* fd>f' /£- 33/ L'ÉVOLUTION DE L'HUMANITÉ SYNTHÈSE COLLECTIVE PREMIÈRE SECTION PRÉHISTOIRE. PROTOHISTOIRE 1 BIBLIOTHEQUE DE SYNTHESE HISTORIQUE L'ÉVOLUTION DE L'HUMANITÉ ==. SYNTHÈSE COLLECTIVE == U INTRODUCTION GÉNÉRALE LA RENAISSANCE DU LIVRE 78, BOULEVARD SAINT-MICHEL, PARIS 1920 VJnivorsitas 3 9-0 INTRODUCTION GÉNÉRALE Deux circonstance*, très diverses, sont aujourd'hui favo- rables à l'Histoire Universelle : le développement des études historiques, d'une part; de l'autre, les conditions or mondiales » de la vie des peuples. Depuis près d'un siècle, des travailleurs de plus en plus nombreux — anlhropologisies, historiens, archéologues — ont poussé en tous sens leur enquête patiente, jusqu'au plus pro- fond du passé humain. A la longue, la connaissance accablante du détail impose aux esprits le problème de l'ensemble ; et le besoin se fait sentir impérieusement d'un point de vue ordon- nateur d'où l'on domine le temps. Mais le travail des historiens, si désintéressé qu'il puisse être, n'obéit pas seulement à une loi interne : il subit, dans une certaine mesure, des influences extérieures. Or, s'il y a un phénomène caractéristique de l'époque actuelle, c'est la soli- darité humaine sur toute la surface de la terre. Notre planète semble rapetissée par la rapidité des communications, et les nations civilisées ont des rapports si étroits, soit entre elles, soit — par une colonisation intensive — avec les peuples infé- rieurs, que, comme dans un organisme, tout retentit sur tout. ' Il y a une politique mondiale, une économie mondiale, une civilisation mondiale. Et cette unité visible des groupes VI L EVOLUTION DB L'HUMANITÉ humains dans l'espace, par l'espace, invile à réfléchir sur le Tôle qu'a pu jouer le fadeur mondial depuis les origines, - Ainsi, par delà les travaux consacrés aux faits et aux indi- vidus, aux pays et aux peuples, aux époques successives, la Terre el l'Humanité apparaissent comme objets d'étude néces- saires. L'Allemagne, depuis une vingtaine d'années, a donné le spectacle d'une floraison de l'Histoire Universelle — sous le nom de Weltgeschîchte. Dans ce pays de l'érudition, mais aussi des synthèses aventureuses, où l'on sait mal tenir l'équilibre entre la micrographie el la métaphysique, l'ardent labeur des historiens el la préoccupation mondiale ont abouti à la publi- cation d'œuvres nombreuses, inégales en importance et en intérêt, qui ont cherché à satisfaire et qui ont excité en même temps l'appétit d'histoire universelle. Certaines ne sont que des collections de chapitres, des répertoires sans unité, telle: autres sont systématiques à l'excès; il en est de coopéra- tives, faites en collaboration plus ou moins étroite, el il en est qu'un seul cerveau a — témérairement — réalisées. Au surplus, toutes ont leurs mérites, à quelques critiques qu'elles prêtent. On pouvait se demander pourquoi la France, à son heure, n'emploierait pas les ressources en hommes de science dont elle dispose, elle aussi, n'utiliserait pas surtout son génie propre, ce besoin de clair el profond savoir, pour une vaste ?ni reprise qui embrasserait l'Humanité, depuis ses origines, et la Terre, dans toute son étendue. Lùœuvre que ces pages inaugurent — synthèse française et à la française — présentera les caractères suivants. Elle aura une unité réelle : non seulement l'unité du sujet, — qui est l'Histoire intégrale, — mais l'unité du plan — qui liera fortement toutes les parties — el l'unité même des idées directrices. Voici, d'ailleurs, comment sera évitée l'incohérence, INTRODUCTION GÉNÉRALE VII sans que se renouvellent les abus de la systématisation. Ce que, dans V étal présent des connaissances, un individu ne peut accomplir seul, un individu ne doit même P organiser quavec la plus grande réserve. Quelques idées présideront à l'en- semble : mais non pas idées dominatrices, imposées aux colla- borateurs, et, par eux, aux faits; idées expérimentales, bien plutôt, hypothèses immanentes à l'œuvre et, par le libre travail, l'autorité souveraine des collaborateurs, soumises au contrôle des faits. L'entreprise sera donc comme une vaste expérience qui se réalisera peu à peu, sous les y eux du public, pour le plus grand profil de la science historique, et d'où les idées proposées à l'épreuve sortiront confirmées oa rectifiées. Dans F unité de l'ensemble chaque partie aura son ' unité propre. L'ouvrage a été conçu non en gros volâmes collectifs, groupant dans des chapitres plus ou moins disparates des col- laborateurs divers, mais en volumes autonomes, de propor- tions Moyennes et, par conséquent, nombreux, répondant aux grands problèmes et aux divisions organiques de l'histoire, confiés chacun autant que passible à un seul savant, d'une com- pétence reconnue. Chacun sera donc une œuvre lui-même, por- tera la marque d'une personnalité, aura d'autant plus d'intérêt qu'il aura été écrit avec plus de liberté et de joie. Chacun aura sa destinée particulière. Des ensembles de volumes auront la leur également, formeront — à des points de vue divers — un tout dans le tout, des synthèses partielles dans la synthèse intégrale. Il s'agit, en somme, de combiner les avantages d'une Encyclopédie historique avec ceux d'une Histoire continue du f évolution humaine. % Là caractéristique générale de l'en f reprise ainsi posée , insistons, d'abord jur les principes directeurs de l'œuvre, en-* suite sur la physionomie des volumes. VIII L'ÉVOLUTION DE L'HUMANITE I Science et vie : celle formule pourrait exprimer l'idéal qu'on désire alleindre. * L'œuvre sera érudite. Non seulement elle n'offrira que le savoir le plus authentique, mais elle le présentera muni de ses preuves, — par des procédés qui seront exposés plus loin. Une synthèse d'érudition qui recueille les résultats sans indiquer les sources demande un acte de foi, puisqu'elle ne facilite pas le contrôle, et semble clore la recherche, puisqu'elle ne donne pas le mouvement pour aller au delà. Ici, en établissant l'inven- taire du travail accompli, on montrera tout le travail qui reste à faire, el on procurera les moyens de le faire. Pour l'érudi* lion? l'œuvre constituera donc, à la fois, un point d'arrivée el Ci/i point de départ. Mais elle ne veut pas être simplement érudite : elle sera scientifique, — au sens plein de ce mol. L'érudition prépare el réunit les matériaux : la science seule les ordonne. C'est, d'ailleurs, un des problèmes les plus délicats que l'esprit hu- main ail eu à résoudre que celui de la constitution scientifique de l'histoire. Ranger les faits en séries dans des cadres tradi- tionnels, raconter des vies d'individus ou de peuples, cela n'a rien à voir avec le travail de la science, — dont le propre est de généraliser el de dégager les principes ^explication. Sans prétendre que la méthode de la synthèse scientifique soit actuellement fixée, en histoire, de façon définitive, on peut admettre — au moins comme hypothèse à vérifier — que les faits dont l'évolution humaine est lissée se laissent ramener à trois ordres bien distincts. Les ans sont contingents» d'autres sont nécessaires ; d'autres répondent à une logique intérieure. Il semble bien qu'on mette à profit et que l'on concilie les len- INTRODUCTION GÉNÉRALE IX taïwes d'explication les plus opposées en essayant de prouver que tout le contenu de l'évolution humaine rentre dans ces cadres généraux de la contingence, de la nécessité et de la logique; il semble que, par celle division tripartile, l'histoire trouve cl son articulation naturelle et toute sa portée explica- tive. Celle division, en effet, ouvre des vues profondes sur la causalité. Elle invile à chercher dans la masse des faits histo- riques, pour la débrouiller, trois sortes de relations causales : des successions brutes, où des faits sont purement et simple- ment déterminés par d'autres; des rapports constants, où des faits sont liés à d'autres par des nécessités ; un enchaînement interne, où des faits sont rattachés à d'autres par des raisons* De ce point de vue sur la nature des causes qui concourent en histoire, la synthèse apparaît, non point aisée, sans doute, mais du moins concevable. Ailleurs, nous avons longuement développé celle hypothèse méthodologique (1); nous ne ferons ici que préciser brièvement ces indications* Les sociétés, pour se constituer et pour durer, sont soumises à des nécessités spéciales — qu'on appelle institutions. Partout où il y a société, il y a institutions — au moins à l'étal d'ébauche. Dans toutes les sociétés se retrouvent les mêmes institutions fondamentales, sous des formes variées : encore la diversité des formes n'est-elle pas illimitée, dans ce qu'elle a de caractéristique, et s'explique-l-elle en partie par des dif- férences dans la structure même des sociétés, — c'est-à-dire dans le nombre des unités sociales et leur degré de concentre- lion. La ou le « donné » pur de l'histoiret les institutions ou les nécessités sociales, les besoins ou les raisons profondes qui affleurent en idées dans la conscience réfléchie; étudier le jeu de ces divers éléments, — contingents, nécessaires, logiques, — leur action réciproque et ce qu'on peut appeler le réarrangement des causes : voilà quel devrait être l'objet essentiel de cette synthèse. •*» Gardons-nous bien, pourtant, jfe trop promettre. A vrai dire, l'histoire univer- selle — en raison de son étendue, de sa complication, de ses lacunes, de l'obligation du travail collectif — ne permet point la solution complète de ces problèmes. Ce sont des éludes plus restreintes, et en même temps plus pénétrantes, qui peuvent donner les démonstrations décisives. Mais, pour que les études particulières s'orientent convenablement, il est utile d'avoir imprimé à l'ensemble de l'histoire la bonne direction. C'est pourquoi on s'efforcera ici, tout au moins, de faire le contraire d'une œuvre unilatérale, de ne négliger aucun des éléments explicatifs, de donner à chacun d'eux, par un dosage attentif, la part qui lui revient. A la distribution des matières, à la détermination des cent volumes présideront donc bien des hypothèses organisatrices. Indiquées au début, rappelées çà ei là en des pages d'avanl-propos, elles serviront de fil con- ducteur, — mais discrètement. Il ne siérait pas d'appurjer ï?op. Encore une fois, les collaborateurs seront libres; et leur liberté même assurera sa pleine valeur à l'entreprise. Ce n ; il est visible que le goût de l'action, que la confiance dans les énergiei spontanées de la vie se sont ranimés chez nous. Celle dispo- sition aurait un côté inquiétant si, comme quelques-uns l'annoncent, elle devait être anti-intellectualiste. Il convient que xe besoin d'agir et ce réveil d'énergie se manifestent aussi par le courage intellectuel. La vie s'épanouit dans la connaissance. El une science historique virilement comprise — conscience réfléchie de l'humanité — est nécessaire ponr diriger les puissances tumultueuses de l'inslinci* INTRODUCTION GÉNÉRAL! XXV Janvier 1920. Celle inlroduclion — rédigée el imprimée, avec de légères différences, dès 1913 — est donnée ici telle qu'elle aurait paru en octobre 1914, sans les événements qui ont bouleversé le monde. Nous n'avons rien à y changer. La « renaissance fran- çaise » dont nous parlions s'est manifestée, dans le domaine de V action, avec un éclat incomparable. Elle a abouti à la victoire de la France et, par elle, à la victoire d'une forme de civilisation. La guerre de 1914-18 est, dans révolution de l'humanité, dans l'histoire mondiale, un point d'arrivée, un point de départ. Elle se raccorde an plan de celle œuvre ; elle le fortifie et le couronne d'une façon inespérée : elle lai fournil une admirable conclusion. Nous désirions opposer aux tentatives allemandes de Weltgeschichte une entreprise française, conçue el réalisée à la française. El nous voulions donner un exemple de courage intellectuel. Plus que jamais notre initiative semblera oppor- tune. Il faut que, dans ce domaine aussi, ta vitalité de la France se manifeste. La science française n'est pas nationaliste : elle est Papport oTune nation au trésor intellectuel de l'huma- nité. Elle se voue à la recherche de la vérité [intemporelle ef sans patrie (1). Les collaborateurs de cette entreprise se sont remis au travail avec une ardeur accrue, avec un sentiment plus vif de (\) Nous avons précisé l'opposition des mentalités fi ançaise et germanique dans Le Germanisme contre l'Esprit français, Essai de psychologie historique. 19 19. jnro L'ÉvoLtrno:? de l'humanité leurs responsabilités. Mais il g a, parmi eux, des vides cruels. Un hommage doit être rendu ici à ces savants qui ont quitté la tâche familière et aimée, avec tant de sérénité ou d'enthou- siasme, pour courir tes risques de la longue et dure cam- pagne, à ceux surtout qui sont tombés pour sauver, avec la France, la science, — telle qu'ils la comprenaient. Nous ne pourrons, au début de notre publication, suivre aussi strictement que nous nous l'étions proposé l'ordre de notre plan. Des interruptions forcées, des remplacements que la mort ou le jeu des circonstances ont entraînés, retarderont certains volumes. Pourtant, nous nous écarterons du plan le moins possible ; et nous maintiendrons cette unité de la con- ception qui fera de TÉTolution de Plluraaaité, comme nous i avons dit, une œa&re, — et non une simple collection, — une synthèse, — et non un assemblage de monographies. Heww Bkïia. AVANT-PROPOS DE LA PREMIÈRE SÉRIE Nous n'avons pas à justifier dans son ensemble le plan de noire première Section : il s'imposait. Nous donnerons avant chacune des Séries tes explications qui nous sembleront utiles. En ce qui concerne la première, nous tenons à fairt observer qu'elle n'a pas seulement pour objet de résumer ce qu'on sait sur les origines humaines, prises d'aussi haut qu'il est possible. Elle est une Introduction, en même temps qu'à l'Histoire même, aux problèmes de l'Histoire. Pour notre premier volume, en particulier, sa raison d'être, c'est d'abord de rattacher cette Histoire, entendue au sens étroit et courant du mol, à l'Histoire entendue au sens le plus large, de relier l'évolution de l'Humanité à l'évolution de la Vie sur la Terre, à l'évolution de notre planète dans l'Univers; c'est de «r situer », en quelque sorte, l'Humanité, pour que sa destinée n'apparaisse pas comme une aventure et «r un épisode sans lien » : mais c'est surtout de faire ressortir les grandes forces naturelles et les facteurs permanents qui, expliquant la Terre et la Vie, expliqueront ensuite l'évolution de l'Homme et des Sociétés. On verra se constituer dans le système sleilaire le « milieu » de notre histoire; dans ce milieu, détaché du soleil et qui en reste dépendant, on verra la vie naître, — par l'action, semble-l-ii, du soleil lui-même, — pousser en tous sens ses tâtonnements, essayer les formes les plus diverses. On la XXVIII l'évolution de l'humanité verra — sous l'influence complexe des différents habitais, des innombrables hasards, de ses propriétés internes: l'hérédité, principe conservateur, mais qui se tourne en agent de change- ment, la tendance, principe actif, qui s'exprime dans la faculté d'assimilation, d'association, au même litre, et plus efficacement, que dans la lutte — réaliser toutes sortes de perfectionnements, aboutir, avec la forme humaine, à un progrès décisif, par le développement du cerveau. Sujet immense, qui exigeait une richesse et une variété de connaissances exceptionnelles, une rare puissance de synthèse, et que peut-être seul l'auteur de ce volume était capable de traiter. Celui qui a écrit en 1881 Les Colonies animales et la formation des organismes et qui, dans la chaire de Lamarck, a toujours ce suivi avec sollicitude les efforts de la doctrine transformiste pour arriver à une explication du monde vivant » (1), a su, au sommet de sa belle carrière, établir, dans ce vigoureux raccourci, le trait d'union biologique entre les sciences physiques et l'histoire. On ne s'étonnera pas que ce volume ne soit pas tout à fait conformé au type que nou? avons défini, que ses proportions dépassent un peu la mesure prévue, que la bibliographie y soit très réduite (2), que la conclusion ne détaille pas les lacunes de la connaissance : bibliographie et liste des problèmes à résoudre seraient infinies, si elles ne se limitaient pas étroite- ment, en une matière qui embrasse des millions d'années. D'une façon générale, dans les volumes de cette première Série, les sujets, par leur ampleur et leur complexité, ne comportent pas un traitement identique à celui des volumes* plus proprement historiques, qui viendront ensuite. Henri Berr. (1) Le Transformisme, Préface (Î888). (2) Elle date de Î9Ï4, comme le livre entier — qui, sauf la Conclusion, était imprimé au moment de Ja g-uerre LA TERRE AVANT L'HISTOIRE LES ORIGINES DE LA VIE ET DE L'HOMME L'ÉVOLUTION DE L'HUMANITÉ SYNTHÈSE COLLECTIVE Dirigée par HENRI BERR LA TERRE AVANT L'HISTOIRE LES ORIGINES DE LA VIE «= ET DE L'HOMME = PAR Edmond PERRIER MKMBRH DÉ i/ ACADEMIE DÈS SCXSXCS* AT DB L'ACAD£MI£ DB MlDECiXB. PXOFBBSEUB DAHATOMIB COMPARES AU MOSBTJM D'HISTOIRS NATUEBLLB. Nouvelle édition reoue tt corrigée. LA RENAISSANCE DU LIVRE 78, BOULEVARD SAINT-MICHEL, 78, PARIS 1921 LA TERRE AVANT L'HISTOIRE LES ORIGINES DE LA VÎE ET DE L'HOMME PREMIÈRE PARTIE LA FORMATION DE LA TERRE CHAPITRE PREMIER LA NAISSANCE DE LA TERRE Nous ne savons de l'étendue de l'Univers que ce que noug en apprend la lumière des étoiles. A la vitesse de 75000 lieues par seconde, celle de la plus proche d'entre elles met un an environ à nous arriver; nous ignorons à quelle distance sont les plus lointaines ; nous ne pouvons même pas affirmer que leur éloigne- ment soit inversement proportionnel à leur éclat, ni dire com- bien de chiffres il faudrait pour exprimer leur distance en kilo- mètres. Quelle que soit la nature de la lumière, nous sommes certains, d'ailleurs, qu'elle ne peut arriver des étoiles jusqu'à nous que portée par un a on ne sait quoi » qui emplit l'espace. On pouvait penser autrefois que cet « on ne sait quoi » était la substance même de la lumière. On a aujourd'hui les plus fortes raisons de croire qu'il existe par lui-même ; on lui donne le nom à'Éther et on l'imatrine formé de particules si petites 1 "2 £a formation de la terre qu'un atome matériel est immense par rapport à elles. Ces particules sont susceptibles d'osciller chacune autour d'un point fixe dont elles ne peuvent que faiblement s'éloigner. Leurs oscillations régulières, qui se propagent dans la substance de I'éther comme se propagent dans l'eau Jes ondulations pro- voquées par la chute d'une pierre, constituent la lumière. La lumière du Soleil, celle qui vient des diverses étoiles, entre- tiennent dans i'éther des vibrations qui se croisent dans toutes les directions sans jamais se mêler; mais ce ne sont pas les seules qui traversent ce milieu, siège d'une prodigieuse agitation. C'est par son intermédiaire que les astres s'attirent, que les taches du Soleil agissent sur nos aiguilles aimantées, et l'on en est arrivé à se demander s'il n'était pas le substratum de la matière. Contrai- rement à une croyance qui semblait devoir être définitive, l'étude du radium a démontré que la matière n'est ni éternelle ni immuable. Les atomes du radium se détruisent spontanément et donnent .naissance à de l'hélium et à de l'hydrogène. Cette destruction fibère une quantité d'énergie suffisante pour agir à distance, toujours à travers I'éther, sur d'autres atomes. Lord Rayleigh pense que, dans les séries de métaux parents que Mendeleef a constituées, les atomes des métaux les plus lourds sont ainsi brisés et laissent pour résidus des atomes de métaux plus légers : l'argent pourrait être de la sorte transformé en plomb, ie plomb en carboae, le thorium en bismuth et peut-être For eu cuivre. Les atomes sont donc susceptibles de se trans- former, de se disloquer et semble-t-il aussi de disparaître. Puisque la matière se transforme, on est effectivement en droit de se demander si elle ne peut pas disparaître et comment elle a pu apparaître. Déjà, les phénomènes qui se produisent dans les tubes de Grookes d'aii s'échappent les rayons X, démontrenf jusqu'à l'évidence que les atomes matériels ne sont nullement quelque chose de simple. Parmi les hypothèses qui ont été pré- sentées sur leur constitution , on peut accepter qu'ils sont formés de petites masses matérielles infimes, chargées d'électricité posi- LA NAISSANCE DE LA TERRE 3 tive (ï), autour desquelles tournent, comme des satellites autoui d'une planète, un très grand nombre de corpuscules énor- mément plus petits, dont les masses sont de 1 000 à 2 000 fois plus faibles que celle de l'atome d'hydrogène qui est la plus- petite quantité de matière connue (2). Ces corpuscules qu'on nomme des électrons sont chargés d'électricité négative. Mais que signifient ces mots : être chargé de telle ou telle électricité ? Simplement que les corps électrisés sont pour d'autres des centre» d'attraction ou de répulsion ; c'est-à-dire qu'ils sont susceptibles de déterminer du mouvement, ce qu'ils ne pourraient faire s'ils n'étaient pas eux-mêmes le siège d'un mouvement. De là à admettre que les électrons et les corpuscules positifs ne sont que des régions limitées del'Êther, siège d'un actif mouvement tourbillonnaire et que l'électricité n'est qu'une manifestation de ce mouvement tourbillonnaire, il n'y a qu'un pas. La nature de l'électricité dépendrait simplement du sens de ce mouve- ment. L'attraction moléculaire, la pesanteur, l'attraction uni- verselle en un mot, seraient aussi des conséquences de ce même mouvement. Si les astres sont soumis à cette attraction, c'est que son action se propage comme la lumière par l'intermédiaire de l'Éther qui transmet aussi les rayons de Roentgen, les rayons invisibles des régions infra-rouge et ultra-violette du spectre, 1er. ondes hertziennes, agents de la télégraphie sans fil, les ébran- lements dus à la destruction du radium et des corps analogues; en sorte que la substance qui emplit l'espace est sans cesse traversée par des ébranlements de toutes sortes, dont nous ne connaissons vraisemblablement qu'une partie, ébranlements qui 8'entre-croisent en tous sens et qui pourraient, à la rigueur^ donner naissance, en se frôlant, à des mouvements toarbiïîon- naires, analogues à ceux dont les atomes sont le siège, et créer ainsi de la matière. (1) II, 218. — (2) I, 16. [Dans les notes, les chiffres romains gras renvoient! à la Bibliographie; les chiffres arabes, aux pages des ouvrages cités*] « LA FORMATION DE LA TERRE Maïs ce que nous savons actuellement de plus sûr en ce qui concerne le mouvement, c'est qu'il ne naît pas de rien. Tout iBonvement est le produit d'un mouvement antérieur et résulte de sa transformation. Nous ignorons et nous ignorerons sans doute toujours quelle éiait la nature des mouvements initiaux d'où sont sortis les éedrons avec leur charge d'électricité négative et les éléments chargés d'électricité positive autour desquels ils tournent, con- stituant ainsi les premiers éléments matériels. Naguère encore on pensait que le mouvement, comme la matière, était éternel; qu'il pouvait changer de modalité, se transmettre d'un corps à ua autre suivant certaines lois, entraîner toute la masse d'un corps, ou agiter seulement ses molécules, produisant dans ce cas la chaleur, et la démonstration d'une équivalence entre le travail mécanique et la chaleur, prévue par Carnot, déterminée par Joule, Mayer, Hirn, Tyndall, avait donné à cette idée une base scientifique des plus solides, en apparence. Dès lors il serait inutile de se demander quelle a pu être l'origine de la force. L?éther tout pénétré de mouvement et faisant bloc avec lui donnerait naissance à toutes les forces qui retourneraient à lui et se fondraient avec lui après avoir animé la matière. On est moins sûr aujourd'hui de cette éternité du mouvement.... Revenons aux choses intelligibles. Nous entrevoyons qu'un grand nombre des éléments susceptibles de devenir de la ma- tière ont pu se rassembler dans certaines régions de l'espace et y former une sorte de filet tendu (1) sur le passage des parti- cules infiniment petites que la force répulsive des astres déjà exis- iants projette incessamment dans l'espace, qu'elles parcourent avec une vitesse prodigieuse et qui, suivant Svante Arrhenius, seraient chargées d'électricité négative. Ces fines particules s'arrêteraient à la surface du réseau où leur tension irait crois- sant et finiraient par lancer au travers de toute l'étendue de celui- ci des décharges electriaues qui l'illumineraient, comme de (!) m, ta. LA NAISSANCE DE LA TERRB § telles décharges illuminent un tuba de Crookes. Ce serait Forî- gine première des nébuleuses, dont la température, malgré leur éclat phosphorescent, serait de plus de 200 degrés au-dessous de zéro. Le spectre de ces nébuleuses montre les raies de l'hélium, celles de l'hydrogène et quelques autres qui semblent spéciales. Qu'un bloc de matière, si petit soit-il, pénètre dans rase pareille nébuleuse, un fragment d'astre brisé, par exemple? tel que ceux qui constituent les météorites, il deviendra aussitôt an centre d'attraction vers lequel vont se précipiter les particules de la nébuleuse, qui le heurteront, tourbillonneront autour de lui, développant à la fois une pression intense et une quanfit*1 formidable de chaleur. La froide et phosphorescente nébuleuse va se transformer ainsi en une masse gazeuse incandescemîe, une sorte d'immense flamme tout agitée de mouvements d'une violence inouïe et d'abord tout à fait désordonnés. Peu a peu cependant, du fait même de ce désordre, des heurts, des tour- billons qui en résulteront naîtra une sorte d'harmonie. Car ces mouvements intérieurs se classeront pour ainsi dire : les uns se réduiront à de simples vibrations se propageant en radiations diverses à travers l'éther, loin de la nébuleuse ; les autres se fu- sionneront en un mouvement unique de rotation rapide, entraî- nant la masse entière de la nébuleuse à tourner avec une vitesse prodigieuse autourd'unaxe idéal unique. On pourrait admettre* à la rigueur, que la diversité primitive des mouvements div^e la masse nébulaire en plusieurs masses inégales, tourbillonnant chacune pour son compte, animées en outre d'un mouvement de translation, transformé, pour les petites masses, en un mouve- ment de rotation autour des plus grosses, par qui elles seraient attirées. Ainsi aurait pris directement naissance un système d'astres tel que ceux qui constituent les étoiles multiples ; n pour notre système solaire, Laplace a été conduit à une autre hypothèse, grandiose dans sa simplicité. La nébuleuse incandescente n'aurait constitué qu'une masse sphéroïdale tournant tout entière autour d'un même axe avec 15 LA FORMATION DE LA TERRE une vitesse vertigineuse. Conformément aux lois de la force centrifuge, cette masse aurait pris, en raison de sa vitesse, une forme ellipsoïdale telle que celle de la Terre; puis la région correspondant à la zone équatoriale se serait, à des époques successives de sa période de refroidissement, détachée en for- mant une série d'anneaux comparables à celui de la planète Saturne. A cause de leur refroidissement plus rapide, ces anneaux se seraient condensés, les diverses substances dont ils seraient constitués se séparant les unes des autres en raison de leur coefficientde chaleur spécifique, de leur point de fusion ou •de solidification différents, et chaque anneau devenu hétéro- gène se serait alors brisé ; les plus grosses masses attirant les /plus petites, le tout aurait fini par constituer un globe tournant autour de la masse principale avec une vitesse égale à celle des molécules de Panneau, après son isolement, et en suivant une orbite de même forme et de même dimension que l'anneau initial. Ainsi se serait constitué le système solaire, dont les étoiles semées dans le ciel seraient une répétition plus ou moins fidèle, exception faite pour les étoiles multiples, constituées par plusieurs soleils se mouvant en des orbites complexes les uns -a utour des autres. Ces étoiles elles-mêmes ne sont pas distribuées sans ordre. A côté des nébuleuses, en quelque sorte vaporeuses, que l'on ■peut considérer comme de simples étoiles en formation, il y en a d'autres qui n'ont l'aspect de nébulosités que si on les examine avec des télescopes faiblement grossissants. Des ins- truments plus puissants les montrent formées d'une infinité de points brillants qui sont manifestement des étoiles. Dans ces nébuleuses, des milliers, peut-être des millions, d'astres com- parables à notre système solaire sont rassemblés; ce sont pro». bablement les plus lointains de tous. Or ces nébuleuses oui souvent la forme régulière d'anneaux. Nous vivons au sein de l'un de ces anneaux, la Voie lactée, et nos belles étoiles du firmament ne sont pas autre chose que celles qui sont parsemées LA NAISSANCE DE LA TERRE 7 dans îa région de ia vaste aébuieuse la plus voisine du Soleil. On peut se demander maintenant si, au delk de ce que nous voyons, il n'y a pas autre chose ; s'il n'existe pas d'autres univers séparés de nous par le vide absolu, un vide que rien ne saurait franchir, car, si queique chose le franchissait, ce ne serait plus le vide ; si ces univers ne sont pas faits d'un éther différent du nôtre, ce qui suffirait pour que toutes nos lois physiques y soient remplacées par d'autres lois très différentes. Cela, nous ne le saurons jamais ; nous ne pourrons jamais en avoir aucun soupçon : il nous faut donc nous enfermer dans notre unique Univers, déjà si vaste ; c'est le seul que nous ayons quelque chance de connaître. Si l'on avait, il y a seulement un demi-siècle, annoncé que nous saurions un jour de quoi sont faites les étoiles, de quoi est fait le Soleil, et si l'atmosphère. des planètes est chargée ou non de vapeur d'eau, on aurait pris pour le produit de quelque imagination déréglée cette ambitieuse prophétie. Elle a été cependant réalisée, et c'est encore ia lumière qui nous a ren- seignés. Tout le monde sait que si on fait tomber sur un prisme triangulaire de cristal, perpendiculairement à l'une de ses faces, un très mince rayon de lumière blanche, ce rayon change de direction en traversant le prisme et s*éiale, quand il en sort, en un éventail dont les lames, passant d'ailleurs insen- siblement l'une à Fautre, sont diversement colorées, les mêmes couleurs se succédant toujours dans le môme ordre. En commençant par la lame qui s'écarte le plus de la direction première, Tordre des couleurs est le suivant : Violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge. Nous les rangeons dans cet ordre, au lieu de prendre Tordre inverse, parce que les noms des couleurs ainsi disposes forment un vers facile à retenir. Le violet est la couleur ia &lus <■ 'fran- gible^ le rouge celle qui l'est le moins. Cet éventail, dont les couleurs apparaissent en formant une magnifique bande brillante quand on place ua écran blanc sur 8 LA FORMATION DI LA TERRE son trajet, s'appelle le spectre solaire. Si le rayon est suffisam- ment mince et l'épaisseur du prisme assez grande pour que l'ouverture de l'éventail soit considérable, on aperçoit dans le spectre des lignes noires et des bandes obscures ; ce sont les raies de Frauenhofer qui portent, avec justice, le nom du physicien allemand qui les a découvertes. D'autre part, le physicien français Foucault avait signalé que le spectre des métaux chauffés jusqu'à l'incandescence n'est pas continu; il est composé de raies et de plages brillantes. Un peu plus tard, en Allemagne, Kirchoff et Bunsen constataient que si à travers une vapeur métallique obscure on fait passer un rayon de lumière blanche continue, comme celle qu'émet le charbon incandescent, le spectre de celui-ci présente des raies obscures, correspondant justement aux raies brillantes que présenterait le spectre du métal qui a fourni la vapeur; on obtient, autrement dit, au point de vue de l'intensité lumineuse, le spectre renversé de ce métal. Or, en comparant les raies de Frauenhofer aux raies brillantes des spectres de divers métaux, elles se sont trouvées exactement superposables à ces dernières ; elles indiquent par conséquent la présence de ces métaux dans l'atmosphère solaire. L'étude de cette atmosphère chargée de vapeurs métal- liques à été poussée très loin à la suite de l'astronome français Janssen, et a démontré que tous les corps qu'elle contient se retrouvent sur la Terre. Pendant quelque temps, néanmoins, on a pu penser qu'un corps faisait exception ; il paraissait propre au Soleil et on l'avait, pour cette raison, nommé hélium. Mais l'hélium a été retrouvé sur la Terre; c'est un des produits de la désagrégation du radium, et il a pris, depuis la découverte de son origine, une importance considérable dans les spécula- tions des physiciens. L'étude du spectre des étoiles ne nous a pas révélé l'existence de corps spéciaux. Seules, les nébu- leuses nous en ont donné deux, le nébuliam et Varchonium et nous arrivons ainsi à cette conclusion que notre Univers entier est fait des mêmes substances, ce qui est, pour ainsi LA NAISSANCE DE LA TERRE 9 dire, tout naturel si les atomes matériels ne sont que de l'Éther animé de certains mouvements tourbillonnaires. Il est plus naturel encore que la substance des diverses planètes soit la même pour toutes, dans l'hypothèse qu'elles sont nées du Soleil, comme le pensait déjà Buffon et comme l'admettent depuis Lapîace tous les astronomes. La naissance de ces astres ne s'est pas faite d'ailleurs au hasard ; elle s'est produite à des époques déterminées qui semblent correspondre à des phases successives de la rétraction et du refroidissement du Soleil. A l'époque où elles se sont formées, les matériaux constituant le Soleil s'étaient déjà disposés dans l'ordre de leur densité croissante et, on peut aussi dire, de leur viscosité. Les planètes les plus éloignées, les premières formées vraisembla- blement, sont en effet très grosses, très légères, et comme ellei sont demeurées très longtemps en fusion, elles ont elles-mêmea donné naissance à un grand nombre de satellites, chacune à plusieurs lunes (1). Ces planètes sont Neptune, Uranus, Saturne et Jupiter; puis viennent brusquement des planètes beaucoup plus denses et plus petites n'ayant qu'un petit nombre de satel- lites : Mars, la Terre, Vénus et Mercure. Entre ces deux groupes de planètes circulent dans une même orbite une infi- nité, près d'un millier, de petits astres, les astéroïdes. On peut croire qu'entre Jupiter et Mars, il y avait autrefois une planète contenant une telle proportion de matières légères comme celles des grosses planètes, ou lourdes comme celles des planètes ana- logues à la Terre, que, lors du refroidissement, ces substances se contractant différemment, la planète s'est brisée comme se brise au feu un bloc de verre hétérogène, et que ses fragments se sont dispersés tout le long de son orbite. Cette hypothèse est confirmée par la position qu'occupe l'anneau des astéroïdes. La distance des diverses planètes au soleil est, en effet, régie par une loi qui a été formulée par l'astronome Bode, de Berlin, et qui peut être énoncée de la manière suivante, en prenant pour (1) IV, 6 10 LA. FORMATION D3 LA TERRB point de départ non pas le Soieii, mais ia dernière des pla- nètes formées, Mercure : Les distances des planètes à Mercure forment une progres- sion géométrique dont le premier terme est 3 et la raison 2, C'est-à-dire que ces distances sont entre eiles comme les nombres suivants : Venus La Terre Mars Jupiter 3 3x2 = ô 6x2 = 12 12x2 = 24 24x2 = 48 Saturne 48x2 = 96 Cette loi, résultant de l'observation, a été retrouvée par le calcul en 1867. Elle est, comme l'a montré l'astronome Heinrichs, une conséquence de la condensation progressive, régulière et proportionnelle au temps, de la nébuleuse solaire, de sorte qu'elle relie entre elles aussi bien les distances des planètes au Soieii que les époques de leur formation. Or, dans la série, l'astre correspondant au terme 24 est justement repré- senté par l'anneau des astéroïdes. Cet anneau correspond bien par conséquent à une planète. Il se pourrait d'ailleurs que ces asté- roïdes fussent la conséquence, non pas de la rupture d'une pla- nète, mais d'un anneau qui aurait à un certain moment encerclé le Soleil, comme il en existe un autour de Saturne. Si les diverses planètes ne sont formées que de substances se trouvant sur la Terre, il ne s'ensuit pas que chacune les con- tienne toutes, et surtout les contienne dans les mêmes propor- tions. Les différences de densité qu'elles présentent conduisent même à admettre qu'il ne saurait en être ainsi. En effet, si l'on prend pour unité la densité de l'eau, on trouve que celle de Neptune est 1,7, celle c'Uranus 1,5, celle de Jupiter 1,3. Ces densités sont fort peu supérieures à celle de l'eau, à peine égales à celle du sucre, inférieures de beaucoup à celle du verre. Saturne est même si léger que si l'on avait un bassin suffisant pour le contenir, ii flotterait sur l'eau ; au contraire, la densité de Mar3 est de 3,9, celle de la Terre 5,5; celle de Vénus 4,4; LA NAISSANCE DE LA TERRS ii celle de Mercure 6>5. Ces quatre planètes peuvent contenir plus ou moins de métaux lourds, avoir une atmosphère plus ou moins étendue, mais leurs densités sont trop voisines pour qu'on ne doive pas admettre qu'on y rencontre les mêmes corps simples. La légèreté des planètes extérieures à Panneau implique chez elles une prédominance des métalloïdes et des métaux alcalins ou terreux, dont les composés sont les plus légers de tous. Les composés des métaux alcalins sont presque tous solubles; il est donc à présumer que les mers de ces astres sont beaucoup plus salées que les nôtres, et ceci, nous le verrons plus tard, n'a pas été sans conséquences. L'état d'incandescence où se trouve actuellement la surface du Soleil, les flammes immenses d'hydrogène qui jaillissent de sa surface impliquent que sa masse entière est à une tempéra- ture extrêmement élevée; il est même probable qu'elle est en fusion et que son éclat est dû à des scories solides qui flottent à la surface de la masse fondue. A l'époque où se formèrent les planètes, la température du Soleil ne pouvait pas être inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui ; il est donc certain que c'est à l'état liquide, sinon gazeux, que ces astres se sont dégagés du Soleil; leur forme sensiblement sphéroïdale, et même l'aplatis- sement polaire viennent confirmer cette hypothèse. C'est seule- ment plus tard, les gaz atmosphériques s'étant dégagés, que leur surface s'est consolidée ; au moins est-ce ainsi que les choses se sont passées pour la Terre. L'eau à ce moment faisait partie de l'atmosphère, la surface du sol étant encore trop chaude pour qu'elle y pût subsister à l'état liquide; à mesure que le sol se refroidissait, elle s'est peu à peu précipitée, l'atmosphère qu'elle embrumait de ses vapeurs devenant graduellement plu* claire. Vénus, plus jeune que la Terre, plus voisine du Soleil, et, pour ces deux raisons, plus chaude, en est encore à une phase où icâ nuages cachent absolument le sol, réfléchissant vers nous la vive lumière qui nous fait admirer l'Étoile du Berger et lui permet de briller, même dans un ciel illuminé par les rayons du 12 LA FORMATION DE LA TERRE Soleil, mais masquent le firmament à ses habitants qui, selon la juste observation d'Henri Poincaré, ignorent peut-être encore les Étoiles- Mars, au contraire, plus petit et qui a le double de notre âge, tandis que Vénus n'en a que la moitié, a acquis une atmosphère d'une extrême limpidité. Énorme par rapport à nous, puisqu'il est 1279 fois plus gros, Jupiter s'est refroidi moins vite, mais il est plus éloigné du Soleil et il est huit fois plus âgé que nous ; il est possible que les eaux se soient précipitées à sa surface, formant depuis long- temps des Océans comme les nôtres, d'où s'élèvent des nuages que des vents semblables à nos alizés et à nos contre-alizés paraissent diviser en bandes parallèles à l'équateur. Peut-être un anneau correspondant à celui de Saturne commence-t-il à s'ébaucher à sa surface. L'existence de l'anneau de cette der- nière planète est liée sans doute à l'extrême légèreté des sub- stances qui la constituent, et qui ont facilement cédé à l'action centrifuge née de sa rotation. La singularité de ces astres loin- tains et dont la naissance s'enfonce dans un passé dont nous ne pouvons nous faire aucune idée empêche que nous puissions tirer un bien grand profit de leur étude pour reconstituer l'his- toire de notre globe. Le refroidissement graduel de la Terre n'a pas eu seulement pour conséquence de laisser les eaux se séparer de l'atmosphère et se condenser sur sa surface. D a, par la suite des temps, amené toute une série de modifications des rapports des eaux et de la croûte solide. Au début, celle-ci était, sans doute, exac- tement sphérique et les eaux la recouvraient d'une couche par- tout d'égale épaisseur. L'air, l'eau, la terre formaient trois sphères concentriques; la croûte terrestre solide recouvrait elle-même la masse centrale, demeurée brûlante et à l'état de fusion. Le refroidissement a troublé peu à peu la régularité de toute cette géométrie. Homogène, se rétractant rapidement comme tous les liquides, la masse centrale n'aurait pas tardé à se séparer de la croûte solide et à laisser un vide au-dessous d'elle, si LA NAISSANCE DE LA TERRB 13 celle-cï ne s'était déformée de manière à restreindre sa capacité. La rétraction d'un solide qui se refroidit est plu» fiente, en effet, que celle d'un liquide, et l'étui solide n'aurait pu suivre assez vite en se rétractant la masse liquide qu'il recouvrait ; il se serait effondré s'il ne s'était déformé. Peut-être cet effon- drement s'est-îl plus d'une fois produit avant la déformation ; peut-être s'est-st combiné avec elle. Nous n'en saurons proba- blement jamais rien, et peu importe d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, un très simple calcul géométrique établissant qu'à sur- face égale le solide dont le volume est le plus grand est la sphère, celui dont le volume est le plus petit le tétraèdre, par le seul effet du refroidissement, l'écorce terrestre a dû tendre à passer de la forme sphérique à celle d'une pyramide triangulaire à quatre faces, dont les quatre sommets et la portion des arêtes qui les a voisinent ont dû faire saillie au- dessus des eaux. A partir de ce moment il y a eu des con- tinents et des mers profondes. La mer, comme dit la Bible, a été séparée de l'aride. On pourrait croire au premier abord que la disposition actuelle des continents et des mers con- firme ce calcul (1) : le pôle Nord est occupé par une mer cou- vrant la base de la pyramide ; au pôle Sud un continent indique le sommet opposé à la base ; le continent européo- africain représente un des pointements latéraux ; les deux Amériques correspondent au second; le continent asiatico-austra- lien, séparé de l'Europe par la dépression aralo-caspienne, lit d'une ancienne mer,fîgure le troisième.Ces trois masses continen- tales s'élargissent au nord et s'effilent vers le sud comme il con- vient. Bien plus î la terre tournant autour de son axe* chacun de ses méridiens tourne dans un temps donne d'un même angle; mais pour tourner d'un même angle les points voisins de l'équa- teur ont à parcourir un arc de cercle beaucoup plus long que ceux qui a voisinent les pôles; ils marchent donc beaucoup plus vite dans le sens tangentiel. Si maintenant une partie de ce méri- (1) V, 56, 1245. 14 LA FORMATION BS LA TERRS lien s'affaisse, les points affaissés marchant plus vite qu'ils ne devraient le faire seront en avance sur les points saillants, trop lents eux-mêmes, et les continents devront tordre leur pointe vers l'orient: cette torsion, évidente pour l'Amérique, devait amener la rupture des continents vers leur milieu, et ce serait la raison d'être de la Méditerranée, de la mer des Antilles, de la séparation du continent australien détaché de l'Asie. Tout cela, malheureusement, aurait dû se produire, non pas de nos jours, mais dès le début de la contraction de l'écorce terrestre; il est possible que la disposition initiale des continents et des mers ait commencé par être conforme à ce calcul irréprochable ; mais depuis, d'autres causes sont survenues qui ont modifié le cours des choses. En fait, les plus anciennes géographies que l'on connaisse n'indiquent nullement une disposition tétraé- drique ; la disposition actuelle, qui semble s'y conformer, est relativement récente ; cette conformité est en quelque sorte un anachronisme- Il a fallu abandonner, non sans regret et non sans avoir fait maints efforts pour la sauver, la théorie mathéma- tique, si séduisante au premier abord, dite du tétraèdre. Les contours des continents, leur étendue, leur altitude ont changé bien des ibis. Des territoires longtemps continus ont été décou- pés en plusieurs autres; des îles isolées se sont soudées entre elles et se sont rattachées aux continents voisins ; les vastes pays ainsi constitués ont été de nouveau scindés par l'envahissement des eaux. Des végétaux et des animaux qui vivaient ensemble ont été, par suite, isolés les uns des autres ; des espèces canton- nées dans des régions séparées par les mers ont pu se répandre de l'une à l'autre dès qu'un pont a été jeté entre elles, passer d'une mer dans une autre quand un détroit est venu les joindre. L'évolution de la vie est intimement liée à ces lentes et pacifiques ce révolutions du Globe », qui n'ont été, en faM? qu'une évolution, et qu'il est nécessaire d'étudier avant d'étude dévolution de la vie. CHAPITRE Iî LES TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS Nulle part on n'a atteint la première croûte de consolidation du Globe. Longtemps on Fa crue représentée par des roches remontant effectivement, en partie, à une très haute antiquité : les roches granitoïdes et les gneiss, qui constituent presque à elles seules de vastes régions, le plateau central de la France, par exemple. Maison a dû reconnaîtr que, malgré les appa- rences contraires, ces roches sont simplement, elles aussi, des roches déposées par les eaux ; de plus, elles ne sont pas toutes du même âge. S'il en est qui comptent parmi les plus anciennes roches connues, d'autres identiques, cependant, dans leur con- stitution minéralogique et dans leur structure, sont plus récentes et se retrouvent à des niveaux divers, mais dans des condi- tions analogues. Lorsque les roches déposées en couches horizon- tales comme sédiments ont subi des pressions latérales qui les ont piissées, c'est au voisinage du fond des plis concaves que l'on trouve les roches granitoïdes, à quelque âge qu'appartienne le terrain sédimentaire. On peut en conclure qu'elles résultent d'une transformation des roches sédimentaires violemment comprimées, fondues en partie, plus ou moins altérées par des infiltrations gazeuses ou liquides et, grâce à cette double action, passées à l'état cristallin. On dit que ees roches ont été métamor- pkisées et le métamorphisme est un phénomène très général. Il s'est ainsi formé des gneiss et des granits aussi souvent que des roches sédimentaires ont été comprimées et piissées, d« 16 LA P0RMATI0N DE LA TERRE sorte que les roches que l'on appelait autrefois primitives ont perdu cette qualité (1). Il n'en est pas moins vrai que les parties du Globe les plus anciennes qui soient émergées actuellement sont essen- siellement formées de ces roches dont l'épaisseur sur certains points dépasse 15 (XX) mètres. On peut mesurer par là le temps qu'il a fallu pour constituer de tels dépôts, surtout si l'on considère que ces dépôts, d'abord peu compacts, sont arrivés à prendre l'homogénéité que nous connaissons au gneiss. Les gneiss et les granits les plus anciens n'échappent pas à la règle commune nous montrant ces roches dans les régions profondes des plis qui se forment dans les couches stratifiées, à la suite de fortes compressions latérales, et ces plis eux-mêmes sont, en général, alternativement concaves et convexes, con- stituant ainsi ce que les géologues appellent des synclinaux et des anticlinaux. Les anticlinaux sont naturellement surélevés et correspondent aux faîtes des chaînes montagneuses qui ont été le résultat de ces plissements. Ces chaînes ne se sont pas formées d'un seul coup. Obligée de suivre, en s'appliquant constamment contre elle la sphère de matières fondues, qui par suite du refroidis- sement graduel du Gtabe se rétractait plus vite qu'elle, l'écorce solide de la Terre s'esA plissée de manière à conserver à peu près sa surface tout en se resserrant pour diminuer son volume ; mais, contrairement aux prévisions géométriques, à partir du moment où le sol est accessible à nos observations, les continents ne forment pas de saillies dirigées sensiblement suivant les méridiens, comme le voudrait la théorie du tétraèdre, mais bien plutôt des anneaux orientés parallèle- ment à Péquateur, soit que la force centrifuge résultant de la rotation de îa Terre ail eu une part dans leur formation, soit Cl) VI, 172. TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS 17 que le refroidissement, toujours plus intense aux pôles, y ait déterminé la formation de boucliers puissants, résistant à une poussée dirigée tangentiellement aux méridiens vers les pôles. Le premier de ces anneaux s'est formé au voisinage du pôle Nord ; nous ignorons s'il a eu un correspondant au pôle Sud, l'hémi- sphère austral étant actuellement, en grande partie, caché sous les eaux. Cest au cours de sa formation qu'ont été plissés les gneiss circumpolaires ; la direction de leurs plis indique l'empla- cement de la plus ancienne des chaînes de montagnes, dite chaîne huronienne parce que les traces qu'elle a laissées de son existence sont particulièrement visibles aux environs du lac Huron, en Amérique; mais elle s'étendait de là sur ie Groen- land, le nord de îa Scandinavie et de la Sibérie. Plus tard une seconde chaîne, située plus au sud, l'a entourée, la chaîne calé- donienne, ainsi nommée parce qu'elle est très reconnaissable dans les Grampians d'Ecosse; elle s'étend en Scandinavie et se retrouve dans les montagnes Vertes du Massachusetts, l'Étal du Maine aux Etats-Unis et aux Apalaches. Plus tard encore et toujours plus au sud se sont dressées les chaînes hercyniennes* dont le nom rappelle le souvenir de la vaste forêt Hercynienne qui. du temps de César, couvrait les montagnes de la forêt Noire et du Harz, les Erzgcbirge et les Riesengebirge, et s'étendait aussi, à travers les Vosges, de la Lorraine jusqu'au plateau centrai et à la Bretagne. Ces chaînes envoyaient des rameaux en Espagne jusque vers Séville et la Meseta espagnole ; d'autre part, à travers la Bohême, elles gagnaient i'Oural sous les Karpathes et les Balkans, s'irradiaient en Asie de l'Altaï vers le golfe de Petchili, le Tonkin, l'Annam et le Cambodge et se retrouvaient en Aus- tralie, au Brésil et aux alentours du Canada. Enfin une quatrième série de plissements, postérieurs encore aux précédents et plus méridionaux, correspond à la formation des Balkans, des Alpes, du Jura, des Carpathes, des Pyrénées, des Apennins, de l'Atlas du Caucase, de l'Himalaya, du massif tourmenté du sud et de l'est de la Chine, des montagnes qui cordent de chaque côté FIndo* 18 IA FORMATION DE IJt TERRE Chine et s'allongent en une chaîne médiane dans la presqu'île de Maîacca, se trahissant encore par les nombreuses îles volcaniques du Pacifique. Les plis gagnent ensuite la côte occidentale de l'Amérique et remontent, en longeant sans cesse l'Océan, vers l'Amérique du Nord et l'Alaska, tandis qu'ils s'étendent au sud jusqu'à la Terre de Feu. Les chaînes alp-hknalagenncs sont les plus hautes mon- tagnes du Globe (1); elles atteignent dans l'Himalaya jusqu'à 8840 mètres de hauteur; c'est sur leur sommet que s'accumulent les neiges éternelles, et tout le long de leurs hantes vallées que coulent lentement d'énormes fleuves de glace; c'est aussi dans leur voisinage que les volcans sont distribués, si serrés le long- dès côtes du Pacifique qu'ils entourent cet océan de ce qu'on a appelé son cercle de feu; c'est enfin à leur pied ou sur leurs lianes que se produisent le plus ordinairement les tremblements de terre . Tout cela est, chez elles, signe de jeunesse. Les mon- tagnes plus anciennes ont été usées, corrodées, nivelées par les agents atmosphériques; il faut toute la sagacité des géologues pour les reconstituer par l'étude des terrains qui ont été plissés lors de leur formation et qui sont aujourd'hui comme les fonda- tions ensevelies sous le sol de toute une cité en ruines; le géo- graphe qui se bornerait à étudier la surface du sol pourrait à peine les soupçonner. Elles aussi ont porté jadis des glaciers dont on retrouve la trace jusque sur les gneiss les plu? anciens, mais ce qui reste des fattes hercyniens eux-mêmes a été réduit par l'usure du temps à de trop modestes hauteurs pour que 3a neige s'y arrête longtemps dans ît* régions tempérées. Les volcans sont le signe que des cassures toutes fraîches encore persistent dans les flancs des plis récemment formés, livrant passage aux matières en fusion des profondeurs. Des cassure? semblables ont traversé les plis hercyniens et calédoniens ; on trouve en maints endroits les coulées, restes des laves an tiques s. {!) vn, 493< TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS 1$ auxquelles elles livraient passage; mais ces coulées se sontsoll» difiées pour toujours et ont fermé toutes les issues que traver- saient jad 15 les torrents de feu. Les dépôts stratifiés, d'abord horizontaux, qui ont été soulevés pour former les flancs des chaînes antiques, ont glissé les uns sur Us autres, ou se sont même renversés totalement ; des masses immenses ainsi disloquées ont cheminé parfois jusqu'à des distances considé- rables de leur lieu d'origine, charriant avec aile s les matériaux des plis saillants qu'elles rencontraient. Ailleurs des couches se sont rompues verticalement, suivant une fente dont les deux parois ont changé de niveau l'une par rapport à l'autre, consti- tuant ainsi une faille. Tout ce travail gigantesque ne s'est pa& effectué sans secousses brusques, amenant des tremblements de terre ; mais aujourd'hui tout s'ost consolidé, équilibré» immobilisé, et c'est aux alentours seulement des chaînes relati vemczit nouvelles que l'on ressent des secousses séismiques. Théoriquement, l'ordre de superposition des couches déposées horizontalement par les eaux indique leur Age relatif. Quand ces couches ont été redressées, plissées, renversées, comprimées- charriées, cette détermination est plus difficile, mais c'est l'art des stratigraphes de vaincre ces difficultés ; ils y sont parvenus presque toujours, et, à côté de la stratigraphie, ils ont constitué une science nouvelle, la leciomqae, qui a justement pour objet l'étude des modes variés d'agencement que présentent les couchs3 déposées d'abord horîcontalement dans les diverses contrées. Lorsque des couches ont été redressées ou plissées^ puis exondées et de nouveau submergées, les eaux revenues sur leur ancien domaine le couvrent de strates horizontales qui sont autrement orientées que les strates redressées; cette discordance indique nettement que êes mouvements du sol se sont produits avant le dépôt des nouvelles strates, et si ces strates sont à leur tour plissées, la discordance subsiste, signi- fiant qu'à deux reprises différentes le sol a été soulevé. C'est en partantde ces principes fort simples en théorie, mais d'une 20 LA FORMATION DE LA TERRE application souvent difficile, posés jadis par Élie de Beaumontf que les géologues sont arrivés à déterminer l'âge relatif des montagnes, et à conclure à la réalisation successive des quatre séries de plis dont nous avons indiqué tout à l'heure d'une façon succincte la distribution. Ce travail d' orogenèse ou de formation des montagnes carac- térise de grandes ères géologiques dont la formation d'une même série de plis a, en général, occupé toute la durée. On donne le nom d'ère précambrienne à l'ère de formation de la chaîne huronienne ; celui d'ère primaire à l'ère qui s'étend depuis la période de préparation et le début de la formation des plis calédoniens jusqu'à l'achèvement des plis hercyniens; alors s'est établie une longue période de calme relatif constituant Y ère secondaire. Les mouvements orogéniques ont plus tard repris et la formation des plis alpins ou aip-himaiayens a occupé toute une ère nouvelle, Y ère tertiaire. On pourrait admettre à la rigueur que cette ère n'est pas encore terminée, puisque les mouvements orogéniques qui l'ont marquée se poursuivent encore ; on peut constater, en effet, sur plusieurs de nos côtes des mouvements d'exhaussement du sol, comme sur la côte de Sain- tonge(î), ou d'affaissement, comme dans la baie de Douarnenez; la terre tremble souvent en des points du Globe nettement en rapport avec la position de l'entre-croisement des chaînes de montagnes; les bouches volcaniques sont nombreuses, actives et liées d'une manière évidente à des régions encore en travail de dénivellation; mais l'époque actuelle, ou quaternaire, a été marquée par un événement auquel nous attachons naturellement la plus grande importance : la prise de possession de la Terre par l'Homme, et le début de cette prise de possession coïncide avec une circonstance climatérique que l'on considère comme (1) Les mouvements de ces régions sont plutôt, il est vrai, des mouvements de balancement rentrant dans la catégorie des mouvements épirogéniqnes grâce auxquels la »er couvre des zones d'ennoyage qu'elle abandonne et qu'elle reprend alternativement TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS 21 ayant clos l'ère tertiaire : un refroidissement du climat qui, à plusieurs reprises, a permis une extension prodigieuse des glaciers. Cette période glaciaire était sans doute la conséquence des phénomènes orogéniques de l'ère tertiaire qui, en dressant sur la terre aplanie durant la période secondaire de hautes cimes, en modifiant la répartition des continents et des mers avait favorisé, tout le long des chaînes puissantes, récemment formées, l'accumulation, sur les altitudes, de formidables quan- tités de neige auxquelles chaque hiver apportait un nouvel appoint. Elle ne correspondait à rien de nouveau au point de vue géologique, si ce n'est peut-être au commencement delà période d'érosion des chaînes alpines; mais il est dans notre naturel d'attacher une importance particulière aux phénomènes qui sont liés intimement à notre histoire, et tous les géologues admettent comme une période distincte de l'histoire de la Terre celle où l'espèce humaiue a commencé à tenir une place importante parmi les êtres vivants. Chacune des ères que nous venons de définir a été divisée en plusieurs périodes qui correspondent tout à la fois à la formation de certaines parties des grands plissements que nou3 avons décrits sommairement, à une certaine phase de l'évolution de la vie ou à certains caractères des dépôts qui se sont formés pendant leur durée. Nous ne ferons que les énumérer ici dans leur ordre de formation en commençant par les plus anciennes; leurs noms seront autant de points de repère auxquels pourront se rapporter les divers déve- loppements que nous aurons à donner relativement à l'évolution de la vie sur le Globe. Les plus anciens dépôts que nous connaissions sont com- plètement transformés en roches cristallines ou en micaschistes dans lesquels on ne trouve que des traces de fossiles ; ils appar» tiennent à une ère précambrienne où l'on reconnaît deux périodes : la période archéenne et la. période algonkienne. Vient ensuite l'ère primaire qui comprend cinq périodes : 1* la 22 IA FORMATION DE LA. TERRE période cambrienne, dont les dépôts contiennent les premier* restes d'êtres vivants nettement caractérisés ; 2* la période silu- rienne; 3° la période dévonûtnne; 4* la période carbonifère, -dorant laquelle une végétation puissante a donné Heu aux plus importants dépôts de houille de aoire pays ; 5° la période per- mienne, après laquelle commence r*è*e secondaire. L'ère secondaire se divise, à son tour, en trois grandes périodes: 1* la période lriasiqmey période de transition ; 2° la période jurassique, au cours de laquelle d'énormes récifs de coraux se formaient sur nos cotes, comme aujourd'hui sur les côtes des régions tropicales ; 3* la période crélacée, période d'approfondissement des mers de nos régions et de formation sur leur fond drune fine vase calcaire qui est devenue la craie. Enfin l'ère tertiaire, celle où apparaissent et se multiplient des animaux déplus en plus semblables aux nôtres, a été divisée, suivant la proportion d'animaux actuellement vivants que présente leur faune, en deux grandes périodes : la période éogène ou nummuliîique, durant laquelle la mer abondait en organismes très simples, mais construisant une coquille en orme de disque, les Nummulites, et la période néogèney riche en animaux actuels. Ces périodes ont été divisées elles-mêmes en deux sous-périodes : la période éogène, en éocène et oligo- cène ; la période néogène, en miocène et pliocène. On y ajoute quelquefois la période pléisfocène correspondant à l'ère quaternaire. Les chaînes de montagnes dont nous venons d'esquisser le tracé ne se sont pas élevées aux hauteurs considérables qu'elles ont atteintes sans que le niveau des régions a voisinantes ait été modifié sur de vastes étendues; elles sont, en réalité, assises sur de vastes bases qui constituent les continents ; elles en sont d?< rdinaire la bordure et marquent la ligne de séparation entre les continents d'une époque et ceux de l'époque précédente, de sorte que là où les continents d'arrêt font actuellement défaut, comme le long des côtes américaines du Pacifique, TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS 23 on est amené à penser qu'il existait un continent disparu* Nous allons maintenant essayer de reconstituer, en tenant compie de ces principes, la distribution des continents et des mers aux diverses époques géologiques. Les premiers continents qui aient apparu au-dessus des mers, étaient, nous l'avons indiqué déjà, disposés dans l'hémisphère Nord, en deux couronnes principales, dont la plus grande partie est depuis cette époque demeurée exondée : la première, constituant le continent paléarciique, était peu éloignée du pôle, îa seconde était voisine de l'équateur. La couronne circumpolaire (1) se décomposait elle-même en quatre massifs ou boucliers disposés autour du paie comme les pétales d'une fleur : 1# le bouclier canadien, dans l'Amérique du Nord; 2* le Groenland; 3° le bouclier Cnnoscundinave comprenant la Scandinavie et la Finlande; 4° le massif sibé- rien; ils formaient sans doute, au début, une couronne continue que des effondrements dans la direction des méridiens ont suc- cessivement segmentée ; ils n'ont même acquis qu'à une époque voisiue de la notre leur disposition actuelle. Ces quatre massifs avaient déjà subi des plissements avant que d'autres terrains se soient déposés sur eux. Ils ont pu être momentanément recou- verts par les eaux ; mais ils sont demeurés inébranlables depuis les plissements qu'ils ont subis avant que s'ouvrent les périodes géologiques suivantes, de sorte que tous les dépôts qui se sont postérieurement formés sur leur surface arasée sont demeurés horizontaux. Les plis qu'ils présentent indiquent qu'ils ont subi de bonne heure des déni vellations qui ont abouti à la constitution de chaînes de montagnes dont les reliefs ont assez vite disparu. Ce sont ces montagnes, les plus anciennes qui aient dominé la surface du globe, qui constituaient la chaîne huronienne. Un second continent s'étendait environ du 100* degré de longitude ouest au 165e degré de longitude est, reproduisant 0) tX, 486, carte 1. 24 , LA FORMATION DE LA TERRE grossièrement la forme d'un grand oiseau (carte II) aux ailes reployées, embroché par Féquateur, la tête vers l'Orient et qui aurait porté sous son bec un énorme barbillon. Le dos de l'oiseau correspondait à peu près au 30e degré de latitude nord, son ventre au 40° degré de latitude sud; son vertex, au 90" degré de latitude nord. Le bout de son bec était placé par 125° de longitude est et 35° latitude nord. Un bras de mer semblable à un vaste fleuve séparait ce continent du continent paléarctique et unissait les deux bords d'un immense océan occupant, en le dépassant presque partout, l'emplacement de l'océan Pacifique actuel, qui paraît avoir persisté, au moins sous la forme d'une ceinture entourant un continent hypothé- tique dit conlinenl Pacifique, durant toutes les périodes géologiques. L'équateur coupait le corps de l'oiseau en deux parties à peu près équivalentes, et l'oiseau couvrait l'isthme de Panama tout entier, le débordait à l'occident pour s'étendre sur le Venezuela, la Colombie, la république de l'Equateur, le Pérou, le Brésil, joignait cet ensemble américain à l'Afrique, qu'il englobait entièrement ainsi que l'Arabie, et se prolongeait vers l'est jusque bien au delà de Madagascar et à l'embouchure de l'Indus. L'Espagne, le nord de l'Italie, la France, les îles Britanniques, presque toute l'Allemagne, la Finlande, la Scandinavie étaient sous les eaux du bras de mer transversal, derrière le cou de l'oiseau qui courait le long de la côte nord de l'Afrique, des frontières de la Turquie et de l'Autriche, tandis que la tête couvrait toute la Russie, presque toute la Chine, le front et le bec de l'oiseau allant obliquement du golfe de l'Obi au nord de la Corée. Le barbillon, compris naturellement entre deux golfes, couvrait l'Inde, l'Indo-Chine, et unissait ensemble toutes les îles de l'archipel indien, reliées d'une part à la côte d'Asie, de l'autre au nord de l'Australie. Il n'y avait ni Atlan- tique (sauf le canal transversal de séparation des deux grands anneaux continentaux), ni Méditerranée, ni mer Noire, dî mer Rouge, ni golfe Persique. Le^ Chili, l'Argentine, la Patagoniet TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET SES MERS 25 tout Test de la Sibérie, y compris le Japon, étaient submergés. La géographie que nous venons d'esquisser correspond à ce que les géologues appellent la période cambrîenne ; elle succède à celle où se déposaient les roches qui sont devenues les granits et les gneiss du Nord et qui est naturellement la période précambrienne. Dans cette période les granits et les gneiss forment un premier système de roches, le sysième archéen, que recouvrent des micaschistes et des grès nettement sédimen- taires constituant le sysième algonlrien. C'est dans ces dépôts algonkiens qu'ont été trouvées les premières traces d'organismes ayant vécu. Elles sont rares et il est difficile de déterminer de quoi elles sont les traces ou les restes ; mais apparaît dans le Cambrien une faune fort complète, celle que l'illustre géologue Joachim de Barrande croyait la plus ancienne de toutes, et à laquelle il avait donné le nom de faune primordiale, La mer occupait alors une surface à peu près égale à celle qu'elle occupe aujourd'hui; la diminution du diamètre de la terre depuis cette époque a peut-être augmenté dans une cer- taine mesure sa profondeur, mais elle devait être peu différente de ce qu'elle est de nos jours. Le canal transversal intercontinental était une sorte de Manche peu profonde, et ses côtes s'élevaient en pente très douce, car on reconnaît encore, à la surface des grès, les traces laissées sur le sable par les mouvements des vagues et qu'on nomme des ripple-marks, La côte occidentale de l'Amérique était, pour ainsi dire, jalonnée par trois îles allongées parallèlement à cette côte future et occupant à peu près l'emplacement des montagnes Rocheuses du Canada, de la Sierra Nevada et des Andes chiliennes. De même une presqu'île méridionale du continent paîéarctique dessinait les futurs Apalaches, juste à la naissance de l'isthme qui rattachait l'aire p rsistante d'émersion, que Suess a appelée le bouclier canadien, à la masse du continent dont elle formait l'extrémité occiden+ale et méridionale. La mer a abandonné la région des grands lacs situés entre le Canada et les États-Unis (Carte I). 26 LÀ FORMATION DE LA TERRI Dès mainte&ant l'érosion va s'emparerdc ces terres neuves ; les roches cristallines vont être désagrégées par la mer, et il se déposera au pied des (alaises des sables que l'avenir trans- formera en grès colorés en rouge par des sels de fer et des carbonates de fer oolithiques (1), tels que ceux de Saint- Rémy (Calvados), Segré (Maiae-et-Loire), Nucic (Bohême), du sud de l'Espagne, de Saint-Léon (Sardaigne), de Krivorrog (Russie méridionale), et ceux un peu plus tardifs (2) de Clin- ton qu'on retrouve à New- York, au lac Michigan, et qui sont accompagnés de dépôts formés dans des lagunes salées : gypse, sel gemme, qai réapparaissent pendant toutes les périodes géo- logiques dans les régions d'où la mer se retire (3). Cependant, dans les deux hémisphères, les océans gagnent vers l'équateur; le canal intercontinental ou mer intérieure s'étend sur!; le nord de l'Afrique jusque-la émergé, arrive jusqu'au Sahara (4), mais dégage la Scandinavie, la Finlande, qui demeurent unies an Canada, et presque toute la Russie ; tandis que la mer australe envahit le sud de l'Afrique et une. grande partie du Brésil. Ces changements ue sont que temporaires ; bientôt (5) la mer reconquiert la Russie, le nord de la Scandinavie et de l'Allemagne, presque toute l'Europe, la Sibérie, la Chine, la plus grande partie des deux Amériques, sauf l'est du Canada qui demeure uni à la Scandinavie. Il ne reste d'émergé que la Scandinavie, l'Afrique centrale, l'Inde, l'ouest de l'Australie et l'est de la Chine. On admet généralement, en outre, que dès cette époque un vaste continent occupait le Pacifique. Après avoir corrodé les côtes du continent paléarctique, leur avoir enlevé les parties qui sont devenues les Vieux grès rouges dévoaiens, la mer se dessèche au sud de ce continent (6) : là s'établit une zone de lagunes qui donneront naissance à des dépôts salins ou gypseux et dans lesquelles s'élaborera, sans doute (1) Ordorôw. — <2) Gotfatandien. — (8) IX, 490. — (4) CoMentzka. — (5) Eifelien. — (6) Frssnfen. TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES CES CONTINENTS ET DES MERS 37 aux dépens des cadavres d'animaux en décomposition, le bitume des régions de la mer Blanche, qu'on retrouve plus abondant dans les Apaîackes, ainsi qu'entre la baie d'Hudson et la Colombie britannique. Les plissements hercyniens correspondent à la période durant laquelle vont successivement se former, dans les estuaires ou dans les lacs de ces divers points du Globe, les dépôts de charbon qui sont aujourd'hui la principale ressource de notre industrie; 3s se continueront pendant la première partie de la période secondaire. L'exhaussement du sol qui accompagne la formation graduelle des chaînes hercyniennes, chasse la mer de la région écossaise d'aJbord (1), puis du sud de l'Angleterre, de la Belgique et du nord de la France (2), enfin du Plateau central (3). Au début de cette période, il existait trois grandes masses continentales, séparées par autant de mers : la mer trans- versale des périodes précédentes, qui persiste plus ou moins modifiée, et dau^ mers dont l'une était dirigée suivant les mé- ridiens. Le continent arctique relie toujours la Scandinavie, le Groenland et le Canada et forme le plateau canadien-scandi- navîen (4); un second continent correspondait à la Sibérie et à une partie de la Chine actuelle, c'est le plateau sibérien; le troisième s'étendait sans interruption de la partie dr l'Afrique située au sud du Sahara, à l'Amérique méridionale d'une part, à l'Inde et au nord de l'Australie d'autre part; c'est le continent équatorial on continent de Gonduxxna. La mer transversale cou- vrait toute FEurope, Scandinavie & part, et le nord de l'Afrique; dans ce vaste canal, nommé Méditerranée centrale par Neu- mayer, Mé*ogéep*r M. Douvillé, Têthye par Suess, émergeait une île transversale comprenant l'Italie, la région des Balkans et le sud de la Russie. Tout d'abord dans cette mer la profon- deur diminue et Pon vok émerger (4) le pays de Galles et la Hollande, la Normandie et la région ardennaise, le Morvan, (îl,Dr P?9f QafifKea^"" S? Dépôts w«stPha"«a». ~ (3) Dépôt, Stéphanie**. — {%) Carte 8. — (5) Dinantien. 28 LA FORMATION DE LA TERRS le sud du Plateau Central avec les Vosges, la Franconie unie à la Bohême, l'Italie, la région des Balkans, la région cauca- sique du sud de la Russie et l'Oural, formant autant d'îles séparées par des canaux peu profonds. Le détroit compris entre l'île gallo-hollandaise et l'île ardenno-normande est occupé par des eaux d'une pureté extrême et d'une température élevée ; des récifs de coraux (1) bordent les côtes où ils s'étaient déjà établis, quoique plus à l'ouest, durant la période dévo- nienne; ils ont donné naissance au calcaire de Dinant ou « calcaire de montagne ». Au sud de l'île gallo-hollandaise se trouve un-autre détroit qui la sépare du Morvan et du Plateau Central. Le bord sud de ce détroit est le siège de manifesta- tions volcaniques puissantes ; il est sans doute dominé par de hautes montagnes dont les produits d'érosion mêlés à des masses charbonneuses se retrouvent partout à leur pied. Peu après les îles émergées se couvrent d'une magnifique végétation dont les débris s'accumulant dans les détroits, chassent les coraux. C/est le moment où se forment successivement les bassins houil- lers de l'Ecosse, les houilles puissantes de Lothian et de Dialkeith, ainsi que les bassins houillers du nord de la France et de la Belgique ; tandis qu'en Silésie, où quatre bras de mer se ren- contrent, s'est constituée une puissante chaîne de montagnes aussitôt attaquée par une érosion intense qui a rempli de 14000 mètres de débris le géosynclinal en voie d'abaissement, situé au pied de la chaîne. Un bassin se forme également du côté de Moscou (carte III). Cependant les montagnes continuent à s'élever. La chaîne hercynienne court sur l'Espagne, le Plateau Central, la Bretagne, les Vosges, la Forêt-Noire, la Saxe. La région des Alpes (2) porte sur certains points des glaciers. Deux longues îles parallèles correspondent aux montagnes Rocheuses californiennes et à la côte occidentale du Mexique; un vaste continent s'étend au U) Oinantien. — (2) Westphaliea. TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MEPS \2à nord, reliant ensemble tout l'ouest de l'Amérique du Nord, les îles qui la bordent dans la région arctique, le Groenland, la Scandinavie, les îles Britanniques, l'ouest de la France, l'Es- pagne, le Maroc et l'Algérie; tout cela constitue le plateau canadie&^scandinave qu'un bras de mer, la mer à Fusulines (1), sépare du plateau sibérien. L'Italie est le noyau d'une grande île. La mer intérieure se trouve donc fortement rejetée vers le sud, où elle est bordée par le plateau brésiiio-africain unissant l'Amérique centrale et ses républiques équatoriales, toute l'Afrique centrale, l'Arabie, l'Inde, toute la partie occidentale de i'Indo-Chine y compris la presqu'île de Malacca. Au nord-est de ce continent se rattache une presqu'île en forme de T dont la branche occidentale va se relier à l'Espagne en passant au nord de l'Italie et en fermant la mer intérieure vers l'ouest; l'autre branche du T correspond à la région du Caucase englo- bant la mer Noire, toute la région moyenne de la mer Cas- pienne, et se terminant au sud et un peu au delà, vers l'est du lac d'Aral. L'autre presqu'île, située au sud-est, unit l'Indo- Chine à l'Australie presque complètement émergée et à l'est de laquelle une grande île englobe le nord de Bornéo et tout l'archipel malais. Enfin au sud du plateau brésiiio-africain s'étend un. autre continent, séparé de lui par une seconde mer intérieure et unissant la Patagonie à la région africaine du Cap et à Madagascar qu'il dépasse de beaucoup. La presqu'île en forme de T est séparée de la région scandinavienne du pla- teau canadien-scandinave par un bras de mer à bords paral- lèles, de direction est-ouest, se terminant par trois branches divergentes comme les doigts d'une patte d'oiseau, et de faible profondeur; c'est dans ces golfes et le long des côtes du bras de mer lui-même que se sont amoncelés les débris végétaux qui ont formé la houille d'Ecosse, des grands bassins (1) Les Vusoïînes sont des Protozoaires en forme de minasceles fuseaux, carao- tÀristiqueti des mers carbonifères et appartenant à 1* classe des Foramiaifcrcs. 30 LA FORMATION DS LA TERRE hoœiUers du sud de l'Angleterre, de la Belgique, du nord de de la France, de la Bohême, de la haute Silésie et de la Moravie où elles atteignent 154 mètres d'épaisseur, et enfin du bassin de Donetz, en Russie, où ce bras de mer rejoint la mer libre. La période secondaire s'ouvre avec le Trias. C'est une période de calme relatif durant laquelle la mer peut bien éprouver de lentes oscillations, les continents s'agrandir du se rétrécir, mais il n'y a plus de plissements exhaussant à des hauteurs de plu- sieurs milliers de mètres de longues chaînes de montagnes ; c'est, au contraire, la période de destruction des chaînes hercy- niennes. La configuration générale des continents ot dos mers s'éloigne peu de ce que nous venons de décrire, Durant la période triasique tous les continents du Nord se sont rejoints; seuls demeurent submergés le nord-ouest de la Sibérie, l'Amé- rique russe et la cote occidontale des États-Unis et du Mexique. Il existe là, sur l'emplacement de l'océan Pacifique nord actuel, un vaste océan limité au sud par le continent pacifique. Le con- tinent de Gondw&na s'est fortement étendu; au nord de ce continent, le séparant du continent Nord-Ailantique, se trouve un vaste chenal, la mer intérieure ou Tèthys de l'âge précé- dent. Deux bras de mer coulant entre le continent Pacifique et la côte ouest de l'Amérique, d'une part, et, d'autre part, la côte est de l'Asie unissent la Tèthys à un océan arctique, et se con- tinuent vers le Sud entre le continent Pacifique et le continent équatorial de Gondwana. Ces longs chenaux s'élargissent ou se rétrécissent successivement par places, ce qui donne au Trias français de la future vallée du Rhône sa division en trois séries de sédiments littoraux qui ont valu ce nom de Trias à l'ensemble des dépôts formés à cette époque. Ces dispositions générales se maintiennent durant la période Jurassique ; pendant toute cette période persiste le continent Nord- Àtlântique dont les bords seuls sont de temps en temps entamés par la mer durant la période oolithique inférieure. C'est seule- TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MHRS 31 ment à Pépoque de l'Oxfordien qu'un al&issement dans la région de l'Oural le sépare de nouveau du continent sino-sibérien au- quel il s'était uni durant le Permien. Ce dernier demeure émergé durant toute cette période, sauf sur ses bords entamés à l'ex- trême nord de la Sibérie et à Bornéo durant le Lias, sur la côte d'Okotsk au Bajocien, sur tout le nord de la Sibérie au Port- landien. De même le continent de Genéw&na est découpé par un affaissement dans la région de Mozambique en deux autres : le continent africano-brésiïien et le confinent austraîo-indo-mal- gache (1). Entre ces deux continents et lés oeux continents sep- tentrionaux, la mer transversale, la Tèthys s'est élargie; elle occupe exactement la place des futurs plissements alpins. 0 est probable que le continent Pacifique hypothétique existait encore, et traversant de l'ouest à Test l'emplacement de l'Atlantique actuel, la Tèthys se prolongeait jusqu'aux mers qui le bordaient du côté oriental. iNous arrivons ainsi à la période crétacée {2). Au début la région septentrionale du continent Nord-Atlantique (Terre du roi Charles, Spitzberg, est du Groenland) est envahie par les eaux? un bras de mer sépare le continent sino-sibérien du bou- clier Scandinave; sur le continent africano-brésilien la mer gagne le sud de l'Abyssinie, la côte des Somalis et le sud de la colonie du Cap; elle laisse presque indemne le continent Australo-indo-malgache, sauf dans le district de Katch et l'Australie occidentale. Le bras de mer qui à l'époque du Trias et du Jurassique unissait la mer des Antilles à la Tethys existe toujours. On peut désigner cette époque sons le nom d'époque éocrétaeée et les suivantes sous les noms d'époques mésocré- tacée et néocrétacée. A i'époque mésocrétacée la mer abandonne les régions arctiques énumérées tout à l'heure ; le bras de mer qui séparait le bouclier Scandinave du continent sino-sibérien, k nord dt (1) Carte 3. - (2) VI, 1858, 1359. 32 LÀ FORMATION DE LA TERRS la Sibérie, une partie du pourtour du continent Pacifique s'&ssè*- client; mais les eaux envahissent le bord occidental du bouclier canadien, divers points de l'Lcosse, l'Irlande, la Bretagne, la Bohême, les Meseta espagnole et marocaine, faisant ainsi commu- niquer la Téthys avec le golfe de Guinée;, elles couvrent la Syrie, l'Arabie, le Sahara, le Soudan, le pourtour de l'Afrique de l'équateurauCap, le nord-est du Brésil, le nord et le sud-est delà péninsule indienne, le plateau d'Assam et le Queeasland en Aus- tralie ainsi que les côtes ouest de Madagascar. La Tèthys con- tinue à s'étendre au sud des continents Nord-Atlantique et Sino-sibérien, établissant une communauté de faune marine entre les régions asiatiques et les régions méditerranéennes actuelles ; un bras de mer passant entre les continents Nord- Atlantique et Sino-sibérien la relie à l'océan Arctique, au moins dans la seconde moitié de la période; elle communique de même avec la région des Antilles ; de telle sorte qu'elle circonscrit une Atlantide (1). Le continent africano-brésilien paraît dès cette époque coupé en deux par l'immersion d'une vaste surface qui correspond à l'Atlantique sud. Madagascar et l'Inde sont encore réunis. Ces dispositions persistent durant la période néocré- tacée où la mer gagne simplement un peu plus sur certaines régions, comme dans la région de la mer de Baffîn où un golfe apparaît, la côte nord-est du Brésil, la région de Pondichéry, et peut être a-t-eî le momentanément isolé Madagascar (carte IV). Désormais, avec la période tertiaire et le soulèvement des chaînes alp-himalayennes, nous nous acheminons rapidement vers l'état actuel des cheses, si différent de celui que nous venons de décrire. Pendant une partie au moins de la période éogène ou nummulitique (2), l'Europe et l'Amérique du Nord sont encore unies en un vaste continent, le reste de l'Europe demeu- rant à l'état d'archipel dont les îles principales étaient, comme <1) X, 184. — (2) Carte 4. TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTlXjeNTS ET DES MER» 33 aux temps secondaires, l'Ecosse, l'Irlande et le pays de Galles, la Bretagne, le Plateau Central, la Meseta espagnole. Ces îles, séparées par des bras de mer peu profonds, se réunissaient par intervalles et s'unissaient même par une véritable Atlantide à Y Amérique du Nord. En tout cas, un golfe de l'océan Arctique pénétrait jusqu'au cœur de l'Europe, couvrait la mer du Nord, le bassin de Paris et le sud de l'Angleterre; le continent africa no-brésilien persistait d'autre part. Madagascar était encore uni à l'Inde ; mais dès ce moment l'Australie en est séparée et le continent indo-malgache était lui-même séparé par un détroit du continent africano-brésilien. Il est probable que le continent Pacifique a déjà commencé à s'effondrer, mais l'anneau marin sinueux qui l'entourait s'est soulevé momen- tanément pour se transformer plus tard en une terre de lagunes ou une mer peu profonde communiquant avec la Tèthys par un canal séparant l'Amérique du Nord de l'Amérique du Sud. Au début de la période tertiaire la mer méridionale couvrait encore l'emplacement des Pyrénées et des Alpes ainsi qu'une partie de l'Espagne, tout le nord de l'Afrique, l'Italie, la Tur- quie et la Grèce, l'Asie Mineure, la Perse, l'emplacement de l'Himalaya et s'étendait jusqu'en Chine : c'est la mer nummuli- tique ainsi nommée à cause de l'immense quantité de nunimu- lites fossiles, en forme de lentille circulaire, faiblement biconvexe, ressemblant un peu aux anciens limrds, qu'elle contient. Un golfe qui ne tardera pas à se combler s'étendait sur le bassin de Paris. Mais à cette époque commence le soulèvement des Pyrénées entre la France et l'Espagne ; la mer s'étale davan- tage dans le bassin de Paris ; elle arrive à submerger la Beauce et pousse des pointes jusque dans le Plateau Central, elle couvre également le bassin de la Gironde. A ce moment l'Angleterre s'allongeait vers l'est jusqu'à Boulogne; le bassin de Paris était inondé; la Manche, déjà indiquée, quoique plus étroite, com- munierait avec la mer du Nord. Mais bientôt le niveau de la mer s'abaisse, de vastes lacs d'eau douce la remplacent sur les parties , 3 3 'i LA FORMATION DE LA TERRE centrales de la France, de l'Espagne, de la Suisse; c'est l'époque oligocène que suit l'époque miocène. Maintenant les lacs d'eau douce qui occupaient la partie centrale de nos pays sont comblés; les Alpes, l'Himalaya atteignent leurs plus hautes altitudes. La mer abandonne définitivement le bassin de la Seine, mais envahit, par contre, ceux de la Loire, de la Gironde et du Rhône. La Bretagne, devenue insulaire, est isolée du reste de la France; en revanche, l'Angleterre se joint au continent, dont elle était isolée pendant la période pré- cédente. Durant le reste de la période tertiaire l'Angleterre se relie d'abord à l'Artois dont les côtes du sud-est sont bai- gnées par îe lac qui occupe le bassin de Paris. A la période miocène celui-ci est exondé, la Manche est refoulée à l'ouest du Cotentin et l'Angleterre largement reliée à ce qui sera la Normandie et l'Artois (1). Ce vaste territoire d'union n'est plus qu'un isthme à la période pliocène, et enfin l'isthme se rompt à la période quaternaire, ouvrant le Pas de Calais à la mer qui déjà sépare l'Europe de l'Amérique, l'Afrique du Brésil, pour ébaucher l'Atlantique. Un peu avant, au pliocène, la configuration générale des terres et des mers était déjà établie. A peine quelques régions, comme la Bretagne, étaient-elles un peu moins rétrécies par la mer qui s'avançait, au contraire, davantagesur toute la côte ouest de l'Atlantique, de la Bretagne à l'Espagne, et sur le littoral du golfe de Lion, d'où elle avait envahi toute la vallée du Rhône jusqu'à la Bresse, occupée par un grand lac. Les détroits de Gibraltar, des Dardanelles, du Bosphore se sont constitués à ce moment. La Terre est désormais ce que nous la connaissons. Sans doute elle continue à se modifier. On sait qu'à l'heure actuelle certaines côtes s'abaissent sous les eaux, tandis que d'autres s'élèvent. La Scandinavie a passé pour subir une sorte de mou- vement de bascule aujourd'hui douteux (2). La côte sud de la (1) X, 168. — (2) V bis, 656. TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS 35 Bretagne, la côte occidentale de la France s'enfoncent sous l'Atlantique ; les îles Anglo-Normandes, les îles Chausey ont été séparées du continent depuis les temps historiques ; la ville d' Ys a été engloutie par les eaux dans la baie de Douarnenez ; cer- tains points de la côte italienne s'élèvent, et les nombreuses régions où l'on observe encore des tremblements de terre et des éruptions volcaniques indiquent clairement que l'activité du sol n'a pas dit son dernier mot. Mais tous ces changements sont si lents et de si faible étendue queles cartes des géographes en sont à peine modifiées. Les choses n'ont pas marché plus vite autrefois, et la grandeur des changements accomplis s'ex- plique, non par ces effroyables cataclysmes dont Cuvier donne une si grandiose description au début de son discours sur les Révolutions du Globe, mais par l'extrême longueur des périodes géologiques durant lesquelles elle se sont accomplies. Cette immense durée que les mages invoquaient déjà à l'appui de leurs conceptions cosmogoniques, cette longueur de temps dont Cuvier reprochait à Lamarck d'abuser pour expliquer les transformations des êtres vivants, on doit les tenir aujourd'hui pour démontrées. On a tentédeles évaluer en chiffres, en prenant en considération divers phénomènes, et, malgré les hypothèses qu'il a fallu faire pour cela, malgré les objections des derniers partisans de la chronologie des commentateurs de la Bible aux- quels Cuvier donnait l'appui de son admirable érudition, la concordance des résultats obtenus en prenant des points de départ très différents, sans rapport entre eux, est telle qu'il est impossible de se soustraire à l'évidence d'une effarante accu- mulation de siècles dans l'intervalle de deux périodes géolo- giques. Le temps a bien été le grand ouvrier des transfor- mations du Globe. C'est seulement depuis la découverte du radium qu'il a été pos- sible d'aborder par un calcul simple la question de l'âge de la Terïe,du plutôt de quelques-uns des minéraux qui constituent son écorce solide. Strutt a fait remarquer que quelques-uns de ces mi- 36 LA FORMATION DE LA. TERR» néraux contiennent à la fois de l'uranium, radio-actfr comme le radium, et une certaine proportion du corps qui résulte de la décomposition de l'uranium, l'hélium. 