vous tromper par ces ma- giciens?» Or, il émut si grandement le peuple, qu'on vou- lait lapider les apôtres. Alors il monta sur les degrés d'où prêchait saint Jacques, et le renversa par terre ; depuis ce temps-là il boita beaucoup. Ceci arriva à saint Jacqueslaseptièmeannée après l'ascension du Seigneur.

/

42 « LA LÉGENDE DOREE

La trentième année de son épiscopat, les Juifs n'ayant pu luer saint Paul, parce qu'il en avait appelé à César et qu'il avait été envoyé à Rome, tournèrent contre saint Jacques leur tyrannie et leur persécution. Hégé- sippe, contemporain des apôtres, raconte, et on le trouve aussi dans V Histoire ecclésiastique *, que les juifs cherchant l'occasion de le faire mourir, allèrent le trouver et lui dire : « Nous t'en prions; détrompe le peuple de la fausse opinion il est que Jésus est le Christ. Nous te conjurons de dissuader, au sujet de Jésus, tous ceux ([ui se rassembleront le jour de Pâques. Tous nous obtempérerons à ce que tu diras, et nous, comme le peuple, nous rendrons de toi ce témoi- gnage que lu es juste et que tu ne fais acception de personne. » Ils le firent donc monter sur la plate-forme du temple et lui dirent en criant à haute voix : « 0 le plus juste des hommes, auquel nous devons tous obéir, puisque le peuple se trompe au sujet de Jésus qui a été crucifié, expose-nous ce qu'il t'en semble. » Alors saint Jacques répondit d'une voix forte : « Pour- quoi m'interrogez-vous touchant le Fils de l'homme : voici qu'il est assis dans les cieux, à la droite de la puissance souveraine, et qu'il doit venir pour juger les vivants et les morts. » En entendant ces paroles, les chrétiens furent remplis d'une grande joie et écou- tèrent l'apôtre volontiers ; mais les Pharisiens et les Scribes dirent : « Nous avons mal fait en provoquant ce témoignage de Jésus; montons donc et nous le précipiterons du haut en bas, afin que les autres

Eusèbe, livre lï, ch, xxiii.

SAINT JACQUES, APOTRE (lE MINEUR) 43

effrayés n'aient pas la présomption de le croire. » Et tous à la fois s'écrièrent avec force : « Oh ! oh ! le juste est aussi dans Terreur. » Ils montèrent et le jetèrent en bas, après quoi, ils l'accablèrent sous une grêle de pierres en disant : « Lapidons Jacques le Juste. » II ne fut cependant pas tué de sa chute, mais il se releva et se mettant sur ses genoux, il dit : « Je vous en prie, Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne sa- vent ce qu'ils font. » Alors un des prêtres, qui était des enfants deRahab, s'écria : « Arrêtez, je vous prie, que faites-vous? C'est pour vous que prie ce juste, et vous le lapidez ! » Or, l'un d'entre eux prit une per- che de foulon, lui en asséna un violent coup sur la tête et lui fit sauter la cervelle. C'est ce que raconte Hégésippe. Et saint Jacques trépassa au Seigneur par ce martyre sous Néron qui régna l'an 57 : il fut ense- veli au même lieu auprès du temple. Or, comme le peu- ple voulait venger sa mort,- prendre et punir ses meur- triers, ceux-ci s'enfuirent aussitôt. Josèphe rapporte (lîv. VII) que ce fut en punition du péché de la mort de Jacques le Juste qu'arrivèrent la ruine de Jérusalem et la dispersion des Juifs : mais ce ne fut pas seule- ment pour la mort de saint Jacques, mais principa- lement pour la mort du Seigneur qu'advint cette des- truction, selon que l'avait dit le Sauveur : « Ils ne te laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps auquel Dieu t'a visitée. » Mais parce que le Seigneur ne veut pas la mort du pécheur, et afin que les Juifs n'eussent point d'excuses, pendant 40 ans, il attendit qu'ils fissent pénitence, et par les apôtres, particulièrement par saint Jacques, frère du

44 LA LÉGENDE DORÉE

Seigneur, qui prêchait continuellementau milieu d'eux, il les rappelait au repentir. Or, comme il ne pouvait les rallier par ses avertissements, il voulut du moins les effrayer par des prodiges : car, dans ces 40 ans qui leur furent accordés pour faire pénitence, on vit des mons- truosités et des prodiges. Josèplie les raconte ainsi : Une étoile extraordinairement brillante, qui avait une ressemblance frappante avec une épée, paraissait me- nacer la ville qu'elle éclaira d'une lumière fatale pen- dant une année entière. A une fêle des Azymes, sur la neuvième heure de la nuit, une lueur si éclatante entoura Tautel et le temple que Ton pensait qu'il fît grand jour. A la même fête, une génisse que Ton menait pour l'immoler mit au monde un agneau, au moment elle était entre les mains des ministres. Quelques jours après, vers le coucher du soleil, on vil des chars et des quadriges portés dans toute la région de Tair, et des cohortes de gens armés s'entrechoquant dans les nuages et cernant la ville de bataillons impro- visés. En un autre jour de fête, qu'on appelle Pente- cote, les prêtres, étant la nuit dans le temple intérieur pour remplir le service ordinaire, ressentirent des mouvements et un certain tumulte; en même temps, ils entendirent des voix qui criaient : « Sortons de ces diMneures. » Quatre ans avant la guerre, un homme nommé Jésus, fils d'Ananias, venu à la fête des taber- nacles, se mit tout à coup à crier : « Voix du côté de Torienl; voix du côté de l'occident; voix du côté des quatre vents ; voix contre Jérusalem et contre le tem- ple; voix contre les époux et les épouses ; voix con- tre tout le peuple. )) Cet homme est pris, battu, fouetté;

SAINT JACQUES, APOTRE (lE MINEUR) 4S

mais il ne savait dire autre chose, et plus on le frap- pait, plus haut il criait. On le conduit alors au juge, qui l'accable de cruels tourments; il le fait déchirer au point qu'on voyait ses os : mais il n'eut ni une prière ni une larme; à chaque coup qu'on lui assénait, il pous- sait les mêmes cris avec un certain hurlement; à la fin il ajouta : « Malheur! malheur à Jérusalem! » (Récit de Josèphe.)

Or, comme les Juifs n'étaient pas convertis par ces avertissements, et qu'ils ne s'épouvantaient point de ces prodiges, quarante ans après, le Seigneur amena à Jérusalem Vespasien et Tite qui détruisirent la ville de fond en comble. Et voici ce qui les fit venir à Jérusa- lem ; on le trouve dans une histoire apocryphe : Pi- late, voyant qu'il avait condamné Jésus innocent, re- douta la colère de l'empereur Tibère, et lui dépêcha, pour porter ses excuses, un courrier du nom d'Albin : or, à la même époque, Vespasien avait le gouverne- ment de la Galatie au nom de Tibère César. Le cour- rier fut poussé en Galatie par les vents contraires et amené à Vespasien. C'était une coutume du pays que quiconque faisait naufrage appartenait corps et biens au gouverneur. Vespasien s'informa qui il était, d'où il venait, et il allait. « Je suis, lui répondit-il, ha- bitant de Jérusalem : je viens de ce pays et j'allais à Rome. » Vespasien lui dit : « Tu viens de la terre des sages, tu connais la science de la médecine, tu es mé- decin, tu dois me guérir. » En effet Vespasien, dès son enfance, avait une espèce de vers dans le nez. De son nom de Vespasien. Cet homme lui répondit : a Seigneur, je ne me connais pas en médecine, aussi

à

46 LA LÉGENDE DOREE

ne te puîs-je guérir. » Vespasien lui dit : « Si tu ne me guéris, tu mourras. » Albin répondit : « Celui qui a rendu la vue aux aveugles, chassé les démons, ressus- cité les morts, celui-là sait que j'ignore Tart de gué- rir. >) Et quel est, répliqua Vespasien, cet homme dont tu racontes ces merveilles ? » Albin lui dit : « (]'est Jésus de Nazareth que les Juifs ont tué par ja- lousie; si tu crois en lui, tu obtiendras ta guérison. )> Et Vespasien dit : « Je crois, car puisqu'il a ressuscité les morts, il pourra aussi me délivrer de cette infir- mité. » Et comme il parlait ainsi, des vers lui tom- bèrent du nez et tout aussitôt il recouvra la santé. Alors Vespasien, au comble de la joie, dit: « Je suis certain qu'il fut le fils de Dieu celui qui a pu me guérir. Eh bien ! J'en demanderai l'autorisation à César : j'irai à main armée à Jérusalem anéantir tous les traîtres et les meurtriers de Jésus. » Puis il dit à Albin, le messager de Pilate : « Avec ma permission, tu peux retourner chez toi, ta vie et tes biens saufs. » Vespasien alla donc à Rome et obtint de Tibère- César la permission de détruire la Judée et Jérusalem. Alors pendant plusieurs années, il leva plusieurs corps de troupes ; c'était au temps de l'empereur Néron, quand les Juifs se furent révoltés contre l'empire. Ce qui prouve, d'après les chroniques, qu'il ne le fit pas [»ar zèle pour J.-C, mais parce que les Juifs avaient secoué la domination des Romains. Vespasien arriva donc à Jérusalem avec une nombreuse armée, et au jour de Pâques, il investit la ville de toutes parts, et y enferma une multitude infinie de Juifs venus pour célébrer la fêle.

SAINT JACQUES, APOTRE (lE MINEUR) 47

Pendant un certain espace de temps, avant Tarri- véc de Vespasien à Jérusalem, les fidèles qui s'y trou- vaient, avertis par le Saint-Esprit de s'en aller, se retirèrent dans une ville nommée Pella, au delà du Jourdain, afin que les hommes saints ayant quitté la cité, la justice divine pût exercer sa vengeance sur ce pays sacrilège, et sur ce peuple maudit. La pre- mière ville de la Judée attaquée fut celle de Jonapa- tam, dont Josèphe était le.commandant et le chef ; mais Josèphe opposa avec ses hommes une vigoureuse résis- tanc>e. Cependant comme il voyait la ruine prochaine de cette place, il prit onze Juifs avec lesquels il s'enfer- ma dans un souterrain, où, après avoir éprouvé pen- dant quatre jours les horreurs de la faim, ces Juifs, malgré Josèphe, aimèrent mieux mourir que de se sou'- mettre au joug de Vespasien : ils préféraient se tuer les uns les autres et offrir leur sang en sacrifice à Dieu. Or, parce que Josèphe était le plus élevé en di- gnité parmi eux, ils voulaient le tuer le premier, afin que Dieu fût plus vite apaisé par l'effusion de son .sang, ou bien ils voulaient se tuer mutuellement (c'est ce qu'on voit en une chronique), afin de ne pas se rendre aux Romains. Mais Josèphe, en homme de pru- dence qui ne voulait pas mourir, s'établit juge de la mort et du sacrifice, et ordonna qu'on tirerait au sort deux par deux, à qui serait tué le premier par l'autre. On tira donc le sort qui livra à la mort tantôt l'un, tantôt l'autre, jusqu'au dernier avec lequel Josèphe avait à tirer lui-même. Alors Josèphe, qui était fort et adroit, lui enleva son épée et lui demanda de choisir la vie ou la mort en lui intimant l'ordre de se

48 LA LÉGENDE DOREE

prononcer sur-le-champ. Cet homme effrayé répon- dît : « Je ne refuse pas de vivre, si, grâce à vous, je puis conserver la vie. » Alors Josèphe parla en secret à un des familiers de Vespasien, que lui-même connaissait bien aussi, et demanda qu'on lui laissât la vie. Et ce qu'il demanda, il l'obtint. Or, quand Josèphe eut été amené devant Vespasien, celui-ci lui dit : « Tu aurais mérité la mort, situ n'avais été délivré parles sollicitations de cet homme. » « S'il y a eu quelque chose de mal fait, répondit Josèphe, on peut le tour- ner à bien. » Vespasien reprit ; « Un vaincu, que peut-il faire ? » Josèphe lui dit : « Je puis faire quelque chose, si je sais me faire écouter favorablement. » Vespa- sien répondit : « Soit, parle convenablement, et si tu dis quelque chose de bon, on t'écoutera tranquille- ment. » Josèphe reprit : « L'empereur romain est mort, et le Sénat t'a fait empereur. » « Puisque tu es prophète, dit Vespasien, pourquoi n'as-tu pas pré- dit à cette ville qu'elle devait tomber en mon pouvoir ? » Je le lui ai prédit pendant quarante jours, répondit Josèphe. » En même temps arrivent les députés ro- mains, proclamant que Vespasien est élevé à l'empire, et ils le conduisent à Rome. Eusèbe en sa chronique* témoigne aussi que Josèphe prédit à Vespasien, et la mort de l'empereur, et son élévation. Alors Vespa- sien laissa Tite, son fils, au siège de Jérusalem. Or, celui-ci, apprenant que son frère avait été proclamé empereur (c'est ce qu'on lit dans la même histoire apocryphe), fut rempli d'un tel transport de joie

* Lib. II, R. Dcccxx, p. 540 (MijLcno).

SAINT JACQUES, APOTRE (lE MINEUR) 49

qu'une contraction nerveuse le saisit à la suite d'une fraîcheur et qu'il fut paralysé d'une jambe. Josèphe apprenant que Tite était paralysé, rechercha avec un soin extrême la cause et les circonstances de cette ma- ladie. La cause, il ne la put découvrir, ni on ne put lui dire de quelle nature était la maladie ; pour le temps elle s'est déclarée, il apprend que c'est en enten- dant annoncer que son frère était élu empereur. En homme prévoyant et sage Josèphe, avec ce peu de renseignements, se livra à des conjectures qui lui firent trouver la nature de la maladie, par la circons- tance où elle s'était déclarée, savoir : que sa position était le résultat d'un excès de joie et d'allégresse. Or, ayant remarqué que les contraires se guérissent par les contraires, sachant encore que ce qui est occa- sionné par l'amour se détruit souvent par la douleur, il se mit à chercher s'il ne se trouvait personne en butte à l'inimitié de ce prince. 11 y avait un esclave tel- lement à charge à Tite qu'il lui suffisait de le regarder pour être tout bouleversé ; son nom, il ne le pouvait même entendre prononcer. Josèphe dit alors à Tite : « Si tu souhaites être guéri, accueille bien tous ceux qui seront de ma compagnie. » Tite répondit : « Qui- conque viendra en ta compagnie peut être certain d'être bien reçu. » Aussitôt Josèphe fit préparer un festin, plaça sa table vis-à-vis de celle de Tite, et fit mettre l'esclave à sa droite. En le voyant, Tite con- trarié frémit de mécontentement, et comme la joie l'avait refroidi, la fureur il se mit le réchauffa. Ses nerfs se détendirent et il fut guéri. Après quoi Tite rendit ses bonnes grâces à son esclave, et accorda

H. 4

à

50 L\ LÉGENDE DOREE

son amitié à Josèphe. Peut-on s'en rapporter à cette histoire apocry'plie ? Est-elle ou non digne de récit ? J'en laisse l'appréciation au lecteur.

Or, le siège de Jérusalem dura deux ans. Au norabre des maux qui firent le plus souflFrir les assiégés, il faut tenir compte d'une famine si affreuse que les pa- rents arrachaient leur nourriture à leurs enfants, les maris à leurs femmes, et les femmes à leurs maris, non seulement d'entre les mains, mais même d'entre les dents : les jeunes gens les plus robustes par l'àge, semblables à des spectres errant par les rues, tom- baient d'inanition tant ils étaient pressés par la faim. Ceux qui ensevelissaient les morts tombaient souvent morts sur les morts eux-mêmes. Comme on ne pou- vait soutenir la puanteur des cadavres, on les fit en- sevelir au dépens du trésor public. Et quand le trésor fut épuisé, on jeta au-dessus des murs les cadavres qui s'amoncelaient. Tite, en faisant le tour de la place, vit les fossés remplis de corps morts dont la puan- teur infectait le pays ; alors il leva les mains au ciel en pleurant, et il dit : « 0 Dieu, tu le vois, ce n'est pas moi qui en suis l'auteur. » Car la famine était si grande dans Jérusalem qu'on y mangeait les chaus- sures et les courroies. Pour comble d'horreur, une dame de noble race et riche, ainsi qu'on le lit dans V Histoire ecclésiastique, avait été dépouillée de tout par des brigands qui se jetèrent sur sa maison, et ne lui laissèrent absolument rien à manger. Elle prit dans ses bras son fils encore à la mamelle, et lui dit : « 0 fils, plus malheureux encore que la malheureuse mère ! à quoi te réserverai-je ? sera-ce à la guerre ou

SAINT JACQUES, APOTRE (LE MINEUR] Kl

à la faim, ou encore au carnage? Viens donc à cette heure, ô mon enfant ; sois la nourriture de ta mère, le scandale des brigands, et l'entretien des siècles. » Après avoir dit ces mots, elle égorgea son fils, le fit cuire, en mangea une moitié et cacha l'autre. Et voici que les brigands, qui sentaient Todeur de la viande cuite, se ruent incontinent dans la maison, et me- nacent cette femme de mort, si elle ne leur donne la viande. Alors elle découvrit les membres de l'enfant : « Voici, dit-elle, à vous a été réservée la meilleure- part. » Mais ils furent saisis d'une horreur telle qu'ils.- ne purent parler. « C'est mon fils, ajouta-t-elle, c'est moi qui ai commis le crime ; mangez sans crainte ; j'ai mangé la première de l'enfant que j'ai mis au monde : n'ayez garde d'être plus- religieux qu'une mère et plus délicats que des femmes : si la pitié vous domine, et si vous éprouvez de l'horreur, je mange- rai tout entier ce dont j'ai déjà mangé une moitié. » Les brigands se retirèrent tout tremblants et effrayés. Enfin la seconde année de l'empire de Vespasien, Tite prit Jérusalem, la ruina, détruisit le temple jusque dans ses fondements, et de même que les Juifs avaient acheté J.-C. trente deniers, de même Tite fit vendre trente Juifs pour un denier. D'après le récit de Jo- sèphe, quatre-vingt-dix-sept mille Juifs furent vendus, et onze cent mille périrent par la faim et par Tépée. On lit encore que Tite, en entrant dans Jérusalem, ^-it un mur d'une grande épaisseur, et le fit creuser. Quand on y eut percé un trou, on y Irouva dans l'in- térieur un vieillard vénérable par son aspect et ses cheveux blancs. Interrogé qui il était, il répondit qu'il

4

52 LA LÉGENDE DORÉE

était Joseph, de la ville de Judée nommée Arimathie, qu'il avait été enfermé et muré pour avoir enseveli J.-C. : et il ajouta que depuis ce moment, il avait été nourri d'un aliment céleste, et fortifié par une lumière divine. Pourtant Tévanjçile de Nicodème dit que les Juifs ayant reclus Joseph, J.-C. eu ressuscitant le tira de et le conduisit à Arimathie. On peut dire alors qu'après sa délivrance, Josèphe ne cessa de prêcher J.-C. et qu'il fut reclus une seconde fois. L'empereur Vespasien étant mort, Tite, son fils, lui succéda à Tempirc. Ce fut un prince rempli de clémence, d'une ;«;^énérosité et d'une bonté telles que, selon le dire d'Eu- sèbc dans sa chronique et le témoignage de saint Jé- rôme, un jour qu'il n'avait pas fait une bonne action, ou qu'il n'avait rien donné, il dit : « Mes amis, j'ai perdu ma journée. » Longtemps après, des Juifs vou- lurent réédifier Jérusalem ; étant sortis de bon matin ils trouvèrent plusieurs croix tracées par la rosée, et ils s'enfuirent effrayés. Le lendemain matin, ditMilet dans sa chronique, chacun d'eux trouva des croix de sanç empreintes sur ses vêtements. Plus cflFrayés en- core, ils prirent de nouveau la fuite, mais étant reve- nus le troisième jour, ils furent consumés par une vapiMir enflammée sortie des entrailles de la terre.

L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX

l.ettc fête est appelée l'Invention de la Sainte Croix, parce qu'on rapporte que la sainte croix fut trouvée à pareil jour. Mais auparavant, elle avait été trouvée par Selh, fils d* Adam,

l'invention de la sainte croix S3

dans le paradis terrestre, comme il est raconte plus bas ; par* SalomOD, sur le Liban ; par la reine de Saba, dans le temple de Salomon ; par les Juifs, dans Teau de la piscine ; et en ce jour par sainte Hélène, sur le mont du Calvaire.

L'Invention de la Sainte Croix eut lieu plus de deux cents ans après la résurrection de J.-C. On lit dans l'évangile de Nicodème (ch. xix) qu'Adam étant devenu malade, Seth, son fils, alla à la porte du paradis et de- manda de l'huile du bois de la miséricorde pour oindre le corps de son père afin qu'il recouvrât la santé. L'ar- change Michel lui apparut et lui dit : « Ne pleure pas et ne te mets point en peine d'obtenir de Thuile du bois de la miséricorde, car il te sera absolument impossible d'en obtenir, avant que cinq mille cinq cents ans soient révolus. Cependant on croit que d'Adam jus- qu'à la passion du Seigneur il s'écoula seulement 5099 ans. On lit encore ailleurs que Tange lui offrit un petit rameau et lui ordonna de le planter sur le mont Liban. Mais on lit, dans une histoire apocryphe des Grecs, que l'ange lui donna du bois de l'arbre par le fruit duquel Adam avait péché, en l'informant que son père serait guéri quand ce bois porterait du fruit. A son retour, Seth trouva son père mort et il planta ce rameau sur sa tombe. Cette branche plantée devint en croissant un grand arbre qui subsista jusqu'au temps de Salomon. (Mais il faut laisser au lecteur à juger si ces choses sont vraies, puisqu'on n'en fait mention clans aucune chronique, ni dans aucune histoire au- thentique.) Or, Salomon considérant la beauté de cet arbre le fit couper et mettre dans la maison du Bois *.

* Au in« livre des Kois, ch. vu, il est question de cette mai- II. * 4-

54 LA LÉGENDE DOREE

Cependant, ainsi que le dit Jean Beleth (ch. cli), on ne pouvait le mettre nulle part, et il n'y avait pas moyen de lui trouver un endroit il pût être em- ployé convenablement : car il était tantôt trop long*, tantôt trop court : si on l'avait raccourci dans les pro- portions qu'exigeait la place on le voulait employer, il paraissait si court qu'on ne le regardait plus comme bon à rien. En conséquence, les ouvriers, de dépit, le rejetèrent et le mirent sur une pièce d'eau pour qu'il servît de pont aux passants. Or, quand la reine de Saba vint entendre la Sagesse de Salomon, et voulut passer sur cette pièce, elle vit en esprit que le Sauveur du monde devait être suspendu à ce bois, et pour cela elle ne voulut point passer dessus, mais aussitôt elle l'adora. Cependant dans VHisloire scho- laslique (liv. III Rois, c. xxvi), on lit que la reine de Saba vit cette pièce dans la maison du Bois, et en revenant à son palais elle communiqua à Salomon que sur ce bois devait être suspendu celui dont la mort devrait être la cause de la destruction du royaume des Juifs. C'est pourquoi Salomon le fît ôter du lieu il était, et enterrer dans les entrailles les plus profondes de la terre. Dans la suite on y établit la Piscine Pro- batique les Nathinéens* lavaient les victimes, et ce n'est pas seulement à la descente de l'ange, mais

son qui fut construite par Salomon. Elle reçut le nom de mai- son du Bois, saillis, à cause de la quantité de cèdres qui entra dans sa construction.

* C'étaient des Gabaonites qui étaient attachés au service du temple depuis Josué. Cf. Paralipomènes, ix, 2; Sigonius, De lîepub. Hebrœor., liv. IX, ch. vu.

l'invention de la sainte croix 55

encore à la vertu de ce bois que Ton attribue que l'eau en était troublée et que les infirmes y étaient guéris. Or, quand approcha le temps de la passion de J.-C, on rapporte que cette pièce surnagea, et les Juifs, en la voyant, la prirent pour en fabriquer la croix du Sei- gneur. On dit encore que cette croix fut faite de quatre essences de bois, savoir de palmier, de cyprès, d'oli- vier et de cèdre. De ce vers :

Ligna Crucis palma, cedrus, cupressus, oliva.

Car dans la croix, il y avait le bois qui servait de montant droit, la traverse, la tablette de dessus, et le tronc était fixée la croix, ou bien, selon Grégoire de Tours*, la tablette qui servait de support, sous les pieds de J.-C. Par on peut voir que chacune des pièces pouvait être d'une de ces essences de bois dont on vient de parler. Or, l'apôtre paraît avoir eu en vue ces différentes sortes de bois quand il dit : ce Afin que vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur » (Ep. aux Ephés., c. ii, 18). Ces pa- roles sont expliquées comme il suit par l'illustre doc- teur saint Augustin : « La largeur de la croix du Sei- gneur, dit-il, c'est la traverse, sur laquelle on a étendu ses mains ; sa longueur allait depuis la terre jusqu'à cette traverse en largeur sur quoi tout le corps de iMl. fut attaché, moins les mains ; sa hauteur, c'est à partir de cette largeur jusqu'à l'endroit de dessus se trouvait la tète ; sa profondeur, c'était la partie

* Afiracul.f liv. I, c. vi.

S6 LA LÉGENDE DOREE

cachée et enfoncée dans la terre. Dans la croix on trouve décrites toutes les actions d'un homme chré- tien, qui sont de faire de bonnes œuvres en J.-C, de lui être persévéramment attaché, d'espérer les biens célestes, et ne pas profaner les sacrements.

Ce bois précieux de la croix resta caché sous terre deux cents ans et plus : mais il fut découvert ainsi qu'il suit par Hélène, mère de l'empereur Constantin. En ce temps-là, sur les rives du Danube, se rassem- bla une multitude innombrable de barbares voulant passer le fleuve, et soumettre à leur domination tous les pays jusqu'à l'occident. Dès que l'empereur Cons- tantin le sut, il décampa et vint se placer avec son année sur le Danube. Mais la multitude des barbares s'augmcntant, et passant déjà le fleuve, Constantin fui frappé d'une grande terreur, en considérant qu'il aurait à livrer bataille le lendemain. Or, la nuit sui- vante, il est réveillé par un ange qui l'avertit de regar- der en l'air. Il tourne les yeux vers le ciel et voit le signe de la croix formée par une lumière fort resplen- dissante, et portant écrite en lettres d'or cette inscrip- tion : (( In hoc s'ujno vinces, parce signe tu vaincras. » Réconforté par cette vision céleste, il fit faire une croix semblable qu'il ordonna de porter à la tète de son ar- mée: se précipitant alors sur les ennemis, il les mit en fuite et en tua une multitude immense. Après quoi Constantin convoqua tous les pontifes des temples et s'informa avec beaucoup de soin de quel Dieu c'était le signe. Sur leur réponse qu'ils l'ignoraient, vinrent plusieurs chrétiens qui lui firent connaître le mystère de la sainte croix et la foi de la Trinité. Constantin

l'invention de la sainte croix 57

crut alors parfaitement en J.-C. et reçut le saint bap- tême des mains d'Eusèbe, pape, ou selon quelques livres, évèque de Césçiréc. Mais dans ce récit, il y a beaucoup de points contredits par ÏHisloire iriparliie et par Y Ecclésiastique^ par la Vie de saint Silvestre et les Gestes des pontifes romaiyis. D'après certains auteurs, ce ne fut pas ce Constantin que le pape Sil- vestre baptisa après sa conversion à la foi, comme piaraissent l'insinuer plusieurs histoires, mais ce fut Constantin, le père de ce Constantin, ainsi qu'on le voit dans des historiens. En effet ce Constantin re- çut la foi d'une autre manière rapportée dans la légende de saint Silvestre, et ce n'est pas Eusèbe de Césarée qui le baptisa, mais bien saint Silvestre. Après la mort de son père, Constantin, qui n'avait pas perdu le souvenir de la victoire remportée par la vertu de la sainte croix, fit passer Hélène, sa mère, à Jérusa- lem pour trouver cette croix, ainsi que nous le dirons plus bas.

Voici maintenant un récit tout différent de cette victoire, d'après VHistoire Ecclésiastique (ch. ix). Elle rapporte donc que Maxence ayant envahi l'empire romain, l'empereur Constantin vint lui présenter la bataille \is-à-vis le pont Albin. Comme il était dans une grande anxiété, et qu'il levait souvent les yeux au ciel pour implorer son secours, il vit en songe, du côté de l'orient dans le ciel, briller une croix, couleur de feu : des anges se présentèrent devant lui et lui dirent : « Constantin, par cela tu vaincras. » Et, selon le témoignage de VHistoire tripavtite *, tandis que

Liv. IX, c. IX.

58 LA LÉGENDE DOREE

Constantin s'étonnait de ce prodige, la nuit suivante, J.-C. lui apparut avec le signe vu dans le ciel ; il lui ordonna de faire des images pareilles qui lui porte- raient bonheur dans les combats. Alors Constantin fut rendu à la joie et assuré de la victoire ; il se mar- qua le front du signe qu'il avait vu dans le ciel, fit transformer les enseignes militaires sur le modèle de la croix et prit à la main droite une croix d'or. Après quoi il sollicita du Seigneur que cette droite, qu'il avait munie du signe salutaire de la croix, ne fût ni ensan- glantée, ni souillée du sang romain, mais qu'il rem- portât la victoire sur le tyran sans effusion de sang. Quant à Maxence, dans Tintention de tendre un piège, il fit disposer des vaisseaux, fit couvrir le fleuve de faux ponts. Or, Constantin s'étant approché du fleuve, Maxence accourut à sa rencontre avec peu de monde, après avoir donné ordre aux autres corps de le sui- vre; mais il oublia lui-même qu'il avait fait construire un faux pont, et s'y engagea avec une poignée de sol- dats. Il fut pris au piège qu'il avait tendu lui-même, car il tomba dans le fleuve qui était profond; alors Constantin fut acclamé empereur à l'unanimité. D'après ce qu'on lit dans une chronique assez authentique, Constantin ne crut pas parfaitement dès ce moment; il n'aurait même pas alors reçu le baptême; mais peu (le temps après, il eut une vision de saint Pierre et de saint Paul ; et quand il eut reçu la vie nouvelle du baptême et obtenu la guérison de sa lèpre, il crut par- faitement dans la suite en J.-C. Ce fut alors qu'il en- voya sa mère Hélène à Jérusalem pour chercher la croix du Seigneur. Cependant saint Ambroise, dans

l'invention de la sainte croix 59

la lettre il rapporte la raorl de Théodose, et V His- toire tripartile *, disent que Constantin reçut le bap- tême seulement dans ses derniers moments; s'il le différa jusque-là, ce fut pour pouvoir le recevoir dans le fleuve du Jourdain. Saint Jérôme en dit autant dans sa chronique. Or, il est certain qu'il fut fait chrétien sous le pape saint Silvestre, quant à savoir s'il différa son baptême, c'est douteux ; ce qui fait qu'en la légende de saint Silvestre, il y a là-dessus, comme en d'autres points, bien peu de certitude. Or, l'histoire de l'Inven- tion de la sainte croix, telle qu*on la lit dans les his-. toires ecclésiastiques conformes en cela aux chroniques, paraît plus authentique de beaucoup que celle qu'on récite dans les églises. Il est en effet constant qu'il s'y trouve des endroits peu conformes à la vérité, si ce n'est -qu'on veuille dire, comme ci-dessus, que ce ne fut pas Constantin, mais son père qui portait le même nom : ce qui du reste ne paraît pas très plau- sible, quoique ce soit le récit de certaines histoires d'outre-mer.

Hélène arrivée à Jérusalem fit réunir autour d'elle les savants qu'on trouva dans toute la contrée. Or, cette Hélène était d'abord restée dans une hôtellerie**, mais épris de sa beauté, Constantin se l'attacha, selon que saint Ambroise l'avance en disant : « On assure qu'elle fut hôtelière, mais elle fut unie à Constantin

Liv. III, ch. XII.

•• Le mol latin »tabularia voudrait dire servante de cour. Saint Ambroise parait l'indiquer quelques lignes plus loin. Nous avons mieux aimé donner un féminin au mot hôtelier, h<)telière est un mot qui a vieilli.

60 LA LÉGENDE DORÉE

Tancieii qui, dans la suite, posséda l'empire. Bonne hôtelière, qui chercha avec lant de soin la crèche du Seigneur! Bonne hôtelière, qui connut cet hôtelier dont les soins î^uérirent cet homme blessé par les bri- gands * ! Bonne hôtelière, qui a regardé toutes choses comme des ordures afin de gagner J.-C.**! Et pour cela Dieu l'a tirée de Tordure pour l'élever sur un trône » (saint Ambroise). D'autres affirment, et c'est l'o- pinion émise dans une chronique assez authentique, que cette Hélène était fille de Clohel, roi des Bretons ; Constantin en venant dans la Bretagne la prit pour femme, parce qu'elle élait fille unique. Delà vient que l'île de Bretagne échut à Constantin après la mort de Clohel. Les Bretons eux-mêmes l'attestent; on lit pourtant ailleurs qu'elle était de Trêves. Or, les Juifs, remplis de crainte, se disaient les uns aux autres : « Pour quel motif pensez-vous que la Reine nous ait convoqués auprès d'elle? » L'un d'eux nommé Judas dit : « Je sais, moi, qu'elle veut apprendre de nous l'endroit se trouve le bois de la croix sur lequel le Christ a été crucifié. Gardez-vous bien d'être assez présomptueux pour le lui découvrir. Sinon tenez pour très cerlai^ que notre loi sera détruite et que toutes les traditions de nos pères seront totalement abolies : car Zachée mon aïeul l'a prédit à mon père Siméon et mon père m'a dit avant de mourir : « Fais « attention, mon fils, à l'époque l'on cherchera la (( croix du Christ : dis elle se trouve, avant d'être

* Allusion à la parabole du Samaritain de TEvangile. ** Expression de saint Paul dans l'Epître aux Philippiens, c. III. 8.

l'invention de la sainte croix 61

« mis à la torture; car à dater de cet instant le pouvoir <f des Juifs, à jamais aboli, passera entre les mains « de ceux qui adorent le crucifié, parce que ce Christ « était le filsde Dieu. » Alors j'ai répondu : « Mon père, si vraiment nos ancêtres ont su que ce Christ était le fils de Dieu, pourquoi Tont-ils attaché au gibet de la croix? » « Le Seigneur est témoin, répondit-il, que je n'ai jamais fait partie de leur conseil ; mais que sou- vent je me suis opposé à leurs projets : or, c'est parce que le Christ reprochait les vices des Pharisiens qu'ils le firent crucifier : mais il est ressuscité le troisième jour et il a monté au ciel à la vue de ses disciples. Mon frère Etienne, que les Juifs en démence ont lapidé, a cru en lui. Prends garde donc, mon fils, de n'oser jamais blasphémer le Christ ni ses disciples. » (Il ne paraît cependant pas très probable que le père de ce Judas ait existé au temps de la Passion de J.-C., puisque de la passion jusqu'au temps d'Hélène, sous laquelle vécut Judas, il s'écoula plus de 270 ans; à moins qu'on ne veuille dire qu'alors les hommes vi- vaient plus longtemps qu'à présent.) Cependant les Juifs dirent à Judas: « Nous n'avons jamais entendu dire choses semblables. Quoi qu'il en soit, si la Reine l'interroge, aie soin de ne lui faire aucun aveu. » Lors donc qu'ils furent en présence de la Reine, et qu'elle leur eut demandé le lieu le Seigneur avait été cru- cifié, pas un d'eux ne consentit à le lui indiquer ; alors elle les condamna tous à être brûlés. Ils furent saisis d'effroi et signalèrent Judas, en disant : « Prin- cesse, voici le fils d'un juste et d'un prophète qui a connu parfaitement la loi ; demandez-lui tout ce que

62 LA LÉGENDE DORER

VOUS voulez, il vous l'indiquera. » Alors elle les con- gédia tous à rexceplion de Judas qu'elle retint et au- quel elle dit : « Je le propose la vie ou la mort ; choi- sis ce que tu préfères. Montre-moi donc le lieu quî s'appelle Golgotha, le Seigneur a été crucifié, afin que je puisse trouver sa croix. » Judas répondit : « Comment puis-je le savoir, puisque deux cents ans et plus se sont écoulés et que je n'étais pas à cette époque ? » La Reine lui dit : « Par le crucifié, je te ferai mourir de faim, si tu ne me dis la vérité. » Elle ordonna donc qu'il fill jelé dans un puits desséché pour y endurer les horreurs de la faim. Or, après y être resté six jours sans nourriture, le septième il de- manda à sortir, en promettant de découvrir la croix. On le retira. Quand il fut arrivé à l'endroit, après avoir fait une prière, tout à coup la terre tremble, il se ré- pandit une fumée d'aromates d'une admirable odeur ; Judas lui-même, plein d'admiration, applaudissait des deux mains et disait : « En vérité, ô Christ, vous êtes le Sauveur du monde! » Or, d'après Y Histoire ecclé" siasliquCy il y avait, en ce lieu, un temple de Vénus construit autrefois par l'empereur Hadrien, afin que si quelque chrétien eût voulu y adresser ses adora- tions, il pariU adorer Vénus : et, pour ce motif, ce lieu avait cessé d'être fréquenté et était presque entiè- rement délaissé, mais la Reine fit détruire ce temple jusque dans ses fondements et en fit labourer la place. Après quoi Judas se ceignit et se mit à creuser avec courage. Quand il eut atteint à la profondeur de vingt pas, il trouva trois croix enterrées, qu'il porta incon- tinent à la reine. Or, comme Ton ne savait pas dis-

l'invention dk la sainte croix 63

liiiçuer celle de J.-C. d'avec celles des larrons, ou les plaça au milieu de la ville pour attendre que la gloire de Dieu se manifestât. Sur la onzième heure, passa le corps d'un jeune homme qu'on portait en terre : Judas arrêta le cercueil, mit une première et une seconde croix sur le cadavre du défunt, qui ne ressuscita pas, alors on approcha la troisième croix du corps et à l'instant il revint à la vie.

On litcependant, dans les histoires ecclésiastiques *, qu'une femme des premiers rangs de la ville gisait demi-morte, quand Macaire, évoque de Jérusalem, prit la première et la deuxième croix, ce qui ne produisit au- cun résultat : mais quand il posa sur elle la troisième, cette femme rouvrit les yeux et fut guérie à l'instant. Saint Ambroise dit, de son côté, que Macaire distin- gua la croix du Seigneur, par le titre qu'avait fait mettre Pilate, et dont l'évêque lut l'inscription qu'on trouva aussi. Alors le diable se mit à vociférer en •l'air : « 0 Judas, disait-il, pourquoi as-tu fait cela? Le Judas qui est le mien a fait tout le contraire : car ce- lui-ci, poussé par moi, fit la trahison, et loi, en me reniant, tu as trouvé la croix de Jésus. Par lui, j'ai gagné les âmes d'un grand nombre; par toi, je parais perdre celles que j'ai gagnées : par lui, je régnais sur le peuple; par toi, je suis chassé de mon royaume. Toutefois je te rendrai la pareille, et je susciterai contre loi un autre roi qui, abandonnant la foi du crucifié, te fera renier dans les tourments le crucifié. »

* Sozomènc, llist. erc/,, I. II, c. i; Nicéph. cal.,1. XVII, c. XIV, XV ; Evagr., iv, iO.

64 LA LÉGENDE DOREE

Ceci paraît se rapporter à Tempereur Julien : celui- ci, lorsque Judas fut devenu évêque de Jérusalem, Faccabla de nombreux tourments et le fit mourir martyr de J.-C. En entendant les vociférations du diable, Judas ne craignit rien, mais il ne cessa de maudire le diable en disant : «Que le Christ te damne dans l'abîme du feu éternel ! » Après quoi Judas est baptisé, reçoit le nom de Cyriaque, puis est ordonné évêque de Jérusalem, quand le titulaire fut mort. (Beleth, c. xxv). Mais comme la bienheureuse Hélène ne possédait pas les clous du Seigneur, elle pria Tévêque Cyriaque d'aller au Goiçotha et de les chei^ cher. Il y vint et aussitôt après avoir adressé des prières à Dieu, les clous apparurent brillants dans la terre, comme de Tor. Il les prit et les porta à la reine. Or, celle-ci se mit à genoux par terre et, après avoir incliné la tète, elle les adora avec grande révérence. Hélène porta une partie de la croix à son fils, et ren- ferma l'autre dans des châsses d'argent qu'elle laissa à Jérusalem ; quant aux clous avec lesquels le corps du Seigneur avait été attaché, elle les porta à son fils. Au rapport d'Eusèbe de Césarée, elle en fit deux freins dont Constantin se servait dans les batailles, et elle mit les autres à son casque en guise d'armure. Quel- ques auteurs, comme Grégoire de Tours*, assurent que le corps du Seigneur fut attaché avec quatre clous : Hélène en mit deux au frein du cheval de l'empereur, le troisième à la statue de Constantin qui domine la ville de Rome, et elle jeta le quatrième dans la mer Adria-

* Miracul., lib. I, ch. vi.

l'invention de la sainte croix 65

tique qui jusque-là avait été un gouffre pour les navi- gateurs. Elle ordonna que cette fête de l'Invention de la sainte croix fût célébrée chaque année solennellement. Voici ce que dit saint Ambroise * : « Hélène chercha les clous du Seigneur et les trouva. De Tun elle fit faire des freins ; elle incrusta l'autre dans le diadème : belle place que la tète pour ce clou ; c'est une couronne sur le front, c'est une bride à la main : c'est l'emblème de la prééminence du sentiment, de la lumière de la foi, et de la puissance impériale. » Quant à l'évéque saint Cyriaque, Julien l'apostat le fit mourir plus tard, pour avoir trouvé la sainte croix dont partout il prenait à tâche de détruire le signe. Avant de par- tir contre les Perses, il fit inviter Cyriaque à sacri- fier aux idoles : sur le refus du saint, Julien lui fit couper le bras en disant : « Avec cette main il a écrit beaucoup de lettres qui ont détourné bien du monde de sacrifier aux dieux. » Cyriaque lui répondit : « Chien insensé, tu m'as bien rendu service ; car avant de croire à J.-C, trop souvent j'ai écrit des lettres que j'adressais aux synagogues des Juifs afin que personne ne crût en J.-C. et voilà que tu viens de retrancher de mon corps ce qui en avait été le scan- dale. » Alors Julien fit fondre du plomb qu'il ordonna de lui verser dans la bouche ; ensuite il fit apporter un lit en fer sur lequel Cyriaque fut étendu çt au- dessous on mit des charbons ardents et de la graisse. Comme Cyriaque restait immobile, Julien lui dit : « Si tu ne veux pas sacrifier aux idoles, dis au moins

* De obitu Theod., nos 47-48.

II. 5

66 LA LI^GENDE DOREE

({ue lu n'es pas chrétien. » L'évèque s'y refusa avec horreur. Julien fil creuser une fosse profonde nu'oii fit remplir de serpents venimeux. Cyriaque y fut jeté, mais les serpents moururent aussitôt. Julien ordonna alors que Cyriaque fût jeté dans une chaudière pleine d'huile bouillante. Or, comme le saint voulait y entrer spontanément, il se signa, et pria le Seigneur de le baptiser une seconde fois dans Teau du martyre, mais Julien furieux lui fit percer la poitrine avec une épée. Ce fut ainsi que saint Cyriaque mérita de consommer Son martvre dans le Seiijrneur.

La grandeur de la vertu de la Croix est manifeste dans ce notaire fidèle, trompé par un magicien qui le conduisit en un lieu il avait fait venir des dé- mons, en lui promettant des richesses immenses. Il vit un Ethiopien de haute stature, assis sur un trône élevé, et entouré d'autres Ethiopiens debout, armés de lances et de bâtons. Alors l'Ethiopien demanda à re magicien : « Quel est cet enfant ? » Le magicien répondit: « Seigneur, c'est votre serviteur. » Le dé- mon dit au notaire : « Si tu veux m'adorer, être mon serviteur, et renier ton Christ, je te ferai asseoir à ma droite. » Mais le notaire se hâta de faire le signe (le la croix et s'écria ([u'il était de toute son âme le serviteur du Sauveur J.-C. Il n'eut pas plutôt fait le si;^ne de la croix que toute cette multitude de démons disparut. Peu de temps après, ce même notaire entra un jour avec son maître dans le temple de Sainte- Sophie; se trouvant ensemble devant une image du Sauveur, le maître remarqua que cette image avait les yeux fixés sur le notaire qu'elle regardait attentive-

\

SAINT JEAN, APOTRE, DEVANT LA PORTE LATINE 67

ment. Plein de surprise, le maître fit passer le jeune homme à droite et vit que l'image avait encore tourné les yeux de ce côté, en les dirigeant sur le notaire. Il le fit de nouveau revenir à gauche, et voici que l'i- mage tourna encore les yeux et se mit à regarder le notaire comme auparavant. Alors le mattre te conjura de lui dire ce qu'il avait fait à Dieu pour mériter que l'image le regardât ainsi. Il répondit qu'il n'avait la conscience d'aucune bonne action, si ce n'est qu'il n'avait pas vouîu renier le Sauveur devant le diable^

SAINT JEAN, APOTRE, DEVANT LA PORTE LATINE

Saint Jean, apôtre etévangéliste, prêchait à Ephèse quand il fut pris par le proconsul, et invité à immo- ler aux dieux. Comme il rejetait cette proposition, il est mis en prison : on envoie alors à l'empereur Do- initien une lettre dans laquelle saint Jean est signalé comme un grand sacrilège, un contempteur des dieux et un adorateur du crucifié. Par l'ordre de Domitien, il est conduit à Rome, où, après lui avoir coupé tous les cheveux par dérision, on lejelte dans une chau- dière d'huile bouillante sous laquelle on entretenait un feu ardent : c'était devant la porte de la ville qu'on appelle Latine. Il n'en ressentit cependant aucune douleur, et en sortit parfaitement sain. En ce lieu donc, les chrétiens bâtirent une église, et ce jour est solennisé comme le jour du martyre de saint Jean.

68 LA LÉGENDE DOREE

Or, comme le saint apôtre n'en continuait pas moins à prêcher J.-C, il fut, par Tordre de Domilien, relégué dans THe de Pathmos. Toutefois les empereurs ro- mains, qui ne rejetaient aucun Dieu, ne persécutaient pas les apôtres parce que ceux-ci prêchaient J.-C. ) mais parce que les apôtres proclamaient la divinité de Jésus-Christ sans Tautorisation du Sénat qui avait défendu que cela ne se fît de personne. C'est pour- quoi dans VHistoire ecclésiastiquey on lit que Pilate envoya une fois une lettre à Tibère au sujet de Jésus- Christ *. Tibère alors consentit à ce que la foi fût re- çue par les Romains, mais le Sénat s'y opposa for- mellement, parce que J.-C. n'avait pas été appelé Dieu d'après son autorisation. Une autre raison rap- portée par une chronique, c'est que J.-C. n'avait pas tout d'abord apparu aux Romains. Un autre motif c'est que J.-C. rejetait le culte de tous les dieux qu'hono- raient les Romains. Un nouveau motif encore, c'est que J.-C. enseignait le mépris du monde et que les Romains étaient des avares et des ambitieux. M* Jean Beleth assigne de son côté une autre cause pour la- quelle les empereurs et le Sénat repoussaient J.-C. et les apôtres : c'était que J.-C. leur paraissait un Dieu trop orgueilleux et trop jaloux, puisqu'il ne daignait pas avoir d'égal. Voici une autre raison donnée par Orose (liv. VII, ch. iv) : « le Sénat vit avec peine que c'était à Tibère et non pas à lui que Pilate avait écrit au sujet des miracles de J.-C. et c'est sur ce prétexte qu'il ne voulut pas le mettre au rang des dieux.

* Eusèbe, 1. II, c. ii.

LA LITAME MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE 69

Aussi Tibère irrité fit périr un grand nombre de séna- leurs, et en condamna d'autres à Texil. » La mère de Jean, apprenant que son fils était détenu à Rome, el poussée par une compassion de mère, s'y rendit |K>ur le visiter. Mais quand elle fut arrivée, elle ap- prit qu'il avait été relégué en exil. Alors elle se retira dans la ville de Vétulonia en Campanie, elle ren- dit son âme à Dieu. Son corps resta longtemps ense- veli dans un antre, mais dans la suite, il fut révélé à saint Jacques, son fils. Il répandit alors une grande et suave odeur et opéra de nombreux et éclatants mi- racles ; il fut transféré avec grand honneur dans la ville qu'on vient de nommer.

LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE (les rogations)

Deux fois par an arrivent les litanies ; à la fête de sjinl Marc, c'est la litanie majeure, et aux trois jours qui précèdent Tascension du Seigneur, c'est la litanie mineure. Litanie veut dire supplication, prière ou rogation. La première a trois noms différents, qui sont : litanie majeure, procession septiforme, et croix n:>ires.

I. On rappelle litanie majeure pour trois motifs, savoir ; à raison de celui qui l'institua, ce fut saint (irégoire, le grand pape ; à raison du lieu elle fut instituée qui est Rome, la maîtresse et la capitale du monde, parce qu'à Rome se trouvent le corps du prince

70 LA LÉGENDE DOREE

des apôtres et le saint siè^e apostolique ; à raison de la cause pour laquelle elle fut instituée : ce fut une grande et très grave épidémie. En effet les Romains, après avoir passé le carême dans la continence, et avoir reçu à Pâques le corps du Seigneur, s'adon- naient sans frein à la débauche dans les repas, aux jeux et à la luxure ; alors Dieu provoqué leur envoya une épouvantable peste qu'on nomme inguinale, au<p trement apostume ou enfle de Taîne. Or, cette peste était si violente que les hommes mouraient subite- ment, dans les chemins, à table, au jeu, dans les réu- nions, de sorte que, s'il arrivait, comme on dit, que quelqu'un éternuâl, souvent alors il rendait l'âme. Aussi entendait-on quelqu'un éternuer, aussitôt on courait et on criait : « Dieu vous bénisse » et c'est là, dit-on, l'origine de cette coutume de dire : Dieu vous bénisse, à quelqu'un qui éternue.

Ou bien encore, d'après ce qu'on en rapporte, si quelqu'un bâillait, il arrivait souvent qu'il mourait tout de suite subitement. Aussi, dès qu'on se sentait Tenvie de bâiller, tout de suite, on se hâtait de faire sur soi le signe de la croix ; coutume encore en usage depuis lors. On peut voir dans la vie de saint Grégoire l'origine de cette peste.

II. On l'appelle procession septiforme, de la cou- tume qu'avait établie saint Grégoire de partager en sept ordres ou rangs les processions qu'il faisait de son temps. Au premier rang était tout le clergé, au second tous les moines et les religieux, au troisième les religieuses, au quatrième tous les enfants, au cin- quième tous les laïcs, au sixième toutes les veuves et

LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE 71

les continentes, au septième toutes les personnes ma- riées. Mais comme il n'est plus possible à présent d'obtenir ces sept divisions de personnes, nous y suppléons parle nombre des litanies; car on doit les répéter sept fois avant de déposer les insignes.

III. On l'appelle les croix noires, parce que les hommes se revêtaient d'habits noirs, en signe de deuil, à cause de la mortalité, et comme pénitence, et c'est peut-être aussi pour cela qu'on couvrait de noir les croix et les autels. Les fidèles doivent aussi revêtir alors des habits de pénitence.

On appelle litanie mineure, celle qui précède de trois jours la fête de l'Ascension. Elle doit son insti- tution à saint Mamert, évêque de Vienne, du temps de l'empereur Léon qui commença à régner l'an du Seigneur 458. Elle fut donc établie avant la litanie majeure. Elle a reçu le nom de litanie mineure, de rogations et de procession. On l'appelle litanie mineure pour la distinguer de la première, parce qu'elle fut établie par un moins grand évêque, dans un lieu in- férieur et pour une maladie moindre. Voici la cause de son institution : Vienne était affligée de fré- quents et affreux tremblements de terre qui renver- saient beaucoup de maisons et d'églises. Pendant la nuit, on entendait, des bruits et des clameurs répé- tés. Quelque chose de plus terrible encore arriva ; le feu du ciel tomba le jour de Pâques et consuma le palais royal tout entier. Il y eut un autre fait plus merveilleux. De même que par la permission de Dieu, des démons entrèrent autrefois dans des pour- CL^aux, de même aussi par la permission de Dieu, pour

72 LA LÉGENDE DOREE

hs péchés des hommes, ils entraient dans des loups et dans d'autres bêtes féroces et sans craindre per- sDune, ils couraient en plein jour non seulement par les chemins mais encore par la ville, dévorant çà ot des enfants, des vieillards et des femmes. Or, comme ces malheurs arrivaient journellement, Icvsaint évêque Mamert ordonna un jeûne de trois jours et institua des litanies ; alors cette tribulation s'apaisa. Dans la suite, cette pratique s'établit et fut approuvée par l'Eglise ; de sorte qu'elle s'observe universellement. On l'appelle encore rogations, parce qu'alors nous implorons les suffrages de tous les saints : et nous avons raison d'observer celte pratique en ces temps- ci, de prier les saints et de jeûner pour différents mo- tifs : pour que Dieu apaise le fléau de la guerre, parce que c'est particulièrement au printemps qu'il éclate; pour qu'il daigne multiplier par leur con- servation les fruits tendres encore ; pour mortifier chacun en soi les mouvements déréglés de la chair qui sont plus excités à cette époque. Au printemps en effet le sang a plus de chaleur et les mouvements dé- réglés sont plus fréquents ; afin que chacun se dispose à la réception du Saint-Esprit ; car par le jeûne, l'homme se rend plus habile, et parles prières il devient plus digne. Maftre Guillaume d'Auxerrc assigne deux autres raisons : i" comme Jésus-Christ a dit en montant au ciel : « Demandez et vous rece- vr.^z », l'Eglise doit adresser ses demandes avec plus de confiance; l'Eglise jeûne et prie afin de se dé- pouiller de la chair par la mortification des sens, et de s'acquérir des ailes à Taidede l'oraison ; car l'orai-

LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE 73

son, ce sont les ailes au moyen desquelles rame s'en- vole vers le ciel, pour ainsi suivre les traces de J.-C. qui y est monté afin de nous ouvrir le chemin et qui a volé sur les ailes des vents. En effet l'oiseau, dont le corps est épais et les ailes petites, ne saurait bien voler, comme cela est évident par l'autruche.

On l'appelle encore procession, parce qu'alors l'E- çlise fait généralement la procession. Or, on y porte la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière ; en quelques églises on porte un dragon avec une queue énorme, et on implore spécialement le patronage de tous les saints. Si l'on y porte la croix et si l'on sonne les cloches, c'est pour que les démons effrayés pren- nent la fuite. Car de même qu'à l'armée le roi a les insignes royaux, qui sont les trompettes et les éten- dardSy de même J.-C , le roi éternel dans son Eglise militante, a les cloches pour trompettes et les croix pour étendards ; et de même encore qu'un tyran se- rait en grand émoi, s'il entendait sur son domaine les trompettes d'un puissant roi son ennemi, et s'il en voyait les étendards, de même les démons, qui sont dans l'air ténébreux, sont saisis de crainte quand ils sentent sonner les trompettes de J.-C, qui sont les cloches, et qu'ils regardent les étendards qui sont les croix. Et c'est la raison qu'on donne de la coutume de l'Église de sonner les cloches, quand on voit se for- mer les tempêtes; les démons, qui en sont les auteurs, entendant les trompettes du roi éternel, prennent alors répouvante et la fuite, et cessent d'amonceler les tempêtes : il y en a bien encore une autre raison, c'est que les cloches, en cette occasion, avertissent les

74 L\ LKGRNDE DOREE

fidèles el les provoquent à se livrer à la prière dans le péril qui les menace. La croix est réellement encore l'étendard du roi éternel, selon ces paroles de l'Hymne :

Vexilla reg-is prodeunt ; Fulisç'et Crucis mysterium Quo carne carnis conditor Suspensus est patibulo *.

Or, les démons ont une terrible peur de cet étendard, selon le témoi;jnaçe de saint Chrysostome : « Partout les démons aperçoivent le signe du Seigneur, ils fuient efFrayés le bâton qui leur a fait leurs blessures. » C'est aussi la raison pour laquelle, en certaines égli- ses, lors des tempêtes, on sort la croix de l'église et on Texpose contre la tempête, afin que les démons, voyant l'étendard du souverain roi, soient effrayés et prennent la fuite. C'est donc pour cela que la croix est portée à la procession, et que Ton sonne les clo- ches, alors les démons qui habitent les airs pren- nent l'épouvante et la fuite, et s'abstiennent de nous incommoder**. Or, on y porte cet étendard pour re- présenter la victoire de la Résurrection et celle de

* LV'Iendard du Roi apparaît; le mystère de la Croix éclate : le créateur de Thommc, homme lui-même, est suspendu à un jLCibet.

Ce sont les paroles de la Ire strophe de Thymne du temps de la Passion, telle qu'elle se récitait avant la correction exécutée avec plus ou moins de piété et de bonheur au xviie siècle.

** Saint Paul, au ne chapitre de la Lettre aux Ephésiens, appelle le démon, le Prince de la puissance de Tair, Princi- pe m potentat is aeris hujus.

LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE 75

rAscension de J.-C. qui est monté aux cieux avec un grand butin. Cet étendard qui s'avance dans les airs, c'est J.-C. montant au ciel. Or, ainsi que Téten- dard porté à la procession est suivi de la multitude des fidèles, ainsi J.-C montant au ciel est accompagné d'un cortège immense de saints. Le chant des proces- sions représente les cantiques et les louanges des an- ges accourant au-devant de J.-C. qui monte au ciel, et l'accompagnant de leurs acclamations puissantes et unanimes jusque dans le ciel.

Dans quelques églises encore, et principalement dans les églises gallicanes, c'est la coutume de por- ter, derrière la croix, un dragon avec une longue queue remplie de paille ou de quelque autre matière sem- blable, les deux premiers jours ; mais le troisième jour cette queue est vide : ce qui signifie que le diable a régné en ce monde au premier jour qui représente le temps avant la loi et le second jour qui marque le temps de la loi, mais au troisième jour c'est-à-dire, au temps de la grâce, après la Passion de J.-C, il a été expulsé de son royaume. En cette procession nous réclamons encore le patronage de tous les saints.

Nous avons donné plus haut quelques-unes des raisons pour lesquelles nous prions alors les saints. II y en a encore d'autres générales pour lesquelles Dieu nous a ordonné de le prier ; ce sont : notre indi- gence, la gloire des saints et l'honneur de Dieu. En effet les saints peuvent connaître les vœux de ceux qui leur adressent des supplications; car dans ce miroir éternel, il aperçoivent quelle joie c'est pour eux, et quel secours c'est pour nous. La première raison donc

7ti LA LÉGENDE DOREE

c'est notre indigence : elle provient ou bien de ce que nous méritons peu; quand donc ces mérites de notre part sont insuffisants, nous nous aidons de ceux d'au- trui : ou bien cette indigence se manifeste dans la contemplation : Or, puisque nous ne pouvons conlem- piiir la souveraine lumière en soi, nous prions de pou- voir la regarder dans les saints : ou bien cette indi- gence réside dans l'amour : parce que le plus souvent riiomme étant imparfait ressent en soi-même plus (raffcclion pour un saint en particulier que pour Dieu même. La seconde raison, c'esl la gloire des saints : car Dieu veut que nous les invoquions pour obtenir par leurs suffrages ce que nous demandons, afin de les glorifier eux-mêmes et en les glorifiant de les louer. La troisième raison, c'est l'honneur de Dieu ; en sorte (jue le pécheur qui a offensé Dieu, honteux, pour ainsi dire, de s'adresser à Dieu personnellement, peut im- plorer ainsi le patronage de ceux qui sont les amis de Dieu. Dans ces sortes de processions on devrait répé- ter souvent ce canticpie angélique : Suncie Deus, sancle l'ortiSy sancle et inunoylalis^ miserere nobis. En effet saint Jean Damascène, au livre III, rapporte que Ton célébrait des litanies à Constantinople, à l'occasion de certaines calamités, quand un enfant fut enlevé au ciel du milieu du peuple ; revenu au milieu de la foule, il chanta devant tout le monde ce canti(]ue qu'il avait appris des anges et bientôt après cessa la calamité. Au concile de r'Jialcédoine, ce cantique fut approuvé. Saint Damascène conclut ainsi : « Pour nous, nous disons ([ue par ce cantique les démons sont éloignés. » Or, il v a quatre motifs de louer et d'autoriser ce chant :

SAINT BONIFACE, MARTYR 77

parce que ce fui un ange qui l'enseigna ; parce qu'en le récitant cette calamité s'apaisa; 3*» parce que le concile de Chalcédoine l'approuva ; parce que les démons le redoutent *. »

SAINT BONIFACE, MARTYR *♦

Saint Bôniface souffrit le martyre, sous Dioclétien et Maxiraien, dans la ville de Tarse ; mais il fut ense- veli à Rome sur la voie latine. C'était l'intendant d'une noble matrone appelée Aglaê. Ils vivaient criminelle- ment ensemble; mais touchés l'un et l'autre par la grâce de Dieu, ils décidèrent que Bôniface irait cher- cher des reliques des martyrs dans l'espoir de méri- ter, au moyen de leur intercession, le bonheur du sa- lut, par les hommages et Thonneur qu'ils rendraient à ces saints corps. Après quelquesjours de marche, Bôniface arriva dans la ville de Tarse et s'adressant à ceux qui l'accompagnaient : « Allez, leur dit-il, cher- cher où nous loger : pendant ce temps j'irai voir les martyrs au combat ; c'est ce que je désire faire tout d'abord. » Il alla en toute hâte au lieu des exécu- tions : et il vit les bienheureux martyrs, l'un suspendu par les pieds sur un foyer ardent, un autre étendu sur

* Une lettre du pape Félix III ; Marcel dans sa Chroni- que; Nicëphore, liv. IV, eh. xlvi; le concile de C. P. racon- tent le même fait.

•• Bréviaire; Martyrologe d'Adon, au 5 juin. Ruinart a donné ces actes dans son recueil.

78 LA LÉGENDE DOREE

quatre pièces de bois et soumis à un supplice lent, un troisième labouré avec des ongles de fer, un qua- trième auquel on avait coupé les mains, et le dernier élevé en Tair et étranglé par des bûches attachées à son cou. En considérant ces différents supplices dont se rendait l'exécuteur un bourreau sans pitié, Boniface sentit grandir son courage, et son amour pour J.-C et s'écria : « Qu'il est grand le Dieu des saints mar- tyrs! » Puis il courut se jeter à leurs pieds et em- brasser leurs chaînes : « Courage, leur dit-il, martyrs de J.-C. ; terrassez le démon, un peu de persévérance ! Le labeur est court, mais le repos sera long ensuite, viendra le temps vous serez rassasiés d'un bonheur ineffable. Ces tourments que vous endurez pour l'a- mour de Dieu n'ont qu'un temps ; ils vont cesser et tout à l'heure, vous passerez à la joie d'une félicité qui n'aura point de fin ; la vue de votre roi fera votre bonheur; vous unirez vos voix au concert des chœurs angéliques, et revêtus de la robe brillante de l'immor- talité vous verrez du haut du ciel vos bourreaux im- pies tourmentés tout vivants dans l'abîme d'une éter- nelle misère. » Le juge Simplicien, qui aperçut Roniface, le fit approcher de son tribunal et lui de- manda : (( Qui es-tu? » « Je suis chrétien, répondit-il, et Boniface est mon nom. » Alors le juge en colère le fit suspendre et ordonna de lui écorcher le corps avec des ongles de fer, jusqu'à ce qu'on vît ses os à nu : ensuite il fit enfoncer des roseaux aiguisés sous les ondes de ses mains. Le saint martvr, les yeux levés au ciel, supportait ses douleurs avec joie. A cette vue, le juge farouche ordonna de lui verser du plomb fondu

SAINT BOMFACE, MARTYR 79

dans la bouche. Mais le saint martyr disait : « Grâces v(ius soient rendues, Seigneur J.-C., Fils du Dieu vi- vant. » Après quoi, Simplicien fit apporter une chau- dière qu ou emplit de poix. On la fît bouillir et Boni- face y fut jeté la tête la première. Le saint ne souffrit rien ; alors le juge commanda de lui trancher la tète. Aussitôt un affreux tremblement de terre se fit res- sentir et beaucoup d'infidèles, qui avaient pu appré- cier le courage de cet athlète, se convertirent. Ce- pendant les compagnons deBonifacele cherchant par- tout et ne l'ayant point trouvé, se disaient entre eux : (c II est quelque part dans un lieu de débauche, ou occupé à faire bonne chère dans une taverne. » Or, pendant qu'ils devisaient ainsi, ils rencontrèrent un des geôliers. « N'as-lu pas vu, lui demandent-ils, un étranger, un Romain? » « Hier, leur répondit-il, un étranger a été décapité dans le cirque. » « Comment était-il? » « C'était, ajoutèrent-ils, un homme carré de taille, épais, à la chevelure abondante, et revêtu d'un manteau écarlate. » « Eh bien ! répondit le geôlier, celui que vous cherchez a terminé hier sa vie par le martyre. » « Mais, reprirent-ils, l'homme que nous cherchons est un débauché, un ivrogne. » « Venez le voir, dit le geôlier. » Quand il leur eut montré le tronc du bienheureux martyr et sa tête précieuse, ils s'écrièrent : « C'est bien celui que nous cherchons : \euillez nous le donner. » Le geôlier répondit : «Je ne puis pas vous délivrer son corps gratuitement. » Ils donnèrent alors cinq cents pièces d'or, et reçurent le corps du saint martyr qu'ils embaumèrent et renfer- mèrent dans des linges de prix ; puis l'ayant mis dans

i

80 LA LÉGENDE DOREB

une litière, ils revinrent pleins de joie et rendant gloire à Dieu. Or, un ange du Seigneur apparut à Aglaé et lui révéla ce qui était arrivé à Boniface. A l'instant elle alla au-devant du saint corps et fit construire, en son honneur, un tonibcau-digne de lui, à une distance de Rome de cinq stades. Boniface fut donc martyrisé, le 14 mai, à Tharse, métropole de la CiHcie, et ense- veli à Rome le 9 juillet. Quant à Aglaë, elle renonça au monde et à ses pompes : après avoir distribué tous ses biens aux pauvres et aux monastères, elle affran- chit ses esclaves, et passa le reste de sa vie dans le jeûne et la prière. Elle vécut encore douze ans sous Fhabit de religieuse, dans la pratique continuelle des bonnes œuvres et fut enterrée auprès de saint Boniface.

L'ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR

Notre Seigneur monta au ciel quarante jours après sa résurrection. Il y a sept considérations à établir par rapport à l'Ascension : 1** le lieu elle se fit ; pourquoi J.-C. n'a pas monté au ciel de suite après sa résurrection, mais pourquoi il a attendu quarante jours; de quelle manière il monta; 4* avec qui il monta; à quel litre il monta; 6"* il monta ; 7<* pourquoi il monta.

1. Ce fut du mont des Olives que J.-C. s'éleva aux cieux. D'après une autre version, cette montagne a reçu le nom de montagne des trois lumières; en efifet, du côté de l'occident, elle était éclairée, la nuit, par

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 81

le feu du lemple, car un feu brûlait sans cesse sur l'aulel, le matin, du cMé de Torienl, elle recevait les premiers rayons du soleil, même avant la ville ;.il y avait en outre sur cette iriontagne une quantité d'oliviers dont Thuile sert d'aliment à la lumière, et voilà pourquoi on l'appelle la montagne des trois lu- mières. J.-C. commanda à ses disciples de se rendre à cette montagne ; car le jour de l'ascension même, il apparut deux fois : la première, aux onze apôtres qui étaient à table dans le cénacle. Aussi bien les apôtres que les autres disciples, ainsi que les femmes, tous habitaient dans cette partie de Jérusalem appelée Mello, ou montagne de Sion. David y avait construit un palais ; et c'était que se trouvait ce grand cénacle tout meublé J.-C. avait commandé qu'on lui pré- parât la Pâques, et dans ce cénacle habitaient alors les onze apôtres ; quant aux autres disciples avec les saintes femmes, ils occupaient tout aulour différents logements.

Comme ils étaient à table dans le cénacle, le Sei- jgneur leur apparut et leur reprocha leur incrédulité : et après qu'il eut mangé avec eux, et qu'il leur eut ordonné d'aller à la montagne des Oliviers, du côté de Béthanie, il leur apparut en cet endroit une seconde fois, répondit à quelques questions indiscrètes; après quoi il levades mains pour les bénir et de là, en leur présence, il monta au ciel. Voici, sur ce lieu de l'as- cension, ce que dit Sulpice, évêque de Jérusalem, et après lui la Glose * : « Après qu'on eut bâti une

Extrait de Y Histoire schoiaslique de Pierre Coinestor.

II. '•>

82 LA LKGKNDE DOREE

église, le lieu J.-C. montant au ciel posa les pieds, ne put jamais éire recouvert par un pavé; il y a plus, le marbre sautait à la figure de ceux qui le po- saient. Une preuve que cet endroit avait été foulé par les pieds de J.-C, c'est qu'on voit imprimés des ves- tiges de pieds, et que la terre conserve encore une figure qui ressemble à des pas qui y ont été gravés. » II. Pourquoi J.-C. n'est-il pas monté de suiteaprès sa résurrection, mais a-t-il voulu attendre pendant (|uarantejours?Il y en a trois raisons : 1"* pour qu'on ait la certitude de la résurrection. Il était en effet plus difficile de prouver la vérité de la résurrection que celle de la Passion : car, du preipier au troisième jour, on pouvait prouver la vérité delà passion: mais pour avoir la preuve certaine de la résurrection, il fallait un plus grand nombre de témoignages ; et c'est pour cela qu'il était nécessaire qu'il y eût plus de temps entre la résurrection et l'ascension, qu'entre la })assion et la résurrection. A ce sujet, saint Léon, pape, sVwplique comme il suit dans un sermon sur rascension : « Aujourd'hui est accompli le nombre de quarante jours qui avait été disposé par un arran- juement très sainl, et qui avait été dépensé au profit de notre instruction. Le Seigneur, en prolongeant, jusqu'à ce moment, l<» délai de sa présence corporelle, voulait affermir la foi en la résurrection «par des té- moignages authentiques. Rendons grâces à cette divine économie et au retard nécessaire que subirent les saints pères. Ils doutèrenl, eux, afin que nous, nous ne dou- tassions pas. » 2^Pourconsoler les apùtres. Or, puisque les consolations divines surpassent les tribulations et

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 83

qoe le temps de la passion fut celui delà tribulation des apôtres, il devait donc y avoir plus de jours de conso- lation que de jours de tribulation. 3* Pour une significa- tion mystique : c'est pour donner à comprendre que les consolations divines sont aux tribulations comme un an est à un jour, comme un jour est à une heure, comme une heure est à un moment. Il est clair que les consolations divines sont aux tribulations comme un an est à un jour par ce passage d'Isaïe (c. lxi) : « Je dois prêcher l'année de la réconciliation du Sei- gneur et le jour de la vengeance de notre Dieu. » Voilà donc que pour un jour de tribulation, il rend nne année de consolation. 11 est clair que les consola- tions divines sont aux tribulations comme un jour est à une heure, par ce fait que le Seigneur resta mort pendant quarante heures; c'est le temps delà tribu- lation : et qu'après être ressuscité, il apparut pendant quarante jours à ses disciples, et c'était le temps de la consolation. Ce qui fait dire à la Glose : « Il était resté mort pendant quarante heures, c'est pour cela qu'il confirmait, pendant quarante jours, la certitude qu'il avait repris la vie. » Isaïe laisse à entendre que les consolations sont aux tribulations comme une heure est à un moment ; quand il dit (c. liv) : « J'ai détourné mon visage de vous pour un moment, dans le temps de ma colère; mais je vous ai regardés en- suite avec une compassion qui ne finira jamais. »

HI. La manière dont il monta au ciel fut 1^ accom- pagnée d'une grande puissance, selon ce que dit Isaïe (lxiii) : « Quel est celui qui vient d'Edom, marchant avec une force toute puissante? » Saint Jean dit aussi

84 LA LÉGENDE DOREE

(iir) : « Personne n'est monté au ciel, par sa propre force, que celui qui est descendu du ciel, c'est-à-dire, le Fils de Thomnie qui est dans le ciel. » Car quoiqu'il fiU monté sur un groupe de nuages, cependant il ne Ta point fait parce que ce groupe lui fût devenu nécessaire, mais c'était pour montrer que toute créa- ture est prête à obéir à son créateur. En effet il est monté par la puissance de sa divinité, et c'est en cela qu'est caractérisée la puissance ou le souverain domaine, d'après ce qui est rapporté dans les his- toires ecclésiastiques au sujet d'Enoch et d'£lie : car Enoch fut transporté, Eliefut soulevé, tandis que J.-C. a monté par sa puissance propre. « Le premier, dit saint Grégoire, fut engendré et engendra, le second fut engendré mais n'engendra pas, le troisième ne fut pas engendré et n'engendra pas. » Il monta au ciel publiquement, à la vue de ses disciples : aussi est- il dit (Actes, i) : « Ils le virent s'élever. » (Saint Jean) <( .levais à celui qui m'a envoyé et personne de vous ne me demande : allez-vous ? » la glose dit ici : « C'est donc publiquement, afin qu'il ne vienne à la pensée de personne de soulever des questions sur ce (|ui se voit à l'œil nu. » 11 voulut monter, à la vue de ses disciples, [)our qu'ils fussent eux-mêmes des té- moins de l'ascension, qu'ils conçussent de la joie en voyant la nature humaine portée au ciel, et qu'ils dé- sirassent y suivre J.-C. Il monta au ciel 3" avec joie, au milieu des concerts des anges. Le Psaume dit (xLvi) : « Dieu est monté au mifieu des cris de joie. » « Au moment de l'Ascension de J.-C, dit saint Augus- tin, le ciel est tout stupéfait, les astres sont dansl'admi-

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 85

ration, les bataillons sacrés applaudissent, les trom- pettes sonnent, et mêlent leur harmonie à celle des choeurs joyeux. » Il monta 4** avec rapidité. « 11 part avec ardeur, dit le Psalmiste, pour courir comme un géant dans sa carrière ; » car en effet il monta avec une extraordinaire vitesse puisqu'il parcourut un si ^prand espace comme en un moment. Le rabbin Moïse, très grand philosophe, avance que chaque cercle, ou chaque ciel de quelque planète que ce soit, a de profondeur un chemin de SOO ans, c'est-à-dire, que l'espace en est si étendu qu'un homme mettrait cinq cents ans à le parcourir sur un chemin uni : la distance d'un ciel à un autre est de même, dit-il, un chemin de 500 ans ; et comme il y a sept cieux, il y aura, d'après lui, à partir du centre de la terre jus- qu'aux profondeurs du ciel de Saturne, qui est le sep- tième un chemin de sept mille ans; et jusqu'au point W plus éloigné du ciel, sept mille cinq cents ans, c'est- ;'i-dire, un espace si grand que quelqu'un qui mar- cherait sur une plaine mettrait 7300 ans à le parcou- rir, s'il pouvait vivre assez. Or, l'année se trouve composée de 363 jours, et le chemin qu'on fait en un jour est de quarante milles, chaque mille a deux mille pas ou coudées. » Voilà donc ce que dit le rabbin Moyse. Or, s'il dit la vérité, Dieu le sait, car lui seul connaît cette mesure puisqu'il a tout fait en nombre, en poids et en mesure. C'est donc le grand élan que prit J.-C. de la terre au ciel. Et au sujet de cet élan et de quelques autres que fit J.-C. citons les paroles de saint Ambroise : « J.-C. prit son essor et vint dans ce monde; il était avec son père et il vint dans II. 6*

86 LA LÉGENDE DOREE

une Vierge, de la Vierge il passa dans le berceau ; il descendit dans le Jourdain ; il monta sur la croix ; il descendit dans le tombeau ; il ressuscita du tom- beau et il est assis à la droite de son père. »

IV. Avec qui a-t-il monté? Il faut savoir qu'il monta avec un grand butin d'hommes et une grande multitude d'anges. Qu'il soit monté avec un nom- breux butin d'hommes, cela est évident par ces pa- roles du Psaume lxvii : « Vous êtes monté en haut ; vous avez pris un grand nombre de captifs ; vous avez fait des présents aux hommes. » Qu'il soit monté avec une multitude d'anges, cela est évident, encore par ces questions qu'adressèrent, lors de l'ascension de Jésus-Christ, les anges d'un ordre inférieur à ceux d'un ordre supérieur, ainsi qu'il se trouve dans Isaïe : « Quel est celui qui vient d'Edom, de Bosra avec sa robe teinte de rouge ? » La Glose dit ici que plu- sieurs des anges qui n'avaient pas une pleine connais- sance des mystères de Tincarnation, de la passion et de la résurrection, en voyant monter au ciel le Sei- gneur avec une multitude d'anges et de saints per- sonnages, et cela par sa propre puissance, se mettent à admirer ce mystère deTincarnalion et delà passion; alors ils disent aux anges qui accompagnent le Sei- gneur : (( Quel est celui-ci qui vient... etc. » et encore avec le Psaume : « Quel est ce roi de gloire? » Saint Denis, au livre de la Hiérarchie angélique (ch. vu), semble insinuer que pendant que J.-C. montait, trois questions furent adressées par les anges. La première fut celle des anges majeurs les uns aux autres : la se- conde fut celle des anges majeurs à J.-C. ; la troi-

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 87

sième fui adressée par les anges inférieurs à ceux d'un ordre plus élevé. Les plus grands se demandent donc les uns aux autres : « Quel est celui-ci qui vient d'Edom, de Bosra, avec sa robe teinte de rouge? » Edom veut dire sanglant meurtrier, Bosra signifie fortifié, c'est comme s'ils se disaient : « Ouel est ce- lui-ci qui vient de ce monde ensanglanté par le péché et fortifié contre Dieu par la malice ? » Ou bien encore : « Quel e^l celui-ci qui vient d'un monde meurtrier et d'un enfer fortifié ? » Et le Seigneur répondit : « C'est moi dont la parole est la parole de justice, et je suis combattant pour sauver (Is., lxiii). » Saint Denis dit ainsi : « C'est moi, dit-il, qui parle justice et jugement pour le salut. » Dans la rédemption du genre humain, il y eut justice, en tant que le créateur ramena la créa- ture qui s'était éloignée, de son maître, et il y eut jugement, en ce que J.-C, par sa puissance, chassa le diable, usurpateur, de l'homme qu'il possédait. Mais ici saint Denis pose cette question : u Puisque les anges supérieurs sont le plus près de Dieu, et qu'ils sont immédiatement illuminés par lui, pour- quoi s'adressent-ils des questions, comme s'ils avaient le désir de s'instruire mutuellement? » Saint Denis répond lui-même et son commentateur expose que : en s'interrogeant, ils montrent que la science a pour eux de Tattrait; en se questionnant d'abord les uns les autres, ils manifestent qu'ils n'osent pas d'eux- mêmes devancer la procession divine. Ils commen- cent donc par s'interroger tout d'abord pour ne pré- venir, par aucune interrogation prématurée, l'illu- in ination que Dieu opère en eux. Donc cette question

88 LA LEGENDE DOREE

n'est pas un examen de la doctrine, mais un aveu d'içnorance. La seconde question est celle qu'a- dressèrent à J.-C. ces an^es de premier degré : « Pourquoi donc, disent-ils, votre robe est-elle rou- pie, et pourquoi vos vêtements sont-ils comme les vêtements de ceux qui foulent dans le pressoir? » On dit que le Seigneur avait un vêtement, c'est-à-dire, son corps, rou'^e ou plein de sang, par la raison qu'en mon- tant au ciel, il portait encore sur lui les cicatrices de ses plaies : car il voulut conserver ces cicatrices en son corps, pour cinq motifs ainsi énumérés par Bède dont voici les paroles : « Le Seigneur conserva ses cicatrices et il les doit conserver jusqu'au jugement, pour affer- mir la foi en sa résurrection, pour les montrer à son père alors qu'il le supplie en faveur des hommes, pour que les bons voient avec quelle miséricorde ils ont été rarrhetés, et les méchants reconnaissent avoir été jus- tement damnés ; enfin pour porter les trophées au- thentiques de la victoire éternelle qu'il a remportée. » Donc à cette question le Seigneur répondit ainsi : a J*ai été seul à fouler le vin, sans qu'aucun homme dt^ tous les peuples fût avec moi. » La croix peut être appelée un pressoir, sous la pression duquel il a telle- ment été écrasé qu'il a répandu tout son sang. Ou bien ce qu'il appelle pressoir, c'est le diable qui a tellement enveloppé et étreint le genre humain dans les liens du péché qu'il a exprimé tout ce qu'il y avait en lui de spirituel, en sorte qu'il n'en reste que la cape. Mais notre guerrier a foulé le pressoir, il a rompu les liens des pécheurs, et après avoir monté au ciel, il a ouvert la demeure du ciel et a répandu le

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 89

vin du Saint-Esprit. La troisième question est celle qu'adressèrent les anges inférieurs aux supérieurs : <c Quel est, dirent-ils, ce roi de gloire ? » Voici ce que dit saint Augustin par rapport à cette question et à la réponse qu'il était convenable d'y donner : « L'immen- sité des airs est sanctifiée par le cortège divin, et toute la troupe des démons qui vole dans l'air se hâte de fuir à la vue de J.-C. qui s'élève. » Les anges accou- rurent à sa rencontre et demandent : « Qui est ce roi de gloire ? » D'autres anges leur répondent : « C'est ce- lui qui est éclatant par sa blancheur et par sa couleur de rose ; c'est celui qui n'a ni apparence, ni beauté : il fut faible sur le bois, fort quand il partage le butin ; il fut vil dans un corps chétif, et équipé au moment du combat ; il fut hideux en sa mort, et beau dans sa résurrection ; il reçut une blancheur éclatante de la Vierge sa mère, et il était rouge de sang sur la croix : sans éclat au milieu des opprobres, il brille dans le ciel. »

V. A quel titre il monUi. Il en eut trois, répond saint Jérôme, avec Psaume (xliv). La vérité, la douceur et la justice. « La vérité, car vous avez accompli ce que vous aviez promis par la bouche des prophètes; la douceur, car vous vous êtes laissé immo- ler comme une brebis pour la vie de votre peuple ; la justice, parce que vous avez employé non pas la puissance, mais la justice pour délivrer l'homme, et la force de votre droite vous dirigera merveilleuse- ment : la puissance, ou la force vous dirigera, vers le ciel. »

VL il monta: Il faut savoir que J.-C. monta

90 LA LÉGENDE DOREE

au-dessus de tous les cieux, selon l'expression de saint Paul dans son épître aux Ephésiens (iv) : o Celui qui est descendu, c'est le même qui est monté au-des- sus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses. » L'apôtre dit: « Au-dessus de tous les cieux », car il y en a plusieurs au-dessus desquels il monta. Il y a le ciel matériel, le rationnel, Finlellectuel et le supersubs- tantiel. Le ciel matériel est multiple,* savoir : l'aérien, l'éthéré, Tolympien, l'igné, le sidéral, le cristallin, et l'empyrée. Le ciel rationnel, c'est l'homme juste appelé ciel puisqu'il est l'habitation de Dieu ; car de même que le ciel est le trône et Thabitation de Dieu, selon cette expression d'Isaïe (lxvi) : « Le ciel est mon trône » ; de même Tàme juste, d'après le livre de la Sagesse, est le trône de la sagesse. L'homme juste est encore appelé ciel, en raison des saintes habi- tudes, parce que les saints par leur manière de vivre et leurs désirs habitent dans le ciel, comme le di- sait l'apôtre : « Notre conservation est dans les cieux. » En raison encore des bonnes œuvres continuelles ; parce que de même que le ciel roule par un mouve- ment continu, de même aussi les saints se meuvent continuellement dans les bonnes œuvres. Le ciel intel- l(»ctuel, c'est l'ange. En effet l'ange est appelé ciel parce ([ue, ainsi que les cieux, il est élevé à une très haute dignité et excellence. Quant à cette dignité et excellence, Denys parle de cette manière dans son livre des ^ums divins (chap. iv) : « Les esprits divins sont au-dessus des autres êtres ; leur vie l'emporte sur celle des autres créatures vivantes ; leur intelli- gence et leur connaissance dépassent le sens et la rai-

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 91

son : mieux que tous les êtres, ils tendent au beau et au bien et y participent. » 2' Ils sont extrêmement beaux en raison de la nature et de la gloire. Saint De- nys encore en parlant de leur beauté dit au même livre : « L'ange est la manifestation de la lumière ca- chée ; c'est un miroir pur, d'un éclat brillant, sans tache aucune ni souillure, immaculé, recevant, s'il esl permis de le dire, la beauté, la forme excellente de la divinité. » 3^ Ils sont pleins de force en raison de leur vertu et de leur puissance. Le Damascène parle ainsi de leur force au livre II, chap. m : « Ils sont forts et disposés à l'accomplissement de la vo- lonté de Dieu; et partout on les trouve réunis, tout aussitôt que, par un simple signe de Dieu, ils en per- çoivent les ordres. » Le ciel possède hauteur, beauté et force. L'Ecclésiastique dit au sujet des deux pre- mières qualités (xliii) : « Le firmament est le lieu la beauté des corps les plus hauts parait avec éclat : c'est l'ornement du ciel, c'est lui qui en fait luire la gloire. » Au livre de Job il est dit (xxxviij par rap- port à la force : « Vous avez peut-être formé avec lui les cieux qui sont aussi solides que s'ils étaient d'ai- rain fondu. » Le ciel supersubstantiel, c'est le siège de l'excellence divine, d'où J.-C. esl venu et jusqu'où il remonta plus tard. Le Psaume l'indique par ces paroles (vu) : « Il part de l'extrémité du ciel, et il va jusqu'à l'autre extrémité. » Donc J.-C. monta au- dessus de ces cieux jusqu'au ciel supersubslantiel. Le Psaume porte qu'il monta au-dessus de tous les cieux matériels quand il dit (viii) : « Seigneur, votre magni- ficence a été élevée au-dessus des cieux. » H monta

92 LA LÉGENDE DOREE

au-dessus (le tous les cieux matériels jusqu'au ciel empyrée lui-même, non pas comme Elie qui monta clans un char de feu, jusqu*à la région sublunaire sans la traverser, mais qui fut transporté dans le paradis terrestre dont l'élévation est telle qu'il touche à la ré- gion sublunaire (Rois, IV, ii ; Ecx:lé., viii), sans aller au delà. C'est donc dans le ciel empyréeque réside J.-C. ; c'est sa propre et spéciale demeure avec les anges et les autres saints. Et celte habitation convient à ceux qui Toccupenl. Ce ciel en effet l'emporte sur les autres en dignité, en priorité, en situation et en pro- portions : c'est aussi pour cela que c'est une habita- tion digne de J.-C, qui surpasse tous les cieux ration- nels et intellectuels en dignité, en éternité, par son état d'immutabilité et par les proportions de sa puis- sance. De même aussi, c'est une habitation conve^ nable pour les Saints : car ce ciel est unifonne, im- mobile, d'une splendeur parfaite et d'une capacité immense : et cela convient bien aux anges et aux saints qui ont été uniformes dans leurs œuvres, immobiles dans leur amour, éclairés dans la foi ou la science, et remplis du Saint-Esprit. Il est évident que J.-C. monta au-dessus de tous les cieux rationnels, qui sont tous les saints, par ces paroles du Cantique des can- tiques (il) : « Le voici qui vient sautant sur les mon- tagnes, passant par-dessus lt\s collines. » Par les mon- tagnes on entend les anges, et par les collines les hommes saints. Il est évident qu'il monta au-dessus de tous les cieux intellectuels, qui sont les anges, par ces mots du Psaume (cm) ; « Seigneur, vous moulez sur les nuées et vous marchez sur les ailes des vents. ».

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 93

« II a monté au-dessus des chérubins, il a volé sur les ailes des vents (xcviii). » Il est encore évident que Jé- sus-Christ monta jusqu'au ciel supersubstantiel, c'est- à-dire, jusqu'au siège de Dieu, par ces paroles de saint Marc (xvi): « Et le Seigneur Jésus, après leur avoir ainsi parlé, fut élevé dans le ciel ; et il y est assis à la droite de Dieu. » La droite de Dieu, c'est l'égalité en Dieu. Il a été singulièrement dit et donné à mon Seigneur, par le Seigneur de siéger à la droite de sa gloire, comme dans une gloire égale, dans une essence consubstantielle, pour une génération semblable en tout point, pour une majesté qui n'est pas infé- rieure, et pour une éternité qui n'est pas postérieure. On peut dire encore que J.-C. dans son ascension atteignit quatre sortes de sublimités : celle du lieu, celle de la récompense acquise, celle de la science, celle de ia vertu. De la sublimité du lieu qui est la première, il est dit aux Ephésiens (iv) : « Celui qui est descendu, c'est le même qui a monté au-dessus de tous les cieux. » De la sublimité de la récompense acquise qui est la se- conde, on lit aux Philippiens (ii) : « Il s'est rendu obéis- sant jusqu*à la mort et la mort de la croix : c'est pour- quoi Dieu l'a élevé. » Saint Augustin dit sur ces pa- roles : « L'humilité est le mérite de la distinction et la distinction est la récompense de l'humilité. » De la sublimité de la science, le Psaume (xcviii) dit : « II monta au-dessus des chérubins » ; c'est autant dire, au-dessus de toute plénitude de science. De la sublimité de la ver- tu qui est la quatrième, il estdit aux Ephésiens : « Parce qu'il a monté au-dessus des Séraphins. » (m) « L'amour de J.-C. envers nous surpasse toute connaissance. »

94 LA LÉGENDE DOREE

VlI.Pourquoi J.-C, est-il monté au ciel. Il y a neuf fruits ou avantages à retirer de l'Ascension. Le 1'' avantage, c'est l'acquisition de Famour de Dieu (Saint Jean, xvi) Si je ne m'en vais pas, le Paraclel ne viendra pas. » Ce qui fait dire à Saint Augustin : « Si vous m'êtes attachés comme des hommes de chair, vous ne serez pas capables de posséder le Saint-Es- prit. » Le 2*^ avantage, c'est une plus grande connais- sance de Dieu (Saint Jean, xiv): « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez certainement parce que je m'en vais à mon Père ; car mon Père est plus grand que moi. » Saint Augustin dit à ce propos: « Si je fais disparaître cette forme et cette nature d'esclave, par laquelle je suis inférieur à mon Père, c'est afin que vous puissiez voir Dieu avec les yeux de l'esprit. » Le avantage, c'est le mérite de la foi. A ce sujet saint Léon s'exprime de la sorte dans son sermon 12* sur l'Ascension : « C'esl alors que la foi plus éclairée com- mence à comprendre à l'aide de la raison que le Fils est égal au Père ; il ne lui est plus nécessaire de tou- cher la substance corporelle de J.-C, par laquelle il est inférieur à son Père, (-'est le privilège des grands esprits de croire, sans appréhension, ce que IVeil du corps ne saurait apercevoir, et de s'attacher, par le désir, à ce à quoi l'on ne peut atteindre par la vue. » Saint Augustin dit au livre de ses Confessions : « Il a bondi comme un géant pour fournir sa carrière. Il n'a pas apporté de lenteur, mais il a couru en procla- mant par ses paroles, par ses actions, par sa mort, par sa vie ; en descendant sur la terre, en montant au ciel, il crie pour que nous revenions à lui, et il a dis-

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 95

paru aux yeux de ses apôtres, afin que nous rentrions dans noire cœur pour Vy trouver. » Le avantage, c'est la sécurité, s'il est monté au ciel, c'est pour être notre avocat auprès de son Père. Nous pouvons bien être en sûreté, quand nous pensons avoir un pareil avocat devant le Père. (Saint Jean, I, ii) : « Nous avons pour avocat auprès du Père J.-C, qui est juste; car c'est lui qui est la victime de propitiation pour nos péchés. » Saint Bernard dit en parlant de cette sécu- rité : « Tu as, ô homme, un accès assuré auprès de Dieu : Tu v vois la mère devant le Fils, et le Fils de- vaut le Père : cette mère montre à son fils sa poitrine el ses mamelles ; le Fils montre à son Père son côté et ses blessures. Il ne pourra donc y avoir de refus, il y a tant de preuves de charité. » Le 5* avantage, c'est notre dignité. Oui, notre dignité est extraordi- nai rement grande, puisque notre nature a été élevée jusqu'à la droite de Dieu. C'est pour cela que les anges, en considération de celte dignité dans les hommes, se sont désormais refusés à recevoir leurs adorations, comme il est dit dans l'Apocalypse (xix) : « Et je nie prosternai (c'est saint Jean qui parle) aux pieds de l'ange pour l'adorer. Mais il me dit : gardez-vpus bien de le faire ; je suis serviteur de Dieu comme vous, et comme vos frères. » La Glose fait ici cette remarque : ^ Dans Tancienne loi, l'ange ne refusa pas l'adoration de l'homme, mais après Tascension du Seigneur, quand il eut vu que l'homme était élevé au-dessus de lui, il appréhenda d'être adoré. » Saint Léon parle ainsi dans son 2* sermon sur l'Ascension : « Aujourd'hui la faiblesse de notre nature a été élevée en J.-C, au-

96 LA LÉGENDE DOREE

dessus de toutes les plus grandes puissances jusqu'au trône Dieu est assis. Ce qui rend plus admirable la grâce de Dieu, c'est qu'en enlevant ainsi au regard des hommes ce qui leur imprimait à juste titre un respect sensible, elle empêche la foi de faillir, l'espé- rance de chanceler et la charité de se refroidir. » Le 6* avantage, c'est la solidité de notre espérance. Saint Paul dit aux Hébreux (iv) : « Ayant donc pour grand pontife Jésus, Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux, demeurons fermes dans la profes- sion que nous avons faite d'espérer. » Et plus loin (vi) : « Nous avons mis notre refuge dans la recherche et l'acquisition des biens à nous proposés par Tespé* rance, qui sert à notre âme comme une ancre ferme et assurée laquelle pénètre jusqu'au dedans du voile Jésus, notre précurseur, est entré pour nous. » Saint Léon dit encore à ce sujet : « L'Ascension de J.-C. est le gage de notre élévation, d'autant que la gloire du chef a précédé, le corps espère y parvenir. » Le avantage est de nous montrer le chemin. Le prophète Michée dit (m) : « Il a monté pour nous ou- vrir le chemin. » Saint Augustin ajoute : « Le Sau- veur s'est fait lui-même notre voie. Levez-vous et marchez, vous avez un chemin tout tracé ; gardez- vous d'être lents. » Le huitième avantage, c'est de nous ouvrir la porte du ciel : car de même que le pre- mier Adam a ouvert les portes de l'enfer, de même le second a ouvert les portes du paradis. Aussi TEglise chanlc-l-elle : Tu deviclo movlis aculeo, etc. * : « Après

* Paroles du Te Deum.

LE SAINT-ESPRIT 97

avoir vaincu raidillon de la mort, vous avez ouvert aux croyants le royaume des cieux. » Le avantai^e, c'est de nous préparer une place. « Je vais, dit J.-C. dans saint Jean, je vais vous préparer une place. » Saint Augustin commente ainsi ces paroles : « Sei- gneur, préparez ce que vous préparez : car vous nous préparez pour vous, et c'est vous-même que vous nous préparez, quand vous préparez une place nous ha- biterons en vous et vous habiterez en nous. »

LE SAINT-ESPRIT

Ainsi que l'atteste l'histoire sacrée des Actes, au- jourd'hui le Saint-Esprit fut envoyé sur les Apôtres sous la forme de langues de feu. Au sujet de cette mission ou venue, il y a huit considérations à faire : par qui il fut envoyé; de combien de manières il est ou il fut envoyé ; 3** en quel temps ; combien de fois; ?>** de quelle manière; 6^ sur qui; pour- quoi ; S'* par quel moyen il fut envoyé.

I. Par qui le Saint Esprit fut-il envoyé ? C'est le Père qui envoya ce Saint-Esprit, c'est le fils aussi, et le Saint-Esprit se donna lui-même et s'envoya. Ce fut le Père, d'après ces paroles de J.-C. en saint Jean ixiv) : « Le Paraclet qui est le Saint-Esprit, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses. » Ce fut le fils : on lit au xvi*^ chap. de saint Jean : « Mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. » En prenant un point de comparaison avec les choses II. "

98 LA LÉGENDE DOREE

d'ici-bas, Teiivoyé a trois sortes de rapports avec celui qui Teuvoie ; il lui donne Fêtre, comme le rayon est envoyé par le soleil : il lui donne sa force, comme la flèche envoyée par l'archer; il lui donne juridiction ou autorité, comme un messager envoyé par son supé- rieur. Sous ce triple point de vue, la mission peut convenir au Saint-Esprit : car il est envoyé par le Père et le Fils en qui résident l'être, la force et Tau- torité dans leurs opérations. Néanmoins, l'Esprit-Sainl lui-même s'est aussi donné et envoyé : ce qui est in- sinué dans ces paroles de saint Jean (xvi) : « Quand TEsprit de vérité sera venu. » En efl'et selon que le dit saint Léon, pape, en son sermon de la Pentecôte : (( La bienheureuse Trinité, l'incommutable divinité est une en substance, ses opérations sont indivises, elle est unie dans sa volonté, pareille en toute puissance, égale en gloire : mais elle s'est partagée l'œuvre de notre rédemption, cette miséricordieuse Trinité, de sorte que le Père se laissa fléchir, le Fils se fil propî- tiation et le Saint-Espi it nous embrasa de son amour. » Or, puisrpie le Saint-Esprit est Dieu, on peut donc dire avec vérité qu'il se donne lui-même. Saint Am- hroisè prouve ainsi la divinité du Saint-Esprit dans son livre Du Saint-Esprit : « La gloire de sa divinité est manifestement prouvée par ces quatre moyens. On connaît (pi'il est Dieu, ou bien parce qu'il est sans péclié, ou bien parce qu'il pardonne le péché, ou bien parce que ce n'est pas une créature, mais qu'il est créateur, ou bien enfin parce (|u'il n'adore pas, mais (ju'il est adoré. » H est évident par que la Trinité se donna toutt* à nous : « parce (pie, dit saint Augus-

LE SAINT-ESiPRIT 99

tîn, le Père nous a donné tout ce qu'il a ; il nous a donné son Fils pour prix de noire rédemption, le Saint- Esprit comme privilège de notre adoption, et il se ré- serve lui-même tout entier comme l'héritage de notre adoption. » De même aussi, le Fils s'est donné entiè- rement à nous, selon ce mot de saint Bernard : « Il est pasteur, il est pâture, il est rédemption. Il nous a donné son âme pour rançon, son sang pour breuvage, sa chair pour aliment et sa divinité pour récompense. » De môme encore le Saint-Esprit nous a gratifiés et nous gratifie de tous ses dons, parce qu'il est dit dans la I'* épître aux Corinthiens (xii) : « L'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit. » Saint Léon, pape, ajoute : « C'est le Saint-Esprit qui inspire la foi, qui enseigne la science : il est la source de l'amour, le cachet de la chasteté et le principe de tout salut. »

II. De combien de manières le Saint-Esprit est ou fut envoyé. Il faut savoir que le Saint-Esprit est en- vové d'une manière visible et d'une manière invisible. Elle est invisible quand il pénètre dans les cœurs saints : elle est visible quand il se montre sous un signe visible. Saint Jean parle de sa mission invisible quand il dit (m) : c< L'Esprit souffle il veut et vous entendez sa voix, mais vous ne savez ni d'où il vient, ni il va. » Cela n'a rien d'étonnant, parce que, se- lon le mot de saint Bernard en parlant du Verbe in- visible : « II n'est pas entré par les yeux, puisqu'il n'a pas de couleur ; ni par les oreilles, parce qu'il n'a

390074E

iOO LA LÉGENDE DOREE

pas rendu de son ; ni par les narines, parce qu'il n'est pas mêlé avec Fair, mais avec Tesprit, qu'il n'infecte pas l'air mais qu'il le fait : il n'est pas entré par la bouche, puisqu'il n'est ni mangé ni bu; ni par le tou- cher du corps, puisqu'il n'est pas palpable. Vous de- mandez donc, puisque ses voies sont si impénétrables, comment je connais sa présence : je l'ai reconnue par la crainte que j'éprouve en mon cœur : c'est par la fuite du vice que j'ai remarqué la puissance de sa force : je n'ai qu'à ouvrir les yeux et à examiner ; alors j'admire la profondeur de sa sagesse : c'est par le plus petit amendement dans mes mœurs que j'ai ressenti la bonté de sa douceur ; c'est par la réforma- tion et le renouvellement intérieur de mon âme que j'ai aperçu, autant qu'il m'a été possible, l'éclat de sa beauté ; c'est en vovant toutes ces merveilles à la fois que j'ai été saisi devant son infinie grandeur. » Une mission est visible quand elle est indiquée par un signe visible. Or, le Saint-Esprit s'est montré sous cinq formes visibles : 1^ sous la forme d'une colombe au-dessus de J.-C. qui venait d'être baptisé. Saint Luc dit (m) que le Saint-Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle semblable à une colombe ; 2^ sous la forme d'une nuée lumineuse au moment de la transfiguration. Saint Mathieu dit (xvi) : «Lors- qu'il parlait encore, une nuée lumineuse vint le cou- vrir. » La glose ajoute : « Dans le baptême de N.-S., comme dans sa transfiguration glorieuse, le Saint- Esprit a manifesté le mystère de la sainte Trinilé, dans une colombe, ici dans une nuée lumineuse » ; 3 " sous la forme d'un souffle. On lit dans saint Jean

LE SAINT-ESPRIT 101

(xx) : « Il souffla et leur dit : « Recevez le SaiiU- « Esprit » ; 4* sous la forme de feu ; sous la forme de langue: et c'est sous cette double forme qu'il a apparu en ce jour. Or, s'il s'est montré sous ces cinq formes, c'est pour donner à comprendre qu'il en opère les propriétés dans les cœurs oii il vient. P II s'est mon- tré sous la forme d'une colombe. La colombe g^cmil au lieu de chanter, elle n'a pas de fiel, elle se cache dans les fentes des rochers. De même le Saint-Esprit fait gémir sur leurs péchés ceux qu'il remplit. « Nous rugissons tous comme des ours, dit Isaîe (lix), nous gémissons et nous soupirons comme des colombes. » « Le Saint-Esprit lui-même, dit saint Paul (Rom., viii), prie pour nous, par des gémissements ineffables, » c'est-à-dire qu'il nous fait prier et gémir. 2"^ Il n'y a en lui ni fiel ni amertume. Et la Sagesse dit (xii) : «< Seigneur, oh ! que votre Esprit est bon, et qu'il est tloux en toute sa conduite I » (vu) « Ilesthumain,doux, bon; parce qu'il rend doux, bon et humain; doux dans les discours, bon de cœur et humain en action. » 3"* 11 habite dans les fentes du rocher, c'est-à-dire dans les plaies de J.-C. « Levez-vous, est-il dit dans le Can- tiijue (il), ma bien-aimée, mon épouse, et venez, vous qui êtes ma colombe (la glose ajoute : vous qui ré- chauffez mes poussins, par l'infusion du Sainl-Esprit), qui habitez les creux de la pierre (la glose : dans les blessures de J.-C). » Jérémie parle ainsi au chap. iv des Lamenlaiioiis : « Le Christ, le Seigneur, l'esprit de notre bouche a été pris à cause de nos péchés. » Nous lui avons dit : « Nous vivrons sous votre ombre

parmi les nations. » C'est comme s'il disait : c< L'Es- n. i

102 LA LÉGENDE DOREE

prit-Saint, qui est de notre bouche, et cette bouche, c'est celle de N.-S. J.-C, parce qu'il est notre bouche et notre chair, nous fait dire à J.-C. : « Nous vivrons en ayant toujours à la mémoire votre ombre, c'est-à- dire voire passion, dans laquelle le Christ fut envi- ronné de ténèbres et méprisé. » La nuée est élevée au-dessus de la terre, elle procure le rafratchissement et engendre la pluie : ainsi fait le Saint-Esprit de ceux qu'il remplit, il les élève au-dessus de la terre et leur inspire le mépris des choses terrestres. Selon ces paroles d'Ezéchiel : (vrii) « L'Esprit m'a élevé entre le ciel et la terre. » (i) « Partout allait l'Esprit, et l'Esprit s'élevait, les roues s'élevaient aussi, et le sui- vaient, parce que l'Esprit de vie était dans les roues. » Saint Grégoire dit de son côté : « Quand on a goûté de l'Esprit, à l'instant toute chair devient insi- pide. » L'Esprit-Saint refroidit contre les ardeurs du vice. Aussi a-t-il été dit à Marie (saint Luc, i) : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très- Haut vous couvrira de son ombre, » c'est-à-dire, elle vous refroidira contre toutes les ardeurs du vice. C'est pour cela que TEspril-Saint est appelé eau, parce qu'il a une vertu régénérative. « Si quelqu'un croit en moi, dit J.-C. (saint Jean, vu), il sortira de son cœur des fleuves d'eau vive » ce qu'il entendait de l'Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. Enfin rEs[)rlt-Saint engendre une pluie de larmes. Le psaume (gxlvii) dit : a Son Esprit souf- flera et les eaux couleront », c'est-à-dire les larmes. 3* Il s'est montré sous la forme d'un souffle. Le souf- fle est agile, chaud, doux cl nécessaire pour la respi-

LE SAINT-ESPRIT 103

ration : de même aussi l'Esprit-Saint est agile, c'est- à-dire prompt à se répandre ; il est plus actif que toutes les substances agissantes. La glose explique ainsi ces paroles des Actes : « On entendit tout d'un coup un grand bruit, comme d'un vent impétueux, qui venait du ciel », la grâce du Saint-Esprit, dit-elle, ne connaît pas les obstacles d'un retard. En second lieu, il est chaud pour embraser : «Je suis venu, est- il dit en saint Luc (xii), apporter le feu sur la terre, et que veux-je, sinon qu'il brûle. » Ce qui l'a fait comparer dans le Cantique (xv) à l'auster qui est un vent chaud : « Retirez-vous, aquilon, venez, vent du midi, soufflez de toutes parts dans mon jardin et que les parfums en découlent. » En troisième lieu, il est doux poui* adoucir. Aussi pour indiquer sa douceur, on donne le nom d'onction ; comme dans la r*^ épître canonique de saint Jean (ii) : « Son onction vous en- seigne toutes choses » ; 2'^ le nom de rosée. L'Eglise chante en effet (i) : « Que l'Esprit-Sainl répande sa rosée céleste pour rendre nos cœurs féconds en bon- nes œuvres. Et sui roris intima aspersione fecundet, » 3'* Le nom de souffle léger. On lit au IIP livre des Rois (xix) : « Après le feu, on entendit le souffle d'un petit vent doux» et le Seigneur y était. En quatrième lieu, il est nécessaire pour la respiration. Le souffle est tellement nécessaire pour respirer, que s'il cessait pendant une heure, l'homme mourrait aussitôt. Il faut l'entendre aussi en ce sens du Saint-Esprit. D'oCi vient que le psaume dit : « Vous leur ôterez l'esprit, et ils tomberont dans la défaillance et retourneront dans leur poussière. Envoyez votre Esprit et ils se-

104 LA LÉGENDE DORER

ront créés de nouveau, et vous renouvellerez la face de la terre. » Saint Jean dit aussi (vi) : « C'est TEsprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont elles-mêmes esprit et vie. » i^ Il s'est montré sous la forme de feu. Sous la forme de langue, d'après ces paroles des Actes (ii) : « En même temps ils (les disciples) virent paraître comme des laniçuesde feu quiseparlaçèrent et qui s'arrêtèrent sur chacun d'eux. » Plus bas se trouvera l'explication de ces deux formes.

III. En quel temps fut-il envoyé? Ce fut le cinquan- tième jour après Pâques, pour faire comprendre que la perfection de la loi vient du Saint-Esprit, ainsi que la récompense éternelle et la rémission des péchés. 1** H est la perfection de la loi, en ce que, d'après la glose, à dater du cinquantième jour l'agneau avait été immolé d'avance, la loi fut donnée au milieu du feu; dans le Nouveau-Testament aussi, cinquante jours après la Pâque de J.-C, le Saint-Esprit descendit au milieu du feu. La loi, c'était sur le mont Sinaï, le Saint-Esprit, sur le mont Sion. La loi fut donnée au sommet d'une mon- tagne, le Saint-Esprit dans le cénacle; d'où il paraît clairement que l'Espril-Saint lui-même est la perfec- tion de la loi, parce que l'accomplissement de la loi, c'est l'amour. C'est la récompense éternelle. La glose dit en effet : « De même que les quarante jours pendant lesquels J.-C. conversa avec ses disciples, désignent l'Eglise actuelle, de même le cinquantième jour auquel est donné le Saint-Esprit veut dire le de- nier de la récompense éternelle. » C'est la rémission des péchés. La glose ajoute au même endroit : « De

LS SAIXT- ESPRIT 10

o

même que dans la cinquantième année arrivait Tin- dulg^nce du Jubilé, de même par le Saint-Esprit, les péchés sont remis. » Ce qui suit se trouve encore dans la Glose : « Dans ce jubilé spirituel, les accusés sont relâchés, les dettes remises, les exilés rappelés dans leur pairie, Théritage perdu est restitué, c'est-à-dire que les hommes vendus au péché sont délivrés du joujj de la servitude. » Les condamnés à mort sont relâchés cl délivrés : c'est pour cela qu'il est dit dans Tépître aux Romains (viii) : « La loi de l'esprit de vie qui est en J.-C. m'a délivré de la loi du péché et de la Hiort. » Les dettes des péchés sont remises; parce que (saint Pierre, i, 4) « la charité couvre la multitude des péchés. » Les exilés sont rappelés dans la patrie : Il est dit dans le Psaume (cxlii) : « Votre esprit, qui est bon, me conduira dans une terre unie. » L'hé- ritage perdu est restitué : « L'Esprit, est-il dit dans Tépître aux Romains (viii), rend témoignage à notre espritque nous sommes enfants de Dieu. Si nous som- mes enfants, nous sommes aussi héritiers. » Les escla- ves sont délivrés du péché. Aux Corinthiens on trouve (II, 4) : (( est l'Esprit du Seigneur, est la liberté. » IV. Combien de fois fut-il envoyé aux apôtres : Il faut savoir, que, d'après la glose, il leur a été donné trois fois : 1" avant la Passion, 2^ après la Résurrec- tion, 3** et après l'Ascension : la première fois pour faire des miracles, la seconde pour remettre les pé- chés, la troisième pour affermir leurs cœurs. La pre- mière fois, ce fut quand J.-C. les envoya prêcher, et leur donna la puissance de chasser tous les démons et de guérir les infirmités. Tous ces miracles sont l'œuvre

106 LA LÉGENDE DOREE

(lu saint- Esprit selon ces paroles de saint Mathieu (xii) : « Si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu jus- qu'à vous. » Cependant, opérer des miracles n'est pas une conséquence de la possession du Saint-Es- pril, parce que selon la parole de saint Grégoire : (( Les miracles ne font pas l'homme saint, mais ils le montrent. » El parce que l'on fait des miracles ce n'est pas une raison, pour avoir l'Esprit-Saint, puisque les méchants eux-mêmes allèguent qu'ils ont fait des mi- racles. (Sainl Mathieu, vu) : « Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre nom ? N'avons-nous pas chassé les démons en votre nom? et n'avons-nous pas fait plusieurs miracles en votre nom? » Car Dieu fait des miracles par son autorité, les anges par l'infé- riorité de la matière, les démons, par des vertus natu- relles qui résident dans les choses, les magiciens par des contrats secrets avec les démons, les bons chré- tiens par une justice manifeste, les mauvais chrétiens par les apparences d'une justice reconnue. La seconde fois que J.-C. donna le Saint-Esprit aux apôtres, ce fui ({uand il souffla sur eux en disant : « Recevez leSainl- Espril, les péchés seront remis à ceux auxquels vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux auxquels vous les retiendrez. » Cependant nul ne saurait remettre le péché quant à la souillure qu'il produit et qui réside dans l'dme, ni quant à la culpabilité qui engage à la peine élernclle-; ni quant à l'offense faite à Dieu, toutes misères qui sont remises seulement par l'infusion de la grâce et en vertu de la contrition. On dit cependant que le prêtre absout, tant parce qu'il déclare le péni-

LE SAINT-ESPRIT 107

teiit absous de la faule que parce qu'il change la peine du purgatoire en une peine temporelle et qu'il remet une partie elle-même de la peine temporelle. La troi- sième fois qu'il donna le Saint-Esprit à ses apôtres, ce fut aujourd'hui, alors que leurs cœurs étaient telle- ment fortifiés qu'ils ne craignaient en rien les tour- ments : selon le mot du Psalmiste (xxxii) : « C'est l'es- prit (le souffle) de sa bouche qui a produit toute leur force. » Et selon ces paroles de saint Augustin : « Telle esl la grâce du Saint-Esprit que s'il trouve la tristesse, il la dissipe, s*il trouve des désirs mauvais, il les con- sume; s'il trouve la crainte, il la chasse. » Saint Léon, pape, dit de son côté : « Si l'Esprit-Saint était Tobjet de l'espoir des apôtres, ce n'était pas tout d'abord pour habiter dans des cœurs sanctifiés, mais pour les enflammer davantage après leur sanctification, pour verser en eux une plus grande abondance de grâces. II les comblait de ses dons, il ne commençait pas leur conversion. Et cependant son œuvre n'était pas nou- velle, parce qu'il était plus riche en largesses. »

V, De quelle manière fut-il envoyé? Il fut envoyé avec bruit, en forme de langues de feu, et ces langues apparurent en se posant. Le bruit fut subit, venant du ciel, véhément et remplissant. Il fut subit parce que le Saint-Esprit ne connaît pas les obstacles d'un relard : il venait du ciel, parce qu'il rendit les apôtres célestes, il fut véhément, mot qui signifie : détruisant le mal- heur (vœ adimejis), soit parce qu'il détruit tout l'amour charnel dans l'esprit, d'où vient véhément {veheiis menlem) : Il fut remplissant, parce que l'Espril-Sainl remplit tous les apôtres d'après ce texte des Actes :

i08 LA LÉfiENDr. DOREE

« Ils furent tous remplis du Saint-Esprit. » Il y a trois signes auxquels on reconnaît la plénitude, et ces trois signes se trouvent dans les apôtres. Le premier c'est de ne pas rendre de son; par exemple le tonneau plein ne rend aucun son. Quand Job dit (vi) : « Le bœuf fait-il entendre ses mugissements lorsqu'il est devant une crèche pleine? c'est comme s'il disait : « Lorsque la crèche du cœur contient la plénitude de la grâce, il ne saurait jeter des murmures d'impatience. Les apôtres possédèrent ce signe, parce qu'au milieu de leurs tribulations, ils ne rendirent aiï- ciin son d'impatience ; il y a mieux : « Ils sortaient (lu conseil tout remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (Act., v). » Le second signe, c'est de ne pas pouvoir en contenir plus, et d'en posséder assez. En effet quand un vase est plein, il ne peut contenir autre chose ; comme aussi quand un homme est ras- sasié, il n'a plus d'appétit: de même les saints qui ont la plénitude de la grâce, ne peuvent recevoir aucun goût pour les amours terrestres, a Tout cela m'est à dégoût, est-il dit dans Isaïe (i). Je n'aime point les holocaustes de vos béliers.» De même ceux qui ontgoûté des douceurs divines n'ont pas soif des vanités ter- n*stres. « Celui, dit saint Augustin, qui aura bu du lleuve du paradis dont une goutte est plus grande que Tocéan, peut être assuré que la soif de ce monde sera étanchée en lui. » Les apôtres possédèrent ce signe, car ils ne voulurent avoir rien en propre, mais ils partagèrent tout en commun. Le troisième signe c'est <le déborder, comme et» lleuve dont il est parlé dans

LE SAINT-ESPRIT 109

rEx:cIésiaslique (xxiv) : « Il répand la sagesse comme lePhison répand ses eaux. » Ce qui signifie à la lettre : Le propre de ce fleuve, c'est de déborder et d'arroser tout ce qui l'entoure. Ainsi les apôtres commencèrent à déborder, parce qu'ils se mirent à parler différentes langues. C'est ici que la glose dit : a Voici le signe de la plénitude : le vase plein se répand : le feu ne peut rester caché en lui-même. » Ils commencèrent donc à arroser ce qui les entourait : de vient que saint Pierre se mit à prêcher et convertit trois mille personnes. » Secondement, il fut envoyé en forme de langues de feu. Il y a là-dessus trois points à exami- ner : 1** pourquoi en langues et en langues de feu tout à la fois, 2** pourquoi en forme de feu plutôt qu'en un autre élément; pourquoi en forme de langue plutôt que d'un autre membre. En premier lieu, il faut savoir que c'est pour trois raisons qu'il apparut en langues de feu : a) afin que les apôtres proférassent des paroles de feu ; b) afin qu'ils prêchassent une loi de feu, c'est-à-dire une loi d'amour. Voici les paroles de saint Bernard sur ces deux premières raisons : « Le Saint-Esprit est venu en langues de feu afin de dire des paroles de feu dans les langues de toutes les na- tions ; en sorte que ce furent des langues de feu qui pn^chaient une loi de feu ; » c) afin que les apôtres connussent que c'était par eux que parlait l'Esprit- Saint qui est feu; afin qu'ils n'eussent aucune défiance là-dessus ; afin qu'ils ne s'attribuassent pas les con- versions des autres, et que tous écoutassent leurs pa- roles comme celles de Dieu.

