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LA PAPAUTE

ET

LES ZOUAVES PONTIFICAUX

QUELQUES PAGES D'HISTOIRE

^ £PAR

C-E. ROULEAU,

CHEVALIER DE SAINT GREGOIRE-LE-GRAND ET DE PIE IX

QUÉBEC : Imprimé par la Cie de publication " Le Soleil "

1905 -

SA SAINTETÉ PIE IX

INTRODUCTION

Nous livrons ce travail au public avec le ferme espoir de faire connaître davantage la grandeur de la Papauté et la mission du Régiment des Zouaves Pontificaux.

C'est un rapide exposé historique, de 1860 à 1870, du corps militaire auquel nous avons eu l'honneur et le bonheur d'appartenir ; mais nous rappellerons auparavant les attaques sans cesse renouvelées de la Révolution contre le Saint-Siège, afin de faire ressor- tir avec plus de clarté la nécessité qu'il y avait pour le Pape de s'entourer d'une petite armée de coura- geux défenseurs.

Depuis 1848 jusqu'à la bataille de Mentana, le 3 novembre 1867, ou jusqu'au commencement de 1868, nous avons été forcé de consulter plusieurs historiens et de leur faire des emprunts pour donner un aperçu aussi fidèle que possible de cette période de neuf ans, tour à tour douloureuse et glorieuse

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pour la Papauté. A partir de cette célèbre bataille, nous entrons pour ainsi dire sur un domaine que nous avons parcouru nous-même en tous sens. C'est donc comme témoin ou comme acteur que nous exposerons les principaux événements qui ont eu lieu dans les Etats de l'Eglise, pendant nos deux années et trois mois de service dans le Régiment des Zouaves Pontificaux.

Nous avons l'intime conviction que notre popula- tion, si franchement catholique, accueillera favora- blement ces quelques pages d'histoire de la Papauté et de nos croisés modernes.

LA REVOLUTION A L'ŒUVRE

En 1848, la Révolution qui menaçait déjà de saper l'ordre social par sa base, se déchaîne sur Rome. Le 15 novembre, le comte de Rossi, le vail- lant soutien de la Papauté et premier ministre du gouvernement papal, tombe sous le poignard des adeptes du carbonarisme société secrète italienne. Le lendemain, une foule furieuse, inspirée par Maz- zini, assiège le palais du Quirinal, Pie IX s'était réfugié pour échapper au glaive des assassins. L'o- rage grandit ; on essaie d'incendier le Quirinal. Les balles pleuvent ; l'une d'elles tombe dans la chambre le Pape priait pour ses bourreaux, et blesse mortellement Sa Grandeur Mgr Palma. Le Souverain-Pontife se croit à sa dernière heure, lors- qu'une femme courageuse, la comtesse de Spaur, forme avec son mari, le duc d'Harcourt, le projet de sauver le roi de Rome. L'héroïne met son projet à

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exécution et le 24 au soir, Pie IX, déguisé, monte dans le carosse de M. d'Harcourt, qui le transporte à^Gaète, dans le royaume de Naples, il est reçu à bras ouverts par le roi Ferdinand II.

Dans son exil, le Saint-Père ne cesse de protester contre les spoliations de la révolution. Il lance l'ex- communication contre les membres de la Jeune Italie et contre les révolutionnaires, qui saccageaient Rome, pillaient les églises et chassaient les religieux de leurs monastères. L'iniquité s'était débordée sur la Ville Sainte, comme un torrent dévastateur. Mazzini poussa même l'impiété et le cynisme jus- qu'à parodier le Pape en montant dans la loge de la basilique Saint- Pierre, le Pontife romain donne la bénédiction urbi et orbi.

L'Europe s'émeut enfin de tant d'audace et de sacrilèges. L'Espagne offre de délivrer Rome du joug des vandales de 1848. L'Autriche occupe Fer- rare, dans le Piémont. Les Napolitains passent la frontière et pénètrent même jusqu'à Velletri, à dix lieues de Rome. Mazzini, le chef des révolution- naires, veut tenir tête à l'Europe. Tout à coup, la France se réveille ; elle prend les devants et débar- que des troupes à Civita-Vecchia, le 25 avril 1849. Napoléon III occupe militairement un point en Italie, " afin de garantir l'intégrité du Piémont et

de sauvegarder les intérêts de la France " ; mais les catholiques de la fille aînée de l'Eglise demandaient au président de la république de rétablir le Pape sur son trône et de continuer à le protéger contre les révolutionnaires. Le général Oudinot reçut alors l'ordre de marcher sur Rome, il arriva le 30 avril. L'armée française ayant subi un échec, le général demanda des renforts, qui n'arrivèrent qu'au mois de juin. Le 22 du même mois, l'armée française donne un premier assaut. Le 29, le général Oudinot s'empare de l'ancienne ville des Césars, et le colonel Niel est chargé de porter les clefs de Rome à Pie IX, qui se trouvait alors à Portici.

Le Souverain-Pontife, ivre de joie, reprend, quel- ques mois plus tard, le chemin de Rome, dans laquelle il fait son entrée triomphale le 12 avril 1850. Son retour fut salué par des salves d'artillerie, par le son de toutes les cloches de la ville et par les cris de " Vive Pie IX ! Vive notre Saint-Père ! " Le peuple romain était au comble du bonheur.

Les révolutionnaires ayant été chassés de Rome, l'Eglise continua de gouverner le monde catholique avec sa sollicitude ordinaire et de répandre partout les bienfaits de son ardente charité.

L'occupation de Rome par- l'armée française pro- cura à la Papauté une ère apparente de paix et de

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tranquillité, qui dura jusqu'en 1859, alors que Victor- Emmanuel annexa les Romagnes au Piémont, tout en protestant de sa fidélité et de son dévouement au Saint-Siège. L'hypocrite ! il se conduit comme un enfant qui, pour prouver son amour et son affection à Fauteur de ses jours, lui enlève une partie de ses biens. La France, gouvernée alors par Napoléon III, laisse commettre ce vol sans faire entendre aucune protestation. " Depuis longtemps, dit un écrivain français, l'Etat Pontifical n'était plus organisé de manière à faire la guerre. Paternel et pacifique par sa nature, ce gouvernement n'avait pu suivre le développement de la centralisation et des armées per- manentes, qui livraient désormais l'Europe aux con- voitises de quelques grandes puissances, employant les ressources de la science et de la richesse moder- nes à accroître leur empire aux dépens de leurs voi- sins. Du moment que la révolution universelle était libre de diriger contre Rome toutes les forces de l'Italie et qu'elle agissait avec la complicité ou du moins avec l'assentiment de la France, la résistance pouvait paraître insensée.

" Aussi, en même temps que les Autrichiens s'étaient, concentrés sur le Mincio, les délégats du Saint-Siège s'étaient-ils empressés d'évacuer les Ro- magnes. Avant même qu'un danger sérieux les eût

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menacés, ils abandonnèrent Bologne, Ravennes, Ferrare et jusqu'à Pérouse à une poignée d'émeu- tiers et de soldats déguisés, envoyés parle Piémont."

" Dans un moment de péril semblable, saint Pie V n'avait pas craint de confier des pouvoirs illimités au général Marc- Antoine Colonna, qu'il mit à la tête de ses armées et qui remporta sur les Turcs la victoire décisive de Lépante. Pie IX suivit cet exemple. Résolu à ne pas céder sans combat la couronne qu'il avait juré de transmettre à ses successeurs, abandonné des grandes puissances, ne pouvant faire appel qu'au dévouement individuel de ses enfants, il lui fallait avant tout un chef capable de porter un tel fardeau et d'organiser la résistance avec les faibles ressources que présentait l'Etat pontifical, et avec les éléments quelque peu désordonnés qui viendraient s'offrir des quatre coins du monde. Il choisit pour cette mission le généralde La Moricière."

" Mais accepterait-il ? Général illustre entre tous de la plus brave armée du monde, consentirait-il à devenir soldat du Pape, chef d'une armée qui n'exis- tait pas et qui pouvait être condamnée aux plus humi- liantes défaites ? Ministre de Cavaignac, n'ayant qu'à" demi ratifié l'expédition de 1849, dont il avait ensuite refusé le commandement, imbu par Tocque- ville de toutes les illusions libérales de l'Europe,

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irait-il soutenir un pouvoir qu'on représentait comme un reste de l'ancien régime, tout hérissé d'abus et d'imperfections, et qui était le type de l'union par- faite de l'Eglise et de l'Etat. N'y avait-il pas là, au point de vue de sa gloire, un sacrifice au-dessus de ses forces, au point de vue de ses idées un obstacle infranchissable ? "

Il fallait donc connaître les sentiments du général La Moricière. Pie IX chargea de cette mission déli- cate M. de Corcelles, ambassadeur français à Rome en 1849, et ami dévoué de la Papauté. Le messager papal rencontra le général à Paris, au mois d'octo- bre 1859, et lui demanda, dans le cours de la con- versation, ce qu'il pensait du commandement de l'armée du Pape. " Je pense, répondit-il, que c'est une cause pour laquelle je serais heureux de mourir." ,

Cette noble réponse fut aussitôt communiquée au Souverain Pontife, dont le cœur fut rempli de joie à la pensée d'avoir bientôt à la tête de sa petite troupe le plus grand guerrier des temps modernes. Mgr de Mérode, ancien capitaine belge qui avait servi dans l' état-major de LaMoricière en Afrique, reçut instruction d'aller demander immédiatement et offi- ciellement, le secours de l'épée du nouveau Bayard français ; il arriva, le 3 mars 1860, au château de Prouzel, il s'acquitta de la mission qu'il avait

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reçue de Pie IX. Le général répondit à l'envoyé du Pape : " Quand un père appelle son fils pour le défendre, il n'y a qu'une chose à faire, y aller." Mme LaMoricière, femme chrétienne et courageuse, répon- dit aussi à Mgr de Mérode : " On ne discute pas l'appel d'un père."

Le général LaMoricière fit ses préparatifs de voya- ge à la hâte et partit, le 19 mars, pour la ville des Papes, il arriva dans la nuit du 1er au 2 avril. Sa Sainteté Pie IX pressa sur son cœur le comman- dant en chef de l'armée papale et le fondateur du Régiment des Zouaves Pontificaux.

LE GENERAL LA M0R1CIERE

LE GENERAL LAMORICIERE

Avant d'aller plus loin, il importe de faire con- naître le père ou le créateur d'un corps militaire qui a joué un si grand rôle dans l'histoire de la Papauté ou de l'Eglise catholique pendant une période de dix années. Nous allons donc vous présenter . immédia- tement une courte biographie du général LaMori- cière.

Louis-Christophe-Léon de La Moricière descendait d'une ancienne et noble famille, qui avait pris pour devise : " Spes mea Deus. Mon espoir, c'est Dieu." Il naquit à Nantes, le 5 février 1805. Son grand-père servit d'abord dans les mousquetaires du roi, et après la mort de Louis XVI, il rejoignit l'armée de Condé avec ses deux fils. Il y mourut, ainsi que son fils aîné ; et son second fils, nommé Sylvestre, âgé à peine de seize ans, émigrait en Angleterre. A son retour en France, Sylvestre de La Moricière, s'enrôla dans l'armée du général de Charette, l'illustre chef monar-

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chiste de la Vendée, et, la révolution terminée, il épousa Mlle de Robineau de Bougon, dont la famille avait embrassé les principes de 89, mais qui sut cependant conserver la foi religieuse et sauver un grand nombre de prêtres pendant le règne de la Terreur. C'est de ce mariage que naquit Léon, qui fut plus tard le général La Moricière.

Léon de La Moricière perdit son père en 1821, alors qu'il n'avait que 15 ans. Doué d'un amour passionné pour l'étude, d'une intelligence supérieure et d'un courage chevaleresque, il sut vaincre toutes les difficultés qui se présentaient sur son chemin et se fraya, «en peu d'années, une brillante carrière mili- taire. Après avoir fait ses études classiques à Nantes, il entra à l'Ecole Polytechnique, puis il passa à l'école d'artillerie de Metz, pour aller de à Mont- pellier comme sous-lieutenant du génie.

La France' ayant déclaré la guerre à l'Algérie, le général de Clermont-Tonnerre chargea le comte de Bourmont du commandement du corps d'armée expéditionnaire. La Moricière faisait partie de cette expédition comme officier du génie. Le 4 juillet 1830, l'armée française, comprenant 40.000 hommes commençait le siège d'Alger. Cette ville capitula après dix heures de combat, et La Moricière fut

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choisi pour arborer le drapeau blanc de la France sur la capitale de l'Algérie.

Pendant que l'armée française remportait une si grande victoire en Afrique, Charles X était chassé de son trône et remplacé par Louis-Philippe, duc d'Or- léans.

Ce changement d'allégeance força le général de Bourmont à donner sa démission ; plusieurs officiers imitèrent son exemple et brisèrent leur épée pour rester fidèles au roi exilé et à la monarchie légitime. La Moricière resta au service de la France.

Le général Clausel, le successeur de M. de Bour- mont, arriva à Alger le 2 septembre. Son premier soin, d'après les conseils du jeune La Moricière, fut de créer un corps de troupes composé d'indigènes et de Français, et qui prit le nom de Zouaves. Le mot zouave est emprunté de la tribu qui a fourni d'abord le plus grand nombre de soldats à ce régiment. La Moricière fut nommé capitaine de cette troupe d'élite ; il avait alors 24 ans.

Voici ce que Mgr Dupanloup dit du régiment des Zouaves :

" Les Zouaves, c'est La Moricière qui les forma.

Placé à leur tête au moment même de leur création,

c'est lui qui contribua plus que tout autre à leur

donner l'esprit militaire qui les distingua, à les faire 2

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ce qu'ils sont ; et il les fit, pour ainsi dire, à son image, du moins en ce qu'ils ont de chevaleresque et de français."

C'est avec cette troupe que La Moricière remporta de si brillantes victoires en Algérie contre le célèbre émir Abd-el-Kader, qui prétendait descendre de Fatma, fille oie Mahomet, et qui avait su conquérir l'estime et la vénération des musulmans par son prestige, ses aptitudes militaires et sa vie d'austérité exemplaire.

La Moricière se distingua à la prise de Mascara, il reçut le brevet de lieutenant-colonel.

Le 13 octobre 1837, Constantine, capitale de la province d'Oran, tomba au pouvoir des Français ; mais ce fut encore La Moricière qui se signala le plus par sa bravoure, en cette journée mémorable. La forteresse, construite sur des rochers élevés et escar- pés, semblait inaccessible et imprenable. Arrivés à 300 pieds environ des remparts, les Français s'arrê- tent et hésitent. Aussitôt La Moricière de s'écrier : " Mes zouaves, à vous ! Debout ! au trot, marche !" Et, au milieu d'une fusillade des plus terribles, il s'élance, monte sur le rempart et arbore le drapeau français. Une explosion se fait entendre ; c'est le magasin de poudre qui vient de sauter. La Mori- cière est enseveli sous les décombres ; les zouaves le

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retirent ; il a les yeux, le visage et les mains brûlés; il se croyait aveugle. Ses soldats entourent sa tente et déposent sur son lit le drapeau rouge à l'épée flamboyante pris sur la citadelle. Le duc de Nemours lui envoie le brevet de colonel et un superbe pisto- let d'honneur. On lui décerne le glorieux titre de Vainqueur de Comtantine.

Une fois rétabli, La Moricière se mit à faire la chasse à Abd-el-Kader partout l'illustre chef des Arabes portait ses pas. Il rejoignit sa tribu ou sa smala près des sources de Tagguin, et, aidé du duc d'Aumale, il tua 300 guerriers arabes et en fit 3000 prisonniers. Abd-el-Kader s'enfuit au Maroc. Le duc d'Aumale et La Moricière, en récompense de leurs services signalés, sont nommés généraux de division, et le général en chef Bugeaud est promu au grade de maréchal.

Le duc d'Aumale, devenu gouverneur général de l'Algérie, continua la chasse à Abd-el-Kader, qui avait reparu aux environs de Mascara ; mais pour- suivi vigoureusement par le général La Moricière, Abd-el-Kader prend la résolution de se réfugier au Sahara, lorsqu'il est cerné par les troupes de La Moricière. Obligé de se rendre, l'émir ne consent à remettre son épée qu'entre les mains du héros de Constantine. La capture du chef arabe eut lieu le

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23 septembre 1847. Ce fut le dernier acte de la car- rière militaire du général La Moricière en Afrique.

La Moricière fut ensuite, successivement, ministre de la guerre, sous Cavaignac, et ambassadeur en Russie. Dans la nuit du 2 décembre 1850, La Mori- cière, qui portait ombrage à Napoléon III à cause de ses principes politiques et de son prestige, fut arrêté à Paris, jeté en prison à Ham et exilé ensuite à Bruxelles, il demeura pendant dix ans. .C'est au retour de son exil qu'il fut choisi par Pie IX pour être le commandant en chef de l'armée papale.

Le général La Moricière avait épousé, le 27 avril 1847, Mlle Gaillard de Ferré d' Auberville. Elle était la petite-fille de la marquise de Montagu et par se rattachait à la maison de Noailles qui, dans la journée du 22 juillet 1794, vit périr sur l'échafaud la duchesse de Noailles, sa fille la duchesse d'Ayen, et sa pètite-fille la vicomtesse de Noailles.

Mme La Moricière est morte à Paris, au mois de mai dernier, à l'âge de 79 ans.

Pie IX avait fait Mme La Moricienne patricienne romaine.

CASTELFIDARDO-LAMORICIERE DE CHARETTEDE LES FRANCO-BELCES

En 1859, Victor-Emmanuel avait enlevé les Ro- magnes aux Etats de l'Eglise ; mais la révolution n'était pas encore satisfaite l'enfer n'est jamais ras- sasié. La Révolution pousse le roi larron plus loin dans la voie de l'iniquité ; elle veut les Marches et l'Ombrie. Victor-Emmanuel se rend à son désir ; il écrit au Saint-Père de céder au Piémont ses deux plus belles provinces, et cela, pour le plus grand bien de l'Eglise !

Le fourbe ! il va même jusqu'à protester de son attachement à l'Eglise et à demander au Pape la bénédiction apostolique.

Quelques jours plus tard, en septembre 1860, sans aucune déclaration de guerre, l'armée piémontaise, sous le commandement de Cialdini, envahit le terri-

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toire de l'Eglise. Voici l'ordre du jour que le géné- ral Piémontais adressa à ses troupes avant de fran- chir la frontière :

" Soldats, je vous conduis contre une bande d'a- venturiers que la soif de l'or et du pillage a amenés dans votre pays. Combattez, dispersez inexorable- ment ces misérables sicaires ; que, par votre main, ils sentent la force et la colère d'un peuple qui veut son indépendance. Soldats ! Pêrouse demande ven- geance, et bien qu'il soit tard, elle l'aura !"

Cialdini, ton nom figurera toujours dans l'his- toire impartiale, non couvert de gloire et d'honneur, mais de honte et d'opprobre.

C'est un échantillon des invectives et des infa- mies dont les défenseurs du Pape ont été l'objet de la part des coryphées de la révolution ou des prin- cipaux dignitaires des loges maçonniques.

Le général La Moricière qui, comme nous l'avons déjà dit, venait d'organiser la petite armée pontificale, avec le concours de Mgr de Mérode, s'empressa de voler au-devant des Piémontais qu'il rencontra près de Castelfidardo, le 18 septembre.

Le célèbre général français fut rejoint par le géné- ral de Pimodan à la tête de 2000 soldats ; ce qui porta l'effectif de l'armée du Pape à 5000 hommes. Cialdini commandait 45,000 guerriers. Malgré cette

énorme différence dans la force numérique des deux armées, La Moricière n'hésita pas cependant à faire face à l'envahisseur. La petite division commandée par M. de Pimodan, et dans laquelle figurait avec honneur le corps des 300 franco-belges qui devint plus tard le régiment des Zouaves Pontificaux, fit des prodiges de valeur. Pendant trois heures, cette poignée de braves tint en échec toute une division piêmontaise, en se barricadant dans la ferme Cro- cette, qu'ils avaient enlevée à l'ennemi à la pointe de la baïonnette. Ces vaillants défenseurs de la Papauté s'étaient confessés et avaient reçu la sainte commu- nion avant le combat ; ils possédaient Dieu dans leur cœur ; le champ de bataille fut couvert de leur sang généreux et pur. Parmi ces illustres martyrs de la foi, nous trouvons le général de Pimodan et cent à cent cinquante franco-belges. Avant le com- bat, le valeureux capitaine français s'était contenté de dire aux zouaves : " Souvenez-vous que vous êtes catholiques et Français." Il reçut trois blessures coup sur coup, et à chaque balle qui lui entrait dans le corps, il répétait : "Dieu est avec nous." Il mou- rut le lendemain.

En apprenant le glorieux trépas de son mari, Madame de Pimodan, qui était restée en France, prit son fils unique dans ses bras et le couvrit de baisers

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en lui disant : " Toi aussi, tu seras soldat du Pape." Il n'y a que l'amour chrétien qui puisse allier ainsi la sublimité à l'héroïsme.

Ecrasée par le nombre et amoindrie par la défec- tion de deux bataillons des chasseurs et du premier escadron des Dragons qui furent pris de panique, malgré les efforts des colonels Allet et. Cropt et du major Odescalchi, la petite armée pontificale dut battre en retraite. Quatre cents hommes environ, conduits par La Moricière, se replièrent sur Ancône. Les Franco -Belges et le reste de la troupe papale se réfugièrent à Lorette, ils durent déposer les armes, le soir même, après avoir pris l'engagement de ne pas servir dans l'armée du Pape pendant un an et de retourner dans leur pays. Les Franco-Belges refu- sèrent de souscrire à cet engagement et s'enfuirent dans les montagnes ; plusieurs d'entre eux purent atteindre Ancône à la faveur des ténèbres.

Castelfidardo ! si tu nous remets à la mémoire de bien tristes souvenirs, tu nous rappelles en même temps le nom d'un grand capitaine, qui a étonné ses chefs par ses valeureux exploits, et frappé d'admira- tion l'armée de Cialdini. Ce capitaine, tout le monde le connaît, c'est le baron de Charette, que nous avons été si heureux de recevoir dans nos murs lors de la célébration de notre fête nationale en 1882.

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Pendant que les balles pleuvent et que les obus sillonnent l'air en tous sens et sèment la terreur et la mort sur le champ de bataille, le capitaine de Charette, du corps de Franco-Belges, encourage ses soldats de la parole et de l'exemple. Son épée ne cesse de frapper, et tous les coups qu'elle porte sont mortels.

Au lieu de reculer devant le nombre, il s'avance ; il s'avance toujours, jusqu'à ce qu'il soit sur le front de bandière de l'armée ennemie. Là, il s'arrête, il promène un regard de défi et de dédain sur ses adversaires, il les invite, il les provoque à se mesurer avec lui : mais personne ne bouge. Il brandit son épée avec colère et traite les Piémontais de lâches et de poltrons. Cette dernière apostrophe produit son effet. Un officier piémontais, ayant nom Tromboni, sort des rangs et accepte le combat. Les deux armées s'arrêtent un moment pour contempler les deux athlètes.

Les épées se croisent, et deux fois Tromboni est touché et puis blessé grièvement. De Charette ne reçoit aucune blessure. " Capitaine, s'écrie le vaincu, je vous rends mon épée."

Il est mon prisonnier, dit de Charette à ses zouaves, ayez-en bien soin.

Les Franco-Belges ou les zouaves, ivres de joie, acclament leur capitaine et le portent en triomphe.

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Les Piémontais courbent la tête cte honte et de dépit. Cialdini écume de rage.

Le combat reprend plus acharné et plus meurtrier. Malgré ses prouesses, le corps des Franco-Belges est presque anéanti, et de Charette reçoit deux balles dans le corps. C'était la fin de cette sanglante tra- gédie.

Le baron de Charette venait de se montrer ce qu'il a toujours été : un héros sans peur et sans reproche ; mais ce n'est pas la dernière fois qu'il sera donné à l'armée pontificale d'admirer sa bravoure et ses glorieux exploits. Voilà comment se bat le soldat qui aime son Dieu et le Pape.

Ancône, défendue par 5.200 soldats pontificaux environ et assiégée par 45.000 hommes, 400 bouches à feu et une flotte armée de canons rayés, capitula le 28 septembre, après un siège de dix jours et des assauts meurtriers sans cesse renouvelés. Ce fut avec la plus cruelle douleur que le général La Moricière donna l'ordre d'arborer le drapeau blanc sur la cita- delle ; on peut en juger par les paroles suivantes du major de Quatrebarbes, gouverneur de la ville :

" J'étais monté à la citadelle je trouvai le général se promenant seul dans la casemate. Les officiers de l' état-major respectaient son silence. De temps en temps, il s'arrêtait, ses épais sourcils se con-

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tractaient, et ses yeux noirs lançaient des éclairs. Dieu seul sait la lutte qui se passait alors dans son cœur.

" Sur combien d'hommes puis-je compter, si la capitulation n'est pas acceptée ? me dit-il en m'a- percevant. Sur mille ou douze cents hommes, mon Général. C'est assez pour le camp retranché et pour la citadelle, et nous pourrions, en abandonnant la ville, prolonger au besoin la défense de quarante- huit heures. Ce serait mon devoir, si nous avions seulement une vague espérance de secours . . . Au- jourd'hui, ce serait un suicide inutile.

" Je regardais avec une profonde émotion ce glo- rieux et loyal soldat, ce vainqueur d'Abd-el-Kader et des Arabes, qui n'avait jamais connu la défaite, cet héroïque défenseur de la société et de la civilisa- tion chrétienne aujourd'hui vaincu, prisonnier de guerre, à la merci d'un ennemi obscur qui ne doit ses succès qu'au nombre et à la perfidie."

Oui, M. de Quatrebarles avait raison de se servir de l'expression de perfidie en parlant de la France ; car la fille aînée de l'Eglise, entraînée dans la voie de l'iniquité et de la trahison par l'empereur Napo- léon III, abandonna alors le successeur de Pierre à la fureur de ses ennemis et laissa consommer la trame ourdie quelques jours auparavant par le roi.

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d'Italie et l'empereur des Français. L'histoire nous en fournit des preuves incontestables.

Le 11 septembre, le consul de France à Ancône, reçut de M. de Gramont, ambassadeur à Rome, la dépêche suivante : " L'empereur a écrit de Marseille au roi de Sardaigne que, si les troupes piémontaises pénètrent sur le territoire pontifical, il sera forcé de s'y opposer. Des ordres sont déjà donnés pour em- barquer des troupes à Toulon, et ces renforts doivent arriver sans retard. Le gouvernement de l'Empereur ne tolérera pas la coupable agression du gouverne- ment Sarde. .."

Jamais homme n'a affublé le manteau de la four- berie avec autant d'aisance que l'empereur Napo- léon III. En effet, la vérité ne tarda pas à se faire jour. Après avoir pris connaissance de cette dépêche, M. de Quatrebarbes donna l'ordre à un employé du consulat français d'aller communiquer cet important document au général Caldini, commandant en chef de l'armée piémontaise, et de le prier de cesser les hostilités. " Calmez-vous, répondit-il à l'envoyé fran- çais ; nous avons vu, il y a quinze jours, votre Em- pereur à Chambêry, et nous savons à quoi nous en tenir."

Cet aveu du général Cialdini ne laisse aucun doute sur les dispositions de l'empereur des Français à

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l'égard du chef de l'Eglise catholique. Comme Judas il l'avait vendu au roi de la Sardaigne. Du reste, les documents officiels, publiés par le gouvernement français, prouvent que Napoléon III rencontra Cial- dini à Chambéry' et qu'il l'autorisa à envahir les Etats de l'Eglise, en lui disant : " Faites vite, " et à écraser La Moricière avant qu'il ait eu le temps d'or- ganiser l'armée pontificale. C'est en conséquence de ce complot infâme que fut décidé le guet-apens de Castelfidardo. Pour sauver les apparences et con- server l'amitié des catholiques français, Napoléon feignit d'exercer une fausse protection sur Rome, et pour cela il donna l'ordre de lui envoyer du renfort, mais seulement après que La Moricière, son ennemi personnel, aurait été vaincu et mis dans l'impossi- bilité de lui nuire dans l'accomplissement de ses projets anti-chrétiens. Sachant que tous ces atten- tats ne manqueraient pas d'éveiller l'opinion publi- que en France et de lui attirer des reproches bien mérités, Napoléon III eut recours à la fourberie pour dissimuler sa complicité avec les révolutionnaires et les spoliateurs des Etats Pontificaux : au moment même les Piémontais mettaient le pied sur le territoire papal, il partait pour l'Algérie, il vou- lait, disait-il, fonder un royaume arabe. Et quel- ques jours plus tard, l'iniquité était consommée.

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C'est en présence de tous ces faits incontestables et incontestés que Son Eminence le cardinal Pie, évêque de Poitiers, s'écria un jour, en parlant de l'empereur des Français : "Lave tes mains, ô Pilate!"

Mais, ne l'oublions pas, la divine Providence ne laisse jamais le crime impuni. En effet, dix ans après, Napoléon III était fait prisonnier à Sedan et allait mourir sur une terre étrangère, tandis que la France perdait l'Alsace et la Lorraine. Le traître est disparu; mais la Papauté vit encore et vivra jusqu'à la con- sommation des siècles.

Permettez-nous de citer quelques paroles que le général de Charette prononçait sur la bataille de Cas- telfidardo, en 1885, aux noces d'argent de notre régiment :

" Le 17, nous bivaquions au-dessus de Lorette, et le 18 nous recevions, à Castelfldardo, le baptême du feu. " La veille, le commandant de Becdelièvre nous réunit : " Messieurs, dit-il, demain, vous allez voir le feu pour la première fois ; afin d'être sûrs de faire honneur à votre uniforme, passez au confes- sionnal, j'en sors."

"Je ne vous raconterai pas la bataille de Castel- fldardo ; je rappellerai seulement l'ordre du jour du commandant de Becdelièvre : " Nommez-les tous,

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ou ne nommez personne, car tous ont fait leur devoir."

" Une centaine de volontaires n'avaient pu re- joindre le bataillon à Terni, sous les ordres du colonel de Mortiîlet, de MM. de Saisy et Thomalé, ils firent une pointe sur Monte Corvo. Quelques zouaves, après la bataille, rejoignirent Ancône : un seul revint à Rome avec armes et bagages, il s'ap- pelle Rouleau. C'était un Vendéen !

" A Castelfidardo, ce sont des enfants comme d'Héliand qui tombent ! Sa mère, apprenant sa mort, chante le Te Deum.

" Cs sont de vieux zouaves d'Afrique, c'est Colombeau qui meurt en criant : " Vive la France !" C'est un saint comme Guérin, dont le cercueil, oublié dans une gare en Autriche, est enfin rapporté à Nantes en triomphe, et opère des miracles..."