11 a calculé qu'il faut onze millions d'années à un gramme d'oxyde d'uranium pour produire un centimètre cube d'hélium. De la quantité d'hélium que contient un minéral on peut donc conclure à la quantité d'uranium qu'il contenait au moment de sa formation et le temps qu'il a fallu à cet uranium pour se transformer en hélium. Le calcul donne pour les zircons enchâssés dans les roches archéennes de l'Ontario 622 millions d'années, pour certaines hématites du Dévonien 145 millions d'années, pour d'autres minéraux 400 millions d'années, pour quelques-uns seulement 40 millions. En revanche, des masses rocheuses suédoises et américaines ont donné les chiffres de 1300 et 1400 millions d'années et des échantillons de Colombo, à Ceylan, jusqu'à 1 600 millions. Ces écarts permettent de déterminer l'âge des terrains dans lesquels les minéraux qu'ils présentent sont enfouis, d'évaluer par conséquent le temps qui s'est écoulé entre les périodes géologiques correspondantes. A la vérité ces différences peuvent tenir en partie à ce que les minéraux Examinés ne se sont pas trouvés dans des conditions égale- ment favorables à la conservation de l'hélium. Un autre problème a été posé : celui de la date de l'apparition de la vie sur la Terre, date nécessairement postérieure à celle où la température de la surface du sol est tombée au-dessous de 100°. Le premier, lord Kelvin l'a abordé et en a donné une solution approximative en assimilant, pour la commodité du calcul, la Terre à un boulet homogène qui aurait été porté au rouge, puis qu'on aurait laissé se refroidir. Dans cette hypo- thèse, assez différente, il est vrai, de la réalité, lord Kelvin trouve soit 100 millions, soit 20 millions d'années, suivant les hypothèses secondaires qu'il ajoute à la première. Mais le calcul peut être fait dlune autre façon, en supputant le temps qu'il a fallu aux diverses couclres géologiques pour se former. On TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS 37 suppose, bien entendu, que durant les périodes géologiques antérieures à la nôtre la vitesse de sédimentation a été la ssiême que de nos jours. Comme on n'a que des notions vagues sur la réduction d'épaisseur qu'ont subie les plus anciens dépôts en se transformant en gneiss, il demeure vraisemblable que les évaluations faites par ce procédé demeurent au-dessous de la réalité, et l'erreur qui résulte de ce fait compense largement les exagérations qui pourraient résulter de la rapidité avec laquelle certains dépôts se constituent. D'après ces données Dana évalue à 15 millions d'années la durée de la période primaire; à 4 millions celle de la période secondaire, à 1 500000 celle de la période tertiaire ; ce qui donne un total de 20 millions d'années comme lord Kelvin l'avait trouvé précédemment. Quant à la période actuelle, sa durée a été calculée en partant d'un tout autre point de vue. Le Niagara, sortant du lac Erié, se jetait d'abord après un court trajet dans le lac Ontario. Mais peu à peu la falaise du haut de laquelle il tombait à été rongée; la chute est aujourd'hui à onze kilomètres du lac Ontario. En se basant sur les conditions présentes du recul de la falaise, Lapparent évalue à 40000 ans la durée de l'époque actuelle. Ce nombre se trouve confirmé si, en mesurant l'accroissement actuel des bancs de coraux, on cherche combien de temps ont mis à se souder à la presqu'île de la Floride les quatre banc3 de coraux qui se sont rattachés à ses côtes primitives ; 35 à 40000 ans ont été nécessaires pour cela. Le calcul du temps qu'il a fallu aux tourbières actuelles, pour se constituer, con- duit aux mêmes résultats. On peut don:: tenir pour très vrai- semblable qu'il y a environ 40000 ans que l'Homme a com- mencé à se répandre sur la Terre. "* De toutes ces données concordantes on peut, au moins, con- clure que la surface de la Terre était déjà solide il y a de un milliard à deux milliards d'années. D'autres calculs indiquent qu'il y a au moins un trillion d'années qu'elle s'est séparée du Soleil et que la vie est un phénomène déjà extrêmement ancien. 38 LA FORMATION DE LA TERRE i Les changements prodigieux qui se sont produits au cours des âges dans la configuration des continents et des mers ont nécessairement beaucoup influencé la température moyenne d'une région donnée; suivant que la mer qui baignait ses côtes était en large communication avec les mers tropicales ou avec les mers polaires, la température de cette mer était plus ou moins élevée et celle du continent voisin était douce ou rigoureuse, le climat humide ou sec. Le climat était lié d'autre part à l'altitude des montagnes. Les chaînes huroniennes et calédoniennes ont été complètement rasées durant les périodes primaire et secondaire; mais de l'inclinaison l'une vers l'autre des couches constituant les deux faces opposées, de distance connue, d'un pli anticlinal, on peut conclure la hauteur à laquelle s'élevait jadis le sommet de ce pli, et l'on trouve ainsi que les lignes de faîte de ces chaînes s'élevaient à plusieurs milliers de mètres au-dessus du toi, comme c'est le cas pour le faîte actuel de l'Himalaya. Ces hautes montagnes portaient à leur sommet un éternel manteau de neige comme de nos jours. Des glaciers, dont on a retrouvé les traces, même dans la période archéenne, coulaient dans leurs vallées, et l'air était par suite rafraîchi. Il y a donc eu à toutes les époques des régions relativement froides et des régions relativement chaudes, par conséquent des vents et des tempêtes, des pluies et de la neige; mais tout cela existe même dans les régions tropicales actuelles et nous verrons que le climat tropical a longtemps dominé dans le monde. On pourrait être tenté d'attribuer ce fait, aujourd'hui incontestable, à ce que la chaleur interne, très considérable encore sans doute, se faisait plus fortement sentir à travers une écorce solide moins épaisse. Mais il ne semble pas que depuis l'apparition de la ^ie sut" la Terre cette chaleur ait joué un bien grand rôle. Nous n'avons d'ailleurs aucun moyen de calculer à combien de degrés s'élève la température au centre de la Terre. Dans les puits profonds des mines où la température a pu être observée, on constate TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS 39 qu'elle augmente toujours à mesure qu'on descend ; mais elle augmente d'une façon étonnamment capricieuse. On appelle degré géothermique le nombre de mètres qui correspond à une augmentation de température de un degré. Dans les mines de Sperenberg, qui comptent parmi les plus profondes, le degré géothermique a pu être mesuré de 200 en 200 mètres jusqu'à une profondeur de 2 500 mètres; il varie de 16 à 140 mètres. On a cherché à relier les observations par une formule du second degré; c'est la suivante, S étant îa profondeur en mètres et T ia température exprimée en degrés Réaumur: T «= 7°18 + 0,012983572 S - 0,00000125791 S* Elle donne ce résultat stupéfiant qu'à une profondeur de 3420 mètres il gèlerait si la température continuait à lui obéir jusqu'à cette profondeur; mais, si variable qu'en puissent être les lois, une augmentation continue de température ne peut se transformer en un abaissement conduisant à la température de congélation de l'eau. En admettant que le degré géothermique demeure constant et égal à 100 mètres, longueur voisine de la moyenne observée, on trouverait pour la température du centre de la Terre, situé à 6 350 000 mètres de profondeur, 63 500 degrés — ce qui est tout différent, mais évidemment impossible, cette température étant bien supérieure à celle qu'on attribue à la surface du Soleil. Ces données contradictoires suffisent à établir combien nous serions ignorants de la constitution intérieure de notre Globe si d'autres documents n'étaient intervenus récemment. L'étude des laves provenant des éruptions volcaniques nous a conduits à penser qu'au-dessous de l'écorce solide, ou lithosphère, il existe une masse continue en fusion ignée, ïa pyrosphère, constituée par un magma chargé de fer et de magnésie, qui devient de plus en plus homogène à mesure qu'il est plus profondément situé, sa composition tendant alors à se rapprocher de celle du silicate de fer et de magnésie que les minéralogistes désignent sous le 40 LA FORMATION DE LA TERRE nom de péridoi (1). Or le péridot des régions profondes est toujours associé à du fer. Cette association se retrouve exacte- ment dans les météorites que le» recherches de Daubrée et de M. Stanislas Meunier ont conduit à considérer comme les débris disloqués d'un astre, peut-être une planète résiduelle formée presque en même temps que la Terre aux dépens du Soleil et dont l'orbite croiserait la nôtre périodiquement (2). La com- position de ces météorites est dès lors susceptible d'être com- parée à celle du noyau de la Terre qu'on appelle la bary- sphère. Cette barysphère serait constituée essentiellement par du fer métallique associé à du nickel, par une sorte d'acier. On s'expliquerait ainsi la ressemblance de ses propriétés avec celles des aimants et sa faculté d'orienter les boussoles. L'acier de nickel serait donc le métal essentiel, le support universel de la croûte terrestre. ^_ L'étude des tremblements de terre est venue soutenir cette conclusion d'une façon aussi inattendue que précise. Après bien des essais plus ou moins grossiers, on a construit des appareils enregistreurs automatiques d'une telle sensibilité qu'ils signalent les tremblements de terre qui se produisent dans tous les lieux du Globe, fussent-ils très éloignés, ceux- là même qui sont situés au plus profond des mers. Des pen- dules verticaux, convenablement construits, inscrivent les com- posantes horizontales ; des pendules horizontaux, les compo- santes verticales. Or les courbes inscrites par ces appareils, onduleuses comme celle qu'inscrit sur un cylindre tournant, enduit de noir de fumée, une pointe fixée à un diapason en pleine vibration, sont d'une remarquable uniformité. Pour (1) La formule chimique du péridot est : (MgO. FeO)a SiO8. (2) Il est difficile d'admettre que cet astre ait été un ancien satellite de la Terre, analogue à la Lune. Les débris d'un tel satellite auraieat formé un anneau autour de la Terre ou auraient tourné autour d'elle, comme la Lune, avant de tomber à sa surface lorsque leur vitesse tangentielle aurait été suffi* ïamment ralentie. Cela ne paraît pas être le cas des météorites qui se pré- sentent en essaims dont l'orbite ressemble plutôt à celle des comètes. TRANSFORMATIONS SUCCESSIVES DES CONTINENTS ET DES MERS 41 une même secousse de tremblement de terre, elles se décom- posent en trois parties, différant seulement par la longueur et l'amplitude de leurs sinuosités, et qui viennent s'inscrire suc- cessivement. Du temps qu'ont mis à venir s'inscrire ces vibra- tions, de ce que l'on sait d'après les expériences de Wertheim sur le mode de transmission des vibrations à travers les corps solides, lord Rayleigh a pu conclure que la première partie de la courbe et la seconde représentent des vibrations transversales et longitudinales, transmises à travers la barysphère; la troi- sième des vibrations, les dernières venues, transmises à travers l'écorce terrestre, la lithosphère. Or la vitesse de transmission des deux premières séries d'ondulations, 9km,6 et 5 kilomètres par seconde, indique que ces ondulations ont été transmises à travers un milieu plus rigide que l'acier. La den- sité de ce milieu, calculée par Roche, serait au maximum 10,6 et tout au moins un peu supérieure à celle du fer 7,7. Il y a là des concordances troublantes par la diversité même des con- sidérations qui nous ramènent toutes à cette idée que le noyau du Globe terrestre pourrait bien être solide et constitué essentiellement par du fer. Toutefois, il ne faut pas oublier que tous les métaux plus lourds que le fer, ceux surtout qui se combinent difficilement avec les métalloïdes, comme l'or et le platine, sont bien vrai- semblablement au moins aussi largement représentés dans la barysphère que dans la lithosphère et que, d'autre part, le mode de transmission des vibrations lumineuses à travers l'Ëther interstellaire a également conduit à conclure qu'il était « plus rigide que l'acier », ce qui ne veut pas dire qu'il soit solide, au sens où nous entendons ce mot. Le mot rigidité signifie simplement que les molécules du corps que l'on considère ne se bissent 4éplacer que difficilement, et ont une tendance éner- gique à revenir à leur place dès qu'on les en écarte. Pour ce qui est de la barysphère, la rigidité de sa substance semble être la conséquence de la colossale pression à laquelle elle est soumise 4ï LA FORMATION DE LA TERRE et qui maintient ses molécules en place, sans nous renseignes nî sur leur nature, ni sur leur température. Sous une pression si colossale, la chaleur peut ne plus avoir d'action sur la mobilité des molécules ; tous les corps doivent paraître rigides et solides. Les distinctions qu'à la surface de la Terre nous établissonr entre les états des corps, n'ont plus de sens dans ses régions centrales. Quoi qu'il en soit, si la chaleur interne se fait aussi peu sentir actuellement sur la surface, il y a lieu de penser qu'elle influait également fort peu à une époque où la couche de première consolidation pouvait supporter des sédiments de «. mille mètres d'épaisseur, comme c'était déjà le cas au début de la période primaire, tout près de l'époque d'apparition de la vie. Les climats ont été réglés dès cette époque par une action extérieure au Globe, et cette action n'était autre, sans doute, que celle du Soleil — dont il convient main» snani d*étudier l'intervention. CHAPITRE III LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CLIMATS Après lui avoir donné naissance, !e Soleil est demeuré uni à la Terre, comme aux autres planètes du reste, par des liens étroits qui justifient de plus en plus, à mesure que nous les con- naissons mieux, le culte que lui vouèrent, sous des formes diverses, tant de peuples de l'antiquité. Du Soleil la Terre retient encore, en dehors de sa constitution matérielle* sa cha leur centrale et les mouvements qui la font tourner sur elle- même ou décrire, sans arrêt, la vaste ellipse de son orbite. De ces mouvements sont issus les jours et les nuits et la succession régulière des saisons, signes manifestes de la tutelle dan 3 laquelle nous tient encore le père des astres, en nous maintenant, par la chaîne mystérieuse de l'attraction, dans le manteau resplen- dissant de pourpre et d'or de ses rayons. Rien sur notre Terre ne se passe sans son intervention. C'est lui qui, pénétrant les eaux de la mer, en écarte les molécules au point de les rendre invisibles, et les aspire dans l'air où elles se rapprochent, quand il les abandonne à elles-mêmes, pour former les nuages ; lui qui, en échauffant inégalement les régions diverses du Globe, fait naître les vents chargés de nuées d'où tomberont les pluies fertilisantes, grâce auxquelles la vie a pu se développer sur les continents; lui qui fait apparaître dans la trame vivante des végétaux la matière verte^ la chloro- phylle, c'est-à-dire la substance active qui, mise en branle par ses rayons, accomplira, en unissant de l'eau et de l'acide carbo- nique, tout en libérant de l'oxygène consommé parles animaux, le miracle de la fabrication des sucres et des amidons, qualifié 44 LA FORMATION DE LA TERRE par les chimistes tf hydrates de carbone parce qu'ils sont uniquement composés d'eau et de charbon, et qui sont la source première et unique de tous les aliments, tant pour les plantes que pour les animaux; lui, par conséquent, qui seul est capable d'en- tretenir la vie sur le Globe. Il règle les conditions de son développement aussi bien dans les océans que sur la terre ferme. D'innombrables algues vertes microscopiques flottent à la sur- face des eaux, par les temps calmes et clairs. Elles viennent, à l'appel du Soleil, fabriquer les aliments qui leur permettent de se multiplier avec rapidité; elles sont elles-mêmes l'inépuisable provende vers laquelle accourt la prodigieuse légion des» infu- soires, des larves délicates, presque microscopiques d'animaux marins de toutes sortes : vers, étoiles de mer, oursins ; des menus crustacés qui forment l'interminable cohorte des Copépodes, en un mot de tout ce petit monde, sans cesse grouillant près de la surface des eaux toute pénétrée de lumière, auquel le hardi naturaliste d'Iéna, Haeckel, a donné le nom de planklon, en y comprenant les algues elles-mêmes. Friands de Copépodes, arrivent alors les harengs, les sardines et les maquereaux, pour- suivis par les germons, les thons, les bonites auxquels les mar- souins, les requins et même les dauphins donnent enfin la chasse. Que les temps soient clairs, la température clémente, tout ce mouvement se dessine; la pêche est fructueuse; l'aisance et la joie se répandent sur nos côtes parmi les pêcheurs. Que le ciel se voile, que les vents soulèvent les vagues, agitent les eaux qui se chargent de débris néfastes pour leur transparence, le plankton fuit la surface désormais souillée, descend dans les zones calmes, entraînant avec lui tous les êtres qui vivent à ses dépens : harengs, sardines et maquereaux se font rares. Les pêcheurs ne gagnent plus leur vie et leurs lamentations se font entendre jusqu'à la tribune du parlement. Tout oela est l'œuvre du Soleil. Là ne s'arrête pas son activité. En créant les vents qui transportent les nuages dans les hauteurs de l'atmosphère, et laissent ensuite retomber les pluies LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CUMATS 45 sur le sol, il transforme sa chaleur en mouvement. L'eau qui tombe sur les hautes chaînes de montagnes et ruisselle sur leurs pentes les dégrade lentement; mais, si faible qu'elle soit, son action continue produit des effets prodigieux. Les montagnes hautes de sept à huit mille mètres qui composaient la chaîne Kuronienne, celles qui constituaient la chaîne Calédonienne, plus récente, ont été ramenées au ras du sol parla puissance des érosions, et Ton peut dire que ces érosions sont le fait du Soleil. De lui dépend encore la force vive des cours d'eau, celle que développent les vagues en lutte contre les continents, celle même que la terre cache dans son sein sous forme de houille, car il est le principal édifîcateur des tissus végétaux. Et comme les végétaux, fils du Soleil, sont directement ou indirec- tement Tunique source où les animaux puisent les aliments qui les font vivre, ils lui doivent encore leur faculté de se mou- voir. Le frémissement des feuilles agitées par la brise, la dévastation que les cyclones laissent sur leur passage, les rides légères que dessinent les zéphirs sur la surface des eaux pai- sibles, comme les vagues démesurées que soulèvent les tem- pêtes, la course tranquille des rivières, comme les colères impétueuses des torrents, sont aussi bien son œuvre que la mala* droite reptation du ver de terre, la course intrépide des gazelles ou le vol hardi des aigles. Quand les fées chères à Shakespeare soupiraient dans la nuit : Bercez, bercez la jeune souveraine, Doux bruit» des vents, du feuillage, des eaux; Doux rossignols, bercez, bercez ta reine Bercez la reine et charmez son repos, c'était une prière qu'-în fiut elles adressaient au Soleil, aussi bien responsable des éclats du tonnerre que du chant des oiseaux, que de tous les bruits qui prennent naissance à la sur- face de la Terre. De l'aveu des météorologistes les taches même de sa surface influeraient sur notre atmosphère, le* 46 LA FORMATION DE LA TERRE périodes sèches ou pluvieuses correspondraient à la quantité des taches observées sur son disque. Le nombre de ces taches passerait tous les onze ans par un maximum qui correspon- drait justement avec nos années pluvieuses, et Ton a été jus- qu'à penser — ce qui est peut-être beaucoup — que ce maxi- mum correspondrait aussi à une période où les tremblements de terre seraient plus fréquents. Le jour et la nuit, le retour périodique des saisons dépendant également du Soleil, c'est encore grâce à lui qu'il y a des animaux diurnes et des animaux nocturnes, qui passent quoti- diennement les uns et les autres par des périodes d'agitation et de repos ; c'est grâce à lui enfin qu'un surcroît de vie se répand au printemps sur la nature entière, et que tous les êtres se disposent à se multiplier, chacun suivant son espèce... Le Soleil régit donc sur notre Globe toute activité; de la façon dont il nous dispense sa chaleur et sa lumière, dépendent tous les mouvements qui animent l'atmosphère et les mers, tous les phénomènes de la vie. Nous sommes amenés, par conséquent, à étudier en détail les divers rapports qui nous unissent à lui, les modifications que ces rapports ont pu éprouver dans le cours des âges, celles enfin qu'il a pu subir lui-même. La Terre est animée de mouvements multiples : elle tourne sur elle-même et la durée de sa rotation est ce que les astro- nomes appellent un four; l'axe autour duquel elle tourne est une ligne droite, fixe par rapport à elle, et les points immobiles de sa surface qui représentent les extrémités de cette ligne idéale sont ce que nous appelons les pôles; le plan perpen- diculaire à cet axe qui passe par le centre de la Terre et qui coupe la surface suivant un grand cercle est Véquaieur. La Terre se déplace, en outre, autour du Soleil en décri- vant une ellipse dont il occupe un des foyers, et le temps qu'elle met à accomplir le trajet mesure la durée d'une année. L'ellipse décrite par la terre est son orbite, et le plan de l'orbite s'appelle Yécliplique, Si l'axe de rotation de la Terre LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CLIMATS 47 était perpendiculaire à l'écliptique, l'équateur serait situé dans ce pian ; chacun des points de la Terre serait en tout temps éclairé exactement pendant la moitié de la durée de la rotation; par restriction, dans le langage courant, on appelle jour, pour chaque point de la Terre, non pas le jour astronomique, mais la fraction de ce jour durant laquelle ce point est éclairé. Dans l'hypothèse de la coïncidence du plan de l'équateur avec celui de l'écliptique, les jours seraient sur toute la surface de la Terre égaux aux nuits. Mais il n'en est pas ainsi. Ces deux plans, nous l'avons dit, font a cruellement entre eux un angle de 23° 27' 21*. En raison de cette inclinaison, il est facile de s'assurer, par des constructions géométriques fort simples, que les points de la Terre situés sur l'équateur sont les seuls où les jours et les nuits soient rigoureusement égaux durant toute l'année. Au contraire, chaque pôle est dans la nuit pen- dant six mois, et possède en revanche un jour de six mois, le jour de l'un des pôles coïncidant avec la nuit de l'autre, et réciproquement. Pour tous les points de la Terre situés sur un petit cercle dont la distance au pôle se mesure par un arc de cercle de 23° 27' 21% il y a un jour et une nuit consécutifs de vingt-quatre heures, au moment où le plan de l'axe terrestre et de la normale à l'éclip- tique passant par le centre de la terre passe également par ïe centre du Soleil. Ce moment est celui des solstices» On donne le nom de cercles polaires aux petits cercles réalisant ces condi- tions pour chaque pôle. Pour tous les points situés entre ces cercles et les pôles la durée du jour et de la nuit est supérieure à un jour astronomique : tous ces points sont situés dans les zones glaciales. De chaque côté de l'équateur un petit cercle, situé lui aussi à une distance de 23° 27*21* de l'équateur, déli- mite une Tégion dont chaque point voit deux fois par an Àe Soleil exactement sur sa verticale, c'est-â-dire au zénillk; au moment même où les jours et les nuits sont, sur les deux cercles polaires, égaux à la durée d'un jour astronomique. jne 48 kÀ FORMATION liB LA TERRE est la zone lorride ;<**** petits cercles qui la délimitent de chaque côté de l'équaieur sont les tropiques, aussi l'appeile-i-on éga- Ir^ent zone inieriropicale. Entre les tropiques et les cercles polaires s'étend la zone tempérée, où la durée de ia clarté du jour et de l'obscurité de la nuit est toujours inférieure à celle d'une révolution de la Terre, mais où le Soleil ne passe jamais au zénith. Au moment où le plan de projection de l'axe terrestre sur Pécliptique devient perpendiculaire à la ligne qui joint îe centre de la Terre au centre du Soleil, les jours sont égaux aux nuits sur tous les points du globe, c'est l'époque de Yéquinoxe; à partir de ce moment l'inégalité des jours et des nuits com- mence dans les deux hémisphères, mais dans l'un les nuits s'allongent, tandis que dans l'autre elles se raccourcissent ; le premier s'achemine par l'automne vers l'hiver, le second par le printemps vers l'été. Le point culminant de la saison chaude, que nous appelons l'été, concorde avec le moment où la terre est à mi-chemin des deux équinoxes; c'est le solstice d'été ; il y a de même un solstice d'hiver. La saison chaude correspond dans notre hémisphère à la période où la Terre se dirige vers le sommet de son orbite le plus éloigné du Soleil; c'est la longueur des jours et non ia proximité du Soleil qui élève la température. Comme ia longueur des jours est la même dans les deux hémisphères, l'été de l'hémisphère austral est un peu plus chaud que le nôtre, la Terre étani alors plus près du Soleil qu'elle ne l'est durant notre été. L'année se divise donc en quatre saisons : le printemps, Vêlé, V automne, Vhiver. Ces données ne sont pas fixes, comme on pourrait l'imaginer de premier abord. L'axe terrestre ne demeure pas parallèle à lui-même. Il décrit autour d'une ligne perpendiculaire à i'écliptique un cône à contour sinueux, en môme temps que l'orbite elle-même tourne dans son plan. Ces mouvements combinés font que la ligne des équinoxes, passant par le cent e de l'orbite, tourne, dans le plan de celle-ci, de 62" par LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CLIMATS 49 an* comme si elle allait à la rencontre de la Terre, avançant ainsi peu à peu l'époque des équinoxes ; la ligne des équinoxes met 21 000 ans à accomplir une rotation complète. La durée des saisons varie elle-même périodiquement; dans les conditions actuelles de notre hémisphère, le groupe printemps-été dure huit jours de plus que le groupe automne-hiver. Il y a, pour cette raison, un léger relèvement de température au profit de ce groupe. L'inverse aura lieu dans 10500 ans. L'excentricité de l'orbite terrestre subit, elle aussi, de très im- portantes variations; elle est aujourd'hui de 1/60; mais elle peut s'élever à 1/11,5; c'est-à-dire que l'orbite peut s'allonger, la terre s'éloignant du Soleil beaucoup plus qu'elle ne le fait aujourd'hui, et s'en approchant davantage, Ce qui ne pourrait manquer d'établir entre les saisons froide et chaude beaucoup plus de différence qu'il n'y en a de nos jours, surtout si la ligne du solstice coïncidait avec le grand axe de i'orfeite. Inversement, si l'excentricité était nulle, c'est-à-dire si i'orbïte terrestre devenait circulaire, ce qui est possible, la Terre étant durant toute l'année à la même distance du Soleil, les saisons seraient moins accusées qu'aujourd'hui. Ces alternatives n'ont pu man- quer de se produire au cours des millions d'années que repré- sentent les périodes géologiques. Mais il y a plus; dans la phase actuelle de notre système planétaire, l'angle que font entre eux le pian de l'équateur et celui de l'écliptique ne varie que dans d'étroites limites : il va de 21° 59' à 24° 36' environ. Ce3 deux plans ne peuvent donc pas coïncider, ce qui supprimerait les saisons. Seulement d'autres conditions astronomiques ab- sent sur ia position dte l'axe terrestre; tout changement dans la forme de la Terre, qui n'est pas immuable, toute modifi- cation dans la répartition des matériaux qui composent sa mas^e, peut amener un déplacement de l'axe de rotation par rapport à la surface, autrement dit un déplacement de La ligne des pôles, changer par conséquent profondément les clUnatsdes diverses régions du Globe; on a même pensé que i accumulation 4 50 LA FORMATION DE LA TERRI des glaces à l'un des pôles, de préférence à l'autre, pouvait produire cet effet. * D'autre part, le Soleil lui-même n'est pas demeuré invariable. Depuis que la Terre s'est détachée de lui, il n'a cessé de se rétré- cir par suite de son refroidissement et aussi parce qu'il a donné naissance à deux planètes : Vénus et Mercure, qui ont nécessai- rement diminué sa masse. Or, il suffirait que le diamètre appa- rent du Soleil fût de 47° pour que la région éclairée de la Terre fût beaucoup plus grande que la région privée de lu- mière (1), au lieu de lui être égale comme de nos jours. Dans ces conditions, les longues nuits polaires seraient supprimées ; il n'y aurait plus de saisons. Les vingt millions d'années depuis lesquelles la vie s'est manifestée sur la Terre ont dû être témoins de telles modifications climatologiques (2). Les calculs de Blan- det l'ont conduit à penser que, durant ces vingt millions d'années, le diamètre du Soleil a pu diminuer de moitié. Il était, au début de la vie, assez large pour que la nuit fût supprimée presque partout. Ceux de J. Bosler (3) conduisent à conclure que, par le seul fait de sa radiation, il doit perdre en trente millions d'années une masse équivalente à celle de la Terre. Cette diminution de masse combinée avec les modifications dans la longitude de la Terre entraînerait un ralentissement de la marche de la Terre équivalant au bout du même temps à un retard de 36 jours pour les saisons. La température du Soleil a dû (-gaiement diminuer depuis l'époque de la naissance de la vie. On s'accorde peu sur ce qu'elle doit être actuellement, M. Violle la réduit à 2 500 degrés ; lord Kelvin la portait à 14 000 ; M. Le Chatelier s'arrête à un nombre intermédiaire : 7 500 de- grés. Et on considère comme le plus probable 6000 degrés Quoi qu'il en soit, la diminution de la température solaire a dû changer la nature de la lumière qu'il émet. C'est actuelle- ment une étoile jaune; mais il y en a dans le firmament de (1> V but, 32. — (2) IX, 122. — (S) XI. LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CLIMATS 51 blanches et de bleues qui sont plus chaudes. Le Soleil a dû appar- tenir à un certain moment aux étoiles de cette catégorie. La luniière qu'il envoyait à la Terre était alors plus riche en rayons chimiques, en rayons bleus ou violets et en rayons obscurs ultra-violets. L'activité de cette lumière était bien plus grande et autre que celle de la lumière solaire actuelle. Elle a dû produire sur la Terre des phénomènes chimiques qui sont impossibles aujourd'hui. Nous aurons à faire appel à cette importante donnée; pour le moment, nous pouvons con- clure qu'à une époque peu lointaine relativement à la durée des périodes géologiques, le Soleil avait des dimensions suffisantes pour que les climats des régions du Globe correspondant à celles qui sont actuellement émergées fussent fort différents de ce que nous les voyons aujourd'hui. Il y avait à cela, d'ailleurs, des raisons plus prochaines, grâce auxquelles les climats ont dû changer plusieurs fois en un même lieu. Ce qui détermine actuel- lement les caractéristiques climatologiques, c'est l'altitude au- dessus du niveau de la mer, la proximité de hautes chaînes de montagnes portant des neiges éternelles et des glaciers, la posi- tion relativement à la mer de ces chaînes d'où descendent des vents glacés ou brûlants, suivant que l'air qu'ils charrient était sec ou humide en les abordant; c'est aussi la distance delà me: et, dans son voisinage, sa température fort différente suivanc qu'elle est en large communication avec les mers chaudes équa- toriales ou avec les mers froides des régions polaires. Nous avons vu qu'au cours des périodes géologiques, de puissantes chaînes de montagnes se sont formées qui ont été ensuite lentement nivelées : leur graduelle surélévation refroidissait peu à peu le climat à leur pied, tandis qu'autour d'elles changeaient incessamment les rapports réciproques des îles, des continents et des mers. Non seulement il en résultait, en chaque lieu, des modifications lentes et conti- nuelles dans l'allure générale des phénomènes météorologiques, mais tout le travail qui résulte sur le Globe de l'intervention 52 LA FORMATION DE LA TERRI de l'énergie solaire changeait consécutivement pect. # L'étude qu'ont faite les paléontologistes des végétaux et des animaux dont les restes nous ont été conservés semble venir à l'appui de tout ce que nous venons de dire sur les changements des climats. Actuellement ii y a des animaux et des plantes qui sont propres aux pays froids, d'autres aux pays tempérés, d'autres aux pays chauds. Les conifères, les bouleaux et les arbres analogues forment le fond de la végétation des hautes montagnes et des régions qui avoisinent les cercles polaires; les plantes annuelles, les arbres à feuilles caduques abondent ilans les régions tempérées; les fougères arborescentes, les cycadées, les palmiers, les monocotylédones à larges fleurs, les plantes à épices: canneliers, girofliers, etc., évoquent aussitôt l'idée des pays chauds; de même les bancs de coraux, lesgrands coquillages font immédiatement penser aux mers tropicales, et il est d'opinion courante que seuls les pays chauds peuvent nourrir de grands reptiles, comme les crocodiles, des oiseaux tels que les perroquets, ou encore des éléphants, des rhino- céros, des hyènes, des panthères, des lions, des tigres, des singes. On juge du climat d'une région par la présence parmi les fossiles des débris de végétaux ou d'animaux analogues à ceux dont nous connaissons aujourd'hui l'habitat. La méthode est loin d'être irréprochable, et la mésaventure arrivée à Cuvier lui-même suffit à indiquer qu'il faut ici procéder avec la plus extrême prudence. L'éléphant était pour le grand naturaliste un animal des pays chauds; la découverte de cadavres de mammouths possédant encore leur chair et leurs poils, enfouis dans les glaces de la Sibérie, lui semblait prouver que ce pays avait autrefois joui d'un climat tropical, et, pour expliquer l'enfouissement dans la glace de ces éléphants, il n'hésita pas à admettre qu'au cours de quelque miraculeux cataclysme ce climat tropical avait été instantanément remplacé par un climat glacial. En fait, ies mammouths étaient des éléphants velus, organisés pour vivre dans les pays froids, où ils avaient pour compagnon* LIS soleil et les variations des climats 53 des rhinocéros et d'autres animaux dont les analogues sont aujourd'hui confinés dans les pays chauds. Les êtres vivants sont, en effet, des thermomètres fort infi- dèles, et cela pour deux raisons. 1° Comme ils ne se sont produits que successivement, les pre- miers réalisés se sont répandus sans difficulté sur le monde entier, et la composition des flores et des faunes présentait alors une homogénéité qui donne l'impression d'une grande ressem- blance dans les conditions d'existence, parce que nous sommes habitués à voir une relation étroite entres ces conditions, quand elles sont diverses, et 3a présence de certains groupes de plantes ou d'animaux. C'est le cas, par exemple, pour les fougères, les prêles, les lycopodes, les conifères, les cycadées qui ont com- posé, pendant toute la période primaire, la flore des continents, puisqu'il n'y avait pas à ce moment de plantes à fleurs; c'est aussi le cas pour les trilobites, les poissons à squelette cartilagi- neux, et les batraciens cuirassés qui dominèrent dans la faune. 2° Une même faune animale peut se prêier aux conditions climatériques les plus variées et y résister. Le tigre se rencontre sur les hauts plateaux si froids du T'hibet ; le père Armand David en a ramené des singes et des perroquets, et M. Lefebvre conte dans son beau livre sur l'Ener- gétique et la chaleur animales qu'il a réussi à faire vivre un Cercopithèque sous la neige (1). Nos animaux domestiques sont là enfin pour prouver combien est large la mesure dz.$is laquelle l'organisme des animaux se prête aux cond itf'ons d'exis- tence les plus variées. A plusieurs reprises d'ailleurs les glaciers ont laissé après eux des traces qui donnent sur les régions envahies par le froid des renseignements pins précis que ceux fournis sur la chaleur par les êtres vivants. C'est ainsi que l'existence des glaciers à l'époque algonkienne, celle où venaient à peine de se former (1) XH, 407. 54 LA FORMATION DE LA TERRE les plus anciens gneiss, a été constatée au Canada, dans l'Ontario entre les lacs Supérieur, des Bois et Temiscaming, dans le Minnesota, le Michigan, au Spitzberg, au cap de Bonue-Espé- pérance. C'était l'époque où la chaîne calédonienne atteignait la plus grande hauteur; à ce moment il y avait, non seulement des glaciers polaires, mais des glaciers comparables à ceux qui marquèrent plus tard les débuts de l'époque quaternaire après la formation des chaînes alp-himalayennes. Ces glaciers se perpétuent ensuite à la base des terrains cambriens en Norvège, à Yang-Tsé, à Simla daas l'Inde, au sud de l'Australie. Ce n'est pas une raison, nous l'avons dit, pour croire que le climat se fût à cette époque refroidi ; il y a actuellement des glaciers sous l'équateur. Sous le bénéfice de ces réserves, il convient de mentionner ici les conclusions auxquelles ont cru pouvoir s'arrêter les géo- logues relativement aux climats des diverses époques géolo- giques. La température des mers semble avoir été à l'époque cam- brienne très uniforme, et on ne voit réellement pas pourquoi, à moins que l'orbite terrestre n'ait été à ce moment très aplatie, cette température aurait été plus basse que durant la période silurienne qui suit. Or l'abondance des coraux sous toutes les latitudes, dans les mers siluriennes, indique des mers chaudes, la sécrétion du calcaire par les organismes marins étant d'autant plus active que la température est plus haute. On ne trouve pas de traces de glaciers siluriens, mais cela peut tenir simplement à ce que l'érosion avait suffisamment abaissé les montagnes de la chaîne Calédonienne pour qu'elles ne fussent plus aptes à amasser sur leurs sommets des neiges éternelles. On n'a aucune raison de supposer que les choses aient changé durant la période dévonienne, bien qu'on ait signalé quelques glaciers au cap de Bonne-Espérance. Au contraire, les coraux continuent à prospérer autour du continent Nord-Atlantique, dans la région qui correspond au futur emplacement de la LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CLIMATS 55 cnaïne Hercynienne, du Plateau Central, de la Bohême, etc. ; de plus, l'abondance de grès rouge, dont la coloration correspond à celle qui se produit de nos jours dans les régions désertiques, sous l'influence d'une forte insolation, semble indiquer que dans des régions aujourd'hui tempérées la radiation solaire était beaucoup plus puissante qu'à notre époque. Les glaciers du cap de Bonne-Espérance ont, à la vérité, suggéré l'idée qu'à ce mo- ment le pôle Sud avait pu se déplacer de 60°, mais il en aurait dû être de même du pôle Neard et on ne trouve dans l'hémi- sphère Nord aucune indication d'un tel déplacement.; il faut donc admettre que les glaciers du Cap dépendent bleu d'un phénomène local : la présence, à cette époque, dans cette tégion, d'une haute chaîne de montagnes. Après une période de repos, cette chaîne semble avoir gagné d'autres parties de l'Afrique du Sud, l'Inde, l'Australie. Durant la seconde moitié tout au moins de la période anthracolithique, pendant laquelle s'est for- mée la houille, d'énormes glaciers se réunissant sur certains points se développaient sur les flancs de hautes montagnes, dans la région méridionale du vaste continent de Gondwana, qui englobait à cette époque le Brésil, l'Afrique, Madagascar, l'Inde, la Nouvelle-Guinée et l'ouest de l'Australie, et dont la côte sud était baignée par les mers australes. C'est aussi le moment où les sommets de la chaîne Hercy- nienne se dressent sur le continent Nord- Atlantique que baigne la Téthys tropicale. Sur les deux continents Nord-Atlantique et de Gondwana la végétation terrestre prend, pendant la pre- mière partie de la période carbonifère, une importance qu'elle n'avait pas eue jusque-là. Le soulèvement de la chaîne Hercy- nienne, les éruptions volcaniques qui l'accompagnent, trou- blent les eaux; les coraux quittent nos régions; mais, s'ils se retirent, c'est vers le nord : en Belgique, dans la région de Dînant; en Angleterre, dans la chaîne Pennine et même plus près du pôle. La température de la mer dans cette région ne descend donc pas au-dessous de 20°, température nécessaire au 66 LÀ FORMATION DE LA TEÎIRK développement des récifs actuels de coraux. La chaîne Hercy- nienne atteint bientôt ses plus grandes hauteurs; ses pentes se couvrent d'arbres à végétation rapide, appartenant à des familles de plantes sans fleurs, qui n'ont plus de nos jours que de modestes représentants herbacés : les lycopodes, les sélagi- nelîes, et les prêles, ou chez qui les fleurs ne sont encore qu'ébau- chées comme nos conifères. Les torrents qui coulent sur ces pentes aboutissent à de puissants cours d'eau, déracinent les arbres, les entraînent dans des lacs, dans de larges estuaires où ils s'amoncellent, et préparent la formation de bassins houillers tels que ceux du sud de l'Angleterre, du nord de la France et de la Belgique. Au pied de leurs pentes, dans de vastes marécages, poussent aussi des plantes à longs rhizomes, des fougères, ou des cycadées dont les feuilies, les branches mortes, les troncs s'accumulent sur place et produiront des bassins houillers d'un autre genre, ceux du Plateau central par exemple. La puissance de ces dépôts est telle qu^, par une illusion semblable à celle qui fit naître dans l'esprit de Cuvier l'idée des révolutions du Globe, on a imaginé qu'il avait fallu pour leur donner naissance une température exceptionnellement chaude, une atmosphère particulièrement humide et chargée d'acide carbonique. Rien de tout cela n'était nécessaire; il a fallu simplement des pentes pouvant porter une végétation serrée, une température uni- forme, une atmosphère moyennement humide, permettant une végétation rapide et continue. Et, en effet, on ne trouve aucune trace, sur la coupe des troncs d'arbres, de ces cercles concen- triques qui, sur la coupe de ceux de notre temps, inscrivent les alternatives des saisons. A l'époque carbonifère, la Terre jouissait d'un printemps perpétuel, mitigé dans les régions de haute altitude, rappelant nos régions alpestres par la présence de neiges perpétuelles et de glaciers. Tout cela s'accorde avec l'hypothèse d'un plus grand diamètre du Soleil. L'absence de plantes à fleurs devait faire paraître la végétation beaucoup plus uniforme que de nos jours; la jeunesse des plantes terrestres LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CLIMATS 57 explique d'autre part que leurs formes initiales se tussent encore peu émiettées en espèces. Les mêmes plantes se retrouvent, en effet, dans toute l'étendue du continent Nord-Atlantique. Une pareille uniformité caractérise le continent de Gondwana; mais les deux flores sont tout à fait différentes. La flore relativement pauvre du continent de Gondwana, dite flore à Glossopieris, semble indiquer que la température moyenne y était moins élevée, surtout dans le Sud, que sur le continent Nord-Atlan- tique, à moins que la végétation de ce continent ne fût plus récente; elle s'étendra plus tard sur d'autres régions. A la fin de la période, la belle flore du continent Nord-Atlan- tique va du reste s'appauvrir; le climat présente sur de grandes étendues de l'Allemagne du Nord, des Alpes méridionales, de la Russie orientale, des Etats-Unis, des alternatives de pluies abondantes qui entraînent dans les sables, aujourd'hui transfor- més en grès, les substances chimiques qu'elles ont dissoutes, et de longues périodes de sécheresse et de chaleur qui ont fait prendre à ces grès la couleur rouge caractéristique des forma»- tions désertiques, ne permetteni plus une abondante végétation. Les espèces caractéristiques du continent Nord-Atlantique ne se défendent plus contre une invasion des espèces plus résistantes du continent de Gondwana, qui d'ailleurs n'ont pas eu à subir l'assaut de chaleurs sèches comparables à celles du Sahara actuel. Cette période dyappauvris3ement de la flore septentrio- nale est la période permienne. Il s'est peut-être produit à ce moment un phénomène analogue à celui qui a donné nais- sance au désert de Gobi, au pied du massif du Thibet. Nous arrivons ainsi au début de la période secondaire, au trias, où il semble que l'altitude des montagnes Hercyniennes ait été fort amoindrie, soit par une période déjà longue d'éro- sion, soit par des affaissements. Les montagnes, ces appareils puissants de condensation atmosphérique, s'étant singulière- ment réduites, les glaciers semblent avoir disparu, les pluies 58 LA FORMATION DE LA TERRE être devenues moins abondantes. Le climat sec et chaud de certaines régions, à l'époque du permien, paraît s'être géné- ralisé ou tout au moins étendu. Jusqu'ici, s'il y a des différences locales de la température moyenne, rien n'indique que l'on ait encore à considérer sur ia surface du Globe des zones correspondant à nos zone» climatériques actuelles. A défaut d'une preuve positive que l'axe terrestre se soit plus rapproché à cette époque d'une position normale à l'écliptique que ne le permettent ses varia- tions périodiques de position, et qu'à ce moment même, l'orbite soit devenue voisine de la forme circulaire, il reste à admettre* nous l'avons vu, que le diamètre apparent du Soleil était beau- coup plus considérable. Il suffit que ce diamètre se soit amoin- dri quelque peu, pour donner naissance, sans que l'axe terrestre ait changé de position, à deux zones polaires, séparées par une zone torride très étendue, car il existe encore des récifs et des îles madréporiques dans les régions d'Europe correspondant à l'Alsace, au nord de la France, au pays de Galles. Cette zone torride semble caractériser le climat de la période juras- sique. Durant cette calme période secondaire où aucune chaîne de montagnes ne surgit, où les érosions continuent lentement leur œuvre, il ne peut se produire aucun à-coup; pas de glaciers dans les hautes vallées, pas de condensations atmosphériques violentes ; maïs un lent retrait vers le sud des formations coral- liennes indiquant que la zone chaude se resserre, que des zones tempérées commencent à se caractériser au voisinage des régions polaires. Les coraux continuent à persister long- temps en Alsace, en Suisse, dans les cantons d'Argovie et de Fribourg, dans le Jura, et ils ont formé en Lorraine des récifs de 20 mètres d'épaisseur; mais la flore qui s'étend du 50e au 71e degré de latitude est une flore tempérée et les alternatives annuelle? de température se marquent dans le tronc de certaines Conifères, notamment de celles découvertes dans la terre de LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CLIMATS 59 Graham que borde le détroit de Vancouver, et dans celui des Araucariées par l'apparition de ces cercles concentriques que l'on connaît chez les conifères et les arbres dicotylédones de nos pays, tandis qu'ils font défaut dans ceux de la zone torride. Il y a donc des saisons dans les régions polaires, qui conti- nuent cependant à jouir d'un climat très doux durant toute la période jurassique, tandis que le climat tropical persiste dans les régions tempérées actuelles, car si les coraux dis- paraissent momentanément au nord du Plateau central, sans doute par suite d'un changement dans la direction des cou- rants, ils se retrouvent à partir du Poitou dans la Téthvs et reparaissent plus tard dans les Ardennes, et plus tard encore aux environs de Trouville, sur la frontière orientale de la Lorraine, au nord du Morvan, à Bourges, à Sancerre, et jusque dans le comté d'York en Angleterre; ils persistent même ultérieurement dans le Jura. Cet état de choses se transforme assez vite durant la période crétacée qui suit. Les coraux sont tout à fait remplacés dans la région méditerranéenne par de singuliers mollusques lamelli- branches, les Rudistes, vivant, eux aussi, par bancs immenses, venant des mers chaudes, mais se contentant d'une moindre température. Les plantes dicotylédones à feuilles caduques font leur apparition et se développent de plus en plus dans les régions septentrionales ; mais dans ces régions la tempé- rature demeure cependant sinon très élevée, au moins très douce et assez constante, comme sur nos côtes de Bretagne, car l'arbre à pain et diverses cycadées y prospèrent, à côté de dicotylédones à petites fleurs: saules, peupliers, bou- leaux, chênes, noyers, platanes, figuiers, ou à feuilles persis- tantes, comme les lierres, les lauriers-roses. On y trouve aussi quelques gamopétales, les viornes, et même des mono- cotylédones. Le Groenland, le Spitzberg garderont encore durantla période nummuiitique, qui marque le début de l'ère tertiaire, etconser-» 60 LA FORMATION DE LA TERRE veront même pendant la période néogène qui suit, une flore très riche, établissant clairement que les régions polaires n'ont pas encore été touchées par un très grand abaissement de température. Leur température était, en effet, voisine de celle des régions méditerranéennes actuelles. La terre de Grinnel, par 82° de latitude, avait le climat actuel des Vosges ; il y poussait des peupliers, des bouleaux, des sapins argentés, des nénuphars; au Groenland, par 70°, vivaient des magnolias. Un peu plus tard, durant la période oligocène, il se fait, dans les régions corres- pondant à nos régions tempérées actuelles, tantèt un mélange, tantôt une localisation des flores tempérées et des flores tropicales, indiquant que la végétation subit l'influence de la température des courants qui longent les côte*. D'autre part la composition de la flore arctique durant la période néogène marque un refroi- dissement très net de cette région. C'est durant cette période que se forment les plus grandes chaînes de montagnes de l'é- poque actuelle et, comme cela s'est produit lors de la formation des chaînes calédoniennes et hercyniennes, les glaciers ne tardent pas à faire leur apparition. Peu à peu les plantes des pays chauds descendent vers le midi et sont remplacées par les arbres à feuilles caduques, indiquant une alternance de saisons froides etde saisons chaudes. Toutefois les camphriers vivent encore par 51° de latitude et les palmiers par 50°; la flore demeure identique à eile-même du 38' au 54* degré, de la Serbie à la Finlande. La chaîne alp-himalayenne a maintenant acquis de grandes altitudes ; nous sommes à l'époque oligocène. En raison de la présence des grands massifs de condensation, l'été est pluvieux, mais l'hiver demeure encore tiède; sur les bords du lac de Constance règne le climat de Madère et du sud de Japon : la température moyenne des côtes de la mer d'Okhotsk est d'envi- ron 19°. Mais la période d'érosion et de tassement est arrivée pour les chaînes nouvelles de montagnes. Des pluies torrentielles, provoquées par leur altitude même, ravagent leurs flancs, des LB SOLEIL ET LES YARIATIONS DES CLIMAT* 61 vallées profondes s'y creusent et les glaciers prennent une extension énorme. Nous touchons au début de la période quaternaire qui vit la prise de possession du sol par l'Homme. Durant cette période, en dehors des dénivellations résultant de la formation des chaînes de montagnes, il semble bien que des aires étendues, faisant par- tie des grands continents, aient éprouvé des alternatives d'exhaussement et d'affaissement, constituant ce qu'on a appelé des mouvements épirogé niques. Pendant les périodes de sur- rection, les glaciers formés dans les vallées des hautes chaînes s'étendaient au loin, pour régresser durant les périodes d'affais- sement. Le climat se refroidissait naturellement dans le voisi- nage des glaciers, mais il gardait sa douceur dans les régions qui en étaient éloignées. Ces périodes d'envahissement et de retrait des glaciers ont reçu te nom de périodes glaciaires et interglaciaires ; elles ont servi à jalonner l'histoire de l'Homme. A ce moment la mer Egée entre en communication avec la mer Noire. Après une première baisse de température au pliocène, le climat devient moins rigoureux : des hippopotames, des rhinocéros, des éléphants, des lions, des hyènes, tous animaux relégués aujourd'hui au voisinage des régions tropicales, abondent dans le midi de la France; mais les glaciers gagnent de plus en plus (âge munsté- rien) ; ils arrivent à occuper le septième des continents, soit 20 à 25 millions de kilomètres carrés. Aux Etats-Unis ils descendent jusqu'au 40e degré de latitude, au voisinage de New-York; en Europe, ils descendent jusqu'au 50e et couvrent l'Angleterre, l'Allemagne du Nord, la Scandinavie et la Russie jusqu'à Vorona. Le mammouth et le rhinocéros préhistoriques (1), dont les descendants actuels sont presque nus, sont, au contraire, couverts de poils laineux. Au moment où les glaces reculent, (1) Pteisiocène moyen ou magdalénien. 62 LA FORMATION DE LA TERRE auprès aes glaciers vivent les lemmings et plus au sud le renne, le lièvre des neiges, le renard arctique : c'est la faune des steppes qui s'étend jusqu'aux Pyrénées. Puis la tempéra- ture se réchauffe un peu, et l'air devient plus sec (climat des toundras) : c'est l'âge du renne qui, à l'époque suivante, sera mo- mentanément refoulé vers le nord, pour reparaître à la fin du pléistocène et descendre jusqu'au 43e degré de latitude. A quoi tiennent ces variations de la température qui amènent ainsi à quatre reprisas successives une invasion de glaciers? Quand on ne croyait qu'à une seule époque glaciaire, on invoquait, avec James Croll et Geikie, l'allongement graduel et l'aplatissement de l'orbite terrestre ; mais l'existence de plusieurs périodes glaciaires rend fort imparfaite cette hypothèse, contre- dite d'ailleurs par le fait que la période glaciaire semble s'être manifestée sur les deux hémisphères simultanément. On a pensé alors à une périodicité correspondant à celle des taches du Soleii; mais la période de ces dernières est bien trop courte. Il est donc probable qu'il s'agit seulement ici de phénomènes locaux. Les phénomènes locaux n'ont d'ailleurs joué qu'un rôle secondaire, et pendant des périodes relativement courtes de l'histoire de la Terre. Ils sont dominés par deux grands faits : 1° aussi loin que l'observation puisse atteindre, c'est-à-dire pen- dant une période de près de vingt millions d'années, les calottes polaires ont gardé une température analogue à celle de nos climats méditerranéens ; il a bien fallu pour cela que le soleil les éclairât d'une façon presque permanente; 2° la zone torride, d'autre part, est demeurée sans changement climatérique depuis l'origine de la vie, mais elle s'est graduellement rétrécïe et il y a eu un refroidissement très lent, mais continu, des régions polaires dont le climat, devenu rigoureux et glacial^ s'est conservé dans nos régions tempérées. Or tout cela ne peut guère s'expliquer qu'en admettant un rétrécissement progressif du disque solaire, et c'est sur ce thème dominant que sont venues se LE SOLEIL ET LES VARIATIONS DES CLIMATS 63 greffer les conditions secondaires qui ont donné leur variété aux caractères de la période pléistocène. C'est donc le Soleil qui a dirigé révolution du Globe ; il s'est encore montré là le grand artiste qui repétrit sans cesse les êtres vivants et crée pour ainsi dire leurs formes. Sans doute les changements périodiques que nous avons signalés au début de ce chapitre dans les éléments de l'orbite terrestre, dans l'inclinaison de l'axe de rotation de la Terre sur l'éclip- tique, ont joué leur rôle et sî, à cet égard, une entente s'éta- blissait entre les géologues et les astronomes, peut-être pourrait- on trouver, dans la discussion approfondie des éléments recueillis par les uns et par les autres, le moyen d'expliquer les principaux événements géologiques et d'en fixer la date évaluée en années. Mais les calculs des astronomes eux-mêmes ne tiennent pas compte de toutes les données du problème; ils ont surtout étudié les conséquences de celles de ces données qui, supposant les astres immuables, sont relatives aux actions qu'ils exercent les uns sur les autres. Tout ce qui est relatif aux modifications de forme et de constitution du Globe ter- restre, qui, en raison de sa petitesse, ont dû cependant être plus considérables que celles du Soleil, échappe à leurs cal- culs. Elles ont pu intervenir pour augmenter l'inclinaison de l'axe de rotation de la Terre sur l'écliptique ou l'amener à lui être perpendiculaire, sans changer les positions géogra- phiques des pôles, et cela aurait suffi pour modifier complète- ment le cours des saisons ou même les faire disparaître ; elles ont pu également modifier la position géographique des pôles, sans rien ajouter aux modifications périodiques d'inclinaison de l'axe de rotation sur l'écliptique. Mais c'est seulement quand on aura constaté l'insuffisance des explications tirées des calculs astronomiques que ces données nouvelles pourront être examinées avec fruit (1). (1) Cf., soi les questions de climat, le 2e volume de l'Évolution de l'IIu manilè- DEUXIÈME PARTIE LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE mm ii. -'I CHAPITRE PREMIER L'APPARITION DE LA VIE De tous les problèmes qui se sont posés à l'esprit des hommes, le plus troublant est celui de la naissance de la vie, problème qui contient, en fait, celui de l'origine de l'Humanité. Alors que la science n'existait pas encore, les esprits les plus hardis de tous les temps ont cherché à en donner un» solution, parce que les productions de la vie, parmi lesquelles nous occupons la place la plus éminente, nous pressent de toutes parts d'une façon plus constante que les phénomènes météorologiques eux- mêmes. C'est parmi d'immenses forêts que nos ancêtres avaient à se mouvoir, et ils y rencontraient des adversaires puissants contre lesquels ils ne cessaient de se mesurer; c'est aux êtres vivants qui les entouraient qu'ils devaient demander tout ce qui était nécessaire à l'entretien de leur existence; c'est sur eux qu'ils devaient le plus souvent le conquérir par la force, et c'est cop-tre eux également qu'ils devaient défendre leur propre vie. Aussi longtemps qu'on attribua aux démiurges une figure humaine, on en fit les créateurs de tout ce qui existe s créateurs des plantes ou des animaux tels que nous les voyons autour de nous, créateurs de germes destinés à évoluer et dont L'APPARITION DB LA VIE 65 fîdée pouvait être puisée dans l'observation journalière de ia germination des graines, de l'éclosion des oeufs, peu importe. Plus tard on imagina que les forces naturelles étaient à elles- seules capables de donner naissance à un germe, ou même que certaines substances, sons l'action des rayons du Soleil, au cours des fermentations, soit dans les profondeurs secrètes de POcéan, soit dans le sein de la Terre, en qui l'on a vu souvent la grande génératrice, étaient capables de s'organiser; c'est la doc- trine des générations spontanées, à laquelle Joly, Archimède, Poucbet et Musset essayèrent de donner une forme scientifique, doctrine qu'Aristote avait déjà exposée, que Lamarck avait ac- ceptée, et qui, soutenue contre Pasteur par des savants tels que Musset, Joly et Pouchet, choyée par les médecins, prônée par les philosophes matérialistes, avait fini par prendre au siède dernier une allure quasi scientifique. Il faut bien reconnaître que, si les admirables recherches expérimentales de Pasteur ouvraient à la médecine et à la chirurgie des horizons imprévus, donnaient à l'art de guérir des précisions et des méthodes d'une inépuisable fécondité, elles jetaient dans un trouble profond toute la philosophie scientifique. Celle-ci était pénétrée de l'idée fort juste que chaque phénomène a des causes prochaines qui en déterminent sûre- ment et incontestablement la production. Claude Bernard avait introduit dans ia physiologie la notion du déterminisme des phénomènes vitaux et écrasé l'ancienne doctrine du viia- lisme, qui soustrayait ces phénomènes aux lois ordinaires des phénomènes physico-chimiques. Le vitalisme disparu, le domaine de la vie devait être fatalement annexé à celui des forces banales qui déterminent ces derniers. On devait admettre, naturellement, que la matière vivante, faite de carbone, d' hydrogène, d'oxygène, d'azote et de traces de divers autres corps simples, avait pu naître et pouvait être reconstituée comme les autres composés chimiques plus simples. Huxley avait même cru à l'existence d'une substance 5 ®6 LES FORMES PRIMITIVES DE LA. VIE unique, base physique de la vie, à laquelle il avait doané le nom de protoplasme — qui est demeuré malgré tout. Le rêveur allemand Oken, fondateur d'une prétendue Philosophie de ta Nature qui fii; grand bruit au delà du Rhin, a» commencement du XIXe siècle, avait déjà imaginé une gelée primitive qui aurait engendré tous les êtres vivants; un moment, Huxley avait pensé la découvrir dans la vase des abîmes océaniques ; il lui avait donné le nom de Balhybius Hœcketi et, malgré l'abandon ultérieur d'Huxley , le naturaliste impénitent d'Iéaa défendit encore l'existence réelle de son filleul (1) — reconnu par Huxley lui-même pour n'être qu'un simple précipité minéral, d'aspect gélatineux, qui se produit quand on verse de l'alcool pur dans de l'eau de mer tenant en dissolution des matières organiques. Si le protoplasme existait vraiment, s'il n'était qu'un com- posé chimique plus complexe que les autres et jouissant, en raison de sa complexité même, de propriétés particulières, on pouvait espérer l'obtenir artificiellement par des procédés chi- miques appropriés. Les insuccès de la chimie dans ses essais pour réaliser même une substance azotée telle que l'albumine, le simple blanc «Feeuf, inerte cependant, pouvaient n'être q^ie tem- poraires. Berthelot n'avait-il pas réussi à combiner directement le carbone à l'hydrogène et à l'azote; n'avait-il pas réussi à faire la synthèse des sucres, et avant lui, autour de lui, après lui, les chimistes n'avaient-ils pas réussi à fabriquer une infinité de substances que l'on croyait être autrefois l'oeuvre exclusive et réservée de la vie? Une fois bien connue la constitution des substances azotées analogues à l'albumine, et les plus habiles chimistes s'y essayaient, n'avait-on pas toutes les chances pos- sibles pour arriver à la reconstruire; et si le protoplasme n'était, an somme, que l'une d'elles, douée d'une instabilité et d'une ■puissance de reconstitution particulières, était-il téméraire de (t) XV, 16&. l'apparition de la vnc 87 penser qu'il sortirait un jour vivant des cornues ou des bal- lons à réactions des chimistes? Sans doute il en sortirait amor- phe, en masse indéfinie, mais ne pourrait-on pas lui donner la forme et l'activité reproductrice qui font un être vivant?... Les expériences de Pasteur semblaient détruire tout ce beau rêve, et si le libre jeu des forces et des substances était impuissant à produire la substance vivante, s'il fallait avoir recours pour sa formation à un acte direct de création, pourquoi ne pas admettre, comme le voulait Cuvier, la création directe de tous les êtres vivants et, par conséquent, la fixité des espèces ? Accepter l'inanité des générations spontanées, c'était préparer l'écroule- ment de toute la doctrine de l'évolution, si satisfaisante pour l'esprit et appuyée d'ailleurs sur tant de faits. Dans l'impossibilité où l'on se trouvait, et qui paraissait invincible, de reconstituer la substance vivante, on a songé de bonne heure à la faire venir d'ailleurs. En 1821, M. de Mont- livault pensait que des germes issus d'autres planètes, peut- être de plus loin, avaient été apportés sur la terre — on ne sait comment, car il n'y a pas de vents dans les espaces interplané- taires pour entraîner de la poussière. Ces germes s'étaient développés sur notre sol et avaient fourni les premiers êtres vivants. En 1853 l'hypothèse de M. de Montlivault fut reprise et développée par le comte de Keyserling. La vie, disait-il, est éternelle comme le monde- mais au cours des âges, elle change de place. Des germes voyagent incessamment d'un sys- tème stellaire à un autre, fécondent les astres prêts à les rece- voir, raniment la vie là où quelque catastrophe prématurée l'avait éteinte, l'enrichissent là où elle existait déjà, appor- tant ayec eux. plus de variété. Ainsi, sur la terre, les faunes éteintes à la fin d'une période géologique ont été remplacées par des faunes nouvelles au début de la période suivante, et le phénomène s'est répété un nombre très grand de fois. Il fallait, cependant, nous l'avons dit, trouver pour ces germe» un moyen de focomotion. En 1865. le comte de Salles-Guyon pense 68 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE qu'ils nous arrivent inclus dans les météorites ou pierres tom- bées du ciel; mais c'est supposer qu'ils viennent d'une planète brisée à qui il faudrait attribuer une très grande richesse de vie. Richter et Cohn préfèrent s'adresser aux poussières cosmiques ou aux comètes qui parcourent de vastes espaces, semant la vie sur leur passage. Les grands physiciens Helmholtz et lord Kelvin se rangent à cette hypothèse, ainsi que le chef de la ; botanique française, Philippe Van Tieghem(l). Les germes ne viennent pas seulement des planètes ; ils peuvent aussi venir des étoiles, et dès lors il faudrait les considérer comme incom- bustibles. En 1872, Preyer n'hésite pas à leur attribuer cette., merveilleuse propriété. Il appelle pyrozoaires les animaux nés de ces germes qui résistent au feu. Chose bien étrange! le grand physicien Arrhenius accepte l'idée de l'ensemencement des astres, par des spores, analogues à ces éléments reproduc- teurs des algues et des champignons, qui opposent au froid des abîmes une étonnante résistance. Ces germes infiniment petits aéraient lancés dans l'espace par les forces répulsives qui éma- nent des astres et qui projettent une telle quantité de poussières extrêmement fines autour du Soleil, qu'elles constituent ce qu'on appelle sa couronne, bien visible durant les éclipses totales. Il peut exister des germes de ce degzé de petitesse, puisque plusieurs microbes passent au travers de la porcelaine et sont invisibles à l'ultra-microscope. Mais M. Paul Becquerel a montré (2) que certains rayons ultra-violets les tuent; le froid augmente, il est vrai, leur résistance; mais la mort n'en survient pas moins finalement. Cette constatation ruine l'hypothèse de l'ensemencement, à moins d'admettre que les germes venus des astres sont d'une essence particulière. Mais elle était aupa- ravant ruinée par elle-même. Elle ne résout, en effet, aucune question. D'où que viennent les germes de vie, il faut expliquer comment ils ont pris naissance ailleurs que sur la Terre; on ne fait que reculer la difficulté. (i) xm, >82. — (2) xvn. l'apparition de la vie 69 D'autre part les germes vivants sont tous const par des Atomes de même nature : carbone, hydrogène, azote, oxy- gène tout au moins. Ces éléments existent sur la Terre, comme sur les autres planètes qui ont traversé, traversent ou traverse- ront les mêmes phases d'évolution ; pourquoi ces éléments chi- miques se seraient-ils combinés hors de la Terre et seraient-ils demeurés séparés sur notre sol? Ce serait contraire à ce prin- cipe fondamental de toute science, que les mêmes causes pro- duisent partout les mêmes effets. Si, à une phase quelconque de l'évolution des planètes, quoi que ce soit de vivant a pu se constituer à leur surface, la Terre n'a pas fait exception. Il nous faut donc courageusement rechercher comment la vie, qui ne se propage actuellement que du vivant au vivant, a pu prendre, à un certain moment, naissance sur notre Globe ; et, avant d'entreprendre cette recherche, il convient de déter- miner d'abord en quoi consiste la substance vivante. Cette substance n'est pas quelque chose de spécial où la vie résiderait et qui en serait l'unique et nécessaire substratum, quelque chose comme un composé chimique essentiellement instable et en perpétuelle rénovation. C'est un assemblage de composés chimiques que des réactifs délicats permettent, même à l'état de vie, de distinguer les uns des autres et de caractériser nettement. Parmi eux, le premier rang est occupé par des com- posés que leur ressemblance de constitution avec le blanc d'oeuf a fait appeler composés albuminoïdes. Ils sont formés de car- bone, d'hydrogène, d'azote, d'oxygène et d'une petite quantité d'un cinquième corps : soufre, phosphore ou autre. A ces compo- sés, dits quaternaires, sontassociés, en plus ou moins grande quan- tité, des composés ternaires, qui ne sont formés que de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. Dans certains d'entre eux, il y a plus d'hydrogène qu'il n'en faudrait pour former de l'eau en se combinant avec l'oxygène; la composition des autres est telle qu'on peut les considérer comme formés par du carbone uni à de l'eau; ce sont, comme on dit, des hydrates de car* 70 LES FORMES PRIMITIVES »E LA VIE bone: les premiers appartiennent à la catégorie des graisses; aux hydrates de carbone se rattachent les sucres, la dex- trine, l'amidon, la cellulose, etc. Mais aucune de ces substances n'a une constitution simple. La molécule 011*0, qui représente l'hydrate de carbone le moins complexe, s'unit à elle-même un grand nombre de fois dans les hydrates de carbone organiques, de sorte que leur formule est (CrPO)* zt/>HaO ; c'est ainsi que le glucose a pour formule : CWO*; les amidons et les cellu- loses : C'H^O»; le sucre de canne : C$HM0"+ H»0. Les graisses sont plus compliquées; la trisiéarîne, par exemple, est représeatée par la formule : Mais le maximum de complication est atteint par les sub- stances aîbuminoïdes; celle qui forme la partie constituante essentielle des globules du sang du chien a pour formule : C7*HunO"4AzmS8. Les chiffres qui, dans ces formules, sont placés en exposants, indi- quent le nombre d'atomes de charbon, d'hydrogène, d'oxy- gène, d'azote, de soufre qui entrent dans la constitution des corps qu'elles représentent; par conséquent : Une molécule de glucose contient 24 atomes. — de tristéarine « — 153 — — d'albumine — 2305 — Une molécule d'albumine est donc un édifice près de 100 fois plus élevé qu'une molécule de glucose, et plus de 13 fois aussi complexe qu'une molécule de graisse. Cest »n véritable châ- teau de cartes, ou encore une de ces tours fragiles que les enfants construisent avec des dominos et que le moindre choc suffit à faire écrouler. Or, si petite qu'elle soit, une masse de sub- stance vivante contient un certain nombre de ces molécules et aussi des sucres, des amidons, des graisses qui peut-être jsafcurraient demeurer côte à côte, sans altération, si elles n'étaient l'apparition »e la vib 71 exposées aux attaques de l'oxygène de l'air, le corps agressif par excellence, et si elles n'étaient mélangées à d'antres sub- stances, elles aussi fort actives, qu'on appelle ferments solubles, diastases ou enzymes. Ces ferments sont des composés chimiques que l'on peut dis-» soudre, précipiter de leurs dissolutions, redissoudre; ils passent lentement au travers des filtres, ne se nourrissent pas, ne sont par conséquent pas vivants, bien qu'ils perdent toute action quand on les chauffe au delà de 100°; ils semblent alors mourir. Ils jouissent de la propriété de faire subir à certaines substances organiques, les hydrates de carbone, les graisses, les substances albuminoïdes notamment, des transformations profondes, en ne subissant eux-mêmes que des transformations si faibles qu'on a même pu croire qu'ils ne se modifiaient pas du tout en agissant ; leur action est, en tout cas, hors de proportion avec la quantité de leur substance qui s'altère et avec l'énorme quantité,, de , Substances qu'ils transforment. Il y en a une infinité, agissant res- pectivement sur les hydrates de carbone (diastases), sur les graisses (JUpases), ou sur les substances albuminoïdes; cha- cune a son mode d'action particulier, et ces actions consistent en dédoublements, hydratations, déshydratations, oxydations, réductions, coagulations, décoagulations; elles sont simples mais suffisent à disloquer, transformer, simplifier des sub- stances organiques complexes. Chaque ferment a souvent son antagoniste défaisant ce qu'il a fait ; certains ne peuvent agir qu'aidés par d'autres qui viennent à leur secours; parfois ils ont une action réversible et sont capables de recomposer, dans cer- taines circonstances, les corps qu'iis ont détruits (1). Ils sont souvent déversés dans l'organisme par des glandes en dehors desquelles ils agissent ; mais ils sont aussi mélangés aux autres substances associées pour former un corps, un élément vivant, et, par leur présence, suffisent à mettre en action toutes (1) 1, «64. 72 LES FORMES PRIMITIVES DI LA VIE ces substances qui sans eux demeureraient inertes. Grâce à eux, en présence de l'oxygène de Pair, et de Peau qui les im- prègne, les substances organiques associées sont en voieV'pen. pétuelle d'échanges ou de modifications réciproques. Le» grosses molécules organiques s'écroulent, pour ainsi dire, sur les autres, mais la caractéristique de la vie, c'est qu'en s'écrou- lant, les substances les plus complexes désagrègent des substances plus simples, s'annexent les débris résultant de cette désagré- gation, si bien que cette opération incessante se solde par un accroissement de la quantité du mélange mis en action. Cet accroissement s'appelle la nuiriiion et il a pour conséquence la reproduction. La vie ainsi comprise n'est donc plus l'œuvre d'une seule substance ; ene résulte des réactions réciproques d'un certain nombre de substances déterminées. Ces substances ne sont d'ailleurs pas quelconques ; elles se répartissent en un nombre relativement petit de groupes qui semblent avoir, dans tous les êtres vivants, une même structure chimique fondamentale, mais diffèrent par les détails de cette structure. La substance fondamentale des globules du sang, la matière verte des végétaux, la chromatine, qui joue un rôle prépondérant dans la nutrition des éléments anatomiques, les pigments, etc., ont ainsi une composition qui varie d'une espèce, parfois, comme M. Armand Gautier l'a montré pour les pigments de la vigne et pour les diverses sortes de cachou, d'une variété à l'autre, tout en se rattachant au même type chimique. Le problème de la création de la vie ne consiste plus à préparer une substance spéciale qui serait « la base phy- sique de la vie », comme le pensait Huxley, mais à recher- cher des procédés de synthèse qui permettent de réaliser et de grouper les substances banales, inertes par elles-mêmes, que sont les hydrates de carbone, les graisses, les albuminoïdes, les ferments. Le développement pris par la chimie organique, qui reproduit artificiellement toutes les substances qu'on croyait l'apparition de la vas 73 être Tœuvre exclusive de la vie, la synthèse des sucres réalisée, à partir des éléments : hydrogène, oxygène, carbone, par Mar- cellin Berthelot, donnent confiance que le problème n'est pas insoluble, et si les albuminoïdes résistent encore, on peut pré- dire que leur résistance ne sera pas de longue durée; mais il restera un problème plus délicat à résoudre, celui de doser les mélanges de substances qui doivent être associées pour donner naissance à la vie et la maintenir. L'œuvre est ici particulière- ment difficile, parce que nous ne possédons aucune donnée pré- cise sur la constitution de ces mélanges où des traces infinitési- males de certains corps peuvent tout changer. Mais ce que nous ne savons pas faire a pu se faire spontanément à l'origine des choses. Si nous supposons que les composés aptes à produire de la vie par leur mélange se sont, à un certain moment, formés sous des actions à déterminer, ils ont dû se rencontrer, se mé- langer en toutes proportions ; les mélanges les plus complexes ont dû se produire aussi bien que les plus simples. Ceux qui ont réalisé cette condition que les réactions réciproques des sub- stances accidentellement rapprochées aient abouti à un ac- croissement de la quantité du mélange qu'elles formaient, ont constitué les premières masses vivantes, et on peut admettre que ces masses étaient d'abord totalement amorphes et sans limite dans leurs dimensions. Or, il existe une substance albuminoïde qui, mélangée à d'autres substances albuminoïdes, jouit de la propriété de fa- briquer, avec l'anhydride carbonique de l'air et de la vapeur d'eau, des hydrates de carbone, qui sont les aliments primitifs par excellence; cette substance est la chlorophylle, la matière colorante verte des plantes. Les hydrates de carbone une fois constitués, les substances albuminoïdes déjà existantes et les t >rments qui les accompagnent usent de ces hydrates de carbone pour faire de nouvelles quantités de substances albu- minoïdes, y compris de la chlorophylle. Grâce à la chlorophylle, la vie va- donc pouvoir se perpétuer et nous sommes ainsi 74 LES FORMES PRIMITIVES *>B tA VIE conduits à penser que les premières masses vivantes étalent vertes, et seraient classées, par conséquent, si elles existaient encore, dans le règne végétal. La vapeur d'eau, l'acide carbonique venant de l'air, ne pouvant pénétrer dans le mélange vivant que par sa surface, il y a tout avantage à ce que celle-ci se développe le plus possible, résultat qui peut être atteint, dans les conditions les plus satisfaisantes, par la pulvérisation de la masse initiale en petites sphérules, en grains microscopiques, tels que ceux que forme sur le tronc humide des arbres le Protococcus viridis. Ces grains, quand îîs ont atteint une certaine taille, se multiplient par bipartition ; c'est l'origine de la constitution cellulaire des êtres vivants. Qu'une forme pulvérulente, ana- logue à celle des Protococcus, soit le résultat des avantages qu'elle présente au point de vue de la nutrition, on est autorisé a le conclure du fait que certains organismes, comme le cham- pignon de la tannée (Fuligo seplicam), qui se nourrissent, non par leur surface, mais en introduisant dans leur substance même les particules alimentaires destinées à être digérées, peuvent former des masses gélatineuses de deux à trois déci- mètres de diamètre et de deux à trois centimètres d'épais- seur, susceptibles de se déplacer en rampant. Déjà sous cette forme, il ne serait pas impossible que le règne animal et le règne végétal aient commencé à se dif- férencier l'un de l'autre. La matière verte des plantes, la chlorophylle, ne peut combiner l'anhydride carbonique et la vapeur d'eau atmosphériques, avec élimination d'oxygène, que sous l'action des rayons solaires. C'est donc seulement à sa surface libre et éclairée, qu'une masse vivante est capable d'ac- complir cette opération ; mais rien n'empêche les hydrates de carbone solubles de pénétrer la masse tout entière, s'ils sont formés en quantité suffisante, et la nutrition dont ils sont la base de se poursuivre, par conséquent, loin de la surface et sans lumière, sans matière verte ; c'est le commencement du l'apparition de la vie 75 mode de nutrition des animaux. L'hypothèse d'Oken d'une gelée primitive (Urschleim) d'où tous les animaux et les plantes seraient issus n'est donc pas insoutenable. Toutefois, les êtres réduits à l'état de simple gelée sont si exceptionnels que, slon toute probabilité, c'est après la réalisation de la forme pulvérulente que la séparation des deux règnes s'est opérée par un procédé analogue à celui que nous venons de décrire. La multiplication sur place, par division, de ces grains verts, enveloppes chacun d'une membrane constituée par un exsudât des hydrates de carbone non utilisés pour la nutrition, a dû suffire pour assurer la formation d'une couche épaisse de poussière végétale que la lumière solaire a fini par ne pouvoir traverser; la multiplication des grains de poussière végétale n'en a pas moins continué parce que la nutrition ne s'est pas inter- rompue. Or la chlorophylle ne se forme que sous l'influence des radiations obscures (1) ou lumineuses qui constituent le spectre solaire. Ces rayons sont arrêtés dès que la masse pulvérulente a atteint une épaisseur suffisante ; mais cela n'empêche pas les hydrates de carbone semblés qui peuvent être en excès de descendre, entraînés par la rosée, par exemple, dans les couches profondes; s'ils sont en quantité suffisante, les grains de- meurés dans l'obscurité continueront à s'envelopper de cellulose et à se nourrir par absorption de matières dissoutes, mais ne formeront plus de chlorophylle ; ces végétaux sans chlorophylle sont ce que nous appelons àe% champignons. Au-dessous d'eux, dans notre couche hypothétique de grains vivants, les hydrates de carbone ne pénètrent plus en quantité suffisante pour ne pas être entièrement absorbés par la nutrition ; les grains ne forment plus d'exsudat de cellulose ; la gelée vivante demeure libre, mobile comme celle qui constitue le champi- (1) Sa formation pont être réalisée par les seuls rayons infra-rouges chez diverses espèce» d'algues microscopiques (Chlorella, Dklyosphœrium^ Hormo- cocciHf, Plmirococcus, etc.), l«a fougères, certaines conifères, certaines plantes fculbeusea, telles que F oignon, ou parasites, comme le gui. 7t) LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE gnon de la tannée; elle traduit par des mouvements visibles les excitations qu'elle subit; elle paraît, en conséquence, sensible \ La mobilité et la sensibilité caractérisent le règne anima] que nous voyons ainsi apparaître comme une dégra- dation des végétaux primitifs, auxquels le relient les forme» mixtes des champignons. La mobilité et la sensibilité ont permis aux animaux de prendre leur revanche dans une autre voie et de s'élever aux plus hautes manifestations de la vie. Ainsi, le seul exercice de la nutrition a suffi pour décom- poser notre couche hypothétique de grains vivants en trois strates : un strate vert correspondant aux algues, un strate incolore, mais à grains emprisonnés dans la cellulose, correspondant aux champignons, un strate à grains nus cor- respondant aux animaux. Nos connaissances actuelles permettent donc de concevoir logiquement les conditions d'apparition de la vie ainsi que la formation du règne végétal et du règne animal, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir autre chose que des phénomènes d'ordre purement chimique ou physique, rien qu'en faisant appel à des considérations fort simples, qui paraissent même à quelques-uns trop simples ; mais les lois naturelles sont toujours simples, et c'est seulement notre esprit qui aime à s'entourer de complication et de mystère 1 On se demandera sans doute pourquoi les éléments qui ne forment pas de chlorophylle sans lumière, ne reprennent pas la faculté d'en former quand on les replace à la lumière ; mais c'est une règle générale, qu'une fonction qui n'est pas exercée disparaît; et la faculté de produire de la chlorophylle peut dis- paraître même chez des plantes supérieures parasites, comme les Monolropa, les Orobanches, les Orchidées du genre Neoltiay et elle fait défaut aux racines souterraines des plantes ordi- naires. Reste une question particulièrement angoissante. Pourquoi, si la vie a pu apparaître sur la Terre, comme nous venons de l'apparition de la vie 77 l'indiquer, ne se forme-t-il plus de substance vivante ? Les con- ditions dans lesquelles la vie se maintient actuellement sur la Terre semblent indiquer la voie dans laquelle on peut espérer rencontrer une réponse à cette question. Les animaux herbi- vores tirent exclusivement leur nourriture des végétaux ; les carnivores vivent de la chair des herbivores ; eux aussi sont donc exclusivement nourris par les plantes; les champignons sont de même rivés à des plantes dont ils sont parasites, soit directement, soit par l'intermédiaire des animaux. Les végé- taux verts sont donc les grands pourvoyeurs d'aliments des autres êtres vivants ; eux-mêmes tirent leurs aliments miné- raux et azotés du sol, et les hydrates de carbone, indispensables, de l'atmosphère, mais ils ne peuvent le faire que grâce aux radiations solaires. C'est donc, en définitive, le Soleil, et lui seulement, qui entretient la vie à la surface du Globe* S'il en est ainsi, et on ne saurait le contester,on est naturellement con- duit à se demander si ce n'est pas également lui qui l'a fait naître; si certaines de ses radiations ne sont pas capables, et surtout n'ont pas été capables, de produire directement les combinaisons qui entrent dans la constitution des substances vivantes. Mais voici que MM. Daniel Berthelot et Gaudechon ont obtenu la synthèse des hydrates de carbone par l'action réci- proque de l'anhydride carbonique et de l'eau, en l'absence de toute chlorophylle, sous la seule influence des rayons ultra- violets émanant d'un tube à vapeur de mercure. Les mêmes rayons leur ont permis d'obtenir l'amide formique, par leur action sur un mélange d'anhydride carbonique et de gaz ammo- niac. L'amide formique est la plus simple des substances quaternaires, dont les substances albuminoïdes sont le terme le plus compliqué, et dont le mélange constitue le protoplasma pour qui les hydrates de carbone sont un aliment ; nous sommes donc sur le chemin qui doit aboutir à la vie. En tout cas il est établi que si certains rayons uïtra-violets tuent les spores, d'autres sont capables, par leur seule puissance, d'effectuer 78 Les formes pbhiittves de la vie des combinaison» que l'on a cru longtemps possibles seule- ment quand il se trouvaient déjà en présence de certaines substances organiques, et ce sont justement les rayons pour qui notre atmosphère est transparente (1). M. Daniel Berthelot, après avoir exposé ces résultats, ajoute : « La raison profonde de l'efficacité des rayons ultra- violets paraît être leur température extrêmement élevée. Plus la température d'une source s'élève, plus elle s'enrichit en rayons ultra-violets. Et lorsqu'on projette l'image de l'arc à mercure sur celle du disque solaire, on reconnaît, par le phé- nomène physique du renversement des raies, que la tempéra- ture de cet arc est plus élevée que celle du Soleil. » Or il est certain que la région du spectre solaire qu'ils constituent aujourd'hui a été autrefois beaucoup plus étendue. Le Soleil appartient, en effet, à la classe des étoiles jaunes : Arctarus, a, du Centaure, la Polaire, etc. Parmi elles il est déjà plus froid que Procyon et Canopus qui sont aussi de» étoiles jaunes, mais H a été nécessairement, à une époque lointaine, beaucoup plus chaud qu'aujourd'hui, et nous pouvons reconstituer les états qu'il a traversés par l'étude d*s étoiles blanches et des étoiles bleuâtres qui sont de beaucoup les plus chaudes. Parmi les étoiles blanches, il en est, comme la plupart des étoiles d'Orion et des Pléiades, Regulus, [J du Centaure, Deneb, etc., qui sont manifestement le siège de décharges électriques se produisant dans des conditions toutes spéciales ; d'autres sont remarquables par l'abondance de l'hélium et de l'hydrogène dans leur atmosphère, signes d'une radio-activité puissante; les étoiles blanc bleuâtre sont plus chaudes encore : leur spectre ultra-violet est très étendu ; il contient des radiations particu- lièrement intenses d'origine inconnue, et la présence de l'hélium dans leur atmosphère implique qu'elles sont aussi le siège de phénomènes importants de radio-activité (2). (1) XVm. - (2) XIX, 306. l'apparition be la vie 79 Au moment où le Soleil traversait ces divers stades, les actions chimiques se produisant sur !a Terre, sons son influence, devaient être plus nombreuses et notablement plus puissantes qu'elles ne le sont aujourd'hui; les radiations ultra- violettes étaient plus étendues que celles de nos lampes à vapeur de mer» cure; les combinaisons chimiques qu'elles étaient aptes à déterminer devaient être plus variées que celles que nous savons actuellement réaliser, condition nécessaire pour que la vie apparaisse. Des radiations ultra-violettes venues du Soleil et capables de traverser notre atmosphère pouvaient alors faire ce que celles que nous en recevons aujourd'hui ne sont plus capables de produire à elles seules. Ainsi s'ex- pliquerait la suppression actuelle des générations spontanées* D'autre part, la Terre elle-même était à cette époque lointaine à une phase différente; elle possédait une radio-activité plus grande; son atmosphère contenait de l'hydrogène, de l'hélium et peut-être d'autres éléments, résultant de la désagrégation de divers corps simples, à cet état particulier que les chimistes désignent sous le nom d'état naissant et où leurs affinités sont exaltées ; autre raison pour que les combinaisons, aujourd'hui impossibles, aient alors pu se produire. Des substances qua- ternaires plus complexes que l'amide formique, de vraies substances aibuminoïdes, ont pu prendre naissance. Or la plus simple d'entre elles ayant été obtenue, la formation des autres est un phénomène d'ordre purement chimique. Les recherches de P. Schûtzenberger, A. Kossel, E. Fischer, L.