FL RE ai ARS TPS EP ANS EEE RAS ALERT M AU à BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE ||PSYCHO-PHYSIOLOGIE M DE GALL SES IDÉES DIRECTRICES PAR LE D‘ CHARLES BLONDEL nl | U | Docteur ès lettres l Agrégé de philosonhie | ! { 4 | pl L j — fl | | k ÿ {l i À pi PARIS LIBRAIRIE FÉLIX. ALCAN 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108 ee Lee. LAN < db a LA SYCHO-PHYSIOLOGIE | À DECCALE + DU MÊME AUTEUR _ LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN | La conscience morbide. Essai de psycho-pathologie gén Male AN Ol'AnER0 0) 4 PA SUN PI TNT AN EMNTEN ANNE 6fr. ù PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL SES IDÉES DIRECTRICES PAR LE D' CHARLES BLONDEL Docteur ès lettres Agrégé de philosophie PARIS LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 408 1914 lous droits de reproduction. de (traduction et d'adaptation réservés pour tous pays. À Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa as % http:/Awww.archive.org/details/tapsychophysiolO( A M. GEORGES DUMAS PROFESSEUR A LA SORBONNE Hommage respectueus: INTRODUCTION La quarante-cinquième leçon du Cours de Phi- | ophie Positive, qui termine l'exposé de la par- ie physiologique, est profondément inspirée de Gall. Sans doute, A. Comte fait les plus expresses r serves sur la valeur des résultats particuliers quels Gall a abouti; sans doute, il proclame _« l'analyse phrénologique fondamentale est... entièrement à refaire... d’abord dans l’ordre ana- É a L] 4 t nique, et ensuite dans l'ordre purement physiolo- AN 4 | . Il n’en reconnait pas Don en oE M FLE 1, Ed. Schleicher, 1908, p. 436. ts _ BLonvez. — Psycho-physiologie. 1 EE sont bien, comme Gall l’a définitivement étab principes fondamentaux ; l'étude des phénomèn mentaux, comme de tous les autres résultats « l’organisation, est bien le dernier chapitre et comr 4 le couronnement de la physiologie. En 1851, il est vrai, dans le premier volume « Système de Politique Positive :, le pomt de de Comte a radicalement changé : c’est que, dans l'intervalle, sa sociologie s’est constituée. La ps) chologie ne fait plus partie de la biologie, ma bien de la science nouvelle. La méthode de Gall. 4 * ne pouvait rien donner, faute de satisfaire aux. véritables nécessités de la recherche. Seul l’exame où positif de l’évolution collective se montre “ris ment fécond. L’anatomie même ne sert plus Eu. en figurer et en confirmer les résultats. Du rang € créateur, Gall descend à celui de précurseur, Comte a beau insister sur ce qu'il lui doit et rec et une utilité passagère *. A 1Ë Ai CREUETe fondamentale, (RARE timents sur Gall, cf. Lévy-Bruhl : /a Philosophie d'A. a L INTRODUCTION Mais, aussi bien en 1851, quand il entend opé- | rer dans la physiologie du cerveau une véritable # volution, qu'en 1837, alors qu'il se contentait une simple réforme, les idées de Gall servent oujours de point de départ à l’exposé des siennes et ses arguments ne nous sont pleinement intelli- Mu / pe : ibles qu'à condition que nous soit connue, au _ moins en ses lignes directrices, la théorie à laquelle il les emprunte ou à laquelle il les oppose. D'ailleurs, si évidentes que soient devenues entre jomte et son prédécesseur les divergences de à rincipes, de méthode et de doctrine, elles ne vont ÿ pas jusqu’à interdire entre eux tout rapprochement t c’est ainsi que M. Soury à pu, au moins sur un joint, les associer dans une même condamnation et prononcer que les organes cérébraux de l’un et e l’autre lui paraissaient « les plus creuses rêve- es ne soient jamais sorties de la cervelle humai- LT 1900, p. 219, et G. Dumas : quid Auguslus Comte e suae aetatis psychologis senserit, thèse latine. 1900. . Le Système Nerveux Central, 1899, p. 510. naque, avec réflexions sur la signification du. volume de l’encéphale, à discussion *, qui n'occupa pas moins de huit séance , de février à juin, et qui fut, à la fois, la conclusion métrie. Sans doute, si l’on met à part Perier, médecin | eu des Invalides, élève de Spurzheim, dont l'enthou- A siasme pour la doctrine de Gall a des révoltes ingénues (p. 220), il apparaît bien, à lire cette dis- 4 cussion, que la phrénologie et ses st n'avaient pu dès lors résister, dans le détail, À l'épreuve du temps. Il n’en est que plus 4 + À quable de voir Gratiolet et Broca, malgré la 4 ANS divergence de leurs opinions sur la pluralité des Vies organes cérébraux, s’accorder, du moins, pour e 1. Reproduite dans les Bulletins de la Société d’ Anirepalane de Paris, t. II, 1861. INTRODUCTION FIAT _ reconnaître tout ce que la science doit à Gall. Pour Broca, Gall est un novateur de génie. «IL eut l'incontestable mérite de proclamer le grand D riacipe des localisations cérébrales, qui a été, on peut le dire, le point de départ de toutes les décou- vertes de notre siècle sur la physiologie de l'encé- _ phale » (p. 191). « Gall et Spurzheim furent des _ anatomistes de premier ordre » (p. 192). Il y a F Nu lieu de distinguer la théorie de Gall des applica- _ tions qu'il en a faites : « La doctrine phrénologi- _ que. s’est... écroulée..., mais le principe des localisations n’a pas péri pour cela » (p.195). Pour Gratiolet également, Gall est un « grand _ anatomiste », et sa « doctrine de la spécialité des nerfs » a ouvert « en quelque sorte la voie à toutes D les grandes découvertes qui ont illustré dans notre 4 siècle la physiologie du système nerveux » (p. 262). ï Gratiolet a beau railler l'enthousiasme de tels de. _ses adversaires et s’amuser de voir «ceux-là même _ qui repoussent avec indignation l’étude de l’intelli- gence, quand elle se présente sous ce nom fatal de psychologie, lui faire au contraire un accueil _très distingué quand elle prend le titre de physio- 4 … logie du cerveau » (p. 434) ; il n’en trouve pas 6 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL moins, pour célébrer «le lobe frontal, dans lequel réside, en quelque sorte, la majesté du cerveau humain » (p. 273), des expressions d'un lyrisme que Gall lui eût envié : « Les lobes frontaux, dit-il, sont, pour ainsi dire, la fleur du cerveau » (p. 258). I y a plus: c'est au cours même de cette dis- cussion, au début de la séance du 18 avril 4861 (p. 235), que Broca fit la mémorable communica- lon intitulée : Perte de la parole, ramollissement chronique et destruction partielle du lobe anté- rieur gauche du cerveau, première élape des recherches qui devaient promptement aboutir à localiser à la troisième frontale gauche le siège de l'aphasie. Or, au cours de [a querelle qui a récem- ment jeté Le trouble dans la cité neurologique, les deux protagonistes, MM. Déjerine et Pierre Marie, sont au moins tombé d’accord sur un point: c’est qu’il fallait faire débuter avec Gall l'histoire des localisations du langage *. Enfin, plus récemment, Gall a trouvé en Mübius ? 1. Déjerine, L'aphasie sensorielle, Presse Médicale, A1 juil- let 1906. P. Marie, Revision de la question de l'aphasie, Semaine . médicale, 28 novembre 1906. 2. P.-J. Môbius : Franz-Joseph Gall (Ausgewählte Werke, Bd. VII, 1905). NUNTS LS mé Clin ® 2 | INTRODUCTION UE AA Ë un défenseur et presque un apologiste. Non seule- ment la théorie des localisations parait à cet a iuteur irréfutable et irréfutée, mais encore ni l’ana- 'tomie, ni la physiologie, ni la psychologie, ni la N | craniologie ne permettent, selon lui, de rejeter a . priori la théorie de Gall. Le crâne reproduit, en | fait, la forme du cerveau, qui, à son tour, peut bien ne répondre aux différents degrés de développement des instincts, des aptitudes et des dispositions. ; | Crest à l'observation d'en décider, et elle ne peut guère procéder autrement qu’en appliquant la ie 4 méthode même de Gall, en établissant des compa- _ raisons et des rapprochements entre le cerveau, la D. tête et le crâne d’une part, et les facultés men- _ tales de l’autre. Alors même que rien ne subsiste- _ rait des inductions que Gall a tirées de la forme Pl Reg A CTe = du crâne sur le rôle des différentes parties du cer- Er . . veau, malgré des erreurs de détail, sa psychologie, qui est la seule compatible avec la théorie des : _ Jocalisalions, n’en garderait pas moins toute sa valeur. _ Un tel jugement démontre, dans son ensemble, pe ne qu'il est de nos jours des esprits pour trouver injus- _ tifié le discrédit où l'œuvre de Gall est communé- ment Ho et pour estimer qu elle Amérique, dont témoigne l'existence à New-York. n°11476. encore d'être prise en considération : si était, le regain actuel de la doctrine de en nl d’un Institut et d’un Journal Américain de Phrén FR p en serait une nouvelle preuve. Môbius n'hésite pas à distinguer la psychologie n Gall de sa craniologie et de son organologie, considère. qu'elle n’a pas à en partager la fo tune, Or, dans la pensée de son auteur, comme A. Comte l’a très bien vu et comme nous essaye- rons de le montrer à notre tour, cette psychologie est essentiellement une physiologie du cerveau, où la représentation matérielle des processus psy- | chiques est toujours présente à l'esprit de celui qui les étudie. Il reste donc que les principes direc- | teurs selon lesquels Gall à conçu sa physiologie n. j du cerveau nous sont donnés ici, une fois de plus, ui ( comme indépendants des applications qu'il a cru pouvoir en lirer. k Les contemporains, du reste, s’en étaient eux- Ne 1. Ribéry, la Phrénologie en Amérique, R. Philos. 4903, L INTRODUCTION 9 mêmes aperçus. « J’admets la doctrine de Gall, écrivait C.-W. Hufeland!, lorsqu’elle donne le cer- veau pour organe à l'activité psychique et qu’elle distingue dans cet organe différentes organisations spécialement destinées aux diverses fonctions. Mais je nie que ces divers organes se manifestent tou- jours par des protubérances de la surface du cerveau et surtout que les protubérances du crâne dérivent uniquement de cette cause, de façon qu’on puisse en tirer une conclusion cer- taine sur la nature et les dispositions internes de l'intelligence. Il suit que cette doctrine, vraie en théorie, ne l’est encore nullement dans les faits constatés. En d’autres termes, l’organologie est vraie d’une manière générale; lorganoscopie est inexacte ». Gall, d’ailleurs, légitime lui-même cette distinc- tion en signalant dans la constitution de son sys- tème deux moments successifs, indépendants l’un de l’autre, et en faisant nettement la démarcation entre les principes sans lesquels toute physiologie du cerveau lui parait impossible, et les conditions 1. Bemerkungen über Gall's Gehirnorganentehre, 1805, d'après Soury, le Système Nerveux Central, p. 499. LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GAL particulières qu’impliquent nécessairement À propres localisations. « La possibilité, dit-il*, d’ur doctrine sur les fonctions morales et intellectuelle du cerveau suppose : 1° que les qualités morale et les facultés intellectuelles sont innées ; 2° que K leur exercice ou leur manifestation dépendent de. l’organisation ; 3° que le cerveau est l'organe de Lo: Î les re de tous les sentiments et de tout. la tête ou du crâne RAT dans la pan des cas, la forme du cerveau, et suggérât des ns variés pour découvrir les qualités et les faculté Dre et le AiEE de Ie seine »: 00 1. Sur Les Fonctions du Cerveau et sur celles «de hace ses parlies, etc., 1, Avertissement, p. vi, 1822. INTRODUCTION 11 tés, la dépendance où elles sont de l’organisation el en particulier du cerveau, la pluralité des organes, tous principes sans lesquels aucune localisation cérébrale ne semble seulement concevable, pour légitimer le procédé dont use Gall dans la déter- mination des organes et de leur siège, 1l est besoin de trancher deux problèmes, à la solution desquels sa psycho-physiologie demeure, au contraire, indifférente. Pour que la craniologie et lorgano- logie de Gall ne soient pas de pures chimères, il faut, à la fois, que l’activité des organes soit pro- portionnelle à leur volume et que la surface exté- rieure du crâne soit révélatrice de la forme du cer- veau. Faute de l’un ou de l’autre, tout le système se trouve réduit à néant, Gall s'efforce donc de démontrer, d'abord, que l'importance physiologique des organes se révèle par la forme extérieure et la disposition relative des parties cérébrales. Plus les circonvolutions sont développées et font saillie à la surface du cerveau, plus les phénomènes mentaux dont elles sont le siège se manifestent avec énergie. Done l'activité des organes est bien, dans ces conditions, proportionnelle à leur volume. Mais Gall apporte à cette affirmation deux Cor. rectifs qui, tout en respectant le principe de la pl ralité des organes, compromettent l'efficacité del méthode qu’il préconise pour en déterminer le ù n siège. D'une part, il admet que les organes se le 5 uns sur les autres et que l’un d’entre eux peut êtr ainsi porté, par contre-coup, à un degré d'activité que, de lui-même, il n'aurait jamais atteint : il est des criminels, par exemple, chez lesquels l'organe de l'instinct carnassier ne présente pas un déve- loppement anormal ; c’est que, au moment du crime os “HPRARRCES A AE sont intervenues, ! 1. Lettre du docteur F.-J. Gall à Joseph-François de Retzer, KO relativement à son prodrome sur les fonctions du cerveau chez les hommes et les animaux, Neuer deutsche Merkur de Wie- land, décembre 1798, traduction Fossati, in J. de La Société Phrénologique de Paris, 1835, p. 127. Le prodrome ne ai jamais publié. sn le dl, LATE 2 en PES APE SLT RÉ RT ETS TE ? PE Sr vis & set 2 Pres > | INTRODUCTION 13 ne dépend plus seulement de son volume, mais aussi de son énergie fonctionnelle, et par consé- quent, à volume égal, deux organes peuvent ne pas avoir la même énergie ou, au contraire, mal- gré leur inégalité de volume, déployer une éner- gie équivalente, Or il n’échappera à personne que cette notion d’activité dynamique, en se surajoutant à celle de volume organique, en diminue singuliè- _rement la valeur. De même Gall s’ingénie à démontrer minutieu- sement que la forme du cerveau détermine celle du crâne et que de l’une il est possible de con- clure à l’autre. Mais il reconnait que certaines parties du cerveau, telles, par exemple, celles de la base, nous restent, de par leur situation, à jamais inaccessibles, qu'avec l’âge la correspon- dance entre le crâne et le cerveau cesse, chez l’homme, d’être suffisamment rigoureuse, qu’il est des espèces animales dont les têtes présentent des proéminences sans signification organologique, et qu'enfin, en certaines régions, malheureusement les plus importantes, tels les lobes frontaux, l’in- terposition des sinus et des orbites crée à l’obser- vateur d’incontestables difficultés. # KE TE (4 Re PC rl ; == + Gall en ses applications positives, craniologique et organologiques, il faudrait le suivre sur ce ter- rain et examiner avec lui si, véritablement, l’acti- paie des organes est proportionnelle à leur volume, , , en fait, la forme extérieure du crâne reproduit du cerveau, Mais, si la critique de la structure du cerveau, telle que Gall l’a conçue, est du plus haut intérêt pour l’histoire de l'anatomie, elle exi- gerait bien naturellement un anatomiste. Pour #4 suivre utilement Gall dans ses considérations sur On ; la forme du crâne, il faudrait, en outre, un anthro- à ue pologiste. On ne saurait nous faire grief de n'être i ni l’un ni l’autre et de nous refuser à une disus- | | sion qui dépasserait notre compétence. | D'autant que la craniologie est seulement le moyen imaginé par Gall pour passer de la théorie à à l’application et exploiter, si l’on peut dire, ses 4 principes de physiologie générale ; et ce moyen 40 se trouvât-il faux, ces principes, comme on l’a à nous venons de le voir, de tout temps soutenu, ne perdraient rien de leur valeur. Si, au contraire, 140 sk psycho-physiologie générale de Gall était fausse, 4 INTRODUCTION 15 par sa forme extérieure à la forme du cerveau, ne serait plus qu’enfantillage ou que duperie. La psycho-physiologie générale de Gall se détache donc naturellement du reste du système, et nous nous croyons, par conséquent, en droit de limiter à cet objet notre étude. | Pour la clarté de l'exposition, il y aura, en outre, intérêt, croyons-nous, à alléger cette étude de la psycho-physiologie de Gall de tout ce qui ne lui est pas essentiel, de tout ce qu’elle tient des circonstances dans lesquelles elle est apparue et des intimes rapports qu’elle entretenait, dans l'esprit de son auteur, avec la craniologie propre- ment dite. Gall a été, avant tout, un homme à idées : anatomiste, physiologiste, médecin, psy- chologue, philosophe, moraliste, pédagogue et citoyen, convaincu des conséquences sans nombre qu'entrainait sa doctrine en politique, en pédagogie, en morale, en philosophie, en psychologie, en médecine générale, en psychiatrie, en physiologie et en anatomie, il a,au cours de ses livres, abordé une mulütude de questions et fait front à une foule d’adversaires. Aussi son exposition est-elle incessamment Po, =: = +, # ES LE à of FREE res Le 2&: SR + l ; M Ke \ ÿ 16 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL mêlée de polémiques. Il part en guerre, tour à tour, contre ceux qui l’accusent de matérialisme et de fatalisme, contre les sensualistes, tel Condillac, contre les métaphysiciens, tel Laromiguière, contre les physiologistes, tel Flourens. En ces discussions Vrra " S il est, souvent, fort difficile de faire le départ entre ce qui intéresse la psycho-physiologie générale et ce qui à trait à la craniologie : à travers la psy- cho-physiologie générale, c’est à la craniologie que les adversaires de Gall s’attaquent le plus généralement, et, de même, ce que Gall a toujours à cœur de défendre, à travers sa psycho-physiolo- _ gie générale, c’est le système auquel elle aboutit à ses yeux. Étant donné l’objet que nous nous proposions, il n’y avait pas lieu de nous arrêter à ces polémi- ques et nous ne les utiliserons que dans la mesure où elles nous apportent des éclaircissements sur la psycho-physiologie générale de Gall et ses idées directrices. Pour permettre au lecteur de se faire une idée de ce que les conceptions que nous allons étudier peuvent avoir eu d’original, il nous a paru indispensable d'ajouter ici quelques éclaircissements historiques, sans prétendre, bien entendu, INTRODUCTION faire, de l'état des sciences physiologiques et psychologiques, u moment où Gall écrivait, et des influences qu'il a subies, ‘un exposé, que notre sujet, tel que nous l'avons délimité, ne _« omporte pas. _ Ni le rattachement au cerveau de Pactivité mentale ni l'hypothèse qu'il est constitué par des organes différenciés _ répondant à la diversité des manifestations psychiques ne … datent de Gall. Il suffit de le lire pour s’en convaincre ._ (Anatomie et Physiologie du Système Nerveur, etc., IL, p. 58, passage où, pour se défendre de l'accusation de matéria- lisme, il allègue que « les médecins physiologistes et les _ philosophes font tout dépendre du cerveau, au moins les qualités de l'esprit, l'attention, la mémoire, l'imagination, etc. »; _ idem, IL, section IV, de l'organe de l'âme, section NV, sur les _ moyens de trouver, à l'aide de l'état du cerveau, une mesure . pour les facultés intellectuelles et les qualités morales, sec- ion VI, sur la pluralilé des organes, où, de l'antiquité au vie siècle, il présente un très rapide historique de la question). _ Ilne se fait pas faute, du reste, de déclarer au besoin qu «il | _ est généralement reconnu que le cerveau est l'organe particu- _ lier de l'âme » (idem, IL, 9, note) ; que « depuis assez long- _ temps, l’on convient que le cerveau est l'organe particulier de _ l’âme» (idem, LI, 23). « M. Sômmering a allégué déjà une partie de ces preuves », avoue-t-il encore (idem, Il, 180, note), au cours de la démonstration des fonctions mentales du cerveau que nous rapporterons dans la suite. Sa seule prétention est de _de mettre dans l'établissement de sa thèse plus de rigueur _ et de précision que ses devanciers : « Depuis longtemps, des philosophes, des physiologistes et des médecins, soutiennent # _ que le cerveau est l’organe de l'âme : il pourrait donc paraître 4 _ superflu de faire encore des recherches sur ce sujet. Mais ‘5 _ autre chose est de répéter des opinions hasardées, accueillies « _ pour un moment, oy de dév elopper une vérité dans toute son # have, et la rattacher à la science sous tous ses rapports » (idem, K, 150). Il en est de même à l'égard de la pluralité des organes cérébraux. Si, dans son article sur le Cerveau (Dictionnaire 4 des Sciences médicales, t. IV), il commence par prétendre _ qu’ « on se borne jusqu'ici à dire en général que le cerveau est l'organe ou, selon d’autres, le siège de l'âme » (p. 462), il ne tarde pas à ajouter (p. 478) que « cette vérité que l'âme ppnent d'organes différents qu'elle peut exercer de facultés BLONDEL. — Psycho-physiologie. 2 18 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL différentes, a été présentée très anciennement ; plusieurs ont | de même fait graver des planches dans lesquelles sont marqu les sièges particuliers du sens commun, de l'imagination de la mémoire et du jugement », et, au tome Il de son grand ouvrage (p. 259), à Rudolphi, qui soutenait que les parties cérébrales sont trop semblables entre elles pour être des organes particuliers, il répond, en s'appuyant sur une cita- tion de la Physiologie de Richerand : « Combien ce langage est différent de celui des autres physiologistes, qui regardent comme démontré, que le cerveau est un assemblage de plu- sieurs organes; parce que dans le cas contraire on ne con- cevrait pas pourquoi on y trouve tant de parties si différem- ment formées! » Mais, malgré cet hommage rendu aux physiologistes contemporains, après avoir énuméré les mé- thodes proposées par ses devanciers pour « trouver, à l'aide de l'état du cerveau, une mesure pour les facultés intellec- | ‘4 tuelles et les qualités morales », il n'en conclut pas moins: «Il résulte de tous ces essais infructueux, que, jusqu’à nos jours, on ne connaissait assez, ni la structure du cerveau, | ni ses fonctions, pour avancer quelque chose de positif, soit sur la nature des qualités des animaux, soit sur le moyen d'estimer à quel degré ils les possèdent » (idem, If, 230). MR. Ce qu'il y a de nouveau dans les idées de Gall, ce n'est … donc pas, de son propre aveu, le principe des localisations cérébrales, mais la théorie qu'il en a apportée et la rigueur scientifique avec laquelle il la croit établie. A) Il importe, toutefois, de ne pas oublier que, au moment où Gall conçut son système : 1° Les passions étaient encore souvent localisées dans les viscères thoraciques ou abdominaux, cœur, foie, estomac, système sympathique et même diaphragme (Buffon, Vicq- d'Azyr, Reil, Richerand, Cabanis, Bichat). 