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La Maison de Granit

DU MÊME AUTEUR :

Marthe Brienz. Roman contemporain. 2' édition. Un

volume in-16 3 fr. 50

(Plon-Nourrit, éditeurs.)

Vers les Sommets. Poésies. Un volume in-16. 3 fr. 50 (Sansot, éditeur, 7, rue de l'Éperon.)

En 'préparation La Belle Vie. Roman.

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EMILIE ARNAL

La

Maison de Granit

POEME D'AMOUR

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PARIS

LIBRAIRIE PLON

PLON-NOURRIT et C'«, IMPRIMEURS-ÉDITEURS

8, RUE GARANGIÈRE 6*

Tous droits réservés

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Droits de reproduction et de traduction réservé» pour tous pays.

A LA MEMOIRE

DE

MON PÈRE ET DE MA MÈRE

Les mains, les chères mains pieusement aimées Dont le travail faisait mon avenir ei beau. Ont laissé retomber, pour toujours refermées, Sur mon âme d'enfant la pierre d'un tombeau.

l CEUX QUI PLEURENT EN SILENCE

Ce nest pas pour moi que fécrisy Avec du sang, avec des larmes. Ces vers tout vibrants de longs cris ma peine trouve des chaînes.

C'est pour tous ceux qui connaîtront Eâpre goût de la solitude Et qui, désespérés, suivront Depuis Caube un chemin trop rude.

1

LA MAISON DE GRANIT

Cest pour mes frères de douleur, Pour ceux qui pleurent en silence^ Mais dont la main porte la fleur De la royale indifférence ;

Pour tous ceux qui font de la mort La suprême libératrice, Regardant en face le sort, Qui na p)lus pour eux un supplice.

Cest pour ceux qui fuient le plaisir Quon obtient et que l'on oublie. Mais dont Vêtre saurait souffrir Pour Vamour jusquà la folie.

Ceux-là seulsconnaissent le prix Du flamboiement d'espoir superbe Qui s'élance d'un cœur épris, Comme ujie lumineuse gerbe.

A CEUX QUI PLEURENT

Et qu'importe si, dans les pleurs, S'éteint Vadorahle lumière. Puisque ses divines splendeurs Illuminent la vie entière.

MAISON DE GRANIT

Mes lèvres avaient soif de la tendresse humaine; Je voulais la douceur de ce vin généreux Fait des fruits les plus beaux du terrestre domain! nous passons, brûlés du désir d'être heureux.

Mais je n'ai pas reçu la parole de vie

Que j'attendais de ceux qui suivaient mon chemin

Seule, désespérée, ardente, inassouvie,

J'ai défailli sous les morsures de la faim.

12 LA MAISON DE GRANIT

Nulle âme n'est venue apporter à mon âme

Tout l'in'.ini d'amour qu'il nous faut pour remplir

La courte immensité de ce tragique drame :

Un long devoir, à peine un jour pour Taccomplir.

Et pourtant nous vivons séparés, solitaires ;

Un abîme se creuse à chacun de nos pas ;

Nous demandons du pain, on nous donne des pierres,

Et l'être le plus cher un jour ne répond pas.

Les mains, les chères mains pieusement aimées, Dont le travail faisait mon avenir si beau, Ont laissé retomber, pour toujours refermées, Sur mon âme d'enfant la pierre d'un tombeau.

0 pierres de la mort et de l'indifférence, De l'amour égoïste et du désir brutal, Blocs sombres de la haine et de la violence, Vous barrez le chemin tracé vers l'idéal.

LA MAISON DE GRANIT 13

Et devant votre masse hostile, menaçante, Plus lourde qu'un rempart fait de bronze et d'airain, J'ai regardé ma main, frêle, douce, impuissante; J'ai compris qu'à ce mur je l'userais en vain.

Et, parce que j'avais un cœur tendre et sauvage, Silencieusement sur mon bras replié J'ai su cacher les pleurs qui baignaient mon visage Pour un peu de secours je n'ai point supplié.

Je me suis relevée ! Entre ces bloos de pierres J'ai dit : Je resterai seule avec ma douleur ! Nul être n'entendra mes regrets, mes prières; Je ne frapperai plus à la porte d'un cœur.

Mais je saurai bâtir avec ce granit sombre La tranquille maison oii je viendrai m'asseoir Lorsque le crépuscule, avec sa robe d'ombre, Rôde comme un voleur embusqué dans le soir.

14 LA MAISON DE GRANIT

je ne crairrdrai plus les vents et les orages ; Mon foyer restera brûlant malgré l'hiver ; Je verrai se tourner vers moi de doux visages Mon amour grandira de ce que j'ai soufFert.

A Tombre de tes murs j'abriterai mon rêve, 0 ma chère maison ; et sur ton seuil oii meurt Tout bruit, comme le flot des vagues sur la grève. Se brisera la voix de l'humaine rumeur.

Et je m'attarderai sur la blanche terrasse la lune s'effeuille en pétales d'argent ; Je lirai dans l'azur pâle les mots que trace En traits de feu le Père au sourire indulgent.

Et le calme des nuits tombera sur le faîte De ma maison tranquille aux lourds murs de granit, Qui, debout, sur le cœur rouge de la tempête, Elèvera sa tour fière vers le zénith.

LA MAISON DE GRANIT

Et c'est de qu'un soir, à l'essaim des. colombes, Qui plane en tournoyant au sommet des monts bleus, Se mêlera mon vol quand, par delà les lombes, Je boirai la lumière à la coupe des cieux.

I SUR LE CHE3IIN

Nous demandons du pain, on nous donne des pierres, Et l'être le plus cher un jour ne répond pas.

CE QUE JE VEUX

Vous croyez que je veux m'élancer vers les cimes rien d'humain ne vit parmi les monts déserts, Ton ne perçoit plus que les lointains concerts Des voix de l'infini dominant les abîmes !

Ah! que vous savez mal le secret de mon cœur! Si je cherche les hauts sommets, le libre espace, Si je fuis le chemin large la foule passe, C'estpourvousrencontrer,ô vous, mon seul vainqueur.

20 LA MAISON DE GRANIT

Parce que j'ai souri de trop de vains hommages, Vous dites que, d'amour, je n'aimerai jamais ; Vous pensez que nul trait n'atteindra désormais Le front qui resta fier au-dessus des orages.

Ah ! laissez-moi briser cet implacable sceau Qu'une juste pudeur a posé sur ma bouche ; Et laissez jaillir nue, indomptable, farouche, La vérité dont le silence est le tombeau.

Ce que j'ai repoussé dans mon orgueil de femme, C'est de vous voir m'aimer pour l'or de mes cheveux, La fraîcheur de mes bras, la douceur de mes yeux, Et sans vous demander jamais : A-t-elle une âme ?

Si c'est seulement qu'est tout votre plaisir, Ce soir, demain, toujours, la jeunesse éteruelle Conduira près de vous une vierge si belle Qu'oublieux du passé, vous devrez la choisir !

CE QUE JE VEUX 21

Je voudrais être pauvre, obscure, géniale, Avoir souffert, mais d'un cœur ferme avoir lutté; Alors, si tu cherchais mon àme, ton égale, C'est toi que j'aimerais, et pour l'éternité.

Tes bras forts deviendraient mon rempart, mon asile, Mon abri quand la nuit tombe sur les chemins ; Et je ne craindrais plus de sentir trop fragile Ma main douce, nouée à tes puissantes mains.

Et je t'adorerais, non pour la courte ivresse

De ton haleine chaude effleurant mes cheveux.

Non pour la volupté de la longue caresse

Que posent sur mes yeux tes yeux brûlants d'aveux,

Ce que j'attends de toi, doux maître de mon âme, C'est ton amour fidèle en échange du mien. C'est ta pensée, avec tout l'éclat de sa flamme, C'est ton être, enchaîné par un chaste lien.

22 LA JUISON DE GRAMT

Ce que je veux, c'est toi tout entier, sans partage, Ta table, ton pain blanc pour me réconforter; Je veux ta foi, ton Dieu, ton ciel et l'héritage De joie et de douleur que ton cœur doit porter.

La terre tu vivras deviendra ma demeure ; Comme une part de toi j'aimerai tes amis ; Ton nom sera mon nom, et, s'il faut que je pleure Pour que tu sois heureux, mon être t'est soumis.

Je veux vivre et mourir pour toi... Si je succombe Sous le fardeau des jours, j'aurai recours à toi ; Ton lit sera mon lit et ta tombe ma tombe ; Mon front ne connaîtra que l'ombre de ton toit.

Ma vie, étroitement attachée à la tienne, T'olTrira son parfum à toute heure du jour ; Je ne posséderai rien qui ne t'appartienne, Car mon être est créé pour ton unique amour.

CE QUE JE VEUX

Peut-être que demain le sort inexorable M'arrachera le cri de révolte hautain ; Ce soir je dis: Si je m'assieds à votre table, J'aurai vécu ma vie et rempli mon destin.

L'ATTENTE

donc es-tu, Toi dont Fàme à la mienne Est destinée et doit m'appartenir ? Pour te trouver faut-il que je vienne? Vois, la nuit tombe et le jour va finir.

J"ai regardé bien longtemps sur la route, Mais sans te voir passer sur mon chemin. A chaque bruit je tressaille et j'écoute. . . C'est Toi, peut-être^ et j'avance la main.

l'attente 25

Et quelquefois, dans une chaude étreinte, Je me sens prise ; on m'attire, on me veut ; Un cœur qui souffre a murmuré sa plainte, Et le mien ploie, il palpite, il s'émeut!

Si c'était Toi 1 Si, dans mon ignorance, J'allais te perdre à l'heure oiimeurt le jour! J'ai si longtemps désiré ta présence Que j'y veux croire, et j'attends ton amour.

J'attends legoùt des douceurs éternelles Que cet amour seul pourra me donner; J'attends des mots, des paroles si belles Que je frémis, rien qu'à les deviner.

Pourtant jamais le baiser sur ma bouche N'a pu fleurir malgré tout mon émoi, Car ce n'est pas ta main que ma main touche... Unique ami, ce n'estpas encor Toi !

26 LA MAISON DE GRANIT

Entends gémir ma jeunesse sévère Sur des chemins que tu ne suis jamais ; Prends le sentier je vais, solitaire ; Viens, tu sauras de quel cœur je t'aimais.

Réalité plus belle que mon rêve ! Etre ton bien, ton orgueil, ton bonheur, Ton seul trésor; et, si la vie est brève, Entre tes mains mourir comme une fleur.

L'AME DES CHOSES

La bruyère est en fleur, et les champs de blé noir Exhalent leur parfum de miel dans l'air du soir; Et l'ombre violette aux montagnes lointaines Met un épais manteau qui les rend plus hautaines.

La solitude est grande, et pourtant l'on peut voir Des fantômes légers flotter sur le miroir Glauque et brouillé des lacs, et des voix incertaines Se mêlent par moment au sanglot des fontaines.

28 LA MAISON DE GRAXIT

Protectrice, à celte heure tout menace et nuit, L'âme des choses passe et vibre dans la nuit! C'est un souffle cueilli sur la lèvre embaumée D'une femme qui meurt du désir d'être aimée;

C'est, au ras de l'étang que la lune bleuit, Le vol silencieux d'un rêve qui s'enfuit; C'est la brise qui court sur la terre pâmée ; C'est, pour demain, la joie en grains dorés s^mée.

LES ARBRES DE LA COTE

Pour avoir trop subi la puissante caresse

Du rude vent de mer qui les tord et les blesse, Les arbres de la côte ont penché vers le nord Leur corps noueux, ployé par ce baiser qui mord.

Ils paraissent fléchir sous la trop lourde ivresse De l'étreinte d'amour qui les prend, et les laisse Dépouillés et meurtris ; mais, après cet effort, La sève afflue au cœur du tronc robuste et fort.

30 LA MAISON DE GRANIT

Maintenant, inclinés sur le bord de la route, A l'heure vient la nuit que tout être redoute, Ih semblent compatir aux fatigues, aux pleurs..

Et le passant lassé qui, dans l'ombre, chemine, Les regardant ainsi, calmes et beaux, devine Qu'ils savent le secret des fécondes douleurs.

DEVANT LA MER

L"été brûle mon cœur, comme il brûle mes lèvres I... 0 flots profonds, ô flots qui guérissez nos fièvres, Seule votre fraîcheur peut me désaltérer î... J'ai pris pour vous trouver Fâpre chemin des grèves, A rheure j'ai senti mes bras chargés de rêves ; Et, seule devant vous, le soir me voit errer!

Uive souffle l'odeur des mers silencieuses, Velours du ciel semblable aux sombres scabieuses, Sables roux que jamais ne fleurit le printemps. Je vous cherche pour me sentir un peu meilleure Et pour me libérer de Tattente qui leurre... Heureuse^ heureuse Tàme ne court plus le temps!

3-2 LA MAISON DE GRANIT

J'ai vu les feux sanglants s'allumer sur les môles,

Et jai senti glisser le long de mes épaules,

Comme un manteau trop lourd, tissé de pourpre et d'or,

Le désir de la vie... 0 vie, ingrate idole.

Le son doux, caressant et vain de ta parole

Ne me trompera plus, s'il me séduit encor.

Car j'ai compris ce soir quel rêve périssable C'est de vouloir graver notre nom sur le sable Que soulèvent les vents accourus du désert ; Ma pensée, attentive à la voix du silence, M*a fait une royale et calme indifférence : Je me suis apaisée en regardant la mer.

