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BOSTON PUBLIC LIBRARY

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L A METAPHYSIQUE,

QUI CONTIENT

r ONTOLOGIE,

LA THEOLOGIE NATURELLE ET

LA PNEUMATOLOGIE'y

Par TAuteur de la Clef des Sciences 6c des Beaux Arts.

A P A R I s ,

•Jean Desaint & Ch. Saillant, Libraires, rue S. Jean de Beau vais, Che2^ 6*

Jean-Th. Hérissant , rue S. Jacques, à S. Paul & à S. Hilaire.

M, D C C. L I I I.

Avec Approbation 6* Vrivilégt du Roh

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http://www.archive.org/details/lametaphysiquequOOcoch

PREFACE'

'Al prouvé dans la Pré- face de ma Logique , Jj. laquelle j'ai donné le ti- tre de Clef des Sciences & des beaux Arts , combien Têtu- de de cette partie de la Philofo- phie eft utile à toutes fortes de perfonnes. La Métaphyfîque eft moins à la portée du commun des hommes , mais elle fert à ra- mener les chofes à leurs premiers principes j 6c par fon moyen Ton peut le rendre capable de cette application profonde qui eft peut- être le don le plus rare de Tclprit, êc fans lequel on ne fait que vol- tiger fur la furface des objets. L' Ontologie , la Théologie Natu-

a ij

iv PRE'FACE.

relie & la Pneumatologie font corn- prifes dans la Métaphyfîque.

U Ontologie peut être regardée comme la Icience générale. Elle traite de l'Etre en général , au- quel fe rapporte tout ce qui peut être connu j elle établit des axio- mes qui conviennent à toutes nos idées , ôc qui font d'un grand fe- cours 5 pour connoître & défen- dre la vérité ; elle apprend à ré- duire à certaines clailes tous les objets de nos penfées , pour évi- ter la confufion , enfin elle expli- que les termes généraux Çl fré- quens dans les écrits des Philo- fophes & des Théologiens , 6c facilite l'intelligence de certaines façons de parler fort obfcures , dont on fe lert , pour l'ordinaire , fans les entendre.

On a fouvent abufé de TO/î- tologie , en confondant les défi«

PRE'FACE. V

nitions des idées abftraites qui font foii objet , avec les défini- tions des chofes dont elles tirent leur origine. La Philofophie fcho- laftique de la Théologie font rem- plies de définitions d'idées abf- traites y ces définitions induifent en erreur ceux qui , faute d'at- tention , jugent que les chofes font réellement telles que ces idées les repréfentent , ou qu'elles n'ont rien de plus que ce qui nous eft manifefté par le moyen de ces idées. J'ai eu grand foin de pré- venir cet abus. J'ai déterminé avec toute la précifion poffible le fens des termes généraux qui expriment les idées générales èc abftraites j j'ai prouvé clairement que les objets de ces idées n exif- tent pas réellement j j'ai fait voir que les termes univerfels n'expri- ment jamais , que ce qu'il y a de

a iij

v| PRE' F A CE.

commun à plufieurs chofes \ en- fin j'ai démontré que ces termes ont rarement la même fignifica- tion à regard des objets dont ils font les exprcflîons.

L'obfcurité qui fe trouve dans quelques-unes des chofes dont traite la Métaphyfique , ne doit pas fervir de prétexte pour fe dif- penfer de s'appliquer à l'étude de cette partie de la Philofophie. Toutes les Sciences ont leurs té- nèbres ; de ce qu'on ne fçait pas tout 5 il ne s'enfuit pas qu'on ne peut rien fçavoir. Quoique rob-= jet de la Métaphyfique ne foit pas du reflbrt des fens , ni du calcul qu'on a trouvé pour la Géométrie , il eft néanmoins fuf- ceptiblc de démonftrations auflî folides que les démonftrations géométriques : on peut même di- re ^ que la Métaphyfique eft la

PRE'FACE. vij

mère de toutes les Sciences , par- ceque leurs premiers principes en dépendent ^ ils font des vérités générales qui lui appartiennent. Les Géomètres ne font certains oue les trois angles d'un triangle iont égaux à deux droits , que parceque la Métaphyfique démon- tre 5 que tout ce qu'on connoit clairement eft vrai. Les Phyfi- ciens ne font aflurés de Texiften- ce de la matière &: des corps , que parceque la Métaphyfique leur apprend qu'il exifte un Etre infiniment bon & très - parfait , qui ne fçauroit permettre que nos fenfations foient excitées fans le miniftère des corps. La certitude des vérités morales tire fon ori- gine de la Métaphyfique , qui cnfeigne que l'homme eft libre , qu'il tient fon exiftence & tou- tes fes facultés de Dieu , & que

a iv

viij PRE' FA CE.

fa principale perfe£tion confifte à faire un bon ufage de fa liber- té. Les Théologiens même ne peuvent prouver aux Infidèles , ni aux Incrédules la vérité de la Religion , & toute la bonté de la Morale Chrétienne , fans le fecours des démonftrations de Texiftence de Dieu ôc de fes di- vins attributs , de Timmatérialité bc de l'immortalité de Tame ; dé- monftrations que leur fournit la Métaphyfique , qui pulvérife les raifons les plus Ipécieufcs & les plus féduifantes des Athées , des Déiftes 6c des Matérialiftes.

La Métaphyfique cft non feu- lement la bafe de toutes les Scien- ces , elle eft encore plus fimple , & en quelque manière plus aifée à acquérir que toutes les autres. Notre efprit trouve en lui-même les preuves des chofes qui font

PRE' F ACE. ix

l'objet de cette fcience ; au lieu que dans les autres il eft obligé de fortir , pour ainfi dire , de lui- même pour confidérer les objets 3u'il examine. Il eft plus facile e connoître Tefprit que le corps \ Fefprit fe connoît lui - même par lui-même , c'eft-à-dire , par fa propre elïènce , ôc le corps n'eft connu que par accident. S'il n'y avoit aucun efprit qui fût capa- ble de connoître , le corps ne fc- roit jamais connu. Il eft vrai que l'ame eft fi occupée à confidérer les objets matériels que les fcns lui offrent fans ceffe , qu'il fem- ble qu'elle ne fe connoît pas ; mais cela ne vient que du peu de foin qu'elle apporte à confi- dérer fes idées par rapport à elle- même , en tant qu'elle en eft le fujct 5 & de l'habitude elle eft de ne faire attention qu'à

X PRE' F A CE.

leurs objets. C'eft par le moyen de la Métaphyfique , que Tame fe connoît elle-même , qu'elle connoît Dieu , & généralement toutes les chofes qui font hors d'elle.

On ne doit pas s'attendre à voir dans ce livre l'exiftence de Dieu &: l'immortalité de l'amc prouvées par la révélation ^ la Métaphyfique étant une partie de la Philofophie , elle ne doit contenir que des preuves tirées de la raifon , qui font les feules armes par lesquelles on puille Sub- juguer l'incrédulité. Il eft plus néceflaire que jamais , de lier la Religion à la Philofophie qui éclaire l'efprit par la démonftra- tion , & le met à l'abri des im- preflîons que peuvent faire les raifonnemens captieux des Incré- dules j elle nous garentit de Fer-

PRE' FACE. xj

feur en faifaiit triompher la vé- rité.

Je n'ai rien négligé pour ren^ dre intelligibles les matières abf- traites qui font Tobjet de la Mé- taphyfique j j'ai tâché de les met- tre à la portée des efprits les plus ordinaires , par la méthode la plus fimple & la plus lumineufe. Mon principal defTein a été de me rendre utile à tous ceux qui veulent s'inftruire à fonds des vé- rités fondamentales du Chriftia- nifme &; de fa Morale. Il cft un art de rendre aifées & faciles les .chofes les plus fublimes 6c les plus abftraites ; c'eft de les arranger dans Tordre le plus fimple 6c le plus naturel, 6c de les exprimer clairement , en auffi peu de pa- roles qu'il efl: poilîble.

En faifant tous mes efforts pour écarter de mon fujet les épi-

xij P RE* FA CE.

nés 5 je n*ai point fongé à y fubt tituer des fleurs \ elles feroient très-déplacées dans cet ouvrage ; d'ailleurs un bon efprit recherche la vérité indépendamment des or- nemens dont on l'accable quelque- fois 5 il préfère le folide au bril- lant : un raifonnement clair 6c précis qu'il faifit aifëment , lui procure toujours un vrai plaifir; &c le moyen le plus sûr de lui plaire , c'eft d'avoir raifon. Tou- tes les vérités contenues & dé- montrées dans cette Métaphysi- que , fe donnent , pour ainfî di- re , la main , & forment une chaî- ne dont toutes les parties font liées & afforties immédiatement l'une à l'autre. Je ne me fuis pas contenté d^arranger toutes les quefl:ions , de manière que la première facilite Inintelligence de la féconde j la féconde , celle de

PRE' FACE, s^ xiij

la troifiéme , ôc ainfî des autres \ je les ai divifées en autant de par- ties quil étoit nécefTaire pour les expliquer clairement , & les met- tre dans le plus grand jour. J'ai tellement fixé la fi^nification des termes , qu'on ne i^auroit s'y mé- prendre ^ & j'ai bâti toutes mes preuves fur des principes incon- teftables , c'eft-à-dire, fur des axiomes , fur des définitions de mots 5 ôc fur des vérités déjà dé- montrées.

w

^

XIV

TABLE

DES CHAPITRES ET ARTICLES contenus dans ce Volume.

PREMIERE PARTIE.

if \^ l'Ontologie. ^^g* 5

jL/CHAP. I. Des Principes de l'E- tre, 4 Art. I. Des Principes de connoiffan- ce. 6 Art. II. Des Principes mltaphyfiques de compojition de VEtre. 12, CHAP. II. Des principales propriétés de VEtre, 5^5 Art. I. De l'Unité ^ U Vérité & ta Bonté de VEtre. 5^ Art. II. De tUnivocation de VEtre. CG CHAP. IIL Des efpéces de TEtre. 8i Art. I. Des différentes efpéces de S uhf" tances, %6

TABLE. xy

Art. il Des différentes efpéces de Mo" des. 9 5

Art. III. Des différentes fortes de eau* fes & d'effets. 104

SECONDE PARTIE.

ZA Théologie naturelle. m

CHAP. I. De la manière dont nous connoiffons Dieu, 113

CHAP. II. Des Argumens qui prouvent invinciblement Vexijlence de Dieu.

CHAP. III. Des principaux attributs de Dieu. \%G

ï. Proposition. Dieu efl unefubjlance fpirituelle & immatérielle. 188

II. Prop. Il ny a quun Dieu. 192

III. Prop. Dieu efi un Etre ^mple. 19^

IV. Prop. Dieu ejl immuable. 200

V. Prop. La fcience de Dieu efi infi^ nie. 1 07

VI. L'immen/ité de Dieu n efi point uns, immenfité d'étendue. 214

VII. Prop. U immenfité de Dieu efi uns

xvj TABLE,

immmjlté dipuiffancc '& de perfection.

TROISIE'ME PARTIE.

LA Pneumatologie, 244

CHAP. I. D& la natun de Vame, humaine* 247

CHAP. IL D&s facultés de Vame , & de f es principales modifications, 190 Art. I. D es facultés de V ame, 291 Art. il Des modifications de l'Ame.

311 CHAP. III. De rorigine & de l'immor- talité de Vame, 330 Art. I. De V origine de Vame, 331 Art. il De Vimmortalité de Vame,

ii6

FIN DE LA TABLE.

LA

L A

METAPHYSIQUE.

A Métaphyfique eft la fcien- ce qui traite de tout ce qui eft diftmgué de la niatière dont les corps font compo- fés. Les chofes diftingaées de la matière le font , ou par la penfée feulement \ c'eft-à-dire , par une abftrac- tion de l'efprit , comme l'Etre en géné- ral 5 ou réellement , comme les chofes fpirituelles de immatérielles.

Toutes les chofes fpirituelles Se im- matérielles 5 connues par les lumières de la raifon , font Dieu Ôc l'ame humaine , ou appartiennent à Dieu ôc à l'ame hu- maine. Nous ne connoifTons les Anges, qui font des fubftances immatérielles , que par la révélation ôc les lumières de

2 La Mitaphyjique.

k foi : œ qui regarde les Anges eft donc étranger à la Mécaphyfîque , qui , étant une partie de la Philofophie , doit fe borner à ce qui eft du relîort de la rai- fon.

Pour mettre le plus d'ordre qu'il eft podlble dans tout ce dont traite la Mé- taphyfique , nous k diviferons en trois parties.

Dans la première an trouvera ce qui concerne VEtn en général , c'eft ce qu'on appelle r Ontologie,

Dans la féconde on parlera de Dieu en tant qu'il peut être connu par les feu- les lumières de la raifon •, c'eft ce qu'on nomme la 7'héologie naturelle.

Dans k troifîéme on traitera de la fubf- tance immatérielle , créée , connue par les lumières de la raifon *, c'eft ce qu'on appelle la Fneumatologie.

Le Pyrrhonifme fera fappé par fes fondemens dans la première *, l'Athéif- me j le Déifme , & le Polythéifme fe- TOîit folidement réfutés dans la féconde*, fâbfurdité du Matérialifme fera claire- Kienc démontrée dans la troifiéme*

La Métaphyfque.

PREMIERE PARTIE. De l'Ontologie^

L'Ontologie peut être regardée com- me la bafe ôc le fondement de toutes les fciences , ou comme la fcience généra- le *, parceque les principes de toutes les autres dépendent de ce que démontre cel- le qui traite de VEtn en général. Ce qui convient à ÏEtn en général , convient auiïi à l'objet de chaque fcience en par- ticulier. VEtre en général iigniiîe tout ce qui peut exifter , ou réellement , ou par la penfée feulement ; il eft oppofé au rien proprement dit , qui eft l'impof- iible 5 c'eft-à-dire , ce qui implique con- tradiction. Tout ce qui exifte réellement, c'eft-à-dire , foit qu'on y penfe , foie qu'on n'y penfe pas , s'appelle Etre réel : comme le foleil , la lune , &c. Ce qui n exifte que par la penfée , ou ce dont on a une idée ôc qui n'exifte pas réel-

Aij

4 La Métaphyfique»

lement j nomme Etre de raifon , telle eft une montagne d'or.

Tout ce qui regarde VEtre peut fe ré- duire à fes principes , à fes propriétés ^ ôc à {es efpéces *, c'eft pourquoi nous divife- îons V Ontologie en trois Chapitres.

Dans le premier nous examinerons ce qui concerne les principes de ÏEtre.

Dans le fécond nous traiterons des pro- priétés de VEtre,

Dans le troifiéme nous parlerons des principales efpéces de VEtre,

CHAPITRE PREMIER. JDcs -Principes dt VEtre,

ON diftingue trois fortes de prin- cipes 5 fçavoir les principes de con-^ noijfance y les principes de génération , ôc les principes de compojition.

On appelle principe de connoijfance ce qui nous conduit à la connoiflànce de quelque chofe *, par principe de généra- Mion on entend ce qui contribue à la gé-

La Métaphyfique. J

rfération ou production d'une chofe ; & on nomme principe de compojition , ce dont une chofe eft compofée.

1.QS principes de compojition {ont phy* (iqucs y ou métaphyjiques.

Les principes phyjîques de compojition font ceux qui peuvent être féparés les uns des autres & exifter féparément : Tels font les deux demi-pieds dont un pied de matière eft compofé.

Les principes Métaphyjiques de com- pojition font ceux qui ne peuvent être féparés ^ exifter féparément , quoiqu'on puifte penfer à l'un fans penfer à l'autre

Î>ar une abftradion de Tefprit qui peut es concevoir féparément *, tels font les attributs effentiels d'une chofe *, par exem- ple , l'étendue , l'impénétrabilité , la di- vifibilité de la matière..

Comme ce qui regarde les principes phyfiques de compofition , & les prin- cipes de génération appartient à la Phy- fîque, nous nous bornerons à traiter dans ce Chapitre des principes de connoijjancc de des principes métaphyjiques de com- pojition de l'Etre *, c'eft pourquoi nous k diviferons en deux articles : dans le

A iij

6 La Métaphyjiqut.

premier nous parlerons des principes de connoïffanu , & dans le fécond , des principes métaphyjiques de compojition de l'Etre.

Article Premier. l^cs Principes de connoïjfance.

TOUTES les vérités fi évidentes par elles-mêmes qu'elles nous forcent , pour ainfi dire , à leur donner notre con- fentement , & dont on fe fert comme de fondemens pour prouver d'autres vérités qui ont befoin de preuves pour être con- nues avec une parfaite certitude , font des principes de connoijfance ; tels font généralement tous les axiomes.

On appelle axiomes y ou maximes^ tou- tes les propofitions dont en confîdérant avec une médiocre attention l'attribut & le fujet , on voit clairement que l'idée de l'un convient ou ne convient pas â l'idée de l'autre. Il y a des axiomes qui ©nt befoin d'être expliqués •, mais il n'y

La Méîaphyjique* 7

en a aucun qui ait befoin d'être démon- tré : les propoiîtions fuivantes font des axiomes.

Axiome L

Tout ce c^u'on appercoit évidemment > cft vrai.

A X î o M s î L

Il eft impoffible qu*une chofe foit & ne foit pas en même temps.

Axiome IîL

Celui qui penfe , exifle.

Axiome IV.

Les chofes q«i font égales à une mê- me troifiéme , font égales entre elles.

Axiome V.

Le tout eft plus grand qu'une de fes parties.

A ir

8 La Métaphysique:

Axiome VI.

Le tout eft égal à fes parties prifes en- femble.

Axiome VII.

Si à chofes égales on ajoute des cho- fes égales , les fommes feront égales.

Axiome VIII.

Si de chofes égales on retranche des chofes égales , les reftes feront égaux.

Axiome IX.

Si de trois chofes , la première eft plus grande que la deuxième , & la deuxième plus grande que la troifiéme , la première eft âuiîi plus grande que la troifiéme.

Axiome X.

Toutes les propriétés appartiennent à YEtn , ou pour dire la même chofe en

La Mctaphyjiquep 9

termes négatifs , le niant n'a aucune pro- priété.

Axiome XL

Tout effet préfuppofe une caufe.

Axiome XII.

Un effet ne peut avoir plus de per- fedtion qu'il en a reçu de fa caufe to- tale.

Parmi les axiomes ôc les principes de connoifïànce , il y en a un qui ell le premier de tous , & qu'on appelle par excellence la régie de vérité.

Les Sceptiques , qu'on nomme aulîî Pyrrhoniens , foutiennent qu'il n'y a rien de certain , & nient l'exiftence d'une ré- gie fure & infaillible pour difcerner le vrai d'avec le faux.

Les Dogmatiques au contraire enfei- gnent qu'il y a des vérités dont on ne peut pas douter ; telles font celles qu'on nomme axiomes.

On peut réduire toutes les ScdcQs des

îo La Mitaphyjiqui.

Philofophes à deux 5 Tune eft celle de*- Dogmatiques , & l'autre celle des Pyr- rhoniens : les premiers recoanoifïent qu il y a un moyen sûr & infaillible de con- îioître le vrai Se de le diftinguer du faux : mais ils ne conviennent pas entre eux de la première régie de vérité , 6^ du pre- mier principe de la certitude de toute con- BoilTance philofophique.

Pour fapper le Pyrrhonifme par fes fondemens , il faut d'abord démontrer qu'il y a une régie de vérité , enfuite dé- terminer qu'elle eft la première régie de toute vérité philofophique , c'eft ce que nous nous propofons de faire en proii« vant les deux propofitions fuivantes.

Premier ePro POSITION.

Il y a une régie fure pour connaître la rérité.

[DÉMONSTRATION.

SU y a une vérité certaine > qu'il ne foit pas pofïible de la rendre douteufe , il y a une régie fure ^ infaillible pour c«aa-

La Métaphyjîqut^ il

noître cette vérité & la certitude parfaite qui lui convient , fans quoi il ny auroic point de raifon pour qu'elle fût confiante plutôt que toute autre. Or il y a une vé- rité fi certaine , qu'il n'y a rien qui puiflè la rendre douteufe. Quelque raifonne- ment , quelque fuppofition qu'on falfe ; foit que je rêve , foit que je ne rêve pas ; foit qu'il exifte un Etre fouverainement parfait , foit qu'il n 'exifte pas •, en fuppo-^ fant même qu'il exifte un Etre fouverai- nement puilîant & fouverainement mé- chant , qui fait tous fes efforts pour nous tromper en tout , néanmoins je fuis cer- tain que j'exifte quand je penfe. Quelque puifTant & quelque méchant qu'on fup- pofe cet Etre chimérique , il ne peut pas féparer ma penfée de mon exiftence , &: faire que je n'exifte pas quand je penfe. Or il eft certain que je penfe , puifque je crois penfer *, & croire penfer , c'eft pen- fer en effet : donc je fuis fi certain de l'é- xiftence de moi penfant , que rien ne peut rendre cette vérité douteufe : donc il y a une vérité ii certaine qu'il n'eft pas polfible d'en douter : donc il y a un moyen suc de connoître cette vérité fans

ï 2 La Métaphyjiquel

pouvoir craindre de fe tromper : donc il y a une régie infaillible pour connoître la vérité : ce qu^ïl falloït démontrer.

Après avoir , pour ainfi dire , forcé les Pyrrhoniens dans leurs derniers retran- chemens , par la démonftration que nous venons de faire , il faut décider la quef- tion qui partage les Dogmatiques au fu- jet de la régie ini^illible par le moyen de laquelle on peut difcerner le vrai d'a- vec le faux. Ils conviennent tous de l'é- xiftence de cette régie j mais ils ne font pas d'accord entre eux touchant la vé- rité qui eft le premier principe de con- noififance , le premier axiome , la bafe & le fondement de la certitude de toute vé- rité philofophique , c^eft-à-dire , du ret fort de la raifon.

Le fentiment de ceux qui enfeignent que l'évidence eft la première régie de toute vérité philofophique , nous paroîc préférable à tous les autres. L'évidence coniifte dans la clarté & la netteté à^^ idées. On entend par idée claire , celle qui repréfente un objet d'une manière à en découvrir la nature & l'efiTence*, &: par idée dil1ind:e 3 celle qui le repréfent©

La Métaphyjîque. 1 3

^e manière à le faire diftinguer de touc autre. Tout ce qui regarde les idées clai- res & diftindes fe trouve dans l'Article 3 . du premier Chapitre de la première Partie de notre Logique.

Ceux qui foutiennent que la première régie de vérité , le premier principe de la certitude de toutes les connoiflànces humaines , le premier axiome , eft cette propofition : Tout ce qu'on appcrçoit clai- rement & diftinctement y eji vrai , ne font point dans un fentiment différent de celui qui établit que l'évidence eft le premier principe de toute certitude phL- lofophique , & la régie que nous devons fuivre conftamment , fi nous voulons nous préferver de l'erreur , & ne pas nous égarer.

Il s'agit préfentement de prouver que l'évidence eft le premier de tous les prin- cipes de la certitude de nos connoifTan- ces , & de mettre cette vérité dans un grand jour que tous les Dogmatiques foient , pour ainfi dire , forcés d'en con- venir.

14 La Métaphyjîque.

Seconde Proposition.

L'Evidence eft la première régie de toute vérité philofophique.

DÉMONSTRATION'

L'Evidence eft la première régie de toute vérité du relTort de la raifon , fi toutes les qualités que cette régie doit avoir , ne conviennent qu'à l'évidence \ or cela eft ainfi. La première régie de vérité doit être connue par elle-même » & n'avoir befoin d'aucun moyen diftin- gué d'elle pour fe manifefter *, elle doit être fi néceiTairement jointe avec la vé- rité , qu'il foit impolîible de s'égarer en la fiiivant *, enfin elle doit être le fonde- ment de toute certitude dans les con- noiflances humaines , & la dernière rai- fon qu'on puifle alléguer à quiconque de- mande pourl^uoi nous fommes certains de quelque vérité du reflort de la raifon : or toutes ces qualités conviennent à l'é- vidence , fans convenir à aucun des au- tres principes des connoilïànces philofo- phiques.

La Métaphysique. 1 5

ï*. Toutes les qualités dont nous ve- nons de parler , conviennent à l'Eviden- ce , elle eft la lumière de l'efprit , & n'a befoin d'aucun niioyen diftingué d'elle pour fe manifefter 5 femblable à la lu- mière du Soleil qui fe fait voir par elle- même. Elle eft îi néceflairement jointe avec la vérité , qu'il n'eft pas poffible qu'elle nous trompe \ puifque nous avons démontré que quelque raifonnement , ô^ quelque fuppofîtion qu'on fafïe , on ne fçauroit rendre douteux que celui qui penfe , exifte -, or cela n'eft certain que parcequ'il eft réellement évident. Enfin elle eft le fondement de toute certitude philofophique , & la dernière raifon qu'on peut alléguer à quiconque deman- de pourquoi nous fommes certains de quelque vérité *, car fi l'on demande pour- quoi on eft certain qu'une même chofe ne peut être & n'être pas en même tems ; pourquoi les chofes égales à une même troifiéme , font égales entre elles *, pour- quoi le tout eft plus grand qu'une de fes parties \ pourquoi celui qui penfe , exifte; ^ ainfi de toutes les autres vérités conf- tantes , on répond définitivement très-

i6 La Métaphyjique.

bien , en difant qu'on en eft certain , parceque tout cela eft évident : donc toutes les qualités que doit avoir la pre- mière régie de vérité conviennent à l'Èvi' dence.

2°. L'afTemblage de ces qualités ne convient à aucun autre des principes que quelques Dogmatiques foutiennent être le fondement de toutes les connoifiTances certaines. Tous les autres principes , ôc tous les axiomes tirent leur certitude de l'Evidence *, par conféquent aucun d'eux ne peut être regardé comme le premier de tous. Ils ne font néceflairement joints avec la vérité , que parcequ'ils le font avec l'Evidence. Le principe de contra- diélion ( on appelle contradiction y ce qui affirme & nie la même chofe en mê- me tems ) ne peut point être regardé comme la lumière de l'efprit , parcequ'il eft plus propre à le convaincre qu'à l'é- clairer -, l'efprit n'eft pleinement fatisfait , que lorfqu'il voit clairement & évidem- ment la vérité. La dernière raifon qu'on puifte alléguer à quiconque nous deman- de pourquoi nous fommes certains de quelque vérité philofophique , doit être

la

La Métaphyjique» 17

la plus lumineufe de toutes ; ce qui ne convient point au principe de contradic- tion , qui par conféquent ne peut être le premier de tous les principes. On peut appliquer ce que nous venons de dire à tous les autres principes que quelques Dogmatiques prétendent être la première régie de toute vérité du relTort de la raifon. Toutes les qualités qui caradtéri- fent cette régie , ne conviennent donc qu'à l'Evidence : donc elle feule eft la première régie de toute vérité philofophi- que : ce quilfalloit démontrer.

Nos adverfaires prétendent combattre notre fentiment d'une manière vidorieu- fe 5 en difant que nous ne pouvons ja- mais être certains de la préfence de l'E- vidence 5 parcequ on croit l'avoir quand on ne l'a pas : les plus célèbres Philofo- phes eux-mêmes ne font point à l'abri de cette illufion , comme le prouve la êîi- verfiité de leurs opinions : l'Evidence n'eft donc pas la régie de vérité , le feul fil ca- pable de nous conduire dans ces labyrin- thes d'erreur bâtis dans tous les temps par l'efprit humain , trompé par l'Evidence.

Nous répondons à cette objedtion ,

B

1 s La Métaphyfiqui.

que c eft toujours faute d'attention qu on ^roit avoit l'Evidence quand on ne la pas en effet* La précipitation & les pré- jugés indaifent iouvent â croire qu'on a des idées claires & diftin<5tes des chofes dont on n'a que des idées obfcures & ^onf ufes ; mais on n'en doit pas conclure que nous ne pouvons jamais être certains 'qu'une prétendue Evidence ne nous éga- re pas.

L'Evidence réelle eft facile à difcerner d*avec celle qui ne left pas. La première nous force , pour ainfi dire , à lui obéir ; plus nous luttons contre elle , moins -Eîoos nous Tentons le pouvoir de lui réiîf- €er« Il n'en eft pas de même de l'autre , ^ui n'eft qu'une faufife lueur , qui ne peut jamais nous affeéler comme nous le femmes par la vive 8c brillante lumière de l'Evidence réelle. Nous pouvons donc facilement éviter de croire fauifement que nous avons l'Evidence. Il fuffit pour fe garentir de cette erreur , de confidé- rer attentivement fi l'on fe fent affedé comme on l'eft quand on juge que le tout ëÛ: plus grand qu'une de fes par- ties i <juê celui qui penfe , exifte \ qu'il

La Métaphysique. i ^

eft impolîible qu une chofe foit & ne foitpas en même temps. Cette précaution eft facile \ elle ed même abfolument né- cefTaire pour faire un bon ufage de la raifon , qui nous a été donnée pour dis- cerner le vrai d'avec le faux , &: pour empêcher que des idées trompeufes & déi ceptrices , c'eft-à-dire , une faulTe Evi- dence 5 s'il eft permis de parler ainfi , ne nous précipite dans un abîme d'illuiion.

Ceux qui prétendent que le principe de contradiction eft le fondement de tou ^ te certitude philofophique , difent pôut le prouver , que il on accordoit une^fois^- que quelque chofe pût exifter , & n'exif-* ter pas en même tems , il n'y auroit plus aucune vérité, même dans les nombres, & chaque chofe pourroit être > Ôc n'être pas félon la fantaide de chacun ; ainfl 2, ôc 1 pourroient faire 4 pu ^ également , & même à la fois.

Rien n'eft plus frivole que cette rai- fon j elle ne prouve point ce que nos adverfaires en concluent , elle prouve an contraire que l'Evidence feule , eft la pre- mière régie de vérité. Si elle prouvoie que le principe de contradiction eft le

Bij

lO La Métaphyjîque»

fondement de toute certitude philofophl- que 5 elle prouveroit également que tou- te propoiîrion évidente , & tout axiome , eft le premier principe de toutes les con- noilTances humaines. Si on accordoit y par exemple , que le tout pût n'être pas plus granil qu'une de fes parties , il n'y auroit plus aucune vérité conftante*, on peut dire la même chofe de tous les au- tres axiomes. Si une chofe pouvoir exif- ter & ne pas exifter en même tems , il n'y auroit plus de vérité ^ parceque ce qui eft évident ne feroit plus néceffai- îemeiit vrai i donc ce qu'on nous objec- te 3^ prouve que l'Evidence eft le premier principe de toute certitude philofophi- que.

Puifqiie i'Evidence eft un moyen sûr de dikerner le vrai d'avec le faux , ôc d'éviter l'erreur , nous ne devons juger que des chofes dont nous avons des idées claires èc diftindes , ^ans lefquelles feu- les coniifte l'Evidence , qui eft k régie înfaillibe que Dieu nous a donnée pour connoître les vérités du refïbrt de la rai- fon. Les idées claires & diftindes font la lumière qui éclaire l'eiprit de fa§of^

La Métapkyjiquéi 1 1

qu'étant conduit par elles , il ne fçauroit fe tromper. Les idées obfcures & confu- fes font l'origine de toutes nos erreurs. Toutes nos idées font deftinées à nous re- préfenter les objets tels qu'ils font réelle- ment *, il eft impoflible de fe tromper en jugeant des chofes dont on a de pareil- les idées. Il faut nous défier de nos idées, & ne point les croire juftes & exemptes d'illufîon, qu'après avoir bien examiné il les chofes qu'elles repréfentent , font e.n elles-mêmes telles en effet qu'elles nous font repréfentées. Nous ne devons jamais croire que nos idées foient juftes, c eft-à-dire , claires & diftindes , que lorfqu'après avoir bien approfondi les chofes , nous nous fentons affedés d'une telle façon , que plus nous les confîdé- rons avec attention , moins nous fom- mes libres pour ne pas les croire telles que nos idées nçus les repréfentent.

B iîj

%i La Métaphyjîque»

Article II.

Des Principes mhaphyjiqucs de com^ pojîtion de l'Etre»

LEs principes métaphyfiques de com- poution de l'Etre ne peuvent point être féparés , ni exifter féparément. Ces prin- cipes font leifence èc i'exiftence , l'ade & la puifTance , le genre & la différen- ce , dont nous traiterons dans cet arti- cle, que nous diviferons en trois fedbions : dans la première nous parlerons de lef- fence & de I'exiftence -, dans la féconde , de l'ade & de la puiffance -, dans la troi- iîéme 5 du genre & de la différence.

La Mitaphyjîque^

n

Section Première. De CEJfcnct & de VExifienc^.

L'Essence eft ce qui conftime , ce qui détermine la nature d'une chofe, ce qui eft abfolumenf nécefTaire pour la faire être ce qu'elle eft*, ce qu'il y a dans elle qui eft le premier conçu ; en un mot > ce fans quoi elle ne peut exifter ni être con- çue; ainiî la raifon eft de TefiTence de l'homme , & la rondeur eft de i'elTence du cercle.

Le terme tjftnu tire fon origine du mot Latin cj/e , qui iignifie être, ^ par conféquent la conftitution réelle des cho- fes 5 qui eft le fondement d'où dépend ce qu'on peut y découvrir ^ peut fe nom- mer leur eftence»

Il ne faut pas confondre les propriétés d*une chofe avec les accidens » ni avec Tefifence. Les propriétés font tout ce qui découle néceftairement de l'efïence, mais qui n'eft pas ce qui eft le premier conçuo On nomme accident , tout ce fans quoi

B if

24 La Métaphyjîque*

on peut concevoir une chofe , & fans quoi elle peut exifter. On ne peut con- cevoir une chofe fans fon eflence *, on peut la concevoir fans fes propriétés , îans lefquelles néanmoins elle ne peut exifter ', elle peut exifter , & être conçue fans fes accidens.

Il n'y a rien dont nous connoiffions toutes les propriétés. Pius nous connoif- fons de propriétés dans un objet , plus auffi la connoiiïance que nous en avons eft parfaite. Quoique les Mathématiciens aient découvert plufieurs propriétés du Triangle , qui eft la figure la moins com-

Î)ofée 5 ils font encore bien éloignés de es connoître toutes. L'eftence du Trian- gle eft fort bornée *, trois lignes qui ter- minent une étendue , compofent toute fon eflence , mais il en découle plus de propriétés qu'on n'en fçauroit nombrer. Il en eft de même de tout ce que nous pouvons connoître. Les eflences fe ré- duifent à peu de chofe , & les proprié- tés qui découlent de l'eflence , îbnt in- finies.

Les propriétés de chaque chofe ne font que fon eflence conlidérée fous dif-

La Mitaphyjique. If

férens rapports. Les Philofophes nom- ment quelquefois Tefifence d'une chofe > fon premier attribut , de les propriétés , {çs attributs fccondaires.

Il n y a pas dans une chofe qui n'eft point compofée de deux fubftances de dif- férente nature , comme eft l'homme com- pofé de corps & d'efprit , plufieurs attri- buts elïèntiels , réellement diftingués. Tous les attributs fccondaires ne font que le premier attribut confidéré fous différens rapports : on les conçoit néan- moins différemment , & on les exprime par des noms divers , mais cette diverfîté dépend uniquement de la diverdté àQ$ chofes avec lefquelle^ on compare celle à qui appartiennent ces attributs , ou de la diverfîté des effets qu'elle produit. La vertu 5 par exemple , qu'a le Soleil de durcir certains corps , n'efl pas réelle- ment différente de celle qu'il a d'en li- quéfier d'autres *, la même chaleur du So- leil eft la caufe qui produit ces divers qÇ- fets 5 dont toute la diverfîté eft unique- ment fondée fur la différence réelle qu'il y a dans les corps fur lefquels elle agit. Si on compare un corps d'un pied avec

%S La Metaphyjîqm»

VLVt autre corps tuffi d'un pied 5 on f âp» pelle égal ; on îe compare avec uîî corps de deux pied^ 9 il eft appelle i;îe- l^^/j & /7/i^5 ;7e^/V/ enfin on le nomme plus grandy^W e(l comparé avec on corpg d*un demi-pîed. Erre égal 5 inégal , plus grand , plus petit , font d^s attributs qu© nous concevons différemment y i^^ais ils îie fuppofent pas dans le corps comparé avec d'autres , des qualités réellement dit- rinéèes.

De ce qu'on vient de dire , il réfuîte qull ne faut pas toujours juger que les cho- £es qu on conçoit ôi définit différemment ^ & aufqnelles on donne des noms diffé» rens , font réellement différentes & plu- fîeurs chofes. Il faut avoir grand foin d examiner d*oii vient cette diverfité d'i- dées , de définitions & de noms ; quand elle n'a d'autre fondement que la diver- iîté des chofes avec lefqu elles on com- pare le même fujet , pour lors ces diffé- rentes idées , CQ% différentes définitions a êc ces noms divers ne fuppofent que dif- férentes manières de confidérer une feu- le & même chofe , & n'emportent pas une diftindion réelle entre fes attributs ^ mais

La Métaphyfïque. 27

feulement une diftindtion de raifon , com- me le prouvent évidemment les exemples cités.

La diftindion réelle , eft celle qui fe trouve entre des chofes qui font réelle- ment plufieurs 5 indépendemment de no- tre manière de les concevoir*, telle eft, par exemple , celle qu'il y a entre un homme & un autre homme.

Les Philofophes admettent deux fortes de diftindion réelle , l'une qu'ils appel- lent majeure , & l'autre qu'ils nomment mineure ou modale,

La diftindtion réelle-majeure fe trouve entre les chofes qui peuvent exifter fépa- rément , comme le corps ôc l'ame qui font deux fubftances de différente natu* re. L'exiftence de l'une eft indépendante de l'exiftence de l'autre. Le corps peut exifter fans l'ame , de même l'ame peut exifter fans le corps.

La diftindtion réelle-mineure ou mo^ dale y eft celle qui fe rencontre entre la fubftance & un mode de cette fubftance ', par exemple , entre le corps & le mouve= ment : le corps peut exifter fans le mou« vement , mais le mouvement ne fçauroit exifter fans le corps.

i8 La Métaphyjiqutl

La diftindion de raïfon fe fait entre les chofes qui font réellement une feule & même chofe , & que notre efprit con- çoit comme plufieurs , en vertu des diffé- rentes manières dont il la confidère : tels font les attributs elTentiels , ou les pro-

f>riétés d'une même chofe \ par exemple , a divifibilité , la mobilité , l'impénétra- bilité de la matière , qui ne font que dif^ férens rapports. Quand on confidère la matière du côté des différentes parties dont elle eft compofée , qui peuvent être fépareés les unes des autres , on la conçoit divifîble. Quand on la confidère par rapport aux différens lieux qu'elle peut occuper fuccefîîvement , on la con- çoit mobile. Quand on la compare avec les corps qu'elle exclut du lieu elle exifle 5 on la conçoit impénétrable. Il eft évident que ces attributs de la matière ne font différens que relativement aux di- verfes manières dont nous la confîdérons : il n'y a pas entre eux une diflindion réel- le 5 mais feulement une diftindtion de raifon , fondée fur différens rapports , en vertu defquels on conçoit la matière comme divifîble ? mobile a impénérable.

La Métaphyjîque. 29

La diftindion peut encore êcre divifée en cjfcntidU 6c accidentelle. diflinc- . tion ejfentiellc 9 eft celle qu'ily a entre les chofes donc 1 efTence eft difFéreiîre j par exemple , entre les efpèces du même genre j entre le corps animé 6c le corps inanimé. La diftinétion accidentelle , eft celle qu'on admet entre les chofes qui ont la même elFence , 6c qui ne différent que par des qualités accidentelles j par exemple , entre les individus de la même efpèce.

Il y a trois queftions à décider tou- chant les efTences des chofes créées 6c im- parfaites ; premièrement 5 fi elles font éternelles \ fecondement , fi elles font im- muables *, troifiémement , l'eftènce eft <liftinguée de l'exiftence.

La définition de l'eflence , décide la première queftion *, il eft évident que ce qui conftitue , 6c détermine la nature d'une chofe *, ce qui eft abfolument né- ceffaire pour la faire être ce qu'elle eft j en un mot , ce fans quoi elle ne peut exifter , ni être conçue , eft de toute éter- mté néceflairement lié avec la choie. Il

50 La Métaphyjîque.

y a eu de toute éternité une iiaifon fi né- ceiTaire entre le Triangle , & les trois li- gnes qui conftituent fon eflence , qu*il a toujours été impoiTible de concevoir que le Triangle ne fut pas une étendue bornée par trois lignes , & que Tétendae bornée par trois lignes , ne fût pas un Triangle : voilà dans quel fens les eiïen- ces des chofes créées font éternelles.

Mais , dit-on , il eft impoffible qu il j ait de toute éternité une connexion hé- cefTaire entre les chofes qui n'exiftenr pas de toute éternité , comme font certaine- ment les chofes créées àc leurs efîences.

Toute la difficulté de cette objedion çonlifte dans une équivoque qu'il fauc déveloper. La connexion dont il s*agit ici , n'eft pas abfoluc &c phyjîque , elle n'eft que métaphyjiquc & hypothétique , comme parlent les Philofophes.

La connexion abfolue & phyiique , eft celle qu'il y a entre les chofes aduelle- ment & réellement exiftantes ; cette con- nexion ne fçauroit exifter de toute éternité entre les chofes créées & leurs elïènces ; mais il y a de toute éternité entre les chofes aées & leur eflence , une con-

La Mitaphyfqm^ 3 \

siexion métajphyfique & hypothétique ^ qui ne conufte qu'en ce que les cho- ùs créées n*ont jamais pu exifter fans leurs eflènces a ni leurs efiTences fans elles. îl y a eu de toute «ernité une connexion «ntre ma penfée & mon exiftence , parce- que de toute éternité ma penfée a luppo- mon exiftence , comme le Triangle a toujours fuppofé trois angles & trois cô« tés» Il n'y a de connexion néceflaire $ ab- folue & phyfique ou réelle , qu entre Dieu & fon eflence \ il eft le feul Etre qui exit te néceflairement , & qui ne puiflè pas ne point exifter : donc il eft auill le feul dont reiïence phyfique § abfolue & réelle f foit éternelle*

îl fuit de ce qu'on vient de prouver » que les eflences des chofes créées & im- parfaites , font immuables \ l'opinion con- traire s eft une chimère carrélienn^ , dont les Pères fe font fort éloignés. Si les ef- fences dépcndoient de la volonté libre de Dieu 5 & pouvoient changer , ainfi que befcartes Ta penfé , il pourroit fe faire que le Triangle ne fut pas une figure bornée par trois lignes •, car la raifon ^ui démontre que cela n'eft pas poftli-

3 1 La Métapkyjique,

ble 5 c'eft qu'il eft de Teffence du Trian- gle d'être une figure bornée par trois li- gnes : donc les eflences font immuables ôc indépendantes du libre arbitre de Dieu , qui ne peut pas faire , quoique tout-puif- fant 5 ce qui répugne , ôc qui implique contradidion.

Si les eiïences des chofes ne dépen- doient pas de la volonté libre de Dieu , il y auroit , difent les Cartéliens , dans les créatures quelque chofe d'indépen- dant de Dieu , &: il ne feroic pas touc- puiiïant.

Ce raifonnement des Cartéliens tombe à faux. La toute-puiifance de Dieu ne s'étend pas à ce qui eft impoffible , & qui implique contradidksn \ il eft tout puif- fant 5 félon nos Adverfaires , quoiqu'il ne puiffe pas faire une montagne fans vallée 5 ni un bâton fans deux bouts : or il ne répugne pas moins qu'un Triangle ne foit pas une figure de trois côtés , qu'il répugne qu'un bâton foit fans deux bouts , & une montagne fans vallée.

La troifiéme queftion , qui eft de fça- voir fi l'eflence eft diftinguée de Texiften- ce , n'eft pas plus difficile à réfoudre que

les

La Métaphyjîquê. 3 5

les deux précédentes. Pour faire évanouir toute la difficulté , il fufïît d'expliquer clairement la fignification des termes , &: de diftinguer Texiftence pofîîble de l'exif- tence aduelle , & leiTence métaphyfîque de l'eflence phyfique.

L'efïence métaphyiique n'eft pas diftin- guée réellement de l'exiftence poffibleielle n'eft diftinguée réellement dans les chofes créées que de l'exiftence aduelle , qui eft la même chofe que l'eflence phyfique.

L'eflence métaphyfique n'eft qu'une fuppofition , puifqu'elle confifte dans la connexion qu'il y a entre une chofe & ce qui conftitue nature. Quand on dit , par exemple , que l'eflence du Triangle eft d'être une figure bornée par trois li- gnes , cela fignifie que fuppofé qu'il exif^ te 5 il eft néceflairement compofé de trois lignes.

L'eflence phyfique d'une chofe con- fifte dans fes attributs eflentiels , réelle- ment & adtuellement exiftans. L'eflen- ce phyfique des chofes créées n'eft pas éternelle \ car ^\ elle étoit éternelle , elles exifteroient de toute éternité , ce qui im- plique contradidion *, il n'y a que l'ef-

C

34 L^ MètapKyfique*

fence phyfîque de Dieu qui foit telle 9 parceque lui feul exifte de toute éter- iiiré eflèntiellement , 6c ne peut point ne '|)oint ^sifter. L'exiftence aduelle eft de refTenœ ^e Dieu \ mais il n'y a que l'exiftence poflible qui foit de l'elTence 'des créatures.

S E C T ï O N I L

l^t VAUz & d^ la, Tujffanu,

POuR bien comprendre ce que les Phî- lofophes entendent par aBc , & par puijfance , il eft néceffaire de bien expli- quer les diverfes fignificatiôns de cq% deux termes qui font très- équivoques , & qui jettent beaucoup d'obfcurité dans leur langage.

Acic ngnifie quelquefois action , exer- cice effectif d'une puiftance , ou d'une faculté. \Jacî& eft oppofé à k puijfance^

Acte fe dit plus ordinairement en Mo- rale 5 de tout ce qui fe fait de bien ou de mal. On dit , Faire un ade de géné- rofité : Ceft un ade de fcélérat de tra- feir fonami : Quand Dieu châtie, c'eft un

La Métaphyjïque^ 3 5

âdte de juftice *, quand il pardonne , c'eft un a6te de miféricorde.

Puijfancc fe dit quelquefois des ver- tus qui font dans les chofes , & qui agilTent en tems & lieu *, c'eft dans ce fens qu'on dit, L'aiman a la puiiTance d'attirer le fer.

Puijfancc fignifie fouvent en Morale, faculté de l'ame 5 par exemple , quand on dit que V objet émeut la puijjancc»

Acte lignifie en Mécaphyfique , forme , pcrfccilon , complément d'une chofe , & puiffance fignifie capacité d'agir , ou de recevoir \ c'eft pourquoi on la divife en active ^ pajfive.

Il y a deux fortes d'ade > fçavoir l'acic* premier , & V aBe-fecond,

U acie-premier eft la puifTance à laquelle il ne manque rien pour agir , ou pour recevoir.

U acie-fecond eft la puifTance réduite à l'ade. On diftingue ce qui eft actuel- lement 5 de ce qui eft en puiffance dans un fujet. L'eau-de-vie qui eft froide au toucher , a la puifTance d'échauffer.

Il ne faut pas confondre la puifTance phyfique avec la puifTance métaphyfique ,

Cij

5 6 La Métaphyjîque »

ni Tadephyfique avec l'aâre méraphyn- que. La puiflTance phyfique eft réellement diftinguee de Tade phyfîque j mais la puiiTance métaphyfique eft inféparable de i'a€te métaphyfique.

Il y a une puilTance qu'on nomme o^- Jeciive y & une autre qu'on appelle rêcc^- 4ive ; c'eft la faculté de recevoir quel- «qu'ade. Quoique la puifTance objedtive foit ce qui fait qu'une chofe peut être J'objet de quelque faculté , les Philofo- ^hes entendent fouvent ^21 puijfance, ob- 'jtclïvz 5 ce qui rend une chofe poflîble,

6 capable d'êxifter , parceque l'impoilible ne peut être l'objet d'aucune faculté.

La puiCance , foit adive , foit paflive , fe divife en puiflfance naturelle ôc puif- fance obédientielh , qu'on nomme auflî fur naturelle.

La puififance naturelle eft celle qu'une chofe a reçue de la nature /&: qui s'étend à tout ce -qui lui eft proportionné.

La puifTance obédientielle eft celle par laquelle les chofes créées dépendent de Dieu , de manière qu'elles peuvent , '<jaand il lui plaît , produire des effets , *& recevoir des perfedions fort au-defliis de leur aattire.

La Metaphyjîquê'^ 57

Ori demande s'il faut admettre dans: toutes les chofes créées une puilTance obé- dientielle , & elle eft diilinguée de la. puilTance naturelle.

Nous répondons qu'il faut l'admettre 5. bc qu'elle n'eft pas réellement diilinguée.- de la puilTance naturelle.

Premièrement , on ne peut fe difpen-. fer de reconnoître dans les créatures une> puiiïance obédientielle , fans donner at- teinte à Tempire fuprême que Dieu a fur elles *, il peut , quand il lui plaît , leur faire produire des effets, dont elles fe-. roient incapables par leurs forces natu- relles^ il peut auflî les rendre fufcepti-^ blés de perfedions qu'elles ne feauroienc avoir , elles étoient abandonnées à ce qu'elles tiennent de la nature. Dieu peut , par exemple , rendre notre efprit capable d'avoir des connoilTances fort au-deiTua de fa portée , & donner aux corps le pou- voir de produire des effets , quifurpaifenii ce qu'ils peuvent faire par leur nature.

Secondement , la puilTance obédien- tielle n'eft pas réellement diftinguée de la puilTance naturelle *, car la puiflance obé^ oientiQlle eft fondée fur la dépendance des

C iij.

3 8 La Métaphyjîque.

créatures à l'.égard de Dieu , en vertu de laquelle il peut , quand il lui plaît , les élever à recevoir des perfedions , & à produire des effets qui les mettent fort au-deflus de leur état naturel. Une mou- che 5 par exemple , pourroit en volant , reirufciter un mort , Dieu le vouloit. Il eft de la nature de toutes les chofes créées de dépendre immédiatement de Dieu en tout, qui peut par conféquent aug- menter leur puiffance naturelle à un point qu'elles deviennent propres à des chofes qui ne font pas du relTort de leur nature.

Les Phiiofophes^ d'une opinion con- traire 5 difent , pour prouver leur fenti- ment , que le naturel eft réellement dif- îingué du furnaturel > d'où ils concluent que la puiffance obédientielle , étant fur- naturelle 5 eft réellement diftinguée de la puifTance naturelle.

