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AUGUSTE G AU VAIN

LA QUESTION YOUGOSLAVE

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(une CARTI)

SIXIÈME ÉDITION

ÉDITIONS BOSSARD

43, RUE MADAME, 43 PARIS

1918

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The Gift of Prof essor J. W. Bavor

LA QUESTION YOUGOSLAVE

Copyright by Auguste Gauvain, 1918.

AUGUSTE G AU VAIN

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(une carte)

ÉDITIONS BOSSARD

43, RUE MADAME, 43 PARIS

1918

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LA QUESTION YOUGOSLAVE

POUR la grande majorité du public européen en général, et français en particulier, la question yougoslave est nou- velle. Elle déconcerte les personnes pour qui n'existent que les questions cataloguées dans les manuels d'histoire ou les archives officielles. Elle agace un peu les hommes politiques qui n'aiment pas à être troublés dans leurs habitudes d'esprit et qui consi- dèrent volontiers comme des créations arti- ficielles les mouvements ou les peuples qu'ils ne connaissent pas. En somme, il y a

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peu d'années encore il serait plus juste de dire : peu de mois les Yougoslaves apparaissaient aux yeux des hommes d'État d'Occident comme des intrus. Leur nom même les desservait. Il avait un air barbare et une signification vague. A la vérité, nombreux sont encore les Occidentaux cultivés qui ignorent qu'il veut dire simple- ment Slaves du Sud. Et, pour beaucoup de ceux qui le savent, cela ne correspond à rien de précis. Or on ne s'intéresse guère, on s'attache difficilement à la cause de peuples dont on n'a pas appris l'histoire, qu'on situe avec peine sur la carte, et qu'on aperçoit seulement à travers un brouillard. Ce manque d'intérêt est une des causes des plus graves erreurs commises ces der- nières années par la Triple-Entente. Ses hommes dirigeants, civils et militaires, ne se rendirent compte ni de la valeur maté- rielle et morale des forces en mouvement à l'est de l'Adriatique, ni de la manière dont il convenait de les utiliser. Ils ne prirent en considération ni les avertisse-

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ments, ni les desseins, ni les protesta- tions des représentants des peuples dé- nommés communément balkaniques, quoique plusieurs d'entre eux n'eussent rien de commun avec les Balkans. Même en dé- mocratie, nos ministres conservaient les anciennes mœurs des grandes Cours ; ils discutaient de préférence avec les ambassa- deurs des grandes puissances consacrées et, tout en témoignant aux autres chefs de mission des égards extérieurs ou de la cor- dialité, accordaient peu d'importance à leur conversation. Ils perdaient par de pré- cieuses occasions de s'instruire sur des choses qu'on ne leur avait pas enseignées dans leur jeunesse et qu'ils avaient par la suite négligé d'approfondir. Ils se riaient plus à des renseignements de seconde ou de troisième main, transmis par des agents qui désiraient leur plaire en entrant dans leurs vues supposées, qu'aux informations directes d'étrangers qualifiés connaissant à fond le pays et les affaires dont ils venaient parler. Ils se montraient prévenus contre

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des hommes qu'ils tenaient pour intéressés à parler dans un certain sens, quoique cet intérêt pût concorder avec le nôtre. Malheureusement, on discerna mal les concordances, même en Russie. Malgré leur qualité de Slaves,, les ministres russes ne comprirent pas mieux que leurs collègues d'Occident les affaires yougoslaves. On sera stupéfait plus tard, lorsqu'on révélera quelle ignorance montrèrent à ce sujet quelques-uns des plus éminents d'entre eux. Les conséquences de pareilles erreurs sont trop terribles pour qu'on n'essaie point d'éclairer le public sur une question qui, par l'enchaînement fatal des circonstances, passe en ce moment au premier plan de la politique européenne.

V

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LES YOUGOSLAVES

Les Serbes de Serbie.

Les Yougoslaves se subdivisent en trois fractions de même race et de langue presque identique : les Serbes, les Croates et les Slovènes.

Les Serbes constituent la population non seulement du royaume de Serbie, tel qu'il existait en 1914, mais encore du royaume de Monténégro, de la Bosnie, de l'Herzé- govine et d'une partie de l'ancienne Pan- nonie, c'est-à-dire de plusieurs comitats du sud-ouest de la Hongrie, dans le banat de Témesvar et en Syrmie.

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Aujourd'hui tout le monde connaît la Serbie. Ses victoires sur les Turcs en 191 2, sur les Bulgares en 191 3, sur les Autrichiens durant la première année de la guerre ac- tuelle ont porté son nom dans le monde entier. Le roi Pierre Ier et le prince-régent Alexandre sont des princes aussi populaires en France que le roi des Belges et le roi d'Angleterre. Les calamités de l'automne de 191 5, l'effroyable retraite d'Albanie, l'exode à Corfou et à Salonique ont peut- être valu au peuple serbe, parmi les Alliés, encore plus de sympathie que la gloire des années précédentes. Mais on sait moins ce que fut l'empire serbe au Moyen âge et quelles traces il a laissées. Le rouleau compresseur turc qui écrasa pendant des siècles toute la péninsule balkanique et une partie du bassin septentrional du Danube fit un silence de mort sur d'immenses ré- gions autrefois prospères. Sur tous les pays d'Europe assujettis par les sultans de Cons- tantinople, l'Occident ne connut à peu près rien jusque dans la seconde moitié du

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xixe siècle, et encore les notions qu'il reçut plus tard, jusqu'il y a quelques années, étaient-elles bien sommaires, entachées d'innombrables inexactitudes. C'est pour- quoi, lorsqu 'éclata en 191 3 la querelle entre la Bulgarie et la Serbie au sujet de la Macé- doine, l'opinion européenne et les Cabinets des grandes puissances furent complètement déconcertés. Grâce à la supériorité de sa propagande, montée à l'allemande, la Bul- garie put longtemps faire croire à la légiti- mité de ses revendications sur des pays elle n'avait certainement pas plus de droits que la Serbie, et dont les populations, bou- leversées par les invasions, étaient prêtes à se rallier à l'un ou l'autre des deux États rivaux pourvu qu'elles pussent enfin jouir des libertés élémentaires. Accablée en 191 3, la Bulgarie a pris sa revanche en 191 5. Elle tient aujourd'hui et prétend conserver les territoires macédoniens litigieux avec quelques autres qui sont purement serbes. En ce qui concerne ces derniers, ni la Serbie, ni ses alliées ne peuvent transiger.

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Sans Nich et sans la vallée de la Morava, la Serbie ne peut vivre indépendante ni po- litiquement, ni économiquement. Les autres Yougoslaves le reconnaissent. A la confé- rence de la paix, ils feront bloc avec elle sur ce point. Quant à la Nouvelle-Serbie, celle du traité de Bucarest, les avis semblent partagés chez les Yougoslaves. Sans doute tous désirent la restitution intégrale au roi Pierre de ses conquêtes de 1912-1913. Néanmoins, certains se demandent si, dans le cas l'union yougoslave pourrait s'ef- fectuer, il ne conviendrait pas de lui sacri- fier une partie de la Macédoine, afin de fa- ciliter un règlement général et la réconcilia- tion avec la Bulgarie. Les Slovènes et les Croates, qui sont tournés vers l'Adriatique, s'intéressent accessoirement à la partie des Balkans orientée vers la mer Egée. Certains appréhendent même que les préoccupations balkaniques n'absorbent trop les Serbes au préjudice des intérêts communs du nouvel État qu'ils désirent fonder. Mais les Serbes, que de cruelles épreuves viennent d'ins-

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truire et qui ont déjà l'expérience des res- ponsabilités, ne professent pas le même dé- tachement pour la mer Egée. Ils se sont convaincus que, pour vivre et se développer normalement, l'État serbe, soit réduit à lui- même, soit fondu dans une grande Yougo- slavie, doit avoir libre accès à la mer Egée. Economiquement et militairement, le libre débouché sur Salonique lui est indispen- sable. Seul, il assure l'indépendance à l'égard des États au nord du Danube et de la Dr ave. Le débouché sur l'Adriatique, soit direct en territoire proprement serbe, soit indirect en territoire ami, ne donne nullement les mêmes garanties. L'Adria- tique est un grand golfe dont l'entrée peut être facilement fermée.

C'est pourquoi, en 1912 et en 1913, le gouvernement serbe, approuvé par l'una- nimité de la nation, tint absolument à conquérir et à conserver une frontière com- mune avec la Grèce, devenue souveraine de Salonique et du Bas-Vardar. C'est pour la raison inverse que la Bulgarie prétendit

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se faire octroyer Monastir, Ochrida et une bande d'Albanie jusqu'à l'Adriatique. Tra- vaillant en même temps pour elle-même et pour le compte de l'Autriche-Hongrie, elle voulait couper la Serbie de la Grèce et de- venir maîtresse des communications par la Macédoine. Pour satisfaire son ambition, elle ne recula pas devant la plus odieuse trahison. Elle échoua en 191 3 et réussit en 191 5. Si elle obtenait, lors de la paix géné- rale, les territoires albanais et macédoniens qu'elle convoite, elle tiendrait la Serbie sous sa dépendance. Il ne doit donc pas être indifférent aux Slovènes et aux Croates que l'État aux destinées duquel ils souhaitent ardemment s'associer reprenne sa liberté de mouvements du côté de l'Egée. Il s'agit de leur propre indépendance. Du reste, ils semblent le comprendre de mieux en mieux ; les dernières manifestations de leurs chefs le prouvent. De leur côté, les hommes politiques serbes les plus qualifiés sont prêts à se rallier aux solutions les plus conci- liantes. Si cuisants que soient leurs souve-

LES MONTENEGRINS 1 5

nirs des procédés bulgares, ils sont disposés à faire en Macédoine une large part à la Bulgarie pourvu que la Serbie et la Grèce restent limitrophes avec de bonnes com- munications le long du Vardar.

Les Monténégrins.

Le Monténégro ou Tchernagore, la Zêta du Moyen âge, est un Etat entière- ment serbe. Gouverné du commencement du xvie siècle jusqu'au milieu du xixe par les métropolites de Cettigné, appelés vladikas, il jouit d'un gouvernement sécu- lier depuis l'avènement du prince Danilo, qui succéda au vladika Pierre II en 1851. Dès 1493, il y eut une imprimerie yougo- slave à Cettigné. De 1830 à sa mort, Pierre II ne cessa de s'occuper de la libération des Serbes d'Autriche et de Turquie. En 1849, il signa avec Alexandre Karageorgévitch

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un traité secret relatif à l'affranchissement des Serbes. En 1851, 1857 et 1858, pendant les révoltes de Bosnie, le prince Danilo combina ses efforts avec ceux du prince Alexandre. Après le changement de dy- nastie en Serbie en 1858,1e prince Michel Obrénovitch, qui régnait au nom de son père, le prince Miloch, donna une impul- sion nouvelle à cette politique. Il engagea des pourparlers avec le prince Danilo en vue de la libération des provinces serbes, Mal- heureusement, Danilo tomba sous les coups d'un assassin à Cattaro,le ieraoût 1860 ;les pourparlers furent alors poursuivis avec son successeur, le prince Nicolas, le roi actuel du Monténégro. Entraîné par le mou- vement patriotique qui agitait les Yougo- slaves à cette époque, le prince Nicolas signa, en 1865, un traité en vertu duquel il promettait d'abdiquer en faveur du prince Michel de Serbie, lequel s'engageait de son côté à l'instituer héritier au cas il n'au- rait pas de descendance mâle directe. Pendant les règnes funestes de Milan et

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d'Alexandre Obrénovitch à Belgrade, les sympathies des Monténégrins s'éloignèrent de la Serbie. Mais elles lui sont entièrement revenues depuis le rétablissement des Kara- georgévitch, après l'assassinat d'Alexandre et de la reine Draga, en 1903. Elles n'ont fait que grandir et s'affermir depuis cette époque.

Aujourd'hui, tous les Monténégrins, ceux de la Tchernagore et ceux qui sont allés chercher fortune au dehors, veulent absolument s'unir aux Serbes du royaume. Politiquement la dynastie constitue le seul obstacle à cette union. Mais, avant les évé- nements actuels, le roi Nicolas Ier connais- sait si bien les sentiments de ses sujets qu'il avait se rallier en principe à une combi- naison qui retardait seulement jusqu'à sa mort la fusion des deux royaumes frères. Au cours de la guerre, il envisagea d'autres combinaisons. Il entreprit de prémunir sa famille contre tous les risques en se ran- geant ostensiblement d'un côté et en lais- sant quelques-uns de ses fils se ranger de Gauvain. 2

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l'autre. Il négligea d'engager à fond l'armée monténégrine pendant la période critique de la campagne de 191 5 et la fit licencier au commencement de 191 6 dans des condi- tions plus que suspectes. Le 11 janvier 191 6, il rendit aux Autrichiens, presque sans lutte, le mont Lovtchen, réputé imprenable, qui était défendu par 8.000 hommes et qu'il avait déclaré ne pas vouloir céder « même pour un diamant aussi gros que cette mon- tagne ». Lors de la retraite des Serbes à tra- vers l'Albanie jusqu'à Scutari, il se comporta plutôt en neutre qu'en allié ; il fit un accueil glacial à son petit-fils, le prince régent Alexandre, qui dut chercher un abri ailleurs que chez le père de sa mère. Il y a tout lieu de supposer qu'il est lié à l'Autriche par un accord secret qui lui promet, à lui ou à ses fils, de légers agrandissements territoriaux avec une subvention pécuniaire (x).