0 mer, avec tes eaux profondes et salées Et les brillantes fleurs que les nuits étoilées Te jettent par milliers comme sur un '.ombeau, Ta poses sur tes morts aux mains froides et pâles Un linceul, tout brodé de saphirs et d'opales, Avec la lune d"or pour unique flambeau.

DEVANT LA MER 33

Et, sur mes yeux meurtris, la caresse de Fonde Fait descendre l'oubli de l'amour et du monde, Car je dis : Maintenant, je ne peux plus souffrir!... Mais, du fond de l'abîme, une vague se lève... C'est un jet si puissant de désir et de rêve Que je vais vivre encor, moi qui voulais mourir.

Ah ! qu'il paraisse enfin Celui dont la parole Commande aux vents, Celui dont le regard console. Celui qui sera seul le maître de la mer ! Je lui donne ma vie et toute ma tendresse, Et mon amour, semblable à l'océan qui dresse Sa colonne d'onyx pâle et de jade vert.

Je lui donne mon cœur plus profond que la masse Des flots bleus, etmes pleurs dont le nombre dépasse Celui des gouttes d'eau dans la coupe des mers'. . . Que de tant de douleur, il fasse un peu de joie; Qu'une flamme jaillisse, et qu'enfin je la voie Illuminant la nuit des longs chemins déserts.

NATURE. CE NEST PAS VOUS

QUE MON COEUR ADORE

Nature, ce n est pas vous que mon cœur adore! Tout mon être est sensible à la beauté des jours, Au mystère des nuits, au charme de l'aurore, Mais ce n'est pas vers vous que volent mes amours. Dans l'herbe de vos prés, au bord de vos fontaines, Sous l'arceau velouté de vos forêts de chênes, Je savoure en passant vos divines fraîcheurs, Votre eau pure, vos fruits, vos sourires, vos pleurs; Mais ce n'est pas pour vous que mes deux mains sont pleines

NATURE, CE n'EST PAS VOUS QUE MON CŒUR ADORE 35

Du trésor merveilleux des tendresses humaines ; Dans vos soirs empourprés flotte une langueur, Je n'effeuillerai pas la rose de mon cœur. Peut-être un jour, plus tard, triste, désabusée, Je chercherai le feu de votre clair soleil Pour réchauffer ma main par la vieillesse usée Et mon corps, engourdi par le dernier sommeil; Mais aujourd'hui je vis,mon sang court dans mes veines, Plus vif, plus généreux que vos brûlants étés; Mes doiglsontdesparfumsplusfraisque vos verveines, Mon rêve laisse loin vos molles voluptés. Les rayons les plus purs brillent aux yeux que j'aime, La plus tiède douceur est au creux de la main De celui que je sens créé comme moi-même Pour vivre l'infini du court bonheur humain. Vous, vous ne savez pas aimer! Vous êtes belle, Mais vous n'entendez pas l'hymne qui vient vers vous; Vous n'écoutez jamais la voix qui vous appelle Et les frémissements graves d'un cœur jaloux Trop de lèvres ont bu l'odorante ambroisie De vos brises vit l'âme de tant de fleurs; Trop de cœurs, enivrés de vous, vous ont choisie; Vous avez consolé trop d'intimes douleurs!

6\} LA MAISON DE GRANIT

Vous VOUS prêtez à tous : la plus fragile rose

Reçoit votre sourire et vos baisers profonds,

Et votre soleil d'or indifférent se pose

Sur des cheveux d'enfants ou sur de pâles fronts.

On vous aime, mais vous n'aimez pas, ô madon

Idole décevante, insensible beauté;

Et moi, je veux aimer un être qui se donne,

Et qui soit à moi seule, et pour Téternité.

JE VOUS AI VU PASSER...

Je vous ai vu passer ce soir sur mon chemin...

C'était vous, je le sais... Je tremble, je vous aime, Tout mon être s'émeut... Je ne suis plus moi-même, Je ne suis qu'une part de vous ; et votre main, Lorsqu'elle posera sa douceur caressante Sur mon front, tout pâli des longueurs de l'attente, Y mettra la fierté d'un bonheur surhumain.

38 LA MAISON DE GRANIT

Je VOUS aime ! Un plaisir merveilleux me soulève ! Le charme d'un regard vient d'emporter mon rêve. Comme Toiseau qui monte, enivré, dans Tazur! Je vous aime! Mon àme agrandie est meilleure, Et mes yeux sont remplis de la beauté de l'heure, Et ma lèvre est plus chaude , et m^on souffle est plus pur

Je vous aime ! Et je vois la lumière plus blonde. Je vous aime ! La joie éparse dans le monde Ne vaut pas la douceur de mon grave tourment ! Je vous aime! Et jamais la plus belle harmonie N'égalera ce cri de l'extase infinie Qui verse sur mes jours son tendre enchantement.

Je vous aime! Ce mot est mon unique étude; C'est l'orgueil de ma chaste et noble solitude; Nul ne pourra jamais me dérober ce bien ; Et je ne dirai plus que ma vie est perdue : Ma ferme volonté, vous me l'avez rendue; Vous m'attachez à vous par ce puissant lien.

JE VOUS AI VU PASSER 39

J'aime! Ah ! j'ai bien compris ce que cela demande D'entier renoncement el de complète offrande! Je sais que pour l'amour il faut tout oublier ! Il faut lui dévouer une âme généreuse Qui saurait, pour aimer, se passer d'être heureuse, Et si haute que rien ne la fera plier.

Je sais qu'il faut avoir tout donné de soi-même Avant de prononcer le mot sacré : Je t'aime ! Et déjà, mon amour, votre main m'a tout pris : Ma paix et mon repos, mon cœur et ma pensée, Mon âme, désormais à la vôtre enlacée, Et ma vie, attendant devons son plus haut prix.

Et j'ai perdu, ce soir, un peu de ma sagesse. Puisque je lui préfère un rêve de tendresse. Je la vois s'en aller avec un grave émoi. .. Mais cet amour me fait une vertu plus forte : La douleur avec lui frappe au seuil de ma porte. Et c'est en souriant qu'elle avance vers moi.

3

vous NE SAVEZ PAS

Vous êtes mon bien, vous êtes ma chose, Je vois l'univers à travers vos yeux, Mais votre regard le mien se pose N'a jamais voulu lire mes aveux.

Vous ne savez pas que je vous adore, Depuis tant de jours si vides d'espoir, Que je vous attends, là, depuis l'aurore, Et que j'attendrai dans l'ombre du soir.

vous NE SAYEZ PAS 44

Vous ne savez pas quel flot de tendresse

Envahit mon être avec votre nom;

Vous ne savez pas sous quelle détresse

Va sombrer mon cœur lorsque tout dit : non !

Je n'aurai de vous pas une pensée,

Pas un mot d'amour, pas même un regard;

Mais si je savais quelle fiancée

Doit vous rendre heureux, j'irais sans retard;

J'irais la chercher jusqu'au bout du monde, Car la solitude est lourde à porter. . . Il faut qu'une voix douce vous réponde Pour que vous n'ayez rien à regre'ter.

Je ne peux avoir pitié de moi-même ;

Je sais tout souffrir, mais je ne veux pas

Voir pleurer vos yeux, vos beaux yeux que j'aime^

Pour celle vers qui vous tendez vos bras.

LA MAISON DE GIL\NIT

Moi, je resterai la silencieuse, Grave de mon deuil et de ma douleur; Si vous m'oubliez pour votre amoureuse, Vous ne pouvez rien pour changer mon cœur.

Et vous êtes là, mon tourment, ma joie ; Vous chérir ainsi m'est amer et doux; Vous ne savez pas que mon être ploie Sous la volupté de souffrir pour vous.

Vous ne savez pas que mon âme est vôtre : Je vous appartiens jusqu'au dernier jour; Mais vous, le regard tourné vers une autre, Vous ne voulez pas savoir mon amour.

irsDIFFÉRENXE

Je ne désire rien au monde Puisque je n'ai pas ton amour; Mon indifférence profonde Monte et grandit de jour en jour.

A quoi servirait d'être belle Si tu ne dois pas le savoir? D'être ardente, pure, fidèle, Si t'aimer n'est pas mon devoir?

44 LA MAISON DE GRANIT

Et que m'importe la jeunesse Si la mienne n'est pas à toi î Quel est le prix de ma tendresse Si tu ne recois rien de moi?

Et que ferai-je de ma vie Si je ne peux te la donner? Pourtant ne crois pas que j'envie La mort... Ce mot fait frissonner.

Pourquoi souhaiter d'être morte Si je n'entends jamais ton pas Sur le seuil de l'étroite porte tu ne me rejoindras pas?

Dans l'univers immense et vide, Ma pauvre âme errerait en vain : Le seul bien dont elle est avide, C'est toi qui le liens dans la main.

0 MORTES I

Les mortes qui furent aimées Ont emporté dans leur tombeau Des moissons de fleurs embaumées Elles dorment sous ce fardeau.

Elles dorment... Dans la poussière Leur être ne peut tressaillir Au bruit que fait sous la lumière Le clair printemps qui yeut jaillir.

46 LA MAISON DE GRANIT

Elles reposent sans pensées... Nos cris, nos regrets, nos douleurs, Sous leurs paupières abaissées Ne feront plus sourdre les pleurs.

Et leurs pieds que la mort enchaîne Ne s'élanceront jamais plus Vers la déception certaine Des bonheurs que l'on a voulus.

0 mortes, si l'on vous désire, Votre cœur restera glacé; Vous ne verrez pas le sourire Du regard au vôtre enlacé.

0 mortes, si l'on vous oublie, Du moins vous ne le saurez pas; La jalousie et sa folie Ne sauraient plus tordre vos bras.

0 MORTES

0 mortes, si les yeux qui pleurent Sur vous, trop las et douloureux. Se ferment pour q«e les effleurent Des baisers frais, nouveaux pour eux :

Vous ne verrez pas sur les lèvres Que votre haleine caressa Les traces de ces nuits de fièvre votre doux nom s'effaça.

0 mortes, que je vous envie La paix de votre long sommeil l'heure, par l'heure suivie. Ne sonne jamais le réveil !

Vous dormez dans l'oubli des choses, Sous des rameaux souples et verts, Et nos printemps, trop lourds de roses, Sont plus tristes que vos hivers.

N'ATTENDONS PLUS...

N'attendons pluvs! La vie est prise Au filet du jour qui s'enfuit, Et la route, couleuvre grise, Rampe et glisse au cœur de la nuit.

Ne rêvons plus! Nulle espérance N'élèvera son cri joyeux Dans ce royaume du silence trop d'ombre voile les yeux.

n'attendons plus... 49

Ne luttons plus ! Nos mains sont lasses De se tendre vers d'autres mains, Et nos pieds nus portent les traces Des meurtrissures des chemins.

Ne pleurons plus, car trop de larmes Ont rempli la coupe des mers. Et, pour que les pleurs aient des charmes, Il faut que nos maux nous soient chers.

Et surtout n'aimons plusl Nos lèvres, Pures, faites pour le baiser, . Connaîtraient l'âpre goût des fièvres, Et nos cœurs pourraient se briser.

LES ROCHERS

Ce soir le vent du nord souffle sur lamontagne, Et de ce tourbillon tout subit la rigueur. Tel, dans le drame antique, un murmure du chœur, Le long gémissement d'une voix l'accompagne.

De lourds blocs de granit parsèment la campagne : Ils jaillirent aux jours lointains fut vainqueur Le Feu mystérieux qui dévorait au cœur Et qui broyait aux flancs la Terre, sa compagne.

LES ROCHERS 61

Les noirs rochers géants d'un front superbe et fier Supportent la tourmente; ils subirent hier L'assaut qui les rendit pour toujours immuables.

Et, comme eux, les humains par la vie emportés Au choc des passions doivent être heurtés Avant de se sentir, enfin, inébranlables.

SAGESSE

Ah! ne provoque pas l'amour Auquel tu ne veux pas répondre De peur qu'un être quelque jour Ne se lève pour te confondre.

Ne leurre pas d'un grand espoir L'âme qui s'abandonne toute, Si tu sais déjà que ce soir Tu reprendras une autre route.

SAGESSE o3

Ne sois pas celle qu'on attend Parce qu'on a vu son sourire, Le sourire menteur qui tend Un piège le cœur se déchire.

Sois celle dont on prend la main Sans pensée arrière et mauvaise, Celle qui montre le chemin Et dont le regard droit apaise.

Donne plus que tu n'as promis, Bien plus qu'on ne saurait attendre; Donne-toi, sans qu'à tes amis Tu puisses jamais te reprendre.

TU NE POUVAIS M'AIMER

Ta ne pouvais m'aimer, car tu ne veux encore

Pour compagne à tes jours qu'une enfant qui t'adore

Avec l'instiact naïf de son être ignorant Et sa jeune pudeur dans tes bras expirant.

Et parce qu'elle dit ces mots graves : Je t'aime, Tu crois avoir reçu le meilleur d'elle-même ; Et tu veux ignorer qu'à son premier émoi Ses yeux se tourneront vers un autre que toi.

TU NE POUVAIS m'âIJIEK 55

Elle oubliera bientôt que tu l'avais conquise! Lorsqu'elle se sera, souriante, reprise, Tes rêves merveilleux bâtis sur ton amour S'écrouleront avec sa tendresse d'un jour.