90 Le conflit avait déjà éclaté entre partisans et adversaires … de l’homogénéité du cerveau. Mais à l'époque où Gallexposa son système, les partisans de lhomogénéité du cerveau étaient, semble-t-il, en majorité, car Rullier (Dictionnaire des Sciences médicales, t. XIV, 18145, article Faculté, p. 403) dit de Séné, un des adversaires de Gall, qu'il « croit tout simple- d: ment, avec la presque universalité des physiologistes et des philosophes, que le cerveau tout entier représente, dans la masse de ses parties matérielles, l'instrument universel de : l'âme ». RAD. INTRODUCTION (+ AE A la fin du xvure siècle, cette question, déjà par elle-même _ bien délicate à trancher, se compliquait encore, dans une large mesure, de préoccupations et de difficultés métaphysi- _ ques. En étudiant les rapports de l’activité mentale et du cer- _ veau, on s’inquiétait trop souvent de ce qu'on avait appris par ailleurs, de l'unité du principe spirituel, de l'éminente A dignité de l'âme et de la vie future à laquelle elle était des- _tinée. C'est ainsi que, dès le milieu du xvur siècle, il était de | mor courante que les nerfs cérébraux ne partaient point à d'un centre commun, puisque Lamettrie, plus philosophe . qu'anatomiste, use de cet argument, dans son Histoire natu- hi: relle de l’Ame (1745), pour démontrer que l'âme ne saurait Hi $ occuper un seul point (Signalons au passage que Lamettrie #: fut l'élève de Boerhaave, qu'eut pour maître Van Swieten, É avant d'être, à son tour, à Vienne le maître de Gall). Bonnet, _ que nous verrons tout à l'heure admettre l'hypothèse de la _ pluralité des organes cérébraux, reconnaît de même que le à 'centre de réunion des nerfs est inconnu anatomiquement. - _ Maisles idées s'enchainent et viennent des sens. Donc les fibres sensorielles communiquent secrètement entre elles et _ le point où cette communication s'opère est le siège de l’âme. . À" C'est que, pour atteindre au but qu'il poursuit dans sa Palin- L. _géneésie, c’est-à-dire pour assurer l’immortalité aux âmes, non seulement de l'homme, mais des animaux, il croit avoir _ besoin d’un organe universel, visible et palpable, centre _ apparent de l’activité mentale, qui en contienne à son tour ‘4 _ un autre, germe du nouveau corps, véritable siège de l’âme _ et de la personnalité (Œuvres d'Histoire Nalurelle et de Philo- … sophie, Neufchâtel, t. VII, 1783). Telles étaient les conditions » auxquelles les localisations cérébrales en venaient à devoir satisfaire. { _ D'autre part, les partisans de l’hétérogénéité du cerveau ou _ bien l’entendaient tout autrement que Gall ou bien s’en tenaient au principe sans passer aux applications. Willis, en effet, qui, comme le dit Charlton Bastian (Le Cer- _ veau Organe de la Pensée, etc., 1882, IL, p. 143), est, en un sens, le « père de la phrénologie » et dont tous les anato- . mistes qui, au xvine siècle, cherchèrent à définir les fonctions ‘1 des diverses parties du cerveau, suivirent la méthode, n'opère lement ses localisations, tant au point de vue anatomique he que Gall: la substance blanche mérite pour lui, à cet ul 0 qu'au point de vie psychologique, suivant les mêmes prin- 20 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL égard, la même considération que la substance grise et aux différents étages du cerveau, ce sont la perception, la mé- moire, l'imagination, l'entendement, toutes facultés dont Gall niera l'existence autonome, qu'il se trouve localiser. Une telle hétérogénéité n'est, au fond, qu'une homogénéité qui s'ignore, Car tout état mental un peu complexe supposant l'intervention du moi, de la mémoire, de l'imagination, et s'accompagnant d’un certain état moteur et affectif, la parti- cipation du cerveau tout entier est nécessaire à la réalisation d’un quelconque des états psychiques dont notre vie mentale est faite. Mais, surtout, la plupart des auteurs, Van Swieten, Pro- chaska, Bonnet, Haller, Sômmering, Richerand, Cuvier se contentent de constater la probabilité ou l'évidence de l’hété- F rogénéité du cerveau et de la pluralité des organes dont il J est composé, mais proclament l'impossibilité momentanée à (Prochaska, Sümmering, Richerand, Cuvier) ou définitive k& (Haller) de les déterminer, quand, comme Bonnet, ils ne à concèdent pas, en même temps, à l'âme un siège unique et « presque immatériel, pour les besoins de leur métaphysique, } ou, comme Haller, ne se montrent pas plus souvent encore adversaires que partisans de la différenciation fonctionnelle du cerveau. Cependant certaines hypothèses étaient risquées sur l'emplacement relatif des organes cérébraux et c’est ainsi que, selon Boerhaave el Prochaska (Gall, Anatomie et Physio- logie du Système Nerveux, II, 250), le siège de l'imagination 1 devait être loin de celui de la perception, car, durant le som- k meil, notre imagination travaille, tandis que nous ne perce- vons rien : indication dont Gall fera son profit, car il posera en principe que les organes sont d'autant plus éloignés les M uns des autres que leurs fonctions sont plus indépendantes: À 3° Les esprits animaux, discutés et combattus au cours " du xvirre siècle, conservaient encore un reste de crédit. Or. si les mouvements d'un fluide sont la condition des phénomènes mentaux, on conçoit aisément que le principe des localisations : cérébrales perd tout ou partie de sa portée : on ne saurait, en effet, assigner alors aux états et aux facultés psychiques un siège immuable. D'autre part, la conception des esprits animaux avait contribué à faire adopter, sur la constitution du système nerveux, les opinions les plus erronées, à faire considérer, par exemple, le cerveau comme une glande ou comme un réseau de minuscules canaux. Aussi, à la fin ablie entre les éléments nerveux et les parties du cerveau, ne s'était-elle pas encore précisée et fixée. En 1796, deux ans % ‘ant que Gall publie les lignes fondamentales de sa doc- _{rine, Sommering (Ueber das Organ der Seele) localise encore fr Päme dans le liquide ventriculaire et les parois des ventri- cules, dernière expression historique, probablement, de l'im- ortance longtemps attribuée aux fluides et de la méconnais- ance complète du rôle des circonvolutions. _ Or, chez Gall, les considérations métaphysiques - sont 4 - écartées: les passions reçoivent un siège dans le cerveau, 4 grâce à une argumentation que Comte juge décisive (Cours de Philosophie Positive, Ed. Schleicher, t. LIT, 4908, p. 423) et _ que Vulpian reprendra encore, partiellement, en 1866, dans … ses Leçons sur la Physiologie générale el comparée du Système … Nerveux (p. 702) ; la substance grise, les circonvolutions de l'écorce cérébrale acquièrent la dignité qu'elles ont conservée de nos jours; les organes cérébraux, avec leurs activités électives et spécialisées, sont conçus comme nos centres Cor- ticaux. En un sens, M. Soury, qui ne fait, du reste, que traduire l'opinion commune, était donc bien en droit d'écrire : _ « L'ère des localisations cérébrales s'ouvre enfin avec Gall » : £ » (Le Syslème Nerveux Central, p. 497. — Nous nous sommes, 3 _ pour établir ce qui précède, fréquemment inspiré de cet _ ouvrage, ainsi que du travail de Max Dessoir, Geschichte # _ der Neueren Deutschen Psychologie, 2 édition, Berlin, 1902). Si, pour confirmer ses théories sur la continuité de la _ nature, l'innéité des facultés et leur dépendance des organes cérébraux, Gall invoque souvent Herder et ses Ideen zur 1 _ Philosophie der Geschichte der Menscheit (1784-1791) (Ana- ‘ tomie et Physiologie du Système Nerveux, II, pp. 6, 9, 22, 27, 47, _ 57), il est, cependant, manifeste que, en ce qui concerne la Méontinnité de la nature, il a subi l'influence de Leibniz, sinon directement, du moins par l'intermédiaire de Bonnet. « Rien n’est plus célèbre en histoire naturelle que l’échelle des étres, imaginée par Bonnet », écrit Flourens dans son Analyse Rai- sonnée des Travaux de G. Cuvier (1841, p. 250), et il constate, dans son Histoire des Travaux el des Idées de Buffon (1850, . 36), que Bonnet a eu, sur ce point, Buffon pour devan- ier. Cette notion de la continuité de la nature est, du reste, chez Gall, antérieure, à l'élaboration de son système : car, dans son premier ouvrage : Philosophische-medizinische Unter-" suchungen über Natur und Kunst im gesunden und kranken Zustande des Menschen (Vienne, 1791), — dont nous n'avons malheureusement pu avoir connaissance, mais qui, évidem- ment, « n'a rien de commun avec son système phrénologique » tant d’après le témoignage de Morel (Trailé des Dégénéres cences, etc., 1857, Préface, p. X). que d'après sa date, puisqu la Lettre à Retzer, première publication des conceptions cra- niologiques, ne paraîtra qu’en 1798, — Gall « considère » selon Morel (Z. c.}, « l'état de santé et de maladie Ghes 0 l'homme dans ses rapports avec les lois qui président à l'état 118 de santé et de maladie chez tous les êtres créés du règne. animal et du règne végétal », et, par conséquent, fait, dans ses recherches de pathologie genérale, application du prin- cipe qu'il utilisera plus tard pour déterminer les fonctions, du cerveau. Gall a encore Bonnet pour devancier dans sa conception anatomique de l’innéité des facultés et des conditions de la connaissance : « Chaque espèce de fibre sensible a été origi- nairement construite sur des rapports déterminés à la manière d'agir de son objet » ; « chaque partie du Végétal ou de l'Animal a une organisation qui lui est propre, d’où résul- 0 tent ses fonctions », écrit Bonnet (Z. c., Analyse Abrégée de l’Essai Analytique, p.13, et Palingénésie Philosophique, p. 306), À qui ailleurs (1. c., Essai des Principes Psychologiques de l'Au- 4 Leur, p. 105) ajoute : « 1] n’est donc rien d'isolé ou de solitaire dans la Nature, le Cerveau, destiné à peindre à l'Ame la "#0 ï Nature, a donc été organisé dans un rapport direct à la Nature. Il y a donc entre les fibres sensibles du Cerveau des nn. rapports ou des liaisons analogues à celles qui unissent les à divers Objets de la Nature ». fr Ni en anatomie comparée, ni en psychologie animale, Gall ne semble, non plus, avoir été un novateur. Dans son Rap- “ port Historique sur les Progrès des Sciences Naturelles me % 1789 et sur leur Etat Actuel présenté à Sa Majesté l'Empereur et Roi en son Conseil d'État, le 6 février 1808, etc., Cuvier nous montre l'anatomie comparée, après le recul que, dans la première moitié du xvmre siècle, lui fit subir l'influence 1 des botanistes, prenant, avec Buffon, Daubenton, Pallas, Haller, un nouvel essor et ayant en Hunter, les deux Monro, de qr 1e INTRODUCTION 23 « L'Europe, conclut-il (p. 321), compte maintenant plusieurs savants qui s'occupent, soit de disséquer les animaux qui n'ont pas encore été examinés anatomiquement, soit d'em- ployer l'anatomie à déterminer la nature des animaux et à expliquer leurs fonctions, soit enfin de faire réfléchir les rayons de l'anatomie comparée sur la physiologie générale ». De même, en psychologie animale, sans doute Gall ajoute à l'œuvre de ses devanciers des observations et des vues personnelles, mais il ne fait que suivre la voie tracée, outre Bonnet, par Réaumur (Mémoires pour servir à l'Histoire des Insectes, 1134-1742), Trembley (Mémoire pour servir à l'Histoire d'un genre de Polypes d'eau douce à brasen forme de corne, 174%), Condillac (Traité des Animaux, 1755), Reimarus (Allgemeine Betrachtungen über die Triebe der Tiere, hauptpsächlich über ihre Kunsttriebe, etc., 1760), G. Leroy (Lettres philosophiques sur l'Intelligence et la Perfectibililé des Animaux, 1781), etc. Sur les points que nous venons de signaler, si Gall ne s'applique pas toujours suffisamment, comme le lui a reproché Georget (De La Physiologie du Système Nerveux, etc., 1821, I, p. 78), à rendre à chacun ce quilui est dû, du moins est- il assez abondant en références et en citations. Son attitude à l'égard de Hartley et des philosophes écossais n'en est que plus singulière. Dans son grand ouvrage Gall ne cite Hartley qu'une fois : « Peu à peu l’on revint à cette question : est-ce l'âme qui opère dans le corps tous les changements dont la plupart ont lieu sans qu’elle en ait la conscience ? Whytt, Sauvages, Hartley, Unzer, Charles Bonnet, etc., reconnurent et soutin- rent qu'au moins toutes les fonctions naturelles du corps se faisaient indépendamment de la conscience et de la spon- tanéité, par conséquent d’une manière nécessaire, et que l'âme ainsi bornée dans son empire, avait son siège dans dans tout le corps. » (Anatomie el Physiologie du Système Nerveux, 1, Introduction, p. #4). En cet unique passage il ne fait, on le voit, aucune allusion aux théories auxquelles Hart- ley doit sa réputation. Gall ne semble pas se douter que l’auteur des Observations on Man, his Frame, his Duty and his Expectations (1749) puisse passer pour un de ses précur- seurs. Cependant, non seulement la cinquième édition anglaise de Hartley est de 1810 ; non seulement en 1802, il avait été traduit en français par l'abbé Sicard. directeur de lInstitu- tion des Sourds-Muets, que Gall cite LEUR parmi e autorités pédagogiques (idem, Il, p. 33), tandis que, ailleu (idem, AI, p. 191), il se donne comme ayant été médecin d 3 la même Institution. Mais encore, dans le rapport cité tout à l'heure, Cuvier, parlant des conceptions qu'on tendait alor à se faire des fonctions du cerveau, ajoute que les « prin@ paux germes » s'en «trouvent surtout assez nettement dans le ouvrages de Bonnet et de Hartley », met à la ligne et con tinue : « M. Gall. » (p. 254). Or il est sûr que Gall a lu € rapport, puisque, en en reproduisant les termes mêmes, rappelle le jugement porté par Cuvier sur sa doctrine (idem II, p. 251). Donc il ne pouvait pas ignorer que Hartley avai soutenu, sur le rôle du cerveau, des idées qui rappelaient, au moins, les siennes. Mais la théorie de Hartley est toute h physiologique et ne comporte ni conceptions ni hypothèses anatomiques ; peut-être est-il apparu à Gall que, dans ces conditions, les visées de Hartley différaient trop des siennes pour qu'il eût à en faire état. Cependant il est douteux qu’Aristote, les Arabes, les Pères de l'Eglise se soient davan- tage approchés de l'opinion de Gall et, cependant, il les cite à diverses reprises. Reste à admettre que Fossati nous dit. moins encore que la vérité, quand il attribue à Spurzheim dans l'œuvre commune un rôle de documentateur et de four- nisseur de fiches (Biographie Générale de Didot). Gall n’au- rait alors rien dit de plus de Hartley parce que Spurzheim ne l'aurait pas lu, et la seule allusion qu'il fasse à cet auteur n’est pas de nature à infirmer cette hypothèse. 4 D'autre part, à la fin du xvre siècle, la réaction contre l'empirisme et le sensualisme, à laquelle Gall se trouve s'être associé, a été menée par les philosophies allemande et écos- … saise. Gall cite quelquefois Kant (idem, 1, p. 4, définition de la vie d’après Kant; p. 107, allusion, sans nommer Kant, au 4 philosophe qui construit « de son moi le monde extérieur »; b. Il, pp. 68 et 89, allusions aux théories de Kant sur la liberté … et sur la vertu ; p. 70, approbation de la distinction faite part # Kant du désir et de la volonté ; p. 149, rappel de l'opinion de Kant renvoyant la question de l’action réciproque de l'âme x a et du corps aux médecins et aux physiologistes ; IL, p. 70, faible développement du cervelet et, par conséquent, de Pins | tinct de la propagation, chez Kant ; IV, pp. 121-122, critique des théories kantiennes : « Leur dogme, par exemple, que le temps et l’espace ne sont qu'une forme à laquelle Hors 5 ni 4 nn CR FA nm nt AT MERS re Lan ne ere a) 27. f INTRODUCTION 25 éntendement est assujéti, me paraît d’une généralité telle qu'il ne trouve d'application à aucune science ni à aucun art » ; reproche fait aux kantiens « de construire tout le monde extérieur avec de prétendus matériaux pris dans leur intérieur » ; constatation que le crâne de Kant est por- teur de la saillie osseuse caractéristique de l’esprit méta- physique, de la profondeur d'esprit); mais il ne parait pas s’apercevoir des rapports de leurs doctrines. Entre la méthode par laquelle Kant aboutit aux catégories et la façon dont il les conçoit, d'une part, et, d'autre part, les procédés dont use Gall pour déterminer les facultés et la façon dont il les comprend, les différences sont, il est vrai, assez profondes pour avoir masqué à Gall les analogies. Mais les Ecossais partent, comme lui, de l'expérience et veulent, comme lui, faire de la psychologie une science d'ob- servation, sur le modèle des autres sciences. Le mouvement écossais commença à être connu en Allemagne, d'après Dessoir (2. c., p. 133), dans le dernier quart du xvur siècle. En France, l'attention avait été attirée sur lui par l'Histoire comparée des Systèmes de Philosophie de Degérando (1804) et le cours de Royer-Collard de 1811 (Boutroux, £tudes d’His- loire de la Philosophie, 1897, pp. 418-422). Dans le milieu médical français du début du xrxe siècle..il est vrai, les con- ceplions de Reid et de Dugald-Stewart semblent avoir été à peu près ignorées, Car il n’en estpas ditun mot dans l’article de Rullier sur les Facultés que nous avons déjà signalé. Le silence de Galln’en est pas moins étrange. D'une part, en effet, il connaissait d’autres Ecossais : il nomme Grégory (idem, I, p. 5), cite une fois les Essays on the Principles of Morality and Natural Religion (1751) d'Henri Home (II, p.202) et donne d'assez longs extraits de l’Essai sur l'Histoire de la Société Civile d'Adam Ferguson ({raduclion Bergier, 1783), dans son quatrième volume, rédigé sans le concours de Spurzheim (pp. 107, 128-130, 198-199, 249). D'autre part, entre la psychologie des facultés de Gall et celle des Ecossais, les rapports, comme l’a montré Garnier (La Psychologie et la Phrénologie Comparées, 1839, p. 17), sont plus que frappants, Peut-être la solution de ce problème nous est-elle apportée par la réponse que fit Spurzheim à Garnier qui lui avait sou- mis l’objection (2. c., p. 24). L’absence, dans la psychologie écossaise, des recherches et des constatations organologiques sans lesquelles, à ses yeux, il n’est point possible d'affirmer 26 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL l'innéité d'une faculté, semble, en effet, rendre le phrénolo- giste insensible aux plus évidentes analogies. Or, lorsque, résumant à la fin de son œuvre sa théorie des facultés, Gall déclare qu’il ne rapportera pas, « pour les réfuter », les sys- tèmes de ses devanciers, qui « se laissaient guider par une fausse philosophie relativement aux qualités et aux facultés de l’homme » (idem, IV, p. 225), on s’aperçoit, de même, aussitôt, que, au nombre de ses devanciers, il compte seule- ment ceux qui «cherchaient des organes » (idem, IV, p. 226). Aussi n'est-ce, sans doute, pas à Reïd et à Dugald-Stewart que Gall fait allusion quand, après avoir déclaré : « Tels sont les motifs qui, dans les objets importants, nous ont détermi- nés à en donner toujours l'histoire littéraire » (idem, I, pré- face, xxiv), il ajoute : « Aussi regrettons-nous que les cir- constances actuelles ne nous aient pas permis de nous acquitter entièrement du devoir de la reconnaissance envers les auteurs des autres nations, particulièrement envers les Anglais » (id., xxv). En tout cas, ces circonstances, qui n’em- pêchaient pas d’ailleurs Cuvier de citer Hartley, Hunter etles Monro, si elles pouvaient être alléguées en 1810 et en 1812, lors de l'apparition du premier et du second volume de l'Anatomie el Physiologie du Système Nerveux, avaient tout perdu de leur actualité après la chute de Napoléon, et c’esten 1818 et en 1819 que furent publiés les troisième et quatrième volumes. CHAPITRE PREMIER LA PHYSIOLOGIE DU CERVEAU. SES ORIGINES. SES RAPPORTS AVEC L'ANATOMIE CÉRÉBRALE. 1, préface, p. un) ‘. Dès l'enfance, son attention fut, _ A. Anatomie et Physiologie du Système Nerveux en général, d: é _ et du Cerveau en particulier, avec des observations sur la possi- 6 | bililé de reconnaître plusieurs disposilions intellectuelles et 4 morales de l'homme et des animaux, par la configuration de leurs létes. Il en a paru concurremment deux éditions, l'une in-folio, l’autre in-quarto, avec un atlas de cent planches : - ©. I, 1840, t. IN, 4842, t. III, 1818, t. IV, 1849. Le tome [, et, 1 en partie, le tome IL ont été écrits par Gall en collaboration ‘€ _avec son élève Spurzheim. à “ Toutes les citations accompagnées, au cours du texte, de la ÿ _ seule indication du tome et de la page renvoient à l'édition Ron folio de cet ouvrage, l'œuvre maitresse de Gall, qui répond, _ en général, au plan de la Lettre à Retzer de 1798 (v. s.) ; qui | utilise largement les Recherches sur le Système Nerveux en _ général et sur celui du Cerveau en particulier (reproduction _ du Mémoire à l'Institut de 1808). suivi d'observations sur le Rap- K ort qui en a élé fait à celte Compagnie par ses Commissaires ê collaboration avec Spurzheim, 1809); qui incorpore en 28 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL d’une manière générale, attirée sur la diversité et la fixité qu'offraient, malgré l’uniformité de l’éduca- tion et des conditions sociales, les talents, Les dis- entier, en tête du tome Il, le traité publié en 1811 avec Spurzheim : Des Dispositions Innées de l’'Ame et de l'Esprit, du Matérialisme, du Fatalisme et de la Liberté Morale, avec des Réflexions sur l'Éducation et la Législation Criminelle ; et dont, enfin, les six volumes de 1822-1825 : sur les Fonctions du Cerveau el sur celles de chacune de ses parties, etc., ne sont qu'une seconde édition élaguée, légèrement remaniée et complétée. Gall et Spurzheim ont également donné au Dictionnaire des Sciences médicales publié par Panckoucke, les articles : Acéphale (1812), Cerveau et Cräne (1815). Le programme inséré au Ne IT (août 1824) de la Revue Euro- péenne (1824-26), entre Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire et Flou- rens, nomme Gall comme chargé des « rapports scientifiques » sur la physiognomonie et la craniologie. Le numéro de nov. 1824 contient, en effet, un Rapport Physiognomonique signé de Gall (p. 106). Il y résume ses critiques antérieures contre la Physiognomonie et annonce un rapport pathognomonique qui ne vit jamais le jour. Le Discours d'Ouverture lu par M. le Docteur Gall à la pre- mière séance de son Cours Public, sur la Physiologie du Cer- veau, le 15 janvier 1808, fut publié à Paris la même année. Tout permet d'affirmer que la part que Spurzheim a pu prendre à l'œuvre de Gall fut loin d’être prépondérante. En 1835, Fossati publia la Letlre à Retzer pour démontrer la pleine originalité de Gall. La preuve semble convaincante. Cette lettre, en effet, qui contient tout l'essentiel du système, date de 4798 ; et Spurzheim n'’entra pour la première fois en con- tact avec Gall, à un de ses cours, qu’en 1800 (Lettre du Docteur Fossati au Docteur Elliotson de Londres, servant de préface à la traduction de la Lettre à Retzer). Aussi nous croyons-nous en droit d'utiliser, indifféremment, les textes dont Gall seul est l’auteur et ceux qu'il a écrits en collaboration avec Spur- zheim, sans nous attarder, chaque fois, à signaler s’il a été ou non seul à les signer. * L: CE SE LA PHYSIOLOGIE DU CERVEAU 29 positions et les caractères. En particulier, il remar- qua, à l’école, que ceux de ses condisciples qui avaient le plus de facilité à apprendre par cœur avaient les yeux saillants et à fleur de tête. Au collège, à l’université, il eut, à plusieurs reprises, l'occasion de faire la même observation, si bien qu'il en vint à conclure qu’une telle coïncidence ne pouvait être « uniquement l'effet du hasard », et tenait à « une connexion entre la mémoire et cette conformation des yeux ». Du moment que la mé- moire verbale se reconnaissait à des signes exté- rieurs, 1l lui apparut qu'il devait en être de même des autres facultés intellectuelles, et sa conjecture se trouva confirmée par la découverte qu'il fit peu à peu de plusieurs dispositions et de leurs carac- tères extérieurs ‘. 1. À plus d’une reprise, au sujet, par exemple, de la ruse (III, 185), du sens des localités (IV, 29), et de la religion (IV, 172), Gall signale les observations psychologiques faites anté- rieurement par lui sur ses condisciples ou dans sa famille, observations dont la portée ne lui apparut qu’à la lumière de ses découvertes ultérieures. La facilité à apprendre par cœur n'est donc pas la seule disposition intellectuelle ou morale que Gall ait primitivement constatée, mais elle est la première dont il ait remarqué les caractères extérieurs. C’est ce qui fait son importance capitale dans la formation du système. Elle était, du reste, marquée pour de bien hautes destinées, puisque c’est elle encore qui ouvre l'histoire des localisations cérébrales. 30 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL C’est donc par la constatation de faits isolés, par la détermination empirique de certaines facultés, puis de leurs organes, que Gall a préludé à la constitution systématique de sa doctrine. En elles- mêmes, puisqu'elles tiennent à la craniologie et à l’organologie proprement dites, ces constatations et ces déterminations ne nous intéressent pas ici, mais elles nous intéressent au plus haut degré, en revanche, par la manière dont Gall y a réagi, et dont il les a élaborées. S'il est, en effet, un point sur lequel Gall ne se lasse pas d’insister, c’est sur le rôle primordial qu’a joué, dans l'établissement de son système, sa phy- siologie générale du cerveau. Entre les décou- vertes isolées dont il est parti et l’anatomie du cer- veau, elle a été l'intermédiaire indispensable : « On voit par la marche de ces recherches que le pre- mier pas fut fait par la découverte de quelques organes ; que ce n’est que graduellement que nous avons fait parler les faits pour en déduire des prin- cipes généraux, et que c’est subséquemment et à la ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE CÉRÉBRALES 31 fin que nous avons appris à connaître la structure du cerveau » (I, préface, p. xn). M. Soury a donc grand raison de dire : « Gall et Spurzheim.… n'étaient... pas partis de l’anatomie dans leur en- quête sur la nature du système nerveux © ». L'ordre que Gall suit dans son FA en allant de l'anatomie à la craniologie et à l’orga- nologie par la physiologie générale, ne doit pas faire illusion : il est l’ordre naturel, puisque lor- sane précède la fonction”. Mais l’ordre réel des recherches a été précisément l’ordre inverse : « Des découvertes physiologiques préalables nous avaient amenés aux principes d’après lesquels les systèmes nerveux devaient être examinés ; et d’après la marche de nos études, c’était la physiologie du cer- veau qui avait précédé sa connaissance anatomique » (I, 2). À. Loco cilato, p. 504. 2. Encore n'est-il pas indispensable de le respecter. Le traité de 1822-25 reproduit le texte entier de l'ouvrage précédent, moins la partie anatomique, que Gall compte remanier et qu'il réduit, en conséquence, à l'indispensable (t. 1, Avertis- sement, p. IV). Physiologie générale et craniologie se suffisent donc à elles-mèmes, et Gall sait d'avance que les modifica- tions de ses thèses anatomiques, dont il envisage l’éven- tualité, ne seront pas de nature à les compromettre. C’est, manifestement, la mise en pratique des conceptions dont nous donnons présentement l'exposé. 32 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL La physiologie du cerveau a été constituée sans qu'il füt fait appel à une « donnée anatomique quelconque », et l'anatomie n’a fait que la confir- mer ‘. C’est seulement après avoir déterminé les facultés et leurs sièges que Gall a présumé les lois de l’organisation du cerveau et qu'il a entrepris des « recherches anatomiques rationnelles »°. « Ainsi donc, nous sommes redevables de l’anato- mie du cerveau à sa physiologie, et nullement de sa physiologie à son anatomie, comme quelques au- teurs voudraient le soutenir » (III, 51). C'est, d’ailleurs, la loi générale. La structure d’un organe ne dit rien de sa fonction. « L’expé- rience prouve que l’on n’a pas pu découvrir, à l’aide de la seule anatomie, les fonctions des viscères les plus essentiels, tel que le cœur, par exemple » (III, 52). Les découvertes physiologiques de Gall, opérées sans le secours de l'anatomie, auraient pu subsister pendant des siècles, sans qu'il fût possible de les faire concorder avec la structure du cerveau. 1. Sur les Fonclions du Cerveau, etc.. VI, 418. 2. Quand sé suivent une ou plusieurs citations empruntées au même passage, nous avons Cru pouvoir ne donner l'indi- cation du tome et de la page que pour la dernière. Jensemble des nerfs ne lui eût été permise : « A quoi nous aurait servi cette collection de faits, si nous ne leur avions provisoirement supposé une son étroite et nécessaire avec leurs conditions m DR ? C st ainsi que, RÉRRE par les ec (L entôt fait “ découvertes auquel le scalpel FRE seul n’eût jamais pu nous conduire ‘ ; lle «IlLest donc manifeste que la He occupe | 1 rang bien supérieur à celui de l'anatomie » | Il, 52), puisque la seconde ne sert de rien à la F Dore et que la première, au contraire, nous iente dans l'étude de la seconde. (18 Davent Gall, les connaissances sur le cerveau et Doytne nerveux étaient, d’après lui, fort défec- tueuses. 