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LA
TERRE-SAINTE
I • l ; . I I • I ; I l 1 I . DES ÉDITEURS.
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LA
I ERRE -SAINTE
V 0 Y A G I :
DANS L'ARABIE PÉTRÉE, LA JUDÉE, LA SAM \HIK LA G M.II.KK ET I. \ SYRIE
PAR
M. L'ABBÉ J.-J. BOURASSÉ
chanoine dk l'église métropolitaine de roURs
MEMBRE DE I k SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOCRAINF. CHEVALIER nE LA LEGION d'hOMKEDR
I I.I.I STRATTONS PAR KART, filRARDET
DEUX I KM E ÉDITION
TOI RS
ALFRED MAME ET FILS, EDITEURS
M DCCC I.XVII
I
UCT U 6 1969
)
A LA MEMOIRE
DE MON AMI
M. L'ABBÉ JACQUES-NOËL LEDUC
DOCTEDR EN THÉOLOGIE CHANOINE HONORAIRE DE [.'ÉGLISE MÉTROPOLITAINE DE TOt'RS
INTRODUCTION
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|||p^ ligun pays du monde ne j "vMÊËi^ d'une aussi juste célébrité que
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la Terre-Sainte. Dieu a voulu en
-€|i rairo le berceau ei le premier 'I ,|1(vltl., dr la vTaie religion. C'esi
le pays des patriarches M des prophètes. V Lorsque les temps furent accomplis, la V\n,
pure des vierges, Marie j dom issance au
Sauveur. A Bethléhem, nous entrons dans la grotte obscure témoin de cette nativité glo- rieuse. Nazareth conserve le souvenir de la sainte Famille, el montre encore l'emplacement de l'humble
10 INTRODUCTION.
atelier consacré par le travail de Joseph <d de l'Homme -Dieu. Toutes les villes de la Galilée rap- pellent les prédications H les miracles de Jésus-Christ. Jérusalem enfin, à l'ombre de la montagne des Oli- viers, offre à la piété du chrétien Gethsémani, le Calvaire el le Saint-Sépulcre. Quels noms et quels soin enirs !
\u milieu des ruines qui couvrenl celte terre jadis ^i florissante, aujourd'hui si désolée, nous pouvons évoquer la mémoire des héros de la croisade. Alors retentissenl à notre oreille des noms tout français:
i" reconnaissons avec bonheur et une certaine
fierté que la Palestine, arrosée du sang de uns che- valiers, lut appelée avec raison la France d'Orient. I exploits de n<»s ancêtres n y smii poinl oubliés. Nous avons Fourni a ces grandes expéditions d'outre- mer et des guerriers el des historiens. Ce n'esl |>as *ans émotion, en Face des remparts de Jérusalem, de Jaffa, de Ptolémaïde ou Saint-Jean-d'Aere, sur bords du Jourdain, le long des rivages de Syrie ■■• jusque sous les murs lointains de Damas, que l'on lemplc les monuments de notre \ alliance' el de
INTRODUCTION. Il
nos arts. Les forteresses, bâties par <l»is mains fran- çaises, sonl encore couronnées de créneaux, et les ('•-lises présentent des fenêtres et des arceaux en ogive semblables à ceux qui parenl les rives de la Seine el de La Loire. Afin que rien ne manque à ces réminiscences glorieuses, 1rs plaines de Loubi et les échos du mont Thabor retentissent encore, pour ainsi dire, «les cris de victoire «les soldats de Junot, de Kléber, de Murât et de Bonaparte.
Si tons n'ont pas le bonheur de faire le pèlerinage de Terre-Sainte, tous du moins se plaisent à par- courir en imagination les saints lieux, et à se les représenter au moyen de descriptions fidèles. Nous espérons que les pages suivantes répondront à leur désir et à leur attente. Nous conduisons le lecteur dans tous les sanctuaires où la dévotion trouve à satisfaire de pieux sentiments et nue juste curiosité.
Notre pèlerinage commence en Egypte, sur les bords de la mer Rouge, el se continue, à travers le désert de l'Arabie Pétrée, jusqu'au Sinaï, aux rivages du golfe Élanitique, aux ruines de Pétra,
INTRODUCTION.
['antique capitale des Nabathéens. En parcouranl la Judée, la Samarie, la Galilée, la Syrie, nous visitons t.. h-, les sites historiques , nous nous arrêtons dans [es villes et les bourgades importantes. Partout nous recueillons les traditions bibliques, et nous suivons avec amour les pas de Jésus-Christ. En Palestine, comme à Rome et dans tout le monde chrétien, nous avons reconnu que 1rs croyances catholiques trouvent • le nouveaux arguments, s"il en <''t;iit besoin, pour confondre les prétentions des hérétiques modernes. Notre foi esl victorieuse de toutes les attaques, parer qu'elle n'a subi aucune altération dans l'Eglise romaine, h travers tous les âges, en remontant jusqu'aux apôtres el à Jésus-Christ.
Pourquoi n'exprimerions-nous pas ici notre dou- leur et nos regrets en présence des vénérables sanc- tuaires de Terre-Sainte dont le schisme grec s est emparé, malgré la possession séculaire et légitime îles Latins? Depuis longtemps la jalousie des schis- matiques travaille n priver les catholiques de la jouis- sance des saints lieux. Malheureusement, la justice turque est vénale, et les pachas donnent trop sou-
INTRODUCTION. 13
\fiil raison au plus offrant. Derrière ces envahisse- ments, réputés sans conséquence par beaucoup de personnes en Europe, se cachent de graves intérêts politiques que L'avenir dévoilera. Espérons que la France, la protectrice avouée des saints lieux, saura toujours sauvegarder nos droits.
Le lecteur s'apercevra aisémenl que nous avons évité dans cet ouvrage toute espèce de discussion scientifique. Nous axons préféré nous attacher con- stamment à reproduire des faits certains e1 reconnus. Quand il a fallu choisir entre deux opinions, nous avons adopté la plus vraisemblable, surtout si elle est admise par de savants écrivains. Les descriptions de lieux et de monuments, ainsi que les incidents de voyage, sont empruntés au journal manuscrit d'un Voyage en Orient rédigé par M. l'abbé Leduc. A deux reprises différentes, ce pieux, savant et intré- pide ecclésiastique visita la Palestine et la Syrie. La connaissance des langues orientales et une longue étude de l'Écriture sainte l'avaient préparé à ces lointaines et périlleuses pérégrinations; il avait recueilli de nombreux matériaux propres a perlée-
1 i
I \ I i;m|»i CTIOK
tiouuer le cours «I Écriture sainte <|u il professait uvec t.int de ilistinctiou au grand séminaire de [ours, m. l'abbé Jacques-Noël Leduc est mort à Muriuco, village du Kurdistan, près deNinive,à l'âge de 32 ans, le I septembre 1852.
I. V 11 IL I J V I 1 il
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on moins (|iic la terre deChanaan,
si fertile en miracles, les rivages
de la mer Rouge, les montagnes
du Sinaï, les déserts de l'Arabie
Pétrée servirent de théâtre aux
événements les [dus mémorables
de l'histoire du peuple de Dieu.
Le voyageur conduit en Orient par l'attrait
des pieux pèlerinages, l'amour de la science, le
prestige des grands souvenirs, ou le charme du
paysage et du climat, tourne involontairement
son premier regard vers l'Egypte, le royaume des
vieux Pharaons, où descendirent Abraham, Jacob el
les chois des tribus. L'Egypte restera toujours justement
célèbre: elle est couverte de monuments antiques dont
[6 \l;.\i:il PÉTRÉE.
I,-. 1 1 1 1 1 1 . mtesques s'étendenl jusque sous le ciel
brûlant de la Nubie, derniers témoins d'une civilisation extraordinaire. Dans le récit des principaux i'ailsde son histoire, rien ne manque à la mise en scène:impor- tancc des événements, caractères des personnages, re- tissemenl des batailles, bouleversements d'empires, rois détrônés, villes pillées el détruites, pays dévastés, populations passées au fil de l'épée ou vendues en _■■. toul ce qui émeul fortemenl le cœur et l'es- prit des hommes. Duranl la longue suite des âges, nous voyons apparaître les personnages les plus illustres : Moisi . Si ostris, Alexandre le Grand, les Ptolémées, < lléopàtre, Antoine, < >ctave el Pompée, les < liées et les Romains, les Arabes, les < Jroisés <•! sainl Louis, la fleur de la chevalerie française au moyen âge, et le plus fameux capitaine des temps modernes, Napoléon Bonaparte!
Qui de nous, .m momenl de ses premières études sur l'histoire du peuple de Dieu, n'a pas admiré les vertus de Joseph, le modèle de l'innocence, de la sagesse et de la grandeur d'âme, aussi bien dans les rangs mé- pi isés des esclaves que sur les marches du trône? Qui
il ;i gémi Slir I'1 SOrl dr- r|il;iiiU d'Israël e< Hidain nés aux
■ h plu pénibles par des princes jaloux, craintifs
et ingrats? Nous 'Thaï- indignés contre la l<>i tyrannique
qui condamnail à h morl des enfants à peine entrés dans
vie. N'avons-nous pas suivi avec émotion le berceau
-h de branches de ri >seau . où La tendresse
prévoyante el alarmée d'une mère avoil déposé son (ils.
>ur les bord du Nil? Gel enfanl devail être un jour le
■ ur et le législateur >\r> Hébreux.
SINAl 17
Après un intervalle de plus de trente-quatre siècles, nous allons marcher, pour ainsi dire, sur les pas de Moïse et des Israélites, en quittant l'Egypte pour entre- prendre le voyage du Sinaï el de L'Arabie Pétrée. Après avoir suivi la route «les Israélites à travers les mon- tagnes et le désert, comme eux couchant sous la tente, I) ravant les dangers de ces solitudes effrayantes, nous entrerons en Palestine parla ville d'Hébronet la vallée de Mambré, toujours remplie du souvenir d'Abraham. Peu de voyageurs onl eu le courage d'entreprendre ce long voyage. Il faut avouer qu'on y est soumis sans cesse à de dures privations, et qu'aux fatigues du che- min se joignent des périls sans cesse renaissants.
Du Caire à Suez on compte trois journées de marche. .Nous partons montés sur des chameaux, ces navires du désert, comme disent les poëtes, mais dont l'allure n'a rien de poétique. Nous traversons d'abord une contrée riche et cultivée. Des ruines, des tombelles, des monti- cules factices attestent le long séjour des hommes, et indiquent remplacement d'antiques cités. Matarieh, l'ancienne Héliopolis, la ville du Soleil, rappelle des souvenirs bibliques, pharaoniques et français. Il existe peu de sites en Egypte qui n'aient été signalés, il y a un demi-siècle, par la bravoure de nos soldats : le nom de Bonaparte y est toujours prononcé avec respect et une sorte de terreur superstitieuse. Bientôt nous tou- chons à la lisière «lu désert: d'un côté, des champs fer- tiles, des palmiers, des acacias, la verdure; de l'autre côté, de vastes plaines arides et solitaires. Ce n'est pas sans un certain serrement de cœur et une vague appré- hension mêlés de tristesse que l'on quitte le domaine
ai; \i;ii. PKTIU i .
de l'homme pour s'aventurer au milieu de régions dé- solé* s, où li nature paraît morte ei se montre dépouillée de toute espèi e d'< irnements.
Suez, située sur une langue de terre avancée dans la mer, a un aspect désagréable. G'esl une ville malpropre, comme la pluparl des villes d'Orient. Les Européens uls, '■! surtout les Ajiglais, donnenl du mouvement au port, toujours encombré de liai loi s de marchandises. I i population esl d'environ cinq mille âmes. Nul doute ipie l'avenir ne réserve opulence et prospérité à ce mi- ible amas de chaumières que le génie il»' la France destine A devenir un des grands ports «lu monde. L'isthme de Suez sera percé un jour, et I < Icéan commu- niquera avec la Méditerranée. Le désert étonné verra <r les navires de l'Europe; les projets de M. de Les- seps, conti ariés un moment par la jalousie d'une nation rivale, seront exécutés à l'honneur éternel de la France1. Rien aujourd'hui n'esl capable de piquer la curiosité du voyageur dans cette grosse et laide bourgade. Une légère éminence, non loin des rives de la mer Rouge, montre l'emplacement de l'antique Béelsephon, men- tionnée dans le Pentateuque. Du haut de ce monticule la perspective esl admirable. A vos pieds viennent mou- i n les flots de la mer Rouge; en face, on a le désert irabique, borné par une chaîne de liantes montagnes dont les plus élevt ont le Serbal, Il [oreb ei le Sinaï. Au midi se prolonge le golfe, resserré par les rochers liés de l'Egypte. Vers le nord s'ouvre une large vallée
ndc édition de ce livre s'imprime , le canal , : ind i anal de Suez est Bur le point d être
S l\ AI. 10
inimitié et sablonneuse, autrefois occupée parla mer, envahie encore quelquefois par 1rs eaux lorsque les vagues sonl poussées par les vents violents du sud. L'œil s'amuse quelques instants à regarder les coquil- lages mêlés au sable de la grève el à plonger dans les eaux bleuâtres et limpides de la mer : ces eaux semblent teintes en rouge, comme on sait, seulement à de rares époques, lorsqu'elles sont remplies de millions d'ani- malcules microscopiques de couleur purpurine : phé- nomène que les naturalistes ont observé dans toutes les mers échauffées par les rayons d'un soleil ardent, et que les anciens avaienl observé uniquement sans doute dans celle qui baigne les eûtes de l'Egypte et de l'Arabie. Mais bientôt l'esprit est absorbé dans d'autres pensées. Selon l'opinion la plus probable, Suez est le point où les Israélites, sous la conduite de Moïse, passèrent la mer à pied sec. Aussi, loin d'imiter les voyageurs qui, pour éviter quelques heures de fatigue, se font trans- porter à l'aide d'une barque de l'autre côté du golfe, vis-à-vis de Suez, nous n'hésitons pas un seul instant à remonter vers le nord, afin de traverser l'ancien lit de la mer. Partout ici l'on découvre les traces évidentes du séjour de l'onde amèi-e. Des eflloresceiices salines recouvrent au loin le sable d'une couche brillante et légère, blanche comme la neige. Sous les pieds des chameaux, le sol détrempé se change en 'noue, et le chemin devient impraticable aux piétons. 11 faut une heure et demie environ pour aller d'un boni à l'autre de l'ancien prolongement du golfe; et en plusieurs en- droits on découvre les traces du canal qui jadis unissait les deux mers. Comment exprimer les sensations qu'on
V R A Bl E I ' I . I I ; 1. 1
i>prouve .m milieu du lil aujourd'hui desséché de la mer, dans ce chemin qu'un miracle <m\ ril autrefois aux Hébreux fugitifs? De là on aperçoit nu tertre assez élevé, sur lequel se tenail Moïse, suivanl la tradition, quand il étendit la main sur les flots, d'après l'ordre de Dieu, el sépara les eaux, qui s'amoncelèrenl des deux côtés comme deux montagnes liquides. Il nous semblail être témoins de celle scène imposante donl les Écritures, à chaque page, exaltenl les merveilles. • ni croil entendre dans le lointain les cris des soldats el le hennissement des chevaux de l'armée «le Pharaon. i i } ptiens n'étaient-ils pas assurés de prendre les fuyards, arrêtés par nue barrière infranchissable, el de les ramener en captivité? Mais ici la main de Dieu frappe le roi d'Egypte, brise ses chariots de -iieriv. renverse cavaliers e1 chevaux. e1 les englouti! au fond «le l'abîme. L'imagination montre d'un côté la terreur el le désespoir «les Égyptiens, el de l'autre côté les transports des Israélites. A ce spectacle, l'es- prit plein de ces grands souvenirs, qous relisons avec enthi lusiasme ces beaux vers de I lacine :
Que peuvent contre lui tous les rois de la terre?
vain ils s uniraient pour lui faire la g uei re : P m dissiper leur hue il n'a qu'à se montrer; Il parle, el dans la poudre il les fait tous rentrer. Au seul son de sa voix la mer fuit , le ciel trembli Il vit comme un néant tout l'univers ensemble; El 1< friiblcE moi tels, vains jouets du trép
yeux» "in - ds n'étaient p i
\ peine arrivé ur la rive opposée, nous niellons pied A tei re, el nous <»n\ rons la Bible pour lire le
S IN AI. -1 1
récil de Moïse. Nous parcourons les pages magnifiques dans lesquelles L'auteur inspiré raconte toutes 1rs cir- constances «lu passage de la mer Rouge. Parvenu au cantique consacré à célébrer la puissance de Dieu qui vient il«i délivrer son peuple, el dont Marie, sœur du prophète, au brun4 des tambours et au milieu des pas cadencés d'une danse religieuse, faisait répéter les refrains aux femmes el aux enfants, nous déclamons à liante voix ces versets débordants de reconnaissance et d'allégresse. Nous aimons à réveiller les échos endormis, el à leur faire redire les louanges du Sei- gneur dans la même langue que jadis leur avaient apprise Moïse et la foule des Israélites. Les Arabes, étonnés, se rapprochent de nous. Ils écoutent avec attention et les nobles accents du poëte fiançais et les stances sublimes du poëme hébraïque. Nous prononçons avec respect le nom de Moïse, Mousé; l'écho murmure le nom de Moïse, et nous continuons notre voyage.
Nous marchons sur un immense plateau de la plus ,i tireuse aridité, à peine sillonné de légères ondulations de terrain, semé de cailloux et de quartiers de rocher. Nous côtoyons à distance la rive asiatique de la mer Rouge. Le soleil darde sur nos têtes ses rayons brû- lants, l'as une goutte d'eau, pas le moindre arbuste; partout la triste image de la stérilité. On comprend aisément les murmures des Israélites en proie aux hor- reurs de la soif, sans pâturages pour leurs troupeaux. Suez n'avait pas tardé à disparaître derrière nous. A droite, les montagnes d'Egypte, calcinées par la chaleur, abaissent leurs caps vers la mer : la lumière, réfléchie sur leurs pentes, se décompose en couleurs
\i; \r.li: PÉTRÉE.
chatoyantes; A gauche, couri • longue chaîne qui
se relie aux montagnes de Tvh ou de l'Egarement. I dialeur est accablante,
Et I m - le soleil , couronné de splendeur, Poursuivanl sa carrière, augmente sou ardeur.
Chacun garde un morne silence. Enfin un»' charmante i- nous montre dans le lointain le verl panache de palmiers élancés. In léger nuage de vapeur se balance au-dessus dans les airs. Ce sont les Fontaines de Moïse. Au temps du prophète il y avait, douze sources el soixante -douze palmiers. Les fontaines sonl aujourd'hui les mêmes qu'autrefois, toujours abritées sous des palmiers vigoureux. Malheureusemenl l'eau saumâtre, quoique limpide. Rentrés dans le désert, nous parcourons le plateau, qui s'élargit de plus en plus jusqu'au pied des monts Mokatteb. Quelques buissons épineux, au feuillage pâle • •i cendré, offrenl aux chameaux une pâture qu'ils re- cherchenl avec avidité. Depuis le matin le vent souffle avec force. Toul à coup l'inquiétude se répand dans notre petite caravane : les animaux mêmes paraissenl en proie n une frayeur extrême. Le soleil s'obscurcit; I nature entière se voile d'un crêpe funèbre. La tem-
oulève des flots i\*' \ ssière el chasse avec vio-
nuages de sable lin qui remplissent l'atmo-
spl ■ ; hoi i ible simoun, qui a fail périr plus
d'une • ine dans le désert. Il esl impossible de lul-
terrible météore : on voil à peine assez
nduire I )< tourbillons nous envelop^enl en
SINAI.
tournoyant, aveuglent el suffoquent. Nous nous arrê- tons, el chacun s'abrite du mieux qu'il lui est possible contre ce souffle, que les Arabes, dans leur Langage métaphorique, disent empoisonné. La respiration de- vient pénible et sifflante; les narines se gonflent et sai- gnent. Le gosier se dessèche, et l'on éprouve toutes les tortures de la soif. Tout le monde connaît le sort de l'armée de < îambyse, n>i de Perse, qui périt étouffée au milieu des sables de l'Ethiopie; mais lf simoun n'a pas toujours la même impétuosité ni la même durée. A l'exemple des chameaux, nous nous couchons à terre, la face couverte d'un manteau, la tête tournée du côté opposé au vent. En quelques minutes nous sommes lit- téralement ensevelis sous le sable. Le l i>su de nos vête- ments se remplit de poussière: on aura unejuste idée de ce terrible phénomène quand nu saura que le sable pé- nètre jusque dans les sacs de voyage les mieux fermés. Peu à peu le calme renaît. La violence même de la tem- pête -'il abrège la durée. Le simoun ousamoun souffle assez fréquemmen! eu Nubie, en Arabie, eu Perse, ■•! dans tous les vastes déserts île l'Afrique et de l'Asie. L'atmosphère s'embrase facilement dans ces régions dépourvues de fraîcheur •■! de végétation. La chaleur pénètre le sol ;'i un»- faible profondeur, et se réfléchit dans la région moyenne de l'air : ce qui explique com- ment le thermomètre monte jusqu'à cinquante degrés et plus, même à l'ombre d'une tente. Lorsqu'un orage traverse ce ciel enflammé, les vents se déchaînent avec une finie inconnue sous la zone tempérée, poussent s couches mobiles du sable connue les vagues sur l'Océan, et lancent dans l'espace d'épais tourbillons
\i; VBIE PÉTRÉE.
de poussière. Malheur au voyageur sans abri surpris par la rafale! il meurl étouffé, el sa tombe reste ignorée au milieu du désert.
Notre caravane s'avance sur le plateau de Sarbout- el- Kadem, où l'antiquaire découvre des ruines intéres- santes : débris considérables d'édifices publics et pri- vés, tronçons de colonnes, blocs énormes couverts de sculptures. Plusieurs inscriptions en caractères hiéro- glyphiques, dues au ciseau égyptien, révèlent l'origine de cet établissement depuis longtemps abandonné. I >ans le Mokatteb, sur les rochers de Pharan et jusque dans le voisinage du Sinaï, on trouve d'autres inscrip- tions en caractères inconnus; les savants u'ont pas encore réussi à les déchiffrer, et ils continueront long- temps sans doute à exercer leur patience.
Dès qu'on s'engage dans les défilés des montagnes, le voyage n'a plus la même monotonie; niais il devient très -dangereux. Les sentiers sont difficiles et â peine tracés. Tantôt il faut descendre au fond d'une ^ore-e obscure; tantôl il faul escalader les (Lines abrupts de la montagne. Parfois on chemine en tremblant sur une corniche étroite, d'où le moindre faux pas peut vous faire rouler dans un précipice. Duranl la saison des pluies, les torrents creusenl ^\r> ravins qu'on a mille peines â franchir, ou entraînent i\e>, blocs (''normes qui barrenl le pa âge. En certains endroits la route est, tellemenl encaissée entre (\c> rochers à pic, que le ciel paraît comme un ruban bleu irrégulièrement découpé. I outes ces montagnes sont formées de grès et de granil
rougeâtres, el entremêlées de massifs de porphyre d'un
i > i i i •_• . . • i . i i i
SINAI. 25
La vallée enfin s'élargit, el Les premiers arbres de l'Ouadi-Pharan viennenl égayer cette uature sauvage. Bientôl apparaisseni de frais jardins, où se dresseni el se pr ni. au milieu de mille arbrisseaux, des pal- miers, des acacias, des jujubiers, des tamarisques. Le voyageur français y distingue avec plaisir Le pom- mier, cher aux Normands, le figuier, L'oranger, Le citronnier, L'olivier, el même quelques treilles chargées de pampres el de grappes vermeilles. Des sources abon- dantes entretiennenl partoul la fraîcheur el La fertilité. Les cabanes e1 Les tentes des Arabes sont dispersées dans un désordre pittoresque. Gomme Jéthro, beau- père de Moïse, et comme Les patriarches, la plupart Mrs habitants de cette contrée sont pasteurs. Durant la belle saison, ils mènent paître leurs troupeaux dans les vallons du voisinage. Parfois ils s'aventurent dans Le désert. En général ils sont robustes, tiers et jaloux de Leur indépendance. Ils regardent avec défiance l'étranger
qui visite leurs villages, et leur défiance se change aisé- ment en hostilité. Leur vêtement consiste en une tunique
de laine sans manches, à raies brunes et blanches; leurs sandales sonl lixées sous le pied à l'aide d'un cordon de laine. Les femmes portent une longue robe de toile. Leur visage, à L'exception des veux, est couvert d'une bande d'étoffe noire; elles jettent un ample voile blanc par-dessus leurs vêtements. La parure qu'elles affec- tionnent est un collier de verroteries bleues.
L'antique cité de Pharan ou Feyran, qui a donné son nom à cette charmante vallée, était assise au sommet d'un rocher isolé, au milieu de la vallée principale. en tare (l'une autre petite vallée encombrée d'acacias,
ai; \i.ii: ii.ihi 1.
donl le verdoyant parasol repose agréablement la vue. La ville ressemblai! à l'aire d'un aigle, placée sur un pic inaccessible. Les abords en étaienl défendus au moyen de remparts en briques, et de murs dont les fondations ressemblent aux constructions cyclopéennes. Rien de plus curieux que le site de Pharan, entouré de hautes roches granitiques, au-dessus desquelles le Serbal dresse sa tête toujours blanchie de neiges.
Quelle est l'origine de cette ville? on l'ignore. Peut- être était-ce nu établissement chrétien-? Les ruine- qu'on v remarque offrenl plus d'un Imil de ressem- blance avec celles des cités chrétiennes élevées, durant l'ère des persécutions, sur les pics et les versants des chaînes libyque et arabique. Quoi qu'il en soit, l'oasis de Pharan produit l'effet d'un jardin enchanté sur le voyageur venant d'Egypte, après quinze jours passés
dans le désert. On y nul. tir prompte ni ses fatigues.
[| D'y a plus, d'ailleurs, qu'une faible distance à par- courir avanl d'arriver au monastère du Sinaï.
I '■ qu'on esl installé dans une cellule du monastère .1.- Sainte-Catherine, au pied du monl Sinaï, l'esprit ne tarde pas â être pleinemenl occupé du souvenir «les
«nements dont ce coin «lu monde fui le théâtre. Tout
qui environne es1 propre à exalter l'imagination.
La presqu'île <lu Sinaï, resserrée entre les deux bras de
la î Rouge, pré sente un aspect et une conformation
tels il n'existe rien de comparable en aucun autre
I ni côté de l'occident , le géologue reconnaît des
hea de formation primitive, soulevées par des feux
portant les traces de bouleversements
effrovable , Vi ra l'orient, les marbres el les roches cal-
S IN Al. 27
caires dominent. Nulle description ne peul donner une idée exacte «lu spectacle otl'eiï par ces rochers entassés les uns sur les autres dans une confusion inexprimable. o < î'esl comme une vaste mer, dil M. Léon de Laborde, qui, sous l'impulsion d'une tempête, envoie ses vagues jusqu'au ciel, et creuse entre elles de profonds abîmes. » Supposons que la mer ail été fixée dans cet étal violent, el pétrifiée en masses de basalte, de granit et de por- phyre, el nous aurons quelque idée du tableau qui se présente à la vue lorsqu'on est parvenu au sommet des montagnes les plus ('lèvres, telles que le Sinaï, le Serbal, le Salef, le Ferah ou le Gounné, sur la chaîne deTyh. Le Sinaï, l'Horeb et le mont Sainte -Catherine sont, pour ainsi dire, trois cimes d'une seule et même mon- tagne. Sur les versants du Sinaï, à l'est, s'étend le pays de Madian, où Moïse, fuyant la vengeance des Égyptiens, vint chercher un refuge. Pendant quarante années, Moïse conduisit les troupeaux de Jéthro dans ces vallées étendues à nos pieds, toujours fréquentées des Arabes nomades et pasteurs. Les pâturages, en effet, y sont excellents. A l'époque «les pluies, l'eau descend des montagnes et séjourne au fond des vallées. Quand ell( s'évapore aux premières chaleurs du printemps. elle donne uaissance à des herbes abondantes. Un jour que le prophète avait mené son troupeau jusqu'au pied de l'Horeb, il aperçut au loin un buisson qui brûlait -ans se consumer, et d'où jailli --ait une flamme étince- lante. Dieu parla à Moïse du milieu de ce buisson, et lui confia la mission de délivrer son peuple de la servitude d'Egypte. Alors commence une série de prodiges qui finira seulement sur le mont Nébo. L'année même de
\ i; Mil I M II; ÉE.
.ortie d'Egypte, la loi lui promulguée sur leSinaï, au milieu de circonstances donl le souvenir est gravé en caractères ineffaçables el dans la mémoire el dans la conscience des hommes. Le Décalogue est le code de la morale divine. Jamais la sagesse humaine n'aurait réussi à formuler en dix articles H avec une «'-aie précision tous les devoirs essentiels de l'h me en- vers Dieu, envers la société e1 envers lui-même.
Au fond d'une chapelle du monastère fondé par l'em- pereur Justinien, derrière le chevel de la basilique, on 1ère le buisson ardenl <>ù Dieu manifesta sa présence ,.| daigna s'entretenir avec son serviteur. Cette chapelle est très-ornée : on y admire de curieuses mosaïques, attribuées au \ r siècle, el semblables en tout aux plus anciennes mosaïques byzantines. Personne n'y pénètre sans avoir ôté sa chaussure. L'aulel est surmonté d'une petite coupole, el le sol es1 recouverl de plaques d'ar- gent. Il faul ajouter que l'église entière du couvent est forl remarquable. Quantité d'œuvres d'arl la décorent, .•I l'on distingue des tableaux d'une liante antiquité. Les grandes mosaïques de l'abside, représentai Justinien, l'impératrice sa femme el les membres de la famille im- périale, méritenl toute l'attention des archéologues; les ligures pas enl pour des portraits ressemblants. La / figuration de Notre- Seigneur, tableau principal du sanctuaire, est comparable aux plus célèbres mo-
l .h ïtantinople, de Ravenne et de Venise. L'histoire de l'arl gagnerail beaucoup si ces précieuses
étaienl plus connues el reproduites par la Le mona itère du Sinai reçut sa consécration le titre de la Transfiguration
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S1N A I. 31
Après l'église, la bibliothèque mérite qu'on s \ arrête. Plût au ciel que les érudits pussent s'v arrêter plus longuemenl que pour satisfaire quelques moments de curiosité! Sur des rayons poudreux dorment d'assez nombreux manuscrits grecs, coptes, syriaques et arabes, dans lesquels probablement l'érudition euro- péenne retrouverait pins d'une œuvre des suints Pères dont la science ecclésiastique déplore la perte. Mais l'ignorance et la jalousie rendent ces trésors inutiles: ces manuscrits ne sont jamais communiqués aux étrangers.
Tout le monastère, appartenant aujourd'hui aux Grecs schismatiqueSj est assez élégamment Itàti et proprement disposé, ce qui n'est pas un médiocre éloge pour une habitation d'Orient. Il offre L'aspect d'une forteresse entourée de murailles hautes, épaisses et très-solides. On a pris toutes sortes de précautions pour le mettre à l'abri d'un coup de main; le voisinage des Arabes en a de tout temps fait sentir la nécessité. L'entrée ordinaire esl â une grande élévation : on y parvient à l'aide d'un câble auquel on s'attache, et qui enlève le voyageur en s'enroulant autour d'une (''norme poulie. An niveau du so] il existe une porte cintrée; mais elle est murée ha- bituellement, et ne s'ouvre «pie dans de rares occasions. Ondémolil le mur à l'époque et au moment précis de la visite de l'évêque : on le reconstruit sur-le-champ. Des meurtrières sont destinées à faire peur, et dans un coin reposent Lnoffensifs deux petits canons rouilles.
Tous les étrangers n'ont pas le courage ou la force d'entreprendre l'ascension du Sinaï. Mais nous n'avons pas bravé les fatigues d'un long voyage pour nous rési- gner à voir de loin seulement cette célèbre et sainte
VIIABJ E PÉTRÉ1
i,i, » 1 1 1 ; t _i 1 1 < Au poinl du jour nous partons accompagnés d'un jeune et robuste religieux qui doit nous servir de nriiide. Plusieurs petits Bédouins nous suivent dans l'es- poir de gagner quelques pièces de monnaie. Un Arabe porte des provisions. Lu montée commenceau sortir du monastère. 1 >ans un premier élan, nous gravissons assez lestemenl un sentier rude, escarpé, semé de pierres; mais notre empressemenl ne tarde pas à se modérer. La marche devient très-pénible; el à une certaine hauteur un venl violenl et froid contrarie nos mouve- ments. Nous sommes forcés de nous arrêter souvent pour prendre haleine. Les obstacles s.- multiplient; il nous faut parfois ramper sur les mains et sur les genoux, en nous accrochant aux aspérités du rocher. En plus d'un endroil le passage est périlleux. Mien, du reste, n'esl triste comme ces roches arides e1 déchirées. On aper- çoil à peine çà et là de faibles traces de végétation.
<>n i - montre d'abord une espèce de chapelle
formée de pierres entassées les unes sur les autre- sans aucune liaison de ciment. Là, dit-on, vint se reposer la sainte Vierge fuyanl ver- l'Egypte. Cette prétendue tradition n'offre aucune vraisemblance. Il est probable que la sainte Famille suivil la rente fréquentée. Gom- ment d'ailleurs choisir pour lieu de repos un endroil presque inaccessible? l'n peu plus haul s'ouvre la
erne dans laquelle vécul le prophète Elie, nourri miraculeusemenl par un corbeau qui lui apportait un pain chaque jour. I In petil plateau couvert d'herbes
hes nous invite à faire halte. Nous cédons volon- cette invitation, d'autanl plus que le puits •l I lie fournit une eau limpide el excellente*.
SINAI. 33
A partir de ce poinl L'ascension devienl encore plus pénible. La force du veut el la vivacité du froid aug- mentenl : dans les ravins ouverts au nord La neige ne fond jamais. A mesure que nous escaladons une cime, une autre se présente plus roide encore. L'œil fasciné croil que c'esl La dernière; on redouble d'efforts : vaine attente; «le nouveaux étages succèdent aux premiers. !•'■ pie du Sinaïa un aspecl effrayant : au-dessus de nos têtes se dressenl «les aiguilles de granit; à nos pieds >"<>iiYiviit des abîmes sans fond; c'est à donner le ver- tige. Cependant qous grimpons avec persévérance. En- fin, grâce à Dieu, non- voilà au sommet. Nous touchons le Rusch habar, la tête de la montagne, où le Seigneur s'entretint avec Moïse et lui dicta les commandements. On se sent involontairement saisi d'une émotion pro- fonde, en contemplant cette grande scène des plus grands événements. Du faîte de la montagne, le regard se perd dans une ('tendue immense, sans pouvoir se fixer autre part que sur des roches brisées. C'est un spectacle d'une horreur sublime. Le vent, qui souffle
avec force, gémitd'unemanièrelugubreentre les rochers. Nous voyons la grotte irrégulière et peu profonde où se cacha Moïse tandis que Dieu passait, afin de n'être point opprimé de l'éclat de sa gloire. Ces rochers ont reflété la splendeur de la majesté divin-. Aux veux de la foi le Sinaïest une montagne sainte : on en visitera pieuse- ment les sommets jusqu'à la tin des siècles. Aux yeux du voyageur indifférent, le Sinaïest un.' montagne sem- blable à tant d'autres montagnes d'un effet pittoresque, du hautde laquelle, à sept mille piedsau-dessusduniveau de la mer. on peut jouir d'une perspective sans limites.
3
ai; \i:i i l'i n; il.
Le monl Sainte -Catherine est plus haut que le Sinaï d'environ mille pieds; l'Horeb est beaucoup moins élevé. \ ius en gravissons les pentes, nous arrêtanl à tous les endroits consacrés par la tradition. Unis la vallée de Raphidim, on nous montre le rocher frappé par Moïse, el d'où jaillirenl des eaux abondantes, (l'est un bloc considérable de granit, isolé sur un soi sec el aride. Une large rigole, peu profonde, le sillonne «le haut en bas. Li - A^rabes l'appellent aujourd'hui, comme au temps de Moïse, comme au temps de David, la pierre de la Ten- tation, • '! l'en !• Mirent i l'une espèce «le vénération super- stitieuse. Non loin de là, on remarque dans le rocher une légère excavation évidemmenl faite de main d'homme, el qui servit, dit-on, de moule à Aaron pour couler le métal du venu d'or. Sur la cime du mont Sainte -Catherine, on trouve les ruines d'une petite chapelle érigée jadis à l'endroil où les anges déposèrent
orpt: de la glorieuse vierge et martyre d'Alexandrie.
CHAPITRE II
DESERT. PETRA
- nf*
\ ijuittant l«' monastère Sainte- Ca-
''^%h tienne, nous ne pouvons détacher
5>T nos regards «lu Sinaï. L'aspect de la
i itaii'ne sainte exerce sur nous
'; une sorte de fascination. Nos guides v- ont reçu l'ordre de nous conduire à Ak.diali. Bientôt nous dous trouvons engagés au milieu de gorges étroites et de vallées déchirées par les torrents. Les versants orientaux du groupe sinaïtique sont encore plus affreux que ceux qui regardent L'occident. Dans les sentiers semés de cailloux, les chameaux tré- buchent à chaque pas. Des vents furieux, à l'époque des équinoxes, bouleversent le sol, et rendent mécon- naissables les chemins naguère fréquentés. Nos Arabes
VRABIE PÉTRÉE.
interrogent sans cesse du regard, aussi loin que La vue peul s'étendre, rochers, collines et vallées. La solitude esl profonde, aucun bruil que celui de notre petite caravane ne \ ienl rompre le silence.
A | ► i . - avoir erré longtemps dans un labyrinthe de passages resserrés, nous débouchons dans l'Ouadi- Ghazalet, la vallée de /" (luzrllc. Derrière nous, au loin, le Sinaï dresse sa tête jusqu'au ciel : nous le saluons d'un dernier regard. La marche devient inoins pénible; mais l'aridité esl extrême : le manque d'eau nous rail beaucoup souffrir. Enfin, au détour d'un liant monticule, la mer au loin nous apparaît resplendis- sante. Le golfe orienta] de la mer Rouge esl presque inconnu des Européens : le commerce n'attire per- sonne vers ces rivages inhospitaliers. L<- golfe Éla- nitique, en outre, esl dangereux pour les navires: des hers madréporiques, cachés à fleur d'eau, forment des écueils difficiles à éviter.
Le malin, m pliant noire tente, nous sommes témoins d'un magique lever de soleil. L'obscurité
ne encore, quand toul à coup le disque du soleil monte à I horizon, radieux el lançant t\c> traits de l'en. L'aurore n'annonce pas son approche. Dans les « limats chauds, il s'élance soudain dans le ciel, répandant des clartés éblouissantes. On comprend alors la beauté de la poétique comparaison du roi David, disanl dans les urne* que le soleil prend son essor comme un géant
■ a r pan oun > i • arrière.
I • i du g »lfe 'l Ak.iluli n'offrenl aucune sécurité
au? geurs. Des Bédouins armés se cachent derrière
rochers, guettant leur proie, décidés à lier, .-'il Je
DÉSERT. PÉTRA. 37
faut, afin de piller plus à L'aise. La moindre résistance est un signal de mort. Ils û'hésitent même pas à attaquer les caravanes , s'ils se croienl les plus forts. Au milieu du désert. L'homme ne rencontre que des ennemis. Il faut se tenir sans cesse en éveil, el marcher Les armes à La main. A La moindre alerte, au plus Léger soupçon, on s'arrête e1 L'on se mel en défense. Un troue d'arbre ren- versé vous inquiète : on craint que la mort n'y soit en embuscade pour vous attendre et vous frapper. L'œil des Arabes esl clairvoyant, e1 Leur oreille fine. Tl faut vivre parmi eux pour se taire nue idée de la vigilance, de L'activité el des ressources qu'ils déploient.
Le paisible habitant de nos villes et de nos cam- pagnes de France ne saurait imaginer celle vie conti- nuelle d'inquiétudes el d'alarmes, [ci nulle sécurité ni le jour ni la nuit. La force seule impose le respect : le droit \ es1 inconnu. Les vêtements les pins simples sont la meilleure sauvegarde contre la convoitise des Bédouins. Malheur aux imprudents qui se hasardent dan- ces contrées sauvages en laissant paraître le moindre objel de Luxe! ils seront victimes de la rapa- cité des voleurs. Si Ton vient à tomber sous la balle ou Le poignard des assassins, le crime demeure ignoré et impuni.
Ces réflexions assiégeaient notre esprit tandis que notre caravane longeail le bord de la mer. Les précau- tions multipliées «le nos guides n'étaient pas propres à nous en débarrasser. Enfin nous amvonsà Àkabah. Quelques chétives cabanes à La porte desquelles s'étalenl l'indigence el la malpropreté, une tour carrée servanl de logement au gouverneur et à une Lande de soldats
A.RABÏE l'l: I 'RÉE.
indisciplinés, un beau bouquel de palmiers donnanl
abri à des li mes en guenilles, telle esl la ville qui
remplace l'antique el opulente cité d'Eziongaber, d'où Salomon envoyait ses navires à Ophir et jusqu'aux plages lointaines de l'océan Indien. La position de cette pauvre bourgade, où l'on compte à peine quatre cents habitants, sur les bords «lu golfe Élanitique, ne manque pas d'un certain charme el de pittoresque. La mer y esl magnifique; la rade paraîl sûre <'t com- mode; la végétation n'attend que la culture pour s'y épanouir; les montagnes forment le fond du tableau. La uature y sérail admirable, si les hommes y étaient moins dégradés.
Nous dressons nos tentes à l'ombre des palmiers. A peine installés, uous sommes exposés à la plus gê- nante importunité. Les uns après les antres, les Arabes viennent s'asseoir à l'entrée, examinenl chaque objet, el nous accablenl de questions. Tous veulent savoir d'où nous venons, où nous allons. Entre les demandes dictées par la curiosité, il n'esl pas difficile d'en distin- guer quelques-unes peu propres à nous rassurer sur la suite de notre voyage. La nuit, il nous fui impossible de goûter le moindre sommeil. De jeunes Arabes causaient, chantaient, dansaient, accompagnanl leurs danses de contorsions el de cris effroyables. Dès le matin, nous levons notre tente sans bruit, e1 nous rentrons dans le désert. Nous ne sommes pas sans appréhension : les fils il I ■ I ont toujours la muni levée contre tous. N 19 chameaux onl beau hâter le pas, déjà nous enten- dons les cris des Arabes el de sinistres rumeurs. En vain nos guides pressenl la marche; les vois se rap-
DÉSERT. PÉTRA. 39
prochent de nous. Nos efforts seront inutiles : les
Bédouins sont sur nos talons; bientôt ils nous rejoi- gnent, haletants, couverts de sueur et de poussière, leurs Longs fusils sur L'épaule, l'œil étincelant, la me- nace sur les lèvres. Nous taisons lionne contenance, et l'on se met à parlementer. Ces brigands, qui pouvaient nous tuer, se contentèrent de nous rançonner.
Le désert, entre Âkabah et Nakel, comme dans les autres directions, rappelle à chaque pas au voyageur, s'il pouvait l'oublier, qu'il est dans l'Arabie Pétrée. « Qu'on se figure un pays sans verdure et sans eau. un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablon- neuses, des montagnes encore plus arides, sur les- quelles l'œil s'étend et le regard se perd sans pouvoir -arrêter sur aucun objet vivant; une terre morte, et, pour ainsi dire, écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés, un désert entièrement découvert où le voyageur n'a jamais respiré sous l'om- brage, où rien ne l'accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante : solitude absolue, mille fois plus affreuse que celle des forêts: car les arbres sont encore des êtres pou • l'homme qui se voit seul. Plus isolé, plus dénué, plu- perdu dans ces lieux vides et sans bornes, il voit partout l'espace comme son tombeau; la lumière du jour, plus triste que l'ombre de la nuit, ne renaît .pie pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l'horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l'abîme de l'immensité qui le sépare de la terre habitée; immensité qu'il tenterait en vain de parcou-
VRABIE PÉTRI I .
ii i . car la faim, la soif e1 la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restenl entre le désespoir et h mort.
i pendant l'Arabe, à l'aide d'un chameau, a su franchir el même s'approprier ces lacunes de la nature; elles lui servenl d'asile, elles assurent son repos, et le maintiennent dans son indépendance. Mais de quoi les hommes savent-ils user sans abus? Ce même Arabe, libre, indépendant, tranquille e1 même riche, au lieu de respecter ces déserts comme les remparts de sa liberté, les souille par le crime; il les traverse pour aller chez des nations voisines enlever des esclaves et il" l'or; il s'en serl pour exercer son brigandage, dont malheureusement il jouit plus encore que de sa liberté, car ses entreprises sont presque toujours heureuses. Malgré la défiance de ses voisins et la supériorité de leurs forces, il échappe à leurs poursuites, et emporte impunément tout ce qu'il leur a ravi. Un Arabe qui se destine à ce métier de pirate de terre s'endurcit de bonne heure à la fatigue des voyages; il s'essaie à se passer de sommeil, à souffrir la faim , la soif et la cha- leur : en même temps il instruit ses chameaux, il les élève et les exerce dans celle même vue: peu de jours après leur naissance, il leur plie les jambes sous le ventre, il les contraint à demeurer à terre, et les 'li dan cette situation, d'un poids assez fort,
qu'il les accout e à porter, et qu'il ne leur ôte que
pour leur en donner un plus fort; au lieu de les laisser
toute heure et boire à leur soif, il commence
• i leur-, repas, et peu à peu les éloigne à de
distan es . en diminuant aussi la quantité de
DÉSERT. PÉTRA. H
l,i Qourriture. Lorsqu'ils sont un peu Torts, il les exerce à La course; il Les excite par L'exemple des chevaux, et parvienl à Les rendre aussi Légers et plus robustes. Enfin, dès qu'il es! sûr de La force, de la Légèreté et de
la sobriété de srs chameaux, il les charge de ce qui est nécessaire à sa subsistance el àla Leur; il pari avec eux, arrive sans être attendu aux contins du désert, arrête les premiers passants, pille Les habitations écartées, charge ses chameaux de son butin; et s'il est poursuivi, s'il est forcé de précipiter sa retraite, c'est alors qu'il développe tous ses talents et les leurs : monté sur l'un des plus Légers, il conduit la troupe, la fait marcher jour et nuit, presque sans s'arrêter, ni boire ni manger : il l'ait aisément trois cents lieues en huit jours; et pen- dant tout ce temps de fatigue et «le mouvement, il laisse ses chameaux chargés; il ne leur donne chaque jour qu'une heure de repos et une pelote de pâte : souvent ils courent ainsi neuf à dix jours sans trouver de l'eau, ils se passent de boire : et lorsque par hasard il se trouve une mare à quelque distance de leur route, ils sentent l'eau de plus d'une demi-lieue : la soif qui les presse leur fait doubler le pas, et ils boivent en une seule fois pour tout le temps passé et pour autant de temps à venir; car souvent leurs voyages sont de plu- sieurs semaines, et leur temps d'abstinence dure aussi longtemps que leurs voyages4. »
Longer l'Ouadi-Arabah el visiter les ruines de Pé- tra , aujourd'hui Garac, tel était notre dessein; mais nos guides n'y voulurent jamais consentir. Ils ne pouvaient
i Buffon. Le chameau et ?<■ dromadaire.