La puifïance obédientielle n'eft pas fur- siaturelle en foi & du côté de fon eftèn- ce 5 mais feulement du côté de l'effet qu'elle produit , qui lui eft extrinféque j or ce qui eft furnaturel extrinféquement , B'eft pas néceffairement différent de ce qui eft intrinféquement naturel ; donc la

La Métaphyjïquei. '^%

puiflancô obédientielle , qui n'eft^ autre chofe que la puiiïance naturelle qu'il plaît à Dieu d'étendre à des effets furna-^ turels , n'eil point réellement diftinguée; de la puifTance naturelle.

Parmi ceux qui admettent dans les créa- tures une puiuance obédientielle > il y en a qui prétendent qu'elle s'étend à tout :. le contraire eft prouvé par ce que nous., avons dit pour réfuter ceux qui. foutien- nent que les eflences des chofes créées font muables , & dépendantes de la vo-, lonté libre de Dieu *, d'où , félon eux 5,. procède la pofïibilité des chofes,,

Les fentimens font partagés toucliant le principe qui rend les chofes poflibles j les uns font dépendre la polïibilité des chofes 5 de la feule volonté de Dieu *, les autres nient qu'elle dépende de Dieu feul. On peut concilier ces deux opinions en diftinguant deux polîibilités y l'une phy- fique 5 & l'autre métaphyfique.

La poflibilité métaphyfique condfte en ce qu'une chofe conhdérée en foi , fans avoir égard à la caufe qui peut lui don- ner i'exiftence , eft poiEble.

C ïr

4Q La Mètaphyfique.

La poffibilité phyfîque , eft celle par laquelle une chofe eft poflible , parce - qu'il y a une caufe qui peut lui donner Texiftence.

Il eft évident que la poffibilité phyfî- que dépend uniquement de Dieu , qui peut feul donner l'exiftence aux chofes s mais la poffibilité métaphyiique ne dé- pend pas de Dieu , qui ne fçauroit chan- ger l'eftence des chofes. Tout ce qui ne répugne pas , & qui ne renferme aucune contradiàion , eft métaphyfiquement pof- £ble *, & tout ce qui répugne , eft telle- ment impoffible , que Dieu ne peur pas le rendre poffible.

Il faut diftinguer deux fortes d'impof- fibilité •, l'une , abfolue , & l'autre qu'on peut appeller naturelle,

L'impoffibilité naturelle confifte en ce que les chofes impoffibles ne font telles , que parcequ'elles ne peuvent fe faire par les forces de la nature.

L'impoffibilité abfolue eft la contra- diétion que les chofes renferment , qui confifte en ce qu'elles font énoncées par des propofttions compofées de termes in compatibles. Il eft abfoUiment impof-

La Mêtaphyjîque. 41

ïîble que celui qui penfe n'exifte pas. Ce qui eft abfolument impolïible , eft le néant , une chimère qui n'a aucune pro- priété 5 & qui ne peut être l'objet de l'ac-r tion de Dieu ; par conféquent Dieu , quoique tout-puiffant, ne peut faire ce qui eft abfolument impofîible -, la puiffan- ce de le faire eft chimérique , ou une puiflance de rien , qui ne peut conyenic a l'Etre tout-puiflant.

Dieu eft tout-puilfant , parcequ'il peut faire tout ce qui ne renferme point de contradiétion , mais il y a des chofes qui lui font pollGibles par rapport à fa puiffan- ce ordinaire , & d'autres qui ne font telles que par rapport à fa puiiTance extraordinaire & furnaturelle. Tout ce que Dieu fait d'une manière que je puis concevoir , eft du reftbrt de fa puif- fance ordinaire \ mais tout ce qu'il fait d'une fa^oa que je ne fçaurois compren- dre 5 appartient à fa puiftance extraordi- naire ^ furnaturelle. La production d'un ferpent par un autre ferpent eft poffible à la puinance de Dieu ordinaire , parce- que je conçois les rapports qu'il y a en- tre l'un 6c l'autre ; mais le changement

41 La Métaphyjïqué^

d'une verge en ferpent , n'efl: poffibte qu'à la puiffance de Dieu extraordinaire & furnaturelle j parceque je ne puis con- cevoir les rapports qui font entre la verge te le ferpent qui en eft formé immédia- tement.

On peut confidérer un fujet comme îi^ayant pas des qualités qu'il peut avoir , & qui lui conviennent , ou comme fépa- de celles qui ne lui conviennent en aucune façon , & qu'il ne fçauroit avoir. J^QS Philoiophes appellent privation , le défaut des qualités qu'il peut avoir , &: négation le défaut de celles qu'il ne fçau- roit avoir. Le défaut de la vue ou de la faculté de voir dans une pierre ^ n'eft pas une privation 5 c'eft une négation.

Les privations ôc les négations ne font connues que par les chofes dont el- les font les privations ou les négations j fi, elles pouvoient être connues par elles- mêmes , le néant dont elles font des efpèces auroit quelque propriété , ce qui répugne , puifqu'il eft oppofé à l'Etre , à qui feul il appartient d'avoir des pra- priétés.

La Mltapkyfique. 45

Section II I. Du Genre & de la Diff'lrence.

G En RE fîgnifie quelquefois forte , manière , ou ce qui eft d'une cer- taine nature *, en Métaphyfîque , il fî- gnifie ce qui eft tellement univerfel , qu'il 5'étend à d'autres chofes qui font en- core univerfelles , comme le corps à l'é- gard du corps animé & du corps ina- nimé.

Différence fignifie en général tout ce qui diftingue une chofe d'une autre *, les Philofophes la divifent en effentielk , propre & accidentelle,

La différence efïèntielle , qu'on ap- pelle auffi fpêcifique , eft ce qui diftin- gue une efpèce d'une autre efpèce du mê- me genre j par exemple , animé ôc ina^ nimé font les deux différences eftèntielles qui partagent le corps en deux efpèces » qui font le corps animé & le corps ina- nimé.

Quand la différence eft un attribut qui

44 J^^ Métaphyjîquél

appartient à i'elïènce d'une chofe > mais qui n'eft pas le premier qu'on conçoit dans cette chofe , on appelle cette diffé- rence propre ou propriété : par exemple , l'égalité àos trois angles pris enfemble du Triangle , à deux angles droits , eft une propriété du Triangle -, parcequ'il eft im- polfible que les trois angles d'un Trian- gle ne foient pas , pris enfemble , égaux â deux angles droits *, mais cette égalité n'eft pas ce qu'on y conçoit le premier :. on conçoit que tout Triangle a trois an- gles 5 avant de concevoir que les trois, angles pris enfemble , font néceflaire-» ment égaux à deux angles droits.

Par différence, accidentelle on entend tout ce qui diftingue une chofe d'une au- tre 5 & qui n'appartient point à l'eftence j. tels font le mouvement 6c le repos à l'é- gard du Corps -, telles font aufïi la blan-^ cheur & la rondeur , qui font des qua- lités accidentelles au corps j puifquellef peuvent être féparées du corps j fans que l'idée du corps foit détruite : la douleur ^ la crainte font aufîi des différences ac- cidentelles à l'égard de l'efprit.

Il n'eft pas néceflaire que toutes les

La Métaphyfique. 45

différences qui diftînguent les chofes ef- lèntiellement ou accidentellement foient polidves 5 il fuffit qu'il y en ait une. Deux hommes font diftingués l'un de l'aurre , lorfque l'un a une charge que l'autre n'a pas. Le corps inanimé eft diftingué du corps animé par la négation de l'ame qui eft dans le corps animé j le corps inanimé ne renferme rien de pofîtif qui ne foit dans le corps animé.

Les différences qui divifent le même genre doivent être tellement oppofées , qu'elles ne puiffent pas exifter enfemble dans le même fujet.

On divife le genre en genxQ fuprême , genre moyen , & genre dernier.

Le genre fuprême , eft celui qui n'a aucun autre genre au-deffus de foi *, tel eft l'Etre.

Le genre moyen , eft celui qui a un genre au-defflis de foi , ôc un autre au- delTous *, t^lle eft la Subftance qui a au- deifus de foi l'Etre , qui eft plus univer- fel 5 c'eft-à-dire , convient à plus de cho- fes que la fubftance , puifqu'il convient au mode , elle a au-deffous de foi le Corps, qui eft moins univerfel que la Subftance,

4? La Métaphyjique,

qui fe divife en corporelle & fpirituelleô Le genre dernier , eft celui qui n'a au- cun autre genre au-deflous de foi , com- ine l'Animal.

Quoique dans le langage ordinaire on confonde fouvent le genre avec l'efpèce , il eit évident , par ce qui a été dit <iu genre & de la différence, que l'efpèce comprend quelque chofe de plus que le genre. Tout ce qui eft renfermé dans l'i- dée de l'efpèce n'eft pas contenu dans l'i- dée du genre j l'efpèce contient la diffé- rence effentielle , qui n'eft pas contenue dans le genre , l'efpèce eft formée de la différence ajoutée au genre. Si l'efpèce ne contenoit que ce qui eft contenu dans le genre , chaque efpèce conviendroit à l'autre j parcequ'elle ne feroit que le genre , qui convient à chaque efpèce. Le corps & l'efprit font deux efpèces de la fubftance *, tout ce qui eft eflèntiel à la fubftance fe trouve dans le corps & dans l'efprit 5 mais l'efprit contient la penfée , 6c le corps contient l'étendue : la penfée èc l'étendue font les deux différences qui forment avec la fubftance fes deux efpè-

La Métaphyjique. 4^

ces , qu'il eft important de ne pas con- fondre avec elle.

L'efpèce eft moins univerfelle que le genre , c'eft-à-dire , convient à moins de chofes. Le genre eft tellement univer- fel 5 confidéré comme genre 5 qu'il s'étend à d'autres chofes qui font encore univer- felles s mais l'efpèce coniidérée comme efpèce 5 ne s'étend pas à d'autres chofes qui foient néceftairement univerfelles.

La même chofe peut être genre & es- pèce fous difFérens rapports *, elle eft gen- re étant comparée avec les chofes uni- verfelles aufquelles elle convient *, elle eft efpèce étant comparée avec ce qui eft plus général qu elle : par exemple , le corps eft genre à l'égard du corps animé & du corps inanimé *, mais il eft efpèce à l'égard de la fubftance.

Il y a des efpèces qu'on appelle dernïk^ rcs , & qui ne peuvent être genres de quelque manière qu'on les confîdere j tel- les font celles qui n'ont fous foi que dQS individus , des chofes iîngulières , com- me le cercle qui n'a fous foi que des cer- cles iînguliers.

Il y a aulîî un genre qui n'eft à au-

48 La Métaphyfqut.

cun égard efpèce , parcequ'il n'a aucun autre genre au- de (Tus de foi \ tel eft le genre fuprème , comme le prouve fa dé- finition.

Lorfqu'en comparant plufieurs chofes on voit qu'il n'y a point entre elles de différence eiTentielle , on dit qu'elles ne différent qu'en nombre , & la différence qui eft entre elles eft appellée numérique ^ c'eft la feule qu'il y ait entre les indi- vidus d'une même efpèce.

On fe fert du mot â"* Individu pour (î- gnitier les chofes fingulières , & pour les diftinguer des générales , qui fe peuvent divifer en plufieurs de la même nature qu'elles : ainfi Vhomms, eft un terme gé- néral 5 &: ce qu'il fignifie peut être di- vifé en tel & tel homme *, mais Ciuroit eft un individu , parcequ'il ne peut être divifé en plufieurs femblables à lui.

Par le terme de JingulUr on n'entend pas ici une chofe extraordinaire , mais une chofe déterminée , un objet fixe *, en un mot , un terme Jïngulier eft un nom propre.

Individu dc indiviJibU ne iîgnifient

pas

La Mkaphyfique^ 49

pas à tous égards la même chofe , Tin» dividii peut être diviiîble, quoiqu'il ne puifïè le divifer en plufieurs qui luî foient femblables : Pierre à qui je parle i eft divifible j mais il ne l'eft pas en plu- iîeurs de même nature que lui j c'eft pour- quoi il eft individu,

L exiftence eft le principe qui conftî- tue l'individu. Le genre &: l'efpèce ne font que des abftradions de l'efprit , qui conçoit les chofes fans avoir égard à l'exiftence. Si je conçois l'homme fans penfer à l'exiftence , ce que je conçois eft une efpèce s mais fi je regarde l'hom- me comme exiftant , je conçois un indi- vidu. Les chofes générales ne peuvent exifter réellement. L'exiftence réelle ne convient qu'aux chofes fixes 6c détermi- nées , c'eft-à-dire , aux individus qu'elle diftingue de tous les autres Etres. L'exif. tence poffible eft eftentielle à l'individu pofîible 5 & l'exiftence actuelle eft eftèn- tielle à l'individu aétuel.

Lorfqu'après avoir trouvé la différence qui conftitue une efpèce , on y découvre encore quelque attribut néceffairemenc lié avec cette différence , qui par confé-

D

I a Su Métaphyjiquu

quent coiivieiït à toute cette efpèce, 62 à cette feule efpèce > cet attribut eft ce qu'on VLQixwxiQ propn Q\x propriété effèn- tielle : pài' exemple , avoir trois angles eft la différence éffentielle de la figure appellée Triangle -, mais en confidérant plus particulièrement fa nature , on dé- couvre que régalité des trois angles à deux droits 5 eft une dépendance nécef- faire de fa différence effentielle , c'eft pourquoi cette égalité des trois angles à deux droits , eft une propriété effentielle du Triangle , laquelle convient à tout Triangle , & ne convient à aucune au* tre figure. ' . i

Quand on voit dans un fu jet un mode qui n'a pas une liaifdn héceffaire avec le fujet dont il eft mode , on le nomme accident*

Le genre , l'efpèce , la différence , le propre & l'accident font les cinq uni^ -^trfanx dont on faifoit tant de cas autre- fois dans l'Ecole , dont on traitoit avec- tant d'étendue , ôcdont on difputoit avec tant de chaleur.

Il eft très-important de connoître les yrais gsnres des chofes > les vraies efpè-

La Métaphyjique. j i

ces de chaque genre , leurs vraies pro- priétés efleiitielles &; leurs accidens com- muns -, mais toutes les queftions tou- chant les univerfaux , qui ont fi fort oc- cupé les Philofophes pendant plufîeurs fîécles 5 & caufé tant de trouble dans l'E- cole 5 ne font pas afTez utiles pour méri- ter d'être difcutées. Notre delfein eft de nous renfermer dans ce qui peut être de quelque utiUté -, telles font les obferva- tions fuivantes.

Tout ce qu'on appelle général 3c uni-' vcrfd n'appartient pas à l'exiftence réelle des chofes ; c'eft un pur ouvrage de l'en- tendement 5 qui conçoit les chofes du cô- té de ce qu'elles ont de femblable , fans faire attention à ce qu'il y a de différent dans elles. L'entendement prend occa- iion de la refifemblance qu'il remarque entre les chofes , de former des idées abf- traites & générales , &: de les fixer dans i'efprit fous certains noms établis pour en être les fignes.

Les noms font univcrfds , généraux &: communs , comme nous l'avons dit dans la Logique , lorfqu'on les emploie pour Être fignes d'idées générales -, ce qui fait

D ij

^ î La Métaphyjîquet

qu'ils peuvent être appliqués à plufîeurs chofes -, & les idées font univerfelUs Ôc générales , iorfqu elles peuvent repréfen- ter plufieurs -cndfes. Mais l'univerfalité n'appartient pas aux cliofes mêmes , con- ïîdérées du côté de leur exiftence réelle 15c aduelle : tout ce quiexifte réellement , éft déterminé , fingulier , une chofe fixe , qu'on noinme Individu ; fans en excep- ter les mots dont la fignification eft gc- aîérale.5 ^ les idées dont la repréfenta- îion eft univerfelle.

'Ce xjue les ternies généraux fignifient îi'eft pas une pluralité de chofes , ni une chofe iîngulière & individuelle : s'ils ne iignilioiettt qu'une feule chofe fitigu- lière & déterminée , ils ne feroient pas fies termes généraux , mais àe^ noms propres , s'ils fignifioient une pluralité de chofes , homme de hommes auroient à tous égards la même fignification , & la Siftindion du nombre fingulier & du viiombre pluriel , comme parlent les Gram- mairiens 5 feroit inutile. Les termes gé- néraux fignifient donc un genre particu- lier ^ ou une efpèce particulière de cho- Tesj Je chacun de ces termes nacquieri:

La Mitaphyjiquel 5 5

cette fîgnification qu'en devenant fîgne d'une idée abftraite & générale que nous avons dans refpsit. A mefure que les chofes réellement exiftantes fe trouvent conformes à cette idée , elles font ran- gées fous cette dénomination, 5c font de ce genre ou de cette efpèce.

Quoique toutes nos connoilîânces^ foient fondées fur des chofes particuliè- res 5 nous les étendons par des vues gé- nérales 5 en réduifant les chofes à cer- tains genres , certaines efpèces , fous des termes généraux. Leis natures ou notions générales ne font que des idées abjîrai^ tes ôc partielles d'autres idées plus com- plexes , qui repréfentent quelques indi- vidus, c'eft-à-dire, quelques objets exif- tans réellement j car tout ce qui a une exiftence réelle , eft individuel , comme nous Tavons dit. L'idée de l'homme , par exemple , eft formée de l'idée de Pierre , de Paul y en écartant , par une abftrac- tion , de Tidée complexe de Pierre j d^è Paul , ce qui eft propre à chacun de ces individus , de même , eiiôtant de Tidée complexe fignifiée par le nom d^om-^ me y ce qui eft particulier à l'homme. >.

D iij

54 La Mhaphyjlque.

ôc ne retenant que ce qui lui eft com- mun avec les brutes , on fait une nou- velle idée plus générale , à laquelle on donne le nom d'Animal, Si on ôte de l'idée de V Animal le fentiment & le mouvement fpontané , il refte une idée fîmplement compofée d'idées de corps , de vie & nutrition , défîgnée par le terme vivant d'une plus grande étendue que le terme à' animal, L'efprit forme de la même manière l'idée de corps , l'i- dée dcfuhjlancc , l'idée ^êtrc. En un mot , un terme devient plus général à mefure qu'il fîgnifie une idée qui n'eft qu'une partie d'une autre idée plus compofée , ôc moins générale. Il eft donc très-évi- dent que nous étendons nos connoiffances par des abftradfcions.

Pour mieux comprendre tout ce qu'on vient de dire , il faut voir ce qui concer- ne les idées univerfelles dans la première Partie de notre Logique , Chapitre L Article I.

t^tn^

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La Métaphysique. 5 j

CHAPITRE IL Des principales propriétés ds VEtrs.

LEs principales propriétés de l'Etre font Vunité y la vérité , la bonté êc Vunivocation, Ce qui regarde les trois premières étant plus ingénieux qu'utile ,, nous n'en parlerons que pour expliquer ce qu'il eft nécefîàire de fçavoir pour en* tendre le langage des Philofophes , & les queftions qu'il n'eft pas permis d'igno- rer ; parcequ'on les a traitées pendant plufieurs fîécles dans toute l'Europe , & qu'on s'en occupe encore aujourd'hui dans la plus grande partie.

La plupart des Philofophes de notre fiécle penfent qu'il eft très-peu impor- tant de fçavoir fi l'Etre eft univoque à l'é?- gard de la fubftance &: du mode *,'à l'é^ gard de la fubftance fpirituelle &: de la fubftance corporelle *, à l'égard de Dieu & de l'ame humaine. Nous ne penfons pas de même *, nous fommes au contraire:

D iv

jS La Mêtaphyjique.

perfuadés de rutilité de cette queftîon l par rapport à fa liaifon avec d'autres de très-grande conféquence î l'on ne doit donc pas être furpris de voir que nous entreprenions de la traiter avec quelque étendue dans ce Chapitre , que nous di- viferons en deux Articles : dans le pre- mier 5 nous parlerons de Vuhité , de la vérité , & de la bonté de l'Etre *, & dans le fécond , de ce qui concerne Vunivoça* tion de l'Etre.

Article Premier.

Di r Unité , la Vérité & la Bonté de l'Etre.

L'Unité eft le principe du nombre qui n'eft qu'un afTemblage d'unités j elle eft fi fimple qu'on ne la fçauroit défi- nir. Au lieu d'éclaircir la notion qu'on en a , on Tobfcurcit quand on veut l'ex- pliquer par d'autres termes ', comme le prouvent toutes les définitions qu'on en a données , dont nous ne rapporterons que la plus ufitée.

La MètapKyJique^ 57

L'unîtc eft rindivijion d'une chofe en foi 9 & la dlvijion de toute autre chofe»

Quand on dit que tout Etre eft un , ce- la fîgnifie qu'il ne peut pas être divifé en deux parties 5 dont l'une ait la moitié de fes propriétés , & dont l'autre ait l'autre moitié 5 de forte que les deux parties foient de la même nature que l'Etre dont elles font parties. Le Triangle ^ par exem- ple , eft un 5 parcequ'il ne peut être divi^ en deux Triangles , en confervant la même proportion & la même grandeur entre les angles & les côtés. Il réfulte de- là ce que tout le monde avoue, c'eft-à-dire, que Tunité eft oppofée à la multiplicité.

On divife l'unité en numérique ^fpéci' fique de générique.

L'unité numérique , eft celle qui con- vient à l'individu , c'eft-à-dire , à tout ce qui eft une chofe déterminée & fin- gulière -, comme Platon , Defcartes , Ci" ceron.

L'unité fpéclfique ^ eft celle qui con- vient aux Etres de la même efpèce. Quand on dit 5 par exemple , que tous les hom- mes font d'une même efpèce , d'une mê- me nature s cela ne iignifie pas qu'ils

jjS La Métapliyjique.

ont tous une même nature numérique- ment \ mais feulement qu'ils ont tous des propriétés eflentielles tout-à-fait fem- blables.

L'unité générique , eft celle qui con- vient aux Etres du même genre , telle eft celle qu'on attribue à tous les corps confidérés fans avoir égard à leurs diffé- rences eflentielles. Le corps animé , ôc le corps inanimé , par exemple , font une fubftance matérielle *, parcequ ils ont l'un & l'autre toutes les propriétés eflentielles à la fubftance matérielle , ou au corps en général y quoiqu'ils ne foient pas une même fubftance matérielle fpécifique , ou une même efpèce de fubftance ma- térielle -, ni 5 à plus forte raifon , une même fubftance matérielle numérique, ou un même corps numériquement.

Il n'eft pas poflible d'entendre les an- ciens Phifofophes , fans diftinguer ces trois fortes d'unités. Il y a tout lieu de croire que les Platoniciens admectoient plufieurs Dieux numériquement , & un leul fpécifiquement : parceque félon eux , les Dieux avoient tous la même nature. Ce que nons venons de dire paroît prou -

\

La Mitapîiyjique. 59

par leur façon de parler -, puifqu'ils difenr rantôt qu'il n'y a qu'un Dieu , tan- tôt qu'il y en a plufieurs.

Identité lignifie fouvent la même cho- fe qii unité, Lorfqu'on dit , par exemple , que l'eau de la Seine eft la même au- jourd'hui qu'elle étoit hier fous les ar- ches du Pont Royal , il eft évident que cela ne s'entend pas d'une identité nu- mérique 3 mais d'une identité fpécifique : il faut donc admettre une identité nu- mérique 5 une identité fpécifique , & une identité générique. Il y a encore une identité de forme qu'il eft néceftaire de diftinguer de l'identité de matière. On dit 5 par exemple , que c'eft toujours le même Soleil qui nous éclaire 5 cette fa- çon de parler ne fignifie pas que le So- leil eft toujours compofé de la même matière *, en parlant ainfi , on veut dire que le Soleil a toujours la même for- me > ôc les mêmes propriétés.

L'identité a quelquefois un fens diffé- rent de toutes les fignifications dont on vient de parler , car un homme dans fa vieillefie eft le même qu'il étoit dans fa jeunelTe > cependant la matière dont fon

€q La Métaphyjîqtii^t

corps eft Gompofé quand il efl: jeune > eft différente de celle qui le compofe quand il eft vieux. La matière de nos corps change fans celTe y ce qui en fore chaque jour par la tranfpiration infenfi*- ble , excède de beaucoup ce qui en fort par les voies fenfibles *, de-là vient la néceflîté de boire & de manger pour ré- parer cette perte confîdérable- Le chan^ gement qui arrive fouvent dans la for- me de fon corps , n'empêche pas qu'il îie foit regardé comme le même homme dans la vieillefle & dans la jeunefïe. Il n'eft le même homme , quoique la ma- tière & la forme de fon corps foienc changées , que parcequ'il a toujours la même ame numériquement > fans avoir aucun égard à l'identité de la matière , à l'identité de la forme du corps auquel elle eft unie.

La multiplicité étant oppofée à. l'unÎT- , il y a autant de fortes de multipli- cités , que d'unités. Quoique la multi- plicité foit oppofée à l'unité , il faut néan- moins reconnoître une forte d'unité in- féparable de la multiplicité ; telle eft l'u- nité d'un tout qui ne fcauroit exifter fans

I

'La Mêtaphyjique, €t

îa multiplicité de fes parties : il eft un , «tant confidéré fans avoir égard aux par- ties qui le cornpofent j mais cette unité renferme nécerfairement la pluralité de parties qui eft eflentielle au tout.

H réfuke de ce qu'on vient de dire 9 qu'il y a une unité compofée, qu'il ne faut pas confondre avec l'unité Cmple. L'u- iiité fîmple , eft celle qui convient à l'E- tre qui n'eft pas compofé de plufieurs parties 5 telle eft l'unité qui convient à Dieu , ^ à chaque fubftance fpirituelle. L'unité compofée , eft celle qui convient à l'Etre compofé de plufîeurs parties j telle eft l'unité d'un corps.

La multiplicité eft le fondement de la €ompoJition% Les principales efpèces de -comportions , font la rldUy la mentale , >& la modale,

La compofition réelle , eft celle par la- quelle divers Etres font joints pour faire iin tout ', cette compoiîtion fe trouve dans •tous les Etres corporels, puifqu'ils font «ouscompofés de parties réellement diftin- guées qui peuvent exifter féparément.

La compofition mentale ^ eft celle qui n'exifte que par la penfée ^ 6c dont le$

Sz La Métaphyjîque.

parties font des chofes que l'on conçoit comme plufieurs , quoiqu'elles foient réellement une feule éc même chofe. Les propriétés eflentielles d'une chofe for- ment une composition de cette efpèce. Nous avons prouvé qu'il n'y a pas dans une feule & même fubftance iimple , c'eft-à-dire , qui n'eft pas compofée de deux fubftances de différente nature , comme eft l'homme , plusieurs attributs eflentiels , réellement diftingués : néan- moins nous les concevons féparément par des abftradions de l'efprit , &: nous les regardons comme plufieurs ; de cette pluralité naît la compoiition dont il s'a- git. La juftice , la miféricorde , la bon- té , la toute-puiflance & les autres attri- buts que nous concevons dans Dieu , font réellement inféparables , &; ne font que Dieu même , conçu fous différens rap- ports , ce qui fait que nous les regardons comme plufieurs , & cette pluralité eft le fondement d'une compoiition mentale Sc métaphyfîque dans Dieu. La divifibilité , la mobilité , l'impénétrabilité de la ma- tière forment aufll une femblable com- pofition qui fe trouve dans la matière j

La Mitaphyjîque. 6^

dans laquelle il y a d'ailleurs une com- poiicion réelle & phyfîque , puifqu'elle eft compofée de parties réellement diftin- guées.

La compofltion modale , eft la jonc- tion qu'il y a entre une fubftance ôc fes modes -, par exemple , entre le corps mu ëc le mouvement, entre le corps rond ëc la rondeur.

La diftindion a beaucoup de rapport avec la compofition *, nous n'ajouterons rien ici à ce que nous avons dit de la diftindion dans la Sedion L de l'article IL du premier Chapitre de V Ontologie , l'on peut voir tout ce qu'il eft nécef- faire de fcavoir touchant la diftindion.

La. vérité qui eft une des propriétés de l'Etre , n'eft pas la même que celle qui eft oppofée à Terreur , &: qui convient au jugement , ou à la propoiîtion *, nous avons parlé de cette forte de vérité dans la Logique.

La vérité qui convient à l'Etre , eft la conformité de l'Etre avec {es principes , c'eft-à-dire , avec toutes les propriétés qui conftituent fon effence -, c'eft dans

^4 La Mètaphyjîque.

ce fens qu'on dit du vrai or , un vrai homme , le vrai Dieu, Le vrai Dieu eft celui qui a tout ce qui eft efïentiel à Dieu, Un métal eft du vrai or , quand il a tout ce qui conftitue l'eftence de l'or \ mais le métal qui n'a que quelques proprié- tés de l'or , n'eft pas du vrai or. Il eft évident que la vérité métaphyiîque dont il s'agit ici , convient nécefïairement à tout Etre , parcequ'il eft impoffible qu'un Etre ne foit pas conforme à fon ^ffence.

La hontl qui eft une propriété de l'E- tre > n'eft pas fort différente de la vérité dont on vient de parler , quoiqu'elle foit très-différente de la bonté morale , qui ne peut convenir qu'aux Etres doués d'in- telligence & de raifon.

La bonté qui convient à l'Etre , eft une bonté métaphyfique , qui confifte en ce qu'un Etre ait tout ce qui lui eft né- cefTaire pour être propre à la fin à laquelle Dieu Ta deftiné. Dieu ne pouvant fe tromper dans fes ouvrages , il eft impofîî- ble qu'une créature n'ait pas tout ce qu'il lui faut pour pouvoir arriver a la fin pour

laquelle

La Métaphyfique* ^5

laquelle elle a été créée. Tout Etre eft. bon métaphyfîquemenr. La bonté méca- phyfique de l'Etre eft inféparable de fon eflence , & de fa nature fans laquelle il ne peut exifter. Quand un Etre celle d'a- voir tout ce qui eft ellèntiel à un Etre d'une certaine efpèce , il n'eft plus un Etre de cette efpèce , il devient un Etre d'une autre efpèce. Mais la bonté mo- rah eft une vertu qui ne fe trouve pas dans tous les Etres intelligens , aufquels feuls elle peut convenir : on en diftingue de deux fortes , l'une qui eft la confor- mité de la volonté avec l'ordre ; l'autre qui n'eft autre cliofe que la bicnfaifance» Il n'eft que trop évident que ces deux for- tes de bontés morales manquent à la plu- part des Etres intelligens.

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é$ La Mêtaphyjique,

nmKammmmmmamaammÊÊmitmimaÊtmmmimmeÊÊmmÊmmÊmÊmÊmÊBmmtÊime

Article II. De runivocatîon de VEtn*

ON regarde fouvent comme inutile ce dont on ne connoît pas l'utilité ; il ne faut pas /:hercher d'autre raifon du peu de cas que les Philofophes modernes font de la queftîon que eous entrepre- nons d'examiner dans cet article. Les en- nemis de la fpiritualité de Tame humai- ne peuvent tirer des argumens très-fpé- cieux de l'univocation 4e l'Etre , pour prouver que la matière peut penfer -, c'eft pourquoi nous nous fommes déterminés à traiter cette queftion , dans la vue de fapper un des fondemens de leur erreur , & de rendre plus vidtorieufes les armes <iont nous ferons ufage pour forcer les Matérialiftes dans leurs derniers retran- chemens. îl eft très-difficile de réfuter folidement toutes les raifon s qu'ils met- tent en œuvre pour établir leur opinion il dangereufe dans fes conféquences , fans avoir démontré que l'Etre n'eft pas uni-

La Mitaphyjique» 6y

voque à l'égard de l'Etre penfant 6c de l'Etre matériel. Nous réduirons à trois propofitions tout ce qui concerne la quef- tion dont il s'agit, A la iuite de la dé- monftration de chacune de ces propor- tions 3 l'on trouvera la réfutation de tou- tes les raifons des Adverfaires.

Nous avons dit dans le premier Chapi- tre de la féconde Partie de notre Logique, que les termes peuvent être généraux & communs de trois manières. Lorfqu'on applique dans le même fens un term^e à plufieurs chofes , on le nomme univo» que. S'il fignifie plufieurs chofes diffé- rentes dans des fens divers , fans que les idées différentes qu'il exprime aient aucun rapport naturel entre elles , il s'ap- pelle équivoque, <^uand les idées diffé- rentes 5 exprimées par le même fon ont un rapport de caufê , ou d'elfet , ou de reffemblance , ou de iîgne , alors ce ter- me s'appelle analogue*

*

E ij

g 8 La MétapKyJîqué,

Première Proposition.

VEtre ncjl pas univoque à regard de la Subjlancc & du Mode-,

Démonstration.

L* Etre n'efl: pas univoque à l'égard de ia fubftance ôc du mode , n la fubftance n'eft pas un Etre dans le mê- me fens que le mode *, or la fubftance n'eft pas un Etre dans le même fens que le mode. Quand on dit que la fubftan- ce eft un Etre^ , on entend qu'elle eft un Etre exiftant en foi-même , Se qui n'a befoin d'aucun autre fujet pour exif- ter^ au lieu qu'en difant que le mode eft un Etre , on entend qu'il eft un Etre exiftant dans un autre Etre qui eft la fubftance , hors de laquelle le mode ne peut exifter. Quoique le mot d'Etre fem- ble fignifier quelque chofe de commun à la fubftance & au mode , il eft évi- dent qu'il n'a pas , quand on l'applique à la fubftance , la même ii^niiication

La Métaphyjiquè. ijj

qu'il a lorfqu'on l'applique au mode : donc \Etrc n'eft pas univoque à l'égard de la fubftance oc du mode : ce qu'il falloit dimontnn

Objection»

L'Etre eft univoque à l'égard de la fubftance & du mode > malgré la diver- sité qu'il y a entre les deux i parceque cette diverfîté vient de leurs différences , qui ne font point renfermées dans l'Etre coniidéré en foi , & en général.

Re'ponse.

Nous convenons que toute la diveriité qu'il y a entre la fubftance & le mode vient de leurs différences s mais ces dif- férences font réellement inféparables de la fubftance 6^ du mode , puifqu elles appartiennent à leur elTence. On peur , par une abftradion de l'efprit , féparer l'Etre de fes différences -, mais il les renferme réellement j &: cela fulïit pour que la fubftance foit un Etre différent du mode ^ de que le. mot d'Etre ne foit pas univo^

E iij

*fô La Métaphyjîque,

que à leur égard. Nos Adverfaires avouent- que le mot de fain n'eft pas univoque à regard de l'homme & des médicamens y néanmoins la diverfîté qu'il y a entr'eux , n'eft fondée que fur leurs différences : donc , puifque les hommes &: les médi- camens ne font pas appelles fains dans un fens univoque , la fubftance & le mode ne font pas appelles Etres dans un. ftns univoque.

Objection..

Le moyen terme d'une démonftratîon doit être univoque ; s'il ne l'étoit pas j il feroit équivalent à deux termes diffé- rens , & il y auroit quatre termes dans la démonilration -, ce qui la rendroit un fophifme. L'Etre eft le moyen terme d'une démonftration exade , telle eft celle qui fuit:

Tout Etre, efl întcUlgihle ; La fuh fiance eft un Etre :■ Donc elle eji intelligible,

L'Etre eft donc un terme univoque.

La Mètaphyjîque^ 71

Re" P O N s £.

Il n'eft pas néceflaire que le moyen terme d'une démonftration foit univo- que pour qu'elle ne renferme que trois termes ; il fuffit que le moyen terme foit pris univerfellement & félon toute fon étendue dans l'une des prémijfcs > comme on l'a démontré dans la Logique en parlant des régies du Syllagifme. Dans l'exemple rapporté ci-defTus ^ le mot d'Etre qui eft le moyen terme , eft pris une fois univerfellement êc fans au^ cune reftridion ^ c'eft pourquoi le rai- fonnement cité conclut bien , & fait une bonne démonftration ; quoique l'Etre ne foit pas univoque à l'égard de la fubftançei 6c du mode.

E w

7i La Metaphyjîqué.

Seconde Proposition.

'UEtrc nefl pas univoquc a Végard dt Vcfprit & du corps,.

DÉMON STRATION.

SI rEtre ne fignifie pas quelque chofè de commun à l'efprit èc au corps , il n'eft pas univoque à leur égard *, or l'Etre bien loin de fîgnifier quelque cho- ie de commun à l'elprit & au corps , & qui foit femblable dans eux , il iigni- iîe des chofes d'une nature tout- à- fait différente. L'Etre dans l'efprit eft quel- que chofe qui penfe , qui n'eft poinc étendu , ni divinble, d>c qui eft incapa- ble de mouvement , de repos , de figu- re 5 de couleur , 6c£. L'Etre au contraire dans le corps eft quelque chofe qui ne fçauroit penfer , qui efl étendu , divifi- ble , impénétrable , bc capable de mou- vement > de repos , de figure , de cou- leur 5 &c. Tout ce qui convient à l'un eft diamétralement oppofé à ce qui con-

La Métaphyjîque. 75

vient à l'autre-, au lieu d'être fembla- bles 5 ils font d'une nature tout-à-faic différente. Il y a beaucoup moins de ref- femblance entre l'efprit <5<: le corps , qu'en- tre le pied de l'homme &: le pied de la montagne. Nos Adverfaires reconnoif- fent que le mot de pied n'eft pas uni- voque à l'égard de l'homme & de la montagne *, ils ne fçauroient donc fe dif- penfer d'avouer que l'Etre n'eft pas uni- voque à l'égard de l'efprit 6c du corps : y^& quilfalloit démontnr.

Objection.

Le mot iEtre fignifie quelque chofe de femblable lorfqu'on l'applique à l'ef- prit Ôc au corps : car on entend la même chofe par ce terme , quand on dit que Vefprit ejl un Etre ^ que lorfqu'on dit <^ue le corps ejl un Etre : la première proportion ne fignifie pas que l'efprit eft un Etre qui penfe , qui n'eft point éten- du 5 ni divifible , &c. La féconde ne iignifie pas non plus que le corps eft un Etre qui ne fçauroit penfer , qui eft étendu , divifible , ôcc. Le fcns du niot

74 -^^ Métaphyjîquté

êi'Etrc dans les deux propofitîons ell touc-à-fait le même *, puifque ce mot iî- gnifie iîmplement que i'exiftence qui conftitue l'Etre , convient également an corps & à l'efprit j quand on les con- çoit fans leurs différences. L'Etre eft donc univoque à l'égard de l'efprit 6c du corps.

R É POK s E.

Ce qui ne fçauroît penfer , ce qui eft nécelTairement étendu , divifible , mo- bile , capable de repos , de figure , de couleur , n'eft point femblable à ce qui penfe , à ce qui nécelTairement n'eft point étendu , divifible , mobile , capable de, repos , de figure , de couleur , or l'Etre dans le corps , eft quelque chofe qui ne fçauroit penfer , qui eft néceffaire-^, ment étendu , divifible ^ mobile , capa- ble de repos , de figure , de couleur v l'Etre dans l'Efprit eft au contraire queU que chofe qui penfe , qui néceflàirement n eft point étendu , divifible , mobile ,, capable de repos , de figure , de cou- leur. Nous devons juger de la même

La Métaphyjîque. jf

manière du fens de ces deux propofitions : ^e corps cjl un Etre , Vzfprit efi un Etre , que du fens de ces deux aucres : Ict partie inférieure du corps de Vhomms.. qui foutient les autres y ejl le pied ; la. partie inférieure de la montagne qui fou- tient les autres ^ efl le pied, La compa- raifon ne doit pas être rejettée par nos Adverfaires *, parcequ'il y a réellement une plus grande différence entre le corps ôc l'efprit qu'entre le pied de la mon- tagne d>c le pied de iliomme. Le pied eft conçu fans fes différences par une abflradion de Tefprit dans les deux pro- pofitions où il fe trouve 5 ainfî que \Etr& î'eft dans les deux autres : mais cette abf- tradion n'empêche pas que VEtre dans les deux premières propofitions ne ren- ferme nécefTairement fes différences ef- fentielles , ainfî que le pied dans les deux autres. Par conféquent VEtre étoit uni- voque à l'égard de l'efprit ôc du corps , le pied feroit à plus forte raifon univo- que à l'égard du pied de l'homme 3c du pied de la montagne. Donc , puis- que nos Adverfaires reconnoilfent que le terme de pied n eft pas univoque à

^B La Métaphyjîque".

regard du pied de l'homme & du piei de la montagne , ils ne fçauroient fou- tenir , fans être en contradidion avec eux-mêmes , que VEtrc eft univoque a l'égard de l'efprit ôc du corps..

Objection.

Si VEtrc n'eft pas univoque à Tégard- de l'efprit & du corps , il n'y aura au~ cun terme univoque *, ce qui eft évi- demment abfurde.

R e' P O N S E.

Quoique VEtrc ne foit pas univoque- a l'égard de l'efprit & du corps , le ter- me de fubjlance eft univoque à l'égard de tous les corps *, le terme à^ animal eft univoque à l'égard de tous les ani- maux y le terme à\homm& eft aufli uni- voque à l'égard de tous ks hommes; le terme à^ c&rcU à l'égard de tous les cercles *, le terme de triangle à l'égard de tous les triangles En ôtant par la penfée , & par une abftradtion de l'ef- prit les différences qu'il y a entre lea

La Métaphyjîque. 7*;^

<forps 5 on conçoit qu'il refte ce qui rend le corps une fubjlancc , fçavoir reten- due qui eft fembiable , 6c de même na^ rure dans tous les corps. Après avoir ôté par la penfée toutes les différences qu'il j a entre les animaux , on conçoit de même qu'il refte ce qui conftitue V animal , c'eft-a-dire , le finjitif qui eft fembia- ble & de la même nature dans tous les animaux. On peut dire la même chofô de Vhomme à l'égard de tous les hom- mes *, du cerch à l'égard de tous les cer- cles j du triangle à l'égard de tous les triangles. Il y a donc plufîeurs termes univoques ; quoique \Etre ne le foit pas à l'égard de l'efprit & du corps.

Nos Adverfaires ne font pas attention à la dangereufe conféquence qu'on peut tirer de leur opinion j la voici *, ii ÏEtrc «ft univoque à l'égard de l'efprit & à\x corps 5 ce qui le^ conftitue eft fembia- ble 5 &: de la même nature dans les deux^ èc ce qui eft VEtre dans le corps eft fuf» ceptible de la penfée qui convient a l'ef- prit , comme un corps eft capable d'avoir tout ce qui eft dans un autre -, parceque €e qui conftitue le corps en général , eft

y s La métaphyfique.

fembkble dans tous les corps , & de la jnême nature : donc U corps ou la /tz^î- ùlrc peut penfcr.

Nous rendons à la plupart de nos Ad- verfaires la julHce de croire qu'ils ne font pas du fentiment de ceux qui di- fent que la matière peut penfer ; mais les Ennemis de la fpiritualité de Tame humaine pouvant tirer de lopinion que nous avons folidement réfutée , un ar- gument très-fort pour établir leur erreur qui fappe un des premiers fondemens de la Religion & de la Morale , nous avons cru qu'il étoit important de prouver que VEtrc n'eft pas univoque à Tegard de Tet prit 6c du corps.

La Métaphyjîque. 79

Troisième Proposition.

VEtrc n^ejl pas unîvoque à l* égard de Dieu & de VEfprit,

DÉMONSTRATION,

SI VEtrc n eft point femblable , ni de la même nature dans Dieu , ÔC ddans l'efprit , il n'eft pas univoque à leur égard ; or VEtre n eft point fem- blable , ni de la même nature dans Dieu & dans l'efprit : dans Dieu il eft nécef- faire , éternel , parfait > infini , indépen- dant *, dans l'efprit au contraire il eft con- tingent , créé 5 imparfait , fini & dépen- dant : il n'eft donc pas femblable , ni de la même nature dans Dieu & dans l'ef- prit : donc il n'eft pas univoque à l'égard de Dieu & de l'efprit : ce qu'il fallait di^^ montrer.

Il réfulte de cette démonftration , que pour parler de Dieu avec exactitude , il ne faut pas fe confulter foi-même , mais 5'élever en efprit au-delTus de tous les

So La Métapkyfiquem

autres Etres , 6c confulter l'idée vafte immenfe de XEtrc infiniment parfait ; afin de ne rien dire de Dieu qui ne foit conforme à cette idée qui nous le repré- fente tel qu'il ell: réellement. Il ne peut être permis de dire que Dieu s^cji rc^ penti y quil s^ejt mis en colère , que dans un difcours de morale *, mais ces exprefîîons , & toutes les autres fembla- bles dont on fe fert en parlant des créa- tures 5 ne doivent jamais être employées en parlant de Dieu dans un Traité pu- rement métaphyfique , dans lequel il raut toujours parler des chofes avec exaditu- de y d'une manière qui réponde à leur nature , & qui ne foit pas capable de nous induire en erreur. Lorfqu'on attri- bue à Dieu les perfections qui fe trou- vent dans l'Efprit , ce n eft que dans un fens très-équivoque. Quand on dit , par exemple , que Dieu penfe -, il faut en- tendre qu'il penfe parfaitement ; au lieu que l'Efprit ne penfe qu'imparfaitement. Quand on dit que Dieu eft une fubft an- ce 5 il ne faut pas entendre fîmplement qu'il fubfifte en lui-même *, mais encore par lui-même *, au lieu que l'Efprit fub-

fifte

Ld MitaphyfiqUé. % I

Me par un autre. Quand on dît que Dieu exille , cela fîgnifîe qu'il exifte ef- fentiellement , néceUairement , & de tou- te éternité -, au lieu que toutes les autres chofes exiftantes n'ont qu'une exiftence contingente , qui a commencé , qui peut finir , 6c que Dieu leur a donnée.

Si les langues éroient formées félon les régies de la Logique , il y auroit bien plus de juftefle dans les difcours -, & il îeroit bien plus facile d'expliquer exadte- ment & clairement par d'autres mots le fens de chaque terme , ou l'idée qu'il fîgnifie. Les exprelîions confacrées par l'ufage introduit le plus fouvent par des gens qui ignoroient la nature des cho- fes , couvrent la vérité d'épailTes ténè- bres , qu'on a bien de la peine à difÏÏ- per 5 & plongent les hommes dans des erreurs , d'où il n'eft prefque pas polE- ble de les tirer.

Lorfqu'un même nom eft donné , à caufe de quelque reiTemblance , à des chofes diverfes , dont la différence eft fenfible , tous conviennent que ce nom n'eft pas univoque , comm.e on le voit par les termes àepUd , tête pfain : mais

F

§ % La Mêlàpkyfiqué^

Il la divêrfité des chofes aufquelles ôft a donné le même nom , ne peut être connue fans une profonde méditation , pour lors on regarde ce nom comme uni- Voque : ainfî VEtn eft regardé comme uni*» voque à l'égard de l'Efprit & du Corps \ à l'égard de Dieu & de l'Efprit , par ceux qui reconnoiflënt que le mot àepudnQ^

Ï>as univoque à l'égard de l'homme & de a montagne j néanmoins en examinant avec attention la nature de VEtrc dans Dieu j, dans l'Efprit & dans le Corps ^ l'on y trouve une différence beaucoup J)lus grande qu'entre le pied de l'hom-, tne 6c le pied de la montagne.

CHAPITRE III. D^^ tfpèccs de rÈtn.

L'HÊTRE en général fignifie tout ce qui peut exifter , foit réellement , foit par la penfée. Le terme d'Mtre pris dans feîis le plus vague qu'il puiflè

I

La Mitapkyfique» 85

avoir , eft le plus étendu & le plus uni- verfel de tous les termes. Tout ce qui eft , peut être , quoique tout ce qui peut être ne foit pas : donc tout ce qui exifte , peut exifter. Il fuit de cette défi- nition de VEtrc en général , qu'il eft op- pofé au rien proprement dit , qui eft VimpoJJîbU _, le niant y et qui impliqua •contradiction»

L'Etre pris dans le fens qu'on vient de dire , le divife en Etre réel &c Etre de raifon. Quelques Philofophes défi- niflènt ÏEtre réel y tout ce qui exifte , ou peut exifter réellement , au lieu que XEtre de raifon y félon eux , eft tout ce qui ne peut exifter que par la pen- fée. Les chofes générales que nous con- cevons par des abftradions de Tefprit , exiftent par la penfée -, car exifter par la penfée c'eft être connu , c'eft être l'ob- jet d'une perception , d'une idée : par con- féquent les chofes générales , étant les objets des idées générales , elles font des 'Etres de raifon.

Les idées générales font l'ouvrage de Tentendement : nous les formons , com- me on l'a dit , par des abftradions de

Fij

igi^ La Métaphyfiquté

i'efprït. En Voyant , par exemple » uî| triangle , fi je ne m'applique qu'à peft<^ fer que c'eft une étendue bornée par trois iigftés 5 l'idée que j'aurai pour lors , fera capable me repréfenter tous lés trian- gles. Si pouffant encore plus loin l'abf- traction , je ne penfe qu'à une étendue bornée de toutes parts , fans conlidérer la tnanière dont elle eft bornée ^ je rends ridée encore plus générale ; car cette fe*- Cpnde abftradion la rend capable de re- préfenter toutes fortes de figures.

Quoique les chofes générales ne puif- fent pas exiftèr réellement , elles ne font pas des chimères qui doivent être con- fondues avec le fun proprement dit , C'e(l-à-dirè , rimpDflîble , & ce qui im- plique contradidion \ puifqu on ne fçau- roit en avoir une idée , il ne peut pas fiième èxifter par la penféc : telle eft une fnontagne faîfs vallée. Les cho/es générâ- tes peuvent exifter par la penfée : il faut ^onc les diftinguer du néant 3c de l'im- poffible qui eft oppofé à VEtn,

Il f en a qui reftreignent la fîgnifîca- don de VË£re réel , à ce qui exifte réel- èâraênt 5 'Se qui entendent par £^r4 d4

La Mitaphyjîque. t^

ratfon généralement tout ce qui n'esifte, que par la penfée , foit qu'il puixTe a foit: qu'il ne puifle pas exifter réellementav Ils admettent deux fortes d'Etre ds ral^ fon ; ils nomment par Etre de raifom. ce qui n'exifte que par la penfée , &: qui ne fçauroit exifter réellement \ maia tout ce qui exifte par la penfée , & qui peut exifter réellement , ils l'appellent amplement Etre de raifon. Toutes îfe^ chofes générales que nous concevons par. des abftraétions ,, font de purs Etres d& raifon ; pateequ'elles exiftent par la pen-- fée , fans pouvoir exifter réellement î elles différent du niant , qui ne peut pas être connu > parcequ'il n'a point de- propriété , 6c pouvoir être connu^ efl: une propriété *, elles différent auiH de ce qui exille par la penfée , & qui peut eti. même tems exifter réellement ; parcequ'il eft une chofe déterminée , fîngulière ; en. un mot un individu ^ à qui £bul l'exif=r. tence réelle peut convenir.

