A. DE BREVAN MIGRATION DES OISEAUX i 1 ^E i iJ fH^^^'ll \^é :?4 i h r^pH l^g |3| illiMlMIIIIMliilll Mm <:w^ HACHETTE ET CL^ PARIS îv-ri,; m le^l^. BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES PUDMÉE SOUS LA DIRECTION DE M. EDOUARD CHARTON LA MIGRATION DES OISEAUX 21 210. ~ TARIS, TYPOGRAPHIE LAIIUUE Rue de Fleiirus, 9 BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES ^J> lA MIGRATION DES OISEAUX PAR A. DE BREYANS OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 89 VIGNETTES SUR BOIS PAR RIOU ET A. MESNEL ET ACCOMPAGNÉ d'uNE CARTE PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET C" 79, BOULEVARD SAINT -GERMAIN , 79 1878 Droits de propriété et de traduction réservés A TOUSSENEL Maitee, Après la nature, notre reine souveraine, vous avez été le grand inspirateur de ce livre : Veuillez en agréer l'hommage. MIGRATION DES OISEAUX ' CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION Ce n'est pas une des moindres curiosités ou des moindres merveilles de la nature que la trans- lation bisannuelle du monde des oiseaux des con- trées du Nord vers celles du midi, et de celles-ci vers les premières. Quelques espèces parmi les quadrupèdes, les poissons et les insectes, sont aussi soumises à des migrations; mais la généra- lité et la régularité de ce double mouvement de va-et-vient cbez les oiseaux, comme s'il était astreint aux oscillations d'un vaste pendule; la puissance de locomotion qu'il suppose chez ces < 1 ^ «« ^' 2 LA MIGRATION DES OISEAUX. êtres, en apparence si frêles, pour accomplir leurs vastes parcours ; la sagacité qu'il implique pour prévoiries saisons, les conditions de l'atmosphère et la direction dans Tespace, étonnent Timagi- nation, et la surprise diminue à peine lorsqu'on cherche à approfondir les choses, à déterminer les causes, les lois, les péripéties de ce grand phénomène. Ce qu'il y a de clair, tout d'abord, c'est qu'ils suivent le soleil, les lieureux mortels ; échappant ainsi aux froidures et aux tristesses de l'hiver. — Ah! si l'homme avait des ailes et pouvait se con- tenter de ce léger bagage, combien d'entre nous suivraient leur exemple ! Le fait de la migration des oiseaux nous est révélé, au printemps et à l'automne, par les grands vols que nous voyons passer et se perdre à l'horizon, par tous les volatiles, souvent étrangers à la contrée, que nous rencontrons dans les bois, dans les champs, à des époques déterm.inées et qui, quelques jours après, ont tous disparu. Mais de là à savoir d'où ils viennent, là où ils vont, quel mobile les pousse, il y a loin! Il a fallu bien des observations ; il a fallu surtout que les - ^ ^ i I INTRODUCTION. 3 communications s'établissent entre les contrées les plus éloignées; en un mot, que l'histoire natu- relle ait eu le temps el la possibilité de se consti- tuer, pour que nous arrivions à une connaissance tant soit peu précise. Jusque-là et dans tous les siècles passés , que de fables, que de contes ont été émis sur ce sujet, comme sur bien d'autres. En voyant les oiseaux disparaître aux approches de l'hiver, on a supposé qu'ils se métamorphosaient en quelques autres espèces animales, ou qu'ils se réfugiaient dans des trous et s'y engourdissaient à la manière des loirs et des marmottes. Des charmantes hirondel- les, les filles de Vair par excellence, on a osé dire qu'elles s'immergeaient dans les marais et s'y 4 LA MIGRATION DES OISEAUX. enfouissaient dans la \'ase, comme de hideux ba- traciens : donnant pour preuve à l'appui que des pécheurs, en ayant ramené dans leurs filets et les ayant mises à cuire avec d'autres captures, rani- mées par la chaleur elles avaient repris leur vol. k "'^^t^- Les Filles de 1 air. Et ce conte-bleu a eu lellement cours, qu'il y a quelques années à peine, un journal sérieux de Paris le rapportait encore comme tout récent — Risum teneatis. Or, nous savons perlinemment aujourd'hui, irsTRODUGTIO>'. 5 par les témoignages de nombreux voyageurs- explorateurs, que tandis que nous nous pressons autour de nos foyers, en liiver, l'hirondelle se chauffe gaiement au brillant soleil des oasis d'Afrique. Dès le milieu du siècle dernier, le naturaliste Adanson écrivait à Buffon que, dans son long séjour au Sénégal, il avait toujours vu cet oiseau y arriver à l'époque où il quitte la France, et en partir au temps où il nous revient. D'autre part, son passage dans les contrées inter- médiaires est constaté partout, comme nous le constatons nous-mêmes lorsque nous voyons les sujets de Fespèce se rassembler en foule pour se préparer au départ, puis disparaître et passer en octobre en rasant le sol d'un vol continu et en cinglant droit au Sud. Le continent africain est donc leur lieu de station bivernale, comme l'Eu- rope est leur point de station estivale. Et ainsi des autres oiseaux qui, purement et simplement, cbangentde climats, grâce aux moyens de locomo- tion dont la nature les a pourvus, et plus ou moins au loin, selon leur tempérament et leurs condi- tions d'existence. LA MIGRATION' DES OISEAUX. Les contes fantastiques du passé ont eu, sans doute, pour origine le manque d'observations suivies et généralisées, ainsi que l'ignorance des faits et gestes des oiseaux, par la rareté des com- munications précédentes sur la surface du globe ; mais bien aussi la difficulté pour l'esprit humain de se rendre comple des moyens d'action qui leur sont dévolus pour accomplir de si longs voyages. L'homme moderne a, comme moyens de loco- motion, la vapeur, les navires; comme direction, la boussole, le calcul sidéral, la topographie; comme connaissance du temps, le calendrier, le chronomètre; comme prévision de l'élat atmos- phérique, le baromètre, le Ihermomètre, l'hygro- mètre et les observations météorologiques : autant de moyens factices, produits de la science, qui s'ajoutent à ceux qui lui sont naturels et qui les centuplent. L'oiseau n'a que ces derniers; mais portés à une puissance dont nous ne pouvons nous faire idée à première vue. 11 importera donc, pour se rendre comple de la migration, qu'après en avoir déterminé les causes et les motifs, on en pose la possibilité, la facilité même, pour les oiseaux. Le travail est facile ; car la science est faite sur ce point : Notre grand naturaliste Buffon IMRODULTION. 7 en a lui-même (racé les bases dans son excellent Discours sur la nature des oiseaux, et il n'y a qu'à les rappeler. Il y développe longuement la nécessité de l'é- tude de celte phase importante de la vie des êtres volatiles, comme complément de l'histoire natu- relle ; par cette raison que tant que nous ne con- naîtrons pas leurs agissements dans cette période, nous ne saurons d'eux que la moitié de leur exis- tence ; et il s'était promis d'y consacrer un traité spécial ; mais là, comme dans l'exécution de son vaste plan de l'histoire entière du régne animal, le temps lui a fait défaut. 11 est douteux, d'ail- leurs, que dans l'état des connaissances d'alors et la difficulté des communications sur une assez vaste étendue, il eût pu y apporter d'autres lu- mières précises que celles de sa grande intuition des choses de la nature. Lui-môme le reconnaît par celte réflexion d'un sens plus général, mais aussi modeste que vrai : « Ce n'est qu'avec le temps^ et je puis dire dans la suite des siècles^ quon pourra dominer une histoire complète des oiseaux. » — Il n'y a donc pas à critiquer quel- ques incertitudes ou erreurs de son œuvre ; mais à suivre son exemple en rassemblant; en précisant, en développant, les notions acquises au temps présent. C'est le but de ce livre, qui laissera une 8 LA MIGRATION DES OISEAUX. large marge aux explorateurs de l'avenir ; car, bon gré mal gré, nombre de points resteront encore dans la pénombre. Depuis Buffon, et, pour une bonne part, à l'aide de ses données plus certaines, les observations se sont multipliées en raison de l'activité des esprits dans toutes les brancbes de l'histoire natu- relle et des relations sans cesse croissantes entre toutes les contrées de notre globe. Toussenel, un chasseur naluraliste, qui a puisé ses connaissances sur le vif tout autant que dans la science, a jeté un grand jour sur la migration dans son livre du Monde des oiseaux, aussi charmant et humouris- tique dans la forme que savant et judicieux dans le fond ; et on peut dire qu'à lui seul il a formulé le second pas dans l'étude de la question. Comme cet excellent ami des botes et des gens, et le mien personnel à ce double titre, j'ai beau- coup couru les champs et les bois, et je les cours encore avec grand enchantement, chassant et pour- chassant la gent volatile, et par conséquent obligé, autant que désireux, de m'enquérir de ses faits et gestes. J'en avais rapporté un contingent d'obser- vations, lorsque sentant l'insuffisance de l'étude individuelle et forcément locale sur un fait d'une si vaste étendue — aucun observateur n'ayant le don d'ubiquité — l'idée me vint d'ouvrir, en quel- INTRODUCTION. 9 que sorte, un observatoire général et permanent. Le journal La Chasse Illustrée^ qui me fait l'honneur de me compter au nombre de ses collaborateurs, m'en offrait l'occasion et le moyen. Je conviai tous ses lecteurs de bon vouloir à une collaboration commune, les priant d'envoyer à ce bureau cen- tral des bulletins détaillés de la migration locale, comprenant le commencement et la fin des pas- sages, leur direction et leur intensité, l'état atmos- phérique, la direction du vent, le degré de tempé- rature, et tous les renseignements particuliers qu'ils pourraient recueillir. L'attrait du sujet en lui-même, par ce temps d'investigations et de recherches de connaissances positives en toutes directions; la certitude que dorénavant les observations individuelles auraient leur organe et leur utilisation, eurent assez d'ac- tion pour qu'un certain nombre de correspondants répondissent à cet appel et voulussent bien en- voyer, de points fort divers, des communications fréquentes et suivies. Il est résulté de ces docu- menls, pris sur nature, un ensemble de notions plus précises et dont quelques-unes ont le mérite d'une complète originalité. C'est l'occasion de féli- ter et de remercier ici-même ces holiorables colla- borateurs, dont les noms et les avis seront sou- vent cités comme autorités et références. 10 LA MIGRATION DES OISEAUX. Telles sont les bases de ce travail qui réunira, dans une étude spéciale, les connaissances acqui- ses précédemment et celles recueillies à ce jour sur la migration des oiseaux. Une dernière considération est nécessaire. Los migrations des diverses espèces varient naturelle- ment de date selon la latitude des lieux; on pour- rait dire plus exactement, suivant leur ligne iso- thermique ; par la raison bien simple que quelle que soit la vélocité des oiseaux, il leur faut un temps pour franchir les espaces, surtout en tenant compte des stationnements sinon constants du moins habituels. Il convient donc de fixer la ligne à laquelle se rapportent les indications données, sous peine de manquer de précision. Cette ligne ou cette zone, pour prendre une marge suffi- sante, sera comprise entre le quarante-sixième et le cinquantième parallèle Nord, ce qu'on peut appeler la zone de Paris; et, pour restreindre le sujet à ses données les plus certaines, il sera surtout fait mention des espèces principales et les plus intéressantes des oiseaux d'Europe, qui se voient communément entre les Alpes et l'Atlantique. INTRODUCTION. il Enfin, aucun homme, quelque nomade qu'ait é(é son existence, n'étant assez cosmopolite pour que ses idées, ses connaissances, ses apprécia- tions et ses observations n'aient, pour ainsi dire, un goût de terroir^ le cachet de la contrée où il a passé sa jeunesse et la plus grande part de sa vie active, forcément mes propres considérations auront surtout pour point de départ ce qui se passe dans l'Est de la France, mon pays nalal; bien que je sache et que je doive môme prévenir que dans le monde des oiseaux, comme dans celui des humains, les us et coutumes changent ou se modifient selon les lieux, d'après l'adage : Autre pays, autres mœurs! CHAPITRE II MIGRATION GÉNÉRALE Les oiseaux font leur nourriture, pour l'univer- salité des espèces, d'abord des insectes et des vers, ensuite des graines, des fruits et des plantes elles-mêmes ; et quelques-uns, des oiseaux ou autres animaux vivants et morts. Pour leur part, dans l'ordre générai de la nature, ils remplissent la fonction de compensateurs ou d'éliminateurs de l'exubérance vitale, semée avec une si grande profusion sur la surface de la terre pour assurer la persislence des races, etd'expurgateurs des dé- trilus insolubles et nuisibles, en accomplissant la grande loi de la sustention de la vie par son propre ressort, selon un orbe de circulation qui part du sol et qui y retourne. On conçoit, dès lors, que cette généralité des oiseaux serait condamnée à périr de faim, lorsque 14 LA MIGRATION DES OISEAUX. les contrées septentrionales sont dépourvues d'in- sectes et de vers, dans l'atmosphère refroidi, sur le sol couvert de neige et dans les eaux prises par les glaces; que le règne végétal a achevé son évo- lution annuelle; que les beslioles ont disparu ou se sont enfouies. 11 aurait fallu, pour qu'il en fût autrement, qu'ils eussent, comme les animaux à sang froid, la faculté de s'enfouir et de s'engour- dir, ainsi qu'on l'a supposé dans le passé; mais la chaleur du sang, qui est un complément de leur existence, y met obstacle; ou qu'ils puissent pas- ser une longue période dans le jeûne et l'absti- nence ; ce qui serait à l'inverse de l'ordre phy- sique où toute force active exige une alimenta- tion. Si quelques espèces et quelques individus isolés résistent et demeurent sous ces climats, de plein gré ou forcément, c'est qu'ils trouvent à glaner un reste de nourriture qui serait insuf- fisant pour la masse ; et encore bien des priva- tions, bien des angoisses sont leur partage. La preuve en est qu'on ne les retrouve pas plus nom- breux ni en meilleur embonpoint, à la fin de l'hiver, que ceux qui nous reviennent après avoir subi les fatigues d'un long voyage, et qu'ils sont réduits souvent à venir chercher à nos portes un peu de nourriture. Un parti, donc, leur restait à prendre : émigrer MIGRATION GÉNÉRALE. 15 en masse vers de plus chaudes contrées où toute vie n'a point cessé. La nature leur en a donné le moyen, et ils en profitent. La subsistance ! telle est donc la cause première de la migration des oiseaux. Sans aucun doute, l'abaissement de la température n'est pas insen- sible à leur constitution nerveuse et impression- nable; néanmoins, chaudement vêtus pour la plupart, ils le supportent jusqu'à un certain degré, pourvu qu'ils aient le vivre; mais il ne s'y expo- sent point de gaieté de cœur, et la chaleur est leur vrai milieu. Dans mon enfance, j'avais une passion pour les charmants petits cinis ou serins d'Europe. Comme il m'était pénible de les voir perpétuellement enfermés clans une cage étroite, je leur donnais souvent la liberté. Je dus y renoncer par les froids vifs : leur première préoc- cupation était de voler droit au foyer où ils se grillaient les pattes, indifférents à la souffrance, tant ils étaient charmés de sentir une chaude tem- pérature. Le froid n'est en réalité qu'un point secondaire par rapport à eux ; bien qu'il soit le premier en ce qu'il détermine le précédent. L'une et l'autre causes, en tout cas, étant simultanées, sont large- ment suffisantes pour motiver la migration et il est inutile de chercher ailleurs. C'est pour la gêné- 16 LA MIGRATIO?^' DES OISEAUX. ralité des oiseaux une question de vie ou de mort. Les oiseaux d'Europe, en comprenant sous ce nom tous ceux qui nichent plus ou moins dans Perdrix. notre continent, s'élèvent à environ cinq cents es- pèces. Sur ce nombre, tout au plus trente ou qua- rante, (elles que les perdrix, le moineau franc, etc. sont sédentaires et demeurent à poste fixe sur les lieux qui les ont vues naître. Toutes les autres émigrent plus ou moins au Sud : les unes se contentant de la limite des grands froids, les autres gagnant les contrées plus tempérées du midi de l'Europe ou celles plus chaudes de l'A- MIGRATION GÉNÉUALK. 17 frique septentrionale ; d'aulres, enfin, s'avançant jusque sous les tropiques ou n'hésitant pas à fran- chir l'équaleur pour retrouver dans l'hémisphère austral un climat analogue à celui qu'elles vien- 3Ioineaux francs. nent de quitter. On a l'indication de ces divers parcours par des observations suivies et bien déterminées aujourd'hui, comme on Ta déjà vu pour l'hirondelle, et, spécialement pour la trans- migration équaloriale, par la présence de quel- 18 LA MIGRATION DES OISEAUX. ques-unes de nos espèces d'Europe dans l'autre hémisphère ; ensuite par quelques faits particu- liers, nolamment celui-ci : Vers 1820, un natu- raliste de Belle, voyant une cigogne de passage qui portait un Irait par le travers du corps, ne put résister à la curiosité de savoir ce que pouvait èlre ce phénomène anormal et tua l'oiseau. Ce trait n'était autre qu'une flèche qui fut reconnue comme particulière aux peuplades sauvages qui hahitent les contrées voisines du Cap de Bonne-Es- pérance. Ainsi celte cigogne avait été blessée dans ces parages, el, néanmoins, grâce à la puissance de locomotion des oiseaux, elle avait pu accomplir un immense trajet malgré sa blessure et l'obs- tacle du trait. Celle même simultanéité de quelques-unes de nos espèces sur le continent américain a fait qu'on s'est demandé si les mieux doués comme vol ne pouvaient point passer direclement de l'un à l'aulre des deux continents, soit des côtes de France, d'Espagne ou d'Afrique, et réciproquement. La grande Frégate, le mailre-voilier parmi les oiseaux, le petit Pétrel ou l'oiseau des lem- pèles, se rencontrent en plein océan. Le natura- liste Cotesby rapporte y avoir vu également un hibou. Mais un vol de douze cents lieues d'une traite va au delà de notre imagination, et, en La Frégate, page 19. MIGRATION GÉNÉRALE. 21 attendant des preuves positives, il est plus natu- rel de penser que les espèces communes à l'ancien Pétrels. et au nouveau monde ont passé et passent à leur volonté de l'un à l'autre par le Nord, là où les 22 LA MIGRATION DES OISEAUX. terres se rapprochent, au point de se toucher presque au détroit de Bering. L'homme, attaché à la terre et ne pouvant quitter sa surface par ses moyens naturels, a bien trop de peine à concevoir ces grands parcours aé- riens et la merveilleuse faculté de direction qu'ils impliquent, pour qu'il ne lui soit pas nécessaire de s'en rendre un compte exact. L'examen rapide de l'organisme de ces êtres, si frêles et si puissants, néanmoins, nous donnera le mot de l'énigme. La puissance du vol des oiseaux, leur facilité d'évolutions, nous apparaissent chaque jour. Les Martinets de nos cités que nous voyons, le soir, prendre leurs ébats par familles et décrire de grands et rapides circuits, passent comme des traits; à peine pouvons-nousdistinguer leur forme. L'alouette mignonne, tout en chantant sa joyeuse chanson, monte, monte dans le ciel et disparaît à nos yeux. Elle s'élève ainsi à près d'un kilo- mètre, toujours chantant à pleine poitrine, et sa voix nous arrive encore claire et distincte à l'oreille. Le pigeon-messager, si fort de mode aujourd'hui, fait de vingt à trente lieues à l'heure, dans ses grandes courses, etc, etc. C'est que le vol est Tattribut par exellence de MIGRATION (;ÉNÉRALE. 23 l'oiseau qui doit, dans ses types les plus carac- téristiques, parcourir l'atmosphère et y remplir sa mission. La nature a concentré dans cette faculté toute son action. Elle a construit le vola- tile en taille-vent, ou pour mieux dire en plan horizontal, comme notre cerf-volant; de telle sorte, qu'il n'a besoin que d'un minime effort pour prendre son point d'nppui sur Pair, quel- que mobile et peu résistant que soit ce fluide, et que toute sa puissance reste libre pour l'éva- luation. Sa légèreté spécifique, c'est-à-dire son poids, par rapport à son volume, est sans propor- tion avec celle de tous les autres animaux, car son épaisse enveloppe de plumes n'a qu'une pesanteur infime : d'autre part, sa charpente os- seuse, très-résistante néanmoins, est réduite à sa plus simple expression, à des lamelles ou à de légers tubes creux ; ses muscles, strictement éco- nomisés, n'ont de développement que sur la poi- trine, centre d'action des ailes, où ils représen- tent un volume plus considérable que ceux de tout le reste du corps, pris ensemble. Sa respira- tion est double; ce qui explique chez un grand nombre l'action simultannée du vol et du chant. Enfin, la chaleur de son sang est le foyer indis- pensable de sa vélocité. Quant à l'application de cette force mécanique. 24 LA MIGHATION DES OISEAUX. elle n'est pas moins judicieusement combinée. Elle repose sur la forme elliptique Irès-allongee du corps et le plan horizontal, en quelque sorte rectiligne, des ailes, qui offrent le moins de résis- tance possible au milieu ambiant, c'est-à-dire à l'air ; sur la conformation de ces dernières , rames ou voiles motrices, à la fois résistantes et souples, dont les surfaces hélicoïdales inférieures multiplient les points d'appui et décrivent, dans leur double mouvement do haut en bas et d'avant en arrière, deux spires de propulsion rassemblant la force et la convergeant dans l'axe général ; sur la mobilité du centre de gravité, soit latérale- ment pour le maintien de l'équilibre, par la sou- plesse des articulations qui unissent le corps aux ailes; soit longitudinalement pour le mouvement ascensionnel et descensionnel, par l'allongement ou le retrait du cou et la position en avant ou en arrière des ailes; et, finalement, sur la queue, gouvernail pivotant, également à double effet, latéral et vertical. De toutes ces actions réunies, résulte la force et l'aisance de propulsion que nous constatons et que quelques naturalistes estiment à quatre-vingts lieues à l'heure pour les plus fins voiliers, comme le Martinet en plein essor, et qu'on évalue commu- nément de quinze à vingt lieues, pour toutes les MIGRATION GÉNÉRALE. 25 espèces bien douées, dans les grandes excur- sions. Buffon cite à l'appui deux exemples deve- nus légendaires : le faucon d'Henry II qui, s'étant emporté après une outarde canepelière à Fon- tainebleau, fut pris le lendemain à Malle et reconnu à son col- lier ; celui envoyé au duc de Lerme, des îles Canaries, et qui revint en seize heu- res, d'Andalousie à Ténériffe; ce qui fait, pour un trajet de deux-cent cinquante lieues, près de seize lieues à l'heure. A cette rapidité, souvent vertigineuse il fallait, sous peine de mésaventures per- Faucon de Henri II. pétuelles, un guide suret certain; c'est-à-dire, une vue rapide, péné- tranie dans ses impressions. La nature n'a point LA MIGRATION DES OISEAUX. manqué d'y pourvoir. L'œil de l'oiseau, propor- tionnellement au Yolume de la tête, est grand et largement ouvert. Indépendamment des deux pau- pières qui fonclionnent verticalement, une troi- sième, située en-dessous, dans le grand angle de l'organe, se meut transversalement : semi-dia- phane, son oftice est d'atténuer l'intensité de la lumière dans les moments de repos, et de polir, de lubréfier constamment la cornée pour la déli- catesse de la vision. Une quatrième membrane sup- plémentaire, placée au fond de l'œil, paraît être un épanouissement du nerf optique développant la puissance des impressions. Le glol)e lui-même est doué d'une certaine élasticité qui lui permet de se bomber ou de s'aplatir selon le besoin; de telle sorte, que l'oiseau est, à son gré, myope ou presbyte, pour voir de près ou de loin ; ce qui revient à dire qu'il porte avec lui son microscope et son télescope. Buffon déclare, et son dire n'a rien d'exagéré, que la portée de la vue des rapaces de haut vol est de vingt fois plus grande que celle de l'bomme. On en peut conclure que l'oiseau, en général, embrasse d'une façon précise et certaine l'espace qu'il est susceptible de parcourir en un jour, et s'y diriger d'autant mieux qu'à la perfection de l'organe correspondent forcément des perceptions MIGRATION GÉNÉRALE. 27 plus nettes pour son entendement, en môme temps qu'une mémoire des lieux stimulée par des sensa- tions plus \ives. Notre grand naturaliste ne considère pas que le sens du toucher soit très-développé chez l'oi- seau. En ceci, il semble avoir trop restreint le tact aux conditions de cette faculté dans l'homme et particulièrement dans sa main; c'est-à-dire, à la notion de. la forme et de l'état des corps. La sen- sibilité nerveuse de l'oiseau est extrême ; la déli- catesse de toute sa structure l'indique, et il ne faut que voir l'appréhension qui le saisit au moindre contact pour n'en pouvoir douter. Il a surtout un genre de sensibilité extérieure dévelop- pée à un degré énorme et qui lui est propre : c'est celle de l'étal calorifique, hygrométrique et élec- trique de l'atmosphère. Ses plumes, composées d'une tige sur laquelle s'implantent de fines barbes portant elles-mêmes une quantité infinie de bar- bules tenues et légères, sont autant d'hygromè- tres et d'électromètres qui lui transmettent leurs impressions, et on peut dire que l'oiseau est un ap- pareil météorologique vivant et des plus complets. Chacun de nous ressent plus ou moins, et les rhumatisés en savent des nouvelles, les influences de l'état et des mouvements de l'atmosphère : le vent d'Est est frais et léger; celui du Sud, sec et 28 LA MIGRATION DES OISEAUX. chaud ; celui d'Ouest, humide et froid; celui du Nord, froid et sec. Mais combien l'exquise impres- sionnabililé de l'oiseau doit en être mise en éveil et y saisir de nuances qui nous échappent. La plus légère modification lui est aussitôt révélée : c'est là son baromètre! La plu3 légère brise lui indique sa provenance, c'est là sa boussole ! Il porte donc avec lui tout un observatoire instantané. — Et ce n'est point tout encore ! Le sens de l'ouïe est également poussé chez lui au raffinement ; la pureté de la voix des oiseaux chanteurs en serait à elle seule la preuve mani- feste, si nous n'étions perpétuellement à même de le constater. Celte sensibilité d'audilion, utile pour la sauvegarde de lous,'est, chez les migrateurs noc- turnes, autres que les Hiboux et les Chouettes qui voient dans les ténèbres, le complément de la vue : elle leur révèle l'état des lieux qu'ils parcourent par les bruissements du vent dans les forèls, dans les plaines; par le murmure des ondes dans les fleuves et les cours d'eau ou la voix des flots sur les rives ; par tous les bruits de la terre, en un mo! . pour ces géographes praticiens tout est indication. La connaissance des saisons, des jours, des heures, leur est donnée par leurs propres impul- sions intérieures, l'amour, la mue, etc; par les astres, par la température, les évolutions des MIGRATION GÉNÉRALE. 