LE GENERAL KANZLER

UNE GUERISON MIRACULEUSE

Nous interrompons, un moment, notre récit histo- rique pour mentionner la guérison miraculeuse d'un officier italien, racontée par le sergent-major Wibaud, zouave pontifical et ensuite jésuite, et attribuée à l'intercession du saint du régiment :

" Le jeune officier italien dont il s'agit se nomme Stanislas Garroni ; il a vingt-doux ans. A Castelfi- dardo, il se battit bien et montra qu'il n'y a pas de nationalité pour la vaillance, quand elle est inspirée par l'amour du Pape et du droit. Blessé très griève- ment à la hanche, il se trouva couché à Macerata, sur une mauvaise paillasse, près du capitaine de Charette. Depuis cette époque, il fut toujours souf- frant. Il y a trois semaines environ, il fut pris d'une fièvre très violente qui ne tarda pas à se porter au cerveau, et le mit à toute extrémité. Déjà il avait reçu le saint Viatique et fait à Dieu le sacrifice de sa vie : les médecins l'avaient condamné ; bref, il allait

mourir. 3

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Un de ses frères, qui est prêtre, vint le voir au moment il était le plus bas ; le malade, toutefois, n'avait pas encore perdu toute connaissance. " Pour- quoi, lui dit-il, ne te recommanderais-tu pas à Guérin, ton ancien compagnon d'armes, mort saintement à Osimo des suites de ses blessures de Castelfidardo, qui a déjà fait des miracles dans son pays et même à Rome ? Invoque-le de tout ton cœur, peut-être t'obtiendra-t-il ta guérison." Le mourant fit signe qu'il se recommandait de grand cœur à Guérin ; puis, levant les yeux au ciel, il murmura une prière et s'assoupit. C'était un doux sommeil qui commen- çait pour lui et dura plus de trois quarts d'heure. Sa sœur, restée près de lui pour le garder, s'étonnait du calme et de la tranquillité de cet heureux sommeil, qui contrastait étrangement avec l'agitation du ma- lade peu d'instants auparavant. " Je craignais, me disait-elle quand je l'interrogeai, qu'il ne fût mort, et j'allai prévenir ma mère, qui fut saisie comme moi d'une grande frayeur en le voyant si paisible ; cependant il respirait encore, mais nous pensions vraiment que c'était la fin ; j'étais occupée avec ma mère à lui faire sur la poitrine une friction qu'avait ordonnée le médecin, quand il ouvrit les yeux et me dit tout à coup d'un ton calme : " Ne me donnez aucun remède ; c'est inutile, je suis guéri. Pour-

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quoi ? lui demandai-je. Joseph Guérin, le zouave, est venu nie voir tout à l'heure, s'est assis sur mon lit et m'a dit que je guérirais, mais que ma conva- lescence serait longue."

Ceci se passait le onze décembre, vers les trois heures de l'après-midi. Le zouave, son ami le zouave, comme il disait lui était donc apparu,avait réellement causé avec lui et lui avait promis sa gué- rison. Aussi, à partir de ce moment ne cessa-t-il de parler de Guérin, de l'invoquer, de le remercier, ne doutant plus de guérir. Instruit de ce fait, son frère se procura aussitôt une relique de Guérin, un mor- ceau de la cravate qu'il portait étant zouave, et vint la lui présenter ; il la baisa avec effusion, la mit sur son cœur et ne voulut plus s'en séparer.

Quelques jours après, dans la nuit du quinze au seize décembre, Guérin revint encore voir son ami et lui dit que la fièvre le quitterait le dix-huit au matin, lorsque que les vésicatoires qu'il avait aux jambes seraient secs. Le seize au matin, le malade, en se réveillant, appela sa sœur : " Quel jour est-ce aujour- d'hui ? lui demanda-t-il. Pourquoi ? reprit sa sœur. Parce que, ajouta-t-il, Guérin m'a dit cette nuit que je guérirais le 18."

Rien ne semblait annoncer un si heureux résultat, l'état du malade ne s'était pas amélioré depuis la

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première^apparition de Guérin ; la fièvre, au contraire, était devenue plus forte, et, malgré tout, le malade ne cessaiÇde répéter : "Ne me donnez aucun remède, c'est inutile, je guérirai." Son frère, ayant été assez heureuxjpour trouver, après quelques jours de recher- che, le portrait de Guérin, vint en toute hâte le lui porter. En voyant l'image de son ami, Garonni s'écria : " C'est lui, c'est Joseph le zouave, qui m'a dit que je guérirais. Seulement on lui a fait les joues trop grosses, et il est trop grand." Ces défauts existent, en effet, .dans le portrait lithographie de Guérin : bien d'autres avant Garronni les avaient remarqués. Il ne pouvait détacher les yeux de cette chère image ; il eût voulu l'avoir constamment à la portée de ses regards, et quand il fut lassé de la fixer, il la mit sous son oreiller.

A voir la joie qui rayonnait sur son front et la vivacité de son regard, on eût dit qu'il tenait un trésor. C'était, en effet, pour lui le plus précieux des trésors de ce monde : la santé. Enfin le 18 arriva ; je courus, ce jour-là même, chez Garroni ; sa sœur m'ouvrit la porte et me dit d'un air joyeux que la fièvre avait disparu dès le matin même comme par enchantement. Les vésicatoires s'étaient desséchés. " Mais je vous l'avais bien dit ! ne cessait de répéter le malade ; je savais bien que la guérison ne se ferait

pas attendre." Depuis ce jour, je l'ai vu plusieurs fois, il va bien, mais est toujours faible et au lit. Ce qui le vexe un peu, c'est que Guérin lui a dit que sa convalescence serait longue. Tout ceci est merveilr leux, et le docteur militaire a déclaré qu'humaine- ment parlant, Garroni ne pouvait revenir à la santé. Gloire à Dieu, qui veut récompenser nos faibles efforts en nous envoyant cette nouvelle consolation, et gloire à Guérin, notre protecteur."

Garroni était complètement guéri au mois de janvier.

Le correspondant du Monde, de Paris, a raconté, dans le numéro du 22 décembre 1861, la guérison miraculeuse de Garroni qu'il attribue au zouave Guérin, l'un des martyrs de Castelfidardo.

LA MORICIERE ET PIE IX

Le lendemain de la capitulation d'Ancône, le général La Moricière se rendit à bord de la frégate de l'amiral Persano et fut transféré aussitôt, avec tous les officiers de son état-major et de la garnison, sur un petit bateau à vapeur, le Cavour, qui les transporta à Gênes, ils débarquèrent le 7 octobre. En arrivant en cette ville, La Moricière reçut une lettre de Sa Sainteté Pie IX, qui fait ressortir toute la grandeur d'âme du chef de la chrétienté et la reconnaissance de l'Eglise catholique.

" Si je me tourne vers Dieu, écrivait Pie IX à La Moricière le 5 octobre, et si je considère le cours des derniers événements, je courbe la tête et je m'hu- milie devant la divine Majesté, qui, dans ses juge- ments impénétrables, a cru devoir les permettre ; c'est le sentiment de résignation que je me sens, quant à moi, obligé de mettre en pratique. Mais, en me tournant vers vous, mon très cher Général, je

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sens toute ma dette de gratitude pour la grande oeuvre que vous avez faite pour le Saint-Siège et pour l'Eglise catholique, et je prends une part de votre juste douleur, vous conseillant toutefois de lever les yeux vers Dieu, qui a déjà écrit dans le livre de vie vos actes et vos généreuses résolutions."

" Les ennemis de la vérité et de lajustice peuvent à leur gré défigurer les. événements ; mais tous les bons catholiques et toutes les urnes honnêtes célébre- ront toujours comme un triomphe pour l'Eglise tout ce qui est arrivé dans les Etats Pontificaux dans ces dermers temps, l'on a vu une petite armée, orga- nisée en peu de mois grâce à votre activité, à votre zèle et à votre intelligence, armée plus que suffisante pour comprimer la Révolution, si celle-ci n'avait pas été protégée par des mains puissantes, par des forces incomparablement supérieures aux nôtres, et aidée par tous les moyens que peuvent suggérer la fraude et le mensonge.

" Dieu a permis ce qui est arrivé, et que sa sainte volonté s'accomplisse ; mais je désire, cher Général, que vous soyez persuadé de la continuation de mon estime et de ma tendresse paternelle. C'est avec ces sentiments que je vous envoie de cœur, à vous, à votre épouse et à vos filles la bénédiction apostoli- que."

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Le général La Moricière brûle du désir de retour- ner à Rome. Après en avoir obtenu la permission, il s'empressa d'aller se jeter aux genoux du Pape. Nous ignorons ce qui s'est passé dans cette entrevue entre le chef de l'Eglise et le glorieux vaincu de Castelfidardo. Tout ce que nous savons, c'est qu'au sortir de la chambre du Pape le général La Mori- cière se renferma dans son hôtel, rédigea un rapport détaillé des événements qui venaient d'avoir lieu et demanda ensuite un congé de dix mois, après avoir refusé le portefeuille de la guerre, qui resta à Mgr de Mérode, son ami intime. La Moricière avait eu à lutter contre les préjugés locaux dans la réorgani- sation de l'armée pontificale ; il savait que la diplo- matie ne cessait de protester contre la création d'une armée papale ; mais tous ces obstacles n'étaient pas encore assez puissants pour faire échec à sa vaillance, à son dévouement au Saint-Siège et à la noble mis- sion qu'il avait entreprise. Ce qui le décida à s'éloi- gner de Rome pour quelque temps, ce fut la fourbe- rie de Napoléon III, qui, tout en se constituant le protecteur apparent de la Papauté, faisait tout en son pouvoir pour écraser le commandant en chef de l'armée pontificale au lieu de l'aider. Comme il était convaincu que c'était surtout à lui que l'empereur des Français en voulait, à cause du prestige dont il

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jouissait dans toutes les armées de l'Europe, La Moricière retourna en France, en conservant le titre de général en chef de l'armée pontificale et en conti- nuant de travailler par ses sages conseils à sa réorga- nisation.

La Moricière se retira dans son château en décli- nant tous les honneurs qu'on voulait lui conférer. Le roi de Naples, Ferdinand II, lui offrit le commande- ment de son armée sur le Volturne ; il refusa. Le Sénat de Rome voulut le nommer prince romain ; il refusa. Les catholiques de France organisèrent une souscription pour lui présenter une épée d'honneur. Prévenu de cette généreuse démarche par un ami, il écrivit la lettre suivante pour s'opposer à ce projet :

Prouzel, 12 janvier 1861. Monsieur,

" Vous avez bien voulu me faire part de l'inten- tion qu'auraient un grand nombre de catholiques de me décerner une épée d'honneur, en mémoire de la campagne que j'ai faite l'année dernière dans les Marches et l'Ombrie.

" Je suis profondément touché de l'extrême bien- veillance avec laquelle on apprécie mes efforts, matériellement stériles, pour défendre le pouvoir temporel du Saint-Siège. Mais il est de mon devoir de vous faire remarquer que si j'acceptais l'êpée qui

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m'est offerte, je me placerais en dehors de toutes les traditions et de tous les usages reçus à cet égard dans mon pays, tout ce qui tient aux choses militaires est l'affaire de tout le monde.

" Suivant ces traditions, on donne une épée d'honneur à un général pour une bataille gagnée,pour une place forte enlevée dans des circonstances mémo- rables, pour avoir défendu vaillamment une forte- resse au-delà du temps assigné à la résistance par les gens du métier. Or, on ne le sait que trop, je n'ai rien fait de pareil. Les provinces que je défendais ont été envahies, les villes prises, le matériel de guerre a été perdu et l'armée entière amenée en captivité.

" Que si, depuis nos désastres, la situation morale du pouvoir temporel du Saint-Siège semble s'amé- liorer, que si la confiance et la force sont revenues aux défenseurs du droit, tandis que l'esprit de divi- sion, d'incertitude et de vertige s'emparait de ses ennemis, que si la France, ce noble et vieux cham- pion de la cause de Dieu, n'a pas cessé de sentir son coeur ému de ces généreux élans de dévouement et d'audace qui ne lui font jamais défaut dans les grands jours, ce n'est pas la main des hommes qu'il faut chercher dans toute sces choses; et je ne puis oublier qu'un général qui n'a fait que sauver l'honneur de

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son drapeau ne mérite et ne peut recevoir aucune récompense.

" Telles sont, monsieur, les raisons qui m'obligent à refuser, d'une manière absolue, l'épée que vous aviez mission de m' offrir ; permettez-moi de compter sur votre obligeance pour faire connaître ma réponse à ceux au nom de qui vous m'aviez écrit."

Pie IX aurait aimé prouver au général La Mori- cière la reconnaissance de l'Eglise en le comblant de distinctions ; mais le général les refusa toutes, excepté la croix du Christ que le Saint-Père lui avait envoyée avec la lettre suivante :

" J'apprends que votre modestie refuse les titres par lesquels je voulais, en quelque manière, mani- fester ma reconnaissance pour l'acte chrétien et géné- reux que vous avez accompli en soutenant les droits du Saint-Siège. Ma détermination était dictée par mon cœur, et je dois dire qu'elle était réclamée ou, au moins, désirée par tous les amis de la justice et de la religion, qui, grâce à Dieu, sont très nombreux. Mais, si vous me demandez d'y renoncer, j'y renon- cerai pour vous être agréable. Toutefois je veux absolument que vous soyez décoré d'un ordre qui ne peut être mieux placé que sur votre poitrine, laquelle fut exposée à recevoir les coups des ennemis du patrimoine de l'Eglise de Jésus-Christ, et cet ordre

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porte précisément le nom du Maître Suprême de ce patrimoine. Ce sera un nouveau lien qui vous unira au Vicaire de Celui dont je suis l'indigne représentant sur la terre, et qui, je l'espère, sera notre récompense' à tous deux dans l'éternité."

La Moricière ne pouvait donc pas refuser cet honneur, qui lui était offert, en termes si paternels et si pressants à la fois, par le Successeur de Pierre. Aussi, son acceptation fut-elle accueillie avec des transports d'allégresse par Sa Sainteté Pie IX.

Les révolutionnaires, les garibaldiens et les carbo- naristes— les trois ne font qu'un se réjouissaient du désastre de Castelfidardo ; mais leur soif de ven- geance contre la Papauté n'était pas encore assouvie ; ils voulaient détrôner le Pape et le chasser de ses Etats comme en 1848. C'est pour accomplir cet ignoble projet que des bandes garibaldiennes mar- chèrent sur Rome en 1862 : mais elles furent repoussées par l'armée pontificale. En apprenant cette nouvelle tentative d'invasion, le général La Moricière, qui brûlait du désir de ceindre sa vieille épée d'Afrique pour voler au secours du Saint-Siège, mais qui craignait en même temps que sa personna- lité ne fût pour le roi de l'univers catholique la cause de nouvelles difficultés, écrivit- au Pape ce qui suit :

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" Dans les tristes jours que nous traversons, en présence des douleurs et des périls de toutes sortes qui environnent Votre Sainteté, je viens mettre à ses pieds la nouvelle expression de mon entier et inaltérable dévouement.

" Dès les premiers bruits de guerre, je serais parti pour Rome si je n'avais pas craint, par ma présence, d'irriter le gouvernement français, de gêner l'opéra- tion de ses troupes et de lui fournir un prétexte pour une inaction qui pourrait devenir fatale.

" Mais si Votre Sainteté jugeait autrement les choses, je suis prêt à marcher au premier appel, et j'ai cru de mon devoir de le lui dire."

Notre Saint-Père lui répondit le 16 avril 1862 :

" Très cher Général, les sentiments que vous m'exprimez dans votre lettre et l'intérêt que vous prenez à ma situation me consolent, mais ne me sur- prennent pas. Ils sont déjà nombreux les gages de votre attachement filial pour moi et pour la cause que je représente. Que Dieu bénisse votre dévoue- ment et que votre famille ressente toujours les effets salutaires des divines bénédictions.

" Les menaces de ce général (1) qui sert à la fois le Piémont et la Révolution, et qui reçoit les encoura-

(1) Garibaldi.

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gements de l'un et de l'autre, ne semblent pas, au moins pour le moment, pouvoir éveiller la moindre inquiétude. L'abandon de notre frontière actuelle par une partie de l'armée française pouvait donner lieu à quelque désordre. Mais les zouaves étant venus la remplacer avec d'autres corps de nos troupes, tout s'est bien passé et à l'honneur de notre armée, qui se rappelle avoir été formée par vous, et qui, si elle est limitée par le nombre, ne l'est pas pour la disci- pline, pour le courage et pour l'amour de son souve- rain.

" Mais voici que l'armée française a repris ses anciennes positions, et que nos soldats sont de nou- veau dans l'état d'expectative. Vous voyez donc bien que je n'ai pas le courage de vous inviter à venir commander une troupe qui se tient prête à agir, mais qui, dans les circonstances actuelles, n'a rien à faire. Cependant, si vous jugez qu'un nouveau coup d'œil donné à vos soldats puisse les réconforter, ce dont je ne doute pas, je vous re verrai et vous embrasserai volontiers."

Quelle correspondance admirable entre un général et son souverain, mais un illustre capitaine ayant la foi et un roi chargé de conduire la barque du Pêcheur de la Galilée !

LA MORT DE LA MORiCIERE

Le premier soin du général La Moricière, en pre- nant le commandement de l'armée pontificale, fut de former un corps d'infanterie légère semblable à ses chers zouaves d'Afrique. Ce corps fut constitué le 1er juin 1860 et prit le nom de Tirailleurs Pontifi- caux ou plutôt de Volontaires Franco-Belges. M. de Becdelièvre, capitaine dans les Chasseurs à pied, en fut le commandant, et M. le baron de Charette, le capitaine. L'effectif de cette troupe d'élite, à la bataille de Castelfidardo, s'élevait à environ 300 hommes. Le 6 octobre de la même année, M. de Becdelièvre fut promu au grade de lieutenant-colonel. Le bataillon comprenait alors six compagnies.

Le 1er janvier 1861, le corps prit officiellement le

nom de Zouaves Pontificaux. M. de Moncuit et M.

de Charette eurent l'honneur de porter les premiers

l'uniforme de zouave, qui fut adop'té par Pie IX, le

général La Moricière et Mgr de Mérode. 4

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M. de Becdelièvre donna sa démission, le 21 mars 1861, et retourna en France. Il fut remplacé comme lieutenant-colonel par M. Allet, un des héros de Castelfidardo. Le capitaine de Charette fut élevé au grade de commandant. Au mois d'août suivant, le bataillon fut porté à huit compagnies. Un des sol- dats de M. Becdelièvre annonça la retraite de son colonel dans les termes suivants :

" Notre brave colonel M. Becdelièvre nous a quit- tés à la suite de différends avec Mgr de Mérode. Il ne m'appartient pas d'apprécier les motifs qui ont dicté son départ. .. Trois ou quatre officiers ont cru devoir suivre le colonel dans sa retraite, et il y a eu, cela va sans dire, un peu d'émotion et d'agitation parmi nous. Mais ça n'a duré qu'un jour. Tous les esprits se sont vite calmés, grâce aux belles paroles du capitaine de Charette, qui nous a déclaré que le désir du Saint-Père était de nous voir rester sous son drapeau et qu'un tel désir devait être pour nous plus qu'un ordre. On a crié : " Vive Charette ! " Tout a continué à marcher avec le même entrain, et nous avons fait le meilleur accueil à notre nouveau colo- nel, M. Allet. M. Allet est suisse, de très-noble famille et de très-vieux sang. Digne descendant du héros d'Ivry, auquel Henri IV donna le collier de nos Ordres sur le champ de bataille ; il a déjà trente

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ans de service dans l'armée du Pape, et s'est magni- fiquement conduit à Castelfidardo.

" Mgr de Mérode a nommé M. le capitaine de Charette, chef de bataillon, et nous avons applaudi à cette nomination : " Mais c'est un drapeau que vous donnez aux zouaves, " lui a représenté quel- qu'un à Rome. " C'est vrai, a répondu Mgr de Mérode ; mais un drapeau qui a été percé de balles à Castelfidardo et qui a le droit par conséquent d'être déployé en face du tombeau de Saint-Pierre." A la bonne heure ! Voilà qui est parler en ministre des armes de Notre Saint-Père le Pape Pie IX."

En 1865 parut l'annonce officielle du retrait des troupes françaises de Rome. La fille aînée de l'Eglise abandonnait encore une fois la Papauté à la fureur des révolutionnaires et des sociétés secrètes. A cette nouvelle alarmante, le général La Moricière résolut de partir immédiatement pour la Ville Eternelle et de se mettre de nouveau à la tête de la petite armée pontificale, qui s'était épurée et fortifiée. Certains corps étrangers sur lesquels on ne pouvait guère compter, étaient retournés dans leurs pays respectifs. La petite troupe des zouaves* pontificaux avait vu son effectif s'élever au chiffre de 1,500 hommes, sous la direction du colonel Allet et du lieutenant-colonel de Charette. La gendarmerie formait un magnifique

corps de 4,500 à 5,000 soldats réguliers et dévoués au Saint-Siège. Avec les Dragons et les Chasseurs indigènes, l'armée pontificale formait un total de 10,000 hommes parfaitement aguerris. C'est de cette troupe choisie que le général La Moricière se prépa- rait à reprendre le commandement, lorsque la mort vint l'enlever subitement à l'affection des siens et au service de l'Eglise catholique.

Voici comment son historien raconte ses derniers moments : ^

" Quand vint l'heure du départ, la Providence avait à dessein écarté de lui et la généreuse ivresse du champ de bataille et les caresses d'une femme et de deux filles bien-aimées. Il était seul à seul avec Celui devant lequel il allait paraître. Plusieurs fois déjà depuis son séjour à Ham, il avait eu au cœur des crises d'étouffement qui avaient failli l'enlever, et il vivait dans l'attente d'une mort subite, . prêt à la recevoir au moment que Dieu aurait fixé. Toute- fois rien ne lui annonçait un péril prochain ; depuis quelques mois sa goutte avait diminué ; il était plus animé, plus vif, plus causant que jamais. Si cette santé eût encore pu être employée à la défense de l'Eglise, il se fut estimé trop heureux. Il était à Prouzel et sepréparait à rejoindre sa famille en Anjou.

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Sa dernière' journée, le dimanche 10 septembre 1865, ûit consacrée à ses devoirs de chrétien et à ses apprêts de voyage pour le Chillon. La soirée se passa avec le curé de l'endroit à parler (un incrédule en peut sourire dans son ignorance), de l'efficacité des indulgences pour les âmes qui, après leur mort, ont encore des fautes à expier. Soumis d'avance à la doctrine de l'Eglise, La Moricière tenait à la con- naître sur ce point, comme s'il eût pressenti qu'il allait quitter ce monde. A dix heures, il se retira dans sa chambre, et, selon son habitude, se mit à lire quelques pages dans l'histoire de l'Eglise de l'abbé Darras. Il s'était endormi paisiblement, lorsque, entre une et deux heures, il se réveilla avec un étouftement terrible et sonna son domestique. Le fidèle serviteur accourut ; il ne fut question ni de remède ni de médecin : M. le curé ! vite M. le curé; allez chercher M. le curé. Heureusement que le presbytère touchait au château. En moins de dix minutes le prêtre et le serviteur arrivaient, et, en montant l'escalier, ils entendaient le Général qui, d'une voix forte, appelait : " M. le Curé !" Quand ils entreront, ils le trouvèrent agenouillé devant son lit, serrant sur ses lèvres le crucifix qu'il venait de décrocher de la muraille. Le prêtre se mit à genoux à côté de lui, lui donna l'absolution ; puis il voulut

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le relever, l'asseoir dans son fauteuil, l'approcher de la fenêtre ouverte, Mais le mourant n'avait plus de parole ; son œil seul était encore vivant, indiquant qu'il avait tout compris. Un instant après, il rendit le dernier soupir. Son visage garda toute sa noble sérénité, image de la limpidité de son âme, et quand son épouse, accourue à cette foudroyante nouvelle, le contempla une dernière fois, elle put dire qu'elle ne l'avait jamais vu plus beau.

" Cependant, la France avait frémi en apprenant ce trépas. La ville d'Amiens la première voulut honorer, comme il le méritait, celui qui avait expiré à ses portes. L'évêque monta en chaire, et, au milieu d'un auditoire bouleversé par l'émotion, il trouva une éloquence qu'il ne connaissait point, pour pleu- rer le défenseur de l'Eglise. A Paris, une foule res- pectueuse escorta son cercueil. A Nantes, la ville entière se pressait dans la cathédrale. A Saint-Phil- bert, terme de ce douloureux voyage, le général Trochu parla au nom de l'armée française, le comte de Quatrebarbes au nom de l'armée pontificale, l'abbé Richard fut l'interprète des sentiments du clergé français. Pendant des semaines, sur tous les points . du territoire, des services spontanés furent célébrés pour le repos de cette âme que les évêques les plus illustres louèrent à l'envi.

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" Evidemment ce n'était pas une mort ordi- naire. Un militaire couvert de lauriers, un ministre succombant au service de sa patrie, un prélat cher à l'Eglise, n'auraient point obtenu ce concours de regrets, de reconnaissance et d'admiration. Celui qui venait de quitter la vie réunissait toutes ces gloires, rehaussées par l'éclat de l'adversité. treuver un soldat qui ait plus fait pour sa patrie, et qui ait recueilli autant d'ingratitude ? Quel homme d'Etat a autant souffert pour la défense de nos libertés publiques ? Quels sacrifices peuvent se comparer à ceux .de ce chrétien voué à la défense du Saint- Siège ? Que n'eut-il pas fait, s'il eût vécu davantage ? N'était-ce pas lui qui pouvait, à un jour donné, raf- fermir le trône de Saint-Pierre, relever en France le drapeau de l'honneur et de l'indépendance, cimenter l'union de l'Eglise avec sa fille aînée, et obtenir des honnêtes gens de tous les partis cette réconciliation sincère seule capable de nous rendre la paix."

Voilà le fondateur du régiment des zouaves ponti- ficaux qui, comme ses aînés les zouaves d'Afrique, fit des prodiges de valeur sur tous les champs de bataille. Voilà l'homme illustre qui créa ce batail- lon de preux défenseurs de la Papauté dont " la légende a été souvent sanglante, mais toujours glo-

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rieuse. " Voilà notre modèle comme militaires et citoyens. Voilà la boussole qui doit nous guider dans la mission que nous avons entreprise lorsque nous avons endossé l'uniforme de zouave.

LE DEVOUEMENT DES ZOUAVES

Pendant les années de paix que la Papauté a tra- versées entre 1862 et 1867, on s'est souvent posé la question suivante :

" Que font les zouaves du Pape à Rome ? "

Nous trouvons la réponse à cette question dans le discours que Pie IX adressa à nos officiers le 27 décembre 1865 :

" Je me réjouis d'entendre si bien exprimer les sentiments de cette armée et du monde catholique pour notre personne et pour le Saint-Siège. J'y veux répondre et je pense à quelque coutume que nous avons ici. Il est d'usage, le saint jour de Noël, que nous bénissions une épée. Elle doit être envoyée au prince qui a le mieux mérité de l'Eglise, et qui s'en servira pour la cause de la justice.

" Au milieu de tant de grandes nations armées, de tant de glaives tirés, je regarde et je vois : je vois que cette épée de la justice, je dois la garder pour

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moi. C'est moi qui dois la ceindre, et c'est à vos mains que je la confie.

" Soyez fiers, marchez la tête levée devant Dieu, soyez pleins de confiance parmi les hommes, parce que c'est vous, vous seuls, qui portez l'épée pour la justice et la vérité, pour la dignité et la liberté du genre humain. Vous êtes ainsi armés à l'encontre de ces hommes malheureux qui ensanglantent leurs mains au profit des causes injustes, appuis de l'ini- quité, ennemis de Dieu qu'ils espèrent follement atteindre, oppresseurs de son Eglise et de ses minis- tres.

" Je vous raconterai un trait de deux officiers de deux armées différentes, l'un général et l'autre capitaine de marine. M'ayant été présentés, ils me prièrent de poser mon pied sur leurs épées couchées à terre, afin, disaient-ils, qu'ils ne les portassent jamais que pour une cause juste. Le général est mort dans une guerre dont je n'ai point à parler, et il a gardé son serment. Quant au marin, depuis longtemps je l'ai perdu de vue. J'espère qu'il vit encore ; j'espère surtout qu'il se souvient de la pro- messe qu'il a faite à mes pieds et de la bénédiction donnée.

" Vous aussi, souvenez-vous de ne porter l'épée que pour la justice, et alors ne craignez aucun péril, levez la tête, vos cœurs auront la paix.

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"Il s'en est trouvé qui se sont laissé emporter par des idées d'erreur et de mensonge, par des illusions de jeunesse, et ils s'en sont allés servir dans une certaine armée ; j'ai vu les lettres qu'ils écrivaient de là, j'ai vu leurs mères en pleurs, leurs pères désolés. Ces pauvres enfants écrivaient : " Nous nous sommes fourvoyés, nous avons été trompés ; demandez notre pardon au Pape, notre conscience ne nous laisse pas de repos. Nous sommes dans l'avilissement, dans l'esclavage !". .et, suivant moi, ils sont aussi dans le péché.

" Mais vous, avec quelle consolation je vois votre respect, vos sentiments d'amour et de dévouement pour ce Saint-Siège ! Portez l'épée, gardez l'épée pour la défense de la cause la plus juste, la plus sainte, qui est celle de l'Église de Jésus-Christ.

" Par là, quoiqu'il arrive, et pour la troisième fois, je le répète, marchez en assurance, soyez fiers.

" J'ose dire que vous vous présenterez avec sécurité au tribunal du Juge Suprême, devant lequel ils devront paraître aussi ceux qui portent l'épée pour l'injustice et l'oppresseur.

" J'agrée donc avec bonheur l'expression de votre fidélité. Recevez en retour ma bénédiction, qui vous confirme dans tous ces bons sentiments ; qu'elle vous

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affermisse dans les périls et qu'elle vous accompagne toute votre vie."

Afin de " porter l'épée pour l'a justice et la vérité, pour la dignité et la liberté du genre humain " et " marcher la tête haute devant Dieu ", les zouaves se préparaient à combattre les bons combats ; ils faisaient la manœuvre tous les jours, ils faisaient des marches forcées, ils faisaient des guerres simulées, ils s'initiaient, en un mot, à l'art militaire, tout en montant la garde auprès du trône du Pape et en priant pour les ennemis de l'Eglise. Les zouaves s'élevaient ainsi dans la considération et l'estime des catholiques : ils rendaient le bien pour le mal, en pratiquant la charité chrétienne envers ceux qui voyaient leur présence d'un mauvais œil. Le cho- léra qui éclata à Albano, au mois d'août 1867, fournit aux zouaves l'occasion de montrer publique- ment leur esprit de sacrifice, d'abnégation et de dévouement héroïque envers leurs semblables. Voici ce que nous a raconté, à propos de ce terrible fléau, un sergent de la 2ème compagnie du 1er bataillon, qui fut envoyée en garnison à Albano :

" Le jour même de notre arrivée à Albano, le choléra éclata avec une violence inouïe. En un instant tout est désert ; plus personne pour assister les malades et enterrer les morts. Notre lieutenant

Gi- de Résimond donne le premier l'exemple. Il prend sur ses épaules un cadavre et le transporte au cime- tière ; tous l'imitent ; nos camarades de la sixième ont lutté d'abnégation. Sur un champ de bataille l'odeur de la poudre et l'enthousiasme vous cachent le danger ; mais, en présence, d'un cadavre ou d'un mourant qui se débat, combien il faut de force et de véritable courage !

Voyez-vous ces zouaves prodiguant à des étran- gers, qui les haïssaient, tout ce qui leur est donné de force et de dévouement ? La population nous était tout à fait hostile et même résolue de s'opposer à notre entrée ; les zouaves ont été les anges conso- lateurs.

Albano offrait en ce moment le spectacle admira- ble de la charité se pratiquant au milieu de la ter. reur et de la mort. Les habitants valides fuyaient au loin, ou demeuraient hébétés devant le fléau ; aucune autorité pour organiser le service des malades, qui restaient abandonnés dans les maisons vides ; les membres de la Commune avaient disparu ; le gonfalonnier avait passé la frontière ; partout des cadavres en décomposition, gisant dans les maisons et dans les rues.

Au milieu de ce désarroi, sous un soleil insuppor- table, dans une atmosphère empestée,' les soldats du

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Pape s'étaient partagé la besogne. Les uns s'établis- sent au cimetière qu'ils ne quittent ni le jour ni la nuit ; durant la première nuit, on leur apporte quatre-vingt-dix cadavres. Le lieutenant-colonel (M. de Charette) venu de Rome pour encourager ses soldats, apprend que deux zouaves, occupés à faire des fosses, n'ont pas même pris le temps de déjeu- ner, et déjà il se fait tard ; il faut un ordre de leur chef pour contraindre ces braves à prendre quelque nourriture. D'autre part, dans la ville, les zouaves vont et viennent au chevet de centaines de malades; ils les déshabillent, les soignent, les frictionnent, les aident à mourir chrétiennement, on dirait qu'ils n'ont rien fait d'autre chose de leur vie. Autour d'eux, tout ce qu'il y a d'âmes vaillantes rivalisent de sainte charité ; les Filles de St-Vincent de Paul donnent l'exemple, comme toujours ; plusieurs prê- tres succombent, martyrs de leur saint ministère ; le roi de Naples, qui n'a pas voulu fuir, soigne lui- même ses frères, sa famille, ses domestiques ; la reine-mère a été une des premières victimes. Deux zouaves hollandais gagnent la terrible maladie, tandis qu'ils portent sur leurs épaules des cadavres en putréfaction ; tous deux meurent joyeux le même jour. Henri Peters, l'un d'eux, n'a pas même de paille pour s'étendre, mais il se console en pressant

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le crucifix sur son cœur ; que lui faut-il de plus ! Il l'embrasse et dans ce suprême baiser, il oublie la terre et les souffrances. " Je vois le ciel au bout de tout cela." disait-il en expirant.