Nous diviferons ce Chapitre en troî^? Articles. Dans le premier nous parlerons, des différentes fortes de fubftances ; dans \^ fécond s diQS différe.ntes fortes dp m0^>

8g Xa Métaphyjiqut.

des *, te dans le troifiérae , des diffère»- t^% fortes de caufes & d'effets.

Article Premier. ^Dcs différentes efpices de Suhjlances^

TOUTES les efpèces de l'Etre fe ré- duifent à la. jubjiance ÔC au mode. Tout ce qu'on peut concevoir , ainfî que tout ce qui peut exifler réellement , effc fuhjîançe ou mode.

On sl^^qWq fuhjiance tout ce qui peut exifter en foi-'même , & qui n'a pas be- foin d'un fujet pour exifter. On entend ici par fujet ce dans quoi une chofe exifle.

Le mode eft ce qui a befoîn d'un fujet pour exifter *, il exifte dans la fubC» tance , & ne fçauroit exifter hors d'elle , parcequ'il eft une manière d'exifter de la fubftance.

La fubftance fe divife en complette ÔC Incompktte» La fubftance complette , eft celle qui n'eft pas partie d'un touî j U

La MètapKyJtque^ tj-

fubftance incompktu , eft celle qui eft partie d'une autre.

La manière dont la fubftance exifte » fe nommQ fubjijience , ôc celle qui con- vient au mode qu'on appelle aufli acci^ déni , s'appelle inhérence. On dit que le mode eft inhérent à la fubftance , ^„ que la fubftance fubfifte en foi-mème»

Quoique le mot de fuhjîfiençe ait d'a- bord iignifié la manière dont toute fubt. tancejloit complette, foit incomplette s, exifte *, les héréhes qui ont pris naiftancQ dans les pre:miers fîécles de l'Eglife , ont fait fentir la néceflîté de reftreindre U fignification de ce mot > de forte que- pour expliquer clairement t< fans équi^ voque aux Fidèles les Myftères de la Trit nité & de l'Incarnation , les Auteurs Ec?^. cléfiaftiques n'ont employé le mot à^fuh^ Jifience que pour fignifier la manière dontv une fubftance, fîngulière, parfeitçmens;- complette , exifte.

Une fubftance déterminée , fingulièrea parfaitement complette, eft appellée/è^^^ pot ; fi le fuppôt eft doué de raifon > on, Rappelle Perfonm, Un homme eft unQ. perfonnci une pierre eft un fuppoç,a.,%

F iv

^8 La Métaphyjiquè.

quel le nom de perfonne ne peut conve^ nir. Les Philofophes difent que Us ac^ lions font des fuppôts , pour dire , des individus j ce qui iignifie qu'il n'y a que les individus qui foient capables d'agir > cela eft évident , puifqu'il n'y a que les individus qui puilTenc exifter réel- lement.

Suppôt fe dit aufîî de ce qui ferc de baie & de fondement à quelque chofe , & quelquefois il iignifie une perfonne foumife :> 6c foufordonnée à «ne autre.

Il eft très-important de dîftinguer la fuhjîance , ou la nature & Vcjfencc , du fuppôt 5 ou de la perfonne que les Grecs appellent: hypojldfe. La fubftance diffère du fuppôt comme le genre diffère de l'ef- pèce. Tout fuppôt , toute perfonne effc une fubftance , une nature ; mais toute fubftance ou nature n'eft pas un fuppôt. Le défaut de cette diftinâion a été la fource des hérélies de Sabellïus > ^Arius , de Nejlorius & à'Eutychés, Chacun d'eux raifonnoit fur ce -faux principe , que la perfonne & la nature ou fubfiance font um mêm^ çhofc, nj a (ju'uiie nature.

La Métaphyjîque. § 5

^n Dieu 5 difoit Sabdlius ; donc il n'y a aufïî qu'une perfonne. Il y a trois per- fonnes en Dieu , difoit Arius ; donc il y a aufli trois natures. Jl y a deux na- tures en Jefus-Chrift , difoit Nejiorius * donc il y a aufli deux perfonnes. Il n'y a qu'une perfonne en Jefus-Chrill: , di- foit Eutychés j donc il n'y a auflî qu'une naturer

On peut juger par ce que nous venons de dire , de quelle conféquence il eft de parler avec la plus fcrupuleufe exaftitu- ce 5 fur-tout quand il s'agit de chofes aufïî importantes que le font toutes cel- les qui ont rapport aux dogmes de la foi.

La fubflance fe divife en fubflanee penfantc , 6c fubflanee non --pcnfanu , c'eft-à-dire , en fubflanee matérlclU , èc fubflanee immatérielle ; nous n'avons point d'idée d'aucune autre fubflanee.

La fubflance/?e/?/^if2/e & immatérielle , eft celle qui a du fentiment , de la per- ception & des penfées , on l'appelle Ef- prit :■ telle efl l'ame humaine , c'eft-à- 4iXQ ce qui pçnfe dan? nous.

^0 La MétaphyJIqutè

Ha fubftance matcridU de nùn-pen* fantc , eft celle qui n'a ni fentiment , ni perception , ni penfée , tel eft le bois > la pierre , & généralement tout ce qu'on appelle Corps.

Le corps ôc Tefprit confidérés en eux-^ mêmes , ne renferment dans leur idée aucun mode aduellement exiftant , Se étant confidérés comme tels 6c tels , ils

A-

parcequ'il n y en eux qui ne fubfîfte en lui-même : dc nommer Etres modaux owfuhjlances ma^ dijiées tous les efprits & les corps par- ticuliers j parcequ ils renferment dans leur idée cies modes qui font une par-i tie de leur efTence.

Dieu produit les fubftances immédia-«î tement par lui-même , par une adion qu'on nomme création ; mais il ne pro- duit les modes que médiatement par les fubftances , & par une aftian qu'on ap- pelle ginératiû^n,

La fubftance penfànte eft parfaite ou imparfaite. Dieu eft la feule fubftance

La Mitaphyjiquei 5 1

|)enfante qui foit parfaite *, toutes les au- tres font imparfaites > & dépendent de lui , de qui elles tiennent l'exiftence , 6c qui peut feul la leur donner. La penfée qui convient à Dieu eft indépendante ôC parfaite ; celle qui convient à l'efprit eft imparfaite 6^ dépendante de Dieu. Dieu fubfifte en lui-même & par lui-même : l'efprit fubfifte bien en lui-même , mais non pas par lui-même. Dieu feul eft une fubftance fîmple à tous égards , & exemp- te de toute forte de composition. Il n eft pas compofé de genre & de difterence *, le mot de genre fignifie une chofe indé- terminée dont ridée répugne à la nature d'une fubftance parfaite qui eft néceflai- rement unique & déterminée. Dieu n'eft pas non plus compofé d'elîence 6c d'exif- tence > ces deux attributs peuvent être féparés dans les fubftances imparfaites , à qui l'exiftence aduelle n'eft pas eflen* tîelle s mais ils font toujours une feule & même chofe dans Dieu , à qui l'exif- tence actuelle eft auffi eflentielle que les trois angles font efïèntiels au triangle. Enfin Dieu n'eft point compofé de fubf- tance 6c de mode ou d'accident j le mode

^% LaMètapkyJiqaèê

©u Paccident ne convient proptement qu'à la fubftance muable & imparfaite ; Dieu eft effentiellement immuable \ il n'y a rien en lui , ni hors de Im qui aiî la puiffance de le faire changer.

\.QS corps font animés , ou inanimésJ Les corps animés , font ceux qui ont un principe de vie , & une amt ; & lesi corps inanimés , font ceux qui n'ont ni principe de vie , ni ame. Les corps des plantes de des animaux font regardés comme des corps animés , tous les aa- cres corps font inanimés.

Le mot à' ame eft équivoque : dans l'homme il fignifie l'efprit confidéré en tant qu'uni au corps j dans les plantes; il (ignifie un certain arrangement de par- ties 5 3c un certain mouvement à€is lues nourriciers 5 d'où dépendent î^es facultés qu'on appelle végétales , qui rendent lesï

Î>lantes propres à faire les fondions qu'eU es exercent , qui font la nourriture , l'ac- eroifïement 5 & la génération. Dans les Bètes le mot èHamz fignifie auffi un cer- tain arrangement de parties, & un cer-^ tain mouvement è^^ efpriis animaux , du fang ôc des autres liqueurs dans les

La Métaphyjîque» 95

Vâiffeaùx dont kùr corps eft cortipofé , d'où dépendent non- feulement les facul- tés végétales qui leur font communes avec les plantes , mais encore les facul- tés qu on nomme fcnjitivcs , qui leur font propres , & qui confiftent dans les organes de leurs fens.

Les Anciens ont admis trois fortes £arm ; Tame raifonnahU 9 l'ame finji- zîvc 9 & l'ame végétative. Les plantes , félon eux , n'ont que l'ame végétative \ les bêtes ont la végétative & la fenfî- live : toutes les trois font réunies dans l'homme. Ils ont appelle la fubftance fen- iitive , animal qu'on divife en raifon^ nahh , qui eft l'homme , & en îrraifon^ nahU y qui eft la bête.

Il y a difterentes fortes de bêtes : elles n'ont pas toutes les mêmes facultés , ni les mêmes fens. Les huîtres & tous les coquillages n'ont que le fens du tad; leur corps n'a point la faculté de fe mou- voir. Les limaçons ont le taâ: , 6c le goût 5 avec la faculté de fe mouvoir. Lqs vers ont les deux mêmes fens , & des on- gles fans pieds *, ils fe fervent de leurs angles pour s'attacher au corps fur le-

5^4 ^^ Métapkyfiquëé

quel ils fe meuvent. Les chenilles ont des pieds & des ongles dont elles fe fer- vent pour monter fur les arbres , & fe fufpendre aux feuilles 5 elles fe meu- vent lentement , parcequ'elles n'ont point d'yeux. Les infedes volans voient & fe meuvent très-vite par le moyen de leurs pieds & de leurs ailes. Les poifîbns ont l'organe de l'odorat , mais ils font fourds &: muets. Les oifeaux ôc les quadrupè- des ont l'oui & la voix , outre tous les fens dont on vient de parler.

On divife encore les corps enfimpUs. ou homogènes , & en corps mixtes» Lqs cot^s (impies ou homogènes y font ceux dont les parties font de la même natu- re y tels font les corps élémentaires dont les corps mixtes font compofés. Lqs corps mixtes , font ceux dont les parties font de différente nature. Les corps mixtes font organiques , ou deftitués d'organes. Les plantes &: les animaux font des corps organiques -, les métaux , les pierres , & généralement tous les autres corps font peftitués d organes*

La. Métaphyjîqué^ 9j

thM— —Mil I II mÊÊÊÊtmmÊÊm

Article IL Des diffirmus efpiccs de Modes2

NOus avons dit que le mode eft une manière d'être ou d'exifter , qu'on nomme auflî modification , qualité j ac^ çident.

Le mode eft une efpèce à' Etre qui ne fçauroit exifter fans un fujet , qui eft la fubftance dans laquelle il exifte néceflai- rement , & hors de laquelle il ne peut exifter -, il la détermine à être d'une cer- taine façon , & la fait nommer telle.

Les modes d'une fubftance peuvent changer fans caufer un changement elïèn- tiel dans la fubftance à laquelle ils ap- partiennent. Le corps qui de blanc de- vient noir , qui de rond devient quatre , qui de chaud devient froid , change de mode ou de manière d'être > fans que ce qui lui eft efTentiel , reçoive aucun chan- gement : il ne change qu'à l'égard de quel- ques accidens.

On peut réduire tous les modes à deux

^$ La Métaphyfiquié

efpèces , parcequ il n'y a que deux îon^t de chofes que nous concevons comme exiftantes en elles-mêmes ôc fans fujet j fçavoir l'efprit , & le corps , aufquels ap- partiennent généralement tous les mo- des. Il n'y a pas moins de différence entre les modes de Tefprit & ceux du corps , qu'entre ces deux fortes de fubf- tances»

Il faut obferver qu'il y a dés modes apparens qu'il ne faut pas confondre avec les modes vrais *, faute de les bien dif- tinguer on tombe fouvent dans l'erreur*

Les modes vrais font ceux qui ne peu- vent exifter hors de la fubftance à laquelle ils appartiennent , 6c fans lefquels la fubf- tance peut exifter \ ils n'en font que des accidens : le mouvement , la figure quar- rée 5 la couleur rouge , &c. font des vrais modes du corps , fans lefquels le corps peut exifter , & qui ne peuvent exifter hors du corps.

Les modes apparens font ceux qu'on regarde comme des modes , quoiqu'ils ne le foient pas \ telles font l'étendue &; la penfée. Nous fommes fi accoutumés à confidérer les fubftances comme mo- difiées

La Métaphyjîque» 97

difiées , que nous regardons le corps comme le fujet de l'étendue , & l'éten- due comme le mode du corps j nous con- fidérons auffi l'efprit comme le fujec de la penfée , & la penfée comme le mode de refprit : néanmoins la penfée eft l'ef- fence de l'efprit , & l'étendue eft l'efTen- ce du corps *, car l'efprit n'eft autre cho- fe que la lubftance penfante 5 &: le corps eft la même chofe que la fubftance éten- due. La manière de parler autorifée par l'ufage 5 contribue beaucoup à nous fai- re regarder le corps comme le fujet de l'étendue , èc l'étendue comme le mode du corps j car on dit 5 retendue du corps _, comme on dit , Le mouvement du corps ce qui paroît fignifier que le corps eft par rapport à l'étendue ce qu'il eft par rapport au mouvement : or le mouve- ment eft un mode du corps , ôc le corps eft le fujet du mouvement. On dit auffi , la penfée de VEfprit.

Il y a dans toutes les langues beaucoup d'expreffions qui ne font point confor- mes à la nature des chofes qu'on veut fignifier par certains mots -, ces expref- iîons peu e:".a6tes , ôc confacrées par l'u-

G

'y% Êa Métaphyfique,

fage 5 après avoir été introduites par des gens qui n'avoient pas des idées juftes 3es chofes 5 nous induifenc fouvent en "erreur , en nous portant a juger que les fub (lances font des modes , que les mo- des font des fubftances , que les chofes fembîables font différentes , bc que le^ différentes font fembîables. Nous difons ^ toutes les parties d'un tout y le drap d'un hahit > V étendue d'une table ; ce qui paroît fîgnifier que toutes les parties d'un tout font quelque chofe de différent éa tout , qui n eft cependant autre chofe \^ù^ ^s parties prifes enfemble *, que le drap eft une modification de l'habit , & l'écendïie une modification de la table > l'habit néanmoins efl une modification du drap 5 & la table une modification de l'étendue^

On divife les modes vrais en inti" rieurs y 8c extérieurs , comme nous l'a^ vous dit dans la Logique , en parlant de Vidée confidérée du côté de fon objet»

Les modes intérieurs font ceux qu'on conçoit dans les fubflances j tels font le mouvement , le repos , la figure , &o.

Les modes extérieurs font ceux qui

La Métaphyjique. 99

dépendent de quelque chofe qui n'eft pas dans les fubftances \ comme cflïml , aïmè y connu , &g. qui font des modes pris dans l'adion d'autrui. On appelle dénominations extérieures les noms qui expriment les modes extérieurs , parce- que ces noms ne lignifient que les ma- nières dont on conçoit les chofes.

Il y a aufli àcs modes qu'on appelle négatifs , parcequ'ils repréfentent les fubftances avec la négation de quelques modes véritables : par exemple , l'impru- dence 3 l'inJLiftice , l'ignorance , font àQS modes négatifs , parcequ'ils nous repré- fentent la fubftance qui penfe , avec un défaut de prudence , de juftice , de fcience.

Tous les modes ont cela de commun , qu'ils font la fource de toutes les pro- priétés particulières aux fubftances qu'ils modifient. Toutes les propriétés particu- lières au corps & à l'efprit coniîdérés en eux-mêmes , tirent leur origine de l'éten- due & de la penfée , qui font des mo- des apparens. Le mouvement èc la figu- re , qui font deux vrais modes intérieurs du corps , font la fource de toutes les

Gij

XûO La Métaphyjiqm.

propriétés qui appartiennent au corps confidéré comme mu & %uré. Les qua- lités de Père & de Maître , qui font des modes extérieurs , font la fource de tou- tes les propriétés particulières à ceux qui ont des enfans ou des domeftiques. En- fin l'ignorance , Tinjuftice & l'impru- dence > qui font des modes négatifs , font, aulîi l'origine de toutes les propriétés particulières aux ignorans , à ceux qui font injuftes , ou imprudens.

Ariftote a réduit tous les modes à neuf claffes , & toutes les fubftances à une feu- le \ ces dix clafles font les dix Cathégo- ries que ce Philofophe a admifes , pré- tendant qu'elles comprennent générale- ment tous les objets de nos penfées. Nous fommes bien éloignés de croire que les dix Cathégories d' Ariftote foient auflî utiles que le penfent les partifans de ce célèbre Philoiqphe , qui les regardent comme étant très-propres à former le ju- gement 5 &: à rendre nos idées claires & diftindes.

Les dix Catliégories d' Ariftote ne font point établies fur la raifon & fur la vé- dréj Tarrangement qu'il, a fait des ob-

La Métaphyjiqut* rof

jets de nos penfées , eft tout-à-faît arbi- traire $ il eft même dangereux , parcequ'ri' n'a admis qu'une feule Cathégorie des fubftances , & il auroit du en admettre au moins deux ; puifque la fubftance ou l'Etre n'eft pas univoque , comme nous, l'avons prouvé , à l'égard du corps 6c de l'efprit. D'ailleurs, les Cathégories d'A- riftote accoutument les hommes à fe con- tenter de mots dont ils n'entendent pas la lignification , & à s'imaginer qu'ils fça- vent les chofes , lorfqu'ils n'en connoif- fent que des noms arbitraires qui n'en donnent aucune idée claire.

Afin qu'on puiffe juger fi ces Cathé- gories (\ vantées , méritent le cas qu'oiï en a fait pendant tant de fiécles , nous- croyons devoir dire ici un mot de cha- cune en particulier.

La première comprend fuhflancc > qui eft corporelle ou fpirituelle.

La féconde comprend la quantité p qu'on nomme difcnttc , quand fes par- ties nefont pas liées , &: continue quand elles font liées : le nombre eft une qiian-». tité difcrette *, l'étendue & le tems fons des quantités continues. La. quantité con-.

G iii

10 1 La Mêtaphyjique.

tinue fe divife en fuccejjivc y comme le tems , ôc en permamnu , comme l'éten- due 5 les parties de la première font liées , mais elles n exiftent pas enfemble *, cel- les de la féconde font liées , ôc exiftent enfemble. On entend par le mot de quan- tité y tout ce qui eft fufceptible d'aug- mentation &: de diminution.

La troifiéme comprend la qualité , dont Ariftote fait quatre efpèces , qui font , 1°. les habitudes acquifes par des ades réitérés , comme la fcience , la vertu , la facilité de parler , d'écrire. 2°. I-es puiffances naturelles , comme les facul- tés de l'ame , l'entendement , la volon- té y OU celles du corps , par exemple , la puifance de marcher , de chanter. 3°. Les quaUtés feniibles , comme la cha- leur , la couleur. 4°. La forme ou la fi- gure , comme être rond , quarré.

La quatrième contient la relation y qui eft le rapport d'une chofe à une au- tre ; par exemple , du Père au fils 5 de la puiiTance à fon objet , de l'ouï aux fons , & de tout ce qui marque quelque com- paraifon , comme égal , inégal , plus grand, plus petit.

La Métaphyjîqu&é. 103^

£a cinquième Cathégorie eft celle, de Vaciion , qui fe fait ou en foi-même j, comme parler , danfer , ou hors de foi- même , comme bâtir , peindre , écrire 3 graver.

Ce qu'on appelle pajjlon appartient à la fixiéme , comme être volé , être pris ^ être battu.

La feptiéme eft le luu ^ c'eft-à-dire , ce qu'on répond aux queftions qui regardent le lieu les chofes font -, comme être â Paris , a la campagne , dans le jardin ,, dans la chambre.

Dans la huitième eft le quand^ ç'eft- à-dire ce qu'on répond aux queftions qui regardent le tems , comme , Quand par- tez-vous l demain , Dimanche.

La neuvième contient la jiniation y comme être afïîs , être debout.

La dixième comprend V habillement , c'eft- à-dire 5 tout ce qui fert de vête- ment 5 de parure , & qu'on a autoui: de foi.

Quoique Ariftpte dans fes Cathégodes- ne fafte mention que de neirf fortes de modes , il eft certain qu'il y en a un beaucoup plus grand nombre. Il a mal

G iv

104 La Mctapkyjlque.

à propos compris dans la même claiïe la fubftance corporelle avec la fubftance fpirituelle , parcequ'elles ne font point femblables. Les modes du corps étant aullî très-difFérens de modes de refprit , ils doivent être mis dans deux clafTes différentes , dont l'une foit celle des mo- des du corps , & l'autre , celle des modes de l'efprit.

Article III, ^JDcs différentes fortes de Caufes & d'effets.

ON peut confidérer tous les Etres comme caufes ou comme effets. Les mots de caufe Ôc d'effet étant récipro^ ques 3 il y a autant d'efpèces d'effets que de caufes.

Caufe en général fignifîe tout ce qui contribue à produire une chofe. Les An- ciens ont diilingué quatre fortes de cau- fes 5 fçavoir , la caufe finale , la caufe matérielle , la caufe formelle ^ la caufe efficiente ; quelques-uns ajoutent la çaufc

l

"La Métaphyjïque. lof

exemplaire , qui eft le modèle que l'agent fe propofe d'imiter , ôc par lequel il eft dirigé en faifant fon ouvrage.

La caufe jinaU , eft le motif qui fait agir l'Eure intelligent , ou la fin pour la- quelle une chofe eft faite j cette caufe n'a lieu que dans la morale. Il y a des fins principales ôc des fins accejjoires ; les fins principales font celles qu'on a particulièrement en vue , & les accelToi- res font celles qu'on ne confidére que par Gccafion.

La caufe matérielle , eft la matière dont une chofe eft faite , ou ce qui lui eft commun avec d'autres chofes , 6c qu'on appelle matière improprement ; par exemple , le marbre eft la matière ou la caufe matérielle de la ftatue qui en eft faite.

La caufe formelle ^ eft la forme qui diftingue une chofe de toutes les autres ^ & qui eft k fource de toutes fes proprié- tés. Il y a une caufe formelle qui eft une fubftance penfante , telle eft l'ame hu- maine qui eft la forme de l'homme. La caufe formelle àts corps ne confifte que dans une fimple combinaifon de plufieurs modes.

loS La Métaphyjtque^

La caufc efficiente, , eft celle qui prc^* duit réellement quelque chofe j on la divife en première ^féconde»

La caufe efficiente première , eft celle qui eft indépendante de toute autre , qui agit pour foi-même & par fa propre ver- tu , il n'y a que Dieu qui foit caufe effi- ciente première *, toutes les autres font des caufes efficientes fécondes.

Les caufes efficientes fécondes , font celles qui dépendent de la caufe pre- mière 5 & qui n'agilTent que par la ver- tu qu'elle leur a communiquée \ tellea font les créatures.

On divife la caufe en caufe totale bccau^ fe partielle, La caufe totale , eft celle qui produit feule tout un effet. Dieu eft la caufe totale de l'efprit & du corps , par- cequ'il n'y a que lui qui contribue à leur produdion , qui eft une création.

La caufe partielle , eft celle qui con- court avec une autre pour la produ6tion du même effet *, le père & la mère font des caufes partielles de leurs enfans.

On divife aufîi la caufe en caufe pro^ chaîne ou immédiate de caufe éloignée ^

La Métaphyjiqut. ic^

en caufc productive. & caufc confcrva- tive 5 en caufe univoquc 3c caufe éqiii^ roque , en caufe phyjïque ôc caufe mO" raie ou occafionndle , en caufe propre ôc caufe conditionclle _, en caufe prin^ cipale & caufe ïnfrumentale _, en caufe univerfelle^c caufe particulière , en caufe naturelle Se caufe intellecîuelle ^ en caufe libre ôc caufe néceffaire , en caufe in- terne ôc caufe externe. Il eft utile de fça- voir les définitions de tous ces noms, pour entendre le langage des Philofophes , & pour ne pas confondre ces différentes ef- pèces de caufes.

La caufe prochaine ou immédiate , eft celle qui produit immédiatement fon ef- fet *, le père eft caufe prochaine de fou fils. La caufe éloignée ^ eft celle qui pro- duit fon effet par le moyen d'une autre caufe •, l'aïeul eft caufe éloignée de fon petit -fils.

La caufe productive y eft celle qui don- ne l'exiftence à fon effet , ôc la caufe confervative , eft celle qui conferve l'exif- rence donnée par la caufe produdive > la mère eft caufe produdive de fon fils, ôc la nourrice eft caufe confervative.

I o 8 La Mètaphyjîqut^

La caufe. univoque , eft celle qui pro^ duit un effet qui eft de même nature qu'elle , &; la caufc équivoque , eft celle^ qui produit un effet qui n'eft pas de même nature qu'elle *, le père eft caufe univo- que à l'égard de fes enfans , & Dieu eft caufe équivoque à l'égard des créatures»

La caufe phyjique y eft celle qui pro- duit un effet par une vertu phyfîque , èc la caufe morale ,. eft celle qui détermi- ne une autre caufe à produire un effet j le feu eft la caufe phyiique de l'embra- fement d'une maifon , ôc celui qui met le feu à la maifon eft caufe morale de- l'incendie. Les ordres , les menaces , les prières 5 les exhortations > les confeils qui nous portent à faire ou à ne pas faire quelque chofe , font des caufes morales- Ce qui n'eft que l'occafion de non la- caufe direde d'un effet , eft une caufe^ morale.

La caufe propre ^ eft celle qui produit cfïèntiellenient un effet , & la caufe con* ditionelle^^k cellq qui n'eft que la con- dition fans laquelle l'effet ne feroit pas. produit 'r par exemple , les rayons du So* leil qui entrent dans une chambre ? font-

La Métaphyfîque. 109

îa caufe propre de la clarté de cette cham- bre , 6c l'ouverture de la fenêtre n eft -qu'une caufe conditionelle.

La caufe principale , eft celle qui pro- duit un effet par fa propre vertu , èc k caufe inflrumentale , eft celle qui n'agit que par la vertu d'une autre \ un ouvrier eft caufe principale de fon ouvrage , & les inftrumens n'en font que la caufe inftrumentale. Dans l'ufage ordinaire , on appelle caufe principale celui qui a plus de part à une chofe que les autres.

Par caufe univerfelle on entend quel- quefois celle qui peut produire générale- ment tous les effets , & par caufe parti' culiere , celle qui ne peut produire qu'un feul effet , ou que certains effets détermi- nés -, dans ce fens-là , Dieu feul peut être caufe univerfelle. Il y en a qui par caufe univerfelle entendent celle qui peut être déterminée à produire plusieurs effets ^ifférens , & par caufe particulière , celle qui peut déterminer la caufe générale ou univerfelle à produire divers effets ; pan exemple , l'air qui entre dans les orgues , eft une caufe univerfelle , &: la difpofi^ .îion de chaque tuyau , ôc l'organifte font

1 10 La Métaphyjîquê.

les caufes particulières qui détetminent l'air à produire des fons différens.

La caufe naturelle eft celle qui agit fans connoiflance , Ôc la caufe intellec- tuelle _, eft celle qui agit avec connoifTan- ce -, le Soleil eft une caufe naturelle , & l'homme eft une caufe intelleduelle à l'égard de ce qu'il fait avec raifon.

La caufe libre , eft celle qui agit li- brement 5 & la caufe nécejfaire , eft celle qui eft néceffitée par fa nature à agir d'une telle façon 5 le feu qui brûle le bois 5 eft une caufe néceffaire > &: un homme qui parle , eft une caufe libre.

La caufe interne , eft celle qui eft une partie du tout qui eft regardé comme fon effet 5 6^ la caufe externe \ eft celle qui n'eft pas une partie de fon effet \ l'ame humaine eft caufe interne de l'homme , & r Architede eft caufe externe du bâti- ment. La caufe matérielle & la caufe for- melle font des caufes internes , la caufe efficiente ôc la caufe finale font ordinai- rement des caufes externes.

Fin de VOntolo^ie*

La Métaphyjique, m

IM I IIIIIIIIIIMMIIIIWI— ■!! IIIIIIIIIMIMIIIIIBIMH

■' I

SECONDE PARTIE. La Théologie naturelle^

LA Théologie naturelle eft la fcience qui traite de Dieu , en tanL^qu'il peut être connu par les lumières de la raifbn *, nous nous renfermerons dans les bornes que prefcrit cette définition. Nous examinerons premièrement , de quelle manière nous connoifîbns Dieu -, fecon- dement , nous démontrerons fon exif- tence par toutes les raifons qui établif- fent invinciblement cette vérité fonda- mentale de la Religion ôc de la vérita- ble Morale j troifiémement nous parle- rons de fes principaux attributs que nous connoidons fans le fecours des lumières de la foi. Tout ce qui appartient à la fcien- ce qui confidére Dieu du côté de ce que nous en pouvons fçavoir , aidés feule- ment des lumières naturelles , fera com- pris dans ces trois Chapitres.

Itx La, Métaphyfique^

Nous ne nous contenterons pas M prouver de la manière la plus convain- cante 5 les vérités les plus importantes de la Théologie naturelle j nous tâcherons encore de les mettre dans le plus grand jour qu'il foit pofïible , en réfutant foli- dement les raifons des Adverfaires. Pour ne rien lailfer à defirer fur une matière aulîi intéreflTante , il eft nécelTairetle ré- pondre aux objedions que les incrédules ont l'art de mettre en œuvre dans le fié- cle nous fommes , avec la fubtilité la plus féduifante : l'on ne fçauroit les forcer dans leurs derniers rerranchemens , fans diffiper les ténèbres qu'ils s'efForcenc de répandre fur l'exiftence d'un Dieu créateur , par les raifonnemens les plus captieux , afin de rendre au moins cette vérité douteufe , lorfqu'ils ne peuvent pas détruire les preuves fur lefquelles elle eft fondée. D'ailleurs , l'expérience nous apprend que la prévention met fur ' lés yeux de ceux qui font dans l'erreur , un bandeau , qui rend la plus vive lu- mière de la démonftration incapable de leur faire voir la vérité , tandis qu'ils ne fentent pas le faux des moyens qui

leur

La Métaphyfique. 113

leur ont fait prendre le change. La dif- cufïîon des raifons pour & contre , eft donc la voie la plus efficace pour éclai- rer refprit 5 pour le garantir de l'erreur , & pour l'en retirer quand il a le malheur d'y être plongé.

CHAPITRE PREMIER.

De la manïïre dont neus connoijfons Dieu,

LE mot de Dhu fîgnifie un Etre in- finiment parfait. Les Athées mêmes en conviennent ; car {\ on leur deman- de quel eft l'Etre dont ils nient l'exif- tence en difant qu'il n'y a point de Dieu , ils répondent qu'ils nient qu'il y ait un Etre infiniment parfait.

Il eft évident qu'un efprit borné , fini & très-imparfait , tel qu'eft l'efprit humain , ne Içauroit connoître parfai- tement l'Etre infiniment parfait ; une con- Hoiftàncê de cette nature étant infinie ,

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îï4 La Méiaphyfique,

ne peut convenir qu'à un efprit infini. Nous n'avons donc pas une idée de Dieu parfaite *, c'eft-à-dire totale &fcomplette , qui nous repréfente clairement toutes fes perfedtions *, il n'y a même aucun objet que nous connoifîîons parfaitement. Toutes nos idées font imparfaites , & incompléttes \ elles laifTent toujours queU que cnofe à découvrir dans les objets les plus minces j elles ne les montrent , ' pour ainfî dire , que par parcelles.

Quoique nous n'ayons pas une idée de Dieu parfaite , totale êc complette -, quoique nous ne puiflions connoître que quelques parties de fes infinies perfec- tions 3 néanmoins nous en avoas une idée claire ^ qui nous découvre fa natuire ^ fon eifence -, & une idée diftinde , qui nous le repréfente alTez bien pour ie faire diftinguer de tout autre objet : i'exiftence de cette idée eft la bafe S>c le fondement de toute la Théologie na- turelle ; il faut donc commencer par la prouver fi clairement , qu'elle ne puifïè être révoquée en doute par quiconque veut obéir au bon fens , & fuivre k raifon.

La MétaphyfiquCi

ïi

Première Proposition.

Nous avons une idée claire & dijlîncie de Dieu*

DÈMONSTRAT 10 N^

*

A Voir une idée claire &: diftinde d'un objet , c'eft en connoître alïèz bien la nature <Sc l'elTence pour le diftin- guer de tout autre , tout le monde tom- be d'accord que celui qui fçait que le triangle eft une figure compofée de trois lignes & de trois angles , ,a une idée claire & diftinde du triangle , furtout lorfqu'il n'âtrribue rien au triangle qui répugne : or nous connoiftbns aiïez bien la nature & l'elTence de Dieu pour le diftinguer de tout autre objet , car Dieu eft un Etre infiniment parfait , & nous connoifTons aflez bien la nature & l'ef- fence de cet Etre pour ne pas le confon- dre avec un autre *, puifque nous fçavons que fon eflence confifte dans une puif- fance infinie ^ une fcience infinie , une

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î ï 5 La Métaphyjîque.

fageflfe infinie , une bonté infinie -, en un mot > dans toutes les perfedions exemptes d'imperfection , qui ne répu- gnent point entre elles , comme nous le prouverons dans la fuite j & il eft évi- dent que ces perfedions ne peuvent con- venir qu'à l'Etre infiniment parfait : donc nous avons une idée claire & diftinde de Dieu : ce qu'il falloït démontrer.

On peut aufîi prouver que nous avons une idée de Dieu , ou de l'Etre infini- ment parfait, par le raifonhement fui- vant : celui qui connoît qu'il eft impar- fait 5 a une idée de llnfiniment parfait : nous connoifibns les privations que par les chofes dont elles font des pri- vations *, nous ne connoiflbns la pau- vreté 5 que par l'idée des richeflès , & l'ignorance que par l'idée de la fcience : par conféquent , l'imparfait étant une pri- vation du parfait , nous ne pouvons con- noître que nous fommes imparfaits , fans avoir une idée de l'infiniment parfait. Celui qui connoît qu'il eft imparfait , a l'idée de quelque perfedion qui lui man- que j fi cette perfedion eft telle qu elle

La Métaphyjîque. I17

rende fon fujet infiniment parfait j en la connoifTant , on connoît auffi l'infini- ment parfait *, fi au contraire elle n eft pas jointe néceflai rement à toutes les per- fedtions exemptes d'imperfedions , on ne fçauroit le connoître fans avoir une idée de la perfection dont elle eft pri- vée : donc u eft impoffible de connoître qu'on eft imparfait , fans avoir une idée de l'infiniment parfait. Il n'y a point d'homme fenfé qui ignore qu'il eft très- imparfait , & qui ne fente fes imperfec- tions > nous avons des defirs , & nous fom- mes fufceptibles de trifteffe ôc de crainte > ce qui prouve que nous ne fommes pas parfaits : donc nous avons une idée de Dieu 6c de l'Etre infiniment parfait.

Il s'agit maintenant de faire voir que les raifonnemens par lefquels on prétend prouver que nous n'avons point d'idée de Dieu , ne font que des fophifmes..

Dieu eft un Etre infiniment parfait qui ne peut être repréfenté que par une idée infinie 5 & il eft impoffible qu'il y ait quelque chofe d'infini dans un ef- prit borné & fini , tel qu'eft l'efprit hu- main > toutes les idées qu'il peut avoir

H iij

1 1 8 lia Métaphy^que,

font nécefTâiremenc finies & impar- faites , ôc aucune ne fçauroit lui repré- fenter Dieu , c çft-à-dire , un Etre infi- niment parfait. Si l'on dit que l'idée qui repréfente Dieu n'eft pas infinie , par- cequ elle ne le repréfente que fort im- parfaitement ', donc l'objet qu'elle repré- iênte n'eft pas infiniment parfait ; car l'on peut ajouter quelques perfedions à cet objet , fçavoir celles qu'elle ne re- préfente pas , & Ton ne fçauroit en ajou- ter aucune à ce qui eft infiniment par- fait. D'ailleurs , toutes les perfedtions de Dieu font infinies , èc l'idée qui nous repréfenteroit une feule de fes'perfec- cions , étant eflentiellement infinie , ne peut convenir à notre efprit borné & fini : donc nous ne pouvons avoir une idée d'une feule des perfedions de Dieu ; nous ne fçaurions à plus forte raifon avoir une idée de l'Etre infiniment par- fait. Avouer que nous ne connoiflons Dieu que très -imparfaitement , c'eft re- connoître que nous n'en avons point d-idée.

Nous convenons que toutes nos idées Ibnt effentiellement finies & impar-

La Mètaphyfiqut^t 119

feites j c'eft pourquoi nous avons dit que nous ne pouvions avoir une idée çomplette , totale ôc parfaite de Dieu : rnais il eft faux que l'idée qui repréfente imparfaitement l'infini & l'Etre infini- ment parfait , ne foit pas une vraie idée de l'infini , & de Dieu , lorfqu elle nous fait allez bien connoître fa nature & fon eirence pour le diftinguer de tout autre objet.. Ce qui eft fans bornes , eft infini ; & ce qui a toutes les perfections exemptes d'imper fedion s , eft infiniment parfait -, or l'idée qui nous repréfente im- parfaitement l'infini , nous repréfente un objet qui n'a point de bornes , & celle qui nous repréfente Dieu imparfaite- ment 5 nous repréfente un objet qui a né- ceflairement toutes les perfedions exemp- tes d'imperfections -, quoiqu'elle ne nous repréfente pas diftindement.^acune de fes perfedions dans toute f^prétendue ,. elle nous fait voir qu'il les a générale- ment toutes -, par conféquent , qu'on ne %auroit en ajouter aucune à celles qu'il a effèntiellement : donc l'idée qui repré- fente imparfaitement l'infini , &' l'Etre: infiniment parfait 5 eft une vraie idée de

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I£ô La Métaphyjîque,

rinfini & de Dieu. Il faut que nos Ad- verfaires difent que nous n'avons point d'idée d'aucun objet , ou qu'ils avouent que l'idée qui nous repréfence imparfai- tement l'infini , ôc l'Etre infiniment par- fait 5 eft une vraie idée de l'infini , & de l'infiniment parfait. Aucune de nos idées ne nous repréfente parfaitement fon objet , & ne nous fait voir claire- ment 5 èc pour ainfi dire , en détail tout ce qui lui appartient -, toutes nos idées font incomplettes & imparfaites. Le plus fçavant Géomètre ne connoît que très- imparfaitement le triangle , qui eft la plus iîmple de toutes les figures , dont tout le monde convient qu'il a néan- moins une idée claire & diftinde : il n'eft donc pas nécefTaire de connoître parfaite- ment une çhofe pour en avoir une jufte idée , unfiferaie idée. Il n'y a que Dieu qui ait J^ idées parfaites , totales & complettes ; lui feul connoît parfaite- ment les chofes. Il eft donc évident qu'on peut avoir une idée claire & dif- tin6te d'un objet qu'on connoît impar- faitement *, par conféquent il eft abfur- de de conclure que nous n'avons point

La Métaphyjique. m

d'idée de l'Etre infiniment parfait , de ce que nous ne le connoiflons que très-im- parfaitement.

Examinons préfentement d'où nous vient l'idée que nous avons de Dieu , il eft important de tâcher d'en découvrir l'origine.

On peut divifer l'idée confidérée du côté de fa caufe , en idée innée , idée adventice , de idée faciice.

L'idée factice , eft celle que nous for- mons des idées que nous avons d'ailleurs s telle eft , par exemple , l'idée d'une mon- tagne d'or 5 formée de l'idée de l'or & de l'idée de la montagne : telle eft auffi l'idée d'une horloge à l'égard de celui qui eft l'inventeur de cet ingénieux ouvrage , & qui s'en eft formé l'idée en raffem- blant les idées différentes de contrepoids , de balancier , de cordages , de roues 5 d'aiguille , de cadran , qui n'avoient ja- mais exifté enfemble comme on les voit ^ans cette machine.

L'idée adventice , eft celle qui vient des fens , de façon que dans l'état pré- fent des chofes , nous ne fçaurions les avoir fans les impreffions que les objets

122

La Métaphyjîqué^

fenfibles font ftir nos organes : telles fons celles qui entrent c'ans notre efprit par a vue , comme font les idées de la lu- Imière & des couleurs , ou par l'ouie , comme les idées des fons j ou par le goût , comme les idées des faveurs -, ou par Todorat , comme les idées des odeurs , ou enfin par Tattouchement , comme les idées du chaud & du froid , du dur ôc 4u mou 5 &c.

L'idée innée , eft celle qu'on peut avoir indépendamment de toutes les im- preffions que les chofes fenfibles font fur iQs organes de nos fens. On ne doit point donner d'autre fens à l'expreflion d'idée- innée.

Puifque les trois fortes d'idées dont on vient de parler , comprennent géné^ ralement toutes celles que nous pour vons avoir , il eft évident quei'idée que nous avons de Dieu , doit appartenir à l'une de ces trois efpèces. Les Péripaté- ' ticiens , les Epicuriens , Loke & la plu-r part des Philofophes modernes , préten- dent que toutes nos idées viennent des fens j mais ils ne penfent pas que tou^ tes aient été dans nos fens telles qu el*

La Métapkyjique. ïiy

les font dans notre efprit : plufieurs di,- fent feulement que celles qui ne nous repréfentent pas les chofes qui ont fait çlles-mêmes impreflion fur nos organes , ont été formées de celles qui ont pafTé par nos fens , &: que cette formation fe fait ou par compofition 5 comme l'idée d'une montagne d'or ^ ou par amplia- tion 5 comme l'idée d'un géant -/ou par diminution , comme l'idée d'un pigmée; ou par accommodation & proportion , comme l'idée d^une maifon qu'on n'a pas vue 5 qu'on fe forme de l'idée d'une maifon qu'on a vue.

Il efl vrai que Loke admet deux four- ces de nos idées 5 l^fenfation ôc la re- jLixïon qui eft une adion de notre efpric fur lui-même ; mais il foutient que la reflexion tombe fur les idées que notre efprit a reçues par les fens.

Il eft certain que les reflexions que nous faifons fur l'inégalité confiante des jours & des nuits , fur la vicillitude des faifons , fur les mouvemens régu- liers des aftres , fur la ftrudure admi- rable du corps des animaux , réveillent quelquefois dans notre efprit l'idée de

Ï24 La Métaphyjiqut.

Dieu 5 en nous faifant fentir qu'une In- telligence fuprême préfîde à toutes ces merveilles. Mais fi nous n'avions pas ridée de Dieu avant toutes les reflexions que ces chofes occafionnent quelquefois , en les voyant nous ne penferions jamais à Dieu 5 comme nous ne penferions ja- jnais au feu en voyant la fumée , fi nous n'avions pas d'ailleurs l'idée du feu > ÔC fi nous ne fçavions pas que la fumée vient du feu.

La queftion dont il s'agit > fe réduit donc à fçavoir fi l'idée que nous avons de Dieu , eft innée dans le fens que nous avons expliqué ci-deffiis 5 c'eft- à-dire , fi nous ne pouvons l'avoir fans que les imprelïîons faites fur les organes de nos fens, foient l'occafion prochaine ou éloi-- gnée de cette idée.

4^

La Métaphyjique. 115

Seconde Proposition.

UïdU de Dieu ejl innée.

DÉMONSTRATION.

TO u T E idée eft innée > adventice , ou fadice > or l'idée de Dieu n eft pas adventice , ni factice. Premièrement > elle n'eft pas adventice , parcequ'elle ne vient pas primordialement des fens -, car nous pouvons l'avoir indépendamment de toutes les impreflions que les chofes feniibles font fur nos organes. Dans la démonftration de la proposition précé- dente nous aurons fait voir clairement que nous ne connoiiïbns que nous fem- mes imparfaits , que par le moyen de l'idée que nous avons de l'Etre infini- ment parfait ; 6c que notre efprit peut , en réfléchiffant fur fes imperfections y penfer à Dieu indépendamment de tout ce qui frape nos organes : donc l'idée de Dieu n'eft pas adventice.

Toutes les idées qui viennent des fens ,

%i6 LaMétaphyJique*

repréfentent les chofes qui ont fait im-- prelîion fur nos organes , ou bien celles qui font formées d'elles par ampliation , ou par diminution *, par corapoiition , ou par accommodation & quelque forte de proportion. Il eft évident que l'idée de Dieu ne nous repréfente aucune des cho- fes qui ont fait elles-mêmes imprelîîon fur nos fens , elle ne peut donc être ad- ventice que parcequ elle eft formée des idées des chofes fenfibles qui ont frapé nos organes. Les idées des chofes fenli- bles 5 jointes 'ou féparées , augmentées ©u diminuées , arrangées ou difpofées de quelque manière que ce foit, nous repréfentent toujours quelque chofe de divisible , de mobile , d'étendu , en un mot , quelque chofe de 4:natériel & de corporel , il répugne au bon fens que ces fortes d'idées puiflènt jamais nous repréfenter Dieu , c'eft-à-dire , l'Etre fou- verainement parfait. Si nos Adverfaires conçoivent qu'il eft polfible que les idées ^^s chofes fenfibles nous repréfentent Dieu, ils ne doivent pas fe contenter d'affirmer cette prétendue poffibiHté ; il faut qu'ils l'expliquent , 6c qu'ils la dé-

La Méiaphyjîque. 1 17

inontr^nt : c'eft ce qu'ils n'ont jamais fait , & que nous les défions de pouvoir faire.

Il eft plus abfurde de dire que Dieu peut être un objet repréfenté par des idées formées des idées Aqs choies fen- iibles 5 que de dire que l'idée du fon peut être formée des idées des couleurs. Il y a bien moins de proportion entre Dieu & les chofes fenfibles , qu'entre le fon ôc les couleurs.

Dieu eft immatériel , & les chofes fen-fibles font matérielles. Dieu eft infi- niment parfait , & les chofes fenfibles font finies & très- imparfaites. Il eft évi- demment impoflible que des chofes ma- térielles 5 finies 5 & très - imparfaites , jointes ou féparées , augmentées ou di- minuées 5 arrangées ou difpofées de telle façon qu'on voudra , puifient jamais nous repréfenter un Etre immatériel , & fou- verainement parfait.

Nous connoifTons le fini par l'infinî , & non pas l'infini par le fini. L'infini eft plus parfait que le fini. Le plus par- fait ne fe connoît pas par le moins par-

ï z8 La Métaphyjîque.

fait , mais le moins parfait fe connoît par le plus parfait. Le plus renferme le moins , mais le moins ne renferme pas le plus. Pour connoître une chofe plus parfaite qu'une autre , il ne faut pas re- trancher de la moins parfaite , mais y ajouter. Nous ne connoilTons les priva- tions que par les chofes dont elles font privations. L'infini n eft pas la privation du fini , c'eft le fini qui eft la privation de l'infini. Donc les chofes finies & im- parfaites , telles que font toutes celles qui font impreflîon fur nos organes , ne fçauroient nous faire connoître l'Etre in- finiment parfait , & nous donner une idée de Dieu : donc l'idée de Dieu ne peut être formée des idées des chofes îenfibles : donc l'idée de Dieu ne vient pas tellement des fens , que nous ne puiffions l'avoir dans l'état préfenc fans les impreffions faites fur nos orga- nes ; donc l'idée de Dieu n'eft pas adven- tice.

Secondement , l'idée de Dieu n'eft pas fadice. L'idée fadice eft celle que nous formons des idées que nous avons d'ailleurs , qui font des idées innées , ou

des

La Métaphyjique. 129

des idées adventices, c'eft à-dire, qui tirent leur origine des fens. Nous ne formons pas l'idée de Dieu d'idées innées -, puif- que , félon nos Adverfaires , de telles idées n'exiftent pas : nous ne pouvons donc former l'idée de Dieu que à^s idées qui viennent des fens -, mais nous venons de démontrer que cette idée ne peut être formée des idées des chofes qui ont fra- nos organes : donc nous ne formons pas l'idée de Dieu des idées que nous avons d'ailleurs : donc elle n'eft pas fac- tice.

Les idées dont nous formons une idée fadlice , font entièrement indépendantes les unes des autres -, nous pouvons , fans faire aucune abftra£tion , avoir l'une de ces idées , & n'avoir point les autres ; nous pouvons avoir l'idée de la monta- gne 5 par exemple , fans avoir l'idée de l'or , indépendamment de toute abftrac- tion : ces deux idées , dont nous formons ridée d'une montagne d'or , ne font donc point elTentiellement liées. Les idées dont l'idée de Dieu eft compofée , eu plutôt les perfections que cette idée re- préfente > font fi néceflairement jointes

I j O LcL Métaphyjique.

enfemble , qu'il eft impofïîble d*en con- cevoir aucune en niant une feule des au- tres. On ne peut concevoir la toute-puif- fance , par exemple , en niant la fagelîe infinie , ou la fçience infinie , & ainfi des autres perfedions divines : donc l'idée de Dieu n'eft pas fadice. Nous avons aufîi démontré qu'elle n'eft pas adven- tice ; donc elle eft innée : ce qu'il fal- loit démontrer.

Nier Texiftence de l'idée innée , c'eft fournir aux Incrédules des armes vi6lo- rieufes pour combattre Texiftence de Dieu 5 &: l'immatérialité de notre ame. Si l'idée de Dieu n'eft pas innée , il s'en- fuit que nous n'avons point d'idée de l'Etre fouverainement parfait -, car cette idée n'eft ni fadice ni adventice , & nous ne fçaurions la former des idées ^QS chofes imparfaites , créées & maté- rielles que nous connoifïbns par les im~ preflions qu'elles font fur nos organes. Si nous n'avons point d'idée de Dieu, il eft impofîible d'en démontrer l'exiften- ce. L'idée innée que nous avons de l'Etre infiniment parfait , eft un argument in- vincible de l'exiftence de Dieu , comme

La Métaphysique» 131

on le verra dans le Chapitre fuivant , nous le mettrons en œuvre avec fuccès , pour forcer les Athées dans leurs der- niers retranchemens. Il eft très- évident que Dieu exifte , fi l'idée que nous en avons eft innée.