(x) En 1916, le publiciste allemand Otto Mayer, dans les Vaterlaendische Abende, dit du roi Nicolas : « Il s'est efforcé surtout au commencement de son règne de vivre en bonnes relations de voisinage avec

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On ne peut encore s'expliquer à ce sujet en pleine liberté. Mais les Monténégrins sont suffisamment édifiés sur la conduite de leur roi, et ils sont décidés à lier leur sort à celui de leurs frères du royaume de Serbie. Le 18 août 1916, M. André Rado- vitch, président du Conseil et ministre des affaires étrangères du Monténégro, soumit à Nicolas Ier un mémoire par lequel il lui proposait l'union du Monténégro avec la Serbie et les autres pays yougoslaves ainsi que la fusion des deux dynasties Pétrovitch- Niégoch et Karageorgévitch dans la per- sonne du prince Alexandre de Serbie, son petit-fils. Des droits éventuels étaient ré- servés au prince Danilo de Monténégro et à sa descendance. Ce premier mémoire, approuvé par les autres membres du Ca-

l 'Autriche. Lorsqu'en 1866 l'Italie lui offrit de prendre en commun la possession des Bouches de Cattaro, il refusa. Sa neutralité d'alors lui a valu entre autres avantages, de la part du gouvernement autri- chien, une somme considérable d'argent qu'il tou^ chait régulièrement chaque année jusqu'au comment cernent de la guerre mondiale. »

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binet, étant resté sans réponse, M. Rado- vitch en présenta un second dans le même sens, le ii janvier 191 7, également avec l'approbation de ses collègues. Il proposait de laisser les questions en litige à l'arbi- trage de l'empereur de Russie, en avertis- sant le roi qu'en cas de non-approbation de sa part, il se verrait obligé de donner sa démission. Nicolas Ier repoussa le projet, confirmant ainsi la déclaration faite par lui quelque temps auparavant à un de ses mi- nistres, M. Spassoyévitch, et suivant la quelle l'union du Monténégro avec la Serbie ne pourrait s'effectuer qu'après l'anéantis- sement de l'une des, deux dynasties. En conséquence le Cabinet Radovitch donna sa démission. Nicolas Ier ne put trouver d'hommes politiques pour former son nou- veau Cabinet. Des trois ministres qu'il choisit, deux étaient des officiers. Ces mi- nistres eux-mêmes, après avoir exercé le pouvoir pendant cinq mois, soumirent à leur tour un projet d'union au souverain. Nicolas Ier refusa encore et forma un Ca-

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binet composé de fonctionnaires d'ordre inférieur.

Vers la fin du mois de mars 191 7, il se forma, sous la présidence de M. André Ra- dovitch, un Comité monténégrin pour l'union nationale qui réunit des hommes politiques influents appartenant à divers partis. Il procéda à la formation des organi- sations des Monténégrins résidant dans les centres principaux de l'Europe et de l'Amé- rique, et ces organisations lui donnèrent tous le mandat de les représenter. Le 11 août 191 7, à l'unanimité, il vota l'adop- tion de la déclaration signée le 20 juillet précédent, à Corfou, par M. Pachitch, pré- sident du Conseil et ministre des affaires étrangères de Serbie, et M. Ante Trum- bitch, président du Comité yougoslave (*). Le 14 août, il notifia ce vote à M. Pachitch et à M. Trumbitch dans des lettres il se

(l) Nous reviendrons plus loin sur cette déclaration, à laquelle manque la signature d'un représentant du Monténégro, le roi Nicolas s'étant montré réfractaire à l'idée de l'union.

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disait « persuadé que le salut et le progrès du Monténégro résident uniquement dans son union avec la Serbie et les autres pays habités par le peuple des Serbes, Croates et Slovènes. » Il ajoutait qu'il était « d'au- tant plus de son devoir de se prononcer, au nom du peuple du Monténégro, sur la déclaration de Corfou, que le roi Nicolas et son gouvernement sont restés impassibles devant cet acte important, et que le Parle- ment et l'armée du Monténégro, livrés cri- minellement à l'ennemi, se trouvent dans l'impossibilité de prendre part à la solution de cette question d'importance capitale (l). » Les égards officiels témoignés par le gou- vernement français à Nicolas Ier et à sa fa- mille ne doivent pas faire illusion au public. Si l'on voulait connaître les véritables sen- timents des Monténégrins envers leur sou- verain, il conviendrait de les chercher dans

(x) Depuis le mois de juillet 1917, le Comité mon- ténégrin pour l'union nationale publie à Genève un Bulletin. On y trouvera quantité d'informations des plus curieuses sur les affaires monténégrines.

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les passages suivants de la lettre de démis- sion adressée le 20 mai 1916, par M. Lazar Miouchkovitch, alors président du Conseil :

C'est vous, avec votre famille et votre camarilla, qui avez conduit le Monténégro à la banqueroute actuelle...

En voici les preuves : ce sont les entrevues de votre fils, le prince Pierre, avec le lieutenant- colonel Hubka ; les pourparlers de votre fils et héritier du trône, le prince Danilo, par l'intermédiaire de M. Carminatti, avec le comte Bernstorf, agent des puissances cen- trales ; et tant d'autres fautes graves que vous avez commises, vous et votre famille et votre camarilla, et que je n'ai pas besoin de citer.

Je suis persuadé que toutes ces fautes, celles de votre famille et de votre camarilla, et même les miennes, ne sauraient être attribuées au peuple serbe du Monténégro, qui n'a jamais manqué de s'acquitter de son devoir national et a fait tant de sacrifices pour la réalisation des idées serbes... Par conséquent, je suis persuadé que ce peuple aura des hommes qui ne permettront pas qu'il soit porté responsable des crimes des autres, et qu'il entrera sans tache dans la communauté serbe, et qu'il a bien mérité par sa lutte séculaire pour l'affranchissement et l'union du peuple serbe (x).

(J) Ces passages ont été publiés par la Gazette de Lausanne du 30 août 1917. Ils étaient cités dans une

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Langage amer et dur, mais qu'on re- trouve dans la bouche de tous les Monté- négrins. Nicolas Ier a perdu dans la dernière partie de sa vie tout le prestige qu'il avait gagné pendant la première, lors de l'insur- rection de Bosnie-Herzégovine et de la guerre russo-turque. L'effondrement du tsarisme le prive aussi de la protection que le mariage de deux de ses filles à des grands- ducs lui valait en Russie. Il ne lui reste guère que l'appui de sa fille Hélène, reine d'Italie.

Vestige glorieux de l'ancien Etat serbe et refuge de la nation au moment de l'inva- sion, le Monténégro n'ambitionnait d'autre mission que celle de combattre pour la déli- vrance de la patrie entière. Il ne vivait que pour la liberté et l'union. Les raisons d'ordre économique et financier s'ajoutaient d'ailleurs aux raisons politiques pour lui conseiller l'union. Ce pays n'a jamais pu

lettre adressée le 10 août à ce journal par M. André Radovitch. 1VL Miouchkoviteh, qui demeurait alors en Suisse, ne les a pas démentis.

BOSNIAQUES, H ERZÉGO V IN IENS 25

subvenir à ses besoins par ses propres moyens, et le rétablissement d'une exi- tence séparée de celle des autres pays you- goslaves serait pour lui le commencement d'une agonie. C'est ainsi qu'on a pu juste- ment écrire •: « Celui qui veut le malheur des Monténégrins doit désirer un Monté- négro séparé après cette guerre (*). »

Les Bosniaques et les Herzégoviniens.

Au contraire des Serbes et des Mon- ténégrins qui sont presque tous de reli- gion orthodoxe, les Bosniaques et les Herzégoviniens, quoique tous de race et de langue serbo-croate, se partagent entre

(*) M. André Radovitch, dans sa brochure Le Monténégro, son passé et son avenir (Bloud et Gay, éditeurs), retrace un tableau saisissant des souffrances que ce petit pays s'était imposées pour pouvoir mener une existence politique indépendante, en attendant l'heure de l'union.

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l'orthodoxie, l'islamisme et le catholicisme. Cette division religieuse résulte de leur histoire. Jusqu'à la conquête de leur pays par Mahomet II en 1463, ils avaient vécu sous le régime féodal, tantôt sous des princes régnant sur de vastes territoires comme l'empereur Douchan ou Tvrdko Ier, tantôt sous des seigneurs dont l'autorité variait en étendue et en force. Au moment de l'in- vasion turque, l'hérésie bogomile, apportée d'Asie par les soldats de l'empire byzantin, était en grande faveur en Russie et en Her- zégovine (1). Par son caractère, qui tenait du gnosticisme, du massalianisme et du manichéisme, elle se rapprochait de la sim- plicité de l'Islam. Les persécutions des rois de Croatie et de Hongrie incitèrent les bogomiles à prendre la religion du vain- queur. Les hérésiarques avaient tout inté- rêt à une conversion qui satisfaisait leur

(x) Cf. sur l'hérésie bogomile en Bosnie : Louis Léger, L'Histoire des Bogomiles en Bosnie et en Bul- garie au Moyen âge, et Vouk Primoraç, La Question yougoslave, p. 209 et suiv.

BOSNIAQUES, HERZÉGOVINIENS 27

rancune contre leurs persécuteurs et les faisait participer aux privilèges des conqué- rants. La grande majorité de la noblesse passa à l'islamisme et conserva sa nouvelle religion malgré les efforts persévérants des missions franciscaines.

C'est ainsi qu'encore aujourd'hui les deux millions de Bosniaques-Herzégovi- niens (1.93 1.802 d'après le recensement de 191 o) se répartissent entre les trois grandes religions de l'Orient européen : environ 43 0/0 sont orthodoxes, 32 0/0 musulmans et 22 0/0 catholiques. Mais les uns et les autres n'ont cessé de parler serbe durant toute la domination ottomane. Les musul- mans ne sont nullement des Turcs, comme le croient trop souvent les Occidentaux ; ce sont de purs Serbes. Seulement, plus de quatre siècles de régime turc les ont mis en opposition avec les rayas chrétiens, et le régime autrichien, depuis 1878, au lieu d'atténuer les différences entre les diverses parties de la population, les a accentuées suivant le principe habsbourgeois : divide

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et impera. Sous François-Joseph Ier, les faveurs allaient en premier lieu aux catho- liques immigrés, ensuite aux musulmans, puis aux catholiques autochtones ; les or- thodoxes, qui étaient censés représenter le panserbisme, subissaient le plus de vexa- tions. Les fonctions les plus importantes étaient confiées à des Allemands et à des Magyars. La police, dirigée de Vienne et de Pest, était souveraine. Depuis que les Croates catholiques sont devenus partisans résolus de l'union yougoslave, les Bos- niaques catholiques ont suivi le mouvement. Les réfractaires se trouvent seulement parmi ceux qui ont reçu l'empreinte des Jésuites et qui obéissent à Mgr Stadler, archevêque de Serajévo. En somme, quoique le régime dictatorial imposé aux deux provinces oc- cupées en 1878 et annexées en 1908 em- pêche la population de manifester librement ses sentiments, il n'est pas douteux que, en dehors des personnes vivant de l'occupa- tion austro-hongroise, l'immense majorité des habitants désire passionnément leur

LES SERBES DE HONGRIE 20,

rattachement à une grande Yougoslavie. C'est précisément à cause de cela que le gouvernement austro-hongrois résolut en 1914 d'écraser la Serbie ; il comptait dé- truire ce qu'il appelait le panserbisme en supprimant l'indépendance du royaume qu'il considérait comme le foyer de l'agita- tion yougoslave. Mais, en réalité, ce foyer brûle dans l'intérieur même de la monar- chie. Il ne s'éteindrait pas avec l'indépen- dance de la Serbie. Tous les auteurs d'at- tentats contre les hauts fonctionnaires austro-hongrois en Bosnie et en Croatie, de même que les assassins de l'archiduc François-Ferdinand et de la duchesse de Hohenberg, étaient des sujets de Sa Majesté I. et R. Apostolique.

Les Serbes de Hongrie.

Les Serbes de Hongrie sont établis en masses compactes dans la Baranja dans

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l'angle entre la Dr ave et le Danube, dans la Batchka, entre la Theiss et le Danube, et dans le banat de Témesvar, entre la Theiss et la ligne qui suit approximative- ment la voie ferrée Témesvar, Karansébes et Orsova. Ailleurs, ils forment encore des îlots importants, mais trop dispersés pour qu'on puisse sérieusement les adjoindre à la Yougoslavie.