Elle sera perfide, infidèle, rusée; Dans sa petite main sur la tienne posée Elle tiendra ta force, et tes douleurs seront Un jouet pour ses doigts qui te déchireront.

Mais ne dis pas alors : Elle n'est qu'une femme. Et dans ses yeux en vain je chercherais une âme! Ne condamne que toi qui n'as voulu choisir Qu'une esclave, l'idole aux heures de plaisir.

Tu trouvais sa faiblesse adorable, divine; Tu voulais l'abriter toute sur ta poitrine, Etre son conseiller, son guide, son soutien. Et dire avec orgueil : Cette enfant m'appartient!

4

o6 LA MAISON DE GRANIT

T'appartenir ! Comment t'appartiendrait un être Dont la fragilité ne connaît d'autre maître Que le désir de vivre et de s'épanouir Au soleil d'or des jours dont il lui faut jouir !

Tant qu'elle n'attendra de toi que tes largesses, Ton adoration flatteuse, tes caresses, Elle n'aimera pas, car il faut pour aimer Un cœur la tendresse ait pu tout consumer.

Aimer un être, c'est tout entier lo comprendre ; C'est se vouer à lui sans jamais se reprendre, Pour quil nous trouve là, le jour, le soir, la nuit. Quand l'espoir ou le deuil dans nos bras le conduit.

Aimer un être, c'est lui donner à toute heure Un grand cœur lumineux pour vivante demeure ; C'est recevoir de lui toute la volupté Que l'univers contient en son immensité.

TU NE POUVAIS M'aIMER 57

Aimer un être, c'est vouloir pour lui la joie D'un destin merveilleux tissé d'or et de soie; C'est chérir tout de lui, ses haines, ses amours» Sa vertu rayonnante et l'ombre de ses jours.

Aimer un être, c'est partager sa pensée Et les rudes tourments de son âme blessée; Puis, subir avec lui l'âpre rigueur du sort, Et, s'il le faut, le suivre au-delà de la mort.

Cet amour ne naît pas dans une âme d'esclave; Il ne s'épanouit qu'aux mains libres d'entrave; Il faut, pour en goûter l'enivrante douceur, Etre deux et n'avoir ensemble qu'un seul cœur.

Ah ! pour t'aimer, crois-le, il te faut une égale !

Celle en qui tu voulais ne voir qu'une rivale

Est ta compagne élue, et tu ne connaîtras

Tout le bonheur humain qu'en vivant dans ses bras.

58 LA MAISON' DE GRANIT

Je voudrais t'apporter les paroles de vie. Ecarter de tes yeux les rêves mensongers, Te détourner de la chimère poursuivie, Et guérir ta blessure avec des doigts légers.

IL FAUT CHOISIR

0 femme, il faut choisir : ou rester asservie, Esclave des désirs qwi toujours font pleurer, Ou, solitaire et pauvre à jamais demeurer, Et planer, libre et fière, au-dessus de la vie.

Il faut être la fleur de rôve et de beauté Qui tend comme un lys pur au jour sa coupe blanche Ou le fruit savoureux qui fait ployer la branche Vers la main qui le prend, chaude de volupté.

60 LA MAISON DE GRANIT

Il faut passer, toujours droite, sans rien entendre. Sans écouter le cri d'appel qui, sous tes pas, Dans le soir langoureux monte, subtil et tendre; 11 faut passer ou vers Tamour tourner tes bras.

Mais surtout ne crois pas à la vertu cachée Des pleurs, du sacrifice et des renoncements ; En vain se posera sur ta tête penchée Le vol <^e?^«-^]^^^ et des nobles tourments.

Les hommes ne verront que ta face pâlie, Que tes doigts douloureux usés par le travail; Ils souriront de ta jeunesse ensevelie Sous le trop lourd manteau des saintes de vitraiL

Si tu veux la douceur de dominer les rêves Des beaux adolescents aux lèvres de velours, iSe viens pas t'égarer sur le sable des grèves: Lève ton voile, et va vers les brèves amours.

IL FAUT CHOISIR . 61

Allons, sois courtisane, ouvre ta porte et livre Ton corps souple aux baisers que tu ne rendras pas ; Et vends-toi pour de l'or, puisque l'or nous délivre Des affres de la faim et des sombres trépas.

Tu pourras fièrement vivre ta vie infâme, Et les hommes seront courbés sur ton chemin ; Tu les écraseras sous ton pied nu de femme, Ils se relèveront pour te baiser la main.

Mais si tu veux choisir de rester pure et libre, Chaste, grave, attentive aux chansons de la mer, Si tu veux qu'aux douleurs des faibles ton cœur vibre, Que près de toi le goût des pleurs soit moins amer :

N'attends rien de l'amour, des hommes et des choses ; Accepte l'abandon et la lutte et TeiTort; Laisse pour d'autres mains fleurir toutes les roses, Ef marche, solitaire, au devant de la mort.

II DANS LA. MAISON

Mais je saurai bâtir avec ce graait sombre La tranquille maison je viendrai m'asseoir Lorsque le crépuscule, avec sa robe d'ombre, Rôde, comme un voleur embusqué dans le soir.

'ARRIVÉE

Entrons dans la maison la paix nous accueille. Le seuil est tout jonché des fleurs du genêt d'or; L'églantine, liée au souple chèvre-feuille, S'incline sur la porte je m'attarde encor.

Le gentiane bleue et la sauge pourprée Ont fleuri les chemins pour conjurer le sort ; La pensée aux doux yeux, l'aubépine nacrée Semblent me dire : Ici tu trouveras le port.

66 LA MAISON- DE GRANIT

Ma demeure tranquille est un logis de reine flotte le parfum des menthes de velours ; Et je viens de goûter la volupté sereine De voir à chaque objet de lumineux conlours.

Le chaud rayon qui glisse à travers ma fenêtre Se pose sur mon front comme un chaste baiser; La douceur d'être seule et triste me pénètre ; La Sagesse aux yeux clairs est pour m'apaiser.

Je ne me souviens plus de mes larmes dernières ; Je n'ai plus de désirs, je n'ai plus de douleurs ; Sur ma lèvre a coulé le baume des prières, Mes mains ont dénoué le lourd collier des pleurs

Je t'aime et te salue, ô calme solitude, je vais retrouver mon frais sommeil d'enfant, je verrai le temps fuir, sans inquiétude, Car ma chère maison m'abrite et me défend.

l'arrivée 67

Je garde clans mes doigts les fleurs pures du rêve ; Et, les sublimes voix d'un invisible chœur, Montant comme les flots que la lune soulève, Emportent dans leurs chants les soucis de mon cœur.

Restons dans le silence et dans l'ombre que j'aime. Les voiles bleus du soir enveloppent mes murs; Auprès du foyer clair, goûtons la paix suprême D'oublier les chemins suivis, après et durs.

Ici je sens mon âme attendrie et meilleure. La vie est douce, elle a compris que je l'aimais ! Je voudrais prolonger le charme de cette heure, Et, lorsqu'il cessera, ne l'oublier jamais.

Je le retrouverai dans les plus humbles choses, Dans les lueurs du feu qui rougissent le grès, Dans l'odeur familière et discrète des roses, Dans la flamme du jour qui s'éteint par degrés.

68 LA MAISON DE GRAMT

Maintenant je suis là, confiante, attentive Au bonheur inconnu que j'écoute venir... Est-ce la vie ? Est-ce la mort?... Quoi qu'il arrive, Je suis libre d'aimer et de me souvenir.

L'OMBRE

J'avais dit: J'entrerai seule dans la maison, Droite, les yeux tournés \ers la lumière blanche, Les doigts pieusement refermés sur la branche Du lys pur qui s'élance à travers le buisson.

Et j'ai cueilli la fleur d'ivoire, transparente, Pâle comme ma joue et trop lourde des pleurs Que versent dans la nuit le ciel et les douleurs; Et j'ai franchi le seuil, grave, pensive et lente.

70 LA MAISON DE GRANIT

Quoi ! c'est bien la maison de granit dont les murs M'ont coûté tant de peine et tant d'austère étude ! Comme une tombe étroite, en mon inquiétude, Je la voyais déserte, avec ses coins obscurs I

J'ai regardé longtemps la retraite sacrée je viens abriter mon cœur silencieux ; Ma fenêtre encadrait le parterre des cieux, la rose du soir s'ouvrait, chaste et pourprée.

Et la pure clarté descendait sur mon cœur, Encor tout palpitant des passions humaines; Et j"ai tout oublié, les amours et les haines: Je n"ai su que la paix des vierges du Seigneur.

0 paix bénie, ô paix bienfaisante et divine, J"ai senti ton baiser s'appuyer sur mes yeux! Tes mains ont soulevé le poids mystérieux Qui depuis tant de jours oppressait ma poitrine.

l'ombre 71

Mes livres m'attendaient, mes maîtres, mes amis, Avec l'enchantement de leurs nobles pensées; Les caresses des mots, sur mes lèvres posées, Eveillaient la douceur des rêves endormis.

Près de moi souriaient tant de figures chères !

Ceux qui furent mon sang, ma race, mon amour Me regardaient venir... Dar.s le calme du jour J'oubliais mes douleurs comme des étrangères.

Voici le clavecin au son grave et cuivré ; Et, sous mes doigts^ le vol des notes dénouées Monte, emportant le cri des douleurs avouées, Mais dont l'esprit se croit à jamais délivré.

Comme une tendre fleur lentement se replie Lorsque la nuit descend lui verser le sommeil, Dans la paix de la chambre oii s'éteint le soleil. Je me repose enfin, je me tais, et j'oublie...

72 LA MAISON DE GRANIT

J'ai dit à ma maison tranquille : Me voilà ! Comme je serai bien dans cette solitude Pour attendre la mort après le chemin rude.

Je me suis retournée, et ton ombre était !

MA MAISON

C'est pour lui que je t'ai construite, 0 ma chère et belle maison ; C'est pour qu'un jour ton toit l'abrite Contre la dernière saison.

C'est pour lui que je t'ai parée Des longues menthes de velours, De la digitale pourprée, De l'herbe « qui tremble toujours ».

LA MAISON DE GRAMT

Pour lui j"ai couvert tes murs rudes Des planches claires des grands pins. Qui. dans leurs sombres solitudes, Auraient eu de pires destins.

J'ai pris au coeur profond des chênes La porte qui doit l'accueillir; Le granit aux brillantes veines Est l'àtre le feu va jaillir.

A la rampe de fer massive Dont la forge a ployé larceau. Je viendrai l'attendre, pensive, Comme on attend près d'un berceau.

J'aurai tout reçu de la vie Quand son pas franchira mon seuil, Et que ma lèvre inassouvie Dira les mois de doux accueil.

MA MAISON 75

Si ma maison par quelque charme Le retient quand le jour s'enfuit, Mes yeux n'auront plus une larme, Et je ne craindrai plus la nuit.

PRIÈRE DU MATIN

Un jour, un jour encore à travailler, à vivre ! Voici déjà venir, brillant à l'horizon Dans son armure d'or, le matin qui délivre Des embûches de l'ombre et nous rend la raison.

Voici le lumineux cortège d'espérance, De tranquille sagesse et de ferme vouloir; Voici, pour un moment, l'oubli de la souffrance Devant la grande joie austère du devoir.

PRIÈRE DU MATIN 77

Quand s'élève le vol des fécondes pensées, Que la beauté vivante enfin naît du travail, Les lointaines douleurs paraissent effacées, L'âme victorieuse a pris le gouvernail.

Puis, c'est le bon repos dans la maison paisible C'est, soir la nappe blanche, un reflet de cristal, L'eau pure, le pain frais, le bien-être indicible Qui flotte autour de la bouilloire de métal.

Et quand les êtres chers nous apportent la flamme De leur pensée amie et de leur cœur off'ert, Une telle douceur monte et pénètre 1 ame Qu'on ne sent plus le mal dont on avait souffert.

Et la journée ainsi reste belle et féconde : Un peu de bien, beaucoup de travail et d'effort, La fierté d'ajouter à la beauté du monde Quelque chose de soi que n'atteint pas la mort.

78 LA MAISO.X DE GRANIT

Et le bonheur plus grand encore de voir luire Aux yeux inconsolés une lueur d'espoir, Et de donner, avec un fraternel sourire, Un peu de paix à ceux qu'épouvante le soir.

Mais ne crois pas pourtant, ami, que je t'oublie Quand je me prête à tous avec un clair regard : Je te garde en mon cœur plus vivant que ma vie C'est toi qui, de mon être, as la meilleure part.

ON A RENTRÉ LES FOINS

On a rentré les foins. Ce soir la grange est pleine De la chaude senteur des herbes de nos prés : L'anneau d'or du soleil a glissé sur la plaine, Mais l'air est pur, ici, sur les monts empourprés.

Je pense à toi qui, seul, dans la ville embrasée, Portes le lourd fardeau du labeur et du jour; Je te vois, travaillant sous la haute croisée, Ou cherchant l'ombre fraîche et le repas d'amour.

80 LA MAISOxN DE GRANIT

Peut-être cette nuit quelque fille superbe Dénouant ses cheveux te verse un peu d'oubli ; Peut-être qu'en tes bras, comme une lourde gerbe, Pèse son corps, ployé, près de ton front pâli.

Lorsqu'elle partira, te laissant l'amertume De ses baisers vendus et de son rire faux, Tes yeux se voileront d'une légère brume, Car le plaisir n'est pas le bonheur qu'il te faut.