Le cardinal Altieri, évêque d'Albano, se trouvait à Rome lorsqu'il apprit les angoisses de sa ville : malgré son état de souffrance, malgré les protesta- tions de son entourage, il partit aussitôt pour don- ner à son peuple le reste de sa vie. Tout le jour, il confessait, consolait, administrait les mourants, et se reposait la nuit en veillant à l'hôpital. Sur son lit de mort, voyant les zouaves qui l'entouraient, il les bénit, leur recommanda ses malades, leur promit ses prières. On décida, pour ne pas ajouter à la pani- que de la population, que l'enterrement se ferait durant la nuit. A cette nouvelle tout le peuple

accourt ; les hommes se précipitent pour traîner le

carosse, les zouaves s'alignent deux à deux devant la

voiture, la population entière fait escorte avec des

torches, au chant du cantique : " Fête lugubre et

triomphale, pleine de larmes et de reconnaissance !"

Voilà ce que faisaient les zouaves dans les Etats

de l'Eglise, lorsque la révolution ne les forçait pas à

courir aux armes et à se battre pour la défense du

Vatican. A-t-on jamais 'vu une- armée montrer un

dévouement aussi sincère, aussi héroïque et aussi

sublime ?

L'INVASION GAR1BALDIENNE

Le 15 septembre 1864, Napoléon III signa une convention passée entre la France et l'Italie et en vertu de laquelle l'empereur des Français s'engageait à retirer ses troupes des Etats Pontificaux, dans un délai de deux ans, à charge pour le Piémont de res- pecter le territoire du Saint-Siège et de ne pas s'oppo- ser à l'organisation d'une armée papale. C'était livrer la Papauté aux mains des révolutionnaires d'abord, et au roi Victor-Emmanuel ensuite, comme l'histoire va nous le démontrer. C'était afficher de nouveau la politique de fourberie inaugurée en 1859. C'était le règne des convoitises de l'Italie qui s'an- nonçait à courte échéance. En effet, le gouvernement du Piémont tendait secrètement la main à Garibaldi, le chef des révolutionnaires, tout en protestant de son dévouement au Saint-Siège.

Pie IX fit entendre sa voix pour dénoncer la viola- tion du traité de 1864 et les injustices flagrantes dont

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il était l'objet. Les catholiques de France tentèrent, mais en vain, d'obtenir de l'empereur un délai au retrait de ses troupes : notre ancienne mère patrie devait continuer à descendre dans l'abîme creusé par la politique néfaste et anti-chrétienne de Napoléon III.

A la fin de l'année 1866, l'iniquité fut consommée : les troupes françaises quittèrent Rome. A leur départ, Sa Sainteté Pie IX leur adressa ces admira- bles paroles :

" Allez, mes enfants ; partez avec ma bénédiction, avec mon amour. Si vous voyez l'empereur, dites- lui que je prie chaque jour pour lui. On dit que sa santé n'est pas très bonne, je prie pour sa santé. On dit que son âme n'est pas tranquille, je prie pour son Ame. La nation française est chrétienne, son chef doit être chrétien aussi. Ne croyez pas que vous me laissez seul, le bon Dieu me reste."

Ne rencontrant plus d'obstacle à leur ambition, à leur cupidité et à leur rage, les bandes garibaldiennes se ruèrent, en 1867, sur le territoire pontifical ; elles saccageaient les villages, elles pillaient les caisses municipales, elles profanaient les couvents et les sanc- tuaires et rançonnaient les habitants. Les zouaves et les gendarmes s'opposèrent à leurs déprédations et les repoussèrent sur la frontière. Les garibaldiens passèrent à travers les troupes italiennes, qui étaient

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chargées, en apparence, de veiller à la sûreté des Etats de l'Eglise, mais qui fermaient les yeux sur les faits et gestes des révolutionnaires, et ceux-ci péné- traient librement dans le Piémont pour aller chercher des hommes et des munitions, qui leur étaient fournis par le gouvernement de Victor-Emmanuel lui-môme. L'histoire nous donne des preuves irréfutables de la complicité des autorités italiennes.

Le théâtre des hostilités que couvraient les bandes garibaldiennes, comprenait toute la province de Viterbe. Comme on le voit, c'était un vaste champ de bataille. Pour faire face au danger, les Zouaves Pontificaux et la gendarmerie papale furent forcés de se diviser en petits détachements et de se porter à tous les endroits menacés. Malgré son infériorité numérique, l'armée pontificale était applaudie pour ses brillants faits d'armes à Acquapendente, à Bagno- rea, à Nerola, à Farnèse, à Valentano, à Monte Libretti et à quinze autres villes ou villages.

A Nerola, le lieutenant-colonel de Charette battit les garibaldiens, qui étaient trois fois plus nombreux que les zouaves ; il a eu son cheval tué sous lui, mais il a fait dix-huit prisonniers.

A Farnèse, le sous-lieutenant Dufournel trouva la mort, le 19 octobre, dans les circonstances suivantes : Il partit à onze heures du matin de Valentano pour

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chasser trois cents garibaldiens qui s'étaient emparés de Farnèse ; il n'avait que vingt zouaves sous ses ordres. Le capitaine de ligne Sparacanna l'accom- pagnait avec une trentaine de ses. hommes. En arrivant à un demi-mille de Farnèse, la petite troupe pontificale reçut soudainement des coups de fusil, partis d'une grande maison occupée par les garibal- diens. Le sous-lieutenant Dufournel tire alors son sabre et fait avec la lame le signe de la croix en disant : " Au nom du Père, du Fils et du Saint- Esprit, en avant !" Et il s'élance suivi de ses zouaves. Les garibaldiens ne peuvent résister à ce choc impétueux ; ils abandonnent la maison dont ils s'étaient emparés et retraitent. Les zouaves s'installent dans la même maison pour < délibérer, mais ils sont attaqués aussitôt par un corps de deux cents garibaldiens. Emmanuel Dufournel donne l'ordre d'ouvrir la porte et s'écrie : " Chassons-les à la baïonnette !" Et il se précipite en frappant de son sabre un garibaldien qui se tenait près de la porte ; mais le coup est si violent que la lame casse en deux et lui échappe des mains. Les garibaldiens se jettent sur lui et lui portent quatorze coups de baïonnette. Tout semble désespéré pour les zouaves ; mais il n'en est rien : Ferdinand de Charette, un des frères de notre lieutenant-colonel, et quelques

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autres zouaves accourent au secours de leur officier et font une immense trouée parmi les garibaldiens, qui prennent la fuite.

Le brave sous-lieutenant Dufournel, mortellement blessé, fut transporté immédiatement à Valentano, il expira le lendemain en remerciant Dieu de lui avoir procuré le bonheur de mourir pour sa sainte mère l'Eglise catholique.

Cette triste nouvelle fut télégraphiée à son frère Adéodat, capitaine adjudant-major alors en garnison à Rome. Le frère bien-aimé arriva le même soir à Valentano ; il se prosterna la face contre le cercueil et donna l'ordre d'envoyer à Rome la dépouille mortelle de son cher Emmanuel.

Dix jours plus tard, Adéodat Dufournel était blessé à l'attaque de la villa Crecchina, à Rome, et mourait le 5 novembre. Le matin de son trépas Adéodat avait entendu la messe qu'un de nos aumô- niers, le R. Père de Gerlache, avait dite à la confes- sion de Saint-Pierre. La messe terminée, le Père se retourna, trouva le zouave la face contre terre et lui demanda la cause du rayonnement de toute sa figure : " Mon Père, j'ai demandé à la sainte Vierge la grâce de mourir pour l'Eglise." Cette grâce lui fut accordée le même soir. Voici ce que nous a raconté au sujet d' Adéodat Dufournel, M. de Clisson

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qui était à ses côtés quand il tomba frappé d'une balle en pleine poitrine :

" Je me trouvais sur la place Saint-Pierre avec quarante hommes de ma compagnie, lorsque M. Dufournel vint et dit à M. Ledieu, notre lieutenant : " Rassemblez vos hommes, nous allons tout près d'ici voir une villa l'on prétend qu'il y a des garibal- diens." Il nous fit diviser en bandes de huit hommes, conduite chacune par un gradé chargé de les placer autour de la maison et de diriger le feu. Il était cinq heures et demie du soir environ, et la nuit était déjà descendue. Nous eûmes bientôt atteint la porte de la villa que nous devions visiter. A peine le premier zouave avait-il gravi les deux ou trois marches de l'entrée, que des hommes se précipitèrent pour sortir du jardin. M. Dufournel s'élança en criant : " En avant ! " et c'est à ce moment qu'il fut atteint par une balle. Je commandais le second groupe ; voyant quelqu'un tomber, j'étendis la main, et ce n'est qu'alors que je reconnus celui que j'avais dans mes bras. Aidé d'un homme de ma compagnie, je le transportai dans la rue, et, m'étant assis par terre, je F appuyai sur mes genoux. Il ouvrit alors les yeux qu'il avait fermés un moment et me dit en me pres- sant la main : " C'est fini, je suis mort. .."

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Transporté à l'hôpital, Adéodat Dufournel rendit son âme à Dieu le 5 novembre.

Emmanuel Dufournel avait 27 ans, et Adéodat, 29 ans. Leurs corps reposent dans le cimetière de Saint-Laurent hors les murs.

Comprenant l'immense douleur que ressentirait M. Dufournel, père, en présence de ces deux fins tragi- ques, arrivées presque coup sur coup, notre Saint- Père Pie IX lui écrivit pour le consoler : " Vous m'avez donné deux soldats ; je vous rends deux saints ." Ces paroles du successeur de Pierre valent à elles seules tous les éloges que nous pourrions faire de ces deux glorieux martyrs de la foi.

A Monte Libretti, le lieutenant Guillemin donne une nouvelle preuve de la valeur et de l'héroïsme des zouaves. Douze cents garibaldiens occupaient cette forteresse, construite sur une montagne et dominant la route.

Guillemin, avec ses quatre-vingt-dix zouaves, n'hésite pas à gravir la montagne au milieu d'une grêle de balles et essaye d'enlever à la baïonnette cette ville ferrhée et défendue par un ennemi puissant en nombre, commandé par Menotti Garibaldi. Les zouaves ne peuvent réussir à enfoncer les portes : mais les garibaldiens, effrayés da tant de courage et

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d'audace, évacuent la ville pendant la nuit et fuient devantjes soldats du Pape.

Au milieu de la mêlée,. Guillemin est tombé pour ne plus se relever : Dieu voulait une victime pure. Ce brave des braves était mûr pour le ciel ; car, le matin, il avait dit à l'aumônier : "Je me confesserais volontiers, mais je n'ai rien sur la conscience." Ce héros chrétien n'avait pas peur de la mort.

Que de prodiges cette petite poignée de soldats du Pape n'a-t-elle pas accomplis pendant cet assaut meurtrier ! C'est alors que le caporal de Jong s'est jeté au milieu des garibaldiens et qui, sans recevoir la moindre égratignure, en a assommé ou percé quatorze. Epuisé de fatigue, il se jeta à genoux et attendit la mort avec calme, comme autrefois les martyrs du Colisée. Les garibaldiens, furieux comme des démons, le criblèrent de coups de baïonnette. C'est ce jeune homme qui écrivait, un jour, à sa mère : " Quand les protestants vous diront que la chaire de saint Pierre est vermoulue, répondez-leur que cela n'est pas vrai. Dites-leur que Pierre Jong et son cousin Guillaume l'ont vue, et aj'outez qu'elle est 'solide."

Nous pourrions citer une foule d'autres traits sem- blables ; mais ces citations retarderaient inutilement notre récit historique. Nous disons inutilement, parce

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que nous possédons le témoignage de Pie IX et des officiers de plusieurs armées de l'Europe sur les exploits glorieux des Zouaves Pontificaux depuis Castelfidardo jusqu'à leur licenciement.

LA REVOLUTION A ROME

Pendant que ces graves et sinistres événements se passaient sur différents points des Etats de l'Eglise, la plus grande tranquillité régnait à Rome. Ce calme plat n'était que le précurseur de la tempête. En effet, le 22 octobre au soir, la révolution se déchaîna avec une furie épouvantable dans tous les quartiers de la ville sainte. A six heures, le cri " Aux Armes "! fit sortir tous les zouaves de leurs casernes ; toutes les boutiques, les cafés, les restaurants et les magasins se fermèrent. Des patrouilles de zouaves et de gen- darmes s'organisèrent dans toutes les rues pour faire face à l'orage ; car des bandes furieuses voulaient s'emparer des postes et des casernes de l'armée ponti- ficale et se dirigeaient vers le Capitole pour sonner la cloche d'alarme. Mais, partout, les zouaves, les gendarmes et les chasseurs, ( 'qœciatari, repoussèrent les émeutiers.

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L'on n'entendait que d'effroyables détonations dans toutes les directions, lorsque, tout à coup, une explosion formidable jeta la terreur dans toutes les âmes. C'était la caserne de Serristori, occupée par des zouaves, qui venait de sauter. Trois étages furent renversés, et du milieu des ruines amoncelées s'élevaient les plaintes déchirantes des blessés. Mgr de Mérode, M. l'abbé Daniel, aumônier du régiment, et le colonel Allet accoururent aussitôt sur la scène tragique et organisèrent un service de sauvetage. On retira des décombres vingt-deux cadavres et douze blessés ; les autres zouaves étaient sains et saufs.

Les bombes Orsini jouèrent un grand rôle pendant cette lugubre nuit. Un révolutionnaire fut arrêté au moment il en lançait une. Interrogé sur son action infâme, il répondit qu'il faisait cela pour s'amuser. C'était, en effet, un agréable passe-temps au milieu des ténèbres ! Un autre bandit, porteur de deux bombes, reçut sur-le-champ la punition de son crime ; l'une d'elles fit explosion sur lui, et il fut tué raide. On le trouva baigné dans son sang.

Ce n'est qu'à deux heures du matin que l'ordre fut rétabli. Les révolutionnaires, battus et repoussés dans tous les quartiers, disparurent comme par

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enchantement et s'éloignèrent de Rome au pas gymnastique.

Les garibaldiens voulaient anéantir le régiment des zouaves en soulevant cette émeute au milieu des ténèbres et en voulant miner toutes les casernes ; mais leur diabolique projet fut déjoué, et les lâches durent chercher leur salut dans la fuite, suivant leur habitude.

LE GENERAL DE CHARETTE A PATAY.

LA BATAILLE DE MENTANA

Pendant ce temps-là, Garibaldi, l'ermite révolu- tionnaire de Caprera, sort de son île, située en face de Naples, se rend à Florence et, à la. tête de 10,000 aventuriers et soldats, fond comme un ouragan, le 3 novembre, sur Mentana, petite ville d'environ 1,000 âmes, à cinq lieues au nord-est de Rome. Un fait historique important se rattache à cette bourgade : c'est que l'illustre Charlemagne eut une entrevue avec le pape Léon III, lorsque l'empereur des Francs se rendait à Rome, en l'an 800, pour y recevoir la couronne impériale.

Les étrangers qui visitent la Ville Eternelle se font un devoir d'aller à Mentana fouler le champ de bataille l'armée pontificale remporta, le 3 novem- bre 1867, une si brillante victoire sur le porte-éten- dard des révolutionnaires et des sociétés secrètes, Garibaldi, le général en chef du bataillon ou du régiment des Chemises Rouges. A l'approche de

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cet implacable ennemi de la Papauté et de l'Eglise catholique, Rome trembla. La population était tellement terrifiée qu'elle se préparait à s'enfuir vers les montagnes en apprenant cette nouvelle alar- mante. Un deuil universel enveloppait la ville aux sept collines. La crainte avait glacé le sang dans les veines des plus intrépides. Les églises regor- geaient de fidèles implorant la protection du Très- Haut. Partout, à chaque coin de rues, sur les places publiques, on entendait des gémissements et des sanglots. Encore quelques heures, et Rome et le Père commun des fidèles seront au pouvoir des révo- lutionnaires, entre les mains d'un homme sans cœur et sans honneur. Quels maux vont fondre sur la ville des Papes !

Mais, consolons-nous ; l'auguste vieillard du Vatican avait prié pour l'Eglise et le Ciel avait exaucé sa prière.

Pie IX bénit sa petite mais vaillante armée et lui donne l'ordre de marcher au combat. Les zouaves volent à Mentana, taillent en pièces les bandes gari- baldiennes et rentrent dans Rome couverts de lau- riers et de blessures. L'Eglise venait d'ajouter une nouvelle page glorieuse à. sa glorieuse histoire, et le Canada avait arrosé de son sang pour la première fois le sol romain dans la personne de M. H. Murray

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de Québec, et de M. Alfred LaRocque, de Montréal, tous deux décorés de la croix de Pie IX pour leur bravoure, et dormant aujourd'hui leur dernier som- meil, le premier sur, la terre d'Espagne, et le second dans le cimetière de Montréal. Honneur à la natio- nalité franco-canadienne !

Le combat avait duré cinq heures. Garibaldi, bien plus poltron que brave, avait pris la fuite pen- dant la bataille, en laissant ses Chemises Rouges à leur triste sort. Se voyant cerné par les zouaves, il sauta sur son cheval et galoppa vers Monte-Rotondo en disant à ses officiers de le rejoindre dans cette ville. Mais le fuyard fit tellement jouer les éperons que sa monture prit le mors aux dents et ne s'arrêta avec son cavalier, bien entendu, que lorsqu'elle eut franchi la frontière du Piémont.

Les officiers garibaldiens retournèrent à Monte- Rotondo, suivant l'ordre de leur général ; mais le triste sire avait pris la poudre d'escampette, comme nous venons de le voir. Les vainqueurs et les vain- cus, en apprenant la fuite de ce héros soulignons le mot , s'écrièrent : " Le général Montre-ton-dos a disparu." C'est Monte-Rotondo qu'on avait changé en montre ton dos, et, il faut l'avouer, le qualificatif était bien choisi. 6

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Nous avons raconté la bataille de Mentana au pas de course ; mais n'allez pas croire que la victoire a été gagnée aussi rapidement et aussi facilement que vous venez de le voir. Non, la lutte a été acharnée et chaudement contestée. Plusieurs zouaves sont morts victimes de leur dévouement à la cause de l'Eglise, et un grand nombre d'autres ont été plus ou moins grièvement blessés. La petite troupe des zouaves ne comprenait que 3,000 hommes, et les garibaldiens étaient au nombre de 10,000 combat- tants, comme nous l'avons déjà dit. La partie n'était donc pas égale. Et puis l'ennemi occupait la ville, se tenant à l'abri des vignes et des collines qui entourent Mentana ; sa position était excellente ; tandis que les zouaves pontificaux se trouvaient en rase campagne, n'ayant d'autre défense que leur courage et leur bravoure, stimulés par le vaillant lieutenant-colonel de Charette. C'est le héros de Castelfidardo que nous retrouvons ici.

Pendant cette bataille, le futur général de Charette s'est conduit comme un digne fils de la Vendée. Les garibaldiens avaient établi leurs quartiers-généraux dans la vigne Santucci, à deux pas de Mentana, et c'est qu'ils avaient concentré le gros de leur armée. Cette vigne était entourée d'un mur de brique. C'était donc une véritable citadelle pour l'ennemi. En pro-

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fitant des accidents de terrain, les zouaves étaient par- venus à une centaine de verges de cette forteresse et se tenaient cachés derrière de petits arbres disséminés ca et là, tout en continuant un feu de tirailleurs des mieux nourris. M. de Charette trouve que la besogne ne va pas assez vite. Il commande donc une charge à la baïonnette. Les zouaves se lancent de l'avant comme des lions furieux ;. accueillis par une grêle de balles, ils s'arrêtent, ils hésitent en présence d'un aussi grand danger ; mais ils ne perdent pas courage les zouaves n'ont jamais donné ce triste spectacle. Les balles continuent de tomber dru comme mou- ches et commencent à faire des vides dans les rangs pontificaux.

M. de Charette réalise bientôt la situation. Un seul moment d'hésitation peut faire perdre la bataille et être la cause de la ruine complète de l'armée du Pape. " En avant les zouaves, s'écrie-t-il, ou je me fais tuer sans vous." Et, agitant avec la pointe de son épée un bonnet rouge d'un chef garibaldien qu'il venait de mettre hors de combat, il se précipite sur l'ennemi. Ses paroles et son exemple électrisent les zouaves, qui se ruent au pas de charge sur la vigne Santucci, en bondissant comme des cerfs dans la forêt. Rien ne peut alors résister à leur'élan impé- tueux : rien n'arrête leur marche précipitée ; c'est un

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torrent qui renverse tout sur son passage. D'un saut ils arrivent à la porte. Une nouvelle pluie de balles inonde l'armée pontificale. Le lieutenant-colonel de Charette et les zouaves y répondent par les cris de : ".Vive le Pape ! Vive Pie IX ! " Ils franchissent le mur, ils culbutent les garibaldiens et les chassent devant eux à coups de crosse de sabre. Des centaines de garibaldiens tombent pour ne plus se relever. Plusieurs chemises rouges déposent les armes, se jettent à genoux et demandent grâce en criant : " Vive Pie IX, " et en maudissant le monstre de Caprera.

Du même élan, les zouaves, toujours guidés par M. de Charette, pénètrent dans Mentana et mettent en déroute de reste de l'armée de Garibaldi. Les révolutionnaires prennent leurs jambes à leur cou et regagnent la frontière.

M. le baron de Charette venait, par un coup de sublime audace, de décider du sort de la bataille et de sauver Rome de la domination sectaire. C'est le véritable soldat chrétien qui nous donne ainsi l'ex- emple d'un courage de héros et se distingue par des actes dignes des anciens Croisés, et lui seul peut se battre en brave, parce qu'il ne craint pas la mort.

Le colonel Allet ne se montra pas moins coura- geux que son lieutenant-colonel ; mais il était moins

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bouillant que lui ; son sang-froid excitait l'admira- tion de tous les zouaves. Les balles ne lui faisaient pas courber la tête, à celui-là. Voici un trait de bravoure qui vient à 1* appui de notre thèse :

Pendant la bataille, papa Allet, comme nous l'ap- pelions au régiment, se tenait au front et un 'peu à côté de son armée et 'suivait les différentes péripéties de la mêlée, tout en fumant tranquillement un cigare, lorsqu'il aperçut un garibaldien qui le met- tait en joue. Sans laisser percer la moindre émotion, le colonel Allet le regarde viser. Le garibaldien fait feu et ... le colonel ne reçoit aucune blessure. Alors, se tournant vers les zouaves, Allet dit en riant : " Oh ! qu'il est bête ! il me vise, il tire et il ne me tue pas." " Donne-moi ta carabine ", ajoute- t-il en s'adressant à un zouave. Notre bon colonel épaule sa carabine, pointe le garibaldien, fait feu et le soldat à la chemise rouge tombe raide mort. " Tiens, dit-il en remettant l'arme qu'il avait em- pruntée, c'est comme cela qu'on vise dans l'armée pontificale." Un tel sang-froid et un tel courage se passent de commentaires.

Ce sont les zouaves pontificaux, et non les soldats de l'armée française, comme on l'enseigne fausse- ment en France aujourd'hui, qui ont culbuté les garibaldiens en cette journée mémorable, s Voici, à

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ce sujet, le témoignage d'un Français présent à cette bataille :

" Yers'trois heures et demie, les Français arri- vèrent devant les murs de Mentana, s' annonçant d'une manière significative par une décharge de cinq minutes. Quelle chose épouvantable que ces fusils chassepots !

On aurait cru entendre un roulement de tambour. C'était la première fois que nos soldats se servaient de pareilles armes, et il est heureux que l'expérience en ait été faite sur les ennemis de la Papauté.

" Certes ! loin de nous la pensée de diminuer le rôle de l'armée française et de lui ravir la moindre parcelle d'une gloire bien acquise. Mais il est bon de flétrir l'injustice de ceux qui s'obstinent à lui attri- buer tout l'honneur de la journée. Son drapeau fut comme une menace sur le champ de bataille et jeta l'épouvante au cœur des garibaldiens ; elle contint par sa présence les bataillons piémontais campés à quelques milles du terrain de la lutte : enfin, grâce aux habiles manœuvres exécutées par elle aux abords de Monte-Rotondo et dans la plaine, elle intercepta les renforts ennemis. Mais, encore une fois, toutes les positions avaient été enlevées lorsqu'elle vint prendre une part active à l'affaire.

" Les vaincus jugèrent moins humiliant de rejeter

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leur défaite sur les merveilles des chassepots, et ce fut pour tous les ennemis de l'Eglise un dédommagement que d'exclure l'armée pontificale d'un triomphe acheté par sajbravoure."

LES ZOUAVES PONTIFICAUX CANADIENS

Cette brillante victoire procura une ère de paix de trois ans au Vicaire de Jésus-Christ ; mais elle donna lieu, en même temps, à la glorieuse croisade cana- dienne de 1868. En effet, émue avec raison des échauffourées sans cesse répétées et de la hardiesse des bandes garibaldiennes ou des cohortes révolu- tionnaires, Sa Sainteté Pie IX éleva la voix et con- jura les nations catholiques de lui envoyer des bras valeureux pour le défendre contre les formidables assauts des ennemis de l'Eglise.

Sa Grandeur Mgr Bourget, évêque de Montréal, publia aussitôt un mandement invitant la jeunesse de son diocèse à s'enrôler sous le drapeau pontifical, et, nouveau Pierre l'Ermite, il lança cet appel sublime : " Dieu le veut, enfants du Canada, partez pour Rome." Mgr Baillargeon, archevêque de Qué- bec, Mgr Laflèche, évêque des Trois-Rivières, Mgr

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Langevin, évêque de Rimouski, tous les évêques et les prêtres canadiens, en un mot, joignirent leur voix à celle de l' évêque de Montréal, et cinq cents jeunes Canadiens allèrent se ranger sous l'étendard du Pape pendant les années 1868, 1^69 et 1870.

La croisade des Zouaves Pontificaux Canadiens est connue de tous nos compatriotes. M. le chanoine Moreau, l'un de nos dévoués aumôniers, s'en est fait l'historien et nous en a donné un récit détaillé. Nous n'avons donc pas à nous occuper de cette glo- rieuse épopée " Nos Croisés " renferment tous les renseignements désirables sur les jeunes gens du Canada qui ont pris les armes pour la défense de la Papauté.

Nous nous contenterons de rappeler ici deux appréciations sur cette page de notre histoire : l'une de Sa Seigneurie le juge Routhier, et l'autre de feu Mgr Bourget.

Voici les paroles que l'honorable juge Routhier prononçait dans le cours de son magnifique discours à l'ouverture du Congrès Catholique tenu à Québec, en 1880 :

" La France avait un autre devoir découlant de son alliance : c'était de défendre l'Eglise dans le danger ; et vous savez que lorsqu'elle y a manqué, elle a toujours senti le contre-coup des malheurs de

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l'Eglise. Il est possible que Dieu nous destine à ce rôle dans l'avenir comme notre ancienne mère patrie, et c'est un des événements les plus glorieux de notre histoire d'avoir pu, déjà figurer à côté de la France dans les armées de l'Eglise.

" Il y a dix ans que le pontife de Rome a vu ce spectacle magnifique : la mère et la fille unies dans le même amour et le même dévouement, traversant les mers pour la défense de la même cause et deve- nant toutes deux sentinelles du Vatican ! La mère enseignant à sa fille le dur métier des armes qu'elle a pratiqué pendant tant de siècles, et la fille rappe- lant à sa mère la foi ardente de ses jeunes années !

" Ce souvenir vous fait tressaillir et produit sans doute un gonflement d'orgueil dans vos poitrines. C'est un bonheur pour moi de vous le rappeler en ce moment j'aperçois réunis nos excellents zoua- ves. Honneur à eux ! puisqu'en offrant généreuse- ment leur vie à l'Eglise de Dieu, ils ont ratifié et sanctionné de nouveau le pacte sacré qui nous unit à elle !"

Sa Grandeur Mgr Bourget se rendit à Rome en 1869. Voici ce qu'il écrivait à l'administrateur de son diocèse, au mois de mars de cette même année, en parlant des Zouaves canadiens :

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" Par principe de foi, ils sont sincèrement dévoués, affectionnés, dévots même envers le Père commun des fidèles. On n'en saurait douter, quand on fait attention aux sacrifices qu'ils ont faire pour lui prouver leur attachement filial. Il leur a fallu, en effet, s'arracher à la tendresse de leurs parents, renoncer aux douceurs de la patrie, tourner le dos à un avenir plus ou moins flatteur, affronter les dan- gers d'un climat qu'ont à redouter les étrangers, embrasser un genre de vie qui a ses souffrances et ses ennuis, s'assujétir à un régime qui impose à de grandes privations à quiconque n'y est pas accou- tumé, faire de longues et péuibles marches, sac au dos et l'arme au bras, au risque de s'écorcher les pieds en traversant les marais et de n'avoir, la nuit, pour abris que de misérables étables ou écuries, exposées à tous les vents. A ces souffrances physi- ques viennent se joindre les peines morales, les ennuis de la caserne, les misères des caractères, les brusqueries militaires, les punitions sévères, surtout quand elles ne sont pas méritées, mais auxquelles il faut cependant se soumettre sans réplique, l'assujé- tissement journalier aux règles d'une discipline rigou- reuse. Tout cela, et bien d'autres choses encore, froisse et irrite d'ordinaire des jeunes gens qui ont eu toutes leurs aises, dans la maison paternelle.

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Lorsqu'ils ont à souffrir quelque mauvais traite- ment, qu'il leur faut faire une marche forcée, que la gamelle ne peut suffire à satisfaire leur appétit dévo- rant, on les entend dire : " C'est pour la bonne cause ; c'est pour le Pape que nous souffrons " ; et les voilà contents, gais et joyeux. " On nous l'avait dit ; nous l'avons bien voulu ; nous n'avons donc pas à nous plaindre. Au commencement cette vie nous paraissait bien dure ; maintenant nous y sommes faits et rien ne nous coûte. Nous n'avons plus qu'une chose à désirer : c'est de verser notre sang pour le Pape. Nous "espérons bien que, pour l'amour de notre bon Père, nous nous battrons avant que notre engagement soit fini, et que nous laisserons dans le cimetière de Saint-Laurent avant de partir, quelques uns des nôtres, et que nous nous en retournerons dans notre cher Canada avec de glorieuses blessures". .

"Le général Kanzler, le colonel Allet, le colonel d'Argy, le lieutenant-colonel de Charette et plusieurs autres officiers de l'armée pontificale, que j'ai vus tour à tour, n'ont que des éloges à faire de nos com- patriotes ; et tous m'ont témoigné leur désir de grossir leurs bataillons respectifs de nouvelles recrues faites au Canada, On voudrait les enrôler dans l'artillerie, dans la légion, dans -le corps des carabi- niers, mais les officiers zouaves prétendent avoir droit

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d'enregistrer dans leur corps tous ceux qui seront de nouveau envoyés comme renforts à l'armée pontifi- cale, qui en a grandement besoin, comme tout le monde en convient."