1l en donne plusieurs raisons ; mais la Ù plus essentielle, à ses yeux, était PRSERRE de | Décherches sur le Système Nerveux, etc., p. 249. BLONDEL. — Psycho- rade 3 34 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL | conduire par degrés les anatomistes à la conn sance des lois de l’organisation du système nerveu en général, et de celle du cerveau en particulier » ». (I, 15). L'influence de spéculations gratuites et de décrets métaphysiques se faisait fâcheusement se T ür : par exemple, de la prétendue simplicité d l'âme on concluait à celle de son organe. On répu gnait à admettre que les facultés supérieures de … Alors | même qu'on n’y répugnait point, on s'épuisait à l'âme dépendissent d’organes matériels . chercher le siège de l'instinct, des passions, de : nHNenEnt de ï éme ss lan ni ‘âme, ce dont aucun auteur n’annonce avoir eu la moindre idée » (1, 17). Aussi en revenait-on toujours à méconnaître 1 la. portée des recherches anatomiques, et à les utiliser alors ; pour déterminer les organes PRrieue NAGER ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE CÉRÉBRALES 35 firmer et à expliquer les vérités physiologiques » (L, 48). Il n’est pas d'anatomie possible, sans physio- logie pour l'orienter : « Qu'est-ce qu’une anato- mie sans vues physiologiques ? », proclament les Recherches sur le Système Nerveux". | Aussi le Mémoire, qui est la pièce capitale de ces Recherches, est-il, de ce point de vue, fort curieux. Gall entend n'y soumettre à l’Institut que ses seules découvertes anatomiques. Mais il com- mence” en annonçant une description du système nerveux, faite non d’après les « formes méca- niques », mais bien d’après des « vues philoso- phiques et physiologiques » ; il conclut en niant l'existence d’un « centre commun de toutes les sensations, de toutes les pensées et de toutes les volontés » et en proclamant que « l'unité du moi restera toujours un mystère » *. Ce Mémorre ana- tomique est donc comme saturé de sa physiologie du cerveau. Aussitôt après s’être écrié : « Qu'est-ce qu’une anatomie sans vues physiologiques? », Gall ajoute, 1. Idem, Introduction, p.71. 2. Idem, Lettre à l'Instilut, p. 15. 3. Idem, p. 168: 36 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL il est vrai : « et une physiologie sans bases ana- tomiques? » Évidemment celte subordination de l'anatomie à Ja physiologie est, à ses yeux, toute relative à nos moyens de connaître; elle est un des caractères de la recherche et non de la réalité. En fait, anatomie et physiologie se répondent inti- mement : « Une doctrine sur les fonctions du cer- veau, ne pourrait qu'être très imparlaite, si elle ne se rattachait étroitement à la doctrine de la struc- ture de cette partie » (1, préface, p. xi). L'idéal serait de déterminer les conditions maté- rielles de tous les phénomènes de la vie mentale. Alors l’anatomie et la physiologie seraient « fondues l'une dans l’autre », « la connaissance du système nerveux » atteindrait « son plus haut degré de perfection ». C’est, selon Gall, ce qui a conduit Reil à penser « que l’anatomie n’est pas une science particulière, mais une partie de la physiologie ayant pour objet la forme et la structure des organes dont la connaissance est indispensable pour expli- quer les divers phénomènes du corps des ani- maux ». Entre la structure et la fonction, il y a liaison nécessaire (1, préface, p. xY). Et, reprenant un développement déjà utilisé ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE CÉRÉBRALES 37 dans ses Recherches sur le Système Nerveux ”, Gall conclut : « En effet, toute doctrine sur les fonctions du cerveau serait fausse, si elle se trou- vait en contradiction avec sa structure. En suppo- sant que le cerveau ne soit qu’un organe sécrétoire et excrétoire, ou qu'il soit uniquement destiné à sécréter le principe du mouvement volontaire, com- ment peut-on le regarder comme l'organe des facultés de l'âme ? En admettant un point central où aboutiraient tous les nerfs, et en regardant ce point central comme l'organe unique et exclusif de l'âme, comment expliquer le développement suc- cessif, l’action isolée et la diminution partielle des diverses facultés intellectuelles? Si les autres ani- maux mammifères ont réellement toutes les parties du cerveau humain, comment est-il possible que l’homme soit doué de facultés plus nombreuses et plus sublimes ? Si chez tous les individus toutes les parties du cerveau se trouvent égales entre elles, et toujours dans le même rapport les unes avec les autres, comment concevoir les différents degrés de chaque faculté et de chaque penchant dans les divers 1. p. 252. 38 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL individus et même dans chacun d’eux ? MM. les pro- fesseurs Walter et Ackermann avaient donc raison de penser qu’en démontrant la fausseté de notre anatomie, ils anéantiraient notre physiologie du cerveau. S'ils peuvent jamais prouver qu’une hydrocéphale dans laquelle la plupart des facultés intellectuelles seraient restées intactes, a entière- ment désorganisé le cerveau en opérant la disso- lution de ses parties dans l’eau; s'ils peuvent faire avec la nature un pacte en vertu duquel le cerveau ne sera désormais plus qu'une masse médullaire, etc., alors c’en est fait non seulement de nos décou- vertes anatomiques, mais aussi de nos découvertes physiologiques » (I, préface, p. xvi). Passage singulier et d’une interprétation assez délicate. De prime abord, Gall semble s’y donner pour but d'établir que la physiologie ne saurait s'affranchir du contrôle de l’anatomie. Mais n’abou- lit-il pas, en fait, à démontrer par l’absurde le bien-fondé de ses conceptions anatomiques, en énumérant celles des hypothèses adverses qui au- raient le plus évidemment pour premier effet de ruiner, si elles se trouvaient exactes, sa physiologie du cerveau en ce qu’elle a de plus incontestable : En Cite asie RS “éd PRE rt: p 6 Er TPE 7 RENE TE RE OST SES TS pc be, © 5 EVER PET QT, RE ir ee CV de x ne à £ Éd ESS ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE CÉRÉBRALES 39 participation du système nerveux central aux ma- nifestations de la vie psychique, supériorité de Fhomme sur l’animal, diversité intellectuelle et morale des êtres humains? N’en reviendrait-il done pas, ici encore, à subordonner, malgré l'apparence, Panatomie à la physiologie ? Peut-être sommes-nous en droit de convertir notre soupçon en certitude, en voyant Gall re- prendre ailleurs cette même argumentation, la sim- plifier et la présenter d’une manière qui ne laisse plus de place au doute. Quelques ‘pages plus loin, en effet, après avoir énoncé les erreurs de ses de- vanciers sur les fonctions du cerveau, il conclut : « Plusieurs idées que l’on se faisait de sa nature ne permettaient pas de lui attribuer les opérations de l'esprit. Quelle connexion pourrait-il exister entre une substance spongieuse ou une masse de viscères impurs, et les facultés spirituelles? » (I, 11). Il se pourrait donc que la reconnaissance de la nécessité où est la physiologie de ne pas contre- dire l'anatomie eût été pour Gall une pure clause de style. En fait, ce que nous savons positivement de la physiologie d’un viscère ne saurait être dé- 40 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL menti par les constatations anatomiques, car l’organe ne peut pas ne pas être adapté à sa fonction, et le devoir de l’anatomiste est donc d'en analyser la structure jusqu’à ce qu’il se trouve en état d’en comprendre le rôle. Du cerveau nous savons posi- tivement qu'il est le siège des facultés mentales: il lui faut donc être organisé à cet effet. On peut connaître les fonctions des sens extérieurs sans rien savoir de la structure de leurs appareils. De même, l’exacütude et la vérité de la physiologie du cer- veau, telle que Gall l’a concue, sont indépendantes des lois d'organisation du système nerveux et du cerveau qu'il a été amené à proposer’. A plus forte raison le sont-elles de tout autre conception morphologique, car on peut être assuré que l’ana- tomie du cerveau ne.sera pas ou aboutira à les con- firmer. Ainsi, quelque convaincu que soit Gall que, dans la réalité, anatomie et physiologie ne font qu’un, dans l’ordre de la recherche, malgré quelques res- trictions de peu de portée, il ne consent pas à admettre que le fait anatomique et le fait physio- 1. Sur Les Fonctions du Cerveau, etc., VI, p. 377. LA PHYSIOLOGIE DU CERVEAU 41 logique soient tous deux de même valeur : en cas de conflit, c’est toujours au premier à céder le pas au second. À sa physiologie du cerveau il fait assez pleine et large confiance pour ne pas supposer un instant que l'anatomie puisse jamais la contre- dire. Sans doute, alors elle serait fausse, mais la certitude qu'elle est vraie est précisément le point de départ de toute son argumentation. Il Qu'est donc cette physiologie du cerveau, dont Gall fait à ce point état, sans laquelle il n’est pas pour lui de recherches anatomiques possibles, et où il voit, avec Bonnet, « la base de toute philosophie de l'esprit humain » (II, 23) ? Les titres des deux principaux ouvrages de Gall suffisent amplement à la définir en ses lignes essentielles. Le premier s'intitule : Anatomie et physiologie du système nerveux en général, et du cerveau en particulier, avec des observations sur la possibi- lité de reconnaitre plusieurs dispositions intel- lectuelles et morales de l’homme et des animaux, second, où il n’est plus fait mention d’ anatomie j et de système nerveux en général, est plus explicite ; encore : Sur Les fonctions du cerveau et sur celles sur la possibilité de reconnaitre les instincts, les de penchants, les talents, ou les dispositions morales et intellectuelles des hommes et des animaux, A fe par la confiquration de leur cerveau et de eur D réle. “4 L L'étude des dispositions intellectuelles et morales 28 4 ? des animaux et de l’homme, de l’ensemble par 54 conséquent de la vie mentale : tel est donc, selon hi, Gall, l’objet de la physiologie du cerveau. ÿ Là-dessus on lui a volontiers reproché d’avoir été la dupe d’un mot et de s'être mépris sur la nature de ses recherches. Cette physiologie du cer- veau, a-t-on dit, n’est, à tout prendre, que de la psychologie. #\ ; +3 Garnier, par exemple, opérant dans le système de se Gall une distinction, de prime abord, analogue à We 7 : ; û celle dont nous sommes nous-même parti, déclare : "+ de « La doctrine qu’on enseigne de nos jours sous le Da 4 $ 4 : sa ‘4 nom de phrénologie, se compose de deux parues : ei @ Fa sh Le ve ; : . . . . n ation morale, les facultés constitutives de l’es- e humaine ; 2° Elle essaie, par l’observation Physique, de rapporter chaque faculté à une partie a cerveau qui en devient le siège et l'organe. Elle nd done à la fois une psychologie et une organologie , : vaste compréhension que le terme de phrénologie, introduit par Spurzheim*, n’exprime Se convenablement. Gall avait donné à cet isemble le nom aussi peu satisfaisant de physio- L ogie du cerveau. La digestion, la circulation du sang, les absorptions, les sécrétions, ete., ne s’ob- _ servant pas de la même manière que pensées, : es sentiments, les volontés, le seul nom de phy- sivlogie ne peut convenir à l’étude de ces deux ordres de phénomènes. Aussi Gall dans le cours _deson ouvrage emploie-t-il le plus souvent les mots ‘ de psychologie et d’organologie, qui désignent très exactement les deux parties de la science qu’il voulait fonder, ou plutôt les deux sciences qu’il cherchait à réunir en une seule ? 1 “HER D'après Combe (Traité complel de Phrénologie, traduc- L on Lebeau, 1844, p. 1), le mot est dû, en réalité, au D: Tho- mas Forster. 1 2. La Psychologie el La Phrénologie comparées, 1839, p. 1. FM, Mais Garnier nous paraît ici commettre : erreur importante. Il suppose à la psychologie EN Gall et à son organologie une indépendance réc ae) br) © T &r., oO = [e) =! ee T un Le (a x © ni © œ -Q [= (qe) er (eo) un T [æ) D Q x © D _— un [æ) + facultés ont entre eux un lien : c’est la conception ( générale d'une subordination constante et néces- . a x « DA oui saire des phénomènes mentaux à des conditions organiques, en général, et, en particulier, à de modifications cérébrales. Cette conception fait corp: chez Gall avec la psychologie. N’en pas tenir compile, c'est bien, en effet, se donner toutes les facilités désirables pour ramener la physiologie du conçue. Gall se refuse à limiter l'étude de l’homme à s ï partie spirituelle : elle doit embrasser « Phomm tel qu'il est, c’est-à-dire, le résultat de la réunio de l'âme avec le corps » (IV, 1). L'âme ne saur être considérée comme une substance détachée «:se servant du corps tout au plus comme d’u en de communication entre elle et le monde » ; tes ses fonctions sont évidemment de « nature rancs matériels » (IV, 4). Toute activité mentale apparaît donc à Gall tée, pour ainsi dire, d’une masse matérielle, qui 4 situe tout naturellement dans l’espace, en un | point, problématique ou non, du cerveau. Car peu importe que les localisations soient positivement ffirmées ou seulement soupçonnées et pressenties, si tous les phénomènes psychiques sont donnés, _indistinctement, comme localisables, et si leur loca- _ lisation devient la condition même de leur parfaite connaissance, Une analyse purement psychologique se suffit à “elle-même. Une is du cerveau prétend e. Eur plus avant. Elle vise à répartir les éléments ( que cette analyse a fournis sur le territoire cérébral ; ï avant que cette répartition ne soit faite, elle la tient ? déjà pour nécessaire, et raisonne comme si, déjà, _elle était réalisée. Car ces éléments entretiennent _entre eux des rapports, qui supposent, à leur tour, es connexions matérielles entre les diverses par- ti S cérébrales intéressées. 46 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL avec des À he A] Ainsi se constitue dans l’espace, organes et des fibres convergentes, comme dit D Gall, avec des centres et des faisceaux d’ associa- a tion, comme nous disons aujourd’hui, organes ou centres dont la situation n’a pas besoin, d’ailleurs, ne d’être autrement précisée, puisqu'on se montre en | tout cas certain de leur existence, une représenta- ? tion schématique des phénomènes mentaux, qui … $ donne au moins l'illusion de décomposer l'horane à selon le mot de Gall (in, préface, p. 1m), comme et . nur une machine en ses rouages. \Ei) De « la physiologie, qui, dans ce cas particulier, s'appelle la psychologie », Broca, sur ce point fidèle disciple de Gall, nous dit qu’elle a pour objet l’étude des « fonctions cérébrales dites intel- lectuelles » ! Nulle formule ne saurait être plus décisive pour déterminer en quoi la physiologie du : cerveau est une psychologie, et en quoi elle n’en. est pas une. Elle est une psychologie, parce qu ‘elle s’occupe des phénomènes mentaux ; mais elle est plus ou autre chose qu'une psychologie, parce que les phénomènes qu’elle étudie sont pour elle céré= 1. Bulletins de la Sociélé d’Anthropologie de Paris, 1861, p. 310. ; LA PHYSIOLOGIE DU CERVEAU , braux, au moins autant que mentaux, et appellent, ‘4 naturellement, par une conséquence presque néces- . saire, le système de représentations que nous venons ; de définir. Nous n’avons pas ici à nous demander si Gall a 34 eu tort ou raison de comprendre la vie psychique de à la sorte. L'essentiel est qu'il ne peut concevoir un état de conscience, sans imaginer aussitôt des par- a lies cérébrales entrant en activité, et s’engageant dans une série d'actions et de réactions réciproques. Sans des appareils matériels lui permettant de _ s'exercer, la vie mentale lui paraît inintelligible. :à 4 « Là où l’on ne voyait que des formes et des frag- _ ments mécaniques, nous EVA des appareils Mnateriels pour les fonctions de l’âme. Sans nous arroger d'approfondir le principe essentiel des _ facultés, nous démontrerons néanmoins les condi- tions corporelles auxquelles ces facultés se trou- 4 _ vent subordonnées dans cette vie » (I, préface, * p. x1v). La physiologie du cerveau, c’est donc, sans _ doute, l’étude de la vie psychique, mais de la vie psychique envisagée, systématiquement, sous le _ point de vue de ses conditions organiques, réelles + î " L L LA 48 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL ou hypothétiques. Et c’est là un caractère dont nous ne saurions faire abstraction, tant pour ne pas méconnaître la véritable originalité de Gall, que pour ne pas rompre le lien entre sa psychologie et son organologie, Reste maintenant à examiner les raisons qui ont amené Gall à faire des phénomènes psychiques Pob- jet de la physiologie du cerveau et les consé- quences qu'il a tirées de cette conception particu- hère de la vie mentale. CHAPITRE II LA CONTINUITÉ DE LA NATURE. LA SPÉCIFICITÉ DES ORGANES. _ Les tendances de son esprit portaient irrésisti- ment Gall à ne pas limiter sa recherche, et à ne | fragmentaire. Rien, de forme et d'esprit, ne res- semble moins à son œuvre que nos modernes 1onographies. Il avait le goût des générali- _ sations et la passion des synthèses. Aussi ses | investigations se sont-elles spontanément épa- | nouies en une philosophie de la nature. Or cette 1 ilosophie de la nature est, dans son ensemble, dominée par deux principes fondamentaux, qu’il nous parait indispensable de définir dès l'abord, A ils ont reçu au cours du système d’incessantes E applications. . BLoxvEL. — Psycho-physiologie. 50 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL La nature est continue ; de degré en degré elle s'élève de la pierre à l’homme (II, 9) : tel est le premier de ces principes. « L’échelle graduelle des " perfectionnements » est l’un des « sujets de pré- ;, dilection »’ de Gall. Il n’y a pas d’hiatus dans la nature : constamment Gall part de la considé- ration des animaux, des plantes (I, 5) ou même de la matière inorganisée (IL, 5) pour aboutir à l’homme. « Après les travaux de Bonnet, de Con- dillac, de Reimarus et de G. le Roiïi* », sem- blable méthode ne peut plus être un « objet de | scandale » (II, 5). | - Les êtres supérieurs ne différent donc pas essen- tiellement des êtres inférieurs. Tout ce qu’ils ont dé commun, au contraire, tient à des propriétés communes et relève chez tous du même mécanisme ét de la même interprétation : « Nous savons que des propriétés d’un ordre élevé, unies à des pro- f 4. Lettre à Relzer, loc.cit., p. 131. 2. Ailleurs Gall écrit correctement Leroy. LA CONTINUITÉ DE LA NATURE 51 priétés d’un ordre inférieur, les maîtrisent, mais ne les excluent pas ; que, par exemple, les pro- priétés chimiques des pierres et des métaux ne détruisent pas leurs propriétés physiques ; que les propriétés organiques des plantes n’anéantissent pas leurs propriétés physiques et chimiques ; nous devons donc retrouver les phénomènes de l’irrita- bilité (Gall entend de la vie végétale) dans les zoophytes » (I, 6). Donc il est légitime de raisonner et de conclure, par analogie, des fonctions organiques aux fonc- tions animales, c’est-à-dire psychiques, et surtout de l’animal à l’homme et, inversement, de l’homme à l'animal. L'homme est soumis aux mêmes lois que la plante et que l'animal, « l’homme et les ani- maux... sont des anneaux de la chaine des êtres » (1, préface, p. vu). Par conséquent, « rien de plus naturel que de comparer les instincts et les facultés des brutes avec les penchants et les facultés de l’homme. Tout ce qui, me dis-je, est commun à l’homme et aux bêtes doit, sauf les modifications qui proviennent de la différence des appareils org'a- niques, se rapporter à la même loi. Mèmes vis- cères, et destinés aux mêmes fonctions organiques ; 52 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL mêmes sens, eb placés aux mêmes endroits de la tête. Je dois donc trouver aussi pour les penchants et les facultés qui existent dans la bête comme dans l’homme, les mêmes marques à la même place du crâne » (HI, 52-53). Cependant il existe indéniablement à cet égard un certain flottement dans la pensée de Gall. Tan- tôt, du point de vue qui l’intéresse avant tout, celui de l’organisation cérébrale, il soutient que certains animaux ont « des organes qui nous man- quent » et, par suite, des fonctions dont nous n’avons pas idée (III, 53) ; que, dans ces conditions, « les animaux ne peuvent pas être considérés comme de simples fragments de l’homme, et l'homme ne peut pas non plus être regardé comme l’ensemble de tous les organes et de toutes les facultés des animaux » (1,157). Tantôt, au contraire, il pose en principe que « les cerveaux des animaux ne sont que des fragments du cerveau humain » (1V,37) : « D’après la connaissance que nous avons des animaux nous ne découvrons en eux aucune faculté, aucun mode d’action dépendants du cerveau dont le type ne se retrouve pas en nous. C’est pourquoi nous sommes fondés, en quelque manière, à regar- ‘ai | PT D EURE PE PTIT 1 MAL ANT Ne k Ve NN DRAP (TA h 4 NU TE ‘Me? ù L \ M L L 4 L tvÂe | 2 fiat * ” ' LA CONTINUITÉ DE LA NATURE 53 der les cerveaux des animaux comme des frag- ments du cerveau de l’homme, et à chercher dans _ le cerveau humain toutes les parties dispersées _ dans les diverses classes d'animaux. En ôtant et en retranchant quelques parties du cerveau de l’homme, nous le ravalons au niveau du cerveau des animaux, et en ajoutant de nouvelles parties à celui-ci, on peut l’élever à la perfection du cerveau humain » (I, 191). De ces deux manières de voir, la première se jus- tifie, en partie, par la notion de la spécificité des organes, que nous envisagerons tout à l'heure. Tous les organes sont, en leur fonctionnement, soumis aux mêmes lois générales, mais ils n’en sont pas moins pour cela indépendants les uns des autres. Cette indépendance peut nous expliquer pourquoi, dans 1 la hiérarchie des êtres, il n'y a pas nécessité à ce que tout ce qui appartient à l'inférieur se retrouve dans le supérieur. D'ailleurs, Gall allègue surtout cette éventuelle différence d'organisation entre l'animal et l’homme en manière de fin de non- recevoir, pour ne pas décider si les animaux ont des sens que nous n'avons pas (I, 157), ou pour éliminer de ses recherches organologiques les L À PO PTTG —dh PE OR A UN RO TS REV TAUETES) i ? T4 N hi: t LA TON Al u Re mate Ne à MTL Cr 290 OT AMER 21 a" re Bed 54 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL animaux dont les facultés ne se prêtent pas à des rapprochements avec celles de l’homme (II, 53). La seconde de ces manières de voir est, au contraire, une des bases de sa méthode, et il se comporte, dans la pratique, comme s’il l’admettait sans restriction. « Avant de connaitre l’homme, il faut connaître les éléments dont il est composé » (II, 5), et, pour la connaissance de ces éléments, l'observation des animaux nous est d’un perpétuel et indispensable secours. De là l’incomparable utilité de ces « longues et pénibles recherches d'anatomie et de physiologie comparées », qui, seules, permettent d’ « arriver lentement et par fragments à la connaissance de l'homme moral et intellectuel » {TV, 8). Sans doute l’homme et l’animal offrent de mul- üples différences, mais « la nature suit constam- ment un type général dans toutes ces différences ; et celui qui sait reconnaître ce type général en com- parant les systèmes analogues chez les différents animaux, a découvert par l'anatomie comparée une loi qu'il retrouvera aussi bien dans l’homme que dans tous les autres animaux, peu importe qu'ils aient des écailles, des plumes, des cornes, des RPM RAR DATE TER ER EU Ê Ÿ 4 tone Fa br LA CONTINUITÉ DE LA NATURE 55 queues ou des antennes » (I, préface, p. xxxi). Grâce à la connexion nécessaire qui existe entre la structure d’un organe et son fonctionnement, l’ana- tomie comparée ne sert pas seulement à faire état des analogies morphologiques, et, par exemple, à conclure des lois de formation des systèmes ner- veux inférieurs à celles du cervelet ou du cerveau (1, 171, 177); mais elle offre, en outre, pour la phy- siologie, cette utilité capitale de « conduire à la connaissance des généralités, des lois et des gra- dations de l'organisme animal ». Et c’est là son mérite le plus essentiel, car, « si nous avons fait entrer l'anatomie comparée dans nos recherches, ce n’est qu’autant qu'elle pouvait nous servir pour arriver à la découverte des lois de l'organisme » (1, préface, p. xxx). Les rapprochements physiologiques ne jouent, naturellement, pas dans le système un rôle moins important. Continuellement, Gall se représente l’activité psychique à la manière de l’activité viscé- rale ; continuellement, il conclut de l’exercice des sens et de ses conditions aux conditions et à l’exer- cice des qualités morales et des facultés intellec- tuelles : toutes déductions et toutes analogies qui 56 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL seraient sans fondements, si unité et la continuit de la nature n’offraient aux yeux de Gall l'évidence d’un principe. La nature suit partout le même plan; elle obéit partout aux mêmes lois ; en toutes ses productions elle opère par les mêmes procédés et suivant les mêmes règles. Etres et choses ne sont nulle part isolés les uns des autres. Il est entre eux une exacle et rigoureuse hiérarchie, qui permet de passer graduellement de la matière à la vie, de la vie à la sensibilité, de la sensibilité à l’activité, à l'intelligence et à la raison, sans que jamais la à nature se départisse de l’uniformité méthodique de ses moyens et de ses voies. Un des défauts les plus apparents des méthodes psychologiques, courantes de son temps, que Gall taxe de métaphysiques, est précisément de mécon- naître cette continuité de la nature et ses consé- quences. Il s’indigne que la curiosité des psycho- logues se cantonne à l'étude de l’homme seul : « Pourquoi dans ses méditations ne veut-on pas honorer d’un regard les autres êtres vivants? » (1,130). Il soutient, contre Laromiguière, qu'il est inadmissible de ne tenir aucun compte de l’animal 4 et de ses facultés, puisque l’homme est soumis 7. LA CONTINUITÉ DE LA NATURE 57 aux mêmes lois organiques que le cheval, le chien ou le singe (IV, #4). Il s'insurge contre la distinc- tion qui s’est établie &« priori, contrairement à toute