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S J)ES MEMOIRES DE LA SOCIETE ROYALE DU CANADA DEUXIEME SERIE— 1900-1901

in

; g 0§E VI

SECTION I

^ LITTERATURE FRANÇAISE, HISTOIRE, ARCHEOLOGIE, ETC.

LA SEIGNEURIE DE SILLERY

ET LES HURONS DE LORETTE

Par M. LEON GERIN

TA

F

5497

S58G47

1901

c. 1

ROBA

EN VENTE CHEZ r«~ëÔN, OTTAWA ; LA COPP-CLARK CO., TORONTO ÏBRNARD QUARITCH, LONDRES, ANGLETERRE 19OI

Section I, 1900 [ 78 ] Mémoires S. R. C.

lY. La Seigneurie de Sillery et les Hurons de Lorette, Par M. LÉON Gérin.

(Lu le 30 mai 1900.)

Lorsque récemment l'auteur visita Lorette, proche Québec^ pour y observer sur le vif la condition sociale des Hurons, il trouva ce petit groupe divisé en factions hostiles. Les causes de dissension étaient multiples, et il n'y a pas lieu de les indiquer ici. Mais sur un point tous étaient d'accord: les Picard et les Bastien, aussi bien que les Tsioui, . lui déclarèrent sans hésitation que la seigneurie de Silleiy (dont la réserve actuelle de Lorette était une simple parcelle) avait primitivement été concédée à leurs ancêtres hurons, et que ceux-ci en furent injustement dépossédés par les jésuites.

La présente étude a pour objet d'élucider ce point d'histoire, et de chercher une solution au cas de justice sociale qui se pose à son occasion. |

POURQUOI LE PÈRE LAI.EMAXT FIT LE VOYAGE DE FRANCE EN 1650.

Le 2 novembre 1650, le navire le Chasseur mettait à la voile de Québec à destination de France. Il avait à son bord quelques gentils- hommes coloniaux, Jean-Paul Godefroy, Legardeur de Tilly, Jean Bourdon, et quelques jésuites, le frère Liégeois, les pères Bressani et Jérôme Lalemant.*

C'était chose longue et pénible à cette époque qu'une traversée de Tocéan, et le P. Jérôme, supérieur des missions de la compagnie de Jésus dans la îfouvelle-France, n'entreprenait pas ce voyage sans de sérieux motifs. A Tarde des documents historiques, nous pouvons nous rendre compte de quelques-unes des préoccupations qui agitaient alors son esprit, et qui durent, entre lui et son compa,guon, pendant que leur petit navire voguait sur la grande mer au gré du vent, faire le sujet de mainte conversation.

Depuis le jour (il y avait plus de vingt-cinq ans) oîi son frère Charles était débarqué à Québec en compagnie de Jean de Brébeuf et d'Ennemond Massé, et à cause du mauvais vouloir des marchands hugue- nots était allé chercher un asile temporaire chez les récollets, les jésuites avaient déployé leur activité sur plus d'un champ au Canada. L'œuvre ' Journal dies jésuites, p. 144.

74 SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA

de la compagnie de Jésus avait grandi singulièrement, et dans la même mesure son rôle social s'était compliqué. Tandis que les uns (et parmi eux le P. Jérôme), répandus au loin, étaient allés prêcher l'évangile dans les bourgades huronnes du pays des Grands Lacs, chez les Neutres, leurs voisins, chez les Algonquins du Nipissing et chez eeujs du lac Supé- rieur; d'autres avaient entrepris de christianiser et de rendre sédentaires les Attieamègues du haut Saint-Maurice et les bandes montagnaises du voisinage de Québec. Proche de cette ville, le P. Le Jeune, dès 1635, à l'aide de la fondation de René de Eohault, avait établi un collège destiné d'abord à l'instruction des seuls Hurons, mais l'on ne tarda pas à admettre les jeunes Montagnais ou Algonquins, et même les fils des colons français.

Dans la même ville et vers le même temps, sous l'inspiration des jésuites, la duchesse d'Aiguillon avait fondé un hôpital pour les Indiens, et Mnie (Je La Peltrie avait établi un couvent d'ursulines pour l'instruc- tion des petites filles. En 1637, à l'aide des fonds avancés par le com- mandeur de Sniery, le P. Le Jeune avait commencé dans le voisinage de Québec une réduction de sauvages convertis. Trois ans plus tard, le P. Buteus avait fondé une réduction semblable à Trois-Eivières, et le P. de Quen avait ouvert ime mission à Tadoussac, à l'embouchure du Saguenay. C'était encore l'influence des jésuites qui avait préparé la voie à l'éta- blissement de la société Notre-Dame, à Montréal, en 1643.^

En cette année 1650, les jésuites avaient donc en main toutes les missions de la Nouvelle-France. Ils étaient chargés de l'évangélisation des peuplades infidèles et du gomemement des Indiens convertis. D'autre part, ils étaient à peu près seuls à exercer le ministère religieux et à diriger l'enseignement au sein de la colonie française. Leur supérieur, à ce moment le Canada n'avait pas encore d'évèque, était virtuellement le chef de l'organisation religieuse du pays; et ce chef, par suite de l'état naissant de la colonie, par suite aussi du développement incomplet des pouvoirs publics et de la confusion des services adminis- tratifs tant dans l'Ancienne France que dans la Nouvelle, se trouvait faire fonction, à beaucoup d'égards, de ministre de l'éducation et de surintendant des sauvages.

Les ressources nécessaires à l'exécution de cette œuvre multiple, les jésuites se les procuraient à plusieurs sources. Ils obtenaient des sommes considérables des courtisans, de personnes riches et pieuses, comme le marquis de Gamache, la duchesse d'Aiguillon, le commandeur de Sillery, qui dotaient généreusement les entreprises de la société.

' Relations des Jésuites, 1635 à 16i2 ; P. de Rochemonteix, Les Jésuites et la Nouvelle-France, 1. 1, pp. 207-51.

[gérin] la seigneurie DE SILLERY 7S

Ils obtenaient beaucoup aussi de concessionnaires de seigneuries dans la Nouvelle-France, qui renonçaient en faveur de la compagnie de Jésus à tout ou partie de leurs domaines. Mais cela ne suffisait pas; il fallait encore aux jésuites compter pour une large part sur les subventions de l'administration publique, sous forme à la fois de sommes d'argent et de concessions de terres et de privilèges.

Dès lors, ils se trouvaient en bien des circonstances dan.-j la nécessité d'agir sur le mécanisme administratif de la colonie, afin de mettre en mouvement ses divers rouages, que noiis allons énumérer ici. En premier lieu, la cour de France, ou le pouvoir royal, qui s'était déchargé du soin de la colonisation sur une compagnie de marchands et de fonc- tionnaires et n'exerçait plus qu'une action assez faible, un contrôle éloigné et intermittent. En second lieu, la compagnie de la Nouvelle- France ou des Cent-As60ciés, qui après avoir échoué piteusement dans son commerce et failli à ses promesses de colonisation, avait été dé- pouillée de son privilège de traite par une coalition des gentilshommes coloniaux, des communautés religieuses et de la société Notre-Dame de Montréal ; et qui, toutefois, restait chargée de la distribution des terres et de la nomination aux principaux offices. En troisième lieu, la com- pagnie des Habitants (ou si l'on veut, la communauté des colons de la Nouvelle-France) représentée par un conseil colonial siégeaient; le gouverneur général, le supérieur des jésuites, deux gentilsliommes ou bourgeois nommés par le conseil, et les trois syndics élus par les habitants de Québec, de Trois-Eivières et de Montréal respectivement.

Ce conseil, paj le moyen des syndics et de leurs adjoints, con- trôlait les opérations de la traite et retenait, en vue d'alimenter le trésor public, le quart des peaux de castor et le dixième des peaux d'orignal. Une rente annuelle d'un millier de castors était payable à la compagnie de la Nouvelle-France. Le produit du reste des pelleteries perçues aux comptoirs de la communauté, servait à payer les appointements des gouverneurs et des ufiieiers et autres frais de l'administration publique. La subvention de 5,000 livres aux jésuites et les traitements des princi- paux fonctionnaires une fois payés, il restait une somme de quelque 19,000 livres dont le conseil avait à disposer au mieux des intérêts de la colonie.

L'influence ]iolitique des jésuites était grande. A partir de l'an- née 1624, leur P. Noyrot avait induit le duc de Ventadour à racheter de l'amiral de Montmorency sa charge de vice-roi de la Nouvelle-France,^ leur action sur les affaires du pays avait été profonde, décisive. C'était encore l'infatigable Noyrot qui dè.-f 1626, délégué spécialement par ses

' Rochemonteix, ibid., p. 149.

76 SOCIETE ROYALE DU CANADA

confrères du Canada, avait déterminé Eichelieu à mettre fin au régime abusif des vice-rois fainéants et des compagnies marchandes indépen- dantes, pour y substituer une compagnie plus vaste, placée directement sous son contrôle, et dans la composition de laquelle l'élément marchand n'entrerait que pour un tiers.^ De même en 1645, c'était sous la pres- sion de Jésiiites que la reine mère avait accueilli favorablement les délé- gués de la colonie et ratifié la convention qui transportait à la commu- nauté des Habitants le pri^■ilège de traite de la compagnie de la Nouvelle- France et instituait tout im ordre nouveau.- Très grande auprès de la régente et de la cour royale, cette influence des Jésuites était forte aussi sur la compagnie des Cent-Assoeiés. Jean de Lauson, intendant de la compagnie et son esprit dirigeant, était entièrement dévoué aux intérêts de la société de Jésus, comme l'était aussi Jacques de La Ferté, aumônier du roi. abbé de Sainte-Marie-Madeleine. Eu 1632, après que le Canada eut été rendu à la France par le traité de Saint-6ermain-en-Laye, les Jésuites eurent assez de crédit pour se faire renvoyer dans la colonie, tandis que les récollets s'en voyaient refuser l'entrée par la compagnie de la iSTouvelle-France.^ Enfin, dans le conseil colonial, le supérieur des Jésuites était appelé à siéger immédiatement à la suite du gouverneur de la colonie, et son autorité y était prépondérante.

Et pourtant les Jésuites du Canada n'étaient pas sans avoir éproiivé des contrariétés. Dans la prise de possession des terres, dans l'exploita- tion des productions spontanées du pays, il s'était produit parfois des conflits d'intérêts entre les communautés religieuses d'une part et les colons, les gentilshommes ou les communautés d'habitants de l'autre. Ces contestations n'avaient pas toujours été réglées à la satisfaction des jésuites.

Kn l'année 16-iG, le P. Jérôme avait eu de nombreux démêlés de cette nature avec le gouverneur Montmagnj'. Celui-ci, qui pour la dis- tribution des terres était le chargé de pouvoirs de la compagnie de la Nouvelle-France, avait longtemps refusé aux Jésuites la concession d'un nouvel emplacement pour leur moulin de la banlieue. Il est vrai que plus tard, il leur avait accordé une augmentation aux terres de la Vache- rie, en remplacement de 6 arpents dont les Jésuites avaient se départir dans la ville de Québec; mais en même temps il avait déclaré nettement que cette augmentation à la Vacherie et les autres concessions de la ban-

> Rochemouteix ibid., pp. 160-2.

- Journal des jésuites, p. 3.

" Rochemontei.\, ibid., pp. 182, 186, 187, 195-6; Faillon. Histoire de la Colonie française, t. I, p 282 ; le P. LeClercq, cité par Suite, Histoire des Canadiens- Fran- çais, t. III, pp. 28-31.

[<;ÉKix] LA SEIGXEURIE DE SILLERY 77

lieue ne leur étaient accordées qu'en roture " et qu'il ne le souffrirait jamais autrement"'.'

A cette oceasion le P. Lalemant avait examiné i^lus particulière- ment les lettres de leurs concessions, et il avait trouvé que certains de leurs titres, celui, par exemple, des 600 arpents de Trois-Rivières et celui de l'île aux Ruaux "étaient à la perfection, sans aucune charge, en toute propriété et seigneurie". D'autres, comme ceux de Notre- Dame-des-Anges, de Beauport, de la Vacherie, étaient moins satisfaisants en ce qu'ils comportaient moins de seigneurie. Le titre de l'île Jésus était très incomplet. Quant à celui des 130 arpents de Sillery, c'était le plus désavantageux de tous, puisqu'il consistait simplement en im transport de M. Gand " avec toutes les charges qu'il avait, entre autres un denier de cens par arpent". -

En outre, le 24 juillet 164G, tout en accordant aux jésuites 18 ar- pents en augmentation de la Vacherie, et en les mettant encore une fois en possession de leurs terres de Notre-Dame-des-Anges, de Beauport, de la banlieue et de la ville même, le gouverneur s'était at- tribué un privilège nouveau, et qui pourrait bien par la suite être in- voqué pour légitimer de plus sérieux empiétements. A quelques lieues en arrière de Québec, dans les montagnes, il y avait un lac assez grand la truite satunonée abondait. M. de Montmagny avait visité ce lac dès le mois de mars 1637, et pendant le carême en avait tiré sa pro- vision de poisson frais.^ Or. dans l'acte de 1646, le gouverneur avait soin de stipuler que le lac Saiat-Charles, même dans le cas il se trouverait compris dans les limites de jSTotre-Dame-des-Anges (la pro- priété des jésuites depuis vingt ans), continuerait à être à la disposition du gouverneur Montmagny ou de ses successeurs, qu'il n'appartiendrait pas aux pères jésuites, et que ceux-ci n'y auraient droit de pêche que subsidiairement au gouverneur.^

Cette même année 1646, le P. Lalemant s'était intéressé* auprès de Montmagny (sans trop de succès) en vue d'assurer aux ursulines la possession d'une étendue de prairies naturelles comprises entre leur con- cession et celle de leur voisin, Jacques Caulmont. Au début de la coloni- sation, lorsqu'il n'y avait encore que fort peu de terre? défrichées, ces praires naturelles étfiient très recherchées.^

' Journal des jésuites, p. 55.

- Ibid., pp. 55-6.

= Relation de 1637, p. 77.

■• Collection manu.scrite officielle des titres des jésuites, gracieusement comniu- quéc par M. Suite, pp. 26-7.

' Dans sa carte de 16'11, Bourdon indique avec soin les endroits ces prairies naturelles se trouvent. Le supérieur des jésuites dans son J^o»77(aZ fait le relevé des étendues de ces prairies qui sont entre les mains de son ordre dans le voisinatre de Québec. Le sujet revient fréquemment sous sa plume.

78 SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA

Vers le même temps, à Trois-Eivières, le P. Buteux s'était trouvé engagé dans de semblables discussions. Il avait demandé un " remue- ment de bornes" que le gouverneur lui avait refusé. D'autre part, Leneuf de La Poterie avait '" disputé puissamment " la seigneurie du Cap, que l'abbé de La Madeleine venait de leur promettre pour les sauvages.'

Enfin tout récemment encore (mai 1650), à Trois-Eivières, les Jésuites, à leur grand déplaisir, avaient céder 500 arpents de leurs terres, dont on avait besoin pour faire une commune, et en échange desquels on leur donna la même étendue un peu plus loin. S'ils n'y avaient consenti, on les y aurait contraints, " et il y en avait eu de grandes menaces de la part du gouverneur' (d'Ailleboust, qui avait remplacé Montmagny près de deux ans auparavant).-

Le P. Lalemant aurait voulu faire cesser tous ces troubles. Sa nature ardente, irascible,^ tempérée toiitefois par la prière et par les années, avait peine à souffrir cette opposition, s'indignait de ces tracas- series administratives. Il faudrait voir à faire corriger les titres dé- fectueux; il faudrait faire reconnaître en haut Lieu le droit incontestable de la compagnie de Jésus de posséder des terres dans le nouveau monde et d'y jouir des avantages accessoires attachés à la propriété du sol. Il faudrait faire proclamer à la face de ces gentilshommes et de ces fonc- tionnaires coloniaux l'estime en laqiielle les jésuites étaient tenus à la cour de France.