Ces belles paroles de Mgr Bourget nous dispensent de parler des fatigues et des privations que nous avons eues à endurer pour nous former au régime militaire, de nos marches forcées, de notre vie de camp et de garnison, du bonheur que nous avons éprouvé à l'ombre du drapeau pontifical, et de l'estime dont nous avons été l'objet de la part de Sa Sainteté Pie IX et de tous les officiers du régiment des zouaves pontificaux, depuis le général en chef jusqu'au plus humble sous-lieutenant. Nous nous bornerons donc à relater les principaux événements qui, de 1868 à 1870, ont ajouté de nouvelles pages aux annales de notre régiment et à l'histoire de l'Eglise. Jusqu'à la bataille de Mentana, comme nous le disons dans notre introduction, nous avons été forcé de consul- ter différents historiens et de leur faire des em- prunts pour donner un aperçu aussi fidèle que possi- ble de cette période de neuf ans, tour à tour glorieuse et douloureuse pour la Papauté. Maintenant, nous entrons pour ainsi dire sur un domaine que nous avons nous-même parcouru en tous sens. C'est comme témoin et comme acteur que nous allons

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exposer brièvement les principales actions auxquelles le régiment des zouaves pontificaux a été mêlé pen- dant ses deux dernières années de service dans les •Etats de l'Eglise.

LE COLONEL ALLET

LE BRIGANDAGE

Quelques mois après notre arrivée à Rome, le troisième dépôt, composé presque entièrement de Canadiens, fut envoyé en garnison à Velletri, ville importante des anciens Volsques et située à 36 milles environ au sud de Rome.

La vie de garnison en province est assez mono- tone et ennuyeuse ; mais, à Velletri, nous n'étions pas exposés à subir ces deux inconvénients, puisque nous n'avions pas un seul jour de repos. Aussitôt la manœiîvre terminée, il nous fallait faire la patrouille dans la ville et la chasse aux brigands dans les montagnes.

Le brigandage, en Italie, est une véritable plaie sociale et s'y pratique sur une grande échelle. De tous temps les souverains ont travaillé à faire dispa- raître ce fléau ; mais ils ont toujours échoué dans leur courageuse entreprise, et l'on n'en doit pas

être surpris, si l'on fait attention à la conformation

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de ce pays qui, par ses nombreues chaînes de mon- tagnes, offre un refuge assuré 'aux brigands.

Les brigands qui se tiennent cachés dans les mon- tagnes sont assez nombreux. Ces voleurs de grands chemins n'ont pas de demeure fixe. Un soir, ils s'installeront dans une grotte profonde, et, un autre jour, ils se logeront à plusieurs milles de dans une autre habitation caverneuse. Ils connaissent parfai- tement toutes les montagnes et les collines : cre- vasses, grottes, cavités souterraines, déniés, tout leur est familier ; ils peuvent donner la topographie des rochers aussi facilement qu'un enfant récite son catéchisme. Il est plus difficile de mettre la main sur un brigand que d'abattre un orignal au milieu de nos vastes forêts. Vous croyez les saisir, vous n'êtes plus qu'à quelques arpents des fuyards, vous les voyez courir devant vous, et tout-à-aoup il n'y a plus rien. Les brigands ont disparu comme par enchantement. On dirait qu'ils possèdent une vraie baguette de fée. Vous fouillez toutes les sinuosités, tous les coins et recoins et toutes les fissures des rochers sur lesquels ils glissaient, pour ainsi dire, il n'y a qu'un instant, et vous ne trouvez aucune trace de leur passage, aucun vestige, aucun indice qui puisse vous guider dans vos recherches. La mon- tagne s'est entr' ouverte sur leurs pas pour les cacher

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dans ses entrailles, et toute empreinte s'est évanouie comme au passage des Israélites sur la mer Rouge.

Nous avons fait plusieurs fois la chasse aux bri- gands pendant que nous étions à Yelletri, et nos démarches n'ont pas toujours été couronnées de succès pour les raisons que nous venons d'-énumérer. Si, dans nos patrouilles, nous avons réussi à capturer quelques-uns de ces bandits ou à en tuer un certain nombre, c'est que nous les avons surpris au milieu de leurs orgies ou qu'ils ont été trahis par leurs complices. Nous appelons de ce nom les paysans que la crainte d'être immolés à la fureur de ces monstres humains rend muets, quand on veut avoir des informations sur leurs faits et gestes. La plupart des campagnards et des bergers d'Italie, résidant près des montagnes ou des forêts, sont pour cette raison de petits brigands, qui font cause commune avec les grands.

L'histoire des brigands fait frémir de crainte et d'horreur et paraît même invraisemblable ; mais les faits nombreux que nous avons recueillis sur leur compte à Velletri, ne nous permettent pas de douter un seul instant de l'authenticité des terribles tragé- dies dont ils ont été les sinistres héros. Voici ce qu'un zouave français écrivait à sa famille, en 1866, lorsque sa compagnie était en garnison à Frosinone :

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" Melza, juge au tribunal civil de Rome, ayant été condamné à une suspension d'un an, était venu se réfugier à Sonnino.

Durant une promenade solitaire aux environs de San-Lorenzo, près d'une petite casale di eampagna, le malheureux fut surpris par les brigands. Sa mise plus soignée que celle des autres habitants du pays leur fit conjecturer qu'il devait être riche : c'est pourquoi, l'ayant garrotté, ils l'emmenèrent sur le territoire napolitain. De là, ils envoyèrent des émissaires à Sonnino réclamer de la famille une ran- çon de cinquante mille francs : point davantage. La famille déclara qu'elle n'avait pas le moyen de payer une pareille somme ; ces messieurs, grands et généreux, voulurent bien alors rabattre de leurs pré- tentions en diminuant la taxe de dix mille francs ; mais les pauvres Melza ne pouvait pas plus faire porter quarante mille francs que cinquante, et les émissaires revinrent de nouveau bredouille.

" Le lendemain la signora Melza recevait un pli ensanglanté contenant une des oreilles de son mari. Ta t'imagines la stupeur de la pauvre femme. Le jour suivant ce n'était plus seulement une oreille, mais une main du malheureux juge, avec l'anneau au doigt, pour que la famille n'eût pas l'ombre d'un doute sur l'identité cfe la victime. Pauvres gens

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leur torture était épouvantable ; le troisième jour, c'était une jambe qui leur arrivait. Oh ! les mons- tres ! Enfin, le cinquième jour, c'était la tête. L'in- fortuné Melza avait fini de souffrir, mais après quelle épouvantable agonie ! Rien qu'en y pensant, je frémis de la tête aux pieds."

Voici un autre trait de cruauté inouïe : " Ces jours dernier, dit le même zouave, un peco- raro (pâtre), des environs de Sonnino a délivré une victime d'Andreozzi (chef brigand), et beaueoup de nos soldats cantonnés dans les parages de Frosinone ont déjà entendu la victime elle-même raconter son épouvantable histoire ; ça fait ni plus ni moins frissonner de la tête aux pieds, même sans fièvre, et vice-versa.

" Maitre Andredzzi a donc fait 'main basse, tout récemment, sur deux frères propriétaires, habitant Lenola, près Sonnino, sans doute dans l'espoir d'en retirer une grosse rançon ou par vengeance. Les ayant conduits dans la montagne» il les a liés dos à dos ; cela fait, il s'est donné l'atroce jouissance de les larder de coups de poignard dans toutes les par- ties du corps ; puis, quand il les a vus dans les der- nières convulsions de l'agonie, il a déchargé sa cara- bine sur les deux infortunés, et alors, les roulant jusqu'au bord d'un précipice d'une insondable pro-

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fondeur, il les a poussés du pied. Mais l'un des deux frères était encore vivant, le cœur n'avait pas été touché ; en dépit de ses souffrances, le pauvre diable avait eu l'énergie d'étouffer ses cris et de faire le mort. Jugez de la sensation qu'il a éprouver dans cette chute qui pouvait l'achever cent fois. Il est demeuré un jour et une nuit attaché au cadavre de son frère, baigné dans son sang et se démenant en vain pour briser ses entraves. Peut-on imaginer une position plus horrible ? Dieu, qui voulait l'en tirer, dans un dessein de miséricorde, a permis qu'un pâtre ait entendu des gémissements sortir de cet ■abîme et ait pu en retirer le pauvre agonisant, qui, à force de soins, est re\enu à la vie."

Les brigands de la Province de Velletri étaient d'une impudence et d'une audace vraiment éton- nantes. Ils venaient souvent dans les villes prendre le café, le soir, dans les hôtels les plus fréquentés, et ils échappaient presque toujours aux recherches les plus actives de la gendarmerie. Et pourtant la gendarmerie pontificale jouissait d'une excellente réputation de zèle et de fidélité. C'était le plus beau corps de police que nous ayons jamais vu. La ville de Velletri a reçu, à plusieurs reprises, la visite des brigands. En voici une preuve entre mille :

Un soir, nous étions de patrouille en compagnie de

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MM. Charles Trudelle et Napoléon Courteau, zouaves canadiens, et d'un zouave français, dont nous avons oublié le nom. Cette patrouille était commandée, comme toutes les autres du reste, par un gendarme. En parcourant la plus grande rue de la ville, le Corso, s'il vous plaît chaque ville d'Italie a son Corso nous passons devant le Café du Soleil. Notre commandant ralentit le pas et jette un regard scruta- teur sur la foule des buveurs qui encombrent le café, dont la porte est toute grande ouverte.

Nous remarquons que le gendarme est vivement % excité; mais, tout de même, nous continuons notre promenade militaire. Quelques arpents plus loin, nous nous arrêtons, et nous faisons volte-face. Notre chef pro tempore nous recommande de marcher piano, piano, en arrivant au Café. Un grand nombre de buveurs ont déjà déserté le restaurant : il reste cepen- dant encore cinq ou six joyeux convives assis à une table placée dans un coin, assez obscure. Le gendar- me s'arrête en face de la porte d'entrée et nous ordonne de faire halte et de mettre la baïonnette au canon. Cette halte et ce dernier commandement donné à voix basse nous intriguent excessivement. Nous ne voyons rien qui puisse nécessiter une charge à la baïonnette, et pourtant notre commandant a des rai- sons excellentes pour nous placer sur la défensive, et

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tout prêts même à recevoir l'attaque. Obéissons donc sans murmurer ; c'est la discipline qui le veut, et c'est pour la bonne cause qu'il nous faut obéir.

L'énigme s'explique bientôt ; car le gendarme nous donne le commandement de porter armes et d'entrer dans le Café. Vous pouvez vous figurer facilement la surprise et la binette des habitués du restaurant en voyant arriver cinq militaires armés jusqu'aux dents. L'un des convives, entre autres, nous paraît mal à l'aise, et c'est vers lui que nous nous dirigeons. Le gendarme lui frappe sur l'épaule en lui disant : " Vous êtes mon prisonnier. Pour quelle raison ?" réplique l'homme interpellé par le gendarme. Pour toute réponse, ce dernier lui ordonne d'ôter sa blouse un habit de drap noir. Le buveur obéit sur-le-champ, mais en faisant une grimace. Le gendarme prend l'habit, l'examine, le tourne, le retourne et l'approche d'un bec de gaz. Une lettre apparaît entre la doublure et l'étoffe de la blouse. En un clin d'œil la doublure est enlevée d'un coup de sabre, et la lettre tombe aux pieds d'un zouave, qui la'ramasse et la remet au gendarme.

Notre commandant est satisfait de ses investiga- tions ; il a appris ce qu'il voulait savoir : " Habil- lez-vous, dit-il au buveur, et suivez-nous à la prison." Le convive se fâche, frappe la table du poing, casse

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les verres et se met en état de résister à la patrouille en se servant d'une chaise comme d'un bouclier. Le commandant reste impassible ; les zouaves ne sont nullement effrayés des menaces de cet énergumène ; ils attendent l'ordre d'agir. " Zouaves, dit le com- mandant, en avant ! " Nous avançons et nous poin- tons la baïonnette vers la poitrine du forcené. Sa résistance n'est pas de longue durée ; car, se voyant menacé d'une mort certaine, il demande grâce pour la vie, et, devenu aussi doux qu'un agneau, il pro- met de nous suivre. Nous le conduisons à la prison de l'Etat entre quatre baïonnettes.

Après avoir confié notre prisonnier au geôlier, nous reprenons notre course à travers la ville. Che- min faisant, nous demandons au gendarme la cause de l'arrestation que nous venons d'opérer. " C'est, répondit-il, un brigand de la pire espèce que nous avons pincé ce soir. Il fait partie de la bande qui rôde depuis quelque temps aux environs de Cori, l'ancienne Cora, la patrie de Ponce-Pilate, et il était venu en cette ville chargé de remplir une terrible mission. Comme j'ai pu m'en convaincre par la lettre qu'il tenait cachée dans la doublure de son habit, ce brigand devait voler -un enfant d'un des plus riches citoyens de cette ville, l'emporter dans les montagnes et demander ensuite une forte rançon.

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Heureusement que je le connaissais ; car c'est un ancien résidant de Velletri qui, après avoir commis les crimes les plus horribles, avait échappé à la justice en se réfugiant dans une forêt, et en s'enrô- lant, quelques jours plus tard, dans une bande de brigands."

Deux semaines après son arrestation, notre bri- gand subit son procès et est condamné à être fusillé. Deux religieux se rendent à la cellule du condamné et offrent leurs services pour le préparer à la mort. Le malheureux pêcheur refuse : il ne veut pas entendre parler de Dieu. Les zélés religieux revien- nent plusieurs fois à la charge, mais en vain ; leurs paroles de consolation sont accueillies par des jure- ments et des blasphèmes. Le cœur de ce brigand reste aussi dur que le roc.

La veille de l'exécution, les courageux apôtres entrent "de nouveau dans le cachot du prisonnier et lui parlent, avec des larmes dans la voix, du sort épouvantable qui lui est réservé, s'il meurt dans l'impénitence finale. " C'est trop tard, répond le brigand, et je suis trop criminel pour que Dieu me pardonne. Rien ne peut m' arracher des flammes de l'enfer, que je vois déjà entr' ouvert sous mes pieds." Les religieux redoublent d'efforts et de courage. Le

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brigand résiste toujours à la grâce en répétant : " C'est trop tard."

Minuit sonne, et toujours la même obstination de la part de ce grand criminel. La nuit s'écoule au milieu des pleurs et des prières des dignes fils de saint François. Et le prisonnier continue de hurler qu'il est damné et que rien ne peut le sauver.

Il est cinq heures du matin. Encore trois heures, et le brigand va paraître- chargé d'iniquités devant son souverain Juge. Les prêtres se jettent à ses pieds et le conjurent de réciter avec eux le Souvenez- Vom de saint Bernard. A cette ardente supplication, le condamné porte les yeux vers la voûte de son obscur cachot, joint les mains sur sa poitrine oppres- sée^ récite le Souvenez-vous, éclate en sanglots et tombe à genoux en criant : " Mon Dieu, pardon ! " La glace était rompue, et le brigand converti. Il fait une confession générale, assiste au saint sacrifice de la messe, reçoit la sainte communion, et, dix minutes plus tard, tombe sur la place publique frappé de six balles.

Avant de mourir, le condamné adresse la parole à la foule, énumère tous les crimes qu'il a commis pendant sa vie et demande pardon à tous ceux qu'il a offensés*." Je meurs content, dit-il, car je meurs réconcilié avec mon Dieu, que j'ai tant outragé, je

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dois ma conversion à la bonne Madone. Sur son lit de mort, ma mère m'avait fait promettre de réciter le Souvenez-vous tous les jours. J'étais bien jeune alors, et je n'ai jamais manqué à ma promesse. C'est la vierge Marie qui m'a ouvert les yeux et sauvé des flammes de l'enfer. Mes amis, priez toujours Marie, et elle vous tendra une main secourable dans les circonstances les plus pénibles. Adieu ! . . .

Et le converti est lancé dans l'Eternité.

La cinquième compagnie du 1er bataillon des zouaves qui était en garnison à Velletri en même temps que nous, fit, un jour, une patrouille des plus fructueuses.

Ayant appris par des paysans qu'une bande de brigands habitaient une forêt voisine de Frosinône depuis quelques jours, les zouaves, au nombre de quarante, partirent aussitôt pour les chasser de cet endroit. Deux gendarmes les accompagnaient, l'un à pied et l'autre à cheval. Après deux jours de marche à travers la forêt même, les zouaves ne trou- vèrent aucun briand, et, par surcoît de malheurs, une pluie abondante ne cessa de tomber sur ces courageux jeunes gens, qui supportaient sans mur- murer toutes leurs privations et leurs fatigues. La faim même commençait à se faire sentir chez un bon nombre d'entre eux, qui n'avaient pas emmagasiné

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dans leurs sacs à pain une quantité suffisante de vivres. Que faire en pareille occurrence ? Va-t-on renoncer à la chasse ? se demandèrent les zouaves. Les uns se montraient encore disposés à continuer leur poursuite, mais plusieurs inclinaient à la retraite.

Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi sur le parti qu'ils devaient prendre, un léger bruit se fait enten- dre sur la lisière de la forêt. D'un bond tous les zouaves ont gagné le lieu d'où était parti le bruit ; mais quel désappointement ! ils se trouvent face à face avec un pauvre berger qui agite tranquillement sa houlette, pendant que son troupeau broute l'herbe tendre des champs. Tous alors de rire en voyant ce brigand d'un nouveau style, comme dirait l'An- glais. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que le berger en fut quitte pour un tribut assez considérable à la peur. Mais l'air enjoué des soldats du Pape le ramena bientôt à son état normal. Après avoir échangé quelques paroles avec le vieux paysan, les zouaves résolurent de retourner sur leurs pas et de se déployer en tirailleurs sur la lisière de la forêt.

On peut bien se demander pourquoi ce change- ment si subit survenu dans tous les esprits et pour- quoi cet empressement à obéir au commandement de : Peloton, en tirailleurs ! Le mot de l'énigme est facile à trouver. Pendant leur conversation avec le

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berger, les zouaves prirent des informations sur le lieu devaient se trouver les brigands ; et le bon vieillard, qui les avait vus de ses propres yeux, il y avait deux jours, leur dit que les brigands devaient passer par tel chemin le lendemain matin. " C'est moi, ajouta-t-il qui leur ai recommandé de suivre cette voie pour échapper à votre poursuite. Ils m'avaient demandé auparavant si je vous avais vus. Sur ma réponse affirmative, ils ont voulu savoir quelle direction vous prendriez. Alors, je leur ai indiqué une direction toute contraire à celle que vous suiviez, pensant par les faire tomber dans le piège. Mais je me suis trompé dans mon attente. Demain cependant, j'espère que mes vœux seront exaucés, et voici pour quelle raison : en s' éloignant de moi, ils ont répété deux fois les paroles suivan- tes : " Au revoir, dans deux jours nous viendrons te voir en passant par le chemin que tu nous as montré. Mais sois bien averti : si tu nous trahis ou si tu dévoiles le lieu de notre retraite, ta vie sera la rançon de ton infâme conduite." Ils dirent, et puis ils disparurent dans l'épaisseur des bois.

Il était huit heures du soir lorsque les zouaves reprirent leur faction ; chacun se plaça au pied d'un arbre pour se garantir de la pluie, qui ne diminuait pas, et attendit en silence. La nuit fut assez belle

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néanmoins '; car, vers minuit, la pluie cessa, les nuages se dispersèrent et la lune se montra à travers le feuil- lage mollement agité par une légère brise du midi. Le beau temps ranima le courage des zouaves, mais aussi il leur emporta un doux sommeil vers les trois ou quatres heures du matin. C'était la première fois que, depuis leur départ, ils prenaient un peu de repos. Il faut l'avouer, l'heure n'était pas bien choisie pour se jeter dans les bras de Morphée ; mais les forces de ces preux jeunes gens étaient complètement épui- sées par les marches, les veilles et la faim. Ainsi, point de reproches.

Cependant les heures s'écoulent rapidement, et pas un brigand ne se montre la figure. Il est un adage populaire qui dit : " Vous ne perdez rien pour atten- dre." C'est ce que firent les chasseurs de brigands ; ils attendirent jusqu'à sept heures, toujours sommeil- lant légèrement, un œil fermé et l'autre ouvert, et assis au pied des arbres avec leurs carabines sur les genoux. Enfin, leur espérance va être exaucée. Voilà qu'une détonation se fait entendre. Aussi prompts que l'éclair, les zouaves se lèvent et épaulent leurs carabines. " Qu'y a-t-il? crie-t-on de toutes parts. Cinq brigands, répond un gendarme. Les voilà à dix pas de nous. Le chef est à cheval."

Un zouave français du nom de Marchand, qui se

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trouvait à vingt pieds du chef, ajuste ce dernier et presse la détente ; mais le fusil rate. De son côté, le chef des brigands met le zouave en joue et fait feu. Et le coup ne part pas non plus. Marchand fait une volteface et se cache derrière un arbre pour armer de nouveau. Le chef épaule une autre carabine les bri- gands en avaient presque toujours deux, mais, au moment il tirait la gâchette, une balle lancée par un caporal, que nous avions baptisé du nom de l\iit Jean, vint le frapper au cœur et le renverser par terre baigné dans son sang. Au même instant, deux autres brigands tombent sous un véritable orage de balles. Un quatrième est blessé par Petit Jean, mais il trouve son salut dans la fuite. Le cinquième s'était éclipsé au commencement de la mêlée. Inutile de faire observer que cette "capture causa une grande joie aux zouaves.

Lorsque nos camarades furent de retour à Velletri avec les brigands qu'ils avaient tués, nous exposâmes les trois cadavres sur la plus grande place de la ville, afin de jeter la terreur dans le cœur de la population, parce que les brigands avaient des affiliés ou des com- plices dans la plupart des petites villes de cette pro- vince, et à Velletri plus qu'ailleurs.

Cette exposition de cadavres a obtenu les plus beaux résultats ; car, depuis cette époque, nous

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n'avons plus entendu parler de .vols, de pillages, de meurtres, etc.

Nous avons traité longuement la question du brigandage pour deux raisons : la première, c'est parce que les brigands faisaient cause commune avec les révolutionnaires ou les garibaldiens, et la seconde, c'est parce que les zouaves ont réussi, dans une grande mesure, à purger le sol italien de ces monstres humains, du moins pendant leur séjour dans les Etats de l'Eglise.

LE CAMP D ANNIBAL ET PIE IX

Le 28 juillet 1868, nous recevions l'ordre d'éva- cuer Velletri et de nous transporter à Rome. Nous pensions faire un long séjour dans la Ville Eternelle, mais vaine illusion ! A peine avons-nous établi nos quartiers-généraux aux Termini, c'est-à-dire aux fameux thermes de Dioclétien, que le clairon sonne " Sac au dos." Nous partons pour Rocca-di-Papa, ou camp d'Annibal, en suivant la route de Grotta- Ferrata. La distance que nous avons à parcourir est de vingt-quatre milles environ.

Après dix heures de marche, nous foulons le ter- rain sur lequel Annibal, illustre général carthaginois, vint établir son camp quelques jours avant la célèbre bataille du lac de Trasimène, pendant laquelle les Romains, commandés par Flaminus. Caïus furent taillés en pièces, en l'an 217 avant Jésus-Christ. C'est pour cela que cet endroit est connu sous le nom de Camp cV Annibal. Le grand

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capitaine africain avait certainement étudié la topo- graphie de l'Italie, car il n'y avait pas de lieu plus propre au campement d'une armée de plus de cent mille hommes.

Il est difficile de se former une juste idée des souf- frances que nous avons endurées pendant que nous étions campés à Rocca-di-Papa. Nous dormions sur la dure, quelques brins de fugère ou de paille nous séparant de la terre humide, et nous couchions tout habillés. L'avant-midi, nous faisions l'exercice de bataillon ; le midi, le clairon sonnait l'appel de pro- preté avec sac au dos, au front de bandière, et l'après-midi se passait en corvées de toutes sortes.

Malgré nos rudes labeurs, nous étions toujours heureux et joyeux. Heureux, parce qu'il nous était donné de souffrir pour la bonne cause. Joyeux, parce que nous savions que les fatigues que nous endu- rions nous seraient d'un grand secours, quand nous aurions à combattre les ennemis de la Papauté. Par cette vie active et dure, les corps se brisaient à l'en- durance, et ni la faim, ni la soif, ni la chaleur, ni le froid ne pourront plus tard nous arrêter au milieu des batailles. Pendant le jour, il faisait très chaud, et, pendant la nuit, le froid était rigoureux ; nous étions campés à 2,700 pieds au-dessus du niveau de la Méditerranée.

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Le 10 août fut pour nous un jour de fête, que nous n'oublierons jamais. Sa Sainteté Pie IX vint rendre visite à son armée et célébrer le saint sacri- fice de la messe au milieu de ses chers soldats.

Quelle belle cérémonie ! Quelle pompe ! Figurez- vous huit mille hommes sous les armes, rangés eu ordre de bataille, la tête haute et fière, l'œil vif et pénétrant, gardant un silence solennel, et tous tour- nés vers un magnifique autel élevé pour la circons- tance à l'est du camp. Voyez apparaître à la gau- che de ces valeureux guerriers, dans la direction de Rocca-di-Papa, l'auguste Pie IX, le vicaire de Jésus- Christ, escorté de trois cardinaux, d'un grand nom- bre' de prélats, de la Garde Noble, d'un nombreux piquet de zouaves, de l'état-major du régiment et de plusieurs princes qui considèrent, avec raison,comme une insigne faveur le privilège d'accompagner l'Evêque de Rome. Aussitôt que le Pape commence à gravir les Monts Algides, une bruyante salve d'ar- tillerie salue le roi de l'uniuers catholique ; le corps de musique des zouaves et celui des Chasseurs indi- gènes, Caceiatori, font entendre leurs harmonieux accords, et ne cessent de jouer que lorsque Notre Saint Père est arrivé à la chapelle militaire. Pendant qu'il traverse les rangs de ses nombreux' enfants et qu'il les bénit affectueusement, ceux-ci se tiennent dans la position de genou-terre.

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Aussitôt que le Pape fut descendu de voiture, il revêtit de riches ornements pontificaux et commença le divin sacrifice. Quelle majesté dans toute sa per- sonne ! quelle sainteté brille sur son auguste visage ! quelle tendre affection dans le regard ! Ce n'est plus un simple mortel, mais un ange sous la forme humaine. . Pendant tout l'office, nous restâmes les veux sur l'immortel successeur de Saint Pierre, et cette vue nous apporta à l'âme un charme indéfi- nissable.

Après la messe, le Saint-Père se rendit sur un balcon, con'struit par la compagnie du génie, fit son action de grâces et monta ensuite sur un magnifique trône érigé au milieu du balcon. L'heure solennelle était arrivée. Pie IX venait de prier pour ses chers zouaves ; mais ce n'était pas assez : il devait répandre sur eux les bénédictions célestes. Nous l'entendîmes alors réciter d'une voix forte et vibrante le Benedicat vos Omnipotens Deus, etc. Que cette bénédiction, donnée par le Pontife-Roi nous a fait du bien ! En relevant nos fronts courbés dans la poussière, nous étions complètement changés : nous étions redevenus les véritables enfants de La Moricière.

Il était alors deux heures de relevée. Le Pape monta dans son carosse, visita le camp en passant au front des tentes, prit un peu de nourriture â la pen-

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sion des officiers et se dirigea ensuite vers Rome. La fête était terminée. Nous pouvons bien répéter ces paroles de l'Ecriture Sainte : " Pleni dies. " Oui, c'était réellement un jour plein pour nous, plein de bonheur, de faveurs célestes et de consolations, et un jour plein qui mérite sa place dans les annales du régiment.

NOCES D'OR DE PIE IX ET OUVERTURE DU CONCILE DU VATICAN

Le 11 avril 1869 est une date à jamais mémorable pour l'Eglise catholique : Pie IX célèbre, à la confes- sion des apôtres saints Pierre et Paul, le cinquième anniversaire de son élection au sacerdoce, entouré de cardinaux, de prélats, de plusieurs membres de sa famille, entre autres Louis Mastaï Ferretti, fils du comte Gabriel, retenu à Sinagaglia par la vieillesse, de tous les représentants des cours étrangères et de 70,000 à 80,000 pèlerins venus de toutes les parties du monde. Jamais fôtes ne furent aussi pompeuses et aussi universelles parce que jamais Pape n'avait été entouré de tant d'amour et de vénération, parce que jamais Pape n'avait vu un règne aussi glorieux et aussi rempli de persécutions et d'amertume.

Les fêtes des noces d'or de Pie IX commencèrent le 10 avril et durèrent trois jours. Il nous est impos-

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sible de peindre convenablement toute la grandeur et la magnificence de ce jubilé. Ce fut un véritable déluge de réjouissances pour toute la chrétienté. Pie IX lui-même ne put contenir les flots de joie et de bonheur qui inondaient son cœur et laissa échap- per ces paroles devant quelques pèlerins prosternés à ses pieds : " Mon Dieu, ayez pitié de moi, c'est trop de bonheur ! J'ai peur que bientôt, quand je paraîtrai devant votre justice, vous ne me disiez : " Tu as été récompensé." Non pas à moi, mais à vous, ô mon Dieu, à vous seul l'amour des chré- tiens."

L'archevêque de Cologne, Mgr Melchers, a peint ces fêtes d'un seul trait : " Jamais Pape, a-t-il dit, ne s'est vu en relations à la fois si intimes et si uni- verselles avec le cœur de l'humanité.

La journée du 10 avril fut consacrée à la lecture des adresses présentées à Pie IX par les différentes associations catholiques de la terre. En jetant les yeux sur ces adresses couvertes de plusieurs millions de signatures, le Pape dit a ceux qui l'entouraient : " Voici la véritable expression du suffrage universel catholique." Dans l'après-midi, le Pape, accompa- gné de sa cour, alla faire une visite à la petite église de Sainte-Anne de Faiegnami, où, le 11 avril 1819, Jean-Marie Mastaï Ferretti disait sa première messe,

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à l'âge de 27 ans. Le soir, la coupole de Saint- Pierre fut illuminée. Nous avions déjà contemplé cette scène grandiose ; mais c'est un spectacle toujours nouveau. Nous étions placé, à cette heure- là, sur le mont Pincio, non loin de l'église de la Trinité-des-Monts. La coupole nous parut comme un immense globe de feu suspendu dans les airs. La profonde obscurité qui recouvrait la ville aug- mentait encore l'effet féerique de l'illumination. La basilique de Saint-Pierre était alors la véritable image de la " Jérusalem céleste qui éclaire des rayons de sa gloire les ténèbres et les combats de Sion."

Le 11, de bonne heure le matin, la vaste basilique de Saint-Pierre est littéralement remplie de fidèles. A sept heures et trois quarts, Pie IX, porté sur la Sedia gestatoria, fait son entrée dans la basilique, passe au milieu des zouaves qui forment la haie de chaque côté de la grande nef, depuis la porte de» bronze jusqu'à la confession, et monte à l'autel pour y célébrer le saint sacrifice de la messe. L'office divin terminé, le Souverain Pontife retourne au Vatican.

La journée se termine par un magnifique feu d'artifice ou girandola, devant l'église de San Piedro in Montorio, non loin de l'endroit Saint-Pierre

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fut crucifié la tête en bas. La girandola, à Rome, surpasse tous les feux d'artifice de l'univers ; il n'y a que les Romains qui possèdent le secret de créer des merveilles de ce genre.

Le 12, Rome célèbre le double anniversaire du retour de Pie IX de Gaète et sa préservation mira- culeuse à l'église de Sainte-Agnès. Nous avons déjà relaté le premier événement ; nous n'y reviendrons pas. Voici comment les historiens de l'époque rap- portent le second :

Le 12 avril 1855, le Très Saint- Père alla célébrer l'office divin à la basilique de Sainte- Agnès, bâtie en 324 par Constantin, à la prière de sa fille Cons- tance, guérie miraculeusement par l'intercession de la jeune vierge martyre, sainte Agnès.