observation, entre l'activité humaine et l’ac- tivité animale. L'instinct, qu'on attribue à l'animal, n'est ni automatique ni immuable ; il est suscep- tible de s'adapter aux événements, de se modi- fier par la réflexion. La considération des circons- tances et des besoins intervient dans les actes des animaux. Ils font donc preuve d'initiative (IV, 12-16) et leur prétendu instinct est inséparable de l’intel- ligence : « Dans l’homme on attribue à la pré- voyance, à la réflexion des actes absolument ana- logues ; mais qu'est-ce qui nous autorise à admettre des causes différentes pour les mêmes effets? » (II, 253). L'homme est supérieur à lanimal, cela est évi- dent. Mais ce n’est pas en creusant entre eux un illusoire fossé, en méconnaissant ce qu'ils ont de commun, en isolant l’homme dans la nature, que nous parviendrons à définir cette supériorité et ses causes. C’est « la comparaison de l’encéphale humain avec celui des animaux », qui seule fera connaître « où l'animal cesse dans D8 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL l’homme, où commence le noble caractère qui dis- tingue l'homme de la brute, et de combien il est élevé au-dessus d’elle ; recherche bien plus utile que les vaines rêveries des métaphysiciens » (IL, 55). Il Mais, cette « échelle graduelle des êtres sen- sibles », Gall est convaincu qu’elle s'explique par des « productions cérébrales superposées », qu'elle tient à des « additions successives de nouveaux organes » ‘. D'une continuité de développement et de transformation organiques il n’a, d’une manière générale, aucune idée. La continuité qu'il voit dans la nature est, pourrait-on dire, toute formelle, Le dessein, la méthode de la nature demeurent invariables ; de la manière dont elle procède sur un point, on peut induire celle dont elle procède partout ailleurs. Réalité matérielle, vie organique, activité psychique, en leurs multiples manifesta- 1. Recherches sur le Système Nerveux, etc. p. 28. u Ne LA SPÉCIFICITÉ DES ORGANES 59 tions, sont rattachables à une sorte de modèle et de type commun. Bien loin de s’exclure, elles se supposent. Le milieu matériel est la condition de la vie organique, sans laquelle, à son tour, point ne serait d'activité psychique. Mais ce n’est pas à dire que la pensée soit le produit ultime de la vie, le perfectionnement suprême d'organes primitive- ment destinés à d’autres fonctions, ni que la vie soit une sorte de sublimation des propriétés de la matière. Le perfectionnement d’un organe donné, dans les limites, pourrait-on dire, de son emploi, ne fait pas difficulté pour Gall. C’est notion courante et couramment utilisée dans son système. Mais, en revanche, il n’imagine pas de développement et de transformation qui fasse sortir un organe de sa sphère d’action primitive et l’adapte à d’autres fonctions. Donc, du point de vue organique, la continuité de la nature est toute de juxtaposition. Pas de propriétés nouvelles sans mécanisme nouveau, susceptible d’en expliquer la présence. La nature, dans ses créations, procède, non par transformation, mais par superposition d'organes. Les organes ont chacun leurs fonctions, en rap- sg LS a DO M Et LT AUE PAP x HO En as 2 w PAR e *. SR Ne à Re £ < T4 un ‘: CAR 60 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL port avec leur structure, et n’ont que ces seules et uniques fonctions. Nul organe ne peut en sup- pléer un autre ni être suppléé par lui. Nulle coo- pération d'organes inférieurs ne peut suppléer à | l'absence d’un organe supérieur. PEN Par conséquent, si les lois générales des orga- nismes sont valables pour tous les êtres, les diffé- rents organes n’en sont pas moins irréducüblesles uns aux autres, et c’est ici, précisément, dans la 1 philosophie de la nature de Gall, le second des principes que nous avons annoncés : la spécificité des organes est pour lui absolue et ne comporte pas d’exception. Il faut renoncer aux principes et aux causes uniques. Chez l'animal « beaucoup de phénomènes ont lieu sans système nerveux », beaucoup d’autres sont simplement modifiés par lui, « d’autres enfin le reconnaissent pour cause unique » ; par suite, 1l ne saurait être « la cause première et unique de toutes les actions des corps organisés, de touleirri- tabilité, et de toute vitalité » ([, 7). Donc la vie est indépendante du système nerveux. De même pour les fonctions du système nerveux, à l’égard des fonctions vitales proprement dites. LES +) du LA SPÉCIFICITÉ DES ORGANES 61 Nul ne songe à nier que « la constitution indivi- duelle et l’état actuel de la santé ne modifient l’exer cice des facultés intellectuelles et des qualités mo- rales » ; mais de là à « dériver de tel ou tel tempé- rament, telle ou telle qualité fondamentale détermi- née » (Il, 173), il y a un abime que rien ne permet de franchir, car «il est absolument faux que l’activité des fonctions vitales soit en rapport direct avec l'activité des forces intellectuelles » (II, 172). Si on voulait, à tout prix, établir un rapport entre l’activité cérébrale et l’activité vitale, peut-être vaudrait-il mieux reconnaitre entre elles un anta- gonisme, car non seulement « ni l'intensité ni la durée de la vie ne sont en proportion avec la masse du cerveau » (II, 156), mais encore « la ténacité de la vie diminue à mesure que la cervelle augmente » (I, 9). Semblable indépendance se retrouve au sein même du système nerveux. En réalité, il n’y a pas un, mais des systèmes nerveux, indépendants les uns des autres et composés d'appareils eux-mêmes indépendants entre eux. Il est, sans doute, indé- niable que les différents systèmes nerveux sont « mis en connexion et en action et réaction réci- 62 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL proques avec les systèmes antécédents, par des branches communiquantes » (I, 207), et « on peut. admettre comme un axiome que les organes d’un ordre inférieur servent comme des appareils prépa- raloires aux organes qui, dans les animaux plus parfaits, sont destinés à des fonctions plus élevées. Tant que les systèmes inférieurs existent seuls, ils agissent isolément; mais dès que plusieurs organes existent dans un seul individu, ils doivent nécessairement avoir, les uns sur les autres, une influence réciproque établie par des branches de communication » (I, 25). Mais les systèmes nerveux ont beau être ainsi astreints à une certaine subordination fonctionnelle, ce n’en serait pas moins une erreur de croire qu'il existe entre eux la moindre communauté d’origine, et qu’ils puissent s’engendrer les uns les autres (1, 25). Le système nerveux en général est constitué par une série d’appareils indépendants et spécifiques (I, 8), dont la spécificité et l'indépendance sont amplement démontrées par le fait que, suivant les espèces et les individus, ils « sont diversement modifiés », qu’ils n’offrent pas toujours dans leur développement les mêmes proportions relatives LA SPÉCIFICITÉ DES ORGANES 63 (voir par exemple I, 54), et qu'ils sont enfin très loin d’apparaitre tous simultanément (1, 171). « Chaque ordre particulier des fonctions de la vie animale (Gall veut dire : psychique) est effectué par un système nerveux particulier, par des nerfs particuliers, distincts des autres systèmes nerveux ou des autres nerfs! ». Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que Gall se montre partisan convaincu de l’immuabilité des espèces (IV, 250), et s'élève contre « l'opinion de M. de Lamarck », qui « pourrait tout au plus être adoptée par quelques sectes philosophiques, dont les unes supposent que l’âme dirige elle-même la formation du corps qui lui sert d’enveloppe, et dont les autres soutiennent que les espèces ou s’amé- liorent ou dégénèrent sans cesse, de manière que l’homme pourrait descendre au rang du singe, et l'orang-outang s'élever au rang de l’homme » (II, 40). La théorie qui fait des besoins la source des insüncts, des penchants et des facultés, n’a pas d’adversaire plus résolu que Gall. D'abord il 1. Sur les Fonctions du Cerveau, etc., I, p. 25. 64 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL ne peut admettre que les besoins créent les facultés. L'influence des circonstances extérieures est incontestable, mais elle est limitée ; tout ce qu’on peut leur accorder, c’est de mettre « en activité les diverses facultés innées ». Mais surtout, qui dit faculté, pour Gall, dit organe, et organe spécifiquement affecté à l'exercice de cette faculté. Si donc le besoin créait la faculté, il faudrait aussi qu'il créât l'organe, et c’est bien, au reste, ce que Lamarck en vient à soutenir : « Il pense que les organes intérieurs, aussi bien que les exté- rieurs, sont produits par le besoin et par l’exer- cice. Mais un besoin ne peut pas plus exister sans une faculté, que l'exercice sans un organe » (Il, 37-38). Cette création de l'organe par la fonction, toutes les convictions, tant psychologiques que physio- logiques, de Gall, lui interdisent même de la con- cevoir. Car, si le transformisme se trouvait vrai, ce n’est pas seulement de l’innéité des facultés, mais encore et surtout de la spécificité des organes, qui en est pour Gall l’inébranlable fon- dement matériel, qu'il ne saurait plus être ques- tion. Aussi le principe de l'irréductible spécificité De organes est-il, eur le nœud de toute “celte argumentation contre le transformisme, de | mi ème qu'il va, contre le sensualisme, constituer toutun système d’objections. He Si nous appliquons, en effet, cette notion de la _ spécificité des organes aux appareils sensoriels, il apparaîtra que, comme les autres organes, 1ls ne sont susceptibles que d’une seule forme d'activité, _ qu'ils peuvent se perfectionner par l'exercice, LÉ . 3 _ mais qu'ils ne peuvent, par l'exercice, s'élever _ au-dessus d'eux-mêmes pour réaliser autre chose 110 _ que des sensations; que, par conséquent, leur | spécificité nous est une évidente garantie de “ la spécificité de leurs fonctions. Donc, s'il est bien vrai que les organes sensoriels sont, comme les autres, spécifiques, les facultés intel- lectuelles, nécessairement alors indépendantes des sens, supposent, nécessairement, une autre activité que l’activité sensorielle, et c'en est fait des théories de la sensation transformée. De là chez Gall, sur l’activité sensorielle, des considérations _ capitales. C’est ainsi que, comme on pouvait le prévoir, BLonpez. — Psycho-physiologie. 5 AAA i a «100 ses premières expressions. «La plupart id physiologistes modernes avancent que les nerfs sont tous orig'inairement semblables, et que la diffé- rence de leurs fonctions dérive des parties aux- quelles ils appartiennent, ou de leurs appareils extérieurs... On les compara à un réseau, qui, comme les débris d’un aimant, serait composé originairement de parties homogènes et diverse- M. Cuvier, que cette différence des fonctions doit. être attribuée à la nature des organes extérieurs auxquels les nerfs vont se rendre..., en un mot à une infinité de circonstances secondaires, plutôt qu'à l’essence intérieure des nerfs» . Rien n’est plus faux selon Gall, D'abord, au seul point de vue anatomique, les nerfs diffèrent manifestement | entre eux de couleur, de consistance, de forme, de texture. Souvent ces dissemblances vont jus- J qu'à s'étendre aux filaments d'un seul et même | nerf, issus d’étages différents de la substance grise. « Toutes ces particularités restent les mêmes dans les mêmes nerfs; elles doivent donc avoir pour cause une différence primitive dans la structure | LA SPÉCIFICITÉ DES ORGANES térieure, et être d’une nécessité essentielle pour be diversité des fonctions ». | De même, les « principes physiologiques » impli- ré | quent nécessairement la spécificité des nerfs : « On | convient que les appareils extérieurs communiquent aux nerfs des irritations différentes; mais si tous les nerfs sont de même nature, comment se fait-il ane ces différentes impressions de leur extrémité Dore soient transmises au Cerveau, sans _ altération ? Les impressions du nerf optique ne ' _ doivent-elles pas être transportées autrement que _ celles du nerf auditif ou du nerf olfactif ? Que le £ mode de communication soit le même, mais seule- _ ment plus fort pour un sens, et plus faible pour un autre; alors, comme le dit fort bien Sæœmmering, les perceptions des impressions seraient les mêmes dans plus faibles; conséquemment elles ne différeraient $ a % À _ le cerveau, elles seraient seulement plus fortes ou # 1 _ pas dans leur essence. Cette différence dans le _ mode de propagation en nécessite donc une dans la structure intérieure des nerfs. La même règle | doit s ‘appliquer à tous les nerfs, à quelques fone- À tions qu'ils appartiennent, dès qu’ils sont destinés à propager des impressions déterminées ou spécifi- pe 68 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL ss ques ». D'où il résulte que les nerfs des sens « peu- vent exercer leurs fonctions spéciales par les seules irritations intérieures », et donner ainsi lieu aux. songes, aux sensations subjectives, aux illusions, aux hallucinations, qui, autrement, se trouveraient inintelligibles. « On doit induire de tous ces phé- | nomènes que l’organisation particulière de chaque nerf est la cause propre de son irritabilité, ou de sa sensibilité particulière » (1, 91-93). Ainsi pour Gall la spécificité des nerfs est chose démontrée. Et cette spécificité, il n’en fait pas seulement la propriété des troncs nerveux, mais encore des filaments même qui les composent. Les nerfs que nous regardons comme simples reçoivent . des filaments de différents points. « C’est peut- être ce qui explique les nombreuses modifications qu’un nerf peut recevoir. Nous voyons plus d’une : couleur, et nous entendons plus d’un son. Dans un animal les filaments nerveux sont sensibles à cer- taines particules odorantes, dans un autre ils sont destinés à en recevoir d’autres. C’est aussi par là que nous concevons pourquoi la vue, loue, l'odo- rat, peuvent exister pour certaines impressions seu= à lement, et cesser pour d’autres » (I, 94). pourvu de filaments nerveux particuliers. On ne _ goûte certaines choses qu'avec les lèvres, d’autres ie avec la langue, d’autres avec l’intérieur des joues, _ d’autres avec le palais, etc. On peut donc suppo- L. ser que, si la langue n’a pas été entièrement for- Re mée dès le principe, ou si elle a été perdue, (acci- à dents dont on connait beaucoup d’exemples), il est des choses qui ne peuvent pas être goûtées, quoique le goût existe encore entièrement pour les autres » (I, 110). Donc, non seulement les appareils sensoriels, _ mais encore, probablement, tous les éléments qui _ les composent, sont adaptés à une fonction déter- | minée, qui ne tient pas, comme le voudrait le sen- sualisme, au hasard des circonstances, mais à leur constitution même. C’est donc qu'ils sont spéci- _ fiquement organisés pour recevoir et transmettre qies Ten AISNE et que, de par leur LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL Mais il y a plus. Du seul fait de leur spéci ficité et de leur indépendance réciproque, tous le: sens se trouvent égaux entre eux, et c'en est fait de celte fameuse prépondérance du toucher, sur la- quelle le sensualisme a fondé de si ruineuses | théories. La vue n’a nul besoin du concours du 0 toucher pour nous informer de la distance et de la forme des objets. « 11 nous semble qu’en général on dégrade la nature quand on prétend qu'elle a créé un sens dont fes fonctions ne sont possibles | qu'avec l’aide d’un autre; et quoique le physicien puisse dire à ce sujet, le physiologiste philosophe ,doit répugner à une pareille opinion » (I, 139). Gall estime, avec Diderot !, que les sens se rendent assurément de mutuels services, que les yeux n’aperçoivent les qualités sensibles au seul attou- chement qu’une fois avertis par le tact, mais que ces services sont réciproques et que, lorsque la vue est plus fine que le toucher, c’est alors le tou- cher surtout, qui profite des enseignements et des instructions de la vue. Entre les sens il ne saurait y avoir de dépendance et de subordination essen- 1. Œuvres complèles, Londres, 1773, II, 165-169 (Note de Gall). Te sienne la difficulté soulevée par Diderot : Fi « Pour s’assurer par le toucher de Pexistence et de ui Le la figure des objets, il n’est pas nécessaire de voir ; _ pourquoi faudrait-il toucher pour s'assurer des mêmes choses par la vue ? » (1, 142). En effet, si, livrés à eux-mêmes, les sens autres que le toucher n'avaient que « la faculté de produire _ la conscience d’altérations ou de modifications du moi », si les images visuelles, en particulier, étaient, par elles-mêmes, incapables « de nous faire connaitre l'existence d’un objet hors de nous, ni sa à véritable position » (1, 129), c'est par l'usage que nous acquerrions Ja faculté de voir à distance 1 _ (1,137). Mais, dans ces conditions, nos sensations _ visuelles, telles que nous en avons la conscience immédiate, perdraient tout ou partie de leur spéci- fique pureté ; elles seraient le résultat de la trans- formation d’hypothétiques sensations initiales de la vue sous l'influence des impressions tactiles. Or, ___ si l’activité sensorielle se trouvait ainsi susceptible, d: par elle-même, de juger de ses impressions les ! unes par les autres, et si la connaissance du monde extérieur résullait ainsi d’une sorte de comparu- A \ MAIS di ta At k À K ñ : PAT À y ï tn t RAS RO RE PA AA AU D OT DRE ÿ MUR DR AL TAUR \ Le) Le 72 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL tion des autres sens devant le tribunal du toucher, il y aurait là sans doute un gros argument en faveur du sensualisme : dans sa propre sphère, la sensibilité se montrerait capable de réflexions, de comparaisons, de déductions, d'opérations, en un mot, qui relèvent de l'intelligence; et, par con- séquent, s’y manifesteraient, en germe et en puis- sance, les formes supérieures de l’activité mentale. La question est pour Gall, on le voit, de la pre- mière importance. Aussi, fort de la spécificité des organes sensoriels, s’attache-t-il à ne rien laisser subsister de la prépondérance attribuée au toucher, et conclut-il, avec Destutt de Tracy ‘, que « les sensations tactiles n’ont par elles-mêmes aucune prérogative essentielle à leur nature qui les dis- tingue de toutes les autres. Qu'un corps affecte les nerfs cachés sous la peau de ma main, ou qu'il produise certains ébranlements sur ceux répandus dans les membranes de mon palais, de mon nez, de mon œil ou de mon oreille ; c’est une pure im- pression que je reçois; c’est une simple affection que j'éprouve, et l’on ne voit point de raison de À. Idéologie, Partie T, 114 (note de Gall). 17 # oire que l’une soit plus instructive que l’autre, que l’une soit plus propre que l’autre à me faire porter le jugement qu’elle me vient d’un être étran- ger à moi. Pourquoi le simple sentiment d’une 1 piqûre, d’une brülure, d’un chatouillement, d’une pression quelconque me donnerait-il plus de con- M. . _ naissance de la cause, que celui d’une couleur, ou _ d’un son, ou d’une douleur interne? Il n'y a nul _ motif de le penser » (1, 149). | Le toucher n’est donc qu’un sens comme tous les _ autres, il ne joue aucunement le rôle qu’on a cru à pouvoir lui attribuer, il ne nous révèle rien de moins ni rien de plus que la vue ou l’ouïe ; «car de même que toutes les autres sensations ont leur siège - uniquement dans le cerveau, de même aussi la sen- _ sation du toucher, de la résistance, de la répulsion _ n’a son siège que dans le cerveau » (1, 148)'. Par °4 1. Signalons ici dans le système de Gall une difficulté, qui ._ ne nous intéresse pas directement, car elle tient à lorgano- __ logie proprement dite. Ce n’est pas tout à fait au sens où nous _ l’entendons aujourd'hui, que les sensations ont, selon Gall, _ leur siège dans le cerveau. En effet, il ne leur concède aucun _ centre cortical autonome. Dans ces conditions, il est bien _ évident qu’ « aucune impression du dehors, et aucune irrita- _ tion de l'intérieur ne peuvent devenir une sensation ou une idée sans le concours du cerveau » (1, 157). Mais « la manière d'agir de chaque sens est circonscrite dans ce sens lui-même », et le cerveau, « au moyen d'organes d’une autre nature, ne LA SPÉCIFICITÉ DES ORGANES * 73 } conséquent, le sensualisme est mal fondé à sup- hi poser à l’activité sensorielle une initiative et une extension, qui contredisent à la spécificité des or- ganes et de leurs fonctions, c’est-à-dire aux données les plus sûres de l'anatomie et de la physiologie. # (à Il est donc deux données essentielles que Gal lient pour évidentes et avérées. D’abord, d’une activité donnée, nous pouvons prévoir les condi- fait qu'élaborer pour d’autres fins les impressions et les idées qu'il a reçues par les sens ». Si, en effet, entre autres raisons, les fonctions des organes des sens ne s’exerçaient que dans le cerveau, point n’eût été besoin de ces appareils particu- liers et indépendants que sont les appareils sensoriels, et la nature aurait compliqué inutilement son œuvre, puisqu'il lui eût suffi de conduire par les moyens les plus simples les impressions extérieures jusqu’à la masse du cerveau, « pour déterminer ce dernier à achever l'opération dont résulte la sensation du goût, des couleurs, des sons, etc. » (II, 160). C'est pourquoi Gall soutient « que chaque organe des sens a ses fonctions absolument à lui; que chacun de ces organes a sa propre faculté de recevoir et même de percevoir les impressions, sa propre conscience, sa propre faculté de rémi- niscence, etc. » (Il, 161). Maintenant, il est bien probable, selon Gall, que, chez les animaux supérieurs, les fonctions senso-. rielles ne peuvent s'exercer sans l’action simultanée du cer- veau, alors que, chez les animaux inférieurs, elles ont lieu sans son Concours, « tout comme dans ces mêmes animaux, et dans les plantes il existe une espèce de circulation des fluides sans le concours d'un cœur » (Il, 462). Ce point parti- culier de la théorie de Gall offre, en tout cas, cet intérêt de .nous montrer jusqu'où va sa conviction de la spécificité des organes. LA SPÉCIFICITÉ DES ORGANES _ lions générales d'existence, d’après ce que nous savons des activités inférieures. De l’activité vitale ii, nous pouvons conclure à l’activité psychique, des phénomènes sensoriels et de leurs lois de produc- ne ton aux phénomènes moraux et intellectuels et à “ leurs lois de développement. Gall est done con vaincu de ce que nous avons appelé la continuité de la nature, Mais, d'autre part, ni la sensibilité ne 4 donne l'intelligence etla volonté, ni la vie ne donne ii la sensibilité. Des activités essentiellement diffé- rentes relèvent d’une organisation spécifiquement différente ; et, réciproquement, des organisations ‘ différentes dénoncent une essentielle différence de manifestations. Gall est donc également convaineu de ce que nous avons appelé la spécificité des organes. \ C’est en grande partie, comme nous allons le % voir, en s’aidant, soit allernativement, soit simulla- ‘ nément, de ces principes, que Gall a constitué sa physiologie du cerveau. Le plus souvent, il les utilise tous deux de con- cert, comme en témoigne ce passage du traité Sur les Fonctions du Cerveau, qui est bien près de résumer toute sa méthode, « Y a-t-il un seul i 76 organe dans lorganisme vivant qui préside à deux fonctions essentiellement différentes ? Le nerf auditif k voit-1il ? Les reins sécrètent-il la bile? L’estomac j'en conelus qu’il ne voit pas. Et, si je vois des espèces différentes d'animaux dont les unes cons- truisent, et dont les autres ne construisent pas ;... pose aux unes des organes, dont les autres sont privées !° » Mais parfois aussi, et ce n’est pas leur emploi le moins original, l'un de ces principes sert à Gall pour éluder les conséquences, désastreuses pour la doctrine, que l’autre menacerait d’entrainer. D’une manière générale, au nom du principe de la con- ünuité naturelle, il raisonne et conclut de l’animal à l'homme. Mais, en présence des expériences de Flourens sur l’activité automatique, il devient sur- tout sensible aux différences essentielles que la spécificité des organes réalise naturellement entre les espèces, il n’aperçoit plus comment on peut con- clure de la grenouille à l’homme * ; il va même jus- 1. Sur Les Fonctions du Cerveau, etc., VI, 133. 2, Idem, NI, 225. + respire-t-il ? Là je vois un animal qui n’a pas d’yeux, 4 les métaphysiciens trouvent mauvais que je sup- VE De" rl S] LA SPÉCIFICITÉ DES ORGANES 711 qu'à déclarer : « C’est une prétention absurde de vouloir appliquer aux facultés morales et intellec- tuelles de l’homme, les résultats vagues, arbitraires et inconstants, tant bien que malobservés dans les poules, les pigeons, les lapins, etc." », La continuité de la nature, la spécificité des organes servent donc aux fins de Gall, alors même qu'elles entrent en contradiction. Mais il n’est que Juste de reconnaître que, lorsque Gall trouve un si merveilleux profit à opposer la seconde à la pre- mière, c’est bien moins le principe de sa physiologie cérébrale qui est en jeu que son organologie. 1. Idem, VI, 379. originairement inégaux ; on ne saurait négliger CHAPITRE III L'ACTIVITÉ MENTALE ET LE CERVEAU. L’innéité des instincts, des penchants et des 1 facultés est pour Gall un point de la plus haute ; importance. Si, en effet, elle se trouvait fausse, tout l'équilibre de la doctrine en serait irrémédia- blement compromis. Or il a à la défendre contre un adversaire vigoureux et presque triomphant :le sensualisme. Aussi multiplie-t-il les arguments en sa faveur : les individus diffèrent entre eux et sont sans péril l’homme intérieur pour rendre compte de l'intelligence et de l’activité humaines ; la mani- festation des instincts et des sentiments est immédiate et parfaite, une fois, du moins, que les organes correspondants sont entièrement dévelop- | i la réflexion, ni l'attention, ni l’exercicene suffisent expliquer les instincts et les facultés ; d’une expé- dériveraient des habitudes et des caractères diffé- rents, etc. Nous ne nous arrêterons pas au détail de cette démonstration et de cette polémique. Conformé- ment à notre dessein, nous nous attacherons sim- Li \, 1% _ plement à montrer comment la doctrine de l’in- néité se relie étroitement chez Gall aux principes fondamentaux de sa psycho-physiologie. (her A RE" } . 