Si tu venais ici! Cette maison est tienne, Ces sauvages rochers, cette montagne en fleur, Cette ferme, ces prés, cette terre ancienne, Je te les ai donnés en te donnant mon cœur.

Ici tu trouverais une pure tendresse, Une pensée amie, un être tout à toi; L'air t'envelopperait de sa fraîche caresse. Tu te reposerais à l'ombre de mon toit.

ON A RENTRÉ LES FOINS 81

Tu saurais la douceur d'être aimé pour toi-même, D'avoir sur ta poitrine un cœur tout plein du tien ; Tu connaîtrais enfin cette fierté suprême, D'enchaîner à ton sort l'âme qui t'appartient.

Mais tu ne viendras pas, et ma porte fermée Ne s'ouvrira jamais sous ta main bien-aimée. .. Moi, nourrie âprement du pain de la douleur j Je mourrai sans goûter le pain blanc du bonheur.

Car je n'ai pas le droit de dire que je t'aime !

Je suis femme, je dois toujours me taire, et, même,

Si tu me devinais je dirais encor : non !

Alors que tout mon sang brûle au feu de ton nom.

Il faudrait, pour briser le sceau qui clôt ma bouche,

Que, jetée à ton cou dans un élan farouche,

Je puisse te crier le secret de mon cœur,

Et que de mon orgueil Ion regard fût vainqueur.

82 LA MAISON DE GRANIT

Mais je ne dirai pas la parole qui lie, Parce que j'ai souci du bonheur de ta vie, Et que je ne sais pas si je peux apaiser Ta soif de volupté par mon chaste baiser.

Je renonce à Tespoir, à ses divines fêtes, Car je ne pourrai pas souffrir que tu regrettes Dans mes bras confiants tes maîtresses d'un jour, Et qu'ivre de plaisir tu méprises l'amour.

Si tu ne choisis pas toi-même ma tendresse,

Je ne parlerai pas; je tairai ma détresse ;

Et, comme un grain d'encens au creux de Tencensoir,

Brûlera tout mon être au feu clair du devoir.

JE VOUS ËCRIS..

J'avais dit : Je saurai porter ma solitude; Je resterai debout sous le fardeau si lourd Du silence, du soir, du devoir, de l'étude; Je n'écrirai jamais une lettre d'amour.

Et maintenant je suis seule devant ma table, Chaque mot que je trace est un monde d'espoir C'est le rêve ancien qui vient, inexorable, Arracher de mon front les plis d'un voile noir.

84 LA MAISON DE GRANIT

Bien longtemps j'ai voulu me cacher à moi-même Le secret qu'aujourd'hui je ne peux plus porter ; Qu'on me laisse crier enfin que je vous aime ; 11 me faut cet aveu pour me réconforter.

Il faut le murmurer au vent qui me caresse, A la brise qui passe effleurant mes cheveux; Je k dis cette nuit dans Tombre qui m'oppresse, Je le dirai demain à la face des cieux !

Mon espoir refleurit comme une fleur d'automne, Comme une rose pâle au parfum plus léger! Sous un dernier rayon tout mon être frissonne : Ah ! comme il vous faudrait savoir me protéger !

Que de soins, de tendresse et de bonté divine Deviendrait nécessaire à mon frêle bonheur ! Que je me blottirais contre votre poitrine, Dans vos deux bras aimés pour sentir leur chaleur

JE VOUS ECRIS.

Il me semble parfois que vous devez comprendre Que c'est vous qui tenez mon sort entre vos mains, Et que c'est bien fini de souffrir et d'attendre, Et que j'entends vos pas sonner sur les chemias.

Ce soir, enfin, je vous écris pour vous le dire, Pour faire cet aveu qui me brûle le cœur.

Mais je vous vois, cruel et sceptique, sourire ; Je subis voire arrêt dans toute sa rigueur.

Vous ne me croiriez pas... Vous tourneriez les pages ma main frémissante a tracé votre nom ; Peut-être liriez-vous les plus graves passages Aux femmes qui, jamais, n'ont su vous dire : non !

Ma missive d'amour restera sur ma table... J'écrirai sagement et sans la raturer Une autre lettre... Et, la trouvant si raisonnable, Vous oublierez qu'un jour, pour vous, j'ai pleurer.

TU NE SAURAS JAMAIS

Tu ne sauras jamais que j'ai subi pour toi

La mort de mes jeunes années, Lorsque les vierges vont, comme au-devant d'un roi.

De leur jeunesse couronnées.

Tu ne sauras jamais pourquoi ma vie en fleur

S'est résignée au sacrifice! Tu ne sauras jamais sous quel mortel supplice.

J'ai renoncer au bonheur I

TU NE SAURAS JAMAIS 87

Ah ! je t'avais voué mes jours et tout mon être :

Je ne pouvais plus t'oublier, Alors que tu passais sans me voir, sans connaître

Le mal qui me faisait ployer.

Ta ne sauras jamais quelle lente détresse

A consumé mes jours perdus, Quand mon âme, fermée à toute autre tendresse.

Brûlait de désirs éperdus.

Tu ne sauras jamais pourquoi ma joue est pâle,

Pourquoi mon regard s'est voilé. Pourquoi mon cœur est mort sous cette lourde dalle ton oubli cruel pour toujours l'a scellé.

SI TU M'AVAIS AIMÉE

Que nous serions heureux si tu m'avais aimée! La terre de granit aux bruyères en fleurs, La montagne sauvage et de miel embaumée Abriteraient un jour nos splendides bonheurs.

Puis à l'heure divine la mélancolie

Pose un voile d'argent sur les soirs les plus beaux.

Sous le ciel langoureux de la brune Italie

Nous errerions en,semble à l'ombre des tombeaux.

SI TU m'avais aimée 89

Nous nous enchanterions de la splendeur du monde ; Nos regards éblouis et longtemps enlacés Garderaient pour toujours une empreinte profonde De l'évocation des grands siècles passés.

Et nos cœurs, enivrés par le charme des choses, Sauraient enfin le prix de nos rapides jours; La fragile beauté des plus fragiles roses Aurait plus de valeur pour fleurir nos amours.

La douleur ne serait qu'une pâle étrangère Dans la maison paisible nous vivrions unis ; Toute peine avec moi te paraîtrait légère, Tous tes travaux seraient faciles et bénis.

La fraîcheur de ma lèvre à ta tempe appuyée Dans tes membres lassés mettrait tant de douceur Qu'une larme d'orgueil, aussitôt essuyée Par mes doigts caressants, guérirait ta langueur.

SO LA MAISON DE GRA>'IT

Et quand viendrait la nuit, l'automne, le silence, Nous nous avancerions, l'un à l'autre enchaîné, Au-devant de la mort, avec la joie immense Du bonheur qu'ici-bas nous nous serions donné.

AH ! J^AURAIS SU T'AIMER

Ah ! j'aurais su t'aimer! J'aurais compris ton âme ; Sur ton cœur d'homme fort aux détresses d'enfant J'aurais mis mon amour,mon tendre amour de femme , Et je t'aurais voulu libre, heureux, triomphant.

J'aurais su respecter tes heures de silence, Le calme qui convient à ton noble labeur, Ton légitime orgueil, ta fière indépendance, Pour que ta belle vie ait toute sa valeur.

92 LA MAISON DE GRATUIT

Et je n'aurais pas eu celte ambition folle De laisser gaspiller tes magnifiques dons Pour recevoir de toi, comme une froide idole, Les périssables biens qu'en vain nous possédons.

Je connais leur valeur et la lourde détresse Qu'ils laissent après eux quand, pour les obtenir, Il faut sacrifier la foi de la jeunesse Ou la fierté d'avoir bâti pour l'avenir.

J'aurais su préférer pour toi l'austère tâche Qui garde l'âme libre et laisse le front droit Au succès qui rend l'homme ambitieux et lâche, Et qui resserre autour de lui son cercle étroit.

Mais je t'aurais suivi lorsque ta fantaisie

Vers les beaux rêves d'or nous aurait entraînés,

Car ta joie est pour moi toute la poésie. . .

Mes bonheurs ! Ton amour seul me les eût donnés !

au! j'aurais su t'aimeh îi:>

Je t'aurais bien aimé, car je sais la tristesse Des jours de solitude et des nuits sans sommeil ; Et ton cœur, entouré de ma chaude tendresse, Aurait vécu son rêve à mon rêve pareil.

JOIES AMÈRES

Il est des jours tout est sombre Comme la nuit, autour de moi, Des jours oii je m'assieds dans l'ombre, Tremblante d'indicible émoi... Je vois le passé plein de charmes, Et les bonheurs quej'ai perdus : Alors je sens de lourdes larmes Glisser le long de mes doigts nus.

JOIES AMÈRES 95

Ces larmes brûlent mes paupières... Elles ont pourtant leur douceur, Car elles sont, pures et fières, La meilleure part de mon cœur : La part faite des vœux fragiles, Des désirs impuissants et fous, Des rêves ardents, inutiles, Que la vie arrache de nous.

C'est une joie austère et grave. Plus précieuse que Fespoir, De pleurer sur la triste épave Qu'apporte le flot chaque soir.

SOIR DORAGE

Ce soir je porte en moi la misère du monde ! Mon àme est douloureuse, et mon être éperdu; Tressaille aux coups lointains de l'orage qui gronde Mon cœur est sur l'abîme immense suspendu.

Le lac est à mes pieds, sombre, verdàtre et glauque. Comme une coupe pleine sont amoncelés Tous les pleurs des humains, tandis que le cri rauque Des corbeaux est la voix de leurs sanglots mêlés.

SOIR d'orage 97

La nuit approche et glisse autour de ma demeure ; Sur les prés, d'où s'élève un brouillard gris d'argent, Un rayon, qui s'attarde après la dernière heure, Déchire le tissu de son doigt diligent.

Dans l'ombre oii vont tomber les fleurs du jour fanées Je vois de chers et doux fantômes accourir ! Voici les compagnons de mes jeunes années ! Tous ont aux mains le frais rameau du souvenir.

Ils passent lentement, et chacun d'eux abaisse La palme frémissante en me frôlant un peu ; Leur visage s'anime et leur voix me caresse; Je sens mon front brûler sous un cercle de feu.

C'est toi, c'est toi, ma mère!...0 douce, ô bien-aimée! C'est ton beau port de reine et l'or de tes cheveux; C'est ta petite main, étroite et parfumée, Ton sourire et l'azur velouté de tes yeux.

98 LA MAISON DE GRAMT

Et celai dont la voix si tendrement t'appelle, Dont le regard te suit, caressant, lumineux, Cest mon père, c'est lui qui t'amena, si frêle, A son foyer ton amour le fit heur3ux.

Quelle ardente ferveur pour une noble cause Consume ce visage usé par le malheur! Toi qui connus l'exil, ô mon aïeul, je n'ose Comparer ma douleur de femme à ta douleur.

Et vous qui souriez, fleurs pures de ma race, Femmes au cœur vaillant, vierges au front voilé, Vous dites que le mal comme une ombre s'efface Lorsque le devoir luit dans le ciel étoile...

Ah ! voici la maison dans la petite rue, Près de la vieille église Ton me retrouvait Les soirs mon désir d'être un peu secourue Dans mes chagrins d'enfant vers Dieu me conduisait.

SOIR d'orage 99

Et ce chemin pierreux bordé de marjolaine, Cette porte, ce mur brûlé par le soleil, La vigne, les figuiers, les roses, la fontaine, Les cerisiers géants, les fruits au jus vermeil;

Et la montagne mauve aux cimes couronnées De rocs bruns, tout dorés ;jar les rayons du soir; Les tombes, maintenant au lierre abandonnées, Le jardin, le vieux banc d'autres vont s'asseoir.

Et le couvent paisible je devais attendre Que le monde m'apprît la vie et ses douleurs ; Et celle que j'aimais, fière, énergique et tendre ; Mes compagnes, mes jeux, mes livres et mes fleurs..,

(Vh! je vous revois tous, amis de mon enfance : Ne partez pas encore I II me faut la douceur D'oublier près de vous mes longs jours de souffrance Et de sentir mon cœur battre sur votre cœur!

100 LA ZIAISÛN DE GRANIT

Faites de votre force une force à mon âme ; Qu'elle soit pour mes bras le bouclier d'airain Que nulle arme ne peut pénétrer de sa lame, Et les rigueurs du sort me frapperont en vain.

Et, malgré la fureur de l'orage qui gronde, Je resterai, comme un bel arbre toujours vert Reste, nouant au sol sa racine profonde, Silencieusement suspendu sur la mer!

RÉSURRECTION

Je pense quelquefois que mon amour est mort,

Qu'il est enseveli dans une tombe étroite,

Et que si je suis là, silencieuse et droite,

C'est qu'autour de mon cœur l'oubli met son bras fort.

Une lente douceur envahit tout mon être, Et je m'épanouis au blond soleil des jours; J'entends le gai printemps frapper à ma fenêtre Comme pour m'inviter à de jeunes amours.

102 LA MAISON DE GRAMT

Je ne sais plus que j'ai souffert; la vie est belle; Le ciel est une fleur de saphir au cœur d'or... Mon âme est une mer calme la barque frêle, Sans crainte des récifs, peut errer loin du port;

Tandis que, sur les bords du tranquille rivage, Toutes blanches parmi les cyprès de velours, Les paisibles maisons que n'atteint pas l'orage S'ouvrent pour le repos des merveilleux retours.