29 plantes et des insectes ; par tous les signes de la nature; ne nous étonnons plus de la sagacité des oiseaux! — Le sauvage humain, qui n'a point comme nous, 'civilisés, les renseignements et les moyens pratiques que la science met à nofre usage, est bien forcé de compter sur ses organes et sur ces mêmes données physiques, comme moyens d'appréciation; et nous savons le degré de per- spicacité qu'il y acquiert! C'est à ce point, chez l'oiseau, que ce développe- ment de ces maîtres sens, la Yue, l'ouïe, le tact, ainsi que sa facilité d'évolution qui en fait un explorateur perpétuel, l'aurait constitué en être supérieur dans la nature, si le centre commun des sensations et des impressions, le cerveau, avait reçu chez lui une ampleur proportionnelle. Il n'en ost point ainsi. Petite tôte cl peu de cervelle ! Et les notions si vives que l'oiseau reçoit se circon- scrivent, quant au résultat, à la fonction qui lui est dévolue, sans contribuer à l'entendement géné- ral. C'est un voyageur magnifiquement [doté pour la locomotion et la direction, un observateur à l'œil subtil pour tout ce qui concerne la conser- vation et l'entretien de l'existence; hors de là, le moindre mammifère lui en remontrerait en intel- ligence et en sagacité. Ce n'est donc pas tout à fait sans motif qu'un certain nombre de locutions, peu 50 LA MIGRATION DES OISEAUX. honorifiques pour les oiseaux, sont passées dans le langage usuel : Tête de linotte^ bête comme une oie, etc., etc. Assez d'autres belles qualités leur sont reconnues! Mais restons dans notre sujet et n'anticipons point sur le domaine de l'histoire na- turelle générale. Ce qu'il fallait établir, c'était, d'une part, les causes de la migration ; de l'autre, les moyens mis à la disposition des oiseaux pour l'accomplir. Cela fait, voyons la marche qu'ils suivent. Si tous avaient le même genre d'existence elle même régime, s'ils étaient sensibles au même degré aux influences du froid, tous n'auraient qu'une direction elles mêmes zones de stationne- ment aux deux points extrêmes de leur course. Il est loin d'en être ainsi dans l'ordre universel, qui a pour but au contraire de les disséminer sur toute la surface de la terre, pour l'accomplisse- ment de leur mission. Les uns sont tout à fait aquatiques; les autres habitent les marais et les terres humides; ceux-ci, les bois ou les champs; ceux-là les lieux élevés. Beaucoup sont chau- dement vêtus d'un épais édredon et ne redoutent pas la froidure; beaucoup d'autres, au plumage plus clairsemé, ont besom de chaleur. La même MIGRATION GENERALE. 51 variété rèime dans le régime. Tous, ou à peu près, se repaissent d'insectes, mais d'une façon plus ou moins exclusive , les uns en font la base de leur nourriture ; les autres, l'accessoire, en y ajoutant, qui les plantes aquatiques et les pois- sons, qui les lierlics, les graines, les fruits et les plantes terrestres, qui la chair des oiseaux et des animaux ; et un certain nombre, les omnivores, s'accomodent de tout. Les parcours et les direc- tions sont donc indispensablemenl réglés par les subsistances, par l'état des lieux et pur la tempé- rature des différentes contrées. 11 s'en faut de beaucoup que la température, qui, en définitive, régit l'alimentation des oiseaux, soit régulière et proportionnelle à la latitude. Les diverses altitudes topographiques, comme il tombe sous le sens, et les intluences atmosphériques la modifient considérablement. Ainsi, l'iiumidité que la masse liquide de l'océan émet constam- ment donne à la région occidentale de notre con- tinent, un climat sensiblement plus tiède que dans les contrées de l'Est sur les mômes paral- lèles, sans compter l'action du Gulf-stream, le grand courant océanique qui entraîne les eaux, échauffées, par le soleil de l'équaleur vers la froide région du pôle. Si bien que la ligne isother- mique de Paris, par exemple, remonte de bon Ô2 LA MIGRATION DES OISEAUX. nombre de degrés sur le lilloral, tandis qu'elle s'abaisse au Sud en se prolongeant à l'Est. Il en résulte que les oiseaux qui vivent sur les eaux ou les terres humides infléchissent leur vol de migration non directement au Sud, mais vers le Sud-Ouest où ils trouvent plus promptcmentet mieux leurs conditions d'existence. Du reste, en jetant un simple coup d'œil sur un globe terrestre et en remarquant l'inclinaison des rivages d'Eu- rope et d'Afrique dans cette même direction, on devra en augurer que l'ensemble des oiseaux qui cherchent un plus chaud climat doit également appuyer de ce côté, sans quoi les contrées de l'Ouest-Sud seraient complètement dépourvues de migrateurs venant du Nord, ce qui n'est point. Mais, à l'inverse des précédents, les oiseaux ab- streints à une nourriture végétale produite par des plantes auxquelles une zone latitudinale est assignée, comme le chêne, le châtaignier, ctc, devront prendre une direction opposée; c'est-à- dire, tendre à l'Est ; car l'Océan leur barre le chemin et leur coupe les vivres de l'autre côté. Les résidants des lieux élevés n'ont pour changer de température, qu'à descendre dans de plus basses altitudes et généralement s'en contentent. Enfin, d'autres, qui trouvent constamment leur nourriture dans des graines résistantes, telles que MIGRATION GÉNÉRALE. 33 celles des conifères résineux, n'émigrent qu'au- tant que cette subsistance vient à leur manquer par cause accidentelle, ou peut-être que lorsque l'excès de leur population dépasse une certaine limite. Il est donc possible, dans ce mouvement com- plexe, d'établir desdivisions nalurellesdedirection, qui le simplifieront d'autant pour la plus grande clarté, en distinguant, par exemple : les migra- teurs du Sud-Ouest, les migrateurs du Sud, les migrateurs du Sud-Est, les migrateurs d'altitude et les accidentels, C'est l'ordre qui va être suivi. Un grand nombre d'oiseaux pourrait accom- plir leur migration en quelques grandes traites, comme l'indique la puissance de locomotion qui leur est dévolue. Il en est ainsi, lorsque la saison s'avance ou que les intempéries et les gros temps menacent ; mais, communément, la généralité n'est pas aussi pressée. Les jeunes ont à parfaire leur développement, tous àacquérir des forces pour les longs vois ; d'ailleurs, plus ils approchent du terme de leur voyage, moins ils ont de hâte. En conséquence, ils sont guidés par les conditions de la saison et la convenance des lieux : les uns 3 54 LA MIGRAÏION DES OISEAUX. voyageant par étapes, les autres, de plaines en plaines, de forêts en forêts, de buissons en buis- sons, de tertres en tertres, car la variété de mar- che est considérable; mais tous picorant à qui mieux mieux la large provende qu'ils trouvent en chemin, et l'embonpoint qu'ils y acquièrent est le combustible nécessaire, la réserve en quelque sorte, pour les grandes évolutions. Mais encore faut-il, pour trouver cette plantureuse existence, qu'ils sachent les contrées où elle existe et dans lesquelles ils pourront stationner à l'aise. Sans aucun doute, ils ont la latitude de brûler les étapes dans les contrées stériles pour eux : les exemples en sont fréquents; mais, encore, pour des êtres doués de tant de prévision, l'existence ne peut être livrée à l'incertitude. Et de fait, en tout pays où la nourriture de prédilection d'une ou plusieurs espèces est copieuse, on peut dire, par avance, que les passagers seront abondants. Nous en avons une preuve frappante dans le Jura, à ses différentes altitudes. Si Ja sécheresse a sévi dans la plaine, si le sol est dénudé, sans cou- verts, sans nourriture, le passage des cailles, à l'automne, y est nul ; tandis que dans la mon- tagne, où les céréales achèvent tardivement leur maturité, elles sont en tel nombre que mon père et un de ses frères, il y a longtemps, en MIGRATION GÉNÉRALE. Ô5 tuaient cent à eux deux dans une matinée. I,e point de stationnement habituel des deux Nemrod était assez curieux : c'était un hermilage fort confortable, ma foi ! où un vieux parent, ancien Bernardin et fort bon vivant, avait pris sa retraite. La chapelle servait de réceptable au gibier, mé- thodiquement rangé sur les bancs. La chronique ne dit point si on chantait le r(?(/M2em aux victimes; mais, pour sûr, elles avaient de beaux alléluia aux festins qui s'ensuivaient. Pour les oiseaux qui voyagent de jour et à haut vol, l'étendue de leur vue et toutes les indications que la nature des lieux leur fournit, ici des eaux vives ou marécageuses, là des forêts, là des plaines, des terres en tel ou tel état, nues ou couvertes de telle ou telle nourriture, etc., etc.; on peut dire qu'ils ont sous les yeux, dans toute l'acception du mot, un plan à vol cVoiseau, et leur feuille de route paraît facilement tracée. Mais, quant à ceux qui s'élèvent peu au-dessus du sol, ou qui voyagent de nuit, souvent par les plus obscures, d'où leur proviennent les renseignements néces- saires pour agir avec certitude?... — Ce n'est pas le dernier des points d'interrogation que nous aurons à nous poser; car l'observation la plus soutenue est loin encore d'avoir résolu tous les problèmes du fait compliqué dont nous nous 36 LA MIGRATION DES OISEAUX. entretenons. — Mais, enfin, nous avons vu mie première indication dans le tact merveilleux des fluctuations atmosphériques que possèdent les oiseaux, puis le langage des betes, c'est-à-dire, la communication des idées, des impressions, par tels ou tels genres de sons ou de signes, bien que très-obscure pour nous, n'en existe pas moins d'une façon très-réelle et très-palpable. Les cris d'appel et les chants variés des oiseaux, dont nous somimes loin de saisir toutes les nuances ; une foule de moyens qu'ils possèdent et que nous pouvons observer, sont largement suffisants pour nous le prouver. La sentinelle qui veille, tandis qu'une bande repose, sait certainement se faire entendre et comprendre, quand un péril menace ; l'oiseau qui réclame au haut d'un arbre est compris de ses semblables qui passent, car ceux-ci s'arrêtent ou poursuivent leur route, selon qu'ils le jugent à propos. On peut donc penser que les expérimen- tés instruisent ou guident les jeunes; que tous re- çoivent en chemin des indications des stalionnaires ; qu'eux-mêmes se communiquent leurs avis sur la route à tenir, et, qui sait ! que des émissaires par- tent à la découverte, comme nous pourrons l'au- gurer de nombreux exemples de migrations par- tielles anticipées, et comme le croit Toussenel, ce grand observateur du monde vivant des oiseaux. MIGRATION GÉNÉRALE. 39 Nous venons d'avoir une première raison de J'abondanee plus ou moins grande, d'une année à l'autre, des passages des diverses espèces dans un même lieu ou dans plusieurs, par les conditions d'existence et de bien être qu'ils offrent constam- ment ou accidentellement. Mais ce n'est pas la seule. Il tombe sous le sens que le nombre des sujets aux points de départ, soit par la réussite des ni- chées, soit par toute autre cause, y a sa part dans toute la zone longitudinale correspondante. D'un autre côté, la conformation géographique de ces mêmes lieux de partance, comme il en sera rap- porté un fait important, de même que l'obstacle des hautes montagnes dans les parcours, doivent déterminer des veines, des courants de migration, plus considérables ici que là. Il pourrait en résul- ter un trouble dans la dissémination des oiseaux, voulue par la nature, si une troisième influence ne venait à l'encontre : c'est celle de la direc- tion des vents aux époques de la migration. Ceci demande quelques explications théoriques sur le vol des oiseaux. L'oiseau, par sa conformation en plan horizon- tal, prend aisément son point d'appui sur la 40 LA MIGRATION DES OISEAUX. couche d'air inférieur à lui. Si cet air est animé, dans la direction du vol, d'un mouvement égal ou supérieur, l'assise fait défaut à l'oiseau parce que la résistance manque, et son vol forcément s'abaisse. C'est l'iiisloire du cerf-volant qu'on voudrait entraîner selon le courant du vent. La corde de traction représente exaclement la force moirice de l'oiseau et elle devient sans aclion, parce qu'elle n'a pas de point d'appui. La con- dition normale du vol est donc d'être dirigé droit dans le vent. Les chasseurs qui battent les champs en ont une preuve fréquente; si on lève une alouette sous un vent un peu fort, au premier nstant elle profite du courant qui l'enlraînepour s'éloigner; mais si on observe attentivement, on voit que son vol est surbaissé, embarrassé, parce que le gouvernail , la queue, ne peut agir, et qu'aus- sitôt qu'elle se juge en sûreté, elle s'empresse de faire volte-face; c'est alors seulement qu'elle s'é- lève,comme si elle glissait sur un plan incliné. Cette condition du vol nous donne de nom- breuses explications; car c'est dans les grands parcours que son intluence ce fait surtout sentir. En premier lieu, si, en temps voulu, l'oiseau ne trouve pas des courants atmosphériques à sa guise, et on sait si les variations en sont mul- tiples, il attend, ou, si le temps presse, il dévie MIGRATIO?^ CÉNÉRALE. 41 à droite ou à gauche pour trouver uu vent plus favorable, au besoin, il s'abrite des hautes mon- lagnes. Ainsi le groupe des Alpes est un point de bifurcation des migrations de l'Europe centrale, selon le vent qui règne d'un côlé ou de l'autre. Plus encore il y a lieu dépenser, comme il sera dit, que les oiseaux de haut vol, avec la perspicacité qui leur est donnée des choses de la nature, mettent à profit les contre-courants supérieurs de l'at- mosphère. On voit donc l'importance de cette troisième considération. Elle motive à elle seule la variété des veines de migrations annuelles dans les mêmes lieux ; d'autre part, elle indique, de concert avec les précédentes, le mode de dispersion des oiseaux; et, enfin, elle donne la raison pratique des varia- lions d'intensité au début, au milieu ou à la fin des passages, et, parfois, delà suppression subite de ces derniers. Après la subsistance, la sécurité est une des grandes préocupationsde l'oiseau, car il est exposé à bien des périls, et de nombreux ennemis le menacent sans cesse sur terre et dans l'air. A ses ennemis terrestres, il échappe par la vigilance et par le vol ; mais il en a beaucoup d'autres parmi 42 LA MIGUATION DES OISEAUX. ses semblables, doués des mêmes moyens volatiles, souvent à un degré supérieur, et c'est de ceux-ci surtout qu'il a à se garer, principalement dans ses longues traites de voyages. Les petits oiseaux des buissons et des bois, Rouges-gorges, Fauvettes, etc., passent généra- lement de jour, isolément, mais de fourrés en fourrés, et ne s'éloignant jamais de leurs abris. D'autres, au vol plus fort, émigrent par familles, le père et la mère guidant les jeunes, et tous veillant au salut comjnun. D'autres se réunissent en troupes, souvent iiniombrables; de celte façon, ils ne sont pas décimés un à un par leurs ennemis, les rapaces ailés. L'Étourneau est de ce nombre, et sa tactique est des plus savantes ; les grandes bandes tourbillonnent sur elles-mêmes tout en poursuivant leur vol, chaque oiseau décrivant un cercle du centre à la surface. Dans ce tourbillon perpétuel, l'oiseau de proie ne sait lequel happer et reste coi, absolument comme nous autres, les rapaces humains, lorsque nous nous trouvons au milieu d'un vol considérable qui passe de tous cotés : nous ajustons de ci de là, en haut, en bas, et, finalement, le gibier est hors de portée que nous n'avons pu placer un coup de fusil. D'autres se disséminent et passent sournoisement. Puis un certain nombre voyage exclusivement la nuit, soit MIGUATIO.^ GENEUALE. 43 que leur vol plus lourd ait besoin de la fraîcheur de la nuit pour se soutenir, soit qu'ils aient plus parti- culièrement à redouter les déprédations des rapaces diurnes. Là encore la variété est grande ; chaque es- pèce a son mode et ses lois de migration dont il ne nous est pas toujours donné de comprendre le sens. Les époques sont elles-mêmes aussi diverses et fort variables comme précision; car certains oiseaux agissent avec la régularité d'un chrono- mètre, pour ainsi dire, tandis que d'autres doi- vent attendre un état déterminé de l'atmosphère. Telles sont les conditions les plus générales de la migration; d'autres non moins intéressantes, trouveront plus naturellement leur place dans Tèlude spéciale des groupes qui va suivre, et nous les y ajournerons, ' Néanmoins, il faut encore observer que les deux migrations du printemps et de l'automne, c'est-à-dire le départ des oiseaux et leur retour parmi nous, ont une certaine différence. A l'au- tomne, ils nous arrivent multipliés par la repro- duction ; ils sont donc plus nombreux, et ils passent aussi plus lentement, retenus qu'ils sont par l'abondance de la victuaille et la né- cessité de parfaire leur embonpoint, véritable U LA MIGRATION DES OISEAUX. réserve de route. C'esl par conséquent l'époque dans laquelle nous pouvons recueillir les plus amples renseignements sur leurs agissements, et celle qui doit éveiller le plus notre attention, d'autant qu'il s'y rattache un double attrait : celui d'un fin gibier souvent, et celui d'un exercice agréable et salutaire à l'arrière-saison. Au prin- temps, après leur longue absence et leurs longues pérégrinalions pendant lesquelles ils ont été soumis à bien des vicissitudes : les faligues, le jeûne parfois, les intempéries subites ou prolongées, les spoliations d'une foule d'ennemis, la mort naturelle elle-même qui a fauché dans leurs rangs durant ce long espace de temps, ils nous reviennent bien diminués et légers d'embonpoint; l'impérieuse loi de la reproduction hâte leur vol et leur dissé- mination, et, à tous égards, nos observations ne peuvent être que plus 'limitées. Mais un fait général domine ces deux époques, c'est que les passages ont lieu à peu près dans un ordre inverse dans chacune d'elles, et par les mêmes motifs de température et de nourriture, à savoir : que les premiers émigranls de l'automne sont les derniers arrivants du printemps et vice-versà. Cela dit et avec ces données, entrons dans le monde des oiseaux en voyage. CHAPITRE IIÏ MIGRATEURS DU SUD-EST Si ce livre était écrit uniquement au point de vue de la chasse, l'ordre le plus pratique serait de prendre les passagers à leurs époques successives, en commençant par les premiers migrateurs pour terminer par les derniers. De son côté, l'histoire naturelle réclamerait qu'on procédât selon la série des espèces établies par sa classification. Mais, dans cette étude spéciale, l'une oul'aulre marche entraînerait forcément à une grande confusion, soit de direction, soit de temps. L'ordre qui pa- raîtrait le plus logique, au premier coup d'œil, serait de suivre les deux grandes divisions de la migration d'automne et du printemps ; mais là encore, obligés que nous serions de traiter deux fois des mêmes oiseaux, nous tomberions foi'cé- 46 LA :JIGRATI0N DES OISEAUX. ment dans des redites et souvent dans la séche- resse d'une simple nomenclalurc, sans toutefois sortir des difficultés précédentes. Dans cette perplexité, il est à penser que ce grand mouvement bisannuel de la migration se localisera mieux dans l'esprit par les divisions tout aussi naturelles delà direction : de telle sorte que dans ce tableau général, on verra les espèces comme s'entrecroisant d'elles-mêmes, les unes inclinant à l'Ouest, les autres tendant droit au Sud, les troisièmes à l'Est, par leur propres conditions d'existence ; et la besogne en sera d'autant sim- plifiée. C'est cette méthode que nous adopterons. Et pour procéder du simple au composé, nous commencerons précisément par les dernières es- pèces, fort peu nombreuses d'abord, et dont la prmcipale est soumise à des intermittences qui nous éclaireront d'autant mieux sur les causes et motifs de la migration dans son ensemble. Nous continuerons par les migrateurs du Sud-Ouest, bien que les plus tardifs ; mais là encordes indi- cations que nous recueillerons allégeront le lourd chapitre des migrateurs du Sud, de beaucoup les plus considérables en espèces et en sujets. Une quatrième case sera réservée aux migrateurs d'altitude qui descendent des hautes montagnes dans les olaines, et aux accidentels qui appa- MIGRATEURS DU SUD-EST. 47 raissent de loin en loin ou sur quelques points seu- lement par des causes plus ou moins connues. Commençons donc par un oiseau assez peu intéressant en lui-même, mais fort curieux par ses us et coutumes. Le Geai [Garrulus)^ universellement connu en Le geai. Europe, est le type le plus caractéristique des mi- grateurs du Sud-Est, et la raison en est simple. Bien qu'omnivore, c'est-à-dire se nourrissant de tout, insectes, larves, vers, graines, chair, fruits, œufs et oisillons ; car il ne se gêne point, à 48 LA MIGRATION DES OISEAUX. l'exemple de tous ses collègues corvirostres, cor- beaux, pies et autres, pour dévaster les nids; il a en grande prédilecfion les glands et les châtai- gnes dont il fait très-bien des réserves pour pro- longer sa satisfaction. Comme les arbres qui pro- duisent ces fruits sont limités par la nature dans une veine latiludinale comprise à peu près entre le trente-cinquième et le cinquante-cinquième parallèle, il est bien obligé de suivre cette zone, lorsqu'il émigré, et cela en se dirigeant à l'Est, puisqu'elle lui est coupée à l'Ouest par l'Océan, Il craint peu le froid, et, quoiqu'il arrive, illaisse toujours des représentants à l'état sédentaire parmi nous. Ce dont il a souci, c'est la pâture, doué qu'il est d'un robuste appétit; puis de sa tranquilité, car c'est un épicurien qui aime à digérer et à dormir tranquille. Qu'un bruit inso- lite se produise, qu'un animal circule furtivement dans le hallier où il a élu domicile, ce sont aussi- tôt des vociférations, de véritables cris.... de geai en colère. Cette remarque, sur laquelle j'insiste, sert souvent aux chasseurs à leur signaler le pas- sage du gibier. Dans ces conditions d'être peu fri- leux, peu délicat, mais de grand appétit, il n'y a pas lieu de s'étonner que ses migrations soient fort va- riables ; car il a le vol lourd et ne se déplace que par force majeure. 11 passe des geais générale- MIGRATEURS DU SUD-EST. 49 ment lous les ans, vers le commencennent d'oc- bre; mais un peu, beaucoup et quelquefois.... pas du tout ! puis, à des laps de temps plus ou moins longs, des quantités formidables. D'où on peut conclure qu'il leur faut des motifs spéciaux pour quitter leurs habitudes casanières et se mettre en voyage: soit la pénurie de nourriture, soit la trop grande multiplication de l'espèce ; car bien que vivant en famille jusqu'au temps de la reproduc- tion, ils supportent mal le voisinage trop rappro- ché de leurs semblables, hors la question de sé- curité durant la migration ; soit encore un autre motif qui va être dit dans un instant. Ils voyagent en troupes assez nombreuses, peu compactes, en traînards, par le temps sec et beau ; un temps hu- mide allourdirait encore leurs ailes peu déliées. C'est habituellement de dix heures à midi que leur mouvement de marche est le plus accen- tué, et, chaque jour, il augmente d'intensité jus- que vers le 22 octobre, après quoi il cesse com- plètement. Ils passent par courts vols, de forêts en forêts, de bocquetaux en bocquetaux, d'arbres en arbres, escaladant les escarpements en biais et de gaules en gaules, piallant, braillant, bague- naudant en chemin et se riant dès passants, quand ils n'ont rien à en craindre. Un certain jour de mon enfance, j'en vis un se pendre par 50 LA MIGRATION DES OISEAUX. les pattes à une branche pour me regarder pas ser. Je lui lançai mon bâton et il partit en me gouaillant: « Geaigeai . . . . Kouai !....)) Et tous ses camarades de répéter. « Geai-geai.... Koiiaï!,.. Kouaï » ! Voilà l'usuelle coutume. Or, en 1872, j'ai été témoin d'un de ces formidables passages dont je viens de parler. Contrairement à tous les usages traditionnels 'de l'espèce, le passage commença le 1^' septembre. C'était jour d'ouverture de la chasse, et je signalai le premier vol de quatre à cinq à deux confrères en saint Hubert qui, comme moi, battaient l'estrade dès l'aurore, et qui ne vou- lurent pas me croire, tant l'époque était insolite à leurs yeux. L'air étant très-chaud, les pauvres diables, qui n'étaient point surchargés de graisse, selon toute apparence, volaient très-haut pour trouver un peu de fraîcheur, à longue portée, pres- que sans arrêt ; ils avaient pour cela un juste mo- tif: pas un gland, pas un fruit, ne pendaient aux arbres de nos forêts; et le sol, durci par une lon- gue sécheresse, ne pouvait leur offrir ni larves, ni vermisseaux. Ils fuyaient donc dare-dare vers des contrées plus plantureuses. Ils continuèrent ainsi, augmentant de nombre et abaissant de jour en jour leur vol; l'air devenant plus frais; jusqu'à la fin de septembre. Si bien qu'un beau matin, Si bit'ii qu'un beau matin.... page 50. MIGRATEURS DU SUD-EST. 55 débrouillant la piste d'un lièvre sur une crête, j'en vis un vrai torrent passer dans la gorge au- dessous de moi. Les chasseurs du pays, mis en éveil par les passages des jours précédents, s'é- taient portés en foule sur une côte située en face, par delà la vallée, où les geais venaient forcément buter et reprendre haleine sur les arbres. Ce fut un feu roulant toute la matinée et on en fit des abattis monstres. Deux tireurs, à eux seuls, en rapportèrent quatre-vingts; encore avaient-ils manqué de munitions. De mémoire d'nomme, on n'avait vu pareille abondance, et il fallait remonter jusqu'à l'année 1854, pour se rappeler quelque chose d'approchant. Disons en passant que la chair du geai est loin d'être merveilleuse : le gland ne lui communique ni saveur agréable, ni tendreté; on dit que les châ- taignes la rendent meilleur ; mais, enfin, on en fait des salmis qui, fortement' relevés, sont mangea- bles. En revanche, sa chasse est très-amusante et on courre volontiers sus à cet oiseau vorace, querel- leur, curieux, braillard et gouailleur. Puis il donne à tous les pièges, à tous les appeaux comme un nigaud ou un écervelé, bien qu'à l'état sédentaire il soit des plus défiants et rusés. Les cris d'un de ses pareils que l'on provoque en pressant les articulations des ailes l'une contre l'autre, l'imi- 54 L\ MIGRATION DESIOISEAUX. tation du cri de la chouette, même le bruit du tam- bour le font accourir de très-loin. Tout cela ne nous donne pas la raison de cette migration si anormale, qui pour ma part me ren- dit fort perplexe. Mais voici ce qui suivit : à peine cet oiseau avait-il achevé sonpassage, que toutes les cataractes du ciel se précipitèrent sur la terre comme au temps du déluge. Pendant un grand mois la pluie tomba par torrents et le vent d'ouest ne cessa de souffler et de faire rage, au point que des inondations survinrent partout, mais particu- lièrement