42% _ queslion se pose : sont-elles les propriétés d’un : A4 ! À supposer les facultés innées, une première +10 « principe particulier », « spirituel, prétendu indé- n pendant et absolument libre », ou sont-elles, avec _ Jeur principe, subordonnées dans leur exercice « à certaines conditions matérielles »? Si ce principe agit indépendamment de l'organisme, « il 80 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL est, ainsi que toutes ses fonctions, hors de la sphère du physiologiste ; le métaphysicien et le théo- logien peuvent seuls prononcer sur sa nature ». Mais c’est un fait indéniable, que l’âge, le sexe, la digestion, le sommeil, toutes les conditions M physiologiques ou pathologiques, en un mot, que réalise la vie, exercent sur les facultés de l’âme une constante influence *. Par conséquent, « l’exer- cice des facultés intellectuelles, quel que soit d’ailleurs le principe que l’on adopte, est grande- ment soumis à l'influence des conditions corporelles. “À Dès lors ce principe, au moins tant qu’il est uni au corps, est du domaine du naturaliste ; c’est à lui seul d'examiner ces conditions corporelles, ces organes de l’âme, et les altérations auxquelles ils sont sujets » (I, préface, p. v). | Par là il devient évident que l’étude des qua- lités morales et des facultés intellectuelles fait parte de la physiologie ; car on ne peut concevoir comment les facultés subiraient ainsi l'influence 4. «En attendant, l'âme me paraît être moins spiritualiste que les spiritualistes eux-mêmes : elle sait que dans la pre- mière enfance le cerveau n'est pas encore suffisamment déve- loppé ; c’est pourquoi elle se renferme dans une inaction. ‘absolue... Voilà l’action indépendante, spirituelle de l'âme!» (Sur les Fonctions du Cerveau, etc., VI, 142). INNÉITÉ ET ORGANISATION 81 des condilions corporelles, autrement que par l’in- \ _.termédiaire d’organes, de l'énergie et de Pactivité desquels relèvent leurs manifestations. Plus on observe les faits, plus on se convainc que lexer- | ceice de facultés innées « ne peut avoir lieu chez l’homme ni chez les animaux que d’après la nature de leur organisation » (1, préface, p. x), et 4 qu'aucune manifestation d’une qualité morale ou 1 d’une faculté intellectuelle déterminées n’est pos- ÿ sible sans sa disposition déterminée, et réalisée par un organe particulier » (LV, 5). R. C’est done, à peu près, la même chose, de dire fl que les facultés sont innées, ou qu’elles dépendent de l’organisation, car cette innéité a, dans cette | dépendance, sa cause déterminante et sa condition essentielle. Or l’innéité des facultés, la dépendance où elles sont de l’organisation, sont des consé- quences nécessaires et presque simultanées de la continuité qui s’observe dans la nature. L'innéité des propriétés se retrouve partout, à tous les degrés de l'échelle des êtres. La matière h inorganisée est caraclérisée par certaines pro- priélés, la pesanteur par exemple, sans lesquelles i elle cesse d'exister. Le développement des végé- BLonpez. — Psycho-physiologie. 6 82 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL taux est également réglé par des propriétés défi- : nies, sans lesquelles on ne peut concevoir leur existence. De même pour les animaux : les instincts et les aptitudes industrielles sont en eux qualités innées, dépendant de l’organisation, « faute des- quelles ils ne tarderaient pas à disparaître de la surface de la terre » (11,6). Or, l’homme, comme l’animal, non seulement dans l'enfance, mais encore à l’âge adulte, se livre à des actes, s’abandonne à des sentiments, auxquels ne participent activement ni la conscience, ni la réflexion, ni la volonté, et qui répondent également à « la conservation et aux besoins » des individus. L'homme, comme l'animal, n’y prend, évidem- ment, « d'autre part que d’obéir à l’impulsion natu- relle qui résulte » de son organisation. Il ne faut donc pas ici être dupe des apparences : « Lorsque l’homme commence à exercer ses facultés avec un sentiment distinct de conscience, de coopération personnelle et de volonté, chacun est porté à s’ima- œiner qu'il produit par lui-même ses facultés. Cependant si l’on se borne d’abord à considérer les qualités communes à l'animal et à l'homme, la comparaison établie entre eux ne permet pas de RES PE ee LE ee RP UN ES Su DE in in — = INNÉITÉ ET ORGANISATION 83 révoquer en doute que ces qualités ne soient innées ». L'homme et l’animal ont une foule de penchants communs, et « nous ne pouvons donc pas supposer que dans l’homme et dans les animaux ces qualités, entièrement semblables, aient une origine diffé- rente ». Si, chez l’animal, elles sont innées et dé- pendent de l’organisation, il ne saurait manquer d'en être de même chez l’homme. En admettant même que « ces qualités soient anoblies chez l’homme », c’est toujours « l'élévation graduelle de l’organisation » qui « donne la mesure de l’éléva- tion de ces facultés ». Il n’y a donc pas, une fois encore, de raisons pour subordonner l’homme « à des lois essentiellement différentes de celles aux- quelles les facultés primitives communes sont assu- jéties » (II, 8-9). Si, par suite, on accorde que les instincts des animaux sont innés, penchants et facultés de l’homme devront l'être également (IV, 25). La théorie de « Cabanis, Richerand, etc. » est, en effet, inadmissible. Il n° a pas lieu d'établir, entre les sens externes et les organes internes, considérés comme sources d'idées, une distinction 84 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL radicale ; de croire que l'instinct naît des impres- sions internes et le raisonnement des sensations externes ; d'admettre que, chez l'animal, la gros- sièreté des sens laisse la prédominance aux ins- tüincts, tandis que, chez l’homme, au contraire, la perfection des sens fait passer le raisonnement au premier plan. ) C’est d’abord une erreur de juger les sens de l’homme parfaits, et, d’ailleurs, son intelligence n’a rien à voir avec l’acuilé de ses impressions sensorielles. C’est encore une erreur de supposer que l’homme, parce qu'il est mieux en état de dominer ses penchants, a des instincts plus faibles que l’animal. C’est une erreur, enfin, de refu- ser aux penchants, aux inclinations, aux pas- sions, le droit d’être pour la raison des « objets de considération », au même titre que « les im- pressions des sens ». El, d’ailleurs, accordons un instant que les impressions des sens soient, chez l’homme, beaucoup plus importantes que les impressions internes : elles « ont aussi besoin d’organes intérieurs lorsqu'elles ne restent pas de simples impressions matérielles, et qu'elles doivent … être employées par l’entendement à de plus hautes À" OL. QUE de + W.! Sr da rade Her INNÉITÉ ET ORGANISATION 85 fonctions; l'œil et le toucher seuls forment le géo- mètre aussi peu que la femelle ne crée dans le mâle l'instinct de la génération et que la brebis n’est la cause primitive de l’instinet carnassier du loup » (I, 160). On voit l'argumentation : Cabanis et Richerand reconnaissent que les instincts des animaux tien- nent à leurs impressions internes, c’est-à-dire à leur organisation, et ils ont raison; mais ils ont tort de croire que l’homme diffère d’eux sur ce point, car, en fait, l’homme aussi a des instincts nombreux et puissants, qui ne peuvent pas, eux non plus, ne pas dépendre de son organisation. D’autre part, l’homme ne saurait tirer profit intel- lectuel, comme il fait, des impressions sensorielles sans d’autres organes que les organes des sens. C'est que la continuité, que la nature même a établie entre la vie organique et la vie animale (Gall veut dire : psychique), démontre qu'il ne peut y avoir d'activité mentale sans organisation. Chez les animaux inférieurs, avant l'apparition de la conscience, une « irritabilité plus variée et plus compliquée » se manifeste, à proportion que « des organisations nombreuses et diverses con- 86 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL courent à l'existence entière d’un seul individu », sans qu’on songe à expliquer cette variété et eelte complexité croissantes par « un principe qui ne serait pas essentiellement incorporé aux parties du corps, et produit par leur arrangement », c’est-à- dire sans faire intervenir, avant tout, le nombre et la diversité même des appareils organisés. Or, chez les animaux supérieurs, à mesure que l’activité mentale se développe, des appareils org'a- niques nouveaux apparaissent et se perfectionnent. Il est impossible de ne pas établir, entre l’activité mentale et ces appareils nouveaux, le même lien, le même rapport, le même parallélisme qui s’éta- blissait tout à l'heure entre l'irritabilité vitale et l’organisation. « Si dans les classes d'animaux plus élevées, se manifestent la perception des irritations (la conscience), la perception des rapports du monde extérieur (fonctions des sens), les instincts, les penchants, et, graduellement, la spontanéité, la faculté de vouloir, la faculté de raisonner, etc. ; tant d'appareils nouveaux et sans cesse plus perfec- tionnés, se présentent à nous, qu'il est impossible au naturaliste de douter plus longtemps que dans celte vie, l'esprit ou l’âme a besoin d'instruments _ variées et plus nombreuses. Nous voyons des instruments pour les mouvements volontaires, _ des systèmes nerveux pour les fonctions des sens; nous voyons un cerveau dont les systèmes particuliers se compliquent toujours de plus en plus, et qui offrent dans l’homme l’organisation la plus parfaite. Les propriétés marchent donc toujours d’un pas égal avec les appareils maté- riels » (LI, 7). . Ainsi, à tout penchant, à toute faculté nouvelle répond nécessairement une complication nouvelle de l’organisme, et toute disposition intellectuelle ou morale, comme toute manifestation vitale, est conditionnée par un organe. Mais alors, l’organisa- tion, à elle seule, devient la démonstration de lin- néité des penchants et des facultés. En effet, si le sensualisme était vrai, les individus et les espèces se trouveraient pourvus par la nature d’une foule d'appareils d’une extrême complexité, qui ne leur serviraient cependant à rien, puisque les facultés résulteraient chez l’homme et l'animal de la seule action des causes externes (IT, 24). Il ne saurait en être ainsi. Tout organe doit % kW avoir nécessairement son activité propre et origi- nale, et « les différences qui existent entre les espèces et les individus » ne peuvent être fon- “ dées que « sur les modifications de leur orga- 0 nisme ». Malgré l'identité du sol, du climat et des circonstances, chaque animal, comme chaque plante, a, « en vertu de son organisation », ses propriétés spécifiques. Sinon, à quoi bon les orgaæ nisations et leurs diverses modalités ? De même pour l’homme. « Si, dès sa naissance, ses qualités intel- lectuelles et morales n'étaient pas déterminées par sa nature primilive, et si la possibilité de les exer- “. 1 cer n'était pas dépendante de son organisation, ce serait sans aucun but que son organisation serait si achevée et la structure de son cerveau si par= faite » (II, 26). +: En résumé, un organe élant donné, tout ce que nous avons appris de la nature et de ses lois exige qu'il serve à quelque chose, autrement nous ne saurions vraiment que penser de sa présence; et ce à quoi il peut servir ne peut être que ce pour … quoi il a été préalablement organisé. Done, d’une : manière générale, son activilé ne procède que de | m\t es nécessairement innée. « La connexité apparaît ainsi extrêmement étroite chez Gall entre l'innéité des facultés et la dépen- __ dance où elles sont de l’organisation. Ce sont, plutôt que principes, points de vue différents, auxquels nous sommes successivement invités à nous placer, suivant que nous avons à envisager l’activité mentale en psychologues ou en anatomo- physiologistes. Et il ne semble pas moins évident que Gall y est, pour une grande part, amené par la considération que la nature procède partout de même et obéit en tout aux mêmes lois. L'activité mentale ne saurait être dans le monde quelque chose d’absolument nouveau, de radicalement dif- 2 férent de tout ce qui la précède, en tant, du moins, que l’on considère l’ensemble de ses conditions. Elle n'apparaît pas brusquement ; elle s’installe pro- gressivement dans l'animal pour s'épanouir dans l’homme. Elle ne peut pas, à son terme, ne pas répondre aux mêmes conditions qu’à ses débuts, Or la vie organique est manifestement subor- donnée à des conditions matérielles, et c’est au \ 90 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL sein de ces conditions matérielles que, à l’occasion de quelques modifications organiques, la vie cons- ciente apparaît. Dès l’abord, l’activité mentale relève de l'organisme ; elle en relèvera done dans tout le cours de son développement. Or tout organe est donné, avec toutes ses caractéristiques, avant le milieu dans lequel il a à intervenir, et tient de lui-même toutes ses propriétés. Les propriétés des organes psychiques ne peuvent se soustraire à cette nécessité, et les penchants et facultés qu’elles constituent sont donc, de ce chef, innés. De par la continuité de la nature, l’innéité des facultés et la dépendance où elles sont de l’organisation ne sauraient ainsi être mises en doute. Telle a été, au moins, une des voies par lesquelles Gall a établi ces points fondamentaux de sa doctrine. Reste maintenant à préciser de quelle partie de l'organisme dépendent les facultés psychiques. C’est une question dont il n’est pas possible de mé- connaître la portée : « On a dans tous les temps regardé comme très importantes les recherches qui avaient pour but de faire connaitre les organes par lesquels les animaux et l’homme reçoivent les impressions matérielles du monde extérieur; sera- L'ACTIVITÉ MENTALE ET LE CERVEAU 91 _ til moins intéressant, moins noble de tâcher de È . … découvrir les organes des facultés supérieures de l'esprit? » (I, 163). IT Nous voici parvenus au cœur même de la doc- trine. Car, maintenant qu'il est avéré que les penchants et les facultés sont innés et dépendent de l’organisation, il faut démontrer de quelle partie de l'organisme ils relèvent précisément, Si l’or- gane de l’âme n’est pas exclusivement le cerveau, Gall se trouve arrêté au seuil même de sa physio- logie cérébrale. Il lui importe donc, au plus haut degré, d'établir, sans contestation possible, le rôle mental du cerveau. Pour cette démonstration, la continuité de la nature et la spécificité des organes vont lui être, simultanément, d’un indispensable secours. Il est des physiologistes pour lesquels aucune fonction n’est possible sans l'intervention de toute l’organisation. Gall reconnait, bien entendu, que tout organe est soumis aux lois générales de l’orga- demeure en communication avec tout le corps en général. Mais de là à conclure que c’est le corps tout entier qui est l'instrument de chaque fonction particulière, il y a un abîime. Parce qu'un œil arraché ne voit plus, on n’en attribue pas pour cela la vision au corps pris collectivement. Autre- ment, on ne pourrait comprendre que, au seul dérangement d'un organe donné, le corps cessât une fonction, que l'étude des parties isolées et de leur rôle donnât des résultats, ni, enfin, que la nature eût construit tant d'appareils particuliers, puisque un moyen unique suffisait à toutes ses fins. « Mais, si elle a construit un appareil particulier pour chaque fonction, pourquoi aurait-elle fait une exception pour le cerveau? Pourquoi n’aurait-elle pas destiné celle partie si artistement construite, à des fonctions particulières ? » (IT, 169). Il est impossible, d'autre part, de localiser l’acti- vité mentale ailleurs que dans le cerveau. Ainsi l'exige la spécificité des organes. Nul n’a jamais eu l'idée de situer l'âme dans les os, les lig'a- ments, les membranes, les muscles, le tissu cellu- L'ACTIVITÉ MENTALE ET LE CERVEAU 93 laire, les vaisseaux, les glandes, etc. En revan- che, on lui a assigné pour sièges : le cœur, mais le cœur est un muscle qui sert à la circulation ; le foie, mais le foie sécrète la bile « et l’on ima- ginera difficilement que ce fluide soit l’intermé- diaire entre l’âme et le corps » ; les reins même, d’après la Bible, mais ce ne peut être que méta- phore, car, comme ils « sont chargés de la sécré- tion de l’urine, ce serait une idée ignoble que d’y chercher l'origine des passions et des concep- tions ». Sans doute, dans toute affection violente, les viscères se trouvent intéressés, mais ils ne le sont que par sympathie. Concevoir autrement leur rôle, c'est confondre « l'organe qui produit une affec- lion ou une passion, avec les viscères sur lesquels agit celte affection ou cette passion ». Entre les viscères et le système nerveux, entre les différents systèmes nerveux, il existe assurément tout un ensemble d’influences réciproques, mais ce fait «ne prouve nullement que la terreur, angoisse, le cha- ÿ grin, l'envie, la haine, l’amour, la jalousie, etc., ont leur siège là où l’on ressent ces affections ». Du reste « tous les viscères portent le caractère 94 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL des fonctions mécaniques dont ils sont chargés, ou bien, tout y est arrangé pour opérer une sécrétion ou pour remplir un but qui n'a rien de commun avec les fonctions intellectuelles ou morales ». Donc, hors du système nerveux, toutes les parties du corps ont déjà leurs fonctions définies, et aucune d'elles ne saurait, par conséquent, À passer pour produire les instincts, les aptitudes industrielles, les passions, les facultés, la volonté et la raison. De même, tous les systèmes nerveux, si l’on en cs excepte le cerveau, ont, de par la physiologie et | l'anatomie comparée, des fonctions déterminées, indépendantes de l’activité proprement mentale. Les plexus nerveux et les ganglions de la poitrine et du bas-ventre, d’une part, concourent au fonc- tionnement des viscères, communiquent avec le cerveau par l'intermédiaire de la moelle, et font le lien entre la vie automatique (Gall veut dire : or- ganique) et la vie animale (Gall veut dire : psy- chique) ; d'autre part, ils existent chez l’huître, | par exemple, qui est manifestement affranchie de nos passions et de nos affections, et restent iden- tiques chez les mammifères, cependant que varient RP PR NE ARS ML Se NT TC >. a , EN “À F ê - v L'ACTIVITÉ MENTALE ET LE CERVEAU 95 les penchants et les facultés (II, 163-167). De même, la spécificité des sens nous est une garan- lie que leurs organes ne peuvent servir à une autre fin. De tous les systèmes nerveux, le cerveau reste donc le seul à pouvoir être considéré comme le sièce des facultés intellectuelles et des qualités morales. Ainsi l'existence même du cerveau est une preuve qu’il doit servir à quelque chose, et, tous les autres viscères, tous les autres systèmes ner- veux ayant leur rôle à remplir, l’activité mentale: demeurerait res nullius, si le cerveau n’en faisait pas son affaire. Le cerveau est l'organe spécifique de toutes les qualités morales et de toutes les facultés intellec- . tuelles. Les preuves, d’après Gall, en sont innom- brables, et remplissent toute son œuvre. Mais cette spécificité ne sera jamais plus évidente, que si l'existence d’un constant parallélisme entre le déve- loppement psychique et le développement cérébral peut être rigoureusement établie. C’est pourquoi, de l'anatomie comparée, de la physiologie, de la pathologie, des sciences naturelles en général, 96 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL Gall dégage un faisceau de douze preuves qui lui paraissent démontrer définitivement qu’à toute va- riation de la masse cérébrale répondent des varia- tions de l’activité mentale (Il, 173-184) : d 1° Dans la série des êtres et des espèces, depuis l'insecte jusqu’à l’homme, plus le système cérébral se développe, plus les qualités et les facultés s’ac- centuent. Entre celles-ci et celui-là, il existe donc une proportionnalité constante (II, 174). 2° Dans une même espèce, les cerveaux, d’une part, les facultés et les qualités, de l’autre, sont, dans leur ensemble, normalement identiques; et, réciproquement, « toutes les fois que l’on observe dans les animaux des qualités et des facultés diffé- rentes, l'anatomie comparée découvre des diffé- rences essentielles dans leurs cerveaux ». Donc tous les hommes sont spécifiquement égaux : « Toutes les différences qui existent à cet égard, se réduisent à de simples nuances. Or, comme je trouve dans le cerveau du Nègre les mêmes parties que dans celui de l’Européen, il est certain que le Nègre et l’Eu- ropéen occupent le même degré dans l'échelle du règne animal » (If, 175). 3° Plus les défectuosilés du cerveau sont mar- L'ACTIVITÉ MENTALE ET LE CERVEAU 97 quées, plus l’imbécillité qui en résulte est considé- rable (II, 175). 4° Plus le cerveau est développé en totalité ou en partie, plus sont énergiques, dans leur ensemble ou à certains égards, les facultés intellectuelles et les qualités morales (II, 176). 5° De l’enfant au vieillard, le développement du cerveau est proportionnel au développement des facultés (II, 177). 6° A la précocité générale ou partielle des facul- tés répond le développement précoce du cerveau; et, réciproquement, au retard général ou partiel de l’activité mentale répond une faiblesse ou une ma- ladie de l’encéphale (II, 177). 1° Le cerveau et le cervelet ne sont pas néces- saires à la vie automatique ou organique. On en peut supprimer au moins une grande partie, sans entrainer inévitablement la mort ni même la sup- pression de l’activité sensorielle. Durant le sommeil ou repos du cerveau, les fonctions vitales persistent; durant les maladies mentales, elles conservent sou- vent toute leur intégrité. Mais, en revanche, sans appareil cérébral en activité, il n’est plus d'exer- cice possible des fonctions de l’âme (Il, 178). BLonoez. — Psycho-physiologie. 7 Pr ES 98 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL 8° Le travail intellectuel se sent dans la têle. Une attention excessive épuise l’encéphale ou le surexcite : d’où des insomnies, des troubles men- taux, des hallucinations. Dans la céphalée, les. lésions et les maladies du cerveau, l'attention re- ie double la douleur (II, 178). | 9° Les qualités morales et les facultés intellec- tuelles varient évidemment avec les sexes, les : individus et les nations. Elles sont évidemment héréditaires. Ce sont autant de problèmes qui ne se peuvent résoudre qu’en admettant que le cerveau est l'organe de l’âme (II, 179). 10° Si le cerveau est intact, les maladies, même quand elles atteignent les autres systèmes nerveux, comme la rage ou le tétanos, laissent intactes les qualités morales et les facultés intellectuelles (II, 179): 11° Toute compression, irritation, lésion ou destruction du cerveau entraîne une modifica- tion, totale ou partielle, ou même la cessation des fonctions intellectuelles, le coma, la stupi- dité, la « phrénésie », la stupeur. L'effet cesse avec la cause, quelquefois même instantanément (II, 480). | js L'ACTIVITÉ MENTALE ET LE CERVEAU 99 12° La manie: a également son siège immé- diat dans le cerveau. En effet, elle tient, avant tout, à des causes morales, et, si elle ne guérit pas, elle entraine, avec des lésions cérébrales, une démence incurable. Or, « ce point démontré, il est démontré également que c’est dans le cerveau qu'ont lieu toutes les fonctions morales et intellectuelles; car les fonctions, dans leur état d’intégrité, ne peuvent avoir lieu que là où se manifeste leur dérangement » (II, 183). Donc, de même que la vie organique a ses con- ditions spécifiques dans l’ensemble des viscères, et que l’activité sensorielle a les siennes dans les organes des sens, de même les qualités morales et les facultés intellectuelles ont les leurs dans le cer- veau. Nous avons vu qu'à la vie organique, à l’ac- tivité sensorielle, l'intégrité du cerveau n’était pas indispensable. Gall est fermement convaincu que, de même, l’activité cérébrale est largement indé- pendante de toutes les autres, et peut se manifes- ter, avec ses propriétés spécifiques, sans qu'aucune 1. Ce terme était alors synonyme d'aliénation mentale, comme en témoigne le titre de la première édition du livre de Pinel : Trailé médico-philosophique sur l’Aliénation Mentale, ou la Manie (An IX). 