| HACHETTE ET CÆ | PARIS 71 R GSI40S Library of the University of Toronto € D] . GTR Ft Fè ur Le * SA à pri Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from University of Ottawa http:/www.archive.org/details/lamigrationdeso00brev RL. 5 de BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. ÉDOUARD CHARTON LA MIGRATION DES OISEAUX 21 210. — PARIS, TYPOGRAPHIE LATURE Rue de Fleurus, 9 BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES LA MIGRATION DES OISEAUX | PAR A. DE BREVANS OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 89 VIGNETTES SUR BOIS PAR RIOU ET A, MESNEL ET ACCOMPAGNÉ D'UNE CARTE PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET C* 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 19 1878 Droits de propriété et de traduction réservés ds re urés LEE sspinral . . MOTMEONE S | ne Ë | i» _ + (MAGIE T I LA MEME, tro WE dé 1 19 “ L Ÿ., JAI j À 1f } 1 4H ON pm EUR À TOUSSENEL MaiTre, Après la nature, notre reine souveraine, vous avez été le grand inspirateur de ce livre : Veuillez en agréer l'hommage. em ñ 4 mn , * L + ‘ " Ar .: - ‘ . ‘ 1 + ‘ . . L * . } L î , « ’ vif D" - 2 L2 * “= Tr RS : a L | ais LA MIGRATION DES OISEAUX CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION Ce n’est pas une des moindres curiosités ou des moindres merveilles de la nature que la trans- lation bisannuelle du monde des oiseaux des con- trées du Nord vers celles du midi, et de celles-ci vers les premières. Quelques espèces parmi les quadrupèdes, les poissons et les insectes, sont aussi soumises à des migrations ; mais la généra- lité et la régularité de ce double mouvement de va-et-vient chez les oiseaux, comme s'il étaii astreint aux oscillations d'un vaste pendule; la puissance de locomotion qu'il suppose chez ces 1 2 LA MIGRATION DES OISEAUX. êtres, en apparence si frêles, pour accomplir leurs vastes parcours; la sagacité qu’il implique pour prévoir les saisons, les conditions de l’atmosphère et la direction dans l’espace, étonnent l’imagi- nation, et la surprise diminue à peine lorsqu'on cherche à approfondir les choses, à déterminer les causes, les lois, les péripéties de ce grand phénomène. Ce qu'il ya de clair, tout d’abord, c’est qu'ils suivent le soleil, les heureux mortels ; échappant ainsi aux froidures et aux tristesses de l’hiver.— Ah! si l'homme avait des ailes et pouvait se con- tenter de ce léger bagage, combien d’entre nous suivraient leur exemple ! Le fait de la migralion des oiseaux nous est révélé, au printemps et à lautomne, par les grands vols que nous voyons passer et se perdre à l'horizon, par tous les volatiles, souvent étrangers à Ja contrée, que nous rencontrons dans les bois, dans les champs, à des époques déterminées et qui, quelques jours après, ont tous disparu. Mais de là à savoir d’où ils viennent, là où ils vont, quel mobile les pousse, il y a loin! Il a fallu bien des observations ; 1l a fallu surtout que les INTRODUCTION. 3 communications s’établissent entre les contrées les plus éloignées; en un mot, que l'histoire natu- relle ait eu le temps et la possibilité de se consti- tuer, pour que nous arrivions à une connaissance tant soit peu précise. Jusque-là et dans tous les . siècles passés, que de fables, que de “(7 contes ont été émis sur cesujet, comme “ sur bien d’autres. En voyant les oiseaux disparaitre aux approches de l'hiver, on a supposé qu'ils se métamorphosaient en quelques autres espèces animales, ou qu’is se refugiaient dans des trous et s’y engourdissaient à la manière des loirs et des marmottes. Des charmantes hirondel- les, les filles de l'air par excellence, on a osé dire qu’elles s’immergeaicnt dans les marais el s’y 4 LA MIGRATION DES OISEAUX, enfouissaient dans la vase, comme de hideux ba- traciens : donnant pour preuve à l'appui que des pêcheurs, en ayant ramené dans leurs filets et les ayant mises à cuire avec d’autres captures, rani- mées par la chaleur elles avaient repris leur vol. Les Filles de l'air. Et ce conte-bleu a eu tellement cours, qu'il ya quelques années à peine, un journal sérieux de Paris le rapportait encore comme tout récent — Risum tenealis. Or, nous savons perlinemment aujourd’hui, INTRODUCTION. > par les témoignages de nombreux voyageurs- explorateurs, que tandis que nous nous pressons autour de nos foyers, en hiver, l’hirondelle se chauffe gaiement au brillant soleil des oasis d'Afrique. Dès le milieu du siècle dernier, le naturaliste Adanson écrivait à Buffon que, dans son long séjour au Sénégal, il avait toujours vu cet oiseau y arriver à l’époque où il quitte la France, et en partir au temps où il nous revient. D'autre part, son passage dans les contrées inter- médiaires est constaté partout, comme nous le constatons nous-mêmes lorsque nous voyons les sujets de l'espèce se rassembler en foule pour se préparer au départ, puis disparaitre et passer en octobre en rasant le sol d’un vol continu et en cinglant droit au Sud. Le continent africain est donc leur lieu de station hivernale, comme l’Eu- rope est leur point de stalion estivale. Et ainsi des autres oiseaux qui, purement et simplement, changent de climats, grâce aux moyens de locomo- on dont la nature les à pourvus, et plus ou moins au loin, selon leur tempérament et leurs condi- tions d'existence. 6 LA MIGRATION DES OISEAUX. * NUE Û Les contes fantastiques du passé ont eu, sans doute, pour origine le manque d’observations suivies et généralisées, ainsi que l'ignorance des faits et gestes des oiseaux, par la rareté des com- munications précédentes sur la surface du globe ; mais bien aussi la difficulté pour l'esprit humain de se rendre comple des moyens d’action qui leur sont dévolus pour accomplir de si longs voyages. L'homme moderne a, comme moyens de loco- motion, la vapeur, les navires; comme direclion, la boussole, le calcul sidéral, la topographie: comme connaissance du temps, le calendrier, le chronomètre; comme prévision de l’élat atmos- phérique, le baromètre, le thermomètre, l’hygro- mètre el les observalions météorologiques : autant de moyens factices, produits de la science, qui s'ajoutent à ceux qui lui sont naturels et qui les centuplent. L'oiseau n’a que ces derniers; mais portés à une puissance dont nous ne pouvons nous faire idée à première vue. Il importera donc, pour se rendre compte de la migration, qu'après en avoir déterminé les causes et les motifs, on en pose la possibilité, la facilité même, pour les oiseaux. Le travail est facile ; car la science est faite sur ce point : Notre grand naturaliste Buffon INTRODULTION. 1 en a lui-même {racé les bases dans son excellent Discours sur la nature des oiseaux, el il n°y a qu’à les rappeler. IL y développe longuement la nécessité de l'é- tude de cette phase importante de la vie des êtres volatiles, comme complément de l'histoire natu- relle ; par cette raison que tant que nous ne con- naîtrons pas leurs agissements dans cette période, nous ne saurons d'eux que la moitié de leur exis- tence ; et il s'était promis d'y consacrer un traité spécial ; mais là, comme dans l'exécution de son vaste plan de l’histoire entière du règne animal, le temps lui a fait défaut. Il est douteux, d’ail- leurs, que dans l’état des connaissances d’alors et la difficulté des communications sur une assez vaste étendue, il eût pu y apporter d’autres lu- mières précises que celles de sa grande intuition des choses de la nature. Lui-même le reconnait par cette réflexion d’un sens plus général, mais aussi modeste que vrai: «Ce n’est qu'avec le temps, et je puis dire dans la suite des siècles, quon pourra donner une histoire complèle des oiseaux. » — Il n'y a donc pas à critiquer quel- ques incertitudes ou erreurs de son œuvre; mais à suivre son exemple en rassemblant, en précisant, en développant, les notions acquises au temps présent. C’est le but de ce livre, qui laissera une 8 LA MIGRATION DES OISEAUX. large marge aux explorateurs de l'avenir; car, bon gré mal gré, nombre de points resteront encore dans la pénombre. Depuis Buffon, et, pour une bonne part, à l’aide de ses donnécs plus certaines, les observations se sont multipliées en raison de l’activité des esprits dans toutes les branches de l'histoire natu- relle et des relations sans cesse croissantes entre toutes les contrées de notre globe. Toussenel, un chasseur naturaliste, qui a puisé ses connaissances sur le vif tout autant que dans la science, a jeté un grand jour sur la migration dans son livre du Monde des oiseaux, aussi charmant et humouris- tique dans la forme que savant et judicieux dans le fond; et on peut dire qu’à lui seul il a formulé le second pas dans l'étude de la question. Comme cet excellent ami des bêtes et des gens, etle mien personnel à ce double titre, j'ai beau- coup couru les champset les bois, et je les cours encore avec grand enchantement, chassant et pour- chassant la gent volatile, et par conséquent obligé, autant que désireux, de m’enquérir de ses faits et gestes. J'en avais rapporté un contingent d’obser- vations, lorsque sentant l’insuffisance de l’étude individuelle et forcément locale sur un fait d’une si vaste étendue — aucun observateur n'ayant le don d'ubiquité — l’idée me vint d'ouvrir, en quel- INTRODUCTION, (] que sorte,un observatoire généralet permanent. Le journal La Chasse Illustrée, qui me fait honneur de me compter au nombre de ses collaborateurs, m'en offrait l’occasion et Le moyen. Je conviai tous ses lecteurs de bon vouloir à une collaboration commune, les priant d'envoyer à ce bureau cen- tral des bulletins détaillés de la migration locale, comprenant le commencement et la fin des pas- sages, leur direction et leur intensité, l'état atmos-: phérique, la direction du vent, le degré de tempé- rature, et tous les renseignements particuliers qu'ils pourraient recueillir. L’attrait du sujet en lui-même, par ce temps d'investigations et de recherches de connaissances positives en toutes directions; la certitude que dorénavant les observations individuelles auraient leur organe et leur utilisation, eurent assez d’ac- tion pour qu'un certain nombre de correspondants répondissent à cet appel et voulussent bien en- voyer, de points fort divers, des communications fréquentes et suivies. Îl est résulté de ces docu- ments, pris sur nature, un ensemble de notions plus précises et dont quelques-unes ont le mérite d’une complète originalité. C’est l’occasion de féli- ter et de remercier ici-même ces honorables colla- borateurs, dont les noms et les avis seront sou- vent cités comme autorités et références. 10 LA MIGRATION DES OISEAUX. Telles sont les bases de ce travail qui réunira, dans une étude spéciale, les connaissances acqui- ses précédemment et celles recueillies à ce jour sur la migration des oiseaux. Une dernière considération est nécessaire. Les migrations des diverses espèces varient naturelle- ment de date selon la latitude des lieux; on pour- rait dire plus exactement, suivant leur ligne iso- thermique ; par la raison bien simple que quelle que soit la vélocité des oiseaux, il leur faut un temps pour franchir les espaces, surtout en tenant compte des stationnements sinon constants du moins habituels. Il convient donc de fixer la ligne à laquelle se rapportent les indications données, sous peine de mänquer de précision. Cette ligne ou celte zone, pour prendre une murge suffi- sante, sera comprise entrele quarante-sixième et le cinquantième parallèle Nord, ce qu’on peut appeler la zone de Paris; et, pour restreindre le sujet à ses données les plus certaines, il sera surtout fait mention des espèces principales et les plus intéressantes des oiseaux d'Europe, qui se voient communément entre les Alpes et l'Atlantique. INTRODUCTION. 1 Enfin, aucun homme, quelque nomade qu’ait élé son existence, n'étant assez cosmopolite pour que ses idées, ses connaissances, ses apprécia- tions et ses observations n'aient, pour ainsi dire, un goût de terroir, le cachet de la contrée où il a passé sa jeunesse et la plus grande part de sa vie active, forcément mes propres considérations auront surtout pour point de départ ce qui se passe dans l'Est de la France, mon pays natal; bien que je sache et que je doive même prévenir que dans le monde des oiseaux, comme dans celui des humains, les us et coutumes changent ou se modifient selon les lieux, d’après l'adage : Autre pays, autres mœurs! L Don han utile. DOÉRIERTE PT KTTOE] by ies ni (NN 7 A d % LL, © 7 pa LAN oh loau: Ta LE EITÉ AU US Fu came à ui FÉRENAS 4 boire ist Etetur tué | af À qitot re NA PT 2 2 COLE UN NE ETAT VE LE He mir nà pin lion ei nt a? br w42Hi00E ste t tt lama eg AXE: RU lt | thsint LE LPS 24 NE er H à de LA HaUraiq MUOUL 27! À " LE à, ist nr irotys 15 REINE: ERA ES LATE 1 hace La x” déve dl ANT mire cu AU NEE Lan k D Le À k * U y L- + \ 1 ” . rt ra 4 AUDE Atse ARE UIL F4 CHAPITRE IT MIGRATION GÉNÉRALE Les oiseaux font leur nourriture, pour l’univer- salité des espèces, d’abord des insectes et des ver:, ensuite des graines, des fruits et des plantes elles-mêmes; et quelques-uns,’ des oiseaux ou autres animaux vivants et morts. Pour leur part, dans l’ordre général de la nature, ils remplissent la fonclion de compensateurs ou d’éliminateurs de l’exubérance vitale, semée avec une si grande profusion sur la surface de la terre pour assurer la persistence des races, et d’expurgateurs des dé- tritus insolubles et nuisibles, en accomplissant la grande loi de la sustention de la vie par son propre ressort, selon un orbe de cireulation qui part du sol et qui y retourne. On conçoit, dès lors, que cetle généralité des oiseaux serait condamnée à périr de faim, lorsque 14 LA MIGRATION DES OISEAUX. les contrées septentrionales sont dépourvues d'in- sectes et de vers, dans l’atmosphère refroidi, sur le sol couvert de neige et dans les eaux prises par les glaces; que le règne végétal a achevé son évo- lution annuelle; que les bestioles ont disparu ou se sont enfouies. Il aurait fallu, pour qu'il en füt autrement, qu’ils eussent, comme les animaux à sang froid, la faculté de s’enfouir et de s’engour- dir, ainsi qu'on l’a supposé dans le passé; mais la chaleur du sang, qui est un complément de leur existence, y met obstacle ; ou qu’ils puissent pas- ser une longue période dans le jeûne et l'absti- nence; ce qui serait à l'inverse de l’ordre phy- sique où toule force active exige une alimenta- tion. Si quelques espèces et quelques individus isolés résistent et demeurent sous ces climats, de plein gré ou forcément, c’est qu’ils trouvént à glaner un reste de nourrilure qui serait insuf- fisant pour la masse; et encore bien des priva- tions, bien des angoisses sont leur partage. La preuve en est qu’on ne les retrouve pas plus nom- breux ni en meilleur embonpoint, à la fin de l'hiver, que ceux qui nous reviennent après avoir subi les fatigues d’un long voyage, et qu’ils sont réduits souvent à venir chercher à nos portes un peu de nourriture. Un parti, donc, leur restait à prendre : émigrer MIGRATION GÉNÉRALE. 45 en masse vers de plus chaudes contrées où toute vie n’a point cessé. La nature leur en a donné le moyen, et 1ls en profitent. La subsistance ! telle est donc la cause première de la migration des oiseaux. Sans aucun doute, l’abaissement de la température n’est pas insen- sible à leur constitution nerveuse et impression- nable; néanmoins, chaudement vêtus pour la plupart, ils le supportent jusqu’à un certain degré, pourvu qu’ils aient le vivre; mais 1l ne s’y expo- sent point de gaieté de cœur, et la chaleur est leur vrai milieu. Dans mon enfance, j'avais une passion pour les charmants petits cinis ou serins d'Europe. Comme il m'était pénible de les voir perpétuellement enfermés dans une cage étroite, je leur donnais souvent la liberté. Je dus y renoncer par les froids vifs : leur première préoc- cupation était de voler droil au foyer où ils se grillaient les pattes, indifférents à la souffrance, (ant ils étaient charmés de sentir une chaude tem- pérature. Le froid n'est en réalité qu'un point secondaire par rapport à eux, bien qu'il soit le premier en ce qu'il détermine le précédent. L’une et l'autre causes, en tout cas, étant simultanées, sont large- ment suffisantes pour motiver la migration et il est inulile de chercher ailleurs. C’est pour la géné- 16 LA MIGRATION DES OISEAUX. ralité des oiseaux une question de vie ou de mort. Les oiseaux d'Europe, en comprenant sous ce nom {ous ceux qui nichent plus ou moins dans Perdrix. notre continent, s'élèvent à environ cinq cents es- pèces. Sur ce nombre, tout au plus trente ou qua- rante, telles que les perdrix, le moineau franc, etc. sont sédentaires et demeurent à poste fixe sur les lieux qui les ont vues naïîlre. Toutes les autres émigrent plus ou moins au Sud : les unes se contentant de la limite des grands froids, les autres gagnant les contrées plus tempérées du midi de l'Europe ou celles plus chaudes de l'A- MIGRATION GÉNÉRALE. 17 frique septentrionale ; d’autres, enfin, s’avançant jusque sous les tropiques ou n’hésitant pas à fran- chir l’équateur pour retrouver dans l'hémisphère austral un climat analogue à celui qu'elles vien- Moineaux francs. nent de quitter. On a l'indication de ces divers parcours par des observalions suivies et bien déterminées aujourd'hui, comme on l’a déjà vu pour l’hirondelle, et, spécialement pour la trans- migration équatoriale, par la présence de quel- +) 18 LA MIGRATION DES OISEAUX. ques-unes de nos espèces d'Europe dans l’autre hémisphère; ensuile par quelques faits particu- liers, notamment celui-ci : Vers 1820, un natu- raliste de Bâle, voyant une cigogne de passage qui portait un trait par le travers du corps, ne put résister à la curiosité de savoir ce que pouvait èlre ce phénomène anormal et tua l'oiseau. Ce trait n’était autre qu’une flèche qui fut reconnue comme particulière aux peuplades sauvages qui habitent les contrées voisines du Cap de Bonne-Es- pérance. Ainsi celte cigogne avait été blessée dans ces parages, el, néanmoins, grâce à la puissance de locomotion des oiseaux, elle avait pu accomplir un immense trajel malgré sa blessure et l’obs- tacle du trait. Cette même simultanéité de quelques-unes de nos espèces sur le continent américain à fait qu'on s’est demandé siles mieux doués comme vol ne pouvaient point passer directement de l’un à l’autre des deux continents, soit des côtes de France, d'Espagne ou d'Afrique, et réciproquement. La urande Frégate, le mailre-voilier parmi les oiseaux, le pelit Pétrel ou l'oiseau des tem- pèles, se rencontrent en plein océan. Le natura- liste Cotesby rapporte y avoir vu également un hibou. Mais un vol de douze cents lieues d’une traite va au delà de nolre imagination, et, en CE ale, page 1 és La Fr MIGRATION GÉNÉRALE. 2] attendant des preuves positives, 1l est plus natu- rel de penser que les espèces communes à Pancien Pétrels. et au nouveau monde ont passé et passent à leur volonté de l’un à l’autre par le Nord, là où les 22 LA MIGRATION DES OISEAUX. terres se rapprochent, au point de se toucher presque au détroit de Bering. L'homme, atlaché à la terre et ne pouvant quitter sa surface par ses moyens naturels, a bien trop de peine à concevoir ces grands parcours aé- riens et la merveilleuse faculté de direction qu'ils impliquent, pour qu'il ne lui soit pas nécessaire de s’en rendre un compte exact. L'examen rapide de l’organisme de ces êtres, si frêles et si puissants, néanmoins, nous donuera le mot de l’énigme. - x * La puissance du vol des oiseaux, leur facilité d’évolutions, nous apparaissent chaque jour. Les Martinets de nos cités que nous voyons, le soir, prendre leurs ébats par familles et décrire de grands et rapides circuits, passent comme des traits ; à peine pouvons-nousdistinguer leur forme. L’alouelte mignonne, tout en chantant sa joyeuse chanson, monte, monte dans le ciel et disparait à nos yeux. Elle s'élève ainsi à près d’un kilo- mètre, toujours chantant à pleine poitrine, et sa voix nous arrive encore claire et distincte à l'oreille. Le pigeon-messager, si fort de mode aujourd'hui, fait de vingt à trente lieues à l'heure, dans ses grandes courses, ele, ele. C'est que le vol est l’attribut par exellence de MIGRATION GÉNÉRALE. 95 l'oiseau qui doit, dans ses types les plus carac- téristiques, parcourir l'atmosphère et y remplir sa mission. La nalure a concentré dans cette faculté toute son action. Elle a construit le vola- tile en taille-vent, ou pour mieux dire en plan horizontal, comme notre cerf-volant; de telle sorte, qu'il n'a besoin que d’un minime effort pour prendre son point d'appui sur l'air, quel- que mobile ct peu résistant que soit ce fluide, et que toute sa puissance reste libre pour l’éva- luation. Sa légèreté spécifique, c’est-à-dire son poids, par rapport à son volume, est sans propor- tion avec celle de tous les autres animaux, car son épaisse enveloppe de plumes n’a qu'une pesanteur infime : d'autre part, sa charpente os- seuse, très-résistante néanmoins, est réduite à sa plus simple expression, à des lamelles ou à de légers tubes creux ; ses muscles, strictement éco- nomisés, n'ont de développement que sur la poi- trine, centre d'action des ailes, où ils représen- tent un volume plus considérable que ceux de tout le reste du corps, pris ensemble. Sa respira- tion est double; ce qui explique chez un grand nombre l’aclion simultannée du vol et du chant. Enfin, la chaleur de son sang est le foyer indis- pensable de sa vélocilé. Quant à l'application de cette force mécanique, 24 LA MIGRATION DES OISEAUX. elle n'est pas moins judicieusement combinée. Elle repose sur la forme elliptique très-allongée du corps et le plan horizontal, en quelque sorte rectiligne, des ailes, qui offrent le moins de résiss tance possible au milieu ambiant, c’est-à-dire à Pair; sur la conformation de ces dernières, rames ou voiles motrices, à la fois résistantes et souples, dont les surfaces hélicoïdales inférieures multiplient les points d'appui et décrivent, dans leur double mouvement de haut en bas et d’avant en arrière, deux spires de propulsion rassemblant la force et la convergeant dans l’axe général ; sur la mobilité du centre de gravité, soit latérale- ment pour le maintien de l'équilibre, par la sou- plesse des articulations qui unissent le corps aux ailes ; soit longitudinalement pour le mouvement ascensionnel et descensionnel, par l'allongement ou le retrait du cou et la position en avant ou en arrière des ailes; et, finalement, sur la queue, gouvernail pivotant, également à double effet, latéral et vertical. De toutes ces actions réunies, résulte la force et l’aisance de propulsion que nous conslalons et que quelques naturalistes estiment à quatre-vingts lieues à lheure pour les plus fins voiliers, comme le Martinet en plein essor, et qu’on évalue commu- nément de quinze à vingt lieues, pour toutes les MIGRATION GÉNÉRALE. 95 espèces bien douées, dans les grandes excur- sions. Buffon cite à l’appui deux exemples deve- nus légendaires : le faucon d'Henry Il qui, s'étant emporté après une outarde canepelière à For- tainebleau, fut pris le lendemain à Malle et reconnu à son col- lier ; celui envoyé au duc de Lerme, des iles Canaries, et qui revint en seize heu- res, d’Andalousie à Ténériffe; ce qui fait, pour un trajet de deux-cent cinquante lieues, près de seize lieues à l'heure. A cetle rapidité, souvent verligineuse il fallait, sous peine de mésaventures per- pétuelles, un guide eu VPN EN nd #4 rr c ; eff l UT pra ! ty Le (Lu | fl (all Ve] Faucon de Henri IT. sûr et certain; c’est-à-dire, une vue rapide, péné- trante dans ses impressions. La nature n’a point LA MIGRATION DES OISEAUX. manqué d’y pourvoir. L’œil de l'oiseau, propor- tionnellement au volume de la tête, est grand et largement ouvert. Indépendamment des deux pau- pières qui fonctionnent verticalement, une troi- sième, située en-dessous, dans le grand angle de l'organe, se meut transversalement : semi-dia- phane, son office est d’attènuer l’intensité de la lumière dans les moments de repos, et de polir, de lubréfier constamment la cornée pour la déli- catesse de la vision. Une quatrième membrane sup- plémentaire, placée au fond de l'œil, parait être un épanouissement du nerf oplique développant la puissance des impressions. Le globe lui-même est douë d’une certaine élasticité qui lui permet de se bomber ou de s’aplatir selon le besoin; de telle sorte, que l'oiseau est, à son gré, myope ou presbyte, pour voir de près ou de loin; ce qui revient à dire qu'il porte avec lui son microscope et son télescope. Buffon déclare, et son dire n’a rien d’exagéré, que la portée de la vue des rapaces de haut vol est de vingt fois plus grande que celle de l'homme. On en peut conclure que l'oiseau, en général, embrasse d’une façon précise et certaine l’espace qu'il est susceptible de parcourir en un jour, et s’y diriger d'autant mieux qu’à la perfection de l'organe correspondent forcément des perceptions MIGRATION GÉNÉRALE. 21 plus nettes pour son entendement, en même temps qu’une mémoire des lieux stimulée par des sensa- lions plus vives. Notre grand naturaliste ne considère pas que le sens du toucher soit très-développé chez loi- seau. En ceci, il semble avoir trop restreint le tact aux conditions de cette faculté dans l’homme et particulièrement dans sa main; c’est-à-dire, à la notion de la forme et de l'état des corps. La sen- sibilité nerveuse de l'oiseau est extrême ; La déli- catesse de toute sa structure l’indique, et il ne faut que voir l'appréhension qui le saisit au moindre contact pour n’en pouvoir douter. Il a surtout un genre de sensibilité extérieure dévelop- pée à un degré énorme et qui lui est propre: c’est celle de l’état calorifique, hygrométrique et élec- trique de latmosphère. Ses plumes, compostes d’une tige sur laquelle s’implantent de fines barbes portant elles-mêmes une quantité infinie de bar- bules tenues et légères, sont autant d’hygromè- tres et d’électromètres qui lui transmettent leurs impressions, et on peul dire que l'oiseau est un ap- pareil météorologique vivant et des plus complets. Chacun de nous ressent plus ou moins, et les rhumatisés en savent des nouvelles, les influences de l’état et des mouvements de l’atmosphère : le vent d’Est est frais et léger; celui du Sud, sec et 28 LA MIGRATION DES OISEAUX. chaud ; celui d'Ouest, humide et froid; celui du Nord, froid et sec. Mais combien l’exquise impres- sionnabilité de l'oiseau doit en être mise en éveil et y saisir de nuances qui nous échappent. La plus légère modification lui est aussitôt révélée : c’est là son baromètre! La plus légère brise lui mdique sa provenance, c’est là sa boussole ! Il porte donc avec Jui tout un observatoire instantané. — Et ce n’est point tout encore! Le sens de l’ouie est également poussé chez lui au raffinement ; la pureté de la voix des oiseaux chanteurs en serait à elle seule la preuve mani- feste, si nous n’étions perpétuellement à même de le constater. Cette sensibilité d’audition, utile pour la sauvegarde de tous,'est, chez les migrateurs noc- turnes, autres que les Hiboux et les Chouettes qui voient dans les ténèbres, le complément de la vue : elle leur révèle l’état des lieux qu'ils parcourent par les bruissements du vent dans les forêts, dans les plaines; par le murmure des ondes dans les fleuves et les cours d’eau ou la voix des flots sur les rives ; par tous les bruits de la terre, en un mot. pour ces géographes praticiens tout est indication. La connaissance des saisons, des Jours, des heures, leur est donnée par leurs propres impul- sions intérieures, l'amour, la mue, etc; par les astres, par la température, les évolutions des MIGRATION GÉNÉRALE. 29 plantes et des insectes ; par tous les signes de la nature; ne nous étonnons plus de la sagacité des oiseaux! — Le sauvage humain, qui n'a point comme nous, civilisés, les renseignements et les moyens pratiques que la science mel à notre usage, est bien forcé de compter sur ses organes et sur ces mêmes données physiques, comme moyens d'appréciation; et nous savons le degré de per- spicacité qu’il y acquiert! C'est à ce point, chez l'oiseau,que ce développe- ment de ces maîtres sens, la vue, l’ouie, le tact, ainsi que sa facilité d'évolution qui en fait un explorateur perpétuel, l'aurait constitué en êlre supérieur dans la nature, si le centre commun des sensations et des impressions, le cerveau, avait reçu chez lui une ampleur proportionnelle. Il n'en est point ainsi. Petite tête et peu de cervelle! Et les nolions si vives que l’oiseau reçoit se circon- scrivent, quant au résultat, à la fonction qui lui est dévolue, sans contribuer à Pentendement géné- ral. C'est un voyageur magnifiquement doté pour la locomotion et la direction, un observateur à l'œil subtil pour tout ce qui concerne la conser- vation et l'entretien de l’existence; hors de là, le moindre mammifère lui en remontrerait en intel- ligence et en sagacité. Ce n’est donc pas tout à fait sans motif qu'un cerlain nombre de locutions, peu 90 LA MIGRATION DES OISEAUX. honorifiques pour les oiseaux, sont passées dans le langage usuel : Tête de linotte, bête comme une oie, etc., ete. Assez d’autres belles qualités leur sont reconnues! Mais restons dans notre sujet et n’anlicipons point sur le domaine de l'histoire na- turelle générale. Ce qu'il fallait établir, e’était, d’une part, les causes de la migration ; de l'autre, les moyens mis à la disposition des oiseaux pour l’accomplir. Cela fait, voyons la marche qu'ils suivent. * x Si tous avaient le même genre d'existence etle même régime, s'ils étaient sensibles au même degré aux influences du froid, tous n'auraient qu’une direction et les mêmes zones de stationne- ment aux deux points extrèmes de leur course. Il est loin d’en être ainsi dans l’ordre universel, qui a pour but au contraire de les disséminer sur toute la surface de la terre, pour laccomplisse- ment de leur mission. Les uns sont tout à fait aquatiques ; les autres habitent les marais et les terres humides ; ceux-ci, les bois ou les champs; ceux-là les lieux élevés. Beaucoup sont chau- dement vêtus d'un épais édredon et ne redoutent pas la froidure; beaucoup d’autres, au plumage plus clairsemé, ont besoin de chaleur. La même MIGRATION GÉNÉRALE. 51 variété règne dans Je régime. Tous, ou à peu près, se repaissent d'insectes, mais d’une façon plus ou moins exclusive; les uns en font la base de leur nourriture ; les autres, l’accessoire, en y ajoutant, qui les plantes aquatiques et les pois- sons, qui les herhes, les graines, les fruits et les plantes terrestres, qui la chair des oiseaux et des animaux ; el un certain nombre, les omnivores, s'accomodent de tout. Les parcours et les direc- lions sont donc indispensablement réglés par les subsistances, par Pélat des lieux et par la tempé- rature des différentes contrées. I s’en faut de beaucoup que la température, qui, en définitive, régit alimentation des oiseaux, soit régulière et proportionnelle à la latitude. Les duerses altitudes topographiques, comme il tombe sous le sens, et les influences atmosphériques la modifient considérablement. Ainsi, l’humidité que la masse liquide de l’océan émet constam- ment donne à la région occidentale de notre con- {inent, un climat sensiblement plus tiède que dans les contrées de l'Est sur les mêmes paral- lèles, sans compter l’action du Gulf-stream, le grand courant océanique qui entraine les eaux, échaufféces, par le solcil de l’équateur vers la froide région du pôle. Si bien que la ligne isother- mique de Paris, par exemple, remonte de bon 92 LA MIGRATION DES OISEAUX. nombre de degrés sur le littoral, tandis qu’elle s'abaisse au Sud en se prolongeant à l'Est. Il en résulte que les oiseaux qui vivent sur les eaux ou les terres humides infléchissent leur vol de migration non directement au Sud, mais vers le Sud-Ouest où ils trouvent plus promptement el mieux leurs conditions d'existence. Du reste, en jetant un simple coup d'œil sur un globe terrestre et en remarquant l'inclinaison des rivages d'Eu- rope et d'Afrique dans cette même direction, on devra en augurer que l’ensemble des oiseaux qui cherchent un plus chaud climat doit également appuyer de ce côté, sans quoi les contrées de l'Ouest-Sud seraient complétement dépourvues de migrateurs venant du Nord, ce qui n’est point. Mais, à l'inverse des précédents, les oiseaux ab- streints à une nourriture végétale produite par des plantes auxquelles une zone latitudinale est assignée, comme le chêne, le chataignier, etc, devront prendre une direction opposée; c’est-à- dire, tendre à l'Est; car l'Océan leur barre le chemin et leur coupe les vivres de l’autre côté. Les résidants des lieux élevés n’ont pour changer de température, qu'à descendre dans de plus basses altitudes et généralement s’en contentent. Enfin, d’autres, qui trouvent constamment leur nourriture dans des graines résistantes, telles que MIGRATION GÉNÉRALE. 