-C. Maillard et autres, sur La constitution des substances aibuminoïdes, facteurs essentiels de la vie chimique, tout au moins, ont vivement éclairé la constitution des substances quaternaires. Dans cette constitution une part prépondérante revient aux acides aminés, constitués par un facteur acide résultant de l'union de l'oxy- gène au carbone (COOH), et d'un facteur basique, résultant de l'union de 1'hydxogène à l'azote (Azlla). Ces deux facteurs sont unis dans une même molécule, sans cependant que de cette 80 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE union résulte la neutralisation de leurs fonctions respectives. Il s'ensuit que le facteur acide de la molécule continue à « capter • • • i les matériaux basiques qui passent à sa portée, et le facteur basique les matériaux acides » (1). Lorsque les matériaux basiques sont empruntés à un autre acide aminé, il se produit, par l'élimination d'une molécule d'eau, un corps nouveau qui se constitue de manière à régénérer, aux dépens des maté- riaux annexés, la fonction acide du corps primitif; et de même pour la fonction basique, lorsque c'est celle-ci qui est entrée ei* ligne dans l'élimination de la molécule d'eau. Il en résulte que par ce double jeu on peut obtenir des composés d'un degré quelconque de complication, et l'on conçoit que l'espérance ait pu naître d'arriver à réaliser les énormes et fragiles molé- cules dont les réactions réciproques donnent lieu au phéno- mène chimique de la vie. Déjà, dans l'école de Fischer, ont été ^obtenues des substances analogues aux peptones en les- quelles se résolvent en premier lieu, lors de la digestion stoma- cale, les substances albuminoïdes alimentaires. A l'aide de ces pepiides, il faudrait aruiver à reconstituer les substances d'où proviennent le» peptones et réaliser ces peptides eux- mêmes par des voies plus semblables à celle qu'emploient les êtres vivants. C'est à quoi se sont essayés d'autres chimistes : Balbiano, Trasciatti en Italie, M. Maillard en France. Or M. Maillard, par une réaction convenablement conduite de la glycérine pure et des acides aminés, est arrivé à obtenir des corps qui ressemblent singulièrement aux peptones, à la caséine, aux matières kératiniques qui sont des substances albuminoïdes par excellence. Il est probable qu'en substituant à la glycérine des sucres et des alcools, on obtiendrait d'autres résul- tats aussi importants. Il faut, il est vrai, faire intervenir ici des températures de 170* à 180°, c'est-à-dire accélérer les réactions, (1) L.-C. MuuiRD, Recherche dn mécanisme naturel des formations aibu- ssamoïdcs. -•> Pre$9e médicale, 17 février 1012. l'apparition de la vie Rî mais celles-ci peuvent être obtenues à des températures plus basses en employant d'autres accélérateurs. Les diastases. qui sont aussi des albuminoïdes de nature encore mal déter- minée, et agissent surtout, comme on sait, par hydratation et déshydratation, paraissent pouvoir jouer ce rôle. Et s'il est vrai que toutes ces substances aient pu être obtenues isolément par la seule action de radiations diverses émanées du Soleil ou des corps radio-actifs, on arrive à comprendre que certains de leurs mélanges aient pu constituer les premières substances vivantes. L'apparition de la vie rentre donc, comme la physiologie tout entière, dans le domaine des forces physico-chimiques; elle se serait produite durant un état de choses que nous pouvons reconstituer aujourd'hui par la pensée, qui persiste sans doute dans certains systèmes stellaires, mais qui a disparu sans retour du système solaire. La faculté de donner naissance à de la matière vivante a^été peu à peu réservée aux êtres vivants, à mesure que les radiations solaires et la radio-activité de la Terre s'affaiblissaient, mais n'a pas été toujours leur privilège exclusif. L'astronomie physique, en nous montrant dans les étoiles qui ne sont ni du même âge, ni de la même grosseur, les étapes de cet affaiblissement, met les conclusions des expé- riences de Pasteur en harmonie avec la raison, et rend inutile* les hypothèses hardies, mais contraires à l'esprit scientifique, c?>> l'ensemencement de la Terre par des germes venus d'ailleurs et dont le mode de formation serait inconnu. Sous quelle forme les premiers êtres vivants se sont-ils ma- nifestés? Les premiers fossiles que nous connaissions datent d'une époque trop postérieure à l'apparition de la vie sur la Terre* trop de formes se sont évanouies dans le métamorphisme des terrains archéens pour que la paléontologie puisse nous renseigner à cet égard; mais les liens qui unissent entre elles les formes vivantes actuelles sont tels, qu'on peut les déduire 82 LES FORMES PRIMITIVES DE L/i VIE les unes des autres, comme si elles étaient le résultat d'une évo- lution naturelle, dont il est possible de préciser les lois. Ces lois permettent, à leur tour, de reconstituer, avec toute vraisem- blance, les étapes que leurs ancêtres inconnus ont parcourues. A partir de l'époque primaire, la paléontologie jalonnera notre route et nous fournira les moyens de contrôler les inductions que nous aurons tirées de l'étude de l'organisation, du déve- loppement embryogénique des êtres vivants actuels et des modifications dont ils sont susceptibles. Cette étude fera l'objet du prochain chapitre. CHAPITRE II PRINCIPES D'UNE GÉNÉALOGIE EXPLICATIVE DES ORGANISMES L'un des étonnements les plus profonds que puissent ressen- tir les naturalistes, c'est que, malgré ie nombre considérable de millions d'années qui se sont écoulées depuis l'apparition de la vie sur la Terre, ou même depuis que des organismes de forme déterminée et transmissible de génération en génération s'y sont constitués, il persiste encore aujourd'hui assez de types simples pour donner l'impression que la chaîne des êtres vivants est demeurée complète, à partir de ses débuts. Les chaînes secon- daires, à la vérité innombrables, qui se rattachaient àr chaque anneau ont disparu, mais en laissant suffisamment intacte ia chaîne principale elle-même pour qu'il soit relativement facile de la reconstituer. Les êtres unicellulaires qui semblent, après la « gelée primitive », présenter l'aspect le plus simple sous lequel la vie ait pu se manifester, sont encore innombrables dans le règne végétal comme dans le règne animal. Il y avait, parmi les plus anciens fossiles que nous connaissions, outre des Bactéries, des Globigérines et des Orbulines, semblables à celles qui flottent aujourd'hui partout à la surface des mers les plus éloignées des côtes ; des éponges, voisines de ces belles éponges hexactinellides, dont le squelette est une élégante den- telle d'opale, que l'on drague encore sur les côtes do Japoii, des Philippines et dans les régions les plus profondes de nos raers; des polypes; des animaux articulés, dont la forme a été conservée, au moins dans ses traits généraux, chez Iôs Limulea 54 LES FORMES PRIMITIVES DE La VI 8 des Moluques, du Japon et des Antilles, chez les Esthéries, les Nébalies et les Ci/pris de nos mers ou de nos eaux douces ; des Lingules et d'autres Brachiopodes inarticulés, descendants très modifiés déjà des vers annelés. Il y avait aussi des échino- dcrmes, spéciaux il est vrai, des mollusques à coquille, appar- tenant déjà aux trois classes actuelles des céphalopodes, des gastéropodes et des lamellibranches, dont les Poulpes, les Escar- gots et les Huîtres sont les formes les plus connues, très éloignées d'ailleurs des types primitifs, et que nous ne citons ici que pour donner une idée nette de ce que renferment ces classes. On a objecté cette apparition, en quelque sorte subite, de tant de formes vivantes à l'hypothèse de l'évolution ; et comme, dans la succession des temps, on a de même constaté, à plu- sieurs reprises, l'apparition brusque, dans une assise géolo- gique, d'une faune et d'une flore renaissant après la disparition tout aussi brusque d'une faune et d'une flore antérieures, con- servées dans une assise immédiatement précédente, on avait vu là un argument irrésistible en faveur de l'hypothèse des créations successives, soutenue parles disciples les plus ardents de Guvier; Alcïde d'Orbîgny était allé jusqu'à compter vingt- sept de ces prodigieux phénomènes. Mais il a été possibie, dans bien des cas, de démontrer que des assises immédiatement superposées en certaines localités étaient, au contraire, sépa- rées ailleurs par des assises intermédiaires contenant des formes de passage, ou d'établir que l'assise supérieure n'était venue re- couvrir l'assise située au-dessous d'elle qu'après une longue période d'émersion où celle-ci avait subi des érosions considé- rables, et cela détruit l'argument. D'autre part, on a réussi à suivre, au cours des âges, de longs enchaînements de formes manifestement dérivées les unes des autres et qui, considérées isolément, auraient paru constituer des espèces distinctes : c'est te cas pour les Ammonites spirales de la période secondaire-, s? bien étudiées par Neumayer, Mosjisowicz, Douviilé, Haug, etc.; pour les Planorbes du lac miocène de Steinheim, dans le Wur- PBIKGOTS D'UNE GÉNÉALOGIE EXPLICATIVE DES OfcGANISMES 85 temberg, les Paludines des grands lacs pliocènes de Slavonic et de beaucoup d'autres formes. On est donc autorisé à penser que, là où nous constatons de brusques remplacements d'une flore ou (Tune faune par une autre, c'est qu'en réalité il y a eu. une interruption de la sédimentation pins ou moins longue, souvent due à une émersion momentanée, entre les période» en apparence consécutives, correspondant aux deux faunes et aux deux flores qui ont l'air de se succéder, et nous ignorons quel rôle ont pu jouer, dans les différences que l'on constate entre elles, les transformations sur place et les migrations, bien constatées d'ailleurs, des animaux et des plantes d'une région dans une autre. Pas plus que sur l'origine de la vie, la paléontologie ne nous renseigne ni sur l'origine des types organiques ni sur les causes qui ont pu les produire; ses documents trop lacunaires ne peuvent servir que de vérification aux lois déduites d'une comparaison rigoureuse des formes vivantes, d'une étude atten- tive de l'influence que le milieu extérieur peut exercer sur elles, soît quand elles sont adultes, soit au cours de leur développe- ment embryonnaire. Ces lois ont un caractère aussi impératif, aussi absolu que celles qui régissent les phénomènes physiques ou chimiques. Une fois qu'elles sont établies d'une façon rigoureuse, elles peu» vent permettre de reconstituer le passé de chacun des grands groupes d'êtres vivants, de rattacher les phases diverses de ce passé à des causes premières, et d'éliminer les hypothèse» oiseuses ou les trompeuses conceptions philosophiques qui ont si longtemps caché sous de faux principes, posés en axiomes, la véritable explication des choses : le principe de continuité de Leibnitz, le Natura non facit saiias de Linné, le principe de l'unité de plan d'organisation du règne animal de Geoffroy Saint-Hïlaire, celui de l'unité, même limitée à l'étendue des embranchements de Cuvier, l'échelle dets êtres de Charles Bonnet, la dégradation des types de Blainviîle, etc. Ces 86 ÏES FORMES PRIMITIVES DE LA VIÏ conclusions prématurées d'observations trop peu nombreuses, ne pouvaient satisfaire les esprits qu'à une époque où la science se jugeait hors d'état de tenter une explication scienti- fique des formes vivantes, au sens propre du mot. L'admirable usage que Darwin (1) a fait de la sélection natu- relle et de ta sélection sexuelle pour expliquer la conservation, la diffusion, l'exagération peut-être des caractères utiles^ l'adap- tation des animaux et des plantes à leurs conditions d'existence, si étroite qu'elle a fait naître l'idée de leur prédestination à ces conditions, enfin la fragmentation des séries zoolo- giques ou botaniques en espèces séparées par des lacunes qui paraissent infranchissables, ne s'étend pas à la détermination des causes de l'apparition de leurs traits distinctifs; Darwin n'a même pas abordé le problème de la raison d'être de ce qu'on peut appeler les types de structure, soit dans le règne végé- tal, soit dans le règne animal. Plus récemment Weismann (2) a fait jouer un rôle mystérieux, dans l'évolution des orga- nismes, à une substance vivante qui constituerait, pour la plus grande part, les éléments génitaux et serait différente de celle qui constitue les éléments du corps ; cette substance serait le germen ou plasma germinatif, seul dépositaire du pouvoir de régler l'évolution des organismes; l'autre, le soma ou plasma formatif, bien que constituant les éléments du corps tout entier, serait pour le germen une sorte d'abri aménagé pour ses besoins, et le préservant de l'action des milieux exté- rieurs aux influences desquels il céderait seul. Il est clair qu'une pareille conception est la négation même de toute expli- cation scientifique des formes vivantes, et il est bien étrange qu'on ne se soit pas aperçu que les faits sur lesquels elle reposait, loin de pouvoir servir de point de départ à une théorie géné- rale de l'évolution, étaient le résultat très spécial d'une modi- fication des processus embryogéniques sur le caractère de (1) XXIV et XXV. — (2) XXVI. PRINCIPES D'UNE GÉNÉALOGIE EXPLICATIVE DES ORGANISMES 87 laquelle nous aurons à revenir. Avec plus de raison on a été frappé des importantes modifications que présentent les orga- nismes sous Pinfluence de nombreuses sécrétions internes ou de certaines substances venues du dehors, telles que les sécrétions de divers parasites (1) ou le venin introduit par la piqûre de quelques insectes (2), et Ton a été conduite imaginer l'existence de substances particulières, les hormones (3), grâce auxquelles les viscères pourraient réagir à distance les uns sur les autres et maintenir ainsi dans l'organisme une solidarité nécessaire § les hormones, les sécrétions parasitaires, seraient les instru- ments de cette adaptation réciproque des organismes dont l'indiquais l'importance et la portée générale en ces termes en 1881 (4) : « Les causes immédiates de la division du travail physio- logique et des modifications qui l'ont accompagnée dans la forme des mérides associés, se trouvent en grande partie, comme pour les plastides, dans la vie sociale elle-même. Toutes les fois que deux ou plusieurs organismes entrent en relations constantes, il en résulte toujours pour chacun d'eux des modi- fications plus ou moins importantes. » Nous venons d'écrire les mots vie sociale ; nous arrivons ainsi à la question qui domine toute l'évolution des êtres vivants, celle du mécanisme qui, à partir de la poussière vivante à la formation de laquelle nous avons assisté, a présidé à la consti- tution de la longue série des organismes couronnée par des formes si éloignées du point de départ, soit par leurs dimensions, soit par leur forme, soit par la complication de leur structure et la variété de leurs fonctions, soit par leurs manifestations intel- lectuelles. Comme toujours, quelques idées a priori ont, dès l'abord, obscurci la clarté des faits. Parce que nous jugeons notre personnalité une et indivisible, à ce point que le mot (1) Guêpes stylopisées, par exemple, galles du blé niellé, etc. — (2) Galles produites par les Cynips. — (3) XXIII et XXV. — (4) XXVIII, 710. 88 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIS individu, si souvent employé pour désigner chacun de nous, ne signifie pas autre chose, nous avons quelque peine à conce- voir que cette individualité n'ait pas été réalisée d'emblée, et les conclusions qui se dégagent inéluctablement des faits ne sont pas encore sans rencontrer quelque résistance de la part d'esprits souvent éminents. Admettons d'ailleurs que les choses aient pu, au début, se passer de façons diverses : prati- quement tous les organismes qui dépassent l'état d'une simple gelée vivante sont aujourd'hui construits de la même façon, arrivent de la même façon à leur structure définitive. On peut même ajouter que les cas exceptionnels qui ont été signalés, comme ceux des algues de la famille des Siphonées, des champignons du groupe des Myxomycètes, des infusoires du genre Sali ne Un de Semper, peuvent être facilement ramenés au cas général. Les faits à la pression desquels on ne saurait échapper peu- vent se résumer en quatre propositions : 1° Tout organisme, végétal ou animal, est formé par un assemblage d'éléments, généralement microscopiques, présen- tant la même constitution fondamentale, et qui ont été désignés sous les noms de cellules, ^éléments analomiques ou plus récemment de plastides. 2° ïl existe des êtres vivants réduits à un seul plastide, et dans la nature actuelle une multitude de formes, constituées par des associations de plus en plus complexes de plastides, t'éc&eîonnent entre les plastides isolés et les organismes les (lus complexes. 3° Tout èïra. vivant a pour point de départ unique un plas- tide, Yœuf, et n'atteint sa complication finale que par la division répétée da oe plastide initial et de ceux qui en proviennent. 4° Les plastides qui vivent à l'état isolé se divisent comme ceux qui doivent constituer des organismes, dès qu'ils ont atteint une certaine taille; la seule différence, c'est que les pk*»&$es nés de cette division s'éloignent les uns des autres PRINCIPES D'UNE GÉNÉALOGIE EXPLICATIVE »R>3 ORGANISMES 89 dès qu'ils se sont formés, tandis qu'ils demeurent contigus quand ils s'emploient à constituer un organisme. Cela revient à dire que les organismes supérieurs se sont uniquement constitués par l'association graduelle de plastides de plus en plus nombreux. En s'associant ainsi, ces plastides aliènent sans doute une partie de leur liberté, mais ils n'en conservent pas moins un haut degré de personnalité. On a su de tout temps qu'un fragment quelconque d'un végétal peut être isolé sans mourir et donner naissance, s'il est placé dans de bonnes conditions, à un végétal nouveau; Trembley a établi de 1740 à 1744 (1) que l'hydre d'eau douce pouvait être fragmentée de la même façon; depuis on a reconnu que les éponges, les polypes et, en général, tous les animaux ramifiés présentent cette propriété; ia transplantation des tissus, la greffe a réussi aussi bien chez les animaux supérieurs que chez les plantes, et dans ces derniers temps le Dr Alexis Carrel par- venait à conserver vivants, et à faire grandir, des lambeaux de tissu conjonctif, voire même des nerfs, dans des milieux artificiels appropriés, sans le secours d'aucun organisme (2); ainsi se trouvait démontrée directement cette indépendance des éléments anatomiques que Claude Bernard avait déduite de ses expériences physiologiques. Cette indépendance apparaît encore au cours du dévelop- pement embryogé nique. Les premières phases de ce dévelop- pement consistent dans la division de l'œuf en deux, quatre, huit, etc., éléments qui sont semblables entre eux lorsque l'œuf ne contient pas une grande quan tité de substance nutritive et tant qu'ils ne sont pas assez nombreux pour être obligés de se dis- poser en couches superposées. Ces éléments s'appellent des blas- tomères. Les blastomères sont semblables à l'œuf lui-même ; on parvient, en effet, en agitant violemment certains œufs, à séparer l'un de l'nutre les deux premiers blastomères, tout (1) XSYin. — <2) XXIX, 90 LES FORMES PRÏSlfTlVES DE LA VIE au moins ; chacun d'eux se développe alors isolément et produit un embryon ne différant des embryons normaux que par sa taille moitié moindre (1). Cette séparation des biastomères peut se produire spontanément, mais accidentel- lement, même chez l'Homme; l'œuf produit alors deux jumeaux, qui sont toujours de même sexe et qui n'ont qu'un seul pla- centa chez les mammifères. Ce qui est accidentel chez l'homme se produit d'une façon normale chez d'autres mammi- fères, les Tatous, qui sont des édentés cuirassés de l'Amérique du Sud. L'œuf du Tatou à neuf bandes se divise de manière à donner toujours naissance à quatre jumeaux du même sexe ; celui du Tatou hybride en produit d'un seul coup sept, huit, ou neuf (2). Les choses peuvent aller plus loin : quand on place des œufs fécondés d'oursin, comme l'a fait Kerbst, dans de l'eau de mer privée de calcium, les trente- deux premiers biastomères peuvent se séparer, se développer isolément, et, tout au moins, ébaucher trente-deux embryons. Cette^ division arrive enfin à se faire naturellement chez les embryons de minuscules moucherons à quatre ailes, apparentés par conséquent aux guêpes, qui seraient, en quelque sorte, des guêpes lilliputiennes. Les larves de ces insectes infimes par la taille, mais déjà élevés en organisation se développent soit à l'intérieur d'autres larves emprisonnées dans des galles, les larves de certains moustiques, les Cécidomyies, soit plus souvent dans des chenilles d'ordinaire fort petites, comme celles des teignes du genre Hyponomeute qui vivent sur le fusain. Les chenilles parasitées contiennent toujours une multitude de larves ; on en a compté jusqu'à trois mille, et on s'est long- temps demandé pourquoi, entre ces nombres très élevés de parasites et l'immunité complète, il n'y a pas d'intermédiaire, (i) Driesgh (XXX) a opéré ainsi sur des œufs d'oursin et d'Amphioxns ; Bataillon (XXXI) a réussi de même pour la lamproie; De Morgan (XXXII) pour un poisson élevé, le fondule. (2) Von Jehring avait déjà conclu de là, en 18S5-18S6, à la dislocation de foeuf, confirmée en 1909 par Miguel Fernandez (XXXIII). principes d'une généalogie explicative des organismes 91 alors que le moucheron pondeur ne contient guère qu'un cent d'œufs. La solution du problème a été donnée par M. Mar- chai (1). Les embryons de la plupart des insectes sont enfermés dans un sac, l'amnios, dérivé, comme eux, d'une membrane cellulaire, le blastoderme, formée par la division du noyau de l'œuf. Chez les menus parasites dont il s'agit, l'œuf commence par se diviser en deux moitiés dont l'une produit l'amnios, et l'autre d'ordinaire un embryon unique ; mais dans certaines espèces les éléments destinés à former l'embryon se séparent, se développent isolément, si bien que d'un seul œuf il peut naître, suivant les espèces, une dizaine de larves (2), près de deux cents (3) et jusqu'à trois mille (4). Ici les blastomères demeurent semblables les uns aux autres durant un grand nombre de bipartitions. Dans les œufs chargés de substances de réserve les choses se passent tout autrement, ce qui a conduit, parce qu'on a géné- ralisé les faits sans remonter à leur cause, à des conceptions embryogéniques tout à fait erronées. Dès la première division les blastomères sont souvent très inégaux; le plus petit, clair et transparent, est formé de sub- stance vivante presque pure; le plus gros, granuleux et opaque, contient presque toutes les réserves alimentaires ; il continue à se diviser inégalement en formant de nouveaux petits blastomères clairs, mais en même temps il se divise lui-même plus ou moins paresseusement en blastomères qui demeurent granuleux et plus gros que les blastomères clairs. L'embryon se trouve ainsi formé de blastomères de deux sortes qui sont nécessaire- ment solidaires puisque les plus gros détiennent les substances nutritives qui devront permettre l'accroissement et la division des plus petits ; l'embryon est dès lors un tout qui pourra être (1) XXXIV. — (2) Polygnolus minufus, parasite desCécïdomyies (Marchai). (3) Encyrlu»{Ascidint amené une modification d'un organisme, il faut, pour que cette modification devienne héréditaire, que la ou les causes qui l'ont déterminée aient agi directement ou indirectement sur les éléments génitaux; mais il faut, de plus, que la modi- fication éprouvée par les éléments génitaux soit telle, qu'elle se répercute à son tour sur les éléments issus de ceux-ci et arrive, par une série de déclenchements successifs, à obtenir la réali- sation du caractère nouveau. Gomment cette série de déclen- chements peut-elle se produire avec la régularité que nous connaissons? Si nous remarquons que les toxines injectées à un organisme provoquent, en général, la formation d'anti- toxines ayant des propriétés inverses de celles de ces toxines, nous sommes conduits à tenir pour vraisemblable que les substances actives contenues dans l'œuf peuvent provoquer de proche en proche la reconstitution des substances dont les modifications successives ont conduit jusqu'à elles, et par conséquent la réapparition des caractères auxquels elles correspondent. Des recherches récentes ont montré, d'autre part, que l'action des radiations sur les composés organiques est souvent réversible, et MM. Em. Bourquelot et Bridel ont établi qu'il en est de même de celle des ferments, généralement capables de refaire, dans certaines conditions, ce qu'ils ont défait (1). Il semble qu'on puisse attribuer l'hérédité à une réversibilité du même genre. Cette remarque n'est certes pas une explication des phénomènes d'hérédité; elle permet ce- pendant d'entrevoir comment ils ont pu se produire, ouvre la voie à des recherches précises et permet d'éliminer d'emblée comme inutiles, les hypothèses qui font appel à des agents presque surnaturels, ou tout au moins insaisissables. Dans H) 1.X VII, 63. PRINCIPES Z>'UNE GÉNÉALOGIE EXPLICATIVE DES ORGANISMES 103 son livre ^ur Y Hérédité, M. Yves Déluge a d'aillrurs discuté savamment toutes ces questions dont la solution relève pro- bablement de la Chimie biologique la plus délicate. Quoi qu'il en soit, si l'on considère Yhérédité, non dans ses causes, mais dans ses effets, on lui attribue unanimement pour rôle de maintenir, dans la descendance des organismes, les carac- tères acquis par eux sous l'action de causes déterminées, après que ces causes ont cessé d'agir. Elle apparaît donc, au premier abord, comme essentiellement conservatrice; mais elle crée, par cela même, les plus graves difficultés dans la recherche des causes qui ont déterminé les caractères des êtres vivants, justement parce qu'elle maintient ces caractères dans des con- ditions d'existence qui ont été manifestement incapables de les produire, et avec qui ils peuvent même se trouver en complet désaccord. Mais il y a plus : même quand les organisme conti- nuent à vivre dans les conditions qui ont déterminé leurs carac- tères, on voit apparaître ceux-ci alors que ces causes sont inca- pables d'agir, pendant la vie embryonnaire par exemple, ou, lorsqu'elles sont périodiques, comme les saisons, en dehors de leur période : c'est ainsi que l'accord entre les voyages des oiseaux migrateurs et les variations de la température n'est que très relatif. Habitués à voir les caractères des orga- nismes et d'une manière générale les phénomènes embryo» logiques se manifester sans qu'il soit possible de les rattacher à une cause extérieure déterminée, impuissants, quand ces causes ont été soupçonnées, à démontrer d'une manière irréfutable leur intervention, les naturalistes se sont désintéressés de la recherche de toute explication, ils ont déclaré cette recherche vaine, sinon extrascientifique ; ou bien ils ont substitué aux explications des conceptions a priori, formulées sous forme de lois générales, empruntées à quelque système philoso- phique, ou mises au rang des mystères impénétrables de la Nature. Ce sont, en fait, les difficultés d'explication créées par Yhérédité qui ont conduit à la doctrine du créatio- 104 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIS nisme, et lui ont permis de se maintenir contre toute vrai- semblance. Mais Faction de l'hérédité ne se borne pas à conserver les caractères en dehors des causes qui les ont produites; par cela seul qu'elle les conserve tous, elle les accumule; c'est ce qu'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire avait nettement aperçu, lorsqu'il disait que les embryons des animaux supérieurs repro- duisent les formes permanentes des animaux inférieurs. Cela revient à dire qu'ils revêtent successivement les caractères acquis par leurs ancêtres et dont ils ont hérité, si l'on admet la théorie de l'évolution, comme c'était le cas pour Geoffroy Saint- Hilaire. Antoine Serre, disciple de Geoffroy Saint-Hilaire, n'a pas exprimé ce fait d'une façon plus précise lorsqu'il a employé cette formule un peu sibylline : « L'anatomie transcendante n'est qu'une anatomie comparée transitoire, comme l'anatomie comparée n'est qu'une anatomie transcendante permanente. » Ce qu'il appelait anatomie transcendante est ce que nous appe- lons aujourd'hui l'embryogénie. Comme l'anatomie comparée ne peut procéder que par la considération de la série des formes, en allantdes plus simples, c'est-à-dire des plusanciennes, aux plus élevées qui sont aussi les plus récentes, nous arrivons à la formule d'Haeckel, qui ne diffère des précédentes que par son adaptation aux idées modernes : « L'embryogénie des êtres vivants n'est qu'une répétition abrégée de leur généalogie. » Si Ton s'en tenait à la lettre de cette formule, il semblerait qu'il n'y aurait qu'à prendre les termes les plus élevés de chaque série organique et à les étudier, depuis l'œuf initial jusqu'au terme de leur vie, pour avoir une répétition exacte de tout le passé des êtres actuellement vivants sur la terre ; il resterait, il est vrai, à reconstituer les séries latérales éteintes; on y parviendrait par l'étude comparative des fossiles qui se sont succédé. La connaissance exacte des lois qui ont pré- sida à l'évolution des séries actuellement représentées permet- PRINCIPES D'UNE GÉNÉALOGIE EXPLICATIVE DES ORGANISMES 105 trait de combler les lacunes des séries éteintes et Ion n'aurait retrouvé que des fragments. Malheureusement il n'en est pas tout à fait ainsi, et d'abord ces simples mots « répétition abrégée » que contient la for- mule de Haeckel cachent de telles embûches que Iîaeckel lui- même n'a pu les éviter, et qu'il n'a même pas réussi à circon- scrire les régions dans lesquelles elles se trouvent. Ainsi que nous l'avons dit précédemment, c'est par millions d'années que se compte la durée de la vie sur la terre, et c'est aussi le temps qu'ont mis les espèces actuelles à acquérir leurs caractères. Or la durée maximum du développement d'un ani- mal, la taille mise à part, n'excède pas deux ans, et il est des insectes, fort complexes cependant, qui accomplissent toute leur existence, y compris leurs métamorphoses, en quelques semaines; dans l'un comme dans l'autre cas, l'abréviation de la généalogie, dans l'embryogénie, est donc colossale. Elle est d'ailleurs fort inégale, même dans des espèces voisines. Il y a des cas où le jeune animal éclôt n'étant encore en possession que d'une très petite partie de son corps : les autres parties se forment successivement, sans qu'il cesse de mener une vie active ; c'est alors qu'il y a des chances pour que toutes les formes successives qu'il revêt représentent des formes ancestrales ou tout au moins des formes qui les rappellent; nous désignerons sous le nom de patrogonies les modes de développement qui réa- lisent cette condition. Mais même alors, l'abréviation est telle, les formes ancestrales réelles se succèdent si rapidement, qu'elles se télescopent, pour ainsi dire, de sorte que les formes suc- cessives de l'embryon peuvent être seulement considérées comme analogues aux formes ancestrales, sans en reproduire aucune exactement. Le sens général de révolution est indiqué, non le détail. Dans des espèces voisines parfois des précédentes, le jeune animal éclôt, sinon avec sa forme définitive, du moins pourvu déjà de toutes les parties de son corps. Alors le développe- 106 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE ment s'aci I souvent assez vite pour que les parties ou corps, q uj &e roi ment successivement dans le cas précédent, pa- raissent se former simultanément; les processus de l'évolution peuvent alors être tellement modifiés, et les formes revêtues par l'embryon rappellent si peu les formes ancestrales, qu'à aucun moment, si on le libérait des enveloppes qui le protègent, il ne serait capable de mener une vie indépendante. C'est le cas pour tous les verténrés, sauf V Aniphioxus. Nous réservons le nom de tachygonies à ces embryogénies très accélérées. On trouve dans une même série d'organismes tous les passages entre elles et les patrogonies. Le fait même de l'accélération embryo- génique graduelle qui apparaît ainsi est ce que nous avons appelé déjà la tachy genèse (1). Aussi bien dans les cas de patrogonie que de tachygonie, l'eii'bryon subit l'influence des conditions actuelles dans les- quelles s'accomplit son développement; elles tendent à l'écarter des formes ancestrales et peuvent lui imposer des formes très différentes aussi de celles des embryons des espèces qui se sont développées dans d'autres conditions» Ces modes adaptatifs de développement, reconnaissables à la grande variété des caractères que présentent les embryons d'espèces voi- sines, doivent être distingués sous le nom d'armogonies (2), et le phénomène d'adaptation aux conditions de développe- ment qui les déterminent peut, dès lors, être désigné sous le nom d'armogénèse. L'armogénèse peut compliquer les patro- gonies, aussi bien que les simplifier. Ainsi les embryons péla- giques qui vivent en haute mer acquièrent souvent des organes qui manquent aux embryons patrogoniques littoraux; au contraire, les larves d'insectes qui vivent en parasites perdent les pattes et jusqu'aux organes masticateurs des larves (l).LiXXVIII, 149. — (2) De àpfxd;, jointure ou àpjXTj, union et par consé quent adaptation, et fovoç génération. J'ai employé jusqu'ici le mot armozo" gonie, tiré du verbe àp(.i.<>2>, j'harmonise, mais il n'exprime pas plus exactement les choses, et il est trop long. PRINCIPES D'UNE GÉNÉALOGIE EXPLICATIVE DES ORGANISMES 107 libres. D'autre part, les embryons tachygoniques très simplifiés des mammifères acquièrent un organe spécial, le placenta, qui n'a rien à faire avec les formes ancestrales (1). On peut s'étonner que l'armogénèse, en modifiant les formes embryonnaires, n'entraîne pas de modifications importantes dans la forme définitive qu'elles doivent réaliser. Giard a essayé d'expliquer ce paradoxe en faisant appel à des compa- raisons d'ordre mécanique ; mais les comparaisons ne sont pas des raisons. En réalité, ce sont les éléments mis en réserve à Yiniérieur du corps et dont les histoblastes des Insectes et des Némertes sont la plus haute expression, qui conduisent à la forme définitive, après la disparition des organes armogo- niques, parce qu'ils ont échappé aux actions extérieures et ont conservé intact le dépôt des hérédités qu'ils tiennent de l'œuf. Au point de vue de l'évolution des organismes l'armogénèse n'a donc qu'une importance secondaire; il n'en est pas de même de la tachygénèse. Nous avons montré ailleurs qu'elle fournissait une explication de la ressemblance des processus évolutifs des éléments femelles et des éléments mâles (2) ; son influence sur les formes des êtres vivants n'a pas été moins grande. En vertu de l'indépendance des éléments ana'omiques, des tissus, des organes, des régions même du corps, elle peut porter différemment sur toutes ces parties, modifier leurs rapports et leurs proportions, amener des transpositions et des soudures, auxquelles Etienne Geoffroy Saint-Hilaire faisait appel déjà, lorsqu'il voulait expliquer comment l'unité de plan de composition n'excluait pas la variété dans le détail de l'orga- nisation; elle devient ainsi un instrument de modification d'autant plus puissant qu'au cours du développement embryon- (1) 11 est bien entendu que les mots palrogénèse, tachygénèse, armogénèfie ne désignent nullement chacun une cause agissante spéciale et propre aux êtres vivants, mais simplement l'ensemble des causes et mécanismes, encorr trop souvent inconnus, qui aboutissent respectivement aux divers modes du développement des organismes. |2) XXXVm, 330. 108 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VTI naïre, une véritable lutte pour la vie s'établit en champ clos, pour ainsi dire, entre tous les éléments anatomiques, tous les tissus, tous les organes qu'ils constituent, aussi bien qu'entre les diverses régions du corps. Si l'armogénèse tend à mettre les embryons en rapport étroit avec le milieu où ils se développent, le tachygénèse tend, au contraire, à altérer de plus en plus ces rapports, à accentuer la dissociation des effets et des causes déjà commencée par l'héré- dité dans sa forme purement conservatrice. Heureusement cette dissociation est, en général, graduelle. Dans chaque série les formes inférieures présentent le plus souvent une forme patrogonique de développement, dont les traits essentiels se conservent dans les formes tachygénétiques et permettent, d'une part, de découvrir les liens qui unissent les caractères aux causes capables de les produire, et, d'autre part, d'éliminer, en expliquant les faits sur lesquels on voudrait les appuyer, les objections qui pourraient être faites aux inductions que sug- gère l'analyse des modes de développement les plu^ rappro- chés des patrogonies. Ce travail d'épuration et de classement des phénomènes embryogéniques n'avait jamais été fait d'une façon méthodique avant que je l'aie tenté dans les articles em- bryologiques de mon Traité de Zoologie (1). C'est pourquoi on n'a pas su tirer de l'embryogénie tous les documents qu'elle contient relativement à l'origine des formes vivantes; c'est pourquoi on n'a pas su mettre en évidence, en particu- lier, les causes banales qui ont déterminé la formation des grands types organiques, et on s'est si bien habitué à les considérer comme miraculeuses que le grand reproche que l'on fait aux explications que nous allons exposer, c'est d'être trop simples. On leur préfère des explications mystérieuses ou purement verbales, comme si nous voyions agir autour de nous d'autres causes que des causes banales, comme si tous les (1) XLm, 567, 624, 961, 1605, 2251, 2566. PRINCIPES D'UNE GÉNÉALOGIE EXPLIGATIVE DES ORGANISMES 109 progrès qu'a réalisés la géologie générale dans ces derniers temps n'avaient pas eu pour origine l'abandon de la doctrine des cataclysmes miraculeux, des déluges universels et autres « révolutions du globe », en faveur de l'examen attentif des effets des causes actuelles, auquel Buffon et Lamarck s'étaient déjà livrés, avant que sir Charles Lyell les eût systématisés. En présence de l'insuffisance ou même de l'absence totale des documents paléontologiques, qui auraient pu nous ren- seigner sur ce qu'ont été les êtres vivants durant la plus ancienne des périodes géologiques connues, la période ar- chéenne qui a vu se former des dépôts atteignant encore, mal- gré le tassement et les transformations métamorphiques qu'ils ont subis, plus de vingt mille mètres d'épaisseur et qui a duré plus longtemps à elle seule que la période primaire tout entière, nous sommes obligés, pour reconstituer ce que pouvait être la vie à cette époque, de recourir aux documents que nous fournissent les êtres vivants actuels. Ainsi que nous l'avons fait remarquer, les plus inférieurs d'entre eux sont tels, que nous ne pouvons concevoir la vie sous une forme plus simple. Si une théorie générale nous permettait de relier sans lacune ces êtres simples aux êtres les plus compliqués en organisation que nous connaissions, cette théorie aurait toutes les chances d'être applicable aux formes fossiles comme aux formes vivantes; elle permettrait, par conséquent, de rattacher d'une façon plus précise les premières aux secondes, d'interpréter plus rigoureusement les restes incomplets qu'elles nous ont laissés, de préciser les lacunes qui peuvent exister entre les formes qui sont arrivées jusqu'à nous, et nous mettrait parfois en garde contre les conclusions auxquelles pourrait conduire la date apparente de leur première apparition. Une telle théorie équivaut à une généalogie explicative des formes vivantes dont nous devons maintenant indiquer les grandes lignes. Cette question ne pouvait être abordée qu'après l'établissement des principes que nous venons d'exposer. CHAPITRE Iïî LA FORMATION DES GRANDS TYPES DE VÉGÉTAUX Si l'ingéniosité des naturalistes s'est exercée d'une façon inlassable sur tout ce qui touche à la variabilité des formes vivantes, elle s'est détournée, au contraire, de l'explication de ce qu'elles ont de particulièrement fixe et stable. On a observé avec un soin tout particulier toutes les variations de détail; les botanistes se sont évertués à noter les moindres modifica- tions dans la forme et la couleur des pétales des fleurs, dans le contour des feuilles, dans l'abondance ou la rareté des poils ; ils ont distingué soigneusement et parfois à l'infini, comme chez les ronces et les vignes, des espèces, des sous-espèces, des races spontanées, géographiques, ou simplement topographiques, culturales ou sauvages, des variétés, des variations brusques et héréditaires, des fluctuations, etc. Les zoologistes ont été à peine moins ardents dans cette recherche des menues varia- tions ; les vieilles espèces d'animaux rayés, tachetés ou marqués de couleurs tranchées, ont été particulièrement dislo- quées et, pour n'avoir pas tous les oreilles et la queue exacte- ment semblables, les éléphants d'Afrique ont subi la même dissociation. Si intéressante que soit, à certains points de vue, l'étude de la variabilité des détails, on conviendra qu'elle est tout de même moins importante que celle des causes qui ont pu faire que les végétaux et les animaux sont construits suivant ces types étonnamment persistants que Cuvier nommait des embranchements, et aussi des raisons pour lesquelles il y a de* végétaux et des animaux. LA FORMATION DES GRANDS TYPES DE VÉGÉTAUX iîl G Cette dernière question a été précédemment tranchée. Les végétaux tirent tous leurs caractères particuliers de ce que cha- cun de leurs éléments est enfermé dans une membrane rigide de cellulose qui empêche tout mouvement et, par conséquent, toute manifestation extérieure de la sensibilité. Cette membrane peut faire momentanément défaut, comme c'est le cas pour les zoospores et les anthérozoïdes ou éléments reproducteurs de certaines algues et de certains champignons; elle peut n'apparaître que temporairement et seulement autour des spores ou éléments reproducteurs, comme chez les champignons muqueux ou myxomycètes; il suffit qu'elle se montre, si peu de temp&que ce soit, pour qu'on soit autorisé à classer l'être auquel on a affaire parmi les végétaux. Certains organismes peuvent ressembler toute leur vie soit à des zoospores d'algues ou de champignons, soit à des myxomycètes, et n'en différer que par le défaut absolu de formation d'une enveloppe cellulosique ; c'est par ces formes que le contact s'établit entre le règne végétal et le règne animal. La réparation entre les deux règnes est ici toute conventionnelle; mais il est légitime de convenir que ces formes ambiguës, i aute du caractère positif qui distingue les végétaux incontestables, doivent être rattachées au règne animal; d'autant plus qu'à l'absence de cellulose, caractère négatif, correspond la conservation de la mobilité qui est le caractère positif des animaux. En raison même de l'immo- bilité que confère à leurs éléments leur enveloppe étroite de cellulose, l'évolution des végétaux a été relativement simple. Lorsqu'ils sont demeurés isolés, ces éléments se présentent sous formes de granules arrondis (1), de bâtonnets (2), de fuseaux (3), de croissants (4), d'hélices (5), etc. Ils peuvent se juxtaposer de manière à former des chapelets (6), des réseaux (7), de petits solides cubiques (8), des éventails soutenus par un (1) Microcoques, Protocoques, etc. — (2) Bacilles, Bactéries. — (3) Navicules. •— (4) Closterium. — (5) Spirilles, Spirochètes. — (6) Nostoc. — (7) Hydrodic- lyon. — (8) Merisla. 112 LES FORMES PRIMITIVES DI LA VÏB pédoncule (1), ou même des sphères susceptibles de nager (2) lorsque les éléments qui les composent sont munis, comme ceux des^yolvox, de fouets vibratiles. Le plus souvent ils se placent bout à bout de manière à former ces filaments verts, enchevêtrés^qui abondent dans les eaux douces et qu'on nomme des Conferves. Des filaments analogues, soudés ensemble paral- lèlement et produisant des rameaux latéraux, construisent le corps ou lhalle des Chara ; des éléments plus ou moins polyé- driques, plus ou moins dissemblables, disposés en plusieurs assises, peuvent édifier des lames ou même des masses de grandes dimensions comme celles qui constituent Ici varechs de nos littoraux maritimes, les grandes laminaires marines de plusieurs mètres de long ou ces gigantesques Macrocyslis flot- tants des mers australes, qui peuvent s'étirer sur plus de cent mètres. Les végétaux ainsi" formés uniquement d'élé- ments juxtaposés à peu près semblables se répartissent en deux classes : celle des algues, lorsqu'ils sont colorés en vert par de la chlorophylle ; celles des champignons, lorsque, dépourvus de chlorophylle, ils vivent aux dépens d'autres orga- nismes, ce que sont bien également forcés de faire, mais d'une autre manière, les animaux. Malgré leur structure très homogène, les algues peuvent présenter une assez grande complexité de forme. Certaines d'entre elles se fixent aux rochers sous-marins à l'aide de cram- pons qui rappellent les racines des plantes supérieures ; leur corps peut s'allonger en un cordon cylindrique qui ressemble à une tige portant des ramifications latérales, parfois aplaties, et qu'on pourrait appeler des feuilles. On serait tenté d'admettre que de telles algues, devenues terrestres, se sont en bloc méta- morphosées en plantes analogues à celles qui poussent dans nos champs ; mais le mécanisme de la naissance de ces plantei paraît avoir été plus compliqué. (1) Gomphonema. — (2) Volvox. LA FORMATION DES GRANDS TYPES DE VÉGÉTAUX {{'] Les champignons, nécessairement nés après les algues; mais dominés dans leur évolution par la nécessité de mener une vie de parasites, n'arrivent pas à un aussi haut degré de com- plication. Les plus élevés d'entre eux sont constitués par des filaments très allongés, diversement intriqués, qui, à certains moments, se pelotonnent par places, s'accolent les uns aux autres et sortent de terre, ou se dressent sur les plantes dans les- quelles ils se sont développés, pour s'étaler ensuite en chapeau et pour former des organes de fructification, tantôt comestibles délicieux, tantôt redoutables poisons que tout le monde connaît. Les végétaux terrestres, toujours de dimensions très modestes, qui forment la classe des mousses, ressemblent encore tout à fait aux algues au point de vue de leur structure. On peut même passer graduellement, dans la classe des Muscinées à laquelle elles appartiennent, d'un thalle aplati en forme de lame continue qui se rencontre chez certaines Hépa- tiques au thalle des Mousses où l'on voit une petite tige cylin- drique porter latéralement des feuilles ; la racine seule est absente. Mais chez les Mousses, la reproduction a pris une allure par- ticulière que la tachygénèse modifiera chez les plantes supé- rieures, en lui faisant traverser des étapes successives dont cha- cune marquera un de leurs embranchements. Les algues infé- rieures se reproduisent généralement au moyen de corpuscules à qui de minuscules rames mobiles, les fouets ou les cils vibratiles permettent de nager et qu'on nomme zoospores. Chez ces algues les zoospores sont toutes pareilles. Cependant, chez d'autres (Ulolhrix, Tetrasporà), elles peuvent, suivant les circons- tances, ou demeurer semblables, et donner isolément naissance à une algue nouvelle, ou revêtir deux formes différentes : l'une de grande taille, qui a accumulé des substances de réserve dans son protoplasma ; l'autre de petite taille, dépourvue de cet réserves. Une grosse zoospore ne peut alors se développer en une algue nouvelle qu'à la condition de s'unir au préalable avec une * ^14 LKS FORMES PRIMITIVES DK LA VU petite; c'est le début de la sexualité: on dit que la grosse zoo- spore est femelle, la petite mâle. La première prend désormais le nom d'oosphère, la seconde celui tf anthérozoïde. Chez les varechs l'oosphère, énorme, est immobile, l'anthérozoïde seul est actif; il n'y a pas de zoospores, la reproduction est toujours sexuée. Chez certaines algues enfin les zoospores sont rem- placées par des éléments immobiles asexués qu'on nomme des spores et qui se forment dans des organes spéciaux, les spo- ranges. Chez les mousses ces deux modes de reproduction sont combinés et alternent avec une régularité parfaite. Au début du printemps chaque petite tige de mousse s'épanouit, à son sommet, en une délicate rosette de feuilles parmi les- quelles on distingue deux sortes d'urnes minuscules, les unes dites archégones, contenant une oosphère immobile, les autres dites anlhéridiesy remplies d'anthérozoïdes très actifs. Bientôt chaque oosphère est fécondée par un anthérozoïde. Sans quitter son archégone elle se développe en une plantule nouvelle constituée uniquement par un filament terminé par une cap- sule ovoïde, un sporange rempli de spores. Ces spores, répan- dues sur le sol humide, se développent en filaments semblables à des conferves, sur lesquels poussent enfin des bourgeons dont chacun deviendra un brin nouveau de mousse. Le mode de reproduction des mousses est strictement con- servé chez les végétaux souvent de très grande taille qui constituent les trois classes des Fougères, des Lycopodes et des Prêles, et forment ensemble l'embranchement des Cryptogames ; vasculaires. Ici le mode de végétation se complique. Le corps de la plante est généralement constitué par une tige qui rampe sur le sol ou s'allonge sous terre, parfois presque indéfiniment et qu'on appelle un rhizome. Sur ce rhizome poussent, en sens inverse, deux sortes de ramifications ; les unes se dressent vers le ciel et constituent les feuilles ; les autres s'enfoncent dans le sol et constituent les racines qui apparaissent ici pour la première fotëi. Par des files de cellules allongées, placées bout à bout en LA formation des grands types de végétaux 115 ligne droite, l'eau chargée de sels, absorbés dans le sol monte jusqu'aux feuilles, et redescend, après s'être emparée du sucre qu'elles ont formé, vers les racines. Cette eau circulante, c'est la sève, ©t les files de cellules qui tracent son chemin sont les vaisseaux de la plante, vaisseaux qui se montrent également pour la première fois et ont valu aux fougères, aux lycopodes et aux prêles leur nom de Cryptogames vasculaires. Lorsqu'il naît un faisceau de feuilles au même point sur le rhizome, ces feuilles s'accolent et constituent une tige secondaire;dressée dans l'air, comme c'est le cas pour les fougères arborescentes des pays chauds et peut-être aussi au début pour les prêles à feuilles verticillées. Chez les mousses, c'est la tige feuillée qui porte les organes de la reproduction sexuée et un végétal pour ainsi dire accessoire, fixé sur cette tige feuillée qui produit le sporange et les spores. On constate, chez les cryptogames vasculaires, un singulier renversement dans les dimensions du végétal sexué et du végétal asexué, qui alternent régulièrement dans le dévelop- pement des mousses, et, jusqu'ici, aucun terme intermédiaire n'est venu combler la lacune qui sépare celles-ci des crypto- games vasculaires. Les sporanges sont, en effet, portés par les grandes feuilles des fougères, les feuilles des tiges accessoires des lycopodes et des prêles ; les spores issues de ces sporanges ne donnent naissance qu'à une lame foliacée, sans racines, rap- pelant un thalle d'hépatique et que l'on appelle le prothalle. Ce prothalle porte des archégones contenant chacun une oosphère, des anthéridies produisant des anthérozoïdes. Chaque oosphère fécondée donne naissance à une nouvelle tige foliée. Les choses se passent exactement de la même façon dans les trois classes des fougères, des lycopodes et des prêles ; dans toutes les trois on assiste parallèlement aux mêmes modifica- tions de la reproduction par la tachygénèse, et à la transfor- mation graduelle du mode normal de reproduction en un autre mode plus accéléré qui caractérise les phanérogame* gymnospermes ; de sorte que non seulement il est certain que» 116 LES FORMES PRIMITIVES DE LA Vil c'est la tachygénèse qui a transformé les cryptogames rascu- lairesen phanérogames gymnospermes; mais il est très probable que chaque classe de cryptogames a passé isolément à la gymnospermie^et fourni un type spécial de gymnospermes. En fait, les Cycadèes, avec leurs grandes feuilles, semblent se rat- tacher aux fougères, les Conifères à feuilles petites et disposées sur une hélice aux lycopodes, et les Gnétacées à feuilles petites et verticillées aux prêles. Quoi qu'il en soit, dans les trois classes de cryptogames la marche de la tachygénèse est la même. 1° Les dimensions des prothalles se réduisent et, au lieu de se développer hors de la spore, ils se développent à son inté- rieur. 2° Les sporanges, au lieu d'être tous identiques entre eux, se divisent en deux catégories : des macrosporanges, qui pro- duisent un petit nombre de grosses spores ; des microspo- ranges, qui produisent un grand nombre de petites spores. Les grosses spores ne donnent naissance qu'à des prothalles du sexe féminin portant des archégones; les petites spores qu'à des prothalles du sexe masculin portant des anthé- ridies. 3° Dans le tissu producteur de spores des macrosporanges les spores cessent de s'individualiser et de se revêtir de leur membrane protectrice. Ce tissu demeure à l'état indifférent; les archégones s'y forment directement et chaque arché- gone se réduit lui-même à l'oosphère surmonté de quatre ou huit cellules représentant son col. Dans les microsporanges, au contraire, les spores s'individualisent, mais le prothalle qu'elles contiennent consiste simplement en trois cellules dont l'une, dite cellule génératrice, peut produire, en se divisant, huit à dix petites cellules (Mïcrocycas colocoma de Cuba) donnant chacune naissance à deux anthérozoïdes, ou produire elle-même directement deux anthérozoïdes seulement (Cycas, Ginkgo), îJi YOftMATION DES GRANDS TYPES DE VEGETAUX 117 4* Finalement les anthérozoïdes cessent de former leur bande- lette hélicoïdale de cils vibratiles et se réduisent à un simple noyau. Ces modifications peuvent déjà se produire sans que l'appa- reil végétatif change d'aspect, comme l'a vu M. Grand'Eury pour certaines fougères de la houille. Elles caractérisent l'appa- reil reproducteur des plantes phanérogames gymnospermes et les noms des diverses parties que nous venons d'énumérer changent alors, parce qu'on a d'abord comparé l'appareil repro- ducteur des gymnospermes à celui des angiospermes pour lequel les botanistes avaient créé une nomenclature toute spé- ciale : le macrosporange devient ainsi V ovule; le tissu corres- pondant au prothalle est Yendosperme, et lesarchégones sont les corpuscules correspondant chacun à un sac embryonnaire. Les microsporanges deviennent, de leur côté, les sacs polliniques et les microspores les grains de pollen. Du même coup la feuille modifiée qui porte les macrosporanges est un carpelle et celle qui porte les microsporanges une élamine. La transformation des phanérogames gymnospermes en angiospermes s'accomplit simplement par un progrès nouveau de la tachygénèse. Les carpelles, au lieu de demeurer ouverts et étalés de manière à laisser à nu les ovules, d'où le nom de gymnospermes (1), s'enroulent en cornet de manière à les cacher, et le nom d'angiosperme ne signifie pas autre chose. En même temps le prothalle se réduit encore dans l'ovule ; la cellule qui lui donne naissance, et qu'on appelle le sac embryonnaire, s'agrandit; son noyau subit, en général, seulement trois bipar- titions successives qui donnent naissance à huit noyaux; deux de ces noyaux se fusionnent en un seul occupant le centre du sac embryonnaire, trois autres se portent à la base du sac embryonnaire, les trois derniers à son sommet où ils devic * km les centres d'autant de cellules. De ces trois cellules une s« (1) (>• XupLvéç, nu, et aiîépjxa, graine; 118 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE se transforme en oosphère; les autres demeurent stériles; rietf ne rappelle plus les archégones. Les microspores ou grains de pollen ne contiennent plus eux-mêmes que deux noyaux, dont l'un se subdivise pour former deux autres noyaux, dernier souvenir des anthérozoïdes. Pour quiconque aura suivi cette évolution il demeurera de toute évidence que ce sont des caractères exclusivement dus à la tachygénèse qui distinguent les trois grandes classes des Rhizophytes, ou végétaux pourvus de racines et de vaisseaux : les Cryptogames, les Gymnospermes et les Angiospermes. Il est évident que ces trois classes se sont caractérisées successi- vement dans l'ordre que nous venons d'énumérer et n'ont pas pu apparaître sur la terre autrement que dans cet ordre. Mais la tachygénèse poursuit son œuvre chez les angiospermes. Les feuilles reproductrices d'un même sexe sont groupées toutes ensemble chez les gymnospermes et disposées en une hélice serrée constituant ce qu'on appelle un cône; il y a des cônes femelles et des cônes mâles, en général réunis sur le même arbre; les conifères sont dites, pour cela, monoïques. Les plantes angiospermes qui en sont dérivées directement devront avoir, comme elles, des fleurs réduites à l'essentiel ; celles d'un même sexe devront être groupées toutes ensemble, soit sur le même arbre, soit sur deux arbres séparés. C'est, en effet, ce qu'on . observe dans la grande famille des Amentacées dont les fleurs sont groupées en chatons unisexués, où elles peuvent être réduites, comme chez certains saules, à deux étamines protégées par une simple écaille. Comment a-t-il été possible de passer de ces chatons aux fleurs proprement dites dont les plus parfaites, au sens où l'en- tendent les botanistes, sont constituées par quatre verticilles, deux de feuilles stériles : le calice dont les feuille» demeurent généralement vertes, et la corolle dont les feuilles sont le plus sou- vent colorées; deux de feuilles fertiles, toujours disposées dans le même ordre : un verticille de feuilles mâles, les éiamines LA FORMATION DBS GRANDS TYPES DE VÉGÉTAUX 119 surmontant la corolle ; un verticille de feuilles femelles, les carpelles terminant le rameau floral? Le mécanisme de cette transformation n'apparaît pas au premier abord ; toutefois, en tenant compte de ce que nous savons de la nature des sexes, il est possible de l'entrevoir. En premier lieu, le sexe n'est pas, comme on serait tenté de le croire, d'après ce qui se passe en général, quelque chose d'absolu. Nous avons vu qu'entre les éléments mâles et les éléments femelles il y a surtout une diffé- rence d'aptitude à la nutrition. Or cette différence peut être provoquée par le degré d'intensité de la nutrition chez les individus qui produisent ces éléments. Une simple transplan- tation suffit parfois pour faire passer du sexe féminin au sexe masculin les Thladianla dubia (Blavet), Triœnosperma flcifo- lia, Dioscorea canariensis, Clemalis Hilarii (Spegazzini, 1900). On a obtenu le même résultat par la section de la tête chez un saule (Salix caprœa, Haacke, 1896). La transformation inverse a été réalisée chez les saules (Klein, 1896); M. Edmond Bor- dage l'a vue se produire chez le papayer à l'île de la Réu- nion (1898); MM. Hariot (1902) et Davaul (1903) signalent qu'on produit couramment cette transformation, chez les pal- miers,dans les oasis du Sud algérien, en fendant longitudinale- ment de leur milieu jusqu'à leur gaine, toutes les feuilles des pieds âgés de deux ou trois ans. D'autre part, dans une série d'expériences des plus précises et des plus ingénieuses, M. Blaringhem (1) a constaté des résultats tout à fait frappants. En sectionnant de jeunes tiges femelles de mercuriale et d'épinard il a vu naître des rejets portant chacun des fleurs mâles et des fleurs femelles et il a transformé ainsi une plante dioïque en plante monoïque. Il a imême pu aller plus loin : en mutilant des pieds de chanvre mâle, il a obtenu des fleurs hermaphrodites. Ses expériences sur le maïs ont fait appa- raître nettement l'intervention de la nutrition dans ces phé- (1) XXXIX, 124. 120 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE nomènes. Les tiges de maïs se terminent, comme on sait, par un panache d'épis mâles qui se caractérisent de bonne heure; plus tard, à l'aisselle des feuilles de la tige appa- raissent, comme des branches latérales, les épis femelles enve- loppés dans de larges bractées. On peut remarquer déjà que le panache mâle se caractérise à une époque où le jeune pied de maïs ne dispose que de racines peu étendues ; sa nutrition est par conséquent peu active, la tachygénèse le fait apparaître trop tôt. Les épis femelles se développent, au con- traire, quand le pied de maïs est en pleine activité. Ceci posé, M. Blaringhem coupe, à des moments différents de leur végéta- tion, des pieds de maïs, supprimant ainsi le premier épi mâle et la plus grande partie de la tige, à ce moment exclusivement mâle, qui le portait. Cette tige est remplacée par de nombreux rejets latéraux qu'on peut considérer comme des tiges neuves. Si la section de la tige primitive a été faite au moment où les racines étaient peu développées, c'est-à-dire dans les conditions mêmes où se produit le panache mâle de cette tige, tous les rejets se terminent aussi par un panache exclusivement mâle. Quand on retarde l'époque de la section, à mesure que les racines prennent plus de développement, on voit apparaître, sur les rameaux du panache terminal des rejets, un nombre croissant de fleurs femelles ; lorsqu'on attend jusqu'au voisinage de la période de croissance maximum de la tige, qui est évidem- ment une période où les racines déploient une grande activité nutritive, les panaches terminaux d'un certain nombre de rejets arrivent à ne plus porter que des fleurs femelles; enfin, quand la section a lieu pendant ou après la période de floraison, tous les rejets se terminent respectivement par un panache de fleurs femelles. M. Blaringhem a réussi également à obtenir la transformation des épis femelles de maïs en épis mâles. Il lui suffit pour cela de tordre la tige au-dessous du bourgeon terminal, en arrêtant ainsi le développement de c* bourgeon. Les bourgeons latéraux profitent de la nourriture LA FORMATION DES GRANDS TYPES DE VÔGETArUX 134 qu'il aurait absorbée et poussent activement. Au lîeu de for- mer un rameau court et épais dont les fleurs auraient été toutes du sexe féminin, ils s'allongent aux dépens de leur dia- mètre, tendent à se ramifier comme l'épi mâle et, finalement, produisent un certain nombre de fleurs mâles; on obtient^ d'une manière plus constante, le même résultat en tordant soit le pédoncule de l'épi femelle, lui-même en voie de développe- ment, soit cet épi en un certain point de sa longueur. Dans ce dernier cas la région tordue, moins bien nourrie, porte des fleurs mâles. L'influence de la nutrition sur le sexe est ici bien évidente; mais ces opérations ne se bornent pas à agir sur le sexe des fleurs; elles confèrent aussi aux graines qui en naissent une aptitude particulière à se nourrir. Si on vient à semer les graines recueillies sur un épi mâle, l'épi terminal des jeunes pieds qui en sont issus contient normalement des fleurs mâles et des fleurs femelles; un facteur nouveau intervient dans l'évolution de ces jeunes sujets, ^hérédité. On peut même arriver à faire apparaître dans la fleur des organes nouveaux, ce qui suppose qu'on en peut aussi suppri- mer. M. Blaringhem est parvenu, chez le maïs, à ajouter des carpelles aux fleurs mâles dont les étamines sont demeurées intactes, et à obtenir ainsi des fleurs hermaphrodites. C'est probablement ce qui s'est produit dans des transformations analogues observées sur les fleurs unisexuées d'un certain nombre d'autres plantes (1). Voici donc un premier point acquis : Le sexe des fleurs est nettement fonction de leur nutri- tion et nullement déterminé à l'avance, au moins chez un certain nombre d'entre elles. L'identité fondamentale des phé- nomènes de reproduction chez les animaux et chez les plantes, est un fait non moins incontestable et nous sommes, par con- (1) Triœnosperma, Dioscorea, Clemali*- 122 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE séquent, autorisés à faire appel à ce qui est clair dans l'un des règnes pour l'appliquer à l'autre. Il y a, nous le verrons, des groupes d'animaux hermaphrodites ; mais, tandis que l'herma- phrodisme est la règle chez les plantes supérieures, il est l'exception chez les animaux, ce qui indique qu'il est d'appa- rition plus récente, et explique que ses causes soient plus faciles à apercevoir. Les conditions dans lesquelles* on observe l'hermaphro- disme dans le Règne animal s'accordent, en effet, pour établir qu'il est aussi lié à un trouble dans la nutrition; ce trouble a pour conséquence la disparition des mâles et la transformation des femelles en hermaphrodites. Cet hermaphrodisme se réalise d'une façon particulière : les cellules destinées à pro- duire les éléments génitaux se forment de bonne heure et débutent pendant la période de croissance ; tant qu'elles sont en concurrence avec les éléments du corps en voie de multipli- cation, elles évoluent vers le sexe masculin? quand la crois- sance est achevée, elles peuvent s'approprier toutes les sub- stances nutritives, elles évoluent vers le sexe féminin. Il n'y a pas simultanéité, sauf, peut-être, dans une courte période tran- sitionnelle chez certains animaux tels que les huîtres (1), dans le développement des deux sortes d'éléments génitaux. L'animal commence par être mâle, puis il devient femelle; c'est ce qu'on nomme Y hermaphrodisme proiandre ; l'autre cas peut se produire, mais il est tout à fait exceptionnel. Chez les cirrhipèdes et les nématodes on trouve parfois des mâles surnuméraires, inutiles, qui demeurent comme les témoins de ce mécanisme de la production de l'hermaphrodisme. Nous sommes donc autorisés à penser qu'il a pu en être de même dans le règne végétal : que dans des conditions nouvelles de nutrition, la végétation dans des terrains secs par exemple, alors qu'elle n'était d'abord possible que dans des sols très (1) XZr. LA FORMATION DBS GRANDS TYPES DE VÉGÉTAUX 123 humides ou même marécageux, les chatons mâles, toujours présents chez les gymnospermes et les amentacées, ont disparu chez ces dernières, que les chatons femelles ont seuls persisté en devenant hermaphrodites, et, dès lors, l'explication de la forme habituelle des fleurs devient facile. On peut admettre que la formation hâtive et précipitée des feuilles fertiles, éta- mines et carpelles, dans le bourgeon floral dont l'évolution est particulièrement rapide a fait disparaître les ébauches des feuilles infertiles qui les accompagnent, en général, et se mélangent à elles de diverses façons dans le cône des gymno- spermes. Ces feuilles sont, en effet, représentées par de petkes écailles dans les chatons des plataneà, par une ou deux glandes dans ceux des saules et des peupliers; elles font complètement défaut aux chatons femelles des bouleaux, à tous les chatons des n-yricinées, et chez les chênes, les noisetiers, les châtaigniers, les hêtres, les charmes, les chatons sont protégés par d'autres feuilles infertiles, qu'on appelle des bractées, qui se rassemblent à leur base et forment la cupule des glands, celle des noisettes surmontées par de longs appendices foliacés, la bogue des châ- taignes et des faînes, l'enveloppe du fruit des charmes. Chez ces plantes, presque toutes de grands arbres ou des arbrisseaux, les fleurs n'ont encore ni calice, ni corolle. Nous laissons de côté, bien qu'ils démontrent aussi le caractère contingent des parties accessoires de la fleur, les cas où, comme chez plu- sieurs familles de monocotylédones, le périanthe, développé normalement chez les autres, s'est réduit, eta finalement avorté, comme c'est le cas pour les joncées, les cypéracées, les gra- minées, les naïadées, les lemnacées. Le cas des aroïdées est parflculièrement intéressant parce qu'il nous montre comment les périanthes réduits d'un lot de fleurs groupées en épi peuvent être remplacés par une vaste bractée capable de prendre l'aspect des plus brillants périanthes. Imaginons maintenant un chaton femelle composé de feuilles toutes fertiles, protégé à sa base par des bractées 1»24 LES FORMES PRIMITIVES DE LÀ VIE stériles et qui, dans des conditions de nutrition insolites pour lui, lesquelles ont dû fréquemment se présenter à mesure que les végétaux devenaient plus exclusivement terrestres, serait comme il arrive souvent, en pareil cas, affecté d'accélération de développement, les premières feuilles fertiles formées au cours de l'élongation du chaton, celles qui occuperont sa base, seront en concurrence, pour leur nutrition, avec le chaton lui- même; comme dans les cas d'hermaphrodisme protandre des animaux, elles descendront à l'état de fleurs mâles, c'est-à-dire d'étamines; seules les feuilles fertiles du sommet du chaton, celles qui correspondentà la finde sa croissance, conserveront leur sexe féminin, elles seront devenues des carpelles avec leurs ovules. La fleur des dicotylédones, telle que nous nous la représentons schématiquement, telle qu'elle est décrite dans tous les livres classiques de botanique, se trouvera ainsi constituée avec ses car- pelles, au centre, formant le gynécée ou pistil ; son cercle d'éta- mines constituant Vandrocée; son cercle de feuilles stériles cons- tituant le périanlhe. Celui-ci est ordinairement double et com- prend des feuilles colorées, qui forment la corolle^ des feuilles demeurées vertes qui forment le calice. Pour expliquer ce fait, il faut avoir recours à un autre ordre de considérations. L'éla- boration des éléments génitaux ne se produit pas sans qu'il en résulte la formation de composés spéciaux, produits de déchet qui sont déversés autour de ces éléments, entrent en contact avec les éléments voisins, soit par imbibition, soit par l'intermé- diaire de l'appareil circulatoire. Les zoologistes et les médecins connaissent, depuis longtemps, l'influence sur l'organisme de ces produits de sécrétion interne, comme on dit aujourd'hui, et nous avons déjà indiqué à quel degré ils sont susceptibles de modifier la forme, les dimensions, la couleur des organes dans lesquels ils pénètrent et notamment ceux qui font partie des caractères sexuels secondaires. Cette action peut, au point de vue de la couleur, s'épuiser sur la corolle, mais elle peut aussi gagner le calice qui devient pétaloïde, notamment La formation des grands types de végétaux 125 chez beaucoup de monocotylédones (Colchicacéee, Liliacées, Asparaginées, Orchidées, etc.), gagner même les bractées (diverses Sauges), ou les feuilles (Poinseïia) (1). Naturellement, si telle a été l'origine des fleurs, les premières d'entre elles ont dû garder une trace de l'élongation primitive des chatons et de l'indétermination du nombre de leurs élé- ments; sépales, pétales, étamines, carpelles ont dû être d'abord en très grand nombre, en raison de leur commune origine, et être reliés par des transitions graduelles. Ces conditions sont, en effet, remplies chez un grand nombre de fleurs, soit pour la fleur entière, soit pour quelques-unes de ses parties, l'androcée ou le gynécée dont les éléments multiples sont disposés en hélice, comme les écailles d'un cône de sapin autour de son axe. Les magnolias, les nénuphars blanes (Nymphéa alba), les camélias, les cactus ont ainsi des fleurs hélicoïdales à éléments nombreux où l'on peut constater le passage soit des sépales aux pétales (Camélia), soit des pétales aux étamines (Nymphéa). Chez les roses ce sont les feuilles qui passent aux sépales ; bien que ceux-ci soient au nombre de cinq seulement, ils se modifient graduellement ; le nombre des pétales est aussi de cinq, tous semblables entre eux; les éta- mines, disposées en trois verticilles, se fixent au nombre de vingt, celui des carpelles est indéterminé, et ils sont disposés en hélice à l'intérieur d'une coupe creusée à l'extrémité de l'axe de la tige. Chez le fraisier, le framboisier, la ronce, l'axe est au contraire saillant, mais les carpelles gardent la même disposi- tion. Le calice et la corolle sont verticilles et leurs éléments sont égaux entre eux chez les renoncules, les clématites, les ané- mones, etc., mais les étamines et les carpelles sont nombreux. (1) Il se pourrait aussi que la cause de ces phénomènes fût inverse et que les bractées colorées, les calices pétaloïdes et les pétales dussent leur dévelop- pement particulier à ce qu'ils arrêtent au passage les aliments qu'attirent vers elles les feuilles fertiles et profitent ainsi de leur surcroît d'alimentation, mais on peut se demander pourquoi ces parties ne deviennent pas elles-mêmes fertilea. Ce serait à l'expérience ou à l'analyse chimique de décider. 126 LES FORMES PRIMITIVES DE LÀ VIS Ces derniers se réduisent en nombre et se soudent entre eux, tandis que les étamines demeurent nombreuses chez les pavot*. Enfin, tout se régularise ; la tachygénèse raccourcit les axes qui supportaient les parties de la fleur; celles qui sont de même nature naissent alors simultanément, la disposition héli- coïdale disparaît complètement; sépales, pétales, étamines, car- pelles forment autant de verticilles dont les parties, en même nombre, alternent d'un verticille à l'autre ; la fleur est dite alors isomère. La dernière réduction porte sur le gynécée qui peut être formé de moins de carpelles qu'il n'y a de parties dans les autres verticilles. Une fois la fleur ainsi réalisée, d'autres causes peuvent la modifier : elle peut, par exemple, passer de la forme verticillée à une forme symétrique par rapport à un plan, comme on le voit dans les Papilionacées ; mais surtout, encore sous l'action de la tachygénèse, il peut arriver que les parties d'un même verticille se forment si vite qu'elles se soudent ies unes aux autres, la corolle dialypétale devient ain« gamopétale et la division primordiale des plantes dicotylédones, sur laquelle tout le monde est d'accord, se trouve ainsi relever, elle aussi, delà tachygénèse. La tachygénèse a d'ailleurs amené également, dans chacune de ces deux séries, la confusion de l'ensemble des carpelles avec la base des autres organes floraux, et déterminé, par suite, la réalisation de ce qu'on appelle un ovaire infère. De la sorte, dans chacune des deux sous-classes des dialypétales et des gamopétales, on distingue deux ordres : celui des Supéro- variées et celui des Inférovariées. Il est clair, d'après cela, que les dicotylédones gamopétales n'ont pu se montrer qu'après les diajypétales. Nous arrivons ici à un point délicat sur lequel, faute d'avoir envisagé les considérations sur lesquelles nous venons de nous appuyer ou parce qu'ils les ont négligées, les anciens bota- nistes ont commis une erreur d'appréciation dont quelques- un* des botanistes actuels sont en train de revenir. L'opinion LA FORMATION DES GRANDS TYPES DE VÉGÉTAUX 12^ s'est répandue que les monocotylédones sont inférieures aux dicotylédones et ont dû apparaître avant elles, ce que l'on s'est effectivement préoccupé d'établir ; mais pour peu qu'on applique aux fleurs des monocotylédones les principes incontestables qui découlent de l'étude des dicotylédones, on sera bien vite convaincu que, loin d'être des fleurs primitives, ce sont les plus perfectionnées de toutes les fleurs. Tout d'abord, comme les fleurs des dicotylédones les plus élevées, sauf de peu nombreuses exceptions (1), elles sont presque toutes isomères et construites sur le type 3, c'est-à-dire qu'elles ont 3 sépales, 3 pétales, 3 ou 6 étamines et 3 carpelles. Elles comptent parmi les plus bril- lantes; très souvent, ce qui est rare parmi les dicotylédones, leur calice est aussi éclatant ou même plus éclatant que leur corolle; elles sont souvent symétriques par rapport à un plan médian, au point de ressembler à des abeilles ou à des papillons comme beaucoup d'orchidées (2), et quelquefois leur androcée subit une réduction qui témoigne d'une altération du type général, postérieure à la réalisation de ce type. Les monoco- tylédones à petites fleurs, comme les joncs, les carex, les graminées, ne sont pas, parce que leur fleur est petite et verte, plus primitives que les autres; elles sont isomères comme elles; et celle des graminées a éprouvé des modifications pro- fondes de ce type isomère déjà récent par lui-même. La structure de leur fleur ne peut donc laisser aucun doute sur le caractère relativement élevé des monocotylédones; ce qui a fait naître une opinion contraire, c'est que la structure de leur tige rappelle, à certains égards, celle des cryptogames vasculaires ; mais les monocotylédones sont des plantes angio- spermes qui n'ont pu acquérir ce caractère qu'en passant par l'état de gymnospermes; or la tige des gymnospermes connues a déjà dépassé de beaucoup la structure primitive de celle des (1) Les Centrolépidées, propres à l'Australie, et les plantes des familles de» Lemnacées, des Naïadées, toutes flottantes ou submergées et chez qui ce genre de vie très spécial concorde avec une incontestable dégénérescence je \.A fleur> U) Ophrys ivoueiie, O. abeille. O. frelon, etc. 128 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE cryptogames vasculaires. Il faut donc avoir recours à une antre interprétation. Les monocotylédones paraissent avoir été, au début, des plantes vivant dans les lieux humides et marécageux ou même dans l'eau, comme l'indiquent leurs feuilles lisses, entières, épaisses, à nervures parallèles. Beaucoup sont encore dans ce cas; il suffira de citer les joncs, les carex, le riz, les iris, les arums, les roseaux, les bambous, les zos- tères, les potamots, les lentilles d'eau, etc. ; les palmiers eux- mêmes ne viennent pas, comme on le dit volontiers, dans le désert, mais dans les oasis bien arrosées du désert, ce qui n'est pas la même chose. La tige des ancêtres des plantes monoco- tylédones mal soutenue, comme nous allons le voir, par un sol mou, s'est couchée et transformée en rhizome, comme celle des cryptogames vasculaires, et c'est sur ce rhizome que se sont reconstituées des tiges aériennes par un procédé analogue à celui qui a formé la tige des fougères et celle des prêles, aux- quelles elles ressemblent, dès lors, tout naturellement. Ces plantes des marécages sont dans les meilleures conditions pos- sibles pour se fossiliser. Il ne serait donc pas étonnant qu'elles se soient plus facilement conservées que les dicotylédones, qu'elles puissent même être découvertes dans des couches qui n'ont pas encore fourni de dicotylédones. M. Lignier a décrit, en effet, sous le nom de Propalmophyllum, des bases de feuilles juras- siques qu'il suppose avoir appartenu à des monocotylédones. Il serait vain de chercher à systématiser la forme essentielle- ment variable avec les circonstances des champignons, des algues, des hépatiques et même des mousses. On ne peut guère saisir chez elles d'unité organique plus élevée que les plastides; toutes les parties du corps, si compliqué que celui-ci paraisse, ont la même valeur ; aucune ne peut être considérée comme ayant une individualité particulière. Il n'en est plus de même chez les plantes vasculaires. Si l'on considère un tronc de fougère arborescente, de cycadée, de palmier, il semble évident, à première vue, qu'il est formé par la concrescence des LA FORMATION DES GRANDS TYPES DE VÉGÉTAUX 129 t' pétioles des feuilles, et on a beaucoup discuté sur cette manière de voir. Il n'en est pas de même chez les plantes dicotylédones, dont la tige, loin de devoir son origine aux feuilles, semble, au contraire, les produire. On en a conclu que le mode de forma- tion du tronc à l'aide de pétioles concrescents n'était qu'une illusion ; il eût été plus logique de prendre comme point de départ l'indication, très évidente, fournie par les fougères, et de rechercher comment ce mode initial de formation du tronc avait pu donner naissance à la structure propre au tronc des Gymnospermes et des Angiospermes dicotylé- dones. L'indication, donnée par les fougères, les cycadées et les palmiers s'étend d'ailleurs plus loin : il suffit d'examiner une jeune branche de conifère pour la retrouver. Sans discuter à fond ce problème, nous ferons remarquer que l'ordre de forma- tion des organes est souvent interverti par la tachygénèse, et qu'il y a plus d'un exemple que, lorsque des organes nés sépa- rément se fusionnent, l'organe nouveau résultant de leur fusion se forme,, au cours du développement embryogénique, avant les parties demeurées libres, qui semblent alors naître à ses dépens. C'est le cas notamment pour le rein primitif ou proné- phros des vertébrés. Cette remarque rend toute sa valeur à la théorie de Goethe qui voulait voir, dans tout végétal, une association de feuilles, dans la feuille une sorte d'individu qui construit le végétal en se répétant indéfiniment et qui, en se transformant, donne naissance à toutes les parties de la fleur. Ce. que Goethe avait deviné par la seule considération des plantes à fleurs, a été démontré depuis par l'étude des crypto- games vasculaires, dont les feuilles, d'abord toutes semblables entre elles, toutes également capables de porter des sporanges, se divisent ensuite en deux types de forme différente : les feuilles stériles et les feuilles fertiles qui, chez les lycopodes et les prêles, se groupent à l'extrémité des branches ou des tiges et préparent la formation des cônes des conifères, préface de la Heur. q CHAPITRE TV LES FORMES PRIMITIVES THÉORIQUES DES ANIMAUX ANIMAUX RAMIFIÉS ET ANIMAUX SEGMENTES L'aptitude à se déformer et à se mouvoir, que possèdent les animaux réduits à un seul élément anatomique ou pîastide, a permis à ces éléments d'acquérir une variété de formes infini- ment plus grande que celle qu'on observe à l'étage correspon- dant du règne végétal. D'autre part, ces plastkles une fois asso- ciés, se sont réciproquement modifiés et solidarisés beaucoup plus vite que ne l'ont fait les plastides végétaux. Il s'ensuit qu'à côté des êtres unicellulaires qui constituent le grand groupe des Protozoaires, correspondant au type de structure le plus simple, il n'y a pas, dans le règne animal, d'organismes volumineux offrant la structure homogène des Algues et des Champignons supérieurs. Tout de suite on passe des Proto- zoaires à des organismes déjà compliqués; mais les Proto- zoaires revêtent des formes d'une variété infinie et abondent partout. On les répartit en trois grands groupes : les Rhizopodes, les Infusoires et les Sporozoaires. La substance du corps des premiers a une consistance si voisine de celle de l'eau, que la surface des grumeaux qu'elle constitue cède aux plus légères attractions; elle est constam- ment comme effilochée, frangée, ou lobée, et les émergences terri' poraires qui se dégagent de sa masse portent le nom de pseudo- podes, ce qui veut dire fausses-pattes. Ces pseudopodes, lorsqu'ils sont très ramifiés, peuvent souder les unes aux autres leurs fines ANIMAUX RATIFIÉS ET ANIMAUX SEGMENTÉS Î&L ramifications; ils sont ainsi entourés d'un réseau vivant. Deux classes de ces Rhizopodes réticulés ont joué un grand rôle dans toutes les périodes géologiques, et abondent encore de nos jours dans toutes les mers : les Radiolaires à squelette souvent siliceux, et les Foraminjferes à coquille généralement calcaire. Les premiers sont flottants et on retrouve les débris de leur squelette jusque dans les dépôts algonkiens ; les seconds vivent plus près du fond ou sur le fond. Ils ont formé, à diverses époques, presque à eux seuls, des dépôts d'une grande épaisseur. Chez les autres Rhizopodes moins importants, les pseudopodes ne se soudent pas; ils ont la forme de simples lobes arrondis chez les Amibes* Nous arrivons ainsi aux Infusoires, dont le corps ne se dé- forme que fort peu et qui se meuvent à l'aide d'appendices /?ev- manents — que l'on appelle fouets ou flagelles vibraliles quand ils sont longs et peu nombreux, cils vibraliles quand ils sont courts, nombreux et disposés en toison ou en franges. Les Infusoires n'ont pas laissé de traces dans le passé. Certains flagelliferes sont cependant intéressants, parce que des éléments qui leur ressemblent de tous points sent chargés de faire cir- culer l'eau dans les canaux intérieurs des éponges. C'est le seul cas où une ressemblance aussi frappante ait été constatée entre des protozoaires libres et des éléments faisant partie intégrante d'un organisme. Les Infusoires ciliés, tout petits qu'ils soient, car les plus grands atteignent à peine quelques dixièmes de millimètre de longueur, présentent un intérêt d'un autre ordre : leurs formes semblent obéir déjà aux règles qui dominent celles des organismes supérieurs. Leur cuticule légère est percée de deux orifices qui fonctionnent comme ceux du tube digestif des ani- maux supérieurs, l'un pour Centrée des aliments, l'autre pour l'expulsion des résidus de la digestion. Ces orifices peuvent être terminaux, et alors l'animal est symétrique par rapport à l'axe qui les unit: les cils vibratiles forment une toison continue 132 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIB (Holophrya) ou se disposent en une série de couronnes trans- versales (Didiniunï) ; l'animal est alors essentiellement nageur; mais le plus grand nombre des infusoires sont capables de courir à la surface des conferves, des menues algues ou mêjoie du sol; ils ont, dans ce cas, une face ventrale aplatie sur laquelle se transporte la bouche. Celle-ci est légèrement excentrique, sans quoi les courants symétriques engendrés par les cris vtbra- tiles glisseraient autour d'elle, sans rien lui apporter; sa position excentrique et la saillie que fait au-devant d'elle la plus large des parties latérales de la région antérieure du corps qu'eHe sépare, fait que les courants porteurs de particules alimentaires viennent butter contre elle et lui cèdent ces particules. Les cils vibratiles qui l'avoisinent sont d'abord semblables aux autres (Paramecium), mais, comme si par l'usage constant et intensif qu'en fait l'animal ils se renforçaient, ils grandissent plus que les autres et forment une frange adorale qui peut venir se contourner en spirale autour de la pseudo-bouche (Spiro- slomiim), ou être simplement oblique (Bursaria). Enfin, quand l'infusoire devient essentiellement marcheur, les cils de sa face dorsale s'atrophient, comme par défaut d'usage, et les cils de la face ventrale prennent des formes particulières (crochets, stylets, cirres, rames, etc.), adéquates à la fonction qu'ils rem- plissent. Evidemment, on ne saurait faire intervenir chez un infusoire quoi que ce soit de comparable à la volonté, pour déterminer l'usage ou le défaut d'usage des organes, ni aucun sentiment de besoin ; ce sont des stimulations extérieures qui déterminent la mise en mouvement de certains cils plutôt que d'autres, la contraction ou le relâchement de telle ou telle partie du corps; mats l'usage et le défaut d'usage, quoique déterminés par une autre cause, ont eu les mêmes effets que chez les animaux doués de sensibilité et de volonté. Cette action purement mécanique apparaît nettement ohez les Stentor, grands infusoires pourvus d'une frange adorale, analogue à celle des Spirostomes, et d'une sorte de ventouse postérieure qui leur ANIMAUX RAMIFIÉS ET* ANIMAUX SEGMENTÉS 133 permet de se fixer momentanément. Les cils de la frange ado- rale, quand l'animal est libre, fonctionnent comme des rames .gui ^entraînent en avant; quand il est fixé, ils attirent forte- ment à eux le corps de l'animal qui, retenu en arrière, s'allonge en une sorte de pavillon de trompette dont la frange adora le borde la base. Cette forme devient définitive chez les ¥orti- celles, qui sont fixées d'une façon à peu près permanente. Entre les infusoires libres et les infusoires fixés il existe, au point de vue de la multiplication, une intéressante différence. Tous les infusoires ciliés se multiplient par division, et la bipartition est le type habituel de ce mode de multiplication. Cette bipartition se produit transversalement chez les infu- soires libres, longitudinalement chez les Vorticellides, de sorte que, dans le premier cas, les deux nouveaux infusoires sont placés l'un derrière l'autre, et l'un à côté de l'autre dans le second. Or la séparation des nouveaux individus se fait tardi- vement ou même pas du tout chez certaines espèces ; il se constitue, dans le premier cas, une chaîne d'individus qui rap- pelle le corps divisé en anneaux des vers annelés (Anoplo- phrya, Oplilophrya, Opalinopsis), dans le second cas une sorte de petit arbrisseau {Zoothamniurn^ Carchesium, Epi- stylis). Nous retrouverons les mêmes formes, liées aux mêmes conditions d'existence, chez les animaux supérieurs. Géométriquement, un œuf flottant dans un milieu homogène tel que l'eau, doit, en se segmentant, arriver à produire une sphère creuse dont la paroi serait constituée par une seule assise de blastomères. C'est, en effet, à peu près, ce qui arrive quand aucune influence héréditaire ou autre nt vient trou- bler le phénomène. Il y a des organismes qui demeurent au voi- sinage de cet état toute leur vie (Volvox, Protospongia, Mqgo* sphœra, etc.); un assez grand nombre d'embryons d'animaux supérieurs revêtent momentanément cette forme à qui »e nom de blaslula a été donné. Le plus souvent elle est rapidement dépassée. Les blastula sont d'ordinaire couvertes de cils vibra- Î34 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE tiles. Il serait bien extraordinaire que la puissance de ces cils et leur activité fussent rigoureusement égales tout autour d'une blastula : s'il en était ainsi, elle ne ferait que tourbil- lonner autour de son centre ; en fait, il y a toujours une région où les cils sont plus actifs, et ceux-ci entraînent l'embryon dans leur direction ; la blastula a, dès lors, une extrémité antérieure, une extrémité postérieure ; elle s'allonge suivant son axe de locomotion et devient ovoïde. L'extrémité antérieure active est une région de consommation des réserves contenues dans les cellules constituantes de la blastula ; ces réserves demeurent accumulées dans la région postérieure, inactive ; il se fait donc un appel incessant en avant des substances qui les constituent. Il en résulte la formation d'un courant qui amène la moitié pos- térieure de la blastula à s'invaginer dans la moitié antérieure. Ainsi s'explique un des processus les plus fréquents de l'em- bryogénie. La blastula est alors devenue une gastrula ; son hémisphère antérieur, formé de cellules claires, demeure externe et prend le nom d'exoderme ; son hémisphère postérieur, formé de cellules granuleuses, en raison des réserves qu'il contient, devient intérieur et prend le nom d'enioderme ; l'orifice néces- sairement postérieur résultant de l'invagination est le blasto- pore. Dans l'espace vide qui sépare l'exoderme de l'entoderme pénètrent des éléments flottants, en général détachés de l'ento- derme ; ils peuvent emplir tout cet espace, ou s'accoler en partis sur la face interne de l'exoderme, en partie sur la face externe de l'entoderme, de manière à laisser entre eux un vide ; ce vide «îst le cœlome ou cavité générale, et les éléments qui s'inter- calent entre l'exoderme et l'entoderme constituent le méso- derme, L'entoderme circonscrit une cavité digestive primitive qui, dans le cas où il existe un cœlome, se met, en général, en communication avec l'extérieur par un second orifice op- posé au >tastopore et qui devient la bouche. Nous pouvons dès maintenant concevoir trois types d'orga- ANIMAUX RAMIFIÉS ET ANIMAUX SEGMENTÉ** 135 nismes simples auxquels nous conviendrons de donner ïe nom de mérides. Ce9 mérides se fixent à cet état ou demeurent libres. Dans le premier cas, ils deviennent respectivement le point de départ de trois grands types d'organismes ramifiés : les Eponges, à mésoderme plein, les Polypes, sans mésôderme; les Bryo- zoaires, à mésoderme creusé d'un cœlome (1). Ces trois types d'organismes ont dû se constituer simultanément dès les pre- miers temps où la vie a pris possession du Globe. Les Éponges actuelles ont la propriété de former dans leurs tissus de petites concrétions minérales, de forme nettement déterminée et qu'on appelle leurs spicules. Ces spicùles peuvent être siliceux, calcaires ou remplacés par des fibres d'une sub- stance analogue à la soie, la spongine. Les plus anciennes éponges paraissent avoir été pourvues de spicules siliceux à six branches rectangulaires; nos mers en nourrissent encore, elles constituent la famille des Hexagtinelud/e. Les Polypes et les Bryozoaires peuvent aussi déposer dans leur tissu des sub- stances minérales, mais c'est toujours du calcaire; ils ont été les artisans des dépôts calcaires des premiers âges. Les Bryo- zoaires n'ont eu qu'une destinée des plus modestes. Les Polypes ont, au contraire, de tout temps, joué un grand rôle : il est important, dès lors, de préciser les rapports qu'ils présentent entre eux. Une des formes les plus simples sous lesquelles on puisse observer ces animaux est l'Hydre d'eau douce que les travaux de Trembley ont rendue célèbre, et il est difficile de concevoir une organisation animale plus primitive. L'hydre d'eau douce est un cornet de six à sept millimètres de long qui se fixe par (1) On peut désigner ces mérides têtes de lignes sous les noms de spongomé- rides, hydromérides et bryomérides. Ces derniers ne différent que parce qu'ils se fixent, des mérides qui ont donné naissance aux Artiozoaires ou tout au moins aux Vers annelés et à leurs dérivés. C'est sans doute ce qui a conduit à réunir les Bryozoaires, les Brachiopodes et une partie des Géphyriens dans un groupe artificiel des vbrmidiens qui contient à la fois des formes primitives ftt des formes dégénérées. 