en Belgique où elles causèrent de graves désastres. Voilà un premier fait ! A l'automne de Tannée 1876, un très-fort pas- sage de geais eut encore lieu, mais à une époque plus régulière. En rendant compte de ce second exemple, je demandais s'il fallait s'attendre au même temps postérieur qui avait marqué la migration fabuleuse de 187'2. La réponse ne se fit pas attendre. Dès le mois de novembre suivant, de semblables ouragans se répétèrent tout du long et particulièrement sur le littoral de France et de Belgique; cette fois ce fût la Bretagne qui eut notablement à souffrir. D'après ces deux faits précis et en considérant que ces oiseaux nous viennent du Nord-Ouest, que par conséquent leur départ commence depuis Pendant un grand mois.... page 5i. MIGRATEURS DU SUD-EST. 57 ce même littoral océanique, ne pouvons-nous pas y voir une indication, en attendant de plus nom- breuses observations, que les gros temps et les bourrasques qui menacent cette région et la zone correspondante, devant infailliblement pourrir les graines, submerger la pâture du sol, boule- verser l'atmosphère, c'est-à-dire, couper les vivres et troubler la tranquillité de ces volatiles pointilleux sur ces deux chapitres, sont la cause première de leur migration en masse. Pour ma part, cette prévision du temps à venir ne me sur- prend pas, tant j'ai de confiance dans la perspi- cacité des oiseaux, en général, ou, pour mieux dire, dans la raison d'être de leurs agissements ; et j'en citerai de nombreux autres exemples. Si cette hypothèse, déjà sérieusement motivée, deve- nait, par la suite, une certitude, nous aurions ainsi dans le geai un précieux avertisseur. De toutes façons, il poursuit sa migration jus- qu'à ce qu'il rencontre des contrées plus riches en victuaille et moins menacées des grandes intempéries. On nous dit qu'il va jusqu'en Perse où, du reste, on le retrouve à l'état indigène, sans doute après s'être fort disséminé en roule, car son retour au printemps est probléma- tique, les sédentaires, bon gré malgré, suffisant à la reproduction; ce qui expliquerait d'une autre 58 LA MIGRATION DES OISEAUX. manière, par la lenteur de raccumulalion de population, les migrations phénoménales à longs intervalles. Dans tous les cas, ce retour est peu apparent et ne se manifeste plus par de grandes bandes, comme à l'automne. Une seule fois dans ma vie, il m'est arrivé de voir un réel passage de printemps ; et encore, avec des circonstances à dérouter toutes les prévisions. Ces geais ve- naient de l'Ouest et se dirigeaient à l'Est en un long ruban ou en un mince filet continu qui vint se heurter à la première rampe du Jura. Us la suivirent et la contournèrent jusqu'à ce qu'ils rencontrassent un vallon, par lequel ils s'élevèrent sur le plateau supérieur. J'étais préci- sément à ce point d'escalade, à peindre une char- mante source de ma vallée, dite du Gros caillou, d'un bloc de rocher éboulé des roches qui domi- nent. Gela dura trois matinées, identiquement dans les mêmes conditions et dans le môme ordre. — Où allaient ces oiseaux? Quel mobile leur traçait cet itinéraire nouveau? — Autant de pro- blèmes î — et on voit combien ils sont fantaisistes, mais instructifs, dans leurs marche. Après le geai, à la chair coriace, par compen- MIGRATEURS DU SUD-EST. 59 salion nous avons l'Ortolan, délice des gourmets, dont une partie migre à l'Est. l'ortolan (Emberiza hortulana; en provençal, Vow^touran) est un petit granivore de la famille des bruants des naturalistes qui se caractérise par un bec conique dont la mandibule inférieure dé- borde légèrement la supérieure et forme un léger biatus dans les coins. Son plumage, sur le dos, rappelle de très-près celui du bruant des haies (la verdière des départements de l'Est), mais par- tout ailleurs le jaune est remplacé par une couleur fauve cendrée, très-claire. Cet oiseau a cela de très-parliculier qu'il se cantonne en France, pen- dant l'été, exclusivement dans l'ancienne province du Languedoc. Comme il est tout à fait inconnu plus au Nord, on le confond souvent avec certains becs-fins ou avec le torcol, oiseau du Nord, un peu plus gros qu'une alouette, surtout reconnaissable à sa longue langue qui lui sert à happer les four- mis. Celui-ci est aussi un fin petit gibier, mal- heureusement trop rare. Nous le trouvons quelque- fois isolément dans les haies et les buissons, au mois d'oclobre. L'ortolan arrive, dans sa contrée d'élection, au commencement de mai. Il niche à terre dans les vignes et dans les blés. Il en repart du 15 août au 15 septembre. Une partie traverse les Pyrénées CO LA MIGRATION DES OISEAUX. pour gagner l'Espagne ; l'autre se dirige droit à l'Est pour passer en Italie par les gorges des Basses-Alpes et à une certaine distance du littoral, car on en voit peu sur les bords de la Méditer- ^'/^ Torcol. rannée. C'est ainsi qu'il est de passage en Pro- vence où on le chasse, comme en Languedoc, aux grands filets-batlants avec l'aide des appelants. On sait que son embonpoint, qui le rend comme une pelote de graisse, est tout à fait factice ; il MIliRATEURS DU SUD-EST. 64 est pris vivant et généralement vendu à un spé- cialiste, qui le renferme dans une chambre obs- cure dont le sol est jonché de millet. On ne l'en sort pour la consommation que lorsqu'il est devenu assez gras et lourd pour ne pouvoir plus s'enlever et se percher. Tous les naturalistes s'accordent à dire, sans citer de faits à l'appui que le Rossigkol (Sylvia luscinia) émigré aussi à l'Est par les contrées méridionales de l'Europe, passe l'Archipel et va hiverner en Syrie et même en Égyple. C'est, il est vrai, un des oiseaux trés-mystérieux dans leur migration, voyageant silencieusement dans l'ombre des buissons ou des bois et probablement la nuit, dont il est difficile de suivre la marche. Cepien- dant nous savons que les rossignols arrivent en bon nombre dans le Midi de la France où les Proven- çaux on font d'excellenfes brochettes, car il est très-délicat, comme tous ses congénères, les char- irnantes fauvettes. « C'est abominable » ! diront les âmes sensibles du Nord, région, en effet, où on aurait un remords d'immoler de gaieté de cœur ces mélodieux muscisiens. — Mais le gibier séden- taire et sérieux est si rare en Provence, que les 62 LA MIGRATION DES OISEAUX. habitants se précipitent avec frénésie sur loute provende ailée qui passe à leur portée. Ajoutons, pour leur excuse, ce principe gastronomique : c'est î^é^^âll que plus les oiseaux avancent dans leur migra- tion , plus ils ont acquis d'embonpoint et plus excellents ils sont, et ces fins gourmets de Pro- vençaux résistent difficilement à un régal depelits- pieds. MIGRATEURS DU SUD-EST. 65 Mais de là, où et comment se' dirigent-ils? — Nous savons encore qu'ils sont 1res- répandus en Algérie, et rien n'empêche de penser, qu'après s'être disséminés en Espagne, en Italie, et dans l'Est-Sud, une parlie, tout au moins, passe en Afrique, comme plusieurs autres représentants de la famille des fauvettes. Ils quittent régulièrement notre latitude ou pour mieux dire notre zone isotherme, ce qui est bien plus exact en tout ce qui concerne les évolu- tions des oiseaux, vers le 15 août. Dans l'instant où je préparais ce chapitre, assis dans un bosquet de jardin, j'avais autour de moi toute une famille de rossignols fort affairés, allant et venant, pico- rant ci les vermissaux, là les baies du sureau- corail, tout ce qu'ils rencontraient à leur con- venance. On voyait clairement qu'ils se hâtaient de prendre des forces pour le grand voyage, et que le jour était proche. J'intriguais fort les jeunes en contre-faisant leur cri, « ICà-ICà /.... ICà-Kàl », qui est loin, ainsi que celui de leurs parenis à cette saison, « Krrrl.... Krrr ! » du charme de leur chant printannier, et ils me regardaient avec de grands yeux — a partir du 16, je n'en revis plus aucun. Ils nous reviennent, avec non moins de ponctua- lité, du 12 au 15 avril, à un jour près, selon la 64 LA MIGRATION DES OISEAUX. température régnanle. C'est à ce moment précis, qu'on prend les mâles pour les mettre en cage : (juelques jours plus tard, ils sont appariés, et se laissent mourir sentimentalement de chagrin dans leur prison. Là se termine la très-courte nomenclature des migrateurs du Sud-Est. CHAPITRE VI MIGRATEURS DU SUD-OUE.ST Ainsi qu'il a été dit précédemment, les oiseaux qui prennent cette direction du Sud-Ouest sont les aquatiques ou palmipèdes et, généralement, les oiseaux de rivage , ainsi que les paludéens ; certains qu'ils sont de trouver de ce côté un climat relativement doux et humide, et en somme, plus immédiatement toutes leurs condi- tions d'existence. Tant que Texcès de froidure ne les atteint pas dans leurs cantonnements, ils sta- tionnent avant que d'aller plus loin, et, fort nom- breux en espèces, en variétés, plus encore en sujets; car la race est prolifique au suprême; c'est par myriade qu'on les voit, à certains jours et en bons points, sur la surface des eaux ou des terres marécageuses. 66 LA MIGRATION DES OISEAUX. Lus premiers en date de migration, sauf une exception qui sera dite plus loin, sont les Bécas- siiNES, fins gibier et fin voiliers véritablement pré- destinées aux voyages de long cours : aussi peut- on être assuré, par avance, qu'on les trouvera du nordau sud,jusquesous les tropiquesct sans doute par delà, partout où il y aura des marais, des vases, des terres humides à sonder de leur bec effilé pour en extraire les larves et les vers, et des ajoncs, des herbes, pour se remiser. Que leur importe une traite de cinq cents lieues : c'est peut-être pour elles l'affaire d'une nuit ou d'un jour ! On compte en Europe trois espèces de bécas- sines. La DOUBLE BÉCASSINE (scolopax majov)^ la plus grosso et la plus précoce dans ses passages. Elle arrive dés les premiers jours de septembre; par contre, elle est tardive au printemps et ne remonte qu'en avril et mai. La BÉCAs>iNE ORDINAIRE (scolopax galHnafjo), la plus abondante, est le type de la famille. Elle voyage de nuit, préférant môme les plus obscures, alors que la lune est dans ses premiers et derniers MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 07 quartiers ou complètement masquée par d'épais Double bécassine. nuages ; quelques fois aussi dans les matinées Bécassines. fraîches, peut-être simplement en excursion de 68 LA MIGRATION DES OISEAUX. victuaille. On l'entend sans la voir, car son yoI est très-élevé, à une fnçon de petit bêlement, « Mè-è-è-e », produit par une rapide trépi- dation du guidon terminal de l'aile. Si l'on se trouve dans l'endroit du marais où elle a résolu de se poser, on la voit plonger en quelques zig- zags rapides comme l'éclair, et tomber à proxi- mité ; dans cette descente vertigineuse, l'impres- sion visuelle n'a pas eu le temps de lui révéler votre présence. Son passage, qui commence dans le courant de septembre, se prolonge généra- lement jusqu'au premier décembre, selon le plus ou moins de précocité des frimas ; mais le fort a lieu du 15 octobre au 15 novembre. Elle nous revient dés le commencement de février et la mi- gration printanniére dure jusqu'au 1'"' avril. La rETHE BÉcAssiiNE (scolopax galïinala), sur- nommée la sourde, par l'apathie qu'elle met à se lever, attendant presque qu'on lui marche dessus, est aussi la plus lente à migrer et son vol est moins rapide. Des trois, c'est la plus sédentaire en France ; c'est-à-dire, qu'elle y niche en nombre de lieux. La migration des bécassines, très-régulière en fait, l'est très-peu en réalité, quant à la quotité dans les mêmes lieux : car il arrive souvent que le sol n'y est point préparé à leur guise ; les marais MIGRATEURS DU SUD-OUEST. OU étant trop inondés, les remises sont rares; trop secs, elles ne peuvent y picorer ; et de leurs fines ailes, elles ont bientôt fait de filer plus loin ; mais elles passent néanmoins, quoiqu'on en voie peu. M. Pellicot, un observateur provençal dont le nom sera souvent cité, nous en fournit Petite bécassine. une preuve, dans son livre de la migration sur les côtes de Provence, en rapportant qu'il suffit de répandre de l'eau courante dans une prairie pour être sûre d'y trouver des bécassines le lendemain. De son cufé, M. A. délia Faille de Leverghem, d'Anvers, mon bonorable correspondant, me citait un autre exemple: en 1(S75, les étangs de sa chasse étaient amplement pourvus d'eau; passage insi- gnifiant ! Mais à une lieue de là, on avait fait écou- 70 LA :^1IGI{ATI0N DES OISEAUX. 1er les étangs; passage abondanl, parce que la \ase, mise à sec et non desséchée encore, pro- mettait une ample pâture. Quoique bien lins voiliers et pouvant toujours dominer les vents calmes, les bécassines préfèi ent néanmoins le vent debout, soit le sud-ouest à l'automne, soit le nord-est au printemps , c'est toujours sous cette influence qu'il faut s'attendre aux meilleurs passages ; il y a longtemps que les chasseurs du Nord l'ont constaté. Ceci prouve la vérité de la théorie pour tous les oiseaux en général. Aussi M. délia Faille fut-il fort surpris de constater, un certain matin de printemps, que les bécassines avaient subitement disparu, bien que le droit vent d'ouest régnât alors. En jetant les yeux sur le ta- bleau-bulletin qu'il venait de m'envoyer, je crus en entrevoir la cause. A deux jours de là, le vent de Nord-Est se mit à souffler avec continuité : or en bonne météorologie, on comprend qu'un cou- rant inverse agit d'abord sur les couches supé- rieures moins denses, puis peu à peu refoule toute la masse de celui qui lui est opposé. Est-il alors, bien étrange de penser, la sagacité dévolue aux oiseaux étant donnée, que les bécassines, averties de cet état de chose et sachant que le vent favo- rable soufflait à une faible hauteur, se soient éle- vées jusqu'à lui et en aient profité pour gagner MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 71 le but qu'elles avaient hâte d'atteindre? — En rassemblant ainsi tous les éléments de la ques- tion, on arrivera sans aucun doute à trouver nombre d'explications qui sont encore à chercher. Lorsqu'on considère les vastes espaces de repro- duction de la bécassine qui s'étendent depuis notre zone jusqu'à l'extrême nord, son immense champ de parcours sur la surlace du globe , l'élévation et la puissance de son vol qui la met à l'abri des rapacés les plus rapides, il est difficile d'admettre que l'espèce aille en diminuant, sur- tout du fait de l'homme dont les grands moyens de destruction sont mis ici en défaut et qui n'a d'autres recours contre elle que son adresse et son arme de chasse: or, on sait la difficulté du tir de ce gibier, et ce qu'on parvient à en abattre n'est qu'un léger tribu perçu sur la masse. Et cependant, surtout dans Tintérieur des terres, on se plaint perpétuellement de sa disparition. C'est qu'on ne tient aucun compte des desséchemenls, des assai- nissements, etc. etc.; en un mot, de ce fait, qu'un pays assaini, qu'une agriculture plus perfectionnée plus productive, enlèvent forcément aux bécas- sines leurs demeures et leurs points de stations; et il en est ainsi pour beaucoup d'autres espèces. Mais qu'on aille dans les vastes plaines humides ou marécageuses de la Somme ou mieux encore 72 LA MIGRATION DES OISEAUX. dans celles de la Hollande, et on y apprendra par les exploits des chasseurs de ces contrées que l'es- pèce n'est pas près de s'éteindre. Cet intéressant oiseau aura eu une longue no- tice. En voici un autre, son proche, mais grand parent, qui ne lui cède point. Bécasse. La bécasse! A ce nom, le chasseur et le gas- tronome, se découvrent; car c'est un gibier béni, au bois comme à table. A l'automne, sa chasse est une des plus agréables récréations cyné- gétiques ; mais elle est attristée par la perspective MIGRATEURS DV SUD-OUEST. 73 des mauvais jours qui vont venir. Au printemps, il n'en est plus ainsi, et aux premiers rayons du soleil, après une longue réclusion, c'est un véri- table charme ! J'ai cherché à en peindre la scène dans la fantaisie qui suit. « BÉCASSE, MA MIE. Dès qu'arrive ce satané mois de mars, qui vous a une senteur printannière, mêlée de bises et de gi- boulées, je suis pris, dans mon cabanon de Paris (ce que d'aucuns appellent leur appartement), d'un insupportable bourdonnement d'oreilles, à me rendre sourd comme une cruche. — Crow-Crow.. . . FsU-FsiiL . . — Crow-Crow.. . . Fsil-P^sit! — Et ainsi de suite. Eh! parbleu!... C'est la bécasse qui passe, et moi je suis entre quatre murs, chassant.... les gais souvenirs, tirant.... des lignes noires sur du papier. — Triste! Triste!!!.... C'est pourtant bien tentant là-bas. Pas n'est besoin de devancer l'aurore, à moins qu'on ait la passion de la passée du malin, et sur le coup de neuf heures, selon la distance de la forêt, on se met en marche, en amateur. — Attention aux li- sières, aux pointes de bois! La bécasse qui a picoré dans les champs la nuit, est remisée là au matin. 74 LA MIGRATION DES OISEAUX. Allenliun aux bas-fonds, aux coleaux exposés au soleil, si le temps est sec ou chaud ; aux pentes abritées, si le vent est aigre. — Eh! le grelot de Médor se ralentit.... Bonne chance! Une piste.... — « Tout-beau ! n — Je crois avoir fait celle remarque: les jeunes bé- casses inexpérimentées montenten fusée, et, volon- tiers, papillonnent un inslantà vous regarder, vous et voirechien: c'est un moment propice! Les vieil- les, rusées commères, filent sous bois et s'empres- sent de se masquer de tous les obstacles. — Mais, soit l'une, soit l'autre, quelle agréable émotion quand au.... piff! de votre rifle, répond cette autre note sourde : Pouf!!!... de la bécasse qui tombe sur le sol. — « Apporte! » — Et d'une dans le sac ! C'est victoire ; car il ne laut pas s'at- tendre à en tuer à la douzaine, comme simples mauviettes. Voilà l'action entrain, avec toutes ses péripéties de cépées et d'épines, de surprises et de réussites ; voyons maintenant le décor : — Entre temps, vous jetez un coup d'œil autour de vous. Sur le ton bleu des fourrés, le premier soleil scintille le long des plantes; des mousses, qui reverdissent, pointent les anémones, les narcisses jaunes et de mignonnes jacinthes bleues; des ronciers émerge le bois-joli ; et de fines gouttelettes d'émeraude M'^'% Le chasseur, jambe deci, jambe delà... (Page ??,) •MIGRATEUKS DU SUD-OUEST. 77 semblent pendre aux branches des buissons pré- coces. La saine senteur de la sève qui remonte, l'air frais et pur, dilatent votre poitrine. — Dieu! comme on respire bien ici! — Les fanatiques de cette chasse ont mille fois raison. Passé midi, les bécasses, en bestioles douil- lettes, se remisent et font une sieste. Plus de frais! Il faut suspendre la partie. — «Tiens! Médor, sur cet épais tapis de feuilles sèches, en plein soleil au pied de ce grand chêne, nous ne serons point trop mal non plus ». Le chasseur s'assied, jambe deci jambe delà, il étale ses vivres; le sobre, une modeste corne de fromage ; d'autres, des victuailles plus sérieuses. Le chien, sur son bienséant, suit tous les mouvements, attentif, mais sans impatience; car il sait bien qu'il aura sa part. Après la dernière accolade à la gourde, on allume une pipe : quel pipe! Dans ses spirales bleuàlres, tourbillonnent lout un essaim degentes dames au long bec, voletant, papillonnant, et.... la somnolence venant, on s'étend dans le pays des songes. Médor en fait autant; mais lui ne dort que d'un œil : au moindre bruil, il relève la tète, son œil brille et semble dire : — « Quel est Pin- trus qui vient troubler le repos du maître?)^ — Brave bcte, va! xV trois heures, frais et dispos, on reprend 7.S LA MIGRATION DES OISEAUX. l'action : la bécasse a terminé son somme et vaque à ses affaires. C'est le moment de lui redire quel- ques mots d'amitié. Et les émotions recommen- cent jusqu'au déclin du jour. — Nouvelle sta- tion jusqu'à la passe. A cette heure plus fraîctie, une souche est le fauteuil de rigueur, et on p/iilosophie à l'aise dans la solitude des bois, ou bien on suppute les victimes, si le sort a été propice. Mais voici l'acte final de Yopéra qui prélude. Le ciel s'illumine des feux du couchant ; la grive, le maestro soprano du printemps, entonne du haut du chêne sa mélodieuse cantilène. — Quelle ampleur de voix ! l'air sonore en relenlit. — Le pinson lui riposte en contralto^ et le frétillant rouge-gorge fait sa partie de haut-bois dans les buissons. — Altenlion! Attention!... La bécasse donne aussi sa note de basse-taille : l'orchestre est complet; c'est le grand morceau! — « Crow- Crow ! P'sît-Fsitl... » — En cadence comme les joyeux fron-fron de nos pères. C'est la passe ! Del>out el l'œil au guet. — • — (( Crow-Croiv . . . . Fsît-Fsit ! » — Un couple amoureux, folâtrant, entre-croisant leurs becs, arrive sur vous Pauvres chers ! — Un double coup de tonnerre éclate.... Pin!!!.... Pan m.... — Roméo et Juliette ont mordu la pous- MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 79 sière. — Bravo ! au chasseur. — C'est un dénoue- ment triste, mais bien émouvant. — 0 povero caro mio! Je voudrais l)ien y être. — Et dire qu'un affreux à nier de mon voisinage a jugé à propos de prendre le grelot de mon chien pour le pendre au cou de sa bete et me donner chaque malin une aubade; que le merle du Luxern- l)ourg lance, dès l'aube, ses éclatantes voca- lises.... — Mes pauvres oreilles, laissez-moi tout au moins en paix ! — « Crow-Crow P'sll-P'sil !!! ... » — • -- « Crow-Crow.... P'sit-Fsil !!!... » — C'est à endevenirfou, ma parole d'honneur! Je termine cette note gaie en laissant à ceux qui en voudront la dénomination de scolopax rusticola dont la science a affublé notre oiseau. Le nom de Bécasse, tics-explicite, abondance de bec, long bec, nous snftit largement et a le bon sens d'elle français. Mais si les savanls ne par- laient point grec... ils ne seraient point savanls! — Ce coup de patle, en [lassant, du chasseur naturaliste aux naturalistes de cabinet. Buffon fait ^simplement migrer les bécasses en altitude; c'est-à-dire, qu'elles slationneraient, selon lui, pour la nichée, sur les hautes montagnes de la zone tempérée, comme les Pyrénées, les Alpes, 80 LA MIGRVTION DES OISEAUX. le Jura, etc., et que de là, la mauvaise saison venant, elles se contenteraient de descendre dans les plaines et de s'y promener deci delà. Mais il ad- met qu'elles sont répandues dans tout notre conti- nent, et rapporte qu'Adamson en a vu également au Sénégal. Nous sommes aujourd'hui mieux fixés à leur sujet. Qu'à leur migration de printemps, elles laissent quelques représestants, dans les lieux élevés, ceci n'est point douteux. M. de la Faille en a trouvé un couple en été, môme en Italie, sur les Apennins, et il n'y pas d'année où l'on ne découvre quelques couvées sur les pla- teaux du Jura; mais le nombre en est infime. Leur véritable station estivale est le Nord; les rensei- gnements les plus précis l'établissent et leurs • conditions d'existence suffiraient à le démontrer. Plus encore, M. délia Faille, un chasseur-cosmo- polite, a posé, d'après ses nombreuses observa- tions, une théorie des plus judicieuses de leurs parcours que je m'empresse de rapporter ; ce sera une des primeurs de ce livre. — Une carte de l'Europe sous les yeux et considérant la direction doublement obligatoire des bécasses au sud-ouest; par l'humidité et la disposition des terres, autre- ment, si elles émigraient directement au sud, on n'en verrait que quelques rares spécimens dans toute la partie occidentale de notre continent, il BIIGRATEURS DU SUD-OUEST. 81 dit : Un premier groupe de migration part delà pointe isolée de la Norvège et aborde en txosse ; il a, pour preuves à l'appui, les rapports des navi- gateurs de la mer du Nord, qui rencontrent fré quemment des bécasses dans leurs traversées. De là, ce groupe longe les côtes d'Angleterre jusqu'à la pointe du Norfolk où il se divise en deux paris : l'une arrivant sur les côtes de Belgique et de France pour suivre la voie qui va être dite : cette double particularité lui est indiquée, d'une part, par la rareté des bécasses sur les côtes occiden- tales de l'Angleterre et en Irlande, comme il l'a constalé lui même ; d'autre part, par leur passage plus précoce à Bruges qu'à Anvers situé plus au Nord et à l'Est. La deuxième partion conlinue par les côles anglaises, passe sur celles de Normandie et de Bretagne où, en effet, leur importante station est depuis longtemps signalée. Le groupe, plus ou moins réuni, côtoie le golfe de Gascogne ou le traverse obliquement pour gagner le littoral nord de l'Espagne et se répandre dans l'ouest de ce pays : les nombreuses bécasses qui se brisent la tète chaque saison contre les pliares d'Oléron et de Cordouan, à la grande satisfaction des gardes- sédentaires-, ne laisse aucun doute sur l'abondance du passage dans celte direction. Un deuxième groupe, doublé des bécasses de la 6 8J LA .MIGRATION DES OISEAUX. Finlande, part de la presqu'île Suédoise, descend en Danemark, en Hollande : ce sont ces l)écasses- là qui apparaissent à Anvers plus tardivement que celles de passage à Bruges. Puis elles se répandent dans le cenire de la France et arrivent au pied des Pyrénées, excellente station encore, d'où elles pas- sent en Espagne. Un troisième groupe part des côtes russes de la Baltique, passe en Allemagne et arrive dans le bassin du Pihône, pour suivre de là la côte orien- tale hybérique. A cet ordre de marche, il faut ajouter un qua- trième et immense groupe, composé de toutes les bécasses du nord de la Russie, se répandant sur toute la zone méridionale de l'Est européen, et couvrant l'Italie par l'aile droite, la Grèce par l'aile gauche. A partir de notre zone isotherme de Paris, et selon Fintensité de l'hiver, l'ensemble des bécasses commence à laisser des retardataires qui, souvent, ne vont pas plus loin. Cette arrière-garde aug- mente de plus en plus en avançant au midi, et les marais Pontins, en Italie, sont pour eux un lieu de repos si favorable, que les chasseurs du pays en font des abattis superbes, quelque chose comme trois ou quatre cents par hiver. Le surplus passG en Afrique par Icb points le plus à sa convenance, MIGRATEURS DU SUD OUEST. 