35 celles des conifères résineux, n'émigrent qu'au- tant que cette subsistance vient à leur manquer par cause accidentelle, ou peut-être que lorsque l'excès de leur population dépasse une certaine limite. Il est donc possible, dans ce mouvement com- plexe, d'établir desdivisionsnaturellesdedirection, qui le simplifieront d'autant pour la plus grande clarté, en distinguant, par exemple : les migra- teurs du Sud-Ouest, les migrateurs du Sud, les migrateurs du Sud-Est, les migrateurs d'altitude et les accidentels, C’est l'ordre qui va être suivi. * * + Un grand nombre d’oiseaux pourrait accom- plir leur migration en quelques grandes traites, comme l'indique la puissance de locomotion qui leur est dévolue. Il en est ainsi, lorsque la saison s’avance ou que les intempéries et les gros temps menacent; mais, communément, la généralité n’est pas aussi pressée. Les jeunes ont à parfaire leur développement, tous àacquérir des forces pour les longs vois; d’ailleurs, plus ils approchent du terme de leur voyage, moins ils ont de hâte. En conséquence, ils sont guidés par les conditions de la saison et la convenance des lieux : les uns D 4 J 54 LA MIGRATION DES OISEAUX. voyageant par élapes, les autres, de plaines en plaines, de forêts en forêts, de buissons en buis- sons, de tertres en tertres, car la variété de mar- che est considérable; mais tous picorant à qui mieux mieux la large provende qu'ils trouvent en chemin, et lembonpoint qu'ils y acquièrent est le combustible nécessaire, la réserve en quelque sorte, pour les grandes évolutions. Mais encore faut-il, pour trouver cette plantureuse existence, qu’ils sachent les contrées où elle existe et dans lesquelles ils pourront stationner à l'aise. Sans aucun doute, ils ont la latitude de bräler les étapes dans les contrées stériles pour eux : les exemples en sont fréquents; mais, encore, pour des êtres doués de tant de prévision, l'existence ne peut être livrée à l'incertitude. Et de fait, en tout pays où la nourriturede prédilection d’une ou plusieurs espèces est copieuse, on peut dire, par avance, que les passagers seront abondants. Nous en avons une preuve frappante dans le Jura, à ses différentes allitudes. Si la sécheresse a sévi dans la plaine, si le sol est dénudé, sans cou- verts, sans nourriture, le passage des cailles, à l'automne, y est nul; tandis que dans la mon- tayne, où les céréales achèvent tardivement leur maturité, elles sont en tel nombre que mon père et un de ses frères, il y a longtemps, en MIGRATION GÉNÉRALE. 99 tuaient cent à eux deux dans une matinée. Le point de stationnement habituel des deux Nemrod élait assez curieux : c'était un hermilage fort confortable, ma foi! où un vieux parent, ancien Bernardin et fort bon vivant, avait pris sa retraite. La chapelle servait de réceptable au gibier, mé- thodiquement rangé sur les bancs. La chronique ne dit point sion chantaitle requiem aux victimes; mais, pour sûr, elles avaient de beaux alleluia aux festins qui s’ensuivaient. Pour les oiseaux qui voyagent de jour et à haut vol, l'étendue de leur vue et toutes les indications que la nature des lieux leur fournit, ici des eaux vives ou marécageuses, là des forêts, là des plaines, des terres en tel ou tel état, nues ou couvertes de telle ou telle nourriture, etc., etc.; on peut dire qu'ils ont sous les yeux, dans toute l’acception du mot, un plan à vol d'oiseau, et leur feuille de route parait facilement tracée. Mais, quant à ceux qui s'élèvent peu au-dessus du sol, ou qui voyagent de nuit, souvent par les plus obscures, d’où leur proviennent les renseignements néces- saires pour agir avec certitude?... — Ce n’est pas le dernier des points d'interrogation que nous aurons à nous poser; car l’observation la plus soutenue est loin encore d’avoir résolu tous les problèmes du fait compliqué dont nous nous 36 LA MIGRATION DES OISEAUX. entretenons. — Mais, enfin, nous avons vu une première indication dans le tact merveilleux des fluctuations atmosphériques que possèdent les oiseaux, puis le langage des bêtes, c'est-à-dire, la communicalion des idées, des impressions, par tels ou tels genres de sons ou de signes, bien que très-obscure pour nous, n’en existe pas moins d’une façon très-réelle et très-palpable. Les cris d'appel et les chants variés des oiseaux, dont nous sommes loin de saisir toutes les nuances; une foule de moyens qu'ils possèdent et que nous pouvons observer, sont largement suffisants pour nous le prouver. La sentinelle qui veille, tandis qu’une bande repose, sait certainement se faire entendre et comprendre, quand un péril menace ; l’oiseau qui réclame au haut d’un arbre est compris de ses semblables qui passent, car ceux-ci s'arrêtent ou poursuivent leur route, selon qu'ils le jugent à propos. On peut donc penser que les expérimen- tés instruisent ou guident les jeunes; que tous re- çoivent en chemindesindications des stationnaires; qu’eux-mêmes se communiquent leurs avis sur la route à lenir, et, qui sait ! que des émissaires par- tent à la découverte, comme nous pourrons l'au- gurer de nombreux exemples de migrations par- tielles anticipées, et comme le croit Toussenel, ce grand observateur du monde vivant des oiseaux. Le \* Be: D LEUR LT * id £ be. [EN MIGRATION GÉNÉRALE. 39 * *X # Nous venons d’avoir une première raison de l'abondanee plus ou moins grande, d’une année à l’autre, des passages des diverses espèces dans un même lieu ou dans plusieurs, par les conditions d'existence et de bien être qu'ils offrent constam- ment ou accidentellement. Mais ce n'est pas la seule. Il tombe sous le sens que le r..mbre des sujets aux points de départ, soit par la réussite des ni- chées, soit par toute autre cause, y a sa part dans toute la zone longitudinale correspondante. D’un autre côté, la conformation géographique de ces mêmes lieux de partance, comme il en sera rap- porté un fait important, de même que l’obstacle des hautes montagnes dans les parcours, doivent déterminer des veines, des courants de migration, plus considérables ici que là. Il pourrait en résul- ter un trouble dans la dissémination des oiseaux, voulue par la nature, si une troisième influence ne venait à l'encontre : c’est celle de la direc- tion des vents aux époques de la migration. Ceci demande quelques explications théoriques sur le vol des oiseaux. L'oiseau, par sa conformation en plan horizon- tal, prend aisément son point d'appui sur la 40 LA MIGRATION DES OISEAUX. couche d'air inférieur à lui. Si cet air est animé, dans la direction du vol, d’un mouvement égal ou supérieur, l’assise fait défaut à l'oiseau parce que la résistance manque, et son vol forcément s'abaisse. C'est l'histoire du cerf-volant qu'on voudrait entrainer selon le courant du vent. La corde de traction représente exactement la force motrice de l'oiseau et elle devient sans action, parce qu'elle n’a pas de point d'appui. La con- dition normale du vol est donc d’être dirigé droit dans le vent. Les chasseurs qui battent les champs en ont une preuve fréquente; si on lève une alouette sous un vent un peu fort, au premier nstant elle profite du courant qui l’entraine pour s'éloigner; mais si on observe attentivement, on voit que son volest surbaissé, embarrassé, parce que le gouvernail, la queue, ne peut agir, etqu’aus- silôt qu’elle se juge en sûreté, elle s'empresse de faire volte-face; c’est alors seulement qu’elle s’é- lève,comme si elle glissait sur un plan incliné. Cette condition du vol nous donne de nom- breuses explications; car c'est dans les grands parcours que son influence ce fait surtout sentir. En premier lieu, si, en temps voulu, l’oiseau ne trouve pas des courants atmosphériques à sa guise, et on sait si les variations en sont mul- tiples, il attend, ou, si le temps presse, il dévie MIGRATION GÉNÉRALE. 41 à droite ou à gauche pour trouver un vent plus favorable, au besoin, il s'abrite des hautes mon- lagnes. Ainsi le groupe des Alpes est un point de bifurcation des migrations de l'Europe centrale, selon le vent qui règne d'un côté ou de l’autre. Plus encore il y a lieu de penser, comme ilsera dit, que les oiseaux de haut vol, avec la perspicacité qui leur est donnée des choses de la nature, mettent à profit les contre-courants supérieurs de lat- mosphère. On voit donc l'importance de cette troisième considération. Elle motive à elle seule la variété des veines de migrations annuelles dans les mêmes lieux ; d'autre part, elle indique, de concert avec les précédentes, le mode de dispersion des oiseaux; et, enfin, elle donne la raison pratique des varia- üons d'intensité au début, au milieu ou à la fin des passages, et, parfois, de la suppression subite de ces derniers. x EE Après la subsistance, la sécurité est une des grandes préocupations de l'oiseau, car 1l est exposé à bien des périls, et de nombreux ennemis le menacent sans cesse sur terre et dans l’air. A ses ennemis terrestres, il échappe par la vigilance et par le vol; mais il en a beaucoup d’autres parmi 42 LA MIGRATION DES OISEAUX. ses semblables, doués des mêmes moyens volatiles, souvent à un degré supérieur, et c’est de ceux-ci surtout qu'il à à se garer, principalement dans ses longues traites de voyages. Les petits oiseaux des buissons et des bois, Rouges-gorges, Fauvettes, etc., passent généra- lement de jour, isolément, mais de fourrés en fourrés, et ne s’éloignant jamais de leurs abris. D’autres, au vol plus fort, émigrent par familles, le père et la mère guidant les jeunes, et tous veillant au salut commun. D’autres se réunissent en troupes, souvent innombrables ; de cette façon, ils ne sont pas décimés un à un par leurs ennemis, les rapaces ailés. L'Étourneau est de ce nombre, et sa tactique est des plus savantes ; les grandes bandes tourbillonnent sur elles-mêmes lout en poursuivant leur vol, chaque oiseau décrivant un cercle du centre à la surface. Dans ce tourbillon perpétuel, l’oiseau de proie ne sait lequel happer el reste coi, absolument comme nous autres, les rapaces humains, lorsque nous nous trouvons au milieu d’un vol considérable qui passe de tous côlés : nous ajustons de ci de là,en haut, en bas, et, finalement, le gibier est hors de portée que nous n'avons pu placer un coup de fusil. D'autres se disséminent et passent sournoisement. Puis un certain nombre voyage exclusivement la nuit, soit MIGRATION GÉNÉRALE. 45 que leur vol plus lourd ait besoin de la fraicheur de la nuit pour se soutenir, soit qu'ils aient plus parti- culièrement à redouter les déprédations des rapaces diurnes. Là encore la variété est grande ; chaque es- pèce a son mode et ses lois de migration dont il ne nous est pas toujours donné de comprendre le sens. Les époques sont elles-mêmes aussi diverses et fort variables comme précision; car certains oiseaux agissent avec la régularité d’un chrono- mètre, pour ainsi dire, tandis que d’autres doi- vent attendre un état déterminé de l'atmosphère. Telles sont les conditions les plus générales de la migration; d’autres non moins intéressantes, trouveront plus naturellement leur place dans l'étude spéciale des groupes qui va suivre, et nous les y ajournerons, * 4 * F Néanmoins, il faut encore observer que les deux migrations du printemps et de l’automne, c'est-à-dire le départ des oiseaux et leur retour parmi nous, ont une certaine différence. A l’au- tomne, ils nous arrivent multipliés par la repro- duction; ils sont donc plus nombreux, et ils passent aussi plus lentement, retenus qu'ils sont par l’abondance de la victuaille et la né- cessité de parfaire leur embonpoint, véritable 44 LA MIGRATION DES OISEAUX. réserve de route. C’est par conséquent l'époque dans laquelle nous pouvons recueillir les plus amples renseignements sur leurs agissements, et celle qui doit éveiller le plus notre attention, d'autant qu’il s’y rattache un double attrait : celui d’un fin gibier souvent, et celui d'un exercice agréable et salutaire à l’arrière-saison. Au prin- temps, après leur longue absence et leurs longues pérégrinations pendant lesquelles ils ont été soumis à bien des vicissitudes : les faligues, le jeûne parfois, les intempéries subiles ou prolongées, les spoliations d’une foule d'ennemis, la mort naturelle elle-même qui a fauché dans leurs rangs durant celong espace de temps, ils nous reviennent bien diminués et légers d’embonpoint; l’impérieuse loi de la reproduction hâte leur vol et leur dissé- minalion, et, à (ous égards, nos observations ne peuvent être que plus ‘limitées. Mais un fait général domine ces deux époques, c’est que les passages ont lieu à peu près dans un ordre inverse dans chacune d’elles, et par les mêmes motifs de température et de nourriture, à savoir : que les premiers émigrants de l’automne sont les derniers arrivants du printemps et vice-versà. Cela dit el avec ces données, entrons dans le monde des oiseaux en voyage. CHAPITRE TI MIGRATEURS DU SUD-EST Si ce livre était écrit uniquement au point de vue de la chasse, l’ordre le plus pratique serait de prendre les passagers à leurs époques successives, en commençant par les premiers migrateurs pour terminer par les derniers. De son côté, l'histoire naturelle réclamerait qu’on procédàt selon la série des espèces établies par sa classification. Mais, dans cette étude spéciale, l’une ou l’autre marche entrainerait forcément à une grande confusion, soit de direction, soit de temps. L'ordre qui pa- raîlrait le plus logique, au premier coup d'œil, serait de suivre les deux grandes divisions de la migration d'automne et du printemps; mais là encore, obligés que nous serions de traiter deux fois des mêmes oiseaux, nous tomberions forcé- 46 LA MIGRATION DES OISEAUX. ment dans des redites et souvent dans la séche- resse d’une simple nomenclature, sans toutefois sortir des difficultés précédentes. Dans cette perplexité, il est à penser que ce grand mouvement bisannuel de la migration se localisera mieux dans l'esprit par les divisions tout aussi naturelles de la direction : de telle sorte que dans ce tableau général, on verra -les espèces comme s’entrecroisant d’elles-mêmes, les unes inclinant à l'Ouest, les autres tendant droit au Sud, les troisièmes à l'Est, par leur propres conditions d'existence ; et la besogne en sera d'autant sim- plifiée. C’est cette méthode que nous adopterons. Et pour procéder du simple au composé, nous commencerons précisément par les dernières es- pèces, fort peu nombreuses d’abord, et dont la principale est soumise à des intermiltences qui nous éclaireront d'autant mieux sur les causes et motifs de la migration dans son ensemble. Nous continuerons par les migrateurs du Sud-Ouest, bien que les plus tardifs ; mais là encore les imdi- cations que nous recueillerons allégeront le lourd chapitre des migrateurs du Sud, de beaucoup les plus considérables en espèces el en sujets. Une quatrième case sera réservée aux migraleurs d'altitude qui descendent des hautes montagnes dans les olaines, et aux accidentels qui appa- MIGRATEURS DU SUD-EST. 47 raissent de loin en loin ou sur quelques points seu- lement par des causes plus ou moins connues. Commençons donc par un oiseau assez peu intéressant en lui-même, mais fort curieux par ses us et coutumes. * + + Le Geu (Garrulus), universellement connu en Le geai. Europe, est le type le plus caractéristique des mi- grateurs du Sud-Est, et la raison en est simple. Bien qu’omnivore, c’est-à-dire se nourrissant de tout, insectes, larves, vers, graines, chair, fruits, œufs et oisillons; car il ne se gêne point, à 48 LA MIGRATION DES OISEAUX. l’exemple de tous ses collègues corvirostres, cor- beaux, pies et autres, pour dévaster les nids; il a en grande prédilecfion les glands et les châtai- gnes dont il fait très-bien des réserves pour pro- longer sa satisfaction. Comme les arbres qui pro- duisent ces fruits sont limités par la nature dans une veine lalitudinale comprise à peu près entre le trente-cinquième et le cinquante-cinquième parallèle, il est bien obligé de suivre cette zone, lorsqu'il émigre, et cela en se dirigeant à l'Est, puisqu'elle lui est coupée à l'Ouest par l'Océan, IL craint peu le froid, el, quoi qu'il arrive, illaisse toujours des représentants à l’état sédentaire parmi nous. Ge dont il a souci, c'est la pâture, doué qu’il est d’un robuste appétit; puis de sa tranquilité, car c’est un épicurien qui aime à digérer et à dormir tranquille. Qu'un bruit inso- lite se produise, qu’un animal circule furlivement dans le hallier où il a élu domicile, ce sont aussi- tôt des vociférations, de véritables cris... de geai en colère. Gelte remarque, sur laquelle j'insiste, sert souvent aux chasseurs à leur signaler le pas- sage du gibier. Dans ces conditions d'être peu fri- leux, peu délicat, mais de grand appétit, i1n°y a pas lieu de s'étonner que ses migrations soient fort va- riables ; car il a le vol lourd et ne se déplace que par force majeure. Il passe des geais générale- qu MIGRATEURS DU SUD-EST. 49 ment tous les ans, vers le commencement d’oc- bre; mais un peu, beaucoup et quelquefois... pas du tout! puis, à des laps de temps plus ou moins longs, des quantités formidables. D'où on peut conclure qu’il leur faut des motifs spéciaux pour quitier leurs habitudes casanières et se mettre en voyage : soit la pénurie de nourriture, soit la trop grande multiplication de l’espèce ; car bien que vivant en famille jusqu’au temps de la reproduc- tion, 1ls supportent mal le voisinage trop rappro- ché de leurs semblables, hors la question de sé- curité durant la migration ; soit encore un autre motif qui va être dit dans un instant. Ils voyagent en troupes assez nombreuses, peu compactes, en trainards, par le temps sec et beau ; un temps hu- mide allourdirait encore leurs ailes peu déliées. C'est habituellement de dix heures à midi que leur mouvement de marche est le plus accen- tué, et, chaque jour, il augmente d'intensité jus- que vers le 22 octobre, après quoi il cesse com- plètement. Ils passent par courts vols, de forêts en forêts, de bocquetaux en bocquetaux, d'arbres en arbres, escaladant les escarpements en biais et de gaules en gaules, piallant, braillant, bague- naudant en chemin et se riant des passants, quand ils n’ont rien à en craindre. Un cerlain jour de mon enfance, j'en vis un se pendre par 4 50 LA MIGRATION DES OISEAUX. les pattes à une branche pour me regarder pas ser. Je lui lançai mon bâton et il partit en me gouaillant : « Geaigeai..…. Kouaï!....» Ettous ses camarades de répéter. « Geai-geai…. Kouaï!.… Kouaï » ! Voilà l’usuelle coutume. Or, en 1872, j'ai été témoin d’un de ces formidables passages dont je viens de parler. Contrairement à tousles usages traditionnels de l’espèce, le passage commença le 1” septembre. C'était jour d'ouverture de la chasse, et je signalai le premier vol de quatre à cinq à deux confrères en saint Hubert qui, comme moi, batlaient l’estrade dès l’aurore, et qui ne vou- lurent pas me croire, tant l’époque était insolite à leurs yeux. L'air étant très-chaud, les pauvres diables, qui n’étaient point surchargés de graisse, selon toute apparence, volaient très-haut pour trouver un peu de fraicheur, à longue portée, pres- que sans arrêt ; ils avaient pour cela un juste mo- tif: pas un gland, pas un fruit, ne pendaient aux arbres de nos forêts; et le sol, durei par une lon- gue sécheresse, ne pouvait leur offrir ni larves, ni vermisseaux. Ils fuyaient donc dare-dare vers des contrées plus plantureuses. Ils continuèrent ainsi, augmentant de nombre et abaissant de jour en jour leur vol; l’air devenant plus frais; jusqu’à la fin de septembre. Si bien qu'un beau matin, Si bien qu’un beau matin... page 50. À MIGRATEURS DU SUD-EST. 09 débrouillant la piste d’un lièvre sur une crète, j'en vis un vrai torrent passer dans la gorge au- dessous de moi. Les chasseurs du pays, mis en éveil par les passages des Jours précédents, s'é- {aient portés en foule sur une côle située en face, par delà la vallée, où les geais venaient forcément buter et reprendre haleine sur les arbres. Ce fut un feu roulant toute la matinée et on en fit des abattis monstres. Deux tireurs, à eux seuls, en rapportèrent quatre-vingts; encore avaient-ils manqué de munitions. De mémoire d'homme, on n'avait vu pareille abondance, et 1l fallait remonter jusqu'à l’année 1854, pour se rappeler quelque chose d’approchant. Disons en passant que la chair du geai est loin d’être merveilleuse : le gland ne lui communique ni saveur agréable, ni tendreté; on dit queles chà- taignes la rendent meilleur ; mais, enfin, on en fait des salmis qui, fortement relevés, sont mangea- bles. En revanche, sa chasse est très-amusante et on courre volontiers sus à cet oiseau vorace, querel- leur, curieux, braillard et gouailleur. Puis il donne à tous les pièges, à tous les appeaux comme un nigaud ou un écervelé, bien qu'à l’état sédentaire il soit des plus défiants et rusés. Les cris d’un de ses pareils que l’on provoque en pressant les articulations des ailes l’une contre l’autre, l’imi- 94 LA MIGRATION DES OISEAUX. tation du cri de la chouette, même le bruit du tam- bour le font accourir de très-loin. Tout cela ne nous donne pas la raison de cette migration si anormale, qui pour ma part me ren- dit fort perplexe. Mais voici ce qui suivit : à peine cet oiseau avait-il achevé son passage, que toutes les cataractes du ciel se précipitèrent sur la terre comme au temps du déluge. Pendant un grand mois la pluie tomba par torrents et le vent d'ouest ne cessa de souffler et de faire rage, au point que des inondations survinrent partout, mais particu- lièrement en Belgique où elles causèrent de graves désastres. Voilà un premier fait! A l'automne de l’année 1876, un très-fort pas- sage de geais eut encore lieu, mais à une époque plus régulière. En rendant |compte de ce second exemple, je demandais s’il fallait s'attendre au même temps postérieur qui avait marqué la migration fabuleuse de 1872. La réponse ne se fit pas attendre. Dès le mois de novembre suivant, de semblables ouragans se répétèrent tout du long et particulièrement sur le littoral de France et de Belgique; cette fois ce fût la Bretagne qui eut notablement à souffrir. D'après ces deux faits précis et en considérant que ces oiseaux nous viennent du Nord-Ouest, que par conséquent leur départ commence depuis 4. page à Ssvs ‘and moi 1 ant un £g end P MIGRATEURS DU SUD-EST. 97 ce mème littoral océanique, ne pouvons-nous pas y voir une indi£ation, en attendant de plus nom- breuses observations, que les gros temps et les bourrasques qui menacent cette région et la zone correspondante, devant infailliblement pourrir les graines, submerger la pâture du sol, boule- verser l'atmosphère, c'est-à-dire, couper les vivres et troubler la tranquillité de ces volatiles pointilleux sur ces deux chapitres, sont la cause première de leur migration en masse. Pour ma part, cette prévision du temps à venir ne me sur- prend pas, tant j'ai de confiance dans la perspi- cacité des oiseaux, en général, ou, pour mieux dire, dans la raison d’être de leurs agissements ; et j'en citerai de nombreux autres exemples. Si cette hypothèse, déjà sérieusement motivée, deve- nait, par la suite, une certitude, nous aurions ainsi dans le geai un précieux avertisseur. De toutes façons, il poursuit sa migration jus- qu'à ce qu'il rencontre des contrées plus riches en victuaille et moins menacées des grandes intempéries. On nous dit qu’il va jusqu’en Perse où, du reste, on le retrouve à l’état indigène, sans doute après s'être fort disséminé en roule, car son retour au printemps est probléma- tique, les sédentaires, bon gré malgré, suffisant à la reproduction; ce qui expliquerait d’une autre >8 LA MIGRATION DES OISEAUX. manière, par la lenteur de l'accumulation de population, les migrations phénoménales à longs intervalles. Dans tous les cas, ce retour est peu apparent et ne se manifeste plus par de grandes bandes, comme à l’automne. Une seule fois dans ma vie, il m'est arrivé de voir un réel passage de printemps; et encore, avec des circonstances à dérouter toutes les prévisions. Ces geais ve- naient de l'Ouest et se dirigeaient à l'Est en un long ruban ou en un mince filet continu qui vint se heurter à la première rampe du Jura. Ils la suivirent et la contournèrent jusqu'à ce qu'ils rencontrassent un vallon, par lequel ils s’élevèrent sur le plateau supérieur. J'étais préci- sément à ce point d'escalade, à peindre une char- mante source de ma vallée, dite du Gros caillou, d'un bloc de rocher éboulé des roches qui domi- nent. Cela dura trois matinées, identiquement dans les mêmes conditions et dans le même ordre. — Où allaient ces oiseaux? Quel mobile leur traçait cet itinéraire nouveau ? — Autant de pro- blèmes! — et on voit combien ils sont fantaisistes, mais instructifs, dans leurs marche. Après le geai, à la chair coriace, par compen- MIGRATEURS DU SUD-EST. 59 sation nous avons l’Ortolan, délice des gourmets, dont une parlie migre à l'Est. L’ORTOLAN (Emberiza hortulana; en provençal, l'ourtouran) est un petit granivore de la famille des bruants des naturalistes qui se caractérise par un bec conique dont la mandibule inférieure dé-- borde légèrement la supérieure et forme un léger hiatus dans les coins. Son plumage, sur le dos, rappelle de très-près celui du bruant des haies (la verdière des départements de l'Est), mais par- tout ailleurs le jaune est remplacé par une couleur fauve cendrée, très-claire. Cet oiseau a cela de très-parliculier qu'il se cantonne en France, pen- dant l'été, exclusivement dans l’ancienne province du Languedoc. Comme il est tout à fait inconnu plus au Nord, on le confond souvent avec certains becs-fins ou avec le torcol, oiseau du Nord, un peu plus gros qu’une alouette, surtout reconnaissable à sa longue langue qui lui sert à happer les four- mis. Celui-ci est aussi un fin petit gibier, mal- heureusement trop rare. Nous le trouvons quelque- fois isolément dans les haies et les buissons, au mois d'octobre. L'ertolan arrive, dans sa contrée d’élection, au commencement de mai. Il niche à terre dans les vignes et dans les blés. Il en repart du 15 août au 15 septembre. Une partie traverse les Pyrénées 60 LA MIGRATION DES OISEAUX. pour gagner l'Espagne; l’autre se dirige droit à l'Est pour passer en Italie par les gorges des Basses-Alpes et à une certaine distance du littoral, car onen voit peu sur les bords de la Méditer- Torcol. rannée. C’est ainsi qu'il est de passage en Pro- vence où on le chasse, comme en Languedoc, aux grands filets-battants avec l’aide des appelants. On sait que son embonpoint, qui le rend comme une pelote de graisse, est tout à fait factice ; il MIGRATEURS DU SUD-EST. 61 est pris vivant et généralement vendu à un spé- cialiste, qui le renferme dans une chambre obs- cure dont le sol est jonché de millet. On ne l’en sort pour la consommation que lorsqu'il est devenu assez gras et lourd pour ne pouvoir plus s’enlever et se percher. Tous les naturalistes s'accordent à dire, sans citer de faits à l'appui que le Rossiexoz (Sylvia luscinia) émigre aussi à l'Est par les contrées méridionales de l'Europe, passe l’Archipel et va hiverner en Syrie et même en Égypte. C'est, il est vrai, un des oiseaux très-mystérieux dans leur migralion, voyageant silencieusement dans l'ombre des buissons ou des bois et probablement la nuit, dont il est difficile de suivre la marche. Cepen- dant nous savons que les rossignols arrivent en bon nombre dans le Midi de la France où les Proven- çaux en font d'excellentes brochettes, car il est très-délicat, comme tous ses congénères, les char- mantes fauvettes. «C'est abominable » ! diront les âmes sensibles du Nord, région, en effet, où on aurait un remords d’immoler de gaieté de cœur ces mélodieux muscisiens. — Mais le gibier séden- taire et sérieux est si rare en Provence, que les 62 LA MIGRATION DES OISEAUX. habitants se précipitent avec frénésie sur toute provende ailée qui passe à leur portée. Ajoutons, pour leur excuse, ce principe gastronomique : c’est L Rossignol. que plus les oiseaux avancent dans leur migra- tion, plus ils ont acquis d’embonpoint et plus excellents ils sont, et ces fins gourmets de Pro- vençaux résistent difficilement à un régal de pelits- pieds. MIGRATEURS DU SUD-EST. 63 Mais de là, où et comment se dirigent-ils? — Nous savons encore qu'ils sont {rès- répandus en Algérie, et rien n'empêche de penser, qu'après s'être disséminés en Espagne, en Italie, et dans l'Est-Sud, une partie, tout au moins, passe en Afrique, comme plusieurs autres représentants de la famille des fauvettes. Ils quittent régulièrement notre latitude ou pour mieux dire notre zone isotherme, ce qui est bien plus exact en tout ce qui concerne les évolu- tions des oiseaux, vers le 15 août. Dans l'instant où je préparais ce chapitre, assis dans un bosquet de jardin, j'avais autour de moi toute une famille de rossignols fort affairés, allant et venant, pico- rant çi les vermissaux, là les baics du sureau- corail, tout ce qu'ils rencontraient à leur con- venance, On voyait clairement qu'ils se hâtaient de prendre des forces pour le grand voyage, et que le jour était proche. J'intriguais fort les jeunes en contre-faisant leur cri, « A’à-K'à !.….. K’à-K'à! », qui est loin, ainsi que celui de leurs parents à cette saison, « Krrr!.... Krrr.... ! » du charme de leur chant printannier, et ils me regardaient avec de grands yeux — a partir du 16, je n’en revis plus aucun. IS nous reviennent, avec non moins de ponctua- lité, du 42 au 45 avril, à un jour près, selon la 64 LA MIGRATION DES OISEAUX. température réguante. C'est à ce moment précis, qu'on prend les mâles pour les mettre en cage : Quelques jours plus tard, ils sont appariés, et se laissent mourir sentimentalement de chagrin dans leur prison. Là se termine la (rès-courte nomenclalure des migrateurs du Sud-Est. CHAPITRE VI MIGRATEURS DU SUD-OUEST Ainsi qu’il a été dit précédemment, les oiseaux qui prennent cette direction du Sud-Ouest sont les aquatiques ou palmipèdes et, généralement, les oiseaux de rivage, ainsi que les paludéens ; certains qu'ils sont de trouver de ce côté un climat relativement doux et humide, et en somme, plus immédiatement toutes leurs condi- tions d'existence. Tant que l'excès de froiaure ne les atteint pas dans leurs cantonnements, ils sta- tionnent avant que d’aller plus loin, et, fort nom- breux en espèces, en variétés, plus encore en sujets; car la race est prolifique au suprême ; c’est par myriade qu'on les voit, à certains jours et en bons points, sur la surface des eaux ou des terres marécageuses. Qt 66 LA MIGRATION DES OISEAUX. 2. Les premiers en date de migration, sauf une exception qui sera dite plus loin, sont les Bécas- sines, fins gibier et fin voiliers véritablement pré- destinées aux voyages de long cours : aussi peut- on être assuré, par avance, qu'on les trouvera du nord au sud, jusque sous les tropiqueselsans doute par delà, partout où il y aura des marais, des vases, des terres humides à sonder de leur bec effilé pour en extraire les larves et les vers, et des ajoncs, des herbes, pour se remiser. Que leur importe une traite de cinq cents lieues: c’est peut-être pour elles l'affaire d’une nuit ou° d'un jour ! On compte en Europe trois espèces de bécas- sines. La DOUBLE BÉCASSINE (scolopax major), la plus grosse et la plus précoce dans ses passages. Elle arrive dès les premiers jours de septembre; par contre, elle est tardive au printemps et ne remonte qu’en avril et mal. La BÉCAS*INE ORDINAIRE (scolopax gallinago), la plus abondante, est le type de la famille. Elle voyage de nuit, préférant même les plus obscures, alors que la lune est dans ses premiers et derniers MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 67 quarliers ou complétement masquée par d'épais Double bécassine, nuages ; quelques ‘fois aussi dans les matinées Bécassines. fraiches, peut-être simplement en excursion de 68 LA MIGRATION DES OISEAUX. victuaille. On l'entend sans la voir, car son vol est très-élevé, à une facon de petit bèlement, « Mè-è-è-e..