En second lieu, il fut envoyé sous la forme du feu

110 LA LÉGENDE DOREE

pour beaucoup de raisons. La 1'* se lire des sept es- pèces de grâce qu'il donne : car TEspril, comme le feu, abaisse les hauteurs par le don de crainte ; il amollit les duretés par le don de piété ; il illumine les lieux obscurs par la science ; il resserre les fluides par le conseil ; il consolide les choses sans consistance par la force ; il clarifie les métaux dont il ôte la rouille par le don d'intelligence ; il se dirige en haut par le don de sagesse. La se tire de sa dignité et de son excellence : en efl^et le feu l'emporte sur tous les élé- ments, par son apparence, par son rang et par sa force : par son apparence, en raison de la beauté qu'il présente dans sa lumière ; par son rang, en raison de la sublimité de sa position. L'Esprit-Saint aussi l'em- porte surloutencesdiflFérentscas. Quant à l'apparence TEsprit-Saint est appelé sans tache. Quanta son rang, il renferme toutes les intelligences; quant à sa force, il la possède en toute manière. La 3" se tire de ses diffé- rentes propriétés. Raban expose ainsi cette raison : « Le feu, desa nature, contient quatre propriétés : il brûle, il purge, il échauffe et il éclaire. Pareillement le Saint- Esprit brûle les péchés, purge les cœurs, chasse la tiédeur et éclaire Tignorance. Il brûle les péchés, selon cette parole du prophète Zacharie (xiii) : « Je les ferai passer par le feu je les épurerai comme on épure l'argent. » C'était encore par ce feu que le prophète de- mandait à être brûlé quand il disait (Ps. xxv) : «Brû- lez mes reins et mon cœur. » II purge les cœurs, selon ce mot d'Isaïe (iv) : « Ils seront appelés saints quand le Seigneur aura lavé Jérusalem du sang qui est au milieu d'elle, par un esprit de justice et un esprit d'ar-

LE SAINT-ESPRIT Hl

deur. » Il chasse la liédeur : c'est pour cela qu'il est dit (Rom., xii) de ceux qui sont remplis du Saint-Es- prit : « Conservez-vous dans la ferveur de l'esprit. » Saint Grégoire dit aussi : <( Le Saint-Esprit est apparu en forme de feu parce qu'il dissipe rengourdissement de la froideur de tout cœur qu'il remplit, et qu'il l'en- flamme du désir de son éternité, » II éclaire l'ignorance, diaprés ces paroles du livre de la Sagesse (ix) : « Et qui pourra connaître votre pensée, si vous ne donnez vous-mértie la sagesse, et si vous n'envoyez votre Es- prit-Saint du plus haut des cieux ? » Comme aussi dans la T* épître aux Corinthiens (ii), on lit : « Or, Dieu nous a révélé par l'Esprit-Saint. » La se prend de la nature de son amour : car l'amour a trois points de ressemblance avec le feu. Le feu est tou- jours en mouvement, de même aussi l'amour du Saint- Esprit fait que ceux qui en sont. remplis sont toujours occupés à faire de bonnes œuvres ; et c'est la raison pour laquelle saint Grégoire dit : « Jamais l'amour de Dieu n'est oisif. S'il existe, il opère des merveilles ; mais s'il néglige les bonnes œuvres, l'amour n'existe pas. » De tous les éléments le feu est celui qui con- siste le plus dans la forme et qui tient le moins de la matière. Il en est ainsi de l'amour du Saint-Esprit : celui qui en est rempli est peu épris de l'amour des choses terrestres et a beaucoup d'attachement pour les choses célestes et spirituelles, de sorte qu'il n'aime plus les choses charnelles d'une manière charnelle, mais qu'il aime de préférence les choses spirituelles «Tune façon spirituelle. Saint Bernard distingue quatre sortes d'amours : l'amour de la chair pour la chair,

112 LA LKGENDE DORKE

l'amour de l'esprit pour la chair, l'amour de la chair pour l'esprit, et l'amour de Tesprit pour l'esprit lui- même, Le feu abaisse ce qui s'élève, il tend à s'éle- ver, il resserre et unit les fluides. C4es trois propriétés font connaître les trois sortes de forces qui sont dans l'amour, comme le dit saint Denys dans son livre des Noms divins : « Il a une force inclinative, une force élévativeet une force coordinative. Il abaisse les choses supérieures au-dessous des inférieures, il élève les in- férieures au-dessus des supérieures, il coordonne en- semble les choses semblables. » On trouve ces trois effets dans ceux que l'Esprit-Saint remplit : il les abaisse par l'humilité et le mépris d'eux-mêmes ; il les élève par le désir des choses supérieures, et il éta- blit entre eux l'uniformité de mœurs. Pourquoi le Saint-Esprit apparaft-il sous la forme de langues, plutôt que sous la forme d'un autre membre ? On en donne trois raisons. En effet la langue est un membre enflammé du feu de l'enfer, difficile à gouverner, et utile quand on en fait un bon usage. Or, si la langue était enflammée du feu de l'enfer, elle avait donc be- soin du feu du Saint-Esprit (saint Jacques, m) : « La langue est un feu », car elle se gouverne avec diffi- culté : c'est pour cela qu'elle a, plus que les autres membres, besoin de la grâce du Saint-Esprit. Saint Jacques ajoute que la nature de l'homme est capable de dompter et a dompté en effet toutes sortes d'ani- maux. Si donc la langue est d'une telle utilité quand elle est bien dirigée, il fut donc nécessaire qu'elle ciH le Saint-Esprit pour guide. 11 apparut encore en forme (le langue, pour signifier qu'il est d'une grande néces-

LE SAINT-ESPRIT 113

site à ceux qui prêchent. Il les fail parler avec chaleur et intrépidité ; c'est pour cela qu'il fut envoyé en forme de feu. « Le Saint-Esprit, dit saint Bernard, est venu sur les apôtres en forme de langues de feu, afin qu'ils parlassent avec feu, et que les langues de feu préchas- sent une loi de feu. » Ils parlèrent avec confiance et intrépidité : « Ils furent tous, disent les Actes (iv), remplis du Saint-Esprit et se mirent à annoncer avec confiance la parole de Dieu. » Ils parlèrent plusieurs langues, selon que l'exigeait l'intelligence de leurs auditeurs. Aussi lisons-nous dans les Actes (ii) qu'ils se mirent à parler différentes langues. Leur prédica- tion fut utile selon le besoin et pour l'édification de tous. L'Esprit du Seigneur est sur moi, dil Isaïe (lxi) : car le Seigneur m'a rempli de son onction, il m'a envoyé pour annoncer sa parole à ceux qui sont doux, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé. » Troi- sièmement, ces langues apparurent en se posant pour donner à entendre que le Saint-Esprit était nécessaire et à ceux qui président et à ceux qui jugent, parce qu'il confère l'autorité de remettre les péchés. « Rece- vez le Saint-Esprit, est-il dit dans l'évangile de saint Jean (xx) : les péchés seront remis à ceux auxquels vous les remettrez. » Il confère la science pour juger, selon ces paroles d'Isaïe : « Je répandrai mon esprit sur lui et il rendra la justice aux nations » (xui). Il confère la douceur pour supporter : « Je prendrai, dit le Seigneur à Moïse (Nombres, xi, 17), de l'Esprit qui est en vous et je leur en donnerai (aux anciens d'Israël) afin qu'ils soutiennent avec vous le fardeau de ce peuple. » L'Esprit de Moïse était un esprit de n. 8

114 LA LÉGENDE DORÉE

douceur, selon que le témoig'ne le livre des Nombres (xii) : « Moïse était de tous les hommes le plus doux qui fût sur la terre. » Il confère l'ornement de la sainteté pour embellir. Job dit (xxvi) : « L'Esprit du Seigneur a orné les cieux. »

VI. Sur qui fut-il envoyé? Sur les disciples qui étaient des réceptacles purs et préparés à recevoir le Saint-Esprit, pour sept qualités qui se trouvèrent eu eux. Ils furent calmes d'esprit]; on le voit par ces mots : « Quand les jours de la Pentecôte furent ac- complis », c'est-à-dire les jours de repos. En effet cette fête était consacrée au repos, a Sur qui reposera mon esprit, dit Isaïe (lxvi), si ce n^est sur celui qui est humble ? » 2^ Ils étaient unis par les liens de l'a- mour, ce qui est indiqué par ces paroles : « Ils étaient tous ensemble. » Il n'y avait en effet parmi eux qu'un seul cœur et une seule âme : car de même que l'esprit de l'homme ne vivifie les membres du corps qu'aUf- tant qu'ils sont unis dans la vie, de même le Saint- Esprit ne vivifie que les membres spirituels. Et comme le feu s'éteint dès lors qu'on éloigne les morceaux de bois, de même aussi l'Espril-Saint disparait n'habite pas la concorde. C'est pour cela que l'on chante dans l'office des Apôtres * : « La divinité les a trouvés unis par la charité, elle les a inondés de lumière. » Ils étaient renfermés dans un lieu. C'est pour cela qu'il est dit aux Actes : « Ils étaient dans un même local », c'esl-à-dire, dans le cénacle. « Je la conduirai, est-il dit dans Osée (ii), dans la solitude et je lui parlerai

* Nous n*avons pas trouvé ce texte dans la liturgie romaine.

LE SAINT-ESPRIT 115

au coeur. » 4^' Us étaienl assidus dans la prière, d'a- près ces paroles des Actes (i) : « Ils persévéraient tous unanimement en prière. Et nous chantons * : « Les apôlres étaient en prière, alors qu'un bruit subit an- nonce la venue de Dieu. » Or, pour recevoir le Saint- Esprit, Toraison est nécessaire, comme le dit le livre de la Sagesse (vn) : « J'ai prié et l'esprit de sagesse est venu en moi » ; et dans saint Jean (xiv) : « Je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Para- del. » Ils étaient doués d'humilité, ce que veut dire ce mot, ils étaient assis. Le Psaume dit : « Vous envoyez les fontaines dans les vallées », c'est-à-dire, TOUS donnez aux humbles la grâce du Saint Esprit : ce qui est encore confirmé par ce texte : « Sur qui reposera mon esprit, si ce n*est sur celui qui est bamble ? » 6** Ils étaient en paix comme l'indiquent ces mots : « Ils étaient dans Jérusalem », qui signi- fie Vision de Paix. Saint Jean montre que la paix est nécessaire pour recevoir le Saint-Esprit (saint Jean, xx). Aussitôt qu'il leur eut souhaité la paix en di- sant : « La paix soit avec vous », il souffla aussitôt sur eux et dit : « Recevez le Saint-Esprit. » Ils étaient élevés en contemplation : ceci est marqué en ce qu'ils reçurent le Saint-Esprit alors qu'ils se trouvaient dans la partie supérieure du cénacle. La glose dit en cet

Hymne des Matines de la Pentecôte.

" Hora dieî tertîa,

Apostolisorantibus, Repente de cœlo sonus Deum venire nuntiat.

Version antérieure à la correction des hymnes romaines.

116 LA LÉGENDE DOREE

endroit : « Celui qui désire le Saint-Esprit s'élève au- dessus de la demeure de sa chair, qu'il foule par la contemplation de son esprit. »

VII. Pourquoi fut-il envoyé? Le Saint-Esprit fut en- voyé pour six causes. Le texte suivant est l'autorité sur laquelle on s'appuie : « Mais le consolateur qui est l'Esprit-Saint que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses. » Il fut envoyé pour consoler les affligées. Paraclet veut dire consolateur. Isaïe dit : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, et il ajoute, pour apporter de la consolation à ceux qui pleurent dans Sion » (Isaïe, lxi), « L'Esprit-Saint, dit saint Grégoire, est appelé consolateur, parce que ceux qui gémissent d'avoir commis le péché sont pré- parés par lui à l'espoir du pardon, La tristesse qui s'était emparée de leur esprit affligé disparait ». 2^ Pour ressusciter les morts. Selon cette parole d'Ezé- chiel (xxxvii) : « C'est l'Esprit qui vivifie : os arides, écoutez la parole du Seigneur. Je ferai entrer en vous l'Esprit et vous vivrez. » 3*^ Pour sanctifier ceux qui sont immondes. Aussi on dit l'Esprit, parce qu'il vi- vifie, et saint parce qu'il sanctifie et rend pur. Saint et pur, c'est une môme chose. Le Psaume (xlv) porte : « Un fleuve tranquille réjouit la cité de Dieu » ; ce fleuve c'est la grâce du Saint-Esprit qui purifie et qui ne tarit pas : la cité de Dieu, c'est l'Eglise de Dieu, et par ce fleuve, le Très-Haut a sanctifié son taber- nacle. 4** Pour affermir l'amour au milieu de ceux qui sont désunis par la haine. « Mon Père lui-môme vous aime » (saint Jean, xiii). Le Père, c'est celui qui nous aime tout naturellement. S'il est notre Père, et que

SAINTS GORDIEN ET ÉPIMAQUE 117

nous sommes ses enfants^ et si nous sommes tous frères à Fégard les uns des autres, qu'une amitié par- fai.le règne entre les frères. Pour sauver les justes. Quand J.-C. dît : « Mon Père vous l'enverra en mon nom », il rappelle l'idée de Sauveur renfermée dans ce nom de Jésus. Donc c'est au nom de Jésus, c'est- à-dire de Sauveur que le Père a envoyé le Saint- Esprit afin de montrer qu'il est venu pour sauver les nations. 6' Pour instruire les ignorants : « Il vous en- seignera toutes choses, dit J.-C. »

VIII. Par quel moyen a-t-ilété donné? Ce fut par Toraison. Ainsi nous avons vu plus haut que c'était alors que les apôtres priaient, et en saint Luc : « Alors que Jésus priait, le Saint-Esprit descendit. » 2^ En écoutant avec dévotion et attention la parole de Dieu. « Pierre parlait encore que l'Espril-Saint tomba sur eux » (Actes, x). Par Tassiduité aux bonnes œuvres, signifiée dans l'imposition des mains. « Alors ils imposaient les mains sur eux... n (Actes, viii). L'im- position des mains signifie encore l'absolution que l'on donne à confesse.

SAINTS GORDIEN ET EPIMAQUE*

Gordien vient de geos, dogme ou maison, et dyan, brillant, comme maison brillante dans laquelle habitait Dieu : ainsi que saint Augustin le dit dans le livre de la Cité de Dieu. a Une bonne maison est celle dont les parties sont relativement

* Tiré du Martyrologe d'Adon.

II. 8"

118 LA LÉGENDE DOREE

bien disposées^ amples et éclairées. » Il en fut ainsi de ce saint qui fut disposé par l'imitation de la concorde, qui fut ample en charité et brillant de vérité. Epimaque vient de épi, sur et machin, roi, comme roi suprême ; il peut aussi venir d*épi, sur et machos, combat, qui combat pour les choses d'en haut.

Gordien, vicaire de l'empereur Julien, voulait for- cer à sacrifier un chrétien nommé Janvier qui, par ses prédications, le convertit à la foi avec son épouse nommée Mariria et cinquante-trois autres hommes. Julien, à cette nouvelle, envoya Janvier en exil, et condamna Gordien à perdre la tête, s^il ne voulait pas sacrifier. Le bienheureux Gordien fut donc déca- pité et son corps fut jeté aux chiens. Mais comme il était resté l'espace de huit jours, tout à fait intact, sa famille le prit et l'ensevelit à un mille de la ville avec saint Epimaque que Julien avait fait tuer depuis quel- que temps. Ce fut vers l'an du Seigneur 360.

SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE *

Nérée veut dire conseil de lumière : ou bien s'il vient de Nerethy qui veut dire lumière, ett<«, qui se hâte; ou bien encore de Ne et reus, non coupable. 11 fut donc un conseil de lumière par la prédication de la virginité ; une lumière par sa manière de vivre honorable; il se hâta d*aimcr le ciel; il ne fut point coupable en raison de sa pureté de conscience. Achilleus vient de achi^ qui veut dire mon frère, et césa, salut : salut de ses frères. Leur martyre fut écrit par Eulhicès, Victorinus et Macre ou Marce, serviteurs de J.-C.

* Bréviaire; Martyrologes ; Eusèbe, Ilist, Eccf,

SALNTS NÉRÉE ET ACHILLEE H 9

Nérée et AchîIIée, eunuques chambellans de Domi- lillê, nièce de l'empereur Domitien, furent baptisés par Tapôtre saint Pierre. Or, comme cette Domitille était fiancée à Âurélien, fils d'un consul, et qu'elle était couverte de pierreries et de vêlements de pourpre, Nérée et Achillée lui prêchèrent la foi, et lui suggé- rèrent une grande estime pour la virginité qu'ils lui montrèrent comme approchant de Dieu, rendant sem- blable aux anges, née avec Thomme, tandis qu'une femme mariée était sous la sujétion de son mari, qu'elle était frappée de coups de poing et de pied, qu'elle mettait trop souvent au monde des enfants clifTormes, supportant de plus avec peine les pieux avis de leur mère, qu'enfin elle était forcée d'endurer de grandes contrariétés de la part d'un époux. Do- niitille leur répondit entre autres choses : « Je sais que mon père fut jaloux et que ma mère eut à souf- frir de sa part une foule de mauvais traitements : mais celui que je dois avoir pour mari lui ressemble- ra-t-il? » Ils lui dirent : « Tant que les hommes sont seulement fiancés, ils paraissent doux ; mais dès qu'ils sont mariés, ils deviennent cruels et impérieux : quel- quefois ils préfèrent des suivantes à leurs dames. Toute sainteté perdue peut se recouvrer par la péni- tence, il n'y a que la virginité qui ne se puisse recou- vrer : car la culpabilité peut être effacée par la pénitence, mais la virginité ne se peut réparer : elle ne saurait prétendre à regagner l'état de sainteté qu'elle a per- du. » Alors Flavie Domitille crut, fit vœu de virginité, reçut le voile des mains de saint Clément. A cette nouvelle son fiancé se fit autoriser par Domitien à la

120 LA LÉGENDE DORÉE

reléguer dans l'île Pontia, avec les saints Nérée et Âchîllée, dans la pensée qu'il pourrait ainsi la faire revenir sur la résolution prise par elle de garder la virginité. Quelque temps après, dans un voyage en cette ile, il fit de riches présents h ces deux saints pour les engager à influencer cette vierge : mais ils s'y re- fusèrent absolument; et s'attachèrent à la fortifier dans ses bonnes dispositions. Comme on les poussait à sa- crifier, ils dirent qu'ayant été baptisés par l'apôtre saint Pierre, rien ne pouvait les faire immoler aux idoles. Ils furent décapités vers l'an du Seigneur 80, et leurs corps furent ensevelis auprès du tombeau de sainte Pétronille. Il y en eut d'autres, comme Victo- rin, Euthicès et Maron qui étaient attachés à Domi- tille, qu'Âurélien faisait travailler tout le jour comme des esclaves dans ses domaines, et le soir il leur fai- sait manger le pain des chiens. Enfin il ordonna de fouetter Euthicès jusqu'à ce qu'il eût rendu l'âme ; il fit étouffer Victorin dans des eaux fétides et écraser Maron sous un énorme quartier de roche. Or, quand on eut jeté sur lui cette pierre que soixante-dix hommes pouvaient remuer à peine, il la prit sur les épaules et la porta comme paille légère l'espace de deux milles ; et comme un grand nombre de personnes avaient alors embrassé la foi, le fils du consul le fit tuer. Après quoi, il ramena Domitille de l'exil, et lui en- voya deux vierges, Euphrosine et Théodora, ses sœurs de lait, pour la faire changer de résolution : mais Domitille les convertit à la foi. Alors Aurélien vint avec les deux fiancés de ces jeunes personnes et trois jongleurs pour célébrer ses noces, ou du moins, pour

SAINT PANCRACE 42!

la posséder par la violence. Mais comme Domitille avait converti ces deux jeunes gens, Aurélien fit entrer Domitille dans une chambre nuptiale, ordonna à ses jongleurs déchanter et aux autres de se livrer à la danse avec lui, dans la volonté de faire violence ensuite à la sainte. Alors les baladins s'épuisèrent à chanter et les autres à danser ; Aurélien lui-même ne cessa de danser pendant deux jours, jusqu'à ce qu'ex- ténué de fatigue, il expira. Son frère Luxurius solli- cita la permission de tuer tous ceux qui avaient reçu la foi, il mit le feu à l'appartement desdites vierges, qui rendirent l'esprit en faisant leurs prières. Le len- demain matin, saint Césaire ensevelit leurs corps qu'il avait retrouvés intacts.

SAINT PANCRACE *

Pancrace vient de pan, qui sic^nifie tout, et gratus, ac^réablc, et citius, vite, tout prompt à être agréable, car dès sa jeunesse il le fut. Le Glossaire dit encore que Paneras veut dire rapine, pancf'atiarius, soumis aux fouets, Paneras, pierre de différen- tes couleurs : en effet, il ravit des captifs pour butin, il fut soumis au tourment du fouet, et il fut décoré de toutes sor- tes de vertus.

Pancrace, issu d'illustres parents, ayant perdu en Phrygie son père et sa mère, resta confié aux soins de Denys, son oncle paternel. Ils se rendirent tous les deux à Rome ils jouissaient d'un riche patri-

* Bréviaire; Martyrologes.

122 LA LÉGENDE DORÉE

moine : dans leur quartier était caché, avec les fidèles, le pape Corneille, qui convertit à la foi de J.-G. De- nys et Pancrace. Denys mourut en paix, mais Pan- crace fut pris et conduit par devant César. Il avait alors environ quatorze ans. L'empereur Dioctétien lui dit : (( Jeune enfant, je te conseille de ne pas te laisser mourir de maie mort; car, jeune comme tu es, tu peux facilement te laisser induire en erreur, et puis- que ta noblesse est constatée et que tu es le fils d'un de mes plus chers amis, je t'en prie, renonce à cette folie, afin que je te puisse traiter comme mon enfant. » Pancrace lui répondit : « Bien que je sois enfant par le corps, je porte cependant en moi le cœur d'un vieillard, et grâce à la puissance de mon Seigneur J.-C. la terreur que tu nous inspires ne nous épou- vante pas plus que ce tableau placé devant nous. Quant à tes Dieux que tu m'exhortes à honorer, ce furent des trompeurs, des corrupteurs de leurs belles-sœurs; ils n'ont pas eu même derespect pour leurs père et mère : que si aujourd'hui tu avais des esclaves qui leur res- semblassent tu les ferais tuer incontinent. Je m'étonne que tu ne rougisses pas d'honorer de tels dieux. » L'em- pereur donc, se réputant vaincu par un enfant, le fît décapiter sur la voie Aurélienne, vers l'an du Sei- gneur 287. Son corps fut enseveli avec soin par Coca- villa, femme d'un sénateur. Au rapport de Grégoire de Tours *, si quelqu'un ose prêter un faux serment sur le tombeau du martyr, avant qu'il soit arrivé au chancel du chœur, il est aussitôt possédé du démon

* Âfiracu/orurrif lib. I, c. xxxix.

SAINT PANCRACE J23

et devient hors de lui, ou bien il tombe sur le pavé et meurt. II s'était élevé un procès assez important entre deux particuliers. Or, le juge connaissait parfaitement le coupable. Le zèle de la justice le porta à les mener tous les deux à Tautel de saint Pierre ; et il força celui qu'il savait avoir tort à confirmer par serment sa prétendue innocence, en priant l'apôtre de venger la vérité par une manifestation quelconque. Or, le coupable ayant fait serment et n'ayant éprouvé aucun accident, le juge, convaincu de la malice de cet homme, et enflammé du zèle de la justice s'écria : « Ce vieux Pierre est ou trop bas, ou bien il cède à moindre que lui. Allons vers Pancrace; il est jeune, requérons de lui ce qui en est. » On y alla; le coupable eut l'audace de faire un faux serment sur le tombeau du martyr ; mais il ne put en retirer sa main et expira bientôt sur place. C'est de que vient la pratique encore observée au- jourd'hui de faire jurer, dans les cas difficiles, sur les reliques de saint Pancrace.

i

124 LA LKGENDE DOREE

Des lètes qui tombent pendant le temps du

pèlerinage.

Après avoir parlé des fêtes qui arrivent pendant le temps de la Réconciliation, temps reproduit par TEglise de Pâques à Toctave de la Pentecôte^ il reste à s'occuper des fêtes qui arri- vent dans le temps du pèlerinage ; TEglise le reproduit depuis Toctavc (le la Pentecôte jusqu'à TAvent. Ce temps ne commence pas toujours ici, car il varie d'après la fête de Pâques.

SAINT URBAIN *

Urbain vient d*urbanité, ou bien de ur, flambeau ou feu, et de banal, réponse. Ce fut un flambeau par Thonnêteté de sa conduite, un feu par son ardente charité, une réponse par sa doctrine. 11 fut un flambeau ou une lumière, parce que la lu- mière est agréable à la vue, immatérielle en essence, céleste en situation, très utile pour agir. De même ce saint fut aimable dans sa conversation, immatériel dans son mépris du monde, céleste en contemplation, utile dans sa prédication.

Urbain succéda au pape Calixte. De son temps, il s'éleva une très grande persécution contre les chré- tiens. Enfin Alexandre devint empereur et sa mère Mammée avait été convertie au christianisme parOri- gène. Ses prières vraiment maternelles obtinrent de son fils qu'il cesserait de persécuter les fidèles. Ce- pendant Almachius, préfet de la ville, qui avait fait trancher la tête à sainte Cécile, sévissait avec fureur contre les chrétiens; il fit donc rechercher avec soin

* Tiré des Actes de sainte Cécité,

SAINT URBAIN 123

saint Urbain, par le moyen d'un de ses officiers nommé Carpasius ; on le trouva dans un antre avec trois prê- tres et trois diacres. Tous furent jetés en prison. Almachius fit comparaître Urbain devant son tribu- nal, et lui reprocha d'avoir séduit cinq mille hommes avec la sacrilège Cécile et les illustres personnages Tiburce et Valérien : il lui réclama aussi les trésors de Cécile.

Urbain lui répondit : « Ainsi que je le vois, c'est plutôt la cupidité qui te porte à sévir contre les saints que l'honneur des dieux. Le trésor de Cécile est monté au ciel par les mains des pauvres, » Comme saint Urbain et ses compagnons étaient fouettés avec des lanières garnies de plomb, Urijain se mit à invo- quer le nom du Seigneur en disant Elijon *. Le pré- fet souriant : « Ce vieillard, dit-il, veut passer pour savant, voilà pourquoi il parle de manière à ne pou- voir être compris. » Or, comme on ne pouvait pas les vaincre, ils furent reconduits en prison, saint Urbain donna le baptême à trois tribuns qui vinrent le trouver, et au geôlier Anolin. Le préfet ayant appris que ce dernier était devenu chrétien, le fit amener à son tribunal et comme il refusa de sacrifier, il fut dé- capité.

Quant à saint Urbain il fut traîné devant une idole avec ses compagnons et forcé de lui offrir de l'en- cens : alors le saint se mit en prières et l'idole tomba

* D'après saint Isidore de Séville (liv. Vil, ch. i, des Elymo- logie»), ce mot hébreu est un des noms de Dieu et signifie élevé, grand, le Très-Haut,

126 LA LÉGENDE DOR^E

CQ tuant vingt-deux prêtres chargés d'entretenir le feu. On déchira cruellement les chrétiens, et on les conduisit ensuite pour sacrifier : mais ils crachèrent sar ridole, firent sur leur front le signe de la croix et après s'être donné l'un à l'autre le baiser de paix, ils reçurent la couronne du martyre en ayant la tête coupée, sous l'empire d'Alexandre, vers Tan du Seigneur 220. Carpasiusfut saisi aussitôt par le malin esprit, blasphéma ses dieux, et malgré lui, il fit un grand éloge des chrétiens; enfin il fut suffoqué par le démon. A cette vue, sa femme Arménie reçut le baptême, avec sa fille Lucine et toute sa famille, des mains du saint prêtre Fortunat. Après quoi elle ense- velit les corps des martyrs avec honneur.

SAINTE PÉTRONILLE*

Pétronîlle, dont saint Marcel a écrit la vie, était la fille de l'apôtre saint Pierre. Elle était d'une beauté extraordinaire et elle souffrait de la fièvre par la vo- lontédc son père; or, un jour que les disciples logeaient chez saint Pierre, Tite lui dit : « Puisque vous gué- rissez tous les infirmes, pourquoi laissez-vous Pétro- nille souffrante ? » « C'est, répondit saint Pierre, que cela lui vaut mieux : néanmoins, pour que l'on ne puisse pas conclure de mes paroles qu'il est impossible de la guérir, il lui dit: « Lève-toi promptement, Pé-

Martyrologe d'Adon.

SAINTE PÉTRONILLE 127

troniIle,et sers-nous. » Elle fut guérie aussitôt, se leva et les servit. Quand elle eut fini de les servir saint Pierre lui dit : « Pétronille, retourne à ton lit. » Elle y revint aussitôt et la fièvre la reprit comme aupara- vant : mais dès qu'elle eut eu acquis la perfection dans Famour de Dieu, il la guérit complètement. Le comte Flaccus vint la trouver afin de la prendre pour femme à cause de sa beauté. Pétronille lui dit donc : <f Si tu désires m'avoir pour épouse, fais-moi venir des vierges qui me conduisent jusqu'à ta maison. » Comme il s'en occupait, Pétronille se livra au jeûne et à la prière, reçut le corps du Seigneur, se coucha et trois jours après elle rendit son âme à Dieu. Flaccus, se voyant déçu, s'adressa à Félicula, compagne de Pétronille, et lui intima ou de Tépouser ou de sacrifier aux idoles.

Comme elle refusait de consentir à aucune de ces deux propositions, le préfet la fit mettre en prison elle n'eut ni à manger ni à boire pendant sept jours ; après quoi il la fit tourmenter sur le chevalet, la tua et jeta son corps dans un cloaque. Cependant saint Nicodème Ten retira et lui donna la sépulture.

En conséquence, le comte Flaccus fit appeler Nico- dème et comme celui-ci refusait de sacrifier, il le battit avec des cordes chargées de plomb. Son corps fut jeté dans le Tibre; mais son clerc Juste l'en ôta et l'ense- velit avec honneur.

128 LA LÉGENDE DOREE

SAINT PIERRE, EXORCISTE, ET SAINT MARCELLIN *

Pendant que saint Pierre, exorciste, était détenu en prison par Archémius, la fille de ce dernier était tour- mentée par le démon et comme c'était, pour ce père, un sujet toujours nouveau de désolation, saint Pierre lui dit que s'il croyait en J.-r^., à Tinstant la santé serait rendue à sa fille. Archémius lui dit: « Je m'é- tonne que ton Sei|S^neur puisse délivrer ma fille, quand il ne peut te délivrer, toi qu'il laisse souffrir pour lui de si grands tourments, w Pierre lui répondit : « Mon Dieu a le pouvoir de m'arracher à votre joug, mais il veut, par une souffrance passagère, nous faire parvenir à une gloire éternelle. » « Si, reprit Archémius, après que j'aurai doublé tes chaînes, ton Dieu te délivre et guérit ma fille, dès lors je croirai en J.-G. » Les chaînes furent doublées : saint Pierre apparut à Ar- chémius, revêtu d'habits blancs et tenant à la main une croix. Alors Archémius se jeta à ses pieds et sa fille fut guérie. 11 reçut le baptême lui et tous les gens de sa maison ; il permit aux prisonniers de se retirer libres, s'ils voulaient se faire chrétiens. Beaucoup d'entre eux, ayant accepté la foi, furent baptisés par le bienheureux prêtre Marcellin. A cette nouvelle, le pré- fet donna ordre de lui amener tous les prisonniers ; Archémius les réunit donc, leur baisa les mains et leur

* Le récit est tire prescjuc tcxtiicllcinont du Martyrologe d'Adon, 2 juin.

SAINT PIERRE, EXORCISTE, ET SAINT MARCELLIN 129

dit que si quelqu'un d'eux voulait aller au martyre, il vînt avec intrépidité ; que s'il y en avait un qui ne le voulût pas, il se retirât sain et sauf. Or, le juge ayant découvert que Marcellin et Pierre les avaient baptisés, il les manda tous les deux à son tribunal, et les fit en- fermer chacun dans une prison séparée. Pour Mar- cellin, il fut étendu tout nu sur du verre cassé ; on lui refusa l'eau et le feu ; quant à Pierre, il fut enfermé dans un autre cachot fort profond on le mit dans des entraves très serrées. Mais un ange du Seigneur vînt voir Marcellin, le délia, puis il le ramena avec Pierre dans la maison d'Archémius, en donnant Tor- dre à tous les deux d'encourager le peuple pendant sept jours, et de se présenter ensuite devant le juge. Celui-ci ne les ayant donc pas trouvés dans la pri- son, manda Archémius et sur le refus de celui-ci de sacrifier, il le fit étouffer sous terre avec sa femme. Marcellin et saint Pierre en ayant eu connaissance, vinrent en cet endroit, et sous la protection des chr«»- tiens, saint Marcellin célébra la mosse sept jours de suite dans cette même crypte. Alors les saints dirent aux incrédules : « Vous voyez que nous aurions pu dé- livrer Archémius et nous cacher ; mais nous n'avons voulu faire ni Tun ni Tautre. » Les gentils irrités tuèrent Archémius par le glaive; quant à sa femmr et à sa fille ils les écrasèrent à coups de pierres. Ils me- nèrent Marcellin et Pierre à la forêt noire (qu'on a depuis appelée blanche à raison de leur martyre) ils les décapitèrent du temps de Dioclétien, l'an du Seigneur 287. Le bourreau appelé Dorothéus vil des anges qui portaient au ciel leurs âmes revêtues de vè- II. 1) .

é

430 LA LÉGENDE DOREE

lements spleiidides et ornées de pierres précieuses. En conséquence, Dorothée se fil chrétien et mourut en paix quelque temps après.

SAINT PRIME ET SALNT FÉLICIEN *

Prime veut dire souverain et grand, Félicien, vieillard comblé de félicite. Le premier est souverain ets^rand en dignité pour les souffrances de son martyre, en puissance pour ses miracles, en sainteté pour la perfection de sa vie, en félicité pour la gloire dont il jouit. Lesecondest appelé vieillard, non à cause du long temps qu'il a vécu, mais pour le respect quMnspire sa dignité, pour la maturité de sa sagesse et pour la gravité de ses mœurs.

Prime et Félicien furent accusés auprès de Dioclé- tien et de Maximien par les prêtres des idoles qui pré- tendirent ne pouvoir obtenir aucun bienfait des dieux, si on ne forçait ces deux saints à sacrifier. Par l'ordre donc des empereurs, ils furent emprisonnés. Mais un anjje les vint visiter, délia leurs chaînes ; alors ils se promenèrent librement dans leur prison ils louaient le Seig^neur à haute voix. Peu de temps après on les amena de nouveau devant les empereurs; et ayant persisté avec fermeté dans la foi, ils furent déchirés à coups de fouets, puis séparés l'un de l'autre. Le prési- dent dit à Félicien de tenir compte de sa vieillesse et d'immoler aux dieux. Félicien lui répondit: « Me voici parvenu à Vdy^i!^ de 80 ans, et il y en a 30 que je con-

* Bn'viaire; Marlt/rolof/e d*Adon,

SAINT PRIME ET SAINT FELICIEN 131

liais la vérité et que j'ai choisi de vivre pour Dieu : ii peut me délivrer de tes mains. » Alors le président commanda de le lier et de l'attacher avec des clous par les mains et par les pieds : « Tu resteras ainsi, lui dît-il, jusqu'à ce que tu consentes à nous obéir. » Comme le visaçe du martyr était toujours joyeux, le président ordonna qu'on le torturât sur place et qu'on ne lui sentît aucun aliment. Après cela, il se fit amener saint Prime, et lui dit : « Eh bien ! ton frère a consenti à obéir aux décrets des empereurs, en conséquence, il est vénéré comme un i^and personnage dans un pa- lais : fais donc comme lui. » « Quoique tu sois le fils du Diable, répondit Prime, tu as dit la vérité en un point, quand tu avançais que mon frère avait consenti à exécuter les ordres de l'empereur du ciel. » Aussitôt le président en colère lui fit briller les cotés et verser du plomb fondu dans la bouche, sous les yeux de Fé- licien, afin que la terreur s'emparât de ce dernier : mais Prime but le plomb avec autant de plaisir que de Veau fraîche. Le président irrité fit alors lâcher deux lions contre eux, mais ces animaux vinrent se jeter aussitôt à leurs pieds, et restèrent à côté d'eux rx>mme desaçneaux pleins de douceur. 11 lâche encore deux ours cruels qui deviennent doux comme les lions. Il y avait plus de douze mille hommes qui assistaient à ce spectacle. Cinq cents d'entre eux crurent au Sei- g^neur. Le président fit alors décapiter les deux mar- tyrs et jeter leurs corps aux chiens et aux oiseaux de proie qui les laissèrent intacts. Les chrétiens leur don- nèrent alors une honorable sépulture. Ils souffrirent vers Tan du Seiçneur 287.

132 LA LÉGENDE DORÉS

SAINT BARNABE, APOTRE

Barnabe veut dire fils de celui qui vient, ou bien fils de consolation, ou fils de prophète, ou fils qui enserre. Quatre fois il a le titre de fils pour quatre sortes de filiation. L'écri- ture donne ce nom de fils, en raison de la génération, de rinstruction, de l'imitation, et de l'adoption. Or, il fut régé- néré par J.-C. dans le baptême, il fut instruit dans l'évangile, il imita le Seigneur par son martyre, et il en fut adopté par la récompense céleste. Voilà pour ce qui le regarde lui-même. Voici maintenant ce qui le concerne quant aux autres : il fut arrivant, consolant, prophétisant et enserrant. Il fut arri- vant, parce qu'il alla prêcher partout : ceci est clair, puisqu'il fut le compagnon de saint Paul. Il consola les pauvres et les affligés, les premiers en leur portant des aumônes, les second» en leur adressant des lettres de la part des apôtres : Il pro- phétisa puisqu'il fut illustre en annonçant les choses à venir; il fut enserrant, c'est-à-dire qu'il réunit et rassembla dans la foi une multitude de personnes; la preuve en est dans sa mis- sion à Antioche. Ces quatre qualités sont indiquées dans le livre des Actes (ii). C'était un homme y mais un homme de cou- rage, ce qui a trait à la première qualité, bon^ c'est pour la seconde, plein du Saint-Esprit, voilà pour la troisième, ei fidèle ou plein de foi^ ceci regarde la quatrième ({ualité. Jean le même que Marc son cousin compila son martyre. Il en est question principalement à partir de la vision de ce Jean, jusque vers la fin. On pense que Bède le traduisit du grec en latin *.

Saint Barnabe, lévite originaire de Chypre, l'un des 72 disciples du Seigneur, est souvent mentionné avec de grands éloges dans l'histoire des Actes. II fut admi- rablement formé et disposé en ce qui le regardait per-

'^ Bède est ici cité à tort, on ne trouve dans le Vénérable rien de cette traduction.

SAINT BARNABE, APOTRE 133

sunnellement, par rapport à Dieu et par rapport au prochain.

I. Pour ce qui était de lui, il était bien organisé dans ses trois puissances, la rationnelle, la concupis- cîble et l'irascible; sa puissance rationnelle était éclairée par la lumière de la connaissance : c'est pour c«Ia qu'il est dit dans les Actes : a II y avait, dans Véglise qui était à Anlioche, des prophètes et des doc- leurs, entre lesquels étaient Barnabe, Simon, etc. » (xiii) ; 2* sa puissance concupiscible était dégagée de la poussière des affections mondaines : car il est dit aux Actes (iv) que Joseph surnommé Barnabe vendit uii fonds de terre qu'il possédait : il en apporta le prix et le mit aux pieds des apôtres : c'est ici que la glose ajoute : il donne une preuve qu'il faut se dépouiller de ce à quoi il évite de toucher, et il enseigne à fouler un or qu'il métaux pieds des apôtres ; 3" sa puissance irascible était appuyée sur une grande probité, soit qu*il entreprît avec ardeur des choses difficiles, soit <|U*il mît de la persévérance dans des actes de courage, suit qu'il fût constant à soutenir l'adversité. Il entre- prit avec ardeur des choses difficiles, cela est évident par ses travaux pour convertir cette immense cité d'An- lioche, comme il est écrit au ix** chapitre des Actes : eu effet saint Paul, après sa conversion, voulut venir à Jérusalem et se joindre aux disciples ; et quand tout le monde le fuyait comme les agneaux font du louj), I^arnabé fut assez audacieux pour le prendre et le mener aux apôtres. Il mit de la persévérance dans ses actes de courage, en macérant son corps et er) le rédui- sant par les jeûnes : aussi est-il dit aux Actes (xiri) H. 9-

134 LA LÉGENDE DOREE

de Barnabe el de quelques autres : « Pendant qu'ils rendaient leur culte au Seigneur et qu'ils jeûnaient, le Saint-Esprit leur dit : Séparez-moi Paul et Barnabe pour l'œuvre à laquelle je les ai destinés. » Il fut cons- tant à soutenir l'adversité d'après le témoignage que lui en rendent les apôtres en disant (Actes, xv) : « Nous avons jugé à propos de vous envoyer des personnes choisies, avec nos très chers Barnabe et Paul, hommes qui ont exposé leur vie pcTur le nom de N.-S. J.-C, » II. Il fut bien formé par rapport à Dieu. II déférait à son autorité, comme aussi à sa majesté et à sa bonté. Il déférait à l'autorité de Dieu, puisqu'il ne prit pas de son chef la charge de la prédication, mais qu'il vou- lut la recevoir de l'autorité divine, comme il est rap- porté aux Actes (xiii). Le Saint-Esprit dit : « Séparez- moi Paul et Barnabe pour l'œuvre à laquelle je les ai destinés. » 2^ Il déférait à sa majesté. On lit en effet au xiv« ch. des Actes que certaines personnes vou- laient le traiter comme une majesté divine et lui immo- ler des victimes comme on fait à Dieu, en l'appelant Jupiter, parce qu'il paraissait le plus recommandable, et en donnant à Paul le nom de Mercure, en raison de sa prudence et de son éloquence ; aussitôt Bar- nabe et Paul déchirèrent leurs vêlements et s'écrièrent : « Mes amis, que voulez-vous faire? Nous sommes des hommes mortels comme vous, qui vous annonçons de quitter ces vaines idoles, pour vous convertir au Dieu vivant. » V 11 déférait à la bonté de Dieu. En effet on trouve dans les Actes (xv) que quelques-uns des Juifs convertis voulaient rélrécir et diminuer la bonté de la grAco de Dieu, bonté ([ui nous sauve gratuitement

SAINT BARNAB£y APOTRR i3i>

indépendamment de la loi, avançant que la grâce sans la circoncision était tout à fait insuffisante ; Paul et Barnabe leur résistèrent avec force, en montrant que la bonté seule de Dieu suffisait sans les pratiques com- mandées par la loi : en outre ils portèrent la question au tribunal des apôtres dont ils obtinrent des lettres qui proscrivaient ces erreurs.

III. Il fut admirablement disposé par rapport au prochain, puisqu'il nourrit son troupeau par sa parole, par son exemple et par ses bienfaits. 1^ Par sa parole, en évangélisant avec grand soin la parole de Dieu. En effet les Actes disent (xv) : « Paul et Barnabe demeu- rèrent à Ântioche, ils enseignaient et annonçaient avec plusieurs autres la parole du Seigneur. » Ce qui est évident encore par cette foule immense qu'il con- vertit à Antioche ; de sorte que ce fut que les dis- ciples commencèrent à être appelés chrétiens. 2** Par son exemple, puisque sa vie fut pour tous un miroir de sainteté et un modèle de religion. Dans toutes ses actions, en effet, il fut homme de cœur et religieux, intrépide, distingué par la douceur de ses mœurs, tout rempli de la grâce du Saint-Esprit et illustre en toutes sortes de vertus et en foi. Ces quatre qualités sont énumérées dans ces paroles des Actes (xv) : « Ils en- voyèrent Barnabe à Antioche » ; et ailleurs (xi) : « Il les exhortait tous à demeurer dans le service du Sei- gneur avec un cœur ferme ; parce que c'était un homme bon, rempli de l'Esprit-Saint et de foi. » Par ses bienfaits. Or, il y a deux sortes de bienfaits, deux au- mônes, d'abord, la temporelle qui consiste à donner le nécessaire, ensuite la spirituelle qui consiste à par-

136 LA LÉGENDE DORKB

donner les injures. Barnabe pratiquait la première quand il porta Taumône aux frères qui étaient à Jéru- silem, d'après le xi« ch. des Actes : « Une grande famine, selon que l'avait prédit Agabus, étant survenue sous le règ^ne de Claude, les disciples résolurent d'en- voyer, chacun selon son pouvoir, quelques aumônes aux frères qui demeuraient en Judée. Ils le firent en effet, les adressant aux anciens, par les mains de Bar- nabé et de Paul. » 11 pratiquait la seconde, puisqu'il pardonna l'injure que lui avait faite Jean surnommé Marc. Comme ce disciple avait quitté Barnabe et Paul, Barnabe ne laissa pas cependant que d'être indulgent pour lui, quand il revint avec repentir, et de le repren- dre pour disciple. Paul ne le voulut pas recevoir, de le sujet de leur séparation. En cela l'un et Taulre agissaient par des motifs et des intentions louables. Barnabe, en le reprenant, par douceur et miséricorde ; Paul ne le reçut pas par amour de la droiture. C'est pour cela que la glose dit à ce propos (Actes, x v) : « Jean avait résisté en face, tout en se montrant trop timide, alors Paul eut raison de l'éloigner de peur que la con- tagion du mauvais exemple de Jean ne corrompît la vertu des autres. » Cette séparation ne se fit pas par un emportement coupable, mais par l'inspiration du Saint-Esprit qui les faisait s'éloigner afin qu'ils pré- chassent à plus de monde ; et c'est ce qui arriva.

Car comme Barnabe était dans la ville d'Icône, Jean, son cousin, dont on vient de parler, eut une vision dans laquelle apparut un homme éclatant qui hii dit : « Jean, aie de la constance, car bientôt ce ne sera plus Jean, mais Elevé (excelsus).que tu seras

SAINT BARNABE, APOTRE 137

appelé. » Barnabe, informé de ce prodige par son cou- sin, lui dit : « Garde-loi bien de révéler à personne ce que tu as vu ; car le Seigneur m'a apparu aussi cette nuit en me disant : a Barnabe, aie de la cons- « tance, car tu recevras les récompenses élernelles, « pour avoir quitté ton pays, et avoir livré ta vie pour « mon nom. » Lors donc que Paul et Barnabe eurent prêché pendant long-temps à Antioche, un ange du Seigneur apparut aussi à Paul et lui dit : « Ilâte-toi d*aller à Jérusalem, car quelqu'un des frères y attend Ion arrivée. » Or, Barnabe voulant aller en Chypre pour y visiter ses parents, et Paul se hâtant d*aller à Jérusalem, ils se séparèrent par l'inspiration du Saint- Esprit. Alors Paul communiqua à Barnabe ce que Fange lui avait dit. Barnabe lui répondit : « Que la volonté du Seigneur soit faite ; je vais aller en Chypre, j'y finirai ma vie et je ne te verrai plus désormais. » Et comme il se jetait humblement aux pieds de Paul en pleurant, celui-ci, touché de compassion, lui dit : « Ne pleurez pas; puisque c'est la volonté du Sei- gneur; il m'est aussi apparu cette nuit et m'a dit: « N'empêche pas Barnabe d'aller en Chypre ; car il y éclairera beaucoup de monde et il y consommera son « martyre, En allant donc en Chypre avec Jean, Bar- u nabé porta avec lui FEvangile de saint Mathieu ; il le posait sur les malades, et il en guérit beaucoup par la puissance de Dieu. Sortis de Chypre, ils trou- vèrent Elymas, le magicien que saint Paul avait privé de la vue pour un certain temps : il leur fit de Top- position et les empêcha d'entrer à Paphos. Un jour Barnabe vil des hommes et des femmes nus qui cou-

i38 LA LÉGENDE DORÉE

raient ainsi pour célébrer leurs fêtes. Il en fut rempli (l*indignation ; il maudit le temple, et à Tinstant il s'en écroula une partie qui écrasa beaucoup d'infi- dèles.

Enfin il vint à Salamine : ce fut que le magicien Elymas, dont on vient de parler, excita contre lui une grande sédition. Les Juifs se saisirent donc de Barnabe qu'ils accablèrent de nombreuses injures ; ils le traînèrent en toute hâte au juge de la ville pour le faire punir.

Mais quand les Juifs apprirent qu'Eusèbe, per- sonnage important et fort puissant, de la famille de Néron, était arrivé à Salamine, ils craignirent qu'il ne leur arrachât des mains le saint apôtre, et ne le laissât aller en liberté : alors ils lui lièrent une corde au cou, le traînèrent hors de la porte de la ville ils se hâtèrent de le brûler. Enfin ces Juifs impies, n'étant pas encore rassasiés de celte cruauté, renfermèrent ses os dans un vase de plomb, pour les jeter dans la mer: mais Jean, son disciple, avec deux autres chrétiens, se leva durant la nuit, les prit et les ensevelit en secret dans une crypte ils restèrent cachés, au rapport de Sigebert, jusqu'au temps de l'empereur Zenon et du pape Gélase, en l'année 500, qu'ils furent découverts par une révéla- tion du saint lui-même. Le bienheureux Dorothée dit que Barnabe prêcha d'abord J.-C. à Rome, et fut évêque de Milan.

SAINT VITUS ET SAINT MODESTE 139

SAINT VITUS ET SAINT MODESTE*

Vitus est ainsi Domnié de rt> : or, saint Augustin dans son livre de la Cité de Dieu** distingue trois genres de vie, savoir une vie d'action, ce qui se rapporte à la vie active ; une vie de loisir, ce qui se rapporte au loisir spirituel de la vie contem- plative, et une troisième, composée des deux autres. Et ces trois genres de vie résidèrent en saint Vitus. Ou bien Vilus vient de vertu, vertueux.

Modeste, qui se tient dans un milieu, savoir, le milieu do la vertu. Chaque vertu tient le milieu entre deux vices qui Tcn- tourent comme deux extrêmes. Car la prudence a pourextrénics la ruse et la sottise; les extrêmes de la tempérance sont Tac- co m plissement des désirs de la chair et toute espèce d'afflic- tion qu'on s'impose ; les extrêmes de la grandeur d'âme sont la pusillanimité et la témérité ; la justice a pour extrêmes la cruauté et l'indulgence.

Vitus, enfant distingué et fidèle, souffrit le martyre en Sicile, à l'âge de douze ans. Il était souvent frappé par son père pour mépriser les idoles et pour ne vouloir pas les adorer. Le président Valérien, informé de cela, fit venir Tenfant qu'il fit battre de verges, parce qu'il refusait de sacrifier aux idoles. Mais aussitôt les bras des bourreaux et la main du préfet se séchèrent. Et ce dernier s'écria : « Malheur à moi ! car j'ai perdu Tusage de ma main. » Vitus lui dit : « Que tes dieux viennent te guérir, s'ils le peuvent. » Valérien lui ré- pondit : « Est-ce que tu ne le pourrais pas ? » « Je le puis, reprit Vitus, au nom de mon Seigneur. » Alors

* Martyrologe d'Adon. Lib. XIX, II, 19.

i40 LA LKGKNDK DOREE

Teiifant se mil en prières et aussitôt le préfet fut guéri. Et celui-ci dit au père : « Corrige ton enfant, de peur qu'il ne périsse misérablement. » Alors le père ramena son enfant chez soi, et s'efforça de changer son cœur par la musique, par les jeux avec des jeunes filles et par toutes sortes de plaisirs. Or, comme il l'avait enfermé dans une chambre, il en sortit un par- fum d'une odeur admirable qui embauma son père et toute sa famille. Alors le père, regardant par la porte, vit sept anges debout autour de l'enfant : « Les dieux, dit-il, sont venus dans ma maison », aussitôt il fut frappé de cécité. Aux cris qu'il poussa, toute la ville de Lucana fut en émoi, au point que Valérien accou- rut et demanda au père de Vitus quel malheur lui était survenu. « J'ai vu, lui répondit-il, des dieux de feu, et je n'ai pu supporter Téclat de leur visage. » Alors on le conduit au temple de Jupiter, et pour re- couvrer la vue il promet un taureau avec des cornes dorées: mais comme il n'obtenaft rien, il pria son fils de le guérir ; et par ses prières, il recouvra la vue. Or, cette merveille elle-même ne lui ouvrait pas les yeux à la foi, mais au contraire il pensait à tuer son fils; un ange du Seigneur apparut alors à Modeste, son pré- cepteur, et lui ordonna de monter à bord d'un navire pour conduire l'enfant dans un pays étranger. II le fit ; un aigle leur apportait leur nourriture, et ils opé- raient beaucoup de miracles. Sur ces entrefaites, le fils <le l'empereur Dioclélien est saisi par le démon qui déclare ne point sortir si Vitus de Lucana ne vient. On cherche Vitus, et quand on Teul trouvé, on le mène à rcmpereur. Dioclélien lui dit : a Enfant, peux-tu gué-

SAINT VITUS ET SAINT MODESTE 141

rir mon fils ? » « Ce n'est pas moi, dit Vitus, mais le Seigneur. » Alors il impose les mains sur le possédé et à rinstant le démon s*enfuil. Et Dioctétien lui dit : <r Enfant, veille à tes intérêts et sacrifie aux dieux , pour ne pas mourir de malemort. » Comme Vitus refusait de le faire, il fut jeté en prison avec Modeste. Les fers dont on les avait garrottés tombèrent et le cachot fut éclairé par une immense lumière : cela fut rapporté à l'empereur, qui fit sortir et jeter le saint dans une fournaise ardente, mais il s'en retira intact. Alors on lâche, pour le dévorer, un lion furieux, qui fut adouci par la foi de l'enfant. Enfin on l'attacha sur le chevalet avec Modeste et Crescence, sa nourrice, qui Tavait constamment suivi. Mais soudain l'air se trou- ble, la terre tremble, les tonnerres grondent, les tem- ples des idoles s'écroulent et écrasent beaucoup de personnes ; l'empereur lui-même est effrayé; il fuit en se frappant avec les poings et dit : « Malheur à moi ! puisque je suis vaincu par un seul enfant. » Quant aux martyrs, un ange les délia aussitôt, et ils se trouvèrent sur les bords d'un fleuve, après s'être arrêtés quel- que temps et avoir prié, ils rendirent leur âme au Sei- gneur.

Leurs corps gardés par des aigles furent trouvés par une illustre matrone nommée Florence à laquelle saint Vitus en fit la révélation. Elle les prit et les en- sevelit avec honneur. Ils souffrirent sous Dioclétien qui commença à régner vers l'an du Seigneur 287.

142 LA LÉGENDE DORÉE

SAINT CYR ET SAINTE JULITTE, SA MÈRE

Cyr, ou Quiricc, quèranl un arc ; il vient aussi de chisil, cou- raa;e,ct cm*, noir, ce qui équivaut «^ courageux par vertu et noir |>ar humiliation. Quiris veut aussi dire hache; quiriles, siège ; en effet Quirice fut un arc, c'est-à-dire courbé par humiliation, il fut fort dans les tourments qu'il endura ; il fut noir par le mépris de lui-ménic; ce fut une hache dans son combat avec Tennemi : il fut le siège de Dieu parce que Dieu habitait en lui : caria grâce suppléa en lui à ce que Tàge lui déniait. Ju- litte vient de jucans vita^ parce qu'elle vécut d'une vie spiri- tuelle, et qu'ainsi elle fut utile à beaucoup de monde.

(Juirice était fils de Julitte, très illustre matrone d'Icoiie. La persécution qu'elle voulut éviter la força à venir à Tarse en Cilicie, avec sonfils,Quirice, âgéde trois ans. Cependant on la fit comparaftre portant son enfant dans ses bras, devant le président Alexandre. Deux de ses femmes qui virent cela s'enfuirent aussitôt et Tabandonnèrent. Le président prit donc l'enfant dans ses bras, et fit cruellement frapper à coups de nerfs la mère qui ne voulut pas sacrifier aux idoles. Or, renfant,en voyant frapper sa mère, pleurait amère- ment et poussait des cris lamentables. Mais le prési- dent prenait le jeune Quirice tantôt entre ses bras, tantôt sur ses jçenoux, le calmait par ses baisers et par ses caresses, et Tenfanl, les yeux tournés sur sa mère, repoussait avec horreur les embrassements du jug-e, détournait la tète avec indignation et lui déchirait le

* Philippe (le llarvciiq, abbc de Honne-Espcrancc, a écrit la passion de ces deux saints martyrs.

SAINT CYR ET SAINTE JULITTE, SA MERE 143

visage avec ses petits ongles; il semblait parler et dire comme sa mère : « Et moi aussi, je suis chrélien. » Enfin après s'être débattu longtemps, il mordit le pré- sident à Tépaule. Celui-ci indigné et tourmenté par la douleur jeta du haut en bas IVnfant sur les degrés du tribunal qui fut couvert de sa petite cervelle ; alors Julitle, joyeuse de voir son fils la précéder au royaume du ciel, rendit des actions de grâces à Dieu. Elle fut ensuite condamnée à cire écorchée, puis arrosée de poix bouillante et enfin à avoir la tète tranchée. On trouve cependant dans une légende que Quirice,nese souciant pas des caresses ou des menaces du tyran, confessait qu'il était chrétien. A l'âge qu'il avait, ce petit enfant ne pouvait pas encore parler, mais c'était l'Esprit-Saint qui parlait en lui. Comme le président lui demandait qui l'avait instruit, il dit: « Président, j^admire ta sottise ; tu vois combien je suis jeune, et lu demandes à un enfant de trois ans quel est celui qui lui a enseigné la sagesse divine? » Pendant qu'on le frappait, il criait: « Je suis chrétien » ; et à chaque cri, il recevait des forces pour supporter les lourmenls. Alors le président fit couper par morceaux la mère et l'enfant, et de peur que les chrétiens ne donnassent la sépulture à ces tronçons, il ordonna qu'on les jetât çà et là. Cependant un ange les recueillit et les chré- tiens les ensevelirent pendant la nuit. Les corps de ces martyrs furent découverts, du temps de Constantin le (irand,par une des femmesde Julitle qui avait survécu à sa maîtresse ; et tout le peuple les a en grande véné- ration. Ils soulfrirenl vers l'an du Sei«^neur 230, sous l'empereur Alexandre.

144 LA LÉGZNDE DOHKE

SAINTE MARINE, VIERGE

0(J PLUTOT SAINTE MARIE, VIERGE*

Marie était fille unique. Son père, étant entré dans un monastère, changea sa fille d'habits afin qu'elle passât pour un homme et qu'on ne s'aperçût pas qu'elle fiU une femme, ensuite il pria l'abbé et les frè- res de vouloir bien recevoir son fils unique. On se rendit à ses prières. 11 fut reçu moine et appelé par tous frère Marin. Elle pratiqua la vie religieuse avec beaucoup de piété, et son obéissance était fort grande. Comme son père se sentait près de mourir, il appela sa fille (el\e avait vingt-sept ans), et après l'avoir af- fermie dans sa résolution, il lui défendit de révéler jamais son sexe à personne. Marin allait donc souvent avec le chariot et les bœufs pour amener du bois au monastère. 11 avait coutume de loger chez un homme dont la fille était enceinte du fait d'un soldat. Aux interrogations qu'on lui adressa, celle-ci répondit que c'était le moine Marin qui lui avaitfait violence. Marin, interrogé comment il avait commis un si grand crime, avoua qu'il était coupable et demanda grâce. On le chassa aussitôt du monastère, il resta trois ans à la porte en se sustentant d'une bouchée de pain. Peu de temps après, l'enfant sevré fut amené à l'abbé. On

* L'édition princeps met, el avec raison, sainte Marie, parce que c'était le nom qu'elle portait avant d'entrer dans le monastère son père la Ht recevoir sous le nom de Marin. Cf. Vies des pères du désert^ traduites par Arnaud d'Andilly.

SAINT GRRVAIS ET SAINT PHOTATS 145

le donna à élever à Marin, et il resta deux ansavec lui dans le mênne lieu. Marin acceptait ces épreuves avec la plus jurande patience et en toutes choses il rendait çrâces à Dieu. Enfin les frères, pleins de compassion pour son humilité et sa patience, le reçoivent dans le monastère, et le chargent des fonctions les plus viles : mais il s'acquittait de tout avec joie, et chaque chose était faite par lui avec patience et dévouement. Enfin après avoir passé sa vie dans les bonnes œuvres, il tré- passa dans le Seiçneur. Comme on lavait son corps et qu'on se disposait à l'ensevelir dans un endroit peu honorable, on remarqua que c'était réellement une femme. Tous furent stupéfaits et effrayés, et on avoua avoir manqué étrangement à l'égard delà ser\'anle de Dieu. Tout le monde accourt à un speclarle si ex- traordinaire, et on demande pardon de l'ignorance et du péché qu'on a commis. Son corps fut donc déposé dans l'église avec honneur. Quant à celle qui avait déshonoré la servante de Dieu, elle est saisie par le démon : alors elle confesse son crime et elle est déli- vrée au tombeau de la vierge. On vient de tontes parts à cette tombe et il s'y opère un grand nombre de mi- racles. Elle mourut le 14 des calendes de juillet (18 juin).

SAINT GERVAIS ET SAINT PKOTAIS

(jcrvaistCiervasius) vienl de fjérar,i\u'i veut dire sacré el tic ras^ vase, ou bien de gêna, ctraiiiçer el st/or, pelil. Comme si Ton voulait dire qu'il fui sacré par le mérite de sa vie, vase

n. 10

146 LA LÉGENDE DOREE

parce qu'il contint toutes les vertus, étranger parce qu'il mé- prisa le monde et petit parce qu'il se méprisa lui-même.

Protais (Protasius) vient deprothos, premier et syos, Dieu, ou divin ; ou bien de pocul et stasis, qui se tient loin. Comme si Ton voulait dire qu'il fut le premier par sa dignité, divin par son amour, et éloigné des affections du monde. Saint Am- broise trouva l'histoire de leur martyre dans un écrit placé auprès de leur tète.

Gervais et Protais, frères jumeaux, étaient les en- fants de saint Vital et de la bienheureuse Valérie. Après avoir donné tous leurs biens aux pauvres, ils demeurèrent avec saint Nazaire, qui construisait un oratoire à Embrun, et un enfant appelé Celse lui ap- portait les pierres (c'est anticiper sur les faits de dire que saint Nazaire avait Celse à son service, car d'après rhistoire du premier, ce fut longtemps après que Celse lui fut offert). Or, commeon les conduisait tous ensem- ble à Tempereur Néron, le jeune Celse les suivait en poussant des cris lamentables : un des soldats ayant donné des soufflets à l'enfant, Nazaire lui en fit des reproches, mais les soldats irrités frappèrent Nazaire à coups de pied, renfermèrent en prison avec les au- tres et ensuite le précipitèrent dans la mer : ils menè- rent à Milan (lervais et Protais. Quant à Nazaire, qui avait été sauvé miraculeusement, il vint aussi dans cette ville. Au même temps, survint Astase, général d'armée qui partait pour faire la guerre aux Marco- mans. Les idolâtres allèrent à sa rencontre et lui as- surèrent que les dieux se garderaient de rendre leurs oracles si Gervais et Prolais ne leur offraient d'abord des sacrifices. On s'empare alors des deux frères et on les invite à sacrifier. Comme Gervais disait à Astase

SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS 147

que toutes les idoles étaient sourdes et muettes, et que le Dieu tout-puissant était seul capable de lui faire remporter la victoire, le comte le fit frapper avec des fouets garnis de plomb jusqu'à ce qu'il eût rendu Fes- pril. Ensuite il fit comparaître Protais et lui dit : « Mi- sérable, songe à vivre et ne cours pas, comme ton frère, à une mort violente. » Protais reprit : « Quel est ici le misérable? Est-ce moi qui ne te crains point, ou bien toi qui donnes des preuves que tu me crains? » Astase lui dit*: a Comment, misérable, ce serait moi qui le craindrais, et comment? » « Tu prouves que tu crains quelque dommage de ma part, reprit Protais, si je ne sacrifie pas à tes dieux, car si tu ne craignais aucun préjudice, jamais tu ne me forcerais à sacrifier aux idoles. » Alors le général le fit suspendre au chevalet. «Je ne m'irrite pas contre toi, général, lui dit Protais ; je sais que les yeux de ton cœur sont aveuglés ; bien au contraire, j'ai pitié de toi, car tu ne sais ce que tu fais. » Achève ce que tu as commencé, afin que la bé- nignité du Sauveur daigne m'accueillir avec mon frère. Astase ordonna alors de lui trancher la tele. Un servi- teur de J.-C. nommé Philippe, avec son fils, s'empara de leurs corps qu'il ensevelit en secret en sa maison, sous une voûte de pierre ; et il plaça à leur tète un écrit contenant le récit de leur naissance, de leur vie et de leur martyre. Ce fut sous Néron qu'ils souffrirent,, vers l'an du Seigneur 37. Longtemps leurs corps res- tèrent cachés, mais ils furent découverts au temps de .saint Ambroise de la manière suivante : Saint Ambroise était en oraison dans l'église des saints Nabor et Félix ;, il n'était ni tout à fait éveillé, ni entièrement endormi,

148 LA LÉGENDE DOREE

lorsque lui apparurent deux jeunes gens de la plus grande beauté, couverts de vêtements blancs composés d'une tunique et d'un manteau, chaussés de petites bottines, et priant avec lui les mains étendues* Saint Ambroise pria, afin que si c'était une illusion, elle ne se reproduisît plus, mais que si c'était une réalité, il eût une seconde révélation. Les jeunes gens lui appa- rurent de la même manière à l'heure du chant du coq, et prièrent encore avec lui ; mais la troisième nuit, saint Ambroise, étant tout éveillé (son corps était fatigué par les jeûnes) fut saisi de voir apparaître une troi^ sième personne qui lui semblait être saint Paul, d'a- près les portraits qu'il en avait vus. Les deux jeunes gens se turent et l'apôtre dit à saint Ambroise: «Voici ceux qui, suivant mes avis, n'ont désiré rien des cho- ses terrestres; tu trouveras leurs corps dans le lieu tu es en ce moment ; à douze pieds de profondeur, tu rencontreras une voûte recouverte de terre, et au- près de leur tète un petit volume contenant le récit de leur naissance et de leur mort. » Saint Ambroise con- voqua donc ses frères, les évèques voisins ; il se mit le premier à creuser la terre, et trouva le tout comme lui avait dit saint Paul ; et bien que plus de trois cents ans se fussent écoulés, les corps des saints furent dé- couverts dans le même état que s'ils venaient d'être ensevelis à l'heure même. Une odeur merveilleuse et extraordiiiairement suave émanait du tombeau.

Or, un aveu^'^le, en touchant le cercueil des saints martyrs, recouvra la vue, et beaucoup d'autres furent guéris parleurs mérites. On célébrait cette solennité iMi riioinieur des saints Martyrs quand* fut rétablie la

SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS 149

paix entre les Lombards et l'empire romain. Et c'est pour cela que le pape saint Grégoire institua de chan- ter pour introït de la messe ces paroles : Loquetuv DO" minus pacem in plebem suam *. En outre les diffé- rentes parties de i office en l'honneur de ces saints se rapportent tantôt à eux, tantôt aux événements qui survinrent à cette époque. Saint Augustin raconte, au XX* livre de la Cité de DieUy qu'un aveugle recouvra à Milan l'usage de la vue auprès des corps des saints martyrs Gervais et Protais, et cela en sa présence, devant Tempereur et une grande foule de peuple. Estp<;e l'aveugle dont il a été question plus haut, est-ce un autre, on l'ignore. Le même saint raconte encore, dans le même ouvrage, qu'un jeune homme lavant un cheval dans une rivière près de la villa Victorienne, distante de trente milles d'Ilippone, aussitôt le diable le tourmenta et le renversa comme mort dans le fleuve. Or, pendant qu'on chantait les vêpres dans l'é- glise dédiée sous l'invocation des saints Gervais et Protais, église qui était près du fleuve, ce jeune homme, comme frappé par l'éclat des voix qui chantaient, en- tra dans un grand état d'agitation en l'église oii il saisit l'autel, sans pouvoir s'en éloigner ; en sorte qu'il paraissait y avoir été lié. Quand on fit des exorcismes pour faire sortir le démon, celui-ci menaça de lui cou- per les membres, en s'en allant. Après l'exorcisme le liémon sortit, mais l'œil du jeune homme restait sus- pendu par un petit vaisseau sur la joue. On le remit

* Ce sont encore le» paroles du Missel Roiiitiin à l'introït de la messe de ces saints.

II. 10-

130 LA LÉGENDE DOREE

comme on put en sa place, et peu de jours après l'œil fut guéri par les mérites de saint Gervais et de saint Prolais. Saint Ambroise s'exprime ainsi dans la Pré- face de ces saints : « Voici ceux qui, envolés sous le drapeau du ciel, ont pris les armes victorieuses dont parle Tapôtre : dégagés des liens qui les attachaient au monde, ils vainquirent l'infernal ennemi avec ses vices, poursuivre libres et tranquilles le Seigneur J.-C. Oh ! les heureux frères, qui en s'attachant à la pratique des paroles sacrées, ne purent être souillés par aucune contagion ! Oh ! le glorieux motif pour lequel ils com- battirent, ceux que le même sein maternel a mis au monde, reçoivent tous les deux une couronne sembla- ble. »

LA NATIVITE DE SAINT JEAN-BAPTISTE

Saint Jean-Baptiste a beaucoup de noms : en effet il est appelé prophète, ami de l'époux, lumière, ange, voix, Hélie, Baptiste du Sauveur, héraut du juge et précurseur du roi. Le nom de prophète indique le privilège des connaissances; celui d'ami de l'époux, le privilège de l'amour; celui de lumière ardente, le pri- vilège de la sainteté; celui d'ange, le privilège delà virginité; celui de voix, le privilège del'humililé; celui d'Elie, le privilège de la ferveur ; celui de Baptiste, le privilège d'un honneur merveilleux ; celui de héraut, le privilège de la prédication ; celui de précurseur, le privilè;5e de la préparation.

La naissance de saint Jean-Baplistefut ainsi annon-

LA NATIVITÉ DE SAINT JE.VN-BAPTÏSTE 151

cée par Tarchange. « Le roi David, d'après VHisioire scliolaslique *j voulant donner plus d'extension au culte de Dieu, institua vingt-quatre grands prêtres, dont un seul supérieur aux autres était appelé le Prince des Prêtres. II en établit seize de la lignée d'Eléazar et huit de celle d'itliamar, et il donna par le sort à cha- cun une seipaine à son tour ; or, à Abias échut la hui- tième semaine, et Zacharie fut de sa race. » Zacharie et sa femme étaient vieux et sans enfants. Zacharie étant donc entré dans le temple pour offrir de Fen- cens, et une multitude de peuple Tattendant à la porte, Tarchange Gabriel lui apparut. Zacharie éprouva un mouvement de crainte à sa vue ; mais l'ange lui dit : « Ne crains pas, Zacharie, parce que ta prière a été exaucée. » C'est le propre des bons anges, selon ce que dit la glose, de consoler à Tinstant par une béni- gne exhortation ceux qui s'effraient en les voyant; au contraire, les mauvais anges, qui se transforment en anges de lumière, dès lors qu'ils s'aperçoivent que ceux auxquels ils s'adressent sont effrayés de leur présence, augmentent encore l'horreur dont ils les ont saisis. Gabriel annonce donc à Zacharie qu'il aura un fils dont le nom serait Jean, qui ne boirait ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et qu'il marclierail devant le Seigneur dans l'esprit et la vertu d'Elie. Jean est appelé Elie en raison du lieu que tous les deux habi- tèrent, savoir, le désert, en raison de leur habillement extérieur, qui était grossier chez l'un comme chez l'au- tre, en raison de leur nourriture qui était modique;

ffigl. Evang.f ci.

152 LA LÉGENDE DOREE

en raison de leur ministère, parce que tous deux sont précurseurs ; Elie du juge, Jean du Sauveur, en raison de leur zèle, car les paroles de l'un et de l'autre brû- laient comme un flambeau ardent. Or, Zacharie, en considération de sa vieillesse et de la stérilité de sa femme, se prit à douter et d'après la coutume des Juifs, il demanda un signe à l'ange : alors l'ange, frappa de mutisme Zacharie qui n'avait pas voulu ajouter foi à ses paroles.

Souvent le doute existe et s'excuse par la grandeur des choses promises, comme on le voit dans Abra- ham. En effet quand Dieu lui eut promis que sa race posséderait la terre de Chanaan, Abraham lui dit : « Seigneur mon Dieu comment puis-je savoir que je la posséderai ? » Dieu lui répondit (Gen., xv) : « Pre- nez une vache de trois ans, etc. » Quelquefois on conçoit un doute en considération de sa propre fra- gilité, comme cela eut lieu dans Gédéon qui dit : « Comment, je vous en prie, mon Seigneur, délivre- rai-je Israël ? Vous savez que ma famille est la der- nière de Manassé et que je suis le dernier dans la maison de mon père. » A la suite de cela, il demanda un signe et il le reçut. Quelquefois le doute est excusé par rinipossibilité naturelle de Tévénement ; cela s'est vu dans Sara. En effet quand le Seigneur eut dit: (( Je vous reviendrai voir, et Sara aura un fils », Sara se mit à rire derrière la porte, en disant : « Après que je suis devenue vieille et que mon sei- gneur est vieux aussi, serait-il bien vrai que je pusse avoir un enfant? » Zacharie aurait donc été frappé seul d'un châtiment pour avoir douté, quand se trou-

LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE 153

vaient rencontrées et la grandeur de la chose promise, et la considération de sa fragilité propre par laquelle il se réputait indigne d'avoir un fils, et de plus Tim- possibilité naturelle. Ce fut pour plus d'un motif qu*il en arriva ainsi. D'après Bède il parla comme un incrédule ; c'est pour cela qu'il est condamné à être muet, afin qu'en se taisant il appHt à croire. 2^ Il devint muet, afin que, dans la naissance de son fils, apparût un grand miracle : car quand, à la naissance de saint Jean, son père recouvra la pa- role, ce fut miracle sur miracle. 3" Il était convenable c|u'il perdît la voix, quand la voix naissait et venait faire taire la loi. Parce qu'il avait demandé un signe au Seigneur et qu'il reçut comme signe d'être privé de la parole. Car, quand Zacharie sortit du temple et que le peuple se fut aperçu de son état de mutisme, on découvrit par ses gestes qu'il avait eu une vision dans le temple. Or, sa semaine étant ache- vée, il alla à sa maison et Elisabeth conçut ; et elle se cacha pendant cinq mois, parce que, selon ce que dit saint Âmbroise, elle rougissait de mettre un enfant au monde à son âge ; c'était en effet passer pour avoir usé du mariage dans sa vieillesse ; et cependant elle était heureuse d'être délivrée de l'opprobre de la sté- rilité, puisque c'était pour les femmes un opprobre de ne pas avoir de fruit de leur union : Voilà pourquoi les noces sont des jours de fêles et l'acte du mariage ex- cusé. Or, six mois après, la Sainte Vierge, qui déjà avait conçu le Seigneur, vint, en qualité de vierge féconde, féliciter sa cousine de ce que sa stérilité avait été levée, et aider à sa vieillesse. Après qu'elle

154 LA LÉGENDE DOUEE

eut salué Elisabeth, le bienheureux Jean, rempli dès lors du Saint-Esprit, sentit le Fils de Dieu venir à lui et de joie il tressaillit dans le sein de sa mère, trépi- gna et salua par ce mouvement celui qu'il ne pouvait saluer de sa parole : car il tressaillit, comme trans- porté, devant Fauteur du salut, et comme pour se lever devant son Seigneur. La Sainte Vierge demeura donc avec sa cousine pendant trois mois, elle la ser- vait : ce fut elle qui de ses saintes mains reçut Tenfant venant au monde, d'après le témoignage de VHistoire scholasiique *, et qui remplit avec les plus grands soins l'office de garder l'enfant.

Ce Précurseur du Seigneur fut ennobli spéciale- ment et singulièrement par neuf privilèges : 11 est an- noncé par le même ange qui annonça le Sauveur ; il tressailUt dans le sein de sa mère ; c'est la mère du Seigneur qui le reçoit en venant au monde ; il délie la langue de son père; c'est le premier qui confère un baptême ; il montre le Christ du doigt ; il baptise le même J.-C. ; c'est lui que le Christ loue plus que tous les autres; il annonce la venue prochaine de J.-C. à ceux qui sont dans les limbes. C'est pour ces neuf privilèges qu'il est appelé par le Seigneur prophète et plus que prophète. Sur ce qu'il est appelé plus que prophète, saint Jean Chrysostome s'exprime ainsi : (( Un Prophète est celui qui reçoit de Dieu l'avantage (le prophétiser, mais est-ce que le prophète donne à Dieu le bienfait du baptême ? Un prophète a pour mission de prédire les choses de Dieu, mais trou-

flist. Ecany.y c. ii.

LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE 155

ver un prophèle dont Dieu lui-même prophétise ? Tous les prophètes avaient prophétisé de J.-C. au lieu que Jean ne prophétisa pas seulement de J.-C, mais les autres prophètes prophétisèrent de lui : tous ont été les porteurs de la parole, mais lui, c'est la voix elle-même. Autant la voix approche de la parole, sans cependant être la parole, autant Jean approche de J.-C. sans cependant être J.-C. » D'après saint Ain- broise, la g^loire de saint Jean se tire de cinq causes, savoir de ses parents, de ses mœurs, de ses miracles, des dons qu'il a reçus et de sa prédication. D'après le même Père, la gloire qu'il reçoit de ses parents est manifeste par cinq caractères : Voici ce que dit saint Ambroise : « L'éloge est parfait, quand il comprend, comme dans saint Jean, une naissance distinguée, une conduite intègre, un ministère sacerdotal, l'obéis- sance à la loi, et la preuve d'oeuvres pleines de jus- lice. ») 2<* Les miracles : 11 y en eut avant sa concep- tion, comme l'annonciation de l'ange, la désignation de son nom, et la perte de la parole dans son père : il y en eut dans sa conception, celle-ci fut surnatu- relle ; sa sanctification dès le sein de sa mère, et l<* don de prophétie dont il fut rempli. Il y en eut dès sa naissance, savoir : le don de prophétie accordé à son père et à sa mère, puisque sa mère sut son nom, et que le père prononça un cantique : la langue du |>ère déliée; le Saint-Esprit qui le remplit. Sur ces paroles de l'Evangile : « Zacharie son père fut rempli du Saint-Esprit », saint Ambroise s'exprime ainsi : tt Regardez Jean : Quelle puissance dans son nom ! ('e nom rend la parole à un muet, le dévoiiemenl à un

136 LA LÉIGENDK DOREE

père ; au peuple un prêtre. Tout à Theure, cette langue était muette, ce père était stérile, ce prêtre était sans fonctions ; mais aussitôt que Jean est né, à l'instant le père est prophète, ce pontife recouvre Fusage de la parole, son affection peut s'épancher sur son fils, le prêtre est reconnu par les fonctions qu'il remplit. » 3^ Les mœurs. Sa vie fut d'une sainteté éminente. Voici comme en parle saint Chrysostome: « A côté de la vie de saint Jean, toutes les autres paraissent coupables : car de même que quand vous voyez un vêtement blanc, vous dites : ce vêtement est assez blanc, mais si vous le mettez à côté de la neige, il commence à vous paraître pâle, quoique vraiment il n'en soit pas ainsi, de même à comparaison de saint Jean, quelque homme que ce fût paraissait immonde. » Il reçut trois témoignages de sa sainteté. Le pre- mier fut rendu par ceux qui sont au-dessus du ciel, c'est-à-dire par la Trinité elle-même, l'* Par le Père qui l'appelle Ange. Malachiedit (in) : « Voilà que j'enï- voie mon ange qui préparera ma voie devant ma face. » Ange est un nom qui désigne le ministère, mais qui n'explique pas la nature de l'ange. Or, si saint Jean est appelé ange, c'est pour marquer le ministère qu'il a rempli, parce qu'il paraît avoir exercé le ministère (le tous les anges. Il remplit celui des Séraphins : car séraphin veut dire ardent, parce qu'ils nous rendent ardents et qu'ils brûlent plus que d'autres d'amour pour Dieu ; c'est pourquoi il est dit de Jean : « Elie s'est élevé comme un feu, et ses paroles brûlaient comme un flambeau ardent » (Ecclés., xLvni), « car il est venu avec Tesprit et la vertu d*Elie. » 2' Il remplit le

LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE 157

niîuislère des Chérubins, car chérubins veut dire plé- nitude de science: or, Jean est appelé Lucifer ou étoile du malin, parce qu'il Fut le terme de la nuit de Tig^no- rance, et le commencement de la lumière de la grâce. 3"^ Il remplit le ministère des Thrônes qui ont pour mission de juger, et il est dit de Jean qu'il reprenait Hérode en disant : a II ne vous est pas permis d^avoir pour femme celle de votre frère. » 4** Il remplit le ministère des Dominations qui nous enseignent à gou- verner ceux qui nous sont sujets ; or, Jean était aimé de ses inférieurs, et les rois le craignaient. Il rem- plit TofEce des Principautés qui nous apprennent à respecter nos supérieurs et Jean disait en parlant de lui-même : « Celui qui tire son origine de la terre est de la terre, et ses paroles tiennent de la terre » ; et en parlant de J.-C., il ajoute : « celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous. » Il dit encore : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure. » 6* Il remplit l'office des Puissances qui sont chargées d'éloigner les puissances de l'air et du vice, lesquelles ne purent jamais nuire à sa sainteté. 11 les repoussait aussi loin de nous, lorsqu'il nous disposait au bap- tême de la pénitence. 7'* Il remplit l'office des Vertus par lesquelles s'opèrent les miracles : or, saint Jean montra en sa personne de grandes merveilles, comme manger du miel sauvage et des sauterelles, se couvrir de peau de chameau, et autres semblables. II rem- plit l'office des Archanges, en révélant des mystères auxquels on ne savait atteindre, comme, par exemple, ce qui regarde notre rédemption lorsqu'il disait : « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés

158 LA LÉGENDE DORÉE

du monde. » 9^ II remplit Toffice des Anges : quand il annonçait des choses moins relevées, comme celles qui ont trait aux mœurs ; par exemple : « Faites péni- tence » ; ou bien : « N'usez point de violence ni de fraude envers personne (Luc, m). » Le second témoignage lui fut rendu par le Fils, comme on lit dans saint Ma- thieu (il), J.-C. le recommande souvent d*une ma- nière étonnante, comme quand il dit entre autres cho- ses : « Parmi les enfants des hommes, il n'y en a pas de plus grand que Jean-Baptiste. » « Ces paroles, dit saint Pierre Damien, renferment l'éloge de saint Jean, proférées qu'elles sont par celui qui a posé les fonde- ments de la terre, qui fait mouvoir les aslres et qui a créé tous les éléments. » Le troisième témoignage lui fut rendu par le Saint-Esprit, lorsqu'il dit par la bou- che de son père Zacharie : « Et toi, enfant, tu seras appelé le prophète du Très Haut. » Le second té- moignage de sainteté lui fut rendu par les anges et les esprits célestes. Au premier chapitre de saint Luc, l'ange témoigne pour lui une grande considération quand il montre : I** sa dignité par rapport à Dieu : « Il sera, dit-il, grand devant le Seigneur. » 2* Sa sainteté propre, lorsqu'il ajoute : « Il ne boira pas de vin ni de liqueur enivrante, et il sera rempli de l'Es- prit-Saint dès le ventre de sa mère. » Les grands services qu'il rendra au prochain : « Et il convertira beaucoup des enfants d'Israël. » Le troisième témoi- gnage de sainteté lui fut rendu par ceux qui sont au- dessous du ciel, c'est-à-dire, les hommes, témoin son père, ses voisins, et ceux qui disaient : « Que pensez- vous que sera cet enfant? »

LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPtiSTE 159

Quatrièmemenl^ la glose de saint Jean se tire des dons qu^il a reçus dans le sein de sa mère, à sa nais- sance, dans sa vie et à sa mort. Dans le sein de sa mère, il fut avantagé de trois dons admirables de la grâce : 1' De la grâce par laquelle il fut sanctifié dès ce moment ; puisqu'il fut saint avant que d'être né, selon ces paroles de Jérémie (i) : « Je vous ai connu avant que je vous eusse formé dans les entrailles de votre mère. » 2* De la grâce d'être prophète, quand, par son tressaillement dans le sein d'Elisabeth, il con- imt que Dieu était devant lui. C'est pour cela que saint Chrysostome, qui veut montrer que Jean-Baptiste a été plus que prophète, dit : « Un prophète mérite par la sainteté de sa vie et de sa foi de recevoir une pro- phétie; mais est-ce que c'est l'ordinaire d'être prophète avant d'être homme? » C'était une coutume d'oindre les prophètes; et ce fut quand la Sainte Vierge salua Elisabeth que J.-C. sacra en qualité de prophète Jean dans les entrailles de sa mère, selon ces paroles de saint Chrysostome : « J.-C. fit saluer Elisabeth par Marie afin que sa parole sortie du sein de sa mère, sé- jour du Seigneur, et reçue par l'ouïe d'Elisabeth, des- cendît à Jean qui ainsi serait sacré prophète. » 3'^ Il fut avantagé de la ffrâce par laquelle il mérita pour sa mère de recevoir l'esprit de prophétie. Et saint Chrysostome, qui voulait montrer que saint Jean fut plus qu'un prophète, dit : « Quel est celui des pro- phètes, qui tout prophète qu'il fût, ait pu faire un prophète? » Hélie sacra bien Elisée comme prophète, mais il ne lui conféra pas la grâce de prophétiser. Jean cependant n'étant encore que dans le sein de sa mère

160 LA LÉGENDE DOREE

donna à sa mère la science de pénétrer dans les secrets de Dîeu ; il lui ouvrit la bouche et elle confessa recon- naître la dignité de celui dont elle ne voyait pas la personne, quand elle dit : « D'où me vient ce bonheur que la mère de mon Seigneur me vienne visiter? » Il reçut trois sortes de grâces, au moment de sa nais- sance : elle fut miraculeuse, sainte et accompagnée de joie. En tant que miraculeuse, le défaut d'impuis- sance est levé; en tant que sainte, disparaît la peine de la coulpe ; en tant que accompagnée de joie, elle fut exempte des pleurs de la misère. Selon Guil- laume d'Auxerre, trois motifs font célébrer la nai»» sance de saint Jean : l"" sa sanctification dans le sein de sa mère ; 2" la dignité de son ministère, puisque ce fut comme une étoile du matin qui nous annonça la première les joies éternelles; la joie qui raccom- pagna : car Tange avait dit : « Il y en aura beaucoup qui se réjouiront lors de sa naissance. » C'est donc pour cela qu'il est juste que nous nous réjouissions pareillement en ce jour. Dans le cours de sa vie, il réunit de môme grand nombre de faveurs : et la preuve qu'elles furent des plus grandes et de différentes sor- tes, c'est qu'il réunit toutes les perfections. En effet il fut prophète quand il dit : « Celui qui doit venir après moi est plus grand que moi. » Il fut plus que prophète quand il montra le Christ du doigt; il fut apôtre, car il fut envoyé de Dieu ; apôtre et prophète c'est tout un. Aussi il est dit de lui : « Il y eut un homme envoyé de Dieu qui se nommait Jean. » Il fut martyr, parce qu'il souffrit la mort pour la justice ; il fut confesseur, parce qu'il confessa et ne nia pas ;

LA NATIVITE DE SAINT JEAN-BAPTISTE KM

îl fut vierge, el c'est en raison de sa virçînité qu'il est appelé ange dans Malachie (n) : « Voici que j'envoie mon ange. » En sortant du monde il reçut trois fa- veurs : d'abord il fut un martyr invaincu. Il acquit alors la palme du martyre ; il fut envoyé comme un cnessager précieux, car il apporta ii ceux qui étaient dans les limbes une nouvelle précieuse, la venue de J.-C. et leur rédemption ; sa fin glorieuse est honorée par tous ceux qui étaient descendus dans les limbes et c'est l'objet spécial d'une glorieuse solennité dans l'Église.

Cinquièmement, la gloire de saint Jean se tire de sa prédication. L'ange en expose quatre motifs quand il dit : « Il convertira plusieurs des enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu ; et îl marchera devant lui dans l'esprit et la vertu d'Elie, pour réunir les cœurs des pères avec leurs enfants, pour rappeler les incrédules à la prudence des justes, et pour préparer au Seigneur un peuple parfait. » Il touche quatre points, savoir le fruit, Tordre, la vertu et la fin, d'après le texte lui- même. La prédication de saint Jean fut triplement recommaiidable. Elle fut en effet fervente, efficace et prudente. C'est la ferveur qui lui faisait dire : « Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère à ve- nir? Faites donc de dignes fruits de pénitence. » ('Luc, iii.)Or, cette ferveur était enflammée parla cha- rité, parce qu'il était une lumière ardente ; et c'est lui qui dit en la personne d'Isaïe (xux) : « Il a rendu ma l>ouche comme une épée perçante. » Cette ferveur tirait son origine de la vérité, car il était une lampe ardente. C'est à ce propos qu'il est dit dans saint Jean II. W

162 LA LÉGRNDG DOREE

(v) : « Vous avez envoyé à Jean ; et il a rendu lémoî- ji^nage à la vérité. » Cette ferveur était dirigée par le discernement ou la science : voilà pourquoi en par- lant à la foule, aux publicains et aux soldats, il ensei- gnait la loi, selon l'état de chacun. Celte ferveur était ferme et constante, puisque sa prédication le mena à perdre la vie. Telles sont les quatre qualités du zèle, d'après saint Bernard : « Que votre zèle, dit-il, soit enflammé par la charité, formé par la vérité, régi par la science et affermi par la constance. » II prêcha avec efficace, puisque beaucoup se convertirent à ses prédications. Il prêcha en parole et ne varia jamais dans son enseignement. Il prêcha par l'exemple, car sa vie fut sainte ; il prêcha et convertit par ses mé- rites et ses prières ferventes. Il prêcha avec pru- dence ; et la prudence de wsa prédication consista en trois points : 1** en ce qu'il usa de menaces afin d'ef- frayer les méchants ; c'est alors qu'il disait : « Déjà la cognée est à la racine de Farbre » ; en usant de promesses, pour gagner les bons, quand il dit : « Faites pénitence : car le royaume des cieux approche » ; 3* en usant de tempéraments pour attirer peu à peu les faibles à la perfection. Aussi à la foule et aux soldats, il imposait de légères obligations afin qu'ensuite il les amenât à s'en imposer de plus sérieuses ; à la foule, il conseillait les œuvres de miséricorde; aux publi- cains, il recommandait de ne pas désirer le bien d'au- trui ; aux soldats de n'user de violence envers per- sonne, de ne pas calomnier et de se contenter de leur paie. Saint Jean TEvangéliste mourut à pareil jour ; mais

LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE 163

l'E^Use célèbre sa fêle trois jours après la naissance de J.-C. parce qu'alors eut lieu la dédicace de son église, et la solennité de la naissance de saint Jean- Baptiste conserva sa place par la raison qu'elle fut déclarée un jour de joie par l'ange. Il ne faut pour- tant pas prétendre que TEvangéliste ait fait place au Baptiste, comme l'inférieur au supérieur; car il ne convient pas de discuter quel est le plus grand des deux : et ceci fut divinement prouvé par un exemple. On lit qu'il y avait deux docteurs en théologie dont Fnn préférait saint Jean-Baptiste et l'autre saint Jean Tévangéliste. On fixa donc un jour pour une discus- sion solennelle. Chacun n'avait d'autre soin que de trouver des autorités et des raisons puissantes en fa- veur du saint qu'il jugeait supérieur. Or, le jour de la dispute étant proche, chacun des saints apparut à son champion et lui dit : « Nous sommes bien d'accord dans le ciel, ne dispute pas à notre sujet sur la terre, w Alors ils se communiquèrent chacun sa vision, en firent part à tout le peuple et bénirent Dieu. Paul, qui a écrit V Histoire des Lombards, diacre de l'Eglise de Rome et moine du mont Cassin, devait une fois faire la consécration du cierge, mais il fut pris d'un enrouement qui l'empêcha de chanter ; afin de recou- vrer sa voix qui était fort belle, il composa en l'hon- neur de saint Jean-Baptiste l'hymne 17 queant Iaxis resonare fibris mira gesiorum famuli tuorum, au com- mencement de laquelle il demande que sa voix lui soit rendue comme elle l'avait été à Zacharie. En ce jour quelques personnes ramassent de tous côtés les os d'a- nimaux morts pour les brûler : il y en a deux raisons,

164 LA LÉGENDE DORÉE

rapportées par Jean Beleth * : la première vient d'une ancienne pratique : il y a certains animaux appelés dra- gons, qui volent dans l'air, nagent dans les eaux et courent sur la terre. Quelquefois quand ils sont dans les airs, ils incitent à la luxure en jetant du sperme dans les puits et les rivières ; il y avait alors dans Tannée grande mortalité. Afin de se préserver, on in- venta un remède qui fut de faire des os des animaux un feu dont la fumée mettait ces monstres eu fuite ; et parce que c'était, dans le temps, une coutume gé- nérale, elle s'observe encore en certains lieux. La se- conde raison est pour rappeler que les os de saint Jean furent brûlés à Sébaste par les infidèles. On {)orle aussi des torches brûlantes, parce que saint Jean fut une torche brûlante et ardente ; on fait aussi tour- ner une roue parce que le soleil à cette époque com- mence à prendre son déclin, pour rappeler le témoi- gnage que Jean rendit à J.-C. quand il dit : « II faut qu'il croisse, et moi que je diminue. » Cette parole est encore vérifiée, selon saint Augustin, à leur nativité cl à leur mort : car à la nativité de saint Jean-Baptiste les jours commencent à décroître, et à la Nativité de J.-(]. ils commencent à croître, d'après ce vers : Sols- iiliuni decimo Chrislum prœil alque Joanneni**. II en fut ainsi à leur mort. Le corps de J.-C. fut élevé sur la croix et celui de saint Jean fut privé de son chef. Paul rapporte dans V Histoire des Lombards que Ro-

Cap. cxxxvii.

Dix jours avant le solstice, arrivent la Nativité du Sau- veur et celle (le saiut Jean.

SAINT JEAN ET SAINT PAUL 163

charith, roi des Lombards, fui enseveli avec beaucoup d'ornements précieux auprès d'une église de saint Jean-Baptiste. Or, quelqu'un poussé par la cupidité, ouTril de nuit le tombeau et emporta tout. Saint Jean apparat au voleur et lui dit : « Quelle a été ton au- dace de toucher à un dépôt qui m'était confié? tu ne pourras plus désormais entrer dans mon église. » Et il en fut ainsi ; car chaque fois que le larron voulait entrer en cette église, il était frappé à la gorge comme par un vigoureux athlète et il était jeté aussitôt à la renverse *.

SAINT JEAN ET SAINT PAUL ♦♦

Jean et Paul furent prîroiciers et prévôts de Cons- tance, fille de l'empereur Constantin. Or, en ce temps- là, les Scythes occupaient la Dacîe et la Thrace et on devait envoyer contre eux Gallican, général de l'armée romaine. Pour récompense de ses travaux, il deman- dait qu'on lui donnât en mariage Constance, fille de Constantin ; faveur que les principaux Romains sol- licitaient vivement aussi pourlui. Mais le père enétait fort contristé, car il savait que sa fille, après avoirété çuérie par sainte Agnès, avait fait vœu de virginité ; et elle aurait été plutôt disposée à se laisser tuer qu'à

** Ce fait est aussi rapporté par Gezo, abbé de Dertono, en 98-4, dans son livre du Corps et du sang de J.-C, ch. lxvh. •• L'office du bréviaire est compilé d'après les actes de ces saints rapportés ici. Martyrologes.

II. il'

166 LA LÉGENDE DOREE

donner son consentemenf. Cependant cette vierge eut confiance en Dieu et conseilla à son père de la pro- mettre à Gallican, s'il revenait vainqueur.* Toutefois elle voulait garder auprès de soi deux filles que Gal- lican avait eues d'une première épouse qui était morte, afin de pouvoir connaître par ces filles la conduite et les désirs de leur père : en même temps elle lui don- nerait ses deux prévôts, Jean et Paul, dans l'espérance d'établir entre eux une plus étroite union ; elle priait Dieu pour qu'il daignât convertir Gallican et ses filles. Quand tout fut arrangé au gré de chacun, Gallican prit Jean et Paul auprès de soi et partit avec une ar- mée nombreuse; mais ses troupes furent mises en dé- route par les Scythes et lui-même fut assiégé par les ennemis dans une ville de Thrace. Alors Jean et Paul vinrent le trouver et lui dirent : « Fais un vœu au Dieu du ciel et tu auras le bonheur de vaincre. » Quand il l'eut fait, apparut aussitôt un jeune homme portant une croix sur l'épaule, et lui disant : « Prends ton épée et suis-moi. » Il la prend, se rue au milieu du camp ennemi, arrive jusqu'au roi, et le tue; la peur seule lui fait soumettre toute l'armée : il rend les en- nemis tributaires des Romains. Deux soldats revêtus de leurs armes lui apparurent et le protégeaient de droite et de gauche. Ayant été fait chrétien. Gallican revint à Rome il fut reçu avec de grands honneurs. Il pria Auguste de l'excuser s'il n'épousait passa fille, parce que son dessein était de vivre désormais dans la continence en Tlionneur de J.-C. Cela plut singuliè- rement à l'empereur : et les deux filles de Gallican ayant été converties à J.-C. par la vierge Constance, Galli-

SAINT JEAN ET SAINT PAUL 167

can lui-même se démit de son commandement, donna tous ses biens aux pauvres et servit J.-C. dans la pau- vreté avec d'aulres serviteurs de Dieu. Il faisait un grand nombre de miracles ; à sa vue seulement, les démons s'enfuyaient des corps des obsédés. Sa répu- tation de sainteté était tellement établie dans l'univers qu'on venait de l'orient et de l'occident pour voir un homme, de patrice devenu consul, laveries pieds des pauvres, dresser leurs tables, leur verser de Teau sur les mains, servir les malades avec sollicitude etremplir toutes les fonctions d'un pieux serviteur. A la mort de Constantin, Constance, fils de Constantin le Grand, in- ' feclé de l'hérésie d'Arius, prit en mains les rênes de Tempire; mais Constance, frère de Constantin, laissait deux fils, Galluset Julien : l'empereur Constance créa Gallus césar, et l'envoya contre la Judée en révolte; plus tard cependant, il le fit périr. Julien, craig^nant d'éprouver de la part de Constance le même sort que son frère, entra dans un monastère, en affectant une grande dévotion, il fut ordonné lecteur. Il fit con- sulter le démon par un magicien : et il lui fut répondu qu'il serait élevé à l'empire. Quelque temps après, des affaires urgentes portèrent Constance à créer Julien césar et à l'envoyer dans la Gaule il se comporta vail- lamment en toute occasion. Constance étant mort, Ju- lien Tapostat, que ce même Constance avait élevé à l'empire, ordonna à Gallican d'immoler aux dieux ou de s'éloigner; car il n'osait faire mourir un person- nage si distingué. Gallican alla donc à Alexandrie il reçut lacouronnedumartyre :les infidèles lui avaient percé le cœur. Julien, dévoré par une cupidité sacri-

468 LA LÉGENDE DOREE

lège, colorait son avarice sous des prétextes qu'il trou- vait dans TEvangile ; car il enlevait les biens des chré- tiens en disant : « Votre Christ dit dans l'Evaugilc : « Celui qui n'aura pas renoncé à tout ce qu'il possède « ne peut être mon disciple. » Ayant appris que Jean et Paul sustentaient les chrétiens pauvres avec les riches- ses que la viergeConslanccavaitlaissées, il leurdonna l'ordre de lui obéir en tout coinmeà Constantin. Mais ils répondirent : <( Tant que les glorieux empereurs Constantin et Constance, son fils, se faisaient honneur d'être les serviteurs deJ.-C, nous les servions; mais puisque tu as abandonné un« religion qui fait prati- quer tant de vertus, nous nous sommes entièrement éloignas de toi et nous refusons posi ti vement de t'obéir . » Julien leur fit répondre : « J'ai été élevé à la cléri- cature, et si je Tavais voulu, je serais parvenu au pre- mier rang de l'Eglise, mais considérant que c'était chose vaine de vivre dans la paresse et l'oisiveté, j'ai préféré l'état militaire, et j'ai sacrifié aux dieux donf la pro- tection m'a élevé à l'empire. C'est pour cela qu'ayant été nourris à la cour, vous ne devez pas cesser de vi- vre à mes côtés afin que je vous traite comme les pre- miers dans mon palais. Si vous me méprisez, il faut de toute nécessité que je fasse cesser cet état de choses. » Ils répliquèrent: « Puisque nous préférons servirDieu plutôt que toi, nous n'avons pas la moindre crainte de tes menaces, de peur d'encourir la haine du roi éter- nel. » A cela Julien reprit : « Si d'ici à dix jours vous poussez le mépris jusqu'à ne pas vous rendre de plein gré auprès de moi, vous ferez de force ce que vous ne vous souciez pas de faire de bonne volonté. » Les

SAINT JEAN ET SAINT PAUL 169

saints lui répondirent: « Crois que les dix jours sont déjà expirés, et fais aujourd'hui ce que tu menaces d'exécuter alors. » « Vous pensez, dit Julien, que les chrétiens feront de vous des martyrs ; si vous ne ni'o- béissez, je vous ferai châtier non comme des martyrs, mais comme des ennemis publics. » Alors Jean et Paul employèrent les dix jours entiers à donner en au- mônes tous leurs biens aux pauvres. Le terme expiré, Térentien fut envoyé vers eux et leur dit : « Notre seigneur Julien vous envoie une petite statue en or de Jupiter pour que vous lui offriez de lencens, sinon, vous périrez également tous les deux. » Les saints lui répondirent: « Si ton seigneur est Julien, sois en paix aveclui; quant à nous, nous n'avons d'autre Seigneur que J.-G. » Alors il les fit décapiter en cachette, e( ensevelir dans une fosse de la maison ; puis il fit ré- pandre le bruit qu'ils avaient été envoyés en exil.

Après quoi le fils de Térentien fut saisi par le dé- mon, et il se mit à crier par la maison que le diable le tourmentait: à cette vue, Térentien confesse son crime, se fait chrétien, écrit la relation du martyre des saints et son fils est délivré. Ils souffrirent vers Tan du Seigneur 364. Saint Grégoire rapporte dans son Homélie sur l'Evangile : Si quis vult venire post me, qu'une dame revenant de visiter l'église de ces mar- tyrs où elle allait souvent, rencontra deux moines en habit de pèlerin ; elle leur fit donner l'aumône ; mais comme celui qui était chargé de la leur offrir se dispo- sait à le faire, ils s'approchèrent de plus près et lui dirent : « Tu nous aides maintenant, mais au jour du jugement, nous te réclamerons et nous ferons pour

170 LA LÉGENDE DOREE

toi tout ce que nous pourrons. » Ayant dit ces mots ils disparurent à leurs yeux. Saint Ambroise parle ainsi de ces martyrs dans lu préface : « Les bienheu- reux martyrs Jean et Paul ont véritablement accompli ces paroles de David : « Ah ! que c'est une chose (( bonne et agréable que les frères soient unis ensemble » (Ps. cxxxii) ; le même sein leur donna le jour, la même foi les unit, le môme martyre les couronna et la même gloire est leur partage dans le même Sei- gneur. »

SAINT LÉON, PAPE *

On lit dans le livre des Miracles de la Sainte Vierge que saint Léon, pape, célébrant la messe le jour de Pflques dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, pendant qu'il distribuait la communion aux fidèles, une dame lui baisa la main, ce qui excita en lui une violente ten- tation de la chair. Mais l'homme de Dieu exerça contre soi-même une cruelle vengeance et ce jour-là, cette main qui l'avait scandalisé, il se la coupa en secret et

Voici rintcrprélation du nom (!c saint Léon par M. Jchau Batallier: <( Léon fut appelé proprement Lion : car tout ainsi comme le propre lion faist il fit. Il est vrai que quand les en- tans des lions naissent ils sont tous morts et ne se peuvent mou- voir: et lors le lion cric tant et va cntour que par le cry do luy il les vivifie, et leurs mcct la vie au corps par la chaleur (io son alaîne,et tout ainsi saît Léon fist : car ceulx qui estaient mors en pechie il cria et brayt tant que par sa saincte cùver- sation et prédication il leur mist es corps lesperit de vraye foi : cl les fist vivre en Dieu nostrc Seigneur Ihesucrist. »

SAINT LÉON, PAPE 17i

la jeta. Dans la suite, il s'éleva des murmures parmi le peuple de ce que le souverain Pontife ne célébrait plus comme de coutume les saints mystères. Alors saint Léon s'adressa à la Sainte Vierge et s'en remit entièrement à ce qu'elle voudrait. Elle lui apparut donc et lui remit la main de ses très saintes mains, l'affer- mi!, puis elle lui ordonna de paraître en public et d'offrir le saint sacrifice à son Fils. Saint Léon apprit à tout le peuple ce qui lui était arrivé, et il montra à tous la main qui lui avait été rendue. Ce fut lui qui célébra le concile de Chalcédoine oi^ il établit que les vierges seules recevraient le voile ; et il y fut aussi décidé que la vierge Marie serait appelée Mère de Dieu. En ce temps-là encore, Attila ravageait l'Italie. Saint Léon passa alors trois jours et trois nuits en prières dans l'église des Apôtres; après quoi il dit aux siens : « Qui veut me suivre, me suive. » Et quand il fut arrivé auprès d'Attila, celui-ci n'eut pas plutôt vu saint Léon qu'il descendit de cheval, se prosterna aux pieds du saint et le pria de lui demander ce qu'il vou- drait. Saint Léon lui demanda de quitter l'Italie et de délivrer les captifs. Comme Attila recevait de la part des siens des reproches de ce que celui qui avait triomphé du monde se laissait vaincre par un prêtre, il répondit : « J'ai pourvu à ma silreté et à la vôtre: car j'ai vu à sa droite un guerrier redoutable tenant uneépée nue à la main, qui me disait : « Si tu ne lui obéis pas, tu périras avec tous les tiens*. » Quand le bienheureux Léon écrivit la lettre à Fabien, évêquc

Victor Tuomncnsîs, Prosp^r, \saio.

172 LA LKGENDE DORKR

de C.-P., contre Enlychès et Nestorius, il la posa sur le tombeau de saint Pierre et après avoir passé quel- que temps dans le jeûne et la prière, il dit : « Les erreurs que je pourrais avoir commises comme homme dans cette épître, corrigez-les et amendez-les, vous à qui l'Eglise a été confiée. » Et quarante jours après, comme il était en prières, saint Pierre lui apparut et lui dit : « J'ai lu et amendé. » Saint Léon prit la lettre <ju'il trouva corrigée et amendée de la main de Ta- pcHre.Une autre fois, saint Léon passa quarante jours en prières au tombeau de saint Pierre, et le conjura de lui obtenir le pardon de ses péchés: saint Pierre lui apparut et lui dit : « J'ai prié pour vous le Sei- gneur, et il a pardonné tous vos péchés. Seulement vous aurez à vous informer de ceux auxquels vous avez imposé les mains, c'est-à-dire que vous aurez à rendre compte si vous vous êtes bien ou mal acquitté de cette fonction envers autrui*. » Il mourut vers Tan du Seigneur 460.

SAINT PIERRE, APOTRE**

Pierre eut trois noms : il s'appela \' Simon Barjona. Siirion veut (lire obéissant^ ou se ih'vant n la tristesse, Barjona, /î/s de colombe^ en syrien bar veut dire fils, el en hébreu, Jona sii^nifie

"' Sophone, ch. cxlix. '^* La ])lupart des faits qui ont rapport à saint Pierre et que si Gênaient les livres saints sont eonsitj^nés iei. Le reste est tiré d'un livre connu sous le nom iV Itinéraire de saint Clément^ re- t^irdc comme apocryphe, mais cité par un çrand nombre d'auteurs des [)remiers siècles.

SAINT PIERRE, APOTRE 173

colombe. En effet, il fut obéissant; quand J.-C, l'appela, il obéit au premier mot d*ordredu Seigneur : il se livra à la tris- tesse quand il renia J.-C. « Il sortit dehors et pleura amère- ment. • Il fut fils de colombe parce qu'il servit Dieu avec simplicité d'intention. 2'> Il fut appelé Céphas, qui signifie chef ou pietTe, ou blâmant de bouche: chef, en raison qu'il eut la primauté dans la prélature; pierre, en raison de la fermeté dont il fit preuve dans sa passion ; blâmant de bouche, en raison de la constance de sa prédication. 3** Il fut appelé Pierre, qui veut dire connaissantf déchaussant, déliant : parce qu'il connut la divinité de J.-C. quand il dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant n ; il se dépouilla de toute affection pour les siensy comme de toute œuvre morte et terrestre, lorsqu'il dit: « Voilà que nous avons tout quitté pour vous suivre » ; il nous délia des chaînes du péché par les clefs ([u'il reçut du Seigneur. Il eut aussi trois surnoms : on l'appela Simon Johanna, qui veut dire beauté du Seigneur;^^ Simon, fils de Jean, qui veut dire à qui il a été donné ; Simon Barjona, qui veut dire fils de colombe. Par ces différents surnoms on doit entendre qu'il posséda la beauté de mœurs, les dons des ver- tus, l'abondance des larmes, car la colombe gémit au lieu de chanter. Quant au nom de Pierre, ce fut J.-C. qui permit qu'on le lui donnât puisqu'il dit (Jean, i) : « Vous vous appellerez Géphas, qui veut dire Pierre. » t^ Ce fut encore J.-C. qui le lui donna après le lui avoir promis, selon (|u'il est dit dans saint Marc (m): « Et il donna à Simon le nom de Pierre. » S" Ce fut J.-C. qui le lui confirma, puisqu'il ditdans saint Mathieu (xvi) : « Et moi je vous dis que vous êtes Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église. »> Son martyre fut écrit par saint Marcel, par saint Lin, pape, par Hégésippe et par le pape Léon.

Saint Pierre, fut celui de tous les apôtres qui eut ]a plus grande ferveur: car il voulut connaître celui qui trahissait le Seigneur, en sorte que s'il l'eiHconnu, dit saint Augustin, il l'eût déchiré avec les dents : et c'est pour cela que le Seigneur ne voulait pas révéler le nom de ce traître. Saint Chrysostome dit aussi qui»

174 LA LÉGENDE DORÉE

si J.-C. avait prononcé son nom, Pierre aussitôt se sérail levé et l'aurait massacré sur l'heure. Il marcha sur la mer pour aller au-devant du Seigneur ; il fut choisi pour être le témoin de la Transfiguration de son maître et pour assistera la résurrection de la fille de Jaîrc; il trouva, dans la bouche du poisson, la pièce d'argent de quatre dragmes pour le tribut ; il reçut du Seigneur les clefs du royaume des cieux; il eut la commission de faire paître les brebis ; au jour de la Pentecôte, par sa prédication, il convertit trois mille hommes ; il prédit la mort d'Ananie et de Saphire ; il guérit Enée de sa paralysie ; il baptisa Corneille ; il ressuscita Tabithe ; il rendit la santé aux infirmes par l'ombre de son corps ; mis en prison par Hérode, il fut délivré par un ange. Pour sa nourriture et son vê- tement, il nous témoigne lui-même quels ils furent, au livre de saint Clément: « Je ne me nourris, dit-il, que de pain avec des olives et raremen t avec des lé- gumes ; quant à mon vêtement, vous le voyez, c'est une tunique et un manteau, et avec cela je ne demande rien autre chose. » On rapporte aussi qu'il portait toujours dans son sein un suaire pour essuyer les larmes qu'il versait fréquemment ; car quand la douce allocution du Seigneur et la présence de Dieu lui venaient à la mémoire, il ne pouvait retenir ses pleurs, tant était grande la tendresse de son amour. Mais quand il se rappelait la faute qu'il commit en reniant J.-C., il ré- [)andait des torrents de larmes : il en contracta telle- ment l'habitude de pleurer, que sa figure paraissait (ouïe bnllée, selon l'expression de saint Clément. Le même saint rapporte qu'en entendant le chant du coq.

SAINT PIERRE, APOTRE 175

saint Pierre avait coutume de se lever pour faire orai- son et de pleurer abondamment. Saint Clément dit encore, comme on le trouve dans VHisloire ecclésias- tique *j que lorsqu'on menait au martyre la femme de saint Pierre,celui-ci tressaillit d'une extraordinaire joie, et l'appelant par son propre nom, il lui cria : « O ma femme, souvenez-vous du Seigneur. » Une fois, saint Pierre avait envoyé deux de ses disciples prêcher; après avoir cheminé pendant vingt jours, Tun d'eux mounit, et l'autre revint trouver saint Pierre, et lui raconter Taccident qui était .arrivé (on dît que ce fut saint Mar- tial, ou selon quelques autres, saint Materne. On lit ailleurs que le premier fut saint Front, et que son com- pagnon, celui qui était mort, c'est-à-dire le second, fui le prêtre Georges). Alors saint Pierre lui donna son bâton avec ordre d'aller retrouver son compagnon et de poser ce bâton sur le cadavre. Quand il l'eut fait, ce mort de quarante jours se leva tout vivant**.

En ce temps-là, il se trouvait à Jérusalem un magi- cien, nommé Simon, qui se disait être la première véri- té; il avançait que ceux qui croyaient en lui devenaient immortels ; enfin il prétendait que rien ne lui était im- possible. On lit aussi, dans le livre de saint Clément, que Simon avait dit : « Je serai adoré comme un Dieu ; on me rendra publiquement les honneurs divins, et tout ce que j'aurai voulu faire, je le pourrai. Un jour que ma mère Rachel m'ordonnait d'aller dans les

Eusèbe, lib. III, c. xxx ; Clément d*Alexand., I. VÏI. Ses paroles à sa femme qu'on menait au martyre.

*• Harigarus, c. vi ; Orton de Friocesque, Chronù/uey lïl, XV ; Pierre de Cluny, Contre iex Petrobnisiens.

176 Lv lk(;ende dorék

champs pour faire la moisson, je vîs une faux parterre à laquelle je commandai de faucher d'elle-même : et elle faucha dix fois plus que les autres moissonneurs. » II ajouta, d'après saint Jérôme : « Je suis la parole de Dieu ; je suis beau, je suis le paraclet, je suis tout-puis- sant, je suis le tout de Dieu. » Il faisait aussi mouvoir des serpents d'airain ; rire des statues de bronze ou de pierre, et chanter des chiens. Simon donc, comme le dit saint Lin, voulant discuter avec saint Pierre et montrer qu'il était Dieu, saint Pierre vint le jour in- diqué, au lieu de la conférence, et dit aux assistants : « La paix soit avec vous, mes frères, qui aimez la vé- rité. )) Simon lui dit : « Nous n'avons pas besoin de la paix, nous: car si la paix et la concorde existentiel, nous ne pourrons parvenir à trouver la vérité : ce sont les larrons qui ont la paix entre eux ; n'invoque donc pas la paix, mais la lutte : entre deux champions il y aura paix, quand l'un aura été supérieur à l'autre. » Et Pierre répondit : « Qu'as-tu à craindre d'entendre parler de paix ? C'est du péché que naît la guerre, et on n'existe pas le péché, règne la paix. On trouve In vérité dans les discussions et la justice dans les œu- vres. » El Simon reprit : « Ce que lu avances n'a pas de valeur, mais je le montrerai la puissance de ma di- vinité afin que tu m'adores aussitôt. Je suis la pre- mière vertu et je puis voler par les airs, créer de nou- veaux arbres, changer les pierres en pain, rester dans le feu sans en être endommagé et tout ce que je veux, je le puis faire. » Saint Pierre donc discutait contre lui et découvrait tous ses maléfices. Alors Simon, voyant qu'il ne pouvait résister au saint apôtre, jeta

SAINT PIERRE, APOTRE 177

dans la mer tous ses livres de magie, de crainte d'ê- tre dénoncé comme magicien ; et alla à Rome afin de s'y faire passer pour Dieu. Aussitôt que saint Pierre eut découvert cela, il le suivit et partit pour Rome.

La quatrième année de l'empire de Claude, saint Pierre arriva à Rome, il resta vingt-cinq ans. Et il ordonna évéques Lin et Clet, pour être ses coadju- teurs, Fun, comme le rapporte Jean Beleth *, dans l'in- térieur de la ville, l'autre dans la partie qui était hors des murs. En se livrant avec grand zèle à la prédica- tion, il convertissait beaucoup de monde à la foi, et guérissait la plupart des infirmes. Et comme dans ses discours il louait et recommandait toujours de préfé- rence la chasteté, il convertit les quatre concubines d' Agrippa qui se refusèrent à retourner davantage au- près de ce gouverneur. Alors celui-ci entra en fureur et il cherchait l'occasion de nuire à l'Apôtre. Ensuite le Seigneur apparut à saint Pierre et lui dit : « Simon et Néron forment des projets contre ta personne ; mais ne crains rien, car je suis avec toi pour te délivrer, et je te donnerai la consolation d'avoir auprès de toi mon serviteur Paul qui demain entrera dans Rome. » Or, saint Pierre, sachant, comme le dit saint Lin, que dans peu de temps il devait quitter sa tente, dansl'as- semblée des frères, il prit la main de saint Clément, l'ordonna évêque et le força à siéger en sa place dans sa chaire. Après cela Paul arriva à Rome, ainsi que le Seigneur l'avait prédit, et commença à prêcher J.-C. avec^aint Pierre. Or, Néron avait un tel attacliement

Cap. cxxxviii.