Dire que toutes nos idées viennent des fens , & que nous n'avons point d'idées innées dans le fens que nous leur donnons , c'eft favorifer du moins indi- re6tement le Matérialifme. Toutes nos penfées fe réduifent à l'idée & au juge- ment qui la fuppofe , puifqu'il confifte dans la jondion ou la féparation des idées. Le raifonnement &: la méthode font des efpèces de jugemens. Nous ne pouvons ni juger , ni raifonner , ni bien arranger nos penfées fans avoir des idées. Si toutes nos idées viennent des fens , toutes nos penfées tirent de-là leur ori- gine 5 & nous ne penfons que par le moyen des fens , qui ne font que de la matière modifiée d'une certaine façon : d'où les Matérialiftes concluent que ce qui penfe dans nous n'eft que de la ma- tière organifée. Il eft certain que (\ l'ame ctoit matérielle , toutes nos idées nous

jyz La Métapkyjîque^

viendroient par hs fens *, c'eft pourquoi géaerâlement tous les Marérialiftes rejet- tent l'exiftence des idées innées : donc il eft évident que cette opinion favorife les ennemis de la fpiritualité de nos âmes. Il eit impofîîble de fapper efficacement les fondemens de l'incrédulité , qui fait tant de progrès dans notre fiécle , fans admettre des idées innées \ cette feule raifon fuffit pour engager tous les Philo- fophes Chrétiens a combattre l'opinion qui n'admet d'autres idées que celles qui viennent des fens , &: des chofes qui frapent nos organes.

Ceux qui nient que l'idée de Dieu foit innée , prétendent prouver qu'elle vient des fens , parcequ'en conlldérant attentivement les mouvemens réguliers des aftres , la viciflîtude des faifons , l'iné- galité conftante des jours & des nuits , la ftrudure admirable du corps des ani- maux , le flux & reflux de la mer , l'idée de Dieu s'offre quelquefois à notre ef- prit.

Il eft bien vrai que les merveilles de la nature réveillent quelquefois dans no- tre efpriî ridée de Dieu , & de l'Etre

La Métaphyjique» 133

fouverainement paifair ; mais il eft faux que cette idée vienne primordialement des fens. Toutes les merveilles de l'Uni- vers , & toutes les réflexions qu'elles oc- cafionnent, ne nous feroient jamais pen- fer à l'Etre tout-puiflant & fouveraine- ment parfait , fi nous n'avions pas d'ail- leurs l'idée de Dieu ; car ce- que cette idée nous repréfente , n'a rien de fem- blable à tout ce qui nous eft repréfente par les idées des chofes qui font impref- fîon fur nos organes. Nous penfons à Dieu en voyant les merveilles du mon- de corporel , à peu près comme nous Ï>enfons à l'éloquence ^ à la valeur Ôc à a prudence de Céfar en voyant le por- trait de cet Empereur ; les idées à^ gran- des qualités de Céfar ne s'offriroient ja- mais à l'efprit de ceux qui voient , ÔC qui coniîdèrent attentivement fon por- trait 5 s!ils ne fçavoient pas d'ailleurs qu'il en étoit doué. De rnème qu'en voyant la fumée nous ne p.enferions ja- mais au feu 5 fi nous ne fçavions pas auparavant que la fumée vient du feu j de même aufïi en contemplant le Ciel , les aftres , 6c toutes les merveilles de la

1 iij

134 ^^ Métaphyjiqut^

nature , noua ne penferions jamais à Dieu nous n'avions pas une idée anticipée de l'Etre fuprême. Pour que nous puif- iions conclure qu'une Intelligence fuprê- me préfide aux mouvemens réguliers des aftres , à la viciflitude des faifons , à l'iné- galité confiante des jours & des nuits , à la ftru6ture admirable du corps des animaux , au flux & reflux de la mer , il eft abfolument néceflaire que nous fça- chions que plufleurs caufes deftituées de connoiflance & de raifon , & qui n'ont point de liaifon eflentielle entre elles , ne fçauroient concourir conftamment à la produdion d'un même effet , fans être dirigées par une Intelligence d'autant plus parfaite qu'il y a plus de régularité & de perfection dans cet effet.

Nos Adverfaires prétendent encore, que fi l'idée de Dieu étoit innée , nous Gonnoîtrions Dieu avec la même facilité que nous connoifïbns que le tout efl plus grand qu'une de fes parties , que cette idée feroit toujours préfente à no- tre efprit j que tous ceux qui réfléchif- fent comme il faut , & qui font un bon ufage de la raifon , connoîtroient Dîeu 5

La Métaphysiques 1 3 J

que ridée que les hommes ont de. Dieu , feroit femblable dans tous. Enfin , pour prouver que l'idée de Dieu n'eft pas in- née , te que nous- la formons des idées àt^ chofes imparfaites & créées , ils di- fent que nous n'attribuons à Dieu que les perfedions que nous trouvons dans les créatures.

Quoique Tidée de Dieu foit innée. , nous ne connoiflbns cependant pas Dieu avec la même facilité que nous connoif- fbns que le tout eft plus grand qu'une de fes parties , parceque tous les objets qui frapent nos fens , prouvent évidem- ment que le tout eft plus grand qu'une de fes parties : au contraire pour con- noître Dieu diftintflement , il faut , pour ainfi dire , faire taire nos fens , & ne point penfer aux chofes matérielles & fenfîbles ^ ce qui eft très-difficile^ à caufe de l'étroite union de l'ame avec le corps , & de l'habitude invétérée; de n'occuper Ion efprit que des chofes fenfibles & cor- porelles. De-lâ vient que la plupart des nommes n'ont point d'idées juftes des. chofes fpirituelles & immatérielles , &, qu'il eft prefque impoffible de leur faire

I iv

t^ê La Métaphyjique,

concevoir les chofes qui ne font pas du relTort des fens.

Par idée innée nous n'entendons pas une image gravée dans notre efprit , qui lui foit toujours préfente , & par le moyen de laquelle il penfe fans celTe à l'objet qu'elle repréfente *, mais nous entendons feulement une idée que nous pouvons avoir indépendamment de toutes les im- preflîons que les chofes fenfîbles peu- vent faire fur nos organes : il eft donc évidemment faux qu'on puiiïe conclure de ce que l'idée de Dieu eft innée , qu'elle doit toujours être préfente à notre efprit.

Il eft vrai que tous ceux qui réflé- chiflènt comme il faut fur eux-mêmes , & qui font un bon ufage de la raifon , con- noiflent Dieu & fon exiftence ; mais l'idée qu'ils ont de l'Etre fouverainement par- fait 5 quoique claire & diftinde , eft tou- jours imparfaite , incomplette j ils ne peuvent jamais connoître Dieu parfaite- ment : toutefois l'idée qu'ils en ont , eft claire , diftinéte -, parcequ'elle leur repré- fente affez bien fa nature & fon effence pour le faire diftinguer de tout autre objet»

Za Métaphyjique. 137

L'idée de Dieu feroit à la vérité fem- blable dans tous , s'ils ne lui ajoutoient pas par de faux jugemens , des chofes qui ne fçauroient lui convenir -, cette idée repréfenteroit à tous le même ob- jet, en leur repréfentant l'Etre fouve- rainement parfait , à qui toutes les per- fections exemptes d'imperfe6tions font eflèntielles : mais comme ils ne fui- vent aucune loi conftante dans les faux jugemens qu'ils portent , l'idée qu'ils ont de Dieu n'elt pas femblable dans tous.

Il eft évidemment faux qu'on n'attri- bue à Dieu que les perfections qui fe trouvent dans les créatures , toutes les perfedions qui lui font eflèntielles , font infinies & exemptes de toute imperfec- tion *, &; les perfedions qui fe trouvent dans les créatures font néceflairement finies , & accompagnées de quelques imperfections. Si l'on attribue à Dieu quelques perfedions qui fe trouvent dans les créatures , cela fe fait avec choix ; car on ne lui attribue pas indifféremment toutes celles qui font dans les chofes créées : il y a donc une raifon qui nous

îj8 La Mêtaphyjîqtée^

empêche de le faire 5 cette raifon eftt ridée que nous avons d'ailleurs de Dieu,, avec laquelle certaines perfedions de^ créatures font incompatibles.

CHAPITRE 1 L.

Qpgi Argumens qui prouvent invînelh bUm&m Vcxijicnce de Dhu*

NOus ne connoiflbns les chofes qui font hors de nous, que par les idées qui font en nous. Les chofes dont nous n'avons point d'idées , font a l'égard, de notre çonnoiflance , comme fi elles n'étoient pas ; ce feroit donc en vain que nous tâcherions de découvrir l'exiftence de Dieu par les lumières de la raifon >. fi nous n'en avions pas une idée claire & diftinde. Pour confondre les Athées les plus opiniâtres , il eft abfolument né- cefTaire de prouver que nous avons une. idée de Dieu, comme nous l'avons fait dans le Chapitre précédent , avant d'en- treprendre de démontrer qu'il exifte. H

La Métaphyjîque. 1 3^

y. a une très- grande difFérenC'e entre con- noître une chofe & la comprendre > c eft- à-dire , en avoir iine idée parfaite , to- tale & complette ', comme il paroît par lexemple du triangle , dont nous con- noifTons toute la naturç en confîdérant une figure bornée de toutes parts oar trois côtés , quoique nous ne connoimons pas toutes fes propriétés : c eft pourquoi en démontrant que nous avons une idée claire & diftinde de l'Etre fouveraine- ment parfait , nous avons avoué que nous ne le fçaurions comprendre. De ce qu'on a l'idée de Dieu , on peut con- clure qu'il exifte-, ceft ce qu'il s'agit de mettre dans un fi grand jour , qu'il ne foit pas pofïîble de ne point acquief- cer à cette vérité.

140 La Métaphyjique,

Première Proposition.

Vidée que nous avons de VEtre fouve^ rainement parfait , ejl une preuve invincible de Vexifience de Dieu*

DÉMONSTRATION.

LA câufe première 6c totale d une idée 5 a formellerrient , c'eft-à-dire , en nature , ou éminemment , c'eft-à-dire , dans un degré plus parfait , ou répré- fentativement toutes les perfedions re- préfentées par cette idée *, car tout le monde tombe d^accord que toutes les perfe6tions d'un effet doivent néceflai- rement être de quelque manière dans la caufe qui la produit. Il eft évident qu'une chofe eft à l'égard de ce qu'elle n'a point du tout 5 comme le néant eft par rap- port à quelque chofe,. Si une caufe pou- voit donner ce qu'elle n'a d'aucune ma- nière , le néant pourroit aufli produire quelque chofe > ce qui eft évidemment abfurde. Il eft donc abfolument néceiTai-

La Métaphyjîque. 141

re que la caufe première & totale de l'idée que nous avons de l'Etre fouve- rainement parfait , ait formellement , ou éminemment, ou repréfentativement tou- •tes les perfedions repréfentées par cette idée. Il ne fuffit pas qu'elle les ait re- préfentitivement. Si elle avoit ample- ment la vertu de les repréfenter , ou elle la tiendroit d'un autre , ce qui eft contre l'hypothèfe , parceque pour lors elle ne feroit pas la caufe première de l'idée j ou elle fe feroit donné cette ver- tu 5 & dans ce cas elle auroit formelle- ment ou éminemment les perfedtions re- préfentées par l'idée , fans quoi elle n'au- ïoit jamais pu s'en former la repréfen- tation. Il eft donc abfolument néceffaire que la caufe première & totale de l'idée que nous avons de l'Etre fouverainement parfait , ait formellement , ou éminem- ment toutes les perfedions repréfentées par cette idée -, mais il n'y a que Dieu qui ait toutes cq^ perfections formelle- ment ou éminemment : donc Dieu feul eft la câufe première & totale de l'idée que nous avons de l'Etre fouverainement parfait *, par conféqueat Texiftence d^

iJ^.^ La Métaphyjîque.

cette idée eft une preuve invincible Texiftence de Dieu : u quil falloit dé^ montrer*

Ceux qui combattent la vérité de la propoficion qui vient d'être démontrée , difent que nous pouvons nous former ridée de Dieu *, parceque nous pouvons former l'idée de la fcience infinie , par exemple , de l'idée de la fcience finie , comme nous formons l'idée de l'éten- due infinie de l'idée de l'étendue finie. Ils prétendent auffi que les idées des perfeétions comprifes dans l'idée de Dieu , peuvent avoir diverfes caufes ; ridée de la toute-puifTance , par exem- ple 5 peut venir d'une caufe , l'idée de la fcience infinie d'une autre caufe , èc ^nfi des autres. Ils ajoutent enfin , que l'idée de l'Etre très- parfait n'eft qu'un mode extérieur , une dénomination ex^ trinsequc , qui ne demande pas nécef- fairement une caufe infiniment parfaite. Ils concluent de toutes ces raifons que lexiftence de l'idée de Dieu ne démon- tre point qu'il exifte réellement.

Toutes ces raifons font détruites par la démonftration qui prouve que l'idée

La Métaphyjîque. 145

de Dieu eft innée. Nous ne connoifibns qu une étendue eft finie , que parceque nous voyons qu'elle a à^s bornes , que nous ne pouvons concevoir fans avoir ridée d'une étendue plus grande. Le plus nous fait connoître le moins , par- cequ'il le renferme -, mais le moins ne fçauroit nous faire connoître le plus, parcequ'il ne le contient en aucune fa- çon. C'eft par l'infini que nous connoif- lons le fini ; & Tidée de l'infini eft in- née , parceque nous ne fçaurions la for- mer. Nous ne fçaurions produire un effet dont nous n'avons ni formellement, ni éminemment les perfedions *, & il eft évident que toute perfeétion infinie n'eft en aucune manière dans nous avant que nous en ayons l'idée : donc il eft impof- fible que l'idée qui repréfente quelque chofe d'infini foit notre ouvrage.

Les perfedions repréfentées par l'idée de Dieu font fi elTentiellement liées, qu'il eft impoflible d'en nier une feule , & de concevoir clairement les autres j la caufe qui nous manifefté leur connexion eft donc nécelTairement celle feule de qui nous tenons l'idée qui nous repré-

144 La Métaphyjique.

fente l'Etre très-parfait : elle ne fçauroit tirer fon origine de pluiîeurs caufes. D'ailleurs la caufe de l'idée" qui nous repréfente la toute-puifTance , par exem- ple , feroit toute-puiflante , & très-par- faite -, car fi elle étoit privée de quel- ques perfedlions , elle fe les donneroit aulîîtôt , étant toute-puiflante.

L'idée n'eft à la vérité qu'un mode extérieur , une dénomination extrinsèque à l'égard de l'objet qu'elle repréfente ; mais elle n'eft pas quelque chofe d'exté- rieur par rapport à l'efprit dans lequel elle exifte : il eft différemment modifié félon la diverfîté à^s objets qu'il con- çoit ; & la caufe d'une idée doit être d'autant plus parfaite qu'elle repréfente plus de perfedions. Cela eft ^i vrai que tout le monde tombe d'accord que l'in- venteur d'une machine a d'autant plus de fcience ôc de génie , qu'on voit plus d'art & de perfedtion dans cette ma-= chine.

Sf.coni>e

La Métaphy(ique. 145

Seconde Proposition.

Vidée de Dieu prouv-e évidemment qu'il cxijie y enfaifantvoir clairement que Vexiflence aciuelle & nécejfain lui eji cJfentidU»

DÉMONSTRATION.

L'Ide'e claire & diftinde que nous avons de Dieu nous le repréfente comme un Etre fouverainement parfait , à qui toutes les perfections qui ne font pas néceflairement accompagnées d'im- perfedion , font effentielles -, or l'exif- tence aduelle & nécelTaire eft du nom- bre de ces perfedions. Nous avons dé- montré dans {'Ontologie , que l'exiftence en général , eft efTentielle à l'Etre en général. L'exiftence purement idéale eft eflentielle à l'Etre pur de raifon. L'exif- tence réelle-poffible & contingente , eft effentielle à l'Etre réel-poffible & con- tingent L'exiftence réelle-aduelle & né- ceflaire , eft eftentielle à l'Etre fouverai-

K

14^ LaMètaphyJique^ *

nement parfait & néceffaire. Les Athées prétendent que l'Etre infiniment parfait eft impoffible , parceque fes perfedions ibnt contradidoires -, nous prouverons le contraire dans le Chapitre fuivant. D'ail- leurs la pofTibilité de l'Etre très-parfait , eft bien démontrée par l'idée claire &: diftinéte que nous en avons *, car il eft évident que nous ne fçaurions avoir une- idée de ce qui eft impoffible , ^ qui implique contradidion. L'exiftence eftentielle à Dieu eft l'exiftence aduelle & nécefïaire > ou l'exiftence poffible d^ con- tingente 5 ce ne peut être l'exiftence poffi- ble & contingente , parceque (\ cela etoit , il{)ourroit&ne pourroit pas exifter. i^. Il pourroit exifter , parceque la poffibilité d'un Etre emporte néceftairement la pof- lîbilité de fon exiftence ; 2°. Il ne pour- roit pas exifter , parcequ'il ne pourroit ni fe donner l'exiftence , ni la recevoir d'un autre. Il eft évident qu'il ne pour- roit pas fe la donner -, car pour fe la don- ner il faudroit qu'il l'eût , & pour la re- cevoir il faudroit qu'il ne l'eût pas. Il 11 eft pas moins évident qu'il ne pour- roit pas non plus la recevoir d'un au-

La Métaphyjique. \^rj

tre , parcequ en la recevant , il feroit dépendant de celui qui la lui donneroit , & il ne feroit plus Dieu. Ce n'eft donc pas l'exiftence poflible ôc contingente qui eft eiïèntielle à Dieu , c'eft l'exiftence aduelle & nécelTaire : donc l'idée que nous en avons , prouve évidemment qu'il exifte 5 en faifant voir clairement que l'exiftence aduelle t< néceftaire lui eft «(ïèntielle : ce qu' il fallolt démontrer*

Quelques Philofophes prétendent que l'argument tiré de l'idée de l'Etre très- parfait en faveur de l'exiftence de Dieu , n'a ni force ni folidité. On ne peut con- clure , difent-ils , de l'elTence d'une cho- fe à fon exiftence , ni de fon idée à la réalité *, de ce que la rofe eft une fleur , il ne s'enfuit pas qu'il y a des rofes -, & de ce qu'on a l'idée d'une montagne d'or , on ne peut conclute qu'elle exifte. Con- clure que Dieu exifte , parceque l'exif- tence eft renfermée dans fon idée , c'eft aufli mal raifonner que (i l'on concluoit qu'un homme exifte néceftairement , par- ceque Texiftence eft renfermée dans l'idée de cet homme exiftant. Il y en a qui avouent que Dieu exifte néceftairement

Kij

148 La Métaphyjique^

en fappofant qu'il eft un Etre très-parfait % comme le corps exifte néceflairement, fup- pofé qu'il foit en mouvement \ mais ils îbutiennent que c'eft une pure fidion de dire que Dieu eft un Etre très-parfait > d'où 5 par confèquent , on ne fçauroit in- férer qu'il exifte nécelTairemerît.

Quoique les raifons qu'on vient de rapporter ne combattent point notre dé- monftration ; quoiqu'elles foient même déjà folidement réfutées par la manière convaincante & lumineuie dont elle eft tournée , 6c par ce que nous avons dit précédemment *, nous croyons néanmoins devoir répondre à chacune en particulier, pour ne rien laiffèr à defirer fur une ma- tière il intéreffante , & pour difïiper tou- tes les ténèbres qu'on tâche , en les pro- pofant , de répandre fur la plus impor- tante & la plus éclatante de toutes les vé- rités.

On ne peut conclure de l'eflènce d'une chofe à fon exiftence , quand l'exiftence aduelle ne lui eft pas erfentielle *, mais elle fait partie de fon eflence , pour lors on conclut très- bien en concluant ainfi :

La Métaphyjtque^ 149

on n'affirme de cette chofe que ce qui eft évidemment contenu dans l'idée claire ôc diftindte qu'on en a. L'exiftence aduelle & nécefTaire , étant auiîi efTentielle à Dieu que les trois angles font effentiels au triangle , attribuer à Dieu l'exiftence ac- tuelle 5 parcequ elle eft renfermée dans ridée claire hc diftinde que nous en avons 5 c'eft aufli bien conclure que d'at- tribuer trois angles au triangle , parce- qu'ils font évidemment contenus dans l'idée qui nous le repréfentCé Comme l'exiftence qui convient à tous les Etres diftingués de Dieu , n'eft qu'une exiften- ce hypothétique , contingente , on ne peut conclure abfolument à leur égard ^ de l'eflènce a l'exiftence a6tuelle , parce^ qu'elle ne fait point partie de leur QQ^Qn-' ce. Faute de faire attention qu'il n'en eft pas ainfî par rapport à l'Etre fouveraine- ment parfait , on croit que c'eft mal rai- fonner de conclure abfolument qu'il exif- te effeârivement , parceque l'idée qui le repréfente , renferme Texiftence.

Il eft vrai qu'on ne peut conclure de l'idée qu'on a d'une montagne d'or , que cette montagne exifte réellement v par-

K iij

I j o La Métaphyjique^

ceque Texiftence réellQ & aduelle n'eft pas renfermée dans l'idée de la monta- gne d'or : mais on conclut bien de l'idée à la réalité de tout ce qui eft renfermé dans l'idée , car nous n'affirmons que le triangle eft différent du cercle , par exem- ple > que parceque nous le concevons clairement. L'évidence qui eft la premiè- re régie de toute vérité philofophique > ne confifte que dans des idées claires ^. diftin<^es , commç nous l'avons démon- icé: dans V Ontologie*

ta fouveraine perfeélioh eft aufll ef- ftnîielle à Dieu , que la rondeur l'eft au cercle *, l'idée qui nous le repréfente com- me: un Etre fouverainement parfait , eft innée > comme nous l'avons démontré : elle n'eft donc pas une pure fidion , puif- qu'elle ne nous repréfente que fa nature èc fon efTence. Il a été prouvé dans VOn- tologic yqae les effences des chofes ne font pas arbitraires , mais néceffaires , immuables &c éternelles y l'edènce de Dieu a cela de commun avec celle de tous les autres Etres , à qui néanmoins l'exiftencâ, aduelle eft accidentelle , QÏh

La Métaphyjique. 151

»*eft efTentielle qu'à Dieu feùl. Il ne faut point perdre de vue cette différen- ce , n l'on ne veut pas s'égarer dans les jugemens que l'on porte de l'Etre fou- verainement parfait. Le mouvement n'eft point effentiel au corps *, il faut par con- léquent fuppofer le corps en mouvement pour pouvoir en conclure que le corps exifte : mais Dieu eft elFentiellement très- parfait ; ainfî il n'eft pas néceffaire de le fuppofer pour pouvoir conclure qu'il exif- te néceffairement. Le mouvement n*eft point renfermé dans l'idée du corps , comme la fouveraine perfection eft ren- fermée dans l'idée claire & diftinde de Dieu : cette faufte comparaifon induit fa- cilement en erreur ceux qui ne fentent pas toute la difparité.

On ne peut rien ajouter à Tévidence des deux démonftrations précédentes , ti- rées de l'idée que nous avons de l'Etre fouverainement parfait 5 & que peut avoir quiconque réfléchit comme il doit fur lui-même , & fait un bon ufage des fa- cultés &: àQS moyens qu'il a de connoître Dieu , autant qu'il eft néceflaire à la fin

K iv

ï 5 1 La Mètaphyfique.

pour laquelle nous exiftons , qui eft no- tre félicité , l'objet de toutes nos penfées & de tous nos deiîrs , & le terme de tou- tes nos aétions. Néanmoins , comme il y a une très-grande diverfité dans les efprits des hommes , & dans leur ma- nière de penfer j les uns font plus fra- pés d'une raifon , ôc les autres d'une au- tre , à l'égard d'une vérité dont on veut les convaincre. Il y a des gens qui n'ont aucune idée de Dieu *, il y en a qui en ont Une idée faufTe , & quelquefois fi faufle qu'il vaudroit mieux qu'ils n'en eufTent point du tout : c'eft pourquoi nous ne nous bornerons pas aux démonftrations que nous avons rapportées. C'eft une mauvaife méthode , furtout quand il s'agit d'une vérité d'où dépend toute la Religion Ôi la véritable Morale , de s'at- tacher à une preuve , bc de rejetter tou- tes les autres , ou du moins de tâcher de les afFoiblir,

Nous pouvons connoître plus certai- nement i'exiftence de Dieu que celle de toutes les chofes qui font hors de nous ; c'eft la vérité la plus aifée à découvrir par le raifonnement avec de l'attention ,

La Metaphyjique. 155

ea appliquant notre efprit à la tirer par une aédudion régulière , de la plus in- conteftable de toutes nos connoifTances , qui eft celle de l'exiftence de ce qui penfe dans nous , c'eft-à-dire , de notre ame.

Je penfe , je raifonne , je fens , toutes ces cliofes fi évidemment certaines qu'il n'eft pas pofîîble de poulTer le Pyrrhonif- me jufqu'à les nier , ne font pas plus évi- dentes que l'exiftence de mon ame. Si je doute de toute autre chofe , ce doute même me démontre l'exiftence de moi penfant , & ne me permet pas d'en dou- ter. On peut donc pofer comme la véri- té la plus inconteftable , que chacun con- noît rexijlcnce de ce qui penfe dans lui^ c'eft-à-dire , de fon ame ; or cette vérité fournit une démonftration très-convain- cante de l'exiftence de Dieu.

154 La Métapkyjîquem

Troisième Proposition.

Vcxiflencc de notre ame cjl une preuve convaincante de Vexijtence de Dieu*

DÉMONSTRATION.

L'Existence de notre ame eft une preuve convaincante de l'exiftence de Dieu , parcequ'elle ne peut tenir fon exiftence que de l'Etre infiniment par- fait.

i^. Elle n eft pas éternelle. Il n y a perfonne aflez dépourvu de fens pour îbutenir qu'il a toujours exifté , qu'il exifte nécefTairement , & que de toute éternité il a été un Etre penfant. Les inftans de notre durée ne font point ef- fentiellement liés -, ils font indépendant les uns des autres : de ce qu'on exifte aujourd'hui , il ne s'enfuit pas qu'on exif- tera demain. Il n'y a perfonne qui ne fente qu'il peut ceiïèr d'exifter. Si notre ame étoit éternelle , elle exifteroit & per- févereroit dans fon exiftence indépea-

Za Métaphyjîque^ 1 5 j

damment de toute caufe *, elle ne dépen* droit d'aucune , ni par rapport à fon exif- tence , ni par rapport à fes modifications qui ne font que des manières d'exifter. L'expérience nous apprend avec tant d'é- vidence 5 que notre ame dépend de quel- que caufe à l'égard des penfées 5 des de- iîrs 5 des fenfations , en un mot , des modifications qu'elle a contre fon gré , qu'il n'efl pas poiîible de contefter cette vérité. Elle n'eft donc pas indépendante : elle n'eft donc pas éternelle.

2°. Elle n'a pas pu fe donner l'exiften- ce •, il répugne qu'une chofe fe donne à elle-même l'exiftence. Toute caufe eft réellement diftinguée de l'eifet qu'elle produit j il eft évident qu'une chofe ne fçauroit être réellement diftinguée d'elle- même.

3°. Elle ne peut tenir fon exiftence d'aucun autre Etre que de Dieu. Nous ne connoilïons que deux fortes d'Etres ; ceux qui font purement matériels , qui n'ont ni fentiment , ni perception , ni penfée , & ceux qui ont du fentiment , de la perception èc des penfées : en un mot , nous ne connoiflbns que des Etres

1 5 5 La Métaphyjiqut»

penfans Se des Etres non-penfans. Il eft auflî impoflîble de concevoir qu'un Etre purement matériel Se non-penfant ait pro- duit un Etre intelligent qui penfe , qu'il eft impolîible de concevoir que le néant ait produit quelque chofe. Il eft au- tant au - defliis des forces d'un Etre non^pcnfant de produire un Etre pcn- fant 5 qu'il eft au - delTus des forces du néant de produire la matière. Notre ame ne tient donc pas fon exiftence d'un Etre purement matériel Se non-penfant : il faut donc qu'elle la tienne d'un Etre penfant. Il refte à prouver que cet Etre penfant , eft néceftàirement Dieu , c'eft- â-dire , l'Etre infiniment parfait».

Notre ame n'étant pas éternelle , elle ne peut avoir reçu l'exiftence que par voie de création , ou par voie de génération ; elle ne Ta pas reçue par voie de géné- ration : elle n'a point été formée d'une matière préexiftante , ni produite félon le cours ordinaire de la nature , par un principe interne , mis en œuvre par quel- que caufe extérieure , d'où elle ait reçu fa forme par des voies que nous n'ap-* percevons pas. Suppofez la matière ai«

La Mitaphyjïque» 157

virée en autant de petites parties & fi pe- tites qu'il vous plaira j donnez- leur la fi- gure , l'arrangement ôc le mouvement que vous voudrez , ces parties fe heur- teront 5 fe poulîeront , réfifteront l'une à l'autre fiiivant les loix de la nature , qui font les mêmes pour les petites & pour les grofTes parties de la matière. Il n'eft donc pas plus polîible que de très-petites parties de la matière par leur arrange- ment 5 leur figure & leur mouvement produifent du fentiment , de la connoif- fance , de la penfée , que de grofles par- ties. Ce n'eft point une propriété de la matière & de chacune de fes parties d'être capable d'avoir du fentiment , de la perception , de la connoilTance. Il eft manifeftement impoflîble qu'elle puiflè tirer , pour ainfi dire , de fon fein la penfée , le fentiment , la connoiiTance. Notre ame , ou ce qui penfe dans nous y n'a donc pas l'exiftence par voie de gé- nération : elle l'a donc par voie de créa- tion : elle la tient donc d'un Etre créa- teur. L'Etre créateur eft néceiTairement lout-puifTant *, la toute-puifTance eft infé- parable du pouvoir de créer. L'Etre tout-

î j 8 La Métaphyjîque^

puiflànt eft elïèntiellement très-parfait; s'il étoit privé de quelque perfedion , il fe la donneroit auiïîtôt. Notre ame ne peut donc tenir fon exiftence que de TEtre Ibuverainement parfait : fon exiftence eft donc une preuve convaincante de l'exif- tence de Dieu: ce qu'il falloU démon^. tnr.

Quatrie'me Proposition.

'J9e V&xïflcnct du mouvement des corpi

il s'enfuit nécejfairement que Dieu

cxijie.

DÉMONSTRATION^

LE S Athées avouent Texiftence du mouvement *, fi nous démontrons que Dieu feul peut le produire , ils ne fçauroient nier que Dieu exifte. Ou Dieu produit le mouvement , ou Tame hu- maine en eft la caufe efficiente , ou il eft eflèntiel à la matière a ou elle a la puîflànce de fe mouvoir.

La Métaphyjicjut* 159

L'ame humaine n'eft point la caufe èfficienre du mouvement \ elle le pro- duifoit , ce feroit par un adte de fa vo- lonté -, quand elle apperçoit & qu'elle fent, elle n'agit pas. Si le mouvement étoit un effet de la volonté , notre ame tranfpor- teroit les corps à fon gré , & diviferoit les plus durs en parties 11 petites qu'elle voudroit 5 pour divifer les corps , il fuffit d'imprimer du mouvement à leurs par- ties. Il eft confiant que les corps ne font pas mus ni divifés par un adte de notre volonté -, le mouvement même de notre corps n'en eft pas un effet : nous voulons en vain le mouvoir quand les organes font viciés , ou les forces épuifées. Le mouvement du cœur & des artères ne dépend point de notre volonté \ notre ame n'eft cependant pas moins unie au cœur &: aux artères qu'aux autres par- ties du corps -, une bleifure au cœur ne lui caufe pas moins de douleur qu'une bleffî-ire au bras. C'eft donc une vérité rout-à-fait évidente, que notre ame n'eft pas la caufe efficiente du mouvement.

Il n'eft pas moins évident que le mou- vement n'eft pas effentiel à la matière '-,

i6o La Métaphyjîque»

elle ne celle point d'exifter en cefTant d'être en mouvement *, elle n'eft point anéantie en demeurant dans un même lieu : l'expérience démontre qu'elle eft indifférente au mouvement & au repos *, nous voyons fans celTe une portion fen- fible de matière, un corps, pafTer de l'état du mouvement à celui du repos. Ce qui n'eft pas efTentiel aux parties fenfibles de matière , ne fçauroit l'être aux parties in- feniibles -, elles font toutes de la même nature. Le mouvement n'eft donc pas efTentiel aux atomes ni à la matière.

La matière n'a pas la puiiïance de fe mouvoir. S'il n'y avoir qu'un feul corps dans le monde , dont les parties fuflent dans un parfait repos les unes auprès des autres , ne demeureroit-il pas toujours dans cet état , toujours en repos &; dans une entière inadion ? Peut -on conce- voir qu'il pourroit fe donner du mou- vement à lui-même î L'expérience ne prouve- 1- elle pas qu'une portion de ma- tière , un corps, ne fe meut jamais fans que quelque caufe extérieure , un autre corps en mouvement , le heurte , le frape , le poulfe Les atomes étant invifibles , au- cune

La Métapkyjîque. i6t

cutie expérience ne peut prouver qu'ils ont la force de fe mouvoir •, la raifon démontre le contraire. Les atomes font dts corpufcules , de très-petites parties de matière dont les corps fenfibles font compofés •, les atomes pouvoient fe mouvoir , les corps fenfibles qui en font compofés 5 pourroient aulli fe donner du mouvement à eux-mêmes , ce qui répu- gne à la raifon & à l'expérience , qui prouvent également que la matière eft aveugle , & paflîvement indifférente au repos &; au mouvement. Si la matière avoir la puifîance de fe mouvoir , cette puifTance lui feroit effentielle ou acci- dentelle •) il efl abfurde de croire que cette puifTance lui efl effentielle. Ne peut- on pas concevoir clairement la matière fans cette puiffance , ôc même en nianc qu'elle l'ait \ Conçoit-on que cette puif- fance eft inféparable de la fubflance éten- due 5 folide & impénétrable , c'eft-à-dire y de la matière \ La puiffance de fe mou- voir ne lui eft donc pas effentielle. Si elle lui eft accidentelle , elle Ta donc reçue d'un autre j quel autre Etre que Pieu a pu la lui donner î C'eft donc

L

i6t La Mitaphyjique^

Dieu qui produit le mouvement : cîe lexiftence du mouvement il s'enfuit donc manifeftement que Dieu exifle : et qu'il falloit démontrer^

CiNQUIê'mê PROPOSïTlONé

Il y a un Etre étemel , & cet Etrt efl fouverainement parfait»

JD e' M O N S T R A T I O K*

CHACUN connoît £\ certainemefig qu'il penfe ^ & que ce qui penfe dans lui exifte 5 qu'il n'eft pas pollible de rendre cette vérité douteufe par au- cun raifonnement , ni par aucune fup- poiîtion 5 comme nous l'avons démon- tré dans V Ontologie , en parlant du pre- mier principe de toute certitude philofo- phique. C'eft auilî une vérité incontef- table > que le pur Néant ne peut produis re un Etre réel : il eft donc bien évi- demment vrai que quelque chofe exifte de toute éternité 5 puifque quelque chofe

La Métâphyjîque. t ff 3

èxîfte aduellement , & que ce qui exiftg aduellement doit être éternel , ou avoit été produit par une caufe réelle , préexif- tante à fon effet -, par conféquent il eft impoflible que tout ait eu un commen- cement. Si généralement tout ce qui exif- re avoit commencé d'exifter , il y au- roit eu un temps rien du tout n'au- roit exifté *, pour lors tout ce qui exifte a6feuellement auroit été impofSble , le pur néant ne pouvant produire un Etre réel , il n'y auroit eu aucune caufe ca- pable de donner l'exiftence à quelque cho- ie. Il implique contradidion que ce qui exifte aduellement , ait jam.ais été im- poiîible : donc il faut néceflairement re- connoître l'exiftence d'un Etre éternel* Il refte à démontrer que cet Etre éternel eft aullî fouverainement parfait.

L'Etre éternel eft eflentiellement un Etre intelligent qui penfe. Nous fçavons très-certainement que nous avons du fen* timent , de la perception , & que nous fommes des Etres pcnfans. Un Etre non- pcnfant ne fçauroit produire un Euepen- fant. Il eft aufti impoiîible qu'une cîiofa dôftituée d'intelligence 6^ de connoiftan-

Lij

ï^4 La Métaphyjîque.

ce produife un Etre intelligent qui pen- fe , qu'il eft impoffible que le néant pro- duife un Etre réel* L'Etre non-pmfant eft à l'égard de l'Etre pcnfant comme le néant eft à l'égard de quelque chofe. II n'eft donc pas moins évident que de toute éternité il y a un Etre pcnfant , qu'il eft évident qu'il y a un Etre éternel. L'Etre éternel pcnfant ^ eft nécelTaire- ment la fource éternelle de tous les Etres intelligens qui ont un commencement , & le principe de toutes leurs puiflances ou facultés *, ils dépendent de ce premier Etre 5 de ne peuvent avoir de puitTance 6c de connoilFance qu'autant qu'il leur en accorde. S'il a créé les Etres intelli- gens 5 comme il eft prouvé dans la dé- nionftration de la troifiéme propoiîtion , il a produit les Etres moins parfaits 6c inanimés , dont le monde corporel eft compofé. Qui peut le plus peut le moins. Donner l'être à un efprit , eft un effet de la puiftànce éternelle plus difficile à com- prendre que la création de la matière , qui eft un Etre non-penfant , moins par- fait que l'Etre pcnfant, La toute-puif- fance , la toute-feience , la providence

La Mitaphyjîque. 1 S$

infinie & les autres perfedions divines de l'Etre éternel , d'invifibles font deve- nues vifibles depuis la création du mon- de , par la connoiffance que nous en don- nent fes créatures. Il eft indubitable que l'Etre éternel penfant eft infiniment . parfait , fi un chef-d'œuvre auflî admira- ble que l'Univers eft fon ouvrage \ quoi- que les raifons très-plaufibles , rappor- tées ci-defTus 5 rendent déjà cette vérité conftante , néanmoins elle eft d'une fi grande importance qu'il faut la mettre dans un plus grand jour.

L'Etre éternel penfant , n'eft pas ma- tériel ) la matière ne fçauroit penfer. Les Matérialiftes avouent que chaque partie de matière ne penfe pas. Si chaque par- tie de matière penfoit , tous, les corps , même les plus groffiers , penferoient , ce qui eft évidemment faux : c'eft donc un certain amas particulier de matière jointe enfemble , qui penfe. Conçoit -on qu'un Btïe penfant foit compofé de parties non^ penfantes 1 II n'eft pas moins abfurde de dire qu'un Etre penfant eft compofé de parties non-penfantes , que d'affirmer qu'un Etre çtendu Qft compofé de parties

L iij

t6S La Métaphyjiquè.

nonUunduti* L'ordre & rarrangement des parties de matière jointes de telle ma- nière qu on voudra , ne peut leur donner qu'une nouvelle relation locale , d'où la penfée 6c la çonnoiflance ne fçauroient jamais réfulter. Attribuer toute la fagef- fe & la connoiflance de l'Etre éternel pcnfant à la difpofition & à l'arrange- ment des parties qui le compofent , c'eft la chofe du monde la plus abfurde. Il ne feroit pas moins abfurde de dire qu'il y a une certaine quantité de particules de matière qui penfent. Ces atomes pen- fans feroient feuls éternels , ou non. S'ils étoient feuls éternels , ils auroienç donc produit par leurs penfées & leurs volontés le çefte de la matière : il feroit donc faux que rien ne fe fait de rien : il y auroit donc un certain nombre d'Etres éternels , finis , penfans , indépendans les uns des autres*, leurs penfées diftin(^es ti'auroient jamais pu produire l'ordre ^ l'harmonie qui brillent dans l'Univers, il feroit ridicule de dire que toute la ma- tière eft éternelle , quoiqu'il n'y ait qu'une certaine quantité de particules c[ui penftnt. Chaque particule matiè^

La Métaphyjîque^ iGy

re eft capable de recevoir toutes les mê- mes figures 5 tous les mêmes mouve-^ mens , toutes les mêmes modifications , que toute autre partie. Il répugne au bon fens de donner à l'une quelque cho- fe de plus qu'à l'autre.

Ennn, la matière eft divifible, ôc ce qui penfe eft indivifible. La matière eft éten- due j cour ce qui eft étendu a des extré- mités Se un milieu j les extrémités étant réparées par le milieu , font réellement diftinguées : donc tout ce qui eft matière eft divifible. Ce qui dans nous penfe , eft néceiTairement indivifible ; s'il étoic compofé de plufieurs parties , la faculté de voir la lumière ôc les couleurs appar- tiendroit à l'une de ces parties , la facul- té d'entendre les fons appartiendroit à une autre partie *, en un mot , les diffé- rentes facultés de l'ame ne réfideroient pas dans une même partie fimple 3c in- divifible *, car fi cela étoit ainfi , ce qui penfe dans nous feroit indivifible : or il eft abfurde de dire que les diverfes fa- cultés de l'ame humaine réfident dans des parties différentes. Quand nous avons pluueurs fenfations enfemble ou fucceiïî-

L iv

i'65 La Métaphyjîque.

vement , nous pouvons juger laquelle nous caufe plus de douleur ou de plai- iîr 5 ce qui feroit impoflible les facul- tés diverfes réfidoient dans différentes parties. Deux hommes qui fentent de la douleur ou du plaifir , ne fçauroient dé- cider lequel des deux en fent plus que l'autre , ou fi la fenfation de l'un eft égale à la fenfation de l'autre , parcequ'étant réellement diftingués , l'un ne peut com- parer ce qu'il fent avec ce qui fe palïe dans l'ame de l'autre. Il en feroit de même , (i les diverfes facultés de notre ame réfidoient dans différentes parties \ l'une ne pourroit pas comparer fa fenfa- tion avec celle de l'autre , & juger la- quelle de ces fenfations feroit la plus vive : l'expérience prouve le contraire. Il efl donc abfurde de dire que les diverfes facultés de ce qui penfe dans nous réfi- dent dans différentes parties : donc le principe pcnfant eft indivifible : donc il n'eft pas étendu : donc il n'eft pas matériel : donc la matière ne peut pen- fec : donc l'Etre éternel pcnfant n'eft pas de la matière. Nous avons démon- tré que cet Etre eft créateur du principe

Za Métaphyjique. 1^9

penfant qui eft en nous , lequel eft plus parfait que la matière qui ne peut penfer : il ne faut donc pas plus de pouvoir pour créer la matière que pour créer un ef- prit : donc l'Etre créateur de ce qui penfe dans nous 5 eft auflî créateur de la matiè- re. La preuve fuivante met le comble à l'évidence de la vérité de cette dernière proportion.

Si la matière n'eft pas éternelle , l'Etre éternel penfant , créateur de ce qui penfe dans nous , eft auflî le créateur de la matière ; or la matière n'eft pas éternelle. Si elle ctoit éternelle , elle exifteroit néceflairement *, ce qui exifte néceflairement , exifte eflentiellement : l'exiftence néceflaire & actuelle eft infé- parable de ce qui exifte eflentiellement. L'exiftence néceflaire ôc adluelle n'eft point efl*entielle à l'Etre imparfait -, on peut en avoir une idée claire & diftindte , en niant qu'il exifte adtuellement 6c né- ceflairement. Nous fentons que ce qui penfe dans nous n'exifte pas néceflaire- inent. Perfonne n'eft aflez dépourvu de fens pour foutenir que de toute éternité il €ft un Etre penfant : donc l'exiftence né-

ï 70 La Métaphyjique,

cefiTaire & aduelle n'eft point efïèntielle à l'Etre imparfait ; donc l'Etre imparfait n'exifte pas néçeflairement : donc il ne peut être éternel. La matière eft impar- faite *, la penfée qui eft une perfection , lui manque , & la pluralité des parties réellement diftinguées , inféparable de la divifîbilité qui eft une imperfedion , lui eft propre : donc la matière ne peut être éternelle : donc elle a eu un commence- ment : donc elle a été créée : donc l'Etre éternel , créateur de ce qui penfe dans nous 5 eft aufli le créateur de la matière : donc l'Etre éternel eft fouverainemenç parfait : u qiCilfalloit démantnr.

4r

^â^

1^ Métaphyjîque^ 171

Sixie'me Proposition.

Un Etre tout-puljfant a cril h monde ^ donc Dieu exifie,

DÉMONSTRATION.

E monde eft compofé d'Etres pen-* \fans ôc d*Etres non-penfans ; il a été évidemment prouvé dans les deux dé- monftrations précédentes que ces deux fortes d'Etres ne peuvent exifter que par voie de création , & que nul Etre imparfait ne peut être éternel : donc un Etre tout-puifTant a créé le monde : donc Dieu exifte.

Si le monde & les hommes exiftoient de toute éternité , il y auroit eu un temps il n'y auroit eu aucun homme de mort; puifque la vie précède nécelTaire- ment la mort : mais en fuppofant l'éter- nité du monde & des hommes , il répu- gne que dans un certain temps il n'y ait eu aucun homme de mort. Ou la vie de ces hommes auroit été éternelle ^ ou elle

ijz La Métapkyjîquet

n'auroit pas été éternelle j l'un & Tautrô impliquent contradidion. Si la vie de ces hommes avoit été étemelle , ils exif- teroient encore -, puifque l'éternité n'a point de fin : fi leur vie n' avoit pas été éternelle , elle n'auroit précédé leur mort que de quelques années : ils n'auroient donc pas exifté de toute éternité >. ils au- roient donc été créés avec le monde par un Etre tout-puifiant , qui eft Dieu.

Si le monde étoit éternel , ou les œufs auroient exifté avant les oifeaux , ou les oifeaux avant les oeufs. Si les œufs avoient exifté avant les oifeaux , ou ils auroient exifté avant , pendant une éter- nité , ou feulement pendant un temps déterminé *, s'ils n'avoient exifté avant que pendant un temps déterminé , Iq monde &: les œufs n'auroient pas exifté de toute éternité : fi les œufs avoient exif- té avant les oifeaux pendant une éterni- té ; il n'y auroit jamais eu d'oifeaux. On peut également prouver par le même rai- ibnnement , qu'il répugne que les oifeaux aient exifté avant les œufs. De l'éternité du monde il s'enfuit plufieurs autres ab- furdités ; donc le monda n'eft pa$ éter*

La Métaphyjîque. 1 7 5

nel : donc un Etre tout-puifTant l'a créé î donc Dieu exifte ; te qu'il falloit démon- trcr.

Il n'y a rien dans tout ce qui a été dit pour prouver l'exiftence de Dieu , qui ne foit du reflbrt de la raifon , & qu'on ne puifïe entendre par la feule lumière naturelle. Les démonftrations qu'on vient de voir font fi lumineufes 6c fi convain- cantes 5 qu'il n'y a rien , après l'exiftence de ce qui penfe dans nous , qu'on puifïe connoître plus certainement que l'exiften- ce de Dieu. Il eft en notre pouvoir de connoître plus clairement qu'il y a un Dieu 5 que nous ne connoiiîbns qu'il y a quelque chofe hors de nous. En faifanc un bon ufage de la raifon qu'il nous a donnée pour connoître la vérité ; en ré- fléchifiant bien fur nous - mêmes -, en nous appliquant avec la même attention à le connoître qu'à faire d'autres décou- vertes 5 nous ne pouvons manquer de preuves manifeftes de fon exiftence , qui eft la bafe & le fondement de toute la Re- ligion & de toute la Morale Chrétienne. On ne peut prouver primordialement par l'Ecriture Sainte que Dieu exifte. On

174 ^^ Métaphyfique»

peut regarder les Livres Saints ou com* me une fimple hiftoire , ou comme inf-^ pires -, confidérés fous le premier rapport , ils renferment le fenriment des Juifs & des Chrétiens touchant Texiftence de Dieu. On ne peut prouver qu'ils font di- vins & infpirés qu'après avoir démontré Texiftence d'un Dieu qui a didé tout ce que ces livres renferment.

La difficulté de reconnoître Texiftence de Dieu , vient principalement de ce qu'il eft la fource de la vérité de tous les prin- cipes dont on peut fe fervir pour prou- ver fon exiftence. L'Etre parfait étant le feul qui ne peut point ne pas exifler , on ne fçauroit avancer aucune proportion entièrement nécelTaire , pour prouver fon exiftence , qui ne contienne cette exiften- ce en d'autres termes : de-là vient que ceux qui n'y font pas aftez d'attention , font portés à penfer que les preuves les plus invincibles de l'exiftence de Dieu ne font que des fophifmes.

Tout dans l'Univers confpire à nous montrer la toute-puiirance & la fagefle infinie de fon auteur, La crrandeur 6c

La Métapkyjiqut, ijj

beauté de cette immenfe & étonnante machine *, la variété , l'ordre & l'harmo- Jiie qui brillent dans toutes fes parties , ne permettent pas à un homme de bon fens de douter qu'elle ne foit l'ouvrage d'une Intelligence fuprême , & qu'une Providence infinie ne l'entretienne & ne la conferve. La terre , les campagnes ^ les mers , les vents , les nuées , la lu- ne 5 le foleil , fa vertu , fes effets , fa lumière -, le Ciel Se tous les aftres bril- lans dont il eft orné 5 le lever , le cou- cher ôc le cours régulier & conftant de tant de corps lumineux , la fuccefîîon &c l'inégalité réglée des jours &c des nuits y la viciffitude des faifons , rendent le té- moignage le plus éclatant à l'exiftence du Créateur ôc du Modérateur du monde. La multitude innombrable des différen- tes fortes d'animaux qui habitent l'air , la terre & les eaux , dont le corps efl compofé de tant de parties diverfes , qui ont toutes un certain rapport mutuel , une telle liaifon les unes avec les autres , qu'il n'y en a pas une d'inutile , ôc qui ne foit de la grandeur , & de la forme qu'il faut pour l'ufage auquel elle

Ijô La Métaphyjîque.

deftinée : l'économie admirable d*une infinité de plantes fi diverfifiées j.qui ti- rent de la terre un fuc , un aliment qui reçoit des changemens (i furprenans : les racines , le tronc ôc les autres parties des arbres le préparent fi parfaitement , qu'il s'arrondit en boutons à l'extrémité des branches j s'étend enfuite &: fe déploie en fleurs fi fubtiles dans leur tiflure , fi belles par leurs couleurs , fi agréables par leur odeur -, & fe transforme enfin dans des fruits délicieux , avec une écorce au dehors pour leur défenfe , avec un nom- bre déterminé de grains , dont chacun jette en terre produit d'autres femblables plantes : la fécondité inépuifable de la terre dans la formation des pierres pré- cieufes , des pierres communes , des mé- taux 5 des minéraux ôc d'une infinité d'autres corps *, toutes ces chofes font autant de merveilles qui nous manifef- tent de la manière la plus convaincante l'exiftence de Dieu. Le monde vifible eft donc pour tous les hommes un livre toujours ouvert , ils peuvent lire fans peine pendant la nuit aulH-bien que pen- dant le jour 5 les caractères des divines

perfedions

La Métaphyjique: 177

perfedions de celui qui l'a produit , 6c qui préiide fans celîe àfa confervation. Tout ce qui fe préfente à nos yeux peut aifément nous rappeller la puilTance > la fageile &: la bonté de l'Etre fuprême à qui nous fommes redevables de tout ce que nous avons , 6c de ce que nous fom- mes 5 &: nous faire fentir que nous de- vons lui en rendre hommage , & lui marquer notre reconnoiifance & notre dépendance.