100 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL excitation la mette en rapport avec un milieu exté- rieur (II, 264). Il en est tellement convaincu qu’il en vient à admettre que les aveugles peuvent juger des couleurs. « Nous fûmes frappés surtout d’un libraire d'Augsbourg, aveugle de naissance, qui soutenait que ce n’est pas l'œil, mais l’intellect, qui reconnait, qui juge et qui crée la proportion des couleurs. Cet homme assure même, qu'au moyen d’un sens interne, il a des notions précises des cou- leurs, et il est de fait qu’il en détermine l’harmo- nie avec exactitude. Il a un assez grand nombre de perles de verre de couleur; il en forme diffé- rentes figures, et l’ordonnance des couleurs est toujours harmonique » (IV, 73) ‘. Rien ne peut 4. Gall semble ici se mettre en contradiction avec lui-même. « On cite même, d'après Boyle, dit-il ailleurs (1, 156), l'exemple d'un musicien aveugle qui palpait les couleurs. Beaucoup de personnes avaient raconté la même chose de l’aveugle Weissenbourg de Manheim. Celui-ci avait environ trente petits morceaux de draps dont il déterminait la couleur avec précision. Mais il lui arrivait fréquemment de se tromper au drap des habits des étrangers; ce qui donne lieu de soup- çonner qu'il avait d'autres marques de reconnaissance. Les cartes dont il avait coutume de se servir pour jouer étaient marquées par des piqûres d'épingle; les personnes qui n'étaient pas au fait, croyaient qu'il distinguait par le tact la couleur des cartes. C’est sans doute aussi le moyen qu'em- ployait l’aveugle dont parle Lecat. Au moins plusieurs aveugles-nés qui avaient perfectionné avec beaucoup de soin leurs facultés intellectuelles et leur toucher, nous ont assuré LA PLURALITÉ DES ORGANES CÉRÉBRAUX 401 mieux marquer jusqu'où Gall poussait sa foi en la spécificité du cerveau. La spécificité, du reste, ne s'arrête pas là et pénètre le cerveau même, qui, en fait, n'est pas un organe, mais bien une somme d'organes. De la simplicité de Fâme, on a voulu conclure à la simplicité de son organe; mais l’anatomie démontre qu’il n’y a pas dans le cerveau de centre commun, de point de concentration de toutes les fibres nerveuses. Donc l'organe de l’âme n’est pas un (II, 262). Ce qui, d’ailleurs, n’enlève nullement à l’activité mentale son unité dynamique, car « la pluralité des organes qui sont nécessaires pour un qu'ils regardaient comme une chose impossible qu'on püût palper les couleurs. Il n’y en a qu’un petit nombre qui dis- tinguent le blanc parce que la surface leur paraît plus lisse ». Mais il ne faut pas oublier q'ie c’est toute autre chose pour Gall de percevoir des sensations et de les comparer entre elles, de porter sur elles un jugement. « Je n’entends nulle- ment désigner, dit-il (IV, 69), par l'expression sens des rap- ports des couleurs, la simple faculté de voir ou de percevoir les couleurs... Par l'expression, sens des rapports des cou- leurs, j'entends la faculté de juger l'harmonie et le contraste des couleurs, d'en sentir et d’en juger les lois, et de s’y con- former dans leur emploi ». La contradiction n’est donc peut- être qu'apparente. Mais nous avons peine à comprendre comment Gall concevait qu'on pût comparer des objets de la perception desquels on était privé. 102 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL but commun, n’exclut pas l'unité de leur action. Ainsi une vie a lieu avec plusieurs organes, et une seule volonté avec plusieurs instruments du mouve- ment volontaire » (1, 56). L’anatomie ne fait, d’ailleurs, ici, une fois de plus, que confirmer les données de la physiologie. L'observation prouve, en effet, que, à masse céré- brale égale, les dispositions morales et intellec- tuelles varient notablement d'un individu à l’autre. « Ici vient échouer tout ce que l’on peut avancer sur le cerveau, considéré seulement quant à sa masse. Selon les physiologistes que j'ai cités plus haut, et qui mesurent la masse cérébrale, soit considérée en elle-même, soit comparativement aux autres parties du corps, il faut, à masse égale du cerveau, s'attendre non seulement aux mêmes facultés, mais même, à peu près, au même degré de manifesta- tion de ces facultés. Cependant, l'expérience nous enseigne tout autre chose ; avec une masse égale de cerveau, l’on trouve les différences les plus mar- quées, tant pour le caractère moral, que pour le caractère intellectuel. Il n’est pas 1ei question de nuances qui pourraient s'expliquer par la constitu- tion du corps, par l’éducation, etc. Il est question Re 2 “F ! LA PLURALITÉ DES ORGANES CÉRÉBRAUX 103 des à différences les plus essentielles, et qui sont D nitctement l'ouvrage de la nature, qui triomphe dans ces cas de toutes les influences extérieures. ‘à Comment expliquer cette variété de penchants et de facultés? » [n’en est qu'un moyen : c’est d'admettre que, _ chez l’imbécile comme chez l’homme de génie, D les particularités intellectuelles et morales tien- _ nent au développement plus ou moins considé- DEé: . FRE : a ‘4 rable de parties cérébrales particulières, « que ce _ n'est pas la masse absolue du cerveau, qui déter- mine seule, ni tel caractère moral, ni tel génie ; mais que chaque partie cérébrale, en particulier, en tant qu'elle a acquis un développement plus ou moins favorable, peut modifier le degré de manifestation _ de telle qualité morale, et de telle faculté intellec- . tuelle particulière ». D'où il résulte nécessairement «que les différentes parties cérébrales ont des fonctions différentes à remplir; que la totalité du | cerveau n’est point un organe unique ; que chacune de ses parties intégrantes est un organe particulier, et qu'il existe autant d'organes particuliers qu’il y a de fonctions de l’âme essentiellement distinctes » À Ë (IT, 245-246). 104 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL Il n’y a, certes, pas lieu de s'étonner qu'il en soit de l’activité mentale comme de la vie organique et de l’activité sensorielle. De même qu’il y a plu- sieurs viscères et plusieurs organes des sens, de même il est tout naturel qu'il y ait plusieurs organes de l'âme. Cependant la pluralité des organes céré- braux est de telle importance pour Gall, qu’il juge nécessaire d’en apporter une démonstration systé- matique, et de la fonder sur un ensemble imposant de preuves anatomiques, physiologiques et patholo- giques. I. — Les preuves anatomiques sont au nombre de trois (II, 252-266) : 1° « Les facultés de l’animal sont d’autant plus multipliées, que son cerveau est plus composé ». La vie organique se développe au fur et à mesure que l'organisme se perfectionne ; de même la vie ani- male (Gall veut dire : psychique) progresse comme le système nerveux. L’anatomie comparée démontre qu’à tout viscère nouveau répond une fonction nou- velle, d’autant plus compliquée que l'organe est plus complexe. La même gradation se rencontre dans la structure du cerveau : « Les parties inté- -grantes du cerveau augmentent en nombre et en A À 1 | 1 | 1 LA PLURALITÉ DES ORGANES CÉRÉBRAUX 105 \ développement, à mesure que l’on passe d’un ani- \ mal moins parfait, à un animal plus parfait », et le nombre, ainsi que l'énergie des facultés, s’accroit parallèlement. « Comment, lorsque l’on voit la nature suivre une semblable marche, peut-on dou- ter encore que chaque partie du cerveau a des fonc- tions différentes à remplir. ? » (IL, 253-254). 2 « L’analogie qui existe entre l’organisation du cerveau et celle des autres systèmes nerveux, prouve que le cerveau est composé de plusieurs organes ». Tout système nerveux autre que le cer- … veau comprend un ensemble d'organes, dont cha- cun pour sa part répond à un viscère, à un mou- vement, à un sens particuliers. Cette activité vég'étative, motrice ou sensorielle est sa fonction propre, dans l’accomplissement de laquelle il ne peut être suppléé par aucun autre. La continuité de la nature interdit de penser que le cerveau puisse être taillé sur un autre modèle (II, 258). 2° « Les différences les plus marquées de la struc- ture de l’encéphale, chez les différents animaux, correspondent à des différences marquées dans ses fonctions ». C’est ainsi, par exemple, qu'aux diffé- rences constantes qui distinguent l’homme de 106 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL l’animal, au point de vue des facultés intellectuelles, répond, du point de vue anatomique, l’absence constante chez tout animal des « parties cérébrales situées dans la partie antérieure-supérieure, et supérieure-postérieure du frontal », qui, nous y reviendrons, constituent l'apanage exclusif de l’hu- manité (IL, 265). I. — Les preuves physiologiques sont au nombre de six (II, 266-290) : 1° « Dans tous les êtres organisés, des phéno- mènes différents supposent des appareils différents; donc les différentes fonctions de l’âme et de l'esprit supposent également des organes différents dans le cerveau ». Dans le règne végétal, dans le règne animal, toute fonction distincte est remplie par un organe distinct, qui lui est rigoureusement et exclusivement adapté. L'activité sensorielle com- porte autant d'organes spéciaux, que l’animal et l’homme ont à « recevoir d'espèces essentiellement différentes d’impressions du monde extérieur ». Si la manifestation des qualités morales et des facultés intellectuelles suppose des conditions matérielles, c’est-à-dire le cerveau; si les facultés manifestées _par le cerveau sont très différentes chez l'animal et LA PLURALITÉ DES ORGANES CÉRÉBRAUX 107 à D nt entre elles, « il faut admettre qu’il existe dans le cerveau autant d'organes distincts, qu ‘il existe de forces de l'âme essentiellement dis- n | tinctes ». Sinon, c'en serait fait de la continuité de 4 la nature et de l’uniformité de ses lois (II, 266). _ 2° « Une espèce d'animaux est douée de facultés . et de qualités dont une autre est privée; cela serait inexplicable, si chaque fonction particulière | du cerveau n'était pas propre à une partie céré- brale particulière ». Gall, ici encore, raisonne par analogie. Si une espèce est, par exemple, privée d’odorat, le phénomène nous est très concevable, car nous la supposons, immédiatement, privée d’or- gane olfactif. Mais, si nous admettions un seul organe pour tous les sens, le fait nous deviendrait … inexplicable. Puisque les différentes espèces ani- . males présentent des instincts différents, il nous * faut, de toute nécessité, également admettre l’exis- | tence d'organes cérébraux différents. Car, si le cer- . et de toutes les facultés, nous ne saurions com- SAT E % FA > Re us ve: _ veau était l’organe homogène de tous les instincts PR ee RCE TE VE LR SO 108 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL prendre pourquoi tout animal ne les possède pas tous ni d’où vient la supériorité de homme. Une fois admise, au contraire, la pluralité des organes cérébraux, ces difficultés n’existent plus pour nous (II, 271). 3° « Les qualités et les facultés qui se trouvent chez tous les individus de la même espèce, exis- tent chez ces divers individus à des degrés très différents, ce qui ne peut s’expliquer que par le différent degré d’activité des différents organes de ces qualités ou de ces facultés ». En effet, ces difié- rences ne tiennent pas à l'éducation et ne peuvent s’expliquer « à l’aide d’un seul organe ». Les variations inévitables dans le développement relatif d'organes différents nous en rendent, au contraire, aisément raison (II, 274). 4° « Dans le même individu, les différentes qualités primitives ou fondamentales existent à des degrés très différents, ce qui encore ne pourrait pas avoir lieu, si chaque qualité primitive ne dépendait pas d’un organe particulier ». De nouveau, Gall fait appel à la continuité de la nature. Les anatomistes ont démontré l’indépendance des sens, mais cette indépendance pouvait déjà se conclure de la diffé- LA PLURALITÉ DES ORGANES CÉRÉBRAUX 109 rence d'énergie que présentent les différents sens chez le même animal et chez le même homme. « Si done, le même phénomène a lieu pour les qualités morales et les facultés intellectuelles, n’en con- clura-t-on pas avec raison, que les instruments internes de ces qualités et de ces facultés sont éga- lement différents et indépendants les uns des autres ? » (II, 277). 5° « Les fonctions essentiellement différentes du cerveau ne se manifestent simultanément, ni chez les animaux, ni dans l’homme; les unes se manifes- tent constamment, tandis que d’autres, suivant l’âge du sujet, ou suivant la saison, se manifestent ou cessent de se manifester : phénomènes qui ne sauraient avoir lieu, si toutes les fonctions dépen- daient d’un organe unique et homogène ». C’est le procédé uniforme de la nature. Les parties des plantes se développent successivement. Les in- sectes et les amphibies sont sujets à des métamor- phoses. Chez les animaux plus parfaits, les organes destinés à la nutrition, à la circulation, à l’excré- tion, se développent à des époques différentes sui- vant les espèces. Les systèmes nerveux, non plus, n'apparaissent pas simultanément : les plexus et RC A be LG Et LE A # S TR NAT ( dy PA . RATE ( Ne 2 NE \ y | 110 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL les ganglions de la poitrine et du bas-ventre pré- cèdent la moelle et ses nerfs : à la naissance, les organes sensoriels ne sont pas tous également déve- loppés, et tous n’entrent pas en activité au même moment. Il est donc bien naturel que lactivité mentale ne soit pas, elle aussi, donnée, dès le début, tout entière, et que, dans la progression et la régression de ses manifestations, elle suive nor- malement un ordre défini. L'observation démontre qu’il en est bien ainsi. Mais il n’en peut être ainsi qu’à condition que le cerveau ne constitue pas un organe unique et homogène (II, 281). 6° « Une contention d'esprit soutenue ne fatigue pas également toutes les facultés intellectuelles. La principale fatigue n’est jamais que partielle, de façon que l’on peut se reposer, tout en conti- nuant de s'occuper, pourvu que l’on change d’ob- jet. Cela serait impossible, si, dans une contention d’esprit quelconque, le cerveau tout entier était également actif ». La marche repose de l'immobi- lité; la musique fait plaisir après un bon diner; l'exercice d’un sens, en général, délasse de la fatigue d’un autre. On le comprend aisément, parce qu’on sait qu’il y a plusieurs organes senso- LA PLURALITÉ DES ORGANES CÉRÉBRAUX 111 _riels ; car, si l'instrument des sens était unique, il faudrait que la fatigue et la satiété fussent géné- _ rales. Si donc l'intelligence et l'attention peuvent échapper à la fatigue en modifiant leur occupa- tion, c’est qu'elles ont à leur disposition plus d’un organe, et Bonnet disait déjà : « Si la fatigue cesse lorsque l’âme change d'objet, c’est qu’elle agit par d’autres fibres, (d’autres organes) » (II, 285). IT. — Les preuves pathologiques sont au nombre de deux (IE, 290-303) : 1° «L'origine de certaines maladies mentales, el le mode de leur guérison (Gall veut dire : l'utilité k thérapeutique des distractions et des changements d'occupation), prouvent également la pluralité des organes de l’âme ». Si un muscle, un membre, un œil, une oreille sont trop longtemps maintenus en état de tension soutenue, leur excitabilité s’exalte, des spasmes, des convulsions, des tremblements involontaires se produisent, les sensations colorées et auditives persistent, une fois même leur cause disparue. De même, si nous nous livrons avec une attention trop exclusive à certains sentiments ou à certaines idées, il finit par ne plus nous être possible de les chasser de notre esprit. C’est là, le 412 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL plus souvent, l’origine de la manie partielle, proche parente de la monomanie d’Esquirol, et on se rend aisément compte combien cette conception noso- logique devait convenir à Gall : si le cerveau était un organe homogène, la manie partielle, en effet, serait incompréhensible. L'existence des manies partielles suppose celle d'organes particuliers, à l'exaltation desquels elles répondent (II, 290). 2° « Des qualités morales ou des facultés intel- lectuelles peuvent, par une maladie, par une exci- tation, par une blessure, etc., être troublées, émous- sées, ou exaltées, tandis que d’autres fonctions de l’âme sont dans un état tout différent, ou bien dans l’état de santé : phénomène qu'il est impos- sible de concevoir dans l'hypothèse que le cerveau tout entier n’est que l'organe unique et homogène de la manifestation de toutes les qualités et de toutes les facultés ». Et Gall allègue, entre autres exemples, les amnésies partielles des noms et des substantifs, consécutives aux commotions; les hypermnésies qui résultent de l'ivresse ou de la fièvre ; les aliénations relatives « à un seul objet », d’où leur nom de « manie raisonnante »; les cas nombreux, enfin, où l'imbécillité n’est que partielle et s'accompagne d’une activité, souvent considé- rab ble, de certains instincts et de certaines facultés |. (II, 293). Ainsi se trouve établie, selon Gall, la pluralité 4 des organes cérébraux, dont la démonstration était la dernière des conditions posées par lui à la pos- _ sibilité de toute physiologie du cerveau. Nous ne lle suivrons pas plus avant. Il n'importe pas, en “effet, à notre sujet, de chercher en quels instincts, en quelles facultés Gall a divisé l'esprit humain, pe _nien quelles régions du cerveau il les a localisés. { Il nous suffit de savoir d’où le principe de cette | localisation a emprunté, à ses yeux, sa nécessité ‘ _et son évidence. L | Résumer, comme nous venons de le faire, les É démonstrations que Gall a données du rôle du _ cerveau et de la pluralité de ses organes, c’est éta- ; ' blir, du même coup, que la continuité de la nature et la spécificité des organes sont bien les notions directrices auxquelles il fait constamment appel . pour fonder sa physiologie du cerveau. Point n’est _ donc besoin d'y insister bien longuement. Un ra- ide retour sur l’ensemble du raisonnement suffira BLonpez. — Psycho-physiologie. 8 114 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL pour assurer définitivement notre conviction. Déjà, la continuité de la nature nous avait con- duits à admettre que l’activité mentale, comme toutes les autres, suppose des conditions maté- rielles, et la spécificité des organes nous avait fait préjuger que des phénomènes nouveaux exigeaient des conditions matérielles nouvelles. Or « le cer- veau n’est point nécessaire à la vie; mais, comme la nature n’a rien fait d'inutile, il faut bien que le cerveau ait une autre destination » ‘. D'une part, donc, nous avons des fonctions supérieures qui ne peuvent se passer de conditions matérielles, mais qui ne peuvent les trouver ni dans les viscères, ni dans les systèmes nerveux inférieurs, déjà affectés à d’autres emplois. D’autre part, nous avons un organe, le plus complexe et le plus achevé de tous, qui ne répond ni aux fonc- tions vitales, ni aux fonctions motrices, ni aux fonctions sensorielles, puisque viscères, plexus et ganglions sympathiques, moelle et organes des sens sont là pour les remplir. La continuité de la nature, la spécificité des 4. Lettre à Retzer, loc. cit., p. 122. DEA TI se AR eNE ve LA PLURALITÉ DES ORGANES CÉRÉBRAUX 115 organes s'accordent donc pour faire, du plus par- fait des organes, la condition matérielle de la plus éminente des activités. Elles s'accordent également pour affirmer qu'une activité aussi complexe ne saurait être la fonction d’un organe unique et homo- gène, qu'à cette activité différenciée ne peut con- venir qu'un organe également différencié, et que, par suite, la pluralité des organes cérébraux n’est pas moins une nécessité naturelle que le rôle psy- chique du cerveau, Dans ces conditions, sans système nerveux il n’y aurait pas de vie mentale, et, par conséquent, « sans physiologie du système nerveux, il ne peut exister ni psychologie, ni aucune espèce de philo- sophie » (I, 10). On voit combien Gall est loin de croire que sa physiologie du cerveau ne soit qu’une psychologie déguisée. Et, de fait, comme nous allons voir, la physiologie du cerveau comporte, du moins, une représentation de la vie mentale, dont, par ses propres moyens, la psychologie est bien incapable. CHAPITRE IV LE POSITIVISME DE GALL. LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE DE LA VIE MENTALE. Dans son Cours de Philosophie Positive, mal- gré « le prétendu organe de la théosophie, super- fétation évidemment absurde », mais où il ne veut voir « qu’une simple concession dictée par la pru- dence » ‘, A. Comte décerne solennellement à Gall un brevet de positivisme *. C’est, d’abord, que Gall marque, en effet, pour la métaphysique un vigoureux mépris, et parle des plus grands philosophes sur le ton le plus cavalier. «Il faut, dit-il à propos de la glande pinéale, que Descartes eût des idées bien rétrécies de la struc- A ture du cerveau et des fonctions de l’âme, pour 4. Ed. Schleicher, 1908, LIT, 435. 2. Loc. cil., 403, 404, 419, 422, 426. LE POSITIVISME DE GALL _ croire qu'elle avait son siège dans une partie si in- d ignifiante » (1, 223). Après avoir cité Zénon et son _ fatalisme, Descartes et ses animaux-machines, a _ Malebranche et sa vision en Dieu, Helvétius et sa ‘14 _ Lable rase, Leibniz et ses monades, il s’écrie : ‘ x « Voilà quelques échantillons des efforts des philo- De sophes, dont plusieurs ont fait l'admiration de leur | siècle! » (IV, 254). Le système de Kant lui «paraît d'une généralité telle qu’il ne trouve d’ap- à k plication à aucune science ni à aucun art ». Kant _ et ses disciples se perdent « dans le vague », et (8 construisent « tout le monde extérieur avec de _ prétendus matériaux pris dans leur intérieur, au _ ee È : s _ lieu de faire de l'observation la base de leurs rai- | 10 “ sonnements ». Toute métaphysique est, somme ne toute, impossible : « Il paraît prouvé par lexpé- | rience que tant que l’homme est condamné à _ habiter cette terre, 1l n'y a pas de fruit à tirer pour lui des spéculations de cette sublime D philosophie, et que nous ferons très bien, par _ conséquent, de nous renfermer dans la sphère ‘4 d'activité que nous offre le monde des réalités » N (IV, 121-122). Var L: 24 L Aussi, sans prononcer contre l'observation inté- Ce 118 LA PSYCHO=PHYSIOLOGIE DE GALL rieure le même ostracisme que Comte, témoigne- t-il à son égard de la plus vive défiance, et finit-il par condamner sans appel la psychologie métaphysique : « Je suis loin de nier que l'intuition intérieure ne puisse devenir aussi un objet d'observation ; mais lorsque je vois que cette intuition conduit, dans chaque individu, à des conclusions différentes, et ne se prête, par conséquent, à aucune observa- tion certaine; lorsque je vois qu’au milieu du monde corporel, qu’au milieu d'institutions fondées sur la matière et les corps, les métaphysiciens, comme Berkeley l’a déjà fait, il y a plus d’un siècle, vont jusqu’à révoquer en doute l'existence de la matière par les sophismesles plus puérils, soit dans l'intention d’éloigner d'eux le reproche du matéria- lisme, soit que, par une semblable extravagance, ils prétendent s’élever au-dessus de l’humble obser- vateur de la nature ; lorsque je vois dans tous les siècles les efforts aussi solides que profonds des idéologistes tour à tour se détruire et se renouve ler ; lorsque je vois que les métaphysiciens de pro- fession affectent une aversion pour les recherches sur l’homme tel qu'il existe : je doute que jamais un tel emploi de lesprit métaphysique puisse pré- Me : Cr ee LE POSITIVISME DE GALL 119 tendre à un autre mérite qu’à celui de la simple spé- culation » (IV, 122-123)‘. C'est, d'autre part, que Gall décline toute pré- tention à « expliquer les premières causes des phé- nomènes non seulement de la vie animale (Gall veut dire : psychique), mais même de la vie orga- nique * ». Il proclame prudent « de n’entreprendre jamais l’explication d’une force quelconque dans la nature » (Il, 281). Toutes les définitions qui ont été données de la vie, même par Kant et Bichat, ne nous présentent jamais « que des conditions isolées de la vie, ou quelques-uns de ses premiers et de ses plus importants effets ; et presque toujours des 4. Cf. A. Comte, Cours de Philosophie Positive, Ed. Schlei- cher, 4907, I, 20 : « Cette prétendue méthode psychologique est donc radicalement nulle dans son principe. Les résul- tats d’une aussi étrange manière de procéder sont parfaite- ment conformes au principe. Depuis deux mille ans que les métaphysiciens cultivent ainsi la psychologie, ils n'ont pu encore convenir d’une seule proposition intelligible et solide- ment arrêtée. Ils sont, même aujourd’hui, partagés en une multitude d'écoles qui disputent sans cesse sur les premiers éléments de leurs doctrines. L’Observalion intérieure engendre presque autant d'opinions divergentes qu'il y a d'individus croyant s'y livrer. Les véritables savants, les hommes voués aux études positives, en sont encore à demander vainement à ces psychologues de citer une seule découverte réelle, grande ou petite, qui soit due à cette méthode si vantée ». 2. Recherches sur le Système Nerveux, etc., Introduction, p. &. AO NAN MES COL LEA Strat) À AR EL A 4 120 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL choses que l’on devrait considérer comme des pro- priétés essentielles et inhérentes aux corps, sont personnifiées et transformées en substances réelles» (E, 4). Jamais les physiologistes « n’expliqueront la vie; jamais ils ne remonteront aux forces pre- mières. Il est de fait que les hommes doués de la À | plus grande sagacité ont échoué toutes les fois À qu'ils ont voulu s'élever au-dessus des phénomènes et des conditions de ces phénomènes » (IE, 149). Dans l'ignorance où nous sommes « en général des | forces primitives de l'organisme vivant » ([, pré- face, p. xxvu), il convient de s’en tenir, en tout, au pur examen et à la simple exposition des faits, « indépendamment de toute explication » (I, 4). Les fonctions de la vie animale (Gall veut dire : psychique) ne nous sont pas plus intelligibles que celles de la vie en général. Nous ne savons pas comment l'œil voit, ni comment l’unité du moi est conciliable avec la multiplicité des impressions sensorielles, des mouvements volontaires, des ins- tincts, des facultés (IL, 270) : « ILest prouvé à la vérité que le mot subsiste malgré la grande diver- sité des instruments des sensations et des facul- : | | | tés. Je dis qu'il est prouvé qu'il existe, mais je nonce pour PARA à expliquer comment » (IL, ;! 