….. », produit par une rapide trépi- dation du guidon terminal de l’aile. Si l’on se trouve dans l'endroit du marais où elle a résolu de se poser, on la voit plonger en quelques zig- zags rapides comme l'éclair, et tomber à proxi- milé ; dans cette descente vertigineuse, l’impres- sion visuelle n’a pas eu le temps de lui révéler votre présence. Son passage, qui commence dans le courant deseptembre, se prolonge généra- lement jusqu’au premier décembre, selon le plus ou moins de précocilé des frimas ; mais le fort a lieu du 15 octobre au 15 novembre. Elle nous revient dès le commencenient de février et la mi- gration printannière dure jusqu’au 1° avril. La PETITE BÉCASSINE (scolopax ‘ gallinala), sur- nommée la sourde, par l’apathie qu’elle met à se lever, attendant presque qu’on lui marche dessus, est aussi la plus lente à migrer et son vol est moins rapide. Des trois, C’est la plus sédentaire en France; c’est-à-dire, qu'elle y niche en nombre de lieux. La migration des bécassines, {rès-régulière en fait, l’est très-peu en réalité, quant à la quotité dans les mêmes lieux : car il arrive souvent que le sol n'y est point préparé à leur guise ; les marais MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 69 étant trop inondés, les remises sont rares; trop secs, elles ne peuvent y picorer ; et de leurs fines ailes, elles ont bientôt fait de filer plus loin ; mais elles passent néanmoins, quoiqu'on en voie peu. M. Pellicot, un observateur provençal dont le nom sera souvent cité, nous en fournit Petite bécassine. une preuve, dans son livre de la migration sur les côtes de Provence, en rapportant qu’il suffit de répandre de l’eau courante dans une prairie pour être sûre d’y trouver des bécassines Île lendemain. De son côté, M. A. della Faille de Leverghem, d'Anvers, mon honorable correspondant, me citait un autre exemple: en 1875, les étangs de sa chasse étaient amplement pourvus d’eau; passage insi- gnifiant ! Mais à une lieue de là, on avait fait écou- 10 LA MIGRATION DES OISEAUX. ler les étangs; passage abondant, parce que la vase, mise à sec et non desséchée encore, pro- mettait une ample pâture. Quoique bien fins voiliers et pouvant toujours dominer les vents calmes, les bécassines préfèrent néanmoins le vent debout, soit le sud-ouest à l'automne, soit le nord-est au printemps, c’est toujours sous cette influence qu'il faut s'attendre aux meilleurs passages ; 11 y a longtemps que les chasseurs du Nord l'ont constaté. Ceci prouve la vérité de la théorie pour tous lesoiseaux en général. Aussi M. della Faille fut-1l fort surpris de constater, un certain matin de printemps, que les bécassines avaient subitement disparu, bien que le droit vent d'ouest régnât alors. En jetant les yeux sur le ta- bleau-bulletin qu’il venait de m'envoyer, je crus en entrevoir la cause. À deux jours de là, le vent de Nord-Est se mit à souffler avec continuité : or en bonne météorologie, on comprend qu'un cou- rant inverse agit d'abord sur les couches supé- rieures moins denses, puis peu à peu refoule toute la masse de celui qui lui est opposé. Est-il alors, bien étrange de penser, la sagacité dévolue aux oiscaux étant donnée, que les bécassines, averties de cet état de chose et sachant que le vent favo- rable soufflait à une faible hauteur, se soient éle- vées jusqu'à lui et en aient profité pour gagner MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 71 le but qu'elles avaient hâte d’atteimdre? — En rassemblant ainsi tous les éléments de la ques- tion, on arrivera sans aucun doute à trouver nombre d'explications qui sont encore à chercher. Lorsqu'on considère les vastes espaces de repro- duction de la bécassine qui s'étendent depuis notre zone jusqu'à l’extrème nord, son immense champ de parcours sur la surface du globe, l'élévation et la puissance de son vol qui la met à l'abri des rapaces les plus rapides, ilest difficile d’admeltre que l'espèce aille en diminuant, sur- tout du fait de l'homme dont les grands moyens de destruction sont mis ici en défaut et qui n'a d’autres recours contre elle que son adresse et son arme de chasse : or, on sait la difficulté du tir de ce gibier, et ce qu’on parvient à en abattre n’est qu'un léger tribu perçu sur la masse. Et cependant, surtout dans l'intérieur des terres, on se plaint perpétuellement de sa disparition. C’est qu'on ne tient aucun compte des desséchements, des assal- nissements, etc. ete.; en un mot, de ce fait, qu'un pays assaini, qu'une agriculture plus perfectionnée plus productive, enlèvent forcément aux bécas- sines leurs demeures et leurs points de stations; etil en est ainsi pour beaucoup d’autres espèces. Mais qu’on aille dans les vastes plaines humides ou marécageuses de la Somme ou mieux encore 12 LA MIGRATION DES OISEAUX. dans celles de la Hollande, et on y apprendra par les exploits des chasseurs de ces contrées que l'es- pèce n’est pas près de s’éteindre. Cet intéressant oiseau aura eu une longue no- tice. En voici un autre, son proche, mais grand parent, qui ne lui cède point. Bécasse. La mécasse! À ce nom, le chasseur et le gas- tronome, se découvrent; car c’est un gibier béni, au bois comme à table. À l'automne, sa chasse est une des plus agréables récréations cyné- sétiques ; mais elle est attristée par la perspective MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 15 des mauvais jours qui vont venir. Au printemps, il n'en est plus ainsi, et aux premiers rayons du soleil, après une longue réclusion, c’est un véri- table charme ! J'ai cherché à en peindre la scène dans la fantaisie qui suit. BÉCASSE, MA MIE. Dés qu'arrive ce satané mois de mars, qui vous a une senteur printannière, mêlée de bises et de gi- boulées, je suis pris, dans mon cabanon de Paris (ce que d’aucuns appellent leur appartement), d’un insupportable bourdonnement d'oreilles, à me rendre sourû comme une cruche. — Crow-Crow..…. P’sit-P'sil!...—Crow-Crow.……. P'sit-P’sit! — Et ainsi de suite. Eh! parbleu!... C'est la bécasse qui passe, et moi je suis entre quatre murs, chassant..…. les gais souvenirs, tirant... des lignes noires sur du papier. — Triste! Triste!l!..… C'est pourtant bien tentant là-bas. Pas n’est besoin de devancer l'aurore, à moins qu’on ait la passion de la passée du matin, et sur le coup de neuf heures, selon la distance de la forêt, on se met en marche, en amateur. — Altention aux li- sières, aux pointes de bois! La bécasse qui à picoré dans les champs la nuit, est remisée là au matin. 74 LA MIGRATION DES OISEAUX. Attention aux bas-fonds, aux coteaux exposés au soleil, si le temps est sec ou chaud; aux pentes abritées, si le vent est aigre. — Eh! le grelot de Médor se ralentit... Bonne chance! Une piste... — € Tout-beau ! » — Je crois avoir fait cette remarque: les jeunes bé- casses inexpérimentées montenten fusée, et, volon- tiers, papillonnentun instant à vousregarder, vous et votre chien: c’est un moment propice! Les vieil- les, rusées commères, filent seus bois et s’empres- sent de se masquer de tous les obstacles. — Mais, soit l’une, soit l'autre, quelle agréable émotion quand au... piff! de votre rifle, répond cette autre note sourde : Pouf!!!... de la bécasse qui tombe sur le sol. — « Apporte! » — Et d’une dans le sac! C’est victoire; car il ne faut pas s’at- tendre à en tuer à la douzaine, comme simples mauviettes. Voilà l’action en train, avec toutes ses péripéties de cépées et d’épines, de surprises et de réussites ; voyons maintenant le décor : — Entre temps, vous jetez un coup d'œil autour de vous. Sur le ton bleu des fourrés, le premier soleil scintille le long des plantes; des mousses, qui reverdissent, pointent les anémones, les narcisses Jaunes et de mignonnes jacinthes bleues; des ronciers émerge le bois-joli; et de fines gouttelettes d’émeraude Le chasseur, jambe deci, jambe delà... (Page 71.) L | ' k M UE U [ hi è e A+ MIGRATEURS DU SUD-OUEST. Al semblent pendre aux branches des buissons pré- coces. La saine senteur de la séve qui remonte, l'air frais et pur, dilatent votre poitrine. — Dieul comme on respire bien ici! — Les fanatiques de cette chasse ont mille fois raison. Passé midi, les bécasses, en bestioles douil- lettes, se remisent et font une sieste. Plus de frais! I faut suspendre la partie. — «Tiens! Médor, sur cet épais tapis de feuilles sèches, en plein soleil au pied de ce grand chène, nous ne serons point trop mal non plus ». Le chasseur s’assied, jambe deci jambe delà, il étale ses vivres; le sobre, une modeste corne de fromage ; d’autres, des victuailles plus sérieuses. Le chien, sur son bienséant, suit tous les mouvements, attentif, mais sans impatience; car il sait bien qu'il aura sa part. Après la dernière accolade à la gourde, on allume une pipe : quel pipe! Dans ses spirales bleuätres, tourbillonnent out un essaim de gentes dames au long bec, voletant, papillonnant, et... la somnolence venant, on s'étend dans le pays des songes. Médor en fait autant; mais lui ne dort que d’un œil : au moindre bruit, il relève la tête, son œil brille et semble dire : — « Quel est l’in- trus qui vient troubler le repos du maitre? » — Brave bête, va! A trois heures, frais et dispos, on reprend 78 LA MIGRATION DES OISEAUX. l'action : la bécasse a terminé son somme et vaque à ses affaires. C’est le moment de lui redire quel- ques mots d'amitié. Et les émotions recommen- cent jusqu’au déclin du jour. — Nouvelle sta- tion jusqu'à la passe. À cette heure plus fraiche, une souche est le fauteuil de rigueur, et on philosophie à l'aise dans la solitude des bois, ou bien on suppute les victimes, si le sort à été propice. Mais voici l’acte final de l'opéra qui prélude. Le ciel s’illumine des feux du couchant ; la grive, le maestro-soprano du printemps, entonne du haut du chône sa mélodieuse cantilène. — Quelle ampleur de voix! l'air sonore en retentit. — Le pinson lui riposte en contrallo, et le frétillant rouge-corge fait sa partie de haut-bois dans les buissons. — Attention! Attention! La bécasse donne aussi sa note de basse-taille : l'orchestre est complet; c’est le grand morceau! — « Crow- Crow! P'sit-P'sit!... » — En cadence comme les joyeux fron-fron de nos pères. C'est la passe! Debout et l'œil au guet. — — « Crow-Crow.…. P'sit-P'sut! » — Un couple amoureux, folätrant, entre-croisant leurs becs, arrive sur vous... Pauvres chers ! — Pan!!!....—Roméo et Juliette ont mordu la pous- MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 79 sière, — Bravo! au chasseur. — C'est un dénoue- ment triste, mais bien émouvant. — 0 povero caro mio ! Je voudrais bien y être. — Et dire qu'un affreux ânier de mon voisinage a jugé à propos de prendre le grelot de mon chien pour le pendre au cou de sa bête et me donner chaque matin une aubade; que le merle du Luxem- bourg lance, dès l’aube, ses éclatantes voca- lises.... — Mes pauvres oreilles, laissez-mot tout au moins en paix ! — « Crow-Crow.... P'sit-P'sit !!!... » — C'est à en devenirfou, ma parole d'honneur! Je termine cette note gaie en laissant à ceux qui en voudront la dénomination de scolopax ruslicola dont la scicnce a affublé notre oiseau. Le nom de Bécasse, très-explicite, abondance de bec, long bec, nous suffit largement et a le bon sens d'être français. Mais si les savants ne par- laient point grec... ils ne seraient point savants! — Ce coup de patte, en passant, du chasseur naturaliste aux naturalistes de cabinet. Buffon fait simplement migrer les bécasses en altitude; c’est-à-dire, qu’elles stationneraient, selon lui, pour la nichée, sur les hautes montagnes de la zone tempérée, comme les Pyrénées, les Alpes, 80 LA MIGRATION DES OISEAUX. le Jura, etc., et que de là, la mauvaise saison venant, elles se contenteraient de descendre dans les plaines et de s’y promener deci delà. Mais 1l ad- met qu’elles sont répandues dans tout notre conti- nent, et rapporte qu'Adamson en a vu également au Sénégal. Nous sommes aujourd’hui mieux fixés à leur sujet. Qu’à leur migration de printemps, elles laissent quelques représestants, dans les lieux élevés, ceci n'est point douteux. M. de la Faille en a trouvé un couple en été, même en Italie, sur les Apennins, et il n'y pas d'année où l’on ne découvre quelques couvées sur les pla- teaux du Jura; mais le nombre en est infime. Leur véritable station estivale est le Nord; les rensei- gnements les plus précis l’établissent et leurs conditions d'existence suffiraient à le démontrer. Plus encore, M. della Faille, un chasseur-cosmo- polite, a posé, d'après ses nombreuses observa- tions, une théorie des plus judicieuses de leurs parcours que je m’empresse de rapporter ; ce sera une des primeurs de ce livre. — Une carte de l’Europe sous les veux et considérant la direction doublement obligatoire des bécasses au sud-ouest; par l'humidité et la dispositiou des terres, autre- ment, si elles émigraient directement au sud, on n’en verrait que quelques rares spécimens dans toute la partie occidentale de notre continent, il MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 81 dit : Un premier groupe de migration part de la pointe isolée de la Norvège et aborde en Écosse ; il a, pour preuves à l'appui, les rapports des navi- gateurs de la mer du Nord, qui rencontrent fré quemment des bécasses dans leurs traversées. De là, ce groupe longe les côtes d'Angleterre jusqu’à la pointe du Norfolk où 1l se divise en deux parts : l'une arrivant sur les côtes de Belgique et de France pour suivre la voie qui va être dite : cette double particularité lui est indiquée, d’une part, par la rareté des bécasses sur les côtes occiden- tales de l'Angleterre et en Irlande, comme il l’a constaté lui même ; d'autre part, par leur passage plus précoce à Bruges qu'à Anvers situé plus au Nord et à l'Est. La deuxième partion continue par les côtes anglaises, passe sur celles de Normandie et de Bretagne où, en effet, leur importante station est depuis longtemps signalée. Le groupe, plus ou moins réuni, côtoie le golfe de Gascogne ou le traverse obliquement pour gagner le littoral nord de l'Espagne et se répandre dans l’ouest de ce pays : les nombreuses bécasses qui se brisent la tête chaque saison contre les phares d'Oléron et de Cordouan, à la grande satisfaction des gardes- sédentaires, ne laisse aucun doute sur l'abondance du passage dans celte direction. Un deuxième groupe, doublé des bécasses de la 6 82 LA MIGRATION DES OISEAUX. Finlande, part de la presqu'ile Suédoise, descend en Danemark, en Hollande : ce sont ces bécasses- là qui apparaissent à Anvers plus tardivement que celles de passage à Bruges. Puis elles se répandent dans le centre de la France et arrivent au pied des Pyrénées, excellente station encore, d’oùelles pas- sent en Espagne. Un troisième groupe part des côtes russes de la Baltique, passe en Allemagne et arrive dans le bassin du Rhône, pour suivre de là la côte orien- tale hybérique. À cet ordre de marche, il faut ajouter un qua- trième et immense groupe, composé de toutes les bécasses du nord de la Russie, se répandant sur toute la zone méridionale de l'Est européen, et couvrant l'Italie par l'aile droite, la Grèce par l'aile gauche. À partir de notre zone isotherme de Paris, et selon l'intensité de l'hiver, l’ensemble des bécasses commence à laisser des retardataires qui, souvent, ne vont pas plus loin. Cette arrière-garde aug- mente de plus en plus en avançant au midi, et les marais Pontins, en Italie, sont pour eux un lieu de repos si favorable, que les chasseurs du pays en font des abattis superbes, quelque chose comme trois ou quatre cents par hiver. Le surplus passe en Afrique par les points le plus à sa convenance, MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 85 et se dissémine en decà du Sahara, ou va se re- miser sous le Tropique. Je résume sommairement la théorie de M. della Faille pour la rendre simple et claire, en la com- plétant de mes propres renseignements de l'Est et d’ailleurs. Cette conception, si logique qu'elle tombe sous le sens après un léger examen, en même temps qu'elle jette un jour tout nouveau sur la migration générale, n’a pas tardé à rece- voir une éclatante consécration de l'observation suivie. Au printemps de 1877, je recevais de trois correspondants : MM. A. della Faille de Le- verghem, d'Anvers, De Cugnac, du Gers, P. Petit- clerc, de la Haute-Saône, un tableau détaillé des passages de la saison, dans leurs contrées res- pectives. J’y vis que le plein de la migration des bécasses avait eu lieu, à Anvers, du 9 au 19 mars; dans le Gers, du 11 au 26; dans la Haute-Saône, du 3 au 16. Évidemment les bé- casses du Gers n'étaient point les mêmes que celles de Belgique et de Vesoul; c’est-à-dire que le groupe du centre des Pyrénées était en retard sur les deux autres; et la cause en devenait manifeste en comparant les tempéra- tures, cotées jour par jour, de ces différents lieux. Tandis que, dans le courant de mars, le thermomètre ne s’abaissait pas à plus de 2° au- 84 LA MIGRATION DES OISEAUX. dessus de zéro, à Anvers, pour s'élever à 18°; dans le Gers, par suite d’influences météorolo- giques particulières, il descendait jusqu’à 8° au- dessous de zéro, pour ne s'élever qu'à 11 au-des- sus, au dernier jour du mois. — C'est un des beaux résultats de notre bureau d'observation de la Chasse Ilustrée. Quelques bécasses nous arrivent dès la fin de septembre, de même qu'il en passe encore en décembre; mais la vraie migration a licu du 20 octobre au 20 novembre. Au printemps, le mois de mars est le temps consacré, de toute éternité, pour leur retour. Le papillon jonquille, cher au chasseur et qui éclot aux premiers rayons de soleil, semble être leur émissaire. Elles voya- gent par vols épars, et 1l est sage, lorsqu'on en trouve une au bois, de battre les alentours; la cer” titude est grande qu’on en trouvera plusieurs. Comme leur vue est très-sensible à la grande lu- mière, c’est au crépuscule et à l’aube qu’elles prennent leurs grands ébats, quittant les fourrés pour verroter en plaine et faire leurs ablutions, en personnes propreltes, aux mares el aux flaques d’eau. À la nuit close, elles se mettent en voyage, préférant, elles, les nuits les plus claires; à ce point que les chasseurs, par longue expérience, appellent la pleine lune de novembre la lune des MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 85 bécasses. On les distingue généralement en deux variétés, la grosse et la petite, celle-ci quelque- fois de taille minuscule ; mais tous les natura- listes s'accordent à n’en reconnaitre qu’une scule et unique espèce, les petites étant les mâles, à taches plus larges et plus foncées, ou même les tard-venues n'ayant pas encore atteint leur com- plet développement. Nos anciens nous ont rebattu les oreilles d’his- toires merveilleuses de bécasses. Mon père, par exemple, de tout une poudrière usée à amorcer son fusil (c'était le bon temps des fusils à pierre), par un brouillard des plus humides, sur une nuée de dames au long bec qui lui partaient entre les jambes, de tous côtés : un de mes vieux amis, de vingt-cinq bécasses occises en un jour. Belle au- baine, en vérité! etc., etc. — A tout prendre, et par ce que nous connaissons déjà des éventualités des migrations, c'étaient là des chances heureuses, mais accidentelles, de passages spéciaux ou d’ac- cumulations dans un même lieu. Selon l’usuelle coutume, on en conclut tout droit à l'extinction prochaine de la race. Je ne suis pas aussi humoriste, et pour rassurer les attristés, mon ami Toussenel en têle, voici un renseignement précis. Mon honorable correspon- dant de la Haute-Saône, M. Petitelerc, grand chas- 86 LA MIGRATION DES OISEAUX. seur de bécasses devant le Seigneur, ne se contente pas d’affirmations vagues, il note jour par jour ses rencontres. J’ai sous les yeux un de ses relevés pouE une période de -douze ans, de 1862 à 1874 ; j'examine, et je vois que l'avantage est précisé- ment à la dernière année. Autre détail instructif : les chiffres les plus élevés se retrouvent de cinq en cinq ans; ils vont en diminuant, puis remontent, et ainsi de suile : avis aux amateurs! — Avant de se désoler, il faudrait considérer le vaste champ des espèces, leur nombre formidable, et bien se rendre compte des causes et des motifs, ainsi que de leurs effets. J'indique sommairement en passant les Barces (Limosa), qu’on pourrait surnommer les grosses bécasses des marais, les Races D'Eau (Rallus aqua- ticus), les Marouertes (Gallinula porzana), les Poures D'Eau (Gallinula chloropus), les Fourques (Fulica atra), les Marezres, MocrouLes, etc. : popu- lation des marécages, pour la plupart migrateurs d’arrrière-saison, assez peu communs dans les terres sèches de l'intérieur, raais abondants sur le littoral. Il faudrait tout un volume sur ces races palu- MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 87 déennes, ainsi que sur les aquatiques, mais écrit Rale. par un praticien de longue date, et je décline 88 LA MIGRATION DES OISEAUX. toute compétence, en ma qualité de terrien des hautes terres. Je m’en tiens done aux groupes les plus connus du commun des mortels, et bien suffisants pour fixer la théorie. Poule-d'eau, Les PLuviers (Charadius) et les Vanneaux (Van- nellus) confondent trop souvent leurs rangs en voyage, el leurs habitudes sont tellement sem- blables, qu'il est vraiment inutile de les séparer; ce qui sera dit des uns s'appliquant aux autres. Ces grands migrateurs des terres humides ni- MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 89 chent assez avant au nord, dans les grandes plaines d'en-deçà de la Baltique. Les œufs de van- neaux, d’un vert très-foncé et de la grosseur d’un Foulque. très-petit œuf de poule, sont en grande réputation gastronomique : on en consomme et on en ex- pédie, de Hollande principalement, des quantités considérables ; le haut prix auquel ils sont cotés sur place, 0 fr. 50 la pièce, est bien fait pour allécher la convoitise. C’est là un genre de des- truction plus ou moins recommandable d’un oiseau utile au premier degré. Les Hollandais, qui sont 90 LA MIGRATION DES OÏSEAUX. très-friands de cet aliment, disent pour se discul- per que les vanneaux, ne valant rien par eux- mêmes, contrairement au proverbe, sujet à cau- tion, il est vrai : Qui n'a mangé pluviers ni vanneaux ne sail ce que gibier vaut; c'est bien le Pluvier. moins qu’ils se dédommagent sur leurs œufs; que, du reste, ils n’enlèvent que la première ponle, et que les femelles, très-prolifiques de leur nature, ont bien vite réparé le mal. Il est de fait que, dans les immenses plaines de leurs stations estivales, la destruction n’agit guère que sur une part infime, et nous les voyons toujours apparaitre MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 91 en nuées, chaque année, sur les points à leur convenance. À certains temps, les arrivages à Paris en sont formidables. La saison de pluie, assez générale à l’équinoxe Vanneaux huppés. d'automne, est pour eux le signal du départ. Ils savent que c’est l’époque où les vers de terre, les lombries, émergent du sol, à la nuit, pour l’ac- couplement, et que la päture sera plantureuse. Ils passent de jour, par grandes bandes transver- sales, et à peu de hauteur, pour bien inspecter 92 LA MIGRATION DES OISEAUX. les lieux. Leur itinéraire est tracé par les grandes plaines où ils font de fréquentes stations, päturant surtout la nuit, avec cette curieuse habitude, que les pêcheurs mettent aussi en usage, de battre le sol avec leurs pattes pour comprimer les bestioles et les obliger à sortir; mais régulièrement, cha- que matin, ils se rendent aux grèves pour y faire leurs ablutions. C’est un instant propice pour les affuter, car, hors de là, ils sont toujours en éveil, et des sentinelles font le guet pour les avertir de tout danger. Dans les lieux de grands passages, on les chasse aux filets battants et on en prend des quantités considérables. Après avoir séjourné tout le long de leur route et surtout dans les con- trées méridionales, leur vol rapide et soutenu les porte en Afrique, où ils font de longues exeur- sions. | Leur retour s'effectue de la même manière, dès les premiers Jours de mars ou mieux après le dernier dégel; car ils sont de ceux d’entre les migrateurs dont on peut présager, lorsqu'on les revoit, que l'hiver est bien fini. * x * La grande tribu des oiseaux de rivage renferme bien des genres et nombre de familles dont les Combattants — (Page 95.) MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 95 membres sont pour la plupart exclusivement ma- ritimes et, par suite, sont peu connus et fort peu susceptibles d’être observés, sauf quelques excep- lions, partout ailleurs que sur les littorals. Du reste, leurs habitudes de migration sont aussi à peu près les mêmes : arrivée avec les premiers froids, vie errante sur les rivages, en suivant l’abaissement de la température; retour dans les mêmes conditions dès que l'hiver cède. En voici les principaux genres, hors quelques beaux spé- cimens exotiques et de migration rare ou acci- dentelle dont il sera parlé ultérieurement. Les Bécasseaux (Tringa) qui comptent sept va- riétés dont le plus beau type est le Cowgarranr (Tringa pugnax), ainsi nommé de son humeur querelleuse. Les Cnevaiers (Totanus, en provençal le Charlo), le genre type et le plus élégant parmi les élégants de cet ordre; excellent gibier, d’ail- leurs, comme tous ses congénères. Six genres : le Chevalier gambette, le Chevalier stagnatile, le Chevalier sylvain, le Chevalier quignette, le Che- valier aboyeur et le Chevalier cul-blanc. Je dirai quelques mots de ce dernier qui diffère complé- tement par son habitat et ses mœurs. Le Cnevauier cuL-BLanc (Totanus Ochropus, Gra- veline en divers pays du centre: le Bécasseau de 96 LA MIGRATION:DES OISEAUX. Buffon) est indigène comme d’autres, du reste, et Cheva'ers. habite les rives de nos rivières et de nos lacs. Il Chevaliers cul-blanc. est beaucoup plus modeste de forme, de toilette MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 97 et de volume que tous les autres ; sa taille est celle d'une bécassine ordinaire, et il est beaucoup plus précoce aussi dans sa migration. Dès le mois de juillet, réuni en famille, il commence ses vols d'entrainement, en décrivant de grandes évolu- tions à la surface des eaux et en poussant des cris Courlis. aigus, à la manière des martinets. C'est un fin petit gibier qu’on a le tort généralement de ne pas chasser en France. Dès le milieu d'août, il se met en route; on le trouve, alors, le long de nos plus petits cours d’eau vive, par groupe, par couple ou isolément. Il doit revenir assez tardive- ment, en avril, je suppose. 98 LA MIGRATION DES OISEAUX, Les Cours (Scolopax arquata), façon d'ibis de nos climats, qui, bien que préférant les plages du littoral, sont aussi de passage dans l’intérieur des terres, stationnant dans les prairies humides et le long des cours d'eau, mais en petit nombre et tout à fait en camps volants, à leurs deux migra- tions d'octobre et de mars. Ils vont en Afrique et fort au loin, car on les retrouve identiques à Ma- dagascar. Je laisse de côté de nombreuses espèces plus rares ou exotiques, dont il sera fait mention dans le chapitre des migrateurs accidentels. ss À elle seule, la race immense des oiseaux aqua- tiques proprement dits ou des palmipèdes deman- derait un ën-folio en quatre-vingt-dix-neuf cha- pitres, ‘pour être traité in extenso. Comme nous le savons, leur épais et chaud vêtement de duvet ct de plumes, imperméable à l’eau, à lhumidité, au froid, de même que la grande vertu prolifique dont la nature les à dotés, marquent leur haute destination : peupler, animer, exploiter la région arctique. Là, 1ls trouvent des eaux vives ou sta- gnantes toujours abondantes et amplement pour- vues de végélaux, de bestioles, de frais et de LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST, 99 fretin de poisson. C’est leur patrie, leur contrée d'élection, qu'ils ne quittent que contraints par la force des choses, lorsque l'excès d’abaissement de température leur ferme la surface des eaux, leur champ d'existence. Ils émigrent alors, mais à re- gret et se hâtent de revenir dès que la tempéra- ture se relève ; par les hivers d’alternances de froid et de tiède, c’est un va-et-vient perpétuel fort ap- précié des chasseurs. Telle est leur loi commune. Le cercle polaire, voilà leur domaine. Bons voi- liers pour la plupart, ils y circulent à leur conve- nance ; passant d'Europe ou d'Asie en Amérique, soit par le détroit de Behring, soit par le Spitzherg ou les Ferroë et l'Islande, avec autant de facilité que les migrateurs du Sud traversent la Méditer- ranée, et plus encore ; car ils ont, eux, la latitude de se reposer sur les flots quand bon leur semble. Il en résulte que toutes les espèces sont à peu près communes à la superficie de notre hémisphère, et que, bien qu'une espèce de canard, le Col-vert des chasseurs, l’Anas boschas des savants, soit plus spécial à notre continent, nous en voyons apparai- tre, chaque hiver, un nombre considérable de variétés. Après ces considérations génerales, l’histoire de leur migration particulière sera simple. Le Cyexe (Anas cygnus), par la magnificence de 100 LA MIGRATION DES OISEAUX. la forme et l'ampleur de son vol, tient la tête de l'ordre. Tout à fait indigène du Nord, il s’aceli- mate {rès-bien, comme on sait, sous le climat de ss MS è notre zone tempérée. Sur le lac de Genève, après quelques tentatives el avec des soins, les cygnes sont devenus aujourd’hui sédentaires et à demi civilisés. C’est un exemple de compensation, qui peut s'étendre à d’autres espèces et parer à la LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 101 pénurie des oiseaux dont on se plaint. Dans leur région natale, très-farouches de leurs cantonne- ments envers leurs semblables, ils vivent par couples solitaires; mais à l'automne, ils se réu- nissent en troupe. Très-bons physiciens de leur nature, ils ont reconnu de longue date que l’agi- tation de l’eau empêchait la congélation; chaque matin et chaque soir, à l'heure où le froid est le plus intense, ils se livrent à des mouvements d'ailes vigoureux qui probablement leur sont né- cessaires pour combattre l’engourdissement, mais qui agitent fortement la surface de l'onde et re- tardent d'autant I: moment où ces oiseaux devront suivre la règle générale. Les cygnes en voyage se disposent en longues lignes régulières ; seulement ils n'arrivent guère sous notre zone qu'isolément ou deux par deux, ce quine les empêche point de s’'avancer assez loin au sud. L'espèce des QiEs (Anas auser), qui comprend plusieurs variétés, est caractérisée chez nous par l'Oie sauvage proprement dite (Anas segetum), la plus abondante. Il m'est arrivé d'en voir des vols accidentels à la mi-septembre, par de gros temps ; mais c'est en novembre qu'on a chance de les rencontrer. Elles stationnent et pâturent le jour dans les champs et gagnent le soir les grands étangs ; seulement bien malin le chasseur qui peut 102 LA MIGRATION DES OISEAUX. les approcher à distance propice ; ce n’est guère que le hasard qui donne cette aubaine. Une fois, je manquai une belle occasion. Je revenais de chasse à la chute du jour, et, approchant du logis, Oie sauvage, je déchargeai mon vieux fusil à baguette sur des corbeaux.Cent mètres plus loin, pin !!!... pan!!! dans la plaine; en même temps, je vis se lever une magnifique troupe d'oies qui vint passer droit sur ma tête, à dix mètres de hauteur.Mon espingole vide, je dus me contenter de les regarder passer. Lorsqu’elles se lèvent, elles partent en bande con- fuse, et ce n’est que plus tard qu'elles prennent leur vol spécial, par file indienne, si ellessont peu LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 105 nombreuses, en angle et espacées régulièrement si elles le sont davantage. Ce vol géométrique, commun à nombre de palmipèdes, à de quoi sur- prendre. On à dit vaguement jusqu'ici que cette disposition était plus favorable pour fendre l'air ; mais la question n’est que déplacée, car pourquoi tous les oiseaux volant en troupe n’en font-ils point usage ? — On a ajouté que l’oiscau de tête avait seul à supporter le premier effort et que les autres en étaient d'autant allégés ; que, lorsque ce chef de colonne était fatigué, il cédait la place au second, et ainsi de suite. — M. le comte d’Esterno, un chasseur-naturaliste autorisé, démontre, dans un livre d'une observation rigoureuse sur le Vol des oiseaux, que, S'il en était ainsi, l’oiseau de ligne, trouvant devant lui un air tourmenté, troublé par les mouvements de celui qui le pré- cède, serait incapable de voler parce qu’il man- querait de point d'appui; qu’à l'inverse, chaque oiseau vole parallèlement à tous les autres et non dans un axe commun, de telle sorte qu'il a perpé- tuellement devant lui sa portion d’air intacte. Ceci est plus positif et plus conforme à la réelle théorie du vol, mais ne nous dit pas encore la solution dernière, la raison d’être de cette locomotion bi- zarre. Nous avons déja vu que tous les oiseaux voyageant en troupe ont, en y regardant de près, 104 LA MIGRATION DES OISEAUX. leur ordre particulier de marche, dont le plus étonnant est certainement le vol tourbillonnant des étourneaux. J'en recherche la cause, qui ne peut être, à mes veux, que la résultante des conditions du vol propre à chacune de ces espèces, et, aidé par l'observation de M. d'Esterno, j'en conclus, dans l'exemple présent, que les palmipèdes à queue courte, manquant par conséquent d’un gouvernail suffisant, à long cou qu'ils sont obligés d'étendre pour maintenir leur équilibre, n’ont pas relative- ment Le vol aussi souple dans leur direction que la généralité des autres espèces et sont astreints à cet ordre de marche régulier sous peine de s’entraver, de se gèner mutuellement. Ceci ouvrira la voie, Je crois, à d’autres explications. On a fait celte remarque que les oies, comme bien d’autres oiseaux, volaient haut par le temps clair et sec, volaient bas par les temps brumeux, et on a pensé qu'elles agissaient de la sorte, dans celte dernière circonstance, pour se guider, à dé- faut de l'horizon, par les configurations du sol. Comme tous les autres volatiles, elles sont elles- mêmes leur propre boussole, et il y avait une raison physiquement plus simple, c’est que l'air humide et moins dense alourdit leurs ailes et for- cément abaisse leur vol. — Maintenant, jusqu'à quelle latitude méridionale s’avancent-elles ? LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 105 Fort loin, à leur convenance, selon toute probabi- lié; car l'espèce, comme celles d’autres de leurs congénères, se retrouve identique dans l'hémi- sphère austral. — Elles remontent définitivement, lorsqu'elles sont assurées que leurs pénates de l'extrême nord sont libres pour les recevoir, en Canards sauvages. mars, méme en avril; mais elles sont pressées alors, voyagent par grandes étapes, eton les entend passer la nuit plus qu'on ne les voit de jour. La famille des canards est si nombreuse en va- riétés et d’une si grande puissance de prolification, qu’elle pourrait à elle seule peupler la surface de la terre. 106 LA MIGRATION DES OISEAUX. Le CaxaRp sauvAGE proprement dit(Anas boschas), le beau Colvert des chasseurs et le type primitif de nos canards domestiques, niche dans toute notre zone tempéréeets’étend jusqu'aux régions polaires. La femelle couve de 10 à 25 œufs et recommence plusieurs fois. Il faut un froid sérieux, de 5 à 6° au-dessous de zéro, c’est-à-dire assez vif pour con- geler la surface des eaux tranquilles pour le dé- cider à émigrer. Il s'éloigne alors, se dispersant partout où 1l rencontre des eaux ou sources chaudes qui lui permettent de vivre, mais il re- , vient bien vite, dès que le froid cesse. C'est ainsi que nous le rencontrons jusqu’au fond de nos vallées montagneuses, etce qui fait que les temps variés d'hiver, les alternances de gel et de dégel, sont les plus favorables à sa chasse ; il passe et il repasse sans cesse, alors. A la fin de la saison, le passage est encore assez variable ; mais, dès le mois de mars, tous regagnent leurs pénates et, en avril, ils sont en plein travail de reproduction. Au colvert se joignent un nombre infini d'espèces diverses : le Tanorne (Anas tadorna), le Cnirgau ou Ridenne (Anas strepera), le Pier ou Canard à longue queue (Anas acula), le Sirrceur (Anas pe- nelope), le Sovcuer (Anas clypeata), le Micouin (Anas ferina), leMoriLon, la Macreuse(Anas nigra), le HauLe (Merqgus), les SarGELLES D'ÉtÉ er D'Hiver, ele., LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 107 sans compiler quelques types exotiques qui viennent d'on ne sait où, d'Amérique, d'Asie, car toute la terre leur appartient d’un pôle à l’autre. Leurs habitudes de voyage sont les mêmes que celles des grandes espèces des cygnes et des oies, sauf un détail : les canards se remisent en mer ou Canards Pilets. sur les grands étangs pendant le jour et vont pä- turer dans les champs ou les eaux peu abondantes la nuit. Comme c’est un beau et bon gibier, la dif- ficulté et la rudesse du métier aidant même, leur chasse a ses adeptes fanatiques. Le chien d’arrît, l'affût, les appelants, les engins de toute sorte, tout est bon pourvu qu'on soit patient et habile, car la vigilance des oiseaux est de ces plus grandes. 