Et, sur le mont sacré qui domine l'espace.

Pensive, sous les plis du voile de Tazur,

Une fière statue au noble geste trace

La route des sommets souffle un air plus pur.

Je vais la suivre, elle m'attire et je t'oublie,

0 toi, mon cher amour, qui m'enchaînais au sol ;

Secouant le fardeau de sa mélancolie,

Vers les plaines du ciel mon âme prend son vol.

RÉSURRECTION 103

Brusquement sur mes pas une vague se dresse; Elle monte et jaillit du sein profond des mers; La colonne d'onyx me cache la Sagesse Et les ordres divins que dictent ses yeux clairs.

C'est tout le flot de ma tendresse inassouvie ; C'est le remous puissant de mon rêve ancien : Etre deux et marcher ensemble dans la vie C'est le chaste désir que mon cœur a du tien.

Mais avec mon amour ma peine est revenue...

Je ne goûterai pas dans la douceur du soir

La volupté d'errer sur la route inconnue.

Près de toi, sous le ciel beau comme un reposoir!

Je pleure de nouveau, seule dans le silence.. Nul bonheur désormais ne me consolera, Pas même la beauté de la terre j'avance Sans savoir où, demain, le sort me conduira.

104 LA MAISON DE GRANIT .

L'horizon lumineux s'est couvert de nuées, Long regard de l'espace obscurci par les pleurs. Lentement, comme un vol d'ailes exténuées, S'abattent sur la mer les plaintives douleurs.

Au ras de ses eaux cruellement bleues Tu pourrais les voir fuir devant la nuit; Elles franchiront mille et mille lieues Sans que leur appel vers moi t'ait conduit.

Mais si quelque jour tu pouvais entendre Le cri douloureux de mon cœur blessé, Si ta main s'ouvrait, chaude, pour se tendre Vers l'oiseau qui meurt dans le vent glacé :

Tu saurais alors le prix de la vie.

Car notre passage, un jour, ici-bas,

X'a qu'un seul bonheur digne qu'on l'envie,

Celui que, sans moi, tu ne vivras pas !

PRIÈRE DU SOIR

Dans tes bras adorés j'aurais voulu dormir, Dormir comme un enfant qu'une caresse apaise Et dont le corps léger dans le sommeil ne pèse Pas plus qu'un jeune oiseau dont l'aile va s'ouvrir.

J'aurais voulu poser sur ta chaude poitrine Mes membres fatigués, mon cœur fragile et lourd, A l'heure où, sur nos fronts, plane la nuit divine, Entraînant dans son vol tous les soucis du jour.

106 LA MAISON DE GRANIT

J'aurais voulu mêler mes rêves à ton rêve, Murmurer avec toi la prière des soirs ; Puis sentir ton amour, quand l'aurore se lève, M'emporter avec lui vers de nouveaux espoirs.

Dans tes bras adorés j'ai rêvé de vivre, N'aurai-je pas, du moins, la douceur de mourir, Pour que de son fardeau mon âme se délivre En disant son secret dans un dernier soupir!

Ce jour-là seulement tu saurais la tendresse Que j'ai te cacher, car tu ne m'aimais pas : Tu n'aurais eu que la pitié de ma détresse. Et j'ai de ton chemin écarté tous mes pas.

Je voulais être à toi, délicieuse et bonne. Car je sais qu'un cœur d'homme est fait pour le bon heur, Et que seul le bonheur d'un être nous le donne. Alors que gémirait en vain notre douleur.

LA PRIÈRE DU SOIR 107

Je t'aurais apporté cette joie attendue, Si ta main caressante avait touché les mains Qui s'ouvraient pour t'offrir, à travers l'étendue, La paix des jours et la beauté des lendemains.

Tu n'as pas deviné le secret de ma bouche, Close sur mon amour comme un tombeau scellé; Tu m'a crue insensible, inhumaine, farouche; Mon regard douloureux ne t'a rien révélé.

Et nous avons suivi des routes différentes;

Et jamais entre nous un mot de vérité

N'a jailli, transformant nos deux longues attentes

En une heure d'orgueil sublime et de beauté.

Mais s'il peut te venir quelque fierté d'apprendre Que je t'avais voué le temple de mon cœur, Penche-toi sur mes yeux tu pourras surprendre Ton image adorée avec mon dernier pleur.

UNE AUTRE TE DIRA

Une autre te dira rémouvante parole

Qui fait bondir le cœur; Une autre t'offrira le baiser qui console

De toute la douleur.

Une autre posera sa douce joue ardente

Entre tes chaudes mains ; Une autre te suivra, docile et consentante,

A travers les chemins.

UNE AUTRE TE DIRA 109

Une aulre aura de toi la flamme de ta vie

Et ton brûlant plaisir ; Une autre te tendra son âme inassouvie

Et son jeune désir.

Mais tu ne sauras pas le charme intraduisible

De plus chastes bonheurs ; Et, sous mes doigts, jailli d'une source invisible,

Coule un ruisseau de pleurs.

Lorsque la volupté posera sur ta lèvre

L'âpre goût de la mort, Que la chaleur du jour brûlera de sa fièvre

Ton cœur fragile et fort :

La rose de la joie en tes mains sera sèche,

Et tu voudras pleurer ! Alors viens te pencher près de cette onde fraîche

Pour te désaltérer.

110 LA MAISON DE GRANIT

Et relère tes yeux obscurcis par les larmes !

Ecarte le passé... Pour te vaincre, la vie a de perfides armes,

0 pauvre ami blessé I

Repose-toi, veux-tu, près de la rive étroite

Qu'enveloppe le soir, Toi qui n'as pas suivi la route large et droite

Du lumineux devoir.

L'arbre de mon amour et de ma pitié tendre

Fleurit près de ses bords ; Vers ses fruits merveilleux si ta main veut se tendre, Leur fraîcheur calmera ta soif et tes remords.

SI TU PASSAIS UN JOUR

Si tu passais un jour, fatigué, sur la route l'on voit se dresser, brillant sur le ciel clair, Les lourds murs de granit que j'ai bâtis : Ecoute! C'est ma voix qui se mêle aux caresses de l'air.

Entre dans ma maison une minute, une heure! Ne dis rien si tu veux, mais consens à t'asseoir Près du feu qui t'attend, car ma pauvre demeure Se fera belle afin de mieux te recevoir.

112 LA MAISON DE GRANIT

Viens ! bien près, tout près ! Cette place fut vide Si longtemps ! Je voulais ne la donner qu'à toi ! Ce soir tu m'appartiens î Reste! Je suis avide De t'avoir à moi seule un moment sous mon toit.

Si, pourmieux t'accueillir, mes mains doivent se tendre. Pour fenchaîner, jamais ne s'ouvriront mes bras; Tu seras près de moi, souriant, sans entendre Le bruit que fait mon cœur au seul bruit de tes pas.

Mais je m'enivrerai de ta chère présence!

Je ne demande rien ; et, malgré la rigueur

Du sort, qui fit mes jours si pleins de ton absence,

Je t'aimerai dans le silence de mon cœur.

Je remplirai mes yeux de toi, de ton visage; Je boirai ton regard, ton beau regard de fleur ; Je mettrai sur mon cœur le sceau de ton image ; J'oublierai près de toi la joie et la douleur.

SI TU PASSAIS UN JOUR 113

Je ne veux que le charme unique de cette heure! D'autres ont pu t aimer pour l'amour de l'amour : Je t'aime pour toi seul ! Ma part est la meilleure Si mon accueil te fait douce la fin du jour.

Toi, comme un voyageur qui s'arrête et qui passe, Tu t'émouvras à peine, et c'est d'un œil distrait Que tu regarderas tout cet étroit espace Enclos entre les murs qui cachent mon secret.

Tu pourras me quitter sans détourner la tête,

Car le souffle léger qui te suit sur le seuil

Ne vient pas d'un soupir! Pars! Que rien ne t'arrête!

Si je pleure, j'aurai la fierté de mon deuil.

Et, riche des trésors laissés par ta présence, Sans même désirer de te voir revenir. Je goûterai la paix profonde du silence, Et la douceur de vivre avec un souvenir.

114 LA MAISON DE GRANIT

Je poserai mes mains, chaudes et caressantes, Sur chacun des objets effleurés par tes mains ; Et ton ombre, mêlée aux ombres bleuissantes, Ecartera de moi la peur des lendemains.

Et ma chère maison me deviendra sacrée, Parce qu'un soir divin, à l'heure le soleil Effeuillait sur les monts une rose pourprée, Elle t'offrit la fleur de son foyer vermeil.

III SUR TERRASSE

Et je m'attarderai sur la blanche terrasse la lune s'effeuille en pétales d'argent.

SUR LA TERRASSE

Allons nous reposer, ce soir, sur la terrasse la lumière d'or, voluptueusement, Glisse, tandis qu'au loin s'étirent dans l'espace De blancs flocons de soie au doux frissonnement.

Le lac brille là-bas sous la caresse chaude Du soleil qui rougit la moire du bassin; Et l'eau verte, luisant en gouttes d'émeraude, Met sur les bords de pierre un lumineux dessin.

118 LA MAISON DE GRANIT

Montons toujours vers le royaume du silence... Nul bruit ne percera la paroi de cristal De Téther transparent la nuit se balance Ainsi qu'un oiseau sûr de son vol triomphal.

Avant qu'elle soit là, nos regards pourront suivre Les changeantes couleurs de la terre et des cieux, Les nuages qui vont, dans leurs robes de cuivre, Vers linconnu de longs appels mystérieux.

D'autres, calmes et fiers dans la lumière pure, Paraissent dédaigner de courir vers l'amour ; Ils gardent, effeuillés parmi leur chevelure, Les pétales pourprés de la rose du jour.

Nous verrons le croissant de la lune nouvelle, Tel un anneau d'argent qu'un doigt rude a brisé, Et Vénus qui sourit, amoureuse fidèle, Apportant sa caresse au cœur inapaisé.

SUR LA TERRASSE 119

Puis le ciel s'ouvrira comme un coffret d'ébène sont les violettes noires de la nuit ; Le velours bleu de l'ombre étendra sur la plaine Le manteau dont les plis lourds ctouffent le bruit.

Et le silencieux concert de l'étendue Dominera la vie et son murmure vain ; Toute parole humaine aux lèvres suspendue Se taira pour entendre un poème divin.

Seuls les g-relots légers de l'élroite fontaine Sonneront dans l'air tiède le jour vibre encor ; El, sur le ciel fleuri d'étoiles, le grand frêne Sera le chandelier de bronze aux flammes d'or.

Et nous que réunit ce soir la même attente, Tout épris d'idéal, d'art et de vérité, Enveloppés dans la douceur de l'heure lente, Nous comprendrons en lin le sens de la beauté.

8

NUITS D'ÛL'BLI

Oh! la douceur des nuits sur la blanche terrasse! Nuits de paix, de silence et de recueillement, Quand le voiie du jour flotte au loin dans l'espace, Emportant dans ses plis tout farouche tourment.

Le croissant d'argent clair de la lune nouvelle Semble un anneau qui glisse au poignet fin du soir, Et la voûte du ciel est la tiède chapelle montent les vapeurs molles de l'encensoir.

i

NUITS d'oubli 421

Bientôt Tombre devient bleue, obscure, profonde; Cest un velours soyeux qui caresse les doigts... Nous pourrions oublier la souffrance du monde Sans le cri des oiseaux nocturnes dans les bois.

Les cimes de granit, de brume enveloppées, Portent le deuil de la lumière qui s'enfuit, Et les étoiles sont, comme des fleurs coupées, Dans l'onyx transparent de l'urne de la nuit.

La source des douleurs, cachée, intarissable. Verse une fois encor l'onde fraîche des pleurs ; Tout espoir paraît vain, tout rêve périssable Lorsque sous le ciel noir s'éteignent les couleurs.

0 NOSTALGIE

0 charme douloureux du monde, ô Nostalgie, Je vous ai vue errer pour la première fois A l'heure se posait sur la ville et les bois Le crépuscule triste et sa blanche magie.

Dans le ciel pâle et bleu comme une fleur de lin Traînaient derrière vous de flottantes écharpes ; Le brise était un chant de lyres et de harpes Qui faisait sous vos pas un murmure divin.

0 NOSTALGIE 123

Pure et silencieuse ainsi que la Sagesse, Vous marchiez lentement en regardant la mer; Et le goût de la vie alors me fut amer, Et mon cœur frissonna d'une obscure détresse.

La clématite mauve accrochait aux murs noirs De la vieille maison ses étoiles pensives; Et les ombres montaient, lourdes, grises, massives, Comme sort la fumée au creux des encensoirs.

Puis je vous ai revue à la clarté brûlante Du soleil débordant de la coupe des cieux ; Vouseffleuriezdesfrontsplusbeauxqueceuxdes dieux, Et des larmes perlaient aux yeux clairs de Tamante.

Et votre voix plaintive a pénétré souvent Dans le tranquille abri des retraites bien closes Lorsque, sur le vitrail s'effeuillaient les rosc> Du couchant, s'écrasait la grande aile du vent.

124 LA MAISON DE GRANIT

Je VOUS ai retrouTée à l'heure du silence,

Près du jardin secret le rêve fleurit;

Quand le soir aux doigts bleus nous caresse et sourit,

Dans l'ombre votre pas mystérieux s'avance.

Vous êtes belle et grave et redoutable, ô sœur ! Vous descendez la vie avec nous, côte à côte, Et, dans le cœur ardent que vous prenez pour hôte, Glisse comme un poison mortel votre douceur.