14). Par conséquent, « il est certain qu'il n’y a que es phénomènes et les conditions matérielles de leur xistence qui soient du domaine de nos recherches, tant dans la vie animale A veut dire : psychique) que dans la vie organique » ‘, Ainsi Gall entend ND se borner « aux nn », ne faire « aucune Dlement à la connaissance des ae maté- _rielles des manifestations psychiques (IE, 267). IL 1 s'applique à déterminer le « rapport nécessaire et di. immédiat » de « la structure des parties du cer- | | veau » « avec leurs fonctions », mais non à « expli- » quer aucune faculté par la structure anatomique, À É ni de toute autre manière » (I, préface, pp. xvr- 4 ! k vit). | me j Aussi se refuse-t-il avec insistance à confondre | «organe » et « siège de l’dme » (IL, 147), « con- ff «7 } 4. Idem, p. 9. a 122 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL ditions » et « causes efficientes », et à faire des facultés « un produit de l’organisation » (II, 4) : « Nous appelons organe la condition matérielle qui rend possible la manifestation d’une faculté. Les muscles et les os sont les conditions matérielles du mouvement, mais ne sont pas la faculté qui cause le mouvement ; l’ensemble de l'organisation de l’œil est la condition matérielle de la vue, mais ce n’est pas la faculté de voir. Nous appelons organe de l’äme une condition matérielle qui rend possible la manifestation d’une propriété de l’âme. Nous disons que l’âme, dans cette vie, pense et veut par le moyen du cerveau ; mais si l’on en conclut que l’âme est le cerveau, ou que le cerveau est l'âme, c'est comme si l’on disait que les muscles sont la faculté de se mouvoir ; que l’organe de la vue et la faculté de voir sont la même chose. Dans les deux cas on confond la faculté avec les organes, et les organes avec la faculté » (II, 56). Une semblable manière de voir, une semblable position du problème psychologique, une semblable conception de la méthode nécessaire pour le trai- ter, sont bien, à première vue, de nature à être taxées de positivistes. Mais Gall, en insistant sur LE POSITIVISME DE GALL 123 le point de vue tout phénoméniste qui est le sien, semble préoccupé, pour le moins, autant de se défendre contre l'accusation de matérialisme, en établissant qu’il ne tranche aucunement la ques- tion de l'existence de l'âme, que d'éliminer de sa recherche un problème insoluble, parce que sans objet. Il ne considère pas que la matière est la seule substance, puisqu'il ne confond ni l’organe avec la faculté, ni l'âme avec le cerveau : « Si l’on vou- lait. nous appeler matérialistes, parce que nous disons que toutes les dispositions sont innées, et que leur exercice dépend d'organes matériels, il faudrait prouver, qu’en parlant ainsi, nous ne reconnaissons d'autre substance que celle de la matière, et que nous rejetons toute autre faculté » (Il, 56). Et il en vient à affirmer très nettement l'existence de l’âme : « Il n'existe, suivant nous, qu’une seule et même âme, qu'un seul et même esprit, qui voit, sent, goûte, entend et touche, qui pense et qui veut. Mais, pour que cette âme acquière la conscience de la lumière et du son, pour qu’elle puisse sentir, goûter et toucher; pour qu’elle puisse manifester ses différentes sortes de pensées et de { tériels, sans D nUibe l'exercice de toutes ces fo tés lui serait impossible » (IF, 60). Par conséquent, si nous comprenons bien, l'âm existe, selon Gall, mais elle ne nous est ni direc- ‘ - - . . L 1} | tement ni indirectement connaissable, et c’est u en agnosticismet, bien plutôt qu’un positivisme, qu’ faudrait, à cet égard, reconnaître dans cette doc trine. À moins que, comme tendrait à le faire croire la préoccupation que montre Gall de repousser le accusalions de matérialisme et de fatalisme, ce n soient ici les manifestations multipliées d’une pru dence excessive, devant les hostilités du siècle e si elles s’étaient étalées sans voile, eüt risqué de lui 5 faire courir. sé Dans cette hypothèse, Gall aurait parlé de l’exis- tence de l'âme, comme Comte veut qu'il ait fait pour l'existence de Dieu, sans trop y ajouter foi, et uniquement pour désarmer de puissants adver- saires. Mais Gall, dont Garnier nous dit qu'il était 4. « Comment saisir les conditions matérielles du princip immatériel, qui se manifeste par son action, et semble s dérober à nos recherches...? » (Discours d'ouverture, etc. EN p-. 9). LE POSITIVISME DE GALL 408 plein de candeur et deloyauté » ?, fait une grande _ place à Dieu dans son ouvrage et, arrivé au terme “0 < 1 4 . « . 1 _ de son œuvre, a ce cri de foi et d’admiration : _ « Qu'on récapitule les aptitudes industrielles, les k instincts, les penchants, les sentiments et les facul- » tés qui, depuis l’insecte jusqu’à l’homme, carac- L térisent et diversifient l'immense multitude des | êtres sensibles, et l'on se prosternera, pénétré _ d’adoration, devant le Créateur qui a su transfor- à) . « . . . _ mer si peu d’étoffe en instruments de puissances si _ nombreuses et si sublimes. Faudra-t-il alors jeter 0 . | | 1 la pierre au physiologiste qui, dans son étonnement, _ s’écrie : Dieu et cerveau, rien que Dieu et cerveau! » (IV, 260). Il est peu vraisemblable qu'un homme, _ réputé loyal et candide, ait poussé jusque-là la prudence. Il est plus simple d'admettre que, à sa _ manière, Gall a cru très sincèrement à l’existence de l’âme et à l'existence de Dieu, et que le physio- logiste, capable de pousser des exclamations d’un _ accent si religieux, avait encore trop de métaphy- _ sique et de théologie en tête pour être un parfait et A A Até complet posiliviste. Ws 74 _ 1. La Psychologie el la Phrénologie comparées, p. 16. #5 à 126 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL Et pourtant Cointe, du point de vue d’où il juge Gall, ne s’est nullement trompé. Si on élimine de son système tous les enrichissements que, à tort ou à raison, il a jugé bon d’y apporter, si on s’en tient à la physiologie du cerveau, on ne peut man- quer de constater que Gall renonce absolument à rien expliquer par un appel à une intervention divine, comme le théologien, ou même à une no- tion abstraite, comme le métaphysicien. Au con- traire, il se déclare satisfait dans sa recherche, et considère les phénomènes comme suffisamment expliqués, sans s’enquérir autrement ni davantage, quand il a établi entre eux « des relations cons- tantes ». Par conséquent, à ce point de vue, il admet bien dans sa pratique, « comme règle fon- damentale, que toute proposition qui n’est pas strictement réductible à la simple énonciation d’un fait, ou particulier ou général, ne peut offrir aucun sens réel et intelligible »". De savoir s’il a appliqué cette règle à bon escient, ou si, au contraire, comme Comte l’a soutenu dans sa Politique Posi- tive, il ne s’est pas mépris sur l’objet même de sa 1. Discours sur l'Esprit Positif, Edit. Schleicher, 1909, p. 18. LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE 127 recherche, c'est une tout autre question. En tout cas, nous croyons que, si, après le Comte du Cours de Philosophie Positive, on peut parler du positi- visme de Gall, c’est dans la physiologie du cer- veau qu'il se trouve tout entier. Il A quoi tend, en effet, la physiologie du cerveau, sinon à donner la vie mentale et ses états comme expliqués, autant qu'ils peuvent l'être, quand sont suffisamment définies leurs immédiates conditions d'existence, c'est-à-dire la série des phénomènes anatomo-physiologiques en labsence desquels il n'est jamais constaté de phénomènes psychiques ? Nous ignorerons toujours ce que sont en soi la con- science et les états de conscience, A considérer iso- lément ces états, nous ne gagnerions que de mieux savoir, peut-être, comment ils nous apparaissent, mais nous n'apprendrions rien de leurs conditions d'existence. Car, comme toutes choses, ils ne por- tent pas leur cause en eux-mêmes, et ne nous .evèlent par eux-mêmes rien de sa nature, liés Eu 128 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL qu'ils sont, comme toutes choses, à leurs antécé- dents par des relations de fait, que nous pouvons bien constater, mais qu’il nous faut renoncer à comprendre. Lors donc que, entre les phénomènes psychiques et les états cérébraux, nous avons relevé un nombre imposant de telles relations de fait, nous sommes en droit d’inférer, de la présence d’un état de conscience, à l'existence de ses antécédents matériels, et de nous faire, de la vie mentale tout entière, une réprésentation anatomo-physiologique, qui, en systématisant l’ensemble de ses conditions organiques, nous en apprend tout ce que nous en pouvons positivement savoir, si nous voulons nous en tenir aux faits et ne pas nous aventurer en d’invérifiables hypothèses. A l'égard des phénomènes psychiques, le devoir du savant est donc, selon Gall, de penser anato- miquement et physiologiquement sans rien tenter au delà. Cette représentation anatomo-physiolo- gique de la vie mentale est, en vérité, la consé- quence, aussi Capitale que nécessaire, de la phy- | 3 | siologie générale du cerveau, telle que Gall l’a de hs conçue. Elle est indépendante de l’organologie pré 29 PPT ELISA + w LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE 129 prement dite, qui, au contraire, est difficilement concevable sans elle. Il nous appartient donc d’en déterminer ici les traits essentiels, Toute qualité morale, toute faculté intellectuelle, c’est-à-dire tout groupe défini de phénomènes men- taux, supposent, nous l’avons vu, anatomiquement, un organe cérébral dont elles constituent, physiolo- giquement, la fonction. Mais, en réalité, le contenu de la conscience est toujours extrêmement com- plexe. Ses états supposent, le plus généralement, l'intervention d'activités psychiques multiples, agis- sant et réagissant les unes sur les autres, et com- portent, naturellement, l'entrée en jeu d’un nombre correspondant d'organes, aptes précisément à ces actions et réactions réciproques. Par conséquent, pour rendre compte de lacti- vité d’un organe cérébral, il ne suffit pas de la seule considération de son volume, dont Gall a, dans ce qui précède, presque exclusivement sou- ligné l'importance, mais qui n’est, cependant, pas tout en l'espèce. Il faut aussi, nous le savons, faire état de son irritabilité, de son activité dynamique. Il est impossible de déterminer rigoureusement le BLonvez. — Psycho-physiologie. 9 Fe Ar Et dE A dd LOS A VAE ’ LA = ’ ù : Ê RES" | LAS TURS LA L d 130 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL degré de développement cérébral nécessaire pour l'exercice des facultés, car il ne dépend pas seu- lement de la grandeur, mais encore « de lirrita- bilité des organes » (II, 12). Et il n’est pas seulement ici question d’énergie absolue, mais d'énergie relative : on a tort de croire, par exemple, que de l’onanisme et de la faiblesse intellectuelle, ce soit toujours le premier qui entraîne la seconde : « L’observateur philo- sophe reconnaît ici que la faiblesse de l’entende- ment est la cause de l’abandon à une sensualité brutale, tandis que, dans son erreur, le vulgaire regarde la faiblesse de l’entendement, comme une suite de l'abandon à la sensualité » (III, 96). Un organe peut donc lenir son activité et son énergie, moins de lui-même, que de la médiocrité ou de la nullité des organes antagonistes. Mais, surtout, un organe peut entrer en activité du fait de l’action exercée sur lui par un ou plu- sieurs autres organes; sinon, la complexité des états psychiques nous serait inintelligible. Or, sem- blable action des organes les uns sur les autres ne peut se concevoir, à son tour, s’ils ne sont pas _reliés par des moyens matériels. Il est done physio- Cd LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE 131 ‘à à logiquement nécessaire qu'il existe entre eux des | connexions, dont l'anatomie démontre, d’ailleurs, __ l'existence : « De même que les diverses parties de | ne . chaque système sont unies entre elles, et avec elles les parties voisines, de même les diverses parties de chaque hémisphère sont unies entre elles, et avec les systèmes voisins » (I, 207). Donc la représen- tation anatomo-physiologique réalise entre tous les organes tout un réseau de fibres de communication, de faisceaux d’association, comme nous dirions aujourd’hui. Avant toute localisation effective, cette dernière considération offre l'immense avantage, sinon de nous informer du siège réel des organes, du moins de nous permettre d’en imaginer la situation rela- tive dans l’espace. A n’envisager, en effet, que le seul volume des organes, ils ne nous apparaissent, matériellement, que comme des masses d’inégale _ importance, isolées et éparses, incapables, en con- ‘4 séquence, même par hypothèse, d'aucune distribu- tion précise. Projetons, au contraire, dans l’éten- _ due les influences réciproques qu’ils exercent les uns sur les autres, traçons entre les points, qui à symbolisent les organes, des lignes, qui en figurent 132 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL les connexions. A défaut d’une topographie exacte, du moins possédons-nous alors un schéma des conditions, auxquelles nous imaginons qu’une telle topographie devra satisfaire ; d'autant que l’expé- rience que nous avons des autres activités malé- rielles nous conduit invinciblement à ne pas attri- buer à ces points et à ces lignes une position et une longueur quelconques, mais, bien au contraire, leur impose une certaine orientation et une certaine échelle. Plus un organe est important, plus il a à agir fré- quemment et énergiquement sur les autres organes. Mais, pour qu'il soit en état d’agir aisément, avec cette fréquence et cette énergie, sur l’ensemble des organes, il paraît évident qu'il doit être situé de façon à pouvoir exercer son action, avec la même rapidité efficace, dans tous les sens à la fois, et, par conséquent, « plus les qualités et les facultés sont indispensables, plus leurs org'anes sont placés vers la base du cerveau, ou vers la ligne médiane ». D'autre part, plus il est habituel à des facultés et à des qualités de se prêter un mutuel concours, plus il semble évident que, pour per- mettre celle aclion commune, les organes doivent LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE 133 être placés à peu de distance les uns des autres, rapprochés, par suite, et groupés. Le même grou- pement et le même rapprochement s'imposent, si des organes se trouvent exercer des fonctions ana- logues. La connexité physiologique, qu’elle tienne à la concomitance ou à la ressemblance des mani- festations, se matérialise donc tout naturellement en connexité anatomique (III, 571). Ce sont là des considérations que Gall juge d’une crande valeur, puisqu'il n'hésite pas à en faire fréquemment usage, dans son organologie propre- ment dite, pour ordonner sa démonstration ou jus- tifier telle ou telle localisation particulière. Par exemple, l’importance des organes occupant la ligne médiane détermine l’ordre de son exposition (IV, 9 et 115); la connexité physiologique des penchants et des facultés implique ou confirme la connexité de leurs organes : pour l’amour de la progéniture par rapport à l'instinct de la propaga- tion (IT, 101), pour l’amitié par rapport à l’amour physique et à l’amour de la progéniture (III, 120), pour l’amour des combats par rapport au penchant au meurtre (II, 142), pour le sens des rapports des tons par rapport au sens des rapports des nom- 13% LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL bres (IV, 86) ; la corrélation des fonctions explique le rapprochement anatomique des organes des rapports des lieux, des couleurs, des tons et des nombres (IE, 57); etc. Par conséquent, la seule physiologie du cerveau, en établissant entre les organes une hiérarchie, et en opérant entre eux des groupements, suffit déjà : à nous fournir de la vie consciente une représenta- tion organique préalable, dont l'importance saute aux veux, Car il est bien évident, selon Gall, que si l’anatomie est, à la rigueur, capable d’en dé- montrer la vanité, elle ne saurait, cependant, par ses propres moyens, lui en opposer une autre; elle ne peut, à cet égard, qu'attendre les instructions de la physiologie et contrôler ses hypothèses. Seules, les conceptions que nous nous faisons de l’activité cérébrale peuvent donner un sens et une orienta- tion aux recherches anatomiques, qui se réduisent, sans cela, à la nomenclature et à la description mécanique des parties. Donc, Comte a pu faire bon marché de la physiologie du cerveau de Gall, et ne lui plus attribuer qu’un intérêt historique : quand il proclame l'anatomie incapable de dénom- brer les organes et de déterminer leur véritable RER ET EG à PES T, = et RS de TS à \ ê ( {l cé \ k LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE 135 place, quand, pour constituer sa topographie céré- brale, il fait appel aux relations réciproques des fonetions!, il demeure, pour une grosse part, le disciple fidèle du maître qu’il a renié. Car ce point de vue joue dans l’anatomo-physiologie cérébrale de Gall un rôle qu’on ne saurait assez souligner. Il est, d’ailleurs, au moins un point sur lequel l'anatomie comparée vient apporter à cette cons- truction physiologique un impressionnant concours. Si nombre de facultés sont propres à l’homme, nombre de penchants et de facultés lui sont com- muns avec l'animal. « L'homme ne se montre jamais comme purement homme, ni comme pure- ment animal », et c’est des multiples combinaisons, qui se réalisent entre les facultés humaines et les facultés animales, que résulte la diversité des ca- ractères humains (II, 93). La physiologie du cer- veau nous conduit tout naturellement à établir une distinction fondamentale entre les organes des facultés proprement humaines, d’une part, et, d’autre part, ceux des facultés communes à l’homme 4, Système de Politique Positive, I, p. 677-8. 17r LA d + NRA de "1 }. * FL F ARE à : AY Es 136 : LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL et à l’animal, et à admettre qu'ils occupent dans le cerveau des positions essentiellement a puisque leurs fonctions diffèrent essentiellement. Or, l'anatomie comparée nous enseigne que le cer- veau de l’homme comporte, de même, deux par- üies : l’une qui lui est commune avec les animaux, l’autre qui lui est exclusivement propre. Il parait donc bien évident, que les organes des facullés communes doivent trouver place dans les parties cérébrales communes à l’homme et à l’animal, et ceux des facultés propres à l’homme, dans les par- ties cérébrales qui lui sont particulières. Combinons cette nouvelle donnée avec les con- sidérations physiologiques précédentes : alors notre carte du cerveau commence à se dessiner et à se préciser, antérieurement à toute localisation ana- tomiquement définie. « Les qualités morales et les facultés intellectuelles, selon qu’elles sont com- munes à l’homme et à quelques espèces d'animaux, ou exclusivement particulières à l’homme, selon que ce sont des sentiments ou des facultés, selon qu'ils appartiennent à une classe supérieure ou inférieure, se rapportent à des parties cérébrales d’un certain ordre principal, de façon que, par exemple, l’on peut LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE 137 sans crainte de setromper, chercherles qualités etles facultés communes aux animaux et à l'homme, dans les parties postérieures-inférieures et moyennes- latérales du cerveau, et celles exclusivement parti- culières A’homme, dans les parties cérébrales anté- rieures-supérieures » (II, 278). C'est là une idée qui a fait, depuis, son chemin dans le monde. Vraie ou fausse, l’éminente dignité psychologique du lobe frontal, que Gratiolet célé- brait dans les termes que nous avons vus, qui joue encore un rôle capital dans certaines théories con- temporaines, et à laquelle, pour l'interprétation des É - faits, on en appelle toujours volontiers, tient dans le système de Gall une telle place qu'on ne peut lui refuser le mérite de lavoir, sinon peut-être découverte, du moins pleinement mise en valeur. \ Elle constitue, en eflet, un article essentiel de À sa doctrine, car, seule, elle permet de distinguer | positivement l’homme de l'animal. Qui dit lobe À frontal, dit raison, volonté, moralité. L'homme, « dans les régions antérieures-supérieures, el supé- - rieures-antérieures ! du front, est doué de parties 1. Ce texte est également celui de l'édition in-quarto (If, 366). 138 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL encéphaliques, dont les autres animaux sont privés ; etmoyennant lesquelles » il « jouit des qualitéset des facultés les plus éminentes, de la raison et du sen- üiment de la moralité » (II, 254). Les qualités com- munes à l’homme et à l'animal ont certainement leur siège dans les parties latérales et postérieures de la tête. Plus l’encéphale des animaux est déve- loppé dans ses parties antérieures-inférieures, plus leurs facultés intellectuelles sont étendues; « mais il n'y a pas d'animal qui soit doué de parties céré- brales situées dans la partie antérieure-supérieure et supérieure-postérieure du frontal; auss: n’en existe-t-il point qui soit doué des facultés attachées à ces parties, qui jouisse de la raison, et qui soit susceptible de moralité et d'idées religieuses » (IL, 265). « C’est donc /a raison, le résultat d’un heu- reux développement de toutes les parties cérébrales antérieures-supérieures, qui constitue l'essence de l’homme, la véritable barrière qui sépare l’homme de la brute » (IV, 126). La majesté du front est l'indice de l’humanité (IV, 259), et sa grandeur l'indice du génie, comme en témoignent même les œuvres d'art et, en particulier, la tête du Jupiter Capitolin (IT, 14). D Ju — —, NN CRT RER LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE 139 A ces considérations physiologiques, à ce groupe- ment méthodique des organes d’après leurs fonc- tions, à cette hégémonie psychique des lobes anté- rieurs, Gall attribue une telle importance, que, si elles viennent à les contredire, il n'hésite pas à tenir les constatations proprement eraniologiques et organologiques comme nulles et non avenues. De ce singulier procédé de détermination des or- ganes, il n’est pas d'exemple plus significatif et plus troublant que celui, précisément, du siège de la mémoire des mots, de la seule localisation de Gall qui ne soit pas tombée dans un absolu discrédit, puisque l’histoire des localisations du langage se trouve commencer avec elle. Après avoir rappelé que la découverte de la mé- moire des mots et de son siège fut le point de départ de son système, Gall ajoute : « L'on trouvera fort singulier sans doute que ce soit précisément au sujet de cette faculté et de son organe que mes travaux laissent le plus à désirer ». En effet, la faci- lité à apprendre par cœur se rencontre chez les per- sonnes qui ont « de grands yeux à fleur de tête ». Or ce sont « les circonvolutions antérieures du lobe moyen » qui « touchent les parties posté- 140 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL rieures-externes de l'orbite », et il est naturel d’ad- meltre, que « lorsque ces circonvolutions sont très développées, cette partie du sphénoïde, qui forme le tiers-postérieur de la paroi externe de l'orbite, est chassée en avant; ce qui diminue la profondeur de l'orbite, et rend le bulbe oculaire saillant ». Donc, à s’en tenir aux seules données craniolo- giques et anatomiques, les circonvolutions anté- rieures du lobe moyen seraient le siège de la mé- moire des mots. Mais Gall ne peut accepter qu'il en soit ainsi : « Il n’est cependant nullement vrai- semblable que le lobe moyen soit affecté aux facul- tés. Les frugivores n’en ont que les circonvolu- tions internes, et ils apprennent les mots et les noms tout aussi bien que les carnassiers. D’ailleurs la mémoire a trop peu d’analogie avec l’instinet carnassier, pour que l’on puisse admettre que les circonvolutions du lobe moyen placées au-dessus de l'oreille, constituent organe de l'instinct carnassier, et les circonvolutions antérieures du même lobe, l'organe de la mémoire des mots ». Par conséquent, « s'il arrive en effet que le bulbe soit chassé en avant de l’orbite par un développement considé- rable et par un grand prolongement de ce lobe, la LA REPRÉSENTATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE 141 forme des yeux qui en résulte ne serait plus la marque d’une excellente mémoire », ce que, d’ail- leurs, tendraient à confirmer certaines observa- tions. Conclusion : « Je regarde comme l'organe de la mémoire des mots, cette partie cérébrale qui repose sur la moitié postérieure de la voûte de l'orbite » (IV, 48-50), c'est-à-dire la partie postéro- inférieure du lobe antérieur. Tel est l’ordre de con- sidérations qui décida Gall à procéder à cette loca- lisation fameuse‘. Si impuissante que soit la méthode craniologique et organologique à déterminer valablement le siège des organes, elle n’en était pas moins la seule méthode anatomique dont Gall disposât, ou qu'il consentit à utiliser, dans une recherche où, en fin 1. Par une coïncidence assez curieuse, c'est également « par exclusion » (Polilique Positive, 1, 723) que Comte déter- mine le siège de l « organe spécial pour le langage », « sur la nécessité » duquel « l'opinion de Gall » lui paraît devoir être adoptée « irrévocablement ». (id. I, 716). — Gall établit entre le sens des mots, sens des noms, mémoire des mots, mémoire verbale, et le sens du langage de parole, talent de la philologie, etc., une distinction, assez difficile à préciser, mais qui est, en tout cas, postérieure à sa découverte initiale : « Nous n'avons pas donné dans les gravures de chiffre par- ticulier, à la partie dont il est ici question, parce que nous avions considéré le sens des mots, comme n'étant qu'un fragment du sens du langage de parole » (IV, 50). 