Le nom de Voïévodine qu'au siècle der- nier on donnait au Banat et à la Batchka indique bien le caractère slave de la popu- lation. A l'origine, les Serbes n'avaient guère franchi le Danube. Ils furent refoulés au XVe siècle sur la rive gauche du grand fleuve par l'invasion turque qui, sans pro- voquer de véritable exode, détermina un mouvement continu de migration vers la Hongrie méridionale. Au XVIIe siècle, les émigrés retombèrent sous le joug des sul- tans qui poussèrent leurs conquêtes jus- qu'au cœur de l'Autriche. A la fin du xviie siècle, les Turcs furent chassés de Hongrie, et les Serbes, qui avaient concouru

LES SERBES DE HONGRIE 31

à leur expulsion, obtinrent de l'empereur un « privilège » qui les reconnaissait en qua- lité de nation jouissant d'une pleine auto- nomie politique et religieuse. Mais les pro- messes impériales furent violées dès que fut passé le danger qui les avait fait contrac- ter. Durant tout le xvme siècle, les Serbes eurent à lutter, sans grand succès, contre l'arbitraire des agents de Marie-Thérèse et de ses fils. Ils prospérèrent néanmoins, devinrent les maîtres du commerce entre Pest et Constantinople, fondèrent en quan- tité des églises, des monastères et des écoles. En 1825, ils créèrent à Novi-Sad (Neusatz), centre de vie intellectuelle, une société litté- raire, la Srpska Matiça, dont l'influence s'étendit très loin. En 1848, lors de l'insur- rection magyare, ils tinrent à Carlovitz une assemblée nationale ils conférèrent à l'archevêque orthodoxe de cette ville le titre de patriarche ; en même temps ils élurent le colonel Stefan Chouplikaç voï- vode de toute la Voïévodine, qui, dans leur programme, devait être réunie au

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royaume de Croatie, Slavonie et Dalmatie. Par sa patente du 3 décembre 1848, l'em- pereur François-Joseph, qui venait de monter sur le trône, confirma les titres donnés à l'archevêque Raïatchitch et au colonel Chouplikaç ainsi que la création de la Voïévodine. Seulement, il étendit déme- surément le territoire de celle-ci de manière à y noyer les Serbes et à rendre impossible son rattachement à la Croatie. En fait, la Voïévodine fut administrée par des Alle- mands. D'ailleurs elle ne subsista pas long- temps. L'insurrection magyare une fois réprimée, François-Joseph renia ses enga- gements envers les populations qui l'avaient sauvé de la débâcle. Le 27 décembre 1860, par un acte unilatéral, il rattacha purement et simplement la Voïévodine à la Hongrie. En vain le patriarche ! Raïatchitch obtint-il, par rescrit du 24 juillet 1861, la promesse que les vœux du congrès serbe réuni au mois d'avril précédent à Carlovitz seraient portés devant le Parlement hongrois. Cette promesse ne fut pas tenue plus que les

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autres. Bien au contraire, François-Joseph sacrifia complètement aux Magyars les Serbes, comme les autres nationalités de Hongrie, dans le compromis dualiste de 1867. Les lois de 1868 sur l'indépendance ecclésiastique et scolaire ne compensèrent pas cet asservissement. Du reste, elles furent appliquées sans bonne foi, puis abrogées indirectement par la loi du 12 juillet 191 2 qui supprima l'autonomie ecclésiastique, et par la loi Apponyi de 1913 qui imposa l'obligation d'enseigner le ma- gyar dans les écoles non magyares sous peine de fermeture de ces écoles. Tout der- nièrement, le comte Apponyi étant rede- venu ministre de l'instruction publique, cette loi a encore été renforcée.

Les statistiques magyares comptent 185.000 Serbes dans la Batchka, 285.000 dans le Banat et de 36 à 55.000 dans la Ba- ranja. Il est permis d'y ajouter 28.000 Slo- vaques et 10.000 Ruthènes vivant dans la première de ces provinces pour avoir le total officiel des Yougoslaves dans cette partie Gauvain. 3

34 LA QUESTION YOUGOSLAVE

de la Hongrie, soit un peu plus de 500.000. Même en grossissant ce chiffre des élé- ments négligés par les recenseurs magyars, on n'arrive pas à un total imposant qui légi- time des revendications sur de grands ter- toires. Mais, aux yeux des Serbes, la Batchka et le Banat présentent une grande importance. En effet, ils se trouvent en face même de la ville et de la province de Bel- grade et constituent le prolongement direct de la Serbie royale. Malheureusement leur situation de l'autre côté du Danube et le mélange d'autres populations en forte pro- portion rendraient leur attribution difficile dans le cas la Hongrie serait obligée de subir les conditions des Alliés. La fixation d'une frontière au nord, dans la grande plaine, serait forcément déterminée par des considérations arbitraires. De plus, le Banat est intégralement réclamé par la Roumanie qui a très énergiquement insisté pour l'ob- tenir au cours de ses négociations avec la Triple-Entente. Le Cabinet de Bucarest reconnaissait que, sur une population totale

LA D A L M A T I E 35

de 1.582.000 habitants, les Roumains ne dépassaient guère le chiffre de 600.000, et que, dans le district occidental de Torontal en particulier, les 200.000 Serbes y vivant possédaient incontestablement la majorité relative. Mais, à l'époque qui précéda son intervention dans la guerre, il se préoccu- pait de constituer une Grande Roumanie entre de fortes frontières naturelles, et il prétendait aller à l'Ouest jusqu'à la Theiss. Cette prétention fut même une cause sé- rieuse de dissentiments avec les Alliés jus- qu'au milieu de l'été 1916. Aujourd'hui, il y a lieu de croire que, dans le cas les cir- constances le permettraient, le partage du Banat entre la Roumanie et la Serbie s'ef- fectuerait à l'amiable.

La Dalmatie.

La Dalmatie s'étend sur une longue et mince bande de terrain entre l'Adriatique

36 LA QUESTION YOUGOSLAVE

à l'Ouest, et le Monténégro, l'Herzégovine, la Bosnie et la Croatie à l'Est. De race et de langue elle est foncièrement serbo-croate. Le recensement officiel de 1910 accuse 610.000 Serbo-Croates contre 18.000 Ita- liens. En se donnant beaucoup de peine, les statisticiens italiens se sont découvert 40.000 congénères ou compatriotes. Les plus fougueux irrédentistes vont quelque- fois jusqu'à 60.000. Mais pour atteindre ce chiffre, ils sont obligés d'annexer dans leurs statistiques une multitude de gens qui se sont toujours crus serbo-croates et qui déclarent n'avoir rien de commun avec l'Italie. Si l'on compulse les résultats des élections générales faites en 1907 et en 191 1 sur la base du suffrage universel, on trouve :

En 1907 132.776 électeurs inscrits

59.955 voix serbo-croates

3 .076 voix italiennes.

En 1911 144.213 électeurs inscrits

71.097 voix serbo-croates

5 .925 voix italiennes.

LA DALMATI! 37

Les il députés que la Dalmatie envoie au Reichsrat de Vienne, et qui sont élus sur la base du suffrage universel, sont tous serbo-croates. Sur 86 administrations com- munales, 85 sont entre les mains de muni- cipalités serbo-croates. Seule, celle de Zara (Zadar) est au pouvoir des Italiens ; et en- core cela tient-il au système des curies en vigueur pour les élections locales, car l'en- semble de la circonscription communale de Zara contient 23.651 Serbo-Croates contre 11.552 Italiens. Sur les 45 membres de la Diète dalmate, élus d'après un vieux sys- tème adopté à une époque les italiani- sants étaient en faveur, il y a 39 Serbo- Croates et 6 Italiens.

Les observateurs impartiaux, dégagés de toute idée préconçue, trouvent de 3 à 4 0/0 d'Italiens en Dalmatie. En admettant, sans d'ailleurs qu'aucune bonne raison justifie Cîtte hypothèse, que cette proportion doive être élevée de 1,2 ou 3 0/0, cela ne change- rait en rien le fait incontestable que ce pays est serbo-croate, qu'il ne veut pas devenir

38 LA QUESTION YOUGOSLAVE

italien, et qu'aucun État étranger n'a le droit d'établir sa domination sur lui. Dans un article publié dans la Quarterly Review du Ier janvier 1918, M. G. Salvemini, pro- fesseur d'histoire à l'Institut d'études su- périeures de Florence, dit : « Il ne peut y avoir en Italie une seule personne raison- nable, au fait du véritable état de choses, qui puisse croire que l'Italie serait capable de dénationaliser cette région et de ramener le bon vieux temps elle était regardée comme une colonie de la République véni- tienne. » Dans YAzione socialista du 12 août 191 6, le professeur Mondaini écrivait :

Puisque le droit national d'un peuple trouve par définition ses limites dans le droit national des autres, il n'est point admissible de sacrifier le droit national de 600.000 personnes au droit aussi national des 60.000 autres (chiffre des supputations les plus larges de nos géographes italiens), à moins que, en s'appro- priant encore une fois la théroie hégélienne, écrite en lettres de sang sur les drapeaux allemands, du droit des plus civilisés ou prétendus tels, on ne proclame (et ce serait un comble de la part des démocrates même

L A D A L M A T I E 39

impérialistes!) que les 600.000 moins évolués sont sans droit en face des 60.000 plus évolués!

Un autre Italien, dont le caractère et la science sont également appréciés, M. Giu- seppe Prezzolini, terminait ainsi un ouvrage publié à Florence dans l'été de 1915 (x) :

Occuper la Dalmatie est acte d'impérialisme ; cela ne peut être la conséquence d'une guerre nationale. Il faut parler clairement. Si l'on veut entraîner l'Italie dans la voie de l'impérialisme, nous nous y opposerons résolument ; et si, demain, comme des projets approu- vés par la Société Pro Dalmazia le font entrevoir, on procède à une politique d'oppression des majorités et des minorités slaves, en Dalmatie et ailleurs, nous, Italiens, et précisément parce qu'Italiens, parce que faisant partie d'un peuple qui a une civilisation supé- rieure, nous accourrons au secours de ces majorités et de ces minorités, et nous sommes sûrs que toute la démocratie non gâtée par les appétits impérialistes nous suivra. Ceux qui croient conduire l'Italie à Spa- lato, à Sebenico, à Traù, pour exercer des représailles et des oppressions, ne savent pas que, avec l'Italie, ils y conduiront aussi des Italiens qui ne permettront pas ces représailles et ces oppressions. Le jour des Italiens seraient inférieurs au nom d'Italie, ce serait

(x) La Dalmazia, brochure in-8 de 75 pages, Li- breria délia Voce, Florence.

40 LA QUESTION YOUGOSLAVE

une véritable obligation d'italianità que de s'insurger contre eux.

D'autre part, pendant toute la période du risorgimento et, après la constitution de l'unité italienne, jusqu'au commencement de ce siècle, la Dalmatie ne figurait point parmi les revendications des irrédentistes. A la veille de la guerre de 1866, la presse piémontaise, toscane et lombarde soutenait le programme ainsi formulé par la Perseve- ranza de Milan : « L'Italie désire les pro- vinces qui lui ont été arrachées, tout ce qui va du Brenner au Quarnero ; mais ses aspi- rations ne vont pas au delà. » Vers le même temps, Mazzini disait L'Istrie est nôtre, aussi nécessaire à l'Italie que les ports de Dalmatie aux Slaves du Sud. » Si l'on re- montait plus haut encore, on constatait que Dante fixait la frontière de l'Italie au Quarnero :

Si com' a Pola, presso del Quarnaro Che Vltalia chiude e stioi termini bagna, Fanno i sepolchri tutto il loro varo.

LADALMATIE 41

Dès lors, comment expliquer qu'une campa5ne d'une âpreté et d'une ardeur exceptionnelles ait été organisée depuis 191 4 en faveur de l'annexion de la Dalmatie à l'Italie, et que le Cabinet Salandra-Son- nino se soit fait reconnaître par la Triple- Entente, dans le traité du 26 avril 191 5 (1), la partie la plus importante de cette pro- vince, c'est-à-dire toute la partie nord jus- qu'au cap Planka, entre Traù et Sebenico, avec la plupart des îles semées le long de la côte ? Il est inutile aujourd'hui d'exposer en détail les arguments des annexionnistes, car il semble que les prétentions italiennes sur la Dalmatie seront abandonnées en fait, sinon officiellement. Devant le danger na- tional créé par le désastre de Caporetto,plus que devant les protestations des Yougoslaves et des publicistes indépendants, le Cabinet

(*) Le texte de ce traité, ou du moins la traduction en italien de la version anglaise d'après les dépêches du gouvernement maximaliste de Pétrograd, a été lu le 13 février 1918, à la Chambre des députés d'Italie, par M. Bevione.

42 LA QUESTION YOUGOSLAVE

présidé par M. Orlando a senti la nécessité d'alléger un programme annexionniste qui ne correspondait plus, sous aucun rapport, aux possibilités réalisables. Néanmoins, il convient d'indiquer» que le Comité Pro Dalmazia, la Société Dante Alighieri, la Lega Nazionale et la presse impérialiste étayaient leur thèse sur des raisons géogra- phiques, historiques, ethniques, militaires et économiques.

D'après tous ces propagandistes, les fron- tières naturelles de l'Italie sont constituées par la chaîne des Alpes, laquelle se prolonge « des Alpes Rhétiques le long des Carniques ^et des Juliennes aux Dinariques, c'est-à- dire du Brenner à Cattaro », en englobant toute la côte adriatique jusqu'à l'Albanie. Historiquement, la Dalmatie a appartenu à Rome dans l'antiquité, à Venise au Moyen âge et à l'époque moderne. Ethniquement, les éléments italiens dominent dans les grands centres de la vie intellectuelle et économique. Militairement, l'Italie peut assurer son existence nationale que si elle

LA DALMATIE

43

possède le labyrinthe d'îles et de canaux de la côte orientale de l'Adriatique (1). Econo- miquement, la Dalmatie lui est nécessaire pour sa pénétration dans les Balkans.

Aucun de ces arguments ne tient debout. La raison géographique ne vaudrait politi- quement rien si elle était techniquement bien fondée. Mais elle est mal fondée. Même dans les écoles d'Italie, on enseigne que les frontières naturelles de l'Italie, déterminées par la ligne de partage des eaux de la chaîne alpestre, s'arrêtent au Porto Re, dans le golfe de Fiume, et qu'au sud de ce point commence la péninsule balkanique. Des géologues, il est vrai, ont imaginé que le bassin de l'Adriatique formait le centre de l'unité géographique de l'Italie. Seulement, comme le remarque M. Mondaini, « cette

(x) Au mois d'août 191 7, le Conseil provincial de Bari a voté le vœu « que, avec Trieste, le Haut-Adige et l'Istrie, soient restituées aux Italiens les terres dal- mates qui appartiennent à l'Italie comme constituant sa frontière naturelle sur la rive orientale de l'Adria- tique ».

44 LA QUESTION YOUGOSLAVE

trouvaille rentre dans la géographie de marque pangermanique, suivant laquelle la frontière géographique méridionale de la région germanique est déterminée non par la ligne de partage des eaux des Alpes cen- trales, mais par la ligne du ».