VRABIE PÉTRÉE.
en entendre parler sans montrer Ions les signes de la plus vive terreur. Nous riions sur un territoire ennemi: les Bédouins ue perdraienl pas nos traces, ils nous suivraienl à la piste; nous allions être exposés aux attaques de bandes organisées. Telles étaient leurs rai- sons; el uotre récente aventure aux environs d'Akabah leur venail singulièremenl en aide. Nous nous enfon- çons de plus en plus dans le désert de Tyh, évitant les chemins fréquentés, choisissant les passages les plus dangereux. Le sol est semé d'ossements blanchis, et dans une vallée détournée gisent plusieurs squelettes de chameaux auxquels adhèrent des lambeaux de chair; uon loin nous apercevons le cadavre d'un homme à peine recouverl de quelques poignées de sable. La frayeur de uos guides ne connaît plus de bornes, et ce triste spectaele nous engage à redoubler de précautions. A la halte du soir, qous cachons uos tentes derrière un pli de terrain : poinl de lumière sous la tente, point de flammes au fover. Nos armes restent près de nous, et pen luit que la caravane se repose, l'un de nous l'ail sentinelle et veille toute la nuit.
Notre course dans le désert de Tyh devient, très- monotone, sauf quelques alertes, qui réveillent notre attention. En approchanl de Galaat-el-Nakel, le sol lit moins aride. Api.''- de longues journées de soli- tude et de chaleur accablante, nous jouissons de la vue des beaux arbres qui entourenl le village. („<à el là des t luffes verdoyantes, des arbrisseaux, <\<i> prairie-, ({('>•
troupeaux de don-, des maisonnettes, des jardins :
tel ''-t l'aspecl de Nakel. Une fontaine abondante a donné naissance à cette oasis el y entretient une liai-
DÉSERT. PÉTRA. 43
cheur agréable. Bientôt nous arriveronsà Hébron; en- core quelques jours de fatigues, H nous entrerons dans la Terre promise. Mais commenl su résigner à laisser Pétra à si peu de distance sans voir cette antique capi- tale des Nabathéens, La ville principale de la troisième Palestine, selon quelques auteurs: la capital.' actuelle de L'Arabie Pétrée? Nous aurons donc inutilement bravé tant de périls; car le voyageur peut aisément ffaemer La frontière de La Palestine en suivant le chemin ordinaire à peu de distance delà Méditerranée.
Apres mille hésitations, grâce à une somme assez considérable, argument auquel un Arabe ne sait guère résister, nous décidons enfin quelques habitants de Nakel à nous accompagner à Pétra. Nous prenons des provisions, et dès le point du jour nous changeons de direction. Les nouveaux guides, si braves au départ, semblent perdre de leur assurance à mesure que nous approchons du but. Non loin du mont Hor, où mourut Aaron, dans la vallée habitée jadis par les Iduméens, les Amalécites et les Moabites, réunis depuis en une seule peuplade, on rencontre des traces d'une civilisa- tion éteinte : ce sont les ruines d'un grand édifice, ser- vant probablement de forteresse avancée pour défendre L'accès de Pétra. A L'ouverture de la vallée, il y a de l'eau fraîche, quelques palmiers et les restes d'un cara- vansérail. Un peu plus loin, on entre dans une vallée remplie de lauriers -roses, et Ton approche de Pétra. « Nous tournons autour d'un pic surmonté d'un arbre isolé, dit M. de Laborde ', dont nous avons vérifié en
i Voyage dans l'Arabie Pétrée.
\ i; \|:l I. i'I l RÉE.
plus d'une occasion, sur les Lieux, l'exactitude scru- puleuse. La vue esl immense de ce point, l;i solitude aflïeu esl une mer el ses vagues pétrifiées : c'est plus que cela, c'esl un chaos, I.n continuant le sentier, nous apercevons devanl nous le monl Eïor, surmonté • lu tombeau d'Aaron, antique tradition conservée par un peuple si vieux, qu'il n'a plus que des impressions d'enfance ou des souvenirs de tant de siècles. Quelques excavations grossières et en ruines arrêtenl le voyageur qui s'y intéresse, ne sachanl ce que lui cache le rideau de rochers qui s'étend devanl lui; enfin le sentier le conduil au haul d'un autre ravin, et ses yeux décou- vrenl à l'horizon le pins singulier spectacle, le pins ma- gnifique tableau que la nature dans sa création gran- diose, les I unes dans leur ambition vaniteuse, aienl
ué à la curiosité des générations qui devaienl sui"\ re. A Palmyre, la nature annule les efforts des hommes par son immensité, par son horizon sans fin sur lequel se perdenl quelques centaines de colonnes; ici, au con- traire, elle semble s'être pin à encadrer de sa grandeur des constructions qui Luttenl non sans avantage avec elle, à mettre en harmonie la force el la bizarrerie de sa structure avec le grandiose el Les conceptions variées de ces monuments des hommes. On hésite un momenl auquel <\>'> deux on accordera son admiration : à la pre- mière, qui fixe l'attention par une ceinture de rochers i • majestueux de formes el de couleur; aux inds, qui n'onl pas erainl de mettre en regard de cette fort ition le produit de leur génie. »
\ Pétra, "ii trouve d»-> tombeaux semblables â des pal ilonnades, leurs statues, el tous les
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DÉSERT. PÉTRA. '•"
ornements d'une brillante architecture. Ici les morts sont mieux logés que les vivants. Le monumenl appelé Khasné-Pharaon, le Trésor du Roi, frappe le voyageur de surprise et d'admiration : c'esl là que la mort a été logée avec le plus de magnificence. Toutes ces tombes superbes qui font de la vallée de Pétra une imposante nécropole, n'ont point été outragées par le temps, et nous pouvons croire qu'elles ne se briseront qu'au bruit de la trompette du dernier jugement. Des ruis- seaux bordés de lauriers-roses, beaucoup d'arbustes et de fleurs adoucissent les teintes sévères de l'Ouadi- Mousa, et mêlent les riantes images de la vie aux som- bres images de la tombe.
« Au temps des croisades, Pétra fut une seigneurie française. Tous ces monuments merveilleux, auprès desquels aujourd'hui le voyageur le plus intrépide ne parvient qu'avec peine, étaient compris dans le do- maine de nos chevaliers. L'Ouadi-Mousa, dont l'entrée est maintenant sévèrement gardée par le fanatisme des fellahs, était alors un lieu de promenade pour les com- pagnons de Renaud de Châtillon, et nos guerriers francs se donnèrent quelquefois sans doute le plaisir de la chasse autour du grand tombeau El-Deir ou du Khasné-Pharaon. Qui croirait que les chroniques con- temporaines n'ont pas dit un mot des monuments de cette vallée? En 1183, quand Saladin passait comme la tempête sur les colonies chrétiennes, il entreprit vai- nement le siège de Garac; mais peu de temps après la place, manquant de vivres et de défenseurs, ouvrit ses portes aux musulmans. Saladin, en assiégeant Carac, voulut venger l'outrage que Renaud de Chàtillon avait
\i; \i;li: PÉTRI E.
lait à l'islamisme, lorsque celui-ci s'était avancé jus- qu'aux portes de la Mecque el de Médine. Un aulour arabe, Mogir-Eddin, nous apprend que dans cette ex- pédition le dessein des chrétiens était de ravir les osse- ments de Mahomel à Métline, pour mettre lin aux pèle- rinages des musulmans. Ce seigneur Renaud, qui fit transporter des navires à dos de chameau depuis Garac jusqu'à la mer Rouge, qui attaqua la religion du Crois- sanl dans son sanctuaire 1»' pins sacré, avait rempli du bruil >\r sa renommée tontes les contrées de l'< Irient, et son souvenir se conserve peut-être encore sous les tentes de l'Arabe1. Le vaillant Renaud compromit sou- vent les intérêts chrétiens par sa bouillante ardeur; mai s il rouvrit ses fautes par l'héroïsme de sa mort. Fait pri- sonnier à la bataille de Tibériade, il refusa noblement de se racheter par l'apostasie, et ne tint nul compte des menaces de Saladin,qui le frappa de son sabre. Puis, à l'ordre du sultan, >\r+ soldats se jetèrent sur le cheva- lier sans armes, dont la tête alla rouler aux pieds il un autre prisonnier chrétien, Guy de Lusignan. »
\pn'- avoir satisfait notre curiosité, nous cherchons une retraite pour y passer la nuit. En arrivante Pétra, nous avions payé un tribut au scheik. Cet impôt est supposé donner au voyageur droit à la protection du scheik et des Arabes auxquels il commande. L'expé- rience ne tarda pas à nous apprendre quel compte il faut faire de la parole <\<:> Bédouins. A peine installés dans une grotte sépulcrale, nous sommes assaillis par
1 \ i Pou ul.it, c, ne* d'Oricnl, tome IV. — Biblio-
nie IV.
DESERT. PETRA. 19
une borde effrayante. Genl hommes armés de fusils, de sabres, de cimeterres., de poignards el de massues, pro- fèrent contre nous menaces et imprécations. Les poi- gnards affilés jettenl des éclairs sinistres. Mes mains vigoureuses brandissent le terrible yatagan. Quelques fusils s'abaissent et sont dirigés contre notre poitrine. Au milieu d'un concerl de vociférations effroyables, nous cherchons à distinguer le scheik : il a disparu. Gomment échapper à ces brigands, dont les yeux brillent comme ceux du chacal affamé? Nous faisons signe de la main; le silence s'établit aussitôt. Vous eus- siez vu alors tous les regards fixes et toutes les mains tendues en avant : nous venions de montrer une bourse. Nous disons à haute voix que le scheik a reçu déjà une somme considérable, mais que, pour obtenir quelque repos, nous consentons à donner une nouvelle somme à titre de présent, à condition toutefois qu'on se reti- rera sur-le-champ. La condition est acceptée; l'argent est compté. Alors commence une scène ignoble. Tous se ruent les uns sur les autres : c'est à qui aura la part la plus forte. Les querelles s'échauffent, des cris ils vont passer aux coups. Lutin ils s'éloignent, l'écho seul répèl • en murmurant les dernières rumeurs.
Nous étions sur le point de nous endormir, quand une autre bande se précipite à L'ouverture de la grotte, et renouvelle les mêmes gestes, les mêmes imprécations, les mêmes menaces. Nous regardons les mouvements des Bédouins sans avoir l'air d'y faire attention. Leur fureur s'accroît, et atteint promptement le dernier degré du paroxysme. In Arabe d'une taille et d'une force extraordinaires s'avance et impose silence à la
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\i;\l; Il PETREE.
multitude. I! s'annonce comme étant le scheik, et ré- clame un tribu! auquel esl soumis tout étranger qui passe la nuit à Pétra. C'était un mensonge, et, sur un refus de notre part, le tumulte et l'agitation prennent un caractère toul à fait inquiétant. < "était une comédie sans doute; mais toul semblait faire prévoir un dénoûmenl tragique. Nous remettons la somme réclamée: nouvelles disputes, nouvelles rixes. Voilà les Bédouins partis.
Enfin nous allons goûter un sommeil dont nous avons grand besoin. Une troisième fois les hédouins reviennent à la charge. Que peul faire un voyageur seul, entouré de voleurs armés jusqu'aux dents? Se résigner à payer une troisième fois. C'est ce que nous conseillait la prudence. Ne doit-on pas encore s'esti- mer heureux de pouvoir soustraire quelque chose à la rapacité de gens sans foi ni loi, qui ne reculeraient pas devant l'assassinat? Quand on a été témoin e1 vic- time de pareilles violences, il esl impossible d'en perdre jamais le souvenir. Le tableau tracé par Bufifon de la
icité et de l'insatiable avidité *\*'>< Arabes ne présente que des teintes adoucies. Quels trépignements de joie el de fureur autour d'une proie! Gomme tous les re- gards étaient enflammés à la vue de quelques pièces d'or! Li vêtements en désordre, la barbe hérissée,
yeux remplis de feu el de sang, les lèvres frémis-
antes, la voix rauque, la respiration haletante, dos
mouvements convulsifs, le cliquetis des armes : quel
horrible spectacle! ainsi doil être une vision de l'enfer 1
Notre admiration du jour précédent . il faul l'avouer,
til un peu refroidie. I te grand matin nous jetons un derniei coup du il sur ces ruines si gracieusement
DÉSERT. PÉTRA. M
encadrées dans la verdure. Pas un Arabe ne paraît à l'horizon. Il> se reposaienl sans doute de leurs exploits nocturnes. Nous décampons au plus vite, et nous sui- vons l'Ouadi-Arabah. Tous les voyageurs el les géo- graphes ont répété que cette vallée, resserrée comme un large canal entre les montagnes, était l'ancien lit du Jourdain, qui avait son embouchure dans la nier, à la pointe du golfe Élanitique, avanl la terrible cata- strophe qui bouleversa la Pentapole, détruisit Sodome et Gomorrhe. Quelques collines transversales contra- rient cette opinion; car elles auraient barré le cours du fleuve. Peut-être cependant formaient -elles des cascades; peut-être aussi furent-elles soulevées par les feux souterrains qui ébranlèrent toute cette con- trée, et creusèrent les abîmes de la nier Morte?
Notre voyage se continue sans nouvel incident. Nous ue tardons pas à reconnaître que nous avons quitté 1 "Arabie Déserte. Des bouquets de verdure, des arbres même, des pâturages reposent la vue. Fréquemment nous rencontrons cb-> bergers, et nous nous croisons avec de petites caravanes qui vont d'un lieu à l'autre. Enfin nous respirons à Taise : il y a si longtemps que nous n'avons vu d'hommes sans les craindre! Nous touchons aux frontières de la civilisation. Demain nous serons à I fébron.
JUDEE
CIIAI'ITISK III
H EB RIIN
ux portes d'Hébron, les Arabes du Sinaï et de Nakel,qui nous servent de gui,irs. rencontrent une tribu amie. La reconnaissance est cor- diale, joyeuse et bruyante. Au plaisir de trouver des frères se ^-^Ob«à> joint celui de terminer heureuse- ment une course pénible, et nous pouvons ajouter largement payée, ce qui n'est pas indifférenl pour des Arabes. On nous invite & poliment à venir nous reposer sous la tente: et pendant que nous échangeons les salutations d'u- sage, on fait les apprêts du festin. Bientôt on annonce ipie tout est préparé : et chacun de nous se met à table, c'est-à-dire, s'assied à terre et prend part au repas.
JUDÉE.
Nous serions tontes de l'appeler repas homérique, si la terre que nous foulons et le voisinage de Mambré ne rappelaient Abraham el la vie des patriarches. Un agneau rôti fui servi toul entier, avec des pains cuits -mi^ la cendre el du ri/, bouilli. Les invités sont assis .h cercle, et, au signal donné par le scheik, le festin commence. Ici la fourchette el le couteau sont des ob- jets de luxe, et totalement inconnus. Chacun porte la main au plat, déchire la viande avec ses ongles H mange avec les doigts. Les Arabes sonl t < ut adroits "i ce genre de service : en un clin d'œil toul lui dévoré. Il faut qu'un Européen ;iil l'appétit aiguisé par un séjour prolongé dans If désert et par une abstinence forcée, pour surmonter le dégoût qu'inspirent la vora- cité et la malpropreté des Bédouins. Ce détail domes- tique de la vie patriarcale peut être poétique : il fui h iin de nous séduire.
Les femmes arabes ne prennent jamais leurs repas en commun avec leurs maris, encore moins avec des étrangers. Elles restent enfermées dans un coin de la tente, silencieuses el presque immobiles : autre détail de mœurs domestiques qui n'excitera pas l'envie «les Européennes. A ce propos nous pourrions entrer dans quelques développements sur le genre de la vie i\<'> femmes arabes. Il vaut mieux se taire que de révéler les humiliations dont elles sont les victimes résignées. Il suffit d'entrevoir l'Orient pour comprendre quelle doit être la reconnaissance des femmes envers la reli- ii chrétienne. Le Coran en a fait des esclaves; l'Evan-
le leur .1 rendu leur véritable dignité.
les Hébreux, allant à Pétra. suivaient les rive.-.
1 1 1 : 1 ; ! 1 0 \ .
.1.1
de la mer Morte, el passaient par Ségor, fouie in- connue aujourd'hui des < Iccidentaux, mais que les che- valiers des croisades onl parcourue plus d'une fois. Le chemin le plus fréquenté d'Hébron en Egypte passail à Bersabée,vers la pointe méridionale de la Palestine, el traversai ensuite Le pays des [duméens. Près de là se trouvait Gérare, où Abraham demanda l'hospitalité à Abimélech, el lit un traité d'alliance. Sur le bord du puits de Bersabée, le patriarche planta un bois e1 dressa un autel. A cette époque, le vrai Dieu n'avait pas d'autre temple que la terre, donl le firmament formail la voûte, dont les étoiles étaienl le brillant luminaire. Bersabée et le désert qui l'entoure furent deux lois témoins du désespoir d'Agar. Punie un jour par Sara , sa maîtresse, l'orgueilleuse servante prit la fuite, et se dirigea vers l'Egypte, sa patrie. Elle avait trop présume de ses forces : seule, elle devait traverser les immenses plaines de sable qui s'étendent jusqu'à la mer Rouge. Près d'une fontaine, une voix mystérieuse dit à la fugitive : « Re- tourne vers ta maîtresse, et humilie-loi sous sa main. Je multiplierai ta race, qui deviendra un peuple innom- brable. rl u mettras au monde un lils, et tu l'appelleras [smaël, parce que le Seigneur a entendu le cri de ton affliction. Ce sera un homme rude et farouche; sa main sera contre tous, et la main de tous sera contre lui: et il plantera ses pavillons en face de tous ses frères. »
Agar, en effet, devint mère d'Ismaël; mais dès son enfance, tsmaël était impétueux et violent. Il se rendit coupable de mauvais traitements envers Isaac. Sara tit éclater ses plaintes; Abraham prit du pain et une outre
JUDÉE.
pleine d'eau, qu'il mit sur l'épaule d'Agar, lui donna .(,ii fils el la congédia. L'historien Josèphe, écho de la tradition judaïque, nous assure qu'Abraham prit soin ,1,. ia mère el du fils, [smaël grandi! dans le désert; il .ut douze lit-, chefs des douze tribus arabes.
i } -urs venant d'Ég} pte sont obligés de faire
quarantaine à Hébron. Un médecin est chargé de les visiter. La crainte de la peste justifie suffisamment la sévérité des règlements de police. La ville actuelle d'1 [é- bron est bâtie en amphithéâtre sur Le penchant d'une colline. Elle est composée d'environ quatre cents mai- sons, et renferme une population de quatre à cinq mille âmes. Ni murailles ni tours ne défendent la cité : un château d'assez chétive apparence, résidence du gou- verneur, \ tient lieu de toul appareil militaire. La ma- jorité de la population est mahométane; le reste ap- partient à la race israélite. Il n'y a point de chrétiens A Hébron. Les disciples du Coran, plus fanatiques ici peut-être qu'en aucun lieu du monde, n'y tolèrent pas h présence des disciples de l'Evangile. L'intérieur <l»' la ville n'a rien d'attrayant. Si les rues ont été pavées, i sans doute au temps des rois de Juda, et depuis vingt-cinq siècles le pavé est dans le même état : on peut imaginer en quel état. Nulle ville d'Orienl n'offre i l'étranger l'élégance, la symétrie, la propreté, l'ordre auxquels il est habitué en Europe. Tout est désordre sur li voie publique, sans parler des immondices. Ce pêle-mêle ne manque pas de pittoresque; mais le gro- tesque en prend trop souvent la place, <•! le dégoût en lut détourner les yeux, [ci la pureté de l'air et l'abon- ni ■• des vivr< - répandenl -ni' tous les visages un air
HÉBRON 59
de santé ei de bien-être. Les vallées sonl couvertes de moissons, lo coteaux se eouronnenl de vignobles, ei la campagne produil les fruits les plus variés. <>u fabrique à Hébron dos verroteries il»' toute espèce : les colliers et les bracelets de verre bleu vont parer le cm ei les bras de toutes les femmes arabes dans les villes, au tond des moindres villages e1 jusque dans le désert. Les raisins socs constituée une branche de commerce assez considérable. Les raisins d'Hébron sont (1*11110 grosseur prodigieuse el d'un goûl exquis. Il n'est pas l'arc d'en rencontrer qui pèsent de cinq à six kilogrammes. G'esl dans les environs que les en- vovés de Josué coupèrent une grappe que deux hommes portèrent suspendue à un bâton pour la montrer aux Israélites. S'il faut ajouter foi aux traditions hébraïques, Xoô aurait planté la première vigne sur les coteaux d'Hébron. Ses descendants n'imitent pas ici son exemple. Les mahométans ne font pas de vin : au temps de la vendange, les raisins sèchent au soleil, au lieu de passer dans les pressoirs.
La ville d'Hébron ne présente aucun édifice remar- quable; mais elle possède un monument du plus liant intérêl historique et religieux : les tombeaux des pa- triarches Aliniliam. tsaac et Jacob. Au iv siècle, sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, lit construire une église au-dessus de la double caverne qui ren- ferme les restes mortels des patriarches. Hébron devint mi évêché durant les croisades, sous le titre de Saint- Abraham: mais il ne subsista que vingt ans. la ville ('tant retombée au pouvoir (\c> musulmans. Aucun chrétien ne peut visiter aujourd'hui la basilique, cou-
111*11-
vertie en mosquée, ni pénétrer dans le sépulcre, qu on pourrail comparer à une crypte. Plusieurs voyageurs on! failli perdre la vie en voulant tromper la vigilance ,| »s fanatiques qui en gardenl l'entré •. Bien <\r<, années se passeronl encore avant qu'on puisse en franchir le seuil impunément. Nous en emprunterons la descrip- tion à Al\ - r>"\ .
d Les sépulcres d'Abraham et de sa famille sonl dans nu temple qui étail jadis une église grecque. Pour y arriver, on monte un large el bel escalier, qui conduit j une longue galerie, d'où l'on entre dans une petite cour; vers la gauche esl un portique appuyé sur (\c> piliers carrés. Le vestibule du temple a deux chambres, l'une à droite, qui contient le sépulcre d'Abraham, el l'autre à gauche, qui contient celui de Sara. Dans le corps de l'église, qui est iinlliique, entre deux gros piliers à droite, on aperçoil nue maisonnette isolée, dans laquelle esl le sépulcre d'Isaac, el dans une antre maisonnette pareille sur la gauche, celui de sa femme. Cette église convertie en mosquée a son méhereb, ou tribune pour la prédication ^c> vendredis, el une antre tribune pour les muddenin ou chanteurs. De l'autre côté de la cour esl un autre vestibule, qui a également une chambre de chaque côté. Dans celle de gauche esl le sépulcre de Jacob, el dans celle de droite celui de sa femme.
\ l'extrémité du portique du temple, sur la droite, une porte conduit à une espèce de longue galerie qui
t encore de mosquée; de là on passe dans une antre chambre, ou se trouve le sépulcre de Joseph, mort en I p pti et dont la cendre fut apportée par le peuple
HÉBRON. 61
d'Israël '. Ton-- les sépulcres des patriarches sonl cou- verts de riches tapis de soie verte, magnifiquemenl bro- dés e ; ceux de leurs femmes sont rouges, égalemenl
brodés. Les sultans de Constantinople fournissent ces tapis, qu'on renouvelle de temps en temps. J'en comptai neuf I un sur l'autre au tombeau d'Abraham. Les chambres où sont les tombeaux sont aussi couvertes de riches tapis; l'entrée en esl défendue par des grilles en fer el «les portes en bois plaquées en argent, avec des serrures el des cadenas du même métal; pour le ser- vice «lu temple, on compte plus de cent employés et domestiques. »
Il esl aisé de voir d'après cette description, quoique incomplète, que la mosquée fondée par suinte Hélène lut restaurée par les Francs. Des portions de murailles sonl attribuées au roi Salomon par an auteur arabe cité dans ['Histoire '1rs Sultans, de M. Quatremère. Ainsi ce sanctuaire vénérable, jusque dans la construc- tion des murs, conserve le souvenir du plus puissant roi de Juda, de la mère du premier César chrétien, et des vaillants chevaliers «les croisades. Ajoutons que ce tut. peur ainsi «lire, à l'ombre du monument d'Hébron que Richard Gœur-de-Lion enleva aux Sarrasins la licite caravane d'Egypte; elle étail composée de quatre mille sept cents chameaux, el deux mille hommes l'es- cortaient.
A Toues! d'Hébron, à deux kilomètres de distance, une mosquée bâtie au somme! d'une colline occupe la
i ]| % ;, ici une erreur. Joseph lut enseveli à Sichera. (Josuéj ch. xxiVj »ers. 32. > Quelques auteurs croienl que ce tombeau esl Celui d'Esau,
62 il M I ■
place où êtail la tente d'Abraham, à l'ombre «lu chêne sous lequel le sain! patriarche, Père des croyants, servit le veau rôti, le pain cuil sous la cendre, le lait el le beurre, aux trois voyageurs descendus du ciel. Après quarante siècles, des chênes croissent encore sur la montagne où s'élevail le chêne d'Abraham. N'est-ce pas une chose assez mystérieuse que de voir la nature s'associer en quelque sorte aux efforts de l'homme pour perpétuer le souvenir d'un passé si lointain?
I [ébron es! une des plus anciennes villes du monde. L'Écriture sainte nous apprend qu'elle tut fondée sept ans avanl Tanis, capitale de la basse Egypte1. Après I i conquête des Israélites, sous la conduite de Josué, ulle l'ut assignée aux prêtres, el déclarée ville de refuge. David y établit If siège de son royaume après la mort de s.nil. Il v demeura sepl au- el six mois, et, après le meurtre d'Isboseth, il v lut sacré roi eu présence de toutes !'■- tribus d'Israël. Ce lut à Hébron qu'Absalon arbora l'étendard de la révolte. Durant la captivité' de Babylone, I»'- Iduméens profitèrent de l'humiliation et «!•• l.i faiblesse des Juifs pour s'en emparer. Cette ville enfin joua un rôle importanl -mi> le- Machabées.
Voilà de magnifiques souvenirs historiques. La tra- dition «ai rapporte beaucoup d'autres, auxquels l'anti- quité avail ajouté foi, quoiqu'ils ne soienl pas égale- ment certains. Mnsi, à la porte d'Hébron , on montre I*' - //'// ///< Damascène, donl la terre rougeâtre servil à la création «lu premier homme*. L'Ecriture ne nous l'ail
1 Nombi es , • h. \m, \.
I'- nom à? Adam ignifie en hébreu terre rouge.
HÉBRON. ,;-;
pas connaître en quel lieu A.dam fut formé du limon de la terre. Rien ne s'oppose à ce que I lébron ail été le berceau du genre humain. Les Orientaux partagent généralement cette croyance. Aussi professent -ils le plus grand respecl pour cette terre, qu'ils viennenl chercher de loin el qu'ils emportent dans tous les pays de l'Asie. Il esl donc permis de croire que nous foulons ici le sol qui le premier a reçu l'empreinte du pied de l'homme. Les musulmans débitent à ce sujet une fiction curieuse. Ils disent que la poussière dont tut composé le corps du premier homme fut prise par l'ange de la mort aux quatre coins du monde, et qu'elle avait les quatre couleurs qui distinguent aujourd'hui les quatre grandes races du genre humain : blanche, jaune, rouge el noire '. ( >n montre encore, aux environs d'Hébron, la contrée où Adam et Eve, chassés du pa- radis terrestre, se réfugièrent pour pleurer leur faute et faire pénitence. Les coteaux qui embellissent le paysage furenl les premiers ornés «le pampres et de grappes vermeilles. Trompé par la douceur du jus du raisin, Noé s'enivra el s'endormit à l'ombre des téré- binthes qui répandenl une (.mine si agréable dans les vallées d'1 lébron.
Le voyageur chrétien ue manque pas de taire un pèlerinage au chêne de Mambré. C'esl un chêne vert, arbre qui atteint de grandes dimensions dans les cli- mats chauds. Saint Jérôme en parle avec admiration. Sur le même emplacemenl s'élève un arbre magnifique,
i La race blanche ou arahe-européenne , ou caucasique ; la race jaune ou malaie; la race rouge ou américaine; la race notre ou éthiopique.
il DÉE.
iiyanl plus de dix mètres de circonférence; ;'i trois mètres environ de hauteur, le tronc se divise en trois branches énormes, donl chacune ferail seule un grand arbre. Évidemmeni ce n'esl plus le chêne d'Abraham, qui abrita les anges; mais c'esl un rejeton de l'arbre qui prêta son ombrage au patriarche.
Nous ne quitterons pas le pays d'Hébron sans jeter ,in moins un regard sur les derniers débris d'une pauvre habitation. Trois fugitifs, un vieillard, une jeune femme el un petil enfant y cherchèrenl un re- fuge en chemin vers l'Egypte. Votre eieiir vous ;i fail deviner quelle esl cette humble famille : c'est Joseph, Marie e1 Jésus; le juste craignanl Dieu, la douceur virginale, el le Dieu forl caché sous les formes de l'en- fance.
La distance d'Hébron ;'i Jérusalem est d'environ vingt-cinq kilomètres; lu difficulté des chemins en plusieurs endroits rend la marche lente el pénible : ordinairemenl on franchil cette distance en huit heures. Des ouvrages de géanl rappellenl !<• uom de Salomon. Trois grands bassins, creusés «le main d'homme dans l«' roc vif, suivenl la pente de la mon- tagne. Ce sonl d'immenses citernes ;'i ciel ouvert, de dimensions différentes, e\ disposées de manière que les eaux se déversent «lu l»;i>>in supérieur dans l<' se- cond, el de celui-ci dans le troisième. Les piscines de
lomon, non moins que les plu-- grands ouvrages <\<^ Romains, attestenl la puissance el le génie d'un mo- narque illustre. Il faul avoir parcouru I ' >rien1 . où I '-.ni esl rare, el la sécheresse dévorante, pour com- prendre l utilité de ces vastes réservoirs. L'eau y étail
HÉBRON.
amenée à l'aide de quantité de rigoles creusées sur le flanc des montagnes, et n'étail alimentée par aucune source vive : on n'y recUeillail que l'eau <lu ciel. La piscine supérieure a environ cenl trente-quatre mètres de longueur, la seconde, cent quatre-vingt-huil mètres, et la troisième, deux cent six mètres, sur une laideur moyenne de quatre-vingt-quatre mètres, el une pro- fondeur variable de dix à quinze mètres. On a calculé qu'elles pouvaient contenir ensemble quarante-deux millions deux cenl trente mille litres d'eau. Un aque- duc, dont des restes considérables subsistent encore, conduisait les eaux jusqu'à Jérusalem. A diverses re- prises, le canal fut restauré: mais la barbarie est plus forte pour détruire que la civilisation pour édifier : depuis longtemps il est brisé. Les croisés, mourants de soif, durant le siège de Jérusalem, étaient obligés chaque jour d'envoyer chercher de l'eau aux piscines de Salomon.
A deux cents pas, au nord de la piscine supérieure, esl la [mil ni ne scellée, fons sigiïatus, dans renfonce- ment d'une caverne. D'énormes pierres en ferment l'entrée, et la fontaine est aussi respectée aujourd'hui qu'à l'époque où Salomon y apposait son sceau royal. Mu v descend ;'i l'aide d'un escalier d'une douzaine de marches, et on pénètre dans doux grottes voûtées dont les arceaux portent tous les signes d'une extrême anti- quité. Du fond s'échappent trois sources abondantes, dont les eaux, conduites au moyen d'un canal taillé dans le roc, tombent dans un bassin voisin de la pre- mière piscine. De là elles étaient dirigées vers Jéru- salem à l'aide d'un aqueduc qui longeait celui que
.11 DÉE.
nous avons mentionné précédemment. I n conduit de dérivation versai! les eaux surabondantes dans les piscines de Salomon. On respire une fraîcheur déli- cieuse auprès de cette source abondante et Limpide. I i fontaine scellée esl nommée dans le Cantique des cantiques, el chacun sait que la piété catholique, depuis les premiers âges du christianisme, l'a comptée au nombre des images symboliques «le la sainte Vierge.
\ n loin de là, d'anciens murs crénelés, probable- ment du temps des croisades, entourent une enceinte où la tradition t'apporte que Salomon avait bâti un palais. Après avoir suivi un chemin aride, à travers des roches nues et calcinées, durant à peu près un kilomètre, le voyageur esl surpris toul à coup le plus
réablemeni du monde. Une charmante vallée s'offre à ses yeux, toul émaillée de fleurs, embaumée des suaves émanations <\r>. fleurs et des fruits, remplie d'arbres vigoureux et de plantes sans nombre. Il y distingue le figuier, le pommier, l'oranger, le citron- nier '•! le grenadier : on y recueille du blé, du riz et des légumes. Un ruisseau y entretient une fraîcheur continuelle, et serpente à l'ombre des saules et des arbres amis de l'humidité. C'est le jardin fermé, hortus . vanté dans les cantiques de Salomon. Là se rendait chaque jour, de grand matin, le roi . monté sur Bon char, entouré de ses gardes, et couvert de vête- ments blancs, insigne de la dignité royale. Il s'était plu ;'i \ réunir les plantes les plus rares el les plus variées : l'odorat et la vue y étaient également flattés, Sous un ciel brûlant, el au centre des montagnes de la Judée, où la séchi fui toujours excessive} Salo-
HÉBRON. HT
mon possédai! un petit Êden à la porte de Jérusalem. Depuis bien des siècles, la culture en est fort négligée, et malgré les ravages de la guerre, qui désole trop souvenl ce pays, La nature y est constamment parée comme en un jour de fête. Ce vallon fortuné, de deux kilomètres environ de longueur, est entouré de hantes montagnes qui en font littéralement un jardin fermé. Ainsi, après tant de siècles, ces vallons racontent la gloire du fils de David, et au voyageur qui admire les larges piscines, les fontaines et les jardins, les habi- tants du pays client à haute voix et avec nue sorte d'emphase : Salomone!
Sur la colline voisine, des ruines assez considérables et des grottes sépulcrales indiquent l'emplacement de la cité d'Etham. Ce lieu rappelle un souvenir populaire. Samson, après avoir frappé et humilié les Philistins, vivait caché au fond des cavernes d'Étham. Ses enne- mis ne pouvaient lui pardonner leurs défaites: ils trouvèrent des partisans, c'est-à-dire des traîtres, dans les rangs des Israélites. Redoutant sa force et sa ven- ° mce, trois mille hommes de la tribu de Juda, infi- dèles à l'honneur et ;'i la patrie, se réunirent pour surprendre et pour livrer celui que Dieu avait établi Je libérateur de son peuple. Samson, lié de grosses cordes, fut conduit vers les l'hilistins. Mais à la vue de ses adversaires, animé d'une énergie surnaturelle, le héros frémit et brise ses liens. Ses yeux lancent dc> •'•clairs, son sang bouillonne dans ses veines. Mais com- ment lutter s;ins ;irmes contre des ennemis nombreux et préparés au combat? Il saisit à terre une mâchoire d âne, et à l'aide de cette arme de nouvelle espèce, plus
i l DÉE.
terrible qu'un lion, il tue mille Philistins. Non loin du champ de carnage coule la fontaine Lechi, ou de la Mâchoire, où le vainqueur vint se désaltérer.
Nous nous dirigeons vers Jérusalem par un chemin difficile, que la tradition appelle la voie de Salomon. Le chemin ordinaire passe à Bethléhem. Au prix de quelques fatigues, nous gagnons plusieurs heures : nous avons hâte de saluer la ville sainte et de nous prosterner au tombeau de .Irsus-Christ. La vigne et le figuier couvrent çà et là le penchant des collines. Des bouquets d'oliviers mêlent leur pâle verdure à la teinte rougeâtre <l<'> coteaux. Enfin, au delà d'une der- nière montagne, apparaît. Jérusalem!
CHAPITRE IV
JÉRUSALEM
A r T II E X T I C I T li H I - SAS C TD Al II 1. S (. Il II É T I E X S
x entrant à Jérusalem, nous étions tellement absorbés dans les souve- nirs et les impressions que la vue des Saints-Lieux éveille au fond des cœurs chrétiens, que nous ne son- gions pas à regarder les rues que nous avions à traverser pour arri- ver au couvent des Pères de Terre-Sainte. . Xi. us touchions enfin au terme tant désiré
fde notre pèlerinage. Il qous était donné de marcher sur ce sol foulé jadis par les pieds des patriarches, des prophètes, des apôtres et de Jésus- Christ. Encore quelques instants et nous aurons le bonheur de nous agenouiller à l'endroit même où fut plantée la croix du Rédempteur, sur cette terre arrosée de son sang: nous irons prier dans cette grotte
70 JUDÉE.
pleine de mystères, témoin des humiliations d'un Dieu victime de la mort, el des gloires de ce même Dieu vainqueur du trépas, ressuscitanl par sa propre vertu, trois jours après le supplice du Calvaire. L'Europe au- trefois s'émut «'i se mil en armes pour faire la conquête de ce tombeau glorieux, et l'arracher aux mains dr< infidèl» i - rues sombres et étroites virenl passer les phalanges de la croisade; des milliers de pèlerins les onl parcourues avanl nous; des pèlerins sans nombre traverseront encore. Qui sait si an jour Dieu, touché des larmes et des soupirs de ses serviteurs, ne rendra aux chrétiens cette ville sanctifiée par les travaux, li - prédications ei les smillVances de -nu Fils!
Le jour commence à baisser lorsque nous franchis- sons le seuil «lu monastère; c'étaii au milieu du mois île mars. Bientôt une obscurité profonde nous envi- ronne; nous distinguons à peine les bâtiments de l'é- glise du Saint-Sépulcre. Les Pères Franciscains nous accueillent avec une bienveillance toute fraternelle. A témoignages touchants et empressés nous recon- naissons les disciples «le saint François d'Assise qui nous ont accordé, il y a quelques mois, une hospitalité vraiment chrétienne en Egypte, au Caire, et jusque dans les régions brûlantes voisines de l'Abyssinie.
Quelles pensées viennent assaillir l'esprit, e1 quels tableaux viennent se peindre dans l'imagination, la première nuit qu'on passe à Jérusalem! Malgré les fa- les d'un long voyage, le sommeil ne peut clore les yeux ni engourdir la mémoire, tant le cœur est vive- ment ému. A quelques pas de la pauvre cellule que la charité monastique \irnt d'ouvrir au pèlerin, s'opé-
JÉRUSALEM. 71
rèrenf Les mystères les plus redoutables el les plus consolants à La fois!
Les Francise-lins, dans leurs résidences de Syrie, d'Éoypte et de tout le Levant, se montrent constam- ment et partout les dignes héritiers de la foi, de la piété, du zèle évangélique et des vertus de leur sainl fondateur. Aucune difficulté n'effraie leur courage, aucun obstacle n'arrête leur mouvement, aucune bar- rière n'est aussi durable que leur persévérance. La persécution, les souffrances, les privations, les outrages ne sauraient refroidir leur pieuse ardeur : beaucoup de leurs frères ont été assez heureux pour cueillir la palme du martyre. Le Gardien est un modèle «les vertus chrétiennes et monastiques : simplicité, dou- ceur, humilité, patience inaltérable, obligeance tou- jours gracieuse, foi vive et agissante, sérénité qu'aucun nuage ne vient troubler. Depuis la bulle de Grégoire IX, en 1230, qui leur confie la garde et le soin des Saints- Lieux, les Frères-Mineurs ont été fidèles à leur poste. Leur histoire est la même que celle des vénérables -anctuaires qu'ils n'ont jamais abandonnés. Leurs jours de triomphe ou de revers sont communs. Les uns en même temps .pie les autres souffrirent les insultes et les violences i\r< fanatiques auxquels la Providence, dans ses décrets impénétrables, a livré la possession de cette contrée. Leur conduite serait propre à exercer la plus heureuse influence sur l'esprit des hérétiques et des schismatiques qui accourent à Jérusalem «le tous les pays du monde, et même sur les infidèles, si les préjugés leur permettaient d'ouvrir les yeux et de com- prendre les salutaires enseignements du catholicisme.
72 JUDEE.
Les portes de l'église du Saint-Sépulcre ne s'ouvrent ordinairemenl que vers cinq à six heures du matin. Parfois, cédanl à leur caprice, et comme pour faire sentir le joug aux chrétiens, les Turcs, qui en sonl les maîtres, les laissenl assez longtemps fermées; mais chez eux l'amour de l'argenl triomphe du mauvais vouloir. Gomme ils perçoivent un tribut des chrétiens qui pénètrent dans l'enceinte sacrée, ils ne tardent guère à les ouvrir, surtout à l'époque des pèlerinages et à l'approche de la semaine sainte. Nous courons avec empressemenl vers cel auguste sanctuaire; nous jetons, sans \ regarder, dans la main des musulmans, l'im- pôl qu'ils réclament; et nous nous prosternons le front contre terre, dans ce lieu sanctifié par les souffrances el la mort de Jésus-Christ. Un cœur chrétien reste- rait-il froid en présence des souvenirs du Calvaire et du Tombeau? Les larmes coulaient malgré nous : douces larmes, expression d'un sentiment indéfinis- sable. Jamais prières ne furent plus consolantes. Ici "ii vienl puiser celte force chrétienne qui fait regarder I .iccdiiiplisseineiit du devoir comme la première con- dition du bonheur ici-bas, inspire le mépris des choses terrestres el périssables, excite la charité envers le prochain, donne naissance aux œuvres de miséricorde, produil l'indulgence envers Ions les hommes et exaile le dévouement. La foi entr'ouvre le ciel et nous montre le terme de nos espérances. Pour le chrétien, la croix est l'emblème du sacrifice ël l'étendard du vrai pro- II n'y a pas, en effet, de progrès véritable pour celui qui m crucifie pas ses mauvaises inclinations, t-à-dire qui ne triomphe pas de ses passions déré-
JÉRUSALEM. 73
glées pour acquérir la perfection morale. Quel est le chrétien qui, dans un moment de fervente prière el d'oubli du monde, n'a pas éprouvé d'une manière que uotre parole serait impuissante à exprimer, cette pieuse ardeur et ces élans de rame vers Dieu? Qui n'a pas eu l'assurance alors que sa demande était exaucée? Dans une prière commune, nous embrassions nos parents, nos bienfaiteurs et nos amis. Nous adressions des vieux pour la France, cette contrée vers laquelle tous les catholiques d'Orient tournent leurs yeux et leurs espérances, comme vers leur protectrice et leur plus ferme appui.
Le temps coulait avec rapidité pendant que nous étions plongé dans nos méditations. Tl fallut rentrer au monastère, après avoir jeté un coup d'œil sur l'en- semble de l'édifice. Plus d'un voyageur sceptique, les protestants surtout, ont mis en doute l'authenticité des Lieux-Saints. Les ennemis de la tradition catholique pouvaient -ils renoncer à leurs habitudes de négation devant ces monuments vénérables de la foi chrétienne? Mais la Providence a voulu, pour la consolation des fidèles, que les obscurs souterrains des catacombes de Rome gardassent fidèlement les traces ineffaçables des croyances et des pratiques de l'Église naissante, pour la confusion des hérétiques modernes, et que les tradi- tions de la Palestine tussent entourées de preuves plus solides et plus nombreuses qu'aucun autre fait histo- rique du monde.
Il est infiniment pénible au pèlerin catholique qui visite ces saints lieux d'être continuellement armé contre le doute, l'incrédulité et la discussion, au lieu
. t
rtTDÉE.
de s'abandonner toul entier aux douces impressions de son àme; comme le voyageur qui parcourt le désert, il doil porter cenl fois la main à ses armes pour re- pousser les attaques incessantes des ennemis qui l'en- tourent. Les débris de vingl peuples, qui n'ont jamais quitté la ville sainte, se disputenl depuis bientôt deux mille ans la possession d'un tombeau4. Leur témoi- gnage .1 plus de poids que les doutes de linéiques voyageurs venus d'Occident qui vont vite, étudient peu, examinenl légèrement, et savent à peine bégayer les langues de Vi >rient.
« Les premiers voyageurs, dil M. de Chateaubriand, étaient bien heureux; ils n'étaienl poinl obligés d'en- trer dans toutes ces critiques : premièrement, parce qu'ils trouvaient dans leurs lectures la religion qui ne dispute jamais avec la vérité; secondement, parce que toul le inonde était persuadé que le seul moyen de voir un pays tel qu'il est, c'esl de le voir avec ses traditions «■l ses souvenirs. C'est, en effet, la Bible et l'Evangile à la main que l'on doit parcourir la Terre-Sainte. Si Ton veul \ porter un espril de contention et de chicané, la Judée ne vaul pas la peine qu'on Taille chercher si loin. Que dirait-on d'un homme qui, parcourant la i trèce el l'Italie, ne s'occuperail qu'à coi il redire Homère il Virgile? Voilà pourtanl comme on voyagé aujour- d'hui : effel sensible de notre amour-propre, qui veul nous faire passer pour habiles en nous reridant dédai-
gneux1. »
i M M / Maints Lieux, loin. Il . p. 220.
/ Jérusalem
JÉRUSALEM. 75
Depuis L'ascension du Sauveur jusqu'au moment où nous traçons ers lignes, les chrétiens ri'abandonnèrenl jamais Jérusalem. Au momenl où Titus s'emparait de cette ville et détruisait le Temple, Eusèbe nous ap- prend que les fidèles, sous la conduite de Siméon, leur évêque, se retirèrent au delà du Jourdain, afin délais- ser passer la colère il»' Dieu et ces jours mauvais pré- dits par Jésus-Christ. Jusqu'au règne d'Adrien, trente évêques se succédèrent sur le siège «le Jérusalem : tous étaient Juifs d'origine, connaissant bien, par consé- quent, leur pays et les monuments qui en font la gloire. Que ces évêques et que les fidèles juifs comme eux aient pu perdre le souvenir de l'emplacement du Gol- gotha, du jardin de Joseph d'Arimathie, de la grotte- de Gethsémani, des traces douloureuses de la passion de Jésus-Christ, il serait absurde de le supposer. ignorë- t-on que les ruines du Temple, fumantes encore, cou- vraient le mont Moriah; que des pans de muraille laissés debout par Titus, comme un monument d'épou-r vante pour la postérité, devaient les diriger dans leurs recherches, si toutefois ils avaient pu hésiter un seul instant? Qui croira que des hommes toujours prêts à verser leur sang pour la foi chrétienne, n'aient eu nul souci de garder les traces sacrées du Sauveur et aient oublié si vite le chemin «lu Calvaire et du Sépulcre?