Après la messe, le Pape se rendit dans la salle du chapitre pour prendre le déjeuner avec les nombreux invités et passa ensuite dans la chambre voisine pour admettre au baisement des pieds les élèves de la Propagande. Pie IX était à peine assis que la poutre principale de l'édifice se rompit, et le plancher s'ef- fondra. Le Pape et sa suite furent précipités dans l'étage inférieur. Après quelques instants d'un lugubre silence, on vit sortir, du milieu des décom- bres, Pie IX, qui n'avait reçu aucune contusion. Personne de l'assistance ne fut blessé. Le Pape entra

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aussitôt dans le temple sacré, il entonna le Te Deum en l'honneur de sainte Agnès, à laquelle il attribua sa préservation miraculeuse. A" son retour, Pie IX parcourut le Corso dans toute sa longueur. La population entière se porta sur son passage pour l'acclamer et implorer sa bénédiction. On entendait de toutes parts : " Viva Pio Nono ! Viva il santissimo Padre ! Vive Pie IX ! Vive le Très Saint-Père ! " On viendra nous dire ensuite que le Pape n'était pas aimé de son peuple. Il n'y a que ses ennemis qui puissent proférer cet impudent" mensonge, fabriquer cette monstrueuse calomnie. Nous avons vécu au milieu du peuple romain, et nous sommes convaincu que le peuple romain aimait Pie IX, comme il a aimé Léon XIII et comme il aime encore Pie X.

Le bouquet des noces d'or du Pape fut l'illumina- tion générale de la ville de Rome. Ce fut un spec- tacle ravissant. . Une personne qui serait tombée tout à coup au milieu de la ville de Romulus, sans savoir, qu'il se trouvait dans la capitale du monde catholique, aurait cru assister à un vaste incendie.

Nous arrivons au plus grand événement de l'année 1869 : nous voulons parler du Concile Oecuménique du Vatican, convoqué par une bulle du 29 juin 1868. Tous les évêques de la catholicité furent invités à prendre part aux délibérations de ce Concile, et tous

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il faut excepter ceux qui en furent empêchés par la vieillesse ou la maladie répondirent à l'appel de leur chef.

Le S décembre 1869, jour de la fête de l'Imma- culée Conception, à cinq heures du matin, toutes les troupes pontificales furent appelées sous les armes et échelonnées sur la place Saint-Pierre. Nous étions près de l'obélisque de Néron, la carabine au bras depuis deux heures et exposés à une pluie torren- tielle, lorsque le colonel Allet nous donna l'ordre de marcher de l'avant. Cet ordre arrivait à temps : nous étions mouillés jusqu'aux os et transis de froid, nous grelottions comme si nos membres avaient été mis en mouvement par des ressorts invisibles. Nous entrons dans, l'immense basilique constantinienne, et nous formons la haie comme aux grandes fêtes des noces d'or de Pie IX. Les zouaves étaient les enfants gâtés du Saint-Père ; car, dans toutes les circonstances solennelles, les officiers supérieurs nous assignaient invariablement la place d'honneur. Après quelques moments d'attente, notre bon papa Allet commande le genou-terre. Toute l'assistance tombe à genoux comme foudroyée, à la vue du vénérable vieillard du Vatican et des sept cents soixante-onze têtes mitrées qui le précèdent. Quelle majestueuse pro- cession nous voyons alors défiler ! Quelle grandeur

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et quelle vertu ! Nous avons devant nous ce que l'Eglise renferme de plus saint. Nous avons devant nous les prélats" les plus illustres que le catholi- cisme ait jamais donnés à la terre. Nous avons devant nous les plus, courageux athlètes qui aient jamais figuré sur la scène catholique. Nous avons devant nous, enfin, les plus nobles défenseurs du droit et de la Papauté.

Les cérémonies de l'ouverture du Concile se pro- longèrent jusqu'à deux heures de l'après-midi. Nous retournons à nos casernes complètement épuisés de fatigue et de faim. Etre debout depuis cinq heures ' du matin jusqu'à deux heures de l'après-midi, sans bouger un seul instant et n'ayant pris pour toute nourriture qu'un demi-litre de café noir ! C'est presque incroyable. Pourtant c'est la vérité, et encore le temps nous a paru court, tant le cœur avait éprouvé de si douces jouissances.

Les délibérations du Concile du Vatican, qui pro- clama néanmoins le dogme de l'infaillibilité du Pape, furent interrompues en 1870, à la veille des grands et tristes événements que nous raconterons dans le prochain chapitre.

LE 20 SEPTEMBRE 1870

Montalembert écrivait au lendemain de l'invasion des Romagnes, en 1870 :

" La pièce s'est jouée en trois actes : la diffama- tion, l'usurpation, la votation ; chaque acte a eu ses acteurs : les écrivains, les fantassins, les électeurs ; c'est un procédé désormais connu.

" On dénonce un souverain. Son gouvernement est imparfait, intolérable ; ses sujets sont mécontents opprimés, exaspérés. Il ne se soutient plus que par les armes étrangères, il manque de force morale, de force matérielle, il est perdu. Voilà le souverain diffamé, et si la dénonciation tombe de haut, tous les matins deux mille journalistes en répètent à deux millions de lecteurs l'écho retentissant.

" Tout d'un coup on affirme que ce souverain si

faible est menaçant, qu'il songe à attaquer, qu'il

groupe quelques soldats ; il faisait pitié, il fait peur. . 9

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Prenons nos précautions, violons ses frontières ! C'est le second acte : on envahit le territoire.

" Puis, maître du pays, on consulte les sujets. Etes-vous heureux ? Non. Voulez-vous le devenir ? Oui. Le malheur, c'est Pie IX ; le bonheur, ce sera Victor-Emmanuel. Vive Victor-Emmanuel ! La pièce est jouée, la toile tombe ; on s'endort Romain, on se réveille Piémontais, mais toujours contribuable, et, de plus, conscrit."

C'est la même comédie qui se joua en 1870. Le comte Ponza dit San-Martino se chargea de jouer le premier acte en portant au Pape la lettre qu'on va lire, c'est un monument d'irypocrisie :

" Très Saint-Père,

" Avec une affection de fils, avec une foi de catho- lique, avec une loyauté de roi, avec un sentiment d'Italien, je m'adresse encore, comme j'eus à le faire autrefois, au cœur de Votre Sainteté.

" Un orage plein de périls menace l'Europe. A la faveur de la guerre qui désole le centre du conti- nent, le parti de la révolution cosmopolite augmente de hardiesse et d'audace et prépare, spécialement en Italie et dans les provinces gouvernées par Votre Sainteté, les derniers coups contre la monarchie et la Papauté.

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" Je sais, Très Saint-Père, que la grandeur de Votre âme ne le céderait jamais à la grandeur des événements, mais moi, roi catholique et roi italien, et, comme tel, gardien et garant, par la disposition de la divine Providence et par la volonté de la nation, des destinées de tous les Italiens, je sens le devoir de prendre, en face de l'Europe et de la catho- licité, la responsabilité du maintien de l'ordre dans la Péninsule et de la responsabilité du Saint-Siège.

" Or, Très Saint-Père, l'état d'esprit des popula- tions gouvernées par Votre Sainteté et la présence parmi elles de troupes étrangères venues de lieux divers avec des intentions diverses, sont un foyer d'agitation et de périls évidents pour tous. Le hasard ou F effervescence des passions peut conduire à des violences et à une effusion de sang qu'il est de mon devoir et du Vôtre, Très Saint-Père, d'éviter et d'empêcher.

" Je vois l'inéluctable nécessité, pour la sécurité de l'Italie et du Saint-Siège, que mes troupes, déjà préposées à la garde des frontières, s'avancent et occupent les positions qui seront indispensables à la sécurité de Votre Sainteté et au maintien de l'ordre.

" Votre Sainteté ne voudra pas voir un acte d'hos- tilité dans cette mesure de précaution. Mon gou- vernement et mes forces se restreindront absolument

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à une action conservatrice et tutélaire des droits facilement conciliables des populations romaines avec l'inviolabilité du Souverain-Pontife, et de son auto- rité spirituelle avec l'indépendance du Saint-Siège.

" Si Votre Sainteté, comme je n'en doute pas, et) comme son caractère sacré et la bonté de son âme me donnent le droit de l'espérer, est inspirée d'un désir égal au mien d'éviter tout conflit et d'échapper au péril d'une violence, Elle pourra prendre avec le comte Ponza di San-Martino, qui lui remettra cette lettre et qui est muni des instructions opportunes par mon gouvernement, les accords qui paraîtront mieux devoir conduire au but désiré.

" Que Votre Sainteté me permette d'espérer encore que le moment actuel, aussi solennel pour l'Italie que pour l'Eglise et la Papauté, rendra efficace l'esprit de bienveillance qui n'a jamais su s'éteindre dans votre cœur, envers cette terre qui est aussi Votre patrie, et les sentiments de conciliation que je me suis toujours étudié avec une persévérance infatigable à traduire en actes, afin que, tout en satis- faisant aux aspirations nationales, le chef tle la catholicité, entouré du dévouement des populations italiennes, conservât sur les rives du Tibre un siège glorieux et indépendant de toute souveraineté humaine.

" Votre Sainteté, en délivrant Rome de troupes étrangères, en l'enlevant au péril continuel d'être le champ de bataille clés esprits excessifs, aura accompli une œuvre merveilleuse, rendu la paix à l'Eglise, et montré à l'Europe épouvantée par les horreurs de la guerre, comment on peut gagner de grandes batailles et remporter des victoires immortelles par un acte de justice et par un seul mot? d'affection.

" Je prie Votre Sainteté de vouloir bien m'accor- der sa bénédiction apostolique, et je renouvelle à Votre Sainteté l'expression des sentiments de mon profond respect.

Florence, 8 septembre 1870.

" De Votre Sainteté,

" Le très humble, très obéissant

et très dévoué fils,

" Victor Emmanuel."

La diffamation est consommée par un roi ; mais elle est repoussêe avec indignation par un autre roi. Pie IX répondit à Ponza, après avoir pris connais- sance de ces impudents mensonges et de ces préten- dues expressions de dévouement à l'Eglise : quoi bon cet effort d'hypocrisie inutile ? Ne valait- il pas mieux me dire tout simplement qu'on voulait me dépouiller de mon royaume ? "

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Ponza ayant commenté la lettre de Victor-Emma- nuel dans un sens favorable, le Pape lui répliqua : " Mais enfin, vous parlez toujours des aspirations des Romains ! Eh bien ! vous pouvez voir de vos propres yeux combien ils sont tranquilles." Le comte Ponza se trouvait donc en présence d'un démenti formel.

Lorsque Pie IX congédia le " commissaire géné- ral des Etats romains, " il lui dit : " je puis bien céder à la violence, mais adhérer à l'injustice... jamais !"

Le comte Ponza di San-Martino était arrivé à Rome le. 9 septembre ; il s'en éloignait le 11, avec la lettre suivante, que Pie IX adressait à Vietor- Emmanuel, le roi galant-homme.

" Au roi Victor-Emmanuel,

" Sire,

" Le comte Ponza di San-Martino m'a remis une lettre que Votre Majesté m'a adressée ; mais elle n'est pas digne d'un fils affectueux qui se fait gloire de professer la foi catholique et se pique d'une royale loyauté. Je n'entre pas dans les détails de la lettre elle-même, pour ne pas renouveler la douleur que sa première lecture m'a causée. Je bénis Dieu, qui a permis à Votre Majesté de combler d'amer-

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tume la dernière partie de ma vie. Du reste, je ne puis admettre certaines demandes, ni me conformer à certains principes contenus dans cette lettre. J'in- voque Dieu de nouveau, et je remets entre ses mains ma cause qui est entièrement la sienne. Je le prie d'accorder de nombreuses grâces à Votre Majesté, de la délivrer des périls et de lui dispenser des miséri- cordes dont Elle a besoin.

" Du Vatican, le 11 septembre 1870,

" Pio PP. IX "

C'est ainsi que parle le roi diffamé, et c'est ainsi que se termine le premier acte de la pièce. Passons maintenant au second, c'est-à-dire à l'usurpation.

Le même jour que le comte Ponza di San-Martino quittait Rome, les troupes piémontaises franchis- saient la frontière romaine et s'emparaient de Bagno- rea et de Montefiascone, que les zouaves avaient évacuées quelques instants auparavant. L'invasion était commencée, et cela sans raison aucune et sans aucune déclaration de guerre. Ce n'est pas le mot invasion qu'il faudrait employer, mais bien l'expres- sion de vol de territoire. Victor-Emmanuel repré- sente ici le lion de la fable : " Je m'appelle lion, se dit-il ; par conséquent je prends le royaume du Pape." Et le nouveau Judas envoie le lieutenant-

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général Itaffael Cadorna exécuter ses ordres iniques.

Cadorna entre alors dans les Etats de l'Eglise avec cinq divisions et une réserve, formant trois corps d'armée. Les forces piémontaises se répartis- sent comme suit : quatre-vingts bataillons d'infante- rie, dix-sept bataillons de bersaglieri ; cent quatorze pièces, cinq compagnies de train et une compagnie de pontonniers. L'effectif de l'armée s'élevait à 81,478 hommes.

Cadorna, ayant trois divisions sous son comman- dement, s'avançait du côté des Légations et de la Sabine. Bixio, à sa droite, avec la 2ème division, menaçait les frontières du côté de la Toscane, et Angioletti, à la gauche, quittait le royaume de Naples avec le 3ème corps d'armée. Avant même de prévenir le Pape, l'armée piémontaise avait pris ses positions sur la frontière ; car, le 7 septembre, Bixio avait son quartier général à Orvieto ; Cadorna, à Rietti ; Mazé de la Roche, à Terni ; Ferrero, A Narni ; et Angioletti, à Cassino.

Pendant que ces différents corps d'armée s'avan- çaient sur Rome, une flotte de douze navires de guerre, commandée par le contre-amiral Del Caretto, se dirigeait vers le port de Civita-Vecchia.

Telle était la position de l'armée piémontaise au commencement de l'invasion. Rome était donc cernée de toutes parts.

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Maintenant, quels moyens ou quelles forces Pie IX avait-il à sa disposition pour défendre son terri- toire de cinquante lieues de longueur sur quinze de largeur en moyenne ? Treize mille six cent quatre- vingt-quatre hommes de troupes chiffre officiel, et encore disséminés dans les cinq provinces romaines savoir : Velletri, Frosinone, Viterbe, Civita-Yec- chia et Comarca. Plusieurs bataillons se trouvaient à Rome dans le moment pour protéger notre Saint- Père. Défendre cinq provinces, avec une poignée de soldats, contre trois corps d'armée,- c'eût été une folie et un sacrifice inutile de vies. Aussi, le général Kanzler, pro-ministre des armes, donna-t-il Tordre d'abandonner les provinces à l'approche de l'ennemi et de converger vers Rome, tout en laissant aux commandants la latitude de faire une " honorable résistance." Cet ordre fut ponctuellement exécuté, comme nous le verrons dans le cours de ce récit.

La retraite des zouaves de la province de Viterbe, sous la direction du lieutenant-colonel de Charette, a été un des exploits les plus glorieux et les plus hardis accomplis par notre régiment. Nous en ferons donc une narration aussi fidèle que possible, en nous appuyant sur le témoignage de nos camarades de la 6ème compagnie du 4ème bataillon à laquelle nous avons eu le bonheur d'appartenir, et sur celui du

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comte de Beaufort, témoin oculaire du vol commis par Victor-Emmanuel.

Bixio, l'ancien lieutenant de Garibaldi, s'empare d'abord de Bagnorea, le 11 septembre, comme nous l'avons dit précédemment. Cette ville n'était défen- due que par vingt zouaves commandés par le lieu- tenant de Kervyn. Ce dernier, averti à trois heures par un courrier de Capraccia que l'ennemi s'avance, prend alors le parti de se replier sur Montefiascone ; mais, trompé par un faux rapport, il retarde son départ et, surpris par les Piémontais, il est fait prisonnier avec son détachement. On les promena ensuite à travers l'Italie, dit M. de Beaufort, en butte aux mauvais traitements de leurs vainqueurs et aux insultes d'une lâche populace.

Les Italiens marchent tout de suite sur Montefias- cone qu'ils croient surprendre : mais le commandant de Saisy ayant reçu, la veille, l'ordre de retraiter sur Viterbe avec ses deux compagnies de zouaves, " au dernier moment et sans engager d'action," quitte cette ville à dix heures du soir alors que l'armée piémontaise pénètre dans Montefiascone par une porte opposée, et arrive à Viterbe, la même nuit, sans avoir été inquiété dans sa retraite. Du reste, M. de Saisy avait pris ses mesures pour protéger sa petite colonne en la flanquant de tirailleurs. L'arrivée de ces deux

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compagnies de zouaves à Viterbe fut saluée par les cris de : " Vive Pie IX ! "

Bixio passe la nuit à Montefiascone. Le lende- main matin, il lève le camp, et, pour couper la retraite à de Charette et à ses zouaves qui se trou- vaient alors à Viterbe, au lieu de marcher sur cette dernière ville, il prend un chemin à droite et se dirige sur Civita-Vecchia par la route de Toscanella et de Corneto, en laissant un bataillon derrière lui, afin de cerner la petite armée pontificale commandée par notre brave lieutenant-colonel.

Le baron de Charette, qui avait été mis au cou- rant de la démarche du comte Ponza di San-Martino, avait averti tous les avant-postes de se tenir prêts à se replier en cas d'attaque ; et tous les détachements avaient obéi à ses ordres. Les deux mille hommes échelonnés dans la province de Viterbe, étaient donc alors réunis -sous le commandement du héros de Mentana. Mais quel parti prendre dans cette situa- tion périlleuse ? Combattre ou retraiter, pas d'autre issue. M. de Charette, après avoir mûrement réfléchi, se décide à la retraite. Pour exécuter cette manœu- vre audacieuse, de Charette n'avait plus le choix des routes. Cadorna devait nécessairement bloquer la voie la plus directe : celle de Ronciglione et de Mon- terosi. Il ne restait donc que celle de Civita-

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Vecchia par Vetralla ; c'était parcourir la base d'un triangle dont Rome occupait le sommet, Mais il fallait bien passer par pour ne pas tomber entre les mains de l'ennemi et priver ainsi Rome de l'élite de ses troupes.

Ce parti pris, de Charette se prépare à la retraite. Mais, pour ne pas paraître fuir devant l'armée piémontaise et lui laisser le champ libre, il prend la résolution de se fortifier à Yiterbe et d'y attendre Bixio. Le 12, à sejDt heures du matin, les barricades et les autres travaux de fortification sont terminés. En un mot, la ville est mise en état de défense. De Charette, placé dans l'observatoire établi au sommet de la tour de la caserne, examine les mouvements de l'ennemi, qui était campé sur les hauteurs de Montefiascone et à Bagnorea, située à droite de Mon- tefîascone et à six milles environ de Yiterbe. Vers dix heures et demie, le brave commandant des zouaves voit une colonne piémontaise lever le camp et se diriger vers Toscanella et Carcanello dans le but évident de couper la route de Corneto, et une autre colonne se porter sur Yiterbe. En même temps, des paysans arrivent à Yiterbe et préviennent de Charette que deux colonnes du corps de Cadorna s'avancent du côté d'Orte et de Soriano. Quelques minutes s'étaient à peine écoulées, que les zouaves

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aperçoivent distinctement l'ennemi sur la route de Ronciglione.

Il n'y avait plus à retarder le départ sans être complètement investi. De Charette assemble alors son conseil de guerre, et il est résolu d'évacuer Viterbe immédiatement. Des ordres sont donnés aux offi- ciers, et les troupes pontificales abandonnent Viterbe et se retirent au casino Polidori, à un mille et demi de cette ville. Les habitants saluent leur départ par les cris de : " Corraggio, Zuavi ! Courage, zouaves ! Corraggio, figli ! Courage, enfants ! " Encore un dé- menti à la lettre de Victor-Emmanuel. Toute la petite troupe pontificale se trouvait réunie au casino Polidori, à l'exception de quelques vedettes et de douze hommes de garde au poste de la Place qui avaient été faits prisonniers, parce que l'ordre de la retraite avait été mal compris.

Le lieutenant-colonel de Charette donne le com- mandement de marcher de l'avant. Les troupes pon- ticales prennent la route de Vetralla elles arrivent à six heures du soir. Deux heures avant d'atteindre cette petite ville, des cavaliers piémontais ont rejoint la troupe du Pape ; mais ils sont obligés de rebrous- ser chemin en voyant l'attitude fière et menaçante des zouaves. .

Le 13 septembre, à 6 heures du matin, la petite

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troupe pontifieale sort de Vetralla et se dirige, par une chaleur suffocante, sur la petite ville de Monte- Romano, elle fait son entrée à dix heures, au milieu des vivats de la population. De Charette accorde quelques heures de repos à ses soldats avant de commencer la célèbre retraite de Viterbe propre- ment dite. Les hommes tombent de fatigue ; une soif dévorante les brûle ; et pourtant ils sont encore pleins de courage. De temps à autre, on les entend crier : " Vive Pie IX ! " Après avoir récupéré leurs forces, les zouaves se mettent en marche pour se rendre à Civita-Vecchia ; mais la route qui conduit de Monte-Romano à Corneto, par ils doivent passer, est déjà occupée par les Piémontais. Comment de Charette s'y prit-il pour sortir de cette impasse ? Pour répondre à cette question, nous laissons la parole à M. de Beaufort :

" Essayer de forcer le passage eût été téméraire, vu l'infériorité numérique des troupes romaines, et la forte position de Bixio à Corneto. Si l'on était obligé de combattre pour s'ouvrir la route, mieux valait-il le faire le plus près possible de Civita- Vecchia, l'on trouverait des soutiens et un asile ; il fallait donc gagner Civita-Vecchia le plus tôt possible ; pour cela, on n'avait qu'une route longue, difficile, passant près des montagnes escarpées,

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inconnues, et c'était pendant la nuit qu'on devait la suivre . . .

" Le temps presse cependant. La troupe s' étant un peu reposée,' M. de Charette adresse quelques mots à ses soldats, et, sans même avoir le temps d'achever le repas commencé, par une accablante chaleur et au cri de " Vive Pie IX, " on commence, vers trois heures et demie, cette retraite de douze heures qui ne devait finir qu'à Civita-Vecchia, et qui serait admirée comme elle le mérite, si, exécutée en autre temps, elle eût trouvé un historien digne d'elle.

" A quelque distance de Monte-Romano, il fallait quitter la grande route pour se jeter à gauche dans la traverse. Le chemin que l'on prit, mauvais dès l'abord, était cependant praticable. Au bout de quelques milles, il cesse complètement c'est à gué, et de l'eau jusqu'au dessus du genou, qu'on passe le petit fleuve du Mignone ; puis, on se trouve en pleine montagne, dans des sentiers bons seulement pour des bêtes de somme. C'est pourtant le seul chemin possible pour la colonne ; il faut y faire passer l'artillerie ; et avec le jour qui baisse, aug- mentent les difficultés. Tantôt descendant au fond des ravins escarpés, tantôt gravissant des pentes abruptes, tantôt par de brusques détours contournant

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des saillies de rochers, gênés par l'inégalité même d'un sol raboteux, hérissé de pierres aux arrêtes vives, on triomphe de tous les obstacles. On avance même la marche semble impossible ; quand les deux canons et la mitrailleuse ne peuvent passer, on leur attache des cordes et on les hisse à force de bras. Deux fois ainsi, l'on doit monter séparément les caissons et les pièces ; ailleurs, il faut aux six chevaux d'attelage joindre une vingtaine de soldats. Pour les bagages, il en est de même, et parfois on doit les transporter et enlever en quelque sorte les chariots. Un ou deux se brisent, qu'on abandonne ; les autres passent, ainsi que les canons, grâce aux efforts soutenus de la troupe.

" Les hommes tombent de fatigue, mais aucun ne se plaint, et le courage leur donne une force nou- velle, maintenue par le bon esprit de tous et l'éner- gie que savent inspirer le lieutenant-colonel de Cha- rette et le lieutenant d'artillerie Maldura.

" On avait encore à courir un autre risque : une fois, dans la nuit, on aperçut du sommet d'une hau- teur les feux de nombreux bivouacs ennemis entre Corneto et Civita-Vecchia. Ils étaient encore éloignés ; mais la route s'en approchait. A force d'efforts, on avait, en continuant cette marche nocturne, gagné Allumiera et rejoint la route allant de Bracciano à

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Civita-Vecchia, mais bientôt on vit qu'en la suivant on tombait au milieu des Italiens : on était même si près d'eux qu'il n'était pas certain qu'on pût éviter leur rencontre. ' On fait une halte un instant ; de Charette donne à voix basse ses instructions aux officiers pour le cas d'une attaque, et échange avec eux une poignée de main d'adieu ; puis, quittant de nouveau la route frayée que suivent seuls les bagages et leur garde, on se jette à travers les champs, traî- nant encore les canons sur un sol parsemé de rochers jetés en désordre, et marchant ainsi en ligne droite et le plus vite dans la direction de Civita-Vecchia.

Tant d'efforts furent récompensés, et l'ennemi ne s'aperçut pas de la proximité des zouaves pontificaux. Bixio se promettait bien cependant de leur couper le passage. Il avait occupé par ses troupes la route de Corneto à Monte-Romano, et le pont du Mignone, il les attendait au passage. Ce qu'il n'avait pas prévu, c'est que des chemins impraticables les déro- baient à son atteinte.

" Vers deux heures du matin, la petite troupe

romaine entendit un bruit lointain ; c'était celui de

la mer, on approchait de Civita-Vecchia. Tout

n'était pas sauvé encore, et des fusées que l'on vit

alors s'élever au-dessus de la ville, dans le ciel encore

sombre, et dont le sens était connu, donnèrent bien 10

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quelques inquiétudes ; mais celles-ci ne furent pas confirmées. La marche se poursuivit heureusement : à trois heures, Pavant-garde atteignit les portes de la ville, et le reste de la colonne arriva à trois heures et demie dans Civita-Yecchia ; elle était en sûreté . .

" Pendant que les troupes de la prcvince de Viterbe effectuaient avec tant de bonheur une retraite si périlleuse, le général Bixio, que nous avons laissé à Corneto avec sa division, y attendait toujours la colonne pontificale. Il y demeura jusqu'au soir du 14. Ce jour-là, cependant, il avait poussé sa cava- lerie et les bersaglieri jusqu'en vue de Civita-Vecchia, et ayant enfin appris que ceux qu'il attendait lui avaient échappé, il ne songea plus qu'à s'emparer de Civita-Yecchia. La flotte italienne, étant venue dans la journée sous Corneto, au Porto-Clementino, Bixio alla, vers deux heures et demie, à bord du vaisseau- amiral " Roma, " se concerter avec l'amiral Caretto pour le siège de la place, et, se portant lui-même en avant, le 15, il établissait son quartier-général à Torre-Orlando, devant Civita-Arecchia.

" Vers le même temps, (au moment Bixio eut un entretien avec le contre-amiral Del Caretto) le lieutenant-colonel de Charette partait avec ses trou- pes. Le train qu'il prit était le train ordinaire de Civita-Vecchia à Rome. Entre la première de ces

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deux villes et une station voisine, il y eut un instant de sérieuse crainte. Le chemin de fer côtoyait de très près le rivage et l'on vit à une faible portée de terre une frégate'ennemie embossée, et qui semblait prête à prendre en écharne le train à son passage. Le danger était réel et grand ; mais on n'en eut que la crainte ; la présence de voyageurs civils dans le convoi et la certitude de tirer sur eux en même temps que sur les troupes arrêtèrent-elles la frégate italien- ne ? Celle-ci ignorait-elle que nos soldats étaient dans le train, crut-elle qu'ils allaient suivre dans un train spécial, ou bien n'eut-elle pas d'ordres ? Quoi qu'il en soit, le convoi poursuivit sa marche et fut bientôt hors d'atteinte ; on arriva ainsi jusqu'aux portes de Rome. Au pont du Tibre, le train s'arrêta; le triste souvenir de la caserne Serristori et de tenta- tives analogues faisaient craindre que des mains criminelles n'eussent essa}ré de miner le pont pour le faire sauter au moment du passage des troupes. Celles-ci descendirent du train, qui poursuivit sans elles, et, suivant la rive droite, elles entrèrent dans Rome par la porte Porthèse. L'anxiété sur leur sort n'était pas moindre à Rome qu'à Civita-Vecchia ; la joie de les devoir y fut égale.. Le pro-ministre des armes les attendait lui-même à la porte avec sa famille ; et ce fut au milieu des vivats et des accla-

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mations poussées par les troupes rangées près des murailles et par le peuple répandu dans les rues, que nos soldats de Viterbe firent leur entrée dans la capitale, bientôt ils durent se rendre aux postes de combat qu'on leur avait assignés."

Les jours suivants furent consacrés aux préparatifs de défense. Presque toute l'armée pontificale avait pu retraiter sur Rome : quelques détachements isolés, mais peu nombreux, avaient été faits prisonniers.

Les soldats pontificaux étaient rangés en bataille, autour de Rome, en dedans et près des murs.

Le 20 septembre, l'année piémontaise enveloppait la Ville Eternelle dans un cercle de feu. Le général Cadorna avait placé les Xle et Xlle divisions et la réserve au nord-est de la ville, en face des Portes Pia et Salaria ; Ferrero se trouvait à l'est, près de la porte Majeure ; Angioletti devait attaquer le sud vers la porte Latine, et Brixio était chargé de la partie qui fait face au Transtévôre.

A cinq heures et dix minutes, le premier coup de canon est tiré par l'ennemi, et un boulet vient frapper le mur à droite de la Porte Pia. C'est le signal de l'attaque. Bientôt "la fusillade devient générale. Les Italiens sont moisonnés par la mort, tandis que les pontificaux n'éprouvent que des pertes insignifiantes. Malgré l'active et courageuse défense des assiégés,

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l'armée ennemie pratique une brèche dans le mur qui avoisine la Porte Pia. Les Piémontais essaient par trois fois de pénétrer dans Rome par cette brèche ; mais, à chaque attaque, les bersaglieri, les meilleurs soldats des troupes assiégeantes, sont repoussés par les zouaves, qui font des charges à la baïonnette des plus brillantes. Le général Kanzler envoie un rap- port au Saint-Père sur ce qui se passe à la Porte Pia. Le Pape, pour éviter une plus grande effusion de sang, arbore le drapeau blanc à dix heures et dix minutes. L'armée pontificale obéit au successeur de Pierre : elle cesse le combat et se dirige vers la cité Léonine. Rome capitule et tombe au pouvoir du Piémont.

Nous ne vous parlerons pas des scènes dégoûtantes et indignes d'un peuple civilisé, qui eurent lieu après la capitulation. Les Italiens ont manqué alors à toutes les lois de l'honneur et se sont conduits comme les barbares des premiers siècles de l'Eglise.

Nos pertes, dans cette journée tout-à-fait glorieuse pour les soldats du Pape, s'élevèrent à seize tués et cinquante-huit blessés ; celles de l'ennemi dépas- sèrent mille, tués ou blessés. Un écrivain allemand a dit : "La perte de l'ennemi devant Rome, le 20, monte environ à deux mille hommes tués ou blessés. Je sais ce que je dis et pourquoi je le dis ; je sais aussi combien le Piémont a donné dans ses journaux

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des pertes mensongèrement petites ; mon calcul s'appuie sur le dire des soldats ennemis."

Reportons-nous de quelques heures en arrière et voyons ce que faisait Pie IX pendant que les Re- montais bombardaient Rome.

Après avoir dit sa messe à sept heures et demie et être resté en prières jusque vers neuf heures, le Pape passa dans sa bibliothèque particulière, étaient réunis les membres du corps diplomatique au nombre de dix-sept. Pie IX dit quelques mots aux ambas- sadeurs, mais sa voix est entrecoupée de sanglots. Voici quelques-unes de ses touchantes paroles :

" J'ai écrit au roi ; je ne sais s'il a reçu ma lettre ; je l'avais envoyée cependant sous l'adresse de son ministre des affaires étrangères. Je pense qu'elle lui sera parvenue, mais je n'en sais rien.

" Bixio, le fameux Bixio, est avec l'armée italienne. Aujourd'hui, il est général. Bixio, du temps il était républicain, avait formé le projet de jeter dans le Tibre, quand il entrerait dans Rome, le Pape et les cardinaux ... 1 1 est là, à la porte San-Pancrazio ; ce côté-là est le plus exposé. 11 y a des maisons qui souffriront, entre autres celle de Torlonia. Les souvenirs du Tasse courent beaucoup de risques avec les libérateurs de l'Italie ; mais ces gens-là s'en enquiètent peu. .."