Historiquement, la Dalmatie a fait partie de l'empire romain et s'est trouvée soiis le protectorat de Venise. Toutefois est-ce un motif de l'attribuer à l'Italie ? Des Portes d'Hercule au Pont-Euxin, bien d'autres pays ont appartenu à l'empire romain, qu'aucun ministre ou propagandiste italien ne s'aviserait de réclamer. Il est inutile d'in- sister. Les héritiers de l'empire romain ne se trouvent pas qu'à Rome. Quant à la do- mination vénitienne, elle ne changea point le caractère slave du pays, nettement accusé dès le VIIe siècle. Effective seulement sur le littoral, elle n'atteignait pas l 'arrière- pays ; elle n'absorbait pas la république de Raguse. Elle n'a laissé aucune trace dans la littérature locale. Venise n'avait créé ni écoles, ni hôpitaux, ni routes ; elle traitait

LADALMATIE 45

la Dalmatie en colonie militaire, en domaine d'exploitation, sans se préoccuper de lui imposer sa langue ou de gagner les cœurs (1). Aussi un historien français d'une science et d'une impartialité certaines (») a-t-il pu résumer ainsi l'état du pays au moment de la chute de Venise : « La vérité est que, lorsque les Français de Marmont arrivent, ils trouvent le Slave partout, l'Italien à côté de lui dans les îles et sur la côte, les mœurs et la culture italiennes dans les villes, et aussi le souvenir vivant et parfois affec- tueux de Venise ; mais, nulle part, aucun Dalmate ne leur dit être Italien. Tous, au contraire, ils s'affirment frères des Slaves du dehors dont ils partagent les douleurs et célèbrent les succès. » Les mémoires du temps concordent tous à ce sujet. La sla- visation de la Dalmatie à l'époque moderne

(*) Voir à ce sujet la Dalmatie, l'Italie et V Unité yougoslave, par le comte L. de Voïnovitch, chez Georg et Cie, 1917.

(*) M. Emile Haumant dans la Slavisation de la Dalmatie, Paris, 1917.

46 LA QUESTION YOUGOSLAVE

est une légende sortie du cerveau des natio- nalistes italiens. C'est au contraire l'italia- nisation qui fit des progrès durant le pre- mier demi-siècle de la domination autri- chienne, grâce au besoin que les empereurs de Vienne eurent de Dalmates parlant ita- lien pour administrer la Lombardo-Vénétie. Après 1870 seulement, quand l'irrédentisme gagna de proche en proche, l'administration impériale favorisa les Slaves du littoral aux dépens des Italiens.

Quant à la question ethnique, nous avons déjà cité des statistiques décisives. On peut encore ajouter que, à une époque récente, le Saint-Siège a reconnu le caractère slave de la Dalmatie. Malgré les démarches du comte Kalnoky, alors ministre commun des affaires étrangères d'Autriche-Hongrie, Léon XIII maintint l'usage de la liturgie slave plus précisément paléoslave, avec des caractères glagolites, antérieurs aux cyrilliques dans les diocèses de Sign, de Veglia, de Zara et de Spalato. Pie X fit de même. Dans les autres diocèses, le mouve-

LA DALMATIE 47

ment en faveur de l'usage général de la li- turgie slave est très fort. Du reste, aux messes latines, on chante toujours, dans toutes les églises, l'Ëpitre et l'Évangile en langue vulgaire serbo-croate. On emploie la même langue, dans les villes et dans les campagnes, pour toutes les cérémonies autres que la messe, telles que le baptême, la confirmation, le mariage, les enterre- ments, etc. Le 7 mars 191 2, le Saint-Siège qui, l'année précédente, sur les instances de Mgr Stadler, avait transformé le collège illyrique de Saint- Jérôme à Rome en collège croate, rétablit le caractère serbo-croate de ce collège et reconnut l'existence des Serbes catholiques (*).

Les arguments tirés des .exigences de la défense nationale pourraient servir à n'in- porte quel État pour justifier des revendi-

(*) D'après le comte de Voïnovitch, l'un des négo- ciateurs de la convention du 7 mars 1902, la rancune gardée à cette occasion par le Cabinet de Vienne contre le cardinal Rampolla fut l'une des causes du veto opposé par l'Autriche à ce prince de l'Église au con- clave de 1903.

48 LA QUESTION YOUGOSLAVE

cations sur n'importe quoi. Ils ne sont ad- missibles que s'ils ne violent pas des droits préexistants. Dans le cas du Trentin, ils sont irréfutables, car cette province, de langue italienne, s'enfonce comme un coin entre la Lombardie et la Vénétie. Mais, dans un monde organisé, un Etat de haute civilisation ne saurait revendiquer, à titre de glacis militaire, des territoires habités par des populations qui repoussent abso- lument sa domination. Quand les popula- tions sont mélangées, enchevêtrées, il est permis de passer par dessus les convenances d'agglomérations plus ou moins impor- tantes pour établir une frontière logique au point de vue militaire et administratif à charge de répricocité. On comprendrait des combinaisons de ce genre à propos de l'is- trie et des lisières de la Slovénie. En ce qui concerne un pays aussi un que la Dalmatie, aucune considération militaire ne légitime- rait son annexion ni son démembrement. Mais, dans ce cas particulier, on peut affir- mer que les considérations purement mili-

LADALMATIE 49

taires, sans parler des autres, s'opposent absolument à l'annexion.

La côte dalmate est indéfendable pour l'État qui ne possède pas l'arrière-pays, et, pour être gardé sérieusement, cet arrière- pays exigerait la présence d'une armée de plusieurs centaines de mille hommes. En effet, sa situation géographique l'expose constamment au risque d'être coupé par une armée venant de l'Est. Soit l'Autriche, si elle subsiste, soit la Magyar ie, si elle s'af- fermit, soit la Yougoslavie, si elle se consti- tue, seront toujours en mesure de former une masse de choc venant prendre de flanc, à un point sensible, le corps italien d'occu- pation dispersé du golfe de Spalato au Quarnero, et séparé de la péninsule latine par le large fossé de l'Adriatique. Il ne suffit pas de proclamer cette mer lac italien pour qu'elle le devienne en effet. Aucun argu- ment de sentiment, aucun artifice de polé- mique ne détruira jamais le fait que toute sa rive orientale au-dessous de Pola, à l'ex- ception de quelques îlots urbains, n'est pas Gauvain. 4

50 LA QUESTION YOUGOSLAVE

italienne, qu'elle est slave, albanaise et grecque, et qu'elle est destinée par la nature des choses à rester telle pendant des siècles. Si l'Italie venait à y établir sa domination par la force, elle ne pourrait l'y maintenir que par un déploiement de forces hors de toute proportion avec ses ressources mili- taires et économiques. Il lui serait incom- parablement plus avantageux de voir un peuple ami solidement installé sur cette rive, prêt à la défendre contre les agressions de l'Est. Une alliance avec une Yougoslavie intéressée à se prémunir contre les attaques de la Germanie ou de la Magyarie constitue la solution la plus efficace,la moins coûteuse, du problème de la défense nationale dans l'Adriatique. L'annexion donnerait une garantie illusoire et créerait un irrédentisme serbo-croate des plus dangereux.

En ce qui concerne la défense nationale, elle n'exigerait pas, de l'avis de marins aussi patriotes qu'expérimentés, autre chose que l'occupation de quelques bases et la neu- tralisation d'une partie des côtes. A cet effet,

LADALMATIE 51

il suffirait d'occuper Pola, Vallona et quelques-unes des îles la population est insignifiante. Depuis la transformation des sous-marins en véritables bateaux de guerre, la sécurité absolue désirée par les Italiens dans l'Adriatique est impossible à obtenir. Les amiraux de Victor-Emma- nuel III le savent bien. A ce point de vue encore, il vaudra mieux, en temps de guerre, posséder l'amitié des populations riveraines que la souveraineté des côtes. On sait assez comment des sous-marins peuvent se ravi- tailler avec la complicité de quelques gens. Quant à la neutralisation, pour qu'elle n'eût pas plus d'inconvénients que d'avantages, il faudrait qu'elle ne comportât pas de « servitudes » à la charge des peuples de la rive orientale. Autrement ceux-ci vivraient dans la préoccupation constante de s'en débarrasser et cela créerait une source de conflits. L'intérêt de l'Italie, comme celui de la paix générale, demande que le statut adriatique nouveau soit établi à l'amiable entre les pays de l'une et l'autre rive de ma-

52 LA QUESTION YOUGOSLAVE

nière à ne laisser à aucun d'eux ni rancune, ni désir de revanche.

Économiquement, le raisonnement des annexionnistes est un contresens. La péné- tration dans les Balkans par la côte adria- tique ne peut se faire que par des voies d'une direction perpendiculaire à la mer. C'est ce que les ingénieurs de Marmont avaient reconnu du premier coup d'oeil. Aussi s'étaient-ils empressés de dresser les plans de plusieurs routes transversales pénétrant en Bosnie et en Herzégovine. Malheureu- sement la courte durée de l'administration française ne permit pas l'exécution de ce plan. Napoléon Ier sentait si bien l'impor- tance de la question qu'il projetait de se faire céder la Bosnie par le sultan et d'ac- quérir une partie de la Croatie. Mais il remuait tant de projets à la fois que ceux-là restèrent, avec beaucoup d'autres, à l'état de rêves. Sous le régime austro-hongrois, on construisit presque uniquement des voies longitudinales dans la direction de Pest ou de Vienne. Les anciennes routes

LA DALMATIE 53

transversales furent délaissées et demeu- rèrent à l'état de sentiers. Tout le système des voies de communications fut appelé à desservir la Germanie et la Magyarie. Les Cabinets de Vienne et de Berlin, le premier surtout, se sont toujours opposés, en fait, sinon publiquement, à la création de voies transversales partant de Serbie ou de Ma- cédoine. De 1908 à 191 3, ils n'approuvèrent, dans les protocoles, les projets de chemins de fer Danube-Adriatique qu'avec la ferme intention d'empêcher d'y donner suite. Ils ne voulaient pas laisser la Balkanie trouver des débouchés en dehors de leurs sphères d'influence.

Pour que s'établisse, conformément aux désirs du Cabinet de Rome, un courant commercial actif entre l'Adriatique et l'in- térieur des Balkans, il faut donc qu'il y ait accord entre les possesseurs de la côte dal- mate et ceux des territoires situés au delà des Alpes Dinariques. Dans les circons- tances présentes, cet accord ne peut être réalisé que par la création de la Yougoslavie.

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Si la question était soumise à un Chinois ou à un Japonais, la démonstration de l'inu- tilité et. du danger pour l'Italie d'annexer tout ou partie de la Dalniatic lui semblei irréfutablement établie. Seul le trouble jeté par la passion dans les esprits peut faire hésiter encore quelques personne Pi-

laires.

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TcHEMERiKiTe h, dans le Bulh tin monténégrin du 1 <- r dé- cembre 191 7.

54 LA QUESTION YOUGOSLAVE

Si l'Italie s'emparait de la côte, les Serbo- Croates de tout l'arrière -pays, exaspérés, s'orienteraient vers Salonique. Si les Habs- bourg, après avoir perdu la Dalmatie, conservaient la souveraineté de la Croatie, de la Bosnie et de l'Herzégovine, ils accen- tueraient leur politique de chemins de fer vers la mer Egée. Le seul moyen pratique pour l'Italie de pénétrer commercialement dans les Balkans par la côte adriatique consiste à conclure avec une Yougoslavie amie de bons traités de commerce. A la fin de l'été de 1917, M. Pachitch, président du Conseil de Serbie, faisait la réponse sui- vante à M. Bevione, journaliste et député italien, qui lui demandait quelles compen- sations pourraient être accordées à l'Italie contre la renonciation à ses revendications sur la Dalmatie continentale et insulaire : 0 II n'existe qu'une seule réponse à faire, et elle est très simple : les voies transversales des Balkans (i). » M. Pachitch avait raison.

(J) Voir Le Problème yougoslave, par M. Milan

LA CROATIE

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De bonnes voies transversales serviront les intérêts économiques de l'Italie aussi bien que ceux de la Serbie. En outre, elles res- serreront les liens de toute sorte entre les deux pays.

Si la question était soumise à un Chinois ou à un Japonais, la démonstration de l'inu- tilité et. du danger pour l'Italie d'annexer tout ou partie de la Dalmatie lui semblerait irréfutablement établie. Seul le trouble jeté par la passion dans les esprits peut faire hésiter encore quelques personnages consu- laires.

La Croatie.

La Croatie - Slavonie s'étend entre l'Adriatique, elle possède une fa- çade de 150 kilomètres entre l'Istrie et la Dalmatie, à l'Ouest, la Carniole, la Carin- thie, la Styrie et la Drave au Nord, le Da-

Tchemerikitch, dans le Bulletin monténégrin du Ier dé- cembre 191 7.

56 LA QUESTION YOUGOSLAVE

nubc à l'Est, la Save et FUna uu Sud. Les Croates y font rentrer aussi le Medjumurje, pays de 735 kilomètres carrés situé entre la Drave, la Mur et la Styrie, et faisant admi- nistrativement partie du comitat hongrois de Zala ; ils réclament un peu plus de 82.000 des leurs sur les 90 ou 91.000 habi- tants de ce district qui appartenait à la Croatie jusqu'au milieu du XIXe siècle et qui, encore aujourd'hui, est placé sous la juri- diction ecclésisatique de l'archevêque d'Agram (Zagreb).