II. 12

178 LA LÉGENDE DORÉE

pour Simon qu'il le pensait certaînenrïent être le gar- dien de sa vie, son salut, et celui de toute la ville. Un jour donc, devant Néron (c'est ce qu'en dit saint Léon, pape), sa fij^urc changeait subitement, et il paraissait tantôt plus vieux et tantôt plus jeune. Néron, qui voyait cela, le regardait comme étant vraiment le fils de Dieu. C'est pourquoi Simon le magicien dit à Né- ron, toujours d'après saint Léon : « Afin que tu saches, illustre empereur, que je suis le fils de Dieu, fais-moi décapiter et trois jours après je ressusciterai. » Néron ordonna donc au bourreau qu'il eût à décapiter Simon. Or, le bourreau, en croyant couper la tète à Simon, coupa celle d'un bélier : grâce à la magie, Simon échappa sain et entier, et ramassant les membres du bélier il les cacha ; puis il se cacha pendant trois jours : or, le sang du bélier resta coagulé dans la même place. El le troisième jour Simon se montra à Néron et lui dit : « Fais essuyer mon sang qui a été répandu ; car me voici ressuscité trois jours après que j'ai été décollé, comme je l'avais promis. » En le voyant Néron fut stupéfait et le regarda comme le vrai fils de Dieu. Un jour encore qu'il était dans une chambre avec Néron, le démon qui avait pris sa forme parlait au peuple de- hors : enfin les Romains l'avaient en si grande véné- ration qu'ils lui élevèrent une statue sur laquelle ils mirent cette inscription : Simoni Deo sancto*, A Si- mon le Dieu saint.

Saint Pierre et saint Paul, au témoignage de saint Léon, allèrent chez Néron et dévoilèrent tous les ma-

N'ovez Kiisrhc, lib. II, c. xiii, ol Tillcmont, l. Il, p. 482,

SAINT PIERRE, APOTRE 171)

léfîces de Simon, et saint Pierre ajouta que, de même qu'il y a en J.-C. deux substances, savoir : celle de Dieu et celle de Thomme, de même en ce magicien, se trouvaient deux substances, celle de l'homme et celle du diable.

Or, Simon dit, d'après le récit de Marcel et de saint Léon* : « Je ne souffrirai pas plus longtemps cet ennemi ; je commanderai à mes anges de me venger de cet homme. » Pierre lui répondit : « Tes anges, je ne les crains point, mais ce sont eux qui me craignent. » Néron ajouta : « Tu ne crains pas Simon qui prouve sa divinité par ses œuvres? » Pierre lui répondit : « Si la divinité existe en lui, qu'il me dise en ce moment ce que je pense ou ce que je fais : je vais d'avance te dire tout bas à l'oreille quelle est ma pensée pour qu'il n'ait pas l'audace de mentir. » « Approche-loi, reprît Néron, et dis-moi ce que tu penses. » Or, Pierre s'approchant dit à Néron tout bas : H Ordonne qu'on m'apporte un pain d'orge et qu'on me le donne en cachette. » Or, quand on le lui eut a[)- porté, Pierre le bénit et le mit dans sa manche, et dit ensuite : « Que Simon, qui s'est fait Dieu, dise ce que j'ai pensé, ce que j'ai dit, ou ce qui s'est fait. » Simon répondit : « Que Pierre dise plutôt ce que je pense moi- même. » Et Pierre dit : « Ce que pense Simon, je prou- verai que je le sais, pourvu que je fasse ce à quoi il a pensé. » Alors Simon en colère s'écria : « Qu'il vienne de grands chiens et qu'ils te dévorent. » Tout à coup apparurent de très grands chiens qui se jetèrent sur

* Sigebert de Gcmblours, Trilhènie,CoDrad Gessner.

180 LA LÉGENDE DOREE

saint Pierre : mais celui-ci leur présenta le pain bénit, et à l'instant, il les mit en fuite. Alors saint Pierre dît à Néron : « Tu le vois, je t'ai montré que je savais ce que Simon méditait contre moi, et ce ne fut point par des paroles, mais par des actes : Car celui qui avait promis qu'il viendrait des anges contre moi, a fait venir <les chiens, afin de faire voir que les anges de Dieu, ne sont autres que des chiens. » Simon dit alors : w Écoutez, Pierre et Paul ; si je ne puis vous rien faire ici, nous irons il faut que je vous juge; mais pour le moment, je veux bien vous épargner. »

Alors, selon que le rapportent Hégésippc et saint Lin, Simon, enflé d'orgueil, osa se vanter de pouvoir ressusciter des morts ; et il arriva qu'un jeune homme mourut. On appela donc Pierre et Simon et de Tavis de Simon on convint unanimement que celui-là serait tué qui ne pourrait ressusciter le mort. Or, pendant que Simon faisait ses enchantements sur le cadavre, il sembla aux assistants que la tète du défunt s'agi- tait. Alors tous se mirent à crier en voulant lapider saint Pierre. Le saint apôtre put à peine obtenir le si- lence qu'il réclama : (( Si le mort est vivant, dit-il, qu'il se lève, qu'il se promène, qu'il parle : s'il en est autre- ment, sachez que l'action d'agiter la tête du cadavre est de la fantasmagorie. Qu'on éloigne Simon du lit alin que les ruses du diable soient pleinement mises à nu. » On éloigne donc Simon du lit, et l'enfant resta inmiobile. Alors saint Pierre, se tenant éloigné, fit une prière, puis élevant la voix : <( Jeune homme, s'é- ( ria-t-il, au nom de Jésus de Nazareth qui a été cru- cifié, lève-loi et marche. » El à l'instant il se leva en

SAINT FIERHE, APOTRE 181

vie et marcha. Comme le peuple voulait lapider Simon saint Pierre dit : « II est bien assez puni de se recon- naître vaincu dans ses artifices; or, notre maître nous a enseigné à rendre le bien pour le mal. » Alors Simon dit : « Sachez, vous, Pierre et Paul, que vous n'obtien- drez rien de ce que vous désirez ; car je ne daignerai pas vous faire gagner la couronne du martyre. » Saint Pierre reprit : « Qu'il nous arrive ce que nous dési- rons : mais à toi il ne peut arriver rien de bon, car chacune de tes paroles est un mensonge. » Saint Marcel dit qu'alors Simon alla à la maison de son disciple Marcel, cl qu'il y lia à la porte un chien énorme en disant : « Je verrai à présent si Pierre, qui vient d'or- dinaire chez toi, pourra entrer. )> Peu d'instants après saint Pierre arriva, et en faisant le signe de la croix, il délia le chien. Or, ce chien se mit à caresser tout le monde, et ne poursuivait que Simon : il le saisit, le ren- versa par terre, et il voulait l'étrangler, quand saint Pierre accourut et cria au chien de ne point lui faire de mal; or, cette bête, sans toucher son corps, lui ar- racha tellement ses habits qu'elle le laissa nu sur la terre. Alors le peuple et surtout les enfants coururent après le chien en poursuivant Simon jusqu'à ce qu'ils Feussent chassé bien loin de la ville, comme ils eussent fait d'un loup. Simon ne pouvant supporter la honte de cet affront resta un an sans reparaître. Marcel, en vovant ces miracles, s'attacha désormais à saint Pierre. Dans la suite, Simon revint et rentra de nouveau dans les bonnes grâces de Néron. Simon donc, d'après saint Léon, convoqua le peuple, et déclara qu'il avait été outrageusement traité par les Galiléens, et pour ce II. 12-

182 LA LÉGENDE DOREE

motif^ il dit vouloir quitter cette ville qu'il avait cou- tume de protéger ; qu'il fixerait un jour il monte- rait au ciel, car il ne daignait plus rester davantage sur la terre. Au jour fixé, il monta donc sur une tour élevée, ou bien, d'après saint Lin, il monta au Capitole et, couvert de laurier, il se jeta en l'air et se mit à vo- ler. Or, saint Paul dit à saint Pierre : « C'est à moi de prier et à vous de commander. » Néron dit alors : « Gel homme est sincère, et vous n'êtes que des séducteurs. » Or, saint Pierre dit à saint Paul : « Paul, levez la tête et voyez. » Et quand Paul eut levé la tête et qu'il eut vu Simon dans les airs, il dit à Pierre : « Pierre, que tardez-vous? achevez ce que vous avez commencé : déjà le Seigneur nous appelle. » Alors saint Pierre dit: « Je vous adjure. Anges de Satan, qui le soutenez dans les airs, par N.-S. J.-C, ne le portez plus davantage, mais laissez-le tomber. » A l'instant il fut lâché, tomba , se brisa la cervelle, et expira *. Néron, à cette nou- velle, fut très fâché d'avoir perdu, quant à lui, un pa- reil homme et il dît aux apôtres : « Vous vous êtes rendus suspects envers moi ; aussi vous punirai-je d'une manière exemplaire. » Il les remit donc entre les mains d'un personnage très illustre, appelé Paulin, qui les fil enfermer dans la prison Mamertine sous la ijarde de Processus et de Martinien, soldats que saint Pierre convertit à la foi : ils ouvrirent la prison et lais- sèrent aller les apôtres en liberté. C'est pour cela que,

* Ce fait (le la chute et de la mort de Simon le magicien est constaté par les Constifutions apostoliques d'Arnobc, par saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise, saint Augustin, Isidore de Peluse, Théodorat, Maxime de Turin, etc.

SAINT PIERRE, APOTRE 183

après le nftarlyrfedes apôtres, Paulin manda Processus et Marlinien, et quand il eut découvert qu'ils étaient chrétiens, on leur trancha la tête par ordre de Néron. Or, les frères pressaient Pierre de s'en aller, et il ne le fil qu'après avoir été vaincu par leurs instances. Saint Léon et saint Lin assurent qu'arrivé à la porte est aujourd'hui Sainte-Marie ad passus *, Pierre vit J.-C. venant à sa rencontre, et il lui dit : « Seigneur, allez-vous? » J.-C; répondit : « Je viens à Rome pour V être crucifié encore une fois. » « Vous seriez crucifié encore une fois, répartit saint Pierre. » « Oui, lui ré- pondit le Seigneur. » Alors Pierre lui dit : « Seigneur, je retournerai donc, pour être crucifié avec vous. » Et après ces paroles, le Seigneur monta au ciel à la vue de Pierre qui pleurait. Quand il comprit que c'était de son martyre à lui-même que le Sauveur avait voulu parler, il revint, et raconta aux frères ce qui venait d*arriver. Alors il fut pris par les officiers de Néron et mené au préfet Agrippa. Saint Lin dit que sa figure devînt comme un soleil. Agrippa lui dit : « Es-tu donc celui qui se glorifie dans les assemblées ne se trou- vent que la populace et de pauvres femmes que tu éloi- gnes du lit de leurs maris? » L'apôtre le reprit en di- sant qu'il ne se glorifiait que dans la croix du Seigneur. Alors Pierre, en qualité d'étranger, fut condamné a

* Origène sur saint Jean, saint Ambroîsc, sermon 08, saint Grégoire le Grand, sur le Psaume ci.

Celle église existe encore sur la voie Appiennc et est conniio sous le nom Domine quo vadis.

Hetychius, De excidio HievosoL ; saint Athanase, De faya sua; Innocent III, Pierre de Blois.

184 LA LÉGENDE DOREE

élre crucifié, mais Paul, en sa qualité de citoyen ro- main, fut condamné à avoir la tête tranchée.

A l'occasion de cette sentence, Denys en son épître à Timothée parle ainsi de la mort de saint Paul : « O mon frère Timothée, si tu avais assisté aux derniers moments de ces martvrs, tu aurais défailli de tristesse et de douleur. Qui est-ce qui n'aurait pas pleuréquand fut rendue la sentence qui condamnait Pierre à être crucifié et Paul à être décapité ? Tu aurais alors vu la foule des çentils et des Juifs les frapper et leur cracher au visage. » Or, arrivé l'instant ils devaient consom- mer leur affreux martyre, on les sépara l'un de l'autre et on lia ces colonnes du monde, non sans que les frères fissent entendre des gémissements et des san- glots. Alors Paul dit à Pierre : « La paix soit avec vous, fondement des églises, pasteur des brebis et des agneaux de J.-C. » Pierre dit à Paul : « Allez en paix, prédicateur des bonnes mœurs, médiateur et guide du salut des justes. » Or, quand on les eut éloignés l'un de l'autre, je suivis mon maître; car on ne les tua point dans le même quartier (saint Denys). Quand saint Pierre fut arrivé à la croix, saint Léon et Mar- cel rapportent qu'il dit : « Puisque mon maître est descendu du ciel en terre, il fut élevé debout sur lia croix ; pour moi qu'il daigne appeler de la terre au ciel, ma croix doit montrer ma tête sur la terre et di- riger mes pieds vers le ciel. Donc, parce que je ne suis pas digne d'cHre sur la croix de la même manière que mon Seigneur, retournez ma croix et crucifiez-moi la tête en bas. » Alors on retourna la croix et on l'at- tacha les pieds en haut et les mains en bas. Mais, en

SAINT PIERRE, APOTRE 185

ce moment, le peuple rempli de fureur voulait tuer Néron el le gouverneur, ensuite délivrer Tapôtre qui les priait de ne point empêcher qu'on le martyrisât. Mais le Seigneur, ainsi que le disent Hégésippe et Lin, leur ouvrit les yeux, et comme ils pleuraient, ils virent des anges avec des couronnes composées de fleurs de roses et de lys, et Pierre au milieu d'eux sur la croix recevant un livre que lui présentait J.-C, et dans le- quel il lisait les paroles qu'il proférait. Alors saint Pierre, au témoignage du même Hégésippe, se mit à dire sur la croix : « C'est vous. Seigneur, que j'ai souhaité d'imiter ; mais je n'ai pas eu la présomption d'être crucifié droit: c'est vous qui êtes toujours droit, élevé et haut ; nous sommes les enfants du premier homme qui a enfoncé sa tête dans la terre, et dont la chute indique la manière avec laquelle l'homme vient au monde ; nous naissons en effet de telle sorte que nous paraissons être répandus sur la terre. Notre con- dition a été renversée, el ce que le monde croit être à droite est certainement à gauche. Vous, Seigneur, vous me tenez lieu de tout ; tout ce que vous êtes, vous Têtes pour moi, et il ny a rien autre que vous seul. Je vous rends grâce de toute mon âme par laquelle jo vis, par laquelle j'ai l'intelligence et par laquelle je parle. » On connaît par deux autres motifs pour les- quels il ne voulut pas être crucifié droit. Et saint Pierre voyant que les fidèles avaient été témoins de sa gloire, rendit grâces à Dieu, lui recommanda les chrétiens el rendit l'esprit. Alors Marcel el Apulée qui étaient frères, disciples de saint Pierre, le descendirent de la croix et l'ensevelirent en Tembaumanl avec divers aro-

186 LA LÉGENDE DOREE

mates. Isidore dans son livre deja Naissance et de la Mort des Saints s'exprime ainsi : « Pierre après avoir fondé l'église d'Antioche, vint à Rome, sous l'empe- reur Claude, pour confondre Simon ; il prêcha l'Evan- gile pendant vingt-cinq ans en cette ville dont il occupa le siège pontifical^ et la trente-sixième année après la Passion du Seigneur, il fut crucifié par Néron, la télé en bas, ainsi qu'il l'avait voulu. Or, ce jour-là même, saint Pierre et saint Paul apparurent à Denys, selon qu'il le rapporte en ces termes dans la lettre citée plus haut : « Ecoute le miracle, Timothée, mon frère, vois le prodige, arrivé au jour de leur supplice : car j'étais présent au moment de leur séparation. Après leur mort, je les ai vus, se tenant par la main l'un et l'autre, entrer par les portes de la ville, revêtus d'habits de lumière, ornés de couronnes de clarté et de splendeur. » Néron ne demeura pas impuni pour ce crime et bien d'autres encore qu'il commit ; car il se tua de sa propre main. Nous allons rapporter ici en peu de mots quelques-uns de ses forfaits. On lit dans une histoire apocryphe, toutefois, que Sénèque, son précep- teur, espérait recevoir de lui une récompense digne (le son labeur ; et Néron lui donna à choisir la branche de l'arbre sur laquelle il préférait être pendu, en lui disant que c'était la récompense qu'il en de- vait recevoir. Or, comme Sénèque lui demandait à quel titre il avait mérité ce genre de supplice, Néron fit vibrer plusieurs fois la pointe d'une épée au-dessus de Sénèque qui baissait la tè(e pour échapper aux coups dont il était menacé ; car il ne voyait point sans effroi le moment il allait recevoir la mort. El

SAINT PIERRE^ APOTRE 187

Néron lui dit : « Maître, pourquoi baisses-tu la tête sous Tépée dont je te menace? » Sénèque lui répon- dit : « Je suis homme, et voilà pourquoi je redoute la mort, d'autant que je meurs malgré moi. » Néron lui dit : « Je te crains encore comme je le faisais alors que j'étais enfant : c'est pourquoi tant que tu vivras je ne pourrai vivre tranquille. » Et Sénèque lui dit : « S'il est nécessaire que je meure, accordez-moi au moins de choisir le genre de mort que j'aurais voulu. » « Choisis vite, répondit Néron, et ne tarde pas à mou- rir. » Alors Sénèque fit préparer un bain il se fit ouvrir les veines de chaque bras et il finit ainsi sa vie épuisé de sang. Son nom de Sénèque fut pour lui comme un présage, se necans^ qui se tue soi-même : car ce fut lui qui en quelque sorte se donna la mort, bien qu'il y eût été forcé. On lit que ce même Sénèque eut deux frères : le premier fut Julien Gallio, orateur illustre qui se tua de sa propre main; le second fut Mêla, père du poète Lucain ; lequel Lucain mourut après avoir eu les veines ouvertes par Tordre de Néron, d'après ce qu'on lit. On voit, dans la même histoire apocryphe, que Néron, poussé par un transport infâme ; fit tuer sa mère et la fit partager en deux pour voir comment il était entretenu dans son sein. Les médecins lui adressaient des remontrances par rapport au meurtre de sa mère et lui disaient : « Les lois s'opposent et l'équité défend qu'un fils tue sa mère : elle t'a en fanté avec douleur et elle t'a élevé avec tant de labeur et de sollicitude. » Néron leur dit : a Faites-moi conce- voir un enfant et accoucher ensuite, afin que je puisse savoir quelle a été la douleur de ma mère. )> Il avait

188 LA LÉGENDE DOREE

encore conyu cette volonté d'accoucher parce que, en passant dans la ville, il avait entendu les cris d'une femme en couches. Les médecins lui répondirent : « Cela n'est pas possible ; c'est contre les lois de la nature ; il n'y a pas moyen de faire ce qui n'est pas d'accord avec la raison. » Néron leur dit donc: « Si vous ne me faites pas concevoir et enfanter, je vous ferai mourir tous d'une manière cruelle. » Alors les médecins, dans des potions qu'ils lui administrèrent, lui firent avaler une grenouille sans qu'il s'en aper- (;0t, et, par artifice, ils la firent croîlre dans son ventre : bientôt son ventre, qui ne pouvait souffrir cet état contre nature, se gonfla, de sorte que Néron se croyait gros d'un enfant ; et les médecins lui faisaient observer un régime qu'ils savaient être propre à nour- rir la grenouille, sous prétexte qu'il devait en user ainsi en raison de la conception. Enfin tourmenté par une douleur intolérable, il dit aux médecins: «Hâ- tez le moment des couches, car c'est à peine si la langueur me met l'accouchement futur me donne le pouvoir de respirer. » Alors ils lui firent prendre une potion pour le faire vomir et il rendit une gre- nouille affreuse à voir, imprégnée d'humeurs et cou- verte de sang. Et Néron, regardant son fruit, en eut horreur lui-même et admira une pareille monstruo- sité : mais les médecins lui dirent qu'il n'avait produit un fœtus aussi difforme que parce qu'il n'avait pas voulu attendre le temps nécessaire. Et il dit : « Ai-je été comme cela en sortant des flancs de ma mère? » (( Oui, lui répondirent-ils. » 11 recommanda donc de nourrir son fœtus et qu'on renfermât dans une pièce

SAINT PIERRE, APOTRE 189

voûtée pour l'y soigner. Mais ces clioses-là ne se lisent pas dans les chroniques ; car elles sont apo- cryphes. Ensuite s'étant émerveillé de la grandeur de rincendie de Troie, il fit brûler Rome pendant sept jours et sept nuits, spectacle qu*il regardait d'une tour fort élevée, et tout joyeux de la beauté de cette flamme, il chantait avec emphase les vers de VIliade. On voit encore dans les chroniques qu'il péchait avec des filets d'or, qu'il s'adonnait à l'étude de la mu- sique, de manière à remporter sur les harpistes et les comédiens : il se maria avec un homme, et cet homme le prit pour femme, ainsi que le dit Orose *. Mais les Romains, ne pouvant plus supporter davantage sa folie, se soulevèrent contre lui et le chassèrent hors de la ville. Lorsqu'il vit qu'il ne pouvait échapper, il af- fila un bâton avec les dents et il se perça par le mi- lieu du corps : et c'est ainsi qu il termina sa vie. On lit cependant ailleurs qu'il fut dévoré par les loups. A leur retour, les Romains trouvèrent la grenouille cachée sous la voûte ; ils la poussèrent hors de la ville et la brûlèrent : et cette partie de la ville avait été cachée la grenouille reçut, au dire de quel- ques personnes, le nom de Latran {Latens raua) (raine latente) **.

Du temps du pape saint Corneille, des chrétiens

*♦ ffist,, lib. m, cap. vu. ** Sulpice Sévère, Hist., liv. II, no iO, Dialo|Çiie II; Saint Augustin, Ciié de DieUy Hv. XX, chap.ix, rapportent des tradi- tîoos étranges sur cet odieux personnaÉçe. Consultez une dis- sertation du chanoine d'Amiens de L'Kstocq, sur l'auteur du livre intitulé : De morte persecnforum.

190 LA lége;nde doréc

grecs volèrent les corps des apôtres et les emportè- rent ; mais les démons, qui habitaient dans les idoles, forcés par une vertu divine, criaient : « Romains, au secours, on emporte vos dieux. » Les fidèles compri- rent qu'il s'agissait des apôtres, et les gentils de leurs dieux. Alors fidèles et infidèles, tout le monde se réu- nit pour poursuivre les Grecs. Ceux-ci effrayés jetèrent les corps des apôtres dans un puits auprès des cata- combes ; mais dans la suite les fidèles les en ôtèrent. Saint Grégoire raconte dans son Registre (liv. IV, ép. XXX,) qu'alors il se fit un si affreux tonnerre et des éclairs en telle quantité que tout le monde prit la fuite de frayeur, et qu'on les laissa dans les catacombes. Mais comme on ne savait pas distinguer les ossements de saint Pierre de ceux de saint Paul, les fidèles, après avoir eu recours aux prières et aux jeûnes, reçurent celte réponse du ciel : « Les os les plus grands sont ceux du prédicateur, les plus petits ceux du pécheur. » Ils 'séparèrent ainsi les os les uns des autres et les pla- cèrent dans les églises qui avaient été élevées à chacun d'eux. D'autres cependant disent que saint Silvestre, pape, voulant consacrer les églises, pesa avec un grand respect les os grands et petits dans une balance et qu'il en mit la moitié dans une église et la moitié dans l'autre. Saint Grégoire rapporte dans son Dialogue* y qu'il y avait, dans l'église le corps de saint Pierre repose, un saint homme d'une grande humilité, nommé Agontus : et il se trouvait, dans cette même église, une jeune fille paralytique qui y habitait; mais réduite à ramper sur

* I/iv. III, c. xxiv el XXV.

SAINT PIERRE, APOTRE 191

les mains, elle était obligée de se traîner, les reins et les pieds par terre: et depuis longtemps elle demandait la santé à saint Pierre ; il lui apparut dans une vision et lui dît : « Va trouver Agontius, le custode, et il te guérira lui-même. » Celte jeune fille se mît donc à se traîner çà et de tous côtés dans l'église, et à cher- cher qui était cet Agontius : mais celui-ci se trouva tout à coup au-devant d'elle : « Notre pasteur et nour- ricier, lui dit-elle, le bienheureux Pierre, apôtre, m'a envoyé vers vous, pour que vous me délivriez de mon infirmité. » Il lui répondit : « Si tu as été envoyée par lui, lè%e-toi. » El lui prenant la main, il la fit lever et elle fui guérie sans qu'il lui restât la moindre trace de sa maladie. Au même livre, saint Grégoire dit en- core que Galla, jeune personne des plus nobles de Rome, fille du consul el patrice Symmaque, se trouva veuve après un an de mariage. Son âge et sa fortune demandaient qu'elle convolât à de secondes noces ; mais elle préféra s'unir à Dieu par une alliance spiri- tuelle, dont les commencements se passent dans la tristesse mais par laquelle on parvient au ciel, plutôt que de se soumettre à des noces charnelles qui com- mencent toujours par la joie pour finir dans la tristesse. Or, comme elle était d'une constitution toute de feu, les médecins prétendirent qup si elle n'avait plus de com- merce avec un homme, celte ardeur intense lui ferait pousser de la barbe contre l'ordinaire de la nature. (le qui arriva en effet peu de temps après. Mais Galla ne tint aucun compte de celle difformité extérieure, puisqu'elle aimait la beauté intérieure : el elle n'ap- [iréhenda point, malgré cette laideur, de n'être point

192 LA LÉGENDE DOREE

aimée de Tépoux céleste. Elle quitta donc ses habits du monde, et se consacra dans le monastère élevé au- près de l'église de saint Pierre, elle servit Dieu avec simplicité et passa de longues années dans l'exercice de la prière et de l'aumône. Elle fut enfin attaquée d'un cancer au sein. Comme deux flambeaux étaient toujours allumés devant son lit, parce que, amie de la lumière, elle avait en horreur les ténèbres spirituelles comme lès corporelles, elle vit le bienheureux Pierre, apôtre, au milieu de ces deux flambeaux, debout de- vant son lit. Son amour lui fit concevoir de l'audace et elle dit : « Qu'y a-t-îl, mon maître? Est-ce que mes péchés me sont remis? » Saint Pierre inclina la tête avec la plus grande bonté, et lui répondit : « Oui, ils sont remis, viens. » Et elle dit : « Que sœur Benotte vienne avec moi, je vous en prie. » Et il dit : « Non, mais qu'une telle vienne avec toi. » Ce qu'elle fit con- naître à l'abbesse qui mourut avec elle trois jours après. Saint Grégoire raconte encore dans le même ouvrage, qu'un prêtre d'une grande sainteté réduit à l'extrémité, se mit à crier avec grande liesse : « Bien, mes seigneurs viennent ; bien, mes seigneurs vien- nent; comment avez-vous daigné venir vers unsiché- tif serv^iteur? Je viens, je viens, je vous remercie, je vous remercie. » Et comme ceux qui étaient lui de- mandaient à qui il parlait de la sorte, il répondit avec admiration : « Est-ce que vous ne voyez pas que les saints apôtres Pierre et Paul sont venus ici ensem- ble? » Et comme il répétait une seconde fois les pa- roles rapportées plus haut, sa sainte âme fut délivrée (le son corps. H y a doute, chez quelques auteurs,

\.

SAINT PIERRE, APOTRE 193

si ce fut le même jour que saint Pierre et saint Paul souffrirent. Quelques-uns ont avs^ncé que ce fut le même jour, mais un an après. Or, saint Jérôme et pres- que tous les saints qui traitent cette question s'accor- dent à dire que ce fut le mêmejouret la même année, comme cela reste évident d'après la lettre de saint De- nysy et le récit de saint Léon (d'autres disent saint Maxime), dans un sermon il s'exprime comme il suit : « Ce n'est pas sans raison qu'en un même jour et dans le même lieu, ils reçurent leur sentence du même tyran. Ils souffrirent le même jour afin d'aller ensemble à J.-C. ; ce fut au même endroit, afin que Rome les possédât tous les deux ; sous le même per- sécuteur, afin qu'une égale cruauté les atteignit en- semble.

Ce jour fut choisi pour célébrer leur mérite; le lieu pour qu'ils y fussent entourés de gloire ; le même persécuteur fait ressortir leur courage. » Bien qu'ils aient souffert le même jour et à la même heure, ce ne fut pourtant pas au même endroit, mais dans des quartiers différents : et ce que dit saint Léon qu'ils souffrirent au même endroit, doit s'entendre qu'ils souffrirent tous les deux à Rome. C'est à ce sujet qu'un poète composa ces vers :

Ense coronatur Paulus, cruce Petrus, eodem Sub duce, luce, loco, dux Nero, Roma locus '*,

Traduction de Jean Baiallier:

Pol fut couronné d'une épée; Pierre eut la croix renversée. Néron fut duc, si comme Ton nomme Le lieu fui la cité de Rom me.

II. 13

194 LA LÉGENDE DORÉE

Un autre dit encore : Ense sacrât Paulum, par lux, dux, urbs, cruce Petrum ♦.

Quoiqu'ils aient souffert le même jour, cependant saint Grégoire ordonna qu'aujourd'hui on célébrerait, quant à l'office, la solennité de saint Pierre, et que le lendemain, on ferait la fête de la Commémoration de saint Paul ; en voici les motifs : en ce jour fut dédiée l'église de saint Pierre; il est plus grand en dignité; il est le premier qui fut converti ; enfin il eut la pri- mauté à Rome.

SAINT PAUL, APOTRE.

Paul signifie bouche de trompette, ou bouche de ceux, ou élu admirable, ou miracle d'élection. Paul vient encore de pâma, qui veut dire repos en hébreu, et en latin modique. Par quoi Ton connaît les six prérogatives particulières à saint Paul. La Ire est une lanfij^ue fructueuse, car il prêcha TEvan- gile depuis Tlllyrie jusqu'à Jérusalem, de le nom de bouche de trompette. La est un amour de mère, qui lui fait dire : yui est faible, sans que je m'affaiblisse avec lui? (II, Cor., XI) » C'est pour cela que son nom veut dire bouche de ceux, ou bouche de cœur, ainsi qu'il le dit lui-même (II, Cor., vi). O Corinthiens, ma bouche s'ouvre, et mon cœur s'étend par l'affection que je vous porte. » La 3* est une conversion mira- culeuse, c'est pour cela qu'il est appelé élu admirable, parce qu'il fut élu et converti merveilleusement. La \^ est le tra- vail des mains, et voilà pourquoi il est nommé miracle d'élec-

* Paul est sacré par le cflaive. Pierre par la croix : à tous deux, la même jçloire, le même bourreau, et Rome pour théA- tre.

SAINT PAUL, APOTRE 495

lion : ce fot un grand miracle en lui que de préférer gagner ce qui lui était nécessaire pour vivre et prêcher sans cesse. La 5^ fut une contemplation délicieuse, parce qu'il fut élevé jusqu'au troisième ciel ; de le nom de repos du Seigneur; car dans la contemplation, repos d'esprit est requis. La est son humilité, de le nom de modique. H y a trois opi- nions au sujet du nom de Paul. Origène veut qu'il ait toujours en deux noms et qu'il ait été indifféremment appelé Saul et Paul ; Raban veut qu'avant sa conversion il eut le nom de Sauly du roi orgueilleux Saûl, mais qu'après il fut nommé Paul, qui veut dire petit, en esprit et en humilité : et il donne lui-même l'interprétation de son nom quand il dit : « Je suis le plus petit des apôtres. » Bède enfin veut qu'il ait été appelé Paul, de Sergius Paulus, proconsul, converti par lui à la foi. Le martyre de saint Paul fut écrit par saint Lin, pape.

Paul, apôtre, après sa conversion, souffrit beaucoup de persécutions énumérées en ces termes par saint Hilaire : « Pau^ est fouetté de verges à Philippes ; il est mis en prison ; il est attaché par les pieds à un poteau ; il est lapidé à Lystra ; il est poursuivi d'Iconc et de Thessalonique par les méchants ; à Ephèse, il est livré aux bétes ; à Damas, on le descend du haut d'un mur dans une corbeille ; à Jérusalem, il est arrêté, battu, enchaîné, on lui tend des embûches; à Césarée, il est emprisonné et incriminé. Il est en péril sur mer, dans son voyage en Italie; arrivé à Rome, il est jugé et meurt tué sous Néron. » Il reçut l'apostolat en faveur des gentils ; il redressa un perclus à Lystra ; il ressuscita un jeune homme qui, tombé d'une fe- nêtre, avait rendu le dernier soupir, et fit grand nombre d'autres miracles. Dans Tfle de Malte, une vipère lui saisit la main, mais l'ayant secouée dans le feu, il n'en reçut aucune atteinte. On rapporte que

196 LA LÉGENDE DORÉE

tous les descendants de celui qui donna l'hospitalité h saint Paul ne ressentent aucun mal des bêtes veni- meuses; et quand ils viennent au monde, le père met des serpents dans leur berceau pour s'assurer s'ils sont vraiment sa liçnée. On trouve encore quelquefois que saint Paul est tantôt inférieur à saint Pierre, tan- tôt plus grand, tantôt égal ; mais en réalité, il lui est inférieur en dignité, supérieur dans la prédication et égal en sainteté. Haymon rapporte que saint Paul se livrait au travail des mains depuis le chant des poussins jusqu'à la cinquième heure ; ensuite il vaquait à la prédication, de telle sorte que le plus souvent, il pro- longeait son discours jusqu'à la nuit : le reste du temps lui suffisait pour ses repas, son sommeil et son oraison. Quand il vint à Rome, Néron, qui n'était point encore confirmé empereur, apprit qu'il s'était élevé une dis- pute entre Paul et les Juifs au sujet delà loi judaïque et de la foi des chrétiens : il ne s'en mit pas beaucoup en peine, de sorte que saint Paul allait et prêchait li- brement où il voulait. Saint Jérôme, en son livre des Hommes illustres, dit que, « 25 ans après la Passion du Seigneur, c'est-à-dire la du règne de Néron, saint Paul fut envoyé à Rome chargé de chaînes, et que pendant deux ans il demeura libre sous une garde; qu'il disputait contre les Juifs, et que relâché ensuite par Néron, il prêcha l'Evangile dans l'Occident. L'an 14 de Néron, il fut décapité la même année et le même jour que saint Pierre fut crucifié. » Sa sagesse et sa religion étaient partout en renom et on le regardait généralement comme un homme admirable. Il se fit beaucoup d'amis dans la maison de l'empereur, et il

SAINT PAUL, APOTRE 197

les convertit à la foi de J.-C. Quelques-uns de ses écrits furent lus devant le César ; tout le monde en fit j^rand élog^e; le Sénat lui-même avait beaucoup d'estime pour sa personne. Une fois que saint Paul prêchait, vers le soir, sur une terrasse, un jeune homme nommé Patrocle, échanson favori de Néron, monta à une fenêtre pour entendre plus commodé- ment le saint apôtre, à cause de la foule, et s'y étant légèrement endormi, il tomba et se tua. Néron à cette nouvelle eut beaucoup de chagrin de sa mort et aus- sitôt il pourvut à son remplacement. Mais saint Paul, qui en fut instruit par révélation, dit aux assistants d* aller et de lui rapporter le cadavre de Patrocle, Tami du César. On le lui apporta et saint Paul le res- suscita, ensuite il l'envoya à César avec ses compa- gnons. Comme Néron se lamentait sur la perte de son favori, voilà qu'on lui annonce que Patrocle vivant était à la porte. Néron informé que celui qu'il avait cru mort tout à l'heure était en vie, fut extraordinai- rement effrayé et refusa de le laisser entrer auprès de l^ii ; mais enfin à la persuasion de ses amis, il permit mi*on l'introduisît. Néron lui dit : <( Patrocle, tu vis? >x El Patrocle répondit : « César, je vis. » Et Néron dit : " Qui t'a fait vivre? » Patrocle reprit : « C'est Jésus- ^"risl, le roi de tous les siècles. » Néron se mil en colère et dit : « Alors celui-ci régnera sur les siècles et détruira donc les royaumes du monde ? » Patrocle lui répliqua : « Oui, César. » Néron lui donna un soufflet ^^ disant : « Donc tu es au service de ce roi? » « Oui, i'épondit Patrocle, je suis à son service, parce qu'il ni a ressuscité d'entre les morts. » Alors cinq des offi- II. 13-

198 LA LÉGKNDE DORÉE

ciers de l'empereur qui l'accompagnaient constamment lui dirent : « Empereur, pourquoi frapper ce jeune homme plein de prudence et qui répond la vérité? Et nous aussi nous sommes au service de ce roi invin- cible. » Néron, à ces mots, les fit enfermer en prison, afin de tourmenter cruellement ceux qu'il avait aimés jusqu'alors extraordinairement. Il fit en même temps rechercher tous les chrétiens et il les fit punir tous sans forme de procès.

Paul fut conduit, chargé de chaînes, avec les autres, pardevant Néron qui lui dit : « O homme, le serviteur du grand roi, mais cependant mon prisonnier, pour- quoi m'enlèves-tu mes soldats et les prends-tu pour toi? » c( Ce n'est pas seulement, répondit saint Paul, dans le coin de la terre tu vis que j'ai levé des soldats, mais j'en ai enrôlé de l'univers entier : noire Roi leur accordera des récompenses qui, loin de leur manquer jamais, les mettront à l'abri du besoin. Toi, si tu veux. lui être soumis, tu seras sauvé. Sa puissance est si grande qu'il viendra juger tous les hommes et qu'il dissoudra par le feu la figure de ce monde. » Quand Néron, enflammé de colère, eut entendu dire à saint Paul que le feu devait dissoudre la figure du monde, il ordonna qu'on fît brûler tous les soldats de J.-C. et de couper la tête à saint Paul, comme coupable de lèse-majesté. Or, la foule de chrétiens qui furent tués était si grande que le peuple romain se porta avec violence au palais et se disposait à exciter une sédi- tion contre Néron, en criant tout haut : « Arrête, César, suspends le carnage et l'exécution de tes ordres. Ceux que tu fais périr sont nos concitoyens; ce sont

SAINT PAUL, APOTRE 199

les soutiens de l'empire romain. » Néron eut peur et modifia son édit en ce sens que personne ne mettrait la main sur les chrétiens qu'autant que l'empereur mieux informé les eût jugés. C'est pourquoi Paul fut ramené et présenté de nouveau à Néron. Il ne l'eut pas plutôt vu qu'il s'écria avec violence : « Emmenez ce malfaiteur, décapitez cet imposteur ; ne laissez pas vivre ce criminel ; défaites-vous de cet homme qui égare les intelligences ; ôtez de dessus la terre ce sé- ducteur des esprits. » Saint Paul lui dit : u Néron, je souffrirai l'espace d'un instant, mais je vivrai éter- nellement en Notre-SeigneurJ.-C. » Néron dit: «Tran- chez-lui la tête afin qu'il apprenne que je suis plus puissant que son roi, moi qui l'ai vaincu; et nous ver- rons s'il pourra toujours vivre. » Saint Paul reprit : « Afin que tu saches qu'après la mort de mon corps, je vis éternellement, quand ma tète aura été coupée, je t'apparaîtrai vivant, et tu pourras connaître alors que J.-C. est le Dieu de la vie et non de la mort. » Ayant parlé ainsi, il fut mené au lieu du supplice. Dans le trajet, trois soldats qui le conduisaient lui dirent : « Dis-nous, Paul, quel est celui que tu ap- pelles votre roi, que vous aimez au point de préférer mourir pour lui plutiH que de vivre ; et quelle récom- pense vous recevrez de tout cela? » Alors saint Paul leur parla du royaume de Dieu et des peines de l'enfer de manière qu'il les convertit à la foi. Ils le prièrent d'aller en liberté il voudrait, mais il leur dit : « A Dieu ne plaise, mes frères, que je prenne la fuite ; je ne suis pas un transfuge, mais un véritable soldat de J.-C. : car je sais que cette vie qui passe me conduira à

200 LA LÉGENDE DOREE

une vie éternelle ; tout à l'heure, quand j'aurai été décapité, des hommes fidèles enlèveront mon corps. Quant à vous, remarquez bien la place, et venez-y de- main matin : vous trouverez auprès de mon sépulcre deux hommes en prières, ce sera Tite et Luc ; quand vous leur aurez dit pour quel motif je vous ai adressés à eux, ils vous baptiseront et vous feront participants et héritiers du royaume du ciel. » Il parlait encore quand Néron envoya deux soldats pour voir s*il n'était pas encore exécuté ; et comme saint Paul voulait les convertir, ils dirent : « Lorsque tu seras mort et res- suscité, alors nous croirons ce que tu dis ; pour le mo- ment viens vite et reçois ce que tu as mérité. » Amené au lieu du supplice, à la porte d'Ostie,il rencontra une matrone nommée Plantille ou Lémobie, d'après saint Denys (peut-être elle avait deux noms). Cette dame se mit à pleurer et à se recommander aux prières de saint Paul qui lui dit : « Va, Plantille, fille du salut éternel, prête-moi le voile dont tu te couvres la tête, je m'en banderai les yeux et ensuite je te le remet- trai. » Et comme elle le lui donnait, les bourreaux se moquaient d'elle en disant : « Qu'as-tu besoin de don- ner à cet imposteur et à ce magicien un voile si pré- cieux que tu perdras? » Paul étant donc venu au lieu de l'exécution, se tourna vers l'Orient et pria très long- temps dans sa langue maternelle, les mains étendues vers le ciel et en versant des larmes, il rendit grâces. Ensuite, ayant dit adieu aux frères, il se banda les yeux avec le voile de Plantille, puis ayant fléchi les deux genoux en terre, il présenta le cou et fut ainsi décolle. Au moment sa tête fut détachée du corps.

\

SAINT PAUL, APOTRE 201

il prononça distinctement en hébreu : « Jésus-Christ » ; nom qui avait été d'une grande douceur pour lui dans sa vie et qu'il avait répété si souvent. On dit en effet que, dans ses Epttres, il répéta Christ, ou Jésus, ou l'un et l'autre ensemble cinq cents fois. Du lait jaillit du corps mutilé jusque sur les habits d'un soldat * ; ensuite le sang coula : une lumière immense brilla dans lair et une odeur des plus suaves émana de son corps.

Saint Denys dans son épttre à Timothée s'exprime ainsi sur la mort de saint Paul : « â cette heure pleine de tristesse, mon frère chéri, quand le bourreau dit à saint Paul : « Prépare ton cou », alors le bienheu- reux apôtre leva les yeux au ciel, se munit le front et /a poitrine du signe de la croix et dit : « Mon Sei- « gneur J.-C., je remets mon esprit entre vos mains » : et alors sans tristesse et sans contrainte, il présenta le cou et reçut la couronne. » Au moment le bourreau frappait et tranchait la tétc de Paul, ce bienheureux, en recevant le coup, détacha le voile, et reçut son pro- pre sang dans ce voile, le lia, le plia et le rendit à cette femme. Et quand le bourreau fut revenu, Lémo- bic lui dit : « as-tu laissé mon maître Paul ? » Le soldat répondit : « Il est étendu là-bas avec son com- pagnon, dans la vallée du Pugilat, hors de la ville ; et sa figure est couverte de ton voile. » Or, Lémobie répondit : « Voici que Pierre et Paul viennent d'entrer à l'instant, revêtus d'habits éclatants, portant sur la tête des couronnes brillantes et rayonnantes de lu-

* Ce fait est rapporté par Grégoire de Tours.

202 LA LÉGENDE DOREE

inière. » Alors elle leur montra le voile tout ensan- glanté : ce qui donna lieu à plusieurs de croire au Seig^neur et de se faire chrétiens (saint Denys). Né- ron, ayant appris ce qui était arrivé, eut une violente peur et s'entretint de tout cela avec les philosophes et avec ses favoris. Or, pendant la conversation saint Paul vint les portes fermées ; et, debout devant César, il lui dit : « César, voici Paul, le soldat du roi éternel et invincible ; crois au moins maintenant que je ne suis pas mort, mais que je vis et toi, misérable, tu mour- ras d'une mort éternelle, parce que tu tues injustement les saints de Dieu. » Ayant parlé ainsi, il disparut. Alors Néron devint comme fou tant il avait été effrayé; il ne savait ce qu'il faisait. Par le conseil de ses amis, il délivra Palrocle et Barnabe avec les autres chrétiens et leur permit d'aller librement ils voudraient. Quant aux soldats qui avaient conduit Paul au sup- plice, savoir Longin, chef des soldats, et Acceste, ils vinrent le matin au tombeau de saint Paul et ils y virent deux hommes, Tile et Luc en prières, et Paul debout au milieu d'eux. Tite et Luc, en voyant les sol- dats, furent fort effrayés et prirent la fuite ; alors Paul disparut. Mais Lon^in et Acceste leur crièrent : « Non, ce n'est pas vous que nous poursuivons, ainsi que vous le paraissez croire, mais nous voulons recevoir le bap- tême de vos mains, comme nous l'a dit Paul que nous venons de voir prier avec vous. » A ces mots, Tite et Luc revinrent et les baptisèrent avec çrande joie. Or, la tête de Paul fut jetée dans une vallée, et comme il y en avait beaucoup qui avaient été tués et qu'on avait j(*tés au même endroit, on ne put la retrouver. Mais

SAINT PAUL, AI'ÛTHE 203

on lit dans la même épîlre de saint Denys, qu'un jour l'on curait une fosse, on jeta la tête de saint Paul avec les autres immondices. Un berger la prit avec sa houlette et l'attacha sur la bergerie. Pendant trois nuits consécutives, son maitre et lui virent une lumière ineffable sur cette tête; on en fit part à Tévêque, et on dit : a Vraiment, c*est la tète de saint Paul. » L'évêque vint avec toute l'assemblée des fidèles ; ils prirent cette tête, l'emportèrent et ils la mirent sur une table d'or, ensuite ils essayaient de la réunir au corps. Le patriarche leur dit : a Nous savons que beau- coup de fidèles ont été tués et que leurs têtes furent dispersées; c'est pourquoi je n'oserais mettre celle-ci sur le corps de saint Paul; mais plaçons-la aux pieds du corps et demandons au Dieu tout puissant, que si c'est sa tête, le corps se tourne et se joigne à la tête. Du consentement général, on plaça cette même tête aux pieds du corps de saint Paul, et comme tout le monde était en prière, on fut saisi de voir le corps se tourner et se joindre exactement à la tête. Alors ou bénit Dieu et on connut que c'était bien véritablement le chef de saint Paul (saint Denys). »

Saint Grégoire de Tours, qui vécut du temps de Justin le jeune, rapporte* qu*un homme au désespoir préparait un lacet pour se pendre, sans pourtant ces- ser d'invoquer le nom de saint Paul, en disant: « Ve- nez à mon secours, saint Paul. » Alors lui apparut une ombre dégoûtante qui l'encourageait en disant : « Allons, bon homme, fais ce que tu as à faire, ne

* Mirac^y lib. I, c. xxix ; Vincent de B., Ilist., 1, X, c. xai.

204 LA LEGENDE DOREE

perds pas de temps. » Mais il disait toujours, en ap- prêtant son lacet : « Bienheureux Paul, venez à mon secours. » Quand le lacet fut achevé, une autre om- bre lui apparut ; elle avait une forme humaine, et elle dit à Tombrequi encourageait cet homme: « Fuis, mi- sérable, car il a appelé saint Paul et le voilà qui vient. » Alors Tombre dégoûtante s'évanouît et le malheureux rentrant en lui-même jeta son lacet et fit une pénitence convenable. » Il se fait grand nombre de miracles avec les chaînes de saint Paul, et quand beaucoup de personnes en demandent un peu de limaille, un prêtre en détache avec une lime quelques parcelles si vite que cela est fait à l'instant. Cependant il arrive que d'au- tres personnes, qui en demandent, n'en peuvent obte- nir, car c'est inutilement que l'on passe la lime ; elle n'en peut rien détacher. Dans la même épître citée plus haut, saint Denys pleure la mort de saint Paul, son maître, avec des expressions touchantes : « Qui donnera de l'eau à mes yeux, et à mes paupières une fontaine de larmes afin de pleurer, le jour et la nuit, la lumière des Eglises qui vient de s'éteindre? Qui est- ce qui ne pleurera et ne gémira pas? Quel est celui qui ne prendra pas des habits de deuil et ne restera pas muet d'effroi? Voici en effet que Pierre, le fonde- ment des Eglises, la gloire des saints apôtres, s'est re- lire de nous et nous a laissés orphelins; Paul aussi, cet ami des gentils, le consolateur des pauvres, nous fait défiiut, et il a disparu pour toujours celui qui fut le père des pères, le docteur des docteurs, le pasteur (les pasteurs. Cet abîme de sagesse, cette trompette re- tentissante, ce prédicateur infatigable de la vérité, en

SAINT PAUL, APOTRE 205

un moty c'est de Paul le plus illustre des apôtres que je parle. Cet ange de la terre, cet homme du ciel, cette image de la divinité, cet esprit divin nous a délaissés tous, nous dis-je, misérables et indignes, au milieu de ce monde qui ne mérite que mépris et qui est rempli de malice. Il est avec Dieu son maître et son ami : hélas I mon frère Timothée, le chéri de mon cœur, est ton père, ton maître et ton ami ? Il ne t'adressera donc plus de salut? Voilà que tu es devenu orphelin, et que lu es resté seul ; il ne t'écrira plus, de sa très saintemain,ces douces paroles : «Très cher fils ; viens, « mon frère Timothée. » Que s'est-il passé ici de triste, d'affreux, de pernicieux pour que nous soyons devenus orphelins? Tu ne recevras plus de ses lettres tu pouvais lire ces paroles : « Paul, petit serviteur de « J.-C. » Il n'écrira plus désormais de toi aux cités: « Recevez mon fils chéri. » Ferme, mon frère, les li- vres des prophètes; mets-y un sceau, parce que nous n^avons plus personne pour nous en expliquer les pa- raboles, les comparaisons et le texte. Le prophète David pleurait son fils en s'écriant : « Malheur à moi, « mon fils, malheur à moi ! » Et moi je m'écrie : Mal- heur à moi, mon maître, oui, malheur à moi I Depuis lors a cessé tout à fait cette affluence de tes disciples qui venaient à Rome et qui demandaient à nous voir. Personne ne dira plus : Allons trouver nos docteurs, et interrogeons-les sur la direction à imprimer aux Eglises qui nous sont confiées, et ils nous expliqueront les paroles de Notre-Seigneur J.-C. et celles des pro- phètes. Malheur, malheur à ces enfants, mon frère, parce qu'ils sont privés de leurs pères spirituels, parce

206 LA LÉGENDE DORÉE

que le troupeau est abandonné ! Malheur à nousaussi, frère, parce que nous sommes privés de nos mattres spirituels qui possédaient l'intelligence et la science de Tancienne et de la nouvelle loi fondues dans leurs épîtres ! sont les courses de Paul elles vestiges de ses saints pieds ? est cette bouche éloquente, cette langue qui donnait des avis si prudents ; cet es- prit toujours en paix avec son Dieu ? Qui est-ce qui ne pleurera pas et ne fera pas retentir Tair de cris ? Car ceux qui ont mérité de recevoir de Dieu gloire et honneur sont traînés à la mort comme des malfai* teurs. Malheur à moi qui ai vu à cette heure ce corps saint tout couvert d'un sang innocent ! Ah ! quel mal- heur pour moi ! mon père, mon maître et mon doc- teur, vous ne méritiez pas de mourir ainsi. Et main- tenant donc, irai-je vous chercher, vous la gloire des chrétiens, l'honneur des fidèles? qui a fait taire votre voix, vous qui faisiez entendre dans les églises des paroles qui avaient la douceur de la flûte, et la sonorité d'un instrumenta dix cordes ? Voilà que vous êtes auprès du Seigneur votre Dieu que vous avez dé- siré de posséder et après lequel vous avez soupiré de tout votre cœur. Jérusalem et Rome, vous vous êtes associées et unies pour faire le mal, Jérusalem a crucifié Notre-Seigneur J.-C, et Rome a tué ses apô- tres. Cependant Jérusalem a obéi à celui qu'elle avait crucifié, comme Rome a établi une solennité pour glorifier celui qu'elle a tué. El maintenant, mon frère Timothée, ceux que vous aimiez et que vous regrettiez de tout cœur, je parle du roi Saul, et de Jonathas, ils n'ont été séparés ni dans la vie, ni dans la mort, et

SAINT PAUL, APOTRE 207

moi je ne fus séparé de mon seigneur et maf Ire que quand des hommes aussi méchants qu'injustes nous ont séparés. Or, l'heure de cette séparation n'aura qu'un temps: son ftme connaît ses amis, sans que ceux- ci lui parlent, et bien qu'ils soient loin d'elle ; mais au jour de la résurrection, ce serait un bien grand dom- ma^ d'en être séparé. » Saint Jean Chrysostome, dans son livre de V Eloge de saint Pauly ne tarit pas quand il parle de ce glorieux apôtre. Voici ses paroles : « Ce- lui-là ne s'est pas trompé qui a appelé l'âme de saint Paul un champ magnifique de vertus et un paradis spirituel. trouver une langue digne de le louer, lui dont l'âme possède à elle seule tous les biens qui se peuvent rencontrer dans tous les hommes, et qui réu- nit non seulement chacune des vertus humaines, mais, ce qui vaut mieux encore, les vertus angéliques ? Loin de nous arrêter, cette considération nous encourage à parler. C'est faire le plus grand éloge d'un héros que d'avouer que sa vertu et sa grandeur sont au-dessus de tout ce qu'on en peut dire. 11 est glorieux pour un vainqueur d'être ainsi vaincu. Par quoi donc pouvons- nous mieux commencer ce discours qu'en disant qu'il a possédé tous les biens ? »

On loue Abcl d'un sacrifice qu'il a offert à Dieu ; mais si nous montrons toutes les victimes de Paul, ii l'emportera de toute la hauteur qui sépare le ciel de la terre ; puisque, chaque jour il s'immolait lui- même par un double sacrifice, celui delà mortification du coeur et celui du corps. Ce n'étaient ni des brebis, ni des bœufs qu'il offrait, c'était lui-môme qui s'im- molait doublement. Ce n'est pas encore assez au gré

208 LA LÉGENDE DOREE

de ses désirs ; il voulut offrir Tunivers en holocauste, la terre, la mer, les Grecs, les barbares, tous les pays éclairés par le soleil, qu*il parcourt avec la rapidité du vol, il trouve des hommes, ou, pour mieux dire, des démons, qu'il élève à la dignité des anges. rencontrer une hostie comparable à celle que Paul a immolée avec le glaive de rEspritrSaint, et qu'il a of- ferte sur un autel placé au-dessus du ciel ? Abel a péri sous les coups d'un frère, Paul a été tué par ceux qu'il souhaitait arracher à d'innombrables maux. Voulez- vous que je vous compte tous les genres de morts de Paul, autant vaut compter les jours qu'il a vécu? Noé se sauva dans l'arche lui et ses enfants : saint Paul construisit une arche pour sauver d'un déluge bien autrement affeux, non pas en assemblant des pièces de bois ; mais en composant ses épîtres, il a délivré le monde en danger au milieu des flots. Or, cette arche n'est pas portée sur des vagues qui battent un seul ri- vage, elle va sur tout le globe. Ses tablettes ne sont en- duites ni de poix ni de bitume,elles sont imprégnées du parfum du Saint-Esprit : Il les écrit et par elles, de ceux qui étaient, pour ainsi dire, plus insensés que les êtres sans raison, il en fait les imitateurs des anges. Il l'emporte encore sur l'arche qui reçut le corbeau et ne rendit que le corbeau, qui avait renfermé le loup sans lui faire perdre son naturel farouche : tandis que Paul prend les vautours et les milans pour en faire des colombes, pour inoculer la mansuétude de Tesprit dans des cœurs féroces. On admire Abraham qui, par Tordre de Dieu, abandonna sa patrie et ses parents ; mais comment l'égaler à Paul. Il n'a pas seulement

SAINT PAUL, APOTRE 209

quitté son pays, ses parents, c'est le monde lui-même, cesl plus encore, c'est le ciel, le ciel des cieux; il mé- prise tout cela afin de servir J.-C, ne se réservant à la place qu'une seule chose, la charité de Jésus. « Ni les choses présentes, dit-il, ni celles qui sont à venir, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, nullecréature enfin ne me pourra jamais séparer de Ta- mourde Dieu qui est fondé en J.-C. N.-S. » Abraham s'expose au danger pour délivrer de ses ennemis le fils de son frère, mais Paul, afin d'arracher l'univers à la puissance des démons, a affronté des périls sans nom- bre et a mérité aux autres une pleine sécurité par la mort qu'il souffrait tous les jours. Abraham encore a voulu immoler son fils. Paul s'est immolé lui-même des milliers de fois. Il s'en trouve qui admirent la pa- tience d'Isaac laissant combler le puits creusé par ses mains; mais ce n'étaient pas des puits que Paul lais- sait couvrir de pierres, c'était son corps à lui, et ceux qui l'écrasaient, il cherchait à les élever jusqu'au ciel. Et plus cette fontaine était comblée, plus haut elle jaillissait, plus elle débordait, au point de donner naissance à plusieurs fleuves. L'écriture parle avec admiration de la longanimité et de la patience de Jacob; eh bien! trouvez une âme à la trempe de diamant qui atteigne à la patience de Paul. Ce n'est pas pendant sept ans, mais toute sa vie qu'il s'enchaîne à l'escla- vage pour l'épouse de J.-C. Ce n'est pas seulement la chaleur du jour ni le froid des nuits : ce sont mille épreuves qui l'assaillent. Tantôt battu de verges, tan- tôt accablé et broyé sous une grêle de pierres, toujours il se relève pour arracher les brebis de la gueule des n. li

210 LA LÉGENDE DOREE

démons. Joseph est illustre par sa pureté; mais j'au- rais à craindre de tomber ici dans le ridicule en vou- lant louer saint Paul, lui qui se crucifiait lui-même, voyait toute la beauté du corps humain et tout ce qui paraît brillant du même œil que nous regardons de la fumée et de la cendre, semblable à un mort qui reste immobile à côté d'un cadavre. Tout le monde est effrayé de la conduite de Job. C'était en effet un mer- veilleux athlète. Mais Paul n*eut pas à soutenir des combats de quelques mois, son agonie dure des années. Sans être réduit à racler ses plaies avec des morceaux de vase, il sort éclatant de la gueule du lion qui, dans la personne de Néron, s'est jeté sur lui coup sur coup : et après des combats et des épreuves innom- brables, il avait l'éclat de la pierre la mieux polie. Ce n'était pas de trois ou quatre amis, mais de tous les infidèles, de ses frères même, qu'il eut à endurer les opprobres ; il fut conspué et maudit de tous. II exer- çait cependant largement l'hospitalité ; il était plein de sollicitude à l'égard des pauvres ; mais l'intérêt qu'il portait aux infirmes, il retendait aux âmes souffrantes. La maison de Job était ouverte à tout venant ; l'âme de Paul renfermait le monde. Job possédait d'im- menses troupeaux de bœufs et de brebis, il était libé- ral envers les indigents : Paul ne possède rien que son corps et il se partage en faveur des pauvres. « Ces mains, dit-il, ont pourvu à mes besoins propres, comme aux besoins de ceux qui étaient avec moi. » Job rongé par les vers souffrait d'atroces douleurs; mais comptez les coups reçus par Paul, calculez à (|aelles angoisses l'ont réduit la faim, les chaînes et

SAINT PAUL, APOTRE 2 1 1

les périls qu'il a subis de la part de ses familiers, comme des étrangers, de Tunivers entier, en un mot : voyez la sollicitude qui le dévore pour toutes 1rs Églises, le feu qui le brûle quand il sait quelqu'un scandalisé, et vous comprendrez que son âme était plus dure que la pierre, plus forte que le fer et que le diamant.

Ce que Job souffrait dans ses membres, Paul le souffrit en son ftme. Les chutes de chacun de ses frères lui causaient des chagrins plus vifs que toutes les douleurs; aussi coulait-il de ses yeux, le jour comme la nuit, des fontaines de larmes. C'étaient les étreintes d'une femme en travail : « Mes petits enfants, s'écriait-il, je sens de nouveau pour vous les douleurs de l'enfantement. » Moïse, pour le salut des Juifs, s'offrit à être effacé du livre de vie : Moïse donc s'of- frit à mourir avec les autres, mais Paul voulait mou- rir pour les autres, non pas avec ceux qui devaient périr, mais pour obtenir le salut d'autrui, il engageait son salut éternel. Moïse résistait à Pharaon ; Paul luttait tous les jours avec le démon ; le premier com- battait pour une nation, le second pour l'univers, non pas jusqu*à la sueur de son front, mais jusqu'à donner son sang. Jean se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage, Paul au milieu du tourbillon du monde comme le précurseur au milieu du désert, n'avait pas même de sauterelles ni de miel. Il se con- tentait de mets moins recherchés encore. Sa nour- riture était le feu de la prédication. Toutefois devant Néron, Jean fit preuve d'un grand courage, mais ce ne fut pas un, ni deux, ni trois, mais des tyrans sans

212 LA LKGENDE DOREE

nombre, aussi haut placés et plus cruels encore que Paul eut à reprendre.

Il me reste à comparer Paul avec les anges; sa part n'est pas moins brillante, puisqu'il n'eut souci que d'obéir à Dieu. Quand David s'écriait transporté d'ad- miration : « Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes ses anges, qui êtes puissants et remplis de force pour faire ce qu'il vous dit, pour obéir à sa voix et à ses ordres. Mon Dieu, dit-il ailleurs, vous rendez vos an- ges légers comme le vent et vos ministres actifs comme «les flammes ardentes. » Mais nous pouvons trouver ces qualités dans Paul. Semblable à la flamme et au vent il a parcouru l'univers, et, dans sa course, il l'a purifié. Toutefois il n'était pas encore participant de la béatitude céleste ; et c'est le prodige qu'il ait tant fait n'étant encore revêtu que d'une chair mortelle. Quel sujet de condamnation pour nous de n'avoir point à cœur d'imiter la moindre des qualités qui se trouvent réunies dans un seul homme ! Sans avoir reçu ni une autre nature ni une autre âme que nous, sans avoir habité un autre monde, mais placé sur la même terre et dans les mêmes régions, élevé sous l'empire des mêmes lois et des mêmes usages, il a surpassé tous les hommes de son siècle et ceux du siècle à venir. Ce que je trouve d'admirable en lui, c'est que non seulement dans l'ardeur de son zèle, il ne sentait pas les peines qu'il essuyait pour la vertu, mais qu'il em- brassa ce noble parti sans attendre aucune récompense, l/attrait d'une rétribution ne nous engage point à en- trer dans la lice saint Paul courait avec empresse- ment, saus qu'aucun prix vnit animer son courage et

SAINT PAUL, APOTRE 2i3

son amour ; et il acquérait chaque jour plus de force, il montrait une ardeur toujours nouvelle au milieu des périls. Menacé de la mort, il invitait les peuples à par- tager la joie dont il était pénétré: « Réjouissez-vous, leur disait-il, et félicitez-moi. » Il courait au-devant des affronts et des outrages que lui attirait la prédi- cation, beaucoup plus que nous ne cherchons la gloire et les honneurs ; il désirait la mort beaucoup plus que nous n'aimons la vie ; il chérissait beaucoup plus la pauvreté que nous n'ambitionnons les richesses ; il embrassait les travaux et les peines avec beaucoup plus d'ardeur que nous ne désirons les voluptés et le re- pos après les fatigues; il s'affligeait plus volontiers que les autres ne se réjouissent; il priait pour ses ennemis avec plus de zèle que les autres ne s'emportent contre eux en imprécations. La seule chose devant laquelle il reculait avec horreur, c'était d'offenser Dieu ; mais ce qu'il désirait surtout, c'était de lui plaire. Aucun des biens présents, je dis même aucun des biens futurs, ne lui semblait désirable ; car ne me parlez pas de villes, de nations, d'armées, de provinces, de riches- ses, de puissance ; tout cela n'était à ses yeux que des toiles d'araignée; mais considérez le bonheur qui nous est promis dans le ciel, et alors vous verrez tout l'excès de son amour pour Jésus. La dignité des anges et des archanges, toute la splendeur céleste n'étaient rien pour lui en comparaison de la douceur de cet amour; l'amour de Jésus était pour lui plus que tout le reste. Avec cet amour il se regardait comme le plus heureux de tous les êtres ; il n'aurait pas voulu, sans cet amour, habiter au milieu des Thrônes et des Domina- II. 14-

214 LA LÉGENDE DOREE

lions, il aurait mieux aimé, avec la charité de Jésus, être le dernier de la nature, se voir condamné aux plus grandes peines, que, sans elle, en être le premier et ob- tenir les plus magnifiques récompenses. Être privé de celte charité était pour lui le seul supplice, le seul tourment, le seul enfer, le comble de tous les maux ; posséder cette même chariléétait pour lui la seulejouis- sance ; c'était la vie, le monde, les anges, les choses pré- sentes et futures, c'était le royaume, c'étaient les pro- messes, c'était le comble de tous les biens; tous les objets visibles, il les méprisait comme une herbe desséchée. Les tyrans, les peuples furieux, ne lui paraissaient que des insectes importuns ; la mort, les supplices, tous les tourments imaginables, ne lui semblaient que des jeux d'enfants, à moins qu'il ne fallût les souffrir pour l'a- mour de J.-C, car alors il les embrassait avec joie, et il se glorifiait de ses chaînes plus que Néron du diadème qui décorait son front. Sa prison, c'était pour lui le ciel même ; les coups de fouet et les blessures lui sem- blaient préférables à la couronne de Tathlète vain- queur. Il ne chérissait pas moins la récompense que le travail qu'il regardait comme une récompense ; aussi Tappelaît-il une grâce ; puisque ce qui cause en nous de la tristesse lui procurait une satisfaction abondante. 11 gémissait sous le poids d'une peine continuelle, et il disait : « Qui est scandalisé, sans que je brûle A moins qu'on ne dise que cette peine était assaisonnée d'un certain plaisir. Ainsi, blessée du coup qui a tué son fils, une mère éprouve quelque consolation à se trouver seule avec sa douleur, tandis que son cœur est j)lus oppressé lorsqu'elle ne peut donner un libre

SAINT PAUL, APOTRE 2i3

coOTS à s^s larmes. De même saint Paul recevait un soulagement de pleurer nuit et jour ; car jamais per- sonne ne déplora ses propres maux aussi vivement que cet apôtre déplorait les maux d'autrui. Quelle était, croyez-vous, sa douleur en voyant que c'en était fait des Juifs, lui qui demandait d'être déchu de la gloire céleste, pourvu qu'ils fussent sauvés ? A quoi donc pourrait-on le comparer ? à quelle nature de fer ? à quelle nature de diamant ? de quoi dirons-nous qu'é- tait composée son âme? de diamant ou d'or? elle était plus ferme que le plus dur diamant, plus précieuse que l'or et que les pierreries du plus grand prix. A quoi donc pourra-t-on comparer cette âme ? à rien de ce qui existe. 11 y aurait peut-être une comparaison pos- sible, si, par une heureuse alliance, on donnait à l'or la force du diamant ou au diamant l'éclat de l'or. Mais pourquoi le comparer à l'or et au diamant? mettez le nionde entier dans la balance, et vous verrez que l'âme ^^ Paul l'emportera. Le monde et tout ce qu'il y a dans le monde ne valent pas Paul. Mais si le monde ^^ le vaut pas, qu'est-ce qui le vaudra ? peut-être le c'cl. Mais le ciel lui-même n'est rien en comparaison ^^ Paul ; car s'il a préféré lui-môme l'amour de Dieu ^" ciel et à tout ce qu'il renferme, comment le 6ei-

Ç'ïeur^ dont la bonté surpasse autant celle de Paul que ^^^Ontémême surpasse la malice, ne le préférerait-il

P^^ à tous les cieux? Dieu, oui. Dieu nous aime bien

'^"^ que nous ne l'aimons, et son amour surpasse le

^**€ plus qu'il n'est possible de l'exprimer. 11 Va ravi

. .'^^ le paradis, jusqu'au troisième ciel. Et cette faveur

'^tait due, puisqu'il marchaitsur la terre comme s'il

216 LA LÉGENDE DOREE

eût conversé avec les anges, puisque, enchaîné à un corps mortel, il imitait leur pureté ; puisque, sujet à mille besoins et à mille faiblesses, il s'efforçait de ne pas se montrer inférieur aux puissances célestes. Il a parcouru toute la terre comme s'il eût eu des ailes : il était au-dessus des travaux et des périls, comme si déjà il eût pris possession du ciel ; il était éveillé et atten- tif comme s'il n'eût point eu de corps; et niéprisait les choses de la terre comme s'il eût habité au milieu des puissances incorporelles. Des nations diverses ont été souvent confiées au soin des anges ; mais aucun d'eux n'a dirigé la nation remise à sa garde comme Paul a dirigé toute la terre. Comme un père qui voyant son enfant égaré par la frénésie serait d'autant plus tou- ché de son état, et verserait d'autant plus de larmes que, dans les violences de ses transports, il lui épar- gnerait moins les outrages et les coups ; ainsi le grand apôtre prodiguait à ceux qui le maltraitaient tous les soins d'une piété ardente. Souvent il gémissait sur le sort de ceux qui l'avaient battu de verges cinq fois, qui étaient altérés de son sang, il s'affligeait et priait pour eux en disant : « Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon cœurune grande affection pour le salul (l'Israël et que je le demande à Dieu par mes prières. » En voyant leur réprobation, il était pénétréd'une dou- leur excessive. Et comme le fer jeté dans le feu de- vient feu tout entier, de môme Paul, enflammé du feu de la charité, était devenu tout charité. Comme s'il eût été le père commun de toute la terre, il imita, ou plu- tôt il surpassa tous les pères, quels qu'ils fussent, pour les soins temporels et spirituels. Car c'était chacun

SAINT PAUL, APOTRE 2i7

des hommes qu'il souhaitait présenter à Dieu, comme si lui seul eût engendré le monde entier ; de telle sorte qu'il avait hâte d'en introduire tous les habitants dans le royaume de Dieu, se donnant corps et âme pour eux qu'il chérissait. Cet homme ignoble, cet artisan qui préparait des peaux acquit un tel courage qu'en trente ans à peine, il soumit au joug de la vérité les Romains et les Perses, les Parthes avec les Mèdes, les Indiens et les Scythes, les Ethiopiens et les Sarmates, les Sarrasins, enfin toutes les races humaines, et sem- blable à du feu jeté dans la paille et le foin, il dévorait foutes les œuvres des démons. Au son de sa voix, tout disparaissait comme dans le plus violent incen- die, tout cédait, et culte des idoles, et menaces des tyrans, et embûches des faux frères. Comme au pre- mier rayon du soleil les ténèbres fuient, les adultères et les voleurs disparaissent, les homicides se cachent dans les antres, le grand jour brille, tout est éclain^ de l'éclat de sa présence, de même et mieux encon», partout Paul sème la bonne nouvelle, Terreur était chassée, la vérité renaissait, les adultères et antres abominations disparaissaient, ainsi que la paille jetée au feu. Brillante comme la flamme, la vérité s'élevait resplendissante jusqu'à la hauteur des cieux, soulevée, pour ainsi dire, par ceux qui semblaient Tétoufl^er ; les {>érils et les violences ne savent en arrêter la marche. Telle est l'erreur qui, si elle ne rencontre pas d'obsta- cles, s'use ou disparaît insensiblement, telle au con- traire est la vérité, qui, sous les attaques de nombreux- adversaires, renaît et s'étend. Or, puisque Dieu nous a tellement ennoblis que par nos efforts nous pouvons

218 LA LÉGENDE DORÉE

parvenir à devenir semblables à lui^afin de nous ôler le prétexte que pourrait suggérer notre faiblesse, nous avons en commun avec lui le corps, l'âme, les ali- ments, lé même créateur, et de plus son Dieu c'est no- tre Dieu. Voulez-vous connaître les dons que le Sei- gneur lui a départis? Ses vêtements étaient la terreur des démons. Un prodige plus merveilleux encore, c'est que quand il bravait les périls, on ne pouvait le taxer de témérité, ni lui reprocher de la timidité lorsqu'ils surgissaient. C'était pour avoir le temps d'instruire qu'il aimait la vie présente, tandis qu'elle ne restait qu'un sujet de mépris dès lors que par la sagesse qui l'éclairait, il entrevoyait combien le monde est vil. En- fin voyez-vous Paul s'échapper au péril ? gardez-vous de l'en admirer moins que quand il a le plaisir de s'y exposer. Cette conduite annonce autant de fermeté d'une part, que de sagesse de l'autre. L'entendez-vous parler de lui avec quelque satisfaction ? vous pouvez l'admirer autant que lorsque vous le voyez se mépri- ser. Ici c'est de la grandeur d'âme, de Thumilité. C'était un plus grand mérite à lui de parler de soi que de taire ses louanges, car s'il ne les avait dîtes, il eût été plus coupable que ceux qui se vantent à tout pro- pos; en effet s'il n'eût pas été glorifié, il eût entraîné dans la ruine ceux qui lui avaient été confiés, tandis (ju'en s'humiliant, il les élevait. Paul a mérité plus eu se glorifiant qu'un autre qui aurait caché ce qui le dis- tingue : celui-ci, par l'humilité qui lui fait cacher ses mérites, gagne moins que celui-là en les manifestant. C'est un grand défaut de se vanter, c'est le fait d'un extravagant de vouloir accaparer les louanges dès lors

SAJNT PAUL, APOTRE 219

qu'il n'y a aucune nécessité. Il est évident que Dieu n'est pas et que c'est folie ; quand bien même on l'aurait gagnée à la sueur de son front^ on perd sa récompense. S'élever au-dessus des autres dans ses propos, se vanter avec ostentation n'appartient qu'à un arrogant ; mais rapporter ce qui est d'essentielle nécessité, c'est le propre d'un homme qui aime le bien, qui cherche à se rendre utile. Telle fut laconduitede Paul, qui, pris pour un fourbe, se crut obligé de don- ner des preuves manifestes de sa dignité; toutefois, il s'abstient de dévoiler bien des choses et de celles qui étaient de nature à l'honorer le plus. « J'en viendrai maintenant, dit-il, aux visions et aux révélations du Seigneur », et il ajoute: « Mais je me retiens. » Pas un prophète, pas un apôtre n'eut aussi souvent que Paul des entretiens avec Dieu, et c'est ce qui le fait s'humilier davantage. Il parut redouter les coups afin de vous apprendre qu'il y avait en lui deux éléments : sa volonté ne l'élevait pas seulement au-dessus du commun des hommes, mais elle en faisait un ange. Redouter les coups n'est pas un crime, c'est de com- mettre une indignité par la peur qu'ils inspirent. Dès lors qu'en les craignant, il sort victorieux delà lutte, il est bien autrement admirable que celui que la peur n'atteint pas ; comme ce n'est pas une faute de se plain- dre mais de dire ou de faire par faiblesse ce qui dé- plaît à Dieu. Nous voyons par ce que fut Paul ; avec les infirmités de la nature, il s'éleva au-dessus de la nature, et s'il redouta la mort, il ne refusa pas de la subir. Être l'esclave des infirmités, c'est un crime, mais ce n'est pas d'être revêtu d'une nature qui y est

220 LA LÉGENDE DORÉE

sujette ; de telle sorte que c*est un titre de gloire pour lui d'avoir, par force de volonté, surmonté la faiblesse de la nature ; ainsi il se laissa enlever Paul surnommé Marc. Ce fut ce qui l'anima dans tout le cours de sa prédication, car ce ministère ne s'exerce pas avec mol- lesse et irrésolution, mais bien avec une force et un courage constamment égaux qui s'engage dans cette fonction sublime doit être disposé à s'offrir mille fois à la mort et aux dangers. S'il n'est pas animé par cette pensée, son exemple perdra un bien grand nombre de fidèles ; mieux vaudrait qu'il s*abstînt et qu'il s'occu- pât uniquement de soi-même. Un pilote, un gladia- teur, un homme qui combat les bêtes féroces, per- sonne enfin n'est obligé d'avoir le cœur disposé au danger et à la mort, comme celui qui s'est chargé d'annoncer la parole de Dieu ; car celui-ci a à courir de bien plus grands périls, et il doit combattre des adversaires plus violents et d'une toute autre condi- tion ; c'est avoir le ciel pour récompense ou l'enfer pour son supplice. Si entre quelqu'un d'eux, il surgit une contestation, ne regardez pas cela comme un crime, il n'y a faute que quand la querelle est sans prétexte et sans juste motif. Il faut y voir l'action de la Providence qui veut réveiller de l'engourdissement et de rinertie les ànies endormies et découragées. Comme l'épée a son tranchant, l'âme aussi a reçu le tranchant de la colère dont elle doit user au besoin. La douceur est bonne en tout temps; cependant il faut l'employer selon les circonstances, autrement elle de- vient un défaut. Aussi Paul Va mise en pratique et dans sa colère il valait mieux que ceux dont le langage

SAINT PAUL, APOTRE 221

ne respirait pas la modestie. Le merveilleux en lui était que, chargé de chatnes, couvert de coups et de bles- sures, il fut plus brillant que ceux qui sont ornés de l'éclat de la pourpre et du diadème. Alors qu'il était traîné chargé de chatnes à travers des mers immen- ses, sa joie était aussi vive que si on l'eût mené prendre possession d'un grand royaume. A peine est-il entré dans Rome qu'il cherche à en sortir pour parcourir l'Espagne. Il ne prend pas même un jour de repos; le feu est moins actif que son zèle à évangéliscr; les pé- rils, illes brave, les moqueries, il ne sait en rougir. Ce qui met le comble à mon admiration, c'est qu'a- vec une pareille audace, quand il était constamment armé pour le combat, lorsqu'il ne respirait qu'une ar- deur toute guerrière, il restait calme et prêt à tout. Il vient de sévir, ou plutôt sa colère vient d'éclater quand on lui commande d'aller à Tharse ; et il y va. On lui dit qu'il faut descendre par la muraille dans une cor- beille, il se laisse faire. Et pourquoi? pour évangéliser encore et traîner à sa suite vers J.-C. une multitude de croyants. Il ne redoutait qu'un malheur, c'était de quitter la terre et de ne pas avoir sauvé le plus grand nombre. Quand des soldats voient leur général cou- vert de blessures, ruisselant de sang, sans que toute- fois il cesse de tenir tète à l'ennemi, mais que tou- jours il brandit sa lance, jonche le sol des cadavres qui sont tombés sous ses coups, et qu'il ne compte pour rien sa propre douleur, un pareil sang-froid les élec- trise. Il en advint ainsi à Paul. Quand on le voyait chargé de chaînes et préchant néanmoins dans sa pri- son, quand on le voyait blessé et convertissant ceux

222 LA LÉGENDE DOREE

qui le frappaient, il y avait certes de quoi puiser une grande confiance. 11 veut le faire entendre alors qu'il dit que plusieurs de ses frères en Notre-Seigneur, se rassurant par cet heureux succès de ses liens, ont conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer la parole de Dieu sans aucune crainte. Il en concevait lui-même une joie plus ferme, et son courage contre ses adver- saires s'en augmentait d'autant. Comme du feu tom- bant sur une grande sorte de matières se nourrit et s'étend, de même le langage de Paul attire tous ceux qui Técoutent. Ses adversaires deviennent la pâture de ce feu, puisque, par eux, la flamme de l'Evangile aug- mentait de plus en plus (saint Jean Chrysostome).

LES SEPT FRÈRES QUI FURENT LES FILS

DE SAINTE FÉLICITÉ

Les sept frères étaient fils de sainte Félicité; leurs noms sont : Janvier, Félix, Philippe, Silvain, Alexan- dre, Vital et Martial. D'après l'ordre de l'empe- reur Antonin, ils furent amenés tous avec leur mère auprès du préfet Publius qui les avait mandés devant lui, et qui exhorta la mère à avoir pitié d'elle et de ses enfants : Elle dit : « Je ne me laiss^^rai ni gagner par tes caresses, ni effrayer par tes menaces. Ma confiance repose dans l'Esprit-Saint que je possède ; vivante, je triompherai de toi, mais morte, ma vic- toire sera encore plus grande. » Et se tournant vers ses enfants, elle dit : « Mes enfants, levez la tête et

LES SEPT FRERES, FILS DE SAINTE FÉLICITÉ 223

regardez le ciel, mes très chers, car c'est que J.-C. nous attend. Combattez avec courage pour J.-C. et persistez dans son amour. » Quand le préfet eut en- tendu cela, il lui fit donner des soufflets. Et comme la mère et ses fils paraissaient très constants dans la foi, tous furent tués dans divers supplices sous les yeux de leur mère qui les encourageait. Cette sainte Félicité est appelée par saint Grégoire plus que mar- tyre, parce qu'elle fut martyrisée sept fois dans ses enfants et la huitième fois dans son propre corps. Le même saint parle ainsi dans ses homélies : « Sainte Félicité qui, par sa foi, fut la servante de J.-C, de- vint aussi martyre du même J.-C. par sa prédication. Elle craignait de laisser vivre, après elle, les sept en- fants qu'elle avait, autant que les parents charnels ont coutume de craindre de leur survivre. Elle en- fanta dans l'esprit ceux qu'elle avait enfantés dans la chair, afin de donner à Dieu par ses paroles ceux <|u'elle avait donnés au monde par la chair. Ces en- fants qu'elle savait être son sang, elle ne pouvait les voir mourir sans douleur, mais elle avait dans le cœur un amour si fort qu'elle put surmonter la dou- leur corporelle. Aussi ai-jebien raison d'appeler cette femme plus qu'une martyre, car elle mourut autant de fois et avec tant de douleur qu'elle avait de fils. Après avoir mérité tous ces martyres, elle obtint pour elle aussi la palme victorieuse des martyrs ; car ce ii*était pas assez pour l'amour qu'elle portait à J.-C. que de mourir une seule fois. » Ils souflFrirent vers l'an du Seigneur HO.

224 LA LÉGENDE DORÉE

SAINTE THÉODORE *

L'interprétation de Saincte Théodore. Théodore est dicte atheos, c'est-à-dire Dieu. Et de oraison, et ce vault autant adiré comme oraison a Dieu. Car elle oura et depria tant Dieu que le pechie quelle avoit fait lui fust pardonne.

Théodore était une femme mariée et de noble ex- traction. Du temps de l'empereur Zenon, elle habi- tait Alexandrie avec son époux, homme riche et crai- gnant Dieu. Or, le démon, jaloux de la sainteté de Théodore, enflamma un riche de concupiscence pour elle. Il la fatiguait de messages répétés et de présents afin de la faire consentir à sa passion ; mais elle ren- voyait ses messagers avec dédain et méprisait ses pré- sents. Il la tourmentait au point de ne lui laisser au- cun instant de repos et peu s'en fallut qu'elle en perdît la vie. Enfin il lui adressa une magicienne, qui l'exhortait beaucoup à avoir pitié de cet homme et à se rendre à ses désirs. Or, comme Théodore ré- y pondait que jamais elle ne commettrait un péché si F énorme sous les yeux de Dieu qui voit tout, la magi- cienne ajouta : « Tout ce qu'on fait de jour, Dieu le sait certainement et le voit, mais tout ce qui se passe sur le soir et après le soleil couché. Dieu ne le voit pas du tout. » Et la jeune femme dit à la magicienne : « Est-ce que tu dis la vérité ? » « Oui, répondit-elle,

* II y avait une église du nom de celle sainte, à Paris, rue des Postes. Sa vie est lirée de Mëlaj)lirasle. Surius et Lepo- nianus Ki rapportent.

SAINTE THÉODORE 225

je disla vérité. » Théodore, trompée par les paroles de cette femme, lui dit de faire venir Thomme chez elle vers le soir et qu'elle accomplirait sa volonté. La magicienne ayant rapporté cela, cet homme entra dans des transports de joie ; il vint chez Théodore à rheure qu'elle avait indiquée, commit un crime avec elle et se retira. Mais Théodore rentrant en soi-même versait des larmes très amères, et se frappait la fi- ^re en disant : « Âh ! malheur à moi ! j'ai perdu mon âme ; j'ai détruit ce qui me rendait belle. » Son mari, revenu à la maison, voyant sa femme dans la désolation et dans les pleurs, sans en connaître la cause, s'efforçait de la consoler : mais elle ne voulait accepter aucune consolation. Le matin étant venu, die alla à un monastère de religieuses et demanda à Tabbesse si Dieu pouvait avoir connaissance d'un crime grave qu'elle avait commis à la chute du jour. L'abbesse lui répondit : « Rien ne peut être caché à Dieu qui sait et voit tout ce qui se passe, à telle heure que ce soit. » Théodore pleura amèrement et dit: « Donnez-moi le livre du saint Evangile, afin que moi-même je tire mon sort. » Et en ouvrant le livre, elle trouva ces mots : « Quod scripsi, scripsi, ce que j'ai écrit, je l'ai écrit. » Elle revint à sa maison et un jour, pendant que son mari était absent, elle se coupa la chevelure, prit les habits de son mari et alla en toute hâte à un monastère de moines éloigné de huit milles ; elle demanda à être reçue dans la communauté et l'obtint. Quand on lui demanda son nom, elle répon- dit qu'elle s'appelait Théodore. Elle s'acquittait en toute humilité de ce qu'on lui donnait à faire, et son II. ir»

226 LA LÉGENDE DOREE

service étail agréable à tout le inonde. Or, quelques années après, Tabbé appela frère Théodore, et lui commanda d'atteler les bœufs et d'aller chercher de Thuile à la ville. Quant à son mari, il pleurait beau- coup dans la crainte que sa femme ne fût partie avec un autre homme. Et voici que l'ange du Seigneur lui dit : « Lève-toi dès le matin ; reste dans la rue du martyre de saint Pierre, apôtre, et celle qui viendra au-devant de toi, ce sera ton épouse. » Après quoi, Théodore vint avec des chameaux ; elle vit et recon- nut alors son mari et se dit en elle-même. « Hélas ! mon bon mari, que de peines je me donne pour être délivrée du péché que j'ai commis conJLre toi ! » El ((uand elle se fut approchée, elle le salua en disant : « Joie à mon seigneur. » Or, il ne la reconnut point, mais après avoir attendu très longtemps et s'être dit qu'il avait été trompé, une voix se fit entendre qui lui dit : « Celui qui t*a salué hier matin, était ton épouse. »

La bienheureuse Théodore était d'une telle sainteté qu'elle opérait beaucoup de miracles : car elle arracha un homme de la gueule d'une bête féroce qui l'avait lacéré, et le ressuscita par ses prières. Elle poursuivit elle-même Tanimal, le maudit : et il tomba mort aus- sitôt. Mais le diable qui ne voulait point supporter sa sainteté lui apparut : « Prosliluée plus qu'aucune autre, lui dit-il, adultère, tu as quitté ton mari pour venir ici et me mépriser ; par toutes mes terribles puissances, je te livrerai des combats, et si je ne te fais renier le crucifié, tu pourras dire que ce n'est pas moi qui t*attaque, » Mais elle fit le signe de la croix

SAINTE THÉODORE 227

sur elle et à Finstant le démon disparut. Une autre fois, elle revenait de la ville avec des chameaux ; ayant reçu rhospitalité dans un endroit, une jeune fille vint la trouver la nuit et lui dit : « Dors avec moi. » Théo- dore l'ayant repoussée avec dédain, cette fille en alla trouver un autre qui était couché au même lieu. Or, quand elle se vit enceinte, on lui demanda de qui elle avait conçu, elle dit : « C'est le moine Théodore qui a dormi avec moi, » L'enfant étant né, on le porta à l'abbé du monastère. Celui-ci, après avoir tancé Théo- dore qui réclamait son indulgence, lui mit l'enfant sur les épaules et la chassa du monaslère. Or, elle ï^la pendant sept ans hors du cloître, et elle nourrit l'enfant du lait des troupeaux. Le diable, jaloux d'une grande patience, se présenta devant elle sous les •rails de son mari : « Que faites-vous ici, ma dame? lui dit-il. Voici que je languis pour vous, et ne puis trouver aucune consolation ; venez donc, ma lumière ; quand vous auriez fait le mal avec un autre homme, J* vous le pardonne. » Mais celle-ci, persiiadée que ^^lait son mari, lui répondit : « Je ne demeurerai plus désormais avec vous ; parce que le fils de Jean le soldat a couché avec moi, et je veux faire pénitence ^ic la, faute que j'ai commise envers vous. » Puis elle se mit en prières et aussitôt la vision disparut : elle reconnut alors que c'était le démon. Une autre fois encore le diable voulut TefFrayer; car les démons se présentèrent à elle sous la forme de hètos terribles et jly avait un homme qui les excitait en disant : « Man- gez cette prostituée. » Mais elle pria et les bétes dis- parurent. Une autre fois, c'était une troupe de sol-

228 LA LÉGENDE DOREE

dats qui venaient conduits par un prince que les autres adoraient, et les soldats dirent à Théodore : « Lève-toi et adore notre prince. » Elle répondit : « J'adore le Seijçneur Dieu. » Lorsqu'on eut rapporté cela au prince, il la fît amener et battre jusqu'à la croire morte; après quoi toute la foule s'évanouit. Une autre fois encore, elle vit auprès d'elle une quantité d'or; mais elle prit la fuite en se signant et se recomman- dant à Dieu. Un jour, elle vit un homme qui portait une corbeille pleine de toutes sortes de mets et cet homme lui dit: « Le prince qui t'a frappé m'a chargé de te dire : Prends et mange, car il t'a maltraité par ignorance. » Alors elle se signa et tout disparut. Après sept ans révolus, l'abbé, en considération de sa pa- tience, la réconcilia et la fit entrer dans le monastère avec son enfant. Quand elle y eut passé deux ans, de manière à ne mériter que des éloges, elle pritl'enfant^^ et s'enferma avec lui dans sa cellule. L'abbé, qui eiw^ fut informé, envoya quelques moines écouter avec I^ plus grande attention ce qu'elle pouvait dire avec c enfant. Or, elle le serra dans ses bras et le baisa disant: « Mon fils bien-aimé, le temps de ma vies' écoulé, je te laisse à Dieu ; qu'il soit ton père et t soutien, fils chéri ; vis dans la pratique du jeûne et la prière, et sers tes frères avec dévouement. » En c//- sant ces mots, elle rendit l'esprit et s'endormit heu- reusement dans le Seigneur vers Tan de J.-C. 470. A cette vue, l'enfant se mit à verser d'abondantes larmes. Or, cette nuit-là môme, l'abbé du monastère eut la vision suivante : On faisait des préparatifs pour des noces magnifiques auxquelles se rendaient les ordres

SAINTE THÉODORE 220

des anges, des prophètes, des martyrs et de tous les saints : au milieu d'eux, une femme marchait seule, environnée d'une gloire ineffable : arrivée au lieu du festin, elle s'assit sur un lit et tous les assistants étaient pleins d'attention pour elle, quand se fit en- tendre une voix qui disait : « Celui-ci est le père Théodore qui a été accusé faussement d'avoir eu un enfant. Sept ans se sont écoulés depuis cette époque; et elle a été châtiée pour avoir souillé le lit de son mari. » L'abbé, à son réveil, se hâta d'aller avec les frères à la cellule de Théodore qu'il trouva déjà morte. Après être entrés, ils la découvrirent et trouvèrent que c'était une femme. Aussitôt l'abbé envoya cher- cher le père de la fille qui avait sali la réputation de Théodore et il lui dit : « L'homme de ta fille est mort » ; et en dtant les vêtements, le père reconnut que c'était uue femme.

Quand on apprit cela, il y eut uue grande et gé- nérale frayeur; alors Tai^ge du Seigneur parla ainsi à l'abbé : « Lève-toi vite, prends un cheval et cours à la ville, et celui que tu rencontreras prends-le et le ramène avec toi. » Il était sur le chemin, quand un homme accourut au-^devan( de lui. L'abbé lui ayant demandé il allait, cet homme lui dit : « Ma femme est morte et je vais la voir. » Et Tabbé fit monter à cheval avec lui le mari de Théodore; quand ils furent arrivés, ils pleurèrent beaucoup et ils Tensevelirent avec de grands honneurs. Alors le mari de Théodore prit la cellule de sa femme, il resta jusqu'au mo- ment qu'il s'endormit dans le Seigneur. L'enfant de Théodore suivit les avis de sa nourrice et se fil remar- n. 15-

230 LA LÉGENDE DORÉE

quer par une entière honnêteté de mœurs, de sorte qu'à la mort de Tabbé, il fut élu à Tunanimité pour le remplacer.

SAINT ALEXIS

Alexis vient de a, qui veut dire beaucoup, et lexis, qui si- gnifie sermon. De Alexis, qui est très fort sur la parole de Dieu.

Alexis fut le fils d'Euphémien, homme d'une haute noblesse à Rome, et le premier à la cour de l'empe- reur : il avait pour ser\âteurs trois mille jeunes esclaves revêtus de ceintures d'or et d'habits de soie. Or, le préfet Euphémien était rempli de miséricorde, et tous les jours, dans sa maison, on dressait trois tables pour les pauvres, les orphelins, les veuves et les pèle- lins qu'il servait avec empressement ; et à l'heure de none, il prenait lui-même son repas dans la crainte (lu Seigneur avec des personnages religieux. Sa femme nommée Aglaë avait la même dévotion et les mêmes ijoûts. Or, comme ils n'avaient point d'enfant, à leurs prières Dieu accorda un fils, après la naissance du- (juel ils prirent la ferme résolution de vivre désormais dans la chasteté. L'enfant fut instruit dans les sciences libérales, et après avoir brillé dans tous les arts de la philosophie, et avoir atteint Tâge de puberté, on luS choisit une épouse de la maison de l'empereur et oi^ le maria. Arriva Thcure de la nuit il alla avec soi m

* Sigcbcrt do Gemblours, Chron.an.y i05.

SAINT ALEXIS 231

^'pouse dans la chanibre nuptiale : alors le saint jeune Homme commença par instruire cette jeune personne de la crainte de Dieu, et à la porter à conserver la pu- deur de la virginité. Ensuite il lui donna son anneau d'or et le bout de la ceinture qu'il portait en lui disant de les conserver : « Reçois ceci, el conserve-le lant ^|u*il plaira à Dieu, et que le Seigneur soit entre nous. » Après quoi il prit de ses biens, alla à la mer ^t s'embarqua à la dérobée sur un vaisseau qui faisait voile pour Laodicée, d'où il partit pour Edesse, ville de Syrie, dans laquelle on conservait un portrait de ^otre-Seigneur J.-C. peint sur un linge sans que ' homme y ait mis la main. Quand il y fut arrivé, il distribua aux pauvres tout ce qu'il avait apporté avec ^^iy puis se revêtant de mauvais habits, il commença P^r se joindre aux autres pauvres qui restaient sous le Perche de l'église de la Vierge Marie. 11 gardait des ^^*inônes ce qui pouvait lui suffire ; le reste, il ledon- '^^U aux pauvres. Cependant, son père, inconsolable ^^ la disparition de son fils, envoya ses serviteurs P^ï* tous pays, afin de le chercher avec soin. Quelques- ^^s vinrent à Edesse et Alexis les reconnut ; mais eux ^^ le reconnurent point, et même ils lui donnèrent ; ^U.mône comme aux autres pauvres. En l'acceptant, " Rendit grâces à Dieu en disant : « Je vous rends î'^^ces, dit-il, Seigneur, de ce que vous m'avez fait '^^^cvoir l'aumône de mes serviteurs. » A leur retour, ^^ annoncèrent au père qu'on n'avait pu le trouver en ^^^un lieu. Quant à sa mère, à partir du jour de son ^J)art, elle étendit un sac sur le pavé de sa chambre, ^^* au milieu de ses veilles, elle poussait ces cris la-

k

^7

232 LA LÉGENDE DOilÉE

mentablcs : « Toujours je demeurerai ici dans le deuil, jusqu'à ce que j'aie retrouvé mon fils, » Pour son épouse, elle dît à sa belle-mère : » Jusqu'à ce quo j'entende parler de mon très cher époux, semblable à une tourterelle, je resterai dans la solitude avec vous. » Or, la dix-septième année qu'Alexis demeurait dans le service de Dieu sous le porche dont il a été question plus haut, une image de la Sainte Vierge qui se trou- vait là, dit enfin au custode de l'église : « Fais entrer l'homme de Dieu, parce qu'il est digne duroyaumedu ciel el l'Esprit divin repose sur lui : sa prière s'élève comme Tencens en la présence de Dieu. » Et comme le custode ne savait de qui la Vierge parlait, elle ajouta : « C'est celui qui est assis dehors sous le por- che. » Alors le custode se hâta de sortir et fit entrer Alexis dans l'église. Ce fait étant venu à la connais- sance du public, on se mit à lui donner des marques de vénération ; mais Alexis, fuyant la vaine gloire, quitta Edesse et vint à Laodicée, il s'embarqua dans l'in- tention d'aller à Tharse de Cilicie ; cependant Dieu en disposa autrement, car le navire, poussé parle vent, aborda an port do Rome. Quand Alexis eut vu cela, il se dit (Ml lui-même : « Je resterai inconnu dans la maison de mon p^ve. et je ne serai à charge à aucun autre. » Il rencontra son père qui revenait du palais entouré d'une multitude de gens obséquieux, et il se mita lui crier : « Serviteur de Dieu, je suis un pèlerin, fais-moi recevoir dans ta maison, el laisse-moi me nourrir des miettes de ta table, afin que le Seigneur daigne avoir pitié de toi, à ton tour, qui es pèlerin aussi. » En entendant ces mots, le père, par amour

SAINT ALEXIS 233

pour son fils, riiitroduisit chez lui ; il lui donna un lîea particulier dans sa maison, lui envoya de la nour- riture de sa table ; en chargeant quelqu'un d'avoir soin (le lui. Alexis persévérait dans la prière, macé- rait son corps par les jertnes et par les veilles. Les seniteurs de la maison se moquaient de lui à tout instant; souvent ils lui jetaient sur la tête Teau qui îivail servi, et l'accablaient d'injures : mais il suppor- tait tout avec une grande patience. Il demeura donc inconnu de la sorte pendant dix-sept ans dans la maison (le son père.

Ayant vu en esprit que le terme de sa vie était pro- che, il demanda du papier et de l'encre, et il écrivit le récit de toute sa vie. Un jour de dimanche, après la messe solennelle, une voix se fît entendre dans le sanctuaire en disant : « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes fatigués et je vous soulagerai. » Quand on entendit cela, on fut effrayé; tout le monde se jeta la face contre terre, quand pour la seconde fois, la voix se fit entendre et dit : « Cherchez l'homme de Dieu afin qu'il prie pour Rome. » Les recherches n'ayant abouti à rien, la voix dit de nouveau : « C'est clans la maison d'Euphémien que vous devez cher- cher. » On s'informa auprès de lui, et il dit qu'il ne savait pas de qui on voulait parler. Alors les empe- reurs Arcadius et Honorius vinrent avec le pape Inno- cent à la maison d'Euphémien : et voilà que celui qui rtait chargé d'Alexis vint trouver son maître et lui (lire : « Voyez, Seigneur, si ce ne serait pas notre pèle- rin ; car vraiment c'est un homme d'une grande pa- lience. » Euphémien courut aussitôt, mais il le trouva

234 LA LÉGENDE DORÉE

mort : il vit sa figure toute resplendissante comme celle d'un ange : ensuite il voulut prendre le papier qu'il avait dans la main, mais il ne put l'ôter. En sor- tant il raconta ces détails aux empereurs et aux pon- tifes qui, étant entrés dans le lieu gisait le pèle- rin, dirent : « Quoique pécheurs, nous avons cependant le gouvernement du royaume ; et l'un de nous a la charge du gouvernement pastoral de TEglise univer- selle, donne-nous donc ce papier afin que nous sa- chions ce qui y est écrit. » Le pape s'approchant prit le papier, que le défunt laissa aussitôt échapper, et il le fit lire devant tout le peuple, en présence du père lui-même. Alors Euphémien, qui entendait cela, fut saisi d'une violente douleur; il perdit connaissance et tomba pâmé sur la terre. Revenu un peu à lui, il déchira ses vêtements, s'arracha les cheveux blanchis, se tira la barbe, et se déchira lui-même de ses pro- pres mains, puis se jetant sur le corps de son fils, il criait : « Malheureux que je suis I pourquoi, mon fils, pourquoi m'as-tu centriste de la sorte? pourquoi pendant tant d'années m'as- tu plongé dans la dou- leur et les gémissements ? Ah ! que je suis malheu- reux de te voir, toi, le bâton de ma vieillesse, étendu sur un grabat ! tu ne parles pas : ah I misérable que je suis ! quelle consolation pourrai-je jamais goû- ter maintenant?» Sa mère en entendant cela, sem- blable à une lionne qui a brisé le piège elle était prise, s'arrache les vêtements, se rue échevelée, lève les yeux au ciel, et comme la foule était si épaissi** ((u'elle ne pouvait arriver jusqu'au saint corps, elle* (riait : « Laissez-moi passer, que je voie mon fils, que

SAINT ALEXIS 23S

je voie la consolation de mon âme, celui qui a sucé roes mamelles. » Arrivée au corps, elle se jeta sur lui en criant : « Quel malheur pour moi ! mon fils, la lu- naièrede mes yeux, qu'as-tu fait là? pourquoi avoir agi si cruellement envers nous? Tu voyais ton père et ta malheureuse mère en larmes, et tu ne te faisais pas connaître à nous ! Tes esclaves t'injuriaient et tu le supportais ! » Et à chaque instant elle se jetait sur le <^rps, tantôt étendant les bras sur lui, tantôt cares- sant de ses mains ce visage angélique, tantôt l'embras- ant : a Pleurez tous avec moi, s'écriait-elle ; puisque, P^i)dant dix-sept ans, je l'ai eu dans ma maison et J^ n'ai pas su que ce fût mon fils. Et encore il y avait ^^s esclaves qui l'insultaient et qui l'outrageaient en ^^ souffletant ! Suis-je malheureuse ! qui donnera à ''^^s yeux une fontaine de larmes pour pleurer nuit et Jour celui qui est la douleur de mon âme ? » La femme ^ Alexis, vêtue d'habits de deuil, accourut baignée de ^''ïïies. « Quel malheur pour moi! quelle désolation! ^^ voici veuve, je n'ai plus personne à regarder et ' ^ï* lequel j'aie à lever les yeux. Mon miroir est brisé, ^tijet de mon espoir a péri. Aujourd'hui commence ^^Vtr moi une douleur qui n'aura point de fin. » Le P^Viple témoin de ce spectacle versait d'abondantes ^^tnes. Alors le pontife et les empereurs avec lui pla- ^^^ent le corps sur un riche brancard, jet le conduisi- ^^it au milieu de la ville. On annonçait au peuple *^'on avait trouvé l'homme de Dieu que tous les ci- ^^^ens recherchaient. Tout le monde courait au-devant ^^ saint. Y avait-il un infirme? il touchait ce très ^^int corps, et aussitôt il était guéri ; les aveugles re-

236 LA LÉGEND£ DOUEE

couvraient la vue, les possédés du démon étaient délivrés ; tous ceux qui étaient souffrants de n'importe quelle infirmité recevaient guérison. Les empereurs, à la vue de tous ces prodiges, voulurent porter eux- mêmes, avec le souverain pontife, le lit funèbre, pour être sanctifiés aussi par ce corps saint. Alors lesempe- reui's firent jeter une grande quantité d'or et d'argent sur les places publiques, afin que la foule, attirée par Tappât de celte monnaie, laissât parvenir le corps du saint jusqu'à Téglise. Mais la populace qui ne tint au- cun compte de l'argent, se portait de plus en plus au- près du corps saint pour le toucher. Enfin ce fut après de grandes difficultés qu'on parvint à le conduire à l'église de saint Boniface, martyr; on l'y laissa sept jours qui furent consacrés à la prière. Pendant ce temps on éleva un tombeau avec de l'or et des pierres pré- cieuses de toute nature, et on y plaça le saint corps avec grande vénération. Il en émanait une odeur si suave que toui le monde le pensait plein d'aromates. Or, saint Alexis mourut le 16 des calendes d'août, vers l'an 398.

SAINTE MARGUERITE

Mara^uerite est ainsi appelée d'une pierre précieuse blanche, petite et remplie de vertus. Ainsi sainte Marguerite fui blan- che par virginité, petite par humilité, vertueuse par ropéra- lion des miracles. On dit que cette pierre a la vertu d'arrêter le sang, de modérer les passions du cceur, et de conforter Tes- prit. De même sainte Marjj^uerite eut vertu contre l'effusion de son sang par constance, parce (Qu'elle posséda une grande

SAINTE MARGUERITE 337

constance daDS son martyre ; elle eut vertu contre les passions du cœur, c'est-à-dire, contre la tentation du démon qui fut vaiDca par elle : elle eut vertu pour conforter son esprit, par la doctrine avec laquelle elle affermit le cœur de plusieurs et les convertit à la foi. Théotime*, homme érudit^ a écrit sn légende.

Marguerite, citoyenne d'Antioche, fut fille de Théo- dose, alias iCdesius, patriarche des gentils. Elle fut confiée à une nourrice; et quand elle eut atteint Tâge de raison, elle fut baptisée et c'est pour cela qu'elle était grandement haïe de son père. Parvenue à l'âge de quinze ans, elle gardait un jour, avec d'autres jeunes vierges, les brebis de sa nourrice, quand le préfet Oli- brius, passant par et voyant une jeune personne si belle, s'éprit d*aniour pour elle et lui dépêcha ses es- claves en disant : « Allez et saisissez-vous d'elle : si elle est de condition libre, je la prendrai pour ma femme; si elle est esclave, j'en ferai ma concubine. » Quand elle eut été amenée en sa présence, il s'informa de sa famille, de son nom et de sa religion. Or, elle répondit qu'elle était noble de naissance, Marguerite de nom, et chrétienne de religion. Le préfet lui dit : « Les deux premières qualités te conviennent fort bien, savoir: que tu sois noble, et que lu sois réellement une très belle marguerite; mais la troisième ne te convient pas, savoir : qu'une jeune personne si belle et si noble ait pour Dieu un crucifié. » « D'où, sais-tu, répondit

* Ce Théotime aurait été, dit-on, témoin oculaire des faits rapportés ici. Un bréviaire espagnol les raconte aussi sous le aom de sainte Marine qui serait la même que sainte Margue- rite (Cf. Bivar sur Dexter).

238 LA LÉGENDE DOREE

Marguerite, que le Christ a été crucifié? » Olibrius reprit : « Je l'ai appris des livres des chrétiens. » Marguerite lui dit : « Puisque tu as lu le châtiment et la gloire de J.-C, pourquoi rougirais-tu de croire un point et de rejeter l'autre? » Et comme Marguerite avançait que J.-C. avait été crucifié de son plein gré pour nous racheter, et qu'elle affirmait qu'il vivait maintenant dans l'éternité, ce préfet en colère la fit jeter en prison; mais le lendemain, il la fit appeler en sa présence et lui dit : « Jeune fille frivole, aie pitié de ta beauté, et adore nos Dieux pour que tu sois heureuse. » Elle répondit : « J'adorecelui devant lequel la terre tremble, la mer s'agite, et toutes les créatures sont dans la crainte. » Le préfet lui dit : « Si tu ne m'obéis, je ferai déchirer ton corps. » Marguerite ré- pondit : « J.-C. s'est livré à la mort pour moi, eh bien ! je désire aussi mourir pour lui. » Alors le préfet la fit suspendre au chevalet ; puis il la fit battre d'abord avec des verges, ensuite avec des peignes de fer, si cruellement, que ses os étaient dénudés, et que le sang ruisselait de son corps comme de la fontaine la plus limpide. Or, ceux qui étaient pleuraient et di- saient : (( 0 Marguerite, vraiment nous avons compas- sion de toi, en voyant déchirer si cruellement ton corps. Quelle beauté tu as perdue à cause de ton in- crédulité! cependant il en est temps encore, crois, et tu vivras. » Elle leur répondit : « O mauvais conseil- lers, retirez-vous, et vous en allez; ce tourment de la (liair est le sakit de l'âme », et elle dit au préfet : « Chien impudent et lion insatiable, tu as pouvoir sur l(» corps, mais J.-C. se réserve TAme. » Or, le préfet se

SAINTE MARGUERITE 239

couvrait la figure avec sa chlamyde, car il ne pouvait supporter la vue d'une telle effusion de sang. II la fit ensuite détacher et ordonna de l'enfermer dans une prison, une clarté merveilleuse se répandit. Pen- dant qu'elle était dans son cachot, elle pria le Seigneur de lui montrer, sous une forme visible, l'ennemi avec lequel elle avait à combattre*; et voici qu'un dragon effroyable lui apparut ; comme il s'élançait pour la dévorer, elle fit un signe de croix, et le monstre dis- parut : ou bien, d'après ce qu'on lit ailleurs, il lui mit sa gueule sur la tête et la langue sur le talon et l'avala à l'instant ; mais pendant qu'il voulait l'absorber, elle se munit du signe de la croix, ce qui fit crever le dra- gon, et la vierge sortit saine et sauve. Mais ce qu'on rapporte du dragon qui la dévora et qui creva est re- gardé comme apocryphe et de peu de valeur.

Le diable vint encore pour tromper Marguerite, en prenant une forme humaine. A sa vue, elle se mit en prières, et après s'être levée, le diable s'approcha d'elle et lui prenant la main : « Tout ce que tu as fait, lui dit-il, est bien suffisant : ne t'occupes plus donc de ma personne. ») Mais Marguerite le prit par la tête, le jeta par terre sous elle, et lui posant le pied droit sur le crâne, elle dit : « Sois écrasé, superbe démon, sous les pieds d'une femme. » Le démon criait : « 0 bienheureuse Marguerite, je suis vaincu ! si un jeune homme l'avait emporté sur moi, je ne m'en serais pas préoccupé ; mais me voici vaincu par une jeune fille ; et j'en suis d'autant plus affligé que ton père et ta mère ont été mes amis. » Alors elle le força à dire pour quel motif il était verni. Il n'^pondil qu'il était

i

240 LA LÉGENDE DORÉE

venu pour lui conseiller d'obéir aux avis du président. Elle le força encore à dire pourquoi il employait tant de manières pour tenter les chrétiens. Il répondit qu'il avait naturellement de la haine contre les hommes vertueux, et bien qu'il en fût souvent repoussé, il était acharné à les séduire : et comme il était jaloux, à l'égard des hommes de la félicité qu'il avait perdue, sans pouvoir la recouvrer, il n'avait cependant pour 'but que de la ravir aux autres. Et il ajouta que Sa- lomon renferma une multitude infinie de démons dans un vase, et qu*après sa mort ces esprits malins jetaient du feu de ce vase ; les hommes, dans l'idée qu'un grand trésor y était renfermé, le brisèrent : et les dé- mons qui en sortirent remplirent les airs. Quand il eut dit ces mots, la vierge leva le pied et lui dit : « Fuis, misérable », et aussitôt le démon disparut. Marguerite resta rassurée ; car puisqu'elle avait vaincu le chef, elle aurait sans aucun doute le dessus sur le ministre. Le lendemain, le peuple étant rassemblé, elle fut ame- née en la présence du juge, et comme elle refusait avec mépris de sacrifier, elle fut dépouillée, et son corps fut brûlé avec des torches enflammées; de telle sorte que tout le monde s'étonnait qu'une fille si déli- cate pût supporter autant de tourments. Ensuite' il la fit lier et jeter dans un bassin plein d'eau, afin que ce changement de supplice augmentât la violence de la douleur : mais à Tinstant la terre trembla et la jeune fille en sortit saine, à la vue de tous. Alors cinq mille hommes crurent et furent condamnés à être dé- capités pour le nom de J.-C. Le préfet, dans la crainte que les autres ne se convertissent, fit de suite couper

SAINTE PRAXÈDE 241

la tête à sainte Marguerite. Elle demanda alors un instant pour prier: elelle pria pour elle-même, pour ses bourreaux, et encore pour ceux qui feraient mémoire d'elle et qui l'invoqueraient avec dévotion, ajoutant que toute femme en couches qui se recommanderait à elle enfanterait heureusement : et une voix se fit entendre du ciel qui dit qu'elle pouvait être certaine d'avoir été exaucée dans ses demandes. Elle se leva ensuite et dit au bourreau : « Frère, prends ton épée et me frappe. » D'un seul coup il abattit la tête de Margue- rite, qui reçut ainsi la couronne du martyre. Or, elle souffrit le 16 des calendes d'août, ainsi qu'on le trouve en son histoire. On lit ailleurs que ce fut le 3 des ides de juillet. Voici comment parle un saint de cette sainte vierge: « La bienheureuse Marguerite fut remplie delà crainte de Dieu, douée de justice, revêtue de religion, inondée de componction, recommandable par son hon- neur, et d'une patience insigne ; on ne trouvait en elle rien de contraire à la religion chrétienne ; haïe par son père elle était aimée de N.-S. J.-C.

SAINTE PRAXÈDE *

Fraxède viendrait de prasin, vert, elle verdit et porta fleur àe virginité.

Sainte Praxède, vierge, fut la sœur de sainte Puden- tienne, de saint Donat et de saint Timothée qui furent

Bréviaire; Martyrologes,

u. ir»

242 LA LÉGENDE DOREE

instruits dans la foi par les apôtres. Au milieu de la fureur d'une persécution, ils ensevelirent les corps d'un grand nombre de chrétiens, et donnèrent leurs biens aux pauvres; enfin ils reposèrent en paix, vers Tan du Seigneur 16S, sous Marc et Antoine le second.

SAINTE MARIE-M AGDELEINE *

Marie signifie mer amère, ou illuminatrice, ou illuminée. Ces trois significations font comprendre les trois excellentes parts qu*elle a choisies, savoir : la part de la pénitence, de la contemplation intérieure et de la gloire céleste. C'est de ces trois parts que le Seigneur a dit : « Marie a choisi une excel- lente part qui ne lui sera pas enlevée. » La première part ne lui sera pas enlevée à cause de la fin qu'elle se proposait d'acqué- rir, la béatitude; ni la seconde à cause de la continuité, parce que la contemplation de la vie est continuée par la contem- plation de la patrie : ni la troisième en raison de son éternité. Kn tant donc qu'elle a choisi rexcellenle part de pénitence, elle est appelée mer anière, parce qu'elle y eut beaucoup d'a- mertumes : ce (|ui est clair par l'abondance des larmes qu'elle répandit et avec lesquelles elle lava les pieds du Seigneur. Kn t^nt qu'elle a choisi l'excellente part de la gloire céleste, elle reçoit le nom d'illuminatrice, parce qu'elle y a reçu avec avidité ce qu'elle a dans la suite rendu avec abondance : elle y a reçu la lumière avec laquelle elle a plus tard éclairé les autres. En tant qu'elle a choisi l'excellente part de la gloire céhesle, elle est nommée illuminée, parce qu'elle est main- tenant illuminée dans son esprit par la lumière de la parfaite connaissance, et (jue, dans son corps, elle sera illuminée de clarté. Madeleine veut dire restant coupable (monens rea) ou bien encore munie, invaincue, magnifique, qualités qui indi- quent ce qu'elle fut avant, pendant, et après sa conversion.

*,

Haban, .Maur, Bréviaires de Provence.

SAINTE MARIE-MAGDELEINE 243

Avant sa conversion en effet, elle restait coupable et engagée à la damnation éternelle ; pendant sa conversion, elle était munie et invaincue, parce qu'elle était armée de pénitence ; elle se munit donc excellemment de toutes les armes de la pénitence ; car autant elle a eu de délectation, autant elle en a fait l'objet de ses holocaustes. Après sa conversion elle fut maf^nîfique par la surabondance de grâces, car avait abondé le péché, a surabondé la grâce *.

Marie, surnommée Magdeleine, du château de Mag- dalon, naquit des parents les plus illustres, puisqu'ils descendaient de la race royale. Son père se nommait Syrus et sa mère Eucharie. Marie possédait en com- mun avec Lazare, son frère et Marthe, sa sœur, le châ- teau de Magdalon, situé à deux milles de Génézareth, Béthanie qui est proche de Jérusalem, et une grande partie de Jérusalem. Ils se partagèrent cependant leurs biens de cette manière : Marie eut Magdalon d'où elle fut appelée Magdeleine, Lazare retint ce qui se trou- vait à Jérusalem, et Marie posséda Béthanie. Mais comme Magdeleine recherchait tout ce qui peut flatter les sens, et que Lazare avait son temps employé au service militaire, Marthe, qui était pleine de prudence, /ii^ouvernait avec soin les intérêts de sa sœur et ceux de son frère; en outre elle fournissait le nécessaire

Pour la vie de sainte Marie-Majçdeleine, consulter les Mo- numentâ de Vapoitolat, par M. Faillon, prêtre de Saint-Sulpice. Cette publication extraordinaire confirme les faits de la lé-^ gende, à l'exception du pèlerinage du prince à Rome et à Jéru- salem avec saint Pierre. Toutefois, M. Faillon ne paraît rejeter fait qu'en s'appuyant sur l'impossibilité le prince au- rait pu d'être reconnu par saint Pierre à la croix qu'il portail sur l'épaule. Ce qui ne paraît pas rigoureux.

i

244 LfL LÉGENDE DOREE

aux soldats, à ses serviteurs, et aux pauvres. Tonte- fois ils vendirent tous leurs biens après l'ascension de J.-C. et en apportèrent le prix aux apôtres. Comme donc Magdeleine reg^orgeait de richesses et que la vo- lupté est la compagne accoutumée de nombreuses pos- sessions, plus elle brillait par ses richesses et sa beauté, plus elle salissait son corps par la volupté; aussi perdit-elle son nom propre pour ne plus porter que celui de pécheresse. Comme J.-C. prêchait çà et là, inspirée par la volonté divine, et ayant entendu dire que J.-C. dînait chez Simon le lépreux, Magde- leine y alla avec empressement, et n'osant pas, en sa qualité de pécheresse, se mêler avec les justes, elle resta aux pieds du Seigneur, qu'elle lava de ses larmes, essuya avec ses cheveux et parfuma d'une essence précieuse : car les habitants du pays, en raison de l'extrême chaleur du soleil, usaient de parfums et de bains. Comme Simon le pharisien pensait à part soi que si J.-C. était un prophète, il ne se laisserait pas toucher par une pécheresse, le Seigneur le reprit de soTi orgueilleuse justice et remit à cette femme tous ses péchés. C'est à cette Marie-Magdeleîne que le Sei- gneur accorda tant de bienfaits et donna de si grandes marques d'affection. Il chassa d'elle sept démons, il IVmhrasa entièrement d'amour pour lui ; il en fit son amie de préférence ; il était son hôte; c'était elle qui, dans ses courses, pourvoyait à ses besoins, et en tonte occasion il prenait sa défense. Il la disculpa au- fjfès du pharisien qui la disait immonde, auprès de sa sœur qui la traitait de paresseuse, auprès de Ju- das qui l'appelait prodigue. En voyant ses larmes.