85 et se dissémine en deçà du Sahara, ou va se re- miser sous le Tropique. Je résume sommairement la théorie de M. délia Faille pour la rendre simple et claire, en la com- plétant de mes propres renseignements de l'Est et d'ailleurs. Cette conception, si logique qu'elle tombe sous le sens après un léger examen, en même temps qu'elle jette un jour tout nouveau sur la migration générale, n'a pas tardé à rece- voir une éclatante consécration de l'observation suivie. Au printemps de 1877, je recevais de trois correspondants : MM. A délia Faille de Le- verghem, d'Anvers, De Cugnac, du Gers, P. Petit- clerc, de la Haute-Saône, un tableau détaillé des passages de la saison, dans leurs contrées res- pectives. J'y vis que le plein de la migration des bécasses avait eu lieu, à Anvers, du 9 au \9 mars; dans le Gers, du il au 26; dans la Haute-Saône, du 5 au 10. Évidemment les bé- casses du Gers n'étaient point les mômes que celles de Belgique et de Vesoul ; c'e4 - à - dire que le groupe du centre des Pyrénées était en retard sur les deux autres; et la cause en devenait manifeste en comparant les tempéra- tures, cotées jour par jour, de ces différents lieux. Tandis que, dans le courant de mars, le thermomètre ne s'abaissait pas à plus de T an U LA MIGUATIO.N J)ES OISEAUX. dessus (Je zéro, à Anvers, i)oiii' s'élever à 18"; dans le Gers, par suile d'inlUiences niéléorolo- giques particulières, il descendait jusqu'à 8° au- dessous de zéro, pour ne s'élever qu'à 11 au-des- sus, au dernier jour du mois. — C'est un des Leaux résultais de notre bureau d'observation de la Chasse Illustrée. Quelques bécasses nous arrivent dés la fin de septembre, de même qu'il en passe encore en décembre; mais la vraie migration a lieu du 20 octobre au 20 novembre. Au pi*inlemps, le mois de mars est le temps consacré, de toute éternité, pour leur retour. Le papillon jonquille, cher au chasseur et qui éclot aux premiers layons de soleil, semble être leur émissaire. Elles voya- gent par vols épars, et il est sage, lorsqu'on en trouve une au bois, de battre les alentours; la ccr' tilude est grande qu'on en trouvera plusieurs. Comme leur vue est très-sensible à la grande lu- mière, c'est au crépuscule et à l'aube qu'elles prennent leurs grands ébats, quittant les fourrés pour verroter en plaine et faire leurs ablution?, en personnes propreltes, aux mares et aux flaques d'eau. A la nuit close, elles se niellent en voyage, préféiant, elles, les nuils les plus claires; à ce point que les chasseurs, par longue expérience, appellent la pleine lune de novembre la lune des 1\IIGRATEURS DU SUD-OUEST. 85 bécasses. On les distingue généralement en deux variétés, la grosse et la petite, celle-ci quelque- fois de taille minuscule; mais tons les natura- listes s'accordent à n'en reconnaître qu'une seule et unique espèce, les petites étant les mâles, à taches plus larges et plus foncées, ou même les tard-venues n'ayant pas encore atteint leur com- plet développement. Nos anciens nous ont rebattu les oreilles d'his- toirrs merveilleuses de bécasses. Mon père, par exemple, de tout une poudrière usée à amorcer son fusil (c'était le bon temps des fusils à pierre), par un brouillard des plus humides, sur une nuée de dames au long bec qui lui partaient entre les jambes, de tous côlés : un de mes vieux amis, de vingt-cinq bécasses occises en un jour. Belle au- baine, en vérité! etc., etc. — Atout prendre, et par ce que nous connaissons déjà des éventualités des migrations, c'étaient là des chances heureuses, mais accidentelles, de passages spéciaux ou d'ac- cumulations dans un même lieu. Selon l'usuelle coutume, on en conclut tout droit à l'extinction prochaine de la race. Je ne suis pos aussi humoriste, et pour rassurer les attristés, mon ami Toussenel en télé, voici un renseignement précis. Mon honorable correspon- dant de la Ilautc-Saône, M. Petitclerc, grand chas- 80 LA MIGRATION DES OISEAUX. seur de bécasses devant le Seigneur, ne se contente pas d'affirmations vagues, il noie jour par jour ses rencontres. J'ai sous les yeux un de ses relevés pour une période de douze ans, de 1862 a 1874 ; j'examine, et je vois que l'avantage est précisé- ment à la dernière année. Autre détail instructif: les chiffres les plus élevés se retrouvent de cinq en cinq ans; ils vont en diminuant, puis remontent, et ainsi de suite : avis aux amateurs! — Avant de se désoler, il faudrait considérer le vaste champ des espèces, leur nombre formidable, et bien se rendre compte des causes et des motifs, ainsi que de leurs effets. J'indique sommairement en passant les Barges {Limosa), qu'on pourrait surnommer les grosses bécasses des marais, les Râles d'eau {Rallus aqiia- ticus)^ les Marquettes (Gallinula porzana)^ les Poules d'eau (Gallinula chloropus)^ les Foulques (Fulica atra)^ les Marelles, MocRouLEs,etc. : popu- lation des marécages, pour la plupart migrateurs d'arrrière-saison, assez peu communs dans les terres sèches de l'intérieur, mais abondants sur le littoral. Il faudrait tout un volume sur ces races palu- MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 87 déennes, ainsi que sur les aqualiques, mais écrit Dai-.^s. ,-\àV Raie. par un praticien de longue date, et je décline 88 LA MIGRATION DES OISEAUX. toute compétence, en ma qualité de terrien des hautes terres. Je m'en tiens donc aux groupes les plus connus du commun des mortels, et bien suffisants pour fixer la théorie. Poiile-d'eau. Les Plltiers (Chnradius) et les Vainaeaux (Van- nelliis) confondent trop souvent leurs rangs en voyage, et leurs habitudes sonl lelleuient sem- blables, qu'il est vraiment inutile de les séparer; ce qui sera dit des uns s'appliquant aux autres. Ces grands migrateurs des terres humides ni- MIGRATEURS DU SUÛ-OIEST. 80 client assez avant au nord, dans les grandes plaines d'en-ileçà de la Baltique. Les œufs de van- neaux, d'un Yert très-foncé et de la grosseur d'un Foulque. très-petit œuf de poule, sont en grande réputation gastronomique : on en consomme et on en ex- pédie, de Hollande principalement, des quantités considérables; le haut prix auquel ils sont cotés sur place, 0 fr. 50 la pièce, est bien fait pour allécher la convoitise. C'est là un genre de des- truction plus ou moins recommandable d'un oiseau utile au premier degré. Les Hollandais, qui sont î)l) 3Jî(,PkVTI().\ J)KS (XSEAUX. très-friands de cet aliment, disent pour se discul- per que les vanneaux, ne valant rien par eux- mêmes, contrairement au proverbe, sujet à cau- tion, il est vrai : Qui na mangé pluviers ni vanneaux ne sait ce que (jibier vaut; c'est bien le Pluvier. moins qu'ils se dédommagent sur leurs œufs; que, du reste, ils n'enlèvent que la première ponle, et que les femelles, très-prolifiques de leur nature, ont bien vite réparé le mal. 11 est de fait que, dans les immenses plaines de leurs stations estivales, la destruction n'agit guère que sur une part infime, et nous les voyons toujours apparaître Mir.RATEFRS DU SFD-OTÎEST. 91 en nuées, chaque année, sur les points à leur convenance. A certains temps, les arrivages à Paris en sont formidables. La saison de pluie, assez générale à l'équinoxe Vanneaux huppés. d'automne, est pour eux le signal du départ. Ils savent que c'est l'époque où les vers de terre, les lombrics, émergent du sol, à la nuit, pour l'ac- couplement, et que la pâture sera plantureuse. Ils passent de jour, par grandes bandes transver- sales, et à peu de hauteur, pour bien inspecter 92 LA MIGRATION DES OISEAUX. les lieux. Leur itinéraire esi tracé par les grandes plaines où ils font de fréquentes slations, pâturant surtout la nuit, avec celle curieuse habitude, que les pêcheurs mettent aussi en usage, de battre le sol avec leurs pattes pour comprimer les bestioles et les obliger à sortir; mais régulièrement, cha- que matin, ils se rendent aux grèves pour y faire leurs ablutions. C'est un instant propice pour les affûter, car, hors de là, ils sont toujours en éveil, et des sentinelles font le guet pour les avertir de tout danger. Dans les lieux de grands passages, on les chasse aux filets battants et on en prend des quantités considérables. Après avoir séjourné tout le long de leur route et surtout dans les con- trées méridionales, leur vol rapide et soutenu les porte en Afrique, où ils font de longues excur- sions. Leur retour s'effectue de la môme manière, dès les premiers jours de mars ou mieux après le dernier dégel; car ils sont de ceux d'entre les migrateurs dont on peut présager, lorsqu'on les revoit, que l'hiver est bien fini. La grande tribu des oiseaux de rivage renferme bien des genres et nombre de familles dont les 0}Cm^ \^\mm¥ '"''''''''''i-f|i|i| -\ \î 1 lil' iiiii iii. W^^i MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 95 membres sont pour la plupart exclusivement ma- ritimes et, par suite, sont peu connus et fort peu susceptibles d'être observés, sauf quelques excep- tions, partout ailleurs que sur les littorals. Du reste, leurs habitudes de migration sont aussi à peu près les mêmes : arrivée avec les premiers froids,'' vie errante sur les rivages, en suivant l'abaissement de la température; retour dans les mêmes conditions dès que l'hiver cède. En voici les principaux genres, hors quelques beaux spé- cimens exotiques et de migration rare ou acci' denlelle dont il sera parlé ultérieurement. Les Bécasseaux (Tringa) qui comptent sept va- riétés dont le plus beau type est le Combattant (Tringa piignax), ainsi nommé de son humeur querelleuse. Les Chevaliers (Totanus . en provençal le Charlo)^ le genre type et le plus élégant parmi les élégants de cet ordre; excellent gibier, d'ail- leurs, comme tous ses congénères. Six genres : le Chevalier gambette, le Chevalier stagnatile, le Chevalier sijlvain, le Chevalier guignette, le Che- valier aboyeur et le Chevalier cul-blanc. Je dirai quelques mots de ce dernier qui diffère complè- tement par son habitat et ses mœurs. Le Chevalier cul-rlaxNc [Totanus Ochropus^ Gra- l'e/me en divers pays du centre: le Bécasseau de 96 L\ MKJUATIONDES OISEAUX. Bullon) est indigène comme d'autres, du reste, et Clieva''ers. habile les rives de nos rivières et de nos lacs. Il Chevaliers cul-bl:inc. est beaucoup plus modeste de forme, de ioiletle MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 97 et de volume que tous les autres ; sa taille est celle d'une bécassine ordinaire, et il est beaucoup plus précoce aussi dans sa migration. Dès le mois de juillet, réuni en famille, il commence ses yoIs d'entraînement, en décrivant de grandes évolu- tions à la surface des eaux et en poussant des cris Courlis. aigus, à la manière des martinets. C'est un fin petit gibier qu'on a le tort généralement de ne pas chasser en France. Dès le milieu d'août, il se met en route; on le trouve, alors, le long de nos plus petits cours d'eau vive, par groupe, par couple ou isolément. 11 doit revenir assez tardive- ment, en avril, je suppose. 98 LA MIGRATION DES OISEAUX. Les Courus (Scoîopax arquata), façon d'ibis de nos climats, qui, bien que préférant les plages du littoral, sont aussi de passage dans l'intérieur des terres, stationnant dans les prairies humides et le long des cours d'eau, mais en petit nombre et tout à fait en camps volants, à leurs deux migra- tions d'octobre et de mars. Ils vont en Afrique et fort au loin, car on les retrouve identiques à Ma- dagascar. Je laisse de côté de nombreuses espèces plus rares ou exotiques, dont il sera fait menlion dans le chapitre des migrateurs accidentels. A elle seule, la race immense des oiseaux aqua- tiques proprement dits ou des 'palmipèdes deman- derait un in-folio en quatre-vingt-dix-neuf cha- pitres, ^pour être traité in extenso. Comme nous le savons, leur épais et chaud vêtement de duvet et de plumes, imperméable à l'eau, à riuimidité, au froid, de môme que la grande vertu prolifique dont la nature les a dotés, marquent leur haute destination : peupler, animer, exploiter la région arctique. Là, ils trouvent des eaux vives ou sta- gnantes toujours abondantes et amplement pour- vues de végétaux, de bestioles, de frais et de LES MIGIUTErnS DU SUD-OUEST. 99 fretin de poisson. C'est leur patrie, leur coulrée d'élection, qu'ils ne quittent que contraints par la force des choses, lorsque l'excès d'abaissement de lempérature leur l'cnne la surface des eaux, leur champ d'existence. Ils émigrent alors, mais à re- gret et se hâtent de revenir dès que la tempéra- ture se relève ; par les hivers d'alternances de froid et de tiède, c'est un va-et-vient perpétuel fort ap- précié des chasseurs. Telle est leur loi commune. Le cercle polaire, voilà leur domaine. Bons voi- liers pour la plupart, ils y circulent à leur conve- nance ; passant d'Europe ou d'Asie en Amérique, soit par le détroit de Behring, soit par le Spitzberg ou les Ferroë et l'Islande, avec autant de facilité que les migrateurs du Sud traversent la Méditer- ranée, et plus encore ; car ils ont, eux, la latitude de se reposer sur les flots quand bon leur semble. Il en résulte que toutes les espèces sont à peu près communes à la supei ficie de notre hémisphère, et que, bien qu'une espèce de canard, le Col-vert des chasseurs, VAnas boschas des savants, soit plus spécial à notre) continent, nous en voyons apparaî- tre, cliaque hiver, un nombre considérable de variétés. Après ces considérations générales, l'histoire de leur migration particulière sera simple. Le Cyg>e (Anas cijgnus), par la magnificence de 100 LA MIGRATION DES OISEAUX. la forme et l'ampleur de son vol, tient la tête de l'ordre. Tout à fait indigène du Nord, il s'accli- mate très-bien, comme on sait, sous le climat de Cygnes. notre zone tempérée. Sur le lac de Genève, après quelques tentatives et avec des soins, les cygnes sont devenus aujourd'liui sédentaires et à demi civilisés. C'est un exemple de compensation, qui peut s'étendre à d'autres espèces et parer à la LES MIGRATEURS Dt] SrD-OL'EST. iOl pénurie des oiseaux dont on se plaint. Dans leur région natale, très-farouches de leurs cantonne- ments envers leurs semblables, ils vivent par couples solitaires ; mais à l'automne, ils se réu- nissent en troupe. Très-bons physiciens de leur nature, ils ont reconnu de longue date que l'agi- tation de l'eau empêchait la congélation; chaque matin et chaque soir, à l'heure où le froid est le plus intense, ils se livrent à des mouvements d'ailes vigoureux qui probablement leur sont né- cessaires pour combattre l'engourdissement, mais qui agitent fortement la surface de l'onde et re- tardent d'autant le moment où ces oiseaux devront suivre la règle générale. Les cygnes en voyage se disposent en longues lignes régulières ; seulement ils n'arrivent guère sous notre zone qu'isolément ou deux par deux, ce qui ne les empêche point de s'avancer assez loin au sud. L'espèce des Oies (Anas miser) ^ qui comprend plusieurs variétés, est caractérisée chez nous par V Oie sauvage proprement dite {Anas secjetum)^ la plus abondante. Il m'est arrivé d'en voir des vols accidentels à la mi-septembre, par de gros temps ; mais c'est en novembre qu'on a chance de les rencontrer. Elles stationnent et pâturent le jour dans les champs et gagnent le soir les grands étangs ; seulement bien malin le chasseur qui peut 102 LA MIGRATION DES OISEAUX. les approcher à distance propice ; ce n'est guère que le hasard qui donne celte aubaine. Une fois, je manquai une belle occasion. Je revenais de chasse à la chute du jour, et, approchant du logis, _«3^ Oie sauvage. je déchargeai mon vieux fusil à baguette sur des corbeaux. Cent mètres plus hm^jnn m pan m dans la plaine ; en même temps, je vis se lever une magnifique troupe d'oies qui vint passer droit sur ma lôtc, à dix mètres de hauteur. Mon espingole vide, je dus me contenter de les regarder passer. Lorsqu'elles se lèvent, elles partent en bande con- fuse, et ce n'est que plus tard qu'elles prennent leur vol spécial, par file indienne, si ellessont peu LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 103 nombreuses, en angle et espacées régulièrement si elles le sont davantage. Ce vol géométrique, . commun à nombre de palmipèdes, a de quoi sur- prendre. On a dit vaguement jusqu'ici que cette disposition était plus favorable pour fendre l'air ; mais la question n'est que déplacée, car pourquoi tous les oiseaux volant en troupe n'en font-ils point usage? — On a ajouté que l'oiseau de tête avait seul à supporter le premier effort et que les autres en étaient d'autant allégés; que, lorsque ce chef de colonne était fatigué, il cédait la place au second, et ainsi de suite. — M. le comte d'Esterno, un chasseur-naturaliste autorisé, démontre, dans un livre d'une observation rigoureuse sur le Vol des oiseaux, que, s'il en était ainsi, l'oiseau de ligne, trouvant devant lui un air tourmenté, troublé par les mouvements de celui qui le pré- cède, serait incapable de voler parce qu'il man- querait de point d'appui ; qu'à l'inverse, chaque oiseau vole parallèlement à tous les autres et non dans un axe commun, de telle sorte qu'il a perpé- tuellement devant lui sa portion d'air intacte. Ceci est plus positif et plus conforme à la réelle théorie du vol, mais ne nous dit pas encore la solution dernière, la raison d'êfre de cette locomotion bi- zarre. Nous avons déjà vu que tous les oiseaux voyageant en troupe ont, en y regardant de près. 404 L\ MIGRATION DES OISEAUX, leur ordre particulier de marche, dont le plus étonnant est certainement le vol tourbillonnant des étourneaux. J'en recherche la cause, qui ne peut être, à mes yeux, que la résultante des conditions du vol propre à chacune de ces espèces, et, aidé par Tobservation de M. d'Estcrno, j'en conclus, dans l'exemple présent, que les palmipèdes à queue courte, manquant par conséquent d'un gouvernail suffisant, à long cou qu'ils sont obligés d'étendre pour maintenir leur équilibre, n'ont pas relative- ment le vol aussi souple dans leur direction que la généralité des autres espèces et sont astreints à cet ordre de marche régulier sous peine de s'entraver, de se gêner mutuellement. Ceci ouvrira la voie, je crois, à d'autres explications. On a fait cette remarque que les oies, comme bien d'autres oiseaux, volaient haut par le temps clair et sec, volaient bas par les temps brumeux , et on a pensé qu'elles agissaient de la sorte, dans cette dernière circonstance, pour se guider, à dé- faut de l'horizon, par les configurations du sol. Comme tous les autres volatiles, elles sont elles- mêmes leur propre boussole, et il y avait une raison physiquement plus simple, c'est que l'air humide et moins dense alourdit leurs ailes et for- cément abaisse leur vol. — Maintenant, jusqu'à quelle latitude méridionale s'avancent-elles? - LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 105 Fort loin, à leur convenance, selon toute probabi- iilé; car l'espèce, comme celles d'autres de leurs congénères, se retrouve identique dans l'hémi- sphère austral. — Elles remontent définitivement, lorsqu'elles sont assurées que leurs pénates de l'extrême nord sont libres pour les recevoir, en Canards sauvages. mars, môme en avril ; mais elles sont pressées alors, voyagent par grandes étapes, et on les entend passer la nuit plus qu'on ne les voit de jour. La famille des canards est si nombreuse en va- riétés et d'une si grande puissance de prolification, qu'elle pourrait à elle seule peupler la surface de la terre. 106 LA MIGRATION DES OISEAUX. Le Canard sauvage proprement dit (Anas boschas) , le beau Colvert des chasseurs et le type primitif de nos canards domestiques, niche dans toute notre zone tempérée et s'étend j usqu'aux régions polaires . La femelle couve de 10 à 25 œufs et recommence plusieurs fois. Il faut un froid sérieux, de 5 à 6** au-dessous de zéro, c'est-à-dire assez vif pour con- geler la surface des eaux tranquilles pour le dé- cider à émigrer. Il s'éloigne alors, se dispersant partout où il rencontre des eaux ou sources chaudes qui lui permettent de vivre, mais il re- vient bien vite, dès que le froid cesse. C'est ainsi que nous le rencontrons jusqu'au fond de nos vallées montagneuses, et ce qui fait que les temps variés d'hiver, les alternances de gel et de dégel, sont les plus favorables à sa chasse ; il passe et il repasse sans cesse, alors. A la fin de la saison, le passage est encore assez variable ; mais, dès le mois de mars, tous regagnent leurs pénates et, en avril, ils sont en plein travail de reproduction. Au colvert se joignent un nombre infini d'espèces diverses : le Tadorine (Anas tadornà) , le Chipeau ou Ridenne (Anas strepera)^ le Pilet ou Canard à longue queue (Anasacuta), le Siffleur [Anas pe- nelope), le Souchet {Anas chjpeata)\ le Milouin (Anas ferina) , le Morillon, la Macreuse (^/zcfs nicjra) , IqWkwle (Mer (jus), les Sarcelles d'éié et d'hiver, etc., LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 107 sans compter quelques types exotiques qui viennent d'on ne sait où, d'Amérique, d'Asie, car toute la terre leur appartient d'un pôle à l'autre. Leurs habitudes de voyage sont les mêmes que celles des grandes espèces des cygnes et des oies, sauf un détail : les canards se remisent en mer ou Canards Pilels. sur les grands étangs pendant le jour et vont pâ- turer dans les champs ou les eaux peu abondantes la nuit. Comme c'est un beau et bon gibier, la dif- ficulté et la rudesse du métier aidant môme, leur chasse a ses adeptes fanatiques. Le chien d'arrêt, l'affût, les appelants, les engins de toute sorte, tout est bon pourvu qu'on soit patient et habile, car la vigilance des oiseaux est de ces plus grandes. 108 LA MIGRATION DES OISEAUX. Chaque année on voit apparaître, dans les jour- naux, ce cliché consacré : « on a \u passer de grands vols d'oies, de canards, signe certain d'un Macreuse. hiver précoce et rigoureux ». Nous venons de voir ce qu'il en faut penser : c'est-à-dire que l'hiver sévit ou va sévir dans l'extrême nord tout sim- LES MIGRATEURS DU SUD-OUEST. 109 plement ; mais ce n'est point là une raison pour qu'il vienne jusque chez nous. On pourrait tout aussi bien dire, et souvent à tort, de leurs allées Chasse aux canards et venues, que la fin de l'hiver est proche. Les migrateurs du Sud sont plus positifs dans leurs agissements, comme nous eu verrons de nom- breux exemples. CHAPITRE Y MIGRATEURS DU SUD La migration directe au sud, en tenant compte de la réserve qui a été faite d'une inclinaison for- cée à l'ouest, déterminée par la disposition des terres des deux continents européen et africain dans cette dernière direction, est la plus normale, et devait comprendre la grande part de nos es- pèces migratrices. En face de cette multiplicité de sujets qui vont passer rapidement, à tire-d'aile, devant nos yeux, un ordre rigoureux est nécessaire pour éviter la confusion et conserver à ce grand mouvement son aspect le plus pittoresque. Voici celui que je crois devoir adopter : prendre, par ordre de date, les premiers migrateurs de l'au- tomne de tous les genres de cette multitude d'oi- seaux ; grouper immédiatement à leur suite tous 412 LA MIGRATION DES OISEAUX. leurs congénères, et passer successivement ainsi toutes les principales espèces en revue ; et encore je ne réponds pas d'en omettre, un peu volontai- rement, quelques-unes des moins intéressantes, pour alléger ce long cliapitre. Cela dit, ce sera un groupe de l'ordre des pas- sereaux qui ouvrira la marche. La classification scientifique comprend sous ce nom un nombre considérable d'espèces dont elle ne savait proba- blement que faire, comme l'insinue spirituelle- ment Toussenel, car elles sont souvent bien dis- semblables. Comment comparer, par exemple, et réunir dans une môme catégorie, un corbeau et un colibri, un martinet et une fauvette de buis- son? Ce nom a été inspiré sans doute d'un vieux mot français, passeret ou passerot (du latin pas- ser, passer, circuler, être toujours en mouve- ment), encore en usage dans certaines provinces pour désigner le merle de roche ou solitaire, et aussi le rossignol de muraille. Car si cette dési- gnation avait la prétention de spécifier l'action d'émigrer, elle serait des plus fausses, en ce sens que cette action est commune à tous les ordres, à tous les genres, et qu'elle n'est la loi d'aucune en particulier. Cette distinction était dictée par notre sujet. Mais Toussenel a épuisé la critique de la clas- MIGRATEURS DU SUD. H 3 sification officielle avec une verve des plus gau- loises et en observateur judicieux de la nature sous son véritable aspect, la vie, apportant en même temps le remède au mal. Nous n'avons donc pas à y revenir, sinon lorsque l'occasion forcera le larron. 8 114 LA MIGHATION DES OISEAUX. Les Martikets de nos cités (Cyspehis miirarius)^ ou martinets noirs^ avec la régularité d'un chro- nomètre, quittent notre zone d'observation du 28 au 50 juillet, et nous reviennent du 2 au 4 mai. Cette régularité et cette précocité de migration ont, il me semble, une commune origine. Le martinet fait sa pâture des insecles qu'il happe, dans son vol, de sa gueule visqueuse et fendue jusqu'aux oreilles. Ce vol étant habituellement très-élevé, l'oiseau doit s'en prendre surtout aux insectes qui s'élèvent le plus haut dans l'atmosplière, et qui sont précisément soumis les premiers au re- froidissement qui hâte leur évolution aérienne; de même qu'au printemps ils sont des derniers à sortir de leurs larves pour trouver dans les hau- tes régions de l'air la température dont ils ont besoin; et les martinets doivent naturellement compter sur les phases d'existence de ces insectes sous peine d'abstinence. Dès que les jeunes sont sorlis du nid où ils ont demeuré longtemps pour permettre à leurs ailes, leur seul moyen de locomotion, de prendre leur entier développement, la famille, réunie en groupe compacte, commence ses entraînements de voyage, le matin et le soir, par de grandes circonvolutions et en poussant des cris aigus. Après quoi, toute la tribu d'un même lieu se rassemble en bande, MIGRATEURS DU SUD. H5 tournoyant dans le ciel avec des cris fort diffé- rents, assez seml)lables à celui de la crécerelle ; et un beau jour, le temps étant venu, tous ont disparu simultanément, sans qu'on ait pu préju- ger de leur direction, absolument comme ils nous sont venus au printemps. Buffon nous dit que, redoutant beaucoup la cha- leur (la preuve en est, à ses yeux, qu'ils se tien- nent blottis dans leurs trous de rochers ou de murailles au milieu du jour), ils se dirigent d'a- bord au nord pour redescendre ensuite au sud à l'arrière-saison. Il cite à l'appui quelques vols revus en septembre et même en novembre. Or, voici ce que j'ai vu moi-même récemment : à la fin d'octobre de l'année 1875, au soleil couchant, une troupe nombreuse tournoyait au-dessus de moi, en poussant ses cris de crécerelle qui précisé- ment me firent relever la tête, et s'éloignait au sud ; à l'inverse, le 18 août 1877, vingt jours après la disparition des indigènes du pays, deux martinets, évidemment des retardataires, passaient sur ma lôte à sept heures du matin, décrivant de gran- des orbes qui allèrent se perdre droit au nord. Plus encore, un grand vol, crécellant, prenait, le 20 septembre, la même direction. J'écrivis immé- diatement à mon correspondant d'Anvers pour lui communiquer ces observations et le prier de 116 LA MIGRATION DES OISEAUX. me dire comment se comportaient les martinets dans sa contrée et plus au nord, si possible. Il me répondit qu'il ne s'était jamais bien rendu compte des agissements de ces oiseaux ; mais que, dans sa localité, on en \oyait encore au 15 août généralement. Ce simple renseignement suf- fit à démontrer que ce n'est pas l'appréhension du froid qui les fait fuir de notre latitude, et qu'il est dès lors probable qu'ils vont d'abord à la re- cherche des générations d'insectes de leur choix, nécessairement plus tardives en avançant au nord, pour revenir ensuite au sud, leur vraie direction de migration. Le môme fait va se représenter à propos des hirondelles : il touche à une question plus générale qui a été soulevée souvent, à savoir si un certain nombre d'espèces ne suit point d'a- bord la maturité des graines, des fruits, ou l'ap- parition d'autres nourritures, en remontant au nord, pour redescendre ultérieurement. Nous au- rons occasion d'y revenir. La variété du martinet noir, le Martinet a ven- tre BLANC (Gyselius albiniis)^ plus forte de taille, au vol plus puissant et plus élevé encore, a besoin de la plaine campagne pour s'ébattre à l'aise; elle fuit nos villes et niche dans les rochers, et " peut-être dans les vieux arbres. Ses allures de migration sont encore plus obscures; mais il MIGRATEURS DU SUD. 117 est probable qu'elles sont les mômes que celles de leurs confrères. Toussenel rapporte que le naturaliste italien Spallanzani a calculé que les martinets faistiient quatre-vingts lieues à l'heure, ce qui fait un vol de quatre-vingt-neuf mètres à la seconde. En plein élan, ce n'est peut-être pas exagéré. On con- çoit alors la facilité de locomotion de ces êtres privilégiés et la difficulté d'observation de leur marche. En quelques heures, ils peuvent franchir toute la zone tempérée; en quelques autres, se transporter à l'Equateur et par de là, si bon leur semble, car l'espèce est répandue sur les deux hémisphères. Mais, néanmoins, cette vélocité hors ligne n'est pas suffisante pour admettre leur pas- sage direct des côtes de France ou d'Afrique sur le continent américain, où ils existent également, si ce n'est par la route plus courte de l'extrême nord ; car cette traversée exigerait un vol sou- tenu de soixante heures et de cette même vi- tesse; bien que nous sachions que ces oiseaux se sustentent, dorment, se livrent à tous les actes de la vie dans l'atmosphère, leur véritable séjour. Une troisième famille se rattache à ce premier groupe du genre Chélidon (dont la signification grecque est purement et simplement Hirondelle), 418 L.