Car vous l'engourdissez de voluptés subtiles : Vous nous faites chérir toujours ce qui fait mal; Vous dédaignez le vrai pour chercher l'idéal, Et vous usez la force en longs rêves stériles.

0 Nostalgie, ô vous, ma joie et mon tourment, Angoisse inexprimable et douceur infinie^ Laissez-moi, laissez-moi vivre toute ma vie ; Détournez de mes yeux votre regard qui ment.

0 NOSTALGIE 125

Je sais que vous aimez les soupirs et les larmes; Votre bouche aux baisers préfère les sanglots, Et vous nous entraînez sur le gouffre des flots, Car l'ouragan pour vous a de sublimes charmes.

Je veux avant la nuit savourer tout le jour

Et vivre; car, plus haut que la voix des fontaines,

L'impérieuse voix jaillit des sources pleines

De mon cœur, tout gonflé de sang jeune et d'amour.

Je veux, avant d'aller vers la paix éternelle, Tracer encore un droit, un vigoureux sillon, Car la mort pour mon àme est comme l'aiguillon Qui presse d'accomplir une tâche plus belle.

Et si vous revenez plus tard sur mon chemin, Que ce soit pour guider ma pensée élargie Vers l'immortel amour^ ô pure Nostalgie, Lorsque j'aurai vécu tout mon bonheur humain.

VERS TOI

Ce soir, c'est moi qui viens vers toi, vers la demeure Dont le destin te fît le maître, ô cher seigneur! Ce soir, mon cœur est lourd, je suis lasse, je pleure Tout mon être a besoin de croire à ton bonheur.

Et je yeux d'un coup d'aile aller dans le ciel triste, Comme l'oiseau de nuit qui plane à l'horizon, Sans me heurter à la ceinture d'améthyste Que pose la montagne autour de ta maison.

VERS TOI 127

J'arrêterai mon vol auprès de tes murs sombres... Confiante, à l'abri de ton paisible toit, Je chercherai, perçant le velours bleu des ombres, Le lumineux point d'or qui me guide vers toi.

J'entrerai... Je verrai le feu clair de la chambre, Ses dansantes lueurs sur les tapis discrets, Et la lampe voilée aux transparences d'ambre; Et je respecterai, comme elle, tes secrets.

Si je te trouve heureux à ton foyer tranquille, Si le sort a pour toi pris ma part de bonheur, Je resterai sans bruit, invisible, immobile. Ecartant de tes pas ma vaillante doaleur.

Mais si je te vois pauvre, accablé, solitaire. Si rien n'a pu combler le vide de tes bras, Je verserai, brisant pour toi l'urne de pierre. Un parfum précieux sur tous tes membres las.

128 LA MAISON DE GRAMT

Sur tes yeux adorés aux reflets d'émeraude. Je poserai mes yeux, mes regrets, mes désirs ; Tu pencheras ton front surma main douce et chaude; Nous pleurerons tous deux avec nos souvenirs.

Ma tendresse, nouée autour de ton cœur rude, Sera le talisman qui conjure le sort, Et tant de paix viendra charmer ta solitude Que tu ne craindras plus la vieillesse et la mort.

Et tu sauras enfin qu'une àme dans ce monde T'appartenait sans bruit, sans égoïste espoir, Grave, murée ainsi qu'en la tombe profonde, Sous le marbre pesant du rigoureux devoir.

Qu'aurais-je pu t'offrir, pauvre femme isolée, Lorsque tu t'avançais dans la splendeur du jour ? Ma jeunesse était pauvre, obscure, désolée, Et j'attendais pour toi tous les dons de l'amour.

VERS TOI 129

Je n'avais que mon cœur, ardent, fidèle et tendre, Et la vie avait mis tant de pleurs dans mes yeux Que, sans rien demander, sans rêver, sans attendre. J'ai voulu suivre seule un chemin douloureux.

Mais Famour a fleuri comme une fleur sacrée Les larmes, le silence et le renoncement Ont fait de cet amour une rose pourprée, Et je viens te l'offrir, ce soir, pieusement.

LE MYSTÈRE DES CHOSES

Ah 1 je voudrais savoir le mystère des choses ! Je voudrais pénétrer le secret émouvant De l'âme qui se cache au calice des roses, Des soupirs de la nuit et des plaintes du vent !

Qui traduira le sens de la voix du silence, Du souffle de la brise errant dans les taillis, De la chanson de Tarbre le nid se balance, De l'appel que l'oiseau cache' en son gazouillis!

LE MYSTÈRE DES CHOSES 131

Qui pourra déchiffrer le livre de la vie, Et les profonds replis des cœurs silencieux, Et ce que crie au soir la mer inassouvie, Et ce que lui répond le vent large des cieux.

Qui nous dira pourquoi, des lèvres douloureuses, Glissent, chargés d'amour, de pitié, de pardon^ Comme un miel lourd qui sort des alvéoles creuses, Les mots longtemps gardés, les mots au sens profond?

Qui nous dévoilera l'être intime des êtres Appelés à jouir du fruit de nos efforts? Qui verra ce qui reste en nous de tant d'ancêtres, Endormis maintenant dans les bras de la mort ?

Ah! je voudrais savoir quel infini recèle, Dans le jardin de deuil oîi Ton passe en tremblant La porte du tombeau qu'un bloc de marbre scelle Sur ceux dont le linceul *»eiie le front trop blanc.

132 LA MAISON DE GRANIT

Vers l'azur tout fleuri des fleurs d'or des étoiles, Sur les nuages roux des couchants vaporeux, Je voudrais m'élancer pour écarter les voiles De la pure Beauté qui se cache à nos yeux

Ah! déchifî'rer un jour Ténigme universelle, Etreindre entre mes bras Funivers frémissant, Apprendre me conduit cette voix qui m'appelle, Plus forte que la voix de la chair et du sang.

Ahl secouer enfin cette angoisse profonde De tendre vainement mes mains vers l'infini Et de marcher toujours, seule à travers le monde. Sans que jamais un cœur à mon cœur soit uni.

Mais puis-je m'étonner si mon esprit succombe

Sous le fardeau trop lourd de Téternel pourquoi, Puisque j'emporterai moi-même sous la tombe Le secret de ce cœur plein de doute et d'efî'roi?

LE MYSTÈRE DES CHOSES 133

Nul regard ne saurait lire au fond de mon àme, Lors même que j'étreins, sincère, entre mes bras Les êtres les plus chers... Je ne suis qu'une femme, Qui se cherche elle-même et ne se trouve pas.

Et je crois que, toujours, sages entre les sages, Les hommes les plus vrais diront: « .Je ne sais rien!» Mais, d'un bond, franchissant les dangereux passages Du doute et de l'erreur, ils iront vers le bien.

Ils acceptent la vie avec toutes ses ombres,

Attendant la splendeur sublime du réveil ;

Ils apportent aux dieux humblement leurs cœurs sombres.

Où, seule, la vertu met l'or de son soleil.

Gardez votre secret, ô choses de la terre. Voilez-vous de silence et d'immobilité ; Ne brisez pas le sceau de l'éternel mystère Qui nous laisse éperdus devant votre beauté.

134 LA MAISON DE GRANIT

Voyez, je reste là, confiante et sereine !

Je sais qu'un soir viendra, plus clair que tous mes jou

Oii vous m'emporterez vers la cité lointaine

Dont la nuit n'a jamais voilé les fières tours.

LES ÉTOILES FILANTES

Pendant les belles nuits limpides, il arrive De voir furtivement glisser dans l'azur clair Une étoile qui (île et s'en va, fugitive, Se perdre, on ne sait où, dans un coin de Téther.

Le vœu qui sort du cœur et qui suit dans Tespace Le rapide trajet que les étoiles font Est toujours exaucé ; c'est la divine grâce Qui, pour fleurir nos mains, jaillit du ciel profond.

9

136 LA MAISON DE GRAMT

J'ai confié souvent à ces lueurs si frêles Le secret de mon àme alors qu'elles passaient, Et toujours j*ai senti de la joie auprès d'elles Tandis que leurs regards brillants me caressaient.

Ma jeunesse aspirait à connaître la gloire Des martyrs consumés du pur amour de Dieu ; J'évoquais les héros les plus ^ifrs de Ihistoire ; Je voulais leurs vertus et leur àme de feu.

Plus tard j'ai soupiré : « Que ne puis-je être belle De la beauté des dieux que rien ne peut flétrir, Pour garder près de moi, jusqu'à la mort fidèle, Celui que choisirait mon cœur prêt à s'ouvrir, y

Quand j'ai connu le monde et l'humaine détresse, J'ai rêvé de savoir apaiser la douleur, De poser sur tout front brûlant une caresse, Sur toute main glacée un rayon de chaleur.

LES ÉTOILES FILANTES 137

Ce soir j'ai murmuré : « Que ma pensée amie T'apporte /jju âi^in.vt^<^uA^ ^ '^'^ -j-^dJtiijL

A toi qui fus vraiment le maître de ma vie; '

Que la mort qous unisse en son éternité. »

Et j'ai toujours ainsi, de richesses avide, A rétoile qui passe envoyé mon souhait; Et chaque don reçu, malgré tout, laisse un vide Aux mains que nul trésor jamais ne satisfait.

Mais je songe parfois qu'un jour viendra, peut-être,

mon être lassé ne demandera rien,

Oii ma douleur sera de ne pouvoir connaître

Le tourment de vouloir encore quelque bien.

Ah! je ne le crois pas! J'ai trop d'ardeur fervente Pour que le temps arrive un jour à l'épuiser ; Mais je veux implorer l'étoile confidente, Pour que la mort m'apporte assez tôt son baiser.

138 LA MAISON DE GRAMT

Et les beaux astres d'or dans la nuit lumineuse Sur ma tombe tranquille alors pourront glisser Sans que mon cœur, rempli de paix mystérieuse, Tressaille de désir en les sentant passer.

LE CHARME DES CHOSES

Ah! quand j'avais au cœur la divine espérance, Que la terre était belle, et quels frisonneraents Je trouvais aux grands bois le bonheur s'avance A pas mystérieux comme des pas d'amants !

Je portais dans mon cœur tout le charme des choses; C'était moi qui donnais leur splendeur aux saisons, Leur émouvant parfum au calice des roses, Leurs cliangeantes couleurs aux vastes horizons.

140 LA MAISON DE GRANIT

Maintenant tout est mort, la lumière est voilée, Les roses du chemin s'effeuillent sous mes doigts ; L'illusion divine au loin s'en est allée ; C'est la réalité cruelle que je vois.

Et les clairs diamants de la blanche rosée Ne sont plus, je le sais, que de froides vapeurs; La terre où, pour un jour, notre tente est posée, N'est qu'une tombe ouverte à toutes les douleurs.

Pourtant je te préfère ainsi découronnée. Nature, quand mes mains arrachent de ton front La parure d'emprunt que je t'avais donnée, Et que tu restes nue, insensible à l'affront.

Car je peux mesurer enfin ce que mon âme Ajoute d'elle-même à la réalité ; Dans l'immense univers je ne suis qu'une femme, Mais mon fragile cœur peut créer la beauté.

LE CHARME DES CHOSES 141

Et n'ai-je pas aussi transfiguré mon rêve En lui donnant la vie intense dont je meurs? Lorsque dans un élan tout mon être se lève, Est-ce vraiment l'amour qui mérite mes pleurs?

Ah! peut-être qu'en lui le charme que j'adore Est celui dont mes mains ont voulu le parer; Et, si je possédais le bonheur que j'implore, Sur sa beauté détruite il me faudrait pleurer.

LE DÉPART DES HIRONDELLES

Combien de fois j'ai vu partir les hirondelles Vers le ciel d'Orient aux tons nacrés de fleur, Quand mon cœur, déjà prêt à s'enfuir avec elles, Se trouvait pris au piège obscur de la douleur.

Dans l'éblouissement de la jeune lumière,

Je les voyais monter comme un vol de points bruns;

J'aurais voulu les suivre, apaisée et légère,

Sans crainte d'afî'ronter la mer et ses embruns.

LE DÉPART DES HIRONDELLES 143

J'aurais voulu planer, fîère et silencieuse. Dans le silence immense rien d'humain ne vit, seul le vent du ciel frôle une aile soyeuse, le sourire de Téther s'épanouit.

J'aurais voulu briser les barrières du monde Pour m'arrêter au seuil de la blanche cité, De la cité de rêve le bonheur se fonde Sur l'amour immortel et sur la vérité.

Mais, hélas! ma pauvre àme est languissante et lourde Des bonheurs que jamais je n'ai pu vous donner; Sous le frémissement de cette douleur sourde Je sens les nœuds serrés qui vont m'emprisonner.

Je reste là, meurtrie, enviant l'oiseau frêle Qui part avant l'hiver loin de notre ciel gris, Moi que glace le froid d'une nuit éternelle. Loin du divin bonheur dont je sais tout le prix.

144 LA MAISON DE GRANIT

Je Dai pas entendu les chers mots de caresse, Qui jaillissent si frais de la source du cœur; Et j'ai connu Tintime et poignante détresse De passer, les deux bras fernaés, près du bonheur.

Je ne peux effacer de mes yeux votre image, Et votre souvenir ne me rend pas la paix, Car c"est l'effeuillement dans un long vent d'orage De la rose d'amour qu'en mes doigts je portais.