SAINTE MARIE-MAGDELEINE 245

" ne put retenir les siennes. Par son amour, elle ob- ^^ni que son frère, mort depuis trois jours, fût res- suscité ; ce fut à son amitié que Marthe, sa sœur, dut d'êlre délivrée d'un flux de sang, dont elle était affli- fî^e depuis sept ans; à ses mérites Martille, servante "C sa sœur, dut d'avoir l'honneur de proférer ce mot ^' doux qu'elle dit en s'écriant : « Bienheureux le sein Çwi vous a porté. » D'après saint Ambroise, en efi*et, ^ ®sl de Marthe et de sa servante qu'il est question en ^^' endroit. C'est elle, dis-je, qui lava les pieds du ^^gneurde ses larmes, qui les essuya avec ses che- ^'^^X, qui les parfuma d'essence, qui, le temps de la gr^ce arrivé, fit tout d'abord une pénitence exemplaire, U^i choisit la meilleure part, qui se tenant assise aux P*^ds du Seigneur écouta sa parole, et lui parfuma la ^*^e, qui était auprès de la croix lors de la passion, H^î prépara des aromates dans l'intention d'embau- i^erson corps, qui ne quitta pas le sépulcre quand les disciples se retirèrent ; ce fut à elle la première i|ue J.-C. apparut lors de sa résurrection, et il la fit /'apôtre des apôtres.

Après l'ascension du Seigneur, c'est-à-dire qua- torze ans après la passion, les Juifs ayant massacré depuis longtemps déjà saint Etienne et ayant chassé les autres disciples de leur pays, ces derniers se reti- rèrent dans les régions habitées par les gentils, pour y semer la parole de Dieu. Il y avait pour lors avec les apôtres saint Maximin, l'un des 72 disciples, au- f|uel Marie-Magdeleine avait été spécialement recom- mandée par saint Pierre. Au moment de cette dis- persion, saint Maximin, Marie-Magdeleine, Lazare, son n. X 16'

246 LA LÉGENDE DOREE

frère, Marthe, sa sœur, et Martille, suivante de Marthe, et enfin le bienheureux Cédonius, Taveugle-né guéri par le Seigneur, furent mis par les infidèles sur un vaisseau tous ensemble avec plusieurs autres chré- tiens encore, et abandonnés sur la mer sans aucun pilote afin qu'ils fussent engloutis en même temps. Dieu permit qu'ils abordassent à Marseille. N'ayant trouvé personne qui voulût les recevoir, ils restaient sous le portique d'un temple élevé à la divinité du pays. Or, comme sainte Marie-Magdeleine voyait le peuple accourir pour sacrifier aux dieux, elle se leva avec un visage tranquille, le regard serein, et par des discours fort adroits, elle le détournait du culte des idoles et lui prêchait sans cesse J.-G. Tous étaient dans Tadmiration pour ses manières fort distinguées, pour sa facilité à parler, et pour le charme de son élo- quence. Ce n'était pas merveille si une bouche qui avait embrassé avec autant de piété et de tendresse les pieds du Sauveur, eût conservé mieux que les autres le parfum de la parole de Dieu.

Alors arriva un prince du pays avec son épouse qui venait sacrifier aux idoles pour obtenir un enfant. Magdeleinc, en leur annonçant J.-C, les dissuada d'of- frir des sacrifices. Quelques jours s'étant écoulés, Maçdeleine, se montra dans une vision à cette dame cl lui dit : « Pourquoi, vous qui vivez dans rabondancc, laissez-vous les saints de Dieu mourir de faim et de froid ? » Elle finit par la menacer que si elle ne per- suadait pas cl son mari de venir au secours de la mi- sère des saints, elle encourrait la colère du Dieu tout puissant. Toutefois la princesse n'eut pas la force de

SAINTE MARIE-MAGDELEINE 247

découvrir sa vîsîon à son mari. La nuit suivante Mag-

deleine lui apparut et lui dit la même chose; mais

^^tte femme négligea encore d'en faire part à son

*^pou,\. Une troisième fois, au milieu du silence de la

"^il, Marie apparut à Tun et à l'autre ; elle frémis-

^^H et le feu de sa colère jetait une lumière qui au-

^^ït fait croire que loute la maison était en flammes.

^* Dors-tu, tyran, dit-elle ? membre de Satan qui est

^n père, tu reposes avec cette vipère, la femme, qui

'^'a pas voulu te faire connaître ce que je lui ai dit :

Te reposes-tu, ennemi de la croix de J.-C. ? Quand

^on estomac est rempli d'aliments de toutes sortes, tu

laisses périr de faim et de soif les saints de Dieu. Tu

^s couché dans un palais ; autour de loi ce ne sont

^i^e tentures de soie, et tu les vois désolés et sans asile,

^^ tu passes oulre. Non, cela ne finira pas de cette

sorte : et ce ne sera pas impunément que tu auras

"■fféré de leur faire du bien. » Elle dit et se retira.

•^ «On réveil la femme, haletante et effrayée, dit à

''^'^ mari troublé comme elle : « Mon seigneur, avez-

^^s eu le même songe que moi? » « Oui, répondii-

^ ^l je ne puis m'empècher d'admirer et de craindre.

^^ ^Tons-nous donc à faire? » « Il vaut mieux pour

,. ti5^^ reprit la femme, nous conformer à ce qu'elle

^ ^ plutôt que d'encourir la colère de son Dieu dont

^ nous menace. » Ils reçurent donc les saints chez

^> et leur fournirent le nécessaire.

* ^r, un jour que Marie-Magdeleine prêchait, le prince

t on vient de parler lui dit : « Penses-tu pouvoir - ^l^ifier la foi que tu prêches ? » « Oui, reprit-elle, ^uis prête à la défendre ; elle est confirmée par les

248 LA LÉGENDE DORÉE

miracles quotidiens et la prédication de mon maflre saint Pierre, qui préside à Rome. Le prince et son épouse lui dirent : « Nous voilà disposés à obtempé- rer à tous tes dires, si tu nous obtiens un fils du Dieu que tu prêches. » « Alors, dit M agdeleine, ce ne sera pas moi qui serai un obstacle. » Et la bienheureuse pria pour eux le Seigneur qu'il leur daignât accorder un fils. Le Seigneur exauça ses prières et la dame conçut. Alors son mari voulut partir pour aller trou- ver saint Pierre, afin de s'assurer si ce qu'avait an- noncé Magdeleine touchant J.-C. était réellement la vérité. Sa femme lui dît: « Quoi ! monseigneur, pen- sez-vous partir sans moi? Point du tout; si vous par- tez, je partirai, si vous venez, je viendrai, si vous restez, je resterai. » Son mari lui dit: « Il n'en sera pas ainsi, ma dame ; car vous êtes enceinte et sur la mer on court des dangers sans nombre ; vous pour- riez donc facilement être exposée; vous resterez en re- pos à la maison et vous veillerez sur nos possessions. » Elle n'en persista pas moins, et obstinée comme l'est une personne de son sexe, elle se jeta avec larmes aux pieds d:* son mari qui obtempéra enfin à sa de- mande. Alors Marie mit le signe de la croix sur leurs épaules de crainte que Tantique ennemi ne leur nuisît en route. Ils chargèrent un vaisseau de tout ce qui leur était nécessaire, et après avoir laissé le reste àla gardedeMarie-Madgdeleine, ils partirent. Ilsn'avaient voyagé qu'un jour et une nuit quand la mer com- mença à s'enfler, le vent à gronder, de sorte que tous les passagers et principalement la dame enceinte et débile, ballottés ainsi par les vagues, furent en proie

SAINTE MARIE-MÀGDELEINE 249

aux plus graves inquiétudes ; les douleurs de Tenfante- ment saisirent la femme tout à coup, et au milieu de ses souffrances et de la violence de la tempête, elle mil un enfant au monde et expira. Or, le petit nouveau-né palpitait éprouvant le besoin de se nourrir du lait de sa mère qu'il semblait chercher en poussant des vagis- sements pitoyables. Hélas ! quelle douleur ! En rece- vant la vie, cet enfant avait donné la mort à sa mère, il ne lui restait plus qu'à mourir lui-même puisqu'il n'y avait personne pour lui administrer la nourri- ture nécessaire à sa conservation. Que fera le pèlerin envoyant sa femme morte, et son fils qui, par ses cris plaintifs, exprimait le désir de prendre le sein? Il se lamentait beaucoup en disant : « Hélas ! malheureux ! que feras-tu? Tu as souhaité un fils et tu as perdu la mère qui lui donnait la vie. » Les matelots criaient : rc Qu'on jette ce corps à la mer, avant que nous ne soyons engloutis en même temps que lui, car tant qu'il sera avec nous, cette tempête ne cessera pas. » Et comme ils avaient pris le cadavre pour le jeter à la mer : « Un instant, dit le pèlerin, un instant : si vous ne voulez pas attendre ni pour la mère ni pour moi, nyez pitié au moins de ce petit enfant qui crie ; at- tendez un instant, peut-être que la mère a seulement j>erdu connaissance dans sa douleur et qu'elle vit en- core. )x Et voici que non loin du vaisseau apparut une cx>Hine ; à cette vue, il pensa qu'il n'y avait rien de mieux à faire que d'y transporter le corps de la mère et l'enfant plutôt que de les jeter en pâture aux bêles marines. Ce fut par prières et par argent qu'il parvint à obtenir des matelots d'aborder. Et comme le rocher

230 LA LÉGENDE DOREE

était si dur qu'il ne put creuser une fosse, il plaça le corps enveloppé d'un manteau dans un endroit des plus écartés de la montagne et déposant son fils con- tre son sein, il dit : « 0 Marie-Magdeleine ; c*est pour mon plus grand malheur que tu as abordé à Marseille ! Pourquoi faut-il que j'aie eu le malheur d'entrepren- dre ce voyage d'après tes avis? As-tu demandé à Dieu que ma femme conçût afin qu'elle pérît ? Car voici qu'elle a conçu et, en devenant mère, elle subit la mort; son fruit est et il faut qu'il meure, puisqu'il n'y a personne pour le nourrir. Voici ce que j'ai obtenu par ta prière, je t'ai confié tous mes biens, je les confie à Ion Dieu. Si tu as quelque pouvoir, souviens-toi de l'îime de la mère et à ta prière que Ion Dieu ait pitié de l'enfant et ne le laisse pas périr. » Il enveloppa alors dans son manteau le corps de sa femme et de son fils et remonta sur le vaisseau.

Quand il fut arrivé chez saint Pierre, celui-ci vint à sa rencontre, et en voyant le signe de la croix atta- ché sur ses épaules il lui demanda qui il était et d'on il venait. Le pèh^rln lui raconta tout ce qui s'était passé. Pierre lui dit : « La paix soit avec vous, vous avez hicn fait de venir et vous avez été bien inspiré de croire. Ne vous tourmentez pas si votre femme dori, el si son enfant repose avec elle ; car le Seigneur a le pouvoir de donner à qui il veut, de reprendre ce qu'il a donné, de rendre ce qui a été enlevé, et de chan- i^er votre douleur en joie. » Or, saint Pierre le condui sit lui-même à Jérusalem et lui montra chacun des en droits J.-C. avait prêché, el avait fait des miracles comme aussi le lieu il avait souffert, el celui d'c

SAINTE MARIE-MAGDELEINE 251

il était monté aux deux. Après avoir été instruit avec soin dans la foi par saint Pierre, il remonta sur un vaisseau après deux ans révolus, dans l'intention de regagner sa patrie. Dieu permet que, dans le trajet, ils passassent auprès de la colline avait été déposé le corps de sa femme avec le nouveau-né, et par prière et par argent il obtint d'y débarquer. Or, le petit en- fant, qui avait été gardé sain et sauf par sainte Marie- Magdeleine, venait souvent sur le rivage, et comme tous les enfants, il avait coutume de se jouer avec des coquillages et des cailloux. En abordant, le pèlerin vit donc un petit enfant qui s*amusait, comme on le fait à son âge, avec des pierres ; il ne se lassait pas d'admirer jusqu'à ce qu'il descendît de la nacelle. En l'apercevant, Tenfant, qui n'avait jamais vu de sem- Wable chose, eut peur, courut comme il avait cou- tume de le faire au sein de sa mère sous le manteau "<î laquelle il se cacha. Or, le pèlerin, pour mieux s'assu- ^^^ de ce qui se passait, s'approcha de cet endroit et y trouva un très bel enfant qui prenait le sein de sa mère. '' 'accueillit dans ses bras. « 0 bienheureuse Marie- "3g*deleine, dit-il, quel bonheur pour moi ! comme tout me réussirait, si ma femme vivait et pouvait re- touï^^er avec moi dans notre patrie ! Je sais, oui, je ^*^» et je crois sans aucun doute que vous qui m'avez doriné un enfant et qui l'avez nourri sur ce rocher pci^dant deux ans, vous pourriez, par vos prières, rendre à sa mère la santé dont elle a joui auparavant. » X ces mots, la femme respira et dit comme si elle se réveillait : « Votre mérite est grand, bienheureuse Ma- ric-Magdeleine, vous êtes glorieuse, vous qui, dans les

232 LA LÉGENDE DORÉE

douleurs de l'enfantement, avez rempli pour moi Tof- Hce de sage-femme, et qui en toute circonstance m'a- vez rendu les bons soins d'une ser^'ante. )> En enten- dant ces paroles, le pèlerin fut plein d'admiration» « Vivez- vous, dit-il, ma chère épouse ? » « Oui, ré- pondit-elle, je vis ; je viens d'accomplir le pèlerinage <jue vous avez fait vous-même. C'est saint Pierre quL vous a conduit à Jérusalem et qui vous a montré tous^ les lieux J.-C. a souffert, est mort et a été ense— veli, et beaucoup d'autres encore ; moi, c'est avec sainte^ Marie-Magdeleine pour compagne et pour guide que j'ai vu chacun de ces lieux avec vous; j'en ai conGé le souvenir à ma mémoire. » Alors elle énuméra tous les endroits J.-C. a souffert, raconta les miracles qui avaient eu son mari pour témoin, sans la moindre hé- sitation. Le pèlerin joyeux prit la mère et Tenfant, s'embarqua et peu après ils abordèrent à Marseille, où, étant entrés, ils trouvèrent sainte Marie-Magde- leine annonçant la parole de Dieu avec ses disciples. Us se jetèrent à ses pieds en pleurant, lui racontèrent tout ce qui leur était arrivé, et reçurent le saint bap- tême des mains du bienheureux Maximin. Alors ils détruisirent dans Marseille tous les temples des idoles, et élevèrent des églises en l'honneur de J.-C, ensuite ils choisirent à l'unanimité le bienheureux Lazare pourévêque de la cité. Enfin conduits par l'inspiration de Dieu, ils vinrent à Aix dont ils convertirent la po- pulation à la foi de J.-C. en faisant beaucoup de mi- racles et le bienheureux Maximin fut de son côté ordonné évêque.

Cependant la bienheureuse Marie-Ma^deleine, qui

SAINTE MARIE-MAGDELEINE 253

aspirait ardemment se livrer à la contemplation des choses supérieures, se retira dans un désert aflFreux elle resta inconnue l'espace de trente ans, dans un en- droit préparé par les mains des anges. Or, dans ce lieu, il n'y avait aucune ressource, ni cours d'eau, ni arbres, ni herbe, afin qu'il restât évident que notre Rédemp- teur avait disposé de la rassasier, non pas de nourri- tures terrestres, mais seulement des mets du ciel. Or, chaque jour, à l'instant des sept heures canoniales, elle était enlevée par les anges au ciel et elle y enten- dait, même des oreilles du corps, les concerts charmants des chœurs célestes. Il en résultait que, rassasiée cha- que jour à cette table succulente, et ramenée par les mêmes anges aux lieux qu'elle habitait, elle n'éprou- vait pas le moindre besoin d'user d'aliments corporels. ^^ prêtre, qui désirait mener une vie solitaire, plaça ^ <*el]ule dans un endroit voisin de douze stades do *^'lede Marie-Magdeleine. Un jour donc, le Seigneur ^^^ni les yeux de ce prêtre qui put voir clairement comment les anijes descendaient dans le lieu demeu- ^^^ la bienheureuse Marie, la soulevaient dans les airs ^^'3 rapportaient une heure après dans le même lieu, ^^ chantant les louanges du Seigneur. Alors le prêtre, ^'^anl s'assurer de la réalité de cette vision, après ^*tre recommandé par la prière à son créateur, se di- ^'çea avec dévotion et courage vers cet endroit ; il 'ïen était éloigné que d'un jet de pierre, quand ses jambes commencèrent à fléchir, une crainte violente le saisit et lui ôta la respiration : s'il revenait en arrière, ses jambes et ses pieds reprenaient des forces pour marcher, mais s'il rebroussait chemin pour tenter de

254 LA LÉGENDE DOREE

s'approcher du Heu en question, autant de fois la las- situde s'emparait de son corps, et son esprit s'engour- dissait. L'homme de Dieu conoprit donc qu'il y avait h\ un secret du ciel auquel l'esprit humain ne pouvait atteindre. Après avoir invoqué le nom du Sauveur il s'écria : « Je t'adjure par le Seigneur, que si tu es un homme ou bien une créature raisonnable habitant cette caverne, tu me répondes et tu me dises la vérité. « Et quand il eut répété ces mots par trois fois, la bienheureuse Marie-Magdeleine lui répondit : « Ap- prochez plus près, et vous pourrez connaître la vérité de tout ce que votre âme désire. » Quand il se fut ap- proché tout tremblant jusqu'au milieu de la voie à par- courir, elle lui dit : « Vous souvenez-vous qu'il est question, dans l'Évangile, de Marie, cette fameuse pé- cheresse, qui lava de ses larmes les pieds du Sauveur, et les essuya de ses cheveux, ensuite mérita le pardon de ses fautes ? » Le prêtre lui répondit : « Je m'en souviens, et depuis plus de trente ans la sainte église croit et confesse ce fait. » « C'est moi, dit-elle, qui suis celte femme. J'ai demeuré inconnue aux hommes l'es- pace de trente ans, et comme il vous a été accordé de le voir hier, chaque jour, je suis enlevée au ciel [)ar les mains des anges, et j'ai eu le bonheur d'en- tendre des oreilles du corps les admirables concerts des cliœurs célestes, sept fois par chaque jour. Or, {)uisqu'il m'a été révélé par le Seigneur que je dois sortir de ce monde, allez trouver le bienheureux Ma- ximin, et dites-lui que, le jour de Pâques prochain, à riKMire qu'il a coutume de se lever pour aller à ma- tines, il entre seul dans son oratoire et qu'il m'y trou-

SAINTE MARIE-MAGDELEINE 25S

vera transportée par le ministère des anges. » Le prêtre entendait sa voix, comme on aurait dit de celle d*un ange, mais il ne voyait personne. Il se hâta donc d'aller trouver saint Maximin, et lui raconta tous ces détails. Saint Maximin, rempli d'une grande joie, ren- dit alors au Sauveur d'immenses actions de grâce, et au jour et à Theure qu'il lui avait été dit, en entrant dans son oratoire, il voit la bienheureuse Marie-Mag- deleine debout dans le chœur, au milieu des anges qui l'avaient amenée. Elle était de deux coudées au- dessus de terre, debout au milieu des anges et priant I^ieu, les mains étendues. Or, comme le bienheureux Maximin tremblait d'approcher auprès d'elle, Marie dit en se tournant vers lui : « Approchez plus près ; •»e fuyez pas votre fille, mon père. » En s'approchant, '*^^'on qu'on le lit dans les livres de saint Maximin '^^i-méme, il vit que le visage de la sainte rayonnait "^* telle sorte par les continuelles et longues conimu- '"cations avec les anges, que les rayons du soleil ^*taient moins éblouissants que sa face. Maximin con- ^^qua tout le clergé et le prêtre dont il vient d'être P^rté. Marie -Magdeleine reçut le corps et le sang du ^*g»eur des mains de l'évêque, avec une grande i^^Oiidance de larmes. S'étant ensuite prosternée devant ï^ base de l'autel, sa très sainte âme passa au Seigneur : i^l^rès qu'elle fut sortie de son corps, une odeur si suave i'^^répanditdans le lieu même, que pendant près de sept jours, ceux qui enlraientdans Toratoire la ressentaient. Le bienheureux Maximin embauma le très saint corps avec différents aromates, Tensevelit, et ordonna qu'on l'ensevelît lui-même auprès d'elle après sa mort.

256 LA LÉGENDE DOREE

Hégésippe, ou bien Joseph, selon d'autres, est assez d'accord avec celte histoire. Il dit, en effet, dans son traité, que Marie-Magdeleine, après Tascension du Seigneur, poussée par son amour envers J.-C. et par Tennui qu'elle en avait, ne voulait plus jamais voir face d'homme ; mais que dans la suite elle vint au territoire d'Aix, s'en alla dans un désert elle resta inconnue l'espace de trente ans, et, d'après son récit, chaque jour, elle était transportée dans le ciel pour les sept heures canoniales. Il ajoute cependant qu'un prêtre, étant venu chez elle, la trouva enfermée dans sa cellule. Il lui donna un vêtement sur la demande qu'elle lui en fit. Elle s'en revêtit, alla avec le prêtre à l'église après avoir reçu la communion, elle éleva les mains pour prier et mourut en paix vis-à-vis Tau- tel. Du temps de Charlemagne, c'est-à-dire, l'an du Seigneur 769, Gyrard, duc de Bourgogne, ne pou- vant avoir de fils de son épouse, faisait de grandes largesses aux pauvres, et construisait beaucoup d'é- glises et de monastères. Ayant donc fait bâtir l'abbaye de Vézelai, il envoya, de concert avec Tabbé de ce mo- nastère, un moine avec une suite convenable, à la ville d'Aix, pour en rapporter, s'il était possible, les reli- ques de sainte Marie-Magdeleine. Ce moine arrivé à Aix trouva la ville ruinée de fond en comble par les païens ; le hasard lui fit découvrir un sépulcre dont les sculptures en marbre lui prouvèrent que le corps <le sainte Marie-Magdeleine était renfermé dans Tin- térieiir; en effet riiisloire de la sainte était sculptée avec un art merveilleux sur le tombeau. Une nuit donc le moine le brisa, prit les reliques et les emporta-

k.

SAINTE MARIE-MAGDELEINC 2o7

à son hôtel. Or, cette nuit-là même, la bienheureuse Marie-Magdeleine apparut à ce moine et lui dit de n'avoir aucune crainte mais d'achever l'œuvre qu'il avait entreprise.

A son retour, il était éloigné d'une deroi-lieue de son monastère, quand il devint absolument impos- sible de remuer les reliques, jusqu'à l'arrivée de l'abbé avec les moines qui les reçurent en procession avec çrand honneur. Un soldat qui avait l'habitude de venir chaque année en pèlerinage au corps de la bienheureuse Marie-Magdeleine, fut tué dans une bataille. On l'avait mis dans le cercueil et ses parents en pleurs se plai- gnaient avec confiance à sainte Magdeleine de ce qu'elle avait laissé mourir, sans qu'il eût eu le temps de se confesser et de faire pénitence, un homme qui lui avait ^té si dévot. Tout à coup, à la stupéfaction générale, ^'«i qui était mort ressuscita, demanda un prêtre, et *près s'être dévotement confessé et avoir reçu le via- ^«e, il mourut en paix aussitôt. Un navire sur '^uel se trouvaient beaucoup d'hommes et de femmes "^ Haufragre. Mais une femme enceinte, se vovant en "^Hger de périr dans la mer, invoquait, autant qu'il ^^it en son pouvoir, sainte Magdeleine, et faisait vœu, 1^^ si, grâce à ses mérites, elle échappait au naufrage ^^ mettait un fils au monde, elle le dédierait à son mo- ^^stère. A l'instant, une femme d'un aspect et d'un port vénérable lui apparut, la prit par le menton, et '^ conduisit saine et sauve sur le rivage, quand tous l^s autres périssaient *. Peu de temps après, elle mit au

\y

Vincent de B., Hitt,, 1. XXIV, c. xxxv n.

258 I^A LÉGENDE DORÉE

monde un fils, et accomplit fidèlement son vœu. Il y en a qui disent que Marie-Magdeleine était fiancée à saint Jean Tévançéliste, et qu'il allait l'épouser quand .I.-C. l'appela au moment de ses noces. Indignée de ce que le Seigneur lui avait enlevé son fiancé, Magde- leine s'en alla et se livra tout à fait à la volupté. Mais parce qu'il n'était pas convenable que la vocation de Jean fût pour Magdeleine une occasion de se damner, le Seigneur, dans sa miséricorde, la convertit à la pé- nitence; et en l'arrachant aux plaisirs des sens, il la combla des joies spirituelles qui se trouvent dans l'a- mour de Dieu. Quelques-uns prétendent que si N.-S. admit saint Jean dans une intimité plus grande que les autres, ce fut parce qu'il l'arracha à l'amour de Magdeleine. Mais ce sont choses fausses et frivoles ; car frère Albert, dans le prologue sur l'Evangile de saint Jean, pose en fait que cette fiancée dont saint Jean fut séparé au moment de ses noces par la vo- cation de J.-C, resta vierge, et s'attacha parla suite à la sainte Vierge Marie, mère de J.-C. et qu'enfin elle mourut saintement. Un homme privé de la vue vrnait au monastère de Vrzelai visiter le corps de sainte Marie-Mat^deleine, quand son conducteur lui dit qu'il rommenc^ait î\ apercevoir l'église. Alors l'a- veiigle s'écria à haute voix : « 0 sainte Marie-Magde- Idno ! que ne pnis-je avoir le bonheur de voir une fois votre éq^lise ! » et à l'instant ses veux furent ou- verts. Un homme avait écrit ses péchés sur une feuille qu'il posa sous la nappe de l'autel de sainte Marie-Magdeleine, en la priant de lui en obtenir la ré- r.iission. Peu de temps après il reprit sa feuille et

SAINTE MARIE-MAGDELEINE 2u0

tous les péchés en avaient été effacés. Un homme détenu en prison pour de l'argent qu'on exigeait d*^ lui invoquait à son secours sainte Marie-Magdeleine ; ol voici qu'une nuit lui apparut une femme d'une beauté remarquable qui, brisant ses chaînes et lui ouvrant la porte, lui commanda de fuir. Ce prisonnier se voyant délivré s'enfuit aussitôt *. Un clerc de Flandre, nommé Etienne, était tombé dans de si grands crimes, en s'adonnant à toutes les scélératesses, qu'il ne vou- lait pas plus entendre parler des choses qui regardent le salut qu'il ne les pratiquait. Cependant il avait une grande dévotion en sainte Marie-Magdeleine ; il jeûnait ses vigiles et honorait le jour de sa fête. Une fois qu'il visitait son tombeau, sainte Marie-Magdeleine lui appa- rut, alors qu'il n'était ni tout à fait endormi, ni tout à fait éveillé; elle avait la figure d'une belle femme ; ses veux étaient tristes, et elle était soutenue à droite et à ^uche par deux anges : alors elle lui dit : « Je t'en prie, Etienne, pourquoi te livres-tu à des actions indi- gnes de moi ? Pourquoi n'es-tu pas touché des paroles pressantes que je t'adresse de ma propre bouche? dès rinstant que tu as eu de la dévotion pour moi, j'ai toujours prié d'une manière pressante le Seigneur pour toi. Allons, courage, repens-toi, car je ne t'a- bandonnerai pas que tu ne sois réconcilié avec Dieu. » Et il se sentit inondé de tant de grâces que, renonçant au monde, il entra en religion et mena une vie très parfaite. A sa mort, on vit sainte Marie-Magdeleine

Viacent de B., Hi$t.^ I. XXIV, c. xxxv, ms. de la Bible, Bibliothèque nationale, u^ 5i96.

\

260 LA LÉGENDE DORÉE

apparaître avec des anges auprès de son cercueil, et porter au ciel, avec des cantiques, son âme sous la forme d'une colombe*.

SAINT APOLLINAIRE

Apollinaire vient de pollens, resplendissant^ et de ares, vertu > resplendissant de vertus : ou bien de polio, qui signifie admi- u rable et naris, narine ; par quoi l'on entend la discrétion c'est comme si Ton disait : homme d'une discrétion admirable; Il peut encore venir de a, sans, de polluo, souiller, et arei vertu, homme vertueux non souillé par le vice.

Saint Apollinaire fut disciple de saint Pierre qi renvoya de Rome à Ravenne où, après avoîr jSfuéri femme du- tribun, il la baptisa avec son mari et sa f»t. mille. Le juge en fut informé et Apollinaire fut mandl^ le premier pour comparaître devant lui. On le cou duisit au temple de Jupiter pour qu'ilsacrifiât. Comme ^ il disait aux prt^tres que For des idoles et Targent qu'on y suspendait seraient mieux employés en les donnant aux pauvres qu'à les exposer ainsi devant les dfMnons, il fut saisi aussitôt et battu avec des fouets jiiSfju'à rester à demi mort : mais il fut recueilli par ses disciples et soigné pendant sept mois dans la mai- son (riine veuve. De il vint à Classe** pour y guérir un noble qui était muet ***. Comme il entrait dans la maison, une jeune fille possédée d'un esprit immonde

* Denys le Chartr., »S>rwo« iv, de sainte Marie-Magdeleine. ** Bourt!^ à 3/4 de lieue de Ravenne dont il est le port. ** Brèriaïrt' romain.

S\INT APOLLINAIRE 261

s^<:::ria : « Retîre-toi d'ici, serviteur de Dieu; sinon

je t.e ferai jeter hors de la ville les mains et les pieds liés. » Saint Apollinaire la reprit aussitôt et força le d^nnon à s'en aller. Après avoir invoqué le nom du ^îgneur sur le muet et l'avoir guéri, plus de cinq ^^ràts hommes reçurent le don de la foi. Cependant '^s. païens l'accablèrent à coups de fouet pour Fem- P^cher de nommer J.-C. : mais le saint étendu par ^ï*re criait que c'était le vrai Dieu. Alors ils le firent ^^Hir debout et nu-pieds sur des charbons ardents, '^^is comme il prêchait encore J .-C. avec la plus grande ^^^Tïstance, ils le chassèrent hors de la ville*.

Dans le même temps, Rufus, patricien de Ravenne, ^Ont la fille était malade, avait appelé saint Apolli- '^Bire pour la guérir : mais celui-ci était à peine entré ^l^ns la maison qu'elle mourut. Rufus lui dit : « Il eût ^lé à souhaiter que tu ne fusses pas entré chez moi, ^ar les grands dieux irrités n'ont pas voulu guérir ma fille : mais toi, que lui pourras-tu faire? » « Ne crains rien, lui répondit Apollinaire; seulement jure-moi que si ta fille ressuscite, tu ne l'empêcheras pas de s'attacher à son créateur. » 11 le promit et saint Apol- linaire ayant fait une prière, la fille ressuscita. Elle confessa le nom de J.-C, reçut le baptême avec sa mère et une grande multitude de personnes, et elle vécut dans la virginité**. Quand C4ésar apprit cela, il écrivit au préfet du prétoire de faire sacrifier Apolli- naire, ou de l'envoyer en exil. Apollinaire ayant refusé

* Bréviaire romain. •• /bid.

n. 17

262 LA LÉGENDE DORÉE

de sacrifier, le préfet le fit fouetter et ordonna qu'on rétendît au chevalet pour le torturerJ^e saint persistant à confesser J.-C, il fit jeter de l'eau bouillante sur ses plaies et voulut l'envoyer en exil après l'avoir garrotté d'une masse énorme de fer. Les chrétiens, à la vue d'une si grande impiété, s'enflammèrent contre les païens, se jetèrent sur eux et eu tuèrent plus de deux cents. Alors le préfet se cacha, jeta Apollinaire au fond d'une prison très profonde, ensuite il le fit mettre sur un vaisseau après l'avoir enchaîné, et le fit partir en exil avec trois clercs qui suivaient le saint. Il s'é- leva une tempête, et il n'y eut de sauvé que lui, les deux clercs et deux soldats qu'il baptisa. Revenu en- suite à Ravenne, les païens le prirent et le condui- sirent au temple d'Apollon, aussitôt qu'il eut aperçu la statue de l'idole, il la maudit et tout aussitôt, elle tomba. A cette vue, les prêtres le menèrent au juge Taurus. Ce juge, après que le saint eut rendu l'usage (le ses yeux à son fils qui était aveugle, se convertit à la foi, et garda Apollinaire pendant quatre ans dans son domaine. Les prêtres des faux dieux Payant accuse à Vespasien, celui-ci répondit que quiconque insultait les dieux devait sacrifier ou bien être chassé de la ville : « II n'est pas juste, ajoutait-il, que nous ven- gions les dieux ; mais, s'ils s'irritent, ils pourront se venger eux-mêmes de leurs ennemis. » Alors le patrice Démosthène, sur le refus que lui fit saint Apollinaire de sacrifier, le confia à un centurion déjà chrétien. Celui-ci demanda au saint de venir au quartier des lé- preux pour y échapper à la fureur des gentils ; mais le peuple l'y poursuivit et le frappa si longtemps qu'il

SAINT APOLLINAIRE 263

en mourut, après sept jours employés par lui à don- ner des avis à ses disciples; il fut enseveli ensuite avec les plus g^rands honneurs au même endroit par les chrétiens, sous Tempire de Vespasien, Tan du Sei- gneur 70. Saint Ambroise s*exprime ainsi sur ce martyr dans la préface : « Le très digne prélat Apol- linaire est envoyé par le prince des apôtres Pierre à Ravenne, annoncer aux incrédules le nom de Jésus. Après y avoir opéré un grand nombre de miracles eu faveur de ceux qui croyaient en J.-C, il fut souvent accablé sous les coups de fouet; et son corps déjà vieux fut soumis à des traitements horribles de la part des impies. Mais afin que les fidèles ne fussent pas ébranlés dans la foi en présence de pareils tour- ments, il opérait des miracles comme les apôtres par la puissance de N.-S. J.-C. Après ses supplices, il ressuscite une jeune personne, il rend la vue aux aveu- i^les, la parole aux muets, il délivre une possédée du démon, il guérit un lépreux, il rend la sanlé à un pestiféré dont les membres tombaient en dissolution ; il renverse une idole et le temple qui Tabritait. 0 Pon- tife le plus digne de toute admiralion et de tout éloge, qui mérita de recevoir le pouvoir des apôtres avec la dignité épiscopale ! 0 courageux athlète de J.-C, sur le déclin et le froid des ans, il prêche au milieu des tortures avec constance J.-C, le Rédempteur du monde ! »

264 LA LÉGENDE DOREE

SAINTE CHRISTINE*

Christine, oinle du chrême ; elle eut en effet le baume de bonne odeur dans son genre de vie, Thuile de dévotion «dans le cœur, et la bénédiction à la bouche.

Sainte Christine ** naquit de parents très nobles, à Tyr***, en Italie. Son père la mit dans une tour avec douze suivantes; elle y avait des dieux d'argent et d'or. Comme elle était fort belle et que plusieurs la re- cherchaient en mariage, ses parents ne voulurent l'ac- corder à personne afin qu'elle restât consacrée au culte des dieux. Mais, instruite par le Saint-Esprit à avoir en horreur les sacrifices des idoles, elle cachait dans une fenêtre les encens avec lesquels on devait sacrifier. Son père étant venu, les suivantes lui dirent : « Ta fille, notre maîtresse, méprise nos divinités et refuse de leur sacrifier ; elle dit au reste qu'elle est chré- tienne. » Le père, par ses caresses, l'exhortait à ho- norer 1;îs dieux, et elle lui dit: «Ne m'appelles pas ta fille, mais bien celle de celui auquel on doit le sacrifice de louantes ; car ce n'est pas à des dieux mortels, mais au Dieu du ciel cjue j'offre des sacrifices. » Son père lui répliqua: « Ma fille,'ne sacrifie pas seulement à un

'^ Alphauus, archevêque de Salerne en 1083, a donné les actes (le celte sainte qui se trouvent ici en abrégé.

** Cette légende est un abrégé fidèle de la vie et du martyre de sainte Christine écrite au xi* siècle par Alphanus, archevê- que de Salcrne. "'* Ville de Toscane engloutie dans le lac Bolsène.

SAINTE CHRISTINE 263

Dieu, de peur d'encourir la haine des autres, w Chris- tine lui répondit : « Tu as bien parlé, tout en ne con- naissant pas la vérité ; j'offre en effet des sacrifices au Père, au Fils, et au Saint-Esprit. » Son père lui dit : « Si tu adores trois dieux, pourquoi n'adores-tu pas aussi les autres? » Elle répondît: « Ces trois ne font qu'une seule divinité. » Après cela Christine brisa les dieux de son père et en donna aux pauvres l'or et l'argent. Quand le père revint pour adorer ses dieux, <*t qu'il ne les trouva plus, en apprenant des suivan- tes ce que Christine en avait fait, il devint furieux et commanda qu'on la dépouillât et qu'elle fût fouettée par douze hommes jusqu'à ce qu'ils fussent épuisés eux-mêmes. Alors Christine dit à son père : « Homme sans honneur et sans honte, abominable aux yeux de Dieu ! ceux qui me fouettent s'épuisent ; demande pour eux à tes dieux de la vigueur, si tu en as le cou- rage! » Et son père la fit charger de chaînes et jeter en prison. Quand la mère apprit cela, elle déchira ses vêtements, alla trouver sa fille et se prosternant à ses pieds, elle dit : « Ma fille Christine, lumière de mes yeux, aie pitié de moi. » Christine lui répondit : « Que m'appelez-vous votre fille ? ne savez- vous pas c|ue je porte le nom de mon Dieu ? » Or, la mère, n'ayant pu faire changer sa fille de résolution, revint trouver son mari auquel elle déclara les réponses de Christine. Alors le père la fit amener devant son tribunal et lui (lit: (( Sacrifie aux dieux, sinon tu seras accablée dans les supplices; tu ne seras plus appelée ma fille. )> Elle lui répondit: « Vous m'avez fait grande grâce de ne plus m'appeler maintenant fille du diable. Celui qui

266 LA LÉGENDE DOREE

naît de Satan est démon ; tu es le père de ce même Sa- tan. » Son père ordonna qu'on lui raclAt les chairs avec des peignes et que ses jeunes membres fussent dislo- qués. Christine prit alors de sa chair qu'elle jeta à la figure de son père en disant: «Tiens, tyran, mange la chair que lu as engendrée. » Alors le père la fit pla- cer sur une roue sous laquelle il fit allumer du feu avec de Thuile; mais la flamme qui en jaillit fit périr quinze cents personnes. Or, son père, qui attribuait tout cela à la magie, la fit encore une fois renfermer en prison, et quand la nuit fut venue, il commanda à ses gens de lui lier une pierre énorme au cou et de la jeter dans la mer. Ils le firent, mais aussitôt des an- ges la prennent, J.-C. lui-même vient à elle et la bap- tise dans la mer en disant : « Je te baptise en Dieu, mon père, et en moi J.-C. son fils, et dans le Saint- Esprit. » Et il la confia à Tarchange Michel qui l'a- mena sur la terre. Le père, qui apprit cela, se frappa le front en disant : « Par quels maléfices fais-tu cela, de pouvoir ainsi exercer ta magie dans la mer ? » Chris- tine lui répondit : « Malheureux insensé! c'est de J.-C. ([ue j'ai reçu cette grâce. » Alors il la renvoya dans lu prison avec ordre de la décapiter le lendemain.

Or, cette nuit-là même, son père Urbain fut trouvé mort. Il eut pour successeur un juge inique, appelé Elias *, qui fit préparer une chaudière dans laquelle on mit bouillir de l'huile, de la résine et de la poix pour y jeter Christine. Quatre hommes agitaient la cuve afin que la sainte fiU consumée plus vite. Alors elle

Alpha nus le nomme Idion.

SAINTE CHRISTINE 267

loua Dieu de ce qu'après avoir reçu une seconde nais- sance, il voulait qu'elle fût bercée comme un petit en- fant. Le juge irrité ordonna qu'on lui rasât la tête et qu'on la menât nue à travers la ville jusqu'au temple d'Apollon. Quand elle y fut arrivée, elle commanda à ridole de tomber, ce qui la réduisit en poudre. A cette nouvelle le juge s'épouvanta et rendit l'esprit. Julien lui succéda : il fit chauffer une fournaise et y jeter Christine ; et elle resta intacte pendant cinq jours * qu'elle passa à chanter et à se promener avec des an- ges. Julien, qui apprit cela et qui l'attribua à la magie, fit jeter sur elle deux aspics, deux vipères et deux cou- leuvres. Les serpents lui léchèrent les pieds, les aspics ne lui firent aucun mal et s'attachèrent à ses mamelles, et les couleuvres en se roulant autour de son cou lé- chaient sa sueur. Alors Julien dit à un enchanteur : « Est-ce que tu es aussi magicien ? irrite les bêtes. » Et comme il le faisait, les serpents se jetèrent sur lui et le tuèrent en un instant. Christine commanda en- suite aux serpents, les envoya dans un désert et elle ressuscita le mort. Julien aloi's ordonna de lui enlever les mamelles, d'où il coula du lait au lieu de sang. Ensuite il lui fit couper la langue; Christine n'en per- dit pas l'usage de la parole ; elle ramassa sa langue et la jeta à la figure de Julien, qui, atteint à l'œil, se trouva aveuglé. Julien irrité lui envoya deux flèches au cœur et une autre à son côté. En recevant ces coups elle rendit son esprit à Dieu, vers l'an du Seigneur 287, sous Dioclétien. Son corps repose dans un château

* Trois heures, d'après Alphanus.

1

268 LA LKGENDE DORKE

qu'on appelle Bolsène situé entre la Ville vieille et Vi- terbe. La tour qui était vis-à-vis de ce château a été renversée de fond en comble.

SAIiNT JACQUES LE MAJEUR*

Cet apùtre fut appelé Jacques, fils de Zébédée^ Jacques, frère de Jean, Boanergès, c*est-à-dirc iils du tonnerre, et Jacques le Majeur. On appelle Jacques, tils de Zébédée, non pas seulement parce qu'il fut son fils selon la chair, mais pour faire com> prendre son nom. Zébédée signifie donnant ou donné, et saint Jacques se donna lui-même à J.-C. par sa mort qui fut un martyre ; et il a été donné de Dieu pour être notre patron*'' spirituel. On l'appelle Jacques, frère de Jean, parce qu'il fut son frère et selon la chair et selon la ressemblance de la con- duite. Tous les deux en effet eurent le même zèle, le même, désir de savoir, et tirent les mêmes souhaits. Ils eurent le même zèle pour venger le Seigneur ; en effet comme les Sama- ritains ne voulaient pas recevoir J -C., Jacques et Jean dirent : « Voulez-vous que nous commandions que le feu du ciel des- cende et qu'il consume ces gens-là ? » Ils eurent le même içoût pour apprendre : ce furent eux principalement qui interro- gèrent J.-C. au sujet du jour du jugement et des autres choses à venir. Ils firent les mêmes souhaits, car tous les deux vou- lurent avoir leur place pour s'asseoir l'un à la droite et l'autre à la gauche de J.-C. Ou Tappelle Hls du tonnerre, en raison (lu bruit que faisaient ses prédications, parce qu'il effrayait 1rs méchants, il excitait les paresseux, et il s'attirait Tadmi- ration générale par la profondeur de ses paroles. Il en fut de lui comme de saint Jean, dont Bède dit : « Il a retenti si haut

'■ Pour la légende de saint Jacijues, on peut consulter les noies de Bivar sur la Chronique de Dexter. Les traditions des «'•«j^lises d'Espagne s'y trouvent exposées fort au long. " Le lecteur se rappelle que l'iuiteur s'appelle Jacques.

SAINT JACQUES LE MAJEUR 269

que s'il eût retenti un peu plus, le monde entier n'aurait pu le contenir. » On l'appelle Jacques le Majeur comme l'autre est appelé le Mineur : lo en raison de vocation ; car il fut appelé le premier par J.-C; 2* en raison de familiarité; car J.-G. paraît avoir été plus familier avec lui qu'avec l'autre ; on en a la certitude, puisque le Sauveur l'admettait dans ses secrets ; ainsi il l'admit à la résurrection de la jeune fille, et à sa glo- rieuse transfiguration ; 3* en raison de sa passion ; car ce fut le premier des apôtres qui souffrit le martyre. De même qu'on rappelle majeur pour avoir été le premier à l'honneur de l'a- postolat, de même on peut l'appeler majeur pour avoir été appelé le premier à la gloire de l'éternité.

Saint Jacques, apôtre, fils de Zébédée, après Tas- cension du Seigneur, prêcha en Judée et dans le pays de Samarie ; il vint enfin en Espagne, pour y semer la parole de Dieu ; mais comme il voyait que ses paroles lie profitaient pas, et qu'il n'y avait gagné que neuf dis- ciples, il en laissa deux seulement pour prêcher dans le pays, et il revint avec Icg autres en Judée. Cepen- dant maître Jean Belelh dit qu'il ne convertit qu'un seul homme en Espagne. Pendant qu'il prêchait en Judée la parole de pieu, un magicien nommé Hermo- g^ène, d'accord avec les Pharisiens, envoya à saint Jac- ques un de ses disciples, nommé Philétus, pour prouver à l'apôtre que ce qu'il annonçait était faux. Mais l'apôtre rayant convaincu devant une foule de personnes par des preuves évidentes, et opéré en sa présence de noitibreux miracles, Philétus revint trouver Hermo- gène, en justifiant la doctrine de saint Jacques : il ra- conta en outre les miracles opérés par le saint, déclara vouloir devenir son disciple, et l'exhorta lui-même à l'imiter. Mais Hermogène en colère le rendit tellement

270 LV LKGEXDE DORKK

immobile par sa magie quMl ne pouvait remuer un seul membre : « Nous verrons, dit-il, si ton Jacques te déliera. » Philétus informa Jacques de cela par son valet, Tapôtre lui envoya son suaire et dit : « Qu'il prenne ce suaire et qu'il dise : « Le Seigneur relève (( ceux qui sont abattus ; il délie ceux qui sont encliaî- « nés (Ps. cxLv). » Et aussitôt qu'on eut touché Philé- tus avec le suaire, il fut délié de ses chaînes, se mo- qua des sortilèges d'Hermogène et se hâta d'aller trouver saint Jacques. Hermogène irrité convoqua les démons, et leur ordonna de lui amener Jacques gar- rollé avec Philétus, afin de se venger d'eux et qu'à l'avenir les disciples de l'apôtre n'eussent plus l'au- dace de l'insulter. Or, les démons qui vinrent vers Jacques se mirent à hurler dans l'air en disant : « Jac- ques, apôtre, ayez pitié de nous; car nous brûlons dès avant que notre temps soit venu. » Saint Jacques leur dit : « Pourquoi ètes-vous venus vers moi? » Ils répondirent : « C'est Hermogène qui nous a envoyés pour vous amener à lui, avec Philétus ; mais à peine nous dirigions-nous vers vous que l'ange de Dieu nous a liés avec des chaînes de feu et nous a beaucoup lourmentés. » « Que l'ange du Seigneur vous délie, reprit l'apôlre; retournez à Hermogène et amcnez-le- inoi garroKé, mais sans lui faire de mal. » Ils s'en al- lèrent donc prendre Hermogène, lui lièrent les mains tlerrière le dos et l'amenèrent ainsi garrotté à saint Jacques, en disant : <( tu nous as envoyés, nous avons été brilles et horriblement tourmentés. » Et les démons dirent à saint Jacques : « Mettez-le sous notre puissance, afin que nous nous vengions des injures

SAINT JACQUES LE MAJEUR 271

que vous avez reçues et du feu qui nous a brûlés. » Saint Jacques leur dit : « Voici Philétus devant vous, pourquoi ne le tenez-vous pas ? » Les démons répon- dirent : « Nous ne pouvons même pas toucher de la main une fourmi qui est dans votre chambre. » Saint Jacques alors dit à Philétus : « Afin de rendre le bien pour le mal, selon que J.-C. nous l'a enseigné, Her- inogène vous a liés ; vous, déliez-le. » Hermogène libre resta confus et saint Jacques lui dit : « Va librement ini tu voudras ; car nous n'avons pas pour principe de convertir quelqu'un malgré soi. » Hermogène répon- ilii : « Je connais trop la rage des démons : Si vous ne me donnez un objet que je porte avec moi, ils me tueront. » Saint Jacques lui donna son bâton : alors Hermogène alla chercher tous ses livres de magie et les apporta àTapôtre pour que celui-ci les brûlât. Mais saint Jacques, de peur que l'odeur de ce feu n'in- commodât ceux qui n'étaient point sur leur garde, lui ordonna de jeter les livres dans la mer. Hermogène, à son retour, se prosterna aux pieds de l'apôtre et lui <iil : « Libérateur des âmes, accueillez un pénitent que vous avez épargné jusqu'ici, quoique envieux et calomniateur. » Dès lors il vécut dans la crainte de Dieu, au point qu'il opéra une foule de prodiges. Alors les Juifs, transportés de colère en voyant Her- mogène converti, vinrent trouver saint Jacques et lui- reprochèrent de prêcher Jésus crucifié. Mais il leur prouva avec évidence par les Écritures la venue du rihrist et sa passion, et plusieurs crurent*.

^ On peut voir, dans le transept sud de la cathédrale d'A- niiens, des hauts reliefs reproduisant ce récit.

272 LA LÉGENDE DOREE

Or, Abiathar, qui était grand-prêtre celte année-là, excita une sédition parmi le peuple; il fit conduire à Hérode Agrippa l'apôtre, une corde au cou. Le prince ordonna de décapiter saint Jacques et un paralytique couché sur le chemin lui cria de le guérir. Saint Jac- ques lui dit: « Au nom de J.-C. pour la foi duquel on va me couper la têle, lève-toi guéri, et bénis ton créateur. » A Tinstant il se leva guéri et bénit le Sei- gneur. Or, un scribeappelé Josias, qui avait mis la corde au cou de l'apôtre et qui le tirait, à la vue de ce mi- racle, se jeta à ses pieds, lui adressa des excuses et demanda à se faire chrétien. Abiathar à cette vue le fit empoigner et lui dit: « Si tu ne maudis le nom du Christ, lu seras décapité en même temps que Jacques. » Josias reprit : « Maudit sois-tu toi-même, maudites soient les années, mais que le nom du Seigneur J.-C.soit béni dans les siècles. » Alors Abiathar lui fit frapper la bouche à coups de poing et envoya demandera Hérode l'autorisation de le décapiter avec Jacques*. Tous les deux allaient être décapités quand saint Jacques de- manda au bourreau un vase plein d'eau, et baptisa Josias, immédiatement. L'un et Tautre consommèrent leur martyre, un instant après, en ayant la têle tranchée.

Saint Jacques fut décollé le 8 des calendes d'avril**, le jour de l'Annonciation du Seigneur; son corps fut transporté à Composlelle, le 8 des calendes d'août***

* Ou bien, selon une autre version, le fit décapiter sans on demander l'autorisation i\ Hérode. ** 25 mars. ♦** 25 juillet.

SAFXT JACQLES LE MAJEUU 273

^t enseveli le 3 des calendes de janvier*, parce que »«i couslructîon de son tombeau dura de aoiUà janvier. *^ Eglise établit qu'on célébrerait universellement wi ftle au 8 des calendes d'août, qui est un temps plus convenable. Or, après que saint Jacques eut été décollé, ainsi que le rapporte Jean Beleth, qui a écrit avec soin ''iiîsloire de cette translation **, ses disciples enle- vèrent son corps pendant la nuit par crainte des Juifs, 'c mirent sur un vaisseau ; et abandonnant à la divine Providence le soin de sa sépulture, ils montèrent sur ce navire dépourvu de gouvernail ; sous la conduite de '^nge de Dieu, ils abordèrent en Galice, au royaume Je Louve. Il y avait alors en Espagne une reine qui portait réellement ce nom et qui le méritait. Les dis- copies déchargèrent le corps et le posèrent sur une P'crre énorme, qui, en se fondant comme de la cire ^^s le corps, se façonna merveilleusement en sarco- P"age. Les disciples vinrent dire à Louve : « Le Sei- 8^eurJ.-C. t'envoie le corps de son disciple, afin que ^^ reçoives mort celui que tu n'as pas voulu recevoir Vivant. » Ils lui racontèrent alors le miracle par lequel 'I avait abordé en son pays sans gouvernail, et lui de- 'najidèrent un lieu convenable pour sa sépulture. La reine entendant cela, toujours selon Jean Beleth, les adressa, par supercherie, à un homme très cruel, ou bien, d'après d'autres auteurs, au roi d'Espagne, afin d obtenir là-dessus son consentement; mais ce roi les lit nietlre en prison. Or, pendant qu'il était à table.

'^ 30 décembre. ** Chap. <:xL.

II. 18

274 LA LÉGENDE DOREE

Tange du Seigneur ouvrit la prison et les laissa s'en aller en liberté. Quand le roi l'eut appris, il envoya à la hâte des soldats pour les ressaisir. Un pont sur le- quel passaient les soldats vint à s'écrouler, et tous fu- rent noyés dans le fleuve. A cette nouvelle, le roi, qui regrettait ce qu'il avait fait et qui craignait pour soi et pour les siens, envoya prier les disciples de revenir chez lui et leur permit de lui demander tout ce qu'ils voudraient. Ils revinrent donc et convertirent à la foi tout le peuple de la cité. Louve fut très chagrinée en apprenant ces faits ; et quand les disciples la vinrent trouver pour lui présenter l'autorisation du roi, elle répondit : « Prenez mes bœufs qui sont en tel endroit ou sur la montagne ; attelez-les à un char, portez le corps de votre maître, puis dans le lieu qu'il vous plaira, bâtissez à votre goût. » Or, elle parlait en louve, car elle savait que ces bœufs étaient des taureaux in- domptés et sauvages ; c'est pour cela qu'elle pensa qu'on ne pourrait ni les réunir, ni les atteler, ou bien que si on pouvait les accoupler, ils courraient çà et là, briseraient le char, renverseraient le corps et tue- raient les conducteurs eux-mêmes. Mais il n'y a point de sagesse contre Dieu (Prov.,xxi). Ceux-ci, ne soup- çonnant pas malice, gravissent la montagne, ils rencontrent un dragon qui respirait du feu ; il allait arriver sur eux, quand ils firent le signe de la croix pour se défendre et coupèrent ce dragon par le mi- lieu du ventre. Ils firent aussi le signe de la croix sur les taureaux qui, instantanément, deviennent doux comme des agneaux ; on les attelle ; et on met sur le char le corps de saint Jacques avec la pierre sur la-

SAINT JACQUES LE MAJEUR 275

quelle il avait été déposé. Les bœufs alors, sans que personne les dirigeât, amenèrent le corps au milieu du palais de Louve qui, à cette vue, resta stupéfaite. Elle crut et se fit chrétienne. Tout ce que les disciples de- mandèrent, elle le leur accorda ; elle dédia en l'hon- neur de saint Jacques son palais pour en faire une église qu'elle dota magnifiquement ; puis elle finit sa vie dans la pratique des bonnes œuvres. Le pape Calixte dit cpi'un homme du diocèse de Modène, nommé Bernard, était captif et enchaîné au fond d'une tour ; constamment il invoquait saint Jacques. Le saint lui apparut : « Viens, lui dit-il, suis-moi en Galice » ; puis il brisa ses chaînes et disparut ; alors le prison- nier suspendit ses chaînes à son cou, monta au haut de la tour d*où il ne fit qu'un saut sans se blesser, bien que la tour eût soixante coudées de hauteur. Un homme, dit Bède, avait commis à plusieurs reprises un fM^ché énorme; or, l'évêque, peu rassuré en l'absolvant en confession, envoya cet homme à Saint-Jacques en lui donnant une cédule sur laquelle ce péché avait été écrit. Le pèlerin posa, le jour de la fête du saint, la cé- dule sur l'autel et pria saint Jacques de lui remettre le péché par ses mérites ; après quoi il ouvrit la cédule et trouva tout effacé ; il rendit grâces à Dieu et à saint Jacques et raconta publiquement le fait à toutle monde. Trente hommes de la Lorraine, au rapport de Hu- bert de Besançon, allèrent vers Fan 1080 à Saint-Jac- ques, et se donnèrent l'un à l'autre, un seul excepté, la promesse de s'entr'aider. Or, l'un d'eux étant tombé malade, ses compagnons l'attendirent pendant 1 5 jours; mais enfin tous l'abandonnent à l'exception de celui-là

276 L.V LÉGENDE DOREE

seul qui ne s'était pas engaçé. Il le garda au pied du mont Saint-Michel ; mais sur le soir le malade mourut. Or, le survivant eut une grande peur occasionnée par la solitude de l'endroit, par la présence du cadavre, par la nuit qui menaçait d'être noire, enfin par la fé- rocité des barbares du pays ; à l'instant saint Jacques lui apparut sous la figure d'un chevalier et le consola en disant : « Donne-moi ce mort, et toi, monte der- rière moi sur le cheval. » Ce fut ainsi que, cette nuit-là, avant le lever du soleil , ils firent quinze journées de che- min et arrivèrent à Montjoie qui n'est qu'à une demi- lieue de Saint-Jacques. le saint les mil à terre et commanda de convoquer les chanoines de Saint- Jacques pour ensevelir le pèlerin qui était mort, et de dire à ses compagnons, que, pour avoir manqué à leur promesse, leur pèlerinage ne vaudrait rien. Le pèlerin accomplit ces ordres, et ses compagnons furent très saisis et pour le chemin qu'il avait fait, et des paroles qu'il leur rapporta avoir été dites par saint Jacques.

D'après le pape Calixle*, un Allemand, allant avec son fils à Saint-Jacques, vers l'an du Seigneur 1090, s'arrêta pour loger à Toulouse chez un hôte qui l'enivra et cacha une coupe d'argent dans sa malle. Quand ils furent partis le lendemain, Thôte les poursuivit comme des voleurs et leur reprocha d'avoir volé sa coupe (Tarifent. Comme ils lui disaient qu'il les fît punir s'il pouvait trouver la coupe sur eux, on ouvrit leur malle

* Oïl parai! douter si ropusciile sur les miracles de saint Jacques appartient au pape (^alixte. II est tiré tout entier de N'iricent de Heauvais : Spécu/. ///>/., liv. XWH. Césaire d'Ilesterhach récite le fait qui suit, liv. Vïll, eh. i.viii.

SAINT JACQUES LE MAJEUR 277

el on trouva l'objet : on les traîna de suite chez le. juge. Il y eut un jugement qui prononçait que tout leur avoir fût adjugé à l'hôte, el que l'un des deux serait pendu. Mais comme le père voulait mourir à la place du fils et le fils à la place du père, le fils fut |iendu et le père continua, tout chagrin, sa route v^s Saint-Jacques. Or, vingt-six jours après, il revint, s'ar- rêta auprès du corps de son fils et il poussait des cris lamentables ; quand voici que le fils attaché à la potence se mit à le consoler en disant : « Très doux père, ne pleure pas; car je n'ai jamais été si bien; jusqu'à ce jour saint Jacques m'a sustenté, et il me restaure d'une douceur céleste. » En entendfint cela, le père courut à la ville, le peuple vint, détacha le fils du pè- lerin qui était sain et sauf, et pendit l'hôte. Hu- gues de Saint-Victor raconte qu'un pèlerin allait à SaintrJacques, quand le démon lui apparut sous la figure de ce saint et lui rappelant toutes les misères de la vie présente, il ajouta qu'il serait heureux s'il se tuait en son honneur. Le pèlerin saisit une épée et se tua tout aussitôt. Et comme celui chez lequel il avait reçu l'hospitaHté passait pour suspect et craignait beaucoup de mourir, voilà que, à l'instant, le mort ressuscite, et dit qu'au moment le démon, à la per- suasion duquel il s'étajt donné la mort, le conduisait au supplice, le bienheureux Jacques était venu, l'avait arraché des mains du démon et l'avait mené au trône du souverain juge; et là, malgré les accusations du démon, il avait obtenu d'être rendu à la vie. Un jeune homme du territoire de Lyon, selon le récit de Hugues, abbé de Cluny, avait coutume d'aller sou- u. 18-

278 LA LtGENDE DORÉe:

vent à Saint-Jacques et avec dévotion. Une fois, qu'il y voulait aller, il tomba, cette nuit-là même, dans le |iéché de fornication. II partit donc; et une nuit, le diable lui apparut sous la figure de saint Jacques et lui dit : « Sais-tu qui je suis? » Le jeune homme lui demanda qui il était, et le diable lui dit : « Je suis l'apôtre Jacques que tu as coutume de visiter chaque année. Tu sauras que je me réjouissais beaucoup de ta dévotion, mais dernièrement, en sortant de ta maison, tu as commis une fornication et sans t'étre confessé, tu as eu la présomption de l'approcher de moi, comme si ton pèlerinaiçe pût plaire à Dieu et à moi. Cela n'esll pas convenable : car quiconque désire venir à moi e pèlerinage doit d'abord s'accuser de ses péchés, e confession et ensuite faire le pèlerinage pour expi ses péchés. » Après avoir dit ces mots, le démon dis- parut. Alors le jeune homme tourmenté se dispo à revenir chez lui, à se confesser, et ensuite à reco mencer son voyage. Et voici que le diable lui ap raissant de nouveau, sous la figure de l'apôtre, le A. suada complètement de son projet, en l'assurant c jamais son péché ne lui serait remis, s'il ne se c pait radicalement les membres qui servent à la g& ration, (|u'au reste il serait plus heureux, s'il voiil se tuer et être martyr en son honneur et nom. dant la nuit, et (|uand ses compagnons dormaient, te jeune homme prit une épée, se coupa les membres r/e la génération, ensuite il se perça le ventre avec le même instrument. Ses compagnons à leur réveil, voyant cela, eurent grande peur, et prirent aussiUM la fuite de crainte de passer pour coupables de cel

SAINT JACQUES LE MAJEUR 279

homicide. Néanmoins pendant qu'on préparait sa fosse, celui qui était mort revint à la vie. Tout le monde s'enfuit épouvanté, et le pèlerin raconta ainsi ce qui lui était arrivé : « Quand je me fus tué à la sugges- tion du malin esprit, les démons me prirent ; et ils me conduisaient vers Rome, quand voici saint Jacques qui accourut après nous, en reprochant vivement ces tromperies aux démons. Et après s'être disputés long- temps, saint Jacques les y forçant, nous vînmes dans un pré la sainte Vierge s'entretenait avec un grand nombre de saints. Jacques l'ayant implorée pour moi, la sainte Vierge adressa des reproches sévères aux dé- mons et ordonna que je revinsse à la vie. Alors saint Jacques me prit et me ressuscita, comme vous voyez. » Et trois jours après, il ne lui restait de ses blessures que des cicatrices ; après quoi il se remit en roule, et quand il eut rejoint ses compagnons, il leur raconta tout ce qui s'était passé.

Un Français, ainsi que le raconte le pape Calixte, allait, en Tan liOO, avec sa femme et ses fils, à Saint- Jacques, tant pour éviter la mortalité sévissant en France, que pour accomplir le désir de visiter saint Jacques. Arrivé à Pampelune, sa femme mourut, et sort hôte s'empara de tout son argent et du cheval qui servait de monture à ses enfants. 11 s'en alla désolé portant plusieurs de ses enfants sur ses épaules, et menant les autres par la main. Un homme avec un âne le rencontra et touché de compassion, il lui prêta son âne, afin que les enfants montassent dessus. Quand le pèlerin fut arrivé à Saint-Jacques, pendant qu'il veillail et priait, le saint apôtre lui apparut et lui de-

280 LA LÉGENDE DORÉE

manda s'il le connaissait : et il répondit que non : alors le saint lui dit : « Je suis i*apôtre Jacques qui t*ai prêté mon âne et je te le prête encore pour ton retour : mais tu sauras d'avance que ton hôte mourra en tombant de l'étage de sa maison ; tu recouvreras alors tout ce qu'il t'avait volé. » Les choses étant arrivées ainsi, cet homme revint joyeux à sa maison ; et quand il eut descendu ses enfants de dessus l'âne, cet animal disparut. Un marchand, injustement dépouillé par un tyran, était détenu en prison, et invoquait saint Jacques à son secours. Saint Jacques lui apparut en présence de ses cardes, et le conduisit jusqu'au haut de la tour qui s'abaissa aussitôt de telle sorte que le sommet était au niveau de la terre : il en descendit sans faire un saut et s'en alla délivré. Les gardes qu^ le poursuivaient passèrent auprès de lui, sans le voir Hubert de Besançon raconte que trois militairesi du diocèse de Lyon, allaient à Saint- Jacques. L'u.^ d'eux, à la prière d'une pauvre femme qui le lui ava^ demandé pour Tamour de saint Jacques, portait sia son cheval un petit sac qu'elle avait : plus loin, il ret contra un homme malade et qui n'avait plus la forc^ de continuer sa route, il le mit encore sur son cheva? quant à lui, il portait le bourdon du malade avec le sac de la femme en suivant Tanimal : mais la chaleur du soleil et la fatigue du chemin l'ayant accablé, à son arrivée en Galice, il tomba très gravement malade : et comme ses compagnons l'intéressaient au sahil de son âme, il resta muet pendant trois jours ; mais au quatrième, alors que ses compagnons attendaient le moment de son trépas, il poussa un long soupir el

SAINT JACQUES hh MAJEUR 281

dit : <( Grâces soient rendues à Dieu et à saint Jacques, aux mérites duquel je dois d'être délivré. Je voulais bien faire ce que vous me recommandiez, mais les démons sont venus m'étrangler si violemment que je ne pouvais rien prononcer qui eût rapport au salut de mon âme. Je vous entendais bien, mais je ne pouvais nuUementrépondre. Cependant saint Jacques vienld'en- trer ici portant à la main gauche le sac de la femme, et à sa droite le bâton du pauvre auxquels j'avais prêté aide en chemin, de sorte qu'il avait le bourddh en guise de lame et le sac pour bouclier, il assaillit les diables comme s'il eût été en colère, et en levant le bâton, il les effraya et les mit en fuite. Maintenant c'est s^râce à saint Jacques que je suis délivré et que la pa- role m'a été rendue. Appelez-moi un prêtre, car je ne puis plus être longtemps en vie. » Et se tournant vers Pun deux, il lui dit : « Mon ami, ne reste plus davantage au service de ton maître, car il est vraiment damné et dans peu il mourra de malemort. » Quand cet homme eut été enseveli, le soldat rapporta à son maître ce qui avait été dit : celui-ci n'en tint compte, et refusa de s'amender : mais peu de temps après il mourut percé d'un coup de lance dans une bataille*. Le pape Calixte rapporte qu'un homme de Vézelai, dans un pèlerinage qu'il fit à Saint-Jacques, se trou- vant à court d'argent, avait honte de mendier. En se reposant sous un arbre, il songeait que saint Jacques le nourrissait. Et à son réveil, il trouva près de sa tête un pain cuit sous la cendre, avec lequel il vécut quinze

«

Saint Anselme, t. II, p. 335.

2S2 LA LKGENDG DOHKE

jours, tant qu'il arriva chez lui. Chaque jour il en mangeait deux fois suffisamment, et le jour suivant, i le retrouvait entier dans son sac. Le pape Calixl< raconte que vers Tan du Seigneur HOO, un cîtoyei de Barcelone, venu à Saint-Jacques, se contenta d< demander de ne plus tomber à l'avenir dans les maini des ennemis. En revenant par la Sicile, il fut pris ei mer par les Sarrasins et vendu plusieurs fois dans le marchés, mais toujours les chaînes qui le liaient S' brisaient. Ayant été vendu pour la treizième fois, i fut garrotté avec des chaînes doubles. Alors il invoqu; saint Jacques qui lui apparut et lui dit : <( Quand li étais dans mon église, tu as demandé la délivranc du corps au préjudice du salut de ton âme ; c'est pou cela que tu es tombé dans ces périls ; mais parce qu le Seigneur est miséricordieux, il m'a envoyé pour t racheter. » A l'instant ses chaînes se rompirent, c passant à travers le pays et les châteaux des Sarrasins emportant avec lui une partie de sa chaîne pour témoi gner du miracle, il arriva dans son pays, au vu et l'admiration de tous. Lorsque ([uehju'un le voulait prei dre, il n'avait qu'à montrer sa chaîne etTennemi s'ei fuyait : et quand les lions et autres bétes féroces voi laient se jeter sur lui, en passant dans les désert seulement en voyant sa cliuhie, ils étaient saisis d'un grande terreur et s'éloignaient. L'an du Seignei 1238, la veille de saint Jacques, en un château appe Prato situé entr^? Florence et Pistoie, un jeune homm< (léçn, par une sini[)licité 4<^rossière, mit le feu aux hit do son lutom* (|iii voulait usurper son bien. Pris ( convaincu, il lui ccuidauiur à être brillé, après avoi

SAr.NT cmusTOPHE 283

été traîné à la queue d'un cheval. H confessa son pé- ché el se dévoua à saint Jacques. Après avoir été traîné en chemise sur un terrain pierreux, il ne ressentit au- cune blessure sur le corps et sa chemise ne fut pas même déchirée. Enfin on le lie au poteau, on amasse «lu bois autour; le feu est mis, le bois et les liens brû- lent ; mais comme il ne cessait d'invoquer saint Jac- ques, aucune tache de feu ne fut trouvée ni à sa che- mise, ni à son corps. On voulait le jeter une seconde fois dans le feu, le peuple l'en arracha, et Dieu fut loué magnifiquement dans la personne de son saint apôtre.

SAINT CHRISTOPHE *

Christophe, avant son haptéme, se nommait Réprouvé, mais dans la suite il fut appelé Christophe, comme si on disait : qui porte le Christ, parce qu'il porta le Christ en quatre maniè- res: sur ses épaules, pour le faire passer ; dans son corps, par la macération ; dans son cœur, par la dévotion et sur les lèvres, par la confession ou prédication.

Christophe était Chananéen ; il avait une taille gigan- tesque, un aspect terrible, et douze coudées de haut. D'après ce qu'on lit en ses actes, un jour qu'il se trou- vait auprès d'un roi des Chananéens, il lui vint à l'es- prit de chercher quel était le plus grand prince du monde, et de demeurer près de lui. II se présenta chez un roi très puissant qui avait partout la réputation de

* L'hymne 0 béate mundi auctor, du bréviaire mozarabe fait allusion, dans ses seize strophes, à tous les points de cette légende.

284 LA LÉGENDE DOREE

n'avoir point d'égal en grandeur. Ce roi en le voyant raccueillit avec bonté et le fit rester à sa cour. Or, un jour, un jongleur chantait en présence du roi une chan- son où revenait souvent le nom du diable ; le roi, qui était chrétien, chaque fois qu* il entendait prononcer le nom de quelque diable, faisait de suite le signe de croix sur sa figure. Christophe, qui remarqua cela, était fort étonné de cette action, et de ce que signifiait un pareil acte. II interrogea le roi à ce sujet et celui-ci ne vou- lant pas le lui découvrir, Christophe ajouta : « Si vous ne me le dites, je ne resterai pas plus longtemps avec vous. » C'est pourquoi le roi fut contraint de lui dire : « Je me munis de ce signe, quelque diable que j'entende nommer, dans la crainte qu'il ne prenne pouvoir sur moi et ne me nuise. » Christophe lui répondît : « Si vous craignez que le diable ne vous nuise, il est évi- demment plus grand et plus puissant que vous ; la preuve en est que vous en avez une terrible frayeur. Je suis donc bien déçu dans mon attente ; je pensais avoir trouvé le plus grand et le plus puissant seigneur (lu monde; mais maintenant je vous fais mes adieux, car je veux chercher le diable lui-même, afin de le [)rendrc pour mon maître et devenir son serviteur. » 11 quitta ce roi et se mit en devoir de chercher le dia- ble. Or, comme il marchait au milieu d'un désert, il vit une grande multitude de soldats, dont l'un, à l'as- pect fcroce^t terrible, vint vers lui et lui demanda oit il allait. Christophe lui répondit: «Je vais chercher le seigneur diable, afin de le prendre pour maître et scii^neur. » Celui-ci lui dit : « Je suis celui que tu cher- ches. » Christophe tout réjoui s'engagea pour être son

SAINT CIIRISTOPHK 285

serviteur à toujours et le prit pour son seigneur. Or, comme ils marchaient ensemble, ils rencontrèrent une croix élevée sur un chemin public. Aussitôt que le dia- ble eut aperçu cette croix, il fut effrayé, prit la fuite et, quittant le chemin, il conduisit Christophe à travers un terrain à l'écart et raboteux, ensuite il le ramena sur la route. Christophe émerveillé de voir cela lui de- manda pourquoi il avait manifesté tant de crainte, lorsqu'il quitta la voie ordinaire, pourfairc un détour, et le ramener ensuite dans le chemin. Le diable ne voulant absolument pas lui en donner le motif, Chris- tophe dit : « Si vous ne me l'indiquez, je vous quitte à l'instant. » Le diable fut forcé de lui dire : « Un homme qui s'appelle Christ fut attaché à la croix ; dès queje vois l'image de sa croix, j'entre dans une grande peur, et m'enfuis effrayé. » Christophe lui dit : a Donc ce Christ est plus grand et plus puissant que toi, puis- que tu as une si grande frayeur en voyant l'image de sa croix? J'ai donc travaillé en vain, et n'ai pas encore trouvé le plus grand prince du monde. Adieu mainte- nant, je veux te quitter et chercher ce Christ. »

Il chercha longtemps quelqu'un qui lui donnât des renseignements sur le Christ; enfin il rencontra un ermite qui lui prêcha J.-C. et qui l'instruisit soigneu- sement de la foi. L'ermite dit <\ Christophe : « Ce roi que tu désires servir réclame cette soumission : c'est qu'il te faudra jeûner souvent. » Christophe lui répon- dît : « Qu'il me demande autre chose, parce qu'il m'est absolument impossible de faire cela. » « Il te faudra encore, reprend l'ermite, lui adresser des prières. » a Je ne sais ce quc*est, répondit Chrisl()[)he, et je ne

286 LA LÉGENDE DORÉE

piiis me soumettre à cette exigence. » L'ermite lui dit : (( Connais-tu tel fleuve bien des passants sont en péril de perdre la vie? » « Oui, dit Christophe. L'er- mite reprit : « Comme tu as une haute stature et que tu es fort robuste, si tu restais auprès de ce fleuve, et si tu passais tous ceux qui surviennent, tu ferais quel- que chose de très agréable au roi J.-C. que tu désires servir, et j'espère qu'il se manifesterait à toi en ce lieu. » Christophe lui dit : « Oui, je puis bien remplir cet of- fice, et je promets que je m'en acquitterai pour lui. » Il alla donc au fleuve dont il était question, et s'y cons- truisit un petit logement. Il portait à la main au lieu de bâton une perche avec laquelle il se maintenait dans l'eau ; et il passait sans relâche tous les voyageurs. Bien des jours s'étaient écoulés, quand, une fois qu'il se reposait dans sa petite maison, il entendit la voix d'un petit enfant qui l'appelait en disant : 0 Christophe, viens dehors et passe-moi. » Christophe se leva de suite, mais ne trouva personne. Rentré chez soi, il en- tendit la môme voix qui l'appelait. Il courut de- hors de nouveau el ne trouva personne. Une troisième fois il fut appelé comme auparavant, sortit et trouva sur la rive du tlcuve un enfant qui le pria instamment de le passer. Christophe leva donc Tenfant sur ses épaules, prit son bâton et entra dans le fleuve pour le traverser. Et voici que l'eau du fleuve se gonflait peu à peu, l'enfant lui pesait comme une masse de plomb; il avançait, et Teau gonflait toujours, l'enfant écrasait de plus en plus les épaules de Christophe (l'un ])oi(ls intolérable, de sorte que celui-ci se trou- vait daiLS de grandes angoisses et craignait de périr.

SAINT GHHISTOPHE 287

1/ échappa à g^rand peine. Quand il eul franchi la ri- f y'ière, il déposa l'enfanl sur la rive et lui dit : Enfant, lu m'as exposé à un grand danger, et tu m'as tant pesé que si j'avais eu le monde entier sur moi, je ne sais si j'aurais eu plus lourd à porter. » L'enfant lui répondit : « Ne t'en étonne pas, Christophe, tu n'as pas eu seulement tout le monde sur toi, mais tu as porté sur les épaules celui qui a créé le monde : car je suis le Christ ton roi, auquel tu as en cela rendu service ; et pour te prouver que je dis la vérité, quand tu seras repassé, enfonce ton bâton en terre vis-à-vis la petite maison, et le matin tu verras qu'il a fleuri et porté des fruits. » A l'instant il disparut. En arrivant, Christophe ficha donc son bâton en terre, et quand il se leva le matin, il trouva que sa perche avait poussé des feuilles et des dattes comme un palmier. Il vint ensuite à Samos, ville de Lycie, il ne comprit pas la langue que parlaient les habitants, et il pria le Sei- gneur de lui en donner l'intelligence. Tandis qu'il res- tait en prières, les juges le prirent pour un insensé, et le laissèrent. Christophe, ayant obtenu ce qu'il deman- dait, se couvrit le visage, vint à l'endroit combat- taient les chrétiens, et il les affermissait au milieu de leurs tourments. Alors un des juges le frappa au vi- sage, et Christophe se découvrant la figure : « Si je n'étais chrétien, dit-il, je me vengerais aussit(H de cette injure. » Puis il ficha son bâton en terre en priant le Seigneur de le faire reverdir pour convertir le peu- ple. Or, comme cela se fit à Tinstant, huit mille hom- mes devinrent croyants. Le roi envoya alors deux cents soldats avec ordre d'amener Christophe par de-

288 I.A LKGENDE DORKK

vaut lui ; mais Tayaut trouvé eu oraisou ils craiî^ni- reut de lui signifier cet ordre ; le roi envoya encore un pareil nombre d'hommes, qui, eux aussi, se mirent à prier avec Christophe. 11 se leva et leur dit : « Qui cherchez-vous? » Quand ils eurent vu son visage; ils dirent : « Le roi nous a envoyés pour te garrotter et t'amènera lui. » Christophe leur dit : « Si je voulais,, vous ne pourriez me conduire ni garrotté, ni libre, mc Ils lui dirent : « Alors si tu ne veux pas, va librement partout bon te semblera, et nous dirons au rcr: que nous ne t'avons pas trouvé. » « Non, il n'en serra pas ainsi, dit-il ; j'irai avec vous. » Alors il les conver- tit à la foi, se fit lier par eux les mains derrière dos, et conduire au roi en cet état. A sa vue, le r— 3 fut effrayé et tomba à l'instant de son siège. Rele = ensuite par ses serviteurs, il lui demanda son nom sa patrie. Christophe lui répondit : a Avant mon hsm^j tcme, je m'appelais Réprouvé, mais aujourd'hui je m nomme Christophe. » Le roi lui dit : « Tu t'es donn^ un sot nom, en prenant celui du Christ crucifié, qu^ ne s'est fait aucun bien, et qui ne pourra t'en faire. Maintenant donc, méchant Chananéen, pourquoi ne sacrifies-tu pas à nos dieux? » Christophe lui dit : « C'est à bon droit que tu t'appelles Dagnus*^ parce que tu es la mort du monde, l'associé du diable; et tes dieux sont l'ouvrage de la main des hommes. » Le roi lui dit : « Tu as été élevé au milieu des bêtes féroces; (u ne peux donc proférer que paroles sauva- ges et choses inconnues des hommes. Or, maintenant,

* Damne uu danyeri ou plutôt dat^uo, |)oiguard ?

SAINT CHRISTOPHE 289

si tu veux sacrifier, tu obtiendras de moi de grands honneurs, sinon, tu périras dans les supplices. )> Et comme le saint ne voulut pas sacrifier, Dagnus le fit mettre en prison ; quant aux soldats qui avaient été envoyés à Christophe, il les fit décapiter pour le nom de J.-C. Ensuite il fit renfermer avec Christophe dans la prison deux filles très belles, dont Tune s^appelait Nicée et l'autre Âquilinie, leur promettant de grandes récompenses, si elles induisaient Christophe à pécher avec elles. A cette vue, Christophe se mit tout de »uUc en prière. Mais comme ces filles le tourmentaient par leurs caresses et leurs embrassements, il se leva et leur dit : « Que prétendez-vous et pour quel motif avez-vous été introduites ici? » Alors elles furent effrayées de l'éclat de son visage et dirent : « Ayez pitié de nous, saint homme, afin que nous puissions croire au Dieu que vous prêchez. » Le roi, informé de cela, se fit amener ces femmes et leur dit : « Vous avez donc aussi été séduites. Je jure par les dieux fl^e si vous ne sacrifiez, vous périrez de malemorl. » Elles répondirent : « Si tu veux que nous sacrifiions, ^ïnmande qu'on nettoie les places et que tout le "^onde s'assemble au temple. » Quand cela fut fait, et ^^l'elles furent entrées dans le temple, elles dénouèrent leurs ceintures, les mirent au cou des idoles qu'elles firent tomber et qu'elles brisèrent ; puis elles dirent aux assistants : « Allez appeler des médecins pour fuérir vos dieux. » Alors par Tordre du roi, Aquili- nie est pendue ; puis on attacha à ses pieds une pierre énorme qui disloqua tous ses membres. Quand elle eut rendu son âme au Seigneur, Nicée, sa sœur, fut

H. 19

290 LA LtGENDE DOKÉE

jetée dans le feu ; mais comme elle en sortit saine et sauve, elle fut tout aussitôt après décapitée. Après quoi Christophe est amené en présence du roi qui le fait fouetter avec des verges de fer; un casque de fer rougi au feu est mis sur sa tête ; le roi fait préparer un banc en fer il ordonne de lier Christophe et sous lequel il fait allumer du feu qu'on alimente avec de la poix. Mais le banc fond comme la cire, et le saint reste sain et sauf. Ensuite le roi le fait lier à un poteau et commande à quatre cents soldats de le percer de flè- ches : mais toutes les flèches restaient suspendues en Fuir, et aucune ne put le toucher. Or, le roi, pensant qu'il avait été tué parles archers, se mit à l'insulter; tout à coup une flèche se détache de l'air, vient retourner sur le roi qu'elle frappe à l'œil, et qu'elle aveugle. Christophe lui dit : « C'est demain que je dois con- sommer mon sacrifice ; tu feras donc, tyran, de la boue avec mon sang; tu t'en frotteras l'œil et lu seras guéri. » Par ordre du roi on le mène au lieu il devait être décapité; et quand il eut fait sa prière, on lui trancha la tête. Le roi prit un peu de son sang, et le mettant sur son œil, il dit : a Au nom de Dieu et de saint Christophe. » Et il fut guéri à Tinstant. Alors le roi crut, et porta un édit par lequel quiconque blasphé- merait Dieu et saint Christophe serait aussitôt puni par le glaive. Saint Ambroise parle ainsi de ce mar- tyr dans sa préface : « Vous avez élevé. Seigneur, saint Christophe, à un tel degré de vertu, et vous avez donné une telle grâce à sa parole, que par lui vous avez arraché à Terreur de la gentilité pour les amener à la croyance chrétienne, quarante-huit mille hommes.

LES SEPT DORMANTS 29 i

Nîcée et Aquilinie qui depuis longtemps se livraient publiquement à la prostitution, il les porta à prendre des habitudes de chasteté, et leur enseigna à recevoir la couronne. Bien que lié sur un banc de fer au mi- lieu d'un bûcher ardent, il ne redouta pas d'être brûlé par ce feu, et pendant une journée entière, il ne put èlre percé par les flèches de toute une soldatesque. Il y a plus, une de ces flèches crève l'œil d'un des bour- reaux, et le sang du bienheureux martyr mêlé à la terre lui rend la vue et en enlevant l'aveuglement du corps, éclaire son esprit : car il obtint sa grâce auprès de vous et il vous a prié avec supplication d'éloigner les maladies et les infirmités*. »

'LES SEPT DORMANTS**

Les sept dormants étaient originaires d'Ephèse. L'empereur Dèce qui persécutait les chrétiens, étant

*^Ces derniers mots nous expliquent le motif pour lequel saint Christophe est représenté avec des proportions gigantes- ques principalement aux portails des églises. On se croyait à l'abri des maladies et des infirmités dès lors qu*on avait vu la statue du saint, de ces vers :

Christophore sancte, virtutes sunt tibi tantœ, Qui te mane vident, nocturno tempore rident. Christophore sancte, speciem quicumque tuetur, Ista nempe die non morte mala morietur. Christopnorum videas, postea tutus eas.

*• S* Grégoire de Tours, De gloria martyr, ^ I. 1, c. xcv ; Paul diacre, 1. I, c. m ; Nicéphore, Cai. 1. XIV, c. xlv, rapportent la légende des Sept Dormants qu'analyse J; de Voragine.

29â LA LÉGENDE DORÉE

venu en celte ville, fit construire des temples danj Tenceinte de cette cité, afin que tous se réunissent i lui pour sacrifier aux idoles. Or, il avait ordonné qu'oi cherchât tous les chrétiens ; et quand ils avaient éU pris, il les forçait à sacrifier ou à mourir ; on éprouvî doDC généralement une si grande crainte des supplice! que l'ami reniait son ami, le père son fils, et le fih son père. Alors se trouvaient dans cette ville sept chré tiens, qui furent saisis d'une gi*ande douleur quand ÎL virent ce qui se passait. C'étaient Maximien, Malchus Marcien, Denys, Jean, Sérapion et Constantin. Comncr ils étaient les premiers officiers du palais, et qu'ils nk^ prisaient les sacrifices offerts aux idoles, ils restaie^ cachés dans leur maison, se livrant aux jeûnes et a^ oraisons. Accusés et traduits devant Dèce ; puis cc^ vaincus d'être chrétiens, on leur donna le temps revenir à résipiscence et ils furent relâchés, jusqim*. retour de Tempereur. Mais dans cet intervalle, ils tribuèrent leur patrimoine entre les pauvres, et pa rent la résolution de se retirer sur le mont Célion, cz ils se décidèrent à rester cachés. Pendant longtein{> - Tim d'eux se procurait ce qui leur était nécessaire rt chaque fois qu'il entrait dans la ville, il se déguisa J en mendiant. Or, quand Dèce fut revenu dansEphèsc^j il ordonna de les chercher pour les obliger à sacrifier- Malchus, qui les servait, revint efTrayé trouver ses compagnons et leur faire part de la fureur de l'empe- reur. Ils furent saisis de crainte; alors Malchus leur présenta les pains qu'il avait apportés, afin que, for- tifiés par la nourriture, ils en devinssent plus braves pour le combat. Après leur repas du soir, ils s'assiren

LES SEPT DORMANTS 293

^l s'eatretînrenl avec tristesse et larmes, et à l'instant, par la volonté de Dieu, ils s'endormirent. Quand vint le matin, on les chercha et on ne put les trouver. Or, Dèce était désolé d'avoir perdu de pareils jeunes gens ; on les accusa de s'être cachés jusqu'alors sur le mont ('élion, et de persister dans leur résolution : on ajouta qu'ils avaient donné leurs biens aux pauvres. Dèce ordonna donc de faire comparaître leurs parents qu'il "Menaça de mort, s'ils ne déclaraient tout ce qui était ^enu à leur connaissance au sujet des absents. Leurs Parents les accusèrent comme les autres et se plaigni- ssent de ce qu'ils avaient distribué leurs richesses aux pauvres. Alors Dèce réfléchit à la conduite qu'il tien- drait à leur égard, et par l'inspiration de Dieu, il fit Jucher avec des pierres l'entrée de la caverne afin ^^'y étant renfermés, ils y mourussent de faim et de 'Misère. On exécuta ses ordres et deux chrétiens, Théo- ^^re et Rufin, écrivirent la relation de leur martyre ^^*îls placèrent avec précaution entre les pierres. Or, Q^Hnd Dèce et toute la génération qui existait alors ^^t disparu, trois cent soixante-douze ans après, la ^**^ntième année de l'empire de Théodose, se propagea * hérésie de ceux qui niaient la résurrection des morts, ^^héodose, qui était un empereur très chrétien, fut '^mpli de tristesse de voir la foi indignement attaquée. 'I se revêtit d'un cilice, et s'étant retiré dans l'intérieur de son palais, il pleurait tous les jours. Dieu, qui vit cela dans sa miséricorde, voulut consoler ces affligés et affermir l'espérance de la résurrection des morts ; il ouvrit les trésors de sa tendresse et ressuscita les .sept niartyrs, comme il suit. Il inspira à un citoyen II 19-

294 LA LÉGENDE DORÉE

d'Ephèse Tidée de faire construire sur le mont Célîon des étables pour les bergers. Les maçons ayant ouvert la grotte, les saints se levèrent et se saluèrent, dans la pensée qu'ils n'avaient dormi qu'une nuit ; puis se rappelant leur tristesse de la veille, ils demandèrent à Malchus, qui les approvisionnait, ce que Dèce avait décrété à leur égard. Il répondit : a Comme je vous l'ai dit hier soir, on nous a cherchés pour nous con- traindre à sacrifier aux idoles : voilà les pensées de l'empereur par rapport à nous. » Maximien répondit : <( Et Dieu sait que nous ne sacrifierons pas. » Après avoir encouragé ses compagnons, il dit à Malchus de descendre à la ville pour acheter du pain, en lui re- commandant d'en prendre plus qu'il n'avait fait la veille, et de leur communiquer à son retour les or- donnances de l'empereur. Malchus prit cinq sols, sor- tit de la caverne. En voyant les pierres il fut étonné ; mais comme il pensait à autre chose, l'idée des pierres fit peu d'impression sur lui. Alors qu'il arrivait, non sans une certaine appréhension, à la porte de la ^^lle, il fut singulièrement surpris de la voir surmontée du signe de la croix ; de il alla à une autre porte. Quand il vil le même signe, il fut très étonné de voir une croix au-dessus de toutes les portes, et de trouver la ville changée ; il se signa, et revint à la première porte en pensant qu'il rêvait. Enfin il se rassure, se c^chc le visage et pénètre dans la ville. Comme il en- trait chez les marchands de pain, il entendit qu'on parlait de J.-C; il fut stupéfait : « Qu'est ceci, peu- siil-il ? hier personne n'osait prononcer le nom de J.-C, et aujourd'hui ils se confessent tous chrétiens ?

LES SEPT DORMANTS 295

Je *crois que ce n'est pas la ville d'Ephèse : d'ail- leurs elle est autrement bâtie ; c'est une autre ville, mais je ne sais laquelle. » Alors il prit des informa- lions : on lui répondit que c'était Ephèse. Se croyant le jouet d'une erreur, il songea à venir retrouver ses compagnons. Cependant il entra chez ceux qui ven- daient du pain, et ayant donné son argent, les mar- chands étonnés se disaient l'un à l'autre que ce jeune homme avait trouvé un vieux trésor. Or, Malchus, en les voyant se parler en particulier, pensait qu'ils voulaient le mener à l'empereur, et, dans son effroi, il les pria de le laisser aller et de garder les pains et les pièces d'argent. Mais les boulangers le retinrent et lui dirent : « D'où es-tu? puisque tu as trouvé des trésors des anciens empereurs, indique-les-nous ; nous partagerons avec toi et nous te cacherons, car autre- ment tu ne peux t'en retirer.» Malchus ne savait quoi leur répondre, tant il avait peur. Alors les marchands, voyant qu'il se taisait, lui jetèrent une corde au cou, le traînèrent par les rues jusqu'au milieu de la ville. C'était une rumeur générale qu'un jeune homme avait trouvé des trésors. Tout le monde s'assemblait autour de lui, et le regardait avec admiration. Malchus vou- lait faire comprendre qu'il n'avait rien trouvé. Il exa- minait tout le monde et personne ne pouvait le con- naître ; il regardait au milieu de la foule pour distin- guer quelqu'un de ses parents (il les croyait vraiment encore en vie), et ne trouvant personne, il restait comme un hébété au milieu du peuple de la ville. Le fait vint aux oreilles de saint Martin, évêque, et du proconsul Antipaler, nouvellement arrivé dans la

296 LA LÉGliiNDE DORËB

ville. Ils commandèrent aux citoyens de leur amener ce jeune homme avec précaution et d'apporter en même temps son argent. Pendant que les officiers le conduisaient à l'église, il pensait qu'on le menait à Tempereur. L'évêque donc et l'empereur, surpris de voir cet argent, lui demandèrent il avait trouvé un trésor inconnu. 11 répondit qu'il n'avait rien trouvé, mais qu'il avait eu ces deniers dans la bourse de ses» parents. On lui demanda alors de quelle ville il était» Il répondit : « Je sais bien que je suis de cette ville^ si tant est que cette ville soit Ephèse. » Le proconsul dit : « Fais venir tes parents, afin qu'ils répondent pour toi. » Quand il eut cité leurs noms, personne ne les connaissant, on lui dit qu'il mentait pour pouvoir échapper, n'importe de quelle manière. « Comment te croire, dit le proconsul ? tu prétends que cet aident vient de tes parents, et l'inscription a plus de 377 ans ; elle date des premiers temps de l'empereur Dèce, et ces pièces ne sont pas du tout pareilles à celles qui ont cours chez nous. Et comment tes parents vivaient- ils à cette époque, quand tu es si jeune? Tu veux donc tromper les savants et les vieillards d*Ephèse ? Eh bien ! je vais te livrer à la rigueur des lois, jus- qu'à ce que tu fasses l'aveu de ta découverte. » Alors Malchus se jeta à leurs pieds en disant : « Pour Dieu, seigneurs, dites-moi ce que je vous demande, et je vous dirai ce qui est dans mon cœur. L'empereur Dèce, qui se trouvait dans cette ville, est-il à pré- sent? » L'évoque lui répondit : « Mon fils, il n'y a plus aujourd'hui ici-bas d'empereur qui s'appelle Dèce ; il y a longtemps qu'il l'était. » Mais Malchus

LES SEPT DORMANTS 297

^^^ i « C'est pour cela, seigneur, que je suis bien **tonné et que personne ne me croit : or, suivez-moi, ^^ ie vous montrerai mes compagnons qui sont au '•^^nt Célion, et vous les croirez. Ce que je sais, c'est 2^^ nous avons fui quand Dèce s'est présenté ici ; et, ^^r soir, j'ai vu entrer Dèce dans cette ville, si tant ^^'^t que ce soit Ephèse. » Alors Tévéque ayant réflé- ^*^î, dit au proconsul : « C'est une vision que Dieu ^^m montrer par le ministère de ce jeune homme. » **s Je suivirent donc avec une grande multitude de ^Uoyens. Malchus pénétra le premier dans le lieu liaient ses compagnons : Tévêque, qui entra après lui, trouva entre les pierres la relation scellée de deux sceaux d'argent. Il assembla le peuple, la lut, à l'ad- miration de tous ceux qui l'entendirent ; et en voyant les saints de Dieu assis dans la caverne avec un nsage qui avait la fraîcheur des roses, ils se proster- nèrent en glorifiant Dieu. Aussitôt Tévêque et le pro- consul envoyèrent prier l'empereur de venir de suite voir les miracles qui venaient de s'opérer. Aussitôt l'empereur quitta le sac qu'il portait, se leva et vint de Constantinople à Ephèse en rendant gloire à Dieu. On alla au-devant de lui et on l'accompagna à la çrolte. Les saints n'eurent pas plutôt vu l'empe- reur que leur visage brilla comme le soleil ; ensuite l'empereur entra, se prosterna devant eux en glori- fiant Dieu, se leva, les embrassa et pleura sur chacun d'eux en disant : « Je vous vois, comme si je voyais le Seigneur ressuscitant Lazare. » Alors saint Maxi- mien lui dît : « Croyez-nous ; c'est pour vous que Dieu nous a ressuscites avant le jour de la grande résurrec-

298 L\ LÉGENDE DORÉE

tion, afin que vous croyiez indubitablement à la résurrection certaine des morts ; car nous sommes vraiment ressuscites et nous vivons : or, de même que l'enfant dans le sein de sa mère vit sans ressen- tir de lésion, de même, nous aussi, nous avons été vivants, reposant, dormant et n'éprouvant pas de sensations. » Quand il eut dit ces mots, les sept hom- mes inclinèrent la tête sur la terre, s'endormirent et rendirent l'esprit selon l'ordre de Dieu. Alors l'empe- reur se leva, se jeta sur eux avec larmes et les em- brassa. Il ordonna ensuite de faire des cercueils d'or pour les renfermer ; mais cette nuit-là même, ils lui apparurent et lui dirent que jusqu'alors ils avaient reposé sur la terre et qu'ils étaient ressuscites de des- sus la terre, qu'il les y fallait laisser, jusqu'à ce que le Seigneur les ressuscitât la seconde fois. L'empe- reur ordonna donc qu'on ornât ce lieu de pierres dorées, et que tous les évêques qui confessaient la résurrection fussent absous. Qu'ils aient dormi 377 ans, comme on le dit, la chose peul être douteuse, puisqu'ils ressuscitèrent Tan du Seigneur 448. Or, Dèce régna seulement un an et trois mois, en l'an 2;j2 ; ainsi, ils ne dormirent que cent quatre-ving(- seize ans.

SAINTS NAZAIRE ET CELSE

Nazaire vient de Nazaréen qui sijs^nifie consacré, pur, ^

séparé, fleuri, ou i^arJanl. Dans l'homme, on trouve cin«i j-

facultés : la pensée, l'affection, l'intention, Taclion et la parole. _

SAINTS NAZAIHE ET CELSE 299

Or, la pensée doit être sainte, TafiTection pure, l'intention droite, raction juste, la parole modérée. Toutes ces qualités se sont rencontrées dans le bienheureux saint Nazaire ; sa pensée fut sainte, de il est appelé consacré ; son affection pure, et il est appelé pur; son intention droite, de le nom de séparé; car l'intention détermine les œuvres. Avec un œil simple et pur tout le corps est éclairé, et avec un œil mauvais et obscurci tout le corps est ténébreux. Ses actions furent justes, c'est pour cela qu'il est nommé fleuri, car le juste fleu- rira comme le lys; sa parole fut modérée, de le nom de gardant, parce qu'il garda ses voies afin de ne point pécher par la langue.

Celse, exeelsuSy élevé, parce qu'il s'éleva au-dessus de lui- même ; par la force de son courage il s'éleva au-dessus de la faiblesse de son jeune âge. On dit que saint Ambroise trouva la vie et la relation du martyre de ces deux saints dans le livre des saints Gervais et Protais; mais on lit dans quelques ouvrages qu'un philosophe plein de dévotion à saint Nazaire a écrit son martyre que Cératius plaça à leur chevet en ense- velissant les corps de ces saints *.

Nazaire était fils d'un personnaj^e très illustre, mais juif nommé Âfricanus et de la bienheureuse Perpé- tue, femme très chrétienne et d'une famille des plus distinguées de Rome. Elle avait été baptisée par Tapô- tre saint Pierre. A l'âge de neuf ans, Nazaire était fort étonné de voir son père et sa mère apporter tant de divergence dans leurs pratiques religieuses ; puisque sa mère suivait la loi du baptême et son père la loi du sabbat. Il balançait beaucoup sur le parti auquel il se rattacherait, car l'un et l'autre de ses parents s'ef- forçaient de l'attirer à sa croyance. Enfin Dieu permit qu'il marchât sur les traces de sa mère, et il reçut le saint baptême du bienheureux Lin, pape. Son père, en

* Bréviaire romain.

300 L.V LÉGENDE DOREB

avant été instruit, tenta de le détourner de sa sainte résolution, en lui exposant, l'un après Tautre, les dif- férents tourments qu'on infligeait aux chrétiens. Quant au fait de son baptême qu'on dit lui avoir été conféré par le pape saint Lin, Ton veut dire sans doute que celui-ci devait être pape plus tard, car il ne Tétait pas encore. Puisque, comme, il sera facile de s'en convaincre pur la suite, saint Nazaire vécut nombre d*années après son baptême et fut martyrisé par Néron qui fit crucifier saint Pierre, la dernière année de son règne ; or, saint Lin fut pape après la mort de saint Pierre. Au lieu de céder aux instances de son père, Nazaire prêchait J.-C. avec la plus grande constance ; alors ses parents, qui craignaient beaucoup qu'il ne fût tué, obtinrent par leurs prières qu'il sortirait de la ville de Rome ; il prit donc sept sommiers chargés des riches- ses de ses parents, parcourut les villes d'Italie et donna tout aux pauvres. Dix ans après son départ, il vint à Plaisance et de à Milan il trouva détenus en prison saint Gervais et saint Protais. Or, quand on apprit que Nazaire encourageait ces martyrs, on le traîna aussitôt au préfet et comme il persistait à con- fesser J.-C, il fut battu (le verges et chassé de la ville. Tandis qu'il allait d'un lieu à un autre, sa mère, qui était morte, lui apparut et après Tavoir encouragé, elle l'avertit de se diriger > ers les Gaules. Quand il arriva à une ville de la Gaule nommée Gemellus*, il y con- vertit beaucoup de monde ; et une dame lui offrit son fils nommé Celse qui était un charmant enfant, avec

' Tionôve.

SAINTS NAZAIRE ET CELSE 301

pnère de le baptiser et de Teminener avec lui. Quand

le préfet des Gaules apprit cela, il le fit prendre avec

^else; on lui lia les mains derrière le dos ; on lui at-

^^cha une chaîne au cou et on le jeta en prison afin

1"^ le lendemain il fût tourmenté dans les supplices.

^^is la femme du préfet envoya dire à son mari que

^^^lune injustice de condamner à mort des inno-

^^'^Is; el qu'il ne fallait pas se charger de la vengeance

^^ dieux tout-puissants. Le président se rendit à ces

P^^oies ; il renvoya les saints absous, en leur recom-

^^tidant expressément de ne pas prêcher dansla ville.

^^saire vint donc à Trêves le premier il annonça

•MU. Après y avoir converti beaucoup de personnes à

^ foi, il s'y bâtit une église. Corneille, vicaire de Né-

*^, instruit de cela, le manda à cet empereur qui en- ^^ja cent hommes pour le prendre. Ils le trouvèrent à ^^té de l'oratoire qu'il s'était construit, lui lièrent les *^sins et lui dirent : « Le grand Néron t'appelle. » "^azaire leur répondit : « Un roi inconvenant a des sol- ^els inconvenants ; car à votre arrivée pourquoi ne ^'avez-vous pas dit honnêtement : Néron t'appelle ? Je serais venu. » Ils le conduisirent donc enchaîné à ^éron. Quant au petit Çelse qui pleurait, ils lui don- naient des soufflets pour le forcer de suivre. Néron, les ayant vus, les fit mettre en prison, jusqu'à ce qu'il eût réfléchi sur la manière de les faire périr. Dans cet intervalle, une fois que Néron avait envoyé des chas- seurs pour prendre des bêtes sauvages, une troupe de ces animaux entra subitement dans le verger de ce prince, elle blessa beaucoup de personnes et en tua nombre d'autres, au point que Néron effrayé prit

302 LA LÉGENDE DOREE

la fiiile et rentra dans son palaîs, après s'être fait une blessure au pied. La douleur le retint de longues jour- nées couché ; enfin il se souvint de Nazaire et de Celse ; il pensa que les dieux étaientirritéscontre lui pour avoir laissé vivre si longtemps ces prisonniers. Par Tordre donc de l'empereur, des soldats firent sortir Nazaire de la prison, en le chassant à coups de pied, et Celse en le frappant, et ils les amenèrent devant l'empereur. Néron, voyant la figure de Nazaire brillante comme le soleil, se crut le jouet d'une illusion et lui ordonna de cesser ses sortilèges, puis de sacrifier aux dieux. Na- zaire ayant été conduit au temple, pria tout le monde de se retirer, et pendant qu'il y faisait sa prière, toutes les idoles furent brisées. A cette nouvelle, Néron or- donna de le précipiter dans la mer, avec ordre de le reprendre, s'il parvenait à s'échapper, de le faire mou- rir ensuite dans les flammes et de jeter ses cendres dans la mer. Nazaire donc et le jeune Celse sont em- barqués sur un navire, et quand ils eurent atteint la haute mer, ils furent précipités dans les flots. Mais aussitôt il s'éleva autour du bâtiment une tempête extraordinaire, quand le plus grand calme régnait au- tour des saints. Les matelots craignaient de périr et se repentaient dos méchancetés qu'ils avaient commi- ses contre les martyrs, mais voici que Nazaire avec le petit Celse leur apparaît marchant d'un air gai sur les eaux, et monte sur le navire (Les matelots croyaient déjà en Dieu.) Nazaire par une prière calma les flots, l't vint de avec eux débarquer auprès delà ville de (iênes éloignée de six cents pas. Après y avoir prêché longtemps, il vint enfin à Milan il avait laissé saint

SAINTS NAZAIRE ET CELSE 303

Gervaîs et saint Protais. Lorsque le préfet Anolinus l'eut appris, il l'envoya en exil et Celse resta dans la maison d'une dame. Quanta Nazaireil revint à Rome il trouva son père déjà parvenu à la vieillesse et chrétien. Il lui demanda comment il avait été converti . Son pèrelui ditquesaint Pierre, apôtre,lui étaitapparu et lui avait donné le conseil de suivre sa femme et son fils qui l'avaient précédé dans la foi de J.-C. Ensuite Nazaire, après avoir éprouvé de mauvais traitements, à Milan, d'où il avait été envoyé à Rome, est forcé par les prêtres des idoles de revenir et il y fut traduit de- vant le président avec l'enfant. On le conduisit hors de la porte de Rome dans un lieu appelé les Trois Murs, et il fut décapité avec le jeune Celse. Les chré- tiens enlevèrent leurs corps et les placèrent dans leurs jardins; mais cette nuit-là même, les martyrs appa- rurent à un saint homme nommé Cératius et lui recom- mandèrent d'ensevelir leurs corps dans un endroit re- tiré de sa maison, par rapport à Tcmpereur. Cératius leur dit: « Je vous en prie, mes seigneurs, guérissez auparavant ma fille paralytique. » Et comme elle fut guérie à l'instant, il prit leurs corps et les ensevelit comme ils le lui avaient recommandé. Longtemps après le Seigneur révéla à saint Ambroise se trouvaient leurs restes. Celui-ci laissa Celse il était. Le corps de Nazaire fut trouvé avec son sang frais comme s'il venait d'être enseveli, et répandant une merveilleuse odeur ; il était entier, sans corruption, avec ses che- veux et sa barbe. Il en fit la translation à l'église des îipôtres et l'y ensevelit avec honneur. Dans la suite il fit aussi l'élévation de saint Celse (ju'il plaça dans la

304 LA LÉGENDE DOREE

même église. Ils souffrirent sous Néron, qui commença à régner vers Tan du Seigneur 57.

Au sujet de ce martyr, voici ce que saint Ambroise dit dans la Préface : « Le sôint martyr Nazaire, illus- tre par le sang généreux qu'il a répandu, a mérité de monter au royaume du ciel. En souffrant tout ce que les tourments ont de plus cruel, il surmontait la rage des tyrans par sa constance ; et il ne céda jamais de- vant les menaces des persécuteurs, car il avait pour le soutenir au milijsu de ses combats N.-S. J-C. qui combattait avec lui. Alors il est conduit au temple pour immoler aux idoles profanes ; mais fort du se- cours divin, il est à peine entré, que ces simulacres sont réduits par lui en poussière. Pour ce fait, il est conduit au milieu de la mer, et, soutenu par les anges, il marche à pied sec sur les flots. 0 heureux et noble combattant du Seigneur qui en attaquant le prince du monde a rendu une multitude innombrable de peuple participante de la vie éternelle ! 0 grand et ineffable mystère, qu'il y ait plus de joie dans l'Église de ce qu'ils ont mérité le salut, qu'il n y a d'allégresse dans le monde pour les avoir punis ! 0 bienheureuse mère qui tire de la gloire des tourments de ses en- fants qu'elle conduit au tombeau sans pleurs et sans gémissements, et sans cesser de célébrer leurs louan- ges quand ils sont passés aux royaumes célestes ! O témoin merveilleux, resplendissant d'un éclat céleste, dont les vertus répandent une odeur plus pénétrante et plus suave que les aromates de Saba ! » Saint Ambroise, lors de l'invention de ce saint, le pro- posa comme patron, et médecin, comme le défen-

SAINT FELIX, PAPE 305

seur de la foi, et le champion des combats sacrés. Elle était cachée depuis longtemps dans la pous- sière cette dragme trouvée avec la lumière que te prèle l'assistance merveilleuse du ciel : afin, ô Jésus ! que les récompenses que vous accordez à tous vos élus soient manifestées et que Toeil de Thomme puisse voir les visages des anges.

SAINT FÉLIX, PAPE

Félix fut élu et ordonné pape à la place de Libère, qui, ne voulant pas approuver rhérésie arienne, fut, par 1 ordre de Constance, fils de Constantin, envoyé en exil, il resta trois ans. C'est pour cela que tout le clergé romain ordonna Félix à sa place, du vouloir et au consentement de Libère lui-même. Ce Félix, ayant convoqué un concile, condamna, en présence de qua- rante-huit évéques. Constance empereur arien héréti- que et deux prêtres qui le soutenaient. Constance indi- gné chassa Félix de son évéchéel rappela Libère à la condition d'être en communion seulement avec Cons- tantin et les autres que Félix avait condamnés. Libère, accablé par les ennuis de l'exil, souscrivit à l'hérésie ; et il en résulta que la persécution augmenta à tel point que beaucoup de prêtres et de clercs furent tués dansTéglise sans que Libère s*y opposât. Félix, chasse de son évêché, habitait dans une terre d'où on l'arra- cha pour le conduire au martyre qu'il subit, en ayant la tête tranchée, vers l'an du Seigneur 340.

n.

20

306 LX LÉGENDE DOREE

SAINT SIMPLICE ET SAINT FAUSTIN

Simplice et Faustîn tHaieiil frères ; ils refusèrent de sacrifier, et endurèrent à Rome beaucoup de tour- ments sous l'empereur Dioclétien. A la fin on porta l'arrêt de leur condamnation ; ils furent décapités et leurs corps jetés dans le Tibre : mais leur sœur nom- mée Béatrice relira leurs dépouilles du fleuve et les ensevelit honorablement. Lucréfius qui était préfet et vicaire de Dioclétien passait autour de leur domaine, la fit prendre et lui commanda de sacrifier aux idolesr Sur son refus, Lucrétius la fit étrangler durant la nuit par ses esclaves. La vierge Lucine enleva son corps et l'ensevelit à côté de ses frères. Après quoi, le préfet Lucrétius s'empara de leur maison, au milieu d*un repas qu'il donnait à ses amis, il se permît d'insulter les martyrs ; alors un petit enfant encore à la mamelle et enveloppé de langes, s'écria, dans les bras de sa mère qui était présente, de sorte que tout le monde l'entendit : a Ecoule, Lucrétius, tu as tué, tu as usurpé, voici que tu es livré au pouvoir de l'ennemi. » A l'instant Lucrétius saisi et tremblant est appré- hendé par le démon qui le tourmenta si violemment pendant trois heures qu'il mourut au milieu du repas. Les assistants témoins de cela se convertirent à la foi : ils racontaient à tous le martyre de sainte Béatrice qui avait été vengée dans le repas. Or, ils souffrirent vers l'an du Seigneur 287.

SAINTK MARTHE 307

SAINTE MARTHE

[L*interprétation du nom de saiocte Marthe. Marthe peut ^tre dicte ainsi côme sacrifiant ou amaigrissant : elle sacriHa ^ Ihùcrist quant elle le hostella : et luy administra le pain et Uvin de quoy luy-mesme sacrifia son sainct corps: amai- grissant, car elle amaigrit son corps par pénitence si côme il sensuit après] *.

Marthe, qui donna l'hospitalité à J.-C., descendait de race royale et avait pour père Synis et pour mère Eucharie. Son père fut gouverneur de Syrie et de beau- coup de pays, situés le long de la rner. Marthe possé- dait avec sa sœur, et du chef de sa mère, trois chà- ^ux, savoir Magdalon, Béthanie et une partie de la ^Jede Jérusalem. On ne trouve nulle part qu'elle se ^'l mariée, ni qu'elle ait eu commerce avec aucun ^^ttinae. Or, cette noble hôtelière servait le Seigneur ^^ Voulait que sa sœur le servît aussi ; car il lui sem- "'^t que ce n'était pas même trop du monde tout ^ï^lier pour le service d'un hôte si grand. Après l'as- ^'^sion du Seigneur, quand les apôtres se furent ^^persés, elle et son frère Lazare, sa sœur Marie- ^^gdeleine, ainsi que saint Maximin qui les avait '^^ptisés et auquel elles avaient été confiées par l'Es- Pril-Sainl, avec beaucoup d'autres encore, furent mis par les infidèles sur un navire dont on enleva les rames, les voiles et les gouvernails, ainsi que toute espèce d'aliment. Sous la direction de Dieu, ils arri-

Consulter les Monuments de l'apostolat de sainte Madeleine et de sainte Marthe, par M. Paillon et le Bréviaire romain.

308 L\ LÉGENDE DOREE

vèrent à Marseille. De ils allèrent au territoire d'Aix ils convertirent tout le peuple à la foi. Or, sainte Marthe était très éloquente et gracieuse pour tous. Il y avait, à cette époque, sur les rives du Rhône, dans un bois entre Arles et Avignon, un dragon, moitié animal, moitié poisson, plus épais qu'un bœuf, plus long qu'un cheval, avec des dents semblables à des épées et grosses comme des cornes, qui était armé de chaque côté de deux boucliers ; il se cachait dans le fleuve d'où il ôtaitla vie à tous les passants et submer- geait les navires. Or, il était venu par mer de la Gala- tie d'Asie, avait été engendré par Léviathan, serpent très féroce qui vit dans l'eau, et d'un animal nommé Onachum, qui natt dans la Galatie : contre ceux qui le poursuivent, il jette, à la distance d'un arpent, sa fiente comme un dard et tout ce qu'il touche, il le brille comme si c'était du feu. A la prière des peuples, Marthe alla dans le bois et l'y trouva mangeant un homme. Elle jeta sur lui de l'eau bénite et lui montra une croix. A l'instant le monstre dompté resta tran- quille comme un agneau. Sainte Marthe le lia avec sa ceinture et incontinent il fut tué par le peuple à coups de lames et de pierres. Or, les habitants du pays appelaient ce dragon Tarasque et en souvenir de cet événement ce lieu s'appelle encore Tarascon au lieu de Nerluc, qui signifie lieu noir, parce qu'il se trouvait des bois sombres et couverts. Ce fut en cet endroit que sainte Marthe, avec l'autorisation de son maître Maximin et de sa sœur, se fixa désormais et se livra sans relâche à la prière et aux jeûnes. Plus tard après avoir rassemblé un grand nombre de sœurs, elle bâtit

SAINTE MARTHE 309

Une basilique en l'honneur de la bienheureuse vierge Marie. Elle y mena une vie assez dure, s'abstenant d'aliments gras, d'œufs, de fromage et de vin, ne man- geant qu'une fois par jour. Cent fois le jour et autant de fois la nuit, elle fléchissait les genoux.

Elle prêchait un jour auprès d'Avignon, entre la ^'^'leel le fleuve du Rhône, et un jeune homme se trouvait de l'autre côté du fleuve; jaloux d'entendre ^s paroles, mais dépourvu de barque pour passer, il se dépouilla de ses vêtements et se jeta à la nage ; ^\x{ à coup il est emporté par la force du courant et se noie aussitôt. Son corps fut à peine retrouvé, deux jours après ; on l'apporta aux pieds de sainte Marthe Powr qu'elle le ressuscitât. Elle se prosterna seule, les *^*'ss étendus en forme de croix sur la terre et fit cette prière : « O Adonay, Seigneur J.-C, qui avez autre- fois ressuscité mon frère Lazare, votre ami, mon cher *^^te, ayez égard à la foi de ceux qui m'entourent et ^^ssuscitez cet enfant. » Elle prit par la main ce J^uiie homme qui se leva aussitôt et reçut le saint bap- ^^nie. Eusèbc rapporte au VIP livre de son Ilisloire ^^^lésiaslique*j que l'IIémorrhoïsse, après avoir été S^*érie, fit élever dans sa cour ou son verger, une sta- tue à la ressemblance de J.-C., avec une robe et sa frange, comme elle l'avait vu, et elle avait pour cette image une grande vénération. Or, les herbes croissant aux pieds de la statue et qui n'étaient bonnes à rien auparavant, dès lors qu'elles atteignaient à la frange,

* H revient sur ce récit dans son commentaire sur sair.t Luc, mais sans prétendre que c'est Marthe. Cf. Nicéphorc Callixte, lib. X, xxx.