Lorsque l'empereur Adrien, en 134, voulut détourner les chrétiens de fréquenter «les lieux si vénérables, et qu'il y fit dresser les statue- de Jupiter et de Vénus, il constatait par cela même la véritable place que la piété ne devait pas tarder à reconnaître et à purifier. Les idoles d'Adrien tombèrent : < ionstantin et sainte Hélène,
76 JUDÉE.
sa mère, batirenl les monuments qui, restaurés, aug- mentés, reconstruits, sonl arrivés jusqu'à uous à travers les siècles. Ainsi la jalouse impiété t\c< tyrans a servi elle-même à conserver des souvenirs que la religion devail rendre impérissables.
La seule objection spécieuse contre l'authenticité des Saints-Lieux était fondée sur l'emplacemenl de l'église • lu Saint- Sépulcre, située dans l'enceinte de la ville actuelle de Jérusalem; tandis que l'Evangile el tous les documents de l'histoire nous apprennenl que les exé- cutions capitales «'I les sépultures devaient avoir lieu hors des murailles. Cette difficulté devait bientôl s'éva- nouir. l 'rise cl ruim'e plusieurs lois, la ville s'est dépla-
. Des recherches savantes on1 confirmé ce fait, et en ces derniers temps des découvertes ducs à l'ar- chéologie oui mis à découvert les restes (\c> murailles primitives, en dehors desquelles se trouve le Calvaire. d La tradition sur l'emplacement du saint Sépulcre me p. ii. lit digne de foi, el l'église du Saint-Sépulcre marque la place qui s'appelail Golgotha. s> Tel esl le sentimenl d'un auteur protestant, Schultz, consul de Prusse à Jérusalem.
Les musulmans eux-mêmes ont toujours été d'ac- cord avec les chrétiens sur l'authenticité de nos sanc- tuaires. Nous ne pouvons résister au désir de citer un pas de l'historien arabe Emad-Eddin, tiré de la Bibliothèque des Croisades*. Gel auteur raconte la prise de Jérusalem par Saladin, en 1187, el nous montre les chrétiens forcés d'abandonner la cité sainte^ Les
M • . p. 214.
JÉRUSALEM. 77
Larmes, dit-il, coulaient de leurs yeux comme les pluies descendent des nuages. « Quelques zélés musulmans, continue l'historien, avaienl conseillé à Saladin de détruire cette église (du Saint -Sépulcre), prétendanl qu'une fois que le tombeau de Jésus sérail comblé el que la charrue aurait passé sur le sol de l'église, il n'y aurait plus de motif pour les chrétiens d'y venir en pèlerinage; mais d'autres jugèrent plus convenable d'épargner ce monument religieux, parce que ce u'était pas l'église, mais le Calvaire et le tombeau ([ni exci- taient la dévotion do chrétiens, et que lors môme que la terre eût été .jointe au ciel, les nations chrétiennes n'auraient pas cessé d'affluer à Jérusalem. Ils tirent observer que lorsque le calife Omar, dans le premier siècle de rislamisnie, se rendit maître de la ville sainte, il permit aux chrétiens d'y demeurer, et respecta l'é- glise du Saint- Sépulcre. »
Il faut convenir d'ailleurs que défendre l'authenti- cité des sanctuaires de Jérusalem est une question pu- rement historique, et que la religion n'y est pas autre- ment intéressée. Nous allons vénérer à Jérusalem, non pas une froide pierre, mais les vestiges de celui qui est venu sauver et régénérer le monde. Les montagnes de la Judée parlent assez haut et un langage assez élo- quent à celui qui a des oreilles pour entendre et un cœur pour sentir. Ne savons-nous pas que sur les som- mets qui dominent ces ruines et ces rues désolées fut consommé le grand sacrifice?
Dès que la religion chrétienne, longtemps persécu- tée, put respirer en paix sous le règne réparateur de Constantin, Jérusalem, dont le nom même était effacé
JUDEE.
par ««'1111 d'.KIm. que lui avait imposé L'empereur Adrien, repril une certaine splendeur. On devine aisé- ment que les Saints-Lieux en furent la cause. Tn prince chrétien pouvait-il souffrir que le Calvaire et le tom- beau de Jésus-Christ fussenl déshonorés par les super- stitions îdolâtriques? Le temps i\<>> impurs idoles était entin passé; leurs temples s'écroulèrent dans foules les provinces <lr l'empire.
L'empereur, «lit Kusèbe de (iésarée, ordonna (jue les édifices consacrés au culte des démons fussent dé- molis et que les débris en fussenl dispersés. Il voulut même qu'on emportât au Loin la terre souillée par <{*'>. libations el des sacrifices impies. Cet ouvrage s'exécuta ivec le plus vif empressement. Quelles ne furent pas la surprise et la joie de tous en voyant reparaître le très- ïaint et très-auguste Tombeau d'où le Sauveur sortit glorieux et ressuscité '! »
En même temps Constantin écrit à Macaire, évêque • le Jérusalem, une Lettre qui nous a été conservée par l'historien de ce prince, dans laquelle il lui annonce Le projet d'ériger un temple magnifique au-dessus du saint Sépulcre. Il Le charge en même temps dé veiller .1 ce que ces édifices surpassent en gi andeur et en beauté tout ce qu'il y a de plus grand et de plus beau dans le
te du monde. Dracilien, gouverneur de la province, •it ordre de réunir les ouvriers les plus habiles, de fournir les soi - nécessaires à la dépense, et d'en- voyer A Jérusalem les colonnes, les marbres les plu- i ai es et Les ornementa les plus précieux.
1 I itini, lib. III.
JÉRUSALEM. 79
Les desseins de l'empereur furent mis à exécution sur-le-champ, et pour manifester aux yeux de l'uni- vers quelle importance on attachait à la construction de cette basilique, la pieuse mère du prince, sainte Hélène, quoique âgée alors de quatre-vingts ans, se rendit sur les lieux el pressa les travaux avec le plus grand zèle. Rien ne fut épargné. Les matériaux de prix,
- [lierres, le marbre, le bois de cèdre, le bronze, l'ar- gent et l'or furent prodigués. Le travail se continuait le jour et la nuit au chant t\r< cantiques sacrés. L'é- vêque de Jérusalem encourageait sans cesse les ou- vriers, tous chrétiens, tous animés des mêmes senti- ments. La pieuse impératrice répandait des largesses à pleines mains, désirant voir promptement achevée une entreprise à laquelle elle portait le plus vif intérêt. .Jamais palais des princes de la terre ne fut bâti avec autant d'enthousiasme que la basilique du Saint- Sépulcre. Les fidèles en suivaient le progrès avec une sorte de sollicitude. Après une si longue attente et de si pénibles humiliations, ils voyaient enfin se réaliser la prédiction du prophète Isaïe annonçant que le sé- pulcre du Sauveur serait environné de gloire : Et sepuh rum ejus erit gloriosum.
Enfin, Tan 335, on célébra la dédicace de ce temple auguste. On le salua du titre de Martyrium, témoi- gnage, parce que ce lieu portait véritablement témoi- gnage à la divinité de Jésus-Christ et de ta religion qu'il est venu établir sur la terre, ce Ce temple, dit saint Cyrille douze ans après sa consécration, ne porte pas le nom d'église comme les autres: mais il est ap- pelé Témoignage, selon l'accomplissement des pro*
I UDÉE.
phéties*. " Six années entières avaienl été employées à la construction, el la cérémonie de l;i dédicace s'ac- complil au miiieu d'un concours extraordinaire d'é- vêques e1 de fidèles, accourus de tous les pays voisins. Les écrivains contemporains nous on1 transmis à ce suiel des récits où se peignenl leurs sentiments d'ad- miration el de reconnaissance. Les évoques furent reçus à Jérusalem, par Màrien, aux frais du trésor public. Tout lut digne de la piété e1 de la munificence impériales. On distribua aux pauvres d'abondantes aumônes. L'autel parut orné de fiches tentures, de meubles précieux. <»ù reluisaient l'or et l'argent, où étincelaienl les pierreries. Quelques-uns ^\r> présents offerts par Constantin étaienl encore l'objet de l'admi- ration plusieurs siècles après. La cérémonie fui relevée en outre par plusieurs discours pompeux, où les ora- teurs expliquèrent les Ecritures, sans omettre les louanges du prince auquel <>u devait toutes ces ma- gnificences. La dédicace de ce temple dura huit jours; mais les cantiques sacrés qu'on fera retentir sous ces voûtes n'auronl plus de un.
Les historiens du temps onl décril la basilique de li Résurrection : nous leur emprunterons les princi- paux traits de leur récit, résumés par l'auteur de ['Histoire générale de l'Eglise*. La grotte du tombeau fut entourée de colonnes élégantes et enrichie d'orne- ments précieux. A.vanl de pénétrer dans l'enceinte sa- crée, il fallait passer du portique en un vaste parvis,
"'■ I ylisea du monde , \>. 8.
IÉRUSALEM. -1
bordé sur trois côtés de Larges galeries, el terminé à l'orient par la façade du temple. Chacun admirait les nobles proportions de l'édifice el la somptuosité des décorations. Au premier aspect, on comprenait que la puissance impériale ne s'était pas proposé en vain d'é- riger un magnifique monument. Aucune dépense n'y fut épargnée, el les artistes les plus renommés y mirent la main. L'intérieur était incrusté il»'- marbres les plus variés el les plus rares. L'extérieur était bâti en pierres taillées et jointes avec tant d'artifice, que la perfection du travail causait autant de surprise que le choix des matériaux. La voûte était formée d'un lambris en bois de cèdre sculpté' el resplendissant de dorures. Les bas côtés formaient deux galeries à double étage, dont les plafonds étaient également enrichis d'or. Trois portes s'ouvraient sur le parvis. Après avoir franchi le -<'iiil de la basilique on voyait une colonnade en demi- cercle, composée de douze hautes colonnes, dont cha- cune portait l'image dam des Apôtres, et dont les cha- piteaux étaient ornés de grandes coupes d'argent : c'était le sanctuaire. A l'autre extrémité des bâtiments, en deçà des parvis et du portique, régnait une avant-cour accompagnée de deux galeries latérales. On y entrait par une première porte donnant sur la place publique, où se tenait le marché. De là le regard plongeait jusque dans la profondeur du sanctuaire, à travers mille orne- ments qui brillaient du plus vif éclat; personne ne contemplait cette perspective enchantée sans éprou- ver un saisissement religieux qui approchait du ra- vissement.
Autour de cette basilique, que les écrivains ecclé-
6
FUDÉE.
siastiques des âges postérieurs appellent encore le lieu de la Passion, le Golgotha, le Saint- Sépulcre, l'église de Sainte-Croix, le monument de la Résurrection, une nouvelle ville ne tarda pas à s'élever : le nom de Jéru- salem fui remis en honneur et celui d'dElia Capitolina ne tarda pas à tomber : on en retrouve néanmoins quelques traces encore aujourd'hui parmi les tribus arabes <[ui désignent parfois .lérnsalem sous le nom d'Ilia. Il esl impossible maintenant de se faire une juste idée de l'enthousiasme qui transportait les po- pulations chrétiennes de la Syrie. Qu'on songe aux longues années de proscription qui avaient affligé le nouveau peuple de Dieu, qu'on mette en regard les triomphes de la croix, et l'on pourra se figurer l'éton- nemenl e1 l'allégresse qu'ils ressentirent. A partir de cette époque, Constantin délendit que la croix servît d'instrumenl de supplice : la croix devait rester à ja- mais l'emblème du salut *\r> hommes!
Dans les fouilles qui furent faites autour du Cal- vaire, sainte Hélène trouva la vraie croix au fond d'une grotte faisan! jadis partie d'une carrière abandonnée. On découvril en même temps le titre, la lance et les clous; mais l'incertitude était extrême, parce que les croix des larrons étaient enterrées au même endroit
•
Comme on 3ait, les Juifs avaient coutume de mettre un terre les instruments employés au supplice des criminels1. Sainte Hélène consulta l'évêque Macaire,
quia lapidatur, lignum in quo suspenditur, gladius qno 11 ''"' ■ • I Budarium qu • strangulatur, simul cum eo fvel prope eum) litur.
JÉRUSALEM.
qui ordonna des prières publiques. Enfin, dans un élan de foi, qui devail avoir bientôt sa récompense, l'évêque de Jérusalem eut recours à la toute-puissance de Dieu pour reconnaître la vraie croix. Nous emprun- terons le récit du prodige à un historien contempo- rain.
« En ce temps- là, dit Rufin, il y avait à Jérusalem une femme de qualité, connue de la ville entière, et réduite à l'extrémité par une violente maladie. L'é- vêque et l'impératrice se dirigèrent vers sa maison, accompagnés d'une grande multitude de peuple. Ma- caire se mit à genoux près du lit de la malade et s'é- cria : s Dieu puissant, qui avez daigné sauver le genre humain par le supplice de la croix, enduré par votre Fils unique, et qui avez allumé dans le cœur de votre servante l'ardent désir de retrouver l'instrument sacré auquel le salut du monde a été suspendu, faites-nous connaître d'une manière évidente laquelle de ces trois croix a servi au triomphe du Sauveur, et permettez que cette femme, que les douleurs de l'agonie retien- nent ici couchée sur son lit de souffrance, revienne à la vie des portes de la mort, aussitôt que le bois salu- taire l'aura touchée '. »
Les croix furent successivement approchées de la malade. A l'attouchement de la dernière, elle fut guérie sur-le-champ et se trouva assez forte pour se joindre au pieux cortège, louant et glorifiant le Seigneur, qui avait daigné manifester sa vertu en sa personne. Les chrétiens, comme les disciples au temps de la vie mor-
• Rufinus, Addit. ad Hist. Euscbii, cap. m.
JUDEE.
telle do Jésus, bénissaienl Dieu el chantaienl sa misé- ricorde.
L'impératrice partagea le bois de la vraie croix en plusieurs fragments. Le plus considérable l'ut déposé dans la basilique du Saint-Sépulcre; un mitre l'ut en- voyé à Gonstantinople , <»ù l'empereur le reçut avec tous les signes «lu resped el de la piété; lf troisième lui destiné .'i Rome, et placé dans l'église que celle pieuse princesse y fonda sous le nom de Sainte-Croix en Jérusalem, où elle existe encore aujourd'hui, ainsi que le titre qui avait été attaché au sommet de la croix «lu Sauveur.
Le monument de la piété impériale subsista plu- sieurs siècles dans toute sa magnificence, visité de nombreux pèlerins. En 614-, Ghosroës, roi des Perses, à La tête d'une nombreuse armée, augmentée de vingt- six mille Juifs, ne respirant que la haine du nom chré- tien, s'empara de la ville de Jérusalem. On dit que quatre-vingt-dix mille chrétiens perdirent la vie en '••tir occasion. L'église du Saint-Sépulcre lui pillée el profanée; la vraie croix lui emportée par les vain- queurs, et le patriarche Zacharie emmené en capti- vité. Quatorze ans plus tard, l'empereur Heraclius lit replacer la croix dans son sanctuaire.
1 calamités n'abattirenl pas le courage des fidèles. Modeste, d'abord abbé du couvent de Théodose, en- suite successeur de Zacharie, sur le siège patriarcal <\<' Jérusalem, entrepril de restaurer l'église du Saint- Sépulcre. Il ne s'adressa pas en vain à la générosité des chrétiens de la Palestine. Les aumônes lurent abon- dantes. Dès que le patriarche d'Alexandrie eut appris
JÉRUSALEM. 85
qu'on se disposait à entreprendre ce noble travail, avec une munificence toute princière, il envoya mille ouvriers à ses frais avec des sommes considérables, exprimanl ses regrets de ne pouvoir mettre lui-même la main à l'exécution de ce saint ouvrage.
En »'>;{7, le calife Omar se rendit maître de Jérusa- lem. Il laissa aux chrétiens l'exercice de leur culte; mais l'histoire nous apprend qu'à partir de cette époque les chrétiens eurent à souffrir mille avanies de la part des musulmans. Deux t'ois le feu fut nus à l'église du Saint -Sépulcre; le patriarche Jean périt dans un de ces incendies. Le calife Hakem, au com- mencement du xc siècle, à l'instigation des Juifs, fit dévaster la basilique. Mais nous sommes à la veille de voir les Saints-Lieux retomber en la possession de mains chrétiennes. Le XIe siècle ne finira pas avant que les croisés fassent flotter sur les murs de Jérusa- lem leurs étendards victorieux. Ce fut le 13 juil- let 1099 que les croisés s'emparèrent de la ville sainte; au milieu des rues on entendait retentir ces paroles du prophète Isaïe : Vous qui aimez Jérusalem, ré- jouissez-vous avec elle!
Hélas! un siècle ne s'était pas écoulé, et les chré- tiens étaient forcés d'abandonner la Terre-Sainte. Depuis lors le Saint-Sépulcre fut dévasté et restauré à diverses reprises. L'ensemble du monument resla le même jusqu'à l'année 1808, que les Grecs, dans leur jalousie insensée contre les Latins, y mirent le feu au milieu de la nuit du 1 1 au 12 octobre. La cou- pole et les lambris, en bois de cèdre, furent consu- més, et plusieurs chapelles perdirent leurs ornements.
JUDÉE.
A h faveur de l'incendie, les tombes de Godefroi de Bouillon el de Baudouin, les héros de la croisade, luiviit profanées el détruites. Mais ce crime ne pro- fita pas aux coupables, comme ils l'avaient espéré. On sait, dil M. Eugène Bore, comment l'incendie dévora toute la partie du temple occupée par ces au- dacieux profanateurs, et comment il respecta, à la grande admiration de tous, les autres parlies appar- tenant à m>s religieux surpris et consternés; on eût dil <rnn jugemenl du feu, ménagé par le Christ, sur les légitimes gardiens de sou tombeau1. »
1 !.. Bore, Question des Lieux saints.
CHAPITRE Y
JERUSALEM
I I SA IXT-SK M II II I
e vaste monument qui recouvre au- jourd'hui le tombeau du Sauveur est composé en réalité de trois églises : celle du Saint -Sépulcre, celle du Calvaire et celle de l'Invention de la Sainte- Croix. Ces trois édifices, *r& ■*?-*-?*'' longtemps séparés, furent réunis sous un toit commun à l'époque des croi- sades, grâce à des travaux assez considérables. Ainsi s'explique l'irrégularité du plan. L'œil cependant y reconnaît sans peine la forme gé- nérale de la croix latine, avec deux absides, l'une à l'occident, où se trouve le saint Tombeau, recouvert de la grande coupole, et entouré de cha- pelles; l'autre à l'orient, précédée de l'ancien chœur drs chanoines du Saint -Sépulcre, et s'ouvrant par cinq arcades, autour de l'autel appelé le saint des
JUDEE.
saints. Un déambulatoire accompagne cette abside, et donne accès à trois petites chapelles semi-circulaires. On reconnaît ici la main des croisés et rinlluence latine. Cette disposition de l'abside orientale rappelle la forme de toutes nos églises françaises du xne siècle; il n'y a pas jusqu'à l'existence des trois chapelles ab- sidales qui ne nous reporte vers nos construction-. religieuses, au momenl où l'ogive commençait à se montrer à côté du plein cintre.
L'examen attentif du plan général de l'église du Saint -Sépulcre donne l'explication d'une disposition que nous avons observée plus d'une fois dans des édi- fices de la plus grande importance en France et en Allemagne, sans en connaître l'origine. Citons seule- ment les cathédrales de Nevers, de Besançon, de Ver- dun, de Worms et de Mayence. Ces beaux édifices furent fondés dans le cours du XIIe siècle, et, d'après le modèle du Saint- Sépulcre, ils présentent deux ab- sides aux extrémités <ln vaisseau principal. L'archi- tecte a voulu consacrer ainsi le souvenir des grands vov.il:' > d'oiitrc-nier. Kn étudiant l'histoire particu- lière des églises que nous venons de nommer, on re- connaîtra sans doute les évêques on les personnages qui, de retour de la Palestine, auronl commandé ces magnifiques ouvrages et introduit en Occident une forme d'architecture qui avait vivement ému leur imagination sur les Saints-Lieux.
Le chœur des chanoines appartient aujourd'hui aux
. qui l'appellent Catholicon. Il est surmonté d'uni'
coupole donl le centre passe à leurs yeux pour être
'•'•lui de la terre. Cette croyance, du reste, est an-
>
eu •sa
55
LE SAINT-SÉPULCRE. '■'!
tienne, et, chez 1rs chrétiens d'Orient, c'est une opi- nion depuis longtemps accréditée que Jérusalem esl au centre de la terre, et que le Calvaire tonne le point précis de ce centre. Ils auraienl raison, si, au lieu d'attacher à certaines expressions des livres saints une signification grossière, ils y attachaient seulement un sens mystique et moral. Le Calvaire, en effet, est le point vers lequel toutes les nations tournent leurs regards : là s'est opéré le salut du genre humain. La croix est le tenue de l'ancien inonde et le point de départ d'un monde nouveau. Les popes grecs de Jéru- salem, possédant à peine les connaissances géogra- phiques de leurs compatriotes au temps du voyage laineux des Argonautes, ont placé un petit globe au milieu du chœur de l'église, et ils le t'ont voir aux pèlerins, moyennant finance; ils l'appellent le nom- bril de la terre. 11 n'est guère de voyageur qui ne se procure la satisfaction de regarder in umbilico terrœ; nous n'avons pas regretté les quelques pièces de mon- naie que nous avions à payer. .
Non loin de la porte principale, ouverte au midi, et à l'entrée du lias côté méridional, se trouvent les de- grésqui mènent au Calvaire. Cette seconde église est, pour ainsi dire, à deux étages. Le rez-de-chaussée forme la chapelle d'Adam : au vnr siècle, au temps du pèlerinage de Févêque Arculfe, on y célébrait l'of- tiee des morts. A l'entrée de cette chapelle, on voyait, avant le funeste incendie de 1808, les tombeaux des rois chrétiens, notamment «-eux de Godefroi de Bouillon et de Baudouin, son frère. Ces vaillants chevalier-, auxquels leur bravoure et leur sagesse méritèrenl la
JUDEE.
couronne du royaume chrétien de Jérusalem, dor- maient -"ii- une simple piem . quelques pas du sain! Sépulcre, dont ils semblaient encore les gar- diens. G >defroi de Bouillon est le premier qui reçut cet honneur, et qui fut enseveli à l'intérieur de l'égli L'historien des croisades, Guillaume de Tyr, rapporte : .• simplicité pleine de grandeur : Se-
puli lesia dominici Sepulcri, sub l
- - 5/ Dominus. S m tombeau était surmonté «l'une pierre tombale prismatique, portée sur ipi.it : petites c donnes, dans le genre «le cell»- que rchéologues ont signalées assez fréquemment
dans 11 s églises françaises du xn« siècle '. Sur un des s le la pierre on avait gravé l'épitaphe suivante :
me j\crr inclttds r>ux godefriihjs r.F. bci
: TOTAM TEKRAM ISTAM
LTU1 CHRISTIAKO : • M CHR1STO. AMEN.
I îlèbre «lu 1 1 lefroi «1" Bouillon .
qui acquit toul tréeà la religion chrétienne;
son ai - Jésus-i Ihrist 1
le tombeau de Baudouin on lisait cette inscrip-
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34 IUDÉE.
porte en son chief de ci au temple ou ïesucrist fut offert : l.i si offre sn corone. »
La tradition des Juifs, aussi difficile à combattre qu'à prouver en ce point, vent que le Calvaire ait été le lieu de la sépulture d'Adam. Les premiers Pères de l'Église se sont rendus l'écho de cette croyance Nous citerons ici un passage seulemenl emprunté à saint Hasilc. « <»u conserve dans l'Église, dit-il, une antique tradition qui nous apprend que l'ancienne Judée lui habitée par Adam; 1(3 premier homme et le premier pécheur s'y réfugia au sortir du paradis de délices, aliu d'adoucir un peu la perte des biens donl il venail d'être prive. Ce fut aussi la Judée qui reçut la dépouille mortelle du premier homme, après qu'il eul satisfait pleinement à la sentence de con- damnation portée contre lui. Sa tête fût ensevelie en un lieu qu'on appela naturellement Crânien, ou Cal- vain i le lieu du Crâne), parce <pie ce l'ait dut
nécessairement frapper très-vivement les hommes de cette époque. Noé u'ignorait pas où était le tombeau du chef et du père du genre humain. Cette tradi- tion, grâce à lui, se répandit, partout. Ce fut là, sur le lieu du Calvaire, que Nôtre-Soigneur souffrit pour frapper la mort dans son origine mènic'. — Le sang du Christ, ajoute sainl Épiphane, coula sur le tom- beau du premier homme pour lui procurer, ainsi qu'à toute sa race, l'espérance de la vie éternelle . -'. »
On monte au Calvaire à l'aide d'escaliers assez
i S. B tsil. in . ip. w.
S. r.|>i|ili:m , Panar. , xi. vi. — Cf. Origen.j Tractât. XXXV in Matth, — s. Ambros. id Luc. x\m. — s. Aug., Sermo i-\\i de Tempore.
LE SAINT-SÉPULGRE. 95
escarpés, <|ni ont de douze à dix-huit marches. Plu- sieurs des degrés, comme ceux de la Scala-Santa, à Rome, ont été usés sous les genoux des pèlerins. La plate-forme a environ quinze mètres carrés; elle est divisée en deux parties, formant deux chapelles, Tune où Jésus fut attaché à L'arbre de la croix; l'autre où la croix fut plantée. A côté du Calvaire, et en dehors de ces deux sanctuaires, est la cha- pelle de Notre-Dame des Douleurs. La sainte Vierge se tenait en cet endroit, avec saint Jean et les saintes femmes, tandis que l'on crucifiait le Sauveur. Près de l'excavation pratiquée dans le rocher pour rece- voir le pied de la croix, commence une fissure large et profonde, qui se continue jusqu'au bas du Cal- vaire. Suivant la tradition, c'est un des rochers qui 'se fendirent à la mort de Jésus -Christ. Saint Cyrille de Jérusalem le croyait au ive siècle, et montrait ce déchirement extraordinaire en preuve des mystères qui s'accomplirent sur cette montagne. La science moderne n'a pas démenti la tradition, et un auteur contemporain rapporte les paroles d'un naturaliste anglais et protestant, que l'on ne soupçonnera pas de crédulité. Addison raconte que ce savant, che- min faisant vers l'église du Saint- Sépulcre, tournait en ridicule les récits des prêtres catholiques. Mais à l'aspect de ces ruptures du rocher, qui croisent les veines, au lieu de suivre le lit de la pierre, comme cela a lieu dans les tremblements de terre , il s'écria : Je commence à être chrétien '.
1 Addison, De la Beligion cltvétienne, tome II.
JUDEE.
A l'excepti le deux ou trois points, le Calvaire
es| recouvert en entier de marbres précieux. C'était le seul moyen de I»' protéger contre l;i teneur incon- sidérée des pèlerins : à force d'en ôter des parcelles, ils auraient fini par emporter la montagne entière. La dévotion, d'ailleurs, s'esl plu à embellir ces sanc- tuaires augustes. Les voyageurs conduits au Calvaire par la curiosité el non par la religion, seuls peuvent avoir le triste courage de regretter que ces lieux ne soient pas toujours dans le même état que du temps de Ponce-Pilate. La vue de colle roche nue et dé- chirée sérail sans doute plus frappante; mais la piété pouvait-elle se résigner à laisser dans un abandon voisin de la profanation le sol arrosé du sang de Jésus- • Ihrist?
Derrière l'abside orientale, entre deux chapelles la- térales, s'ouvre la porte qui conduit à l'église Sainte- Hélène, et à la grotte de l'Invention de la Sainte- Croix. < >n y descend au moyen de vingt-huit marches. Tous les caractères d'une architecture très-ancienne y sont apparents.
En traversant le chœur ^U'>> chanoines pour aller au Sépulcre, la mémoire nous met sous les veux un tableau touchant delà piété de nos ancêtres , à l'épo- que où les chrétiens étaienl maîtres de Jérusalem. I u auteur contemporain raconte dans les Assises de Je- '/.///. que « quant on chantoil messe de la Resur- ion, li di icres . quand il chantoit l'Evangile, si se tournoil vers le mons de Calvarie quanl il disoil crucii rxuM : api ' i se tournoil vers le monument quant il disoil resi rri xit, non esi hic; si monstroit
LE SAINT-SÉPULCRE. 97
au doit : ecge logus ubi posuerunt eum; et puis si se retournoit au livre, si pardisoit son évangile. »
Le saint Tombeau est à quarante pas environ du Golgotha. Il est au milieu de la grande coupole, et recouvert d'un édicule en marbre blanc et jaune. A l'intérieur, il est divisé en deux parties : le vesti- bule ou chapelle de F Ange, et la chambre sépul- crale. Une pierre placée vers le milieu indique la place où se tenait l'ange lorsqu'il dit aux saintes femmes portant des parfums : « Ne craignez point; je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. II n'est pas ici; il est ressuscité, comme il l'avait prédit. Voici le lieu où il était placé4. Cette chapelle est carrée, ayant un peu plus de trois mètres en tout sens. Jusqu'au temps de Constantin, c'était une grotte naturelle; elle fut alors changée. Courbez un peu la tète, et vous entrez dans le Sépulcre. A droite, cette table de marbre blanc recouvre le tombeau de Jésus- Christ. Quatre personnes peuvent se tenir à genoux dans cette étroite enceinte. La voûte et les parois sont revêtues de marbre ainsi que le tombeau. Quan- ti té de lampes d'or et d'argent brûlent nuit et jour dans < e sanctuaire : plusieurs portent des fleurs de lis.
Vers le milieu du xvi« siècle, le monument qui abrite le saint Sépulcre tombait en ruines. Le pape Jules lit ordonna au P. Boniface, préfet apostolique, alors gardien des Saints -Lieux, de le reconstruire. L'empereur Charles -Quint donna des sommes consi- dérables pour aider à l'exécution de ce noble ouvrage.
1 Matth., xwin.
JUDEE.
En 1555, les travaux furent entrepris et conduits avec zèle, et bientôt, «lit le pieux Franciscain, « le sé- pulcre il'1 \"hv-Seigneur s'ollïit à découvert à nos yeux, tel qu'il avail été taillé dans le roc. On yvoyail peints deux anges, dont l'un portail un écriteau avec ces mots : // est ressuscité; il n'est plus ici. L'autre, montrant au doigt le sépulcre, tenait cette inscrip- tion: Voici le lieu où Hx Vont placé. Ces deux tableaux, dès qu'ils furent au contad de l'air, tombèrent eu poussière. La nécessité nous ayant forcés à soulever une des tables d'albâtre que sainte Hélène y avait l'ait placer pour recouvrir le sépulcre, afin qu'il tut possible d'y célébrer la sainte messe, nous vîmes à découvert ce lieu ineffable où Notre -Seigneur reposa durant trois jouis. Ce lieu, où l'on distinguait encore dans tous ses contours des traces du sang de notre Sauveur, mêlé aux aromates qui servirent à l'embau- mer, offrait à nos yeux connue l'image dun soleil resplendissant. A cette vue, nous poussâmes de pieux gémissements, des larmes de joie s'échappèrent <le nos yeux, nos lèvres baisèrent avec amour ces restes vénérés et divins. Tous ceux qui étaient présents, et le nombre en était grand, car il y avait une foule de chrétiens des mitions de l'Orient et de l'Occident, ne pouvaient contenir les transports de leur ten- dresse à la vue de ce divin trésor; les uns versaient un torrent de larmes, les autres faillirent en perdre la vie, si grand étail l'enthousiasme, l'espèce d'extase, de sainte stupeur qui régnait dans cette assemblée1. »
lettre esl rapportée en entier pai Quaresmius, tome II. bille
LE s.\ INT-SÉPULCilE. 09
Au fond de la grande rotonde et vers L'occident, esl un tombeau antique; c'est celui de Joseph d'Ari- mathie. Il est évidemment antérieur àla construction (l<" l'église, el remonte à l'époque judaïque. Il con- siste «'ii une chambre carrée creusée dans le roc, sans autre ornement qu'une lampe qu'y entretiennent les Svricns. La disposition intérieure de ce monu- ment funèbre aide à comprendre celle du saint Sé- pulcre; et son existence en prouve l'authenticité.
Gommeà l'époqueoù beshayes représentait Louis XIII et la France en Palestine, l'église du Saint-Sépulcre esl occupée par toutes les nations chrétiennes, à quelques communions qu'elles appartiennent. Les ca- tholiques y ont les droits principaux, et, à propre- ment parler, les seuls droits légitimes; mais la ja- lousie des Grecs schismatiques les a éloignés de plusieurs sanctuaires. Il n'est pas de fourberies et même, au besoin, de violences auxquelles les Grecs liaient recours pour dépouiller les Latins; et comme avec de l'argent on peut tout obtenir des Turcs, les schismatiques profitent des circonstances critiques au milieu desquelles se trouvent parfois les catho- liques pour faire reconnaître et consacrer leurs usur- pations. Depuis des siècles, la France est la protec- trice avouée des catholiques et de leurs droits en Orient. Cette généreuse nation ne permettra pas que <le perfides adversaires y consomment notre ruine. Que personne ne l'oublie, à côté des questions purement
est citée et reproduite en grande partie par M<-'r Mislin, Les Saints Lieux, tome II, parmi les notes, p. 570.
100 JUDEE.
religieuses se placent d'autres questions uon moins importantes. De graves événements s'accompliront en Orient dans un avenir plus ou moins rapproché. Si la Russie soutient les Grecs <lo son or, c'est qu'elle prépare de loin des projets d'envahissement. Chacun sail comment, il y a quelques années à peine, la question des Saint*- Lieux donna naissance à une guerre gigantesque : personne n'oubliera nos exploits en (aimée, nos luttes héroïques et la prise de Sébas- lopol !
., On compte à l'intérieur de l'église du Saint- Sépulcre, dit Deshayes, huit nations différentes.
« La première est celle dv^ Latins ou Romains, que représentent les religieux Cordcliers. Ils gardent le sainl Sépulcre, le lieu du mont Calvaire, où Notre- Seigneur lut attaché à la croix, l'endroit où la sainte croix tut trouvée, la pierre de l'Onction, et la cha- pelle mi Xotre-Seigneur apparut à la Vierge après sa résurrection.
« La seconde nation est celle des Grecs, qui ont le chœur de l'église, où ils officient, au milieu duquel il va un petit cercle de marbre, donl ils estimentque le centre soil le milieu de la terre.
« La troisième nation esl celle d<> Abyssins; ils tiennenl la chapelle où est la colonne àHmpropère. » Arméniens «m ont chassé les Abyssins depuis longtemps.
< La quatrième nation est celle de- Cophtes, qui sont les chrétiens d'Egypte; ils on1 \\\i petit oratoire proche du saint Sépulcre.
La cinquième est celle des Arméniens; ils ont
LE SAINT-SÉPULCRE. 101
la chapelle de Sainte- Hélène, et celle où 1rs habits de Notre -Seigneur furenl partagés et joués.
« La sixième Dation est celle des Nestoriens ou Jaco- bites, qui sont venus de Chaldée et de Syrie; ils ont une petite chapelle proche du lieu où Notre-Seigneur apparul à la Madeleine en forme de jardinier, qui pour cela est appelée la chapelle de Madeleine. » Les Jaco- bites n'ont pins rien dans réglise.
« La septième nation es1 celle des Géorgiens, qui habitent entre la mer Majeure et la mer Caspienne: ils tiennent le lieu du mont Calvaire où fut dressée la croix, et la prison où demeura notre Seigneur, en attendant qu'on eût fait le trou pour la placer. » Les < réorgiens ont été dépossédés par les Grecs.
« La huitième nation est celle des Maronites, qui habitent le mont Liban ; ils reconnaissent le pape, comme nous faisons, comme le chef de toute l'Eglise '.
ce Chaque nation , outre ces lieux que tous ceux qui sont dedans peuvent visiter, a encore quelque endroit particulier dans les voûtes et dans les coins de cette «'-lise qui lui sert de retraite, et où elle fait son office -■■Ion son usage; car les prêtres et religieux qui y entrent demeurent d'ordinaire deux mois sans en sor- tir, jusqu'à ce que du couvent qu'ils ont dans la ville, on y en envoie d'autres pour servir en leur place. »
Les louanges de Dieu ne sont interrompues ni le jour ni la nuit dans l'église du Saint-Sépulcre. Quantité
1 On peut consulter sur les Saints-Lieux une espèce de statistique publiée en 1847, en français et en italien, par le chev. Artaud de Montor, sous ce titre : Considérations sur Jérusalem et le Sépulcre de J.- C.
102 JUDÉE.
de lampes y brûlenl continuellement. « Les prêtres chrétiens des différentes sectes, dit M. de Chateau- briand, habitent1 les différentes parties de l'édifice. Du haut des arcades, où ils se sonl nichés comme des colombes, du fond des chapelles ou des souterrains, ils foni entendre leurs cantiques à toutes les heures du jour cl de la nuit : l'orgue du religieux latin, les cymbales «In prêtre abyssin, la voix du caloyer grec, la prière du solitaire arménien, l'espèce de plainte du moine cophte, frappent tour à tour ou tout à la fois votre oreille. Vous ne savez d'où partent ces con- çu-; vous respirez l'odeur de l'encens sans aper- cevoir la main qui le brûle : seulement vous voyez passer, s'enfoncer derrière des colonnes, se perdre dans l'ombre du temple, le pontife qui va célébrer les plus redoutables mystères aux lieux mêmes où ils se sont accomplis. »
lai examinant attentivement l'extérieur de réalise du Saint-Sépulcre, des yeux accoutumés aux obser- vation- archéologiques reconnaissent sans peine, outre le plan de l'édifice primitif, les murs et fragments dus à sainte Hélène. Le travail des Francs esl plus appa- rent encore. A la façade, c'est-à-dire à l'entrée prin- cipale, du côté du midi, on distingue tous les carac- tères de notre architecture lïaneaise au xir siècle. L'ogive accompagne le plein cintre, et l'un et l'autre "Ut couverts d'ornements variés. C'est évidemment le génie et la main de l'Occident. Au XIIe siècle, les croisés ont transporté leurs arts en Orient; ils ne les "id pas empruntés à ces contrées depuis longtemps sorties de la voie du progrès, La science à* fait justice
- ulcre de N.-S. B, Calvaire.
c. Église Sainte-Hélène D. Chapelle de l'Invention de
la Croix. K. Pierre de l'Onction, p. Colonne des Impropèret. c. Knannt où Jésus ressusi i apparut à Marie Madeleine Prison de N.-S. 1. Sépulcre de Joseph d'Ari- mathie.
PLAN DTJ SAINT-S* PULCUE.
LE SAINT-SÉPULCRE. 105
de l'erreur prétendanl que l'architecture à ogives est née eu Orient, el que les croisades en rapportèrent l«i- éléments en Europe. L'arc ogival u'est qu'un élémenl du vaste système de construction qui constitue le style ogival; ce système, auquel nous devons les ma- gnifiques cathédrales d'Amiens, de Reims, de Chartres, de Paris, de Bourges, de Salisbury, de Lincoln et la Sainte-Chapelle, est d'origine chrétienne. Les deux portes de l'église du Saint -Sépulcre, dont une est murée actuellement, sont en ogive et ornées d'archi- voltes délicatemenl travaillées. Le linteau sert de champ à un bas-relief finement sculpté, où, malgré quelques mutilations, on aperçoit l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem, au milieu de la mul- titude tenant des palmes à la main. Deux fenêtres à plein cintre sont décorées de colonnettes, de mou- lures nombreuses et de feuillages.
CHAPITRE VI
I Kl! ISA I.KM
il C AL VA 1 11 K. — S T ATIONS
itaoiik samedi . durant le carême, à deux heures après midi, les reli- gieux de Terre -Sainte fontune pro- cession solennelle dans l'église du Saint- Sépulcre, et se dirigent vers -'-;• Ions les sanctuaires consacrés aux souvenirs de la Passion. Nous nous empressons de nous joindre au pieux cortège. Nous marchons derrière le consul de France; dix Français se joignent à nous : nous sommes I''- représentants de La France. Deux jeunes An- glais catholiques, récemment convertis, représen- tenl l'Angleterre. Plusieurs Italiens , des Espagnols , des Autrichiens, des Tinsses ferment la marche. On nous donne ;'i chacun un cierge allumé, H la proces- sion commence au chanl du Vexilla Régis prodeunt. (le
LE CA LVAIRE 107
chant grave, ces paroles touchantes, cette pieuse cé- rémonie près du Calvaire, tout contribue à produire sur le cœur une impression profonde : quelques-uns des assistants sont (''mus jusqu'aux larmes.
En indiquant chacune des stations, non- complé- terons la description que nous avons donnée dans Le chapitre précédent, el nous aurons fait connaître aussi exactement que possible, el L'ensemble du monument. et les chapelles principales. Nous suivrons ensuite La voie douloureuse à travers les rues de Jérusalem, et non- dirons en quelques mots où se trouvent maintenant les reliques de la Passion. Serait-il pos- sible à un chrétien de venir à Jérusalem sans avoir l'esprit, la mémoire et le cœur remplis de ces grands souvenirs et des sentiments qu'ils inspirent?
La première station se fait devant l'autel qui ren- ferme la coJonnc de lu flagellation. C'est un tronçon de colonne en porphyre rougeàtre. On sait qu'il existe deux colonnes dites de la flagellation; Tune se conserve à Rome dans la basilique de Sainte -Praxède, l'autre à Jérusalem. La première provient du prétoire, la se- conde de la maison de Caïphe. On en montre des fragments en plusieurs églises : les Franciscains en ont donné à plusieurs souverains; à Saint-Marc de Venise, on en possède un morceau assez considé- rable.
La procession se dirige de là vers la prison de Notre- Seigneur. C'est une chapelle étroite et obscure bâtie sur le lieu où la tradition rapporte que Jésus fut placé et gardé parles soldats tandis qu'on faisait Les apprêts du supplice. La dénomination sous La-
108 rUDÉE.
quelle elle esl connue pourra sembler impropre. En cel endroit, il n'y avait pas sans cloute de prison publique; mais I»'- chrétiens y honorent le lieu où le Sauveur s'arrêta quelques instants avant de mon- ter au sommet «lu Calvaire. Cette chapelle apparte- nait autrefois aux Géorgiens; aujourd'hui les Grecs la possèdent.
Quelques pas plus loin est la chapelle de la divi- sion des vêtement*. Selon la coutume, les vêtements des condamnés étaient abandonnés aux soldats et aux bourreaux. Ce fut l'empereur Adrien qui abolit cet usage, et défendit aux soldats de prendre les dé- pouille- des victimes de la justice. Saint Jean rap- porte dans sou Kv.minle les détails de cette scène. « Les soldats, après avoir crucifié Jésus, prirent ses vêtements e1 en tirent quatre parts, une pour chaque >old;it. Ils prirent aussi sa tunique. Or la tunique était sans couture, et d'un même tissu depuis le haut jusqu'au ltas. Ils se dirent donc les uns aux autres : Ne la coupons pas, mais tirons au sort à qui elle appartiendra; afin que cette parole de l'Écri- ture fût accomplie : Ns ont partagé mes vêtements entre eux, et ils oui tiré ma robe au sort '. »
La quatrième station a lieu dans la chapelle de l'Invention de la Sainte-Croix. <>n traverse d'abord l'église Sainte-Hélène, et on descend dans la grotte profonde où la croix demeura enfouie durant trois siècles : elle est en partie creusée dans le roc vif. metuaire appartient aux catholiques.
1 I. ■:••!.. \i\ , 23 e1 24.
LL CAL\ AI RE. 109
un s'arrête pour la cinquième station dans l'église Sainte -Hélène. Là su tenail en prières la pieuse im- pératrice pendanl qu'on cherchait la croix du Sau- veur. Cette grande chapelle est carrée; elle a environ quinze mètres de long sur autant de large. On y re- connaît tous les signes d'une très -antique construc- tion. G'esl la partie de L'édifice primitif qui a éprouvé le moins de changements: elle est souterraine, comme la grotte de l'Invention. Les Grecs et les Arméniens la possèdent actuellement.
Quand on est remonté dans l'église supérieure, on rencontre à gauche la chapelle de la colonne d'Im- propère, columna Impropcriorum. Sur l'autel de cette petite chapelle on aperçoit un fragment de la colonne de marbre gris sur laquelle le Sauveur était assis dans le prétoire lorsque la soldatesque l'abreuva d'ou- trages. C'est sur ce trône d'humiliation que les Juifs le frappèrent, le couvrirent de crachats, entourèrent sa tête d'une couronne d'épines, lui mirent à la main un sceptre de roseau, jetèrent sur ses épaules un manteau de pourpre. Ils fléchissaient le genou devant lui^en se moquant, et le saluaient par dérision du nom de roi des Juifs '. Cet oratoire appartenait jadis aux Abyssins; les Grecs s'en sont emparés.
La procession monte alors les degrés du Calvaire. Le sommet de Golgotha, après les transformations qu'a subies le sol voisin à l'époque de la construction de la basilique constantinienne, est à cinq mètres environ au-dessus du niveau du tombeau de Notre-
1 Matth.j xxviii.
Mi, JUDEE.
Seigneur. La plate-forme supérieure présente une surface d'environ quinze mètres carrés; elle est di- visée ''il deux parties: L;i chu-pelle du Crucifiement, du côté méridional, où Jésus fut attaché à la croix, el la chapelle de la Plantation de la croix. C'est ici que lui consommée l'œuvre de la rédemption des hommes. La station se termine on cet endroit de la manière la plus louchante. Le prêtre récite en forme d'antienne les dernières paroles do la Passion selon sainl Luc, et elec dicens, [hic] expiravit. En pro- uonçanl ces mots à demi- voix, il se prosterne ainsi que tous les assislanls. Uuels sentiments remplissent uotre âme en baisant ce sol arrosé du sang du Juste! Ce petit coin de terre est vraiment la porte du ciel! Lorsque Jésus l'ut élevé en croix, il avait le dos tourné à Jérusalem el la face dirigée vers l'Occident. Les Pères de l'Église ont tous remarqué ce l'ait comme plein de mystères et glorieux pour nous. La chapelle du Crucifiement es1 aux catholiques; l'autre appartienl aux Grecs. Les Géorgiens en furent long- temps les maîtres; mais comme on exigeait d'eulx grande somme de deniers, ils furent, à grand regret, contraints de l'engager aux Grecs.
Dès qu'on esl descendu du Calvaire3 on rencontre • i une faible distance la pierre de l'onction. C'est là que Joseph d'Arimathie el Nicodème, suivant la cou- tume des Juifs, couvrirent d'aromates le corps de I us, après l'avoir descendu de la croix. Cette pierre esl actuellement cachée sous une table de marbre rougeâtre. Les historiens des croisades uous, appren- uent qu'elle était placée au centre d'une petite église
LE CALVAIRE. 1 I I
dédiée à sainte Marie, e1 que cette petite basilique, de même que plusieurs autres oratoires, lurent dé- molis Lorsque tous les saints l.ieux furent compris dans une même enceinte4. L'entrée actuelle de l'église du Saint- Sépulcre est dans le voisinage de la jncnc de l'onction. La se t'ait la neuvième station.