Comme le passereau sous un toit solitaire, Je gémis loin de vous, je vous appelle en vain, Et mon cri désolé, que je ne peux plus taire, Dit que votre présence est ma soif et ma faim.

Mais je ne saurai pas cette joie infinie

De marcher près de vous, seule, dans le soir d'or,

De lire dans vos yeux qui reflètent la vie.

Et de vous posséder comme un vivant trésor.

LE DÉPART DES HIRONDELLES 145

Et pourtant je n'ai pas maudit ma destinée; Je garde une fierté de mon fragile espoir ; L'ombre de votre amour, sur ma tête inclinée, Posera sa douceur avec l'ombre du soir.

JE PLEURE SUR TOI

J'avais fait ce beau rêve : Un jour tu reviendrais Dans la chère maison j'attends en silence ; En te voyant souffrir j'avais cette espérance Que, tourné vers mou cœur, enfin, tu comprendrais.

Hélas ! Il est trop tard... La volupté cruelle A tissé sur les yeux le voile de l'oubli... Je le déchirerais sans effacer le pli Qui t'empêche de voir ma tristesse mortelle.

JE PLEURE SUR TOI 147

Toute la terre obscure et le ciel désolé S'emplissent des clameurs de ma peine infinie; Et toi, qui ne sais rien de ma lente agonie, Tu demandes : « Qui meurt sans être consolé

Ah ! je t'avais donné mon doux amour de femme; Mon être tout entier tressaillait près de toi ; Mais je voulais bien plus qu'un périssable émoi: Il me fallait ce don divin : toute ton àme !

Et toi, l'esprit troublé par l'égoïsme humain,

Tu voulais réserver une part de ta vie

Au plaisir égoïste, à la pire folie,

Aux maîtresses d'un jour qui te tendaient la main,

Elles furent à toi ces femmes sans tendresse; Elles brûlent ton sang avec leurs baisers fous... De m'avoir oubliée à leurs pieds, je t'absous : La solitude est lourde et j'en sais la détresse !

148 LA MAISON' DE GRANIT

Et moi,, moi qui vivrais pourtant si tu m'aimais, Je ne peux t'accuser, m appeler ta victime, Puisque j'ai librement commis un autre crime Pour toi qui, je le sais, ne m'aimeras jamais.

Pour toi j'ai refusé de devenir l'épouse

Que rhomme généreux accueille en sa maison ;

J'ai préféré la mort à cette trahison :

Offrir une âme règne une idole jalouse.

J'ai refermé sur toi la porte de mon cœur. . .

Je ne saurais chérir les choses éphémères ;

Et, tandis que s'enfuit l'essaim lourd des chimères,

La douleur met sur moi son éperon vainqueur.

Et je pleure sur toi, sur ta force détruite,

Sur ton foyer désert jamais ne viendront

Les enfants qui, vers nous, lèveraient leur beau front

Si tu m'avais un jour à ta table conduite.

JE PLEURE SUR TOI 149

Mais je voudrais au moins que de tant de doule ur Jaillisse pour ton âme une claire espérance ; Puisque la vie a mis dansmes mains la souffrance. Qu'elle donne à tes jours une dernière fleur.

Qu'elle t'apprenne enfin que je n'ai sur ma bouche Que des mots de pardon, de douceur et de paix, Que je suis ton amie, ô toi qui m'oubliais, Et que ton ombre est là, sur mon étroite couche.

J'AI TROP PLEURÉ SUR TOI

J'ai trop pleuré sur toi pour qui je vais mourir, Puisque tu ne sais pas seulement que je t'aime ! Si je te le disais, tu sourirais, et même Tu ne comprendrais pas comment j'ai pu souffrir.

Car ton orgueil t'a fait une âme différente De celle qui brûlait pour toi jalousement; Et tu te satisfais du plaisir d'un moment Quand je veux ton amour, ta tendresse fervente.

j'ai trop pleuré sur toi loi

Pour calmer le souci de ton cœur frémissant, Il suffit d'une femme un peu jeune et jolie ; Une robe, un parfum excitent ta folie, Tu ne vois pas l'abîme oii ton esprit descend .

Et tu te plains pourtant de rester solitaire, De porter seul le poids des rêves incompris ; Tes jours, tristes et courts, ont perdu tout leur prix. Et tu ne connais plus la beauté de la terre.

Mais surtout tu n'as pas su lire dans mes yeux Que je n'aimais que toi dans Tunivers immense, Que mon être vibrant t'adorait en silence, Et que j'étais pour toi le seul bien précieux.

Ensemble nous aurions vécu la belle vie Que pare la douceur des choses d'ici-bas ! Peut-être un tel bonheur est ta secrète envie : Il fleurit dans mes mains, et tu ne le vois pas !

10

LE DERNIER RÊVE

Maintenant je croyais avoir assez souffert, Avoir assez pleuré dans ma maison déserte Pour recevoir, mon Dieu, de votre main ouverte, Le pain blanc de l'amour que vous m'auriez offert.

Ah 1 n'est-ce point assez de larmes répandues, De sanglots dans la nuit, de dur labeur au jour ? N'avais-je pas le droit de venir, à mon tour, Savourer près de vous les douceurs attendues ?

LE DERNIER RÊVE 153

Je demandais si peu : quelques jours de bonheur, Une heure de repos au milieu de la lutte ; Et je ne reçois rien, rien, pas une minute De paix et de silence après tant de douleur.

Vous m'avez arraché ma dernière espérance, Et je reste dans l'ombre épaisse du tombeau ; Mes os craquent d'effroi, ployés sous leur fardeau, Et je ne peux plus même adorer ma souffrance.

Ah ! laissez-moi mourir pour que j'échappe enfin A cet obscur regret qui toujours me torture! Peut-être que la mort guérira la blessure Que m'ont faite la vie et mes désirs sans fin.

Car elle tisserait, silencieuse et lente,

La robe de l'oubli tout autour de mon cœur;

Et, dans les plis profonds, pourrait germer la fleur

Du sommeil oii s'endort l'angoisse de l'attente.

154 LA MAISON DE GRAMT

Ah I laissez-moi briser la prison de mon corps,

Oii je gémis, si loin des divines chimères!

La fragile beauté des choses éphémères

M'a trop longtemps séduite : ôtez-moi ce remords i

Ainsi, lorsque la mort Tiendra, de sa main rude, Heurter le lourd marteau de bronze du portail, Au soir mystérieux d'un long jour de travail, Pour me surprendre dans ma grave solitude :

A mon foyer paisible elle ne trouvera Que ce qui fut jadis, dans les heures de peine, L'enveloppe fragile régnait, souveraine, Mon âme que jamais son pouvoir n'atteindra.

Car j'aurai fui du haut de la blanche terrasse. j'ai vu tant de fois apparaître au levant, Dans les nuages noirs déchirés par le vent. Une rose d'argent au jardin de l'espace

LE DERNIER RÉVE 155

Peut-être que, là-bas, dans un monde inconnu, Je le rencontrerai, dans la claire demeure nul être n'oublie, nul être ne pleure, L'ami que j'attendais et qui n'est pas venu.

Et tandis que le lis paisible du silence Fleurira sur la porte étroite du tombeau, La vie allumera pour d'autres son flambeau, Mais, moi, je planerai sur Tunivers immense.

LE DÉPART

J'ai franchi le sentier qui va loin de la terre,

Et jai chanté mon chant à Tâme solitaire

Qui cherche, comme moi, l'infini de l'amour ;

J'ai laissé le destin dont la rigueur m'accable

Poser sur mon front lourd son doigt inexorable :

Je pars, pour un voyage immense et sans retour.

Je quitte le désert je me suis lassée ;

Mais, dans l'isolement si fier de ma pensée,

J'ai retrouvé la force et l'austère douceur^.

Que les beaux soirs de rêve éveillent dans mon cœur

LE DÉFART 157

El j'ai livré mon être au jardinier mystique

Dont la main fraternelle, luit l'anneau magique,

Grefie pieusement les fleurs de la douleur,

Pourpre vivante ouverte à l'heure du malheur.

J'ai dédaigné les biens que l'ignorance envie ;

Je n'ai plus craint la mort en regardant la vie ;

Et mes yeux resteront tournés vers l'au-delà

Oii ceux qui n'ont jamais vécu leurs plus beaux rêves

Vont, sur les sables d'or des éternelles grèves,

Vers l'ami que, toujours, leur angoisse appela.

Eux seuls ils comprendront le désir qui m'oppresse

De savoir le secret du long sommeil béni

l'on peut apaiser ce besoin de tendresse,

Et reprendre tout bas chaque mot de caresse,

Et se rassasier dans un songe infini...

Allons^ il faut partir de ce monde nous sommes De pauvres exilés, soupirant vers le port ; Partir, pour savourer, loin du regard des hommes, Le beau, le lumineux silence de la mort !

DEVANT LE PORT

La lune goutte à goutte à travers les nuages Distille la saveur d'un rayon gris d'argent ; Sur les flols, secoués de grands remous sauvages, Pénètre la clarté d'un regard indulgent.

Et pourtant je la vois, douloureuse et blessée, Seule éternellement dans Tinfini des cieux, Pâle comme une triste amante délaissée, Mais ouvrant dans la nuit son cœur silencieux.

DEVANT LE PORT 159

Près d'elle j'ai vécu cette heure de détresse l'être tout entier se perd dans l'inconnu, Sans que le réconfort humain d'une caresse Ait posé sa douceur sur le pauvre front nu.

Car je viens de souffrir l'angoisse sans égale De celui qui, debout sur le pont d'un bateau, Pleure devant le port de sa terre natale Oii le passé se dresse adorablement beau.

Il aperçoit la ville aux ruelles désertes,

11 respire dans l'air le parfum des lilas,

11 voit, près des maisons aux fenêtres ouvertes,

Le jardin où, tout seul, il fit ses premiers pas.

Il écoute les eaux chantantes des fontaines, Les cloches égrenant leur léger carillon. L'appel mystérieux des tendres voix lointaines Et le chant monotone et frêle du grillon.

160 LA MAISON DE GBANIT

Il se revoit lui-même avec ses yeux limpides Dans la chambre l'or clair dune lumière luit ; Il voudrait retenir encor ces jours rapides Que le temps implacable emporte dans la nuit.

Et les brises du soir par la terre envoyées

Sont celles qui plaisaient à ses lèvres d'enfant...

Mais le navire part... Ses voiles éployées

Planent sur les flots bleus comme un oiseau géant.

L'exilé qui s'en va tend son âme éperdue Vers la cité de rêve vivait le bonheur ; Il frissonne devant la sinistre étendue De l'eau sombre s'attarde une blême lueur.

Et moi, moi que la vie emporte et qui soupire Vers le frêle bonheur des choses d'ici-bas, Je tressaille en voyant ma jeunesse sourire, Gardienne d'un trésor qu'elle ne rendra pas.

DEVANT LE PORT 161

0 cher passé qui viens me caresser la joue, Je te sens près de moi si palpitant, si chaud. Que je veux te saisir, et que mon bras se noue A ton bras, pour garder ta douceur qu'il me faut.

Hélas ! lu n'es qu'une ombre, et cette ombre s'efface Dans la brume s'éteint la lumière du port; Mes yeux n'en peuvent plus déjà suivre la trace : Il faut partir vers la douleur et vers la mort.

Et cependant parfois de blanches clartés luisent Sur la mer menaçante le navire fuit; Les rouges feux mouvants des phares nous séduisent Dans le havre sa course errante nous conduit.

Mais malgré leur beauté divine et leur magie, Je reste inconsolée et seule sur le pont; Je sens une indicible et lourde nostalg-ie Soupirer dans le chant triste du Ilot profond.

162 LA MAISON DE GRANIT

Je marche vers la mort et j'adore la vie ! Et, vers toi, mon amour, mon être palpitant Pousse un tel cri brûlant de soif inassouvie Que tu devras frémir d'orgueil en l'écoutant !

SUR LE PONT DU NAVIRE

Comme un oiseau du ciel qui glisse dans la nuit, Le grand navire a pris son vol sur la mer sombre ; Los lumières du port s'effacent, et le bruit Des Ilots ouverts se mêle aux voix tristes de Tombre.

Les vagues ont noué leur ceinture d'argent

^lUx flancs noirs du bateau qui court sur l'onde bleue

Vers les pays lointains, messager diligent,

Sans jamais de son but s'écarter d'une lieue.

164 LA MAISON DE GRANIT

Leur chanson bercera pendant de très longs jours, Tour à tour menaçante, apaisée, ing-énue, Le voyageur qu'attend l'orgueil des beaux retours Ou celui qui désire une joie inconnue.

Et moi qui ne veux rien que regarder la mer, Immobile et pensive au milieu de la foule, Sans farouche dédain et sans sourire amer, Je m'écarte du drame humain qui se déroule.

Je suis silencieuse et grave sur le pont, Ecoutant les éclats de la gaîté sonore De tous ces passagers indifférents qui vont Sans souci du couchant et de la fraîche aurore.

Il leur faut le plaisir qui ne dure qu'un jour, De la danse, des chants, des intrigues, du rire ; Ils profanent le nom merveilleux de l'amour En prononçant les mots que lui seul devrait dire.

SUR LE PONT BU NAVIRE 165

Je détourne mes yeux vers le lac pur du ciel le soir a jeté son long filet d'étoiles ; Je voudrais y trouver le bien essentiel, Si l'azur transparent le cache sous ses voiles.