II. 20*

310 LA LÉGENDE DOREE

acquéraient une telle vertu que beaucoup d'infirmes qui en faisaient usage étaient guéris. Cette Hémor- rhoïsse que le Seigneur guérît, saint Ambroîse dît* que ce fut sainte Marthe. Saint Jérôme de son côté rapporte, et VHiaioire triparlile confirme **, que Ju- lien Tapostat fit enlever la statue élevée par THémor- rhoTsseet y substitua la sienne; mais la foudre la brisa. Or, le Seigneur révéla un an d'avance à sainte Mar- the le moment de sa mort : et pendant toute cette année, la fièvre ne la quitta point. Huit jours avant son trépas, elle entendit les chœurs des anges qui portaient l'âme de sa sœur au ciel. Elle rassembla de suite sa communauté de frères et de sœurs : « Mes compagnons et très doux élèves, leur dit-elle, je vous en prie, réjouissez-vous avec moi, parce que je vois les chœurs des anges portant en triomphe l'âme de ma sœur au trône qui lui a été promis. O très belle et bien- aimée sœur ! vis avec ton maftre et mon hôte dans la demeure bienheureuse! » Et aussitôt sainte Marthe, pressentant sa mort prochaîne, avertit ses gens d'allu- mer des flambeaux autour d'elle et de veiller jusqu'à son trépas. Au milieu de la nuit qui précéda le jour de sa mort, ceux qui la veillaient s'élant laissé appesantir par le sommeil, un vent violent s'éleva et éteignit toutes les lumières, et la sainte qui vit une foule d'es- prits malins, prononça cette prière : « 0 Dieu, mon père, mon hôte chéri, mes séducteurs se sont rassem- blés pour me dévorer ; ils tiennent écrites à la main

* Sermon XL\'I. *■ Li!). VI, c. xLi.

SAINTE MARTHE 311

les méchancetés que j'ai commises : mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi, mais venez à mon aide. » Et voilà qu'elle vit sa sœur venir à elle ; elle tenait à la main une torche avec laquelle elle alluma les flam- beaux et les lampes : et tandis qu'elles s'appelaient chacune par leur nom, voici que J.-C. vint et dit : w Venez, hôtesse chérie, et je suis, vous y serez avec moi. Vous m'avez reçu dans votre maison, et moi je vous recevrai dans mon paradis ; ceux qui vous invoqueront, je les exaucerai par amour pour vous. » L'heure de sa mort approchant, elle se fit transporter ^^hors, afin de pouvoir regarder le ciel ; et elle or- ^ionna qu'on la posât par terre sur de la cendre ; en- suite qu'on lui tint une croix devant elle : et elle fit celle prière : « Mon cher hôte, gardez votre pauvre petite ser\'ante ; et comme vous avez daigné demeurer ^^*ec moi, recevez-moi de même dans votre céleste ^temeure. » Elle se fit ensuite lire la Passion selon ^*nt Luc, et quand on fut arrivé à ces mots : « Mon père, je remets mon âme entre vos mains », elle rendit 'esprit. Le jour suivant qui était un dimanche, comme on célébrait les laudes auprès de son corps, vers l'heure de tierce, Notre-Seigneur apparut à saint Front qui célébrait la messe à Périgueux, et qui, après Tépître, s'était endormi sur sa chaire : « Mon cher Front, lui dit-il, si vous voulez accomplir ce que vous avez au- trefois promis à noire hôtesse, levez-vous vite et sui- vez-moi. » Saint Front ayant obéi à cet ordre, ils vin- rent ensemble en un instant à Tarascon ils chantè- rent des psaumes autour du corps de sainte Marthe et firent tout l'office, les autres leur répondant ; en-

312 LA LEGENDE DORÉE

suite ils placèrent de leurs mains son corps dans le tombeau. Mais à Pérîgueux, quand on eut terminé c^* qui était à chanter, le diacre qui devait lire l'évangile, ayant éveillé Tévéque en lui demandant la bénédiction, celui-ci répondit à moitié endormi : « Mes frères, pour- quoi me réveillez- vous? Notre-Seigneur J.-^C. m'a con- duit où était le corps de Marthe, son hôtesse, et nous lui avons donné la sépulture : envoyez-y vite des mes- sagers pour nous rapporter notre anneau d'or et nos gants gris que j'ai ôtés afin de pouvoir ensevelir le corps, je les ai remis au sacriste et les ai laides par oubli, car vous m'avez éveillé si vile ! » On envoya donc des messagers qui trouvèrent tout ainsi que Té- véque avait dit ; ils rapportèrent l'anneau et un seul gant, car le sacriste retint l'autre comme preuve de ce qui s'était passé. Saint Front ajouta encore : « Comme nous sortions de l'église après l'inhumation, un frère de ce lieu, qui était habile dans les lettres, nous suivi( pour demander au Seigneur de quel nom il l'appelle- rait. Le Seigneur ne lui répondit rien, mais il lui mon- tra un livre qu'il tenait tout ouvert à la main, dans le- quel rien autre chose n'était écrit que ce verset : « La « mémoire de mon hôtesse qui a été pleine de juslict? « sera éternelle; elle n'aura pas à craindre d'entendre « des paroles mauvaises au dernier jour (Ps. m). » Le frère, qui parcourut chaque feuillet du livre, y trouva ces mots écrits à chaque page. Or, comme il s'opérait beaucoup de miracles au tombeau de sainte Marthe, Clovis, roi des Francs, qui s'était fait chrétien et qui avait été baptisé par saint Remy, souffrait d'un grand mal de reins ; il vint donc au tombeau de la sainte et

SAINT ABDON ET SAINT SENNEN 313

y oblinl une entière guérison. C'est pourquoi il dota ce lieu, auquel il donna une terre d'un espace de trois imlles à prendre autour sur chacune des rives du Rhône, avec les métairies et les châteaux, en affran- chissant le tout. Or, Martille, sa servante, écrivit sa vie; ensuite elle alla dans TEsclavonie où, après avoir prêché Tévangîle, elle mourut en paix dix ans après le décès de sainte Marthe,

SAINT ABDON ET SAINT SENNEN*

Abdon et Sennen souffrirent le martyre sous l'em- pereur Dèce, qui, après avoir soumis la Babylonie avec d'autres provinces, et y avoir trouvé des chrétiens,les emmena avec lui à la ville de Cordoue il les fit mourir par différents supplices. Deux vice-rois, Abdon et Sennen, prirent leurs corps et les ensevelirent. On les accusa de cette action auprès de Dèce qui les fit comparaître devant lui. On les chargea de chaînes et on les conduisit à Rome, ils comparurent devant l'empereur et devant le Sénat; on leur dit qu'ils avaient ou à sacrifier et qu'alors ils rentreraient libres dans leurs états, ou à se voir condamnés à être la pâ- ture des bêtes féroces. Ils ne manifestèrent que du mépris pour les idoles sur lesquelles ils crachèrent; après quoi ils furent traînés à Tamphithéâtre on lâcha sur eux deux lions et quatre ours, qui, loin de

«

* Bréviaire romain. Ce récit est conforme aux actes publics par les Bollandistes.

314 LA LÉGENDE DOREE

toucher ces saints^ en furent même les gardiens. On les fit donc mourir par le glaive, après quoi on leur lia les pieds et on les traîna jusqu'à l'idole du soleil devant laquelle on les jeta. Au bout de trois jours, le sous-diacre Quirinus vint les recueillir et les ensevelit dans sa maison. Ils souffrirent vers Tan du Seigneur 253. Du temps de Constantin, ces martyrs révélèrent oi^i étaient leurs corps que les chrétiens transférèrent dans le cimetière de Pontieu. Par leur mérite Dieu y accorde de nombreux bienfaits au peuple.

SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE

Germain vient de germe, et ana, qui veut dire en haut, c'est donc un îçerme d'en haut. On trouve en effet trois qualités dans le blé qui germe, savoir une chaleur naturelle, une hu- midité nutritive, et un principe de semence. De vient que saint Germain est appelé une semence en germe : car il pos- séda une chaleur produite par l'ardeur de son amour, une humiditr qui développa sa dévotion, et un principede semence puisque, par la force de sa prédication, il engendra beaucoup dt' monde à la foi et aux bonnes mœurs. Le prêtre Constantin écrivit sa vie qu'il adressa .^ saint Cinsurius, évèque d*Au- xcrre *.

Germain naquit à Auxerre d'une famille des plus nobles. Après de lon^^ues études consacrées aux arts libéraux, il partit pour Rome afin de se former à la science du droit. Il s'y acquit tant de considération

* Héricus, moine d'Auxerre, a écrit sa vie en vers et ses mi- racles en prose.

SAINT GERMAIN, ÉVÉQUE 315

^vie le Sénat l'envoya dans les Gaules pour remplir «es fonctions de gouverneur de toute la Bourgogne. **^ Auxerre qu'il affectionnait, il possédait, au milieu ^G la ville, un pin aux branches duquel il suspendait, pour qu'on les admirât, les têtes des tes fauves tuées P^F lui à la chasse. Mais saint Amateur, évéque de ^cite ville, le gourmandait souvent de cette vanité, et '*'*' conseillait même de faire abattre cet arbre dans la ^''^inle de quelque mauvais résultat pour les chrétiens. ^^> Germain n'y voulait absolument pas consentir. -^^is un jour qu'il était absent, saint Amateur fit ^<^uper et brûler ce pin. Quand Germain Tapprit, il ^^i>lia les sentiments que lui inspirait la religion ^*"^tienne et revint à la ville avec des soldats, dans ^ clessein de faire mourir l'évéque : mais celui-ci, qui ^ ^"^^ît appris par révélation que Germain devait un jour ^^ succéder, céda devant sa fureur et gagna Autun. ^Vi après, il revint à Auxerre et ayant attiré Germain ^'•^s l'église, il le tonsura en lui prédisant qu'il devait ^ ^^« son successeur. Ce qui eut lieu : car quelque temps ï^rès l'évéque mourut en saint et le peuple demanda ^ ^unanimité Germain pour évéque. Il distribua tous ^^s biens aux pauvres, traita sa femme comme si elle ^^t été sa sœur, et pendant trente ans, il mortifia tel- lement son corps que jamais il n'usa de pain de fro- ment, ni de vin, ni d'huile, ni de légumes, ne mangeant même rien qui fût accommodé avec du sel. Deux fois /'an cependant, savoir : à Pâques et à Noël, il prenait du vin, encore il y mêlait tant d'eau qu'il n'y avait plus goût de vin. Il commençait ses repas en prenant d'a- bord de la cendre ; ensuite il mangeait du pain d'orge.

316 LA LÉGENDE DOREE

Son jeûne était continuel, car il ne mangeait jamais que sur le soir. L'été comme l'hiver, il avait pour tout vêtement un cilice et une coule. El quand il ne lui arrivait pas de donner cet habit à quelqu'un, il le portait jusqu'à ce qu'il fût tout usé et en lambeaux. Les ornements de son lit, c'était la cendre, un cilice et un sac : il n'avait pas de coussin pour tenir sa tête plus élevée que les épaules, mais toujours dans les gé- missements, il portait à son cou des reliques des saints ; jamais il ne quittait son vêtement, rarement sa chaussure et sa ceinture. Tout dans sa conduite était au-dessus des.forces d'un homme. Sa vie fut telle en effet qu'il eût été incroyable de la concevoir sans miracles ; mais ils furent si nombreux qu'on les croi- rait imaginés à plaisir, si les mérites qu'il avait acquis n'avaient précédé ces prodiges.

Un jour qu'il avait reçu l'hospitalité dans un endroit, il fut étonné de voir, après le souper, apprêter la ta- ble, et il demanda pour qui on préparait un second repas. Comme on lui disait que c'était pour les bon- nes femmes qui voyagent pendant la nuit, saint Ger- main prit la résolution de veiller celte nuit-là; et il vit luie foule de démons qui venaient se mettre à table sous la forme d'hommes et de femmes. Il leur défen- dit de s'en aller, réveilla tous les membres delà mai- son et leur demanda s'ils connaissaient ces personnes. On lui répondit que c'étaient tous les voisins et voi- sines ; alors en commandant aux démons de ne pas s'en aller, il envoya au domicile de chacun d'eux, et' on les trouva tous dans leur lit. Saint Germain les con- jura ; et ils dirent qu'ils étaient des démons qui se

SAINT GERMAIN, évÊQUE 317

jouaient ainsi des hommes. En ce temps-là, florissait le bienheureux saint Loup, évêque de Troyes. Quand Attila attaquait cette ville, le bienheureux Loup lui demanda de dessus la porte à haute voix qui il était pour venir fondre ainsi sur eux. « Je suis, lui répon- dit-il, Attila, le fléau de Dieu. » L'humble prélat lui ré- pliqua avec gémissement : « Et moi je suis Loup ; hé- las I je ravage le troupeau de Dieu et j'ai besoin d'être frappé par le fléau de Dieu. » Et à l'instant il fit ou- vrir les portes. Mais Dieu aveugla les ennemis qui pas- sèrent d'une porte à l'autre, sans voir personne et sans faire aucun mal. Le bienheureux Germain prit avec lui saint Loup et partit pour les îles Britanniques pullu- laient les hérétiques; et comme ils étaient sur la mer, une tempête extraordinaire s'élevaj; mais à la prière de saint Germain, il se fit aussitôt un grand calme. Ils furent reçus avec de grands honneurs par le peu- ple ; leur arrivée avait été annoncée par les démons que saint Germain avait chassés des obsédés. Après qu'ils eurent convaincu les hérétiques, ils retournèrent en leur propre pays.

Germain était couché malade dans un endroit, quand soudain un incendie embrasa toute la bourgade. On le priait de se laisser emporter pour échapper à la flamme, mais il voulut rester exposé à l'incendie, et le feu, qui consuma tout à droite et à gauche, ne tou- cha pas à l'habitation II se trouvait. Comme il retournait une seconde fois en Bretagne pour confondre les hérétiques, un de ses disciples, qui l'avait suivi en toute hâte, tomba malade à Tonnerre et y mourut. Saint Germain, revenant sur ses pas, fit ouvrir le se-

318 LA LÉGENDE DORÉE

pulcre et demanda au mort, en Tappélant par sori- nom, ce qu'il faisait, s'il désirait encore combattra avec lui. Celui-ci se leva sur son séant et répondit qu'il goûtait des douceurs infinies et qu'il ne voulait pas être rappelé désormais sur la terre. D'après le consen- tement que lui donna saint Germain de rester dans le repos, il déposa sa tête et se rendormit de nouveau dans le Seigneur *. Pendant le cours de ses prédica- tions, le roi delà Bretagne lui refusa l'hospitalité aussi bien qu'à ses compagnons. Le porcher du roi, qui re- venait de faire pattre ses bétes, en rapportant à sa chaumière des provisions qu'il avait reçues au palais, vit le bienheureux Germain et ses compagnons acca- blés de faim et de froid ; il les accueillit avec bonté dans sa maison, et commanda qu'on tuât pour ses hôtes le seul veau qu'il possédât. Après le souper, saint Germain fit disposer tous les os du veau sur sa peau et à sa prière le veau se leva tout aussitôt. Le lende- main, Germain se hâta de se rendre chez le roi et lui demanda avec force pourquoi il lui avait refusé l'hos- pitalité. Le roi grandement saisi ne put lui répon- dre ; alors G/ermain lui dit : « Sors et cède le royaume à meilleur que toi. » Et par un ordre qu'il reçut de Dieu, Germain fit venir le porcher avec sa femme et en présence de la multitude étonnée, il le constitua roi ; et depuis lors ce sont les descendants du porcher qui î^ouvernentla nation des Bretons**. Les Saxons étaient en guerre avec les Bretons et se voyaient inférieurs

* Héricus, moine d'Auxerre, qui a écril la vie et les mira- cles du saint. ** Ibid., c. VI 11.

SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE 319

<^n nombre, ils appelèrent alors les saints qui passaient parla; ceux-ci les instruisirent et tous accoururent à i'envi pour recevoir le baptême. Le jour de Pâques, transportés par la ferveur de leur foi, ils jettent leurs urines décote et se proposent de combattre avecgrand <"ourage; les ennemis, à cette nouvelle, se ruent avec audace contre des gens désarmés; mais Germain, qui *^® tenait caché avec les siens, les avertit tous, que ^uand il crierait lui-même Alléluia, ils lui -répondis- sent ensemble en poussant le même cri. Et quand ils ^^urentfait, une terreur tellement grande s'empara des ^•^ixemis qui se précipitaient sur eux, qu'ilsjetèrent *e^i*s armes, dans la persuasion que non seulement les '^oritagnes, mais encore le ciel s'écroulaient sur leur ^^^ ; alors ils prirent tous la fuite*. Une fois qu'il pas- J^*t, par Âutun, il vint au tombeau de saint Cassien,

^ ^<jue, auquel il demanda comment il se trouvait. Ce- ^^^ci lui répondit de son cercueil ces mots qui furent

l

'^^«ndusde tous les assistants: a Je jouis d'un doux ^^^os, et j'attends la venue du rédempteur. » EtGer- ^^Hin lui dit : « Reposez encore longtemps en J.-C, et ^^^tercédez pour nous avec ferveur, afin que nous mé- ^Uions d'obtenir les joies de la sainte résurrection. » A. son arrivée à Ravenne, il fut reçu avec honneur par l'impératrice Placidieetpar son fils Valentinien. Quand vint l'heure du repas, la reine lui envoya un magnifi- que vase d'argent rempli de mets exquis ; il le reçut, mais ce fut pour distribuer les mets à ceux qui rac- compagnaient et pour donner aux pauvres l'argent du

Ibid.

320 LA LÉGENDE DORÉE

vase qu'il garda par devers lui. Pour tenir Heu de pré- sent, il envoya à Timpératrice une écuellede boisdans laquelle était un pain d'orge ; ce qu'elle reçut de bonne grâce et dans la suite elle fit enchâsser cette écuelle dans de l'argent.

Une fois encore, Timpéralrice l'invita à un dtner que le saint accepta avec bonté. Or, comme il était exténué par les jeûnes, la prière et les travaux, il se fit conduire sur un âne depuis son logement jusqu'au palais : mais pendant le repas, l'âne de saint Germaini mourut. La reine, qui l'apprit, fit offrir à l'évêque ur cheval extrêmement doux. Quand le saint l'eut vu, dit : « Qu'on m'amène mon âne, parce que, comm^ il m'a amené, il me remènera. » Et allant vers cadavre : « Lève-toi, dit-il, âne, retournons au logis. Aussitôt l'âne se leva, se secoua, et comme s*" n'avait éprouvé aucun mal, il porta Germain à scii hôtellerie. Mais avant de sortir de Ravenne, Germa_ prédit qu'il n'avait plus longtemps à rester sur terre. Peu de temps après, la fièvre le saisit et j septième jour il s'endormit dans le Seigneur : soi corps fut transporté dans les Gaules, selon qu'il l'ava/- demandé à l'impératrice. 11 mourut vers l'an du Seigneur 430.

Saint Germain avait promis à saint Eusèbe de con- sacrer à sa place, quand il reviendrait, une église que le saint évoque de Verceil avait fondée. Mais quand il eut appris le trépas du bienheureux Germain, saint Eu- sèbe fit allumer des cierges pour consacrer lui-même son église. Or, plus on les allumait, plus ils s'étei- gnaient. Eusèbe comprit par que la dédicace devait

V

SAINT EUSÈBE 321

Are remise à une autre époque, ou bien qu'elle de-

^"aît être faite par un autre évêque. Mais lorsque le

^^orps de saint Germain fut amené à Verceil, et qu'on

' e^t fait entrer dans Téglise, à l'instant tous les

Cierges s'allumèrent par miracle. Alors saint Eusèbe

®^ souvînt de la promesse du bienheureux Germain,

^^ il comprit qu'il avait exécuté, après sa mort, ce

9* ^ ""il avait promis de faire étant en vie. Il ne faut pas

^*^*^ire qu'il soit ici question du grand Eusèbe de

rceil; celui-ci mourut du temps de Tempereur

lens, et il s*écoula plus de 50 ans depuis sa mort

J** -^^u'à celle de saint Germain. Ce fut sous un autre

*^^^ sèbe, qu'arriva ce qui vient d'être raconté.

SAIiNT EUSÈBE

eusèbe est ainsi appelé de eu, qui veut dire bien et, sebe, signifie éloquence ou poste. Eusèbe s'interprète encore a culte. En effet il fut rempli de bonté, en se sanctifiant, loquence en défendant la foi, il resta à son poste en souf- Qt le martyre avec constance ; et il rendit à Dieu un bon

Ite par le respect qu*il eut pour lui.

Eusèbe, qui conserva sa vir|çinité, n'était encore

^Ue catéchumène quand il fut baptisé par le pape

eusèbe qui lui donna son nom. A son baptême, on

"^it les mains des ançes le lever des fonts sacrés. Une

dame, qui s'était éprise de sa beauté, voulut entrer

dans sa chambre, mais elle en fut empêchée par les

anges qui le gardaient : alors elle vint le lendemain

matin se jeter à ses pieds et lui demander pardon.

II. 21

à

3ââ LA LÉGENDE DORÉE

Après avoir été ordonné prêtre, il brilla par une saii teté telle que dans la solennité de la messe, on voya les anges qui le servaient. En ce temps^à, cornu rhérésie d'Ârius infectait Tltalie entière de ses po sons, favorisée qu'elle était par l'empereur Com tance, le pape Julien sacra Eusèbe évéque de Vei ceil : c'était alors une des principales villes de l'Italie A cette nouvelle, les hérétiques firent fermer tout les portes de l'église ; mais Eusèbe étant entré da. la ville, se mit à genoux à la porte de l'église prin - pale dédiée à la bienheureuse Marie, et à l'instai toutes les portes s'ouvrirent à sa prière, il chassa son siège Maxence, évéque de Milan, qui était g-:^ par le poison de l'hérésie, et il établit en sa pbe Denjs, fervent catholique. C'est ainsi qu'Eusèbe Occident et Athanase eu Orient purgeaient l'Eglise la peste des Ariens. Cet Arius était un prêtre d^- lexandrio : il prétendait que le Christ était une pu créature : il avançait ce qu'il était, quand il n'é€i pas, et qu*il a été fait pour nous, afin que DieiE servît de lui comme d'un instrument pour notre cré^ lion. Alors le grand Constantin fit célébrer le concîJ de Nicée ou cette erreur fut condamnée. Arius fimX quelque temps après, d'une mort misérable, car rendit dans le lieu secret toutes ses entrailles et ses intestins. * Constance, fils de Constantin, se laissa corrompre aussi par l'hérésie ; c'est pour cela qu ir rite grandement contre Eusèbe, il convoqua en concil

* Uurfiii, ///.s7. AVc/. liv. X; Vincent de B., lîv. XV, c. xi an 330.

SAINT EUSÊBE 323

«eaucoup d'évêques, et y manda Denys : il adressa

mainte et mainte lettres à Eusèbe qui, sachant que la

walice prévaut dans la multitude, refusa de venir et

s'excusa sur son grand âge. Alors pour lui enlever ce

prétexte, l'empereur décida que le concile serait célé-

brék Milan, qui était tout proche. Quand il vit que

Eiisèbe faisait encore défaut, il ordonna aux Ariens

de mettre par écrit leur croyance, il força Denys,

évêque de Milan, et trente-trois autres évoques de

souscrire à cette doctrine. Quand Eusèbe apprit cela,

ï' se décida à quitter sa ville pour venir à Milan et il

Pï'édit qu'il y serait exposé à souffrir beaucoup *.

Comme il était sur le chemin de Milan, il arriva *^r le bord d'un fleuve ; une barque, qui était sur la ^^^e opposée, vint à lui, sur l'ordre qu'il lui en ^onna ; elle le transporta à l'autre rive, lui et ses ^^nipagnons, sans qu'il y eût aucun timonier. Alors ^^ysy dont il vient d'être question, alla à sa rencon- ^^ et se jeta à ses pieds pour lui demander pardon. ^^y comme Eusèbe ne se laissait fléchir ni par les me- ^^^es ni par les flatteries de l'empereur, il dit en P^'^sence de toute l'assemblée : « Vous avancez que '^ ï*^ils est inférieur au Père ; comment se fait-il donc 1^^ vous m'avez fait passer après mon fils et mon d^^ciple? Or, le disciple n'est pas au-dessus du maître, 1^^ Vesclave plus que son seigneur, ni le fils au-dessus à\x père. » Frappés par cette raison, ils lui présentè- rent l'écrit qu'ils avaient fait et que Denys avait ^içné. Et il dit : « Je ne souscrirai pas après mon

* Bréviaire romain.

324 LA LÉGENDE DOREE

fils sur lequel je remporte en autorité ; mais brûlez cet écrit y et faites-en un autre que je signerai, si vous le voulez. » Et ce fut par une inspiration divine que fut brûlé l'écrit que Denys et trente-trois autres évo- ques avaient signé. Les Ariens écrivirent donc une autre pièce, et la donnèrent à Eusèbe et aux autres évèques pour la signer : mais sur ios exhortations d'Eusèbe ils s'y refusèrent entièrement, et ils se féli- citèrent de ce que la première pièce qu ils avaient été forcés de souscrire eût été totalement brûlée. Cons- tance irrité abandonna Eusèbe au bon plaisir des Ariens. Alors ceux-ci le saisirent au milieu des évo- ques, l'accablèrent de coups, et le traînèrent sur les degrés du palais, du haut en bas, et depuis le bas jusqu'en haut. Quoiqu'il perdît beaucoup de sang de sa tète meurtrie, il n*en persista pas moins dans ses refus ; alors, ils lui lièrent les mains derrière le dos et le tirèrent par une corde attachée au cou. Quant à lui, il rendait grâces à Dieu, en disant qu'il était prêt à mourir pour confesser la foi catholique. Alors Cons- tance fit conduire en exil le pape Libère, Denys, Paulin cl tous les autres évèques qui avaient été en- traînés i>ar l'exemple d'Eusèbe. Scylopolis, ville de la Palestine, fut le lieu les Ariens menèrent Eusèbe : ils le renfermèrent dans une pièce si étroite qu'elle était plus courte que sa taille, et plus resserrée que son corps, en sorte qu'il était courbé au point de ne pouvoir ni étendre les pieds, ni se tourner d'un côté ou d'un autre. Sa tète restait baissée, et il pouvait seulement remuer les épaules et les bras. Mais Cons- tance étant mort, Julien, son successeur, désirant

LES SAINTS MACCHABÉES 325

plaire à tout le monde, fit rappeler les évêques exilés, rouvrir les temples des dieux, et voulut que chacun jouft de la paix sous la loi qu'il préférait choisir. Ce Alt ainsi que Eusèbe, délivré de son cachot, vint trou- ver Atlianase et lui exposer toutes les souffrances qu*îl avait endurées. A la mort de Julien et sous l'empire de Jovinien, les Ariens restant calmes, Eu- sèbe revint à Verceil le peuple le reçut avec des (émoigpnages d*une vive allégresse. Mais sous le règne de Valens, les Ariens, qui s'étaient multipliés de nouveau, entourèrent la maison d^Eusèbe, l'en arra- chèrent et après l'avoir traîné sur le dos, ils l'écrasè- rent sous des pierres. Il mourut de celte manière dans le Seigneur et fut enseveli dans l'église qu'il avait construite. On rapporte encore que Eusèbe obtint de Dieu par ses prières pour sa ville qu'aucun Arien n'y pourrait vivre. D'après la chronique, il vécut au moins 88 ans. Il florissait vers l'an du Soi- t^neur 350.

LES SAINTS MACCHABEES

Les Macchabées furent sept frères, qui, avec leur révérende mèreel leur père Eléazar. n'ayant pas voulu, par respect pour la loi, manger de la viande de pour- ceau, souffrirent des supplices inouïs, dont on [)eut trouver un plus ample récit au 11^ livre des Maccha- bées. Il faut remarquer que TEglise d'Orient célèbre la fôte des saints de l'un et de l'autre Testament, tan- dis que l'église d'Occident ne fait pas la fêle des H. 21-

326 LA LÉGENDE DORÉE

saints de TAncien, par la raison qu'ils sont descen- dus aux enfers. Il faut en excepter les Innocents, parce que J.-C. a été tué dans chacun d'eux, et les Macchabées. 11 y a quatre raisons pour lesquelles l'E- glise fait la mémoire solennelle de ces derniers, bien qu'ils fussent descendus aux enfers. La première est qu'ils ont la prérogative du martyre. Ayant en effet enduré des supplices inouïs parmi les saints de l'An- cien Testament, il était juste qu'on célébrât la mémoire de leur martyre. Cette raison est donnée dans Vllis- ioire scholasiique. La deuxième est pour rappeler un mystère. Le nombre septennaire est le nombre uni- versel*. Dans les Macch'àbées sont représentés tous les pères de l'Ancien Testament qui sont dignes de réputation. En effet, bien que l'Eglise ne célèbre pas leur fête, tant parce qu'ils sont descendus dans les limbes, que parce qu'il est survenu une multitude de nouveaux saints, cependant, dans ces sept martyrs, elle montre le respect qu'elle a pour tous les autres, puisque ce nombre sept, ainsi qu'il vient d'être dit, est un nombre universel et général. La troisième est pour offrir un exemple dans les tribulations. On les propose comme un modèle aux fidèles, afin que la constance de ces saints les anime de zèle pour la foi, et les porte à souffrir pour la loi de l'Évangile,

X'oici ce que dit saiiil Augasliii au sujet du nombre sep- tennaire (Cité de Dieu, lih. II, ch. xxxi). On pourrait s'étendre beaucoup sur la perfection du nombre septennaire... Le pre- mier nombre tout impair est trois, et le premier tout pair es! «juatre; la summc des deux forme le nombre sept, qui est souvent pris pour la t^éuéralilé des nombres.

SAINT PIERRE AUX LIENS 327

comme les Macchabées ont valeureusement combattu pour la loi de Moïs^. La quatrième est tirée du motif <ie leur martyre ; car ce fut pour la défense de leur loi qu'ils endurèrent de pareils supplices, comme c'est pour la défense de la loi évangélique que souffrent les chrétiens. Ces trois dernières raisons sont celles que

M* Jean Beleth assigne dans sa Somme des offices, chapitre v.

SAhNT PIERRE AUX LIENS *

La fétc qui est appelée de saint Pierre aux Liens fut, dil-ou, instituée pourquatre raisons : i^ la délivrance de saint Pierre ; 2<* la délivrance d'Alexandre ; pour rappeler la destruction du rite des gentils et 4^ pour demander d'être délivré des liens spirituels.

I. La délivrance de saint Pierre. D'après Vllisloire scholastique**y Hérode Agrippa alla à Rome il vécut dans l'intimité deCaius, neveu de Tibère César. Or, un jour, Hérode élant avec Caius sur un char, dit en levant les mains au ciel : « Quel désir j'aurais <ie voir mourir ce vieillard, pour que tu sois le maîtn» de tout l'univers ! » Paroles qui furent entendues du cocher d'Hérode et rapportées tout aussitôt par lui à

Sur l'authenticité des chaînes de saint Pierre, conser- vées à Rome dans Féglise de Saint-Pierre-aux-Liens, consul- ter Cancellieri^ dans son ouvrage intitulé : De carcere Tulliano, sont consignés tous les témoignages sur lesquels repose cette tradition.

** Actes, ch. Lvii.

328 LA LÉGENDE DOREE

Tibère. Tibère indigné fit en conséquence jeter Hérod*^' en prison. Et un jour qu'il était appuyé contre un arbre sur le feuillage duquel était perché un hibou ^ un de ses compagnons de captivité, habile dans la science des augures, lui dit : « Ne crains rien, car bientôt tu seras délivré, et tu seras élevé si haut que tu exciteras contre toi l'envie de tes amis et tu mourras dans cet état de prospérité. Mais quand tu verras au- dessus de toi un animal de cette espèce, tu sauras dès lors qu'il ne te reste que cinq jours à vivre*. » Quel- que temps après Tibère meurt et Caius, élevé à l'em- pire, délivra Hérode qu'il honora de la dignité de roi de Judée. Quand celui-ci fut arrivé dans ce pays, il employa son pouvoir à maltraiter quelques mem- bres de l'Eglise. D'abord il fit mourir par l'épée Jac- ques, frt*re de Jean, avant les jours de l'octave de Pâques, ou l'on ne mangeait que des pains azymes. Et voyant que cela plaisait aux Juifs, il fit encore prendre Pierre, dans le même temps, et le mit en pri- son, avec le dessein de le faire mourir devant tout le peuple, après la fête de Pâques. Mais l'ange du Sei- gneur apparut miraculeusement à Pierre, le délivra des chaînes qui le liaient et lui ordonna d'aller rem- plir en toute liberté le ministère de la prédication. Le lendemain, à l'occasion de l'évasion de saint Pierre, Ilérode manda les gardes afin de les punir rigoureu- sement. Il ne put cependant le faire, car la délivrance de cet apôtre ne devait être pour qui que ce fût la cause d'aucun mal; en effet, il fut obligé d'aller tout

* Histoire scholas tique.

SAINT PIERRE AUX LIENS 329

*le suite à Césaréé, il expira sous le coup d'un ange, Josèphe rapporte au XIX* livre des Antiquités hdûïqiies, ch. viii, qu'arrivé à Césarée, s'étaient réunis les habitants de toute la province, Hérode, revêtu d*un habillement magnifique, tissu d'or et d'ar- çent, se rendit le lendemain au théâtre. Or, quand 'es rayons du soleil vinrent frapper sur son vêtement 'oui couvert d'argent, l'éclat du métal étincelant fai- *^il vibrer, par la répercussion, sur les spectateurs, *"ïe double lumière qui devait remplir d'effroi ceux 'f*Ji Tapercevaient, et par le moyen de cette artifi- ^*^Use erreur, on était porté à croire qu'il y avait en **i quelque chose au-dessus de la nature humaine. ''^ l'instant, la foule des flatteurs se mit à s écrier : ^* ''xisqu'à présent, nous vous avions pris pour un *^*Tinie, mais aujourd'hui nous déclarons que vous ^^^^ au-dessus de la nature humaine. » Or, tandis *^*il se repaissait de ces flatteries, et qu'il acceptait ^^ieusement les honneurs divins qu'on lui voulait ^^dre, il leva la tête et vit assis sur une ficelle, au- ^ssus de sa tête un ange, c'est-à-dire un hibou, qui ^^ tîtait que le messager de sa mort prochaine. Alors ^^ se tourna vers le peuple et dit : « Moi, qui suis ^*olre Dieu, voici que je vais mourir. » Car il savait, ^l*après la prédiction de l'augure, qu'il mourrait dans ^inq jours. Alors il fut frappé, et pendant ces cinq jours, il fut rongé par les vers et expira. Ce fut donc en mémoire de la délivrance si miraculeuse du prince (les apôtres, et de la vengeance si terrible qui fut in- fligée immédiatement à ce tyran, que l'Église solen- nise la fête de saint Pierre aux Liens. De vient qu'à

330 LA LÉGENDE DOREE

la messe on chante Tépître se trouve le récît de cette délivrance ; il paraîtrait donc par que Ton de- vrait donner à cette fête le nom de saint Pierre des Liens (c'est-à-dire délivré des liens).

Venons au second motif de l'institution de cette fête.

II. Le pape Alexandre qui gouverna TÉglise le sixième après saint Pierre, et Hermès, préfet de la ville de Rome, converti à la foi par Alexandre, étaient détenus par le tribun Quirinus qui les enfermait en des lieux différents : or, le tribun dit au préfet Her- mès : « Je m'étonne qu'un homme, prudent comme toi, renonce à Thonneur d'être préfet et rêve une autre vie. » Hermès lui répondit : « Et moi aussi, il y a quelques années, je me moquais de tout cela, et pen- sais que cette vie est la seule. » Quirinus lui dit : « Prouve-moi que tu es silr d'une autre vie et à l'ins- tant, je serai un disciple de ta croyance. » Hermès lui répondit : « Saint Alexandre, que tu retiens en prison, l'enseignera cela lui-môme beaucoup mieux. » Alors Ouirinus se mit à maudire Hermès et il ajouta : « Je viens de te dire que tu me donnes des preuves dt» ce (ju(* tu avances, et voici que tu me renvoies à Alexandre que je retiens en prison à cause de ses crimes. Pourtant, je doublerai le nombre de tes gardes et de ceux d'Alexandre, et si je puis le trouver avec toi ou bi(Mi loi avec lui, alors, j'ajouterai certainement loi aux paroles et aux discours que vous me tiendrez l'uTi el Taulre, » 11 fit ce ([u'il avait dit : or, Hermès en prévint incoiUinent Alexandre. Celui-ci se mit donc en prière; alors un aiii^e vint et le conduisit dans la [>rison (rilermès. Quand Ouirinus les trouva ensemble.

SAINT PIERRE AUX LIENS 331

'J fui singulièrement surpris. Et Hermès racontant à Quirinus comment Alexandre avait ressuscité son fils qui était mort, Quirinus dit à Alexandre : « Ma fille Balbine est goitreuse ; eh bien ! je te promets de me soumettre à ta croyance, si tu peux obtenir la gué- rison de ma fille. » « Va vite, lui répliqua Alexandre, et amène-la-moi dans ma prison. » Quirinus lui dit : « Puisque tu es ici, comment pourrai-je te trouver dsiusta prison? » « Va vite, répartit Alexandre, parce <iue celui qui m'a amené ici m'y ramènera lui-même à Tinstant. » Quirinus alla donc mener sa fille à la prison d'Alexandre, et en l'y trouvant, il se prosterna à ses pieds. Alors sa fille se mit à baiser avec dévo- tion les chaînes de saint Alexandre, afin qu'elle reçût g^uérison. Alexandre lui dit : « Ma fille, cesse d'em- brasser mes chaînes, mais cherche avec empressement les carcans de saint Pierre, et en les baisant avec dé- votion, tu seras guérie. » Quirinus fit donc chercher avec soin les carcans dans la prison saint Pierre avait été détenu, et quand il les eut trouvés, il les donna à baiser à sa fille. Elle ne l'eut pas plus tôt fait qu'elle eut le bonheur d'être entièrement guérie. Qui- rinus demanda pardon à Alexandre qu'il délivra de prison, puis il reçut le baptême lui, sa famille -et beau- coup d'autres encore. Saint Alexandre institua donc cette fête aux calendes d'août, et il fit bâtir en l'hon- neur de saint Pierre une église, il déposa les chaînes et la nomma l'église de Saint-Pierre-aux-Liens. En cette solennité, il se fail un grand concours de peu|)le à ladile église et on y baise ces chaînes.

III. D'après Bède, telle serait la troisième cause de

332 L\ LÉGENDE DOREE

i*instiiution de celte fêle. L'empereur Octave et An- toine, qui étaient unis ensemble par alliance, se par- tagèrent entre eux Fempire du monde entier; à Octave échut, dans TOccident, Tltalie, la Gaule et TEspagne, et Antoine, en Orient, eut l'Asie, le Pont et l'Afrique. Or, Antoine qui était lascif et débauché, après avoir épousé la sœur d'Octave, la répudia, pour épouser C4léopâtre, reine d'Eg-ypte. Octave, indigné de cette conduite, s'avança à main armée contre Antoine en Asie et le défit partout. Alors Antoine et Cléopâtro, vaincus, prirent la fuite, et poussés par le chagrin, ils sp donnèrent la mort eux-mêmes. Octave abolit donc le royaume d'Egypte et en fit une province romaine. De il alla à Alexandrie : il dépouilla cette ville de toutes ses richesses et les fit transporter à Rome ; ce qui apporta un tel bien-être dans la république que l'on donnait pour un denier ce qui en valait quatre auparavant. Et parce que les guerres civiles avaient dévasté extraordinairement la ville, il la renouvela au [)oint qu'il dit : « Je l'ai trouvée de briques, je la laisse de marbre. » Il agrandit tellement la république que ce fut le premier qui fui appelé Auguste, nom <[ue retinrent ses successeurs à l'empire ; comme ce fui encore de son oncle Jules-César que les empereurs furent nommés César. Le peuple appela aussi de son nom le mois d*aoûl, (jui auparavant se nommait Sex- f ilis, car c'était le sixième mois depuis celui de mars- Ce fut donc en mémoire et en Thonneur de la victoire? qu'Auguste remporta le prenner août que tous les Komains solennisaient ce jour, jusiju'à l'époque de l'empereur Théodose (jui commença à régner l'an du

SAINT PIERRE AUX LIENS 333

Seigneur 426. Eudoxie, fille de ce Théodose et épouse de Valentînîen, se rendit à Jérusalem pour accomplir un vœu. Ce fut qu'un Juif lui offrit, pour une somme importante, les deux chaînes dont saint Pierre avait été lié sous Hérode. Revenue à Rome aux calendes d'août, et voyant les Romains célébrer une fête en l'honneur d'un empereur qui était idolâtre, elle fut affligée de ce qu'on rendait de si g^rands honneurs à un homme damné : elle reconnut qu'il ne serait pas facile d'abolir cette espèce de culte passé en coutume; alors elle pensa à laisser subsister cet état de choses, mais dans le but que la solennité aurait lieu en l'hon- neur de saint Pierre, et que tout le peuple nommerait ce jour la fêle de saint Pierre aux Liens. Après en avoir conféré avec le saint pape Pelage, ils unirent leurs efforts pour porter le peuple, par des exhorta- tions flatteuses, à laisser dans l'oubli la mémoire du prince des païens, pour faire une mémoire solennelle du prince des apôtres. La proposition ayant obtenu Tassentimcnt universel, Eudoxie fit connaître qu'elle avait rapporté de Jérusalem les chaînes de saint Pierre et les montra au peuple. Le pape, de son côté, produi- sit la chaîne dont le même apôtre avait été lié sous Néron. On les mit ensemble et alors eut Heu ce mi- racle par lequel de ces trois chaînes, il s'en forma une seule, comme si elle n'eût pas été composée de diffé- rentes pièces*. En même temps, le pape et la reine décidèrent que l'honneur rendu à un païen, qui était damné, serait attribué à plus juste titre au prince des

Bréviaire romain.

334 LA LÉGENDE DOREE

apôtres. Le pape donc avec la reine plaça les chaînes dans Tëglise de Saint-Pierre-aux-Liens. Il rènrichlt de. grands privilèges et institua que ce jour serait fêté en tous lieux. Voilà ce que dit Bède. Sigebert rap- porte la même chose*. On vit en Tan du Seigneur 969 combien grande était la puissance de cette chaîne : car un comte, proche parent de l'empereur Othon, fut saisi y aux yeux de tout le monde, par le diable d'une façoii si cruelle, qu'il se déchirait avec les dents. L'em- pereur ordonna alors qu'on le menât au pape Jean, afin de lui entourer le cou avec la chahie de saint Pierre. On lui mit d'abord au cou une autre chaîne qui ne délivra pas le possédé, car il n'y avait en elle aucune vertu ; enfin on prend la chaîne de saint Pierre et on la met au cou dui furieux : mais le diable ne put supporter le poids d'une si grande puissance, et se retira aussitôt en jetant un cri affreux en présence de tous les assistants **. Alors Théodose, évêque de Metz, se saisit de la chaîne et assura qu'U ne la lâche- rait qu'autant qu'on lui couperait les mains. Comme il s'élevait à ce sujet une grave contestation entre révoque et le pape avec les autres clercs, l'empereur vint à bout d'apaiser le débat en demandant au pape un anneau de cette chaîne pour l'évêque***. Miletus raconte en sa chronique et le même fait se trouve rapporté dans V Histoire tripartite **** y qix'ence temps là, apparut en Épire un dragon énorme que Donal,

* Paul, diacre, fait aussi leméme récit dans une homélie. *• Bréviaire romain. *** Sigebert, Chronique. **** Lib. IX, c. xLvi.

SAIXT PIERRE AUX LIENS 333

^véque d'une liaùle vertu, tua en lui crachant dans la g^iieule : mais auparavant, le prélat avait fait avec les doigis une forme de croix qu'il présenta aux yeux du nionstre. Huit paires de bœufs purent à peine traîner 'e cadavre pour être brûlé ; car on craignait que Fair 'ï^ fût infesté par sa putréfaction. Le même auteur "apporte au même endroit et on trouve aussi dans t'IIistoire tripartile que le diable se montra dans la ^rète sous la figure de Moïse. Il rassembla de tous ^<^tés les Juifs qu'il conduisit vers un précipice affreux ^^près de la mer. Il leur promit qu'en se mettant d ^^^r tête, il allait les conduire à pied sec dans la terre P**oinise, et en fit périr un nombre infini. D'où l'on conjecture que le diable indigné se vengea ainsi d'eux, parce que le Juif avait donné la chaîne de saint Pierre * impératrice Eudoxie, et que les réjouissances faites ^"^ l'honneur d'Octave avaient été abolies. Bon nom- ^^ de ceux qui échappèrent reçurent avec empresse- ment la grâce du baptême. Car comme ils roulaient ^^5 uns sur les autres du haut en bas de la montagne, *^s premiers, déchirés sur les rochers à pic, furent suffoqués en tombant dans la mer ; quant aux autres qui voulaient les suivre, dans l'ignorance de ce qui était arrivé aux premiers, des ptVheurs passant par leur apprirent l'accident qui avait fait pi»rir leurs frères, et alors ils se convertirent. Ces faits sont tirés de VUisloire tripartile.

IV. On peut encore assigner ici v\m quatrième cause de l'institution de cette fêle. Le Seigneur délia mira- culeusement saint Piern» de ses liens, et lui donna le |)Ouvoir de lier et de déliîT : or, nous aussi nous soni-

336 LA LKGENDE DORÉE

mes retenus dans les liens du péché et nous ave besoin d'être déliés. C'est la raison pour laquelle no honorons le prince des Apôtres en celte solennité q est dite aux liens, afin que comme il a mérité d'ét délié de ses chaînes, et comme il a reçu du Seîgnei le pouvoir de délier, de même aussi il nous délie dt chaînes du péché. On peut se convaincre que ce fut 1 une raison de l'institution de cette fête pour peu qu'oi remarque queTépître de la messe rappelle cette déli- vrance, et que l'Évangile qu'on récite fait mémoire du pouvoir accordé à saint Pierre de délier et d'ab- soudre. En outre, dans l'oraison de la messe, on de- mande, par rintercession de cet apôtre, que cette ab- solution nous soit accordée. Par ce pouvoir des clefs qu'il reçut, on voit qu'il délivre quelquefois ceux qui mériteraient d'être damnés, ainsi que le rapporte le livre des Miracles de la sainte Vierge. « Dans la ville de Cologne, il y avait, au monastère de saint Pierre, un moine léger, débauché et lascif. Une mort subite le surprit, et les démons l'accusaient en faisant con- naître ouvertement toutes les espèces de péchés qu'il avait commis. Voici ce que l'un d'eux disait : « Je suis la cupidité, par laquelle tu as souvent convoité contre les commandements de Dieu. » Un autre criait : « Je suis la vaine gloire par laquelle tu t'es élevé avec jac- tance parmi les hommes. » Un autre : « Je suis le mensonge et tu as commis le péché de mentir. » Et ainsi des autres. D'un autre côté, quelques bonnes œuvres qu'il avait faites l'excusaient en disant: « Je suis robéissance que lu as témoignée à tes supérieurs spirituels; je suis le chant des psaumes que tu assou-

SAINT ETIENNE, PAPE 337

'>?At chantés pour Dieu. » Alors saint Pierre, dont il 'ail le moine, vint trouver Dieu et intercéder pourlui. c Seijsi^neur lui répondit : « Est-ce que ce n'est pas oi qui ai inspiré le prophète lorsqu'il a dit : « Seigneur qui est-ce qui habitera dans votre tabernacle ? C'est oelui qui entre sans avoir de taches, etc. » Comment lui-ci peut-il être sauvé, puisqu'il n'est pas entré ici ^Tis tache, puisqu'il n'a pas pratiqué la justice?» lors saint Pierre se mit àprierpour lui avec la vierge 1ère, et le Seigneur porta cette sentence qu'il retour- nerait dans son corps et qu'il y ferait pénitence. Aus- sitôt donc, saint Pierre avec la clef qu'il tenait à la iTiain effraya le diable et le mit en fuite. Il remit en- suite Fâme de cet homme dans la main de quelqu'un qui avait été moine dans le susdit monastère, avec l'or- dre de la reconduire à son corps. Le moine lui demanda 'omme récompense de ce qu'il ramenait son âme, de •éciter chaque jour le psaume Miserere meiy DeuSy et le nettoyer souvent son tombeau des ordures qui s'y rouvaient. Or, le moine, revenu à la vie, raconta à tout e monde ce qui lui était arrivé.

SALNT ÉTIENxXE, PAPE*

Saint Etienne, pape, après avoir converti beaucoup le gentils par ses discours et par ses exemples, et avoir Jonné la sépulture à beaucoup de corps de martyrs,

* Bréviaire romain.

L'niVEMTION DE SAI.NT KTIKSSK, VHEMIER MARTYR 'i'Mi

talion et sa réunion. Son mvention eut lieu comme il ■uîl*; Un prêtre du territoire tic Jérusalem, appel-'î laden, elle par Gennadc (cli. xlvi) au nombre des hommes illustres, écrit lui-mâme qu'un vendredi, comme il reposait à moitié endormi dans son lit, lui apparut un vieillard, haut Je taille, beau de visage, avec une longue barbe, revAlu d'un manteau bliim*. aetBé de petites pierres précieusesencbiUssées dausl'or en forme de croix, portant une chaussure recouverte ■ct'or à la surface. Il tenait à la main une bau;uette d'or dont il toucha Lucien en disant: « Hftte-toi «le décou- flltnr nos tombeaux, car nous avons été renfernu's dans un endroit fort indécent. Va dire à Jean, évi^que de Jérusalem, qu'il nous place dans un lieu honorable; car, puisque la sécheresse et la tribulation désolent la terre. Dieu, louché de nos prières, a décidé de pardon- I ner au monde. » Le prêtre Lucien lui dit : u Seigneur. qui êtes-vous ? h u Je suis, dit-il, Gamaliel qui ai saint Paul, et qui lui ai ensci;^né la loi à mes côté repose saint Etienne, qui a été lapidé Juifs, hors de la ville, afin que son corps frtt dé- ir les bêtes féroces cl les oiseaux. Mais celui foi duquel ce saint martyr a versé son sang ne lors avec grand res- eiiseveli dau« ||^^^B||BU neuf que j'avais ft avec moi, c'est I trouver .I"'- is de saint Pierre indignes de

34() LA LEGENDE DORÉB

son action Tauraient tué, si les égards qu'ils avaient pour nous ne les eussent retenus. Cependant ils lui ravirent tous ses biens, le dépouillèrent de sa princi- pauté du sacerdoce et le laissèrent à demi morl des coups dont ils Taccablèrent. Alors je le menai dans ma maison il survécut quelques jours et quand il fut mort, je le fis ensevelir aux pieds de saint Etienne. Il y en a encore un troisième avec moi ; c'est Abibas, mon propre fils, qui, à Tâge de 20 ans, reçut le bap- tême en même temps que moi ; il vécut dans la virgi* nité, et se livra à l'étude de la loi avec Paul, mon dis- ciple. Quanta ma femme iEthéa et à mon fils Sélémias qui ne voulurent pas croire en J.-C., ils n'ont pas été digues de partager notre sépulture ; mais vous les trou- verez ensevelis autre part, et leurs tombeaux sont vides et nus. » A ces mots, Gamaliel disparut. Alors Lucien s'éveillant pria le Seigneur que si cette vision avait un fondement de vérité, elle se renouvelât une seconde et une troisième fois. Or, le vendredi suivant, Gamaliel lui apparut comme la première fois, et lui demanda pourquoi il avait négligé de faire ce qu'il lui avait recommandé : « Non, seigneur, répondit-il, je ne l'ai pas négligé, mais j'ai prié le Seigneur que si cette vision venait de Dieu, elle se renouvelât trois fois. )) Et Gamaliel lui dit: « Puisque vous avez réflé- chi à quel signe, si vous nous trouviez, vous pourriez distinguer les reliques de chacun en particulier, je vais vous donner un emblème au moyen duquel vous re- connaîtrez noscercueils et nos rehques. » Etil lui mon- tra trois corbeilles d'or et une quatrième d'argent, dont l'une était pleine de roses rouges et deux autres

l'invention de saint ETIENNE, PREMIER MARTYR 341

de roses blanches. Il lui montra aussi la qualriènie pleine de safran. Alors Gamaliel ajouta : Ces corbeilles sont nos cercueils et ces roses sont nos reliques. La corbeille pleine de roses rouges est le cercueil de saint Etienne qui, seul d'entre nous, a mérité la couronne du martyre ; les deux autres pleines de roses blanches sont les cercueils deNicodèmeet de moi, comme ayant persévéré d'un cœur sincère dans la confession de J.-C. Pour la quatrième d'argent qui est pleine de safran, c'est le cercueil d'Abibas, mon fils, dont la virginité fut éclatante et qui sortit pur de ce monde. » Ayant dit ces paroles, il disparut de nouveau. Le vendredi de la semaine suivante, Gamaliel lui apparut avec un visage irrité et le réprimanda gravement de ses délais et de sa néghgence. Aussitôt Lucien alla à Jérusalem et ra- conta à Tévèque Jean Tensemble de tout ce qu'il avait vu. On fit venir d'autres évêques et on se dirigea vers l'endroit indiqué à Lucien ; et dès qu'on se fut mis en train de fouiller, la terre trembla et Ton ressentit une odeur très suave, dont l'admirable parfum guérit, par les mérites des saints, soixante et dix hommes affli- içés de diverses maladies. Or, ce fut ainsi que Ton porta en l'église de Sion de Jérusalem, et saint Etienne avait exercé ses fonctions d'archidiacre, les reliques de ces saints au milieu de la joie publique, et qu'on les y ensevelit avec les plus grands honneurs. A cette heure- même, il tomba une grande pluie. Bède, en sa chro- nique, fait mention de cette vision et de cette invention. Cette invention de saint Etienne eut lieu le jour même qu'on célèbre son martyre et Ton dit ({ue ce martyre arriva aujourd'hui. Mais ces fêtes furent chan-

342 LA LÉGENDE DOREE

gées de jour par l'Eglise pour deux motifs. Le pre- mier, parce que J.-C. naquil ici-bas, afin que Thomme naquit au ciel. Or, il était convenable que la nativité de J.-C. fût suivie du natalice de saint Etienne qui le premier souffrit le martyre pour J.-C, ce qui n'est au- tre chose que naître au ciel, afin de montrer par que l'un était la conséquence de l'autre : aussi c'est la raison pour laquelle l'Eglise chante dans l'office' de ce jour* : « Hier, le Christ est sur la terre, afin qu'au- jourd'hui Etienne naquît dans le ciel. » Le second mo- tif est que le jour de l'Invention se fêtait plus solen- nellement que celui de son martyre, et cela par respect pour le jour de Noël, et à cause des miracles nom- breux que le Seigneur opéra lors de l'Invention. Mais parce que le martyre l'emporte sur l'Invention, et qu'iljdoit être célébré plus solennellement, c'est pour cela que l'Eglise a transféré la fête du martyre à cette époque Ton pourrait lui rendre de plus grands honneurs. Saint Augustin rapporte que sa transla- tion eut lieu comme il suit. Alexandre, sénateur de Constantinople, alla avec sa femme à Jérusalem et fit construire un oratoire magnifique en l'honneur de saint Etienne, premier martyr ; il vouluty être enterré auprès du corps de ce saint. Sept ans après sa mort, Julienne, sa femme, ayant résolu de revenir dans sa patrie à cause de certaines injures qu'elle endurait (les princes, voulut remporter le corps de son mari. Après bien des instances auprès de l'évêque, celui-ci lui montra deux cercueils d'argent et lui dit : « Je ne

'' Leçons du oocturoe.

I-'^NVENTION DE SAINT ETIENNE, PREMIER MARTYR 343

^aîs quel est celui de voire mari. » « Je le sais, répon- dît-elle. » Et elle se jeta pour Tembrasser, mais elle «nnbrassa le corps de saint Etienne, qu'elle prit pour celui de son mari. Lorsqu'elle se fut embarquée avec "^ corps, les anges font entendre des cantiques, une odeur suave se répand, les démons crient et suscitent **>^e tempête affreuse en disant : « Malheur à nous, car le premier martyr Etienne passe et nous fait endu- ^^^ Un feu cruel! m Or, comme les matelots craignaient "u naufrage, on invoqua saint Etienne qui apparut et "*^ : « C'est moi, ne craignez point. » A Tinstant, un K'^^ud calme s'ensuivit. Alors on entendit les voix des "^Uîons qui criaient : « Prince impie, monte sur ce ^^isseau, parce que notre adversaire Etienne y est. » Alors le prince des démons envoya cinq démons pour "^^ttre le feu au vaisseau; mais Fange du Seigneur les ^''^S'ioutit au fond de la mer. Quand on fut arrivé à ■^^Icédoine les démons se mirent à crier : « Il arrive ^ Serviteur de Dieu, qui a été lapidé par les méchants * '^^fs. » On arriva sain et sauf à Constantinople, et on ^^^evelit avec grand respect le corps de saint Etienne "^^s une église. (Saint Augustin.) * La réunion du

^^^s de saint Etienne avec celui de saint Laurent se fi*-

comme il suit : Eudoxie, fille de l'empereur Théo-

^^^e, fut cruellement tourmentée par le démon. Or, ce

^Iheur fut annoncé à son père comme il étaitàCons-

^^tinople, et il s'y fit amener sa fille, afin qu'on la

^Vjchât aux reliques du très saint Etienne, premier

'^^rtyr. Mais le démon criait en elle : « Si Etienne ne

Martyrologe romain y au 7 mai.

344 LA LÉ6ENQE DOR^E

vient à Rome, Je ne sortirai pas, car telle est la volobté de Pàpôtre. » Quand l'empereur apprit cela, 0 obtint du clergé et du peuple de C. P. qu'ils donneraient aux Romains le corps de saint Etienne et qu'ils rece- vraient eux-mêmes le corps de saint Laurent. Alors Fempereur écrivit à ce sujet au pape Pelage, qui, de Tavis des cardinaux, consentit à la demande de Tem- pereur. On envoya donc des cardinaux à C. P. pour y porter le corps de saint Etienne, et des Grecs vinrent à Rome pour recevoir celui de saint Laurent. Le corps de saint Etienne arriva à Capoue, et sur les pieuses prières des Capouans, on leur donna le bras droit du saint en l'honneur duquel on bfttit Téglise métropoli- taine. Quand on fut arrivé à Rome, et qu'on voulut porter le saint corps à l'église de Saint-Pierre-aux- liens, les porteurs s'arrêtent et ne peuvent avancer plus loin ; alors le démon se mit à crier dans la jeune fille : « Vous avez beau faire, ce n'est paâ là, mais .c*est auprès de son frère Laurent qu'il a choisi sa place. » On y porta donc le corps ; et quand Eudoxie l'eut touché, elle fut délivrée du démon. Mais saint Laurent, comme s'il se fût félicité de l'arrivée de son frère, lui sourit et se retira de l'autre côté du tombeau dont il laissa le milieu vide pour faire place à son frère. Quand les Grecs se furent approchés pour em- porter saint Laurent, ils tombèrent par terre comme s'ils eussent été privés dévie : alors le pape, le clergé et le peuple prièrent pour eux, et ce ne fut qu'à peine si le soir, ils revinrent à eux-mêmes; tous cependant moururent dans les dix jours suivants. LesLatinseux- mémcs, qui avaient consenti à cela, tombèrent en fré-

i

^.'invention de saint étienxe, premier martyr 34"»

nësîe et ne purent être guéris qu'après que les corps des saints eussent été ensevelis ensemble. Alors cette *'oix du ciel se fit entendre : « O bienheureuse Rome, <l^î i>ossèdes, dan.^ un même mausolée, ces précietix restes, les corps de saint Laurent l'Espagnol, et de s^îni Etienne de Jérusalem. » Cette réunion se fît aux ï^ones de mai, vers l'an du Seigneur 423.

Saint Augustin, au livre XXII de la Cité de Dieu, ^^pporle la résurrection de six morts duc à l'invoca- tion de saint Etienne. C'est d'abord un homme gisant ^ort, on lui avait déjà lié les pouces : on invoque sur ^^i le nom de saint Etienne, et à l'instant il ressuscite. C'est encore un enfant écrasé par un char : sa mère le porte à l'église de saint Etienne et elle le reçoit vivant et sans trace de blessure. C'est une religieuse qui étant à l'extrémité avait été portée à l'église de saint Etienne ; elle y rendit le dernier soupir ; et voici qu'aux yeux de tout le monde effrayé, elle ressuscite guérie. A Hippone, c'est une jeune fille dont le père avait apporté la robe à l'église de saint Etienne ; quel- ques instants après il jette cette robe sur le corps de celte jeune fille qui était morte ; et tout à coup elle est rendue à la vie. C'est un jeune homme, dont le corps, après avoir été oint dans de l'huile de saint Etienne, ressuscite aussitôt. C'est un enfant qui fut porté mort à Téglise de saint Etienne et quand on eut invocpié le saint, à l'instant il est rendu à la vie. Voici comment s'exprime saint Augustin au sujet de ce saint : <( Gama- liel, à la brillante étole, révéla le corps de ce martyr, Saul converti le loua, J.-C. enveloppé de langes l'en- richit et lui mit une couronne de pierres précieuses. »

346 LA LÉGENDE DOREE

II dit ailleurs : « Dans Etienne brilla la beauté d corps, la fleur de l'âge, l'éloquence de Torateur, 1 sagesse éclatante de Tesprit et l'opération divine, r^- Il dit encore : « Cet homme de Dieu fort comme un colonne, alors qu'il était retenu comme avec des tenail- les au milieu de ceux qui le lapidaient de leurs mains, était fortifié par la foi, et brûlait pour elle; on le frappait et il s'élevait ; on l'étreignait, et il grandis- sait; on le meurtrissait et ne se laissait pas vaincre. » Sur ces paroles Dura cevvice (Actes) : « Il ne flatte pas, mais il invective ; il ne touche pas, il provoque ; il ne tremble pas, mais il excite », c'est encore saint Augustin qui dit : « Considérez saint Etienne servi- teur de Dieu au même titre que vous : c'était un homme comme vous : il était de la race des pécheurs comme vous ; il fut racheté au même prix que vous ; et quand il fut diacre et qu'il lisait l'Évangile, le même que vous lisez ou que vous écoutez il y trouva ces mois : (( Aimez vos ennemis » ; maxime que l'étude lui apprit et que l'obéissance lui fit pratiquer. »

SAINT DOMINIQUE *

Dominicus signifie gardien du Seigneur, ou bien gardé par le Seigneur. Ou bien il s'appelle Dominique, selon l'éty-

La vie de saint Dominique est rapportée ici telle que Tout écrite cinq auteurs contemporains. Ce sont Thierry d*Apolda, (Constantin, évêque d'Orvietto, Barthélemî, évèque de Trente, le père Humbert, etc. Le père Mamachi a réuni dans le livre des Annotes de son ordre les preuves des miracles racontés en cette légende.

m SAINT DOMINIQUE 347

g ^ologie naturelle de ce nom qui est dominus, seigneur. Or, il

^st appelé gardien du Seigneur, en trois manières : il fut gar^

I "ieii de l'honneur du Seigneur, et ceci regarde Dieu, il fut le

^ lydien de la vigne, ou du peuple du Seigneur et cela regarde

'^ J^Fochain; et il fut le gardien de la volonté du Seigneur,

^•* des préceptes du Seigneur, ce qui le regarde lui-même.

*^** second lieu, il est appelé Dominique, c'est-à-dire gardé

P^** le Seigneur, car le Seigneur le garda dans les trois étals

^^^^ il vécut. D'abord laïc, en second lieu, chanoine régulier ;

^^ ^n troisième lieu, homme apostolique : car dans le prc-

''^^ frétât, il fut gardé de Dieu qui le fit commencer de ma-

'^•^^^le à mériter des louanges; dans le second, il le fit avancer

"^ ^^s la ferveur, et dans le troisième., il le fit atteindre à la

P^ ^^'fection. En troisième lieu, Dominique vient de Dominus,

*^ ^ on l'étymologie naturelle. Or, Dominus, signifie qui donne

"^^*' menaces, ou qui donne moins, ou qui donne avec munifi-

^^^^=^. ce.De même saint Dominique donna, c'est-à-dire pardonna

le^^ menaces en ne tenant pas compte des injures qu'on lui

*^ ^^^essait ; il donna moins en se macérant le corps, parce

^^"-^ il donna toujours à son corps moins que le nécessaire. Il

^^-^ ■^na avec munificence, en engageant sa liberté, car non

f^ ^-^ lement il donna tous ses biens aux pauvres, mais encore

** "^'"oulut se vendre lui-même plusieurs fois.

iDominique, chef et fondateur illustre de Tordre des ï^ **^res-Prêcheurs, naquit en Espagne, dans la ville ^^ Calaruega, au diocèse d'Osma. Son père se noni- ï^^^it Félix et sa mère Jeanne. Avant sa naissance, sa ^^^re vit en songe qu'elle portait dans son sein un 'it chien tenant dans sa gueule une torche allu- avec laquelle il embrasait tout Tunivers. Quand ^*le l'eut mis au monde, une dame qui l'avait levé des ^^nts sacrés du baptême crut voir sur le front du p^tit Dominique une étoile très brillante qui éclairait l^ule la terre. Tout petit enfant et confié aux soins ^'une nourrice, on le surprit souvent quitter son lit et

348 LA LÉGENDE DOREE

se coucher sur la lerre nue. Envoyé à Palerme pour faire ses études, par amour de la science qu'il devait acquérir, il ne goûta pas de vin pendant dix ans. Une famine affreuse ravageant le pays, il vendit ses livres ainsi que ses meubles et en donna l'argent aux pau- vres. Sa renommée était déjà grande, quand l'évèque (l'Osma le fit chanoine régulier dans son église, et peu de temps après, devenu miroir de vie pour tous, ses confrères le nommèrent sous-prieur. Or, le jour el la nuit, il vaquait à la lecture et à l'oraison, priant assidûment le Seigneur de daigner lui donner la grâce de s'employer tout entier au salut du prochain. Il lisait avec le plus grand zèle les conférences des Pè- res, et atteignit par au comble d'une haute perfec- tion. En allant à Toulouse avec son évêque, il trouva son hôte infecté du poison de l'hérésie, et il le conver- tit à la foi de J.-C. Ce fut, pour ain§i dire, la pre- mière gerbe de la moisson qu'il présenta au Seigneur. On lit dans les Gestes du comte de Montforl*, qu'une fois saint Dominique, ayant prêché contre les héréti- ([ues, mil par écrit le texte des autorités qu'il avait ex[)osées, et donna ce papier à l'un d'eux afin qu'il pût examiner les objections. Or, cette nuit-là, les hérétiques s'élanl réunis auprès du feu, cet homme leur montra le papier qu'il avait reçu. Ses compagnons lui dirent de le jeter au feu, que s'il arrivait qu'il brûlât, leur créance, ou plutôt leur perfidie serait véritable, et que si le feu l'épargnait, ils proclameraient que la foi de l'Eglise romaine est vraie. Lepapierest doncjetéau feu; quand

''' l*iorre de Vaux-Ceriiay, c. vu; Thierry dWpolila.

SAINT DOMINIQUE 349

il fut resté quelques moments sur le brasier, il en rejaillit de suite sans avoir été brûlé. Au milieu de la surprise causée par ce prodige, un plus opiniâtre que tous les autres dit : « Qu'on le jette une seconde fois, de cette manière Texpérience sera pleinement confir- mée et nous saurons sûrement de quel côté se trouve la vérité. » On jette le papier une seconde fois, el une seconde fois il rejaillit sans avoir été brûlé. Le même auteur dit encore : « Qu'on le jette de nou- veau, et alors nous connaîtrons un résultat qui ne laissera plus place au doute. » On le jette une troi- sième fois, et il rejaillit de nouveau entier et sans trace de feu. Mais ces hérétiques restèrent dans leur endurcissement et s'engagèrent, par les serments les plus stricts, à ne pas publier le fait. Cependant, un soldat qui se trouvait et qui avait un certain alla- chement pour notre foi, raconta ce miracle plus lard. Or, ceci se passait à Montréal. On raconte que quel- que chose de semblable arriva à Fangeaux, après une discussion solennelle qui y eut lieu contre les héré- tiques.

Les autres retournèrent chez eux, et Tévêque d'Osma mourut; saint Dominique resta donc presque seul à annoncer la parole de Dieu avec constance contre les hérétiques*. Or, les adversaires de la vérité Tinsui- taient, en jetant sur lui de la boue, des crachats et autres ordures, et lui attachant par derrière de la paille en signe de dérision. Et comme ils menaçaient

* Vincent de Beauvais, Hist., liv. XXX, c. x; Constantin d'Orviètc, Vie, n- 12.

350 LA LÉGENDE DOREE

(le tuef , il répondit avec intrépidité : « Je ne s pas di^ne de la gloire du martyre; je n'ai pas enco mérité ce genre de mort. » C'est pourquoi il pa par le lieu on lui avait dressé des embûches, et marchait, non seulement sans crainte, mais en chan^ tant et avec un visage gai. Ses ennemis, étonnés, lu^ dirent : « Tu n'as donc pas peur de mourir? Qu'au- rais-tu fait, si nous nous étions saisis de ta personne ? » Dominique répondit : o Je vous aurais prié de ne pas me porter, du premier coup, des blessures mortelles ; mais de me mutiler tous les membres, un à un, en- suite de placer sous mes yeux chacun des morceaux que vous m'auriez coupés ; puis de m'arracher les yeux, et en dernier lieu de laisser mon corps, à moitié mort et tranché en lambeaux, se rouler dans son sang; ou bien encore de me faire mourir comme il vous aurait plu. » Ayant rencontré un homme qui, pressé par une grande détresse, s'était uni aux hérétiques, il résolut de se vendre lui-même, afin qu'avec cet argent, qu'il aurait tiré de sa personne, il mît fin à cet état de détresse, en même temps qu'il délivrerait cet homme vendu à l'erreur. Et il eût exécuté son dessein, si la miséricorde divine n'eût pourvu d'une autre manière au soulagement de cette misère*. Une autre fois encore, une femme vint lui exposer avec larmes que son frère était retenu captif chez les Sar- rasins, en lui faisant l'aveu qu'il ne lui restait aucun moyen de le délivrer. Alors saint Dominique, touché (Tune vive compassion, s'offrit lui-même pour être

Ibid,

SAINT DOMINIQUE 351

vendu afin de racheter le captif; mais Dieu ne li» permît pas. Il avait prévu qu'il était plus nécessaire pour le rachat spirituel d'un grand nombre de captifs. H était logé dans les environs de Toulouse, chez cer- taines femmes, qui, sous prétexte de paraître dévotes, s étaient laissé séduire par les hérétiques ; alors Domi- l^ique, afin de rabattre un .clou par un autre clou, J^ûna, avec le compagnon qui lui était adjoint, pen- <J^ni tout le carême, au pain et à Teau fraîche, se *^vanl la nuit, et quand il était accablé par la fatigue, s^ couchant sur une table nue. Il réussit, parce moyeu, '^ ramener ces femmes à la connaissance de la vérité. Peu après, il commença à songer à Tinstitution de ^n ordre, dont la mission devait être de parcourir le 'Donde en prêchant et de protéger la foi catholique contre les attaques de l'hérésie. Après être resté dans la province de Toulouse l'espace de dix ans, à comp- ter de l'époque il quitta l'évêque d'Osma, jusqu'au concile de Lalran, il alla à Rome pour ce concile général avec Foulques, évêque de Toulouse, et demanda au souverain pontife Innocent III, pour lui et ses suc- cesseurs, la confirmation de l'ordre qui serait appelé et qui serait effectivement les Prêcheurs. Le pape se montra d'abord un peu difficile; mais une nuit, il vil en songe l'église de Latran menacée d'une ruine sou- daine. Comme il regardait cela avec effroi, voilà saint Dominique qui se présente de l'autre côté, soutenant avec les épaules tout cet édifice chancelant. A son réveil, le pontife comprit le sens de la vision et accueil- lit avec joie la demande de Thomme de Dieu; puis il Texhorta, quand il serait de retour auprès de ses

352 LA LEGENDE DOREE

frères, à choisir une des règles déjà approuva qu'après cela il revînt le trouver et qu'il en obtiendi la confirmation, comme il le désirait. A son retoi Dominique communiqua à ses frères ce que lui avî dit le Souverain Pontife. Or, les Frères étaient en^ ron au nombre de seize ; ils invoquèrent TEsprit-Saii et choisirent, à l'unanimité, la règle de saint Augu^ lin, docteur et prédicateur éminent, puisque eux-mêm^^ devaient être des prédicateurs d'effet et de nom ; ils;^ ajoutèrent quelques pratiques de vie plus sévères "^ qu'ils résolurent d'observer sous forme de constitu-^ ' lion. Sur ces entrefaites, Innocent mourut, et Hono--^ rius, son successeur au souverain pontificat, confirma ^ l'ordre, l'an du Seigneur 1216. Comme saint Domi-^ nique priait à Rome dans une église de saint Pierre, pour la dilatation de son ordre, il vit venir à lui les glorieux princes des apôtres Pierre et Paul ; le pre- mier, c'est-à-dire saint Pierre, semblait lui donner un bâton, et saint Paul un livre, en lui disant : (c Va prêcher, parce que tu as été choisi de Dieu pour rem- plir ce ministère. » Et il lui sembla, en un clin d'œil, qu'il voyait ses fils dispersés par tout l'univers, et marchant deux à deux*. C'est pour cela qu'à son retour à Toulouse, il envoya ses frères de côté et d'autre, les uns en Espagne, quelques-uns à Paris, et d'autres à Bologne. Quant à lui, il revint à Rome. Avant l'institution de l'ordre des Prêcheurs, un moine fut ravi en extase et vît la sainte Vierge à ge- noux, les mains jointes, priant son Fils pour le genre

* Humbert, Vie, 26

SAINT DOMINIQUE 333

"Umaiii. Il repoussait bien souvent sa pieuse mère ; ^nfîn comme elle insistait, il lui parla ainsi : « Ma Mère, que puîs-je et que dois-je faire de plus? J'ai envoyé des patriarches et des prophètes, et peu d'hommes se sont amendés. Je suis venu vers eux, ensuite j'ai envoyé des apôtres, et ils m'ont tué et les apôtres aussi. J'ai envoyé des martyrs, des confesseurs et des docteurs, et ils n'ont point eu confiance en eux: cependant comme il n'est pas juste que je vous '"cfuse quoi que ce soit, je leur donnerai mes Prêcheurs, par lesqufslsils pourront s'éclairer et se purifier ; sinon, J^ viendrai contre eux. » Un autre eut une vision semblable, dans le temps que douze abbés de l'ordre d^ Citeaux furent envoyés à Toulouse contre les héré- ^•ques. Car le Fils ayant répondu à sa mère comme il ^■^ni d'être rapporté ci-dessus, la sainte Vierge dit: ^ Mon bon Fils, ce n'est pas d'après leur malice, mais ^ siprès votre miséricorde que vous devez agir. » Alors '^ Pils vaincu par ces prières dit : « Je leur accorderai ^ï^core cette miséricorde selon votre désir ; je leur en- ^'^ï*rai mes Prêcheurs pour les avertir et les former ; ^^ s'ils ne se corrigent point, je ne les épargnerai plus ^^vantage.» Un frère Mineur, qui avait été longtemps *^ <îoinpagnon de saint François, raconta ce qui suit à plusieurs frères de l'ordre des Prêcheurs : A Tépoque Saint Dominique était à Rome en instance auprès ^^ pape pour obtenir la confirmation de son ordre, ^^^ nuit qu'il était en oraison, il vit en esprit J.-C. daas les airs, tenant à la main trois lances qu'il bran- dissait contre le monde. Sa mère s'empressa d'accourir, cl lui demanda ce qu'il voulait faire. Et il dit: « Ce H. 23

334 LA L.È

monde que voici estrempJitoutentierdfLniîsvicL-s: l'ur- gueil, la concupùoence et l'avarice; voilà pourquoi jr veux le détruire avec ces trois laiiocs. » Alors la Vicrirc lui dit en se jetantà ses «enouv : « Très cber Fîia, ayez pitié et tempérez votre justice par vuLre miséricorde. » J.-C. reprit: « EsV<t que vous ne xoyez pas toutes les injures dont on m'uulrH^c? » Elle lui dit : « Apaiser votre fureur, mon fils, <■! attendez un peu ; car j*ai un fidèle serviteur, un chumpton Intri^pidc? qui parcourra le monde, le vaincra ri lo soumpllra i^ voire domi- nation. Je lui donnerai misai un autre serviteur pou-^ l'aider et pour combattre lidèlemcnt avec lui. u Le Fift^-^ lui répondit: « Voici que je suis apaisé j j'ai rci^^u favorablement votre rcqu(!le; mais je voudrais IW^^n voir ceux que vous Voulez destiner à une si gran -~^e entreprise. » Alors eUe préscnUi à J.-C. saint Dor— »ii. nique. J.-C lui dit : « Vraiment, c'est un bon ei in- trépide champion, et il s'acquittera avec zèle de ce c^ up vous avez dit. » Elle lui présenta en même temps ïai François et J.-C. lui accorda les mêmes éloges qii an premier. Or, saint Dominique regarda attentivemeol son compag'uon durant sa vision, et le lendemain l'ayant trouvé dans l'église, sans l'avoir jamais vu, sans le secours de personne pour le lui indiquer, il le reconnut d'après son rêve. Alors se jetant dans ses l)ras, il l'embrassa ave4- piété en disant : « Vous êtes mon compagnon ; vous courrez la même carrière que moi ; restons unis ensemble, et aucun adversaire ne triomphera. » Saint François lui raconta qu'il avait eu exactement la même vision : et depuis cet instant, il n'y ent plus en eux qu'un seul cœur et une seule

SAINT DOMINIQrK 335

Unie ; union qu'ils recommandèrent à leurs descendants d'observer à perpétuité *.

Il avait reçu dans l'ordre un novice de la Fouille: Quelques-uns des compagnons de ce novice le perver- tirent au point, qu'ayantrésolu de rentrer dans le siècle, il demandait ses habits de toutes les manières qu'il pouvait. Saint Dominique, qui en fut informé, se mit aussitôt en prière. Or, comme on avait dépouillé ce jeune homme de ses habits religieux et qu'on l'avait déjà revêtu de sa chemise, il se mit à pousser de grands cris et à dire : « Je brûle, je suis enflammé, je suis tout en feu ; ôtez, ôtez cette chemise maudite qui me brûle de Coûtes parts. » Il n'eut aucun repos qu'il ne se fût dé- pouillé de la chemise et qu'il n'eût revêtu ses habits de religieux, enfin qu'il ne fût rentré dans le cloître. Saint Dominique était à Bologne quand, après la rentrée du frère au dortoir, le diable se mit à tourmenter un con- vers. Frère Reynier de Lausanne son maître en ayant été informé, s'empressa d'en faire part à saint Domi- nique. Alors celui-ci fit mener le frère à l'église devant l'autel. Ce fut à peine si dix frères purent le trans- porter. Saint Dominique lui dit: « Je t'adjure, misé- rable, de me dire pourquoi tu tourmentes une créature de Dieu; et pour quel motif, et comment tu es entré ici. » Il répondit: « Je le tourmente parce qu'il l'a mérité : car hier il a bu dans la ville, sans la permis- sion du prieur, et avant de faire le signe de la croix. Alors je suis entré en lui sous la forme d'un moucheron ou plutôt il m'a avalé avec le vin. » Or, le fait est que cet

* (iëranl de Fr.iche!, I. î, c. i.

itCiti l.\ I.ÛiENDE nORÉE

liomnii' avail vraîmeiil hu. Sur ces eiilrcfaîlcs sunna le [iri;iiiier coii[> de malines. En l'entendant, te diable, qui parlait en lui, dit: « Maintenant je ne puis rester plus longtemps ici, puisque voici les encapuchonnés qui se lèvent. » Ce fut ainsi qu'il fut forcé de sortir parla prière de saint Dominique. Un jour, il passait un fleiive dans les environs de Toulouse; ses livTcs, que personne ne soignait, tombèrent dans l'eau. Trois jours après, un pêcheur, qui avail jeté son hameçon au même endroit, croyant avoir pris un gros poisson, ne ramena que ces livres; mais ils étaient intacts comme s'ils eussent été gardés avec le plus grand soîn dans une armoire. Il arriva à un monastère alors que ; les frères reposaient, il ne voulut pas les troubler; ^ mais il fit une prière et il entra avec son compagnon,^ dans le raonaslère, les porles étant fermées*. Laas même chose eut lieu une autre fois qu'il allait avein» un convers cistercien pour combattre les hérétiques. ; Arrivés sur le soir à une église, dont les portes étaîenV' fermées, saint Dominique ayant fait une prière, ils se^ trouvèrent subitement dans l'intérieur de l'église, oiMl ils passèrent toute la nuit enoraison. Après une longuir marche, avant d'entrer dans l'hôlellerie, il avait cou- tume d'apaiser sa soif  quelque fontaine, aBn qu'on ne remarquât point dans la maison de son hôte qu'il ait trop bu.

Un écolier d'un tempérament porté au péché de la cliair vint, un jour de fête, pour entendre la messe dans la maison des Frères de Bologne. Or, c'était

' Itodritfue de Cerrnl, n" 91.

SAINT DOMINIQUE 357

sailli Dominique qui célébrait. Quand on fut arrivé à

rofTrande, cet écolier s*approcha et baisa la main du

saint avec grande dévotion. Et quand il Teut baisé;

il sentit qu'il s'exhalait de cette main une si bonnt^

odeur, que jamais il n'en avait rencontré une si grande

«n sa vie : et dès ce moment, le feu de la passion

s'éteignit en lui merveilleusement, en sorte que ce

jeune homme, qui jusqu'alors avait été adonné à la

vanité et à la luxure, devint, dans la suite, continent

'i^t chaste. Oh ! la grande pureté qui régnait dans ce

corps dont Fodeur purifiait d'une manière si admi-

ï^ble les souillures de l'âme ! Un prêtre, témoin

Je la ferveur avec laquelle saint Dominique et ses

frères s'adonnaient à la prédication, conçut le projet

"C se joindre à eux, dans le cas il pourrait se pro-

^^ïrerun Nouveau-Testament qui lui était nécessaire

/^^^iirla prédication. Au moment il pensait à cela,

* ^ présenta un jeune homme qui avait sous son habit

*^ Testament à vendre : le prêtre Tacheta avec une

^ ^^^nde joie; mais comme il hésitait encore un peu, il

. ^ une prière, et ayant tracé le signe de la croix sur

couvert du livre, il l'ouvrit et jeta les veux sur le

f| ^mier chapitre qui se présenta ; il tomba sur cet en-

^it des Actes des apôtres il est dit à saint Pierre :

^ ^ève-toi, descends et va avec eux sans hésiter, car

^^slmoi qui les ai envoyés (xx). » A Tinstant, il alla

adjoindre à eux. Un maître de théologie, qui en-

^çnait à Toulouse avec talent et réputation, prépa-

^^ ^t ses matières un matin avant le jour; accablé de

.^^ nimeil, il inclina légèrement la tête sur sa chaire et

^ui sembla qu'on lui présentait sept étoiles. Comme

II. 2:r

s -s

358 LA l.tUI^MIE lltlKK^

il s'extasiait devant un pareil présent, luut aiissid'it ers étoiles augmenlèrent eu lumière et eu gruiideiir. à tel point qu'elles éclairaJeiU le momie enlier. A son réveil, il s'étonnait beaucoup de ce que cela voulait dire ; et voici qu'en entrant daus l'i^cole et en enseig^uanl sa leçon, saint Dominique et six frères avec lui, qui por- taient le tnAme habit, s'approchèrenl, avec humilité, du mattre et lui déclarèrent qu'ils avaieut pris la résolu- tion de suivre son cours. Alors se rappelant la vision qu'il avait eue, il ne tit pas diflîculté de croire que c'étaient les sept i^loiles qui lui étaient apparues *. Saint Dominique *tait à Rome quaud y arriva avec l'évèqne d'Orléans, pour s'embarquer, maflrc Reinier, doyen de Saint-Aignan d'Orléans, qui avait enseigné à Paris le Droit Canon pendant cinq ans. Depuis Iouk- tempsdéjà il se proposait de tout quitter pour se livrer à la prédication, mais il n'avait pas encore pris mm parti sur le moyen à employer par lui pour exécuter son projet. Un cardinal auquel il a%'ait fait part du Son vœu, lui avait parié de l'InsliUit des Préclieurs ; il avait donc fait appeler saint Dominique auquel il manifesta ses intentions : ce fut alors qu'il se décida à entrer dans son ordre; maisaussitôtune violente fièvre le saisit et mit ses jours en danger. Alors saint Do- minique ne cessa de faire des prières et de s'adresser à la sainte Vierge, à laquelle il avait confié, comme à une patronne spéciale, tout le soin de son ordre, en lui demandiint de daigner lui accorder cet homme, ne serait-ce que pour un court espace de temps, quand

' tlumbcn. Vie, tf 27,

SAINT noMiNiguE 339

Reinier qui veillait et qui attendait la mort, voit tout à coup, à n'en pas douter, la Reine de miséricorde ve- nir à lui en compagnie de deux jeunes personnes re- marquablement belles, et lui adresser ces paroles d'un visage caressant : « Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai. » Il cherchait quoi demander quand une des jeunes filles lui suggéra de ne demander rien, mais de s'en remettre entièrement à la reine de misé- ricorde. Ce qu'il fit. Alors la sainte Vierge étendant sa main virginale, lui fit des onctions aux oreilles, aux narines, aux mains et aux pieds avec une huile qu'elle avait apportée, en prononçant une formule appropriée à chaque onction. Aux reins, elle dit : « Soient étreints ces reins du cordon de chasteté. » Aux pieds : « J'oins tes pieds pour qu'ils soient préparés à porter l'Evan- gile de paix. » Et elle ajouta : « Dans trois jours, je te remettrai une ampoule qui le rendra une parfaite santé. » Alors elle lui montra un habit de l'ordre : c< Voici, lui dit-elle, un habit; c'esl celui de ton ordre. » Or, saint Dominique qui était en prières eut une vi- sion tout à fait semblable. Quand le matin fut arrivé, saint Dominique vint le voir et le trouva guéri : en- suite il écouta le récit que lui fit Reinier de sa vision : après quoi celui-ci prit l'Iiabit que la Vierge lui avait . montré, car auparavant les Frères se servaient de surplis. Trois jours après, la mère de Dieu revint et fit sur le corps de Reinier des onctions qui éteignirent non seulement l'ardeur de la fièvre, mais encore le feu de la concupiscence, à tel point que, d'après ce qu'il confessa lui-même dans la suite, il ne s'éleva pas en lui le moindre mouvement désordonné. La même vi-

â

360 l.\ LLtiP.NnF. DOKKF.

sion fut renouvelée, vis-à-vis saint Dominiiiiic. en fa- " veUTil'uii reiiçiiMix de l'ordre des liospîtaliers qui en fut stupéfait. AprèH la mort de Reiiiier, saint Domi- nique raconta cotte apparition à un ^rand nombre de firères. Reinier fut donc envoyé à Bologne, il se lÎTra avec ardeur A la prédication, et le iionibrt'dcs fr^s prit de l'accroissement. Ensuite on l'envoya à Paris, il mourut peu de jours après dans le Sei- gneur *. Un jeune homme, qui était neveu du cardinal Etienne de Fosse-Neuve, tomba avec son cheval dans un précipice, et on l'en relira mort. On le présenta à saint Dominique qui fil une prière el lui rendit la vie**. Un architecte, conduit parles frères sousune crypte de l'église de Saint-Sixte, fut écrasé par un pan de mur qui s'écrnula, et il fut étouffé sous les décombres ; mais l'homme de Dieu, Dominique, fit enlever le corps de la crypte, se le fit apporter et par le suffrai^e de ses prières, il lui rendit la vie avec la sanlé •**. Dans le même couvent de saint Sixte, restaient eu\iron quarante frères, il ne se trouva un jour qu'une très petite quantité de pain; alors saint Dominique com- manda qu'on la partageAt et qu'on la ser\-{t sur la table ; et pendant que chacun mangeait avec joie celte petite bouchée de pain, voici que deux jeunes gens tout à fait ressemblants par leur habit et leur figure entrèrent au réfectoire, portant des pains dans des tahliers qui leur pendaient au cou. Ils les pesèrent

= Thierry d'Apolds.n'' 92. -" Histoire ilr na vîr, passini. '■'" ReliilioH lie In smir Cécile,

SAINT DOMINI()l K 3(>i

sans rien dire au bout de la table du serviteur de Dieu Dominique, et se retirèrent si vite que personne ne put savoir dans la suite d'où ils étaient venus, ni comment ils étaient sortis. Alors saint Dominique éten- dit les mains çà et sur la communauté et dit : « Maintenant, mes frères, mangez. » Un jour, saint Dominique était en chemin et il tombait une très forte pluie; il fit le signe de la croix et il écarta la pluie toute entière de lui et de son compagnon, de sorte que ce fut comme s'il s'était couvert d'un pavillon avec la croix : et alors que toute la terre était couverte d'eau, il n'en tombait pas une goutte autour d'eux, à une distance de trois coudées *. Une fois que dans les en\irons de Toulouse, il venait de traverser une ri- vière dans une barque, le batelier lui demanda un de- nier pour prix de son passage. Comme l'homme de Dieu lui promettait le royaume des cieux pour récom- pense, en ajoutant qu'il était le disciple de J.-C. et qu'il ne portait avec lui ni or, ni argent, le batelier le saisit par sa chape et lui dit : « Tu me donneras ta chape ou un denier. » Alors l'homme de Dieu leva les yeux au ciel, fit intérieurement une petite prière et regardant à terre, et y voyant un denier qui, sans au- cun doute, lui était envoyé par le bon Dieu : « Voici, dit-il, mon frère, ce que vous me demandez, prenez et laissez-moi aller en paix. » Il arriva un jour que saint Dominique étant en voyage s'associa avec un religieux qui lui était bien connu par sa sainteté, mais dont il n'entendait ni le lani.'^at.^e nila langue Contrarié

* llumbert, Vie, n"3«.

à

362 LA LKGKNDK DOREE

de ce qu'il ne pouvait pas conférer avec lui des choses du ciel, il obtint de Dieu que l'un parlât la langue de l'autre, de manière à se comprendre pendant les (rois jours qu'ils avaient à voyager ensemble. On lui pré- senta une fois un homme obsédé d'un grand nombre de démons ; il prit une étole qu'il se mit au cou, en- suite il la serra autour du cou du démoniaque en lu'i ordonnant de ne plus faire souffrir cet homme désor^ mais. Alors ces démons commencèrent à être tour*^ mentes dans le corps de l'obsédé, et crièrent : « Laisse--^ nous sortir, pourquoi nous forces tu à être tourmenté ici? » Et saint Dominique dit: « Je ne vous laisserai point partir, à moins que vous ne me donniez des ga- rants qui me répondront que vous ne rentrerez plus désormais. » « Quels garants, répondirent-ils, pour- rons-nous te donner? » Et il reprit: « Les saints mar- tyrs dont les corps reposent en cette église. » Et ils dirent : « Nous ne le pouvons, car nos mérites sont en contradiction, o « Il faut, vous dis-je, les donner, au- trement je ne vous délivrerai jamais du tourment que vous endurez. » Alors ils répondirent à cela qu'ils sVn occuperaient : et peu après ils dirent: « Eh bien, nous avons obtenu, quoique nous ne le méritions pas, que les saints martyrs soient nos garants. » Or, saint Dominique leur demandant un signe par lequel il pourrait s'assurer de cela, les démons lui dirent : « Allez à la châsse qui renferme les têtes des martyrs et vous la trouverez renversée. » On y alla et l'on trouva qu'il en était comme ils l'avaient assuré *.

Thiorrv d'Apolil.i.

SAINT UOMr.NigUE 303

Pendant une de ses prédications, des femmes qui s'étaient laissé corrompre par les hérétiques vinrent se jeter à ses pieds en lui disant ; « Serviteur de Dieu, venez à notre aide; si ce que vous avez prêché aujour- d'hui est vrai, depuis longtemps l'esprit d'erreur a aveuglé nos cœurs. » Saint Dominique leur dit : « Soyez constantes et attendez un peu afin de voir à quel maî- tre vous vous êtes attachées. » Aussitôt elles virent sauter du milieu d'elles un chat affreux qui avait les proportions d'un grand chien avec des yeux gros et flamboyants, une langue longue et large, injectée de sang et qui allait jusqu'à son nombril ; sa queue courte et relevée laissait voir toute la turpitude de son der- rière, de quelque côté qu'il se tournât; et il s'en exha- lait une puanteur insupportable. Après qu'il eut tourné pendant un certain temps çà et là, autour de ces fem- mes, il grimpa dans le clocher par la corde de la clo- che et disparut, laissant après lui des traces dégoil- tantes. Alors ces femmes, après avoir remercié Dieu, se convertirent à la foi catholique *'. Il avait con- vaincu dans la province de Toulouse un certain nom- bres d'hérétiques condamnés au bûcher; et il vit au milieu d'eux un homme appelé Raymond ; alors il dit aux bourreaux : « Conservez celui-ci,, et qu'on ne le brûle pas avec les autres. » Puis se tournant vers lui : ce Je sais, lui dit-il avec bonté, je sais, mon fils, que vous serez un jour, quoique ce ne soit pas de sitôt, un homme de bien, et un saint. » On relâcha donc cet homme qui, pendant vingt ans encore, resta dans Thé-

* Thierry d'Apolda, ch. iv, n^ 54.

3(J4 L.V LÉGENDE DOREE

résie ; enfin s'étant converti, il entra dans l'ordre c^ frères Prêcheurs il vécut saintement jusqu'à mort. Comme saint Dominique était en Espag en compagnie de quelques frères, il lui apparut un d gon épouvantable, qui s'efforçait d'engloutir les frèr dans sa gueule. L'homme de Dieu, qui comprit le se de cette vision, exhortait ses compagnons à résist courageusement. Peu de temps après ils le quittère tous à l'exception de frère Adam et de deux con- vers. Il demanda donc à l'un d'eux s'il voulait s'eiT aller comme les autres : « A Dieu ne plaise, mon père,^ répondit-il qu'en quittant la tête, je suive les pieds. » Alors saint Dominique se mit en prière, et presque tous furent convertis peu de temps après par le mé- rite de cette prière. Comme il se trouvait à Rome, au couvent de saint Sixte, l'esprit de Dieu vint sur lui soudainement et il rassembla les frères au chapitre : alors il leur annonça que quatre d'entre eux devaient mourir bientôt, deux de la mort du corps, et deux de la mort de l'àme. En effet peu après deux frères s'en- dormirent dans le Seigneur et deux autres se retirè- rent de l'ordre *. Lorsqu'il était à Bologne, se trouvait en cette ville maître Conrad, Allemand, que les frères souhaitaient fort de voir entrer dans l'ordre. Or, saint Dominique étant en conversation, la veille de la fête de l'Assomption de la sainte Vierge, avec le prieur du monastère de Casa-Mariac de l'ordre de Ci- teaux, il lui dit entre autres choses en forme de confi- dence : « Je vous avoue, prieur, une chose que je n'ai

'' liiiiiiberl, II" r»().

SAINT DOMINIQUE *MM\

js^nnais découverte à personne jusqu'à présent, et que ^'ous ne révélerez pas vous-même à d'autres, de mon ^'î vant ; c'est que je n'ai jamais rien demandé ici-bas je ne Taie obtenu selon mes désirs. » Comme le our lui disait que peut-être il mourrait avant lui, ^iri.t Dominique lui dit en esprit prophétique qu'il vi- vait longtemps après lui. La prédiction se réalisa. 'ors le prieur ajouta : « Demandez donc, mon père, ^'^^ Dieu vous donne pour votre ordre maître Conrad, ^ '-•tî vos frères paraissent désirer tant être des vôtres. » ^'^^^îs saint Dominique lui répondit : « Mon bon frère, ^"^^Us avez demandé une chose difficile. » Après plies, les frères étant allés se reposer, Dominique dans l'église il passa la nuit en prière comme ^ ^^•-ïiit sa coutume. Or, quand on vint chauler prime, *^^ <inoment le chantre entonnait riivmne Jam lacis ^**^o sidère, voici que celui qui devait être un nouvri **«lre d'une nouvelle lumière, inattre Conrad, vient ^^^t à coup se prosterner aux pieds de saint Doniini- ^^^, et lui demander instamment l'habit de Tordre. Il t^^ï*sévéra dans sa demande et fut reçu. Ce fut un zélé ^^'ig'îeux qui enseigna dans l'ordre à la grande satis- *^^Uoii de tous. Il était près de mourir et avait déjà •^ï*naé les yeux, de sorte qu'on le croyait mort, quand ^* '^egarda les frères qui étaient autour de lui et dit : ^^^ninus vobiscum. Quand on eut répondu : Et mm ^yirilu tuo, il ajouta : Fidelium animœ per misericor- ^hm Dei requiescanl in puce *. Et aussitôt il reposa ^^ paix dans le Seigneur.

* Cp sont les paroles par lesquelles {'Kefiise termine tous

'36B <\ LfT.ESUK nnlIKF,

Le servlli'ur de Dieu saint Dominique l'iail dou^ d'une ^^alité tlMme que rien n'ébrunlail, sinon quand il étiiil Iroutiié par lii compassion et par ta mis^ri* cordp; cl parce qu'un cœur coulent épanouit le visage on voyait, A sa douceur extérieure, la paix qui régnail au dodan» de lui. Dans le journée, personne n'était plus simple que lui avec les frères et ses compagnons, tout en observant les règles de la biensi'ance; la nuit personne n'était plus exact aux oflices et à la prière. Il consacrait le jour au prochain et la nuit à Dieu. Il avait fait de ses jeux comme une fontaine de larmes. Souvent quand on levait le corps du Seigneur à la messe, il était ravi en esprit comme s'il avait vu pré- sent J.-C. incarné : c'est pour cela que pendant lon^ temps, il n'assista pas à la messe avec les autres. Il avait aussi la coutume de passer très souvent la nuit dans l'éiçlise, en sorte qu'il semblait n'avoir pas on presque pas de lieu tîxe pour prendre son repos : et quand la nécessité de dormir \e surprenait à la suite de ses fatigues, il se reposait ou bien devant l'autel, ou bien la léte inclinée sur une pierre. Chaque nuit il prenait lui-même trois fois la discipline avec une chaîne de fer : une fois pour soi-même, une seconde fois pour les pécheurs qui vivent dans le inonde, et une troisième fois pour ceux qui souffrent dans le purga- toire. Élu, un jour, à l'évêché de Couserans, d'autres disent de Comminge, il refusa nettement, protestant devoir plutôt quitter la terre que de consentir jamais

SCS ol'Hces : elles siginificnl : Qw pur la miséricorde de Dira, let

limes (In fidflei reposent en paix.

SAINT DOMrNlQl'E 307

à une élection dont il serait l'objet. Ou lui ilemau- clail un jour pourquoi il ne restait pas à Toulouse, ou clans le diocèse de cette ville, plutôt que dans le dio- cèse de Carcassonne, il répondit : « C'est parce que, dans le diocèse de Toulouse, je rencontre bon nombre de personnes qui m'honorent, et que à Carcassonne, au contraire, tout le monde me fait la g-uerre. » Quel- qu'un lui demandait dans quel livre il avait le plus étudié : « C'est, dit-il, dans le livre de la charité. » Une fois qu'étant à Bologne il passait la nuit dans l'église, le diable lui apparut sous la figure d'un frère. Saint Dominique, croyant que c'en était un, lui faisait signe d'aller se reposer comme les autres. Or, celui-là lui répondait par signes comme s'il se moquait de lui. Alors saint Dominique voulant savoir quel était celui qui méprisait ainsi ses ordres, alluma une chandelle à la lampe et regardant sa figure reconnut tout de suite que c^était le diable. Le saint l'accabla de reproches et le diable se mit à l'insulter pour avoir rompu le si- lence ; alors saint Dominique lui déclarant qu'il lui était permis de parler en sa qualité de maître des frères, il le força de lui déclarer en quoi il tentait les frères au chœur. Le diable lui répondit : « Je les fais arri- ver tard et sortir tôt. » Il le conduisit ensuite au dor- toir et lui demandant de quoi il y tentait les frères. Il dit : « Je les fais trop dormir, se lever tard, et de cflte manière, ils y restent pendant l'office et de tem[»s en temps, je leur suggère de mauvaises pensées. » Fuis il le mena au réfectoire, et lui demanda de quoi il y tentait les frères; alors le démon se met à sauter sur les tables, en répétant souvent ces paroles : (( Plus

3ti8 LA LÉGENDE DOREE

Cl inoilis, plus et moins. » El comme saint Dominique lui demandait ce qu'il voulait dire par là, il répondît : <( il y a quelques frères que je tente de mang-er plus, cl par conséquent de manquer souvent à la règle en mangeant trop : d'autres, de manger moins, afin qu'ils deviennent sans force dans le service de Dieu el dans la pratique de leurs règles. » De il le con- duisit au parloir, en s'informant de quoi il y tentait les frères. Alors* le diable se mit à tourner la langue dans sa bouche avec vitesse et faisait entendre un bruit confus étrange. Saint Dominique lui demandant ce que cela voulait dire, le diable répondît : « Ce lieu est tout à moi : car quand les frères se rassemblent pour parler, je m'applique à les tenter de parler sans ordre, d'entremêler des paroles inutiles et de telle façon que l'un n'attende pas l'autre. » Enfin saint Dominique conduisit le diable au chapitre, mais quand il fut ar- rivé à la porte, le démon n'y voulut absolument pas entrer: « Ici, dit-il, je n'entrerai jamais; c'est pour moi un lieu de malédiction et un enfer. Je perds ici tout ce que j'ai gag-né ailleurs : car quand j'ai fait tomber un frère en quelque négligence, il s'en purifie de suite dans ce lieu de malédiction et s'avoue cou- pable devant tout le monde : c'est ici qu'on leur donne des avis, ici qu'ils se confessent, ici qu'ils s'accusent, ici qu'ils sont frappés, ici qu'ils sont absous, et de celte manière, je vois avec douleur que j'ai perdu tout ce que je me réjouissais d'avoir gagné ailleurs. » Après avoir dit ces mots, il disparut *.

" Thierry d'ApoIda, c. xv.

SAINT DOMINIQUE 369

«

Enfin le terme de son pèlerinage approchant, Do- ^^^inique, qui était à Bologne, commença à tomber en ^nçueur et en grande faiblesse; la dissolution de son Orps lui fut montrée dans une vision : Un jeune oncime d'une grande beauté lui apparut, et Tappela I disant : « Viens, mon bien-aimé, viens à la joie, îrms*. » Alors il fit venir douze des frères du cou.- r^ 1 de Bologne, et pour ne pas les laisser déshérités rphelins, il fit son testament en ces mots : « Voici ue je vous laisse comme à mes enfants, afin que s le possédiez à titre héréditaire : Ayez la charité, ^ez l'humilité, et possédez la pauvreté volon- €**. » Mais ce qu'il défendit le plus expressément il put, c'est que personne ne fît jamais entrer dans ordre des biens temporels, menaçant de la malé- ^^lion du Dieu tout-puissant et de la sienne celui qui ^ enterait de salir l'ordre des Prêcheurs, de la pous- ^re des richesses terrestres. Comme ses frères se ^sciaient de sa perte, il leur dit avec bonté pour les ^ïisoler : « Mes enfants, que ma mort corporelle ne ^Ous trouble pas; et soyez certains que je vous serai plus utile mort que vif. » Arriva ensuite son heure dernière et il s'endormit dans le Seigneur, Tan 1221. Le jour et l'heure de son trépas furent révélés, ainsi qu'il suit, à frère Guali, alors prieur des frères Prêcheurs de Brescia et par la suite évêque de la même ville. Il dormait d'un léger sommeil, la tête appuyée sur le clocher des frères, quand il vit le ciel ouvert et deux échelles blanches qui en descendaient sur la terre ;

* Barthélémy de Tronic, u^ 13. ** Humbert, n<> 53.

II.

370 LA LKGENDE DOREE

J.-C. avec la mère en tenait le haut, et les anges y montaient et descendaient en poussant des acclama- tions de joie. En bas entre les deux échelles était placé un siège sur lequel se trouvait assis un frère dont la tête était couverte d'un voile. Or, Jésus et sa mère tiraient les échelles en haut, jusqu'à ce que le frère eut été élevé au ciel dont l'ouverture fut alors refer- mée*. Le frère Guali étant venu de suite à Bolo- gne, apprit que c'était en ce jour et à cette heure-là même que le Père était trépassé. Un frère, nomm^ Raon qui restait à Tihur, était à l'autel pour célèbre^ la messe au jour et à l'heure du trépas du Père. Comm^ il avait appris que le saint était malade à Bologne,^ quand il fut arrivé à l'endroit du canon l'on a cou— ^ tume de faire mention des vivants, et qu'il voulait - prier pour sa guérison, il tomba tout à coup en extase, et il vit l'homme de Dieu Dominique ceint d'une cou- ronne d'or, et tout resplendissant de lumière ; deux personnages vénérables l'accompagnaient sur la route royale hors de Bologne. Il prit note du jour et de l'heure et il trouva que c'était alors que le serviteur de Dieu Dominique était mort. Son corps étant resté sous terre pendant un long espace de temps, et les miracles qui s'opéraient à chaque instant devenant de plus en plus nombreux, sa sainteté était devenue évidente ; alors la piété des fidèles les porta à Iransporler son corps dans un lieu plus élevé. Quand, après avoir brisé le mortier avec des instruments de fer, on eut soulevé la pierre, et ouvert le monument, il s'en échappa une

* AiHonr do sa vio.

SAINT DOMINIQUE 371

^eur tellement suave que c'était à croire qu'on n'avait

pas ouvert un tombeau, mais une chambre pleine

d'aromates*. Et cette odeur qui l'emportait sur celle

^^ tous les parfums ne semblait avoir rien de pareil

^^ns la nature : ce n'était pas seulement aux ossements

^^ à la poussière de ce saint corps qu'elle était inhé-

''^nte, ou même à la châsse, mais encore à la terre

d alentour, de sorte que transportée dans des pays

^'^igiiés elle gardait son parfum pendant longtemps.

*-^5$ mains des frères qui avaient touché quelque chose

Qe^ reliques, se trouvèrent tellement embaumées qu'on

^^'^îlbeau les laver et les frotter, elles conservèrent

^'^ftjlemps cette ppeuve de bonne odeur.

tians la province de Hongrie, un homme de noble

Ce vint avec sa femme et son fils encore tout jeune

P^^^tar visiter les reliques de saint Dominique qu'on avait

Si Ion ; mais ce fils y tomba malade et mourut. Alors

*^ père porta son corps devant l'autel de saint Domi-

^^*^i.ie et se mit à se lamenter et à dire : « Bienhcu-

ï'^\i>c Dominique, je suis venu vers vous plein de joie

^^ je m'en retourne plein de tristesse ; je suis venu

^'^'ec mon fils et j'en suis privé pour m'en aller ; ren-

d^z-moi, je vousen prie, rendez-moi mon fils ; rendez-

^'^oi la joie de mon cœur. » Et voici que vers le milieu

d^ la nuit, l'enfant ressuscita et se promena par l'é-

îÇiise. Un jeune homme au service d'une dame iio-

We s'occupait à pécher dans la rivière; il tomba dans

\eau, y fut suffoqué et disparut. Ce fut longtemps

Siprès que son corps fut retiré du fond de la rivière.

* Jourdain de Saxe.

372 LA LÉGENDE DOREE

Sa maîtresse invoqua saint Dominique pour qu'il fût ressuscité, et promit d'aller pieds nus à ses reliques et de rendre la liberté à cet esclave s'il ressuscitait. A l'instant ce jeune homme, qui était mort, fut rendu à la vie et se leva au milieu de tout le monde qui se trouvait présent. Sa maîtresse accomplit son vœu ainsi qu'elle l'avait promis. Dans cette même province de Hongrie, un homme versait des larmes amères sur le cadavre de son fils, et priait saint Dominique pourob- tenir sa résurrection. Environ au moment les coqs chantent, cehii qui avait été mort ouvrit les yeux et dit à son père : « Comment se fait-il, mon père, que j'aie la fi«;ure ainsi mouillée ? » « Ce sont, lui répondit-il, les larmes de ton père, car tu étais mort et j'étais resté seul privé de toute joie. » Son fils lui dit : « Vous avez beaucoup pIeuré,mon père, mais saint Dominique, com- patissant à votre désolation, a obtenu par ses mérites (jue je vous sois rendu vivant. » Un homme, lan- îj^uissant cl aveugle depuis dix-huit ans,avaitle désir de visiter les rcli([ues de saint Domini(|ue ; il essaya de sor- tir (le son lit, se leva, et ressentit venir en lui subitement une force assez y^rande pour se mettre à marcher à pas pressés; sa faibIess(Mie corps et sa cécité diminuaient à mesure qu'il faisait chaque jour du chemin, jusqu'à ce (ju'enfin, parverni au lieu ([u'il avait prispour but, il rerut le bienfait d'uut» double e;'uérison complète. En la même [)r()viure de Hongrie, une dame qui avait riuleution (le faire célébrer une messe en Thon- iieur d(» saint Dominique ne trouva pas de prêtre à l'heure qu'elle voulait ; alors elle eiiveloppa dans un linge |)ro|)re les trois chandelles qu'elle avait destinées

SAINT DOmNIQUE 373

pour la messe et les serra dans un vase ; elle s'en alla pour un instant et en revenant un moment, après elle vit les chandelles brûler à grandes flammes. Tout le monde accourut pour voir ce spectacle étrange, et resta tremblant et priant jusqu'au moment les chandel- les furent entièrement brillées sans que le linge soit endommagé.

A Bologne, un écolier nommé Nicolas souffrait d'une telle douleur aux reins et aux genoux qu'il ne pouvait se lever de son lit ; sa cuisse gauche s'était desséchée au point qu'il n'y avait plus pour lui aucun espoir de guérison. Se vouant à Dieu et à saint Domi- nique, il se mesura de toute sa longueur avec un fil dont on devait faire une chandelle ; après quoi il se mit à se ceindre le corps, le cou et la poitrine. Au moment il entourait son genou du fil, comme il invoquait, à chaque fois qu'il faisait un tour, le nom de Jésus et de saint Dominique, aussitôt il se sentit soulagé et s'é- cria : « Je suis délivré. » Il se lève en pleurant de joie et vient sans l'aide de personne à l'église reposait le corps de saint Dominique. Dans la même ville de Bologne, Dieu opéra un nombre infini de miracles par son serviteur. En la ville d'Augusta en Sicile, une jeune fille, qui avait la pierre, devait être taillée. La mère, à raison du péril que courait son enfant, la re- commanda à Dieu et à saint Dominique. La nuit sui- vante saint Dominique apparut à la jeune fille pendant son sommeil, lui mit dans la main la pierre qui la fai- sait souffrir. La jeune fille, à son réveil, se trouvant guérie, donna cette pierre à sa mère et lui raconta la vision qu'elle avait eue; la mère prit alors la pierre et n. 24-

374 LA LRGENDR DORÉE

la porta au couvent des frères elle la suspendit de- vant l'image de saint Dominique, en mémoire d'un si grand miracle. Dans la ville d'Augusta, des dames qui avaient assisté, en Téglise des frères, à la messe so- lennelle le jour de la fête de la translation de saint Dominique, virent en revenant chez elles une femme occupée à filer devant la porte de sa maison ; elles se mirent à la tancer de ce qu'elle n*avaitpas interrompu son travail au jour de la fête de ce grand saint. Cette femme indignée leur répondit: « Vous qui êtes les bi- gotes * des frères, faites la fête de votre saint. » A l'instant ses yeux s'enflèrent, et il en sortit de la pour- riture et des vers ; de sorte qu'une de ses voisines en compta dix-huit qu'elle lui ôta. Alors remplie de com- ponction elle vint à Téglise des frères, y confessa ses péchés et fit vœu de ne jamais parler mal de saint Dominique et de célébrer sa fête avec dévotion. A l'instant elle récupéra sa première santé.

Une religieuse nommé Marie, au monastère de la Magdeleine, à Tripoli, souffrait des douleurs cuisantes. Ayant reçu un coup à la jambe, elle était tourmentée affreusement depuis cinq mois ; on attendait à chaque instant l'heure de son trépas. Elle se recueillit en elle- même et fit cette prière : « Mon Seigneur, je ne suis digne ni de vous prier, ni d'être exaucée ; mais je prie mon seigneur saint Dominique d'être médiateur entre vous et moi, et de m'obtenir le bienfait de la santé. » Or, comme elle priait longtemps en répandant des lar-

* Le texte porte BisotœcX Brixotœ, mot qui ne se trouve dans aucun diclionnaire.

SAïNT DOMINIQUE 375

>^es, elle tomba en extase et vit saint Dominique en- trer avec deux frères, soulever le rideau qui était devant son lit, et lui dire : « Pourquoi désirez-vous tant d'être guérie? » « Seigneur, répondit-elle, c'est afin de pouvoir mieux servir Dieu. » Alors saint Dominique *'*i^ de dessous sa chape un onguent d'une admira- ble odeur avec lequel il fit des onctions à sa jambe et elle fut guérie à l'instant ; puis il lui dit : « Cette onc- ^>on est bien précieuse, douce, et difficile. » Et comme ^ette femme lui demandait de lui expliquer le sens de ^^s paroles ; il répondit : « Cette onction est le signe ^^ 'amour, qui est précieux, parce qu'on ne peut l'a- cneler avec de l'argent, et parce que de tous les dons "^ ûieu il n'y en a point de préférable à son amour ; ^"^ est douce, car il n'y a rien de plus doux que la charité ; elle est difficile parce qu'elle se perd vite si ^^ ne la conser\'e avec précaution. » Cette nuit-là même, ^* apparut à sa sœur qui reposait au dortoir et lui dit : ^^ J'ai guéri ta sœur. » Celle-ci accourut et trouva sa ^ur guérie.Or, comme Marie sentait qu'elle avait reçu ^neonction réelle, elle l'essuya très respectueusement avec de la soie. Quand elle eut raconté tout à Tabbesse etàson confesseur et qu'elle leur eut montré l'onction qui était sur la soie elles furent frappées de sentir une odeur si grande et si nouvelle pour eux qu'ils ne pou- vaient la comparer à aucun parfum ; et ils conservè- rent cette onction avec le plus grand esprit. Pour prou ver combien est agréable à Dieu l'endroit repose le très saint corps du bienheureux Domini([uc, il suf- fira de choisir ici, entre mille, un miracle qui s'y opéra.

376 LA LÉGENDE DUREE

Maître Alexandre, évêque de Vendôme *, rapporte dans ses Apostilles sur ces paroles : Misericordia et ve* ritas obviavevunt sibi (Ps. lxxxiv) qu'un écolier de Bo- logne, adonné aux vanités du siècle, eut la vision sui- vante : Il lui semblait être dans un vaste champ, et une tempête extraordinaire allait fondre sur lui. Il se mit à fuir pour Téviter et arriva à une maison qu'il trouva fermée. Il frappa à la porte en priant qu'on lui ouvrît. La personne qui habitait la maison lui répon- dit : <( Je suis la justice ; c'est ici que j'habite, cette maison est à moi ; or, parce que tu n'es pas juste, tu ne peux y habiter. » En entendant ces paroles, il se retira tout triste, et voyant plus loin une autre maison, il y vint, et frappa en demandant qu'on l'y reçût. Mais la personne qui restait à l'intérieur lui répondit: « Je suis la vérité ; c'est ici que j'habite ; cette maison est à moi ; mais je ne te donnerai pas l'hospitalité, parce que la vérité ne préserve pas celui (pii ne l'aime pas. » Alors il s'éloigna et vil une troisième maison plus loin. Quand il y arriva, il supplia comme aupara- vant qu'on l'y mît à l'abri delà tempête. La maîtresse qui était à Tintéricur lui répondit: « Je suis la paix et j'habite ici ; or, il n'y a pas de paix pour les impies, mais pour les hommes de bonne volonté. Cependant comme ni-^s pensées sont des pensées de paix et non (rafUiction, je te donnerai un avis salutaire. Plus loin habite ma sœur ; elle secourt toujours les misérables ; va la trouver et fais ce qu'elle te dira. » Quand il y fut

' Il y a une variante dans le texte; l'une porte Vindonicensis et l'autre Vîndoniensis.

SAINT SIXTE, PAPE 377

arrivé, celle qui était à Tiiitérieur lui répondit : « Je suis la miséricorde, c'est ici ma maison. Si donc tu désires être à Tabri contre la tempête qui te menace, va à la maison qu'habitent les frères prêcheurs, tu y trou- veras retable de la pénitence, la crèche de la conti- nence, rherbede la doctrine, Tâne de la simplicité avec le bœuf de la discrétion, Marie qui t'éclairera, Joseph qui te parfera, et l'enfant Jésus qui te sauvera. » A son réveil l'écolier vint à la maison des frères, et ra- conta l'ensemble de sa vision; ensuite il prit et reçut riiabit de Tordre *.

SAINT SIXTE, PAPE

Sixte vient de Sion qui veut dire Dieu, et de status, étal ; comme on dirait état de Dieu. Ou bien sixtus vient de sisto, assis; fixe, ferme dans la foi, dans son martyre et ses bonnes tJBuvres**.

Le pape Sixte était d'Athènes; d*abord il fut phi- losophe, et dans la suite disciplcde J.-G. Elu souverain Pontife, il fut traduit devant Dèce et ValéritMi avec ses deux diacres Félicissime et Agapil. Gomme Dèce ne pouvait le faire céder par aucune considération, il le fit conduire au temple de Mars, afin de l'y forcer à sacrifier, sinon il serait enfermé dans la prison Mamertine. Or, il refusa, et comme on le menait en prison, le bien- heureux Laurent le suivait et lui disait: « allez-

* Cîéranl de Trachel, I. I, c. m. •• Bréviaire romain .