136 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE sa pointe aux feuilles submergées, et dont l'ouverture, servant à la fois de bouche et d'anus, est entourée de tentacules capables de saisir de menues proies : petits crustacés, petits vers, etc. Quand elle a atteint une certaine dimension, l'hydre eesse de croître en demeurant semblable à elle-même ; mais elle produit latéralement et successivement de petites protubé- rances ou bourgeons, dont chacune se développe pour former une hydre nouvelle, en tout semblable à l'hydre mère; la nou- velle hydre se détache, et mène une vie indépendante, comme le ferait une bouture détachée d'un végétal. A une température moyenne d'une vingtaine de degrés, une hydre abondamment nourrie bourgeonne avec une grande activité; les hydres nées de ses bourgeons ne se détachent que tardivement et après avoir elles-mêmes bourgeonné. Trembley a aànz'y obtenu une hydre qui en portait dix-neuf autres, appartenant à trois générations différentes. Ce qui est exceptionnel chez l'hydre ordinaire devient l'état normal chez la plupart des innombrables espèces marines qui, avec l'hydre d'eau douce, constituent la grande classe des hydroïdes. Leur corps est généralement sou- tenu par un mince revêtement de consistance cornée, consti- tuant le polypier; un de ces hydroïdes a réussi à s'acclimater dans les eaux douces ; on peut le récolter dans la Seine : c'est le Cordglophora lacustris. Les hydroïdes, fixés comme les plantes, se développent comme elles en bourgeonnant latéra- lement et en se ramifiant ; ils revêtent l'aspect de petites arbo- rescences, dont les rameaux sont formés d'hydres comme le végétal primitif était formé de feuilles. Les hydres, en demeurant associées, ont constitué un organisme nouveau, qui est à cha- cune d'elles ce qu'un rosier est à ses feuilles, ce que l'hydre elle- même est aux plastides qui la composent, et qui s'est formé pas le même mécanisme: l'association de parties semblables entre elles, capables de mener chacune une vie indépendante, mais qui aliènent, par le fait même de leur association, une partie de cette indépendance ANIMAUX RAMIFIÉS *ET ANIMAUX SEGMENTÉS 137 Disons tout de suite que ce mécanisme, que nous avons vu à l'œuvre dans le règne végétal, est aussi général dans le règne animal. Il convient dès lors de donner un nom aux formes organiques correspondant aux étapes successives de cette complication : nous avons appelé plastides les plus simples éléments vivants, longtemps appelés cellules à la suite des obser- vations incomplètes des premiers histologistes ; nous avons appelé mérides les organismes résultant de l'association des plastides ; les hydres sont par conséquent des mérides ; nous appellerons zotde une association de mérides ; et comme nous rencontrerons aussi des associations de zoîdes, nous leur attri- buerons la qualification particulière de dèmes. Ces mots suf- fisent à exprimer tous les stades de l'évolution organique. Leur brièveté permet de les employer comme suffixes pour former des mots composés : spongoméride, hydroméride, bryoméride, — spongozoïde, hydrozoïde, bryozoïde, — spon- godème, hydrodème, par exemple. Il arrive quelquefois qu'il se forme dans un dème des groupements capables de se libérer et de mener une vie indépendante (Siphonophores); nous les nommerons des démules. Dans ces associations, les parties composantes jouissent d'abord d'une indépendance presque complète, qui avait conduit à les considérer comme constituant des corps d'un type spécial — auxquels on donnait le nom de colonies, pour les opposer aux organismes ordinaires ; et l'on admettait — ce qui était purement arbitraire — que chaque méride d'un zoïde, chaque zoïde d'un dème, conservait une individualité propre, le zoïde et le dème en étant eux-mêmes dépourvut; mais, comme dans les asso- ciations de plastides, la diversification des formes et des fonctions des mérides amène dans les zoîdes une solidarité croissante, qui a conduit, par toutes les transitions possibles, à leur transférer cette notion d'indivisibilité et d'unité que nous avons puisée dans notre conscience et que nous avons transportée aux animaux supérieurs et aux plantes elles-mêmes. 138 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE En fait, tous les hydromérides constituant un hydrozofde conservent assez d'indépendance pour revêtir, suivant leur position, les conditions de leur nutrition, les excitations aux- quelles ils sont exposés, des formes diverses, correspondant, en général, chacune à une fonction particulière, sans que cela soit pourtant indispensable. Contrairement à l'opinion exprimée dans cette phrase banale que l'on emploie à tort et à travers, justement parce qu'elle ne répond à rien : « La fonction crée l'organe », les hydromérides chez les hydroïdes se modifient indépendamment de toute fonction; ils font ensuite ce que leur forme et leur position leur permettent de faire, et ce qu'ils font devient ainsi une fonction dont chacun d'eux est naturelle- ment l'organe. A côté des mérides normaux, qui conservent leur bouche, mangent et digèrent, et qu'on peut appeler gas- tromérides, se trouvent d'autres mérides qui, pouvant s'en remettre à ces mérides nourriciers de leur alimentation, demeurent privés de bouche ; ils sont aptes à saisir et à palper; ce sont des dactylomérides qui fonctionnent comme des lignes, des filaments pêcheurs, et peuvent revêtir diverses formes. D'autres se transforment en épines défensives grâce à leur revê- tement corné : ce sont des acanthomérides ; d'autres encore se trouvent placés dans des conditions telles que, dans les bour- geons qu'ils produisent, se développent rapidement les éléments génitaux: ce sont les gonomérides, porteurs des gamomér ides, dont les uns sont mâles et les autres femelles. À. de Quatrefages a le premier décrit tout ce petit monde si varié chez les Hydrac- tinies qui enveloppent les coquilles habitées par les Bernard- l'Ermite. Mais cette variété des formes associées, qui corres- pond souvent à celle que présentent les feuilles chez un végé- tal, est extrêmement répandue chez les hydroïdes, et elle conduit aux mêmes résultats. Lorsqu'en un point donné de l'hydrozoïde, se développe un gamoméride ou méride sexué, il détermine la transformation des mérides voisins en dactylo- mérides. Ceux-ci arrivent à se développer en un même verti- ANIMAUX RAMIFIÉS ST ANIMAUX SEGMENTÉS 139 cille, et ce verticille est formé de quatre mérides pour cette simple raison que, sur une circonférence, on ne peut placer qu'un peu plus de trois fois son diamètre. Ces dactylomérides ne peuvent se replier sur le gamoméride qu'ils entourent, sans tirer à eux le pourtour de son pédoncule sur lequel ils s'insèrent; il se forme ainsi nécessairement une palmure en forme de clo- chette, dont le gamoméride constitue le battant. Les parois de la clochette contiennent des muscles qui lui permettent de se contracter, de chasser brusquement l'eau qui l'emplit; le recul produit par la brusque expulsion de cette eau a pour effet de tirailler le support qui, partant de son sommet, l'unit à l'hydro- zToïde ; ce pédoncule finit par se rompre et la clochette est mise en liberté. Elle comprend un gamoméride pourvu d'une bouche et capable de digérer, une ombrelle qui sert d'organe de natation, quatre filaments pêcheurs, tout ce qu'il faut pour mener une vie indépendante ; elle est libre désormais de vivre à sa guise. Un type nouveau d'organisme, véritable fleur animale, s'est constitué; cette fleur animale est une méduse. Les méduses peuvent demeurer attachées à l'hydrozoïde qui les a produites et qui passe alors au rang d'hydrodème puisqu'elles sont elles- mêmes des hydrozoïdes ; leur mode de formation est souvent affecté de tachygénèse et elles demeurent parfois incomplètes. Au lieu de se fixer à un corps solide, certains hydromérides, entraînés par leur légèreté vers la surface de l'eau, trouvent moyen d'emprisonner une bulle d'air qui leur sert désormais de support. Les hydrodèmes qui résultent de leur dévelop- pement demeurent flottants, et agissent ensemble comme le ferait un poisson poursuivant et capturant des proies. Gastro- mérides, dactylomérides, méduses, revêtent alors les formes les plus diverses; un certain nombre de méduses contiguës s'emploient comme une équipe de rameurs à la locomotion, et par un phénomène de tachygénèse, ces méduses, dont la fonc- tion est indispensable, se développent même avant les gastro- mérides. Rien n'égale la vivacité des couleurs, la richesse et 140 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE la variété des formes de ces hydrodèmes nageurs qui constituent! la classe des Siphonophores. Ce sont de véritables organisme») autonomes; ils sont la preuve évidente que ce qu'on appelait jadis une colonie n'est que la première phase de la formation des organismes supérieurs. L'avance que prennent les méduses dans le développement des Siphonophores peut être prise de même chez les hydrodèmes fixés. On en peut dresser les étapes jusqu'au moment où le développement de l'œuf aboutit, non à un hydroméride pro- duisant lui-même un hydrodème, mais directement à une méduse. La suppression graduelle de l'hydrodème équivaut ici à la suppression graduelle du prothalle chez les crypto- games vasculaires. Ces méduses indépendantes de tout hydro- dème, mais dont la formation a été préparée et n'a pu se pro- duire que grâce à une longue élaboration par une série d'hy- drodèmes, subissent elles-mêmes d'importantes modifications, se ^compliquent diversement arrivent à atteindre plusieurs décimètres de diamètre. Elles forment la classe des Acalèphes qui comprend elle-même plusieurs ordres (1) et constituent un premier terme d'aboutissement de la série des hydroïdes, H y en a un second, plus important encore, réalisé par le Corail en passant par les Madrépores, puissants constructeurs de récifs. Déjà certains hydroïdes voisins des Hydractinies sont capables de sécréter du calcaire. Cette propriété est géné- rale chez les Hydrocoralliaires — bien étudiés par Moseley, au cours de l'expédition du Challenger, Chez ces Hydrocoralliaires on peut suivre, des Échi no pores, très voisins encore des Hydractinies, aux MiUépores, aux Allopores, aux Stylaster et aux Cryptohélies, toutes les phases du groupement d'un certain nombre de dactylomérides autour d'un gastroméride, analogue à celui qui a donné naissance aux méduses ; mais ici le gastro- méride, au lieu de demeurer indépendant au centre de sa aou- (1) XLIII, 640. ANIMAUX RAMIFIÉS Et ANIMAUX SEGMENTÉS *41 ronne de dactyloinérides, s'est accolé à eux dans toute sa longueur et communique avec eux au moyen de fentes longi- tudinales qui leur correspondent. Il a perdu ses tentacules; oe sont les dactylomérides qui les remplacent. Le tout constitue un coralliozoïde qui a été réalisé par un mécanisme analogue à celui qui a produit les fleurs dialypétales à ovaire infère. Les Anémones de mer de nos côtes sont des corail iozoïdes qui ont perdu la faculté de produire du calcaire, propriété qui a permis aux autres coralliaires de jouer un rôle énorme durant les périodes géologiques et qui en fait encore de puissants modi- ficateurs des côtes dans les régions tropicales. Dans la nature actuelle, chez presque tous les coralliozoïdes, les dactylomé- rides qui s'associent au gastroméride sont au nombre de 6 ou d'un multiple de 6; leur nombre peut demeurer fixe ou augmenter pendant toute la vie de l'animal. Des phénomènes d'accélération embryogénique, que j'ai exposés ailleurs (1), montrent comment les Madrépores construits sur le type 6 ont pu donner naissance au Corail et aux animaux qui composent avec lui la classe des ALCYONAiftES, Ces animaux semblent être, au premier abord, des madrépores construits sur le type 8, mais ils sont, en réalité, très différents. Au point de vue de r*histoire du développement de la vie sur la terre, nous ne tirerons, pour le moment, de tout ce qui précède que les conclusions suivantes^ à côté des Eponges et de* Bryozoaires, qui semblent s'être montrés peu plastiques, les Polypes ont rapidement évolué; manifestement leurs formes primitives n'ont pu être que des polypes bydraires, mais de ceux-ci ont dérivé parallèlement et simultanément les Aca- lèphes et les Coralliaires. Bien que libres actuellement, les Aca- lèphes n'ont pu apparaître que sous des formes primitivement sédentaires qui les ont précédés, et qui se développaient en se ramifiant; ils n'ont acquis que secondairement leur liberté dont (1) XLin, 7ô& 142 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VlB le facteur a encore été, on vient de le voir, la tachygénèse. Pendant qu'évoluaient ces organismes issus des mérides fixés, se développaient simultanément les organismes issus des mérides libres. Ces derniers paraissent avoir exclusivement appartenu au type des mérides pourvus d'une cavité générale qui, en se fixant, ont donné naissance aux Bryozoaires. Il n'y avait pas de raison pour qu'en conservant leur liberté ils ne con- servassent pas aussi la faculté de bourgeonner, mais la locomo- tion est un facteur important qui a modifié complètement les conditions de l'évolution. En effet, lorsque le méride initial demeure libre et se meut, la pesanteur, la locomotion et les conditions de recherche de la nourriture le font passer de la forme symétrique par rapport à un axe, qu'il pourrait conserver s'il nageait toujours suspendu dans l'eau, à la forme symétrique par rapport à un plan. Il faudrait, pour qu'il pût rester sans fatigue entre deux eaux, qu'il eût le même poids que l'eau qu'il déplace; que les substances qui le constituent, les unes plus lourdes, les autres plus légères que l'eau, comme les graisses, fussent strictement dosées de manière à lui conférer cette qualité : ce ne pourrait être qu'un cas exceptionnel. Plus léger que l'eau, il serait entraîné vers la surface, et exposé à toutes sortes d'acci- dents ; c'est donc aux formes un peu plus lourdes et naturelle- ment entraînées vers le fond que devait appartenir l'avenir. Dans ces conditions, le méride continue à s'allonger dans le sens de sa trajectoire ; l'extrémité qu'il porte en avant, et qui doit explorer le terrain sur lequel elle engagera tout le reste du corps, devient différente de l'extrémité postérieure ; ses élé- ments acquièrent une sensibilité de plus en plus grande, un bon nombre se transforment en éléments nerveux qui se dis- tribuent sur des tentacules explorateurs ou se groupent pour constituer des yeux. Dans son voisinage, mais un peu en arrière, se trouve la bouche, que précède naturellement la région exploratrice. L'animal, ne fût-ce que par un tactisme sans ANIMAUX RAMIFIES ET ANIMAUX SEGMENTES 143 lequel il serait incapable de vivre, la tourne forcément vers le sol sur lequel il **ampe, à la recherche de sa nourriture. La bouche caractérise ainsi une face ventrale, d'ailleurs aplatie par sa pression contre le sol, si légère qu'elle soit. Cette face ainsi que tout le pourtour de la bouche, étant constamment excitée par son contact avec le sol, le développement dans ces régions de nombreux éléments sensitifs finit par produire autour de cette dernière un anneau nerveux et, sur la face ventrale, une plage nerveuse. Peu à peu — et Ton peut suivre chez cer- tains embryons toutes les étapes du phénomène — les éléments nerveux s'isolent de Pépiderme dont ils faisaient d'abord partie; ils arrivent à constituer, chez les adultes, le collier œsopha- gien et la chaîne nerveuse que l'on retrouve plus ou moins modifiés chez tous les Arthropodes, les Vers annelés, les Ëchi- nodermes et les Mollusques. La locomotion a plus d'influence encore sur l'évolution ulté- rieure des protomérides mobiles que sur leur forme. Les raisons qui ont déterminé l'évolution par bourgeonnement des mé- rides fixés subsistent entièrement pour les mérides libres ; seulement les bourgeons ne sauraient être arrangés de même dans ceux-ci: il est évident qu'un organisme ramifié serait fort empêché de se mouvoir à reculons, tous ses rameaux se rebroussant en avant de sa tête; la marche en avant aurait pour conséquence d'appliquer contre le corps ces mêmes rameaux et de préparer leur soudure. Il n'y a pa3 de raisons pour que ces rameaux comprimés contre le corps se hissent à sa surface ou s'éloignent de lui latéralement, à moins qu'ils puissent être utilisés dans la locomotion, comme c'est le cas pour les appen- dices des Arthropodes, et ils ne se forment, chez ces animaux, qu'en raison de l'existence autour de leur corps d'une enve- loppe rigide de chitine, ne permettant plus à celui-ci de con- tribuer par des mouvements d'ondulation à la natation ou à la reptation. En conséquence, le bourgeonnement se localise k la partie postérieure du corps, relativement inactive, plus 144 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE jeune et formée d'éléments non spécialisés. Les bourgeons nou- veaux se placent en ligne droite en arrière des anciens, et tous ensemble constituent de la sorte un corps formé cfe segments placés bout à bout. Toutefois l'extrémité terminale postérieure du corps de l'embryon s'organise de bonne heure complètement en un segment spécial, constituant une véri- table arrière-garde sensitive, propre à prévenir le jeune ani- mal des contacts qu'il pourrait subir. Ce dernier segment ou telson est toujours le second segment formé; les autres se développent immédiatement à son contact, de sorte que le plus jeune segment du corps est toujours l'avant- dernier. Ces quelques mots suffisent à établir la base de l'embryo- génie de tous les animaux à corps segmenté : les Arthropodes, les Vers annelés et même les Vertébrés. Chez ces derniers les segments du corps dont les vertèbres marquent les limites se forment aussi un à un, à l'arrière du corps, en avant d'une région terminale correspondant au telson. Les traits essentiels de l'évolution des animaux segmentés sont par cela même tracés. Ils ont commencé par être réduits à un seul segment qui, dès sa constitution, a pu bour- geonner à son extrémité postérieure, de sorte que la formation des animaux segmentés a pu être très précoce, très rapide. Il est possible que les mérides qui leur ont donné naissance fussent semblables au début, et que leurs téguments fussent extérieurement formés d'une assise de cellules portant des cils vibratiles ; mais ce type initial s'est vite décomposé en deux autres. Dans l'un, les cellules superficielles ont produit un vernis solide (1), suffisamment épais pour engluer et faire disparaître les cils vibratiles; dans l'autre, les cils vibratiles disposés en toison ou en couronne ont persisté et ont constitué les organes primitifs du mouvement. A leur défaut, les mérides (!) Constitué" par une substance spéciale de consistance cornée, la chitine, dérivée de la cellulose par substitution à un ou plusieurs atomes d'hydrogène d'un radical azoté. ANIMAUX RAMIFIÉS ET ANIMAUX SEGMXN1ÉS1 145 du premier type ont dû utiliser, pour se mouvoir, des bourgeons latéraux^ mus par des muscles et pourvus de soies rigides, qui sont ainsi devenus des pattes ; de ce type de mérides a pris naissance la longue série des Arthropodes. Le type cilié a produit la série des Vers annelés, qui ont en commun avec les Arthro- podes tous les traits d'organisation résultant de leur aptitude au mouvement; aussi Cuvier les leur avait-il adjoints pour former son embranchement des Articulés ; mais les deux séries diffèrent par toutes les conséquences qu'entraîne l'absence de cils vibratiles ; elles ont évolué parallèlement, isolément, sans qu'aucun lien de parenté ait subsisté entre eHes. L'embryogénie nous donne une idée de ce que pouvaient être ces mérides primitifs. Tous les crustacés de la grande sous-classe des Entomostracés, quelle que doive être leur com- plication définitive, naissent sous la forme d'un petit orga- nisme, le nauplius, ne possédant que trois ou même deux paires d'appendices qui entourent la bouche, servent d'abord à nager, et, en même temps, à retenir des proies à l'aide de crochets que porte leur Vanche. Ces appendices, après avoir été employés simultanément comme pattes par leur extrémité libre et comme mâchoires par leur base, devien- nent les deux paires d'antennes et les mandibules de l'adulte. Diverses espèces de crustacés supérieurs ont continué à éclore à l'état de nauplius, notamment la grande Crevette caramote (î) que l'on mange sur le littoral de la Méditerranée. On a pu reconstituer l'embryogénie de certains i trilobites fossiles de la période primaire, les Sao, par exemple; ils naissaient aussi réduits à trois articles, les autres se formant successivement en avant du telson. A leur naissance les Vers annelés marins, libres, dont le corps ne se divise pas en régions distinctes et qu'on a appelés Annélides errantes, naissent sous une forme plus simple encore, (1) Penœus caramolc* 10 146 LES FORMES PRIMITIVE» DE LA VIE ne représentant strictement que le premier segment de l'animal adulte et le telson ; c'est la frochosphère, réduite à un corps ovoïde barré de deux couronnes de cils vibratiles entre les- quelles se trouve la bouche. A partir de ces stades initiaux on peut suivre, dans les «deux séries des Arthropodes et des Vers, toutes les étapes par les- quelles une accélération embryogénique croissante, favorisée par l'accumulation dans les œufs d'une proportion de plus en phis grande de matériaux nutritifs de réserve, conduit au cas des formes supérieures qui se constituent entièrement dans l'oeuf, éclosent avec le nombre total de segments qu'elles devront avoir9 et souvent avec leur forme définitive. C'est la condition préalable qui a permis la réalisation des organismes capables de vivre dans les eaux douces ou 6ur la terre ferme et de respirer dès lors l'air atmosphérique. Les deux séries d'animaux libres, segmentés, ont évolué natu- rellement, en même temps que les Algues, les Éponges, les Polypes, les Bryozoaires, de sorte qu'on peut admettre que les eaux se sont, dès le début, peuplées de formes très diverses, susceptibles de varier en tous sens, suivant les circonstances, parce qu'elles n'étaient soumises à aucune domination hérédi- taire et que, d'autre part, la lutte pour la vie étant peu active, il suffisait alors d'être capable de vivre pour faire souche : tout ce qui était possible s'est fait. C'est grâce à cette mollesse de la lutte pour l'existence que certaines déformations, en apparence désavantageuses, des types primitifs ont pu se produire et donner naissance à des formes presque monstrueuses, qui sont arrivées cependant à tenir dans la nature actuelle une place des plus importantes. Comme il n'y a, au point de vue de la locomotion, que deux façons d'être, l'immobilité qu'assure la fixation à un corps étranger, ou le mouvement, il semblerait qu'il ne dût y avpir pour les animaux que deux types de structure, le type ramifié, lié à l'immobilité, et le type segmenté, lié à la locomotion. Il y en a cependant quatre autres : 1° celui des Ëchinodermes, ANIMAUX RAMIFIÉS ET ANIMAUX SEGMENTÉS 147 rayonnes sans être fixés ; 2° celui des Mollusques, non seg- mentés, souvent enroulés en spirale ou en hélice; 3° celui des Tuniciers, fixés ou nageurs, mais sans segments ou rayons, type régressif dû à fa dégénérescence, par suite de leur fixation au sol, d'animaux déjà parvenus à une organisation élevée et qui ne sont autres que des précurseurs des Vertébrés précurseurs dont YAmphioxus est le dernier représentant ; 4° celui des Vertébrés, segmentés à la vérité, mais dont la structure inté- rieure paraît, au premier abord, tout l'opposé de ce qu'elle devrait être théoriquement chez un animal segmenté. Nous avons à déterminer maintenant comment de tels organismes ont pu se constituer. CHAPITRE V LES CHANGEMENTS D'ATTITUDE ET LES ANIMAUX REMANIÉS Lorsque je tentai, dans mon livre : Les Colonies animales et la formation des organismes* d'expliquer comment avaient pu être réalisés les types divers du règne animal, il me fut assez facile, après avoir exposé l'histoire des animaux ramifiés et des ani- maux segmentés, d'établir, comme l'avaient d'ailleurs indiqué divers auteurs pour chaque embranchement en particulier, que les Vers annelés étaient, selon toute vraisemblance, les pro- géniteurs des Echinodermes, des Mollusques, des Vertébrés, et, par suite, des dérivés de ceux-ci par dégénérescence, les Tuni- ciers. Mais à ce moment-là, si j'avais déjà signalé l'importance de la tachygénèse, je n'avais pas encore saisi toutes les consé- quences de ce mode d'action de l'hérédité, et d'autre part je n'avais pas aperçu une cause particulièrement puissante de modification des organismes, à savoir les changements d'altilu'de qui ont pu se produire, dans chaque espèce, au cours des âges. Pour se convaincre de la réalité de ces changements, il suffit de jeter les yeux sur la série actuelle des formes vivantes. Parmi les Crustacés, les Apus, les Branchipes nagent constam- ment le ventre en l'air, le dos en bas ; il en est de même des Notonectes parmi les Insectes, «t leur nom ne fait qu'exprimer cette attitude; les Anatifes, parmi les Cirripèdes, se suspendent aux objets flottants, parleur txtrémité céphalique qui s'étire en un long pédoncule, tandis que les Balance, leurs sœurs, écrasent pour ainsi dire cette même extrémité contre les rochers aux- LES CHANGEMENTS D* ATTITUDE'* ET LES ANIMAUX REMANIÉS 149 quels elles adhèrent fortement. Dans Pembranchement des Tuni- ciers on observe le même contraste entre les Bolténies et les autres Ascidies, tandis que les Tuniciers redevenus nageurs con- servent l'attitude normale. Chez les Echinodermes, les Oursins ordinaires se tiennent la bouche en bas, l'anus en haut, de sorte que les cinq fuseaux qui portent leurs organes de loco- motion se dressent verticalement, comme les pétales d'une fleur, partant tous les cinq de la bouche pour aboutir au pourtour de l'orifice opposé. Mais il est des espèces qui vivent dans le sable, qu'elles fouissent incessamment; la région inférieure du corps de celles-là s'aplatit de manière à constituer une face ventrale, et la bouche s'avance peu à peu vers le bord de cette face que l'animal porte habituellement en avant ; au- dessu, d'elle un des fuseaux locomoteurs, qui devient le fuseau antérieur, monte vers le sommet du corps, autour duquel continuent à converger les quatre autres fuseaux devenus latéraux, tandis que l'anus abandonne ce sommet pour devenir franchement postérieur, et gagner finalement le voisinage du bord de la face aplanie contre le sol ; celle-ci constitue ainsi une face ventrale, comprise entre les deux fuseaux latéraux les plus éloignés du fuseau antérieur. Les Holothuries, ou biches de mer, sont des echinodermes voisins des our&ins, mais dont le corps, au lieu d'être globuleux, est allongé en boudin. Elles se logent souvent dans les anfractuosités des rochers ; sur le sol elles ne peuvent se tenir que couchées, les orifices du tube digestif occupant chacun une extrémité du corps. Un certain nombre d'espèces du littoral rampent c epen- dant sur le fond ; elles acquièrent alors une face ventrale apla- tie; cette face est toujours partagée en deux moitiés symé- triques par l'un des fuseaux locomoteurs, et limitée par ueux des fuseaux latéraux. Les choses se passent ici à l'inverse de ce qui a lieu chez les Oursins, où la face ventrale n'a pas de fuseau médian, tandis que la face dorsale en a un. Le mécanisme de la formation de la face ventrale est d'ailleurs bien différent dans 150 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE les deux cas. Les Holothuries à f ace ventrale ont deux le- çons de se comporter. Celles qui habitent les grands fonds vivent de vase ; elles tournent leur bouche vers le sol en coudant l'extrémité^" antérieure de leur corps. D'abord temporaire le coude devient permanent, puis s'efface, et la bouche paraît ainsi franchement ventrale. Celles qui se fixent aux rochers tirent, au contraire, leur alimentation de l'eau ambiante et leur bouche devient dorsale (Psolus). Il y a plus: certaines holo- thuries vivent constamment enfouies dans le sable; il en est qui y demeurent allongées verticalement (1), mais d'autres courbent leur corps en U, comme pour rapprocher leur anus de la surface et évacuer leurs excréments, de manière à ne pas infecter le sable. Cette attitude, primitivement transitoire (2), se fixe également (3), si bien que les deux extrémités du corps, se rapprochant de plus en plus, arrivent à se souder en un tube unique percé au sommet de deux orifices ; l'Holothurie a ainsi la forme d'une bouteille dont le goulot porte les deux orifices digestifs devenus contigus (4). Les Mollusques sont au moins aussi accommodants, en ce qui concerne les attitudes. Les mollusques à coquille enrouiée en spirale ou en hélice rampent sur leur face ventrale ; mais tous ceux qui sont capables de nager, ne fût-ce que tempo- rairement, nagent dans l'attitude inverse, le ventre en l'air le dos en bas. Il y a, en effet, des mollusques exclusivement nageurs (5); d'autres exclusivement rampants; d'autres qui nagent ou rampent suivant les circonstances. Les mollusques à coquille bivalve ont des attitudes encore plus variées. Les Moules et les mollusques voisins se suspendent par des filaments qui constituent leur byssus; les Huîtres, les Peignes, les Spondyles, etc., vivent couchés sur le côté; les Bénitiers sont enfouis, couchés sur le dos dans les récifs de (1) Molpadia, Ankyroderma, Synapta. — (2) Certaines Cucumaria. — (8) YpsilMaria. — (4) Rhopalodina (LIV, 280), — <5)Nautfles, Ptéro- pn4e*, Janthines; larves de tous les Mollusques gastéropodes marins. LES CHANGEMENTS d'àTTITUD» ET LES ANIMAUX REMANIÉS 151 polypiers; les CHauvisses ou Vénus, les Couteaux, les Pholades et mie foule d'autres s'enfoncent dans le sable ou dans des trous qu'ils creusent jusque dans la pierre, et demeurent immobiles, la tête, ou ce qui en tient lieu, en bas. A chacune de ces attitudes correspond une forme particulière du corps qu'ex- plique facilement l'action continue de la pesanteur sur les diverses parties internes de ces êtres immobiles. Le corps des moules s'élargit dans sa région tournée vers le bas et s'ap- pointit au voisinage du point d'attache au byssus; la valve inférieure des huîtres et des autres bivalves couchés sur le côté, primitivement symétrique de la valve supérieure, se renfle de manière à former une sorte de cassette dont la valve supé- rieure, aplatie jusqu'à devenir concave, n'est plus que le couvercle ; les organes les plus pesants des bénitiers tombent au-dessous des moins pesants et gagnent le voisinage de la char- nière de la coquille, de sorte que le mollusque paraît retourné dans celle-ci. Chez les espèces qui s'immobilisent dans des ^trous, le manteau s'allonge en deux longs siphons, l'uiv pour l'entrée de l'eau qui apporte à l'animal l'air respirable et les aliments, l'autre pour sa sortie. Ces modifications, sauf la der- nière, ont été, déterminées par l'action persistante d'une cause banale, la pesanteur, qui est aussi intervenue pour former la face ventrale des oursins bilatéraux et des holothuries abyssales. Les Vertébrés n'échappent pas à ces changements d'attitude ; YAmphioxus, les Soles, les Turbots, les Limandes et les autres poissons plats dits pleuronectes demeurent couchés sur le côté; de ce fait ils deviennent dissymétriques, tout comme les mol- lusques qui vivent dans les mêmes conditions, et portent leurs deux yeux sur un même côté du corps. Les Rémoras se fixent aux requins en appuyant contre le corps de leur hôte leur face dor- sale qui fonctionne ainsi comme la face ventrale des autres ani- maux par rapport à la lumière et au sol ; leur face dorsale se déco- lore et s'aplatit, tandis que leur face ventrale prend les caractères d'une face dorsale ordinaire. L'action des conditions extérieures t&2 LES FORMES PRIMITIVES DE LÀ YIE §ur les formes et les couleurs se montre encore ici nettement. Cette action apparaît d'ailleurs inces .amment, pour peu que l'on cherche à rattacher les caractères des animaux aux conditions dans lesquelles ils vivent, au lieu de les considérer indépendamment de toutes les causes qui peuvent être invo- quées, avec quelque vraisemblance, pour expliquer leur réali- sation, comme s'ils étaient le fait du miracle. En voici quelques exemples. Les liens qui unissent entre elles les grandes divi- sions de la classe des Poissons (1) peuvent se résumer dans cette unique proposition : comprise entre la tête, à laquelle l'eau oppose une résistance quand le poisson nage, et le corps, projeté en avant par les brusques impulsions de la queue, la région bran- chiale se raccourcit constamment et finit par s'atrophier chez les Batraciens, leurs descendants. Un cou chez les vertébrés ter- restres prend la place de la région branchiale disparue; il peut s'allonger énormément chez eux; mais quand ces vertébrés rede- viennent aquatiques et nagent à la façon des poissons, leur cou, placé dans les mêmes conditions mécaniques, subit la même ré- duction, qu'il s'agisse de reptiles comme les Ichthyosaures des temps secondaires, d'herbivores devenus aquatiques comme les Lamantins et les Dugongs, de Phoques devenus plongeurs comme les Zeuglodons, ou des Cétacés qui descendent proba- blement d'une autre souche. Cette répétition du même phéno- mène dans les mêmes conditions, chez des vertébrés variés qui conservent d'ailleurs tous les traits d'organisation de leur groupe, montre bien que ces phénomènes sont dus à des actions exté- rieures, modifiant les parties du corps directement soumises à leur influence et respectant les autres ; ce qui revient à dire que ces actions extérieures sont les causes des modifications qui concordent toujours avec elles. On retrouve cette concor- dance dans une infinité de cas. Les pattes des arthropodes nageurs, ne déterminant leur déplacement qu'à la condition de presser sur l'eau, s'aplatissent et se frangent de longs (i) XL.m, 2469. VOYAGES en SUISSE et en ITALIE De PARIS-EST en SUISSE et en ITALIE via BELFORT PARIS-EST La h*ne de Paris"Est à Belfort et à Bâle qui ^f^ conduit les touristes en Suisse par une Après ^V des voies les plus directes et les Nogent-sur- ^^^ plus agréables, traverse Marne et son ^^^ des régions viaduc, Longue ville, ^^^^^^X variées. Nogent- sur- Seine, elle X^"^/^ dessert Troyes, si curieuse par ^^— ~-^^, ses nombreuses et belles églises ^^^ S)C hdumont gothiques, ses hôtels anciens et ses vieilles ^*^X maisons ; franchit près de Chaumont la ver- ^ doyante vallée de la Suize par un magnifique ^k^^—^^* viaduc haut de 50 m. et long de 650, composé de 52 arcades de pierre sur deux et trois étages ; atteint Langres perchée Vesoul sur une hauteur, Vesoul blottie au pied de la colline de la Motte et enfin Belfort où le voyageur pourra visiter le Château et le Lion sculpté par Bartholdi. De Belfort, le touriste peut, par Altkirch et Mulhouse, ou par Délie, Porrentruy, Delémont, gagner Bâle, une des portes d'entrée de la Suisse, ville célèbre par sa position sur le Rhin, ses monuments anciens, son histoire. De Délie ou de Bâle le rail conduit à Berne, la capitale fédérale bâtie au milieu d'une des campagnes les plus riantes et les plus pittoresques de la Suisse. La ligne de Berne à Domodossola offre les aspects les plus variés. Thoune, d'où l'on aperçoit l'Oberland bernois et l'étincelant massif neigeux que domine la Jungfrau, est le point de départ de la ligne des Alpes Bernoises, dite du Loetschberg. Le lac de Thoune plus riant, moins sauvage que ?on voisin le lac de Brienz, est un des plus beaux de la Suisse. Sur sa rive sud, Splez, agréable séjour, commande trois artères importantes : la ligne d'Interlaken, celle de la Simme qui, par Zweisimmen va rejoindre Montreux sur le lac de Genève, et enfin la ligne du Loetschberg. Cette dernière ligne traverse la vallée de la Kander, constamment dominée par la Blumlisalp ; Heustrich avec ses bains sulfureux ; Reichenbach où débouche la pittoresque vallée de Kiental ; Frutigen, joli centre de villégiature qui dessert la station alpestre d'Adelboden. Elle s'élève ensuite rapidement, arrive à Kandersteg, centre d'alpinisme et station hivernale et entre aussitôt après dans le tunnel du Loetschberg, qui traverse sur une longueur de 17 kilomètres la chaîne de l'Oberland, sort à Goppenstein dans la vallée de la Lonza et bientôt s'infléchit vers l'est pour descendre doucement dans la vallée profondément encaissée du haut Rhône. A Brigue, point terminus du chemin de fer des Alpes bernoises et point de jonction avec les lignes longeant le Rhône (Lac Léman-Lausanne et Furka-Oberalp), le train s'engouffre dans le tunnel du Simplon long de près de 20 kilomètres et gagne Domodossola, le lac Majeur et Milan. Le touriste peut également traverser la Suisse par la célèbre ligne du Saint-Gothard, électrifiée sur tout le parcours de Bàle à Chiasso. De Bâle il rejoindra Lucerne, centre d'attractions de premier ordre, situé au fond d'un des bras de ce lac des Quatre-Cantons si curieusement découpé, si varié, si pittoresque. Entouré de hauts belvédères : le Pilate, le Righi, le Bùrgenstock, le Stanserhorn ; marqué de souvenirs historiques, bordé d'aimables stations : Weggis, Vitznau, Beckenried, Brunnen, Sisikon, le lac des Quatre-Cantons est le type des lacs suisses. Après avoir longé les rives du lac des Quatre-Cantons de Lucerne à Kûssnacht, la ligne du Saint-Gothard passe derrière le Righi et côtoie le lac de Zug, puis le lac de Lowerz. Elle dessert ensuite Schwyz au pied des deux Mythen, rejoint à la jolie station de Brunnen les rives du lac des Quatre-Cantons, qu'elle longe jusqu'à Flûelen. // A partir de Flûelen, la ligne du Gothard, quittant le lac, remonte l'étroite vallée de la Reuss par Altdorf, où revit le souvenir de Guillaume Tell, devient extrêmement curieuse •7 par la hardiesse de ses J travaux d'art, particuliè- rement par ses tunnels ,-., . en hélice. je/en le/émont Bienne BERNE Thoune rique Kandersteg puis n descend par le val Leventina et la vallée du Tessin au climat méridional. A Goeschenen, à plus de 1.100 mètres S* Gothard d'altitude' la u£ne traverse dans un Stresa Arona tunnel long de 1 5 kilomètres, l'énorme massif du Gothard, où le Rhône et le Rhin prennent leur source, LAN vers Venise et Tri este En effet, à partir de Faido, un air plus chaud, une végétation différente annoncent l'Italie ; Bellinzona et Lugano, centres d'excursions renommés, précèdent Chiasso. Au delà de Chiasso, c'est l'Italie prestigieuse, ses villes d'art célèbres, Milan, Venise, Florence et Rome qui exercent et exerceront toujours un irrésistible attrait sur les artistes et les poètes. vers Gênes, Florence et Rome Services directs. - Itinéraires et arrêts facultatifs. POUR TOUS RENSEIGNEMENTS. * adresser à la gare de PARIS-EST, ou au Service Commercial des Chemins de fer de l'Est, 13, rue d'Alsace, à Paris. VOYAGES en SUISSE et en ITALIE uss chan&ements d'attitude et les animaux remanias 153 poils ; une palmure apparaît entre les doigts des pattes de tons les vertébrés marcheurs qui reviennent à l'eau, quel que soit le type auquel ils appartiennent : Batraciens anoures, Croco- diles, Tortues des étangs et des marécages, Oiseaux palmipèdes, Ornithorynque, Desman, Rat musqué, Castor, Vison, Loutres, Phoques, etc. De même, dans tous les groupes de vertébrés grimpeurs qui appuient leur ventre contre les troncs d'arbres, on trouve des espèces chez qui la peau des flancs a reflué sur les membres de manière à gagner jusqu'aux doigts, et le fait se reproduit chez les Pétauristes qui sont des marsupiaux, les Ficro- cèbes qui sont des lémuriens, les Galéopithèques qui sont des insectivores, les Polatouches, les Anomalures qui sont des écu- reuils, les Plychozoony les Uroplalus qui sont des reptiles et conduisent aux Dragons volants. Cette disposition a préparé la formation de l'aile des Ptérosauriens ou sauriens volants de la période secondaire et de celle des Chauves-souris qui sont des mammifères. Certes, le genre de vie ne suffit pas à opérer cette transforma- tion; sans cela tous les animaux grimpeurs, par exemple, auraient acquis des parachutes; il y faut aussi certaines condi- tions organiques que nous ne saurions encore préciser, ou peut-être un degré minimum de fréquence dans la répétition des mêmes actes, permettant aux forces modificatrices de s'exercer avec une intensité particulière, ou encore le concours régu- lier de plusieurs de ces forces agissant simultanément. Mais la corrélation est trop fréquente pour qu'on puisse la croire indépendante d'un phénomène de causalité. On a essayé d'expliquer cette corrélation en faisant appel à ce qu'on a nommé lespréadaplalions. Des caractères nouveaux apparaîtraient sans qu'on puisse dire exactement pourquoi ; ils seraient cryplogènes, comme le disent les géologues des espèces ^ui apparaissent brusquement dans certaines couches géolo- giques, sans qu'on puisse deviner, pour le moment, d'où elles viennent. Des réapparitions dues à l'hérédité, des raodi ications 154 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VER inconnues du milieu intérieur, des actions extérieures diverses dont on n'a pu déterminer l'influence les feraient surgir sans qu'ils aient aucune utilité immédiate ; mais une fois constitués, l'animal qui n'en avait d'abord que faire, les utiliserait dès qu'il en trouverait l'emploi ; ils sembleraient dès lors produits par de nouvelles conditions d'existence dont cependant, grâce à eux, l'animal n'aurait fait que tirer parti. Ces préadaptations sont réelles, c'est leur existence qui rend efficace la sélection natu- relle, conséquence de la lutte pour la vie, et qui donne toute sa valeur à la théorie de Darwin. Toutefois de ce qu'elles existent, il ne faudrait pas conclure que les conditions d'existence ou de développement ne favorisent pas directement ou par les réactions qu'elles imposent à l'animal, l'apparition de caractères nouveaux en rapport avec elles ; souvent, au contraire, préadaptations et adaptations se superposent. C'est ce qui est arrivé pour les oiseaux. Leurs plumes n'ont pas été faites pour voler; elles n'étaient d'abord que des excroissances tégumentaires imbri- quées, sans doute irrégulièrement ramifiées, dont les rameaux, à cause de l'usure résultant du mode de superposition de ces excroissances, ont fini par ne se développer que latéralement; celles des ailes et de la queue se sont trouvées dès lors utilisables pour la sustentation dans l'air. Tout au contraire, la patte de l'oiseau porte dans toutes ses parties la trace de la volonté de l'animal de se tenir debout sur ses membres postérieurs, qu'il redresse à l'aide de ses muscles jusqu'à ne se servir que de ses doigts comme organes de sustentation ; le pouce finit alors par ne plus toucher le sol ; il s'atrophie, représenté encore par l'ergot des coqs ; cependant les muscles allant du bassin aux cuisses, qui doivent maintenir le corps dressé, ayant plus de travail à accomplir, augmentent de volume, déterminent un agrandisse- ment considérable des os du bassin qui envahissent une région de plus en plus étendue de la colonne vertébrale, aussi bien on arrJ**re qu'en avant de la cavité d'articulation de l'os de la cuisse. C est le triomphe évident du principe de Lamarck sur les cansé- LES CHANGEMENTS D*ATTITtJDE ET LES ANIMAUX REMANIÉS 155 quences cie l'usage et du défaut d'usage des organes, principe tout à fait étranger à la naissance des plumes, sinon à la déter- mination de leur forme définitive. Mais rien de tout cela n'a été fait en vue du vol ; il s'agit simplement d'une coordination des os et des muscles favorisant la station bipède et le saut, comme en sont la preuve les Iguanodons et les autres reptiles ornrtho- podes herbivores de la période secondaire, ou les Compsogna- IhuSj autres reptiles, dits théropodes, de la même période, mais carnassiers. Beaucoup de ces animaux avaient des os creux où pénétraient des diverticules des sacs aériens aujourd'hui propres aux oiseaux, de sorte que l'appareil respiratoire môme, si long- temps- considéré comme destiné à procurer à l'oiseau l'énergie qu'il doit utiliser pour le vol, se trouve n'avoir eu, à l'origine, aucun rapport avec ce mode si spécial de locomotion. Rien de ce qui fait l'Oiseau n'«t donc été combiné pour son genre de vie actuel; ses plumes sont nées de la puissance de multiplication des cellules de son épiderme et de leur faculté de produire abondamment de la substance cornée; la conformation de ses pattes de derrière résulte de l'avantage que l'animal a trouvé à se dresser sur elles et à sauter, et le surcroît d'activité qu'il a déployé pour cela a réagi sur son appareil respiratoire. Jusque- là il semble que l'animal soit fait de bric et de broc ; mais une fois tous ces caractères réunis, le Reptile, devenu sauteur, usant, au cours du saut, de ses membres antérieurs garnis de plumes à la façon de parachutes, a pu se soutenir dans l'air, comme y avaient réussi, par des procédés tout différents, les Insectes et les Ptérodactyles, comme y réussiront plus tard les poissons volants et les chauves-souris. Né de la réunion fortuite d'un ensemble de caractères et de dispositions organiques, développées sans but ou dans un tout autre but que» le vol, l'oiseau s'est ensuite perfectionné par l'exercice. H faut donc bien se garder de croire qu'une seule catégorie de causes, un seul procédé, une seule méthode ont suffi à créer les formes diverses des êtres vivants, et qu'une théorie unique peut 156 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VII suffire à expliquer leur évolution. Tout ce qui vit autour de nous a été le résultat d'un immense conflit de forces et de substances, bien plus large que ce qu'on a nommé la lutte pour la vie, conflit dont l'histoire des peuples et des races, si complexe qu'elle nous apparaisse, ne nous offre cependant qu'un tableau rapetissé. Ofi ne doit pas oublier d'ailleurs que, même dans le cas de ce qu'on appelle des préadaptations, l'animal ne peut tirer parti des caractères nouveaux qu'il a acquis qu'en usant de ses muscles et de son système nerveux autrement qu'il ne le faisait d'abord; il agit sur lui-même afin d'utiliser le mieux possible ces divers traits d'organisation. Commencée en dehors de la volonté de l'animal, l'adaptation au milieu s'achève sous l'action même de cette volonté, dussent les organes changer de fonction. Ces changements de fonction sont fréquents dans le règne ani- mal. Anton Dohrn, le fondateur du célèbre aquarium de Naples, a, dans une série de beaux mémoires (1), appelé sur eux l'atten- tion : les poissons volants se servent pour voler de leurs na- geoires antérieures organisées d'abord en vue de la natation ; les nageoires abdominales et anales des Gobius, des Liparis, des Lepadogasier se transforment en ventouses propres à la fixa- tion ; la partie antérieure de la nageoire dorsale devient une ventouse fixatrice céphalique chez les Rémoras. Savigny a montré à quel point les appendices buccaux des insectes pou- vaient se modifier, suivant l'alimentation si variée de ces ani' maux; les tarières anales servant à la ponte des hyménoptères à larves phytophages ou entomophages deviennent les aiguillons défensifs des abeilles, des guêpes e4 des fourmis ; la bouche des vertébrés est une ancienne fente branchiale, etc. On pourrait presque dire que l'anatomie comparée tout entière n'est que l'expose* de ces changements de fonction qui sont le contraire des préadaptations. Pas plus que ces dernières, elles ne sauraient tout expliquer, et, avec elles, elles ne fourniraient qu'une base encore trop étroite à une théorie complète des transformations a> lxviii. LBS CHANGEMENTS d'àTTITUDE ET LES ANIMAUX REMANIÉ8 157 des organismes ; mais quand on a ces faits présents à l'esprit, on est tout préparé à saisir les causes déterminantes des carac- tères si "persistants qui se retrouvent dans tous les animaux d'un même embranchement du règne animal, et impriment à chacun de ces embranchements une physionomie particulière. Pour remonter à ces causes, il suffira de faire appel aux principes fondamentaux de l'embryogénie, exposés dans un précédent chapitre. Voyons d'abord comment a pu être réalisé le type des Échinodermes dont les larves toujours libres, ou ne se fixant que tardivement, conduisent cependant à des organismes nettement rayonnes, c'est-à-dire ramifiés, ce qui paraît au pre- mier abord contraire aux règles qui ont déterminé les deux grands types de structure des animaux. Dominant la variété presque infinie des formes que l'armo- génèse et la tachygénèse combinées imposent aux embryons des Étoiles de mer, des Oursins, des Holothuries, des Crinoides qui constituent l'embranchement des Échinodermes, certains de leurs traits demeurés constants apparaissent comme essen- tiellement patrogoniques, c'est-à-dire comme représentant des phases de l'évolution généalogique des ancêtres des Échino- dermes actuels. Quelles que soient les formes extérieures revê- tues par les embryons, ils présentent tout d'abord, à leur nais- sance, une symétrie bilatérale des plus nettes ; leur face dorsale convexe est plus développée que leur face ventrale qui est con- cave, de sorte qu'on peut les considérer comme courbés à la façon de la lettre C; des bandes de cils vibratiles originaire- ment disposées en ceintuie, comme le montrent les larves des Synaptes et celles des Crinoïdes, mais déformées par suite de l'excès de croissance de certaines parties de l'embryon et notam- ment de sa face dorsale, divisent le corps en cinq segments, ce qui a valu à ces larves la qualification de penlatroques. Si l'animal demeurait à cet état, on n'hésiterait pas à le classer parmi les vers annelés. Mais bientôt des spicules calcaires appa- raissent dans ses tissus ; en même temps, les organes interne 153 LÈS FORMES PRIMITIVES M LA VIE deviennent dissymétriques; ceux du côté qui se développe le plus rapidement présentent des phénomènes caractéristiques d'enroulement en hélice. Peu après que des spicules calcaires ont apparu dans ses tissus, le jeune animal, alourdi, cesse de nager pour tomber au fond de l'eau, où son attitude se modifie constam- ment de telle façon que son côté droit et son côté gauche de- viennent respectivement la face dorsale et la face ventrale de l'animal adulte. Si l'on considère ces phases constantes du déve- loppement des Échinodermes comme d'origine patrogonique — et l'on ne saurait faire autrement sans enlever à l'embryogénie toute signification, — l'histoire généalogique de ces animaux apparaît comme il suit. Leur forme ancestrale était un Ver annelé court, réduit à cinq segments, dont le corps était, par le seul fait du tonus musculaire, courbé en C comme celui de la plupart des animaux segmentés, à l'état d'immobilité (1). Ce ver, primitivement nageur, sécrétait du calcaire qui se déposait sous forme de spicules dans ses tissus et l'alourdissait peu à peu; il a donc fini par tomber au fond de l'eau, et, rendu rigide, inca- pable de se redresser, par suite du développement même des spicules, il est demeuré, en raison de sa courbure, couché sur le côté. Dès lors il est devenu dissymétrique comme le sont la larve de l'Amphioxus, et celles des Tuniciers, comme le sont les pois- sons pleuronectes, qui ont éprouvé le même changement d'attitude. Mais un animal couché sur le côté est dans les con- ditions les plus défectueuses pour s'alimenter, puisque c'est surtout sur le sol que se trouvent les aliments dont il peut user ; il s'efforcera donc de ramener sa bouche vers le sol, usant pour cela de tous les muscles dont il dispose et, guidé par ce que Lamarck appelait le sentiment du besoin ou du bien-être, que l'on tend aujourd'hui à remplacer par ce que l'on appelle des tactismes, il placera de même son anus le plus loin possible (&) Cloportes et autres crustacés isopodes eu amphipodes; larves de Hanneton? parmi les arthropodes ; Aphrodites et autres Vers annelés rampants, à corps court et à face ventrale bien musclée. t£8 CHANGEMENTS D'ATTITUDE ET LES ANIMAUX REMANIÉS 159 de sa bouche ; il sera ainsi amené à cet enroulement en hélice aux phases duquel nous fait encore assister son embryogénie. Sauf qu'ils sont fixés, certains crinoïdes de la période primaire, les Agelacrinus, semblent arrêtés à ce stade de développement. Les raisons qui limitent le bourgeonnement à la région posté- rieure du corps chez les animaux mobiles et qui nous ont valu les vers annelés n'existent plus ici. Chaque segment du corps peut produire une série de bourgeons qui participent d'abord à l'arrangement linéaire des segments du parent, mais qui peuvent aussi ultérieurement se ramifier (Astrophyton et autres Ophiures s'enroulantautour des polypiers, Pentacrines et Coma- tulides). Ainsi ont pris naturellement naissance les Étoiles de mer, qui remontent effectivement à la plus haute antiquité et desquelles il est facile de faire dériver, par des considérations embryogéniques très simples, tous les autres Echinodermes. J'ai montré (1) que, parmi les étoiles de mer, les Brisinga ont encore des bras régulièrement segmentés; que les segments nouveaux se forment immédiatement en avant du segment le plus ancien, représenté par la plaque radiale de l'embryon, comme chez les vers annelés, et qu'on pouvait suivre tous les passages entre ce type, qui apparaît dès lors comme primitif, et celui, si éloigné, des étoiles de mer pentagonales, comme les Culcites et les Penlagonasler. Après la métamorphose qui résulte de leur attitude pleuronecte, tous les echinodermes traversent une phase embryonnaire commune. Leur ancien côté droit, devenu face dorsale, prend une structure rayonnée caractérisée par la présence d'une plaque calcaire centrale qu'entourent cinq plaques semblables, dites basales, suivies de cinq autres plaques alternant avec elles, dites radiales. L'ancien côté gauche, devenu face ventrale, est également rayonné, mais chaque rayon est essentiellement composé d'une double série de plaques, dites plaques ambulacrairea, en rapport arec /es tentacules ou tubes locomoteurs. Cçfft de la façon dont se mui- Î6ê LBS FORMES PRIMITIVES DE LA VIE tiplient les plaques calcaires, à partir de cette forme embryon- naire commune, que dérivent les classes diverses d'échino- dermes. Cette multiplication est à peu près nulle chez le_ blas- toïdes aujourd'hui disparus; chez les Étoiles de mer est les Ophiures, des plaques nouvelle* se forment entre toutes ces plaques dorsales, mais surtout entre les plaques basales et les radiales, de sorte que celles-ci sont constamment refoulées à l'extérieur et que cinq bras se forment derrière elles, la face ventrale suivant pas à pas l'accroissement de la face dorsale. Chez les Oursins, il ne se forme pas de plaques nouvelles entre les plaques dorsales, qui demeurent unies autour de l'anus, mais la face ventrale prend un accroissement rapide, de sorte que l'animal se gonfle comme une bulle de savon suspendue à l'extrémité de la paille fendue en croix, dans laquelle on souffle pour la dilater. Les Holothuries ne sont guère que des oursins dont le squelette est réduit à des spicules. Chez les Crinoïdes, les plaques primitives demeurent unies comme celles des oursins, mais îl se forme entre la centro-dorsale et les basales, une pile de plaques constituant un long pédoncule, par lequel l'animal est fixé ; la face ventrale ne se développe pas, mais en dehors des radiales, qui demeurent unies aux basales, il se fait, sous la poussée des organes génitaux, un bourgeonnement actif donnant naissance à cinq bras qui peuvent demeurer simples (Hyocrinus, Rhizocrinus, Democrinus, Eudiocrinus), se bifur- quer (Anledon), ou se ramifier de diverses façons. Enfin les Cystidés sont fixés comme les crinoïdes, et il semble qu'à l'inverse des oursins la face dorsale se soit seule développée chez eux. Ici on peut répéter cette proposition : Tout ce qui esl possible se fait. L'embranchement des Mollusques a éié réalisé par des changements d'attitude analogues. Tous les zoologiste* ont été frappés des ressemblances qu'ils présentent avec les Vers, soit à ieur naissance où ils revêtent une forme très voisine de là LES CHANGEMENTS D'ATTITUDE ET LES ANIMAUX REMANIÉS i6i forme initiale de ces derniers, soit à l'état adulte dans divers traits de leur organisation; mais une seule classe, celle des amphineures ou chitonidje, présente une segmentation nette du corps. Deux autres, celles des Céphalopodes et des Gastéro- podes, sont caractérisées par-Jia transformation de leur face dorsale en un cône volumineux qui aurait poussé contraire- ment à l'action de la pesanteur, si l'attitude de l'animal avait toujours été ce qu'elle est aujourd'hui. Ce cône n'existe pas chez les Lamellibranches; nous verrons tout à l'heure com- ment, malgré cela, il demeure caractéristique des Mollusques. Il était droit chez beaucoup de mollusques anciens, Céphalopodes (Orthocères) ou Gastéropodes (Tentacuiites, Conulaires, Hyo- lites, etc.) ; il l'est demeuré chez la plupart des Céphalopodes actuels (Calmars, Poulpes); il s'est enroulé en spirale de manière à garder le plan de symétrie primitif de l'animal chez la plupart des Céphalopodes à coquille (Nautilides, Goniatites, Clyménies, Ammonites) et chez quelques Gastéropodes primitifs (Bellerophon) ; chez les autres, il s'est enroulé, non en spirale, mais en hélice, devenant ainsi dissymétrique, ce qui est arrivé aussi à quelques-unes des dernières Ammonites (Turrililes)* Quelle relation y a-t-il entre tous ces faits? On ne saurait supposer, comme nous venons de le dire, que le cône dorsal des Céphalopodes et des Gastéropodes ait pu se dresser, malgré la pesanteur, sur le dos qu'elle aurait dû aplatir; si on suppose, au contraire, que ces animaux se soutenaient ou nageaient primitivement dans l'eau, le dos en bas. le ventre en haut, en maintenant, par des moyens quelconques de sus- tentation et de locomotion, leur face ventrale vers le ciel, leur face dorsa!e devait fatalement céder à la pression des viscères sollicités par la pesanteur, et à la traction de l'appareil calcaire de protection, quand il en existait un sur cette face; il devait donc ¥t former un cône dorsal pendant dans l'eau- et on ne. peut imaginer autrement l'attitude des Céphalopodes et des Gastéropodes primitifs à coquille droite. D'autre part, il est im- U 162 LES F0aMB9 PRIMITIVES DE LA VIS possible de ne pas remarquer que tous les mollusques nageurs actueîs nagent le ventre en Pair, le dos en bas (Nautiles, Jan- thines, Carinaires, Firoles, Ptéropodes), et que toutes les larves marines des Gastéropodes, pourvues d'une coquille, ^nagent de la même façon. Si, comme nous l'avons expliqué, l'embryo- génie reproduit les formes ancestrales, il y a là une indica- tion précise que les ancêtres des mollusques actuels étaient des animaux nageurs, et nageaient dans l'attitude renversée qu'ont gardée les larves, et que reprennent les adultes quand ils reviennent à l'existence pélagique. Les causes qui ont produit l'enroulement de la coquille n'ont rien de mystérieux ; elles ont été indiquées, en partie, par Arnold Lang, il y a longtemps déjà. Les branchies des Céphalo- podes sont situées dans une cavité à l'intérieur de laquelle s'ouvre également l'anus et qui correspond:, par conséquent, à la région postérieure du corps : l'animal ne peut respirer libre- ment qu*à la condition de découvrir l'orifice de cette cavité en inclinant en avant la pointe de son cône dorsal. Cette pointe est alors refoulée vers le haut par la résistance de l'eau au poids du mollusque; mais le mollusque avance en rejetant brusque- ment au dehors Peau que contient sa cavité branchiale ; la réaction de l'eau ainsi expulsée le projette en avant, et la résistance do l'eau intervient de nouveau pour rejeter en arrière la pointe du cône que la pesanteur tire alors vers le bas. Toutes ces actions combinées, jointes aux phénomènes de croissance, déterminent fatalement un enroulement en spi- rale de la coquille, dont l'ouverture se trouve dirigée en arrière et la partie enroulée en avant, comme le montre le Nautile. % C'est aussi _ce mode d'enroulement que présente, au début la coquille des Gastéropodes les plus anciens (Fissurelies, Tro- ques, etc.), d'où l'on peut conclure que leurs branchies étaient primitivement postérieures. Ces gastéropodes ont été d'abord nageurs comme les céphalopodes (Bellerophon), et se sont trouvés, eux aussi, dans l'obligation d'enrouler leur coquille LES CHANGEMENTS D'ATTITUDE ET LES ANIMAUX RKMYNIÉ3 163 en avant. La poussée de l'eau contre la coquille dirigée en avant et enroulée en spirale suffisait alors à maintenir ouverte la fente branchiale postérieure ; mais plus tard ces mollusques sont devenus rampants (Pleurotomaires, Fiâsurelles, Haîiotides» Troques, Turbo, etc.), et ont dû appliquer de nouveau leur face ventrale contre le sol. La coquille à spire dirigée en avant devait dès lors, dans la reptation, être refoulée en arrière, et masquer de nouveau la fente branchiale. Lang (1) a montré comment les Gastéropodes s'étaient tirés d'affaire, en contractant une des moitiés de leur corps de manière à tourner en avant la cavité branchiale, et M. Robert (2) a pu suivre les phases de cette rotation chezleslarvesdes Troques. La contraction presque permanente d'une des moitiés du corp3 a amené peu à peu un racourcissement puis un avortement partiel de cette moitié; ainsi l'enroulement spiral du cône devenu dissymétrique a été remplacé par un enroulement hélicoïdal. La torsion en huit de l'anse nerveuse, qui donne naissance aux nerfs animant les viscères contenus dans le cône, est tout à la fois une consé- quence et une preuve du déplacement de la cavité branchiale. Comment les mollusques bivalves, dont les Huîtres sont le type, ont- ils échappé tout à la fois au cône dorsal et à l'enroule- ment qui devait en être la conséquence? La méthode que nous venons de suivre nous en donne l'explication. N'ayant pas de cône dorsal embarrassant, ceux qui ne se sont pas couchés sur le côté, comme les Huîtres, sont strictement symétriques, mais il n'est pas difficile de découvrir la nature de leurs affinités avec les autres mollusques. Les Gastéropodes primitifs présentent, en effet, quelques traits d'organisation tout à fait caractéris- tiques : leur coeur possède deux oreillettes et son ventricule est traversé par le rectum; ils ont deux branchies bipectinées. Ces caractères si spéciaux se retrouvent exactement chez les Lamellibranches, qui doivent en conséquence être considérés (1) XLIV. — (2) AL VI, 201. 164 LES FORMES PRIMITIVES DE LA Vu* comme apparentés à ces Gastéropodes anciens que» l'on nomme diotocardes, à cause des deux oreillettes dont leur cœur est pourvu. A la vérité tous les diotocardes actuels sont dissy- métriques ; de tous, les plus primitifs sont les Pleurotomaires, les Fissureiles, les Haliotides et quelques autres qui ont pour caractère commun de garder les traces les plus manifestes de symétrie bilatérale, d'avoir le bord antérieur de l'ouverture de leur coquille profondément fendu ou écbancré, au moins dans le jeune âge, la fente pouvant persister (Pleurotomaires* Emarginuies), donner naissance à une série de trous disposés en ligne hélicoïdale (Haliotides), ou à une ouverture située au sommet de la coquille, qui est alors en forme de cône surbaissé (Fissureiles). Or cette fente, qui indique une division du manteau en deux lobes liés eux-mêmes aux deux branchies, existe et est disposée suivant le plan de symétrie de la coquille chez les Bellérophons des premiers temps primaires, aujourd'hui disparus. Elle ne peut laisser aucun doute que ces animaux étaient des Gastéropodes diotocardes ayant conservé, comme les Céphalopodes, tous nageurs, une symétrie bilatérale parfaite. Il suffit maintenant que des animaux analogues aux Bellérophons, au cours de leur vie pélagique, aient peu à peu résorbé leur cône dorsal, que la fente initiale se soit prolon- gée tout le long du plan de symétrie, pour que la coquille soit devenue bivalve. Le jeu des muscles, rapprochant les deux valves de la coquille, a comprimé l'animal qui, ayant perdu son cône dorsal, a pu devenir rampant comme les Solénomyes sans que sa symétrie bilatérale ait été altérée. La disparition du cône dorsal est d'ailleurs un phénomène fréquent chez les Gastéropodes rampants et qui se produit dans les ordres les plus variés; elle est complète, par exemple, chez les Fissureiles qui sont des diotocardes, les Patelles qui sont des hétérocardes, les Calyptrées qui sont des monotocardes, les Limaces et les Vaginules qui sont des pulmonés, et chez un très grand nombre d'Opisthobranches. Nous ne faisons appel, par conséquent, ea LES CHANGEMENTS D* ATTITUDE ET LES ANIMAUX RlïMANTÊS 165 supposant cette disparition chez des mollusques analogues aux Bellérophons, qu'à un phénomène tout à fait vulgaire. Ainsi les trois grandes classes des Mollusques trouvent sans peine une explication. Reste à savoir comment le type Mol- lusque a pu prendre naissance par transformation d'un type plus explicable. Nous avons déjà indiqué les caractères tradi- tionnels des Amphineures, dont le type vulgaire est représenté par les Oscabrions, qui ont le dos protégé par huit plaques calci- fiées, fondamentalement semblables entre elles, les cérames, accusant nettement une segmentation du corps. On peut d'au- tant moins échapper à cette interprétation que les cérames ne sont pas un simple revêtement calcaire et mort comme la coquille, mais bien des différenciations vivantes du tégument dont elles l'ont partie intégrante, traversées par des nerfs, logeant des organes sensitifs qui peuvent devenir des yeux, et qui se répètent régulièrement à la même place sur toutes les cérames. Il est donc bien certain que le tégument des Oscabrions est seg- menté comme celui des vers : des cloisons incomplètes déli- mitent même ces segments à l'intérieur du corps, où on peut retrouver des organes semblables entre eux dans tous les seg- ments ainsi divisés, Il faut donc admettre que les Oscabrions sont de près apparentés aux Vers anneïés dont nous avons expliqué précédemment l'origine. Leur système nerveux a été très étudié ; c'est un système nerveux de Ver très peu modifié, ce qui confirme notre conclusion. Or, le système nerveux des Pleurotomaires et des Fissurelles a été d'autre part soigneusement décrit et figuré par MM. Bouvier et Fis- cher (1). Si l'on ne tient pas compte de ses parties en rap- port avec la région du corps surajoutée qu'est îe cône dorsal, ce qui reste est identique au système nerveux des Oscabrions Cuvier disait : le système nerveux est an fond tout l'animal, l'étroite parenté des Oscabrions ei des Gastéropodes dioto- (1) XLVm, 117-273. 