108 LA MIGRATION DES OISEAUX. Chaque année on voit apparaître, dans les jour- naux, ce cliché consacré : &« on a vu passer de grands vols d’oies, de canards, signe certain d’un Macreuse, hiver précoce el rigoureux ». Nous venons de voir ce qu'il en faut penser : c’est-à-dire que lhiver sévit ou va sévir dans l'extrême nord tout sim- LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 109 plement; mais ce n’est point là une raison pour qu'il vienne jusque chez nous. On pourrait tout aussi bien dire, et souvent à tort, de leurs allées Chasse aux canards et venues, que la fin de l'hiver est proche. Les migrateurs du Sud sont plus positifs dans leurs agissements, comme nous en verrons de nom- breux exemples. * . *“ LE + = 4 14 28 P'NL L'ORA LRFÉSESAN 1 à LOU DT © 3 : YA h &ilrt HATTE ‘ CNE L À oi L ' LUI AU QAR LED war) QU, , 24 - ee, 7 + SR INP6. EX. te + LA ©” L CHAPITRE V MIGRATEURS DU SUD La migration directe au sud, en tenant compte de la réserve qui a été faite d'une inclinaison for- cée à l’ouest, déterminée par la disposition des terres des deux continents européen et africain dans cette dernière direction, est la plus normale, et devait comprendre la grande part de nos es- pèces migratrices. En face de cette multiplicité de sujets qui vont passer rapidement, à tire-d’aile, devant nos yeux, un ordre rigoureux est nécessaire pour éviter la confusion et conserver à ce grand mouvement son aspect le plus pittoresque. Voici celui que je crois devoir adopter : prendre, par ordre de dete, les premiers migrateurs de l’au- tomne de tous les genres de cette multitude d’oi- seaux ; grouper immédiatement à leur suite tous 112 LA MIGRATION DES OISEAUX. leurs congénères, et passer successivement ainsi toutes les principales espèces en revue ; et encore je ne réponds pas d'en omettre, un peu volontai- rement, quelques-unes des moins intéressantes, pour alléger ce long chapitre. Cela dit, ce sera un groupe de l’ordre des pas- sereaux qui ouvrira la marche. La classification scientifique comprend sous ce nom un nombre considérable d'espèces dont elle ne savait proba- blement que faire, comme l’insinue spiriluelle- ment Toussenel, car elles sont souvent bien dis- semblables. Comment comparer, par exemple, et réunir dans une même catégorie, un corbeau et un colibri, un martinct et une fauvette de buis- son? Ce nom a élé inspiré sans doute d’un vieux mot français, passerel ou passerot (du latin pas- ser, passer, cireuler, être foujours en mouve- ment), encore en usage dans certaines provinces pour désigner le merle de roche ou solitaire, et aussi le rossignol de muraille. Car si cette dési- gnation avait la prétention de spécifier l’action d'émigrer, elle serait des plus fausses, en ee sens que cette action est commune à tous les ordres, à tous les genres, et qu’elle n’est la loi d'aucune en particulier. Cette distinction était dictée par nolre sujet. Mais Toussenel à épuisé la critique de la clas- MIGRATEURS DU SUD. 115 siication officielle avec une verve des plus gau- loises et en observateur judicieux de la nature sous son véritable aspect, la vie, apportant en même Martinets. temps le remède au mal. Nous n'avons donc pas à y revenir, sinon lorsque l’occasion forcera le larron. œ 414 LA MIGRATION DES OISEAUX. Les Marniners de nos cités (Cyspelus murarius), ou martinels noirs, avec la régularité d’un chro- nomètre, quittent notre zone d’observalion du 28 au 40 juillet, et nous reviennent du 2 au 4 mai. Cette régularité et cette précocité de migration ont, il me semble, une commune origine. Le martinet fait sa pâture des insectes qu'il happe, dans son vol, de sa gueule visqueuse et fendue jusqu'aux oreilles. Ce vol étant habituellement très-élevé, l'oiseau doit s’en prendre surtout aux insectes qui s'élèvent le plus haut dans l’atmosphère, et qui sont précisément soumis les premiers au re- froidissement qui hâte leur évolution aérienne; de même qu'au printemps ils sont des derniers à sorlir de leurs larves pour trouver dans les hau- tes régions de l'air la température dont ils ont besoin; et les martinets doivent naturellement compter sur les phases d'existence de ces insectes sous peine d’abstinence. Dès que les jeunes sont sortis du nid où ils ont demeuré longtemps pour permettre à leurs ailes, leur seul moyen de locomotion, de prendre leur entier développement, la famille, réunie en groupe compacte, commence ses entrainements de voyage, le matin et le soir, par de grandes circonvolutions et en poussant des cris aigus. Après quoi, toute la tribu d’un même lieu se rassemble en bande, MIGRATEURS DU SUD. 115 tournoyant dans le ciel avec des cris fort diffé- rents, assez semblables à celui de la crécerelle ; ct un beau jour, le temps étant venu, tous ont disparu simultanément, sans qu’on ait pu préju- ger de leur direction, absolument comme ils nous sont venus au printemps. Buffon nous dit que, redoutant beaucoup la cha- leur (la preuve en est, à ses yeux, qu'ils se tien- nent blottis dans leurs trous de rochers ou de murailles au milieu du jour), ils se dirigent d’a- bord au nord pour redescendre ensuite au sud à l'arrière-saison. Il cite à l'appui quelques vols revus en septembre et même en novembre. Or, volei ce que j'ai vu moi-même récemment : à la fin d'octobre de l’année 1879, au soleil couchant, une troupe nombreuse tournoyait au-dessus de moi, en poussant ses cris de crécerelle qui précisé- ment me firent relever la tête, et s’éloignait au sud ; à l'inverse, le 18 août 1877, vingt jours après la disparition des indigènes du pays, deux martinets, évidemment des retardataires, passaient sur ma tête à sept heures du matin, décrivant de gran- des orbes qui allèrent se perdre droit au nord. Plus encore, un grand vol, crécellant, prenait, le 20 septembre, la mème direction. J’écrivis immé- diatement à mon correspondant d'Anvers pour lui communiquer ces observations et le prier de 116 LA MIGRATION DES OISEAUX. me dire comment se comportaient les martinets dans sa contrée et plus au nord, si possible. Il me répondit quil ne s'était jamais bien rendu compte des agissements de ces oiseaux; mais que, dans sa localité, on en voyait encore au 15 août généralement. Ce simple renseignement suf- fit à démontrer que ce n’est pas l’appréhension du froid qui les fait fuir de notre latitude, et qu’il est dès lors probable qu'ils vont d’abord à la re- cherche des générations d'insectes de leur choix, nécessairement plus tardives en avançant au nord, pour revenir ensuite au sud, leur vraie direction de migration. Le mème fait va se représenter à propos des hirondelles : 1l touche à une question plus générale qui a été soulevée souvent, à savoir si un certain nombre d'espèces ne suit point d’a- bord la maturité des graines. des fruits, ou l’ap- parition d’autres nourritures, en remontant au nord, pour redescendre ultérieurement. Nous au- rons occasion d'y revenir. : La variété du marünet noir, le MARTINET À vEeN- RE BLANC (Gyselius albinus), plus forte de taille, au vol plus puissant et plus élevé encore, a besoin de la plaine campagne pour s’ébattre à l'aise; elle fuit nos villes et niche dans les rochers, et peut-être dans les vieux arbres. Ses allures de migration sont encore plus obscures; mais ül MIGRATEURS DU SUD. 117 est probable qu'elles sont les mêmes que celles de leurs confrères. Toussenel rapporte que le naturaliste italien Spallanzani a calculé que les martinets faisaient quatre-vingts lieues à l'heure, ce qui fait un vol de quatre-vingt-neuf mêtres à la seconde. En plein élan, ce n’est peut-être pas exagéré. On con- coit alors la facilité de locomotion de ces êtres privilégiés et la difficulté d'observation de leur marche. En quelques heures, ils peuvent franchir toute la zone tempérée; en quelques autres, se transporter à l'Équateur et par de là, si bon leur semble, car l'espèce est répandue sur les deux hémisphères. Mais, néanmoins, cette vélocité hors ligne n'est pas suffisante pour admettre leur pas- sage direct des côtes de France ou d'Afrique sur le continent américain, où ils existent également, si ce n'est par la route plus courte de l'extrême nord; car cette traversée exigerait un vol sou- tenu de soixante heures et de cette même vi- tesse; bien que nous sachions que ces oiseaux se sustentent, dorment, se livrent à tous les actes de la vie dans l'atmosphère, leur véritable séjour. Une troisième famille se rattache à ce premier groupe du genre Cnécwox (dont la signification grecque est purement et simplement Hirondelle), 118 LA MIGRATION DES OISEAUX. c'est celle des Excourevexrs (Caprimulqus euro- pæus). Or, ici, le larron a la main forcée par l’occasion. Guéneau de Montbelliard, le collabo- Engoulevent. rateur de Buffon et un père de la science, dit : « Lorsqu'il s'agit de nommer un animal, ou, ce qui revient presque au même, de lui choisir un nom parmi tous les noms qui ont élé donnés, il faut, ce me semble, préférer celui qui présente une idée plus juste de la nature, des propriétés, des habitudes de cet animal, et surtout rejeter 1m- pitoyablement ceux qui tendent à accréditer de 19 fausses idées el à perpétuer des erreurs. C'est en MIGRATEURS DU SUD. 119 partant de ce principe que j'ai rejeté les noms de Tette-chèvre, de Crapaud-volant….. donnés par le peuple ou par les savants, à l'oiseau dont il s'agit. Le premier de ces noms à rapport à une tradition, fort ancienne à la vérité, mais encore plus suspecte; car il'est aussi difficile de suppo- ser à un oiseau l'instinct de tèler une chèvre que de supposer à une chèvre la complaisance de se laisser tèler par un oiseau; el il n'est pas moins difficile de comprendre comment, en la tèlant réellement, il pourrait lui faire perdre son lait... » — Et c'est précisément sur cette fable que la science a basé ce nom générique de Capri- mulqus europæus, liltéralement {etteur de chèvre d'Europe. Passant sous silence le nom de Gypse- lus (plätreux), donné aux martinets noirs, et qui n'exprime rien, le larron dit carrément que c'est abuser du grec et du latin. L'Engoulevent, ainsi nommé habituellement par sa large gueule, niche en France. Son habitat est sur les coteaux pierreux exposés au soleil. On l'y rencontre fréquemment au mois de septembre, en chassant la perdrix ou le lièvre, étalé ou en- dormi aux chauds rayons du milieu du Jour. Mais que nos confrères en saint Hubert l'épar- gnent : c'est un oiseau utile au premier chef, et ils seraient mal récompensés de leur exploit. Il 120 LA MIGRATION DES OISEAUX. m'est arrivé, dans une circonstance pareille, d'en tuer un, surpris que J'étais de ces deux grandes ailes et d’un vol insolite qui passait devant mes Hirondelles de fenétre. yeux à l’improviste, et, sur la foi des angiens, de le joindre à un salmis de menus, volatiles. Pouah!.….. Je compris alors son surnom de cra- NAS 11n Il ! \ | \ \ | wi \ ati, [CLLLL Eesenrt sf | I ' ge) É. Ju (UE | | (SR | 11 0 pa M (ll | > LA | fl | | Ep AP Ua ( 1] | , DLL ; Fr 4 }, ; Î : = 2 ( Al £ ? Ÿ AL ELA ji | p d l ait! \ Ne MAR A] La a Ul CA [ AA Z IL 2 EA ï l A2 9 4 VS | z || \ | 4 Is fl / TZ | | Æ " fl "ji | Er. ; Æ |) ana A CD } 4 lou! l dÀR (| Ê, D | 1 (1)) V [-4 fl | } f 1 #1 ail l :[ | | 1 A l'A !IR = / D LATNT 4 | ee page 125. Rassemblement des hirondelles, MIGRATEURS DU SUD. 125 paud-volant : il avait empesté tout le reste, qui fut bon pour les chats". Myope de nature et n'y voyant qu'au demi-jour, il descend dans les plaines, au crépuscule et à l'aube, pour capturer les insectes, sa seule nour- riture. Quant à sa migration. il disparait à la fin de septembre et nous revient aussi mystérieuse- ment en avril ou en mai. Passons aux vraies HiroNDELLES, qui soit repré- sentées en Europe par quatre variétés : l’Hrox- DELLE DE FENÊTRE, Ou à cul-blanc (Hirundo urbica); P'HIRONDELLE DE CHEMINÉE, à gorge rousse (Hirundo rustica); V'HiroNDELLE DE rocuErs (Hirundo mon- lana); V'HIRONDELLE DE RIVAGE (Hirundo riparia). Dès la seconde quinzaine d'août, les hirondelles de fenêtre commencent à se rassembler et à se concerter. Ce sont généralement les toits de nos grands édifices qui servent de points de réunion. Les assemblées deviennent de jour en jour plus nombreuses, au fur et à mesure que les dernières nichées prennent leur vol: on presse celles en retard et qui deviennent alors l’objet de soins em- pressés pour hâter leur essor; jeunes et vieilles, ainsi que les voisines compatissantes, s’en mêlent 1. Cependant une dame digne de foi, chasseresse et gastro- nome, m'alfirme qu'ailleurs, dans la forêt d'Orléans par exemple où il abonde, il est très-mangeable et même fort bon. 124 LA MIGRATION DES OISEAUX. et apportent la pâture. Les meelings S’animent de plus en plus : les oiseaux ont alors un pépie- ment spécial; quieques-uns volent à l’entour, ou vont et viennent au loin. Puis un beau jour, aux environs du 20 septembre, un peu plus tôt, un peu plus tard, suivant la température et le temps de la saison, on n’en revoit plus. Une observation, ancienne pour moi, m'intri- guait fort. Lorsque nous chassons l’alouette au miroir, à la fin d'octobre, nous voyons passer journellement de grands vols épars d'hirondelles, tirant droit au sud, d’un vol égal et soutenu, en rasant les champs; et je me demandais si les ha- bitantes du nord, plus aguerries, prolongeaient ainsi leur séjour. L'automne de 1877, très-varié de temps et de température, devait encore m'ap- porter, de même que pour les martinets, un grand éclaircissement. En raison des conditions atmo- sphériques, pluvieuses et froides, de septembre, le départ avait été très-précoce dans ma localité. Le 17, alors qu'il n’en paraissait plus, depuis plu- sieurs jours, j'en revis quelques couples dans la journée volant rapidement au nord. Les jours sui- vants mêmes observalions ; plus encore, des vo- lées entières; et ainsi de suite jusqu'à la fin du mois. De son côté, M. Pellicot nous dit qu’elles ne quittent la Provence qu’en octobre. [n'y à donc MIGRATEURS DU SUD. 195 plus à hésiter : les hirondelles, elles aussi, re- montent au nord pour redescendre ensuite; du moins celles dites culs-blancs, de beaucoup les plus nombreuses et les mieux observées. L'Hirondelle de cheminée annonce moins son Hirondelles de cheminée. départ par ses rassemblements; elle nous quitte quelques jours avant sa sœur et nous revient plus tardivement. L'Hirondelle grise de rochers n'est répandue en France que plus au sud, où elle habite les roches et les hautes falaises. Elle arrive vers le 10 mars et repart la dernière; un certain nombre demeure 196 LA MIGRATION DES OISEAUX. sédentaire même dans les rochers bien exposés du littoral méditerranéen. L'Hirondelle de rivage, la plus petite, niche dans Hirondelles de rivage. les trous qu’elle creuse elle-même dans les ber- ses. Il ne faut point la confondre avec l'oiseau d'assez grande taille que l’on nomme communé- ment Hirondelle de rivière, et qui n’est autre qu'un oiseau maritime, aux pattes demi-palmées et se nourrissant de poisson, égaré sur nos grands MIGRATEURS DU SUD. 127 cours d'eau. La véritable disparait en même temps que celle de fenêtre et revient en avril : ce pour- rait être celle-ci qui, par quelques faits exception- nels, aurait donné lieu aux fables anciennes des pêcheurs. Les hirondelles sont d'excellents observateurs de la ligne isothermique, à leur retour du prin- temps. Ainsi, elles s'installent à Paris bien avant que dans des contrées plus méridionales où des conditions locales retardent la température prin- tanière, ainsi que j'ai eu l’occasion de le voir. Mais voici un fait plus caractéristique et qui prouve en même temps l'intelligence de ces o1- seaux. Au mois d'avril 4874, un manufacturier du Pas-de-Calais m'écrivait l’intéressante lettre qui suit : « Dans ma fabrique, 1l y a plusieurs centaines d'hirondelles qui vont, viennent, chantent, se po- sent sur les métiers, si près des ouvriers que ceux-c1, s'ils le voulaient, pourraient les prendre à la main. Elles ont là leurs nids, elles y pondent, y élèvent leurs petits, à deux mêtres de n’importe quel ouvrier. Et, chose étrange, on dirait que ces charmants oiseaux savent que les déjections de leurs oisillons pourraient gâter l'ouvrage; on ne voit jamais d’ordures sous leurs nids. Ils emportent 198 LA MIGRATION DES OISEAUX. tout. Ils rentrent, ils sortent des milliers de fois dans une journée peut-être, en ne passant jamais que par la porte. Ils ne veulent pas se servir des fenêtres ouvertes. À cinq heures et demie du ma- tin la cloche sonne pour la rentrée des ouvriers, on leur ouvre la porte, et elles s’en vont en pous- sant de petits cris. À sept heures et demie du soir, quand la cloche sonne la sortie, toutes nos hiron- delles rentrent au plus vite, de peur de coucher dehors, et je suis sûr qu'il en manque rarement à l'appel. « Mais ces doux messagers du printemps sont d'une férocité rare pour n'importe quel oiseau qui se permet d'entrer dans les ateliers. Seules les hirondelles qui y sont nées ont le droit de cué. S'il survient une hirondelle étrangère, un malheureux pierrot, etc., toute la bande pousse des cris furieux, au point de dominer le bruit des métiers, et, en deux ou trois minutes, l’intrus est entouré et tombe mourant à nos pieds. « D’autres savent peut-être comment dans une telle foule elles peuvent se reconnaitre, mais ce qui étonnera surtout, c’est que, quand vous n’a- vez pas d'hirondelles à Paris, moi qui suis ici tout au nord de la France, à quelques lieues de la mer, dans un pays froid et humide, j'ai déjà les miennes. Peu nombreuses, il est vrai, ce sont TE: Le ue © MIGRATEURS DU SUD. 129 les fourrières, et dans le pays il n'y en aura pas peut-être avant trois semaines. « À leur arrivée elles se perchent sur les mé- tiers et entonnent un chant qui dure dix minutes au moins sans s'arrêter ; jamais leur voix n'est aussi vibrante, aussi forte qu'alors. Ce sont des roulements à n’en plus finir, elles semblent ex- primer le bonheur de nous revoir, et d’être enfin arrivées au but de leur lointain voyage. » Cette lettre exprime surtout à merveille le sen- timent d'affection, de respect, qu'on a dans le Nord pour les hirondelles. Il peut arriver que des amateurs, comme exercice de ür, en abattent quelques-unes; mais jamais pour en faire vic- tuaille ; on les regarde mème comme immangea- bles. Il n'en est point de même dans le Midi : ont- elles acquis en route de plus grandes qualités gastronomiques? Je ne sais! Mais, profitant de leur habitude de se remiser le soir dans les jone des marais ou du bord des fleuves, c’est par mil- liers qu’on les capture. On me dit même qu’on les réexporte par tonnes d'Italie dans le Nord. Ce fait, je l’avoue, serait bien capable de me ranger dans le camp des protecteurs à outrance de tous les oiselets. 150 LA MIGRATION DES OISEAUX. Logeons à la suite de ce groupe, pour n’y point revenir, deux oiseaux insectivores dont la elassi- fication européenne est elle-même assez embar- rassée, car 1ls sont les seuls représentants de leur Le Coucou. genre dans notre zone tempérée : je veux parler du Coucou et de la Huppe. Le Coucou (cuculus canorus) est en effet un oi- seau ambigu difficile à classer. Par le plumage zébré transversalement et par son vol, il ressem- MIGRATEURS DU SUD. 151 ble à l’épervier; par le bec et les pattes au merle ou à la tourterelle. Ses mœurs sont encore plus étranges : comme on sait, il ne fait point de nid et charge d’autres espèces du soin de couver, nour- rir et élever sa progéniture. C'est fort commode. Cette manière d'agir, ainsi que ses allures sau- vages, mystérieuses, l'ont fait accuser d’un grave méfait : celui de gober au préalable jes œufs ou les petits auxquels il donne pour remplaçant son propre œuf. Il n’en est rien, et ce conte est venu sans doule de ce que la femelle, pondant à l'é- cart, transporte dans sa gorge, suffisamment dé- veloppée à cet effet, son propre œuf pour le dépo- ser dans le nid qu’elle à choisi; et pousse la prévoyance si loin que, comme elle ne s’adresse généralement qu'à de petites espèces, rouge-gorge, bergeronnette, etc., qui ne pourrait nourrir plu- sieurs de ses rejetons, elle n’en place qu’un seul par chaque nid, bien qu’elle en ponde cinq ou six. Mais ce rejeton, une fois éclos, rejette forcément au dehors par son volume les autres œufs ou les autres petits et reste communément seul : voilà où est le mal. Le coucou se hourrit particulié- rement de chenilles poilues, et il a la faculté d’en dégorger les peaux, comme les rapaces. Il émigre {in août et commencement de septembre, fort sour- noisement ; il revient en avril. Il est aux premiers 152 LA MIGRATION DES OISEAUX. jours moins sauvage, erre dans les vignes, dans nos vergers : sa chair est à cet instant très-délicate. À quoi cela tient-11? — Je l’ignore. La Hurre (upupa), comme le coucou, tire son Hup-hup-hup !!!... » cadencé et souvent répété; et non pas de l’aigrette de plumes qu’elle porte sur la tête et dont le nom dérive lui-même de celui de l'oiseau. Son beau plumage, fauve rosé, en fait un des plus remarquables volatils d'Europe. Il se nourrit à terre d'insectes mous et de molusques. Il est de passage dans notre zône en septembre ; mais 1} y niche aussi à son retour d'avril ; 1l n’est point rare en été aux environs de Paris. On a fait également porter sur lui les méfaits de sesenfants, à savoir, qu'il construit son nid avec de la fiante pour le sauvegarder. Ce sont ses petits qui, enfer- més dans le creux d’un arbre etne pouvant rejeter leurs ordures, ont causé cette erreur ancienne. À l'automne, la Huppe est très-grasse et ne fait point mal à la broche. Avec la même ponctualité que le martinet, la Cicoxe BLANGHE à ailes noires (ciconia alba) se met en route le 14 ou le 15 août, par grandes troupes confuses, à plus ou moins de hauteur, selon Pétat hygrométrique de l'atmosphère, et dans la mati- MIGRATEURS DU SUD. 155 née comme le soir. Elle va droit au sud, craque- lant en chemin de son long bec; c’est son langage La Huppe. de voyage. Mais son passage est moins subit et se prolonge un certain temps. Ses cantonnements 154 LA MIGRATION DES OISEAUX. d'été s'étendent jusque par delà la mer Baltique, partout où elle est assurée de trouver une ample pâlure de serpents, de lézards et de batraciens. Elle ne niche en France que dans l’ancienne pro- La Cigogne. vince d'Alsace. Les cigognes migrent en Afrique où un grand nombre s'arrêtent en deçà de l'équa- teur; mais d’autres poursuivent et passent dans l'hémisphère austral, comme on l’a vu par l’exem- ple de la flèche révélatrice, cité précédemment. Ici se pose une question au sujet de ces derniè- La Grue. MIGRATEURS DU SUD. 157 res, comme à celui de tous les oiscaux soupçonnés ou convaincus de prendre le même itinéraire trans- équatorial. Elles retrouvent dans cette autre région le printemps et la saison des amours : y subissent- elles la loi commune du lieu et s'y livrent-elles à une nouvelle reproduction? — Notre vieux natu- raliste du seizième siècle, Belon, qui avait par- couru l'Orient, incline à le penser, et Adanson affirme avoir vu des cigognes nicher en Egypte pendant l'hiver. C’est là un intéressant problème sur lequel nous ne larderons pas à revenir. La Cicogxe noire (Ciconia nigra) est plus rare et plus sauvage; ear loin d'habiter les villes et les demeures de l’homme, elle se retire au loin; elle à les mêmes habitudes de migration et revient éga- lement en mars et en avril. La Gnue (Grus cinerea), le plus grand et le plus beau type de ces échassiers d'Europe, est beaucoup plus tardive dans sa migration et nous donne rarement occasion de la voir dans notre la- litude, attendu que sa station estivale est fort loin au nord et qu’elle migrela nuit, sans aucun doute par la peur de l’aigle, son ennemi acharné, et à grandes étapes, ne nous révélant son passage que par ses clameurs ou ses cris de ralliement. Elle adopte, elle aussi, l’ordre de vol triangulaire des granas palmipèdes. 158 LA MIGRATION DES OISEAUX. Le nom seul de cet oiseau a le don de me rap- peler un temps lointain, celui où à la rentrée du collége, saison froide et brumeuse précisément - à laquelle la grue émigre, je commençais ou re- commençais l'explication de l’Iliade et somnolais, plus souvent que le bon Homère (gæcumque bonus dormitat Homerus, réminiscence classique), sur le texte grec. J'ai tant répété ou entendu répéter ce passage de début du troisième chant qui nous intriguait fort, qu'il s’est incrusté dans ma mé- mémoire : | «A peine les deux armées, leurs chefs à leur «tête, sont rangées en bataille ; les Troyens, tels « que des nuées d'oiseaux, s’avancent avec des cris « perçants : ainsi s'élève jusqu’au ciel la voix écla- = «tante du peuple ailé des grues, lorsque, fuyant « les frimas et les torrents célestes, elles traversent « à grands cris l’impétueuse mer, et, portant la « destruction et la mort à la race des pygmées, « livrent, en descendant des airs, un combat ter- « rible! » Charitablement, et pour nous mettre sur la voie, le professeur aurait pu nous donner la simple explication de Buffon, à savoir que les singes qui vivent en grandes troupes en Afrique et dans l'Inde et qui sont très-friands d'œufs d'oiseaux, font aux grues une guerre acharnée. On sait avec quelle Combat de Pongos et de Grues, page 141. MIGRATEURS DU SUD. 141 salisfaction un singe en captivité tord le cou à un perroquet qui lui tombe sous la main et le plume dextrement. Les grues, à leur arrivée, trouvent probablement ces ennemis rassemblés en grand nombre pour attaquer cette proie qui leur tombe du ciel. De là des combats terribles où les quadru- manes n’ont pas toujours le dessus, mais qui, vus de loin et avec l'imagination native des Orien- taux, ont pu paraitre livrés par les grues à une race humaine de petite taille. Le grand Alexandre lui-même, avant ou après son entrée à Babylone, je ne sais, faillit se laisser prendre à une semblable illusion et allait envoyer sa phalange d'élite contre une armée de singes Pongos, lorsque le roi Taxile lui fit remarquer que cette multitude qu'on voyait sur les hauteurs n’était autre qu'une troupe d’a- nimaux inoffensifs attirés par la curiosité « mais, à la vérité..……., ajoute Buffon ou un de ses conti- nuateurs, moins insensés, moins Sanguinaires que les déprédateurs de l'Inde! » Les grues partant tard, en octobre et novembre, remontent de bonne heure en mars. Je ne cite que pour mémoire un autre bel échas- sier, le Hérox indigène qui niche en Europe par srandes colonies ou Héronnières ; 11 n’est qu’er- ralique en hiver, cherchant un peu dans tous les recoins sa päture journalière. LA MIGRATION DES OISEAUX. Le Héron. NIGRATEURS DU SUD. 145 Les Burors (Ardea stellaris), dégénérescence des précédents, sont un peu plus migrateurs ; encore s’arrêtent-ils à la limite des froids susceptibles de congeler le bord des étangs. Le Butor. Et j'arrive, en suivant l'ordre de date de la mi- gralion, à la Guize (Perdix coturnix), oiseau dou- blement intéressant par toutes les questions qu'il fait naître et comme gibier fin et délicat. Nous nous y arréterons donc le temps nécessaire. La caille commence à quitter nos champs où elle à fait ses nichées, lorsqu'ils se dépouillent de leurs récoltes vers le 15 août; mais comme ces imèmes récoltes s’'échelonnent jusqu'aux dernières 144 LA MIGRATION DES OISEAUX. stations des cailles au nord, que les nichées plus lentes et plus tardives s’y prolongent, la migration se continue très-tard, jusqu’au milieu d'octobre, et même il n’est point rare de rencontrer de ces oiseaux, empêchés ou trop jeunes, après le pre- mier novembre. Is nous reviennent à partir du commencement de mai, lorsque les herbes des prairies sont assez hautes pour leur donner un abri ; tous les observateurs s'accordent à dire, en deux passages : le premier composé des mâles que, pa les belles nuits des environs du 10 mai, on entend passer à leur cri répété : « Carcaia !!! car- caia !!!..., », cri de ralliement et d'indication des vols épars, dont les dégradations donnent la di- reclion des oiseaux droit au nord en même temps que l'intensité de leur vol égal, soutenu et à lon- gue portée; le second passage, composé des femelles et qu’on ne peut guère constater que par l'observation sur le terrain, a lieu vers le 1° juin. Elles ont pour la migration nocturne deux rai- sons : profiter de la température plus fraiche qui favorise leur vol; éviter la voracité des rapaces diurnes. Quart à celle des rapaces nocturnes elles y échappent par une élévation qu’on ne peut esti- mer à moins de deux cents mètres. Ainsi voilà unoiseau, au corps lourd, surtout en automne, lorsqu'il est surchargé d'embonpoint, F7 *S]]IRO OP AFIIUE,] WIGRATEURS DU SUP. 147 aux ailes courtes et arrondies, qui, lorsque nous le faisons lever en plein jour, ne nous paraît doué que d'un vol abaissé et à courte portée, et qui la nuit fait preuve d'une puissance de locomotion que nous n'aurions pu Soupçonner. C’est qu’alors, — indépendamment de l'influence de la fraicheur, tellement manifeste pour les chasseurs qu'ils ont coutume de dire, chaque fois que le temps est frais et vif, que les cailles volent comme des hiron- delles, — elles n’ont plus, timides et sans défense, la crainte de leurs nombreux ennemis, crainte qu les porte de jour à surbaisser leur vol et à chercher au plus vite un abri sous tous les couverts à leur proximité. Nous pouvons en tirer cette conséquence immédiate que si la sécheresse a sévi dans une con- trée ou que touteautre cause ait dénudé les champs, on peut y pronostiquer par avance que le passage et lestationnement des cailles y serontpeu abondants ; elles vont plus loin, là où elles trouveront de meil- leures conditions de sécurité et de réfection. Elles nichent partout en Europe, avec une fé- condité considérable et à plusieurs reprises, depuis le littoral de la Méditerranée jusqu'au cercle po- laire, au dire de la généralité des naturalistes. Néanmoins, M. della Faille assure qu’au nord de la Hollande elles deviennent déjà rares et que, dans la contrée d'Anvers, le passage est presque nul ; 148 LA MIGRATION DES OISEAUX. mais elles pullulent dans ce dernier lieu à un tel point, que dans son seul terrain de chasse, les gardes ont constaté, en une saison, douze cents nids détruits par la fauchaison des prairies artifi- cielles. À l'automne, les plus libres et les plus dispos de ces oiseaux prennent les devants ; les autres suivent selon l’âge et la force des jeunes. Un dernier passage a lieu vers la mi-octobre, com- posé en majeure partie des mères qui ont été re- tenues par les soins à donner à leurs derniers rejetons et par la nécessité de se ravitailler elles- mêmes. Toutes ont cu alors le temps de se mettre en bel état; aussi cette passée est-elle dite des Cailles grasses. Suivant leurs conditions d'activité ou à leur convenance, elles commencent à s'ar- rêter dans les pays à température humide et tiède, le sud de l'Angleterre, la Bretagne, où quelques- unes hivernent, et le nombre de ces stationnaires précoces va en augmentant jusqu'au littoral. La masse passe en Afrique, et M. Pellicot, de Toulon, est d'avis qu’elles ménagent leurs forces en cal- culant leurs étapes de façon que la dernière aboutit juste au rivage. Il en donne pour preuve que, par les jours de bon passage, tandis qu'on les trouve en abondance sur la côte, on n’en ren- contre que fort peu dans l’intérieur des terres, à courte distance. MIGRATEURS DU SUD. 149 lei se présente la grande question de la traver- sée de la Méditerranée quiétonne l'esprit, ilest vrai, mais qu'il faut bien admettre, même pour des es- pèces plus chétives et plus faibles. La plus grande distance qui sépare le continent africain de l’Eu- rope,soit de Marseille à Alger, est d'environ 650 kilomètres. La caille n’a pas sans doute l’aile dé- gagée de beaucoup d’autres oiseaux, du ramicr, par exemple, mais les mouvements en sont beau- coup plus rapides, à ce point qu’ils échappent à Pœil dans son vol de jour. En se basant sur Popi- nion d'un vol de 80 lieues à l’heure pour le marti- net, de 60 pour l’hirondelle, et de 25 à 30 pour le pigeon voyageur, on peut sans exagération ad- mettre un vol de 16 lieues pour la caille. La tra- versée directe lui demanderait donc dix heures, c’est-à-dire l’espace d’une nuit; et M. Pellicot es- time que beaucoup exécutent ce trajet directement et d’une traite. Mais il ne faut pas oublier que les points intermédiaires ne leur manquent pas: c'est, à partir de l’ouest, le détroit de Gibraltar, large seulement de quinze kilomètres; la ligne des îles Baléares qui coupe l’espace en diagonale et par le milieu ; la Corse et la Sardaigne qui se suivent, et, par leur droite direction, semblent une route toute tracée de l’un à l’autre continent ; la Sicile, dont la pointe occidentale est à peine 150 LA MIGRATION DES OISEAUX. éloignée de 150 kilomètres de Ia côte de Tunis; Malte, les îles de l'archipel, sans parler d’une multitude d'îles et d'ilots à leur disposition et dont elles profitent, à en juger par les captures formi- dables qu'on y fait aux époques des passages. Le merveilleux disparait done de ce grand parcours ; néanmoins, l’effort donné par l'oiseau n’est pas léger et ce n’est pas sans motif que la nature la pourvu, au départ, d’un supplément de graisse, véritable aliment de son foyer de locomotion for- cée, car, à son arrivée à la côte d'Afrique, on constate qu'il n’a plus le même embonpoint. D'autre part, de nombreuses vicissitudes peuvent l’atteindre dans le trajet, soit qu'il ait trop pré- sumé de ses forces, soit qu'il ait été surpris par une saute de vent défavorable ou par des bour- rasques, car un bon nombre, bon gré, mal gré, tombe à la mer. Ge faitest certifié par un exemple curieux que rapporte M. Pellicot, qui a fait une étude spéciale des mœurs et de la migration de la caille sur le Httoral. Un matin de mai, à La Ciotat, il vit rentrer des bateaux de pèche qui avaient à bord une dizaine de petits requins : ceux-ci furent ouverts devant lui; «n'y en avait aucun qui n'eût de huit à douze cailles dans le corps. » — Ces tribulations qui menacent les oiseaux migra- teurs, même sur terre, ne sont point rares. On m'a MIGRATEURS DU SUD. 154 parlé, il ya déjà longtemps, de bandes entières précipitées dans le Rhône par les gros temps et qu’on pêchait le lendemain à la surface. À Genève, on m'a conté qu'un immense vol de grives avait élé jeté dans les rues mêmes, probablement par une de ces rafales verticales, communes dans les pays de montagnes; on en ramassait dans tous les coins et recoins, et les Génevois en firent bom- bance. Naturellement on a fait beaucoup de fables sur ce passage transméditerranéen des cailles, sans qu'aucune soit fondée sur une observation po- sitive. Une surtout a encore cours: c'est qu'elles auraient la faculté de se reposer sur la mer en prenant la précaution de tenir une aile élevée, soit en guise de voile, soit pour reprendre plus faci- lement leur vol. Ce qui y a donné lieu, c'est qu'on a pu voir des cailles tombées à la mer, se débat- tant et cherchant à se relever ; mais il leur faut, comme à bien d’autres oiseaux, l’élan de leurs pattes pour prendre leur vol, et ici le point d'appui leur fait défaut. Notre observateur du Midi ajoute judicieusement que si elles avaient cette faculté, elles commenceraient par s’en servir pour se garer de ce terrible amateur de leur chair, paraît-il, le requin. Le fait certain, c’est qu’elles arrivent en Afrique. 