Et puis tandis qu'en certains quartiers on gênait la société de Jésus dans l'acquisition des terres, qu'on la troublait dans sa tranquille posses- sion, qu'on cherchait à la circonscrire dans l'exercice de ses droits de propriété, quelques-uns commençaient à trouver exorbitantes les sommes affectées annuellement pour le soutien de l'ordre, la construction de ses églises et l'entretien de ses missions. Cette année même de 1650, le P. Lalemant et ses collègues, par mesure de prudence, avaient décidé de ne pas insister sur le paiement des 2,000 livres votées l'année précédente par le conseil pour leur bâtiment de Trois- Rivières.*

La communauté des Habitants, pour les fins de son commerce, s'était grandement endettée à La Eochelle, et les finances publiques étaient embarrassées. Il était question encore une fois de changements dans l'administration en vue de faciliter le règlement des affaires et de rétablir la situation. Dans les circonstances, il y avait à craindre pour les

' Journal, pp. 64-5.

- Journal, p. 138.

^ Rochemontei.x, t. I, p. 389.

* Journal, 1). 13(i.

[oÉRis] LA SEIGXEIRIK DE SILLERY 79

jésuites que leur subvention annuelle de 5,000 livres ne leur fût retranchée, au moins en partie.

Enfin, il était une dernière préoccupation, qui dans l'esprit du P. Jérôme devait en ce moment dominer toutes les autres. La guerre implacable que s'étaient faite les Iroquois et les Hurons depuis le com- mencement du siècle et dès avant l'arrivée des Français au Canada, venait d'avoir son dénouement fatal. Poursuivis dans leurs dernières retraites par un ennemi supérieurement organisé, décimés par le fer et la famine, les souffrances et les privations, les Hurons avaient abandonner leurs bourgades, se disperser dans toutes les directions. Quelques centaines de ces fuyards étaient venus chercher refuge à Québec, et il s'agissait maintenant de pourvoir à leur soutien.

On se rappelle que dès 1635, un séminaire avait été fondé proche Québec spécialement pour les enfants hurons. La tentative ne réussit pas. Deux ans plus tard, le gouverneur Montmagny invitait formelle- ment les Hurons, venus pour la traite des fourrures, à nous amener quelques-imes de leurs familles " lesquelles demeureroient paisiblement auprès de nos François".^ L'invitation ne fut pas acceptée sur le champ; mais à partir de 1641, on commence à remarquer la présence de quel- ques Hurons à Québec et à Sillery. Leur nombre s'accrut d'année en année: en 1648, ils y étaient déjà comme chez eux.=

Vers la fin de juillet 1649, était arrivée à Québec la nouvelle de la destruction des boiu-gades huronnes et du supplice infligé aux mission- naires. Au mois d'avril de l'année suivante, le P. Lalemant et ses con- frères présents à Québec, s'étaient consultés: " Fallait-il recevoù" et loger ces Hurons sur les teiTes que les jésuites possédaient à Beauport?" On avait décidé dans l'affirmative; une dépense de 500 écus devait être faite annuellement pour cette fm.^

Presque dans le même temps, à l'autre extrémité du pays, sur la plage désolée et froide d'une des îles Manitouline, oii s'étaient réfugiés quelques débris de la nation huronne, il se passait une scène des plus émouvantes. Le P. Eagueneau nous en a laissé une description inou- bliable dont nous donnons ici quelques extraits:

Dans le plus fort de toutes ces alarmes, deux anciens capitaines vien- nent me trouver en secret, et me firent cette harangue: "Mon frère, me dirent- ils, tes yeux te trompent lorsque tu nous regardes : tu croy voir des hommes vivans et nous ne sommes que des spectres et des âmes de trespassez. Cette terre que tu foules aux pieds va s'entrouvrir pour nous abysmer avec toy, afin que nous soyons au lieu qui nous est deu parmi les morts. Il faut que

1 Relation de 1037, p. 87.

2 Relation de 1048, p. 10.

3 Journal, p. 130.

80 SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA

tu sçaches, mon frère, que cette nuit dans un conseil, on a pris la résolution d'abandonner cette isle. La pluspart ont dessein de se retirer dans les bois, afin de vivre solitaires et qu'homme du monde ne sçachant ils sont, l'en- nemy n'en puisse avoir la connoissance. Quelques-uns font estât de reculer à six grandes journées d'icy; les autres prennent leur route vers les peuples d'Andastoé, alliez de la nouvelle Suéde; d'autres disent tout haut qu'ils vont mener leurs femmes et leurs enfants pour se jeter entre les bras de l'ennemy, ils ont un grand nombre de leurs parents qui les désirent, et qui leur don- nent avis qu'ils aient à se sauver au plus tôt d'un pais désolé, s'ils ne veulent périr dessous ses ruines. Mon frère, adjoustoient-ils, que feras-tu solitaire en cette Isle, lors que tout le monde t'aura quitté? es-tu venu icy pour cultiver la terre? veux-tu enseigner à des arbres? ces lacs et ces rivières ont-elles des oreilles pour écouter tes instructions? pourrois-tu suivre tout ce monde qui se va dissiper?

Mon frère, prends courage, m'adjousterent ces Capitaines. Toy seul nous peux donner la vie, si tu veux faire un coup hardy. Choisis un lieu tu puisses nous rassembler, et empesche cette dissipation; jette les yeux du costé de Québec pour y transporter les restes de ce pais perdu; n'attends pas que la famine et la guerre ayent massacré jusques au dernier

Ayant entendu le discours de ces Capitaines, j'en ils le rapport à nos pères. L'affaire estoit trop importante pour la conclure en i>eu de jours. Nous redoublons nos dévotions; nous consultons ensemble, mais plus encore avec Dieu; nous faisons des prières de quarante heures, pour reconnoistre ses sainctes volontez; nous examinons cette affaire quinze, seize et vingt fois. Il nous semble de plus en plus que Dieu avoit parlé par la bouche de ces Capitaines. .. .Ce fut un sentiment si gênerai de tous nos Pères, que je ne pus y résister.'

Vers le 8 juin, le P. Eagueneau s'était mis en marche en com- pagnie de trois cents Hui-ons chrétiens, et le 28 juillet toute la bande était airivée à Québec. Trois cents autres Huxons étaient attendus avant l'iiiver. Il était urgent de prendre des mesures pour assurer la subsistance de tous ces nouveaux venus.

II

COMMENT LES INDIENS DOMICILIÉS DU ■^^OISINAGE DE QUÉBEC DEVINRENT SEKiNEURS DE SILLERY. 1U5L

Lorsque près d'une année après avoir qmtlé le Canada, le P. Lale- mant, le 13 octobre 1651, se retrouva encore une fois à Québec, il avait lieu de se féliciter du résultat de sa mission et des événements survenus depuis son départ de la Nouvelle-France.

Le 2 janvier 1651, la compagnie des Cent-Assoeiés, désireuse de remplacer d'Ailleboust au poste de gouverneur de la colonie, avait pré- senté au roi et à la reine mère les noms de Jean de Lauson, de Duplessis-

1 Relation de 1650, pp. 24-6.

[ckki.n] la SKRiXEURIE DE SILLERY 81

Kerbodot et de Eobincau de Bécancourt. Quinze jours plus tard, le roi désignait celui des trois dont le nom figurait en première ligne, Jean de Lauson." 11 était, comme on sait, l'ami éprouvé des jésuites. Ceux- ci u'avaient rien à craindre de son administration; ils pouvaient au contraire attendre beaucoup de lui.°

Le 13 mars de cette même année 1651, la compagnie des Cent- Associés avait concédé aux néoplij-tes de Sillery, sous la tutelle des pères jésuites, une seigneurie de 1 lieue de front sur 4 lieues de profondeur à proximité de Québec. Quelques jours plus tard, l'abbé de La Madeleine avait solennellement transporté à la compagnie de Jésus, pour l'aider dans son œuvre d"évangélisation, d'instruction et de civilisation des sauvages, sa seigneurie du Cap, proche de Trois-Rivières, 2 lieues de front sur 20 lieues de profondeur.^

Puis, dans le mois de juillet, les jésuites avaient obtenu de la cour royale un acte de ratification de cette concession de Sillery qu'ils venaient d'obtenir de la compagnie; et cette ratification avait élargi singulièrement les termes du titre primitif, comme nous le verrons à l'instant. Ils avaient en même temps obtenu de la cour des lettres patentes qui devaient assurer à la compagnie de Jésus: le versement régulier de la rente annuelle de 5,000 livres payable par la communauté des Habitants; le droit exclusif de pêche et de chasse dans les limites de leurs seigneuries ; le même droit exclusif à l'exploitation des prairies naturelles comprises dans l'étendue de leiirs domaines ; le droit de s'établir en tous lieux de l'Amérique septentrionale ou méri- dionale et d'y posséder des terres et des maisons; et le bon vouloir et la considération des fonctionnaires coloniaux.*

Nous allons maintenant examiner avec quelque soin les actes relatifs à cette seigneurie de Sillery. Voici d'abord le texte même de l'acte de concession:

La Compagnie de la Nouvelle-France a tous ceux qui ces présentes lettres verront, Salut. Savoir faisons que notre désir étant de rassembler les peuples errants de la Nouvelle-France en certains réduits, afin qu'ils soient instruits en la foi et en la religion chrétienne, et ayant reconnu que quelques-uns d'en- tre eux avalent choisi depuis quelques années un lieu nommé en leur langue Kamiskda Dangachit. vulgairement appelé des Français Sillery, ou l'anse de Saint- Joseph; considérant en outre que les pères jésuites reconnaissant que le lieu était agréable aux sauvages, ils leur auraient fait bâtir une église en la- quelle Ils administrent les sacrements à ceux qu'ils ont baptisé en ce quartier

Suite, ibiil., p. M.

= Un des premiers actes de Lauson fut d'accorder aux jésuites pour les tcrrf s"de Notre Dame-des-Anges une concession dernière et d'abondant, en franc alleu, avec pleins droits seigneuriaux et féodaux.

= Collection manuscrite des titres des jésuites, pp. 119 à 123.

* Ibi'l., p. 1 ; voir aussi Rocheraonteix, t. L appendice.

Sec. I, 19(K). fi.

82 SOCIÉTÉ EOYALE DU CANADA

là, voulant favoriser un si grand ouvrage et retenir ces bons néophytes proche de leur église, nous leur avons donné et donnons par ces présentes, de notre plein gré, l'étendue d'une lieue de terre depuis le cap qui termine l'anse Saint- Joseph en montant sur le grand fleuve Saint-Laurent, sur quatre lieues de profondeur, le tout sous la conduite et direction des pères jésuites qui les ont convertis à la foi chrétienne, et de leurs successeurs, sans toutefois déroger aux concessions de quelques portions de terre que nous avons faites par ci-devant à quelques particuliers français dedans cette étendue lesquels relèveront du capitaine chrétien des sauvages comme ils relevaient de nous avant cette donation, que nous faisons pleine et entière avec tous les droits seigneuriaux que nous avons et que nous pourrions prétendre, sauf et reserve de la justic-e que nous réservons à faire exercer par nos officiers a Québec, leur cédant tous les autres droits qu'un seigneur peut jouir ; de plus nous donnons à ces nouveaux chrétiens qui demeurent en ces contrées tout pouvoir de pêcher et tout droit de pêche dans le grand fleuve Saint- Laurent le long des terres de la présente concession qui y aboutissent, sans qu'aucune autre personne y puisse pêcher sinon avec leur congé et permis- sion, révoquant la concession par nous ci-devant accordée au gouverneur de la Nouvelle France, attendu l'opposition formée sur les lieux de la prise de possession en vertu d'icelle. Nous leur donnons de plus toutes les praines et herbages et toutes autres choses qui se trouveront sur les bords ou sur les rives ou descouvertures des marrées qui répondent à leurs terres et a leur concession, sans qu'aucun autre y puisse rien prétendre, prendre ou recueillir sans leur permission; laissant néanmoins le chemin libre au public le long du fleuve et lieux nécessaires à régler par nos officiers étant sur les lieux. Pour jouir des choses ci-dessus par les dits sauvages en franc alleu, eans aucune redevance à la compagnie de la Nouvelle France, Si donnons en mandement au grand sénéchal de la Nouvelle France ou ses lieutenants de mettre les dits sauvages en possession de cette présente concession sans souffrir qu'ils y soient troublés en quelque façon et manière que ce soit.

Fait et arrêté eu notre bureau, à Pari., ce 13« u.ar. KiM. l'-.t pUis bas est écrit A. Cheffault, secrétaire de la compagnie.'

Les dispositions de l'acte ci-dessus peuvent se résumer et se coor- donner de la manière suivante : La concession est faite par la com- pacmie de la Nouvelle-France aux "néophytes", aux sauvages con- vertis fréquentant l'anse Saint-Joseph ou de Sillery. Elle leur est accordée en franc-alleu, sans aucune redevance à la compagnie des Cent- Associés, avec tous droits seigneuriaux, sauf celui de jtistice. Même les quelques terres antérieurement concédées à des Français dans les limites de la concession, relèveront à l'avenir du capitaine chrétien des sauvages. 3" Le droit de pêche dans le fleuve Saint-Laurent sur le front de la seic^neurie, et le droit d'exploitation des prairies et herbages et '-décou- vertoes" des marées, sont spécialement réservés à ces nouveaux chrétiens à l'exclusion de tous autres; et même le gouverneur de la colonie est nommément dépossédé du privilège dont il jouissait sur les lieux. Les sauvages, néanmoins, pour toutes fins, sont placés sous la ' Titres seigneuriaux, t. I, p. 50.

[•iKitix] I.A SEKiXEL'UIK DE SILLERY 83

conduite et la direction des pères jésuites et de leurs successeurs. Ce sont des seigneurs en tutelle. Dans les premières lignes de l'acte, la compagnie de la Xouvelle-France énonce brièvement son intention de rassembler les sauvages errants en des " réduits", ou réductions.

L'acte de ratification de la concession de îSillerj' fut obtenu quatre mois plus tard de la cour royale. Nous en donnons le texte ci-après:

Louis par la Grâce de Dieu roy de France et de Navarre à tous présens et à venir. Salut. La compagnie de la Nouvelle-France ayant donné par un acte du l:!* mars flernior aux sauvages qui se retirent ordinairement proche de Québec au dit pays, une lieue de terre sur le grand fleuve Saint- Laurent, borné du cap qui termine l'anse Saint-Joseph ou de Sillery du côté de Québec, et de l'autre côté de l'endroit ou limite oïl finit cette lieue mon- tant sur le grand fleuve Saint-Laurent sur quatre lieues de profondeur dans les bois ou dans les terres tirant au Nord, avec tout droit de chasse et de pêche dans la dite étendue et dans la partie du grand fleuve Saint- Laurent, et dans les autres fleuves et étangs et rivières qui seroient dans cette concession, ou qui la toucheroient, le tout sans aucune dépendance, avec tous les droits seigneuriaux, sous la conduite et direction des pères de la compagnie de Jésus, qui les ont convertis à la foi de Jésus- Christ, et sans qu'aucun Français puisse chasser ni pêcher dans cette étendue sinon par la permission du capitaine chrétien de cette nouvelle Eglise, sous la conduite, direction, et approbation des dits pères, et tout ainsi qu'il est plus amplement spécifié et déclaré par la dite concession, pour la validité et exécution de laquelle étant nécessaire d'y pourvoir et désirant coopérer de notre part tout autant qu'il nous sera possible à la réduction de ces peuples et considérant qu'il est très raisonnable qu'ils aient et qu'ils retiennent dans leur pays l'étendue de terre qu'il leur sera nécessaire pour vivre en commun et mener une vie sédentaire auprès des Français, de l'avis de la Reine régente, notre très honorée dame et mère, et de notre conseil qui a vu la dite concession du dit jour treize mars dernier ci attachée sous notre contre-scel, nous avons de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, en agréant et confirmant la dite concession de la dite compa- gnie de la Nouvelle-France, donné et octroyé, donnons et octroyons par ces présentes signées de notre main, une lieue sur le grand fleuve sur quatre lieues de profondeur dans les terres, non seulement à l'endroit contenu en la dite concession, mais encore en tous lieux et endroits il y aura un fort et une garnison française, et à cette fin voulons et nous plait que proche de ce fort les dits sauvages aient une lieue sur le fort ou endroit sera ce fort sur quatre lieues dans les terres, avec tous les endroits de chasse et de pêche et tous autres émoluments qu'ils pourraient retirer de cette étendue de terre ou rivières adjacentes, sans aucune dépendance ni redevance, avec laquelle nous leur quittons, délaissons et remettons, à la charge toutefois que les dits sauvages seront et demeureront toujours sous la conduite, direction et pro- tection des pères de la compagnie de Jésus, sans l'avis et consentement desquels ils ne pourront remettre, concéder, vendre ni aliéner les dites terres que nous leur accordons, ni permettre la chasse ni la pêche à aucun particu- lier que par la permission des dits pères, auxquels nous accordons la direc- tion des affaires des dits sauvages, sans néanmoins qu'ils soient tenus d'en rendre compte qu'à leurs supérieurs; voulant en outre que si quelques

84 SOCIÉTÉ ROYALE DIT CANADA

Européens se trouvaient établis dans ces limites, qu'ils soient et demeurent dépendans des capitaines chrétiens et direction des dits pères, tout ainsi qu'ils étaient de ceux qui leur avoient accordé la portion de terre qu'ils pos- sèdent, et que dorénavant ne sera donné terre dans cette étendue que par l'ordre des capitaines chrétiens et aveu et consentement des dits pères, leurs protecteurs; le tout au profit de ces peuples, pour les attacher par ces petits émoluments tirés de leur propre pays, à quitter leur vie errante et mener une vie chrétienne sous la conduite de leur capitaine et des dits pères

qui les ont convertis

Donné à Paris, au mois de juillet, l'an de grâce 1651, et de notre règne le deuxième. Signé Louis; et sur le repli, par le roy, la reine régente, sa mère présente.'