Je pourrois apporter beaucoup d'autres preuves de l'exiilence de Dieu , qui quoi- que morales , ne laifïeroient pas d'être convaincantes-, mais je les abandonne, non feulement parceque n'étant que mo- rales , elles ne doivent point trouver pla- ce dans un Traité purement mécaphyfi- que 5 tel que celui-ci -, mais encore par- cequ'elles font mifes en œuvre , & dans le plus grand jour , par tous les auteurs anciens &: modernes , qui ont entrepris de prouver l'exiftence de l'Etre éternel , tout-puiff'ant , créateur du Ciel & de la Terre. Cette vérité a été mife dans une il grande évidence par les plumes les plus fcavantes de l'antiquité ôc de ces der-

M

l-jS La Métaphyjique.

niers temps , qu'il n'eft pas pofllble de rien ajouter à ce qui a été dit à la honte éternelle de rAthéifme. Plus on fait de découvertes , plus aufïî l'argument tiré de l'ordre admirable qui régne dans les ouvrages de Dieu , devient lumineux. Si Ciceron , dans un temps la fcien- ce de l'Adronomie étoit mince ôc fi imparfaite , a trouvé dans l'arrangement & dans le mouvement des corps céleftes des traces fi éclatantes de fagelFe & d'in- telligence 5 qu'il n'a pas fait difficulté de dire dans fon fécond Livre de la Nature des Dieux , que quiconque nie qu'il y en ait , doit être dépourvu lui - même d'intelligence : que n'auroit-il pas dit , s'il eut eu connoilTance des grandes dé* couvertes faites par les Modernes dans i'Aftronomie.

Pour achever de confondre les Athées , il nous refte à réfuter les raifons qui fervent de fondement à leur incrédulité \ mais avant de commencer cette réfuta- tion, il faut obferver que les difficultés que Ion propofe contre î'exiftence de Dieu , viennent principalement de ce que noiis

La Métaphyjique. 1 79

ne le connoiffons que très- imparfaite- ment. Il eft de l'eflence de notre efpric qui eft très-borné , de ne pas compren- dre l'infini *, il n'y a rien dans Dieu qui ne foit infini , èc infiniment au-deflus de la foible portée des lumières de no- tre raifon : par conféquent il n'eft pas pofiible de répondre à toutes les difficul- tés d'une manière qui ne laifTe rien à defirer. On ne doit pas nier ce qui eft évident , parcequ'il s'enfuit quelque cho- fe d'obfcur -, c'eft pourquoi les Mathé- maticiens méprifent tout ce qu'on peut objecter contre les vérités qu'ils ont bien démontrées. L'exiftence de Dieu étant fon- dée fur les preuves les plus irréfragables & les plus vidorieufes , feroit une vérité très- confiante , quand même on ne dé- truiroit pas entièrement les objedions qui la combattent.

Première Objection.

Toutes les preuves de l'e^tiftence de Dieu font fondées fur l'exiftence des Etres contingens qui n'exiftent pas né- celTairement j ces Etres font cbiméri«

M ij

î8o La Métaphyjique.

qiies. La création , qui eft la produârion d'une chofe qui n'avoit eu auparavant aucune exiftence , eft abfurde. Il eft évi- dent que rien ne fe fait de rien. Toute fubftance eîl éternelle *, elle eft un Etre par foi , indépendant , qui ne tient point fon exiltence d'un autre.

R E' P O N s E,

. Il eft vrai que toutes les preuves de Texiftence de Dieu font tirées de l'exif- tence des Etres créés & contingens. Dieu n'ayant point de caufe , on ne peut prou- ver qu il exifte que par fes effets , qui font les Etres contingens aufquels il a donné l'exiftence. Il eft faux que la créa- tion foit impolfible \ le contraire eft bien évidemment prouvé dans la troifiéme, cin- quième & iixiéme démonftration. Si l'on ne s'en fouvient pas , il faut les relire avec attention , ôc l'on verra clairement que les Etres contingens ne font pas àQS chimères. Tout ce que l'on peut oppofer à ce que nous avons dit pour prouver la création , c'eft qu'on ne la conçoit pas. Eft- ce une raifon fuffifante pour la

La Mûaphyjïqut. i2î

iiîer ^ Devons-nous réduire toutes chofes aux bornes étroites de notre capacité > Eft-il raifonnable de penfer que tout ce que nous ne pouvons comprendre , eft impollible î Borner ce que Dieu peut fai- re à ce que nous pouvons concevoir > c'eft nous attribuer une fcience infinie , ©u reftreindre la puiffance de Dieu aux limites de notre elprit borné & fini. Nier la puiiïance d'un Etre infiniment parfaits fous prétexte qu'on ne fçauroit compren- dre les opérations ^ c'eft le comble de l'extravagance *, fur-tout quand l'exiften- ce de cet Etre a été prouvée par des rai- fons awflî triomphantes que le font cel- les que nous avons mifes en œuvre pour confondre les incrédules. Concevons- nous coinment notre ame meut notre corps à fon gré , comment elle change la détermination des efprits animaux > Les philofophes ont-ils jamais expliqué bien clairement la chute des corps , les mouvemens Ôc la nature des aftres ? Les Athées comprennent ils bien tous les ef- fets qu'ils reconnoilTent ? Sçavent-ds bien corpnient ils font produits ? La généra- tign dies plantes , des animaux , n'eft-elle

M iij

ï82 La Métaphyjique.

l

as une énigme pour eux , ainfî que pour es plus habiles Philofophes î Conçoi- vent-ils qu'une infinité de jours , une infinité d'années , une infinité de fiécles a précédé le moment préfent ? Ils ne fçau- roient en douter -, c'eft une fuite nécelTai- re de l'exiftence d'un Etre éternel qu'ils reconnoifïent. Puifqu'ils avouent Texif- tence de tant de chofes , fans entendre comment elles font produites ; peuvent- ils nier la création des Etres contingens, aduellement exiftans , fous prétexte qu'ils ne la conçoivent pas , fans être en con? tradidion avec eux-mêmes ?

La fubftance n'eft pas un Etre par foi eiïèntiellement indépendant , mais feu- lement un Etre qui n'a pas befoin d'un fujet pour exifter , ou qui n'exifte pas dans un autre néceflTairement. Toute fubf- tance n'eft pas indépendante; l'indépen- dance n'appartient qu'à la fubftance in- finiment parfaite. Il a été démontré que la fubftance imparfaite ne peut pas être éternelle , & qu'elle tient ion exiftencs d'une caufe réelle qui eft néceftairement diftinguée de fon effet , & qui n'a pu lui

La Métaphyfîque^ 1S3

donner l'exiftence que par voie de créa- tion.

Seconde Objection.

On ne peut prouver l'exiftence de Dieu que par les créatures , qui font des Etres contingens. Dieu eft un Etre nécef- faire qui peut exifter fans aucun Etre con- tingent 5 il n'y a point de liaifon efTen- tielie entre l'Etre nécefTaire & l'Etre con- tingent : l'Etre contingent n'eft donc pas un moyen qui puifle fervir à prouver l'exiftence de Dieu -, il n'y en a cepen- dant point d'autre : donc il n'y en a point du tout.

Re' P O N SE.

Cette objeétion eft un fophifme des plus miférables. Il y a une liaifon eften- tielle entre l'exiftence de l'Etre contin- gent & celle de l'Etre néceftaire *, quoi- que l'Etre néceftaire puifte exifter fans l'Etre contingent , l'Etre contingent ne fçauroit exifter fans l'Etre néceftaire de qui il tient fon exiftence 5 qui n'eft pas

M iv

1 84 La Métaphyjîqui*

éternelle , qu'il n'a pu fe donner , & qui ne peut être un effet du néant : tout Etre contingent , actuellement exiftant , eft donc un excellent moyen pour dé- montrer l'exiftence de Dieu > créateur des Etres contingens.

Troisie'me Objection.

Lorfque de deux opinions contradic- toires il faut en choilir une , l'on doit toujours préférer celle il y a moins de difficultés *, le fentiment des Athées qui n'admettent qu'un Etre exiflant de toute éternité , & qui nient l'exiftence des Etres créés , renferme moins de diffi- cultés que le fentiment contraire , fui- vant lequel il y a un Etre néceffaire , 6c des Etres qui ont commencé d'exifter , qui ont été faits de rien , c'eft-à-dire , crées : donc il faut préférer le fentiment qui nie l'exiftence de Dieu à celui qui l'admet.

R e' P O N s E.

Il eft très-évident par tout ce que notis

La Métaphyjîque. 185

avons dit pour prouver l'exiftence de Dieu 5 que le fentiment des Athées eft

Î)lein de difficultés ôc d'abfurdités dont e nôtre eft exempt. L'Etre éternel félon. les Athées , c'eft la matière qui produit elle-même fon mouvement *, qui penfe , quoiqu'elle foit divifible , qui exifte de toute éternité , quoiqu'elle foit impar- faite : au contraire , l'Etre éternel félon nous 5 eft l'Etre infiniment parfait , qui par fa volonté toute- puiftante donne l'exif- tence à tous les autres Etres qui ont né- ceftairement un commencement , parce- qu'ils font imparfaits : donc le fentiment des Athées eft abfurde , & a beaucoup plus de difficultés que le nôtre , qui eft d'ailleurs fondé fur les raifons les plus plaufibles , les plus lumineufes & les plus convaincantes qu'il eft inutile de répéter, La réfutation de tout ce que l'on peut dire de plus fpécieux pour com- battre une vérité bien folidement prou- vée 5 fe trouve dans la preuve , comme on levoitparlesréponfes aux objections pré- cédentes. La réfutation des autres objec- tions contre l'exiftence de Dieu , fera la partie la plus confidérable du Chapitre

1 8 Ô La Métaphyfque,

fuivant , nous croyons devoir la pla- cer 5 parceque ces objedions attaquent diredement les principaux attributs di- vins que nous connoiflbns par les lu- mières de la raifon.

CHAPITRE II L Des principaux attributs de Dieu.

DÎEU eft un Etre infiniment parfait , félon les Athées eux-mêmes. Si on leur demande de quoi ils nient l'exif- tence en difant qu'il n'y a point de Dieu > ils répondent qu ils nient qu'un Etre très- parfait exifte. Les attributs divins dont nous avons des idées , font infinis : nous ne pouvons donc les connoître que très- imparfaitement ', tout ce qui eît infini furpafïe infiniment la portée de notre ef- prit très-borné , èc très-imparfait. De ce que Dieu eft infiniment parfait , il s'en- fuit que toutes les perfeétions exemptes d'imperfedions lui font aulîi efTentielles que les trois angles font elfentiels au

La Métapliyfique, 1 87

triangle. Après avoir démontré de la ma- nière la plus folide & la plus irréfraga- ble l'exilfence de Dieu , il feroir inutile de nous arrêter à prouver l'exiftence de fes divins attributs , s'il n'étoit pas nécef- faire de diiîiper les ténèbres que les Athées tâchent de répandre fur cette vé- rité, par des objedions contre les princi- paux attributs de Dieu. Ils prétendent que les perfedions qu'on attribue à Dieu font incompatibles , contradictoires , ab- furdes *, d'où ils concluent que Dieu eft un Etre chimérique qui ne peut exifter. Tout ce que contient ce troiiiéme Cha- pitre peut être regardé comme la con- tinuation du précédent. La folution à^s objedions contre les principales perfec- tions de Dieu , mettra le comble à l'évi- dence des démonftrations de Texiftence de Dieu.

1 8 s La Métaphyjîque»

Première Proposition.

Dku cji une fuhflancz fplritudU & immatérielle.

DÉMONSTRATION.

NOus ne connoifTons que deux fubf- tances , le corps & refprit ^ Dieu eft donc Tune ou l'autre. Il a été démon- tré que le corps ou la matière eft divi- fîble 5 non p enfante , imparfaite j & que Dieu eft très-parfait. La penfée confîdé- rée en elle-même & fans reftridlion n'eft accompagnée d'aucune imperfedion : la penfée très-parfaite eft donc eflentielle à Dieu : donc il eft néceffairement une fubftance fpirituelle &: immatérielle i çc quHl fallait démontrer.

On nous oppofe ce que dit Splnofa > qui prétend qu'il n'y a qu'une fubftance unique dans l'Univers *, pour mériter le nom de fubftance , félon cet auteur , il faut indépendamment de toutes caufes.

La Métaphyjique. 189

«"xifter par foi-même éternellement , &; nécelfairement. Il appelle Dieu cette fubf- tance unique qu'il admet. Tous les Etres particuliers , l'étendue corporelle , le fo- îeil 5 les plantes , les hommes , leurs idées & toutes leurs penfées ne font que des modifications de la fubftance qui eft: Dieu. Spinofa a donné dans tous les éga- remens des défetifeurs du fyfteme de Tame du monde , que Virgile décrit dans plufieurs endroits de fes ouvrages *, en renouvellant cette opinion abfurde , il a tâché de mettre dans un plus grand jour ce qu'avoient dit les anciens Philofophes qui croyoient le Monde éternel , & qui nioient qu'un Etre intelligent & tout- puiflTant en réglât l'harmonie. L'Univers , félon eux , eft un Tout , de la même ma- nière qu'une plante , ou un animal ; tous les corps du monde compofent un Tout animé & vivifié de toute éternité par un certaine force répandue par-tout , comme les différentes parties d'un ani- mal en font un par leur alTemblage. Ro- bert Flud , Anglois qui foutient l'opi- nion de l'ame du monde , a cru que cette ame étoit compofée d'une matière très-

I c) o La Métaphyfique.

fubtile & très-adive *, ce Philofophe & été bien réfuté par le fameux GalFendi.

Nous avons fappé les fondemens du Syftême de Spinofa dans la cinquième dé- monftration de l'exiftence de Dieu , en prouvant que la matière ne fçauroit pen- fer , qu'elle eft divifible , & que ce qui penfe eft indivifible \ d'où il réfulte évi- demment que la matière eft une fubftan- ce entièrement différente de la fubftance penfante. Nous démontrerons la même vérité par plufieurs autres raifons , dans la troiîîéme Partie de la Métaphyiique , en prouvant que notre ame , ou ce qui penfe dans nous , eft immatériel ^ fpi- rituel.

Le fyftème de Spinofa eft rempli d'ab- furdités. Les modes , qui ne font que à^% manières d'être de la fubftance , ne peu- vent exifter fans la fubftance qu'ils mo- difient. Des modifications contradiétoi- res & incompatibles ne peuvent exifter enfemble dans une même fubftance. L'in- compatibilité des modifications prouve donc évidemment la néceffité de plufieurs fubftances différentes. N'eft-il pas aufti

La Métaphyjique. 191

impofïîble qu'une même fubftance foie divifîble ik indivifible , qu'il eft impoffi- ble qu'un cercle foit un triangle ? S'il n'y a qu'une feule fubftance dans l'Univers , les qualités les plus oppofées fe trouvent enfemble dans cette fubftance. Eft-il rien de plus ridicule qu'une telle opinion ? Si les nommes étoient des modifications de la fubftance unique que Spinofa appelle Dieu 5 il s'enfuivroit que Dieu eft per- pétuellement contraire a lui-même. Peut- on concevoir qu'une même fubftance veuille & ne veuille pas *, qu'elle aime Ôc qu'elle haïfte le même objet ; qu'elle foit vertueufe & criminelle en même temps 2 Les modes , félon Spinofa , 11e font rien , c'eft la fubftance feule qui agit *, par conféquent les hommes n'étant que des modes de la fubftance univer- felle du Monde entier , tous les crimes font l'ouvrage de Dieu feul ^ tous les vi- ces font le partage des attributs de la di- vinité. On peut par cet échantillon èQS conféquences qui fuivent de l'opinion de l'unité de fubftance dans l'Univers , juger de tout le fyftême de Spinofa. N'eft- iJ pas évident qu'il eft le plus horrible ,

ICI La Metaphyjique.

le plus impie àc le plus abfurde qu'on ait jamais imaginé t

Seconde Proposition.

Il n*y a qu'un Dieu*

'DÉMONSTRATION,

S'il y avoit deux ou plufieurs Dieux , aucun ne le feroit. Dieu eft un Etre tout-puifTant , indépendant , Ôc duquel tous les autres dépendent. S'il y en avoit plufîeurs 5 ou l'un dépendroit de l'autre , ou il n'en dépendroit pas , s'il en dépen- doit , il ne feroit pas indépendant , il ne feroit pas Dieu j s'ils étoient indépen- dans l'un de l'autre , aucun ne feroit tout- puiflant , tout ne dépendroit d'aucun d'eux 5 aucun ne feroit Dieu : donc il eft impoffible qu'il y ait deux ou plufîeurs Dieux : donc il n'y en a qu'un : u qu'il falloit démontrer.

Il fuit de cette démonftration , que la matière n eft pas coéternelle avec Dieu ;

il

La Métaphyjîque^ 153

ti elle étoit. éternelle , Dieu ne pourroic pas la détruire *, ce qui eft éternel ne fçau- roit avoir une fin : la matière feroit donc indépendante , (i elle étoit éternelle ; elle feroit atiiîî infinie , parceque rien n'au- roit pu la borner. Il y auroit deux Etres éternels 5 indépendans 3 infinis > Tun de l'autre feroi-ent Dieu -, ce qui eft im- pofîîble.

Tout ce que l'on peut objeéler de plus fort contre l'unité de Dieu , fe réduit à ce que difent les Manichéens pour prou- ver qu'il faut reconnoître deux principes éternels , indépendans , &; ennemis l'un de l'autre , l'un bon , auteur de tout le bien 3 l'autre mauvais , auteur de tout le mal. Ils prétendent qu'il eft évident que le bien & le mal fçauroient pro- céder du même principe , & être les effets d'une même caufe.

Il faut d'abord obferver que tout ce que difent les Manichéens ^ ne détruit aucune des raifons convaincantes de vic- torieufes fur lefquelles l'exiftence de l'unité de Dieu font fondées j tous leurs raifonnemens laiftent nos démonftrations dans leur entier.

N

ip4 -^^ Métaphyfique»

Il faut aufîî avouer que nos lumiè- res font trop foibles pour nous mettre en ctat de concilier parfaitement le mal phy- fîque &: moral avec la toute-puiffance bc la bonté infinie de Dieu *, mais quand nous concevons clairement deux cliofes féparément , nous ne devons pas en nier une > fous prétexte que nous ne fcau- rions la concilier avec l'autre. L'exiften- ce d'an feul Dieu , ôc l'exiftence du mal phyfique & moral font également con- nues 5 l'une par la raifon , l'autre par l'expérience. Il n'eft donc pas plus rai- fonnable de nier l'une que l'autre. Les Manichéens fe font égarés en s'écartant de cette régie ; fi les Philofophes Tavoient toujours fuivie , ils auroient évité bien des écueils dans lefquels ils font tombés.

Il eft de l'elTence de l'efprit de l'hom- me de ne pas comprendre tous les rap- ports qu'il y a entre les vérités qu'il con- iioît. Abandonner une vérité bien dé« montrée , parcequ'on ne peut pas con- cevoir tous les rapports qu'elle a avec une autre vérité parfaitement connue, c'eil abandonner la faine raifon.

La réponfe la plus fatisfaifante qu'ion

La Métaphyjique» 19 f

puifTe donner aux difficultés qu'on forme fur l'origine du mal phyfique & du mal moral 5 6c qui eft conform.e à ce que dit Saint Paul dans fon Epître aux Ro- mains 5 en parlant de cette queftion , c'eft celle-ci : Je connois aufîi clairement l'exif- tence d'un Dieu que ma propre exiftence, que je ne puis tenir que de lui feul. Il eft très-évident que Dieu ne peut pas être l'auteur du mal i & que s'il le permet , il faut que cela foit néceffaire , & ne foit pas contraire à fa toute- puiiTance , ni à la bonté infinie *, quoique je ne le com- prenne pas. Une chofe que je ne com- prens pas , ne doit pas me faire rejetter une vérité que je connois évidemment j la raifon me le défend. Perfonne ne com- prend comment une éternité a précédé le moment préfent *, néanmoins tout hom- me de bon fens en convient ; les Mani- chéens eux-mêmes ne fçauroient en dif- convenir : c'eft une fuite néceffaire de l'exiflence d'un Etre éternel, qu'il efl ridi- cule de ne pas reconnoître.

N ij

l^è LaMétaphyfiquè,

Troisième Proposition*

DUu eji un Etrejimpk,

DÉMONSTRATION.

DIeu eft exempt de toute forte de compofîtion. Il n'eft pas compofé de plufîeurs parties , comme les corps j il eft immatériel. Il n'eft pas compofé de genre & de différence : le mot de genre fîgnifie une chofe indéterminée , de toute indétermination eft un défaut qui répugne à la nature d'un Etre infini- ment parfait : il eft le plus déterminé & le plus fingulier de tous les Etres , puii- qu'il eft impoftible qu'il y en ait deux ou plufîeurs. Il n'eft pas compofé d'efTence & d'exiftence comme les Etres impar- faits 5 dans qui ces deux attributs font réellement diftingués j dans Dieu ils font une même chofe , l'exiftence aduelle lui étant aufïî efïèntielle que la rondeur l'eft au cercle. Enfin il n'eft pas compofé de fubftance & de mode , ou de fujet êc

La Mètaphyjique. 197

d^accident -, la fubftance 6c le fujet mar- quent la puiffance de recevoir quelque mode ou quelque accident , & le mode & l'accident dénotent la puifTance d'être reçus dans quelque fujet ou dans quel- que fubftance *, ce qui répugne à l'Etre très-parfait , qui eft néceilairement im- muable 5 comme on le verra dans la démonftration de la proposition fui vante. Donc Dieu eft un Etre ilmple : u qu'il falloit démontrer.

De ce qui vient d'être démontré , fuit que nous ne pouvons attribuer à Dieu les perfedions des créatures que dans un fens très-équivoque. Toute per- fection dans Dieu Q^ijimple ou abfoluc , parcequ'elle exclut toute forte de défaut i au contraire toute perfedion dans les créatures n'eft perfection qu'^ certain égard , parcequ'elle foufFre quelque mé- lange d'imperfedtion. Quand on dit , par exemple , que Dieu penfe , l'on doit entendre qu'il penfe parfaitement *, au lieu que tout Etre penfant ne penfe qu'imparfaitement. Quand on dit que: Pieu eft une-fùbftancç , l'on doit entear

N iij

içS La Métaphysique.

dre qu'il fubfifte par lui-même > indé- pendamment de toute caufe , au lieu que toutes les autres fubftances ne fubiiftent que par une autre fubftance qui deur a donné Texiftence. Quand on dit que Dieu eft un Etre y l'on doit entendre qu'il eft un Etre indépendant : au lieu que tout autre Etre eft dépendant. Pour parler avec cxaditude de Dieu , il faut bien déter* miner le fens des expreffions , fur-tout quand 'elles font les mêmes que celles qu'on emploie en parlant des créatures \ cette précaution eft nécefTaire pour pré^ venir l'erreur qui naît fouvent de l'équi- voqiLe.

On peut objeder que Dieu n'eft pas exempt de toute forte de compofition \ tous les Théologiens & tous les Philofo- phes conviennent qu'il eft compofé de plufieurs perfections , & ils reconnoiffent dans lui plufieurs attributs.

Toutes les perfedions que nous attri- buons à Dieu 5 ne font réellement que la fouveraine perfe6tion , que nous conce.^ vons différemment en vertu des différent t^s manières dont nous la confidérons ; ^IJe çft appeUéey/^^/^;^ y quand oa U çoa*

La Mitaphyjîque* 199

fîdère par rapport à la vertu qu'elle ré- compenfe , & au vice qu elle punit -, on la nomme fcUncc , quand on la regarde du côté àùs chofes qui peuvent être con- nues *, on lui donne le nom de toutc^ puijfanu , à l'égard des créatures qu'elle produit , & de tout ce qui ne répugne point qu'elle' peut faire. Il n'y a donc pas dans Dieu réellement plufeurs perfec- tions 5 mais une feule , à laquelle nous donnons différens noms , qui expriment les diverfes manières dont nous Ibmmes obligés de la confidérer. Les bornes étroi- tes de notre efprit ne nous permettent pas de voir enfemble les divers rapports qu'elle a avec des chofes diverfes , c'eft pourquoi nous les coniidérons féparé- ment , & nous la concevons diverfe- ment : toute la diverfité tombe fur les effets qu'elle produit , & fur les chofes par rapport aufquelles on la confidère. Dans les créatures les perfedions font réellement diftinguées \ elles peuvent exifVer féparément : dans Dieu elles font inféparables ; elles font eiTentiellemenc liées -, elles font une feule & même cho- fe 5 qui eft la fouveraine perfection.

N iv

2ca La Métaphyjtque»

Mm—— a— —M !■— ■! I Il I Wl—— )—■ ^— B,

Quatrie'me Proposition.

JDicu efi immuable,

D ÈM ON S J RATION.

IL n'y a rien dans Dieu , ni hors de Dieu , qui puiffe le faire changer. 1*^. Rien de tout ce qui eft hors de lui ne peut le faire changer. Il eft fouveraine- ment parfait , par conféquent indépen- dant ; & fi quelque chofe hors de lui pouvoit le faire changer , il dépendroit. de ce qui auroit cette puilTance : ce qui, répugne à la nature d'un Etre indépen- dant. 2'^. Il n'y a rien en lui qui puillè le faire changer. Il fçait tout , & il peut tout ce qu'il veut , étant fouverainement parfait ; il ne peut donc rien arriver qui ibit capable de le faire changer : il eft donc immuable : ce qu'il falloit dé- montrer.

La principale objedion contre l'im- mutcibilité 5 eft fondée fur la prétendu.^;

La Métaphyftque. 201

incompatibilité de cette perfe6tion avec la liberté. Si Dieu eft immuable , difent les Athées , il n'eft pas libre j &: s'il eft li- bre 5 il ne fçauroit être immuable. S'il a créé le monde , & s'il le conferve , c'eft librement j il ne fçauroit l'avoir créé li- brement , &: le conferver librement , fans avoir pu ne pas le créer , & fans pouvoir aduellement ne pas le confer- ver : l'ade par lequel il l'a créé , a donc pu n'être pas en lui , & celui par lequel il le conferve , peut être anéanti. Il eft donc fujet au changement s'il eft libre , & il n'eft pas Dieu s'il n'eft pas libre , parceque la liberté eft uxie perfedion ef- fentielle à l'Etre infiniment parfait.

De ce que Dieu eft un Etre infini- ment parfait , il s'enfuit fi évidemment qu'il eft immuable 6c libre , que l'on ne fçauroit nier l'une ou l'autre de ces deux perfedions , fans s'écarter de la pre- mière régie de toute vérité du reftort de la raifon , qui eft l'évidence. Il eft ridi- cule d'exiger que l'homme concilie tous les attributs & toutes les perfections de pieu 5 il ne les connoît que très-impar- faitement 5 parcequ'il eft de fon elTence

101 La Métaphysique^

de ne pas comprendre l'infini. Il a aiïèzi de lumière pour concevoir clairement que Dieu eft un Etre infiniment parfait , èc que toute perfedion qui ne fouffre au- cun mélange d'imperfedion , ne lui eft pas moins efTentielle que la rondeur l'eft au cercle -, mais il n'en a pas affez pour voir parfaitement la liaifon & tous les rapports qu'il y a entre les perfedions divines.

On ne doit pas conclure que Dieu eft fujet au changement , de ce qu'il a pu ne pas créer le monde , 6c qu'il peut ac- tuellement ne pas le conferver -, la puif- fance qu'il a de ne pas faire ce qu'il a ré- folu > ne peut jamais être réduite à l'ac- te , parceque fes décrets font irrévoca- bles. Quoique la puilTance que Dieu a de ne pas faire ce qu'il a réfolu de fai- re , ne puifTe pas être réduite à l'ade ôc avoir fon effet , elle ell néanmoins une vraie & parfaite puifTance *, parceque iou. elïènce ne confifte pas à pouvoir être ré- duite à l'ade dans toute forte d'hypo- thèfe. La puiffance que j'ai , par exem- ple , de ne pas écrire ceci dans le temps

La Métaphyjîque. i o j

que je l'écris , eft une vraie puifTariGe ; elle ne peut cependant pas être réduite â i'ade dans cette hypothèfe. Si elle pou- voit être réduite à Tade , on pourroit le fuppofer 5 & en le ilippofant , je n'écri- rois pas ce que j'écris -, parceque la puif- fance que j'ai de ne pas l'écrire , lèroit réduite à l'adte ; mais il a déjà été fuppo- que je l'écrivois -, par conféquent j'écri- rois & n'écrirois pas en même temps , fi la puilTance de ne pas écrire avoit fon effet dans le temps que j'écris. Il eft donc impoffible que la puilTance que j'ai de ne pas écrire foit réduite à l'ade dans le temps que j'écris -, elle eft néan- moins une vraie puilTance : il n'eft donc pas eflfentiel à une vraie puilTance de pou- voir être réduite à l'acte dans toute forte d'hypothèfe.

On ne peut pas faire en même temps deux hypothèfes contradidoires : on ne peut donc pas fuppofer que la puilTance que Dieu a de ne pas vouloir ce qu'il a voulu librement de toute éternité , foit réduite à l'ade : on ne peut donc pas fup- fofer qu elle ait jamais fon effet : on ne

:t04 La Métaphyjiqut.

doit donc pas conclure que Dieu eft fii- jet au changement , de ce qu'il a pu ne pas créer le monde , & de ce qu'il peut âdtuellement ne pas le conferver.

La liberté de Dieu eft parfaite , elle ne- fouffie aucun mélange d'imperfe6tion v elle bannit Tinconftance j l'immutabilité lui eft efTentielle , elle la perfedionne bien loin de la détruire. Le mot de lU berté eft très-équivoque quand on l'attri- bue à Dieu & aax créatures. L'immuta-^ bilité caradérife la liberté divine , & la mutabilité , la liberté humaine. La li- berté de Dieu confifte dans la propriété que Dieu a d'agir au dehors fans con- trainte y 5c avec une indifférence telle , qu'il ne peut être déterminé a agir par aucune caufe extérieure , quoiqu'il foie très-déterminé à agir par lui-même Sc par fa propre nature. La liberté de l'hom- me fuppofe une indifférence intérieure, qui dépend de fes idées , & fes idées dépendent des objets *, au contraire la li- berté de Dieu fuppofe une. indifférence purement extérieure ; de il n'y a rien hors de lui qui puiffe, déterminer fa volonté à agir. Dieu eft déterminé par lui-mêm%

La Métaphyjîque. 205

& par fa propre nature , parcequ'il eft indépendant j il n'y a point dans lui, com- me dans l'homme , d'indétermination 5 parcequ'elle fuppofe de la dépendance , qui répugne à la fouveraine perfedion.

On voit clairement par ce qui vient d'être dit , que la liberté de l'homme eft bien différente de la liberté de Dieu à la- quelle l'immutabilité eft efTentielle. La manière neuve & lumineufe dont nous concilions l'immutabilité avec la liberté , n'eft pas fujette à la difficulté qui naît de la réponfe fondée fur la diftinétion du fins compofé Sc du fens divifé des Scholaftiques. Un homme qui pUurc , peut rire ; cela eft vrai > difent-ils , dan« un fens divifé, mais non pas dans un, fens compofé , c'eft- à-dire , qu'il peut rire quand il ne pleure pas , mais qu'il ne peut pas rire quand il pleure. Cette réponfe paroît dire que l'on n'a pas la puiflance de ne point faire ce que l'on fait , & qu'en le faifant on le fait nc- ceflairement & fans liberté. L'aâ:e eft à la vérité contraire au non-acie ; mais il n eft pas contraire à la puiiTance de.

to6 La Métaphyfique^

ne pas agir , qui eft eiTentielle à la liber* té. Avant l'ââion libre , on a la puifTan- ce de ne pas agir -, cette puiflance n'eft pas détruite par l'adion j elle refte dans ion entier , quoique pour lors elle ne puiiïè pas avoir fon effet : d'où il réfulte évidemment qu'il répugne qu'une vraie

{)uiirance puiiTe toujours être réduite à ade.

Cinq,uie'me Proposition.

Lafcicncc de Dieu ejl infinie,

D E^MON STRATIOK,

DTeu connoît le pafle , le préfent , l'avenir & tout ce qui eft poiîible \ s'il ignoroit quelque chofe , fa fcience ne feroit pas parfaite *, ce qui répugne à la nature d'un Etre infiniment parfait , dont toutes les perfeétions font néceffai- rement infinies : donc la fcience de Dieu eft infinie : ce quilfalloit démontrer é

La Métaphyjîque. 107

On objede contre la fcience de Dieu , qu'elle détruit la liberté de l'homme , qui confifte dans le pouvoir d'agir ou ne pas agir. Il eft impoffible que ce que Dieu a prévu , n'arrive pas nécelTaire- ment , parcequ'il ne fçauroit fe tromper \ il répugne que fa fcience puifïe être rauf- fe , & elle pourroit l'être , ce qu'il a prévu n'arrivoit pas nécefTairement , & pouvoir ne pas arriver comme il l'a pré- vu. Si ce qu'il a prévu n'arrivoit pas , fa fcience feroit fauilè : donc elle pour- roit être fauiïe , il ce qu'il a prévu pou- voir ne pas arriver. On peut fuppofer ce qui eft poflîble j par conféquenc , s'il efl: poflîble que ce que Dieu a prévu n'arri- ve pas 5 on peut le fuppofer *, 6c en fai- fant cette fuppofition , fa fcience feroit faufTe. Il eft donc évident que Dieu pour- roit fe tromper , fi ce qu'il a prévu n'ar- rivoit pas nécefTairement : il faut donc reconnoître que l'homme n'eft pas libre , il Dieu a connu de toute éternité l'ave- nir -, ou avouer que Dieu ne connoît pas ce que les hommes doivent faire librer ment. L'exiftence de la liberté de l'hom^ me cffc bien évidemment prouvée par

ào8 La Métaphyjique»

fentiment intérieur : nous lentons par- faitement que nos adtions font fouvent faites avec une pleine liberté , & que îîous pouvons faire ou ne pas faire bien des cnofes. Dieu ne connoit donc pas de toute éternité ce que les hommes font librement : il y a donc de l'ignorance dans Dieu *, il ne connoît pas tout : fa fcience n'eft donc pas infinie ; il n'eft donc pas un Etre infiniment parfait , difént les Athées : Texiftence de l'Etre qu'on appelle Dieu 5 eft donc une chimère.

Lorfque deux vérités font bien clai- rement démontrées , nous ne devons ja- mais en nier une , parceque nous ne pou- vons pas comprendre les rapports qu'elle a avec l'autre. Nous fommes certains notre liberté par l'expérience j &: par le fentiment intérieur : nous fçavons aufîi que Dieu connoît tout *, c'eft une con- féquence très-évidente de l'exiftence de fa fouveraine perfe6tion , qui a été dé- montrée par les raifons les plus convain- cantes ^ les plus lumineufes : pour obéir à la faine raifon , il faut donc reconnoître la liberté de l'homme & la toutc-fcicnce

de

La Métaphyjique* 209

de Dieu , malgré l'incompatibilité appa- rente qu'il y a entre ces deux vérités. Cette régie eft fi certaine qu'on ne fçau- roit s'en écarter fans s'égarer \ mais lobli- gation de la fuivre eft bien plus évi- demment indifpenfable , quand il s'agit de l'infini 6c de l'infiniment parfait , au- quel notre efprit ne peut jamais atteindre que très- imparfaitement.

On peut concilier la préfcience de Dieu avec la liberté de l'homme , de la même manière que nous avons concilié la liberté de Dieu avec fon immutabi- lité. Tout ce que Dieu a prévu , n'arrive pas nécefTairement , parceque Dieu pré- voit l'avenir tel qu'il eft. Parmi les cho- fes futures il y en a de libres , comme font les aéfcions de l'homme , que Dieu prévoit devoir être faites librement : elles arrivent uifailliblement comme Dieu les a prévues , mais elles n'arrivent pas né- ceflairement : elles peuvent abfolumenc ne pas arriver. La puiifance que l'hom- me a de ne pas faire ce que Dieu a pré- vu qu'il feroit , ne peut à la vérité être réduite à l'ade , fuppofé qu'il l'ait pré-

O

1 1 o La Mitaphyjlque.

vu , parcequ'il ne fçauroit fe tromper : néanmoins cette puillance a tout ce qui €(1 eilèntiel à une vraie bc parfaite puif- fance , la fcience de Dieu ne lui ôte rien de ce qui lui appartient en qualité de puifTance. De ce que la puiifance que l'homme a de ne pas faire ce que Dieu a connu de toute éternité qu'il feroit , ne peut pas être réduite à l'ade , il s'en- fuit bien que la fcience de Dieu eft in- faillible \ mais l'on n'en peut pas con- clure que l'homme le fait neceiTaire- ment : cette puiiTance eft en tout fem- blable à celle qu'il conferve de ne pas agir quand il agit. N'eft-il pas évident que fon adion ne détruit pas la puiiTan- ce qu'il avoit de ne pas agir , Ôc qu'elle n'eft point contraire à cette puifTance ef- fentielle à la liberté , qui refte dans fon entier lorfqu'il agit 1 Cependant cette puifTance ne peut pas pour lors être ré- duite à l'ade , parcequ'il ne peut agir en même temps & ne pas agir. L'hom- me agit donc librement en faifant ce que Dieu a prévu qu'il feroit •, quoique la puilTance qu'il a de ne pas le faire ue puilTe pas être réduite à l'adte^

La Métaphyjîque. 2 1 î

La fcience de Dieu lui repréfente les chofes comme elles font ; elle les lui rend toutes également préfentes ; elle peut être regardée comme un miroir qui ne change rien dans les objets qu'il re- préfente. De ce que l'homme peut ne pas faire ce que Dieu a prévu qu'il fe- roit librement , il ne s'enluit pas qu'on puifTe fuppofer qu'il ne le fera pas j on ne peut point faire en même temps deux fuppofitions contradi6loires. La préfcien- ce que Dieu a d'une chofe , fuppofe que cette chofe arrivera j on ne peut donc pas fuppofer qu'elle n'arrivera pas quand Dieu l'a prévue , ni fuppofer que la puif- fance que l'homme a ce ne pas faire ce que Dieu a prévu , foit réduite à l'ade après la prévifion infaillible de Dieu.

Il y a une autre difficulté à réfoudre touchant la préfcience des adions de l'homme , cette difficulté coniîfte en ce que 5 il Dieu a prévu de toute éternité les adions des nommes , il eft inutile que la juftice humaine propofe des ré- compenfes pour les gens de bien , & àQS punitions pour les méchans -, parcequ'il n eft pas en leur pouvoir de faire autre

O ij

2 î 2 La Métaphysique.

chofe que ce que Dieu a prévu de tou- te éternité qu'ils feroient , fa préfcience éc fa providence étant infaillibles.

Les punitions & les récompenfes font comprifes dans la préfcience & dans la providence de Dieu , dont l'infaillibilité n'empêche pas qu'elles ne foient des cau- fes qui déterminent le libre-arbitre à bien agir dans les rencontres particulières. Les ioix ont très - {agement ordonné , par exemple , qu'on fît mourir publique- ment ceux qui commettent de grands crimes -, parce que l'idée de cette mort infâme fe préfentant enfuite à l'efprit de ceux qui ont vu ces fpedacles , détour- ne leur volonté des mauvaifes adions que les paffions leur euflènt pu faire commettre. Les récompenfes , les louan- ges 3 les préceptes & les exemples font aufïi très-utiles pour porter les hommes à la pratique de la vertu. Quoique la pré- fcience ôc la providence foient infailli- tles 5 les confeils , les exhortations , le blâme ^ les punitions > & \qs récompen- fes ne laiifent pas d'être rrès-falutaires , ^ très-propres à porter les hommes a remplir leur devoir.

La Métaphyjîque. i î 5

Les faux raifonnemens 6c les fophifmes que l'on fait fur la préfcience & la provi- dence 5 viennent , pour l'ordinaire , de ce qu'on ne confldère pas le rapport que la caufe première a avec les cauies fécondes , qui font fouvent en très-grand nombre > & tellement difpofées que les efl^ets ne dépendent de la première que par la fé- conde , ni de la féconde que par la troi- fiéme , &: ainfi de fuite jufqu'à la der- nière. La préfcience & la providence, n'ont rien d'oppofé au mérite ni au dé- mérite des hommes , ni rien de con- traire a leur liberté : elles comprennent l'ordre & la fuite des caufes fécondes ^ qui exécutent dans le temps ce que Dieu a prévu & réfolu de toute éternité. Un laDoureur , par exemple , fe tromperoic beaucoup en difant : Il eft inutile que je laboure la terre : fi Dieu a prévu & réfolu que je ferai une bonne récolte , je la fe- rai infailliblement ♦, & s'il a prévu & ré- folu le contraire , je ne la ferai pas. N'eft» il pas certain que le laboureur ne peut faire une bonne récolte fans cultiver la< terre ^ S'il ne la cultive pas , il ne peut imputer à la préfcience de Dieu le dé-

O iij

i 1 4 La Mitaphyjique.

faut de récolte , il ne doit l'attribuer qu'au manque de culture. Si Dieu a pré- vu & réfolu que le laboureur fera une bonne récolte , il a aufli prévu & réfoltt qu'il la fera en cultivant la terre.

Sixi5*ME Proposition.

Vimmmjité de Dku nejl point urm immcnjiti d'étendue^

De'monstkatiok.

DIeu neft point étendu j il eft un Etre intelligent 5 immatériel, qui penfe. Un Etre pcnfant n'a point de par- ties -, il eft néceflairement indivifible* Tout Etre étendu a des parties , eft di- vifible : la preuve de ces deux vérités fe trouve dans la quatrième démonftration de l'exiftence de Dieu, Il eft évident qu'une même chofe ne peut être divi- nble & indivifible -, cela implique con- tradiction : il eft donc abfolument impcA fible qu'un Esre pmfant ^ foit étendu ,

La Métaphyjique. 115

&: que rimmenfué de Dieu foit une im- menfité d'étendue.

L'étendue & la penfée ne peuvent en aucune façon convenir au même fujet -, elles ne peuvent être deux attributs ef- fentiels , ni deux modes , ni un attribut & un mode d'une même fubftance.

1°. Elles ne peuvent être deux attri- buts elTentiels de la même fubftance *, car l'un feroit premier 6c l'autre fécond , ou l'un 6c l'autre ne feroient que féconds attributs. Tout fécond attribut découle nécefïairement du premier *, or la pen- fée ne découle d^int nécelTairemenr de l'étendue > ni l'étendue de la penfée 5 il eft abfurde de dire que l'une des deux eft une fuite néceffaire de l'autre : donc l'étendue ^ la penfée ne fçauroient être deux attributs efTentiels , l'un premier & l'autre fécond , de la même fubftance. Elles ne peuvent pas non plus être deux attributs féconds •, parcequ'elles n'eu fuppofent aucun d'où elles découlent né- cefïairement : tous ceux que l'on conçoit font l'étendue 6c la penfée > ou des fui- tes de l'une ou de l'autre : elles ne font

O iv

ii6 La Mctaphyfque,

donc pas deux attributs féconds de la même fubftance : elles ne font donc point deux attributs effentiels d'une me- ' me chofe. Tous les attributs eflfentiels d'une chofe font inféparables *, il n'y en a aucun qui puiiïe exifter fans tous les autres : par conféquent tout ce qui eft étendu , penferoit , l'étendue & la pen- fée étoient des attributs effentiels de la même fubftance *, & la penfée feroit ef- fentielle au corps , qui eft néceftaue- ment étendu. Dire que tout corps pen- fe 5 c'eft le comble de lextravagance : il cft donc évident que la peniée &: l'éten- due ne font point deÉt attributs efïèn- tiels de la même fubftance.

2°. La penfée & l'étendue ne peuvent être deux modes du même fujet. Tous les modes d'un fujet fuppofent néceifai- rement l'attribut qui eft l'eflence de ce fujet 5 & qui le rend fufceprible des mo- des qu'il peut avoir \ mais l'étendue & la penfée bien loin de fuppofer quel- qu'autre attribut , elles font les princi- pes de tous ceux dont nous avons une idée ; nous n'en concevons aucun qui ne foit fondé fur l'étendue ou fur pen-

La Métaphyfîque. 217

fée : elles ne peuvent donc point être deux modes du même fujer,

3°. Enfin , rérendue bc la penfée ne peuvent convenir à une même chofe, com- me un attribut eflentiel 6c un mode. Tout mode fuppofe l'attribut qui conftitue l'ef- fence de fon fujet , comme on Ta déjà prouvé -, or la penfée & l'étendue ne îuppofent aucun attribut commun , & la penfée ne fuppofe point l'étendue , ni l'étendue , la penfée j le fujet de l'une eft divifible , & le fujet de l'autre eft indivifible : donc l'étendue & la penfée ne peuvent convenir à une même chofe comme un attribut & un mode : donc l'étendue & la penfée ne peuvent en aucune façon convenir au même fujet : donc un Etre pcnjant ne fçauroit être étendu : Dieu qui eft un Etre penfant îi'eft donc point étendu : donc fon im- menfité n'eft point une immenfité d'étendue : ce qu'il falloit démons trcr,

L'immenfité de Dieu eft incompatible avec l'exiftence de Dieu en tout lieu. Dieu ne peut être que oii eft toute fon elfence •, l'étendue de chaque lieu

Il g La Mkaphyjiquem

étant limitée , l'immenfîté d'étendue qui lui eft eiïentielle , ne fçauroit s'y trou- ver : donc Dieu n eft pas par- tout > fi fon immenfité eft une immenfité d'éten- due.

Il eft impofïible de réfuter parfaite- ment toutes les raifons des Spinoiiftes , des autres Athées , & des Matérialiftes > fans démontrer que l'étendue & la pen- fée ne peuvent être dans un même fujet , ni appartenir à la même fubftance , tout autre moyen eft infuffifant pour les for- cer dans leurs derniers retranchemens.

Tous les Philofbphes Païens ont cru que de rien il ne fe fait rien j ceux mê- mes qui ont penfé que le monde avoit eu an commencement , ont été perfua- dés que la matière dont il avoit été for- mé , étoit éternelle & avoit toujours exifté. C'eft cette matière qu'Ovide ap- pelle le cahos , & Epicure les atomes. Les Péripatéticiens , les Epicuriens , les Stoïciens ont nié la création de la ma- tière •, ils s'accordoient fur ce point ; ils ont tous foutenu que Dieu étoit matériel ; ils n'ont difputé entre eux que du temps

La Métaphyjîque. 119

Tordre que nous voyons dans l'Uni- vers avoir commencé. Les uns onr en- feigné que cer arrangement étoit l'effet d'une première caufe intelligente , coé- ternelle avec la matière. Les autres ont prétendu que le concours fortuit des ato- mes avoit produit la difpofition que nous admirons aujourd'hui. Ariftote a affirmé conftamment l'éternité du monde tel que nous le -voyons s il fe moquoit de ceux qui croyoient le contraire. Parmi ceux qui ont penfé comme lui , il y en a eu qui ont dit que les corps dont le mon- de eft compofé , faifoient un tout ani- mé par une force répandue dans la ma- tière 5 & qui en vivifioit les parties. Ce fyflême a eu de célèbres partifans chez les Romains •, il a été renouvelle par Spinofa , qui n'admet qu'une fubftance , dont l'étendue 5c la penfée font des mo- difications.

, Platon eft le feul des anciens Philo- fophes qui ait connu que Dieu n'étott pas matériel. Ciceron examinant leurs opinions fur la divinité , regarde celle de Platon comme inintelligible , -malgré

210 La Métaphyjïque^

la grande eftime qu'il avoit pour ce Phî-^ lofophe inftruit par Socrate. Les belles chofes que Platon a dites fur la nature divine font mêlées d'abfurdités v il pré- tend que le monde a été créé par des Dieux inférieurs au Dieu fouverain.

Le fentiment de ceux qui admettent une étendue néceffaire , éternelle , infi- nie 5 compatible avec la penfée , eft plus commun que jamais *, il a pris une nou- Telle faveur depuis le régne du Ncuto^ nianifme. Ce qu'il y a de fâcheux , c'eft que les Spinofiftes , les autres Athées Ô^ les Matérialiftes profitent de cette opi- nion philofophique pour accréditer leurs fyftêmes impies. Je fçais que les Philo- fophes Chrétiens qui foutiennent l'opi- nion dont il s'agit , font bien éloignés de vouloir fournir des armes aux Incré- dules î je fçais qu'ils ont de l'horreur pour les conféquences que les Athées en ti- rent : mais n'eft-il point à craindre qu'ils n'énervent contre leur intention , les preuves les plus fortes & les plus con- vaincantes de l'exiftence de Dieu, en ad- mettant une telle étendue ?

La Métaphyfique. ^^\

Pour prouver l'exiftence d'une éten- due necefiairement éternelle , l'on fup- pofe un triangle exiflant fans aucune au- tre étendue créée : les défenfeurs de cette étendue difent qu'on conçoit nécefTai- rement une étendue au-delà de ce trian- gle , qui ne peut être une étendue bor- née , fans être privé d'une étendue ulté- rieure. L'étendue qu'on conçoit nécef- fairement au-delà du triangle , eft une étendue éternelle & nécefTaire -, car fi elle pouvoir ne pas exifter , on ne la conce- vroit pas nécelTairement. L'exiftence de cette même étendue eft encore prouvée par la nécefîîté de reconnoître une éten- due qui ne peut être anéantie. Si Dieu anéantifïbit tout ce qu'il y a dans une falle 5 en confervant les murs & les plan- chers dans la fituation ils étoienr , il eft évident qu'ils feroient diftans les uns des autres \ il y auroit donc entre eux un efpace ou une étendue réelle & politive , qui ne peut être anéantie : il y a donc une étendue néceiTai rement exiftante & éternelle , puifqu'on en con- çoit néceiïaireraent une qui ne peut être

anéantie.