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" Hier, j'ai été à la maison fut condamné Jésus- Christ ; j'ai monté la Scala-Santa, et c'était avec beaucoup de peipe, et j'avais un soutien ; enfin, j'y suis parvenu. C'est cet escalier qu'il a monté pour être condamné. En le montant, je me disais : peut- être demain, moi aussi, je serai condamné par les catholiques d'Italie, filii mairis mea pugna/verfirU coittra me. Il me faut beaucoup de force, et Dieu me la donne ! Deo Ghratim !

" Les élçves du séminaire américain m'ont deman- dé de prendre les armes, mais je les ai remerciés, et je leur ai dit de se joindre à ceux qui soignent les blessés.

" Voici maintenant que Rome est enveloppée et que l'on commence à manquer de beaucoup de choses. .

" Hier, en revenant de la Scala-Santa, j'ai vu tous les drapeaux que l'on a mis dans Rome pour se pro- téger. Il y en a des anglais, des américains, des allemands, même des turcs. Le prince Doria en a mis un anglais, je ne sais pourquoi.

" Quand je suis revenu de Gaète, ajouta tristement le Pontife, j'ai vu aussi sur mon passage beaucoup de drapeaux qui avaient été mis en mon honneur. Aujourd'hui, c'est différent ; ce n'est pas pour moi qu'on les a mis.

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" Ce n'est pas la fleur de la société qui accompa- gne les Italiens quand ils attaquent le Père des ca- tholiques ; c'est une miniature de ce que faisaient les jeunes Romains qui se rendirent au camp de César quand il passa le Rubicon. Le Rubicon est passé. . Fiat vohintm tua in cœlo et in terra. . .

Après avoir fait arborer le drapeau de la paix, Sa Sainteté dit aux ambassadeurs :

" Je viens de donner l'ordre de capituler. On ne pourrait plus se défendre sans répandre beaucoup de sang, ce que je ne veux pas. Je ne vous parle pas de moi ; ce n'est pas pour moi que je pleure, mais sur ces pauvres enfants qui sont venus me défendre comme leur Père. Vous vous occuperez chacun de ceux de. votre pays. Il y en a de toutes les nations . . Pensez aussi, je vous prie, aux Anglais et aux Cana- diens, dont personne ne représente les intérêts ici. . .

" Je vous les recommande, je vous les recommande tous, pour que vous les préserviez des mauvais trai- tements dont d'autres eurent .tant à souffrir, il y a quelques années (en 1860.)

" Je délie mes soldats du serment de fidélité qu'ils ont fait, afin de leur laisser leur liberté."

Le Pontife-Roi congédia ensuite les membres du corps diplomatique ; il pleurait comme un enfant.

La capitulation fut signée le 20, et le lendemain,

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21, le général Kanzler annonça le licenciement de l'armée pontificale, dans les termes suivants :

" Officiers, sous-officiers et soldats !

u Le moment fatal est venu nous devons nous séparer et abandonner par la force ce service du Saint- Siège qui, plus que tout au monde, nous tient tant à cœur !

" Rome est tombée ! mais, grâce à votre courage, à votre fidélité, à votre admirable union, elle est tombée avec honneur !

" Quelques-uns d'entre vous se plaindront sans doute de ce que la défense n'ait pas été plus prolon- gée ; mais une lettre de Sa Sainteté éclaircira tout. Ce témoignage de l'auguste Pontife sera "la consola- tion de tous et la plus belle récompense que nous puissions obtenir dans les circonstances actuelles. Je dois également vous faire connaître que, séparée, par la violence, de son armée, Sa Sainteté a daigné vous délier de tous vos serments militaires.

" Adieu, mes chers compagnons d'armes ! N'ou- bliez pas votre chef, qui conservera de vous tous un grand et impérissable souvenir.

" Rome, le 21 septembre 1870. " Kanzler. "

Le colonel Allet adresse aussi quelques paroles d'adieu à ses chers zouaves.

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Et l'heure de la séparation est arrivée.

Il se passe alors une scène que les soldats, du Pape n'oublieront jamais. Tous les défenseurs de la Papauté auraient désiré voir encore une fois leur Père bien- aimé, et cette faveur allait leur être refusée, puisque , l'ordre de se mettre en marche était déjà donné lorsque tout-à-coup une fenêtre du Vatican s'ouvre. Et l'on voit apparaître dans l'embrasure, le véritable roi de Rome. Levant le bras vers le ciel, Pie IX commence la bénédiction solennelle : " Benedicto Dei Omnipotentis. Le cri de " Vive Pie IX " s'échappe de toutes les poitrines. Les zouaves sont ivres de joie et de bonheur : les uns lancent leurs képis en l'air : les autres présentent les armes.

Des balcons des résidences qui entourent la place Saint-Pierre, des milliers de personnes répètent : " Vive notre Saint-Père ! ATive le Pape ! Vive Pie IX, notre roi ! " C'en est trop pour le cœur du Souverain- Pontife. Succombant à l'émotion qui les suffoque, il tombe évanoui dans les bras de ceux qui l'environnent. La fenêtre se ferme, et les soldats pontificaux prennent la route de leur pays respectif, en versant d'abondantes larmes sur le sort de l'au- guste prisonnier du Vatican.

Les Français furent recueillis à bord de la frégate française, Y Orênoque, en station à Civita-Vecchia.

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Le commandant Briot les reçut avec les plus grands égards.

" Le 25 septembre, qui était un dimanche, écrit le capitaine Jacquemont, après- la messe célébrée par leur aumônier sur le pont de la frégate, les zouaves se rassemblèrent autour de leur colonel. Le capi- taine de Fumel déploya le drapeau du régiment, qu'il avait emporté en le cachant dans les plis de sa ceinture, et après avoir salué une dernière fois ce glorieux drapeau, troué des balles de Mentana, les zouaves se le partagèrent. Chacun voulut en emporter un fragment et garder sur son cœur cette relique, talisman de la foi, du courage et de l'honneur. Selon l'expression du commandant d'Albiousse, c'étaient pour la plupart d'entre eux les dépouilles opimes de leurs campagnes. Ensuite, les zouaves passèrent du bord de l' Orénoque sur un paquebot des Messageries, Ylllissus, qui était venu les chercher, et ils quittèrent aussitôt le port de Civita-Vecchia.

Le second acte du drame étant terminé, la toile tombe.

Le troisième acte fut joué le 2 octobre : c'est la votation ou le plébiscite. Affiches mensongères, menaces, bulletins forgés ; tout a été employé par les partisans de la Révolution pour accomplir cette scène de bouffonnerie, obtenir un vote unanime

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les catholiques avaient reçu du Pape l'instruction de ne pas voter et faire comprendre aux autres nations que " Victor-Emmanuel était aimé par tout le peuple romain."

Le drame était donc fini. Pie IX, le roi légitime, est dépouillé de sa couronne, et Victor-Emmanuel, le roi spoliateur, s'installe à Rome, au Palais du Quirinal appartenant au Pape.

TROIS GRANDES FIGURES

LE GENERAL KANZLER

Herman Kanzler, général de l'armée pontificale, naquit dans le duché de Bade, (Allemagne). Sa famille ne portait aucun titre de noblesse. Kanzler a su, par ses précieuses qualités, s'élever à la vraie noblesse : celle de l'honneur suivant les principes de l'Eglise. Il a passé plusieurs années au service du Saint-Siège, et, pendant toute cette période, il s'est distingué par un jugement supérieur, une bravoure hors ligne et un sang-froid raisonné.

En 1866, Kanzler fut promu au grade de général et appelé au poste important de pro-ministre des armes à la place de Mgr de Mérode. Cette nomina- tion fut mal accueillie, mais le nouveau général parvint à fermer la bouche à ses ennemis par son honorabilité, sa distinction, ses brillantes qualités du

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cœur et de l'esprit et son exquise politesse envers tous ses subalternes.

Il serait trop long d'énumérer ici toutes les batail- les dans lesquelles le général Kanzler se couvrit de gloire, depuis Castelfidardo jusqu'à la prise de Rome, en 1870. Les nombreuses décorations qu'il portait sur sa poitrine, le prouvaient d'une manière écla- tante.

Kanzler était lieutenant-colonel à Castelfidardo ; il fut ensuite tour à tour colonel, général et pro-mi- nistre des armes. Après la prise de Rome, il aima mieux rester au Vatican plutôt que de retourner dans sa famille.

LE COLONEL ALLET

Tout le régiment des zouaves pontificaux avait décerné à notre colonel Allet le titre de papa ; et certes, il le méritait bien ; car jamais père n'aima plus tendrement ses enfants. Plusieurs fois on lui avait offert le grade de général de brigade ; mais il avait toujours décliné cet honneur en disant : " Je demande qu'on me laisse à la tête de mon régiment. Il y a beaucoup de généraux, mais il n'y a qu'un colonel des zouaves pontificaux."

Le colonel Allet était courtois, brave, et se faisait

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surtout remarquer par un grand sang-froid. La bataille de Mentana nous en fournit une preuve éloquente. Il a passé plus de trente ans au service du Saint-Siège, et, pendant tout ce laps de temps, il n'a cessé d'entretenir les meilleurs rapports avec ses supérieurs et ses inférieurs. En dehors du service militaire, il se faisait un plaisir de causer avec le plus simple soldat.

Notre colonel était un parfait chrétien. Il savait braver le respect humain. A toutes les retraites qui avaient lieu chaque année, à l'occasion de la com- munion pascale, on le voyait prendre place le pre- mier à la Sainte Table.

Notre papa n'aimait par à sortir dans le grand monde. Quand les convenances le forçaient à figu- rer dans la haute société, il ne le faisait qu'à contre- cœur, et alors, lui si brave, il paraissait timide et gardait presque toujours le silence.

Un jour, on lui demanda, dans un salon, de vou- loir bien raconter la bataille de Mentana, les zouaves s'étaient immortalisés. Après de pressantes sollicitations, il se décida à parler. " O mon Dieu, dit-il, c'est bien simple et bien court : la colonne défilait par la voie Nomentana. J'étais avec l'état- major ; à cinq ou six kilomètres de Mentana on entendit commencer la fusillade, et en quelques

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minutes le feu devint des mieux nourris. Je piquai de l'éperon pour voir en étaient les zouaves ; déjà ils étaient tous lancés, éparpillés par les vignes et jouant de la baïonnette comme de bons enfants." Et puis ? " Et puis. .. Mon Dieu ! ils sont revenus le soir se ranger autour de leur drapeau, et ils avaient remporté la victoire."

Tel est l'homme que les zouaves avaient à leur tête.

Après l'invasion des Etats de l'Eglise, le colonel Allet retourna à son château, en Suisse, il mou- rut subitement quelques années plus tare1.

LE LIEUTENANT-COLONEL DE CHARETTE

Si le célèbre Bayard n'eût pas existé, nous pour- rions appeler M. le baron de Charette le " chevalier sans peur et sans reproche." Sa, bravoure était et est encore proverbiale. On disait, dans le régiment des zouaves : " Brave comme de Charette." Dans tous les combats auxquels il a pris part, et ils sont nombreux, il s'est toujours conduit comme un véri- table lion.

M. Athanase de Charette descend d'une ancienne famille noble. Le chef, Pierrot Charette, marquis de Final, était venu s'établir, au treizième siècle, en

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Bretagne, il avait épousé Jeanne Dubois de la Salle, demoiselle d'honneur d'Alix, duchesse de Bretagne.

Le baron de Charette est le petit-neveu de l'illus- tre chef vendéen, François-Athanase de Charette de la Condrie, qui fut, le 28 mai 1796, fusillé par les révolutionnaires à Nantes, sur la place des Agricul- teurs, en prononçant ces paroles : " J'ai été cent fois à la mort sans crainte, et j'y vais pour la dernière fois." Il tomba en brave, après avoir lui-même commandé le feu.

Le lieutenant-colonel des zouaves pontificaux est à Nantes, le 18 septembre 1832, du mariage d'A- thanase-Charles-Marin de Charette et de la comtesse de Vierzon. De son premier mariage avec Mlle de Fitz-James, fille du duc de Fitz-James, il eut une fille et un fils ; la mère et les enfants furent enlevés en pleine jeunesse. Il a un fils, Antoine, de son second mariage avec Mlle Antoinette Polk, fille du colonel Andrew Polk, mort de ses blessures après la guerre de Sécession. Le Président James K. Polk était le grand-oncle de Mme de Charette. Mme Polk, mère de Mme de Charette, descendait de Penn, qui donna son nom à la Pennsylvanie.

M. le baron de Charette a fait ses études classiques

chez les Eudistes et ses études militaires à l'Acadé- 11

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mie de Turin, de 1846 à 1848. " Le 25 mai 1852, écrit le comte de Puget, il entrait comme sous-lieu- tenant dans les troupes du duc de Modène qui le nommait son officier d'ordonnance, le 14 août 1856.

" A la déclaration de guerre contre l'Autriche par Napoléon III (1859), il donna sa démission, ne vou- lant pas, Français avant tout, se trouver exposé à porter les armes contre sa patrie (15 mai 1859).

" Le 18 mai 1860, Charette répondit le premier à l'appel de La Moricière auquel Pie IX confiait la mission de défendre le patrimoine de Saint-Pierre, et reçut le grade de capitaine, ayant le commandement des quinze volontaires franco-belges qui furent Ue premier contingent des futurs zouaves pontificaux. Pie IX, dans une audience qu'il donnait à ce groupe de jeunes gens accourus pour se donner à lui, leur dit : " N'ayez crainte, car vous êtes au service du Droit, de la Justice et de la Vérité." Le capitaine était désigné à la première compagnie, à la constitu- tion, commandé par le lieutenant-colonel de Becde- lièvre."

M. de Charette fut ensuite commandant, puis lieu- tenant-colonel des zouaves pontificaux, et enfin général des Volontaires de l'Ouest, le 14 janvier 1871.

Un auteur a dit : Nascuntur poetœ. Je crois qu'on

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peut dire avec plus de raison en parlant de M. de Charette : Nascitur miles ; car c'est le type du véri- table soldat. ' Haute stature, épaules larges, figure énergique, regard sévère mais en même temps sym- pathique, doué d'une grande souplesse, brave comme l'épée du roi, possédant l'art si difficile de se faire aimer tout en châtiant, ayant un caractère bouillant et quelquefois emporté, mais tempéré par une grande sensibilité, il a tout ce qu'il faut pour faire un soldat ; il est pour se battre et pour conduire sur le chemin de la victoire, sinon d'une glorieuse défaite. Il a un passé brillant ; pas une tache n'a souillé les magnifiques pages de l'histoire de sa vie, et son nom est inscrit dans le livre des plus vaillants défenseurs de la Papauté. Il semble avoir gravé sur son écusson : " Combattre et mourir pour V église catholique."

LA BATAILLE DE PATAY

Pendant que le lugubre drame de la Porte Pia s'accomplissait et que Rome tombait, en 1870, au pouvoir du Piémont, un autre drame de honte et de sang se déroulait en France. Ah ! cette belle France, cette France catholique que nous aimions tant, avait attiré sur elle de bien tristes châtiments, et certes ! la divine Providence l'a rudement frappée pour lui faire ouvrir les yeux sur les crimes sans nombre de ses gouvernants.

Mais notre ancienne mère patrie, ou plutôt la France libre-penseuse n'a pas voulu profiter des grandes leçons qui lui étaient données, et la franc- maconnerie et la libre pensée continuèrent de la miner et de la pousser vers le gouffre béant de l'ini- quité. Bonaparte, celui que l'histoire désigne sous le nom de Napoléon III, contribua grandement à l'hu- miliation et à la ruine de la fille ainée de l'Eglise ; il obéissait aux sociétés secrètes dont il était l'ami,

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l'esclave et l'instrument. Bonaparte abandonna Rome et la Papauté ; mais, aussi, il fut délaissé de Dieu dans la lutte sanglante qu'il eut la folie d'en- treprendre contre la Prusse. Bonaparte trahit Pie IX, comme il avait trahi les catholiques français ; mais sa trahison fut punie comme elle le méritait. En effet, qu'arriva-t-il à Napoléon III et à son armée à cette époque néfaste ? L'histoire est pour nous le rappeler.

Le 6 août 1870, l'armée française, jusque fidèle gardienne du Vatican, quitta Civita-ATecchia pour revenir en France ; elle comprenait 6000 soldats. Le 6 août 1870, l'histoire enregistre la défaite des Fran- çais à Reischoffen. Le 2 septembre 1869, Bonaparte écrivait à Cialdini : " Faites vite," en parlant de l'envahissement des Etats de l'Eglise par les Piémon- tais. Le 2 septembre 1870, l'empereur des Français et son armée de 100,000 hommes sont' faits prison- niers à Sedan. Le 20 septembre 1870, Pie IX est fait prisonnier au Vatican, parce que Napoléon III l'a lâchement livré à ses ennemis. Le 20 septembre 1870, Paris est investie par l'armée prussienne.

Oui, Bonaparte abandonna Pie IX, comme il avait abandonné l'empereur Maximilien au Mexique. Il livra le successeur de Saint-Pierre à ses bourreaux pour trois régiments, 6,000 hommes, et trois cent

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mille soldats furent livrés par lui à la Prusse. II trahit l'Eglise, sa sainte mère, qu'il devait protéger ; mais quelles funestes conséquences ne résultèrent- elles pas de la fourberie de ce nouveau Judas ?

Vous vous le rappelez, rien ne put arrêter la marche triomphale des armées prussiennes, en 1870, à travers la France, toute couverte de sang. C'était une marée montante qui culbutait et engloutissait tout ce qu'elle rencontrait sur son passage. Les Français, battus et écrasés sur tous les points de leur territoire, avaient complètement perdu courage, et l'honneur national même approchait rapidement de son agonie. La France n'était plus la France d'au- trefois ; on aurait dit qu'elle n'avait plus sa tête à elle. En effet, comment expliquer, à la tête de ses armées, la présence du bras droit de Mazzini, d'un mangeur de prêtres, de la chemise rouge de 1869 et de 1867, de l'avocat de la république universelle, de Garibaldi enfin, que des écervélés de Lyon étaient allés chercher dans son île de Caprera ? La France ne savait donc plus ce qu'elle faisait : l'esprit d'im- piété qui la débordait, l'avait aveuglée ou avait jeté d'épaisses ténèbres sur son intelligence d'ordinaire si lucide. La France mentait à ses quatorze siècles de grandeur militaire, comme elle avait menti à son Dieu. Elle avait oublié que, pour faire un pacte

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avec la victoire et l'immortalité, Clovis planta un crucifix sur la terre des Francs, qu'il consacra au Dieu de Clotilde.

Une seule armée, l'armée des Volontaires de l'Ouest, fut fidèle aux traditions de ses illustres ancêtres ; et ce fut cette vaillante troupe qui sauva l'honneur de son pays, en arborant la bannière du Sacré-Cœur sur le champ de bataille et en donnant au Vainqueur des vainqueurs' la place qui lui est réservée dans les combats. Pendant que Lyon exalte et acclame l'ennemi de l'Eglise catholique, le monstre de Caprera, une voix puissante et inspirée domine cette sanglante orgie. Cathelineau appelle la Vendée aux armes ; il conjure les défenseurs de la Papauté de sauver la France, et M. de Charette, le héros de Castelfidardo, de Mentana et de Viterbe, accourt avec ses zouaves pontificaux. De Charette avait été trahi à Rome par Napoléon III ; mais, malgré cette trahison et les principes légitimistes bien connus de notre ancien lieutenant-colonel, il n'hésite pas un instant à ceindre l'épée pour com- battre sous le drapeau de l'empire, parce que le devoir l'appelle encore comme soldat chrétien : sa patrie est en danger. Les zouaves pontificaux, qui arrivent de Rome, volent au combat en s' écriant : " Dieu, sauvez la France ! "

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C'était la première fois que le peuple français entendait cette pieuse et ardente invocation depuis que son pays marchait de désastre en désastije. Aussi l'apparition de ces preux fut-elle saluée par les plus vifs transports d'allégresse. C'était le courage, c'était la valeur, c'était la bravoure qui renaissait dans le cœur du soldat.

Le vendredi, 2 décembre 1870, les zouaves se diri- gent du côté de Patay, alors inconnu, mais aujour- d'hui aussi célèbre que le défilé des Thermophyles ; ils sont conduits par le colonel de Charette et le lieutenant-colonel de Troussures. Le général de Sonis, qui commandait en chef cette vaillante armée, les rejoint à l'endroit même Jeanne d'Arc fit mordre la poussière aux Anglais ; et, navré de douleur en présence des nombreuses défaillances qu'il constate dans les différents corps d'armée de la France, il s'adresse à de Charette en ces termes. " 0 vous, au moins, mon colonel, vous ne m'abandonnerez pas comme ceux-là," en montrant les fuyards. "Non, non, répond de Charette. Vive Pie IX ! Vive la France !"

Vite, de temps presse. Il faut emporter Loigny et conserver à une division la -position qu'elle aban- donne et dont dépend le salut de toute l'armée. Trois cents zouaves font aussitôt une charge à la baïonnette,

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en essuyant le feu de 12,000 Prussiens. Au moment le général de Sonis enlève les zouaves par ces paroles pleines de fea : "Mes enfants, montrons com- ment se battent des hommes de cœur ; suivez moi, " M. de Troussures répond : " Vous nous menez à une bien belle fête." Et il se lance à la tête de ses frères d'armes. Quelques instants avant la bataille, de Troussures était descendu de son cheval, s'était mis à genoux en présence de l'armée, avait fait le signe de la croix et reçu l'absolution. Le matin même, la plupart des anciens soldats du Pape s'étaient appro- chés de la Table Sainte. Les zouaves savaient qu'ils marchaient à une mort certaine ; mais ils n'hésitent pas cependant ; ils se précipitent sur l'ennemi ; ils font une charge vraiment héroïque et délogent les Prussiens des positions qu'ils viennent d'enlever aux Français. Mais que cette victoire coûte cher aux zouaves ! Le général de Sonis est grièvement blessé à une cuisse ; de Charette reçoit deux coups de feu et tombe baigné dans son sang. Les zouaves l'entou- rent et veulent le transporter à l'ambulance. " Non, s'écrie-t-il, laissez-moi mourir ici. Mais vous, conti- nuez de combattre sans moi. En avant et vive Pie IX!"

Les zouaves continurent la bataille.

De Troussures tombe à son tour mortellement blessé en plein poitrine.

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L'étendard des zouaves, la bannière du Sacré- Cœur, passe en sept mains. Verthamon reçoit une balle et roule inanimé dans la poussière. Bouille lui succède et subit le même sort ; le fils remplace le père, mais il succombe aussitôt. De Gazenove saisit la bannière et tombe mort. Le sergent-major Lan- deau n'est pas non plus épargné par les balles prus- siennes. Un septième porte-drapeau, dont nous oublions le nom, a les deux mains amputées par un boulet ; mais il reste à son poste d'honneur. Enrou- lant l'étendard du Sacré-Cœur sur le moignon de sa main droite et, agitant ensuite son bras avec un courage sublime, il crie de toutes ses forces : " Suivez le drapeau, mes amis : il vous conduit à la victoire."

Les zouaves sont victorieux ; la valeur et l'impé- tuosité l'ont emporté sur le nombre. Mais que de blessés ! que de morts ! que de martyrs ! Le com- mandant Legonidec et Traissan fait l'appel ; sur neuf capitaines, il n'en est revenu que deux, et de 300 zouaves 218 sont restés sur le champ de bataille. Ils sont morts, ces braves enfants du Pape et de l'Eglise, et sur le tertre qui recouvre ces immortels croisés, la France se lève, se grandit et s'approche du ciel.

Un témoin de ce brillant fait d'armes, le plus beau des temps modernes et digne de l'époque de la vieille

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chevalerie, nous rapporte une scène bien touchante qui eut lieu après le combat.

" De Troussures fut enseveli avec un de Vogué ; c'était le troisième de cette noble race qui donnait sa vie pour la France depuis le commencement de la guerre. " Une femme, une de celles que l'Evangile appelle fortes et courageuses, traversa la France et vint errer sur le champ de bataille. Elle cherchait son fils. Elle trouva le zouave étendu à coté de son commandant. Elle s'agenouilla devant ces pieux et illustres restes, qu'elle couvrit de ses baisers. Si le fils de l'Homme eût alors passé sur la terre, en voyant tant de douleur maternelle, mélangée à tant de foi, il eût pleuré et aurait dit : " Jeune homme, veni foras," mais il fallait que le sang le plus pur fût versé pour la rédemption des Français."

Dans le récit rapide que nous venons de faire de la bataille de Patay, vous pourriez peut-être croire que notre qualité d'ancien zouave pontifical nous porte à exagérer la bravoure des soldats du Pape. Ecoutez les éloges que leur adresse M. Davesne, dans son livre intitulé : " Devant l'ennemi ":

"Tranquilles sur leurs destinées éternelles, con- tents de faire leur devoir de chaque jour, ces nobles jeunes gens avaient veillé auprès du tombeau de S. Pierre et ils étaient morts pour le droit foulé aux

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pieds. Descendants pour la plupart de races illus- tres, riches des biens de la terre, leur cœur était demeuré libre, leur âme forte et prête au sacrifice. Tour à tour insultés, calomniés, ridiculisés, ils étaient demeurés impassibles sur les marches du trône pon- tifical, ne s' ébranlant que pour faire, un moment, reculer la force, et de leur sang écrire d'immortelles pages dans l'histoire de leur siècle. La victoire refusa de s'avancer pour couronner leur héroïsme, mais le ciel leur réservait l'éclat d'une défaite aussi glorieuse que l'eût été le plus beau succès, et un jour vint où, dans les champs de Patay, les soldats du Pape se virent salués des acclamations universelles de l'armée, parce qu'ils avaient sauvé l'honneur français agoni- sant.

" L'histoire d'un pareil corps ne s'écrit pas à petits traits. Chaque zouave mériterait presque une page, depuis Du Chênes de Thiennes, qui seul va, le pistolet au poing, reconnaître un village occupé par l'ennemi, juspu'à l'adjudant-major Lallemant, qui, sur le plateau d'Auvours, essuie la décharge d'une compagnie entière de Prussiens, les bras croi- sés, la tête haute et qui, avec une poignée d'hommes culbute après "ces maladroits", comme il les appelle.

" Pour se rapeler ce que les zouaves ont fait, il suffit de nommer : Cercottes, Légonidec de Trais-

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son, avec 170 hommes embusqués dans un bois, arrête les Bavarois et les empêche de prendre l'armée à revers ; Bellesme, de Couëssin, couvre la retraite des soldats du général Jaurès débandés ; Patay, de Charette force l'admiration des Prussiens eux-mêmes et le Mans, où, suivant le général Chanzy, les " Volontaires de l'Ouest se montrèrent héroïques. "

Le général Gougeard, qui était à la tête des zouaves au Mans, disait devant une commission d'enquête : " Je n'ai pas besoin messieurs, de faire l'éloge des zouaves pontificaux. Je dois cependant dire que j'y ai trouvé des hommes d'une valeur, je ne voudrais paê dire héroïque, on a un peu abusé du mot, mais je ne crains pas de dire qu'ils le méritent. Ce sont des hommes qui se sont admirablement conduits."

Gambetta lui-même, le lendemain d'une de ces batailles les zouaves pontificaux avaient versé leur sang à flot, ne put s'empêcher de télégraphier au gouvernement de Paris que " les zouaves s'étaient conduits en héros." .

Après que M. de Charette eût été élevé, en janvier 1871, au grade de général par le gouvernement français, un journal de notre ancienne mère-patrie, " Le Calvaire, " croyons-nous, disait de notre lieute- nant-colonel :

" On l'a fait général ; cela n'y fait ni chaud, ni

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froid. Qu'il soit capitaine, colonel ou général, baron ou duc, il est mieux que cela : il est de Charette ; mieux que cela encore : il est de Charette second. Les dynasties des rois couvrent le monde. Les dynas- ties de héros, c'est plus rare."

Lorsque l'heure du licenciement fut arrivée, le 13 août 1871, les zouaves, commandés par le général de Charette, eurent l'insigne honneur de recevoir du ministre de la guerre un ordre du jour qui, après la conscience du devoir accompli, a été sans doute leur plus belle récompense :

" Officiers, sous-officiers, soldats des Volontaires de l'Ouest, au moment la France a été envahie et accablée sous le poids des malheurs, vous n'avez pas hésité à venir lui offrir votre bras, votre cœur et le meilleur de votre sang.

" Partout votre belle légion a combattu et prin- cipalement à Cercottes, à Brou, à Patay et au Mans, elle s'est distinguée au premier rang par son courage, par son dévouement et son élan devant l'ennemi, aussi bien que par sa discipline et son excellent esprit.

" Vous avez montré un noble exemple qui fait le plus grand honneur au vaillant général de Charette, votre commandant, votre guide. L'armée vous en remercie par ma voix.

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" La légion des Volontaires de l'Ouest va être licenciée, mais je me sépare de vous avec la profonde conviction que la France pourra toujours compter sur votre valeur et votre dévouement contre les ennemis du dehors et contré ceux du dedans. " Le ministre de la guerre, " Général de Cissey. "

C'est ainsi que se termina la sanglante et glorieuse épopée, commencée à Castelfidardo par les zouaves franco-belges, continuée à Mentana par les zouaves pontificaux et couronnée à Patay par les Volontaires de l'Ouest, ces trois corps de troupes n'ont toujours formé qu'un seul et même régiment : celui des Zouaves Pontificaux, les nobles et courageux défen- seurs de la patrie et de la Papauté.

LES ZOUAVES PONTIFICAUX CANADIENS

D'après les conditions de la capitulation de' Rome, tous les zouaves étrangers furent transportés à Civita-Vecchia, on les divisa par nationalités pour les conduire ensuite aux frontières de leur pays respectif. Les Canadiens et les Anglais furent envoyés à Livourne, d'où le gouvernement italien se proposait de les diriger sur l'île d'Elbe, qu'il croyait être la frontière canadienne. Comme on le voit, les enva- hisseurs étaient très forts en géographie. Nos aumô- niers et nos officiers, puissamment aidés par le consul anglais de Livourne et Mgr Stoner, aumônier des zouaves anglais, réussirent à faire comprendre aux autorités du Piémont qu'elles étaient dans l'erreur et les décidèrent à transporter les Canadiens en Angleterre, mais sans avoir un sou à débourser.

Après avoir passé huit j ours en prison à Livourne, 12

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ils endurèrent toutes sortes de misères, de priva- tions et de souffrances, les zouaves canadiens et anglais s'embarquèrent sur un paquebot avarié, qui les transporta en Angleterre, après quatorze jours d'une navigation périlleuse. Le vaisseau fut assailli par de violentes tempêtes, et les zouaves crurent, à plusieurs reprises, que leur heure dernière était arrivée. Mais l'Etoile de la mer veillait sur les défenseurs de la Papauté ; elle les sauva même d'un naufrage inévitable près des côtes d'Irlande, et voici dans quelle circonstance : le capitaine et les matelots avaient complètement perdu la tête et la carte, et le vaisseau, qui n'obéissait plus à la main du pilote, allait être précipité sur un énorme rocher, lorsque plusieurs zouaves se saisissent de la barre du gouvernail et réussissent à diriger la proue du steamer vers le large. Il était temps, car la poupe effleura le cap au moment le steamer changea de direction. Encore quelques secondes, et tout était fini. >

Les zouaves canadiens passèrent trois jours à Liverpool, ils furent reçus à bras ouverts par les familles catholiques, qui considéraient comme un grand honneur de leur donner l'hospitalité la plus généreuse. Lord Denbigh et le marquis de Bute quittèrent même leurs importantes occupations à

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Londres pour venir presser la main des soldats du Pape et leur offrir leurs services.