152 LA MIGRATION DES OISEAUX. Un bon nombre hiverne en deçà du Sahara, car on les rencontre et on les chasse tout lhiver en Algérie. Beaucoup d’autres franchissent le désert : ce fait est certifié par l'observation bien précise qu’elles sont en plein passage de retour, sur le littoral algérien, au mois de mars. Belon et le na- turaliste anglais Cotesby n'hésitent pas à faire pas- ser ces dernières, en tout ou partie, au delà de l'équateur, dans l’autre hémisphère. La même question d’une reproduction nouvelle qui s’est po- sée d'elle-même pour les cigognes, se rencontre donc encore ici, et il faut s’y arrêter. La transmigration équatoriale est basée sur ce retour au printemps dans la région du littoral nord de l'Afrique, d’une part; de l'autre, sur la présence de l'espèce identique dans l'hémisphère austral. Étant donné le tempérament ardent, pas- sionné des cailles, ainsi que leur grande fécon- dité, l'hypothèse d’une seconde reproduction, dans des conditions favorables, devient assez natu- relle. Buffon, fort circonspectsur ces deux points, constate néanmoins qu’elles ont deux mues an- nuelles qui précèdent leurs départs : grave indice qu’elles partagent du reste avec d'autres espèces. Pour ma part, je serais porté à voir dans le fait de nouvelles amours, l'explication de la rage de migration, c'est le mot! qui saisit ces oiseaux, | | | MIGRATEURS DU SUD. 155 même en captivité, aux époques déterminées. Tous les autres sont, il est vrai, inquiets, agités, aux mêmes instants; mais ceux-ci poussent la passion Jusqu'à braver des chocs et des blessures répétés qui les assommeraient, comme chacun sait, dans leurs pointes ascentionnelles nocturnes, si on n'avait la précaution de garnir de toile ou de filet le plafond de leur prison; et cela, quelles que soient la température et la provende dont on les entoure. Cette passion semblerait indiquer un mo- bile plus puissant, plus impérieux encore que le vivre. On objecte qu'il ne nous en revient pas de Jeunes au printemps. Mais il est probable qu'il se- rait également difficile de constater une grande dif- férence de taille et d'âge parmi celles qui arrivent, à l'automne, en Afrique ; par la première raison qu'ilest à présumer que ce sont les individus com- plétement adultes qui se livrent à ces grandes mi- grations; et par cette seconde, que tous ont alors accompli au moins une mue, ainsi qu'il vient d’être dit, et qu'il est peu aisé, à première vue, d'établir une distinction. Cependant, un de mes amis qui a longtemps habité l'Algérie, me dit avoir vu les arabes prendre des quantités de jeunes cailles, au retour de mars, en les acculant à l'extrémité des fossés et en les couvrant simplement de leur bur- nous. De son côté, M. della Faille, qui a habité, 154 LA MIGRATION DES OISEAUX. chassé et observé en Italie, m'écrit « qu'il est en mesure, d'affirmer de visu, qu’à l'arrivée des cail- les sur le littoral de ce pays, l'y en a d’üge diffé. rent, comme l'atteste leur plumage. » — Tels sont les renseignements que j'ai pu rassembler sur ce point dela transmigration équatoriale, d’un cer- tan intérêt en histoire naturelle, et qui ne pourra ètre précisé que par des observations à venir fai- tes sur les lieux mêmes et bien déterminées. Je m'étends longuement, et encore, pour être plus bref, avec beaucoup de sécheresse, sur le chapitre de la caille : c’est que c’est un sujet bien intéressant et qui nous permet d'étudier divers problèmes sur lesquels nous n’aurons plus à re- venir ; à ce point même que plusieurs considéra- lions sont encore nécessaires. En examinant la conformation du littoral nord du continent africain, il est naturel de penser, conformément à la théorie émise précédemment au sujet des bécasses, que les cailles se divisent pareillement, à lenr retour, en quatre groupes, ou mieux, en quatre veines centrales, dont l’une part de là pointe du Maroc pour se répandre en Espagne et dans l'Europe occidentale ; la suivante, de la pointe de la Tunisie pour aborder en Italie et se disséminer dans l'Europe centrale; la troi- sième, du promontoire du Benghazi dans la MIGRATEURS DU SUD. 155 régence de Tripoli pour se répandre, par l'ile Crète, dans PArchipel et le centre de la Russie; la qua- trième, du delta du Nil, par le littoral de l'Asie et l'ile de Chypre, gagne la Russie orientale et les parages des monts Oural. Ces groupes et leurs vols successifs infléchissent leur marche à l'Ouest ou à l'Est, selon la direction du vent régnant; selon Buffon, cette remarque a été faite depuis longtemps et d'une manière précise aux passages de l'ile de Malte. D'une part, elle explique la variété des arrivages en telle ou telle contrée; de l’autre, elle est un nouvel exemple du mode de dispersion des oiseaux sur la surface du globe, indépendamment de leur sagacité à juger des contrées où ils trouveront les conditions d’exis- tence les plus favorables. Nous aurons à revenir sur ce fait dans une appréciation plus géné- rale. Cette théorie des groupes ou des veines, est particulièrement justifiée 11 par le nombre consi- dérable des cailles qui abordent dans les iles et sur le littoral de l'Italie. On connaît, de longue date, les captures immenses qui s’y font chaque année. Au siècle dernier, on en prenait jusqu’à 100 000 en un jour à Nettuno, dans le royaume de Naples, sur une étendue de côte d’une lieue ou deux. L'évêque de Capri se faisait vingt-cinq mille 156 LA MIGRATION DES OISEAUX. livres de rente avec la location de la chasse dans son ile, d’où lui venait le surnom d’évêque des cailles : et il faut dire, pour se rendre compte de l'importance des caplures, que ces oiseaux {se vendaient alors, à Rome, environ huit francs de notre monnaie le cent. Cette industrie des cô- tes italiennes n’a fait qu'augmenter avec les fa- cilités de transport et la valeur croissante de ce gibier. Aujourd'hui on exporte dans toutes les directions et jusqu’au Nord des cailles vivantes en cage, par pleins wagons. Si bien que M. della Faile terminait un des bulletins qu'il a l’obli- seance de m'envoyer, par cette plaisanterie : « On signale quelques rares cailles; mais un certain nombre nous sont déjà arrivées... par le chemin de fer. » On se demande, après ces massacres ré- guliers du littoral, si les restrictions apportées dans l’intérieur des terres ont un grand sens el une grande efficacité; mais cette question revien- dra, plus complète et plus générale, à la suite de celte étude, dans le chapitre des conclusions. La caille est assurément un des oiseaux qui s’accomodent le mieux des progrès de notre agri- culture : nos défrichements, nos terrains couverts de hautes récoltes régulières, le développement de nos cultures de céréales, lui offrent d’excel- lents abris où elle se complait à merveille. Mais MIGRATEURS DU SUD. 157 il y a un revers de médaille : les prairies artifi- cielles, source de richesse pour les agriculteurs, sont pour elle, comme pour beaucoup d'autre gi- bier vivant sur le sol, une demeure traitresse qui la séduit par ses fourrés, sa fraicheur et les nom- breux insectes qu'elle y trouve à picorer; puis, comme le prouve l'exemple cité plus haut, vient la tonte précoce et les tontes successives qui dé- truisent le travail de la reproduction. Grâce à la prodigieuse fécondité de la caille, qui couve d’une fois quinze ou vingt œufs et recommence jusqu’à trois reprises; les mâles y mettent bon ordre en expulsant les petits dès qu'ils sont en état de se substenter ; l'inconvénient est atlénué, et on peut dire que la compensation s'établit. On s'est démandé, enfin, si cet oiseau suivait aussi les récoltes ; c’est-à-dire les céréales en ma- turité, sa subsistance plus spéciale de l'automne. Dans les pays de montagnes, à moissons échelon- nées selon laltitude, de la plaine aux derniers sommels, on admet généralement le fait, non par l’observalion directe ; car les cailles sont complé- tement muettes alors dans leurs voyages noc- turnes et rien ne révèle leurs agissements; mais par l'accumulation qui se produit sur les hauts plateaux et dont il a déjà été parlé, soit par la venue des cailles de la plaine, soit par le station- 158 LA MIGRATION DES OISEAUX. nement des émigrantes du Nord. Quoiqu'il puisse ètre de ces stations, l'avant-garde des plus pres- sées poursuit son vol à l’époque déterminée et arrive, notamment en Italie, dès le commence- ment de la seconde quinzaine d'août. De tous les Gallinacés indigènes, la caille est à peu près le seul migrateur, ou tout au moins le seul émigrant régulier; car il n’y en a qu'un autre qui suive son exemple et encore bien à l'aventure, sans périodicité, sans époques fixes : c’est la petite perdrix grise, la perdrix à paltes jaunes, autrement dit La Roouerre .Quelques chas- seurs, fort compétents, nient son existence; bien certainement parce qu'ils n'ont jamais eu l’occa- sion de la rencontrer; mais je puis leur assurer en avoir revu par pieds et par corps, style cynégé- tique, vivantes et mortes. Dans le Jura, leurs passages, sans être fréquents, ne sont pas rares. C'est le plus communément en septembre qu’on les trouve, fort au hasard, par bandes de cin- quante, de cent, de deux cents : elles ont le pied léger, l'aile rapide, et font de longues remises. J'en at même vu fort à l’arrière-saison, aux pre- mières giboulées neigeuses. IL est peu habituel qu’on les trouve deux jours de suite dans le même territoire et 1l est difficile de préciser leur direc- MIGRATEURS DU SUD. 159 tion : cependant il me semble qu’elles infléchissent à l’ouest. Le passage du printemps est bien dou- teux. Maintenant d’où nous viennent-elles, où vont- elles? — 11 ne m'a jamais été possible de trouver un seul renseignement à cet égard. J’estimerais que c’est un excès de population des steppes du Nord qui émigre on ne sait encore vers quelle contrée. Le terme générique de Gallinacé, emprunté au nom latin du coq (Gallus), n’a pas grande signi- fication. Dans une classification rationnelle, le nom de coureur terrestre où Dromipède, selon la dési- gnation proposée par Toussenel, par opposition à celui de coureur aquatique, aurait plus de sens et tendrait à rapprocher ce groupe du suivant, les échassiers terrestres, dont Iles deux types euro- péens, la petite et la grande outarde, ont simgu- lièrement d’affinité par leurs mœurs et leurs coutumes : aussi ne les séparerons-nous point. La Perire ourarpe ou Canepétière (Olis tetrao), appelée Poule de Carthage en Afrique, a encore l'aile puissante des gallinacés, à l'inverse des cou- reurs de haut titre ; tels que lAutruche d'Afrique, le Casoar de l'Inde, etc., chez lesquels cet appa- reil du vol n’est plus qu'un appendice de propul- sion, ainsi que chez les ultra-nageurs, Pingouins 160 LA MIGRATION DES OISEAUX. etautres manchots. Fort craintives et pusillanimes, les Outardes aiment les grandes plaines, peu peu- plées, où elles pourront vivre en paix. Autrefois, en France, la Champagne pouilleuse était leur Outardes canepétières. terre de prédilection. Depuis cinquante ans, elles en avaient presque disparu, aujourd’hui elles ten- dent à y revenir. Un observateur local, M. Leroy, bien connu en aviculture, fait coincider ce retour avec la diminution corrélative des perdrix, qui probablement leur faisait concurrence pour le lo- sement et la nourriture. Un souvenir de jeunesse me prédispose fort à adopter cette opinion. À un MIGRATEURS DU SUD. 161 de mes premiers voyages à Paris, vers 1840, je traversais la Champagne en diligence : du haut de l’impériale, je vis de loin, dans un vaste guéret d’une propriété particulière, emplanté de bocque- teaux d'arbres verts, une quantilé prodigieuse de points noirs, immobiles, par groupes de quinze à vingt, disséminés à vingt-cinq pas les uns des autres, environ. Fort intrigué, je regardais, Je regardais, me doutant quelque peu de la vérité, mais ne pouvant en croire mes yeux. Arrivé Juste en face, une première compagnie de perdreaux était au repos, à dix pas de la route, et ne se dé- rangea même pas au bruit du véhicule, tant sa sécurité habituelle était grande; et toutes ces ag- glomérations de points noirs étaient aulant de compagnies. Il y en avait peut-être deux cents, ainsi réunies sur un même point et sur un espace tout au plus d’un quart de kilomètre carré, et c’é- taient de véritables perdrix sédentaires. Évidem- ment, il n'y avait plus de place pour des espèces analogues au milieu d’une semblable population. ILest bon de dire, en passant, que ces dépeu- plements et ces repeuplements, par des causes qui nous échappent tout d’abord, et dont il est gran- dement de mode aujourd’hui, pour les premiers, d’accuser l’imprévoyance humaine, ne sont point rares dans le monde des oiseaux. J'ai trouvé, dans 11 162 LA MIGRATION DES OISEAUX. une chronique de ma province, l’époque du siècle dernier où une colonie de coqs de bruyères vint s'implanter sur une montagne des hautes altitudes où, de mémoire d'homme, on n’en avait vu jus- que-là. Il y à vingt ans, les gelinotes étaient plus que rares dans le département de la Haute-Saône ; aujourd'hui il n’en est plus de même. — Eh! mon Dieu, il en est bien un peu ainsi dans le monde végétal, base, après tout, du règne animal! Par exemple, dans le haut Jura, on constate fréquem- ment que le hêtre succède au sapin dans les bois, à la grande inquiétude des populations qui ont urgemment besoin de ce dernier pour la construc- tion de leurs immenses chalets. De ce retour imprévu des canepétières dans nos grandes plaines, il résulte que nous sommes fixés maintenant sur leurs faits et gestes de migration. Elles nous arrivent en avril par bandes nombreu- ses, puis se divisent par couples pour la reproduc- tion. Dès la fin d'août, elles se réunissent de nou- veau et partent en octobre. On a été très-incertan longtemps de leur point de station hivernale et on a prétendu qu’elles s’arrêtaient dans les plaines du Midi. Qu'il en soit ainsi pour quelques-unes, c’est possible ; mais leur présence en grand nom- bre en Afrique, où elles ne nichent point, est une indication ; d'autre part, mon correspondant du 0, La grande Outarde MIGRATEURS DU SUD. 165 Gers m'écrit qu'elles ne font qu'une très-courte apparition dans les plaines de la Garonne et qu'elles poursuivent leur vol par delà les Pyré- nées. Nul doute, donc, que les canepétières d’Eu- rope ne se rendent en Afrique. La Graxoe Ouraroe (Otis torda), le plus grand, le plus beau de nos gibiers ailés de plaine, l’analogue en quelque sorte du coq-d'Inde d'Amérique, est malheureusement de plus en plus rare chez nous, et on se demande s’il en niche encore en Champa- gne, comme autrefois. Néanmoins, il nous en vient chaque hiver soit du Nord, soit de l'Est, ainsi que d'aucuns disent. Il y a peu d'années qu’on annon- çait de Picardie qu'un heureux chasseur en avait tué une pesant dix-huit kilogrammes : beau gibier, en vérité ! —Et, naturellement, à un si bel animal, il faut une vie plantureuse et un domaine suffisant où il règne en souverain. C’est sans doute la rai- son pour laquelle il a quitté nos plaines, doréna- vant livrées à une culture active et intensive. Comme la précédente espèce, il vit d'herbes, de gros insectes, de sauterelles; mais je doute que toutes deux ne soient point quelque peu grani- vores à la saison, et qu’elles ne suivent pas les mêmes errements à la migration. La caille a pour compagnon de voyage le Rare DE GENÈT (Gallinula crex), plus communément 166 LA MIGRATION DES OISEAUX. appelé par les chasseurs le Roi de caille, qui a le mème habitat qu’elle dans nos champs, et dont la migration coïncide tellement avec la sienne qu’on prétend qu'ils traversent la Méditerranée de con- cert. Ce qu'il y a de bien positif, c’est qu'il migreen Afrique ; et pour qui connait cet oiseau, bon cou- reur, il est vrai, mais dont cette faculté semble être le véritable moyen de locomotion, tant il se décide à contre-cœur à se lever et tant son vol est alourdi par la forme allongée de son corps qui l’oblige à prendre une position verticale, le problème de la traversée est plus surprenant que pour la caille. Il faut ou que la fraicheur de la nuit lui apporte une vigueur toute spé- ciale, ou que, comme ses voisins des maré- cages, les râles d’eau, il ait la faculté de se mettre à la nage et de naviguer à petites étapes. Les observations et les indications manquent tota- lement à son sujet. Généralement, il niche plus au nord ; il est beaucoup moins prolifique et par con- séquent moins abondant. Son départ est aussiun peu plus tardif; ila lieu au commencement de septembre pour se prolonger jusqu'en octobre. « a de Aux derniers jours d’août ou dès le 1° septem- bre, en se promenant dans la campagne, au matin, MIGRATEURS DU SUD. 167 on entend retentir un pelit cri strident : « B'sie, B'sie!!1... »: souvent si haut, si haut, qu’on ne voit pas même l'oiseau : c’est le Becricue ! Sur ce gai sujet des charmants habitants de l'air, il m'est avis qu'il est bon de mêler parfois le plai- Becfigues. sant au sévère, ct ici l’occasion se présente d’elle- mème. La classification scientifique a jugé à propos de grouper une part des oiseaux que j appellerais volontiers les petits bec-fins de la plaine, dont celui-ci est un type, sous le nom de genre Axraus. Curieux de m'instruire, je cherche dans le dic- tionnaire latin-français de MM. Noël et Chapsal, le dictionnaire de ma jeunesse, la signification 168 LA MIGRATION DES OISEAUX. de ce mot, et je trouve la désopillante définition que voici : &«Anraus (du grec anthos, fleur). Bréanr, oiseau qui se nourrit des fleurs et qui contrefait le HENNISSEMENT DU CHEVAL. » — Ah! pour cette fois, me voilà bien renseigné. — Les naturalistes y ajou- tent, pour spécifier le becfigue, les surnoms de Pit-pit des buissons ou de Traine-buissons. Or il ne hante pas les buissons, se posant de prime-vol à la cime des arbres, ou à l’intérieur, dans le mi- lieu du jour, pour se remiser, et il pâture à terre où il coure avec la prestesse de l’alouette. Cet au- tre nom de Pit-pit ne peut ètre qu'imitalif du cri, et nous en verrons dans un instant l’origine pro- bable ; mais le becfique, en dehors de son ramage du printemps, n’a que deux cris d'appel très-nette- ment caractérisés : « B'sie... B’sie!!!.., », en vo- lant, et un petit «you... you! !!... », lorsqu'il est posé. Je connais cet oiseau, et pour cause, depuis mon enfance; voici son portrait de mémoire et à grands traits : Taille de la bergeronnette, forme fine et élégante qui rappelle celle de la Grive avec laquelle il a d’autres ressemblances, manteau olivâtre strié de noir, plastron blanc grivelé de taches noires et citron à la gorge chez le mâle, queue un peu four- chue, ongle du doigt postérieur long, à l’imita- tion de l’alouette. Il est insectivore au premier MIGRATEURS DU SUD. 169 chef, aimant spécialement les sauterelles à l’au- tomne; mais on doute qu'il picore les figues, et par ainsi que son nom vulgaire lui soit bien adapté. Je n'ai pas assèz habité le Midi pour constater si cette dernière assertion est vraie : ce que je sais, c'est qu'il a une prédilection marquée pour les vignes et qu'il s'y remise de préférence à tout autre lieu ; plus encore, qu’il s’y engraisse au point de tripler de volume; double rapprochement qui lui a valu dans le Jura le surnom de demi- grive, el en Bourgogne celui de vinette, D'où je suis disposé à croire qu'il n’est pas indifférent au jus de la treille, perforant les grains du raisin de son bec effilé, comme le rouge-sorge, par exem- ple, ce qui l'amène à cet embonpoint qui en fait un fin petit gibier, à distancer la graisse factice de tous les ortolans du monde. De là à picorer les figues, il n’y a pas loin. Les becfigues sont complétement indigènes dans notre zone ; ils y nichent partout dans les lieux frais et élevés, à la lisière des bois et dans les prés boiï- sés; mais dans le Nord, ils doivent être des plus abondants, car leur passage d’automne est consi- dérable. Ce passage commence, dès la fin de juil- let, par une première avant-garde plus ou moins nombreuse; mais il ne prend réellement son cours qu'au 1” septembre, va en augmentant jusqu’au 170 LA MIGRATION DES OISEAUX. 20, pour cesser à peu près le 25. Ces oiseaux pas- sent par grands vols très-épars, depuis le lever du soleil jusqu’à ce que la chaleur soit forte, et un peu le soir. Autre ressemblance avec l’alouette : ils viennent très-bien au miroir et, comme c’est un fin petit- pied, on en profite pour lui faire une chasse amu- sante. Dans mon enfance, c'était aux gluaux ten- dus sur des arbustes factices, plantés en plein champ, et au centre desquels nous placions le miroir : un petit sifflet spécial nous servait d’ap- peau; mais le talent est de savoir en bien jouer. Aujourd'hui on remplace les gluaux par le fusil chargé à quart de poudre; on choisit, en bon point de passage, un arbre isolé que l'on surmonte de quelques branches sèches, excellents perchoirs bien à découvert, et l'on dispose une cahute de feuillage à une douzaine de pas; le reste va comme précédemment. C'est tout à fait la chasse au poste de Provence, et les habiles y tuent vingt-cinq, qua- rante, jusqu'a quatre-vingts becfigues en une ma- tinée, dans les bons jours. Avis aux amateurs: la plaine de Paris est un excellent lieu de passage de ect oiseau, comme de beaucoup d'autres, etdansles environs 1ls pourraient se donner cette récréation. Après le 25 septembre, il ne passe plus que des becfigues isolés ou par couples. Ce sont ceux-là On choisit, en bon point de passage. ...., (Page 170) MIGRATEURS DU SUD. 175 qui s'atlardent plus volontiers dans les vignes, alors qu’elles sont en maturité dans l'Est, et qui y acquièrent l'obésité dont 1l a été parlé; malheu- reusement.ils sont rares et on n’en tue ouon n’en prend plus que par occasion. D'où je suis tenté de croire que c’est là une variété de l'espèce, de régime et d'habitude différents; mais sans aucune preuve à l'appui de mon dire, je l’avoue. Ajoutons, qu'ils migrent en Afrique, selon toute probabilité, et qu'ils nous reviennent en avril. J'ai bien envie, pour faire niche à messieurs les naturalistes, de conserver à l'espèce qui suit le nom de Fri, exacte reproduction de son cri de passage, et qu'on lui donne communément dans les départements de l'Est, où elle est très-abon- dante à l’automne. Les savants ont cru devoir la baptiser Prrrir-FarLouse : ce nom de Pitpil, qui a ici son origine, n'est nullement l'expression du eri qui vient d'être dit, et il a le tort de prèter à la confusion avec d’autres espèces. Quant au mot de Farlouse, pour cette fois, il n’est pas grec, 1l est anglais ; et comme il n'a ni signification directe ni racines dans cette langue, 1l doit être purement imitatif. Connaissant parfaitement l'oiseau, je ne vois nullement à quoi cela peut se rapporter, et je suis obligé de supposer qu'il y a encore ici confu- 174 LA MIGRATION DES OISEAUX. sion avec un autre oiseau, l’ Alouette lulu, comme il sera rapporté plus loin.— Je prie le lecteur d’excuser ces diatribes contre la classification scientifique; mais c’est une revanche, car j'ai eu trop de peine, moi naturaliste des champs, à me reconnaitre dans ce grimoire par trop fantaisiste ; et, il est bien temps, aujourd’hui que les matériaux sont sinon complets, du moins suffisamment nom- breux, de procéder à une simplification et à une précision qui rendraient l’histoire naturelle des oiseaux plus intelligible pour les esprits : voilà le but de cette critiquel Cela dit, la désignation de l’espèce dont il s’agit est facile : Oiseau d’une grande similitude de forme et de plumage avec le précédent, mais plus petit. I niche plus au nord que notre région, passe en grand nombre à l’arrière-saison, avec les gelées blanches, par troupe à vol peu élevé, et faisant retentir perpétuellement son cri : «Fifi!!! Fi- Fi-Fi!!1.... I est complétement arvestre, c’est- à-dire qu'il vit constamment à terre et se perche rarement. Il en demeure toujours dans nos con- trées un certain nombre en hiver, qui se canton- nent le long des rivières et des ruisseaux, là où ils trouvent encore à pàâlturer. Peu frileux, comme on voit, et fort sobre, cet oiseau ne doit pas s’éloi- gner beaucoup au Midi, et il nous revient de bonne MIGRATEURS DU SUD. 175 heure. Comme l’alouette aussi, dont 1l est con- temporain de migration, il donne en passant au miroir. On en {ue quelques-uns, par passe-temps ; mais son vol à soubresauts, irrégulier, en rend le tir difficile, et cette proie, chétive et maigre, ne vaut pas le coup de fusil : mieux vaut la laisser à son rôle utile d'insectivore. Cette famille comprend plusieurs autres variétés, moins communes et peu commodes à distinguer en pleins champs : le Pitpit ou le Fifi rousseline, le Pitpit ou le Fifi Richard (la Corydolle des ultrà savants), le Pitpit ou le Fifi spioncelle, etc. Comme bec fin des champs ct par une certaine analogie d'habitat, de coutumes, de nourriture, même de cri avec le Fifi dont il vient d’être parlé, il faut placer à la suite une mignonne famille, celle des Berceroxnerres (Motacilla), qui comprend deux espèces, la Bergeronnetle proprement dite et la Lavandière, ainsi nommée de son amour pour les eaux vives. Toutes deux émigrent plus particuhè- rement après la saison des pluies de l'automne qui leur procure en plus grande abondance les vermisseaux et les insectes dont elles se repais- sent. Ce sont, par leurs hautes jambes, la vélocité et l'élégance de leur démarche toujours cadencée d’un hochement de queue qui souvent sert à les 176 LA MIGRATION DES OISEAUX. désigner, de véritables chevaliers en miniature. Les Lavannières, qui se distinguent par ieur beau poitrail jaune, nichent un peu partout le long des cours d'eau pelits et grands, leur domicile d'élection ; elles sont les plus précoces à la migra- tion, mais les moins abondantes. On les voit, de Bergeronnettes. temps à autre apparaître jusque sur les toitures de nos maisons, où elles viennent picorer les in- secles qui cherchent là un dernier rayon de soleil ct un abri sous les tuiles. Un certain nombre hiverne. Les BerGeronertes, à poitrail blanc, nichent plus au nord et nous arrivent en plus grand MIGRATEURS DU SUD. 177 nombre et par vols serrés, jusque dans le mois d'octobre, selon l'état hygrométrique de l’atmo- sphère. Celles-ci s'arrêtent volontiers dans les prai- ries, au milieu des bestiaux, pour y piper les in- sectes que les animaux y attirent, et ces bonnes bêtes les laissent faire, sachant fort bien qu’elles leur rendent service, de là le nom de Bergeron- nelles. Elles suivent aussi, avec grande passion, le laboureur qui retourne son champ et met à découvert les larves qui Ssy sont enfouies. Leurs points de station favoris sont les grandes plaines humides, et comme en chemin elles ac- quierrent un certain embonpoint, on leur fait dans le midi une chasse lucrative au filet-battant. On les vend à Paris, a pleins paniers, sous le nom pompeux de Becfiques, bien que la saison de passage de ceux-ci soit depuis longtemps termi- née; mais les marchands et le bonhomme public n’en savent pas plus long. Retour en avril. * * # Avant d'arriver à la grande migration d’octobre, il faut élaguer quelques groupes, importants néanmoins, et plus ou moins migrateurs de sep- tembre. Le tableau bien rempli qui suivra en sera d'autant simplifié. 12 178 LA MIGRATION DES OISEAUX. Le premier, en ordre de date, est celui des Piceons (Columba) ou des Corousms, comme dit Toussenel, qui veut, et avec raison, des noms har- moniques pour les oiseaux. Il se compose de trois espèces, les Tourterelles, les Ramiers, les Bizets. Il y en à bien une quatrième, les Pigeons de ro- ches; mais je suis tenté de les regarder comme de simples réfractaires des colombiers domes- tiques. La TourtereLze (Columba turtur), sur laquelle on a fait beaucop d’élégies et qui ne les mérite point tant pour l'innocence prétendue de ses mœurs, suit de près la caille, lorsqu'elle a bien picoré nos moissons et ce qu'il en reste aux pre- micrs jours sur le sol; c’est-à-dire à la fin d'août et au commencement de septembre. Ses cousins les Bizers (Columba livia) et les Rawers (Columba palumbus), sont un peu moins pressés. Ils commencent par se rassembler, ce que ne fait point la première qui voyage par cou- ple ou par famille; puis ils se mettent en route fin septembre et courant d'octobre, en troupes serrées, à peu de hauteur, mais d'un vol rapide et soutenu. Il parait que la grande masse de ces deux espèces établit, pour l’Europe occidentale. son grand courant de migration par les gorges des Pyrénées, car l’on sait les chasses formidables MIGRATEURS DU SUD 179 qui s’y font de ces oiseaux de temps immémorial. J'en ai sous les yeux des descriptions fort intéres- santes; mais elles seraient un peu longues et un peu trop spéciales à la contrée pour être rappor- Ramier. tées. J'aime à croire que ce gibicr gagne beau- coup en qualité dans son voyage, car sous notre latitude, 1l est assez insignifiant. Les trois espèces migrent en Afrique, non sans laisser quelques représentants en chemin. Elles nous reviennent en avril et en mai. * * # Ici encore doit se placer une nombreuse et fa- rouche tribu, les Rapaces diurnes et nocturnes, 180 LA MIGRATION DES OISEAUX. qui ont un double rôle dans la migration, celui de participants et d’exploitants. Car il faut bien qu'ils émigrent aussi, sous peine de périr de mi- sère lorsque leur provende habituelle a disparu, les oiseaux pour gagner le sud, les quadrupèdes rongeur el autres bestioles pour s’enfouir sous terre et se garer du froid. Mais ces rusées et mé- chantes bêtes, qui hélas! ne font qu'exécuter le décret de la souveraine nature, la sustention des êtres vivants les uns par les autres; connais- sent parfaitement les époques des passages des oiseaux, plus encore, en excellents géographes, les points de stationnement des espèces qu'ils préfèrent, Le plus petit moule de la race et celui qui offre les représentants les plus hâtifs dans l'ordre de la migration, est la Pie-criècne (lanius, bou- cher; nom judicieux, pour cette fois) : genre ambigu, car s'il n’a point encore la serre puis- sante, son bec robuste, recourbé du bout, acéré, échancré, indique bien sa fonction de dépeçeur de chair et de buveur de sang. Très-amateur de gros insectes, guêpes, frelons, bourdons, mais très- avivore aussi, il comprend deux espèces, la Pie- grièche proprement dite et la Pie-grièche-écorcheur. Nous sommes déjà en relard avec celle-ci, car dès la fin d’août et le commencement de sep- MIGRATEURS DU SUD. 181 tembre elle se met en route, par famille et d’une façon très-occulte, comme elle nous est venue au commencement de mai: pour ma part, je n’en ai jamais vu passer. L'Écorcheur habite la lisière Pie-crièche. des bois, les haies, les buissons des terrains va- gues. C’est un bel et fier petit oiseau qui porte gravement sa moustache. Comme ses congénères, il a une passion pour les insectes hyménoptères, et lorsque son appétit en est rassasié, pour se dis- traire ou s’en faire un garde-manger, on ne sait, il les pique aux épines des buissons. On est fort surpris de rencontrer souvent ces insectes ainsi 82 LA MIGRATION DES OISEAUX. empallés : c’est l'Écorcheur qui a fait cette plai- santerie! Toussenel dit avoir vu en Algérie des Pie-yrièche écorcheur. accacias épineux garnis de ces suppliciés. Sa pas- sion pour les jeunes oisillons n’est pas moindre, MIGRATEURS DU SUD. 185 mais pour la satisfaire il pousse la ruse jusqu’à la fourberie : il contrefait la voix des pères et mères; les petits, attendant la becquée, poussent leurs pépiements et se décèlent. Plus tard il les pipe; c'est-à-dire qu'il imite le cri d’un oiseau pris au piège : Kic-Kie-Kic-Kie..