166 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE cardes, que la forme extérieure ne laisserait pas deviner, est donc ici patente, et nous tenons le chaînon par lequel les Mollusques se sont détachés des Vers annelés. Le système ner- veux des Nautiles, étudié par M. Gravier, apporte à cette affir- mation une confirmation nouvelle ; sans doute il est formé de deux anneaux soudés en avant, au lieu de deux cordons longi- tudinaux; mais il ne peut en être autrement, la face ventrale des Céphalopodes, celle qui correspond au pied des Gastéro- podes, étant réduite à l'espace compris entre leur bouche et leur anus, c'est-à-dire au pourtour même de la bouche. Nou.i arrivons enfin aux plus élevés des animaux, à ceux où l'organisation a atteint la plus grande puissance, aux Vertébrés, dont l'Homme fait lui-même partie. Ici le corps est demeuré symétrique ; la constitution de la colonne vertébrale, la dispo- sition même des muscles de la paroi du corps, surtout chez les Poissons et les Batraciens, celle des nerfs, des vaisseaux, des organes des sens de la ligne latérale chez les Vertébrés aqua- tiques, celle des canalicules rénaux chez les Vertébrés pourvus de branchies en naissant et les embryons des Vertébrés où ces organes s'ébauchent et disparaissent avant la naissance, ne peuvent laisser aucun doute sur la parenté des Vertébrés et des animaux segmentés, sur laquelle, après Etienne Geoffroy Saint- Hilaire (1), Semper (2) et Balfour (3) ont appelé l'attention. Cependant de Lacaze Duthiers professait encore en 1869 qu'il y avait un abîme infranchissable entre les Invertébrés et les Vertébrés. C'est qu'en effet une disposition du système nerveux commune à tous les Invertébrés chez qui ce système est différencié, la présence d'un collier ganglionnaire entourant la naissance de l'œsophage, fait totalement défaut aux Vertébrés ; de plus, tandis que chez les premiers la chaîne nerveuse qui fait ordinairement suite à ce collier est ventrale, la moelle épinière, qui semble lui correspondre chez les Vertébrés, est dorsale. (1) L. - (2) LI. - (3) L.n. 1ES CHANGEMENTS D*ATTITUDE ET LES ANIMAUX REMANIÉS 167 Inversement, le centre circulatoire est dorsal chez les Inver- tébrés segmentés, il est ventral chez les Vertébrés. Dès 1808, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire avait déjà signalé que cette opposition n'était qu'apparente et qu'il suffisait, pour la faire disparaître, de placer les Invertébrés seg- mentés le dos en bas, le ventre en l'air, et de renverser ainsi leur attitude. Mais pourquoi un tel renversement? Geoffroy Saint-Hilaire se borna à envisager la chose au point de vue de l'unité au plan de composition du règne animal, et si l'idée parut ingénieuse, au point de susciter une lettre anonyme du physicien Ampère levant quelques difficultés, elle fut vite abandonnée. La réalité du renversement imaginé par Geoffroy peut cependant être démontrée et expliquée. Ori- ginairement, le collier œsophagien des animaux segmentés n'est pas autre chose que le résultat d'une différenciation sensitive des éléments épithéliaux qui entourent la bouche, sous l'action sti- mulante des aliments que saisit et déglutit l'animal. On peut suivre, nous l'avons vu (p. 143), chez les Vers annelés toutes les phases de cette différenciation et de la migration des éléments nerveux hors de l'épiderme, dont ils ne se séparent complète- ment, pour" former un collier indépendant, que d'une façon tar- dive. Cette différenciation et cette séparation bientôt affranchies de toute excitation extérieure, s'opérant uniquement par héré- dité, deviennent de plus en plus précoces, suivant les lois de la tachygénèse, à mesure que le système nerveux prend une plus grande importance; or ce qui distîngtfe'essentiellement le Verté- bré, c'est justement le volume énorme de son système nerveux comparativement au reste de son corps; ce système doit donc se former de très bonne heure et c'est, en effet, ce qu'on ob- serve chez YAmphioxus et chez les Tuniciers qui sont des formes dégénérées du même groupe. Chez ces animaux, et il en est de même chez tous les Vertébrés inférieurs, le système nerveux se forme par une modification suivie d'inva- gination de toute une face de l'embryon, et ces phénomènes pré* LES FORMES PRIMITIVES DE LA YIE cèdent de beaucoup la formation de la bouche. Au moment où celle-ci pourrait se former, la place qu'elle devrait occuper est prise par l'ébauche déjà avancée du système nerveux. Mais à ce moment, chez YAmphioxas, se forme sur l'un des côtés du corps la première fente branchiale qui établit une communica- tion entre l'extérieur et la cavité du futur tube digestif; le jeune animal s'en sert comme il l'aurait fait de la bouche absente, mais il est obligé, pour cela, de se coucher sur l'un de ses côtés, de faire de ce côté sa face ventrale, à la façon des Soles, et, comme elles, il devient dissymétrique. Cette dis- symétrie s'accuse par le chevauchement des segments muscu- laires de l'un des côtés du corps sur l'autre, de sorte que chaque demi-segment d'un côté est en avance sur l'autre de la moitié de s^ longueur; par la localisation, sur le côté du corps devenu dorsal, de la fossette olfactive; par la formation, sur le même côté libre du corps, des deux séries de fentes branchiales qui se disposent en une ligne courbe, trahissant la torsion qu'a dû subir le corps pour amener sur son côté libre les fentes branchiales de l'autre côté, que les impuretés du sol auraient obstruées. Le jeune animal, à cet état, nage toujours couché sur le côté, à la façon des poissons pleuronectes. Plus tard, il s'en- fonce verticalement dans le sable, et, tout redevenant symé- trique autour de lui, il s'emploie à réparer sa dissymétrie. La série des fentes branchiales que la torsion du corps avait dépla- cée reprend sa position sur le côté qu'elle avait quitté. La pre- mière fente branchiale, demeurée à sa place primitive, mais démesurément agrandie, est masquée peu à peu par un repli du tégument qui descend sur elle comme un volet et ne laisse libre qu'une fente située le long du bord ventral ; la fausse bouche iatérale, constituée par la première fente branchiale, devient médiane, mais opposée au système nerveux, au lieu d'être située du même côté. L'animal, pour l'utiliser, est forcé de la tourner vers le sol sur lequel se trouvent en définitive» les aliments; il fait ainsi, de son ancienne face dorsale, sa face v&sv» LB8 CHANGEMENTS D' ATTITUDE ET LES ANIMAUX REMANIÉS 169 traie, et réciproquement. Le retournement signalé par Geoffroy Saint-Hiîaire est ainsi réellement observé et expliqué chez le plus primitif des Vertébrés, et Ton voit qu'il s'est fait en deux fois. Les Vertébrés qui sont descendus des types primitifs dont VAmphioxus est le dernier reste ont nécessairement gardé leur type, puisque leur système nerveux n'a fait que s'accroître et que c'est le volume du système nerveux qui l'a déterminé par une suite naturelle de processus de tacbygénèse inter- venus dans son mode de développement. Dohrn a, depuis, montré que chez les Lamproies et les Requins la bouche n'était aussi qu'une fente branchiale modifiée, et ces animaux ont conservé de nombreuses traces de dissymétrie. Notons dès maintenant que c'est à l'importance prise par le système nerveux que les Vertébrés doivent leur origine. C'est par son développement ultérieur qu'ils s'élèvent au-dessus des autres animaux et parviennent enfin jusqu'à l'Homme, dont l'évolution aurait été ainsi dominée par les progrès rapides des organes où siège l'intelligence. Il y a le, pour les philosophes et surtout pour les métaphysiciens, un thème qui pourrait fournir un terrain d'entente à des doctrines jusqu'ici réputées inconciliables. J'ai montré ailleurs comment d'autres traits caractéristiques des Vertébrés, tels que la for- mation aux dépens de l'entodèrme d'une corde dorsale autour de laquelle se développera la colonne vertébrale, découlaient de ces prémisses (1). Je n'insisterai pas sur les phénomènes de dégénérescence qui ont donné lieu à la formation du type des Tumeiers, quelque intérêt que présente cette histoire et quelques conséquences qu'on en puisse tirer. J'ai traité dans un autre ouvrage (2), avec tous les détails convenables, cet important sujet qui a donné (3) lieu à tant de discussions et servi de base aux théoriet (l) XXX Vm, 319. — (2* XXVH, 368. — (3) XL.ni, 2251, 170 LES FORMES PRIMJTIVES DE LA VIE diverses auxquelles correspondent les noms de génération alternante, digénèse, généagénèse, méiagénèse, etc. Il me suf- fira d'indiquer que ces faits s'expliquent par des considéra- tions analogues à celles qui nous ont permis de donner ici la première explication scientifique qui ait été tentée de la for- mation des grands types organiques que Cuvier croyait irré- ductibles et qu'il désignait du nom d'embranchements. En résumé, les causes qui ont déterminé la formation des quatre embranchements du règne animal où l'organisation primitive des Vers a été remaniée, peuvent être synthétisées comme il suit : des phénomènes d'ordre purement chimique, la sécrétion du calcaire, celle de la graisse, en alourdissant ou en allégeant l'animal, ou d'ordre purement physiologique en donnant au développement de son système nerveux l'avance sur celui des autres organes, ont déterminé un changement dans son orientation par rapport au sol. Soit par voie réflexe, soit plus ou moins consciemment, les animaux qui ont subi ce changement d'orientation ont usé de leurs propres moyens et surtout de leurs muscles, pour modifier leur forme, de manière à ramener le mieux possible l'accord entre leur organisme tel qu'il était résulté de leur genre de vie antérieur, et les conditions d'existence nouvelles qui leur étaient imposées. Conformément aCx idées qui constituent la doctrine de Lamarck, ces animaux ont été les agents actifs de leur propre transformation. Cette transformation a été, pour eux, une période de crise, analogue à celle qui devient si aiguë chez les Insectes à métamorphose com- plète, et les obligea s'abriter si soigneusement pendant sa durée. Ils auraient certainement succombé durant cette période cri- tique si, au moment où elle s'est produite, leurs rivaux avaient été très nombreux et la lutte pour la vie très intense. C'est donc à une époque où les animaux ne se faisaient qu'une faible con- currence sur la Terre, c'est-à-dire de très bonne heure, que les embranchements du Règne animal ont pris naissance. La lutte pour la vie, qui a pu, comme l'a expliqué Darwin dans ses livres LES CHANGEMENTS D'ATTITUDE ET LES ANIMAUX REMANIÉS 171 célèbres, jouer un rôle important dans le choix des modifica- tions secondaires qui caractérisent les formes arrivées jusqu'à nous, et dans la formation des hiatus qui les scindent en es- pèces désormais incapables de se mêler, n'a rien à faire ici ; elle aurait, au contraire, tout empêché. Les causes qui ont déterminé la formation des quatre embran- chements remaniés sont d'ailleurs indépendantes les unes des autres. La formation de ces embranchements issus tous quatre de celui des Vers à pu être, par conséquent, simultanée et l'on comprend dès lors qu'aussi loin qu'on ait pu remonter dans le passé on les trouve toujours associés, sauf un léger retard peut-être pour les Vertébrés, retard qui s'explique puis- qu'ils sont le résultat, non pas d'un phénomène purement chi- mique, mais du degré de perfection atteint par le système nerveux. Ces embranchements se sont maintenus parce que les causes qui les ont produits ont tout d'abord agi d'une manière conti- nue; mais peu à peu ils se sont dégagés de ces causes; des causes nouvelles, essentiellement intrinsèques, constituant ce que nous appelons l'hérédité, se sont substituées aux causes primitives, elles suffisent aujourd'hui a perpétuer les formes fondamentales qu'elles ont créées. Les agents de modification survenus depuis n'en ont plus modifié que les détails. C'est dans les eaux, nous l'avons vu, et certainement dans la zone de 400 mètres d'épaisseur que ne dépasse pus la pénétra- ion des rayons solaires réellement utiles, plus spécialement sur le littoral des mers où tous les éléments de nutrition abondent, que les formes vivantes se sont diversifiées. Nous avons maintenant à nous demander comment elles sontdescea- dues dans les abîmes et comment elles ont enrichi la terre ferme. CHAPITRE VI LE PEUPLEMENT DE LA HAUTE MER, DES ABIMES OCÉANIQUES ET DES CONTINENTS Si tous les êtres vivants qui peuplent la haute mer, les abimes océaniques et les continents venaient à être supprimés, les animaux qui subsisteraient sur les rivages suffiraient pour que l'on puisse établir, sans changement, tout l'ensemble de doctrines qui constituent aujourd'hui ce qu'on nomme la philosophie zoologique. A la vérité, d'importants aboutissements feraient défaut; la botanique, réduite à l'histoire des algues et de quel- ques champignons inférieurs, serait très simplifiée : il ne serait plus question ni d'arachnides, ni de myriapodes, ni d'insectes, et le merveilleux épanouissement des reptiles, des oiseaux et das mammifères demeurerait ignoré ; mais les formes vivantes du littoral n'en fourniraient pas moins une série continue dont tous les termes seraient explicables les uns par les autres, et on pourrait reconstituer, par leur étude comparative, les condi- tions essentielles de l'évolution de la vie. La faune de la haute mer, celle des abîmes, celle de la terre ferme sont au contraire essentiellement lacunaires. Sans doute il y a en haute mer, comme sur les côtes, des êtres microscopiques flottants apparte- nant aux deux règnes : des diatomées et autres algues minus- cules qui n'ont besoin pour s'alimenter que des gaz de l'air et de l'eau combinés par la lumière du soleil; des protozoaires qui vivent de ces microphytes: mais après eux tout est lacune, et des classes entières t'ont défaut ou ne sont représentées que par des types affectés d'adaptations toutes spéciales, parfois même CE PEUPLEMENT DE LA kïÂUTE MER ET DE» ABIMES 173 issus de formes normalement fixées au sol. Les Eponges man- quent, l'embranchement des Polypes n'est représenté que par des Méduses chez qui la tachygénèse a remplacé la phase de fixa- tion à l'état de polype par le développement direct, des Siphono- phores qui ont trouvé moyen de se fixer non plus au sol mais à une bulle d'air, des Actinies flottantes d'une belle couleur bleue; quelques Bryozoaires sont aussi devenus capables de nager. En accélérant, cher les embryons des Tuniciers, la métamorphose qui devrait suivre leur fixation, au point que l'œuf produise directement la forme définitive, la tachygénèse a réalisé ce paradoxe de tirer d'animaux, créés en quelque sorte par leur immobilité et la dégénérescence consécutive, trois groupes indépendants de Tuniciers nageurs : les Pyro- somes, les Doliolum ou Tonnelets et les Salpes. Les Arthropodes sont surtout représentés par de petits Copépodes qui vivent par bancs innombrables, des Schizopodes, et des Squilles. Contrai- rement à ce qu'on pouvait penser, les Vers annclés, si agiles quand ils se faufilent parmi les algues, ne fournissent à la faune pélagique qu'un petit nombre de formes généralement trans- parentes et de petites dimensions : Tomoplerisy Ophryotrocha, Palolos etc. On connaît aussi quelques étranges Némertes de haute mer. En revanche, vivent par bandes innombrables, loin des côtes, les Sagitta d'organisation peu complexe, mais tout à fait isolées parmi les Vers. Les lourds Echinodermes ne sont représentés que par quelques Holothuries flottantes. Les Mollu&ques céphalopodes sont essentiellement des animaux de haute mer et sont très variés, mais on les rencontre aussi sur (es côtes; au contraire, parmi les Gastéropodes proprement dits, on ne peut guère citer que les Janthines,et les Atlantes, les Carinaires, les Firoles, qui ont des caractères si spéciaux, qu'on % constitué pour eux le groupe les Hétéropodes. Les vrais Gastéropodes sont remplacés par les Ptéropodes étroitement apparentés aux Gastéropodes opisthobranches déjà aberrants parmi les Gastéropodes, mais s'éloignant d'eux par la trans- 174 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIB formation de leur pied en un organe de natation forme de deux ailes souples, très mobiles ; ils vivent comme les Copépodes et les Sagiita, en bancs innombrables. Tous les Invertébrés pélagiques sont plus ou moins affectés d'un curieux mimétisme. Leur corps est comme gonflé d'eau, transparent ou d'une couleur bleue qui se confond avec la couleur bleu foncé que présente constamment, au large, l'eau de l'océan. Naturellement les Poissons formeat une longue série, mais où manquent aussi certains groupes importants au point de vue généalogique, tels que les Lamproies, qui sont justement les poissons les plus inférieurs, et les poissons osseux les plus primitifs, ceux dont les nageoires pectorales et abdominales sont éloignées comme celles des requins. Les Sardines, les Harengs et les Ancbois, à la vérité, appartiennent à cet ordre mais vivent trop au voisinage des côtes pour qu'on puisse les considérer comme vraiment pélagiques. Les tortues marines et les cétacés, singulière adaptation des mammifères' à la vie marine, complètent cette faune qui est, comme on voit, tout à fait fragmentaire et dans laquelle la présence des tortues et des cétacés indique clairement une émigration d'animaux des rivages. La faune des grands fonds n'est pas moins incomplète (1). Lors- qu'elle fut découverte, l'idée se répandit que les abîmes océa- niques étaient particulièrement ricbes. Ayant eu à étudier les belles collections d'Ltoiles de mer recueillies par Alexandre Agassiz dans la mer des Antilles et celles recueillies dans l'Atlan- tique parles expéditions du Travailleur et du Talisman^ 'ai eu la curiosité de rechercher combien il fallait de coups de drague^, pour ramener un individu quelconque, une espèce, un genre, à mesure que la profondeur augmentait ; ces nombres n'ont cessé d'aller en croissant dans les trois cas, ce qui veut dire que la (1) LJV, 336. LE PEUPLEMENT DE LA HAUTE MER ET DES ABIMES *75 3 faune des abîmes va en s'amoindrissant et s'appauvrissant, au point de vue du nombre des genres et des espèces, à mesure que l'on descend phis bas. Il est donc évident que les abîmes ne sont pas, comme on a pu le croire un. moment, une réserve de vie; îa vîeau contraire les gagne lentement, venant, non pas de la surface, que nous avons vue peuplée d'une manière spéciale et qui ne possède qu'une faune fragmentaire, mais des rivages. En fait, les espèces d'étoiles de mer des grandes profondeurs sont toutes représentées sur les rivages par des espèces analogues ; niais les espèces littorales qu'on peut considérer comme ayant donné naissance aux espèces des profondeurs sont réparties sur les littoraux de telle sorte qu'on peut dire que tous les rivages ont fourni leur contingent à la faune abyssale. Ces considérations dispenseraient presque d'avoir recours à la nature de cette faune pour établir son origine litto- rale ; maïs elle vient apporter une confirmation précieuse à notre point de vue. 11 faut d'abord faire ici une distinction importante. Jusqu'à 1 600 à 2 000 mètres de profondeur on voit, en effet, la faune s'enrichir d'espèces appartenant à des groupes qui florissaïent pendant la période secondaire, et qui depuis s'étaient raréfiés sur les rivages, ou même en avaient complètement disparu; tels sont, parmi les phytezoaires, les éponges vitreuses hexactinellides, les hydrocoralliaires, les polypiers solitaires (Flabtllum et autres); les Polychélidés, sortes de langoustes aplaties voisines des Êryon jurassiques; les crinoïdes fixés, les oursins mous du type des Calueria et les Pourtalesia apparentées aux Ancmchijles de la période crétacée, parmi les échmodermes ; les Pleurotomaires et les Pho- ladomyes, parmi les mollusques. Les poissons appartiennent de môme aux types les mieux représentés dans les eaux douces, et qui sont comme on sait les phis anciens : ils se rapprochent des salmonidés, des brochets, des anguilles ou des morues, types auxquels se rattachent aussi un certain nombre de poissons 176 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIR pélagiques remarquables par les yeux nombreux (1), qu'ils portent sur les côtés du corps, à raison d'uae paire par segment, et qui ne sont du reste qu'une modification des organes sensitifs de la ligne Latérale. Ces types archaïques disparaissent peu à peu à mesure que la profondeur devient plus grande et ce sont des organismes manifestement récents, mais étroitement adaptés à la vie dans les gpands fonds, qrii les remplacent. Parmi eux les plus remar- quables sont peut être les Holothuries. Elles sont nombreuses sur presque tous les littoraux, Là presque toutes ont grossiè- rement la forme de concombres, d'où le nom de Cucumaria que porte un des genres les plus communs. Leur corps est divisé en cinq fuseaux tous semblables par cinq rangées de tubes membraneux terminés par des ventouses et qui servent de pieds. Dix tentacules plus ou moins ramifiés entourent la bouche située à l'une des extrémités du concombre, tandis que l'anus est situé à l'autre. Le corps a donc une symétrie absolument rayonnée. Elles vivent entre les galets, sous les pierres, dans les fentes des rochers et, dans ces conditions, elles usent indifieremment, pour se mouvoir, de l'une ou l'autre de leurs rangées de pieds. Quelques-unes cependant appuient constamment sur le sol une même région de leur corps, laquelle comprend trois rangées de tentacules ambulacraires, une médiane et deux latérales (Slichapus, Colockirus). Cette région présente un aplatissement marqué et constitue déjà «ne ébauche de sole ventrale. Cette sole atteint son maximum de différen- ciation chez les Psolas qui vivent fixés à la surface des rochers et dont la bouche entourée de longs tentacules ramifiés est nettement dorsale. Ces tentacules sont couverts de cils vibra- tiles microscopiques dont les battements incessants dirigent vers la bouche de l'animal les particules microscopiques dont il se nourrit. L'existence d'une sole ventrale devient la règle CI) €haulîodu». LE PEUPLEMENT DE LA HAUTE MER ET DEb A.BIM] 177 dans les abîmes; nous avons déjà indiqué(p. 150) comment elle se constitue et pour quelle cause. On peut suivre ici toutes les phases d'une transformation dont ie point de départ est manifestement une attitude imposée à l'animal par les nécessités de son alimentation. Les holothuries abyssales n'ont rien à tirer de l'eau ambiante où ne vit ^aucune de ces algues microscopiques qui suffisent à l'alimentation des Psolaa. Elles se nourrissent de vase, aussi les tentacules qui entourent leur bouche se réduisent-ils à de simples tubes élargis en bouton ; le contraste entre la face dorsale et la face ventrale s'accentue (1) ; le coude suprabuccal des Pentagone s'étale en un étendard à bord antérieur élégamment découpé; les tubes pédieux dorsaux inutilisés s'allongent en cônes pure- ment ornementaux chez les Deimatin^e ; ils s'atrophient chez les Psychropoles, dont le corps se termine par une large queue pointue et vide ; les tubes pédieux latéraux de la face ventrale suffisant à la locomotion, les médians peuvent disparaître, par défaut d'usage. Même dans les profondeurs moyennes de 400 à 2000 mètres, où la lumière a cessé de pénétrer, les formes représentatives de la faune des temps secondaires sont peu abondantes; et aucune forme ne peut être rattachée à celles qui étaient caractéristiques de la période primaire. On en doit conclure que la populatio n des abîmes océaniques est relativement récente, et comme on n'y découvre aucune de ces formes archaïques, dont Agassiz les croyait peuplés, aucune forme même que l'on puisse considérer comme une tête de série, mais seulement des formes très modi- fiées, adaptées à un genre de vie très spécial, force est bien de conclure que ces formes sont descendues des rivages et qu'en descendant elles ont pris peu à peu des caractères particuliers en rapport avec leur nouveau genre de vie. Leurs adaptations sont surtout remarquables chez les Crustacés décapodes. Ces animaux se divisent en deux catégories : les Décapodes (1) Psychropoles, Oneirophanta, Deima, Pentagone, etc 12 178 -&KS FORMES PRIMITIVES OK LA Yi» nageurs, dont les crevettes sont le type vulgaire, et îes Déca- ,podes marcheurs, dont les langoustes, les écrivisses et la légion innombrable des gaîathées et des crabes sont des représentants que tout le monde connaît. Les premiers ne font que peu d'crsage des pattes longues et grêles dont leur thorax est pourvu; ils nagent au moyen des grands appendices aplatis qui les remplacent sur les segments de leur abdomen, vulgairement considéré comme leur queue, ou à l'aide de brusques mouve* ments de flexion de celle-ci. Ce dernier mode de locomotion n'est pas étranger aux décapodes marcheurs, mais ils l'emploient beaucoup moins souvent ; leurs appendices abdominaux ne sont pas utilisés pour la natation, et l'animal marche à l'aide des dix pattes robustes que porte son thorax. Les décapodes na- geurs se tiennent presque toujours entre deux eaux, et se dépla- cent avec agilité ; les marcheurs quittent peu le sol avec lequel leurs pattes sont très ordinairement en contact et qu'elles pal- pent, pour ainsi dire, constamment. Les adaptations abyssales de ces deux"types de crustacés se produisent, en conséquence, en des sens opposés. Les antennes des crustacés nageurs s'ef- filent et s'allongent démesurément, de manière à servir d'or- ganes tactiles (1) propres a les avertir du moindre obstacle, et leurs yeux s'agrandissent démesurément. Au contraire, les antennes des crustacés marcheurs demeurent relativement courtes, leurs pattes robustes et leurs yeux, inutiles en rai- son de la prudence de leur locomotion, disparaissent (2). Au premier abord l'agrandissement des yeux des crustacés na- geurs paraît un paradoxe ; mais l'obscurité des grands fonds n'est pas absolue. Beaucoup d'animaux y deviennent produc- teurs de lumière. Ce sont des polypes du groupe des Gor- gones, des crustacés, tels que les Gnathophattsia, les Euphau- sia qui portent sur leurs appendices des organes lumineux ; de nombreux décapodes nageurs ; des poulpes, qui sont munis de (i) Nematocarcinm gracifipeg, Pandalua, Henthesieymus, etc. — (2) Penr tacheté?.. Nephropsis, Galathrodes, etc. LE PEUPLEMENT DE LA HAUTE MER ET DES ABIMEE 179 véritables projecteurs, et de nombreux poissons (1) dont les organes lumineux sont situés soit sur la tête, soit en série sur les côtés du corps, comme les organes de la ligne latérale. On ne peut dire que ce soit l'obscurité qui ait ainsi allongé des appendices ou fait naître des organes lumineux. M. Viré a cepen- dant constaté que les appendices de certains crustacés main- tenus dans l'obscurité s'allongeaient beaucoup ; cela se produit aussi chez certains insectes habitant des cavernes obscures, et il est probable que l'usage constant que font ces animaux de leurs appendices pour palper ce qui les entoure a contribué à leur allongement ; il est normal que par défaut d'excitation, au contraire, les yeux aient disparu. Quant à la fréquence des organes lumineux chez les animaux des grands fon^fl. on pourrait dire, avec les partisans de la théorie des préadapta- tions, que sont naturellement descendus dans les ténèbres des grandes profondeurs les animaux qui pouvaient les illuminer; mais comme les espèces côtières qu'on pourrait considérer comme aneestrales ne sont pas lumineuses, il faut bien ad- mettre que leurs appareils d'éclairage ne se sont développés qu'après leur descente dans les régions obscures et ne pas repousser d'emblée l'idée que l'absence de lumière solaire a favorisé leur apparition. Quoi qu'il en soit, cette (acuité a été réservée, on ne sait pourquoi, à un certain nombre seulement des types qui constituent la faune abyssale. Les formes abyssales sont sans lien entre eïles. On y ren- contre, en effet, d'assez nombreuses éponges vitreuses hexacti- nellides, très peu des autres groupes ; des polypes alcyonaires du type du Corail ou des MadLréporaires solitaires {Flabellum); peu de Bryozoaires, mais assez souvent des formes douteuses qu'on y rattache, comme les Rhabdopleura et les HalHo- phus dodecalophus. Les crustacés y sont assez abondants et des ordres de petite taille y sont parfois représentés pnr der (1) Ghauliodas, Stomia*. Malacosleus* etc. 180 &ES FORMES PRIMITIVES DE LA VT1 formes gigantesques, telles que le Haihynomus giganleas, grand cloporte de deux décimèti es de long, ou les Gnatho- phausia gigas et Goliath. Les vers annelés y font très ordi- nairement défaut. Les mollusques sont rares, de petite taille, et leur absence a déterminé chez les Bernard-l'Ermite, qui sont assez abondants, des mœurs singulières. Les crustacés de ce groupe ont un gros abdomen mou qu'ils cachent, quand ils vivent sur le littoral, dans des coquilles vides qu'ils n'ont pas de peine à rencontrer; à mesure qu'ils grossissent, ils changent de coquille, de manière à avoir toujours une maison appropriée à leur taille, et dans laquelle ils puissent s'abriter entièrement. Assez souvent une belle anémone de mer d'un rouge vif, appar- tenant au genre Adamsia, vient s'installer sur cette coquille et il s'établit une sorte de consortium entre le crustacé et le po- lype. Certains Bernards peuvent se loger dans un fragment de bambou (1) ; quelques-uns se fabriquent même une maison mobile, une sorte de roulotte, avec de la terre (2). Dans les grandes profondeurs, les coquilles des gastéropodes ?e font rares et elles sont petites. Les Bernards y contiennent parfai- tement quand ils sont jeunes, mais ils grandissent et ne trou- vent pas à les remplacer ; alors ils les gardent par habitude, pour la satisfaction de leur instinct, bien qu'elles leur soient inu- tiles, et on rencontre de superbes Bernards (3), dont l'abdomen a les dimensions d'un fort pouce d'homme, qui portent à l'ex- trémité de cet abdomen une coquille à peine grosse comme un fruit d'églantier, maintenue par les dernières pattes transfor- mées en crochet. Certaines espèces (4) ont aussi pour alliés des polypes, les Epizoanthes, qui viennent s'établir sur leur coquille. Lorsque le crustacé et le polype sont jeunes, tout se passe comme chez les Bernards littoraux ; mais le Bernard ne change pas de coquille en grandissant. En revanche, le polype a la faculté de (1) Xyfopaguru*. — (2) Pgiocheies. — (8) Calapaguru*. — (4) Pagunu pilîmanu». LE PEUPLEMENT DE LA HAUTE MER ET DES ABIMl 181 produire par bourgeonnement des polypes semblables à lui ; sa famille dépasse bientôt la coquille et habille directement le Bernard qui se trouve ainsi abrité dans un vêtement vivant, toujours à sa taille. Cet habit s'adapte si bien au crustacé qu'il a toujours la même forme, et l'on ne peut dire ici que cette forme ne soit pas le résultat immédiat des conditions de déve- loppement imposées à la famille relativement passive des polypes, par l'activité du Bernard. L'intervention des circon- stances extérieures dans la détermination des formes organiques apparaît ici encore nettement. Le fait que les Bernards peuvent se passer, dans les grands fonds, de coquille protectrice (Oslraconotus), ou se contentent d'une coquille illusoire, implique qu'ils n'y courent pas de grands dangers et que par conséquent la lutte pour la vie n'y est pas très active. Effectivement, quelque groupe que l'on considère, les individus y sont trop rares pour se faire une concurrence sérieuse. La dissociation des espèces n'est donc pas liée ici à la sélection naturelle. Il est possible que les espèces du même genre qui sont distinctes dans la faune abyssale descendent d'espèces qui étaient déjà distinctes, quoique appartenant aussi n au même genre, dans la région littorale. Il est encore possible, même quand on adopterait le critérium si rarement applicable, de leur incapacité de s'unir entre elles, que leur formation soit une question de milieu chimique, et dès lors des espèces nouvelles peuvent s'être formées, par dissociation d'un même type, à n'importe quelle profondeur. On ne saurait guère d'ailleurs s'expliquer qu'en se plaçant au point de vue chimique }a couleur parfaitement inutile d'animaux qui vivent dans une Obscurité complète. La transparence, la couleur bleue des animaux pélagiques peuvent être considérées, nous l'avons vu, comme des carac- tères protecteurs de ces animaux qu'elle rend invisibles; ces couleurs ne se rencontrent pas chez les animaux des abîmes qui font, en général, blancs (Polycheles, Deima), roses (Penia- 182 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VI» gone), rouges (Phorrnosomay beaucoup de crustacés déca- podes nageurs), violets (certains décapodes nageurs, échino- dermes des genres Pourtalesia, Psychropotes). Les poissons sont généralement noirs et leurs organes lumineux verts. S'ils appartiennent à des groupes connus, — le plus souvent du type des poissons abdominaux ou physostomes, — ils n'en présentent pas moins des caractères particuliers ; ils sont souvent pourvus delongs appendices tactiles, placés tantôt sur la tête, comme chez le Melanoceies Johnsoniy tantôt sous le menton, comme chez V Eustomias obscuras, tantôt en avant des nageoires, comme chez le Balhypleroïs longipes, ou à ces deux places à la fois (Echiostoma micripnus). Nous retrouvons ici les mêmes faits que chez les crustacés décapodes, impliquant qu'ils ont été pro- duits par les mêmes causes. Souvent aussi la bouche prend des proportions démesurées (Malacosteus niger, Eury pharynx pe- lecanoïdes). Peu de familles sont d'ailleurs représentées dans les grandes profondeurs ; ce sont celles des Scopélidés (1), qui sont taissi pélagiques, des Clupéidés dont les harengs sont les types vulgaires (2), des Stomiadés qui par la disposition de leurs na- geoires impaires rappellent les brochets, toutes familles appar- tenant au groupe des poissons abdominaux. Les poissons subbra- chiens sont représentés par des familles presque toutes malacop- térygiennes, celles des Gadidés (3), qui ont pour types les morues, des Macruridés au corps terminé en pointe, des Ophididés allon- gés comme des anguilles (4). La faune des poissons, où man- quent, avec l'Amphioxus, les Lamproies, les Raies, presque tous les poissons à nageoire dorsale épineuse, qui sont les plus habiles nageurs, est donc comme les autres, une faune essentiel- lement lacunaire, faune d'émigration, par conséquent, et il va en être de même pour la faune des eaux douces. Ici les conditions d'existence sont tout l'opposé de celles des régions abyssales ; à l'immobilité, à la constance de tempéra» (1) Scopelus, Saurus, Malacocephalus, Alepocephalus, etc. — (2) Halo- taurus. — ($)Mora, Balhygadus, Coryphaenoïdea. — (4) Balhynecles crassu*- LE PEUPLEMENT DES EAUX DOUCES ; L'HERMAPHRODISME 183 ture et de composition des eaux, fait place une agitation incessante dans les cours d'eau, fréqueute dans les eaux sta- gnantes ; la température et la composition de l'eau varient sans cesse. Les Phytozoaires ne se sont guère plies à cette mobilité. On ne connaît parmi eux, dans les eaux douces, que quelques éponges siliceuses à spicules droits (Spongilta, Parmuia, etc.), un très petit nombre de polypes hydraires ou de méduses (//#- dra, Cordylophora, Limnocodium, Limnocnida)^ une Actinie fluviaiile asiatique, des Bryozoaires phylactolèmes à polypier gélatineux et quelques gymnolèmes (Arachnidium, Viclorelta); ces animaux semblent de migration récente* Il est à remar- quer que les éponges et les bryozoaires d'eau douce, outre la reproduction sexuée, sont doués d'un autre mode de reproduc- tion consistait en ce que des fragments de leur substance s^en- ferment, au cours des saisons critiques, dans une enveloppe protectrice, leur permettant de résister aux causes de destruc- tion qui pourraient les menacer, et échappent ainsi aux consé- quences des vicissitudes si fréquentes dans les eaux douces. Ces fragments se débarrassent de cette enveloppe et évoluent en organismes nouveaux quand les circonstances redeviennent favorables. Ce sont les propagules ou les cases à amphidiscus des spongilles, les slatoblasles des bryozoaires. Les crustacés ne sont représentés que parles phyllopodes(l) qui remontent à une très haute antiquité, par un petit nombre de types de cladocères (2), d'ostracodes (3), de copépodes (4), d'isopodes (5), d'amphipodes (6) de schizopodes (7) et de déca- podes (8). C'est très peu relativement au nombre immense des crustacés ; il s'y ajoute des acariens, des insectes redevenus aquatiques après avoir été aériens. Sauf de rares exceptions sur lesquelles M. Charles Gravier a appelé l'attention, les (1) EsTHERiDiB, Apus cancriformis, Branchipus. — (2) Daphnid^b, Poly- phemidjB. — (3) Cyprid/B. — (4) Cyclopes. — (6) Askllid*. — (6) Idoihea, — (7) Mysis rellcla. — (8) Cartdina, Palœmonetes A/phœopsis, Niphargus, Écrevisses et genres voisins: Quelques crabes voisins du genre Telphusa. 184 CES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE Vers annelés appartiennent à la classe des OHgochètes ou Lom- briciens, dont les Vers de terre représentent une forme géante, et à celle des Sangsues, qui n'ont en revanche qu'un petit nom- bre de formes marines, vraisemblablement importées par des poissons migrateurs. Parmi les Vers plats on ne peut signaler qu'un très petit nombre de Planaires et de Némertes. Les Echi- nodermes font entièrement défaut. Les Mollusques méritent une attention particulière : les Céphalopodes sont totalement absents; mais on peut compter plusieurs migrations succes- sives de gastéropodes marins. Les Diotocardes sont représentés par les néritines; les Monotocardes herbivores par les ampul- aires, les paludines, les valvées ; il n'existe aucun monotocarde carnassier, aucun opisthobranche, aucun ptéropode dans les eaux douces. En revanche, les Pulmonés y sont assez nom- breux, mais on peut se demander s'ils ne descendent pas des pulmonés terrestres; cette faune est donc encore très réduite. Quant aux Lamellibranches, ils ne sont représentés que par des formes à manteau largement ouvert, primitives par con- séquent : Unio ou mulettes des peintres, Anodontes, Cyclas, Iridines, etc., et par une seule forme à siphons, encore sont-ils simplement indiqués, la Dreyssensia polymorpha, qui pénètre dans les fleuves, portant avec elle le Cordylophora lacuslris et un lombricien remarquable par ses soies de forme compliquée : le Psammoryclcs umbellifer. Cette invasion semble n'avoir commencé que depuis le commencement du siècle, partant de la Baltique pour gagner d'abord la Tamise, puis la Seine. Le groupe des poissons d'eau douce est des plus instructifs. C'est dans les lacs et les rivières que les poissons primitifs, fuyant la lutte pour la vie, trop active sur les rivages de la mer, se sont réfugiés à une époque lointaine, comme s'y réfu- gient encore, pour pondre et mettre leur jeune progéniture à l'abri, les esturgeons, les saumons et les aloses. Le nombre des animaux marins qui sont capables de supporter la suppres- sion de la salure de l'eau de mer est, en effet, restreint ; ceux LE PEUPLEMENT DES EALX DOUCES; L'HERMAPHRODISME 185 qui possédaient cette préadaplaiion à la vie dans les eaux douces ou qui l'ont acquise n'ont pu être poursuivis par ceux de ce groupe qui ne la possédaient pas, et c'est ainsi que les fleuves et les marécages, d'abord déserts, ont été de bonne heure envahis par des fuyards qui préféraient le calme des solitudes à tous les dangers que pouvait leur faire courir l'active et nombreuse population des rivages. La même recherche de la sécurité a donc peuplé la haute mer, les abîmes et les eaux douces. Si VAmphioxus, le plus primitif des ver- tébrés, est demeuré caché dans le sable des rivages, les Lam- proies sont devenues les unes, comme le Petromyzon marinus, des hôtes temporaires des eaux douces, où elles ne pénètrent que pour pondre, leurs jeunesdevant passer dans le sable des fleuves, sous la forme d'ammocé/es, les premiers temps de leur vie ; les autres, comme le Pelromgzon fluviatilis, des hôtes définitifs des rivières. Un seul requin est devenu lacustre, Carcharias gangelicus; mais des trois types de poissons ganoïdes qui nous restent les Esturgeons, les Lépidostées et les Amia, les pre- miers viennent pondre dans les fleuves et les deux autres ne quittent pas les rivières. De même les poissons crossoptéry- giens, qui avec les ganoïdes étaient aux temps de la formation de la houille les poissons les plus communs et les plus élevés en organisation, ne sont plus représentés que dans les fleuves d'Afrique par les deux genres très voisins Polyptère et Caia- moichlhys. Les poissons dipnés, chez qui, pour la première fois, se sont développés, parmi les Vertébrés, des organes de respi- ration aérienne, des poumons, ne nous offrent plus également que trois genres, tous d'eau douce : les Protoptères d'Afrique, les Lépidosirens du Mexique et les Neoceratodus d'Australie. Cette répartition géographique indique qu'une première pénétration dans les eaux douces s'est produite presque simultanément sur de nombreux points du Globe pendant la période primaire. Mais, de même que pour les mollusques, elle n'a pas été la seule. Les poissons osseux ont envahi les fleuves à leur tour, peu de temps 186 IE8 FORMES PRIMITIVES DE LA VIE après. L'une des plus anciennes familles de ce groupe, celle des Siluridés, mal représentée en Europe par deux ou trois espèces, le gigantesque Sifarusglanis du Danube et le Silurus Arislotelis dt? Macédoine, mais d'une étonnante plasticité, a envahi presque tous les fleuves du monde, en variant ses formes qui ont été ensuite copiées par presque toutes les autres familles de poissons abdominaux d'eau douce, mais en gardant les carac- tères fondamentaux du squelette de son opercule. Elle a fourni^ comme les raies, un groupe de poissons électriques, les Malo- ptérures d'Afrique. Puis est venue toute la série des poissons à nageoires ventrales éloignées des pectorales, comme chez les poissons primitifs, ceux que Cuvier a appelés les malacoptérv- giens abdominaux et dont la vessie natatoire s'ouvre dans l'œso- phage ou l'estomac (poissons physostomes de J. Muller) : e'est-à dire les truites, les brochets, la longue série des cyprins à laquelle appartiennent la plupart des poissons de nos rivières ou de nos étangs : goujons, barbeaux, chevaines, carpes, brèmes, gardons, tanches, loches, etc., et qui sont représentés ailleurs par les cyprinodontes. Les harengs, les sardines, les anchois, qui s'en rapprochent, sont demeurés marins, mais les aloses, qui appartiennent à la môme famille, celle des clupéidés, viennent comme les saumons, voisins des truites, pondre dans les rivières. Ce sont des poissons du même groupe qui ont fourni, on l'a vu, le fond de la faune pélagique et de la faune ichthyologique abyssale. Ces deux immigrations dans les eaux douces ont été suivies d'une troisième, fournie par les poissons à nageoire dorsale molle, à nageoires ventrales rapprochées des pectorales et à vessie natatoire close ; mais celle-ci est encore moins nombreuse et elle n'est guère représentée dans les eaux douces d'Europe que par les lottes, apparentées aux morues. Quelques autres poissons se rattachent aux poissons de mer à nageoire dorsale en partie épineuse, qui comptent d'excellents nageurs auxquels les perches sont apparentées. Cer- tians d'entre eux, ayan* repris la vie littorale, comme les cottes LE PEUPLEMENT DES EAUX DOUCES; L'HERMAPHRODISME 187 et les grondins, se sont ainsi trouvés prédisposés à entrer dans les eaus: douces; à eux se rattachent les chabots de nos rivières. Beaucoup de poissons de mer pondent des œufs innombra- bles, petits, et qu'ils abandonnent sans aucun souci. En général, les espèces qui ont pénétré dans les eaux douces et qui y sont demeurées appartiennent, au contraire, à des genres ou à de» familles dont les œufs sont volumineux, peu nombreux, atta- chés par les parents sous les pierres, après les algues, ou abrités dans des coquilles vides, sinon pondus dans des sortes de nids préparés d'avance. La grosseur de ces œufs tient à ce qu'ils sont chargés de substances nutritives qui dispensent l'embryon de chercher une autre nourriture tant que la provi- sion qu'elles constituent n'est pas épuisée. L'embryon grandit, dans ces conditions, plus vite, et quand il quitte l'œuf, en emportant souvent encore une partie de ces réserves dans ce qu'on appelle son sac vitellin, il a acquis une activité et une résistance suffisantes pour échapper à une grande partie des dangers qui le guettent. On observe aussi ce grossissement des œufs chez les crevettes qui pénètrent dans les eaux douces et qui, lorsqu'elles éelosent, sont tout près de leur forme défi- nitive, tandis que leurs congénères ont encore de profondes transformations à subir. Cette même différence existe entre les langoustes et les homards. Les premières ont de petits œufs donnant naissance à des embryons nageurs et transparents, les phyllosomes, qui ne rappellent en rien les adultes; les seconds pondent au contraire de gros œufs, éelosent, sauf la taille, sous leur forme définitive, et c'est probablement ce qui a permis à des formes voisines de pénétrer dans les eaux douces où elles ont engendré les diverses formes d'écre visses. L'instabilité des conditions d'existence dans les eaux douces parait avoir eu, pour les Invertébrés qui y sont venus chercher la sécurité, une conséquence au premier abord singulière. Beaucoup y sont devenus hermaphrodites ; c'est le cas des lom- briciens, des sangsues d'où sont dérivés les vers plats, tréma- 188 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE todes, cestodes et turbellariés, et des gastéropodes pulmonés. Quoi qu'on en pense souvent, ï'hermaphrodisme n'est pas un état initial; les éléments génitaux primitifs, les spores, simples cellules asexuées, se sont d'abord multipliés directement, sans fécondation; c'est encore le cas chez beaucoup de cryptogames cellulaires et certains protozoaires ; mais même dans ces groupes, la différenciation sexuelle des éléments apparaît déjà, ainsi que la fécondation, chez les Infusoires ciliés, par exemple, les Sporozoaires et les Foraminifères; et lorsque certaines cellules génitales se développent sans fécondation, comme chez les Apus, les branchipes, les daphnies, les pucerons, les cochenilles, les cynips, les guêpes, les abeilles, divers papillons dont le Bom- byx du mûrier, certains vers nématodes libres, les rotifères, les gastéro triches, c'est une faculté qu'elles ont reconquise (1). La caractéristique des éléments sexuels mâles et femelles res- sort nettement de leur comparaison dans les deux règnes. Les éléments mâles, nous l'avons vu, sont produits par des cellules qui se multiplient rapidement par division et sont incapables d'accumuler des réserves; ils demeurent, en conséquence, petits et leur activité, d'ordre plutôt mécanique, se dépense en mouve- ments rapides de cils ou de flagellums vibrants ; ce sont les an- thérozoïdes des végétaux cryptogames, les spermatozoïdes des animaux. Les éléments femelles sont produits, au contraire, par des cellules lentes à se diviser, surtout dans les dernières phases de leur évolution, et dont l'activité, essentiellement chimique, est tournée vers l'élaboration d'aliments de réserve qui s'accumu- lent dans leur protoplasme, augmentent leur volume, les alour- dissent et suppriment chez elles toute possibilité de mouvement. Ces caractères que revêtent déjà pour se reproduire, des êtres unkellulaires, avant de faire partie d'un organisme quelconque, se conservent chez tous les organismes vivants, et dans chaque espèce animale un même individu n'est, en général, (1) Nous ne parlons pas ici de la parthénogenèse artificielle, phénomène demandant une étude spéciale. qui est an LE PEUPLEMENT i>ES EAUX DOUCES ; L'HERMAPHRODISME 189 capable de produire que l'une des deux catégories d'éléments sexuels. Cela est surtout frappant pour les espèces qui constituent des commencements de série et vivent, par conséquent, dans la mer. Il semble, au premier abord, que cette règle ne s'applique pas aux végétaux, chaque fleur étant hermaphrodite ; mais il ne faut pas oublier que, chez les végétaux, l'individu primordial est la feuille, de sorte que les plantés vasculaires peuvent être considérées comme un assemblage de feuilles ; or, dans la fleur, les feuilles fertiles sont exclusivement mâles (élamines) ou femelles (carpelles) et par conséquent unisexuées. D'ailleurs, on s'en souvient, chez les plus anciennes plantes à fleurs, les fleurs mâles poussent ordinairement sur des rameaux diffé- rents de ceux qui portent les fleurs femelles ; les unes et les autres constituent des cônes ou des chatons exclusivement mâles ou femelles, et fréquemment la sexualité s'étend au végé- tal tout entier, auquel cas celui-ci est qualifié de dioïque(p.ll8) Dans le règne animal, les individus mâles ou femelles participent nettement des caractères des éléments sexuels qu'ils produisent. Les femelles des espèces appartenant à une même souche généalogique se ressemblent, en général, beau- coup, et gardent des formes et des couleurs qui sont presque celles des jeunes individus de leur espèce, ce qui indique à la fois qu'elles ont une origine commune et qu'elles ont peu évo- lué. Elles sont de plus fortes dimensions que les mâles, assez souvent peu actives et accumulent, d'ordinaire, plus de sub- tances de réserve dans leurs -tissus. Les mâles, au contraire, dépensent en activité les produits de leur alimentation ; ils se colorent vivement ; des ornements de toutes sortes, cornes, défenses, crinière, panaches de plumes, aigrettes, s'ajoutent à la forme primitive qu'ont conservée les femelles ; parfois ils produisent des substances odorantes particulières. L'hérédité aidant, les caractères qu'ils ont acquis passent parfois aux femelles; c'est ainsi que les petits papillons bleus de nos champs i^u'on nomme des Argus ont, en général, des femelles brunes 190 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE tachées de jaune ; mais la couleur bleue des mâles s'étend aux femelles chez quelques espèces ; de même, parmi les martins- pêcheurs, les alcyons ont des femelles grises, tandis que les mâles présentent ces magnifiques teintes bleues et fauves qui 3* étendent aux deux sexes chez notre espèce commune. L'incapacité des mâles de s'approvisionner de réserves a pour eux, dans les groupes du règne animal où l'organisme ne présente pas une grande résistance, une conséquence funeste. Déjà chez beaucoup d'insectes (1) leur vie est courte; ils ne s'occupent en rien d'assurer l'a venir des jeunes, et disparaissent aussitôt qu'ils ont rempli leur rôle unique de fécondateurs; chez d'autres, ils sont incapables de s'alimenter (2) ; chez des vers marins, tels que les Bonellies, dont la femelle est de la grosseur d'une noix, les mâles sont si petits qu'ils furent pris jadis pour des infusoires parasites de la matrice, où ils sont logés au nombre de sept ou huit. Il semble y avoir là, au premier abord, un contraste entre fcmr amoindrissement et la splendeur qu'ils atteignent dans d'autres cas, et aussi une contradiction entre cet amoindris- sement et l'avortement dont semblent frappées certaines femelles. Celles des vers luisants (3), de plusieurs papillons de nuit (4), des stylops sont dépourvues d'ailes; ces dernières sont réduites à des sacs à œufs et ne laissent saillir hors du corps des guêpes dont elles sont parasites que leur tête qui est presque informe. Mais tous ces faits, en apparence paradoxaux, se rangent sous une même discipline. C'est 3e développement et la nutrition des œufs, c'est-à-dire une accumulation de réserves dans des éléments qui appar- tiennent encore à la mère, et peut-être aussi le défaut d'emploi des ailes par un animal trop alourdi, qui a entraîné la réduction et la disparition de ces organes chez les Vers luisants et (1) Abeilles, guêpe», fourmis, et beaucoup d'autres mouches à quatre ailes ou hyménoptères. — (2) Moustiques. — (9) Lampyris noctilaca. — (1) Orgyia anliqua, Psyché heii&9 Ghehnaiobia brumala> etc. LE PEUPLEMENT DBS EAUX DOUCES; L 'HERMAPHRODISME 191 divers papillons femelles. Les mêmes causes ont détermine* le parasitisme des femelles des Stylops, parasitisme qui a entraîné, comme d'habitude, la déchéance complète de leur appareil locomoteur. Il s'agit ici d'un phénomène analogue à celui qu'on observe dans les familles des Chondracanthidés, qui sont des crustacés copépodes et des Bopyrides qui sont des tsopodes. Les mâles, cent fois moins volumineux que les femelles, qui sont déformées et parasites, demeurent attachés comme des poux minuscules à l'abdomen de celles-ci ; les femelles des Bopyres sont fréquentes sous la carapace des crevettes qu'elles soulèvent sur l'un de ses côtés en une bosse irrégulière. Dans la famille des Lernéides, autres copépodes, les mâles et les femelles, d'abord petits et presque semblables, s'accouplent; les mâles disparaissent alors et les femelles s'attachent en parasites aux branchies ou à d'autres organes des poissons, sur lesquels elles deviennent énormes, presque dépourvues de membres et si méconnaissables que Cuvier les classait parmi les Vers. Il suit de tout ce que nous venons de dire que les individus du sexe masculin sont bien réellement affectés soit d'une inca- pacité nutritive, soit d'une orientation de leur organisme vers une dépense inutile qui nuit à l'accumulation des réserves ali- mentaires, qu'ils sont, en somme, des organismes appauvris, dont la pauvreté atteint les éléments reproducteurs eux-mêmes et leur impose leurs caractères spéciaux. La prédominance des mâles dans une population animale serait donc un signe de disette ou de suractivité. Cette remarque nous conduit à rechercher si l'explication de l'hermaphrodisme ne se trouverait pas dans les conditions qui rendent précaire l'alimentation. Parmi elles, il en est une qui est particulièrement évidente, c'est l'abandon de la vie libre pour la vie sédentaire et notamment pour la fixation au lolj^qui met l'animal à la merci de toutes les variations du milieu, auxquelles la liberté de la locomotion lui permet 192 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE de se soustraire. En dehors des phytozoaires, chez qui elle est originelle, cette fixation au sol se rencontre comm les Euphorberia, qui ont quelque chose des Péripates, maïs sont plus variés dans leurs formes, et portent souvent des appendices dorsaux dont quel- ques-uns ont été interprétés comme représentant des branchies. C'était sans doute la seule proie qui fût offerte aux premiers scorpions. Les myriapodes eux-mêmes, rapides à la course, mais demeurant appliqués aux surfaces qu'ils parcourent, n'appor- taient qu'une bien faible modification aux manifestations de la vie. A l'apparition des insectes tout change : des animaux aux membres allongés, d'une grande vivacité d'allures, se multi- plient partout; des organes locomoteurs tout nouveaux, les aifafi) les emportent dans l'atmosphère; ils parcourent au vol, d'un seul élan, des distances considérables. Le monde ne con- LE PEUPLEMENT DES CONTINENTS 203 naissait guère d'autres bruits que ceux produits par le souffle du vent, le bruissement des rameaux agités sur son passage, la chute des strobiies des conifères, que dominaien t trop souvent le mugissement de la tempête, les colères des rivières, le grondement des vagues en furie, les éclats de la foudre, les explosions des volcans ou les roulements souterrains précur- seurs des tremblements de terre. Bientôt on entendra le bourdonnement des ailes aux vibrations rapides, auquel viendront s'ajouter les stridulations des cigales, des saute- relles, des grillons, des criqueiâ qui chanteront, à l'orée des forêts obscures, la fête du soleil. Innombrables, les Insectes vont porter partout une animation nouvelle. Ils pulluleront sur les plantes, dévoreront leurs feuilles, tarauderont leur bois, suceront leur sève, humeront le nectar de leurs fleurs, feront naître par leur piqûre, à la surface des tiges ou des feuilles, des tumeurs bizarres, les galles, mais aussi féconderont les fleurs, fabriqueront la cire, le miel et la soie, et s'ils deviennent parfois incommodes, comme les mouches, ou actifs propagateurs de maladies, comme tous ceux qui piquent pour sucer le sang, ils formeront pour beaucoup d'autres animaux, grâce à leur fécondité, une inépuisable réserve d'aliments. L'apparition des insectes est donc un événement considérable dans la nature et qui vaut d'être étudié de près. Il n'est pas douteux que ces animaux proviennent de crustacés supérieurs chez qui le nombre de segments s'était fixé à vingt et un. Le nombre des segments des Insectes est un peu infé- rieur; il est au maximum de dix-neuf chez les larves de forme primitive; il peut diminuer par avortement ou transformation des derniers segments du corps ; il n'augmente jamais. Les appendices qui entourent la bouche sont au nombre de cinq paires comme chez tous les Crustacés (1), et ce nombre demeure aussi constant. De plus, les mâchoires et les maxilles sont (ly Ce sont ici les antennes, le labre, les mandibules, les mâchoires > «t 1* livre inférieure résultautde la soudure de» deux maxilles. 204 LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE bifurquées, comme les pattes des crustacés, et présentent, portéf sûr une base formée de deux articles, un rameau intérieur, Yendopodite, et un rameau extérieur, Y&xopodile, généra- lement transformé en un organe tactile, le palpe. Ces appendices sont suivis, chez les crustacés décapodes, de trois autres paires* d'appendices, plus ou moins locomoteurs, aidant aussi à la préhension des aiiments, les pattes-mâchoires; il y a enfin chez eux cinq paires de pattes ambulatoires et des pattes abdominales. Les trois paires de pattes-mâchoires sont devenues les pattes thoraciques des insectes, toutes les autres ont disparu, sauf à l'extrémité postérieure de l'abdomen, où il existe souvent des appendices libres, nommés cerques, et d'autres utilisés pour la constitution de l'appareil génital externe. Les Machiles, les Lépismes, les Campodea, les Japyx, quelques Staphylins (1) possèdent seuls de véritables pattes abdominales, se répétant, chez les premiers, sur presque tous les segments de l'abdomen, limitées chez les seconds aux derniers segments, aux premiers chez les autres. Partout ailleurs l'abdomen est dépourvu d'ap- pendices, mais porte en revanche autant de stigmates latéraux que de segments. On ne saurait dire s'il y a ici un rapport entre ces deux faits, comme on le voit chez les scorpions^ En tout cas, les pattes-mâchoires ont repris leurs fonctions loco- motrices et suffisent à les remplir. Les trois segments qui les portent constituent le thorax", de ces trois segments les deux derniers sont pourvus d'ailes. Il est peu vraisemblable que ces ailes se soient formées de toutes pièces, sans aucun rapport avec des parties déjà existantes chez les crustacés originels. On tombe généralement d'accord qu'elles ont été primitivement des organes respiratoires; la question est doncxamenée à celle- ci : existe-t-il chez les crustacés décapodes quelque organe respiratoire susceptible d'être comparé aux ailes des insectes ? Cet organe existe réellement ; nous avons vu que le deuxième (1) Spirachfa evr y médusa. LE PEUPLEMENT DES CONTINENTS 205 segment de la patte de ces animaux porte un rameau articulé, comme la patte elle-même, et qu'on nomme Yexopodile. Le premier segment porte aussi un appendice, Vépipodite; mais cet appendice est inarticulé, en forme de lame lancéolée; il se dresse sous la carapace, en se dirigeant vers le haut, et il sup- porte d'ordinaire des filaments branchiaux; c'est donc un organe respiratoire. Supposez que la carapace, volet protecteur des branchies, disparaisse avec celles-ci, et laisse ainsi l'épi- podite à découvert ; admettez que le segment de la patte qui porte ce dernier se confonde en s'élargissant avec la paroi du corps, l'épipodite, déjà dirigé vers le dos et mobile dans une certaine mesure, sera reporta sur ia face dorsale, juste à la place des ailes. Il est donc très vraisemblable que celles-ci étaient primitivement des dépendances respiratoires des pattes, des épipodites, et que c'est par un changement de fonction que ces épipodites sont devenus des ailes, après la disparition de la carapace. Leurs battements n'avaient peut-être tout d'abord pour XXVH, 7». — (2) I«XXm. 40. — («) XXVII, 284» LE PEUPLEMENT DES CONTINENTS 233 Nous aurons à appliquer ce principe au cours de nos études de la vie durant les diverses périodes géologiques. Une fois les types organiques divers constitués dans la sécu- rité et dans la paix, la mer et la terre vont rapidement se peu- pler. La lutte pour la vie va devenir de plus en plus âpre et, si elle ne crée rien, elle va tout au moins déterminer ce qui peut vivre et ce qui doit mourir, assurer la conservation et le déve- loppement des formes les plus viables et semer dans le monde vivant les vides qui séparent les espèces. C'est ce que nous allons constater en étudiant les grandes périodes géologiques. TROISIÈME PARTIE VERS LA FORME HUMAINE CHAPITRE PREMIER LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE Les débris des plantes et des animaux des temps anciens, qui nous ont été conservés dans un sol que la mer a tour à tour déposé, abandonné, repris, rongé de ses vagues, livré aux éro- sions des eaux douces ou recouvert de sédiments nouveaux, ne forment que des séries trop incomplètes pour qu'il soit possible de reconstituer, avec ces seules ressources, la physionomie du monde aux époques anciennes. Quelques-uns de ces débris — et il paraîtra étrange qu'il y en ait si peu — sont demeurés énigmatiques dans une certaine mesure, ou plutôt ont laissé les paléontologistes incertains sur leur véritable nature; mais la rareté môme de ces hésitations démontre que les cadres dressés en conséquence de Pétude de la nature actuelle n'ont jamais été brisés, que de tout temps leg mêmes lois ont présidé à l'évolution de la vie et que les considérations au moyen des- quelles nous avons relié les unes aux autres les formes vivant de nos jours, conservent toute leur valeur pour le passé. Elles impliquent un ordre d'apparition des types organiques, dé- terminant, pour chaque série, des formes initiales qui ont dû se montrer les premières ; elles -précisent la place de celles qui LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE Z3h ont disparu, et arrivent môme à classer, comme des termes néces- saires de Févolution, certaines formes embarrassantes quand on n'a pas ces csons itérations prédites à l'esprit, li est intéressant, par conséquent, de comparer ce que nous indique la théorie et ce que nous donnent les documents recueillis jusqu'à présent par les paléontologistes. En ce qui concerne les végétaux, l'accord est des plus remar- quables, à partir des terrains siluriens. Les terrains qui les précè- dent, ont vraisemblablement contenu, eux aussi, des organismes. La théorie indique que les algues auraient dû être les premiers êtres vivants sur la terre ; l'expérience, bî elle venait à réaliser jamais la création artificielle de la vie, donnerait sans doute la solution du problème; mais sur la nature des organismes initiaux la paléontologie demeure imprécise. Les plus anciens des terrains sédimentaires ont, en effet, éprouvé une transfor- mation profonde; certaines de leurs couches peuvent dépasser dix mille mètres d'épaisseur, mais ces couches ont été fortement p lissées et érodées. Ce qui en reste représente la partie dirigée vers l'intérieur de la terre de ces plis colossaux dont la tempé- rature s'est élevée si haut, par suite des pressions latérales subies lors du plissement et de la résistance opposée par les formations plus anciennes à la pénétration de l'arête des plis, que tous les matériaux déposés par les eaux ont été ramollis ou fondus et se sont groupés en minéraux cristallisés : le quartz, les feldspaths, les pyroxènes, les micas, les amphiboles, dont l'association a formé d'abord des micaschistes; puis des gneiss, des leptynites dont la stratification primitive est encore évidente; enfin des granits* des amphibolites, des porphyres, •ans stratification, dans lesquels se trouvent, comme minéraux Isolés, des grenats, des tourmalines, des émeraudes et autres pierre* dures. On ne peut espérer découvrir dans ces dépôts si complètement mélamorphisés, comme disent les géologues, les restes des délicates algues primitives. Cependant les plus anciens d'entre eux, constituant les terrains archéens» coih 236 VERS LA FORME HUMAINE tiennent en Finlande des matières charbonneuses, et des lentilles d'un calcaire spécial, le cipolin* On croit être assuré que les calcaires et les matières organiques contenus dans les terrains sédimentaires sont tous d'origine organique. Il y aurait donc eu des êtres vivants dès cette ère lointaine qu'on a nommée longtemps ère azoTqae, parce qu'on croyait qu'elle correspon- dait à une ère de première consolidation de l'écorce terrestre durant laquelle la vie n'existait pas encore. Un naturaliste Scandinave, J.-J. Sederholm, y a même découvert des débris d'organismes, mais ils sont tellement ambigus que les uns en ont fait des végétaux, les autres des échinodermes. La présence des êtres vivants sur la terre pendant la période archéenne est d'ailleurs rendue très vraisemblable par la décou- verte de fossiles déjà très variés dans les terrains qui suivent, les terrains algonkiens, essentiellement formés de micaschistes, et que l'on a longtemps crus également azoïques. On n'y a pas découvert de végétaux, non plus que dans les terrains cam-. briens qui ouvrent la série des terrains de l'ère primaire et atteignent parfois 3000 mètres d'épaisseur. Cependant nous rappellerons qu' à Shunga, dans le gouvernement d'Olonetz, et à Snojàrvi en Finlande, entre des couches de schistes algon- kiens sont intercalés des lits d'un charbon dense et présentant parfois un éclat métallique, plus riche en carbone que l'an- thracite, atteignant jusqu'à deux mètres d'épaisseur, auquel Inostranzeff a donné le nom de shungile et qui pourrait pro- venir de végétaux fossiles, plus altérés que ceux qui ont formé la houille. Durant la période silurienne apparaissent enfin des algues de la famille des Siphonées, d'autres qui rappellent les grandes Lami- naires actuelles, associées à des débris qui semblent se répartir déjà entre les trois classes des cryptogames vasculaires : les Prêtes (Annalaria), les Fougères (Sphenophgttam), les Lyco- pode*(Sigilkiriées). La présence des Siphonées est particulière- ment intéressante. Ces algues, ^qui vivent encore, peuvent LA VIS DURANT LA PERIODE PRIMAIRE 237 acquérir une grande taille, demeurer sphéroïdales (Codiées, exemple Grivanellà), ou se ramifier comme les plantes supé- rieures, leurs ramifications rappelant des feuilles et formant même des verticilles (Dasycladées, Palœoporella, Rhabdopo- relia, Vermiporella). Malgré cela, elles ne présentent pas la structure cellulaire, si générale chez les organismes qui cessent d'être microscopiques. Leur corps limité par une paroi de cellulose, soutenu par une trame irrégulière de cordons de cette substance, n'est constitué que par une masse protoplas- mique amorphe, dans laquelle sont disséminés de nombreux noyaux; de sorte que l'on peut se demander si la structure cellulaire de la presque totalité des végétaux et des animaux actuels n'est pas un résultat secondaire, consécutif à une égale répartition d'une masse protoplasmique, primitivement con- tinue, entre les noyaux qui contiennent les substances régula- trices de la nutrition, telles que la chromatine. Chez les algues cellulaires on passe de même, par des transitions ménagées, des algues réduites à une minuscule sphère (Proiococcus) ou à une cellule unique (Desmidiées, Diatomées), à des algues filamen- teuses (Conferves), étalées en lames indivises (Uloa), dentées ou découpées (Facus), et à d'autres où l'on pourrait distinguer déjà une partie fixatrice simulant une racine, une partie fibre plus ou moins cylindrique, analogue à une tige portant des feuilles (Ctjstosira, Macrocystis, etc.)» Les feuilles se caracté- risent d'ailleurs graduellement aussi chez les plantes terrestres cellulaires formant la classe des Muscinées où, à partir des Hépatiques telles que les Riccia ou les Aiarchanlia, on peut suivre leurs différenciations graduelles jusqu'aux Mousses ; de sorte que les feuilles, qui chez les végétaux supérieurs prennent une telle individualité qu'on peut dire que ces végétaux ne sont qu'un assemblage de feuilles nées les unes sur les autres et dont les parties concrescentes ont formé les rameaux et la tige (p. 114), n'auraient pris que secondairement, à la façon des cellules, cette individualité. De même que la structure intime 238 VERS LA. FORME HUMAINE des végétaux résulte de la multiplication d'une cellule initiale unique, l'œuf, de même leur forme générale est actuellement réalisée par la multiplication successive de feuille» réduites, au début, à deux ou même à une seule. Bernard Renaud a signalé la présence dans la houille de Mi- crocoques monocellulaires qui attaquaient déjà la cellulose, comme de nos jours le Bacîlfas amglobacler. Trop fragiles cependant, les algues, les hépatiques et les mousses n ont été qu'exceptionnellement conservées à l'état fossile, de sorte que les formes par lesquelles les Cryptogames vasculaires (Prêles, Lycopodes, Fougères), les premières plasrtes à racines, se sont dégagées des Algues ou des Mousses, nous sont encore cachées. Mais à partir de là tout est clair, tout 6* passe conformément aux conditions indiquées parla loi de la tachygénèse M.Grand'Eury a constaté la formation de véritables ovules évoluant en graines chez des plantes, gymnospermes par ce caractère, encore fou- gères par îeurs feuilles, les PT^RioosPBRMéss. Les Gymnowcrmes (Cordaïtée*, Conifères, Gnétaeées, Cycadées) associées aux Cryptogames vasculaires demeurent les seules fermes végé- tales terrestres pendant toute l'ère primaire et la période triasique. De la période jurassique on ne connaît eacore que des Angiospermes douteuses, et c'est seulement au cours de la période crétacée que Ton voit prospérer sûrement ces plantes. En même temps que* parmi les Gymnospermes, les Conifères se multiplient, les Dicotylédones abondent, mais elles sont représentées surtout par é&i plante* à petites fleurs, souvent unisexuées et groupées en chatons rappelant les cônes des conifères; ce sont les peupliers, les saules, les bouleaux, les Myricay à fleurs mâles souvent réduites t une ou deux étamines, les Hêtres, les chênes, les noyers, les figuiers, les artocarpes, les Credneria, les platanes, les liquidambars, les érables, auxquels m joignent quelques plantes à fleurs s le lierre, le cornouiller, les lauriers, les sassafras, etc. À dicotylédones à fleurs petites s'ajoutent déjà quelques plantes LA VIE DURANT IA PÉRIODE PRIMAIRE 239 à fleurs gamopétales comme les viornes et les lauriers-roses. Après les Dicotylédones à petite* fleurs unisexuées, les plus anciennes doivent être celles dont les parties de la fleur, encore très nombreuses, ont gardé ïa disposition hélicoïdale des coni- fères et où Ton voit souvent les sépales se transformer gra- duellement en pétales, et les pétales en étamines ; ce sont les magnoltacées, les nymphéacées, les cactées, les renoncuiacées, les rosacées, les papavéracées, les berbér idées, etc. On peut s'étonner que ces plantes n'abondent pas davantage parmi les végétaux fossiles secondaires; mais nous trouverons dans le règne animal bien d'autres lacunes «fui tiennent d'une manière évidente à l'insuffisance des documents actuellement connus. A partir de la période tertiaire tous les types de nos plantes vi- vantes se rencontrent ; ils sont seulement distribués autrement, et nous avons vu de quelle importance est l'étude de leur distribution géographique, pour la connaissance des climats sur les divers points de la Terre. Nous n'y reviendrons pas. Nousavons donné précédemment (p. 126) lesraisoss qui nous font considérer les Monocotylédones comme dérivées de Dico- tylédones vivant dans des terrains marécageux, et qui doivent à leur habitat ordinaire, dans des terrains de cette nature, leurs feuilles épaisses à nervures parallèles, leurs longues tiges souterraines ou leurs bulbes et la structure particulière de leur tige aérienne qui rappelle celle des cryptogames vascu- laires, souvent développée elle aussi aur des tiges souterraines ou rhizomes. II a été du reste établi, par Ph. Van Tieghem, au moins pour les Graminées, dont l'apparition a été tardive, que ce sont des Dicotylédones dont l'un des cotylédons a avorté. Elles devraient apparaître aprk& les Dicotylédones; mais il est impossible d'établir la date précise de l'apparition des unes et des autres ; en tout cas, elles ne sont nettement caractérisées qu'au moment où les Dicotylédones sont déjà nombreuses dans les dépôts de la période crétacée, et comme les Dicotylédones remontent probablement au jurassique, l'apparition des Mono- 240 VERS LA FORME HUMAINS cotylédones dans le cours delà période crétacéem'a rien qui doive étonner. La théorie et les faits sont donc parfaitement d'accord, et de plus, les lois de la tachygénèsc s'appltquant aussi bien au règne animal qu'au règne végétal, nous pouvons avoir confiance dans les inductions que nous allons en tirer relativement au premier de ces deux règnes. La théorie indique pour révolution des animaux un ordre aussi logique que pour celle des végétaux, mais leur variété est beaucoup plus grande. Les animaux unicellulaires, qui for- ment le premier degré de l'organisation animale et qu'on désigne sous le nom de Protozoaires, doivent apparaître les premiers. Il semblerait que rien ne dût avoir été conservé de ces ani- maux délicats : Rhizopodes à plasma diffluent, se déformant sans cesse, soit en émettant des ramifications délicates souvent susceptibles d'anastomoser en réseau leurs plus fines divisions, soit en se contractant par places de manière à découper à leur surface des lobes plus ou moins profonds comme le font les Amibes ; Infusoires de forme déterminée,, se déplaçant à h*aide d'une, deux ou plusieurs longues et fines rames, les flagelles, ou grâce au battement de ciZs vibraliles disposés soit en toison uniforme, soit le long de bandes régulières ; Sporozoaires vivant en parasites dans le corps d'autres animaux. De tous ces êtres d'ordinaire microscopiques, ce sont les plus déli- cats, les Rhizopodes, qui seuls ont laissé des traces. Il en est parmi eux, les Foraminifères, qui sécrètent une sorte de cara- pace calcaire souvent fort élégante ; d'autres, les Radiolaires, sécrètent de la silice qui se dispose dans leur substance en cor- puscules délicats, disjoints, de formes variées et constantes pour chaque espèce, ou unis en une sorle de squelette ayant souvent l'aspect d'une sphère de dentelle plus ou moins hérissée de piquants. M Ca yeux a découvert dans des phtanites des ter- rains algonkiefes de Lamballe (Côtes-du-Nord) des spîcules de Radiolaires. Comme il y a aussi dans ces couches des lits de calcaire, on peut supposer que des squelettes de Foranuni- LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAlR» 241 feres y ont été incorporés; mais les premiers Poraminifères dûment déterminés remontent seulement à la période cam- brienne et, chose digne d'être notée comme une preuve de la stabilité des formes les plus simples, ce sont des .Orbulines et des Globigérines dont les analogues flottent encore aujourd'hui, en quantité innombrable, à la surface des mers, et forment, en tombant dans les abîmes, une boue à Globigérines semblable à celle d'où est issue la craie blanche. Les animaux ramifiés se divisent, nous l'avons vu, en trois séries distinctes qui ont évolué parallèlement, et ont pour point de départ des formes initiales que l'on peut schématiser en disant que ce sont des urnes ovoïdes fixées par leur fond, différant entre elles par la constitution de leurs parois (1), et pour lesquelles nous avons proposé les qualifications respectives de spongomérides, hydromérides et bryomérides. L'embryogénie seule pourrait nous apprendre comment un spongoméride s'est transformé en éponge ; malheureusement, de toutes les éponges, les Hexactinellidées, celles qui remontent le plus haut dans l'antiquité, et dont le développement serait sans doute particulièrement instructif, ne sont pas suffisamment connues à ce point de vue. Ce sont les plus belles des éponges ; elles ont traversé toutes les périodes géologiques, et abondent encore dans les grandes profondeurs de l'Atlantique et dans les régions moins profondes de la mer des Philippines et de celle du Japon, où elles atteignent une assez grande taille. L'orientation exactement rectangulaire des six branches des grands spicules qui forment leur squelette essentiel donne à ce squelette l'apparence d'une élégante dentelle d'opale. Elles ontf en général, la forme d'une urne dont l'orifice supérieur serait protégé par une sorte d'opercule formé d'un tissu siliceux, à mailles délicates. Dans le fugace tissu vivant qui enveloppe le squelette sont régulièrement disposés des sacs délicats, en (1) Voir page 134. 16 242 VERS LA FORftJ* HUMAINE forme de dés à coudre, dont les parois sont tapissées de grandes cellules portant chacune un fouet vibratile surgissant du fond d'un entonnoir ; ce sont là les éléments actifs, les choanocytes, que l'on retrouve chez toutes les éponges et qui reproduisent si exactement la forme des Infusoires remar quables de l'ordre des Choanofïagellifères, que James Clarke a voulu faire des éponges de simples associations ou colonies de ces infusoires (1). Il n'est pas impossible que les premières éponges se soient lentement constituées par une association de ce genre dans laquelle diverses sortes d'éléments se seraient ensuite différenciés. Les Choanofïagellifères forment, en effet, fréquemment des colonies ramifiées (2) ou compactes, et l'une de ces dernières a même reçu le nom de Protospongia. Les sacs ovoïdes des Hexactinellid^e se retrouvent chez les HexacehatïNvE dont les spicules également à six branches sont faits de la même substance élastique et flexible que les fibres des éponges de toilette, la spongine. Ces sacs sont l'origine des corbeilles vibraiiles des autres éponges; ils sont toujours en rapport avec un système de caaaux qui amènent jusqu'à eux l'eau attirée par leurs flagelles et passe ensuite dans des cavités efférentes, s'ouvrant au dehors par de grands orifices, les oscules. Aux Hexactinellidés s'ajouteront plus tard des éponges à spicules calcaires de la famille des Phareirones (3), puis des éponges pierreuses dont les spicules sont unis par un enduit siliceux, les Lithistid^ (4), enfin des éponges à spi- cules fondamentaux à quatre branches (Tetractinelud/b) ou en forme d'épingle (Monactinellidje). C'est de ces dernières que dérivent les éponges fibreuses, sans spicules, employées dans les usages domestiques. Mais l'organisation des éponges est de- meurée, depuis l'origine, fondamentalement la même; elle n'a été modifiée que dans les détails de sa canalisation. Nous nous trouvons maintenant en présence d'organismes (t) IiXTV. — (2) Salpingœca, Codosiga, Codonocladium, etc. — (3) Dès la Tria». — (4) Au Jurassique. LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 243 problématiques, ies Oldhamia, qui n'ont pas dépassé le cambrîen; les Graplolites, innombrables dans le silurien, mais qui s'étei- gnent dans le dévonien avec les formes ramifiées dites Diclyonema; les Pleurodictyum, limités au dévonien, et beau- coup d'autres, qui ont été attribués, un peu au hasard, aux hydroméduses, aux coralliaires ou aux bryozoaires. Les Oldhamia sont de fines empreintes ramifiées qui rayonnent autour d'une plage centrale (O. radiaia) ou divergent à partir des sommets d'une ligne brisée (O. antiquà). On a vu en elles des algues, des hydraires; on a même pensé qu'il s'agissait simplement de traces laissées sur le sol par des Vers; les Oldhamia radiaia proviendraient de vers tubi- coïes, vivant dans la vase, et qui auraient successivement posé la partie antérieure de leur corps tout autour de leur trou. Les Oldhamia anliqua marqueraient la route de Vers qui, en ram- pant sur la vase, auraient plusieurs fois changé de direction et à chaque changement auraient hésité, inclinant sous divers angles la partie antérieure de leur corps avant de choisir leur route nouvelle ; les changements de route se produiraient, dans cette hypothèse, à des intervalles trop réguliers pour qu'ils ne soient pas étonnants. On connaît d'autre part, dans le cambrien, des pistes d'annélides prises cPabord pour des algues, que l'on avait nommées Eophyion; elles sont larges et tout à fait reeti- lignes. Aucun caractère, en dehors de leur forme ramifiée, ne permet de taire des Oldhamia, des hydraires, et il est difficile, comme on l'a proposé aussi, de voir en eux de simples rides de la surface de la vase cambrienne. Il n'y a pas, en somme, d'hy- pothèse tout à fait plausible, à laquelle on puisse se rallier. Les Graptolithes ont duré plus longtemps; ils ont vécu durant deux périodes géologiques en si grand nombre que cer- taines ardoises en ont toute leur surface ornementée. Ils étaient constitués par des logettes à ouverture étroite, disposées sur un seul plan et serrées les unes contre les autres le long d'une tige creuse. Les logettes pouvaient n'exister que sur l'un des 244 VERS LA FORME HUMAINE côtés de la tige (Monograplus), ou sur les deux côtés (Diplo- graptas, Phyllograplus, Climacograplus); la tige pouvait être rectiligne comme dans les genres précédents, courbée en cro- chet (Rasfriïes), ramifiée en deux branches disposées en acco- lade (Didymograplus), en trois (Cyrlograptus), en quatre (Teiragraptus), en un grand nombre de branches rayonnantes (Dichograptus), courbée en S et portant des rameaux sur toute sa longueur (Cœnograplus), enroulée en hélice (Mono- graplus turriculaius) ou disposée en forme de réseau (Dictyo- nemà). L'opinion générale est qu'il s'agit encore ici de polypes hydraires; mais Allmann a fait remarquer que l'ouverture des loges est trop petite pour livrer passage à un polype pourvu de ses tentacules ; il a signalé d'autre part que chez les Plumulaires il y a deux sortes de loges, les unes assez grandes occupées par les polypes, les autres plus petites n'abritant que des filaments pêcheurs, des dactylomérides, dont la surface peut émettre des prolongements protoplasmiques, capables de capturer des proies et de les digérer, de se nourrir par eux-mêmes conséquemment. En outre il a vu qu'au début, les colonies de Plumulaires étaient uniquement formées de ces petites loges à filaments pêcheurs, et il n'y avait plus, dès lors, de raison de ne pas considérer les Graptolithes comme des hydraires demeurés â cet état bien qu'adultes. Une importante découverte due à R. Ruedemann a changé la position de la question. On croyait autrefois que les tiges que l'on trouve si abondamment dans les schistes silu- riens étaient libres, et on faisait pour elles autant d'espèces que de formes. En réalité, des tiges présentant des caractères très différents étaient attachées à un corps mou, formé en général d'une sorte de sphère centrale, entourée d'une couronne de sphères plus petites, entre lesquelles ou sous lesquelles se fixaient les tiges pourvues de loges. On a considéré ce corps comme un simple flotteur; mais c'est bien diminuer le rôle d'un organe aussi volumineux, qui semble avoir été pourvu d'une bouche Il parai 1 plus vraisemblable que c'était là le véritable orga- LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 245 nîsme, qu'il avait une organisation comparable à celle d'une mé- duse ou d'un cydippe, animaux également pourvus de longs ten- tacules, et que les tiges pourvues de loges étaient réellement, comme le pensait Allmann, des filaments pêcheurs, némato- phores ou dactylomérides, revêtus d'un étui rigide au lieu de demeurer libres et flexibles. Comment les graptolithes hélicoï- daux dont les axes sont reliés par un réseau intermédiaire se rat- tachaient-ils à l'organisme central? Cela reste encore obscur. L'étude des polypes hydraires actuels est pleine d'enseigne- ments. On a vu précédemment de quelle façon ils avaient donné naissance aux méduses à ombrelle en cloche, dont l'ouverture est bordée en dedans d'un anneau membraneux ou vélum, et, par accélération embryogénique, aux grandes méduses à ombrelle sans vélum, les Pélagies, les Rhizostomes, etc. Toutes ces mé- duses ont quatre plans de symétrie et on peut en rapprocher les moules internes présentant le même mode de symétrie, qu'on désigne sous les noms de Medusites et de Laolira dans le cambrien ; la parenté des Brooksella avec les méduses est moins évidente. Mais les polypes hydraires ont un autre intérêt. On croyait autrefois que tous les polypiers calcaires étaient construits par des animaux semblables à ceux qui édifient les rameaux de corail. On distinguait seulement parmi eux des polypiers formés de tubes divisés en étages par des planchers horizontaux : c'étaient les Polypiers tabulés, et d'autres à qui leur aspect grossier a valu le nom de Polypiers rugueux. Au cours de la fameuse campagne du Challenger, l'un des membres de la mission, Moseley , montra que parmi les Tabulés, il y avait des polypiers construits par des animaux voisins du corail et qu'on nomme des Alcyonnaires (1), mais que les autres étaient, comme l'avaient vu Dana et Louis Agassiz, l'œuvre de polypes du groupe des Hydraires. J'ai montré de mon côté (2) comment (1) Heliopora. — (2) XXVII, 298. 246 VERS LA FORME HUMAINE (a série des Hydraires à polypier calcaire tabulé que Moseïey a groupés sous la dénomination d'Hydrocoralliaires et qui com- prend les Spinipora, Millepora, Allopora^ Slylasier, Cryp- tohelia, etc., conduisait directement, par des groupements spé- ciaux, analogues à ceux qui ont produit les méduses, aux polypes qui, de notre temps, construisent les récifs et aux vulgaires Anémones de mer, formant tous ensemble l'ordre des Hexaco- ralliaires, et comment des recherches embryogéniques de Lacaze Outhiers sur ces polypes et de celles de Marion sur les Alcyon- aaires on devait conclure que, malgré leur huit tentacules, les Alcyonaires n'étaient que des Hexacoralliaires modifiés par ^'accélération embryogénique. Or les hexacoralliaires n'appa- raissent qu'à l'époque secondaire, durant l'époque triasique. Il est donc fort peu probable que les Heliolites et les Plasmoporft du silurien, les Cladochonus et les Syringopora de la période aathracolithique aient pu être des Alcyonaires ; c'étaient vrai- semblablement des types spéciaux d'Hydrocoralliaires et l'on peut en dire autant des autres formes rangées par les auteurs parmi les Tabulés (1). D'autre part, les Hexacoralliaires sont remarquables par la netteté des chambres de leur polypier, et par la régularité de la disposition en systèmes rayonnants des lames qui limitent ces chambres. Tout cela se déduit rigou- reusement de la théorie qui les rattache aux Hydrocoralliaires. On ne trouve rien de pareil chez les Tétracoralliaires de la période primitive, dont les lames et les loges sont dans un état tout à fait rudimentaire. Il y a des méduses fixées, les Lucernaires et autres ; les grandes méduses qui constituent la classe des Acalèphes commencent, elles aussi, sous la forme de Scyphistomes fixés. Puisque certaines Hydractinies et tous les Hydrocoralliaires, qui sont de vrais polypes hydraires, sécrètent abondamment du calcaire, il n'y a aucune invraisemblance à admettre que des organismes comparables aux Lucernaires et (1) Favosites, Alvéolites, Trachypora, Aulopora du dévonien ; Chœletett Michelinîa de i'anthracolithïque. LA VIE DURANT LA PERIODE PRIMAIRE 247 aux Scyphistomes aient pu en faire autant ; c'est donc dans leur voisinage qu'on devrait classer les Tétracoralliaires qui ont construit autour des continents dévoniens et anthracolithiques de vastes récifs de coraux, ultérieurement devenus des marbres. Théoriquement ces Tétracoralliaires devaient appa- raître avant les Hexacoralliaires. Le Pleurodiclyum problemalicum du dévonien, pareil à un entonnoir profond, à parois formées de grains elliptiques, unis entre eux par des tigelles transversales, et au fond duquel se trouverait une sorte de serpuîe repliée sur elle-même, ressemble bien davantage à un bryozoaire tel que les Adeona, également en entonnoir, de l'époque actuelle qu'à un hydraire. Il est d'ailleurs prudent de ne pas trop s'avancer quand il s'agit de faire le départ de certaines formes entre les Hydrocoralliaires et les Bryozoaires. Ces derniers se laissent facilement reconnaître dès le silurien. Ils se sont perpétués nombreux jusqu'à nos jours, sans jamais jouer un rôle important et sans avoir pré- senté la moindre tendance vers une évolution supérieure ; nous les laisserons désormais de côté, comme les Éponges. Nous arrivons au type des Artioxoairbs, qui a débuté simul- tanément par deux sortes d'animaux segmentés, les Arthro- podes, qui ont gardé d'une manière presque absolue leur structure primitive et dont l'évolution ne s'est pas élevée; les Vers, également segmentés mais éminemment plastiques, et dont nous avons précédemment conté les avatars, en laissant présager leurs hautes destinées. L'évolution des Arthropodes peut être schématisée d'une façon très simple. Nous avons déjà appelé l'attention sur les Péripates, ee* êtres ambigus, ballottés des Vers aux Arthro- podes, qui semblent encore répartis de nos jours sur les limites du vieux continent de Gondwana. Tous les segments de leur corps sont semblables, sauf trois : le premier qui porte des appendices tactiles, comparables à des antennes, le second qui porte la bouche, le troisième muni d'une paire d'appendices 248 VERS LA FORME HUMAINE qui se dirigent vers la bouche, sont pourvus d'ongles servant de mâchoires et sont incorporés à la région céphalique par la formation d'une sorte de lèvre qui s'élève derrière eux et vient se souder asjx coins de la bouche, les enfermant ainsi dans une façon de cavité buccale. De même chez les Arthropodes les appendices locomoteurs se mettent successivement, en nombre variable, et de façons diverses au service de la mastication. Les premiers essais dans ce sens nous sont encore inconnus. L'algonkîen, qui recèle déjà de nombreux débris d'Arthro- podes, nous les fera peut-être connaître. Au eambrien nous sommes en présence d'adaptations assez avancées,. Dans un premier groupe, les cinq (Eurypterid/e) ou six premières pattes (Limules) conservent une forme peu diffé- rente de celle des pattes locomotrices, ou gardent même cette qualité, mais elles entourent la bouche et leur hanche porte une lame saillante qui contribue à la mastication ; la première paire était en forme de pince chez les Pterygolus qui pendant la période dévonienne ont acquis 2m,50 de long (1); elle était semblable aux suivantes chez les Eurypterus, et dans ces deux genres la cinquième paire, très grande et aplatie, constituait une véritable nageoire. Chez les Limules, qui existaient déjà aux temps siluriens et vivent encore de nos jours aux Moluques, dans les mers du Japon et des deux côtés de l'isthme de Panama, les cinq premières paires de pattes se terminent en pinces, la pre- mière étant plus petite que les autres; l'extrémité de la dernière paire est munie d'appendices compliqués qui ne modifient guère sa physionomie. Tous les segments pourvus de ces appendices sont réunis en un vaste bouclier portant les yeux et qu'on pour- rait à la rigueur considérer eomme une sorte de tête. On réunit ces animaux sous le nom de Mérosttomés qui signifie que leurs membres entourent leur bouche. Il est digne de remarque que dans ce groupe, en apparence très homogène, les Euryptères et les Ptérygotes aient eu si peu de durée, tandis que les Limules (1) Pierygotus anglicuM. LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 249 sont demeurés presque immuables pendant vingt millions d'années. A côté de ces animaux vivaient les Trilobites, chez qui la première paire d'appendices était déjà transformée en antennes, tandis que les cinq autres gardaient la structure propre aux Mérostomés, dont il n'y a aucune nécessité de les séparer. Sur les articles abdominaux étaient insérées de toutes petites pattes surmontées de branchies, et si fragiles, si déli- cates, qu'on a été longtemps sans les apercevoir et qu'on se demande comment pouvaient les utiliser des animaux aussi lourds. Ils vivaient sur le sable, et pouvaient sans doute des- tendre à de grandes profondeurs, car quelques espèces sont aveugles ; d'autres (dEglinà) avaient, au contraire, des yeux énormes. Deux sillons longitudinaux qui se prolongeaient sur le bouclier où ils découpaient une aire médiane, la gla- belle, qu'ils séparaient des Joues, et de chaque côté de laquelle se trouvaient les yeux, s'étendaient sur toute la longueur de l'abdomen, dont les derniers articles étaient quelquefois con- fondus pour former un pygidium faisant pendant au bouclier (Bronleas, Agnostus). Le corps était ainsi divisé en trois bandes longitudinales, d'où ce nom de Trilobites. On a pu recueillir des embryons de Trilobites, ceux du genre cambrien Sao, en parti- culier, et constater qu'une fois le bouclier et le dernier seg- ment formés, tous les autres segments se constituaient un à un, en avant de celui-ci, de sorte que le mode de formation des segments du corps, commun aujourd'hui aux arthropodes, aux vers annelés et aux vertébrés, remonte au moins à vingt mil- lions d'années ; autant dire qu'il n'a jamais varié, pas plus que les conditions mécaniques qui l'ont déterminé. Durant l'ère primaire les Trilobites se sont répandus dans toutes les mers; ils abondent surtout pendant les périodes silurienne et dévonienne, et ne sont plus représentés, pendant la période carbonifère, que par la famille des Proëtidés, réduite elle-même aux deux genres : Proêta, et Phillipsia^ dont l'as- 250 VERS LA FORME HUMAINE pect n'est pas sans rappeler celui des Paradoxides cambrîens, les plus anciens Trilobites connus. La variété des formes de ces animaux est considérable. On ne distingue pas seulement parmi eux des espèces littorales et des espèces de profondeur, mais il y a aussi des espèces et des genres régionaux, pour ainsi dire, permettant de délimiter déjà, au cambrien, des pro- vinces zoologiques. A ce moment, les espèces et même les genre? des bras de mer septentrionaux étaient distincts des espèces de la Tèthys, et la mer circumpacifique avait aussi ses espèces pro- pres. Les Saoy les Conocephalus Heberli et Levyi, le Para- doxides medilerraneus manquaient sur les côtes du continent Nord-Atlantique où sont communs les Olenus. Dans le Paci- fique apparaissent à l'époque de l'acadien les premiers asa- phid/b : ils se répandront de là vers les mers de la future Europe, où ils arriveront à l'époque ordovicienne seulement. Les Dicellocephalus caractérisent la région de l'océan circum- pacifique, qui s'étend des côtes occidentales de l'Amérique à l'Australie où, en revanche, les Olenus font défaut. Pendant la période silurienne, certains Trilobites acquièrent la faculté de se rouler en boule, comme le font actuellement les Cloportes et les Glomeris; leurs genres et leurs espèces se multiplient tout en restant confinés dans des provinces distinctes, mais l'existence de ces provinces n'implique pas une différence de climat, car les dépôts calcaires ne changent pas de caractère; les Graptolithes flottants demeurent cosmopolites et des bancs de coraux continuent à se former aussi bien dans les régions septentrionales que dans les régions équatoriales ; la tempéra- ture demeure donc élevée partout. Néanmoins les Trilobites permettent de distinguer nettement dès l'ordovicien une pro- vince de l'Europe septentrionale, une province américaine, et une province de la Bohême ; les deux premières tendent à se confondre durant le gothlandien, par suite des échanges qui se sont accomplis entre ces diverses régions, et, en particulier; entre l'Amériaue et l'Europe, par l'intermédiaire de l'océan LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 251 Arctique. Au dévonien cette communication disparaît: les deux faunes américaine et européenne redeviennent distinctes. La faune américaine s'étend des Etats-Unis à l'Amérique du Sud et à P Afrique australe, tandis que la faune européenne s'étend sur le reste du monde. Les Trilobites n'ont plus d'importance au carbonifère. Par la présence d'antennes ces étranges animaux se rapprochaient des Crustacés; mais ceux-ci ont deux paires d'antennes, et leurs appendices buccaux sont franchement devenus de« man- dibules, des mâchoires et des maxilles. Comme chez les Trilo- bites, cinq paires d'appendices ou six comme chez les Limules, si on compte le pédoncule des yeux des Crustacés supérieurs, sont employées soit au tact, soit à la préhension et à la tritu- ration des aliments. La constance de ces nombres conduit à penser que les Crustacés ont bien pu descendre des Trilobites ; mais ils se sont séparés de bonne heure, car il y a déjà à l'époque cambrienne de vrais crustacés à larges pattes mem- braneuses, servant à la fois à la respiration et à la natation, comme celles de nos Apus qui ressemblent encore un peu aux Trilobites, ou de nos Branchipes, de nos Artémies et de nos Es- théries (1). Il y a aussi des Crustacés voisins de ces Ci/pris, connus, sous le nom de « poux d'eau », fréquemment employés par les pisciculteurs pour nourrir leurs alevins (2) et à qui leur carapace bivalve, comme la coquille d'un mollusque lamelli- branche, a valu le nom d'Ostracodes. Ces deux ordres de Crus- tacés se renforceront désormais par l'apparition de genres nou- veaux qui pourront se substituer aux anciens ou s'ajouter à eux. Dès le silurien, à l'ordre des Ostracodes fait suite celui des Cirri- pèdes représentés de nos jours par les Balanes, qui hérissent les rochers découverts à chaque marée de leurs coquilles en forme de tronc de pyramide à bord tranchant, et les Anatifes qui se suspendent par un long pédoncule aux bois flottants ou à la quille (I) Hymenocans, Proïocaris. — (2) Isoxys, Leperditia. Primitia. 