La dixième a lieu au saint Tombeau, dont la pro- cession fait d'abord trois fois le tour. Du temps de saint Cyrille, ce lieu était encore un jardin, comme au temps de la Passion. L'endroit où le corps du Sauveurs reposé esl devenu un autel. Nous pouvons dire que c'esl l'autel par excellence, avec celui du Calvaire. Dans cette obscure chambre sépulcrale s'est opéré le plus grand miracle : Jésus est sorti plein de vie de ce tombeau, vainqueur de la mort et de l'enfer. C'est le seul tombeau, avec celui de la sainte Vierge, qui n'aura rien à rendre au dernier jour. 11 est plus facile de comprendre de quels sentiments le cœur est rempli dans cet auguste sanctuaire que de les exprimer. Écoutons les paroles d'un de nos plus célèbres écrivains. « Je restai, dit M. de Chateau- briand, près d'une demi-heure à genoux dans la petite chambre du saint Sépulcre, les regards atta- chés sur la pierre, sans pouvoir les en arracher. L'un des religieux qui me conduisait demeurait prosterné près de moi, le front sur le marbre; l'autre, l'Évan- gile à la main, me lisait, à la lueur des lampes, Les passages relatifs au saint tombeau. Entre chaque
• Extra prrcdictuj Resurrectionis ecclesisc ambitum eranl oratoria valde modica. (Guillelm. Tyr., VIII, M.)
, l2 JUDÉE.
versel il récitait une prière : « Seigneur Jésus -Christ, après avoir été déposé de la croix, vous avez été reçu dans [es bras de votre donc." mère, et vous avez voulu, à la dernière heure, que votre corps privé de vie reposai dans ce monument. » Tout ce que je puis assurer, c'esl qu'à la vue de ce sépulcre triomphant je ne sentis que ma faiblesse, et quand mou guide s'écria avec saint Paul : 0 mort, où est ta victoire:' „ mort, <>ù est Um u'ujuiUon? je prêtai l'oreille comme si la mort allait répondre qu'elle est vaincue et en- chaînée dans ce monument. »
La résurrection de Jésus-Christ est le fondement de nos croyances et de nos espérances. Aussi la Pro- vidence a voulu que nul l'ait historique ne présentât le même caractère d'authenticité. Des preuves de tout genre se réunissent pour le démontrer avec une évi- dence plus éclatante que la lumière du soleil. La ré- surrection du Sauveur sera l'éternelle réponse que le christianisme fera aux incrédules et aux inlidèles. Cette race maudite demande un prodige, et il ne lui en sera pas donné d'autre que relui du prophète Jonas,
• lit Jésus- Christ, faisant allusion à sa mort et à sa sortie glorieuse du tombeau.
La onzième station se fait à l'endroit où Jésus res- suscité apparut à Marie Madeleine. Lisons le récit touchant de l'évangéliste. a Marie était debout près
• lu sépulcre, les yeux inondés de larmes. Les anges lui dirent : Femme, pourquoi pleurez-vous? Elle leur répondil : Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis. En disant ces paroles elle se tourna . et \ it Jésu debout : mais elle ignorait que
LE CALVAIRE. I i:;
ce fût Jésus. Le Sauveur lui dit : Femme, pourquoi pleurez-vous? qui cherchez -vous ? Croyanl que c'était
le jardinier, elle lui «lit : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'ave/ mis, et je remporterai. Jésus lui dit : Marie! Celle-ci ce re- tourna et s'écria : Rabboni, c'est-à-dire, mon maître ' ! » L'endroit où se tenait Notre -Seigneur est marqué par une incrustation de marine dans le pavé, ainsi que la place où se trouvait Marie Madeleine.
La douzième et dernière station se lait à la cha- pelle «le la sainte Vierge Marie, où une pieuse tradi- tion rapporte que le Christ ressuscité apparut d'abord à sa mère. Saint Ambroise s'est rendu l'interprète de la croyance d'un grand nombre de Pères et d'écri- vains ecclésiastiques en disant que Marie fut le pre- mier témoin de la résurrection de son divin fils2. Là se trouvait la maison de Joseph d'Arimathie, où l'on pense que la sainte Vierge attendait Faccomplisse- ment des prophéties. Plus tard, le patriarche de Jé- rusalem av,ait coutume d'aller en ce môme lieu la veille de Pâques, pour entonner le chant d'allégresse en l'honneur de la Mère de Dieu, que l'Église salue en ce jour Reine <lu ciel : Regina gœli, uetare, alléluia. La chapelle de ['Apparition appartient aux Latins.
Aucun pèlerin ne visite Jérusalem sans parcourir la voie douloureuse, c'est-à-dire le chemin que Jésus parcourut depuis le palais de Pilate jusqu'au Calvaire.
1 Joan.j xx, 1 1 et sequ.
2 Vidit Maria resurrectionem Domini, et prima vidit et credidit. (De Virg.,lïb. III.)
114 JUDEE.
La distance est d'un kilomètre environ. Dos frag- ments de colonne marquent chacune des stations du chemin de la croix. Trahi par un de ses apôtres, renié par un autre, abandonné de tous, i^ardé comme un criminel, .lésus est d'abord conduit chez Anne et chez Caïphe. La maison do Caïphe est située aujour- d'hui hors de la porte de Sion, ot convertie en un couvenl appartenant aux Arméniens. Dans l'église, et près il»' l'autel, on montre le lieu où Jésus était atta- ché duranl cette longue nuit d'humiliations. La tra- dition il»' pouvait [»as errer sur cet emplacement; sainte Hélène y lit bâtir au 111e siècle une petite basi- lique o(i]inuo plus tard sous le titre «le Suint-Sauveur. A deux pas de là était un oratoire appelé Gallicantus , le rliaul du coq, et Galiceinte par les Français du XIIe siècle. <c Avoit un moustier de saint Pierre en Galiceinte, dit le rédacteur des Assises de Jérusalem; en tel moustier estoit une grotte parfonde, la ou on disoil que saint Pierre se mussa, quant il ot Jhesu- crisl renoié et oï le coq chanter, et la il ploura1. » Le vendredi matin, on conduisit Jésus de la maison de Caïphe au prétoire, chez le gouverneur romain, Ponce-Pilate. Le prétoire étail situé au coin nord- ouest «le la galerie extérieure du temple. On en voit les restes non loin de la mosquée d'Omar, et une partie du palais a fait place à une caserne turque. Ponce-Pilate, donl le nom est resté pour qualifier la lâche condescendance «les juges, avait succédé à Va- lerius Gratus comme gouverneur de la Judée. C'était
1 I nn< 1 1 , | . 531 .
LE CALVAIRE. 1 15
une créature de l'indigne Séjan, qui alors étail tout- puissant à Rome. Sou administration, qui dura onze ans, est appelée tyrannique par les auteurs juifs. Jo- sèphe nous le peinl comme un homme emporte'1 el avide. Deux ans après la moii de Notre- Seigneur, il fut destitué par Vitelli us, alors gouverneur général de Syrie, et envoyé à Home pour se justifier devant l'empereur. Exilé par Caligula à Vienne dans les Gaules, d'où il était originaire, il se tua de déses- poir '.
Apprenant que Jésus était de Galilée, Pilate le ren- voya devant Hérode, tétrarque de eette province; celui-ci venait d'arriver à Jérusalem. Le Romain était bien aise de se débarrasser de cett,1 affaire; mais le Juif, trompé dans son attente, car il dési- rait voir Jésus pour être témoin d'un miracle, le re- vêtit d'une robe blanche en signe de folie, et le lit reconduire chez Pilate. Le palais d'Hérode était pro- che du prétoire, et bâti sur la colline d'Acra. On montre, en face du prétoire, le lieu de la flagella- tion. La chapelle bâtie autrefois en cet endroit tom- bait en ruines: elle a été restaurée en 1838 aux Irais du due Maximilien de Bavière. C'est dans le prétoire <pie Jésus fut couronné d'épines, comme nous le li- sons dans l'Évangile selon saint Marc. La plupart des voyageurs ont cherché aux environs de Jérusalem l'arbrisseau épineux dont les branches servirent à la cruauté des soldats pour faire la couronne d'épines. Il
1 Hist. génér. de l'Église, liv. I. — .M ' Afislin, Les Saints Lieux, tome II, p. 20G.
116 JUDEE.
n'y a guère à hésiter. On employa Les branches (rime espèce de nerprun connu des botanistes sous le nom de rhamnus ou depaliurus spina Christi. Cette plante ,i des rameaux très-ilexibles. minés d'épines nom- breuses cl l'oit aiguës, elle cru il en abondance dans les baies el les lieux abandonnés.
A cenl pa- environ des mines du prétoire, en avan- çant vers le Golgotha, on remarque au-dessus de la rue une galerie couverte ayanl une double fenêtre. C'esl de là, selon la tradition, que Pilate, désirant exciter la compassion des Juifs, leur montra Jésus couvert de blessures, le visage ensanglanté, la tête couronnée d'épines, tenant en main un sceptre de dérision, et ayant sur les épaules un manteau de pourpre. Voila l'homme, Ecce homo, leur dit-il; mais loin de calmer leur fureur, ce triste spectacle ne lit que l'augmenter. La foule impitoyable s'écria : « Qu'il -Mit crucifié. — Que] mal a-t-il fait? » demanda Pilate. La multitude répondit par une immense clameur : « Qu'il soit crucifié. » Enfin Pilate, voulant satisfaire le peuple, lit apporter de l'eau et se lava les mains ■H disant : « Je suis innocent du sang de ce juste. » El tout le peuple cria : « Que son sang retombe sur nousel sur nos enfants. Alors Pilate le leur livra pour être crucifié '.
G'étail un usage chez les Juifs de se laver les mains en public quand on voulait, témoigner qu'on n'avait pris aucune pari à un meurtre, es Lave les mains. Pilate, dil M. Dupin; ''Ile- sont teintes du sang inno-
1 M- .Mil., XXVII.
LE CALVAIRE. I 17
c<Mit! Tu Tas octroyé par faiblesse: tu n'es pas moins coupable que si tu l'avais sacrifié par méchanceté! Les générations L'ont redit jusqu'à nous : Le Juste a souffert sous Ponce - Pilate : Passus est sub Pontio Pilato '.
Au sortir du prétoire, Jésus fut chargé du bois de la croix; et, portant sa croix, il sortit, dit saint Jeun dans ce langage laconique si justement admiré chez les historiens de la passion. La rue est en pente, jus- qu'à L'entrelacemeni de celle qui commence à la porte de Damas, autrefois porte d'Kphraïm. Sur la gauche, en descendant, Jésus rencontra sa mère, qui ne s'était pas éloignée des lieux où se passait ce drame cruel. A la vue de son (ils portant le hois du sacrifice, san- glant et défiguré, qui lui fit un salut en passant, Marie tomba comme demi -morte. Quoi de plus tou- chant que cette rencontre! Il n'en est pas fait mention dans l'Evangile; mais plusieurs saints Pères en ont parlé. N'est-il pas certain, en effet, que la sainte Vierge suivait les traces de son divin fils, puisque quelques instants plus tard nous la trouvons sur le Calvaire au pied de la croix? Autrefois, une église s'élevait en ce même lieu, sous le vocable de Notre -Dame -des -Dou- leurs et confiée à la garde de religieuses -.
1 Jésus devant Caïphe et Vitale, par M. Dupin aîné. — Dans cet ouvrage exi .lient et curieux publié en 1828, M. Dupin, procureur général, discute le jugement de Jésus-Christ sous les rapports de la procédure, 'les dépo- sitions des témoins et de L'application de la loi. Cel ouvrage a été iéim- primé dans les Démonstrations évangéliques éditées par .M. L'abbé M igné, tome XVI, p. l'M) et suiv.
2 Quaresmius, tome II, p. '20'.»
M 8 JUDEE.
Au bas de cette rue, accablé du poids de sa croix, épuisé par la perte de sou sang et par la souffrance, le Sauveur tomba pour la première fois. Une colonne en marbre rouge e1 brisée, à moitié enfoncée enterre, marque ce lieu à la dévotion «les fidèles. On croit que c'esl ici que les Juifs forcèrent Simon le Gyré- néen à porter la croix avec Jésus. Simon revenait de la campagne et rentrait en ville, sans «toute par la porte d'Éphraïm. La compassion qu'il témoigna en- vers l'innocente victime lui valut l'insigne honneur d'aider à porter l'instrument du salut. Oh! trois fois heureux l'homme qui mérita de marcher aux côtés de Jésus montant au Calvaire! Bienheureuses aussi les pieuses femmes qui versaient des larmes en re- gardant passer le lugubre cortège! Le Sauveur, au milieu de tant d'humiliations, rencontrait des cœurs compatissants. Attendri de ces pleurs et de ces gémis- sements: « Filles de Jérusalem, leur dit-il, ne pleurez pas sur moi; mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. 5 Dans cette même rue, qui monte assez rapidement, demeurait Bérénice, qui vint, touchée d'un sentiment de pitié, essuyer avec un linge le visage de Jésus-Christ, La face du Sauveur resta l'inpreinte sur le linge, et les chrétiens désignèrent plus tard sous le nom de Véronique et l'image mira- culeuse, et la sainte femme qui la reçut en récom- pense <le sa loi et de son dévouement. Aujourd'hui cette précieuse relique esl gardée dans la basilique de Saint-Pierre à Rome, sous le nom de Volto santo. fl existe plusieurs copies de la Vrronitpir de Rome; les savants jésuites d'Anvers, connus sous le nom de
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Bollandistes, en ont longuement parlé dans les Afin Sanctorum '.
Au haut de la rue s'ouvrait la porte Judiciaire, dont on aperçoit encore les ruines. Ici finissait la ville an temps de Notre- Seigneur. Le Golgotha ou le lieu du Calvaire commence à cet endroit: c'était la place des exécutions. C'est aujourd'hui une partie de la cité et le lieu le plus vénérable de la terre. A partir de rem- placement de cette porte on perd la trace de la voie douloureuse, et à quelques pas plus loin se trouw l'église du Saint- Sépulcre, qui renferme les lieux où se consommèrent les grands mystères. « Si ceux qui lisent la passion dans l'Évangile, dit M. de Chateau- briand, sont trappes d'une sainte tristesse, qu'est-ce donc que d'en suivre les scènes au pied de la mon- tagne de Sion, à la vue du temple, et dans les murs de Jérusalem? »
C'est ici le lieu de parler des reliques de la passion de Jésus- Christ, et de donner quelques détails histo- riques sur ces objets précieux. La piété catholique s'en est disputé la possession au moyen âge ; nous savons dans quels sanctuaires ils sont placés de nos jours. Leur authenticité ne laisse rien à désirer : des docu- ments historiques nombreux, à l'abri de la critique, en attestent l'entière certitude.
Lorsque sainte Hélène eut retrouvé la vraie croix, elle en envoya un fragment à Constantinople et un autre à Rome. La portion la plus considérable du bois sacré fut enfermée dans une châsse d'argent et
• Acta SS., mens, maii, tom. Vil. p. 356.
120 JUDÉE.
gardée à Jérusalem, près du Saint-Sépulcre, sous les yeux du patriarche. Les pèlerins accouraient do tous les pays du monde pour la vénérer. Grâce à une libéra- lité qui cependant devait avoir des bornes, plusieurs personnes de distinction en reçurenl des parcelles assez notables. Enlevée par Ghosroës et restituée par Heraclius, cette insinue relique resta dans le même sanctuaire, jusqu'au temps à jamais déplorable où les sectateurs de Mahomet se rendirent maîtres de Jéru- salem. En vue de soustraire à la profanation ce bois teinl du sang de Dieu, les chrétiens partagèrent la vraie croix en plusieurs fragments, dont s'enrichirent successivement la plupart des églises du monde. Telle esl l'origine de quantité de parcelles conservées chez tous les peuples catholiques.
La basilique de Sainte-Croix en Jérusalem, fondée par sainte Hélène, dans son palais de Rome, jadis occupé par Héliogabale in agro Sessoriano , possède encore le morceau de la vraie croix, don de l'impé- ratrice. LY'-lise métropolitaine de Paris en conserve trois fragments, dont le plus ancien lui fut envoyé au commencement du xn(! siècle par le prêtre Anseau, chanoine de Notre-Dame de Paris, que les croisades conduisirent à Jérusalem: il devint chanoine et grand chantre de l'église patriarcale du Saint -Sépulcre. La croix d'Anseau futsauvéeen 1793, grâce à l'influence d'un commissaire de la section de la Cité, qui obtint du comité révolutionnaire la permission «le la con- erver. Une autre portion notable de la croix fut dé- posée par sainl Louis dans la Sainte- Chapelle du palais, en 1241. Le roi de France lavait obtenue de
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Baudouin de Courtenay, empereur de Gonstantinople , ainsi que la couronne d'épines et plusieurs autres re- liques. Le troisième fragment est connu sous le nom de Croix de la Princesse Palatine. Cette croix avait été léguée, en 1684, à L'abbaye de Saint-Germain-des- Prés, par la princesse Anne de Gonzague de Clèves, dont Bossuet prononça l'oraison funèbre. La princesse palatine l'avait reçue en présent de Jean-Casimir, roi de Pologne, lequel l'avait tirée du trésor de sa cou- ronne. Le reliquaire qui la renferme, orné de diamants et d'améthystes, porte une inscription grecque indi- quant que cette croix a appartenu à l'empereur Ma- nuel Comnène. L'église Saint-Marc de Venise conserve une croix portée jadis par l'empereur Constantin. L'hos- pice de Baugé, près d'Angers, possède un beau frag- ment de la vraie croix apporté de Terre- Sainte, au temps des croisades, et déposé d'abord dans l'abbaye de Boissière; il en existe également dans le trésor de la cathédrale de Sens et dans celui de la collégiale d'Aix-la-Chapelle. Il serait facile de continuer cette ('numération; ce que nous venons de dire suffit pour montrer avec quel soin l'histoire s'est plu à enregistrer la transmission de ces reliques sacrées.
Le titre de la croix retrouvé par sainte Hélène, en 320, subsiste à Borne, dans la basilique de Sainte- Croix. C'est une tablette de bois , blanchie avant de recevoir l'inscription en lettres hébraïques, grecques et latines. Les caractères ont été tracés au vermillon. La pre- mière ligne, écrite en hébreu, est aujourd'hui presque entièrement effacée. La seconde et la troisième sont à peu près complètes; elles sont écrites de gauche à
I 22
IUDÉE.
droite, afin de correspondre aux mots hébraïques qui s'écrivent de rette manière. Le premier mot a disparu , la tablette ayanl été rongée par la vétusté. On Lit aisé- menl . ^ : ^JJ; p (b^eùç ). — Nazarenvs \\k |x| '.
Quant aux clous trouvés avec la vraie croix, au nombre de quatre, deux sont conservés à Notre-Dame de Paris, un à Mon/a, et un à Rome. Plusieurs églises pn'inident posséder des clous de la croix : ce sont probablement des reliques sanctifiées, c'est-à-dire des objets ayanl touché aux véritables reliques ou dans la composition desquels on en a l'ait entrer une parcelle. Ainsi s'explique la multiplicité de certaines reliques, comme l<is vêtements de Nôtre-Seigneur et de la sainte Vierge. L'éponge el la sainte lance sont gardées à Rome.
1 On peul '-"H ulti i i ce sujel L'ouvrage du P. Honoré Nicquet, S. ./. Tilulus S. Crucia, seu Historia el mysteriura tituli s. Crucis l>. N. I. G., libri duo — Paris . 1648. In-8°.
CHAPITRE VII
•IKIÎ ISAI.K.M
I. r A T A C T r i: I. H I I A V 1 I. I. E.
il»
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e couvent de Saint -Sauveur, où nous sommes logés , occupe un des points les plus élevés de Jérusalem. Du haut des terrasses on jouit d'une vue admirable. Le regard embrasse une partie de la ville et se promène sur les dômes, les mosquées, les qui dominent les autres édifices et donnent de loin à la cité une apparence de grandeur et de magnificence. Cet aspect pitto- resque, il faut en convenir, est supérieur à la . I réalité. Dès qu'on pénètre dans les rues, Jéru- salem se montre ce qu'elle est en effet, une ville de ruines et de décombres. Les vallées profondes de Jo- saphat, de Gihon et de Géhenne entourent le plateau
minarets
[24 JUDÉE.
sur lequel la ville esl bâtie. L'enceinte renferme plu- sieurs collines de hauteur différente, dont les prin- cipales sonl Sion, A<t;i et Mori:ih; de légères émi- aences contribuenl à rendre 1(3 sol inégal. Quoique située sur an poinl élevé, Jérusalem est dominée, pur le sommet des montagnes voisines. Pour en décou- vrir l'ensemble, il faul être au haut du mont des Oliviers. Nous en emprunterons la description poé- tique à l'auteur du Voyage d'Orient.
«. Chaque pas , dit-il , que Ton fail en gravissanl la montagne des oliviers, découvre un quartier, un édi- difice de plus de Jérusalem. On pourrait à la lettre en compter tontes les maisons. Au delà des deux mos- quées et de l'emplacement du temple, la ville sainte toul entière s'étend et jaillit, pour ainsi dire, devant vous, -ni- que l'œil en puisse perdre un toit ou une pierre, et comme le plan d'une ville en relief que l'ar- tiste étalerait sur une table. Cette ville, non pas comme on nous l'a représentée, amas informe el confus de ruines et de cendres, sur lesquelles sonl jetées quel. pies elia 1 1 1 1 lièivs d'Arabes ou plantées quel- ques tente- de Bédouins; non pas comme Athènes, chaos de poussière e1 de murs écroulés, où le voya- geur cherche en vain l'ombre des édifices, la trace des rue-, la vision d'une ville; mais ville brillante de lumière el de couleurs, présentanl uoblemenl aux ards ses murs intacts e1 crénelés, sa mosquée bleue avec ses colonnades blanches, ses milliers de dômes resplendissants, sur lesquels la lumière d'un soleil d'automne tombe el rejaillit en vapeur éblouis- sante; les façades de ses maisons teintes, par le
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M.i;i S \LK.M. 127
temps el par Les étés, de La couleur jaune el dorée des édifices de Pœstum el de Rome; ses vieilles tours, gardiennes de ><'s murailles, auxquelles il ne manque ni une pierre, ni une meurtrière, ni un créneau; et enfin, au milieu de cet océan de mai- sons et de cette uuée de petits dômes qui les re- couvrent, un dôme noir et surbaissé, plus large que les autres, dominé par un autre dôme blanc: c'est le Saint -Sépulcre et le Calvaire; ils sont de là con- fondus et comme noyés dans l'immense dédale de dômes, d'édifices et de rues qui les environnent. Voilà la ville du haut de la montagne des Oliviers. Elle n'a pas d'horizon derrière elle, ni du côté de l'occident, ni du côté du nord. La ligne de ses murs e1 de ses tours, les aiguilles de ses nombreux mina- rets se découpent sur le bleu d'un ciel d'Orient, et la ville, ainsi portée et présentée sur son plateau large et élevé, semble briller encore de toute l'antique splendeur de ses prophéties, ou n'attendre qu'une 1 »;i rôle pour sortir tout éblouissante de ses dix -sept ruines successives, et devenir cette Jérusalem nou- rri le, qui sort du désert brillante de clarté.
ï C'est la vision la plus brillante que l'œil puisse avoir dune ville qui n'est plus; car elle semble être encore et rayonner comme une ville pleine de jeu- nesse et de vie : et cependant, si Ton y regarde avec attention, on sent que ce n'est plus, en elï'et, qu'une belle vision de la ville de David et de Salomon. Au- cun bruit ne s'élève de ses places et de ses rues; il n'y a plus de routes qui mènent à ses portes de l'o- rient ou de l'occident, du midi ou du septentrion;
[28 JUDEE.
il o'y a que quelques sentiers serpentanl au hasard entre les rochers, où l'on ne rencontre que quelques
Arabes demi -nus, montés sur leurs ânes, et quelques chameliers de Damas, ou quelques femmes de Beth- Irlieiu on de Jéricho, portant sur leurs tètes un panier de raisins d'Engaddi, ou une corbeille de colombes qu'elles viennent vendre le matin sous les térébinthes, aux portes de la ville.
« A gauche de la plate-forme du temple et des murs de Jérusalem, la colline qui porte la ville s'affaisse tout ;'i cuiip, s'élargit, se développe à l'œil en pentes douces, soutenues cm et là par quelques terrasses de pierres roulantes, dette colline porte à son sommet, à quel- ques cents pas de Jérusalem, une mosquée et un groupe d'édifices turcs, assez semblables à un ha- meau d'Europe couronné de son église et de son clocher. C'est Sion! c'est le palais! c'est le tombeau de David! »
C'est précisément à l'endroit où nous venons de nous arrêter qu'était placé Jésus-Christ lorsqu'il pleura sur Im ville coupable. De là, entouré de ses disciples, il contemplait le temple dont il annonçait la ruine prochaine, prédisant les signes effroyables qui devaient précéder cette grande calamité.
Il est difficile aujourd'hui de savoir quelle était la population de l'ancienne Jérusalem, Les auteurs pro- fanes qui en ont parlé se contentent de mentionner la population agglomérée durant un siège ou pendant la guerre; ils ne disent rien de celle qui y résidait habituellement. Personne n'ignore que, dans ces ter- ribles circonstances, les villes fortiliées servaient de
JERUSALEM. 129
refuge; tous les hommes d'une contrée en état de porter les armes s'y rendaient, emmenant avec eux
leurs femmes, leurs entants, et emportant leurs ri- chesses. Taritc évalue à six cent mille hommes le nombre de ceux qui soutinrent le siège dirigé par Titus. Josèphe assure que. durant ce siège, onze (•••ut mille individus perdirent la vie; à la prise de la ville, quatre-vingt-dix-sept mille turent faits pri- sonniers; ce qui donne un chiffre total de douze cent mille.
Lorsque Alexandre le Grand lit son entrée à Jéru- salem, s'il faut en croire l'historien Josèphe, il y avait cent cinquante mille habitants. L'an 175 avant Jésus- Christ, quand le roi Antiochus prit la ville, quatre- vingt mille hommes périrent en trois jours; on fit qua- rante mille prisonniers; quatre-vingt mille hommes turent vendus comme esclaves : ce qui porte le chiffre de la population à deux cent mille.
A l'époque des grandes fêtes judaïques, Jérusalem et les lieux voisins regorgeaient d'hommes. Sous Cestius, pour les fêtes de Pâques, il y avait à Jéru- salem deux millions sept cent mille hommes, sans compter les étrangers. Toute cette multitude inondait les rues, les places publiques, les portiques des édi- fices, les terrasses des maisons, la campagne, et passait les jours et les nuits sous des tentes ou à la belle «Toile.
Moins d'un siècle après la victoire de Titus, la Judée devint le théâtre d'une révolte insensée et de nouveaux désastres. L'empereur Adrien choisit Jules Sévère pour ministre de sa colère et de sa vengeance. Le général
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132 JUDEE.
e! partoul jaloux des Latins. Leurs empiétements dans tous les sanctuaire de la Palestine sont une cause permanente de démêlés, don! ils sortenl haliituelle- menl avec profit, à l'aide d'intrigues, de fourberies cl de l'or <lc leurs coreligionnaires schismatiques. Quand ils mil besoin d'un titre pour soutenir leurs préten- tions, il- le fabri<[uen(: et plus dune fois on les a con- vaincus du crime des faussaires. Rien cependant ne saurail rebuter leur persévérance. Dix fois déboutés de leurs prétentions, ils reviennent dix lois à la charge, et, -i l'on n'y l'ait attention, ils finissent par réussir. Leur quartier esl dans le voisinage du Saint-Sépulcre. Quelques-uns de leurs évèques ne manquent pas d'in- struction; mais le peuple croupit dans la plus déplo- rable ignorance.
Les Arméniens se sont établis sur le mont Sion. Ils demeurent, par conséquent, en dehors des remparts de la cité actuelle. Leur quartier est plus propre el mieux bâti que les autres. Gomme les Israélites, les Armé- niens n'ont pas de pairie: ils se fixenl partout où ils espèrenl s'enrichir. Généralement répandus dans les vastes contrées soumises à la puissance ottomane, ils '•ut le talent d'exploiter avantageusement les besoins, nïts et les fantaisies (\i,> populations qu'ils visitent.
Le quartier des musulmans s'étend sur le mont Moriah et la colline d'Acra. <>n reconnaît à chaque pas que les Turcs sonl les maîtres. C'est une race in- quiète, abâtardie, jalouse, orgueilleuse, ne voulant supporter aucune autorité, incapable d'ailleurs de comprendre la liberté el d'en jouir. Les sectateurs du Coran affectent un souverain mépris pour le reste
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des hommes. S'ils sentenl parfois La supériorité des autres, s'ils la voienl d'une manière évidente chez les Francs, ils font semblanl de la dédaigner; ils re- doublenl alors de hauteur el d'arrogance; ils fonl pe- ser davantage le joug de leur aveugle tyrannie. Com- bien de fois ne les a-t-on pas vus dans les rues el jusque dans les maisons insulter impunément les Juifs cl les chrétiens. La justice chez eux a deux poids el deux mesures. L'Arabe esl bien supérieur au Turc en intelligence, en finesse, en énergie, en ressources de tout genre. Le Turf en Orient n'a plus que le prestige du conquérant, el ce prestige s'est bien affaibli depuis un demi-siècle. Encore vingt-cinq ans. el nous ne savons s'il existera encore. Les derniers événements de la Crimée ont paru raffermir la puissance ottomane près de s'écrouler; mais ils auront un retentissement que personne au monde ne pouvait prévoir. Le fana- tisme musulman se réveille; il a senti son humilia- tion. Mais il a beau taire: il est vaincu. Le règne du Croissant aura bientôt cessé. La "Croix reprendra un jour son empire, et protégera dans ces belles contrées de l'Orient les progrès de la civilisation chrétienne. La première condition de la civilisation esl le res- pect des lois. Or, en Judée, à Jérusalem comme dans les autres villes, comme à la campagne, le droit n'existe pas. La force seule est respectée. Le commerce a besoin de sécurité: le Turc et l'Arabe à l'envi pillent les voya- geurs. Des caravanes nombreuses ont peine à se dé- fendre contre la violence et la rapacité des disciples de Mahomet. Comment l'agriculture pourrait-elle pros- pérer dans un pays où il faut semer, moissonner el
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garder ses récoltes le fusil à la main? Il n'y a ni che- mins, ni canaux, ni relations établis pour facilite]' les échanges et favoriser l'industrie. Aussi Jérusalem n'offre- 1- elle aux regards attristés que l'aspect de la misère. Tout dans ce malheureux pays est une cause de division, les croyances religieuses aussi bien que les habitudes. Les mahométans chôment le vendredi, les juifs le samedi, e1 les chrétiens le dimanche.
l/i-nceiiite actuelle de Jérusalem est à peu près carrée, et se développe sur nue étendue de plus de quatre kilomètres. Les murailles ont été restaurées au x.vie siècle; ce qui n'empêche pas à un œil exercé de distinguer, à l'aide des caractères archéologiques, le travail de tous les âges. Des tours en assurent la soli- dité; mais ces remparts ne seraient pas assez forts pour résister aux coups de l'artillerie.
Que dirons-nous maintenant de l'intérieur de Jéru- salem? Souveni nous en avons parcouru les rues et visité les édifices; toujours nous sommes rentrés le cœur attristé à la vue (\c> ruines et des décombres. On devine à l'aspect de ces débris une splendeur évanouie. Chaque pierre, pour ainsi dire, porte la trace des cala- mités qui ont pesé sur cette malheureuse cité, et rap- pelle les révolutions qui l'ont tanl de lois bouleversée. La plupart (\cr-\ rues sont étroites, tortueuses et dé- sertes; quelques-unes sont voûtées, obscures, encom- brées d'animaux el d'immondices; toutes sont mal pavées, quand elles sont pavées. Les villes d'Orient, où la chaleur décompose rapidement les substances végétales el animales, devraient être propres et ou- vertes aux vents. Il n'en est rien: toutes «''talent une
JÉRUSALEM. 135
malpropreté que nous, habitants des villes d'Occident, avons peine à nous figurer. Les chiens seuls, en dé- voranl les charognes sur le pavé, font disparaître quelques immondices. Ces chiens, du reste, sont vaga- bonds; ils a'appartiennenl à personne, s'établissenl dans chaque rue, où ils naissent, vivent et meurent. Aussi les maladies épidémiques l'ont -elles de fré- quentes apparitions dans ces villes, où elles emportenl des milliers de victimes.
Dans les quartiers les plus fréquentés, de pauvres boutiques étalent les objets nécessaires à la vie. Le luxe y est inconnu, et il ne faut pas se montre]' diffi- cile si l'on tient à faire des emplettes. En général les maisons sont basses, carrées, ayant de rares ouver- tures. La porte est si basse, qu'il faut se baisser en .utrant. S'il y a des fenêtres, elles sont constamment fermées au moyen de treillis, comme dans les temps les plus reculés. Les toits sont en terrasse; ils ne sont pas entièrement plats, comme en Syrie; chaque mai- son est surmontée au centre d'une espèce de dôme haut de deux à trois mètres. Pour éviter tout accident, les terrasses sont bordées d'un mur à hauteur d'appui, c'est-à-dire élevé jusqu'à la poitrine d'un homme. C'est là qu'on se retire pour jouir de la fraîcheur de l'air, le soir et le matin. On y couche durant la belle saison enveloppé d'une couverture à cause de l'humidité de la nuit. Là seulement on respire librement et on se -oustrait aux malignes influences de l'air infect qui remplit les rues et les misérables échoppes qui les bordent. Sur les terrasses de leurs maisons les Juifs dressent des tentes A la fête des Tabernacles, à l'imita-
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limi de leurs ancêtres. Ils yviennenl faire leurs prières el leur- ablutions. Les musulmans y montent égale- ment pour accomplir leurs devoirs religieux. Cette disposition des maisons, qui semble si étrange aux Européens, accoutumés à habiter des appartements spacieux et aérés, est commandée par le climat de la Palestine. Le toit en terrasse conserve un peu de fraî- cheur à l'intérieur des chambres; autrement la chaleur \ serait insupportable. Les Israélites n'ont pas changé cette coutume, qui existait en Palestine avant eux, comme on en peut juger par l'histoire de Rahab et i\r^ espions de Josué. Du temps de Notre -Seigneur, elle était en vigueur, et elle a persévéré jusqu'à nos jours.
Les habitudes de l'Europe se retrouvent seulement dans les hôtels du patriarche latin, des consuls et. de quelques autres personnages constitués en dignité. Le couvent des Pères de Terre-Sainte ressemble aux mo- nastères d'Espagne et d'Italie : tout y respire la simpli- cité et la pauvreté monastiques. Il est vrai que, malgré le manque de ressources, mais avec un zèle tout apo- stolique, les religieux de Saint-François ont réussi à conserver la foi à plus de quatre mille catholiques en Terre-Sainte, el à ramener dans la véritable Eglise des milliers de schismatiques et de frères égarés; tandis que l'évoque protestant établi à Jérusalem depuis 1840, dans le but avoué de travailler à la conversion des Juifs, disposant de ressources considérables, a vu sa mission frappée d'une complète stérilité. Depuis une dizaine d'années, le Souverain Pontife a fixé à Jéru- salem la résidence d'un patriarche latin. M Valergn
JÉRUSALEM. 137
esl à l,i tête des fidèles de Palestine. Pie IX ne pouvait envoyer un plus digne successeur aux confesseurs de la foi qui ont illustré le siège de Jérusalem par leur courage, leur science, leur dévouement, leur zèle et leurs vertus.
Revenons à nos remarques sur Jérusalem; nous de- vons ajouter que le terrain sur lequel la ville est bâtie appartient presque en entier aux mosquées et aux églises. La propriété particulière y est extrêmement restreinte. Aussi, par suite des héritages, la moindre parcelle du sol est-elle réclamée par quantité de per- mîmes. 11 en résulte que la moindre acquisition est presque impossible. D'ailleurs, il faut le dire, Jéru- salem pour beaucoup d'habitants n'est qu'un lieu de passage; si nous l'osions, nous dirions un lieu d'exil. Ceux qui viennent y résider plantent leur tente du mieux possible, aspirant au moment où ils pourront la replier et regagner la patrie. L'Européen a les yeux sans cesse tournés vers l'Occident; les pachas et les Turcs retournent à Damas ou à Gonstantinople; l'Arabe revient au désert. La ville de David n'a plus de peuple : nu y rencontre des hommes venus de tous les coins du monde, attirés par des motifs de religion, de politique ou de simple curiosité. Aucun lien ne les unit en- semble. Au premier signal chacun se disperse, et cède la place à de nouveaux venus, lesquels, un jour, imi- teront leur exemple.
Durant les sécheresses prolongées, le manque d'eau occasionne les plus grandes privations sous un ciel de feu, et plus encore peut-être à Jérusalem qu'en aucun lieu du monde, à cause de l'aridité du sol. Nous
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n'avons vu qu'un cm us d'eau vive au pied de la colline d'Ophel : c'esl la fontaine <lc Siloé. L'eau coule avec lenteur el irrégularité; elle remplit peu à peu un large réservoir où les femmes viennent puiser. Elle est un peu saumâtre. Voici L'origine de cette fontaine : La source est souterraine et sort de la colline du temple; on y descend à l'aide de deux rampes, dont la première, assez large, a dix-huit marches; la seconde, plus étroite, .■h ,i quatorze. Au tond, un bassin de cinq mètres en- viron de longueur sur deux mètres de largeur reçoit Iran, qui s'épanche tranquillement. On appelle cette source la fontaine de la Vierge -Marie, parce que la sainte Vierge y venait puiser de l'eau à Jérusalem. Un canal souterrain d'environ cinq cent quatre-vingts mètres conduit l'eau à la fontaine de Siloé, vers un endroii plus accessible aux habitants. Plusieurs per- sonnes ont exploré ce canal dans toute son étendue. Il est d'un travail grossier, et l'on croit qu'il est plus ancien que le règne de Salomon.
On a découvert récemment deux puits donnant une eau limpide et excellente : ils sont situés au fond de souterrains, dont un s'ouvre près de la porte de Damas. Il ne paraît pas douteux que l'antiquité ju- daïque «ai ait connu el pratiqué plusieurs du même genre; mais depuis longtemps la trace en est perdue. Les eaux nécessaires au service du temple, à la con- sommation ordinaire *\r> habitants, et aux approvi- sionnements du peuple à l'époque (\^> fêtes, étaient amenées en ville au moyen d'aqueducs, ou conservées dans de vastes citernes couvertes. Les pluies abon- dantes de l'hiver emplissaienl les citernes; il pleut
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rarement .mi été. Salomon avail fait creuser les grandes piscines, connues toujours >ous le nom iïÉtangs de Salomon, dont dous avons parlé précédemment, et bâtir de magnifiques aqueducs destinés à amener jusque sur !«• mont Moriah les eaux de la fontaine scellée, et an besoin celles des réservoirs. On retrouve en plus d'un endroit les restes des aqueducs et la trace de> travaux considérables qu'il fallut exécuter aux abords de la ville. à travers un pays accidenté. L'Écri- ture t'ait mention des aqueducs en plusieurs passages 4 ; mai- cette ressource manquait parfois aux habitants, tt les canaux furent coupés plus d'une fois en temps de guerre. Les citernes fournissaient en toute occasion une eau saine et abondante; en cas de nécessité, on descendait aux puits souterrains, où Ton puisait des eaux meilleures encore. Il suffit d'avoir quelque idée de l'aridité des environs de Jérusalem pour com- prendre le supplice de la soif auquel furent soumis les croisés pendant la durée du siège. Chaque joui' il leur fallait envoyer à de longues distances des hommes qui n'apportaient souvent au camp qu'une eau fan- geuse, pleine de vers et de sangsues. Autrefois les Ro- main.- avaient éprouvé les mêmes souffrances2.
Sous le temple régnent d'immenses souterrains. Des éboulements ont bouché plusieurs de ces excavations, œuvres de géants: la défiance des conquérants a fermé
i IV Heu., xvin, 17. - K. xxxvj,2. - \>., vu, :\. - IV Reg., xx,20. — II Par , xxxii, 30.
2 Ut plurimum vero laborabant aquœ inopia Romani, quart! el putidam, et longo ex intervalle) petere cogebantur; Judaei autem per curriculos subterraneos multurn po ter an t. (Dio Gassios, lib. LXVI. $ rv.J
I ',(» JUDEE.
les autres; elles sont à peu près inaccessibles, à cause des craintes superstitieuses des Turcs. Il paraît toute- fois 1 1 ne les Arabes en connaissent encore les princi- pales issues; car durant les derniers soulèvements contre Ibrahim-Pacha ils pénétrèrent dans la ville à ['improviste et à couvert. A l'époque du siège de Jéru- salem par Titus, les Juifs faisaient par là des sorties furieuses, ordinairement couronnées de succès. C'est également au fond de ces réduits secrets qu'ils ca- chaient leurs trésors au moment du danger, et qu'ils cherchaient eux-mêmes un dernier asile, quand tout espoir semblait perdu. Des écrivains ont affirmé, avec quelque probabilité, que de grandes richesses y soi il enfouies. Nul doute qu'un jour ces conduits souter- rains ne soient explorés. La cupidité- n'y découvrira peut-être aucun trésor; mais la science archéologique s'y enrichira certainement d'observations curieuses.
CHANTRE VIII
JERUSALEM
HESI M K II 1 > I (il! I(,M l-
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"histoire ne nous fait rien connaître de l'origine et de la fondation de Jé- rusalem. Cette ville est mentionnée 8| pour la première fois dans le livre \L de Josué; à l'époque du partage
â de la Terre promise entre les douze
>^i.
tribus, elle était occupée par les Jébuséens, descendants de Jébus, fils de Chanaan. Plus tard elle appartint à la tribu de Juda; mais les Jébuséens, peuplade belli- gueuse, réussir» 'lit à se maintenir dans la cita- delle bâtie sur le mont Sion, d'où ils inquié- taient les habitants du voisinage. A peine assis sur
' >: rUDEE.
le trône, David résolul de les en chasser. Confiants dans la solidité de leurs remparts et dans la posi- tion <lr leur cité, qu'ils croyaient inexpugnable, les fils de Jébus se moquaient des préparatifs de leurs adversaires; ils leur tirent dire que pour les repous- ser il sut'lirait de leur opposer les aveugles et les boi- teux. Atin d'exciter l'ardeur de ses troupes, David promil de mettre à la tête de l'année celui qui en- trerait le premier dans la place : Joab eut ce péril- leux honneur. Maître de cette importante position, le toi en lit la capitale de son royaume et l'augmenta considérablement. L'antique Jérusalen était fort petite; la ville nouvelle, bâtie sur le mont Sion, lut appelée la ville de David. Là s'élevèrent le palais du prince et le temple du Soigneur. La vallée de Mello séparait la cité des Jébuséens de celle de David, elle fut en partie comblée et nivelée par les soins de David et de Salomon. Manassé agrandit l'enceinte, et les Ma- chabées v firent de nouvelles additions; de nou- veaux agrandissements s'opérèreni sous le règne d'Agrippa, au témoignage de l'historien Josèphe : en sorte que la ville n'avait jamais été si grande que lorsqu'elle fut attaquée et détruite par les Romains. Le palais de David couvrait le sommet de la mon- tagne de Sion. « Séjour plein de charme, dit un écri- vain moderne, d'où la vue, à l'est, plongeait sur la vallée de .losaplmt et s'étendait jusqu'au Jourdain, < travers la cime déchirée des collines : séjour d'in- spiration sainte, qui dominait le cours du Siloé aux flots poétiques, el qui entendit tant de fois *\(^ ac- cords -i doux et si sublimes que nul écho Bur la
IÉRUSALEM. I ;:;
terre u'a répété de plus admirables concerts '. » La grandeur véritable des princes ne doit pas se mesurer à L'étendue et au nombre des provinces sou- mises à leur pouvoir, mais à La sagesse de leur gou- vernement et au caractère «le leurs institutions. Rien n*;i manqué â La grandeur de David, devenu tout à coup d'humble berger guerrier intrépide et victo- rieux, chef à La fois prudent et hardi, cœur généreux et magnanime, espril élevé, Législateur habile, génie poétique et inspiré, roi glorieux et respect»'.
Salomon recueillit, avec L'héritage de David. L'hon- oeur qui survit à iin règne Long et prospère; sous sa direction, Le royaume de Judée atteignit au plus liant degré de splendeur et de puissance. Salomon rendit Jérusalem une îles plus brillantes villes de L'( trient : la renommée en répandit la gloire dans tout l'univers. Naturellement porté vers la magnificence, il ouvrit à son pays le commerce du monde; ses vais- seaux sillonnaient la Méditerranée: il leur ouvrit un port à la pointe du golfe Arabique de la mer Rouge, à Eziongaber; le> caravanes trouvèrent un entrepôt à Palmvre, sur le chemin de Rabvlone et de Ninive.
K J t.
Mais il réserva ses principales ressources pour la con- struction du temple. La quatrième année de son règne commencèrent les premières opérations de cette grande entreprise. Des milliers d'ouvriers taillaient la pierre et le bois dans les montagnes. Apportés à Jérusalem, les matériaux se trouvaient préparés d'une façon si précise, qu'ils étaient disposés sans pi-ine et sans la moindre
1 Jérusalem et la Terre-Sainte, par M. l'abbé G. D., \>. 113
! ; i JUDEE.
hésitation. Pendanl toute la durée des travaux, on n'entendit à Jérusalem ni les coups de marteau ou de cognée, ni le bruit d'aucun instrument4. D'énormes blocs de granit, «le porphyre et de marbre formèrent les fondations; les murs lurent construits avec un soin extrême, et les charpentes furent composées des bois aromatiques et indestructibles empruntés au Liban. Rien ne fut ménagé dans l'exécution de ce noble édifice, qui couvrait une partie du mont Moriah. On l'entoura dune triple enceinte, réservée, la pre- mière aux étrangers, la seconde aux Israélites, la troisième aux lévites. Des galeries couvertes s'éten- daient régulièrement au dedans de chaque enceinte. Au centre s'élevait le temple proprement dit, renfer- mant l'arche d'alliance. Ce sanctuaire était décoré avec un luxe éblouissant. Le- lambris, de cèdre, étaient revêtus de lames d'or: les murailles étaient ornées de moulures et de sculptures variées, imi- tant des feuillages, des Heurs et des fruits. Le pavé était de marbre précieux et couvert d'or. Partout res- plendissaient les matériaux les plus précieux, re- haussés de l'éclat des métaux et travaillés avec toutes les délicatesses de l'art. Sept années entières turent emplo 'i l'exécution de ce bel ouvrage, et la dé- dicace <-n fut célébrée avec une solennité extraordi- naire, au milieu d'un immense concours de peuple. Dieu manifesta par de> prodiges que cette œuvre lui était agréable, et qu'il habitait vraiment ce temple. Nous i)»- dmint'huis pas une description plus dé-
| m i;.v.. m.