Ce qui est remarquable d'abord dajis cet acte de ratification, c'est sa longueur: il est plus étendu que l'acte même de concession, dont il n'est pourtant que l'accessoire. C'est en réalité un titre nouveau destiné à préciser, à amplifier même, les dispositions du titre principal. Cela nous apparaîtra plus clairement, si nous prenons la peine de l'analyser et de le comparer article par article avec l'acte précédent.

L'acte de ratification parle de la concession comme faite "aux sauvages qui se retirent ordinairement proche de Québec", expression plus précise et plus large que celle employée dans l'acte précédent.

Le caractère seigneurial de la tenure est affirmé. Non seule- ment les quelques Européens établis dans les limites de la seigneurie resteront dépendants des capitaines chrétiens des sauvages, mais encore "dorénavant il ne sera donné de terres dans cette étendue que par l'ordre de ces capitaines chrétiens".

Le privilège exclusif de pêche est aussi amplifié. Il ne couvre plus seulement, comme il était dit dans l'acte primitif, cette partie du Saint-Laurent qui baigne la seigneurie, mais encore " les autres fleuves, étangs et rivières qui seraient dans cette concession ou qui la touche- roic-nt". Et puis, ce n'est plus un simple privilège de pêche dont il est question ici, mais d'un privilège de pêche et de chasse.

Par-dessus tout l'acte de ratification insiste sur la tutelle que les pères jésuites devront exercer sur 1rs sauvages. L'aveu, le consente- ment, l'approbation, la direction, la protection des pères jésiùtes, sont des termes qui reviennent dans l'acte à tout propos. A six reprises, cette tutelle des jésuites est mentionnée dans l'acte; dans un cas, elle fait l'objet d"nne disposition toute spéciale. C'est assurément en vue de l'établir et de la définir que l'acte a été rédigé.

Enfin, le projet de réductions, à peine mentionné dans le docu- ment primitif, est exposé en grand détail dans l'acte de ratification. Le roi, de sa propre autorité et de l'avis de la reine régente et de son con-

1 Titres seigneuriaux, t. II, p. 25.

[uÉRi.v] LA SEIGNEURIE DE SILLERY 85

seil, donne pour le soutien des sauvages une concession mesurant 1 lieue sur 4, nonseulement à Siller}', " mais encore dans tous les lieux et endroits il y aura \\n fort et une garnison française .... à la charge, toutefois, que les dits sauvages seront et demeureront toujours sous la conduite, direction et protection des pères de la compagnie de Jésus, sans l'avis et le consentement desquels ils ne pourront remettre, con- céder, vendre ni aliéner les dites terres que nous leur accordons, ni per- mettre la chasse ni la pêche à aucun particulier que par la permission des dits pères, auxquels nous accordons la direction des affaires des dits sauvages, sans néanmoins qu'ils soient tenus d'en rendre compte qu'à leurs supérieurs". C'est l'énoncé complet de la politique de la cour royale à l'égard des Indiens. De ce moment la compagnie de Jésus se trouve officiellement investie de la surintendance des sauvages, sans obligation de rendre compte.

De toutes manières, cette concession de Sillery était avantageuse pour les jésuites. Il devenaient les administrateurs absolus, perpétuels, virtuellement les propriétaires, d'une nouvelle et vaste seigneurie. Les 130 arpents qu'ils avaient eus naguère de M. Gand se trouvaient compris dans la concession, et par le fait même les charges qui en grevaient la possession au profit de la compagnie de la Noiivelle-Fi-auce, <lisparais- saient. En outre, la politique formulée dans l'acte, pour le gouverne- ment des sauvages, préparait la voie aux jésuites pour de futures acqui- sitions de terres, ou du moins sanctionnait celles qu'ils avaient faites récemment encore dans le voisinage de Trois-Eivières et de Montréal.

En effet, déjà à ce moment, les jésuites étaient propriétaires de plusieurs grands domaines dans la vallée du Saint-Laïu-ent: Notre- Dame-des-Anges (1 lieue sur 4) et l'île des Kuaiix; le fief de Batiscan et celui du Cap-de-la-Madeleine ()8 lioim-j» l'ui' 1) ! oaiw oou^plùi'- Jésus et la Prairie-de-la-Madeleine (2 lieues sur 4) ; sans compter plusieurs emplacements et des terrains étendus à proximité de Québec et de Trois-Iîivières. La première de ces concessions leur avait été faite par le due de Ventadour lorsqu'il était vice-roi de la Nouvelle-France; ils en tenaient d'autres directement de la compagnie des Cent-Assocics; mais les plus importants de ces domaines leur venaient de seconde main: Batiscan, de l'abbé de La Madeleine (1639) ; La Prairie, de François de Lauson (1C47) ; le Cap, encore de l'abbé de La Madeleine (1646- 51). On conçoit que dès cette époque l'étendue des possessions de la compagnie de Jésus au Canada ait éveillé la défiance de quelques-uns. C'est sans doute pour donner moins de prise à la critique des envieux, que la concession de Sillery ne fut pas faite aux jésuites en leur nom propre, mais aux sauvages convertis placés sous leur direction.

(SOCIETE ROYALE DU CANADA

III

COMMENT LA SEIGNEURIE DE SILLERV FUT RÉDUITE DES DEUX TIERS.

16U7.

Depuis plusieurs années déjà les sauvages étaient en possession du fief de Sillen', lorsque leur titre de propriété subit un premier assaut, souffrit une première limitation. Leurs tuteurs mêmes, les jésuites, émirent la prétention que Sillery, auquel l'acte de 1651 donnait 4 lieues de profondeur à partir du fleuve Saint-Laurent, n'en avait véritablement que 1 lieue et demie à peu près, tout le reste (c'est-à-dire les 2 lieues et demie au delà du coude de la rivière Saint-Charles) se trouvant recouvert par une concession de date antérieure, la seigneurie de Saint-Gabriel.

Dès 1647 (quatre années avant l'érection de Sillery), Eobert Gif- fard, médecin, conseiller, seigneur de Beauport, proche Québec, s'était fait concéder la seigneurie de Saint-Gabriel. Vingt ans plus tard, il en faisait don aux pères de la compagnie de Jésus. Or, c'est en 1669, deux ans à peine après le passage de cet acte de donation, et moins d'un an après la mort du donateur Giffard, que se fit jour pour la première fois dans -un acte public, cette prétention des jésuites au sujet des limites de Sillery. Celle-ci s'afSrma beaucoup plus nettement dans les aveux et dénombrements rendus par les jésuites en 1677 et 1678. Dans l'aveu de cette dernière année, ils déclarent en propres termes que la seigneurie de Sillery n'a " qu'une lieue et demie ou environ de profondeur, quoi- qu'il soit dit dans le titre de concession que la dite seigneurie aura quatre lieues de profondeur, attendu que la seigneurie de Saint-Gabriel, de laquelle le titre est primitif, la coupe au droit de la rivière Saint- Charles".^

Cette prétention était-elle fondée en fait? La seigneurie de Saint- Gabriel avait-elle été placée véritablement à cet endroit? Comprenait- elle réellement dans ses limites une partie du terrain concédé depuis aux .sauvages sous le nom de seigneurie de Sillery? C'est ce dont nous allons cliercher à nous rendre compte par l'examen minutieux des faits.

A ce point de notre étude, l'histoire se lie intimement à la géo- graphie, et le lecteur pour nous suivre plus facilement fera bien de consulter la carte ci-jointe de Sillery et des seigneuries avoisinantes.-

Le dernier jour de septembre 1646, Eobert Giffard s'embarquait à Québec et faisait voile pour la France, en même temps que M. de Maison-

' Cité par Marshall et Vanfelson, Claims of Lorette Indians, p. 52.

^ Sur cette carte, les chiffres placés à la suite des noms des seigneuries indiquenD dans chaque cas la date de leur concession. Les divers points de la seigneurie de Sillery occupés successivement par les Hurons sont indi(iué.s par le signe x .

[gérix]

LA SEIGNEURIE DE SILLERY

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Paît et «toncédé en l'afitsemlilée do la !■. (enuo au bureau, le IB mal l«47, f'araphé plu de la Nouvelle France, l.amy,'

\U'. r<'l/)ur fin CaiiMilii verw hi On di; 1V(U<, (Jiard parait avoir ul-^\ig(i (le wi fair(! rnr^ltrft fii i)Ocw;e«ioii \mt le gouvcniiT ou rlo (ie l'aire a.M-i;^'ni!r p.'ir f;c'lui-f:i " les jjoniM ft li/niU*" de «a non lui f»rescrivait ''"'■''■ -''■ '-.•.-'■"■:-" r».. .„,.:. III ifl aucun acl( lu f!ol|f!(;IJon irianusf

I Nouvelle Kianoa, I par la conipagnio

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' crivait l'acte de eonceiwion. Du rnoiii un acte qui rattcsle; il ne s'en trfin' r;IJon irianuserite ollleiellu de» lili

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^■'-■l'rjl. du supérieur des jésuites et du Kouverneur .le Ville-Marie

'vait exclu nilVurd, Ucpentigny et leurs alliés?'

'Mt, le premier oetol.re 1047, Oiirard transportai! «ux hos-

n (lef démembré de cette seigneurie de 8air.t,-tiul.ri..|. Voici

1'^ (• 1 acte de donation:

y. lobert Olffard, «elgnm.r do Deauport, con«ollU,r. m.Ml.vlM onll-

H ..c» H(^pitall,re» .lo la Nouv^l'o-France estal.lIPB ft quolm..,, Nt estre religieuse et pron.ln, l'habll do rolIgloM et fulro s,., ^"n temps, ay eo.lde «l doni.6 et eoddo ot donne par loa prC- ■•M Ueligleum-s une dn.nlo lleuo de lu terro qtil ma ostfi donooe "•sunt.. par Messieurs do la Compagnie de la Nouvollo-Krauee «slon faite et daltôo du sal/,lesme avril mil six <■..»( ,,„a,.a,i(n '• autre tondant à mdrao lin en datte du qnin/.lhnie mal mil bIx «Dpt. laquelle terre eonformôment aux dite» doux coneossione Itte des terres ooneedCes a Monsr Coulllard ol possodoes par ■> sur la RIviero 8t tlmrlo, du eostO du Nord, reepaeo d'unno ".n en deya du Hault tirant vers Québee et nlnsy wlles nui -dees tirant on delà du dit Sault doux Ilouos lo long do la ditte Houes en profondour do quoy Jriy eoddô ol transpo.ic^ eedilo ol i-n.le lieue plus proche du dit Sault aux dlttos rellBleusos on I eondKions guello ma esté donnfie par les dlls Messlours do la la Nouvelle Franne tant pour moy que pour «nos hoirs ot on- 'luels je dosire aydor et gratlHIor ma dite (lllo Kraneolse Oif- '■<■ sa vocation religieuse do charltfi envors les pauvri^ malades

ufhecq lo premier octobre mil six wnit quarante sept,

OiKc-Anii,' '■m (|uc dans cet acte, on no mentionne aucune prise de 'lélimilation préalable de la edgnctirie do Saint-CJabriol. les tonne» dont on eo sert donnent A entendre qiio co» ut ]m été remplies. D'auiro paj-t, on y voit cxpriméo nt l'intention du conccssionnairo de Salnt-Ciabriel do '!'■ bi seigneurie (|u'il se réserve, immédiatement à la suite I nace donné par lui aux hospitalières, c'est l'i dire on 1 l.i eonlinnation de la rivière Salnl '''i -i o,, ^,^{. 'luru il'ltintolre du Cmmita, l, 1, p. 3Sfi, '•'iple (TrM(l()0 de l'oHxInfil, l<'(|Ufl si- trouve ir, h, ,,„■..,.. ,|„t, des l 'Icii ri» gnébcc. I,n InidiicUon anHlnlso do codo d..iiatlon da,,,, |„ l.iiTflle Imliniis renferme iimo vrrvw «rovp, !.• l.n,,,. "<.|isul(,o reiiilu en nnulals par lexpresslmi " In tho land^

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88 SOCIETE KOYALE DU CANADA

neuve, gouYerneur de Montréal, et M. Tronquet, secrétaiie du gouverueur Montmagny; ''tous, ajoute le journal du P. Jérôme, avec bonne résolution de poursuivre quelque règlement pour leurs affaires, chacun prétendant ses intérêts particuliers".^ A Paris, le 16 avril suivant, Gilïard obtenait de la compagnie des Cent-Associés, la concession de Saint-Gabriel, savoir:

Ceux lieues de terres en la Nouvelle-France à prendre aux mêmes en- droits de sa présente concession et rangeant icelle ou de proche en proche autant qu'il se pourra faire, sur dix lieues de profondeur dans les terres vers le nord-ouest, pour jouir par le dit sieur Giffard des dites concessions ci- dessus en toute propriété, justice et seigneurie .... Mandons à M. de Mont- magny, gouverneur et lieutenant général pour le roi à Québec et pour notre compagnie, qu'il mette en possession le dit sieur Giffard des terres et lieux ci-dessus concédés, et qu'il lui assigne les bornes et limites d'iceux, et du procès verbal qui en sera fait, il en certifie la compagnie au premier retour des vaisseaux.^

Un mois plus tard (le 15 mai), Giffard obtenait de la compagnie un second acte plus large que le précédent. Nous le donnons ici en entier:

Ayant été représenté de la part du sieur Giffard, sieur de Beauport en la Nouvelle France, conseiller et médecin ordinaire du roy, qu'il ne peut jouir du contenu en la concession qui lui a esté faite le seizième avril dernier de deux lieues de terres sur dix lieues de profondeur à prendre en la Nouvelle France, au mesme endroit il est déjà estably depuis longtemps, d'autant qu'il se trouve borné d'un costé des terres concédées aux RR. PP. jésuites, et de l'autre costé de celles concédées à la compagnie de Beaupré; requérant afin que la dite concession ne lui fut inutile, qu'il plut à la compagnie la trans- mettre et accorder en un autre endroit non encore concédé, soit au nord, soit au sud. A ces causes, désirant gratifier le dit sieur Giffard, lui avons concédé, accordé et octroyé la même quantité de terre que celle exprimée par notre dite concession du seizième avril dernier, à prendre de proche et en lieu non concédé, soit au nord, soit au sud, ainsi qu'ils seront désignés par M. de Montmagny, gouverneur de Québec; pour en jouir par le dit sieur Giffard aux mesmes titres et conditions portez par notre dite concession du seizième avril dernier, qui ne lui servira avec les présentes que d'une seule et même concession.

Fait et concédé en l'assemblée de la compagnie de la Nouvelle France, tenue au bureau, le 15 mai 1647. Paraphé plus bas est écrit par la compagnie de la Nouvelle France, Lamy."

De retour au Canada vers la fin de l'été, Giffard paraît avoir négligé de se faire mettre en possession par le gouverneur ou de se faire assigner par celui-ci " les bornes et limites" de sa nouvelle seigneurie, comme le lui prescrivait l'acte de concession. Du moins, il ne nous a été trans- mis aucun acte qui l'atteste: il ne s'en trouve aucun de cette nature dans la collection manuscrite officielle des titres de propriété des jésuites, et les événements qui vont suivre vont nous confirmer dans la pensée que

1 Journal., p. 08.

■^ Titrrs seif/neiiriavx, t. I, p. 48; Collection nianuscrile, pp. -i-l-ô.