\ MIGRATION DES OISEAUX. c'est celle des Engoulevents (Caprimulgus eiiro- pœus). Or, ici, le larron a la main forcée par l'occasion. Guéneau de Montbelliard, le coUabo- Engoulevent. rateur de Buffon et un père de la science, dit : « Lorsqu'il s agit de nommer un animal^ ou, ce qui revient presque au même, de lui choisir un nom parmi tous les noms qui ont été donnés, il faut, ce me semble, préférer celui qui présente une idée plus juste de la nature, des propriétés, des habitudes de cet animal, et surtout rejeter im- pitoyablement ceux qui tendent à accréditer de fausses idées et à perpétuer des erreurs. Cest en MIGRATEURS DU SUD. 119 partant de ce principe que j'ai j^ejetë les noms de Telte-chèvre^ de Crapaud-volant.... donnés par le peuple ou par les savants, à f oiseau dont il s agit. Le premier de ces noms a rapport à une tradition y fort ancienne à la vérité, .mais encorde plus suspecte; car il est aussi difficile de suppo- ser à un oiseau V instinct de tèter une chèvre que de supposer à une chèvre la complaisance de se laisser tèter par un oiseau; et il n est pas moins difficile de comprendre comment, en la tétant réellement, il pourrait lui faire perdre son lait.... » — Et c'est précisément sur cette fable que la science a basé ce nom générique de Capri- mulcjus europœuSj littéralement tetteur de chèvre d'Europe. Passant sons silence le nom de Gijpse- lus (plâtreux), donné aux martinets noirs, et qui n'exprime rien, le larron dit carrément que c'est abuser du grec et du latin. \j' Engoulevent^ ainsi nommé habituellement par sa large gueule, niche en France. Son habitat est sur les coteaux pierreux exposés au soleil. On l'y rencontre fréquemment au mois de septembre, en chassant la perdrix ou le lièvre, étalé ou en- dormi aux chauds rayons du milieu du jour. Mais que nos confrères en saint Hubert l'épar- gnent : c'est un oiseau utile au premier chef, et ils seraient mal récompensés de leur exploit. Il 120 LA MIGRATION DES OISEAUX. m'est arrivé, dans une circonstance pareille, d'en tuer un, surpris que j'étais de ces deux grandes ailes et d'un vol insolite qui passait devant mes Hirondelles de fenêtre. yeux à l'improviste, et, sur la foi des anciens, de le joindre à un salmis de menus volatiles. Pouah! Je compris alors son surnom de cra- MIGRATEURS DU SUU. 125 paud-volant : il avait empesté tout le reste, qui fut bon pour les chats*. Myope de nature et n'y voyant qu'au demi-jour, il descend dans les plaines, au crépuscule et à l'aube, pour capturer les insectes, sa seule nour- riture. Quant à sa migration, il disparaît à la fin de septembre et nous revient aussi mystérieuse- ment en avril ou en mai. Passons aux vraies Hirondelles, qui so:it repré- sentées en Europe par quatre variétés : l'Hiuors- DELLE DE FENÊTRE, OU Cl cul-blauc (IHrundo urbica); niiRONDELi-E DE CHEMINÉE, Cl (jorgc vousse (IHnindo rusticci); I'IIirondelle de rocueiis (IHrundo mon- tanà); I'Hiro^delle de rivage (IHrundo riparia). Dès la seconde quinzaine d'août, les hirondelles de fenêtre commencent à se rassembler et à se concerter. Ce sont généralement les toits de nos grands édifices qui servent de points de réunion. Les assemblées deviennent de jour en jour plus nombreuses, au fur et à mesure que les dernières nichées prennent leur vol ; on presse celles en retard et qui deviennent alors l'objet de soins em- pressés pour hâter leur essor; jeunes et vieilles, ainsi que les voisines compatissantes,-s'en mêlent 1. Cependant une dame digne de foi, chasseresse et gastro- nome, m'alfirme qu'ailleurs, dans la forêt d'Orléans par exemple où il abonde, il est très-mangeable et même fort bon. 124 LA MIGRATION DES OISEAUX. et apportent la pâture. Les meetings s'animent de plus en plus : les oiseaux ont alors un pépie- ment spécial ; quleques-uns volent à Tentour, ou vont et viennent au loin. Puis un beau jour, aux environs du 20 septembre, un peu plus tôt, un peu plus tard, suivant la température et le temps de la saison, on n'en revoit plus. Une observation, ancienne pour moi, m'intri- guait fort. Lorsque nous chassons l'alouette au miroir, à la fin d'octobre, nous voyons passer journellement de grands vols épars d'hirondelles, tirant droit au sud, d'un vol égal et soutenu, en rasant les champs ; et je me demandais si les ha- bitantes du nord, plus aguerries, prolongeaient ainsi leur séjour. L'automne de 1877, très-varié de temps et de température, devait encore m'ap- porter, de môme que pour les martinets, un grand éclaircissement. En raison des conditions atmo- sphériques, pluvieuses et froides, de septembre, le départ avait été très-précoce dans ma localité. Le 17, alors qu'il n'en paraissait plus, depuis plu- sieurs jours, j'en revis quelques couples dans la journée volant rapidement au nord. Les jours sui- vants mêmes observations ; plus encore, des vo- lées entières; et ainsi de suite jusqu'à la fin du mois. De son côté, M. Pellicot nous dit qu'elles ne quittent la Provence qu'en octobre. Il n'y a donc MIGRATEURS DU SUD. 125 plus à hésiter : les hirondelles, elles aussi, re- montent au nord pour redescendre ensuite; du moins celles dites culs-blancs, de beaucoup les plus nombreuses et les mieux observées. V Hirondelle de cheminée annonce moins son Hirondelles de cheminée. départ par ses rassemblements ; elle nous quitte quelques jours avant sa sœur et nous revient plus tardivement. U Hirondelle grise de rochers n'est répandue en France que plus au sud, où elle habite les roches et les hautes falaises. Elle arrive vers le 10 mars et repart la dernière; un certain nombre demeure 126 LA MIGRATION DES OISEAUX. sédentaire môme dans les rochers bien exposés du littoral méditerranéen. V Hirondelle de rivage, la plus petite, niche dans Hirondelles de rivage. les trous qu'elle creuse elle-même dans les ber- ges. Il ne faut point la confondre avec l'oiseau d'assez grande taille que l'on nomme communé- ment Hwondelle de rivière, et qui n'est autre qu'un oiseau maritime, aux pattes demi-palmées et se nourrissant de poisson, égaré sur nos grands MIGRATEURS DU SUD. 127 cours d'eau. La véritable disparaît en même temps que celle de fenêtre et revient en avril : ce pour- rait être celle-ci qui, par quelques faits exception- nels, aurait donné lieu aux fables anciennes des pêcheurs. Les hirondelles sont d'excellents observateurs de la ligne isothermique, à leur retour du prin- temps. Ainsi, elles s'installent à Paris bien avant que dans des contrées plus méridionales où des conditions locales retardent la température prin- tanière, ainsi que j'ai eu l'occasion de le Yoir. Mais voici un fait plus caractéristique et qui prouve en même temps l'intelligence de ces oi- seaux. Au mois d'avril 1874, un manufacturier du Pas-de-Calais m'écrivait l'intéressante lettre qui suit : « Dans ma fabrique, il y a plusieurs centaines d'hirondelles qui vont, viennent, chantent, se po- sent sur les métiers, si prés des ouvriers que ceux-ci, s'ils le voulaient, pourraient les prendre à la main. Elles ont là leurs nids, elles y pondent, y élèvent leurs petits, à deux mètres de n'importe quel ouvrier. Et, chose étrange, on dirait que ces charmants oiseaux savent que les déjections de leurs oisillons pourraient gâter l'ouvrage; on ne voit jamais d'ordures sous leurs nids. Ils emportent 128 LA MIGRATION DES OISEAUX. tout. Ils rentrent, ils sortent des milliers de fois dans une journée peut-être, en ne passant jamais que par la porte. Ils ne veulent pas se servir des fenêtres ouvertes. A cinq heures et demie du ma- tin la cloche sonne pour la rentrée des ouvriers, on leur ouvre la porte, et elles s'en vont en pous- sant de petits cris. A sept heures et demie du soir, quand la cloche sonne la sortie, toutes nos hiron- delles rentrent au plus vite, de peur de coucher dehors, et je suis sûr qu'il en manque rarement à l'appel. « Mais ces doux messagers du printemps sont d'une férocité rare pour n'importe quel oiseau qui se permet d'entrer dans les ateliers. Seules les hirondelles qui y sont nées ont le droit de cité. S'il survient une hirondelle étrangère, un malheureux pierrot, etc., toute la hande pousse des cris furieux, au point de dominer le bruit des métiers, et, en deux ou trois minutes, l'intrus est entouré et tombe mourant à nos pieds. « D'autres savent peut-être comment dans une telle foule elles peuvent se reconnaître, mais ce qui étonnera surtout, c'est que, quand vous n'a- vez pas d'hirondelles à Paris, moi qui suis ici tout au nord de la France, à quelques lieues de la mer, dans un pays froid et humide, j'ai déjà les miennes. Peu nombreuses, il est vrai, ce sont MIGRATEURS DU SUD. 129 les fourricros, et dans le pays il n'y en aura pas peut-être avant trois semaines. « A leur arrivée elles se perchent sur les mé- tiers et entonnent un chant qui dure dix minutes au moins sans s'arrêter ; jamais leur voix n'est aussi vibrante, aussi forle qu'alors. Ce sont des roulements à n'en plus finir, elles semblent ex- primer le bonheur de nous revoir, et d'être enfin arrivées au but de leur lointain voyage. » Cette lettre exprime surtout à merveille le sen- timent d'affection, de respect, qu'on a dans le Nord pour les hirondelles. Il peut arriver que des amateurs, comme exercice de tir, en abattent quelques-unes; mais jamais pour en faire vic- tuaille ; on les regarde môme comme immangea- bles. 11 n'en est point de même dans le Midi : ont- elles acquis en route de plus grandes qualités gastronomiques? Je ne sais! Mais, profitant de leur habitude de se remiser le soir dans les joncs des marais ou du bord des fleuves, c'est par mil- liers qu'on les capture. On me dit même qu'on les réexporte par tonnes d'Italie dans le Nord. Ce fait, je l'avoue, serait bien capable de me ranger dans le camp des protecteurs à outrance de tous les oiselets. 130 LA MIGRATIO:^' DES OISEAUX. Logeons à la suite de ce groupe, pour n'y point revenir, deux oiseaux insectivores dont la classi- fication européenne est elle-même assez embar- rassée, car ils sont les seuls représentants de leur Le Coucou. genre dans notre zone tempérée : je veux parler du Coucou et de la Huppe. Le Coucou (ciiculus canorus) est en effet un oi- seau ambigu difficile à classer. Par le plumage zébré transversalement et par son vol, il ressem- MIGRATEURS DU SUD. 151 h\e à l'épervier ; par le bec et les pâlies au merle ou à la tourlerelle. Ses mœurs sont encore plus étranges : comme on sait, il ne fait point de nid et charge d'autres espèces du soin de couver, nour- rir et élever sa progéniture. C'est fort commode. Cette manière d'agir, ainsi que ses allures sau- vages, mystérieuses, l'ont fait accuser d'un grave méfait : celui de gober au préalable les œufs ou les petits auxquels il donne pour remplaçant son propre œuf. Il n'en est rien, et ce conte est venu SLins doule de ce que la femelle, pondant à l'é- cart, transporte dans sa gorge, suffisamment dé- veloppée à cet effet, son propre œuf pour le dépo- ser dans le nid qu'elle a choisi ; et pousse la prévoyance si loin que, comme elle ne s'adresse généralement qu'à de petites espèces, rouge-gorge, bergeronnette, etc., qui ne pourrait nourrir plu- sieurs de ses rejetons, elle n'en place qu'un seul par chaque nid, bien qu'elle en ponde cinq ou six. Mais ce rejeton, une fois éclos, rejette forcément au dehors par son volume les autres œufs ou les autres petits et reste communément seul : voilà où est le mal. Le coucou se nourrit particuliè- rement de chenilles poilues, et il a la faculté d'en dégorger les peaux, comme les rapaces. Il émigré fm août et commencement de septembre, fort sour- noisement; il revient en avril. 11 est aux premiers 132 LA MIGRATION DES OISEAUX. jours moins sauvage, erre dans les vignes, dans nos vergers : sa chair est à cet instant très-délicate. A quoi cela tient-il? — Je l'ignore. La Huppe (upupa), comme le coucou, tire son nom de son cri caractérisque : « Ihip-luip-hup ! ! ! , . . Hup-hup-hup I ! ! . . . » cadencé et souvent répété; et non pas de l'aigretle de plumes qu'elle porte sur la tête et dont le nom dérive lui-même de celui de l'oiseau. Son beau plumage, fauve rosé, en fait nn des plus remarquables volatils d'Europe. Il se nourrit à terre d'insectes mous et de molusques. Il est de passage dans notre zone en septembre ; mais il y niche aussi à son retour d'avril ; il n'est point rare en été aux environs de Paris. On a fait également porter sur lui les méfaits de ses enfants, à savoir, qu'il construit son nid avec de la fiante pour le sauvegarder. Ce sont ses petits qui, enfer- més dans le creux d'un arbre et ne pouvant rejeter leurs ordures, ont causé cette erreur ancienne. A l'automne, la Huppe est très-grasse et ne fait point mal à la broche. Avec la môme ponctualité que le martinet, la Cigogne blanche à ailes noires (ciconia alha) se met en route le 14 ou le 15 août, par grandes troupes confuses, à plus ou moins de hauteur, selon l'état hygrométrique de l'atmosphère, et dans la mati- MIGRATEURS DU SUD. 155 née comme le soir. Elle va droit au sud, craque- tant en chemin de son long bec ; c'est son langage La Huppe. de voyage. Mais son passage est moins subit et se prolonge un certain temps. Ses cantonnements 154 1 A MIGRATION DES OISEAIX. d'été s'éloiident jusque par delà la mer Baltique, partout où elle est assurée de trouver uue ample pàlure de serpents, de lé/anls et de batrneieus. Elle ne niehe en Franee que dans l'aneienne pro- La CiiTOcne vinee dAlsaee. Les eigognes migrent en Afrique où un grand nombre s'arrêtent en deçà de l'équa- teur; mais d'autres poursuivent et passent dans l'hémisplière austral, comme on l'a vu par l'exem- ple de la tléclie révélatrice, cité précédemment. Ici se pose une question au sujet de ces derniè- J fi ^^-" -v^^- ;^ /.! Grue. MIGRATEURS DU SUD. 157 res, comme à celui de tous les oiseaux soupçonnés ou convaincus de prendre le même itinéraire trans- équatorial. Elles retrouvent dans cette autre région le printemps et la saison des amours : y subissent- elles la loi commune du lieu et s'y livrent-elles à une nouvelle reproduction? — Notre vieux natu- raliste du seizième siècle, Belon, qui avait par- couru rOricnl, incline à le penser, et Adanson affirme avoir vu des cigognes nicher en Egypte pendant l'hiver. C'est là un intéressant problème sur lequel nous ne tarderons pas à revenir. La CIGOG^'E noire (Ciconia nigra) est plus rare et plus sauvage ; car loin d'habiter les villes et les demeures de l'homme, elle se retire au loin; elle a les mômes habitudes de migration et revient éga- lement en mars et en avril. La Gkue {Grus cinereà)^ le plus grand et le plus beau type de ces échassiers d'Europe, est beaucoup plus tardive dans sa migration et nous donne rarement occasion de la voir dans notre la- titude, attendu que sa station estivale est fort loin au nord et qu'elle migre la nuit, sans aucun doute par la peur de l'aigle, son ennemi acharné, et à grandes étapes, ne nous révélant son passage que par ses clameurs ou ses cris de ralliement. Elle adopte, elle aussi, l'ordre de vol triangulaire des grands palmipèdes. 138 LA MIGRATION DES OISEAUX. Le nom seul de cet oiseau a le don de me rap- peler un temps lointain, celui où à la rentrée du collège, saison froide et brumeuse précisément à laquelle la grue émigré, je commençais ou re- commençais l'explication de 17/i«f/e et somnolais, plus souvent que le bon Homère (qœciimque bonus dormitat Homerus^ réminiscence classique), sur le texte grec. J'ai tant répété ou entendu répéter ce passage de début du troisième chant qui nous intriguait fort, qu'il s'est incrusté dans ma mé- mémoire : « A peine les deux armées, leurs chefs à leur « tête, sont rangées en bataille ; les Troyens, tels « que des nuées d'oiseaux, s'avancent avec des cris « perçants : ainsi s'élèvcjusqu'au ciel la voixécla- « tante du peuple ailé des grues, lorsque, fuyant (( les frimas et les torrents célestes, elles traversent « à grands cris l'impétueuse mer, et, portant la « destruction et la mort à la race des pygmées, « livrent, en descendant des airs, un combat ter- « riblel » Charitablement, et pour nous mettre sur la voie, le professeur aurait pu nous donner la simple explication de Buffon, à savoir que les singes qui vivent en grandes troupes en Afrique et dans l'Inde et qui sont très-friands d'œufs d'oiseaux, font aux grues une guerre acharnée. On sait avec quelle •..•■;*W»w*«P MIGRATEURS DU SUD. 141 salisfaction un singe en captivité tord le cou à un perroquet qui lui tombe sous la main et le plume dextrement. Les grues, à leur arrivée, trouvent probablement ces ennemis rassemblés en grand nombre pour attaquer cette proie qui leur tombe du ciel. De là des combals terribles où les quadru- manes n'ont pas toujours le dessus, mais qui, vus de loin et avecl'imaginalion native des Orien- taux, ont pu paraître livrés par les grues à une race humaine de petite taille. Le grand Alexandre lui-même, avant ou après son entrée à Babylone, je ne sais, faillit se laisser prendre à une semblable illusion et allait envoyer sa phalange d'élite contre une armée de singes Pongos, lorsque le roi Taxile lui fit remarquer que cette multitude qu'on voyait sur les hauteurs n'était autre qu'une troupe d'a- nimaux inoffensifs attirés par la curiosité « mais, à la vérité...., ajoute Buffon ou un de ses conti- nuateurs, moins insensés, moins sanguinaires que les déprédateurs de l'Inde ! » Les grues partant tard, en octobre et novembre, remontent de bonne heure en mars. Je ne cite que pour mémoire un autre bel échas- sier, le Héhon indigène qui niche en Europe par grandes colonies ou Héronnières ; il n'est qu'er- ratique en hiver, cherchant un peu dans tous les recoins sa pâture journalière. 14i LA MIGRATION DES OISEAlX. Le Hi^rou. MU.RAÏEIUS DU SID. 145 Los BiTous (Ardca stcllaris), dogénércscouce des pvôcodeiils, sont un peu plus uiigratours ; oucoiv s'anvleut-ils à la limite dos froids susooptiblos do ooniiolor lo l>ord dos otauus. Lo lUitor. El j'arrivo. ou suivant fordro do dalo do la un- graliou. à la Caii.l-^ [Pcnlix cotuDii.r), oisoau dou- blomont inlérossaiit par toutos les questions qu'il lait naître et couinio gibier lin et délioai. Nous nous y arrêterons donc le temps nécessaire. La caille couiuionoo à quitter nos champs où elle a fait ses nichées, lorsqu'ils se dépouillent de leurs récolles vers le 15 août; mais comme ces mêmes récoltes s'échelonnent jusqu'aux dernières 144 LA MIGR\T10N DES OISEAUX. stations des cailles au nord, que les nichées plus lentes el plus tardives s'y prolongent, la migration se continue très-tard, jusqu'au milieu d'octobre, et môme il n'est point rare de rencontrer de ces oiseaux, empêchés ou trop jeunes, après le pre- mier novembre. Ils nous reviennent à partir du commencement de mai, lorsque les herbes des prairies sont assez hautes pour leur donner un abri ; tous les observateurs s'accordent à dire, en deux passages : le premier composé des mâles que, par les belles nuits des environs du 10 mai, on entend passer à leur cri répété : « Carcaia !!! car- caia!!!..., », cri de ralliement et d'indication des vols épars, dont les dégradations donnent la di- rection des oiseaux droit au nord en même temps que l'intensité de leur vol égal, soutenu et à lon- gue portée; le second passage, composé des femelles et qu'on ne peut guère constater que par l'observation sur le terrain, a lieu vers le 1"" juin. Elles ont pour la migration nocturne deux rai- sons : profiter de la température plus fraîche qui favorise leur vol; éviter la voracité des rapaces diurnes. Quant à celle des rapaces nocturnes elles y échappent par une élévation qu'on ne peut esti- mer à moins de deux cents mètres. Ainsi voilà un oiseau, au corps lourd, surtout en automne, lorsqu'il est surchargé d'embonpoint, 10 ?jigratei:rs du sud. 147 aux ailes courtes et arrondies, qui, lorsque nous le faisons lever en plein jour, ne nous paraît doué que d'un vol abaissé et à courte portée, et qui la nuit fait preuve d'une puissance de locomotion que nous n'aurions pu soupçonner. C'est qu'alors, — indépendamment de l'influence de la fraîcheur, tellement manifeste pour les chasseurs qu'ils ont coutume de dire, chaque fois que le temps est frais et \\î,que les cailles volent comme des hiroyi- délies, — elles n'ont plus, timides et sans défense, la crainte de leurs nombreux ennemis, crainte qu les porte de jour à surbaisser leur vol et à chercher au plus vite un abri sous tous les couverts à leur proximité. Nous pouvons en tirer cette conséquence immédiate que si la sécheresse a sévi dans une con- trée ou que toute autre cause ait dénudé les champs, on peut y pronostiquer par avance que le passage et le stationnement des cailles y serontpeu abondants ; elles vont plus loin, là où elles trouveront de meil- leures conditions de sécurité et de réfection. Elles nichent partout en Europe, avec une fé- condité considérable et à plusieurs reprises, depuis le littoral delà Méditerranée jusqu'au cercle po- laire, au dire de la généralité des naturalistes. Néanmoins, M. délia Faille assure qu'au nord de la Hollande elles deviennent déjà rares et que, dans la contrée d'Anvers, le passage est presque nul ; 148 LA MIGRATION DES OISEAUX. mais elles pullulent dans ce dernier lieu à un tel point, que dans son seul terrain de chasse, les gardes ont constaté, en une saison, douze cents nids détruits par la fauchaison des prairies artifi- cielles. A l'automne, les plus libres et les plus dispos de ces oiseaux prennent les devants ; les autres suivent selon l'âge et la force des jeunes. Un dernier passage a lieu vers la mi-octobre, com- posé en majeure partie des mères qui ont été re- tenues par les soins à donner à leurs derniers rejetons et par la nécessité de se ravitailler elles- mêmes. Toutes ont eu alors le temps de se mettre en bel état ; aussi cette passée est-elle dite des Cailles grasses. Suivant leurs conditions d'activité ou à leur convenance, elles commencent à s'ar- rêter dans les pays à température humide et tiède, le sud de l'Angleterre, la Bretagne, où quelques- unes hivernent, et le nombre de ces stationnaires précoces va en augmentant jusqu'au littoral. La masse passe en Afrique, et M. Pellicot, de Toulon, est d'avis qu'elles ménagent leurs forces en cal- culant leurs étapes de façon que la dernière aboutit juste au rivage. Il en donne pour preuve que, par les jours de bon passage, tandis qu'on les trouve en abondance sur la côte, on n'en ren- contre que fort peu dans l'intérieur des terres, à courte distance. MIGRATEURS DU SUD. 149 Ici se présente la grande question de la traver- sée de la Méditerranée qni étonne l'esprit, il est vrai, mais qu'il faut bien admettre, même pour des es- pèces plus chétives et plus faibles. La plus grande distance qui sépare le continent africain de l'Eu- rope,soit de Marseille à Alger, est d'environ 650 kilomètres. La caille n'a pas sans doute l'aile dé- gagée de beaucoup d'autres oiseaux, du ramier, par exemple, mais les mouvements en sont beau- coup plus rapides, à ce point qu'ils échappent à l'œil dans son vol de jour. En se basant sur l'opi- nion d'un vol de 80 lieues à l'heure pour le marti- net, de 60 pour l'hirondelle, et de 25 à 50 pour le pigeon voyageur, on peut sans exagération ad- mettre un vol de 16 lieues pour la caille. La tra- versée directe lui demanderait donc dix heures, c'est-à-dire l'espace d'une nuit; et M. Pellicot es- time que beaucoup exécutent ce trajet directement et d'une traite. Mais il ne faut pas oublier que les points intermédiaires ne leur manquent pas : c'est, à partir de l'ouest, le détroit de Gibraltar, large seulement de quinzs kilomètres; la ligne des îles Baléares qui coupe l'espace en diagonale et par le milieu ; la Corse et la Sardajgne qui se suivent, et, par leur droite direction, semblent une route toute tracée de l'un à l'autre continent ; la Sicile, dont la pointe occidentale est à peine J-;0 LA MIGRATION DES OISEAUX. éloignée de 150 kilomètres de la côte de Tunis; Malte, les îles de l'archipel, sans parler d'une multitude d'îles et d'îlots à leur disposition et dont elles profilent, à en juger par les captures formi- dables qu'on y fait aux époques des passages. Le merveilleux disparaît donc de ce grand parcours ; néanmoins, l'effort donné par l'oiseau n'est pas léger et ce n'est pas sans motif que la nature l'a pourvu, au départ, d'un supplément de graisse, véritable aliment de son foyer de locomotion for- cée, car, à son arrivée à la côte d'Afrique, on constate qu'il n'a plus le même embonpoint. D'autre part, de nombreuses vicissitudes peuvent l'atteindre dans le trajet, soit qu'il ait trop pré- sumé de ses forces, soit qu'il ait été surpris par une saute de vent défavorable ou par des bour- rasques, car un bon nombre, bon gré, mal gré, tombe à la mer. Ce fait est certifié par un exemple curieux que rapporte M. Pellicot, qui a fait une étude spéciale des mœurs et de la migration de la caille sur le littoral. Un matin de mai, à La Ciotat, il vit rentrer des bateaux de pêche qui avaient à bord une dizaine de petits requins : ceux-ci furent ouverts devant lui ; « il ny en avait aucun qui n'eût de huit à douze cailles dans le corps. » — Ces tribulations qui menacent les oiseaux migra- teurs, même sur terre, ne sont point rares. On m'a MIGRATEURS DU SUD. 15! parlé, il y a déjà longtemps, de bandes entières précipitées dans le Rhône par les gros temps et qu'on péchait le lendemain à la surface. A Genève, on m'a conté qu'un immense yoI de grives avait été jeté dans les rues mêmes, probablement par une de ces rafales verticales, communes dans les pays de montagnes; on en ramassait dans tous les coins et recoins, et les Genevois en firent bom- bance. Naturellement on a fait beaucoup de fables sur ce passage transméditerranéen des cailles, sans qu'aucune soit fondée sur une observation po- sitive. Une surtout a encore cours : c'est qu'elles auraient la faculté de se reposer sur la mer en prenant la précaution de tenir une aile élevée, soit en guise de voile, soit pour reprendre plus faci- lement leur vol. Ce qui y a donné lieu, c'est qu'on a pu voir des cailles tombées à la mer, se débat- tant et cherchant à se relever ; mais il leur faut, comme à bien d'aulrcs oiseaux, l'élan de leurs pattes pour prendre leur vol, et ici le point d'appui leur fait défaut. Notre observateur du Midi ajoute judicieusement que si elles avaient cette faculté, elles commenceraient par s'en servir pour se garer de ce terrible amateur de leur chair, paraît-il, le requin. Le fait certain, c'est qu'elles arrivent en Afrique. 