JERUSALEM. I 15
taillée du temple de Salomon; nous ne dirons rien des magnificences de son palais, qu'il mit treize ans à bâtir ei à décorer. On peul juger de la perfection à laquelle le> arts étaient alors parvenus en Palestine, d'après une œuvre qui a joui constamment chez les Hébreux de la plus haute réputation, le trône de Salo- mon. L'Écriture affirme que rien de semblable n'a été t'ait dans le monde4. Il était d'ivoire et revêtu d'or pur: on y montait à l'aide de six degrés; le dossiei »'• t ; i i t rond, et deux bras soutenaient le siège. Douze lion- d'or, un de chaque côté des six degrés, en fai- saient le principal ornement. Nous savons, en outre, qu'en Judée les ouvriers qui travaillaient l'or et l'ar- gent, et qui s'appliquaient aux travaux les plus déli- cats, étaient tous de condition libre -. différents en cela de ceux qui fleurirent plus tard à Rome et en Grèce. Ajoutons qu'ils n'ignoraient pas les procédés usités chez les Phéniciens et les Égyptiens, et que les arts acquirent de bonne heure un rare degré d'avance- ment chez ces peuples.
Suivant quelques auteurs, la piscine probatique ou de Bethsaïde montre dans sa construction quelques restes des édifices du règne de Salomon. Le bassin n'a pas moins de cinquante mètres de longueur sur quinze mètres de largeur; la profondeur en est incon- nue, car il est presque entièrement comblé depuis longtemps. Les murs sont bâtis de grosses pierres re- liées entre elles à l'aide de crampons de bronze. En plusieurs endroits, les appareils de moyenne dimen-
i 111 Reg., x, '20.
' Ferem.j xxiv, 1 ; xxix, 2. — 111 Reg., xxiv, U.
10
I U5 JUDÉE.
siuii reçurent des enduits solides de ciment, que le temps a durcis et qui passent pour être imperméa- bles. Ces magnifiques débris, ainsi que d'autres qui subsistenl des murs inférieurs du temple, suffisent à l'archéologue pour comprendre que les grands et beaux édifices salomoniens ressemblaient, sous plus d'un rapport, aux bâtiments gigantesques dus aux Égyptiens, aux Hellènes et aux Pélasges. Des blocs énormes, taillés plus ou moins régulièrement, étaient posés par larges assises, sans li.-iison de mortier, et recevaient une solidité à toute épreuve de leur assem- blage et du poids de leur niasse. Ce genre de bâtisse. dont on observe' les analogues à lîalbek et àPalmyre, exigeait l'emploi de forces herculéennes. Nous savons eomnienl les K^yptiens remuaient et entassaient ces pierres gigantesques; les Israélites ne connaissaient pas d'autres procédés. Les architectes se servaient de machines intelligentes, c'est-à-dire qu'ils faisaient agir dans un but commun des milliers d'hommes à la lois. Ainsi s'explique le nombre des ouvriers des- tinés à porter les matériaux du temple; soixante-dix mille hommes étaient occupés à ce travail.
Il ne peul entrei' dans le plan de cel ouvrage d'ex- poser toutes les vicissitudes auxquelles la ville de Jé- rusalem lui soumise durant la longue suite des siè- cles : il taudrail écrire un livre entier. Plus d'une fois elle oui à subir toutes les horreurs d'une ville prise d'assaut, notamment de la pari de Sésac, roi d'Egypte, et de Nabuchodonosor , roi d'Assyrie. Alexandre le Grand y lit son entrée Tan 328 avant la naissance de Jésus-Christ; après la mort de ce
JER1 SALEM. I i
i i
prince, I;i Judée demeura sous La domination des rois grecs d'Egypte. Antiochus le Grand conquit la Syrie et la Judée; ce prince traita les Juifs avec bienveil- lance e1 leur accorda des privilèges. Mais Antiochus Épiphane, frère et successeur de Seleucus, exerça contre eux tous les raffinements de la cruauté. Après avoir commis les exactions les plus odieuses par le ministère d'Apollonius, courtisan plein de bassesse, il fit dresser au milieu du temple la statue de Ju- piter Olympien. Les sacrifices furent interrompus, et Jérusalem fut presque entièrement abandonnée des habitants. La persécution lit des victimes à jamais célèbres, telles que le vieil Éléazar, les sept frères Machabées et leur mère héroïque. Alors la résistance s'organise contre la tyrannie; et Judas Machabée, aidé de ses frères, délivre sa patrie de l'oppression. Plus tard des divisions sanglantes consommeront la perte de l'indépendance du peuple juif, les Romains se ren- dront maîtres de la Judée. Mais les temps sont accom- plis; le sceptre est sorti des mains de' Juda; les soixante- dix semaines d'années prédites par le prophète Daniel sont écoulées; le Messie va enlin paraître : JESUS naît de la Vierge Marie!
Hérode, avant obtenu du sénat romain le titre de roi grâce au crédit de Marc-Antoine et de César, affecta de signaler son règne en bâtissant de somptueux édi- fices à Jérusalem et dans plusieurs autres villes de Palestine. Il restaura les murs de Jérusalem et rebâtit le temple. Dix années furent consacrées à ce dernier travail. Le palais d'Hérode était sur le mont Sion. A peine quelques débris informes marquent-ils aujour-
148 M UÉE.
d'hui l'emplacement de ces superbes édilices. Soixante- dix ans après la naissance de Jésus-Christ, Titus, ministre de l;i vengeance de Dieu, lit le siège de Jéru- salem el ruina la ville de tond en comble. C'est durant ce siège mémorable quese passa une scène affreuse dont le récit glace encore d'effroi ceux qui le lisent. Pressée par l;i faim, une mère, égorgea son enfant, le fit rôtir et en mangea la moitié. Attirés par l'odeur, des soldats allâmes menacent cette femme si elle ne découvre ses provisions. « Je vous en ai gardé une part, » dit-elle d'un ton lugubre, en leur présentant ce qui restait de son effroyable festin. « C'est mon iils, continua- 1- elle d'une voix altérée; c'est moi qui l'ai tué. Vous pouvez bien en manger après moi : êtes-vous plus délicats qu'une femme ou plus tendres qu'une mère? » Les soldats restèrent frappés de stupeur. Ils sortirent en frissonnant; à cette triste nouvelle la ville entière resta muette d'épouvante et d'horreur. Les Romains eux-mêmes furent consternés.
Afin de s'emparer du temple, où une résistance dé-
rspérée se prolongeait encore, le général romain lit mettre le feu aux portes. La flamme gagna rapidement les galeries, el dévora les appartements des prêtres et des lévites. Titus avait ordonné d'épargner le sanc- tuaire; mais un soldat prit un tison allumé et le jeta
i travers une fenêtre. Le feu s'allume aussitôt de toutes parts el avec une violence extrême. Les flammes ont bientôt enveloppé tout l'édifice, qui ne tarda pas à
abîmer avec fracas, au milieu de tourbillons de fu- mée. Au pétillemenl de l'incendie se joignent les cris des combattants: et mille clameurs confuses, <jue répè-
JÉRUSALEM. I 't'.i
tent les échos des montagnes. I les monceaux de cada- vres jonchenl Les rues el les places publiques. Les soldats romains marchenl sur les morts cl \<'± mou- rants. A ta poursuite de ceux qui fuient : ils s'arrêtent épuisés de lassitude. Sur 1rs ruines fumantes de Jé- rusalem nu passe la charrue, el le vainqueur fait semer du sel sur Femplacemenl du temple en signe de malé- diction. Ainsi s'accomplirenl les prédictions du Sau- veur pleurant sur Jérusalem . ville ingrate e1 coupable : des monuments somptueux qui en faisaienl l'orgueil il ne resta pas pierre sur pierre, et cette superbe cité ne l'ut plus qu'un froid e1 silencieux tombeau!
Après la ruine de Jérusalem, les chrétiens n'aban- donnèrent pas les Saints -Lieux. Quarante évêques eu occupèrent successivement le siège épiscopal depuis saint Jacques jusqu'à Macaire, sous le règne de Con- stantin. Nous avons raconté précédemment l'histoire de l'établissement des sanctuaires du Saint- Sépulcre, du Calvaire et de l'Invention de la Sainte-Croix. Les chrétiens respirèrent en paix quelque temps; mais ils étaient à la veille de voir fondre de nouvelles cala- mités sur la Judée. Un prince apostat entreprit de donner un éclatant démenti à la parole de Jésus- Christ, qui avail prédit qu'i7 ne resterait pas pierre sur pierre des bâtiments du temple. Julien donna des ordres pour que le temple fût reconstruit sur le pre- mier emplacement. La direction des travaux fut confiée .m comte Alypius d'Antioche. Les Juifs applaudirent à ce beau projet: déjà ils insultaient les chrétiens, et, joignant la menace aux injures, ils ne parlaient que vengeance, meurtre el pillage. L'ouvrage l'ut entrepris
150 JUDÉE.
avec enthousiasme; les femmes mêmes voulurent por- ter La terre dans les pans de leurs robes. Cependant saint Cyrille, évêque de .Jérusalem, regardait ces préparatifs «l'un œil tranquille, assuré que les efforts des hommes sciaient vains, et qu'un apostat n'aurait pas assez de puissance pour faire mentir la Vérité éternelle.
Soudain un tremblement de terre arrête Les tra- vailleurs, comble les fondations, bouleverse les ma- tériaux. Des globes de feu, ou, pour employer les expressions d'un historien contemporain, d'effroyables tourbillons de flammes, par des élancements répétés, -orient des fondements, brûlent les ouvriers et rendent la place inaccessible. Ainsi, repoussés opiniâtrement parle feu, ils furent forcés d'abandonner l'entreprise1. Tel est le récit d'Ammien Marcellin, auteur païen et ennemi du christianisme. Nous devons à d'autres écri- vains la narration de circonstances remarquables. Le phénomène se renouvela plusieurs fois Le même jour et les jours suivants. Le feu consuma les instruments de travail qui se trouvèrent sur la place, et envahit un bâtiment voisin, mais séparé, où d'antres outils avaient été mis en réserve. An moment où les Juifs accou- rurent en foule pour se rendre compte de l'accident et porter secours, la flamme jaillit de tontes les ruines -•t roula par-dessus comme un fleuve, dont les Ilots ardents tuèrent ceux qui s'approchèrent trop près. Le miracle était manifesté; aussi plusieurs païens, et
1 Ammien Marcellin, Hist., liv. XXIII.— l'.nlïin, Tln-mlmi-i , Socrato
mène racontent le même fait el de la même manière dans leurs
histoires, — Le? Pèi • - de ] Église contemporains en. ont également parlé,
JÉRUSALEM. 151
même des Juifs, en furent-ils si vivemenl frappés,
qu'ils ne balancèrent pas à embrasser l«' christia-
Qisme.
Ce prodige a été dénaturé, comme il fallait >"\ attendre, par 1»'- incrédules de tous les âges. Nous trouvons Leurs explications résumées dans une note ajoutée au texte de l'Histoire de la décadence et de la chute de l'empire romain, par l'Anglais Gibbon. La traduction de cet ouvrage et la note sonl dues à M. Guizot '.Après avoir décril les souterrains creusés dans la montagne au-dessous du temple, il ajoute: q 11 esl probable que la plupart de ces souterrains étaienl des restes du temps de Salomon, où Von avail coutume de travailler beaucoup sous terre: on ne peu! guère leur assigner nia- autre date. Les Juifs, en revenant de l'exil, étaient trop pauvres pour en- treprendre de pareils travaux, et, quoique Hérode, en reconstruisant le temple, ait fait creuser quelques souterrains2, la précipitation avec laquelle cette con- struction fut achevée ne permet pas de croire qu'ils appartiennent tous à cette époque. Les uns étaient des cloaques et des égouts; les antres servaient à receler les immenses trésors que Grassus avail pillés cent vin-t avanl la guerre des Juifs, et qui sans doute avaient été remplacés depuis. Le temple fut détruit l'an TU de Jésus-Christ; les tentatives de Julien poul- ie rétablir et le fait rapport.' par Ammien coïncident avec l'an 363: il s'étail donc écoulé entre ces deux
i Tom. IV, p. 401. Paris, 1828. 2 Josèphe, Antiq. jud.} XV, si.
152 JUDÉE.
époques un intervalle d'environ trois cents ans, pen- danl lequel les souterrains, obstrués par les décoin- breSj avaienl dû se remplir d'air inflammable. Les ouvriers employés par Julien arrivèrent, en creusant, dans les souterrains du temple : on dut prendre des torches pour les visiter: des flammes subites repous- sèrent ceux qui approebaient, des détonations se firent entendre, et le phénomène se renouvela chaque loi- que l'on pénétra dans de nouvelles cavités. »
Ces suppositions ne feront illusion à personne. On connaîl assez aujourd'hui les effets du gaz carbonique el des ^az inflammables accumulés dans les souter- rains, lorsqu'on en approche un (lambeau. Mais ces effets ne sont en aucune manière comparables à ceux que nous venons de taire connaître. Les anciens, d'ail- leurs, n'ignoraient pas ces phénomènes, et les ouvriers de Julien n'auraient pas été découragés par quelques explosions accidentelles.
Vers la lin du iv siècle, au momenl où les Bar- bares se disposaient à prendre el à piller Rome, tandis que saint .l.'iôiue habitait Itethlélieni . la ville de Jéru- salem avait acquis de l'importance, grâce aux nom- breux pèlerins qui y affluaienl de toutes les parties du monde chrétien. Le luxe el les plaisirs y avaienl pénétré à la suite de la multitude. « Jérusalem, écri- vail sainl Jérôme, est une grande ville, qui a un conseil public, une cour, des officiers, ih'> comé- diens, des bouffons el tout ce qu'on trouve dans les autres villes : une foule tumultueuse el un concours 1 1 In >mmes de tous les pays. »
|iru\ siècles après, les jours de deuil commencent;
JÉRUSALEM. 153
ils continuent encore à présent Chosroès envoie une armée formidable en Palestine. Les Lieux-Saints son! profanés, la vraie croix emportée, le patriarche con- iluit en captivité, Jérusalem livrée au pillage, les édifices renversés. Pour comble de malheur, non- seult'inent des milliers de chrétiens turent massacrés, mais encore quantité de lidèles faits prisonniers étaient achetés par les Juifs, qui prenaient un barbare plaisir à les torturer et à leur arracher la vie.
La victoire d'Heraclius répara, autant que possible, ces affreuses calamités. On vit rentrer à Jérusalem le patriarche Zacharie, prélat vénérable par son âge, ses vertus et sa sainteté : il marchait pieds nus, portant sur ses épaules, jusqu'au Calvaire, le bois précieux de la croix enlevé aux infidèles. Sept ans s'étaient à peine écoulés depuis ce triomphe, que l'Orient entier tremblait et s'inclinait devant les farouches légions <lu trop fameux calife Omar. Heraclius abandonna la Syrie, et Jérusalem fut forcée d'ouvrir ses portes au vainqueur. Les fanatiques sectateurs du Coran étaient maîtres des lieux si chers à la piété des disciples de l'Evangile. Omar toutefois respecta l'église du Saint- Sépulcre. A la place du temple ' il résolut d'élever une (U'> plus brillantes mosquées de l'islamisme. Ce monument, connu depuis sous le nom de mosquée d'Omar, est presque aussi sacré pour les musulmans que ceux de Médine et de la Mecque.
Depuis cette époque néfaste, les cloches sont muettes dans la ville sainte . aucune cérémonie religieuse n'est
1 11 est question ici de l'emplarement du temple de Salomon.
154 JUDÉE.
publique, les chrétiens sont obligés de cacher la croix, les évangiles el tous les pieux emblèmes qui l'ont notre gloire. Le croissant domine an milieu de cette terre sanctifiée, patrie des patriarches, des prophètes et de Jésus -Christ! Les mahométans font endurer mille avanies aux chrétiens; ils les contraignent à porter une marque de servitude; ils n'omettent aucun moyen de le-> humilier, ils ne leur ménagent nul outrage.
La renommée de Gharlemagne fit luire aux yeux des chrétiens quelques éclairs d'espérance. Hélas ! ces lueurs furent, en effet, l'iiLiitives comme l'éclair. Aroun- al-Raschid . le plus grand calife delà dynastie d'Abbas, envoya des présents à l'empereur d'Occident, en lui demandant son amitié. Il lui offrit en outre le pa- tronage des Lieux-Saints, en lui taisant remettre les clefs du Saint- Sépulcre , du Calvaire et un étendard. Ces échanges de politesses avaienl lieu en 799. l'u siècle après, le vaste empire des Àbbassides s'écrou- lait. La Palestine passa sous l'autorité do> califes fa- timites, établis en Egypte. Jérusalem eut à souffrir un surcroît de persécutions, e1 les bourreaux, pour le malheur des chrétiens, ne manquèrent jamais au fanatisme des musulmans. La population chrétienne l'ut écrasée d'impôts; quantité de sanctuaires furent i hangés en étables; l'église du Saint-Sépulcre l'ut pro- fanée, pillée el dévastée.
Romain Argyre, empereur de Constantinople, obtinl du sultan du Caire, successeur du barbare Hakem, l'autorisation de restaurer le sanctuaire élevé sur le tombeau de Jésus-Christ. <<e travail s'exécutail au
JÉRUSALEM. 155
moment où les plaintes des pèlerins eurent un pre- mier écho dans les neurs chrétiens de l'Occident. Le joug du despotisme le plus intolérant accablait les fidèles; ceux-ci n'obtenaient la permission de prier sur le saint tombeau et sur le Calvaire qu'au poids de l'or et au prix d<s humiliations les plus amères. I >e retour au sein de leur patrie, ils redisaient avec larmes en France, en Italie, en Allemagne, les souf- frances de leurs frères d'Orient. Ils n'avaient pas à faire beaucoup d'etforts pour exciter la compassion. Une fidèle peinture des douleurs et des abaissements • les enfants de l'Eglise; l'orgueil et la cruauté des infi- dèles; la profanation des lieux consacrés par la vie, les miracles, la passion, la résurrection d'un Dieu: la désolation de Jérusalem : tout contribuait à rendre ce tableau émouvant. Que de fois les regards de la chrétienté s'étaient portés déjà vers la Palestine, théâtre <l»js grands mystères de notre religion! Combien de nobles cœurs battaient vivement à la pensée des hu- miliations de la croix! Que de chevaliers avaient déjà rêvé la conquête et la délivrance des Saints - Lieux !
Les Turcs Seldjoucides, en s'emparant de Jérusalem et de la Syrie, aggravèrent encore le fardeau déjà trop posant. C'est alors que la voix de Pierre l'Ermite re- tentit en accents irrésistibles. Le Souverain Pontife fait un appel à la foi et à la bravoure; au cri mille fois répété : Dieu le veut! Dieu le veut! les croisés se pré- cipitent vers l'Asie.
Godefroy de Bouillon dresse ses tentes sur une hau- teur, en face de la porte de Damas; Tancrède établit son camp non loin du Golgotha; Raymond de Ton-
156 JUDÉE.
louse s»' place devant la porto de .lalVa et sur la mon- tagne ilf Sion. Les croisés sont épuisés par les fatigues, les privations et l:i maladie. Des milliers de soldats chrétiens ont trouvé leur tombeau dans l'Asie Mineure, d«Viiués par le 1er do l'ennemi, la disette et l'influence homicide du climat. Chose horrible à dire! la perfidie des Grecs, l'apostasie et la trahison de quelques misé- rables, l'incapacité de plusieurs chefs dont l'audace était la seule qualité, l'indiscipline d'une foule d'aven- turiers, ont préparé et occasionné ces malheurs. Mais. à la vue de Jérusalem, l'ardeur, qui n'est pas éteinte. s'enflamme jusqu'à l'enthousiasme. Encore quelques efforts, et le tombeau de Jésus-Christ va être arraché aux infidèles. Les préparatifs de Tassant sont terminés sur-le-champ; mais que peut le courage seul contre des murs solidement bâtis, derrière lesquels se cachent i\r> ennemis bien armés et aguerris? Du haut des rem- part-, on accable les chrétiens de flèches, de pierres; on lance des traits enflammés; on verse de l'eau et de l'huile bouillantes sur ceux qui s'avancent trop près. Il faut se ivsinner à t'a i re le siège en règle. Les travaux en sonl dirigés avec habileté, et la ville se trouve pres- sée de toutes parts. La bravoure dc> chevaliers francs ne s'étonne d'aucun obstacle, ue s'arrête devant aucune difficulté; mais comment luttei contre les chaleurs dé- vorantes du mois de juillet, sous un ciel sans nuages, durant de longues journées de fatigues, pendant des nuits sans rosée, sur un sol sans ombrages el sans eau ? La soif fait éprouver d'affreux supplices; il faut aller jusqu'à douze kilomètres de distance pour se procurer ,,,, peu d'eau, et quelle eau! Les bAtes de somme pé-
i in r sali. m. 1;
.' i
rissent d'épuisement; les chevaux, couchés dans la poussière et haletants, perdent leur vigueur, et ces fiers coursiers, accoutumés à voler au combat, n'ont plus la force de se lever au son du clairon. Enfin, le vendredi l"> juillet 1099, après un assaut furieux, les chevaliers chrétiens entrent dans Jérusalem, à trois heures après midi, à l'heure même où Jésus-Christ expira sur la croix pour la rédemption des hommes.
Les princes et les chevaliers font à l'envi des pro- diges de valeur. La résistance est opiniâtre; les Sarra- sins se laissent massacrer sur la brèche, et ne reculent pas. Un gentilhomme nommé Létholde saute le pre- mier sur la muraille; il est bientôt suivi d'une foule de braves. L'heure de la victoire enfin a sonné : les chrétiens se précipitent dans la ville par-dessus les murailles, et les portes sont ouvertes à la multitude. Dans le premier enivrement du succès, les soldats se livrent à un massacre général; le sang coule à flots; le vainqueur lui-même en est saisi d'horreur. Vingt mille Sarrasins perdirent la vie. -
Quelques moments après cette horrible boucherie, les croisés, offrant un spectacle plus digne de leurs croyances et des douces maximes de l'Evangile, quit- tèrent leurs armes et leurs habits ensanglantés, se la- vèrent les mains, prirent des vêtements modestes, et marchèrent vers l'église du Saint-Sépulcre les yeux mouillés de larmes. Huit jours après cette heureuse conquête, Godefroy, d'un consentement unanime, fut élu roi du royaume chrétien de Jérusalem. Godefroy de Bouillon n'était pas le plus puissant des princes enrôlés sous la bannière de la croix; mais c'était un
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des seigneurs les plus accomplis, alliant la pratique des vertus chrétiennes à la bravoure et à la prudence, habile «Lui- les exercices militaires, propre au com- mandement, sachanl faire observer la discipline. Sa justice et sa probité égalaient sa droiture et son désin- téressement. Se- ennemis mêmes appréciaient ses qua- nt/-. e1 tous rendaient hommage à su vertu. C'était la plus noble personnification du chevalier de la croisade. Dès qu'il fut élu, on le conduisit avec pompe à l'église • lu Saint-Sépulcre pour le couronner; mais il protesta hautement qu'il ne consentirait jamais à porter une couronne «for dans un lieu où Jésus-Christ fut cou- ronné d'épines. « C'est pourquoi, dit Guillaume de Tyr, historien de la croisade et un des pieux pèlerins d'outre -mer, quelques personnes qui n'ont pas su re- connaître le vrai mérite ont hésité à inscrire le nom de Godefroy dans la liste des rois de Jérusalem. Pour nous, il nous paraît non-seulement avoir été roi, mais encore le meilleur des rois, la lumière et le modèle de tous les autres '. »
Uélas! un siècle n'était pas écoulé, et les Saints-Lieux retombaient sous la domination des infidèles. Après la funeste journée de Tibériade, Saladin vint mettre le siège devant Jérusalem. L'attaque lut vive, et la résis- tance opiniâtre. Dans des sorties fréquentes les assiégés Brenl des prodiges de valeur; mais la trahison para- lysai! leurs elïorts. Découragés par la criminelle con- spiration de faux frères qui avaienl formé le projei; de livrer une porte aux Sarrasins, les cln-éiirns denian-
i Guillaume de Tyr, liv. IX.
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dèrenf el obtinrenl une capitulation. Saladin accorda la vie aux habitants moyennant une rançon de dix pièces d'or pour les hommes, de cinq pour les femmes. e1 <te deux pour les enfants. Les gens de guerre purent sortir en armes. Toutes les portes de la ville furent fermées, à l'exception d'une seule, par où sortirent les vaincus. Le patriarche, suivi du clergé, portant les vases sacrés; la reine, accompagnée des principaux barons el chevaliers: les femmes, tenant leurs entants entre leurs bras el poussant des cris lamentables; des hommes, ayant abandonné ce qu'ils avaient de plus précieux pour porter sur leurs épaules <U'> vieillards, des malades et des infirmes; les guerriers, la tête basse et les yeux en larmes : tout ce lugubre cortège défila devant Saladin. L'émir fut ému à ce spectacle; il ne refusa pas son admiration à ces traits d'héroïque dé- vouement et à cette douleur navrante; il lit distribuer des aumônes aux indigents et renvoya sans rançon des milliers de malheureux trop pauvres pour payer la taxe de la capitulation; enlin il permit à dix chevaliers de l'Hôpital de rester à Jérusalem pour soigner les ma- lade-.
Alors Saladin entra dans la ville en triomphe. Les musulmans poussaient de bruyantes el joyeuses accla- mations. Ils conseillaient au sultan de démolir l'église du Saint- Sépulcre; mais, à l'exemple du calife Omar, Saladin ordonna de conserver ce sanctuaire. La mos- quée d'Omar, dédiée au culte du vrai Dieu par les croisés, fut rendue aux superstitions de l'islamisme. On brisa les autels et les statues, on effaça les peintures, et les versets du Coran remplacèrent les psaumes de
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David et les sublimes prières de la liturgie catholique.
La croix en cuivre doré qui surmontait la coupole et dominait toute la contrée fut renversée et mise en pièces. Ces tristes événements se passaient en I 187.
Les croisades poussèrent encore durant de longues ;iiuiirv vers les côtes de Syrie l'élite de la chevalerie d'Occident. Les prouesses de Richard Cœur-de-Lion sont assez connues; la vaillance et la sagesse du roi saint Louis auront un long retentissement dans l'his- toire; mais la perte de Jérusalem est consommée. De- puis la fin du xiie siècle jusqu'à nos jours, les chrétiens n'en seront plus les maîtres. « Nos braves chevaliers, nos intrépides soldats, les lils de la France, dit un écrivain moderne, n'ont pas porté les armes depuis lors ni monté la garde à la porte du Saint-Sépulcre. »
Disons cependant, comme une suprême consolation, que la France est restée la protectrice avouée et re- connue des Saints-Lieux. Ce noble rôle convenait à la fille aînée de l'Église, à cette nation magnanime dont les drapeaux seront à jamais le symbole de l'honneur.
CHAPITRE IX
JK UT SALEM
MOSI MEXTS M Kl ISES
a ville de Jérusalem, dont nous venons d'esquisser rapidement l'his- toire, offre à l'intérieur des remparts une foule de monuments ou de dé- bris auxquels se rattachent les plus jf^ beaux noms et les plus grands sou- venirs de "histoire sacrée. Nous
avons déjà suivi en pèlerins la roic doulou- reuse el les lieux consacrés par la passion de %• Jésus-Christ. Consignons ici quelques observa- tions d'antiquaire, et jetons un dernier coup d'œil sur tant de ruines vénérables. L'archéo- logue éprouve dans ses pérégrinations bien des jouissances inconnues aux voyageurs ordinaires. Chaque pierre, pour ainsi dire, a son langage et rend
H
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un témoignage historique. Les édifices portent inscrite sur le fronl l;i date de leur construction, et jusque dans les moindres ornements ils montrent le nom et la main de l'artiste. Les réparations les moins impor- tantes onl un cachet qui on indique l'âge et l'origine. Ainsi se distinguent les influences antiques, égyp- tiennes, phéniciennes ou judaïques, des influences grecques, romaines, byzantines ou latines du moyen . La science archéologique offre un moyen sûr de contrôler les traditions. Plus (rime t'ois nous avons eu l'occasion de redresser des récits pleins d'une singu- lière exagération, et nous avons reconnu, dans des monuments prétendus de Constantin, des édifices dus aux Français des croisades.
Commençons par la montagne de Sion. Sion, c'est le lieu *\c> inspirations du Roi -Prophète; c'est un lieu sanctifié par la présence du Sauveur. Cette montagne. comme aspect, peut être comparée au mont Aventin. à home. Elle est couverte de ruine- antiques; les édi- lices qu'on y aperçoit aujourd'hui sont plus ou moins modernes. Au somme! s'élevait jadis le palais de David; ;'i présenl une mosquée recouvre son tombeau, et tout autour se groupent quelques maisons turques. L'en- semble présente de loin une certaine ressemblance avec un hameau d'Europe surmonté de son église el de -"ii clocher. « Ce lieu, dit l'auteur des Méditations poétiques, est doublement sacré pour moi, dont David, ce chantre divin, a souvent touché le cœur et ravi la penséi i i le premier des poètes du sentiment; c'est le roi des lyriques. Jamais la fibre humaine n'a résonné d'accords si intimes, si pénétrants et si graves. Jamais
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la pensée du poêle oe s'est adr< 5s si haut et n'a crié -i juste. Jamais l'âme de l'homme ne s'est répandue devant l'homme et devant Dieu en expressions et en sentiments si tendres, si sympathiques, si déchirants. Tous les gémissements du cœur humain mit trouvé leurs voix el leurs notes sur les lèvres el sur la harpe de cet homme. Et si l'on remonte à l'époque reculée où de tels chants retentissaient sur la terre; si l'on pense qu'alors la poésie lyrique des nations les plus cultivi ne chantait que le vin, l'amour, I»- sang et les victoires des muses et des coursiers dans Les jeux d'Élide, on est si d'un profond étonnemenl aux accents mystiques du Roi-Prophète, qui parle au Dieu créateur comme un ami à son ami, qui comprend et loue ses merveilles, qui admire ses justices, qui implore ses miséricordes, s nble un écho anticipé de la poésie évangélique, répétant les douces paroles du Christ avant de les avoir entendues.
J'aurais, moi, humble poëte d'un temps de dé - dence et de silence, j'aurais, si j'avais vécu à Jérusalem, choisi le lieu de mon séjour et la pierre de mon repos précisément où David choisit le sien, à Sion. C'est la plus belle vue de la Judée, de la Palestine et de La Galilée. Jérusalem est à gauche, avec le temple et les édifices, sur Lesquels les regards du roi pouvaient plon-
sans être vu. Devant lui des jardin- fertiles, des- cendant en pente- mouvantes, le pouvaient conduire jusqu'au fond du lit du torrent, dont il aimait l'écume et la voix. Les figuiers, les grenadiers, les olivier-. L'ombragent; c'est sur quelques-uns de ces rochers suspendus au-dessus de l'eau courante, c'est dan-
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quelques- uiu's de ce> grottes sonores rafraîchies par l'haleine el 1»' murmure des eaux, c'est au pied de quelques-uns de ces térébinthes, aïeux du térébinthe qui me couvre, que le poëte sacré venait sans doute attendre le souffle qui l'inspirait si mélodieusement.
« Le palais de David plonge ses regards sur la ra- vin.' alors verdoyante e1 arrosée de Josaphat; une : irg< ouverture dans les collines de l'est conduit, de pente en pente, de cime en cime, d'ondulation en ondulation, jusqu'au bassin de la nier Morte, qui ré- fléchit là-bas les rayons du soir dans ses eaux pesantes et épaisses, comme une épaisse glace de Venise qui donne une teinte mate el plombée à la lumière qui l'effleure. Ce n'est point ce que la pensée se figure, un lac pétrifié dans un horizon triste el sans couleur. C'est ici un «le- plus beaux lacs de Suisse ou d'Italie laissant dormir ses «'aux tranquilles entre l'ombre des hautes montagnes d'Arabie, qui s'étendent, comme les Alpes, i perte de vue derrière ses flots, et entre les cimes élancées, pyramidales, conique.-, légères, dentelées, étincelantes, des dernières montagnes de la Judée, d
Le tombeau de David, construil par Salomon sur le monl Sion, était d'un.' grande magnificence; il existail encore à l'époque de la première prédication chré- tienne; sainl Pierre, parlanl aux Juifs du roi David, leur dit : a El son sépulcre es1 parmi nous jusqu'à ce jour*, d Du temps de sainl Jérôme il subsistail en- core2; mais déjà aux souvenirs historiques se mêlaienl utes ridicules. Les musulmans professent la plus
' Act., ii.
- I!
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grande vénération pour ce tombeau, el chaque année le sultan envoie de Gonstantinople de riches tapis destinés à être étendus dessus. Jusqu'à ce jour l'accès cl 1 1 caveau sépulcral étail sévèremenl interdit aux chrétiens; les musulmans, une fois chaque année, ôtaienl la pierre qui en ferme L'entrée pour jeter les présents venus de Gonstantinople. Quelques voyageurs plus heureux que nous ont été assez favorisés pour entrer dans ce sépulcre. Nous en empruntons la des- cription au livre du vénérable abbé de Sainte-Marie- de-Deg, en Hongrie '.
« Nous descendîmes par un escalier qui n'a que six ou huit marches, dans des chambra basses et voûtées qui doivent m' trouver, autant que j'ai pu en juger, exactement au-dessous de l'église de l'Institution de l'Eucharistie, dont elles ne sont que la crypte ou église souterraine. Après avoir passé le vestibule, on arrive dans la partie qui correspond à la nef unique de l'é- glise supérieure; mais ici la nef est divisée d'abord en deux, dans le sens de la longueur, par «les supports en pierre assez massifs qui au milieu soutiennent les voûtes. La dernière moitié de cet espace, ou plutôt la dernière partie, car elle est plus petite que la première, en est -•'•par.'»' par une cloison transversale, et elle est elle-même divisée par une autre cloison, qui -appuie sur celle-ci à angle droit, et forme deux chambres à l'extrémité méridionale de la crypte. On y entre par celle de droite; le tombeau occupe presque entière- ment celle qui est à gauche.
i Les Saints Lieux, tome II, p, 361.
JUDÉE.
« Lorsque nous fûmes entrés dans la chambre de droite, que j'appellerai la chambre du Mîhrab, parce que c'esl là que se trouve la niche de la prière, il s'é- leva deux difficultés. La première fut celle des in- dispensables pantoufles. Le cheik la trancha fort judicieusement, en disant que, puisque nous avions pénétré jusque dans ce sanctuaire avec notre chaus- sure, nous pouvions y rester. La seconde était plus grave encore : il s*auissail de savoir si on nous lais- sérail pénétrer dans la chambre du tombeau. Le lieu où nous nous trouvions était fort obscur, la chambre voisine l'étail plus encore : on ne voyait, à travers le grossier grillage qui nous en séparait, qu'un bout de tapis, qui ne pouvail satisfaire notre curiosité. Kiamil- Pacha lit observer au cheik que c'était pour voir le tombeau que nous étions venus. Le cheik lit chercher les clefs, et il nous ouvrit la porte de fort lionne grâce. Kiamil-Pacha se prosterna un moment, porta à la bouche et au front les franges du tapis qui recouvrait le tombeau, et nous laissa toul examiner à loisir.
« Nous avions devanl non- nu sarcophage d'environ -,pi pieds de hauteur el du double de longueur. Il est rouvert de sept tapis fort radie-. Le tapis supérieur est en soie bleue, avec des raies larges plus foncées; il esl tout couvert de textes du Coran. Au milieu du sarco- phage, il y ;i en outre une pièce d'étoffe carrée riche- ment brodée el à franges d'or : elle porte aussi des textes du Coran, dont les lettres sont brodées en or. Tout cela a été donné par le sultan A.bdul-Medjid. Le ond tapis esl bleu clair, avec des fleurs brodées en nrgent. Les autres sonl usés el moins radie-. Au pla-
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fond esl suspendu un «lais en soie rayé en blanc et en bleu. Le cheik qui m'accompagnait relevail les coins <lu tapis pour que je pusse toucher le sarcophage; mais je oe sentais que la toile qui l'enveloppe à plu- sieurs doubles, el je ne pouvais que difficilement juger de la forme el de la matière du tombeau. Le cheik, remarquant que je u'étais pas encore satisfait, prit courage, e1 souleva tous les tapis par devant., là où il y avait le plus beau jour. Je vis donc à du toute la parti»- du devant du sarcophage, qui me parut être en marbre grisâtre uon poli.
« Je lis l'inspection des murs. Ils sont couverts de carreaux en faïence de couleur blanche avec des des- sins bleus. Des lampes en cuivre sont placées çà et là autour du tombeau. C'est là tout ce que j'ai pu remar- quer dans ce local étroit et obscur, en m'aidant d'une bougie: certainement rien n'y rappelle l'antiquité. Pour conserver quelque crédit à ce tombeau, les musulmans font bien de le soustraire à tous les regards '. »
Au-dessus du tombeau de David s'élève l'église du i Sénacle, construite, d'après les ordres de sainte Hélène, à l'endroit où le Sauveur célébra la dernière cène et institua l'Eucharistie. Quoiqu'on y remarque des restes très-anciens, il est probable que les murailles les plus vieilles datent seulement du temps de cette pieuse im- pératrice et ne remontenl pas à l'édifice primitif, ren- versé probablement par Titus. Quoi qu'il en soit, c'est en ce lieu que le Sauveur, la veille de sa passion, donna la plus éclatante preuve de son amour envers
i Le tombeau qui est au Louvre n'est pas celui de David, quoiqu'on l'ait affirmé, mais sans raisons suffisant
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les hommes. L'église lut rebâtie par les Latins, et Guillaume de Tyr nous apprend qu'elle fut concédée par Godefroy «le Bouillon à un prieur et à des cha- noines réguliers de Saint-Augustin, avec des revenus considérables, à la condition qu'ils entretiendraient cenl cinquante chevaliers pour la défense du saint Sépulcre.
Lorsque les Franciscains s'établirent à .Jérusalem > leur première résidence fut sur le monl Sion e1 dans un monastère voisin du Saint-Cénacle. Mais, en 1561, Turcs chassèrent les entants de saint François, et s'emparèrent de la basilique. Depuis trois siècles el demi ces bâtiments ont continue d'être occupés par les musulmans.
La maison où vécul la sainte Vierge après la des- cente du Saint-Esprit, et où il esl probable quelle mourut, était attenante au Cénacle. Nous y revien- drons en parlanl <\r> monuments consacrés par le souvenir de la Mère de Dieu.
A quelques pas de l'endroit où nous sommes, voici la tour de David. Relevée ;'i la suite de divers accident.-. cenl toi- réparée, rebâtie par Hérode, qui lui donna le nom de son ami Eïippicus, couronnée de créneaux et de mâchicoulis par les Pisans .-m moyen âge, occuper par If- princes de la croisade, habitée aujourd'hui par
les soldats turcs, flic d irïe fièrement non-seulement
la citadelle <■! les bâtiments du voisinage, mais encore la ville el I'- collines environnantes. La base, composée d'énormes blocs en bossage, remonte à la plus haute intiquité. Non loin de là I lérode avail fail construire un palais
FÊRUSALEM. 171
somptueux. Si vous voulez en connaître au juste L'em- placement, regardez le temple protestant nouvelle- ment érigé aux frais de l'Angleterre. Il faul convenir que le protestantisme anglo- prussien, voulant ('lever un monument religieux sur ce sol consacré par tant de souvenirs religieux, e1 marqué de tous côtés des vestiges de Jésus -Christ el «les apôtres, a fail un sin- gulier choix, en préféranl un lieu qui ue rappelle que la cruauté, la débauche el la honte. La chaire protes- tante se dresse à L'endroil où Hérode se moqua du Christ Les disciples de Luther el de Calvin se font gloire de mépriser nos traditions, même les plus res- pectables. N'est-ce pas par une dérision de la Provi- dence qu'ils ont adopté pour la célébration de leur froide liturgie et la prédication «l'un christianisme mutilé, un endroit souillé par l'orgie et maudit par toutes les populations chrétiennes qui sont venues depuis des siècles à Jérusalem? Écoutons les parole- d'un écrivain protestant de l'Allemagne : « Le palais d'Hérode, avec tous les édifices d'Agrippa, avec les citernes et les jardins qui l'entouraient a entièrement disparu; un seul témoin oculaire en fait mention, c'est Josèphe, l'historien juif. Aucun pèlerin ne demande m passant où étaient ces -allés magnifiques dans les- quelles de- centaines de convives venaient s'asseoir à la tahle d'Hérode: mais L'amour du dernier venu des générations présentes demande avec un tendre em- pressement le lion où Jésus mangea l'Agneau pascal avec ses disciples •■( célébra La sainte «eue1. »
• D1 Von Schubert, Beise in das Morgenland, tome H, p 546.
172 JUDÉE.
An delà du temple protestant, sous un passage voûté, il informes débris d'antiques constructions indiquent l,i prison où fui enfermé sainl Pierre, et d'où L'ange du Seigneur le délivra miraculeusement. Un couvent .If moines syriens occupe La place de la maison de Marie mère de Jean surnommé Marc, dans laquelle saint Pierre se retira au sortir de la prison, el où il trouva les fidèles de Jérusalem en prières pour de- mander à Dieu sa délivrance. Malheureusement les Syriens jacobites n'ont pas conservé la foi de saint Pierre dans son intégrité, et ne sont pas soumis au successeur du prince ih^ apôtres; ils sont engagés dans les erreurs de Nestorius et d'Eutychès.
Les Arméniens possèdent un vaste emplacement, jusqu'à la porte de Sion. Comme nous l'avons dil précédemment, le quartier des Arméniens , Hâreth-el- Arman, esl le plus riche el le pins propre de Jéru- snleni. L<-s Arméniens se vantent à juste titre d'avoir les édifices 1rs mieux bâtis el les plus somptueux : il n'y h que la mosquée d'Omar qui ail la prééminence. La maison du grand prêtre Anne est convertie en un couvenl de religieuses. Non loin s'étendent les bâti- ments du monastère des religieux: c'esl le plusgrand et le plus beau qu'il y ait en Palestine. On dirait un palais plutôt qu'un cloîtrel Une cour intérieure s'étend entre les bâtiments e1 l'égïise, e1 w\\ vaste jardin en- toure toutes les constructions. L'église, construite el décorée avec magnificence est dédiée à saint Jacques le Majeur, frère de saint Jean l'Évangéliste, mis à mort d'après le commandement d'Hérode -Agrippa. Le plan e t \ trois nefs; les murs son! ornés de peintures
IKUI SALEM 173
murales, el au centre se dresse majestueusement une haute el large coupole. Une chapelle indique I»' lieu où l'apôtre fui décapité. Le corps de saint Jacques fui dans La suite transporté à Compostelle, en < ialice. C'esl à La catholique Espagne qu'est dur La construction de cette riche el élégante basilique. Les Légitimes posses- seurs de ce sanctuaire ont été dépouillés par les Armé- niens, qui, malgré la douceur trop vantée de leur caractère, se sont associés en plus d'une occasion aux envahissements <\>-> Grecs schismatiques.
Près de la porte de Sion, non loin du quartier des Juifs, au pied <\i'> murailles, on aperçoit quantité de misérables cabanes en terre; ce sont les huttes des Lépreux, que 1rs Arabes, dans leur Langue expressive el portique, appellent les demeures des malheureux. Elles sont habituellement occupées par quinze à vingt infortunés qui vivent misérablement du produit des aumônes. Rien de plus affreux que la lèpre : c'est la plus horrible des maladies qui affligent l'humanité. De là les précautions prises en tout temps pour se préserver du contact des Lépreux; car ce mal épou- vantable se communique aisément. On a beaucoup diss srté sur les causes de cette maladie, et plusieurs savants observateurs l'ont comparée au mal dont le libertinage est la source. La peau est le siège le plus apparent de la lèpre; elle devient rude, calleuse, in- sensible, et se couvre d'ulcères rongeants. La voix devient rauque; Les yeux sonl rouges, brillants et en- flammés, le visage se charge d'éruptions , de tumeurs dégoûtantes ; la respiration esl pénible et brûlante; les pieds se gonflent, et tout mouvement est douloureux.
174 JUDEE.
A l'intérieur, le sang >«■ décompose, et l.-i circulation devienl lente et pénible. Les facultés intellectuelles ne souffrent souvent aucune atteinte; parfois elles sont comme engourdies, et le lépreux tombe dans une espèce d"i< li< >t isme. Lorsque la maladie est invétérée, elle '•-! incurable; si ou la soigne dès l'apparition des premiers symptômes, on peut la guérir. Mais î\ Jéru- salem . aujourd'hui comme jadis, on abandonne à leur triste sort les individus qui en sont atteints. Ils lan- guissent ainsi quelquefois durant de longues années. leurs membres se détachent et tombent les uns après les autres, et on peut dire qu'ils assistent tout vivants au lugubre spectacle de la décomposition de leur propre corps.
La lèpre (Hait assez répandue en Europe au moyen âge; on prétend qu'elle avait et»'' importée chez nous de l'Orient. Dans toutes nos provinces, la piété et la charité- chrétiennes avaient fondé et doté des lépro- sr/vc.s ou Imlrcrirs; les lépreux y trouvaient les con- solations et les adoucissements qu'une compassion ingénieuse pouvail leur procurer. Ces hôpitaux étaient placés sous l'invocation de saint Lazare. En Asie, surtout «'ii Chine, en Tartarie et au Japon, la lèpre
fait encore de I loin I )|el |>e> victimes. La viande de porc esl interdite au malade, dont elle aggrave les souffrances el envenime le mal : c'est pour cela qu'elle étail réputée immonde chez les .luit's. et qu'elle leur lut interdite si sévèremenl par Moïse.
Sur le inouï Mori.ih se développe la vaste espla- nade où se dresse la mosquée d'Omar, et où se trou- ■ nt d'autres édifices : l 'est ['espace sacré. Jusqu'à ces
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dernières années, aucun chrétien n'y pouvait pénétrer sans s'exposer à être maltraité, e1 même à perdre la vie. tant le fanatisme étoil prompt à s'exalter. On cite le nom de quelques rares voyageurs qui. à L'aide d'artifices <'t il»' déguisements, réussirent à entrer dans la fameuse mosquée. Actuellement, grâce aux événe- ments qui viennenl <l<' s'accomplir en Crimée. lc> dignitaires turcs se montrenl pins tolérants, et déjà quantité de voyageurs mit profité de ces bonnes dis- positions pour visiter en détail toul ['espace sacré. Cette \ isite toutefois se fait encore assez rapidement : il serait difficile de se livrer à une étude suivie el des monu- ments et des ruines qui y touchent: mais, ce n'est pas douteux, les savants réussiront un jour à décrire, à mesurer et à dessiner tout cr qui leur paraîtra digne d'intérêt pour l'histoire, la science de l'antiquité ou les beaux-arts1.