■■' IbirJ., pp. ôO-l.

[iiÉRix] LA SKKi.VKrKIE DE SILLERY S9

cette double formalité n"avait pas été remplie. L'omission aura moins lieu de nous surprendre si nous nous rappelons Thostilité qui existait alors entre le gouverneur Montmagny et la faction des gentilshommes coloniaux dont Giiïard était. X'est-ee pas quelques mois auparavant que le conseil colonial avait été remanié, qu'on l'avait composé du gouver- neur général, du supérieur des jésuites et du gouverneur de Ville-Marie, et qu'on en avait exclu Gitïard, Eepentigny et leurs alliés?'

Cependant, le premier octobre 1647, Giffard transportait aux hos- pitalières un fief démembré de cette seigneurie de Saint-Gabriel. Voici le texte de l'acte de donation:

J"ay, Robert Giffard, seigneur de Beauport, conseiller, médecin ordi- naire de Sa Majesté, désirant gratiifier ma fille Françoise Giffard, demeurant avec îes Religieuses Hospitalières de la Nouvelle-France establies à Quebecq et y prétendant estre religieuse et prendre l'habit de religion et faire e.i profession en son temps, ay ceddé et donné et cedde et donne par les pré- sentes aux dites Religieuses une demie lieue de la terre qui ma esté donnée cette année presante par Messieurs de la Compagnie de la Nouvelle-France, par leur concession faite et dattée du saiziesme avril mil six cent quarante sept et par une autre tendant à même fin en datte du quinzième mai mil six cent quarante sept, laquelle terre conformément aux dites deux concessions se trouve ensuitte des terres concédées a Monsr Couillard et possédées par iceluy, qui sont sur la Rivière St Charle, du costé du Nord, l'espace d'unne roatte ou environ en deçà du Sault tirant vers Québec et ainsy celles qui mont esté concédées tirant en delà du dit Sault deux lieues le long de la ditte rivière et dix lieues en profondeur de quoy jay ceddé et transporté cedde et transporte la demie lieue plus proche du dit Sault aux dittes religieuses en mesme façon et conditions quelle ma esté donnée par les dits Messieurs de la Compagnie de la Nouvelle France tant pour moy que pour mes hoirs et en- fants entre lesquels je désire ayder et gratiffier ma dite fille Françoise Gif- fard et favoriser sa vocation religieuse de charité envers les pauvres malades du peyis.

Fait a Quebecq le premier octobre mil six cent quarante sept.

GlFFARD.-

On observera que dans cet acte, on ne mentionne aucune prise de possession ou délimitation préalable de la seigneurie de Saint-Gabriel. Au contraire les termes dont on se sert donnent à entendre que ces formalités n'ont pas été remplies. D'atitre paxt, on y voit exprimée assez clairement l'intention du concessionnaire de Saint-Gabriel de placer la partie de la seigneurie qu'il se réserve, immédiatement à la suite du fief de Saint-Ignace donné par lui aux hospitalières, c'est à dire en prenant pour base la continuation de la rivière Saint-Charles. On est

' Ferland, Cours d'Histoire du Ca-nada, t. I, p. 356.

- D'après une copie certifiée de l'original, lequel se trouve en la possession des sœurs de l'HôtelDicu de Québec. La traduction anglaise de cette donation dans le yo\xiT!\e Claims of Loretle Indians renferme une erreur grave, le terme "ensuite des terres " étant rendu en anglais par l'expression " in the lands."

SO SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA

surpris de voir dans quelle ignorance les intéressés enx-niênies étaient à cette époque de la topographie des environs de Québec. Si Gitîard avait connu le pays, il se serait rendu compte que la rivière Saint- Charles ne pouvait servir de base à sa seigneurie, puisque à une faible distance au delà de la demi-lieue tonnant le front de Saint-Iguace, il se produisait un ccude et la direction de la rivière devenait brusquement presque paiallèle à la ligne latérale de la concession (voir la carte).

Après avoir ainsi détaché de la seigneurie de Saint-Gabriel (dont il avait négligé de faire déterminer officiellement les bornes) le fief de Saint-Ignace en faveur des hospitalières, Gifi'ard ne paraît plus s'être occupé de sa nouvelle concession pendant près de six ans, c'est-à-dire jusqti'en 1653. Dans l'intervalle, comme nous l'avons dit, la seigneurie de Sillery fut concédée aux sauvages par la compagnie de la Nouvelle- France, en mars 1651, et par le roi de France en juillet de la même année. Au mois d'octobre, la nouvelle en fut apportée au Canada par le P. Lalemant. Le 7 février de l'année suivante (1652), conformé- ment à la demande qu'il en avait faite la veille, le P. de Quen, supérieur de Sillery et en cette qualité tuteur des sauvages, était mis en possession de la seigneurie en question avec toutes les formalités d'usage par le lieutenant du grand sénéchal de la NonveUe-France.^

Le lendemain même, le gouverneur, Jean de Lauson, qui arrivé au Canada quelques mois auparavant avait déjà gratifié son fils Louis de lïmmense domaine de la Citière sur la rive sud du Saint-Laurent, con- cédait encore à celui-ci le fief de Gaudarville, immédiatement à la suite de la seigneurie de Sillery et d'égale profondeur. Or l'acte de conces- sion donne à Gaudarville pour toute limite sur un côté " la ligne qui sépare la concession accordée aux sauvages par la compagnie de la Xouvelle-France".^

Le 20 août suivant, les hospitalières qui, en 1648, avaient obtenu de.s Cent-Associés une première confirmation de leur titre de Saint-Ignace, croyaient prudent d'en obtenir une seconde du gouverneur Lauson. Dans ce dernier document, il est dit en propres termes que le front du fief de Saint-Ignace remonte la rivière Saint-Charles " jusqu'à la conces- sion récemment faite aux sauvages". Ainsi le fief de Saint-Ignace se trouvait borné au sud-ouest par la seigneurie de Sillery, et non pas par la concession de Saint-Gabriel. C'était la négation formelle et publique de la prétention émise par Gifïard dans l'acte de donation de 1647.

Il n'est guère probable que Giffard, bienfaiteur des hospitalières et médecin ordinaire de leur maison,^ soit resté dans l'ignorance de cet

' Claims 01' Lorrtie Indinns. pp. 28-9.

2 Tilrex seigneuriau.c. t. I. p. 3811.

3 L'îibbé Ca-grain. Histoire, (le l'Hôtel Dieu. pp. 210, 314.

[GÉhi.N] LA SEIGNEURIE ]iE SILLERY 91

acte de confirmation d'une concession qu'il avait faite à ces religieuses. Il a connaître les termes du document et se rendre compte que dans cet acte de confirmation, comme dans l'acte de concession de Gaudarville à l'autre extrémité, Saint - Gabriel était ignoré au ijrofit de Sillery. Dès lors pourquoi n'est-il pas intervenu pour faire remettre les choses au point? N'est-ce pas qu'il sentait le faible de sa position, pour n'avoir pas dès le début fait déterminer par l'autorité compétente les bornes de sa seigneurie ? Et puis, en cette année 1652, faire reconnaître Saint- Gabriel (1 lieue et demie de front) immédiatement à la suite de Saint- Ignace, cela signifiait la disparition de la plus grande partie, non seule- ment de la seigneurie de Sillery (1 lieue de largeur), mais encore du fief de Gaudarville. Irait-il se brouiller avec " les puissances " ? Pou- vait-il espérer l'emporter contre la compagnie de Jésus et contre le gouverneur de la colonie?

Aussi Giflfard paraît-il dès ce moment avoir renoncé à l'idée de prendre sa seigneurie de Saint-Gabriel immédiatement à la suite de Saint-Ignace. Mais au moins voulut-il se faire accorder une compensa- tion. Celle-ci était facile à obtenir. Le gouverneur Lauson était arrivé au Canada muni de pouvoirs spéciaux. Les seigneuries, que naguère on n'obtenait qu'à Paris, au bureau de la compagnie de la Nouvelle-France, c'était lui maintenant qui directement les accordait de Québec. Et Lauson, le 12 août 1652, était devenu l'allié de Gitïard, par le mariage de -on fils Charny, avec Louise, fille du seigneur de Beauport.'

En effet, le 31 mars de l'année suivante (1653), Gifîard faisait augmenter des deux tiers la superficie de sa seigneurie de Beauport. Nous reproduisons ici le texte même de cet acte de concession, qui éclaire vivement toute notre étude :

Jean de Lauson, conseiller ordinaire du roy en ses conseils d'estat et privé, gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en la Nouvelle France, estendue du fleuve de St Laurens, A tous ceux qui ces présentes let- tres verront, Salut. La compagnie de la Nouvelle France ayant reconnu en plusieurs occasions le zèle que sieur Giffard. escuyer sieur de Beauport, avoit toujours eu pour l'établissement de la colonie de la Nouvelle France, les grands frais qu'il a faits pour y parvenir, les pertes qu'il a supportées pour ce sujet, même lorsqu'il fut pris par les Anglois avec la flotte en mil six cent vingt-huit, la compagnie auroit tasché en reconnoissance de gratiffier ledit sieur Giffard, et particulièrement par l'assemblée du quinze janvier mil six cent trente quatre tenue en notre hotel en FYance, luy auroit accordé une lieue de front sur le fleuve St Laurens à commencer à l'embouchure de la rivière Notre-Dame dite de Beauport, avec une lieue et demie de profondeur, luy en ayant fait expédier une concession, en possession de laquelle il auroit esté mis par deffunt monsieur Champlain a qui elle sadressoit comme gouverneur Pour lors auroit esté la dite terre bornée d'un costé de la dite rivière de

' ./ournai des jésuites, p. 174.

92 SOCIÉTÉ EOYALE DU CANADA

Notre Dame de Beauport, et d'autre de la rivière du Sault de Montmorency

et de plus par actes des seize avril et quinze mai mil six cent quarante sept signés Lamy, et scellés du sceau de la dite compagnie, luy auroit esté d'abon- dant accordé deux lieues de front sur dix lieues de profondeur s(5it proche de la première concession soit en tel autre lieu qui luy seroit désigné par le dit sieur de Montmagny, ce qui n'ayant pas peu être par lui/ ejceciité, il en auroit donné portion aux révérendes mères hospitalières, et de plus nous auroit requis de luy étendre sa concession de Beauport qui a déjà une lieue et demie de profondeur, la luy donner jusques à quatre lieues dans les terres, et ce Jusques à ce que rencontrant quelque autre étendue de terre à sa commodité il puisse être rempli de ce qui luy a esté concédé, à ces causes inclinant à la prière du Sr Giffard et jusques à ce qu'on puisse donner pius grande étendue. Nous en vertu du pouvoir à nous donné par la compagnie de la Nouvelle-France, avons accordé, octroyé et concédé, accordons, octroyons et concédons par ces présentes au dit Sr Giffard, seigneur de Beiiuport, deux lieues et demye de proffondeur sur la lieue de front de la dite seigneurie de Beauport, bornée de la rivière de Notre Dame de Beauport d'un costé icelle rivière comprise, et la rivière du Sault Montmorency d'autre, pour en jouyr par luy ses hoirs et ayans cause à toujours en pleine propriété, justice et seigneurie, avec tels et pareils droits quil a possédés cy devant et possède maintenant la dite seigneurie de Beauport, pour en composer un seul fief et et en rendre un seul hommage, et comme si par la première concession on luy avait donné quatre lieues de profondeur, au lieu qu'elle ne contient qu'une lieue et demie, et d'autant que sieur Giffard est en possession des dits lieux, et qui sont contigus à ce que nous luy avons accordé par ces présentes, plus ample prise de possession nestant pas nécessaire. Mandons au grand séné- chal de la Nouvelle France ou ses lieutenants faire enregistrer les présentes ou il appartiendra, luy en délivrer les actes et le maintenir luy et ses hoirs et ayans cause en la jouissance des dits lieux ainsy que de raison.

En foy de quoy nous avons signé les présentes, à icelles fait apposer le cachet de nos armes et contresigner par un de nos secrétaires.

Au fort St Louis de Quebek ce trente uniesme jour de mars mil six cent ciaquante trois.

De Lal'sox. Et plus bas, par Monseigneur,

Peuvket.'

Le membre de phrase que nous avons mis en italiques établit claire- ment que Giffard à ce moment avait renoncé à prendre Saint-Gabriel à l'endroit oii se trouvaient Sillery et Gaudarville. Le lecteur observera également que vers la fin de l'acte, Lauson déclare qu'il dispense le concessionnaire de la formalité de la prise de possession, mais pour la raison toute spéciale qu'il est déjà en possession des terres avoisinantes et qu'il ne saurait en conséquence se produire de confusion. Cette prise de possession n'était pas une formalité dont on pouvait se dispenser à son gré comme Giffard l'avait fait dans le cas de Saint-Gabriel.

On a remarquer que dans cet acte en augmentation de Beauport, Giffard réservait son droit à une nouvelle concession "jusques à ce

I Titres seigneuriaux, t. I, p. 3S.^.

[oÉKix] LA SEIOXEURIE DE SILLERY £3

que rencontrant quelque autre étendue de terre à sa commodité il puisse être rempl}' de ce qui luy a esté concédé". Cette dernière compensation, il l'obtint dès l'automne suivant. Le 15 novembre 1C53, Lauson lui concédait la seigneurie de ilille-Vaches, mesurant 3 litues sur 4, à l'en- trée du golfe Saint-Laurent.'

Le concessionnaire de Saint-Gabriel pouvait être satisfait. En dé- dommagement de la perte d'ime concession de 15 lieues en superficie, i;erte résultant de sa propre négligence, il avait reçu l'augmentation de Beauport (2 lieues et demie en superficie) et la seigneurie de Mille- Yaches (12 lieues), soit une superficie totale de 14 lieues et demie. Il aurait pu difficilement exiger davantage.

En effet, pendant bien des années nous n'entendons plus parler de cette seigneurie de Saint-Gabriel. En 1658, les jésuites firent en- registrer au parlement de Paris, par le procureur général du roi, les titres des concession et de ratification de Sillery " pour être exécutés selon leur forme et teneur". C'était une nouvelle confirmation solen- nelle des limites assignées en 1651, 1 lieue de front sur 4 lieues de pro- fondeur.

Mais en 1667, Giffard, comme nous l'avons vu, transportait cette même seigneurie de Saint-Gabriel aux pères de la compagnie de Jésus établis dans la Nouvelle-France. L'acte de donation est donné ci-après:

Pardevant Paul Vachon, notaire des jurisdictions et seigneuries de Beau- port, Notre Dame des Anges et de l'Isle d'Orléans et témoins soussignés, furent présens en leur personne Robert Gifïard, Ecuyer, seigneur de Beau- port et demoiselle Marie Renouard, son épouse de son mari autorisée pour l'effet des présentes, lesquels ont reconnu et confessé avoir donné, quitté, cédé et transporté par donation entrevifs en la meilleure forme et manière que donation puisse avoir lieu et sortir effect, et par ces présentes donnent, quittent, cèdent, transportent aux Révérends Pères de la Compagnie de Jésus établie au pays de la Nouvelle France, en la personne du Révérend Père François Lemercier, supérieur des Missions de la dite compagnie au dit pays à ce présent et acceptant, c'est à savoir l'espace de terre énoncé au contrat cy-dessus en l'autre page (le titre de 1647), avec tous les avantages déduits et prérogatives y contenus appertenants aux dits sieur et demoiselle de Beauport, son épouse, donnateurs, en vertu de la concession cy dessus contenue en l'autre page, pour en jouir par lesdits Révérends Pères de la Compagnie de Jésus comme de chose à eux appertenant, tant à cause de la bonne amitié qui est entre les dits Sieur et demoiselle et les dits Révérends Pères contractants, que plusieurs bons et agréables services que les dits dcn- nataires ont fait et rendus aux dits donnateurs, et partant la dite donnation cy dessus faite pour récompenser les dits Révérends Pères de la Compagnie de Jésus par les dits seigneur et demoiselle de Beauport. son épouse, veu- lent et consentent les dits seigneur de Beauport et demoiselle Marie Re- nouard, son épouse, donateures, que la présente donation sorte et tire à

Titres seigneuriau.r, t. 1, p. '.'.Z-2.