La Croatie officielle compte, d'après le recensement de 1910, 2.621.954 habitants répartis sur 42.534 kilomètres carrés. Ce n'est point une province de Hongrie. C'est une ancienne principauté, transformée en royaume par Tomislav en 924. La Croatie comprenait ce qui correspond à la Croatie d'aujourd'hui, sans la Slavonie, plus la Dalmatie d'aujourd'hui jusques et y com- pris Spalato (1). Le royaume s'agrandit au

(*) Tomislav a été couronné sur le champ de Duvno (Duvanako Polie) en Dalmatie.

LACROATIE 57

siècle suivant, de manière à comprendre la Slavonie et le reste de la Dalmatie d'aujour- d'hui qui englobait certaines localités de la côte et représentait l'ancienne Dalmatie byzantine. Il avait le duché de Bosnie pour vassal. Il porta dès lors le nom de regnum triplex et unum, de royaume triunitaire. En 1092, par suite de l'extinction de la dynastie nationale, il se rattacha, par un lien pure- ment personnel, au royaume de Hongrie. Après quelques différends, il fut décidé qu'il conserverait sa pleine indépendance et que le roi y serait représenté par un ban ou vice-roi. La descendance de Ladislas Ier, roi élu, s 'étant éteinte en 1301, les Croates élurent roi Charles d'Anjou qui devint aussi roi de Hongrie six ans plus tard. Dans des circonstances analogues, ils élirent en 1527, à la Diète de Célina, Ferdinand de Habs- bourg qui, seulement ensuite, fut proclamé roi de Hongrie. Malheureusement la Croa- tie, périodiquement foulée par les Turcs, dut songer à se défendre plutôt contre eux que contre les empiétements de la puissance

58 LA QUESTION YOUGOSLAVE

impériale. Une grande bande de son terri- toire, de l'Adriatique au Danube, fut orga- nisée en confins militaires par Marie-Thé- rèse, et resta soumise jusqu'en 1873 ^ un régime militaire l'allemand était la seule langue de service. Obligée durant des siècles de se tenir constamment en garde contre les Turcs, la population était de mœurs guerrières. La nécessité d'une pro- tection puissante l'attacha à la Maison de Habsbourg.

En 1848, les Croates, commandés par le ban Jellatchitch, défendirent l'empereur contre les Hongrois révoltés et sauvèrent la monarchie (1). En retour de ce service

(*) Le conflit entre la Croatie et la Hongrie était antérieur à la révolution magyare. Il avait été provo- qué par le refus du gouvernement de Pest de recon- naître les droits historiques du royaume croate. En déclarant la guerre au gouvernement hongrois, le 7 septembre 1848, le ban Jellatchitch déclara : « Nous demandons l'égalité des droits de tous les peuples et de toutes les nationalités vivant sous la Couronne hongroise. Puisque le gouvernement hongrois croit qu'il ne peut accepter ces revendications, notre hon- neur et notre devoir nous imposent la suprême raison :

L A C R O A T I E 59

capital, ils avaient reçu de François-Jo- seph Ier la promesse de la réunion de Fiume et de la Dalmatie à leur royaume. Mais ils ne furent pas mieux récompensés que les Serbes de la Batchka. La Consti- tution qui leur fut octroyée le 4 mars 1849 ne fut pas appliquée. Elle fut supprimée deux ans plus tard par le ministre centrali-

de recourir aux armes. » A ce moment le gouvernement hongrois était encore un gouvernement légal nommé et reconnu par le souverain. Ce n'est qu'une dizaine de jours plus tard, le 16 septembre, que Louis Kos- suth assuma la présidence du Comité révolutionnaire pour la défense nationale. Jellatchitch, au début in- soumis lui-même, finit par la force des choses par de- venir l'allié de la Cour de Vienne, quand le gouver- nement hongrois se fut transformé en Comité révo- lutionnaire. Mais les buts poursuivis par le ban Jel- latchitch étaient bien différents de ceux que visait la Cour de Vienne. Avant de partir en guerre contre les Magyars, Jellatchitch transforma le Parlement féodal croate en Parlement électif. Ce nouveau Parle- ment abolit le servage et proclama la nécessité d'une transformation fédérative de la monarchie des Habs- bourg sur le modèle de la Suisse.

Dans son grand discours du 20 octobre 1848 de- vant le Parlement cisalpin, Cavour a nettement dé- fendu la conduite de Jellatchitch qui était déjà et qui est encore souvent incriminée en Italie. Il disait:

6o LA QUESTION YOUGOSLAVE

sateur Bach qui restaura l'absolutisme pur et simple. L'allemand fut introduit comme langue officielle en même temps qu'en Hongrie. Un instant, des misères communes rapprochèrent les Croates des Magyars. Mais, après Sadowa, François-Joseph ca- pitula devant les Magyars et leur livra les autres pays qui, d'après eux, relevaient de la Couronne de Saint-Étienne. La Croatie refusa de ratifier YAusgleich de 1867 conclu sans son concours entre Vienne et Pest. Elle négocia elle-même un compromis avec la Hongrie, qui fut signé en septembre 1868. Cet acte, la Nagoda, fut revisé en 1873 et en 1881 dans un sens légèrement favorable aux Croates. En somme, il établit l'union per-

« Le drapeau que les Croates ont déployé est le dra- peau slave, et nullement, comme certains le supposent, le drapeau de la réaction et du despotisme. Jellat- chitch s'est servi du nom de l'empereur, en quoi il s'est montré politique avisé. Mais cela ne prouve pas que son but principal, sinon unique, ne soit pas la réclamation de la nationalité slave. » Discours par- lementaires du comte C. de Cavour, Turin, 1863, tome I.

LACROATIE 6l

sonnelle entre la Couronne de Hongrie et la Couronne de Croatie, institue à Zagreb une Diète chargée de légiférer sur les af- faires intérieures, la justice et l'instruction publique, et investit du pouvoir exécutif un ban nommé par le roi sur la proposition du ministère hongrois. La Croatie est re- présentée par un ministre spécial dans le Cabinet hongrois ; elle envoie quarante membres à la Chambre des députés hon- groise et trois à la Chambre des magnats. En vertu de l'article 56, le croate est la langue officielle de la Croatie-Slavonie.

Depuis la mise en vigueur de la Nagoda, les Magyars n'ont cessé de la violer. Quoi- qu'ils forment seulement un peu moins de 4 0/0 de la population, ils prétendent s'im- poser, eux et leur langue. Ils recourent à la fois à la ruse et à la force. En 1883, ils nom- mèrent ban le comte Khuen-Hédervary qui gouverna en dictateur pendant vingt ans, suspendant les lois, bousculant Diète, modifiant la loi électorale. Cette ty- rannie finit par mettre d'accord, dans une

02 LA QUESTION YOUGOSLAVE

pensée patriotique commune, les Serbes orthodoxes et les Croates catholiques que la politique austro-hongroise s'ingéniait à exciter les uns contre les autres. Ils scel- lèrent en 1905, à Zadar (Zara) et Riéka (Fiume), un pacte de réconciliation. Les nouvelles élections amenèrent à la Diète une forte majorité serbo-croate. Alors le roi suspendit la Diète, du 14 mars 1908 au commencement de 1910, et prononça quatre fois sa dissolution dans l'intervalle de quelques années. De 1908 à 1914, l'Eu- rope retentit des scandales austro-magyars en Croatie. On se rappelle encore le mons- trueux procès d'Agram, en 1909, l'ad- ministration mit tout en œuvre, y compris les faux, pour perdre une multitude de braves gens suspects de panserbisme.

Économiquement, la Cçoatie fut traitée aussi mal. Par un tour de passe-passe, qui équivalait à un faux en écriture publique, les Magyars se firent attribuer dans leur exemplaire de la Nagoda la ville de Fiume, le seul grand port croate. Malgré toutes les

LACROATIE 63

protestations, ils s'en emparèrent et la gar- dèrent. Les chemins de fer furent cons- truits et administrés exclusivement dans l'intérêt hongrois. Les tarifs furent établis de manière à favoriser Budapest dans une proportion inouïe. Ainsi il n'en coûtait pas plus pour voyager de Fiume à Pest que pour aller seulement jusqu'à Agram. Pour se rendre d'une ville croate à une autre, il fallait souvent faire un immense détour par la Hongrie et s'arrêter en route, faute de correspondances. Heureusement, dans ce pays de petite propriété, l'agriculture forme la principale richesse, et les paysans, ap- puyés sur des sociétés coopératives très nombreuses et bien dirigées, purent sou- tenir avec succès la lutte nationale. Ils furent en cela puissamment secondés par l'illustre évêque de Diakovo, Mgr Stross- mayer, qui, durant toute sa longue exis- tence, en dépit de toutes les influences de Cour, consacra sa grande intelligence et les vastes revenus de sa mense épiscopale à l'encouragement de la cause serbo-croate.

64 LA QUESTION YOUGOSLAVE

Aujourd'hui, malgré les internements et les exécutions, ils revendiquent hautement l'indépendance complète et le rattachement à une grande Yougoslavie réunissant en un bloc compact toutes les parties du monde serbo-croate.

Le traité du 26 avril 191 5 n'attribue à l'Italie qu'une petite partie de la Croatie du Sud-Ouest, avec les deux localités de Lissarinka et de Tribanj, au nord de Zara. Après bien des tiraillements, le Cabinet de Rome finit par renoncer à ses prétentions sur Fiume. Mais, pendant près de trois ans, sous le couvert d'une censure qui interdi- sait les moindres articles en sens contraire, il permit à sa presse officieuse et à ses agents de propagande chez les Alliés de ré- clamer cette ville avec acharnement. Sui- vant les interprètes ordinaires de la pensée de la Consulta, Fiume et Trieste étaient soli- daires ; ces deux ports avaient les mêmes débouchés et l'on ne pouvait tirer parti de

LACROATIE 65

l'un qu'en possédant l'autre aussi. Par con- séquent, Trieste étant adjugée à l'Italie, il devait en être de même de Fi urne. Si le fait invoqué se trouvait exact, on aurait plutôt dû, semble-t-il, en tirer la conclusion que, Trieste remplissant toutes les fonctions commerciales de Fiume, l'annexion de cette dernière ne présentait aucune utilité pour l'Italie, tandis qu'elle privait toute la Croatie de son unique port, terminus de la grande voie Pest-Agram- Adriatique. Mais les nationalistes impérialistes, férus delà domi- nation absolue de l'Adriatique, prétendaient s'emparer de toutes les clefs de cette mer et tenir en lisière tous les peuples de l 'arrière- pays. Quelques diplomates espéraient, lors des suprêmes négociations, troquer Sebe- nico contre Fiume.

D'une façon générale, l'opinion italienne était ouvertement hostile aux Croates. Au cours d'une séance de 191 7 à Montecitorio, un député ayant lâché les mots : i cani Croati « les chiens de Croates », une salve d'applaudissements éclata dans la Chambre. Gauvain. ç

66 LA QUESTION YOUGOSLAVE

Historiquement, ce sentiment s'explique par les luttes séculaires les Croates, ar- dents soldats, vinrent se battre pour les Habsbourg en Italie. De génération en génération, en Vénétie et en Lombardie, on s'est transmis des récits horrifiques des cruautés croates. Aussi cela semblait une revanche des épreuves passées de prendre le bien de ces sauvages, indignes de posséder des villes des Latins entretenaient un foyer de haute civilisation. Pour des motifs analogues, les Italiens voyaient de mauvais œil les projets d'union de la Croatie avec la Serbie. Ils n'auguraient rien de bon d'un nouvel État leurs anciens ennemis se- raient appelés à jouer un rôle important en raison de leur nombre et de leur formation politique plus avancée que celle des Serbes. Cette défiance allait si loin qu'elle rejaillis- sait sur les Serbes eux-mêmes et que, du jour l'idée de l'union yougoslave prit corps dans les cercles politiques de Bel- grade, les sympathies italiennes pour la Serbie diminuèrent dans une inquiétante

LA CROATIE 67

proportion. On jugeait plus prudent à Rome de laisser la Croatie à ses anciens maîtres. D'autre part, la diplomatie russe, mal in- formée et préoccupée d'empêcher la conta- mination religieuse des Slaves orthodoxes par les Slaves catholiques, se rallia à cette combinaison qui fut consacrée, au prin- temps de 191 5, par ce qu'on appela la clause du veto. Les Cabinets de Paris et de Londres eurent la faiblesse de s'associer à un engagement contraire au droit des peuples de disposer d'eux-mêmes. La clause interdisant l'union des Croates avec les Serbes ne figure pas dans le texte lu le 13 février 191 8 à Montecitorio. Tou- tefois, elle a été formellement mention- née, dans la seconde moitié de 1917, par des amis avérés de la Consulta. A cette époque, dans l'entourage de M. Sonnino, on paraissait désireux de négocier la re- nonciation à la clause du veto contre la reconnaissance par les Yougoslaves des autres stipulations des arrangements de

68 LA QUESTION YOUGOSLAVE

Nous avons mis en lumière ailleurs (x) les funestes conséquences de ces arrangements préparés dans le secret à l'insu de tous les Yougoslaves intéressés, y compris le gou- vernement serbe allié. Leurs auteurs étaient certainement animés de louables intentions. Mais ils ignoraient les éléments essentiels des questions qu'ils traitaient. La guerre mondiale a révélé la profonde igno- rance, en matière de politique extérieure, de la plupart des hommes d'Ëtat d'Europe et d'Amérique. Que d'exemples on citerait, si la courtoisie le permettait! L'excuse de ces personnages, si toutefois c'en est une, se trouve dans le déplorable défaut de pré- paration politique de la jeunesse. On fait beaucoup de politique, on en fait trop ; mais presque personne n'apprend de façon méthodique ce que devraient savoir les hommes qui peuvent être appelés à parti- ciper à la direction des grandes affaires

(x) Dans un article sur l'Italie et la guerre, dans la Revue de Paris du Ier février 191 8.