Au milieu de la plate-forme et sur le point culmi- nant est bâtie la mosquée, à laquelle on arrive au moyen de huit escaliers de marbre. Le bâtiment de La mosquée es1 octogone, surmonté d'une coupole d'en- viron quatorze mètres de diamètre. A l'extérieur, les murs sont recouverts de carreaux de faïence peints de diverses couleurs et ornés d'arabesques ou d'inscrip- tions tirées du Coran. Sous le rapport de l'architec- ture, cet édifice n'est pas sans mérite. On y entre par quatre portes ouvertes à L'orient, à l'occident, au nord et au midi; « chacune, dit le P. Roger, ayant son portail
i Ce travail a été exécuté en 1860 par M. Mclchioi de Vogué. Un vo- lume m-i' .
176 I r Ml .
bien elabouré de moulures, et six colonnes avec leurs pieds -d'estail el chapiteaux, le tout de marbre et de porphyre, & Cette espèce de portique, placé en avanl des façades principales, donne à l'ensemble des bâti- ments de la légèreté et de l'élégance. La grande cou- pole repose sur quatre piliers et douze colonnes formant une enceinte circulaire au centre de la mosquée. Les colonnes s. ml antiques, en marbre et d'ordre corin- thien; elles proviennent de quelque édifice d'origine grecque, el elles onl été transportées à Jérusalem par ordre des sultans. Les emprunts de ce genre ont eu lieu fréquemment à toutes les époques de la décadence des arts. Tue seconde rangée de piliers et de colonnes forme une nef assez étendue; une autre nef existe entre piliers et la muraille; les deux nefs suivent la dis- position générale de l'octogone. Dans la mosquée il n'y a pas d'autres ornements que des arabesques de couleurs variées, des textes du Coran en lettres d'or et une quantité de lampes.
La coupole recouvre la Pierre, el-Sachrah (la Roche). A peine n mitre de Jérusalem, le calife Omar avail <lii- mandé aux Juifs ce qu'était devenue la pierre qui servit d'oreiller à Jacob dans sa vision miraculeuse. <)n lui montra l'emplacemenl du temple de Salomon. Indigné de le trouver couverl d'immondices, le calife pril de la tei re el des immondices dans un pan de sa robe el les porta au loin. Les gens de sa suite s'empressèrent d'en faire autanl . el le lieu lut bientôt nettoyé. Pour rendre cette pierre plus .unir, le sectateurs du I !oran pré- tendenl que Mahomel \ mil le pied en venanl par les airs de la Mecque à Jérusalem, tls montrent l'em-
JÉR1 SALEM. 177
preinte du pied du prophète de l'islam; mais il faut avoir beaucoup de bonne volonté pour y reconnaître une marque distincte. Les mahométans débitent mille fables au sujel de cette pierre. Ils «lisent, par exemple, qu'un jour le prophète, ayant t'ait sa prière près de la Roche, monta au ciel, et que celle-ci le suivit. En approchant <lu paradis, la pierre poussa des cris de joie '. Mahomet lui ordonna de se taire et de retourner à l'endroit d'où elle était venue. Elle descendit aussi- tôt: mais elle demeura suspendue à quatre pieds de terre, dette position merveilleuse effrayait tellement les femmes, que le sultan Sélim, par compassion, lui lit mettre des supports. El-Sachrah, ajoutent- ils, est une des roches du paradis; celui qui prie sur cette pierre devient innocent comme il l'était le jour de sa naissance, eût -il commis les plus grands crimes.
Près de la porte de l'occident il y a une autre pierre de moindre dimension et en marbre noir. « En cette pierre, dit le P. Roger, il y a vingt-trois trous, où il semble qu'autrefois il y ait eu des clous, comme de fait il en reste encore deux. Savoir à quoy ils servoient, je ne le sais [»as : même les mahométans l'ignorent; quoi- qu'ils croient que c'étoit sur cette pierre que les pro- phètes mettoient les pieds lorsqu'ils descendoient de cheval pour entrer au temple, et que ce fut sur cette pierre que descendit Mahomet quand il fit le voyage du paradis pour traiter d'affaires avec Dieu. »
Le calife Omar n'eut pas le temps d'achever la mos-
1 Les autours arabes «lis.ni que la Roche, el-Sachrah, taisait entendre ce cri répété : Lou, lou, lou, lou, en signe d'allégresse.
12
178 JUDEE.
quée -'I - s.i.h r.i h. Kn (><sc>, le calife A.bdel-Mélek re- bâtii cel édifice sur un plan bien différenl du pre- mier : il consacra à cette <eimv le tribut de l'Egypte duranl sept années. Des tremblements «le I erre firent tomber ce nouveau monument, et dans In suite il l'ut reconstruit, mais avec moins de magnificence. En 1060, une pnrtie de la couverture s'affaissa, accidenl que les musulmans regardèrent comme de mauvais augure, et comme annonçanl le- calamités qui allaienl fondre sur l'empire de Mahomet.
Les croisés, maîtres de Jérusalem en 1 ()!>!), trou- vèrenl de grandes richesses accumulées dans la mos- quée el-Sachrah. Un des premiers soins de < rodefroy de Bouillon fut de la purifier et de la consacrer au culte du vrai Dieu. En I Lî<*i. elle lui dédiée solennellement par un légat du pape Innocent II sous le vocable de temple du Seigneur, templum Domini. Des chanoines luivul chargés d"y célébrer l'office divin, et les chré- tiens \ vinrent en foule, attirés par le souvenir de l'ancien temple de Snlomon el du temple nouveau consacré par la présence de Jésus - Christ. Les rois chrétiens eurent leur palais dans le voisinage, et les chevaliers du Temple occupaient des bâtiments qui en formaient, pour ainsi dire, une dépendance. Les Templiers tirèrent leur nom de cette circonstance : leur nombre s'éleva jusqu'à trois cents. e1 ils bâtirent à leur usage une église détruite par Saladin en IIXT.
Au sud t\r la grande esplanade se trouve la mosquée el-Aksa. Ge1 édifice présente à l'intérieur les dispo- sitions de la basilique chrétienne. Il remplace en effet une église due à la piété et à la munificence de l'em-
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pereur Justinien. En 530, ce prince lit bâtir à Jéru- salem, dans le portique de Salomon, une basilique superbe dédiée à la sainte Vierge sous le titre de la Présentation. L'historien Procope nous en a laissé la description4. Les fondements furent établis d'un côté sur des rochers, de l'autre côté sur des galeries sou- terraine-, les mêmes qu'on appelle aujourd'hui étàbles de Salomon. A l'époque de la conquête des Sarrasins, l'église de la Présentation subit plusieurs change- ments; elle est à sept nets, séparées par quarante co- lonnes et plusieurs piliers: les colonnes ont été arra- chées à des monuments antiques. Au milieu est une coupole couverte en plomb. L'éditice a environ quatre- vingt-cinq mètres de longueur du nord au midi, sur cinquante-cinq mètres de largeur.
Les descendants schismatiques des Grecs, qui fon- dèrent à Jérusalem tant de beaux monuments reli- gieux, possèdent encore dans la ville sainte dix mo- nastères d'hommes et trois couvents de religieuses. Ici on voit évidemment que l'esprit dé vie a quitté ceux qui ont rompu les liens de l'unité catholique. Les moines grecs schismatiques languissent dans l'igno- rance et l'oisiveté. On ne rencontre point dans leurs cloîtres, comme dans nos antiques abbayes, ces âmes ardentes, ces cœurs trempés fortement, accoutumés à porter le joug salutaire de la discipline : hommes de piété, de dévouement et de science; orateurs éloquents, professeurs érudits, écrivains habiles; maîtres de la vie spirituelle, modèles de toutes les vertus chrétiennes. La
i Procopius, de ASdificiis Justiniani, Y . vi.
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profession monastique des schismatiques esl stérile : on l'a <lit avanl nous, ni l'apôtre, ni le saint, ni le savant, ni l'artiste ne sortent pins de ces clôtures, où l'homme s'endort dans une perpétuelle enfance. Il en est de même des couvents de femmes; les religieuses ne sonl pas astreintes à la clôture, et elles ne se livrent point à l'exercice des œuvres de charité, comme les admirables filles de Saint-Vincent- de -Paul et la plu- part des religieuses françaises.
A quelques pas d'ici le contraste est frappant : de pieuses sœurs de Saint-Joseph- de -l'Apparition sont venues de France à Jérusalem occuper la place trop longtemps vacante des religieuses Bénédictines, des chanoinesses de Sainte-Anne et des filles de Sainte- Marie Mlles dirigent des écoles de filles et apprennenl à ces jeunes âmes dos vertus peu connues des femmes de l'< )rient. De cet asile sortiront do femmes modestes, instruites, accoutumées aux travaux domestiques, qui feronl de plus en plus apprécier les bienfaits du ca- tholicisme et son heureuse influence au sein de la fa- mille, dans ces régions où le rôle de la femme est tant ; i \ i I i .
Un hôpital eallioliipie a été récemment fondé. Il est pauvre, et cependant on y soulage déjà beaucoup de misères. Une quinzaine de malades sont reçus et soi- gnés dans des salles dont la propreté fait tout le luxe, mais avec ces attentions dévouées et délicates qui sont un *\r> fruits de La piété catholique. Les consultations sonl gratuites, ainsi que la distribution des remèdes. Aussi la porte de cel Hôtel-Dieu est-elle chaque matin assiégée d'une foule de malheureux,
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Terminons m (lisant quelques mots d'un établisse- ment destin»' à taire refleurir un jour L'Eglise de Jéru- salem, aujourd'hui désolée : c'est le séminaire créé par le patriarche latin, M" Valerga, et dirigé par plusieurs prêtres français et italiens. De jeunes lévites y re- çoivent l'instruction, et sont formés de bonne heure à la pratique des vertus ecclésiastiques. Quelle puis- sance d'action le clergé indigène u'aura-t-il pas au milieu des populations dont il sera sorti, dont il con- naîtra parfaitement le langage, les habitudes et les be- soin^ ( iommentne pas concevoir de belles espérances? La terre des miracles sera encore fertile en prodiges de grâces et en fruits de sainteté.
CHAPITRE X
I \ SA I.NTI-: VIERGE A JERUSA I.KM
n sortanl de Jérusalem par la porte
/ J", $$$' de .l.ill'a, on trouve une grande pis- cine appelée l'iscinc supérieure, <-t connue des croisés sous le nom de HEvrI Lac ''" ï'ulriiirchr. Klle esl située
,Ar; ^ ,j. ■ j \\ faible distance de l;i ville,
" - _.,..; dont elle esl séparée par le Champ
du foulon. Les eaux y sont renouvelées seule-
inriii à l'époque de- pluies d'hiver. Le bassin fui
agrandi par le roi Ézéchias. De là Rabsacès,un
des chefs do l'armée assyrienne, dans son loi
orgueil j vomil des menaces contre les habitants de
Jérusalem el des blasphèmes contre Dieu. En ce
même ''11111011. l'ange exterminateur, en une seule nuit,
tua cenl quatre-vingt-cinq mille hommes de l'armée
IÊRUSALEM. 187
de Sennachérib1. Mais ces souvenirs sinistres s'effacenl devanl des souvenirs glorieux. Au sommel de la colline de Gihon, Salomon lui sacré roi par ordre de David, son père. Salomon, prince pacifique, était la figure du Prince de la paix, en qui et par qui toutes choses de- vaient être restaurées. Du haut do ces monticules, [saie lit entendre la plus célèbre «les prophéties, tj Voici, dit-il, qu'une vierge concevra et enfantera un fils, el elle l'appellera Emmanuel2. »
Lorsque les temps furent accomplis, l'aurore du So- lr/1 de justice, la Vierge Marie naquit à Jérusalem, à l'ombre, pour ainsi dire, des murs du Temple. Une tradition constante, appuyée sur le témoignage d'un grand nombre de Pères, nous apprend que saint Joa- chim et sainte Anne, parents de la saint.' Vierge, pos- sédaient et habitaient une maison voisine de la piscine Probatique. Saint Jean Damascène, qui connaissait parfaitement le pays, et qui parcourut plus d'une fois les lieux les plus célèbres de la Palestine, parle de la Maison probatique de saint Joachim , et l'Eglise ro- maine, dans le Bréviaire, a reçu et reproduit ce texte.
Quelques passages des premiers écrivains ecclésias- tiquer donnent à penser que les parents de la sainte Vierge, d'une naissance illustre, d'une piété plus re- marquable encore, ne vivaient pas dans l'indigence, mais dans une heureuse médiocrité. Chassés de Jéru- <;ilem, comme beaucoup d'autres citoyens, par suite des malheurs qui donnèrent naissance à la guerre hé-
1 1Y Reg., xi\', 35.
2 1- , vu, 3, 14.
188 JUDÉE.
roïque des Machabées, leurs pères avaient choisi la ville de Nazareth comme lieu de refuge, sans aban- donner entièrement leur modeste logis de Jérusalem. Cette maison, sans doute, était petite et simple, et on réussirail sans peine à la rebâtir en imagination, soit d'après les descriptions que nous avons des habitations communes de Jérusalem, soit même d'après la dispo- sition des maisons actuelles. Ces pieux époux étaient dans une affliction profonde, parce que leur union avait été stérile, et qu'ils étaient avancés en Age. Chez les Israélites, surtout au temps où vivait sainte Anne, la stérilité était un opprobre. L'attente du Messie agi- lait tous les cœurs; chaque famille espérait le voir naître dan- son sein. Les malheurs de la nation, l'in- terprétation des prophéties, ^l*^ bruits généralement répandus dans tout l'Orient, donnaienl l'assurance que ce grand événement ne tarderail pas à se réaliser. Enfin les vœux de ces cœurs chastes et fervents sont exau- cés. Quoique déjà refroidie par la vieillesse, comme \\\\r autre Sara, sainte Anne donne le jour à celle qui de- viendra la mère du nouvel Isaae.
Il n'est guère possible de mettre eu doute le lieu de naissance <\r la sainte Vierge : en est-il de même de celui où s'accomplit Ie mystère de l'immaculée Con- ception? Par un privilège que réclamail la maternité divine, et <'ii vertu >\^> mérites et de la rédemption du Sauveur, Marie lui préservée de la tache originelle au premier momenl de son existence. Certains auteurs onl prétendu que cette faveur insigne lui fut accordée dans la maison de Nazareth; d'autres pensenl que La maison probatique lui le sanctuaire témoin de cette
IÉRUSALEM. 189
merveille '. Quoi qu il eu soit, la demeure des vertueux époux lut de bonne heure transformée en église sous le vocable <!<• Sainte-Anne. La première construction en est attribuée à sainte Hélène nu à L'empereur Justi- nit'ii. Les pèlerins affluaient à cette basilique, et beau- coup de malades, après avoir invoqué sainte Anne allaient chercher le remède à leurs maux en se plon- geanl dans !<■> eaux de la piscine.
Maîtres de Jérusalem, les musulmans changèrent cette église en école publique; elle garda cette desti- nation durant plusieurs siècles. Mais comme la tradi- tion chrétienne ne varia jamais sur l'origine de la basilique primitive, à peine maîtres de la ville, et les premiers embarras de L'occupation passés, les croisés ^"empressèrent de rebâtir le temple de Sainte-Anne. L'édifice nouveau porta tous les caractères d'élégance et de légèreté qui distinguent les constructions fran- çaises du xnc siècle. Mille ornements sculptés em- bellissaient les murs extérieurs; à l'intérieur, des peintures murales représentaient les principaux faits historiques relatifs à saint Joachim, à sainte Anne et à la sainte Viei-r. On sait que le xn* siècle, en Occi- dent, a vu peindre dans nos églises des tableaux sans nombre, où la naïveté gracieuse de la composition •'■-aie l'harmonie des couleurs. Le> peintures consacrées à honorer la Mère de Uieu l'emportent sur les autre>
i Ecck-sia suh titulo li. Année, matris sanctissimae Deiparse, dicata, pul- chra et spatiosa <'<t. Subtus eam sacellumest, ubi cubiculum fuisse dicitur in qno concepta et in lucem édita creditur B. Virgo Maria. (Quaresmius, Elucidar. Terrœ Sanclœ, tum. 11, pag. 104.
190 JUDÉE.
par un charme particulier. L'art catholique a été mer- veilleusemenl inspiré partoul où il a célébré la gloire de la Vierge, quelle que soit la forme des (ouvres qu'il ait employée, poésie, sculpture, peinture, ciselure, broderie, émail, vitrerie. Les peintures «le l'église Sainte-Anne mil à peine laissé de faillies traces; elles s'étaient assez bien conservées sous une couche de chaux, jusqu'au milieu du x.vne siècle. Les schisma- tiques achevèrenl alors la destruction commencée par le fanatisme musulman. Elles revivront bientôt, grâce à la piété chrétienne; nous espérons même qu'une main française conduite par un cœur français tiendra le pinceau dans la restauration de cette intéressante décoration.
Pendanl la durée du royaume chrétien de Jérusalem, des religieuses de Tordre de Saint-Benoîl gardaient le sanctuaire de Sainte-Anne, el y célébraient l'office di- vin. En I 104, la reine, épouse de Baudouin \>l\ y prit le voile. La régularité régna toujours dans ce monas- tère, grâce à ta protection de la sainte Vierge; el lorsque les Sarrasins reprirenl Jérusalem, ces saintes femmes, redoutant avec raison les insultes grossières des sectateurs du Coran, se portèrent à un acte de courage héroïque, en se mutilanl le visage.
Près de la porte de Josaphal , dit le rédacteur des Lsstses de Jérusalem, il y avait une abbaye de noti- nains; si avoii nom Sainte-Anne. L'église avait trois nefs, el se terminai du côté de I ( nient par une abside semi-circulaire. Le portail principal > ouvrait à l'ouest; les religieuses entraient par une porte latérale qui com- muniquai! avec le cloître. Au centre de l'édifice s'é-
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levait une coupole : disposition admirable déjà en vigueur un siècle auparavant dans un grand uombre d'églises françaises. Le couvenl ressemblait aux éta- blissements du même genre <'ii Europe. Une cour car- rée s'étendait entre les bâtiments, et des galeries en forme de cloîtres facilitaient l'abord aux salles com- munes e1 aux cellules des religieuses. Le jardin était rempli d'arbres, au milieu desquels on en distinguait un d'un port majestueux, dont le tronc portait les signes d'une extrême vétusté : La tradition disait qu'il avait été planté et arrosé de la main de la sainte Vierge, tradition charmante, qui associe le nom de Marie, mère sans cesser d'être vierge, à un arbre couvert de fruits et de fleurs. C'est à Marie seulement qu'on peut ap- pliquer avec vérité cette devise si connue : En elle le fruit ne détruit pas la fleur.
nuel séjour pouvait être plus favorable à la piété que ce monastère, où tous les souvenirs charmaient l'esprit et le cœur des saintes filles qui l'habitaient? Elles y foulaient le sol que jadis foula le pied vir- ginal de Marie; elles respiraient le même air; leurs yeux contemplaient les paysages que ses regards avaient contemplés. Les vertus monastiques y sem- blaient plus faciles à pratiquer : la chaste image de Marie se montrait de tous côtés, pour ainsi dire, en- tourée d'un cortège angélique.
Depuis deux siècles environ le monastère et l'église abandonnés tombaient en ruines. Les pèlerins cepen- dant n'en ont jamais oublié le chemin : ils aimaient à venir invoquer la protection de la Mère de Dieu sur
ces débris et dans ces lieux consacrés par sa présence.
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194 JUDÉE.
Les Franciscains, moyennant des sommes assez con- >i.ir-r;il>li's. obtenaient la permission de célébrer les saints mystères deux fois par an dans les grottes sou- terraines, aux fêtes de sainte; Anne et de la Nativité de la sainte Vierge. Les catholiques de Jérusalem se pressaienl dans ces étroits el obscurs souterrains. A cause de l'accumulation des ruines à l'extérieur et de la disposition primitive drs lieux, l'endroit où Ton a toujours cru que la sainte Vierge vint au monde esl une espèce de grotte qui formait la crypte de l'église des religieuses Bénédictines. On y descendait à l'aide d'un escalier donl rentrée se trouvait dans l'église. Des peint mes murales en recouvraient les parois. Près de là on vénérait remplacement des tombeaux de saint Joachim et de sainte Anne, où leurs corps re- posèrent avant d'être transférés dans te sépulcre de I rethsémani.
On peut se faire une idée de la désolation de cet an- tique établissement d'après la courte description que nous venons de tracer. Mais, aux veux de la foi, ce lieu a toujours une valeur inestimable. Le sultan lui-même l'a compris, puisqu'il en a l'ait don à l'empereur Napo- léon III. Le 1er novembre 1856, Kiamil-Pacha, gouver- neur de Jérusalem, en a fait la remise solennelle à M. de Barrère, consul de France. Tous les cœurs ca- tholique> m' sont émus en apprenant (pie le sanctuaire de Sainte-Anne appartenait à une nation chrétienne En France, nous avons tous éprouvé un légitime sen- timent d'orgueil à la pensée que ces lieux, consacrés par de si augustes souvenirs, seraienl placés désormais sous la protection de notre drapeau. Le vénérable pa-
JÉRUSALEM. 195
triarche latin de Jérusalem a conçu à cette occasion des espérances qui se réaliseront un jour, s'il plaît à Dieu. Déjà on peut prier à la Maison probatique de Joachim, sans craindre les effets de l'intolérance mu- sulmane; bientôl la basilique aura repris sa splendeur • les anciens jours.
Depuis sa naissance jusqu'à L'époque glorieuse de la visite de l'ange et de l'Incarnation, la Vierge Marie vécut dans le silence, la modestie et la sainteté, appli- quée aux humbles occupations de son état. Un voile mystérieux la dérobe à nus regards. La Providence a voulu que celle qui devait être exaltée au-dessus de toutes les femmes et proclamée bienheureuse par toutes les générations passât ses jours dans la re- traite, ignorée des hommes, connue seulement de Dieu et des anges, pour donner une leçon et un mo- dèle aux personnes de son sexe.
A peine âgée de deux à trois ans, s'il faut en croire une pieuse tradition, déjà douée d'une raison supé- rieure, et prévenue de la grâce d'en haut, Marie résolut de se consacrer entièrement â Dieu. A l'exemple des parents de Samuel, Joachim et Aime offrirent leur fille au Ten pie, afin qu'elle servît au ministère de la mai- son de Dieu parmi les veuves et les vierges. Trans- plantée dans le Temple, dit saint Jean de Damas, Marie s'y développa comme un olivier fertile devant le Seigneur. L'Église a adopté cette tradition en insti- tuant la fête de la Présentation de la sainte Vierge; nous honorons dans cette solennité la Vierge imma- culée, éloignée des bruits du inonde, séparée du com- merce des hommes, afin de se préparer dans la
1011 JUDEE.
pratique de toutes 1rs vertus, dès l'âge le plus tendre, à la grande mission à laquelle I >î<*n l;i destine.
L'empereur Justinien lit ('lever une magnifique basi- lique sons le titre de la Présentation sur l'esplanade dumonl Moriah,en un lieu nommé le Portique de Sa- lomon. Cette église subsiste encore; mais elle a été transférée en mosquée sous le nom d'el-Aksa. Nous en avons parlé dans le chapitre précédent. Nous avons égalemenl indiqué déjà trois autres sanctuaires consa- crés à la sainte Vierge: l'église Notre-Dame-des-Dou- leurs, voisine du prétoire, où Jésus, en suivant la voie douloureuse, rencontra sa sainte mère et la salua en passant; la chapelle du Calvaire, à laquelle on arrive pai' des degrés placés en dehors de l'église du Saint- Sépulcre, où se tenait la sainte Vierge, avec saint Jean, lorsque le Sauveur, sus] tendu à l'arbre de la croix, re- commanda sa mère à son disciple bien-aimé, et, dans la personne de ce dernier, la donna à tous les chrétiens comme mère adoptive; enfin la chapelle de l'Appari- tion, appartenant aux religieux Franciscains, où Jésus- ( Ihrist ressuscité se montra d'abord à sa mère. La sainte Écriture n'a pas mentionné tous ces laits: mais la tra- dition «'H a gardé le souvenir. Dans le silence que gardenl nos livres saints touchant La sainte Vierge, c'esl une consolation pour les chrétiens de connaître d'une manière aussi sûre qu'on peul historiquement le désirer, quelques-uns dr<^ lieux où s'arrêtèrenl les pas de l'auguste Vierge. La mémoire du cœur est fidèle; elle garde impérissable le souvenir des bienfaits : com- menl les premiers chrétiens auraient-ils oubliési vite la Mère du Sauveur, que l'Eglise catholique se plaît
JÉRUSALEM. 197
toujours à saluer des doux noms d'Avocate, de Refuge, de Secours, de Consolatrice, de Reineet Mère de misé- ricorde.
( !haque année, dit l'évangéliste, Marie venait à Jéru- salem pour la célébration des grandes fêtes judaïques; elle s'y rendait sans doute plusieurs fois par an, et elle y restait sept jours entiers, suivant la prescription de la loi. Rien ne nous empêche de croire que la sainte fa- mille habitait alors la maison que la Vierge dut rece- cevoiren héritage de ses parents, et que Jésus-Christ y demeura fréquemment, même à l'époque de sa prédi- cation publique. Après L'Ascension du Sauveur, Marie habita une maison attenante au Cénacle. Elle se trou- vait en prière avec les Apôtres lorsque le Saint-Esprit descendit sous la forme de langues de feu, le jour de la Pentecôte. C'est là, suivant l'opinion la plus accrédité.-. et la plus probable, et non à Éphèse, qu'elle rendit le dernier soupir. Les écrivains ecclésiastiques des pre- miers âges n'hésitent pas à ce sujet; et lorsque Juvénal, évêque de Jérusalem, écrit à l'empereur Marcien et à l'impératrice Pulchérie, il constate la tradition généra- lement répandue qui affirme que la sainte Vierge est morte sur le mont Sion, qu'elle fut ensevelie à (iethsé- mani, où l'on honore son tombeau. La mort, il est vrai, n'a pu retenir captive dans ses liens celle qui mérita de devenir la mère de l'Auteur de la vie, et les chrétiens vénèrent l'endroit où ses restes mortels ont reposé quelque temps. Si l'on accepte ce témoignage d'André, archevêque de Crète, auteur respectable et qui semble bien renseigné, puisqu'il habita Jérusalem, nul doute n'est possible : au huitième siècle, époque à laquelle il
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écrivait, on montrait, sur le mont Sion, la maison dans laquelle Marie expira en présence des apôtres et des disciples, maison depuis convertie en église et fréquen- tée par un grand nombre de pèlerins1. Plusieurs histo- riens, en nuire, mentionnent une petite chapelle voi- sine de l'habitation de la Vierge, où saint Jean avait coutume de célébrer les saints mystères.
En descendant au tond de la vallée où roule le tor- rent de Gédron durant la saison des pluies, on passe un puni d'une seule arche, et l'on se trouve au pied de la montagne des Oliviers. A quelques pas, vers la gauche, esl l'entrée de l'église souterraine qui renferme le tom- beau de la sainte Vierge. Ce sanctuaire est désigné sous divers titres par les écrivains catholiques : église de Gethsémani, église Notre-Diui\<'-ii}-valle-Josaphat, le Moustier de nnukinw sainte Murie, le Sépulcre de la Vierge, Mère de Dieu, et V église de V Assomption : dénominations toutes justes et véritables, puisque la sainte Vierge tut déposée dans le sépulcre, mais en 5orti1 glorieusemenl sans éprouver les atteintes de la corruption.
La grotte sépulcrale, précédée d'un portail en style ogival, ouvrage de la main dv^ croisés, est accessible au moyen d'un escalier en marbre de quarante-sept degrés. Des excavations latérales renferment les loin- beaux de saint Joachim,de sainte Aime et de saint Jo- seph. Ces tombeaux appartenaient autrefois aux catho- liques; ils leur onl été enlevés par les Grecs. L'église
uterrai isl en forme de croix latine, avec absides
mi-circulaires aux deux extrémités. Elle a trente-deux
1 Andr. Crel . Orat. in Dormitionem H. M. V,
JÉRUSALEM. 199
mètres de Longueur, sur sept mètres environ de lar- geur. Le sépulcre de La sainte Vierge, creusé dans le roc, comme celui de Notre-Seigneur, est enfermé dans un petit monument ou chapelle en marbre blanc qui a
lieux entrées. Les Grecs célèbrent leurs offices sur la t.i I de de marbre placée sur le tombeau, et qui sert d'autel. C'est là que jadis Les catholiques célébraienl Les saints mystères. S'ils peuvent y pénétrer aujour- d'hui, c'est grâce à un lîrnian de L852;encore sont-ils obligés de u'y aller qu'à la suite des Grecs et des Ar- méniens, et d'enlever après La célébration de la messe tous les objets qui ont servi au culte. Ainsi, à cause des empiétements des schismatiques et de la vénalité des représentants de l'autorité musulmane, toutes les sectes chrétiennes possèdent un autel propre dans cette église: Grecs, Arméniens, Abyssins, Jacobites; les mahométans mêmes y ont un lieu de prière. Les catholiques seuls en sont, pour ainsi dire, exclus, quoique les Capitulations attestent que ce lieu de pè- lerinage est la propriété des Francs.
Au-dessus de cette grande crypte, les siècles de foi élevèrent une magnifique basilique. Les uns en font remonter l'origine au temps de sainte Hélène; les autres L'attribuent, avec plus de vraisemblance, au vc siècle. Ruinée et restaurée plusieurs fois, par suite des révolutions, elle était entièrement détruite lorsque les croisés se rendirent maîtres de Jérusalem. De tristes débris en indiquaient seuls remplacement. Le premier prince chrétien du nouveau royaume de Jérusalem, Godefroy de Bouillon, y fonda une abbaye dont la juridiction s'étendit sur toute la vallée de Jo-
200 H'I ȃE.
saphat. C'était le Moiisticr <lc uuulanw suinte Marie nommé dans les Assises de Jérusalem. La reine Méli- sende, femme de Baudouin III et régente du royaume, rebâtit ou agrandit ce temple; elle y fut ensevelie sous un superbe mausolée de marbre. Quand les Sarrasins reprirenl la cité sainte, le couvent et l'église furent dé- molis; les pierres servirent à fortifier les remparts de la ville Hélas! tous les souvenirs de la croisade se rat- tachent à des ruines.
Aux veux du chrétien, Marie est le type de la femme régénérée. C'est la nouvelle Eve, parée de grâces et de vertus, honorée des plus sublimes privilèges, comblée de faveurs célestes, élevée au plus haut degré de gloire par la maternité divine. En elle la dignité de la femme, si avilie sous le paganisme et surtout en Orient, a été pleinement restaurée. A mesure que l'Évangile étendit sa douce influence, la femme chrétienne reprit natu- rellement les droits que la Providence lui accorda dès l'origine. La pratique constante et libre de ses devoirs, son dévouement, sa vigilance, ses vertus domestiques, ses mœurs pures et austères, son action si puissante sur la première éducation des enfants, formèrent autour d'elle comme un rempart fondé sur l'estime, la con- fiance et le respect. Le monde étonné contempla Le spectacle nouveau de la mère chrétienne. Dans les lieux où vécut la Vierge mère, l'abaissement des femmes paraît plus humiliant que partout ailleurs. Quand on a longtemps vécu au sein de la civilisation chrétienne, on sent vivement l'étal de l'abjection au- quel elles sont descendues par suite des habitudes dé- gradantes de l'islamis
JÉRUSALEM. 201
Dans toute la Syrie, les femmes sont assujetties à
une réclusion presque perpétuelle. Lorsqu'il leur e>l permis de sortir, elles sont soumises à des conditions gênantes qui ne leur laissent jamais oublier un seul instant leur dépendance. Les loi urnes chrétiennes seules jouissent de quelque liberté, quoique cette liberté ne puis>e être comparée à celle des Européennes. En Palestine, et jusqu'au tond du désert, elles ont toutes l'habitude de se tarder. Elles se teignent les sourcils et les cils en noir, afin de faire paraître leurs yeux plus grands et plus vifs. Elles se teignent également les ongles et la paume de la main. Ces recherches d'une coquetterie étrange et presque barbare étaient en usage dès la plus haute antiquité. Job avait donné à une de ses tilles le nom de Kéren-IIappouch (Cormi Stibii ) , qui servait à désigner le vase dans lequel les femmes gardaient le fard. En Egypte, des habitudes semblables n'ont jamais cessé d'exister; on a trouvé dans des sarcophages antiques et près des momies le tard avec des aiguilles en bois et des pinceaux en roseau pour l'appliquer. « Il faut convenir, dit un voyageur moderne racontant ce trait de mœurs, que si les femmes de ce temps-là avaient la prétention de se farder dans l'autre monde, elles portaient la coquet- terie encore plus loin que les femmes d'aujourd'hui. »
CHAPITRE XI
LE MONT DES OLIVIERS
ENVIRONS DE JÉRUSALEM
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ortons de Jérusalem et parcourons les environs de cette ville; ils ne sonl pas moins célèbres que les mo- numents de la cité sainte : le mont des oliviers, Gethsémani, la vallée de Josapliat, IMhphagé, Béthanie, noms avec lesquels la lecture des livres sacrés nous a familiarisés dès notre en- fance. Gomme les murs de Rome et <\c> anti- ques cités de la Grèce, les remparts de Jérusalem ont été vingt fois renversés el vingl t'ois rebâtis. A leur ombre s'acoomplirenl mille prodiges de valeur. Le pied de ces vieilles murailles fut souvent arrosé de sang el de larmes, el entendil des gémis- sements, des cris de désespoir ou 'les accents de
JÉRUSALEM. 203
triomphe. Au sommet flottèrenl «les drapeaux de toute couleur, à la suite de révolutions ou de conquêtes: la croix y brilla, ainsi que les lis de France. Aujourd'hui , hélas! Le croissant les domine : au lieu du symbole ''datant du progrès et de la civilisation, c'est Fem- blème de la superstition et de la barbarie.
En face des murs de Jérusalem, nos ancêtres des croisades, comme les pèlerins de tous les âges, s'é- criaient les yeux en pleurs, dans leur pieux enthou- sïasme:Cité captive} qui briser" tes chaînes? qui te délivrera du joug de la servitude, ô ville des patriar- ches, desprophètes et du Seigneur? Le Tasse, dans son poëme immortel, peint admirablement cette grande voix qui s'échappe au môme instant de toutes les poitrines :
Erco da mille voci unitamente Gerusalemme salutar si sente i.
Les remparts qui forment l'enceinte actuelle de Jé- rusalem datent seulement du xvie siècle; ils sont l'ou- vrage de Soliman fils de Sélim. Le travail moderne, commencé vers 1530, fut achevé promptement. Des inscriptions turques indiquent en termes emphatiques en quoi con>i-t<' l'œuvre du calife; de curieux débris d'époques diverses épars çà et là apparaissent comme les témoins des gloires d'un autre âge. Les remparts sont couronnés de créneaux, et fortifiés à des di- stances inégales de tours et de bastions. Tout cet en- semble, vu de loin, est imposant et pittoresque;
I Gerus. lib., cant. m, oft. 3.
204 JUDÉE.
l'appareil militaire n'a rien d'effrayant; quelques Turcs étendus nonchalamment à terre et fumant de longues pipes sonl ici les héritiers de ces fiers Sarrasins dont nos chroniques d'outre-mer vantent si fort l'ardeur chevaleresque et le courage indomptable. Quoique les murailles de Jérusalem soient dans un bon état de conservation, elles ne tiendraient pas longtemps de- vant l'attaque d'une armée européenne. Elles suffisent, en < nient , pour mettre les habitants à l'abri d'un coup de main de la part des Bédouins. A l'époque où la France remportait en Egypte et en Syrie des victoires si éclatantes, mais si infructueuses, Bonaparte eut la pensée d'y conduire ses soldats. Nul doute que le dra- peau tricolore ne se fût déployé alors au-dessus de la coupole du Saint-Sépulcre, comme il avait flotté au sommet des pyramides; mais la Providence ne permit pas que les Saints-Lieux tombassent au pou- voir d'une armée dont la révolution avait altéré les sentiments religieux. A leur bravoure et à leur impé- tuosité les musulmans eussent aisément reconnu les fils i\i^> héros de la croisade; auraient-ils reconnu les descendants de ces guerriers francs armés pour la croix, et courant au combal en crianl : Notre-Dame 't Saint- Denis?
Il l.iul environ une heure et demie pour faire le tour des remparts de Jérusalem. L'enceinte moderne n'esl pas moins étendue que celle d'autrefois, mène' h l'on se reportée L'époque la plus lloiïssante de l'his- toire judaïque: mais elle a changé de direction. Elle renferme aujourd'hui le Calvaire, et laisse en dehors une partie de la montagne de Sion. Tout le monde
IERUSALEM. 205
sait qu'au temps où 1»' Sauveur mourut sur la croix, le Calvaire était hors de la ville, el que Sion en formait un des quartiers les plus renommés. La nouvelle cir- conscription, tracée par l'empereur Adrien, fut suivie
par Soliman. D'ailleurs, l'enceinte primitive a laissé des traces suffisantes pour confirmer le témoigna-»' de l'histoire. Les murs de Jérusalem, formant un carré irrégulier, tournent leurs faces principales assez exac- tement vers les quatre points cardinaux. Ils ont une élévation moyenne de douze à quinze mètres et une épaisseur de deux à trois mètres. Certains voyageurs n'ont pas dédaigné de compter leurs pas en faisant le tour de la ville : ils en ont compté quatre mille six cent trente.
Cinq portes seulement s'ouvrent dans les murs de Jérusalem :
La porte de Jaffa, au couchant;
La porte de Damas, au nord;
La porte Saint-Etienne, à l'orient:
La Petite- Porte, au sud:
La porte de Sion.
Autrefois il y en avait un grand nombre; les autres • •ut été murées. Quelques poternes, en outre, facili- taient les communications entre la ville et la cam- pagne; elles ont été closes également. On ne saurait prendre trop de précautions dans un pays où ne règne jamais une entière sécurité. Parmi les portes anciennes nous mentionnerons uniquement la porte Dorée (porta Speciosa ) , que les croisés français appelaient les portes Oires. Jésus-Christ entra par cette porte à Jérusalem, [< jour de son triomphe, aux acclamations répétées de
•20C JUDÉE.
['Hosanna, au milieu 'l'une foule innombrable qui es- cortail le Roi pacifique, prédit par les prophètes. Tous tenaient à la main des rameaux en signe «le joie. Les disciples jonchaient le chemin de feuillage et éten- daient leurs vêtements à terre. Les échos redisaient Hosaniui. mi Fils de bucid.X l'époque où Jean d'Ibelin rédigeait les Assises de Jérusalem, les portes Oires étaient desmurées deux fois l'an, à la pourcession le jour de Pasques flories , pour ce que Ihesuscrist y passa a cel jour, et à la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, parce que le patriarche rentra par cette porte chargé du précieux fardeau de la vraie croix, que l'empereur Eïeraclius venait de reconquérir sur les Perses.
Les musulmans ont muré très -solidement cette porte, persuadés, suivant une de leurs traditions, que les chrétiens doivent y passer pour s'emparer de Jé- rusalem et en rester à jamais les maîtres. Des croyances de ce genre sont généralement répandues en plus d'une contrée soumise actuellement à l'empire turc. Les sec- tateurs de Mahomet n'mil pas confiance eux-mêmes dans la perpétuité de leur domination. Ils montrent à Cnnstaiitinople, comme à Jérusalem, dans les rem- parts, la porte qui s'ouvrira d'elle-même lorsque les chrétiens victorieux viendront reprendre possession d'un sol qui leur appartient. « Les Turcs sont seule- ment campés en Europe : » personne n'ignore cette phrase d'un écrivaiu célèbre. Le jour où ils seronl forcés de lever leur camp d'Europe, l'Asie sera ébran- lée, et La Syrie ue tardera pas à redevenir chrétienne, Alors uous repasserons sous Les portes Oires, comme sous un arc de triomphe.
JERUSALEM. 207
Notre excursion aux environs de Jérusalem com- mence au sortir de la porte de Jalla. Nous descendons dans la vallée de < rihon, ou vallée de la Grâce. A droite, nous apercevons les derniers débris d'un aqueduc bâti ou restauré par Ézéchias et réparé, sous la domination romaine, par Ponce-Pilate. Les Romains, en tout pays du monde, on1 été grands bâtisseurs d'aqueducs. La vallée de Gihon débouche dans celle de Hennon ou de la Géhenne. Celle-ci est profonde, étroite, obscure, encombrée d'arbrisseaux, d'oliviers et de grenadiers. Molocb v reçut plus d'une fois des Israélites un culte abominable. Moloch était l'idole du soleil. On lui offrait des enfants qu'on taisait passer par le feu. Des auteurs prétendent que cette cérémonie consistait à faire pas- ser les entants par-dessus la flamme; d'autres assurent ({Lie ces enfants passaient entre deux feux; d'autres enfin affirment qu'ils étaient consumés entièrement. Peut-être ces trois modes d'offrande étaient-ils usités en même temps. Suivant l'opinion la plus Vraisem- blable, la statue de Moloch était de bronze, assise sur un tronc de même métal , surmontée d'une tète de bœuf, avec une couronne royale ou sidérale, emblème des rayons du soleil, les bras étendus en avant, comme pour embrasser quelqu'un. Lorsqu'on voulait lui im- moler un enfant, on entretenait un grand feu autour de la statue jusqu'à ce que le métal lut rougi par la chaleur. Alors on plaçait la pauvre petite victime entre les bras de l'idole, où elle se débattait quelques in- stants dans les plus affreuses convulsions. Bientôt les chairs étaient consumées, et tout disparaissait dans le brasier* Durant cet horrible sacrifice, le bruit des
JUDEE.
tambours et d'autres instruments bruyants étouffait les cris de l'infortuné, que les yeux d'un père et d'une mère devaient contempler sans répandre une larme. Ce qui étonne, c'est que les Juifs étaient fort enclins au culte (leMolocb. Salomon lui-môme éleva un temple à Moloch; Achaz et Manassé faisaient passer leurs en- fants par le feu. Ces horreurs expliquent pourquoi cette vallée était regardée comme l'image de l'enfer. Les supplices des damnés peuvent-ils être comparés plus justement qu'aux holocaustes affreux de la vallée dr ( lé henné?
Il paraît qu'à une époque reculée, les flancs abrupts de cette vallée servirent à la sépulture des Israélites. On assure aussi qu'on jetait au fond les immondices de la ville : c'était comme la voirie de Jérusalem. En plusieurs circonstances, afin de purger l'air des exha- laisons pestilentielles qui s'en échappaient, on fut con- traint de brûler les cadavres d'animaux qui s'y trou- vaient amoncelés.
Sur les pentes de la même colline se trouve le champ • lu potier, Hacchlania, ou le champ du Sang, qui fut acheté des deniers de la trahison de Judas pour servir ;ï la sépulture «les étrangers. Saint Jérôme connaissait ce champ, qu'on a continué de montrer aux voyageurs. Les religieux de Saint-Jean avaient coutume d'y ense- velir les pèlerins francs morts à Jérusalem. Les Armé- niens y ont enterré leurs morts jusqu'à ces derniers temps. Lorsqu'on en remue la terre, on y tmuve quan- tité de fragments de poterie. Le sol porte encore témoi- gnage en laveur du texte évangélique : c'esl bien tou- jours le champ du Potier.
LE MONT DES OLIVIERS. 209
Le mont Sion se dresse abrupl à gauche, surmonté delà tour de David. Un peu plus loin viennent se réunir les vallées de la Géhenne el de Josaphat. Celle-ci des- cend vers la mer Morte, et sert de lit au torrent de Gédron. Pendani la majeure partie de l'année Le tor- rent est à sec; des graviers ei des cailloux roulés en marquent le «••mus. Durani la saison des pluies el à la suite des orages, les eaux s'accumulent au fond de la vallée et roulenl avec fracas dans les ravins les plus affreux qu'on puisse imaginer, vers le couvent de Saint-Sabas. Selon saint Jérôme, Cédron signifie triste. Jamais dénomination ne parut plus juste. Qui peindra la tristesse profonde qui rè^ne constamment le long des rives du Gédron? C'est là <pie pleura David en fuyant devant un tils révolté. Là [tassa Jésus durant cette nuit obscure témoin des agonies d'un Dieu et de la trahison d'un apôtre. La vallée de Josaphat semble avoir été de tout temps un lieu de sépulture. Au lieu des richesses toujours renaissantes du feuillage et des Heurs, on n'y découvre que les trophées de la mort. La végétation y est remplacée par des pierres sépul- crales : tout y présente l'image de la désolation. Les tombes qui jonchent le sol recouvrent les restes mor- tels de Juifs de tous les temps : tombes antiques, tombes fermées d'hier. Vers cette funèbre vallée, où donnent leurs pères, les Juifs, disséminés sur la surface du monde entier, tournent leurs regards à la fin de leur vie. Des vieillards se mettent en route pour aller finir leurs jouis à Jérusalem, avec l'espoir de reposer à l'ombre du temple. Des hommes dans la vigueur de
l'âge n'hésitent pas à renoncer aux douceurs d'une
14
•ilii JUDÉE.
existence assurée e1 même opulente, afin de pouvoir mêler leurs ossements à ceux de leurs ancêtres, au sein de cette terre «les miracles. Les tombeaux se pressent à côté les uns des autres; ils couvrent le mont du Scandale, s'étendenl le long du Gédron, et remontent derrière ceux d'Absalon, de Zacharie et de Josaphat, jusqu'au chemin <le Béthanie. Le village de Siloé en est entièrement entouré.