378 LA LÉGENDE DOREE

VOUS sans votre fils, mon père? saint prêtre, allez- vous sans votre ministre? » Sixte lui répondit : « Je ne te quitte pas, mon fils, je ne t'abandonne pas :mais tu es réservé à de plus g^rands supplices pour la foi de J.-C. Dans trois jours tu me suivras; le lévite suivra le prêtre. D'ici prends les trésors de l'Eglise et par- tage-les à qui tu le jugeras à propos. » Quand il les eut distribués aux chrétiens pauvres, le préfet Valérien donna l'ordre de mener Sixte sacrifier au temple de Mars : s'il refusait, il devait avoir la tête tranchée. Pendant qu'on l'y conduisait, le bienheureux Laurent, qui était derrière lui se mit à crier et à dire : « Soyez assez bon, lui dit-il, pour ne pas m'abandonner, père saint, parce que j'ai déjà dépensé les trésors que vous m'avez confiés. Alors les soldats, entendant parler de trésors, se saisirent de Laurent, et tranchèrent la tête à saint Sixte ainsi qu'à Félicissime et à Agapit.

C'est aujourd'hui la fête de la Transfiguration du Seigneur. Dans certaines églises on consacre le sang de J.-G. avec du vin nouveau, si on peut en faire et en trouver ; ou du moins on exprime, dans le calice, un peu de jus d'une grappe de raisin mûr. En ce jour encore, on bénit des grappes de raisin et le peuple eu prend (comme du pain bénit*). La raison en est que Xolrc-Seigneur dit à ses disciples le jour qu'il fît la (lène : « Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu'à ce jour je le boirai de nouveau avec vous dans le rovaumc de mon père. » (Matt., xxvi) Or, celte Transdguration, et ces mots vin nouveau, que

•"(^'osl une (li's siu^aiticdlious liluri^ujues iIl» commun ico.

SAINT DOWAT 379

J.-(i. prononça, rappellent le glorieux renouvellement qui s'opéra dans le Sauveur après sa résurrection. C'est pour cela qu'en ce jour de la Transfiguration qui re- présente la résurrection, on se sert de vin nouveau : mais ce n'est pas parce que, selon quelques auteurs, la Transfiguration eut lieu en ce jour, mais bien parce que ce fut en ce jour que les Apôtres en donnèrent connaissance. Car la Transfiguration eut lieu, dit-on, vers le commencement du printemps; et ce fut par respect pour la défense que les apôtres reçurent de la publier, qu'ils la cachèrent si longtemps et qu'ils la rendirent publique à pareil jour. C'est ce qu'on lit dans le livre intitulé : Jtf//ra/^ * (Lib. IX, c. xxxviii).

SAINT DOXAT**

Donat, vient de de Dieu, et cela par régénération, par infusion de grâce et par glorification ; celle-ci est triple, par (génération, par esprit, et par Dieu. Car quand les saints meurent, on dit qu'ils naissent; c'est pour cela que leur trépas n'a pas le nom de mort, mais de natalice. En effet l'enfant aspire à naître afin de recevoir plus d'espace pour sa demeure une nourriture plus substantielle pour le manger, un air plus spacieux pour respirer, et de la lumière pour voir. Les saints, par leur mort, sortent des entrailles de l'Eglise, re- çoivent ces quatre avantages à leur manière : c'est pour cela

* Cet ouvrage a été publié par M. le comte de l'Escalopier dans la Patrologie de Miiçne. Il est de Sicardî, évocjue de Cré- mone.

Saint Grégoire de Tours ; Sozomcne ; Bréviaire Romain,

380 LA LÉGENDE DOREE

qu*on dît qu'ils naissent. Ou bien il est appel<^ Donat, ce qui signitierait donne par don de Dieu.

Douai fut élevé et nourri avec Tempereur Julien, jusqu'au moment il fut ordonné sous-diacre : maïs quand Julien fut élevé à l'empire, il tua le père et la mère de saint Donat. Alors Donat s'enfuit dans la ville d'Arezzo, il demeura avec le moine Hilaire et fit beaucoup de miracles : carie préfetde la ville ayant son fils démoniaque, il l'amena à Donat et l'esprit immonde se mit à crier et à dire : « Au nom du Sei- gneur J.-C, ne me tourmente pas pour que je sorte de ma maison, ô Donat; pourquoi me forces-tu par des tourments de sortir d'ici? » Mais saint Donat fit une prière et l'enfant fut délivré aussitôt. Un homme nommé Eustache, receveur du fisc en Toscane, laissa une somme d'argent qui appartenait au trésor public, à la garde de sa femme nommée Euphrosine. Comme la {)rovince était ravagée par les ennemis, cette femme cacha l'argent; mais prévenue par une maladie, elle mourut. Le mari, à son retour, n'ayant pas trouvé son dépôt, était sur le point d'être traîné au supplice avec ses enfaiils; il eut alors recours à saint Donat. Or, celui-ci alla an tonihean de la femme avec le mari, et après avoir fait une prière, il dit à intelligible voix: « Euphrosine, je t'adjure par le Saint-Esprit de nous (lin* on tu as déposé telle somme d'argent. » Et une voix sortant du sépulcre dit: (( A l'entrée de ma maison, c'est que je Tai enterrée. » On y alla et on l'y trouva coninie elle avait dit. Ouelques jours après, l'évèque Satire s'endormit dans le Seit^neur et tout le clergé élut Donat pour lui succéder. Saint Grégoire

SAINT DONAT 381

rapporte *, qu'un jour, après la célébration de la messe, le peuple recevant la communion, et le diacre présentant la coupe était le sang de J.-C, les païens se ruèrent dans l'église, renversèrent le diacre qui brisa le saint calice. Comme il en était fort affli- gé ainsi que tout le peuple, Donat recueillit les frag- ments du calice, et ayant fait une prière, il le rétablit dans sa forme première. Mais le diable en cacha un morceau qui manqua au calice, c'est toutefois un témoi- gnage du miracle. Les païens, à cette vue, se con- vertirent et furent baptisés au nombre de quatre- vingts. Il y avait une fontaine tellement infectée que quiconque en buvait, mourait aussitôt. Or, comme saint Donat allait, monté sur son âne, rendre cette eau saine par ses prières, un dragon terrible s'élança de l'eau, enroula sa queue autour des pieds de l'âne el se dressa aussitôt contre Donat. Le saint le frappa avec un fouet, ou, selon qu'on le lit autre part, lui cracha dans la gueule ; ce qui le tua à l'instant: ensuite il fit une prière et détruisit tout le venin de la fon- taine**. Un jour que Donat et ses compagnons étaient pressés par la soif, il fifjaillir une autre fontaine, à l'endroit ils se trouvaient.

La fille de l'empereur Théodose était tourmentée par le démon, et on l'amena à saint Donat : « Sors, lui dit-il, esprit immonde, et cesse d'habiter dans une créature de Dieu. » Le démon lui répondit : «Donne- moi un passage par sortir et un endroit je

Dialogues, 1. I, c. vu.

Sozomèae, ffist. trip.^ I. IX, c. xlvi,

^382 LA LÉGENDE DOREE

puisse aller. » Doiiat lui dit : « D'où es-tu venu ici?» « Du désert, répondit le démon. » « Retournes-y, reprit le saint. » Alors le démon lui dit : « Je vois sur toi le signe de la croix d'où sort un feu contre moi, et j*ai si peur que je ne sais aller. Mais laisse-moi sortir et je sors. » Donat lui dit: a Voici un passag-e, retourne dans le lieu qui t'appartient. » Et il sortit en ébranlant toute la maison. On portait un mort en terre, quand arriva quelqu'un avec un billet, attes- tant que le mort lui devait 200 sols; et il ne permet- tait pas qu'on l'ensevelisse. La veuve éplorée vint informer saint Donat de ce qui se passait, en ajoutant que cet homme avait été payé intégralement. Alors saint Donat se leva pour venir au cercueil, et touchant la main du mort, il lui dit : « Ecoute-moi. » Le défunt répondit : « Me voici. » Alors saint Donat lui dit : « Lève-toi, et vois ce que tu as à faire avec cet homme, qui s'oppose à ce qu'on t'ensevelisse. » Alors le mort se mit sur son séant, et en présence de tous les assis- tants, il convainquit cet homme qu'il lui avait payé sa dette ; puis prenant le billet avec la main, il le déchira. Ensuite il dit à saint Donat : « Laissez-moi, mon père, dormir de nouveau. » Saint Donat lui répondit : « Va maintenant te reposer, mon fils. » Vers le même temps, il y avait trois ans qu'il n'avait plu, et la stérilité était grande ; alors les infidèles vin- rent trouver l'empereur Théodose et lui demandèrent (le leur livrer Donat, (jui, par ses sortilèges, était l'au- teur du mal. Sur les instances de Tempereur, Donat étant sorti de sa maison, se mit en prières et le Sei- neur envoya une [)luie abondante, et il rentra chez

SAINT CYRÎAQUE ET SES COMPAGNONS 383

lui sans recevoir une goutte de pluie, tandis que tous les autres avaient leurs habits trempés. A cette époque, les Goths ravageaient l'Italie et beaucoup abandonnaient la foi de J.-C. Evadracien, gouverneur, fut repris de son apostasie par saint Donat et Hyla- rin ; il les condamna à immoler à Jupiter. Mais s'étant refusés à le faire, le gouverneur fit dépouiller Hylarin et ordonna qu'on le fouettât jusqu'à ce qu'il eût rendu Tesprit. Pour Donat, il le fit mettre en prison et déca- piter ensuite, vers l'an du Seigneur 380*.

SAINT CYRIAQUE ET SES COMPAGNONS ♦♦

Cyriaque, ordonné diacre par le pape Marcel, fut pris et amené devant Maximien qui le condamna, avec ses compagnons, à creuser la terre et à la porter sur leurs épaules en un lieu on construisait les Ther- mes ; se trouvait le saint vieillard Saturnin, que Cyriaque et Sésumius aidaient à porter la terre. Enfin le gouverneur fit amener devant lui Cyriaque, qui avait été jeté au cachot. Au moment Apronianus le faisait sortir, tout à coup une voix, suivie d'une lumière, vint du ciel et dit : « V^enez, les bénis de mon père, posséder le royaume qui vous a été préparé depuis le commencement du monde. » (Matt., xxv.)

* Bréviaire romain .

384 LA LiCBNDB DOrAb

Alors Apronien crut, se fit baptiser et vint confemer J.-G. devant le §^oaveraeiir. Celui-ci lui dit : « Esl^-oe que tu as été fait chrétien ? » Apronien réponifil :. «r Malheur à moi, parce que j'ai pardu mes jours 1 » Le gouverneur reprit : « Vraimàit oui, tu pwdras tes jours. » Et il Tenvoya décapiter. Pour S^lomin et ^simius qui ne voulaient pas sacrifier, on Usar fit subir différents supplices, enfin ils forint décapilés* Or, la fille de Dioclétien, nommée Arthànîe, était tourmentée par le démon * qui criait en elle : « Je ne sortirai pas à moins que le diacre Cyrîaque ne idenne. » On lui amena donc Cyriaque, qui après avoir donné ses ordres au démon, en reçut cette i^pcMoise : « Si tu veux que je sorte, donne-moi un vase dans hqaxA je me mette. » Cyriaque répondit : cr Voici mon corps, si tu peux, entres-y. » Le démon lui dit : c Je ne puis entrer dans ce vase, parce que il est scdlé et dos; m^is si tu me chasses, je te ferai venir âms ïa Baby* lonie. » Et quand il eut été contraint de sortir, Arthémie s'écria qu'elle voyait le Dieu que Cyrîaque prêchait. Alors Cyriaque baptisa Arthémie. Comme il vivait tranquille dans une maison qu'il tenait de la générosité de Dioclétien et de son épouse Sérène, un ambassadeur vint demander, au nom du roi des Per- ses, à Dioclétien de lui envoyer Cyriaque, parce que sa fille était tourmentée par le démon**. Or, à la prière de Dioclétien, Cyriaque s^embarqua avec Largue et Samaraque sur un navire qui avait été pourvu du

Bréviaire romain, ♦♦ /bid.

\

SAINT CYRIA^UE ET SES COMPAGNONS 383

nécessaire, et alla avec joie dans la Babylonie. Quand il fut arrivé auprès de la jeune fille, le démon lui cria par la bouche de cette personne : « Es-tu fatigué, Cyriaque? » Cyriaque lui répondit : « Je ne suis point fatiji^é, mais je me laisse mener en tout lieu par la droite de Dieu. » Le démon dit : « Enfin, pour moi, je Fai amené j'ai voulu. » Alors Cyriaque dit au démon : « Jésus te commande de sortir. » Le démon sortit à rinstant et dit : « Oh! nom terrible, qui me force de sortir! » Alors la jeune fille, guérie, fut bap- tisée avec son père, sa mère et beaucoup d'autres. Comme on offrait de nombreux présents à Cyriaque, il ne les voulut pas accepter ; mais après être resté en ce lieu quarante-cinq jours, jeilnant au pain et à l'eau, il revint enfin à Rome. Deux mois après mou- rut Dioclétien, auquel succéda Maximien, lequel, irrité contre sa sœur Arthémie, fit saisir Cyriaque, qui fut lié tout nu avec des chaînes, et traîné au devant de son char. (Ce Maximien peut être appelé le fils de Dioclétien, en tant qu'il fut son successeur et qu'il épousa sa fille nommée Valériane). Il ordonna à Car- pasius, son vicaire, de forcer le saint à sacrifier, ou de le faire mourir dans les supplices. Carpasius, après lui avoir fait verser de la poix sur la tête, le fit sus- pendre au chevalet, ensuite il ordonna qu'on lui tran- chât la tête ainsi qu'à tous ses compagnons. Après quoi, Carpasius obtint la maison de Cyriaque, et comme, par mépris pour les chrétiens, il se baignait dans le lieu ce saint administrait le baptême, et qu'il y donnait un grand festin à dix-neuf de ses amis, ils moururent tous subitement . Depuis ce moment u. i5

/

3S6 LA LiaEUDtt DoaiB

on ferma ces bains et les gentils commenoèreo^ k craindre et i vénérer les chrétiens.

SAINT LAURENT, MARTYR

Lauréat viendrait de tenant un lanri^. Ceat lia ariNre atae les Jiranches duquel on tressait autrefois dea eouronaes doaA on eeignait les vainqueurs. Il c»t remblème de la ▼ietoite; Ur réjouit la vue par sa verdeur constante ; il répand une ûéimt: agréable, et possède beaucoup de propriétés. Or, saint LmtcéI est ainsi nommé de laurier, parce qu'il remporta la viêla&Ri dans son martyre ; ce qui força Dèce à avouer avec eoalamMi: « Je pense que nous voici vaincus *. »

Il posséda la verdeur dans la netteté et la pureté de son corps ; ce qui lui a fait dire: « Ma nuit n'a plusriead*ebsear, etc. » Il eut l'odeur parce que sa mémoire sera lamelle: de ces mots du Psaume m qui lui ont été appliqués : « Il a répanda des biens sur les pauvres ; sa justice demeurera dans Ions les siècles. » Saint Maxime dit : « Comment sa justiee n'aaraîtr elle pas de durée, ses œuvres étaient animées par celte verta qui lui a fait consommer son martyre. » Sa prédication fut efficace, puisqu'il convainquit Lucille, Hippolyte et Romain. Le laurier a la propriété de guérir de la pierre qu'il écrase, de remédier à la surdité, et de détourner la foudre. De même saint Laurent brise les cœurs endurcis, rend l'ouïe spirituelle, et protège contre la foudre des sentences de la réprobation **,

Laurent, martyr et diacre, Espagnol de nation, fut amené à Rome par saint Sixte. Car ainsi que le dit

*ll existe un poème sur saint Laurent dont tous les mots commencent par L.

** La vie de saint Laurent est tirée des actes anciens et repro- duits dans sou office au Bréviaire romain.

SAINT LAURENT, MARTYR 387

M* Jean Beleth*, Sixte, dans un voyage en Espaçne, rencontra deux jeunes gens, Laurent et Vincent, son cousin, distingués par leur honnêteté et remarquables dans toute leur conduite : il les amena à Rome avec lui. L'un d'eux, c'était Laurent, demeura à Rome auprès de sa personne, et Vincent retourna en Espagne il termina sa vie par un glorieux martyre. Mais cette opinion de M* Jean Beleth a contre elle le temps du martyre de ces deux saints ; car Laurent souffrit sous Dèce et Vincent, qui était jeune, sous Dioclétien et Dacien. Or, entre Dèce et Dioclétien, il s'écoula environ 40 ans et il y eut entre eux sept empereurs, en sorte que saint Vincent n'aurait pu être jeune. Saint Sixte ordonna Laurent son archidiacre. En c(; temps- là, l'empereur Philippe et son fils, qui portaient le même nom, avaient reçu la foi et après être devenus chrétiens, ils s'efforçaient de donner beaucoup d'im- portance à l'Eglise. Ce Philippe fut le premier em- pereur qui reçut la foi de J.-C. ; ce fut, dit-on, Origène qui le convertît, quoiqu'on lise ailleurs que ce fut saint Pontius. 11 régna l'an mille de la fondation de Rome, afin que cette millième année filt consacrée à J.-C. plutôt qu'aux idoles. Or, les Romains célébrèrent cet anniversaire avec un grand appareil de jeux et de spectacles. L'empereur Philippe avait auprès de sa personne un soldat nommé Dèce qui était courageux et renommé dans les combats. Vers cette époque, la Gaule s'étant révoltée, l'empereur y envoya Dèce afin de soumettre à la domination roniaine les Gaulois

* C. CXLV.

1)88 LA LÉGENDE DORER

rebelles. Dèce mena tout à bien et revint à Rome après avoir remporté la victoire au gré de ses désirs. L'em- pereur apprenant son arrivée voulut lui rendre de grands honneurs et alla au-devant de lui jusqu'à Vé- rone. Mais comme l'esprit des méchants s'enfle d'un orgueil d'autant plus grand qu'ils se sentent honorés davantage, Dèce exalté par l'ambition en vint jusqu'à aspirer à l'empire et à comploter la mort de son mettre. Il choisit le moment l'empereur reposait sous son pavillon pour y entrer en cachette et l'égorger pendant qu'il dormait. Quant à l'armée venue avec l'empereur, il se l'attacha par ses prières, par l'aident, par des largesses et par des promesses, et alors il se hâta d'aller à la capitale de l'empire à marches forcées. A celte nouvelle, Philippe le jeune fut saisi de craintes, et au rapport de Sicard dans sa chronique, il confia les trésors entiers de son père et les siens à saint Sixte et à saint Laurent, afin que, s'il venait à être tué lui- même par Dèce, ils donnassent ces trésors aux églises et aux pauvres. N'allez pas vous étonner si les trésors distribués par saint Laurent ne sont pas appelés les trésors de IVmpereur, mais bien ceux de l'Eglise, car il put se faire cju'avec ces (résors de l'empereur Phi- lippe, il eiU distribué en même temps quelques trésors appartenant à rÉglise : ou bien encore, on peut les apj)(*ler les trésors de l'Eglise, parce que Philippe les avait laissés à l'Eglise pour qu'ils fussent partagés entre les pauvres, quoique Ton doute avec certaine raison (|iie ce fut Sixte (|ui existât alors, comme il sera <lit plus bas. Ensuite Philippe s'enfuit et, pour ne point lonibei* entre les mains Ac Dèce, à son retour, il se

S

SAINT LAURENT, MARTYR 389

cacha. Le Sénat alla donc au-devant de Dèce et le con-

Krma dans la possession de l'empire. Or, afin de paraître

avoir tué son mattre non par trahison, mais par zèle

pour le culte des idoles, il commença à persécuter les

chrétiens avec la plus affreuse cruauté, donnant Tordre

de les égorger sans aucune miséricorde. Dans cette

persécution périrent plusieurs milliers de martyrs,

parmi lesquels futcouronné Philippe le jeune. Ensuite,

Dèce se mit à la recherche du trésor de son maître.

Sixte lui fut présenté comme adorant J.-C. et comme

possédant les trésors de Tempereur. Or, saint Laurent

qui le suivait par derrière lui criait: « allez-vous,

sans votre fils, ô mon père ? saint prêtre, allez-vous

sans votre diacre? Jamais vous n'aviez coutume d'oftnr

le sacrifice sans ministre. Qu'y a-t-il en moi qui ait pu

déplaire à votre cœur de père ? Avez-vous des preuves

que j'aie dégénéré ? Éprouvez de grâce, si vous avez

fait choix d'un assistant capable, quand vous m'avez

confié le soin de distribuer le sang du Seigneur. » Ce

n'est pas moi qui te quitte mon fils, ni qui t^abandonne,

reprit le saint Pontife ; mais de plus grands combats

pour la foi de J.-C, te sont réservés. Pour nous, en

quaUté de vieillard, nous n'avons à affronter que de

faibles dangers, toi qui es jeune, tu remporteras sur

le tyran un plus glorieux triomphe. Dans trois jours,

tu me suivras, c'est la distance qui doit séparer le

prêtre et le lévite. Et il lui remit tous les trésors, en

lui ordonnant d'en faire la distribution aux églises et

aux pauvres. Le bienheureux Laurent se mit donc

nuit et jour à la recherche des chrétiens et donna

à chacun selon ses besoins. Il vint à la maison d'une

r

3DU LA LtGENDE DOREE

veuve qui avait caché uu grand uombre de chrétiens chez elle : depuis longtemps elle souffrait de maux de tète. Saint Laurent lui imposa les mains et elle fut guérie de sa douleur ; ensuite il lava les pieds des pauvres et leur donna l'aumône. La même nuit, il vint chez un chrétien et y rencontra un homme aveugle ; par un signe de croix, il lui rendit la vue.

Or, comme le bienheureux Sixte ne voulait pas entrer dans les vues de Fempereur, ni sacrifier aux idoles, il fut condamné à avoir la télc tranchée. Accourut alors saint Laurent qui se mit à crier à saint Sixte : « Veuillez ne pas m'abandonner, père saint, parce que déjà j'ai dépensé vos trésors que vous m'aviez confiés. » Alors les soldats, en entendant parler de trésors, se saisirent de Laurent et le livrèrent entre les mains du tribun Parthénius. Celui-ci le présenta à Dèce. Le césar Dèce lui dit : « sont les trésors de l'É- glise que nous savons avoir été déposés chez loi ? » Or, comme Laurent ne lui répondait pas, il le livra à Valérien qui était préfet, afin de le forcer à livrer les trésors et à sacrifier ensuite aux idoles, ou bien de le faire périr dans des supplices et des tourments divers. Valérien, de son colé, le mit entre les mains d'un offi- cier noninié Hippolyte afin qu'il le gardât : et Laurent fut enfermé en prison avec beaucoup d'autres. Il y avait sous les verrous un gentil nommé Lucillus qui, à force de pleurer, avait perdu la vue. Comme Laurent lui promettait de lui rendre l'usage de ses yeux, s'il croyait en .l.-C. et s'il recevait le baptême, cet homme demanda avec instance à être baptisé. Laurent prit donc de Peau cl lui <lit : « Tout est lavé

SAINT LAURENT, MARTYR 391

dans la confession. »Et quand Laurent l'eut interrogé avec précision sur les articles de foi et que Lucillùs eut confessé qu'il les croyait tous, il lui versa de Teau sur la tète et le baptisa au nom de J.-C. C'est pour cela que beaucoup d'aveugles venaient trouver Laurent et s'en retournaient guéris. Quand Hippolyte vit cela, il lui dit : « Montre-moi les trésors. » Laurent lui répondit : « O Hippolyte, pour peu que tu croies en Notre-Seigneur J.-C, je te montre des trésors et je le promets une vie éternelle. » Hippolyle lui dit: « Si lu fais ce que lu dis, je ferai aussi ce à quoi tu m'exhortes. » A la même heure, Hippolyte crut et reçut le saint baptême avec sa famille. Quand il fut baptisé il dit : « J'ai vu les âmes des innocents tressaillir de joie. » Peu après, Valérien donna ordre à Hippolyte de lui présenter Laurent. Celui-ci dit à Hippolyte : « Allons tous les deux ensemble, car la gloire nous est réservée à toi et à moi. » Ils viennent donc tous deux devant le tribunal, et l'on s'enquiert encore du trésor. Lau- rent demanda un délai de trois jours, ce à quoi Valé- rien consentit en le laissant sous la garde d'Hippolyte. Pendant ces trois jours, Laurent rassembla les pau- vres, les boiteux et les aveugles et les présentant dans le palais de Sallusle à Dèce: « Ce sont là, lui dit-il, les trésors éternels qui ne diminuent jamais, mais qui s'accroissent; ils sont répartis entre chacun et trouvés entre les mains de tous; et ce sont leurs mains qui ont porté les trésors dans le ciel. » Valérien dit devant Dèce qui était présent: « Pourquoi tous ces détours? Hâte-toi de ^sacrifier et renonce à la magie. » Laurent lui dit : « Quel est celui ([u'on doil adorer? Est-ce le

392 LA LÉGENDE DORI%E

créateur ou la créature? » Dèce irrité le fit frapper avec des fouets garnis de plomb, appelés scorpions, et on lui mit devant les yeux tous les genres de tortures. Comme l'empereur lui commandait de sacrifier afin qu'il échappât à ces tourments, Laurent répondit : « Malheureux ! ce sont des mets que j'ai toujours dé- sirés. » Dèce lui dit : « Si ce sont des mets, fais-moi connaître les profanes qui te ressemblent afin qu'ils partagent ce festin avec toi. » Laurent répondit : « Ils ont déjà donné leurs noms dan«; lescieux et c'est pour cela que tu n'es pas digne de les voir. » Alors par l'ordre de Dèce, il est dépouillé, battu de coups de fouets et des lames ardentes lui sont appliquées sur les côtés. « Seigneur J.-C., dit alors Laurent, Dieu de Dieu, ayez pitié de votre serviteur, puisque quand j'ai été accusé, je n'ai pas renié votre saint nom, quand j'ai été interrogé, je vous ai confessé comme mon Seigneur. » Et Dèce lui dit : « Je sais que c'est par les secrets de la magie que tu te joues des tour- ments, mais tu ne sauras te jouer longtemps de moi. JVii atteste les dieux et les déesses ; si tu ne sacrifies, tu périras dans des tourments sans nombre. » Alors il commanda qu'on le frappât très longtemps avec des fouets garnis de balles de plomb. Mais Laurent se mit a ])ri(»r en disant : « Seigneur Jésus, recevez mon esprit. )) Alors il se fit entendre une voix du ciel que Dèce ouït aussi : « Tu as encore bien des combats à soutenir. » Dèce rempli de fureur s'écria : « Romains, vous avez entendu les démons consolant ce sacrilège, qui n'adore pas nos dieux, ne craint pas les tour- ments et ne sV'jiouvaute pas delà colère des princes. »

V

SAINT LAURENT, MARTYR 393

II ordonna une seconde fois qu'on le battît avec des scorpions. Laurent se mit à sourire, remercia Dieu et pria pour les assistants. Au même instant, un sol- dat, nommé Romain, crut et dit à saint Laurent : « Je vois debout en face de toi un très beau jeune homme qui essuie tes membres avec un linge. Je t'en conjure, au nom de Dieu, ne me délaisses pas, mais hâte-toi de me baptiser. » Et Dèce dit à Valérien : « Je pense que nous voici vaincus par la magie. » Il ordonna donc de le détacher de la cathaste * à laquelle il était attaché et de le renfermer sous la garde d'Hippolyte. Alors Romain apporta un vase plein d'eau, se jeta aux pieds de saint Laurent et reçut de ses mains le saint baptême. Aussitôt que Dèce en fut informé, il fit battre de verges Romain qui, s'étant déclaré chrétien de plein gré, fut décapité par Tordre de l'empereur. Cette nuit-là, Laurent fut amené à Dèce. Or, comme Hippolyte pleurait et criait qu'il était chrétien, Lau- rent lui dit : « Cache plutôt J.-C. au-dedans de ton cœur, et quand j'aurai crié, prête l'oreille et viens. » On apporta donc des instruments de supplices de tous les genres. Alors Dèce dit à Laurent : « Ou tu vas sa- crifier aux dieux, ou cette nuit finira avec tes sup- plices. » Laurent lui répondit : « Ma nuit n'a pas

* La cathasta, d'après Kich, est tout simplement un s^ril de fer au-dessous duquel on meUait du feu pour torturer les cri- minels. Cet instrument était distingué du chevalet Ecuieus ci avait la forme d'une échelle d'après ce passasse de Salvien:

Lib. 111, De Gubernat. Dei : Ad rœlestfs regiœ januam nxreu'

fientes scalas ttibi quodam modo de ecuieis cafastisquc fecerunt. Iso Magister in Glossis catnstœ, genus tonnenti^ id eut, Iprli />'/■- rei.

â

394 LA LÉGENDE DOREE

d'obscurités, mais lout pour moi est plein de lumière. » El Dèce dit : « Qu'on apporte un lit de fer afin que l'opiniâtre Laurent s'y repose. » Les bourreaux se mirent donc en devoir de le dépouiller et retendirent sur un gril de fer sous lequel on mit des charbons ar- dents et ils foulaient le corps du martyr avec des four- ches de fer. Alors Laurent dit à Valérien : « Apprends, misérable, que tes charbons sont pour moi un rafraf- chissement, mais qu'ils seront pour toi un supplice dans l'éternité, parce que le Seigneur lui-même sait que quand j'ai été accusé, je ne l'ai pas renié; quand j'ai été interrogé, j'ai confessé J.-C. ; quand j'ai été rôti, j'ai rendu des actions de grâces. » Et il dit à Dèce d'un ton joyeux : « Voici, misérable, que tu as rôti un côté, retourne l'autre et mange. » Puis remer- ciant Dieu : « Je vous rends grâce, dit-il, Seigneur, parce que j'ai mérité d'entrer dans votre demeure. » C'est ainsi qu'il rendit l'espril. Dèce, tout confus, s'en alla avec Valérien au palais de Tibère, laissant le corps sur le feu. Le matin, HippolyteTenleva et, de concert aver lo pnHrc Justin, il rensev«»lit avec des aromates au champ Vrranus. Les chrétiens jeûnèrent, et pen- dant trois j(Hirs célébrèrent ses vi^^iles, au milieu des sani;h)ts e( en versant des torrents de larmes.

Esl-il certain (jut» saint Laurent ail souffert le mar- tyre sous cel empereur Dèce ? Le fait est douteux jM)ur beaucoup de monde, puisque dans les clironi- (|nes, on lit (|ue Sixte vécut longtemps avant Dèce. (Vcsl le sentiment d'Eutrope quand il dit : Dèce qui suscita nnt* persécution cruitre les chrétiens fil tuer <'ntre antres le hienluMireux lévite et martvr Laurent.

SAINT LAURENT, MARTYR 395

11 est rapporté dans une chronique assez aulhenlique que ce ne fut pas sous Tempereur Dèce, successeur de Philippe, mais sous un Dèce qui fut César, et non pas empereur, que saint Laurent souffrit le martyre. Car entre l'empereur Dèce et Dèce le jeune, sous lequel on dit que saint Laurent fut martyrisé, il y eut plusieurs empereurs ei plusieurs souverains pon- tifes intermédiaires. En effet, il est dit dans le même livre que après Gallus et Volusien son fils, successeur de Dèce à l'empire, régnèrent Valérien et Gallien, et que ces deux derniers créèrent César, Dèce le jeune, mais sans le faire empereur. Car anciennement les empereurs donnaient à quelques-uns la qualité de Césars, sans cependant les créer Augustes ou empe- reurs ; ainsi on lit dans les chroniques que Dioclétien fit César Maximien, et que, dans la suite, de César il le créa Auguste. Or, du temps de ces empereurs, c'est- à-dire de Valérien et de Gallien, c'était Sixte qui siégeait à Rome. Ce fut donc ce Dèce simple César, mais non pas empereur qui martyrisa saint Laurent. C'est pour cela que dans la légende de ce saint, Dèce n'eçt pas appelé empereur, mais Dèce-César seulement. Car l'empereur Dèce ne régna que deux ans, et nuir- lyrisa le pape saint Fabien. A Fabien succéda Cor- neille qui souffrit sous Volusien et Gallus. Après Corneille vint Lucien, et Lucien eut pour successeur Etienne qui souffrit sous Valérien et (îallien dont le règne dura quinze ans. A Etienne succéda Sixte. Ce qui précède est tiré de la chronique qui a été citée ci-dessus. Cependant toutes les chroniques, tant d'Eu- sèbe, que de Bède et d'Isidore s'accordent à dire <|uc

396 Ll iJbknde dukék

le pape Sixte ne vécut pas du temps ilc roiii|ii-rcaril Dèoe,'iiiaiB bien de tSllK^n. Mais uii lit encure dancl une autre dironiqae -({ue ce Uallien cul deux iioms*] qu'il fut appelé Gallieu et Dèce, et ce fui sous lui qoe ' souffrirent Sixte et Laurent, vers Tau du Seigneur 257. Geoffiroy avance aussi dans son livre intitulé Panthéon que Gallien se numma Dèce el que ce Fut^j sous lui que souffrirent saint Sixte et saint Laurtrntd Et si cet auteur est exact» es qu'avance Jean Beleltt'l pourrait être véritable. Saint Gh-^oire rapporte an livre de ses DiaUiguet qu'une reltgiaifle, aomnlée Sabine, conserva la continence sans pouvoir atodé- rer l'intempérance de n lanj^ue; BÛe.fiU entorée . dans r^ise de saint Laurent, devant l'autel du mar- tyr; mais une partie de son corps fut coupée par le démon et resta intacte, tandis que l'antre partie fat brûlée : ceci fut constaté le lendanain matin. Gré- goire de Tours rapporte * qu'un prêtre jréparant une église de saint Laurent, une poutre se teoavait être trop courte; il pria le saint marljrrqui avait soutenu les pauvres de venir au secours de son indigence ; la poutre s'allon^ea-de telle sorte qu'elle était beaucoup trop longue : le prêtre coupa alors cet excédent en petites parties et s'en servit pour guérir beaucoup d'infirmités. Ce fait est attesté par le bienheureux Fortunat, et il eut lieu à Brione, cbAleau d'Italie. Un homme avait mal aux dents : on le toucha avec un morceau de cette poutre et sa douleur disparut. Au rapport de saint Grégoire dans ses Dialogues **, ' Oc 'ilui-ia Marlyi-., \. I, c. xlii ; Forlunst, I. ix, c. xii-.

SAINT LAURENT, MARTYR 397

un autre prêtre appelé Sanclutus, voulant réparer une église de saint Laurent brûlée par les Lombards, loua grand nombre d'ouvriers. Or, un jour qu'il n'avait rien à leur donner à manger, il se mit en prière et en regardant dans le four il y trouva un pain très blanc qui ne paraissait cependant pas devoir suffire à un repas pour trois personnes. Or, saint Laurent, qui ne voulait pas que ses ouvriers manquassent de rien, multiplia ce pain de telle sorte qu'il y en eut assez pendant dix jours pour tous les ouvriers. Vincent de Beauvais rapporte, dans sa chronique, qu'il y avait à Milan dans une église de saint Laurent un calice de cristal d'une merveilleuse beauté. Dans une solennité le diacre qui le portait à l'autel le laissa échapper de ses mains, et en tombant par terre ce calice se brisa en morceaux. Mais le diacre affligé en rassembla les fragments, les mil sur l'autel, fit une prière à saint Laurent, et il reprit le calice entier et très solide. *

On lit encore dans le livre des Miracles de la sainte Vierge^ qu'il y avait à Rome un juge nommé Etienn*», qui recevait volontiers des présents de grand nombre de personnes, et violait souvent la justice. Il usurpa par force trois maisons de l'église de saint Laurent et un jardin de sainte Agnès, et resta en possession de ce qu'il avait acquis injustement. Or, il arriva qu'il mourut et qu'il fut mené au jugement de Dieu. Saint Laurent s'approcha alors de lui, plein d'indi- i^nation, et par trois fois il lui serra le bras pendant

Grcg. de Tours, De (Uovia .\favtyr., I. I, c. xlvi.

398 I.A LÉGENDE DORI^.E

longtemps cl lui fit souffrir de cruelles douleurs. Mais sainte Agnès avec les autres vierges ne voulut pas le voir et détourna la tête. Alors le juge rendit son arrêt en ces termes : « Parce qu'il a soustrait le bien d'au- Irui, et qu'en recevant des présents, il a vendu la vé- rité, qu'il soit trafné au lieu est Judas le traître. » Alors saint Prœjcct pour lequel Etienne avait eu beau- coup de dévotion pendant sa vie, s'approchant de saint Laurent et de sainte Agnès, demandait pardon pour ce juge. 11 fut donc accordé à leurs prières unies à celles de la sainte Vierge que son âme retournerait à son corps pour y faire pénitence pendant trente jours. En outre il reçut pour pénitence, de la part de la sainte Vierge, de réciter chaquejour de sa vie le Psaume cxviir, lîeati immaculati in via. Quand il revint à la vie, son bras était noir et brûlé comme s'il eût réelle- ment souffert dans son corps, et celte marque resta sur lui tant qu'il vécut. 11 restitua donc le bien mal acquis et fit pénitence, mais il trépassa dans le Sei- gneur lo InMitiôme jour. On lit dans la vie deTem- penMir saint II(»nri (M de sainte Cunégonde, sa femme, qu'ils vrcurontenseml)ledansla virginité; mais à l'ins- tigation (lu diable, remporeur conçut des soupçons sur son rpouse par rapp(»rt à un soldat, et il la fit mar- rlier rui-pieds Tespare de !;> marches sur des socs de charnio rougis an fou. En montant dessus elle dit : (i Dt* nn^nie, StMgneur Jésus, que vous avez connais- sance» (pio ni ITiMiri m* aucun autre ne m'a toucbée, de mt^nic aussi venez à mon aide. » Mais Henri poussé par la honte la Frappa au visae;*e : et une voix se fit entendre à (Innégonde en lui disant : « La Vierge

SAINT LAURENT, MARTYR 399

Marie t'a prise sous sa protection, car tu es vierge. » Elle marcha donc sur cette masse incandescente sans ressentir aucune douleur. L'empereur venait de mourir quand une multitude infinie de démons pas- sant devant la cellule d'un ermite, celui-ci ouvrit sa fenêtre et demanda au dernier passant qui ils étaient. Et il répondit : « Nous sommes une légion de démons qui nous hâtons d'aller à la mort du César afin de voir si nous pourrons trouver en lui quelque chose qui nous appartienne en propre. » L'ermite adjura le dia- ble de revenir et celui-ci lui dit à son retour : « Nous n'avons rien trouvé, car bien que le soupçon injuste qu'avait conçu l'empereur, et ses autres péchés aient été mis ainsi que ses bonnes œuvres dans la balance, Laurent le grillé apporta un pot d'or d'un poids énorme, quand nous pensions emporter César; cette chaudière ayant été jetée sur la balance, l'autre côté l'emporta ; alors, je fus irrité et j'arrachai une oreille de ce pot d'or. 11 donnait le nom de pot à un calice que cet em- pereur avait fait ciseler pour l'église d'Eichstat en riionneur de saint Laurent envers lequel il avait une dévotion particulière. A cause de sa grandeur, ce ca- lice avait deux anses. Et il se trouva qu'au même mo- ment l'empereur mourut et une anse du calice fut bri- sée *. Saint Grégoire rapporte dans son Reyistve**^

* Ce fait se trouve sculpté eu relief sur le tombeau qui renfermait les reliques de saint Henri et de sainte Cunc- i^oode avant leur canonisation. On y voit un ange tenant d*unc main une épée dégainée, de l'autre, une balance sur Pun drs plateaux de laquelle est posé un calice. Chronic, Casin., 1. II,

C. XLIV.

•* Ep., 1. V, c. XXX.

400 LA LÉGENDE DORÉE

(ju'un de ses prédécesseurs voulait soulager quelqu'un auprès du corps de saint Laurent, mais qu'il ne sa- vait où le corps reposait ; quand tout à coup et sans le savoir on découvre le tombeau, et tous ceux qui se trouvaient *, aussi bien les moines que ceux qui étaient attachés à l'église, et qui avaient vu ces saintes reliques, moururent dans l'espace de dix jours.

11 faut observer que le martyre de saint Laurent paratt l'emporter sur ceux des autres saints marty par quatre caractères qui lui sont propres et qu'o trouve exposés dans les paroles de saint Maxime, évè que, et de saint Augustin. Le premier, c'est la rigue de ce martyre; le second, c'est le résultat ou l'utili qu'il eut; le troisième, c'est la constance et le coura du p:itient; le quatrième, c'est le combat admirab en lui-même et le mode de sa victoire.

I. Le martyre de saint Laurent l'emporte sur I antres par l'extrême rigueur des tourments. Voici co ment s'en exprime le bienheureux évêque Maxime, selon certains textes saint Ambroise : « Mes frères, n'est pas un martyre ordinaire et de quelques insta que saint Laurent eut à souffrir : car celui qui est frap» "MP^ du glaive, meurt une fois, celui qui est plongé dans 'm^^n brasier de flammes, est délivré à l'instant; mais sai.ï ni Laurent «*si tonririeiité par dt\s supplices longs et nr>M w- breux, en sorte ({lie la mort ne ralentit pas sa souffrais ^^^^% et lui manqua à la fin. N(»us lisons que des bienheur^ ^*x enfants s»» [)r()in Miaient au niilieu des flammes ap[> ^ ♦'"

i.e loxh' pnrir M'in^ionarii. On appelail ainsi les toi-* s^n- ciiTs <riin(» mais )n. (Jiiiiml il s'atj^il de ptM'sonnrs roli^ioi.* "= ^'*''- c't'lai»Mi( «les oliaii(»iri('s vivaul en conniiiinauté.

SAINT LAURENT, MARTYR 401

lécî^ pour les faire souffrir el qu'ils foulèrent aux pieds des$ ^nasses de feu. El cependant saint Laurent leur ^* t- ^ upérieur en gloire, parce que ceux-là se prome- "^^i<^»it dans les flammes, et que lui fut couché sur le fem_a même qui faisait son supplice. Ils foulèrent le feu ^^ l^urs pieds, tandis que lui en éteignit l'ardeur par '^ I>osition qu'on avait fait prendre à son corps étendu ^*-* «" ses flancs. Ceux-là étaient debout et adressaient *^^-* i:*s prières en levant les mains vers le Seigneur ; ce- ^'^î —ci étendu sur le gril priait pour ainsi dire le Sei- §r*^ ^ ur avec chacun de ses membres. Il faut noter encore ï^-*€^ saint Laurent vient le premier de tous les martyrs * r^ »*ôs saint Etienne, non pas pour avoir supporté de T^ ^-a^ grands tourments que les autres martyrs puisque *^^^ ticoup souffrirent des tourments égaux et quelque- ■^^î^ plus violents, mais c'est pour six motifs qui se mavent ici réunis : En raison du lieu il a souf- , c'est à Rome, la capitale du monde et se trouve ^^iège apostolique. 2<* En raison de sa prédication, 1^ il s'y livra avec ardeur. En raison des trésors ^***il distribua tout entiers avec sagesse aux pau- ^^^s. Ces trois raisons sont celles de maître Guillaume ^ -A^uxerre. 4<* Parce que son martyre est authentique ^^ C3ertain : car bien qu'on lise que les autres aient ^^iaffert de plus grands supplices, cependant cela n'est P^s authentique et quelquefois il y a lieu d'en douter; 'p^îs le martyre de saint Laurent est très solennel dans ^^ïîse qui l'a approuvé, ainsi que nombre de saints ^o^ leurs discours. H^ Par la dignité à laquelle il fut ^^^•^ ; car il fut archidiacre du siège apostolique, et ^lui, il n'y eut plus à Rome d'archidiacre. 6®Pour

402 LA LÉGRNDE DOR^.E

la cruauté des lourmenls Hjui furent des plus atroces, puisqu*il fut rôti sur un gril de fer. Ce qui a fait dire de lui par saint Augustin : n On commanda d'exposer sur le feu ses membres déchirés et coupés par les nom- breux coups de fouet qu'il avait reçus, afin que sur ce gril de fer sous lequel était entretenu un feu violent, le tourment filt plus atroce etla souffrance plus longue puisque Ton retournait Tun après l'autre chacun d^ ses membres.

11. Le martyre de saint Laurent l'emporte sur I autres par ses résultats et son utilité. D'après sai Augustin ou saint Maxime, l'àpreté du supplice a cck vert saint Laurent de gloire, l'a rendu célèbre dans P pinion publique, excite à la dévotion envers lui, et e fait un modèle remarquable. 1** Elle le couvrit d^ gloire : ce qui fait dire à saint Augustin : « Tyran, Um as sévi contre ce martyr ; tu as tressé, tu as embelli sa couronne en accumulant les tourments. » Saint Maxime ou saint Ambroise ajoute : « Quoique ses mem- bres se disloquent sous Tardeur de la flamme, cepen- dant la force de sa foi n'est pas ébranlée. Il perd son cor[)s, mais il gay;^ne le salut. » Saint Augustin dit : (( 0 l(* bienheureux r(»r|)s, dont les angoisses ne purent lui faire perdre la foi, mais que la religion couronna dans le ciel. » 2" Elle le rendit célèbre dans l'opinion publi(|ue. Saint Maxime ou saint Ambroise dit : « Nous pouvons comparer le bienheureux martyr Laurent au grain de sénevé (pii, broyé de toutes manières, a mé- rité de répandn* par tout l'univers une odeur mysté- rieuse. Quand il était en vie, il fut humble, inconnu, méprisé. A peine a-t-il été lourmenté, déchiré, brillé,

SAINT LAURENT, MARTYR 403

Hu'il répandit sur toutes les églises du monde un par- ^^m de noblesse. » Plus loin on lit: « C'est chose sainte ^^ agréable à Dieu que nous honorions avec une piété ^ute particulière le jour de la naissance de saint Lau- '^"t : l'Église victorieuse de J.-C. brille en ce jour ^^ reflet de son bûcher, aux regards de l'univers. Ce ?<?Viéreux martyr a acquis une telle gloire dans son mar- '^Te qu'il en éclaire le monde entier. » 3** Le martyre de ^'*>t Laurent nous excite à la dévotion pour lui. Saint ^^g-xistin donne trois motifs que nous avons de le louer ^^ ^«luijrémoigner notre dévotion. Nous devons mettre ^otit,e notre confiance dans ce bienheureux martyr, ^ '^tiord parce qu'il a répandu son précieux sang pour *^*^^ii, ensuite parce qu'il a le privilège infini de nous ^t^Ontrer quelle doit être la foi du chrétien puisqu'il ^ eu tant d'imitateurs ; enfin, parce que toute sa vie i^t si sainte qu'il mérita d'obtenir la couronne du mar- tyre dans un temps de paix. Le martyre a fait de saint Laurent un modèle proposé à notre imitation. Là-dessus saint Augustin s'exprime ainsi : « La cause pour laquelle ce saint homme a été dévoué à la mort, n'est que pour porter les autres à être ses imitateurs. >> Or, nous avons trois motifs de Timiter : 1** la force avec laquelle il souffrit : « Le peuple de Dieu, dit saint Au- gustin, n'est jamais instruit d'une manière plus pro- 'fitable que par l'exemple des martyrs. Si l'éloquence entraîne, le martyre persuade. Les exemples rem[)or- lent sur les paroles, et les actions instruisent mieux que les discours. Les persécuteurs de saint Laurent ont pu apprécier eux-mêmes quelle dignité possédaient les martyrs dans cette excellente manière d'instruire.

#

404 LA LEGENDE DOREE

puisque cette admirable force d'âme ne faiblissait pas, mais fortifiait encore les autres en leur donnant un modèle dans ses souffrances. » 2* La grandeur et Tar- deur de sa foi : « En surmontant par la foi, dit saint Maxime ou saint Ambroise, les flammes du persécu- teur, il nous montre que, par le feu de la foi, on peut surmonter les flammes de l'enfer, et avec l'amour de J.-C, on n'a plus à craindre le jour du jugement. » 3' Son ardente dévotion : « Saint Laurent, dit encore le môme auteur, a illuminé le monde entier avec cette lumière qui le brilla lui-même, et de ces flammes dont il supporta Tardeur, il échauffa les cœurs de tous les chrétiens. Sur l'exemple de saint Laurent, nous sommes excités à souffrir le martyre, nous sommes enflammés pour la foi, et nous sommes échauffés par la dévo- tion. »

III. Le troisième caractère qui distingue excellem- ment son martyre, c'est sa constance, ou son courage. Voici comme en parle saint Augustin : « Le bienheu- reux Laurent demeura en J.-C. au milieu de ses épreuves, [)en(laiit son inique inlerrogatoire, jusqu'aux atroces menaces (ju'oii lui fit, et jusqu'à la mort. Dans cette lon^jue mort, il avait bien mangé, bien bu, il était rassasié de cette nourriture, et ivre de ce calice de Dieu ; alors il ne ressentit pas les tourments, il ne fut pas abattu, mais il monta au ciel. Il fut si cons- tant et si ferme que non seulement, il ne succomba ])as aux tourments, mais, que ])ar ces tourments eux- mêmes, il devint plus parfait dans la crainte, plus frrviMit dans Faniour cl [)[us joyeux en ardeur. » i** « On l'étend, dit saint Maxime, sur des charbons ar-

SAINT LAURENT, MARTYR 405

dents, on ne cesse de le tourner sur lui-même ; mais plus il souffre de douleur, plus grande est la patience avec laquelle il craint N.-S. J.-C. » 2** « Le grain de sénevé, dit saint Maxime ou bien saint Ambroise, quand il est broyé, s'échauffe. Laurent au milieu de ses supplices s'enflamme. Chose admirable ! celui-ci tourmente Laurent, ceux-là plus cruels encore perfec- tionnent les tortures, mais plus les supplices sont atroces plus ils rendent Laurent parfait dans son dé- vouement. » 3** Son cœur était tellement fortifié par la foi dans J.-C, que ne tenant aucun compte des tor- tures infligées à son propre corps ; tout joyeux de son triomphe sur les flammes qui le brûlaient, il insultait à la cruauté de son bourreau.

IV. Le quatrième caractère de son martyre fut sa lutte admirable et la manière dont il remporta la vic- toire. Car, on peut recueillir des paroles de saint Maxime et de saint Augustin^ que saint Laurent eut à endurer en quelque sorte extérieurement cinq sortes de feu, qu'il supporta avec courage et qu'il éteignit. Le premier fut le feu de l'enfer, le second le matériel de la flamme, le troisième fut celui de la concupis- cence de la chair, le quatrième fut celui d'une violente avarice, le cinquième fut le feu d'une rage insensée. « Pouvait-il faiblir, dit saint Maxime, parce que son corps était momentanément brûlé, celui dont la foi éteignait le feu éternel de l'enfer? II passa à travers un feu d'un instant de durée, et tout terrestre, mais il échappa à la flamme de la géhenne qui brûle sans cesse. » « Son corps est brûlé, dit saint Maxime ou saint Ambroise, mais Tamour divin éteignit cette com- I. 20-

40(t LA LÉGENDE DORÉE

bustion matérielle. Un roi méchant mettra lui-même le bois, il activera le foyer, mais le bienheureux Lau- rent n'en sentira pas les effets, parce que Tardeur de sa foi est encore plus vive. » « La charité de J,-C., dit saint Augustin, ne fut pas vaincue par la flamme, et le feu qui brûle à l'extérieur est moins ardent que celui qui brûle à Tintérieur. » 3*^ Saint Maxime dit en parlant de l'extinction du feu de la concupiscence : « Voici un feu par lequel saint Laurent passa, sans en «Hre brûlé, puisqu'il en eut horreur; mais il n'en brille pas moins d'un grand éclat : il a brûlé pour n'être point enflammé, et pour ne point être brûlé, il endura d'être brûlé. » 4<» L'avarice de ceux qui convoitaient des tré- sors a été déçue, selon ces paroles de saint Aug'ustin : « 11 s'arme d'une double torche cet homme cupide d'ar- gent et ennemi de la vérité : c'est l'avarice pour ravir de l'or, c'est l'impiété pour faire disparaître J.-C : mais tu ne gagnes rien, tu ne retires aucun profit, homme cruel, ce qui n'est que matière est soustrait à tes recherches; Laurent monto au ciel, et tu péris avec tes flammes. » o" La folie furieuse des persécuteurs a été frustrée et aiuiihilée, comme le flil saint Maxime : quand il eut vaincu les bourreaux (jui attisaient le foyer, il éteignit l'incendie allumé parla f<»lie (|ui débordait de toutes paris. Jusque-là le démon n'a obtenu qu'un résultat, c'est (pie cet homme fidèle montât plein de gloire jusqu'au trône de son maître, et que la cruauté de ses persécuttHirs confondus fût engourdie avec leurs f(Mix. » Il montre conduen fut ardente la folie des bourreaux en disanl : « La fureur enflammée des genlils ]»répare un gril ardent, afin de venger dans

SAINT LAURENT, MARTYR 407

les flammes l'ardeur de leur indignation. » Il n'y a rien d'étonnant que saint Laurent ait surmonté ces cinq sortes de feu extérieur, puisque d'après les paroles, de saint Maxime, il y eut trois choses qui le rafraîchirent intérieurement, et il porta dans son cœur trois feux au moyen desquels il adoucit et mo- déra entièrement le feu extérieur, qui fut ainsi vaincu par une ardeur plus forte. Ce furent : Le désir du royaume du ciel, 2"* la méditation de la loi de Dieu, 3<* la pureté de conscience. Il refroidit et éteignit ainsi tout feu extérieur. le désir de la patrie cé- leste. Saint Maxime ou saint Ambroise dit : « Le bienheureux Laurent ne pouvait ressentir les tour- ments du feu puisqu'il possédait dans ses membres le désir du paradis qui refroidissait les flammes. Aux pieds du tyran, gît une chair brûlée, un corps inanimé : mais il n'a rien perdu sur la terre, puisque son âme demeure dans le ciel. 2^ La méditation de la loi divine. Le même auteur s'exprime ainsi : « Tandis que son esprit est occupé dans la méditation des commandements de J.-C, tout ce qu'il soufl^re est froid pour lui. » S*' La pureté de conscience. 11 est dît à ce propos : « Ce n'est que feu autour des mem- bres de ce généreux martyr, mais il ne pense qu'au royaume de Dieu, et sa conscience rafraîchie le fait sortir vainqueur du supplice. » Il posséda néan- moins trois feux intérieurs qui lui firent surmonter la violence des flammes extérieures. Le premier fut la grandeur de sa foi, le second, son ardente chanté, et le troisième, une véritable connaissance de Dieu, qui l'a éclairé comme une flamme. « Plus sa foi est

408 LA LÉGENDE DOREE

ardente, dit saint Ambroîse, plus la flamme qui ^^^t, brûle perd de sa force. La ferveur de la foi c'est 1 feu du Sauveur qui dit dans TEvangile : «Je suis ve- rt nu vous apporter le feu sur la terre. » Saint Laurent ^ en était embrasé, il n'a donc pas ressenti Tardeur^ ^ des flammes. » Saint Ambroise dit de sa charité : "^ « Il brillait au dehors ce saint martyr, parce que le ^ tyran l'avait mis sur un foyer violent, mais la flamme ^ de Tamour de Dieu qui le consumait était plus ^ forte encore. » S** Le même père parle ainsi de la connaissance de Dieu : « Les flammes les plus cruel- les n'ont pu vaincre cet invincible martyr, parce qu'il avait l'esprit éclairé des rayons les plus pénétrants de la vérité. Enflammé de haine pour le mal, et d'amour pour la vérité, ou il ne sentit pas, ou il vainquit la flamme qui le brûlait au dehors. L'office de saint Laurent a trois privilèges dont ne jouissent pas les autres martyrs. Le premier c'est la viçile ; c'est le seul des martyrs qui en ait une. Mais les vigi- les des saints ont été HMnplacées en ce jour par le jeilne à caust» de certains désordres. M^ Jean Beleth rapporte qiie c'était autrefois la coutume qu'aux fêles des saints, les hommes, avec leurs femmes, et les filles venaient à l'église ils passaient la nuit à la lumière des flambeaux ; mais parce qu'il en résultait des adultères, il fut statué que la vigile serait con- vertie en jeûne. Cependant on a conservé l'ancienne dénomination, el on dit encore vigile et non pas jeûne. Le second, c'est qu'il a une octave. C'est le seul des martyrs avec saint Etienne qui ait une oc- tave, comme saint Martin parmi les confesseurs. Le

SAINT HIPPOLYTE ET SES COMPAGNONS 409

troisième, c'est que les antiennes ont des réclames *, cela ne lui est commun qu'avec saint Paul. Saint Paul a ce privilège en raison de Texcellence de sa prédica- tion et saint Laurent en raison de l'excellence de son martyre.

SAINT HIPPOLYTE ET SES COMPAGNONS **

Hippolyte vient de hyper, au-dessus, et /t/Ao», pierre, comme si on disait fondé sur la pierre, qui est J.-C. Ou bien de in, dans, et polis, ville, ou bien il veut dire très poli. Il fut en effet fondé solidement sur J.-C. qui est la pierre, en raison de sa constance et de sa fermeté. Il fut de la cité d'en haut par le désir et l'avidité : il fut bien poli par Tâpreté des tourments.

Hippolyte, après avoir enseveli le corps de saint Laurent, vint à sa maison, et en donnant la paix à sesesclaves et à ses servantes, il les communia *** tous du sacrement de l'autel que le prêtre Justin avait offert. Et quand on eut mis la table, avant qu'ils eussent touché aux mets, vinrent des soldais qui Tenlevèrent et le menèrent au César. Quand Dèce le vil, il lui dit en souriant : « Est-ce que tu es devenu magicien aussi, toi, qui as enlevé le corps de Lau- rent. » Hippolyte lui répondit : <( Je n*ai pas fait cela

Voyez le Sacramentaire de saint Gréjyi^oire. Dans la ré- forme du Bréviaire romain, cet usatifc a disparu.

** Bréviaire romain; Actes anciens de ces saints. *** Ce ne fut que vers le xie siècle (ju'ou cessa de donner les saintes espèces de l'Eucharistie aux H(lèlcs({ui se commu- nièrent alors de leurjî propres mains.

410 LA LÉGENDE DOREE

comme magicien, mais en qualité de chrétien. » Alors Dèce rempli de fureur commanda qu'on le dépouillât de rtiabit qu'il portait en sa qualité de chrétien *, et qu'on lui meurtrît la bouche à coups de pierres. Hippolyte lui dit : « Tu ne m'as pas dépouillé, mais tu m'as mieux vêtu. » Dèce lui répliqua : a Comment es-tu devenu fou au point de ne pas rougir de ta nudité? Sacrifie donc maintenant et tu vivras au lieu de périr avec ton Laurent. » Que ne mérité-je, re- prit Hippolyte, de devenir l'imitateur du bienheureux Laurent dont tu as osé prononcer le nom de ta bou- che impure ! » Alors Dèce le fit fouetter et déchirer avec des peignes de fer. Pendant ce temps-là, Hippo- lyte confessait à haute voix qu'il était chrétien ; et comme il se riait des tourments qu'on lui infligeait, Dèce le fit revêtir des habits de soldat qu'il portait auparavant, en l'exhortant à rentrer dans son amitié et à reprendre son ancienne profession de militaire. Et comme Hippolyte lui disait qu'il était le soldat de J.-C, Dèce outré de colère le livra au préfet Valérien avec ordre de se saisir de tous ses biens et de le faire périr dans les tourments les plus cruels. On décou- vrit aussi que tous ses gens étaient chrétiens; alors on les amena devant Valérien. Comme on les contrai- gnait de sacrifier, Concordia, nourrice d'Hippolyte, répondit pour tous les autres : « Nous aimons mieux mourir chastement avec le Seigneur notre Dieu que de vivre dans le désordre. » Valérien dit: « Cette race

' Hippolyte {)orluit donc encore la robe blanche dont on rcvèlail les nouveaux baptisés.

SAINT HIPPOLYTR ET SES COMPAGNONS 4U

d'esclaves ne se corrige qu'avec les supplices. » Alors en présence d'Hippolyle rempli de joie, il ordonna qu'on la frappât avec des fouets garnis de plombs jusqu'à ce qu'elle rendît l'esprit : « Je vous rends grâces, Seigneur, dit Hippolyte, de ce que vous avez envoyé ma nourrice la première dans l'assemblée des saints. » Ensuite Valérien fit mener Hippolyte avec les gens de sa maison hors de la porte de Tibur. Or, Hippolyte les raffermissait tous : « Mes frères, leur disait-il, ne craignez rien, parce que vous et moi, nous avons un seul Dieu. » Et Valérien ordonna de leur couper la tête à tous sous les yeux d'Hippolyte, et ensuite il le fit lier par les pieds au cou de chevaux indomptés afin qu'il fût traîné à travers les ronces et les épines, jusqu'au moment il rendit l'âme, vers l'an du Seigneur 256. Le prêtre Justin put soustraire leurs corps et les ensevelir à côté de celui de saint Laurent. Quant aux restes de Concordia, il ne put les trouver, car ils avaient été jetés dans un cloaque. Or, un soldat nommé Porphyre, qui croyait que Con- cordia avait dans ses vêtements de l'or et des pierres précieuses, alla trouver un cureur de cloaques appelé Irénée, qui était chrétien, sans être connu comme tel, et lui dit : « Garde-moi le secret, et retire Concor- dia, car mon espoir est qu'elle avait de l'or ou des perles dans ses habits. » Irénée lui dit : « Montre-moi l*endroit et je garde le secret ; alors si je trouve quel- que chose, je t'en informerai. » Lors donc que le corps eut été retiré, et qu'ils n'eurent rien trouvé, le soldat s'enfuit aussitôt et 1 renée, ayant appelé un chrétien nommé Habondus, porta le corps à saint Justin. Celui-

il 2 LA LEGENDE DOREE

ci le prit avec respect et Tensevelit à côté de saint Hippolyte et des autres martyrs. Quand Valérien apprit cela, il fil prendre Irénée et Habondus qu'il ordonna de jeter tout vivants dans le cloaque : saint Justin enleva aussi leurs corps et les ensevelit avec les autres.

Après cela, Dèce monta avec Valérien sur un char doré et ils allèrent tous deux à rAmphithéâtre pour tourmenter les chrétiens. Alors Dèce fut saisi par le démon et se mit à crier : « 0 Hippolyte, tu me tiens lié avec des chaînes bien rudes. » Valérien criait de son côté : « 0 Laurent, tu me traînes enlacé dans des chaînes de feu. » Et à l'instant Valérien expira. Dèce rentra chez lui, et pendant trois jours qu'il fut tour- menté par le démon, il criait: « Laurent, je t'en con- jure, cesse un instant de me tourmenter. » Et il mou- rut ainsi misérablement. Triphonie, sa femme, qui était d'un caractère cruel, quand elle vit cela, quitta tout pour venir trouver saint Justin avec sa fille Cyrille, et se fit baptiser par lui avec beaucoup d'autres person- nes. Le jour suivant, comme Triphonie était en priè- res, elle rendit l'esprit. Son corps fut enseveli par le prêtre Justin à côté de celui de saint Hippolyte. Quand on apprit que l'impératrice et sa fille s'étaient faites chrétiennes, quarante-sept soldats vinrent avec leurs femmes chez le prêtre Justin afin de recevoir le baj>- tôme. Denys, qui succédait à saint Sixte, les baptisa tous. Mais Claude, qui était empereur, fit égorger Cyrille qui ne voulait pas sacrifier, et avec elle les autres soldats. Leurs corps furent ensevelis avec les autres dans le champ Véranus. 11 faut remarquer qu*il

SAINT HIPPOLYTE ET SES COMPAGNONS 413

est ici expressément question de Claude comme suc- cesseur de Dèce qui fit martyriser saint Laurent et saint Hippolyte. Or, Claude ne succéda pas à Dèce ; il y a plus : d'après les chroniques, à Dèce succéda Vo- lusien, à Volusien Gallien, et à celui-ci Claude. Il paraît donc ici plausible de dire ou bien que Gallien porta deux noms, eX qu'il s'appela Gallien et Dèce, d'après Vincent dans sa chronique et Geoffroi dans son livre, ou bien que Gallien a pris pour coadjuteur un homme nommé Dèce qu'il aura fait César, sans que pourtant ce dernier ait été empereur, selon le ré- cit de Richard dans sa chronique. Saint Ambroise s'exprime ainsi dans la préface de saint Hippolyte : « Le bienheureux martyr Hippolyte, regardant J.-C, comme son véritable chef, aima mieux être son sol- dat que d'être le chef des soldats. Il ne persécuta pas saint Laurent qui avait été confié à sa garde, mais il le suivit. En cherchant les trésors de l'Eglise, il en trouva un que le tyran ne lui ravirait point, mais que la piété pouvait seule posséder. Il trouva un trésor d'où découlaient toutes les richesses ; il méprisa la fu- reur d'un tyran, afin d'être éprouvé avec la grâce du roi éternel ; il ne craignît point d'avoir les membres disloqués, afin de ne pas être broyé dans les liens éternels. Un bouvier nommé Pierre avait attelé ses bœufs à son char, le jour de la fête de sainte Marie- Magdeleirie ; il pressait son attelage en proférant des malédictions, quand tout à coup ses bœufs et son char furent consumés par lafoudrc. Quant au bouvier, qui avait proféré ces imprécations, il était en proie à des douleurs atroces; un feu le rongeait de telle sorte (|ue

414 LA LÉGENDE DOREE

les chairs et les nerfs de sa jambe tout entière ayant été consumés, ses os paraissaient à découvert ; enfin sa jambe finit par se séparer de sa jointure. Il alla alors à une église dédiée à Notre-Dame, et cacha sa jambe dans un trou de celte église en priant avec larmes la Sainte Vierge de lui obtenir saguérison. Or, une nuit, la Sainte Vierge lui apparut avec saint Hippolyte au- quel elle demanda de guérir Pierre. Aussitôt saint Hippolyte prit la jambe dans le trou elle était et en un instant il la replaça comme une greffe qu'on ente sur un arbre. Mais au moment le saint fit cela, Pierre ressentit des douleurs si vives que par ses cris il réveilla tous les gens de sa maison. Ils se lèvent, allument de la lumière et trouvent Pierre avec ses deux jambes et ses deux cuisses. Se croyant le jouet d'une illusion, ils le palpaient de toutes les manières et re- connaissaient qu'il avait des membres véritables. A peine peuvent-ils Téveiller ; enfin ils s'informent auprès de lui comment cela lui est arrivé. Il pense lui-même qu'on se moque de lui ; mais enfin après avoir vu, il finit par se convaincre de ce qui existait ; il en resta stupéfait. Cependant sa cuisse noiivelle, plus faible que l'autre pour supporter son corps, était en même temps plus courte. Comme témoignage du miracle, il boita pendant un an. Alors la Sainte Vierge lui apparut une seconde fois avec saint Hippolyte auquel elle dit qu'il devait achever cette cure. Il s'éveilla et se trouvant entièrement guéri, il se fit reclus. Le diable lui appa- raissait très fréquemment sous la forme d'une femme nue rpii le portait au crime; plus il opposait de résis- tance, plus l'impudence de cette femme augmentait.

l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 415

Or, une foisqu'elle le loiirmentait beaucoup, Pierre en- fin prit une étole de prêtre et la mil au cou du démon qui, en se retirant, ne laissa qu'un cadavre en pu- tréfaction dont l'odeur était tellement infecte que de tous ceux qui le virent, il n'y eut personne qui ne pensât que ce fût le corps d'une femme morte que le diable avait pris.

L'ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE

VIERGE MARIE

Un livre apocryphe, attribué à saint Jean l'évangé- liste, nous apprend les circonstances de l'Assomption de fa bienheureuse vierge Marie. Tandis que les apô- tres parcouraient les différentes parties du monde pour y prêcher, la bieftheureuse Vierge resta, dit-on, dans une maison près de la montagne de Sion. Elle visita, tant qu'elle vécut, avec une grande dévotion, tous les endroits qui lui rappelaient son Fils, comme les lieux témoins de son baptême, de son jeûne, de sa prière, de sa passion, de sa sépulture, de sa résur- rection et de son ascension, et d'après Epiphane, elle survécutde vingt-quatre ans à l'ascension deson Fils. 11 rapporte donc que la Sainte Vierge était âgée de qua- torze ans quand elle conçut J.-C, qu'elle le mit au inonde à quinze, et qu'elle vécut avec lui trente-trois ans, et vingt-quatre autres après la mort de J.-C. D'a- près cela, elle avait soixantoJouzc ans quand elle mourut. Toutefois ce qu'on litailleurs paraft plus pro-

41<) LA LÉGENDE DORÉE

bable, savoir, qu'elle survécut de douze ans à sonFils, et qu'elle était sexagénaire, lors de son assomption, puisque les apôtres employèrent douze ans à prêcher dans la Judée et les pays d'alentour, selon le récit de V Histoire ecclésiastique. Or, un jour que le cœur de fa Vierge était fortement embrasé du regret de son Fils, son esprit enflammé s'émeut et elle répand une grande abondance de larmes. Comme elle ne pouvait facile- ment se consoler de la perte de ce fils qui lui avait été soustrait pour un temps, voici que lui apparut, envi- ronné d'une grande lumière, un ange qui la salua en ces termes, avec révérence, comme la mère du Sei- gneur : « Salut, Marie qui êtes bénie ; recevez la bé- nédiction de celui quia donné le salut à-Jacob. Or, voici une branche de palmier que je vous ai apportée du paradis comme à ma dame ; vous la ferez porter de- vant le cercueil ; car dans trois jours, vous serez enle- vée de votre corps ; votre FiFs attend sa révérende mère. » Marie lui répondit : « Si j'ai trouvé grâce de- vant vos yeux, je vous conjure de daigner me révéler votre nom. Mais ce que je demande plus instamment encore, c'est que mes fils et frères les apôtres soient réunis auprès de moi, afin de les voir des yeux du cor[)s, avant que je meure, et d'être ensevelie par eux après que j'aurai rendu en leur présence mon esprit au Seigneur. Il est encore une autre chose que je ré- clame avec instance, c'est que mon âme, en sortant du corps, ne voie aucun mauvais esprit, et que pas une des puissances de Satan ne se présente sur mon pas- sage. » I/ange lui dit : « Pourquoi, ô dame, désirez- vous savoir mon nom qui est admirable et grand ?

SOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 4i7

nt aux apôtres, ils viendront tous et seront réunis rès de vous ; ils feront de magnifiques funérailles de votre trépas qui aura lieu en leur présence. Car i qui autrefois a porté en un clin d'œil, par un r^Tcu, le prophète de la Judée à Babylone, celui-là durement pourra en un instant amener les apôtres près de vous. Mais pourquoi craignez-vous de voir s prit malin, puisque vous lui avez entièrement brisé t-éte et que vous l'avez dépouillé de toute sa puis- v^ce ? soit faite cependant votre volonté, afin que *is ne les voyiez pas. » Après avoir dit ces mots, ï^ge monta aux cieux au milieu d'une grande lu- ^re. Or, cette palme resplendissait d'un très grand ^ty et par sa verdure elle était en tout semblable à ^ branche; mais ses feuilles brillaient comme l'é- 'e du matin. Or, il arriva que, comme Jean était à -cher à Ephèse, un coup de tonnerre éclata tout à *p, et une nuée blanche l'enleva, et l'apporta devant porte de Marie. Il frappa, entra dans l'intérieur de ■Maison, et avec grande révérence, l'apôtre vierge *A^ la Vierge. L'heureuse Marie en le voyant fut sai- d'une grande crainte et ne put retenir ses larmes, ^^ elle éprouva de joie. Alors elle lui dit : « Jean, *> fils, aie souvenance des paroles de ton maître, ^rid il m'a confiée à toi comme un fils, et quand il Cionfié à moi comme à une mère. Me voici appelée ** le Seigneur à payer le tribut à la condition hu- ^^ne, et je te recommande d'avoir un soin particu- ^ï* de mon corps. J'ai appris que les Juifs s'étaient 'tunis et avaient dit : a Attendons, concitoyens et frè- « res, attendons jusqu'au moment celle qui a porté II. 27

il8 LA LÉGENDE DOREE

« Jésus subira la mort, aussitôt nous ravirons son coi^ J « et nous le jetterons pour être la pâture du feu. » feras porter alors cette palme devant mon cercue- lorsque vous porterez mon corps au tombeau. » Jean dit : « Oh ! plût à Dieu que tous les apôtres m^- frères fussent ici, afin de pouvoir célébrer convenabl» ment vos obsèques et vous rendre les honneurs doi vous êtes digne. » Pendant qu'il parlait ainsi, toi les apôtres sont enlevés sur des nuées, des endroil ils prêchaient et sont déposés devant la porte d^ ^ Marie. En se voyant réunis tous au même lieu, il^^ étaient rempHs d'admiration : « Quelle est, se disaient-^^ ils, la cause pour laquelle le Seigneur nous a rassem- ^ blés ici en même temps? » Alors Jean sortit et vint les trouver pour les prévenir que leur dame allait tré- passer; puis il ajouta: « Mes frères, quand elle sera morte, que personne ne la pleure, de crainte que le peuple témoin de cela ne se trouble et dise : « Voyez comme ils craignent la mort, ces hommes qui prêchent aux autres la résurrection. »

Denys, disciple de saint Paul, raconte les mêmes faits dans son livre des Soms divins {ch, ni). Il dit qu'à la mort de la Vierge, les apôtres furent réunis et y assistèrent ensemble; ensuite que chacun d'eux fit un discours en rhonneur de J.-C. et de la Vierge. Et voici comme il s'exprime en parlant à Timolhée ; « Tu as appris que nous et beaucoup de saints qui sont nos frères, nous nous réunîmes pour voir le corps qui a produit la vie et porté Dieu. Or, se trouvaient Jacques, le frère du Seigneur, et Pierre, coryphée et chef suprême des théologiens. Ensuite il parut conve-

L* ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 419

nable que toutes les hiérarchies célébrassent, chacune selon son pouvoir, la bonté toute-puissante de Dieu c|ui s'était revêtu de notre infirmité. » Quand donc la bienheureuse Marie eut vu tous les apôtres rassem- blés, elle bénit le Seigneur, et s'assit au milieu d'eux, après qu'on^ eut allumé des lampes et des flambeaux. Or, vers la troisième heure de la nuit, Jésus arriva avec les anges, l'assemblée des patriarches, la troupe des martys, Farmée des confesseurs et les chœursdes vierges. Tous se rangent devant le trône de la Vierge et chantent à Tenvi de doux cantiques. On apprend dans le livre attribué à saint Jean quelles ont été les funérailles qui furent alors célébrées. Jésus commença le premier et dit : « Venez, vous que j'ai choisie, et je vous placerai sur mon trône parce que j'ai désiré votre beauté. » Et Marie répondit : « Mon cœur est prêt. Seigneur, mon cœur est prêt. » Alors tous ceux qui étaient venus avec Jésus entonnèrent ces paroles avec douceur : « C'est elle qui a conservé sa couche pure et sans tache; elle recevra la récompense qui ap- partient aux âmes saintes. » Ensuite la Vierge chanta en disant d'elle-même : « Toutes les nations m'appel- leront bienheureuse ; car le Tout-Puissant a fait de g^randes choses en ma faveur : et son nom est saint. » Enfin le chantre donna le ton à tous en prenant plus haut: « Veriezdu Liban, mon épouse, venez du Liban, vous serez couronnée. » Et Marie reprit : « Me voici, je viens ; car il est écrit de moi dans tout le livre de la loi : que je ferais votre volonté, ô mon Dieu, parce que mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur. » C'est ainsi que Tâme de Marie sortit de son corps et

à

420 LA LÉGENDE DOREE

s'envola dans les bras de son Fils. Elle fut affranchie de la douleur de la chair, comme elle avait été exempte de la corruption. Et le Seigneur dit aux apôtres : « Portez le corps de la Vierge-Mère dans la vallée de Josaphat et renfermez-le dans un sépulcre neuf que vous y trouverez. Après quoi, pendant trois jours, vous m'attendrez jusqu'à ce que je vienne. » Aussitôt les fleurs des roses l'environnèrent ; c'était l'assemblée des martyrs, puis les lys des vallées qui sont les com- pagnies des anges, des confesseurs et des vierges. Les apôtres se mirent à s'écrier en s'adressant à elle : « Vierge pleine de prudence, dirigez-vous vos pas? Souve- nez-vous de nous, ô notre Dame ! » Alors les chœurs de ceux qui étaient restés au ciel, en entendant le con- cert de ceux qui montaient, furent remplis d'admira- tion et s'avancèrent à leur rencontre ; à la vue de leur roi portant dans ses bras l'âme d'une femme qui s'ap- puyait sur lui, ils furent stupéfaits et se mirent à crier : « Quelle est celle-ci qui monte du désert, remplie de délices, appuyée sur son bien-aimé ? ». Ceux qui l'ac- compagnaient leur répondirent : « C'est celle qui est belle au-dessus des filles de Jérusalem. Vous l'avez déjà vue pleine de charité et d'amour. » Ainsi fut-elle reçue toute pleine de joie dans le ciel et placée à la droite de son Fils sur un trône de gloire. Quant aux apôtres ils virent son âme éclatant d'une telle blan- cheur qu'aucune langue humaine ne le pourrait ra- conter.

Trois vierges qui se trouvaient là, dépouillèrent le corps de Marie pour le laver. Aussitôt ce corps res- plendit d'une si grande clarté qu'on pouvait bien le

l/ ASSOMPTION DR LA BIKNlIEdRErSE VIERGE 3fARIE 421

toucher, mais qu'il était impossible de le voir : cette lumière brilla jusqu'à ce que le corps eût été entière- ment lavé par les vierges. Alors les apôtres prirent ce saint corps avec révérence et le placèrent sur un bran- card. Et Jean dit à Pierre : « Pierre, vous porterez cette palme devant le brancard ; car le Seigneur vous a mis à notre tête et vous a ordonné le pasteur et le prince de ses brebis. » Pierre lui répondit : « C'est plutôt à vous à la porter ; vous avez été élu vierge par le Seigneur, et il est digne que celui qui est vierge porte la palme d'une vierge. Vous avez eu l'honneur de reposer sur la poitrine du Seigneur, et vous y avez puisé plus que les autres des torrents de sagesse et de grâce, il paraît juste qu'ayant reçu plus de dons du Fils, vous rendiez plus d'honneur à la Vierge. Vous donc, devez porter celte palme de lumière aux obsè- ques de la sainteté, puisque vous vous êtes enivré à la coupe de la lumière, de la source de l'éternelle clarté. Pour moi, je porterai ce saint corps avec le brancard et nos autres frères qui seront à l'entour célébreront la gloire de Dieu. » Alors Paul dit : <( Et moi qui suis le plus petit d'entre vous tous, je le porterai avec vous. » C'est pourquoi Pierre et Paul enlevèrent la bière ; Pierre se mit à chanter : « Israël sortit de l'Egypte, alléluia. » Puis les autres apôtres continuèrent ce chant doucement. Or, le Seigneur enveloppa d'un nuage le brancard et les apôtres, en sorte qu'on ne voyait rien, seulement on les entendait chanter. Des anges aussi unirent leurs voix à celle des apôtres et remplirent toute la terre d'une mélodie pleine de suavité. Tous les habitants furent réveillés par ces H. 27-

422 LA LÉGENDE DORÉE

doux sons et celte mélodie : ils se précipitèrent hors de ia ville en demandant avec empressement ce qu'il y avait. Les uns dirent : « Ce sont les disciples de Jésus qui portent Marie décédée. C'est autour d'elle qu'ils chantent cette mélodie que vous entendez. » Aussitôt ils courent aux armes, et s'excitent les uns les autres en disant : « Venez, tuons tous les disciples et livrons au feu ce corps qui a porté ce séducteur. » Or, le prince des prêtres, en voyant cela, fut stupéfait et il dit avec colère : « Voici le tabernacle de celui qui a jeté le trouble parmi nous et dans notre race. Quelle gloire il reçoit en ce moment ! » Or, en parlant ainsi il leva les mains vers le lit funèbre avec la volonté de le renverser et de le jeter par terre. Mais aussitôt ses mains se séchèrent et s'attachèrent au brancard, en sorte qu'il y était suspendu : il poussait des hurle- ments lamentables, tant ses douleurs étaient atroces. Le reste du peuple fut frappé d'aveuglement par les anges qui étaient dans la nuée. Quant au prince des prêtres, il criait en disant : « Saint Pierre, ne m'aban- donnez pas dans la tribulation je me trouve ; mais je vous eu conjure, priez pour moi, car vous devez vous rappeler qu'autrefois je vous suis venu en aide et que je vous ai excusé lors de l'accusation de la ser- vante. » Pierre lui répondit : « Nous sommes retenus par les funérailles de Notre-Dame et nous ne pouvons nous occuper de votre guérison : néanmoins si vous vouliez croire en Notre-Seigneur J.-C. et en celle qui l'a engendré et qui Ta porté, j'ai lieu d'espérer que vous pourriez être guéri de suite. » Il répondit : « Je crois que le Seigneur Jésus est vraiment le Fils de Dieu et

Li' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 423

que voilà sa très sainte mère. » A l*instant ses mains se détachèrent du cercueil ; cependant ses bras res- taient desséchés et ia douleur violente ne disparaissait pas. Alors Pierre lui dit : « Baisez le cercueil et dites : « Je crois en Dieu Jésus-Christ que celle-ci a porté dans ses entrailles tout en restant vierge après Tenfante- ment. » Quand il l'eut fait, il fut incontinent guéri. Alors Pierre lui dit : « Prenez celte palme des mains de noire frère Jean et vous la placerez sur ce peuple aveuglé : quiconque voudra croire recouvrera la vue ; mais celui qui ne voudra pas croire ne verra plus jamais. » Or, les apôtres qui portaient Marie la mirent dans le tom- beau, autour duquel ils s'assirent, ainsi que le Seigneur l'avait ordonné. Le troisième jour, Jésus arriva avec une multitude d'anges et les salua en disant : « La paix soit avec vous. )> Ils répondirent : « Gloire à vous, ô Dieu, qui seul failes des prodiges étonnants. » Et le Seigneur dit*aux apôlres: « Quelle grâce et quel hon- neur vous semble-t-il que je doive conférer aujourd'hui à ma mère ? » « Il paraît juste, Seigneur, répondirent- ils, à vos servileurs que, comme vous qui régnez dans les siècles après avoir vaincu la mort, vous ressusci- tiez, ô Jésus, le corps de votre mère et que vous le placiez à votre droite pour Téternité. » Et il l'octroya: alors l'archange Michel se présenta aussitôt et pré- senta l'âme de Marie devant le Seigneur. Le Sauveur lui parla ainsi : « Levez-vous, ma mère, ma colombe, tabernacle de gloire, vase dévie, temple céleste ; et de même que, lors de ma conception, vous n'avez pas été souillée par la tache du crime, de même, dans le sépulcre, vous ne subirez aucune dissolution du

/

424 LA LÉGENDE DORÉE

corps. » Et aussitôt l'âme de Marie s'approcha de son corps qui sortit glorieux du tombeau. Ce fut ainsi qu'elle fut enlevée au palais céleste dans la compagnie d'une multitude d'anges. Or, Thomas n'était pas là, et quand il vint, il ne voulut pas croire, quand tout à coup, tomba de l'air la ceinture qui entourait la sainte Vierge ; il la reçut tout entière afin qu'il comprît ainsi qu'elle était montée tout entière au ciel.

Ce qui vient d'être raconté est apocryphe en tout point ; et voici ce qu'en dit saint Jérôme dans sa let- tre, ou autrement dit, son discours à Paul et à Eusto- chium : « On doit regarder ce libelle comme entière- ment apocryphe, à l'exception de quelques détails dignes de croyance, paraissant jouir de l'approbation de saints personnages et qui sont au nombre de neuf, savoir : que toute espèce de consolation a été promise et accordée à la Vierge ; que les apôtres furent tous réunis ; qu'elle trépassa sans douleur ; qu'on disposa sa sépulture dans la vallée de Josaphat ; que ses funé- r»iilles se firent avec dévotion ; que J.-G. et toute la cour céleste vint au-devant d'elle ; que les Juifs l'in- sultèrent; (pril éclata des miracles en toute circons- tance convenable; enfin qu'elle fut enlevée en corps et en ànie. Mais il y a, dans ce récit, beaucoup de circonstances con trouvées et qui s'éloignent de la vérité, comme par exeinph*, Tabsence et Tincrédulilé de saint Thomas, et antres semblables, qu'il faut rejeter et taire. On dit (jne les vêlements de la sainte Viert^e resicrent dans son tombeau pour servir de consolation aux fidèles, et (|n'nne partie opéra le miracle qui suit : Lors du sièi;e de la ville de Char-

L* ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 425

très par un général normand, l'évêque de cette ville attacha à une lance, en forme de drapeau, la tunique de la sainte Vierge, qui s'y conserve, et suivi de tout le peuple, il s'avança sans crainte contre l'ennemi. Aussitôt, l'armée des Normands fut frappée de dé- mence et d'aveuglement, et elle restait tremblante ; son cœur et son courage étaient paralysés. A cette vue, les habitants de la ville entrent dans les vues du jugement de Dieu, et font un horrible massacre des ennemis. Ce qui parut déplaire à la bienheureuse Marie; car aussitôt cette tunique disparut, et à l'ins- tant les Normands recouvrèrent la vue. On lit dans les révélations de sainte Elisabeth qu'un jour, étant ravie en esprit, elle vit, dans un lieu fort éloigné, un sépulcre environné d'une grande lumière, et au-dedans, comme l'apparence d'une femme entourée d'une foule d'anges ; et peu d'instants après, elle fut enlevée du sépulcre et élevée en l'air avec toute la multitude qui se trouvait là. Et voici qu'un personnage admirable et plein de gloire vint du ciel à sa rencontre, portant en sa droite l'étendard de la croix, et avec lui, des milliers d'anges. Ce fut au milieu des concerts d'allé- gresse qu'ils la conduisirent jusqu'au ciel. Peu de temps après, sainte Elisabeth demandait à un ange, avec lequel elle avait de fréquents entretiens, l'expli- cation de cette vision. L'ange lui répondit : « 11 t'a été montré alors comment Notre Dame a été enlevée au ciel en corps et en itme. )> Elle dit encore dans le même livre, qu'il lui fut révélé (|ue la sainte Vierge fut portée au ciel en son corps, quarante jours après son trépas. Car la bienheureuse Marie lui dit en s'en-

426 LA LÉGENDE DOREE

tretenant avec elle : « Après l'ascension du Seig^neur, j'ai vécu un an entier et tant de jours qu'il y en a, depuis l'ascension jusqu'à mon assomption. Or, tous les apôtres assistèrent à mon trépas et ensevelirent honorablement mon corps ; mais quarante jours après» je ressuscitai. » Et comme sainte Elisabeth lui deman- dait si elle découvrirait ou si elle cèlerait cela, la sainte Vierge lui dit : « Il ne faut pas le révéler aux hommes charnels et aux incrédules, et il ne faut pas le cacher aux personnes dévotes et fidèles. »

Observons que la glorieuse vierge Marie fut trans- portée et élevée au ciel intégralement, honorablement, joyeusement et excellemment. Elle fut transportée intégralement en corps et en âme, selon une pieuse croyance de l'Eglise. Un grand nombre de saints ne se contentent pas de l'avancer, mais ils s'attachent à en donner une quantité de preuves. Voici celle de saint Bernard : « Dieu s'est plu singulièrement à honorer les corps des saints. Ainsi, il a rendu les dépouilles de s.'iint Pierre et de saint Jacques telle- ment vénérables, et il les a décorées d'honneurs si étonnants, (|nMI a choisi, [)Our leur rendre des hom- niai^^es, un lieu vers le(juel accourt le monde entier. Si donc on disait que le corps de Marie fût sur la terre sans (lue la dévotion des fidèles s'y portât avec afflucnce, et que ce lieu ne jouît d'aucun honneur, on pourrait croire que J.-C. ne se serait point intéressé à la g-loin» de sa mère, quand il honore ainsi sur l-^ terre les corps des autres saints. » Saint Jérôme avan c:i^ de son roté que la sainte Vierj^^^e monta au ciel le ^ V des calendes de septembre. Quant à l'assompti

l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 427

corporelle de Marie, il dit que TEglise se contente de rester en suspens sans se prononcer. Plus loin, il s'at- tache à en prouver la croyance de cette manière : a S'il en est qui disent que dans ceux dont la résur- rection a coïncidé avec celle de J.-C, la résurrection soit accomplie pour toujours à leur égard, et s'il en est un certain nombre qui croient que saint Jean, le gardien de la sainte Vierge, jouisse du bonheur du ciel avec J.-G. et dans sa chair qui a été glorifiée, à plus forte raison doit-on le croire de la mère du Sau- veur? Car celui qui a dit : « Honore ton père et ta « mère », et qui a dit encore : « Je ne suis pas venu « détruire la loi, mais l'accomplir » ; celui-là, certaine- ment, a honoré sa mère, et ce n'est pas pour nous le sujet d'une ombre de doute. » Saint Augustin ne l'af- firme pas seulement, mais il en donne trois preuves. La première, c'est que la chair de J.-C. et celle de la Vierge ne font qu'une : « Puisque, dit-il, la nature humaine est condamnée à la pourriture et aux vers, et que d'ailleurs J.-C. ne fut pas exposé à cet outrage, la nature de Marie en est donc exempte, car dans elle, J.-C. a pris la sienne. » La seconde raison qu'il en donne est tirée de la dignité de son corps : « C'est, dit-il, le trône de Dieu, le lit nuptial du Seigneur, le tabernacle de J.-C. doit être il est lui-même. Il est plus digne de conserver ce trésor dans le ciel que sur la terre. » La troisième raison, c'est la parfaite inté- grité de sa chair virginale. Voici ses paroles : « Ré- jouissez-vous, ô Marie, d'une joie ineffable, dans votre corps et dans votre àme, en J.-C^. votre propre filsy avec votre propre fils et par votre propre fils :

428 LA LÉGENDE DOHKE

La i)eine de la corruption n'est pas le partai^^e de celle qui n'a pas éprouvé de corruption dans son intégrité, quand elle a cnî^endré son divin fils. Toujours elle sera à l'abri de la corruption, celle qui a été comblée de tant de çntces ; il faut quelle vive dans toute l'in- léy^rité de sa nature, celle qui a mis au monde Fauteur de la perfection et de la plénitude dans la vie; il faut qu'elle demeure auprès de celui qu'elle a porté dans ses entrailles ; il faut qu'elle soit à côté de celui qu'elle a ençendré, qu'elle a réchauffé, qu'elle a nourri. C'est Marie, .c'est la mère de Dieu, c'est la nourrice, c'fcsV la servante de Dieu. Je n'oserais penser autremet^^^ et ce serait présomption de ma part de dire au-'^'^^ chose. » Un poète élé^nt s'en exprime comme il st-'^^ '

Scanditad -^iilthcra Elle monte au ciel

Virg-o pucrpera, La Vierg-e mère,

Virg-ula Jesse. La Vierge de Jessé.

Non sine corporc C'est avec son corps

Sed sine tempore, Et pour l'éternité, [^^qui cr^ /

Tendit ad esse. (Qu'elle s'élève jusqu'à cclf--'^

S(*çondemcnt. Elle fut transportée au ciel au milieu de la joie. Gérard, évéque et martyr, dit à ce propos : « En ce jour, les cieux ont reçu la bienheureuse Vierge av(v joie. Les Anj^es se réjouissent, les Archan^çes jubi- lent, les Troues s'animent, les Dominations la célèbrent dans les canli(|ues, les Principautés unissent leurs voix, les Puissances acconipatj^nent de leurs instru- ments de nuisi(|ue, les Chérubins et les Séraphins entonnent des hymnes. Tous la conduisent jusqu'au souverain tribunal de la divine Majesté. »

l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 429

Troisièmement elle fut élevée au ciel au milieu de grands honneurs. Jésus lui-même et la milice céleste vinrent au-devant d'elle. « Qui pourrait s'imaginer, dit saint Jérôme, quelle fut la gloire dont la Reine du inonde fut environnée lors de son passage ? Quel res- pect affectueux! Quelle multitude de légions célestes allant à sa rencontre ! Qu'ils étaient beaux les cantiques qui l'accompagnèrent jusqu'à son trône ! Quelle ma- jesté, quelle grandeur dans les divins embrassements de son Fils qui la reçoit et l'élève au-dessus de toutes les créatures ! » « Il est à croire, dit ailleurs le même Père, que la milice des cieux alla en triomphe au- devant de la mère de Dieu, et qu'elle l'environna d'une immense lumière, qu'elle la conduisit en chan- tant ses louanges et des cantiques jusqu'au trône de Dieu. La milice de la Jérusalem céleste tressaille d'une joie ineffable : elle est fière de tant d'amour et de reconnaissance. Cette fête, qui n'arrive qu'une fois pour nous dans le cours de Tannée, ne doit point avoir eu de terme dans les cieux. On croit encore que le Sauveur vint au-devant d'elle de sa personne, dans cette fête, et qu'il la fit . asseoir plein de joie ayprès de lui sur le trône. Autrement il n'eût point accompli ce que lui-même a ordonné par cette loi : « Honore ton père et ta mère. » Quatrièmement: Elle fut reçue avec magnificence. » C'est le jour, dit saint Jérôme, la mère sans souillure, la Vierge s'avança jusqu'à son trône élevé, elle s'assit glorieuse auprès de J.-C. » Voici comment le bienheureux Gérard montre en ses homélies à quel degré de gloire et d'honneur elle fut élevée: « N.-S. J.-C. a pu seul la grandir

430 LA LÉGENDE DOREE

comme il l'a fait pour qu'elle reçût de la majesté elle- même la louange et l'honneur à toujours. Elle est en- vironnée des chœurs angéliques, entourée des troupes archançéliques, accompagnée des Trônes pleins d'al- légresse, au milieu de l'enthousiasme des Dominations; les Principautés la vénèrent: les Puissances lui ap- plaudissent : elle est honorée par les Vertus, chantée par les Chérubins et louée par les hymnes des Séra- phins. La très ineffable Trinité lui applaudit elle- même avec des transports qui n'ont point de fin, et la gre^ce dont elle l'inonde lout entière fait que tous ne pensent qu'à cette Reine. L'illustre compagnie des Apôtres l'élève au-dessus de toute louange, la multi- tude des martyrs est toute en suppliante autour d'une si grande Maîtresse : l'innombrable armée des confes- seurs lui adresse des chants magnifiques, le chœur des Vierges aux vêtements blancs célèbre sa gloire avec des accents ineffables : l'enfer lui-même hurle de rage, et les démons insolents racclament*. » l'n clerc très dévot à la Vierge Marie voulait pour ainsi (lire consoler Notre-Dame au sujet des cinq plaies de N.-S. J.-ï'., (Ml lui adressant tous les jours cette prière: (( Réjouissez-vous, Mère de Dieu, Vierge immaculée; réjouissez-vous, puisqu'un ange vous apporte la joie ; réjouiss(»z-vous [)uisque vous avez enfanté la clarté de la lumière éternelle ; réjouissez-vous, Mère ; réjouis- sez-vous, Sainte Vierge, Mère de Dieu. Vous seule êtes la Mère- Vierge : toutes créatures vous louent : O mère de lumière, je vous eu prie, ne cessez d'inter-

' Saiul Pierre Dainicii, op. xxxiv.

l' ASSOMPTION I)K LA BIRNIÎEITREIISE VIERGE MARIE 43i

céder pour nous. » Atteint d'une î^rave maladie ce clerc, réduit à rextréinilé, fut troublé par la frayeur. Ka sainte Vierge lui apparut et lui dit : « Mon fils, pourquoi une si grande crainte de ta part? toi qui si souvent m'as annoncé la réjouissance. Réjouis-toi aussi toi-même et pour te réjouir éternellement, viens avec moi*. » l'n soldat fort puissant et riche avait dissipé tout son bien en libéralités mal entendues. Il devint si pauvre qu'après avoir donné avec profusion, il fut réduit à manquer des moindres choses. Or, il avait

* On voyait dans Téglisc de Tabbaye de Marsilly (baronnie de Boursfogne), les seigneurs de Noyers avaient leur sépul- ture, une inscription ainsi conçue : « En Tan mil deux cent, sous le rei^fne de Philippe Dieu donné, un nommé Geoffroy Lebrun, maistre d'hostel du roy, estant disgracié de la cour et sans aucun moyen, comme il passait au travers de la forêt Darnois, autrement Darnaux, le diable lui apparut qui luy promit de grandes richesses, à condition qu*il luy livreroit sa femme : ce que le dit Lebrun luy promit, et à cet effet luy en donna une cédule signée de son sang. Ce que voulant exécuter il monta à cheval, mit saditte femme en trousse, et se mit en chemin pour s'en aller au rendez-vous, qui estoit dans la sus- ditte forêt; et comme son chemin estoit de passer au-devant de l'église de Nostre-Dame deMarcilly, la veille de TAssomp- tion de N.-D., laditte femme entendit sonner une messe et demanda à son mari d'entrer dans Téglise, et comme ledit Lebrun voulut sortir pour achever son voyage, la Vierge prit la figure de sa femme, monta sur la croupe de son cheval derrière luy : et estant au rendez-vous, on entendit un grand bruit qui se faisoit dans la forcit, et en mesme temps la Vierge enleva dans les bras du diable la ccdule dudit Lebrun et la rendit à sa feinmo, la(}uclle fut trouvée tlans laditte éjBj'Iise elles'estoit endormie, et la Vicrii^c lui îiyant apparu luy ordonna de prier pour la conversion de sou mari, et dis- parut. » {Cahin. hist., t. I, [>. 1;)8).

/

432 LA LÉGENDE DORÉE

une femme très honnête et fort dévote à la bienheu- reuse Vierge Marie. A l'approche d'une solennité il avait coutume de distribuer de grandes lai^esses, comme il n'avait plus rien à donner, il fut poussé par la honte et la confusion à se retirer, jusqu'à ce que cette solennité fût passée, dans un lieu désert il pourrait soulager sa tristesse, pleurer les inconvénients de sa position et éviter la honte : tout à coup paraft . un cheval fougueux sur lequel était monté un homme - terrible qui s'approche de lui et lui demande le motif: d'une tristesse si profonde. Le soldat lui ayant fait le ^ récit détaillé de tout ce qui lui était arrivé, le cavalier-" lui dit : « Si tu veux te soumettre à un léger acte d'o- béissance, tu auras de la gloire et des richesses en plus^ grande abondance que par le passé. » Il promet au prince des ténèbres d'exécuter volontiers ce qu'il lui commandera, pourvu qu'il accomplisse à son égard ce qu'il a promis lui-môme. Et le diable lui dit : <c Va-t'en chez toi, cherche dans tel endroit de ta maison, tu y trouveras des masses d'or et d'argent en telle quantité et tant de pierres précieuses : Mais aie soin tel jour de in'amener ici ta femme. » Sur cette promesse le soldat retourne à sa maison, et dans Tcndroit désigné, il trouve tout ce qui lui avait été annoncé. Il achète aussitôt des palais, il répand des largesses, il rachète ses biens, il se procure des esclaves. Or, le jour fixé étant proche, il appela sa femme et lui dit: « Montez a cheval, car il vous faut aller avec moi en un lieu assez éloigné. » La clame tremblante et effrayée, n'o- sant pas aller contre ses ordres, se recommanda bien dévotement à la bienheureuse Vier»];^e Marie et suivit

''ASSOMPTION DE M BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 433

^n époux. Parvenus assez loin, ils rencontrèrent une ^g'Iise sur leur chemin ; la femme descendit de son -Ao val et entra, pendant que son mari attendait dehors. '^Ile se recommandait avec dévotion à la bienheureuse '^^fie, quand tout à coup elle s'endormit et la glo- ^us&e Vierge, semblable en tout à cette dame dans ses ^4>îts et dans ses manières, s'avança de l'autel, sortit ïTTionta à cheval pendant que la dame elle-même **t.ç^ii endormie dans l'église. Le mari persuadé que ^t.€iitsa femme continua son chemin. Quand ils furent ^^ixrésau lieu convenu, le prince des ténèbres accourut ^ Son côté avec grand fracas. A peine s'est-il approché V^%i tout d'un coup il frémit et tremblant de stupeur il ^ Osa avancer. Alors il dit au soldat: « O le plus félon ^^s hommes, pourquoi m'as-tu joué ainsi et pourquoi ^ comportes-tu de cette manière quand je t'ai comblé ^e bienfaits? Je t'avais bien dit de m'amener ta femme et lu m'as amené la mère du Seigneur. Je voulais ta femme et tu as amené Marie, (lar ta femme ne cesse de me faire tort ; je voulais me venger sur elle, et tu m'as amené celle-là pour qu'elle me tourmentât et qu'elle m'envoyât dans l'enfer. » En entendant ces paroles, cet homme était stupéfait, la crainte et Téton- nementl'empêchaient de parler. La bienheureuse Vierge Marie dit alors : « Quelle a été ta témérité, esprit mé- chant, d'oser nuire à une personne pleine de dévotion pour moi? Tu ne l'auras pas fait impunément. Voici maintenant la sentence que je lance contre toi : c'est que tu descendes en enfer, et que tu n'aies plus dé- sormais la présomption de nuire à quiconque m'invo- quera avec dévotion. » El le diable se retira en pous- n. 28

43i KA lf:c;ende dorer

saiit (le grands hurlements. Alors le mari, sautaiil à bas de son cheval, se prosternsi aux pieds de la sainte Vierge, qui le réprimanda et lui ordonna de retourner vers sa femme encore endormie dans l'église et de se dépouiller de toutes les richesses du démon. Et quand il revint, il trouva sa femme qui dormait encore, la réveilla et lui raconta ce qui lui était arrivé. Revenus chez eux, ils jetèrent toutes les richesses du démon, ne cessèrent d'adresser des louanges en l'honneur de la sainte Vierge qui leur accorda dans la suite une grande fortune.

Un homme accablé sous le poids du péché fut ravi en vision au jugement de Dieu*. Et voilà que Satan vint dire : « Il n'y a rien en cette âme qui vous appar- tienne en propre ; elle est plutôt de mon domaine, d'ailleurs j'ai un titre authentique. » Et le Seigneur lui dit : « est ton titre? » Satan reprit : « J'ai un titre; vous l'avez dicté de votre propre bouche, et vous lui avez donné une sanction éternelle. Vous avez dit en effet : « En même temps que vous en mangerez, « vous mourrez très certainement. » Comme donc il est de la racr de ceux (jiii ont mangé le fruit défendu, à ce titre autheiitirjiie il doit tHve condamné à mourir avec moi. » Alors le Seiij^neur dit : « O homme, il tN»sl permis de te défeiulre. » Or, l'homme se tut. Le démon ajouta : « l)'aill(uirs je Tai par prescription, depuis ([-(Mlle ans je possède son àme, et il m'a sem eoininc! un (»sclave (jiii est ma propriété, h ('et homme

Saint Anlonin rapporliMlaiis sa Somme un fait (jui n'offre (jiruiu' h'tî^rre variante avor le texte de la Léij^cndc. Sttmmn, ■i'' ()arl.. lil. W, r. v, i^ I.

l' ASSOMPTION PE LA BIENHEUREL'SF: VIERGE MARIE 435

conlinua à se taire. Le démon reprit : « Cette âme est à moi, car quand elle aurait fait quelque bien, ses mauvaises actions l'emportent incomparablement sur les bonnes. » Mais le Seigneur qui ne voulait pas porter de suite une condamnation contre ce pécheur lui assigna un délai de huit jours, afin que, ce terme expiré, il comparût devant lui et s'expliquât sur tout ce qui lui était reproché. Or, comme il s'en allait de devant le Seigneur, tout tremblant et pleurant, il ren- contra une personne qui lui demanda la cause d'une tristesse aussi vive. Et comme il lui eut raconté tout en détail, l'autre lui dit : « Ne crains rien, n'appré- hende rien, car sur le premier point je t'aiderai for- tement. » Le pécheur lui ayant demandé comment il s'appelait, il lui fut répondu : « La Vérité est mon nom. » 11 en trouva une seconde qui lui promit de l'aide sur la deuxième accusation. Il lui demanda com- ment elle s'appelait et il lui fut répondu : « Je suis la Justice. » Or, le huitième jour, il comparut en juge- ment et le démon lui objecta le premier chef d'accu- sation ; la Vérité répondit : « Nous savons qu'il y a deux sortes de mort, celle du corps et celle de l'en- fer : Or, démon, ce titre que tu invoques en ta faveur ne parle pas de la mort de l'enfer, mais de celle du corps. Ce qui est évident, puisque tout le monde subit cette sentence, c'est-à-dire que tous meurent corpo- rellement, sans cependant que tous meurent des feux de l'enfer. Quant à la mort du corps, oui, elle aura toujours lieu ; mais (juarit à la mort de l'âme, rarrét en a été révoqué par le sang de J.-C. » Alors le démon, voyant qu'il avait succombé sur le premier chef, se

436 LA LEGENDE DORÉE

mit à lui objecter le second. Mais la Justice se présenta et répondit ainsi pour cet homme : a Quoique tu aies possédé cet homme comme ton esclave pendant nom- bre d'années, cependant toujours la raison voulait le contraire ; toujours la raison murmurait de servir un si cruel maître. » A la troisième objection, il n'eut personne pour le défendre. Et le Seigneur dit : « Qu'on apporte une balance et qu'on pèse les bonnes actions et toutes les mauvaises. Alors la Vérité et la Justice dirent au pécheur : « Voici la mère de miséricorde assise auprès du Seigneur, aie recours à elle de toute ton âme et essaie de l'appeler à ton aide. » Quand il l'eut fait, la sainte Vierge Marie vint à son secours et elle mit la main sur la balance du côté se trouvait le peu de bien ; mais le diable s'efforçait de faire bais- ser l'autre plateau ; cependant la mère de miséricorde l'emporta et délivra le pécheur, ndui-ci, revenu alors à lui, se corrigea.

Dans la ville de Bourges *, vers Tan du Seigneur 527, comme les chrétiens communiaient le jour de Pûques, un enfant juif s'approcha de l'autel avec les enfants des chrétiens et reçut comme eux le corps du Seigneur. Revenu chez lui, son père lui ayant demandé d'où il venait, l'enfant répondit qu'il avait été à l'église avec les enfants chrétiens, écoliers comme lui, et qu'il avait communié avec eux. Alors le père, rempli de fureur, prit l'enfant et le jeta dans une fournaise ar- dente qui se trouvait là. A l'instant la mère de Dieu

* ICvaiçre, Hittoire err/éa.^ I. IV, c. xxxv, rapporte un fait semblable arrivé à C. I*.

L.' ASSOMPTION DR LA BIEMIEITREMSE VIERGE MARIE 437

se présenta à Tenfant sous les traits d'une image qu'il avait vue sur Tautel, et le protégea contre le feu dont il ne reçut aucune atteinte. Alors la mère de Tenfant rassembla par ses clameurs un grand nombre de chré- tiens et de juifs. En voyant dans la fournaise Tenfant qui. n'avait éprouvé aucun accident, ils l'en retirèrent et lui demandèrent comment il avait pu en échapper. Il répondit : « C'est que cette révérende Dame qui était sur l'autel m'a prêté du secours et a écarté de moi tout le feu. » Les chrétiens, qui comprirent que c'était de l'image de la sainte Vierge que l'enfant par- lait, prirent le père de l'enfant et le jetèrent dans la fournaise il fut bnllé aussitôt et consumé entière- ment. — Quelques moines étaient avant le jour auprès d'un fleuve et s'entretenaient de bagatelles et de dis- cours oiseux. Et voici qu'ils entendent des rameurs "qui passaient sur le fleuve avec une grande rapidité. Les moines leur dirent : « Oui étes-vous? » Et ils ré- pondirent : « Nous sommes des démons, et nous por- tons en enfer l'âme d'Ebroïn, prévôt du roi des Francs qui a apostasie du monastère de Saint-Gall. » En en- tendant cela, les moines furent saisis d'une très vio- lente peur, et s'écrièrent de toutes leurs forces : « Sainte Marie, priez pour nous. » Et les démons leur dirent : « Vous avez bien fait d'invoquer Marie, car nous vou- lions vous démembrer et vous noyer, parce que nous vous trouvons à une heure indue vous livrant à des conversations déréglées. » Alors les moines rentrèrent au couvent et les démons se hâtèrent d'aller en enfer*.

Gauthier de Cluny, Miracles de fa sainte Vierge, c. iv.

II. ' 28-

438 LA LKCÏENDR DOR^.E

Il y avait uh moine fort lubrique, mais fort dévot à la bienheureuse Vierge Marie. Une nuit qu'il allait commettre son crime habituel, il passa devant un autel, salua la sainte Vierge, et sortit de l'église. Comme il voulait traverser un fleuve, il tomba dans l'eau et mou- rut. Or, comme les démons s'étaient saisis de son ûfne, vinrent des anges pour la délivrer. Les démons leur dirent : « Pourquoi étes-vous venus ici ? vous n'avez rien en cette âme. w Et aussitôt la bienheureuse Vierge Marie se présenta et les reprit de ce qu'ils avaient osé ravir l'âme du moine. Ils lui répondirent qu'ils l'avaient trouvé au moment il finissait sa vie dans de mau- vaises œuvres. La sainte Vierge leur dit : « Ce que vous dites est faux, car je sais que s*il allait quelque part, il me saluait d'abord et à son retour, il en fai- sait autant ; que si vous dites que l'on vous fait vio- lence, posons la question au tribunal du souverain' Juge. » Et comme on discutait devant le Seigneur, il lui plut que l'âme retournerait à son corps et ferait pénitence de ses actions. Pendant ce temps-là, les frères voyant que Theure des matines s'écoulait sans qu'on les sonnât* cherchent le sacristain; ils vont jusqu'à ce fleuve et le trouv(înt noyé. Après avoir re- tiré le corps <le l'eau, ils s'émerveillaient de cet acci- dent, (piand tout à coup le moine revint à la vie et raconta ce qui était arrivé. Il passa le reste de sa vie dans (le bonnes œuvres. Une femme souffrait une foule d'im[)ortunilésde la part du démon qui lui appa- raissait visiblement sous la forme d'un homme: elle

* Le moine était sonneur.

l'aSSOMPTION de la bienheureuse VIERCiE MARIE 439

employait quantité de moyens de se préserver; tantôt c'était de Teaii bénite, tantôt une chose, tantôt une autre, sans que le démon cessât de la tourmenter. Un saint homme lui conseilla, quand le démon s'approche- rait d'elle, de lever les mains et de crier aussitôt : « Saticia Mana, adjuva vie. Sainte Marie, aidez-moi. » Et quand elle l'eut fait, le diable, comme s'il eût été frappé d'une pierre, s'arrêta effrayé ; après quoi il dit : « Qu'un mauvais diable entre dans la bouche de ce- lui qui t'a enseigné cela. » Et aussitôt il disparut et il ne s'approcha plus d'elle dans la suite.

MODE DE l' ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE MARIE

Le mode de l'Assomption de la très sainte Vierçe Marie est rapporté dans un sermon compilé de divers écrits des saints, qu'on lit solennellement dans plu- sieurs églises, et l'on trouve ce qui suit : « Tout ce que j'ai pu rencontrer dans les récits des saints Pères, du monde entier, touchant le vénérable trépas de la Mère de Dieu, j'ai pris soin d'en faire mémoire en son honneur. Saint Côme, surnommé Vestitor, rap- porte des choses qu'il a apprises par une relation cer- taine de la bouche des descendants de ceux qui en ont été les témoins. Il faut en tenir compte. V^oici ses paroles : Quand J.-C. eut décidé de faire venir auprès (le soi la Mère de la vie, il lui fit annoncer par l'ange qu'il lui avait déjà envoyé, comment elle devait s'en- dormir *, de crainte que la mort survenant ino[)iné-

* On sVsl servi depuis les premiers siècles de i'Eij^lise, tant

440 LA LÉGENDE DOREE

ment ne lui apportât quelque trouble. Elle avait con- juré son fils face à face, alors qu'il était encore sur la terre avec elle, de ne lui laisser voir aucun des esprits malins. Il envoya donc en avant un ange avec ordre de lui parler ainsi : « Il est temps, ma mère, de vous prendre auprès de moi. De même que vous avez rem- pli la terre de joie, de même vous devez réjouir le ciel. Rendez agréables les demeures de mon Père; consolez les esprits de mes saints ; ne vous troublez pas de quitter un monde corruptible avec toutes ses vaines convoitises, puisque vous devez habiter le pa- lais céleste. 0 ma Mère, que votre séparation de la chair ne vous effraie pas, puisque vous êtes appelée à une vie qui n^aura pas de fin, à une joie sans bor- nes, au repos de la paix, à un genre de vie sûr, à un repos qui n'aura aucun terme, à une lumière inacces- sible, à un jour qui n*aura pas de soir, à une gloire inénarrable, à moi-même votre Fils, le créateur de l'univers ! Car je suis la vie éternelle, Tamour incom- parable, la demeure ineffable, la lumière sans ombre, la bonté inestimable. Rendez sans crainte à la terre ce (|iii lui appartient. Jamais personne ne vous ravira de ma main, puiscpie la terre, dans toute son étendue, est en ma main. Donnez-moi votre corps, parce que j'ai nns ma divinité dans votre sein. La mort ne tirera ancun(? gloire de vous, parce» que vous avez enij;-endré

chez le^ Latins (jue chez los (irers dr rexprcssion fformilio pour siufnifif'r le trépas^ v[ nièriic la fric do l'Assoinplion de l.i saiutr Vicrti^c. On donna «'.nrorc à ce jour le nom de deposilio, pau- salio, transihis. I/K^lisc d'orient n'eni[)Ioie (|ue le mol koirr- sisj donnilio, soninieil.

l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 441

la vie. L'obscurité ne vous enveloppera point de ses ombres parce que vous avez mis au monde la lumière ; vous ne subirez ni meurtrissure, ni brisure, car vous avez raérilé d'être le vaisseau qui m'a reçu. Venez à celui qui est de vous afin de recevoir la récompense qui vous est due pour l'avoir porté dans votre sein, pour l'avoir nourri de votre lait ; venez habiter avec votre Fils unique; hâtez-vous de vous réunir à lui. Je sais qu'aucun autre amour que celui de votre Fils ne vous tourmente. C'est comme vierge-mère que je vous ai pré- sentée; je vous présente comme le mur qui soutient le monde entier, comme l'arche de ceux qui doivent être sauvés, la planche du naufragé, le bâton des faibles, l'é- chelle de ceux qui montent au ciel, et la protectrice des pécheurs. Alors j'amènerai auprès de vous les apôtres qui vous enseveliront de leurs mains comme si c'é- tait des miennes. Il convient en effet que les enfants de ma lumière spirituelle, auxquels j*ai donné le Saint- Esprit, ensevelissent votre corps et me remplacent à vos admirables funérailles. » Après ce récit l'ange donne pour gage à la Vierge une palme, cueillie dans le paradis, afin de la rendre assurée de sa victoire contre la corruption de la mort, il y ajoute des vête- ments funèbres ; ensuite il regagne le ciel d'où il était venu.