Le 19 octobre, les zouaves canadiens quittaient Liverpool à bord de Y Idalio -pour se diriger sur New- York. Deux jours après le départ, une violente tempête déchaîna la furie des vagues de l'océan contre le steamer. Voici une courte description de cet ouragan, que nous empruntons à notre brave et distingué aumônier, M. l'abbé Moreau :

" L'océan grondait, sifflait, hurlait, rugissait avec plus de force et de rage, les montagnes d'eau qui venaient s'abattre tantôt sur la proue, tantôt sur la poupe du vaisseau, étaient de plus en plus lourdes et menaçantes ; la charpente du navire semblait se disjoindre ; lorsque tout-à-coup un bruit épouvan- table, comme celui de la foudre tombant sur l'avant, se fait entendre ; en même temps on ressent une secousse terrible comme si le navire eût frappé sur un rocher, et avant de se rendre compte de l'acci- dent, les zouaves entendent d'immenses colonnes d'eau se précipiter dans leur compartiment ; une ancre a été emportée, par une forte lame, du pont supérieur et est venue tomber au milieu des passa- gers, laissant derrière elle une large issue aux vagues qui viennent inonder l'entrepont ; on se croit en face de la mort, et ces flots semblent venir chercher

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des cadavres ; pendant que les uns se cramponnent aux objets qu'ils peuvent rencontrer sous la main, que les autres se jettent à la nage dans cette petite mer intérieure, une voix dominant tout le bruit, se fait entendre ; c'est un zouave qui commande à ses camarades d'élever le cœur à Marie et de lui pro- mettre un ex-voto, s'ils arrivent à bon port.

" C'était vers minuit.

" Le lendemain, les flots, comme fatigués, ne faisaient plus qu'obéir au mouvement imprimé la veille, le vent était tombé, le ciel était pur, tous les passagers, montés sur le pont, respiraient avec l'air frais, l'espérance et le bonheur ; les Zouaves remer- ciaient la Vierge Marie, à qui ils attribuaient leur salut."

Le 5 novembre, VIdaho atteignait le port de New- York, et le lendemain, à deux heures de l'après-midi, les zouaves pontificaux canadiens faisaient une véri- table entrée triomphale dans la ville de Montréal, au milieu des acclamations de cinquante mille per- sonnes qui étaient accourues à la gare pour leur souhaiter la bienvenue. Leur défilé de la gare à l'église de Notre-Dame fut salué par les cris d'enthou- siasme de "Vivent les Zouaves ! Vive Pie IX !" Après le chant du Te Deum dans cette église, d'où le pre- mier détachement canadien était parti pour Rome le

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19 février 1868, les Zouaves assistèrent, dans les salles du Cabinet de Lecture,à un somptueux banquet qui leur fut offert par les messieurs du Séminaire de St-Sulpice. Avant de se séparer et de voler dans les bras de leurs parents, les soldats de Pie IX, accom- pagnés de l'évêque de Montréal, se rendirent à l'église de Bonsecours pour s'acquitter de leur vœu envers la Vierge Marie. Un petit navire d'argent, un fac- similé de VIdako, se balance aujourd'hui à la voûte de cette église ; c'est V ex-voto promis par les zouaves canadiens.

La croisade canadienne était terminée.

Le soldat chrétien aime non-seulement sa religion, mais aussi sa patrie, qu'il est prêt à défendre au prix de son sang. Le zouave pontifical a prouvé cette dernière proposition en France, en l'année 1870 ; le zouave pontifical l'a encore prouvée au Canada, en prenant les armes pour voler au secours de son pays en 1885 et en 1890. Même avant leur départ pour Rome, plusieurs zouaves canadiens étaient allés sur la frontière pour repousser les invasions féniennes dont le Canada fut menacé en 1865, en 1866 et en 1870 ; et ce fait glorieux est attesté par les décora- tions que vous voyez briller aujourd'hui sur la poi- trine d'un grand nombre de nos anciens compagnons d'armes. Au Canada, comme à Rome, le zouave

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canadien a su se distinguer par son activité, son intelligence, son courage et sa valeur guerrière. Le témoignage flatteur que lui adressa, le 5 mai 1894, le général anglais Herbert, alors commandant de la milice canadienne, démontre à l'évidence que nous n'exagérons pas ; voici ce qu'il disait à Montréal, aux officiers et aux soldats du 65ieme bataillon :

" Je m'estime heureux de vous rencontrer, parGe que vous me rappelez les pages les plus belles de l'his- toire du Canada. Je retrouve en vous les descendants de ces héros qui combattaient sous les ordres du général de Montcalm, du chevalier de Lévis et du marquis de Vaudreuil.

" N'oubliez jamais non plus que vous appartenez à la même race que ceux de vos vaillants compa- triotes qui firent partie du régiment des zouaves pontificaux, ces croisés du dix-neuvième siècle. Vous savez combien ce noble régiment s'est illustré en défendant l'Eglise à Castelfidardo, à Mentana, à Monte Libretti, à Monte Rotondo et sous les murs de Rome, la Ville Eternelle. Les bons exemples vous viennent donc de tous les côtés. "

Les zouaves pontificaux, quoique disséminés dans les différentes parties du pays, continuèrent à vivre pour ainsi dire de la vie du régiment et à en perpé- tuer les belles traditions, en se réunissant presque

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tous les ans, tantôt dans une ville, tantôt dans une autre. C'est l'Association de l' Union- Allet qu'ils fondèrent en 1871, qui contribua le plus au "maintien de la bonne camaraderie entre les défenseurs de la Papauté.

LA FRANGE ET LE CANADA

L'ORIGINE D'UNE BELLE DEVISE

Nous croyons intéresser nos lecteurs en reprodui- sant ici les beaux vers que M. Victor de LaPrade, de l'Académie Française, dédia à nos braves cana- diens, lorsqu'ils traversèrent la France, en 1868, en route pour la Ville Eternelle. On se rappelle la sensation produite en Europe par cette troupe d'élite qui valut au Canada la réclame la plus retentissante et les compliments les plus flatteurs. Voici ces vers qui leur étaient adressés à Lyon, le 6 mars 1868 :

AUX CANADIENS-FRANÇAIS

SOLDATS DE PIE IX

" AIME DIEU ET VA TON CHEMIN."

(Devise du Canada inscrite sur le drapeau des volontaires)

Allez votre chemin, Français du Nouveau-Monde ! Race de nos aïeux tout-à-coup ranimés. Allez, laissant chez nous une trace féconde, Offrir un noble sang au Dieu que vous aimez.

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De nos jeunes croisés vous êtes deux fois frères,

Marchez aux mêmes cris et dans les mêmes rangs,

Faisant dire comme eux par vos œuvres guerrières :

Quand Dieu frappe un grand coup, c'est de la main des Francs.

De l'Océan dompté vous connaissez la route ; Vous ne portez le frein d'aucune injuste loi ; Venez donc et montrez à l'Europe, qui doute, La jeune liberté servant la vieille foi.

Lorsqu'hier, étonnant et charmant notre ville, Comme chez des amis joyeux et familiers, Vous marchiez, jeunes gens, au port mâle et tranquille, J'ai reconnu le sang de nos preux chevaliers.

C'était leur franc visage, et leur allure franche, Toute l'antique France en un vivant miroir, Tout : leur sainte devise et leur bannière blanche, Et ce noble parler sentant son vieux terroir.

Oui, c'est le même sang et le même génie Gardés purs et sauvés de nos récents revers, La France d'autrefois alerte et rajeunie, Par la liberté sainte et la vie aux déserts.

Allez votre chemin, celui de nos ancêtres, Ce chemin des martyrs, qu'ils ont fait tant de fois ; Gardez Rome éternelle au plus clément des maîtres, Image de son Dieu, trônant sur une croix.

Allez comme eux souffrir, mourir pour la justice, Notre Europe est livrée aux plus sombres hasards ; Au seuil de l'avenir, il faut que l'on choisisse Entre le joug du Christ et celui des Césars.

Libres soldats, nourris près d'une république, Fils d'une terre l'homme a toute sa fierté, Vous témoignez, au nom de la jeune Amérique, A la fois pour le Christ et pour la liberté.

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Portez au Roi Pasteur votre sang et nos larmes Nos droits sont dans le sien confondus aujourd'hui, Vous, qui baisez les pieds de ce vieillard sans armes, Nul César ne vous voit inclinés devant lui.

Amis, de vos forêts, à travers notre France, Je ne sais quel parfum se répand sur vos pas ; Une clarté vous suit, une fraîche espérance, Un souvenir sacré qui ne périra pas.

Vous nous laissez heureux d'avoir reçu des frères, Fiers d'avoir pu serrer votre royale main. Dieu vous aime ! . . . . il fera tomber les vents contraires ; Français du Nouveau-Monde, allez votre chemin !

Victor de LaPrade,

De l'Académie française. Lyon, 6 mars 1868. '

Plusieurs journaux français saluèrent les zouaves canadiens en termes flatteurs, nous en reproduisons quelques extraits :

M. Louis Veuillot écrivait dans l' Univers : " Paris a vu passer une troupe de Croisés ; c'est un specta- cle auquel on ne devait pas s'attendre ; cependant le voici."

Le Monde disait :

" Nous avons vu passer les jeunes Canadiens qui se rendent à Rome pour la défense de l'Eglise catho- lique et du Souverain Pontife : d'autres, en aussi grand nombre, sont en route pour les suivre. Qui n'admirerait ce pieux élan ? C'est l'ancienne France qui se retrouve avec son esprit de foi et ses hautes

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vertus. Le Canada est resté fidèle à des mœurs que nous désertons chaque jour ; il n'a pas été, comme la mère-patrie, ravagé par les révolutions."

La Semaine Religieuse de Rouen, du 16 octobre 1869, s'exprimait ainsi, en parlant du passage du quatrième détachement des Zouaves canadiens à Rouen :

" Un de ces événements qui se rencontrent rare- ment dans le cours d'un siècle et qui laissent après eux les plus douces émotions, a réjoui, mercredi dernier, la ville métropolitaine.

" Quatre-vingt-seize jeunes gens du Canada, con- duits par M. le chanoine Moreau, de Montréal, et commandés par un capitaine de l'armée nationale, M. Guilbault, ont séjourné dans notre ville, venant du Havre et se rendant à Rome, comme volontaires dans le corps des zouaves pontificaux. Ces jeunes gens avaient le plus grand désir de voir la métro- pole normande, berceau de leur nation, dont ils con- naissent parfaitement l'histoire, et dont le souvenir est toujours vivant parmi eux. Salués au Havre par M. l'abbé Boullard, qui s'était rendu au-devant du détachement,et qui devait leur servir de guide en Nor- mandie, ils sont arrivés en bon ordre à Rouen, qu'ils ont traversé en rang et dans une attitude toute mar- tiale. Ils ne portaient pas d'uniforme. Ils avaient

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seulement un képi d'ordonnance, et le pantalon retroussé militairement sur des bas de couleur brune.

" A trois heures et demie, ils faisaient leur entrée dans la cour du palais archiépiscopal. Leur première visite devait être pour Son Em. Monseigneur le Car- dinal-Archevêque (1), en qui ils aimaient à saluer non-seulement un Prince de l'Eglise, mais encore leur ancien Primat. On sait, en effet, que jusqu'à la fin du siècle dernier les archevêques de Rouen portaient le titre de Métropolitains de Québec au Canada. Son Eminence accueillit avec la plus paternelle bonté ces jeunes volontaires ; Elle leur adressa quelques paroles de bienvenue, et, parcourant leurs rangs, fut touchée leur air digne et modeste, de leur exté- rieur tout français, et s'entretint avec quelques-uns d'entre eux.

" Les volontaires, qui appartiennent aux diocèses de Montréal, de Québec et des Trois-Rivières, parlent parfaitement notre langue, et portent pour la plu- part des noms normands : ainsi Bélanger, Valois, Moreau, Masson, Faucher, Leroux, de Champlain, de St. Arnaud, Archambault, de Bourbon. Plusieurs d'entre eux appartiennent à des familles considé- rables et jouissent d'une grande fortune. Le dévoue- ment de ces volontaires est admirable. Non contents

(1) Le cardinal de Bonnechose.

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de s'expatrier et d'offrir gratuitement leurs services au Saint-Siège, ils ont supporté tous les frais du voyage. Son Eminence, voulant leur témoigner tout son intérêt, les invita à dîner le soir à son grand Séminaire.

" Nos Canadiens allèrent visiter les principaux monuments de la ville. Rien ne peut rendre l'émo- tion qu'ils éprouvèrent à la vue de notre Cathédrale de Saint-Ouen, et des autres églises, dont ils avaient souvent entendu parler au Canada. Ils se disaient tout joyeux, en touchant la terre de Normandie, ils se croyaient encore dans la patrie. Le soir, le sémi- naire leur offrait la plus large et la plus généreuse hospitalité. Un véritable banquet leur fut servi, chose touchante, par les séminaristes eux-mêmes. Il fallait voir l'air radieux de ces jeunes gens, qui, se voyant l'objet des plus délicates et des plus pater- nelles attentions, ne savaient comment exprimer leur reconnaissance.

a Son Eminence, accompagnée de ses vicaires généraux et de ses secrétaires, parut à la fin du repas. Les toasts commencèrent aussitôt. M. le chanoine Moreau de .Montréal se fit l'interprète des sentiments de ses compatriotes et porta la santé de Son Eminence ! Monseigneur le Cardinal remercia ces braves jeunes gens et les félicita de nouveau de

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leur dévouement. Puis, leur parlant de la mission qu'ils allaient remplir, il les exhorta à demeurer toujours fidèles à leur foi, à leurs convictions, à leur amour pour le Saint-Père, et proposa la santé de Pie IX. Aussitôt les cris d'éclater : Vive Pie IX ! par trois fois répétés. Un ecclésiastique lut alors une pièce de vers improvisés, il saluait les volontaires canadiens au nom de l'Eglise, au nom de la France, au nom de la Normandie. Le commandant du déta- chement porta un toast à la France, au milieu des acclamations renouvelées de l'assemblée.

" Les volontaires passèrent ensuite dans la grande salle de récréation du Séminaire, et Son Eminence ayant pris place sur un fauteuil, entourée des prêtres qui l'accompagnaient et des professeurs du Séminaire, les Canadiens firent entendre trois chœurs exécutés avec une mâle énergie et un ensemble harmonieux. Ils commencèrent par ce chant si bien choisi, et qui avait une grâce particulière dans leur bouche : J'irai revoir ma Normandie . . . Puis deux chants nationaux d'un effet saisissant. On remarque qu'ils ont con- servé le style du XVIIe siècle. Ils parlent encore de tambourin, de chalumeau, de musette, et se servent encore dans le langage de locutions vieillies pour nous, mais qui avaient un charme pénétrant. Son Eminence leur a adressé la parole, et a accompagné

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ses conseils des plus affectueux souhaits. " Je vais bientôt vous suivre, leur a-t-il dit, sur cette route de Rome je vous retrouverai." Les Canadiens ont alors entonné le Salve Regina, comme ils avaient cou- tume de le faire chaque soir à bord de leur navire, et ils ont rendu cette douce antienne avec une expres- sion touchante. Monseigneur le Cardinal leur a donné sa bénédiction solennelle, et a été reconduit à sa voiture par les volontaires aux cris de vive Son Eminence !

" Les Canadiens, avant de se retirer, ont voulu exprimer à M. le supérieur du grand Séminaire leur gratitude pour l'accueil si cordial et si empressé qu'il avait bien voulu leur faire, et ont échangé avec les élèves de fraternels adieux. C'était vraiment un spectacle bon à contempler. Dans notre siècle, il y a encore autre chose que l'égoïsme et l'amour de l'argent. On y rencontre de chevaleresques dévoue- ments, de généreux sacrifices qui puisent leur force dans la foi. Honneur aux Canadiens, et que Dieu veille sur eux ! Ils portent noblement leur fière devise : Aime Dieu et va ton chemin ! "

On s'est souvent demandé quelle était l'origine de la belle devise des zouaves pontificaux canadiens : " Aime Dieu et va ton chemin. " M. l'abbé Denis Gérin, ancien zouave et aujourd'hui curé de Saint-

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Justin, explique clairement cette origine dans l'his- toire du Séminaire de Nicolet publiée, il y a quel- ques années, par M. l'abbé J.-A.-T. Douville. Voici le précieux renseignement que nous fournit notre ancien compagnon d'armes :

" Dans l'automne de 1867 avait lieu l'invasion du territoire pontifical par les nouveaux barbares du nord. Après les brillants faits d'armes de Bagnorea, de Monte-Libretti et de Nerola, quelques cents soldats pontificaux se réunissaient à Mentana, ils atta- quaient et mettaient en déroute les hordes garibal- diennes. Deux soldats canadiens, Murray et Laroc- que, avaient pris part à cette victoire, en se couvrant de glorieuses blessures. Watts Russel, agonisant, des dernières gouttes de son sang, venait d'écrire sur une pierre les mots devenus chers à tous les Canadiens : Ama Dio e tira via. Aime Dieu et va ton chemin. Ces événements, télégraphiés à l'univers catholique, créèrent un saint enthousiasme partout, mais nulle part plus qu'en Canada. Le vieux sang gaulois se réveilla. La soif du dévouement descendit au cœur d'une foule de jeunes gens, et bientôt l'on commença à ébaucher le plan d'une croisade canadienne."

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S. G. Mgr BEGIN, Patron des Zouaves de Québec.

LES ZOUAVES DE QUEBEC

Voilà plus de trente-cinq ans que nous avons cessé de vivre à l'ombre du drapeau pontifical. Ce long espace de temps signifie naturellement que nous avons vieilli d'autant et que nous approchons rapi- dement vers la tombe. Plusieurs d'entre nous déjà dorment leur dernier sommeil. Constatant que nos rangs s'éclaircissaient d'année en année, les zouaves pontificaux de Québec prirent la résolution de com- bler les vides en appelant sous leur étendard leurs fils et les citoyens en général de cette ville. Leur appel fut entendu ; car le corps des zouaves de Québec compte aujourd'hui un effectif de cent vingt-cinq hommes. C'est un magnifique résultat que nous devons, en grande partie, aux encouragements que nous avons reçus de la classe dirigeante de notre ville, du clergé et en particulier de Sa Grandeur Mgr Bégin. Voici ce que notre digne archevêque écrivait, en 1901, au commandant des zouaves, qui

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l'avait prié d'accepter le patronage de notre nouveau corps militaire :

" Québec, le 7 février 1901.

A M. C.-E. Rouleau,

Président des zouaves pontificaux de Québec.

Cher monsieur,

J'acquiesce volontiers au désir que vous me formu- lez dans votre lettre d' avant-hier, et je consens à être le Patron de votre association des " Zouaves de Québec. "

Il me fait plaisir de vous voir, avec un certain nombre d'excellents catholiques de notre ville, per- pétuer le glorienx souvenir de nos croisés canadiens qui, en 1868, volèrent si courageusement à la défense du Souverain Pontife et de son domaine temporel. L'épopée religieuse et guerrière dont nos jeunes gens furent alors les héros, demeurera, grâce à votre asso- ciation, plus facilemet et plus profondément gravée dans la mémoire de notre peuple. Le nom de zouave, en même temps qu'il rappellera la gloire que se sont acquise nos preux chevaliers, sera toujours pour notre Canada, synonyme de courage chrétien, de noblesse de sentiments, de foi ardente, de dévoue- ment aux successeurs de saint Pierre, aux chefs de la sainte Eglise ; il sera comme un drapeau qui

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renfermera dans ses plis l'une des plus brillantes pages de notre histoire, en même temps qu'un grave enseignement pour les générations futures.

Ancien zouave pontifical, vous ne manquerez pas, j'en suis sûr, de redire aux membres de votre asso- ciation québecquoise les exploits de votre cher batail- lon d'autrefois et de maintenir parmi eux un invio- lable attachement au Pape-Roi, au vicaire de Jésus- Christ.

Agréez, cher monsieur, l'expression de mes senti- ments les plus dévoués.

t L.-N., Arch. de Québec."

Quelques semaines auparavant, M. C.-J. Magnan, professeur de l'Ecole Normale Laval de Québec et directeur de L'Enseignement Primaire, avait adressé la lettre suivante au président des zouaves pontificaux :

Québec, 18 décembre 1900.

M. C.-E. Rouleau, président des

zouaves pontificaux, Québec.

Cher monsieur,

J'ai lu avec plaisir, dans les journaux de Québec, que les zouaves pontificaux de notre ville ont décidé de former un corps militaire indépendant, qui sera connu sous le nom de " Les zouaves de Québec, " et que les membres de cette association porteront l'uni- forme des anciens soldats de Pie IX.

M. L'ABBE F. X. FAGUY, Aumônier des Zouaves de Québec.

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Voilà une idée superbe.

Les rangs des nobles croisés qui volèrent à la défense du Pape, lorsque Rome fit entendre cette plainte sublime à laquelle les rois et les empereurs restèrent sourds, s'éclaircissent chaque année. Avant longtemps ils seront tous descendus dans la tombe, ces cœurs pleins de foi qui donnèrent leur vie pour le droit et pour Dieu.

Nous comprenons pourquoi ces chevaliers d'une époque à jamais glorieuse pour le Canada-français veulent, avant de disparaître de la scène du monde, grouper autour d'eux une jeunesse d'élite; qui aura* pour mission de conserver sur le vieux roc de Qué- bec les belles traditions des zouaves du Pape.

Puis, M. le Président, vous et vos braves compa- gnons d'armes de Québec, n'avez-vous pas l'insigne honneur d'être les fidèles gardiens du drapeau de Carillon, cette incomparable relique sur laquelle " nos regards savent lire en brillants caractères l'héroïque poème enfermé dans ses plis."

Au jour de Saint-Jean-Baptiste, n'est-ce pas encore à vous qu'incombe la douce tâche de promener triomphalement, dans les rues de la capitale, ce Vieux souvenir français qui rappelle à nos cœurs les vertus de nos aïeux ?

Je le répète, cette idée est superbe. J'y adhère

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avec enthousiasme. Je sollicite même l'honneur d'entrer dans votre régiment, si vous m'en jugez digne.

Oh ! comme il sera beau de voir, aux jours des grandes fêtes religieuses et patriotiques, les vétérans de l'armée pontificale entourés d'une garde d'hon- neur, qui aura pour signe de ralliement la sainte relique que le soldat de Carillon pressait sur son cœur dans une dernière étreinte.

J'ai l'honneur d'être,

Cher monsieur,

Votre tout dévoué,

C.-J. Magnan.

Le petit bataillon des zouaves de Québec mérite certainement l'honneur d'un chapitre spécial dans cet ouvrage. Mais comme cette association nous touche de trop près, nous laissons cette tâche à un journaliste, M. Hormisdas Magnan, qui a publié un travail élaboré sur les zouaves de Québec, en 1902, dans les " Annales de la Société Saint- Jean-Baptiste." Nous lui empruntons donc les passages suivants de son étude :

" Ces" deux lettres (1) firent une profonde impres- sion sur la population si catholique et si française de

(1) Celles de Sa Grandeur Mgr Bégin et de M. C.-J. Magnan publiées précédemment.

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Québec. M. Rouleau fit appel à la jeunesse catho- lique de la ville, par la voie des journaux. Plus de cinquantes jeunes gens, représentant toutes les classes de la société, vinrent s'inscrire, et les exercices mili- taires, avec commandements en français à la grande joie des recrues, commencèrent sans retard. Il fallait voir avec quel entrain et quelle bonne grâce cette bouillante jeunesse obéissait à son chef. M. C.-E. Rouleau se fit instructeur, et le succès fut tel que, trois mois plus tard, le corps des zouaves pontificaux manœuvrait avec la précision des vieux zouzous de La Moricière.

" Les uniformes furent faits dans les premiers mois qui suivirent la fondation du nouveau corps, et à la Fête-Dieu suivante, les zouaves endossèrent la glo- rieuse livrée des soldats de Pie IX.

" La tenue des zouaves de Québec est en tous points semblable à celle des anciens. Elle consiste en un gilet, une ample culotte et un képi ; le tout, en étoffe gris foncé, est orné de galons rouges : des guêtres blanches et un large ceinturon rouge com- plètent l'uniforme. La tenue des officiers est en drap bleu clair ; les ornements sont en galon d'or. Dans son ensemble, l'uniforme est très pittoresque, et les zouaves, en corps, offrent un coup d'œil saisissant.

" Le'corps des Zouaves de Québec est à la fois une

M. L'ABBE T. G. ROULEAU, Aumônier des Zouaves de Québec.

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société patriotique et religieuse ; il a été fondé au mois de février 1901, sous, le haut patronage de Sa Grandeur Mgr Bégin, archevêque de Québec. La nouvelle association est aussi militaire, puisque les quelques survivants à Québec en sont comme le noyau.

" Le but principal de cette Association est défini dans la lettre de Mgr l'archevêque de Québec. Au motif religieux, les zouaves ont joint l'idée patrioti- que. Et pour mieux relier le présent au passé, ils s'efforcent de grouper nos compatriotes autour de deux drapeaux chers à nos' cœurs : le drapeau pon- ^, tifical et le drapeau fleurdelisé de Carillon.

" L'union des Canadiens-français dans un même esprit religieux et patriotique, pour s'emparer du sol canadien par l'agriculture et par le développement des ressources si variées offertes à l'industrie, enfin, l'effort commun pour conserver notre, langue et nos 1nstitutions civiles et religieuses, voilà le présent pour nous. Notre fête nationale contribue largement à cette œuvre d'union, et pour lui donner plus de force d'action à Québec, les soldats de Pie IX ont cru, avec raison, qu'avant de mourir, il était de leur devoir de grouper autour d'eux des jeunes gens qui auraient pour mission de perpétuer à jamais le souve- nir de leur croisade à Rome, et qui deviendraient les

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gardes d'honneur du drapeau de Carillon et du dra- peau pontifical, et les défenseurs de la grande cause du pouvoir temporel des Papes.

" Cette fondation fut inspirée aux zouaves par le révérend Père Hamon, S. J., à l'occasion des noces d'argent de notre régiment, en 1885. En cette cir- constance, le révérend Père Hamon prononça, dans la chapelle historique de Notre-Dame des Victoires, à la Basse- Ville de Québec, une de ces allocutions à l'emporte-pièce, toute virile et toute patriotique, dont il a le secret. En présence de ces braves aux fronts ridés, à la chevelure blanche, une idée le frappa, et sur-le-champ il l'exprima : '• Il est regrettable, . dit- il, de voir disparaître un corps militaire sorti du sein même de l'Eglise catholique et qu'un lien patrioti- que unit désormais à la nation canadienne-française. Enrôlez vos fils dans la milice pontificale que vous représentez, et que ces fils de soldats chrétiens perpé- tuent au Canada le souvenir dévouement des croisés du XIXe siècle envers le Saint-Siège."

" Les zouaves pontificaux se rendirent avec bon- heur à ce conseil ; mais leurs fils n'étant pas assez nombreux, ils choisirent de jeunes recrues en dehors de leurs foyers.

" L'Association des zouaves de Québec est destinée à rehausser l'éclat de nos fêtes religieuses et nationa-

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les. A la Fête-Dieu, les zouaves servent de garde d'honneur au Très Saint Sacrement, dans la proces- sion traditionnelle qui se fait dans toutes les paroisses de la ville. Depuis 1870, les zouaves pontificaux n'ont jamais manqué de prendre part à la fête natio- nale des Canadiens-Français.

" Chaque année aussi, les zouaves se font un devoir d'aller en pèlerinage à la Bonne Sainte-Anne. Chacun est heureux de recevoir la communion aux pieds de la grande thaumaturge du Canada.

" A l'occasion de la bénédiction du fac-similé du drapeau de Carillon, le 25 mai 1902, M. l'abbé Th.- G. Rouleau, ancien aumônier des zouaves pontifi- caux, à Québec, rappelait les paroles émues que l'illustre vieillard Léon XIII lui adressait en 1896, alors qu'agenouillé devant le Saint-Père, il lui demandait sa bénédiction pour les zouaves pontifi- caux de Québec : " Dites bien aux zouaves de Québec de se tenir toujours prêts à répondre à mon appel" ; et le prédicateur ajoutait :

" Soldats de l'Eglise, maintenez vivace dans notre vieux Québec l'idée du pouvoir temporel du Pape : c'est le désir du Souverain Pontife. Donc, Dieu le veut. Les intérêts catholiques sont intimement liés à la cause de la souveraineté civile du Vicaire de Jésus-Christ. Nous ne connaissons ni le jour ni

M. L'ABBE E. ROY, Aumônier des Zouaves de Québec.

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l'heure de la délivrance que le Seigneur retient sous son pouvoir, mais nous pouvons hâter ce jour par nos prières, surtout par des prières adressées à^la Vierge Immaculée de Pie IX, qui est forte comme une armée rangée en bataille, par notre conduite morale et chrétienne, car ce n'est pas le nombre, mais la qualité des soldats qui triomphe, par une adhé- sion toujours plus complète aux enseignements de l'Eglise."

" Les zouaves de Québec représentent donc une grande idée, un principe de premier ordre ; l'art militaire n'est pas le but principal de leur associa- tion ; cet art n'en est que l'accessoire ; leur vrai but dans l'avenir est d'enseigner par l'exemple, qu'il faut surtout se montrer catholique actif; qu'il ne faut pas seulement croire, mais encore agir.

" Quand les soldats de Pie IX seront descendus un à un dans la tombe, la mission des zouaves sera de maintenir en honneur le drapeau pontifical et de prouver au monde catholique qu'ils étaient dignes de recueillir l'héritage légué par les preux zouaves de Lamoricière.

" Puissent les zouaves de Québec rester fidèles aux nobles traditions des soldats de Pie IX, et ne jamais oublier les paroles si éloquentes qu'un zouave expi- rant, Watts Russel, traça de son sang sur une pierre :

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" Ama Dio e tira via " " Aime Dieu et va ton che- min."

" Cet été, les zouaves ont pris une part très active dans les brillantes fêtes du cinquantenaire de la Société Saint Jean-Baptiste de Québec. Les éloges et les applaudissements ne leur ont pas été ménagés.

" Un ancien militaire qui a signé " Esculape ", écrivait ce qui suit dans un journal de Québec, au lendemain de cette belle fête :

" Après la grandiose démonstration religieuse sur la Terrasse, le " clou " a été la parade des zouaves de Québec. Ils étaient une centaine dont une quin- zaine de vieux zouzous de Pie IX, et le reste, des zouaves de récente création sorte de pupilles de la Garde papaline œuvre du commandant Rouleau et de ses compagnons d'armes québecquois.

" Vous dire qu'ils ont bien manœuvré ne serait pas rendre suffisamment justice à ces gaillards en culottes larges et vestons courts, laissant à découvert la ceinture rouge qui leur ceint plusieurs fois la taille.

" Armés de vraies carabines et de réelles baïon- nettes, ils ont montré, en divers assauts et parades prestement exécutés, ce dont est capable cette arme bien française, en des mains canadiennes-françaises.

" Je suis un vieux routier de notre milice cana-

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dienne. J'ai obtenu mes deux certificats à l'Ecole Militaire de Québec : celui de seconde classe sous le colonel Gordon, du 17ème, retour de Crimée, celui de première, des mains de lord Alexander Russell, de la " Rifle Brigade ", aussi retour de Crimée.

" J'ai. fait des campements ; j'ai suivi les fortunes diverses de notre excellent " neuvième " régiment québecquois par excellence pendant des années. ...

" Je crois donc m'y connaître un peu en fait de parades et d'exercices militaires.

" Eh bien ! je déclare ici que nos zouaves de Québec en remontreront avant longtemps, aux vieilles " culottes de peau " de notre volontariat.

" Ce qui ne contribue pas peu à l'agrément de ces parades, ce sont les commandements en français, brefs, rapides, suggestifs."

Voici ce que M. Edmond Rousseau écrivait, en 1903, dans Le Soleil et V Evénement de Québec :

UNE JOLIE PARADE

" Un peu par désœuvrement, beaucoup pour faire plaisir à mon jeune fils, à 8 hrs hier soir je me diri- geais Vers le Manège de la Grande- Allée, il y avait déjà près de deux mille personnes rendues pour assister à la parade des Zouaves de Québec. 14

M. L'ABBE J. D. BEAUDOIN, Aumônier des Zouaves de Québec.

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Franchement, je n'étais pas trop rassuré et je nie disais à moi-même qu'il fallait être bien sûr de soi ou fort imprudent pour annoncer par la voie des journaux, avec' un .certain fracas, la parade d'un corps de volontaires indépendants, très jeune encore, un corps que je qualifiais de simples amateurs, et d'y inviter le 'public. Je v suis rentré chez moi à onze heures, absolument émerveillé, totalement charmé, qu'on en prenne ma parole ; car, en ma qualité de vieux critique d'une réputation assez grincheuse, je n'ai pas l'enthousiasme facile.