152 LA MIGRATION DES OISEAUX. Un bon nombre hiverne en deçà du Sahara, car on les rencontre et on les chasse tout l'hiver en Algérie. Beaucoup d'autres franchissent le désert: ce fait est certifié par l'observation bien précise qu'elles sont en plein passage de retour, sur le littoral algérien, au mois de mars. Belon et le na- turaliste anglais Cotesby n'hésitent pas à faire pas- ser ces dernières, en tout ou partie, au delà de l'équaleur, dans l'autre hémisphère. La même question d'une reproduction nouvelle qui s'est po- sée d'elle-même pour les cigognes, se rencontre donc encore ici, et il faut s'y arrêter. La transmigration équatoriale est basée sur ce retour au printemps dans la région du littoral nord de l'Afrique, d'une part; de l'autre, sur la présence de l'espèce identique dans l'hémisphère austral. Étant donné le tempérament ardent, pas- sionné des cailles, ainsi que leur grande fécon- dité, l'hypothèse d'une seconde reproduction, dans des conditions favorables, devient assez natu- relle. Buffon, fort circonspect sur ces deux points, constate néanmoins qu'elles ont deux mues an- nuelles qui précèdent leurs départs : grave indice qu'elles partagent du reste avec d'autres espèces. Pour ma part, je serais porté à voir dans le fait de nouvelles amours, l'explication de la rage de migration, c'est le mot! qui saisit ces oiseaux, MIGRATEUUS DU SUD. 155 môme en captivité, aux époques déterminées. Tous les autres soni, il est vrai, inquiets, agités, aux mêmes instants; mais ceux-ci poussent la passion jusqu'à braver des chocs et des blessures répétés qui les assommeraient, comme chacun sait, dans leurs pointes ascenlionnelles nocturnes, si on n'avait la précaution de garnir de toile ou de filet le plafond de leur prison; et cela, quelles que soient la température et la provende dont on les entoure. Cette passion semblerait indiquer un mo- bile plus puissant, plus impérieux encore que le vivre. On objecte qu'il ne nous en revient pas de jeunes au printemps. Mais il est probable qu'il se- rait également difficile de constater une grande dif- férence de taille et d'âge parmi celles qui arrivent, à l'automne, en Afrique ; par la première raison qu'il est à présumer que ce sont les individus com- plètement adultes qui se livrent à ces grandes mi- grations; et par cette seconde, que tous ont alors accompli au moins une mue, ainsi qu'il vient d'être dit, et qu'il est peu aisé, à première vue, d'établir une distinction. Cependant, un de mes amis qui a longtemps habité l'Algérie, me dit avoir vu les arabes prendre des quantités déjeunes cailles, au retour de mars, en les acculant à l'extrémité des fossés et en les couvrant simplement de leur bur- nous. De son côté, M. dclla Faille, qui a habité, 154 LA MIGRATION DES OISEAUX. chassé et observé en Italie, m'écrit a quil est en mesure, d affirmer de \ïsn, quàV arrivée des cail- les sur le littoral de ce pays, il y en a d'ûcje diffé- rent, comme l'atteste leur plumage. » — Tels sont les renseignements que j'ai pu rassembler sur ce point de la transmigration équatoriale, d'un cer- tain intérêt en histoire naturelle, et qui ne pourra être précisé que par des observations à venir fai- tes sur les lieux mêmes et bien déterminées. Je m'étends longuement, et encore, pour être plus bref, avec beaucoup de sécheresse, sur le chapitre de la caille : c'est que c'est un sujet bien intéressant et qui nous permet d'étudier divers problèmes sur lesquels nous n'aurons plus à re- venir ; à ce point même que plusieurs considéra- lions sont encore nécessaires. En examinant la conformation du littoral nord du continent africain, il est naturel de penser, conformément à la théorie émise précédemment au sujet des bécasses, que les cailles se divisent pareillement, à leur retour, en quatre groupes, ou mieux, en quatre veines centrales, dont l'une part de là pointe du Maroc pour se répandre en Espagne et dans l'Europe occidentale ; la suivante, de la pointe de la Tunisie pour aborder en Italie et se disséminer dans l'Europe centrale ; la troi- sième, du promontoire du Benghazi dans la MIGRATEURS DU SUD. 155 régence de Tripoli pour se répandre, par l'île Crète, dans l'Archipel et le centre de la Russie ; la qua- trième, du delta du Nil, par le littoral de l'Asie et l'île de Chypre, gagne la Russie orientale et les parages des monts Oural. Ces groupes et leurs vols successifs infléchissent leur marche à l'Ouest ou à l'Est, selon la direction du vent régnant; selon Buffon, cette remarque a été faite depuis longtemps et d'une manière précise aux passages de l'île de Malte. D'une part , elle explique la variété des arrivages en telle ou telle contrée; de l'autre, elle est un nouvel exemple du mode de dispersion des oiseaux sur la surface du globe, indépendamment de leur sagacité à juger des contrées où ils trouveront les conditions d'exis- tence les plus favorables. Nous aurons à revenir sur ce fait dans une appréciation plus géné- rale. Cette théorie des groupes ou des veines, est particulièrement justifiée ici par le nombre consi- dérable des cailles qui abordent dans les îles et sur le littoral de l'Italie. On connaît, de longue date, les captures immenses qui s'y font chaque année. Au siècle dernier, on en prenait jusqu'à 100 000 en un jour à Nettuno, dans le royaume de Naples, sur une étendue de côte d'une lieue ou deux. L'évoque de Capri se faisait vingt-cinq mille 156 LA MIGRATION DES OISEAUX. livres de rente avec la location de la chasse dans son île, d'où lui venait le surnom d'ëvêque des cailles : et il faut dire, pour se rendre compte de l'importance des captures, que ces oiseaux [se vendaient alors, à Rome, environ huit francs de notre monnaie le cent. Cette industrie des cô- tes italiennes n'a fait qu'augmenter avec les fa- cilités de transport et la valeur croissante de ce gibier. Aujourd'hui on exporte dans toutes les directions et jusqu'au Nord des cailles vivantes en cage, par pleins wagons. Si bien que M. délia Faille terminait un des bulletins qu'il a l'obli- geance de m'envoyer, par cette plaisanterie : « On signale quelques rares cailles; mais un certain nombre nous sont déjà arrivées.... pai' le chemin de fer. » On se demande, après ces massacres ré- guliers du littoral, si les restrictions apportées dans l'intérieur des terres ont un grand sens et une grande efticacité; mais cette question revien- dra, plus complète et plus générale, à la suite de celte étude, dans le chapitre des conclusions. La caille est assurément un des oiseaux qui s'accomodent le mieux des progrès de notre agri- culture ; nos défrichements, nos terrains couverts de hautes récoltes régulières, le développement de nos cultures de céréales, lui offrent d'excel- lents abris où elle se complaît à merveille. Mais MIGRATEURS DU SUD. 157 il y a un revers de médaille : les prairies artiCi- ciellcs, source de richesse pour les agriculteurs, sont pour elle, comme pour beaucoup d'aulre gi- bier vivant sur le sol, une demeure traîtresse qui la séduit par ses fourrés, sa fraîcheur et les nom- breux insectes qu'elle y trouve à picorer; puis, comme le prouve l'exemple cité plus haut, vient la tonte précoce et les tontes successives qui dé- truisent le travail de la reproduction. Grâce à la prodigieuse fécondité de la caille, qui couve d'une fois quinze ou vingt œufs et recommence jusqu'à trois reprises; les mâles y mettent bon ordre en expulsant les petits dés qu'ils sont en état de se substenter; l'inconvénient est atténué, et on peut dire que la compensation s'établit. On s'est démandé, enfm, si cet oiseau suivait aussi les récoltes ;"c'est-à-dire les céréales en ma- turité, sa subsistance plus spéciale de l'automne. Dans les pays de montagnes, à moissons échelon- nées selon l'altitude, de la plaine aux derniers sommets, on admet généralement le fait, non par l'observation directe ; car les cailles sont complè- tement muettes alors dans leurs voyages noc- turnes et rien ne révèle leurs agissements ; mais par l'accumulation qui se produit sur les hauts plateaux et dont il a déjà été parlé, soit par la venue des cailles de la plaine, soit par le station- 158 LV JlIGRATIO^s DES OISEAUX. nement des émigranles du Nord. Quoiqu'il puisse être de ces stations, l'avant-garde des plus pres- sées poursuit son vol à l'époque déterminée et arrive, notamment en Italie, dés le commence- ment de la seconde quinzaine d'août. De tous les Gallinacés indigènes, la caille est à peu prés le seul migrateur, ou tout au moins le seul émigrant régulier; car il n'y en a qu'un autre qui suive son exemple et encore bien à l'aventure, sans périodicité, sans époques fixes : c'est la petite perdrix grise, la perdrix à pattes jaunes, autrement dit la Roquette .Quelques chas- seurs, fort compétents, nient son existence; bien certainement parce qu'ils n'ont jamais eu l'occa- sion de la rencontrer ; mais je puis leur assurer en diNOiv revu par -pieds et par corps ^ style cynégé- tique, vivantes et mortes. Dans le Jura" leurs passages, sans être fréquents, ne sont pas rares. C'est le plus communément en septembre qu'on les trouve, fort au hasard, par bandes de cin- quante, de cent, de deux cents : elles ont le pied léger, l'aile rapide, et font de longues remises. J'en ai même vu fort à farriére-saison, aux pre- mières giboulées neigeuses. Il est peu habituel qu'on les trouve deux jours de suite dans le même territoire et il est difficile de préciser leur direc- MIGRATEURS DU SUD. 159 tion : cependant il me semble qu'elles infléchissent à l'ouest. Le passage du printemps est bien dou- teux. Maintenant d'où nous viennent-elles, où vont- elles? — 11 ne m'a jamais été possible de trouver un seul renseignement à cet égard. J'estimerais que c'est un excès de population des steppes du Nord qui émigré on ne sait encore vers quelle contrée. Le terme générique de Gallinacés emprunté au nom latin du coq (Galhis), n'a pas grande signi- fication. Dans une classification rationnelle, le nom de coureur terrestre ou Dromipède, selon la dési- gnation proposée par Toussenel, par opposition à celui de coureur aquatique^ aurait plus de sens et tendrait à rapprocher ce groupe du suivant, les échassiers terrestres ^ dont les deux types euro- péens, la petite et la grande outarde, ont singu- lièrement d'affinité par leurs mœurs et leurs coutumes : aussi ne les séparerons-nous point. La Petite outarde ou Canepëtière (Otis tetrao), appelée Poule de Carthage en Afrique, a encore l'aile puissante des gallinacés, à l'inverse des cou- reurs de haut titre; tels que VAiitruche à' Afrique, le GasOar de l'Inde, etc., chez lesquels cet appa- reil du vol n'est plus qu'un appendice de propul- sion, ainsi que chez les ultra-nageurs, Pingouins 160 LA MIGRATION DES OISEAUX. et autres manchots. Fort craintives et pusillanimes, les Outardes aiment les grandes plaines, peu peu- plées, où elles pourront vivre en paix. Autrefois, en France, la Champagne pouilleuse était leur Outardes canepétières. terre de prédilection. Depuis cinquante ans, elles en avaient presque disparu, aujourd'hui elles ten- dent à y revenir. Un observateur local, M. Leroy, bien connu en aviculture, fait coincider ce retour avec la diminution corrélative des perdrix, qui probablement leur faisait concurrence pour le lo- gement et la nourriture. Un souvenir de jeunesse me prédispose fort à adopter cette opinion. A un MIGRATEURS DU SUD. 161 de mes premiers voyages à Paris, vers 1840, je traversais la Champagne en diligence : du haut dcV impériale, je vis de loin, dans un vaste guéret d'une propriété parliculière, emplanté de bocque- tcaux d'arbres verts, une quantité prodigieuse de points noirs, immobiles, par groupes de quinze à vingt, disséminés à vingt-cinq pas les uns des autres, environ. Fort intrigué, je regardais, je regardais, me doutant quelque peu de la vérité, mais ne pouvant en croire mes yeux. Arrivé juste en face, une première compagnie de perdreaux était au repos, à dix pas de la route, et ne se dé- rangea même pas au bruit du véhicule, tant sa sécurité habituelle était grande; et toutes ces ag- glomérations de points noirs étaient autant de compagnies. Il y en avait peut-être deux cents, ainsi réunies sur un même point et sur un espace tout au plus d'un quart de kilomètre carré, et c'é- taient de véritables perdrix sédentaires. Évidem- ment, il n'y avait plus de place pour des espèces analogues au milieu d'une semblable population. 11 est bon de dire, en passant, que ces dépeu- plements et ces repeuplements, par des causes qui nous échappent tout d'abord, et dont il est gran- dement de mode aujourd'hui, pour les premiers, d'accuser l'imprévoyance humaine, ne sont point rares dans le monde des oiseaux. J'ai trouvé, dans 11 l&l LA MIGRATION DES OISEAUX. une chronique de ma province, l'époque du siècle dernier où une colonie de coqs de bruyères vint s'implanter sur une montagne des hautes altitudes où, de mémoire d'homme, on n'en avait vu jus- que-là. 11 y a vingt ans, les gelinotes étaient plus que rares dans le département de la Haute-Saône ; aujourd hui il n'en est plus de même. — Eh ! mon Dieu, il en est bien un peu ainsi dans le monde végétal, base, après tout, du régne animal ! Par exemple, dans le haut Jura, on constate fréquem- ment que le hêtre succède au sapin dans les bois, à la grande inquiétude des populations qui ont urgemment besoin de ce dernier pour la construc- tion de leurs immenses chalets. De ce retour imprévu des canepétières dans nos grandes plaines, il résulte que nous sommes fixés maintenant sur leurs faits et gestes de migration. Elles nous arrivent en avril par bandes nombreu- ses, puis se divisent par couples pour la reproduc- tion. Dès la lin d'août, elles se réunissent de nou- veau et partent en octobre. On a été très incertain longtemps de leur point de station hivernale et on a prétendu qu'elles s'arrêtaient dans les plaines du Midi. Qu'il en soit ainsi pour quelques-unes, c'est possible ; mais leur présence en grand nom- bre en Afrique, o/< elles ne nichent point, est une indication; d'autre pari, mon correspondant du La graudc Outarde MIGRATEURS DU SUD. 105 Gers m'écrit qu'elles ne font qu'une très-courte apparition dans les plaines de la Garonne et qu'elles poursuivent leur vol par delà les Pyré- nées. Nul doute, donc, que les canepétières d'Eu- rope ne se rendent en Afrique. La Grande Outarde (Otis torda), le plus grand, le plus beau de nos gibiers ailés de plaine, l'analogue en quelque sorte du coq-d'Inde d'Amérique, est malheureusement de plus en plus rare chez nous, et on se demande s'il en niche encore en Champa- gne, comme autrefois. Néanmoins, il nous en vient chaque hiver soit du Nord, soit de l'Est, ainsi que d'aucuns disent. Il y a peu d'années qu'on annon- çait de Picardie qu'un heureux chasseur en avait tué une pesant dix-huit kilogrammes : beau gibier, en vérité ! — Et, naturellement, à un si bel animal, il faut une vie plantureuse et un domaine sulTisant où il régne en souverain. C'est sans doute la rai- son pour laquelle il a quitté nos plaines, doréna- vant livrées à une culture active et intensive. Comme la précédente espèce, il vit d'herbes, de gros insectes, de sauterelles; mais je doute que toutes deux ne soient point quelque peu grani- vores à la saison, et qu'elles ne suivent pas les mômes errements à la migration. La caille a pour compagnon de voyage le Ralk DE GENÊT [Gallinula crex), plus communément 166 LA MIGRATION DES OISEAUX. appelé par les chasseurs le Roi de caille, qui a le même habitat qu'elle dans nos champs, et dont la migration coïncide tellement avec la sienne qu'on prétend qu'ils traversent la Méditerranée de con- cert. Ce qu'il y a de bien positif, c'est qu'il migre en Afrique; et pour qui connaît cet oiseau, bon cou- reur, il est vrai, mais dont cette faculté semble être le véritable moyen de locomotion, tant il se décide à contre-cœur à se lever et tant son vol est alourdi par la forme allongée de son corps qui l'obh'ge à prendre une position verticale, le problème de la traversée est plus surprenant que pour la caille. 11 faut ou que la fraîcheur de la nuit lui apporte une vigueur toute spé- ciale, ou que, comme ses voisins des maré- cages, les râles d'eau, il ait la faculté de se mettre à la nage el de naviguer à petites étapes. Les observations et les indications manquent tota- lement à son sujet. Généralement, il niche plus au nord ; il est beaucoup moins prolifique et par con- séquent moins abondant. Son départ est aussi un peu plus tardif; il a lieu au commencement de septembre pour se prolonger jusqu'en octobre. Aux derniers jours d'août ou dès le I" septem- bre, en se promenant dans la campagne, au matin, MIGRATEURS DU SUD. \(\1 on entend retentir un pelit cri strident : « B'sie, B'sie! !!... » ; souvent si liaut, si haut, qu'on ne \'oit pas même l'oiseau : c'est le Becfigue ! Sur ce gai sujet àes charmants habitants de l'air, il m'est avis qu'il est bon de mêler parfois le plaij;^ Bocfifrues. snnt au sévère, et ici l'occasion se présente d'elle- même. La classification scientifique a jugé à propos de grouper une part des oiseaux que j'appellerais volontiers les petits bec-fins de la plaine, dont celui-ci est un type, sous le nom de genre Ax>thus. Curieux de m'instruire, je cherche dans le dic- tionnaire latin-français de MM. Noël et Chapsal, le dictionnaire de ma jeunesse, la signification 168 L\ MIGRATION DES OISEAUX. de ce mot, et je trouve la désopillante définition que voici : « Akthus (du grec ayithos, tïeur). Bréant, oiseau qui se nourrit des fleurs et qui contrefait le HENNISSEMENT DU CHEVAL. )) — Ah ! pour ccttc fois, me voilà bien renseigné. — Les naturalistes y ajou- tent, pour spécifier le becfigne, les surnoms de Pit-pit des buissons ou de Traine-buissons. Or il ne hante pas les buissons, se posant de prime-vol à la cime des arbres, ou à l'intérieur, dans le mi- lieu du jour, poiu^ se remiser, et il pâture à terre où il coure avec la prestesse de l'alouette. Cet au- tre nom de Pit pit ne peut être qu'imitalif du cri, et nous en verrons dans un instant l'origine pro- bable ; mais le becfique, en dehors de son ramage du printemps, n'a que deux cris d'appel très-nelle- ment caractérisés : « B^sie... B'sie! ! !.., », en vo- lant, et un petit «you... i/ou! !!... », lorsqu'il est posé. Je connais cet oiseau, et pour cause, depuis mon enfance; voici son portrait de mémoire et à grands traits : Taille de la bergeronnette, forme fine et élégante qui rappelle celle de la Grive avec laquelle il a d'aulres ressemblances, manteau olivâtre strié de noir, plasiron blanc grivelé de taches noires et citron à la gorge chez le maie, queue un peu four- chue, ongle du doigt postérieur long, à l'imita- tion de l'alouette. Il est insectivore au premier MIGRATEURS DU SUD. IGO chef, aimant spécialement les sauterelles à l'au- tomne; mais on doute qu'il picore les figues, et par ainsi que son nom vulgaire lui soit bien adapté. Je n'ai pas assez habité le Midi pour constater si cette dernière assertion est vraie : ce que je sais, c'est qu'il a une prédilection marquée pour les vignes et qu'il s'y remise de préférence à tout autre lieu ; plus encore, qu'il s'y engraisse au point de tripler de volume; double rapprochement qui lui a valu dans le Jura le surnom de demi- grive, et en Bourgogne celui de vinette. D'où je suis disposé à croire qu'il n'est pas indifférent au jus de la treille, perforant les grains du raisin de son bec effilé, comme le rouge-gorge, par exem- ple, ce qui l'amène à cet embonpoint qui en fait un fin petit gibier, à distancer la graisse factice de tous les ortolans du monde. De là à picorer les figues, il n'y a pas loin. Les becfigues sont complètement indigènes dans notre zone ; ils y nichent partout dans les lieux frais et élevés, à la lisière des bois et dans les prés boi- sés; mais dans le Nord, ils doivent être des plus abondants, car leur passage d'automne est consi- dérable. Ce passage commence, dès la fin de juil- let, par une première avant-garde plus ou moins nombreuse; mais il ne prend réellement son cours qu'au 1" septembre, va en augmentant jusqu'au 170 LA MIGRATION DES OISEAUX. 20, pour cesser à peu près le 25. Ces oiseaux pas- sent par grands vols très-épars, depuis le lever du soleil jusqu'à ce que la chaleur soit forte, et un peu le soir. Autre ressemblance avec l'alouette : ils viennent très-bien au miroir et, comme c'est un fin petit- pied, on en profite pour lui faire une chasse amu- sante. Dans mon enfance, c'était aux gluaux ten- dus sur des arbustes factices, plantés en plein champ, et au centre desquels nous placions le miroir : un petit sifflet spécial nous servait d'ap- peau; mais le talent est de savoir en bien jouer. Aujourd'hui on remplace les gluaux par le fusil chargé à quart de poudre; on choisit, en bon point de passage, un arbre isolé que l'on surmonte de quelques branches sèches, excellents perchoirs bien à découvert, et l'on dispose une cahute de feuillage à une douzaine de pas ; le reste va comme précédemment. C'est tout à fait la chasse au poste de Provence, et les habiles y tuent vingt-cinq, qua- rante, jusqu'à quatre-vingts becfigues en une ma- tinée, dans les bons jours. Avis aux amateurs: la plaine de Paris est un excellent lieu de passaie de cet oiseau, comme de beaucoup d'autres, et dans les environs ils pourraient se donner cette récréation. Après le 25 septembre, il ne passe plus que des becfigues isolés ou par couples. Ce sont ceux-là On choisit, en bon point de passage MIGRATEURS DU SUD. 175 qui s'attardent plus volontiers dans les vignes, alors qu'elles sont en maturité dans l'Est, et qui y aequièrent l'oliésité dont il a été parlé; malheu- reusement, ils sont rares et on n'en tue ou on n'en prend plus que par occasion. D'où je suis tenté de croire que c'est là une variété de l'espèce, de régime et d'habitude différents; mais sans aucune preuve à l'appui de mon dire, je l'avoue. Ajoutons, qu'ils migrent en Afrique, selon toute probabilité, et qu'ils nous reviennent en avril. J'ai bien envie, pour faire niche à messieurs les naluraUstes, de conserver à l'espèce qui suit le nom de Fifi, exacte reproduction de son cri de passage, et qu'on lui donne communément dans les départements de l'Est, où elle est très-abon- dante à l'automne. Les savants ont cru devoir la baptiser Pitpit-Faklouse : ce nom de Pitpit, qui a ici son origine, n'est nullement l'expression du cri qui vient d'être dit, et il a le tort de prêter à la confusion avec d'autres espèces. Quant au mot de Farlouse, pour cette fois, il n'est pas grec, il est anglais; et comme il n'a ni signification directe ni racines dans cette langue, il doit être purement imilatif. Connaissant parfaitement l'oiseau, je ne vois nullement à quoi cela peut se rapporter, et je suis obligé de supposer qu'il y a encore ici confu- 174 LA MIGRATION DES OISEAUX. sien avec un autre oiseau, V Alouette liilu, comme il sera rapporté plus loin. — Je prie le lecteur d'excuser ces diatribes contre la classification scientifique; mais c'est une revanche, car j'ai eu trop de peine, moi naturaliste des champs, à me reconnaître dans ce grimoire par trop fantaisiste; et, il est bien temps, aujourd'hui que les matériaux sont sinon complels, du moins suffisamment nom- breux, de procéder à une simplification et à une précision qui rendraient l'histoire naturelle des oiseaux plus intelligible pour les esprits : voilà le but de cette critique I Cela dit, la désignation de l'espèce dont il s'agit est facile : Oiseau d'une grande similitude déforme et de plumage avec le précédent, mais plus petit. Il niche plus au nord que notre région, passe en grand nombre à l'arriére-saison, avec les gelées blanches, par troupe à vol peu élevé, et faisant retentir perpétuellement son cri : a Fifi !!!... Fi- Fi'FiîlL... Il est complètement arvestre, c'est- à-dire qu'il vit constamment à terre et se perche rarement. Il en demeure toujours dans nos con- trées un certain nombre en hiver, qui se canton- nent le long des rivières et des ruisseaux, là où ils trouvent encore à pâturer. Peu frileux, comme on voit, et fort sobre, cet oiseau ne doit pas s'éloi- gner beaucoup au Midi, et il nous revient de bonne MIGRATEURS DU SUD. 175 heure. Comme l'alouette aussi, dont il est eou- lemporain de migration, il do)uie en passant au miroir. On en tue quelques-uns, par passe-temps ; mais son \ol à soubresauts, irrégulier, en rend le tir difficile, et cette proie, chétive et maigre, ne vaut pas le coup de fusil : mieux vaut la laisser à son rôle utile d insectivore. Cette famille comprend plusieurs autres variétés, moins communes et peu commodes à distinguer en pleins champs : le Pitpit ou le Fifi rousseline, le Pitpit ou le Fifi Packard (la Conjdolle des ultra savants), le Pilpit ou le Fifi spioncelle, etc. Comme bec fin des champs et par une certaine analogie d'habitat, de coulumes, de nourriture, même de cri avec le Fifi dont il vient d'être parlé, il faut placer à la suite une mignonne famille, celle des BERGERO?