….… !1 : les oisil- lons attirés par la curiosité s’approchent et tom- bent sous sa griffe. Là encore le prend sa manie de pendaison, car il s’empresse d’accrocher les peaux aux épines, d’où son nom très-bien trouvé d’écorcheur et probablement aussi, son sobriquet jurassien de Panguillard. Autrefois, dans cette dernière contrée où 1l est abondant, on lui faisait la chasse au mois d'août. J'ai voulu tenter l’aven- ture, mais je ne m'y suis pas retrouvé : sa chair est moins qu'agréable. La Pre-criècue-crise et ses variétés, la rousse, la méridionale, etc., sout beaucoup plus rares, et je soupçonne la première surtout d'être beaucoup plus avivore qu'apivore. Toutes ne sont guère qu'erratiques et suivent la limite des grands froids; car on en voit à peu près tout l'hiver, iso- lément ou par couples. Le grand type et le plus haut titré des rapaces, l'Aicze, est sédentaire. Mais comme il faut à ces grands voraces un terrain de chasse assez étendu, le père et la mère se hâtent d’expulser de leur 186 LA MIGRATION DES OISEAUX. canton leur propre progéniture, dès qu’elle est d'âge à pourvoir à sa subsistance. C’est ainsi que chaque automne, on rencontre, même dans les plaines les plus éloignées de leur lieu d'habitat, Faucon. de jeunes aigles errants, à la recherche d’un nou- veau domicile. La nombreuse famille des Faucows (Falco), qui comprend trois groupes principaux, les Faucons proprement dits, les Éperviers et les Buses, est entièrement migratrice. MIGRATEURS DU SUD. 187 Les faucons et les éperviers connaissent par- faitement les bons lieux de passage : on peut s’en fier à eux. Dès la fin de septembre, ils vien- nent camper en ces points : on s’en aperçoit ai- Buses. sément en les voyant tournoyer dans le ciel en nombre insolite, et on peut dire alors que la grande passe d'octobre approche. J'en ai chaque annnée un exemple sous les yeux. Cette même côte abrupte, où j'ai conté qu’on avait fait un si bel abatis de geais en 1872, et qui coupe trans- 188 LA MIGRATION DES OISEAUX. versalement la route des migrateurs du sud, est un de ces stationnements, avec bons motifs à l'appui. Les oiseaux de cette direction viennent, en effet, y buter, et trouvant là l'abri des grands bois, un sol humide et riche en insectes, une campagne voisine et plantureuse, ils s’y reposent ou escaladent lentement la pente : c’est une belle occasion pour les forbans, et ils ne ia manquent point. Ce qui ne les empêche pas de piquer des pointes en plaine, pour varier leur ordinaire, re- gagnant chaque soir leur gite, gorgés de nourri- ture et volant lourdement. J’en vis un, un jour, retournant ainsi à son perchoir habituel : un oi- sillon le poursuivait avec acharnement, évidem- ment lui demandant compte du meurtre de son fils ou de son compagnon. La vilaine bête, sans se détourner, lui allongea un coup de bec, et le pauvre hère tomba à pic d’une centaine de pieds. Que les jeunes chasseurs ne se fassent done point faute d’occire en toute occasion ces braconniers de l’air, dont nous avons intérêt à restreindre la race. Pour les y engager, je puis leur dire, après tout, qu'un salmis d’éperviers, gras à l'automne, en vaut un autre. J'en ai quelquefois régalé des délicats qui les prenaient pour d'excellents pigeons domestiques; à l'exemple d’un loustic de ma con- A naissance, qui fit avaler à des amateurs un pâté MIGRATEURS DU SUD. 189 de corbeaux pour un fin pâté de bécasses, par quelques traitres becs qui dépassaient le dôme. Hiboux. Les rapaces nocturnes, les Hioux et les Caouerres (Strix), sont bien obligés aussi de suivre les 190 LA MIGRATION DES OISEAUX. mêmes errements. Une partie des chouettes qui habitent nos fermes et nos édifices, et qui y trou- vent le couvert el le vivre — car la population de nos petits rongeurs n'a pas lieu de s’engourdir ou de s’enfouir — sont devenues sédentaires; mais les autres gagnent le sud. Les Moyens-Ducs, nous dit-on, accompagnent les cailles dans leur traversée de la Méditerranée ; ils en sont bien capables, pour vivre à leurs dé- pens : il serait, en effet, illusoire de croire que ces nocturnes bêtes se contentent de rats et de souris, ils ne se privent point de menu gibier à plume et à poil; comme le prbuvent leurs re- paires ou les pelottes qu'ils dégorgent après la digestion, et tout aussi bien la fureur que leurs cris excitent en plein jour, même en imilalion, dans le monde des oiscaux des bois. Certains ama- teurs ne font point fi de ce gibier, et au marché de Toulon on vend fort bien des ducs gras et plumés, de même que poulardes du Mans ou de Bresse. Les Rapaces sont de méchantes bêtes, je n’en disconviens pas; mais que les humains ne les maudissent point trop, si ce n’est comme concur- rents; car ils ont leur utilité. Ils détruisent nom- bre de gros insectes, nombre de rongeurs, et plus, les reptiles venimeux, la vipère en tête. Voici MIGRATEURS DU SUP. 191 comment s’y prennent pour cette dernière les fau- cons et les épervicrs : lorsqu'ils découvrent ces Chouette. reptiles endormis au soleil, ils se laissent choir à proximité et d'un vigoureux coup d’aile étourdis- 192 LA MIGRATION DES OISEAUX. sent la bête, après quoi ils lui fendent le crâne, et emportent la proie. e * + Voici, à leur tour, deux groupes d’une complète utilité, les Pics et les Mésanges, qui me fournis- sent un aphorisme sinon absolu, du moins d’une grande vérilé relative, à savoir : que la nature nous a révélé elle-même, dans le merveilleux équi- libre de ses lois, l'utilité approximative des oi- seaux par la qualité de leur chair. Elle nous dit, avec plus de certitude que Moïse dans son Deuté- ronome : « Lu mangeras ceux-Ci el Lu épargneras ceux-là »; par un précepte bien simple, c’est que les uns sont excellents, gastroniquement parlant, et les autres détestables. Application immédiate : les pics et les mésanges sont immangeables, done ils sont utiles au premier chef. Et de fait, les Pres sont d’infatigables élimina- teurs des insectes qui rongent nos forêts dans leur fibres mêmes ; sans cesse, ils coghent, ils sapent : Toc toc-toc!!!...; jusqu'à ce qu'ils aient extirpé le ver rongeur. Comme chaque chose a son revers dans ce bas monde, les forestiers pourraient leur reprocher de faire leur part de mauvaise besogne ; je connais une belle allée de forût, décorée du MIGRATEURS DU SUD. 195 nom pompeux d'avenue du Roi de Rome, dont les grands arbres de lisière sont perforés comme des écumoirs par ces intrépides charpentiers, pour y loger leur progéniture. C’est un bilan d'utilité et de dégâts à établir, TN Wim 0! lapin” Pic. Le Pic nom (Picus martius) est rare dans notre latitude ; il niche plus au Nord et, dans sa migra- lion, va peu au loin. Il en est de même du Grmps- REAU DE MURAILLE (Certhia muraria) que nous aper- cevons quelques fois en octobre et en avril, ins- peclant les rochers et les vieilles murailles : oiseau solitaire, au plumage lugubre gris foncé 15 Pic noir. TN me MIGRATEURS DU SUD. 195 ou noir cendré avec des goutelettes de sang aux ailes, au volde papillonnocturne, que l'imagination Grimpereau de muraille. populaire a baptisé du nom d'oiseau de la mort. Le Pic-verr (Picus viridis), le Pic éreicue (Picus major), \Éreicaerre (Picus minor), etc., sont indi- scènes dans notre zone et émigrent en partie seu- 196 LA MIGRATION DES OISEAUX. lement. Je pourrais en dire plus long sur cette curieuse tribu ; mais je coupe au court, pour n’a- pesantir sur les espèces qui nous intéressent plus spécialement. Les Mésanges forment une petite nation assez nombreuse en espèces, et très-abondante en su- jets : mangeuses insatiables des insectes des ar- bres, autour de nous comme au fond des bois, tou- jours en mouvement, visitant, furetant partout, sous les feuilles, autour des branches; toutes mi- srateurs, parce que les insectes ailés ou complets sont une part de leur nourriture et que les larves ne leur suffiraient point. Bien qu’elles aient une certaine inclination pour les graines oléagineuses et pour quelques baies, celles du sureau, par exem- ple, comme aussi pour la viande fraiche et la cer- velle des petits oiseaux, les méchantes petites bêtes ! la nature les a marqué d’un haut titre d’u- lité par deux caractères : la coriacité de leur propre chair et leur prolification qui s'élève jus- qu'à dix-huit et vingt-cinq petits par nichée, et cela à plusieurs reprises dans la saison. Voyons les espèces les plus communes, La CHarBonnière compte deux variétés, la crosse (Parus major, on se représenterait à ce nom un gros capitaine de cavalerie) et la Pere (Parus mi- MIGRATEURS DU SUD. 197 nor). Toutes deux sont d'excellents indicateurs du mauvais temps, et j'ai dans l'oreille, depuis mon enfance, leur satanée petite ritournelle de circonstance. Pas plus loin qu'un matin de cette Charbonnières, année, J'étais à travailler devant ma fenêtre, grande ouverte sur un ciel magnifique qui pro- mettait un beau temps et de longue durée ce Pite-tu MI... Titi-tu !!!... », se mit à siffler la grosse charbonnière, ma voisine. Je tressautai sur ma chaise ! « Tili-tu !!!... Titi-tu !!!... » : et elle 198 LA MIGRATION DES OISEAUX. avait raison ; trente-six heures après, il pleuvait en déluge. — La petite a une variante qui imite fort bien la musique d’une lime sur une scie : « Z’'raï!!!... Z'raï!!!... Z’rai!!!.. » : etainsi de suite; d’où le nom de sarrayié, serrurier, fort bien trouvé, qu'on lui donne en Provence. L'une et l’autre nichent à peu près partout dans la zone tempérée; mais il en vient considérable- ment du Nord, en septembre et octobre, par gran- des volées, surtout quand le gros temps menace ou que l’époque est tardive. Elles nous reviennent de bonne heure, fin mars. La mignonne Mésaxce BLEUE (Parus cœruleus) est très-commune; mais moins abondante aux passages que les précédentes. La MÉSANGE 4 LONGUE quEuE, en quelque pays Bé- nédiclin, ainsi nommée de son plumage noir et blanc, est plus sauvage et habite le fond des bois; mais très-prolifique, c’est par troupes nombreuses qu’elle passe, à én couvrir les arbres. Elle est un peu plus tardive au départ. * * + Dans cette foule de migrateurs du Sud, il est difficile d'observer un ordre parfait, et j’élague, un peu pêle-mèêle, les groupes secondaires, avant d'arriver à la grande migration d'octobre. Mais MIGRATEURS DU SUD. 199 voici une pelite tribu de migrateurs de septembre, et même des premiers jours, qu'il faut mettre à sa place, les Traquets (saxicola), que l’on divise en deux espèce : Les Traquets proprement ditsetles Traquets-motteux. Le Traquer qui donne son nom, tiré de son cri. Mésanges bleues. au genre, et qui n’est point saxicola où habitant des rocailles, du tout, se tient dans les buissons et surtout dans les vignes. Là, perché sur la cime des échalas, il se livre à une gymnastique conti- nuelle, faisant la cabriole, voletant de droite et de gauche pour picorer les insectes, sans cesser de faire retentir son petit eri comique : « Traque! Traque !! !... Ouist-tra-tra ! !!... Ouist-tra- tra!!! ». Cest un charmant petit oiseau, au 200 LA MIGRATION DES OISEAUX, plumage noir, blanc et fauve, rondelet, gai, alerte. Il émigre fort clandestinement, probablement par famille et nous revient de même en avril. Comme je l'ai dit, et j'en demande pardon à MM. les savants, je me perds souvent dans leurs écrits relativement à nombre de petites espèces. Il m'est arrivé, il y a peu d'années, de voir un fort passage, en octobre, d'un petit oiscau avant de grands rapports avec le traquet, comme plumage, taille, bec et pattes noirs; un peu plus petit ce- pendant. Il se tenait dans les haies et les buis- sons, vif, alerte, toujours voletant de ci de là, en haut en bas, pour gober les insectes. Je l'avais peu vu, même dans mon enfance où Je faisais l’é- cole buissonnière plus souvent que depuis, j'i- gnore son nom; mais 1l me fait bien l'effet d'un Traquet et la syllabe bien articulée de son eris : surnom de Pit-pit des buissons: d'autant mieux que je soupçonne, à son bec effilé mais robuste, qu'il ne dédaigne pas les petits fruits rouges de l'aubépine et d’autres. Le Traquer morreux, le vrai saxicola, ressemble de fort loin au précédent; il est plus gros, plus allongé et assez muet. Son plumage est gris cen- dré sur le dos, blane sous le ventre et au crou- MIGRATEURS DU SUD. 201 pion; dernière particularité qui le fait appeler communément cul blanc de taupières. W se tient constamment sur les rocailles des champs et des pâtures, sur les taupières et les mottes des la- bours, guettant, de ces éminences, les larves, les chenilles et les vers. Il devient fort gras à l’au- tomne, et c’est alors un excellent petit gibier. Il a plusieurs variétés moins communes, dont l’une est connue sous la dénomination de Tarier, qui lui est quelquefois appliquée à lui-même. Il passe en grand nombre en septembre, dans certaines localités de son choix; à mon estime sur les pla- teaux élevés et rocailleux; de buttes en buttes, de mottes en molles; ce qui ne l'empêche pas de traverser la mer, ainsi que l’autre traquet, car on les retrouve en Afrique, et comme le prouve l'exemple du garde du Sémaphore de Toulon, qui en prenait, au retour d'avril, six cents vingt-cinq en deux jours. * 4 En septembre, il y a de nombreux temps d’ar- rêt dans les passages; mais, dès qu'octobre ap- proche, comme la saison s'avance et que les frai- ches matinées se font sentir, c'est un défilé per- pétuel, on pourrait dire de tous les jours et par tous les temps ; néanmoins, la loi du vent debout 202 LA MIGRATION DES OISEAUX. persiste, et nous en signalerons de remarqua- bles exemples. La nombreuse peuplade des petits habitants des champs ouvre la marche. Pour ma part, je ne fais point fi de ces petits oisilions; car ils sont très-instructifs sur le sujet qui nous occupe. En effet, ils passent en plein jour, on pourrait dire coram populo, à la portée de tout le monde, et aussi bien sur nos villes, si elles se trouvent dans leur itinéraire, qu’en pleme campagne, en tel nombre et si fréquemment, qu'ils sont faciles à obsrver. Il en résulte que souvent par eux nous pouvons conclure des agissements des espèces plus importantes, mais plus sauvages, dans leurs migrations soit diur- nes, soit nocturnes; puis, enfin, ils sont si plai- sants à voir, si gais, si alertes, que forcément ils nous intéressent. Lorsque le passage du becfigue commence à di- minuer sensiblement, c’est-à-dire vers le 25 sep- tembre, le Pixsox (Fringillus) nous arrive. Tout le monde connait ce charmant hôte de nos jardins, de nos bois, comme de nos champs; mais pullu- lant en telle abondance dans le Nord, qu'il nous vient à l’automne en quantité considérable: son langage d'amour est éclatant; c’est le clairon de la gent oviale; ses allures et sa toilette ne man- quent point d’une certaine respectabilité, en même MIGRATEURS DU SUD. 205 temps qu'il est d'humeur allègre, si bien que la sagesse des nations lui à consacré un dicton : gai comme pinson. Dès le début de septembre, les indigènes se sont Pinson. mis en préparatifs de voyage; ils vont, ils viennent et s'agitent : les jeunes pour achever leur déve- loppement et leur éducation; les vieux pour se mettre en bon point de migration. Ce sont les jeunes qui ouvrent le branle sous la conduite de quelques anciens; probablement parce qu'ils sont plus sensibles aux intempéries et qu'ils ont besoin d'une nourriture plus abondante. Ils n'ont pas 204 LA MIGRATION DES OISEAUX. encore la livrée de l’âge adulte, et mâles et femelles se confondent par leur plumage. Mais ces jeunes étourdis sont si peu circonspects en voyage, malgré les sages avis des pères-conscrits qui les guident, qu'ils tombent dans tous les pièges : au bois, l’appeau de chouette, ou simplement d'oiseau en péril, les fait venir sur votre tête; en plaine, le ramage des vieux, aveuglés et mis en mue à contre-saison, les fait se précipiter dans les nap- pes du filet-battant. Je tiens à déclarer que, dans ma passion d'enfance pour loisellerie, je n’ai jamais commis cette barbarie préméditée d’aveu- glage des pinsons et d’autres pour une minime satisfaction: je me contentais de simples appe- lants. Les pinsons passent par troupes, sinon pres- sées, du moins assez compactes, de douze, vingt, trente individus, par vol cadencé et en répétant souvent leurs petits « pio-pio!!!.,.. » caractéris- tiques, dans la matinée et un peu le soir, surtout si le temps menace. Par le beau fixe, volontiers ils s'arrêtent, passant d'arbre en arbre, et lors- qu'ils se posent, poussant d’énergiques : « quin- quin !!!.... » leur cri de ralliement. Qu'on nous permette une observation qui s’ap- plique à toute la migration de cette époque : dans le bassin du Rhône (mes renseignements man- MIGRATEURS DU SUD. 205 quent pour ailleurs), il règne en ce temps, un peu plus tôt, un peu plus tard, une série de vents du sud venant directement d'Afrique, secs et chauds, souvent en brise carabinée : on dirait un reste de sirocco mitigé par la mer. C’est ce vent qui, dans le haut du bassin, fait mürir les raisins et les fruits au point de leur donner une saveur méri- dionale; et 1l yest si connu, qu'il a un nom, le vent-blanc. Depuis mon enfance, J'ai perpétuelle- ment vu qu'il était le véhicule de tous les migra- teurs réguliers du sud; si bien qu’à certains jours, parlüiculhièrement lorsqu'il doit être suivi de gros temps, ce sont des veines, des défilés for- midables de passereaux. Les petits oisillons, nos grands maitres en fait de vol, piquent droit dans sa direction avec aisance et facilité, et cette re- marque a été précisément pour moi le point de départ de la théorie du vol normal de l'oiseau à vent debout, en glissant sur la couche d’air qui le porte et qui lui laisse tous ses moyens d’action pour la propulsion. La migration des pinsons se prolonge dans tout le mois d'octobre; à partir du 15, ce sont les vieux qui se mettent en voyage; mais ceux-ci sont madrés et donnent peu dans les piéges ; il n’y a plus que le cri d'appel de leurs semblables, mis en cage, qui les fasse s'arrêter. Comme la géné- 206 LA MIGRATION DES OISEAUX. ralité des espèces qui vont suivre leur exemple, à peu près dès le début ou successivement, ils s'éparpillent dans les contrées méridionales de l’Europe, et un petit nombre seulement doit pas- ser en Afrique : voire même, il en reste toujours quelques-uns non-seulement dans notre latitude, mais dans le Nord, où est née la charmante cou- tume de la gerbe de Noël, placée dans les champs et destinée à donner un peu de pâture à ces pauvres sédentaires. Quant aux pinsons émigrés, 1ls s’em- pressent bien vite de nous revenir, et, à peine le premier rayon de soleil de février annonce-t-il de loin l'approche du renouveau, qu’ils nous font entendre leur joyeuse chanson. Sous le nom de Fringilles, l’histoire naturelle a groupé avec sens une nombreuse tribu de gra- nivores ayant certaines analogies de caractères et de mœurs. Le premier type est celui des pinsons proprement dits, à bec robuste à la base, mais aigu du bout et pinçant bien, comme l'indique le nom vulgaire. Indépendamment de quelques va- riélés, peu communes dans la zone tempérée, et dont ilsera parlé dans le chapitre suivant, un des congénères les plus immédiats est le beau Pinson pu Non ou des Ardennes, au plumage fauve et noir. Habitant l’extrème Nord, sa migration est MIGRATEURS DU SUD. 207 beaucoup plus tardive. Il n'apparait qu’à la fin d'octobre pour prolonger son passage jusqu’en novembre, alors en vols serrés et très-nombreux. Ce qu'il y a de particulier, c'est que son cri de ralliement ressemble assez bien au miaulement d’un jeune chat : « Miè-e-è, » ce qui lui a fait don- ner dans l'Est le sobriquet de Mianard. Son retour est précoce aussi, Mais peu apparent. Les autres espèces sont à peu près rangées dans l’ordre suivant : Le Gros-8ec spécialement habitant des bois, où, de son bec solide et vigoureux, il se nourrit de noyaux de cerises et de graines des arbres. IL passe en septembre et octobre, par familles, et revient en avril. Le Vernier est oiseau des plaines. Il est caracté- risé par son bec trapu et solide, ainsi que par son plumage vert cendré, mêlé de jaune citron sur la tête, au poitrail et aux arêtes des ailes. Chez le mâle, ces taches jaunes sont très-vives et produisent un bel effet. Son cri ordinaire est assez monotone : « Bru-u-u!!!.... », et son ramage de printemps est un autre bruement beaucoup plus sonore, terminé par deux notes douces et harmo- nieuses : « Bré-é-é-é.…..zi-all!..…... » ce qui le fait appeler dans l'Est Bruant, nom qui me semble 208 LA MIGRATION DES OISEAUX. beaucoup mieux lui convenir qu’au groupe qui suivra, appelé Bruant par les naturalistes, je ne sais pour quel motif, et dont il aété dit déjà quel- ques mots à propos de l’ortolan, qui a été forcé- Gros becs. ment détaché du groupe par l’époque et la parti- cularité de sa migration. Le verdier est répandu dans toute l'Europe; bien qu'il soit de mœurs sauvages, de physionomie peu spirituelle, il se MIGRATEURS DU SUD. 209 prête à la captivité et s’apprivoise à merveille. II passe par petits groupes d’abord, et, à l’arrière- saison, par grands vols. Il hiverne dans les con- trées méridionales, et revient en mars et avril. La Source, ou Moineau des bois, est beaucoup moins commune. Il m'est arrivé une seule fois d'en prendre au filet-battant, et, à quelques kilo- mètres de là, dans mon pays de chasse habituel, je n’en ai jamais vu un seul. Toussenel, dans son pays de Lorraine, n’en a pas vu davantage. C'est autre chose du Faiquer, qu’on pourrait ap- peler le Moineau des champs, répandu partout, je crois. Il passe durant tout le mois d'octobre et même en novembre par petites troupes pressées, turbulentes, piaillantes. C'était la grande récréa- tion des oiseleurs au temps du filet-battant en France. Si un friquet venait à se poser sur le buisson fatal, tous se précipitaient en masse et étaient englobés dans les pans du piége. Mais les avoir en sa possession était autre chose : agiles comme des anguilles et espiègles à l'avenant, ils gillaient par les moindres issues, au besoin fai- saient les morts et s’envolaient de plus belle; et, en définitive, si on récoltait la moitié de la prise, c'était tout. Ils vont assez loin au midi, un peu deci delà, à leur fantaisie, et reviennent en mars. 14 21U LA MIGRATION DES OISEAUX. Le Sen d'Europe, ou le charmant petit Cüni, est l'hôte par excellence de nos jardins. Les pom- miers sont ses arbres de prédilection pour la ni- chée. Le mâle, en belle toilette de printemps à plastron jaune tendre, papillonne à l’entour, en débitant tous les airs de sa sérinette pour char- mer sa compagne. Comme d’autres oiseaux, du reste, il a une zone longitudinale : très-abondant dans le bassin du Rhône, il devient rare du côté de l’ouest, et un ornithologiste a signalé que la dernière famille se voyait à Paris dans la partie est du Jardin des Plantes : je l'y ai vue moi-même. Il en résulte quil est peu connu à Paris : c'est dommage, il y remplacerait avec avantage son lourdeau de congénère des îles Canaries ; car il s’'apprivoise fort bien, et 1l est vif et coquet à voir. Il nous arrive par immenses volées du nord, en octobre ; mais il est peu curieux ou fort circon- spect, et on en prend peu, quels que soient les pièges employés. Sa migration se prolonge jus- qu'en Afrique, où on le retrouve. Quelques natu- ralistes l’ont même appelé Cini d'Afrique; mais il est tout aussi bien indigène d'Europe. IL nous revient fin avril ou au commencement de mai, lorsque les fleurs éclusent : c’est le cadre néces- saireà ce mignon petit musicien de nos jardins pour lequel je conserve uue vive affection d'enfance. MIGRATEURS DU SUD. 211 La Linorre, ou le Linot, et ses variétés, sont d'autres charmants chanteurs des champs et des vignobles qui s’acclimatent très-bien de la capti- vité. Réunies en famille dès la fin de l'été, ga- zouillant sur la cime des tiges de maïs, les linottes se groupent peu à peu en grandes bandes, com- posées de toutes les habitantes du canton, aux- quelles viennent encore s’adjoindre les arrivantes du nord, et parcourent les plaines, d’un vol ca- pricieux, sans se hâler d'émigrer : on les voit en- core en novembre. Les naturalistes se sont creusé l'imagination pour trouver lPétymologie de leur nom, et le font provenir de la graine du lin, dont elles seraient très-avides. Elles croquent toutes les menues graines avec plaisir, ainsi que la ver- dure, sans parler des insectes; et ce nom est pu- rement imitatif de leur chant, un doux petit « Lino!... », Suivi de quelques ritournelles. Un jour, j'avais mis, à une Jeune nichée qui volti- geait en liberté dans mon logis. des branches de mélèze, comme perchoir et pour égayer leur cap- tivité : elles n'y laissèrent pas la moindre foliole verte. J'aurais pu, alors, les appeler Verdurettes, si elles n'avaient pas été parfaitement baptisées. La linotte hiverne, partie dans le midi de la France et partie au delà, dans les contrées plus méridionales encore. Quoiqu'on dise, en mau- 212 LA MIGRATION DES OISEAUX. vaise part, tête de linotte, de leur vol léger ct qui parait étourdi, elles sont futées comme de petites commères et se prennent difficilement. Elles viennent au miroir d’alouettes, mais passent rapidement, seulement pour satisfaire leur curio- sité. Chardonnerets. Le beau et coquet CHarponNNERET, qui gazouille auss: fort agréablement, a le bec plus allongé et plus pointu que les deux espèces précédentes, et MIGRATEURS DU SUD. £ 19 15 ce bec dénonce sa fonction d’amateur forcené des graines du chardon. Preuve incontestable de son utilité, c’est que sa chair est amère et coriace plus que celle de tous les autres fringilles, et c'est doublement dommage de détruire cette char- mante petite bête. Lui aussi migre par troupes souvent très-nombreuses en octobre. Son voisin en espèce, le Tarw, l’extirpateur des graines des arbres, est beaucoup plus tardif à la migration. Enfant du Nord, il n’émigre que lorsque le froid se fait sentir, à la fin d'octobre ou en novembre, mème assez peu régulièrement. Il passe en grandes bandes, quelquefois fort haut lant. Il remonte de bonne heure. Les naturalisres sont assez embarrassés de loger le Bouvreuz, (Pyrrhula vulgaris); mais l’or- nithologie vivante n'hésite pas à le rapprocher des Fringilles, par ses formes, son plumage et toutes ses habitudes. Il aime peu la chaleur et niche loin au nord, si ce n’est, dans notre latitude, sur les montagnes ou dans les contrées à température peu élevée, telles que la Bretagne où je lai vu très- nombreux en été. Il passe en octobre par bandes; 214 LA MIGRATION DES OISEAUX. mais ne va pas loin et on en voit rarement sur le littoral de la Méditerrannée. Il revient en Mars. Je passe sous silence quelques autres Fringilles moins communs. Simultanément à ceux-ci, passenten plaine, les Bruaxts des naturalistes (Emberiza), que les oïse- liers de Paris, qui ont aussi leur langage, nom- ment Bréants : de là sans doute la confusion de MM. Noël et Chapsal ; mais je n’en connais pas un seul parmi ces oiseaux qui hennisse comme le che- val. Is forment une petite famille, dont nous avons déjà détaché le fameux Ortolan des gour- mets qui migre en partie à l'Est. Les quatre espe- ces les plus répandues sont : Le Bruant sauxe ou des haies, que l’on nomme La Verdière dans l'Est, le type du genre, qui se distingue par le bec à mandibule inférieure évasée sur la supérieure et laissant entre celle-ci, à la base, un certain vide, et par son habitude de n1- cher à terre, à l'inverse des Fringilles qui nichent sur les arbres. C’est un assez bel oiseau, presque de la grosseur de l’alouette avec laquelle il se confond souvent dans les brochettes des rotis- seurs de Paris, fauve strié de noir sur le dos, MIGRATEURS DU SUD. 215 à plastron et à calotte jaune éclatant chez ie mâle ; mais très-farouche. Son ramage de printemps, qu'il fait entendre du haut des grands arbres, est triste : « Dine-Dine-Dine-Dine..….Die-e-e...\\ » ; Ortolan de roseaux. et son cri d'appel, une facon de « strelitz » sec qui, je crois, est l’origine de son nom allemand.Il vient assez volontiers au miroir. Il commence à passer en septembre isolément ou par petits grou- pes, et ensuite, surtout à l’arrière-saison, en ban- des nombreuses. Dès la fin de mars on entend son chant de retour. Le Bruant z1, ainsi nommé de son cri d'appel, 216 LA MIGRATION DES OISEAUX. est un peu plus sauvage et moins nombreux que le précédent. Le Proyer, ami des grandes plaines, comme la Champagne, et des vignobles. | Le Bruant ou l'Ortolan des roseaux qui passe en octobre, mais qui est assez difficile à observer. I faut parler maintenant, pour épuiser la lon- que série des oiselets, d’un groupe de petits oi- seaux des bois, presque tous migrateurs d'octobre et, pour la plupart, charmants petits êtres ailés et des plus plaisants par leur chant varié et agréa- blement modulé. C’est la jolie tribu des becs fins ou des Fauvettes (sylvia, un des rares noms bien réussis de la classifica‘on scientifique.) Nous en avons déjà délaché le maëstro soprano par excellence, le Rossignol, que l’on fait généra- lement migrer à l'Est : je ne voudrais point le cer- tifier, tant cette marche est peu semblable à celle de tous les autres membres de la famille qui se ré- pandent plus ou moins en chemin en allant au Midi et dont un certain nombre passe en Afrique. LaFauverre À TèTe Noire (syloia atricapilla), ainsi que la Grise (sylvia orphea), habitantes de nos Jjar- dins, ne tardent pas à le suivre ; cependant, elles ne MIGKHATEURS DU SUD. 217 sont pas aussi ponctuelles au départ, et, selon la sai- son, attendent volontiers la maturité des baies de sureau dont elles sont très-friandes. Leur voyage est tout à fait incognito, elles apparaissent et dis- paraissent comme le précédent, et leur marche est difficile à observer; mais on les retrouve en Afrique où un de mes amis, grand observateur des oiseaux, m'atteste y avoir entendu chanter la Fauvette à tête noire, en hiver. Et tous nous avons trop présentes à l'esprit les notes mélodieuses de ce chant pour que nous puissions nous y trom- per. Je connais, de par ce monde, un hémicyele de grands rochers et de pentes de bois qu’arrose une belle source des plus pittoresques: charmante solitude qu'affectionne une fauvette, sa voix y résonne et y prend une ampleur que je ne re- trouve nulle part ailleurs. Guidé par l'exemple, aux Jours où j'habitais le voisinage, j'y amenais une jeune amie, douée, elle aussi, d’une voix merveilleuse : elle annait à nous y chanter une romance d’aiors et bien de circonstance : O fauvette, Joliette, Reine de nos buissons, *edis-moi tes chansons, Sous l’ombrage, Du bocage, Oiseau, donne-moi tes leçons! 