LES SLOVÈNES 69

extérieures. Les hasards de la vie tiennent lieu d'expérience. En France, les dernières réformes dans la carrière diplomatique ont consisté à demander aux candidats de nou- velles connaissances en matière de com- merce, de statistiques, de bilans, de mer- curiales, etc. Lorsqu'on fera le bilan de la guerre mondiale, on verra combien de dizaines de milliards des hommes connais- sant bien l'Europe d'aujourd'hui auraient pu épargner à chacun des grands belligé- rants.

Depuis quelques mois, les préventions italiennes contre les Croates diminuent sen- siblement. Au cours des dernières semaines, un courant puissant s'est formé chez nos voisins transalpins en faveur de l'union yougoslave. Il ne reste à surmonter que des résistances de chancellerie

Les Slovènes.

C'est chez les Slovènes, dans l'état actuel des choses, que se rencontrent les

70 LA QUESTION YOUGOSLAVE

plus grandes difficultés. Ils se trouvent dans l'Istrie et une partie de ses îles, à Trieste, dans le comté de Goritz-Gradisca, dans la Carniole, la Carinthie méridionale et la bande méridionale de la Styrie. De ces divers pays, la Carniole seule est ethni- quement homogène avec 491.000 Slovènes sur 525.000 habitants.

Il faut l'avouer, aux yeux de la plupart des Occidentaux, ces pays passaient pour italiens ou allemands. Les touristes qui vi- sitaient les rives de l'Adriatique parlaient italien ; ceux qui voyageaient dans l'inté- rieur essayaient de se faire comprendre en allemand. Ils ne séjournaient guère que dans les villes l'une de ces deux langues était en usage dans les hôtels, magasins, cafés, etc. Ils se doutaient bien que la cam- pagne était habitée par des paysans parlant une autre langue, mais ils pensaient que ces gens, d'une civilisation inférieure, n'avaient pas d'importance. Cependant, le peuple slovène est établi dans ces régions depuis le VIIe siècle. Mais, converti au christia-

LES SLOVENES 71

nisme par des prêtres germaniques, il tomba sous la domination de seigneurs féo- daux allemands, qui l'isolèrent des autres Slaves. Le sentiment national fut réveillé chez lui par la révolution française et la création du royaume napoléonien d'Illyrie. Comprimé sous le régime Metternich, il se raviva en 1848. L'admission de la langue slovène dans les écoles et l'administration sur le pied d'égalité avec l'allemand fut alors reconnue. Pendant le règne de Na- poléon III, l'illyrïsme fut en grande faveur dans les dissertations historiques ; en réa- lité ce mot antique, facilement intelligible aux Occidentaux de culture classique, dési- gnait ce qu'on appelle aujourd'hui le mou- vement yougoslave. S 'il s'était conservé dans le vocabulaire politique moderne, la cause qu'il représente y eût certainement gagné en France. Mais, après 1871 et l'instaura- tion de l'hégémonie germanique dans l'Eu- rope centrale, le mot disparut. Avec lui, la cause sombra dans le souvenir des Latins. En fait, elle fut surtout compromise par

72 LA QUESTION YOUGOSLAVE

l'établissement du dualisme en Autriche- Hongrie.

Pourtant les Slovènes étaient toujours là. Du côté des Allemands et des Magyars, ils occupaient les territoires compris au-des- sous d'une ligne approximative Pontafel

Villach (Beljak) Klagenfurt (Celovec)

Lavamùnd Spielfeld Radgona Saint-Gothard embouchure de la Mur. A l'Est, ils confinaient à la Croatie ; à l'Ouest à l'Italie. En très grande majorité dans la vallée supérieure et moyenne de l'Isonzo, ils étaient en minorité très faible dans la partie basse. Dès qu'il leur fut permis de se servir officiellement de leur langue, parente très proche du serbo-croate, ils réalisèrent des progrès comparables à ceux des Tchèques en Bohême. Ils eurent des poètes, des prosateurs, des conteurs, des journaux, des publications périodiques et des sociétés littéraires. L'instruction populaire se déve- loppa chez eux avec une rapidité qui sur- prendrait nos ministres de l'instruction pu- blique, et qui leur donna une forte avance

LES SLOVENES 73

sur d'autres peuples de la monarchie, les Magyars par exemple. D'après les dernières statistiques connues, savaient lire et écrire : 96.64 0/0 des Tchèques, 88,72 0/0 des Ita- liens, 80,40 o/o«des Slovènes, 62,02 0/0 des Magyars, 39,06 0/0 des Roumains (x). C'est une proportion générale, sans distinction d'âge. Elle devient singulièrement plus favorable aux Slovènes, et bien caractéris- tique, si l'on envisage sous ce rapport les jeunes générations. On retrouve bien alors les Tchèques et les Allemands en tête des statistiques ; mais les Slovènes viennent au troisième rang pour les jeunes gens de onze à vingt ans, avec 95,94 o /o. Les Italiens sui- vent immédiatement, presque à égalité avec 95,92 0/0. Il convient d'observer à ce sujet que les Italiens de la monarchie dua- liste habitent principalement les villes, les écoles, plus nombreuses et plus

(*) Les Roumains ont été constamment persécutés par les Magyars dans les affaires scolaires. On vient de supprimer totalement les écoles l'enseignement se donnait en roumain.

74 LA QUESTION YOUGOSLAVE

accessibles, reçoivent des subventions diverses, tandis que la population slovène, essentiellement rurale, est abandonnée à ses propres ressources.

L'effort qu'a fait cette population depuis un demi-siècle prouve sa vitalité, et la rend digne des sympathies des nations civilisées. Plusieurs grandes puissances européennes pourraient envier le pourcentage de son instruction et ses florissantes associations coopératives. Il est permis de discuter les aspirations politiques des Slovènes ; il est malséant et inique de les repousser de prime abord sous le prétexte qu'elles ne corres- pondent pas à un certain état de civilisation. L'éclat d'une ancienne civilisation ne confère à aucun peuple aucun droit contre un autre peuple retardé dans sa marche vers le progrès par des forces supérieures. Le nombre et la richesse des musées d'an- tiques ne donnent pas la mesure des mérites des nations vivantes. Chacun doit être jugé d'après ses œuvres. Or les œuvres des Slo- vènes depuis plusieurs générations méritent

LES SLOVENES 75

l'estime générale. De plus, ce peuple forme un rempart contre l'invasion du germa- nisme dans le sud de la monarchie. Il a conscience de ce grand rôle et le remplit avec une énergie remarquable sans se laisser intimider ou séduire. Ce serait une singu- lière façon de reconnaître les services qu'il rend à la civilisation méditerranéenne que de le rejeter en Germanie et de le couper de ses frères des hords de l'Adria- tique.

Dans l'Istrie proprement dite, le recen- sement de 1910 a dénombré 223.318 habi- tants parlant serbo-croate ou siovène, et 147.417 parlant italien, presque tous catho- liques les uns et les autres. La côte occiden- tale est italienne dans la partie basse, Slo- vène dans l'intérieur montagneux. A la pointe méridionale, la ville de Pola compte 29.000 Italiens et 15.000 Croates ; la pro- portion est renversée dans les environs qui sont habités par 5.000 Croates et 2.000 Ita- liens. La côte orientale, avec Abbazia, est à peu près entièrement slave ; le district de

76 LA QUESTION YOUGOSLAVE

Volosca «contient 47.700 Serbo-Croates contre 955 Italiens.

A Trieste et dans le territoire adjacent, on compte 119.000 Italiens et 60.000 You- goslaves. Aux élections parlementaires de 191 1, 14.337 électeurs votèrent pour les candidats italiens, 10.657 pour les candidats slaves. L'arrière-pays de Trieste est pure- ment yougoslave.

Dans le pays de Goritz et de Gradisca, il y a 154.000 Slovènes et 90.000 Ita- liens; dans la ville de Goritz environ 15.000 Italiens, 11.000 Yougoslaves et 4.000 Allemands ; la banlieue de Goritz et la région montagneuse sont slovènes. La région de Gradisca, plus connue sous le nom de Frioul, est habitée presque exclusi- vement par des Italiens.

Nous avons déjà parlé de la Carniole.

En Carinthie, 120.000 habitants sur 396.000 sont slovènes ; en Styrie, 410.000 sur 1.445.000. En outre, 102.000 Yougo- slaves sont établis dans la Hongrie occi- dentale, entre la Mur et le Saint-Gothard.

LES SLOVÈ NÏE S 77

Quoiqu'ils se trouvent en masses compactes sur le pourtour de ces provinces, adjacentes à d'autres provinces ils possèdent une forte majorité, ils sont administrativement noyés dans la masse allemande ou magyare. C'est pourquoi ils réclament avec une in- sistance croissante leur réunion aux autres Yougoslaves dans un État unique.

Le traité du 26 avril 191 5 attribue à l'Italie une partie importante des territoires slovènes : toute l'Istrie, y compris Volosca, les grandes îles de Cherso et de Lussin et les îles plus petites de Plavnik, d'Unia, de Canidoli, de Palazzuola, de S. Pietro Nero- vio, d'Asinello et de Gruica ; Trieste et son territoire ; la partie de la Carniole située à l'ouest d'une ligne passant par le mont Tarvis, suivant la ligne de partage des eaux des Alpes Juliennes au delà des crêtes du Predil, du Mangart et du Tricorno, tour- nant ensuite vers le Schneeberg et descen-

78 LA QUESTION YOUGOSLAVE

dant vers le Quarnero, entre Volosca et Fiume. Les Slovènes n'ont cessé de pro- tester, avec les autres Yougoslaves, contre ce démembrement. Leurs réclamations, no- tamment en ce qui touche Trieste qu'ils considèrent comme une enclave italienne en territoire slave et comme le port indis- pensable à la vie commerciale de l 'arrière- pays, ont déchaîné en Italie une colère pas- sionnée. Il ne peut s'agir ici de discuster en détail les questions mises en jeu. Les solu- tions transactionnelles, satisfaisantes pour les deux parties, se trouveront avec moins de difficulté qu'on ne pense dès qu'on aura décidé de prendre pour base d'arrangement les convenances administratives au lieu des exigences militaires. Mais il est urgent d'exposer un certain nombre de faits qui s'imposent à l'attention de toutes les per- sonnes soucieuses de se faire une opinion d'après les réalités et non d'après l'ima- gination.

V

\S\S%J\*\*\*\S\S\S\S\S\*\f\*\S\S\f\*

LE MOUVEMENT YOUGOSLAVE

TOUS les groupes yougoslaves que nous avons passés en revue ont pro- clamé leur volonté d'être réunis en un Etat unique. Dans chacune des régions de la Yougoslavie, tous les partis se sont mis d'accord sur le programme de l'union. De- puis le commencement de la guerre, cette volonté s'est manifestée de toutes les ma- nières, même les plus dangereuses : dans les réunions publiques, dans la presse, dans les Diètes locales, au Parlement de Vienne, dans les Comités constitués à l'étranger. Pour avoir confessé publiquement leur foi

80 LA QUESTION YOUGOSLAVE

patriotique, ou simplement pour être soup- çonnés d'entretenir le feu sacré national, des multitudes d'hommes ont souffert le martyre. Les autorités austro-hongroises ont pendu, fusillé, emprisonné, interné des milliers de Yougoslaves. Elles ont condamné par contumace les patriotes réfugiés à l'étranger, et décrété la confiscation de leurs biens. Aucun supplice, aucune menace n'ont étouffé, ni même ralenti le mouvement. Aujourd'hui, après quarante-cinq mois de souffrances et d'épreuves, les Yougoslaves crient plus haut que jamais leurs espé- rances. Ils les affichent devant l 'empereur- roi, devant ses ministres, devant les gou- verneurs de provinces et de villes. Ils en sont venus à rejeter publiquement même la fiction d'une union sous l'égide des Habs- bourg. Ils disent en face aux représentants de l'empereur-roi : « Nous voulons être in- dépendants, unis et indépendants dans un État à nous, libres de toute sujétion, sou- veraineté ou suzeraineté quelconque. » Ce n'est l'effet ni d'un emballement ir-

LE MOUVEMENT YOUGOSLAVE 8l

réfléchi, ni d'une excitation idéologique, ni du prurit révolutionnaire. C'est un mouve- ment aussi intense, aussi profond, et même plus général que celui du risorgimento dans l'Italie des deux premiers tiers du xixe siècle. Dans un assez grand nombre d'Etats ita- liens d'avant 1860, l'élite seule, avec quelques révolutionnaires professionnels, poursuivait l'unité. Immédiatement avant les grands événements de 1859, des diplo- mates illustres et des publicistes éminents disaient et écrivaient que les Italiens, très différents les uns des autres par les mœurs et par les dialectes, ne voulaient pas l'unité. On croyait volontiers alors à l'Italie « des trois tronçons ». Napoléon III s'imaginait qu'il pouvait maintenir les Etats pontificaux entre un Piémont agrandi et le royaume de Naples. Il n'en est pas de même, en 191 8, pour la Yougoslavie. De la Morava à l'Isonzo, de la Tchernagore aux Karawan- ken, il n'y a qu'une voix en faveur de l'union yougoslave. Si on ne l'entend pas, c'est qu'on se bouche les oreilles .Sur les chances Gauvain. 6

82 LA QUESTION YOUGOSLAVE

de succès et l'opportunité d'un mouvement national qui semble nouveau aux personnes mal acclimatées dans l'Europe actuelle, on peut différer d'avis. Mais les faits sont là. Ce sont des phénomènes positifs qu'on ne supprime pas en les niant.