252 VERS LA FORME HUMAINE des navires. On a longtemps hésité sur la place que devaient occu- per ces animaux; mais ils naissent sous la forme de nauplius, (p. 145) commune à tous les Crustacés inférieurs; ils se trans- forment ensuite, en acquérant une coquille bivalve et six paires de pattes abdominales bifurquées, en petits êtres si semblables d'aspect «ux Ostracodes qu'on les a nommés larves cypridiennes. Cet état implique une parenté non pas avec les Ostracodes actuels, mais avec quelque ostracode précambrien encore inconnu. La larve cypridienne se fixe, par une ventouse que portent ses an- tennes, sur un corps solide submergé, et c'est seulement alors que, tout en subissant un changement important d'attitude, elle prend définitivement les caractères d'un cirripède. On a découvert aussi dans les terrains siluriens des Myria- podes (1) et des Insectes. Ceci est important. Les Myriapodes et les Insectes dérivent, nous l'avons vu, les premiers des crustacés entomostracés, les seconds des crustacés supé- rieurs ou malacosiracés ; l'existence d'un myriapode et d'un insecte dans le silurien suppose, par conséquent, l'exis- tence de crustacés de ces deux ordres à une époque anté- rieure, soit dans le silurien inférieur, soit dans le cambrien. On n'en connaît pas; mais de telles lacunes se retrouvent dans tous les groupes ; bien plus, des groupes que l'on voit prospérer à une époque semblent disparaître quelque temps après, pour reparaître plus tard, presque sous les mêmes formes, et quelque- fois prospérer jusqu'à nos jours. Il est évident que ces disparitions et réapparitions ne sont que des apparences; elles cachent sim- plement, quand il ne s'agit pas plus simplement encore d'une exploration incomplète, des émigrations provoquées par un changement dans la composition des eaux, dans leur profondeur, dans la nature des dépôts du fond, dans la direction des cou- rants, &tc. Ces phénomènes ne sont ni rares, ni mystérieux, il y a quelques années une série d'hivers rigoureux a fait dis- (1) Arckidesmuê. La yie durant la période primaire 253 paraître de la baie de Saint- Vaast-la-Hougue, rendue célèbre par les travaux d'Henri Milne-Edwards, de Quatrefages, Clapa- rède, Grube et bien d'autres, les Comatules et les Âslerina qui y abondaient, et y ont amené, en revanche, diverses espèces du nord inconnues jusque-là dans ces parages. L'an- cienne faune n'a pas encore été reconstituée. C'est en petit ce qui s'est passé plusieurs fois dans les périodes géologiques. Pourquoi les Trilobites ont-ils disparu? Nous avons vu que l'existence des Myriapodes et des Insectes, à la fin de l'ère pri- maire, impliquait la présence dans les mers de cette époque des crustacés supérieurs, dont les restes fossiles ne commencent à être nombreux que durant l'ère suivante. Avec leur armature buccale très complète, leurs pattes robustes, les unes marcheuses, les autres natatrices, ces animaux devaient avoir facilement le dessus sur les Trilobites, soit qu'ils en fissent leur proie, soit qu'ils fussent simplement avec eux en concurrence alimentaire. Ceci, comme disait Victor Hugo, devait tuer cela. Ainsi la simple constatation de la présence d'un groupe d'animaux à une époque déterminée peut devenir éminemment suggestive. Les faits significatifs de ce genre ne manquent pas. On a découvert deux genres de Scorpions dans le silurien (p. 200). Cela n'a rien d'étonnant puisque les Scorpions sont apparentés de très près aux mérostomés primitifs et surtout aux Limules; mais les Scorpions sont essentiellement carnivores et ne s'attaquent guère qu'à d'autres Arthropodes terrestres. H est donc certain qu'à l'époque silurienne vivaient sur la terre d'autres arthropodes, et cela est confirmé parla découverte d'une aile de Punaise (1) dans ces mêmes terrains. Les Punaises sont, en effet, des insectes déjà très éloignés des formes primitives» Si leurs métamorphoses se réduisent encore à l'apparition des ailes, les pièces de leur bouche sont très modifiées : les mandibules et les mâchoires se sont allongées en stylets pointus, la lèvre infé- (1) Protocîmex silui icus 254 VERS LA FORME HUMAINS rieure est devenue une gaine dans laquelle ces stylets sont enfermés; il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour que les pièces primitives qui gardaient encore des traits frappants de leur ancienne forme de pattes se soient modifiées à ce point, et pendant ce temps les insectes broyeurs : névroptères et ortho- ptères tout au moins, ont dû se multipler abondamment. On n'en connaît presque pas, et cela tient à ce qu'il ne reste que peu de chose des formations continentales de la période silurienne. Il n'est pas absolument invraisemblable qu'il existât déjà des insectes durant la période cambrienne; cependant leur classe semble avoir fait peu de progrès durant la période dévonienne, ce ne sont encore que des névroptères et des hémiptères. Il faut arriver jusqu'à la période anthracoiithique pour assister à un véritable épanouissement de cette classe. Une abondante végé- tation de Lycopodes, de Prêles, de Fougères, de Conifères, de Cycadées, de Cordaïtées couvre alors la Terre. Des Lycopodes, des Prêles se sont haussées au rang d'arbres qui peuvent s'égaler à nos plus belles Conifères; l'atmosphère est chaude sans excès, la température uniforme est plutôt élevée, la lumière du soleil filtre à travers une atmosphère humide et nuageuse ; c'est la période que traverse sans doute actuellement la planète Vénus. Ce sont les meilleures conditions pour les insectes, représentés surtout alors par des Archiptères comme les Ephémères, les Libellules, les Perles, ou des Orthoptères comme les Phasmes, les Blattes, les Sauterelles même, ou encore des hémiptères (1) voi- sins de nos grands Fulgores , de nos Cigales et de nos Punaises. Les ordres nettement délimités que nous reconnaissons aujourd'hui ne l'étaient pas encore, il y avait notamment des passages entre les Archiptères et les Orthoptères z le Proiophasma Dumasi avait un corps de phasme et quatre grandes ailes planes de névro- ptère, alors que les Phasmes actuels sont dépourvus d'ailes, ou ont des ailes antérieures très petites et des ailes postérieures repliées (î ) Diclyocicada, Eugereon, Fulgorina% Mecyno*toma, PhianocorU. LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 256 en éventail. Ce dernier caractère, qui est aujourd'hui commun à tous les Orthoptères, faisait défaut à leurs ancêtres, dont les ailes postérieures, à peine plus larges que les antérieures, demeuraient planes au repos. Enfin, sur certaines formes on a cru reconnaître des traces d'une paire d'ailes portées par le prothorax qui «*n est aujourd'hui toujours dépourvu ; cela confirmerait l'opinion précédemment émise, que les ailes étaient d'abord des dépendances des pattes, des épipodites, puisque chacun des segments pourvus de ces dernières pouvait être pourvu des premières. Mais ce qu'il y a de plus étonnant chez les Insectes de la période carbonifère, qui ont été étudiés avec le plus grand soin par Charles Brongniart, c'est la taille qu'ils pouvaient acquérir. Le Tiianophasma Fayoli atteignait vingt-huit centimètres de long; certaines Libellules avaient soixante-dix centimètres d'envergure, et les ailes d'une espèce d'Ephémère du genre Meganeura ne mesuraient pas moins de trente-trois centimètres de long. Sans doute cette grande taille était propre à certaines espèces, et d'autre pari de très grands phasmes, les Cyphocrana par exemple, de très grands sca- rabées, les Dynasies, les Golialhs, vivent encore dans les pays chauds; elle n'en mérite pas moins l'attention. Actuellement la vie des Insectes est brève; elle ne dépasse guère une année que pour les larves qui vivent abritées sous la terre, comme celles des hannetons ou des cigales, dans les troncs d'arbres, comme celles des cerfs-volants et des grands capricornes, ou dans les eaux qui ne gèlent pas, comme celles de nos grandes Libel- lules. Ces larves vivent trois ou quatre ans ; on cite une Cigale des Étais- Unis (1) dont la vie souterraine se prolongerait jusqu'à dix-sept ans. C'est si bien une question d'abri, que la longévité s'accroît beaucoup chez les insectes adultes qui vivent en société et sont arrivés à se construire un domicile commun, comme les Termites, les Guêpes sociales, les Abeilles et les Fourmis. Nous fl) Cicada sepiemdecim 256 TERS LA FORME HUMAINE sommes amenés par là à cette conclusion que la brièveté de la vie des Insectes a été causée par les variations annuelles de la température qui ramènent périodiquement les hivers trop froids ou les étés trop pluvieux. Ces variations n'existaient pas durant la période primaire ; elles n'ont commencé à se caractériser nettement, et encore seulement d'une façon modérée, dans les régions polaires, qu'à la fin de la période secondaire; il n'y avait pas de raison dès lors pour que la longévité des larves d'insectes et des insectes adultes ne fût pas plus grande et ne leur permît d'atteindre une plus grande taille,, Actuellement les insectes ne grandissent que pendant leur vie larvaire. Arrivés au terme de cette vie, durant laquelle ils subissent trois ou quatre mues correspondant à des époques de brusque croissance, ils changent encore une fois de peau et l'on voit alors apparaître, annexés à leur méso- et à leur métathorax, de courts étuis ovales, les rudiments des ailes. Après cette mue, ils peuvent conserver leur activité, ce qui est le cas des Archi- ptères, Orthoptères et Hémiptères, seuls ordres représentés durant l'ère primaire, ou perdre les mouvements de leurs ap- pendices, ce qui arrive aux Coléoptères, aux Névroptères, aux Hyménoptères, aux Lépidoptères et aux Diptères plus récents. Les premiers sont les insectes à demi-métamorphose, et la forme de leur corps est déterminée dès leur naissance; les seconds, les insectes à métamorphose complète, dont les larves, suivant leur genre de vie, peuvent être agiles et sveltes (1), dodues et pourvues de pattes thoraciques seulement (2), pourvues de pattes thoraciques et de fausses pattes abdominales (3), dé- pourvues de pattes (4), dépourvues de pattes et de tête diffé- renciée (5). Les phases de la vie ne sont pas toujours aussi net- tement coupées que nous venons de le dire. Chez les larves aquatiques des Ephémères, qui portent sur le dos de chacun des (1) Larves campodéiformes. — (2) Larves mélolontholdes. — (3) Larves éruciibrmes on chenilles. — (4) Larves helmintholdes. — (6) Larves acéphales. LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 2S7 articles de leur abdomen une paire de lames rappellant singu- lièrement des rudiments d'ailes, les ébauches de celles-ci se montrent dès la première ou la seconde mue et grandissent à chacune des mues suivantes ; il en est de même chez les Ter- mites qui sont des insectes morphologiquement inférieurs. On peut conclure de là que non seulement les insectes primitifs n'avaient pas de métamorphoses brusques, mais que la crois- sance de leurs ailes se répartissait sur toutes les phases de leur vie et que leur évolution était continue comme celle des autres animaux. Les insectes ailés actuels ne grandissent plus, pondent et meurent ; mais nos Ephémères, héritiers des premières formes réalisées, après avoir atteint leur état définitif, ne s'envolent qu'après s'être débarrassés d'une enveloppe légère, ce qui est, en fait, une dernière mue. On peut dès lors se demander si, devenus adultes, les anciens Insectes n'étaient pas demeurés sus- ceptibles de grandir et de muer. Il faudrait admettre, dans ce cas, ou bien que les ailes étaient encore faites de cellules vi- vantes alors qu'il n'y a plus de vivant dans les ailes de nos in- sectes que les muscles qui s'attachent à leur base pour les faire mouvoir, ou olen que les ailes tombaient spontanément, comme c'est le cas pour les Termites, où leur chute est préparée d'avance par la formation à leur base d'une ligne de rupture, mais qu'elles pouvaient ensuite se reformer à chaque période repro- ductrice. Ceci ferait effectivemei il rentrer les insectes dans la règle générale. N'est-il pas singulier qu'ils n'aient plus que quelques semaines à vivre, lorsqu'ils ont acquis toute leur per- fection? Beaucoup d'autres animaux, de modestes Vers (1), des Poissons (2) et de^Oiseaux nombreux, revêtent, au moment des amours, des couleurs brillantes ou des ornements souvent splendides ; quelquefois leurs yeux s'agrandissent, leurs organes de locomotion se perfectionnent; leur agilité devient extrême, et (1) De» Syllidiens (Autolytus, Myrianis, etc.), des Néréidiens (Aereis api- tri fera)) des Phfjllodoce, des Cirratules. (2) Macropodes de la Chine, Eptaoches, Vairons. 17 !&58 VERS LA FORME HUMAINS tout ce qui les distingue alors constitue leur robe de noces. C'est bien par des traits de ce genre que les insectes adultes dif- fèrent de leurs larves. Leur état définitif ne serait-il qu'une robe de noces qu'ils ne revêtiraient qu'une fois, de nos jours, mais qu'ils revêtaient jadis à chaque période de reproduction? La question peut être posée, puisque les grands Crustacés peuvent se reproduire plusieurs fois. La durée de la vie des Insectes adultes peut, d'ailleurs, grâce à certaines précautions, être allongée. M. Labitte a conservé un Blaps vivant plus de huit ans. Il n'y a rien à dire des Vers qui ont laissé des traces évidentes (Nereites, Arenicoliles, Scoliihas, etc.), sous forme de pistes imprimées par leur corps sur le sable ou sur la vase, de trous qu'ils ont habités, ou de débris solides tels que des mâchoires. Parmi ces animaux il y a déjà ** .s Eunices, des Amphinomes quiatteignent une très grande taille, jusqu'à deux mètres de long et quatre centimètres de large. Il est bien possible qu'il faille rapporter au passage de grands Vers des pistes telles que celles qu'on a groupées sous le nom de Bilobites et qu'on attribue quelquefois aux Trilobites. Aux Vers doivent être rattachés des animaux, les Brachiopodes, qu'on a pris longtemps pour des Mollusques et qui, en somme, demeurent encore isolés. Morse a donné de ces animaux une explication très intéres- sante, et qui lui a inspiré toute une théorie, celle de la céphali- saiion (1). Il fait remarquer que chez la plupart des animaux segmentés la région du corps qui avoisine la bouche prend un grand développement par rapport à la région postérieure qui tend à s'amoindrir et à disparaître. Chez les Mérostomés, les Trilobites, le corps se termine en pointe; celui des Scorpions se rétrécit en un postabdomen qui porte le crochet venimeux. Chez la plupart des Batraciens, les Reptiles, les Mammifères, les viscères se concentrent si bien dans la région, sinon tout à fait antérieure, du moins moyenne, qu'il se constitue en arrière de l'anusune queue, parfois utilisée pour la préhension et qui peut (1) LXV. LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 259 disparaître quand elle n'est pas utilisée. Ce phénomène s'explique facilement parle principe deLamarck. Sur la région antérieure du corps sont rassemblés, outre la bouche, les «rganes. des sens. Elle engage les mouvements qui entraînent le reste du corps, et la région postérieure ne fait que la suivre. La région antérieure est donc, en général, la région active par excel- lence, celle qui? d'après le principe invoqué tout à l'heure, doit atteindre le développement maximum, tandis que la partie inactive s'atrophie. C'est la raison pour laquelle, chez les Arthro- podes et les Vers supérieurs, le nombre des segments du corps tend à se réduire et à se fixer à ce qui est indispensable. Si toutefois, cette réduction opérée, la région postérieure du corps devient active, le nombre de ses segments n'augmente pas, mais ils demeurent volumineux; les Crustacés supérieurs qui nagent, comme les Squilles ou les Crevettes, en frappant l'eau par un brusque reploiement de leur abdomen ont un puissant abdomen, tandis que chez les Crabes uniquement marcheurs, l'abdomen s'atrophie. De même les Poissons, les Cétacés et les Sirénides qui nagent en frappant latéralement l'eau de leur queue ont une large queue. Les Vers marins tubi- coles, ceux qui s'enferment dans la vase, vivent dans des condi- tions qui favorisent singulièrement la région antérieure de leur corps aux dépens de taur région postérieure, privée de tout contact avec le milieu extérieur ; dès lors se produisent sur la tête ces volumineux panaches qui attirent vers l'animal, à l'aide des battements des cils vibratiles dont ils sont couverts, tout à la fois l'eau chargée d'air respirable et les particules alimen- taires, et en raison desquels Lamarck appelait tous ces vers des Céphalobranches. Les Brachiopodes enfermés entre les deux valves de leur coquille se nourrissent exactement par le même procédé. Leur bouche est comprise entre deux panaches respiratoires enroulés enspiraïe (1) ou en hélice (2) ou diversement contournés avant il) Térébraïunuc*. — (2) HhynchoueUe*», Spirîfer, etc. 260 VERS LA FORME HUMAINE de s'enrouler ; ce sont ces panaches qui ont inspiré le nom de Brachiopodes donné aux animaux qui nous occupent. En étudiant l'embryogénie des Lingules qui existaient déjà à Pépoque du cambrien et se sont à peine modifiées depuis cette période lointaine, Morse a été frappé de la ressemblance de ces jeunes animaux avec les Serpules; les deux valves de la coquille se développent dans une région du corps de Panimal correspon- dant au collier de ces dernières; il a été ainsi conduit à considé- rer les Brachiopodes comme desannélides céphalisées. L'embryo- génie ne laisse aucun doute, d'ailleurs, que ces animaux ne dérivent de Vers annelés réduits à un petit nombre de seg- ments. La ressemblance qu'ils présentent avec les mollusques bivalves est toute superficielle. Les valves de leur coquille sont l'une dorsale, l'autre ventrale, au lieu d'être l'une droite, l'autre gauche, comme chez ces derniers, et leur texture est toute différente. L'organisation interne n'a rien de commun avec celle des Mollusques ; en revanche, elle rappelle nettement celle d'un ou deux segments (Rhynchonelles) de Vers annelés qui se seraient individualisés. Ceci posé, on distingue deux grands types de Brachiopodes : 1° les Inarticulés dont les valves de la coquille, de consistance plutôt cornée, sont indépendantes l'une de Pautre ; 2° les Arti- culés dont les deux valves, fortement calcifiées, sont unies l'une à Pautre par une véritable charnière. Ce sont des muscles qui ouvrent la coquille, et non plus, comme chez les Mollusques bivalves ou Lamellibranches, un ligament qui fait ressort ; aussi la coquille d'un Brachiopode mort est-elle obsti- nément fermée, tandis que celle d'un Lamellibranche est bâil- lante. Les Lingules vivent dans le sable, où elles enfoncent leur long pédoncule mobile, représentant, suivant Morse, le corps de PAnnélide primitive. Les Brachiopodes articulés s'attachent d'une manière permanente aux rochers par l'extré- mité de ce pédoncule. Un assez grand nombre d'espèces inar- ticulées ou articulées se soudent aux rochers par une de leurs LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 261 valves. Les Brachiopodes inarticulés ont un tube digestif com- plet, ouvert aux deux bouts ; celui des Rhynchonelles, encore vivantes comme les Lingules et dont le corps est vraisemblable- ment composé de deux segments, se termine en caecum ; cbez les autres Articulés, l'appareil digestif se réduit à un sac qui se prolonge en un filament grêle, se dirigeant vers la charnière. Ces dispositions indiquent nettement, conformément à la théorie de la céphalisation, un organisme en voie de réduction. On peut se demander comment des animaux aussi simple- ment organisés, voués à l'immobilité, ont pu se multiplier comme ils Tout fait durant la période primaire et devenir si abondants et si variés qu'ils fournissent aux géologues des caractères statigraphiques des plus précis. Les Inarticulés dominent au cambrien, associés aux Strophoménidés et aux Pentaméridés ; mais dès le silurien, de nombreuses familles, parmi lesquelles celles des Rhynchonellidés, s'ajoutent aux précédentes, et ces dernières existaient déjà, sans doute, dans le cambrien. Parmi les formes nouvelles il faut citer les Pro- dacius, à valve inférieure très bombée, qui atteindront au car- bonifère jusqu'à 1 décimètre de diamètre. Les familles, les genres et les espèces continuent à se multiplier pendant ledévo- nien; on voit alors apparaître les TérébratuRdés qui habitent encore nos mers. Le carbonifère est plus riche à son tour; c'est seulement au cours de la période secondaire que k déclin commence et s'accentue jusqu'à la période actuelle où les Bra- chiopodes ne jouent pi us qu'un rôle insignifiant. Pour qu'ils aient pu atteindre une pareille prospérité durant la période primaire, il faut que le plankton, le seul aliment possible pour eux, fût à cette époque bien abondant et peu disputé; l'ère primaire fut donc aussi celle des macroscopiques algues flottantes, des Protozoaires et des menus embryons. Cette richesse de la mer en plankton était non moins néces- saire à l'évolution des Crinoïdes, qui sont tous des Échinodermes fixés, ne vivant que des petits corpuscules qu'apportent à 262 TORS IA FORME HUMAINS leur bouche les courants déterminés par les cils vibratiles de leur gouttière brachiale. La théorie indique que cet embran- chement a dû débuter par des formes plus ou moins sphéroï- dales dérivées d'un ver à corps court, enroulé de manière à décrire un tour d'hélice ; les Cystidés limités à la période pri- maire semblent répondre à cette première phase de l'évolu- tion des Échinodermes. Nous avons vu comment l'embryogénie donnait ensuite une forme rayonnée initiale, mais primiti- vement sans bras, de laquelle il est facile de faire dériver toutes les autres classes. Les Cystidés demeurent en deçà de cette forme embryonnaire; ils semblent avoir cédé à des actions extérieures très diverses, ce qu'explique leur fixation au sol qui ne leur a permis de se soustraire à aucune d'elles. Cette fixation a entraîné d'ailleurs des déformations propres à rendre méconnaissable le type initial, déformations différentes suivant l'âge auquel se fixe l'embryon et les conditions de sa fixation. Un embryon moyen se fixe d'ordinaire par son extrémité antérieure ; mais il s'agit ici d'embryons alourdis par le cal caire contenu dans leurs tissus, qui ont été entraînés sur le sol et qui ont pu dès lors s'attacher à lui par n'importe quel point de leur corps. Une fois la fixation accomplie, l'embryon a dû effectuer, comme tous les embryons fixés, une métamorphose rotative destinée à amener sa bouche et son anus en un poii aussi opposé que possible au point de fixation; c'est la méta- morphose qu'accomplissent les Cirripèdes parmi les Arthro- podes, les Crinoïdes parmi les Échinodermes actuels, ainsi que les Tuniciers, et qui déforme si complètement leur corps. Les Cystidés ont évidemment subi cette rotation, puisque leur bouche, leuranus et leur orifice génital sont d'ordinaire rassem- blés"sur le pôle opposé à leur point de fixation ; elle n'a pu s produire sans altérer profondément le type initial, et c'est sanj doutepourquoi ces animaux paraissent si aberrants. Au surplus immobiles, presque dénués de tout appareil propre à déter^iinei un courant alimentaire et respiratoire vers leur bouche, leui LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 263 mode d'alimentation, quelle que soit la richesse en plankton de l'eau qui les entourait, demeure un problème ; peut-être faut-il admettre que leur tube digestif était très richement cilié, ou avoir recours à la symbiose avec des algues vertes. Dès le silurien les autres classes des Echinodermes sont déjà ébauchées et représentées par de nombreux individus, mais cependant les formes primaires sont très différentes des formes actuelles et parfois moins nettement tranchées; on con- naît, par exemple, des Étoiles de mer dont la plaque madrépo- rique est située sur la face ventrale du corps comme celle des Ophiures. Chez les Oursins, les fuseaux ambulacraires sont très étroits, comme ils le sont encore chez les Oursins actuels, à piquants énormes, qu'on nomme des Cidaris ; ils sont parfois presque linéaires et sinueux ; les plaques interambulacraires sont nombreuses et disposées en mosaïque (1), au lieu de ne former que deux rangées alternes dans chaque fuseau; toutefois au carbonifère apparaissent de vrais Citiaris, et même des Diadèmes à piquants longs, creux et fragiles, analogues à ceux de la Méditerranée, à fuseaux ambulacraires déjà élargis et portant des pores ambulacraires disposés pargroupes de trois paires. Les Crinoïdes ont des bras relativement courts; leur calice com- prend trois cercles de plaques : cinq radiales, qui portent les bras ; cinq basâtes, qui sont placées au-dessous d'elle, et alter- nent avec elles; des sous-basales, parfois au nombre de trois seulement, qui rattachent à la tige le cercle des basâtes. Le der- nier de ces cercles de plaques et souvent Favant-dernier font défaut aux Crinoïdes actuels. La faune primaire des Echino- dermes est donc nettement caractérisée. On a vu (page 160) comment devait être entendue la généalogie des Mollusques. Les Gastéropodes et les Céphalopodes ont pu se constituer simultanément, les premiers gardant une large sole ventrale probablement pourvue de lobes latéraux, utilisés (1) Melon ites, Lepidocentrus, Cffêtocidaris, Boirhiocidaris. 264 VERS LA FORME HUMAINE pour la natation ; les seconds rétrécissant leur sole ventrale, au point de la réduire au pourtour de la bouche. Les uns et les autres doivent commencer par des formes à coquille droite, qui s'enroule plus tard en spirale chez les formes nageuses, en hélice chez les Gastéropodes redevenus rampants. La paléonto- logie confirme ces données qui éclaircissent d'ailleurs quelques- uns de ses problèmes. Si les Gastéropodes descendent réelle- ment des Oscabrions et si leur coquille dérive des plaques dor- sales de ces derniers, la coquille des formes les plus anciennes doit être formée de lames triangulaires juxtaposées de leur sommet à leur base ; la coquille des Conularia remplit cette condition. La coquille des formes suivantes doit être continue, mais droite ; ainsi se trouve fixée la place des Hyolilhes et des Teniaculites que, faute de cette notion, on classait quelquefois parmi les Vers annelés. La phase d'enroulement en spirale est donnée par les Bellerophon. Or toutes ces formes sont cam- briennes, et il s'y ajoute des formes hélicoïdales de Diotocardes dont nous avons déjà signalé les caractères primitifs : les Euornphalus et les Pleurotomaires ; ces dernières ont persisté jusqu'à nos jours, dans la faune abyssale. Les Troques égale- ment diotocardes, les Patelles qui sont des formes de pas- sage, les premiers monotocardes à ouverture de la coquille entière (1), des Pourpres carnassières chez qui l'ouverture de la coquille est échancrée pour le passage d'un siphon destiné à amener l'eau dans la cavité branchiale, s'y ajoutent même dès le silurien. Les Turbos, différant des Troques par leur épais opercule calcaire, et les Capulus à petite coquille en forme de capuchon, presque sans spire, se montrent au dévonien; à l'époque anthracolithique, il s'y ajoute des Vermets dont la co- quille s'accole aux corps étrangers et l'on trouve pour la première fois de véritables Escargots et d'autres Gastéropodes pulmonés tels que les Pupes. Peut-être même, étant donné que les dépôts (1) Littorinidés, Scalaridés Pyramidellidéa. LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 2fi5 lacustres et les apports côtiers des cours d'eau sont incompa- rablement mieux connus à la période anthracifère qu'aux périodes antérieures, la réalisation du type pulmoné avait-elle eu lieu beaucoup plus tôt. Les types à coquille droite des Céphalopodes sont représentés par les Orthocères. Les Céphalopodes demeurent nageurs : lorsque leur coquille s'enroulera, elle s'enroulera donc simple- ment en spirale et demeurera symétrique. Les deux types sont, au plus tard, réalisés au Silurien. C'est seulement à la période crétacée que quelques Anamonitidés, devenus proba- blement rampants pour les raisons que nous avons dites (page 161), s'enrouleront en hélice, constituant ainsi les Turri- lites. Les formes droites et leurs voisines nous permettent d'ail- leurs de pénétrer les causes qui ont déterminé les caractères particuliers des coquilles des Céphalopodes. Ces coquilles sont divisées, à l'intérieur, en chambres successives par des cloisons calcaires, concaves vers l'ouverture de la coquille, et qui se relient aux parois de celle-ci, soit graduellement, en gardant leur courbure, ce qui caractérise les formes les plus anciennes, constituant le groupe des Nautilid^e, soit en se plissant de ma- nière que la ligne de jonction de la cloison avec la coquille forme une ligne brisée seulement à son origine (1), ou une ligne ondu- leuse dont les arcs deviennent de plus en plus nombreux et plus petits par conséquent, dessinant ainsi des lignes de plus en plus compliquées à mesure qu'on avance dans la période jurassique ; ces lignes compliquées de suture caractérisent les Ammonitid^. Les cloisons sont traversées de la première à la dernière par un tube, le siphon, qui chez les Nautiles vivant encore en troupes, entre deux eaux, dans nos mers chaudes, vient s'appliquer contre le s«»mmetde la coquille, en cet endroit percé d'une fente, tandis que dans la coquille interne des Spirales, cloisonnée comme celle des Ammonites, mais â cloisons lisses comme celles (1) Goniatites à siphon situé près de la paroi convexe de la coquille, Ciynaé* nies à siphon sur la paroi opposée. 266 VERS LA FORME HUMAINS des Nautiles, le siphon, après avoir traversé la dernière cloison, se termine par un petit sac ovoïde, Vovisac, qu'un ligament, le prosiphon, relie ausommet de la coquille. Sur la tête des Nautiles s'épanouissent des disques chargés de tentacules vermiformes très mobiles qui leur donnent un aspect tout particulier ; ils ont quatre branchies. La tête des Spirules est, au contraire, construite comme celle des Calmars et des Seiches ; elles n'ont que deux branchies. Munier-Chalmas, qui a découvert ces différences de terminaison du siphon chez ces animaux, a constaté que, sous ce rapport, les Spirules étaient semblables aux Ammonites. Il en a conclu que ces dernières étaient, comme elles, des Mollusques dibranchiaux à tête pouvue de dix tentacules, tandis que les grands Céphalopodes à cloisons lisses devraient être rapprochés des Nautiles. Cependant, les Céphalopodes à coquille droite, cloisonnée, des temps primaires, ont un siphon, beaucoup plus volumineux que celui des vrais Nautilid^k (Orthoceras); il est tantôt latéral (Cyrtoceras), tantôt central, et il peut arriver que les cloisons soient elles-mêmes latérales (Ascocercus). On doit conclure de là que le siphon faisait d'abord partie intégrante du corps et qu'il n'est autre chose, chez les Orthocères, dont la coquille droite peut dépasser deux mètres de long, que le tégument du sommet du corps, primitivement fixé à la coquille, étiré par le poids de celle-ci, l'animal nageant, nous l'avons dit, le ventre en l'air. Ce serait une sorte de queue dont la formation aurait été mécaniquement déterminée par le poids de la coquille pen- dante dans l'eau. Une fois formé, le siphon aurait été hérédi- tairement conservé dans les formes spiralées ultérieures. Ceci implique que la partie du corps du mollusque qui contient les viscères remonte, par à-coups, dans la coquille, à mesure qu'il grandit, et sécrète derrière lui, à chaque station, une cloison qui l'isole de la partie vide de la coquille. Le siphon demeure appliqué contre la paroi extérieure de la coquille chez les Goniatites; il est interne chez les Qyménies, qui n'ont été que LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 267 de faible durée. La théorie que nous avons donnée des Mol- lusques céphalopodes trouve donc ici une extension tonte naturelle. On ne saura jamais, sans doute, exactement comment les Orfhocères étaient construits, mais il est impossible de mettre en doute leur parenté généalogique avec les autres céphalopodes à coquille. Les cloisons commencent à se faire sinueuses, dès le silurien, chez les Goniatites des genres Anarcesies et Agonialiles ; elles vont ensuite se compliquant dans des séries parallèles, caractérisées par les proportions relatives de la hauteur, de la largeur et de la longueur des loges, notamment de la der- nière qui est nécessairement moulée sur le corps de l'animal. Von Mosjisowicz, En. Kayser, Fr. Frich, Emile Haug, etc., ont pu suivre l'évolution graduelle des diverses séries d'Am- monites et apporter ainsi une contribution importante à la démonstration, par les faits, de la théorie de l'évolution. Au point de vue général où nous sommes placés ici, il y a peu de chose à dire des Mollusques lamellibranches. Ils commencent dès le cambrien inférieur, ce qui indique que des Gastéropodes diotocardes symétriques, dont les Bellérophons sont la suite, devaient exister déjà durant l'ère précambrienne ; mais c'est seulement au silurien que leurs espèces sont assez nombreuses pour qu'on puisse se rendre compte de la marche de leur évolu- tion. Comme la théorie l'indique» les formes les plus anciennes ont une longue charnière avec une articulation très simple ; elles forment le groupe des Paléoconques (1) ; puis viennent les genres dont la charnière très longue porte de nombreuses petites dents très rapprochées les unes des autres, les Cucullelles, les Leda, etc. ; ensuite des espèces qui vivent suspendues à un byssus, dont la coquille s'élargit vers le bas, sous Faction de la pesanteur et dont les muscles sont, par conséquent, inégaux: ce sont des Aviculidés d'où dériveront les Monomy aires, (1) Cardiola, Conocardiuni, Dualina, Lunulocat dium^ Prœcurdium, Slavu, Vlasla, en. 268 VERS LA FORME HUMAIN» formes à nu seul muscle rétracteur des valves, que les Peignes ^représentent dans le dévonieo. A côté de ceux-ci se trouvent des Lamellibranches du type normal : les Anodontopsis, Para- cyclas, Amita, rappelant, dans une certaine mesure, les formes de nos eaux douces. Les Vertébrés n'ont pas encore été rencontrés dans le cam- brien ; mais ils sont représentés dans le silurien et le dévonien par des poissons auxquels s'ajoutent, durant la période anthra- cifère, des Batraciens et enfin de vrais Reptiles. Cette succes- sion semble bien indiquer que nous sommes au début de l'évolution des Vertébrés. Nous saevons qu'ils ont dû com- mencer sous une forme analogue à YAmpkioxus. La nature des tissus de YAmphioxus ne se prête guère à la fossilisation ; mais on a trouvé des méduses fossilisées dont les tissus sont encore plus mous; il ne faut donc pas perdre tout espoir de trouver, aussi des ancêtres fossi&és des Verté&réa. Après l'Amr phioxas, les poissons les plus simples, parce qu'ils ne possèdent, pour toute colonne vertébrale, que la corde dorsale des emlwyons, sont les poissons marsipobranehes qui ont pour type les Lam- proies. A partir de ces animaux, l'évolution des poissons se pour- suit dans un ordre logique. En 1903 je commençais leur histoire, dans mon Traâé de Zoologie, en faisant remarquer qu'ils avaient été modelés par les pressions qu'ils éprouvaient de la part de Peau ambiante, au cours de leur natation, pressions princi- palement déterminées par les mouvements brusques de leur queue, et que le nombre, ainsi que la position, de leurs nageoires dorsales étaient dus à la déchirure d'une nageoire dorsale, pri- mitivement continue, par les courants qui se formaient alors le long des flancs de l'animal (1). Par d'intéressantes expériences M. Frédéric Houssay a bien montré qu'il en était ainsi; M a établi que le point de départ de la forme des poissons était celle que prend un sac de toile cylindrique, rempli d'une paie molle, lorsqu'on le tire horizontalement dans l'eau ou qu'on le (1) XTJTT, 2364 et suivantes. LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 269 maintient horizontalement dans un vase plein d'eau en face d'un orifice par lequel s'écoule l'eau de ce vase -, cette forme est ce qu'on appelle !a veine inversée, parce qu'elle résulte des pressions qu'exercent les filets du liquide en se précipitant à la place de celui qui s'écoule. Mais si nous pouvons expliquer ainsi la forme habituelle des Poissons, mous n'expliquons. pas les formes spéciales qu'ils ont revêtues; elles résultent cependant, elles aussi, des réactions du liquide sur la ni mal au cours de la natation, réactions qui modifient en particulier la région branchiale. A ce point de vue on distingue trois types de poissons : les Marsipo- branghes, les Élasmobranches, les Cténobranches. Les Marsipo- branches sont représentés actuellement par trois genres seule- ment: les Bdellostomes, les Myxines et les Lamproies. Les Élas- mobranches comprennent des genres nombreux qui se rattachent aux Requins, aux Raies et aux Chimères; les Cténobranches sonttous les autres poissons. Chez les Marsipobranches l'appareil branchial est constitué par deux séries, à peu près symétriques, de poches situées en arrière de la tête, indépendantes les unes des autres et communiquant directement ou indirectement, chacune par un canal afférent et un canal efférent, d'une part avec l'oesophage, d'autre part avec l'extérieur. Une sorte de grillage cartilagineux soutient chaque poche. Chez les Elasmo- branches, ces poches s'aplatissent, se soudent entre elles et se confondent avec les canaux, de sorte que chaque poche com- munique par une fente avec l'œsophage, par une autre avec l'extérieur ; des arcs cartilagineux, desquels partent de nombreux rayons, soutiennent les cloisons épaisses qui résultent de la fusion des parois des poches. Chez les Cténobranches les cloisons sont réduites aux arcs devenus osseux qui les suppor- taient, aux rayons qui en dépendent et aux tissus très riche- ment vasculaires qui revêtent l'arc et les rayons qu'il supporte, en laissant â ces derniers toute leur indépendance. Les Bdellostomes ont jusqu'à 14 poches branchiales et leurs embryons présentent les ébauches de beaucoup d'autres; les 270 VERS LA VOM/L1& HUMAINE Lamproies eu ont sept de chaque côté, les Myxines n'en ont que six Couvrant au dehors par un canal unique. Le nombre sept des fentes branchiales est celui qu'on observe aussi chez le$ Requins du genre Hepianchus; il n'y en a que six chez les Hexanchus et les Chlamydoselachus, cinq chez tous les autres, ainsi que chez les Raies et les Chimères ; enfin, chez les Cténohranches, il y a, en général, quatre arcs branchiaux, rarement moins, et les rudiments d'un cinquième, Cette simple énumération suffit pour montrer que, à mesure que l'on s'élève dans la série des Poissons, la région branchiale va cons- tamment en s'amoindrissant. Nous avons indiqué (page 152) que la cause de ce raccour- cissement était la résistance opposée par l'eau à la progression de l'animal poussé en avant par les battements de sa queue. Comme toujours, certains poissons ont résisté à l'action trans- formatrice et sont arrivés sans changement jusqu'à nous, tandis que d'autres lui obéissaient et se modifiaient. Cette action s'est, du reste, fait sentir également sur le tronc proprement dit; peu à peu la partie purement musculaire et impulsive du corps, qui constitue la queue, l'a fortement réauit, en même temps que les courants produits par elle chassaient en avant les nageoires ventrales, primitivement distantes des pectorales, au point qu'elles sont venues se placer au-dessous et en avant de celles-ci, et s'articuler sur Je squelette branchial lui-même. C'est là, nous l'avons vu, le caractère des poissons nageurs par excellence, des poissons de haute mer. Les Poissons marsipobranche* doivent donc être considères comme les plus anciens des Poissons. Ils n'ont aucune aptitude à sécréter du calcaire; leur peau est absolument dénuée de toute production solide; toutefois dans la cavité buccale, où elle est naturellement soumise à des frottements incessants, Tépiderme de ses papilles prend, chez les Lamproies, une consistance cornée et constitue de courtes épines pointues, coniques, à large base, qui jouent le rôle de dents mais ne sont LA VIE DT3HAKT LA PÉRIODE PRIMAIRE 2?1 encore que des préfaces de dents : on les nomme des odonioîde$. L'épiàerme des Elasmobranches, au contraire, se calcifié dans toute son étendue, mais de manière à se transformer en une sorte de mosaïque formée de petites plaques plus épaisses, cir- conscrites par des intervalles linéaires où l'épiderme demeure flexible. Ce même revêtement se trouve aussi bien dans la bouche que sur les autres parties du corps; sa structure est exactement celle de l'émail des dents de tous les autres Verté- brés. Au-dessous de l'épiderme, la calcification, au moins par places, gagne la portion superficielle du derme, celle où les cellules vivantes qui Pont produit n'envoient que de fins pro- longements sans y pénétrer elles-mêmes ; elle forme ainsi des plaques solides, plus ou moins recouvertes par l'émail, et parfois des socles portant un aiguillon, comme c'est le cas pour les boucles de raies; ces plaques^ ces socles, constitués par des incrustations calcaires, traversés par des fins canaux, ont exactement la structure de Y ivoire des dents, et comme ils sont revêtus d'émail, les dents des Vertébrés terrestres semblent être le dernier reste, localisé sur leur mâchoires, du revêtement défensif des poissons elasmobranches. Les Elasmobranches n'ont pas d'os; leurs vertèbres peuvent bien se calcifier ; mais cette calcification, qui se produit de diverses façons, ne modifie pas leur structure interne ; elles demeurent du cartilage imprégné de calcaire. C'est aussi le cas chez les premiers poissons cténobranches, dont les Esturgeons actuels sont les descendants directs ; mais chez eux la calcification s'est, pour ainsi dire, enfoncée ; abandonnant l'épiderme, pour gagner le derme, elle arrive dans le domaine des cellules dermiques étoilées qui constituent alors les corpuscules osseux. Les parties superficielles du derme, plus riches en calcaire, de texture plus serrée, forment d'abord au-dessus de chaque plaque osseuse un vernis brillant, auquel on donne le nom de ganoïnç; les poissons ainsi revêtus ont été désignés par Louis Agassiz sous le nom de Ganoides. Ces pois- 272 VERS LA FORME HUMAINE sons gardent, au début, un squelette cartilagineux, et ressem- blent encore aux Elasmobranches par une conformation spéciale de leur queue dont l'extrémité se redresse en dessus. Sous cette partie redressée, la nageoire caudale se développe en une lame triangulaire qui fait paraître la queue divisée en deux lobes inégaux. En raison de cette dissymétrie de leur queue, les Requins et les Ganoïdes sont dits hélérocerques. M. Franz Eilhard Schulze, professeur à l'université de Berlin, a montré que cette disposition facilitait l'ascension dans l'eau des Elasmo- branches qui n'ont pas de vessie natatoire. Simple héritage chez les Ganoïdes qui en ont une, elle tend à disparaître chez les Amia des fleuves nord-américains, qui par tous leurs autres caractères sont des Ganoïdes. Chez les autres Poissons qualifiés d'homocerques, la nageoire caudale est terminée par une courbe convexe régulière, ou échancrée en une fourche aux deux branches semblables. Déjà chez les Ganoïdes supérieurs l'ossification a envahi le squelette; il est définitivement osseux chez les Poissons homo- cerques, ou Téléosteens. Là le squelette tégumentaire est encore plus profond que chez les Ganoïdes ; l'animal est protégé par des plaques purement et franchement osseuses qui sont con- tenues dans le derme lui-même, et ce sont les véritables écailles. Sur la tête, ces écailles s'unissent en plaques plus ou moins éten- dues qui s'appliquent sur le crâne cartilagineux, en sont encore facilement séparables chez les Saumons et les Brochets, par exemple, mais finissent par s'incruster dans le cartilage, s'unis- sent aux pièces osseuses de la base du crâne et constituent, chez les Vertébrés supérieurs, les os de la voûte du crâne, qualifiés d'os de membrane. Leurs frontaux, leurs pariétaux, leurs écailles temporales et occipitales sont, comme leurs dents, un héritage des poissons. Les considérations qui précèdent retracent en quelque sorte la généalogie des poissons et fixent l'ordre de leur apparition. On n'en connaît aucune espèce dans le cambrien, et ce que l'on LÀ VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIR» 07 O sait du silurien est évidemment incomplet. On trouve, en effet, dans le dévonien une forme singulière, le Palœospondy- lus Gunnh'qm, s'il n'appartenait au type des MarsÎDobranches, appartiendrait à un type plus primitif. Des formes analogues devaient exister aux temps siluriens; mais elles sont in- connues. En revanche on rencontre dans le silurien supérieur d'Angleterre, de l'ile d'Asel, de Podolie, de Galicie, deLandlow et de diverses localités, de singuliers animaux en qui il est impossible de ne pas voir des poissons, mais qui ne semblent pas rentrer dans les séries actuelles. Ce sont des êtres aplatis, ayant un faux air de Trilobites, dû surtout à la forme en bou' clier de leur tête. Leur large bouche ventrale, allongée en fente transversale, n'avait pas de mâchoires; leur bou- clier céphalique était cependant protégé par de véritables os contenant des corpuscules osseux; ils commencent la série des Pouvons ostragodermes, dépourvus de nageoires latérales: c'étaient des Cephaiaspis et des Auehenaspis, associés aux Pie- raqpi's, dont le tronc et la queue étaient couverts d'écaillés en forme de losange, et à divers autres genres (1). A ces poissons s'ajoutent des poissons analogues, mais pourvus d'une paire de nageoires en forme de palettes, recouvertes, elles aussi, «le plaques osseuses polygonales<2), dont certain es formes existaient d'ailleurs peintre dès le silurien sur les côtes orientales de le Baltique. En même temps se montrent d'autres poissons à tête parfois globuleuse (3), fortement cuirassée de plaques osseuses polygonales, articulées entre elles, qui leur donnent un aspect tout particulier (4), Les nageohes des Plerichthi/s sont des organes déjà très spé- cialisés. Comme beaucoup de sélaciens, même pendant la période carbonifère (5), et dont quelques-uns vivent encore (6), (1) Aielea&p*, Birkema. Cyalhaspis. Lanarkia, Thelodus, etc. - (?) A «te- rolepts, BoihHoiepUy Pterichthy,. - (3) Coccosteus. - (4) Dù£hl hus Net W Lhlamffdoêelachas des mers du Japon. 18 274 VERS LA FORME HUMAINS ont des nageoires très primitives, presque conformes &ux indications généalogiques fournies par l'embryogénie, on doit admettre que ces poissons cuirassés sont plus récents que les Elasmobranches et qu'il y a à chercher dans les terrains plus anciens des termes de connexion entre les deux groupes. On s'est étonné que ces poissons primitifs eussent une tête si fortement cuirassée et ressemblassent aux Trilobites; on a même voulu les en faire descendre, mais ils ont été trouvés dans le vieux grès rouge qui atteint par places cinq à six mille mètres d'épaisseur et qui n'était que du sable quand il s'est déposé; dans ce sable vivaient, avec des Trilobites nombreux, les Plerygolus, les Eurijpterus et autres Mérostomés de grande taille auxquels ils donnaient la chasse, probablement en fouis- sant le sable. Ce genre de vie commun devait nécessairement produire des ressemblances de forme extérieure entre le» Pois- sons chasseurs et leur gibier, et amener sur la tête des premiers un développement considérable de plaques solides, conformé- ment à ce que nous avons dit plus haut relativement à l'action des frottements et des chocs sur le développement des pièces squelettiques. Les Poissons cténobranches se montrent d'ailleurs, eux aussi, au dévonien; ce sont des Ganoïdes hétérocerques naturelle- ment (1) ; des Crossoptérygiens (2) encore représentés dans les fleuves d'Afrique par les deux genres très voisins des Poly- ptères et des Calamoichihys, dont les nageoires pectorales et ventrales, très éloignées les .unes des autres, ont la forme d'un gros moignon écailleux, frangé d'une membrane soutenue par des rayons, et des Dipneustes, poissons à poumons, dont les nageoires. sont soutenues per un axe pluriarticulé supportant des rayons disposés de chaque côté de l'axe, à peu prè* symé» triquement, comme chez les Ceraiodus actuels d'Australie. En même temps que la plupart des Mérostomés et des Trilo- (1) Chirolepis. — (2) Glyplopomus, Uoiopiuchus,Osleolepis, LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 275 bîtes, les poissons cuirassés disparaissent à l'époque anthracoli- thique ou carbonifère, période de formation des dépôts houiliers. Les Elasmobranches de cette époque ont, au contraire, laissé de nombreux débris, notamment les Pleuracantbidés, dont le squelette cartilagineux était bourré de corpuscules calcaires qui en ont assuré la parfaite fossilisation ; ils nous ont exactement ren- seignés sur l'organisation des anciens Elasmobranches, et j'ai montré ailleurs (1) combien il était facile de faire dériver de la structure de leurs nageoires celle des Dipnés, tels que les Ceratodus, .dont les rayons sont disposés comme les barbes d'une plume de chaque côté d'un rayon axial. Cette disposition rappelle de très loin celle des rayons d'un arc branchial sur cet arc; elle avait conduit le célèbre anatomiste Gegenbaur à l'au- dacieuse supposition qu'un arc des ouïes des poissons avait pu se modifier dans sa forme et dans sa fonction au point de deve- nir une nageoire. Certes un organe peut changer de fonction et aussi de forme, mais encore faut-il qu'il y ait à ce changement une raison. A la rigueur, la chose aurait pu être admise pour les nageoires antérieures, voisines de la cavité branchiale, mais comment l'opération aurait-elle pu se faire pour les nageoires postérieures qui en sont si éloignées, et que dire des nageoires impaires, dont la structure rappelle si exactement celle des nageoires paires, que les Tristichoplerus semblent porter sur le dos une troisième nageoire, pareille à leurs nageoires pecto- rales? L'embryogénie, d'accord avec l'anatomie comparée des poissons elasmobranches, démontre que les nageoires furent d'abord représentées par quatre replis longitudinaux de la paroi du corps, «'étendant sur toute sa longueur : un dorsal, un ven* tral, deux latéraux, ces deux derniers constituant ce qu'on a appelé le palagium, les deux premiers formant la nageoire diphycerque qui existe seule chez les Marsipobranches. Chaque segment du corps fournit encore à ces nageoires, au cours de (1) XL. III, 2432. 27*5 VERS LA FORME HUMAIN* leur développement, le même nombre de rayons, de muscles, de vaisseaux et de nerfs. D'abord continus, les replis ont été fendus (voir p. 268) sur les points où s'est porté l'effort du remous provoqué au cours de la natation par les brusques flexions à droite et à gauche de la queue du poisson. Peut-être, on l'a dit, l'absence apparente de nageoires latérales chez certains Ostracodermes est- elle due à ce que ces poissonsaplatis ont conservé leur patagium ou l'ont reconstitué, comme l'ont fait, plus en apparence qu'en réa- lité, les Raies et les Torpilles qui mènent le même genre de vie. Noua arrivons au commencement de l'ère carbonifère. Deve- nus, en raison des perfectionnements graduels de leur orga- nisme, de redoutables ennemis pour les Gigantostracés et les Tri- lobites, que leur taille relativement élevée leur désignait comme proies, et qu'ils ont peut-être fait disparaître, les Poissons se préparent à envahir la terre. Beaucoup d'entre eux ont déjà péné- tré dans les eaux douces, et il semble que bien leur en ait pris, car, à part les Esturgeons qui n'y viennent que pour y pondre, c'est là seulement qu'on trouve les derniers représentants de ces ordres anciens de Cténobranches : les Ganoïdes représentés par les Lépidostées et les Amia dans l'Amérique du Nord ; les Crossoptérygiens localisés dans les fleuves de l'Afrique; les Dipnés avec comme représentants : en Afrique les Protoptères en Amérique les Lépidosirens, en Australie les Ceralodas. Ces derniers sont, nous l'avons vu, dans de bonnes conditions pour quitter les eaux douces «t s'aventurer sur la terre ferme ; nous avons expliqué par quel mécanisme ils avaient acquis les organes qui devaient préparer leur évasion hors de l'eau (p. 205). Les premiers pionniers de la conquête du sol étaient d'ailleurs bien modestes. Leur peau était couverte d'écaillés déli- cates; leur crâne cartilagineux était protégé par des os de revêtement semblables à ceux des poissons; entre les pariétaux existait un espace vide qui, si l'on en juge par ce qui existe encore aujourd'hui chez les Lamproies et auelaues Lézards, LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 277 devait être occupé par un œil impair, dorsal, dont le nerf était en rapport avec l'épiphyse du cerveau ou glande pinéale, et qui est aujourd'hui devenu plutôt un œil capable d'apprécier la tem- pérature, un œil thermique, qu'un œil optique; un cercle de pièces osseuses fixées à la sclérotique entourait leur pupille; il n'avaient à tous les membres que quatre doigts ; ces animaux res- semblaient à des salamandres. On trouve déjà, dans le carbo- nifère de la Bohême, de l'Irlande et de l'Ohio, les Keralerpeton, dont la face ventrale était couverte d'écaillés et dont la tète por- tait deux petites cornes. L'espèce européenne, le Keraterpeton crassum, atteignait 30 centimètres de long, dont 20 centimètres pour la queue. Les Urocordylus en étaient voisins. Dans les tacs permiens de la région d'Autun se développaient les larves pourvues de branchies extérieures des Branchiosaurusy qu'Albert Gaudry a décrites sous le nom de Protriton petrolei; on a pu les suivre depuis la longueur de 16 millimètres, jusqu'à l'état adulte ; les Branchiosaures ne dépassaient pas alors 64 millimètres de long; c'était de toutes petites salamandres cou- vertes sur tout leur corps de menues écailles. Les vertèbres de ces animaux n'étaient constituées que par la corde dorsale entourée 4'une pellicule osseuse. Il en était de même chez les Dolicho- somes qui, bien qu'ayant conservé des branchies extérieures, avaient déjà perdu leurs membres et allongé leur corps au point qu'il avait 150 vertèbres sur une étendue de 1 mètre. Toutes les fois que les membres font défaut ou sont peu utilisés pour la locomotion, le corps s'allonge ainsi et ses segments se multi- plient. Cette proposition est aussi vraie pour les Arthropodes et les Vers que pour les Vertébrés où le nombre des segments dv corps est indiqué par celui des vertèbres qui sont intercalées entre eu». Comme bien d'autres en biologie, elle est susceptible de recevoir deux interprétations opposées et qui, suivant leseas, peuvent être exactes toutes les deux : 1° le corps, s'il Rallonge assez pour suffire par ses ondulations à tous les besoins de la locomotion, rend les membres inutiles, et ceux-ci s'atrophient 278 VERS LA FORME HUMAIXé par défaut d'usage; 2° les membres devenant trop courts pour appuyer sur le sol ou seulement pour imprimer au corps une vitesse suffisante, celui-ci prend une part active à la locomotion; l'accroissement de son activité détermine une intensité plus grande des phénomènes de nutrition qui, par tachygénèse, peut se manifester déjà dans la période de multiplication des segments du corps; le nombre de ceux- ci s'accroît alors, et le corps devient de plus en plus apte à pour- voir, par lui seul, aux déplacements de l'animal. Il semble bien que la première interprétation convienne aux animaux primi- tifs, chez qui la multiplication indéfinie des parties du corps est un signe de leur indépendance réciproque et une marque d'in- fériorité ; c'est ce qu'on peut admettre pour les Myriapodes à corps très allongé, comme les Géophiles, et pour les Annélides errantes, telles que les Myrianides, les Phyllodoces, les Néréides, les Eunices, ou même les Nais, etc. La seconde convient, au con- traire, particulièrement aux Vertébrés, dont le nombre des seg- ments du corps a été de bonne heure limité, et dont la locomotion s'est précocement accomplie à l'aide de membres dont on ne peut admettre l'insuffisance originelle. Les Vertébrés aquatiques, chez qui les ondulations du corps jouent facilement un rôle pré- pondérant dans la locomotion, soni particulièrement incités à ne pas user de leurs membres pour se mouvoir, et on constate jus- tement, chez ceux qui sont nos contemporains, mais vivent dans des conditions particulières, cette atrophie des membres coïnci- dant avec une multiplication des segments du corps. Elle est manifeste chez le Protée de la grotte d'Adelsberg, dans la Car- niole, dont les pattes de devant n'ont plus que trois doigts, et celles de derrière deux, qui garde ses branchies toute sa vie et qui, par tachygénèse, naît muni des quatre pattes de l'adulte (1). Elle s'accuse davantage chez les Sirènes lacertines qui gardent aussi leurs trois paires de branchies et n'ont plus que deux (1) Marie de Chauvin, Zeilschrift f. ivissenschaflliche Zoologie, \. XXXVIII, l£83, p. 671, et Nature, t. LX, p. 389. LA. VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 279 courtes pattes de devant, munies de trois ou quatre doigts. Ce sont certainement d'anciennes salamandres terrestres, quadru- pèdes, par conséquent, redevenues aquatiques ; elles ébauchent, en effet, la métamorphose normale des formes destinées à* deve- nir terrestres en perdant les branchies qu'elles possèdent en naissant; ces branchies se régénèrent ensuite. L'atrophie des pattes postérieures peut être attribuée à l'allongement de la queue qui, chez un animal de 70 centimètres, a une longueur de 25 centimètres environ. Les Amphiumes, dont le corps est allongé mais Ja queue est courte, gardent au contraire leurs pattes postérieures aussi bien que les autres. Un phénomène analogue, mais plus frappant encore, s'est produit chez d'autres batraciens qui sont apodes et vivent sous terre comme les lombrics ; ce sont ceux qui forment la famille de Gœcjuid.e. On en connaît une quarantaine d'espèces répar- ties dans l'Inde, la Malaisie, l'Afrique tropicale, les Seychelles. l'Amérique du Sud, y compris Panama, c'est-à-dire dans des régions toutes comprises dans le continent de Gondwana du carbonifère. Ils étaient primitivement aquatiques, puisque leurs embryons acquièrent dans l'œuf de magnifiques branchies. Leurs caractères généraux les rapprochent des Stégocéphales de cette époque; certaines espèces ont même conservé des écailles cachées dans les plis segrnentaires de leur peau (1). On peut dès lors se demander si ces batraciens vermiformes n'ont pas quelque parenté généalogique avec les Dolichosomes. Les autres batraciens stégocéphales appartiennent à des types plus élevés. Leurs centres vertébraux sont d'abord formés de quatre paires de pièces dont les supérieures por- tent les arcs qui entourent la moelle épinière; ils sont alors lemnospondyles. Ces quatre paires se réduisent déjà à trois pour les vertèbres du tronc chez les Archegosaurus, Actinodon ttEuchzrosaurus, où seules les vertèbres caudales conservent la (1) Ichlhyophis, Hypogeophis, Dermophis, Cœcilia, Rhinalrema, Gen- try pelés, Cryptopsophis, Gymnophis, lier pelé. 28Ô VKRS LA FORME HUMAINE composition primitive. Les Batraciens deviennent stéréosponr dyles lorsque toutes ces pièces se soudent en une pièce unique en forme de sablier, à bases concaves. Ils n'avaient d'écaillés, en général, que sur la face ventrale du corps, accu- sant ainsi l'influence des frottements sur le développement des pièces solides des téguments. On connaît plusieurs genres de Stégocéphales, tous de l'époque permienne. Ce n'étaient pas de très grands animaux; les plus grands, les Sphenosaurus, avaient environ deux mètres de long; Y Archegosaurus de Decken^ du permien d'Allemagne, mesurait lm,50 de long; le Chelydo- saurus, du permien de Bohême, environ 1 mètre; YAclinodon, du permien d'Autun, si complètement reconstitué par Albert Gaudry, était un peu plus petit. Les Euchirosaurus de la même région en étaient voisins. Tous ces animaux avaient l'aspect général de petits crocodiles ou de grands lézards ; mats on a pu constater que les jeunes des Archegosaurus avaient des arcs branchiaux. Les écailles du ventre des Chélydosaures formaient une quarantaine de chevrons très régulièrement et très élégam- ment disposés ; le ventre des Actinodons n'était pas moins bien protégé. Quelques espèces, telles que le Dinorophus multicinc- tus du Texas, avaient une carapace liée à leur squelette verté- bral comme celle des tortues, si bien que Cope les appelle des batraciens-tatous. Les Stéréospondyles sont représentés par des formes analogues, les Loxomma, du carbonifère supérieur d'An- gleterre et du permien de Bohême. Ils constituent simplement une amorce qui se continuera dans le Trias, où la structure de leurs dents, marquées de plis sinueux, leur a valu le nom de Labyrinthodontes. Les Stégocéphales, temno- et stéréospon- dyles paraissent avoir appartenu à la population animale des continents Nord- Atlantiques. Mais déjà à cette époque ont apparu les Reptiles vrais, dont les embryons n'ont plus que d'inutiles ébauches de branchies, et qui naissent uniquement pourvus d'un appareil de respiration aérienne. C'est durant la période du permien inférieur que ce LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 283 résultat semble avoir été atteint ; il aurait été d'abord réalisé en Amérique chez les Eryops, dont le crâne à lui seul avait six décimètres de long et quatre de large, et chez les Cricolus, qui avaient près de quatre mètres de long. Le corps dec vertèbres était encore formé de trois paires de pièces séparées chez les premiers, tandis que chez les seconds les arcs neuraux étaient •oudés aux pièces postérieures dites interventrales, et les basi- ventrales soudées entre elles, ce qui arrivait aussi dans le genre précédent. Ce dernier caractère marque la séparation entre les premiers Reptiles et les derniers Batraciens stégocéphales. Le passage est, pour ainsi dire, insensible entre les deux groupes (1). Les Microsauriens étaient stéréospondyles; ils avaient des écailles dermiques aussi bien dorsales que ventrales et disposées sur le ventre comme celles des Stégocéphales; leur bassin, en grande partie cartilagineux, présentait seulement deux disques osseux largement séparés i'un.de l'autre. Eux aussi ont été clas- sés parmi les batraciens stégocéphales ; mais ils ont des pattes à cinq doigts, des chevrons mobiles à leurs vertèbres caudales, et leurs os iliaques s'articulent sur deux vertèbres au lieu d'une. Ce sont des caractères communs chez les Reptiles et, à défaut de renseignements embryogéniques, on ne peut faire dans ces groupes anciens que des séparations conventionnelles. Les Hylonomes du carbonifère de la Nouvelle-Ecosse, leurs proche» voisins, les Hyloplesion du permien supérieur de Bohême, qui n'avaient qu'un décimètre de long, les Seeleyia qui n'avaient (1) Chez les Batraciens primitifs et les embryons des Batraciens actuels atn. premières phases de leur développement, les vertèbres sont composées de deux pièces dorsales antérieures, les bâti-dorsale*; de deux pièces! ventrales antérieures, les bas i-oeni raies; de deux pièces dorsales postérieures, les inter-dor sales; de deux pièces ventrales postérieures, les inier-ventraies. On convient \t considérer comme des batraciens Les animaux où ces pièces demeurent distinctes, au moinsdans la région caudale, et ceux où, chaque moitié de vertèbre étant simplement triparsiie, les i nier- ventrales font défaut. Les formes où, la demi-vertèbre étant également fcripartite- c'est l'inter-dorsale qui manque, sont classées parmi les Reptiles. C'est le cas des Eryop* et des Qricolu** 282 VERS LA FORME HUMAINE que quatre centimètres, les Melanerpefon, les Qrthocosla étaient des formes voisines, et chez les Petrobales l'armure ventrale avait une frappante ressemblance avec les côtes abdominales que nous allons trouver chez les Rhyuchocé- phales et qui existent aussi chez les Crocodiles. Les Rhynchocéphales, issus des Microsauriens, sont probable- ment la souche d'où tous les autres Reptiles ont divergé. Leurs vertèbres stéréospondyles sont biconcaves, elles sont séparées par des intervalles et portent des chevrons caudaux ; leur os carré est fixé; ils ont des côtes abdominales formées de pièces disjointes, disposées en chevrons comme si, par un processus analogue à celui que nous avons déjà rencontré chez les Pois- sons, lesos dermiques ventraux s'étaient seulement enfoncés dans la paroi de l'abdomen, mais ne présentent aucune ossification dermique superficielle; leurs dents sont implantées sur le bord tranchant des mâchoires et n'ont pas d'alvéoles. Un bassin semblable à celui des Microsauriens persiste encore chez les Palœohalleria des grès permiens de Saxe, et les Proiorosau- riens des calcaires magnésiens de Thuringe. C'étaient des lézards de lm, 50 de long environ, qui conduisent aux Rhyncho- céphales vrais, à bassin entièrement ossifié, parmi lesquels viennent se ranger le Callibrachion reconstitué par MM. Boule et Glangeaud et le Sauravus Coslei décrit plus tard par Thé ve- nin ; ce dernier provient du carbonifère supérieur de Blanzy. Un Rhynchocéphale protégé par des lois spéciales vit encore à la Nouvelle-Zélande : le Sphenodon punctatum, ou Halleria punclala. Tout ce monde des premiers reptiles est jusqu'ici bien mo- peste, même relativement à nos reptiles actuels. Mais l'effort de la vie durant la période primaire ne s'arrête pas là. Déjà se pré- parel'apparïtion de reptiles monstrueux, d'origine inconnue, for- mant un ordre nouveau, celui des Thériodontes. Lp,s Pareia- sùurus se montrent tout à coup simultanément dans la région de la Dwina en Russie et au cap de Bonne-Espérance. Par quelle LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 283 voie inconnue ces êtres lourds et massifs ont-ils pu se frayer passage de Tune à l'autre de ces régions, faisant partie, la pre- mière du continent Nord-Atlantique, la seconde du continent de Gondwana que séparait, depuis la période dévonienne pour le moins, une mer tropicale ininterrompue? Faudrait-il faire remonter plus haut, jusqu'au silurien, l'origine des reptiles? C'est un problème dont la solution échappe encore. Certes, au moment où se termine la période primaire, la vie s'est déjà prodigieusement développée sur le Globe; mais tout, dans ses œuvres, n'est encore qu'une ébauche de ce qui suivra, et la monotonie règne aussi bien dans la mer que sur la terre où se détachent sur le ciel, dans les brumes tièdes du Nord, les profils, déjà adoucis par une longue érosion, des montagnes huroniennes et calédoniennes, tandis qu'à de moindres latitudes, les jeunes chaînes hercyniennes, sous un soleil équatorial, présentent, plus hautes peut-être, les décou- pures profondes de nos Pyrénées et de nos Alpes. Presque partout les vagues de la mer viennent butter sur des récifs construits par des polypes dont les formes indécises ne pouvaient égaler la radieuse floraison qui encercle de gemmes vivantes et mouvantes nos îles polynésiennes et nos continents tropicaux. Les Eponges, qui sèment partout, sur les roches de nos mers, leurs taches d'or, de lapis, de malachite, d'écarlate et les transforment en éblouissantes palettes, sont élégantes, mais incolores. Sur les récifs, dans le sable, dans la vase s'ébattent les gigantesques Ptérygotes, les Euryptères, les Limules, les Trilobites, d'abord confiants et peu tourmentés, mais qui deviennent craintifs dès le silurien, et apprennent à s'enrouler en boule à la moindre alerte. Des Vers de toutes sortes, de toutes formes, de toutes couleurs, ondulent parmi les récifs et sous les moindres roches ; ils sont le plus bel orne- ment de 1^ mer, et aussi la provende habituelle de tout ce qui se contente de chair menue : Mérostomés et Trilobites. A peine remis des efforts qu'ils ont faits pour sauver leur vie 284 VERS IA FORME HUMAINE dans les fâcheuses conjonctures qu'ils ont traversées, les Échino- dermes et les Mollusques n'ont pas encore trouvé leurs formes définitives. Très peu mobiles, les premiers se multiplient sur place; les Cystidés et les Blastoïdes poussent comme des bour- geons de pierre partout où ils peuvent se fixer. Quelques En- crines étalent une robuste corolle sur les rochers; les Etoiles de mer s'en nourrissent, faute de mollusques assez nombreux, et les Mélonites accumulent l'une sur l'autre, en bancs énormes, sur les plages, leurs sphères empourprées. Les Nautiles, les Pleuro- tomaires, les Troques, les Turbos, les Avicules ont des coquilles presque toutes faites de nacre brillante, qui plus tard se chan- gera en porcelaine, mais elles n'ont acquis ni ces teintes bril- lantes, ni ces formes capricieuses en apparence, en réalité d'une géométrie savante, ni ces ornements, d'une fantaisie irlassable dans ses inventions, par lesquels sous forme de cônes, de pyra- mides, de nacelles à proue enroulée en longue spire elles séduisent aujourd'hui nos yeux. Nourris seulement de tout ce menu fretin de Diatomées, de Radiolaires, d'Infusoires, de larves qui mettent de la monnaie de vie dans chaque vague, les pre- miers Mollusques gastéropodes flottent encore entre deux eaux, sans peine capturés par des requins contre lesquels les défend seule une prodigieuse fécondité. Tandis que d'étranges poissons déciment, au fond des eaux, le monde grouillant des Trilobite6 il n'y a dans la mer aucun de ces poissons dont les bandes innombrables et rapides l'animent aujourd'hui. Sur la terre un manteau de verdure s'étendait partout où le sol était suffisamment humide; mais il n'y avait pas de gazon, parce que notre gazon est fait de Graminées et que de longs siècles devaient s'écouler avant que les premières d'entre elles fussent élaborées^ Le sol appartenait aux hépatiques, aux mousses, aux plus "humbles des Lyoopodes rampantes, aux Fougères her- bacées, et parmi elles des Prêles dressaient leurs tiges anne- lées, sur Lesquelles s'étageaient des cercles de frêles rameaux. Au-dessus de ces piètres prairies s'élevaient en colonnes ser- LA VIE DURANT LA PÉRIODE PRIMAIRE 285 rées les arbres fragiles, aux raides ramures, que formaient les Calamités et les Lépidodendrons. C'était là une végétation de terres humides. L'eau liquide est, en effet, nécessaire à la fécondation de ces plantes; leurs anthérozoïdes ne se meuvent que dans les gouttes de pluie ou de rosée, et l'on peut dire d'elles qu'elles sont aux plantes supérieures ce que sont les Batraciens aux Vertébrés terrestres. Elles étaient peu propres à couvrir les pentes des montagnes; mais la tachygénèse sup- prime peu à peu leur mode compliqué de reproduction; les microspores, devenues grains de pollen (1), acquièrent le pou- voir fécondant ; le vent suffît à les transporter sur les ovules. Dès lors les Cordaïtées peuvent couvrir le sol d'une forêt de roseaux, les conifères gravissent les pentes des montagnes, les Cycadées étendent dans les vallées abritées leurs vastes panaches que les rafales des ouragans emporteraient, et partout où peuvent pénétrer des racines, des plantes couvrent le sol cPune végétation qui, durant la période carbonifère, devient d'une puissance inouïe. Elle est faite de végétaux fragiles que la puissance du venta dû souvent ébrancher, briser, déraciner. Les débris de ceux qui poussaient dans les régions marécageuses, au bord des étangs, se sont accumulés sur place, et protégés par les matériaux apportés par les inondations, ou par la vase dépo- sée par les eaux à leur surface, nous ont été conservés. Ceux qui poussaient sur les flancs des vallées, loin de la mer, comme dans le Plateau central, ont été emportés par les torrents dans des lacs d'eau douce qu'ils ont comblés peu à peu et l'on reconnaît encore dans les couches qu'ils ont formées les apports suc- cessifs de ces torrents à chacune de leur crue. D'autres enfin ont été charriés jusqu'à la mer par les grands fleuves, comme le fait de nos jours le Mississipi. Et ce travail se continuant pen- dant des siècles, au cours desquels la configuration du sol chan- geant à peine, les cours d'eau gardaient le même lit, peu à peu se U) P. 227. £86 VERS LA FORME HUMAIN» sont formées ces accumulations prodigieuses de troncs, de branches, de feuilles, d'herbes môme auxquelles nous devons les couches de houille qui alimentent notre industrie. Mais pendant que se préparait ainsi la folle activité qui nous dévore aujourd'hui, la nature était sévère et silencieuse. Aucune fleur ne venait égayer des fraîches couleurs de sa corolle la sombre monotonie du vert, à peine nuancé, des plantes dont le feuillage, en l'absence de toute saison, était nécessairement persistant. Elles poussaient dans un désordre inextricable, sans trêve, sans arrêt, toujours avec la même vigueur. Sous un soleil plus chaud, à une température presque constante, dans une atmosphère humide, la production de matière végétale, dans un temps donné, devait être plus grande qu'à notre époque où le froid et la sécheresse interrompent, à intervalles réguliers, Sa formation. C'est une des raisons pour lesquelles les couches de houille sont demeurées si puissantes, bien que déjà, comme l'a montré M. Bernard Renaud, les microbes destruc- teurs de la cellulose dont sont taits les tissus solides des végé- taux, eussent commencé à la façon du Bacillus amylobacier actuel, leur œuvre d'anéantissement. Cette luxuriante végéta- tion n'était pas seulement rendue particulièrement morne par l'uniformité de son vert. Parmi la mousse et sur les troncs ram- paient seulement des Mille-pieds, poursuivis par des Scorpions; de vagues Araignées, de ternes Insectes : Termites, Blattes ou Phasmes," se hâtaient vers leurs refuges, et, dans ce monde, de lentes Salamandres cuirassées apparaissaient comme des géants. L'air était presque vide : ses plus alertes habitants étaient les Ephémères, les Fourmilions, les Libellules; point d'Abeilles, point de Papillons, point d'Oiseaux. Nulle voix ne chantait la joie de vivre, ne lançait un appel d'amour, ne pous- sait même un cri de frayeur. Il n'y avait pas une intelligence que les explosions des volcans, les éclats de la foudre, ou les grondements des tremblements de terre pussent effrayer. La vie manifestement s'essayait, elle ne devait s'épanouir que dans la période où nous allons entrer. CHAPITRE II LA VIE DURANT L'ÈRE SECONDAIRE L'ère secondaire est Père de tous les épanouissements. Pendant la période anthracolithïque toute l'Europe a été len- tement mais profondément bouleversée par les plissements hercyniens, courant suivant deux directions principales: l'une du nord-ouest au sud-est, l'autre du sud-ouest au nord-est, et se croisant à angle aigu dans le Plateau central. Des mouve- ments analogues se sont produits dans le nord de l'Afrique, dans la région de l'Altaï, du nord de la Chine en Asie, dans la région des montagnes Rocheuses de l'Amérique du Nord, dans celle de la Bolivie et du bassin de l'Amazone pour l'Amérique du Sud. Dans toutes ces régions, les profondes vallées où s'accu- mulaient des dépôts jusqu'à l'époque dinantienne se soulèvent, et c'est aux montagnes ainsi formées que le nom de chaîne Hercynienne a été attribué. Au début de l'ère secondaire, durant la période triasique, des éruptions volcaniques, conséquences de ces soulèvements, se produisent encore dans le Tyrol, dans les Pyrénées, en Espagne, au Portugal, au Maroc, sur tout le pourtour du Pacifique, notam- ment dans la Colombie britannique où les déjections volcaniques se retrouvent sur de vastes étendues, parfois avec une épaisseur de 4 000 mètres, et encore à la Nouvelle-Calédonie, à la Nouvelle- Zélande, etc. Mais bientôt tout se calme, et jusqu'au moment où commencera la surrection des Pyrénées, c'est-à-dire durant quatre millions d'années pour le moins, une tranquillité presque absolue régnera sur la Terre. Sans doute le sol ne demeure pas* absolument immobile. Comme il l'a toujours fait, comme il le 288 VERS LA FORME HUMAINE fait encore de nos jours, même sur notre littoral, il s'abaisse ou s'élève lentement, par places, de sorte que la mer envahit une certaine étendue de côtes, au nord et à l'est de l'Afrique par exemple, forme des golfes dans les régions du Jura ou des Alpes, pénètre même au cœur des parties basses des con- tinents qu'elle couvre d'une faible épaisseur d'eau, isolant no- tamment, durant la période jurassique, la Scandinavie et la Finlande du reste de la Russie. Ces mouvements s'accentuent, durant la période crétacée au point qu'un pli profond, envahi par la mer, traverse, de l'est à l'ouest, l'Europe divisée en archipels, et que le continent nord-américain est coupé en deux du nord au sud, ainsi que l'Afrique dont la région occidentale actuel- lement saillante est séparée du reste; c'est le moment de ce qu'on appelle la transgression delà craie. Ailleurs, au contraire, la mer se retire, laissant derrière elle des lagunes qui se des- sèchent, et marquent leur place par les dépôts de sel qu'elles abandonnent, tandis que des sommets émergeant des eaux forment des îles et des archipels temporaires. Ainsi des com- munications nouvelles s'établissent entre diverses parties des mers, tandis que des communications anciennes se ferment. Des faunes jusque-là séparées se mêlent; d'autres s'isolent et chacune suit* dès lors, une évolution particulière. Une variété pi«s grande en résulte dans le monde de la mer, où l'on voit souvent des espèces méridionales s'avancer vers le nord à la faveur des courants qui traversent les détroits nou- veaux, tandis que des espèces septentrionales s'avancent vers le sud, sans qu'on puisse conclure d'une manière absolue à des variations persistantes de la température moyenne. Mais tout cela est de faible importance et ne trouble en rien le calme universel. La transition entre l'état de choses de Père primaire et celui qui va s'ouvrir se fait d'ailleurs graduellement. Durant toute la période triasique la végétation ne diffère que par le détail des genres et des espèces de celle de l'ère primaire ; elle ne semble LA VIE DURANT L*ÊRE SECONDAIRB 289 môme pas, au premier abord, au moins par ce que nous en connaissons actuellement, se modifier beaucoup durant la période Jurassique qui suit. Il est probable cependant que c'est durant cette époque que les feuilles fertiles femelles, demeurées ouvertes cbez les Gymnospermes, se sont enroulées chez un certain nom- bre d'entre elles, et fermées autour de leurs ovules, pour les pro- téger; alors un pas décisif a été accompli dans le règne végétal: la réalisation des plantes angiospermes. Elles se montrent effec- tivement nombreuses et variées dès le début de la période crétacée, et justement ce sont les familles indiquées par la théorie précédemment exposée (page 123) qui apparaissent les pre- mières. Les Dicotylédones dominent de beaucoup, et parmi elles ce sont d'abord, comme il convient, les plantes à chatons : peupliers, saules, bouleaux, hêtres, chênes, noyers, Myrica, et avec eux leurs voisins, les platanes, les liquidambars, puis les érables, les eucalyptus, les lauriers, à nombreuses étamines avec traces de ramifications, les myrtacées à étamines ramifiées. Il s'y mêle aussi quelques plantes à fleurs isomères et même à ovaire infère, comme les lierres et les cornouillers, des Gamo- pétales, comme les viornes et les lauriers-roses, et déjà les Monocotylédones s'affirment par plusieurs familles à grandes fleurs: des liliacées, des alismacées, des pandanées, des pal- miers et même des aroïdées. Il ne faut pas oublier qu'une fois détachées des Dicotylédones isomères, les Monocotylédones ont dû se développer parallèlement et même très rapidement, puisqu'elles ne pouvaient plus se modifier que dans le détail. Tout indique qu'à cette époque le climat était très doux. Il y avait bien des saisons (p. 59) dans les régions voisines des pôles; mais partout ailleurs la température demeurait pratique- ment uniforme. Il n'y avait pas de périodes annuelles de gelées capables d'entraver la vie, pas de saison d'engourdissement ou de mort, et dans les régions polaires elles-mêmes, si les pal» miers font défaut on trouve au Groenland l'Arbre à pain, aujour- 19 290 VERS LA FORME HUMAINE d'hui uniquement tropical. Sur la côte occidentale, se suc- cèdent trois flores d'une extrême richesse, attestant cependant un refroidissement graduel, car de l'une à l'autre les cycadées tropicales disparaissent et les plantes dicotylédones prennent une importance de plus en plus grande. La Téthys, la grande mer Mésogée de M. Douvillé, la Méditerranée centrale de Neu- mayr, réchauffée par un double apport d'eaux venant de la zone torride, entretenait sur ses deux rives une température à peu près constante, bien supérieure à celle de la Côte d'Azur. Les deux bras entre lesquels elle enserrait le continent Nord- Atlantique adoucissaient son climat, et les autres continents étaient aussi bien partagés : tous étaient enveloppés d'une sorte de gulf-stream. Les madrépores élevaient leurs constructions tout le long des côtes jusqu'à la latitude de l'Ecosse. C'étaient des Madrépores tout semblables, cette fois, à ceux de la période actuelle, des Hexacoralliaires très voisins de ceux qui forment actuellement les récif 8- frangeants de la mer Rouge et de la Nouvelle-Calédonie, les récifs-barrière de la côte nord-ouest de l'Australie et de l'archipel des Fidji, les atolls, ces éton- nantes îles annulaires du Pacifique ; or on sait que les polypes cessent d'édifier dans les eaux dont la température est suscep- tible de s'abaisser au-dessous de 25°. Leur abondance est telle que leurs restes ont constitué de vastes formations calcaires qui ont valu à une des subdivisions de la période jurassique le nom à' époque corallienne. Les calcaires oolithiçues, qui jouent un si grand rôle à cette époque, ne sont pas autre chose que le résultat de la précipitation, autour de toutes sortes de débris, de la fine poussière calcaire qui demeure en suspension dans l'eau lorsque des branches de polypiers, brisées par quelque choc, sont demeurées longtemps le jouet des vagues. Ils ont donné leur nom à l'une des deux grandes subdivisions du système jurassique. Dans ces mers encerclées de Madrépores s'ébattait tout un monde d'Invertébrés nouveaux qui se laissaient emporter par les LA VIE DURANT i/ÈRE SECONDAIRE 291 vagues où abondaient d'élégants radiolaires (1), couvraient les rochers d'une abondante floraison animale faite d'épongés siliceuses ou calcaires de toutes. sortes (2), de polypes, de ces crinoïdes si semblables par leur forme à des plantes, qu'on les appelle couramment des « Lis de mer » quand ils ont l'air de fleurs vivantes, fixées au fond de la mer par leur pédoncule, des Palmiers marins quand ils étalent au sommet d'une tige qui peut atteindre dix-sept mètres de long leur panache de bras semblables à des feuilles de dattier, comme le font les Penta- crinesdont il existe encore de vertes prairies vivantes, au large de Rochefort. A ce moment certains de ces derniers se détachent de leur tige et donnent naissance aux formes libres modernes, les Eudiocrinus à cinq bras, réfugiés dans les profondeurs du Pacifique et de l'Atlantique ; les Comatules qui en ont dix sem- blables à des plumes couleur de rose et nagent nonchalamment en les faisant alternativement onduler ; les Actinomètres qui ramifient indéfiniment ces dix bras primitifs, et habitent les mers chaudes. Sur de brillants récifs, semblables à ceux dont Saville Kent a décrit l'incomparable beauté, d'innombrables mollusques traînent leurs coquilles dont la variété est devenue infinie, car aux formes surbaissées et à bouche arrondie sont venues s'ajouter les Scalaires et les Turritelles à longue coquille, aux tours d'hélice nombreux, les Natices et les Porcelaines à coquille renflée et polie, les grands Strombes à longue ouverture évasée, de nombreuses formes de Gastéropodes carnassiers à coquille échancrée ou prolongée en canal : Cérithes, Fuseaux, etc. C'est aussi le moment où se multiplient les Gastéropodes hermaphrodites : les Escargots et les Limaces oui rivent À terre, les Limnées et les Phy ses qui se confineront dans les eaux douces, les Bulles qui ouvrent la série des mollusques marins chez qui on peut suivre actuellement la disparition graduelle de la coquille, les Actéons qui sont les moins modifiés des Mollusques (1) Spumellaires et Nassulaires. — (2) Hexactinellidées, Tétractinellidées, Lithistidées, Monactinellidées, Pharetrones et autres éponges calcaires. 