La Bienheureuse Vierge Marie convoqua ses amis et ses parents et leur dit : « Je vous apprends qu'aujour- d'hui je dois quitter la vie temporelle; il fautdonc veil- ler, car au trépas de tout le inonde, viennent auprès du lit du mourant la vertu divine des anges et les esprits malins. » A ces mots, tous se mirent à pleurer et à

#

442 LA LÉGENDE DOREE

(lire : « Vous craiçnez, vous la présence des esprits ; (|uand vous avez été diçne d'ôtre la mère de Fauteur de toutes clioses, quand vous avez engendré celui qui a dépouillé Tenfer, quand vous avez mérité d'avoir un Irrtnc préparé au-dessus des chérubins et des sé- raphins! Que ferons-nous donc, nous autres? com- ment fuirons-nous? » Il y avait une multitude de femmes qui pleuraient et lui demandaient de ne pas les laisser orphelines. Alors la sainte Vierge leur dit pour les consoler : « Si vous qui êtes les mères d'en- fants soumis à la corruption, vous ne pouvez suppor- ter d'en être séparées pour un peu de temps, comment donc moi qui suis mère et vierge ne désireraîs-je pas d'aller trouver mon fils, le Fils unique de Dieu le Père? Si chacune de vous quand elle a perdu quel- (ju'un de ses fils, se console en celui qui survitou dans celui qui doit naître, moi qui n'ai que ce fils, et qui reste pure, comment ne me hâterai-je pas de mettre fin à mes angoisses en allant à lui qui est la vie de tous ? o Or, pendant (jue ceci se passait, saint Jean arrive et s'informe (h* re qui a lieu. Quand la Vierge lui eut an- noiic»'* son drparl pour le ciel, il se prosterna parterre et s'écriîi c\\ pltMiranl : « Que sommes-nous, Seigneur, puis(|ue v(Mis nous réservez de si grandes tribulations ? IVninpioi plutôt ne m'avez-vous dépouillé de mon corps? J'aurais mieux aimé être enseveli par la mère de mon Scigiirur, (]U(» d'être obligé d'assister à ses fu- nérailles. » Alors la sainte Vierge le mena tout en pleurs dans sa cliandjre et lui montra la palme et les vêlenKMits; après (jnoi elh* s'assit sur le lit (|ui avait «'lé [)réparé pijur sa sépulture. Et voici qu'on entend

l'aSSOMPTION de la HIENIÏKfîRRITSF VIERGK MARTE 443

un violent coup de tonnerre; un tourbillon semblable à une nuée blanche se forme, et les apôtres sont dé- |>osés, comme la pluie qui tombe, devant la porte de la maison de la sainte Vierije. Ils s'étonnent de ce qui arrive, mais saint Jean vient à eux et leur révèle ce qui a été annoncé par l'ange à la sainte Vierge: comme ils pleuraient tous, saint Jean les consola. Ils essuyèrent donc leurs larmes, entrèrent, et après avoir salué la Bienheureuse Vierge avec respect, ils l'adorèrent. Et elle dit : « Salut, les enfants de mon Fils unique. » Après avoir écoulé le récit qu'ils lui firent de leur arri- vée, elle leur manifesta tout. Les apôtres lui dirent : a C'est en tournant nos regards vers vous, très hono- rable Vierge comme vers notre maître lui-même et no- tre Seigneur, que nous nous consolions ; c'était notre seule ressource d'espérer que nous vous avions pour médiatrice auprès de Dieu. » Après qu'elle eut salué Paul en l'appelant par son nom, celui-ci lui dit : <c Je vous salue, reine de ma consolation ; car bien que je n'aie pas vu J.-C. dans sa chair* cependant, quand je vous vois, je suis consolé comme si je le voyais lui-même. Jusqu'à ce jour je prêchais aux na- tions que vous aviez engendré Dieu, maintenant j'en- seignerai que vous êtes allée à lui. » Après quoi la sainte Vierge montra ce que l'ange lui avait apporté, et les avertit de ne point éteindre les lampes jusques après son trépas. Il y avait lacent vingt vierges occu- pées à la servir. Après quoi elle revêtit ses vêlements funèbres et en disant adieu à tous, elle place son corps sur son lit pour mourir; saint Pierre était placé à la tête, saint Jean à ses pieds, les autres apô-

^

très autour du lit, adressant des lotinnçes » la i de Dieu. Alors saint Pierre prit la parole en ces ter- mes : « Réjouissez-voUR, i^pouse du lit réleste, candé- labre i trois brandies de la lumière éclante, par qui a été manifestée la clarté lîtemelle. » Saint Germain, arcbevéque de Constant! iiople atteste nu«si que U-h epâtres se raBBemblèrenl. pour le «ioniincil de la trAs sainte Vier^, quand il dit : « 0 sainte Mère de Die», quoique vous a;ei été soumise à la mort que ne sau- rait éviter aucune créature humaine, cependant votre œil qui nous garde ne s'assoupira point ni ne s'endor- mira point : car votre tri^pas n'eut pas lieu 'sans lé- moins et Vùln Bunmeil est certain. Le cJel raconte la gloire de ceux qui chanlf^renl sur votre di^pouille ; la terre rend hommage à la véracité; les nuages proela- ment les hommages que vous en avez reçus. Les angex célèbrent les bons ofScei qui vous ont été rendus, en ce que les apdtres se rassemblèrent auprès de votura dans Jérusalem, u Le grand Denys l'aréopagile attestai aussi la mëihe chose en disant : a Ainsi que tu le sais bien, nous nous sommes rassemblés avec beaucoup de nos frères pour voir le corps de celle qui a reçu le Seigneur. » Or, se trouvaient Jacques, frère de Dieu, avec Pierre le souverain chef des Théologiens. Ensuite il sembla bon, après ce qu'on avait vu, que tous les souverains prêtres chantassent des hymnes, selon que chacun avait en soi d'énergie, de bonté vivifiante ou de faiblesse.

Saint Cosme poursuit ainsi sa narration ; « Après cela, un fort coup de tonnerre ébranla la maison entière, et un venl doux la remplit d'une odeur si

l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 445

suave, qu'un sommeil profond s'empara de ceux qui s y trouvaient, à l'exception des apôtres et de trois vierges qui portaient des flambeaux ; car le Seigneur descendit avec une multitude d'anges et enleva Tâme de sa mère. Or, Téclat de cette âme était si resplen- dissant qu'aucun des apc^tres ne la pouvait regarder. Et le Seigneur dit à saint Pierre : « Ensevelissez le cx>rps de ma mère avec le plus grand respect, et gar- dez-le soigneusement pendant trois jours, car je vien- drai alors, et le transporterai dans le lieu n'existe point la corruption ; ensuite je le revêtirai d'une clarté semblable à la mienne, afin qu'il y ait union etaccord entre ce qui a été reçu et ce qui a reçu. » Saint Cosme rapporte encore un mystère étrange et merveilleux, et qui ne souffre ni investigation curieuse, ni discus- sion ordinaire : puisque tout ce qu'on dit de la mère de Dieu est surnaturel, admirable, redoutable, plutôt que sujet à discussion. « Car, dit-il, quand l'âme sor- tit de son corps, ce corps prononça ces mots : « Je vous rends grâces, Seigneur, car je suis digne de votre gloire. Souvenez-vous de moi puisque je suis votre œuvre, et que j'ai conservé ce que vous m'avez confié. » Quand ceux qui dormaient furent éveillés, continue saint Cosme, et qu'ils virent sans vie le corps de la Vierge, ils se livrèrent à une grande tristesse et poussèrent des gémissements. Les apôtres prirent donc le corps qu'ils portèrtMit au monument, en mènie temps que saint Pierre commcnra le Psaume : In exila Israël de .Efjupio. Les chœurs <les anges louaient la Vierge de telle sorte que Jérusalem fut émue à l'occasion de cette grande gloire. Alors les grands-

i

446 hk LiGKNDK nomim

prttres envoient une mùltitndedê gens armés d'^téw et de Mlons. Un d'eux se rue sur le ?raba[, avec l'intention de jeter par terre le corps de Marie, m^rc de Dieu. Mais parce qu'il l'ose toucher avec impiété, il mérite d'être privé de l'usage de ses mains; elles s'arrachent tontes les deux de sps bras, el restenl- fluspenduesau lit funèbre; en même temps, il éprouve des tourments horribles. Cependant, il implore son pardon, et promet de s'amender. Pierre lui dit : « Tu ne pourras jamais obtenir le pardon, si ta nVat- brasses le coi^s de celle qui a toujours é\é vierge, et: si tu ne confesses que J.-G., qui est d'elle, est Ie< Fils de Dieu. » Quand il l'eutfait, ses mains se rcjoi-' gnirent aux coudes d'oA elles avaient été arrachées. Et saint Pierre prit une datte de la palme et lui dit : ' a Va, rentre dans ta ville, et pose<la sur les infirmes, t et tous ceux qui croiront recevront la s^nté*. » Quand- les apdtres arrivèrent au champ de (jelhsémani, ils y trouvèrent un sépulcre semblable au îr|nrieiix sépulcre'- de J.-C. ; ils y déposèrent le corps avec beaucoup de respect, sans oser toucher an très saint vaisseau de Dieu, mais ils le prirent par les coins du suaire el le placèrent dans le sépulcre, qu'ils scellèrent. Pendant ce temps, les apôtres et les disciples du Seigneur res- tèrent autour du tombeau, selon l'ordre qu'ils en avaient reçu de leur mattre. Le troisième jour, une nuée toute resplendissante l'environne, les voix angé- liques se font entendre, une odeur ineffable se répand, tous sont dans une immense stupeur ; alors, ils voient

.Nicé|jhor<;<;a!lisle., ffiV., I. Il ; c. xxi.

l' ASSOMPTION DE LA BIRNURCIRErSK VIERGE MARIE 447

que le Seigneur est descendu, et qu'il transporte le corps de la Vier;^e avec une gloire ineffable. Les apA- tres embrassèrent le sépulcre et retournèrent chez saint Jean l'évangéliste et le théologien, en le louant d'avoir été le gardien delà sainte Vierge. Or, il y eut un des apôtres qui n'assista pas à cette solennité. Dans fadmiration le jetait le récit de choses si merveilleuses, il suppliait qu'on ouvrît le tombeau pour s'assurer de la vérité. Les apôtres s'y refusaient sous le prétexte que ce qu'ils lui racontaient devait suffire, dans la crainte que si les infidèles en avaient connaissance, ils publiassent que le corps avait été %'olé. Mais Tapôtre contristé disait : « Pourquoi me privez-vous de partager un trésor qui nous est com- mun, quand je suis autant que vous? » Enfin, ils ouvrirent le tombeau, ils ne trouvèrent pas le corps, mais seulement les vêtements et le suaire.

Au livre III, chap. xl de l'Histoire Euthimiatay saint Germain, archevêque de Constantinople, dit avoir découvert, et le grand Damascène l'atteste comme lui, que, du temps de l'empereur Marcien, l'impératrice Pulchérie, de sainte mémoire, après avoir fait bâtir à C. P. beaucoup d'églises, en éleva entre autres une admirable auprès des Blaquermes, en l'honneur de la sainte Vierge. Elle convoqua Juvé- nal, archevêque de Jérusalem, et d'autres évêques de la Palestine, qui restaient alors dans le capitale pour le concile qui se tint à Chalcédoiiie, et leur dit : a Nous avons appris que le corps de la très sainte Vierge fut enterré dans le champ de Ciethséinani ; nous voulons donc, pour garder cette ville, y transporter ce corps

i

44S LA LÉGENDR DOREE

avec un respect convenable. » Or, comme Juvénal lui eut répondu que ce corps, d'après ce qu'il en avail appris dans les anciennes histoires, avait été trans- porté dans la gloire et qu'il n'était resté dans le tom- beau que les vêtements avec le suaire, le même Juvé- nal envoya ces vêtements à C. P., ils sont placés avec honneur dans l'église dont on vient de parler *. » Et que personne ne pense que j'aie forgé ce récit à l'aide de mon imagination, mais j'ai raconté ce que j'ai connu par l'enseignement, et d'après les recher- ches de ceux qui ont appris ces faits de leurs devan- ciers, par une tradition digne de toute créance. Ce qui est rapporté jusqu'ici, se trouve dans le discours dont il a été question plus haut. Or, saint Jean Damascène, Grec d'origine, raconte plusieurs circonstances mer- veilleuses au sujet de la très sainte assomption de la sainte Vierge. Il dit donc dans ses sermons :

« Aujourd'hui la très sainte Vierge est transportée dans le lit nuptial du ciel ; aujourd'hui cette arche sainte et vivante qui a porté en soi celui qui l'a créée, est placée dans un temple que n'a pas construit la main des hommes ; aujourd'hui la très sainte colombe pleine d'innocence et de simplicité, s'est envolée de l'arche, c'est-à-dire de ce corps qui a reçu Dieu ; elle a trouvé poser les pieds ; aujourd'hui l'imma- culée Vierge que n'ont pas souillée les passions ter- restres, mais au contraire qui a été instruite par les intelligences célestes, ne s'en est pas allée dans la terre, mais appelée à juste raison, un ciel animé, elle

* Nicéphorc Callistr, flixt., 1. XV, ch. xiv.

SSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 449

bile dans les tabernacles célestes. Bien que votre înheureuse âme soit séparée d'après la loi de la ture de votre glorieux corps, et que ce corps soit nfié à la sépulture, cependant il ne reste pas la pro- iété de la mort, et il n'est pas dissous par la cor- ption : car dans celle qui a enfanté, la virginité est stée intacte ; dans^ celle qui meurt, le coips reste Lijours indissoluble, et il passe à une meilleure et is sainte vie ; la mort ne le détruit pas, car il doit me durer éternellement. De même que ce soleil atant, qui verse la lumière, paraît s'éclipser un tant quand il est caché par un corps sublunaire, s pourtant perdre rien de sa lumière intarissable, même, vous, fontaine de vraie lumière, trésor >uisable de vie, quoique condamnée à subir la "t corporelle pour un court espace de temps, vous tez cependant sur nous avec a'bondance la clarté te lumière qui ne s'altère jamais. De vient que *e sommeil ne doit pas recevoir le nom de mort, s de passage, de retraite, ou mieux encore d'arri-

En quittant votre corps, vous arrivez au ciel, cinges et les archanges viennent au-devant de vous : esprits immondes redoutent votre ascension. Bien- ï^euse Vierge, vous n'avez pas été enlevée au ciel, ^ïne Elie, vous n'êtes pas montée comme Paul jus- ^\i troisième ciel, mais vous avez atteint au trône Bil de votre Fils. On bénit la mort des autres saints Ce qu'elle démontre qu'ils sont heureux, mais cela ôste pas chez vous. Ni votre mort, ni votre béati- e, ni votre trépas, ni votre départ, pas même votre traite n'ajoutent rien à la sécurité de votre bonheur ;

u. 29

430 LA LÉGENDE DORÉE

car vous êtes le principe, le moyen et la fin de tous les biens que ne saurait comprendre l'intelligence de rhomme. Votre sécurité, votre avancement réel, votre conception surnaturelle s*expliquent : vous êtes l'habi- tation de Dieu. Aussi avez- vous dit avec vérité que ce n*est pas à dater de votre mort, mais du moment de votre conception que toutes les générations vous béniraient. La mort ne vous a pas rendue heureuse, mais vous-même vous avez ennobli la mort ; nonobs- tant la tristesse qui l'accompagne, vous Tavez chan- gée en joie. En effet si Dieu a dit : De crainte que le premier homme n'étende la main et ne cueille du fruit de l'arbre de vie et qu'il ne vive pour toujours ; comment celle qui a porté la vie elle-même, la vie qui n'a pas eu de commencement, la vie qui n'aura point de fin, comment ne vivrait-^lle point dans le siècle qui doit durer toujours? Dieu autrefois a chassé du paradis les auteurs du genre humain endormis dans la mort du péché, ensevelis dans les profondeurs de la désobéissance, et qui déjà étaient gâtés par l'infec- tion du péché ; il les a exilés ; mais aujourd'hui celle qui a apporté la vie à tout le genre humain, qui a < Ion (les preuves de son obéissance à Dieu le Père, qui a chassé toutes les impressions du vice, comment le paradis ne la recevrait-il pas ? comment le ciel joyeux ne lui ouvrirait-il pas ses portes? Eve a prêté Toreille au serpent ; elle a avalé la coupe empoisonnée ; elle se laisse allécher par la volupté ; elle enfante dans la douleur: elle est condamnée avec Adam. Mais c(»lle qui est vérilal)lenient bienheureuse, qui prêta l'oreille à la voix de Dieu, qui fut remplie du

l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 451

Saint-Esprit, qui porta la miséricorde du Père en son sein, qui conçut sans l'entremise de l'homme, qui enfanta sans douleur, comment la mort en fera-t-elle sa proie ? comment la corruption osera-l-elle quelque chose sur un corps qui a porté la vie elle-même? »

Le Damascène dit encore dans ses sermons : ce II est vrai que, dispersés par toute la terre et occupés à pécher des hommes, jetant le filet de la parole pour les amener hors des ténèbres ils étaient ensevelis à la table céleste et aux noces solennelles du Père, les apôtres furent rassemblés et réunis par Tordre de Dieu, et furent apportés des confins du monde à Jéru- salem, enveloppés dans une nuée comme dans un filet. En ce moment nos premiers parents Adam et Eve s'écrièrent : « Venez à nous, ô sacrée et salutaire a nourriture, vous avez comblé notre joie ! » De son côté la compagnie des saints qui se trouvait corpo- rellement présente disait : « Demeurez avec nous ; vous êtes notre consolation ; ne nous laissez pas orphe- lins ; vous êtes notre soutien dans nos travaux, notre rafraîchissement dans nos fatigues ; c'est notre gloire de vivre ou de mourir avec vous : car la vie n'est rien pour nous, si nous sommes privés de votre pré- sence. » Je pense que ce furent ces paroles ou d'autres semblables que les apôtres exprimaient au milieu des sanglots de tous ceux qui composaient l'assemblée. Marie se tournant vers son fils : « Soyez vous-même, lui dit-elle, le consolateur de ceux qu'il vous a plu appeler vos frères et qui sont dans la douleur à cause de mon départ ; et ajoutez bénédiction sur bénédic- tion à l'imposition des mains ({ue je vais faire sur

452 LA LÉGENDE DOREE

eux. » Ensuite elle étendit les mains et bénit le lège des fidèles, puis elle ajouta : « Seigneur, \^ remets mon esprit entre vos mains : recevez mon âi^cmc qui vous est si chère et que j'ai conservée pure. C'^^aesi à vous et non à la terre que je confie' mon corpa^ '«s ; conservez-le entier puisqu'il vous a plu rhabiti ir. Transportez- moi auprès de vous, afin que v êtes, vous, le fruit de mes entrailles, j*y sois et habite avec vous. » Ce fut alors que les fidèles ent dirent ees paroles : « Levez-vous, venez, ô ma bi aimée, à la plus belle des femmes ; vous êtes be mon amie, et il n'y a pas de tache en vous. » entendant ces paroles, la Vierge recommande esprit aux soins de son Fils. Alors les apôtres dent des torrents de larmes, et couvrent de bai le tabernacle du Seigneur : le contact de ce sacré co les remplit de bénédiction et de sainteté. Les m dies disparaissent, les démons s'enfuient, l'air e ciel sont sanctifiés par la présence de son esprit ^ui s'élève, la terre l'est à son tour, parce que son coxps y est défiosé ; comme aussi l'eau, par l'ablutiorm de son corps. En effet, ce corps sacré est lavé dans une eau très limpide qui n'a pu le nettoyer, mais qui en a été sanctifiée. Ensuite le saint corps enveloppé d'un suaire blanc est placé sur un lit, les lampes resp/^n- disscnt, les parfums répaiuleiit leur douce odeur, e( Tair retentit du chant des hymnes anjjéliques. Ce fui •! i, au milieu du concert que les apôtres et les autres saints qui se trouvaient là, faisaient entendre, en chantant des canti(jues divins, (|ue Tarche du Seigneur, soutenue sur les tètes sacrées <les apolres, est amenée

>5

i-'assomption de la bienheureuse vierge marie 4S3

de la montagne à la sainte terre de Gelhsémani. Les an/^es la précèdent et la suivent, les autres étendent des voiles sur le précieux corps, toute l'Eglise raccom- pagne. Il s y trouva aussi des Juifs endurcis par le vieux levain de la méchanceté. On raconte encore que comme ceux qui portaiant le corps sacré de la mère de Dieu descendaient de la montagne de Sion, un hébreu, un instrument du diable, poussé par un mou- Tcment téméraire et conduit par une inspiration infernale s'approcha, en courant, du saint corps auprès duquel les anges eux-mêmes tremblaient de s'appro- cher, et comme un furieux, prit de ses deux mains le lit funèbre qu'il renversa à terre. Mais on dit (ju'une de ses mains se sécha comme bois et tomba. C'était merveille de le voir semblable à un tronc inutile, tant que la foi n'eut changé son cœur, et ne l'eut fait re- pentir avec larmes de son crime. Alors ceux qui por- taient le cercueil s'arrêtèrent, jusqu'à ce que le misé- rable mettant sa main sur le très saint corps, reçut une guérison complète à l'instant qu'il l'eut touché. De on arrive à Gethsémani, le saint corps est déposé dans un tombeau vénérable, après qu'il eut reçu les baisers, les embrassements, les larmes des fidèles couverts de sueur et chantant des hymnes sacrés. Mais votre âme ne fut pas laissée dans l'enfer et votre corps n'a pas été atteint par la corruption. Il convenait que le sein de la terre ne retînt pas le sanctuaire de Dieu, la fontaine qui n'a pas été creu- sée, le champ vierge, la vigne qui n'avait pas reçu la rosée, l'olivier fécond. Il fut convenable que la Mère fût élevée par le Fils, afin qu'elle montât vers lui II. 29-

434 LA LKGENDE DORÉE

comme il était descendu en elle, afin que celle qui a conservé sa virginité dans son enfantement n'éprou- vât pas les atteintes de la corruption en son corps, et que celle qui a porté son créateur dans son sein habitât les divins tabernacles. Le Père l'avait prise pour épouse, elle doit être gardée dans le palais cé- leste : la mère doit jouirde ce qui appartient au Fils. » (Saint Jean Damascène.)

Saint Augustin s*étend aussi fort longuement dans un sermon sur la très sainte Assomption de Marie toujours vierge : « Avant, dit-il, de parler du très saint corps de celle qui toujours a été vierge, et de Tas- somption de sa bienheureuse âme, nous commençons par dire que l'Ecriture ne parle pas d'elle après que le Seigneur l'eut recommandée sur la croix au disciple, si ce n*est ce que saint Luc rapporte dans les Actes des apôtres : (c Ils étaient tous, dit-il, persévérants una- « nimement dans la prière avec Marie, mère de Jésus « (Actes, i). » Que dire donc de sa mort? Que dire de son assomption? Puisque TEcriture se tait, il ne faut de- mander à la raison que ce qui est conforme à la vérité. Que la vérité donc suit notre autorité puisque sans elle il n'y a même pas d autorité. Nous nous basons sur la connaissance que nous avons de la condition humaine quand nous n'hésitons pas à dire qu'elle a souffert la mort leinporelie * ; mais si nous disons qu'elle fut la pâture de la pourriture, des vers et de la cendn», il faut examiner si cet état convient à la sain-

II paraît par ce passatj;"^ (jiie l'oraison Veneranda qui so rrrilaif dans les lilinij^lrs niodrriics nu jour tic la fcle de PAs- somplioii, est ti'uiie 1res haute anti(juité.

l' ASSOMPTION DE LA BIENHFATREIJSE VIERGE MARIE 453

teté qui la distingue et aux prérogatives qui appar- tiennent à cette merveilleuse habitation de Dieu. Nous savons bien qu'il a été dit à notre premier père : « Tu a es poussière et tu retourneras en poussière. » La chair de J.-C. ne subit pas cette condamnation puisqu'elle ne fut pas soumise à la corruption. Donc elle fut exceptée de la sentence générale la nature qui fut prise de la Vierge. Le Seigneur dit aussi à la femme: « Je « t'affligerai de nombreuses misères : tu enfanteras dans « la douleur. » Marie a bien enduré les angoisses, puis- qu'un glaive perça son âme ; cependant elle enfanta sans douleur. Donc Marie, quoique partageant les an- goisses d'Eve, ne les partagea pas en enfantant avec douleur. Donc celle qui jouit d'une prérogative im- mense est exceptée de la règle générale. Si donc l'on dit qu'elle a souffert la mort sans cependant que la mort l'ait retenue dans ses liens, serait-ce une impiété de dire qu'il n'ait pas voulu préserver sa mère contre les horreurs delà pourriture, quand il a voulu conser- ver intacte la pudeur de sa virginité? Est-ce qu'il n'ap- partenait pas à la bonté du Seigneur de conserver rhonneur de sa mère, lui qui était venu non pour dé- truire la loi, mais pour l'accomplir ? S'il Ta honorée pendant sa vie plus que toute autre par la grâce qu'il lui fit de le concevoir, c'est donc chose pieuse de croire qu'il l'honora dans sa mort d'une préservation parti- culière et d'une grâce spéciale. La pourriture et les vers, c'est la honte <ic la condition humaine. Or, comme J.-C. est exempt de cet opprobre, Marie en est exempte aussi, puis(|ne J.-C. est d'elle. Car la chair de Jésus, c'est la chair de Marie, qu'il éleva au-dessus

i

456 ul LiacNoi oowbt

des astres, honorant psr li la nature tunûiae} naii plus encore celle de sa mère. Si le fils a la natsie de la mère, il est de toute convenance que la Aère 'pos- sède la nature du Fils, non pas quant i 1*011114 dis la personne, mais quant A l'unité de la nature oorporeUe. Si la grilce peut feire qu'il y ail unité saits qu'il _v ait' communauté de nature, A plus forte raison quand tl y a nnilé en ^rice et naissance rorporeilc en particu- lier. II y a unité de grAce comme celle des disciples avec J.-G., selon qu'il en parle lui-même quand il dit: « Afin qu'ils soient un comme nous sommes un » : et ailleurs : « Mon père, je veux qu'ils soient avec moi c partout je suis. « K donc J.-C. veut avoir avec soi ceux qui, réunis par la foi en lui, sont oenaés ne Caire qu'un avec lui, que penser, par rapport i sa mère, dn lieu elle soit di^ne de se trouver, sinon eo présence de son Fils? Autant que je puis le comprendre, autant que je puis le croire, l'Ame de Marie est hon(»te pv son Fils d'une prérogative plus excellente eneore>pni»> qu'elle possède en J.-C. le corps de ce Fils qu'elle a engendré avec les caractères de la gloire. Et pourquoi ce corps ne serait-il pas le sien, puisqu'elle le conçut par lui ? S'il n'a pas été au-devant d'elle, je ne recon- nais pas son autorité. Oui, je crois que c'est par lui qu'elle a engendré; car unes! g;rande sainteté est plus digne du ciel que de la terre. Le trône de Dieu, le lit de l'époux, la maison du Seigneur et le tabernacle de J.-C. a le droit d'ôtre il est lui-même. Le ciel est plus digne que la terre de conserver un si précieux Irésor. L'incorruptibilité et non la dissolution causée par la pourriture est la conséquence directe d'une si

l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 457

grande intégrité. Que ce très saint corps ait été aban- donné aux vers comme à leur pâture, je rougirais de le penser, j'aurais honte de le dire ! Les grâces incom- parables qui lui ont été départies sont de nature à me faire rejeter cette pensée. Plusieurs passages de TEcriture viennent à Tappui de ce que j'avance. La vérité a dit autrefois à ses ministres : « je suis, « aussi sera mon ministre. » Si cette sentence générale regarde tous ceux qui servent J.-C. par leur croyance et leurs œuvres, elle s'applique bien mieux encore à Marie qui, sans le moindre doute, l'a aidé par toutes ses œuvres. Elle l'a porté dans ses entrailles, elle Ta mis au monde, elle l'a nourri, elle l'a réchauffé, elle l'a couché dans la crèche, dans la fuite en Egypte elle Ta caché, elle a guidé les pas de son enfance, elle Ta suivi jusqu'à la croix. Elle ne pouvait douter qu'il fût Dieu, puisqu'elle savait l'avoir conçu non par les voies ordinaires, mais par l'aspiration divine. Elle n'hésite pas à croire à sa puissance comme à la puissance d'un dieu quand elle dit, lorsque le vin manquait : ce Ils n'ont pas de vin. » Il accueillit sa demande par un miracle; elle savait qu'il le pouvait faire. Donc, il est clair que Marie par sa foi et par ses œuvres a aidé J.-C. Mais si elle n'est pas J.-G, veut que soient ses ministres, donc sera-t-elle ? Et si elle y est, serait-ce à titre égal? Et si c'est à titre égal, est l'égalité devant Dieu s'il ne rend à chacun selon ses mérites? Si c'est avec justice que la sainte Vierge a reçu pendant sa vie une plus grande abondance de grâces que les autres, pounjuoi donc lui soustraire cette grâce quand elle est morte? Non certes! car si

488 LA hÉaEKDZ mmÈK

■la murt de tons les saints est précaire, 1a dhmI de Marie est évidemmeat très précieuse. Je pense ikmc ■qu'il faut déclarer que Marie, élevée aux- jmes île Péternité par la bonté de J.-O., a été reçue avec fins d'honneur que les antres, puisqu'il l'a honorée de sa frAce plus que tes aotrés.: et qu'elle n'a point eu i subir après sa mort ce que les autres hommes au- blssent, la pourriture, les vers et la ponsnire, puî»* qu'Ole- a- etijfendré son Sauveur et celui de tons les Jbomnies. Si la divine volonté a d;iii.'ité conserver intact» ^ milÏM des flammes les vt^lenjents des enfants,; )H>on|a0i ne gsrderait-elle pa&, dans sa propre mèrej; «e qu'il a gardé dans les vélrinenls des autres? L4 miséricorde seule a voulu conserver vivant Jouas daiK le ventre de la baleine, et la gr^ce ne conservera pas Marie contre la corruption? Daniel fui cnnservé mal- •gri la faim dévorante des lions, et Marie ne se serait pas conservée après que ses mérites l'ont élevée A une si haute dignité? Puisque dans ce que nons venons de dire, nous reconnaissons que tout a été fait contre les lois de la nature, nons sommes certains aussi que la grâce a plus fait que la nature pour l'intégrité de Marie. Donc J,-C., comme fils de Marie, fait qu'elle tire sa joie de lui-même dans son Âme et dans son corps. II ne la soumet pas au supplice de la corruption, puisqu'en enfantant ce divin fils, elle ne fut pas sou- mise à la perte de sa virginité ; en sorte qu'elle est in- corruptible en raison des grâces qui l'ont inondée, qu'elle vit intégralement parce qu'elle a mis au monde celui qui est la vie entière de tous. 0 Jésus, j'ai parlé comme Je l'ai dil, approuvez-moi, vous et les

SAINT BERNARD 439

vôtres. Si j'ai parlé autrement que je ne le dois, je vous en conjure, vous et les vôtres, pardonnez-le moi. »

SAINT BERNARD

Bernard vienl de ber, puits, fontaine, et de nani, plante, d'a- près la Glose sur le Cantique des Cantiques. Humble, d'une na- ture échauffante et odoriférante. En effet saint Bernard fut échauffé d'un ferventamour ; il fut humble dans ses habitudes et odoriférant par la suavité de sa réputation. Sa vie fut écrite par Guillaume, al>bc de Saint-Thierry, compagnon du saint, et parHernoId, abbé de Bonueval*.

Saint Bernard naquit au château de Fontaine, en Bourgogne, de parents aussi nobles que religieux. Son père Técelin était un chevalier plein de valeur et non moins zélé pour Dieu; sa mère s'appelait Aaleth. Elle eut sept enfants, six garçons et une fille ; les sept gar- çons devaient tous ôlre moines et la fille religieuse. Aussitôt qu'elle en avait mis un au monde, elle l'of- frait à Dieu de ses propres mains. Elle refusa toujours de faire nourrir ses enfants du lait d'une étranft»;ère, comme si avec le lait maternel, elle dût les remplir de tout ce qui pouvait se trouver de bon dans elle. Quand ils avançaient en âge, tout le temps qu'elle les eut sous la main, elle les élevait pour le désert plutôt que pour la cour, leur donnant à manger des nourritures com- munes et des plus grossières, comme s'ils devaient par-

* Jacques de Voragiue a écrit celle vie d'après le livre do Guillaume, de Saint-Thierry.

/

460 LA LÉGENDE DORÉE

tir d'un instant à l'autre pour la solitude. Etant en- ceinte de Bernard, son troisième fils, elle eut unsone^e qui était un présaj^çe de l'avenir. Elle vil dans son sein un petit chien blanc, tout roux sur le dos et qui aboyait. Elle déclara son rêve à un homme de Dieu. Celui-ci lui répondit d'une voix prophétique : « Vous serez la mère d'un excellent petit chien, qui doit être le gardien de la maison de Dieu; il jettera de grands aboiements contre les ennemis de la foi ; car ce sera un prédicateur distingué» qui guérira beaucoup de monde par la vertu de sa langue. » Or, comme Bernaixl était encore tout petit, et qu'il souffrait d'un grand mal de tète, il repoussa et chassa, en criant avec une extrême indignation, une femme qui venait pour sou- lager sa douleur par des charmes; mais la miséricorde de Dieu ne manqua pas de récompenser le zèle du petit enfant ; en effet il se leva aussitôt et se trouva guéri. Dans la très sainte nuit de la naissance du Sei- gneur, comme le jeune Bernard attendait dans l'église l'office des Matines, il désira savoir à quelle heure de la nuit J.-G. était né. Alors le petit enfant Jésus lui apparut comme s'il venait de naître du sein de sa mère. Ce qui lui fit penser, tant qu'il vécut, que c'était l'heure de la naissance du Seigneur. Dès ce moment il lui fut donné, pour ce mystère, une intelligence plus profonde et une éloquence plus riche. Aussi dans la suite, il mit au jour, en l'honneur de la mère et du Fils un opuscule remarquable parmi tous ses autres traités, dans lequel il expliqua l'évangile Missus est Angélus Gabriel. L'antique ennemi voyant des dispositions si saintes dans cet enfant fui jaloux de la résolution

SAINT BERNARD 461

qu'il avait prise de garder la chasteté, et il tendit une infinité de piètres pour le faire succomber à la tenta- tion. En effet une fois que Bernard avait arrêté quel- que temps les yeux sur une femme, à l'instant il rougit de lui-même et exerça sur son corps une vengeance très sévère; car il se jeta dans un étang dont leseaux étaient glacées, il resta jusqu'à être presque gelé, et par la grâce de Dieu, il éteignit en soi toutes les ardeurs de la concupiscence de la chair.

Vers le même temps, une fille poussée par le démon se sflissa nue dans le lit oii il dormait. En la sentant, il lui céda en toute paix et silence le côté du lit elle s'était placée, et se retournant de l'autre côté, il s'endormit. Alors cette misérable resta quelques ins- tants tranquille et attendit; enfin elle se mi ta le toucher et à le remuer; enfin comme il restait immobile, cette fille tout impudente qu'elle fût, se prit à rougir et pleine d*une crainte étrange et d'admiration, elle se leva et s'enfuit. Une autre fois, il avait reçu l'hospi- talité chez une dame qui, en voyant un si beau jeune homme, conçut pour lui des désirs brûlants. Comme elle lui avait fait préparer un lit à l'écart, elle se leva au milieu du silence de la nuit, et eut l'impudence de venir le trouver. Bernard ne Teut pas plutôt sentie, qu'il se mit à crier : « Au voleur, au voleur. » A ce cri femme fuit ; on allume une lampe ; on cherche le voleur, mais il n'y a pas moyen de le trouver. Cha- cun retourne à son lit, et repose, la misérable seule ne repose pas, car elle se lève une seconde fois, va au lit de Bernard qui s'écrie de nouveau : « Au voleur, au voleur. » On cherche encore le larron, qui ne fut pas

462 LA LiSSHDB DORÉB

découvert par celiii^ft seul qtii le conneissait. Cette méchante femme aÎDSÏ rebutée ne laissa pas de revenir uae troisième fois ; enfio vaincue par la crainte ou le désespoir, elle cessa à peioeses lenlalives. Or, le lende- main, quand Bernard se fut remis en route, ses com- pagnons de voyage lui demandèreitl, en lui adressant des reproches, pourquoi il avait tant rêvé voleurs. If leur dit: « Véritablement cette nuil, j'ai él<^ alUqué par un voleur; car ThAtesse essayait de m'cnlever le trésor de la chasteté qui.ne8e peut recouvrer. » Réflé- chissant donc qu'il n'est pas sûr de demeurer avec un serpent, il pensa à s'enfuir, et dés lors il résolut d'en- trer dans l'ordre de CSteaoz. Lorsque ses frères en furent instruits, ils voulurent le détourner de loutesles manières d'exécuter son dessein ; mais le Sei^mcur lui accorda une si grande grflce que non seuleinenl ritrn ne s'opposa à sa conversion mais il j^a^na au Seigneur pour entrer en religion tousses frères et beaucoup d'autres encore. Gérard, son frère, militaire vaillani, regardait comme vaines les paroles de Bernard, et re- jelail absolument ses conseils ; alors Bernard, animé d'une foi toute de feu, etlransporlédu zèle de la charité pour le salut de son frère, lui dit : « Je sais, mon frère, je sais qu'il n'y aura que le malheur qui puisse don- ner à tes oreilles de comprendre. Puis mettant ledoigt sur son côté ; « Le jour viendra dit-il, et il viendra bienl(>t, qu'une lance perçant ce côié fera arriver jus- qu'à ton cœur l'avis que tu rejettes, » Peu de jours après Gérard, qui avait reçu un coup de lance à l'en- droit où son frère avait posé le doigt, est fait prison- nier et je[é dans les fers. Bernard vint pour le voir,

SAINT BERNARD 463

et comme on iic lui permettait pas de lui parler, illui cria : « Je sais, mon frère Gérard, que dans peu nous devons aller pour entrer au monastère. » Cette nuit-là même, les chaînes qui retenaient Gérard par les pieds tombèrent ; la porte de la prison s'ouvrit et il s'enfuit plein de joie. Alors il fit connaître à son frère qu'il avait changé de résolution et qu'il voulait se faire moine.

L'an de l'Incarnation 1112, la quinzième année de- puis l'établissement de la maison des cisterciens, le serviteur de Dieu Bernard, âgé d'environ vingt-deux ans, entra dans l'ordre de Citeaux avec plus de trente de ses compagnons. Or, comme il sortait avec ses frères de la maison paternelle. Guidon, l'aîné, voyant Nivard, son tout petit frère, qui jouait sur la place avec des enfants, lui dit : « Allons, mon frère Nivard, c'est à toi seul qu'appartient toute la terre de noire héri- tage. » Et l'enfant lui répondit non pas comme un enfant : « Vous aurez donc le ciel, et à moi vous me laissez seulement la terre? Ce partage n'a pas été fait ex œquo, » Nivard resta donc quelque peu de temps avec son père; mais dans la suite, il alla rejoindre ses frères. Le serviteur de Dieu Bernard étant entré dans cet ordre, s'adonna tellement à la contemplation spirituelle et fut tellement occupé du service de Dieu, qu'il ne se servait déjà plus d'aucun de ses sens cor- porels; car il y avait un an qu'il était dans la cellule des novices, qu'il ignorait encore si la maison avait une voûte. Bien qu'il entrât souvent dans l'église et qu'il en sortît, il pensait qu'il n'y avait qu'une fenêtre au chevet, il s'en trouvait trois. L'abbé de Citeaux

464 LA LÉGENDE DORÉE

envoya des frères pour fonder la maison de Clairvaux, et ce fut Bernard qu'il leur proposa pour abbé. Il y vécut longtemps dans une pauvreté excessive, et sou- vent il n'avait que des feuilles de hêtre pour confec- tionner le potage. Le serviteur de Dieu veillait au delà de ce que peut la force d'un homme : et il avait cou- tume de dire que le temps qu'il regrettait le plus était celui qu'il passait à dormir; il trouvait que la com- paraison qu*on fait entre le sommeil et la mort était assez juste, puisque ceux qui sont morts semblent dormir aux yeux des hommes comme ceux qui dor- ment semblent morts aux yeux de Dieu. C'est pour- quoi, s'il entendait un frère ronfler trop fort', ou bien s'il le voyait couché avec peu de bienséance, il le sup- portait avec peine, et prétendait qu'il dormait comme un homme charnel ou bien comme un séculier. Il n'é- tait porté à manger par aucun plaisir de contenter son appétit ; c'était la crainte de défaillir qui le faisait se mettre à table, comme à un lieu de supplice. Après le repas, il avait constamment la coutume de penser à la quantité de nourriture qu'il avait prise, et s'il s'a- percevait avoir excédé seulement d'un peu sa ration ordinaire, il ne laissait pas passer cela impunément. II avait tellement dompté les attraits de la friandise qu'il avait perdu en grande partie le sens du goût ; car un jour qu'on lui avait versé de l'huile par mégarde, il la but sans s'en apercevoir : et le fait serait resté ignoré, si quelqu'un n'eilt remarqué avec étoimement qu'il avait les lèvres couvertes d'huile. On sait que pendant plusieurs jours, il fit usage de sang caillé qui lui avait été servi pour du beurre. 11 ne trouvait de

SAINT BERNARD 465

saveur qu'à l'eau, parce que, en la prenant, disait-il, elle lui rafraîchissait la bouche et la |^ori;^e. Il disait ingénument que tout ce qu'il avait appris dans l'Écri- ture sainte, il l'avait acquis par la méditation et la prière dans les forêts et dans les champs ; et il répé- tait souvent à ses amis qu'il n'avait jamais eu d'autres maîtres que les chênes et les hêtres. Enfin il avoua que c'était souvent dans la méditation et la prière que toute la Sainte Écriture s'était présentée à lui sous son véritable sens, et toute sa clarté. A une époque, rap- porte-t-il dans le 82*^ sermon sur le Cantique des Can- tiques, pendant qu'il parlait, il voulait retenir quelque chose que le Saint-Esprit lui suggérait^ et se le réser- ver pour une autre fois il serait obligé de traiter le même sujet, il lui sembla entendre une voix qui lui disait : « Tant que vous retiendrez cela, vous ne rece- vrez pas autre chose. » Il est certain qu'il ne le faisait pas par un sentiment d'infidélité, quoiqu'il témoignât manquer d'un peu de foi.

Dans ses vêtements la pauvreté lui plut toujours, mais jamais la malpropreté, qu'il disait être la marque d'un esprit négligent, ou plein d'un sot orgueil, ou bien convoitant la gloire humaine. Souvent il citait ce proverbe, que toujours il avait dans le cœur : « Qui veut être remarqué, agit autrement qu'un autre. » C'est pour cela qu'il porta un cilice plusieurs années, tant que la chose put rester secrète ; mais quand il s'aperçut qu'elle était découverte, il s'en dépouilla et fit comme la communauté. S'il riait, c'était toujours de telle sorte qu'il lui fallait faire des efforts pour rire plutôt que pour réprimer des ris : il fallait qu'il les II. 30

466 LA uteCKDB DORKE

exdtAt plutôt qu'il ne les reUat. Comme il avait cou- tume de dire qu'il y avait trois genres de patienc«, «avoir : patience pour les paroles iiijuricusps, 2** patience pour le dommage dan.s les biens, el pa- tience dans les maladies du corps, il prouva qu'il les possédait tous par les exemples qui suivent : Il avait écrit une lettre dans laquelle il donnait des avis à un évAque en termes affectueux. L'éïdque outré de colère lui réponditen style des plus amers cl commença ainsi sa lettre: a Salut et non par esprit de blasphème u, comme si saint Bernard lui eût écrit poussé par l'esprit de blas- phème; mais celui-ci lui écrivît de nouveau en disant : « Je ne crois pas avoir l'esprit de blasphème, et je ne sache pas avoir maudit personne, ni avoir l'envie de le faire & l'égard de qui que ce 8oit> mais surtout envers le prince de mon peuple. » Unabbé lui envoya 600 marcs d'ar^nt pour construire un monastère ; or, toute la somme fut ravie en route par des voleurs. A cette nouvelle, Bernard se contenta de dire ; n Béni soit Dieu, qui nous a délivrés de ce fardeau ; il faut toute- fois avoir pitié de ceux qui l'ont enlevé; car, d'une part, c'était la cupiditt^ humaine qui les poussa; et d'ailleurs celte grosse somme d'argent avait été l'oc- casion d'une grande tentation. Un chanoine rég'ulier vint le prier instamment de le recevoir au nombre des moines, fïomme Bernard n'acquiesçait pas à sa de- mande el lui conseillait de retourner à son église : » Pourquoi donc, lui dit le chanoine, recommandez- vous si fort la perfection dans vos écrits, si vous ne l'offrez pas à ceux qui la désirent* Que ne puts-je les tenir dans mes mains, vos livres, afin de les mettre en

SAINT BERNARD 467

morceaux ! » Bernard reprit : « Vous n'avez lu dans aucun d'eux que vous ne pouviez pas être parfait clans votre cloître : c'est la correction des mœurs, ce n'est pas le changement de lieux que j'ai recommandé dans tous mes livres. » Alors cet insensé se jeta sur lui et le frappa si grièvement à la joue, que la rougeur succéda au coup, et Tenfle à la rougeur. Déjà ceux qui se trouvaient se levaient contre le sacrilège^ mais le serviteur de Dieu les prévint en criant et en les con- jurant au nom de J.-C. de ne point le toucher et de ne lui faire aucun mal. Il avait coutume de dire aux novices qui voulaient entrer en religion : « Si vous voulez avoir part à tout ce qui se fait dans l'intérieur de cette maison, laissez à la porte le corps que vous avez amené du siècle : l'esprit seul entre ici ; on n'y a pas besoin de la chair. » Son père, qui était resté seul à la maison, vint an monastère et y mourut après un court espace de temps, dans une belle vieillesse.

Sa sœur, qui s'était mariée, vivaitexposée au danger au sein des richesses et des délices du monde. Or, elle vint une fois au monastère faire une visite à ses frères. Et comme elle était arrivée avec une suite et un appareil magnifique, Bernard en eut horreur comme du filet dont se sert le diable pour prendre les âmes ; il refusa absolument de sortir pour la voir. Comme aucun de ses frères ne venailà sa rencontre, mais que Tun d'eux, qui pour lors était portier, Tappclait fumier habillé, elle fondit toute en larmes. « Bien que je sois une pé- cheresse, dit-elle, c'est pour les gens de cette sorte que J.-C. est mort: c'est parce que je sens être une péche- resse que je recherche les avis et rentretien des per-

à

468 LA l.i:GIL\lyK DORÉE

soDDesde bien; et si mon friTc méprise mnn corps, que -le servîtear de I>icu ne mi^prise pas mon Hnif. Qu'il nenne, qa'ilordonne, et tout ce qu'il ordonnem, je l'aocomplinti. » Ce ne lui qu'après c^tle promesse -que saiot Bernard vint U\ trouver avec ses frères ; et parce qu'il ne pouvait pns la séparer de son mnri, il lut interdit d'abord toute la vaine ^oire dumondc. et ' illui proposa, pour modèle à imiter, la conduite de «il mère ; B|Hrès quoi il la congédia . A son retour, il s'opéra. ^ en elle ûa changement si soudain, qu'au milieu de la gloire du inonde, ^1e menait une vie érémîtique et qu'elle se rendait absolument élran^nre à tout ce qui tenait du siècletËniïnà Torcede prières, elle gagna J son mari» et après avoir reçu l'autoriNalion de soi^ èvAque, elle entra dans un monastère. L'homme à»m Dieu tomba malade, 'et on croyait qu'il allait rendra te dernier soupir, quand il fui ravi en esprit et 11 hii I parutqu'il était présenté au tribunal de Dieu: Satan y fut'l aussi de son câté,etle pressait d'accusations inju»tes»f Quand il eut tout articulé et que ce fut au tour de l'homme de Dieu àparler,celui-ci dilsansse troubler et sans s'effrayer : « Je l'avoue, je suis un indigne, et je ne saurais, par mes propres mérites, obtenir le royaume des cieux. Au reste mon Seigneur qui le possède à double titre, savoir par héritage de son père, et par le mérite de sa passion, se contente de l'un et me donne l'autre .ce don, je le revendique pour moi, et je ne saurais être confondu. » A cette parole l'en- nemi fut confus, l'assemblée dissoute, et l'bomme de Dieu revint à lui. Il atterra son corps par une absti- nence excessive, par le travail, par les jeilnes, à tel

SAÎNT BERNARD 469

point qu'il était continuellement malade et languissant, la fièvre le dévorait, et c'était à peine s'il pouvait suivre les exercices du couvent. Une fois, il était très gravement malade ; ses frères firent des prières pour lui, et il se sentit revenir à la santé. Alors il convoqua la communauté et dit : « Pourquoi retenez-vous un misérable homme? vous êtes plus forts et vous l'avez emporté. Grâce, je vous en prie, grâce, laissez-moi m'en aller. » Plusieurs villes élurent l'homme de Dieu pour évéque : ce furent en particulier Gènes et Milan. A ceux qui le demandaient, il disait sans consentir, comme aussi sans refuser avec dureté, qu'il ne s'ap- partenait pas, mais qu'il était consacré au service des autres. Au reste, les frères, d'après le conseil de l'homme de Dieu, s'étaient pourvus et munis de Tau- lorité du souverain Pontife pour que personne ne pût leur ravir leur joie. A une époque ayant visité les frères Chartreux, Bernard les édifia beaucoup en tous ' points. Il n'y eut qu'une chose qui frappa le prieur de la Chartreuse, c'est que la selle qui portait le saint abbé n'était pas sans quelque élégance et n'annonçait pas la pauvreté. Le prieur en fit l'observation à un des frères qui rapporta cela à l'homme de Dieu. Celui-ci n'en fut pas moins étonné et s'informa de ce qu'était cette selle : car de Clairvaux, il était venu à la Char- treuse sans savoir comment elle pouvait être. Pendant toute une journée, il chemina auprès du lacde Lausanne sans le voir, ou bien il ne remarqua pas qu'il le voyait. Le soir, comme ses compagnons parlaient de ce lac, Bernard leur demanda il se trouvait. En entendant cela, ils restèrent dans l'admiration.

u. 30-

4?0 LA L^IRNHR IKini^K

L'hùmilïU de son coeur IVmpurtail en lui sur la gloire de son nom, et le monde i*nlier ne parvenait pas autant à l'élever qu'il se rabaissait lui-même. Tduh le re^rdaient comme un tiomnif; extraordinaire, et lui se considérait comme le dernier de tous : personne ne lui trouvait son ^at el lui-môme ne se préférait a personne. Enfin, d'après «es propres »vcu\, au milieu des plus grands honneurs, et (juami il recevait dt-s hommages universels, il se croyait être un personnHt;r d'emprunt, ou bien il pensait rêver : mais il ren- contrait des frères plus simpk-s, il était joyeux de se trouver jouir d'uae humilité qui lui était chère, et d'fitre rendu àluï-^nâme. Or, toujours on le rencontrait ou priant, ou lisant, ou écrivant, ou méditant, ou bien édifiant tes frères par stt parole. Une fois qu'il prêchait au peuple et que tous l'écoulaient avec attention et dévotion, cette tentation se çlissa dans son esprit : « Vraiment tu parles aujourd'hui admirablement ; les hommes t'écoulenl volonlieis et tu passes généralement pour un savant! » Mais l'homme de Dieu, qui se sentait pressé par cette tentation, s'arrêta un instant, et se mit à penser, s'il devait continuer ou finir son discours. Et aussitôt, fortifié par le secours de Dieu, il répondit tout bas au tentateur : « Ce n'est pas par toi que J'ai commencé, ce n'est pas par toi que je cesserai. » El, sans se troubler, il poursuivit sa prédication jusqu'à la fin. Un moincqui, dans le siècle, avait été ribaud et Joueur, fut tenté par le malinespritde rentrer dans le monde. Or, comme Bernard ne le pouvait retenir, il lui de- manda de quoi il vivrait. Celui-ci lui répondit : « Je sais jouer au.\ dés et avec cela je pourrai vivre, u

"\

SAINT BKHNAHD 471

Bernard lui dit : « Si je te confie un capital, veux-tu revenir tous les ans et parta^jer avec moi le bénéfice?» Quand le moine entendit cette proposition, il fut tout joyeux, et promit qu'il y viendrait volontiers. Bernard commanda donc de lui donner vingt sols et cet homme s'en alla avec cet argent. Or, le saint homme agissait ainsi afin de pouvoir le faire revenir une seconde fois, comme cela eut lieu plus tard. Ce malheureux s*en alla donc, et perdit tout : puis il revint fort confus à la porte. Quand l'homme de Dieu eut appris son ar- rivée, il alla plein de joie vers lui, et tendit son giron afin de partager le gain ensemble. Et l'autre dit: « Rien, mon père, je n'ai rien gagné ; mais j'ai encore perdu le capital : si vous voulez, recevez-moi pour notre capital. » Bernard lui répondit avec bonté : « S'il en est ainsi, dit-il, mieux vaut encore recevoir cela que tout perdre ». Une fois saint Bernard voyageait monté sur une jument; il rencontra un paysan, avec lequel il vint àpafler et à gémir de la légèreté du cœur dans la prière. Quand cet homme l'eut entendu, il le mé- prisa aussitôt, et lui dit que quant à lui, dans ses prières, il avait le cœur ferme et solide. Mais saint Bernard voulant le convaincre et réprimer sa témérité lui dit : a Eloignez-vous un peu de nous, et commencez l'oraison dominicale avec toute l'attention dont vous pouvez être capable. Si vous l'achevez sans aucune distraction et sans vous tromper, je vous donne bien certaincnuMit la jument sur laquelle je suis assis. Mais vous allez me promettre consciencieusement aussi, que si vous avez en même temps une distraction, vous vous garderez bien de me le cacher. » Le paysan wichanté

473 LA lAqKNDK DOHl'^E

et qui se croTaîtdéjà avoir |^né la jument, Tul assez téméraire pour se retirer, et après s'èlre recueilli, il omnnieiiçâ i rédler ToraiflOD duminicale. Il avait i peine achevé U nuritié du Paler, qu'une pensée le toannente ; c^est de savoir s'il aura la selle avec la ju ment. Alan s'étaot aperça de 6a distraction, î) revint vile trouver saiat Bernard auquel il déclara ce qoi l'avait inquiété pendant sa prière, et dans la suite, ît fiit menas [H>ésomptaeuz de soî-mt'me.

Frère Robert, moine et parent de »aint Bernard* ' trompé dès son enfti'nce par Im discours de cerliiines^ personnes, s'en était allé à COnny. Or, le vénérable' Père, après avoir gardé le silence à ce sujet pendant un certain temps, prit la résolution de lui écrire pour le faire rentrer. Et comme il était en plein nir, et qu'un antre moïne écrivait en niéine temps sous la dictée du saint, tout à coup, et sans qu'on s'y altendtl, la pluie tomba avec impétnosité. Or, celui qui écrt- j vaît voulait plier la feuille. « C'est œuvre de Dïeu^fl lui dit Bernard, écrivez, et ne craignez rien. » Il écri- vit donc la lettre au milieu de la pluie, sans en rece- voir une goutte, car bien qu'il eâl plu de tout côté, cependant la force de la charité suffit pour éloigner l'incommodité de l'oraçe. L'homme de Dieu avait bâti un monastère, qui était envahi par une multitude incroyable de mouches, en sorte que c'était une grande gène pour tout le monde. Saint Bernard dit : « Je les excommunie. » El le matin, on les trouva toutes mortes. Ayant été envoyé par le souverain pontife à Milan, pour en réconcilier les habitants avec l'É- glise, il était déjà de retour à Pavic, quand un homme

SAINT BERNARD 473

lui amena sa femme, qui était possédée. Aussitôt le diable se mit à vomir contre le saint mille injures par la bouche de cette misérable. II disait : « Ce mangeur de poireaux, cet avaleur de choux, ne me chassera point de ma petite vieille. » Mais Thomme de Dieu l'envoya à Téiçlise de saint Syr. Saint Syr voulut le céder à son hôte et ne fit aucun bien à cette femme. On l'amena donc de nouveau à saint Bernard. Alors le diable, par la bouche de la possédée, se mit à plai- santer et à dire : « Ce ne sera pas Sirule, ce ne sera pas Bernardinet qui me chassera. » A cela, le ser\'î- teur de Dieu répondit : « Ni Syr, ni Bernard ne te chassera, mais ce sera le Seigneur J.-C. » Et il ne se fut pas plutôt mis en oraison, que le malin esprit dit : « Que je sortirais volontiers de cette petite vieille! Combien j'y suis tourmenté ! Que je sortirais volon- tiers ! mais je ne le [>uis ; le grand Seigneur ne le veut pas. » Le saint lui dit : « Et quel est le grand Sei- gneur? » « (y est Jésus de Nazareth », répondit le diable. « I/as-tu jamais vu ? » reprit Bernard. « Oui, » répon- dit le malin. (( Où? » dit Bernard. L'autre lui répon- dit : « Dans la gloire. » « Tu as donc été dans la gloire ? » repartit Bernard. « Certainement, » dit le démon. « Et comment en es-tu sorti ? » lui demanda le saint. « C'est avec Lucifer que nous fûmes préci- pités en grand nombre. » Or, l'esprit méchant disait cela d'une voix lugubre, par la bouche de la vieille, en présence de tout le monde (|ui l'entendait. Et l'homme de Dieu lui dit : « Est-ce que tu ne voudrais pas retourner dans cette gloire? » Et le démon se mit à ricaner d'une certaine façon et dit : « C'est un peu

474 LA LÉGENDE DOREE

lard, à présent. » Alors, l'homme de Dieu fit une prière, et le démon sortit de la femme. Mais quand saint Bernard se fut retiré, le diable s'en empara de nouveau. Alors son mari accourut dire à saint Ber- nard ce qui était arrivé. Celui-ci ordonna de lier au cou de la femme un papier sur lequel étaient écrits ces mots : « Au nom de N.-S. J.-C., je te commande, démon, de ne plus oser toucher cette femme à Tave- nir. » Après quoi, le diable n'osa plus s'approcher d'elle*. Il y avait, dans FAquitaine, une misérable femme tourmentée par un démon impudent et incube. Pendant six ans, il abusa d'elle et la vexa par des débauches incroyables. Quand l'homme de Dieu vint en ce pays, le démon défendit à la possédée, avec des menaces horribles, de s'approcher du saint, parce qu'il ne pourrait lui rien faire de bien, et qu'aprèsson départ, celui qui était son amant serait pour elle un persécuteur acharné. Mais cette femme alla trouver avec assurance l'homme de Dieu, et lui raconta avec beaucoup de sançlots ce qu'elle souffrait. Saint Ber- nard lui dit : (( Prenez mon bâton que voici, mettez-le dans votre lit, et s'il peut faire quelque chose, qu'il le fass(». » La femme le fit et se coucha ; mais aussitôt Tautre vint et n'osa pas s'approcher du lit, ni enlre- |)ren(lre ce qu'il avait coutume de faire. Alors il la m(Miace vivement qu'aussitôt après le départ du saint, il se venç^era d'elle d'une manière atroce. Ceci fut rapporté à saint Bernard qui rassembla le peuph^,

* Hipanioulins ra|)|)orle ce fait dans la partie des llislo- riuritm Krrlesid' inediolnueitsis, pai^c 57 ((euvre de Loup île Ferr., page 51 S.

SAINT BERNARD 475

commanda que chacun iUii une chandelle allumée à la main, et, avec toute l'assemblée qui se trouvait là, il excommunia le démon; ensuite il lui interdit tout accès, soit auprès de cette femme, soit auprès d'au- cune autre. Ce fut ainsi qu'elle fut délivrée entière- ment d'une semblable illusion.

Dans la même province, le saint homme remplissait les fonctions de légat, pour réconcilier à l'Église le duc d'Aquitaine, qui refusait absolument de le faire. Alors, l'homme de Dieu s'approcha de l'autel pour célébrer les saints mystères, et le duc attendait à la porte de l'église, comme excommunié. Quand saint Bernard eut dit Pax Dominij il mit le corps de N.-S. sur la patène et le prit avec lui, et alors, la figure embrasée et les yeux flamboyants, il sort de l'église et adresse au duc ces paroles terribles : a Nous t'avons prié, dit-il, et tu nous as méprisés. Voici le Fils de la Vierge qui vient à toi; c'est lui qui est le seigneur de l'Église que lu persécutes. C'est ici ton juge au nom duquel tout genou fléchit. C'est ici ton juge dans les mains duquel ton âme viendra un jour. Est-ce que tu le mépriseras aussi, lui, comme tu as méprisé ses ser- viteurs? Résiste-lui, si tu l'oses. » Et aussitôt le duc fut glacé, et comme si tous ses membres eussent été disloqués, il se laissa tomber à l'instant aux pieds du saint, qui, le poussant du Udon, lui ordonna de se lever et d'écouter la sentence de Dieu. Le duc se leva tout tremblant, et accomplit de suite ce que le saint homme lui commandait. Le serviteur de Dieu étant venu en Allemagne pour apaiser une grande discorde, l'archevêque de iMayence envoya au-devant de lui un

476 LiStNDB .DOKiB

derc vénérable. Celui-ci loi disait ttOlF'^^ÎPSC?™ eav<^ au-devant de lui par son sei^eur, et l'homme de Dieu répondit : « Ceat on aotre Sei^L-ur qui voiu a envoyé. « Celui-eî, étonné, lui assurait qu'il nv'ail été envoyé par l'ardievéque, son nialire. De son c4té,'fl le serviteuf de J.-C. disait : \'ous vous trompe*, mon fils, vous voua trompes; c'est un plus t^rand mattrequi voua a envoyé; c^esl J.-(l. » Le clerc, qui comprit : « Vous pensez, dit-il, que je veux me faire moine ? Dieu m'en garde I Je n'y ai pas pensL' ; et cela n'entre pas dans mes goûta, ii ('epcudani, dans le même voyage, il dit adieu au «iècle el reçut l'Iiabit des mains de l'homme de Dieo. —Le saint homme avait accueilli dans son ordre un militaire d'une famiite très noUe, lequel, étant resté un certain tempn avei- saint Bernard, fut aux prises avec une tentation très grave. Un des firères, qui le vil si triste, lui en demanda la cause. Il lui répondit : c .le sais, dit-il, ji> aais que désormais il n'y aura plus de joie pour moi. » Le frère rapporta cette parole au serviteur de Dieu, qui pria pour le militaire avec plus de ferveur. A l'ins- tant, ce frère, qui avait été si grièvement tenté et qui était si triste, parut aux frères aussi joyeux et aussi gai qu'il avait paru désolé auparavant. Le frère lui rappela le mot triste qu'il avait prononcé, alors, il répondit : « Bien, que j'aie dit alors, je ne serai plus jamais gai, je dis maintenant, je ne serai plus jamais triste. »

Saint Malachie, évèque d'Irlande, dont saint Ber- nard a écrit la vie pleine de vertus, étant trépassé heureusement à J.-C. dans son monastère, l'homme

SAINT BERNARD 477

de Dieu offrît pour lui Thoslie salutaire; il connut alors sa gloire par une révélation divine, et par inspi- ration * il chang'ea la formule de la postcommunion en disant avec une voix toute joyeuse : beus qui Beatum Malachiam sanciorum ttiorum merilis coœ- quaslij iribue^ quœsiimus, ut qui preliosœ morlis ejus festa agimusy vitœ quoque imilemus exemyla. Per Do- tninum...**. Le chantre lui faisant sii^ne qu'il se trom- pait: « Non, dit-il, je ne me trompe pas; je sais ce que je dis. » Ensuite il alla baiser les précieux restes du saint. A Tapproche du carême, il reçut la visite d'un grand nombre d'étudiants qu'il pria de s'abstenir, au moins dans ces saints jours, de leurs vanités et de leurs débauches. Comme ils n'acquiesçaient pas à sa prière, il leur fit servir du vin en disant : « Buvez la boisson des âmes. » Quand ils eurent bu ils furent subitement changés ; ils avaient tout à Theure refusé de servir Dieu pendant un peu de temps, et ils lui consacrèrent toute leur vie. Enfin, saint Bernard approchant heureusement de la mort, dit à ses frères : rc Je vous laisse trois points à observer, et dans tout le cours de ma vie je les ai pratiqués autant qu'il a été en moi : je n'ai voulu donner de scandale à per- sonne et s'il y en a eu, je l'ai caché comme je l'ai pu. J'ai toujours cru moins à mon sentiment qu'à celui d'autrui. Quand j'ai été offensé je n'ai jamais cherché à me venger. Voici donc (|ue je vous laisse la charité,

(iuill. de s. Tb., 1. \\\ c. xxi.

•• C'est la postcommuiiioii de la inessede saint (irciçoirc h-"", pape, telle qu'elle se trouve dans le Hornaiii actuel» à rexce|)- tion du mol moflin\u'i cslrenipiacé par rommemovalionis .

478 LA LioENtie dorer

fhumilîlé et la paUence. » Entin «près avoir on grand nombre de miracles, construit IGO inunastèrcs, composé beaucoup de livres et de traités, et avoir vécu environ 63 ans, il sVndormît dans les bras di- ses h^res, Tan duSeipieiir H33, Après son décès, il manifesta sa gloire i beaucoup de personnes. Il a]>- pamt en effet i l'abbé d'un monastère et l'ençagea & le suivre. Comme cet abbé le suivait, l'homme de Dieu lui dit: « Voici que nous allons à la montaf^itc du liban. Pour vous, vous demeurerez ici et rnoi j'v monterai, » L'abbé lai demanda paurquoi il vnuUîi monter? « Ceat que je veux apprendre », dît-il. « Et que voulez-vous apprendtc, mon Père, reprît ThLI»'- étonné, vous dont nous ne connaissons pas «ujounl'iiuî le pareil sur la terre en ce qui concerne la science ? » Le saint lui répondit: «Iln'ya pas de science ici-bas, il n'y a aucune connaissance du vrai. C'est là-haut qu'est la plénitude de ta science, c't;st là-haut qu'est la véritable connaissance de la vérité. » El en disant ces mots, il disparut. L'abbé nota le jour, et il trouva que c'était celui oi^ saint Bernard était mort. Dieu opéra par son serviteur beaucoup d'autres miracles, qu'il est presque impossible de compter.

SAINT TIMOTHÉE

Tinmtliéc vicndrail de limoi-em leneni, icnitot peur, ou ôe timor, et Théos, crainle île Dieu. El selon le mol lie satui tiré- itoire, le saint est ]iris ilf jicur en consiiléranl il h été, iiù il scru, il est et il n'csl pas. il a été, c'eslr-k-dire dans

SAINT SYMPHORIEN 479

le péché; il sera, au jugement; il est, dans la misère; il n*est pas, dans la gloire.

Timothée fut tourmenté à Rome sous Néron par le préfet de la ville ; ses plaies furent arrosées de chaux vive * et pendant qu'il souffrait ces supplices affreux, il rendait grâces à Dieu. Deux anges lui apparurent alors et lui dirent : « Lève la tête aux cieux et vois. » En regardant il vit les cieux ouverts et J.-G. tenant une couronne ornée de pierres précieuses qui lui disait : « Tu la recevras de ma main. » Un homme nommé Apollinaire, voyant cela, se fit baptiser. C'est pourquoi le président ordonna que tous deux fussent décapités, puisqu'ils persévéraient dans leur confession. Ce qui arriva vers Tan du Seigneur 57.

SALNT SYMPHORIEN

Symphorien vient de symphonie. Car il fut comme un ins- trument de musique qui rend des sons harmonieux de vertu. Dans un instrument de musique il y a trois choses, comme elles existèrent dans Symphorien. D'après Averroës, l'objet qui résonne doit être dur à la résistance, doux pour la pro- longation des sons et lar&^e quant à leur ampleur. De même Symphorien fut comme un instrument de musique; il fut dur à lui-même par austérité, doux aux aulrcs par mansuétude et large à tous par grandeur de charité.

Symphorien était originaire delà ville d'Autun. Dès sa jeunesse, il excellait par une telle gravité de mœurs qu'il semblait prévenir la vieillesse. Les païens célé-

Bréviaire romain.

i80 I-* LtolItDB DOBis.

braient une fête de Vénus et l'on porlail sa statut- iln-^ vantle préfet Héraclius. Syin|ihorit'ii (jui s'y Irouva ne voulut pas l'adorer; alor» il fui hutlu longtemps et jeté- eu prisOD. On le 6l sortir ensuite du cachot et commeon le forçait i sacrifier et qu'on lui prometlail de grandes récompensea, il dit : « Noire Dieu sait r»-- compenser le mérite, comme il siiil punir les péché». ' Cette vie que nous avons à payer à Ùiea comme une ~ dette, payons-la en' dévouement. On se repenl, lit^, tard, d'avoir tremblé devant son juge. Vos présents trompeurs qui paraissent avoir la douceur du iiii(.-i ne I sont que poison i ceux dont l'esprit esl a.ssez crédule pour les accepter. Votre cupidité,rn voulanl (oui poit- séder, ne possède rien, parce que enlacée dans les ar- tifices du démon, elle est retenue dans les entraves d'un misérable gain : et vos joies, sendiiithles à nue eau glacée, se brisent dès qu'elles reçoivent les rayons du soleil. » Alors le juge, rempli décolère, porift une sentence de mort contre Symphorien, On le conduùùt à l'endroit de l'exécution, quand sa mère lui cria de dessus le mur : « Mon fils, mon fils, souviens-toi de la vie éternelle : regarde en liaut, et vois celui qui règne dans le ciel. Ta vie n'esl point détruite, puisqu'elle esl changée en une meilleure * m. Bienlôl après il fut dé- capité, et son corps enlevé par les chrétiens fut ense- veli honorablement. Il s'opérait tant de miracles à son tombeau que les païens l'avitienl en grand honneur. tJréiîoire de Tours i apporte ** qu'un chrétien ramassa

' Oe fl/or. Atari., I

SAINT BARTHKLEMY 481

trois pierres à l'endroit son sang avait été répandu el qu'il les renferma dans une boîte d'argent revêtue de bois. Il la déposa dans un château qu'un incendie dévora tout entier ; mais la boîte fut retirée intacte et entière du milieu du foyer. Il pâtit vers l'an du Sei- ^leur 270.

SAINT BARTHÉLÉMY

Barthélémy signifie fils de celui qui suspend les eaux*, ou fils de celui <iui se suspend. Ce mot vient de Bar, qui veut dire fils, de (helos, sommité,etdc moy.t, eau. De Barthélémy, c'est- à-dire, le fils de celui qui suspend les eaux de Dieu ; donc, qui élève Tesprit des docteurs en haut, afin qu'ils versent en bas les eaux de la doctrine. C/cst un nom Syrien et non pas Hébreu, il y a trois manières d'être suspendu, que notre saint posséda. En effet il fut suspendu, c'est-à-dire élevé au-dessus de l'amour du monde, porté à l'amour des choses du ciel, en- tièrement appuyé sur lagrAce et le secours de Dieu, de sorte que toute sa vie dépendit non de ses mérites mais de l'aide de Dieu. Par la seconde étymologie,csl indiquée la profondeur de sa sagesse dont saint Denys dit ce qui suit dans sa Théologie mystique* : « Ledivin Barthélémy avance que la Théologie est tout ensemble développée etbriève, l'évangile ample, abondant et néanmoins concis. » Saint Barthélémy veut insinuer par là, d'après l'opinion de Denys, (|ue la nature suprême de Dieu s'élève au-dessus de tout, au-dessus de toute négation comme de toute affirmation.

Saint Barthélémy, apAtre, en venant dans Tlnde**, qui est située aux extrémités du mond<% entra dans

Chapitre i, 3, ** Bréviaire romain ,

H. :u

^

483 LA téaCMDI DOBÉM

un temple se trovvrit' oné idole nommte Astarodi» et il s'y arrCta comme fecail un voyaçeiir. Dans «lie idole hébîlut an démoa qui prélendail fuire du bi^ii anx maUdes; or, il ne les irui^iissail pas, mais il sus- pendait wulement lean soufFrances. Cependant cotnmc' le teraf^e était rempli de malades et que, maljj^é les «acrificee offerts toiia lot jours pour les infirmes des paya les plus éloignés, an ne pouvait avoir aucune r^ 'pense d'Astaroth, les malades allÈrenl à une autre ville l'on adorait une jilole nonnat^ Uéiilh. Ils dtv mandèrent ft Bérilh pourquoi Aslarolli nedonnailpas de répoûse, et il dit: « Noire Dieu est lié dans des chalDCS de fea ; il n'ose ni respirer, ni parler, àdater da momentoùest entréTapAire de Dieu Oarlhélemy.» Ils lui disent: « Etqoel est ce Barthélémy? » Le dé- mon répondit : « C'est l'nnii du Dieu tout-puissant ; il est venu en cette pronncc pour chasser tous les dieux de l'Inde. » Et ils dîreni : « Dis-nous à quels signcii nous pourrions le trouTer. n Ledémon reprit: « Il u les cheveux crépus et noirs, le teint pflle, les yeux grands, le nez régulierct droit, la barbe longue etmè- lée de quelques poils blancs, la taille bien prise; il est revélu d'une robe sans manches avec des nœuds con- leiirde pourpre, son manteau est blanc, garni de pier- res précieuses couleur de pourpre à chaque coin. De- puis vingt ans qu'il les porte, ses habits et ses sandales ne s'usent ni ne se salissent. Chaque jour il flécbitles genoux cent fois pour prier, cl autant pendant la nuit. Les anges voyagent avec lui, et ils ne le laissent pas se fatiguer, ni avoir faim. Son visage est toujours le même, toujours il est joyeux et gai. Il prévoit tout, il

SAINT BARTHELEMY 483

sait tout. Il connaît et comprend les langues de tous les pays, et ce que je vous dis en ce moment, il le sait déjà ; quand vous le cherchez, s'il le veut, il se mon- trera à vous, mais, s'il ne le veut pas, vous ne pourrez le trouver. Or, je vous prie, quand vous l'aurez ren- contré, conjurez-le de ne pas venir ici de peur que ses anges ne me fassent ce qu'ils ont déjà fait à mon com- pagnon. » Après donc qu'on l'eut cherché avec soin pendant deux jours sans le trouver, un démoniaque s'écria un jour : « Apôtre de Dieu, Barthélémy, tes prières me brûlent. » L'apûtre lui dit : « Tais-toi, et sors de cet homme. » A l'instant le possédé fiitdclivré. En apprenant cela, le roi de ce pays, nommé Poli- mius, qui avait une fille lunatique, envoya prier l'a- pôtre de venir chez lui et de guérir sa fille. L'apôtre étant venu chez le roi, et voyant sa fille enchaînée, parce qu'elle déchirait par ses morsures ceux qui l'ap- prochaient, ordonna de la délier; et comme les servi- teurs n'osaient l'approcher, il dit : « Déjà je tiens en- chatné le démon qui était en elle, et vous craignez ? » On la délia et elle fut délivrée. Alors le roi fit charger des chameaux d'or, d'argent et de pierres précieuses, et fit chercher l'apôtre qu'on ne put rencontrer nulle part. Le lendemain matin, cependant, le roi étant seul dans sa chambre, Tapôtre lui apparut et lui dit : « Pour- quoi m'as-tu cherché toute la journée avec de l'or, de l'argent et des pierres précieuses ? Ces présents sont utiles à ceux qui sont avides des biens de la terre; quant à moi, je ne désire rien de terrestre, rien de charnel. » Alors saint Barthélémy se mit àlui appren- dre beaucoup de choses sur la manière dont nous avons

484 LA LÉGENDE DOREE

été rachetés ; il lui montra, entre autres, que J.-C. avait vaincu le diable par convenance prodigieuse, par puissance, par justice et parsagesse. 1°I1 fut convenable en effet que celui qui avait vaincu le fils d'une vierge, c'est-à-dire, Adam créé de la terre, alors qu'elle était encore vierge, fût vaincu par le fils de la Vierge. 2* 11 le vainquit par puissance : comme le diable, en faisant tomber l'homme, avait usurpé l'empire de Dieu, J.-C. l'en chassa avec sa toute-puissance. Etcommelevain- ({ueur d'un tyran envoie ses compagnons de victoire pour arborer ses drapeaux partout et pour abattre ceux du tyran, de même J.-C. vainqueur envoie par- tout ses messagers afin de renverser le culte du diable et établir à la place le culte de J.-C. 3"* Il le vainquit avec justice. Il était juste en effet que celui qui avait vaincu l'homme par le manger, et qui le tenait encore sous sa puissance, fût vaincu par le jeûne d'un homme, et dépouillé de son usurpation. Il le vainquit par sagesse, puisque les artifices du diable furent déjoués par l'habileté de J.-C. Tel fut Tarlifice du diable : comme un épervier qui saisit un oiseau, il devait saisir J.-C. dans le désert; si en jeûnant J.-C. n'avait pas faim, il n'y aurait plus de doute qu'il fût Dieu; mais s'il avait faim, il l'aurait vaincu lui-même par la gourman- dise comme il avait fait du premier homme; mais Dieu ne se fît pas connaître, parce qu'il eut faim ; il ne put pas être vaincu, car il résista à sa tentation. Quand donc il eut enseiLnié au roi les mvstères de la foi, il ajouta que s'il voulait recevoir le baptême, il lui mon- trerait son Dieu, chargé de chaînes. Le lendemain, les pontifes offraient, vis-à-vis du pa-

SAINT BARTHKLEMY 48$

lais du roi, un sacrifice à Tidole, quand le déipon se mil à crier en disant : « Cessez, misérables, de nj'of- frir des sacrifices, de peur que vous ne souffriez pire encore que moi qui suis lié de chaînes de feu parFangé de J.-C., que les Juifs ont crucifié, avec la pensée qu'il serait retenu par la mort : au lieu qu'il a enchaîné la inorl elle-même, notre reine, et qu'il retient captif, dans des chaînes de feu, notre prince, l'auteur de la mort. » Aussitôt tous se mirent en œuvre d'attacher des cordes pour renverser l'idole, mais ils ne le purent. Alors l'apôtre commanda au démon de sortir de l'idole en la brisant : et à l'instant le démon sortit et brisa lui-même toutes les idoles du temple. Puis l'apôtre fit une prière et tous les infirmes furent guéris. Alors saint Barthélémy consacra le temple à Dieu et ordonna au démon de s'en aller dans le désert. L'ange du Sei- gneur apparut en cet endroit, et en volant autour du temple, il grava le signe de la croix avec le doigt aux quatre angles en disant : « Voici ce que dit le Seigneur : Comme je vous ai purifiés de votre infirmité, de même aussi ce temple sera purifié de toute souillure, et de la présence de celui qui l'habitait, puisque Tapôtre l'a fait s'en aller au désert. Mais auparavant, je vous le ferai voir. Ne craignez pas en le regardant, mais faites sur votre front un signe pareil à celui que j'ai sculpté sur ces pierres. » Et il leur montra un Ethiopien plus noir que la suie, à la figure anguleuse, avec une lon- gue barbe, et des cheveux qui lui tombaient aux pieds, des yeux enflammés et jetant des étincelles comme le fer rouge ; des flammes couleur de soufre lui sortaient de la bouche et des yeux, et il avait les mains liées

n. :h-

480 uk uteKNDE Doniç

derrière le dos arec des ehetnes de fea. Et f sofe in dit: « Puisque tu aseaLeiidu l'ordre de l'apâtre, «1 que to as brisé toutes les idoles eu sorlaiu du tem^do, je te délierai afin cjue tu puisses aller en tel eitdroîl tncun lumune n'balûte, et qiu> lu v restes jusigu'ac jour du jugement. » Qoand il fut d<Mio il disparu! ei buriaat et faisant nn ^^rand bruit : mais l'ange du Seï- gêneur s'envola vers le ciel i la vue de tous les assi»^ tants. Alors le-roi avec son éponse. ses enfaniu et tout le peuple reçut baptême : après quoi il quitta royaiune pour se fain le disciple de l'apâlre.

Tous les pontifes des temples s'assemble rciU et hII^> rent trouver le roi Astyage, sou frère. Ils portèrent contre l'àpdtre des plaintes concernan l la perte de leur» dieux, le profonation du tonple et la séduction magi* que qu'on avait exercée contre le roi •. Alors le roi Astyage indigné fil partir mille hommes armés pour prendre l'apôtre. Quand il eut élé ameuéau roi, ccIuh' ci lui dit : a Es-tu celui qui a |Jer^'e^ti mon frère t p L'apdlre répondit : a Je ne l'ai pas perverti, mais je l'ai converti. » Le roi lui dit : « De même que tu as fait que mon frère abandonnât son Dieu pour croire au tien, de même aussi je te ferai abandonner ton Oieu pour sacrifier au mien. » L'apôtre repartit : « Le Dieu qu'adorait ton frère, je l'ai lié, et je l'ai fait voir lié ; après quoi je l'ai forcé à briser la statue de l'idole : si tu parviens à en faire autant à mon Dieu, alors tu pourras m'inviter à adorer la statue, sinon, de mon côté, je briserai les dleu.x et tu croiras au mien. »

î

SAINT BARTHELEMY 487

Comme l'apôtre parlait encore, on annonce au roi que son dieu Baldach s'était renversé et brisé en morceaux. A cette nouvelle, le roi déchira la robe de pourpre dont il était revêtu ; ensuite il fit fouetter l'apôtre avec des verges, et commanda qu'on l'écorchât vif. Mais les chrétiens enlevèrent son corps, et l'ensevelirent avec honneur. Quant au roi Astyage, et aux pontifes des temples, ils furent saisis par les démons et ils mouru- rent : mais le roi Polimius fut ordonné évêque et après avoir rempli avec honneur pendant vingt ans, le mi- nistère épiscopal, il mourut en paix et plein de vertus. II y a différentes opinions sur le genre de la pas- sion de saint Barthélémy : car le bienheureux Dorothée dit qu'il fut crucifié. Voici ses paroles : « Barthélémy prêcha aux Indiens et il traduisit dans leur langue l'É- vangile selon saint Mathieu. Il s'endormit à Albane, ville de la grande Arménie, et fut crucifié la tête en bas. » Mais saint Théodore dit qu'il fut écorché. Cependant, dans beaucoup de livres, on lit qu'il fut seulement décapité. On peut concilier ces opinions différentes, en disant qu'il fut d'abord crucifié, ensuite qu'il fut descendu de la croix avant de mourir, et que pour ajouter à ses tortures, il fut écorché et qu'en dernier lieu, il eut la tête tranchée.

L'an du Seigneur 831, les Sarrasins, qui envahirent la Sicile, ravagèrent l'île de Lipard, reposait le corps de saint Barthélémy, et brisant son tombeau, ils dispersèrent ses ossements. Or, voici comme on rapporte que son corps fut transporté de l'Inde dans cette île. Ces païens voyant que son corps était en grande vénération à cause de la quantité de miracles

i

188 U UtGBNDE DOXÉE

qi^if opéiyit, en'ftmuit remplis d'indi^nalion et ils (< renfermèrent dana an coffre de plomb qu'ils jetèrent dans la mer. Dieu permit qu'il abordât dans l'Ile .sus- dite*; et comme les Sarrasins avaient di^pen^é ses u, quand ils m forent i-ctiMs, le saint appurul à ini mmne et loi dit : « Lèvt-toi, rassemble mes os qui ont éti dispersés. » Le moine lui répondit : » Pour quelle raison 4evon8-noiu ramasser vos os ou vous rendre qnelqde bonneor, quand vous nous avez laissé extermî-

- ner sans nous secourirt » L'apiitre reprit : « Pendant nnlongespaoedetemps, le Seigneur a i^pargn<^c« peu* pie en vue de mes mérites ; mai-s ses péchés s'augincti- tant de{âaaen {^uset criant jusqu'au ciel, je n'ai plus pu fdttenir pardon pour lui. » Comme le moine lui de- mandait comment il pourrait jamais trouver ses 03 qui

' étaient confondus avec beaucoup d'autres, l'apdtre lui dit : « La nuit, tu Irae pour les rassembler, et ct-ux que tu verras briller comme du feu, tu les enlèveras. « - Le moine trouva tout ainsi qur; l'apôtre lui avait dit :V il enleva les os, et, s'embarquant snr un vaisseau, il les transporta à Bénévent, métropole de la Pouille. Maintenant on dit qu'ils sont à Rome, quoique les Bénévenlins assurent les posséder encore. Une femme avait apporté un vase plein d'huile qu'elle vou- lait verser dans la lampe de saint Barthélémy, Mais de quelque façon que l'on penchât le vase sur la lampe, il ne pouvait rien en sortir, quoique en touchant l'huile avec les doigts on la trouvât liquide. Alors quelqu'un s'écria : « Je pense qu'il n'est pas ag^réable à l'apôtre

* Gréfç. de Tours, De Glor. Mariyr., I. I, c. xxxviii.

SAINT BARTHÉLÉMY 480

qu'on verse de cette huile dans sa lampe. » C/est pour- quoi on versa dans une autre lampe cette huile qui coula aussitôt.

Quand Pempereur Frédéric détruisît Bénévent, il donna l'ordre de raser toutes les églises; car son in- tention était de transporter la ville entière dans un autre endroit. Alors un homme rencontra quelques personnages revêtus d'aubes blanches, et resplendis- sants, qui paraissaient parler ensemble et discuter entre eux une question. Cet homme, rempli d'étonne- ment, demanda qui ils étaient, et Tun d'eux répondit : « Voici Tapôtre Barthélémy avec les autres saints dont il se trouvait des églises dans la ville : ils se sont réu- nis pour chercher et discuter quelle peine devra subir celui qui les a chassés de leurs demeures : déjà ils ont décidé entre eux et leur sentence est inviolable, que le coupable sera traduit sans retard au tribunal de Dieu, devant lequel il aura à répondre de tout cela. » Et de vrai, peu après, ledit empereur mourut misérablement, On lit dans un livre des Miracles des Saints, qu'un Docteur célébrait solennellement chaque année la fête de saint Barthélémy. Un jour qu'ilpréchait, le diable lui apparut sous l'apparence d'une jeune fille remar- quablement belle : Le prédicateur jeta les yeux sur elle et l'invita à dfner. Pendant le repas, elle faisait tous ses efforts pour lui inspirer de l'amour. Saint Barthélémy vint à la porte sous la figure d'un pèlerin qui demanda avec instance qu'on le ftt entrer pour l'amour de saint Barthélémy. La jeune fille s'y opposa et on envoya au pèlerin un pain que celui-ci refusa d'accepter. Alors, par le messager il envoya prier le

■im LA. LIÎGENDE DORÉE

iiin tlrf de lui dire ce qui était plus parliculièrement pro- pre à riioinnit.'. Le matlre prétendail que c'était le lire, tn&itjla jeune Bile répondit : •' Dites plutôt le péché, avec lequel rUoinme estconçu,nak et vit.» Barthélémy répon- dit que le ma lire avait bien parlé,niaîsquela femme a\-aît' donné une réponse renTermânt un sens plus profond. Ea seeondiien, le pèlerin envoya demander au mahre de lui indiquer un endroit n'ayant qu'un pied d*élendue oi'i Dieu avait manifesté les plus grandes mervcillest Comme le maître disait que c'était l'endroit de la croix dans lequel Dieu a opéré des miracles, lu femme- dit : II C'est pluliït la tête de l'homme, dans laquelle' existe comme un petit monde, n L'apôtre approuva la sentence de l'un cl de l'autre. Troisièmement il d^ manda quelle distance il y avait depuis le haut du cîel, jusqu'au bas du l'enfer. Comme te matlrc avouait qu'île ne le savait pas, la femme dit : n Je vois mMintenant que je suis surpassée : mais je le sais, moi, qui .•luig tombée de l'un dans l'autre; et il faut que je te nioii>i Ire rein. » Alors le diable en poussant un çrand hur- lement se précipita dans l'ahlme. Or, quand od cfaer> cha le pèlerin, on ne le trouva pas. On lit quelque chose d'à peu près semblable de saint André.

Saint Ambroise dans la préface qu'il a composée pour cet apôtre raconte ainsi sa légende en abrégé. <r 0 Jésus, vous avez daigné manifester d'une manière admirable votre majesté à ceux que vous avez chargés de prêcher votre Trinité qui forme une seule divinité. Parmi eux, c'est sur saint Barthélémy que vous avez daia;n<! jeter les yeux pour l'envoyer prêcher un peu- ple éloigné. Aussi l'avez-votis orné de toutes sortes de

SAINT BARTHELEMY 491

vertus. Ce peuple, bien que séparé du reste du monde, vous a été acquis, et a été rapproché de vous par les mérites de la prédication de votre apôtre. De quelles louanges n'est pas digne cet homme merveilleux ! Ce n'est pas assez pour lui de gagner à la foi les cœurs de ceux qui l'environnent; il vole plutôt qu'il ne mar- che vers les extrémités du monde habitées par les Indiens. Une multitude innombrable de malades le suit dans le temple du démon et à l'instant ce père du mensonge ne donne plus de réponses. Oh ! combien furent merveilleux les prodiges de sa vertu! Un so- phiste veut argumenter contre lui ; l'apôtre ordonne et le sophiste reste muet et épuisé. La fille du roi que le démon tourmentait, il la délivre et la rend guérie à son père. Oh ! prodige de sainteté ! il force le dé- mon à réduire en poudre les idoles sous lesquelles Tantique ennemi du genre humain se faisait adorer. Il peut bien être compté dans l'armée du ciel celui au- quel apparut un ange envoyé de la cour céleste afin de rendre un témoignage certain à la vérité! Cet ange montre le démon enchaîné, et grave sur la pierre le signe de la croix qui a sauvé les hommes. Le roi et la reine sont baptisés avec leur peuple, et les habitants de douze villes vous confessent de corps et de cœur. En- fin, sur la dénonciation des pontifes païens, un tyran, le frère de Polémius encore néophyte, fait battre de verges l'apôtre, et le fait écorcher et périr de la mort la plus atroce. » Le bienheureux Théodore*, abbé et docteur, dit entre autres ces paroles, au sujet de saint

** Cf. Anaslasr \c Biblioth., t. III, p. 732.

1!)2 LA LÉGKXUE noRi-^e

Iliirlliciciiij- : (c I.'aiHHre Barlhdlcmy prêcha pr«ini^ remciil en LjcBonie, iMwiiile dans l'Inde, enfin dans Atbani-, ville di; la «raiide Arménie il fut d'abord rnirrhé et enfin décapîlc ; il y fui aussi enseveli. Qirnnd il reçut du SeijKiieur la mission de [tricher, pciisp qu'il entendit qu'on lui adressuit ros mots : « Mon « disciple, va prêcher, va au rombat : affronte le» pé- « rils; j'ai acliev»^ i'reiivre rie mon (»ère; j'ai été témoin i< le premier; accomplis la lâche qui l'est imposée; « marche sur les pa» de Ion maître ; donne sang pour (1 sang, chair pour chair; endure ee (jue j'aî enduré « p;iiir loi dans mu passion. Que tes armes soient la bé- <i nii^nité au milieu de les fati^^tics, et la douceur vis-ik- « vis des méchants, et la pnlience dans celle vie qui a passe. » L'ap6lre accepta, et comme un serviteur fidèle, il acquiesça à l'ordre de son Seigneur; il s'a- vance plein de joie comme la lumière du monde, afin d'éclairer ceux qui vivaient dans les ténèbres : c'est le sel de la terre qui conserve les peuples énervés; c'est le Ial)Ourcur qui met la dernière main à la culture des cteurs. L'apdlrc saint Pierre enseigne aussi les nations, saint Barthélémy en fait autant : Pierre opère de grands prodiges, Barthélémy fait des miracles éclatants; Pierre est crucifié la tète en bas ; Barthélémy, après îivoir été écorché vif, est décapité. Autant Pierre conçoit de mystères, autant en pénètre Barthélémy. Il féconde l'Eglise comme le prince des apôtres; les grâces qu'ils ont reçues tous les deux se balancent. De môme que la harpe produit des accords harmonieux, de même Barthélémy, qui tient le milieu dans le mys- térieux nombre douze, s'accorde avec ceux qui le pré-

\

SAINT BARTHELEMY 493

cèdent comme avec ceux qui le suivent pour produire des sons mélodieux au moyen de la parole divine. Tous les apôtres, en se partageant l'univers, ont été établis les pasteurs du Roi des rois. L'Arménie qui s'é- tend de Ejulath jusqu'à Gabaoth est la partie qui lui échoit; aussi voyez-le se servir de sa langue comme d'un soc pour labourer le champ de l'esprit des hom- mes, dans les cœurs desquels il enfouit la parole de sa foi; il plante les jardins et les vignes du Seigneur; il greffe les remèdes qui guériront les passions de cha- cun; il extirpe les épines nuisibles, il coupe le bois de l'impiété; il entoure le dogme de défenses. Mais qu'ont-ils gagné pour l'offrir au Créateur ! Au lieu des honneurs, ils n'ont que déshonneur, au lieu de béné- diction, malédiction, au lieu des récompenses, des tourments; au lieu d'une vie de repos, la mort la plus amère : car après avoir subi des supplices intoléra- bles, Barthélémy fut écorché par» les impies comme s'ils avaient prétendu en faire un sac et après sa sortie de ce monde, il ne méprisa pas ceux qui l'avaient tué ; mais ceux qui se perdaient, il les attirait par des mi- racles, ceux qui étaient des adversaires, il les gagnait par des prodiges. Cependant il n'y avait rien qu'il n'employât pour calmer leur fureur aveugle, et pour les éloigner du mal. Or, comment se comportent-ils ensuite? Ils s'acharnent contre le corps du saint. Les malades méprisent celui qui les voulait guérir ; les or- phelins, celui qui les menait parla main, les aveugles, leur conducteur, les naufragés, leur pilote, les morts, celui qui leur rendait la vie. Et comment cela? En je- tant ce corps saint dans la mer. »

49i LA LÉGENDE DORÉE

« Le flot poussa des rivajçes de TArménie le coffre étaient les ossements du saint avec quatre autres coffres d'os de martyrs qui avaient été jetés aussi dans la mer. Pendant tout le trajet, les quatre coffres précédaient celui de l'apôtre auquel ils semblaient faire cortège. Ils abordèrent ainsi, auprès de la Sicile, dans une île appelée Lipari. Le prodige fut révélé à l'évèque d'Ostie qui se trouvait présent. Ce tré- sor inestimable vint dans un lieu très pauvre. Cette pierre des plus précieuses vint aborder sur un rocher ; cette lumière resplendissante se répandit dans un lieu obscur. Les quatre autres coffres allèrent dans diffé- rents pays et laissèrent le saint apôtre dans l'île citée plus haut. En effet l'apôtre laissa les quatre martyrs par derrière et envoya l'un, savoir : Papinus, dans une ville de Sicile nommée Milas, un autre qui s'appelait Lucien, à Messine ; les deux autres, il les fit aller dans la Calabre, savoir: Grégoire dans la cité de Colonne, et Acliatius dans la cité de Chale jusque aujourd'hui ils brillent par les faveurs qu'ils accordent. Le corps de saint Barthélémy fut reçu au chant des hymnes, au milieu des louanges ; on alla au-devant de lui avec des flambeaux, et on éleva en son honneur un temple magnifique. Le mont Volcano, voisin de Tîle, causait des dommages aux habitants parce qu'il jetait du feu : il s'éloigna de sept stades sans qu'on le vît, et s'arrêta au milieu de la mer, en sorte qu'aujourd'hui encore on n'en aperçoit plus que comme l'apparence (l'un feu qui s'échappe. Maintenant donc, salut, ô bien- IhMireux des bienheureux! Trois fois heureux Barthé- lémy, qui êtes la splendeur de la lumière divine, le

SAIXT AUGUSTIN 495

pèrheur de la saiiilc Eglise, l'hoiniTic habile à piendre les poissons doués de raison, le doux fruil du pal- mier vivace, rexlerminateur du diable occupé à bles- ser le inonde par ses violences ! Gloire à vous, soleil qui éclairez lout ce qu'il y a sur la terrj, bouche de Dieu, langue de feu qui répand la sagesse, fontaine inta- rissable de santé, qui avez sanctifié la mer dans votre course, qui avez rougi la terre de la pourpre de votre S4ing, qui êtes monté aux cieux, vous brillez dans l'armée divine, qui êtes environné d'un éclat, d'une gloire incorruptible, et qui nagez dans des transports d'un bonheur sans fin ! * »

SAINT AUGUSTIN

Augustin fut ainsi nommé, ou bien eu raison de rexcellcnce ile sa dignité, ou bien pour Tardcur de son amour, ou bien par la signiHcation étymologique de son nom. 1* L'excellence lie sa dignité. Deméme(|u*Auguste excellait sur tous les rois, (Je même Augustin excelle sur touslcs docteurs, selon cequ*en dit Hemi. Daniel compare les autres docteurs ù des étoiles quand il dit (xii) : « Ccuxqui enseignent aux autresia voie de la justice luiront comme des étoiles dans toute réternité. » Mais saint Augustin est comparéau soleil dans Tépltrcqu'on chante en sa messe**. lia lui dans-le temple de Dieu comme un soleil éclatant de lumière. 2" L'ardeur de son amour. De même que le mois d*Augus(c (août) est très chaud, de même saint Au- gustin brûla extraordinairement du feu de l*amour divin.

'Théodore Studito, traduit par Anastasc le Bibliothécaire. •* C'était sans doute IVpître de la messe de saint Augustin telle quVUe se lisait au xiii* siècle, et qui était prise du l* chapitre de VKccléaiastique.

4M

U [.ÉGE>IOE OORÉK

Aawi dit-il de lui «u livre de sea Confruiont: u Vous av pncé^ Bon etenr dea ftôches de votre charilé, elc. » Il dîl e eondaasle mime oavraçe : « Quelquefois vous n^pandcx e moi «Bedooeenrumrrveilleuse, les acatimeois quej'ripruuV ■aalaîextnoidinairMiiue, s'ils recevaient leur pcrf«ciiu nrpaMenient lônt oe iiii'ou pentresseutirici-bas. » L'él] mologiede Mm nom. Augustin, vient de aygeo, augmenter de miOn, Tille, et mtm, en haut. Augusiiu, c'eal doue celui (|ii aagmenle la cité d'en haut. El c'est pour celii qu'on chanf daoe aon offiee*: Qui prœvaluii ampUficare eieitalem. Vuit comme il parie Ini^iCme de cette ville dans le livn; XI de 11 CM A iNm : « DaoB In Trioilé, la cité saiule a son origii beaatéi>a béatitude. DcmuDdez-vous son auleur^C'cat Dî«i qui l'a créée; l'anicur de sa saçesse? C'est Dieu (]ui 1'^ dain ; i'autear de aa félicité? I^'esi Dieu doul elle juuil Dieu perf'Mtioa aou ^ire, lumière de sa contemplnlion, joi de aa fidélité ; elle eat, elle voit, elle aime: elle vit dans \'i terniléde Dieu-, elle lirille daus U vérité de Dieu ; elle joui dana la bonté de Dieu. « Ou bien selon te Gloseaire, Au|fin ,tin vent dire magaifii:|iie, beureux, lumineux ; car il fut ml gniflqae dana aa rie, lumineuK ilnns »a dociriae, ei heuren dana la glôin. Sa rie fut compilée par Poasidius. év^uo d Catane, ainsi que le dit Cnssimlort'. ni son livre des Homnu iïluitrtt**.

Aui^usliii, docK'ur émincnl, naquit dans la province d'Afrique, en la ville de Carlhaj^e, de parents fort distingutïs ; son père s'appelait Patrice et sa mère Mo- nique. Il fut instruit dans les arts libéraux sufSsam- ment pour être regardé comme un profond philosophe et comme un rhéteur très habile. II lut et comprit seul

* Le bienheureux Jacques avait ui Augustin sous les yeux, car ces paroli dans lesSacramentairea.

** L^vie desaint Augustin et le livre des Confestion».

office propre de saint s ne se rencontrent pas

(i lée ici d'après Possid i us

\

SAINT AUGUSTIN 497

les ouvrages d'Arislole el tous les livres qui traitent des arts libéraux ; il l'assure dans son livre des CoU' fessions: « J'ai lu, dit-il, et compris, sans aucun se- cours, tout ce que je pus lire traitant de ce qu'on a|>- pelle les arts libéraux. Tout ce qui tient à l'art de par- ler et de raisonner, aux dimensions des corps^ à la musique, aux nombres, je l'ai appris sans beaucoup de peines et sans le secours de personne ; vous le sa- vez, ô Seigneur, mon Dieu, puisque cette vivacité de conception, cette pénétration d'esprit sont des avanta- ges que je tiens de vous, cependant je ne songeais pas à vous en témoigner ma reconnaissance. » Mais parce que la science isolée de la charité enfle sans édifier, il tomba dans l'erreur des Manichéens qui affirment que le corps deJ.-C. est fantastique et nient la résur- rection de la chair. Et cela dura pendant l'espace de neuf ans, c'esl-à-dire tout le temps de sa jeunesse, lien vint au point de dire que le figuier pleurait quand on en arrachait les feuilles ou le fruit. A l'âge de dix-neuf ans, comme il lisait l'ouvrage d'un philosophe * dans lequel on démontre (pi'il faut mépriser les vanités du inonde et s'attacher a la philosophie, il fut contrarié €lene pas rencontrer dans ce livre, qui l'ai tachai t. beau- coup, le nom de J.-C qu'il avait sucé, pour ainsi dire, avec le lait de sa mère. Quant à celle-ci, elle pleurait beaucoup et s'efforçait de le ramener à l'unité de foi. Un jour, dit-il au III* livre do ses Confessions, elle se vit debout sur une règle en bois, fort affligée ; quand vient à elle un jeune homme qui lui demanda la cause

U Hortensius, de Ciccron,

II. :«2

4M

d'une â grande iristease. Quand elle lui eut répondu : « Je déplore la paie de mon HIs », le jeune homme répimdit: «t Coosoles-Toos, v<iy<:^z,il est vousétes.» fit voici que tout à coup ellf vit sou fils à oMé d'elle. Qaand dïeeut raconté sa lisimi h Aui^iistin, celui-ci ditiH mire: « Vous vous lmiii{iez, ma mère, vous vous trompez ; onoe vousa pas tliU'ela ; mais on vous dit que vous étiet je suIh. m « Non, s'écria-t-elle, non,,car l'on ne ra'a pas dit : n Vuum èltrs oii il est, mais « 11 est oA voQfl êtes. Cette mt^n- pleine de zèle priait avec importunité, d'après les paroles île saint Augus- tin dans-ses C(m/«ssi<VRS, un saint iivé(]ue de vouloir bien intercéderpour son fils. Et cet hommcvaîncu en cpidque sorte par ses instances lui répondit ces paro- les prophétiques: « Allec/abyez Iranquille ; car il est impossible qu'un fils ainsi pleuré périsse pour tou- jours. » Après avoir enseigné pendant bien des an- nées la rhétorique à Carthagc, il vint à Roi .tement, ' sans en prévenir sa mère, et il v > beaucoup de disciples. En elfel sa mère l'ayant 8 pa^né jusqu'au poripourle retenir ou pour aller avec lui, il la trompa et partit celte nuit-là même & la dé- robée. Le malin quand elle s'en aperçut, elle fit reten- tir ses clameurs aux oreilles de Dieu. Or, chaque jour, le matin et le soir, elle allait à l'église et priait pour son fds. A cette époque, les habitants de Milon en- voyèrent prier Symmaque, préfet de Rome, de leuren- voyer un maître de rhétorique. C'étailalors saint Ani- broise, un homme de Dieu, qui était évêque de Milan; Augu.stin y fut envoyé. Mais sa mère, qui ne pouvait pas goûter de repos, vini le joindre après de grandes

SAINT AUGUSTIN 499

difficultés; elle le trouva ni tout à fait manichéen, ni •tout à fait catholique. Or, Augustin se prit à s'attacher à saint Ambroise, et à écouter souvent ses prédica- tions. Le saint évéque balançait beaucoup si dans ses discours il parlerait pour ou contre le manichéisme. Une fois pourtant Ambroise parla longtemps contre cette hérésie, de sorte que par les raisons et par les autorités avec lesquelles il la réfuta, celte erreur fut extirpée entièrement du cœur d'Augustin.

Il raconte ainsi au livre de ses Confessions ce qui lui arriva dans la suite : « A peine eus-je commencé à vous connaître, la faiblesse de ma vue fut éblouie par les flots de lumière que vous lançâtes alors sur moi : une horreur mêlée d'amour fit frémir mon âme, et je décoiivris que j'étais bien éloigné de vous, dans une région qui vous est étrangère , il me semblait en- tendre une voix qui me criait d'en haut : « Je suis la « nourriture des forts; croissez et vous pourrez vous « nourrir de moi. Vous ne me changerez point en votre « propre substance, comme ces aliments dont votre « chair se nourrit; maisc; sera vous qui serez changés « en moi. » Or, comme il était bien aise de voir que le Sauveur est lui-même la voie véritable, mais qu'il lui répugnait encore de marcher dans ses étroits sentiers, le Seigneur lui inspira la pensée d'aller trouver Sim- plicien en qui brillait la lumière, c'est-à-dire la grâce divine, et de lui révéler toutes ses agitations, de sorte que le connaissant bien, il pût lui indicpier le moyen le plus propre à le faire entrer dans la voie de Dieu, l'un marchait d'une façon et l'autre d'une autre. 11 avait pris en aversion la vie qui se menait dans le

. tOO LA LÉr.&NDR DORÉE

inondé, qjiuid il la comparait aux douceurs pI à la betntéde la demeure céleste qu'il armait. Alors Sitit- {riiâén se mît i l'exhorter eit lui disant : » Combien d'anfonto'et de jpunes filles qui servent Dieu dan»i te sein de ion Bglii^e ! Et vous ne pourrez pas ce qu'ont pu cetix*ci et cellfs-lA? L'ont-ils pu par eux-mêmes et non par le Seigneur leur Dieu? Pourquoi compter mirTOS propres forées? N'avoir que vous-même pour appui, e^est comme si vous n'en aviez point. Jetez- -vons dans son sein, if vous recevra, il vous guérira. An milieu de œs entretiens, on vint à parler de Viclo- rin; tà<ftn SUmplicien, enchanté, lui raconte comment ce- vieillani n'étant encore que gentil, avait mérité, A caose de sa sagesse, qu'on lui dressât une statue A HiMnej sur le forum ; chose extraordinaire pour ce lempa4àl et comment il ne cessait de se dire chré- tien. Car eommi; Simplîeîen disait A Yictorîn : « Je n'en croirai-rira, tant que je ne vous aurai pas vu dans l'église. » Mais lui se moquait de celte ri'pnnse, en disant: « Sont-cednnc les murailles qui font qu'un homme soit chrétîfen? » Enfin Vîclorîn vint à l'église, et comme on lui donnait, en cachette, dans la crainte qu'il n'en rougFl,'le' livre qui contenait le symbole de la foi afin de le lire tout hiiut, comme c'était alors la coutume, il monta alors sur l'estrade et en prononça à haute voix les paroles ; Rome en était dans l'admi- ration et l'Eglise toute joyeuse. Sa présence avait sou- dainement excité un frémissement et dans un trans- port unanime suivi d'un profond silence, chacun s'écria : a C'est Victorin ! c'est Victorin ! » Saint Augus- tin reçut alors la visite d'un ami, nommé Pontilien,

SAINT AUGUSTIN 501

qui venait d'Afrique ; celui-ci lui raconta, la vie et les miracles du grand Antoine qui venait de mourir en Egypte sous l'empereur Constantin. Augustin embrasé fortement par les exemples de ces personnages et en proie à une agitation intérieure que trahissait l'expres- sion de son visage, se tourna vers Alype, son com- pagnon, et s'écria avec force : « Qu'attendons-nous ? Qu'avez-vous entendu ? Voici des ignorants qui s'em- pressent de ravir le ciel, et nous, avec notre science, nous nous précipitons dans l'enfer ! Rougirions-nous de marcher après eux, parce qu*ils ont pris le de- vant, au lieu de rougir de n'avoir pas même le cou- rage de les suivre ? » Alors il alla dans un jardin s'étendre sous un figuier ; c'est encore lui qui le rap- porte dans ses Confessions ; et là, en versant des larmes amères, il poussait ces cris lamentables : « Jus- qu'à quand? Jusqu'à quand? Demain et toujours de- main? Tout à l'heure; encore un instant. » Mais cet instant n'avait point de terme et ce court répit se pro- longeait indéfiniment. Il se plaignait beaucoupde cette lenteur qui l'engourdissait, selon ce qu'il en dit plus tard dans le môme ouvrage : « O faiblesse de mon in- telligence ! que vous êtes élevé, Seigneur, dans les choses les plus élevées ! Que vous pénétrez profondé- ment les plus profondes ! Jamais vous ne vous éloi- gnez de nous, et cependant nous avons tant de peine à retourner à vous. Agissez en nous. Seigneur, mettez- vous à Tœuvre, réveillrz-nous et rappelez-nous ; en- flammez-nous et entraînez-nous ; embrasez-nous, pé- nétrez-nous de vos douceurs. » J'appréhendais de me voir libre de toutes les entraves du momie autant qu'il H. 32-

faàdraii craindre de i^y •wàit engagé. J'ai coinmcneél bien' tard à tous mma, à bcMilé loujour» ancienne eLV loDJoori Donvdle 1 J'ai comaienci^ bien tard ù roui-9 aimerl vous éUei ao-dedcns de moi ; maisj'élaîs hon de moi ; ete'éteit li que jeTona cherchais : quand J'élai mœ-mAme « diffonne i vos jeux ; je brillais pour c beaatée qui sonl l'ouvrage de vos mains. Vous éûa avec moi el je D'étaii'pas avec vous. Vous m'avez api peM, vous avei crié et voiia «vez ouvert mes oreiilei ■oordea jusqu'alon. Vousavex frappé mon âme dcvw éclaira; voua avez lancé vos ravons sur elle et met jenx aveuglés se sont ouverts. Vous m'avez fait sentie l'odeur de voa parfums et je respire, je soupire puuri vous. Vous m'aves touché, «l mon ardeur s'est en- | flammée pour jouir de votre pnix. » El comme il ^ sait des larmes amérea, il entendit une voix qui lui' I dit : « Prenex et lisez ; prcnei et lisez, u Et il se bâta f d'ouvrir le livre de l'apôtret «' '1 l"t '" chapitre sur le- quel ses yeux ae portèrent d'abonl : <• Hevétez-voiis del Notre-Seigneur J.-C. », et à l'instant furent dissipées les ténèbres ses doutes l'avaientplon^. Surces en- trefaîtes, il fui lourmenlé d'un très violent mal de dents, en sorte qu'il en serait presque venu à croire, c'est lui qui le dit, à l'opinion du philosophe Corné- lius, qui faisait consister le souverain bien de l'ftme dans la sagesse el le souverain bien du corps dans l'absence entière du sentiment de Ja douleur. Or, cette douleur fut si violente qu'il en perdît la parole. Ce fut alors, ainsi qu'il le rapporte dans ses Confessions, qu'il écrivit sur des tablettes de cire que tous ses amis priassent pour lui, afin que le Seigneur le guérit. Il se

SAINT AUGUSTIN 503

mit lui-même à genoux avec les autres, et à Tinstant il se sentit guéri. Il écrivit donc au saint pontife Am- broise pour lui confier ses intentions, en le priant de lui indiquer ce qu'il devait lire, de préférence, dans les Livres saints, pour le rendre plus digne de la foi ca- tholique. L'évéque recommanda la lecture du prophète Isaie, qui lui paraissait avoir prédit le plus clairement rEvangile et la vocation des gentils. Mais Augustin n'en comprenant pas le commencement et pensant qu*il était partout obscur, Tabandonna, en se réser- vant d'y revenir lorsque les saintes Ecritures lui se- raient devenues plus familières. Or, quand l'époque de Psl(]ues fut arrivée, Augustin, parvenu à l'âge de trente ans, reçut, avec Alype, son ami, le saint baptême ainsi que son fils Adéodat, enfant plein d'esprit, qu'il avait eu dans sa jeunesse, alors qu'il était encore païen et philosophe. Il devait ce bonheur aux mérites de sa mère et à la prédication de saint Ambroise. Alors, dit^ on, saint Ambroise s'écria : Te Deum laudamus! et Augustin répondit: Te Dominum confitemur. Et ce fut ainsi que tous les deux composèrent, en se répondant alternativement, cette hymne qu'ils chantèrent en en- tier jusqu'à la fin. C'est ce qu'atteste encore Honorius (d'Autun), Pairol. lal.y 172, dans son livre intitulé Miroir de l'Eglise. Cependant dans quelques livres an- ciens, le Te Deinn est intitulé ainsi : a Cantique compilé par saint Ambroise et saint Augustin. » Tout aussitôt après, Augustin fut aiTermi merveilleusement dans la foi catholique ; il abandonna toutes les espérances qu'il pouvait attendre du monde et renonça à donner des leçons dans les écoles. Il raconte lui-même dans

504 LA LÉGENDE DOREE

ses Confessions l'abondance des douceurs que lui fai- sait éprouver Tamour divin : « Vous aviez, dit-il , Sei- gneur, percé mon cœur des traits de votre amour et je portais vos paroles comme fixées au fond de mes en- trailles ; les exemples de vos serviteurs qui étaient passés, par votre secours, des ténèbres à la lumière et de la mort à la vie, se pressaient en foule dans mon esprit pour enflammer mon ardeur et dissiper ma lan- guissante apathie. Je sortais de cette vallée de larmes et je chantais le cantique des degrés *, blessé des flè- ches aiguës et des charbons ardents qui venaient de vous. Je trouvais une douceur infinie, dans ces pre- miers jours, à considérer la profondeur de vos des- seins sur le salut des hommes. Combien de larmes je versai en prêtant Toreille à ce mélodieux concert des hymnes et des cantiques qui retentissaient dans votre église ! Pendant que mes oreilles cédaient au charme de ces paroles, votre vérité se glissait par elles dans mon cœur : mes larmes coulaient par torrents, et c'était un bien pour moi de les répandre. Ce fut alors en effet qu'on établit le chant des cantiques dans l'église de Milan. Je m'écriais du fond de mon cœur : Oh! ce sera dans la paix ! oh ! ce sera dans son sein (àli ! quelles paroles!) que je dormirai, que je me reposerai, que je prendrai mon sommeil! car vous êtes bien cet être qui ne change point: en vous je trouve le repos qui fait oublier toutes les peines. Je lisais ce psaume en entier ** et je brûlais, moi qui tout à l'heure n'étais

**

C'cst-à-dirc le psaume cxix, Ad te levavi.

Le psaume iv, Cum invocarem, exatulivit me Dewt,

SAINT AUGUSTIN 505

qu'un ennemi acharné, un aveugle el furieux détrao leur de ces Ecritures qui distillent un miel céleste et brillent de tout Téclat de votre lumière : je séchais de douleur en pensant aux ennemis de ce divin Livre. O Jésus, mon appui I Que soudain il me parut doux de renoncer aux douceurs des vains amusements ! Ce que j'avais tant redouté de perdre, je le quittai avec joie. Car vous les chassiez loin de moi ces douceurs, vous, la véritable et la souveraine douceur; vous les chassiez pour prendre leur place, vous qui êtes plus suave que toutes les voluptés, mais d'une suavité inconnue de la chair et du sang; qui êtes plus brillant que toute lu- mière, mais plus caché que ne l'est aucun secret ; qui êtes plus élevé que toutes les dignités, mais non aux yeux de ceux qui s'élèvent eux-mêmes, jd

Après quoi, il se prépara à revenir en Afrique avec Nébrode, Evode et sa mère. Mais arrivés à Ostie, sa pieuse mère mourut. Alors Augustin revint dans ses propriétés, se livrant, avec ceux qui lui étaient attachés, aux jeûnes et à la prière, il écrivait des livres et instruisait les ignorants. Sa réputation se répandait partout : on le trouvait admirable dans tous ses écrits et dans ses actions. Il avait soin de ne point aller dans les villes les sièges étaient vacants, de peur qu'il ne fût exposé aux embarras de l'épis- copat. Il y avait dans le même temps à Hippone un homme jouissant d'une grande fortune qui envoya dire à saint Augustin que, s'il venait le trouver et le faire jouir de son entretien, il pourrait bien renoncer au monde. A cette nouvelle, Augustin se hâta de venir. Alors Valère, évêque d'Hippone, informé de sa repu-

B06 -La légende dorée

talion, fonhNÎDa prêtre de Sun église, malgré lout«s. •es réùtancea. Quelques-uns altribuaicul ses larnies> A aoa oiipiùlt et lui disaient, pour le consoler, que Im- poste'qu'il occupait comme prêtre, bien qu'inférieur ii-atm oaérite, étail un aclieminement vers l'épisc» "pat. AiM^tAt Augustin établit un monaslôre de clerc^ ilaii^ leqtul if cooiiuen^-a à vivre selon la règle iusiU tuée par les saints api!itres, et d'où il sortît au moins dix évAques. Or, comme l'évêque Valère était grec de naûsaDceet peu rersé dans les lettres et dans la lan- gae latine, il donna à Aui^usliii le pouvoir de prAchcU «a sâprésence dans l'église, ce qui était contre les us» ges l'Orient : mais comme beaucoup d'évèques ne leii saivaîent pas en ce point, il ne s'en înquîétD pEU^. pourvu que le hitn i|u'il ne pouvait opérer se ffl par' un autre que soi. Dans le même temps, il convainquît^ figOA et réfuta PurCunal, prêtre manichéen et d'att- tres hérétiques, ])i'incipalement les rebapliscurs, lei donalistes et les nianicliéens. Alors Valère commençi i craindre qu'on ne lui enlevât Augustin el que quel- que autre ville ne le demandât pour évéque. Et on aurait bien pu le lui ravir, s'il n'eût pris garde de l'envoyer dans un lieu retiré, de manière qu'on ne putle trouver. Il demanda donc à l'archevêque de Car- thagela permission de se démettre en faveur d'Augus- tin qui serait promuàl'évêcliéd'Hippone. Mais Augus- tin s'opposa de toutes ses forces à ce projet : en6n, pressé et poussé, il fui obligé de céder, et il se chargea du fardeau de l'épiscopat. Dans la suite, il dit et il écrivit qu'on n'aurait pas l'ordonner évêque du vivant de celui qu'il remplaçait. Il sut plus tard que

SAINT AUGUSTIN 507

cela était défendu par un concile général ; aussi ne voulait-il pas faire pour d'autres ce qu'il regrettait qu'on eût fait pour lui. Et il donna tous ses soins à ce que dans les conciles des évéques il fût statué que ceux qui conféraient les ordres intimassent toutes les ordonnances des Pères à ceux qui devaient être ordon- nés. On lit qu'il dit plus tard en parlant de lui-même : (c Je n*ai jamais mieux reconnu que Dieu fût irrité contre moi, que quand j'ai été placé au gouvernail de l'Eglise, alors que je n'étais pas digne d'être mis au nombre des rameurs. » Ses vêtements, sa chaussure et ses autres ornements n'étaient ni trop brillants ni trop négligés, toutefois ils étaient simples et conve- nables. On lit en effet qu'il dit de soi : « Je l'avoue, je rougis d'avoir un habit précieux ; c'est pour cela que quand on m'en donne un, je le vends, afin de pouvoir au moins en partager le produit, puisque je ne puis partager l'habit. » Sa table était servie fru- galement et simplement, et avec les herbes et les légumes, il y avait le plus souvent de la viande pour les infirmes et les hôtes. Pendant les repas, il goûtait plus la lecture ou la discussion que les mets eux- mêmes et il avait fait graver dans sa salle ce distique contre le poison de la médisance :

Quisquis a mat dictis absentilm rodcre vitani, Hanc mensam indignam noverit esse sibi*.

Aussi il arriva une fois que quelques-uns de ses collègues dans Tépiscopat avec lesquels il vivait dans

* O vous qui des absents déchirez la conduite. Sachez qu'aux détracteurs ma table est interdite.