94 SOCIETE liOYALE DU CANADA

exécution sans qu'ils puissent être inquiétés de quelque façon et manière que ce puisse être par quelque personne que ce soit, car ainsi a été accordé le deuxième jour de novembre mil six cent soixante et sept au château et maison seigneurialle de Beauport, présence de Jean Mignau sieur Chastilloc et de Henri Chartre, habitans en la dite seigneurie de Beauport, la dite dona- tion faite toutefois à la réservation de demie lieue de terre de front donnée et concédée par le dit seigneur de Beauport et demoiselle son épouse aux Révérendes Mères hospitalières de la Miséricorde de Jésus établies en la ville de Québec, comme il appert par le titre de concession cy devant fait le jour et an susdit.

Signé Giffard, Marie Renouard, François LeMercier, Chastillon, Henry Chastre et Paul Vachon, notaire, avec paraphe."

Quelle pouvait donc être la pensée de Giffard en gratifiant les jé- suites d'un titre de seigneurie en lui-même très incomplet dès l'origine, et dans la suite virtuellement révoqué par la concession d'une étendue équivalente de terre en d'autres lieux? L'âge (il avait alors quatre-vingts ans)^ avait-il affaibli ses facultés, obscurci son jugement? Un fait étrange c'est qu'au moment cette donation fut consentie, ni Giffard ni les jésuites ne paraissent avoir été fixés sur la situation exacte de la con- cession mentionnée dans l'acte. Ils ne paraissent pas surtout avoir soup- çonné que Saint-Gabriel et Sillery pourraient chevaucher Yiin sur l'autre. On a pu observer que l'acte de donation (de même que les actes de con- cession auxquels la donation nous renvoie) ne détermine aucunes limites; et clans un acte de foi et hommage rendu plus de trois semaines après que l'acte de donation en question eut été pa.ssé et " registre " (le 26 novem- bre), Martin Boutet, procureur des PP. de la compagnie de Jésus, dé- clarait que le fief de Sillery consistait " en une lieue de terre de front sur quatre lieues de profondeur".^

Cinq mois plus tard, le 14 avril 1668. Giffard mourait;-' et c'est peu de temps après, que les jésuites en vinrent à la conclusion que la sei- gneitrie de Saint-Gabriel devait recouvrir l'arrière-partie du fief de Sil- lery. Car le 4 mars 1669, dans un procès-verbal de bornage du fief de Saint-Ignace, auquel le P. Claude Dablon, procureur des missions de la compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, est un des signataires, la concession située au sud-ouest du fief des hospitalières n'est plus désignée

' Collection manuscrite, p. 46.

2 Recensement officiel de 1667, Suite, op. cit., t. IV, p. 67.

' Archives canadiennes, M 1, Actes de Foi et Hommage, t. I, pp. 24.>6 ; Corres- pondance officielle des Gouverneurs français, 2' série, vol. II, p. ïOl la bibliothèque du Parlement).

* E.\tralt du Journal des jésuites : " Le 14, Mons. Giffart est mort fort chrétien- iii'inent, assi.sté du P. de Carheil tout le temps de sa maladie. Le 16, il a esté enterré au pied de la croix de l'église (de Beauport), selon qu'il l'avait désiré. Nous .avons assisté trois de nos pères à ses obsèques, avec Monseigneur l'Evesque, Mous, de Beraières et Mons. de Mézeré, l'officiant avec le.s séminaristes."

[GÉKrx] LA .<EIGXEUKIE DE SILLERY 95

comme appartenant aux sauvages, mais comme étant la propriété des RR. PP. jésuites.' Ceux-ci dès 1671 concédaient des terres aux colons français dans retendue de ce qui fut connu désormais sous le nom de Saint-Gabriel.- Dans les lettres d'amortissement de leurs concessions que les jésuites obtinrent du roi de France, le 12 mai 1678, il est fait mention entre autres seigneuries de "une lieue et demie de front sur dis lieues de profondeur à eux donnée le 2 novembre 1667 par le sieur Gif- fard auquel la compagnie en avait fait don dès l'an 1647''.^ Mai» la situation exacte de Saint-Gabriel n'y est pas indiquée. Toutefois, nous avons vu que dans les aveux et dénombrements de 1677 et 167S, les PP. jésuites déclarent formellement que Sillery na que 1 lieue et demie de profondeur, le reste se trouvant recouvert par Saint-Gabriel.

Dans la position délicate se trouvaient les jésuites, placés entre l'intérêt de leur compagnie et celui des sauvages, ils auraient dû, semble- t-il, pour la sauvegarde des droits de leurs pupilles et celle de leur propre réputation, faire constater officiellement, en im document ad hoc, l'exis- tence et la situation exacte de Saint-Gabriel. Ils auraient également faire sanctionner par un acte publie distinct le changement de bornes qu'ils opéraient au préjudice de Sillerj-. De toute apparence, ils n'en firent rien. Dans le cas de leurs autres seigneuries importantes: Notre- Djme-des- Anges, Batiscan, La Prairie, Siller}', le Cap-de-la-i\Iadeleine, le titre original est toujours accompagné d'une ou de plusieurs prises de possession, et d'une ou de plusieurs ratifications. Mais pour la seigneurie de Saint-Gabriel, les jésuites, moins prudents que les hospitalières ne l'avaient été, se contentèrent du titre incomplet à sa face même que leur avait transmis Giffard, sans prise de possession, sans délimitation officielle.

Nous ne voyons pas davantage que les jésuites se soient préoccui>és à ce moment d'obtenir pour leurs pupilles quelque nouvelle concession de terre en dédommagement de l'étendue qu'ils venaient de leur enlever. Peut-être jugeaient-ils les sauvages domiciliés dans le voisinage de Qué- bec trop peu nombreux pour justifier pareille demande.

Késumons ici les principales constatations faites au cours de ce chapitre. Robert Gifïard, en 1647, obtint de la compagnie des Cent- Associés la concession d'une seigneurie de 2 lieues sur 10, dont il était tenu de faire délimiter les bornes et de se faire mettre en possession par le gouverneur de la colonie. Il négligea de remplir cette double formalité, mais par acte sous seing-privé, donna aux hospitalières un

' Collection nianu.scrite, pp. 52-3.

' Journal» of the Législative Ansembly, 1843, Appemlix F.

' Edite et Ordonnances, 1. 1, pp. 103-4.

96 SOCIETE ROYALE Dr C.^'ADA

fief prétendu détaché de cette seigneurie de Saint-Gabriel, que, de sa propre autorité, il avait placée sur la rivière Saint-Charles. Cinq ans plus tard, il s'aperçut que sa prétention mal assise allait le mettre en lutte avec la compagnie de Jésus et le gouverneur Lauson, renonça à son premier dessein, et en dédommagement se fit accorder l'augmentation de Beauport et la seigneurie de Mille-Yaches. Dès lors le titre de Saint- Gabriel transporté aux jésuites en 1667, était de nulle valeur, ne pouvait leur conférer aucun droit ; et c'est à tort qu'ils s'en servirent pour réduire des deux tiers l'étendue assignée aux Indiens, leurs pupilles.

IV

CUM.MEXT LES SAUVAGES PERMIRENT CE Ql'lL LEUR ÉTAIT RESTÉ DE SILLERY. 16!J9.

Jusqu'à 1G50, il n'y avait eii à proximité de Québec qu'un lieu d'habitation fixe, qu'un point de groupement pour les Indieus domiciles, sans distinction de race et de tribu. A l'anse de Saint-Joseph, auprès de la résidence de Sillery, des Montagnais, des Algonquins, quel- ques Hurons, et parfois même quelqxies Abénaquis, se rencon- traient, vivaient côte à côte un temps plus ou moins long. Lorsque à la suite de la destruction de leurs bourgades du pays des Grands Lacs, les Hurons, par bandes successives, au nombre de plusieurs centaines, vin- rent s'abattre sur Québec, les jésuites qui avaient décidé en premier lieu, de les placer sur leurs terres de Beauport, prirent des mesures pour leur faire ailleurs un établissement séparé. Le 19 mars, ils passèrent contrat avec M^'s (Je Grandmaison pour ses terres défrichées de l'île d'Orléans. Quelques jours plus tard, le P. Chaumonot, accompagné de deux bcp- viteurs, allait demeurer dans l'île, au milieu de ses ouaillef, et le 18 avril, les terres étaient distribuées "aux Hurons, "' trente portions, di: le Journal, la plus grande desquelles n'est que demi arpent''.^

Pourquoi les plaçait-on à l'île d'Orléans? Pourquoi pas à Sillery .même? Les jésuites jugeaient sans doute avec raison qu'il n'était pas prudent de grouper ensemble trop étroitement deux types de formation aussi différent* que l'Algonquin et le Huron. Ils se rendaient compte que les Algonquins ayant à Sillery l'honneur de l'ancienneté et le privilège de fournir le grand chef, ne renonceraient pas facilement à leurs prérogatives; et que de leur côté les Hurons, avec l'avantage du nombre et une fierté tout aussi grande, sa refuseraient à reconnaître la suprématie de leurs alliés de race algonquine.

' Journal, p. 150.

[gérin] la seigneurie DE SILLERY 97

Mais au moms, poiirquoi n'avoir pas établi les Hurons dans les limites de la seigneurie de Sillery? Il est vrai qu'au moment le contrat fut passé avec Mlle de Grandmaison potir les terres de l'île d'Orléans, le P. Lalemant avait déjà obtenu de la compagnie de la Nouvelle-France, à Paris, la concession d'une superficie de 1 lieue sur i attenante à la résidence de Sillery; mais la nouvelle n'en devait parvenir à Québec que cinq ou sis mois plus tard. D'ailleurs ces Hurons étaient habitués à compter sur la culture pour une large part de leur subsistance, et il faDait sans retard les pourvoir de terres défrichées, et les terres défrichées disponibles n'étaient pas communes à cette époque au Canada.

Les Hurons se fixèrent donc à l'île d'Orléans. Sous la direction du P. Chaumonot, ils y vécurent assez paisiblement quelques années des pro- duits de leur pêche, de leur chasse, de la traite des fourrures et des pro- visions de maïs récoltées par leurs femmes. Les relations nous appren- nent qu'en 1653, ils avaient 300 arpents défrichés et ensemencés en maïs. Bientôt deux ou trois des nations iroquoises se mirent à les solliciter de quitter le voisinage de Québec pour se joindre à elles dans leurs bourgades au sud du lac Ontario. En 1657, leurs instances étaient devenues tellement pressantes, menaçantes même, que la plupart des réfugiés hurons jugèrent prudents de ne pas difEérer davantage. Des trois nations composant les bourgades huronnes de l'île d'Orléans, celle de la Roche se donna aiLx Onnontagués, celle de l'Ours se donna aux Agniers; seuls, ceux de la nation de la Corde voulurent continuer à demeurer auprès des Français; mais ils durent quitter l'île d'Orléans et se réfugier dans la ville même de Québec, proche du fort.'

Vers le même temps un incendie détruisit tous les bâtiments de Sillery, et les Indiens de la résidence de Saint-Joseph, sous l'effet de la crainte des Iroquois, vinrent eux aussi chercher refuge à Québec.

Dix ou douze ans plus tard, lorsque les Iroquois eiirent été quelque peu intimidés par les expéditions de Tracy et de Courcelles, et que la paix eut été rétablie pour un temps, les Hurons libérés du service mili- taire et tenus moins constamment éloignés de leurs familles, prirent le parti de s'établir à quelque distance du fort. Leur nombre, déjà très réduit par la sécession des gens de l'Ours et de la Eoche, avait été diminué encore par les pertes subies à la guerre. Ils n'étaient plus qu'en- viron 150. Ils ne retournèrent pas à l'île d'Orléans ; mais toujours sous la direction du P. Chaumonot, formèrent un établissement à Notre- Dame-de-Foye (aujourd'hui Sainte-Foye), en arrière de Québec, en pleine seigneurie de Sillery (1669).^

' Relation de 16.Ï7, pp. 20, 22 ; Journal, pp. 21fi, 217. ' Relation tic 1669. p. 2.'i.

Sec. I, 19(t0. 7.

98 SOCIETE ROYALE DU CANADA

Ils n'y restèrent que quatre années. En 1G73, ils se transportèrent en bloc à quelques milles plus loin, à Tendroit appelé Lorette (aujour- d'hui l'Aneienne-Lorette). Ils y étaient depuis près de vingt-trois ans lorsqu'il leur fallut déménager encore une fois. Voici le curieux docu- ment qui le constate :

Louis de Buade, etc., Jean Bochait. etc. ... *

Sur ce qui nous a esté représenté par les sauvages liurons établis à Lorette, parlant pour eux le Père Découvert, jésuite, leur missionaire, que depuis plusieurs années ils s'aperçoivent que le terrain du dit lieu de Lorette est entièrement usé et ne peut plus subvenir à leur nourriture, et notamment, la présente année, qu'ils n'ont recueilly de bled dinde que jusqua Noël, ce qui les a obligez de chercher dans la profondeur des bois voisins du dit lieu un terrain qui leur fust propre, ce qu'ils ont trouvé, mais ils ont appris en mesme temps que Guillaume Bonhomme, habitant, et le sieur Peuvret fils s'en prétendent l'un et l'autre propriettaires comme en ayant concession en fief; la contestation qui se trouve entre le dit sieur Peuvret et le dit Bonhomme les met hors d'état de travailler à l'abbatis des bois pour se préparer à la semence du printemps prochain, nous suppliant très humblement de leur permettre de se placer dans le lieu qu'ils ont trouvé, étant dans lestendue des dites terres, et pour cet effet de leur accor- der demie lieue de front joignant la profondeur des terres du sieur de Maure sur deux lieues de profondeur sy tant se trouve, aux offres qu'ils font de les quitter au bout de douze années pour retourner aux propriétaires des dits lieux; Nous en vertu du pouvoir conjointement donné par Sa Majesté, ayant égard aux besoins des sauvages et attendu que les lieux ne sont en aucune manière défrichez, avons permis et permettons aux dits sauvages hurons de s'établir dans le dit terrain qui se trouve enti'e la sei- gneurie de Neuville et celle de Gaudarville, consistant en une demie lieue de front sur deux lieues de profondeur, à la charge d'en faire tirer incessam- ment l'alignement et de nous en rapporter le certificat, et qu'ils quitteront les dites terres au bout de douze années pour retourner aux propriettaires des dits lieux, sy mieux n'aiment les dits sauvages leur en payer les rentes pour le temps qu'ils en voudront encore jouir comme sy elles étaient affermés à des François. . . .

Fait et donné à Québec, le cinquiesme décembre mil six cent quatre vingt seize.'

Toutefois pour une raison qui ne nous est pas connue, ce n'est pas vers Gaudarville que les Hurons émigrèrent, mais bien en remontant le cours de la rivière Saint-Charles, en un point qui fut appelé la Jeune ou Xouvelle-Lorette (1697).

Ces déplacements périodiques de nos Hurons dans le voisinage de Québec n'étaient pas l'effet du caprice ou du hasard, mais la conséquence directe de leur état social. Leur agriculture était rudimentaire ; elle se réduisait à un simple travail de jardinage exécuté par les femmes, pour la satisfaction des besoins les plus urgents de la famille, et à l'exclusion d'animaux domestiques, de bêtes de somme et de trait. Dès lors ils se

' Titres seignfuriaua:, 1. 1, p. 428.