Au point de vue moral, le yougoslavisme mérite toutes les sympathies. La politique austro-magyare s'est efforcée de le discré- diter en mettant les pires méfaits à son pas- sif. Elle l'a dénoncé aux nations d'Occident comme subversif dans ses intentions et cri- minel dans ses actes. Elle a forgé des faux pour l'accabler en justice. Elle a imaginé des attentats fantaisistes pour les lui imputer. Elle l'a accusé de crimes réels qu'elle savait commis par d'autres. L'énorme mémoire joint après coup à la circulaire autrichienne du 22 juillet 1914 aux grandes puissances (x) constitue à cet égard le réquisitoire le plus

(x) Il figure au Livre Jaune d'alors. Voir aussi notre Europe avant la »uerre, p. 270 et suiv. (Librairie Co- lin).

LE ROLE DU CLERGÉ 83

caractéristique. Les griefs qu'il énumère avaient pour objet de légitimer aux yeux des peuples civilisés l'ultimatum du 23 juillet et l'attaque brusquée des jours suivants. Le Cabinet de Vienne en a joué avec férocité, et malheureusement, comme de toute calomnie, il en est resté quelque chose dans certains esprits, notamment à Rome, et spécialement au Vatican.

Le rôle du clergé.

La Cour de Vienne a toujours su gagner les bonnes grâces du Saint-Siège. Surtout depuis que la France n'est plus représentée près des Souverains Pontifes, Sa Majesté Impériale et Royale Apostolique se fait écouter d'eux avec faveur. François-Jo- seph Ier, qui avait mis son veto à l'élection du cardinal Rampolla après la mort de Léon XIII, comblait Pie X de préve-

84 LA QUESTION YOUGOSLAVE

nances. Charles Ier affecte d'être un fils très soumis de l'Église romaine. Aussi, jusqu'à ces derniers temps, les Yougoslaves n'étaient-ils point en odeur de sainteté au Vatican. Toutefois, dès avant la guerre, le Saint-Siège était revenu de quelques préventions à leur égard ; il avait même, en 19 14, signé un Concordat avec la Serbie (*). Maintenant, il ne lui serait plus permis de se tromper ; dans la partie catholique de la Yougoslavie, ce sont les prêtres catholiques qui sont à la tête du mouvement national". Le président du club yougoslave, au Reichsrat de Vienne, est le prêtre, docteur en théologie, Anton Korosec, professeur de théologie, député de Maribor (Mar- bourg) en Styrie méridionale. Il a signé toutes les proclamations et protestations

(x) Il a un Concordat avec le Monténégro depuis 1884. L'insistance de la Serbie pour conclure un Concordat avec le Saint-Siège a provoqué la plus vive irritation à Vienne. Le gouvernement austro- hongrois estimait qu'il possédait une sorte de pro- tectorat sur tous les catholiques des Balkans.

LE ROLE DU CLERGÉ 85

yougoslaves depuis 1914. Le 2 sep- tembre 191 7, il s'exprimait ainsi dans le Hrvatski Dnevnik, à propos de l'entrée en fonctions du Cabinet Seidler : « Le Cabi- net est constitué de manière à démontrer à tout le monde, jusqu'à l'évidence, la façon dont on protège les Allemands et dont on néglige tous les autres peuples. Nous Slaves, nous ne pouvons pas adopter d'autre ligne de conduite qu'une opposition irréductible et consciente. Même si Seidler n'avait in- vité dans son Cabinet que des Slaves, nous n'aurions pu accepter le programme ex- posé. L'autonomie nationale dont on parle ne nous satisfait pas. Notre programme à nous c'est notre déclaration du 30 mai. Qui n'est pas avec nous est contre nous. »

Le Dr Krek, autre prêtre catholique, qui est mort en octobre dernier, venait en in- fluence immédiatement après le Dr Korosec. Egalement professeur de théologie, il re- présentait à Vienne la circonscription de Brdo-Kamnik(Egg-Stein). Le 14 juin 1917, il s'écriait en plein Reichsrat : « Malheur à

86 LA QUESTION YOUGOSLAVE

l'homme d'État qui n'aura pas le courage de reconnaître le bien-fondé des revendica- tions des peuples. Il est deux idées qui ne périront jamais : que les Slovènes, les Serbes et les Croates sont un même peuple, et qu'ils appartiennent ensemble à un organisme d'État auquel ils doivent parvenir fatalement. Si ces idées ne sont pas réalisées dans cet État, malgré nous et contre nous elles seront quand même réalisées ; les conséquences qui décou- leront de la non-réalisation des revendications yougoslaves seront dangereuses pour la vie de cet État, pour VEurope et pour la paix européenne. »

Parmi les autres ecclésiastiques yougo- slaves députés, on compte encore l'abbé Hlanik, député de Krako en Carniole ; le professeur de théologie Grégoric, député de Tolmin-Canale, dans [le pays de Go- ritz ; l'abbé Spincic, député de l'Istrie orientale et des îles du Quarnero ; l'abbé Biankini, député de Curzola-Raguse en Dalmatie ; l'abbé Péric, député d'Imotska en Dalmatie ; l'abbé Prodan, député de

LE ROLE DU CLERGÉ 87

Zara. Ces ecclésiastiques ne sont nullement de vulgaires agitateurs. Dans le discours cité plus haut, le Dr Krek disait aussi : « Mes amis et moi combattrons les prin- cipes de la social-démocratie, en tant que ces principes ne sont pas d'accord avec les revendications yougoslaves. Cependant la social-démocratie aura raison, mes amis et moi nous marcherons avec elle et défendrons" le droit et la vérité. » (Le député Laginja : « Voilà qui est important, car c'est un prêtre catholique qui parle ainsi ».) De son côté, l'abbé Spincic déclarait, le 3 décembre, au Reichsrat : « Nous désirons tous la paix. La seule condition que nous mettrons à sa conclusion est l'application du principe d'après lequel les nations doivent disposer d'elles-mêmes. Ce prin- cipe devait triompher partout et il va de soi que ce n'est pas dans ce Parlement, plusieurs nations sont réunies, qu'on doit décider de son application ; ici certains peuples pourraient être mis en minorité par d'autres. Le dualisme, tel qu'il est,

88 LA QUESTION YOUGOSLAVE

n'est qu'un malheur pour les Yougoslaves ; il signifie pour eux la mort et la destruction de leur nation. Par suite du dualisme, les Yougoslaves sont à la merci d'une part des Allemands, de l'autre des Magyars. »

Le prince-évêque de Ljubljana (Lay- bach), Mgr Jéglic, membre de la Chambre des Seigneurs, a signé, ainsi que son Cha- pitre, un acte d'adhésion à la déclaration du club yougoslave en date du 30 mai 1917. Ce prélat a motivé son acte de la manière suivante : « J'ai fait cela pour protester énergiquement contre les grandes injustices qu'on a déjà commises envers nous, Slo- vènes, et que les partis pangermanistes nous réservent encore. J'ai fait cela pour protester énergiquement contre les vio- lences par lesquelles les Magyars oppriment les peuples slaves qui se trouvent sous leur administration. » Ont aussi donné publi- quement leur adhésion à la déclaration yougoslave : les représentants du clergé séculier et régulier de Serajévo auxquels, le 15 septembre 1917, se sont joints vingt-

LE ROLE DU CLERGÉ 89

six prêtres de Bosnie-Herzégovine ; les Franciscains d'Herzégovine ; soixante-dix prêtres des îles istriotes de Veglia, Cherso et Losinj (Lussin). Tout le clergé croate défend l'idée d'unité nationale. Son journal, le N ovine de Zagreb (Agram), inspiré par l'archevêque Bauer, écrivait le 15 octobre :

Les « petits » peuples, renforcés par les souffrances, trempés par des luttes difficiles, ont audacieusement et ouvertement relevé la tête et crié aux quatre coins du monde : « Nous voulons être libres ; nous voulons vivre librement sur notre seuil paternel. Il faut que cessent une fois pour toutes l'humiliation la plus ab- jecte, la persécution et l'exploitation pratiquée jus- qu'au fond avec le cynisme le plus révoltant.

« Si les hégémonistes proclament nos tendances au crime de trahison, c'est uniquement pour calmer leur conscience liée à tant d'actes sombres et répu- gnants. Que celui qui veut connaître, ne serait-ce qu'une petite partie de ces actes, lise les discours de nos députés au Parlement de Vienne, et qu'il réflé- chisse un peu sur les faits publiés au sujet de Tha- lerhof près Gratz (prison et camp d'internement).

Les « petits » peuples ne veulent à aucun prix le retour de ces temps ; les « petits » peuples demandent une liberté complète et leur indépendance, malgré les cris retentissants des hégémonistes qui proclament que nos vœux sont des crimes de haute trahison. Il est

90 LA QUESTION YOUGOSLAVE

égal de savoir en est la politique internationale. Nous avons le droit à la liberté et à l'indépendance et nous saurons les conquérir au prix de n'importe quel sacrifice. Notre liberté n'est pas une trahison ; c'est un de nos droits sacrés, c'est notre défense contre la violence. »

Cette attitude du clergé exaspère les au- torités impériales et royales. On a persécuté les curés suspects de zèle national que ne couvrait pas l'immunité parlementaire. On a projeté des poursuites disciplinaires contre Mgr Jéglic. M. Sustersic, député clérical slovène, transfuge du bloc you- goslave, est allé intriguer au Vatican contre ce prélat. Mais, dès que cette nou- velle se répandit à Laybach, la population de la ville se livra à des manifestations telle- ment vigoureuses contre M. Sustersic et les Allemands, le 26 avril 1918, que le gou- vernement dut s'empresser de renier ses mauvaises intentions. De son côté, le Vati- can démentit qu'il eût été saisi d'une de- mande de poursuites ecclésiastiques contre Mgr Jéglic. Si désireux qu'il soit de plaire à la Cour de Vienne, Benoît XV ne peut se

LE ROLE DU CLERGE t)I

dissimuler qu'il soulèverait contre le Saint- Siège tous les Slaves catholiques de la mo- narchie s'il essayait de violenter les Slovènes dans leurs sentiments nationaux les plus chers.

V

*'*S'*''*'\*'S*\*\*\*\S\S\S\S\S\*\*'SS\S

LE PROGRAMME YOUGOSLAVE

DE toutes les manifestations des re- présentants autorisés des Yougoslaves nous retiendrons seulement quatre déclara- tions :

La déclaration arrêtée à Paris le 18 décembre 191 6 par le Comité yougo- slave à l'occasion du prochain couronne- ment de Charles de Habsbourg. Après avoir rappelé les conventions qui liaient le royaume triunitaire de Croatie-Slavonie- Dalmatie à la dynastie des Habsbourg, les violations répétées de leurs engage- ments les plus solennels par les souverains

LE PROGRAMME YOUGOSLAVE 93

habsbourgeois, l'œuvre de division et d'ex- ploitation accomplie pendant des siècles par le gouvernement de Vienne, les tenta- tives de dénationalisation des pays slaves par la colonisation allemande et magyare, le Comité dénonçait la dynastie régnante comme l'instrument de la politique de domi- nation et de conquêtes des Hohenzollern et comme l'auteur de la conflagration mon- diale. Puis il ajoutait :

A l'heure où, ayant réduit notre patrie à la condition de pays sans droit, les milieux officiels s'apprêtent à fêter le couronnement du nouvel empereur et roi, le Comité jougo-slave déclare solennellement, devant les cadavres de ses frères immolés, que notre peuple est libéré de toute sujétion et fidélité envers la dynastie des Habsbourg et de tout lien avec la monarchie austro-hongroise.

Dès à présent, il proteste contre toute tentative de réorganisation de cette monarchie, par laquelle on voudrait retenir notre peuple dans les limites de cet empire. Ce ne serait, pour notre malheur, qu'une nouvelle machination destinée à servir la politique d'expansion germanique vers les Balkans.

Le Comité yougoslave affirme de nouveau (ce qui dès sa constitution a été défini comme but de son ac- tion) qu'il ne fléchira devant aucune menace ou ca-

94 LA QUESTION YOUGOSLAVE

lomnie. Une seule mesure peut satisfaire les vœux de notre peuple et rendre la paix durable au sud-est de l'Europe et en particulier à l'Adriatique et aux Bal- kans : c'est d'enlever à la dynastie de Habsbourg tous les pays vit ce peuple unique de même sang mais de nom triple : serbe, croate et slovène, pour le réunir au royaume de Serbie sous la glorieuse dynastie des Karageorgévitch (1).

La plus importante, celle qui consti- tue le programme et la charte de la You- goslavie, a été signée le 20 juillet 191 7, à Cor fou, par M. Nicolas Pachitch, président du Conseil et ministre des affaires étrangères de Serbie, et M. Ante Trumbitch, chef du parti national croate à la Diète de Dalmatie, ancien maire de Split (Spalato), ancien dé- puté de Zadar (Zara) au Parlement autri- chien, aujourd'hui président du Comité yougoslave. Elle est le résultat de plusieurs semaines de conférences entre les princi- paux hommes d'État serbes des différents partis et les représentants du Comité you- goslave de Londres qui comprend des man-

(x) V. le texte complet de cette déclaration dans le Journal des Débats du 30 décembre 191 6.