121 La Métaphyjique.

Cette étendue eft aufïi néceflfairement îmmenfe & infinie. L'étendue du mon- de ne peut être bornée fans qu'il y ait une étendue ultérieure. Si le monde n'avoit point de bornes , il faudroit né- celTairement reconnoître une étendue préexiftante dans laquelle Dieu l'auroic mis en le créant , & qui fubfifteroit Dieu anéantiflbit tout ce qu'il a créé : 'étendue nécelTaire eft donc nécellai- rement immenfe & infinie.

Cette même étendue eft immobile \ elle eft le lieu dans lequel les corps exif- tent 5 qui eft néceiTairement immobile. On peut fuppofer que tous les mobiles foient en mouvement *, pour lors le lieu ne feroit pas mu avec eux , parceque s'il étoit participant de leur mouvement , les mobiles ne changeroient pas de place : ce qui eft contradictoire avec la luppo- {îtion qu'on vient de faire. L'étendue nécelfairement exiftante eft donc im- mobile. De ce qu'elle eft immobile il s'enfuit évidemment qu'elle eft indivisi- ble; la divifion fuppofe néceifairement le mouvement , 6c la divifibilité eft in- séparable de la mobilité.

La Métaphyjîque. 223

Enfin retendue éternelle eft pénétra- ble 5 fi elle étoit impénétrable , Dieu n'auroit point pu créer le monde ; par- ceque l'étendue de la matière n'auroic pu pénétrer celle du lieu elle eft , & Dieu l'a mife en la créant. Voilà tou- tes les plus fortes raifons des plus zélés défenfeurs de l'exiftence de l'étendue né- cefTaire , éternelle , immenfe , mifes dans leur plus grand jour *, voici la ré- ponfe.

Pour concevoir un triangle exiftant fans aucune autre étendue créée , il n'eft point néceffaire qu'on conçoive une éten- due au-delà du triangle. La figure d'un corps ne dépend point du- tout de l'éten- due qui l'environne , & qui lui eft étran- gère •, elle ne dépend que de celle qui lui eft propre , &: de l'arrangement de fes parties. Pour qu'une étendue foit ron- de , par exemple , il fuffit qu'elle ait un point 5 d'où toutes les lignes menées aux parties au-delà defquelles il n'y a rien qui appartienne à ce corps , foient éga- les. Dire qu'une étendue eft bornée , ,^'eft affirmer qu'elle a un rapport déter-

214 La Métaphyjîque.

nikié avec les mefures dont on fe fertî qu'elle eft , par exemple , de dix toifes j pour cela il n'eft point néceffaire qu elle foit bornée par une étendue ultérieure qui lui foit contiguc \ il fuffit quelle contienne dix toifes , de façon que ces dix toifes étant ôtées , il ne refte rien.

Si Dieu anéantilïoit tout ce qui eft dans une falle , en confervant les murs & les planchers dans la même iîtuation , il eft certain qu'ils feroient diftans com- me auparavant ; mais leur diftance ne Gonfifteroit pas en ce qu'il y auroit pour lors entre eux une étendue réelle & po- fîtive : il n'y auroit rien du- tout ; ils fe- roient néanmoins diftans comme aupa- ravant 5 parceqae Dieu pourroit y met- tre une quantité de matière égale à celle qui auroit été anéantie. Deux corps fe touchent quand il eft impoflîble qu'il y ait quelque chofe entre eux , mais ils ne fte touchent pas quand il n'y a rien , fi Dieu peut y mettre quelque chofe. L'étendue immenfe n'eft pas différente de l'étendue éternelle ; l'une & l'autre font également fappées par ce qui vient d'être dit. L'on

La Métaphyjiquê. 215

On voit clairement par les réponfes précédentes , que rien n'eft plus frivole que les raifons fur lefquelles Texiftence d'une étendue nécelTaire , éternelle , in- finie , eft fondée j il s'agit préfentemenc de faire voir que rien n'eft plus chimé- rique qu'une étendue immobile , indi- vilible 5 & pénétrabie.

Le lieu n'eft point abfolument immo- bile ') il eft intérieur y extérieur. Le lieu intérieur d'un corps eft l'étendue de la matière qui lui eft propre. Le lieu ex- térieur ^ eft la furface des corps qui l'en- vironnent *, on le nomme Mqm propre y fi cette furface l'environne immédiatement, èc lieu commun , fi elle ne l'environne pas immédiatement. Les douves d'un ton- neau font le lieu propre du vin dont il eft rempli , & la cave eft le lieu com- mun. Quand on dit qu'un corps change de lieu , cela s'entend toujours du lieu extérieur ; nos Adverfaires ne peuvent l'entendre autrement. L'étendue de l'ef- pace ou de Timmenfité de Dieu n'a rien de fenfible j elle ne fçauroit fervir à dé- terminer le lieu , ni le changement de lieu , ni l'efpace parcouru par le coî^s

P

iz6 La Métaphyjîque.

en mouvement : les partifans de celte étendue font obligés d'avoir recours aux corps environnans , que l'on confider» comme étant en repos pour fixer le lieu d'un corps.

Les bords d'un vafe qu'on remplit fuc- ceiîivement d'eau ôc de vin , gardent toujours la même fîtuation *, c'eft pour- quoi l'on eft porté à croire qu'il y a tou- jours entre eux la même étendue , que cette étendue eft immobile , & différente de l'étendue propre à la liqueur qu'ils contiennent. On dit que le vin a pris la place de l'eau *, cette façon de parler autorifée par l'ufage , nous induit auffi en erreur. Quand l'eau fort du vafe , elle emporte avec foi fon lieu intérieur ; & le vin apporte le iien en y entrant. Les bords du vafe font le lieu extérieur que l'eau & le vin occupent fuccefïivement. lorfqu'on dit qu'un corps occu pe le lieu d'un autre , cela fignihe que ce corps eouche immédiatement les mêmes corps que touchoit celui dont il a pris la place \ par conféquent cela s'entend du lieu ex- térieur. Il réfulte évidemment de tout ce qm vient d'être dit, que le lieu n'^ft

La Métaphyjique. 217

point abfolument immobile. Il n'y a point de corps qui ne foient participans de quelques mouvemens , que fouvenc nous ne connoiirons pas. Une pierre qui tombe du haut d'une tour paroît ne par- courir qu'une ligne égale à la hauteur de la tour -, mais fi la terre tourne , comme il eft très-vrai femblable , la pierre fait en tombant beaucoup plus de chemin qu'el- le ne paroît en faire. L'étendue nécefTai- rement immobile , eft une vraie chimère. L'étendue indivifible n'a pas plus de réalité que l'étendue immobile. Il eft de l'eflènce de toute étendue d'avoir ài^^ parties les unes hors des autres 3 indé - pendantes les unes des autres., réelle- ment diftineuées , qui peuvent par confé- quent être feparées , & exifter féparément : donc toute étendue eft néceflairement di- vifible , &: ne peut fe trouver que dans un fujet divifiblf. En vain dit-on que l'éten- due infinie , éternelle , n'eft qu'une mo- dification de Dieu \ elle lui eft aufîî eifen- tielle , félon nos Adverfaires , que tout autre attribut. N'eft-il pas abfurde de dire que ce qui eft nécelTairement com- pofé de parties exiftantes les unes hors

1' ij

2.1 8 La Métaphyjiquét,

des autres , & indépendamment les unes des autres , réellement diftinguées , par conféquent féparables les unes des au- tres 5 peut être eiïentiel à un fujet in- divifibie > Le lieu eft Paris eft très- diftant de celui eft Rome *, l'un eft très-réellement diftingué de l'autre j fi le lieu n'eft -qu'une modification de Dieu 5 le fujet dans lequel exifte l'éten- due qui eft le lieu de Paris , eft diftant & réellement diftingué du fujet dans lequel exifte l'étendue qui eft le lieu de Rome. L'étendue indivifible n'eft donc pas moins chimérique que l'étendue immobile.

Enfin l'étendue pénécrable répugne. Il eft impoffible qu@ deux étendues fe pénétrent , fans que Tune des deux foit iinéantie -, fi elles fe pénétroient , les deux n'occuperoient pas plus d'efpace après la pénétration qu'une feule avant la pénétration : l'une àQS fdeux feroît donc détruite , & ne pénétreroit pas l'au- tre. Un pied d'étendue , par exemple > eft tellement cette quantité déterminée , qu'un autre pied d'étendue ne peut en aucune façon lui être ajouté , fans qu'ils falTenc enfemble une quantité de deux pieds.

La Métaphyjique* 219

Si uiie forte d'étendue eft pénctrable , toute forte d'étendue eft pénctrable , 5c il n'y a point d'étendue impénétrable. Si l'étendue de l'efpace ou de l'immen- fîté de Dieu eft pénétrable , l'étendue de la matière & des corps eft auili pénétra^ ble. L'étendue de l'efpace ou de Fim- menfité de Dieu n'eft pénétrable que parceque l'étendue des corps la pénétre j mais eft-il poffible que l'étendue des corps pénétre l'étendue de l'efpace 5 fans que l'étendue de l'efpace pénétre l'éten- due des corps î Tout le monde avoue l'impénétrabilité de la matière *, Ton ne peut donc fans fe contredire admettre une étendue pénétrable* De ce qu'il n'y a point d'étendue pénétrable , il s'enfuit évidemment que Dieu n'auroit pu créer le Monde , fi de toute éternité une éten- due infinie avoit exifté».

On peut juger par toutes les répon- fes aux raifons qui fervent de fondement au fentiment de nos Adverfaires , cd qu'on en doit penfer. N'eft-il pas évi- dent que l'cxiftence d'une étendue né- çeffaire 5 éternelle, infinie, jointe à la

P iij

130 La Métapkyfique.

penfée dans le même fujet , immobile , indivifible , pénétrabîe > eft tout-à-fait infoutenable 1 Peut-on raifonnablement fe flater de pouvoir fapper les fonde- mens du fyftême de Spinofa , & les principes des autres Athées , & Aqs Ma- térialiftes , en admettant une telle éten- due î II n'y a qu'une prévention extrê- me qui puifTe empêcher de fentir les dan- gereufes conféquences de cette opinion , & de fe foumettre à l'évidence des rai- fons qui la combattent.

Septie'me Proposition.

Vimmcnjité de Dieu tjt une. îmmcnjiti de puijfancc & de perfection*

DÉMONSTRATION,

IL eft certain que l'immenfité eft un des attributs de Dieu j il eft ncceffai- rement immenfe , & fubftantiellement préfent par- tout : il répugne à fa nature qu'il fQÎt ligûcé 2 & fixé â un lieu plutac

La Métapkyjique. 1 3 1

.qu'à un autre. La préfence de Dieu en tout lieu , n eft pas une préfence locale. La préfence locale n'eft autre chofe que le rapport des parties d'un corps avec les parties des corps qui Tenvironnent méciiatement ou immédiatement *, cette préfence ne peut convenir qu'à un Etre fini , étendu 6c corporel. Dieu eft un Etre infiniment partait , un Etre pen- fant, qui ne peut être ni corporel ni étendu *, nous l'avons démontré , de nous avons prouvé qu'en attribuant à Dieu quelque chofe qui convient aux créatu- res 5 c'étoit toujours dans un fens équi- voque : il faut donc bien diftinguer la préfence qui convient à Dieu , de celle fur-tout qui convient aux créatures cor- porelles. Le cercle n'ell pas plus effèn- tiellement rond , que Dieu eft immenfe en puiflance &c en perfe&on. Il a pro- duit & il conferve tout ce qui exifte. Rien ne peut exifter que par lui ; &c il peut donner Vexiftence à tout ce qui n'eft pas abfolument impofïible. Il eft fubftantiellement préfent par-tout par fa toute- puiflance de fa fouveraine per- fection : donc fon immenfité eft une im-

P iv

X^Z La Métaphysique*

înenfité de puifTance & de perfedioa: ce qu'il falloit démontrer.

Voici le fommaire des principales rair fons de ceux qui font aflez aveugles & aflTez malheureux pour nier l'immenfité de puiffançe & de perfedion de Dieu.

L'Etre tout-puiflant , infiniment bon & fouverainenient parfait n'a pu créer l'homme , qui par fa défpbéilîance de- voir être fujet aux misères aux maux inféparables de cette vie.. Les maladies aiguës 5 celles de langueur , la. faim , la foif 5 le chaud , le froid , les douleurs , les chagrins , l'efclavage des paffions la mort font l'apanage de l'humanité , & rendent l'hpmme malheureux. Il ré- pugne qu'une telle créature foit l'ouvra- ge d'un Etre tout-puiflant 6c infiniment parfait. Un libre- arbitre dont Dieu fça- voit que l'homme feroit un mauvais ufa- ge j eft un préfent indigne de fa toute- puilTance & de fa fouyerain© be>nté. Etant fouverainement puiflant , ne pouvoit-il pas empêcher qu'il ne fe rendît coupa- ble des péchés & des crimes dont il le punit t Étant infiniment bon , ne devoit-

La Métaphyjique. 233

y pas le fixer conftamment dans la pra- tique de la vertu ? Ne conçoit-on pas clairement que fa bonté feroit plus par- faite , s'il ne permettoit pas que {qs créa- tures commiffent des fautes dont les fui- tes font fi funeftes 1 La bonté infinie ne fçauroit produire une créature intelli- gente avec une inclination au mal ; la toute-puifiance ne peut donner l'exiften- ce à une créature dont la chute eft cer- taine 5 ni la fouveraine fainteté à une créature criminelle.

Il eit aifé de prouver l'immenfité de puiiFance &: de perfection de Dieu -, mais il n'eft pas facile de réfoudre le^ objec- tions des Athées d'une manière qui ne lai (Te rien à defirer •, c'eft néanmoins ce que nous allons tâcher de faire par la réponfe fuivante. Pour la rendre plus claire & plus fatisfaifante 5 il eft nécef- faire de réfuter chacune de leurs raifons en particulier.

Dieu ne produit pas le mal phyfique qui confifte dans la deftrudion des mo- des j fon adtion très-réelle & très-pofi- rive ne fe termine qu'à la production 4e quelque Etre réel & pofitif : fi elle

1 j 4 -^^ Métaphyjique.

fe trouve accompagnée de la deftrudioiî de quelque mode , ce n eft que par ac- cident , en tant que la matière ne peut avoir en même temps deux modes con- traires.

Dieu ne fait pas plus de mal en pro- duifant un mode aux dépens d'un autre , qu'un Muficien en détruifant un accord pour en former un nouveau. La fuccef- îion des modes n'eft pas moins eflèntiella à la perfedion de l'UniverSîque la fuccef- fion des accords à l'excellence d'une piè- ce de mufique.

Dieu n'eft point l'auteur à^s défauts naturels , c'eft-à-dire , du mal phyfique qui n'eft autre chofe qu'une privation , une difconvenance que les Etres ont avec nous indépendamment de notre choix. Il produit à la vérité un homme qui a 5 par exemple , trois bras , & trois jambes -, mais ce n'eft pas lui qui eft îa caufe que ces trois bras & ces trois jambes dilconviennent à cet homme , ce défaut vient immédiatement de ce que cet homme eft de telle nature qu'il ne fçauroit être parfait 6c avoir trois bras ôe trois jambes.

La Métaphyjîque. *2 3 y

Dieu n'a pu dans l'état préfent exemp- tei l'homme de ia douleur , fans lui oter un moyen abfolument néceffaire pour fe conferver. Nous ne concevons pas que Dieu ait pu fe fervir d'un meilleur moyen que la fenfation de douleur, pour nous avertir des impreflions des objets extérieurs , qui tendent à la deftrudion de notre corps \ cette fenfation nous ex- cite à nous garantir prompteraent de l'effet de ces imprefîions violentes.

L'homme tel que nous le connoiflbns depuis le péché , ne peut être exempt de pajffion. Les paflîons dépendent abfo- lument du mouvement du fang & des efprits animaux , dont l'ame ne peut déterminer les mouvemens qu'en le vou- lant -, elle ne peut le vouloir qu'en con- noiffant que cela eft bon -, elle ne peut connoître que cela eft bon qu'à l'occa- fion de quelque mouvement dans le cer- veau , comme il fera démontré dans le traité fuivant , en parlant de l'union de l'ame & du corps. Or ce mouvement ne peut être dans le cerveau tandis qu'une palîîon violente domine j parceque le

2^6 La Mitaphyfique»

mouvement de la paflion lui eft con- traire. Les efprits qui produifent les paf- fions ne peuvent perdre leur mouve- ment 5 fuivant les régies de la nature , qu en le communiquant *, ils ne peuvent communiquer tout-à-coup leur force. Il s'enfuit donc que l'ame ne peut déter- miner le mouvement qui caufe les paf- fîons 5, fi ce n'eft qu'elles foient légères : l'expérience nous apprend que lorfqu'el- les font violentes , elle n'en peut être maîtreflè qu'après que leur premier effort eft pafTé.

Il n'eft pas poffible fuivant les loix de la nature , que l'homme foit immortel. L'union a6tuelle de l'ame & du corps , dans laquelle feule confifte fon exiften- ce 5 dépend abfolument de quelques mouvemens qui fe font dans les orga- nes : il faut que ces organe^ s'ufent avec le temps , & deviennent enfin incapa- bles de recevoir ces fortes de mouve- mens dont la vie dépend entièrement. Nous devons confidérer l'homme , non. en lui-même &: féparé du refte des créa- tures, mais comme un membre de l'Uni- vers , à la perfedion duquel il contribua

La Métaphyjique. 237

plus étant mortel que s'il étoit immortel. Si Dieu avoit exempté l'homme de la mort 5 qui eft fans contredit fon plus grand défaut dans l'état de nature , nous ne verrions plus cette fuite de généra- tions infinies , qui eft une des principa- les beautés de l'Univers : la terre feroit trop petite pour contenir tous les hom- mes j ce qui feroit dans le monde un beaucoup plus grand défaut que la mort même. Nous fommes accoutumés à ne juger des chofes que par rapport à nous *, celles qui pafïènt pour moins parfaites , ne font telles qu'à notre égard : tout eft également parfait à l'égard de l'Univers *, parceque la plus grande perfeétion de chaque chofe à cet égard , eft d'être ce qu'elle eft , èc ce que les loix de la na- ture exigent qu'elle foit. Si nous con- noifîîons parfaitement l'enfemble du monde , nous trouverions que les chofes font bien comme elles font , & que la réforme de celles qui nous paroiftènt dé- fedueufes , le gâteroit bien loin de le perfedionner.

Il eft évident que Dieu ne peut pro- duire immédiatement ni médiatemenc

238 La Métaphyjîque.

le mal moral pris formellement 5 il n'eft qu'une privation qui ne peut dépendre d'aucune caufe efficiente , immédiate ou médiate , mais feulement d'une caufe déficiente , s'il eft permis de parler ainfî. Le mauvais ufage que l'homme fait de fa liberté en s'attachant à des objets auf- quels la raifon défend de s'attacher , s'ap- pelle mal moral ; il fe nomme péclii quand il eO: contraire aux loix divines , éc injujÎLce lorfqu'il n'eft pas conforme aux loix humaines ou civiles. Il eft vrai que Dieu produit comme caufe efficien- te première , toutes les affedions & tou- tes les adions de l'homme *, mais il ne concourt qu'à ce qu'il y a de réel & de pofitif 5 c'eft-à-dire , au matériel , & à cet égitrd elles n'ont rien de mauvais ; elles ne font mauvaifes qu'en tant qu'elles procèdent de la volonté humaine , qui eft la feule caufe qui .s'écarte de fa ré-

gie

Dieu agit comme caufe première *, fon principal objet eft le bien général qui réfulte de chaque a6lion ', il n'y en a aucune qui ne ferve comme de lien pour attacher enfemble une infinité d'évene-

La Métaphyjiquc» 239

mens eiïèntiels a la conftitution de l'Uni- vers. La mauvaife adion , par exemple , que commirent les frères de Jofepn en le jettant dans la foflTe , fut la caufe de fon élévation , &: de la venue à^s en- fans d'Ifracl en Egypte , qui a donné lieu aux miracles les plus éclatans , & à tant d'illuftres événemens dont nous fçavons que Dieu s'eft fervi pour fignaler fa puif- fance. L'homme au contraire agit en qua- lité de caufe féconde , & dans la vue- de fon propre bien ; il ufe mal de fon libre-arbitre en choififfant des biens ap- parens qui ne font pas des biens véri- tables 5 &: il eft la {eule & unique cau- fe du défaut de choix & du mal moral pris formellement , auquel la caufe pre* mière n'a point du-tout de part. Dieu concourt au matlrid de l'aélion fans concourir au formel ; il ne peut refufer à l'homme fon concours , fans le priver du pouvoir d'agir qu'il lui a donné , 6c dans lequel confifte fa liberté.

Les facultés de l'ame & du corps que Dieu a données à l'homme , font les plu$ excellentes qu'il ait pu lui donner fui- Yanc l'ordre de la nature \ nous devons

i4ô La Métaphyjiqaé.

le confîdérer comme une partie du mon- de foumife aux loix générales qui s'ob- fervent maintenant. L'homme ne doit pas fe plaindre de n'être pas afTez par- fait *, il n'eft pas fait pour lui-même , mais pour l'Univers à la perfe6tion du- quel il contribue plus tel qu'il eft que s'il étoit autrement. La principale per- feârion de l'homme dépend du bon ufa- ge des facultés de connoître & de fe dé- terminer qu'il a reçues de Dieu , il eft en fon pouvoir d'en bien ufer , & il ne doit imputer qu'à lui-même les fau- tes dont il fe rend coupable en prenant le faux pour le vrai , & le mal pour le bien. Il eft de l'eftence de l'homme d'avoir un entendement borné & une volonté qui ait^ des limites , Dieu n'a donc pas lui donner un entendement qui connoiiïe tout ce qu'il y a de con- noiifable , ni une volonté qui aime tout ce qui mérite d'être aimé. S'il n'a pas la perfe6tion de ne point faillir , il a du moins la puiflance de ne donner ja- itiais fon confentemeht aux chofes dont la vérité ou la bonté ne lui eft pas clai- rement connue. Croire c]ue Dieu devoit

établir

/

La Métaphysique^ 241

établir des régies plus avantageufes à riiomme que celles qui s'obfervent , c'eft le comble de la témérité. Nous ap- partient-il de fonder les devoirs de la toute-puilTance & de la perfe6bion infi- nie de Dieu 1 Avons-nous de Timmen- ficé de la fagelTe divine une idée afîez parfaire pour fixer fes opérations à no- tre égard ?

Toutes les difficultés qui regardent la contrariété apparente entre les perfec- tions infinies de Dieu & la condition de l'homme , prouvent notre ignorance &; rien. de plus. Tout ce qui tient de l'in- fini efl: nécefiàireraent au-delTus de la foible portée de notre efprir. Notre in- telligence eft fi bornée , qu'elle fe perd ..& s'éblouit dans l'infinité , bc demeure accablée fous la multitude des penfées contraires qu'elle fournit. Il n'y a pas moins de folie à précendre expliquer clairement tout ce qui concerne les per- fedions immenfes de l'Etre fouveraine- ment parfait , qu'à les nier après qu'el- les ont été évidemment démontrées , fous prétexte qu'elles relient environ-

^4^ La Mitaphy/ique»

nées de ténèbres. Un Ancien * qui n'étoit éclairé que des fîmples lumières de la raifon , nous apprend qu'il eft plus sûr & plus fage de croire les opérations de la Divinité , que de vouloir les approfon- dir. Tout homme fenfé , après avoir bien raifonné fur cette matière , trou- vera que les chofes font bien comme elles font , & fauvera par ce moyen raifon de l'écueil celle de Spinofa à fait naufrage. Ce Philofophe ne pou- vant accorder les malheurs de la créa- ture avec les perfedions du créateur , a donné dans l'Athéifme 5 & formé fon monftrueux fyftème fur celui de Tame du monde qu'il a renouvelle , dont il a confervé le fond , & changé totalement la forme.

De tout ce qui a été démontré dans ce Traité , il s'enfuit évidemment que l'exifcence d'un Etre éternel , fpirituel^ immuable , fouverainement intelligent , infiniment bon , tout-puiiTant & im- menfe en perfections , eft aulîi certaine

Tacite , de morîhus Germfimrum»

La Mhaphyjique. 143

■que tout ce qu'il y a dp plus certain* Je ne fuis pas plus afTuré de ma pro- pre exiftence que je le fuis de l'exiften- ce de Dieu. On conçoit clairement qu'il répugne que tout ce qui émane de lui ne foit pas conforme à fa fouveraine perfedion , dont nous n'avons qu'une idée très-imparfaite \ par conféquent il ïî'eft pas étonnant que dans tout ce qui la concerne , nous trouvions des diffi- cultés que nous ne fçaurions parfaite- ment éclaircir : mais la faine raifon nous apprend que ce que nous ne compre- nons pas ne doit point nous faire rejet- ter ce dont nous connoiifons évidemment la vérité.

Qij

^44 -^^ Métaphyjîqué.

TROISIFME PARTIE. La P neumat o log !£•

LA Pneumatologie eft la partie de la Métaphyfique , qui traite des Etres fpirituels , penfans , & immaté- riels ; tous ceux que nous connoiiïons par les lumières de la raifon , font Dieu & Tame humaine. Ce qui regarde Dieu en tant qu'il peut être connu par les feu- les lumières de la raifon , fe trouve dans Théologie naturelle , nous avons démontré l'exiftence de l'Etre fuprême , & de fes principaux attributs , dont la connoifTance eft néceflaire pour mieux entendre ce qui concerne la nature de notre ame , de fes facultés , de fes mo- difications 5 & principalement de iQ% idées -, c'eft de quoi il nous refte à par- ler dans cette troifiéme partie de la Me- laphyfîque.

Il nous paroît qu'il faut commencer

La Métaphyjique» 145

par déterminer ce qu'on entend par le mot à'Efprit & à' Ame humaine , qui font deux termes fynonimes dans le lan- gage ordinaire des Philofophes.

Il y en a qui prétendent que Tame , anima , eft le principe de la vie , 6c Fefprit 5 mens , le principe du raifonne- ment *, mais le premier n'étant que le principe vital que nous avons de com- mun avec les bêtes , le fécond qui eft un Etre incorporel & immortel , doit être regardé comme la véritable ame de l'homme.

Les Philofophes Païens qui ont dif- tingué l'ame & l'efprit , n'ont point cru que ce fulfent deux Etres féparés , & d'une nature différente ; l'efprit eft le mouvement de l'ame , ou une modifi- cation produite par l'ame , qui félon eux eft matérielle. Quoique le nombre des diverfes opinions fur la nature de l'ame humaine , égale celui des Sedes des Phi- lofophes , tous néanmoins entendent par le mot à'efprit ou à' ame humaine , ce qui penfe dans l'homme.

Il eft inutile de s'arrêter à prouver Pêxiftence de l'ame j le fentiment inté-

Q iij

%j^6 La Métaphyjique.

rieur prouve clairement à chaque hom- n-ie que ce qui penfe dans lui , exifte : rien n'eil donc plus évident que l'exif- tence de l'ame humaine. Si quelqu'un doutoit de l'exitlence de fon ame , fon doute même lui démontreroit qu'elle exifte *, parceque le doute eft une forte de penfee qui ne fçauroit exifter fans- l'ame qui en eft le principe.

Voici l'ordre que nous Aiivrons dans, ce Traité. Premièrement , nous exami- nerons la nature de l'ame ; fecondement , nous parlerons de fes facultés , de fes modifications & principalement de fes idées -, troifiémement nous démontrerons fon immortalité après avoir expliqué foa origine.

La Métaphyjiqut. 247

CHAPITRE PREMIER. De la nature de Vame humaînt*

PLaton a GCLi que lame de riiotn- me étoic une partie de la Divinité ^ comme fon corps étoit une portion de la matière. Il y a tout lieu de croire que ce Philofophe a connu les livres de Moïfe & de la Religion Judaïque dans les voyages, qu'il fit ea Egypte.

Thaïes a défini l'ame , une nature fe mouvant toujours de foi-même. Ana- ximandre difoit que l'ame étoit une cho- fe compofée de terre & d'eau* Empe- docle la faifoit confifter dans le fang. Quelques Philofophes ont dit qu'elle étoit un feu célefte , d'autres , une har - monie *, d'autres , un nombre. Ariftore , qui en fait de Philofophie n'a prefque jamais que Aqs paroles a la place à^s chofes 5 définit l'ame , une aétion qui fait m^ouvoir le corps. , Lucrèce foutiem que l'anie eft un amas

Q iv

148 -^^ Métaphyjique*

d'atomes fubtils & déliés \ il diftingue la nature de l'anie & la naaire de Tef- prit , mais tous deux , félon lui , font cor- porels 5 l'efprit eft fait de principes très- menus , ainii que l'ame. Il prétend que tous les Philofophes ont ignoré la na- ture de l'ame, & qu'ils n'ont pu pé- nétrer fî elle naît avec le corps , fi elle meurt avec lui , ou fi elle pafTe dans d'autres , félon le fyftême de ceux qui admettoient la Métempficofe.

Il paroît que Platon efl le feul des Philofophes anciens qui ait reconnu un Etre immatériel , félon tous les autres Dieu même étoit matériel , & ils regar^ doient l'opinion de Platon comme in- foutenable & inintelligible. * Eft-il pro- bable que ceux qui faifoient Dieu ma- tériel 5 crufïènt l'ame immatérielle ? Les Philofophes Païens qu'on prétend avoir diftingué l'ame fpirituelle & matérielle > n'ont point penfé qu'il y eut dans l'hom»

^ Q^iiod Vîato fine corpore Deum effe ctnfet ^ quaU effepojjit , intelligi nonpoÈcfi, Cksra

ds îiaturâ DeorujTi , lib. L

La Métaphy^que, 249

me une fubftance immatérielle , par VqÇ- prit incorporel ils n'ont entendu que le mouvement produit par l'ame , qui fé- lon eux étoit matérielle. Le mouvement n'eft pas une fubftance corporelle , con- fîdéré en lui-même *, mais il ne fçauroit exifter fans quelque chofe de corporel.

Pour bien aiïurer les vérités fonda- mentales de la Religion & de la Mora- le 5 il eft très-important de démontrer que l'ame humaine eft une fubftance im- matérielle 5 & que fa fpiritualité coniif- te dans l'immatérialité. Il faut avoir foin d'éviter l'équivoque du mot àe fpirituel , qui fert de fubterfuge aux Matérialiftes en parlant de l'ame ; il faut dire qu'elle eft immatérielle , 6c ne pas fe conten-» ter de la nommer fpirituelle.

i j o La Métaphysique,

mmmmmmmmmmmtmimimmimmmmimÊmÊÊamimÊmmt.^mmmÊmmÊÊ^mmmÊmÊÊmmmm

Première Proposition.

Uamc cjl immatcridlc

Première Dé'monstration.

TOuT ce qui eft matériel eft divifible ôc compofé de parties exiftantes les unes hors des autres , indépendantes les unes des autres , réellement diftinguées 6c féparibles les unes des autres. Il a été prou- ve dans la cinquième démonftration de Texiftence de Dieu , &: dans la démonf- tration de la fixiéme proportion des at- tributs de Dieu , que ce qui penfe , eft iîmple & nécefTairement indiviiîble , que l'étendue & la penfée font des attributs contradictoires & incompatibles. Si ce qui penfe dans nous , pouvoit être di- vifé , chaque homme pourroit dire , je^ puis 5 moi pinfant , être divifé & fépa- de moi-même , ce qui eft évidemment abfurde. Notre ame n'a ni quart ni moi-, tié ; elle n'eft ni odogone ni quarrée ,. ni bleue ni rouge : elle n'eft donc pas.

La Métaphyjique. i^i

Miatérîelle. Pour juger d'un objet , il faut l'appercevoir indivifiblement v ^ le fujet qui i'apperçoit étoit compofé de, plufieurs parties , la partie A de l'objet , £:aperoit la partie A du fujet apperce- vant , " & la partie B fraperoit la par- ne B ; nulle partie du fujet n'apperce- vroit indiviiîblement tout l'objet : donc l'ame qui apperçoit les objets , n'eft point divisible & compofée de plufieurs par- ties : donc elle n'eft pas matérielle ; ce quil falLoit démontrer.

Seconde Démon strat ion >

LEs Matérialiftes avouent que la pen- fée n'eft pas elîèntielle à la matière -, elle ne peut donc être. qu'une modifica- tion accidentelle de la matière. Les mo- difications de la matière font répandues dans fes parties comme le mouvement , la figure *, ôc la penfée appartient nécef- fairement à un fujet fimple & indivifi- ble > c'eft ce qui a été très-folidemenc démontré. On ne /çauroit concevoir

ij.2 La Métaphyjîqui0

clairement aucun mode fans, la chofe dont il ell une modification *, n'eft-il pas évident que la figure quarrée , par exem- ple 5 ne peut point être conçue fans reten- due dont elle efl une modification 3 On peut concevoir clairement la penfée fans rien concevoir de matériel. En fuppo- fant qu'il n y ait point de corps , rien de matériel , je conçois clairement que je penfe , j'ai une idée claire & diftinde de mon ame , qui n'eft autre chofe que ce qui penfe dans moi 5 il eft impoflible que je doute que je penfe , puifque le doute même eft une forte de penfée. La penfée ne fuppofe ni longueur , ni lar- geur 5 ni profondeur , m pluralité de parties , ni rien de ce qui eft e(îèntiel au corps & à la matière -, elle n*eft donc

Î>as un mode de la matière *, ^Ue ne peut ui appartenir : elle apparrient donc né- ceffàirement à une fubftance diftinguée de la matière : l'ame n'eft donc pas ma- térielle : elle eft donc immatérielle : ce quHl falloit démontrer.

La Métaphyjiquc. r^^j 5

TrOISIE'ME DÉ^MONSTRATIOST.

LA penfée eft ellèntielle à lame ; nous prouverons qu'elle en eft le premier attribut dont tous les autres dépendent néceflairement. Les partifans de la ma- térialité de l'ame conviennent que l'éten- due eft eflentielle à la matière : il a été démontré que tout ce qui eft étendu a des parties réellement diftinguées , & que ce qui penfe , eft fimple & indivi- fible s que l'étendue & la penfée ne peu- vent en aucune façon convenir au même fujet : donc ce qui penfe ne peut être étendu : donc l'ame n'eft point étendue : donc elle n'eft pas matérielle : donc elle eft immatérielle : ce qu'il falloit dlmon^ tnr.

a 54 ^^ Métaphyjijuè.

Quatkie'me Démonstration.

CE qui eft corporel ne fçauroit fe mou- voir vers foi- même \ une partie de matière peut agir fur une autre , mais elle ne peut agir lur elle-même. La vue ne peut s'appercevoir qu'elle voit. L'ame agit fur elle-même par la réflexion , elle fe connoît ; ce qui eft au-defliis de toute faculté corporelle. L'ame connoît ce qui eft incorporel comme ce qui ^ft corpo- rel , ce qui eft infini comme ce qui eft fini : elle conçoit les vérités générales de toute grandeur , de toute figure , de toute couleur , & généralement de toute qualité fenfible ôc matérielle. N'eft-il pas conftant qu'elle ne fçauroit connoître l'infini ni rien de ce qui eft immatériel , il elle étoit matérielle ^ La difproportion qu'il y a entre les propriétés de la ma^ tière & les opérations de l'ame , prouve bien clairement qu'elle n'eft pas maté- lielle. Les parties les plus fubtiles & les plus déliées de la matière ne font capa- bles que de figure , de mouvement lo-

La Métaphyjique. 255

tâl 5 de repos , de folidité , d'impéné- trabilité , d'où peuvent naître certains concours , certains arrangemens , des accrochemens , des réparations , des im- pullîons 5 des répulfions , qui n'ont point du tout de proportion avec ce qu'on nomme penfer , connoître , méditer , réfléchir 5 raifonner , fe fouvenir du paf- , confidérer le préfent , prévoir l'ave- nir 5 & démontrer les vérités les plus fublimes. Jamais un homme fenfé ne fe perfuadera que toutes ces opérations foient une fuite de l'ordre , de l'arran- gement , du choc 5 de l'impulfion bc du mouvement de quelques parties très-fub- tiles 6c très-déliées de la matière, dont chacune n'a pour tout apanage que la mobilité , la ngurabilité , l'impénétrabi- lité , étant néceifairement incapable d'in- telligence 5 de perception 3 de fentiment & de toute penfée. Il n'eft pas moins abfurde qu'un Etre penfant foit compo- de parties non penfantes , qu'un Etre étendu 5 de parties non-étendues. La matière penfante implique contradic- tion : donc ce qui penfe dans nous , c'eft- à-dire , l'ame , n'eft pas matérielle : çt quïlfalloït démontnr.

a.j6 La Métaphyjiqut.

Les ennemis de l'immatérialité de lame foutiennent , avec Loke , que Dieu peut communiquer à la matière le don de la penfée , comme il lui communi- que le mouvement , la végétation ; le nier c*eft une témérité , c'eft borner , félon eux , la puiifance de Dieu. AfTu-^ xer qu'il eft impoffible à Dieu de don- Jîer à des portions de matière organifée le fentiment 5 la penfée , c'ell: une ab- furdité. Il eft évident que nous penfons , difent-ils , a proportion de la iineile de nos fens , qui font les portes &: la me- fure de nos idées. L'huître à l'écaillé a moins d'efprit que l'homme , moins de fenfations & de fens , parcequ'ayanc l'ame attachée à fon écaille , cinq fens lui feroient inutiles. Il y a des animaux qui n'en ont que deux *, d'autres en ont trois *, nous en avons cinq , ce qui eft bien peu de chofe. Nous avons tout commun avec les bêtes , organes , nour- ritures, propagations , beioins , delîrs, veilles , repos , fentimens , idées iîm- ples , mémoire : nous avons donc quel- .que principe commun , qui opère tout -cela en nous j & dans les bcces qui n'ont

point

La Métaphyfîqiieé 257

|>oint d'ame fpuituelie & immatérielle* ïl y a bien de l'apparence qu'Archime- de &: une taupe font de la même efpè- ce 5 ainfi qu'un chêne & un grain de moutarde. Nous ne devons point attri- buer à des caufes inconnues ce que nous pouvons attribuer à une caufe connue % nous pouvons attribuer au corps la fa- culté de penfér & de fentir : donc nous ne devons pas chercher cette faculté dans un autre Etre appelle ame y ou efprit > dont nous ne pouvons avoir la moindre idée. Si l'ame étoit immatérielle , elle ne pourroit point connoître ce qui eft corporel.

Tout ce qui a été dit dans les démonftrâ- tions de rimmatérialité de l'ame , n'eft point détruit par ce que difent ceux qui la combattent. Tout ce que contient l'objec- tion précédente , ne donne pas la plus légère atteinte aux raifons par lefquel- les il a été prouvé qu'il eft impoÔlble qu'un certain amas particulier de parties de matière jointes enfemble , penfe. Les difficultés qui regardent une vérité dé- montrée , ne doivent pas empêcher de la reconnoître , fur tout quand elles laifr

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258 La Métaphyjîque.

fent la démonftration dans fon entier , & que les raïfons fur lefquelles elle eft fondée , confervent toute leur force ; nous pourrions donc nous difpenfer de répondre aux raifons dont fe fervent les Marérialiftes pour tâcher de rendre dou- îeufe rimmatérialité de Famé , mais pour mettre dans un plus grand jour fa fpi- ritualité , il eft néceffaire de réfuter clai- rement & folidement tout ce qu'ils avan- -cent.

Ils reconnoifTent que la penfée n'eft point effèntielle à la matière 5 que cha- que partie de matière , & que tout ce qui eft matériel ne penfe pas -, mais ils prétendent qu'un certain amas de par- ties de matière difpofées d'une certaine façon , a la faculté de penfer , de fen- tir 5 de connoître , de raifonner. Il eft évident que cette faculté ne peut dépen- dre uniquement de la difpolîtion parti- culière de ces parties -, car elles étoienc en repos, l'amas qu'elles compoferoient , feroit privé de toute adion , & n'auroit aucune qualité de plus qu'une feule par- tie : il faut donc que la faculté de pen- fer dépende d'un certain mouvement des

La Métaphyjîque. i^c^

parties de cet amas de matière. Chaque partie étant deftituée de la faculté de penfer , il eft de la dernière évidence qu'elle ne fçauroit régler fon mouve- ment y il ne peut pas non plus être ré- glé par les penfées da tout. Si le mou- vement eft la caufe de la penfée , il doit la précéder. Conçoit on que l'effet puiiïe régler l'adion par laquelle fa caufe le produit Une particule ne connoîtroit donc point fon mouvement , ni celui d'une autre particule ; le tout même n'au- roit aucune connoiirance du mouvement de chaque parcelle dont il feroit com- pofé j il feroit auflî aveugle que la ma- tière toute brute : par conféquent il ne fçauroit régler fes mouvemens, ni les pen- fées qui en réfukei-oient -, la fagelïe ôc la raifon n'auroient aucune part à fes adions. D'ailleurs les penfées qui dé- pendt oient du mouvement des particu- les d'une certaine quantité de matière , feroient bien limitées. Il eft impolfible que l'étendue des connoifTances de l'hom- me 5 & le nombre infini de fes penfées réfulte des divers mouvemens de quel- ques parcelles de matière. Il eft abfurde

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-%to La Métaphyjîquè.

d'attribuer à un certain amas de parties de matière difpofées d'une certaine fa- çon 5 les penfées de l'ame humaine. On peut donc fans témérité &: fans borner la puiffance de Dieu , affirmer que k matière ne fçauroit penferi.

H a été démontré que les fens ne font point les portes & la mefure de toutes nos idées. Nous connoiïTons Dieu , l'in- fini , les vérités générales & plufieurs autres objets qui ne font point du tout du relTort des fens. Si Ton ne penfoit qu'à proportion de la finedè des orga- nes 5 les bètes dont les fens font beau* coup plus fins que les nôtres , àuroienc des penfées plus lumineufes , plus éten- dues & plus fublimes que l'homme , elles auroient plus de pénétration , plus de fà- gacité , plus d'induftrie que lui *, elles raifonneroient mieux 5 elles combine- roient plus de chofes. L'aigle a les yeuit plus vifs 6c plus perçans que l'homme i le chien a les fens de l'odorat & de l'ouïe beaucoup plus fins. Ce que nous avons de commun avec les bètes fe ré- duit à un corps organifé , aux facultés

La Métaphyjîqueo^ xCi

purement corporelles , & aux fondions, animales qui dépendent du mouvement du fang 5 & de fes plus fubtiles parties qui compofent les elprits animaux. Les fens des bêtes ne font autre chofe que la puiffance qu'ont les efprits animaux d'être déterminés par la préfence des objets. à couler par le cerveau & par les nerfs dans certains mufcles plutôt que dans d autres. Leurs pallions ne font que^ àQS émotions du cerveau caufées par la préfence^ de quelque objet nuifible ou favorable, entretenues &: fortifiées par quelque cours particulier des efprits ani- maux , qui dépend principalement de la difpofition que le cœur & les autres vifcères mettent dans le fang. Elles n'ont d'autre fentiment que celui qui fe fait par le feul mouvement des organes cor-« porels 5 & d'autre ame que celle qui con- îîfte dans le mouvement du fang ^ des efprits animaux.

Les facultés corporelles font jointes dans l'homme à des facultés purement fpirituelles , qui appartiennent à l'ame immatérielle èc raifonnable , qui lui eft-

R iij

26 1 La Métaphyjîque^

propre , & qui ed unie à fon corps de la manière qui fera expliquée enfuite. Cette union dure autant de temps que le cœur peut envoyer des efprits ani- maux vers le cerveau , èc celui-ci les renvoyer par les nerfs dans les mufcles pour mouvoir le corps. Les idées des chofes feniibies & corporelles dépendent immédiatement ou médiatement de quel- que mouvement du cerveau , comme de leur caufe occaiîonnelle , tandis que l'ame eft unie au corps *, mais l'idée de Dieu 5 de l'infini 5 & de tout ce qui n'eiV point corporel , & qui ne tomti point îbiis les fens , appartient à l'ame en tant que fa nature eft de penfer indé- pendamment de fon union avec le corps. La réflexion que l'ame humaine fait fur fes penfées , par laquelle elle connoît qu'elle penfe , qu'elle doute , qu'elle rai- fonne , qu'elle fe connoît elle-même , èc par laquelle elle reconnoît qu'elle eft une fubftance fupérieure à tout ce qui eft matériel ; la connoiflance qui nous fait juger , en nous regardant dans un mi- roir 5 que la partie droite de notre corps eft celle qui nous paroît à gauche dans

La Métaphy^que. 2^3

le miroir , & qu'un bâton à moitié plon- gé dans l'eau eft droit , quoiqu'il paroif^ le courbé , font autant de preuves que notre ame n'eft point un amas de petits corps durs , folides , arrangés , entrelafTés 6c mus d'une certaine façon *, mais une fubftance d'une nature différente de celle de l'ame des bêtes , dont toutes les opé- rations n'ont d'autre principe ni d'au- tre objet que ce qui eft du reifort des fens éc de l'imagination.

Il faut être bien aveuglé pour ne pas voir la différence immenfe de la nature de l'ame humaine , & de l'ame des bê- tes. Les bêtes ne fe perfedlionnent que très-peu ou point du tout. Les hiron- delles 5 par exemple , font aujourd'hui leur nid comme elles l'ont toujours fait» Les opérations des bêtes de la même efpèce font marquées à un coin d'uni- formité , qui prouve bien qu'elles n'ont d'autre principe que la flruàure des or- ganes 3 qui eft femblable dans les ani- maux de la même efpèce. On voit clai- rement que les bêtes font tellement atta- chées à la matière dans leurs opérations; les plus relevées , que rien n'eft plus dé-

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a 54 La Métaphyjique.

raifonnable que de croire que leur ama eft immatérielle. Les bêtes ne s'élèvent; jamais à ces hautes & fublimes penfées des hommes qui ont inventé les arts , qui ont fait Ôc font encore tous les jours de 11 belles découvertes , qui cultivent les fciences avec tant de fuccès , qui parviennent à connoître des vérités qui paroifTent au-deiïlis de la portée d'un ef- prit borné ôc fini. Ils mefurent exade- ment la diftance de la terre au Soleil ^ aux autres planètes, la furface , la fo- ïidité de ces corps céleftes , la vîteflè avec laquelle ils font mus , la route qu'ils tiennent dans leur mouvement , comme le prouve évidemment la pré- diétion des éclipfes. Les bêtes ne s'atta- chent point comme les hommes à la re- cherche des premiers principes •, elles ne méditent point 6^ ne raifonnent point comme eux ; elles ne réfléchiffent point fur leurs propres aétions j elles ne font point touchées des fentimens de Reli- gion j elles n'abandonnent jamais le bien fenfible pour fuivre le bien honnête. Pciifer qu'Archimede & une taupe font de la même efpèce , comme un chêne 6c

I.a Métaphyjique. x&f

un grain de moutarde , c eft le comble de l'extravagance *, il n'y a que le dé- lire qui puifle faire, avancer une fi gran- de abfurdité.

On peut conclure de tout ce qui vient d'être dit , que quoique notre ame , tan- dis qu'elle eft unie au corps , dépende dans l'exercice de fes fondions de cent chofes corporelles ? du boire > du man- ger 5 de la chaleur naturelle ^^ du fang , des efprits animaux, de la bonne dif- pofition des organes , &c. comme de certaines conditions , & non pas com- me de fes caufes totales & abfolues , on ne peut point inférer de-là que la faculté de penfer appartienne au corps , & que l'ame ne foit qu'une certaine quantité de matière organifée, d'une fa- çon particulière. Il a été clairement dé- montré qu'il eft impoflible que l'intelli- gence , le raifonnement & la penfée puiflfent réfulter du mélange , de la tif- fure & du mouvement local de quel- ques particules de matière.

Il eft certain que tous les Etres , foit corporels, foit incorporels, font l'objet

t56 La Métaphyjîquê^

de l'entendement humain. Notre ame connoîc Dieu , l'infini , fa penfée , les vérités générales &: métaphyfîques , qu elle ne pourroit jamais connoître fi elle étoit matérielle ; elle n'auroit d'au- tres idées que celles des chofes qui peu- vent faire impreffion fur les organes. Les Matérialiftes avouent que nous con- fioiiïons pluiieurs objets corporels ; il eft donc confiant que les Etres , foit corporels jXoit incorporels , font du ref- fort de la Taculté de connoître propre à Tame humaine. L'exercice de cette fa- culté dépend à la vérité des fens à l'égard des objets fenfibles & corporels \ Tame ne les apperçoit qu'à l'occafion des im- preffions faites fur les organes du corps auquel elle eft unie *, mai-s on ne peut refufer de reconnoître fon immatériali- té, & fa fpiritualité , fans préférer la conje6ture à la certitude > les ténèbres à la clarté , & l'erreur à la vérité. Nier l'immatérialité de l'ame , c'eft fe mettre dans l'impoffibilité de démontrer fon im- mortalité 5 &: de réfuter folidement Spi- nofa 5 èC les autres Athées qui foutien- nent que Dieu rt'eft autre chofe qu'un Etre matériel penfant.

La Métaphyjîque. 16 j

Pour entendre la démonftration de la propoiîcion fuivante , il faut fe fou- venir que Ton appelle attribut , tout ce qui convient à une chofe , foit qu'il lui convienne eflentiellement , foit qu'il ne lui convienne que par accident.

Seconde Proposition.

Lapenfêc conjîituc Vcjfenu de Vamt*

DÉMONSTRATION.

LE premier attribut d'une chofe conf- titue fon effence. La penfée eft le pre- mier attribut de l'ame , tous fes autres attributs la fuppofent & ne peuvent être conçus fans elle , mais elle n'en fuppo- fe aucun autre.

Premièrement , la penfée ne fuppofe aucun autre attribut. Tous les attributs fe réduifent à la penfée & a l'étendue , ou aux propriétés ôc modes de la pen- fée & de l'étendue. Il eft évident <j^e

igS La Mètaphyjiquet

îa penfée ne fuppofe point Tétendue^ ni rien de ce qui lui appartient , puifqu'il a été démontré qu'elle exclut l'étendue , qui eft un attribut incompatible avec la penfée. La penfée ne fuppofe pas non plus fes propriétés ni fes modes \ les propriétés ôc les modes d'une chofe fup- pofent la chofe qu'on peut concevoir îans fes propriétés & fes modes j mais on ne fçauroit concevoir fes propriétés ou fes modes fans elle : donc la penfée ne fuppofe point fes propriétés ni fes modes : il a aufïi été prouvé qu'elle ne fuppofe point l'étendue , ni rien de ce qui lui appartient : donc elle ne fuppo- fe aucun autre attribut.