[<.kkin] la seigneurie DE SILLERY 99

trouvaient hors d'état de parer au moyen des engrais de ferme à l'épuise- ment graduel du sol par les récoltes, ou d'aller s'approvisionner au loin de lx)is d'œuvre ou de chauffage, de matériaux de construction. Force leur était donc de déplacer leur village dès que le sol et la forêt dans un assez court rayon avaient été dépouillés de leur richesse première. Telle avait été leiu- pratique naguère dans leur ancien pays des bords de la Mer douce, d'après le témoignage de Champlain, les bourgades changeaient de lieu tous les quinze, vingt ou trente ans.^

Pendant que le groupe huron poussait toujours vers l'intérieur, se lisant successivement à Sainte-Foye, puis à Lorette et enfin, à la Nou- velle-Lorette, que se passait-il à l'anse de Saint-Joseph, sur la rive du fleuve? Comme au temps passé, des Algonquins et des Montagnais, restés plus ou moins nomades, venaient y passer quelques mois de l'année. En Ui()9, ils y procédaient à Télection d'un chef en remplacement du regretté Xoël Xegabamat Tecouerimat, décédé trois ans auparavant. Peu d'années après, la mission de Sillery était ravagée par la petite vérole," le groupe algonquin était presque anéanti. Mais bientôt la mission s'augmenta d'vm nombre d'Abénaquis, arrivés de l'Acadie et du Maine (le??).' En 1680, un groupe nombreux de ces Abénaquis était installé à Sillerj-, à côté des Algonquins, au nombre de 500 ou 600 hommes.'' En 1681, Sillery est désigné au recensement comme mis- sion des Aliénaquis et des Algonquins. En 1683, les jésuites obtenaient du gouverneur La Barre et de l'intendant de Meulles, la concession de •1 lieues de terre en superficie au saut de la Chaudière, vis-à-vis Sillery, sur la rive sud du Saint-Laurent.^ L'automne de cette même année, les jésuites y fondèrent une nouvelle mission sous le nom de Saint-François- de-Sales, et les Abénaquis commencèrent à s'y établir. Il est difficile de dire exactement en quelle année Sillery fut complètement abandonné par les sauvages. L'abbé Ferland donne la date de 1684;" mais d'autre part, nous voyons qu'en 1685, il y avait à Sillerj' 488 Indiens et 17 ca- banes:' et l'année suivante, l'intendant Champigny écrivait au ministre que la population indienne de Sillery s'élevait à 700 âmes, par suite de l'arrivée récente de deux cents Abénaquis.* Nous voyons aussi qu'en

' Champlain, Voyages, 1616, p. 75.

- Garneau, Histoire du Canada, t. I, p. 220.

- Docuinents de la NonvelleFrancf, t. I, p. 272. * Roy, la Seigneurie de Lauson, t. I, p. 394.

' Collection manuscrite, p. 2:J8.

" Ferland, Cours d'Histoire du Canada, t. II, pp.l30I. Suite, Histoire des Canadiens-Français, t. VI, p. 45.

■* Correspondance officielle des Gouverneurs français (manuscrit à la biblio- thèque du Parlement), 2<^ série, t. V, p. 320.

lOO SOCIÉTÉ ROY.AXE DU CANADA

1687, la rougeole api^ortée par les navires du roi, enlevait dans le seul village de .Sillery 130 indigènes.^ Mais il faut dire que les pièces officielles de l'époque ne distinguent pas bien clairement entre l'ancienne mission de Sillerj- et la nouvelle mission de Saint-François-de-Sales qui en était sortie, sur la rive opposée du fleuve.^ Il nous paraît assez pro- bable toutefois, que c'est vers 1687 ou 1689 que Sillery fut définitive- ment abandonné par les sauvages.

Bref, à la fin du dix-septième siècle, il n'y avait plus d'Indiens domiciliés dans le voisinage de Québec, sauf le petit ^oupe liuron de la Nouvelle-Lorette. C'est alors que les jésuites obtiurent des autorités coloniales le titre qui leur attribua en propre ce qui était resté aux sauvages chrétiens de leur seigneurie de Sillery. Nous donnons ci-après les passages essentiels de l'acte.

Hector de Callières, chevalier de l'ordre de Saint Louis, gouverneur et lieutenant général pour le roy en toute la France septentrionale; Jean Bochart, chevalier, seigneur de Champigny, Noroy et autres lieux, conseiller du Roy en ses conseils, intendant de justice, police et finances au dit Pays.

Veu la requeste à nous présentée par le révérend père Martin Bouvart, supérieur de la compagnie de Jésus en ce pays, et le père François Vaillant, son procureur, tendant à ce qu'il nous plust leur transférer en propre les fief, terre et seigneurie de Sillery, dont ils n'ont jouy jusqu'à présent que comme administrateurs du bien des sauvages chrétiens, à qui le dit fief avait esté donné par Sa Majesté au mois de juillet 1651, et que les dits sauvages ont esté obligés d'abandonner depuis dix ou douze ans pour s'establir ailleurs, tant parceque les terres en culture y estaient tout à faict usées, que parce que les bois de chauffage, coupez depuis prez de quarante ans, se trouvent beaucoup éloignés de leur demeure. ... Et estans pleinement informez des bonnes intentions des dits pères de la compagnie de Jésus, des grands secours spirituels et temporels qu'ils rendent aux sauvages de ce pays, et des grands soins qu'ils ont pris, et des dépenses excessives qu'ils ont faictes pour soutenir les missions des dits sauvages, et pour travailler solidement à leur salut, et particulièrement à l'égard de ceux qui estoient établis au dit lieu de Sillery, pour lesquels depuis qu'ils en sont sortis, ils ont achepté à leurs propres frais d'autres terres en divers lieux de ce pays, afin de les y establir, sans quoy ils se .^croient dispersez. Pour ces raisons, nous avons donné, concédé et octroyé en propre aux dits pères jésuites les dits fief, terre et seigneurie de Sillery, d'une lieue de large sur le fleuve Sainct Lau- rens, et dune lieue et demie ou environ de profondeur jusqu'à la seigneurie de Sainct Gabriel qui la termine par derrière '

Ainsi donc, pour justifier l'expropriation des sauvages chrétiens, l'acte n'indique que deux raisons: d'une part l'abandon de Sillery pax les Indiens, par suite de l'éptiisement du sol et de réloignement du bois de chauffage ; d'autre part, les dépenses faites par les jésuites et l'achat

1 Docuvunts de la Nouvelle-France, 1. 1, p. 405. ' Ibid., 1. 1, p. 468 ; t. II, p. 88. - Titres seigneuriaux, t. II, p. 65.

[gérin] la seigneurie DE SILLERY lOl

par eui de nouvelles terres pour la subsistance des Indiens. Il y a trois points que nous allons examiner successivement.

''Les sauvages ont été obligés d'abandonner le fief de Sillery." La date même de 1687 ou 1689, à laquelle nous sommes ici reportés, nous montre bien qu'en faisant cette assertion les jésuites n'avaient en vue que les Algonquins et Abénaquis de la résidence Saint-Joseph, les- quels, en effet, vers cette date, avaient quitté Sillery pour la mission de Saint-François-de-Sales, au Sault-de-la-Chaudière. Les jésuites ue font aucunement allusion aux Hurons de L-orette. C'est que probable- ment dans leur esprit, il y avait déjà trop d'années que ceux-ci avaient quitté la seigneurie. Car depuis trente ans la prétention des jésuites était que Sillerj' ne s'étendait pas, vers le nord-ouest, au delà du coude de la rivière Saint-Charles, et les Hurons avaient franchi cette limite pour entrer dans le prétendu Saint-Gabriel, dès 1673, l'année qu'ils déménagèrent de Sainte-Foye à Lorette (l'Ancienne).

Mais nous savons que ce changement des bornes restreignant des deux tiers l'étendue de Sillery, avait été opéré par les jésuites de leur seule autorité, sans intervention spéciale, directe, des officiers publics. H est donc raisonnable d'affirmer qu'en 1699, les Hurons de la Nouvelle- Lorette se trouvaient encore dans les limites légalement reconnues de la seigneurie de Sillerj' (voir la carte). Au reste rien dans les termes de l'acte original de concession, n'obligeait les sauvages chrétiens à résider sur le territoire même de la seigneurie de Sillery. Pour conserver leur droit de propriété, il leur suffisait de demeurer dans le voisinage de Québec, et sous la direction des pères jésuites, et ils s'étaient toujours conformés ' à cette double condition. Et puisque ces Hurons étaient toujours restés sous la direction des pères jésuites, il est difficile de com- prendre comment ceux-ci leurs tuteurs, responsables de tous leurs mouve- ments, pouvaient être admis à invoquer contre eux la non-résidence, ou toute autre erreur de conduite.

Pour ces raisons, le premier considérant de l'acte de 1699 nous paraît mal fondé en fait et en droit.

L'acte dit encore que les sauvages furent obligés d'abandonner Sillery " parce que les terres en culture étaient tout à fait usées, et que le bois de chauffage se trouvait trop éloigné".

Pour dire la vérité tout entière, il aurait fallu ajouter que la principale raison pour laquelle on ne pouvait plus trouver de combustible à proximité de la mission Saint -Joseph et de terrain cultivable disponible dans la seigneurie de Sillery, c'était que les terres sur toute la largeur la seigneurie, et svir une grande partie de sa profondeur, étaient déjà occupées par des colons français à qui les jésuites avaient concédé ces

102 SOCIETE ROYALE DU CANADA

terres à cens et rentes. Et cet état de choses n'existait pas seuieiueut dans le bas du fief de Sillery; on le retrouvait presque au même degré dans la partie située au delà du coude de la rivière Saint-Charles que les jésuites avaient englobée dans la seigneurie de Saint-Gabriel. C'est ce que montre très clairement la carte cadastrale de Catalogne, préparée à cette époque.^ Il était inconséquent et injuste de priver les Indiens de Sillers', de leurs droits de propriété parce que leurs tuteurs avaient trouvé plus profitable de concéder à des blancs la plus grande partie des terres assignées aux sauvages, et avaient par même mis ceux-ci dans la nécessité de chercher ailleurs leur subsistance.

L'acte déclare enfin que les pères de la compagnie de Jésus ont fait ■■ des dépenses excessives pour soutenir les missions des sauvages", et que notamment pour ceux qui habitaient à Sillery '" ils ont acheté à leurs frais d'autres terres en divers lieux".

Comme la première, cette déclaration ne peut s'entendre que du groupe abénaquis, et même dans son cas. elle n'est pas alisolument exacte. En vue d'établir au dehors les Abénaquis de la mission de Saint- Joseph, les jésuites obtinrent pour eux des autorités coloniales, à titre gratuit, de nombreuses et vastes concessions de terrains: 3 lieues carrées à la rivière Chaudière (1683) ; 21 arpents de front sur la rive gauche de la Chaudière sur toute la profondeur de la seigneurie de Lauson (1689) ; 1 lieue et demie de front de chaque côté de la rivière Chaudière sur une demie lieue de profondeur (1697); et finalement, en 1700, deux conces- sions sur la rivière Saint-François, d'une étendue de 3 milles de profon- deur sur 6 milles de front. Mais dans toute cette période, nous ne trou- vons qu'un achat de terrain fait par les jésuites pour les Abénaquis: la terre de Pominville, de 15 arpents de front sur 40 de profondeur, acquise ■en 1686, au prix de 150 livres et d'un canot estimé à 30 livres. -

Quant aux Hurons de Lorette, les jésuites n'avaient certainement pas acheté de terres pour eux. A peine dans cette partie de l'ancien domaine de Siller}' qu'ils désignaient sous le nom de Saint-Gabriel, sur les terrains pauvres de la zone sablonneuse, avaient-ils réservé un em- placement i>our le village huron. une commune de faible étendue et quelques centaines d'arpents de bois.

C'est de mauvaise grâce que la cour de France ratifia cet acte de 1699, obtenu des autorités coloniales. La sanction n'en fut transmise au gouverneur et à l'intendant que près de trois ans plus tard, avec cette

' Voir la copie de P.-L. Morin à la bibliothèque du Parlement. ' Voir l'intéressant chapitre que M. J. -Edmond Roy consacre aux Abénaquis dans son Histoire de la Seigneurie de Lauson, 1. 1, pp. 393 et suivantes.

[gérix] la SEIGNEfRIE DK SILLERY 103

remarque significative: " Sa Majesté a accordé aussi la confirmation de la terre de Sillery demandée par les pères jésuites, quoique cela soit contre la règle qu'elle s'est faite de ne plus donner de terres du Canada à des communautés religieuses."

Les jésuites se rendaient-ils bien compte de l'injustice consacrée par cet acte, au détriment surtout des Hurons de Lorette? Nous ne le croyons pas. En l'absence de preuve directe, nous nous refusons à admettre qu'il se soit trouvé au sein de cette communauté religieuse très estimable des jésuites de la Nouvelle-France, un groupe d'hommes capables d'ourdir pareil complot. En dépit des apparences, nous restons persuadé que les jésuites étaient de bonne foi lorsqu'ils rédui- saient des deux tiers le fief de Sillery au profit de leur seigneurie de Saint-Gabriel. Nous sommes persuadés également que plus tard en se faisant attribuer en propre ce qii'il restait de Sillery, leur pensée n'était pas de dépouiller les sauvages, mais simplement de s'assurer pour le maintien de leurs œuvres une source de revenu à la veille peut-être de retomber dans le domaine public.

Ce qui justifie bien cette conclusion, c'est qu'à la suite de l'acte de 1699, plus de quatre-vingt-dix-années s'écoulèrent, tant sous le régime anglais que sous le régime français, sans que les Hurons eussent élevé la voix pour se plaindre. De fait la translation de la seigneurie de Sillery aux jésuites ne changea rien aux conditions de vie des Indiens du voisinage de Québec; elle n'affecta aucunement la nature des rapports de CCS derniers avec leurs tuteurs.

Les Hurons continuèrent comme par le passé à jouir des terres que les jésuites avaient laissées à leur disposition sur le haut de la rivière Saint-Charles. Ces terres n'étaient ni très étendues, ni très fertiles ; mais les Hurons n'en désiraient pas d'autres. Leur formation sociale ne les portait guère vers les travaux pénibles des champs; leur faux orgueil de chasseurs et de guerriers les en éloignait. Précisément, en arrière de Loretto, il se déroulait une vaste région forestière et montagneuse, peu fa\orable à la culture, mais abondante en productions naturelles, en poisson, eu gibier, en bêtes à fourrure. D'autre part, la proximité de Québec offrait un facile débouché pour les pelleteries, et mettait les Hurons en rapports suivis avec les marchands et les fonctionnaire.-; iran- i;ais. Ils négligèrent l'agriculture de plus en plus, pour vivre de la pêche, de la chasse, du commerce des fourrures, et des allocations pour service militaire.

De son côté, la compagnie de Jésus continua à e.xereer >ur les Hurons son patronage surtout moral et religieux. Il y eut toujours à

104 SOCIETE ROYALE DU CANADA

Lorette au moins deiix jésuites chargés de la direction spirituelle des sauvages, et dans une mesure même de leurs intérêts matériels; investis à cette fin d'un pouvoir patriarcal, presque despotique, et s'immisçant d'autorité dans toutes leurs affaires. Pendant une longue période, les Hurons s'accommodèrent très bien de cette règle des jésuites. Du moins c'est seulement lorsqu'elle fut à la veille de finir, qu'ils mani- festèrent du malaise, du mécontentement, comme nous allons voir.

V

CdM.MENT LES HURONS REVENDIQUÈRENT EN VAIN L.A. SEIGNEURIE DE SII.LERT.— 1791-1837.

En 1759, Québec tombait aux mains de Wolfe; l'année suivante Montréal se rendait à son tour, et dans les articles de la capitulation qui cédait le Canada à la Grande-Bretagne, le général anglais Amherst refusait d'inclure la garantie que les communautés religieuses d'hommes, et notamment celle des jésuites, seraient reconnues. Deux ans plus tard, la compagnie de Jésus était supprimée en France, et ses biens confisqués par l'Etat. Il ne faut donc pas s'étonner si par le traité de Paris de 1763, qui régla définitivement les conditions de la cession, il ne fut rien fait pour améliorer la position des jésuites au Canada. Les membres de la compagnie de Jésus déjà fixés dans la colonie purent continuer à y demeurer et même à y jouir des revenus et à administrer les biens de leur ordre. Mais ils n'eurent plus la liberté de recruter de nouveaux sujets, et il fut décidé qu'à la mort du dernier d'entre eux, leurs biens retourneraient à la couronne.

Dans l'intervalle, l'agitation contre les jésuites se continuait en Europe. Déjà expulsés du Portugal en 1759, ils le furent de l'Espagne en 1767, du Paraguay en 1768; et en 1773, le pape Clément XIV sup- primait la compagnie de Jésus dans toute la catholicité.