808 1.A LI-^(iENDK DURKK

la Cimiliarité, sVtant pLTini» de mi^tlirr, il doremeol, et dit que s'ils nu cessaient, ou bien il eflî ceraU œs vers ou bien il allait quitter la table. Ayai îarité on jour quelques intimes à un repati, l'un dVtutjîl phi8 corieiu que les autres, entra dans la cuisine, oâ, J a/ant trouvé tout refroitli, il demanda à son retour êM aainl Aujiulin queU mets le père de famille »vail con^ mandé de servir. Augustin, qui ne s'oecupait pa^ < cRosea pareitles, lui répondit: « Et je ne le s plus iijne TOUB. <•

11 disait avoir appris trois chose» de saint Ambroisi la première de ne demander Jamais de Temme ) qnehja'iln; la seconde, de ne jamais exciter persoruU^ qiiiT09lArs*en^a^ei' dans l'état militaire, à suivre e parti; et la troisièmi?, de n'accepter aucune invilatioill pour an repas. Quant à la première, c'était dons Nl'| craints <pw les 4pou.\ ne se convinssent pas et se que< rellasaent ; quant A la seconde, c'était de peur que a les militaires se livraient A la calomnie, cela ne lin M^ reproché ; enlin, quant à la troisième, c'était pour i point dépasser les bornes de la tempérance. Telle fut sa pureté et son humilité, que même les péchés les plus légers, qui parmi nous sont réputés nuls ou mi- nimes, il les avoue dans le livre des Confessiotu et s'en accuse en toute humilité devant Dieu; car il s'y accuse qu'étant enfant, il jouait à la paume, au lieu d'aller à l'école. Il s'accuse encore de ne vouloir ni lire, ni s'appliquer, si son maître ou ses parents ne Vy forçaient; de ce qu'étant enfant, il lisait volontiers les fables des poètes, comme celle d'Enée, et qu'il pleurait sur Uidon se tuant par amour; de dérober sur la

'^

SAINT AUGUSTIN 509

table ou dans le cellier quelque chose qu'il pût donner aux enfants, ses compagnons de jeu; de les avoir trompés quelquefois au jeu. Il s'accuse aussi d'avoir volé, à l'âge de seize ans, des poires sur Tarbre de son voisin.

Dans ce même livre de ses Confessions^ il s'accuse d'une légère délectation qu'il éprouvait quelquefois en mangeant: « Vous m'avez appris, dit-il. Seigneur, à ne considérer les aliments que comme un remède, et c'est dans cet esprit que je m'efforce de satis- faire à ce besoin. Mais lorsque je passe de la dou- leur que me cause la faim à cet état de quiétude qui s'empare de moi quand elle est apaisée, alors la con- cupiscence mî? tend des pièges. Cette transition est vraiment une volupté, et il n'est pas d'autre voie pour satisfaire à cette nécessité à laquelle nous sommes réduits.

« En effet le boire et le manger étant nécessaires à la conservation de notre existence, un certain plaisir s'est attaché à cette nécessité comme une compagne inséparable : mais bien souvent elle s'efforce de pren- dre les devants, pour m'obligera faire pour elle-même ce que je dois et ne veux faire seulement que pour ma santé. Pour les excès du vin, j'en suis bien éloigné, et j'espère que vous me ferez la grâce de n'y tomber ja- mais. Après les repas, un certain engourdissement peut s'emparer de quelqu'un des vôtres, vous me ferez la grâce d'en être préservé. Quel est donc Tliomme, ô mon Dieu, cpii n*est pas quelquefois entraîné au delà des bornes que lui prescril la nécessité? Oh! celui-là est grand ; cju'il glorifie votre nom. Mais ce n'est pas

SI»

'. OOHÉE

moi, aïoî qui suis un malheureux pécWur] » Un croyaU pas exempt de fautes par rapport à l'odorat ttû dtBaH : ir Quant aux plaisir» qu'excitent en nou» Im odeurs, je m'en inquiète peu : je ne les rechercha pas quand elles me manquent ; quand elles vieiineat à moi, je ne les repousse pas, toujours disposé à m'en. piinr pour toujours. C'est du moins, si je ne nu ttorap^iCe que je crois ressentir; car nul ne doit être dsosonc sécuritécomplèledanscette vie qu'à juste titre, on peatappelerune tentation continuelle, puisque celui qui de méchant est devenu bon, ne sait pas si de hoa il ne deviendra pas plus méchant. » Voici ce qu'il dit toochiril le sens de l'ouîe: << Les plaisirs de l'ouTe ■vaîeot pour moi, je l'avoue, plus de charmes et plua ifattraits ; mais vous avez rompu ces liens et m'en avez afhvDChi. S'il m'an'ivc d'être plus ému par la m^ lodie que par les paroles que l'on chante, alors je Reconnais avoir péché et je préférerais ne poinlenteudri chanter en cette occasion. <

II s'accuse encore des péchés de la vue, comnM quand U dît qu'il aimait trop Tolonlïers i voir ua chien courir, qu'il prenait plaisir à regarder la chasse, ' quand il lui arrivait de passer dans la campa^e, qu'il examina avec trop d'attention des araignées enveloppant des mouches dans leurs toiles, alors qu'il était chez lui. Il s'accuse de cela devant Dieu comme de choses qui distraient dans les bonnes médita- tions et qui troublent les prières. II s'accuse aussi de désirer les louang;es et d'être entraîné par la vaine gloire : n Celui, dit^il. Seigneur, qui ambitionne les louanges des hommes, alors qu'il s'attire votre blâme.

SAINT AUGUSTIN 511

ne sera point défendu par les hoinmes lorsque vous le jugerez, ni délivré par eux, lorsque vous le con- damnerez.

Un homme que Ton félicite de quelque bienfait qu'il a reçu de votre main; se complaît plus dans les louanges qu'on lui donne, que dans la grâce qui les lui a méritées. Nous sommes tous les jours exposés sans relâche à ces sortes de tentation, et la langue de l'homme est une fournaise nous sommes mis jour- nellement à répreuve. Néanmoins je ne voudrais pas que le bon témoignage des autres n'ajoutât rien à la satisfaction que j'éprouve du bien qui peut être en moi ; mais il faut Tavouer non seulement ce bon té- moignage^ raugmente, mais le blâme la diminue. Je suis contristé des éloges que l'on me prodigue, soit qu'ils se rapportent à des choses que je suis fâché de trouver en moi, soit que l'on y estime de petites qua- lités plus (ju'elles ne le méritent. »

Ce saint homme réfutait les hérétiques avec une si grande énergie, qu'ils disaient entre eux publiquement que ce n'était pas pécher de tuer Augustin qu'ils re- gardaient comme un loup à égorger ; et ils affirmaient aux assassins (|ue Dieu leur pardonnerait alors tous leurs péchés.

Il eut à subir grand nombre d'embûches de leur part quand il avait besoin de voyager; mais la provi- dence de Dieu [>enneltait qu'ils se trompassent de che- min et qu'ils ne le rencontrassent point. Pauvre lui- même, il se souvenait toujours des pauvres, et il leur donnait libéralement de tout ce qu'il pouvait avoir : car il en vint jus(ju'à Taire briser et fondre les vases

512 LA LÉGENDE DORÉE

sacrés afin d'en donner la valeur aux pauvres, aux captifs et aux indigents. Il ne voulut jamais acheter ni champ, ni maison à la ville ou à la campagne. Il refusa grand nombre d'héritages qui lui avaient été légués, par la raison que cela devait appartenir de préférence aux enfants ou aux parents des défunts. Quant aux biens deTEglise, il n'y était pas attaché: ils ne lui donnaient aucun tracas ; mais le jour et la nuit, il méditait les Saintes Ecritures et les choses de Dieu. Jamais il ne s'occupait de nouvelles constitutions qui auraient pu lui embarrasser l'esprit que toujours il voulait conserver exempt de tout tracas extérieur, afin de pouvoir se livrer avec liberté à des méditations continuelles et à des lectures assidues. Ce n'est pas qu'il empêchât quelqu'un de bâtir, à moins qu'il ne s'aperçût qu'on le fît sans mesure. Il louait aussi beaucoup ceux qui avaient le désir de la mort, et il rapportait fort souvent à ce sujet les exemples de trois évêques. C'était saint Ambroise qui, au lit de la mort, répondit à ceux qui lui demandaient d'obtenir pour soi, par ses prières, un prolongement de vie : «Je n'ai pas vécu de manière à rougir de vivre parmi vous, et je ne crains pas de mourir, puisqui3 nous avons un bon maître. » Réponse que saint Augustin vantail exlraordinairement. Il citait encore l'exemple d'un autre évéque auquel on disait qu'il était fort nécessaire à l'Eglise, et que cette raison ferait que Dieu le délivrerait encore, et qui répondit: « Si je ne devais jamais mourir, ce serait bien ; mais si je dois mourir un jour, pourquoi pas maintenant ? » 11 rapportait encore ce que saint Cyprien racontait d'un autre évéque qui, souffrant beaucoup, demandait le

SAINT AUGUSTIN 513

réiablissement de sa santé. Un jeune homme d'une grande beauté lui apparut alors et lui dit avec un mou- vement d'indignation : « Vous craignez de souffrir, vous ne voulez pas mourir, que vous ferai-jeî » II ne laissa demeurer avec lui aucune femme, pas même sa soeur Germaine, ni les filles de son frère qui s'étaient vouées ensemble au service de Dieu. Il disait que, quand bien même on n'auraitaucun soupçon mauvais par rapport à sa sœur et à ses nièces, cependant parce que ces personnes auraient besoin des services d'autres femmes, qui viendraient chez elles, avec d'autres, et? pourrait être un sujet de tentation pour les faibles, ou certainement une source de mauvais soupçons pour les méchants. Jamais il ne voulait parler seul à seule avec une femme, à moins qu'il ne se fût agi d'un secret. II fit du bien à ses parents, non pas en leur procurant des richesses, mais en les empêchant d'être dans la gêne ou bien dans l'abondance. Il était rare qu*il s'en- tremit en faveur de quelqu'un parleltres ou par paroles, imitant en cela la conduite d*un philosophe qui par amour de sa réputation ne rendit pas de grands ser- vices à ses amis, et qui répétait souvent : « Presque toujours, pouvoir qu'on demande, pèse. » Mais quand il le faisait, il mesurait son style de manière à ne pas être importun, mais à mériter d'être exaucé en faveur de la politesse de sa demande.

II préférait avoir à juger les procès de ceux qui lui étaient inconnus, plutôt que ceux de ses amis; et il disait que parmi les premiers il pouvait distinguer le coupable, sans avoir rien à craindre, et que de l'un d'eux il s'en ferait un ami, mais qu'entre ses amis, il II. 33

514 LA LÉGENDE DORAe

«n perdrait certainement ah, saTotr câui oontretequid il prononcerait sa sentence. Beaucoup d^^i^tises I%m« tèrent ; ii y prêchait la parole de Dieu et opérdil des conrer^ions. Quelquefois, dans ses ' prédiàBttions, il sortait du cadre qu'il s'était tracé ; alors il dintt'qiui cela entrait dans le plan de Dieu prâr le aidtti de quel- qu'un. Ce qui fut évident, par rapport i un hottune d'affaires des manichéens, qui se convertit ai assis* tant à une prédication saint Augustin £t une digression contre cette hérésie. En ce tempfr-li, les Goths s*^taient emparés de Rome ; alors les idoUlIres et les infidèles insultaient beaucoup les chrétiens ; à cette occasion, saint Augustin composa son ItTfe de la Cité de Dieu, pour démontrer qu'ici^bas les justes doivent souffirir et les impies prospérer. Il j traite des deux eitèsi, celle de Jérusalem et odle de Bàbylone c4 de leurs rois, parce que le roi de Jérusalem, c'^t J.«C«, et le roi de Bàbylone, c'est le diable, «c Deux amours,* dit4I, ont bâti ces deux cités, Famour de soi, alhml jusqu'au mépris de Dieu, a bâti la cité du diable, et Tamour de Dieu, allant jusqu'au mépris de soi, la cité de Dieu. » Pendant qu'Augustin vivait eucore, vers Tan du Seigneur 440, les Vandales s'emparèrent de toute la province d'Afrique, ravageant tout, et n'é- pargnant ni le sexe, ni le rang, ni l'âge. Quand ils arrivèrent devant la ville d'Hippone, ils l'assiégèrent vigoureusement. Au milieu de cette tribulation, saint Augustin, plus que personne, passa les dernières années de sa vie dans Famertume et la tristesse. Ses larmes lui servaient de pain le jour et la nuit, en voyant ceux-ci tués, ceux-là forcés de fuir, les églises veuves

SAINT AUGUSTIN 313

de leurs prêtres, et les villes détruites et sans habi- tants. Au milieu de tant de maux, il se consolait par cet adage d'un sage, qui disait : « Celui-là n^est pas un grand homme qui regarde comme chose extraor- dinaire que les arbres tombent, que les pierres s'é- croulent et que les mortels meurent. » Mais il rassem- bla ses frères et leur dit : « Oui, j'ai prié Dieu afin qu'il nous délivre de ces périls, ou qu'il nous accorde la patience, ou bien qu'il m'enlève de cette vie pour n'être point forcé devoir tant de calamités. » Il n'ob- tint que la troisième demande, car après trois mois de siège, en février, la fièvre le prit, et il se mit au lit. Comprenant que sa fin approchait, il se fit écrire les sept Psaumes de la pénitence qu'il commanda d'at^ tacher à la muraille, à côté de son lit, d'où il les lisait, en versant sans cesse des larmes abondantes ; et afin de ne penser qu'à Dieu et de n'être gêné par personne, dix jours avant sa mort, il défendit de laisser entrer qui que ce fût dans sa chambre, si ce n'est le médecin, ou bien celui qui lui apportait quelque nourriture.

Or, un malade vint le trouver, et le pria instam- ment de lui imposer les mains et de le guérir. Augus- tin lui répondit : « Que dis-tu là, mon fils ? Penses-tu que si je pouvais faire chose pareille, je ne me l'ac- corderais pas pour moi? » Mais le malade insistait, et lui assurait que dans une vision qu'il avait eue, il lui avait été ordonné de venir le trouver et qu'il serait guéri. Alors Augustin, voyant sa foi, pria pour lui et il fut guéri. Il délivra beaucoup d'énergumènes et fit plusieurs autres miracles. Au livre XXII de la Cité de Dietiy il rapporte, comme ayant été opérés par un

BI6 LA UfCE^nE

autre, deux mincies qu'il fit. « A ma connaissance, dit-il, tme jeune powmne d'Hipponc, ayant répandit < sur elle une huile le pri^trc «jui priait pour elle avait mél^ ses larmes, fut délivrt^c du démon. » 1] dît l encore an ro£me endrmt : n II est aussi à ma connai»* i sance que le démon quitta soudain un jeune |>09sédé ; ^ ua évique avait prié pour ce jeune homme sans le | voir.,» Il n'y a aucun doute qu'il ne parle de lui-', mtme, mais par humilité, il n'a pas voulu se noia> | -iner. II. rapporte, dans ce même ouvrage, qu'uai malade devait être taillé, el on craignait beaucoup] qu'il ne mourtlt de cette opération. Le malade plia IKeu avec abondance de larmes ; .\ugustin pria avec lui et pour Uii, et sans aucnne incision, il re^-ut une ^érison parfeite. Enfin, à l'approclie de son Irépaa, U laissa cet enseignemcnl mémorable, savoir qaa , l'homme, quelque excellent qu'il soil, ne doit pa*! mourir sans confession, otsans recevoir l'Eucharistie. ^ Quand ses derniers instants furcui arrivés, jouissant I de toutes ses facultés, la vue et l'ouïe encore saines, à l'âge de 77 ans, et de son épiscopat la 40*, en pré- sence de ses frères rassemblés et priant, il passa au Seigneur. Il ne fit aucun testament, parce que ce pauvre de J.-C. ne laissait rien qu'il pût léguer. Il vivait vers l'an du Seigneur 400.

Augustin, cet astre éclatant de sagesse, cette forte- resse de la vérité, ce rempart de la foi, l'emporta sans comparaison sur tous les docteurs de l'Eglise, aussi bien par son génie que par sa science : Il fut aussi illustre par ses vertus que par sa doctrine. C'est ce qui fait que le bienheureux Hemi, en parlant de saint

SAINT AUGUSTIN 5i7

Jérôme et de quelques autres docteurs, conclut ainsi : « Saint Augustin les surpassa tous par le j^énie et par la science. Car bien que saint Jérôme avoue avoir lu les 6000 ouvrages d'Origène, cependant saint Augus- tin en a tant écrit, que non seulement, personne, y passât-il ses jours et ses nuits, ne saurait transcrire ses livres, mais qu'il ne s'en rencontre pas même un qui les ait lus en entier. » Vohisien, auquel saint Augus- tin adressa une lettre, parle ainsi : « Cela ne se trouve pas dans la loi de Dieu si saint Augustin l'ignore. » Samt Jérôme dit dans une lettre écrite par lui à saint Augustin : « Je n'ai encore pu répondre à vos deux opuscules si pleins d'érudition et d'une éloquence si brillante ; certes, tout ce qu'on peut dire, tout ce à quoi peut atteindre le génie, et tout ce qu'on saurait puiser dans les saintes Ecritures, vous Tavez traité, vous l'avez épuisé : mais je prie Votre Révérence de me permettre de donner à votre génie les éloges qu'il mérite. » Dans son ouvrage des Douze Docteurs, saint Jérôme écrit ces mois sur saint Augustin : « Saint Augustin, évêque, est comme l'aigle qui plane sur le sommet des montagnes : Il ne s'occupe pas de ce qui se trouve au bas, mais il traite avec clarté de ce qu'il y a de plus élevé dans les deux ; il embrasse d'un coup d'œil la terre avec les eaux qui l'entourent. » On peut juger du respect et de l'amour qu'éprouvait saint Jérôme pour saint Augustin par les lettres que celui-ci lui adressa. Il s'exprime ainsi dans Tune d'elles : « Jérôme, au saint et très heureux seigneur pape, salut. En tout temps, j'ai en le plus profond respect pour votre béatitude, et j'ai chéri J,-C. notre Sau-

#

«18

venr ^ Inbtte ai voàB^.naM ma^fimrithm je vaux, ■TS «M ptMBMe, ajoalér ipialqoB ducefluon ot MM* treleomnbfeiiMpeiMée; fi^eitqMJeaeaKpcniels pMde fMBBV mène vne hean m^ «laôr voire îm» préwAt i inoo oi^t. » Dus une maHn lettfe tpHà enraie : « Tautt'en fiiut, dil-il, que j'ose toucher » qwn que ce flmtdM ouvrages de votre béatitude ; j'ai déji ueeS de corriger les miens, sans porter la main sur ceàz da aatree. » Saint Grégoire s'exprime ainsi dans une lettre écrite A Innoccnlius. préfet d'Afrique : n HaaB nous réjonissons du désir que vous manifes- lexde receTob'de noa^ l'exposition sur Job. Mais si voos SOtthÛtei yons nssasier de quelque noiirrituru délîdeoae, lÎBei les c^ascules de saint Aiivi^ustin, votn^ compatriote ; toob tnmverex que c'es^ on oompaiain son de notre tme, de la fleur de Surine A cdié de quelque chose de fort inftriear venant de nous. » Vomi ce qu'il écrit dans acm Heghtre : « On Kl qiw saint Augiutin ne conaentit pas même A habiter avec sK sœur ; car, disait-il, celles qui sont avec ma sœur ne sont pas mes sœurs. La précaution excessive de ce grand docteur doit nous servir de leçon. On lit dans la Préface Ambroisienne : « Nous adorons, Seigneur, votre magnificence au jour de la mort de saint Au- gustin : car votre force, qui opère dans tous, a fait que cet homme embrasé de votre esprit, ne se laissa pas vaincre par les promesses des attraits fallacieux : vous l'aviez en effet rempli de tout genre de piété, en sorte qu'il vous était tout à la fois, l'autel, le sacri- fice, le prêtre et le temple, h Saint Prosper dans son Traité de la vie contemplative (Julien Pomère, I. III),

SAINT AUGUSTIN 519

parle ainsi de saint Augustin : « Il avait un génie pénétrant, une éloquence suave ; un grand fonds de littérature classique ; il avait scruté les matières ecclé- siastiques ; il était clair dans ses discussions de tous les jours, grave dans son maintien, habile à résoudre une question, attentif à réfuter les hérétiques, catho- lique dans l'exposition du dogme, silr dans l'explica- tion des écritures canoniques. )> Saint Bernard dit de son côté : « Augustin, c'est le fléau le plus redoutable des hérétiques. »

Après sa mort, les barbares ayant fait invasion dans le pays, ils profanèrent les lieux saints ; alors les fidè- les prirent le corps de saint Augustin et le transpor- tèrent en Sardaigne. 280 ans s'étant écoulés depuis sa mort, vers l'année du Seigneur 718, Luitprand, pieux roi des Lombards, apprenant que la Sardaigne avait été dépeuplée par les Sarrasins, fit partir des messagtrs pour faire rapporter à Pavie les reliques du saint docteur *. Au prix d'une somme considé- rable, ils obtinrent le corps de saint Augustin et le transportèrent jusqu'à Gènes. Le saint roi l'ayant appris, il se fit un bonheur de venir à sa rencontre et de le recevoir. Mais le lendemain matin, quand on voulut reprendre le corps, on ne put le lever de l'en- droit qu'il occupait, jusqu'au moment le roi fit voeu que si le saint se laissait emmener, il ferait bâtir, au même lieu, une église qui serait dédiée en son nom. Aussitôt on put prendre le corps sans difficulté.

Vincent de Beau vais, ///,«/., 1. XXIII, c. cxlviii ; Sitçe- bcrt, an 721.

580 Là. ^Qàtmm nomim

*

Le roi tint sa promesse et fit oonslrmre i Gtees une église en Plionnear de saint Angostin. Pàr^ minde arriva le lendemain dans une TÎUa dn diocèse de Tortone, nommée Casai, Ton ocmsirmsii euDore nue église ea Tlioniieur de saint At^jfostin. De plm, Luilprand concéda cette même villa avec tontes ses dépendances», pour être possédée & perpétuité par ceax qui desserviraient PégUse. Or, comme le roi Toyaii qu'il plaisait au saint qu'on lui âevfti une église par^ tout il s'arrêtait) dans la crainte qu'il ne se cfaoistt un autre lieu que celui il voulait le mettre» partout on passait la nuit avec le saint ccMrps^ fl fondait une é^ise ea son honneur. Ce fut amsi qu'on arriva à Pavie dans des ùansports de joie, et que Ton plaça les saints restes avec de grands luinMursdans l'^flise de saint Pierre, appdée au Ciel dPw. -~ Un meunier j, qui avait une déyotion toute i|)édale & saint Augus- tin, souffhdt àlajambed'uœ tumaur nommée pliie^rma sahum^ et il invoqumt pieusement saint Augustin à son secours. Le saint, dans une vision, lui toucha la jambe et le guérit. A son réveil, se trouvant délivré, il rendit grâces à Dieu et à saint Augustin. Un enfant avait la pierre et de l'avis des médecins, il fallait le tailler. La mère qui craignait que Tenfant ne mourût, s'adressa dévolemenl à saint Augustin pour qu'il secourût son fils. Elle n'eut pas plutôt fini sa prière que l'enfant rendit la pierre en urinant et recouvra une parfaite santé.

Dans un monastère, appelé Elémosina, un moine, la veille de la fête de saint Augustin, fut ravi en extase et vit une nuée lumineuse descendant du ciel, et sur

SAINT AUGUSTIN S2i

cette nuée saint Augustin assis revêtu de ses habits pontificaux. Ses yeux étaient comme deux rayons de soleil illuminant toute l'église qui était remplie d'une odeur très suave. Saint Bernard étant à Matines s'assommeilla un peu, et pendant qu'on chantait une leçon de saint Augustin, il vit un jeune homme très beau qui se tenait debout, et de la bouche duquel sor- tait une si grande abondance d'eau que toute l'église paraissait devoir en être remplie. Saint Bernard ne fit pas difficulté de penser que c'était saint Augustin qui a fait couler dans l'Eglise entière des fontaines de doctrine. Un homme, qui aimait singulièrement saint Augustin, donna beaucoup d'argent à un moine, gardien du saint corps, pour avoir un doigt d'Augus- tin. Le moine reçut bien l'argent, mais, à la place du doigt de saint Augustin, il lui donna le doigt d'un mort qu'il enveloppa dans de la soie. L'homme le reçut avec respect et lui adressait sans cesje ses hommages avec grande dévotion, le pressant sur sa bouche, sur ses yeux et le suspendant à sa poitrine. Dieu, qui voyait sa foi, lui donna d*une manière aussi miraculeuse que miséricordieuse un doigt de saint Augustin ; l'autre avait disparu. Cet homme étant rentré dans sa patrie, il s'y fit beaucoup de miracles et le bruit en alla jus- qu'à Pavie. Mais comme le moine assurait (jue c'était le doigt d'un mort, on ouvrit le sépulcre et on trouva qu'il manquait un des doigts du saint. L'abbé, qui sut le fait, déposa le moine de son office et le punit sévè- rement. — En Bourgogne*, dans un monastère nommé

Herbert, De miraruiis, \. III, c. xxxviii ; Opp. de saint Bernait.

SSS LA lionn» noadi

Fontaines, viraît on mùne fféé HqfOM, trt> dénit i nint AggMtin, dont il lisait ha oanagea amo bo»- benr. II le foiait aoavent de ne pas permetlre qu'il trépaMât de ce monde un autre jour que celui l'on Mdenniaaït sa fêta.- Quinze jours auparavant, la Ëèvre le aaint ai Tiolemment que la veille de la fétc on le posa par terre dans l'élise; comme un mourant. El voici que {dttflieaFspersoiinEiu^es beaux et brillants, en aubes, entfAreot processionnel lement dans l'église dudit mo- nastère : à Imr faite venait un personnage vénérable rerétn d'habits pontificau.v. Un moine qui était alors dansl'4%liae fat saisi à cette vue; il demanda qui ils étaient et oA ils allaient. L'un d'eux lut répondit que Vêtait saint Angustin avec ses chanoines qui venait assùtter & la mort de ce moine qui lui était dévot afin ". de porter son Ame au royaume de la gloire. Ensuite cette noble procession entra dans l'iniirinerie, et après j être restée qaQlqœ temps, la sainte âmi> du moine fut dtiirrée des liens de la chair. Son doox ami 1* fortifia contre les erabllches des ennemis et l'intro- duisit dans la joie du ciel. On lit encore que, de son vivant, saint Augustin, étant occupé à lire, vit passer devant lui le démon portant un livre sur ses épaules. Âussîlâl le saint l'adjura de lui ouvrir ce livre pour voir ce qu'il contenait. Le démon lui répartit que c'étaient les péchés des hommes qui s'y trouvaient écrits, pé- chés qu'il avait recueillis de tous côtés et qu'il- y avait couchés. El à l'instant saint Augustin lui commanda que, s'il se trouvait porté quelqu'un de ses péchés, îl le lui donnât à lire de suite. Le livre fut ouvert et saint Augustin n'y trouva rien d'écrit, si ce n'est qu'une

SAINT AUGUSTIN 523

fois, il avait oublié de réciter compiles. Il commanda au diable d'attendre son retour; il entra alors dans réalise, récita les complies avec dévotion et après avoir fait ses prières accoutumées, il revint et dit au démon de lui montrer encore une fois l'endroit qu'il voulait relire. Le diable, qui retournait toutes les feuilles avec rapidité, finit par trouver la page, mais elle était blanche : alors il dit tout en colère : « Tu m'as hon- teusement déçu ; je me repens de t'avoir montré mon livre, puisque tu as effacé ton péché par la vertu de tes prières. » Ayant parlé ainsi, il disparut tout plein de confusion.

Une femme avait à souffrir les injures de quelques personnes pleines de malice : elle vint trouver saint Augustin pour lui demander conseil. L'ayant trouvé qui étudiait, et l'ayant salué avec respect, il ne la re- garda ni ne lui répondit point. Elle pensa que peut- être c'était par une sainteté extrême qu'il ne voulait pas jeter les regards sur une femme : cependant elle s'approcha et lui exposa son affaire avec soin. Mais il ne se tourna pas vers elle, pas plus qu'il ne lui adressa de réponse : alors elle se relira pleine de tris- tesse. Un autre jour que saint Augustin célébrait la messe et que cette femme y assistait, après Télévation, elle se vit transportée devant le tribunal de la très sainte Trinité elle vit Augustin, la face inclinée, discourant avec la plus grande attention et en termes sublimes sur la gloire de la Trinité. Et une voix se* fit entendre qui lui dit : « Quand tu as été chez Au- gustin^ il était tellement occupé à réfléchir sur la gloire de la sainte Trinité qu'il n'a pas remarqué que

8M lA LicENDE OORéR

ta MHS ▼einié le froavcr ; mais rclonnie chez lui avc-c àMnrancé; In le tronreras nfTable el lu recevras un aVis Milataire. »'EUe If fit et saint Au^slin l'écoiilA mrtc bonté et loi donna un excellent conseil. On rapporta noMÎ qâ'an Mini homme étant ravi en esprit daiù le ciel et ezamimiit tous les saints dans la gloire, n'y Tc^nl pas nïnt An Justin, demanda à quelqu'un dM bienhenrenx Sitait. Il lui fui répondu : « \u- gostih réside an jhn baut des cieux, il mt'dite sur la gloire de la tris excellente Trinité, a Quelquett habitants de Pavie étaient détenus en prison par le marquis de Malaspina. Toute boisson leur fut refusée afin de pouvoir en extorquer une grosse somme d'ar- fràt. I^ plupart rendaient dt^'jà l'Éimc, quelques-uns buvaient leur orine. Un jeune homme d'eutre eux. qui avait une f^rande dévotion pour saint Au|j;uslin, ré- clama son assistance. Alors au milieu de la nuil, saint Augustin apparut à ce jeune homme, et comme s'il lui prenait la main, U le ronduisii an fictive de (ira- velon avec une feuille de vigne trempée dans l'eaii, il lui rafraîchit tellement la langue, que lui, qui aurait souhaité boire de l'urine, n'aurait plus souhaité main- tenant boire du nectar. Le prévôt d'une église, homme fort dévot envers saint Augustin, fut malade pendant trois ans au point de ne pouvoir sortir du Ht. La fête de saint Augustin était proche, et déjà on sonnait les vêpres de la vigile, quand il se mit à prier saint Augustin de tout cœur. Saint Augustin se montra à lui revêtu d'habits blancs et en l'appelant trois fois par son nom, il lui dit : « Me voîci, tu m'as appelé assez longtemps, lève-toi de suite, et va me ce-

:\

SAINT AUGUSTIN 525

lébrer Toffice des Vêpres. » Il se leva guéri, et, à Té- tonnemenl de tous, il entra dans l'église, il assista dévotement à tout l'office. Un pasteur avait un chancre affreux entre les épaules. Le mal s*accrut au point de le laisser absolument sans forces. Comme il priait saint Augustin, celui-ci lui apparut, posa la main sur la partie malade et la guérit parfaitement. Le même homme, dans la suite, perdit la vue. Il s'adressa avec confiance à saint Augustin, qui, un jour sur le midi, lui apparut, et en lui essuyant les yeux avec les mains, il lui rendit la santé.

Vers Tan du Seigneur 912, des hommes gravement malades, au nombre de plus de quarante, allaient à Rome de l'Allemagne et de la Gaule pour visiter le tombeau des apôtres. Les uns courbés se traînaient par terre sur des sellettes, d'autres se soutenaient sur des béquilles, ceux qui étaient aveugles se laissaient traîner par ceux qui marchaient en avant, ceux-là en- fin avaient les mains el les pieds paralysés. Ils passè- rent une montagne el parvinrent à un endroit appelé la Charbonnerie. Ils étaient près d*un lieu qui se nomme Cana, à une distance de trois milles de Pavie, quand saint Augustin revêtu de ses ornements pontificaux, et sortant d'une église érigée en l'honneur des saints Côme et Damien, leur apparut et leur demanda ils se dirigeaient. Ils lui répondirent qu'ils allaient à Rome ; alors saint Augustin ajouta : « Allez à Pavie et de- mandez le monastère de saint Pierre qui s'appelle Ciel d'or, et vous obtiendrez les miséricordes que vous désirez. Et comme ils lui demandaient son nom, il dit : « Je suis Augustin autrefois évèque de l'église d'Hip-

putic. u AussitiM il disparut à leurs regards. Ils se di- riçf^renl donc vers Pavie, et étant arriv»îa au monas- tère indiqué et apprenant que c'était que reposait le corps de saint Aui^ustin, ils se mirent tous à élever la voix et à crier tous ensemble : « Saint Augustin, aidez-nous, u Leurs clameurs émurent les citoyens et les moines qui s'empressaient d'accourir à un spectacle ai extraordinaire. Or, voilà que, par l'extension de leura nerfs,une grande quantité desangse mit àcoulcr, de telle sorte que depuis l'entrée du monastère, jusqu'au tom- beau de saint .Augustin, la terre paraissait enétretoul« couverte. Parvenus au tombeau, tous furent entière- ment guéris, comme s'ils n'avaient jamais été cstropiéa. Depuis ce moment, la renommée du saint se propagea de plus en plus, et une multitude d'infirmes vint à son tombeau, 01*1 tous recouvraient la santé, cl iais- m'uml des gages de leur i^uéhson. Telle fut la quantité de ces gages que tout l'oratoire de saint Augustin etf le portique eu étaient pleins, en sorte que cela devinl^ la cause d'un grand embiirras pourentrer Pt pour sor**^ tir. La nécessité força les moines à les âter. Il y a trois choses qui sont l'objet des désirs des personnes du monde, les richesses, les plaisirs et les honneurs. Or, le saint atteignit à un tel degré de perfection qu'il méprisa les richesses, qu'il repoussa les honneurs el qu'il eut les plaisirs en aversion. Il méprisa les ri- chesses ; c'est lui-même qui t'assure dans ses Soli!o- ques, la raison l'interroge el lui dit : « Est-ce que tu ne désires pasde richesses? » Et Augustin répond: '( Je ne saurais avouer ce premier point : j'ai trente ans, et il y en a bien quatorze que j'ai cessé de les

SAINT AUGUSTIN . 527

désirer. Des richesses, je n'en désire que ce qu'il faut pour me procurer ma nourriture. C'est un livre de Cicéron qui m'a entièrement convaincu qu'il ne faut en aucune manière souhaiter les richesses. » Il a re- poussé les honneurs : il le témoigne dans le même livre. «Que peusez-vous des honneurs? » lui demande la raison. Et saint Augustin répond : (( Je Tavoue, c'est seulement depuis peu de temps, presque de- puis quelques jours que j'ai cessé de les ambition- ner. » Les plaisirs et les richesses, il les méprisa, par rapport à la chair et au goût. La raison lui de- mande donc : « Quelle est votre opinion au sujet d'une épouse? Ne vous plairait-elle pas, si elle était belle, chaste, honnête, riche, et surtout si vous aviez la certitude qu'elle ne vous serait pas à charge? » Et saint Augustin répond : « Quelque bien ([ue vous la vouliez peindre, quand vous la montreriez comblée tous les dons, j'ai décidé que je n'avais rien tant à craindre que le commerce avec une femme. » « Je ne demande pas, reprend la raison, ce que vous avez décidé, je vous demande si vous vous y sentez porté ? » Et saint Augustin répond : « Je ne cherche, je ne dé- sire rien à ce sujet : les souvenirs qui m'en restent me sont à charge, affreux et détestables. » Pour ce qui est du second point, la raison rinterroiç-e en di- sant : « Et pour la nourriture, qu'avez-vous à dire? » ce Pour ce qui est du boire, et du manger, des bains el des autres plaisirs du corps, ne me demandez rien. J'en prends ce qu'il me faut seulement, pour conser- ver la santé. »

I

LA DÉGOLLATrON DE SAINT JEAN-BAPTISTft'J

La décollation de saint Jean-Baptiste se célèbre et aélif instituée, paratl-il, pour quatre motifs, d'après VOflice milral* : i" En raisonde sa décollation ; 2" A . cause de la combustion et de la réunion de ses os ; 3°à l'occasion de l'invention de son chef ; i' en mémoire delà translation d'un de ses doigts, et de la dédicace de son église. De les différents noms attribués à cettef' fête, savoir la décollation, la collection, l'invention eL|] la dédicace,

l. On célèbre cette Kte â cause delà décollation. ËIL' eiïel, selon le récit de l'tlisloire scholastique'*. Hé- rode Anlipas, fils d'Hérode le Grand, en partant pour Rome passa par chez son frère Philippe; alors eut lieu un accord secret entre lui et Hérodiade, femme <le Pliilipi»!-, et selon Joscplie, stcur d'Hérode A^ripp«^| lie répudier sa propre femme à son retour et de se ma^| rier avec cette même Hérodiade. Sa femme, fille d'A- , rétas, roi de Damas, eut connaissance de celte conven- tion ; alors sans attendre le retour de son mari, elle se hâta de rentrerdans sa pairie. En revenant, Hérode enleva Hérodiade à Philippe et s'attira l'inimitié d'A- ' rélas, d'Hérode Agrippa et de Philippe tout à la fois. Or, saint Jean le reprit, parce que, d'après la loi, il ne lui était pas permis de prendre pour femme, ainsi qu'il l'avait fait, l'épouse de son frèredu vivant de celui-ci.

Cap. xLi. " In Ecangel., cap. l\xii:.

LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 529

Hérode voyant que saint Jean le reprenait si durement pour ce crime, et que, d'un autre côté, saint Jean, au rapport de Josèphe, à cause de sa prédication et de son baptême, s'entourait d'une foule de inonde, le fit jeter en prison, dans le désir de plaire à sa femme, et dans la crainte d'un soulèvement populaire. Mais au- paravant il voulut le faire mourir, mais il eut peur du peuple. Hérodiade et Hérode désiraient également trouver une occasion quelconque pour pouvoir tuer Jean. Il paraît qu'ils convinrent secrèlement ensemble qu'Hérode donnerait une fête aux principaux de la Galilée et à ses officiers le jour anniversaire de sa nais- sance; qu'il promettrait avec serment de donner à la fille d'Hérodiade, quand elle danserait, tout ce qu'elle demanderait; que cette jeune personne demandant la télé de Jean, il serait de toute nécessité de la lui ac- corder à raison de son serinent, dont il ferait semblant d'être contristé. Qu'il ait poussé la feinte et la dissi- mulation jusque-là, c'est ce que donne à entendre VHisioire scholasUque on lit ce qui suit : « 11 est à croire qu'Hérode convint secrètement avec sa femme de faire tuer Jean, en se servant de cette cir- constance. » Saint Jérôme est du même sentiment dans la glose : « Hérode, dit-il, jura probablement, afin d'a- voir le moyen de tuer Jean ; car si cette fille eùtdemandc la mort d'un père ou d'une mère Hérode n'y eût cer- tainement pas consenti. Le repas est prêt, la jeunefille est présente ; elle danse devant tous les convives: elle ravit le monde ; le roi jure de lui donner tout ce qu'elle demandera. Prévenue par sa nièn*, elle de- mande la tête de Jean, maisrastucieux Hérode, à cause n. 34

ftSft hk LiCMERIMB IKMUfai

de 800 senneat, simula la Imlease, parée qae» ommag le dit Raban, il avait ea la tém^tté de jarer ce ^^M loi fidlait tenir. Or, sa tristease était sedemeai anr aa igurC) tandis qu'il avait la joie dans le coMir. flVeaiE- cttse sur scmh serment afin de pouvoir être iaupie aoaa rappareoce delà piété. Le bourreau est dmie eainifé, la tète de Jean est tranchée, elle est donnée à la jeune fUle» et celle-ci la présente à sa mère adultère, s Saint Augustin, à propos de ce Serment, raconte Prrrf pir suivant dans un sermon qu'il fit A la ÛécoHation àà saint Jean*Baptiste.

' « YcMciun fait qui m'a été raconté par nuboauBeiaN nocentetde bonne foi. Quelqu'un Itiiajant niénn prél ou une (tette, il en fut ému et il le provo^pm A bire aw» ment.Ledétnteur le fit et l'autre perdit. Lanuitanimualet ce dernier se crut tratné devant le juge qui rinterrogea en ces termes : « Pourqum as-tu provoqué tim défain teur à faire serment, quand tu savais qu'il se paijttr»* rail Et Thomme répondit : « Il m'a nié monbten. a « Il valait mieux, reprit le juge, perdre ton bien que de tuer son âme par un faux serment. » On le fit prosterner, et il fut condamné à être battu de verges ; or, il le fut si rudement, qu'à son réveil, on lui voyait encore la marque des coups sur le dos. Mais il lui fut pardonné après qu'il eut fait pénitence. » Ce ne fut cependant point à pareil jour que saint Jean fut dé- collé, mais un an avant la Passion de J.-C, vers les jours des azymes. Il a donc fallu, à cause des mys- tères de Notre-Seigneur, que Tinférieur le cédât à son supérieur. A ce sujet, saint Jean Chrysostome s'écrie : « Jean, c'est l'école des vertus, la règle de vie, Tcx-

LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 53 L

pression de la sainteté, le modèle de la justice, le miroir de la virginité, le porte-étendard de la pudi- diéy l'exemple delà chasteté, la voie de la pénitence, le pardon des péchés, la doctrine de la foi. Jean est plus grand qu*un homme, il est Tégal des anges, le sommaire de la loi, la sanction de l'évangile, la voix des apdtres, celui qui fait taire les prophètes, la lumière du monde, le précurseur du souverain juge, l'intermédiaire de la Trinité tout entière. Et cet homme si éminent est donné à une incestueuse, il est livré à une adultère;, il est accordé à une danseuse ! » Hérode ne resta pas impuni, mais il fut condamné à Texil. En eflFet, d'après ce qu'on trouve dans 17i/s- toire scholastique, Hérode Agrippa, vaillant person- nage, mais pauvre, se voyant réduit à l'extrémité, s'enferma par désespoir dans une lour avec Tinten- tion de s'y laisser mourir de faim. Hérodiade, sa sceur, informée de celte résolution, supplia Hérode Antipas, tétrarque, son mari, de le tirer de la tour et de lui fournir ce qui lui était nécessaire. Il le fît, et comme ils étaient tous les deux à table, Hérode, tétrarque, échauffé par le vin, reprocha à Hérode Agrippa les bienfaits dont il l'avait comblé lui-même. Celui-ci en conçut un vif chagrin et partit pour Rome il fut bien accueilli par Caïus César, qui lui accorda deux tiHrarchics, celle de Lisanias et celle du pays d'Abilène; il lui plaça, en outre, le diadème sur le front, avec l'intention de le faire roi de Judée. Hérodiade, voyant que son frère avait le titre de roi, pressait instamment son mari d'aller à Rome et de solliciter aussi pour lui la même distinction. Mais,

I

SSâ LX LÉGEMtE IIOKÉE

t'Iaiil fort riclie, il ne voulait pas suivre le cr>nseil de sa femme, car il préfi^rail le repos à des fonctions lionorables. Vaincu enfin par ses prières, ÏI alla A Rome avec elle. Agrippa, cjuî en eut connaissanre, expédia à César des lettres pour l'informer qn'Hérodc s'était assuré de l'amitié du roi des Parthes, et vou- lait se révolter contre l'empire romain, et pour preuve, il lui fît savoir qu'il avait dans ses places fortes d^ armes en assez grande quantité pour armer soixante- dix mille soldais. CaTus, après avoir lu la lettre, s'in- forma, comme s'il le tenait d'une autre source, auprès d'Hérodc, sur sa position, et entre autres choses, il lui demanda s'il était vrai, ainsi qu'il l'avait entendu dire, qu'il ertt une si grande quantité de troupes sous les armes, dans les villes de sa juridiction. Hérodene Ht aui'une difficulté d'en convenir, Caïus, persuadé alors de l'exactitude du rapport d'Hérode Agrippa, l'envoya en exil ; quant à son épouse, qui était sœur (le ce même Hérode Agrippa pour lequel il avait beaucoup d'affection, il lui permit de retourner dans son pays. Mais elle voulut accompagner son mari, en disant que puisqu'elle avait partagé sa prospérité, elle ne l'abandonnerait pas dans l'adversité. Ils furent donc déportés à Lyon, ils finirent leur vie dans la misère. Ceci est lire de l'Histoire sckolastique.

II. Cette fêle est célébrée à cause de la combustion et de la réunion des os de saint Jean ; car des auteurs prétendent qu'on les brâla en ce jour, et que les res- tes en furent recueillis par les fidèles. C'est, en quel- que sorte, un second martyre que saint Jean souffre, puisque il est bn1lé dans ses os, et c'est la raison

i

LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 533

pour laquelle l'Eglise célèbre cette fête comme si elle était son second martyre*. On lit donc au XII® livre de VHisloire scholasiîque ou ecclésiastique y que les disciples de saint Jean ensevelirent son corps auprès de Sébaste, ville de Palestine^ entre Elisée et Âbclias. Il se faisait de grands miracles à son tombeau ; mais, par Tordre de Julien TAposlat, les gentils dis- persèrent les os du saint ; et comme les miracles continuaient toujours, on recueillit les os, on les brûla, puis on les réduisit en une poussière que l'on vanna dans les champs, toujours d'après VHisloire scholastique. Mais le bienheureux Bède dit que les os eux-mêmes furent ramassés et épars plus loin encore. Saint Jean parut souffrir ainsi un second martyre. (C'est ce que certaines gens imitent sans savoir ce qu'ils font, quand, à la Nativité de saint Jean, ils ramassent des os partout et les brûlent.) Or, pendant qu'on les recueillait pour les brûler, d'après VHisloire ecclésiastique et le témoignage de Bède, des moines, venus de Jérusalem, se mêlèrent en cachette à ceux qui étaient occupés à les recueillir, et en prirent une grande partie. Ils portèrent alors ces ossements à Philippe, évéque de Jérusalem, qui, plus tard, les envoya à Alhanase, évêque d'Alexandrie. Dans la suite, Théophile, évéque de cette ville, les mit dans un tem- ple de Sérapis, purgé de ses ordures ; il le consacra comme une basilique, en l'honneur de saint Jean. Mais aujourd'hui, on les honore à Gènes, ainsi que Alexan-

Eusèbe de Césarée, 1. II; Jiist, ecclesiastit/ue, c. xxviii ; Sigebert, Chronique, an 39i.

II. 34-

534 LA LÉGENDE DORÉE

dre ni el Innocent IV l'ont approuvé par leurs privi- lèges, après en avoir reconnu l'authenticiti!. De même qu'Hérode, qui lit couper la tète ù saint Jean, subit le châtiment de ses crimes, de même aussi, Julien l'Apos- tat, qui fit brtller ses os, fut frappé par la vengeance divine. On a l'histoire de la punition de ce dernier dans la légende de saint Julien, après la conversion de saint Paul *.

Mais, dans VHisloire IripariHe**, on trouve de plus amples détails sur l'origine de Julien l'Apostat, son régne, sa cruauté et sa mort. Constance, frère du grand Constantin et descendant du même j>ère, eut deux fils, Gallus et Julien. A la mort de Constan- tin, Constance créa césar Gallus, son fils, que pour^ lent il tua par la suite. Alora Julien, plein ilc crainte, se fit moine, et imagina de consulter les magiciens pour savoir s'il pouvait avoir encore l'espérance de parvenir an trône. Après quoi. Constance créa césar Julien, qu'il envoya dans les Gaules, il remporta grand nombre de victoires. Une couronne d*or, sus- pendue par un fit entre deux colonnes, tomba sur sa tète, en s'y adaptant parfaitement, au moment il passait (le fil s'était rompu); tous s'écrièrent alors que c'était un signe qu'il serait empereur. Comme les sol- dats le proclamaient Auguste, et qu'il ne se trouvait pas de couronne, un des soldats prit un collier qu'il avait au cou et le mit sur le front de Julien,

•Ou mi

suite de la

"■ Lib. VI, passim.

A

LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 535

lequel fut ainsi créé empereur par les soldats. Dès lors, il renonça aux pratiques du christianisme, qu'il ne suivait que d'une manière hypocrite, ouvrit les temples des idoles et leur y offrit des sacrifices. Il se proclamait le Pontife des païens et faisait abattre par- tout les images de la Croix. Une fois, la rosée tomba sur ses vêtements et sur ceux des personnes qui rac- compagnaient, et chaque goutte prit la forme d'une croix. Dans le désir de plaire à tous, il voulut, après la mort de Constance, que chacun suivît le culte qui lui convînt; il chassa de sa cour les eunuques, les bar- biers et les cuisiniers; les eunuques, parce qu'après la mort de sa femme il ne s'était point remarié ; les cui- siniers, parce qu'il ne faisait usage que des mets les plus simples, et les barbiers, parce que, disait-il, un seul était suffisant pour beaucoup de monde. Il com- posa une foule d'ouvrages, dans lesquels il déchira tous les princes, ses prédécesseurs. En chassant les cuisiniers et les barbiers il faisait œuvre de philosophe, mais non pas d'empereur; mais en critiquant et en déférant des louanges, il ne se comporta ni en philo- sophe ni en empereur. Un jour que Julien offrait un sacrifice aux idoles, dans les entrailles de la brebis qui venait d'être immolée, on lui montra le signe de la croix entouré d'une couronne. A cette vue, les mi- nistres eurent peur, et expliquèrent le fait en disant qu'il viendrait un temps qui n'aurait pas de terme, et la croix serait victorieuse et uniqueincnl vénérée. Julien les rassura et dit que cela indiquait qu'il fallait réprimer le' christianisme et le resserrer dans un cer- cle. Tandis que Julien offrait à Constanlinople un sa-

S3ê hk tiemmùm uomim

eriiqe à k Fortaae, Marâ, évèque GEhdMdoiiie, mttqiHd la TÎeilleflfe arait &dt perdre la Toe, le viiil trouver et Tappda impie et apoalal. Joliea hu dit.: « Ton Galiléeii n'a doue pa te goérir^ Uât » Maria hn répondit «Tim rends ginices à Dieu, ear il «*« privé de la vue afin de ne pas te vcnr déppniBé de fêété. m Jnliaii nt lui répondit rien et se retira. A Antioeha» il fit ramasatf les vasM sacrés et les omenienla» pua les jetant par terre, il s'assit dessu» et se perssft de les salir« Mais à l'instant» il fut frappé à rendrait par il avait péché, en sorte que les vers 7 fonmllhâent et rongeaient les chairs* Tant qa'il véent d^Mtoa» il ne patsegoérir*

Julien le préfet qui, par Toidre de ranperenr^ aviait enlevé les vases sacrés appartonant ans ^j^yaesydii en les salissant de son urine : « Vojes dans qoda vaaea on adminisire le fils de Marte« s ImmédialMieat sa bouche est changée en anus : et ce fut aiosi qn^ asb» tisfaisait les besoins de la nature. Pendantqne Psiposiat Julien entrait dans le temple de la Fortune, les minis- tres du temple aspergeaient avec de Feau ceux qui arrivaient afin de les purifier : Valentinien vit une goutte de cette eau sur sa chlamyde; plein d'indigna- tion, il frappa du poing le minisire en disant qu'il était sali plutôt que purifié. L'empereur, témoin de cela, le fil mettre sous bonne garde et conduire dans un désert. En effet, Valentinien était chrétien, et il mérita pour récompense d'être élevé par la suite à l'empire. Par haine encore contre les chrétiens, Julien fit aussi réparer le temple des Juifs, auxquels il four- nit des sommes énormes; mais quand ils eurent ras«-

LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 337

semblé une grande quantité de pierres, un vent extra- ordinaire s'éleva subitement et les dispersa toutes ; ensuite il se fit un affreux tremblement de terre; en dernier lieu, le feu sortit des fondements et brûla beau- coup de monde *. Un autre jour, une croix apparut dans le ciel et les habits des Juifs furent couverts de croix de couleur noire. En allant chez les Perses, il vînt à Ctésiphonte qu'il mit en état de siège. Le roi, qiii s*y trouvait, lui offrit la moitié de son pays, s*il voulait s'en aller. Mais Julien s'y refusa : car il avait les idées dePythagorc et de Platon au sujet de la mu- tation des corps, croyant posséder l'âme d'Alexandre, ou plutôt qu'il était lui-même Alexandre dans un autre corps. Mais tout à coup il reçut un dard qui s^enfonça dans son côté ; cette blessure mit fin à sa vie. Qui lança cette flèche? On l'ignore encore ; mais les uns pensent que ce fut un des esprits invisibles, d'autres, que ce fut un berger ismaélite : /]uelques-uns disent que c'était la main d'un soldat abattu par la faim et les fatigues de la route. Que ce soit un homme ou bien un ange, il fut évidemment l'instrument de Dieu. Calixte, un de ses familiers, dit qu'il fut frappé par le démon.

Iir. L'institution de cette fête eut lieu à l'occasion de l'invention du chef de saint Jean en ce jour. Au XI* livre de Yllisloire eccl'siastiijue, il est écrit que saint Jean fut détenu et dérapiti' dans un château de l'Arabie nommé Machéronte. Mais Hérodiade fit ap- porter la tète du saint à Jérusalem elle la fil en-

Socratc, Hist. ecclés., 1. III, c. xvu ; Sozonirne ; Nicé- phore, I. X, c. xxxii-xxxiii.

538 LA LÉGENDE DOREE

terrer avec soin auprès de la maison d'Hérode, dans la crainte que ce prophète ne ressuscitât, si son chef était enterré avec son corps. Or, du temps de Marcien, en 453, saint Jean révéla était sa tête à deux moines venus à Jérusalem. Ils allèrent en toute hâte au palais qui avait appartenu à Hérode, et trouvèrent le pré- cieux chef enveloppé dans des sacs de poils de chèvre provenant, je pense, des habits dont saint Jean était revêtu dans le désert. Durant le trajet qu'ils firent pour retourner en leur pays avec ce trésor, un potier de la ville d'Emèse, vivant de son métier, se joig^nit à eux. Or, tandis que cet homme portait la besace qu'on lui avait confiée, et dans laquelle se trouvait le saint chef, ce dont il avait été averti la nuit par saint Jean, il se déroba de ses compagnons, et s'en vint à Emèse avec cette relique, qu'il y garda avec respect dans un trou profond tout le temps qu'il vécut : dès lors ses affaires prospiVèreril exlraordinairement. Etant près de mou- rir, il révéla son secret à sa s(i»ur en toute confiance, cl ses héritiers en firent autant les uns aux autres. Loiiti^temps après, saint Jean révéla à un saint moine, nonuné Marcel, habitant la même caverne, que sa tête s'y trouvait. Le fait se passa de la manière suivante : Pendant son sommeil il lui semblait qu'une grande foule s'avanrait et disait : « Voici que saint Jean- Baptiste vient. » Il vit ensuite le saint conduit par deuxpersonnaijes, \\\n à sa droite et l'autre à sa gau- che. Or, tous ceux qui s'approchaient recevaient une bénédiction. Marcel s'étant approché se prosterna à ses pieds, mais le saint précurseur le fit lever, et le prenant par le menton, il lui donna le baiser de paix.

LA DEGOLLATIOiN DE SAINT JEAN-BAPTISTE 539

Alors Marcel lui demanda : « Seigneur, d'où éles-vous venu chez nous? » Saint Jean répondit : « De Sébaste. » Quand Marcel fut éveillé, il fui fort étonné de cette vision; mais une autre nuit qu'il dormait, quelqu'un vint le réveiller; après quoi, il vit une étoile brillante arrêtée sur la porte de sa petite cellule. Il se leva et voulut la toucher, mais elle se posa ailleurs. Alors il suivit l'étoile jusqu'à ce qu'elle se fût arrêtée à l'en- droit où se trouvait la tête de Jean-Baptiste. Il y fouilla, trouva une urne contenant ce saint trésor. Quelqu'un, qui n'en croyait rien, mit la main sur l'urne, mais à l'instant sa main se sécha et resta attachée au vase. Alors ses compagnons s'étant mis en prières, il put retirer sa main, mais elle resta paralysée. Or, saint Jean lui apparut et lui dit: « Quand on déposera mon chef dans l'église, tu toucheras l'urne et tu seras guéri. » Il le fit, et fut guéri entièrement. Marcel rap- porta ces événements à Julien, évêque d'Emèse. Ils prirent la tête et la transportèrent dans la ville. A partir de cette époque. Ton commença en cette ville k célébrer la décollation de saint Jean au jour, où, pensons-nous, le chef fut trouvé ou élevé, selon ce qu'en dit VUistoire scholastique. Dans la suite on en fit la translation à Constantinople.

D'après l'Histoire triparti te (I. IX, c. xliii), l'empe- reur Valens ordonna que le saint chef fût mis sur un char et transporté à Constantinople ; mais arrivé auprès de Chalcédoine, on ne put faire avancer le char, ([uels qu'aient été les moyens employés pour aii^uillonner et presser les bœufs. On fut donc forcé de laisser le chef. Mais, dans la suite, comme Tliéodose voulait

S40 L,\ Léi;kKUK UOHIlE

, lViilever,il (iriji lavit;rg«,»iix soiiiH île laquelle 11 élait* niiifîé, de lui i>or[iie{lre de IViiiporler. Elle y voulut bien coniientir, (laiis la [lersuasiuii que, comme du li-iiips de Vtticns, il ne tte laisscrail pas emporter^ Alortt le [lieux empereur enveloppa le chef dans delà pourpre et le Irausporta à Conslaiilinople il lui fit hâtir la pluH belle des églises. De là, il fut peu de* Icmps uprèif iransporté à Poitiers dans les Gaules, souaj le règne de IVpin. Plusiirurs morts ^- furent ressusciléB, par ses mérites. Or, de même qu'Hérode. qui avait * fait l'ouper la It^te à saint Jean et que Julien qui bnlls' ] PL's os, fun^nl piiiiis, de même aussi Hérudiade,quî * avait stiy^éiê n hii lille de demander la tète de JfEin, , reçut la paâitipn de son ernae, riiMi qae ftUe (fm arâit hit la demande. Qudqaea-ttm (fiseot ^'Héro- diade ne rnoonit pai en çudi oomne ette j andt été eondamnée, mais alora qu'rile tàkait datu les maiils la tète de aaiat Jean, elle se fit ko plaisfa^ de l'ioBalter; or, par une permMskm de Keu, eette tèle riJe-méme lui souffla au visage, et cette méchante femme mourut aussitôt. C'est te récit du vulgaire ; mais ce' qui a été rapporté plus haut, qu'elle périt misérablement en exil avec Hérode, est aftirmé par les saints dans leurs chroniques : et il faut s'y tenir. Quant à sa fille, elle se promenait un jour sur une pièce d'eau gelée dont la glace se brisa sous ses pieds, et elle fut étoulTée à l'instant dans les eau.v. On lit cependant dans une chronique (|u'elle fut engloutie toute vive dans la terre. Ce qui peut s'entendi'e, comme quand on parle des Egyptiens engloutis dans la mer Rouge, on dit avec l'Ecriture sainte : n La terre les dévora, m

LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 54 i

IV. La translation de son doigt et la dédicace de son église. On dit que le doigt avec lequel saint Jean montra le Seigneur ne put être brûlé. C'est pour cela que ce doigt fut trouvé par les moines dont il a été parlé. Dans la suite sainte Thècle le porta au delà des Alpes et le déposa dans une église dédiée à saint Mar- tin*. Ceci est attesté par Jean Beleth qui dit que sainte Thècle apporta ce doigt, qui n'avait pu être brûlé, des pays d'outre-mer en Normandie** elle fit élever une église en l'honneur de saint Jean. On as- sure que cette église fut dédiée à pareil jour. C'est ce qui a porté le souverain Pontife à faire célébrer en ce jour cette fête dans l'univers entier. Dans une ville des Gaules nommée Maurienne ***, se trouvait une dame remplie de dévotion envers saint Jean-Baptiste; elle priait Dieu avec les plus grandes instances pour obtenir quelqu'une des reliques de saint Jean. Mais comme elle voyait que ses prières n'étaient pas exau- cées, elle prit la confiance de s'engager avec serment à ne point manger jusqu'à ce qu'elle eût re^'u ce qu'elle demandait.

Après avoir jeûné pendant quelques jours, elle vit sur l'autel un pouce d'une admirable blancheur, et elle recueillit avec joie ce don de Dieu. Trois évê- ques étant accourus à l'église, chacun d'eux voulait avoir une parcelle de ce pouce, quand ils furent saisis de voir couler trois gouttes de sang sur le linge

* Les éditions plus modernes disent saint Maxime. •• J. Beleth dit la Mauritanie, c. cxlvh. •** Saint-Jeau de Maurienne ainsi nommée à cause des mi- racles de saint Jean-Baptiste.

us ^^^0 LA LÉUE.MIK DUIlÉE

41^ plÉale l> rd^œ, et Us s'estimèrenl heureux d'flM «rbir oiitemi chïeim tuw *.

Théoicdiae, reine des Loi^enb, St éleTer et dote i Jb^lM, prèi deH^n, wme gisnde lé^ûe en IIkhi- wmar de hùbL Jewi-Biptiele. Dûs la fuite du temps, f après le lémigaafB de Phnl **, Goostantin, auaà . tien que Penpefenr CoosUnee» foolant soosiraire nietie 4 la doninaUoD des Lombards, demanda i ua saint faomme, doué de' Feeprit de pro|diétie» quelle senit IlsRie de k fuerre. Celoi-d passe la miit ea prière «t le lendemain malin, il répondît : « La reine a bit construire nne église A anmt Jean-BapUste qm - inlantde oos^at^eiiMnl ponr les Ltnubards, et c'est pour'oda qa'fli ne-peavent être vaînctu. Il vioidra cependant an temps que ce lieu sers méprisé et alors les Lombards senwt vaineos. » Ce qui fiit acconqifi. au temps de Charles. H est rapporté par ssiot Gr^ goire ***, qu'un homme d'une grande aamteté, nommé Ssnctalus, avait reçu en ta garde un dïaare pris .par les Lombards, sous la condition qoe si ce diacre s'en- fuyait, il sérail, lui, condamné à perdre la lète. Sano- lulus Força tediacreà s'enfuir et à recouvrer la liberté. Alors Sanctulus fut conduit au supplice; et pour l'exé- cution on clioisil le bouiTeau le plus robuste qui pour- rail, sans le moindre doute, trancher la (éle d'un seul coup. Sanctulus avait présenté son cou et le bourreau avait levé l'épée avec le bras de toute sa force, quand le patient dit : « Sainl Jeun, recevez-le. m A l'înslanl,

" SaiDi GrcRoire de Tours, De gloria marlyr., 1. 1, c. xiv. " Hiiloire det Lombai-di, I. V, c. vr. •** Dialogues, 1. III, c. xxxvii.

SAINT FEUX ET SAINT ADAUCTE OU ADJOINT S4^

le liras du bourreau se roidit et resta immobile avec Tépée en Tair; il fit alors le serment de ne frapper dé* sormais plus aucun chrétien ; alors l'homme de Dieu pria pour lui et aussitôt il put baisser le bras.

SAINT FÉLIX ET SAINT ADAUCTE OU ADJOINT»

Félix, prêtre, et son frère, nommé aussi Félix et pré- Ire comme lui, furent présentés à Dioclélien et à Ma- ximien. L'aîné ayant été amené au temple de Sérapis pour y sacrifier, souffla sur la statue qui tomba à rinstant. Conduit ensuite à la statue de Mercure, il souffla de la même manière et Tidole tomba aussitôt. Traîné en troisième lieu à Timage de Diane, il en fit autant. Il subit la torture du chevalet; il fut mené en quatrième lieu à un arbre sacrilè;i^e, afin qu*il sacrifiât. Alors il se mit à j^enoux, fit une prière et souffla sur Tarbre qui fut déraciné et qui brisa eu tombant Tau- tel et le temple. Le préfet, en ayant été informé, or- donna qu'on le décapitât au môme endroit, et qu'on abandonnât son corps aux loups et aux chiens. Aussi- tôt un homme sortant dii milieu de la foule se déclara de lui-même chrétien. Alors lesdeux confesseurs s'em- brassèrent et furent décapités sur les lieux en même temps. Or, les chrétiens, qui ignoraient le nom du der- nier, l'appelèrent adjoint {Adancle) parce (ju'il s'était

* Bréviaire.

544 LA LÉGENDE DOREE

adjoint à saint Félix pour recevoir la couronne du martyre. Les chrétiens les ensevelirent dans le trou creusé par la chute de Tarbre, et les païens, qui vou- lurent les en ôter, furent aussitôt saisis par le diable. Ils pâtirent vers Tan du Seigneur 287.

SAINT SAVINIEN ET SAINTE SAVINE

Savinien et Savine étaientles enfants de Savin, per- sonnage de grande noblesse, mais païen, qui, d'une première femme, eut Savinien, et d'une seconde, Sa- vine ; et il leur donna son nom à tous deux. Savinien lisait ce verset: Asperges me, Domine, et cherchait la signification de ces mots, sans pouvoir les compren- dre. Alors il entra dans sa chambre, se prosterna sur la cendre et le cilice et dit qu'il aimait mieux mourir que de ne pas comprendre le sens de ce passage. Un ange lui apparut et lui dit: « Ne te fais pas mourir de chagrin, parce que lu as trouvé grâce devant Dieu. Quand lu auras été baptisé, tu seras plus blanc que la neige, et tu comprendras alors ce que tu cherches à présent. » L'ange se retirant, Savinien devient joyeux, et méprise les idoles qu'il n'honore plus ; son père lui adressa de vifs reproches de sa conduite et lui dit : « Mieux vaut, comme tu n'adores pas les dieux, que tu périsses seul, que de nous envelopper tous dans ta mort. » Savinien s'enfuit donc secrètement et vint dans la ville de Troyes. Quand il fut arrivé auprès de la Seine, et qu'il eut j)rié le Seigneur d'être baptisé de ses

SAINT SAVINIEN ET SAINTE SA VIN E 545

eaux ; il y reçut en effet le baptême. Alors le Seigneur lui dit : « Tu as trouvé maintenant ce que tu as cher- ché autrefois avec tant de labeur. » Aussitôt Savinieuf enfonça son bâton en terre et après avoir fait* une prière, sous les yeu;c des assistants réunis en grand nombre, ce bâton produisit des feuilles et des fleurs, en sorte qu'il y eut onze cent huit personnes qui cru- rent au Seigneur. Quand l'empereur Aurélien apprit cela, il envoya plusieurs soldats pour s'emparer de Savinien. Or, comme ils le trouvèrent en prière, ils n'o- sèrent s'approcher de lui. L'empereur en envoya d'au- tres en plus grand nombre. Ils vinrent, s'unirent à ses prières et se levèrent ensuite pour lui dire : « L'em- pereur désire vous voir. » Le saint les suivit, mais comme il ne voulait pas sacrifier, Auréhen lui fit lier les mains et les pieds et ordonna de le frapper avec des barres de fer. Savinien lui dit : « Aggrave les .tour- ments, si tu peux. » Alors l'empereur le fit lier, au milieu de la ville, sur un banc au-dessous duquel on mit du bois afin de brûler le saint, puis on jeta de rhuile dans le feu. En même temps le roi le vit debout et priant au milieu desflammes.il fut stupéfait, tomba sur la face et en se levant il dit à Savinien: «Méchante bête, tu n'as pas encore assez des âmes que tu as dé- çues ; voudrais-tu essayer de nous faire tomber dans le piège à l'aide de ta magie. » Savinien lui répondit : « 11 y a encore beaucoup d'âmes, et la tienne la pre- mière que je dois faire croire au Seigneur. » Quand Fempereur entendit cela, il en blasphéma le nom de Dieu, et ordonna, pour le lendemain, que Savinien fût attaché à un poteau et percé de flèches. Mais les flè- II. X)

546 LA LÉGENDE DORÉE

ches restant suspendues en Tair à droite et à gauche, aucune ne le blessa. Le lendemain, l'empereur le vint ^trouver et lui dit : « est ton Dieu ? qu'il vienne à présent et qu'il te protège contre ces flèches. » Et à l'instant Tune d'elles frappa le roi ^l'œilet le rendit tout à fait aveugle. Le roi irrité fit reconduire Savinien en prison pour être décapité le lendemain. Or, Savinien pria d'être transporté à l'endroit il avait été baptisé. Alors ses chaînes se brisèrent, les portes s'ouvrirent et il y vint en passant au milieu des soldats. A cette nouvelle l'empereur ordonna de l'y poursuivre et de lui couper la tête. Quand Savinien vit les soldats à sa poursuite, il marcha sur l'eaucommesur de la pierre, jusqu'à ce qu'il fût arrivé à l'endroit il avait été bap- tisé. Lors donc que les soldats eurent passé fleuve comme à gué, ils eurent peur de le frapper, mais il leur dit : « Frappez-moi avec une hache, ensuite por- tez de mon sang à l'empereur afin qu'il recouvre la lumière et qu'il reconnaisse la puissance de Dieu. » Il re(;ut alors le coup, prit sa tète et la porta l'espace de (juaranle-iieuf pas. Pour l'empereur, quand il eut tou- ché son œil avec le sang du saint, il fut guéri aussitôt et dit : « Il est véritablement bonet grand le Dieu des clirétiens. » Une femme aveugle depuis quarante ans, informée de ce miracle, se fit porter en cet endroit, et après avoir fait une prière, elle recouvra incontinent la vue. Or, saint Savinien souffrit vers l'an du Seigneur 279, aux calendes de février. Mais sa vie est insérée ici afin qu'elle soit réunie à celle de sa sœur dont on célèbre la fête principale en ce jour.

Savine, sa sceur, pleurait chaque jour le départ de

SAINT SAVINIEN ET SAINTE SAVINE 547

son frère, et suppliait pour lui les idoles. Enfin, pen- dant son sommeil, un ange lui apparut et lui dit : « Savine, cesse de pleurer, mais quitte tout ce que tu possèdes et tu trouveras ton frère élevé au plus grand honneur. » A son réveil, Savine dit à sa sœur de lait : « Mon amie, n'as-tu rien senti ? » Celle-ci répondit : « Oui, madame; j'ai vu un homme parlant avec toi, mais je ne sais vraiment pas ce qu'il disait : « Tu ne m'accuseras pas? » reprit Savine. « Tant s'en faut, ma- dame, répondit la sœur de lait : tu peux faire tout ce que tu veux ; seulement ne te tues pas. » Et le lendemain elles partirent toutes deux. Le père, après l'avoir fait chercher longtemps sans la trouver, dit en levant les mains au ciel : « Dieu puissant, s'il en existe dans le ciel, brise mes idoles qui n'ont pu sauver mes en- fants. » Mais le Seigneur fit entendre son tonnerre, brisa et réduisit toutes les idoles en morceaux. Alors un grand nombre de témoins se convertirent à la foi. Pour la bienheureuse Savine, elle vint à Rome, elle resta cinq ans, après avoir été baptisée par le pape Eusèbe, et avoir guéri deux aveugles et deux paraly- tiques. Un ange lui apparut pendant son sommeil, et lui dit : « Savine, que fais-tu donc? tu as abandonné les richesses et tu vis ici dans les délices? Lève-toi et va dans la ville de Troyes pour y trouver ton frère. » Savine dit alors à sa suivante : « Nous ne devons plus habiter ici. » « OCi veux-tu aller? reprit celle-ci. Tu vois que tout le monde te chérit, est-ce que tu veux mourir en voyageant? » « Dieu nous gardera », répon- dit Savine. Elle prit un pain d'orge et arriva î\ Ra- venne. Elle se présenta à la maison d'un riche qui

LEGENDE L>On£E

picumit Ml (illc «■xpîrante, et elle y demanda l'hospi- talili^ à uiip servante de l'hAtel (juJ lui dil : i' Madame, comment pourras-tu loger ici, quand la Hlle de ma itiaUrf^iHe se metirt, quand tout le monde est dans une grande affltetrun. » i< (!e ne sera pas à cause de moi qu'elle mourra ", r<?pondit Savine. Elle entra donc dan.s Ih maison, et prenant la jeune HUe par la main, elle la fit lever entièrement guérie. Comme on voulait retenir Savine, elle ne voulut jamais y consentir. Ar- rivée ô un mille de Troycs, elle dit à sa suivante qu'il leur fallait prendre an peu de repos, quand un noble personnage, nommi^ Licénus,qui venait de la ville, leur dil : (I D'où étes-vous? n Savine lui répondit : « Je i(iii!< d'ici, de cette ville. » <' Pourquoi mens-tu, reprit Licérius, puiKque Ion langage indique que tu es une étransçère ? » o Oui, seigneur, dît Savine, je suis étran- gère et je cherclie mon frère Savînien qui est perdu depui» longtemps. » Licérius reprit : « L'homme que tu cherches a été décapité, il y a fort peu de temps pour J.-C. et il est enseveli dans tel endroit. » Alors Savine se prosterna à terre et fit cette prière : a Sei- gneur qui m'avez toujours conservée chaste, ne per- mettez pas que je continue à me fatiguer dans des roules pénibles, ni que mon corps soit enlevé de ce lieu désormais. Je vous recommande ma servante qui a tant souffert pour moi. Faites que je mérite de voir dans votre royaume, mon frère que je n'ai pu voir ici- bas, n Après sa prière, elle trépassa au Seigneur. En voyant cela, sa suivante se mit à pleurer parce qu'elle n'avait pas le nécessaire pour l'ensevelir. Mais le personnage dont il vient d'être question, envoya à la

SAINT LOUP 549

ville un Hérault pour qu'on vînt ensevelir une femme étrangère en voyage. On vint et on l'ensevelit avec honneur.

On fait encore, en ce jour, la fête de sainte Sabine, épouse du soldat Valentin, qui ne voulant pas sacri- fier, fut décapitée sous l'empereur Adrien.

SAINT LOUP

Saint Loup, à Orléans de famille royale, res- plendissait de toutes les vertus quand il fut élu arche- vêque de Sens. 11 donnait presque tout aux pauvres, et un jour qu'il avait invité beaucoup de personnes à manger, il n'avait pas assez de vin pour suffire jus- qu'au milieu du repas ; il dit alors à l'officier qui l'en prévenait : « Je crois que Dieu, qui repaît les oiseaux, viendra au secours de notre charité. » Et à l'instant se présenta un messager qui annonça cent muîds de vin à la porte. Les gens de la cour l'attaquaient vivement d'aimer sans mesure une vierge, servante de Dieu, et fille de son prédécesseur ; en présence de ses détrac- teurs, il prit cette vierge et l'embrassa en disant : « Les paroles d'autrui ne nuisent pas à celui auquel sa propre conscience ne reproche rien. » En effet, comme il savait que cette vierge aimait Dieu ardemment, il la chérissait avec une intention très pure. Clotaire, roi des Francs, entrant en Bourgogne, avait envoyé, contre les habitants de Sens, son sénéchal qui se mit en de- voir d'assiéger la ville, saint Loup entra dans Téglise II. 35*

550 LA LÉGENDE DORÉE

de saint Etienne et se mit à sonner la cloche. En l'en- tendant, les ennemis furent saisis d'une si grande frayeur qu'ils crurent ne pouvoir échapper à la mort, s'ils ne prenaient la fuite. Enfin après s'être rendu maître du royaume de Bourgogne, le roi envoya un autre sénéchal à Sens : et comme saint Loup n'était pas venu au-devant de lui avec des présents, le séné- chal outré le diffama auprès du roi afin que celui-ci l'envoyât en exil. Saint Loup y brilla par sa doctrine et par ses miracles. Pendant ce temps-là, les Sénonais tuèrent un évèque usurpateur du siège de saint Loup et demandèrent au roi de rappeler le saint de son exil. Quand le roi vit revenir cet homme si mortifié. Dieu permit qu'il fût changé, à son égard, au point de se prosterner à ses pieds en lui demandant pardon. 11 le combla de présents et le rétablit dans sa ville. En revenant par Paris, une grande foule de prisonniers dont les cachots s'étaient ouverts et qui avaient été délivrés de leurs fers, vint à sa rencontre. Un di- manche, pendant qu'il célébrait la messe, une pierre précieuse tomba du ciel dans son saint calice, et le roi la déposa avec ses autres reliques. Le roi Clotaire entendant que la cloche de Saint-Etienne avait des sons admirablement doux, donna des ordres pour qu'on la transportât à Paris afin de pouvoir Tentendre plus souvent. Mais comme cela déplaisait à saint Loup, aussitôt que la cloche eut été sortie de Sens, elle per- dit le moelleux de ses sons. A cette nouvelle, le roi la fit restituer à l'instant et aussitôt après elle rendit un son qui fut entendu dans la ville d'où elle était éloi- 45^née de sept milles. C'est pourquoi saint Loup alla

SAINT LOUP 35 i

au-devant de ce qu'il regrettait d'avoir perdu et reçut la cloche avec honneur. Une nuit qu'il priait, le démon lui fit ressentir une soif extraordinaire ; le saint homme se fit apporter de l'eau froide; mais décou- \Tant les ruses de l'ennemi, il mit son coussin sur le vase il renferma le diable qui se mit à hurler et à crier pendant toute la nuit. Quand vint le matin, celui qui avait choisi les ténèbres pour tenter le saint, s'en- fuit tout confus en plein jour. Une fois qu'il venait de visiter, selon sa coutume, les églises de la ville, en rentrant chez lui, il entendit ses clercs se disputer parce qu'ils voulaient faire le mal avec des femmes. Il entra alors dans l'église, pria pour eux, et à l'instant l'aiguillon de la tentation cessa absolument de les tour- menter : ils vinrent le trouver et lui demandèrent par- don. Enfin après s'être rendu illustre, par une foule de vertus, il reposa en paix, vers l'an du Seigneur 610, du temps d'Héraclius.

TABLE DU TOME DEUXIEME

Une Vierge d'Anlioche 1

Saint Pierre, martyr 10

Saint Philippe, apôtre 33

Sainte ApoIIonie (Apolline) 35

Saint Jacques, apôtre (le Mineur) 38

L'Invention de la sainte Croix 5:2

Saint Jean, apôtre, devant la Porte Latine 67

La litanie majeure et la litanie mineure (les Rogations) 69

Saint Boni fa ce, martyr 77

L*ascension de Notre-Seigneur ... 80

Le Saint Ksprit . . 97

Saints Gordien et Kpimacjuc il7

Saints Nérée et Achillée il8

Saint Pancrace 121

Des fôtes qui tombent pendant le temps du Pôlerina^e

Saint Urbain 124

Sainte Pélronille 126

Saint l^icrrc, exorciste et saint Marcellin 128

Saint Prime et saint Félicien 130

TABLE DU TOME DEUXIÈME 553

Saint Baroabé, apOtre i32

^int Vîtus et saint Modeste 139

^*nt Cyr et sainte Julitte, sa mère 142

^•ote Marine, vierge ou plutôt sainte Marie, vierge. . 144

^^*nt Ger\'ais et saint Protais 145

^ Nativité de saint Jean-Bapliste 150

^«*nt Jean et saint Paul 165

^^»ot Léon, pape 170

^«iot. Pierre, apôtre il±

'*^*^t Paul, apôtre 194

^^ ^ept frères qui furent les fils de sainte Félicité . . 222

^**^t« Théodore 224

*^*^t Alexis 230

*^*^ te Marguerite 230

te Praxède 241

^ *^te Marie-Magdelcine 242

^ ^^t Apollinaire 260

^ ^te Christine 264

^ ^t Jacques le Majeur 268

^ ^ ^t Christophe 283

sept dormants 291

^ nts Nazaire et Celse 298

înt Félix, pape 305

^^^ întSimplice et saint Faustin 30(>

^^inte Marthe 307

^^int Abdon et saint Sennen 313

^aint Germain, évéque 314

^«intEusèbe 321

Vies saints Macchabées . . 325

Saint Pierre ifux liens 327

Saint Etienne, pape 337

L'Invention de saint Etienne, premier martyr .... 338

Saint Dominique 316

Saint Sixte, pape 377

Îl5i LA LÉGENnE DORÉE

Saint Doaal 379

Saint Cyriai}ut> t^I ses compai^uoas . . 383

Sainl Laurent, martyr 386

Saint tlippolyle cl ses rompattooDs 409

L'Assomption de lit bîcnbrureuse Vifrgc Marie . . . iiS

Saial BeraarJ 459

SaiDlTimoihée 478

Saint Symphorien 479

Saint QarlhpLemy 481

Sainl Augustin 495

La dâcollalioo de saiol Jean-Bapliste 538

Sainl Filin et saint Adnucte ou Adjoint 543

Sntol Ssvinien et sainte Savine 544

Sainl Loup 519

TOME DEUXIÈME

SOMMAIRES ANALYTIQUES

UNE VIERGE d'aNTIOCHE

Sa modestie et sa pudeur. Résolution qu'elle prend pour sauver sa virginité. Elle est conduite dans un lieu de pros- titution. — Elle se recommande à Jésus-Christ. Un soldat entre et propose à la vierge de changer leurs habits. Elle y consent. Il ne manquera rien au sacrifice. Elle sort du mauvais lieu. Un second personnage entre; sa déception.

Le soldat est condamné à la place de la vierge. Celle-ci revient réclamer le martyre 1

SAINT PIERRE, MARTYR

Origine du saint. Un de ses oncles veut le pervertir. Il entre dans une maison de Frères prêcheurs. Sa pureté.

Ses prédications. Il commande à un nuage de s'inter- poser entre le soleil et une assemblée. Guérison d'un para- lytique. — Mal de gorge disparu. -— La parole donnée à un muet. Il est nommé Inquisiteur par le Saint-Siège. Son zèle à détruire l'hérésie. Il est tué par un hérétique. Conformité de sa passion avec celle de Jésus-Christ. Mira- cles qui suivirent sa mort; lampes qui s'allument d'clles- mémes à son tombeau. Mauvais propos d*uu mécréant ; mal qui lui en advient ; sa guérison après son repentir. Hydro- pique guérie. Fistule qui disparait. Enfant rétabli après

r.b6

LA LÉGENDE DOR^B

1

H

>ior cbu

p. Chu

eer détruil. -

- Son corps e

si irouv

entier

Bfirps Ha

canoûisa

ion. Morce

u de la lunique du sa

ni pré-

serve d(-ux fois da

s un brasier.

Mauvais pr

posde Temnies

contre c

e suint pu

nis .in^liér

ment. Fil

nsangls

Dtc.

Maître de grammg

incrédule

au miracle, sa

si parla

fièvre.

Sa gair

son. Uateau prfserv^

- Fille noyé

ressus

ilée-

PrédiCB

eur déliv

é de la Bi^vre

Dame gué

ie de se

obses-

BÎons di

abdiques

PoSSPltl^P

lu drmun dél

vrée.

Démon

chassé <{

■une femi

ne. tiérëlii

ue réduit au s

leacc. -

~ Relt-

gL=UM

çuërie en

faisant un p lerinage men

al BU tombeau

de BHiiit

Pierre.

Chandelle qu

on nepeuléle

odre.—

Joueur

corrigé.

Ssinl

Pierre prédit

son martyre.

-Unrc

liçieux

voit BOB

âme mon

1er au ciel.

Ecolier guéri

Hyd

opiqiK-

Kuêri d L'n ti

10

sp,n chas

de Mars. - G

de Ions

ceux qu

e ledrago

n avait attein

s. Ses filles

vierges

'aideul

fc la conversion des iufidéles.-

Sa morlàHiérapolis.

Phi-

Hppe. u

u de» sept diacres, m

un à Césarèc

Ses

quBtre

mies.

tNTE APOLLONIE (apOLUME)

Supplices dilFérents des martyrs. Marfyrede la :

-SAINT JACOUES, AI-OTRE (lE MINEUr)

Pourquoi il rsL appelé lilsd'Alphéc. Jacques d'Alphée. Frère du Seigneur. Jacques le Mineur. Jacques le Juste. Ce fut lui qui célébra, le premier la messe à JëruHalem. Il fait vceu de ne pas manger avant d'avoir vu Jésus-Christ ressuscité. Sa prédication à Jérusalem. Les Juifs vculcnl le séduire. Il leur résiste. —' Ils le précipitent du pinacle [tu temple. Il est tué. Récit du siège de Jérusalem. Pro- diges qui se succèdent alors. Comète cffrayaule. Lumière i|UJ éclaire le temple nu milieu de la nuil. Génisse qui met lias un .igne.iu. (;hars aperçus dans les airs. Tumulte

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES S57

dans le temple. Gris de Jésus, fils d'Ananias. Vespasien elTite assiègent la ville. Pilate envoie un messager à Home pour se disculper du meurtre du Fils de Dieu. Le messager échoue sur une côte et est amené à Vespasien. Origine du Dom de Vespasien qui est guéri de ses vers. Les fidèles se retirent au delà du Jourdain. Jonapatam défendue par José- phe. La ville est réduite à Textrémilé. 11 entre en pour- parlers avec Vespasien, auquel il annonce son élévation à l'empire. Tite reste seul en Judée, il a une jambe paralysée. ^ Sa guérison extraordinaire par Josèphc. Continuation du siège de Jérusalem. Famine. Une femme tue son en- fant et le dévore. Ruine de Jérusalem et du temple. 97.000 juifs vendus un denier chacun. Onze cent mille morts. Tite délivre Joseph d*Arimathie enfermé dans un mur et nourri miraculeusement. Bonté d'âme de Tite. Les juifs essaient en vain de reconstruire Jérusalem 38

INVENTION DE LA SAINTE CROIX

Invention de la Sainte Croix par Scth, par Salomon, par la reine de Saba, par les Juifs, par sainte Hélène. Scth va au paradis terrestre^ saint Michel lui donne une branche de l'ar- bre dont Adam avait mangé le fruit. 11 la plante sur la tombe d'Adam. Salomon veut l'employer dans la construc- tion du palais du Bois. On ne peut le placer. La reine de Saba l'adore. Il est jeté dans la piscine probatique. De quelles essences de bois était formée la croix. Invention par sainte Hélène. Vision de Constantin. Il remporte la victoire. Il se fait instruire et baptiser. Autre récit de la vision de Constantin d'après Ëusèbe. Sa lutte avec Maxence. Après sa victoire il envoie Hélène sa mère à Jérusalem. Histoire d'Hélène. Arrivée à Jérusalem elle convoque les savants du pays. Judas est signale comme instruit du lieu était cachée la croix. On trouve trois croix. Résur- rection d'un mort. Autre récit de ce qui se passa après l'in- vention. — Fureur du démon. Judas, baptisé sous le nom de Cyriaque, est élu évêque de Jérusalem. Invention des

5S8 LA LÉGENDE DORÉE

clous. Nombre de ces clous. Julien martyrise Cyriaque.

Légende du notaire qui ne voulut pas renier le Christ de- vant le diable 52

SAINT JEAN, APOTRE, DEVANT LA PORTE LATINE

11 est jeté dans une chaudière d'huile bouillante. Lettre de Pilate à Tibère. La mère de saint Jean vient à Rome et se retire à Vétulonia elle meurt 67

LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE

Pourquoi le nom de Litanie majeure. Origine du « Dieu vous bénisse! » adressé à ceux qui éternuent. Pourquoi on fait le signe de la croix quand on bâille. Pourquoi le nom de procession septiforme. Pourquoi le nom de Croix noires.

Litanie mineure. Son établissement. Rogations ; d'où vient ce nom. Procession. Pourquoi on sonne les cloches. Pourquoi on porte la croix. Motifs pour les- quels on invoque les saints à ces processions. Origine d'une prière encore en usage le vendredi saint et entendue par un enfant. Enfant enlevé au ciel il apprend un can- tique . 69

SAINT BONIFACE, MARTYR

Boni face est envoyé par Aglaê chercher des reliques de mar- tyrs. — Arrivé à Tarse il assiste au martyre des Chrétiens et les encourage. Le juge le fait saisir et martyriser. Ses compagnons le cherchent et obtiennent ses dépouilles du geô- lier.— Ils le ramènent à Aglaë qui lui élève un tombeau. 77

l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR

Explication du mystère. Opinion du rabbin Moïse sur l'étendue et la profondeur de chaque ciel. Quels person- nages accompagnèrent Jésus-Christ au ciel. Différents rieux 80

LE SAINT-ESPRIT

Explication du mystère. Par qui le Saint-Esprit fut en- voyé. — lo De combien de manières. Postcommunion do

\

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES So9

la messe de la Penlccôte. En quel temps le Sainl-Espril fut envoyé. Combien de fois. De quelle manière. Pour- quoi en forme de langues de feu ? Pourquoi en forme de feu ? Pourquoi en forme de langue ? Sur qui fut-il en- voyé ? Par quel moyen a-t-il clé donné 97

SAINTS GORDIEN ET ÉPIMAQUE

F\écit de leur martyre Ii7

SAINTS NÉRÉE ET ACHILLEE

Les Saints exhortent Doinilille à rester vierge. Inconvé- nients du mariage. Avantages de la virginité; Domitille , veut la conserver. Elle est reléguée dans Tîle de Ponce avec Nérée et Achillée qui raffermissent dans sa résolution. Ils sont martyrisés. Autres martyrs. Domitille est préservée clans son honneur, malgré les ruses de celui qui la voulait séduire. Punition étrange. Son martyre. ... ii8

SAINT PANCRACE

Pancrace à Rome le pape Corneille le convertit. Dio- clétien veut le faire abjurer. Il s'y refuse avec énergie. 11 est décapité. Origine de la coutume de faire jurer dans les cas douteux sur les reliques d'un saint i21

SAINT URBAIN

Alniacliius fait chercher Urbain qui est trouvé dans un antre par Carpasius. Il comparait devant le Préfet. Son mar- tyre, — Punition de Carpasius 124

SAINTE PÉTRONILLE

Pétronillc, fille de Tapotre saint Pierre, est guérie pour ser- vir les disciples. Flaccus veut l'épouser. Elle meurt. Fclicula sa compagne est martyrisée. Nicodème qui Tense- velit reçoit aussi le martyre i2G

SAINT PIERRE, EXORCISTE ET SAINT MARCELLIN

Saint Pierre guérit la fille d'Archémius, qui reçoit lui-même le baptême. Les Saints sont enfermés. L^n ange lesdéli-

I

- Hu^n <'AtT*r»iM, 4c •• fesBc, de u 611e M d

K«x3n nuB ET %ujn feucie» Actv^parks paéira in bai i(r«( tUwMjeiiar

II ** ra CkTpw. Uf U a SalamiDc, les Jaïb le Toot •noftir. n>'lelir4kal I3i

•km nnis cr ft*i!<i HObcnE

VilM* i ril^ ie 13 ■«• e«t lannnenté po«ir U taâ giar soa pérc el f»r le préiiienl Valérieo. Paaitioa île ce •lernier et do bnarreau i)iii mdI çuérû par Viiiu, ainsi que sob p^r«.

Modcalc, préceptear tle Vilas, le caadnît en pajs ilrtagrr.

lU Kiot dimiitU |Hr ua aJf(te. Oînclëtiea r>p]Mlle Vttus |M«lr guérir aoa fiU posaédé. ïllivde» ({ni aecompti^vcnt

Julitle

(ALVI CTft ET SAIXTE JL'LTTTE, SA HERE

imparall à Tharsc devant Alexaodre qai la Tait A celle vue Cvr déchire le visaçe d'Alexandre, qui i7i.i>n: sui' Ifs deçrés du tribu Dal. Julilleala tète tran< chée. Hécil des réponses de saint Cvr el du martyre de la mère cldu fils, d'aprrs uDeaulre légeode Hi

■. MARINE, VIERGE

m de Maria avec si

- Elle est I filli^. Elle reslc trois a

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 361

le petit enfant, dont elle passait pour le père. A sa mort on découvre que c*est une femme 144

SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS

Genrais et Protais sont menés à Milan devant Néron. ^ Gervaîs dit au comte Astase que le Tout-Puissant pouvait lui obtenir la victoire ; il est tué à coups d'escourgées. Protais comparait à son tour. Sa défense. On lui coupe la tt^te.

Saint Ambroise découvre leurs corps par une révélation.— Un aveugle recouvre la vue en touchant leur sépulcre. Hécit d'un iniracle opéré sur un possédé 145

LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE

Apparition de l'ange à Zacharie. Doute de ce grand prê- tre. — Eclaircissement au sujet des doutes élevés dans Tesprit de certains personnages de l'ancien Testament. Visite de la sainte Vierge à Elisabeth. Tressaillement de saint Jean dans le sein de sa mère. La sainte Vierge reçoit saint Jean qui vient au monde. Témoignages de sa sainteté. D'où saint Jean tire sa gloire. Saint Jean l'Evangéliste meurt en ce jour. Deux docteurs veulent discuter sur la prééminence de saint Jean, apôtre et de saint Jean-Baptiste. Une vision les en empêche. Origine de l'hymne Ct queant laœis, Origine des feux d'os en ce jour. Origine de la roue qu*on fait tourner. Un voleur qui veut dépouiller le tombeau de Rocharith est frappé à la gorge i50

SAINT JEAN ET SAINT PAUL

Gallican est envoyé contre les Scythes avec promesse d'é- pouser Constance, fille de Constantin, s'il revenait vainqueur.

Le général prend avec lui Jean et Paul ; il est défait. Au milieu de la bataille Jean et Paul lui suggèrent d'avoir recours à Dieu et la victoire revient à lui. Gallican se con- vertit et renonce à épouser Constance. Julien l'apostat, par- venu à l'empire, éloigne Gallican qui est martyrisé j\ Alexan-

II. 30

LA LiCtXDE DOBÉE ' et JulÛB, qoi (Ml forcer J«»i> et P«<il A p*rla^«r ertraf». Leur rrfs». Us soul décapites par l'anlK 6e Tércntiro dont le fib irricM fooêdé et <|DÎ se oi

kkun t-cir.t. rare ~ SbmI LioM pvNir «e punir J'aoe Iralatiun Ja U dwir cmtpe ta mai»- La sainte Vierge la lai remet (ptjrie. i U rrncuatte tTAUila iju'ane apparitioD Tarn â «urtîr Jllalie. Il dépose ddc lelire sur le LombeBii de ^nt E^err qai la ri>rri|:c t^

Sca fait* el ^r»tr> tl'apr^ l'Evançile. Sa DdarrilDre babâ- luelle. Sun naairepauresaDverM» larmes cod lin «elles. n donne «in bilun h saint Frool qai reMUscïte sun disciple. - Fourtvrîes de Simna le Majçicîen à Jérusalem. Lutte i ■aini Pierre arec Simon. Siiuoo va a Rumc. Saint Picn« l'jr sali, sa prrdicatian suirie de succès. Il ordonna sa dénient. Mini Paul atrire à Home. .\ccointance de Hét Cl de Knon. Les saints apfttrrs vont dévoiler à Némn les (iniriterirs do ma^cien. NouTelle lutte de saint Pierre d de SîmAn par devant Néron. Saint Pierre ressaseite on 4 jeouc h. 1 m lui- iine Sïniou u'avaii pu rend r* à la vie, Simon veut faire étrangler saint Pierre par un chien, Simon est altaquê par celte bête- SimoD veut monter au ciel. Saint Pierre le fait tomber. -- Saint Pierre ea prison- Sa déli- vrance. — Saints Processus et Martiuien. Saint Pierre veut <]uiller Rome, J.-C. lui apparaît. Il est condamné il être crucifié. Récîl du marlj-re de saint Pierre et saint Paul par Denvs l'aréopagite. Saint Pierre demande A être cru- cifié la tête en bas. Forfaits de -Nëroa. Sg conduite envers Sénèi|ue qu'il fait mourir. Fin misérable des deux frères de Sénèi[ue. Néron fait tuer sa mère. Il devient içros d'une irrenouille. Il fail briMer Rome. Etymologie du nom de Lntran. Des (Irecs qui veutrut s'emparer du corps de saint Pierre le Jclli'iit ilaii-% un putt:>. On t'en relire. Guérison

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 863

d'une paralytique. Apparition de saint Pierre à Galla et à un saint prêtre. Discussion sur le jour et Tannée du mar- tyre de saint Pierre et de Saint Paul ....... 172

SAINT PAUL, APOTRE

Récit de saint Hilaire au sujet de saint Paul. Genre de vie de Tapùtre. Sa prédication et ses miracles. Saint Paul ressuscite Patrocle, échanson de Néron. Il comparait devant Néron. Il est condamné à avoir la tête tranchée. Il con- vertit trois soldats qui le menaient au supplice. Il rec^oit la mort en pronon<;ant le nom de Jésus-Christ. Du lait au lieu de sang jaillit de sa blessure. Récit de Denys Taréopagite.

En recevant le coup il détache le voile et le rend plein de son sang à Plantille. Saint Paul apparaît h Néron qui dé- livre les chrétiens. Tête de saint Paul perdue et retrouvée.

Eloge de saint Paul par Denys Taréopagite, et par saint Jean Chrysostome 19i

LES SEPT FRÈRES QUI FURENT LES FILS DE SAINTE FÉLICITÉ

Après le discours de sainte Félicité à l'empereur et les exhortations à ses fils tous sont martyrisés avec elle. Eloge de sainte Félicité par saint Grégoire le Grand. . , . 222

SAINTE THÉODORE

Après de longues résistances Théodore se laisse séduire. Ses regrets. Elle prend les habits de son mari et s'enferme dans un. monastère. Elle rencontre son mari qui ne la reconnaît pas. Ses miracles. Pièges que lui tend le dé- mon. — Elle est accusée d'avoir séduit une fille et chassée du monastère; elle nourrit l'enfant qu'on lui imputait. Nou- veaux pièges. Après sept ans, elle est réintégrée avec son prétendu fils dans le monastère. Punition de la fille qui avait calomnié la sainte. Son mari vient occuper sa cel- lule 22i

SAINT ALEXLS

Piété et bonnes œuvres des parents d'Alexis. Education du saint. Son mariage. Il quitte sa femme le jour de

fî6i LA LÉGENDE DOUÉE

ses nncrs. Il vii Edessr. Porlrail de Nolre-Seiçocur. II se- Tait meriHinut., Recherches de s«s parents el leur deuil. Alexis reconnu comme un saini re*-ienl ù Roaif:, il habile inconnu d«ns ta mnÏHiin de son père. Une voii partie du sancluoire le f;iii découvrir au luunieni il vteol de mourir. Itcgri'lsde sespiirents. Son inbumalion. £10

SAINTE M ARGUER lue

L.Vducalion de Margucrii»; elle se Tait baptiser. Le préfet OlyliriuH veut l'épouser; elle refuse. Olybrius In fail lorlurer. Le diable lui apparaît dans sa prison aous la foriue d'un dragon.— Sa discussion avec le démon. DilTé- ri-nr 4 supplices lut sunt inllii^és. Elles la tèlc tranchée. 33U

SAINTS PHAXÈDE

l'HrculL-de .siiiute J'ruxêde. Elle ensevelit le» chrétiens. Hi

SAINTE MAHtK HADEI.EI?(B

Ses bonnes œuvres. ~ Kllc aborde A Marseille avec saints Maxiiuicn, I^zare, Marthe, Marlelle et Cédonius, l'aveugle-aé fiuén par le Seigneur. Madeleine enseigne l'évangile. Arrivée du prince de la pruvince nvcc sa femme pour sacrifier aux idoles. Madeleine veut les convertir. Madeleine promet un enfant au prince, mayennaut i|u'il se convertisse. Le prince va h Home, s'assurer auprès de saint Pierre des vérilés annoucées par Madeleine. La mère meurt en met- tant son enfant au monde sur un vaisseau. On dépose te cadavre avec l'eafani sur un rocher. Pèlerinage du prince h Jérusalem avec saint Pierre. Le prince, à son retour, passe auprès de l'Ile il retrouve son fils encore en vie. Résurrection de lu mère, Récit de la femme qui a été à Jérusalem en compagnie de sainte Madeleine. Leur con- version et celle du peuple. Madeleine se retire dans un désert. Elle est élevée au ciel par les auges. Un prêtre la découvre. Elle lui raconte sa vie. Elle meurt. Pré- tendue Iranslalion de ses reliques d'Aix à Vèzelay. Résui^

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 563

rection d'un soldat. Uoe femme échappe aiu naufrage en se recommandant à la sainte. Fut-elle fiancée à saint Jean rEvangélisteV Un aveugle guéri. Un prisonnier délivré.

Un clerc corrigé 242

SAINT APOLLINAIRE

Apollinaire est envoyé prêcher TEvangile à Ravenne par »aint Pierre. Il est battu à coups de fouets. 11 est chassé de la ville après différents supplices endurés par lui géné- reusement. — Il ressuscite la fille de Rufin. On veut le faire sacrifier aux idoles. Après ses refus il est tourmenté. •— Révolte des chrétiens. Apollinaire revient à Ravenne. Son martyre 260

SAINTE CHRISTINE

Elle brise les idoles de son père qui la fait jeter en prison.

Reproches que lui adresse sa mère. Son père lui fait racler le corps avec des peignes de fer. Puis elle est étendue sur une roue. Enfin jetée à la mer d'où les anges la retirent. Elle est jetée dans une chaudière bouillante. Elle passe trois heures dans une fournaise. On lui coupe les mamelles et la langue. Elle meurt percée de trois flèches ^ 264

SAINT JACQUES LE MAJEUR

Après avoir prêché en Judée et dans le pays de Samarie, saint Jacques vient en Espagne. 11 retourne en Judée. Hermogène et Philétus, magiciens. Saint Jacques mené au supplice guérit un paralytique et convertit celui qui le traî- nait. — Il a la tête tranchée. Translation de son corps en Espagne. Histoire de la reine Louve. Saint Jacques ap- paraît à un captif et le délivre. Saint Jacques transporte un pèlerin à Composlelle. Un pendu conservé en vie par saint Jacques. \Sn pèlerin qui s'était tue est rendu à la vie. Un jeune homme que le diable avait fait suicider recouvre la sa nié par les prières de saint Jacques. Un voleur puni.

II. 36'

566 LA LÉGENDE DOREE

Une tour s'abaisse pour laisser passer un prisonnier. Cha- rité récompensée. Saint Jacques nourrit un pauvre pèlerin.

Un homme toujours délivré par les mérites de saint Jac- ques. -— Un incendiaire condamné se dévoue à saint Jacques et ne peut être justicié. 208

SAINT CHRISTOPHE

Christophe à la recherche du plus puissant prince du monde.

11 se met au service du diable. Il se fait chrétien. Il passe les voyageurs à travers un fleuve. Jésus-Christ se pré- sente à lui. Son bâton. Il arrive à Samos. Il compa- raît devant le roi. Il est mis en prison à de dangereuses épreuves. Son martyre 283

LES SEPT DORMANTS

Pendant la persécution de Dèce sept chrétiens se cachent dans une caverne et s*y endorment. Ils sont découverts. 291

SAINTS NAZAIRE ET CELSE

Nazaire à l'exemple <de sa mère se fait baptiser. Il quitte Home et va à Milan. De à Genève une dame lui confie Celse, son fils. Il comparaît avec Celse devant Néron. Ils sout précipités dans la mer, mais sauvés. Ils sont dé- capités à Rome 298

Saint félix, pape

Félix élu pape à la place de Libère. Il condamne Constance empereur arien hérétique. Son martyre ..... 305

SAINT SIMPLICE ET SAINT FAUSTIN

Ils refusent de sacrifier aux idoles. Ils sont décapités. Leur sœur les ensevelit honorablement. - Elle est étranglée par ordre de Lucrétius. Châtiment qui lui est réservée. 30(>

SAINTE MARTHE

Marthe accompagnée de son frère, de sa sœur et d'autres est placée sur un navire sans agrès et aborde à Marseille. Lé-

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 567

gendc de la Tarasque, ce que c'était que ce monstre, d'où il était venu. Elle s'adjoint des compagnes pour vivre en com- munauté. — Elle ressuscite un jeune homme qui s'était noyé pour venu* l'entendre. On prétend que Marthe est l'hémor- rhoïsse efuérie par Jésus-Christ. Statue du Sauveur. Vertus des plantes qui croissent au pied de l'image. Sa mort ac- compajçnée de circonstances miraculeuses. Chandelles allumées auprès de la mourante 307

SAINT ABDON ET SAINT SENNEN

Abdon et Sennen accusés d'ensevelir les Chrétiens sont traî- nés à Rome. Leur supplice 313

SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE

Sa naissance, son éducation ; il est fait gouverneur de la Bourgogne. Sa vanité comme chasseur. Il est élu évéque d'Auxcrre. Ses austérités. Il découvre les ruses du dé- mon. — Saint Loup et Attila. Saint Germain et saint Loup vont évangéliser les îles britanniques. , Saint Germain est préservé dans un incendie. Il rend la vie à un veau qu'un pauvre avait préparé pour lui donner à manger. Victoire alléluiatique. Honneurs que lui rend l'impératrice Placidic. Il rend la vie à son Ame. Il consacre après sa mort l'église de Verccil 314

SAINT EUSÈBE

Saint Eusèbe est gardé par les Anges. Il entre à Verceil malgré les ariens. Erreur d'Arius ; sa mort. Eusèbe va combattre les Ariens ta Milan. Miracle de la barque. Les Ariens le torturent. Il est lapidé 321

LES SAINTS MACCHABÉES

Pourquoi l'Eglise ne célèbre pas les fêles des saints de l'an- cienne loi 325

SAINT PIERRE AUX LIENS

Motifs pour lesquels cette fête a été instituée. Hérode encourt TindisTnation de Tibère. Sa mort lui est prédite.

5(18 LA LÉfiKSDE UOHÉK

11 psl élevé ù la digniliî royale par Cn'ius. Il rnil emprison- ner saint Pierre qui est délivré pur un nnge. Mort .l'Hërotli*. Le pape Alexandre recouvre les chaînes ilc sninl Pierre. Il institue la fèlc. Autre orig-ine de cette T^te d'après Bède et Si^liert. Fêle célt^hrée à Home en mémoire de la < toim remportée par Aui|;ub1(^ sur Antoine. Eudoxie recouvra les chaînes de saint Pierrt? b Ji-'rusiilen]. I<«s chaînes de Ji- rnsHlcni et de itnme se réiiiiissRnt. Puissance des ctaninea de saint l'ierre sur un possédé. l'n anneau de 1b chaîne est donné li un ^véqup de Meti. Drus;on tué par Uonnl en Bpirc. Le diable apparaît en Crète snus la liçure de Ma pour se ven^r des Juifs. Un moine délivré au jugem de Dieu par les prières de la sainte Vierçv et de sa Pierre 3i7

SuLut Klicnoe fail écrouler le leuipte de Murs. V'isii dans lesquellea Ganialîel découvre au prèlre Lucien, ai comment il trouvcrn les curpa des saints. Translation dea reliques de saint Etienne k Constantinople. Réunion ossements de saint Etienne avec ceux de saint Laurent. Saio) Augustin rapporte la résurreciion de six morts, due k aatnt Etienne. Paroles de saint AuRuslin en l'bonncur de saint Etienne 337

Présages qui précèdent cl suivent la naissance de Domi- nique. — Sa piété- Papier qui ne brùIe pas dans le feu, Saint Dominique prèclie les hérétiques qui lui lendenl des embûches. Il veut se vendre pour racheter des captifs. Il va £i Rome pour faire approuver l'ordrequ'il veut instituer.

Vision du pape. Vision du saint. Vision d'un moine.

Rencontre de saint Dominique et de saint François. Un novice reste au couvent après avoir voulu en sortir. Déli- vrance d'un possédé. Un pêcheur ramène les livres du saint intacts du fond de l'eau. Saint Dominique entre dans un

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 569

mouaslcre et dans une église les portes fermées. Un écolier préservé du péché de la chair en baisant la main de saint Dominique. Des personnages éminents s'unissent à lui. Il rend la vie avec la santé à deux personnes tuées par acci- dent. — Don des langues communiqué. Il convertit des femmes séduites par les hérétiques en leur faisant voir le dia- ble sous la forme d'un chien hideux. Il sauve Raymond du supplice. Tentation de plusieurs frères surmontée. Il prédit sa mort. Son caractère, sa piété, ses mortifications.

Il refuse Tépiscopat. Apparition du démon. Sa mort découverte à plusieurs frères absents. Miracles opérés à l'élévation de son corps. Résurrection d'un enfant au tom- beau du saint. Un noyé rendu à la vie. Autres miracles.

Femme punie pour avoir insulté des personnes célébrant la fête de saint Dominique. Vision de la justice, de la vé- rité et de la miséricorde 346

SAINT SIXTE, PAPE

Saint Sixte refuse de sacrifier. Rencontre de saint Sixte et de saint Laurent. Usage de célébrer avec du vin nouveau au jour de la transfiguration. Pourquoi on célèbre en ce jour la mémoire de la transfiguration 377

SAINT DONAT

Saint Donat s'enfuit à Arezzo après le meurtre de ses pa- rents par l'empereur Julien. II délivre un possédé. Une femme enterrée révèle l'endroit a été déposée une somme d'argent. Un calice brisé et rétabli à l'exception d'un mor- ceau. — Il tue un dragon qui infectait une fontaine. Fon- taine miraculeuse. Il délivre du démon la fille de Théodose.

Par son entremise un mort prouve qu'il a payé une dette.

Pluie miraculeuse. Martyre du saint 379

SAINT CYRIAQUE ET SES COMPAGNONS

(lyriaque est condamné à creuser la terre. Conversion d'Apronanius et son martyre. Cyriaijuo délivre du démon

L.A LÉGKNQE DOHÉE

U lillf de Dicicli'liPLi

(ms-iiMi'c pnr le Jpii

S*I.1T LAURENT, HAATïn

Sainl Laurent esl-il venu d'Espagne avec saint Vinceol. PhUiji]W, le premier empereur chrélîca, l'an 1000 de In fonda- linii de Home, est lue par Dèce. Dèccpcrsccule les chrétiens.

Martyre de sainl Sixle qui est rencontre par saint Laurent,

Saint Laurent distribue aux pauvres les trésors de ré([Iise.

I.Durent est nm^lé. Eo prison il rend Is vue à un nveu- ttle pnr le baptême. 11 eonverlit Hipjiolyle. U pirsenle li?s pRuvres comme les trésors de l'Eglise. -> U est Trappe h coups de scorpions. Il est ëlcndu sur îm gril de fer. Sa uiorl, Discussion sur l'époque du mnrlyre de soini Laurcnl,

Une religieuse coupée en deux en punition de son inlem- pv'mncc de langue. Poutre allongée. Mutliplicalion d'uD puin. Juge traîné au tribunal de Dieu et renvoyé sur la. terre pour faire pénitence. Stiinle Cuncgonde se justifie auprès de saînl Henri qui la soupçonnait d'adultère. Eloge de Hjiul Laurent d'après tes Pères de l'Eglise .... 386

Sainl llippolylc après son baptême est saisi par l'ordre de Déce. 11 est fouetté et déchiré avec des peignes de fer. Concordia, nourrice d'Hippoljrlc, rei;oil le martyre. Ses gens sont décapités; il est Iratné par des chevaux indomptés et meurt, Comment on découvrit le corps de Concordia jeté dnns un cloaque. Punition de Dèce et de Valérien, La femme de Dèce est touchée et se convertit h la foi. Martyre d'autres chrétiens par l'ordre de Claude 409

altribui

e l'assomption de N.-D. d'après i saint Jean l'Evangéliste.

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 571

Un ange apporte à la sainte Vierge une branche de palmier.

Promesse de Vange que les apôtres assisteront aux funé- railles de la mère de Dieu. Une nuée dépose saint Jean devant la maison de Marie. Précautions suggérées à saint Jean par Marie. Les apôtres amenés à la porte de la sainte Vierge. La sainte Vierge reçoit les apôtres. Arrivée de J.-C. avec les chœurs célestes. Ses paroles à sa sainte Mère.

L*âme de Marie s'envole dans les bras de son Fils. Ra- vissement des esprits bienheureux en voyant Marie entrer au ciel. Funérailles de Marie. Les Juifs irrités. Le prince des prêtres veut renverser le lit funèbre, sa main y reste atta- chée. — Il obtient sa guérison. Apparition de J.-C. aux apôtres le troisième jour. Thomas absent et encore incré- dule. — Tunique de la sainte Vierge conservée à Chartres. Prodiges qu'elle opère. Révélation faite à sainte Elisabeth.

Age de la sainte Vierge. Caractères de Tassomption de Marie. Légende du soldat dissipateur. Enfant d'un Juif jeté dans une fournaise par son père et protégé parla Madone.

Diables qui portent aux enfers l'âme d'Ebroïn et qui veulent se saisir de moines déréglés; la Vierge les protège.

Moine dissolu, mais dév^ot à la sainte Vierge. Femme tourmentée par le démon et délivrée.

Du Mode de VAnomption de la Sainte Vierge Marie,

Récit de Côme Vestitor. L'impératrice Pulchérie s'adresse aux évêques de la Palestine pour obtenir le corps de la sainte Vierge. Vêtements et suaire laissés seuls dans le tombeau et envoyés à Constantinople. Récit de saint Jean Damascène.

Sentiment de saint Augustin sur l'Assomption . . 415

SAINT BERNARD

Parents et naissance de saint Bernard. Songe de sa mère au moment elle le portait dans son sein. - Saint Bernard apprend l'heure à laquelle J.-C. est venu au monde. Pièges tendus à la vertu de saint Bernard. Il entre à Cîleaux,

S72 LA I.iu<il!?<UE UOHtË

Belle n-JiuriKC rie Nivard, son rrèri-. U foiiilp Clainaux. Ses austi^ritïS. Il rcsoîl et convrriil sn-iir lic sa monda- nité. — tl eol ravi devant le Iribuuiil lie Diru ; aceuaalion <lu démon. Ré|>i)U8e du sainl. Le moine joueur. Pn^sau qui ae peut réciler un /"o/f sana dislrsclion. Saïol Hernanl obitcul \v reiDur d'un parent à Clalrvaux. [I exeoiBntunJs les mnucbcs qui meurent aussitôt. II délivre une femme {mssédée. IubuIipb ilu déniun. Autre possédée délivrée. il abat tierlé du due d'Aquilaine. Il obtient lu eonversion de plusieurs étudinnts. Trois recommandations [[u'il fait avant de mourir. Il manifeste sa (|;loire après ss mort. Vi9

SAINT TIMIVrilÉB

BAIKT STUPIIOnlGII

Il e!ii Uitiu l'I jeté on prison. Paroles d'r n courage me a | que lui ;i>lre-t«e mérc nlors qu'il nllnii être exécute. 179

SAINT HAItTllÉl.EMY Ssiat ll«i-lhélemy dans rinde. Se» prédications. Pi.r- Irait du saint. Conversion du roi Poicmius et guérîson de M fille lunatitiue. Il consacre k Dieu un temple d'idoles. Les pontifes des idoles irrilenl contre l'aptitre le frère du rr)i. Il est écorché vif. Ses reliques i Lipari. Femme qui ne peut verser son huile dans la lampe du saint. Mort mi- sérable de l'empereur Frédéric pour avoir rasé les églises de Bénéveat. Docteur préservé d'une violente tentation par saint Bartbélcmy. Parallèle entre saint Pierre et saint Barthélémy 481

saint Augustin. Son éducation. Il tombe 'isme. Chagrin et pleurs de sainte Monique, ieiit ù Milan. Ses angoisses. Sa conver- guéri d'un violent mal de dents. Il se fait n tils et Alypc. Il renonce nu monde. Il

1

TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 573

est ordonné prêtre à Hippone il vît en communauté. Ses prédications. Il est promu à Tépiscopat. Sa tempérance.

Ses confessions. Animosité des hérétiques contre lui. Sa prudence par rapport aux personnes du sexe. A quelle occasion il composa son ouvrage de la Cité de Dieu, Sa ma- ladie. — Il guérit un malade. Possédés délivrés. Sa mort.

Son éloge d'après les saints Pères. Translation de son corps à Pavie ; miracles opérés. Mort d*un moine fort dévot à saint Augustin. Saint Augustin voit dans un livre du Démon qu'il a oublié un jour de réciter les Complies. Une femme le voit en extase. Autres miracles .... 495

LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE

Saint Jean a la tête tranchée. Miracle rapporté par saint Augustin. Punition d*Hérode. Les ossements du saint brûlés. Légende de Julien l'apostat. Invention du chef de saint Jean. Punition d'Hérodiade 528

SAINT FÉLIX ET SAINT ADEUGTE OU ADJOINT

Félix renverse d'un souffle les idoles. Son martyre. Un chrétien s'adjoint à lui 543

SAINT SAVINIEN ET SAINTE SAVINE

Un ange apparaît à Savinien. Il est baptisé. Son bâton fiché en terre produit des feuilles et des fruits. L'empereur le mande et le condamne à être percé de flèches. Il a la tête tranchée. Savine à la recherche de son frère. Elle arrive à Troyjcs. Sa mort 544

SAINT LOUP

Saint Loup est élu archevêque de Sens. Il confond ses calomniateurs singulièrement. Il met les ennemis en fuite en sonnant une cloche. La cloche perd son harmonie quand on l'enlève de l'église de Saint-Etienne. Sa mort. . 549

. épQUÂRD ROUVEYRB, Éditeur, rue de Seine, 76, A Plis

(LECENDA AUREA)

LÉGENDE DORÉE

de JAOQUEB DE VORAQINE

Nouvallement traduite en français, avec Notices, Notes

ET RECHERCHES SUR LES SOURCES

Par J'Abbé J.-B. M. ROZE

Trois , volume s in-8 carré (ensemble 1720 pages). ... 82 francs Vingl-cini txer- '-' '■' ' '- ■■

t< m impTtmi» nr pafiei

OUVRAGE COMP[,ET EN DIX VOLUMES

Connaissances nécessaires

à Un Bibliophile

recueillis et publiés par

EDOUARD ROUVEYRE

LOmln-AnUfOoln tt blilnir, OiOsltr de l'iuuucilw poMlfU

CINQUIÈME EDITION Dix volumes ln-8 carré (14X11, Si. Illustrés de I.800 ftsures

Prix : 80 francs

MÉMOIRES DE FLEURY DE CHABOULON

Ex-Sccciitaice de l'Empereur Napolcon et de son Cabinet our sfi-iir à t'JlitUiiitde la Yw priii-r, dit

AVEC ANNOTATIONS I

MANUSCKITES " - "■ ^ ^

Publiés pjr LUCIKS COI

F.V 1:01 li<: lit:

Manuscrits inédits de I

l*

I