Secondement , tous les attributs de l'ame fuppofent la penfée. Les attributs de l'ame lui font eflentiels ou acciden- tels, ils font fes propriétés ou fes mo- des \ or les propriétés & les modes de l'ame fuppofent la penfée. L'ame eft ce qui penfe dans nous , & il a été démon- tré qu'elle eft une fubftance immatérielle & penfante. On peut concevoir la fubf- tance penfante fans les propriétés &: le^ inodes de la penfée s mais l'on ne fçau^

La Mètaphyfique. \€<)

toit concevoir les propriétés & les mo- des de la fubftance penfante fans la pen- fée : donc les propriétés ô^ les modes de î'ame fuppofent la penfée : donc tous les attributs de l'âme fuppofent la penfée qui n'en fuppofe aucun autre : donc la penfée conftitue l'eflènce de lame : u quilfalloit démontrer.

Tous ceux qui foutiennent que la matière peut penfer , fe récrient contre la propofition qui vient d'être démon- trée. Loke dans fon EJfal Phllofophiquc fur f entendement humain , Livre II. Chapitre premier , page ^5 . de la fécon- de Edition in-j^, dit , que nous fçavons que Vame penfc toujours dans un hom* me éveillé , parceque c^ejl ce qu^empor-* te Vétat d'^un homme éveillé ; mais de fçavoir s^il ne peut pas convenir à tout homme , y compris Vame aujji'bien que. le corps y de dormir fans avoir aucun fonge y c^ejl une quejiion qui vaut la peine d'hêtre examinée par un homme qui veille ; car il neji pas aifé de con'^ cevoir qu'une chofe puiffe penfer , & ne point fentir quelle psnfe. Que fi Vame penfe dans un homme qui dort.

2^0 La Métaphyjique.

fans en avoir aucune perception aciuelU » je demande fi pendant qu'elle penfe de. cette manière , elle fent du plaijir ou de la douleur , fi elle efi capable de fe^ licite ou de mifere ? Pour l'homme , je- fuis bien ajfurè qu'il n'en efi pas plus capable dans ce temps-là , que le lit ou la terre il efi couche,,,. Il efi cer* tain que Socrate dormant & Socratt éveillé y n efi pas la même perfonne , & que Vame de Socrate lorfquil dort ^ & Socrate qui efi un homme compofé d& corps & d'ame lorfquil veille ^ font deux perfonnes ; parceque Socrate éveil- lé n'a aucune connoijfance du bonheur ou de la mifere de fon ame y qui y participe toute feule pendant qu'il dort. Les Matérialiftes prétendent qu'il n'eft pas plus néceiTaire à l'ame de penfer toujours , qu'au corps d'être toujours en mouvement. Quelques Philofophes fou- tiennent que la penfée n'eft pas le pre- mier attribut de Tame , parcequ'elle en fuppofe un autre qui eft la puilïànce de penfer.

La queftion dont il s'agit , eft de la dernière importance. Il n'eft pas indif-

La Métaphyjïque. 271

férent , pour établir folidement l'imma- térialité & l'immortalité de l'ame , de croire que fon efiTence confifte dans la penfée aduelle , ou feulement dans la puiflance de penfer. Il eft certain que les Matérialiftes , & tous ceux qui en- feignent que la matière peut penfer , font confifter l'elTence de l'ame dans la puilTance de penfer -, ils regardent la pen- lee comme une modification de la ma- tière > c'eft pourquoi ils difent qu'il n'eft pas plus nécelFaire à l'ame de penfer toujours , qu'au corps d'être toujours en mouvement.

On ne fçauroit concevoir une puif- fance fans un attribut qui foit le fonde- ment de cette puiflfance. Toute puiiTan- ce fuppofe la fubftanee à laquelle elle appartient ^ par conféquent elle fuppofe aulîî l'attribut qui conftitue l'elTence de cette fubftanee. La puiflTance , par exem- ple 5 qu'a la matière de recevoir le mou* vement , la figure ronde , quarrée , 6<:c. fuppofe nécefiairement l'étendue : la puififance de penfer eft donc fondée fur l'attribut qui conftitue l'elfence de l'ame.

arjt La Métaphyfique»

Que nos Adverfaires difent quel eft cet attribut 3 Tous lés attributs que nou^ concevons \ font l'étendue & la penfée .^ ou les propriétés d)C les modes de l'éten- due & de la benfée. Si la puiffance de penfer fuppoie quelque propriété ou quelque mode de la penfée > elle fup- pofe auflî la penfée fans laquelle fes pro- priétés & fes modes ne peuvent exitter , & fans laquelle on ne fçauroit les con- cevoir. Si la puilTance de penfer fuppo- fe rétendue ou quelque propriété oa quelque mode de l'étendue , l'ame n'elt point une fubftance diftinguée de matière *, la penfée n'eft qu'une modifi- cation de la matière comme le mouve- ment 5 tous les attributs eflèntiels de matière conviennent à l'ame , parcequ'il a été prouvé que tout ce qui eft éten- du , eft divifible , mobile , impénétra- ble. Rien n'eft fi conforme au fyftême de Spinofa & des autres Athées , que de dire que ce qui penfe dans nous eft di- vifible , mobile , impénétrable. Les con- féquences que l'on peut tirer de l'opi- nion qui fait confifter l'eftence de l'ame dans la puiffance de penfer , favori ienc

donc

La Métaphyjlque. 273

donc nianifeftement non feulement îe Matérialifme , mais encore rAthéifme.

Il eft abfurde de dire que la puifTan- ce de penfer précède nécelTairement la penfée , Dieu n'a jamais eu la puifTance de penfer avant que de penfer. L'ame qui auroit la puilîance de penfer avant que de penfer en eifet , ne feroit point différente de la fubftance en général, qui eft capable de recevoir la penfée ; le genre , félon tous les Philofophes , eft fufceptible des différences qui le divi- fent : la penfée eft une des différences ftécifiques de la fubftance. Si l'elfence de l'ame confiftoit dans la puiffance de penfer , il faudroit la définir une fubf- tance capable de penfer , bc non pas une fubftance penfante , il faudroit aufîî dé- finir le triangle , une figure capable d'avoir trois angles : les trois angles du triangle ne fuppofent pas moins la puif- fance de les avoir , que la penfée fup- pofe la puiffance de penfer.

L'opinion de nos Adverfaires eft évi- demment contraire à l'immortalité de l'ame , dont la vie confifte dans la pen- fée. Si l'arae refte pluileurs heures de

S

a 74 "^^ Métaphyfiqm. fuite fans penfer , & fans fe connoître elle-même dans un fommeil femblable à celui du corps , pourquoi ne pourra- t-ellê pas 3 ainfî que lui , trouver un jour une mort éternelle , puifqu'elle eft fujettê à Une mort momentanée î Si l'ef- fence de l'ame conlifte dans la puilïan- ce de penfer , l'on ne fçauroit prouver fon immortalité que par la révélation. Affirmer qu'on ne peut connoître par les feules lumières de la raifon l'immor- talité de l'ame , c'eft donner beau jeu aux Incrédules , qui prétendent qu'il eft impoflîble de concevoir qu'une chofe qui a eu un commencement ne doive point avoir de fin.

On eft fi accoutumé à confidérer l'éten- due & la penfée comme deux attributs d'une même fubftance , qu'on fe fent très-porté à croire que c'eft la même fubf- tance qui penfe & qui eft étendue. Nous avons levé cette difficulté , en démon- trant que ces deux attributs font incom- patibles 5 6c que l'efprit Ôc le corps ne conviennent que dans les attributs efïèn- dek de la fiibftance , qui font de fub-

La Métaphyjîque* 275

fifter en foi-mème , & d'être le fujet de plufieurs modes ; d'où il s'enfuit viiible- ment qu'ils différent , & qu'ils font op- pofés dans toutes les autres propriétés qui ne leur appartiennent pas en qualité de fubftance , mais en qualité de corps ou d'efprit.

L'ame n étant point étendue , ne peut être dans le corps auquel elle eft unie, comme dans un lieu s elle n'y eft qu'à caufe qu'elle penfe par le moyen du corps dont elle dirige quelques mouve- mens par fa volonté. C'eft aufÏÏ en ce fens que Dieu eft par- tout , parcequ'il conferve & meut tout par fa volonté toute-puiftante ; il y a cependant cette différence entre Dieu 6c l'ame , que l'ame eft dans le corps , non feulement à caufe qu'elle en dirige les mouvemens par fa volonté , mais encore parcequ'elle eft étroitement conjointe avec lui , à rai- fon de la dépendance qu'elle a de fes mouvemens \ ce qui ne peut convenir à Dieu 5 qui eft indépendant des corps dont il produit tous les mouvemens. Le lieu étant un attribut efîèntiel du corps , qui ne fçauroit exifter fans être dans un lieu ,

■S,j6 La Métâphyjiqutm

i on eft namrellement porté à croire qu'il ©ft un attribue eiTentiei de tout Etre créé ^ £ni 5 & que Tame eft dans le corps auquel elle eft unie , comme le corps eft dans un lieu , mais il ne faut pas attribuer à l'Etre en général une pro- priété qui ne convient qu'au corps en particulier. En parlant de l'immenfité , nous âvôns prouvé , 8c bien clairement démontré, que le lieu n'eft propre qu'aux Etres corporels.

L'ame n eft dans le corps , qu'à caufe qu'elle penfe par le moyen du corps \ êc n'étant pas moins étroitement unie au corps d'un enfant dans le fein même de fa mère , qu elle l'eft quand il eft adulte 3 il eft évident qu elle a des pen- fées ôc des fenfations , lors même qu'il eft dans le fein de fa mère. Il y a pour^ lant tout lieu de croire que l'ame ne médite pas dans le fein de la mère , êc qu'elle n'eft occupée qu'à feiitir par le fens de l'attouchement , le plaifîr ou la, Couleur qui refaite des mouvemens ex- cités dans les nerfs ; comme les parties 'du cerveau font alors fore molles , ces motiTem^os l'ébcanknt avec tant de vio-

La Mitaphyfique. 27?

lence , que l'ame ne peut être attentive- qu'à la fenfation qui réfulte de cet ébran- lement.

Quoique l'ame fente toujours en queU que manière 5 nous croyons. quelquefois ne fentir pas ; parcequ'étant éveillés , nous fentons tout à la fois un fi grand nombre de chofes , que nous n'en fen- tons aucune diftindfeement , ou parce- qu'étant endormis , nous avons des ÎQn- timens li légers , que les traces qu'ils laifTent dans le cerveau ne font point aiTez profondes pour nous en faire fou- venir quand nous fommes éveillés. La, fubftance du cerveau d'un enfant dans, le fein de fa mère , 6c pendant les pre- mières années de fa vie , eft trop moll^ pour que les traces imprimées pour lors par les penfées &: les fenfations , fubfii^ tent encore quand il eft adulte; ç'eil: pourquoi il n'eft pas pofïible qu'il, s'en^ fouvienne. Afin de mettre dans le plos; grand jour tout ce qui a été dit , il e{^ nécelTaire d'expliquer en quoi confift^j l'union de l'ame & du corps.

ijB La Mitaphy^que.

De Vunïon de Vame & du corps*

LEiBNiTS a imaginé un fyftême bien fingulier fur la manière donc l'ame eft unie au corps -, il fait confifter cette union dans une prétendue harmonie préétablie. L'ame > félon lui , n'a aucun commerce avec le corps •, ce font deux horloges que Dieu a faites , & qui vont un certain temps dans une correfpon- dance parfaite j l'une montre les heu- res 5 l'autre fonne. L'horloge qui mon- tre l'heure , ne la montre pas parceque l'autre fonne , mais Dieu a établi leur mouvement de façon que l'aiguille ôc la fonnerie fe rapportent continuelle- ment. Ainfi l'ame de Virgile produifoit l'Eneïde , & fa main écrivoit l'Eneïde , fans que cette main fût dirigée par l'au- teur -, Dieu avoir réglé de tout temps , que l'ame de Virgile feroit des vers, 6c qu'une main attachée au corps de Vir- gile les mettroit par écrit.

Ce fyftême extraordinaire eft dénué de tout fondement , 6c de toute vraifem-

La Métaphyjique. 27^

blance. On ne fçauroit concilier la li"" berté de l'homme avec cette harmonie préétablie , dans laquelle Leibnits fait confîfter l'union de l'ame & du corps. Quand les plus grands Philofophes en- tendirent parler de cette opinion , ils marquèrent pour elle un auiîî grand mé- pris 5 que il Leibnits n'en avoit pas été l'auteur 5 ils ne lui répondirent qu'en riant. Ce fentiment eft contraire au fa- meux principe de la raifon fufïifante >. prife du fond des chofes , fans laquelle rien ne fe fait, félon Leibnits. Quelle eft la raifon de l'union de deux fubftances auflî infiniment différentes que l'ame 6c le corps 5 & doat l'une n'influe en rien fur l'autre 5 Le fyftême de l'harmonie préétablie révolte la raifon 5 ôc il eft inu- tile d'en faire une plus ample réfutation.

Le mot à^ union eft très-équivoque^ Toute véritable union fuppofe des chcn fes réellement diftindtes. Nous ne con- noifïbns que deux fortes de fubftances , qui font l'efprit & le corps. Deux fubf- tances ne peuvent être unies que par une certaine dépendance félon leurs attributs,

S iv

iSo La Métaphyjîque,

relatifs , en vertu de laquelle on les con- fîdere comme ne faifant qu'un même tout à quelque égard. L'union de deux fubftances rie peut être qu'entre deux corps 3 ou entre deux efprits , ou entre un corps èc un efprit.

Deux efprits font unis , lorfqu'il y a un tel rapport entre eux , qu'ils ont les mêmes penfées 6c les mêmes volontés dépendamment l'un de l'autre.

Deux corps font unis , quand l'un eft tellement adhérent à l'autre , qu'on ne peut les féparer facilement , & que l'un ne peut être mu fans l'autre , cette union dure tandis que cette dépendan- ce mutuelle fubfifte.

Un corps & un efprS font unis au- tant qu'ils le peuvent être , quand il y a des mouvemens du corps qui dépen- dent des penfées de l'efprit , èc des pen- fées de l'efprit qui dépendent des mou- vemens du corps. On ne peut connoî- tre cette union , ou la dépendance ré- ciproque des penfées de î'ame & des mouvemens du corps , que par l'expé- rience.

Dieu eft l'auteur de l'union de l'âme

La Métaphyfique. 18 1

& du corps. Il n'eft pas au pouvoir de Tame de conferver fon union avec le corps 5 ni au pouvoir du corps de con- ferver fon union avec l'ame \ elle ne dépend pas noa plus de l'efprit & du corps pris enfemble , parceque ne leur étant pas elTentielle , elle doit procéder d'une caufe extérieure , qui ne peut être que Dieu 5 qui veut que mon corps fe meuve diverfement félon le defir de mon ame , ^ que mon ame penfe aufïi diverfement félon les différens mouve- mens de mon corps. J'éprouve que je fens de la chaleur en m'approchant du feu , & du froid en touchant la glace 5 il n'eft pas néceifaire que je fçache com- ment & pourquoi cela fe fait : je fçais donc par expérience , qu'il y a une dé- pendance aétuelle des penfées de mon ame de quelques mouvemens de mon corps 3 & de quelques mouvemens de mon corps , de quelques penfées de mon ame *, par conféquent l'expérience m'ap- prend que mon ame eft unie à mon corps.

L'expérience m'apprend auflî , que quoique l'ame foit unie a toutes les par-

2 8 î La Métaphyjique.

ties du corps , les nerfs font les prînd- paux organes des fens 5 car je fuis infen- îible dans les endroits du corps il n'y a point de nerfs , & même dans ceux il s'en trouve , s'ils font tellement dif- pofés qu'ils ne puilïènt tranfmettre jus- qu'au cerveau le mouvement qu'ils ont reçu des objets extérieurs. Certaines ma- ladies qui attaquent le cerveau fans bief- fer les autres parties du corps , empê- chent que les mouvemens produits dans le corps par les objets extérieurs , n'ex- citent dans l'ame quelque fenfation ; d'où je fuis obligé de conclure , que les nerfs ne font pas les organes immédiats de l'ame j bc qu'ils fervent feulement à tranfmettre au cerveau les mouvemens qulls ont reçus des objets extérieurs , éc que les fenfations dépendent immé- diatement de certains mouvemens du cerveau.

De ce qui vient d'être dit , il s*enfuit évidemment , que tout mouvement ex- cité dans le cerveau par les efprits ani- maux 5 qui reflèmblera à un autre mou- vement qui aura été caufé par l'impref-

La Métaphyjîque. 285

fïon des objets extérieurs faite fur les nerfs , fera renaître la même fenfation , & la même idée. On peut facilement par ce moyen expliquer les fonges , èc comment l'ame fe repréfente les chofes abfentes qu'elle a déjà connues. Lorfque les mouvemens font contraires à la conf- titution naturelle du corps , l'ame fent de la douleur j & quand les mouve- mens font propres à la confervation du corps 5 elle fent du plaifîr. L'ame fent lin penchant qui la porte à fuir ou à re- chercher un objet dont elle a l'idée , fui- vant qu'il lui paroît bon ou mauvais ; de-là nailTent les paflîons. Les idées qui regardent la confervation du corps , tel- les que font celles qui font accompa- gnées de fentiment ôi de palîion , fonî fuivies du mouvement des efprits ani- maux , le plus propre pour l'exécution des volontés de l'ame , ôc pour le biai du corps. La crainte , par exemple 5 eft accompagnée d'un mouvement des ef- prits qui porte à fuir ce que l'on craint *, le defir au contraire , eft accompagné d'un mouvement des efprits qui porte à rechercher ce qu'on defire.

2S4 ^^ Metapkyjîque0

Toutes les idées des corps particuliers & toutes les connoiflances des chofes fen- Jfibles & corporelles dépendent médiate- ment ou immédiatement de quelque: mouvement du cerveau j mais l'idée de Dieu y de l'infini , & généralement de tout ce qui eft fpirituel ôc immatériel , n'en dépend point *, toutes les idées des chofes fpirituelles & incorporelles n'ap- partiennent pas à l'ame en tant qu^elle eft unie au corps , mais en tant que fa na- ture eft de penfer.

S'il arrive pendant le fommeil , que es efprits animaux qui font dans le cer- ceau , en ébranlent quelques parties , ce la même manière que fi un objet agil- f>it fur les organes des fens , pour lors lame éprouve une lenlation qu on ap- pelle un fonge. On ne fonge prefque jaiiais^en dormant qu'aux chofes qu'on a fenties étant éveillé , parceque les par- tie? du cerveau qui ont déjà été ébran- lées par l'adtion de quelque objet exté- rieur 5 font bien plus aifées à être ébran- lées que celles qui font toujours demeu- rées en repos»

Quoique les impreflîons faites fur les

La MêtaphyJIque* 285

©rganes pendant le fommeil , n'excitent aucune fenfation , l'ame n'eft pas moins unie au corps dans cer état , que dans celui de la veille. Le iommeil eft caufé par unedifette d'efprits animaux , qui fait que les pores du cerveau , par 011 les efprits coulent dans les nerfs , n'étant plus tenus ouverts par le pafTage fré- quent des efprits , fe bouchent d'eux- mêmes. Enfuite de cette obftrudion , les efprits animaux qui étoient dans les nerfs , fe diffipent , éc il n'en pafïè point d'autres ; les lîiets des nerfs deviennent lâches ôc incapables de tranfmettre juf- qu'au cerveau l'imprefilon qu'un objet fait fur quelqu'endroit de notre corps j c'eft pourquoi il n'en réfulte aucune fen- fation. Les mufcles qui font aufîî pour lors vuides d'efprits , ne fçauroient plus fervir à remuer les parties du corps ils font inférés , & dont le mouvement dépend de l'adion de ces mufcles.

Il eft rare qu'il y ait une fuite réglée dans les fonges j parceque les efprits ani- maux remuent pour l'ordinaire fans or- dre les parties du cerveau qui ont été «branlées par la préfence des objets. On

i%6 La Métapkyjîque.

conçoit aifément que les parties qui ont été remuées dans différens temps par di- vers objets , peuvent l'être en même temps par les efprits , & que celles qui l'ont été enfemble , peuvent l'être fuc- ceffivement & avec une diveriité infi- nie , qui caufe la variété immenfe qui fe trouve dans les fonges.

) Le fommeil ceffe de deux manières : premièrement , par une impreiîion fur quelqu'un des organes fi forte qu'elle par- vient jufqu'au cerveau ; fecondemenc , quand les efprits animaux qui fe produi- fent pendant le fommeil , foniafTez abon- dans pour avoir la force d'ouvrir les en- trées des nerfs , & pour les remplir de fa- çon qu'ils puiffent tranfmettre jufqu'au cerveau les ébranlemens produits par les objets qui touchent le corps. Il y a aufîî deux caufes qui tiennent les orifices des nerfs tendus &: ouverts •, la première effc \q j aillijfement ou l'impulflon des efprits fortans du cerveau ; la féconde eft le T&hondijfemcnt de ces mêmes efprits con- tre le cerveau. Dans le repos la fécon- de caufe manque , par conféquent la pre*

La Métaphyjfque. 187

nilcre eft plus facilement vaincue j c'eft pourquoi l'on s'endort plus facilement dans; le filence , quand rien ne frape les oreilles -, durant la nuit , quand la lu- mière ne pénètre point les paupières j quand on eft affis ou couché , Se quand le corps & l'efprit font tranquilles. Néan- moins un léger frottement , le murmu- re des eaux , ou quelque petit bruit con- tinu & uniforme , ou quelque fon doux & agréable, provoquent le fommeil , par- ceque le doux èc continu rebondiffè- ment qui fe fait pour lors , détournant celui qui fe feroit par fecouffes & à di- verfes reprifes , ne peut pas empêcher long-temps l'affaifement des nerfs,

L'ufage des alimens & des médica- mens froids & humides , provoque le fommeil , fcit parceque ces chofes froi- des 6c humides n'engendrent que peu d'efprits , foit parcequ'elles portent tou- jours quelque férofiré à l'origine àts nerfs. L'opium ôc les autres fomnifères , foit qu'on les avale , foit qu'on les ap- plique par dehors , provoquent auffi le fommeil , en humeàant , en refroidif- £ant , ou en portanr dans le fang des

2 s s La Métaphyjique.

parties glutineufes &: vifqueufeis , pro- pres à boucher les orifices des nerfs , juf- qu'à ce que l'abondance des efprits diflipe éc écarte l'humeur , & r'ouvre les entrées des nerfs & les tienne tendus.

L'expérience prouve ce qui vient d'être dit. Ceux qui ont le cerveau froid & humide , comme les enfans & les vieillards, s'endorment ai fément, ôcfoiit prefque toujours alFoupis s nous voyons au contraire , que ceux qui par leur conf- litution namrelle , par maladie , ou au- trement 5 l'ont extrêmement fec & chaud , font fujets à l'infomnie , qui eft toujours caufée par le flux & reflux continuel & exceflif des efprits animaux dans les or- ganes internes & externes du corps. Tout ce qui eft capable d'agiter fortement &: d'émouvoir puifTamment les efprits ani- maux 5 produit l'infomnie. Il y a des vieillards qui dorment peu s parceque les pores de leur cerveau ayant été ouverts, & trop élargis par le paflage des efprits depuis un fort grand nombre d'années , ils y pallènt & repalfent ii facilement, que quoique ces efprits foient d'ailleurs tranquilles , ils ne laifTent pas de tenir

les

^laCL Métaphyjiquei 289

les vieillards éveillés par leur mouvement perpétuel.

Le détail qu*on vient de faire des eau- fes de la veille 6c du fommeil , nous a paru nécelTaire pour rendre plus lumi- neufe la réfutation du raifonnement par lequel Loke tâche de prouver que l'ame ne penfe pas quand nous dormons , ôc que Socrate dormant ôc Socrate éveillé font deux perfonnes.

La volonté de Dieu eft la caufe effi- ciente de l'union de l'ame &: du corps •, les parties organiques en font les cau- fes fécondes générales ^ enfin les caufes fécondes particulières , defquelles dé- pend principalement la diverfîté des mœurs & des inclinations , font les con- ditions particulières qui fe rencontrent dans le corps de chaque homme , foit à raifon de fon tempérament , ou de la conformation , ou du mouvement du fang & des efprits -, foit à raifon du chan- gement que le père & la mère &: les au- ices corps étrangers y peuvent apporter.

i 5 o La Métaphyjîque.

CHAPITRE II.

Des facultés de Vamt , & de fcs principales modifications,

APre's avoir expliqué la nature de l'ame , & avoir démontré qu'elle eil: une fubftance fpirituelle èc immaté- rielle j dont l'eiTence eft de penfer -, pour en donner une connoiiTance plus parfai- re , il eil néceiïaire d'examiner quelles font fes facultés , 6<: fes principales mo- difications. Nous diviferons ce Chapitre en deux Articles. Dans le premier , nous traiterons des facultés de l'ame *, &: dans îe fécond , nous parlerons de fes princi- pales modifications.

4^

La Métaphyjîque. 291

Article Premier. Des facultés de Vame,

L*Ame qui eft un efprit uni a un corps > a autant de facultés qu'il y a de ma- nières différentes dont elle penfe. Tou- tes fes fondions fe peuvent rapporter à deux facultés générales , qui font la puif- fance de connoître , qu'on appelle enten- dement , & la puiffance de vouloir , qu'on nomme volonté ; elle n'eft qu'une fuite de la première. Il eft évident que la puif- fance de vouloir eft une propriété de l'ame , & qu'elle dépend de celle de con- noître *, l'expérience nous apprend que nous voulons , ou ne voulons pas les cho- fes , félon qu'elles nous font repréfen- tées comme bonnes ou mauvaifes.

Les facultés de connoître & de vou- loir ne font pas réellement diftindes de l'ame -, elles ne font que l'ame même , à laquelle on donne le nom ^entende- ment y en tant qu'elle connoît , & celui de volonté , en tant qu'elle fe détermi-

T i)

%^% La Métaphysique.

ïie. L'ame eft une fubftance lîmple > dont i'elTence & la nature prouvent qu'il n'y a tout au plus qu'une diftindion de rai- fon entre elle & fes facultés , qui ne font que l'ame même , confidérée com- me ayant la puiflfance de penfer en pla- ceurs manières.

De V Entendement.

L'Entendement en général n'eft au- tre chofe que la puifTance qu'a l'ame de connoître , de quelque manière qu'elle connoifTe , l'on donne à cette puifTance différens noms , en vertu des différentes manières dont nous connoifTons. Tou- tes les manières dont nous connoifTons , -peuvent fe réduire à cinq , que l'on ex- prime par cinq noms différens , qui font la conception , V imagination ^ les fens ^ îa mémoire ôc les pajjions , qu'on ap- pelle communément payions de Vame, La conception ou la faculté de con- cevoir s n'êil autre chofe que la puif- ikace qu'a l'am^ de connoître tout ce

La Mètaphyfique. 29 j

qui eft fpirituel & immacériel , comme Dieu 5 foi-même , les autres âmes , ^s^% propres opérations 6c celles des autres âmes.

L ame a reçu de Dieu dans Tinftant qu'il Ta créée , l'idée qui le lui repré- fente \ étant unie au corps elle confer- ve cette idée , qui eft néanmoins ren- due obfcure & confufe par cette union , qui eft la caufe que l'attention de l'anie eft continuellement employée à la con- fîdération des chofes matérielles. L'ame unie au corps ne penfe à Dieu , que lorfqu'il y a quelque chofe qui la dé- tourne de la contemplation des objets matériels , & qui la fait rentrer en elle- même 5 pour y confidérer l'idée innée qu elle a de l'Etre fouverainement par- fait.

Comme Tame n eft jamais fans pen- fer & fans fentir en quelque forte , & qu'elle ne peut penfer , ni fentir fans s'appercevoir qu'elle penfe 6c qu'ella. fent , elle fait par ce moyen un perpé- tuel ufage de la faculté de concevoir,,. Elle connoît non feulement qu'elle eft une fubftançe penfame > mais encore.:

T iij

294 ^^ Métaphyjique,

qu'elle eft unie à un corps , dont fes fen- fations dépendent. Quoiqu'elle apper- çoive néceflairement fes idées & fes fen- fations , elle croit fouvent ne pas les connoître ; parcequ'elle eft fi appliquée à les confidérer , par rapport à leurs ob- jets , qu'il ne lui refte plus aflez d'at- tention pour les confidérer par rapport à elle-même.

L'ame connoît les autres âmes par les rapports qu'elles ont aux corps avec lefquels elles font unies. En parlant aux autres hommes , nous voyons qu'ils ré- pondent de telle forte , que nous avons lieu de croire qu'ils ont des idées fem- blâbles à celles que nous avons nous- mêmes 3 & qu'ils ont une ame qui penfe comme la nôtre , dépendamment d'un corps qu'elle anime.

L'imagination , ou la faculté d'imagi- ner 5 n'eft autre chofe , que la puiflance qu'a l'ame de connoître les corps parti- culiers , & les rapports d'égalité ou d'iné- galité qui font entre eux.

Par Us fens , ou la faculté de fentir , on entend la puifTance qu'a l'ame de

La MétapJvyJique. 295

connoître les divers rapports que les ob- jets extérieurs ont avec elle , félon les différentes imprelîions qu'ils font fur le corps auquel elle eft unie.

Par la mémoire , on entend la puif- fance qu'a l'ame de concevoir , de fen- tir & d'imaginer ce qu'elle a déjà con- nu , fenti & imaginé.

Par les pajjions , on entend la puif- fance qu'a l'ame de concevoir , de fen- tir & d'imaginer avec quelque émo- tion particulière des efprits animaux.

Il eft nécelTaire de fe fouvenir de ce qui a été dit de l'union de l'ame ^ du corps , pour comprendre la manière par- ticulière dont l'imagination , les fens , la mémoire & les paffions agiiîènt. Quand un corps agiflant fur les nerfs , qui font les organes des fens , excite dans le cer- veau un mouvement particulier , l'ame imagine & fent un certain corps. L'ébran- lement des nerfs peut commencer par les bouts qui fe terminent dans le cerveau , ou par ceux qui fe terminent aux par- ties extérieures du corps.

Quand l'agitation des nerfs commen-

T iv

2 5? 5 La Métaphyj^que»

ce par les bouts extérieurs , alors Tame fent & imagine , elle fent par Timpref- fîon que l'objet fait fur certaine partie extérieure du corps , 6c elle imagine par rimpreiïîon qui eft portée jufqu'aux bouts intérieurs. Quand l'agitation com- mence par les bouts intérieurs , bc qu elle n'a pas la force de fe continuer jufqu'aux bouts extérieurs , alors l'ame imagi- ne feulement *, mais ii cette agitation s'étend jufqu'aux bouts extérieurs , l'ame imagine & fent tout-à-la-fois , 8c l'on croit voir d)C toucher ce qu'on ne voit , ni ne touche.

Imaginer , à proprement parler , n'eft autre chofe , qu'avoir l'idée d'un corps particulier , eau fée par le feul cours des efprits animaux qui ébranlent les bouts intérieurs des fibres des nerfs , de la même manière qu'ils ont été auparavant ébranlés par la préfence de l'objet qu'on imagine. L'ame ne fent rien pour l'or- dinaire , quand les objets font abfens , elle fe fouvient feulement de ce qu'elle a fenti , comme l'expérience le dé- montre.

L'ame connoît fouvent par accommo^

La Métaphyjique. 1 57

dation , en fe fervant de l'idée d'une chofe qu'elle a vue , pour s'en repréfen- ter une autre qui n'eft pas tombée fous les fens. On eft fi accoutumé à connoî- ire de cette façon , qu'on fe fert noa feulement de l'idée des corps qu'on a vus 5 pour s'en repréfenter d'autres qu'on n'a jamais vus *, mais on fe fert encore de l'idée des corps pour fe repréfenter les efprits : on conçoit l'ame , par exemple , comme une matière fubtile *, ce qui eft la fource de beaucoup d'erreurs.

Quand l'ame a connu certaines cho- fes 5 elle peut facilement en imaginer d'autres par compofition y en joignant enfemble des chofes dont elle a des idées féparées ; par ampliation , en faifant , par exemple , de l'idée d'un homme d'une grandeur ordinaire , l'idée d'un géant 5 & par diminution ^ en faifant de l'idée d'un géant , l'idée d'un pigmée.

Nous ne dirons rien de plufieurs quef- tions qu'on a coutume de traiter dans la Métaphyfique *, il nous paroît plus à propos de les renvoyer à la Phyfique , à laquelle feule il appaeitient d'expliquer

298 La Mhaphyjique.

la (Iradure des organes , qu'il faut con- noître pour entendre ce qui concerne plufieurs fondions de Tame , confîdé- rées particulièrement par rapport au corps.

Dt la volonté.

LA volonté en général , eft la puif- fance qu'a l'ame de fe déterminer aux chofes qu'elle connoît , de quelque manière qu'elle s'y détermine. L'expé- rience prouve bien évidemment , que nous avons cette faculté , à laquelle on rapporte tout ce qu'il y a de vrai & de faux dans nos jugemens , 5c tout ce qu'il y a de bon ôc de mauvais dans nos affedions.

La volonté n'eft point réellement dif- tinfte de l'ame j elle n'eft que l'ame même , confîdérée en tant qu'elle fe dé- termine à affirmer ou à nier ce qu'elle connoît comme vrai ou faux , 6c a fuir ou embraiTer c^u elle connoît comme

La Métaphyjîque^ 299

bon ou mauvais. La vérité ^ la bonté font l'objet de la volonté. Il n*y a qu'une action de la volonté à l'égard de la vé- rité : cette adion ell celle par laquelle nous affirmons , qu'il y a un certain rap- port d'égalité ou d'inégalité entre les chofes que nous connoifTons , mais à l'égard de la bonté , il y a deux adions de la volonté , l'une par laquelle nous affirmons que les choies nous convien- nent 5 ou ne nous conviennent pas , & l'autre , par laquelle nous nous unif- fons à elles par l'amour , ou nous nous en réparons par la haine.

La puifTance d'agir propre à Tame , peut être confîdérée de cinq manières , &: divifée en cinq efpèces , qui font Y in- telligence , la raifon , le jugement , la r 0/0/2/^' proprement dite, ôc le libre- ar-' bitre,

V Intelligence confidérée comme une fîmple faculté , eft la puiflTance qu'a l'ame de joindre ou de féparer deux ou plu- fieurs chofes , fuivant qu'elles ont des rapports d'égalité ou d'inégalité néceffai- res 5 ôc connus par eux-mêmes. Affirmer

300 La Métaphyjiquei

que le tout eft égal à fes parties prifes enfemble , & nieu que la partie foit éga- le au tout dont elle eft partie , font des fondions de l'intelligence s le rapport d'égalicé entre le tout & fes parties pri- fes enfemble , & le rapport d'inégalité entre la partie & le tout dont elle eft partie , font deux rapports néceflaires &: connus par eux-mêmes.

La Raifon eft la puifTance qu'a l'ame de joindre ou de féparer deux ou plu- fieurs chofes , fuivant qu'elles ont des rapports d'égalité ou d'inégalité néceftai- res 5 mais qui ne font pas connus par eux-mêmes. Toutes les conclufions des fyllogifmes font des fondions de la rai- fon.

Le Jugement conildéré comme une faculté de l'ame , eft la puiftance qu'elle a de joindre ou de féparer deux ou plu- fieurs chofes , fuivant qu'elles ont des rapports d'égalité ou d'inégalité contiii- gens 5 & non nécelfaires. Affirmer que Pierre eft fçavant , & nier que Paul eft fage 5 font àes fondions du jugement, parceque le rapport d'égalité entre la fcience ôc Pierre , & le rapport d'inéga-

La Métaphysique. 301

liié entre la fageffe & Paul ne font que contingens.

La Volonté proprement dite , eft la puiflTance qu a l'ame de fe joindre aux chofes qui ont avec elle des rapports né- ceflaires de convenance ^ ^ ài^ io. fépa- j:er de celles qui ont avec elle des rap- ports néceiFaires de difconvenance. L'a- mour 5 par exemple , pour le bonheur , te l'averfion pour la misère , font des fondions de la volonté proprement dite , parceque les rapports de convenance & de difconvenance que le bonheur & la misère ont avec nous , font néceflfaires. Le Libre-arhitn eH: la puififance qu'a l'ame de fe joindre aux chofes qui ont avec elle des rapports contingens , èc non néceiFaires de convenance , & de fe féparer de celles qui ont avec elle des rapports contingens de difconvenance. L'amour du travail , &: la hame du jeu , font des fondions du libre-arbitre.

Il eft évident par la nature du libre- arbitre , & du jugement , que l'ame eft toujours libre dans les fondions de ces deux facultés , qui font deux fortes de Yolonté. La liberté des adions humai-

302 La Métaphysique*

nés qui appartiennent à ces deux facul- tés 5 connfte en ce que l'ame affirme ou aime de telle forte , qu'elle retient toujours la puiffance de ne pas affirmer ou aimer j ou d'affirmer & d'aimer le contraire de ce qu'elle affirme , ou de ce qu'elle aime. Les rapports qui font l'ob- jet du jugement & du libre-arbitre , étant contingens , il répugne que ces deux fa- cultés n'agilfent pas librement. Quand je vois , par exemple , qu'un corps eft borné par quatre côtés égaux , j'affirme qu'il eft quarré , de même quand je fens que quelque cliofe me fait du bien , je l'aime , mais je ne l'aime pas néceflai- rement -, elle peut celTer de me conve- nir 5 ôc je puis ceflfer de l'aimer \ ce qui feroit impoffible fi je l'aimois nécelTai- rement.

La Métaphyjïque. 305

De La Liberté,

LA Liberté eft la puiflànce que Tame a de fe déterminer ou de ne fe pas déterminer à quelque chofe ; elle a plus d'étendue que le libre- arbitre , en ce qu'elle embralTè la vérité èc la bonté des chofes 5 & que le libre- arbitre ne regar- de que la bonté, La liberté doit être attri- buée à l'ame , & non pas à la volonté qui eft une de fes facultés , à laquelle il ne convient pas d'attribuer la liberté qui eft auffi une faculté.

L'exiftence de la liberté dans l'hom- me 5 eft fi clairement démontrée par l'ex- périence 5 qu'il n'eft pas poffible d'avoir le moindre doute raifonnable fur cet article. La liberté confifte dans la puif- fance d'agir ou de s'empêcher d'agir. Toutes les adions dont nous avons quel- que idée 5 fe réduifent à ces deux , mou- voir 8>c penfer* Il n'y a perfonne qui ne trouve en foi- même la puifTance d'arrê- ter ou de continuer , de commencer ou d'éloigner quelqu'un des mouvemens du

304 La Métaphyjîque»

corps 5 ou quelqu'une de fes propres penfées , félon qu'il le juge à propos. L'homme eft un agent libre à l'égard de tous les mouvemens & de toutes les pen- fées dont le commencement & la cef- fation dépendent de fon choix , & de la détermination de fon efprit.

Une adtion peut être volontaire fans être libre *, pour être libre 5 il faut qu'il foit au pouvoir de l'homme d'agir ou de ne pas agir , &: que ces deux chofes dépendent de la préférence de fon ef- prit. Dans un paralytique , par exem- ple 5 qui préfère d'être affis à changer de place 3 c'eit une chofe volontaire de demeurer affis, mais ce n'eft pas une chofe libre , parcequ'il n'a pas la puif- fance de changer de place. Volontaire. n'eft pas oppofé à Néccffaire,

Spinofa & Hobbes prétendent que la liberté qu'on attribue à l'homme , eft une chimère , & que fes aélions font auflî néceffaires que les mouvemens d'une pendule. Tous les argumens dont ils fe font fervi pour le prouver , peu- vent être réduits à deux.

Premièrement,

La Métaphyjïque. 3 o y

Premièrement , ils difent que l'ame humaine ne fe détermine point elle-mê- me 5 en vertu d'une faculté qui lui foit inhérente j mais que fa déterminatioa lui vient d'une caufe externe , qui eft déterminée à fon tour par une autre , celle-ci par une troifiéme , & ainfî à l'in- fini -, de même que tout corps qui eft mu , eft mu par un autre corps , ce fé- cond par un troifiéme , 6c ainfi à l'infini.

Secondement , ils foutiennent que l'ame eft matérielle , & que toutes les penfées ne font que des modifications de la matière , qui n a pas le pouvoir de commencer le mouvement , ou de fe donner à elle - même la moindre déter- mination.

Ce que ces Auteurs allèguent contre la liberté de l'homme , attaque également la liberté de Dieu , &c Spinofa l'avoue. Nous avons dit dans le Traité précédent , en parlant de l'immutabilité de l'Etre fuprême , en quoi fa liberté diffère de la liberté humaine. De tout ce qui a été démontré dans la Théologie natu- T:eUe ^ il refaite évidemment , que riea

V

fo6 La Mhaphyfique^

ti'êO: plus âbfurde , ni plus contradictoi- re 5 que de dire , que tout ce qui arri- ve 5 arrive nécelTairement , en vertu d'une chaîne de caufes dépendantes , ôC d'efFers à l'infini , fans caufe indépen- dance ^ première. Nous avons prouvé par les argumens les plus lumineux , .& les plus vidorieux , l'exiftence d'un Etre cternel , indépendant , fouverainement puidant 5 créateur , & caufe première de cous les autres Etres finis j parmi lefquels il y en a qui font des Etres penfans , qui ont reçu de lui le pouvoir de fe déter- miner 5 de vouloir , d'agir , & de vou- loir même quelquefois , ians autre rai- fon que leur volonté. Il n'y a aucun homme fur la terre , qui ne fente quel- quefois qu'il poiTéde cette liberté. Si nous fentons que nous avons le pou- voir de choifir dans certains cas , de com- ïiiencer le mouvement , ôc de le com- mencer du côté que nous voulons ; com- ment peut- on après cela alTurer que nous ne l'avons pas 1

Nous avons aufîî démontré dans le Traité de Dieu , ^ dans celui-ci en par-

La Métaphyjïqueé 307

lant de la nature de Tame , que ce qui penfe , eft néceffairement immatériel. Toutes les raifons des Matérialifles con- tre la liberté , fondées fur les propriétés de la matière , tombent nécelTairement , 6c ne font que de vains fophifmes , quand il eft démontré que l'ame eft fpirituelle , & réellement diftinguée de la matière. Il eft plus abfurde de dire , que le mou- vement 5 la figure , & certain arrange- ment des parties de la matière peuvent produire la penfée , ou la connoiflunce, que de foutenir que le triangle peut être un fon, ôc le cercle une couleur.

Les argumens par lefquels Hobbes & Spinofa tâchent d'anéantir le dogme de la liberté de l'homme , font fuffifam- ment réfutés par tout ce que nous avons dit de Texiftence de Dieu , de fes prin- cipaux attributs , de la nature & de l'ef- fence de l'ame humaine. Il eft inutile de répéter toutes les raifons qui fappent les fondemens de tout ce que ces deux Philofophes ont ofé avancer contre la raifon èc l'expérience , pour prouver que l'homme n'a pas le pouvoir de penfer ^

Vij

3oS La Métaphyjique.

de réfléchir 5 de fe déterminer ^ & de fe mouvoir lui-même.

On objede encore contre la liberté , qu'elle eft incompatible avec la certitu- de de la prefcience divine , & que la vo- lonté de l'homme eft néceffairement dé- terminée par le dernier diciamcn de l'en- tendement.

En parlant de la prefcience dans le Traité de Dieu , nous avons démontre que fa certitude n'eft point contraire à la liberté des a6tions de l'homme , elle eft fondée elle-même fur la réalité de leur exiftence. Il étoit hier , & de toute éternité auffi certainement vrai , que ce qui exifte aujourd'hui , exifteroit , qu'il eft maintenant certain qu'il exifte. La prefcience toute feule n'influe point fur la certitude de chaque événement futur. La prefcience en Dieu , eft la même chofe que la connoiflance ; toutes cho- fes lui font également préfentes : par con- féquent, comme fa connoiflance n'in- flue en rien fur les chofes qui font ac- tuellement 5 fa prefcience ne peut auffi avoir aucune influence fur celles qui &nc à venir. Il n eft pas néceflaire que

La Mltaphyjique. 309

nous puiflîons expUc^per comment Dieu prévoit les adions des agens libres , pour être certains que la fimple prefcience ne peut ni altérer , ni diminuer la liberté d'une adion , qui à tous autres égards feroit libre.

Il eft faux que la volonté foit tou- jours déterminée par le dernier dicta" mcn de l'entendement , qui n'eft autre chofe que la détermination finale d'un homme 5 qui après avoir délibéré, fe réfout à choifir une chofe , ou à ne la pas choifir *, cette détermination eft l'ef- fet de fa liberté. Son choix eft libre ^ parcequ'il eft accompagné de la puiftan- ce de. ne pas choifir le parti qu'il prend. Avant qu'il fe fût déterminé , il avoit certainement le pouvoir de ne pas choifir la chofe, qu'il a préférée *, l'ade ne détruit point dans ce cas la puifiance , qui eft la caufe qui le produit. Un effet prouve évi-> demment l'exiftence de fa caufe , il la dé- truit à la vérité quelquefois , comme il arrive dans un homme qui fe donne la mort ', mais dans le -cas dont il s'agit j l'aâre n'ayant rien de contraire à la puif- fance dont il émane ^ elle fubfifte après

y iii

3 1 9 La Métaphysique^

qu'il a été produit -, l^xidence de cet aâ:e 9 bien loin d'anéantir celle de la puiiTance de qui il la tient , fert au contraire à la manifefler évidemment.

Quand l'homme aime une chofe 5 il l'aime de telle forte , qu'il retient la puif- fance de la haïr -, &: il la haïra en effet , lorfque l'entendement la lui repréfentera comme mauvaife •, ce qui eft polîîble , comme l'expérience le prouve. L'enten- dement humain eft de telle nature 5 qu'il peut repréfenter comme mauvais , les ob- jets qu'il a repréfentés comme bons. Si l'homme qui aime une chofe , retient tou- jours la puiiTance de la haïr , il retient à plus forte raifon la puiifance de ne pas l'aimer -, il eft donc bien évident qu'en l'aimant , il l'aime librement , & que par le dernier diciamcn de l'entendement 5 fa volonté n'eft pas déterminée nécelTaire- niento

La Mitaphyjîque. 311

Article II. Des modifications de VAme,

LEs penfées font les modifications de l'ame. La penfée eft du nombre des chofes qui font clairement connues par le fentiment intérieur , qu'on les obfcur- cit en voulant les éclaiTcir.

Les principales manières de penfer , aufquelles on rapporte toutes les autres 3 fe réduifent à quatre , qui font concc" voir , ju^QT y raifonner ^ arranger ; c'eft pourquoi on diftingue ordinairement quatre fortes de penfëes , fçavoir Vidée ^ le jugement , le raifonnement Se la mé^ thode y dont nous avons traité dans la Logique. Nous nous bornerons dans cet article > à parier de la nature , des caufes. 8c des propriétés de l'idée qu'on ne fçau- roit expliquer à fond , fans avoir aupara-* vant une connoifiTance de la nature, l'ame 8c de fon union avec le corps , qui ont été bien dévelopées dans le Chapitre^ précédent 5 il ne s'agit donc que d'ajoiit^

Y k

3 1 î La Métaphyjîquê*

ici 5 ce qui n'a pas été dit de l'idée dans la Logique.

Ceux qui ne conçoivent rien au-delà de la matière > regardent les idées dans lentendement , à peu près conune l'im- prellion du cachet fur la cire. Les Phi- lofophes qui prétendent que Tame eft matérielle , & que la matière peut pen- fer , expliquent la nature des idées de di- verfes manières s mais toutes ces diverfes opinions font démontrées fauffes & ab- furdes , par les raifons que nous avons rapportées en démontrant l'immatériali- té de l'ame , & en prouvant , qu'il n'y a rien dans la matière qui foit capable de la rendre penfante &: intelligente.

L'ame , félon Leibnits , eft une con* ttntration , un miroir vivant de tout l'Univers , qui a en foi toutes les idées confufes de toutes les modifications de ce monde , préfentes , paffées & futu- res. Il admet quatre efpèces de Mona-» des y qui font des Etres iimples , dont tous les autres font compofés •, ces qua- tre fortes de Monades font 5 i^. les Mo- nades qui foat les élémens de la ma-

La Métaphyfique. 3 1 3

tîère , iP, les Monades dont les bètes font compofées , 3°. les Monades des efprits finis j 4*^. la Monade de Dieu.

Chaque Etre créé , félon ce célèbre Auteur , eft fujet au changement , fans quoi il feroit Dieu ; mais fes altérations , fes déterminations fucceflives , ne peu- vent venir du dehors , par la raifon que cet Etre eft fimple , intangible , & n'oc- cupe point de place , il a donc la fource de tous fes changemens en lui-même , à l'occafion des objets extérieurs -, il a donc des idées. Chaque Etre iimple a un rap- port néceiïàire avec toutes les parties de l'Univers j il a donc des idées relatives à tout l'Univers.

Les Monades qui font les élémens de la matière , n'ont aucune penfée claire. JuQS Monades des bêtes ont quelques idées claires , mais aucunes diftinâes. Les Monades des efprits finis , ont des idées claires , des idées diftinâres , & des idées confufes. La Monade de Dieu ji'a que des idées adéquates.

L'ame eft un Etre fimple 5 créé *, il ne peut donc refter dans un même état , 4i: Leibnits. h^$ corps étant compofés ,

3Î4 La Mêtaphyjîqui*

ne peuvent faire aucune altération dans un Etre fimpie *, il faut donc que les changemens de Tanie prennent leur four- ce dans fa propre nature , fes change- mens font donc des idées fucceflîves des chofes de cet Univers. L'a me a quelques idées claires , mais toutes les chofes de cet Univers font tellement liées entre elles à jamais , &: tellement dépendan- tes l'une de l'autre , félon le même Au- teur , que l'âme a une idée claire d'une de ces chofes , elle a néceffàirement des idées confufes & obfcures de tout le refte.