LE PROGRAMME YOUGOSLAVE 95

dataires de tous les groupes nationaux you- goslaves. Quoiqu'elle ne constitue pas un pacte proprement dit et qu'elle n'implique pas d'actes d'exécution, elle engage les si- gnataires et crée un être moral nouveau, appelé à se développer dès que les circons- tances le permettront. Après avoir affirmé l'unité du peuple yougoslave, « peuple aux trois noms », elle formule les principes sui- vants :

L'Etat des Serbes, Croates et Slovènes sera un royaume libre et indépendant, avec un territoire indivisible et une nationalité unique, sous un régime monarchique cons- titutionnel, démocratique et parlementaire « avec, à sa tête, la dynastie des Karageor- gévitch, qui a toujours partagé les idées et les sentiments de la nation, en plaçant au- dessus de tout la liberté et la volonté natio- nales ». Il portera le nom de : Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Il aura un seul blason, un seul drapeau, une seule couronne. Les deux alphabets, cyrillique et latin, au- ront les mêmes droits. « Toutes les religions

96 LA QUESTION YOUGOSLAVE

reconnues pourront être exercées librement et publiquement. » Le territoire du royaume « comprendra tout le territoire sur lequel notre nation aux trois noms vit en masses compactes et sans discontinuité ». « Notre nation refuse consciemment et fermement toute solution partielle du problème de sa libération et de son unification nationales. Elle pose le problème de sa délivrance de la domination austro-hongroise et de son union avec la Serbie et le Monténégro dans un État unique formant un tout indivisible. » « La nation ainsi unifiée des Serbes, Croates et Slovènes formerait un Etat d'une douzaine de millions d'habitants. Cet État sera une garantie de leur indépendance na- tionale et de leur progrès national et civi- lisateur, un puissant rempart contre la poussée germanique, un allié inséparable de tous les peuples et États civilisés qui ont proclamé le principe du Droit et de la Li- berté, et celui de la Justice internationale. Il ferait dignement partie de la nouvelle Société des Nations. »

LE PROGRAMME YOUGOSLAVE 97

Les autres dispositions concernent l'or- ganisation intérieure f1). Celles qu'on vient de lire se passent de commentaires. Adop- tées à l'unanimité, après une discussion des plus minutieuses dans des conférences non publiques d'où tout verbiage était banni, elles ont été approuvées dans tout le monde yougoslave, en Europe et en Amérique. Elles sont devenues une sorte de Décalogue des Serbes, des Croates et des Slovènes.

30 Le 28 août 191 7, la délégation des partis social-démocrates de Croatie et de Slavonie, représenté par M. Mijo Rado- sévitch, et de Bosnie et d'Herzégovine, re- présenté par M. Frana Markitch, a fait à Stockholm, devant le Comité hollando- scandinave, une très longue déclaration contenant un exposé historique de la ques- tion yougoslave et une longue série de de- siderata. Quoique conçu dans un esprit spécial, ce mémorandum est en substance conforme au programme de Corfou. Sans

(*) Voir le texte complet dans le Bulletin yougo- slave, du ier août 1917 (Paris, 17, rue Cadet).

G au vain. 7

98 LA QUESTION YOUGOSLAVE

toucher la question de régime, il préconise l'union avec véhémence. On y lit le curieux paragraphe que voici : « Selon l'idéologie de notre bourgeoisie nationaliste, créée au début du XIXe siècle, alors que notre idée nationale est ressuscitée à la suite de la Révolution française, les Bulgares sont politiquement exclus du mouvement uni- taire des Yougoslaves. Nous, social-démo- crates, considérons d'après leurs attributs ethniques (langue, traditions com- munes, etc.) aussi les Bulgares comme ap- partenant à la communauté yougoslave. » Le 31 janvier 191 8, au nom du Club parlementaire yougoslave, le Dr Korosec a envoyé aux chefs des délégations alle- mande, austro-hongroise, russe et ukrai- nienne à la Conférence de Brest-Litovsk, un long mémorandum dont la censure avait interdit la publication en Autriche -Hongrie, mais qui, lu à la tribune du Reichsrat, a été ensuite publié par le journal croate VObzor. La Serbie, paraissant à Genève, a donné la traduction de ce document dans son nu-

LE PROGRAMME YOUGOSLAVE 99

méro du 23 février 191 8. Nous en extrayons les passages suivants :

Le déclenchement de la guerre mondiale a apporté de nouvelles et dures épreuves à notre peuple émietté dans diverses organisations étatiques. Sous la terri- fiante pression de l'organisation militaire fut exter- minée la fleur de notre jeunesse, dont certaines parties se virent opposées les unes aux autres. En même temps commença dans la monarchie une dure persécution des Yougoslaves ; des dizaines de milliers de familles furent exterminées ; des hommes, des femmes, des enfants furent assassinés avec ou sans jugement et leurs biens pillés et anéantis. Un nombre encore plus grand de Yougoslaves furent incarcérés et soumis à des tortures effroyables. D'autres milliers de per- sonnes durent abandonner par force le sol natal.... Des milliers de citoyens furent pris comme otages pour la sécurité de l'armée austro-hongroise ; ils furent torturés et une partie de ceux-ci furent assas- sinés. Dans cette sanglante guerre civile faite contre un peuple privé de toute défense, le régime a su rem- porter une victoire facile. Nous avons le droit absolu d'affirmer que, de tous les peuples, le peuple yougo- slave a le plus lourdement souffert...

Ici, nous devons protester solennellement contre le le fait que les prétendues Constitutions de la monar- chie offrent aux peuples la possibilité d'un libre déve- loppement. Au contraire.ces Constitutions garantissent aux deux peuples privilégiés les moyens de la force

IOO LA QUESTION YOUGOSLAVE

organisée de l'État pour opprimer et pour exploiter les peuples...

En résumé, notre programme est le suivant :

Paix immédiate générale et démocratique, dé- sarmement complet, garantie et assurance interna- tionale du libre développement de tous les peuples grands et petits.

Reconnaissance et assurance parfaite du droit complet et librement pratiqué des peuples de disposer d'eux-mêmes, surtout dans la question de savoir s'ils veulent un État libre et sous quelle forme celui-ci doit être constitué.

Nous ne demandons pour notre État rien de ce qui appartient à un autre peuple et qui ne nous appar- tient pas ; nous demandons seulement pour notre État le territoire habité en masses compactes et sans solution de continuité par le peuple des Serbes, des Croates et des Slovènes.

La mer, surtout la mer Adriatique, doit être libre. Au cas le trafic par les ports situés au nord de la mer Adriatique et se trouvant dans les territoires habités en masses compactes par notre peuple serait d'une grande utilité pour le développement écono- mique des peuplés lointains, nous serions prêts à conclure avec ceux-ci des traités qui leur garantiraient le libre trafic commercial par les ports.

La paix qui voudrait sanctionner la situation ac- tuelle ne constituerait pas une paix pour les peuples de cette monarchie. Une telle paix serait le commen- cement d'une lutte à la vie et à la mort des Slaves austro-hongrois et constituerait un obstacle insurmon-

LE PROGRAMME YOUGOSLAVE IOI

table pour la développement social des peuples en question. En même temps, la paix internationale serait constamment menacée par une telle situation.

Ces déclarations, destinées aux pléni- potentiaires de Brest-Litovsk, ont été lues, à la Chambre des députés autrichienne, devant les ministres de Charles Ier. N'équi- valent-elles pas à une déclaration de guerre civile ? En tout cas, elles posent la question yougoslave devant le monde entier. Elles annoncent « une lutte à la vie et à la mort » pour le cas les Slaves austro-hongrois seraient maintenus dans leur situation ac- tuelle, lutte intérieure devant nécessaire- ment provoquer des bouleversements à l'extérieur. La génération qui vient paierait cher les défaillances des hommes dirigeants d'aujourd'hui, si le problème dont nous avons montré quelques aspects n'était pas résolu, lors de la paix générale, dans le sens de la justice. La guerre de 1 914 est due en grande partie aux erreurs et aux négligences des hommes d'Etat de 1878. Le Congrès de Berlin a créé en Orient un état de choses

102 LA QUESTION YOUGOSLAVE

contre nature, insoutenable. Ses membres s'étaient séparés couverts de décorations, fiers d'avoir participé en grand apparat au règlement des affaires d'Europe et d'Asie. Ayant réussi à mettre d'accord les Cabinets, ils avaient cru s'être honorablement ac- quittés de leur tâche. Mais les peuples, non consultés, ont déchiré le traité de Berlin, et les conflits n'ont cessé de se succéder dans les Balkans depuis quarante ans. De petite guerre en petite guerre, on est arrivé à la grande. Après 191 8, cette histoire recom- mencerait si l'on suivait les mêmes errements à la prochaine conférence de la paix (x).

Mai 1918.

(*) La conférence des peuples assujettis à l'Au- tricne-Hongrie, réunie à Rome au commencement d'avril 1918, a voté (10 avril) une série de résolutions affirmant leur droit à l'indépendance complète. En outre les représentants du peuple italien et du peuple yougoslave ont adopté un certain nombre de principes qui permettent d'espérer en un règlement amical des différends italo -yougoslaves.

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INDEX ALPHABÉTIQUE

Abbazia, 75. Agram,62,65 .(V.Zagreb) . Alexandre Ier, roi de

Serbie, 17. Alexandre, prince régent

de Serbie, 10, 18, 19.

B

Bach, 60. Bauer (Mgr), 89. Belgrade, 34. Benoît XV, 91. Bernstorf (comte), 23. Bevione, 41, 54. Biankini, 86.

Caporetto, 41. Carlovitz, 31, 32.

Carminatti, 23.

Cattaro, 16, 19, 42.

Cavour (comte), 59.

Cettigné, 15.

Charles d'Anjou, 57.

Charles Ie*-IV, 84, 92, 101.

Chouplitkac (colonel Ste- fan), 31, 32.

Corfou (déclaration de), 21, 22, 94, 97.

D

Danilo, prince de Mon- ténégro, 15, 16. Danilo, fils de Nicolas Ier,

^ 19» 23- Dante, 40. Diakovo, 63. Douchan (l'empereur), 26.

104 INDEX ALPHABÉTIQUE

K

Draga, reine de Serbie, 17-

Ferdinand de Habsbourg

57- Fmme, 43, 62, 63, 64,

65, 7.8.

François-Ferdinand (l'ar- chiduc), 29.

François-Joseph Ier, 28,

32, 33» 59» 6o> 83-

Goritz, 70, 76. Gradisca, 70, 76. Grégoric, 86.

H

Haumant (Emile), 45.

Hélène ,reine d'Italie, 24.

Hlanik, 86.

Hohenberg (duchesse de), 29.

Hubka (lieutenant-colo- nel), 23.

J

Jéglic (Mgr), 89, 90. Jellatchitch (le ban), 58, 59, 60.

Kalnoky (comte), 46. Karageorgévitch (prince

Alexandre), 15. 16. Karansébes, 30. Khuen-Hédervary, 61. Korosec, 84, 85, 98. Kossuth (Louis), 59. Krek, 85, 87.

Ladislas Ier, 57. Laginja, 87. Léger (Louis), 26. Léon XIII, 46, 83. Lissarinka, 64.

M

Mahomet II, 26. Marie-Thérèse (l'impé- ratrice), 31, 52. Markitch (Frana), 97. Marmont (maréchal), 52. Mayer (Otto), 18. Mazzini, 40. Metternich, 71. Milan Ier, 16, 17. Miouchkovitch, 23, 24. Monastir, 14. Mondaini, 38, 43.

INDEX ALPHABETIQUE

™S

N

Napoléon Ier, 52.

Napoléon III, 71, 81.

Nich, 12.

Nicolas Ier (prince, puis roi de Monténégro), 16, 18, 19, 20, 22, 24.

Novi-Sad (Neusatz), 31.

O

Obrénovitch (prince Mi- chel), 16.

Obrénovitch (prince Mi- loch), 16.

Ochrida, 14.

Orlando, 42.

Orsova, 30.

Pachitch (Nicolas), 21,

54> 94.

Péric, 86.

Pie X, 46, 83.

Pierre II, Vladika de Monténégro, 15.

Pierre Ier, roi de Serbie, 10, 12.

Pierre, prince monténé- grin, 23.

Planka (cap), 41.

Pola, 51, 75.

Porto-Re, 43. Prezzolini, 39. Prodan, 86.

R

Radosévirtch (Mijo), 97. Radovitch (André), 19,

20, 21, 24, 25. Raiatchitch (Mgr), 32. Rampolla (cardinal), 47,

83.

Salandra, 41. Salonique, 13. Salvemini, 38. Scutari d'Albanie, 18. Seidler (chevalier de), 85. Sebenico, 41, 65. Serajévo, 28. Sign, 46. Sonnino, 41, 67. Spalato, 46, 56. Spassoyévitch, 20. Spincic, 86, 87. Stadler (Mgr), 28, 46. Strossmayer (Mgr), 63. Sustersic, 90.

Tchemerikitch, 55. Témesvar, 30.

io6

INDEX ALPHABETIQUE

Tomislav (le roi), 56.

Torontal, ?c.

Irau,'4i.

Trumbitch (Ante), 21,94.

Tribanj, 64.

Trieste, 64, 65, 70, 76,

77. 78. Tvrdko I" 26.

Vallona, 51,

Veglia, 46.

Voinovitch (comte Louis

de), 45, 47. Volosca, 76, 77, 78. Vouk Primorac, 26.

Zagreb, 61. (V. Agram). Zara (Zadar), 37, 38, 46, 62.

\f\*\fi\fi\*\*\*\*\'\'\'\'\'\'*'*'*'*'

TABLE DES MATIÈRES

La Question Yougoslave 5

Les Yougoslaves 9

Les Serbes de Serbie 9

Les Monténégrins 15

Les Bosniaques et les Herzégoviniens . 25

Les Serbes de Hongrie 29

La Dalmatie 35

La Croatie 55

Les Slovènes 69

Le Mouvement Yougoslave 79

Le rôle du Clergé 83

Le Programme Yougoslave 92

Index Alphabétique i°3

V

Imprimé sur caractères spéciaux des « Éditions Bossard »

SAINT-AMAND (CHER). IMPRIMERIE BUSSIERH

u

u

Légende:

se prononce ti

tch

tch (doux)

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•— frontières politiques

lOOkilom.

-Ligne de la Frontière preme par le traité dii 26 Avril rçrS.

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1918

Gauvain, Auguste

La question yougoslave