218 LA MIGRATION DES OISEAUX. L’écho reprenait le chant dans une octave supé- rieure et avec une suavité de sons à ravir les ar- changes. C'était un concert, un opéra sur nature, et quel décor! Je ne puis plus passer dans ce lieu sans que cette voix angélesque me chante en- core à l'oreille. La FauveTre BABILLARDE (sylvia garula), qui con- stamment babille dans les haies et les buissons, a des habitudes semblables de migration. Je passe sous silence de nombreux sujets de cette famille des Fauvettes proprement dites, moins communs, plus ou moins hâüfs et dont quelques-uns même, comme le petit Pouor, attendent la venue des froids pour gagner de plus chaudes contrées. Le beau RossieNoz DE muratze, (sylvia phœni- curus), qui habite le toit de nos demeures et de nos édifices, passe en septembre et quelque peu en octobre pour nous revenir en avril. La Fauverre ROUGE-QuEuE ou la Queue-Rousse (Sylvia tythis), passe davantage en octobre. Le charmant Rouce-corce (sylvia rubecula) s’at- tarde volontiers en chemin, attendant la maturité des baies des buissons et des raisins des vignes dont il est très-amateur. La saison des pluies au- rt J'y ameuai une jeune amie... (Page 217.) MIGRATEURS DU SUD. 291 tomnales est son temps de prédilection pour se mettre en voyage, parce qu’elle lui prépare une ample pâture de vermisseaux. Malheureusement pour lui, cette abondante provende le transforme en véritable pelotte de graisse et il fait alors de délicieuses brochettes. Il émigre sans se presser, de buissons en buissons, hochant la queue et ré- pétant ses Joyeux « Tit-ri-ti ». Il s'arrête un peu partout, se rapprochant de nos maisons, des bois ou des champs pour y trouver un abri et quelque nourriture, et ne s’en va pas loin, pour revenir dès le mois de février. C’est l'oiseau des légendes des charbonniers et des bücherons ; chaque forêt a la sienne. Dans mon enfance, on me contait qu'il ensevelissait, en les couvrant de feuilles mortes, les pauvres égarés morts de fatigue ou de froid. C'est beaucoup de sentimentalité; mais je soup- çonne que l'intérêt personnel y entre pour quel- que chose. IL sait, le petit rusé, que sous ces feuilles naîtront des myriades de larves et qu'il y aura grande picorée pour lui et les siens. C’est moins poétique! Les mignons petits Rorrecers (sylvia réqulus), passent pendant tout l’automne et même l'hiver en se pendant aux arbres pour les débarrasser de leur vermine et en poussant de petits « zi-2i-2i » 229 LA MIGRATION DES OISEAUX. lorsque la proie est abondante. Et j'en passe nombre d’autres de cette grande tribu des becs fins des bois et des buissons. Roitelets Mas voici une autre et intéressante famille dont quelques-uns des membres ont le double attrait Loriots. MIGRATEURS DU SUD. 225 gastronomique d’un certain volume et d’une es- culence de chair qui ne le cède qu'à peu de gibier; ils sont, en plus, des maitres chanteurs par excel lence: ce sont les Grives. Avant d'en parler, néanmoins, il faut placer ici La Grive. un de leurs voisins en espèce et le dernier oiseau avec lequel nous soyons en retard, car sa migra- tion est précoce, c’est le Lorior (Orialus galbula), au beau plumage et aux mœurs curieuses, mais difficile à classer parmi nos oiseaux d'Europe, tant il est exotique parmi tous: lorsqu'il passe comme un {trait dans la verdure des bois, d’un vol 15 226 LA MIGRATION DES OISEAUX. droit et rapide, il ressemble à un rayon de soleil par son corsage d’un Jaune éclatant ; son nid, sa- vamment construit, a l’air d’une callebasse sus- pendue à l'extrémité de la branche qu’il a choisie. Comme les grives, 1l élit domicile dans les bois humides et tranquilles où il pourra picorer en paix les insectes du sol, sa pâture de fondation ; mais 1l doit peu s’aventurer au nord de notre lati- tude, de même qu'il n’a pas une prédilection pour les grandes altitudes. Il nous arrive en mai, lors- qu'il fait chaud et que les arbres sont revêtus de leur frondaison; on le voit peu au passage, seule- ment il a soin de nous signaler son arrivée par les trois notes sonores de son chant de printemps, dont son nom de Loriot est une pâle imitation ; il yadu soleil jusque dans la voix de cet oiscau des tro- piques égaré dans notre région. Ce n’est que lorsque les cerises sont mûres qu'il perd de sa sauvagerie ; mais, alors, pris par son faible, il vient jusque dans nos jardins gruger les baies rouges et affrio- lantes, amenant avec lui toute sa progéniture à la picorée, et il s’en donneet il s’en gave. La saison de ce fruit étant passée, le loriot songe au départ: les plus pressés de l'espèce se mettent en roule vers le 15 août, les plus tardifs au com- mencement de septembre. Ils ont perdu alors leur belle voix de printemps et passent silencieusement MIGRATEURS DU SUD. 297 par petits groupes de famille. Ils trouvent dans le Midi les fruits du müricr et recommencent leurs picorées. En Italie, ct dans les contrées les plus méridionales, ce sont les figues, ct ils S'y en- graissent à doubler de volume, au dre d’un correspondant; c’est alors un bon manger. De là ils vont en Afrique et probablement poussent jus- qu'aux tropiques, leur véritable patrie ; mais ils passent si peu de temps parmi nous, pas plus de trois mois, qu'on s’est demandé ce qu’ils faisaient tout le reste de l’année : on n’a pas encore pu le savoir. Les contes bleus n’ont point manqué sur ce bel oiseau. En voyant ses petits horriblement contre- faits de nature, la tête grosse, l’ossature saillante, on à dit qu'ils naissaient par briques et mor- ceaux que les parents recollaient avec une herbe spéciale. Voilà un genre de procréation qui ne ferait pas honneur à la nature. La Grive (Turdus) est une de mes amies d’en- fance, et on me permettra de m’étendre plus lon- guement à son sujet. Elle comprend quatre espèces parfaitement déterminées, plus les Merles qui forment une famille dans le genre. La première en date de migralion est la Give COMMUNE, la Grive de vigne, si l'on veut (Turdus 228 LA MIGRATION DES OISEAUX. musicus, la Tourde en provençal), qui niche en France dans tous les bois frais ou élevés à partir de la latitude moyenne, particulièrement à l'est où elle est très-abondante et où elle se multiplie en- core par plusieurs nichées successives. Les grives commencent d’abord leur migrationen altitude des montagnes dans les bois inférieurs, lorsque les matinées fraiches commencent à venir; puis le gros de l'espèce se met en route à l’époque où, dans notre zone d'observation, les baies des bois et des buissons, ainsi que les raisins des vignes, entrent en maturité, car elles ent une passion pour tous ces fruits, de même que pour les ce- rises, qu'elles ajoutent aux vers, aux pelits escar- sots et aux insectes terrestres, leur régime habi- tuel en élé. C'est, par conséquent, vers les pre- micrs jours d'octobre que commence réellement leur migration, et le plein du passage a lieu géné- ralement [a semaine de la pleine lune de ce mois pour se terminer aux derniers jours. Elles passent par grands vols épars. La nuit, lorsque les courses matinales de la chasse font sortir les Nemrod avant l’aube, ils les entendent passer à leurs «Tsic » stridents ; mais non sans qu’elles fassent de nom- breuses stations dans les buissons les mieux garnis en petits fruits ou micux encore dans les vignes, pour peu que la saison leur soit favorable et MIGRATEURS DU SUN 229 qu'elles n'aient point à redouter les gros temps ou les rafales du nord-ouest; autrement toutes dé- campent en une nuit. Dans le bassin du Rhône, qui forme comme un long vignoble de son sommet à la mer, la veine de migration est considérable. Dans le Jura, par exemple, où la vendange est très- tardive, les grives trouvent à leur arrivée les rai- sins en maturité et tous encore pendants aux ceps ; elles s’en donnent à cœur-joie. Or, un rôti de belles tourdes, blanches de graisse et onctueuses de rai- sin, est une des friandises de l’automne, et les habitants du pays, qui en ont une passion, font une terrible guerre à ce fin gibier. Il a coutume de passer la journée aux vignes, et Le soir, au so- leil couchant, de regagner les grands bois pour la nuitée; c’est l'instant le plus favorable. Sur le territoire de la ville d’Arbois, renommé par ses vins et qui pourrait l'être pour ses grives, cette chasse est nationale; on n'y manquerait point à l'époque voulue. Une côte, couronnée par une grande forêt, est la remise privilégiée de la nuit; les grives y remontent en quantité, et tout du long du plateau sont échelonnés les chasseurs qui les reçoivent par une fusillade des micux nourries dans les bons jours de passage ; au-des- sous d'eux s'étendent de pelits bois aménagés tout exprès et tendus soit de collets en perche, 250 LA MIGRATION DES OISEAUX. soit de pantières ou pantennes, grands filets ten- dus verticalement et aujourd'hui perfectionnés, c'est-à-dire faits àtramail, dans lesquels les grives s’emboursent successivement jusqu’à la fin de la passe. La chasse au fusil est quelque peu anodine, car la grive a le vol tellement rapide que c’est un ür_ difficile, mais avec la pantenne à tramail sur- tout on fait de fort belles razzia. Les grives, de stations en stations, arrivent dans le Midi à la fin d'octobre et au commencement de novembre, déjà fort bien lestées en esculence, et trouvent jà une nouvelle victuaille : nouvelles séances d’engraissement qui donnent la grive aux olives, deuxième édition revue et perfectionnée. Les Provençaux, qui n'en sont pas moins friands, comme de toutes les proies possibles, du reste, leur tendent d’autres embüches. Chez eux, c’est la chasse au poste à feu, composée de quelques arbres verts, surmontés de cimeaux on branches sèches pour perchoir, au pied desquels on place des appelants en cage; par les meurtrières d’un. cabanon, toutes les malheureuses qui ont le tra- vers de se laisser séduire et de se percher sont trai- treusement fusillées. On en fait encore ainsi de fort belles hécatombes. Au temps ou J'habitai la Provence, un pälissier d'Aix s'était fait une répu- tation par ses merveilleux pâtés de tourdes, qu'il } MIGRATEURS DU SUD. 951 ornait d'une belle citation latine de je ne sais quel auteur, pour prouver leur antique valeur gastro- nomique; cer, dans l’ancienne Rome, les Apicius, les Lucullus et autres fameux gourmets de ce temps, prisaient tellement les grives qu'on les engraissait à leur usage, comme encore de nos jours les ortolans, et en si grande quantité, que le guano ou la fiente constituait une branche de commerce et était vendu à haut prix aux horti- culteurs. Des régions méridionales où elles se dis- séminent en partie, les grives passent en Afrique, soit directement, leur vol rapide et soutenu leur en donne toute facilité, soit en suivant les con- trées les plus avancées dans cette direction. On a agité aussi, à leur sujet, la question de sa. voir si, avec cette grande propension pour les fruits, elles ne suivaient point les récolles, c’est-à-dire si, après être descendues au midiàla recherche des pri- meurs, elles ne remontaient point au nord en sui. vant les maturités successives, pour reprendre ensuite leur réelle direction du sud. J'ai été témoin d'un fait qui me l'aurait donné à penser, Etant en stationnement, au mois de juillet, dans les grandes forêts de sapins du haut Jura, lieu de reproduction par excellence, jy voyais sur les li- sières des nuées de grives et de grivets päturant dans les prés ou venant se désaltérer aux abreu- 232 LA MIGRATION DES OISEAUX. voirs, et je m'étais bien promis d’en venir faire quelques massacres, une fois la chasse ouverte. Aux premiers jours de septembre, toutes avaient disparu, probablement contrariées par les frai- ches nuits, précoces dans ces parages. Où étaient- elles allées, car dans les bois inférieurs, elles n'étaient pas plus en abondance que de cou- tume?.. Je ne sais. — Mais il est de vieille ex- périence, dans notre pays, qu'elles n'arrivent dans le vignoble que tout à fait maigres, et qu’il leur fautfun certain temps de séjour pour se met- tre en embonpoint. Puis, nous les voyons arriver, c’est-à-dire s'arrêter d’abord sur les bords des bois de la direction du nord, et, de là, plonger dans les vignes. A l’inverse, elles parviennent, en novembre, sur le littoral, en fort bel état d’en- sraissement et ne font que s’y compléter. Je ne puis donc admettre la remontée au nord, spéciale jusqu'ici, paraît-il, aux martinets et aux hiron- delles, que lorsque des faits positifs viendront _ à la démontrer, Après leur longue mais rapide pérégrination, les grives communes ont hâte de nous revenir, et dès la fin de février ce sont, avec leurs sœurs les Mauvis et leurs frères les Merles, les chanteurs et les enchanteurs de nos bois, comme il a été dit dans un précédent chapitre. En mars, on voit MIGRATEURS DU SUD. 235 déjà l'ébauche des premiers nids de celles qui se sont cantonnées dans nos parages ; les autres pour- suivent leur route fort loin dans le Nord. Il manque encore à l’histoire naturelle de pouvoir préciser les points extrêmes de la migration des espèces, aussi bien dans la direction de l’équateur que dans celle du pôle, mais cela viendra peu à peu. Quoique j'aurais pu en dire davantage sur cet intéressant oiseau, la véritable orive de l'Europe centrale, cette notice abrégera d'autant celle des espèces qui vont suivre. La Grive mauvis (Turdus iliacus) ou Grive du Nord et plus mal dénommée Grive de montagne ; car elle ne niche que fort au nord de notre lati- tude ; l’est encore plus mal par son nom scienti- fique d'iliacus ou d'ileosus qui veut dire vomis- seur, dégorgeur, comme si elle avait la faculté, à l'instar d’autres oiseaux dont nous avons parlé, de dégorger les parties indigestes de ses aliments, ce dont, à ma connaissance, aucun auteur ne parle. Cependant elle est facile à caractériser par ailleurs : plumage identique, taille moindre et plus amincie que la précédente espèce; signes particuliers, large tache rousse à l’aisselle, eri de rappel plus prolongé : « zie-e-e », qui lui fait don- ner en Provence le surnom de Siblairé, grive 254 LA MIGRATION DES OISEAUX. siffleuse. On dit encore qu'elle passe en plein jour par volées compactes, et que sa chair est plus exquise. Quant à moi, je lai toujours vue suivre les mêmes errements de migration que la tourde, avec cette seule différence que, plus tar- diveet beaucoup moins nombreuse, elle commence à passer lorsque l’autre achève son évolution, et comme elle séjourne peu, on n’a guère le temps de s’apercevoir de la différence comme gibier. La Draxe (Turdus viscivorus), ou Grosse Grive, passe aux derniers jours d'octobre et aux pre- miers de décembre, isolément ou par petits grou- pes : c’est le signal de la fin du passage des deux espèces précédentes. Celle-ci niche partout, de- puis les contrées méridionales, mais de préférence dans les bois élevés. Comme elle se nourrit spé- cialement à l’arrière-saison de baies amères de sorbes ou de gui, sa chair est tout à fait maus- sade. Retour également dès la fin de février. Le Lironne (Turdus pilaris), vulgairement Tia- tia, ou Chia-chia, de son cri habituel au passage d'automne, et Chinche dans l'est. C’est le plus bel oiseau de l’espèce, de taille un peu supérieure à la tourde et de plumage plus coloré, avec de belles taches fauves et blanches au plastron. Elle ne nous MIGRATEURS DU SUD. 255 arrive qu'aux derniers jours qui précèdent les frimas, par vols serrés et de plein jour, recher- chant les sources chaudes dans les prairies, là où la neige n'a pu prendre pied, pour y picorer les vers et les larves. Elle engraisse néanmoins à ce pauvre régime, ct J'ai d'elle un bon souvenir. Un Jour, un triste hôte de passage aussi, la grippe, avait fait station chez moi, me condamnant à la tisane pour toute réfection. Une bonne âme eut l'ingénieuse pensée de m'apporter un belle li- torne, blanche de graisse. La grippe recula d’ef- froi à sa vue, et moi je ressentis se réveiller mes papilles dégustatives. La grande affaire était de la faire cuire promptement et convenablement à mon appétit; la casserole me paraissait peu plaisante, le tourne-broche prétentieux pour cette seule bestiole. Fy remédiai avec mes instincts d'homme des bois. De mon tisonnier je l’embro- chai par le travers et la présentai à un foyer ar- dent, sans oublier une belle {tartine en dessous. Ce fut fait en un tour de main. Sel et poivre, puis quelques verres de haut Arbois, stimulant et généreux : le tout passa comme une lettre à la poste, et oncques ne revit la grippe. Je lègue la recette à l’Académie de médecine. La litorne s’arrête à la limite des grands froids et apparait rarement sur le littoral. Elle nous re- 236 LA MIGRATION DES OISEAUX. vient de très-bonne heure, et son passage de prin- temps, moins nombreux et plus rapide, est peu observé. « x x La famille des Merles compte, de son côté, cinq variétés, dont la plus nombreuse, bien qu’elle le soit beaucoup moins que la grive commune, est celle du MEerLE À Bec sauNE (T'urdus merula), au beau plumage noir de jais, chez le mâle adulte; brun roussâtre, chez la femelle et les jeunes. Comme mœurs et comme époque de mise en route à ses deux migrations, il se rapproche de la grive com- mune ; mais il a l'aile plus lourdeet s’attarde bien davantage en chemin, caquelant dans les cépées et les buissons. Quelques-uns même commencent à hiverner dans notre latitude, et de plus en plus en allant au sud. Mais ils subissent en chemin la loi commune de l’embonpoint, à la plantureuse pâture de l'automne, et, bien qu'ils ne valent pas cher encore dans l'Est, selon l'agage : Faute de grives, on mange des merles ; j'en ai tué dans les gorges du Var, qui, par la délicatesse de leur chair, équivalaient à nos bonnes grives de vignes. De là, ils poussent plus avant dans les contrées méridionales et dans les iles de la Méditerranée, particulièrement en Corse, où les maquis, jeunes bois drus et touffus, périodiquement brülés pour MIGRATEURS DU SUD. 257 être mis en culture, sont parfaitement à leur con- venance. Ils y trouvent, comme päture, à la fin de l'hiver, le fruit savoureux de l'arbousier, dont ils se gavent, plus la baie du myrthe qui les parfu- ment en quintescence; ce sont alors les Merles Le Merle. de Corse, qu'on récxpédie, par petites barriques et à haut prix, aux gourmets de l'Europe. Dans nos bois, ils font concurrence de chant, à leur retour, avec les tourdes et les mauvis ; mais eux; comme les beaux ramiers, bien farouches cependant, ne dédaignent point les jardins de Pa- 238 LA MIGRATION DES OISEAUX. ris. Ils y trouvent de frais bosquets, de vertes pe- louses, une sécurité complète, au milieu d’une population bien active, c’est vrai, mais plus poli- cée et aimant les oiseaux pour leurs propres char- Le Merle à collier. mes. Ils s’y plaisent, ils y chantent, ils y nichent; preuve certaine, comme dirait Toussenel, que nombre d’autres espèces se rallieraient également à nous, si nous savions leur donner un asile con- venable et une protection efficace. Les quatre autres espèces de merles sont peu communes ; c'est dommage, car ce sont tous de beaux et agréables oiseaux; d'autre part, leur migration est des plus fantaisistes. C’est en pre- NIGRATEURS DU SUD. 250 mier lieu le beau MERLE À PLASTRON OU À COLLIER (Turdus torquatus), le plus gros des merles, dont quelques couples nichent un peu partout dans le pourtour des Alpes. Son passage est très- accidentel. Comme beaucoup d’oiscaux, même le corbeau, il est sujet à l’albinisme; c’est alors le Châtre de Provence, ou le Merle blanc, dont Alexandre Dumas a fait une façon de mythe, mais qui existe bien réellement. Le Mere BLeu (Turnus cyaneus), c’est-à-dire à plumage gris ardoise, et qui n’est pas non plus un mythe, est le plus petit et le plus rare encore à la migration. IL parait originaire du versant oriental des Alpes. Enfin, le Mere pe rocue, passerel solitaire en quelques contrées (Turdus saxatilis), devient de moins en moins commun dans notre zone. Il est plus abondant dans la haute Italie. C’est un oiseau au charmant ramage qui se plait dans les ruines. * + + En ornithologie vivante ct parmi nos espèces d'Europe, on peut sans crainte faire suivre le groupe des grives et des merles, que nous avons fait débuter par le type ambigu du loriot, du type également très-transitoire des Érourneaux (Stur- nus vulgaris), que les naturalistes savants logent 240 LA MIGRATION DES OISEAUX. dans une catégorie à part. Il s’en rapproche par la forme, par les grivelures du plumage, par sa passion pour les raisins, par son gazouillement perpétuel qui voudrait être un chant, et qui lui a Etourneau. fait donner le surnom de Sansonnet. Il s’en dis- tingue en ce qu'il est oiseau des plaines et des prairies humides et non pas des bois. Il est bien nommé, ou plutôt le qualificatif humain tiré de son nom est bien appliqué, car ses allures et son vol sont si fantasques, qu'il faut une longue ob- servation pour connaitre sa marche de migration. Aussitôt le temps de la nichée accompli, ilvit par MIGRATEURS DU SUD. 241 famille et commence ses courses vagabondes ; son vol rapide et puissant lui en donne la faculté. Au temps où j'habitais l'extrémité de ma vallée, j'en- tendais chaque matin, aux premières lueurs du jour, passer comme un coup de vent devant ma fenêtre : « Frrrrr!!!» — Certain matin que j'étais debout plutôt que de coutume, je vis ce que c’é- {ait : une famille d’étourneaux, ayant son gite sur la montagne, se précipitait chaque jour dans la plaine pour päturer, revenant le soir à son can- tonnement.— Peu à peu, les familles d’un canton se rejoignent, puis les bandes d’arrivants du nord se réunissent à elles, et en octobre on en voit de véritables nuées, d’un kilomètre de long parfois, évoluant et fluctuant dans l’atmosphère comme une banderolle d’étoffe emportée par le vent. C'est alors qu'ils sont dangereux pour les vignes, car si une ou plusieurs de ces troupes immenses se met- tent dans un vignoble, elles ont bientôt fait de le vendanger.Mais cette coutume estencoresoumise à leur caprice, car elle n'est pas constante; c’est probablement lorsque leur pâture d’arrière-sai- son, les sauterelles et autres bestioles, larves et limaces, n’est pas suffisante dans les prairies, et ils rachètent ce défaut d’aimer le jus du raisin, par une grande utilité. C’est alors aussi, qu'ils prennent leur vol en tourbillon dont il a été déjà 16 249 LA MIGRATION DES OISEAUX. perlé : ce qui porte à penser qu’à côté de la ques- tion de sécurité qui a été dite se place la condi- tion de leur vol spécial dans les grandes agglo- mérations., Du reste, leur instinct de sociabilité est si développé à cette époque, que lorsque quel- ques-uns d’entre eux sont isolés, ils se joignent à tous ies oiseaux qui volent en troupes, alouettes, vanneaux, Corbeaux et petits passereaux. Une partie erre ainsi, de plaines en plaines, jusqu’en hiver, en suivant la limite des grands froids, là où la gelée ou la neige ne leur coupe pas les vivres. D’autres poursuivent leur vol, passent en Afrique, où ils sont répandus en deçà et au delà de l’'Équa- teur. On dit même qu'ils poursuivent leurs courses vagabondes jusqu'en Australie, pays où ils ne sont point indigènes et où, néanmoins, ils appa- raissent parfois en grandes bandes. Au retour du printemps, ou mieux de la fin de l'hiver, ils sont aussi fantaisistes, et remontent aussitôt qu'ils préjugent que la saison rigoureuse est passée, c’est-à-dire que le sol mou et humide leur permettra de picorer. Le 6 janvier 1874, je voyais passer au-dessus de Paris un vol immense d’étourneaux, allant droit au nord. J'en augurai une fin d'hiver complétement tiède, et le pro- nostie eut raison, au détriment de beaucoup de vignobles où les gelées printanières furent dé- MIGRATEURS DU SUD. 245 sastreuses, après cette fin d'hiver trop bénigne. Et ce n'est pas la seule preuve ‘de sagacité dans la prévision du temps que m'aient donné les étour- neaux, tout élourneaux qu'ils soient. Un certain soir d'automne, par une saison des plus variables, et dont je désirais très-fort la fin pour mon pro- pre compte, Je vis passer, comme un trait, un vol de ces oiseaux qui regagnaient la montagne à tire-d'aile : dans la nuit, 1l pleuvait à verse, et, le lendemain, la plaine était inondée, détrempée ; les étourneaux étaient allés se remiser au sec. A quelques jours de là, je vis le mème vol, exécu- tant la même manœuvre; je le fis remarquer à un touriste qui projetait de se mettre en route le lendemain : il ne voulut pas s’en rapporter à leur conseil, et mal lui en prit. Les étourneaux remontent au Nord; mais pas tellement loin, parait1l, qu'ils puissent passer d'Europe en Amérique, car ils ne sont représentés sur ce dernier continent que par des variétés fort différentes. * x # Abordons maintenant le groupe des alouettes, dont le nom seul éveille d’agréables souvenirs, et qui est fort instructif au point de vue de la migra- tion. 244 LA MIGRATION DES OISEAUX. Pour l’ornithologiste des champs, l’alouette, par ses mœurs, son habitat et son genre de nourriture, est le plus petit de nos gallinacées; mais un (ype ambigu, par son vol élevé en plein jour et par son chant. Ces deux facultés sont trop bien peintes par Alouettes, quelques vers cités par Toussenel, dans le Monde des Oiseaux, pour qu'on n'ait plaisir à les rap- peler : La gentille alouette avec son tirelire, Tirelire, relire et tirelant, tire Vers la voûte des cieux; puis son vol en ce lieu Vire et semble nous dire : adieu, adieu, adieu! C’est de l’alouette commune (Alanda arvensis), le type de l’espèce, dont il est question, et c'est par elle que nous commencerons. MIGRATEURS DU SUD. 245 Cette petite personne si coquette tient peu à se déranger; mais elle n'aime pas le froid, et si on l'assurait qu’elle n'aura pas les pattes gelées, elle resterait volontiers parmi nous. Les plus frileuses prennent les devants à la mi-octobre; les autres slationnent dans nos grandes plaines, beaucoup y demeurent jusqu'aux véritables gelées ou plutôt jusqu'à la neige, qui à le grave tort de les con- damner au jeûne. Aussi la bourrasque hivernale s’annonce-t-elle à ces fins météorologistes, toutes celles qui restent partent à l'unisson. Un certain jour de chasse au chevreuil, par un magnifique soleil de novembre, j'en ai vu passer une véritable nuée qui ne désapondit point depuis neuf heures du matin jusqu’à trois heures après midi : elles passaient dare-dare à cent pieds de hauteur, et toutes les séductions du miroir eussent été sans attraits pour elles. Dèsle soir, j'en eus l'explication : le vent sauta du sud au nord-ouest,en pleine rafale, et le lendemain, une épaisse couche de neige nous annonça que le bonhomme Frimas était venu. Que de fois, en plein Paris, en voyant passer de grands vols d’alouettes vers le soir, jai averti les dames de préparer leurs manteaux et leurs fourrures. Elles vont ainsi jusqu’à ce qu’elles trouvent un climat plus clément. D’aucunes hivernent dans le midi de la France, beaucoup en Itälie, en Espa- 246 LA MIGRATION DES OISEAUX. gne, etc.; mais le plus grand nombre passe en Afrique, le chauffoir général de la gent aviale. Excellent et abondant petit gibier, comme on sait; on lui fait une chasse infernale, aux filets, aux collets, au fusil, Celle-ci est bien la moins destructive, mais non pas la moins agréable. Au matin, on plante son miroir en un pré, on s’assoie à quelque distance, un aide tire la ficelle, et, pour peu que le temps soit propice et la chance heu- reuse, on commence une fusillade nourrie. Cette chasse est souvent le prétexte de charmantes par- tes de campagne; voici la description d’une de ces scènes qui fut plus pittoresque que productive. « Généralement les dames raffolent de la chasse aux alouettes, soit modestement pour tourner le miroir, Soit pour faire, elles aussi, le coup de fu- sil, et, vives et alertes de leur nature, elles y réus- sissent très-bien. Pas de longues marches et contre- marches, un gai soleil qui met l'esprit en joie; peut-être ce mot de miroir les charme-t-il aussi; en fin de compte, ce sont les derniers beaux jours et il faut se hâter d'en profiter. «Si bel et si bien qu'il n’y à qu’un mot à dire : «On va demain aux alouettes » ; et aussitôt toutes les jeunes et jolies ladies se mettent en émoi : on va, on vient, et on entasse dans les paniers provi- MIGRATEURS DU SUD 247 sions sur provisions, Comme pour un campement de six mois ou une noce de Pantagruel. — Précau- tion fort sage : faites au préalable une bonne ré- serve d’alouettes, plumées, bardées, prêtes à met- tre à la broche : de cette façon, vous serez sûres qu'elles ne manqueront pas à la fête. «Les messieurs prennent, dès l’aube, les de- vants. Les dames se mettent en route plus tard, lorsqu'elles ont entr’ouvert la paupière, fait un brin de toilette de circonstance, et que la rosée matinale ne courra plus risque de mouiller la se- nelle de leurs chaussures. « Telle est la scène qui se préparait sur nos côtes, par un temps magnifique, certain malin de fin oc- tubre. « Tout alla bien au début, et nous espérions bonne chance ; mais lorsque la voiture des dames émergea sur le plateau, un triste brouillard de la plaine, qui tous les jours précédents s’était tenu discrètement an pied des rampes, jugea à propos, pour leur faire niche, sans doute, de monter tout doucettement et de s'étendre de son long sur les pelouses. Un instant après, éclipse totale de soleil à ne pas se voir à dix pas; réintégration des miroirs dans les sacs, et déconvenue générale. — Que faire? Contre mauvaise fortune bon cœur ! c’é- tait le plus sage. — Aussi bien la misère n’était 248 LA MIGRATION DES OISEAUX. pas dans le camp, et nous procédâmes incontinent au second acte, puisque le premier était manqué, c'est-à-dire aux après du festin. « Tous les hommes, transformés en bücherons, récoltèrent le bois sec des haies et des buissons, et, en un clin-d'œil, un immense foyer s’éleva tout à fait à propos pour rassénérer quelques minois chiffonnés par le froid. Une somptueuse broche d’alouettes, venues comme vous savez, se mit à tourner à la flamme. Le plus jeune de la bande, muni d'une cuiller à pat emmanchée d’une gaule, eut l’importante mission de les arroser méthodi- quement. À quelques pas, la nappe s'étendit sur le gazon et se couvrit de pâtés, de volailles, de sa- laisons de haut goût, de gàteaux et de friandises; le tout flanqué de dives bouteilles dont nous hu- mâmes bien quelques coups par avance, pour chasser l’humide radical. Tout à lentour, des coussins et des bottes de paille. « Comme silhouette pittoresque, le vénérable d’entre nous, un octogénaire blanchi sous le har- nais de saint Hubert, heureux de se retrouver sur le théâtre de ses anciens exploits, profitait de l’oc- casion et chassait quand même. Assis sur son pliant comme sur une chaise curule, le fusil en arrêt et l'œil au guet, il attendait avec toute l'illu- sion du jeune âge. D’aulorité, une de ses brus ou Le plus jeune de la bande... ...(Page 248) MIGRATEURS DU SUD. 251 son petit-fils étaient condamnés à tirer la ficelle. — «Ga va venir ! ça va venir ! » disait-il toujours. — Va-t-en voir s'ils viennent, Jean! C'était le brouil- lard qui venait. de plus en plus épais. — Bien à regret, 1l lui fallut se rendre à l'évidence et prési- der au banquet. « Bone Deus ! Quelle noce! — Raconter tous les beaux coups de fourchette qui se donnèrent serait une entreprise homérique; jy renonce. Mais dire qu'aucune de ces dames n’eut une aigretle à son toquet, que tous ces messieurs eurent la langue aussi déliée que ces dames, serait s’'aventurer. Le brouillard est si traître ! «Le tableau final compléta la fête. Les bestiaux élaient à la pâture, comme de coutume. Par l'odeur alléchés, sans doute, ilss’approchèrent pas à paset, au dessert, un cercle de bêtes à cornes, braquant sur nous leurs gros yeux ébahis, formait galerie. Hilarité sur toute la ligne! — Quelques croûtes de pain saupoudrées de sel les firent participer à la fète. C’est si facile de faire le bonheur d'autrui, lorsqu'on ne manque de rien! Un loustic, au cœur plus ému et plus compatissant, voulut même leur offrir son verre; mais il reçut une belle leçon de tempérance de ces bêtes : toutes refusèrent à la ronde. Une rasade au berger n’eut pas le même sort. 952 LA MIGRATION DES OISEAUX. «A peine levions-nous l'ancre, affreux guignon ! que le brouillard redescendait comme il était venu, et que le soleil resplendissait de toutes ses escarboucles. C'était une revanche à prendre. » L’attrait de l’alouette pour l'instrument que nous appelons miroir, parce qu'il est pour l’ordi- naire parsemé de petites glaces, attrait qui va Jus- qu'à la fascination, elle se précipite dessus, volti- geant au plus près, en extase, et faisant le Saint- Esprit, selon l'expression consacrée, a mis fort en éveil les imaginations. Ona dit, pendant longtemps, prenant le mot au pied de la lettre, que Palouette venait coquettement s’y mirer; c’est plus qu’in- vraisemblable. Toussenel dit très-poétiquement que l'oiseau est attiré par les brillants reflets du soleil, son ami. Mais l'emploi, à ces derniers temps, du miroir sans glaces, met à néant cette hypothèse. Si nous considérons que l’alouette donne tout aussi bien sur une chouette vivante ou empaillée; que, d'autre part, le miroir, tournoyant sur son pivot et vu de haut, simule assez bien un oiseau battant des ailes; nous concluerons plus positivement que ce leurre est pris, par quelques espèces d'oiseaux, et particulièrement par celle qui nous occupe en ce moment, pour un des rapaces ennemis de leurs races, pris au piége, et du sup- MIGRATEURS DU SUD. 253 plice duquel elles viennent se réjouir. J’estime aussi que la curiosité n’y est point étrangère, car on est badaud en voyage, tout aussi bien dans l'es- pèce emplumée que dans celle habillée, et qu'une bûche, tournant sur un axe, produirait le même effet, sauf l'éclat qui, par tout pays et en toutes nations, a le don de fasciner les yeux. Jen ai pour preuve que l’alouette de passage donne très-bien sur la queue d’un chien qui frétille dans la quête, sur un soc de charrue oublié dans les champs, sur un brin d'herbe dont les gouttelettes de ro- sée étincellent au soleil, sur tous les objets inso- lites qu'elle n’a pas l'habitude de voir on qui l’é- tonnent. Mais les habitantes du pays sont plus futées. Un chasseur expérimenté les a bien vite reconnues; une jeune inexpérimentée vient-elle à être séduite par le leurre, une ancienne se pré- cipite à l’entour, et, par une gaie chansonnette, l'entraine au loin. — Va-t-en voir si elles viennent, Jean ! répéterai-je à mon tour. L'alouette est bien certainement l'oiseau qui m'a révélé le mieux la loi du vol de migration, droit dans le vent. Fai pour point d'observation, depuis ma jeunesse, un val, ou pour micux dire une combe, selon l'expression locale, mot dont la lacune au dictionnaire a été constatée, 1l y a long- temps, par mon compatriote Charles Nodier, un 254 LA MIGRATION DES OISEAUX. pur linguiste; une combe ouverte du nord au midi sur le plateau où se passait la scène qui vient d’être dite, excellent point de passage par le bon vent, mais nullement de stationnement en raison de l’altitude. Le passage s’y fait en une veine qui, selon la variation du vent de sud, infléchit à droite ou à gauche, et il est sage, lorsqu'on y chasse, de transporter son miroir sous le courant, si on veut bien faire. Cette loi donne l'explication d’une bien ancienne remarque des chasseurs spéciaux, à sa- voir: que les alouettes que l’on prend ou que l’on tue par le vent de sud sont bien plus grasses que celles capturées par les autres vents. La raison en est simple : c’est que, par le vent de sud, on prend ou on tue les alouettes de plein passage, c’est-à- dire en suffisant embonpoint pour se metlre en voyage, tandis que les autres jours ce sont les alouettes en stationnement et qui attendent le supplément de graisse, indispensahle pour ali- menter leurs longs vols. La migration d'automne nous trace par avance la marche du retour au printemps. Les alouettes les plus aguerries qui ont hiverné dans le midi de la France, nous reviennent dès que l’hiver s'éloigne, c’est-à-dire au commencement de mars, et les autres suivent successivement. Malheureusement, elles sont encore soumises alors à une terrible MIGRATEURS DU SUD. 255 destruction. De véritables industriels, échelonnés dans la zone méridionale, se livrent à une guerre acharnée sous légide de la loi, et, néanmoins l'espèce est tellement prolifique, que les vides dans les rangs n'y sont pas encore bien constatés. Mais il y a là un vice cependant'qui sera plus particulièrement signalé dans le chapitre des con- clusions. Cette intéressante famille est représentée en Europe par plusieurs variétés. C’est, en premier lieu, la Cazaxpre ou Grosse Alouette, presque de la taille d'une grive mauvis (Alauda calandra), qui n'habite que les contrées méridionales et qui est peu commune. L’ALouerre cocHevis (Alauda cristala) ou Alouette huppée, moins sauvage que les autres espèces et se rapprochant volontiers des'chaumières et des grands chemins, dans les grandes plaines sablor neuses et sèches, de la Champagne, par exemple, mais inconnue dans l’est. Le Cuceuter ou Alouette des bois (Alauda arbo- reus), petite alouette à queue courte et qui perche sur les arbres, douée d’une voix charmante dont elle n’est point avare, car le mâle chante des heures entières son mélodieux ramage de printemps, tout en tournoyant en grands cercles au-dessus du nid 256 LA MIGRATION DES OISEAUX. de sa compagne ou perché au haut d’un arbre à sa proximité. Son cri d'automne est un doux petit « Lulil.