Kroutons la parole du prophète Joël : « Que tous les peuples, dit le Seigneur, viennent se rendre à la vallée de Josaphat; j'y paraîtrai assis sur mon trône pour y juger tous les peuples, qui y viendront de toutes parts1. » D'après ce passage s'est établie la croyance que la grande scène du jugement dernier se passera dans la vallée de Josaphat. Quelle que soit l'interpré- tation «lu texte de Joël, le chrétien ne saurait pensera ce solennel jugement sans être saisi d'effroi. J'avoue qu'en visitant la vallée de Josaphat, heurtant à chaque pas, peur ainsi dire, contre une pierre sépulcrale, mon âme était absorbée dans la pensée de ce grand jour de colère (dies irœ, dies Ma), où la justice de Dieu sera manifestée avec un appareil terrible aux yeux du genre humain. Mon regard errait de tombe en tombe: il s'ar- rêta sur un tertre dont la terre avait été remuée la veille. La fosse était courte et étroite : on y avait dé- posé 1»- corps d'un entant, pauvre créature <pii venait de passer du berceau dans la tombe. Sur le sol on apercevait l'empreinte dt'> pieds et iU^ genoux de sa mère. Ce spectacle m'attendrit jusqu'aux larmes. Je
1 Joël, m, 12.
LE MONT DES OLIVIERS. -I 1
m'assis sur une roche, et je m'abandonnai sans ré- serve aux impressions qui remplissaient mon cœur. Trois monuments antiques attirent surtout L'atten- tion des voyageurs : le tombeau du roi Josaphat, qui a
donné son nom à la vallée, et ceux de Zacharie et d'Ab- salon. Le tombeau de Josaphat consiste en une chambre
sépulcrale dont la disposition rappelle les salles mor- tuaires des hypogées d'Egypte. Il en est de même du monument d'Absalon. L'Écriture nous apprend qu'il fut bâti par le fils de David dans la vallée royale, afin de perpétuer sa mémoire. Le corps du prince rebelle fut enseveli dans une fosse recouverte d'un monceau de pierres, au milieu d'une forêt, au delà du Jourdain. Quelques-uns ont cru que David, si affligé de la mort d'Absalon, lit transporter la dépouille mortelle de l'in- fortuné dans la tombe préparée de son vivant. Quoi qu'il en soit, les antiquaires n'hésitent pas à recon- naître dans ce monument l'œuvre de ce prince cou- pable1. C'est un bloc de rocher détaché de la mon- tagne, creusé et orné de la main des hommes. L'édicule est monolithe; la pyramide qui le surmonte est seule composée de plusieurs pierres. Si l'on y aperçoit des colonnes ioniques portant une frise dorique, il ne faul pas oublier que ces deux ordres d'architecture prirent leur origine en Egypte. Souvenons-nous également que la découverte récente des ruines de Ninive a jeté quel- que lumière sur les premières ébauches de ces ordres, qui avaient leurs caractères distinctifs avant d'être usi- tés chez les Grecs. La tradition judaïque n'a pas varié
1 De Saulcy, Histoire de Vart judaïque, p. ±23 et suiv.
212 IUDÉE.
sur lii destination de ce mausolée; aujourd'hui encore les Juifs, en passanl près du tombeau d'Absalon, ne manquenl pas d'y jeter une pierre en signe de mépris el d'horreur.
Le tombeau de Zacharie n'esl pas sans analogie avec les précédents. Il est taillé dans la roche vive, orné de colonnes grossières aux angles et recouverl d'un comble • ■il forme de pyramide. Nous ne devons pas omettre de mentionner une crypte voisine, à laquelle se rattache le souvenir de sainl Jacques.
La vallée de Josaphal sépare le mont des ( Hiviers de la ville de Jérusalem. Le mont des I Hiviers! il n'esl pas de chrétien qui ne prononce ce nom avec émotion. Des bouquets de ces arbres ;m maigre et pâle feuillage en couvrent les pentes, mêlés à quelques arbrisseaux d'une végétation chétive. Sept ou huit oliviers d'une dimension prodigieuse portent tous les signes d'une extrême vieillesse. De pieux voyageurs n'ont pas fait difficulté de erohv qu'ils abritèrent sou- leurs rameaux le Sauveur à l'heure solennelle de sa prière et de son agonie. « Ces oliviers sont au nombre de> plus gros arbres de cette espèce que j'aie jamais rencontrés; la tradition fail remonter leurs années jusqu'à la date mémorable de l'agonie de l'Homme-Dieu, qui les choisit pour cacher ses divine- angoisses. Leur aspecl confir- merai! au besoin la tradition qui les vénère; leurs im- menses racines, comme les accroissements séculaire ont soulevé la terre el les pierres qui les recouvraient, et, s'élevanl de plusieurs pied- au-dessus du niveau du sol, présentent au pèlerin des sièges naturels, où il peut s'agenouiller ou s'asseoir pour recueillir les saintes
LE MONT DES OLIVIERS. 245
pens< Vs qui descendent de leurs finies silencieuses. Un honc aoueux, cannelé, creusé par la vieillesse, s'é- lève en large colonne sur ces groupes de racines, et, comme accablé ei penché par le poids «les jours, s'in- cline à droite ou à gauche et laisse pendre ses vastes rameaux entrelacés, que la hache a cent t'ois retran- chés pour les rajeunir. Os rameaux, vieux et lourds. qui s'inclinenl sur le tronc, en portent d'autres plus jeunes qui s'élèvent un peu vers le ciel, et d'où s'é- chappent quelques tiges d'une ou de deux années, cou- ronnées de quelques touffes de feuilles, et noircies de quelques petites olives bleues, qui tombent, comme des reliques célestes, sur les pieds du voyageur chrétien '. » — « Si ce ne sont pas les mêmes troncs, ajoute le même écrivain, ce sont probablement les rejetons de ces arbres sacrés. Mais rien ne prouve que ce ne soient pas identi- quement les mêmes souches. J'ai parcouru toutes les parties du monde où croît l'olivier; cet arbre vit des siècles, et nulle part je n'en ai trouvé de plus gros, quoique plantés dans un sol rocailleux et aride. J'ai bien vu, sur le sommet du Liban, des cèdres que les traditions arabes reportent aux années de Salomon. Il ii'v a rien d'impossible: la nature a donné à certains végétaux plus de durée qu'aux empires. »
Nous touchons à la grotte de Gethsémani, où Jésus- Christ vint prier plus d'une fois, et où enfin il accepta le calice qu'il allait bientôt épuiser jusqu'à la lie. Tout pèlerin en tout temps est venu prier dans cette grotte consacrée parles prières, les larmes et les sueurs d'un
i M. de Lamartine, Voyage en Orient, tomel".
'2 10 JUDEE.
Dieu. Jamais le moindre doute n'est venu inquiéter la piété chrétienne, c Une vallée, dit un poëte, ne s'efface pas comme une rue, e1 Le moindre rocher dure plus que le plus magnifique des temples. » La grotte de Gethsémani, taillée dans le roc, s'ouvre près du Tom- beau delà Vierge; on y communiquai! même autrefois au moyeu il un couloir maintenant fermé. Plusieurs autels sont creusés dans la roche vive. C'est un des sanctuaires les plus pauvres qu'il v ait au inonde; nulle part les sentiments que la foi seule inspire ne sonl plus vifs et plus pénétrants. A quelques pas en dehors on montre la place où Judas trahit son maître par un baiser.
Un peu plus haut, un sentier rude conduit à l'en- droit où se tenait Jésus lorsqu'il regardait en pleurant la ville coupable, dont il annonçait la destruction pro- chaine. Le cardinal Haronius, dans ses Annales, re- marque «pie Titus planta d'abord ses tentes à l'endroit même où le Sauveur avait prédit la ruine de Jérusalem : circonstance frappante, qui met en évidence l'accom- plissement de cette triste prophétie.
Plus li.iul encore sont les Tombeaux des Prophètes; les Juifs prétendent que plusieurs rois y reçurent la sépulture. Le vestibule, en rotonde, a sept mètres de diamètre; il donne accès à plusieurs couloirs souter- rains, donl la disposition, avec leurs niches destinées i recevoir *\r> cercueils, offre plus d'un Irait de res- semblance avec les catacombes de Home. L'historien Josèphe désigne ce monument funéraire sous le nom de Péristéréon, qui rappelle le Columbarium <\<'> \\o- mains. Tout indique que cette hypogée remonte à la
LE MONT DES OLIVIERS. 217
plus haute antiquité, sans qu'on sache exactemenl pourquoi «'lie se nomme le Tombeau des Prophètes. Quand on examine les cavernes sépulcrales des peuples les plus anciens , on est surplis d'y trouver les mêmes distributions et presque les mêmes ornements, dans les montagnes de la Judée, en Egypte, dans l'Etrurie et la haute [talie. Plus les hommes sont près de leur berceau, plus ils prennent soin de leur tombe .'pour- quoi ne verrait-on pas dansée fait, avec plusieurs an- tiquaires, une des traditions des peuples primitifs in- diquant une commune origine? Beaucoup d'autres excavations sépulcrales, aux environs de Jérusalem, présentent des dispositions analogues. « Pour les an- ciens, dit M"r Mislin, les cellules funéraires étaient comme des nids d'où les âmes, après y avoir laissé leur enveloppe corporelle, s'envolaient dans la patrie sous la forme d'oiseaux '. » Durant les premiers âges du christianisme, la plupart de ces cavités, creusées pour la demeure des morts, servirent de retraite à de pieux anachorètes fuyant le monde. Dès le ive siècle, les solitaires du mont des Oliviers étaient nombreux. Saint Jérôme nous apprend qu'ils occupaient leurs loisirs à copier les ouvrages des écrivains les plus renommés; et il ajoute qu'à sa demande ils lui firent une excellente copie des Dialogues de Cicéron '. C'est là que Rufin composa les Vies des Pères, monument impérissable de la ferveur cénobitique au Ve siècle. Un chroniqueur français du xiif siècle nous raconte
1 Les Saints Lieux, tome 11 , p. MS.
2 S. Ilii'ron., Gomm, in Ephes., VI.
218 JUDÉE.
(jne de son temps au val de Josaphat avoit her- mites.
Continuons notre ascension de La montagne des Oli- viers. Au-dessus des curieux monuments qui viennent de fixer notre attention, on a marqué l'endroit où, suivanl une pieuse tradition, les apôtres, avant de partir pour la conquête spirituelle du monde, compo- sèrenl le premier symbole de la croyance chrétienne. Plusieurs cependant ont pensé que le Symbole des apôtres l'ut rédigé dans le Cénacle. « Tandis que le monde entier adorait à la face du soleil mille divinités honteuses, dit M. de Chateaubriand ', douze pêcheurs cachés dans les entrailles de la terre dressaient la pro- fession de loi du genre humain, et reconnaissaient l'unité du Dieu créateur de ces astres à La lumière desquels on n'osait encore proclamer son existence. Si quelque Romain de la cour d'Auguste, passant au- près de ce souterrain, eût aperçu les douze Juifs qui composaient cette œuvre sublime, quel mépris il eûl témoigné pour cette troupe superstitieuse! avec quel dédain il eût parlé de ces premiers fidèles! Et pourtant ils allaient renverser les temples de ce Romain, dé- truire la religion de ses pères, changer les lois. La poli- tique, La morale, La raison, et jusqu'aux pensées des hommes. »
Après avoir accompli sa mission divine, .1 •'•sus-Christ. accompagné de ses apôtres e1 d'une foule de disciples, franchil une dernière fois les pentes de la montagne des Oliviers. Saint Ambroise fait la remarque qu'il
i //< ,/.' i aire de Paris à Jérw alem,
LE MONT DES OLIVIERS. 219
suivit le chemin de Gethsémani, chemin de douleur, avant d'arriver au sommel de la montagne, afin de nous montrer quelle voie nous devons suivre pour monter au ciel avec lui '. Le jour du triomphe était enfin arrivé; l'Église était constituée. La religion chré- tienne allait commencer le cours de ses merveilleuses destinées. Le Sauveur avait donné ses suprêmes in- structions, que le Saint-Esprit allait bientôt confirmer; il étendit ses bras et ses mains, comme pour répandre de plus abondantes bénédictions sur ceux qui le sui- vaient: tout à coup il s'éleva clans les airs parla vertu de sa propre puissance, et alla prendre possession de son trône à la droite du Père. En quittant la terre, Jésus laissa l'empreinte de ses pieds profondément gravée sur le sol. Saint Jérôme, saint Augustin, Sulpice Sé- vère, saint Paulin de Noie, le vénérable Bède, et beau- coup « Ta utres écrivains ecclésiastiques des temps les plus reculés, se sont rendus l'écho de cette croyance, l'ne froide critique a contesté l'authenticité de cette empreinte. Qu'importe? c/est bien là que le Sauveur pesa ses pieds pour la dernière fois. Gomme tous les pèlerins, je me suis agenouillé, et j'ai dévotement bais*'' ces i as qui rappellent ici la présence de l'Homme- Dieu «.
• S. Ambros., lib. IV in Luc.
2 11 est bon de noter ici que ce sont surtout les protestants qui com- battent bs traditions de l'Orient. Mais leur scepticisme produit un triste effet sur l'esprit des Orientaux, accoutumés à respecter les traditions toujours vivantes parmi eux. Après tout, quand il s'agit défaits de ce genre, où la foi n'est point engagée, à quoi bon disputer le mètre à la main, pour contrarier une croyance de tant de siècles, et entrer en contestation avec les habitants du pays pour quelques centimètres?
220 JUDÉE.
L'impératrice sainte Hélène lit bâtir en ce lieu une basilique sous I»' titre de l'Ascension. La voûte qui la surmontail resta ouverte à l'endroit même où Jésus traversa triomphalemenl les airs. De pieux narrateurs assurenl que cette voûte ne put être fermée, malgré les efforts de L'architecte. Cette église fui reconstruite par le sainl patriarche Modeste, au vir siècle. A l'époque du royaume chrétien de la croisade, le temple de l'As- cension appartenait à do> chanoines réguliers de l'ordre de Saint-Augustin. La chute de ce royaume fut le signal de la destruction de ce monument et de tant d'autres non moins respectables. Toutefois Fédicule qui recouvre les pas du Sauveur fut conservé. Aujour- d'hui les Turcs ne fonl pas difficulté de l'ouvrir aux pèlerins moyennant un léger tribut. Chaque année les catholiques de Jérusalem viennent y célébrer l'office le jour de l'Ascension.
Après avoir satisfait notre dévotion, nous nous diri- geons vers l'orient jusqu'à la distance d'environ cent cinquante mètres. On nous avait promis un dos plus beaux points de vue du monde; jamais promesse ne fut mieux réalisée. In magnifique panorama se déroule sous les yeux aussi loin que le regard peut atteindre, '■l au loin l'horizon disparaît au milieu de légères va- peurs bleuâtres. Vers le nord, 1rs montagnes d'Ephraïm, à peine éclairées, vont se confondre avec l'Hébal et le i .H i/ini . au centre de la Samarie, où s'étend la ville de Naplouse. \ l'orient, la vue passe par-dessus des mon- tagnes arides pour aller se perdre délicieusement dans la vallée du Jourdain, dont le cours trace comme une longue ligne de verdure à travers le désert. D'un autre
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LK .MONT DES OLIVIERS. 223
côté, au fond d'uu bassiu bordé de montagnes brûlées par un soleil toujours ardent, dort la mer Morte, aux eaux lourdes, réfléchissant la lumière comme un lac de plomb fondu. Au delà 1rs montagnes de l'Arabie, d'un aspecl sinistre, se découpenl sur le ciel, sans porter la moindre trace de végétation. On distingue , • laus un lointain immense, le Nébo, du hauf duquel Moïse contempla la terre promise sans pouvoir y entrer. Enfin, vers l'occident, on découvre toute la vallée de Josaphat, dont chaque monument funèbre apparaît distinctement. La ville de Jérusalem étale tous ses édi- fices et montre, pour ainsi dire, toutes ses maisons. Quel spectacle! quels souvenirs! Avec quelle avidité et quelle émotion le regard se promène de la citadelle de David à l'esplanade du Temple, de Sion au Calvaire! Une chose pourtant attriste profondément: la croix ne domine pas cette scène imposante.
CHAPITRE XII
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ous avons souvent parlé dans Les chapitres précédents des tom- beaux placés autour de Jérusalem; nous avons encore à décrire les Tombeaux des Uni*. Les Juifs onl professé de tout temps un grand respect pour la sépulture des morts; plus encore que 'rs autres peuples de l'antiquité, ils se plurent à déployer une pompe extérieure aux obsèques de leur- proches et à décorer leurs tombes : usage qui pril son origine dans leur croyance à l'immortalité de l'âme. Rendre les honneurs de la sépulture à son père dé- iiint . étail réputé chez eux le premier devoir de la piété Qliale. Ensevelir les morts était une pratique
VALLEE DE JOSAPHAT. 22
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religieuse à Laquelle les hommes pieux se dévouaient, même au péril de leur vie, comme ou le voit par l'exemple de Tobie. Jamais on ne refusait un sépul- cre, même à l'étranger mort dan- la misère et l'aban- don, ni aux ennemis tués les armes à la main. La privation de la sépulture était un opprobre. Aussi les prophètes menacent-ils les méchants, comme d'un châtiment affreux, d'être laissés sans sépulture après leur mort, ou d'avoir leurs tombes profanées et leurs ossements dispersés1.
Les anciens Israélites se creusaient des tombeaux dan- les rochers, auprès des arbres, dans leurs jar- dins, le long <{<•> chemins les plus fréquentés, à l'intérieur des villes, au sommet des montagnes, dans les lieux déserts. Joseph d'Arimathie avait préparé son tombeau dans le roc, près de sa maison et dans son jardin : c'est là que fut enseveli le corps du Sauveur. Lazare avait sa tombe à Béthanie, non loin de l'habi- tation où il demeurait avec ses sœurs Marthe et Marie, lîachel fut enterrée sur le chemin deBethléhem à Jéru- salem. Débora, nourrice de Rebecca, fut déposée à l'ombre d'un arbre. Le tombeau de Samuel fut établi dam sa maison; celui des Machabées esta Modin,au sommet d'un monticule. Les grands patriarches et prophètes Aaron et Josué furent ensevelis sur des montagnes. Tout le monde connaît la caverne de Mam- bré, où reposent les restes mortels d'Abraham.
La fosse où l'on plaçait la dépouille mortelle des hommes célèbres était recouverte d'une simple pierre
1 îerem.j vin, <■>, et xxn, 18, 19.
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221 JUDÉE.
funéraire, comme celle des gens du peuple, sans épi- taphe, sans ornements, sans inscription. Le souvenir des vertus cl des services rendus à la patrie snt'lisait pour protéger la mémoire des défunts contre L'oubli el les injures du temps. Chaque génération répétait leurs noms avec respect et les transmettait à la posté- rité la pins reculée.
Quiconque touchait à un tombeau contractait une souillure légale. C'est pourquoi les Juifs avaient l'ha- bitude de blanchir à la chaux les pierres funéraires et les quartiers de roche, à l'entrée ^(^ grottes sépul- crales. Chaque année, le mois qui précède les fêtes de Pâque, on renouvelait cette opération. Notre-Seigneur faisait allusion à cette coutume Lorsqu'il reprochait aux pharisiens de ressembler à des sépulcres blanchi* au dehors et remplis d'impuretés au dedans. Ajoutons que, chez les Juifs, Le corps dos défunts, enveloppé dans un linceul, était entouré de bandelettes. Lors- qu'il était placé dans la fosse, la tête était soulevée sur un sac plein de terre. S'il était déposé dans une caverne sépulcrale ou tombe de famille, il occupait une chambre à part fermée par un quartier de rocher, • iii nue espèce de niche, où il était mis sur Le sol.
Avant de clore La tombe, les parents du défunt lui adressaient en suprême adieu ces paroles : Vade in /""riva en paix), que les chrétiens répètent toujours m l,i fosse entr'ouverte, comme un souhait du repos éternel du paradis.
L^es tombeaux de la vallée de Josaphal s'étendent -m les collines du voisinage jusqu'au village de Siloan, dont ils forment comme la ceinture funèbre. Située
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VALLÉE I»l rOSAPHAT. 229
vis-à-vis de la fontaine qui lui donne son nom, cette bourgade est peuplée de Bédouins fanatiques, vivant du produit de l'agriculture el plus encore de brigan- dage. Leurs habitations, moitié bâties en pierres, moitié civiis.'.'- dans la roche vive, peuvent être regardées connur .le- cavernes de voleurs. Ces Arabes pilleurs sont »'ii guerre ouverte avec le genre humain. Malheur au vovageur téméraire uni s'cniiaire la nuit au milieu .1.' ces huttes sauvages sans une bonne escorte! Plus .l'un étranger a payé de sa vie son imprudence. De nos jours leur caractère féroce est un peu modéré par l'autorité turque; mais leur penchant à l'indiscipline et à la violence les a divisés eux-mêmes en deux camps opposés. Ils sont au nombre d'environ douze cents habitants, et souvent ils succombenl victimes de rixes intestin.'-.
Un autre village plus intéressant pour le voyageur chrétien est celui de Béthanie, situé à l'orient de Jéru- salem, à une distance de trois kilomètres environ, sur le chemin de Jéricho. Béthanie est nommée plus d'une fois dans l'Évangile. Jésus aimait à s'y reposer, au seiu d'une pieuse famille. Lazare, Marthe et Marie '■un* it souvent le bonheur de jouir de son entretien. Lazare mérita le nom d'arra de Jésus, et -»■- so-urs furent comblées de bénédictions. Un jour que le Sau- veur était au delà du Jourdain avec ses apôtres, Marthe et Marie le firent prévenir que Lazare était gravement malade. Cette maladie ne va point à la mort, répondit Jésus-Christ: elle servira à manifester la gloire de Dieu et de son Fils. Deux jours après il dit à ses disciples que Lazare est endormi, et qu'il
230 JUDÉE.
veut aller L'éveiller1. Tl voulait dire qu'il était mort et qu'il Le ressusciterait. Depuis quatre jours déjà La- zare es1 an tombeau lorsque Jésus arrive à Béthanie. Beaucoup «le Juifs sont réunis, partageant le deuil de la famille. A la vue des deux sœurs fondant en Larmes, • •I qui, usant d'une sainte familiarité, disent en lui adressant de deux reproches : Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait fias mort , .lésus pleure, frémit en lui-même, et se fait conduire à l'entrée du sépulcre. Dès qu'on a rouit'' la pierre qui en ferme l'entrée, il s'écrie: Lazare, sortez. Aussitôt Le mort se lève, et vient à la porte du sépulcre le corps entouré de bandelettes et le visage couvert d'un suaire. Tous étaienl dans la surprise et L'admiration. Ce miracle fit grande impression sur Les personnes qui en furent (''■moins, et plusieurs crurenl à la divinité de .lésus. La tradition, au rapporl de sainl Épiphane, tient que Lazare étail âgé de trente ans lorsque Jésus-Christ Le ressuscita, el qu'il vécut trente ans encore.
O prodige est un des plus mémorables que le Sau- veur ait opérés. Aussi mit-il le «-omble ;'i la gloire de Jésus et à l,i haine de ses ennemis. C'est à la suite de cette résurrection, donl la renommée entretint toute La Judée, que ces derniers conçurent le projet de mettre ;'i mort le grand Prophète dans lequel leur aveuglement ne permettait pas de reconnaître le Messie promis à leurs pères. Ainsi, la merveille qui aurait dû naturellement ouvrir leurs yeux ne servit qu'à épaissi] les ténèbres. La multitude cependant
1 I • m., XI,
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garda une impression durable «lu t'ait éclatant qui s'étail accompli à Béthanie; elle suivit Jésus lors de son entrée triomphante à Jérusalem, rendant haute- ment témoignage à sa puissance e1 à sa vertu.
« Les preuves de ce miracle, dit un auteur pro- testant, sont toutes dans le récit; c'est le plus grand miracle, c'esl aussi le plus circonstancié. Une simple lecture entraîne la conviction; on sent que l'exégèse est inutile, el qu'un jugement droit suffit'. »
Béthanie s'appelle aujourd'hui Lazarieh ou el-Aza- rieh : c'est un très-pauvre village habité par une tren- taine de très-pauvres familles. Quelques ruines, les sou- venirs et une position pittoresque y attirent toujours l'étranger. Le regard s'arrête d'abord sur les débris en- core considérables d'un édifice d'origine antique por- tant les traces d'une reconstruction franque,et connu vulgairement sous le nom de château de Lazare. Au temps du royaume chrétien c'était un couvent fondé par la reine Mélisende, femme du roi Baudouin III. La première abbesse de cette maison, soumise à la règle de Saint- Benoît, fut Yvette, sœur de la reine, religieuse au monastère de Sainte -Anne, à Jérusalem. Le couvent de Béthanie était fortifié, entouré de mu- railles et de fossés profonds. Cet appareil militaire autour d'une maison de paix s'explique assez par l'état de guerre continuel dans lequel on vivait alors. En .as d'alerte, les religieuses se retiraient à Jérusalem. Les infidèles ont détruit le couvent de Béthanie. comme tant d'autres établissements chrétiens.
• Dictionnaire <le la Bible, édition Mïgne, 1846, tome III. col. 76.
232 JUDEE.
Le sépulcre de Lazare est creusé profondément dans le roc. On descend d'abord à ] aide d'un escalier de vingt-quatre marches dans une espèce de vestibule, long de trois mètres et large de deux mètres. La voûte es1 en ogive, el date évidemment du temps des croi- sades. C'est une chapelle où l'on voit l'autel le plus modeste qui puisse être imaginé; c'est une énorme pienv à peine dégrossie qu'on dit être celle qui fer- mail l'entrée du tombeau de Lazare, et qui fut enlevée sur Tordre de Jésus. Un couloir étroit conduit, au moyen de six degrés, dans le caveau où dormit Lazare. I îette chambre sépulcrale fort petite n'a guère que deux mètres de long sur autant de large. Elle est surmontée d'une voûte ogivale, comme le vestibule, exécutée par les chrétiens, probablement au xnc siècle. La surface intérieure du rocher ;i également disparu derrière un revêtement de pierres appareillées construit à la même époque.
Entre Béthanie et Jérusalem existait jadis le bourg df Bethphagé. eaché, pour ainsi dire, à l'ombre de la montagne. Ici, les ruines mêmes ont péri : il ne reste plus trace de l'antique village. Quelques figuiers sau- vages de La plus chélive apparence indiquent l'em- placement de Bethphagé, dont le nom en hébreu signifie Maison (1rs firjuirrs. Ici, Jésus-Christ, assis sur une humble el pacifique monture, commença sa marche triomphale vers Jérusalem. Autrefois, le di- manche de- hameaux, les chrétiens paremiraienl en procession le même chemin sur les traces, pour ainsi dire, du Sauveur; le prêtre, revêtu <les ornements sacerdotaux, étail monté sur un âne; les fidèles por-
VALLÉE DE JOSAPHAT. 233
laiciit des palmes à la main, ('tendaient leurs vête- ments et des feuillages sur le chemin, et répétaient à l'envi de joyeuses acclamations.
En quittant Jérusalem par La porte de Damas, on trouve à un demi -kilomètre de la ville les Tombeaux des Rois. Tous les voyageurs ont parlé de ces cryptes curieuses. Nous les avons visitées après tant d'autres. Ici, comme partout, nous avons vu des fleurs le long des sentiers qui mènent aux palais de la mort. Ces superbes témoins (\v> grandeurs et (U^ misères hu- maines gardent le silence. La mémoire des hommes a souvent dv<< défaillances inexplicables. En vain des monarques puissants ont-ils employé tous leurs soins â s>' faire des mausolées d'une taille gigantesque, afin de survivre à la mort. Ces tombes fastueuses sont vides et muettes, et les érudits se disputent pour savoir à qui les attribuer. A qui furent destinés les Tombeaux des Rois? Par qui furent-ils creusés et ornés à grands frais? Il faut bien en convenir, on L'ignore.
Dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, M. de Chateaubriand en a donné une description exacte. Tout récemment, M. de Saulcy en a tracé le plan et laissé une description très- détaillée dans Y Histoire de l'art Judaïque '. Nous reproduirons ici les lignes de ['Itinéraire, 1rs longues dissertations de M. de Saulcy étant spécialement destinées aux savants.
ce En sortant de Jérusalem par la porte d'Éphraïm,
1 Le même auteur en a publié le plan et une première description dans le Voyage autour de lu mer Morte et dans les terres bibliques, tome II, p. 219 à 281.
i\U JUDÉE.
on marche pendant un demi -mille sur le plateau d'un pocher rougeàtre où croissent quelques oliviers. On rencontre ensuite au milieu (1*1111 champ une excava- tion assez semblable aux travaux abandonnés d'une ancienne carrière. Un chemin large et en pente douce vous conduit au fond de cette excavation, où l'on entre par une arcade. On se trouve alors au milieu d'une salle découverte taillée dans le roc. Cette salle a trente pieds de long, sur trente pieds de large, et les parois du rocher peuvent avoir douze à quinze pieds d'élévation.
(( Au centre de la muraille du midi vous apercevez une grande porte carrée d'ordre dorique, creusée de plusieurs pieds de profondeur dans le roc. Une frise un peu capricieuse, mais d'une délicatesse exquise, est sculptée au-dessus de la porte: c'est d'abord un triglyphe suivi d'une métope ornée d'un simple an- neau; ensuite vient une grappe de raisin entre deux couronnes et deux palmes. Le triglyphe se représente , et la ligne se reproduisait sans doute de la même manière le Iouli du rocher; mais elle est actuellement effacée. A dix-huit pouces de cette frise règne un feuil- lage entremêlé de pommes de pin et d'un autre fruit que je n'ai pu reconnaître, mais qui ressemble à un petil citron d'Egypte. Cette dernière décoration sui- vait parallèlement la frise, et descendait ensuite per- pendiculairement le long dc^ deux («Mes de la porte.
« h;ui- l'ent'oneeinenl et dans l'angle à gauche (le cette grande porte s'ouvre un canal où l'on marchail autrefois debout, mai- où l'on se glisse aujourd'hui • •il rampant. Il aboutil par une pente assez roide, ainsi
VALLÉE DE JOSAPHAÏ. 235
que dans la grande pyramide, à une chambre carrée
creusée dans le roc avec le marteau et le ciseau. Des trous de six pieds de long sur trois de large sont pra- tiqués dans Les murailles, ou plutôl dans les parois de cette chambre, pour y placer des cercueils. Trois portes voûtées conduisent de cette première chambre dans sept autres demeures sépulcrales d'inégale gran- deur, toutes formées dans Le roc vif, et dont il est dif- ficile de comprendre le dessin, surtout à la lueur des flambeaux. Une de ces grottes, plus basse que les autres, et où l'on descend par six degrés, semble avoir renfermé les principaux cercueils. Ceux-ci étaient généralement disposés de la manière suivante : le plus considérable était au fond de la grotte, en face de la porte d'entrée, dans la niche ou dans l'étui qu'on lui avait préparé; des deux côtés de la porte deux petites voûtes étaient réservées pour les morts les moins il- lustres, et comme pour les gardes de ces rois qui n'avaient plus besoin de leur secours. Les cercueils dont on ne voit que les fragments étaient de pierre et ornés d'élégantes arabesques.
« Ce qu'on admire le plus dans ces tombeaux, ce sont les portes des chambres sépulcrales; elles sont de la même pierre que la grotte, ainsi que les gonds et les pivots sur lesquels elles tournent. Presque tous les voyageurs ont cru qu'elles avaient été taillées dans le roc même; mais cela est visiblement impossible, comme le prouve très-bien le P. Nau. Thévenot assure qu'en grattant un peu la poussière on aperçoit la join- ture des pierres, qui y ont été mises après que les portes ont été posées avec les pivots dans les trous.
236 JUDEE.
(( J'ai cependant gratté la poussière, et je n'ai point vu ers marques au bas de la seule porte qui reste de- boul : tontes les autres sont brisées et jetées en dedans des grottes.
« En entrant dans ces palais de la Mort, je fus tenté de les prendre pour des bains d'architecture romaine, l.-ls que ceux de l'antre de la Sibylle, près du lac Averne. Arculfe, qui les a décrits avec une grande exactitude, avait vu des ossements dans les cercueil-. Plusieurs siècles après, Villamont y trouva pareille- ment des cendres qu'on y cherche vainement aujour- d'hui. »
Nous devons ajouter que l'entrée des caveaux mor- tuaires des rois était soigneusement cachée. Cette pré- caution rappelle celle des Pharaons d'Egypte à mas- quer la porte de leur nécropole. Nous avons peine à nous faire une juste idée du luxe de précautions dé- ployé à l'ouverture de ces souterrains funèbres. D'é- normes pierres, assujetties en plusieurs sens, devaient être roulées pour en dégager l'issue, et par derrière s'ouvrait un puits large et profond où le violateur des tombeaux courait risque d'être précipité dès le pre- mier pas. La porte en pierre était disposée de façon à s'ouvrir quand on la poussait du dehors; elle se fermail ensuite d'elle-même, et nulle force humaine n'eût réussi à la faire cédera l'intérieur. Vains soucis! tombes royales, profanées depuis des siècles, sont accessibles ;'i tout venant, et l'Arabe, en y cherchant parfois un refuge, se rit i\i'> soins jaloux qui avaient espéré les clore à jamais !
M. <\r Saulcy croit que ce vaste monument funéraire
VALLEE DE JOSAPHAT. 237
était destiné à la sépulture de David, de Salomon el des mis leurs successeurs. Il admet en conséquence que, dès l'époque de David et de Salomon, beaucoup des éléments de l'architecture grecque proprement dite étaient employés à Jérusalem, avec des orne- ments de l'art hébraïque. Cette opinion, soutenue avec vivacité, a été combattue avec une vivacité égale. Jusqu'à présent la démonstration ne paraît pas ache- vée. Espérons qu'un jour l'érudition moderne donnera la solution de cet intéressant problème d'archéologie hébraïque.
CHAPITRE XIII
SOI VENIRS FRANÇAIS DES CROISADES A JÉRUSALEM
ouvent, en parcourant la ville et les environs de Jérusalem, nous avons évoqué le souvenir <lrs croisades. Des ruines d'un aspect grandiose, des traditions toujours vivantes, les vallons, les collines, tous les postes de guerre redisent les combats et les hauts faits des chevaliers. En ce pays, il ifest pas nécessaire de chercher La gloire de La France; on La trouve partout. Ce n'est pas pour rien que les Arabes répètent que notre ombre est grande sous Le soleil. En Orient, Le nom fie Français est et seni toujours synonyme de vaillance et de loyauté. L'âme des grandes expéditions chrétiennes d'ouhv-nier lui celle de lu Franee catho-
SOUVENIRS FRANÇAIS DES CROISADES. 239
lique. fille aînée de L'Église. La mémoire en sera éter- nelle; tout ce qui rappelle ces luttes héroïques est attribué aux Francs. En tout tenu». La France à été La protectrice des Saints-Lieux. Plaise au Ciel qu'elle mé- rite à jamais ce titre glorieux!
Plus (l'une fois déjà, dans Le cours de notre récit» nous avons prononcé I»' nom des chevaliers des croi- sades; souvent encore il se présentera sur nos lèvres dans la suite de notre voyage : pouvions-nous résister au plaisir de consacrer quelques pages à ces héros, L'honneur éternel de la religion, de la patrie et de la
chevalerie?
A la suite des malheurs qui désolèrent l'Europe à la lin du Xe siècle et au commencement du xr3, les re- gards inquiets se portèrent vers la contrée d'où nous esl venu le salut. Tous les yeux et tous les cœurs se dirigeaient vers Bethléhem, le Calvaire, le saint Sé- pulcre. Jérusalem est la cité du pardon et de la récon- ciliation. Le nom sacré de Jérusalem retentissait au pied des autels et du haut de la chaire, dans les cloîtres et au foyer domestique. Qui pourrait redire aujour- d'hui les sentiments qui agitaient alors les consciences? En 1054, Litberg, évêque de Cambrai, partait en pèle- rinage vers Jérusalem à la tête de trois mille de ses diocésains. Cette pieuse caravane, à travers des che- mins inconnus, dans des pays hostiles, périt de faim et de misère; sa foi ne chancela pas un instant. L'é- vêque de Cambrai pria dans les sanctuaires de la ville sainte, revit presque seul L'Europe, et encouragea d'autres à entreprendre ce lointain voyage. Dix ans après son retour, sept mille pèlerins des contrées voi-
240 JUDÉE.
sines, et cinq évêques à leur tête, suivirent le chemin de leurs devanciers. Cette expédition rencontra des périls de toute espèce; les Arabes, en armes, rendaient les chemins impraticables. La route de Jérusalem allait être fermée. Le calife Hakem avait rouvert L'ère dos persécutions; Jérusalem gémissait sous le joug de la plus « lui • ■ servitude. Le- chrétiens, soumis aux traite- ments les plus cruels, jetaient des regards suppliants vers leurs frères de I'< accident. Mille rumeurs confuses, plus tristes les unes que les autres, circulaient en Eu- rope. On voyait les saintes reliques foulées aux pieds, les temples les plus augustes profanés, le tombeau du Ghrisl déshonoré, les hommes passés au fil de L'épée, les femmes esclaves, les ••niants condamnés à une vie d'abjection. A ces lugubres tableaux le cœur était vive- ment ému, les yeux se mouillaient de Larmes, des san- glots ('dataient, le- chevaliers portaient involontaire- ment la main sur la garde «le leur épée. Quand du haut du Siège apostolique retentit la voix de l'austère Gré- goire VII, cinquante mille hommes répondirent à son appel. Cependant ce saint pontife n'eul pas le bonheur de voir partir les guerriers «le la première croisade; les dernières années de >;i vie se passèrent au milieu d'agitations, »•! il mourut en 1085, emportant dans la tombe la certitude que se> grands desseins seraient un jour réalisés, a Ce n'était, dit M. le marquis de Pastoret, ni aux pontife- ni aux hommes d'Italie que le Sei- gneur avait réservé cette grande mission de rejeter sur l'Orient étonné désarmées aussi nombreuses que celles donl fi irient avait plus d'une fois Inondé l'Europe* Nos Français en eurent le hasardeux honneur, nos
SOin ENIRS FRANÇAIS DES CROISADES. 241
Français, qui vonl toujours devant tous el au-devanl
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A la voix d'Urbain II et de Pierre L'Ermite trois cent mille hommes prirent la croix, et parmi eux Godefroy, Eustache et Baudouin de Bouillon, descendants de Charlemagne; l'illustre évêqm Adliéniar: liaymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse; Hugues le Grand, frère du roi Philippe; Robert de Normandie, et tant d'autres2. Ces sages et vaillant- chefs furenl devancés par ane foule éperdue, qui se mit en marche sous la conduite de Pierre l'Ermite et de Gautier Sans-Avoir : troupe ardent»' et indisciplinée, meure par des guides inhabiles et inexpérimentés, et qui ne laissa sur le chemin de la Judée qu'une trace sanglante et des ossements sans sépulture.
A travers mille dangers et mille obstacles, la grande armée commandée par les princes de la croisade était enfin arrivée en Palestine; malgré les pertes effroyable^ qu'elle avait éprouvées, grâce à la perfidie des Grecs, elle touchait au but du pèlerinage. Nulle ville mainte- nant ne taisait détourner ses regards. On avait hâte d'arriver à Jérusalem. Tancrède marchait toujours le premier. Deux jours après avoir quitté Emmaùs, le bouillant Tancrède s'arrête tout à coup; au revers I une colline de sable rougeâtre et sans verdure il aper- çoit Jérusalem. C'était le l<> juin 1099. 11 saute à bas
1 Instructions à l'usage des voyageurs en Orient. Paris, 1856, p. 9. Nous avons puisé plus d'une fois dans ce trop court volume de 138 pages in*8°.
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A la voix d'Urbain II et de Pierre l'Ermite trois cent mille hommes prirent La croix, el parmi eux Godefroy, Eustache et Baudouin de Bouillon, descendants de Charlemagne; l'illustre évêque A.dhémar; Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse; Hugues le Grand, frère du roi Philippe; Roberl de Normandie, et tant d'autres2. Ces sages et vaillants chefs Eurent devancés par une foule éperdue, qui se mit en marche sous la conduite de Pierre l'Ermite et de Gautier Sans-Avoir : troupe ardent*1 et indisciplinée, menée par des guides inhabiles et inexpérimentés, et qui ne laissa sur le chemin de la Judée qu'une trace sanglante et des ossements sans sépulture.
A travers mille dangers et mille obstacles, la grande armée commandée par les princes de la croisade était enfin arrivée en Palestine; malgré les pertes effroyables qu'elle avait éprouvées, grâce à la perlidie des Grecs, elle touchait au but du pèlerinage. Nulle ville mainte- nant ne faisait détourner ses regards. On avait hâte d'arriver à Jérusalem. Tancrède marchait toujours le premier. Deux jours après avoir quitté Emmaùs, le bouillant Tancrède s'arrête tout à coup; au revers d une colline de sable rougeâtre et sans verdure il aper- çoit Jérusalem. C'était le J<> juin 1099. Il saute à bas
1 Instructions à. l'usage des voyageurs en Orient. Paris j 1 856 ^ p. 9.
Nous avons puisé plus d'une fuis dans ce trop court volume de 138 pages in ^8°.
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de son cheval, se met à genoux, et tend les bras vers Jérusalem. Comment dépeindre L'enthousiasme de ces ardents soldats? Ils ne peuvent se rassasier de con- templer les murs de cette ville; chacun répète à l'envi : Jérusalem! Jérusalem !
Le siège commença sur-le-champ. Nous n'avons pas ici à redire les alternatives de succès et «le revers qui signalèrent ers jours glorieux. « Celui qui commandait à Jérusalem, dit M. de Pastoret, s'appelait la Gloire de l'Empire- Ni l'empire, ni sa gloire ne purent résistera l'impétuosité i\v^ attaques : un jour vint où, si l'on en croii les écrivains de l'Orient, le soleil s'éclipsa, la terre trembla couverte de ténèbres, et les (''toiles s'agitèrent. C'était le vendredi 15 juillet de l'année 1099; et ce ven- dredi, à l'heure même où Nôtre-Seigneur avait expiré sur la croix. Jérusalem fut prise. C'esl un de nos Fran- çais qui le premier en franchit les remparts. Depuis quatre siècles et demi le croissant y régnait; le crois- sant tomba, et l'étendard qui flotta le premier en su place fut un étendard de France. »
Le royaume chrétien de Jérusalem s'organisa promp- temenl à la manière féodale. Le sol fui divisé; les hau- teurs se couronnèrent de châteaux et <\r forteresses : il y eut des princes, ducs, comtes et barons avant un titre et un Qom empruntés aux villes et aux bourgades de la Palestine; *U'> évêchés, des abbayes, dos monas- tères el des prieurés s'établirenl de tous côtés. C'était une prise de possession générale. Qui n'eût alors pré- ré au nouvel empire des années longues et pros- pèr< ' Tout menacés qu'ils furent dans leur courte exis-
SOUVENIRS l-'KAM.Als DES CROISADES 243
tence, 1»'- rois de Jérusalem fondèrent des monuments; ils eurent leurs institutions et leurs luis: 1rs arts fleu- rirent. Selon le langage des portes, leurs pieds pesèrent assez sur le sol pour y laisser une empreinte ineffa- çable.
A Jérusalem, l'église bâtie sur le saint Sépulcre <'t sur le Calvaire, que nous autres Français aurions le droit d'appeler française et royale, si elle n'était universelle, est l'ouvrage de Godefroy,qui la commença sans avoir le bonheur de la finir. Non loin de la mosquée d'Omar, devenue le Temple, parce qu'elle s*élève sur Fesplanade du temple de Salomon, la milice qui s'illustra sous le nom de chevaliers du Temple eut ><m siège principal à côté <lu palais t\e> rois chrétiens. Plusieurs belles arcades, d'une architecture à moitié monastique, à moitié militaire, remontent aux premières années du xiir siècle.
Les Templiers prirent naissance en 1118, et eurent pour premier grand maître Hugues de Payens, ori- ginaire de Touraine1. Ces chevaliers, moines />"/• les pratiques, soldats par /es actions*, avaient pour but de protéger les pèlerins, et se consacraient à la défense des Saints- Lieux contre les infidèles. Le roi Baudouin II leur accorda plusieurs privilèges. Les chevaliers du Temple portaient un habit blanc avec une croix rouge15. Leurs exploita turent suis nombre. Bientôt leur milice,
1 M. Larubron de Lignim, Mémoires de la Société Archéologique de Touraine.
- Pierre le vénérable, Epis t. <<</ Hebr.} 1150.
:i La croix fut ajoutée par le pape Eugène 111 , en 11 i(J.
244 JUDEE.
augmentée de brillantes recrues, s'étendit de tous côtés en ( Irienl el dans tous les royaumes chrétiens de l'Eu- rope. Leur symbole, un serpent dévorant un enfant, jetait partout répouvante et inspirait le respect. Mais ils ue surent pas résister aux influences énervantes de l'Asie, et leur emblème gnostique cachait le secret des passions humaines. L'histoire doit un juste tribut d'ad- miration à leur vaillance: mais elle ne peut laisser ignorer que leur chute fut un châtiment.
A côté d'eux, les chevaliers de Saint-Jean-de-Jéru- salem montraient avec fierté leur croixpattée en champ de gueules. Ceux-ci restèrent français jusqu'à leur dernier jour. « l)es bords escarpés de Malte aux sables '!•■ Damas, du delta du Nil au fond de la Gircassie, tout redit leurs combats et leur grandeur. Partout ils seront en communauté de gloire avec la patrie: et même quand les désastres de la guerre les auront exilés au milieu <h'> flots de la Méditerranée, devenue leui domaine, le guidon à la croix blanche laissera en- core au-dessous de ce ciel, au-dessus de ces mers, la trace étincelante de leurs exploits et de notre pas-
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La seconde croisade conduisit à Jérusalem le roi de France. L'entrée de Louis Vil à Jérusalem fut solen- nelle. Les prêtres chantaient des cantiques, le peuple portait des palmes, l'air retentissait d'acclamations joyeuses. Des rêves d'espérance hercèivn! alors toutes les imaginations, On résolut de prendre Damas, le bou- levard de l'islamisme, alors comme aujourd'hui, dans
i Instrm lion à Vu, agi des voyageurs i n Qrù ntt pages 40, 41,
SOUVENIRS FRANÇAIS DES CROISADES. 245
cette partie de L'Orient. La France avail les honneurs de cette expédition ; c'esl assez dire que les aobles ac- tions s'y accomplirenl en foule. Mais la division se mil entre les chefs, division funeste qui causa tous nos maux en Palestine. On murmura pins d'une fois le mot de trahison. Il fallut lever le siège, renoncera <\(>> pro- jets longuement caressés, retourner en arrière. Cotte retraite tut une calamité; mais ce u'était que le prélude d'une retraite plus douloureuse encore. Le décourage- menl s'empara des âmes. L'empereur Conrad repril sur-le-champ le chemin de l'Europe. Louis Vil voulu! encore alita* à Jérusalem, où il célébra les tètes «le Laques. Puis il s'embarqua pour l'Italie, regagna son royaume, et, disent les historiens, ne tourna jamais plus ses regards vers l'Orient. Nostre sire Diex, est-il écrit dans les grandes chroniques de France, qui bien riiit cler en lotes brsoignes, n'avoit pas voulu recevoir 'i gré '■elle l'iiijn-inse et pèlerinage '.
La conséquence fatale des discordes intestines ne devaii pas tardera être tirée par la suite des événement s. Saladin avait t'ait ses premières armes parmi les défen- seurs de Damas; il allait happer de terribles coups sur h- royaume chrétien. Le sultan avait toutes les qualités d'un soldat et d'un capitaine; jamais cependant il n'au- rait réussi à vaincre les chevaliers de la croix, si de funestes jalousies, en les affaiblissant, n'eussent rendu leur défaite inévitable. « Jérusalem, en effet, semblait touchera ses derniers jours. Ses vassaux, ses rois, ses mœurs orientales, ses ambitions européennes avaient
i Grande chronique >lrs fui: il" roi Louis septième, ch. iv.