Ce fyftême fourmille d'abfurdités. Quand même il feroit poflîble que Dieu eût fait tout ce que Leibnits imagine , faudroit-il le croire fur une fimpie pof- iîbilité ? Par tous les efforts qu'il a faits pour prouver fon fyftême , il a marché méthodiquement vers l'erreur , avec le flambeau même deftiné à nous éclairer. En voulant fuivre le principe de la rai- fon fuffifante , il a heurté le grand prin- cipe de la contradiélion. La matière, félon Leibnits , eft divifible à l'infini j comment donc veut-il qu'elle foit corn-

La Mkaphyfique^ 315

pofée d'Etres fimples ? Eft il pollible qu'un compofé n'ait rien de femblable à ce qui le compofe Wl y a une contradiction manifefte entre un Etre iimple &: un Etre étendu. Conçoit- on que l'un puilTe être fait de l'autre 'i Tout ce que cet Auteur dit de fes prétendues Monades choque le bon fens. Celui qui diroit que l'or n'eft qu'un compofé de parties de fer , & que le fucre eft formé des parties conftituantes de la coloquinte , diroit-il quelque chofe de plus révoltant , que ce que dit Leibnits en foutenant , que les Etres penfans & les Etres corporels , les Etres fimples 6c les Etres compofés , font faits des mêmes élémens \ Si les Monades qui font les élémens de la ma- tière 5 ont des idées , la matière eft donc compofée d'Etres penfans. Eft-il rien de plus abfurde qu'un pareil fentiment ? Il eft folidement réfuté par tout ce qui a été démontré de la nature de Dieu & de notre ame *, il eft donc inutile d'en- trer dans une plus ample difcuiïion.

Tous les Philofophes entendent par idée 3 ce qui repréfente un objet à notre.

31^ La Métaphyjique.

cfprit. Il y en a qui définiflènt Tidée ^ l'objet de la perception de l'efprit *, les autres divifent l'idée en idée objcBivc 9 ôc idée formelle,

L'idéQ formelle , eft une modification de l'eiprit , par laquelle un objet eft rendu préfent à l'efprit *, cette idée eft aufîî appellée , perception.

L'idée objeciivc y eft l'objet repréfen- à l'efprit. Quand j'apperçois un trian- gle 5 par exemple , fans rien affirmer , ni rien nier , la penfée qui me repréfen- te le triangle , eft ïïàèQ formelle , & le triangle reprcfenté par cette penfée > eft l'idée objective.

Sentiment du Père Malebranchc

/E crois 5 dit cet Auteur > Chapitre L féconde Partie , Livre troifîéme de la nature des idées , que tout h monds. tombe d'accord ^ que nous n^appercevons point les chofes qui font hors de nous par elles-mêmes. Nous voyons lefoleîl, les itQiks 3 & une infinies d'autres e^-

La Métaphyjique. 317

Jets hors de nous ; & il nejl pas vraU femblahU que rame forte du corps , & qu'elle aille , pour aïnji dire , fe pro- mener dans les deux _, pour y contem" pler toutes ces chofes : elle ne les voit donc point par elles-mêmes , 6* V objet immédiat de notre efprit y lorfqu^il voit lefoleily par exemple , nejl pas le fo- leil 5 mais quelque chofe qui ejl intime- ment unie à notre ame ; & c'ejl ce que j^ appelle idée. Ainji par ce mot idée , je nentens ici autre chofe , que ce qui ejl V objet immédiat , ou le plus proche de V efprit ^ quand il apperçoit quelque chofe.

Le Père Malebranche prétend que notre ame apperçoit fes propres pen- fées 5 & tout ce qui eft dans elle , fans idées. A l'égard des chofes qui font hors d'elle , il elles lont fpirituelles , elle peut les voir par elles-mêmes , & fans idées 5 quoique d'une manière fort im- parfaite *, mais elle ne peut voir les corps , que par des idées qui les repré- fentent. Le foleil , dit-il , que l'on rg- garde ^ n'ejl pas celui que l'on voit , mais celui qui ejl immédiatement uni à

3 1 8 La Métaphyjîque.

rame , & je pourrois le voir quoiqu^il nexifiât pas* Selon cet Auteur, nous voyons toutes chofes en Dieu , dans qui il admet une étendue intelligible ôc in^ finie , qui eft celle que nous apperce- vons , quand nous regardons les corps ; cette étendue eil l'objet immédiat de Tef- prit ; elle eft , pour ain(i dire , le miroir qui nous repréfente toutes les chofes cor- porelles ôc fenfibles. Toutes les parties de l'étendue intelligible peuvent fervir à repréfenter le Soleil , un cheval , un ar- bre 5 de être y dit le Père Malebranche , foleil , arbre , cheval du monde intelli- gible.

Il eft évident que cet Auteur entend par idée , l'objet im.médiat de l'efprit , quand il apperçoit quelque chofe ; Ôc cet objet eft diftingué de la modification de l'ame Se de ce qui frape les fens. L'ob- jet immédiat de Feiprit n'eft autre chofe , que l'étendue intelligible qu'il admet dans Dieu , & dans laquelle il foutienc que nous voyons les corps , qui ne fçau- roient être apperçus par eux-mêmes , foit parcequ'ils ne peuvent être immédiate-

La Métaphyjique» 519

nient unis à l'ame , foit parcequ'on les apperçoit quoique diftans d'elle *, on peut même les appercevoir fans qu'ils exiftcnt : donc les corps ne font point apperçus par eux-mêmes *, ce que l'on apperçoit , étant préfent à l'efprit , doit exifter réel- lement.

Pour réfuter folidement cette opinion , il fuffit de prouver 1°. , qu'on peut ap- percevoir ce qui n'exifte pas réellement , 2°. que pour appercevoir les corps , il ji'eft pas néceflaire qu'il y ait quelque chofe qui nous les repréfeute , & qui foit di fFérente de la modification de l'ame qui apperçoit , 6c de l'objet apperçu.

3 to La Métaphyfique.

Première Proposition.

Four appcrcevoir un objet y il Ti^ejl pas nécejfairc quil exijic réellement.

DÉMONSTRATION,

DIeu a connu la matière Se tons les corps de l'univers avant qu'il eut créé le monde , il ne l'a point pu créer , fans le connoître , il n'a point connu la matière & les corps en ne connoiflant que l'étendue intelligible , qui eft éternelle , néceflaire , indivifible , immobile : elle ne fçauroit repréfenter l'étendue maté- rielle 5 qui eft créée , divifible , mobile ÔC d'une nature bien différente. Dieu a donc connu la matière avant qu'il l'eut créée : une chofe qui n'exifte pas réellement ,

f>eut donc être connue. Nous connoilïons e triangle en général *, il n'cxifte cepen- dant point réellement -, tout triangle réel- lement exiftant , eft déterminé *, il répu- gne que fes angles Se fes côtés foient d'u- ne grandeur indéterminée ; pour apper-

cevoir

La MétaphyJIque, . 3 i ï

cevoir un objet , il n'eft donc pas nécef- faire qu'il exifte réellement: c& quilfaU loit démontrer.

On objede que le rien ne peut être Tobjet immédiat de l'efprit , & que tout ce qui n'esifte pas réellement , n'eft rien. Ce que l'on appeiçcit 5 eft préfent à l'ef- prit ; la préfence d une chofe fappofe fon exiftence : on ne peut donc appercevoir ce qui n'exifte pas réellement.

Ce:te objedion eil des plus frivoles. Le rien proprement dit , eft ce qui répu- gne > qui implique connadidtion , qui ne fçauroit exifter , 6c qui eft: abfolument impoffible. Il ne faut pas confondre ce rien avec ce qui peut exifter, quoiqu'il n'exifte pas actuellement , auquel on don- ne quelquefois le nom de rien. Il eft cer- tain qu'on ne peut appercevoir ce qui eft abtolument impcfiible *, mais tout ce qui n'exifte pas aduellement, peut être ap- perçu 3 s'il ne répugné pas , & s'il eft pof- fib'e qu'il exifte. Le monde n'exiftoit pas avant que Dieu l'eut créé , néanmoins il le connoiftoit : ce qui n'exifte pas réelle- i^aent peut donc être l'objet immédiat de

X

5 12 La Mitaphyfque.

refprit, & lui être préfent j cetre préfen- ce n'eft pas une préfence réelle & indé- pendante de la penfce ; c'eft une préfen- ce qu'on nomme objective , qui ne fup- pofe que la poflibilité de i'exiftence réelle , & indépendante de la penfée. Avant que Dieu eut créé le monde , il lui étoit ob- jedivement préfent , parcequ'il étoic Tobjet de la connoilTance qu'il en avo'it , & tout ce que l'on cpnnoît , eft objedti- vement préfent à l'efprit.

Seconde Proposition,

Tout appercevoîr les corps , il n\fl point nécejj'alre quily ait quelque chofe qui les repréfente ,' & qui f oit dijlingué de r objet apperçu , & de la modification de refprit,

DÈMONSTRA TION,

IL ne faut point admettre ce qui eft inutile & inintelligible ; tels font les Etres repréfentatifs des corps. Première^

La Métaphyjique. 3 1 j

ment , ils font inutiles ; car en les admet- tant 5 l'elprit ne peut appercevoir les corps fans la perception , qui eft une mo- dification ^e Tame *, bc cette perception ne dépend point de l'exiftence réelle de fon objet , puifque Dieu a connu la ma- tière avant qu'il l'eut créée : il eft donc inutile d'admettre un Etre repréfentatif de l'objet connu , diftingué de cet objet ôc de la perception ou modification de l'âme.

Secondement , ce qui repréfente les corps eft mintelligible , c'eft, félon le Père Malebranche , une étendue éter- nelle 5 nécefiàire , indivifible , immobile : nous avons démontré , en parlant de Tim- menfité de Dieu , qu'une telle étendue répugne & implique contradidion. N'eftr il pas évident que cette étendue n'ayant rien de femblable a l'étendue matérielle, qui eft contingente , divifible , mobile , elle ne fçauroit jamais la repréfencer 1 l'é- tendue que le Père Malebranche appelle intelligible , eft réellem.ent inintelligible; d'ailleurs elle eft inutile : donc il ne faut pas l'admettre , ni la regarder comme ce 'jqui nous repréfente les corps. Lqs Jimu-

X ij

3 14 -^^ Métaphyjique^

lucres qui nous font appercevoir les corps, félon, lés Epicuriens , luppofent que l'ame eft matérielle *, &: les eipèces imprej[fes Se expnffes , dojat fe fervent les f énpatéti- ciens pour expliquer comment nous ap- percevons les chofes matérielles & fenh- bles 5 ne font pas moins ridicules , ni monis abfurdes que l'étendue intelligible : donc pour appercevoir les corps, il n'eft point néceiTaire qu'il y ait quelque chofe qui les repréfente , & qui foit dittingué de l'objet apperçu & de la modification de l'efprit : ce qu'il falloït démontrer,

il eft conftant , par tout ce que nous avons dit en parlant de l'immortalité de Dieu 5 ôc de la nature de notre ame , qu'il ' n'y à point d'étendue éternelle , nécef- faire , indivifible , immobile , & immaté- rielle. Tout ce qu'a dit le Père Malebran- che pour prouver fon fentiment fur la na- ture des idées > fuppofe l'exiftence d'une étendue dans Dieu , qui foit immaté- rielle 5 indivifible , immobile , incréée & éternelle *, par conféquent toutes \qs rai- Ions dont il s'eft fervi ., font fappées par i^ fondemens > ôc il eft inutile de s'arrc-

La Metàphyjîque* j^l

ifer à les réfuter en détail. L'ame n*a be- foin 5 ni de l'étendue intelligible du Père Malebranche , ni des fimuiacres des Epicuriens , ni des efpèces des Péripatéti- ciens 5 ni d'aucune forte d'image qui lui repréfente les corps 5 pour les apperce- voir 5 il fuffit qu'elle foit modifiée d'une certaine façon, & l'idée coniidérée du coté de'l'ame, n'eft autre chofe que cette modification qu'on nomme aufli j^ercep-» îion.

Il nous refte à parler de la caufe effi- ciente (Je l'idée ;, ôc à prouver qu'il faut néceiïairementreconnoître Texiftence des idées innées.

De ce qui vient d'être démontré de la nature de l'idée , il s'enfuit évidemment que les corps ne peuvent être la caufe effi- ciente de l'idée , elle efl: une modifica- tion de l'ame qui eft une fubftance fpiri- tuelle ô< immatérielle : elle ne peut donc être l'effet d'une fubftance corporelle. Il n'eft pas moins évident que l'ame ne pro- duit pas fes idées *, elle en a fouvent qu'elle ne voudroit pas avoir , Se nous ne fentons dans nous aucune adion par la-

X iij

^i6 La Métaphyjlque.

quelle notre ame forme fes idées : Dieu eil donc la caufe efficiente de nos idées.

Les idées que Dieu a données à notre ame en la créant , s'appellent innées. Quoique l'exiftence de ces idées ait été- démontrée au commencement de la Théo- logie naturelle , en parlant de l'idée que nous avons de Dieu , nous allons tâcher de mettre cette vérité dans un plus grand jour , en répondant aux raifons de ceux qui prétendent que toutes nos idées nous viennent par les fens , bc en faifant fentir tout le danger des conféquences qui fui- vent nécelTairement de cette opinion , que bien des Philofophes adoptent faute d'en voir les fuites.

On ne peut rejetter les idées innées fans fournir des armes vi(Storieufes aux ennemis des vérités les plus importantes de la Religion Ôç de la Morale. Il n'eft pas étonnant que Loke qui combat avec tant d'acharnement l'exiftence de ces idées 5 prétende qu'il n'y a aucune no- don du bien 6c du mal commune à tous les hommes. S'ï\ avoit été perfuadé qu'il y a des idées innées , il n'auroit pas cru fi légèrement que difent certains Voya.*

La Métaphyjique* 3Z7

geurs , qui rapportent que dans certains pays , la coutume eft de manger les enfans, &:de manger aufli les mères , quand elles ne peuvent plus e ngendrer *, il n'auroit pas manqué de tenir leur relation pour luf- pede. Il n'ignoroit pas , que de Siam jufqu'au Mexique , la vérité , la recon- noiifance , l'amitié font en honneur. Il fçavoit parfaitement , que rien n'efl fi commun parmi les hommes , que de mal voir , de mal rapporter ce qu'on a vu , de prendre , fur- tout dans une Nation dont on ignore la langue , l'abus d'une loi pour la loi même *, 6c enfin de ju- ger des mœurs de tout un peuple , par un fait particulier , dont on ignore en- core les circoiiftances.

De ce que certains Voyageurs difent , qu'il y a des Sauvages qui mangent leurs pères & leurs mères , il n'en faut pas con- clure j qu'ils n'ont aucune notion du bien & du mal. En fuppofant la vérité du fait 5 qui eft fort douteux , il y a tout lieu de croire , que c'eft une façon bar- bare de marquer leur tendreffe , un abus horrible de la loi naturelle. Cette cou-

X iy

jzS La Métaphyjîque.

tume , toute effroyable qu'elle eft , vient poi/rtant de la bonté du cœur ^ car on ne tue Ton père & fa mère , que pour les délivrer , ou des incommodités de la vieillefTe , ou des fureurs de l'ennemi , èc on leur donne un tombeau dans le fein filial , au lieu de les laiffer manger par des vainqueurs. Le Barbare qui en ufe ainfi , louhaite que fon fils le traite de même en cas pareil.

Le défaut d'idées innées entraîne né- cefiairement la privation de toute con- îioiiTànce du bien Se du mal commune à tous les hommes ; cette opinion enlevé à la raifon la preuve la plus forte & la

Î)lus convaincante de l'exiftence de la oi naturelle. Si l'ame , avant toute ac- tion des fens , n'eft qu'une table rafe , tabula rafa > comme le prétend Loke , comment peut-il fe faire qu'on connoifiè dans tout l'Univers cette loi , fais ce que. tu voudrois qu'on te fît ? La loi de traiter fon prochain comme foi- même , qui fe fait entendis tôt ou tard au cœur de tous les hommes , eft une loi de la nature , qui découle d'une idée innée du bien ôc en mal j en conféquence de laquelle.

La Métaphyfique. 319

dans toute fociécé on appelle du nom de venu y ce qu'on croit utile au bien com- mun.

Il y a dans l'homme une difpofition naturelle à vivre en fociété , & un fen- timent d'humanité généralement répan- du 5 qui le porte naturellement à la com- paflion 5 & que le Chriftianifme perfec- tionne 5 & tourne en vraie charité. Il eft certain que la régie naturelle varie à l'infini -, mais qu'en conclure , finon qu'elle exifte fous des formes différentes en divers pays 1 Les diverfes formes que reçoit la matière , n'empêchent pas qu'elle ne retienne par tout fa nature.

On tâche en vain de prouver qu'il n'y a point de régie naturelle 5 en difant qu'à Lacédémone le larcin étoit ordon- né \ ce n'eft qu'un abus des mots. La même chofe que nous appelions larcin ^ n'étoit point commandée à Lacédémo- ne y mais dans une ville tout étoit en commun , la permifïîon qu'on don- noit de prendte habilement ce que des particuliers s'approprioient contre la loi , étoit une manière de punir Tefprit de

3 30 La Métaphyjïqut»

propriété défendu chez ces peuples. Le tien & le mien étoit un crime , dont ce que nous appelions larcin étoit la pu- nition.

CHAPITRE II I.

D& Vori^ïm <S* d& l'immortalité de. rame.

CE qui concerne l'origine & Tim- mortalité de Tame , mppofe ce qui a été dit dans le premier Chapitre de cette troidéme Partie de la Metaphyfî- que , nous avons expliqué quelle eft la nature & l'elTence de t'ame. Nous di- viferons ce Chapitre en deux articles , dans le premier , nous examinerons qu elle eft l'origine de l'ame , & dans le fécond nous traiterons de fon immor* talité.

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La Màaphyfique. 331

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Article Premier. D& Vorï^ïnt de l'amc,

ON peut réduire les origines des cho- fes à deux efpèces , qui font la création ôc génération. Tout ce qui eft formé de quelque chofe qui exiftoic auparavant, tire fon origine de la gé- nération -, Se tout ce qui exide , fans avoir été formé de quelque matière préexiftante , a pour origine la création. Les Athées nient la pofîibilité de la créa^ tion \ le contraire a été bien folidement ôc; bien clairement prouvé dans la Théo- logie naturelle ," nous avons démon- tré que Dieu eft Créateur de tous les Etres penfans &C non-penfans , fpirituels ôc corporels : cette vérité a été mife dans la plus grande évidence.

Il n'y a point de contradiction dans la création. Créer , c'eft donner l'exif- tence à une chofe qui ne l'avoit point auparavant •, cela n'eft pas plus contra- dictoire que de dire , qu'un Etre qui

151 La Métaphyjique^

avoit une certaine forme , en reçoit une nouvelle. Il eft vrai qu'étant accoutu- més â ne voir que des produdions par voie de génération , &: n'ayant jamais vu de création , nous fommes portés à nous faire une idée de la création toute fem- blâble à celle de la génération , qui eft une production d'une chofe formée d'unç matière préexiftante.

Les Philofophes qui difent que Tame eft matérielle , prétendent qu'elle tire fon origine des pères & des mères , com- me le corps , & qu'elle fe perfedionne peu-à-peu , à mefure que le corps achevé de s'organifer dans le fein de la mère ; la principale raifon dont ils fe fervent pour prouver leur fen riment , eft que, tous les animaux 8c toutes les plantes font évidemment des effets de la géné- ration 5 de même que toutes les autres productions de la nature.

Ce fentiment eft fuffifamment réfiité par ce qui a été démontré de la nature & de l'eifence de l'ame. Il répugne qu'un Etre fimple , indivitible & penlant , foit formé & compofé de particules qui exiC

La Métapkyjîque. 333

î»Jent auparavant. D'£ ce que toutes les productions de la naoure fe font par voie de génération , l'on n'en fçauroit con- clure qu'une fubftanxe fpirituelle 6c im- matérielle 5 telle que l'ame , eft produite de la même manière > puifqu'il eft im- poflible que ce qui penfe foit maté- riel.

Quelques Philofophes ont foutenu , que l'ame humaine n'eft d'abord que vé- gétative 5 & femblable à celle d'une plan- te , qu'enfuite elle de^âent fenfitive en fe perfectionnant 5 & qu'enfin elle eft rendue raifonnable par la coopération de Dieu.

Cette opinion fuppoAî la matérialité de l'ame. Si l'ame raifoanable eft la mê- me que la végétative & la fenlStive , mais plus épurée j n'eft-il pas (évident qu'elle eft nécefTairement matérielle î Conçoit- on qu'une chofe corporelle puifle deve- nir incorporelle \ La fuG ceflion de ces trois âmes eft d'ailleurs coiatraire à la nm- liière fîmple dont Dieu agit.

La connoiftance que nous avons de la nature de l'ame , nous manifefte (évidem-

334 ^^ Métaphyfque.

ment fon origine. Il eft de la dernière évidence , qu'étant immatérielle , fïmple & fans parties , elle ne peut être faite d'une matière préexiftante j il faut donc néceflairement qu'elle foit produite par création , &: qu'elle ne tire fon origine d'aucune chofe préexiftante , dont elle foit compofée.

Platon 5 Pythagore & les Philofophes Chaldéens ont cru , que toutes les âmes avoient été créées au commencement du monde , fans avoir été unies à des corps , & que l'union de l'ame au corps , eft la punition du péché qu'elle a commis en faifant un mauvais ufage de fa liber- té , & en contrevenant d la volonté de fon créateur. Ces Philofophes prouvoient leur fentiment , en difant qu'il étoit con- traire à la juftiçe divine , que des âmes innocentes fuiîent fujettesà tous les maux inféparables de cette vie. Cette raifon eft plus fpécieufe que convaincante , pour ceux qui ne font éclairés que des feu- les lumières naturelles" , & qui ignorent ce que foi nous enfeigne touchant le péché originel. Peut-on dife qu'il eft con- traire à la juftice de Dieu , de vouloir

La Mctaphyjîque. 335

que les créatures intelligentes ne parvien- nent à la félicité éternelle , qu'il ne leur doit point 5 qu'après l'avoir en quelque forte méritée par des fouffrances tempo- relles , qui n'ont aucune proportion avec les biens éternels , dont il récompenfe les maux qu elles ont fupportés patiem- naencî

Les Platoniciens prétendoient , que nous ne fçavons rien que par réminif- cence , & que toute la fcience des hom- mes n'eft qu'un fouvenir de quelques- unes des connoiffances que leur ame avoir avant qu'elle fût unie au corps , & dont Dieu permet qu'elle fe fouvienne , après les avoir oubliées dans le moment de fon union avec le corps.

Ce fentiment eft inloutenable. Il ré- pugne que l'ame fe fouvienne de quel- ques-unes des connoinfances qu'elle a eues 5 dans l'état elle étoit avant que d'être unie au corps , ^ qu'elle n'ait au- cun fouvenir de cet état. Eft- il pofîible xjue quelqu'un fe fouvienne de ce qu'il a vu à Rome , par exemple , fans fe fou- venir d'avoir été à Rome , 6c fans a voie

33^ La Métaphyjfque.

aucune idée de la ville de Rome "i Y a^ t-il quelqu'un qui fe fouvienne de ce qui a précédé la vie préfente 1 II eft donc ridicule de dire que l'ame a exifté avant le corps 5 qu'elle a été créée avec le mon? de 5 &: que notre fcience n'eft qu'une ré- minifcence de certaines connoifTances qu'elle a eues avant qu'elle fût unie au corps , & dont elle a été privée dans l'inftant de cette union.

Article II. De. r immortalité de Vame*

LE mot à'immortcl eft très-équivo- que : il fîgnifie quelquefois ce qui exifte nécelTairement éc indépendamment de tout autre •> dans ce fens-là , il n'y a que Dieu qui foit immortel.

Un Etre peut être immortel par rap- port à fa fubftance , ou par rapport â quelqu'un de fes modes. Il eft immor- tel , quant à la fubftance , lorfqu'il exif- tera toujours *, telle eft la matière. Il eft

immortel

La Métaphyfique. 337

Immortel quant au mode , lorfqu'il doit toujours exifter d'une certaine ma- nière 5 c'eft-à-dire toujours vivre , com- me Dieu & l'ame humaine. La queftion n'eft pas de fçavoir li l'ame eft immor- telle quant à la fubftance , mais quant au mode *, c'eft-à-dire , li elle meurt avec le corps.

Il faut bien diftinguer Têtre abfola de l'ame , de fon être relatif. L'ame eft ce qui penfe dans l'homme ; ce qui pen- fe dans nous peut être conlidéré en lui- même 5 & félon fon être abfolu ^ ou feulement du côré du corps , bc félon fon être refpedtif , qui eft le rapport de l'efprit au corps avec lequel il eft uni. Quand on demande l'ame eft immor- telle 5 il ne s'agit pas de ce rapport , qui dépend efiTentiellement de l'union de l'ef- prit & du corps 5 il eft conftant que cette union ceile quand Thomme meurt : ce rapport périt entièrement pour lors , &: l'efprit ceiTe d'animer le corps.

La queftion de Timmortalité de Tame regarde uniquement Tame confidérée en elle-même , 6c félon fon être abfolur

Y

538 La Métaphyjîque.

Quand on dit que Tame eft immortelle , CQ entend Amplement qu'elle ne meurt pas avec l'homme , 6c qu'elle ne perd pas par cette mort toutes fes facultés com- me le corps.

L'ame confidérée félon fon être ab- folu 5 dépend de Dieu qui l'a créée , ÔC qui lui conferve à chaque inftant l'exif- tence qu'il lui a donnée par la création ; il peut abfolument la faire rentrer , pour ainfî dire , dans le néant d'où il l'a tirée : mais cette dépendance n'a rien de conr traire à l'immortalité qui lui convient félon fon être abfolu \ elle coniîfte en ce qu'elle continuera toujours d'exifter avec les facultés qui lui font propres , 6c qui ne dépendent pas de fon union au corps 5 fans qu'il foit poffible de con- cevoir qu'elle puiflè être détruite par au- cune fubftance créée , ni par aucune cau- fe naturelle : c'eft ce qu'il s'agit de prou- ver 3 pour démontrer qu'elle eft immor- telle.

^

La Métaphyjique. 339

Proposition.

Uame, cji îmmortelU,

Première De'monstration»

SI l'ame ne meurt pas avec le corps , elle n'eft pas dépouillée de toutes fes facultés par la mort de l'homme ^ s'il eft impoffible qu'elle périiTe par la dif- folution de fes parties , & qu'elle foie détruite par quelque fubftance créée , & par quelque caufe naturelle , il eft conf- tant qu'elle eft immortelle 5 or l'ame ne meurt pas avec le corps , elle n'eft pas dépouillée de toutes fes facultés par la mort de l'homme *, elle ne fçauroit périr par la diftblution de (qs parties , ni être détruite par quelque fubftance créée , ou par quelque caufe naturelle.

Premièrement , l'ame ne meurt point avec le corps , elle n'eft pas dépo'iillée de toutes fes facultés par la mort de T hom- me. Elle eft immatérielle 5 fcn effènce & fa vie confiftent dans la penfée , qui

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34© ^^ Métaphyjîque»

eft totalement indépendante du corps. Les facultés de l'ame font les diverfes manières dont elle peut penfer *, on les rapporte toutes à deux générales , qui font V entendement ou la puiifance de connoître , & la volonté ou la puilïance de vouloir , qui eft une fuite de la pre- mière. Nous avons démontré qu'il répu- gne que la matière ou le corps penfe, &: que ce qui penfe foit macériel ou cor- porel -, la penfée qui eft reflfence & la vie de l'ame eft donc tout- à- fait indé- pendante de la matière & du corps. L'en- rendement & la volonté ne font que l'ame même , en tant qu'elle connoît & qu'elle veut 5 qui font deux manières de pen- fer : donc les facultés de l'ame font aulîî indépendantes du corps. Elle ne perd par la mort du corps de l'homme , que les facultés qui dépendent de fon être re- latif , c*eft-a-dire , de fon union avec le corps 5 & qui ne font pas effentielles à fon être abfolu , à la nature de l'efprit & de la fubftance penfante *, telles font les facultés de fentir , d'imaginer , d'avoir <les pallions , de mouvoir le corps : elle ces facultés durant cette vie ? que

La Métaphyjique: 341

parcequ*il a plu à Dieu de les lui accor- aer , fuivant les loix de fon union avec le corps. L'ame féparée du corps retient fbn eflence , fa vie , d>c toutes les fa- cultés indépendantes de cette union j elle conferve , par exemple , les facultés de connoître &: d'aimer Dieu , de fe con- noître & de s'aimer foi-même , & gé- néralement toutes celles qui font une fuite néce(raire de la nature de l'efpric 5c de la fubftance penfante.

La mort détruit tout ce qu'il y a de modal dans l'homme , fans toucher a ce qu'il y a de fubftantiel , qui eft elTen- tiellement incorruptible , qui tient fon exiftence de la création , & qui ne peut périr que par l'anéantilTement. La more détruit l'homme , en détruifant le com* pofé dans lequel confifte l'eflence de l'homme qui réfulte de l'union de l'ef- prit & du corps j en détruifant le rapport que l'efprit avoir avec le corps , & tou- tes les modifications qui rendoient le corps vivant , & propre à être uni avec l'efprit •, mais elle ne touche point à l'ef- prit ni au corps confîdérés en eux-mê- mes. L'étendue qui eft l'attribut effen-

Yiij

54^ J^^ Métaphyjîque.

tiel du corps , fubiifte après la mort de l'homme *, par conféquent , l'on eft obli- gé de reconnoître que la penfée , qui cft l'attribut effentiel de l'efprit , la vie de l'ame , & le principe de fes facultés , ne perd pas l'exiftence par la mort du corps de l'homme : donc l'ame ne meure pas avec le corps de l'homme , & n'eft pas dépouillée par cette mort de toutes ÏQS facultés.

Secondement , il eft impoffible que Tame périfiTe par la diflolution de fes par- ties 5 Se qu'elle foit détruite par quelque fubftance créée , & quelque caufe natu- relle. L'ame eft une fubftance immaté- rielle 5 qui n'eft point compofée de par- ties. Il eft évident que ce qui ne peut être divifé , ne peut fe corrompre , ni fe réfoudre en vapeurs , ou en fumée , ni périr par la diflolution de fes parties. Il n'eft pas moins évident que ce qui eft fimple & fpirituel , ne peut ctre dé- truit par quelque fubftance créée j & par quelque caufe naturelle. Rien n'eft détruit par quelque caufe naturelle , que ce qui eft divifible -, les caufes créées & naturelles ne détruifent rien ^ fans dif-

La Mêtaphyjîquem 343

foudre la tilTure des parties de la ma- tière qui fubfifte après cette diflblution : elles ne détruifent que les modes , & la fubftance refte après cette deftrudion ; comme lorfqu'on brife une horloge , il n'y a point de fubRance détruite , quoi- qu'on dife que l'horloge eft détruite. L'ame étant indivifible , elle ne peut être détruite par aucune caufe créée Ô^ naturel- le. Toutes les caufes créées & naturelles , que nous connoifTons par les lumières de la raifon , fe réduifent à la fubftance fpirituelle & a la fubftance corporelle, L'ame étant immatérielle , (impie & fans parties , elle ne peut être détruite que par l'anéantiflement. L'ame ne peut s'anéantir elle-même , ni être anéantie par une autre ame , ou par quelque corps. Le pâiïage de l'être au néant eft aufîi im- poflible aux forces ordinaires de la na- ture 5 que celui du néant à l'être. N'eft- il pas de la dernière évidence , qu'il n'y a point de caufe créée & naturelle qui puifte tirer une chofe du néant. La fubf- tance exifte en elle-même , & il eft de fon elfence d'exifter indépendamment de toute autre fubftance créée. Quand l'hom-

Y iv

344 -^^ Métaphyjique*

iTie meurt , Dieu n'anéantit point la ma- tière du corps , il n'anéantit pas non plus l'ame *, tout ce qu'il y avoit de fubftan- tiel dans l'homme , refte après fa mort. Il eft donc confiant , que l'ame ne fçau- roit périr par la difiToliïtion de fes par- ties , ni être détruite par quelque mbf-f tance créée & naturelle *, il n'eft pas moins confiant , qu'elle ne meurt point avec le corps 5 &: que par cette mort elle n'eft point dépouillée de toutes fes facultés ; donc elle eft immortelle : Cf qu'il fal-^ loit démontrer.

Seconi>e démonstration.

LA deftrudlon d'une fubftance n'emr porte pas la deftrudion de l'autre , fur-tout quand, elles font d'une naturç îout-à-fait différente 5 comme l'ame & le corps. L'çxpérience nous apprend que l'ame a fes intérêts féparés de ceux du corps 5 dans temps même qu'elle lui eft unie , ce qui l'amufe & lui plaît , nuit quelquefois au corps, Un homme , pa;c

La Mitaphyfique. 345

exemple , qui dérange fa fanté par une étude trop affidue 5 contente fon efprit \ ce qui eft une marque vilîble de la pof- iïbilité de la défunion de ces deux fubf- tances. Ciceron , dans fon excellent Trai- té de la vieillelTe , dit , que quand on voit ce qu'il y a d'aciivité dans nos ef- prits 9 de mémoire dupajfé y de prévoyan- ce de l'avenir ; quand on conjidere tant de fciences y de découvertes ils font parvenus , on doit être pleinement per- fuadé a qu'une nature qui a en foi U fonds de tant de chofes , ne fçauroit êtr^ mortelle. D'ailleurs une fubftance n'eft appellée détruite , que par la difTolution de fes parties j donc la deftrudion de la fubftance corporelle n'entraîne pas celle de la fubftance fpirituelle , iimple , qui ne fçauroit périr par la difTolution. de fes parties. Quand l'homme meurt, la fubftance de fon corps ne périt point entièrement. Toute la matière donjc il croit compofé , fubfifte après la deftruc- tjon des modifications qui le rendoient propre à être uni à l'ame , èc animé par •elle : donc la fubftance de l'ame n'^ft pas détruite avec celle du çotps : donc l'ame

3 /{.S ' La Métaphyjiqut.

furvit au corps : donc elle eft immortelle ; ce qu'il falloït démontrer»

Troisie'me De'monstration.

SI l'immortalité de l'ame eft une fuite nécefTaire de l'exiftence de Dieu , l'ame eft immortelle , parcequ'il a été démontré que Dieu exifte ; or l'immor- talité de l'ame eft une fuite néceftaire de l'exiftence de Dieu. Un Etre infini- ment bon 5 infiniment jufte , infiniment puifTant , en un mot , fouverainement parfait , peut-il avoir créé l'homme pour le rendre malheureux ^. Ne lui auroit-il donné le defir de la félicité oc de l'im- mortalité qu'il a gravé dans fon cœur, que pour le tromper > Si l'ame humaine n'eft pas immortelle , les créatures deftituées de raifon , qui jouiftent du préfent fans inquiétude fur l'avenir , ne font-elles pas plus heureufes mille fois que les créatu- res intelligentes 1 La raifon , la prévoyan- ce 5 le difcernement du bien & du mal , ^ toutes les autres facultés qui élèvent

La Métapkyjîque. ^Jfj

fi fort les hommes au-deffus des bêtes ne fervent qu'à remplir leur vie d'amer-* tume par le chagrin , l'incertitude , la crainte d<. l'inquiétude qu'elles leur don- nent pour des chofes qui n'arriveront ja- mais. Le fort des méchans n'eft-il pas préférable à celui des hommes vertueux ? Quel avantage peuvent-ils tirer de l'ob- fervation exade des régies de l'équité, de la juftice , de la bonté , de la piété , &: de toutes les vertus qui tendent par une conféqnence direde &: naturelle au bien général ? N'eft-il pas de l'elTence d'un Etre infiniment bon , de vouloir rendre les hommes heureux > Dira-t-on qu'il ne le peut pas 1 11 eft tout-puif- fant 5 & il peut tout ce qui n'implique point contradidtion. Eft-il plus difficile de conferver l'ame éternellement , & de refTufciter le corps auquel elle a été unie , que de tirer du néant tout ce qui a été créé ? Il eft donc conftant que Dieu veut & peut rendre l'ame immortelle. D'ail- leurs n'eft-il pas évident qu'il répugne, que cet Etre défende aux hommes de faire le mal , & leur ordonne de faire le bien , fans récompenfer ceux qui font

348 La Métaphyjique,

fa volonté , ôc fans punir ceux qui vio- lent fes commandemens ^ Il n'y a poini dans ce monde de diftin6tion fuffifante entre le vice & la vertu , les gens de bien ne reçoivent pas , pour l'ordinaire , la récompenfe qui leur eft due , ni les fcélérats la punition qu'ils méritent. La Providence ne paroît prefque point s'in- lérefTer pendant cette vie à la protedtion des juftes ; ils font fouvent envelopés dans les mêmes calamités que les cou- pables. Le bonheur & la profpérité des méchans dans cette vie , eft une preuve invincible qu'elle eft fuivie d'une autre , oii Dieu manifefte l'extrême différence que fa juftice met entre ceux qui obéif- fent à fes loix , & ceux qui foulent aux pieds fa volonté. L'état à venir de peines & de récompenfes , eft évidemment une fuite nécelfaire de l'exiftence d'un Etre infiniment jufte , infiniment bon , infi- niment puiifant 5 & fouverainement par- fait. Nier l'immortalité de l'ame , c'eft tomber de conféquence en conféquence dans le pur Athéifme *, l'immortalité de l'ame eft inféparable de l'exiftence de Dieu 3 qui a été fi clairement 6c fi foU-

La Mètaphyjîque. 349

dément démontrée dans la féconde Par- tie de la Mécaphyfique : donc l'âme eft immortelle : ce qu'il falloït démontrer.

L'immortalité de Tame peut encore ctre prouvée par le confentement des fça- vans & des ignorans , des peuples les plus civilifés & les plus barbares de tous les iîécles oc de tous les pays du monde -, cette tradition eft fi ancienne & ii uni- verfelle , qu'il n'eft pas polîible qu'elle doive fon origine à une autre caufe qu'a l'auteur même de la nature. Cyrus par- lant à fes enfans , quelques heures avant fa mort , dans le beau difcours rapporté par Xénophon , dit , Je ne fçaurois în imaginer que Vame vive tandis qu'elle, eji dans ce corps mortel , & quelle cejjï de vivre dès le moment quelle en ejifé- parée. Je ne fçaurois me perfuader qiu Vame , lorfquelU cejfe d'être unie au corps qui n'a point de fentiment , en foit elle-même privée dans le même inj^ tant. J'ai au contraire plus de penchant à croire , qu alors Vefprit devient plus pénétrant.

Nous n'avons pas encore y dit Pk-

3 5 o La Métaphyjîque.

ton , * fait mention des plus conjidéra^ blés récompenfes propofées à la vertu ^ car qu^y a-t-il qui puijfe être véritable^ ment grand y tandis qu'il ejl renfermé dans les bornes étroites du temps ? La plus longue vie neft rien en comparai- fon de V éternité. Dans un autre endroit du même livre , il dit : Toutes ces cho^ fes 5 foit qu'on en conjiderc le nombre .j foit qu'ion en conjîdere la grandeur y ne font rien en comparaifon de celles qui font réfervées à Vhomme après la mort. Les plus fenfés d'entre les Païens , dans l'attente d'un heureux avenir , foufFroienc patiemment les maux de cette vie , & fur-tout ceux que leur vertu leur atti- roit. Dans cette perfuajion , dit Cice- ron > *^ Socrate accufé d'un crime capi- tal y ne fe mit pas en peine d"* avoir des Avocats pour plaider fa caufe , ni d'' em- ployer la faveur des Juges : au contraire ayant pu , quelques jours avant fa mort , sUchaper de la prifon y il ne voulut

* De Republica , lib, X,

La Métaphyjlque. 351

pas profiter de Voccafion ; & le dernier jour de fa vie fut employé à raifonner fur cette matière.

Le confentement général de toutes les Nations fur une chofe , doit être regar- dé comme une loi de la nature , fur-tout quand il ne tire pas fon origine des fens ^ or tous les peuples ont toujours reconnu l'immortalité de l'ame *, ils n'ont jamais été partagés , que fur ce qui regarde l'état des âmes après cette vie , le lieu qui eft deftiné pour leur demeure , 6c les autres circonftances de la vie future , à laquelle tout le monde s'intérefTe natu- rellement. La fatale félicité des méchans , &: la fauilè fécurité des incrédules fe dif- fîpent comme un fonge , lorfqu'ils font prêts à pafTer de cette vie à l'autre , ils fentent alors le peu de folidité des ar- gumens qu'ils fe faifoient à eux-mêmes , pour fe rendre fourds à la voix de la nature , qui cherchoit à les éclairer fur îa vérité importante de l'immortalité.

Le defir qu'ont les hommes fages de s'im- mortalifer , doit être mis au nombre des preuves de l'immortalité de l'ame. Se por-

3 5 i La Métaphyfique*

teroit-elle (i fort d'elle-même , & comme par un inflindt naturel vers l'immortalité, îi elle n'y étoit pas deftinée par la nature? Peut- on croire , que Dieu aie créé un Etre aufïi noble -, pour remplir les feu- les fondions qu'il fait ici-bas \ Il faut vouloir ne point faire ufage de fa rai- fon , pour croire qu'un Etre capable d'examiner toutes les queftions que nous avons traitées , ne foie deftiné qu'à vi- vifier pendant quelques années un vil morceau de matière organifée.

Comme il ne s'agit que des preuves pbilofophiques que nous pouvons avoir de l'immortalité de l'ame , l'on ne doic point être furpris , de ne pas trouver ici les argumens vidorieux que fournit la révélation. Nous avons principalement en vue les Incrédules , qu'on ne peut fub- juguer que par les armes de la raifon , & dont la converfion eft bien plus diffi- cile que celle des Hérétiques. Pour ache- ver de confondre les partifans de la mor-_ talité de l'ame , il eft nécelTaire de ré- futer les argumens dont ils fe fervent pour étayer leur 'incrédulité.

Solution

La Métaphyjtquiê 353

Solution des objections:

COmme les principales raifons que les ennemis de l'immortalité de l'ame mettent en œuvre pour établir leur opinion , fuppofent que l'ame eft maté- rielle 5 elles font pulvérifées par les dé- inonftrations de fon immatérialité , nous pourrions donc nous difpenfer d'y répon- dre 5 après avoir il clairement & fi fo- lidement prouvé , que l'ame n'eft point compofée de parties , qu'elle n'a ni lon- gueur 5 ni largeur , ni profondeur y ni rien de matériel èc de corporel : néan- moins pour difîiper tous les nuages qu'ils tâchent de produire dans les efprits , par des objeétions plus fpécieufes que foli- des 5 il eft important d'en manifefter la frivolité.

On obje6te , que Tame naît , croît , prend des forces , s'affoiblit , vieillit avec le corps 5 & que leur alliance eft fi étroi- te , qu elle les afïùjétit aux mêmes chan- gemens. L'expérience ne prouve- 1 -elle

Z

3 54 -^^ Métaphyfique»

pas 5 que les maladies du corps troublent lame dans fes opérations "i Ce qui arri- ve dans le délire , dans la léthargie , dans i'ivrefTe , dans l'épileplîe , ne permet pas de douter de cette vérité. Ne voit- on pas dans la gangrène l'ame mourir peu à peu avec le corps , à mefure que la gan- grène fait du progrès j ôc quand il eft dangereufement malade , Tame relient des inquiétudes , qui prouvent que la mort du corps doit entraîner la fienne. Nous devons juger de lame féparée du corps , comme de l'œil qui eft une par- tie de l'homme , ainfi que Tame *, or i'œil meurt quand il eft féparé du corps : donc lame eft mortelle.

L'ame eft une fubftance immatérielle , fimple & fans parties , qui ne peut naî- tre , ni croître 5 tout ce qui naît & croît, eift tiré «de k matière , & compofé de par- ties. Nous avons démontré que Tame ne peut être produite que par création , & qu elle tient fon exiftence de Dieu im- médiatement , qui la lui donne en la tirant du néant. Tous les changemens <|ui proifteM atriver dans l'ame quand Ifi corps croit ^ prend de§ fgrces > s'affoi^

La Mitaphyjîque<, 355

blit & vieillit , n'arrivent réellement que dans les organes , dont les fondions de i'ame dépendent tandis qu'elle efl unie au corps , comme nous l'avons claire- ment expliqué en parlant de cette union 5 qui confifte dans le rapport mutuel des penfées de l'âme ô^ des mouvemens du corps.

De ce que Tame ne fent rien à Toc- cafîon des parties du corps gangrenées ^ il eft abfurde d'en inférer que l'âme meurt petit à petit avec le corps v elle ne fent qu'à i'occafîon des mouvemens tranfmis jufqu'au cerveau , ils ne peu- vent parvenir quand ils font excités dans des parties gangrenées. D'ailleurs il eft évident par ce qui a été dit de la nature de l'âme , qu'elle ne peut périr que pac l'anéantiffement.

Les inquiétudes de Tame à l'occafon dos grandes maladies du corps , prou- vent bien qu'elle craint la mort du corps ,, mais peut-on en conclure que la more du corps entraîne la fienne ? L'ame ne peut-elle pas être immortelle , & igno - rer fon immortalité l Ce qui eft imma- tériel peut-il mourir i

Zij

3j5 La Mitaphyjtque.

Enfin, de ce que l'œil meurt auflîtoc qu'il n'eft plus uni au corps , il ne s'en- fuit pas que l'ame fcparée du corps eft privée de la vie. L'œil eft une partie du corps de l'homme , &: fa vie dépend du mouvement continuel du fang dans fes artères & dans fes veines , 6c des cfprits animaux fans cefTe répandus dans fa fubftance ; or le fang vient du cœur , & les efprits animaux viennent du cer- veau : donc il eft impoflîble que l'œil féparé du corps , vive. L'ame au con- traire 5 n'eft point une partie du corps , quoiqu'elle foit une partie de l'homme ; fa vie confifte dans la penfée , qui eft totalement indépendante du corps , & qui ne peut en aucune façon convenir à la matière.

On objede contre la troifiéme démont iration , que la récompenfe de la vertu , c'eft la vertu même , & que le vice eft la peine du vice. Eft -il un meilleur moyen d'acquérir cette paix de l'ame , 6c ce contentement de l'efprit infépara- bles de la vraie félicité , que le bon emploi de toutes nos puiiTances & de

La Métaphyjîque. 557

toutes nos facultés , & rafTajétilTemen de nos defirs à l'empire de la raifon \t La tempérance , par exemple , qui nous enfeigne à ufer avec modération des biens de ce monde , & des plaifîrs de la vie , fans franchir les bornes que la faine rai- fon & la fimple nature prefcrivent , n'eft- elle pas le moyen le plus certain , poiu: conférver la force & la fanté du corps 1 Eft-il rien au contraire , qui altère plus la fanté du corps , & qui l'expofe à plus d'infirmités & de douleurs , que l'intem- pérance ? Il y a donc dans cette vie des récompenfes attachées à la vertu , &: des peines attachées au vice. On ne peut donc pas conclure de la fagelTe , de la juftice & de la bonté de Dieu , que cette vie doit nécefTairement être fuivie d'une autre , qui ne finira jamais , 6c que l'ame eft immortelle.

Quoique la vertu foit aimable par ell»- tnème , indépendamment de toute ré- compenfe , l'opinion des Stoïciens eft infoutenable. Ces Philofophes préten- doient , que la vertu étoit feule fuffifante à elle-même , &: qu'elle portoit fa récom- penfe dans tous les cas , fans en e\cQip-'

558 La Mitaphyjîque»

ter ceux les hommes fe trouvoient ez-^ pofés pour l'amour d'elle aux plus gran- des calamités. N'eft-il pas évident , que dans le trifte état de corruption & de dé- fordre qui régne dans le monde , elle n'eft pas fufïifance pour faire par elle- même le bonheur de ceux qui la prati- quent t Si elle n'a aucune récompenfe a attendre après cette vie , peut-on con- cevoir qu'un homme , par exemple 5 qui foufFre la mort pour l'amour d'elle , foit plus heureux en effet , que celui qui meurt martyr d'une fauffe opinion , qu'il foutient par caprice > ou par entêtement ? N'eft-il pas confiant que rien ne porte plus efficacement les hommes en général à la pratique de la vertu , que l'efpoir de la récompenfe î Eft-il poffible que les hommes renoncent aux plaifîrs de la vie, pour marcher dans le chemin de la ver- tu y l'attachement qu'ils ont pour elle, Jie doit jamais leur procurer d'autre avan- tage que celui qu'ils en retirent dans ce monde 1 Ne voit-on pas d'heureux fcélérats triompher des gens de bien : les niéchans font taire les reproches de leur <^onfcience par leur ftupidité , leur inat-

La Métaphypque* 359

tentîon > ôs leur attache aux plaifirs fen- fuels. La bonté de leur tempérament , & la force de leur conftitution les garan- tit fou vent des maladies , qui devroient être les fuites naturelles de leur intem- pérance , & de leurs débauches. Les ca- lamités qui font les effets de l'injuftice , de la fraude , de la violence , de la cruau- té , ne tombent pas moins fur les inno- cens que fur les coupables. La pratique de la vertu expofe fouvent les juftes aux plus cruelles perfécutions. Il eft donc bien certain , qu'il n'y a point dans ce inonde de récompenfe attachée à la ver- tu , qui foit proportionnée à fon excel- lence 5 ni de peine infligée au vice , qui réponde à fon atrocité. Peut -on dire après cela , que Dieu infiniment fage > infiniment jufte , infiniment bon , a pu créer les hommes , dont l'apanage eft la raifon , Se leur donner le difcernement du bien & du mal , & le defir du vrai bonheur , uniquement dans le deflein de perpétuer des Etres d'une durée aufli courte 5 condamnés à fouffrir tous les maux inféparables de cette vie , & à retourner enfuite pour jamais dans le

^6o La Métaphyjîque.

néant On ne fçauroit donc nier les récompenfes & les peines de la vie fu- ture , fans nier au moins indiredtement l'exiftence de Dieu. Douter que Tame fait immortelle , malgré toutes les raî- fons qui démontrent évidemment cette vérité importante , fondée d'ailleurs fur la révélation , c'eft le comble de laveu- glement de Tefprit humain.

Fin de la Pncumatologîc,

A J? P R 0 B AT I 0 i;.

J'Ai lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier un Manufcrit qui a pour titre : La Mét-a^hjfiqHs. Je n'y ai rien trouve qui puifTe ea empêcher rimpreflion. A Paris ce i8 Septembre 17 y 2.

S A L M G N , Dcfteur de la Maifon & Société de Sorbennc.

le PrmU^e. fi trouve à la fin dtt Ihrc de la €leJ^ des Sciences^

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