…..Lulil...» qui luia fait donner le surnom d'Alouette Lulu. C'est elle précisément qui fait entendre, lorsqu'on la lève dans les vignes ou les terres sèches, son habitat ordinaire, ainsi qu’il Alouettes huppées. a été dit, un farlousement, mêlé de pépiements, qui, à mon estime, a dû jeter la confusion dans la classification des naturalistes par ce nom de Farlouses, donné à un autre groupe. Elle migre depuis la fin de septembre jusqu'à la fin d’octobre et revient de fort bonne heure, toujours chantant au passage ou en stationnement son gai petit re- fran: « Luli-luli!... fi-fi... fio-fio-fio !...» MIGRATEURS DU SUD. 9257 Je termine cette longue, mais gaie série des mi- grateurs du sud, pour faire ombre ou repoussoir au tableau, comme disent les peintres, par l'oiseau des mauvais augures, le Corbeau, non qu'il soit aussi noir de caractère que son plumage ou que le fait la chronique, car c’est un fort bon vivant en domesticité, pas difficile, S’'apprivoisant et s’at- tachant facilement ; à l'occasion, buvant sec par- dessus le marché. On m'a conté que mon grand- père en possédait un qui connaissait fort bien le chemin de la cave, y débouchait prestement une bouteille à coup de bec, et, après boire, restait sur le carreau. En sa qualité d’omnivore, le cor- beau est utile comme éliminateur des gros insectes et particulièrement du ver blanc, l’antécesseur du banneton; on lui reproche de se repaitre des ca- davres de toute sorte; en ceci, il remplit encore sa haute mission d’expurgateur des immondices de la surface de la terre. Son plus grand défaut est d’avoir un faible pour les œufs des nids et même pour les oisillons. En cela, il a tort; mais qui est parfait dans ce monde? On appelle communément corbeau tous les oi- 17 258 LA MIGRATION DES OISEAUX. seaux noirs de l'espèce; mais il faut distinguer. Nous avons en premier lieu : Le Gran Corneau, le Corvus corax de la science. Remarquez que ces deux mots ont exactement la même signification, et que c'est absolument comme si on disait en latin et en grec, le Corbeau- corbeau. Le dictionnaire de MM. Noël et Chapsal, plus jovial que je ne croyais dans ma jeunesse, nous apprend qu'on donnait ce nomde Coraæ aux prêtres de Mythra, dans l’ancienne mythologie ; c'était probablement en raison de leur coutume de s'habiller de noir à l'instar de l'oiseau en ques- tion. Le Corvus corax, puisque telle est sa désigna- tion, est tout à fait sédentaire, vivant isolé, c’est-à- dire par couple, dans les rochers et au fond des bois. Nous avons ensuite les CORNEILLES NOIRES ET MAN- TELÉES (Corvus corone etCorvus-cornix), les Cnou- cas (Corvus monedula), qui vivent en colonies dans nos contrées et émigrent régulièrement en octobre et novembre; ils vont probablement jusqu'en Afrique. Le Freux (Corvus frigileus) est originaire du Nord et se distingue par sa tête un peu chauve, C’est celui-ci que nous voyons arriver, en plein hiver, par bandes nombreuses qui couvrent quel- quefois un kilomètre carré de terrain. Plus aguerri MIGRATEURS DU SUD. 259 contre le froid, il ne va pas loin et généralement ne dépasse pas le littéral européen. Le Freux. Là finira cette longue énumération des migra- teurs du Sud que nous avons écourtée autant que possible. e r | LI : F PEN MATOS CON NE ET A RAR TU PEN EL El {Ce AE MAL Li kr 7 Hg PACE SENS PE COTON SRE : : 2 ; £ 4 Li d @r: CT" JL <4 L an. OU = À . ee ATOUT us L $ ol l . CHAPITRE VI MIGRATEURS ACCIDENTELS Pour compléter cette étude des espèces, il faut encore y ajouter les principaux oiscaux qui se montrent moins régulièrement parmi nous, et le nombre en est grand; il r°y a pas d'années où, dans toutes les contrées, on ne signale des spécimens rares ou totalement inconnus, en plus ou moins grande abondance. Nous avons déjà cité un cer- tain nombre de ces oiseaux qu'il était à propos de réunir à leur groupe naturel; mais il en est d’autres intéressants qui se font voir soit périodi- quement, soit localement seulement, et dont les agissements appartiennent encore à l’histoire de la migration. Ils peuvent se diviser en trois caté- gories : les migrateurs en altitude ou les habitants des hautes montagnes que les grandes chutes de 262 LA MIGRATION DES OISEAUX. neiges et la rigueur du froid obligent à chercher un refuge dans les bas-fonds et qui généralement ne s'écartent pas au loin de leur pays d'élection ; les migrateurs à grandes intermittences que l’on voit par périodes indéterminées, souvent en très- grand nombre, probablement délogés de leur pays de séjour par la disette ou l'excès de popula- lion ; enfin, les migrateurs exotiques qui viennent visiter quelques-unes de nos contrées. Tous Iles animaux sauvages qui habitent les hautes régions, à peu d’exceptions près, émigrent plus ou moins en hiver; c’est-à-dire, descendent sur les versants ou dans les plaines environ- nantes ; par la souveraine raison qu'ils périraient de misère et de froid sur un sol recouvert d’un épais manteau de neige, à moins qu'ils n’aient la faculté accordée à quelques espèces de s’enfouir et de s’engourdir pour un laps de temps. Les oiseaux de ces régions, n'ayant pas cette latitude, sont bien obligés de suivre la loi commune ; mais comme ils sont par avance accoutumés à une température peu élevée, ils n’ont pas besoin de chercher au loin un climat plus clément et se contentent d’abaisser leur Lieu d'habitation. La vaste chaine des Alpes, comme d’autres, du reste, possède plusieurs espèces de ces migra- teurs. MIGRATEURS DU SUD. 263 Le Pixsox pis neices ou Niverolle (Fringilla ni- valis) assez semblable au Pinson ordinaire, plus pàle de couleur et qui est assez commun dans la haute Provence; mais il ne s’avance pas même jusqu’au littoral. On le voit également, au com- mencement de l'hiver, dans le nord-est de la France venant de l’extrème nord. Pinson des neiges. Le Gavoté et le Myricène, deux espèces de Bruants rares et peu connus. Je ne sais s’il faut rattacher à l’une des deux l’Azrn, oiseau estimé à l'égal de l’Ortolan dans la ville de Grenoble, mais qui est rare néanmoins et descend peu au-dessous de cette ville. Il m'était inconnu, n'ayant jamais eu occasion de passer dans l'Isère à la saison favo- 26% LA MIGRATION DES OISEAUX. rable et, sur la foi de plusieurs naturalistes, j'étais porté à le considérer comme un Fringille, lorsque tout récemment, au 21 décembre dernier, un obligeant correspondant voulut bien m'en adres- ser deux spécimens qui m'ont permis de l’appré- cier au naturel et gastronomiquement. En voici d’abord la description : taille plus forte et plus allongée que celle des Pinsons, longueur, de l’ex- trémité du bec à celle de la queue, 18 centimètres ; envergure, 99 centimètres; bec noir, conique et peu trapu, aplati latéralement et rentrant sur les bords pour laisser un interstice à la Jointure; plu- mage gris cendré sur la tête, roux écallé de brun sur le dos, ailes noires, longues et effilées avec une iarge tache blanche qui, dans le développement, couvre plus de la moitié de la surface; gorge gris perle, poitrail et ventre d’un blanc peu vif qui se prolonge jusqu'au bout de la queue dont les pennes supérieures seules sont noires; pattes de cette dernière couleur. Par ces deux caractères d'un corps allongé et surtout d'un bec aplati sur les côtés, 1l faut le ranger indubitablement dans le genre Bruant des naturalistes. Par les larges parties blanches de son plumage, il indique une tendance à l’albi- nisme, bien naturelle chez un habitant des alti- tutes neigeuses et quasi sibériennes. MIGRATEURS DU SUD. 265 Restait à savoir s’il méritait la haute réputation gastronomique dont il jouit à Grenoble. Pour m'en assurer, je procédai, moi-même, de la même manière que pour la Litorne dont J'ai parlé, et je dois avouer que les Grenoblois ont fort bon goût; c'est un finet succulent petit gibier et, en somme, un fort bel oiseau. !] faut citer encore l’Accenreur pes ALPEs, qui se rapproche de la famille des Fauvettes, avec un bec plus fort, et qui apparaît également dans la haute Provence où, dans quelques localités, on lui donne aussi le nom d’A/pin. Tous ces petits migrateurs, sans compter ceux d’autres régions probablement, circonscrits dans un espace restreint, sont assez peu nombreux, et il suffit de les signaler comme exemple de migra- tion spéciale. * *# La catégorie des migrateurs accidentels est un peu plus importante et offre, d'autre part, un certain intérêt, car on ne se rend pas toujours compte de leurs motifs d'évolution, faute d’ob- servalions suffisantes sur les lieux d’origine ou assez suivies dans leur parcours. Elle compte notamment deux espèces qui nous arrivent par 266 LA MIGRATION DES OISEAUX. vols considérables, mais à des périodes souvent très-éloignées et toujours très-incertaines : Le beau JASEUR DE BonËuE, espèce de Gros-bec à bec court et trapu, gorge et moustache noires, huppe rele- vée, ailes noires marquées de taches jaunes. Il WIN Win Le Jaseur. niche dans l'extrême Nord et n’en descend que par les hivers les plus rigoureux pour venir Jjus- qu'en Alsace, son point d'arrêt. — Le Bec-croisé (Loæia curvirostra major), autre bel oiseau plus gros que le précédent, à plumage très-variable de couleur selon l’âge et le sexe, et caractérisé par son bec en cisaille; anomalie étrange qui à évi- MIGRATEURS DU SUD. 267 demment pour but le déchiquetage des cônes des arbres résineux. Il niche dans le Nord, à partir de la latitude de la Belgique. Ses migrations sont des plus incertaines et de longues années se passent Becs-croisés. sans qu’on n’en aperçoive un seul. Puis il arrive. dès le début de l'automne, par vols nombreux, et pousseses courses jusqu au littoralméditerranéen ; mais il remonte de fort bonne heure, au mois de janvier. 268 LA MIGRATION DES OISEAUX. Une troisième espèce, le Casse-xox (Nucifraga coryocatacles : je cite les noms scientifiques sou- vent à simple litre de curiosité et on avouera que ce dernier surnom est assez peu harmonieux), est plus régulière dans ses migrations; mais cet oiseau Casse-noix. passe isolément ou par couple, et il est rare. Sa taille est un peu plus forte que celle du merle, son plumage fauve est marqué de blane, et son bec, long et robuste, le fait ranger en histoire natu- relle après les Pies et les Geais, dans l’ordre des corvirostres. Enfin, de nombreux oiseaux exotiques des con- ants, Ejam MIGRATEURS DU SUD. 971 trées méridionales ; peut-être eux, à linverse, fuyant l’extrème chaleur ou, ce qui est plus dans l'ordre des choses, allant à la recherche d’une plus abondante provende que celle de leur pays d’ori- gine qui devient rare, visitent annuellement nos côtes et s’avancent plus ou moins loin dans les terres. Tels sont : Le RoruxEr (Corraccias garrula), espèce de Geai, au plumage azuré du plus bel effet, originaire d'Afrique et un peu d'Espagne, qui vient quelque- fois dans le midi de la France, mais isolément et en se cachant dans le plus profond des bois, comme s’il se sentait dépaysé. Le Marnin-Roseux (T'urnus roseus), un étour- neau au plumage rose et noir : fort bel oiseau dont le pays d’origine est très-obscur. Il arrive aussi dans le Midi en automne; mais plus fré- quemment il voyage, comme son confrère indi- gène, par grandes bandes, et est peu sauvage. Il reprend sa roule au printemps. Le plus beau des visiteurs exotiques de notre littoral est, sans contredit, le Fcaumanr (Phœæni- coplerus ruber), oiseau de l'Orient par excellence qui, néanmoins, pousse des promenades ou des reconnaissances jusque dans nos contrées occiden- tales, à peu près chaque année en hiver et au printemps, y faisant même un certain séjour. On 272 LA MIGRATION DES OISEAUX, en cite quelques-uns qui se sont avancés jusqu’à la Loire, jusqu’en Champagne, dévoyés de leur route par des vents contraires, disent les naturalistes. Pour ma part, je crois peu à ces déviations for- Spatule. cées; les oiseaux sont plus maitres de leurs moyens d'action que cela; et je préférerais l'at- trait d’une nourriture nouvelle, la curiosité de voir, d'explorer d’autres contrées où, peut-être, MIGRATEURS DU SUD. 973 ils pourraient établir des colonies : car un fait à noter pour les Flamants, c’est qu'ils sont égale- ment indigènes dans l’Amérique méridionale et on se demande comment ils ont pu se disperser à si longue distance. Il est peu probable qu'ils aient pris la route du Nord, en effet; mais ils ont le vol puissant, et leurs pattes palmées leur permettent de se mettre à la nage pour se reposer, puis de reprendre leur élan; et pour ceux-ci la grande traversée de l'Océan est moins incompréhensible. Quelques autres grands échassiers de rivage, les Spatules, plusieurs espèces d'Ibis, etc., vien- nent encoré jusqu’à nous ; mais la longue énumé- ration que nous venons de parcourir suffit large- ment à donner une idée détaillée de la migration générale, et il est temps d'en déduire les conclu- sions qui peuvent être intéressantes ou utiles. CHAPITRE VII CONCLUSIONS Tous les oiseaux, sauf un petit nombre de séden- taires, migrent chaque année, aux approches des frimas, les uns plus ou moins à l’est ou à l’ouest, les autres directement des contrées du nord vers celles plus tempérées ou plus chaudes du sud : la nature, en leur en faisant une loi à la fois obli- gatoire et utile, leur en à donné les moyens de locomotion et de direction; et chaque espèce, selon ses besoins et son genre d'existence, à son mode de voyage, ses époques, ses parcours, aussi bien au départ de l'automne qu'au retour du prin- temps. Il n'y a plus d'hypothèses à faire sur ce sujet. Maintenant pour apprécier ce grand mouve- ment, bis-annuel qui transporte le monde des oi- 276 LA MIGRATION DES OISEAUX. seaux du cercle polaire vers l'équateur et récipro- quement, il suffit de Jeter un coup d'œil sur une carte d'Europe ou mieux sur un globe terrestre, pour concevoir facilement : 1° que la conforma- tion des points de départ, les hautes chaînes de montagnes, telles que les Alpes, doivent détermi- ner des veines ou des courants plus abondants ici que là, selon l’ingénieuse conception de M. della Faille de Leverghem; 2° que ces courants sont, d’une part, accélérés ou ralentis par les vents favorables ou défavorables, et, d'autre part, sou- vent déviés dans leur marche par les conditions météorologiques et topographiques perpétuelle- ment variables d’un lieu à un autre. Ces deux conditions sont la base de la dispersion infinie des oiseaux sur toute la surface de la terre, qu'a voulue la nature, et, en y ajoutant les conditions du sol, de la température, de la nourriture, qu'offrent les différents lieux, elles nous donnent une idée pré- cise de l'extrême variabilité que subissent les pas- sages dans une même contrée, d’uneannéeà l'autre, en même temps que du peu de fixité souvent du nombre des sujets qui restent en un lieu pour la reproduction. Il en ressort un grand enseignement ! Si, en effet, nous nous représentons la masse innom- brable des oiseaux qui peuplent l'Europe, de CONCLUSIONS. 277 l'Océan aux monts Ourals, et même par delà; car autant vaudrait dire l'hémisphère boréal; et qui, deux fois l'an, vont et viennent du nord au midi, se dispersant sur toute l'étendue de ce vaste espace, partout où les conditions d'existence, pro- pres à chaque espèce, sont assurées, on compren- dra que, quelle que soit l'action de l’homme sur la nature, il n'en a pas autant qu’on serait tenté de le croire sur le monde des oïseaux. Il peut, dans une certaine mesure modifier les choses qui sont à sa portée, sol, végétaux et animaux séden- taires ; restreindre, annihiler même certaines es- pèces de ces derniers; c’est ainsi qu'on nous dit qu'il a supprimé un jour le moineau franc dans un espace fermé de toute part, la Grande-Bretagne; mais il ne supprimerait pas aussi facilement le Moineau friquet, son voisin en espèce, pas plus que la Caille, la Bécasse et tous les autres oiseaux migrateurs; par la bien simple raison que celte masse mobile échappe à son action, dans sa gé- néralité, par sa mobilité même. Il peut se faire qu'il détruise ou modifie les lieux de station, mais elle passe outre, car elle a l’espace pour domaine; et quant aux déprédations humaines, avec une certaine réserve et sans trop d’opti- misme pourtant, la féconde nature, qui les a pré- vues, sait les combler. 278 LA MIGRATION DES OISEAUX. Ceci a spécialement pour but de rassurer les âmes inquiètes, Toussenel en tête, qui, par quel- ques méfaits exagérés de destruction, ou par les modifications locales, voient en perspective la pro- chaine disparition des oiseaux, du moins dans notre monde civilisé. Cette crainte, à mon estime, tient beaucoup à l'imagination : on a entendu par- ler, on a vu soi-même, à de lointains intervalles, des foules d'oiseaux de passage, et, comme il n’en est pas annuellement ainsi dans une même contrée, on en conclut trop vite que la race est en dégénérescence. Les récents exemples de for- midables migrations qui ont été cités, ainsi que la théorie sur la dissémination des volatiles, prou- vent que les mêmes faits d’exubérance ne discon- tinuent pas de se produire à leurs intervalles, et que, selon toutes probabilités, 1l en sera encore ainsi pendant longtemps; et on peut ajouter à l'apppui que cette crainte date de loi, sans que les oiseaux aient pour autant disparu. Les saly- riques latins, Lampride, Suétone, Marüal, repro- chaient déjà aux Romains leurs goûts et leurs ap- pélits destructeurs : et ils n'avaient point tort, si on se rappelle les festins d'alors, où les mets re- cherchés étaient des langues de Flamants, des cervelles de Faisans, ete., ete. Nous n’en sommes point là, en fait d’exagération ou mieux de dé- CONCLUSIONS. 979 vergondage du goût! — Au temps de Buffon, les mêmes plaintes étaient formulées et se motivaient par les destructions qui se commettaient, et cela depuis un temps immémorial, comme elles se commettent encore aujourd'hui, sur le littoral de la Méditerranée. — Et néanmoins les oiseaux subsistent, probabiement sans avoir beaucoup di- minué de nombre, si ce n’est localement par les nouvelles dispositions du sol. Mais cette question touche de trop près à celle, fort en vogue aujourd'hui, de l’utilité el de la pro- tection des oiseaux, pour que nous ne parlions pas de celle-ci comme conclusion finale. Dans l'espèce, comme disent les légistes, il faut considérer l’action de l'homme sous deux aspects : directement et indirectement. Indirectement, lorsqu'il dessèche un marais, il détruit par le fait un point de station ou un lieu d'habitat pour toutes les espèces qui y faisaient leur repos de migration ou qui S y installaient pour la reproduction : il ne faut done pas qu'il s'étonne de n’en plus revoir ou que fort peu, dans cette localité; ces oiseaux ont passé outre, comme il vient d’être dit, sans être annihilés pour autant. 280 LA MIGRATION DES OISEAUX. Lorsqu'il défriche une forêt, un espace buisson- neux, une haie; qu'il coupe un arbre là où il yen a peu ou pas, il supprime le logis, le domicile de tous les oiseaux qui s’y arrètaient ou y demeu- raient. Plus, si on considère le développement de sa propre population, l'extension et la dispersion de ses habitations, il tombe sous le sens que l’es- pace et les ressources se limitent d'autant pour d’autres êtres : il est bien certain que lorsque la plaine de Paris, excellent point de passage, soit dit en passant, était déserte d'habitants humains, elle était mieux peuplée en animaux sauvages, et cela du petit au grand. — Eh! bien, que là en- core on se console : la civilisation, qui multiplie l’action de l’homme, est plus qu’une compensa- tion, et, dans le même espace, la population des animaux domestiques, autrement et doublement utile, est aujourd’hui bien plus considérable. D'autre part, les oiseaux dont l’existence est com- patible avec la sienne, rassurés par des mœurs plus policées, reviennent d'eux-mêmes dans ses murs, dans ses jardins; témoins les ramiers, si sauvages de leur naturel, qui ont élu domicile aux Tuileries et au Luxembourg. A son tour, le progrès agricole multiplie les animaux domestiques ; puis, lorsque l’homme replante, lorsqu'il reboise, parce que cela lui est profitable, il reconstruit des abris, CONCLUSIONS, 281 des demeures pour les oiseaux percheurs. Grand nombre d'autres, qui vivent à terre, trouvent d'ex- cellentes conditions d'existence dansses cultures de hautes tiges : malheureusement 1l en est une, la prairieartficielle, base d'utilité et de richesse pour lui, qui fait ombre au tableau. Mais, que tout en prélevant le tribu sur les espèces que lui accorde la nature, il respecte la reproduction, et le monde des oiseaux n’est pas près de finir. Voyons maintenant l’action directe ou la des- truction volontaire. Tous les êtres animés, même les plantes, sont soumis à la loi fatale de sustenter leur exis- tence les uns par les autres et de se limiter réei- proquement, mais non de se supprimer, afin que le domaine commun, la terre, ne devienne pas lapanage d’une seule et unique espèce. La nature y a pourvu par l’extrème abondance des généra- tions, et elle seule les fait disparaitre lorsque leur utilité générale a cessé. Les oiseaux, dans cet ordre de chose, limitent la plante, les insectes, les bestioles et autres ani- maux : à leur tour, morts ou vivants, 1ls servent 282 LA MIGRATION DES OISEAUX. de nourriture à toutes ces espèces, même aux leurs. L'homme, égoiste comme tous ses congénères en animalité, ne considère leur utilité que par rapport à lui. Celle des oiseaux est de trois sor- tes, avec une part de détriment : indirecte, directe et d'agrément. Examinons ces divers points; ils doivent nous conduire à la conclusion ; autrement nous ne saurions où la chercher. Tous les oiseaux sont insectivores, depuis les grands rapaces qui ne dédaignent point de croquer les gros insectes, quand ce ne serait que pour se mettre en appétit (et nous avons dans l'espèce des premiers sujets, tels que la Bondrée apivore et les Pie-grièches) jusqu'aux plus petits des passereaux ; mais à des degrés différents : les uns un peu, les autres beaucoup, d’autres complétement. Les Pies, les Hirondelles, sont dans ce dernier cas : les oranivores et les baccivoxes le sont seulement la moitié ou les trois quarts de l'année, sous peine de mourir de faim. Les oiseaux, dans leur géné- ralité, sont donc particulièrement les éliminateurs de cette race. Les insectes sont nuisibles à l’homme de diver- CONCLUSIONS. 285 ses manières: mais, pour rester dans la simplicité de la question, ne parlons que des dégâts qu'ils causent à ses plantes, à leurs graines ou à leurs fruits. N'oublions point toutefois qu'ils ont aussi leur part d'utilité, quand ce ne serait que comme propagateurs de la fécondation. Une grande partie d’entre eux, des myriades de microscopiques et de minuscules, néfastes à l’éco- nomie végétale comme à l’économie animale, exemple, le terrible phylloxera, échappe à lPat- teinte de l'oiseau. D’autres sont à l’abri de la destruction par leur extrème fécondité et la préservation qui est accor- dée à leur descendance. Depuis que le monde est monde, les oiseaux n’ont jamais arrêté l'invasion des sauterelles dans le Sud, l’apparition périodi- que des plaies de hannetons dans le Nord, ni d’autres fléaux d'insectes. | De même pour tous les autres, les oiseaux peu- vent bien éliminer, mais non annihiler ; autre- ment leur raison d'être cesserait le lendemain, et ils disparaitraient eux-mêmes. Ainsi done, à ce point de vue, ils nous don- nent un concours, non un remède : telle est leur utilité indirecte. Et je suis singulièrement de l'avis de M. Pellicot, doublement autorisé dans la question comme observateur et comme agro- 284 MIGRATEURS ACCIDENTELS. nome, Président du Comice agricole de Toulon, lorsqu'il dit, dans son livre des OISEAUX mMIGRATEURS pe Provence : « Plus j'avance dans la vie et plus je demeure convaincu qu’en l'état de la société, les oiseaux ne sauraient opposer une dique efji- cace à l’envahissement des insectes nuisibles ; il faut que l’homme se défende lui-même ! » Il faut que l’homme avise lui-même : voilà le mot! et ne compte point trop sur le secours d’un auxiliaire bénévole et tout à fait fortuit, dans l'attente duquel s’endormirait son apathie. C’est comme s'il attendait un aide pour se débarrasser des puces, des punaises et autres vermines qui envahissent son domicile et sa propre personne, ou pour purger ses champs des herbes parasites. Eh bien! à tout prendre, la civilisation, le progrès agricole, sont encore leurs propres éliminateurs. De ces derniers temps, je vois les hirondellee de- venir rares dans les rues de Paris depuis l’établis- sement des égoûts souterrains ; elles y manquent d'insectes. Du jour où l’intérieur de l'Afrique se- rait cultivé, disparaîtrait le fléau des sauterelles ; la charrue, qui met à découvert des milliards d'œufs et de larves, fait plus de besogne que des légions d'oiseaux qui séjournaient des mois sur le sol. Les enfants de nos écoles, embrigadés et en- couragés, détruiraient plus de hannetons que tous CONCLUSIONS 287 les oiseaux du canton réunis : leur passion pour ce coléoptère est une précieuse indication. Les oiseaux eux-mêmes nous en donnent une autre. Ils suivent en grand nombre nos labours ; c’est un des grands mérites qu’on leur fait. Mais nous avons sous la main, et à notre complet vou- loir, un oiseau aussi qui est glouton de toutes les vermines : c'est la Poule! Utilisons-la, et selon l'utilitaire pensée d’un agriculteur méritant de ce siècle, M. Giot, faisons suivre toutes nos charrues de poulaillers roulants. Mettons la Poule partout, tant qu'elle n’est pas nuisible : c’est l’insecti- vorerie organisée, ct la réalisation du rêve de Henri IV : la Poule au pot! L'oiseau, considéré comme insectivore, a sur- tout cette spécialité au printemps, alors qu'il nous revient maigre et affamé par le voyage, que les au- tres nourritures lui font défaut et qu’il va avoir à fournir à celle de toute sa progéniture. Par con- tre, à l'automne, son utilité est mitigée par un dé- triment à nos récoltes, quelquefois dans une pro- portion sensible. Exemple : l’étourneau dans les vignobles. Donc : Respect À L'oISEAU AU PRINTEMPS ! 288 LA MIGRATION DES OISEAUX. L'homme, comme tous les autres êtres vit de la plante et des animaux, même parfois de ses sem- blables, à l’origine des sociétés, lorsqu'il n’a ni l’agriculture, nil'industrie, qui multiplient ses res- sources alimentaires. Il mange quelques saute- relles dans le désert, faute de mieux : on a essayé, dans ces derniers temps, de lui faire manger les vers blancs du hanneton, l'ennemi fieffé de ses ré- colles ; mais cela n'a pas pris; et, par son peu de goût pour les mouches dans le potage, sa répu- onance pour une foule d’autres, il doit être déclaré insecliphobe. Il n’en est pas de même à l'égard des oiseaux qui, par la délicatesse et l’esculence de leur chair, excitent au plus haut degré sa gour- mandise. Cest là leur utilité directe, un appoint très-apprécié de nourriture; et la nature ne pou- vait dire plus clairement que l’homme est à ses yeux un éliminateur de la gent aviale. Mais comme elle est la source de sagesse et le grand enseigne- ment, elle lui a indiqué en même temps ses res- trictions. Nous en avons vu un premier exemple dans ce fait approximatif jusqu'ici, que ceux qui lui sont indirectement le plus utiles, sont le moins agréables à son palais, et cela selon certaines nuan- CONCLUSIONS. 289 ces qui deviendront des données positives lorsque la vie intime des oiseaux, pour ainsi dire, nous sera mieux connue. La nature va plus loin encore : ces auxiliaires utiles au premier chef dans le Nord, le devenant moins dans le Midi, y sont moins co- riaces et d’une assimilation meilleure. Puis, c’est à l'automne que ceux qui peuvent lui devenir nui- sibles ou inutiles sont dans tout leur embonpoint, dans toute leur qualité. Ces considérations et cette autre, d’une observa- tion constante, que les oiseaux migrateurs ayant à subir, dans leurs longues pérégrinations, des avaries de toutes sortes : fatigues, intempéries, abstinence, spoliations de leurs ennemis, mort naturelle; reviennent au printemps en nombre bien inférieur à celui du départ : nous en avons pour preuve manifeste les Martinets, oiseaux de grand et haut vol, des mieux organisés pour échap- per à tous les périls ; ils sont partis augmentés de tous leurs descendants de la saison, et, néanmoins au retour, l’espèce n’est pas plus abondante : cet ensemble de considérations, dis-je, m'a conduit à établir depuis longtemps ce calcul que je crois au-dessous de la vérité, à savoir qu’un oiseau que nous détruisons à l'automne représente à peine le tiers d’un de ceux qui nous reviennent au prin- temps; tandis que celui-ci représente une unité 19 290 LA MIGRATION DES OISEAUX. entière, plus la part de reproduction à laquelle il va coopérer ; c’est-à-dire, en moyenne, plus de dix sujets. La nature pouvait-elle nous dire plus nette- ment : QUSsFz DE L’OISEAU A L'AUTOMNE, RESPECTEZ-LE AU PRINTEMPS ! » ; Je demande mille excuses pour ce langage sec et positif; mais on aécrit et dit, on dit et on écrit encore tant de choses étranges, inconscientes, sur ce sujet, que je tiens à être précis et bref. ’ Les oiseaux peuplent et animent la nature. Ils nous charment et nous égayent par leurs grâces, la délicatesse de leurs formes et la vivacité de leurs allures, leur belle toilette et leurs coquette- ries, leurs chants et leurs caquetages. Pour en jouir de plus près et plus constamment, nous les rapprochons de nous, nous efforçant de leur faire oublier la captivité par des soins assidus, par tout ce que nous pensons devoir leur être agréable, sans aucune pensée d'utilité ou de profit. C’est encore au printemps qu’ils sont dans tout l'éclat de leur parure, qu'ils ont les plus doux chants; eux-mêmes, heureux de vivre dans toute la pléni- tude de leur existence, confiants dans l'intérêt CONCLUSIONS. 291 qu'ils sentent qu'ils nous inspirent, ils perdent leur sauvagerie et viennent dans nos murs, sous nos toits, dans nos jardins, à notre portée, abri- ter leurs nids. À l’automne, il n’en est plus ainsi: préoccupés seulement de leurs besoins matériels, comme de pauvres diables qui voient la misère venir, ils redeviennent farouches ; le charme est rompu; ct, par leur défiance, 1ls semblent nous inciter à les poursuivre. La convoitise ou, si l’on veut, l'intérêt direct aidant, l’agrément se trans- forme et devient la chasse, avec ses entrainements, ses plaisirs et ses salutaires exercices. Ainsi, par l'attrait, la nature nous dit encore et pour la troisième fois : « RESPECTEZ L'OISEAU AU PRIN- TEMPS ET N'EN USEZ QU'A L'ARRIÈRE-SAISON | » * * + Telle est la loi! La réelle protection des oiseaux que nous avons à traduire, dans l’enseignement, dans la législation, par la suppression de toute destruction printanière. — Mais ne nous illu- sionnons pas encore : tant que cette maxime ne sera pas d’une application générale dans l’en- semble de notre continent, elle sera vaine pour les oiseaux migrateurs! FIN. Migrations des Oiseaux . E Hachette et C! Paris 10°/E .de Cr. ANS à EE NE > : GEL À a 4 * ? CE 2 + ET: é se S » : * » j D / : La = À fa ne. one - | TRS F 4 LE = x à " % Le , : SS \ Wa ; #7 ” " j TR à KL, 7 SONE ; Ÿ Lisbonneg TABLE DES MATIÈRES Cuapitee I". — Ixrropucriox. Historique. . . . . — IL. — Micrariox céxérae. Causes. Moyens, Con- ditions. Modes. Epoques. . . . . . . 13 — II — Micrareces pu Sun-Esr. Geai. Ortolan. Ros- SONO ER de he Re Le) — IV. — Micrareurs pu Sup-Ouesr. Bécassine. Lé- casse. Paludéens. Aquatiques. Palmi- DÉS RE A RE 00 00 — V. — Micrareurs pu Sun. Hirondelles. Cigognes. Cailles. Becfigues. Pigeons. Pics. Frin- gilles. Bruants. Fauvettes. ürives. Alouettes. Corbeaux, etc, . . . . , . 111 — NI. — Micrareurs accinexrezs. Exotiques. . . . 261 — VII — Coxczvusioxs. Marche générale. — Utilité et prolection des oiseaux, . . . . . . . 215 on mem PARIS — TYPOGRAPHIE LANURE Rue de Fleurus, 9 ee at SAN. CNE pont