En Angleterre, les biens des jésuites du Canada étaient chaudement disputés. Amherst avait obtenu du roi Georges III la promesse qu'ils lui seraient conférés en récompense de ses services dans la réduction de la colonie française. En 1770, il produisait sa réclamation. En 1774, l'année qui suivit l'abolition de la compagnie de Jésus par le pape, les autorités anglaises, dont les derniers scrupules par le fait même disparais- saient, transmirent au gouverneur Dorchester des instructions pour la dissolution de l'ordre au Canada et la prise de possession de ses biens. Mais il se forma un parti influent opposé aux prétentions d' Amherst et désireux de voir les biens des jésuites appliqués, suivant la destination

tGKRix] LA SEIGXKURIE DE SILLERY 108

première d'une partie d'entre eux, à des fins d'instruction publique. Les deux factions se firent mutuellement échec'

Les Hurons étaient au courant de la situation. Ils savaient que la compagnie de Jésus au Canada n'avait pas été reconnue par les autorités anglaises, et que l'ordre lui-même avait été supprimé par le pape dans l'univers entier. Ils n'ignoraient pas que des intérêts puis- sants étaient en lutte pour la possession des biens des jésuites dans la colonie; et ils voyaient arriver le jour ces biens (parmi lesquels leur ancienne seigneurie se trouvait confondue) passeraient en des mains étrangères. De quel traitement seraient-ils l'objet de la part de ces nouveaux seigneurs? Ils n'avaient même pas de titre de propriété pour l'emplacement de leur village et la commune }' attenante. Depuis 1742, ils avaient bien un titre des jésuites pour la réserve forestière de 1,600 arpents,- mais cet acte comportait certaine? charges qui leur parais- saient trop onéreuses.

La chasse n'était plus aussi fructueuse qu'autrefois, ni le commerce des fourrures aussi profitable. Par le moyen de diverses petites fabrica- tions, les Indiens cherchaient à tirer meilleur parti des peaux de bêt«s et autres productions naturelles de la région montagneuse, la valeur plus grande ainsi donnée à ces articles, devant compenser en partie la rareté croissante de la matière première. Quelques Hurons, même, songeaient à s'adonner à la culture, et avaient commencé à se faire con- céder des terres à cens et rentes par les jésuites.^

Cependant le nombre de ceux-ci au Canada diminuait très vite. Ils avaient été autrefois jusqu'à quarante; en 1766, ils étaient réduits à vingt et un: au commencement de 1790, ils n'étaient plus que quatre, dont un à Montréal et trois à Québec." Au mois de février 1790, le P. de Glapion, supérieur de l'ordre depuis 1763, décédait, et le P. de Yillcnev.Te-Girault, quittait Lorette, il avait exercé le ministère pen- dant trente-six ans, et devenait supérieur à Québec. Il ne fut pas rem- placé à Lorette. Vers le même temps les Hurons avaient cessé de rece- voir la subvention annuelle d'un demi-minot de blé par famille que les jésuites leur avait payée; ils s'en plaignirent au P. Girault, et le requi- rent de leur remettre leurs terres. Celui-ci les avisa de s'adresser au ïouvemeur Dorchester; et c'est ce qu'ils firent en 1791, l'année même

1 Dunkin, Appendice au Rapport (h: lord Durham, 1838, Archives canadiennes, P. F.. 73, pp. 99 et 100 ; Garneau, ibid., t. II, p. 65-6.

' L'original se trouve aux archives du département de.s Affaires indiennes.

■■■■ Joui-iials ofthe Leffislative Asannbly of Lower Canada, 1843, Appendix F.

i Archives canadiennes, \mi, Papiers d'Etat, p. 23; la Revue canadienne, 1900, p. 431 ; l'abbé Tanguay, Répertoire du Cleryé, pp. 109, 111, 12:!.

106 SOCIÉTÉ KOYALE DV CANADA

que furent introduits la nonvelle constitution et le régime des assem- blées délibérantes au Canada.^

Nous donnons ci-après quelques passages de leur pétition:

A Son Excellence Guy, lord Dorchester, capitaine général et gouverneur en chef de la province de Québec.

Ce n'est pas de vous respectable père, ou de ceux de votre nation, de qui nous pouvons nous plaindre si nous sommes dépourvus de tout ce que nous avions ; car vous n'êtes maitre du pays que depuis trente et un ans ; mais c'est à votre justice et bonté que nous voulons avoir recours pour tâcher de ravoir le peu qui nous reste, c'est à dire la seigneurie de la Jeune- Lorette, à présent entre les mains des jésuites, qui ne cessent de concéder à d'autres nos propres terres jusqu'à nos portes; nous avons jusqu'à présent pris cela en patience, espérants toujours que les Révérends Pères Jésuites que nous regardions avec respect comme nos pasteurs auraient d'eux-mêmes pris le parti de remettre entre nos mains nos propres biens, et qu'ils se seroient donnés quelques peines pour instruire nos jeunesses afin qu'il y en ait parmi nous de capables de veiller à nos affaires; comme ils avoient promis quand la seigneurie leur a été donnée en gardes, mais comme ils nous ont tenus dans une crasse ignorance que nous avouons avec honte, et en toute façon et manière ont manqué aux conditions et devoirs que selon eux-mêmes ils s'étaient imposés et obligés de remplir pour que la dite sei- gneurie leur fut concédée:

C'est pourquoi, notre père, nous nous adressons à vous et implorons votre protection.

En même temps, comme les révérends pères ne veulent plus faire les fonctions dans nottre église, pour cet effet vous voudrez bien vous intéresser pour nous que quatre de nos jeunes gens soient reçus gratuitement dans le séminaire pour être instruit et recevoir une éducation de façon que nous puissions avoir des prêtres, maîtres d'école, etc., dans notre village, afin de ne plus vivre dans l'ignorance, mais de montrer par notre exemple à quel point le génie des sauvages peut être cultivé.

Espérant toujours d'être reçus d'un œil favorable, nous ne cesserons de chanter vos louanges et remettrons à nos enfants et à notre postérité le respectable et chéri nom de Dorchester, père et protecteur des Hurons.

A la Jeune Lorette, 22 juillet, 1791. Thomas Martin. Zacharie Otis. Etienne Petit. Augustin Picard, chefs du village, pour eux-mêmes et la nation Huron (sic) de la Jeune- Lorette.-

Le 15 août suivant, la demande des Huront. fut référée à une com- mission composée de MM. Dunn, Grant, Dupré, Lanaudière et Baby; et des copies de la pétition furent adressées aux jésuites, à l'évêque, au séminaire*de Québec et aux officiers de loi de la couronne.

La réponse du procureur général se fit attendre quelques années. Entretemps une nouvelle pétition était présentée demandant que les

' Clainis of Lorette Indians, p. 1:5.

- L'original est déposé aux archives du Secrétariat d'Etat.

[gérin] la SKIGXEI'RIE DE SILLEKY 107

biens des jésuites fussent mis à la disposition de la législature pour des fins d'éducation; et les Hurons inquiets de l'avenir, se retournèrent vers ces mêmes Jésuites qu'ils venaient d'injurier, et leur demandèrent un titre en règle pour l'emplacement de leur village, la commune et la réserve forestière. Ce titre leur fut octroyé par les PP. Girault et Cazot le 26 février 1794.»

Le 3 août 1797, le procureur général Jonathan Sewell. présentait son rapport sur la pétition des Hurons de Lorette. Il y avait plus d'un an alors que Dorchester avait quitté définitivement le Canada, et c'est à son successeur, sir Eobert Prescott, que Sewell s'adresse. Il ne paraît avoir fait de la question qu'une étude assez superficielle. Son argu- mentation se réduit à ceci: les Hurons réclament la seigneurie de Sillery et partie de celle de Saint-Gabriel. En effet, la seigneurie de Sillery fut concédée aux sauvages chrétiens dès l'année 1651; et ils en restèrent les propriétaires Jusqu'à 1699. Cette année-là le roi de France, pour des raisons qu'il Jugea suffisantes, accorda Sillery aux Jésuites en leur nom propre, et comme les Jésuites sont toujours restés en possession depuis, la prétention des Hurons à cette seigneurie n'est pas admissible. Quant à la seignevtrie de Saint-Gabriel, elle ne fut Jamais la propriété des sau- vages. Suit une allusion malveillante et absolument déplacée touchant " les bons et agréables services" rendus par les révérends pères Jésuites à Giffard et à sa femme, et le procureur général conclut au renvoi de la pétition des Hurons. -

Ceux-ci revinrent à la charge quelques mois plus tard. Le 12 Jan- vier 1793, ils faisaient au gouverneur Prescott de nouvelles repré- sentations. Cette seconde pétition est curieuse à plusieurs égards. ' Comme la première, elle est rédigée en un français parfois étrange, et elle dénonce les Jésuites avec violence. Nous n'en donnons que les conclusions.

Notre père Hatiyathaque (c'est le nom sous lequel ils désignent le gouverneur), nous vous prions et conjurons conjointement et au nom des Sept nations, nos frères et alliés, de nous faire rendre notre seigneurie, ou de nous la donner vous-même, ce qui était autrefois à nous et qui nous a été si injustement dérobé par les ambitions et fourberies des jésuites trop connus dans tous (sic) les parties du monde. Et comme la proclamation de Sa Majesté britannique nous assure de nous défendre contre nos ennemis et contre tous ceux qui auraient ou voudraient empiéter ou anticiper sur nos terres, et qui enjoint tous les gouverneurs ou commandants en chef de Québ^ et autres lieux de nous protéger contre tous nos usurpateurs, et donc que nous ne pouvons pas dire autrement que nos terres nous ont été ravies et usurpées par messieurs les jésuittes, sans notre connaissance, con-

' Archives du département des Affaires indiennes. - Clahns o/ Lorette Indiatis, p. 41-3.

108 SOCIÉTÉ ROYALE DV CANADA

sentement ni renonciation de notre part; nous n'avons point non plus eu aucunes terres des jésuites en échange pour notre seigneurie, ni nous ni nos ancêtres; nous en appelons à tout le monde en témoignage.

C'est pourquoi, père Hatiyathaque. nous vous prions de prendre notre cause en votre prudente considération, et de nous défendre contre nos en- nemis et nos abuseurs, puisque vous-même rétablissez tous nos frères les Sept nations sur leurs propres terres, qui leur avaient été comme nous anticipées par les jésuites ou autres personnes; et nous, y aura-t-il que nous d'entre nos frères de délaissés, nous qui avons l'honneur de demeurer dans 1* cœur de voti'e sein, que nous ne connaissons que le roi Georges III pour notre souverain et notre père. Ainsi donc, Hatiyathaque, représentant de notre bon père Georges, nous espérons derechef que vous nous délivrerez de nos abuseurs et nos ennemis en nous rétablissant sur nos anciennes terres en préjudice de tous nos envieux. Nous espérons finalement d'être reçus d'un œil favorable, et nous ne cesserons de chanter vos louanges, et remettrons à nos enfants et à notre postérité la plus reculée le respectable nom de Prescott, père et protecteur des Hurons. Jeune Lorette, 12 janvier 1798.

Thomas Martin. Zacharie Otisse, François Vincent, Zacharie Thomas, Petit Etienne, Augustin Picard. Simon Hélène, Joseph Vincent, Louis Monique.'

La réponse de Prescott, communiquée le 31 mars suivant aus Hurons par le secrétaire Eyland, et probablement rédigée par celui-ci, est un modèle d'astuce plutôt que de logique. Mes enfants, dit-il en bref, vous avez bien raison de vous plaindre de l'injustice commise par les jésuites et par le roi de France à votre égard. Jamais un roi d'Angle- terre ne se serait permis de dépouiller ainsi sans raison ceux à qui il aurait donné des terres. Mais aujourd'hui que la chose est faite, il faut bien que vous vous y résigniez.- Mais puisque, au dire même du gouver- neur, c'était injustement que les jésuites avaient pris possession de la seigneurie de Sillery, comment les autorités anglaises, détentrices des biens de ces jésuites au Canada, et notamment de cette seigneurie de Sillery, pourraient-elles se dispenser de la remettre à ses légitimes pro- priétaires ? C'est ce que ni Prescott ni Eyland ne se donnèrent la peine d'expliquer.

Les Hurons ne perdirent pas courage. Après le départ de Prescott (1799), ils pétitionnèrent son successeur Milnes, par l'entremise du colonel Louis de Salaberrj', surintendant des sauvages. Milnes promit d'y voir, mais rien ne fut fait. Craig remplaça Milnes en 1807, et les Hurons s'empressèrent de lui soumettre leur réclamation, mais ils n'en reçurent pas de réponse. Le 25 octobre 1811, ils présentèrent une pétition à sir George Prévost, qui avait remplacé Craig; et Edward Bowen, suppléant du procureur général, fit un rapport, comme celui de

' Archives du Secrétariat d'Etat.

- Claims of Lorette Indians, pp. 43-4.

[oérin] la SKUiNKrUIE DE SILLERY 109

son prédécesseur, défavorable à la prétention des Hiu-ous. Plus sérieux que celui de Sewell, ce rapport n'allait pourtant pas au fond des choses.'

En 1814, Joseph Bouchette, arpenteur général à Québec, se rendait en Angleterre poiir y faire publier son ouvrage Topography of Oanadar Les Hurons le prièrent de soumettre leur réclamation au gouvernement britannique. Deux ans après, au moment de revenir au Canada, Bouchette écrivit en effet en leur faveui- à lord Bathurst, secrétaire des coloçies, qui se borna à le renvoyer au gouvernement canadien. ••

Les Hurons présentèrent une pétition à sir John C. Sherbrooke, qm fut gouverneur du Canada de 1816 à 1818. Cette pétition fut référée à une commission composée de Mil. Uniacke, Caron et Pyke, et l'afEaire en resta là.*

Le 21 janvier 1819, nouvelle pétition des Hurons au successeur de Sherbrooke, le duc de Eichmond. Cinq jours plus tard, ils présentaient une pétition dans les mêmes termes au parlement provincial.- Ce docu- ment rédigé suivant toutes les formes et beaucoup plus clair et circon- stancié que les premières pétitions que nous avons vues, était certaine- ment l'œuvre d'un légiste, probablement de John Neilson ou d'Andrew Stuart, qui pendant de longues années s'intéressèrent en faveur des Hurons, ou encore de Yallières de Saint-Eéal, que nous voyons figurer comme premier témoin au bas de la pétition au gouverneur. C'est wa très habile exposé de la cause des Hurons, quoique entaché de quelques inexactitudes et d'imputations injurieuses pour les jésuites.

Le 26 janvier, il fut nommé un comité dans lequel siégèrent MM. Neilson, Stuart, Tasehereau, Bellet, Gauvreau, Davidson, Cuvillier, Blanchet et Vanfelson. Ce comité, sous la présidence de John Neilson, recueillit dans le cours de février quelques témoignages, entre autres celui du grand chef Nicolas Vincent (Tsawauhonhi) ; et le 22 avril, il soumit ces témoignages à la chambre, déclarant que les autres travaux de la session l'avaient empêché de pousser plus loin ses investigations.

Quelques mois plus tard, le duc de Eichmond mourait des suites d'un accident, et lorsque l'année suivante son successeur, Dalhousie, arriva à

1 Claims of Lorette Indians, pp. 41-S.

- Cet ouvrage important contient des notices -sur les seigneuries de Sillcry et de Saint-Gabriel (pp. 403 7) malheureusement les erreurs Iiistorique.s sont nombreuses On se reni compte qu'à cette époque, dans les cercles officiels et même chez ceux qui s'intéressaient le plus aux Hurons, on ne pos.sédait que des notions très vagues sur la nature de leurs titres. Ces erreurs ont été reproduites dans la seconde édition de l'ouvrage de Boucliette en ISW. Cette dernière édition donne sur les Hurons de Lorette des renseignements intéressants extraits en partie des journaux de la Chambre.

3 Claims of Loretle Tndians, pp. .ï.S 6.

< Ibid., pp. 13, 14.