292 VERS LA FORME HUMAINE opisthobranches, eux-mêmes ancêtres probables des Pté- ropodes de haute mer qui volent dans l'eau à l'aide de deux larges ailes, dépendances de leur pied, comme les papillons volent dans l'air. Les Mollusques à coquille bivalve ne sont pas moins en progrès que les Gastéropodes. Durant la période jurassique la plupart des familles actuellement vivantes se sont jointes à celles que nous connaissions déjà; elles ne sont même pas les seules, et nous n'avons rien dans nos mers qui puisse être comparé aux Diceras, dont les deux valves en forme de cornes de bœuf étaient affrontées l'une contre l'autre par leur base, aux Requienia où l'une de ces cornes persistait seule, l'autre étant réduite à un simple opercule fermant l'orifice de la pre- mière ; aux Rudistes dont la grande valve prenait un dévelop- pement; et; en même temps, une texture si déconcertante qu'on s'est demandé s'il ne fallait pas voir en eux des polypiers oper- culés, comme les Calceola sandalina des terrains dévoniens. On les considère aujourd'hui comme apparentés à de modestes bivalves actuels, les Chames dont une des valves, très épaisse, est attachée aux rochers comme celle des Huîtres et dont l'autre est mobile; la forte charnière qui unit ces deux valves rappelle, en effet, celle qui unit les deux valves des Rudistes. Parmi les Lamellibranches vivants, les seuls où la valve par laquelle l'animal se fixe prenne un développement qui rappelle celui des Rudistes, sont les Éthéries, qu'on rencontre seulement dans les rapides des fleuves de l'Afrique centrale. M. le Dr Anthony pense que le développement exagéré de cette valve tient à l'action continue du courant d'eau violent auquel elle est soumise. Il suppose que les Rudistes vivaient dans des région! où ils avaient à subir de la part des vagues de terribles assauts. Ils constituaient, pour les continents, un appareil de défense, comme les récifs de coraux eux-mêmes qu'ils remplacent sur beaucoup de points. Durant toute la période crétacée les Madrépores reculent LA VIE DUPANT L'ERE SECONDAIRE 293 peu à peu vers le sud, comme si la température éprouvait un refroidissement continu. Les régions polaires jouissent d'un climat relativement tempéré, mais le midi de la France et l'Europe méridionale n'en gardent pas moins un climat tro- pical, attesté par la formation sur certains points de minéraux latéritiques qui ne peuvent prendre naissance que sous l'action d'une intense radiation solaire. M. Douvillé a signalé partout où il y a des bancs de Rudistes de grands Foraminifères circu- laires, les Orbitolites, qui ne vivent que dans les mers chaudes où le calcaire abonde. Ils présagent l'arrivée prochaine des Nummulites, qui joueront un si grand rôle dans les mers de la période éogène. On ne peut manquer d'être frappé des modifications qui se sont produites dans les mœurs des animaux au cours de la période jurassique. Durant la période précédente, presque tous les Gastéropodes avaient une coquille à ouverture entière; ces Gastéropodes ne vivaient que de matières végétales, et les mol- lusques pulmonés, à ouverture de la coquille également entière, qui ont envahi la terre ferme et les eaux douces, sont aussi presque tous des mollusques exclusivement végétariens. C'est seulement à la période secondaire qu'apparaissent les Gastéro- podes carnassiers chez qui l'ouverture de la coquille est échancrée ou prolongée en canal. Cette correspondance entre le régime et la forme de l'ouverture de la coquille n'est pas un simple effet du hasard. Les mollusques carnassiers sont guidés vers leur proie par l'odorat. Dès qu'un cadavre tombe à l'eau, on voit les Nasses accourir de toutes parts. Or l'organe olfactif des Mollus- ques gastéropodes, Yosphradie ou fausse branchie, est situé dans la cavité branchiale auprès de la vraie branchie. Un tube ou i siphon qui est formé par le prolongement du toit charnu de la chambre branchiale conduit l'eau dans cette chambre, el la jette à Ja foJs sur l'osphradie et sur la branchie dont les fonc- tions sont ainsi régularisées; ce siphon est logé dans l'échan- çrure ou dans le canal de l'ouverture delà coquille, et Ton con*« 294 VERS LA FORME HUMAINE prend qu'il se soit graduellement allongé en raison des tenta- tives de l'animal pour capter le plus complètement possible les effluves odorants qui lui arrivaient. Est-ce en raison du grand nombre de ces animaux d'attaque que certains Lamellibranches ont adopté la vie de réclusion qu'ils mènent? Ce serait prêter beaucoup d'esprit à des ani- maux dont les sens sont rudimentaires, que d'imaginer qu'ils y ont mis une intention. Il y a là cependant un fait indéniable : durant la période primaire abondent surtout des Lamelli- branches qui demeurent couchés sur le sol, rampent à l'aide d'un pied assez semblable à celui des Gastéropodes ou se sus- pendent à un byssus; au cours delà période secondaire se mul- tiplient les Lamellibranches qui s'enfoncent dans le sable, la yase, ou même le calcaire, et qui ne demeurent en communica- tion avec l'extérieur que par l'intermédiaire de deux longs tubes, les siphons, situés à la partie postérieure du corps et dont l'un conduit l'eau sur les branchies, qui la dirigent vers la bouche, tandis que l'autre rejette l'eau dépouillée d'oxygène et de parti- cules alimentaires, qui entraîne avec elle toutes les déjections. Ce changement de mœurs, et c'est là un fait qui appelle la réflexion, n'est pas spécial aux Lamellibranches, il s'est produit également chez les Oursins. Les Oursins de l'ère primaire, sans choisir une direction de prédilection, rampaient parmi les algues ou parmi les rochers. Le test des plus récents était divisé en dix fuseaux et portait des piquants volumineux. Ils se sont conservés jusqu'à l'époque actuelle, mais il s'y est ajouté des espèces fouisseuses, couvertes d'une toison de fins piquants et creusant, dans le sable, leur chemin dans une direc- tion déterminée. Chez ces espèces, toujours pressées contre le sol qui les recouvrait, le test s'est aplati autour de la bouche, constituant ainsi une véritable face ventrale; les ambulacres ont pris, sur cette face, un aspect tout différent de ceux de la face dorsale, leurs tubes ayant seuls désormais un rôle dans la loco- motion; les déjections ne pouvant plus facilement être évacuées LA VIE DURANT L+ÉRE SECONDAIRE 295 par le sommet du test enfoui sous le soi, l'anus a quitté ce sommet, est descendu au voisinage de la face ventrale, carac- térisant ainsi une région postérieure du corps, opposée à celle que l'animal porte en avant lorsqu'il fouit. Ainsi s'est super- posée à lav symétrie radiée primitive, une symétrie bilatérale très nette (p. 150 et 176). La bouche est d'abord demeurée au milieu de la face ventrale et a conservé, seulement un peu amoindri, l'appareil de mâchoires des oursins primitifs; c'est le cas des Clypéastridés. Plus tard la bouche s'est transportée tout près du bord antérieur de la face ventrale ; sa lèvre posté- rieure s'est avancée en cuilleron capable de s'enfoncer dans le sable vaseux et d'assurer son entrée dans la bouche de l'oursin , les mâchoires inutiles ont alors disparu ; c'est le cas des Spa- tangidés. Entre les oursins ordinaires et ceux-ci, on trouve pen- dant l'ère secondaire tous les passages, et ces animaux sont si abondants dans certaines couches qu'ils ont servi à les caracté- riser. Les oursins fouisseurs avalent de la vase et ce genre d'ali- mentation entre, pour sa part, dans le choix de leur habitat ; mais n'est-il pas lui-môme une conséquence de leur souci de sécurité? Parmi les Lamellibranches, les Cardium labourent le sol comme s'ils y cherchaient de la nourriture ; ils peuvent servir de point de départ pour expliquer la formation des siphons, chez ceux qui ne font, comme les Solen ou Couteaux, que monter et descendre dans un trou vertical, se nourrissant de particules flottantes apportées par l'eau, et qu'ils n'ont pas à chercher ; on ne peut voir dans le fait de leur habitat souterrain que le besoin de sécurité. Le fait est évident pour les Pholades qui perforent le calcaire dont elles ne sauraient se nourrir et pour les Tarets qui vivent dans le bois. Si ces animaux ont été ainsi amenés à vivre en reclus, on peut supposer que ceux des congénères de leurs ancêtres qui n'ont pas adopté ce genre de vie, ont été détruits : c'est une conséquence de la lutte pour la vie à laquelle tant d'animaux n'ont pu survivre qu'à la condition de se trouver en mesure de l'éviter, soit involontairement, soit volontairement, 296 VERS LA FORME HUMAINE Cette multitude bigarrée d'Invertébrés était dominée par d'innombrables Mollusques nageurs : les Ammonites, voguant parmi les flots, assises pour ainsi dire dans des coquilles enrou lées en spirale comme les cornes de Jupiter Ammon, divisées en loges dont nous avons précédemment expliqué l'origine et dont nous avons indiqué la complication graduelle pendant toute la période jurassique. A quoi tient cette complication qui ne s'est jamais produite cbez les nautiles? Si l'on admet l'assimilation qu'a faite Munier-Cbalmas des Céphalopode* à cloisons simples avec les Nautiles, de ceux dont les cloisons sont plissées avec les Spirules, une remarque s'impose naturellement à l'esprit. Les premiers devaient avoir, pour le moins, deux paires de branchies, les seconds n'en avaient qu'une, par suite peut-être d'un raccourcissement du corps en rapport seulement avec le monde extérieur par son extrémité antérieure, et qui aurait éprouvé une sorte de céphalisation (1). Dans ces condi- tions, le manteau, en augmentant sa surface par des plissements, a pu suppléer la deuxième paire de branchies absente ; les plis se sont compliqués à mesure que le céphalopode devenait plus actif et sa taille possible plus considérable ; certaines Ammonites sont arrivées à approcher d'un mètre de diamètre. Elles se tenaient évidemment soit près de la surface, soit entre deux eaux, et on comprend ainsi comment ont été possibles les transforma- tions qu'elles ont présentées durant la période crétacée. Le dernier tour de la coquille s'est d'abord détaché des autres, comme s'il pendait dans l'eau au-dessous du reste de la coquille servant de ludion; puis il s'est recourbé vers le haut en C, comme si la bouche de l'animal, dirigée vers le bas, s'était ensuite dirigée vers le haut. Ce changement d'orientation de la bouche n'est peut-être du reste qu'une apparence ; on peut admettre en effet que la coquille, à ouverture d'abord dirigée vers le haut comme chez les autres Ammonites, s'est au contraire (1) Voir page 259 et 260. LA VIE DURANT L'ÈRE SECONDAIRE 297 orientée de manière à maintenir autant que possible, la bouche dans la même direction chaque fois qu 'un déplacement du centre de gravité résultant de la croissance du Mollusque et de celle des loges pleines d'air de la coquille a amené un renversement dans le complexe constitué par l'animal et sa coquille. Le dérou- lement une fois commencé continue ; il finit par se produire dès le début de la formation de la coquille, et l'on passe ainsi du type des Scaphiles et des Crioceras à celui des Piclelia ; la coquille de ces dernières avait la forme d'un C, dont le crochet supé- rieur se serait enroulé en spirale. Chez les Hamiles les tours ne sont môme plus spiraux mais formés de parties courbées à angle droit les uns sur les autres ; enfin, chez les Baculites la partie droite est si longue par rapport à la partie enroulée qu'on croirait revenir aux Orthocères. L'organisation des Ammonites subit d'ailleurs elle-même une sorte de dégénères* cence. Les plis du manteau, que traduisent les sinuosités des lignes de suture, se simplifient si bien qu'il semble qu'on revienne aux Cératites du trias, ou même aux Goniatites de l'ère primaire. C'est ainsi sans doute qu'on descend peu à peu jus- qu'aux modestes Spirules de l'époque actuelle, à coquille interne déroulée et à cloisons simples. Les Turrilites, qui sont contournées en hélice au lieu d'être enroulées en spirale, et qui sont, par conséquent, dissymétri- ques, ne pourraient s'être produites si l'animal était demeuré flottant ou nageant dans un milieu homogène, tel que l'eau. La torsion qu'elles ont subie doit être due aux mêmes causes que celles des Gastéropodes et indique l'existence d'un groupe d'Ammonites rampantes. Pourquoi ces superbes animaux, qui ont été pendant une si longue période les rois de la mer, et dont les coquilles ont été conservées en si grand nombie qu'on peut suivre toutes leurs variations et dresser souvent leur arbre généalogique d'une manière assez complète pour que leur histoire puisse être considérée comme une irréfutable démonstration, 298 VERS LA FORME HUMAINE par les faits, de la réalité de la mutation des formes vivantes, pourquoi des êtres aussi puissants et aussi plastiques ont-ils disparu ? Faut-il penser que les Ammonites avaient une nour- riture très spéciale qui, à un certain moment, leur aurait fait défaut? Mais la paléontologie vious aurait donné tout au moins quelques indications à cet égard, et nous n'en avons aucune. Faut-il penser que des formes nouvelles d'animaux carnassiers plus actifs se sont multipliées dans les mers et en ont fait un tel carnage qu'elles ont été anéanties ? Nous verrons tout à l'heure que cela n'est pas impossible. Mais à côté de cette solu- tion, la simplification manifeste des formes, les altérations pro- fondes de certaines d'entre elles, semblent indiquer que le milieu dans lequel ces beaux mollusques ont prospéré et se sont gra- duellement compliqués s'est modifié, que leur organisme ne s'est pas trouvé assez souple pour s'adapter à ces conditions nou- velles. Pour des animaux marins il ne saurait guère être ques- tion que d'un abaissement de la température, car un épuise- ment spontané d'un type organique, dans un milieu qui ne varie pas, est chose tout à fait improbable. Les seuls mollusques qui disparaissent avec les Ammonites sont les Bélemnites qui étaient, elles aussi, des Céphalopodes dibran- chiaux extrêmement abondants* Leur coquille conique, courte, droite, cloisonnée, se terminait en avant par une sorte de bou- clier en forme de large cuiller concave vers le bas, &t en arrière par une pointe calcaire de la forme et de la dimension d'un cigare. On en a trouvé des empreintes tellement complètes que toutes leurs parties molles sont facilement reconnaissables ; leur poche à encre a été si bien conservée qu'on a pu l'employer, en broyant dans l'eau son contenu, à faire des dessins au lavis. Ces animaux étaient tout à fait voisins de nos Calmars. Ils devaient nager plus agilement que les Ammonites, empêtrées dans leur coquille, et leur donner volontiers la chasse ; mais la part importante dans la destruction des unes et des autres revient probablement aux poissons. Nous sommes effectivement à l'époque où les poissons osseux LA VIE DURANT L*ÈRE SECONDAIRE 299 viennent s'ajouter à ceux dont le squelette n'est encore fait que de cartilages. Ces nouveaux venus, ïssus sans aucun doute des poissons ganoïdes qui se sont beaucoup multipliés pendant la période jurassique, se réduisent durant cette dernière période à la famille des Leptolépidés, mais ils deviennent ensuite très variés. La plupart ont d'abord naturellement des nageoires pectorales et ventrales écartées comme celles des Requins et des Ganoïdes ; on en compte une quinzaine de familles dont beau- coup sont spéciales, mais parmi lesquelles on remarque des familles encore en pleine prospérité : des Scopélidés, qui sont actuellement pélagiques et ressemblent à des saumons ; des Clupéidés, très voisins de nos sardines et de nos harengs (1); des Halosauridés, qui sont des poissons de fond ; des Ostéoglos- sidés, et même des Murénidés qui ont perdu leurs nageoires (2). Les poissons à nageoires ventrales rapprochées des pecto- rales se montrent aussi ; ils sont représentés par la famille des Bérycidés qui compte encore des représentants. C'est donc une faune déjà importante composée de pois- sons agiles, à qui leur taille très modérée permet de péné- trer partout; ils ont dû créer des conditions d'existence plus difficiles aux Ammonites à qui ils ont fait, non pas seulement la chasse, mais une vaste concurrence alimentaire, dont il faut tenir compte si on veut s'expliquer la disparition des grands mollusques nageurs. Ceux qui vivaient dans des conditions spéciales, suspendus par exemple entre deux eaux, loin de la surface, comme les Ammonites courbées en C de la période cré- tacée, ont persisté plus longtemps que les autres, parce que la zone relativement pauvre en gros gibier où ils se tenaient était peu fréquentée des poissons. Tournons maintenant nos yeux vers la terre. Durant le3 périodes triasique et jurassique persiste encore, à peu de chose près, la sombre et monotone végétation de l'ère primaire; mais (1) Diplomistus, Scombroclupea. - - (2) Urenchelys, 300 VERS LA. FORME HUMAINE au crétacé les campagnes s'égayent de toutes les nuances des feuillages naissants et de l'éclat des fleurs. Nos arbres dressent d'abord timidement leurs troncs capricieusement branchus parmi les baliveaux sévères des antiques conifères ; mais ils finis- sent par les refouler hors des plaines où se pressent les peu- pliers, les saules, les boulaux, les hêtres, les chênes, les noyers, les platanes, les érables, premiers rameaux de l'arbre généa- logique théoriquement dressé plus haut. Le sol se couvre de vastes forêts où pousseront aussi des figuiers, des arbres à pain et autres urticées à fleurs unisexuées. Des houx, des lierres, des cornouillers croissent à leur abri, et même quelques gamo- pétales comme les viornes et les lauriers-roses. Et si nous ne pouvons ajouter à cette liste une longue série de fleurs bril- lantes, c'est que les belles fleurs ne poussent guère sur les grands arbres et que les tiges délicates des arbrisseaux ou des plantes herbacées qui les portent se fossilisent mal. Toute cette végétation nouvelle devait avoir un retentisse- ment sur le monde gracieux et agile des Insectes qui en vit. A part quelques hémiptères, qui plongeaient leur bec acéré dans les jeunes branches et en humaient le suc, la période primaire n'avait guère connu que des insectes vivant d'aliments solides qu'ils broyaient à l'aide d'une puissante armature buccale. Mais les prairies nouvelles avec leur floraison, les futaies avec leur tendre feuillage vont fournir aux remuants Insectes mille occasions nouvelles d'exercer leur activité. De la miellée va perler, sur les feuilles, du nectar s'élaborer au fond des corolles ; c'est une nourriture délicate et presque divine poux des créatures aériennes. Les mandibules tranchantes, les mâ- choires armées de mors comme des pinces, sont inutiles pour aspirer une pareille ambroisie ; elles vont s'allonger, s'amollir, s'affiner, avorter en partie ; elles deviendront les lames de sou- tien de la langue flexible des abeilles, la trompe des papillons ou la pompe aspirante des mouches ; aux lourds insectes de l'ère pri- maire vont s'annexer une foule d'êtres délicats, au vol rapide, LA VIE DOHANT L*ÊRE SECONDAIRE 301 parmi lesquels quelques-uns, par l'éclat de leurs couleurs, éclip- seront les fleurs sur lesquels ils iront butiner. Pour la première fois la terre se pare vraiment des couleurs féeriques que nous admirons dans les régions" tropicales ; pour la première fois elle connaît le fourmillement des êtres à sa surface ; pour la pre- mière fois l'air se peuple. Pour tout ce menu monde, aujour- d'hui si fragile, les conditions éminemment favorables de l'ère primaire ont été conservées. Nulle part la température ne des- cend assez bas pour tuer, d'un seul coup, tous les insectes d'une même région. Comme les animaux supérieurs, ils meurent isolé- ment et la durée de leur vie n'est abrégée que par des accidents. Cette durée leur permet d'observer, d'acquérir de l'expérience et d'en pratiquer les enseignements. Les générations se mêlent. Les parents connaissent leur progéniture, peuvent vivre avec elle, lui donner des soins, l'approvisionner de nourriture aussi longtemps qu'elle est incapable de le faire elle-même, tout au moins la placer dans des conditions telles qu'elle trouvera tou- jours des aliments à sa portée jusqu'à l'âge où elle sera en état de procéder à leur recherche ; ils ont aussi le loisir de pratiquer une sorte d'éducation des jeunes. Ceux-ci d'autre part, perpé- tuellement en contact avec eux, imitent leurs actes, s'initient de la sorte à la vie, profitent de l'expérience acquise qui se transmet de génération en génération. Leur activité se limitait d'abord à un petit nombre d'actes, très simples, en partie de la nature de ceux qui constituent ce que les botanistes ont depuis longtemps appelé des tactismes, inconscients par conséquent ; ces actes ont été remplacés par des actes plus ou moins conscients à mesure que l'organisme se perfectionnait, mais ces actes toujours les mêmes, inspirés par les mêmes circonstances, ont fini eux aussi par devenir automatiques, comme ceux qui sont liés à des habitudes, comme ceux que l'on accomplit inconsciemment dans l'état de sommeil, comme ceux qui relèvent simplement des tactismes, comme ceux auxquels Claude Bernard a donné le nom d'actes 302 V2RS LA FORME HUMAIN réflexes et qui, même chez nous, s'accom plissent sans que notre volonté intervienne, sans que notre conscience les enregistre : le clignement de nos yeux quand un rayon de soleil vient brusquement les frapper; le mouvement de défense de nos bras lorsque notre visage est menacé d'un coup ; les contractions musculaires qui interviennent dans la marche ou la natation. Dans ces conditions, le menu cerveau des Insectes, constammentsollicité par les mêmes influences, mis en action par l'accomplissement des mêmes actes, a pris peu à peu une organi- sation appropriée qui s'est transmise par hérédité, de sorte qu'il a suffi dès lors de la moindre sollicitation extérieure pour déclencher toute une série d'actes merveilleusement enchaî- nés, se succédant dans un ordre déterminé, alors même que venait à être supprimé le but vers lequel ils tendaient. A ce moment a été créé ce qu'on nomme Yinslincl (1). Sans doute la théorie que nous venons d'exposer suppose au début l'intervention d'une intelligence analogue à celle que nous voyons de nos jours, par exemple, se mêler de toutes les façons à l'automatisme chez les Oiseaux, qui vivent avec leurs petits dans des conditions semblables à celles où, durant la période crétacée, les Insectes vivaient avec leurs larves, et l'on peut s'étonner que ces êtres fragiles aient pu jouir d'une telle intelligence. Elle existe cependant et fonctionne aujourd'hui, précisément comme nous venons de l'indiquer, chez tous les insectes sociaux, les Termites, les Guêpes, les Bourdons, Jes Abeilles et les Fourmis, et l'on est bien obligé de s'incliner devant les faits. Darwin, qui a magistralement étudié (1) J'ai développé cette théorie des instincts en 1881, dans un livre scolaire intitulé Anatomieet physiologie animales, écrit pour la classe de philosophie des lycées ; presque en même temps, quoique un peu plus tard, elle a été développée, en Angleterre, par Romanes, gendre de Darwin, dans son ouvrage sur l'intel- ligence et l'instinct des animaux, pour la traduction française duquel j'ai écrit une préface (1888) ; mais à ce moment nous avons été arrêtés tous deux par la difficulté d'expliquer la transmission des instincts chez les Insectes d'une génération à la suivante, ces deux générations ne se connaissant pas LA VIE DURANT I/ÈRE SECONDAIRE 303 ce qu'on nomme Vinslincl chez les Oiseaux, où ce nom désigne un ensemble de facultés dont les unes sont inconscientes, les autres plus ou moins conscientes, a montré que dans le même groupe d'oiseaux, les Moiothres par exemple, sorte d'Étour- neaux d'Amérique, on pouvait suivre toutes les étapes du déve- loppement d'un instinct identique à celui du Coucou qui dépose ses œufs dans le nid des autres oiseaux. Il en est de même chez les insectes sociaux et surtout chez les Fourmis où l'on voit l'instinct de sociabilité, celui de construction, celui d'approvi- sionnement aussi bien des larves que des adultes, et beaucoup d'autres, se présenter d'une espèce ou d'un genre à l'autre, sous des formes que Ton peut facilement graduer de l'ins- tinct le plus simple au plus compliqué. On doit conclure de là que chez les Insectes, comme chez les Oiseaux, les instincts ne sont pas innés, n'ont pas été donnés à l'insecte une fois pour toutes, sans variations possibles, mais qu'ils se sont graduel- lement perfectionnés à mesure que l'insecte se modifiait lui- même et que leur apparente innéité n'est que le fait de l'héré- dité. La même gradation peut être constatée chez les Insectes qui vivent solitaires. Tous les insectes ne sont d'ailleurs pas, on le sait, également doués sous ce rapport. Ceux qui ont conservé les formes et le mode d'évolution primitifs (Archiné- vroptères, Orthoptères, Hémiptères) sont demeurés, le plus souvent, au point de vue des instincts, tout à fait au bas de l'échelle ; les insectes à pièces buccales broyeuses, à meta- morphoses complètes (Eunévroptères, Coléoptères), sont déjà un peu moins mal doués, sans qu'il y ait de lien entre ce fait et le mode d'évolution, car les Lépidoptères et les Diptères sont aussi peu doués que les Archinévroptères, tandis que les Termites, qui sont des Névroptères, égalent presque lesHymé^ noptères les plus remarquables. Leurs espèces sociales n'appa- raissent, â la vérité, que durant la période secondaire. Dans l'ordre des Hyménoptères, aussi bien parmi les formes solitaires que parmi les formes sociales, on peut sérier les ins- 304 vgRS LA FORME HUMAINE tincts et suivre leur évolution progressive d'espèce à espèce, soit au point de vue de la construction des nids, soit au point de vue de l'approvisionnement des jeunes, soit au point de vue de la manière de tuer les proies, jusqu'à la réalisation de ceux qui ont fait de la part du grand et solitaire naturaliste de Séri- gnan, J.-H. Fabre, le sujet de tant de belles observations et lui ont inspiré des pages si éloquentes (1). Dans les espèces qui se nourrissent de matières liquides et sucrées, tandis qu'elles nourrissent leurs jeunes de proies, on peut même suivre la transformation du régime Carnivore, qui était d'abord commun aux larves et à l'adulte, en un régime sucré, d'abord limité aux adultes comme chez diverses guêpes, puis étendu aux larves comme chez les abeilles et les fourmis. Il est donc certain que les instincts ont évolué, mais l'explication de leur évolu- tion se butte à une difficulté qui a paru insurmontable à Dar- win, à Romanes et à moi-même, qui a dressé J.-H. Fabre con- tre la doctrine de l'évolution et dont je n'ai entrevu la solu- tion que plus tard (2). Elle réside simplement dans ce fait que les Hyménoptères sont de tous les Insectes aptes à vivre d'aliments liquides ceux chez qui les pièces buccales ont les aptitudes les plus variées, si bien qu'on trouve chez eux tous les passages entre une bouche presque franchement broyeuse et une bouche essentiellement lécheuse, pour ainsi dire, celle des Abeilles. Ils ont pu, en conséquence, mieux profiter que les Lépidoptères et les Diptères, des conditions d'existence parti- culièrement favorables de la calme et tiède période secondaire. L'arrivée des hivers a fait disparaître tous les Insectes dont l'évo- lution durait plus d'une année et qui n'avaient pas su abriter leurs larves ou s'abriter eux-mêmes contre les rigueurs périodiques du froid. Parmi les individus dont l'évolution durait moins d'un an, n'ont été conservés également que ceux qui, par hasard, avaient pu évoluer entre le commencement et la fin de la belle saison. <1) LXXVII. - (2) LXXVIÏÎ. LA VIE DURANT i/ÈRE SECONDAIRE 305 Ainsi s'est établi le rythme saisonnier de la reproduction chez les Insectes. Ce rythme avait pour conséquence d'isoler les générations les unes des autres. Tandis que la brièveté de vie supprimait l'expérience, le rythme saisonnier supprimait l'édu- cation. Mais déjà le cerveau s'était organisé pour rendre auto- matiques la plupart des actes relatifs à la reproduction. L'héré- dité a conservé ce qui était acquis de la sorte, les hiv ers cependant ont fait disparaître toute possibilité de modification, et c'est ainsi que les instincts devenus fixes ont pris l'allure de mys- tère qui a arrêté si longtemps les tentatives d'explication. Le mystère une fois dévoilé, nous arrivons à ce paradoxe apparent que leur fixité même devient un argument inespéré en faveur de la théorie de l'évolution, et de la mutabilité des formes vivantes. En même temps que les Insectes, qui sont de petite taille, les Vertébrés terrestres prennent brusquement un développe- ment rapide. Durant la période triasique les Batraciens stégo- céphales vivent encore sous les formes temnospondyle (1) et stéréospondyle (2); parmi ces derniers, les Masiodonsaurus du trias d'Allemagne et d'Angleterre atteignaient une taille gigantesque ; leur crâne avait à lui seul 1 mètre de long. Les derniers représentants de ce groupe, qui ne dépasse pas le trias, paraissent avoir été les Laby rinihodon du comté de Warwick, représentés dans l'Afrique du Sud par les Rhylidosteus. A partir de ce moment, les formes persistantes se rapprochent des formes actuelles. Un petit batracien semblable à une salamandre, Y HylœobalrachuS) se trouve dans l'argile de Weald ; les batraciens anoures commencent au jurassique avec les Palœobatrachus ; mais les grands batraciens, comme les batra- ciens plus ou moins cuirassés, ont fait leur temps. Le monde (1) Eupelor, Brachiopn et, dans l'Inde, Gondwanasaurus. {2) Tremalosaurwt, CapilosaBrus, Meiopias dans le trias d'Allemagne; Diadelognathus, Pachygonia, Gonioglyptus. 20 306 VERS LA FORME HUMAINE va appartenir aux vrais Reptiles dont la peau s'est desséchée au point de devenir écailleuse, dont le crâne s'articule avec la colonne vertébrale par un seul condyle et dont les arcs branchiaux s'atrophient avant la naissance, sans avoir été utilisés, de sorte que l'animal ne respire jamais que l'air libre. La Terre, lors de leur apparition, est vide de grands animaux ; de vastes horizons s'offrent à leur activité, et l'on ne saurait évidemment admettre que la lutte pour la vie et la sélection naturelle aient, à ce moment, joué un grand rôle dans l'évolu- tion de ceux qui existent. Cette évolution se poursuivra dans deux directions. La première faune de grands reptiles qui ait apparu sur la terre est surtout connue actuellement par des fossiles trouvés à Elgin, en Ecosse, dans le permien de la Bohême, de la Thuringe, et d'Autun, dans la formation du Karroo, dans le sud de l'Afrique, qui appartient au début de la période triasique, et dans les dépôts du même âge de l'Amé- rique du Nord. Ces reptiles semblent avoir disparu vers le milieu de cette période. On n'a aucune indication précise sur leur origine ; ils paraissent cependant se rattacher aux batraciens stégocéphales. Les Pareiasaurus, que nous avons vus apparaître à la fin de la période anthracolitique, avaient l'as- pect d'une grenouille aussi large qu'un bœuf et pourvue d'une courte queue. Ils atteignaient jusqu'à 2m,50 de long. Leur crâne membraneux était entièrement recouvert de plaques osseuses dermiques, entre lesquelles n'était réservé que le trou occupé par l'œil pariétal ; ces plaques étaient rugueuses, comme scul- ptées; elles portaient d'étranges processus épineux chez les Elginia qui en étaient voisins. Les dents étaient petites, uniformes, à plusieurs pointes dentelées, disposées en séries, et sur les deux mâchoires et sur le palais. Les membres, courts et trapus, se terminaient chacun par cinq doigts, tandis que les Stégocéphales n'en ont jamais que quatre. Le crâne t'articulait avec la colonne vertébrale par un seul condyle, La vie durant l*ère secondaire 307 omme chez les Reptiles, tandis qu'il en existe deux chez les batraciens. La mâchoire inférieure, faite de plusieurs pièces, tait reliée au crâne par un os carré solidement fixé sur lui. /épaule comprenait une omoplate, un coracoïde et un précora- oïde soudés ensemble, plus un suprascapulaire (cleilhrum). e sont là des caractères nettement reptiliens, mais déjà, dans épaule, on remarque quelques traits qui se retrouveront plus ard chez les Mammifères : les os coracoïdiens sont soudés l'omoplate, comme Papophyse coracoïde des Mammifères, et omoplate est munie d'une épine qui est caractéristique de ces nimaux. Ces caractères s'accentuent sur la ceinture pel- ienne qui est construite tout à fait sur le plan de celle des lammifères, et s'articule à deux ou trois vertèbres constituant n sacrum. Le Pareiasaurus et VElginia forment un premier roupe de théromorphes, celui des Paréiasauriens. Dans un second groupe, celui des Thériodontes ou animaux à ents de mammifères, le revêtement osseux du crâne demeure complet, ainsi que chez les autres théromorphes ; mais chez îs reptiles des modifications très remarquables se produisent ans la dentition. Les dents ne servent plus seulement à stenir les proies; elles mâchent les aliments, l'animal en use >mme feront plus tard les Mammifères; le nombre de ces ents n'est pas très différent de ce qu'il sera chez ces animaux ; peut déjà les diviser en incisives, canines et molaires, a formule dentaire des Lycosaurus, par exemple (i \ c \ m g)» mrrait s'appliquer à des mammifères marsupiaux. Celle ss Gomphognathus (ijcj/ng) présente seulement des mo- ires trop nombreuses. Les molaires gardent d'ailleurs leur caractère reptilien ; les n'ont qu'un seul tubercule et une seule racine, sauf ^ut-être celles des Tritylodon qui en auraient deux, et insisteraient seulement en une dent élargie, tandis que Iles des mammifères résultent de la soudure de plusieurs 308 VERS LA FORME HUMAINE dents; aussi, à côté de similitudes parfois encore plus accusé que celles que nous venons de signaler, trouve-t-on des disseï blances non moins frappantes. Les Tritylodon avaient longues incisives enfoncées profondément dans les mâchoir et à croissance continue, pas de canines et, à leur place, u barre, comme chez les Rongeurs; les molaires des Trirach don étaient multituberculées. Il n'y avait pas non plus canines dans la série continue des dents des Stereoracl du permien de France, ni chez les Empédias molaris du Tex qui avaient des dents palatines et vomériennes; en revancl les Clepsydrop ,Dimetrodon, Nanosaurus du Texas pouvaie avoir plus de deux canines à chaque mâchoire, ce qui n'i rive jamais chez les Mammifères. Il n'y avait donc pas par ces reptiles de formule dentaire typique fixée par Thérédi comme celle des mammifères placentaires, d'où il fût possil de déduire toutes les autres par de simples réductions ; germes dentaires se déformaient sous la pression des den suivant que celles-ci servaient à tel ou tel usage. Naturel ment 'a musculature de la mâchoire inférieure se modifie au avac l'usage qu'en fait l'animal, et cela entraîne une mo fication correspondante de la région de la face où s'attach* ces muscles; une arcade zygomatique se constitue, rappel* celle des Mammifères, mais un peu autrement composa L'habitude de mâcher que prirent les Théromorphes suffi expliquer les ressemblances que leur crâne présente a\ celui des Mammifères ; une certaine identité d'alh explique de même la forme de leur omoplate et la constituti de leur bassin; rien ne prouve que nous soyons en préser des ancêtres des Mammifères. Il y avait déjà d'ailleurs, à l'époque du trias, de petits ma nifères, des marsupiaux tels que les D romaine rium de Caroline et les Microconodon. Certains thé omorphes, les Cqnognathus notamment, avai< toute l'allure de nos carnassiers, mais avec une taille bien p LA VIE DURANT VÈRE SICOKDAIftg 309 grande; leur crâne avait 60 centimètres de long; ils capturaient leur proie et l'emportaient dans leur gueule comme nos tigres; leur tête devait être sans doute, en conséquence, solidement fixée ; aussi voit-on Punique condyle des Pareiasaurus s'élargir, prendre la forme d'un rein (1) et finalement se dédoubler comme chez les Mammifères (2). En même temps la région cervicale se raccourcit; elle ne compte que six vertèbres alors que la région dorsale en compte vingt-neuf. L'existence de els carnassiers suppose qu'il y avait aussi des reptiles herbi- vores, ou tout au moins se nourrissant d'insectes, de mollusques ît autres menues proies. Nous sommes donc bien loin de onnaître l'économie de la faune de vertébrés terrestres du trias. Peut-être faut-il voir des herbivores dans les Anomodontes mi sont représentés par plusieurs genres depuis i^lgin, en Ecosse usqu'au Cap. La dentition de ces animaux était réduite à deux léfenses rappelant celles des Morses, chez les Dicynodon; ces ;anines sont courtes et coniques chez les Gordoniaet les Geikia l'Elgin; elles peuvent être présentes ou absentes suivant les ndividus chez les Cislecephalus, ce qui donne à penser qu'elles ont caractéristiques du sexe masculin. Dès lors on est porté à idmettre que les Oudenodon, qui n'ont pas de défenses du tout, te seraient autre chose que les femelles des Dicynodon. Les lâchoires de ces animaux, dont le crâne pouvait atteindre eux décimètres de long, s'allongeaient au delà des défenses et taient probablement recouvertes d'un bec analogue à celui des ortues, qui d'ailleurs sont déjà représentées à l'époque triasique ar plusieurs genres (3). Les Rhynchocéphales avaient pour représentants les Teler- elon. Enfin la série des Théromorphes se termine par les Pla- odontes, qui de terrestres étaient déjà redevenus marins et (1) Cgnognatus platyceps. — (2) Cynognatus Berrgi. — (3) Cheluzoon. rclosauruê. Psammocheljjs . 310 VERS LA FORNE HUMAINE vivaient de mollusques dont ïls broyaient la coquille à l'ai< de deux ou trois dents en ciseaux que portait l'intermaxillair de trois à cinq molaires supérieures, arrondies, et de dents api ties en pavé qui garnissaient leur palais et la partie postérieu de leur mandibule. Des Crocodiles variés complétaient cet faune de reptiles triasiques. Rhynchocéphale», crocodiliens, tortues, continuent à diversifier dans le détail durant les deux périodes q\ portent le plus nettement Pempreinte des temps nouveaux la période jurassique et la période crétacée. Les loun Théromorphes ont disparu, mais, tandis que resplendit ui végétation d'une variété magnifique, les reptiles prennei un essnr prodigieux. Ils n'ont pas de concurrents sur terre; le sol leur appartient, et dans des conditions de ten pérature dont la constance leur est particulièrement fav rable. Aucun danger ne menace les plus puissants d'enti eux; ils croissent lentement, comme les Crocodiles actuel mais la durée de leur vie paisible est telle que certain d'entre eux arrivent à atteindre 40 mètres de long, ce qui su{ pose, étant donné le temps que mettent à grandir nos Crocc diles, une longévité de cinq ou six siècles. S'il y a encore paru eux des animaux aux formes ramassées, d'autres sont sveltes e allongés. Peu à peu, beaucoup d'entre eux abandonnent Tatt tude affaissée de leurs ancêtres, à laquelle sont condamnés, noï verrons plus tard pourquoi, les reptiles actuels. Usant d'un façon nouvelle des muscles qui rattachent leurs membres à lei tronc, ils ramènent vers lui l'extrémité de leurs humérus celle de leurs tibias; de manière que leurs bras et leurs cuisses, a lieu de se mouvoir dans des plans horizontaux, comme ceux d< lézards, se meuvent dans des plans verticaux comme ceux d< mammifères coureurs. Dèsîors le ventre ne traîne plus à terr le même effort musculaire, portant sur les membres deveni des bras de levier allongés, projette bien plus en avant lei LA VIE DURANT L'ÈRE SECONDAIRE 31 i extrémité; le reptile ne rampe plus, il marche, il court, iî arrive même à sauter. Puis dans une attitude plus orgueilleuse encore, l'animal se dresse sur ses pattes postérieures qui deviennent énormes, tandis que les pattes antérieures, à peine utilisées, se raccour- cissentou se transforment : c'est l'Oiseau qui se prépare, l'Oiseau qui ne tardera pas à prendre possession de l'air. On voit même apparaître déjà une disposition anatomique remarquable qu'il conservera : des cavités remplies d'air, sans doute en commu- nication avec les poumons, apparaissent soit dans les vertèbres des grands reptiles dinosauriens (1), soit dans les os longs, en même temps que l'allure et la structure des membres se rap- prochent déjà de celles des oiseaux. Que des reptiles aient pu demander à leurs muscles de faire les efforts nécessaires pour amener ces modifications n'a rien qui doive étonner. Un grand lézard australienne Chlamydosaurede King, est encore capable, dans la nature actuelle, de prendre cette attitude dressée qui est pour lui une attitude de défense. Une première tentative de conquête de l'atmosphère s'ébauche, elle ne réussit qu'à demi; mais il a fallu que les proies se fissent rares et que le séjour sur le sol devînt dangereux pour que les reptiles, après s'être mis sans doute à grimper sur les arbres pour y poursuivre, dans une sécurité relative, les insectes, se décidassent à se lancer à leur poursuite dans l'air. Un nouvel indice d'insécurité du sol, c'est que d'autres reptiles, dont les ancêtres s'étaient donné tant de mal pour quitter la mer et envahir la terre, soient retournés à la mer et, tout en gardant leur organisation de reptiles, aient repris l'existence des pois- sons, pour les pourchasser et leur disputer la proie facile que constituaient les paresseuses ammonites communes dans toutes les mers. En franchissant chacune des étapes que nous venons d'énu- mérer, les Reptiles ont pris naturellement des caractères nou- (1) Bronlo&aurus, Cœlurus, A ne h i saur un, Compsognaitius, 312 VERS LA FORME HUMAINE veaux, que les naturalistes ont employés pour définir chacun des groupes de ces animaux menant Le même genre de vie. Tout d'abord le bassin demeure assez semblable à celui des Croco- diles ; au-dessous des os iliaques, les deux pubis forment un V à sommet dirigé en avant, les deux ischions un" V à sommet dirigé en arrière ; le reptile ne peut se dresser debout qu'excep- tionnellement; mais il peut être plantigrade ou digitigrade, c'est-à-dire marcher sur la plante entière de son pied, ou sur ses doigts seulement, la plante du pied étant redressée. Le premier cas est celui des Sauropodes; le second celui des Théropodes, au corps extrêmement allongé, et des Cératopsidés, qui avaient les formes lourdes de nos rhinocéros. Dans une autre série, le train postérieur prend peu à peu un développement plus grand que le train antérieur, et il est probable que l'animal peut se tenir debout. En conséquence, les muscles de la cuisse deviennent plus volumineux, les os du pubis sur lesquels ils s'attachent acquièrent une surface beaucoup plus grande et surtout présentent, comme chez les Oiseaux, pour l'insertion des muscles qui redressent le corps une branche antérieure et une longue branche postérieure, le post- pubis; le bassin demeure ouvert en avant comme celui des oiseaux : ces traits caractérisent les Orthopodes. Les Reptiles orthopodes qui continuent à marcher sur quatre pattes et demeurent plantigrades forment le sous-ordre des Stégosaures; ceux dont les membres antérieurs sont tellement petits que le reptile ne peut plus s'appuyer sur eux et doit constam- ment se tenir dressé sur ses pattes de derrière, à la façon des kanguroos, forment le sous-ordre des Ornithopodes. Tous ces animaux composaient la sous-classe des Dinosauriens ou Sau- riens géants, qui comprend les plus colossales et les plus étranges créatures* terrestres qui aient existé. Les Sauropodes avaient l'air d'énormes serpents sur le milieu de la longueur desquels aurait été intercalé un corps d'éléphant. Us portaient au bout de leur long cou une tête singulièrement LA VIE DURANT i/ÈRE SECONDAIRE 313 petite, n'excédant pas, chez le Bronlosaurus excelsus (1), qui avait 30 mètres de long, le diamètre de la quatrième vertèbre du cou où on en comptait 13. Avec lui vivait dans le Wyoming V Allantosaurus immanis qui approchait 60 mètres. Le Moro- saurus grandis était, au contraire, de moitié plus petit que le Brontosaure et n'avait que quatre vertèbres au sacrum, au lieu de cinq. Un autre de leurs compagnons du Colorado, le célèbre Diplodocus longns, complètement reconstitué parle prof. Holland et dont un magnifique moulage a été donné par M. Carnegie au Muséum d'histoire naturelle de Paris, mesurait 26 mètres de long ; sa tête, moins réduite que celle du Brontosaure, avait un peu l'aspect d'une tête de cheval; ses mâchoires étaient munies, sur le devant seulement, de longues dents en forme d'incisives, accompagnées chacune, en dedans, d'une rangée de dents de remplacement. D'après la forme de leurs dents, tous ces grands reptiles étaient manifestement herbivores. Si l'on se rappelle le lien que nous avons précédemment indiqué entre la multiplication des ver- tèbres et la part que prend le tronc à la locomotion, si l'on ajoute que les vertèbres caudales du Diplodocus portent des os en chevron munis chacun de deux poutrelles horizontales symétriques, indiquant que cette queue devait appuyer sur le sol et servir à la propulsion de l'animal, on arrive à penser que les sauropodes vivaient dans une brousse épaisse où ils se faufilaient, pour ainsi dire, en l'écartant au moyen des mouve- ments de leur long cou et en se poussant ensuite avec leur queue, leurs membres leur permettant de se tenir à distance du ol où l'enchevêtrement des branches était particulièrement serré. La forme des pieds et leur petitesse excluent l'idée quelquefois émise que c'étaient des animaux de'marécage, et la position de eurs narines sur le museau et non à son extrémité, qui leur est commune avec les animaux aquatiques, s'explique encore mieux par l'usage qu'ils faisaient de leur tête pour écarter les (1) Du jurassique supérieur. 314 VERS LÀ FORME HUMAINB branches; de ce seul fait les narines devaient être mécani- quement repoussées en arrière, d'autant plus qu'à l'extrémité du museau elles auraient été constamment blessées et obstruées par les broussailles. Tous les grands reptiles dont nous venons de parler appar- tiennent au jurassique supérieur, mais des animaux analogues devaient vivre beaucoup plus tôt, dès le trias inférieur. Dam les grès de Fozières, près de Lodève, qui remontent à cetU époque, et dans ceux du Connecticut, on observe en effet de* empreintes de pieds pentadactyles avec un pouce écarté, qu ne peuvent avoir appartenu à des Stégocéphales, dont les pied* possédaient constamment quatre doigts. D'autre part, un piec tridactyle a laissé des traces si semblables à celles d'un piec d'oiseau que Hitchcock, lorsqu'il découvrit les premières dam le Connecticut, les désigna sous le nom d' Orniihichniles, ce qu signifie traces d'oiseaux. Il n'y avait certainement pas d'oiseau: au début de la période secondaire; il est donc impossible d< rapporter, au moins provisoirement, ces traces, dont certaine avaient près de quatre décimètres de long, à d'autres animau: qu'à des Théropodes. On trouve aussi des traces pentadactylet de quatre membres dont les antérieurs étaient déjà beaucoup plus petits que les postérieurs ; elles appartenaient à des animaux de diverses grandeurs, mais manifestement de même espèce, comme si les jeunes avaient vécu avec leurs parents; les pas de ces derniers s'allongeaient jusqu'à deux mètres. La persistance de ces traces, jusqu'au moment où de nouveaux dépôts sont venus les recouvrir, semble confirmer que les animaux n'étaient pas très abondants, et que la lutte pour la vie n'était, par conséquent, pas très active dans les régions où elles furent imprimées. On a donné à l'anima inconnu qui a ainsi marqué ses empreintes dans le sable le nom de Brontozoum giganteum (1). Les Bronlozoum ont laissé (1) Brontozoum signifie : animal du tonnerre; nous avons déjà rencontré nn BrontosauruSf ou lézard du tonnerre. LA TÏE DURANT l/ÈRE SECONDAIRE 315 sur te sable la trace de leur queue, comme celle de leurs pieds. Les Théropodes avaient des dents pointues, en crochet; c'étaient des reptiles carnassiers marchant à la façon^ des kan- guroos. Le redressement du corps sur les pattes de derrière est évidemment le fait d'une habitude qui a graduellement modifié le volume et les points d'attache des muscles, modifi- cations qui ont ensuite retenti sur les os et les dimensions des membres. Cette habitude s'explique d'elle-même chez des ani- maux carnassiers, vivant dans la brousse et qui avaient besoin d'élever leur tête au-dessus des tiges pour surveiller les alen- tours, guetter leur proie et se mettre au besoin en sûreté. Elle commençait déjà, sans doute, à s'imposer aux Sauropodes, dont le train postérieur était plus développé que le train de devant ; plus tard elle s'est alliée à une autre habitude, celle de sauter. Les membres postérieurs, encore presque plantigrades chez les Anchisaurus du Connecticut, deviennent peu à peu digitigrades; dès lors, les doigts les plus petits, cessant de toucher terre, avortent. Les Zanclodon du trias supérieur du Wurtemberg, qui avaient trois mètres de long, et les formes analogues de France, d'Angleterre, du sud de l'Afrique et de l'Inde, avaient cinq doigts à tous les membres. Les Mégalo- saures, qui ont vécu du trias au crétacé supérieur en France, en Angleterre, dans le Colorado et dans l'Inde, étaient un peu plus grands et n'avaient plus que quatre doigts aux pieds de derrière. UHaliopus victor du Colorado demeurait à un mètre de long; ses membres antérieurs très courts n'avaient plus que quatre doigts, les membres postérieurs trois, le premier étant absent, le cinquième représenté par un court métatarsien. Le Ceratosaurus de la même région, quiportait une corne sur le nez et dépassait cinq mètres de long, n'avait aussi que trois doigts aux pattes postérieures; mais leurs trois métatarsiens étaient soudés, comme nous le verrons se produire plus tard chez les animaux sauteurs ou coureurs. Les Allosaures de l'Amérique du Nord ne possédaient que trois doigts à toutes les pattes. Enfin les 316 VERS LA FORUHfe HUMAINE pattes postérieures du petit Compsognalhus longipes du juras- sique de Bavière étaient de véritables pattes d'oiseau, dont les trois métatarsiens subsistants étaient soudés non seulement entre eux, mais encore avec la rangée distale des os du tarse ; la rangée proximale de ces os étant elle-même adhérente, quoique non soudée au tibia auquel était accolé un péroné rudimentaire. Malgré cela, le bassin restait du type reptilien ; il était suivi d'une longue queue, et les mâchoires étaient garnies de dents aiguës sur toute leur étendue. Beaucoup de théropodes (Cœlurus, Hallopus, etc.) avaient des os creux pré- sentant à leur surface des trous dans lesquels pénétraient des sacs aériens dépendant des poumons, comme ceux des oiseaux dont ces animaux demeurent cependant éloignés par la forme de leur bassin. Le Dassin aes Orthopodes se rapproche au contraire suffisam- ment de celui des oiseaux pour que Huxley ait proposé de leur appliquer la dénomination d'ORNiTHOscÉLiDÉs. Cette forme de bassin ne correspond pas nécessairement avec une attitude toujours debout; elle n'implique qu'un grand développement des membres postérieurs par rapport aux membres antérieurs* et la possibilité de se dresser sur eux. Les reptiles réunis dans le sous-ordre des Stégosauriens sont encore presque planti- grades. Cependant ceux du genre Scelidosaurus n'ont que quatre doigts à toutes les pattes, et il n'en reste plus que trois aux pattes postérieures des Stégosaures. Les Scélido- saures avaient un peu plus de quatre mètres de long ; ils vivaient, à l'époque du jurassique inférieur (lias), à Lyme Régis en Angleterre. Des formes analogues se trouvent également dans le wealdien anglais (Hylœosaurus polyacanthus). Les Stégo- sauriens du jurassique supérieur du Wyoming et du Colorado approchaient d'une longueur de dix mètres. Ces Stégo- sauriens étaient de singuliers animaux; la disproportion entre leurs membres antérieurs et leurs membres postérieurs déterminait, quand ils marchaient sur leurs quatre patte*. LA VIE DURANT L'ÈRE SECONDAIRE 317 une très forte convexité de leur dos, et le long de cette ligne courbe se disposait chez les Scélidosaures une double rangée de plaques osseuses saillantes qui devenait simple sur la queue très allongée. Chez les Stégosaures les plaques dorsales ne formaient qu'une seule rangée, mais elles étaient énormes, trian- gulaires et dressées verticalement, leur sommet en l'air ; les plus grandes avaient près d'un mètre de haut ; cette rangée de plaques se dédoublait sur la queue qui portait ainsi deux rangées d'épines de 60 centimètres de long. Le type digitigrade devient très accusé et constant chez les Ornithopodes, qui se tenaient habituellement dressés sur leur train postérieur ; leurs os longs étaient creux et en communi- cation avec des sacs aériens comme ceux des oiseaux. Nous avons déjà rencontré ce caractère chez les Théropodes,qui pratiquaient également l'attitude bipède. Cette attitude implique une plus grande dépense de travail pour les muscles de la région posté- rieure du corps que l'attitude quadrupède. D'autre part, le développement des sacs aériens apporte un appoint considérable à la puissance respiratoire des poumons ; il n'est pas impossible que ce soit à ce surcroît d'activité respiratoire que les Théropodes et les Orthopodes aient dû la possibilité d'acquérir leur mode nouveau de locomotion qui les rendait particulièrement aptes à la course et au saut. On retrouve ici une série de formes analogues à celles des Théropodes. Les Camptosaurus du jurassique inférieur et de la base du crétacé anglais (wealdien) avaient cinq doigts et quatre orteils. Les Hypsilophodon des mêmes localités n'avaient que quatre doigts et quatre orteils. Les Iguanodon du Nord, du Néocomien de Belgique et d'Allemagne n'avaient aux pattes de devant que quatre doigts, et trois aux pattes de derrière, leur pouce étant transformé en un formidable éperon. Les Hadrosaurus et les Trachodon des mêmes régions leur ressemblaient beaucoup, mais leur bouche se prolongeait en une sorte de bec de canard édenté; en arrière de ce bec étaient plusieurs rangées de petites dents; 318 VERS LA FORME HUMAINE elles formaient une rangée fonctionnelle, suivie intérieu- rement de nombreuses rangées de dents de remplacement, ie nombre total des dents atteignant deux mille. De tous ces reptiles, les mieux connus sont les Iguanodons, ainsi nommés parce que leurs dents d'herbivores ressemblaient à celles des grands lézards américains qu'on appelle des Iguanes. Ils vivaient à l'époque du crétacé inférieur en Angle- terre, en Belgique, en Allemagne. Une première espèce, 1'/. Manlelli, fut découverte en Angleterre ; elle ne mesurait guère que cinq à six mètres de long ; les squelettes complets d'une trentaine d'individus d'une autréespèce, 1'/. Bernissarten- sis, ont été trouvés ensemble, à Bernissart, entre Mons et Tour- nay, en Belgique, tout près de la frontière française, au fond d'un puits de mine, à 200 mètres de profondeur au-dessous du niveau actuel de la mer. Il* se trouvaient dans une excavation des terrains carbonifères, remplie par de l'argile wealdienne à la surface de laquelle étaient encore marquées les traces de leurs pas indiquant que les pattes postérieures seules posaient sur le sol. Comme on ne trouve jamais de traces de la queue, il faut admettre que celle-ci était tenue loin du sol et servait de balancier. Les Iguanodons étaient certainement her- bivores ; les dents étaient absentes sur le devant de leur bouche, dont les lèvres étaient sans doute recouvertes par un revêtement corné ; leur attitude indique cependant qu'ils ne broutaient pas l'herbe, mais mangeaient, comme le feront plus tard les Megatherium, les feuilles des arbres dont ils saisissaient le tronc entre leurs robustes mains. Le dernier représentant de ce groupe a été YOrnithomimus du crétacé supérieur du Colorado dont tous les membres étaient tridactyles et chez qui l'extrémité supérieure du troisième métatarsien, enfoncée entre le deuxième et le quatrième, se confondait partiellement avec eux comme chez les jeunes oiseaux. C'étaient de très grands animaux dont les membres sont malheureusement seuls connus LA VIE DURANT L*ÊRE SECONDAIRE 319 Les Dinosauriens que nous venons de passer rapidement en revue ont tous un air de famille. Ils ont un long cou, une lon- gue queue, un tronc qui n$ dépasse généralement pas la lon- gueur du cou, une tête presque toujours petite ou même extrêmement petite, si bien que leur cerveau est parfois bien moins volumineux que le renflement lombaire de leur moelle épinière. Ils ont dû former deux séries parallèles, l'une de :arnassiers, l'autre d'herbivores, qui commençaient chacune >ar des espèces plantigrades à bassin fermé, sans postpubis, ît se terminaient par des espèces dressées, à postpubis. C'est jrobablement ainsi qu'à la suite de découvertes ultérieures m sera amené à dresser leur classification généalogique. Car »i l'on conçoit facilement que des animaux de même régime missent prendre graduellement la série d'attitudes que nous ivons décrites, on ne conçoit pas pourquoi à chaque forme de >assin correspondraient deux régimes différents. Malheureuse- nent la série des carnassiers est encore très incomplète et se éduit aux seuls théropodes digitigrades et sans postpubis. Les monstrueux Gératopsidés, dont il nous reste à parler, con- rastent d'une façon absolue avec les précédents. Leur cou et eur queue étaient de grandeur moyenne; leur tronc puissant; eurs quatre membres presque égaux, pourvus de cinq doigts >osant tous les cinq sur le sol . Us avaient l'apparence mas- ive des rhinocéros, mais de rhinocéros dont la taille gigan- esque dépassait six mètres de long et atteignait à l'arrière de leuxàtrois mètres de hauteur. Leur tête était peut-être ce qu'il r a eu de plus étrange dans le règne animal: terminée en avant >ar une sorte de bec d'oiseau de proie, ce qui n'empêchait >as les mâchoires d'être revêtues de dents à deux racines implan- ées dans des alvéoles, elle se dilatait en arrière en un vaste et îpais manteau osseux, en forme d'entonnoir qui couvrait le cou st arrivait tout près des épaules. Cette tête formidable, qui avait linsi deux (1) à trois (2) mètres de long, portait trois cornes (1) Triceratops fiabellatus. — (2) T. promus. 320 VERS LA FORME HUMAINE puissantes, une sur le nez, les deux autres au-dessus des yeux D'autres Cératopsidés, les Nodosaures par exemple, étaient e outre protégés par une cuirasse de plaques osseuses dermiques Ces monstres vivaient pendant l'époque crétacée dans l'Ame rique du Nord, au Wyoming notamment. On n'en connaî qu'un seul genre en Europe, le genre Cralœomus don M. Depéret a signalé la présence dans l'Hérault. Ils étaient herbivores comme les Titanosaures, les Iguanodons, les Tra chosaures, qui ont pu être leurs contemporains et qui étaien encore plus colossaux. Tous ces herbivores devaient vivre à pei près en paix. Leurs grands ennemis étaient les Mégalosaures et les LœlapSy grands théropodes carnassiers, sauteurs, à mouve- ments rapides, auxquels ils opposaient tranquillement les armes terribles que constituaient leur bec et leurs cornes, et leur impé nétrable bouclier céphalique. D'où est issue cette merveilleuse et grandiose population de la Terre aux temps secondaires ? Sans doute, à la fin de la période primaire, les vertébrés terrestres ont déjà pris de l'es- sor. Les reptiles à dentition variée du trias, bien que demeu- rant écrasés contre le sol, ont atteint de grandes dimensions et quelques-uns d'entre eux se relient de loin aux grands Batra ciens stégocéphales, auxquels se rattachent aussi les Reptiles rhynchocéphales. Ceux-ci, quoique demeurés modestes dans leurs dimensions, semblent avoir eu pour héritiers les Dinosau riens, auxquels ils ont légué diverses particularités de leur crâne et notamment le mode de constitution de leur voûte palatine. Mais si le mécanisme physiologique qui a tiré les reptiles mar- cheurs ou sauteurs des reptiles rampants apparaît nettement, s'il est possible de reconstituer, de loin en loin, quelques stades de cette évolution, la série des étapes parcourues est coupée par d'énormes vides. On prévoit même qu'elle sera difficile à reconstituer. Beaucoup de ces animaux cryptogènes se mon trent presque en même temps sur des points du Globe tellement éloignes qu'on ne peut que difficilement admettre qu'il ait existé LA VIE DURANT i/ÈRE SECONDAIRE 321 entre eux une communication suffisamment facile pour que des animaux aussi lourds, et probablement sédentaires, aient pu franchir d'aussi grandes distances. Des formes oscillait autour des genres triasiques Zanclodon et Mégalosaure, par exemple, se trouvent en Europe et aux États-Unis qui dépendaient du' continent Nord-Atlantique, dans l'Afrique du Sud et dans PInde qui faisaient, à cette époque, partie du continent de Gond- wana. Les Morosaurus, Cœlurus, Slegosaurus, Càmplosaurus, Triceratops, Hadrosaurus se trouvent représentés, quelquefois par des espèces différentes, en Europe et aux États-Unis, c'est-à- dire aux deux extrémités du continent Nord-Atlantique, durant les périodes jurassique et crétacée. Bien que ces périodes aient été assez longues pour que les voyages les plus étendus, à l'intérieur d'un même continent, aient été possibles, cette vaste répartition demeure remarquable, et il paraît impossible, en tout cas, que de telles migrations aient eu lieu du continent de Gondwana au continent Nord-Atlantique. Il faut dès lors admettre que des formes semblables ont pu naître séparément; ce qui vient confirmer que les forces naturelles, qui sont constantes, agissant sur des organismes peu différents au début, comme l'étaient nécessairement les premiers Batraciens, ont pu produire d'une manière indépendante, dans des régions très éloignées du Globe, des séries organiques analogues. Cela revient à dire que les mêmes causes, agissant dans des condi- tions semblables, produisent toujours les mêmes effets. C'est une vérité élémentaire qu'il est cependant utile de rappeler dans le domaine des sciences naturelles où l'idée de créations capri- cieuses et indépendantes a pendant si longtemps régné. L'évolu- tion parallèle des Dinosauriens herbivores et des Dinosauriens carnivores montre d'ailleurs combien étaient fragiles les prin- cipes de la corrélation des formes et de la subordination des caractères, sur lesquels Cuvier avait fondé toute son anatomie comparée si profondément finaliste. Nous venons d'étudier la merveilleuse éyolution des Reptiles 21 %ï% vers la forme humaine terrestres ; mais les Reptiles ne se sont pas bornés a envahir la terre, ils ont aussi acquis des ailes, probablement par suite de la formation, chez des formes arboricoles de la période secon- daire, d'un repli de la peau des flancs semblable à ceux que nous avons signalés (p. 153). Malheureusement les formes de passage sont inconnues. L'aile des Ptérosauriens était toujours construite sur le même type : une vaste membrane courait tout le long des flancs jusqu'à l'extrémité de la queue, en arrière, et s'étalait en avant sur le bord du doigt externe des mains, devenu trois fois plus long que le corps. Contrairement à ce qui avait lieu dans les types précédents, la tête énorme, pouvait égaler le tiers de la longueur du corps (Pierodactglas cra»3Îrostris). Elle était articulée perpendiculairement au cou, et ses os se soudaient comme chez les oiseaux, ce qui semble indiquer un lien entre la rapide locomotion aérienne et cette disposition. Les mâchoires portaient des dents aiguës (Pteranodon) qui pouvaient êjlre remplacées par une sorte de bec corné, dont la terminaison en pointe des mâchoires, chez les Ramphorhynques, peut être con- sidérée comme une indication. Les plus anciens débris connus d'un ptérosaurien remontent au lias de Lyme Régis. Ce pré- curseur (Dimorphodon macronyx) avait une queue grêle de 6 décimètres de long; le corps en mesurait à peu près autant. Les Rhamphorhynques du jurassique supérieur d'Alle- magne et les Ornilhocheiras du Weald anglais avaient aussi une longue queue que terminait une sorte de gouvernail mem- braneux; leurs dents étaient pointues, espacées et inclinées en avant. Les Ptérodactyles^ leurs contemporains, n'avaient, au contraire, qu'une queue très courte; leur taille oscillait entre celle d*un corbeau et celle d'un moineau. Les géants des ptérosau- riens étaient les Pleranodon, qui avaient 6 mètres d'envergure et dépassaient de beaucoup les dimensions de nos plus grands Con- dors. Ils vivaientau Kansas à l'époque du crétacé moyen. C'étaient des chasseurs d'insectes; leur long bec pointu ne leur permet- tait pas de déchirer des proies. Ils ne pouvaient se posera terre LA VIE DURANT L'ÈRE SECONDAIRE 323 pour capturer de petits animaux; comme les chauves-souris, ils n'auraient pu reprendre leur essor. Ceci s'applique du reste à tous les ptérosauriens qui, pour se reposer, devaient se sus- pendre aux branches d'arbres, soit à l'aide des quatre doigts normaux de leur main, soit à l'aide de leurs pieds ; ils n'avaient alors qu'à ouvrir leurs ailes, au cours de la chute, pour prendre leur vol. La taille des Pleranodon indique que les insectes devaient foisonner pendant la période crétacée. L'existence des Dimorphodon au lias prouve que déjà, à cette époque, les insectes aptes au vol étaient nombreux. Mais il reste à se demander à quoi les Ramphorhynques et les Ptérodactyles employaient leurs dents, bien longues pour d'aussi minces proies. Cela semble impliquer qu'il y avait déjà des oiseaux et que V Archœopleryx n'était peut-être pas le plus parfait. Nous arrivons enfin aux reptiles qui durant la période secon- daire ont envahi les eaux. Ce retour n'a rien qui puisse étonner outre mesure, puisque les Crocodiles n'ont jamais abandonné le voisinage des fleuves. Dès Fépoque du trias il y avait des reptiles marins dont les pattes, par un processus contraire à celui des Dinosauriens, s'étaient raccourcies, élargies, avaient souvent multiplié leurs phalanges digitales et finalement s'étaient transformées en palettes ne pouvant servir qu'à la natation. Ils appartenaient à deux types : dans l'un, celui des Plésiosauriens, aussi appelés Hydrosauriens ou Sadroptérygiens, la tête était petite, le cou allongé comme chez les Dinosauriens, mais la queue était très courte ; dans l'autre, celui des Ichthyo- sauriens ou Ichthyoptérygiens, la tête était au contraire volu- mineuse, le cou très court, la queue assez longue mais aplatie et, comme la queue des poissons, donnait à l'animal l'impulsion la plus vigoureuse pour la natation. A ces différences d'aspect devaient correspondre deux genres de vie fort différents. Nageant uniquement au moyen de leurs palettes latérales, aidées peut-être des ondulations de leur cou de cygne, les Plésiosaures étaient probablement des animaux de surface 324 TORS LA FORME HUMAINS qui devaient facilement plonger, mais se tenaient dans des pro- fondeurs^ faibles et fouillaient, sans doute, la vase à la façon des Oies et des Cygnes. Les Ichthyosaures, au contraire, vivaient, à la façon de véritables poissons, et ne revenaient à la surface que pour respirer comme nos Marsouins. Nageant non seulement à l'aide de leurs palettes mais aussi à l'aide de leur queue, ils se trouvaient soumis aux mêmes résistances de la part de l'eau que les poissons eux-mêmes ; leur cou s'est donc raccourci, et ils ont pris exactement la forme de ces derniers. On peut en voir, à la belle galerie de paléontologie du Muséum, un exemplaire acquis par la société des Amis du Muséum qui a été conservé avec son tégument soutenu par de petites écailles. Outre les nageoires paires, il avait sur le dos une nageoire impaire et sa queue se terminait par une nageoire divisée en deux lobes inégaux. La portion de la colonne vertébrale corres- pondant à cette nageoire est brusquement courbée vers le bas, à l'inverse de la queue des poisson* hétérocerques. Nous avons vu (p. 272) que cette queue était un organe de montée; par contre, la queue des Ichthyosaures était un organe de plongée : les Ichthyosaures, allégés par leurs poumons remplis d'air, étaient entraînés naturellement vers la surface ; ils avaient donc à faire effort pour descendre. Entre les Ichthyoptérygiens et les reptiles terrestres on n'a trouvé jusqu'à présent aucune forme de transition, si ce n'est les Mixosaurus du trias, chez qui le radius et le cubitus sont encore allongés et laissent entre eux un léger intervalle longitudinal. Les dents, très nombreuses chez les Ichthyosaures, deviennent très petites chez les Ophthalmosaures du jurassique et du crétacé d'Angleterre ; elles ont disparu, comme chez nos Baleines, chez les Baplanodon, du jurassique supérieur du Wyoming. Les Plésiosauriens sont moins isolés. Ils se relient à des reptiles qui ont des vertèbres biconcaves comme les leurs, pré- sentent une fosse temporale supérieure et des côtes ventrales, LA VIE DURANT L'ÈRE SECONDAIRE 325 dont ïes membres, encore peu différents de ceux des reptiles ter- restres, sont cependant adaptés déjà à la natation; ce sont les NoTHOSAtJRiENS, formes primitives chez qui la corde dorsale s'est conservée au centre des vertèbres. Les Mesosaurus, qui en sont le type initial, sont fossilisés dans les grès triasiques du Karoo au sud de l'Afrique et dans ceux de Sâo Paulo au Brésil ; ils n'avaient que 9 vertèbres au cou, leur longueur ne dépassait pas 3 décimètres ; les Lariosaurus atteignaient un mètre de long; ils avaient conservé des dents palatines; leur cou com- prenait 20 vertèbres et leur queue 40, à la vérité très courtes ; les Nothosaurus grandissaient jusqu'à 3 mètres ; ils avaient au cou 16 vertèbres. D'autres formes se trouvent dans le Mus- chelkalk, près de Magdebourg. Chez les Plésiosauriens, pro- prement dits, qui ont vécu depuis le trias inférieur jusqu'au jurassique, le cou s'allonge davantage ; il peut comprendre de 28 à 40 vertèbres ; il est encore plus long chez les Ela&mosau- riens, où le nombre de ses vertèbres oscille de 35 à 72. En re- vanche, leur queue, est extrêmement courte. Les Élasmosau- riens différaient surtout des Plésiosauriens par des particularités de leurs épaules dont les omoplates se rejoignaient ventralement, au lieu du demeurer écartées comme chez ces derniers. h'Elas- mosaurus du crétacé supérieur du Kansas avait 15 mètres de long dont 7 environ pour le cou. Les Pliosaurus, qui avaient 10 mètres de long et dont on trouve les ossements dans l'argile de Kimmeridje, nageaient sans doute sous l'eau plus habituel- lement que les autres espèces ; les vertèbres de leur cou, au nombre de 20, étaient en effet aplaties comme si elles avaient été comprimées par la résistance de l'eau ; c'étaient d'ailleurs de terribles animaux, armés de dents formidables dont quel- ques-unes atteignaient 3 décimètres de long et qui n'auraient pas trouvé sur les côtes de proies en rapport avec une aussi puissante armature des mâchoires. Les membres de tous ces Plésiosauriens étaient moins modifiés que ceux des Ichthyo- saures. Ils ne comptaient jamais que cinq doigts tandis que ceux 326 VERS LA FORME HUMAIN! des Ichthyosaures par dédoublement de l'un des doigts pou- vaient en avoir six ; le nombre des phalanges était seulement notablement augmenté. L'humérus, le radius et le cubitus, ainsi que les os correspondants du membre postérieur, demeuraient nettement plus allongés que les os du carpe, du tarse et des doigts. Pendant que les Ichthyosaures et les Plésiosaures issus des formes inférieures des reptiles disparaissent des mers du cré- tacé supérieur, d'autres sauriens deviennent à leur tour aqua- tiques et même marins, mais en revêtant de tout autres carac- tères. Ils semblent avoir apparu d'abord dans les mers australes. Leur dentition indique nettement leur parenté avec les Lacer- tiens. Les Plésiosauriens avaient les dents implantées chacune dans un alvéole; celles des Ichthyosauriens étaient alignées dans desgouttières non divisées en alvéoles ; celles des nouveaux rep- tiles aquatiques, les PYTHONOMORPHE&, étaientsimplementsoudées auxv. maxillaires, comme chez de nombreux Lacertlens. Mais la forme de ces dents était variée et a donné au paléontologiste Dollo des indications sur leur régime alimentaire. La puissante dentition des Mosasaums indique qu'ils s'attaquaient, sans doute, sort à des Mosasauriens moins bien armés, soit à des Tor- tues marines. Les dents grêles, recourbées et les faibles mâ- choires des Plioplalecarpus ne leur permettaient guère de s'atta- quer qu'aux mollusques moyens tels que les Bélemnitelles ; les Globidens à dents arrondies et à mâchoires faibles se nourris- saient probablement d'Oursins. Ce ne sont pas là seulement des hypothèses; ces proies ont été parfois fossilisées avec eux (1). Ces animaux existaient déjà dans le crétacé inférieur. En deve- nant aquatiques, leur corps s'allonge comme celui des serpents, les membres gardent les caractères essentiels des membres des reptiles terrestres, seulement ils se rapetissent; leurs os se rac- courcissent et s'aplatissent, et l'ensemble du membre devient ainsi une rame natatoire. Les olus anciens sont les Dolichoaaurus (1) XCIV. LA VIE DURANT L*ERE SECONDAIRE 327 du crétacé inférieur d'Angleterre, qui n'avaient qu'un mètre de long; les deux moitiés de leurs mandibules étaient soudées. Ils avaient sur les vertèbres des apophyses articulaires supplémen- taires comme les serpents. Il en était de même des Acleosaurus de FIstrie, tandis que ces apophyses manquaient aux Pliopla- lecarpus du crétacé supérieur de Hollande. Chez les Mosa- saures, la ressemblance avec les serpents s'accentue par la sub- stitution d'un ligament permettant l'écartement des deux branches de la mâchoire inférieure, à la symphyse qui les unis- sait. Les Mosasaures, dont le nom signifie lézard de la Meuse, pouvaient atteindre de 6 à 7 mètres de long; c'est la longueur ordinaire des Boas et des Pythons. Les Clidaêtes, dont il existe de beaux échantillons complets au musée de Bruxelles, étaient encore plus longs et plus grêles ; on les a trouvés en Europe et dans l'Amérique du Nord sur les cotes du continent Nord- Atlantique par conséquent ; mais les Plmiecarpus et les Liodon avaient une aire de répartition encore plus vaste. On en a recueilli les ossements depuis l'Amérique du Nord et l'Europe jusqu'à la Nouvelle-Zélande. Le Liodon haamuriensis de cette région atteignait 35 mètres de long. En raison de la dilata- bilité de leur mâchoire inférieure et des apophyses articulaires spéciales de leurs vertèbres, on a pensé que les Mosasau- riens étaient les ancêtres des serpents ; mais bien qu'il soit établi par la présence chez les Pythons de deux pattes posté- rieures rudimentaires que les Ophidiens descendent d'animaux pourvus de pattes, et que les pattes disparaissent graduellement chea les Scincoïdiens, des Scinques aux Orvets, en passant par les Seps, on ne peut dire encore comment Tordre des Ophidiens a pris naissance. Les Tortues remontent jusqu'à l'époque triasique où elles sont représentées par les genres Chelyzoon, Arcio&aurus, Psam- mochelys et Progomochelysy qui semblent avoir quelque rapport avec les Rhynchocéphales et les Crocodiliens ; peut-être ont-elles eu, dans l'ère primaire, un ancêtre commun avec les 328 VERS LA FORME KTJKAXNX Théropodes. Hans Gadow à essayé de reconstruire la première Tortue en lui attribuant les caractères les plus généraux et les olus primitifs, en apparence, que l'on constate chez les Tortues fossiles et vivantes actuellement connues. 11 suppose que chez cet animal imaginaire chacun des segments du corps, sauf ceux de la moitié antérieure du cou et de la moitié postérieure de la queue, portait une série trans verse d'os dermiques, recouvert» par des boucliers cornés dont la position et les dimensions relatives se seraient ensuite modifiées en raison du mode de croissance du tronc qui va en se resserrant rapidement au voisi- nage du cou et de la queue. L'ordre de* Chéloniens atteint le maximum de son dévelop- pement ver» la fin de l'ère secondaire ; les types actuels ne sont qu'un reste de ceux qui existaient à cette époque. Il est probable que les formes à pieds palmés, normalement conformés, qui habitent les marécages, sont l'origine des formes terrestres dont le mode de progression ressemble encore à une sorte de nata- tion sur un sol résistant, et que les tortues marines, avec leurs pattes transformées en rames, en dérivent aussi par une modi- fication de la main et du pied analogue à celle que nous avons déjà trouvée chez les Plésiosaures, les Ichthyosaures, et sur la signification de laquelle nous avons précédemment insisté (1). Au moment où s'achève la période secondaire, les prodigieux reptiles dont nous venons de conter l'histoire disparaissent tous, comme ont disparu, dans la mer, les Ammonites. A quoi attri- buer cette extinction générale d'animaux aussi puissants et dont la résistance vitale s'est manifestée par leur extraordinaire lon- gévité? On ne saurait imaginer que les types organiques vieik lissent comme les individus et meurent comme eux. Cette pro- position souvent répétée n'a que la valeur d'une comparaison. Tant qu'il subsiste des représentants aptes à se reproduire et (1) P. 229 et 325. LA VIE DURANT L'ÈRE SECONDAIRE 329 assez nombreux pour se rencontrer, d'une espèce déterminée, cette espèce ne saurait disparaître spontanément, pas plus que le type auquel elle appartient. Il n'est pas, à la vérité, impossible que des modifications du milieu frappent de stérilité tous les indivi- dus d'un même groupe organique, mais il faudrait pour cela que cette modification du milieu fût générale, qu'elle ne laissât échap- per aucune espèce et qu'elle fût assez brusque pour rendre impos- sible toute adaptation. Ces deux suppositions sont également invraisemblable», et nous sommes amenés à conclure que les choses se sont passées comme de nos jours, où les espèces ne disparaissent que lorsqu'elles sont universellement détruites par leurs ennemis ou par quelque fléau, dans la région qu'elles habitent. Nous avons donc à rechercher quels ont pu être les des- tructeurs des plus gigantesques animaux qui aient jamais vécu. Depuis le début de l'ère secondaire se multiplient lentement, discrètement, deux types de vertébrés que nous avons eu à peine l'occasion de signaler, les Oiseaux et les Mammifères. Le plus ancien des oiseaux, V Archœopteryx lilhographica, n'est connu que par deux exemplaires découverts dans le calcaire lithogra- phique de Solenhofen qui appartient à la période oolithique. Les oiseaux ne se retrouvent ensuite que dans la craie où ils sont représentés par les quatre genres Enaliornis d'Angleterre, Hesperornis, Ichthyornis et Apaiornis du Kansas en Amérique. Tous ces oiseaux sont encore fort étranges. L'Archaeoptérvx avait des mâchoires courtes, arrondies au bout, au lieu d'être allongées et pointues, comme le sont ordinairement celles des oi- seauxactuels ; ces mâchoires avaient des dents ; les membresanté- rieurs portaient des pennes, mais les quatre doigts qui les termi- naient étaient libres, munis de griffes, presque normaux; la [}ueue était longue, comme une queue de reptile, composée de 22 vertèbres portant chacune une paire de longues pennes réc- riées; c'était là un appendice fort encombrant pour le vol et, ans aucun doute, si l'on avait rencontré l'Archaeoptéryx démuni le ses plumes, on n'aurait pas manqué de le classer parmi les 830 VERS LA FORME ' HTJMAINK reptiles. LWïgine reptilienne des oiseaux est donc ici nettement indiquée. Les formes crétacées ont pris plus nettement le caractère de ces animaux. Leur bec est bien conformé et leur corps se termine non par une longue queue, mais par un croupion de forme nor- male. Les Enaliornis et les Hesperornis n'avaient pas d'ailes ou n'avaient que des ailes rudimentaires et pas de bréchet; les vertèbres des Enaliornis étaient en grande partie biconcaves comme celles des reptiles primitifs; celles des Hesperornis avaient une face terminale concave, l'autre convexe. Dans ces deux genres les dents étaient placées dans une simple gouttière non cloisonnée en alvéoles, ce qui les a fait classer ensemble sous la désignation d'ODONTOLCJE. Chez les Ichthyornis et les Apalornis les dents étaient implantées dans des alvéoles, accom- pagnées de dents de remplacement (Odontormje) ; les ailes et le bréchet étaient bien développés. Ils est évident que ces oiseaux, malgré leurs dents alvéolées, sont plus primitifs que les Hesperornis qui ont perdu leurs ailes et dont les dents con- tenues dans une simple gouttière des mâchoires sont sur le chemin de la disparition. Ce seul fait indique que les oiseaux à croupion étaient déjà anciens à l'époque crétacée puisqu'ils avaient eu le temps de se modifier, et comme, dès le début de la période tertiaire, on trouve déjà presque tous les types de la période actuelle, il est vraisemblable que ces types s'étaient déjà réalisés pendant la période crétacée, et que c'est par suite d'un de ces hasards, si fréquents en paléontologie, qu'on ne connaît de cette époque que des formes anormales. Auprès des oiseaux, les mammifères, de leur côté, ont évolué. Déjà dans le trias ils sont représentés par les genres Droma- tkerium et Microconodon, Il s'y ajoute, pendant la périodi jurassique, de nombreux marsupiaux à dentition spéciale (1) (1) Les genres tricokodontes : Amphilîsles, Phascolotherium, Triconodon ; les genres tritubercules : Amblolherium, Drgolesles, Amphilherium di jurassique, Pedromdys, DielphopSi Crinolestes du crétacé. LA VTE DTnUTTT T^BE *TÇCO*T>ÀIRB 331 auxquels viennent se joindre, au crétacé, des genres nouveaux et les Plagiaulax pourvus de dents d'un nouveau type. Tous ces êtres ne semblent pas d'abord de grande importance, et ils n'en ont eu qu'une fort médiocre tant qu'il n'y a pas eu de saisons. Mais à la fin de la période crétacée les saisons s'accentuent. Les Oiseaux et les Mammifères ne sont pas touchés par cette modi- fication du climat que nous avons vue agir si profondément sur les Insectes ; leur sang est à une température constante ; ils gardent pendant toute l'année la même activité et, comme les oiseaux couvent leurs œufs, tandis que les mammifères sont vivipares,les jeunes n'ont pas non plus à souffrir des variations de température» Il n'en est pas de même des Reptiles. Tous les reptiles actuels ont une température intérieure qui suit les variations diverses de la température extérieure. Un excès de chaleur, un excès de froid les engourdissent et peuvent les tuer; ils ne prennent aucun soin de leur progéniture qui est plus exposée qu'eux-mêmes aux variations thermiques. Il n'y a aucune raison de penser qu'il en ait été autrement des grands reptiles d'autrefois. L'extrême petitesse de leur cerveau indique que c'étaient des êtres d'une grande stupidité; leur organisation n'était pas plus parfaite que celle des Croco- diles, par exemple, qui furent leurs contemporains; leur sang artériel et leur sang veineux se mélangeaient proba- blement, comme ils le font chex ces derniers; mais eussent- ils été plus parfaits, à cet égard, que cela ne leur aurait pas servi à grand'chose. La température intérieure est, en effet, fonction de l'activité et les stupides reptiles de la période secondaire ne pouvaient mouvoir que difficilement leur corps démesuré. LVautre part, ce qui conserve la chaleur dans le corps des organismes supérieurs, c'est la couche d'air immuable- ment conservée autour du corps par les plumes ou les poils : un lapin rasé meurt rapidement. Les grands reptiles de la période secondaire n'avaient aucun appareil de protection de ce genre, et la chaleur produite dans leur corps par leurs opérations respi- 332 VERS LA FORME HUMAINE ratoires se dissipait, non seulement par la surface du tronc, mais aussi par leur long cou et leur énorme queue. Tant que la tem- pérature extérieure est demeurée peu variable ei chaude, ils n'ont pas eu à souffrir de ces imperfections; les oiseaux et les mammifères n'avaient sur eux aucun avantage. Il n'en a pas été de même lorsque les écarts de température sont devenus plus grands; leur existence a été coupée par des périodes plus ou moins longues de sommeil, au cours desquelles ils se sont trouvés à la merci des animaux à température intérieure constante, mammifères et oiseaux, qui pouvaient garder en tout temps la même activité, et pour qui ils devenaient des proies faciles; ils étaient fatalement destinés à disparaître devant leur nombre croissant. La composition actuelle de la faune des reptiles fournit un argument puissant à cette explication. Tout ce qui était le couronnement de cette classe a disparu; il n'a persisté qu'un petit nombre d'espèces de crocodiles qui se cachent dans les eaux et sont d'ailleurs défendus par une solide cuirasse; des tor- tues qui, enfermées dans leur carapace, sont presque inexpu- gnables ; des lézards bas sur pattes ou des serpents dénués de membres pouvant se dissimuler dans des trous, des interstices de rochers inaccessibles à la plupart des animaux chasseurs ; d'autres doués de moyens spéciaux de protection, comme la couleur verte des Dendrophis ou serpents des arbres, l'aptitude des Caméléons à changer de couleur, ou pourvus d'armes aussi redoutables que perfides, comme le venin des Hélodermes parmi les lézards et surtout celui des serpents. Tout ce qui, parmi les reptiles, ne pouvait se dissimuler ou se défendre par traîtrise a disparu; la classe actuelle n'est composée que des échappés de la lutte pour la vie. Sauf quelques scincoïdiens, tels que les Orvets, plusieurs serpents comme les Vipères et les serpents marins ou Hydro- phis, les reptiles actuels pondent des œufs; les Ichthyosaures, st peut-être les Compsognaihus étaient vivipares, mais on n'a «aucune preuve que ce mode de reproduction, qui consiste LA VIE DURANT L'ÈRE SECONDAIRE 333 simplement dans l'éclosion des œufs ordinaires à l'intérieur des oviductes et qui dépend souvent de conditions extérieures plus ou moins passagères, fût plus répandu autrefois parmi les reptiles que de nos jours. 