^NETTEs(i¥o^rtc^7/(^/), qui comprend deux espèces, la Bergeronnette proprement dite et la Lavandière, ainsi nommée de son amour pour les eaux vives. Toutes deux émigrent plus particuliè- rement après la saison des pluies de l'automne qui leur procure en plus grande abondance les vermisseaux et les insectes dont elles^se repais- sent. Ce sont, par leurs hautes jambes, la vélocité cl l'élégance de leur démarche toujours cadencée d'un hochement de queue qui souvent sert à les 176 LA MIGRATION DES OISEAUX. désigner, de véritables chevaliers en miniature. Les LAVANDiÈiiiis, qui se distinguent par leur beau poitrail jaune, nicbent un peu partout le long des cours d'eau petits et grands, leur domicile d'élection ; elles sont les plus précoces à la migra- lion, mais les moins abondantes. On les voit, de LJergoi'oniieltcs. temps à autre apparaître jusque sur les toitures de nos maisons, où elles viennent picorer les in- sectes qui cherchent là un dernier rayon de soleil et un abri sous les tuiles. Un certain nombre hiverne. Les BERGEuoNMiTTEs, à poilrail blanc, nichent plus au nord et nous arrivent en plus grand MIGRATEURS DU SUD. 177 nombre et par vols serrés, jusque dans le mois d'octobre, selon letat hygrométrique de l'atmo- sphère. Celles-ci s'arrêtent volontiers dans les prai- ries, au milieu des bestiaux, pour y piper les in- sectes que les animaux y attirent, et ces bonnes hôtes les laissent faire, sachant fort bien qu'elles leur rendent service, de là le nom de Bergeron- nettes. Elles suivent aussi, avec grande passion, le laboureur qui retourne son champ et met à découvert les larves qui s'y sont enfouies. Leurs points de station favoris sont les grandes plaines humides, et comme en chemin elles ac- quierrent un certain embonpoint, on leur fait dans le midi une chasse lucrative au filet-battant. On les vend à Paris, a pleins paniers, sous le nom pompeux de Becfigiies, bien que la saison de passage de ceux-ci soit depuis longtemps termi- née ; mais les marchands et le bonhomme public n'en savent pas plus long. Retour en avril. Avant d'arriver à la grande migration d'octobre, il faut élaguer quelques groupes, importants néanmoins, et plus ou moins migrateurs de sep- tembre. Le tableau bien rempli qui suivra en sera d'autant simplifié. d2 178 LA MIGRATIO:^ DES OISEAUX. Le premier, en ordre de date, est celui des Pigeons (CoJumha) ou des Colombins, comme dit Toussenel, qui veut, et avec raison, des noms har- moniques pour les oiseaux. Il se compose de trois espèces, les Tourterelles, les Ramiers^ les Bhets. Il y en a bien une quatrième, les Pigeons de ro- ches; mais je suis tenté de les regarder comme de simples rèfractaires des colombiers domes- tiques. La Tourterelle {Columba turtur), sur laquelle on a fait beaucop d'élégies et qui ne les mérite point tant pour l'innocence prétendue de ses mœurs, suit de près la caille, lorsqu'elle a bien picoré nos moissons et ce qu'il en reste aux pre- miers jours sur le sol; c'est-à-dire à la fin d'août et au commencement de septembre. Ses cousins les Bizets (Columba livia) et les Ramiers (Columba palumbus), sont rm peu moins pressés. Ils commencent par se rassembler, ce que ne fait point la première qui voyage par cou- ple ou par famille ; puis ils se mettent en route fin septembre et courant d'octobre, en troupes serrées, à peu de hauteur, mais d'un vol rapide et soutenu. Il paraît que la grande masse de ces deux espèces établit, pour l'Europe occidentale, son grand courant de migration par les gorges des Pyrénées, car l'on sait les chasses formidables MIGRATEURS DU SUD 179 qui s'y font de ces oiseaux de temps immémorial. J'en ai sous les yeux des descriptions fort intéres- santes ; mais elles seraient un peu longues et un peu trop spéciales à la contrée pour être rappor- Ramier. tées. J'aime à croire que ce gibier gagne beau- coup en qualité dans son voyage, car sous notre latitude, il est assez insignifiant. Les trois espèces migrent en Afrique, non sans laisser quelques représentants en chemin. Elles nous reviennent en avril et en mai. Ici encore doit se placer une nombreuse et fa- rouche tribu, les Rapaces diurnes et nocturnes^ J80 LA MIGRATION DES OISEAUX. qui ont un double rôle dans la migration, celui de participants et d'exploitants. Car il faut bien qu'ils cmigrent aussi, sous peine de périr de mi- sère lorsque leur provende habituelle a disparu, les oiseaux pour gagner le sud, les quadrupèdes rongeur et autres bestioles pour s'enfouir sous terre et se garer du froid. Mais ces rusées et mé- chantes bêtes, qui hélas! ne font qu'exécuter le décret de la souveraine nature, la sustention des êtres vivants les uns par les autres ; connais- sent parfaitement les époques des passages des oiseaux, plus encore, en excellents géographes, les points de stationnement des espèces qu'ils préfèrent. Le plus petit moule de la race et celui qui offre les représentants les plus hâtifs dans l'ordre de la migration, est la Pie-griéche {lanius, bou- cher; nom judicieux, pour cette fois) : genre ambigu, car s'il n'a point encore la serre puis- sante, son bec robuste, recourbé du bout, acéré, échancré, indique bien sa fonction de dépeçeur de chair et de buveur de sang. Très-amateur de gros insectes, guêpes, frelons, bourdons, mais très- avivore aussi, il comprend deux espèces, la Pie- grièche\)VO^Yemenid\{eei\i\Pie-grièche-écorcIieur. Nous sommes déjà en retard avec celle-ci, car dès la fm d'août et le commencement de sep- MIGRATEURS DU SUD. 181 tembre elle se met en route, par famille et d'une façon très-occulte, comme elle nous est venue au commencement de mai : pour ma part, je n'en ai jamais vu passer. L'Écorcheur habite la lisions Pie-j'Tièchc. des bois, les haies,, les buissons des terrains va- gues. C'est un bel et fier petit oiseau qui porte gravement sa moustache. Comme ses congénères, il a une passion pour les insectes hyménoptères, et lorsque son appétit en est rassasié, pour se dis- traire ou s'en faire un garde-manger, on ne sait, il les pique aux épines des buissons. On est fort surpris de rencontrer souvent ces insectes ainsi 82 LA MJGRATION DES OISEAUX. cmpallcs : c est l'Écorcheur qui a fait celle plai- santerie! Toussenel dit avoir \u en Algérie des Pie-i'-rièche écorchour. accacias épineux garnis de ces suppliciés. Sa pas- sion pour les jeunes oisillons n'est pas moindre, Ailles. MIGRATEURS DU SUD. 185 mais pour la satisfaire il pousse la ruse jusqu'à la fourberie : il contrefait la voix des pères et mères; les petits, attendant la becquée, poussent leurs pépiements et se décèlent. Plus tard il les pipe; c'est-à-dire qu'il imite le cri d'un oiseau pris au piège : Kic-Kle-Kic-Kie !!! : les oisil- lons attirés par la curiosité s'approchent et tom- bent sous sa griffe. Là encore le prend sa manie de pendaison, car il s'empresse d'accrocher les peaux aux épines, d'où son nom très-bien trouvé d'écorcheur et probablement aussi, son sobriquet jurassien de Panguillay^d. Autrefois, dans cette dernière contrée où il est abondant, on lui faisait la chasse au mois d'août. J'ai voulu tenter l'aven- ture, mais je ne m'y suis pas retrouvé : sa chair est moins qu'agréable. La PiE-GRiÈCHE-GiusE ct SCS variétés, la rousse^ la méridionale, etc., sont beaucoup plus rares, et je soupçonne la ^première surtout d'être beaucoup plus avivore qu'apivore. Toutes ne sont guère qu'erratiques et suivent la limite des grands froids; car on en voit à peu près tout l'hiver, iso- lément ou par couples. Le grand type et le plus haut titré des rapaces, l'AiGLE, est sédentaire. Mais comme il faut à ces grands voraces un terrain de chasse assez étendu, le père et la mère se hâtent d'expulser de leur 48G LA MIGRATlOiN DES OISEAUX. canton leur propre progéniture, dès qu'elle est d'âge à pourvoir à sa subsistance. C'est ainsi que chaque automne, on rencontre, même dans les plaines les plus éloignées de leur lieu d'habitat, Faucon. déjeunes aigles errants, à la recherche d'un nou- veau domicile. La nombreuse famille des Faucons (Falco), qui comprend trois groupes principaux, les Faucons proprement dits, les Épervlers et les Buses, est entièrement migratrice. MIGRATEURS DU SUD. 187 Les faucons et les éperviers connaissent par- faitement les bons lieux de passage : on peut s'en fier à eux. Dès la fin de septembre, ils vien- nent camper en ces points : on s'en aperçoit ai- Buses. sèment en les voyant tournoyer dans le ciel en nombre insolite, et on peut dire alors que la grande passe d'octobre approche. J'en ai chaque annnèe un exemple sous les yeux. Cette môme côte abrupte, où j'ai conté qu'on avait fait un si bel abatis de geais en 1872, et qui coupe trans- 188 LA MIGRATION DES OISEAUX. versalement la route des migrateurs du sud, est un de ces stationnements, a\ec bons motifs à l'appui. Les oiseaux de cette direction viennent, en effet, y buter, et trouvant là l'abri des grands bois, un sol humide et riche en insectes, une campagne voisine et plantureuse, ils s'y reposent ou escaladent lentement la pente : c'est une belle occasion pour les forbans, et ils ne la manquent point. Ce qui ne les empêche pas de piquer des pointes en plaine, pour varier leur ordinaire, re- gagnant chaque soir leur gite, gorgés de nourri- ture et volant lourdement. J'en vis un, un jour, retournant ainsi à son perchoir habituel : un oi- sillon le poursuivait avec acharnement, évidem- ment lui demandant compte du meurtre de son fils ou de son compagnon. La vilaine bote, sans se détourner, lui allongea un coup de bec, et le pauvre hère tomba à pic d'une centaine de pieds. Que les jeunes chasseurs ne se fassent donc point faute d'occire en toute occasion ces braconniers de l'air, dont nous avons intérêt à restreindre la race. Pour les y engager, je puis leur dire, après tout, qu'un salmis d'éperviers, gras à l'automne, en vaut un autre. J'en ai quelquefois régalé des délicats qui les prenaient pour d'excellents pigeons domestiques; à l'exemple d'un loustic de ma con- naissance, qui fit avaler à des amateurs un pâté MIGRATEURS DU SUD. 189 de corbeaux pour un fin pâté de bécasses, par quelques traîtres becs qui dépassaient le dôme. Hiboux. Les rapaces nocturnes, les Hiboux et les Chouettes (Strix), sont bien obligés aussi de suivre les 190 LA MIGRATION DES OISEAUX. mêmes errements. Une partie des choneties qui habitent nos fermes et nos édifices, et qui y trou- vent le couvert et le vivre — car la population de nos petits rongeurs n'a pas lieu de s'engourdir ou de s'enfouir — sont devenues sédentaires; mais les autres gagnent le sud. Les Moyens-Ducs^ nous dit-on, accompagnent les cailles dans leur traversée de, la Méditerranée; ils en sont bien capables, pour vivre à leurs dé- pens : il serait, en effet, illusoire de croire que ces nocturnes bêtes se contentent de rats et de souris, ils ne se privent point de menu gibier à plume et à poil ; comme le prouvent leurs re- paires ou les pelottes qu'ils dégorgent après la digestion, et tout aussi bien la fureur que leurs cris excitent en plein jour, même en imitation, dans le monde des oiseaux des bois. Certains ama- teurs ne font point fi de ce gibier, et au marché de Toulon on vend fort bien des ducs gras et plumés, de môme que poulardes du Mans ou de Bresse. Les Rapaces sont de méchantes bêtes, je n'en disconviens pas; mais que les humains ne les maudissent point trop, si ce n'est comme concur- rents ; car ils ont leur utilité. Us détruisent nom- bre de gros insectes, nombre de rongeurs, et plus, les reptiles venimeux, la vipère en tête. Voici MIGRATEURS DU SUD. 101 comment s'y prennent pour cette dernière les fau- cons et les éperviers : lorsqu'ils découvrent ces Choueltn. reptiles endormis au soleil, ils se laissent choir à proximité et d'un vigoureux coup d'aile étourdis- 192 LA MIGRATION DES OISEAUX. sent la bô(e, après quoi ils lui fendent le crâne, et emportent la proie. Voici, à leur tour, deux groupes d'une complète utilité, les Pics et les Mésanges, qui me fournis- sent un aphorisme sinon absolu, du moins d'une grande Yérité relative, à savoir : que la nature nous a révélé elle-même, dans le merveilleux équi- libre de ses lois, l'utilité approximative des oi- seaux par la qualité de leur chair. Elle nous dit, avec plus de certitude que Moïse dans son Deuté- ronome : « tu mangeras ceux-ci et tu épargneras ceux-là »; par un précepte bien simple, c'est que les uns sont excellents, gnstroniquement parlant, et les autres détestables. Application immédiate : les pics et les mésanges sont immangeables, donc ils sont utiles au premier chef. Et de fait, les Pics sont d'infatigables élimina- teurs des insectes qui rongent nos forêts dans leur fibres mômes ; sans cesse, ils cognent, ils sapent : Toc toc-toc î 11... ; jusqu'à ce qu'ils aient extirpé le ver rongeur. Comme chaque chose a son revers dans ce bas monde, les forestiers pourraient leur reprocher de faire leur part de mauvaise besogne; je connais une belle allée de foret, décorée du MIGRATEURS DU SUD. 105 nom pompeux d'avenue du Roi de Rome, dont les grands arbres de lisière sont perforés comme des écumoirs par ces intrépides charpentiers, pour y loger leur progénilure. C'est un bilan d'utilité et de déoâts à établir. Pic. Le Pic noir (Picus martius) est rare dans notre latitude ; il niclie plus au Nord et, dans sa migra- tion, va peu au loin. 11 en est de même du Grlmpe- REAUDE MUHAiLLE (Certhici muvaria) que nous aper- cevons quelques l'ois en octobre et en avril, ins- pectant les rochers et les vieilles murailles : oiseau solitaire, au plumage lugubre gris foncé 13 ^^tPs Pic noir. MIGRATEURS DU SUD. 195 OU noir cendré avec des gouteleltes de sang aux ailes, au voidepapillonnoclurne, quel'imagination Grimpereau de muraille. populaire a baptisé du nom d'oiseau de la mort. Le Pic-vERT (Picus viridis)^ le Pic épeiche [Picus major), rÉpEicHETiE (Picus minor), etc., sont indi- gènes dans notre zone et émigrent en partie seu- 19G LA MIGRATION DES OISEAUX. lemeiit. Je pourrais en dire plus long sur celte curieuse tribu ; mais je coupe au court, pour m'a- pesantir sur les espèces qui nous intéressent plus spécialement. Les Mésanges forment une petite nation assez nombreuse en espèces, et très-abondante en su- jets : mangeuses insatiables des insectes des ar- bres, autour de nous comme au fond des bois, tou- jours en mouvement, visitant, furetant partout, sous les feuilles, autour des branches; toutes mi- grateurs, parce que les insectes ailés ou complets sont une part de leur nourriture et que les larves ne leur suffiraient point. Bien qu'elles aient une certaine inclination pour les graines oléagineuses et pour quelques baies, celles du sureau, par exem- ple, comme aussi pour la viande fraîche et la cer- velle des petits oiseaux, les méchantes petites bètes ! la nature les a marqué d'un haut titre d'u- tilité par deux caractères : la coriacité de leur propre chair et leur prolification qui s'élève jus- qu'à dix-huit et vingt-cinq petits par nichée, et cela à plusieurs reprises dans la saison. Voyons les espèces les plus communes, La Charbonmère compte deux variétés, la grosse (Parus major, on se représenterait à ce nom un gros capitaine de cavalerie) et la petite (Parus mi- MIGRATEURS DU SUD. 197 no7'). Toutes deux sont d'excellents indicateurs du mauvais temps, et j'ai dans l'oreille, depuis mon enfance, leur satanée petite ritournelle de circonstance. Pas plus loin qu'un matin de celte Charbonnières. année, j'étais à travailler devant ma fenêtre, grande ouverte sur un ciel magnifique qui pro- mettait un beau temps et de longue durée : (( Titi-tu ! ! ! . . . TiH-tu ! ! ! . . , », se mit à siffler la grosse charbonnière, ma voisine. Je tressautai sur ma chaise î « Titi-tu !!!... Titi-tu!!!... » : et elle 198 LA MIGRATION DES OISEAUX. avait raison ; trente-six heures après, il pleuvait en déluge. — La petite a une variante qui imite fort bien la musique d'une lime sur une scie : « ZVflï ///... Z'mï ///... Z'raï!!!... » ; et ainsi de suite; d'où le nom de sarrayié, serrurier, fort bien trouvé, qu'on lui donne en Provence. L'une et l'autre nichent à peu près partout dans la zone tempérée ; mais il en vient considérable- ment du Nord, en septembre et octobre, par gran- des volées, surtout quand le gros temps menace ou que l'époque est tardive. Elles nous reviennent de bonne heure, fin mars. La mignonne Mésange bleue (Parus cœruleus) est très-commune; mais moins abondante aux passages que les précédentes. La Mésange a longue queue, en quelque pays Bé- nédictin^ ainsi nommée de son plumage noir et blanc, est plus sauvage et habite le fond des bois; mais très-prolifique, c'est par troupes nombreuses qu'elle passe, à en couvrir les arbres. Elle est un peu plus tardive au départ. Dans cette foule de migrateurs du Sud, il est difficile d'observer un ordre parfait , et j'élague, un peu pêle-mêle, les groupes secondaires, avant d'arriver à la grande migration d'octobre. Mais BIIGRATEURS DU SUD. 199 voici une petite tribu de migrateurs de septembre, et même des premiers jours , qu'il faut mettre à sa place, les Traqiiets (s<7j^/co/a), que l'on divise en deux espèce : les Traquets proprement dits et les Traquets-motteux . Le Traquet qui donne son nom, tiré de son cri. Mésanges bleues. au genre, et qui n'est point saxicola ou habitant des rocailles, du tout, se tient dans les buissons et surtout dans les vignes. Là, perché sur la cime des échalas, il se livre à une gymnastique conti- nuelle, faisant la cabriole, voletant de droite et de gauche pour picorer les insectes, sans cesser de faire retentir son petit cri comique : « Traque ! Traque ! ! !. . . Ouist - tra - ira !!!... Ouist- tra- ira lll... ». C'est un charmant petit oiseau, au 200 LA MIGRATION DES OISEAUX, plumage noir, blanc et fauve, rondelet, gai, alerte. Il émigré fort clandestinement, probablement par famille et nous revient de môme en avril. Comme je l'ai dit, et j'en demande pardon à MM. les savants, je me perds souvent dans leurs écrits relativement à nombre de petites espèces. 11 m'est arrivé, il y a peu d'années, de voir un fort passage, en octobre, d'un petit oiseau ayant de grands rapports avec le traquet, comme plumage, taille, bec et pattes noirs; un peu plus petit ce- pendant. Il se tenait dans les baies et les buis- sons, vif, alerte, toujours voletant de ci de là, en haut en bas, pour gober les insectes. Je l'avais peu vu, môme dans mon enfance où je faisais l'é- cole buissonnière plus souvent que depuis, j'i- gnore son nom ; mais il me fait bien l'effet d'un Traquet et la syllabe bien articulée de son cris : « Pif-pit ! ! ! . . . » ; lui mériterait, à juste titre, le surnom de Pit-pit des bâtissons; d'autant mieux que je soupçonne, à son bec effilé mais robuste, qu'il ne dédaigne pas les petits fruits rouges de l'aubépine et d'autres. Le Traquet motteux, le vrai saxicola., ressemble de fort loin au précédent; il est plus gros, plus allongé et assez muet. Son plumage est gris cen- dré sur le dos, blanc sous le ventre et au crou- MIGRATEURS DU SUD. 201 pion ; dernière particularité qui le fait appeler communément cul blanc de taupières. Il se tient constamment sur les rocailles des champs et des pâtures, sur les taupières et les mottes des la- bours, guettant, de ces éminences, les larves, les chenilles et les vers. Il devient fort gras à l'au- tomne, et c'est alors un excellent petit gibier. Il a plusieurs variétés moins communes, dont l'une est connue sous la dénomination de Tarier, qui lui est quelquefois appliquée à lui-môme. 11 passe en grand nombre en septembre, dans certaines localités de son choix; à mon estime sur les pla- teaux élevés et rocailleux; de buttes en buttes, de mottes en moites; ce qui ne l'empêche pas de traverser la mer, ainsi que l'autre traquet, car on les retrouve en Afrique, et comme le prouve l'exemple du garde du Sémaphore de Toulon, qui en prenait, au retour d'avril, six cents vingt-cinq en deux jours. En septembre, il y a de nombreux temps d'ar- rêt dans les passages; mais, dès qu'octobre ap- proche, comme la saison s'avance et que les fraî- ches matinées se font sentir, c'est un défilé per- pétuel, on pourrait dire de tous les jours et par tous les temps ; néanmoins, la loi du vent debout 202 LA MIGRATION DES OISEAUX. persiste, et nous en signalerons de remarqua- bles exemples. La nombreuse peuplade des petits habitants des champs ouvre la marche. Pour ma part, je ne fais point fi de ces petits oisillons; car ils sont très-instructifs sur le sujet qui nous occupe. En effet, ils passent en plein jour, on pourrait dire coram populo, à la portée de tout le monde, et aussi bien sur nos villes, si elles se trouvent dans leur itinéraire, qu'en pleine campagne, en tel nombre et si fréquemment, qu'ils sont faciles à obsrver. Il en résulte que souvent par eux nous pouvons conclure des agissements des espèces plus importantes, mais plus sauvages, dans leurs migrations soit diur- nes, soit nocturnes; puis, enfin, ils sont si plai- sants à voir, si gais, si alertes, que forcément ils nous intéressent. Lorsque le passage du becfigue commence à di- minuer sensiblement, c'est-à-dire vers le 25 sep- tembre, le PmsoN [Frïngillus) nous arrive. Tout le monde connaît ce charmant hôte de nos jardins, de nos bois, comme de nos champs; mais pullu- lant en telle abondance dans le Nord, qu'il nous vient à l'automne en quantité considérable: son langage d'amour est éclatant; c'est le clairon de la gent oviale ; ses allures et sa toilette ne man- quent point d'une certaine respectahilité, en môme MIGRATEURS DU SUD. 203 temps qu'il est d'humeur allègre , si bien que la sagesse des nations lui a consacré un dicton : gai comme pinson. Dès le début de septembre, les indigènes se sont Pinson. mis en préparatifs de voyage; ils vont, ils viennent et s'agitent : les jeunes pour achever leur déve- loppement et leur éducation; les vieux pour se mettre en bon point de migration. Ce sont les jeunes qui ouvrent le branle sous lai, donné à un autre groupe. Elle migre depuis la fin de septembre jusqu'à la fin d'octobre et revient de fort bonne heure, toujours chantant au passage ou en stationnement son gai petit re- frain : (( Lidi-luli !... fi- fi. . . fio-fio-fio !. . . » MIGRATEURS DU SUD. 257 Je termine cette longue, mais gaie série des mi- grateurs du sud, pour faire ombre ou repoussoir au tableau, comme disent les peintres, par l'oiseau des mauvais augures, le Corbeau, non qu'il soit aussi nmr de caractère que son plumage ou que le fait la chronique, car c'est un fort bon vivant en domesticité, pas difficile, s'apprivoisant et s'at- tachant facilement ; à l'occasion, buvant sec par- dessus le marché. On m'a conté que mon grand- père en possédait un qui connaissait fort bien le chemin de la cave, y débouchait prestement une bouteille à coup de bec, et, après boire, restait sur le carreau. En sa qualité d'omnivore, le cor- beau est utile comme éliminateur des gros insectes et particulièrement du ver blanc, l'antécesseur du hanneton; on lui reproche de se repaîlre des ca- davres de toute sorte ; en ceci, il remplit encore sa haute mission d'expurgateur des immondices de la surface de la terre. Son plus grand défaut est d'avoir un faible pour les œufs des nids et même pour les oisillons. En cela, il a tort; mais qui est parfait dans ce monde? On appelle communément corbeau tous les oi- 17 258 LA MIGRATION DES OISEAUX. seaux noirs de l'espèce; mais il faut distinguer. Nous avons en premier lieu : Le Grand Corbeau, le Corvus corax de la science. Remarquez que ces deux mots ont exactement la même signification , et que c'est absolument comme si on disait en latin et en grec, le Corbeaii- corbeau. Le dictionnaire de MM. Noël et Chapsal, plus jovial que je ne croyais dans ma jeunesse, nous apprend qu'on donnait ce nomde Corax aux prêtres de Mythra, dans l'ancienne mythologie; c'était probablement en raison de leur coutume de s'habiller de noir à l'instar de l'oiseau en ques- tion. Le Corvus corax, puisque telle est sa désigna- tion, est tout à fait sédentaire, vivant isolé, c'est-à- dire par couple, dans les rochers et au fond des bois. Nous avons ensuite les Corneilles noires et man- TELÉES (Corvus corone aiCorvus-cornix) , les Chou- cas [Corvus monedula) , qui vivent en colonies dans nos contrées et émigrent régulièrement en octobre et novembre ; ils vont probablement jusqu'en Afrique. Le Freux [Corvus frigileus) est originaire du Nord et se distingue par sa tête un peu chauve, C'est celui-ci que nous voyons arriver, en plein hiver, par bandes nombreuses qui couvrent quel- quefois un kilomètre carré de terrain. Plus aguerri ^IIGRATEURS DU SUD. 259 contre le froid, il ne va pas loin et généralement ne dépasse pas le littéral européen. Le' Freux. Là finira cette longue énumération des migra- teurs du Sud que nous avons écourtée autant que possible. CHAPITRE VI MIGRATEURS ACCIDENTELS Pour compléter cette étude des espèces, il faut encore y ajouter les principaux oiseaux qui se montrent moins régulièrement parmi nous, et le nombre en est grand ; il n'y a pas d'années où, dans toutes les contrées, on ne signale des spécimens rares ou totalement inconnus, en plus ou moins grande abondance. Nous avons déjà cité un cer- tain nombre de ces oiseaux qu'il était à propos de réunir à leur groupe naturel ; mais il en est d'autres intéressants qui se font voir soit périodi- quement, soit localement seulement, et dont les agissements appartiennent encore à l'histoire de la migration. Ils peuvent se diviser en trois caté- gories : les migrateurs en altitude ou les habitants des hautes montagnes que les grandes chutes de 262 LA MIGRATION DES OISEAUX, neiges et la rigueur du froid obligent à chercher un refuge dans les bas-fonds et qui généralement ne s'écartent pas au loin de leur pays d'élection ; les migrateurs à grandes intermittences que l'on voit par périodes indéterminées, souvent en très- grand nombre, probablement délogés de leur pays de séjour par la disette ou l'excès de popula- tion ; enfin, les migrateurs exotiques qui viennent visiter quelques-unes de nos contrées. Tous les animaux sauvages qui habitent les hautes régions, à peu d'exceptions prés, émigrent plus ou moins en hiver ; c'est-à-dire, descendent sur les versants ou dans les plaines environ- nantes ; par la souveraine raison qu'ils périraient de misère et de froid sur un sol recouvert d'un épais manteau de neige, à moins qu'ils n'aient la faculté accordée à quelques espèces de s'enfouir et de s'engourdir pour un laps de temps. Les oiseaux de ces régions, n'ayant pas cette latitude, sont bien obligés de suivre la loi commune ; mais comme ils sont par avance accoutumés à une température peu élevée, ils n'ont pas besoin de chercher au loin un climat plus clément et se contentent d'abaisser leur lieu d'habitation. La vaste chaîne des Alpes, comme d'autres, du reste, possède plusieurs espèces de ces migra- teurs. MIGRATEURS DU SUD. 265 Le Pinson des neiges ou Niverolle [Fringilla ni- valis) assez semblable au Pinson ordinaire, plus pâle de couleur et qui est assez commun dans la haute Provence; mais il ne s'avance pas même jusqu'au littoral. On le voit également, au com- mencement de l'hiver, dans le nord-est de la France venant de l'extrême nord. Le Gavoué et le Mytilène, deux espèces de Bruants rares et peu connus. Je ne sais s'il faut rattacher à l'une des deux I'Alpin, oiseau estimé à Légal de l'Ortolan dans la ville de Grenoble, mais qui est rare néanmoins et descend peu au-dessous de cette ville. Il m'était inconnu, n'ayant jamais eu occasion de passer dans Llsère à la saison favo- 264 LA MIGRATION DES OISEAUX. rable et, sur la foi de plusieurs naturalistes, j'étais porté à le considérer comme un Fringille, lorsque tout récemment, au 21 décembre dernier, un obligeant correspondant voulut bien m'en adres- ser deux spécimens qui m'ont permis de l'appré- cier au naturel et gaslronomiquement. En voici d'abord la description : taille plus forte et plus allongée que celle des Pinsons, longueur, de l'ex- trémité du bec à celle de la queue, 18 centimètres ; envergure, 55 centimètres; bec noir, conique et peu trapu, aplati latéralement et rentrant sur les bords pour laisser un interstice à la jointure; plu- mage gris cendré sur la tête, roux écaillé de brun sur le dos, ailes noires, longues et effilées avec une large tache blanche qui, dans le développement, couvre plus de la moitié de la surface ; gorge gris perle, poitrail et ventre d'un blanc peu vif qui se prolonge jusqu'au bout de la queue dont les pennes supérieures seules sont noires ; pattes de cette dernière couleur. Par ces deux caractères d'un corps allongé et surtout d'un bec aplati sur les côtés, il faut le ranger indubitablement dans le genre Bruant des naturalistes. Par les larges parties blanches de son plumage, il indique une tendance à l'albi- nisme, bien naturelle chez un habitant des alti- tutes neigeuses et quasi sibériennes. MIGRATEURS DU SUD. '265 Restait à savoir s'il méritait la haute réputation gastronomique dont il jouit à Grenoble*. Pour m'en assurer, je procédai, moi-même, de la môme manière que pour la Litorne dont j'ai parlé, et je dois avouer que les Grenoblois ont fort bon goût; c'est un tin et succulent petit gibier et, en somme, un fort bel oiseau. Il faut citer encore I'Accenteur des Alpes, qui se rapproche de la famille des Fauvettes, avec un bec plus fort, et qui apparaît également dans la haute Provence où, dans quelques localités, on lui donne aussi le nom d'Alpin. Tous ces petits migrateurs, sans compter ceux d'autres régions probablement, circonscrits dans un espace restreint, sont assez peu nombreux, et il suffit de les signaler comme exemple de migra- tion spéciale. La catégorie des migrateurs accidentels est un peu plus importante et offre, d'autre part, un certain intérêt, car on ne se rend pas toujours compte de leurs motifs d'évolution, faute d'ob- servations suffisantes sur les lieux d'origine ou assez suivies dans leur parcours. Elle compte notamment deux espèces qui nous arrivent par 266 LA MIGRATION DES OISEAUX. vols considérables, mais à des périodes souvent très-éloignées et toujours très-incertaines : Le beau Jaseur de Bohême, espèce de Gros-bec à bec court et trapu, gorge et moustache noires, huppe rele- vée, ailes noires marquées de taches jaunes. 