5 Archives du Secrétariat d'Etat.

IIO .SOCIETE ROYALE DU CANADA

Québec, il ne tarda pas à être mis au courant des griefs des Hurous. Le •i j décembre 18"<;0, il transmettait leurs papiers aui officiers de loi, et le 3 juillet 1821, le solliciteur général Marshall et le procureur général Vanfelson, soumettaient leur rapport. Comme leurs prédéees- seiirs, ils concluaient au rejet de la pétition. Pour faire pièce sans doute à la déclaration très fortement motivée des Hurons, ces fonc- tionnaires présentèrent une étude assez détaillée de la question. Mai.s leur connaissance des faits historiques était très insuffisante; leur argu- mentation en est à tout instant viciée. C'est ainsi qu'ils font reposer leur principal argument sur le prétendu abandon de Sillery par les sauvages. Mais lorsqu'ils en viennent à fournir leurs preuves, on s'aper- çoit qu'ils confondent tout le temp.s la mission de Saint-Joseph-de- Sillery avec la seigneurie même, et qu'ils font peser sur le groupe huron de Lorette la responsabilité d'actes du groupe algonquin-abénaquis. Dans la seconde partie de leur rapport, ils constatent que Saint-Gabriel, dont la largeur devrait être de 1 lieue et demie, ne mesure qu'environ 1 lieue à cet endroit (la largem- du fief de Sillery), et pour rendre compte de cette différence, ils donnent à entendre que le fief de Gaudar- ville est de date plus ancienne que la seigneurie de Saint-Gabriel. Cette supposition entièrement fausse les dispense d'expliquer comment il se fait que Sillery seul ait été sacrifié au profit de Saint-Gabriel. Si réelle- ment cette seigneurie, avec 1 lieue et demie de largeur, devait être prise à cet endroit, pourquoi, après avoir absorbé la lieue de largeur fournie par Sillery, s'était-on arrêté à Gaudarville, Gaudanille concédé cinq ans après Saint-Gabriel et près d'un an aju-ès Sillery ? Pourquoi les sauvages avaient-ils été seuls à souffrir ?'

Malgré ce nouvel échec, la cause des Hurons ne fut pas abandonnée. A la session de 1823-4, un comité de la chambre oii siégèrent MM. Andrew Stuart, Bourdages, Viger, John Neilson et Bélanger, remit leur pétition à l'étude. Le grand chef Nicolas-Vincent Tsawanhonhi, et Stanislas-Kotska Aharathaha, porteur de diverses pièces des archives de Lorette, furent examinés. A la fin de février, le comité, sous la prési- dence d'Andrew Stuart, présentait un rapport favorable à la demande des pétitionnaires. Ce rapport assez étendu, s'ouvre par un exposé historique détaillé, mais qui renferme d'assez graves erreurs de fait. L'auteur n'a eu pour toute source de renseignements que Charlevoix, Ducre^ix, et une histoire de l'Hôtel-Dieu. Il en résulte de nombreuses confusions. Mais en même temps d'excellentes raisons sont avancées à l'appui de la pré- tention des sauvages de Lorette. Le comité recommande en conclusion

Le rapport de Marshall et Vanfelson se trouve reproduit dans l'ouvrage Claims of Lorette Tndians, pp. 4S-5S.

[gérin] la SEIUXKIKIE DK SILLEKY 111

qu'une humble adresse soit présentée au gouverneur en chef le priant de remettre les Hurons en possession de la seigneurie de Sillery.'

Il ne fut pas donné suite à cette proposition. La chaiiibre à ce moment était trop occupée à défendre ses propres pi-érogatives, pour donner beaucoup de temps aui griefs des Hurons. Précisément, à la suite de la lutte très vive qui s'engagea alors entre elle et l'exécutif, Dalhousie fut rappelé (1828). Son successeur, sir James Kempt, fut à son tour invité par les Hurons à intervenir en leur faveur. L'opinion du procxireur général James Stuart, en date du 28 feviier 1829, n'est pas différente de celles de ses prédécesseurs. On y retrouve les mêmes défauts: parti pris d'opposer une fin de non recevoir à cette réclamation importune, argumentation sèche au point de vue le plus étroit de la loi et reposant sur ime connaissance insuffisante, parfois erronée, des faits.-

En 1831, le gouvernement britannique remettait enfin les biens des jésuites à l'administration coloniale, pour être appliqués au développe- ment de l'instruction publique. Et à cette occasion, les Hurons encore une fois soumirent leur cause au gouverneur (lord Aylmer, successeur de Kempt). Nouvelle pétition au parlement provincial en 1834, suivie d'une autre à lord Gosford, en 1835. Mais comme dans les cas précé- dents, la réponse fut défavorable. Gosford s'en débarrassa très som- mairement en invoquant prescription de titre, incertitude des traditions, etc. (1837).^

Puis survient une période d'agitation politique, de troubles popu- laires, aboutissant à l'imion législative du Haut et du Bas Canada et à l'introduction graduelle du gouvernement responsable, c'est-à-dire à la prédominance croissante de la chambre élective dans la direction des affaires. Nous ne trouvons plus de traces de revendications des Hurons qu'en l'année 1844, elles reparaissent dans le rapport des commis- saires des Affaires indiennes.

Ainsi donc, les Hurons de Lorette avaient revendiqué la seigneurie de Sillery auprès de tous les gouverneurs du Canada depuis Dorchester jusqu'à Gosford, et toujours sans succès. A quatre reprises les officiers de loi de la couronne avaient été appelés à se prononcer sur leur cas et chaque fois, la décision avait été défavorable. Un comité de la chambre s'était déclaré pour eux, mais la chambre n'avait pas tenu compte du vœu exprimé par le comité. Leur cause était-elle donc désespérée, et de-

daims of Lorette Indians, pp. 3-10. C'est alors que des chefs hurons furent délégués en Angleterre pour faire valoir leurs prétentions auprès de la cour. George IV les reçut avec considération, mais pour le fond de leur demande les renvoya aux autorités coloniales.

Ajchives du Secrétariat d'Ktat. ^Ibid.

112 SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA

vaient-ils se résigner à rester toujours sous le coup de ce déni de justice? Non. Dès cette époque, le tort qui leur avait été infligé recevait un commencement de réparation; et nous pouvons espérer qu'un jour la réparation sera complète.

VI

CE QUE DEIIANDE LA JUSTICE SOCIALE.

Une première conclusion découle des faits exposés aux chapitres précédents; c'est que la prétention des Hurons de Lorette à la seigneurie de Sillery est fondée en droit strict comme en équité.

En droit strict, les Hurons étaient appelés à bénéficier de l'acte de 1651 au même titre que les Montagnais et les Algonquins. Bien dans les termes du document ne les excluait. C'est même l'eirrivée à Québec d'un très grand nombre de ces fuyards hurons en 16-50 qui paraît surtout avoir déterminé les jésuites à demander ce nouveau fief. Enfin, de tous les sauvages chrétiens, les Hurons ont été les seuls à remplir jusqu'au bout les conditions imposées par l'acte de concession. Les groupes de race algonquine après quelques années se dispersèrent, ou se firent un établissement en d'autres lieux, mais les Hurons jusqu'aujourd'hui sont restés groupés dans le voisinage de Québec et toujours sous la direction des pères jésuites ou de leur successeur, le département des Affaires indiennes.

Il est vrai que moins de vingt ans après la concession de Sillery aux sauvages, les jésuites, leurs tuteurs, s'attribuèrent à eux-mêmes les deux tiers de la seigneurie. Mais ils le firent illégalement, en se fondant sur un titre invalide, puisque celui de qui ils le tenaient avait déjà reçu de ce chef en d'autres lieux, la pleine étendue des terres portées au titre. Et d'autre part, jamais l'autorité publique n'intervint directement pour opérer ce changement de bornes, ou mettre les jésuites en possession.

Quelque trente ans plus tard, les jésuites se firent transférer en propre le dernier tiers de la seigneurie de Sillery. Mais les raisons qu'ils invoquèrent auprès des autorités pour obtenir cette faveur, n'étaient fondées ni en fait ni en droit, du moins pour ce qui regarde les Hurons de Lorette.

L'intervalle d'un siècle et plus qui s'écoula entre leur dépossession par les jésuites et letir première protestation publique, ne peut être valablement opposé aux Hurons. Ils étaient sous la tutelle des jésuites et empêchés d'agir si ce n'est par leur intermédiaire. Les jésuites ne pouvaient prescrire au moyen d'un titre dès l'origine entaché de nullité;

[gêeis] la SEIGKEUBIE DE SILLERY 113

tuteurs et admiuistrateurs, ils ne pouvaient prescrire coutie leurs pupilles.

Les autorités britanniques, et après elles le gouvernement colonial, auraient dû, semble-t-il, prêter une oreille plus attentive aux réclama- tions de ces pauvres gens et ne pas permettre que Sillery restât confondu dans la masse des biens des jésuites qui furent appliqués au développe- ment de l'éducation.

Au point de rae plus large de l'équité, les Hurons ont des droits également imprescriptibles. Leurs ancêtres contractèrent avec les Français, dès l'arrivée de ceux-ci sur les bords du Saint-Laurent, une alliance offensive et défensive. Ils reçurent leurs missionnaires, leurs interprètes, leurs trafiquants, ils devinrent les pourvoyeurs de la traite; et c'est dans l'ébranlement de leurs traditions et de leur organisation sociale déterminé par la prédication de l'évangile et par le développement du commerce des fourrures, qu'il faut chercher la cause principale de leur infériorité vis-à-vis des Iroquois et de leur dispersion finale par ces derniers.' Et puis sur cette île désolée de la Mer douce, en des circon- stances très solennelles, les Français, par la voix du P. Eagueneau, s'engagèrent à recueillir et protéger ces débris d'une malheureuse nation. Par la suite, ces mêmes Français, et après eux les Anglais, utilisèrent constamment les services des Hurons de Lorette dans les expéditions militaires, et pour la défense du pays. Ces circonstances seules suffi- raient pour imposer au peuple canadien l'obligation de mettre ce petit groupe dans les conditions les plus favorables pour son bien-être et son relèvement social.

Et maintenant, puisque les Hurons ont été illégalement dépossédés de la seigneurie de Sillery, puisqu'ils ont souffert un tort grave, déter- minons quelle est la mesure et la nature de la réparation q\ii leur est due, nous plaçant toujours au double point de vue du droit strict et de l'équité. Si les jésuites ne s'étaient pas emparés de la seigneurie de Sillery, en d'autres termes, si celle-ci était restée au nom des sauvages chrétiens, en quoi la position des Hurons de Lorette aurait-eUe été différente? Nous avons déjà vu que sous la régime français leurs con- ditions de vie ne furent aucunement affectées par cette mutation de titre. Mais après la cession du Canada à la Grande-Bretagne, comment les choses se seraient-elles passées? Le fief de Sillery aurait-il été remis entre les mains des Hurons de Lorette? Assurément non, pas plus que la seigneurie du Saut-Saint-Louis ne fut laissée à la libre disposition des Iroquois, dont les autorités avaient dès le début reconnu les droits. Les terres déjà concédées à cens et rentes à des blancs dans l'étendue de

1 La démonstration est faite au long dans un article de nous, The Hurons of Lorette, para dans le volume de la lirifish Association forthc Advancement of Science, 1900.

Sec. I, 1900, 8

114 SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA

Sillery seraient restées en la possession de ces censitaires. Mais au moins les recettes provenant des droits seigneuriaux auraient-elles été versées entre les mains des chefs et des guerriers de Lorette ? Pas davantage. Il serait arrivé simplement ceci, que oiiiery aurait été mis à part lîour le bénéfice des Indiens domiciliés dans le voisinage de Qué- bec, et la grande partie des revenus sous la gestion du surintendant des Affaires indiennes aurait été appliquée au maintien et au relèvement des Indiens susdits, et particulièrement des Hurons de Lorette. Laisser aux Indiens la libre disposition des deniers aurait été contraire à la let- tre et à l'esprit de l'acte de concession, et contraire aussi à l'intérêt bien compris des sauvages. Au reste, par suite du taux très bas des cens et rentes, les recettes provenant d'une seigneurie telle que Sillerv' n'auraient guère dépassé en moyenne 3,000 dollars par année. ^

Or, si le fief de Sillery et celui de Saint-Gabriel (comprenant une partie de l'ancien Siller}') sont restés confondus avec les autres biens des jésuites qm ont été appliqués au soutien de l'éducation, le gouvernement canadien n'en a pas moins depuis de longues années dépensé des sommes importantes pour les Hurons de Lorette. L'année 1830 marque une ère nouvelle dans l'administration des affaires indiennes au Canada. Jusque- les sauvages relevaient entièrement de l'organisation militaire. On les considérait comme des soldats en Service permanent. Le surinten- dant était un officier de l'armée, et sa principale fonction en temps de paix consistait à faire avec grande pompe la distribution annuelle des présents aux divers groupes d'aborigènes. Sir George Murray, secré- taire des colonies, transforma l'administration et tenta d'y introduire tout un esprit nouveau. La direction du bureau fut confiée à des fonc- tionnaires civils; et le 29 janvier 1830, sir George écrivait au gouver- neur du Canada, alors sir James Kempt, que l'on devrait à l'avenir s'ap- pliquer à faire sortir les sauvages de l'état de barbarie et à développer chez eux les habitudes de travail et l'esprit paisible de la vie civilisée."

1 En 1843, le commissaire des Biens des jésuites, John Stewart, faisait l'estima- tion suivante du revenu annuel de Sillery et de Saint-Gabriel (que nous incluons ici, à peu près toute la partie exploitée de cette seigneurie se trouvant comprise dans les anciennes limites de Sillery). Sillery : cens et rentes 31 louis ; lods et ventes, 85 louis ; intérêts sur rentes constituées (loyer des an.ses ou coves) 644 louis, total 760 louis. Saint-Gabriel : cens et rentes, 80 louis ; lods et ventes, 60 louis ; droits de mouture, 91 louis ; total 231 louis. Grand total, 991 louis, soit 3,964 dollars {Journals ofthe Législative Assembly ofLotier Canada, 1S43, Appendix F). En 1802, Jean-Bte Varin, commissaire en vertu de l'acte seigneurial de 18.54, faisait à son tour l'esti- mation suivante des droits lucratifs des deux seigneuries. Sillery : cens et rentes et rentes constituées, 9.5 louis ; lods et ventes, 111 louis ; total, 206 louis. Saint-Gabriel : cens et rentes et rentes constituées, 313 louis ; lods et ventes, 146 louis ; total, 4.59 louis Grand total, 665 louis, soit 2,660 dollars. {Cadastres abrégés des Seigneuries delà, Couron7ie, ISGS ; exemplaire déposé aux Archives canadiennes.

- Rapport de MM. Eawson, Davidson et Hepburn, 1844.

[oÉRix] LA SEIGNEURIE DE SILLEKY 115

liais cette politique éclairée, par suite d'un malheureux antagonisme de race et de religion, ne put être mise à exécution sur les réserves du Bas- Canada aussi promptement et aussi complètement qu'il aurait été désirable.

Aujourd'hui, et depuis bien des années, le gouvernement canadien paie le traitement du prêtre préposé à la desserte religieuse du village indien de Lorette; il y pourvoit aux frais de l'instruction primaire, solde les appointements des deux institutrices, y distribue des secours aux nécessiteux et y entretient un agent chargé de le tenir au courant des besoiDS des sauvages. De cette manière il s'acquitte d'une partie de l'obligation morale qui pèse sur lui à l'égard des Hurons.

Que lui reste-t-il donc à faire pour se libérer complètement? Il lui reste à redonner à ces hommes longtemps restés primitifs au sein d'une société se compliquant sans cesse, les facilités de développement dont le voisinage et la concurrence des blancs les ont privés. L'absence du travail agricole chez cette population rurale frappe vivement l'obser- vateur à Lorette. jMais sa surjjrise disparaît lorsqu'il a constaté la faible étendue des terrains laissés à la disposition des sauvages et la nature généralement aride de la zone sablonneuse sur laquelle ils ont été rélégués. D'autre part, il ne tarde pas à se rendre compte qu'ici sur- tout, toute réforme sociale devra avoir pour point de départ, le déve- loppement de l'aptitude à la culture suivie et à la propriété du sol.

C'est ce qu'avait compris notre gouverneur Kempt lorsqu'en 1830, il proposait à sir George Muxray de s'assurer à proximité de Lorette de terres arables pour l'usage des Hurons. Il savait qu'on ne pouvait s'at- tendre à voir des hommes déjà peu portés vers l'agriculture, s'en aller faire des défrichements dans les profondeurs de la région montagneuse. Malheureusement, sxir les entrefaites, le cabinet anglais dont sir George faisait partie dut se démettre, et le nouveau secrétaire d'Etat des colo- nies rejeta la proposition de Kempt. Repris sous une forme un peu différente par les commissaires de 1837 et approuvé cette fois par le bureau colonial, puis recommandé encore une fois par les commissaires de 1844, le projet n'en fut pas moins abandonné.

Et pourtant c'est au moyen seulement d'une mesure de cette sorte, judicieusement mise à exécution, sous une direction intelligente, qu'on pourra rendre à ces descendants dos Hurons la pleine somme de justice à laquelle ils ont droit, qu'on les mettra à même de se maintenir au sein de la concurrence moderne, et qu'en les préparant à l'émancipation on les acheminera vers un état social supérieur.

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