Toutes les personnes qui assistaient à la parade d'hier, dirent avec moi que nous avons un corps d'élite dans les zouaves de Québec, qui fera sa marque dans tout le Dominion et que, s'il est possible de lui trouver des égaux, il est certainement fort difficile pour ne pas dire impossible de lui trouver des supérieurs.

Et d'abord ce que j'appellerai l'apparence générale, est unique. On dirait que le commandant s'est fait un devoir de choisir parmi notre population ce qu'elle renferme de plus jolis garçons et de plus distingué. Va sans dire que je mets les officiers au premier rang. Quant aux manœuvres, il me suffira de dire que, pendant le défilé au pas accéléré, hier, je me reportais à cette époque j'allais, dans mon

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enfance, voir manœuvrer les régiments réguliers anglais sur l'Esplanade, et que la comparaison n'était nullement choquante à mon esprit. Les zouaves marchent en vieux troupiers et manœuvrent avec un ensemble qui ne laisse rien à désirer même dans les mouvements les plus difficiles, comme par exemple, de former le carré sur la marche, reconsti- tuer la file et combien d'autres qui ont été fort applaudis. Et avec les zouaves pas de tricherie possible, si le pied n'est pas en ligne, la guêtre blanche le trahira. Les zouaves comptent un effectif assez respectable de 80 à 90 hommes, m'a-t-on dit, espérons que le temps n'est pas éloigné nous verrons cette compagnie se transformer en bataillon. Toutes nos braves familles devraient se faire un honneur d'y faire entrer leurs enfants. Outre qu'elles sont assurées que ceux-ci seront sauvegardés sous le rapport de la morale, ils y trouveront un exercice très hygiénique et beaucoup d'honneur.

Les zouaves se rendent à Montréal, pour les fêtes du 24 juin ; certes, il s'y placeront au premier rang, et nous aurons raison d'en être fiers. Soyons-leur recon- naissants des efforts, des fatigues qu'ils s'imposent pour leur satisfaction personnelle, il est vrai, mais après tout, l'honneur en rejaillit sur notre ville, et sans aucun sacrifice de notre part, nons en profitons.

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Ils viennent d'organiser une excursion à Montréal par bateau pour ces fêtes du 24 juin, faisons-nous un devoir de les accompagner. Imitons en cela nos voi- sins de la métropole qui ne manquent jamais d'encou- rager quelques-unes de leurs sociétés, se rendant dans un endroit, soit pour concourir, soit pour prendre part à une démonstration quelconque, ne manquant jamais, dis-je, de les accompagner en grand nombre et de leur prêter ainsi leur appui moral.

Edmond Rousseau. Québec, 18 juin 1903.

" La nomination de M. Rouleau comme chevalier de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand a été accueillie avec la plus grande joie par les jeunes zouaves. Tous ont compris que cette marque de distinction, venant du chef de l'Eglise catholique, était une approbation très éloquente de leur nouvelle asso- ciation.

"M. le lieutenant-colonel G.- A. Drolet, ancien zouave pontifical, écrivit à M. Rouleau la lettre sui- vante, au sujet de la décoration que Sa Sainteté Léon XIII venait de lui décerner :

Montréal, 15 octobre 1901. Mon cher chevalier,

J'ai été bien heureux de lire dans le Soleil d'hier, le compte rendu de la jolie démonstration dont tu as

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été l'objet, à l'occasion de ton entrée dans la cheva- lerie pontificale.

Je me réjouis, avec tous les amis de la bonne cause, de la récompense que le Saint-Père vient de te décerner.

Nul plus que toi, mon cher Rouleau, ne méritait cet honneur. Depuis ton retour de Rome, j'ai été plus ou moins mêlé à ta vie, pendant ton séjour à Montréal, et, depuis que tu vis à Québec, j'ai suivi avec intérêt ta carrière professionnelle.

" Aime Dieu et va ton chemin, " a toujours été ta devise. Tu l'as non-seulement pratiquée toi-même, mais par tes vaillants écrits, par tes exemples, par ta chaude et entraînante parole tu l'as " transfusée" dans le cœur et dans l'esprit de la jeunesse de Qué- bec. Aujourd'hui, cette belle et intelligente jeunesse se groupe sous ton commandement, sous les plis du drapeau du régiment des zouaves pontificaux, pour continuer nos traditions de Rome.

La création de ce bataillon, à Québec, est un évé- nement extraordinairement heureux pour l'Eglise et pour le Canada. Il fallait un apôtre comme toi, Rouleau, pour mener à bien une création aussi diffi- cile. Nous disparaissons, nous les aînés, rapidement, hélas ! Hodie mihi, cras tibi. Ce rameau que tu as. détaché du tronc principal de l'Union Allet, est en

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train de pousser des racines vigoureuses : tant mieux, mon Dieu ! Tu auras. contribué, plus que tout autre, à perpétuer les traditions du Régiment des Diables du bon Dieu, eh Canada.

Nous n'aurions jamais pu, à Montréal, accomplir une œuvre pareille. Aussi, notre Saint-Père, en te donnant la croix de chevalier de Saint-Grégoire-le- Grand, a-t-il récompensé une vie toute d'honneur et de dévouement à toutes les causes nationales et reli- gieuses.

Reçois mon affectueuse accolade, mon cher cheva- lier, et crois toujours à l'entier dévouement de

Ton ancien camarade et ami,

G.-A. Drolet.

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SA SAINTETE PIE X

Au mois de juin 1905, trois anciens zouaves ponti- ficaux de Québec reçurent de Sa Sainteté Pie X la croix de chevalier : ce sont MM. C.-E. Rouleau, , A.-C. Guilbault et L. Lefebvre. A la réception de cette consolante nouvelle, il y eut grande fête aux , quartiers-généraux des zouaves de Québec. Voici ce que le Soleil du 30 juin dit de cette brillante démonstration :

" La fête charmante à laquelle les Zouaves de Québec ont pris part, hier soir, à leur salle de la halle laissera un souvenir que rien ne pourra effacer.

" En effet, M. l'abbé T. G. Rouleau, principal de l'Ecole Normale, se rendait, hier soir, à la halle

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Berthelot pour rendre visite aux Zouaves de Québec dont il est le digne aumônier.

" Pour la circonstance, la salle avait été décorée avec goût : une estrade avait été érigée, laquelle on avait artistement ornée de drapeaux. En avant de l'estrade, sur les côtés, on avait placé le drapeau papal et le drapeau Carillon ; M. le sergent P. Rou- leau avait présidé aux décorations.

" Quelques instants avant l'arrivée de M. l'aumô- nier et des officiers qui l'accompagnaient, les officiers Benoit et Lockwell disposèrent les Zouaves sur deux lignes laissant un passage au milieu. A l'arrivée des invités, les Zouaves présentèrent les armes, tandis que les clairons sonnaient le salut.

" M. le chevalier C. E., Rouleau, commandant des Zouaves, s'avança alors et souhaita la bienvenue la plus chaleureuse, la plus enthousiaste à M. l'aumô- nier Rouleau.

Un tonnerre d'applaudissements accueillit les paroles du commandant.

" M. l'abbé Rouleau répondit fort heureusement aux souhaits de bienvenue du commandant Rouleau et profita de la circonstance qui lui était offerte pour féliciter les Zouaves de la tenue irréprochable, l'apparence martiale de chaque homm?.

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" Il ajouta quelques conseils qui furent religieuse- ment écoutés.

M. l'aumônier a été chaleureusement applaudi.

M. le commandant Rouleau s'avançant alors, annonça qu'il avait une communication importante à faire aux Zouaves de Québec. Il s'agissait de deux décorations conférées par Sa Sainteté Pie X à deux officiers du corps des Zouaves de Québec.

Le commandant Rouleau fit la lecture des deux lettres très importantes qui suivent.

Nous tenons à dire d'abord que les premières démarches pour obtenir ces deux décorations furent faites par M. C.-E. Rouleau. Comme on le verra par la date de la lettre du général de Charette, les démar- ches furent commencées en décembre dernier. Mal- heureusement, le général de Charette tomba malade et dut passer l'hiver chez lui.

Basse Motte, Châteauneuf.

Ile-et-Vilaine,

ce 1er décembre 1904. Monsieur Rouleau,

Lieutenant-colonel des Zouaves Pontificaux Canadiens.

Québec. Mon cher commandant,

Et d'abord mes grands compliments. La première

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qualité d'un chef est de savoir reconnaître les mérites ' de ses subordonnés.

Je devais partir pour Rome et y être le 8 décem- bre, et j'aurais été heureux de ^présenter au Pape, moi-même, vos demandes de décoration. Malheu- reusement, un empêchement imprévu m'oblige à remettre mon voj^age.

Je sais, par expérience, que ces sortes d'affaires ont beaucoup plus de chances de réussite lorsqu'elles sont faites de vive voix. Je vous demande donc un peu de patience, et j'espère bien pouvoir aller à Rome sans trop tarder. Les lettres de Votre arche- vêque et de votre aumônier me seront d'un grand secours. J'ai reçu, presqu'en même temps que la vôtre, une bien intéressante lettre de Désilets, qui me raconte la belle cérémonie du couronnement de N.- D. du Cap, à laquelle assistaient les deux bataillons de Québec et des Trois-Rivières.

Je suis heureux de pouvoir vous redire combien j'aurais été fier de les passer en revue et de saluer mes vieux et les jeunes " Castors. "

Je vous le répète, mes grands compliments et laissez-moi embrasser avec l'effusion de mon vieux cœur le lieutenant-colonel commandant tous les Zouaves canadiens.

Veuillez offrir mes respectueux hommages à Mon-

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seigneur l'archevêque et à l'aumônier de votre batail- lon québecquois.

Tout vôtre, affectueusement,

Charkïte.

REPONSE DE M. C.-E. ROULEAU

Québec, 10 décembre 1904. Mon général,

Je vous remercie de tout cœur de votre bonne lettre et du profond intérêt que vous ne cessez de porter à vos vieux " Castors." " Vieux Castors ! " c'est une page d'histoire et des souvenirs bien chers que vous rappelez à ma mémoire. Le camp d'An- nibal, nous avons appris à évoluer sous votre commandement le jour de la visite à jamais mémo- rable de notre glorieux Pape ; la Cour St-Damase, il nous a été donné de répéter ces exercices admi- rables en présence d'une foule immense des plus hauts dignitaires de l'Eglise catholique ; la vie de garnison à Rome, nous avions le bonheur de

rencontrer l'ami " des Castors " presque tous les jours ; la célèbre retraite de Viterbe ; en un mot, les années heureuses que nous avons passées à l'ombre du drapeau pontifical se présentent à mon esprit comme autant de bouquets de roses dont le parfum charme le cœur, le fortifie et le console.

Mon général, vous me demandez d'avoir un peu de patience. C'est chose très facile, surtout quand je suis convaincu que la patience conduit à l'espérance et que l'espérance, exprimée par vous, équivaut à la réalité.

Oh ! que vos vieux et jeunes " Castors " auraient été fiers de vous voir passer en revue nos bataillons de Zouaves canadiens à la grande fête du Cap de la Madeleine ! J'ai l'espoir que le jour viendra les Zouaves canadiens auront le bonheur de présenter les armes à leur général et de lui exprimer de vive voix toute l'affection qu'ils lui portent.

Je demeure, mon général, avec les sentiments du plus entier dévouement.

Votre ancien sergent,

C.-E. Rouleau.

Après la lecture de ces deux lettres, le comman- dant C.-E. Rouleau annonça qu'il avait reçu de Rome les parchemins en vertu desquels MM. C. A.

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Guilbault, capitaine, et Louis Lefebvre, lieutenant, étaient créés chevaliers de l'Ordre de St-Grégoire-le- Grand.

Il n'est pas besoin de dire que la remise de ces précieux documents aux nouveaux décorés fut le signal d'un enthousiasme délirant parmi les Zouaves.

Le commandant C. E. ROULEAU,

Chevalier de S. Grégoire-le-Grand et de

Pie IX.

Le^capitaine Guilbault, visiblement ému de cet insigne honneur venu de Sa Sainteté Pie X, s'avan- ça et'fit un discours on ne peut plus heureux. :vll remercia en termes choisis le commandant Rouleau et l'aumônier Rouleau de leurs démarches auprès du général de Charette et du Saint-Siège.

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Il se reconnaît indigne de l'insigne honneur, à lui conféré par le Saint-Père, mais puisque le bataillon des Zouaves doit en bénéficier, il l'accepte avec bonheur.

Le nouveau chevalier, fier de son passé comme " zouave " profita de l'occasion pour conseiller aux nouveaux un attachement constant à la personne auguste du Souverain Pontife et à la doctrine de l'Eglise.

M. Guilbault fut très applaudi.

Le lieutenant Ls Lefebvre adressa ensuite la parole. Il protesta de son dévouement à la cause du " Pouvoir temporel " et aux enseignements de l'Eglise.

Il accepte avec plaisir l'honneur qu'il reçoit de Rome et qui rejaillit sur sa famille et sur le corps des Zouaves de Québec.

On allait se séparer ' lorsque M. l'aumônier Rou- leau se leva pour annoncer une autre bonne et joyeuse nouvelle. Celle de la réception, de Rome, de parchemins'en vertu desquels M. le commandant C.-E. Rouleau était créé chevalier de l'Ordre de Pie IX. Cette nouvelle fut accueillie par un tonnerre d'applaudissements, de vivats.

Après avoir fait l'éloge du nouveau chevalier de Pie IX, le dévoué aumônier des Zouaves remit à

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celui-ci les documents précieux qu'il avait reçus vers les six heures.

M. le chevalier Rouleau ne put que balbutier quelques mots tant son émotion était grande.

Il protesta de son dévouement à la cause de' la papauté et aux enseignements de l'Eglise. - Avec effusion il remercia le Saint-Père, M. l'abbé Rouleau, Mgr Bégin, le général de Charette, M. le chevalier Bussières, président général de l'Union Allet, et enfin ses chers Zouaves de Québec.

A ces derniers il donna de bons conseils et leur demanda de rester fidèles à la devise des vieux Zouaves : " Aime Dieu et va ton chemin."

M. le commandant Rouleau avait été créé cheva- lier de St-Grégoire-le-Grand par Sa Sainteté Léon XIII. C'est donc une seconde décoration que le com- mandant des Zouaves reçoit du successeur de S. Pierre.

On présenta les armes aux nouveaux chevaliers* et ensuite il y eut rafraîchissements.

On reconduisit chaque nouveau chevalier à son domicile.

La fête d'hier laissera un souvenir impérissable chez ceux qui y ont pris part.

En terminant, offrons nos sincères félicitations aux trois nouveaux chevaliers, et nos compliments les

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plus empressés au bataillon des Zouaves de Québec pour l'insigne honneur qui rejaillit sur lui. " Aime Dieu et va ton chemin."

U Evénement, rendant compte le même jour de cette fête à jamais mémorable, s'exprimait dans les termes suivants :

" Les Zouaves de Québec, comme de bons soldats de l'Eglise, ont dignement célébré la fête de saint Pierre. La démonstration d'hier soir marque une page mémorable dans leurs annales et restera gravée dans la mémoire de ces braves militaires qui font l'honneur de la vieille cité de Champlain.

Un avis publié hier soir dans les journaux, convo- quait d'urgence tous les Zouaves à la salle Berthelot. A l'heure réglementaire, tous étaient au poste. A l'extrémité de la salle, une estrade ornée de drapeaux, avait été dressée, évidemment destinée à quelque visiteur marquant. L'attente ne fut pas longue, et vers 9 heures, M. le commandant Rouleau fit son entrée dans la salle, accompagné de l'aumônier des Zouaves et du capitaine Guilbault et du lieutenant Lefebvre. A leur arrivée, les clairons sonnèrent et les tambours battirent au champ. Après avoir con- duit M. l'aumônier sur l'estrade d'honneur, le com- mandant Rouleau lui annonça qu'il avait été de 15

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nouveau choisi comme aumônier de l'association, et le remercia de l'intérêt qu'il n'a cessé de porter au régiment des Zouaves de Québec.

M. l'abbé, qui portait sur sa poitrine la croix des braves, prononça un charmant discours, et dit qu'en effet, il aime les Zouaves qu'il a eu l'occasion de voir à Rome ils ont acquis cette belle réputation de bravoure dans les divers combats auxquels ils ont pris part. Il les aime surtout pour l'idée qu'ils représentent. S'adressant aux jeunes, il dit qu'ils participent à la gloire des anciens et il ne doute pas que s'ils en étaient requis, ils n'hésiteraient pas, comme leurs anciens compagnons, à voler au secours du Saint-Siège. Ce jour de la Saint-Pierre, dit-il, ne - pouvait être mieux choisi pour une telle manifesta- tion. Restez unis autour de vos chefs, dit M. l'au- mônier, et soyez prêts à tous les sacrifices que Dieu et la patrie attendent de vous. Vous faites l'admi- ration non seulement des Québécois, mais aussi des étrangers qui ont l'occasion de vous voir. Le jour de la fête nationale, Lady Grey n'a-t-elle pas battu des mains lorsqu'elle vous a vus défiler et lui présen- ter les armes. Je vous remercie et je ne vous cache pas que votre confiance me fait grand plaisir.

De chaleureux applaudissements accueillirent ces sympathiques paroles.

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Le capitaine A. C. GUILBAULT, Chevalier de S. Grégoire-le-Grand.

NOUVEAUX CHEVALIERS

M. l'aumônier annonça ensuite qu'il avait une heureuse nouvelle à communiquer aux Zouaves. Votre commandant, dit-il, qui aime ses soldats et reconnaît leur valeur, a fait connaître à qui de droit les mérites du régiment et a mentionné certains noms de ceux qui ont vu le feu et risqué leur vie sur les champs de bataille. Le général de Charette, dit M. l'aumônier, a accédé aux désirs de votre com-

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mandant en envoyant deux décorations de Cheva- valiers de l'Ordre de St-Grégoire, pour être placées, l'une sur la poitrine du capitaine Guilbault, et l'autre sur celle du lieutenant L. Lefebvre.

Inutile de dire que cette bonne nouvelle fut accueillie par d'enthousiastes applaudissements.

Le lieutenant-colonel Rouleau donne lecture de la lettre expédiée à son ancien commandant le général de Charette, ainsi que la réponse de celui-ci, qui a été écoutée avec autant de plaisir que d'intérêt par tous les Zouaves, vieux et jeunes ; le brave général rappelle de vieux souvenirs qui ont faire tres- saillir de joie les anciens qui sont encore dans les rangs : la vie de garnison à Rome, les principales étapes des défenseurs du Pape, etc., et maints autres détails qui prouvent que le général de Charette tient en haute estime les braves canadiens qui ont servi sous ses ordres, et particulièrement son ancien ser- gent C.-E. Rouleau.

PRESENTATION DES PARCHEMINS

Le colonel Rouleau, qui manie aussi bien la parole que l'épée, présente au capitaine Guilbault le par- chemin qui le créait chevalier de St-Grégoire (ordre militaire). M. Rouleau accompagna cette présenta-

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tion de quelques paroles éinues à l'adresse de son frère d'armes et qui furent couvertes d'applaudisse- ments, après quoi les clairons et les tambours firent entendre leur voix vibrante, reflétant l'enthousiasme et la joie des camarades.

Le commandement " Présentez armes ! "/ se fit ensuite entendre, et ce suprême hommage militaire fut exécuté avec une maestria et un brio imposants.

Le même cérémonial se répéta pour le lieutenant Louis Lefebvre qui, lui aussi, fut l'objet de sincères hommages de la part de son colonel.

En présentant ces brevets, M. Rouleau, dit que la chevalerie est une fleur des champs de bataille qui ne pourrait fleurir sur plus noble poitrine que celle des deux titulaires des décorations de ce soir, MM. Guilbault et Lefebvre.

Le capitaine Guilbault prit le premier la parole et exprima sa surprise à la vue d'un si grand honneur, dont, naturellement, il se déclare bien indigne, opinion qui, soit dit en passant, n'a pas paru par- tagée par ses supérieurs et tous ses camarades.

En somme, M. Guilbault, quoique pris tout-à-fait à l'improviste, a fait un discours spirituel tout plein et assaisonné d'un bon sel gaulois, qui démontre que l'ancien zouave devait être, dans le temps, un joyeux camarade de régiment.

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Le lieutenant LOUIS LEFEBVRE, Cheva,!ier de S. Grégoïre-le-Grand.

M. L. Lefebvre, avec une émotion visible, remercia vivement le commandant et M. l'aumônier, et dé- clara que [rien n'aurait pu lui causer plus de joie que la décoration qui lui est transmise ce soir. C'est un bonheur, dit M. Lefebvre, que je n'aurais jamais osé rêver, car je considère que c'est le plus grand honneur dont un soldat puisse être l'objet, puisqu'elle'vient de Fie X, le vicaire du Christ, qui est le roi des rois. Comme son camarade, M. Guil- bault, il est très heureux de cette décoration dont

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l'honneur retombe sur tout le régiment. (Vifs applaudissements).

M. l'aumônier se lève ensuite et dit que les pa- roles des deux nouveaux décorés lui rappellent cette histoire d'un général français qui devenait timide et tout tremblant lorsqu'on lui faisait des éloges et déclarait cm'il préférait une pluie de balles à une averse de compliments. '

CHEVALIER PE PIE IX

Mais ce n'était pas tout, et une nouvelle surprise attendait les Zouaves, une surprise qui mit le comble à leur enthousiasme, lorsque M. l'aumônier leur annonça qu'il avait à transmettre encore une déco- ration, celle-là destinée au commandant général des Zouaves du Canada, M. le colonel C. E. Rouleau. En effet, M. l'abbé venait justement de recevoir pour le remettre au colonel un brevet créant celui-ci Che- valier de l'ordre de Pie IX. Peindre la surprise du nouveau décoré, serait difficile, mais en vieux mili- taire, habitué à surmonter les émotions, même les plus inattendues, il remercia ceux qui lui avaient fait obtenir ce nouvel honneur, entr'autres Mgr l'Archevêque, le général de Charette et M. l'abbé Rouleau, et comme ses camarades, il en attribua

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tout l'honneur au régiment ; car, dit-il, je reconnais que personnellement je ne mérite pas un si grand honneur. Des applaudissements unanimes éclatè- rent alors et accueillirent la fin de ces paroles.

Les clairons et les tambours se firent entendre de nouveau, et le " Présentez, armes ! " retentit une fois de plus.

Cette imposante manifestation se termina par un éloquent discours de M. l'aumônier, qui donna aux Zouaves, aux jeunçs surtout, de bons et sages con- seils leur démontrant la noble ' mission qui leur incombe au milieu de leurs compatriotes.

Durant la soirée, tous les mouvements exécutés par le régiment étaient commandés par les lieute- nants Benoit et Lockwell.

Avant de se disperser, des vivats enthousiastes furent poussés en l'honneur des nouveaux chevaliers de St-Grégoire, ainsi qu'en l'honneur du comman- dant et de l'aumônier, M. l'abbé Rouleau."

Les Zouaves de Québec sont assis, aujourd'hui, sur des bases solides, et leur exemple a eu de coura- geux imitateurs aux Trois-Rivières et à Saint-Hya- cinthe. Avant longtemps nous aurons un bataillon de plus de quatre cents zouaves canadiens, sans compter les vieux croisés. Le vœu que le colonel d'Albiousse, un de nos anciens commandants de

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bataillon à Rome, formulait, en 1885, sera alors accompli. " Oui, disait-il, les anciens peuvent dispa- raître ; les jeunes viendront combler les vides, et le régiment restera, il restera pour défendre cette grande cause de la papauté, avec le même dévoue- ment et le même enthousiasme."

Comme nous le disions, lorsque nous reçûmes la croix de chevalier de Pie IX, le régiment vivra, parce qu'il repose sur le roc immuable du Vatican, le phare lumineux du catholicisme.

Le régiment vivra parce qu'il a eu pour fondateur l'immortel Pie IX, crux de cruce, pour protecteur le glorieux pontife Léon XIII, lumen in cœlo, et qu'il a encore pour appui Sa Sainteté Pie X, ignis ardens. La croix, la lumière et le feu ardent, voilà trois sources inépuisables de vitalité pour le régiment des zouaves pontificaux.

Si le régiment est, un jour, rayé des annales mili- taires de la vieille Europe, il continuera d'exister dans la jeune Amérique, surtout dans notre belle province de Québec, cette terre de liberté si chère à tout cœur bien-né et arrosée par le sang de nos mis- sionnaires et de nos vaillants soldats ; car le nom de zouave pontifical a toujours .été et sera toujours une semence de défenseurs de la religion et de la patrie. Oui, les zouaves canadiens aiment leur religion et

234

leur patrie ; ils l'ont prouvé à Rome et ils l'ont prouvé au Canada, et si, un jour, le gouvernement a besoin du secours de leurs bras, ils seront prêts à répondre à son appel et à verser leur sang pour la défense du sol natal. Dans le cas les autorités canadiennes s'opposeraient au port de notre uniforme, nous en revêtirions une autre en leur disant que " ce n'est pas l'habit qui fait le moine."

APPENDICE

BUREAU DE DIRECTION

Officiers : Patron : Sa Grandeur Mgr Bégin, archevêque de Québec.

Président : M. C. E. Rouleau, chevalier de St. Grégoire et de Pie IX.

Vice-président : M. Chs. E. Guilbault, chevalier de St. Grégoire.

Trésorier : M. Louis Lefebvre, chevalier de St. Grégoire.

Ass. -trésorier : M. Alphonse Lefebvre.

Sec-correspondant : M. Henri Nansot.

Sec-archiviste : M. J. Goulet.

*

Ass.-sec-arch. : M. J. C. Lockwell.

Aumôniers : M. l'abbé F. Faguy, curé de la Basi- ligue ; M. l'abbé T. G. Rouleau, Principal de l'école normale Laval ; M. l'abbé E. Roy, curé de Jacques- Cartier et M. J. D. Beaudoin, curé de Saint-Jean- Baptiste.

Membres : MM. F.-X. Dumontier, Alphonse Bédard, Dr. F.-X. J. Dorion, N. S. Benoît, J. E. Pio Rouleau et Stanislas Lefebvre.

236

NOMS DES OFFICIERS DES ZOUAVES DE QUEBEC

Commandant : M. C.-E. Rouleau, chevalier de Saint Grégoire-le-Grand et de Pie IX.

Capitaine : M. A.-C. Guilbault, chevalier de Saint- Grégoire-le-Grand.

lers Lieutenants : MM. L. Lefebvre, chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand, et H. Garneau.

2nd Docteur F.-X. J. Dorion.

1er Sous-lieutenant et adjudant : N. S. Benoît.

2nds Sous-lieutenants : C. J. Lockwell et R. Ber- geron.

237

33

NOMS DES SOUS-OFFICIES

MM. F. X. Dumontier, sergent-major.

Na^ Cantfn^ } serSents porte-drapeau. J. E. P. Rouleau, sergent. Alph. Lefebvre, P. Lévesque, H. Nansot, J. Goulet, G. Gagné,

E. Gagné, sergent des clairons. Alph. Bouchard, caporal. H. Paquet,

E. Bouchard, "

G. E. Minville, "

J. St-Pierre,

A. Darveau, caporal des clairons. A. Renaud, caporal des tambours.

238

LISTE ALPHABETIQUE DES ZOUAVES DE QUEBEC

MM. Allard, J. N.

Belleau, N. Boisbrillant, E. Bouchard, L. Bouret, W. Bouchard, J., clairon. Bouchard, P.. clairon. Biais, A., clairon. Bélanger, J. E. Bertrand, W.

Côté, P. C.

Côté, J. B.

Charest, A.

Cloutier, A.

Côté, E.

Cantin, J., tambour-major.

239

MM. Caron, A.

Cantin, H., clairon.

D

Delisle, H.

Dion, P.

Dion, J. E.

Dessane, L.

Dubois, G.

Dionne, T.

Doré, Elz.

Donati, A., clairon.

Demeule, J., clairon.

D'Auteuil, P., tambour.

D'Auteuil, A.

Dugal, P.

Douville, F.

Dugal, Z.

Deniers, A., tambour.

F

Falardeau, J. A. Fortier, 0. Fournier, P.

G

Gagnon, N. Godbout, Th.

240

MM. Garneau, Elz. Gosselin, J. A. Gosselin, C. A. Gauvin, J. D. P. ' Gauthier, 0. Gosselin, J. G. Gobeil, E.

Gauvin, C. E., clairon. Gingras, E. Godin, A. Gagnon, E.

H

Hardy, A. Huard, A.

J

Julien, G. Julien, E.

L

Langlois, E. Lanouette, C. L. Lefebvre, S. Lemieux, J. B. Lemieux, E. Lemieux, A. Lepire, P.

16

241

MM. Lemay, C. Loranger, A. Lizotte, A. Laliberté, P. Langlais, N., clairon. Lamontagne, A., tambour. Landry, G. Laveau, J., tambour. Laverdière, E. Lavigueur, V.

M

Magnan, C. J. Magnan, H. Masselotte, V. Mercier, A.

Michaud, J., tambour. Michaud, H., clairon. Michaud, G., clairon,

N

Noël, H. Normand, Frs. Noreau, Alph. Noreau, W. Noreau, U. Noreau, R. Noreau, Alb.

242

MM. Pageau, J. Pageot, Th. Papillon, S. sr. Papillon, S. jr. Paquet, A. Pelletier, E. Perrin, G. Pin, J. E. A. Poitras, E.

Richard, G. Roy, E.

Roy, H., clairon, Roberge, J. Richard, E. Robitaille, A. Robitaille, R., tambour. Rigali, John

Sansfaçon, H. Sauviat, J.

243 T

MM. Thivierge, A. - Thibault, 0. Thivierge, A. Tremblay, A.

244

LES SURVIVANTS DES ANCIENSZOUAVES

PONTIFICAUX DU DISTRICT

DE QUEBEC

MM. Rouleau, C. E. Guilbault, A. C. Lefebvre, L. Couture, J. A. Toussaint, F. X. Garneau, H. Garneau, E. Brunelle, E. Bourget, A. Bernier, R. Lemieux, Ed, Fournier, G. » Papillon, S. Fortin, A. Préfontaine, J. H. Dumont, J. Boileau, F. X. Dumontier, F. X.

245

MM. Cantin, N.

Chateauvert, J. Lavoie, E. Allard, J. N. Bédàrd, A. Gagné, A. Dorion, N. Proteau, C. O'Flaherty, J. Ouellet, J. Routhier, A. Giasson, H.

TABLE DES MATIÈRES

Page

Introduction 5

La révolution à l'œuvre 7

Le général La Moricière 15

Castelfidardo La Moricière De Charette De Pimodan

Les Franco —Belges 21

Une guérison miraculeuse 33

La Moricière et Pie IX 40

La mort de La Moricière 50

Le dévouement des zouaves 57

L'invasion garibaldienne 65

La révolution à Rome 75

La bataille de Mentana 79

Les zouaves pontificaux canadiens à Rome , 89

Le brigandage 97

Le camp d' Annibal et Pie IX .. 115

Noces d'or de Pie IX et ouverture du Concile du Vatican 121

Le 20 septembre 1870 129

Le général Kanzler 157

Le colonel Allet 158

Le lieutenant-colonel De Charette 160

La bataille de Patay 165

Les zouaves pontificaux canadiens au Canada 177

La France et le Canada, l'origine d'une belle divise 185

Les zouaves de Québec 195

Bureau de direction 235

Officiers des zouaves de Québec 236

Sous-officiers 237

Liste alphabétique des zouaves de Québec 238

Anciens zouaves pontificaux 244

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