11 est vrai qu'on n'a pas trouvé non plus jusqu'à présent d'oeufs fossilisés de ces grands animaux qui devaient être cependant, comme les œufs des Crocodiles, protégés par une forte coquille. Quoi qu'il en soit, les jeunes comme les œufs étaient également exposés à la dent des mammifères assez petits et assez alertes pour échapper facilev ment à toute poursuite ou au bec des oiseaux que leurs ailes mettaient hors d'atteinte. Au point de vue cérébral, les mammifères et les oiseaux sont déjà d'ailleurs autrement doués que les brutes colossales de la classe des reptiles. Ils étaient assez rusés pour se sauver à temps, à la moindre menace de leur part. De même que l'en- semble du système nerveux a donné aux Vertébrés la supré- matie sur les autres animaux, le perfectionnement du cerveau va donner aux vertébrés à sang chaud la suprématie sur les vertébrés à température variable. Avec la période tertiaire, l'intelligence qui a déjà construit les instincts des insectes, mais s'est figée dans leur cerveau réduit, va rentrer en scène et s'éle- ver peu à peu jusqu'à ce que, par elle, l'Homme domine le monde. CHÀPrrRE tu LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE La surrectiondes chaînes pyrénéenne, alpine, himalayennet amène peu à peu le Globe à son état actuel. Les saisons s'accentuent. Les zones torride, tempérées, glaciales s'ache- minent vers les limites que nous leur connaissons aujourd'hui, quoique les régions polaires soient toujours favorisées d'un climat tempéré. Les végétaux ont revêtu les formes qui dureront jusqu'à nous. Des protozoaires nouveaux, les Nummulites aux coquilles lenticulaires, arrondies comme nos pièces de monnaie, envahissent les mers en telle quantité qu'on a donné à la première moitié de l'ère tertiaire le nom de période nummu- litique; elles se montrent d'abord dans les Pyrénées, en Istrie, en Egypte, dans des couches où l'on trouve encore quelques survivants des grands reptiles mosasauriens et dino- sauriens tandis qu'on y voit apparaître, pour la première fois, et en abondance, en Patagonie, les plus anciens mammifères placentaires connus. Au début de la Période éogene, qui correspond à la première moitié de l'ère tertiaire, l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord étaient reliées par une bande de terre qui a pu com- prendre l'Ecosse, rirlande, les Cornouailles, la Bretagne, le Plateau Central, la Meseta ibérique, les côtes orientales de l'Amérique du Nord et qui parfois était disloquée en archi- pels. Les communications entre l'Europe et l'Amérique s'in- terrompent de temps en temps, notamment au milieu de la période néogène, pour reprendra momentanément vers la fin LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 335 de cette période, après quoi elles cessent complètement et l'Atlantique Nord se trouve ainsi constitué. Le continent sino-sibérien demeurait isolé; peut-être fut-il la patrie des mammifères à doigts pairs, qui, à plusieurs reprises, se montrèrent brusquement en Europe à l'époque du lutétien et à celle du ludien, car les AnopJoiherium existaient aussi en Asie à ce moment. Le continent africa no-brésilien persistait encore : les Damans et les Oryctéropes, qui sont aujourd'hui localisés dans l'Afrique du Sud, vivaient, en effet, également en cette région de Patagonie où les Carolozittelidés et les Pyrotherium ne sont pas sans analogie avec les précurseurs des Eléphants découverts dans les couches du Fayoum en Egypte. Ce continent embrassait Madagascar, dont la faune présente de curieuses affinités avec celle de l'Amérique du Sud, et son bord septentrional se prolongeait jusqu'aux Antilles comme l'indiquent les ressemblances de la faune de ces île avec la faune méditerranéenne de cette époque. Le continent australo-indo-malgache était en train de se diviser; mais tandis que l'Australie s'isolait définitivement, de sorte que sa faune est demeurée une faune de marsupiaux, l'Inde et Madagascar restaient réunis, ce qui explique la com- munauté des lémuriens à ces deux régions. La Tèthys s'étendait encore entre les continents nord-atlantique et sino-sibérien d'une part, les continents africano-brésilien, indo-malgache et australien d'autre part ; elle coupait en deux, à la hauteur de l'isthme de Panama, le continent américain. Sur l'emplacement actuel de la partie de l'Atlantique qui s'étend de la mer des Antilles aux côtes franco-espagnoles, elle communiquait d'autre part avec la mer située entre l'Europe et le continent nord- atlantique par un canal intermittent qui ébauchait l'Atlantique Nord. Les relations avec l'Amérique du Nord du continent euro- péen, et celles de l'Amérique du Sud avec le continent africain suffisent à expliquer l'invasion simultanée des deux 336 VERS LA FORME HUMAINE Amériques par des mammifères placentaires sans qu'il soi besoin d'avoir recours au problématique continent pacifique En Europe, la mer courrait, mais d'une faible épaisseur d'eau, le bassin de Paris, le bassin de Mayence et son prolongemenl vers le sud, la vallée du Rhin, la région de l'Europe orientait comprise entre la mer du Nord et la Caspienne, et séparait, en longeant le pied oriental de l'Oural, l'Europe de l'Asie. Elle abandonne ces contrées dès le début de l'époque néogène, maii continue à submerger l'Aquitaine et les côtes de Portugal. La région jadis occupée par la Téthys est en grande partie exondée il n'en subsiste que des parties basses que la mer envahit 01 abandonne tour à tour et qui correspondent au sud de l'Espagne à la portion de la Méditerranée qui longe ses côtes jusqu'à h Provence, s'étend sur l'emplacement des Alpes, gagne le bassin de Vienne, la région des Balkans, etc., ne laissant parfois sub- sister que d'étroits chenaux jusqu'au moment où la Méditerranée s'installe d'une manière définitive. Durant la période néogène, le continent européen et U continent sino-sibérien s'unissent pour ne plus se séparer, de sorte que les mammifères d'Asie passent facilement en Europe et c'est même par l'Asie que des immigrations d'animaux afri- cains se produisent dans ce pays. L'Amérique du Nord et l'Asie communiquent encore ensemble par le Spitzberg et le Groen- land, mais un bras de mer sépare l'Europe de ce continent arctique. L'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud sonl séparées; celle-ci cesse désormais d'être unie au continent afri- cain, et Madagascar s'isole de l'Inde et de l'Australie. Le conti- nent pacifique (?) semble avoir disparu sous les eaux. En résu- mant toutes ces données, il se trouve qu'il existe un océan Arc- tique séparé de l'Atlantique par le continent que formaient l'Amérique du Nord, le Spitzberg, le Groenland et qui rejoi- gnait l'Asie, et que l'Atlantique, le Pacifique et l'océan Indien étaient définitivement constitués. Durant la période éogène, les alternatives d'exhaussement e LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 33? d'affaissement du sol laissaient passer des courants venant tantôt des mers arctiques, tantôt des mers tropicales et qui déterminaient sur les côtes un abaissement ou un relèvement plus ou moilis durable de la température dont la moyenne demeurait cependant relativement élevée. La plus ancienne flore connue de cette période (1), celle de Gelinden, contient des saules, des quercinées(2), des renonculacées (3), des laurinées, des célastrinées, des ménispermées, etc., qui rappellent encore la flore crétacée. Un peu plus tard (4) la fontaine pétrifiante de Sézanne incruste les fleurs, les feuilles et les fruits de plantes dont les unes sont aujourd'hui des régions tempérées, les autres des régions tropicales, et plus tard encore, dans l'île de Wight (5), prospère une flore franchement tropicale; le climat s'est donc réchauffé. La flore tropicale se maintient encore plus tard (6) dans les grès à Sabalites, dans la région du Maine et dans le sud de l'Angleterre (7). A la fin de la période ter- tiaire (8), la température moyenne des régions arctiques était encore d'environ 12 degrés, d'après Oswald Heer. Au Spitz- berg, à côté des osmondes, des prêles, des taxodiums, crois- saient des peupliers, des platanes, des noyers, des ormes, des noisetiers, des hamamelis, des aulnes, des magnolias, des til- leuls, des viornes, des catalpas, etc., et il s'y ajoutait au Groenland des saules, des bouleaux, des mijrica, des hêtres, des érables, des houx, des frênes, des aubépines, des pruniers, des nerpruns ou bourdaines, des rhubarbes, des lierres, des cornouillers et même de la vigne. Toutefois le refroidissement relativement à la période crétacée est nettement marqué par l'absence dans ces régions des palmiers qui deviennent moins nombreux en espèces, même en Europe. Bien que ces questions aient été précédemment traitées (p. 32 et 59j à un autre point de vue, il était nécessaire de rap- (1) Thanétien inférieur. — (2) Dryophyllum. — (3) Dewalqaea. — (4) Tha- nétien supérieur. — (5) Lutétieu. — (o; Àuversieu. — (7) Lattorfien. — (8) Néo- gène. 22 338 VEHS LA FORME HUMAINE peler ici ces faits, en les précisant, pour rendre intelligibles les rapports que présentent entre elles les diverses faunes qui vont se succéder. Les Nummulites semblent une transformation d'un genre antérieur de foraminifères, les Operculines encore vivante» près desquelles viennent se placer les Assilines à tours moins embrassants. Les Nummulites sont tellement nombreuses qu'on a pu les utiliser pour déterminer les lignes de rivage des mers, et qu'elles ont fourni, en raison de leur vaste dissémination; le meilleur moyen de suivre, dans tout leur développement, les dépôts du même âge. Les différents types actuels d'Invertébrés sont constitués, et si leurs espèces présentent, comme médailles datant l'âge des diverses couches, un grand intérêt pour les géologues; s'il est souvent possible de suivre leurs transforma- tions dans une série de couches, comme c'est le cas pour certains Cérithes, et d'apporter ainsi à la doctrine de l'évolution un appui supplémentaire qui ne lui est pas, du reste, indispensable çlles n'ont, au point de vue auquel nous nous plaçons ici, qu'une importance secondaire. Nous recherchons, en effet, les causes de la formation des grands types organiques et les lois qui ont déterminé leur évolution ; nous ne saurions entrer dans l'étude des accidents infiniment variés, et d'ailleurs le plus souvent inconnus, qui ont déterminé les caractères des espèces. Parmi les Vertébrés, nous avons vu apparaître, évoluer et aussi souvent disparaître divers types de Poissons, de Batraciens, de Reptiles. A partir du crétacé, jusqu'au mo- ment où ils se montrent presque aussi variés que de nos jours, l'évolution des Oiseaux est enveloppée d'une nuit pro- fonde ; elle a dû être d'ailleurs rapide, car issus d'une branche très spécialisée des Reptiles, ils ne diffèrent entre eux que par des caractères vraiment secondaires. Déjà à la fin de l'ère cré- tacée il y en avait qui avaient perdu leurs ailes et leur bréchet et qui^ plus atteints par cette évolution rétrograde que les oiseaux inaptes au vol de la période actuelle, ne sauraient être considérés comme leurs ancêtres. Cela suffit à rendre fort sus- LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAÎRË pect le caractère naturel de l'ordre des Ratites. C'est cependant le seul où, en raison de l'absence de la faculté de voler qui les caractérise, on ait espéré trouver quelque indication de la forme ancestrale des oiseaux. Malheureusement si la faculté de voler se gagne, elle peut aussi se perdre, et il est souvent dif- ficile de distinguer les formes régressives des formes initiales. Les plus anciens oiseaux tertiaires sont les Gasiornis, les Dia- iryma, les Dasornis, les Remiornis, tous éocènes. Il n'y a aucune raison de placer celui de ces oiseaux qui vivait en France durant l'ère tertiaire, le Gaslornis, en tête de leur arbre généa- logique; quelques naturalistes en font soit une Oie, soit une Outarde de la grandeur des Autruches et incapable de voler. Les autres : les Dialryma du Nouveau-Mexique, les Dasornis de l'argile de Londres, ies Remiornis des environs de Reims, sont très mal connus; on n'a découvert du premier qu'un métatarse, du second que des fragments de crâne, du troisième que des os incomplets. C'est trop peu pour qu'on en puisse tirer quelque conclusion relativement à l'organisation des oiseaux primitifs. Le Dr Ameghino a exhumé des terrains miocènes de Santa-Cruz, en Patagonie, toute une série d'Oiseaux qui ont été groupes par MM. Moreno et Mercerat sous la dénomination de Stéréornithes ; mais ce groupe paraît tout à fait artificiel. Des genres qui le constituent, les Mesembriornis semblent voisins des Nandous qui abondent encore dans l'Amérique du Sud ; les Dry omis étaient des oiseaux de proie apparentés aux Condors; les Dicholophus se rapprochaient du Cariama et les Phoro- rhachos, avec leur énorme crâne, leur mandibule supérieure terminée par un fort crochet et leur mandibule inférieure recourbée en dessus demeurent encore énigmatiques. Peut-être les Autruches se rapprochent-elles plus que tous ces oiseaux fossiles du type initial. Les doigts de leurs ailes sont, en effet, moins éloignés de la forme ordinaire des doigts que ceux de tous les autres oiseaux; et elles présentent une sym- 340 VERS LA FORME HUMAINS physe pubienne, en quoi elles sont en retard sur les Dino- sauriens orthopodes. Mais elles ont perdu trois doigts de leurs pieds, ce qui démontre qu'elles ont subi déjà d'importantes modi- fications; elles vivaient au miocène à Samos. Les Nandous vivaient aussi dès le miocène, mais dans l'Amé- rique du Sud; ils ont comme les Autruches un bassin fermé, toutefois par une soudure des os ischiatiques, tandis que ce sont les pubis qui se soudent chez les Autruches; leurs pieds sont ter- minés par trois doigts ; les doigts de leurs ailes ont déjà la con- formation de ceux des oiseaux aptes au vol, et ils s'éloignent encore des Autruches par la constitution et la position de leur larynx vocal ou syrinx. Il est probable qu'ils n'appartiennent pas à la même série. Le groupe des Casoars est représenté au pliocène par le genre Hypselornis ; ces oiseaux ont des ailes extrêmement réduites, mais le squelette de ces ailes minuscules, avec ses deux doigts soudés, est celui d'oiseaux dégénérés qui ont perdu la faculté de voler. Après ces Ratites, les oiseaux actuels qui présentent les carac- tères les plus primitifs sont les Tinamous de l'Amérique tropi- cale. Ils se distinguent par la soudure de leur vomer avec l'os palatin, déjà indiquée chez PEmeu et l'Aptéryx, l'articulation de leur os carré avec le crâne par un seul condyle, l'absence de soudure des os iliaques et ischiatiques, l'indépendance de toutes les vertèbres caudales, mais ils ne sont pas connus à l'état fos- sile. Au miocène d'ailleurs, tous les types d'Oiseaux sont déjà représentés, comme l'ont montré les belles études d'Alphonse Milne-Edwards sur la faune de Saint-Gérand-le-Puy, dans l'Allier. Rien ne nous éclaire sur leur passé, de sorte que tout l'intérêt se concentre sur les Mammifères dont le merveil- leux et çraduel épanouissement durant la période tertiaire est un des plus beaux chapitres de l'histoire naturelle. Depuis la période triasique, les Mammifères vivaient côte à côte avec les Reptiles, mais durant quatre millions d'années, ils LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRL 341 demeurent modestes, effacés et de petite taille. Comme les oiseaux, Us ne prennent toute leur importance qu'A partir du moment où celle des reptiles s'effondre, mais leurs progrès, au lieu de porter sur le détail, modifient le fond même de leur organisation et sont plus lents que ceux des oiseaux, de sorte que Pou peut suivre pas à pas leur évolution. Il ne faudrait pas croire cependant que cette évolution va se produire de manière qu'on puisse aller directement des formes anciennes aux formes actuelles, chaque genre fossile constituant un anneau d'une chaîne continue par laquelle elles seraient reliées. De nombreuses séries demeurent en dehors de cette chaîne ; elles sont comme les rameaux d'arbres généalogiques indépendants, formant une véritable forêt vue d'en haut; dans laquelle il est extrêmement difficile de reconnaître les arbres, et, sur ces arbres, les branches auxquelles viennent se relier les formes actuelles. Les petites formes qui ont apparu au trias (Trilylodon) se retrouvent avec leurs molaires à tubercules nombreux et leur coracoïde complet sous la forme des Neoplagiaulax, des Poly- mastodon, des Plilodon, des Chirox dans les terrains nummu- litiques du Nouveau-Mexique (1). Les Ornithorhynques et les Échidnés sont leurs représentants actuels : la dent cornée des Ornithorhynques est, en effet, précédée d'une ébauche de dent multituberculée. Confinés à la Nouvelle-Guinée, en Australie (2) et à la Nouvelle-Zélande ou mêmeen Australie seulement (3), ces mammifères sont encore ovipares, et il est probable que les multi- tuberculés l'étaient aussi. Par ce mode de reproduction, par la constitution de leur ceinture scapulaire, comprenant deux clavi- cules soudées en fourchette et, de chaque côté, un coracoïde et un os précoracoïde, comme celle des lézards, par leurs os marsu- piaux, derniers restes des côtes ventrales, ces mammifères, qui constituent la sous-classe des mOnotrèmesou PROTOTHÉRiENS,ne s'é- (1) Da_s la vallée de San Juan (coucTies de Puerco et de Torre'on). <2) Proéchidné et Echidné. — (8) Ornithorhynque. 342 VERS LA FORME HUMAINE Joignaient guère des reptiles que par leurs téguments couvert de poils et très riches en glandes dont quelques-unes étaient déjà lactigènes. Mais, à part les Thériodontes, les Reptiles se sont modifiés surtout dans le sens de la locomotion, gardant leurs dents simples, tranchantes chez les phytophages, pointues chez les carnivores. Les Mammifères, au contraire, ont évolué dans le triple sens de la gestation, de la dentition et de la locomo- tion. De plus, leur tégument flexible, sans cesse humecté, riche en glandes mais aussi en corpuscules sensitifs dont les poils eux- mêmes sont des annexes, a été pour eux la source d'excitations multipliées qui expliquent dans une certaine mesure le dévelop- pement rapide qu'a pris leur appareil cérébral. Au point de vue de la gestation, les mammifères vivipare» actuels présentent deux stades dont l'un est certainement pri- mitif et a conduit à l'autre. Dans le premier les jeunes se développent à l'intérieur du corps de la mère, dans une poche spéciale, la malrice, formée aux dépens des oviductes et qui leur sert uniquement d'abri. Ils sont mis au jour dans un état très peu avancé de développement et aussitôt placés dans une poche extérieure sous-ventrale, le marsupium, qui contient les mamelles auxquelles ils se suspendent immédiatement. Ces mammifères constituent la sous-classe des marsupiaux, didelphes ou métathériens. Ils ont gardé les os suspubiens des mono- trèmes; mais leur épaule s'est singulièrement simplifiée ; elle se réduit aux clavicules et aux omoplates auxquelles s'est soudé, sous forme d'apophyse, tout ce qui reste ducoracoïde atrophié. Les deux clavicules ne sont jamais soudées en fourchette. L'angle postérieur de leur mandibule est retourné en dedans. Les autres mammifères forment la sous-classe des placen- taires, monodelphes ou euthériens. Les enveloppes embryon- naires des jeunes et la matrice de la mère entrent ici en union intime, au moyen de villosités très vasculaires, produites par l'embryon, qui s'enfoncent dans la paroi utérine, pour former LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 343 avec elle le placenta, grâce auquel les matériaux nutritifs du sang de la mère peuvent facilement filtrer dans le sang du fœtus. Les Euthériens n'ont plus d'os marsupiaux et l'angle de leur mandibule n'est jamais infléchi en dedans. Leur placenta peut être discoïde (en forme de gâteau), zonaire (en forme de manchon), en cloche, diffus oxx cotylédonnaire. La même forme de placenta caractérise des ordres entiers. Mais, d'autre part, si l'on veut faire appel à ces formes du pla- centa comme moyen de classification, les Primates viennent se ranger singulièrement auprès des Insectivores et des Rongeurs; les Eléphants et les Damans herbivores voisinent avec les Car- nassiers, les Lémuriens avec les Pachydermes, et l'ordre des Edentés est pulvérisé : les Oryctéropes et les Tatous ont un placenta zonaire comme les Damans; les Fourmiliers un placenta en cloche et les Pangolins un placenta diffus. La région de contact de Pallantoïde et du chorion qui fournit les villosités placentaires est petite chez les Insectivores et touf entière employée à leur formation ; elle est très étendue chez les Pri- mates où les villosités se resserrent sur une partie de sa surface; il y a là une différence, maïs il n'est pas impossible cependant que ces deux dispositions soient issues l'une de l'autre. Pour les autres séries zoologiques, il est vraisemblable que le placenta a été d'abord discoïde, puis est devenu zonaire et enfin diffus et cotylédonnaire. Aux Insectivores à placenta discoïde ont succédé les Carnassiers à placenta zonaire, l'évolution s'est arrêtée là. Les Rongeurs correspondent à l'état initial des végé- tariens ; les Éléphants et les Damans correspondent à la seconde étape; les Pachydermes et les Ruminants à la dernière. A l'appui de cette manière de voir on peut faire remarquer que les jeunes des animaux à placenta discoïde ou zonaire naissent incapables de s'alimenter et de marcher ; et que les herbivores qui ont un placenta diffus ou cotylédonnaire naissent a un état de développement très avancé et capables de marcher et de courir. Ce sont aussi les animaux dont les membres sont 344 VERS LA FORME HUMAINE le plus différenciés. Les Métathériens sont aujourd'hui confinés dans l'Amérique du Sud et l'Australie qui ne furent réunies qu'au temps du continent de Gondwana; il faut donc faire remonter jusque-là leur origine. Mais ils ont été, à un certain moment, cosmopolites. Les Euthériens ont apparu plus tard, probablement en dehors des régions où ont été actuellement refoulés les Métathériens et certainement, en tous cas, de l'Aus- tralie où ces derniers représentaient toute la faune des mammifères avant l'occupation par les Européens. En commun avec les reptiles, les mammifères primitifs avaient des dents uniformes et quatre membres construits de la même façon, terminés chacun par cinq doigts. Placés dans les mêmes conditions d'existence, ils devaient nécessairement évoluer d'une faç^n analogue, si ces conditions ont été pour quelque chose dans leur évolution. Comme le faisaient les Reptiles théropodes de la période triasique, tous les Mammifères mâchent leurs aliments ; leurs dents se sont appropriées de même aux diverses fonctions que cette habitude comporte: elles se sont divisées en dents coupantes ou incisives, dents d'arrachement ou canines et dents broyeuses ou molaires. Seulement les molaires, au lieu de demeurer simples et de se modifier seulement par l'élargissement de leur couronne comme chez presque tous les Théropodes, se sont constituées, comme chez les Cératopsidés, par la soudure de plusieurs dents dont les racines sont généralement demeurées séparées, mais dont les couronnes se sont confondues. On s'est appliqué à déterminer le nombre des dents soudées au moyen des tuber- cules de la couronne et l'on a même formulé cet adage : Tôt numeramus dentés quoi luberculia (1), mais si dans la période de leur développement où elles sont réduites à leur émail, le? dents peuvent se souder par leur couronne, dans les stades ulté- rieurs c'est le nombre des bulbes dentaires et, par conséq uent, des (1) Nous comptons autant de dents que de tubercules. LA VTE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 345 racines demeurées libres qui peut indiquer le nombre des dents soudées. Cette soudure se produit assez souvent d'une manière accidentelle entre les dents simples des Cétacés ; elle est évidente sur les molaires de certains marsupiaux, comme les Thyla- cynes. Toutefois il peut arriver qu'une dent composée puisse paraître n'avoir qu'une seule racine, c'est ce qui a lieu pour l'in- cisive externe, toujours marquée d'une encoche, des Girafes et de l'Okapi. Cette incisive résulte de la soudure dans toute leur étendue de deux dents dont l'une est presque réduite à sa couronne. Il y a donc quelque prudence à apporter dans la numération des dents qui sont entrées dans la constitution d'une molaire, mais le fait de la constitution des molaires par soudure ne saurait être contesté, et il établit une distinction importante entre les reptiles théropodes et les mammifères. Chez les Marsupiaux actuels toutes les molaires n'appa- raissent pas simultanément. Après qu'une première dentition s'est établie, la dernière molaire tombe, est remplacée par une autre derrière laquelle se forment des molaires nouvelles. Chez les placentaires toutes les dents de la -première dentition sont remplacées par d'autres, à la suite des- quelles se forment de nouvelles molaires ; ce sont les molaires proprement dites ; les molaires remplacées sont dites prémo- laires. Les dents se modifiant avec le régime, les Marsupiaux peuvent être divisés, d'après la forme des dents, en ordres cor- respondant exactement aux ordres adoptés pour les Placen- taires, savoir : les crjéophages aux carnassiers, les entomophages aux insectivores, les rhizophages aux rongeurs, les poéphages ou mangeurs de gazon aux herbivores. Cette correspondance n'implique pas que la forme et le nombre des dents, pour chaque groupe de marsupiaux, correspondent exactement à ce qu'on voit chez les placentaires. Chez les Créophages le nombre de» paires d'incisives de la demi-mâchoire supérieure est de quatre ou cinq, il n'est jamais que de trois, au plus, chez les Mammifères ordi- naires; c'est pourquoi Richard Owen a appliqué aux premiers o,£ VERS LA FORME HUMAINE la dénomination de polyprotodontes. En revanche, les Carpo- phages et les Poéphages n'ont qu'une seule paire d'incisives à la mâchoire inférieure et ordinairement trois paires à la supé- rieure; Richard Owen en a fait le groupe des diprotodontes. Entre les marsupiaux et les placentaires l'identité du régime alimentaire a parfois produit, en dehors des ressemblances générales que nous venons de signaler, des ressemblances de détail frappantes. Les Diprotodon, par exemple, qui vivaient au début de la période actuelle en Australie, étaient des animaux delà grosseur d'un rhinocéros, ils avaient presque exactement une dentition de rongeurs. Leur mâchoire supérieure, privée de canines, s'allongeait en bec pour porter deux énormes incisives séparées des molaires par un grand espace vide, et immédiatement en arrière de ces grandes incisives, cachés par elles, ils avaient de petites incisives semblables à celles que Ton voit chez les lapins; seulement, au lieu d'une seule, il y en avait deux, l'une derrière l'autre. Les membres ne subissent que des modifications peu impor- tantes, et dans une direction toute particulière. Les pattes antérieures, servantfréquemment à la préhension, gardent rftun cinq doigts ; mais aux pattes postérieures d'espèces appartenant a des genres nombreux qui se nourrissent d'insectes ou de fruiti le 2e et le 3* doigt sont soudés ensemble et relativement grêles ; cette disposition rappelle celle qu'on observe chez les Martins- pêcheurs, les Calaos et les autres oiseaux syndactyles; elle est due aux mêmes causes. Ces Marsupiaux vivent sur les arbres dont ils ont à saisir les branche», et, pour cela, le doigt le plus long joue le rôle principal ; les autres se serrent contre lui, se soudent et s'atrophient partiellement. Cette disposition est conservée et exagérée chez les Kanguroos sauteurs, dont le doigt médian est énorme, le pouce absent et les autres doigts étonnamment grêles et réunis par des téguments. Rien dans genre de vie actuel des Kanguroos ne justifie cette organisa- tion ; elle s'explique si on considère ces animaux comme des LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 347 cendants des marsupiaux grimpeurs, ce que vient confirmer l'existence de Kanguroos arboricoles, les Dendrolagues. Les Marsupiaux sont d'ailleurs demeurés bien loin des Placentaires, au point de vue de leur rôle général dans la nature. Dès le début de l'époque tertiaire, ceux-ci, doués d'un mode de repro- duction très supérieur à celui des marsupiaux, ont partout pris sur eux l'avantage, se sont multipliés très rapidement, ge sont prêtés aux conditions d'existence les plus variées et, vivant dans la sécurité et l'abondance, ont pu souvent, de géné- ration en génération, hausser leur taille. Ils ont joué tous les rôles que les Reptiles ont remplis pendant l'ère secondaire, sans atteindre, sauf dans l'eau, à leurs dimensions, mais en les dépassant de beaucoup, tant au point de vue de l'agilité que de l'intelligence. Comme les Reptiles, ils sont les uns carnassier^ les autres herbivores. Les carnassiers sont plantigrades ou digitigrades, sans que d'ailleurs les membres présentent de grandes modifications; les herbivores non seulement se hissent1 sur leurs doigts, mais arrivent, ce que n'ont jamais fait les Reptiles, à se dresser sur le bout de leur dernière phalange autour de laquelle l'ongle se développe de manière à former un sabot; ils sont alors onguligrades et constituent l'ordre des ongulés. Comme les Reptiles d'ailleurs, ils s'emparent aussi du domaine de l'air et de celui de l'eau. Nous a von s (p. 320) vu com- ment des mammifères grimpeurs appartenant à tous les ordres avaient acquis des parachutes", ils conduisent aux cHauves- souris qui construisent leurs ailes sur le type des ptérosau- riens de l'époque secondaire, mais avec plus de perfection puisque quatre de leurs doigts, au lieu d'un seul, sont employés à soutenir leur membrane. Il semble même que ce résultat ait été obtenu deux fois, c'est-à-dire par deux types de mammifères différents, car les grandes roussettes frugivores et sans queue des pays chauds sont assez différentes des chauves-souris ordinaires qui sont insectivores et dont la longue queue est englobée dans la membrane alaire. S48 VERS LA FORME HUMAINE Par deux fois aussi, les mammifères placentaires arrivent à conquérir un droit absolu de cité dans les océans, comme, l'ont fait les Ichthyosaures auxquels ils ressemblent, mais qu'ils dépassent aussi dans la perfection de leurs adaptations. Des herbivores arrivent ainsi à constituer l'ordre des Sirénides qui ont conservé la mobilité de leur coude; des carnivores ont cons- titué l'ordre des Cétacés qui n'ont plus de mobile que l'épaule. Dans les deux cas les membres postérieurs ont disparu, la queue étant devenue un puissant moteur. Les Sirénides ont des mamelles pectorales et sortent à demi de l'eau pour allai- ter leurs petits. Par une brusque contraction musculaire, les Cétacés projettent leur lait dans la bouche de leurs jeunes qui ne tettent pas ; leurs mamelles sont inguinales. Peut-être même un troisième type a-t-il présenté cette même adaptation à la vie aquatique. Les Phoques sont des carnassiers d'un type élevé qui ont conservé leurs quatre membres avec une forme moins éloignée de la forme ordinaire des pattes que les palettes natatoires des Sirénides et des Cétacés, copiées sur les rames des Ichthyosaures. Or, à la période éogène, vivait en Europe, dans l'Alabama et à la Nouvelle-Zélande, un énorme mammi fère nageur, le Zeuglodon, qui pouvait, tout comme nos Baleines et nos Cachalots, atteindre 30 mètres de long, était dépourvu de membres postérieurs, avait probablement une queue pointue et non plate comme celle des Cétacés, et des dents molaires à deux racines, rappelant singu- lièrement celles des phoques, alors que chez les Cétacés toutes les dents sont semblables entre elles et n'ont qu'une jeule racine. Nous avons à voir maintenant comment se sont groupées ces formes diverses aux époques successives de l'ère tertiaire. Les lois de modification des membres sont simples et précises. En se bernant à l'aspect extérieur on peut dire que, quel que soit le régime, toutes les séries commencent par des forme? dont le pied repose tout entier sur le sol, qui sont par consé- LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 349 quent plantigrades. Puis le pied se relève peu à peu, de manière que les doigts portent seuls sur le sol ; dans ces condi- tions, les doigts les plus courts arrivent à ne plus toucher terre ; ils sont sans usage et tendent à disparaître; mais cette disparition est plus précoce au membre postérieur qu'au membre antérieur. Celui-ci est souvent utilisé pour divers usages, alors que le membre postérieur est toujours plus spécialisé dans la fonction locomotrice ; c'est le membre pro- pulseur par excellence, et ceci n'est pas particulier aux mam- mifères; si bien que l'on peut formuler cette proposition; Chez les quadrupèdes terrestres, les pattes de derrière, plus spécialement utilisées pour la propulsion, sont plus développées et plus modifiées que les pattes antérieures. C'est, en général, le contraire pour les vertébrés aquatiques: la queue jouant un rôle considérable dans la propulsion, les membres posté- rieurs inutilisés se réduisent (Poissons subbrachiens, Ichthyo- sa ures) ou disparaissent (Sirénides, Cétacés, Sirène lacertine, Anguilles, etc.). Les modifications que subissent les membres chez les Carnassiers sont peu importantes ; les formes plantigrades sont nombreuses et gardent leurs doigts à toutes les pattes ; chez les formes digitigrades, les chiens et les chats n'ont que quatre doigts aux membres postérieurs, cinq aux antérieurs; les Hyènes n'ont plus que quatre doigts à toutes les pattes, et c'est tout. Les choses vont beaucoup plus loin chez les Herbivores. Les doigts des Carnassiers, plus ou moins utilisés pour saisir ou retenir des proies, se terminent par des griffes. Il en est de même chez les Insectivores dont les pieds demeurent penta- dactyles; chez les Rongeurs au contraire le nombre des doigts descend souvent à quatre ou même à trois et la constitution de la patte postérieure tridactyle des Gerboises rappelle par la soudure des métatarsiens la patte des oiseaux. Déjà quelques Rongeurs (Cabiai) ont l'extrémité des doigts revêtue par des ongles qui ressemblent à des sabots. Ils. 350 VERS LA FORME HUMAINS semblent ainsi conduire aux Ongulés qui arrivent à ne marcher que sur l'extrémité de leurs doigts et chez qui les membres atteignent au plus haut degré de réduction de ceux-ci ; l'arran- gement des os du carpe et du tarse subit alors des modifications remarquables. Ces os sont disposés sur deux rangées. Dans le carpe, la première comprend trois os : l'un d'eux, le scaphoïde, s'articule avec le radius, aussi le désigne-t-on également sous le nom de radial ; tandis qu'un autre, le cunéiforme ou pyrami- dal, s'articule avec le cubitus et peut dès lors être appelé cubital; entre les deux s'intercale V intermédiaire ou semi- lunaire. Les os de la seconde rangée se placent exactement au- devant d'eux : le radial supporte le trapèze et le trapézoïde, l'intermédiaire, le grand os, le pyramidal Yanciforme ou os crochu, qui résulte lui-môme de la soudure des 48 et 5e os de cette rangée. Chacun de ces os supporte exclusivement un doigt, sauf l'os crochu qui est double et en supporte deux. De cette façon les os des doigts et ceux du carpe se disposent jusqu'à ceux des bras en séries longitudinales dans lesquelles chaque os ne contracte d'union qu'avec celui qui le précède et celui qui le suit et demeure indépendant latéralement. Cette dis- position sériée des os du carpe n'a pas grand inconvénient et peut même être avantageuse chez des animaux à démarche lourde dont le pied appuie sur le sol toute sa face infé- rieure qui peut ainsi en épouser les irrégularités ; elle expose au contraire à des luxations les animaux à course rapide dont le pied ne pose sur le sol que par l'extrémité des doigts et qui, a chaque bond, retombent brusquement sur cette extrémité. Aussi est-elle déjà modifree, même chez les formes plantigrades les plus anciennes, au membre postérieur. Ici le tibial et l'intermédiaire se soudent pour former Vastra- gale qui s'articule avec le tibia; le fibnlaire ou péroné al, qui suit \h péroné, se développe surtout en arrière et constitue le calcanéum ou os du talon ; un os spécial, le naviculaise, représente l'os central des Batraciens, et un os indépendant, le LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 35 1 pisi forme, est le reste peut-être d'un sixième doigt demeuré toujours rudimentaire. Au-devant de ces os de la première rangée se disposent les cinq os de la deuxième rangée dont trois, les cunéiformes, demeurent indépendants et deux se soudent pour former le cuboïde. A partir de ces derniers seulement la sériation apparaît, chaque cunéiforme portant un doigt et le cuboïde deux. Mais cette sériation demeure caractéristique d'un groupe de mammifères; qui n'a pas dépassé la période éocène ei pour qui a été constitué par Cope l'ordre de Condylarthres. Ses principaux représentants sont des ani- maux exclusivement ou principalement américains : les Peri- ptychus encore plantigrades et les Phenacodus à demi digiti- grades, de la taille d'un gros mouton. Elle se modifie déjà chez les grands Ongulés tous éocènes, encore à demi plantigrades et conséquemment toujours pourvus de leurs cinq doigts, réunis par Cope sous le nom d'AMBLYPODEs. Chez eux les os de la seconde rangée du carpe chevauchaient légèrement sur ceux de la première, et les métacarpiens alternaient régulièrement avec eux, de manière à s'appuyer sur deux d'entre eux dont ils maintenaient l'union. Dans cet ordre, qui s'est épanoui surtout dans l'Amérique du Nord, viennent se ranger les Pantolambda, les Coryphodon, les Loxolophodon dont le crâne avait plus d'un mètre de long, les Dinoceras de la taille d'un hippopotame, armés puissamment, comme les précédents, de cornes et de canines dont il sera question plus loin. Les pieds courts demeurent tous de quatre à cinq doigts qui portent également sur le sol chez les Mœrithe- rium, Palœomaslodon, divers précurseurs des Éléphants et les Eléphants eux-mêmes qu'on a réunis dans un ordre des Barypodes, où la dentition subit une réduction considérable. On assiste enfin à une diminution graduelle du nombre des doigts, coïncidant avec des modifications importantes de la dentition chez de lourds animaux à tarse et à carpe sériés, comme ceux des Condylarthres que Burmeister a réunis dans 352 VERS LA FORME HUMAIN! l'ordre des Toxodontes. Les Homalodonlherium et Prototypo- theriurn sont encore pentadactyles ; il n'y a plus que quatre doigts aux pattes postérieures des Typotherium ; la réduction gagne les membres antérieurs chez les Toxodon. Enfin chez les Damans, de la grandeur d'un lapin, qui représentent tout cet ordre de nos jours, il n'y a plus que trois doigts en arrière et quatre en avant. Nous arrivons ainsi aux ordres où le redressement du pied étant parvenu au maximum, l'animal ne laisse reposer sur le sol que l'extrémité des doigts les plus longs. Si le troisième doigt dépasse suffisamment les autres, il sup- porte seul le poids du corps ; on appelle Périssodactyles les Ongulés qui sont dans ce cas. Si le troisième et le quatrième doigts sont presque égaux, ils se partagent le travail de susten- tation ; ils arrivent à se ressembler presque absolument; le pied prend alors la forme fourchue qui caractérise les Artiodactyles. Dans les deux cas les doigts latéraux tendent à disparaître par défaut d'usage, et on peut suivre toutes les étapes de leur régression. Dans l'ordre des Périssodactyles, où le pied arrive à se réduire à un seul doigt chez les. Chevaux, la réduction et la disparition des doigts ne s'est produite qu'après que les os du carpe et du tarse ont continué à se déplacer pour se soutenir mutuellement, en s'empilant et s'articulant les uns sur les autres ; ils peuvent se souder entre eux, mais ne disparaissent pas. Il n'en est pas de même chez les Artiodactyles : la réduction s'est produite dans une première série de formes, alors que les carpes et les tarses étaient encore sériés; les os du carpe et du tarse qui leur correspondaient se sont réduits ou ont disparu comme eux : les pieds et les mains ont gardé toute leur fragilité. C'est ce que Woldemar Kowalevsky, frère du célèbre embryogéniste, a appelé la réduction inadaplalive. Les Artiodactyles qui l'ont subie ont tous disparu dès la période miocène: c'étaient les Dichobune et les Hyopotamus pourvus de quatre doigts ; les Anoplolherium, animaux aquatiques, qui n'en avaient que deux aux membres antérieurs, LA VIE DORANT LA PERIODE TERTIAIRE 353 avec un troisième très réduit aux membres postérieurs ; les X.phodon, plus sveltes que uos Gazelles, qui n'eu avaient plus que deux à toutes les pattes et dont les molaires avaient, une première fois, pris l'aspect de celles des Ruminants, bien qu'on ne puisse considérer les Xiphodon comme leurs ancêtres C'étaient aussi les Anlhracolhermm, les Chœropolamus, les Hyolhermm apparentés à la fois aux Sangliers et aux Pécaris et surtout les Enlelodon, de la taille d'un Rhinocéros. Chez les «ormes qui ont persisté et qui ont conduit d'une part aux Porcins, d'autre part aux Ruminants, les têtes des troisième et quatrième métacarpiens se sont élargies comme si elles s'étaient écrasées sous le poids de l'animal ; elles ont empiété sur les os carpiens qui soutiennent les doigts latéraux, et ont ainsi ai sure la conservation de ceux-ci. Quand la réduction du nombre de doigts n'a commencé qu'après cette modification, W. Kowa levsky l'appelle adaptative. C'est celleque présentent les Hippo- potames, les Sangliers, les Pécaris et les autres Porcins actuels Chez ces animaux les métacarpiens et les métatarsiens ne sont jamais soudés. Ils ne le sont pas non plus chez les Ruminants primitifs. La série derniers commence avec les Oreodon, issus vraisemblablement de Condylarthres vo.sros des Pantolesles et qui ont encore, avec une dentition complète, cinq doigts aux pattes de | . quatre aux pattes de derrière; le pouce est déjà petit les quatre doigts per- sistants sont égaux entre eux. Les Oreodon sont apparentés de très près aux ancêtres des Camélidés lont les premiers repré- sentants sont les Leptolragulus de l'Kocène de l'Amérique du Nord, qui ont encore quatre doigts, aux membres antérieurs et des métatarsiens latéraux sans doigts aux membres posté- rieurs. Les Pœhrolherium de l'Oligocène américain n'ont plus que deux doigts et deux métacarpiens rudimentaires aux mem- bres antérieurs. Les métacarpiens et les métatarsiens se soudent en un seul os, le canon chez les Prololabis du Miocène et les Procame/us. Cette même soudure a été réalisée dans une 23 354 VERS LA FORME HUMAIN» autre série de Ruminants tout à fait indépendante. Dans ses formes initiales il existe, à chaque pied, quatre doigts complets, mais dont deux seulement touchent le sol ; il n'y a pas de soudure des métacarpiens chez les Dorcatherium et les Hyperlragalus qui sont miocènes. Cette soudure s'accomplit chez les Gelocus, également miocènes, pour les métatarsiens, et chez les Hyœmoschus qui vivent encore dans l'Afrique occi- dentale ; elle est complète chez les Tragulus qui sont pliocènes Chez tous les autres Ruminants les métacarpiens et les méta- tarsiens sont respectivement soudés en un canon. Il existe encore deux doigts latéraux chez les Cervidés et les Ovidés. Mais leurs métacarpiens et leurs métatarsiens sont plus ou moins incomplets, réduits souvent à de simples stylets ; il n'y a plus aucune trace des doigts latéraux chez les Bovidés. Ils font également défaut chez les Girafes, les Sivalherium. les Samotherium, du Miocène de Samos, les Helladotherium les Okapis, bien que ces formes soient, au point de vue des cornes, moinfc évoluées que les Cervidés. Les pattes sont alors entièrement consolidées, et ne contiennent plus rien d'inu- tile. Si l'animal n'avait pas, au préalable, immobilisé ou à peu près, par un acte volontaire transformé en habitude, ses méta- carpiens et ses métatarsiens, leur soudure elle-même, preuve de l'immobilisation des os du carpe et du tarse, n'aurait pu se produire. La part de son intervention dans les modifications de son organisme apparaît Ici nettement. Les Périssodactyles présentent des réductions des doigts parallèles à celle des Artiodactyles ; ils ont pour ancêtres com- muns les Phenacodus à cinq doigts, avec carpes et tarses sériés. Cette sériation se conserve chez les Titanothérji dés de F Amé- rique du Nord (Lambdolheriam, Palœosyops; Diplacodon de l'Éocène) qui, avec les Tilanolherium, atteignent, au miocène, la taille de l'Éléphant; ces animaux avaient quatre doigts aux pieds de devant, trois aux pieds de derrière et portaient au-desj sus du nez une paire de volumineuses protubérances soutenant1 LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 355 sans doute des cornes analogues à celle des rhinocéros. Les Macrauchenia et les Protérothériidés n'avaient plus que trois doigts à tous les pieds ; ils habitaient l'Amérique du Sud et constituaient une série qui fait suite immédiatement aux Con- dylarthres. Dans une autre série les os du carpe et du tarse ces- sent d'être sériés. Cette série commence à l'Eocène avec les Hyracolherium, de la taille d'un Renard, qui apparaissent en Amérique et y deviennent les Pachynolophus et les Propalœo- therium représentés, en Amérique, par les Orohippus, les Eohippus de Wasatsch et les Epiphippus de l'Uriste en Amé- rique, qui ont quatre doigts en avant, trois en arrière. C'est aussi le nombre des doigts des Lophiodontidés d'Europe et de l'Eocène américain (Lophiodon, Heptodon, Helaleles), des Tapiridés qui en diffèrent par les caractères de leurs molaires (Syslemodon, Hyrachyus et Tapiravus d'Amérique, Prola- pirus et Tapirus d'Europe). Mais déjà les quatre pieds ne pos sèdent plus chacun que trois doigts, tous appuyant sur le sol chez les Palœoiherium et Paloplolherium de l'Eocène d'Europe, dont plusieurs espèces ont laissé leurs restes dans le gypse de Montmartre. Ces animaux avaient l'allure des Lamas ; leur radius et leur péroné étaient complets et ils avaient un rudi- ment du cinquième métatarsien. De même les Rhinocéros, qui sont arrivés jusqu'à nous, ont débuté dans l'Eocène de Wyoming et de l'Uinta avec le genre Amynodon, et ont, sauf quelques exceptions (Acerotherium, Diceraiherium), tous les pieds tridactyles. La réduction des doigts continue dans la séries des Equidés dont les molaires sont marquées d'une crête médiane longitu- dinale. Les trois doigts sont encore presque égaux et touchent le sol chez les Mesohippus de l'Oligocène américain, dont le péroné commence à se réduire. Le doigt médian devient tout à fait proéminent chez les Miohippus américains qui émigrent en Europe au Miocène , où ils constituent le genre Anchilhe- rium, du Miocène moyen de France et d'Allemagne. Cette pré- 356 VERS LA FORME HUMAINE dominance s'accentue, et les doigts latéraux cessent de toucher le sol chez les Merychippus et les Hippolherium américains, ainsi que chez YHipparion européen du miocène supérieur. Enfin il ne reste plus qu'un seul doigt fonctionnel chez les Protohippus' et Pliohippus. Ces derniers gagnent l'Amérique du Sud où ils donnent naissance aux Hippidium et aux vrais Chevaux qui se répandent peu à peu dans les Deux-Mondes tandis qu'ils s'éteignent dans l'Amérique du Sud. Chez tous ces animaux, le pied ne pouvant plus éprouver aucun mouvement de rotation par rapport à la jambe, les muscles qui s'attachent au péroné et qui déterminent ces mou- vements de rotation n'ont plus d'usage ; ils s'atrophient, comme le prévoit la doctrine de Lamarck, et entraînent l'atrophie graduelle du péroné auquel ils se fixaient. Pour une raison semblable, au membre antérieur, le radius, qui correspond au péroné, se soude entièrement avec le cubitus. En résumé, les mêmes tendances se retrouvent dans l'évolu- tion des membres chez les Mammifères et les Reptiles : dans les deux classes l'animal terrestre arrive à pénétrer dans les autres milieux offerts à son activité : l'eau d'où ses aucêtres sont cependant sortis, l'air d'où son poids semblait devoir l'ex- clure, et il parvint à s'y mouvoir par des procédés très analogues. Sur la terre, son évolution, à part quelques adaptations spéciales, celle à la vie souterraine ou celle à la vie arboricole, par exem- ple, est dominée par deux soucis, celui de voir au plus loin et celui de courir le plus vite possible, qui le font se dresser sur ses membres. Dans les deux cas, l'intervention de la volonté de l'animal, en vue d'atteindre un but déterminé, est évidente. Les modifications qui en résultent ne sont pas liées à un régime alimentaire étroitement déterminé; les modifications des dents ne suivent donc pas strictement celles des membres. Les plus anciens Mammifères placentaires avaient ce qu'on appelle une dentition complète, soit 44 dents, 11 à chaque demi-mâchoire, savoir : 3 incisives, 1 canine, 4 prémolaires, LA VIE PURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 357 3 molaires. Cette dentition se retrouvera au début des séries des Herbivores, des Insectivores, des Carnassiers; elle subira des réductions, mais jamais de multiplication, sauf quand les éléments des molaires se dissocieront, comme chez les Cétacés. On doit donc la considérer comme la dentition primitive des Mammifères placentaires, et sa généralité conduit à penser que tous ces animaux descendent d'un même type initial qui exis- tait déjà probablement au cours de la période crétacée, mais n'a pas été retrouvé. Les incisives et les canines, les premières à bord tranchant, les secondes pointues, n'ont qu'une racine et s'éloignent peu de la forme des dents des Reptiles. Ce sont des dents qui coupent ou arrachent, excitent vivement dans ces actions le germe qui les a produites et le maintiennent en activité ; leur croissance arrive ainsi à être continue, notamment chez les animaux qui s'attaquent à des substances dures telles que le bois. Ce phénomène s'est déjà réalisé une première fois chez les Diprolodon (p. 346) qui sont des Marsupiaux; il se renou- velle à l'époque éocène chez les Tillondontes, chez qui la première et la seconde incisive (Psiilacoiherium), ou la seconde seulement (Estonyx , Tillotherium), ou même la troi- sième (Stylinodon), prennent un grand développement ; les autres se rapetissent toujours beaucoup ou même dispa- raissent (Tillolherium). Chez les Rongeurs, la deuxième incisive est fort développée, la première et la troisième s'atté- nuent ou disparaissent; chez les Lièvres, les Lapins et les formes analogues, la mâchoire supérieure de chaque côté présente deux incisives, l'une -grande, l'autre petite, situées Tune derrière l'autre; cette petite incisive disparaît chez les autres Rongeurs. Les Toxodontes ont aussi des incisives très inégalement développées (Nesodon) ou même réduites à deux paires (Toxodon). Le même fait se produit dans la série qui conduit aux Proboscidiens, qui, outre une trompe, possèdent d'énormes incisives constituant des défenses. 358 VERS LA FORME HUMAINE (ci, grâce aux découvertes faites eu Egypte, dans la région du Fayoum, il y a une vingtaine «Tannées, on peut suivre pas à pas cette transformation, préciser les causes qui l'ont déter- minée et ont amené, par contre-coup, le développement de la trompe. Dans cette région, vers le milieu de la période éocène, vivait le Mœrilherium, de la grandeur d'un Tapir, dont la deuxième paire d'incisives prenait à chaque mâchoire un développement considérable; les grandes incisives de Tune des mâchoires s'appuyaient par leur extrémité sur celles de l'autre, et cette pression réciproque tendait à les ramener dans le prolongement des mâchoires. Les autres incisives et les canines supérieures étaient rudimentaires ; elles avaient déjà disparu de la mâchoire inférieure. Le Mœriiherium avait soit une longue lèvre supérieure mobile comme celle des Rhinocéros, soit une courte trompe comme celle des Tapirs. Un peu plus tard, vivaient dans la même région les Palœo- mastodon; ils n'avaient plus que deux incisives énormes à chaque mâchoire et pas de canines ; chez les Palœomaslodon les incisives inférieures, devenues presque horizontales, ne s'usaient plus à leur extrémité et s'allongeaient par consé- quent beaucoup; les incisives supérieures tendaient nettement à leur devenir parallèles ; un pas de plus et on arrive aux quatre grandes incisives horizontales, deux supérieures, deux infé- rieures, des Tetrabelodon et des Mastodontes. Tous ces ani- maux avaient une trompe; celle des Mastodontes reposait sur les défenses, et par conséquent, ne pouvait pas s'enrouler autour des objets comme celle des Éléphants; elle ne saisissait que par son doigt terminal. Dès lors on se rend compte du mé- canisme qui a présidé à la formation de ce singulier appendice. C'était d'abord une simple lèvre mobile et préhensile comme celle des Rhinocéros. A mesure que les incisives s'allongeaient, les efforts de l'animal pour continuer à saisir sa nourriture au delà de leur extrémité, à l'aide de sa lèvre supérieure, devaient amener une éiongation graduelle de celle-ci, qui, LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTÏATRtt 359 «'allongeant toujours au delà des incisives transformées en défenses, est devenue énorme et a constitué la trompe des Mastodontes, préhensile seulement par son extrémité ; de ceux-ci,_par la disparition des incisives supérieures, ont dérivé les immenses Dinolherium, et par la disparition des incisives inférieures les Éléphants. Chez les Dinolherium les défenses inférieures, d'abord refoulées vers le bas par les supérieures, ont fini par pousser verticalement, l'animal s'en servant commes de pioches. Chez les Éléphants les incisives supé- rieures se sont écartées, laissant entre elles un espace vide. Dans les deux cas, la trompe, devenue libre, a pu se dresser ou s'abattre, à la volonté de l'animal, et servir aux usages les* plus variés. Les animaux que nous venons d'énumérer compensent l'énorme développement des incisives par la perte des canines. Ce sont, au contraire, les canines qui deviennent énormes à la mâchoire supérieure des Dinocératidés. Elles sont très longues et aplaties en lame d'épée chez les Dinoceras, recourbées en demi-cercle chez les Loxolophodon. Ce grand développement des canines supérieures a pour contre-partie la disparition des incisives de la même mâchoire. On pourrait rapprocher ce fait de la disparition des incisives supérieures chez les Che- vrotains où le mâle est muni d'une paire de canines énormes tandis que les incisives disparaissent, et de la sorte la dispari- tion des incisives à la mâchoire supérieure rentrerait dans la règle. Une fois cette disparition réalisée chez les Chevrotains, elle aurait été conservée, par hérédité, chez les autres Rumi- nants, tels que les Cervidés dont les mâles conservent encore une canine. Employées à la trituration des aliments, les molaires se mo- difient naturellement avec l'nsage qu'en fait l'animal, et ar- rivent à être plus étroitement adaptées à la consistance des aliments que les incisives et les canines. Leur nombre primitif qui est de sept: quatre prémolaires et trois molaires, peut se 360 VERS LA FORME HDMAINK réduire, maïs elles ne disparaissent jamais chez les animaux qui mâchent leurs aliments. Issues de la soudure de plusieurs dents telles que les dents simplement préhensiles des Reptiles, elles ont naturellement au début une couronne à surface large et mamelonnée, d'autar is que cette couronne elle-même peut déjà présenter chez les Reptiles certaines complications de surface, comme on Ta vu chez les Thériodontes. Les ma- melons ou tubercules de leur surface peuvent se rejoindre de manière à former iines transversales par rapport à la direction de la mâch Vlastodv apirs, etc.), ou des crêtes longitudinales (Carnassiers). Ce résultat acquis, on peut, dans une première approximation, réunir tous les faits essentiels dans une ton ie que celle-ci : Les modifications subies par les dents, à mesure que les générations se succèdent, se produisent comme si les adulles transmettaient à leurs descendants les formes qu'elles ont acquises, au cours de leur existence, par l'usure et par l'usage. A mesure qu'un Mammifère adopte un régime de plus en plus carnassier, les molaires de la mâchoire inférieure se croisent avec celles de ia mâchoire supérieure comme les lames d'une paire de ciseaux et deviennent tranchantes par l'amincissement du bord s apérieur de leur couronne. On passe ainsi des molaires tuberculeuses des Ours à celles uniquement tranchantes des Chats. Au contraire, chez les Mammifères se nourrissant d'aliments d'origine végétale et qui sont généra- lement durs, les coure :. des molaires des deux mâchoires «'opposant l'une à l'autre s'aplanissent et présentent une ÎArge surface broyeuse, parcourue des rubans d'émail. C'est ainsi que les m \ à collines transversales saillantes des Mastodontes deviennent chez les Éléphants des dents à cou- ronne plate, sur laquelle l'émail se dispose eu losanges (Loxo- don ou Eléphant d'Afrique) ou en ellipses aplaties (Elephas ou Éléphant d'Asie). De même les dents à tubercules saillants LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 361 des Palœotherium et des Anchilheriu m sont remplacées par les dents à surface plane des Chevaux où des rubans d'émail à con- tour, en apparence capricieux, dessinent la base des tubercules primitifs. Les dents tuberculées des Rhinocéros aplatissent leur couronne, tandis que leur fût s'allonge, et deviennent ainsi, comme l'a fait remarquer M. Boule, les dents planes à fût allongé des Elasmotherium, Chez les Rongeurs, on observe tous les passages entre les dents mamelonnées des Marmottes et les dents disposées en râpe plane des Cabiais, des Castors, des Loirs, etc. Les Mammifères omnivores à pied fourchu, dont nos Sangliers sont le type, ont gardé les dents mamelon- nées des Anihracotherium, et Woldemar Kowalevsky a créé pour eux le sous-ordre des Bunodontes; ces dents sont rempla- cées chez les formes herbivores qu'il a appelées Sélénodontes, par des dents à couronne plate, formée de croissants juxtaposés qui représentent les bases des mamelons usés des Bunodontes. Mais comme le propre de l'usure est de faire disparaître l'émail de la surface des dents et que l'émail se produit ici comme d'habitude, il est évident qu'il ne saurait être question d'un héri- tage réei de l'usure. En réalité, suivant l'emploi que fait l'ani- mal de ses dents en voie de croissance, le germe dentaire prend une forme dépendant des pressions qui lui sont transmises. Des dents supérieures et inférieures qui appuient constam- ment l'une sur l'autre doivent amener un aplatissement de la surface du germe qui aura pour résultat de lui faire produire une dent plate, simulant une dent usée, avec des tubercules réduits à leur base, simulant, eux aussi, des tubercules usés, et il en est de même dans le cas des compressions latérales des Carnassiers. L'influence du développement croissant de certaines dents sur leurs voisines, déjà signalée à propos des incisives et des canines, se retrouve pour les molaires chez les Carnassiers. Ici les molaires qui travaillent le plus sont celles qui sont situées au voisinage de l'insertion sur les mâchoires des muscles mas- ticateurs. Elles grandissent, deviennent tranchantes, si bien 36"J VERS LÀ FORME ftTTMÀÏNE qu'elles ont mérité d'être distinguées sous le nom de carnassfêres; elles sont déjà nettement caractérisées chez les Chiens dont quelques-uns ont encore quarante-quatre dents. On voit alors les autres molaires décroître aussi bien en avant qu'en arrière, i partir de la carnassière, et disparaître une à une à mesure qu'on passe des Carnassiers de la famille des Chiens, à ceux qui sont apparentés aux Civettes, aux Martres et aux Chats ; leur nombre tombe ainsi de sept à deux (Machœrodus). La réduction du nombre des dents reconnaît cependant d'autres causes que l'excès de croissance de certaines d'entre elles. Les Ruminants parmi les herbivores en sont un premier exemple. Ces animaux, on l'a vu, paraissent issus des Oreodon de la période oligocène, qui ont déjà des molaires de Rumi- nants, mais cinq doigts dont un très petit aux pattes antérieures et quatre aux postérieures ; ils descendent vraisemblablement des Condylarthres (Pantolesles), et sont suivis des Cœnolherium dont la dentition est encore complète, mais où il ise produit entre les incisives et les molaires un espace vide, une barre ou diastème, dans laquelle la canine occupe une position variable. Chez leurs successeurs la mâchoire inférieure conserve, malgré cette barre, sa dentition complète; seulement la canine va se placer tout contre les incisives dont elle prend la forme, et la première prémolaire, à racine très réduite, va se souder à elle, ce qui la fait paraître échancrée sur sa tranche chez les Gira- fidés (Girafe, Okapi) ; il semble ainsi qu'il n'y ait que six molaires en tout et c'est le nombre qui persiste chez les autres Ruminants. Les choses sont plus compliquées à la mâchoire supérieure. La dentition était encore probablement complète chez les Leptotragulus et les Proëbrolheriam de l'éocène nord-américain ; mais chez les Chameaux, les incisives médianes disparaissent; les latérales, les canines e* les premières prémo- laires, très espacées, prennent la forme de crochets pointus et recourbés; il n'y a plus que deux prémolaires à la mâchoire supérieure, une à l'inférieure, et une seule partout chez les LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 363 Halomeniscus et Eschalius. Chez les autres Ruminants : il n'y a plus ni incisive ni canine à la mâchoire supérieure chez les Ruminants pourvus de cornes creuses. On peut se demander pourquoi les incisives des Ruminants ont disparu tandis qu'elles ont persisté chez les Chevaux qui cependant broutent l'herbe comme eux. Aristote avait déjà remarqué, et Cuvier après lui, que les Ruminants pourvus de cornes manquent de canines, mais tous deux se servaient de cette coïncidence comme d'argument en faveur du finalisme, les animaux qui peuvent se défendre avec leurs dents n'ayant pas besoin de cornes et réciproquement ; d'ailleurs la corrélation remarquée par Aris- tote n'est pas rigoureusement exacte, et ce n'est pas une expli- cation. Le crlcaire employé pour la formation de la partie osseuse des cornes serait-il prélevé au détriment des dents ? Les Triceratops, les seuls Reptiles qui aient eu de véritables cornes, sont dépourvus de dents sur le devant des mâchoires trans- formées en une sorte de bec ; outre leurs énormes canines, les Dinoceras, dépourvus d'incisives supérieures, étaient armés de trois paires de cornes analogues à celles des Rhinocéros dont les incisives supérieures ont de même disparu ; elles sont éga- lement très petites ou manquent chez les Tilanolheriumy les plus cornus des Périssodactyles ; mais la réduction des dents commence dans leur série avec l'appparition des cornes. Les canines sont déjà très faibles chez les Hyracodon de l'Oligo- cène de White-River ; elles disparaissent à la mâchoire supé- rieure, chez les premiers Rhinocéros ; ils sont sans corne (Ace- ratherium), et n'ont plus que deux paires d'incisives à la mâchoire supérieure, et une seule paire à la mâchoire infé- rieure. Ils passent sur l'ancien continent, arrivent dans FInde au Miocène supérieur et disparaissent au Pliocène. A cette épo- que les Rhinocéros d'Amérique (Diceratherium) ont acquis des cornes symétriques ; les Rhinocéros vrais en ont une seule médiane ou deux placées l'une derrière l'autre ; ils existent déjà en Europe au Miocène moyen (Sansans), où leurs formes les plus 364 TER3 LÀ FORME HUMÀimi modifiées n'ont plus nî incisives, ni canines; c'est le cas des Rhinocéros {Atelodus) d'Afrique, du Rhinocéros de Pikermi (Atelodus pachygnalhus W), du Rhinocéros (Calodonlà) licho- rhinus contemporain de l'homme. Les molaires elles-mêmes se réduisent à cinq, à ruban d'émail extraordinairement plissé chez le gigantesque Elosmolherium de Sibérie dont le crâne avait 1 mètre de long, et portait sur le front une énorme corne. De tout ce qui précède, il résulte que pas plus dans la lignée des Rhinocéros que dans celle des Ruminants, on ne peut affirmer que la réduction dans le nombre et les dimensions des dents présentée surtout à la mâchoire supérieure soit causée par l'évolution des cornes ; toutefois il y a là une coïncidence assez grande pour qu'on soit en droit de se demander s'il n'y a pas entre ces deux phénomènes une relation profonde, liée à une concurrence dans l'emploi du calcaire que les dents et les cornes sont bien obligées, en définitive, de puiser à la môme source. Les plus anciens Ruminants à cornes datent de l'époque oligo- cène, et ils en sont, dès cette époque, abondamment pourvus. Ce sont les Proloceras de White-River, en Amérique. Ils avaient encore quatre doigts bien développés en avant, deux seulement et des stylets latéraux en arrière; de grandes canines et dix paires de cornes chez le mâle, réduites à deux chez la femelle; les incisives supérieures faisaient défaut. Viennent ensuite, au miocène, les Procervulus dont les cornes ne sont pas caduques et sont d'ordinaire simplement bifurquées ; dans la même période elles acquièrent un cercle de pierrures sépa- rant une partie caduque, bifurquée, d'un long pédoncule persis- tant chez les Dicrocerus du miocène moyen ; au miocène supé- rieur le pédoncule se raccourcit et presque toute la corne devient caduque chez les Cervalus actuellement encore vivants dans l'Inde. On arrive ainsi aux Chevreuils qui datent du Miocène supérieur. Les Girafidés (Ifelladofherium, Sivaihe- LA VIJS OURaNT LA PÉRIQOE TERTIAIRE 365 riam) apparaissent en même temps. A ce moment aussi les Antilopes, où un étui corné recouvre un axe osseux, creusé de grandes lacunes, se détachent des Cerfs et ouvrent la série des Ruminants à cornes creuses, chez qui les canines ont disparu; de là l'idée aristotélique d'une sorte de balancement, comme aurait dit Geoffroy Saint-Hilaire, entre les organes de défense. L' Arsinoëiherium du Fayoura dont il sera question plus loin constitue la plus grave objection contre cette conception. Il est assez difficile d'expliquer comment les dents ont pu se simplifier et disparaître chez les animaux qui ont été réunis dans la classe des Edentés. Leur cas n'est pas isolé. Les Orni- thorhynques et les Echidnés ont remplacé par des dents cornées ou totalement perdu les dents multituberculées que possédaient leurs ancêtres de la période secondaire ; les dents des Sirénides et des Cétacés se sont, comme celles des Edentés, simplifiées, multipliées, puis complètement atrophiées. Il y a donc là un pro- blème d'ordre général à résoudre. Dans l'Éocène de Patagonie, Ameghino a découvert des Mammifères fossiles dont les molaires s'étaient simplifiées et étaient devenues toutes cylindriques, mais qui avaient encore des canines et des incisives au complet. Les Lestodon et les Megalonyx de la même époque avaient encore une canine. On peut les considérer comme les ancêtres des Paresseux actuels qui vivent sur les arbres et se nourrissent exclusivement de feuilles que le moindre effort suffit à arracher, et qu'il n'y a plus qu'à mâcher ; le défaut d'usage peut donc être invoqué ici. Malgré leur énorme taille, qui atteignait celle cfun Rhinocéros, les gigantesques Megalherium avaient des traits nombreux de parenté avec les Paresseux; au lieu de grimper sur lés arbres, ils les renversaient en s'appuyant dessus pour manger ensuite leurs feuilles ; mais ils Marchaient en appuyant sur le sol le côté externe de leur main seulement* comme sont obligés de le faire, lorsqu'ils sont à terre, les Paresseux, à cause de ta longueur de leurs ongles. S'ils des- cendent des Megalherium dout ils avaient, en somme, conservé 366 VERS LA FOKME HUMAINE le régime, il n'y avait aucune raison pour que leur dentition s« modifiât. Les Fourmiliers ont la même façon de marcher, et leurs mamelles pectorales indiquent qu'ils descendent d'animaux grimpeurs ; la structure de leur appareil génital précise que ces animaux grimpeurs sont les Paresseux ; mais il ont changé de régime ; ils vivent d'Insectes et leur langue vermiforme et déme- surée suffit, chez eux, à la préhension d'aliments qui n'ont pas besoin d'être mâchés ; le défaut d'usage peut expliquer la dis- parition totale des dents, et la forme de la langue l'allongement de la tête et des mâchoires. Dans la peau des Mylodon apparentés aux Mcgalherium et qui n'ont disparu que depuis peu de temps de l'Amérique du Sud, il v avait de nombreux ossicules. Ces ossicules formaient une carapace complète chez les Glyptodon dont le dos était un hémisphère de près de 2 mètres de diamètre, leur tête ressem- blait encore à celle des Megalherium ; mais leurs pieds posaient à plat sur le sol. Il est vraisemblable que les Tatous actuels, qui remontent à l'époque tertiaire (Eulaius à carapace entière- ment formée de bandes mobiles, Dasypus), ont quelque parenté avec eux ; mais chez eux les mâchoires se sont allongées, ce qui coïncide avec une multiplication des dents dont le nombre atteint chez le grand Tatou 26 à la demi-màchoire supérieure et 24 à l'inférieure, ce qui fait un total de cent. Les Oryctéropes et les Pangolins de l'ancien monde semblent former un groupe à part, où l'on observe la même déchéance des dents ; ils remontent au Miocène. Et ici nous rencontrons une difficulté nouvelle. Parmi les fossiles des couches éocènes de Montmartre, Cuvier observa une phalange onguéale bifide qu'il attribua à un énorme Pan- golin, seul animal qui présente, avec les Taupes, un pareil caractère. Cet Édenté hypothétique reçut de Lartet le nom de Macrotherium; entre temps une tête attribuée à une sorte de Cheval fut baptisée Chalicolherium. Une découverte inat- tendue lors des fouilles dans les terrains de Sansans démontra LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 367 à Filhol que le Macrolherium et le Chalicotherium n'étaient qu'un même animal. Des animaux voisins ont été exhumés des dépôts éocènes de PAmérique du Nord et complètement reconstitués par le professeur Holland (Moropus, Eomoro- pus> Pernatherium). Ils avaient Pallure de Chevaux qui marcheraient sur leurs boulets, et même étaient presque plantigrades. Ils n'avaient aux pattes que trois doigts ter- minés par des ongles gigantesques. Comment avaient-iis perdu leurs doigts latéraux? Descendaient-ils d'animaux grim- peurs ou fouisseurs? On ne sait. Tous les Édentés sont remarquables par le développement considérable de leur système osseux qui contraste singuliè- rement avec l'avortement des dents. Le même contraste se manifeste chez l'Ornithorhynque etl'Échidné. Peut-on penser que cet enrichissement du squelette en calcaire s'est accompli aux dépens du système dentaire devenu relativement inerte? Cette massivité du squelette coïncide chez les Sirénidesavec une réduction analogue des dents. Les Prorastomus éocènes en avaient presque trop, puisque avec le nombre normal d'incisives et de canines ils avaient huit molaires au lieu de sept à chaque demi-mâchoire. Les Halilherium, également éocènes, qui du membre postérieur avaient encore conservé un rudiment de fémur, avaient déjà perdu deux incisives et la molaire sup- plémentaire. Il n'y a d'incisive fonctionnelle que chez le Dugong mâle, et sur six molaires quatre sont rudimentaires; les deux incisives des Lamentins demeurent cachées sous une plaque cornée; mais le nombre des molaires de chaque demi- mâchoire démultiplie, comme chez les Tatous, et arrive à onze, dont six seulement sont fonctionnelles. Enfin chez les Rhytines adultes les dents étaient remplacées, comme chez l'Orni- thorhynque, par des plaques cornées. Ces grands animaux étaient déjà détruits en 1768, vingt-cinq ans après leur décou- verte. La dentition des Cétacés a éprouvé des vicissitudes sem~ 368 VERS LA FORME HUMAINE blabies. On n'en connaît aucun à l'état fossile qui présente une dentition rappelant la dentition primitive des Mammifères placentaires. Les Zeuglodon semblent se rapprocher plutôt des Phoques. Dès le début, en même temps que les mâchoires se sont allongées, les molaires semblent s'être dissociées et être revenues à la forme conique qu'on observe chez les Reptiles ; seuls, les Squalodon miocènes présentent une différenciation des dents en incisives, canines et molaires. Mais à ce moment existent déjà des Dauphins dont toutes les dents sont sem- blables, des Cachalots qui n'en ont plus qu'à la mâchoire inférieure, des Hyperoodon qui n'ont plus qu'une paire de dents à l'extrémité libre de la mandibule, et un grand nombre de Baleinoptères ou même de vraies Baleines qui n'ont plus du tout de dents, mais des fanons cornés On sait que si les Marsouins et les Orques vivent de Poissons, les Dauphins, les Cachalots, les Hyperoodons vivent surtout de Calmars qui sont mous et les Balénides de tout petits animaux. Ces régimes, qui laissent les dents inertes, peuvent expliquer leur disparition, faute d'excitation de leur bulbe formatif. Des travaux nombreux en tête desquels il faut placer ceux du paléontologiste américain H. F. Osborn (XC, XCIet XC1I), nous ont fait connaître d'une manière remarquable les faunes dont, pendant la période éocène, de grands fleuves ont charrié et abandonné les débris dans les vallées des montagnes Rocheuses. Les dépôts qui se sont ainsi formés sont d'âge différent et H. F. Osborn les classe en quatre groupes successifs. Dans le pre- mier groupe qui comprend les dépôts de Puerco et de Torrejon, dans le bassin de San Juan au Nouveau-Mexique (1), on trouve des Neoplagiaulax et des Polymasiodon, hérités de la période triasique, des Insectivores (2), des Créodontes, des Tseniodontes, et des Condylarthres et des Amblypodes. Quelques-uns des ani- (1) Ces dépôts sont de l'époque éonummulitique(montien, thanétien, londioien). (2) Miochlœnus, Oxyacodus, Worimannia, Onychodecle*, Triiosodon, Qxyclœnu*, Loxolophus, LA VIE DURANT LA PÉRIODfc TERTIAIRE 369 maux de cette première phase se retrouvent en France (1), d'autres en Patagonie (2). Dès la seconde phase, à Wasatch, à ces groupes primitifs viennent s'ajouter des Rongeurs ; de véri- tables Périssodactyles, et déjà, chose à noter, des Primates. Durant cette deuxième phase, il n'y a plus aucune forme commune à l'Amérique du Nord et à l'Amérique du Sud qui sont probablement séparées; mais de nombreuses espèces se retrouvent en Europe; elles deviennent rares pendant la troi- sième phase, correspondant à toute la période mésonummuli- tique (3) qui voit disparaître les Condylarthres et apparaître des familles tout à fait propres au Nouveau Monde d'où elles ne sortiront pas, tels les Oréodontidés, herbivores à doigts pairs qui durèrent jusqu'à la fin de l'époque tertiaire, et les Titanothé- riidés qui ont pour type le Titanotherium ou Bronlolheriam, de taille gigantesque. D'énormes colosses se sont constitués également parmi les amblypodes. Parmi les Périssodactyles plus nombreux que les Artiodac- tyles, les Hyrachyus ouvrent la lignée qui conduit aux Rhino- céros, et les Orohippus celle qui mène aux Chevaux* Enfin dans la quatrième phase, correspondant au néonummu- litique(4),de nombreux types, notamment des marsupiaux (5), deviennent communs, par échange, entre l'Amérique du Nord et l'Europe, mais les deux Amériques demeurent complète- ment séparées, A côté de marsupiaux, les Peralherium, les Créodontes sont encore représentés par les Hyœnodon; les vrais carnassiers font leur apparition, avec les Cyno- dictis qui se retrouvent également en France et auxquels M. Filhol a rattaché tous les autres carnassiers. Des Périsso- (1) Ils appartiennent à la faune de Torrejon : Neoplagiaulax, Provi verridés, Arctocyonidés, Mésonychidés, Phenacodus (2) Trigonole&leai Helohyus, Parahyu*- (3) Faune de Puerco. (4) Lutétien, Auveraien, Bartonien, Ludien (par ordre d'ancienneté). (5) L'Oligocène ou tongrien comprend, par ordre d'ancienneté, le Lattorfien, le ftupélien et le ChattieiL. 370 VERS LA FORME HUMAINE dactyles, les Protapirus présagent les tapirs et les Mesohippus constituent un chaînon nouveau de la généalogie des Chevaux, ils sont plus tard associés au Miohippus(l). Enfin parmi les Artio- dactyles communs aux deux mondes on trouve : les Elo- therium, les Anthracolherium, les Hyopolamus. Le bassin de Paris et du sud de l'Angleterre n'est pas, à cette époque, aussi riche en mammifères ; toutefois dès le thanétien on trouve : dans le tuffeau de la Fère Y Arclocyon, grand créodonte plantigrade dont le nom signifie ours-chien; dans le gisement sableux de Cernay, découvert par Victor Lemoine et qui appartient au thanétien supérieur et au sparnacien, dans lès conglomérats de Meudon et de Vaugirard : des Neoplagiaulax, des Hyœnodiclis et des Arclocyorip des lémuriens du genre Pie- siadapis, et au-dessus d'autres créodontes (2), des Coryphodon comme en Amérique, des Lophiodon précurseurs des Tapirs. A ce même niveau du sparnacien, les sables d'Ay et l'argile de Londres ont, en outre, fourni des Hyœnodiclis, des Pachynolo- phus, ces derniers constituant un progrès vers les Tapirs. A ces genres s'ajoutent, entre autres, dans le lutétien ou calcaire gros- sier de Gentilly, de Passy, de Nanterre, les premiers Palœolhe- rium et des porcins des genres Dichobune et Cebochœrus. Vien- nent alors les célèbres gypses ludiens de Montmartre où Cuvier a fait les découvertes qui ont fondé la paléontologie. C'est là qu'on a trouvé les Peralherium, également américains, les Cyno- hyœnodon, créodontes à dents de Cynhyène, les Cynodiclis, les Palœolherium, les Anoplolherium, les Xiphodon, et, parmi les lémuriens, les Adapis dont les noms sont cités depuis Cuvier dans les traités les plus élémentaires. Les premières chauves- souris, de vrais Vespertilions, font à ce moment leur apparition. Cette faune se continue à peu de chose près dans le calcaire lat- torfien de Brie et c'est dans les sables rupéliens de la Ferté- (1) En outre les Ronzotherium, qui sont des rhinocérotidés ; le» Entolo- don, Protapirus, Paralapirus, Cadurcolherium, Titanomy*. (2) Pachyhyœna, Palœoniclu, LA VIE DURANT LA PÉRIODE TERTIAIRE 371 Aleps qu'apparaît le premier représentant en Europe du groupe des rhinocéros, Y Acerotherium, encore dépourvu de corne nasale. Une faune analogue se retrouve à Ronzon, dans le Velay ; mais il faut y signaler avec les Cœnolheriam qui sont intermédiaires entre les Anoploiherium et les Ruminants, les premiers ruminants vrais, les Gelocus. Des animaux analogues vivaient dans la région du Quercy où les eaux ont creusé les Causses de grottes étendues, dont les parois ont été recouvertes d'une couche de phosphorite et dans lesquelles des ossements de toutes sortes ont été entraînés. Ces ossements étudiés par H. Filhol appartiennent à la seconde moitié du mésonummulitique et au commencement du néonum- mulitique. Enfin, à l'époque du chattien, se montrent les précur- seurs des Musaraignes (Amphisorex, Sorex), des Taupes (Myo- g-a/e), des» Loutres (Potamolherium), des Félins (Eusmilus), des Castors (Sienofîber) et des Ruminants sans cornes (Dre- molherium, Amphilragulus). Pendant que dans les dépendances du continent Nord-Atlan- tique les Mammifères é voluentainsi, dans celles de PAmériqueet de l'Afrique du Sud qui résultent du démembremen t du vieux con- tinent de Gondwana, l'évolution se poursuit tout autrement. A l'époque montienne, des Dinosauriens survivent encore dans ces régions. On y compte de nombreux allothériens (1), des marsu- piaux déjà analogues à nos Sarigues, des édentés présageant le Megatherium, des Oryctéropes qui vivent actuellement dans l'Afrique du Sud, des Paresseux et des Tatous qui sont demeurés sud-américains, des Insectivores (2), des Typothériens, des Am- blypodes dont plusieurs voisins des Lophiodon (3), des précur- seurs des Proboscidiens aujourd'hui localisés en Asie et en Afri- que, des Phenacodon existant déjà dans l'Amérique du Nord, des hyracoïdiens analogues aux Damans dont les types sont au- (1) Plagiauiacidés, Polydolopydés, Promyzopidés, Odontomyzopidés. (2) Spalacothé ridés. (3) Carolozilteiia, P •*-> "a - CO F! S s c O 0 3 i-. -Ci «0 C- C O cd '. '0> _> «0 Ih fonctionnement de La glande génitale chez VOstrea edulis et la Gryphma angulata. La protection des bancs natu- rels, G. R. Ac. Se, t. 155, 1912 XL E. Fermer, Expéditions du Travailleur et du Talisman. Les Stel- lérides XLI E. Pbrribr, Expédition du CapHorn. Les Stellérides XLII E. Perrier, Traité de zoologie. . XLIII Arnold Lang, Versuch einer Erklârung der Asymétrie der Gas- teropoden, Vierteljahrschrit derNaturforsch. Gesellehaft, Zurich» 1891 XLI V L. Boutan, Recherches sur Vanatomie et le développement de la Fissurelle. Archives de zoologie expérimentale, 2e série, III bis, 1885 XLV A. Robert, Embryogénie des Troques. Archives de zoologie expé- rimentale, 3» série, X, 1903 XLVI Rémt Perrier, Recherches sur l'appareil rénal des Mollusques Gastéropodes prosobr anches. Annales des sciences naturelles, 1 889 XLVII L. Bouvier, et H. 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Amphioxus, 90, 105, 158, 167-8 185, 192, 197, 267, Anatomie comparée * il/-8 Angiospermes 2 ANNAM, 117. Année astronomique, 4». Annôlides, 145. ANTILLES, 44, 31,84 ANTHONY, 292. APENNINS, 17. AP A LACHES, 17, 27, 57 64. ARABIE, 24. Arachnides, 499, 200. Archéen, 20, 24, 25, 409. ARISTOTE, 363. Armogénie, armogénèse, 10 6, 457, ARRHÉNIUS (Sv*NTB), 4, 68. Artiozoaires, 246. Arthropodes. 444-5, 4: 52, 173, 246, 276. ARTOIS, 33 ASIE, 13, 14, 17,24,335. 376. ATLANTIQUE, 24, 34-4, 54-5, 57, 335. Atomes, 2, 3. Attitude, 148; H, V. Attraction, 3. AUSTRALIE, 13, 17, M, 29, 31-3, 55, 185, 341. 344. Bactéries, 83, 114, Bajocien, 3i. ALBIANI, 98. BALBUNO, 80. BALFOUR, 166. Barygphôre, 40-1. BARRANDE (J. dk), 2& BATAILLON, 90. Batraciens, 53, 207, 309- 4 4, 245, 249,278,305-C BEAUMONT (Éubdk), 23. BECQUEREL, 68. BELGIQUE, 27-8,30,55-6 BENDA. 395. BERNARD (Clacdb), 65, 89, 304, 388. BERTHELOT (Danibl\ 7-8. BERTHELOT (Marchl- lin), i, 73. BLAINVILLE (dk), 85 BLANDET, 50. BLAMNGHEM, 149-421 Blastoderme, 243 Blasto mères, 89. B LA VET, 449. BODK, 9. I \ BOHÊME. 47, 28. 408 1WDEX BONNET (Charles), 85. BORD AGE, 119. BOSLER, 50. BOULE, 361, 381, 393. BOURQUELOT, 99. BOUVIER, 165. Brachiopodes, 258-260. BRÉSIL, 26, 29, 31-35, 55. BRETAGNE, 17,33-5,59, 334. BRETAGNE (GRANDE-), (Iles Britanniques), 24, 27, 29, 30, 33, 45, 55, 58-9. BRIDEL, 102. BRONGNIART, 255. Chimie organique, 72. CHINE, 26, 29, 33, 54. Chlorophylle, 73, 112. CLAPARÈDE, 253. CLARKE(J.), 242. Coblentzien, 26. Cœlome, 134. COHN, 68. Colonies animales, 148. Concurrence vitale, 223 Conifères, 52-3. COPE, 351, 381. Copépodes, 44, 173. Coraux, 52, 54, 141, 479, 245, 290. CORÉE, 24, 27. BROWN-SEQUARD, 389 Cornes, 363-4, 373. Bryozoaires, 135. BUFFON, 9, 109. BUNSEN, 8. BURMEISTER, 351. Calice, 118, 124. CAMBODGE, 117, Cambrien». 22. CANADA, 23, 25-7, 29, 54, CAP, 29, 31, 54-5. Carbonifère, 22 ,56). Carnassiers, 3-49, 361-2 369. CARNEGIE, 313. CARNOT, 4. Carpelle, Il 7. CARREL (A.), 89. CASPIENNE, 29. CAYEUX, 240. Cellules, 88, 137. Cellulose, 111, 286. CEYLAN, 36. Chaleur animale, 214 6. Champignons, 74, 76, 88, 111-3. CHATELIER(LE). 50. Chaton, 118, 189. CHAUVIN (M. de), 278. Crétacé, 22. CROLL, 62. CROOKES, 2. Crustacés, 177-9, 183, 192, 203. Cryptogames, 118, 128. CUVIER, 35, 52, 56, 67, 84-5, 110, 145, 165, 169, 189, 191, 321, 363, 366, 370, 381, 387, 388, 391, 394. DANA, 245. DANGEARD, 395. DARWIN, 86, 154, 170, 225, 302-3, 375, 388. DAVAUL, 119. DAVID (A.), 53. DEL AGE, 103. Dème, 137. Dents, 307-8, 344-6, 356- 68, 379-80. DEPÉRET, 320. Dévonien, 22, 54. Diastases, 71. Dicotylédones, 59, 239. Dinantien, 27. Disques imaginaux, 94. DOHRN(A.), 156,169,214. DOLLO, 326. Douarnenez, 20, 35. DOUVILLÉ, 27, 84, 290, 293. DRIESCH, 90. DUBOIS, 382, 395. Echinodermes,146, 148, 157, 159, 173, 262, 282. Ecliptique, 46, 63. ECOSSE, 17, 28-9, 334. EGYPTE, 358, 372-3, 381. Electrons, 3. Embryogénie,*^ 404-5. 134, 144, 157, 209-14, 217, 390. Entomostractfs, 145. Eocène, 22. Eogène, 22. Epirogéniques (mouve- ments), 61. Eponges, 135, 179, 241, 282. Equinoxes, 48-9. ERZGEBIRUE, 17. ESPAGNE, 17, 24, 29, 32, 34, 60, 287. Etamines, 117-8. ÉTATS-UNIS, 17,25. Ether, 13,41. EUROPE, 13, 26, 61. Évolution, 84, 95, 375. FABRE (J.-H.), 304, FERNANDEZ (Miqoelj, 90. FEU ( Terre de), \ 8. Eeuille, 113-5. FILHOL, 367, 369, 371. FINLANDE 23-4, 26, 60 28s. EISCHER, 165. Fleurs, 18, 125-7. Foraminifères, 131. FORÊT NOIRE, 17, 2S. FOUCAULT, 8. INDSX 409 Fougère», 52-3, 145, 117, 128-9. FRANCE, 15, 24, 26-29, 56-59, 61. Frasnien, 26. FRAUNHOFER, 8. FRIGH (F.), 267. Fusulines, 29. GADOW (H.) 328. Gastrula, 134. GAUDEGHON, 77. GAUDIN, 383. GAUDRY (A.), 277, 280, 284, 372 à 375, 382. GAUTIER (A.) 72, 97,232. GEGENBAUR, 275- GEIKIE, 62. Génération spontanée, 65. Géothermique (degré), 39. Germen, 94. GIARD, 107, 232. Glaciaire (climat), 52 ; (période), 20-1 ; gla- ciers, 35-6, 60-2. Glandes, 216. GOETHE, 129. GOND WANA, 27, 30, 55, 57, 198, 246, 278, 344, 371. Gothlandien, 26. Graisses, 169. GRAND'EURY, 117, 238. GRAVIER, 183. GROENLAND, 17, 23, 27, 29. GRUBE, 253. Gymnospermes, 117-8, 127, 129, 289. HAACKE, 119. HCEGKEL, 66,104. HARIOT, 119. HARZ, 17. HAUG, 84, 267. HEER (O.). 337. HEINRICHS, 10. Hélium, 8, 36, 78-9. HELMHOLTZ, 68. Herbivores, 350. HERBST, 90. Hercynien, 17, 20, 27, 30, 45, 55-7, 60. Hérédité, 95, 99, 102-3, 121, 148, 171, 189, 219- 20. Hermaphrodisme, 187-8, 191-4. HIMALAYA, 17-8, 20, 32-4, 38, 54, 60. HIRN, 4. Higtoblstes, 94. HITCHCOCK, 314. HOLLAND, 267, 313, 367. HOLLANDE, 27-8. Holothuries, 149, 176-7. HOUSSAY, 268. Huronien,17, 20, 59. HUXLEY, 65-6, 72, 316. Hydrates de carbone, 69, 71, 73. HYDRES, 135-140, 243. Hyponomeutes, 90-1 . INDE, 24, 26, 29, 31-3, 54-5, 376, 381-2. INDO-CHINE, 17, 24, 29. Infusoires, 101, 131-3, 239. INOSTRANZEFF, 236. Insectes, 202..., 251-6, .400-4. Instincts, 302-4. Intelligence, 333, 385, 386. ITALIE, 24, 26, 28, 33. JANSSEN, 8. JAPON, 25, 60, 83-4. JEHRING(voNf, 90. JOLY, 65. JOULE, 4. Jurassique, 20, 22. KAYSER (E.), 267. KELVIN (lord), 36,50, 6fc. KENT (Saville), 291. KEYSERLING, 67. KING, 311. KIRGHOFF, 8. KLEIN, 119. KOSSEL, 79. KOWALEVSKY ( W.), 352, 353, 361. KUNGKEL D'HERCULAIS 94. LABITTE, 258. LAGAZE-DUTHIERS (de), 246. LAMARCK, 35, 65, 109, 154, 158, 170, 219, 259, 356,374, 382, 388. LAMY, 200. LANG (A.), 162-3. LAPLACE, 5,9. LARTET, 366,382, LEIUNITZ, 85. LEFEBVRE, 53. LEOD (Mac), 199. LEMOINE, 370. LIGNIER, 128 Lithosphère, 39. Locomotion, 142-4. Lumière, 1. Lyeopodes, 53, 56, 115. LYELL (sir Charles), 109. MADAGASCAR, 24, 29. 31-3, 55, 335-6. MAILLARD, 79-80. MALAISIE, 29. Mammifères, 215-21, 228, 307-9, 341-77, 36» à la fin. Mammouth, 52, 61 MANCHE, 25. MARGHAL, 91. MARRON, 246. Matière, 2-3. MAUPAS, 193. 410 IMDKX MATER, 4. MÉDITERRANÉE, H, 24, 34, 62, 336. Méduses, 139-40. Membres, 348-56. MENDELEEF, 2. MERCERAT, 339. Mérides, 435, 139. MESETA, 17, 32-3, 334. Métamorphisme, 15. MEUNIER (Stan.), 40. Milieu, 85, 95. MILNE-EDWARDS, 253, 340. Mimétisme, 174. Miocène, 20, 22. Mollusques, 59, 84,146, 148, 150, 160-5, 263-7, 283, 291-8. Monocotylédones, 52, 59, 127-8, 239. MONSTRANZEFF, 235. MONTALIVET (db), 67. MORENO, 339. MORGAN (db), 90 MORSE, 258, 260. MOSELEY, 246. MOSJISOWIGZ, 84, 267. Mousses, 113, 115. Mouvement, 3-4, 45. MULLER (J.), 189. MUNIER-CHALMAS, 266, 296. MUSSET, 65. Myriapodes, 251-2. NANDIN (G.), 231. Nauplius, 145. Nebulium, 5. Nématodes, 193. Nerveux (Système), 165, 167, 384. NEUMAYER, 27, 84, 290. Noces (robes 4e), 97-8, 256-7. Nutrition, 78. Oiseaux, 215-6, 228-4,, 328-31, 338. OKEN, 66, 74, Orbite, 46, 63, Orographie, 16-20. OSBORN, 368. OWEN, 345, 346. PACIFIQUE, 13, 22, 24, 31, 287, 290, 336. PASTEUR, 65, 67, 387. Patrogonie, 105. PÉREZ (J.) 232. PEREYASLAWZEVA (Maris), 199. Péridot, 40, Permienne, 20, 22. PERRIN, 396. PETCHIU, 17. PÉZARD, 389. Placenta, 218, 342-3, 380. Plankton, 84. Plasma, 94. Plastides, 88. 130, 137. Pleistocène, 20. Pliocène, 20, 22, 61, 85. POINCARÉ (H.), le. Pôles, 13, 17, 46. P ollen, 117,184. Polypes, 135, 141, 245, 283. PORTIER, rm. Portlandien, 31. POUCHET, 65. POURTALÈS, 244-5. Préadaptations, 156, 1 79, 184, 195,205, Oit PREYER, 68. Primates, 369, 378-83. Protoplasme, 66. QUATREFAGES (db), 138. 253, 381. Radiolaires, 131. Radium, 2, 35-6. RAYLEIGH (lord), 2, 41. RENAUD (B.), 238. 286. Reproduction, 72. Reptiles, 155, 220-1, ?80-2, 307, 310-28, 33 l, 356-7, 360, 363. Respiratoire (Appareil), 196-201, 206. Rhisopodes, 13 i. RIGHTER, 68. ROGHE, 41. ROENTGEN, 3. ROMANES, 302, 304. Rongeurs, 357-50, 357r 361, 369, 3ifi RUEDEMANN, 24*. Ku minants, 362, 4, 377. RUSSIE, 24,26, ^8,80,57. 61, 281, 288. SAHARA, 26-7. SAINT-HILAIRE (Etienink Geoffroy), 85, 103-4, 107, 166-8,207,365,386. 390. SAINTONGE, 26. Saisons 48-9. SALLES-GUYON, 67. SAVIGNY, le 6. SCANDINAVIE, il, 23-4, 26-7, 29, 35, 64,61. SGHULZE (F.-E.), 272. SCHUTZENBERG, 79. Secondaire, 20, 57; III, i ; 328. SEDERHOLM, 236. Sélection naturelle, 86, &>. SEMPER, 88. Sexes, 97-8, 102, 107, 119- 121, 391-3. SIBÉRIE, 17, 23, 25-6, 30-2. SILÉSIE, 28, 30. Silurienne, 22, 54. Sociale (Vie), 87. SPEGAZZINL 119. INDEX 411 Spores, 68, 77, 143, 187, 284. Stratigraphie, 19. Structure (Types dé), 146, 148, 157, 169. STRUTT, 35. Successives (créations) 84. SUESS, 25, 27. SUISSE, 58, 60. Synclinaux, 16. Taches solaires, 45-6. Tachygénèse, 93, 100, 106-7, 209-11, 225, 238, 278, 285, 390. Tactisme, 158, 301. Tectonique, 19. Télégonie, 221. Ternaires (composés), 69. Tertiaire, 20. Théromorphes, 307-10, TÊTHYSt 27,30-1,33, 59, 236, 250, 290, 335. THÉVENIN, 282, TIEGHEM (van), 68, 239. TRASGIATTI, 80. Tremblements de terre, 40-1, 46. TREMBLAY, 135-6. Triasique, 20-22, 30, 157, 310, 340. Trilobites, 53, , 249-51, 253, 273, 275, 281. TYNDALL, 4. Variations brusques, 231. VEJDOWSKY, 195. Vermidines, 135. Vers, 144-5, 148, 158, 160,165,167,170-1, 193, 24?, 257, 276. Vertébrés, 144, 147-S, 152, 166, 205, 214, -'20, 267-277, 305. VIOLLE, 50. Vitalisme, 65. Viviparité, 224. Volcans» 18, 287. Volonté, 356, 378. VOSGES, 17,28, 60. VRIES (de). 231. WEISMANN, 99. WERTHEIM, 41. Westphalien, 27,, Zoïde, 137. TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE LA FORMATION DE LA TERRE Chapitre I. — La naissance de la Terre i — II. — Les transformations successives des continents et des mers 15 — 111. — Le Soleil et les climats 43 DEUXIÈME PARTIE LES FORMES PRIMITIVES DE LA VIE uafitrb I. — L'apparition de la Vie 64 — II. — Principes d'une généalogie explicative des organismes 83 — III. — La formation des grands types végétaux 110 IV. — Les formes théoriques de* animaux 130 V. — Les animaux remaniés. . 148 — VI. — Le peuplement de la haute mer, des abîmes océaniques et des continents. 172 414 TABLE DES MATIÈREH TROISIÈME PARTIE VERS LA FORME HUMAINE Chapitre I — La Vie durant la période primaire 234 — II. — La Vie durant la période secondaire. 287 — III. — La Vie durant la période tertiaire 334 — IV. •- La Forme humaine 378 Conclusion 387 Cartes 397 Bibliographie 401 Index 407 7433-11-25. — Corbeil. Imprimerie CrôTS. La Bibliothèque Université d'Ottawa Echéance Celui qui rapporte un volume après la dernière date timbrée ci-dessous devra payer une amen- de de cinq cents, plus deux cents pour chaque jour de retard. The Library University of Ottawa Date due For failure to return a book on or before the last date stamped below there will be a fine of five cents, and an extra charge of two cents for each additional day. La Bibliothèque Université d'Ottawa Echéance fl Zh JMU»0 The Library University of Ottawa Date Due i~»~;à. CE D c^z^ • E9 V001 1 920 COO PERRIER. EDM TERRE AVAN C# 139223- o * CD n -a D O - 1 r