11 Le Jaseur. niche dans l'extrême Nord et n'en descend que par les hivers les plus rigoureux pour venir jus- qu'en Alsace, son point d'arrêt. — Le Bec-croisé [Loxia curvirostra major) ^ autre bel oiseau plus gros que le précédent, à plumage très-variable de couleur selon l'âge et le sexe, et caractérisé par son bec en cisaille ; anomalie étrange qui a évi- MIGRATEURS DU SUD. 267 demment pour Jjut le déchiquetage des cônes des arbres résineux. Il niche dans le Nord, à partir de la latitude de la Belgique. Ses migrations sont des plus incertaines et de longues années se passent Becs-croisés. sans qu'on n'en aperçoive un seul. Puis il arrive, dés le début de l'automne, par vols ^nombreux, et pousse ses courses j usqu'au littoral méditerranéen ; mais il remonte de fort bonne heure, au mois de janvier. 'il38 1,.\ MIGRATION DES OISEAUX. Une troisième espèce, le Casse-koix (Nucifraga conjocatactes : je cite les noms scientifiques sou- vent à simple titre de curiosité et on avouer a que ce dernier surnom est assez peu harmonieux), est plus régulière dans ses migrations; mais cet oiseau Casse-noix. passe isolément ou par couple, et il est rare. Sa taille est un peu plus forte que celle du merle, son plumage fauve est marqué de blanc, et son bec, long et robuste, le fait ranger en histoire natu- relle après les Pies et les Geais, dans l'ordre des corvirostres. Enfin, de nombreux oiseaux exotiques des con- <^ïg Elamanl MIGRATEURS DU SUD. 271 trécs méridionales ; peut-être eux, à l'inverse, fuyant l'extrême chaleur ou, ce qui est plus dans Tordre des choses, allant à la recherche d'une plus abondante provende que celle de leur pays d'ori- gine qui devient rare, visitent annuellement nos côtes et s'avancent plus ou moins loin dans les terres. Tels sont : Le RoLLiER {Corraccias garrula), espèce de Geai, au plumage azuré du plus bel effet, originaire d'Afrique et un peu d'Espagne, qui vient quelque- fois dans le midi de la France, mais isolément et en S3 cachant dans le plus profond des bois, comme s'il se sentait dépaysé. Le Martin-Roselin (Turnus 7'oseiis), un étour- neau au plumage rose et noir : fort bel oiseau dont le pays d'origine est Irès-obscur. Il arrive aussi dans le Midi en automne ; mais plus fré- quemment il voyage, comme son confrère indi- gène, par grandes bandes, et est peu sauvage. Il reprend sa route au printemps. Le plus beau des visiteurs exotiques de notre littoral est, sans contredit, le Flammant (Phœni- copterus ruber), oiseau de l'Orient par excellence qui, néanmoins, pousse des promenades ou des reconnaissances jusque dans nos contrées occiden- tales, à peu près chaque année en hiver et au printemps, y faisant même un certain séjour. On 272 LA MIGRATION DES OISEAUX. en cite quelques-uns qui se sont avancés jusqu'à la Loire, jusqu'en Champagne, dévoyés de leur route par des vents contraires, disent les naturalistes. Pour ma part, je crois peu à ces déviations for- Spalule. cées; les oiseaux sont plus maîtres de leurs moyens d'aclion que cela; et je préférerais l'at- trait d'une nourriture nouvelle, la curiosité de voir, d'explorer d'autres contrées où, peut-être, MIGRATEURS DU SUD. 273 ils pourraient établir des colonies : car un fait à noter pour les Flamants, c'est qu'ils sont égale- ment indigènes dans l'Amérique méridionale et on se demande comment ils ont pu se disperser à si longue dislance. Il est peu probable qu'ils aient pris la route du Nord, en effet; mais ils ont le vol puissant, et leurs pattes palmées leur permettent de se mettre à la nage pour se reposer, puis de reprendre leur élan; et pour ceux-ci la grande traversée de l'Océan est moins incompréhensible. Quelques autres grands échassiers de rivage, les Spatules, plusieurs espèces d'Ibis, etc., vien- nent encore jusqu'à nous ; mais la longue énumé- ration que nous venons de parcourir suffit large- ment à donner une idée détaillée de la migration générale, et il est temps d'en déduire les conclu- sions qui peuvent être intéressantes ou utiles. 18 CHAPITRE VII CONCLUSIONS Tous les oiseaux, sauf un petit nombre de séden- taires, migrent chaque année, aux approches des frimas, les uns plus ou moins à Test ou à l'ouest, les autres directement des contrées du nord vers celles plus tempérées ou plus chaudes du sud : la nature, en leur en faisant une loi à là fois obli- gatoire et utile, leur en a donné les moyens de locomotion et de direction; et chaque espèce, selon ses besoins et son genre d'existence, a son mode de voyage, ses époques, ses parcours, aussi bien au départ de l'automne qu'au retour du prin- temps. Il n'y a plus d'hypothèses k faire sur ce sujet. Maintenant pour apprécier ce grand mouve- ment, bis-annuel qui transporte le monde des oi- rn) LA MIGRATION DES OISEAUX. seaux du cercle polaire vers Téquateur et récipro- quement, il suffit de jeter un coup d'œil sur une carte d'Europe ou mieux sur un globe terrestre, pour concevoir facilement : 1° que la conforma- tion des points de départ, les hautes chaînes de montagnes, telles que les Alpes, doivent détermi- ner des veines ou des courants plus abondants ici que là, selon l'ingénieuse conception de M. délia Faille de Leverghem; 2° que ces courants sont, d'une part, accélérés ou ralentis par les vents favorables ou défavorables, el, d'autre part, sou- vent déviés dans leur marche par les conditions météorologiques et topograpliiques perpétuelle- ment variables d'un lieu à un autre. Ces deux conditions sont la base de la dispersion infinie des oiseaux sur toute la surface de la terre, qu'a voulue la nature, et, en y ajoutant les conditions du sol, de la température, delà nourriture, qu'offrent les différents lieux, elles nous donnent une idée pré- cise de l'extrême variabilité que subissent les pas- sages dans une même contrée, d'uneannéeà l'autre, en môme temps que du peu de fixité souvent du nombre des sujets qui restent en un lieu pour la reproduction. Il en ressort un grand enseignement! Si, en effet, nous nous représentons la masse innom- brable des oiseaux qui peuplent l'Europe, de CONCLUSIONS. 277 l'Océan aux monts Ourals, et même par delà; car autant vaudrait dire l'hémisphère boréal ; et qui, deux fois l'an, vont et viennent du nord au midi, se dispersant sur toute l'étendue de ce vaste espace, partout où les conditions d'existence, pro- pres à chaque espèce, sont assurées, on compren- dra que, quelle que soit l'action de l'homme sur la nature, il n'en a pas autant qu'on serait tenté de le croire sur le monde des oiseaux. 11 peut, dans une certaine mesure modifier les choses qui sont à sa portée, sol, végétaux et animaux séden- taires; restreindre, annihiler môme certaines es- pèces de ces derniers; c'est ainsi qu'on nous dit qu'il a supprimé un jour le moineau franc dans un espace fermé de toute part, la Grande-Bretagne ; mais il ne supprimerait pas aussi facilement le Moineau friquet, son voisin en espèce, pas plus que la Caille, la Bécasse et tous les autres oiseaux migrateurs; par la bien simple raison que celte masse mobile échappe à son action, dans sa gé- néralité, par sa mobilité même. Il peut se faire qu'il détruise ou modifie les lieux de station, mais elle passe outre, car elle a l'espace pour domaine; et quant aux déprédations humaines, avec une certaine réserve et sans trop d'opti- misme pourtant, la féconde nature, qui les a pré- vues, sait les combler. 278 I.A MlGU.VnO>- DES OISEAUX. Ceci a spécialement pour but de rassurer les âmes inquiètes, Toussenel en tèlc, qui, par quel- ques méfaits exagérés de destruction, ou par les modifications locales, voient en perspective la pro- chaine disparition des oiseaux, du moins dans notre monde civilisé. Celte crainte, à mon estime, tient beaucoup à l'imagination : on a entendu par- ler, on a vu soi-même, à de lointains intervalles, des foules d'oiseaux de passage, et, comme il n'en est pas annuellement ainsi dans une même contrée, on en conclut trop vite que la race est en dégénérescence. Les récents exemples de for- midables migrations qui ont été cités, ainsi que la théorie sur la dissémination des volatiles, prou- vent que les mêmes faits d'exubérance ne discon- tinuent pas de se produire à leurs intervalles, et que, selon toutes probabilités, il en sera encore ainsi pendant longtemps; et on peut ajouter à l'apppui que cette crainte date de loin, sans que les oiseaux aient pour autant disparu. Les saly- riques latins, Lampride, Suétone, Martial, repro- chaient déjà aux Romains leurs goûls et leurs ap- pétits destructeurs : et ils n'avaient point tort, si on se rappelle les festins d'alors, où les mets re- cherchés étaient des langues de Flamants, des cervelles de Faisans, etc., etc. Nous n'en sommes point là, en fait d'exagération ou mieux de dé- CONCLUSIOiNS. 279 vergondage du goût ! — Au temps de Buffon, les mêmes plaintes étaient formulées et se motivaient parles deslructions qui se commettaient, et cela depuis un temps immémorial, comme elles se commettent encore aujourd'hui, sur le littoral de la Méditerranée. — Et néanmoins les oiseaux subsistent, probablement sans avoir beaucoup di- minué de nombre, si ce n'est localement par les nouvelles dispositions du sol. Mais cette question touche de trop près à celle, fort en vogue aujourd'hui, de Y utilité et delà pro- tection des oiseaux, pour que nous ne parlions pas de celle-ci comme conclusion finale. Dans l'espèce, comme disent les légistes, il faut considérer l'action de l'homme sous deux aspects : directement et indirectement. Indirectement, lorsqu'il dessèche un marais, il détruit par le fait un point de station ou un lieu d'habitat pour toutes les espèces qui y faisaient leur repos de migration ou qui s'y installaient pour la reproduction : il ne faut donc pas ^qu'il s'étonne de n'en plus revoir ou que fort peu, dans cette localité; ces oiseaux ont passé outre, comme il vient d'être dit, sans être annihilés pour autant. 280 LA MIGHATIO DES OISEAUX. Lorsqu'il défriche une iorêl, un espace buisson- neux, une haie; qu'il coupe un arbre là où il y en a peu ou pas, il supprime le logis, le domicile de tous les oiseaux qui s'y arrêtaient ou y demeu- raient. Plus, si on considère le développement de sa propre population, l'extension et la dispersion de ses habitations, il tombe sous le sens que l'es- pace et les ressources se limitent d'autant pour d'autres êtres : il est bien certain que lorsque la plaine de Paris, excellent point de passage, soit dit en passant, était déserte d'habitants humains, elle était mieux peuplée en animaux sauvages, et cela du petit au grand. — Eh ! bien, que là en- core on se console : la civilisation, qui multiplie l'action de l'homme, est plus qu'une compensa- tion, et, dans le même espace, la population des animaux domestiques, autrement et doublement utile, est aujourd'hui bien plus considérable. D'autre part, les oiseaux dont l'existence est com- patible avec la sienne, rassurés par des mœurs plus policées, reviennent d'eux-mêmes dans ses murs, dans ses jardins; témoins les ramiers, si sauvages de leur naturel, qui ont élu domicile aux Tuileries et au Luxembourg. A son tour, le progrès agricole multiplie les animaux domestiques ; puis, lorsque l'homme replante, lorsqu'il reboise, parce que cela lui est profitable, il reconstruit des abris, CO>'CLUSIONS, ^281 des demeures pour les oiseaux perclieurs. Grand nombre d'autres, qui vivent à terre, trouvent d'ex- cellentes conditions d'existence dans ses cultures de hautes tiges : malheureusement il en est une, la prairie artificielle, base d'utilité et de richesse pour lui, qui fait ombre au tableau. Mais, que tout en prélevant le tribu sur les espèces que lui accorde la nature, il respecte la reproduction, et le monde des oiseaux n'est pas près de finir. Voyons maintenant l'action directe ou la des- truction volontaire. Tous les êtres animés, même les plantes, sont soumis à la loi fatale de sustenter leur exis- tence les uns par les autres et de se limiter réci- proquement, mais non de se supprimer, afin que le domaine commun, la terre, ne devienne pas l'apanage d'une seule et unique espèce. La nature y a pourvu par l'extrême abondance des généra- tions, et elle seule les fait disparaître lorsque leur utilité générale a cessé. Les oiseaux, dans cet ordre de chose, limitent la plante, les insectes, les bestioles et autres ani- maux : à leur tour, morts ou vivants, ils servent 282 LA MIGRATION DES OISEAUX. de nourriture à (ouïes ces espèces, même aux leurs. L'homme, égoïste comme tous ses congénères en animalité, ne considère leur utilité que par rapport à lui. Celle des oiseaux est de trois sor- tes, avec une part de détriment : indirecte, directe et d'agrément. Examinons ces divers points ; ils doivent nous conduire à la conclusion ; autrement nous ne saurions où la chercher. Tous les oiseaux sont insectivores, depuis les grands rapaces qui ne dédaignent point de croquer les gros insectes, quand ce ne serait que pour se mettre en appétit (et nous avons dans l'espèce des premiers sujets, tels que la Bondrée apivore et les Pie-grièches) jusqu'aux plus petits des passereaux; mais à des degrés différents : les uns un peu, les autres beaucoup, d'autres complètement. Les Pics, les Hirondelles, sont dans ce dernier cas : les granivores et les baccivores le sont seulement la moitié ou les trois quarts de l'année, sous peine de mourir de faim. Les oiseaux, dans leur géné- ralité, sont donc particulièrement les éliminateurs de cette race. Les insectes sont nuisibles à l'homme de diver- CONCLUSIONS. ogr, ses manières : mais, jjoiir rester dans la simplicité de la question, ne parlons que des dégâts qu'ils causent à ses plantes, à leurs graines ou à leurs fruits. N'oublions point toutefois qu'ils ont aussi leur part d'utilité, quand ce ne serait que comme propagateurs de la fécondation. Une grande partie d'entre eux, des myriades de microscopiques et de minuscules, néfastes à l'éco- nomie végétale comme à l'économie animale, exemple, le terrible jjlujïloxera, échappe à l'at- teinte de Toiseau. D'autres sont à l'abri de la destruction par leur extrême fécondité et la préservation qui est accor- dée à leur descendance. Depuis que le monde est monde, les oiseaux n'ont jamais arrêté l'invasion des sauterelles dans le Sud, l'apparition périodi- que des plaies de hannetons dans le Nord, ni d'autres fléaux d'insectes. De même pour tous les autres, les oiseaux peu- vent bien éliminer, mais non annihiler ; autre- ment leur raison d'être cesserait le lendemain, et ils disparaîtraient eux-mêmes. Ainsi donc, à ce point de vue, ils nous don- nent un concours, non un remède^: telle est leur utilité indirecte. Et je suis singulièrement de l'avis de M. Pellicot, doublement autorisé dans la question comme observateur et comme agro- 284 MIGRATEURS ACCIDENTELS. nome, Président du Comice agricole de Toulon, lorsqu'il dit, dans son livre des Oiseaux migrateurs DE Provenge : « Plus f avance dans la vie et plus je demeure convaincu qu'en Vétat de la société., les oiseaux ne sauraient opposer une digue effi- cace à V envahissement des insectes nuisibles; il faut que V homme se défende lui-même ! » Il faut que l'homme avise lui-même : voilà le mot! et ne compte point trop sur le secours d'un auxiliaire bénévole et tout à fait fortuit, dans l'attente duquel s'endormirait son apathie. C'est comme s'il attendait un aide pour se débarrasser des puces, des punaises et autres vermines qui envahissent son domicile et sa propre personne, ou pour purger ses champs des herbes parasites. Éh bien! à tout prendre, la civilisation, le progrès agricole, sont encore leurs propres éliminateurs. De ces derniers temps, je vois les hirondellee de- venir rares dans les rues de Paris depuis l'établis- sement des égoûts souterrains ; elles y manquent d'insectes. Du jour où l'intérieur de l'Afrique se- rait cultivé, disparaîtrait le fléau des sauterelles ; la charrue, qui met à découvert des milliards d'œufs et de larves, fait plus de besogne que des légions d'oiseaux qui séjournaient des mois su-r le sol. Les enfants de nos écoles, embrigadés et en- couragés, détruiraient plus de hannetons que tous V ^ Poulailler roulant.. (Page "287.) CONCLUSIONS 287 les oiseaux du canton réunis : leur psssion pour ce coléoptère est une précieuse indication. Les oiseaux eux-mêmes nous en donnent une autre. Ils suivent en grand nombre nos labours ; c'est un des grands mérites qu'on leur fait. Mais nous avons sous la main, et à notre complet vou- loir, un oiseau aussi qui est glouton de toutes les vermines : c'est la Poule ! Utilisons-la, et selon l'utilitaire pensée d'un agriculteur méritant de ce siècle, M. Giot, faisons suivre toutes nos charrues de poulaillers roulants. Mettons la Poule partout, tant qu'elle n'est pas nuisible : c'est l'insecti- vorerie organisée, et la réalisation du rêve de Henri IV : la Poule an pot! L'oiseau, considéré comme insectivore, a sur- tout cette spécialité au printemps, alors qu'il nous revient maigre et affamé par le voyage, que les au- tres nourritures lui font défaut et qu'il va avoir à fournir à celle de toute sa progéniture. Par con- tre, à l'automne, son utilité est mitigée par un dé- triment à nos récoltes, quelquefois dans une pro- portion sensible. Exemple : l'étourneau dans les vignobles. Donc : Respect a l'oiseau au puintemi-s ! '288 LA MIGRATION DES OISEAUX. L'homme, comme tous les autres êtres vit de la plante et des animaux, même parfois de ses sem- blables, à l'origine des sociétés, lorsqu'il n'a ni l'agriculture, niTindustrie, qui multiplient ses res- sources alimentaires. Il mange quelques saute- relles dans le désert, faute de mieux : on a essayé, dans ces derniers temps, de lui faire manger les vers blancs du hanneton, l'ennemi fieffé de ses re- colles; mais cela n'a pas pris; et, par son peu de goût pour les mouches dans le potage, sa répu- gnance pour une foule d'autres, il doit être déclaré insectiphobe. Il n'en est pas de même à l'égard des oiseaux qui, par la délicatesse et l'esculence de leur chair, excitent au plus haut degré sa gour- mandise. C'est là leur utilité directe, un appoint Irês-apprécié de nourriture; et la nature ne pou- vait dire plus clairement que l'homme est à ses yeux un éliminateur delà gent aviale. Mais comme elle est la source de sagesse et le grand enseigne- ment, elle lui a indiqué en même temps ses res- trictions. Nous en avons vu un premier exemple dans ce fait approximatif jusqu'ici, que ceux qui lui sont indirectement le plus utiles, sont le moins agréables à son palais, et cela selon cei'taines nuan- CONCLUSIONS. 289 ces qui de\iendront des données positives lorsque la vie intime des oiseaux, pour ainsi dire, nous sera mieux connue. La nature va plus loin encore : ces auxiliaires utiles au premier chef dans le Nord, le devenant moins dans le Midi, y sont moins co- riaces et d'une assimilation meilleure. Puis, c'est à l'automne que ceux qui peuvent lui devenir nui- sibles ou inutiles sont dans tout leur embonpoint, dans toute leur qualité. Ces considérations et cette autre, d'une observa- tion constante, que les oiseaux migrateurs ayant à subir, dans leurs longues pérégrinations, des avaries de toutes sortes : fatigues, intempéries, abstinence, spoliations de leurs ennemis, mort naturelle; reviennent au printemps en nombre bien inférieur à celui du départ : nous en avons pour preuve manifeste les Martinets, oiseaux de grand et haut vol, des mieux organisés pour échap- per à tous les périls ; ils sont partis augmentés de tous leurs descendants de la saison, et, néanmoins au retour, l'espèce n'est pas plus abondante : cet ensemble de considérations, dis-je, m'a conduit à établir depuis longtemps ce calcul que je crois au-dessous de la vérité, à savoir qu'un oiseau que nous détruisons à l'automne représente à peine le tiers d'un de ceux qui nous reviennent au prin- temps; tandis que celui-ci représente une unité 19 290 LA MIGRATION DES OISEA entière» plus la part de reproduction à laquelle il va coopérer ; c'est-à-dire, en moyenne, plus de dix sujets. La nature pouvait-elle nous dire plus nette- ment : « Usez de l'oiseau a l'automne, respectez-le AU PRINTEMPS ! » Je demande mille excuses pour ce langage sec et positif; mais on a écrit et dit, on dit et on écrit encore tant de choses étranges, inconscientes, sur ce sujet, que je liens à être précis et bref. Les oiseaux peuplent et animent la nature. Ils nous charment et nous égayent par leurs grâces, la délicatesse de leurs formes et la vivacité de leurs allures, leur belle toilette et leurs coquette- ries, leurs chants et leurs caquetages. Pour en jouir de plus près et plus constamment, nous les rapprochons de nous, nous efforçant de leur faire oublier la captivité par des soins assidus, par tout ce que nous pensons devoir leur être agréable, sans aucune pensée d'utilité ou de profit. C'est encore au printemps qu'ils sont dans tout l'éclat de leur parure, qu'ils ont les plus doux chants; eux-mêmes, heureux de vivre dans toute la pléni- tude de leur existence, confiants dans l'intérêt CONCLUSIONS. 291 qu'ils sentent qu'ils nous inspirent, ils perdent leur sauvagerie et viennent dans nos murs, sous nos toits, dans nos jardins, à notre portée, abri- ter leurs nids. A l'automne, il n'en est plus ainsi: préoccupés seulement de leurs besoins matériels, comme de pauvres diables qui voient la misère venir, ils redeviennent farouches ; le charme est rompu ; et, par leur défiance, ils semblent nous inciter à les poursuivre. La convoitise ou, si l'on veut, l'intérêt direct aidant, l'agrément se trans- forme et devient la chasse, avec ses entraînements, ses plaisirs et ses salutaires exercices. Ainsi, par l'attrait, la nature nous dit encore et pour la troisième fois : « Respectez l'oiseau au prin- temps ET n'en usez qu'a l'arrière-saison ! » Telle est la loi I La réelle protection des oiseaux que nous avons à traduire, dans l'enseignement, dans la législation, par la suppression de toule destruction printanière. — Mais ne nous illu- sionnons pas encore : tant que cette maxime ne sera pas d'une application générale dans l'en- semble de notre continent, elle sera vaine pour les oiseaux migrateurs ! FIN. Hachette et C" Paria TABLE DES MATIÈRES Ch.vpitbe I«'. — Introduction. Historique — II. — Migration générale. Causes. Moyens. Con- ditions. Modes. Époques 13 — III. — Migrateurs du Sud-Est. Geai. Ortolan. Ros- signol 45 — IV. — Migrateurs du "Sud-Ouest. Bécassine. Bé- casse. Paludéens. Aquatiques. Palmi- pèdes 65 — V. — Migrateurs du Sud. Hirondelles. Cigognes. Cailles. Becfigues. Pigeons. Pics. Frin- gilles. [Bruants. Fauvettes. Grives. Alouettes. Corbeaux, etc 111 — VI. — Migrateurs accidentels. Exotiques. ... 261 — VII. — Conclusions. Marche générale. — Utilité et » protection des oiseaux 275 PARIS — TYPOGRAPHIE LAHURE Rue de Fleurus, 9 liai m»m lia ■'I ^'1 ,i \