142 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL de compte, l'anatomie ne peut pas ne pas avoir à dire son mot. Si donc il localise la mémoire des mots aux lobes antérieurs, non seulement sans preuves anatomiques, mais même contrairement aux indications que la eraniologie lui fournit, nous ne saurions avoir une meilleure preuve de l'espèce d’illusion dans laquelle l’entretenait cette représen- tation anatomo-physiologique de la vie mentale, indépendante de toute localisation précise, domi- née par quelques principes d’une évidence spé- cieuse, que nous avons essayé de définir. Mani- festement, elle avait si bien perdu à ses yeux tout caractère schématique et conjectural, qu’elle en « venait à se substituer à la réalité même, au lieu de se conformer à ses données, et à créer d’elle- même, le cas échéant, par ses seuls moyens et pour les besoins de sa cause, une anatomie du | cerveau. TT La portée de la physiologie du cerveau ne s’ar- rôte pas à régenter son anatomie. La représenta- LA THÉORIE DES FACULTÉS 143 tion anatomo-physiologique de la vie mentale comporte également des conséquences importantes et dans le domaine de la psychologie et à l'égard de la théorie de la connaissance. La méthode que suit Gall, les découvertes qu’il croit lui devoir, lui paraissent, en effet, nécessai- rement entrainer « une philosophie toute nouvelle » (III, préface, p. vi; IV, 232). S'il n’est pas d'états de conscience possibles sans organes cérébraux adaptés à des fonctions définies, qu'il s'agisse de percevoir les objets relevant de chacune de ces fonctions, de s’en souvenir, de porter sur eux un jugement, ou d'éprouver pour eux un sentiment ou une inclination quelconques, c’est toujours le même organe qui doit intervenir. fl Sans doute, à ne considérer que certains carac- tères communs, il est permis de grouper l’ensem- ble des phénomènes psvchiques en perceptions, souvenirs, jugements, désirs, passions, etc. Mais la psycho-physiologie nous prouve que ces carac- tères communs ne constituent pas ce que ces phé- nomènes ont d’essentiel et de spécifique, puisque chaque phénomène, suivant l’occurrence, peut être objet de perception, de souvenir ou de jug'e- 144 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL ment, etc., et qu'aucun n’existerait seulement sans ses conditions matérielles particulières. Elle nous interdit, par conséquent, d'admettre que toutes les perceptions relèvent d’un même organe, et, de même, tous les souvenirs, tous les jugements, tous les désirs, toutes les passions, etc. Si donc on entend par penchant, ou par faculté, le mode d’activité d’un organe, alors perception, mémoire, jugement, désir, inclination, passion, ne sont ni des penchants, ni des facultés. Par consé- quent, le type de classification que les psychologues : proposent communément « n'embrasse que des généralités » ; «que les philosophes qui s’enfoncent dans la voie du raisonnement, admettent une, deux, trois, quatre, cinq, six ou sept facultés de l'âme, l'erreur est essentiellement la même, tant que ces facultés ne sont que des abstractions, des attributs généraux » ([V, 3). De même que le fait de sentir est commun à tous les nerfs, et ne suffit pas à définir leur action, mais qu'il faut pré- ciser s’il s’agit, par exemple, d’une sensation de la vue ou de l’ouïe, de même le fait de penser est commun aux facultés intellectuelles et ne suffit pas à les définir. Seul les définit leur caractère spéci- RG di, * s # 3 FE LA THÉORIE DES FACULTÉS 145 fique, qui a sa condition dans l'organe particulier dont elles dépendent (II, 270). Les facultés, telles qu'on les conçoit en général, ne sont que des idées abstraites, de celles dont Locke a eu grand raison de dire que la stérilité égalait la généralité (II, 270, note). Un organe étant donné, la faculté qui en dépend est nécessai- rement donnée avec lui et, du même coup, la per- ception et le souvenir des objets sur lesquels son activité s'exerce. « La faculté aperceptive, la faculté du souvenir et la mémoire ne sont » donc « que des attributs communs aux facultés fondamentales, mais pas du tout les facultés fondamentales elles- mêmes ; et par conséquent elles ne peuvent pas avoir leurs organes propres » (IV, 229). Déjà, du reste, on a eu occasion de distinguer la mémoire des mots de celle des lieux et de celle des choses, sans que cependant les philosophes aient compris la portée de cette distinction (IV, 10), et, au sujet d’un malade qui « avait perdu la mémoire des substantifs et des noms propres », M. Cuvier « propose la question suivante : la mé- moire, force incompréhensible, serait-elle logée dans autant de cases distinctes qu'il existe d’es- BLoNpez. — Psycho-physiologie. 10 146 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL pèces de mémoire ? » (II, 251). De même pour le Jugement, l'imagination, l'attention : ils ne s’éten- dent pas indifféremment à tous les objets; ils varient avec les individus, suivant la faculté et l'organe intéressé ; ils apparaissent et disparaissent avec cette faculté et cet organe. Par conséquent, « toutes les fois... qu’il existe une faculté fondamentale, une force intellectuelle particulière et déterminée, il existe nécessairement aussi une faculté aperceptive pour les objets rela- üifs à cette faculté. Toutes les fois que cette faculté réagit activement sur les objets de son domaine, il y a attention. Toutes les fois que les idées ou les traces, que les impressions de ces objets ont lais- sées dans le cerveau, se renouvellent dans l’ab- sence de ces mêmes objets et par la seule action des organes intérieurs, il y a souvenir, réminis- cence, mémoire passive. Si ce même renouvelle- ment des impressions reçues se fait par un acte réfléchi, volontaire des organes, il y a mémoire, mémoire active. Toutes les fois qu’un organe ou une faculté fondamentale compare et juge les rap- ports d'idées analogues et disparates, il y a com- paraison, il y a jugement. Une suite de compa- » TR Pr STE nf Le "à RES EE LES Ë LA THÉORIE DES FACULTÉS 147 raisons et de jugements constitue le raisonnement. Toutes les fois qu’un organe, ou une force fonda- mentale, crée par sa propre énergie inhérente, sans concours du monde extérieur, les objets rela- tifs à sa fonction; que l'organe découvre, par sa propre activité, les lois des objets mis en rapport avec lui dans le monde extérieur, il y a imagina- tion, invention, génie » (IV, 232). Il n’y a pas, non plus, un instinct, mais des ins- tincts, un penchant, mais des penchants : « Il faut admettre autant de dispositions, d’inclinations, de penchants, de désirs, de besoins, de passions, qu'il y a de qualités fondamentales ou primitives », constatation qui détruit entièrement « toutes les rèveries des philosophes et des physiologistes sur les instincts, les penchants et les passions » (II, 258). Qu'un organe soit la condition matérielle d’une faculté intellectuelle ou d’une faculté appé- titive, suivant son degré de développement et l'énergie de ses manifestations, il y a désir, pen- chant, ou passion. Donc désirs, penchants, pas- 4. Ce passage suffirait, si besoin était, à démontrer à quel point pour Gall organe et faculté sont synonymes, et à nous justifier d’avoir, dans le présent développement, fait état de citations où il n’est explicitement question que des facultés. 148 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL *4 sions, ne sont nullement des facultés fondamen- tales, mais le « résultat du difiérent degré d’activité des organes ». « J'ai montré que, même relative- ment aux facultés fondamentales, telles que le sens des tons, celui des nombres, etc., qui se rattachent à aux facultés intellectuelles, il y a désir, penchant, | passion, selon que le degré de leur activité est plus ou moins grand. L'on peut admettre que, vice versa, la faculté aperceptive, le souvenir, la mé- moire, l’imagination sont également les attributs des forces fondamentales qui ne constituent que des sentiments... Ce qui dans les facultés intellec- tuelles a lieu pour les idées, a lieu ici pour les sen- sations et pour les sentiments » (IV, 233-235). Si, d’ailleurs, perception, mémoire, jugement, désir, passion, etc., étaient des facultés et avaient des organes, notre perception, notre mémoire, notre imagination, notre jugement (IV, 230) seraient éga- lement bons ou mauvais en tout, et nous serions également passionnés ou indifférents pour tous les objets (IV, 233). Ce ne sont donc que des « attri- buts communs aux qualités et facultés fondamen- tales et nullement les qualités et facultés fonda- mentales elles-mêmes » (IV, 226). Ce mmntfalts-de in à a e CTÉ net S - Sri DS 5 6 7 En | 7 LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 149 Quant à la volonté, « résultat de l’action simul- tanée des forces intellectuelles supérieures », el à la raison, « résultat de l’action simultanée de toutes les facultés intellectuelles » (IV, 241-242), elles ont, sans doute, leur condition dans l’orga- nisme, puisqu'elles supposent l’harmonieuse acti- vité des organes cérébraux supérieurs, mais, par cette même raison, elles n'ont pas d’organe parti- culier et, consensus des facultés, ne sont pas elles- mêmes des facultés, De même qu'une théorie des facultés, la phy- siologie du cerveau comporte une théorie de la connaissance. Du moment qu'il n’y a pas de vie mentale sans organes cérébraux, et que les états de conscienec ne sont ce qu'ils sont que du fait de l’activité propre, spécifique et différenciée, de chacun de ces organes, pour que cette vie ait un sens, pour que ces états soient susceptibles d’une significa- tion pratique, il faut qu'il ait été « établi des rap- ports déterminés et réciproques entre l’intérieur de l’animal et de l’homme, et le monde extérieur » (II, 40), que les choses et les organes soient, en 150 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL quelque manière, à l’unisson. Sinon, les uns se- raient impuissants à nous donner, comme ils le font, connaissance des autres. D'où ce principe fondamental : « Le monde extérieur, en tant que l’animal et l’homme doivent influer sur lui, est mis en harmonie avec nos sens, tant externes qu’in- ternes ;… les rapports du monde extérieur sont révélés à l’animal et à l’homme au moyen des organes cérébraux. C’est par là que les actions peuvent être mises à l’unisson des objets exté- rieurs » (III, 146-147), Il en est ici des organes cérébraux comme des organes des sens. Chez l'homme et l'animal, « les | organes du goût et de l’odorat sont à l’unisson des substances qui conviennent pour leur nourri- ture ». De même, les organes cérébraux sont à ; l'unisson des lois qui régissent la nature : organes et Lois « sont dans un rapport direct »; « l’action de l'organe devient une révélation de ces lois », dont il « porte l'empreinte » (IV, 71). Par là se trouve, une fois de plus, confirmée l’innéité des disposi- tions sans lesquelles l’univers ne serait ni connu ni connaissable : « Les lois des vibrations et des rapports des tons existent, il est vrai, dans les LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 151 objets extérieurs, mais ces objets extérieurs ne peuvent être ni saisis ni compris, si l'organisme intérieur de l’être vivant n’est pas en rapport réci- proque avec eux. C’est ainsi que les lois du levier, des nombres, de la grandeur existent dans luni- vers; mais sans intelligence, il n’y aurait ni méca- nique, ni arithmétique, ni mathématique » (1, 118). Par conséquent, « le monde moral et intellec- tuel de l’homme et des animaux commence là où le cerveau commence », et « finit là où le cerveau finit ». En effet, les organes des sens fournissent du monde une première représentation, variée et variable comme ils le sont eux-mêmes et entre eux : « La vie, le moi, l'existence sentie du monde, commence avec la sensation, avec des appareils nerveux. Dès lors l'être vivant s’aperçoit qu’il est distinct des choses qui l’environnent ; il a son moi. Ce moi sera plus resserré ou plus étendu selon que les sensations seront variées et intenses; selon, par conséquent, que les organes de la sen- sibilité intérieure et des relations extérieures seront plus nombreux et plus énergiques. Plus sera grand le nombre d'organes, mis en contact avec les objets extérieurs, plus le monde de cet animal aura d’éten- ETS ES 152 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL due. Ajoutez à la sensation générale, vague, indé- terminée, des sensations déterminées, essentielle- ment distinctes les unes des autres, vous modifiez, vous agrandissez par degrés son monde. Chaque sens, chaque organe devient une nouvelle révéla- tion. Le goût, l’odorat, l’ouïe, la vue, le toucher, chacun de ces sens fait connaître des existences, des rapports différents du monde, et réunis tous ou en partie, ou isolés, l'aspect de ce monde doit essentiellement varier ». Avec les organes cérébraux, le monde s’élargit d'autant : « Les organes du cerveau sont égale- ment autant de points de contact avec le monde extérieur, autant de sources de nouveaux genres de sensations, de sentiments, d’instincts, de pen- chants, de facultés; mais nous avons vu qu'ils sont aussi inégalement répartis parmi les diverses espèces d'animaux. Leur monde intérieur et exté- rieur doit donc aussi varier à l’infini, diminuer ou s’accroître dans la même proportion que le nombre de ces organes diminue ou s’accroît ». Et, enfin, « le monde de chaque espèce d’animal et celui de l’homme est donc la somme de leurs organes céré- braux ; c’est la somme des rapports, des points RE LE RTS A af on - mn : 2 LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 153 de contact établis entre les choses extérieures et les organes intérieurs. Il ne peut plus y avoir de rapport, de révélation où il n’y a plus d’organe » (IV, 256-259). Ainsi, il ne peut exister d’organe sans qu’il y ait une réalité qui lui réponde et sans que les lois de son activité soient précisément celles de cette réa- lité. Donc le goût (IV, 111), la poésie (IV, 128) ont leurs règles objectives, et, qui plus est, l'existence de Dieu se trouve de ce chef démontrée : « La nature n’a créé aucun sens, aucun organe sans lui avoir préparé d'avance dans le monde extérieur, l’objet de sa fonction. Or, il est constant que dans tous les temps et partout sur la terre, l’organisation de l’homme l’a conduit à la connaissance d’un être suprême... Qui oserait penser que ce seul sen- timent, ce seul organe, füt privé de son objet dans le monde extérieur ? Non, la nature ne peut pas à ce point abuser l’homme dans son intérêt le plus important. ILest un Dieu, parce qu'il est un organe pour le connaître et pour l’adorer. » (IV, 191-192.) Nous ne pouvons plus maintenant en douter : Comte se faisait singulièrement illusion, en consi- dérant l'organe de la théosophie comme une 154 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL « simple concession dictée par la prudence ». \ Cette théorie physiologique de la connaissance 4 n’est pas sans offrir quelque intérêt. Peut-être sommes-nous autorisé à y voir une sorte d’idéa- lisme organologique, une rudimentaire transposi- üon du système de Kant, où ce sont des organes qui tiennent l'emploi de formes de la sensibilité et de catégories de l’entendement ‘. Sans doute, Gall ne se pose même pas la question de savoir si le monde extérieur existeou non tel qu'il nous appa- rait. Mais, en tant qu’il existe pour nous, il ne nous est, en tout cas, connu que pour autant que nos organes nous permettent de le percevoir et de le concevoir. Nos organes cérébraux, comme les 1. Ce rapprochement a été également fait par Georget (Phy- siologie du Système Nerveux, 1821, I, p. 104 et suiv.), qui, tout en avouant ne connaître Kant que par des extraits, voit dans la doctrine de Gall une « application physiologique » de son système, et déclare : « Les deux points fondamentaux de la doctrine, l’innéité des dispositions et la pluralité des facul- tés, sont aussi les deux points fondamentaux du système de Kant ». Si, d’ailleurs Gall écrit dans sa Lettre à Relzer (Loc. cil., p. 419) : « Il ne faut point non plus m'en vouloir de ne m'être point servi de la langue de Kant », c'est, sans doute, qu'il ne trouvait pas de difficulté essentielle à l'utiliser. Sinon, on ne conçoit pas pourquoi il en aurait évoqué la possibilité. En tout cas, il ne semble pas, nous l’avons vu, s'être lui-même aperçu de l’analogie des deux doctrines. LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 455 catégories, constituent donc les limites de notre savoir et de notre pouvoir. Ainsi s’éclaire définiti- vement pour nous l’exclamation finale de Gall : « Dieu et cerveau ! Rien que Dieu et cerveau! » Telle est, avec ses conséquences essentielles, la représentation anatomo-physiologique de la vie mentale, à laquelle aboutit Gall dans sa physio- logie du cerveau. Sans doute, à certains égards, est-elle encore assez grossière et, pourrait-on dire, macroscopique. À des facultés, c’est-à-dire à des . possibilités indéfinies d'états psychiques, répondent, 4 d’après elle, des organes, c’est-à-dire des masses considérables et indéterminées d’éléments nerveux. È Mais on peut peut-être conjecturer que la logique ; de son système conduisait implicitement Gall à à admettre que ces organes différenciés étaient com- 1 posés d’éléments également différenciés, et. que les uns comme les autres avaient leur rôle spécifique. = A Laromiguière, qui objectait à sa théorie des facultés, qu'il n’était pas nécessaire de supposer autant de facultés que l'esprit humain présentait d'actions et de modifications, car il faudrait alors admettre pour la seule vue autant de sens qu'il y 156 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL a de couleurs, Gall répond que, bien évidemment, il ny a pas autant de dispositions et d'organes particuliers qu’il y a d’actions particulières. Mais l'exemple de la vue ne lui paraît pas très probant, car il se pourrait, comme l’a dit Bonnet, que chaque fibrille nerveuse eût sa fonction propre et constituât ainsi un petit organe particulier. En tout cas, les modifications des fonctions mentales sont toutes dues, pour chaque fonction prise à part, à un seul et même organe, comme les modi- fications de la vue sont dues à l’organe général de la vue (IV, 5-6). Mais, si on applique ici le principe de conti- nuité cher à Gall, et si on conclut, comme il fait volontiers, des sens aux facultés et des organes sensoriels aux organes cérébraux, si les organes señsoriels sont composés de fibrilles nerveuses dont chacune constitue un organe particulier, nous sommes bien près d'accepter qu'il en soit de même des organes cérébraux. Il ne semble donc pas qu’il eût fallu pousser beaucoup Gall pour l’'amener à concevoir, théoriquement, l’existence des neurones, et à leur attribuer, à l'égard des élats psychiques isolés, le rôle qu'il donne aux LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 157 organes par rapport aux facultés. « Un dévelop- pement plus étendu de la même conjecture, con- clut-il, en effet, dans le passage que nous venons de rappeler, disposerait apparemment le lecteur à considérer chaque fibrille nerveuse, soit dans les nerfs, soit dans le cerveau, comme un petit organe particulier ». 1. C'est nous qui soulignons. W don ni by Ne! 2 { ii pu ie y spi GrtER it (1 \ NE Lot LE CONCLUSION La sincérité, la foi scientifiques de Gall étaient complètes. C'était de la craniologie et de l’organo- logie qu'il était parti; sans elles il n'aurait pas conçu sa physiologie du cerveau, et il lui apparais- sait que la vérité de l’une était, en fait, étroitement subordonnée à la vérité des deux autres, qui en constituait l’irréfutable démonstration. Il fut, d’ail- leurs, victime d'une idée juste et d’un louable scru- pule. Une hypothèse scientifique n’est valable et légitime que pour autant qu'elle est susceptible d'applications précises. Si donc la physiologie du cerveau était bien ce qu'il la croyait, il fallait, pour l'établir définitivement, ne pas se contenter de simples généralités, mais descendre dans le détail, et prouver qu’à des régions déterminées du cerveau 160 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL étaient réellement attachés des penchants et des facultés déterminés. Craniologie et organologie devenaient ainsi scientifiquement nécessaires à la physiologie du cerveau, pour démontrer qu’elle possédait cette fécondité, à défaut de laquelle hypo- thèses et théories demeurent sans portée. Malheureusement pour Gall, il s’est trouvé que, malgré l'enthousiasme de ses disciples, sa cranio- logie et son organologie, loin d’apporter, comme il s’y attendait, à sa physiologie du cerveau une consécration définitive, finirent, au contraire, par l’entrainer dans l'oubli. En réalité, Gall, en considérant la perception, la mémoire, l’imagination, l'attention, le jugement, le désir, la passion, ete., non comme des facultés, mais comme des attributs communs à tous les pen- chants et toutes les facultés de lâme, a apporté une indication dont la psychologie devait ultérieu- rement faire son profit, et préparé les voies à d’in- téressantes recherches. « Gall le premier .….assi- ana, écrit M. Ribot', à chaque faculté sa mémoire propre et nia l’existence de la mémoire comme 4. Les Maladies de la Mémoire, p, 107. | : : 4 | | a 5 iii M SE CONCLUSION 161 faculté indépendante ». Et M. Soury, de son côté, déclare : « C’est ce grand anatomiste (Gall) qui a le premier posé, comme un postulat physiolo- gique, la pluralité des mémoires! », En attribuant au lobe frontal l'importance que nous avons vue, Gall, selon M. Soury”, a été le précurseur des Hitzig, des Ferrier, des Wundt, des Schüle, etc., pour lesquels le lobe frontal, siège de l’entendement, de la volonté, de l'attention, est le substratum organique « du processus psy- chique des formes supérieures de développement de la conscience »; et les doctrines de MM. Lacas- sagne et Magnan, sur les occipitaux, pariétaux et frontaux, ou les cérébraux antérieurs et posté- rieurs, « sont de pures et simples survivances de lorganologie ». Aux yeux de Broca, cette « différence fonction- nelle des lobes frontaux et des lobes occipitaux » était telle, qu’elle constituait « presque un antago- nisme », et suffisait « pleinement à établir le prin- cipe des localisations cérébrales ». « Il y a loin de là 1. Histoire des Doctrines Psychologiques Contemporaines. Les Fonctions du Cerveau (Doctrines de Gollz), 1886, p. TL. 2. Le Système Nerveux Central, pp. 514-516. BLonvez. — Psycho-physiologie. 14 162 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL sans doute, ajoutait-il, au système phrénologique de Gall, et même à un système phrénologique quelconque, car nous ignorons encore si chaque circonvolution, considérée isolément, remplit des fonctions différentes de celles des circonvolutions voisines. Nous ne pouvons faire à cet égard que des supposilions, mais nous savons du moins que toutes les parties du cerveau proprement dit n’ont pas les mêmes attributions, que l’ensemble des circonvolutions ne constitue pas un seul organe, mais plusieurs organes ou plusieurs groupes d’or- œanes, et qu'il y a dans le cerveau de grandes régions correspondant aux grandes régions de l'es- prit * ». Or, que dit ici Broca, sinon qu’il admet le prin- cipe fondamental, l'idée directrice essentielle de la physiologie du cerveau de Gall? On a fait de même après lui, et la manière dont, en général, nous nous représentons les phénomènes psychiques, quand nous croyons les penser anatomiquement et phy- siologiquement, est bien celle que Gall avait ins- tituée. Entre les représentations anatomo-physio- 4. Bulletins de la Sociélé d'Anthropologie de Paris, t. I, 1861, p. 203. CONCLUSION 163 logiques de la vie mentale que nous rencontrons . dans les auteurs contemporains, et celle que Gall a : | proposée, il y a sans doute des différences de détail, _ mais le plan et les lignes générales en sont res- tés identiques. De part et d’autre, l'évidence phy- . siologique, ou ce que l’on s'entend à considérer comme tel, prend une telle importance qu’elle tient lieu de données anatomiques. Ainsi, Gall procède parfois à des localisations sans tenir compte des révélations de sa craniologie. Ainsi, de nos jours, on nous proposé, comme une explication satisfai- sante, des centres et des faisceaux d’association, dont il ne reste à déterminer que la place et le ‘ trajet, c’est-à-dire précisément les titres à l’exis- | tence anatomique. Le mathématicien qu'était demeuré Comte a, sur cette représentation anatomo-physiologique de la vie mentale, des vues bien curieuses. Les considéra- tions anatomiques ne sont pour lui, selon le mot de M. Lévy-Bruhl‘, qu’ « une sorte de réduplication et de transcription des considérations physiologiques ». Les localisations lui paraissent avoir, à l'égard L© 1. La Philosophie d’A. Comte, p. 24 164 LA PSYCHO-PHYSIOLOGIE DE GALL des faits psycho-physiologiques, la même valeur que les courbes à l'égard des équations. Elles sont un moyen pour le savant de se représenter et de se définir l'objet et Le résultat de sa recherche. « Toutes les études propres à chaque fonction de l'âme se concentrent de même sur l'organe corres- pondant, ainsi devenu l'équivalent logique de leur ensemble, qui ne comporte aucune autre représen- tation naturelle... Pareillement, la situation et le nombre des organes cérébraux pourront sulfire aux penseurs bien préparés pour mieux comparer et caractériser les fonctions de l’âme. Envers les principales, il faut déjà remarquer que les mêmes expressions, inférieurs, moyens, et supérieurs, qua- lifient à la fois les penchants et leurs sièges, jusque dans le langage usuel . Cela suffit pour indiquer com- bien la situation est apte à représenter la fonction *». À. Système de Politique Positive. I, p. 732. Déja Comte avait dit dans son Cours de Philosophie Positive (Ed. Schleicher, IE, p. 431) : «Rien n'empêche, en raisonnant ici, à la manière des géomètres, sur des sièges indéterminés, ou regardés comme tels, de parvenir à des conclusionseffectives, susceptibles d’une utilité très réelle ». Il ajoutait alors, il est vrai : « quoique d’ailleurs il doive être évident que ces conclusions devien- draient certainement plus précises, et, par suite, plus effi- caces, si les vrais organes des diverses facultés cérébrales comportaientun jour des déterminations pleinement positives ». MATE nf ee 1 # physiologie du cerveau et dans la représentation anatomo-physiologique de la vie mentale. nm, PCR MIE | \ #4 SAUT AA w Ne RL TR RRet PT AA FES Le À 5 ANR eee l TABLE DES MATIERES NTRODUCTION . . ; _ sentation anatomo-physiologique de la Vie Mentale. x. 1 LT LT EX ANNEE 27 49 78 116. 159 RVREUX. = TIMPRIMERIE Fo 4 PA RATE art us D'ATANT TORUEE ÉnS LM Le nTbESCEE? ALAUX. — La philosophie de Victor Cousin. 1 vol. in-16, , , . . . Q fr. 50 ALLIER. — La philosophie d'Ernest Renan. 2e édit. { vol. in-16. Dr r OÙ BARZELLOTTI. — La philosophie de marines Avon AM QUNrEe Phare L) BLOCH. — La philosophie de Newton. VOL AUS AU AETTEUIR SAUT ANNE EN US 10 fr. BLONDEL (Ch.).La psycho-physiologie de Gall. Ses idées directrices.1n-16. 2 fr. 50 BRUNSCHVICG. — Spinoza. 2e édition. LAVOLIEAER MEMOIRE 260 M) COLLINS.— Résumé de la philosophie syn- thétique de Herbert Spencer. Avec préf. de HERBERT SPENCER.4téd.1v.in-8. 10fr. 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