Puis je m'incline au bord du gouffre scintillant Dont nous sépare à peine une frêle barrière, Les planches d'un bateau, refuge vacillant D'une âme douloureuse, avide de lumière.

Je ne crains pas de voir l'abîme s'entr'ouvrir 1 Est-il dans l'univers un être à qui ma vie Donne Torgueil de vivre et l'effroi de mourir ? Est-il, hors de l'amour, un bonheur que j'envie ?

Est-il un cœur ami qui se penche vers moi Dans l'ombre de la grande et calme solitude ? Qui saura deviner mon indicible émoi ? Quelles mains souliendronl ma lourde inquiétude ?

166 LA MAISON DE GRANIT

Belle comme une nuit de tempête et d"horreur Pleine d'obscurité, de lueurs, de mystère. De sauvages appels et de cris de terreur, Se tend vers l'infini mon âme solitaire.

Et, comme sur la mer, s'élèvent sur mon cœur

Des vents frais, de l'écume et des flots qui se brisent;

Et la lumière d'or brille comme une fleur

Sur mes doigts, imprégnés de parfums qui me grisent.

C'est la fleur du silence et de la liberté ! Elle s'épanouit au souffle de l'espace, Et je veux savourer sa fragile beauté Dans le recueillement du soir divin qui passe.

UN PEU D^ÉCUME BLANCHE

Pourquoi donc cette écume et ces franges d'argent Sur l'eau qu'un rayon d'or fait blonde?

C'est qu'un navire passe, et le clioc diligent De l'hclice a soulevé l'onde.

Mais est-ce bien l'acier qui, traversant les flots,

Creuse cette large blessure? Avec des hurlements, des râles, des sanglots,

La mer frémit sous la morsure.

11

168 LA MAISON DE GBA>'IT

0 flots, si VOUS pleurez autour du bateau noir Que vos blanches vagues enlacent,

Si vous avez ces cris d'atroce désespoir Que seuls les cris humains dépassent:

Est-ce que vous souffrez du poids mystérieux

Porté par ce radeau fragile Que tant de pauvres cœurs, graves, silencieux,

Alourdissent de leur argile?

Voulez-vous effacer par vos rumeurs le bruit De la grande douleur humaine ?

Voulez-vous empêcher dans le vent et la nuit Que notre âme entende sa peine?

Comprenez-vous, ô flots terribles et profonds,

L'effroi de voir fuir la lumière A l'heure le couchant va glisser sur nos fronts,

Laissant la nuit plus solitaire?

UN PEU d'Écume blanche 169

Et savez-vous l'horreur d'aller vers Finconnu

Avec l'angoisse qui nous hante D'entrer au port les mains vides et le cœur nu,

Ou de sombrer dans la tourmente?

Non, vous ignorez tout de nos rudes destins ;

Vous n'ùtes qu'un peu d'eau qui bouge ; Sur vous passe le vol des désespoirs hautains

Avec le crépuscule rouge.

Tout est vain près de vous, la tristesse, les pleurs

Vous n'entendez pas la parole Qui vous jette en passant le secret des douleurs

Pour que votre ciiant les console.

Comme un portail de bronze ouvert sur l'Infini Dont vous nous cachez le mystère,

Quand vous vous entr'ouvrez on croit voir réuni Un moment le ciel ci la terre.

LA MAISON DE GRAMT

Mais lorsque, frissonnant d'angoisse et de terreur,

Sur votre masse je me penche, Son jet puissant se brise, el, de tant de grandeur,

11 reste un peu d'écume blanche.

DAXS MA CABINE

Ce malin je dormais sur celte étroite couche, Refuge vacillant du passager d'un jour ; Des mots que prononçait une invisible bouche M'ont éveillée : k 0 mon amour! Mon cher amour! »

Et je me suis dressée à cet aveu si tendre, Les bras tournés vers toi que je croyais venu Dans le silence lourd de ma nuit pour me prendre Et m'emporter bien loin du rivage inconnu.

472 LA MAISON DE GRANIT

Mais dans la solitude immense que contiennent Quatre planches de bois sur le bateau flottant, Je n'ai vu que les blancs rayons du jour qui viennent M'annoncer le retour du devoir qui m'attend.

Et pourtant cette voix n'était pas un vain rêve, Et les mots entendus étaient des mots humains, Des mots qui font que l'être appelé se soulève Pour suivre l'être aimé sur les plus durs chemins.

En moi, vibrants, réels, ils résonnaient encore, Et j'essayais en vain de savoir le secret De cet hymne d'amour soupiré dès l'aurore ; Mais, soudain, j'ai ployé sous un mortel regret.

Ce n'était pas pour moi que les mots de caresse Dans le matin doré s'ouvraient comme une fleur Je sentais là, tout près, la vivante tendresse Dont le cri jaillissant me disait la douceur.

DANS MA CABINE 173

Je n'ai pas su pleurer, je n'ai pas pu sourire ; J'ai regardé ma vie avec les yeux profonds De celui qui, debout sur le pont du navire, Cherche ce que la mer recèle en ses bas-fonds.

Vous m'aviez fait, mon Dieu, tous les dons les plus rares: La jeunesse, la joie, un cœur brûlant et fier; Mais je les possédais comme font les avares. Sans savoir que demain prend ce qui fut hier.

Pourtant j'aimais la vie, et mon àme était prête A tout le don de soi qu'exige le bonheur; Je savais affronter vaillamment la tempête Et j'avais, sans faiblir, accueilli la douleur.

J'allais vers l'avenir... Dans mes mains frémissantes Je portais le trésor merveilleux de la foi; La vieillesse et la mort, ces lointaines passantes, Sur mon front calme et pur ne posaient nul efTroi.

174 LA MAISON DE GRANIT

Mais, bien avant la nuit, le vent rude du large A brisé les bourgeons de mes frêles espoirs ; Je reste solitaire, avec la lourde charge Des regrets douloureux et des graves devoirs.

Et mon cœur est broyé par trop de sacrifices, Comme un grain de froment sous la meule de fer; Et je crois qu'il n'est pas, au jardin des supplices, Un tourment que mon être encor n'ait pas soufferL.

Peut-être il le fallait pour éveiller mon âme Au sens mystérieux des choses d'ici-bas! Avant d'avoir pleuré je n'étais qu'une femme, Et maintenant je sais ce qu'on ne nous dit pas.

Ainsi moi qui m'en vais seule à travers le monde, Je comprends mieux que toi l'adorable douceur Des mots dont, ce matin, entre le ciel et l'onde. Te berçait ton amant, ô passante, ô ma sœur!

LOIN DE TOI

.lai ri de mon amour comme d'une folie

Oui no tenait pas même aux fibres de mon cœur ;

Je cherchais des raisons à la mélancolie

Qui mettait sur mes yeux sa pesante langueur.

.le disais: Cestle soir, l'hiver, la solitude; C'est le brouillard qui tombe et voile Thorizon ; C'est le fardeau trop lourd des livres, de l'étude ; C'est 1 ame de la nuit errant dans la maison.

176 LA MAISON DE GRANIT

Je voulais ignorer la cause de ma peine ! N'était-ce point assez des lointaines douleurs, Du fardeau partagé de la détresse humaine, Pour expliquer le sens intime de mes pleurs!

C'était toi, c'était toi dont la trop longue absence Me torturait ainsi ; car, pour fuir ce tourment, J'ai quitté mon foyer, le travail, le silence, J'ai cherché d'autres cieux au clair rayonnement,

Et j'ai vu les flots bleus le gai soleil brode Des paillettes d'argent sur un long réseau d'or, Et lecharpe de soie aux reûets d'émeraude Qu'entraîne le navire en son rapide essor.

J'ai vu le golfe dort une voile latine Et que les goélands emplissent de leurs cris. Et le palmier géant dont le bouquet s'incline Sous la brise qui joue en ses larges replis.

LOIN DE TOI 177

J'ai senti sur mon front l'ombre fine et légère Des bambous élancés qui penchent leurs arceaux Sur les chemins, bordés de la haute fougère Oii peuvent s'abriter de frêles nids d'oiseaux.

J'ai respiré la fleur blanche des tubéreuses A la chair de velours, à l'arôme grisant ; J'ai goûté la douceur des nuits silencieuses Où, comme un trait de feu, glisse le ver-luisant.

Mais dans l'azur plus doux de cet autre hémisphère de la Croix du Sud brillent les diamants, Les astres n'étaient plus pour moi quune poussière, Sans rien des longs regards lumineux des amants.

Car ils n'éclairaient pas tes yeux à l'heure même je les contemplais, le cœur tout plein de toi; Et j'ai su que tu vis en moi plus que moi-môme, Et que le bonheur tient à l'ombre de ton toit.

ADIEU

Puisque je dois mourir dans ma maison déserte, Dont le bonheur jamais ne franchira le seuil, Puisque je sens déjà mon âme recouverte, Avant Fombre du soir, par les voiles du deuil;

Et puisque si longtemps ma bouche a se taire, Comme se tait celui qui souffre pour sa foi, Je veux qu'un dernier cri de mon cœur solitaire T'apporte tout Tamour dont je brûlais pour toi.

LA MAISON DE GRAMT 179

Mais ce cri ne sera plus une plainte vaine, Car je ne veux poser que ma tendre douceur Sur ton être, arraché par la vie inhumaine A celle qui t'aimait avec tant de ferveur.

Puisque je n'ai pas su te dire ma tendresse,

Il faut que d'autres mains, pleines de beaux espoirs,

T'offrent les fruits dorés que le soleil caresse

Et le vin généreux qui jaillit des pressoirs.

Il faut qu'à ton foyer de doux visages viennent Et que montent vers toi des regards lumineux; Il faut que tous les biens d'ici-bas t'appartiennent, Car j'ai donné ma part pour que tu sois heureux.

Je n'ai voulu que ion bonheur. ..Toute mon dme Te désirait... Tu n'as pas su la conquérir ! Loin de toi j'ai gravi mon calvaire de femme, Et j'ai vivre, alors que je voulais mourir.

180 ADIEU

Quand je ne serai plus, tant de douleur soufferte Fleurira la demeure j'ai pleuré sur toi... S'il te faut un abri, franchis la porte ouverte : La Maison de granit est tienne, comme moi.

EN PATURE

Ainsi que doit faire un lutteur blessé J'ai très fièrement caché ma blessure; Je disais : Le Temps ^avec sa main sûre, Mettra sa douceur sur mon cœur glacé.

Mais quand f ai tenu Vespérance morte Entre mes deux mains tremblantes de froid, Lorsque fai senti l'indicible effroi De voir un cercueil au seuil de la porte ;

182 LA MAISON DE GRAMT

Je nài pas voulu livrer au tombeau^ A la jjourriturey à Vombre, au silence L'être qui vécut d'une vie intense, Et le voir tomber lambeau par lambeau.

Je n'ai pas voulu quen un peu de cendre Ce cœur palpitant se trouvât réduit ; Dans la solitaire Iiurreur de la nuit Je n'ai pas voulu le laisser descendre.

Et j'ai préféré jeter au passant, Qui quête en chemin quelque nourriture, Aux oiseaux du ciel, la rouge pâture Qui sera demain leur chair et leur sang.

Ils déchireront, âpres, fJjre à fibre, Leur proie ; et, fouillant ses replis secrets, Vamour, la douleur, l'espoir, les regrets, Ils sauront comment toute une âme vibre.

EN PATURE 183

Qu'importe, après tout! Si le don offert A pour Vafl'amé crée de la vie, Je pourrai laisser la haine et Venvie Poser leurs doigts noirs sur le livre ouvert.

12

TABLE DES MATIÈRES

A ceux qui pleurent en silence 7

La Maison de granit 11

I SUR LE CHEMIN

Ce que je veux 10

L'Attente 24

L'Ame des Choses 27

Les Arbres de la Côte 29

Devant la Mer ;U

Nature, ce n'est pas vous que mon cœur adore. 3i

186 LA MAISON DE GRANIT

Je TOUS ai tu passer 37

Vous ne saTez pas 40

Indifférence 43

0 Mortes 45

N'attendons plus 48

Les Rochers . . 50

Sagesse 52

Tu ne pouTais m'aimer 54

Il faut choisir 59

II DANS LA MAISON

L'ArriTée 63

L'Ombre 69

Ma Maison 73

Prière du Matin 76

On a rentré les foins 79

Je TOUS écris 83

Tu ne sauras jamais 86

Si tu m'aTais aimée 88

Ah ! j'aurais su t'aimer

Joies amères 94

Soir d'orage 96

TABLE DES MATIERES 187

Résurrection 101

Prière du soir 103

Une autre te dira 108

Si tu passais un jour 111

TII SUR LA TERRASSE

Sur la terrasse , H"

Nuits d'oubli 120

0 Nostalgie 122

Vers toi 126

Le Mystère des Choses. . . . 130

Les Etoiles filantes 133

Le Charme des Choses i 39

Le Départ des Hirondelles 142

Je pleure sur Toi 146

J'ai trop pleuré sur Toi loO

Le dernier Rêve 132

Le Drpart 136

Devant le Port 138

Sur le Pont du navire 163

Un peu d'écume blanche 167

Dans ma Cabino 171

188 LA MAISON DE GRAXIT

Loin de Toi 175

Adieu 179

En Pâture 182

TABLE DES MATIÈRES 185

PARIS

TYPOGRAPUCE PLON-NOURRIT ET 0»^ 8, Rue Garancière 6*

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