JUDEE.
précipité la cité suinte de revers en revers. Aux champs • le Tibériade, 1rs ///s du paradis cl /es enfants du feu avoient vuidé de nouveau leur sanglante querelle; et le roi de Jérusalem, et son frère, et le grand maître du Temple, et Renaud de Châtillon, le plus illustre d'> aventuriers, étaient entre les mains (\v> musulmans '. » In désastre plus grand encore était à la veille de frap- per les chrétiens. Jérusalem tomba au pouvoir des inlidèles!
La France d'Orient, suivant l'expression de M. le marquis de Pastoret, demanda secours à la France d'Occident, (iuillaume archevêque de Tyr, l'historien des guerres saintes, accourut en Europe, et fit retentir partout les accents de sa mâle éloquence. Il montrait le sultan vainqueur, Sion captive, la vraie croix profanée. Sa parole était pleine de larmes et de menaces. Son enthousiasme enflamma tous les cœurs: la troisième croisade l'ut décidée.
L'oriflamme de Saint-Denis se déploya de nouveau sur les plages de la Syrie. Philippe-Auguste et Richard Gœur-de-Lion étaient le luas de cette grande entre- prise. C'étaient deux guerriers Intrépides, deux fiers chevaliers, deux rivaux, hélas! Français et Anglais, partageant les mêmes sentiments religieux, également braves, s'apprêtaient à frapper un de ces grands coups qui ont un long retentissemenl dans l'histoire. Les sol- dats n'avaienl d'autre jalousie entre eux que celle de la gloire.
La lutte commença sous les murs de Ptolémaïde.
1 Jnstruct. déjà citées.
SOUVENIRS FRANÇAIS DES CROISADES. 247
Cent combats e1 cenl victoires remirent cette ville sous Qotre puissance '. Le premier des chefs croisés qui, au jour de l'assaut, franchit Le rempart, était Albéric Clé- ment, maréchal de France, le plus ancien de ceux qui aienl porté ce titre. Le premier qui entra dans la ville vain, ne étail Guillaume des Barres, la fleur des che- valiers, celui qui, vingt ans après, devait, auprès du roi, chevaucher dans les plaines de Bouvines.
La victoire auraitdû être le signal «le la résurrection du royaume de Jérusalem; elle ranima des haines à peine assoupies. Philippe-Auguste et Richard échan- gèrent des paroles hautaines, des menaces peut-être. Le roi de France quitta l'Asie, rapporta l'oriflamme à Saint-Denis, laissant la Palestine en proie à toutes les liassions.
Richard C<eur-de-Lion resta deux années encore sur ces champs de bataille toujours ouverts, guerroyant suis cesse, faisant chaque jour briller cette intrépidité dont l'Asie u'a pas perdu le souvenir, ce 0 Dieu, dit un historien arabe, quels hommes que ces hommes d'Eu- rope! quel courage et quel mépris de la mort! Mais le roi anglais, comme il était plus qu'un homme et plus qu'un courage! »
Désormais Jérusalem ne dous appartiendra plus; les pèlerins y pourront entier sans armes et venir prier au Saint-Sépulcre. Plus tard cependant la France repa- raîtra sur les riva-. ^ de la Palestine. Nos chevaliers et nos soldats, conduits par saint Louis, ne seront pas in-
i On compte quatre-vingts comhats el neuf batailles qui se livrèrent près .li' la ville ilf Ptolémaïde.
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férieurs aux chevaliers et aux soldats de Godefroy de Bouillon.Après les désastres essuyés en Egypte, Louis IX ne perdit pas courage. Il demeura deux ans à Ptolé- i naît le. fortifiant les places de Tyr, Acre, Joppé, Césa- rée, < îaïpha. Saint Louis désirait vivement voir Jérusa- lem. Il vit Gana, le Garmel, le mont Thabor, le Jour- dain. Nazareth; mais Jérusalem, qu'il appelait de tous ses vœux, il ne l'aperçut jamais, pas même de loin et du haut des montagnes qui l'entourent. Enfin, comme autrefois Philippe -Auguste, je/nul sa cotte d'armes devant sis \\eux en 'pleurs, beau sire Diex, dit-il, je te prie donc que tu ne me souffres de voir la cité sainte, puisque je ne la saurois délivrer des mains de tes enne- mis '. Blanche de Gastille venait de mourir; saint Louis quitta les bords de la Syrie, et toucha la terre de France le 14 juillet 1254.
L'influence française dans ces contrées arrosées dr notre sang se fit sentir autant par nos institutions que par nos armes. L'érudition a mis en lumière, il y a quelques années, un <h-< documents les plus instruc- tifs que les croisades nous aient laissés : ce sont les Assises de Jérusalem, rédigées ou colligées par Jean d'Ibelin, et publiées par M. le comte Beugnot.Il y eut au xne siècle, en Orient, des communes fermées de mur-, des bourgeoisies, d<>> juridictions distinctes, soil pour les personnes, soit pour le commerce, une haute cour dont le soueerain était ijoueenteur et jus-
ticier. Duranl ces années continuellemenl agitées par la guerre, le développemenl <\r* lois était lenl ei pé-
1 Foin ville. Vie de mini Louis, p. 276.
SOUVENIRS FRANÇAIS DES CROISADES. 249
nible.Notre admiration doil être plus vive en exami- nant L'organisation d'un code >i habilement conçu ri disposé. Les lois sont les droits du faible, et alors on n'avait affaire qu'au plus fort. Les mœurs restèrent rudes el austères, jusqu'à ce que les passions de l'Asie eussenl amolli les caractères el corrompu les cœurs. Une chronique italienne, probablement copiée d'un auteur français4, entre dans des détails propres à faire connaître la vie particulière des chevaliers et des soldats de la croisade, « En ce temps la vie était simple, la femme et le mari mangeaient dans la même écuelle; l'usage des couteaux à table était encore inconnu. On avait un ou deux pots par famille, deux ou trois fois par semaine de la viande fraîche, le reste du temps des légumes, et à souper des viandes froides; peu devin, car il y avait peu de caves et des greniers peu spa- cieux. Pendant le repas du soir, des torches ou lan- ternes, tenues par les serviteurs ou pages, éclairaient la table; car on ne connaissait pas l'usage de la chan- delle. Les hommes portaient des bonnets de mailles de fer et des robes de peaux ou de laine foulée; les femmes, des tuniques pareilles, même au jour du ma- riage; car on ne mettait ni or ni argent sur les habits, et les femmes ne recevaient presque rien en dot. Pour les jeunes filles, qui jusqu'au jour des noces habitaient chez leurs parents, elles n'avaient qu'une tunique de laine, avec un manteau de lin assorti, et sur la tête point ou presque point d'ornements. La gloire des
i Ricobaldi Ferrariensis Compil. Chronol. Muratori, tome IX. pag^s ■J.\~i et 248 ; voy. Imtruct. déjà citées.
25< JUDÉE.
hommes étail d'être toujours à cheval el bien armés; celle des nobles, d'avoir beaucoup de forteresses; celle des villes, de fortes tours et de lions rem- parts. »
Il est vrai d'ajouter que ces habitudes étaient celles de la vie intérieure, et non celles <lcs solennités, des fêtes d'apparat. Le palais des empereurs, la cour (\c<, mi-. \r château des seigneurs, le loiii s des bourgeois, étalaient de plu- riches habits, de belles étoffes, <lrs bijoux. <lcs vases d'oi- cl d'argent, t\c> lapis, des mets recherchés, et mille autres objets que le luxe du temps permettait de se procurer. Ordinairement tout respi- rai! la simplicité, et, il faul le dire, une simplicité qui nous étonne aujourd'hui. Ainsi . on mettait de la paille fraîche sur le pavé de la chambre du roi. Plus d'un chambellan, plus d'un aumônier qui couchait p,u terre dans la chambre royale dut s'applaudir de ce luxe utile. Ouelle impression le spectacle du luxe oriental ne dut-il pas produire sur l'imagination de ces hommes, seigneurs et gens du peuple, accou- tumés à des usages qui durent alors leur paraître privations et pauvreté! Les croisés français empor- tèrent et Li.ndrivui longtemps sans doute les souve- nirs de la Champagne, de la Bourgogne, <\r> rives
de la Loire, de la Si'ille et du lîlinlir: ils véei|]V|||
en \-ir. ri moururent comme des Français. Mais leurs fils, tout en regardanl de loin la France, vécurenl trop souvenl comme les Asiatiques, el ceux qui re- gagnèrent !'• manoir paternel y transportèrent cer- taines habitudes funestes contractée? sur la terre étrangère.
SOUVENIRS FRANÇAIS DES CROISADES. 251
Plus d'un historien a regardé ces importations comme un bienfait, c'est-à-dire comme an «les sti- mulants «le l'industrie, du commerce et des arts de l'Occident. Nous n'arrêterons pas nos regards à tics considérations d'une importance secondaire. Les croi- sades onl été la source d'avantages bien ]>lus consi- dérables e1 par conséquent plus dignes d'attention. t N'apercevoir dans les croisades, dit M. de Chateau- briand, que des pèlerins armés qui courent ((('livrer un tombeau en Palestine, c'est montrer une vue très- bornée en histoire. Il s'; laissait non-seulement de la délivrance de ce tombeau sacré, mais encore de sa- voir qui devait l'emporter sur la terre ou d'un culte ennemi do la civilisation, favorable par svstème à l'ignorance, au despotisme, à l'esclavage, ou d'un culte qui a fait revivre chez les modernes le génie de la docte antiquité, et aboli la servitude. Il suffit de lire le discours du pape Urbain II au concile de Clermont. pour se convaincre que les chefs de ces entreprises guerrières n'avaient- pas les petites idées qu'on leur suppose el qu'ils pensaient à sauver le monde d'une inondation de nouveaux Barbares.
« Les croisades, continue le même écrivain, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l'Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. Elles ont fait plus : elles nous ont sauvés de nos propres révolutions; elles ont su>- pendu, par la paix de Dieu, nos guerres intestines.
« J'ajouterai qu'il ne faut pas omettre la renommée que les armes européennes onl obtenue dans les expé- ditions d'outre-mer. Le temps de ces expéditions est
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le temps héroïque de notre histoire. Tou1 ce qui répand du merveilleux sur une nation ne doit point être mé- pris»' par cette nation même. On voudrait en vain se le dissimuler, il y a quelque chose dans notre cœur qui nous tait aimer la gloire; l'homme ne se compose pa> ali-iihmient de calculs positifs pour son bien el pour son mal, ce serait trop le ravaler. C'est en entre- tenant les Romains de ['éternité de leur ville qu'on les a amenés à la conquête du monde, et qu'on leur a t'ait laisser dans l'histoire un nom éternel. »
CHAPITRE XIV
BETH LE HEM
Imif kilomètres environ de Jéru- salem et au centre d'un pays fer- tile et bien cultivé, la petite ville de Bethléhem est assise au sommet d'une colline assez élevée Quel- ques maisons se groupent sur les pentes du coteau et se tournent vers le soleil levant et au midi. C'était un village à l'époque de la naissance du Sauveur; les croisés y trouvèrent une population consi- dérable; dans le cours du XVIIe siècle, il v avait à peine cent cinquante maisons; en 183 'i. Ibrahim-Pacha détruisit tout un quartier; ac- tuellement on y compte trois mille habitants, Bethléhem est le lieu de La sépulture de Rachel, la patrie de Booz, La demeure de lîutli, la ville de
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David el le berceau de Jésus-Christ. Là vécut et mourut l'austère saint Jérôme, et les vénérables ma- trones romaines, derniers rejetons des Scipions et des Gracques, qui étonnèrent le inonde du spectacle de leurs vertus. En 1110, les croisés y établirent un évê- ché, dont les derniers souvenirs, réfugiés à Glamecy, sur une terre française, ont disparu dans la tourmente révolutionnaire.
Nous nous dirigeons vers Bethléhem à la fin du mois de mars. Les premiers souilles du printemps ont ré- veillé la nature. Après Les pluies torrentielles de l'hiver, les rayons du soleil de l'Orient échauffent prompte- inent la terre. Gomment dépeindre la perspective joyeuse qui se déroule sous nos yeux au sortir de Jérusalem, la ville <\e> ruines? Mille ileurs étalent leurs bouquets et répMiidenl leurs parfums. Nous re- marquons de charmants œillets sauvages de couleur violette, qui nous rappellent les élégantes fleurs rus- tiques aimées de la reine Claude et si commune- en Touraine sur la lisière <\<'<< bois, des anémones rouges el *\r> Meurs jaunes sans nombre: les oliviers et les figuiers, aussi vigoureux qu'en aucun lieu de la Pa- lestine. De tous côtés les arbres y balancenl leurs panaches verdoyants. Qui ne reconnaîtrait Ephrata? I !e nom. dans la langue hébraïque, signifie fertilité, el il appartient à Bethléhem. Sur les pentes des collines, des terrasses s'étagenl comme des jardins suspendus. La végétation paraît en <\<i> endroits qui semble- raient à jamais frappés de stérilité, [ci l'industrie de l'homme a vaincu la nature. Des murs en pierres sèches grossièrement bâtis retiennent les terres, que
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BETHLÉHEM. 257
les pluies tendent à entraîner au tond des vallées
D 3 hommes courageux, <p l'aucun obstacle ne rebute taillent patiemment le rocher au ciseau, formenl une espèce de Large sentier, e1 y transportenl de la terre: encore une parcelle conquise sur un sol ingrat. Chaque année ces champs suspendus, pour ainsi dire, au flanc des montagnes, se couvrent de riches moissons de fromenl e1 d'orge. Ainsi, et mieux cultivés encore, devaient se montrer jadis les coteaux de la Judée, aujourd'hui si arides el si tristes. Quand la main de l'homme cesse de travailler, le déseri ue larde pas à tout envahir.
Depuis la porte de Jaffa nu de Bethléhem, la route que nous suivons est très-belle , si on la compare aux chemins tortueux à peine tracés, souvent coupés par les torrents, et qui font le désespoir des voyageurs. Autrefois elle était entièrement pavée et bien entre- tenue. Plus d'un historien, par suite d'une exagération facile à comprendre dans des régions ordinairement brûlées par le soleil, nous la représente comme agréa- blement ombragée, bordée de rosiers, de vignes et de plantes odoriférantes : pour eux c'était une allée de jardin et un chemin du paradis.
Nous ne devons pas omettre de signaler un point de la route consacré par le souvenir du prophète Klie, el d'où l'on jouit d'une perspective admirable. De là on aperçoit l'église de Bethléhem, où Jésus esl né, le dôme du Saint-Sépulcre, où il a souffert, et le sommet de la montagne des Olivier-, d'où il est monté au ciel. De là encore la vue s'étend sur ces montagnes de la Judée si souvent traversée par Jésus-Christ et par les apôtres.
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Grâce à une heureuse exception, la population de r.cllilélieni est presque entièrement chrél ien ne, et les catholiques y sont en majorité. Les habitants se livrent .1 l'agriculture, ou s'occupent à confectionner des objets de piété, tels que chapelets, croix, médaillons en bois d'olivier ou «ai nacre de perle. Les bas -reliefs ou les gravures qu'ils exécutent ne manquent pas d'un cer- tain charme; c'est la reproduction de compositions simples n'ayant souvent d'autre mérite aux yeux des ar- tistes que de conserver la tradition des types antiques. Il est vrai que les chrétiens de Bethléhem travaillent peu pour les altistes, et beaucoup [tour les pèlerins.
La France rxcvce une influence particulière à Beth- léhem, et notre consul y est toujours accueilli avec honneur et sympathie. Nous n'avons pas tard.' à ('prou- ver que les Français y sont l'objet d'une préférence marquée. Cette distinction, à Laquelle un étranger est toujours sensible, a son origine dans de vieux sou- venirs que plusieurs siècles de malheur iront point effacés. Sur cette terre de la Freinte <\'Qrient, Bethléhem esl presque une ville française. Ici les hommes ont un caractère aaturellemenl expansif, des habitudes douces el polies, des mœurs hospitalières; les femmes jouis- sent d'une plus grande liberté qu'ailleurs. Elles sortent fréquemment, el partout on les rencontre vêtues du même costume, c'est-à-dire portant une robe bleue, une tunique rouge el un long voile blanc sur la tête. Tel es1 le costume probable de la sainte Vierge, e1 • ■n le donnanl aux figures de la Mère de Dieu, les peintres du moyen âge étaienl plus fidèles qu'ils ne le croyaient peut-être aux convenances historiques.
BETHLEHEM. 259
Ce qui frappe encore plus dans une ville d'< Irient, c'esl qu'elles sont très-respeefée>. N'oublions pas qu'elles sont chrétiennes, el que la vertu leur a justemenl mérité la considération donl elles sont entourées. La religion l'ail partout briller son bienfaisant empire.
Le principal titre qui recommande Bethléhem à la curiosité e1 à la dévotion du pèlerin, c'esl l'étable où naquit le Sauveur, où les bergers et les Mages, pré- mices des Israélites et des gentils, vinrent l'adorer. Tout le monde sail qu'en Orienl il n'y a pas d'hôtelle- ries organisées, comme en Europe, à l'usage des voya- geurs. Le caravansérai est ouvert à tout le monde, et on y rencontre à peine un abri. Quand la caravane est nombreuse, force est de rester au dehors. Si l'on a été devancé par d'autres voyageurs, il faut dresser sa tente comme dans le désert, ou se résigner à coucher à la belle étoile. Combien de fois ces mauvais gîtes nous ont fait regretter l'hospitalité peu généreuse, mais com- mode, de l'Occident! Il y avait aux portes de Bethléhem, au temps de la nativité de Notre-Seigneur, comme au- jourd'hui dans la plupart des villes de la Syrie, un khan ou caravansérai (diversorium) à l'usage des étrangers. Lorsque Joseph et Marie arrivèrent à Bethléhem, en obéissance aux décrets de l'empire, beaucoup de Juifs, appelés aussi par la loi du recensement, remplissaient la ville. Ils furent obligés de chercher un asile au fond d'une des grottes creusées dans la colline, comme il v en a encore plusieurs dans le voisinage, où Ton en- fermait les troupeaux durant la mauvaise saison. Joseph y fit entrer l'âne, monture pacifique à l'usage de la Vierge sur le point d'être mère, et le bœuf compagnon
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ordinaire de ses travaux. C'est dans ce triste réduit que s'accomplit un auguste mystère. Jésus, le Messie, y naquit de la Vierge Marie 1»- 25 décembre, L'an du monde ïnn'i. selon L'opinion commune des chronologistes. Le Fils de Dieu, se soumettanl ;'i toutes les infirmités de la nature humaine, y lut enveloppé do langes et déposé sur du loin dans la crèche i\c> animaux. Oiiel tableau! quelle grandeur et quelle humilité! Tandis que les i iehes et les puissants de la terre restent plongés dans If sommeil, cette merveille est manifestée par les anges aux bergers qui veillent à la garde de leurs troupeaux. I ne vive clarté illumine le ciel, et l'on entend retentir ces paroles admirables : Gloire à Dieu au plus haut des deux, et sur lu (erre, paix ri miséricorde aux hommes. A la suite des bergers et dt>> Mages .liions adorer Jésus dans ce palais de L'humilité et de la pauvreté. Nous descendons é la grotte de la Nativité sous la conduite d'un religieux franciscain. L'étable s'étend sous le chœur de L'église bâtie par sainte Hélène, et L'on y pénètre actuellement à l'aide de deux escaliers. C'esl une espèce de crypte de tonne irrégulière dont les murs, creusés dans Le rocher, ont été revêtus de marbres précieux. Le pavé esl formé de fragments de marbre choisis e1 «le diverses couleurs. La Lumière du jour ne pénètre jamais jusqu'à ce sanctuaire; trente- deux lampes d'argent, dons des princes catholiques, y entretiennent une clarté douce et mystérieuse. Au tond de La grotte, un marbre incrusté de jaspe et de por- phyre, entouré d'un cercle d'argent ', marque L'endroit
1 I ii 1847, l étoile 'l argent lut volée par Les grei i bismatiques; par
BETHLÉHEM. 261
où la Vierge Marie, sans aide e1 sans douleur, enfanta le Sauveur. Sur Le cercle on lit l'inscription suivante :
HIC DE VIRGINE MARIA JESUS CHRISTUS NATUS EST. ICI DE l.\ VIERGE MARIE JÉS1 S-CHRIST EST NÉ.
Trois lampes, dont la plus riche, ornée do fleurs de li-. tut offerte par Louis XIII, roi do France, emblèmes
de foi et de prière, brûlenl ,j'»ur et nuit en ce lieu véné- rable. Le pèlerin n'entre jamais sans ('motion dans cette grotte sainte. Ici se trouvait la crèche qui servit de berceau au nouveau-né. La crèche n'est plus à Bethléhem; elle est conservée actuellement à Rome dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure. Un riche reliquaire d'argent en forme de berceau contient cette précieuse relique, ainsi qu'une partie des langes.
Je doute qu'il y ait au monde un lieu historique mieux constaté (pic l'étable de Bethléhem. Les pro- testants, qui en ont voulu contester l'authenticité en ces derniers temps, n'ont pu alléguer en faveur de leurs assertions que des raisons mille fois réfutées. Qui peut supposer raisonnablement que les apôtres et les premiers fidèles aient ignoré le lieu précis de la naissance du Sauveur? 1 ne preuve que la tradition n'était pas douteuse au ir siècle, c'est que l'empereur Adrien, qui profana le Calvaire et le tombeau de .lé>ns- Ghrist en faisant dresser d'infâmes idoles sur ces lieux
suite des réclamations énergiques de L'ambassadeur de France à Constan- tinople, elle a été rétablie eu 1853. Cette étoile et L'inscription latine sonl un titre de propriété pour les catholiques.
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consacrés par les plus redoutables mystères de la re- ligion chrétienne, ordonna de planter un bois à Adonis au-dessus de la grotte, témoin des merveilles de la ma- ternité divine. Ces raffinements de la persécution dé- montrent jusqu'à l'évidence que les chrétiens n'avaient pas cessé jusque-là de fréquenter le chemin qui mène au berceau du Rédempteur.
Lorsque le règne de Constantin ouvrit une nouvelle ère au christianisme, et que sainte Hélène vint en Palestine reconnaître et vénérer les lieux mentionnés dans l'Évangile, la crovance des fidèles de Bethléhem n'étail pas douteuse. Saint Justin et Origène avaient déjà rendu témoignage en faveur de la tradition com- mune. Au me siècle on abattit les arbres des bocages impurs d'Adonis, et la pieuse impératrice jeta les fon- dements d'une basilique qui a traversé quinze siècles. ( lette basilique marquera sûrement la place que la piété catholique aimera à visiter jusqu'à la fin il>* siècles. Avant la fin du siècle témoin de l'érection et de la consécration du monument dû à la munificence de la pieuse mère de Constantin, saint Jérôme, fuyant les fausses grandeurs, l'ingratitude et les dangers du monde, vint chercher, en 384, un refuge auprès de la grotte de la Nativité. Il se choisi! pour cellule une grotte voisine du berceau de Jésus-Christ, et là, par ses immortels écrits, il éleva un monument plus im- périssable encore «pie celui de sainte Hélène. A partir de cette époque, les témoignages sonl innombrables; il sérail superflu de les citer.
M ue sera pas inutile pourtanl d'insister sur ce fait. qUe l'étable de Bethléhem lui une iW> cavernes creu-
BETHLÉHEM. 263
sées sous la colline qui porto les maisons de la ville. Après tant de siècles la visite des lieux suffit pour ex- pliquer le récil de l'Évangile, et pour prouver que le prœsepium, ou l'enclos commun destiné à mettre à l'abri les bergers et leurs troupeaux durant les mau- vais temps, était situé à Bethléhem dans des cavernes spacieuses largement ouvertes sur la campagne et à l'abri de toute humidité. Il faut convenir qu'aujour- d'hui encore, dans les mômes circonstances, les choses ne se passeraient pas autrement. Ceux qui prétendent que dans le récit évangélique il n'est pas question de grotte ne remarquent -ils pas que rien dans les paroles des écrivains sacrés n'est en opposition avec la persua- sion commune? Depuis le 11e siècle, une tradition con- stante tient que le Sauveur est né dans une grotte, et cette tradition, mentionnée par saint Justin, né à Na- plouse en 405, qui dit que saint Joseph, n'ayant pas trouvé de place pour loger à Bethléhem, entra dans une grotte l, est rapportée par saint Jérôme en ces termes, in specu ubi quondam Christusvagiit'2, et répétée en- suite par tous les écrivains ecclésiastiques qui ont visité la Palestine. Eusèbe, évêque de Gésarée, le biographe de l'empereur Constantin, nous apprend que le temple construit par les soins de sainte Hélène reçut le titre d'église de la Grotte du Sauveur, ecclesia Speluncœ Sal- vatoris3.
Nous devons toutefois ajouter que cette grotte a été
• S. Justin, martyr, Dialog. cum Tryphone, n. 7S.
2 S. Hieron., ad Paulimim, ep. 58.
:î Eusebius, de Vita Cnnstantini, lib. llf, cap. Xl.i, XLIII.
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agrandie, au moins dans ses abords, à diverses époques. L'histoire en a gardé le souvenir, et Procope nous ap- prend que L'empereur Justinien, restaurant L'église de lîcthlrliriii, lit construire un monastère et tailler le ro- cher où se trouve La grotte de La Nativité; mais jamais on De changea la partie consacrée par les mystères de la religion.
L'oratoire de saint Jérôme est une chapelle souter- raine, où Le saint docteur travailla de longues années à la version des saintes Ecritures, el où il composa la plupart de ses savants commentaires. Ce grand homme vécu! trente-huit ans à Bethléhem, dans l'exercice des plus austères vertus. Il y tut enseveli dans une petite grotte; mais plus tard son corps fut transféré à Rome. D'illustres dames romaines voulurent vivre et mourir à lïetliléhem, près de la grotte de la Nativité. Sainte l'aule, descendant par sa mère t\v> Gracques et des Scipions, devenue veuve, renonça aux pompes et aux délices de Rome pour se renfermer dans un pauvre monastère de Bethléhem, avec une de ses filles, la vierge sainte Eustochie. Ces deux saintes femmes mé- ritèrenl d'être ensevelies sous la même pierre au milieu de La grotte du Sauveur. Dix ans avant sa mort, arrivée en i20, sainl Jérôme eut la douleur el la consolation d'offrir un asile aux ramilles romaines les plus illustres, réduites à une affreuse misère et chassées de Rome par Les Barbares. La prise de Home par Alarie eu1 un
immense retentissement dans le ude. Cette cité su-
l ■■ ■ i lie. La maîtresse de L'univers, tomba au pouvoir des Goths onze cenl soixante -quatre ans après sa fonda- tion, l'an 410 de Jésus-( îhrist, Duranl trois jours entiers
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BETHLÉHEM. 267
elle l'ut livrée au pillage el à la merci d'une soldatesque aviilf, cruelle et effrénée. A la nouvelle de ce désastre, saint Jérôme, eu proie à la plus vive douleur, laissa relater ses sanglots, et fit entendre des accents pleins d'éloquence et de Larmes.
Tous les voyageurs ont admiré l'église due, suivant les uns, à la piété de sainte Hélène, ou, suivant les autres, aux libéralités de l'empereur Justinien. C'est un édifice d'une belle et savante construction, et l'œil de l'archéologue y découvre sans peine une des rares basiliques qui aient conservé leurs dispositions primi- tives. L'édifice est divisé en cinq nefs par quarante- quatre colonnes de marbre jaunâtre veiné de rouge pla- cées sur quatre rangées, sans compter quatre pilastres engagés dans le mur où s'ouvre la porte d'entrée. Les chapiteaux sont d'ordre corinthien. Les murailles étaient revêtues de tables de marbre et de mosaïques. Les revê- tements de marbre ont disparu; mais on aperçoit encore dans la nef principale, au-dessus des colonnes, de curieux fragments de mosaïque sur fond d'or, avec des inscriptions grecques. Cette riche décoration est en partie détruite et en partie couverte de badigeon. Le plan général de l'édifice est en forme de croix latine ; l'abside et les bras du transsept se terminent en hémi- cycle. Il n'y a point de voûtes; les charpentes sont apparentes, comme dans les monuments antiques. Quelques restes montrent qu'il existait en avant une large cour carrée, ou atrium, outre le narthex, ou vestibule, qui subsiste encore. Les traces du passage des croisés sont apparentes. C'est au-dessus de cette basilique que le vaillant Tancrède arbora son éten-
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dard. Des inscriptions annoncent que l'église fui ré- parée el embellie par les rois latins de Jérusalem. Hélas! ce temple vénérable où Baudouin L1' fut sacré roi, et qui retentit durant un siècle et demi des chants et des prières de nos croisés, est maintenant profané et abandonné aux plus vulgaires usages. Les mar- chands en font souvent une espèce de bazar, les en- fants de l'école viennent y prendre leurs ébats, les Turcs s'y promènent en fumant, et ordinairement c'esl un passage public. Ce vandalisme a lieu depuis que les (irecs schismatiques ont dépouillé les Latins, qui en furent si longtemps les seids possesseurs. Gomme les schismatiques ne sont pas nombreux à Bethléhem, ils ont élevé une clôture en pierre à la naissance du transsept, et c'esl dans cette partie de l'église qu'ils célèbrent leurs offices. Ici, comme en tant d'autres sanctuaires de la Palestine, les catholi- ques sont les seids qui n'aient pas l'autorisation d'y ériger un autel. Combien de fois les pèlerins français n'ont-ils pas fait entendre à ce sujet d'énergiques pro- testations! La France est pourtant la protectrice avouée
des Saints-Lieux; mais dans ces régions sans cesse
exploitées par les musulmans, dont la cupidité égale la mauvaise foi, le droit du plus oil'rant est toujours le meilleur, l'or es1 le plus convaincant de tous les arguments.
Les Mois couvents des Pères Franciscains, ^\r> Ar- méniens et des Grecs sont groupés au-dessus de la ainte grotte. Los bâtiments réuni- forment une masse imposante qui de loin ressemble à une forteresse. On voit encore dans le monastère grec l'école de saint
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Jérôme. Là ce grand docteur s'abaissait au modeste rôle d'instituteur de l'enfance. Il initiait de jeunes intelligences à La connaissance des vérités de La reli- gion et aux éléments <l<is Lettres grecques et latines. < >n expliquait Virgile et les poètes lyriques; on lisait les historiens profanes, ce Un esprit exagéré de cette époque, dit M. l'abbé Axais, Ruffin, accusait l'illustre sollitaire d'accomplir une œuvre païenne. Saint Jé- rôme répondail en citant l'exemple des écrivains des Églises grecque et latine, qui n'avaient pas dédaigné ce genre d'étude'. » L'école de saint Jérôme est au- jourd'hui déserte; si L'on veut trouver L'héritage du saint docteur à lletliléheui, il faut pénétrer dans un modeste logis habité par d'humbles religieuses fran- çaises. Les sœurs de Saint-Joseph reçoivent dans leur école deux cent cinquante jeunes filles, auxquelles elles apprennent, par leurs exemples et leurs instruc- tions, la pratique des vertus chrétiennes, en même temps qu elles les initient à ces connaissances si utiles au loyer domestique et dans le sanctuaire de la fa- mille. Les moines Franciscains ont également une école fréquentée par une quarantaine d'enfants. Le catholicisme seul se préoccupe vivement d'éclairer l'esprit et de former le cœur. Les bonnes sœurs de Saint-Joseph visitent aussi les malades à domicile: elles représentent dignement à Bethléhem la charité, qui s'épanouit de plus en plus, dans ces derniers temps, comme une des vertus caractéristiques de la France.
1 M. l'abbé Azaïs, Pèlerinages en Tente-Sainte. — Paris, 1855, in-18, pages 107 et 108.
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En sortant de Bethléhem, on rencontre fréquem- ment des vestiges d'anciens monastères; sainte Paule en avait fondé cinq, et depuis la lin du iv<* siècle, jus- qu'à l'invasion musulmane, quantité d'établissements religieux étaient venus se serrer autour de la crèche. Le village da^ Pasteurs est toujours habité par des bergers; sainte Hélène, s'il faut en croire la tradition qui lui attribue tous les édiiiees religieux les plus anciens de ce pays, avait érigé près de là, et à l'en- droit où les anges apparurent durant la nuit de Noël, nue basilique connue sous le titre de Gloria in Ex- celsis1. A peu de distance se trouve le tombeau de Rachel, dénaturé, suivant l'opinion la plus probable, par les Arabes, qui ont bâti par-dessus un édicule d'un effet disgracieux. Sur ces mômes hauteurs, dit l'évangéliste , fut entendue la voix de Rachel pleura al ses enfants, et ne voulant recevoir aucune consolation parce qu'il ne sont plus2. Là, en effet, ont retenti les lamentations des mères de tant d'innocentes victimes de la cruauté d'Hérode. Plusieurs auteurs ont cru que l'emplacement de Rama se reconnaît à des pierres éparses sur une colline située à deux kilomètres de Bethléhem. Saint Jérôme et d'autres savants interprètes des textes sacrés ont traduit le nom de Rama par hauteur. Quoi <pfil en soit, nous foulons aux pieds la terre arrosée du sang d'une foule d'enfants sacrifiés à la jalousie d'un roi barbare. Nous saluons ces pre- mières e1 tendres Heurs des martyrs, Salvete, flores
1 I a. u, Evagator, in Terrœ Sanctœ Peregrinaiionem , 1, 455.
2 M.itili. u 18.
BETHLÉHEM. 271
martyrum, suivant L'expression «le L'Église dans une livmne de la fête des saints Innocents.
Nous n'avons pas voulu quitter Bethléhem sans faire une visite à un lieu mémorable dans l'histoire de la défense des Lieux -Saints. L'amour de la patrie nous en faisait un devoir. En compagnie de plusieurs Beth- léhémites, nous gravissons les pentes escarpées de la montagne des Français, monte dei Francesi. Le som- met de cette montagne fut témoin de luttes héroï- ques, et ce ne fut qu après des efforts désespérés que Les guerriers francs consentirent à le quitter. Nous étions tiers de marcher sur cette terre qui porte le nom de la France. Les Arabes qui nous servaient d'escorte, témoins de notre émotion, crièrent : Vive la France! Viva la Francia! et tirèrent des coups de fusil en son honneur. Nous cueillîmes quelques fleurs , emblème fragile de souvenirs que les hommes ont la prétention de croire éternels.
CIIAI'ITIîK W
SAINT-J EAN-DU-DESERT
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six kilomètres environ de Jérusa-
îfc. lem, vers le aord- ouest, se trouve
>l?\J ; l«' villaue de Saint- Jean-du-Désert3
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où nous attire le souvenir de la
sainte Vierge, de Zacharie, d'Elisa-
pféAV l'-'Hi <'l dr >aiul .lean-lîaptiste. On
^ sori de Jérusalem par la porte de
, Jaffa; bientôl on traverse le champ du Fou-
I 't les hauteurs sur lesquelles l'armée
assyrienne était campée lorsque l'ange extermi- nateur tira une vengeance éclatante des blas- phèmes de Sennachérib. A peine avons-nous perdu de v ne les remparts de Jérusalem . que nous apercevons les hautes murailles «lu monas- tère de Sainte-Croix, qui de loin ressemble à une for- teresse. Le paysage, en cel endroit, a des aspects
SAIN I -il. \ N-DU-DESERT. 27
adoucis auquel le regard n'est guère accoutumé à
Jérusalem. Le couvent est assis au milieu de collines légèremenl ondulées, rouvrîtes d'oliviers et de touffes d'arbustes verdoyants. La tradition veut que le bois de La croix du Sauveur ait été pris en ce lieu. Rien ne confirme et rien ne contredit cette croyance. Les arbres vigoureux qui croissent en abondance dans le voisinage la rendent même assez vraisemblable. On devail hésiter autrefois, comme aujourd'hui, à couper quelques-uns des oliviers qui poussent sous les murs de Jérusalem. La tradition ajoute que cette croix était formée de trois arbres: le cèdre, l'olivier et le cyprès. Quoi qu'il en soit, dès les temps les plus anciens du christianisme, une éalise fut bâtie en cet endroit sous le vocable de Suinte- Croix. Des religieuses grecques occupent le couvent, Au xiif siècle il y avait égale- ment de pieuses filles consacrées à Dieu. A une lieue de Jérusalem, dit une relation contemporaine, avoit une dbeïe de nonnains, la ou on clisoit que une des pièces de la rraie croix fut cueillue.
L'église est remarquable. L'architecture ne manque pas de caractère, et la décoration en est très- soignée. Récemment, grâce à for de la Russie, ce monument a été restauré, ainsi que les bâtiments du monastère. La basilique est toute resplendissante de peintures et de mosaïques. En voyant ces ornements multipliés, où l'art peut n'être pas satisfait pleinement, mais qui re- présentent des scènes historiques ou des arabesques gracieuses, ou même des paysages, on s'affermit dans la conviction que la peinture murale ainsi comprise et appliquée esl le véritable ornement des églises. Le pavé
18
JTi rUDÉE.
est formé de compartiments en marbre de couleurs va- riées; l'or n'a pas été épargné dans l'ensemble, ce <|in donne aux peintures un ton doux et harmonieux. L'ico- nostase, cloison placée entre la nef et le sanctuaire, où brillenl de charmants petits tableaux richement enca- drés, produil un effet on ne peut plus satisfaisant. Les curieux ne manqueront pas de s'arrêter devant un déli- cieux triptyque byzantin qui embellit le pupitre. Tous les tableaux ont un aspect d'archaïsme qui réjouit Fceil de l'archéologue, quoiqu'ils soient loin d'être antiques. Le respect peut-être exagéré des traditions iconogra- phiques chez les Grecs donne à leurs compositions un air de naïveté, de grandeur et de mysticité propre à racheter bien des imperfections.
Dans le sanctuaire et sous le maître-autel on montre une ouverture dans le marbre, à l'endroit où était planté l'olivier de la croix. On peut se délier de cette précision mathématique, tout en acceptanl la tradi- tion. L'agréable vallon où s'élèvent les bâtiments du monastère descend vers la fontaine Saint-Philippe, où lut baptisé l'eunuque de la reine Candace, et débouche dans la grande vallée «lu Térébinthe. Nous avons com- paré le couvent de Sainte-Croix à un château fort, Cette comparaison n'étonnera personne; car en ce pays, ,, m. ■ à quatre kilomètres de la capitale, toutes les maisons sont exposées au pillage et à la violence des
Bédouins.
Le chemin devienl alors difficile; le sol esi rabo- teux, el les sentiers sonl escarpés. Les coteaux .-oui couverts de vignobles, et lu force «le la végétation montre assez que la vigne se plaîl dans cette terre
SAIN r - 1 1 VN-DU-DÉSERT. 275
rocailleuse et brûlée. Le vin qu'on en tire est excellent. Après avoir descendu une pente extrêmement rapide, nous découvrons aussitôt, au fond d'un vallon, la bourgade de Saint-Jean- du -Désert. Le couvent des Pères de Terre- Sainte domine les cabanes groupées alentour. Ici, comme partout, le cloître pacifique res- semble à une construction militaire; mais, derrière ces hautes el fortes murailles, une hospitalité toute chrétienne, simple, franche et gracieuse, attend le voyageur.
Le désert, il faut en convenir, est aujourd'hui moins triste que la ville. Autour du village et entre les mai- sonnettes des Arabes se dressent des palmiers élancés et de vigoureux sycomores. Une source abondante en- tretient une délicieuse fraîcheur, et donne à la végéta- tion cette belle teinte verte que le voisinage des eaux conserve longtemps : charmants feuillages formant le plus agréable contraste avec les feuilles brûlées des coteaux. Cette fontaine porte le nom de la sainte Vierge. Marie, en effet, durant le séjour de trois mois qu'elle fit chez sa cousine Elisabeth, dut y venir fréquemment puiser de l'eau. Jamais nom plus gracieux ne fut donné à un site plus gracieux et à une source plus limpide et plus abondante.
Le couvent et l'église des Franciscains occupent l'emplacement de la maison de Zacharie. Le sanc- tuaire de la Nativité-de-Saint-Jean est orné de cinq l»;ts-reliefs en marbre d'un travail admirable et offerts par le roi de Naples. ils représentent la Visitation de la sainte Vierge, la Naissance du Précurseur, sa Pré- dication dans le désert, le Baptême de Jésus -Christ
276 JUDEE.
dans le Jourdain, et la Décollation. En ce lieu naquit le plus grand des enfants des homme*; on y a dressé un autel où tous les jours on célèbre la messe. C'est ici que Zacliarie fit retentir le magnifique cantique, c Béni si.it le Soigneur Dieu d'Israël, » Benedictus Ihutiiniis Deus Israël, que l'Lglise récite chaque jour dans l'office divin. Au-dessus de l'autel les eonnai>- seurs admirent un magnifique tableau de l'école espa- gnole; dans l'église supérieure ils s'extasient devant un tableau de Murillo. J'avoue qu'après avoir regardé ces chefs-d'œuvre avec attention, mon esprit en perdit vite l'impression, au souvenir des grands événements qui s'accomplirent en cette maison sainte. Mon imagina- tion me représente le vieillard descendant d'Aaron pre- nant entre ses bras le lils que le Ciel lui accorde dans sa vieillesse, recouvrant l'usage de la parole qu'il a perdu dans le Temple, et, plein d'un pieux enthou- siasme, disant cette magnifique prophétie, qui reten- tira sous la voûte de nos églises jusqu'à la fin des siècles. Les parents el les amis de la famille, témoins de tant de merveilles, sont dans l'admiration, et se demandent 1rs uns aux autres : Que /x'iis,'z-vous fjiic sera cet enfant? Voyez-vous rette scène d'une gran- deur et d'une simplicité antiques : ces joies intimes de la famille, les ('motions maternelles, l'inspiration du vieillard, les félicitations empressées de la foule, et ce ■ iiiinieiit inexprimable qui gagne les cœurs? Je n'ai jamais lu dans l'Evangile les détails de cette heureuse nati\ ité sans être touché profondément, [ci je me laisse aller aux plus douce-, impressions. Agenouillé dans ce sanctuaire obscur, j'ouvre l'Evangile de sainl Luc, et
SAINT-JEAN-DU-DÉSERT. 277
à la pâle Lumière des lampes je relis les chapitres re- latifs au Précurseur.
La basilique bâtie au-dessus de la crypte de la Nati- vité de saint Jean est une tirs plus belles que possèdent les Pères de Terre-Sainte. Des terrasses du monastère on jouit d'un coup d'œil imposant. « Le village de Saint-Jean-du-Désert est sur un mamelon entouré de toutes parts de profondes et sombres vallées dont on n'aperçoit pas le fond. Les lianes de ces vallées, qui fonl face de tous les côtés aux fenêtres du couvent. sont taillés presque à pic dans le rocher gris qui leur sert de base. Ces rochers sont percés de profondes ca- vernes que la nature a creusées, et que les solitaires des premiers siècles ont approfondies pour y mener la vie des aigles ou des colombes. Çà et là, sur des pentes un peu moins roides, on voit quelques planta- tions de vignes qui s'élèvent sur les troncs des figuiers, et retombent en rampant sur le roc. Voilà l'aspect de toutes ces solitudes '. »
A peu de distance, à deux cents pas environ de la maison où naquit saint Jean, on reconnaît à des dé- combres remplacement de la maison des champs de / charie. Elle s'élevait dans un site qui a dû toujours être agréable durant la belle saison. Aujourd'hui les ruines sont à demi cachées derrière de belles touffes d'arbres. Ici Elisabeth, devenue enceinte, resta dans la solitude durant cinq mois, fuyant les regards des hommes, cachant m quelque façon la faveur d'avoir été tir.',- de l'opprobre qu'elle souffrait au milieu des
1 \'o)ja<ie en Orient, tome I".
278 IUDÉE.
mères d'Israël1. En ce même lieu Marie vint visiter sa cousine Elisabeth, à travers les montagnes de la Judée Entrevue touchante! Deux femmes l'objet des plus insignes faveurs du Ciel se communiquent dans un saini emBrassement les grandes choses que Dieu a opérées en flics. A l'approche du Dieu caché dans le chaste sein de Marie, Jean tressaille, Elisabeth est i - ji iplie de grâces. Elisabeth, déjà avancée en âge, est la figure de l'ancien Testament; son fils sera regardé comme le dernier des prophètes et le premier des évan- gélistes*. Marie, l'Eve nouvelle, représente le nouveau Testament, la loi de grâce; en elle s'accomplissent les promesses faites aux patriarches et aux prophètes. Ici, dans un saint transport, Marie fit entendre le plus su- blime des cantiques : Magnificat anima mea Dominum. Aucun pèlerin catholique ne contemple ces débris sans invoquer la protection de celle que tous les siècles proclameront bienheureuse. En voyant ces pierres dis- persées, à la vue de ce sanctuaire démoli, des herbes et des ronces qui ont envahi le lieu saint, je pensai involontairement à lu France. Je me rappelais ces riches el élégants sanctuaires que la piété catholique élève et embellit chaque jour. Gomme tous les cœurs s'uniraient dans le dessoin de construire au moins une chapelle sur l'emplacement d'une maison habitée par la sainte Viergel Gomme mille pieuses industries s'ef- forceraient à l'envi d'en parer l'autel et les murailles Hélas! au xir -iècle, les croisés français avaient bâti l'église <\r la Visitation, el des religieuses ferventes, le
1 Luc, i, 24, 25. l Kpressi le l'ancienne liturgie gallicane
- \ [NT-JE kN-DU-DÉSERT. 279
jouretla nuit. \ payaientà Dieu un tribut d'adoration, et à sa Mère un tribul de louanges. La barbarie mu- sulmane a chassé les religieuses et renversé les murs de la petite basilique. J'ai voulu du moins que l'écho
n'oubliât pas les accents français, qu'il avait sans doute répétés tant de lois en des temps plus heureux. et je redis à haute voix : Je vous salue, Marie; vous êtes bénie entre toutes les femmes.
Au moment où je prononçai le nom de Marie, plu- sieurs Arabes chrétiens qui m'entendirent répétèrent : Marie! Marie! Quelques musulmans qui passaient s'arrêtèrenl el non- regardèrent; eux-mêmes murmu- raient ce doux nom, si cher à la piété : Marie! Jamais je ue compris mieux qu'en ce moment combien sont vaines le> froides doctrines du protestantisme refusant de rendre hommage à la Mère de Dieu.
Le temps de l'enfance écoulé, saint Jean vécut au désert, où il resta vingt ans environ, s'exerçant aux rudes labeurs de la pénitence, préludant aux prédi- cations qui devaient ébranler tant de consciences et attirer tant de personnes sur les bords du Jourdain. Ce désert est à huit kilomètres environ du village. C'est une solitude sauvage; dans les flancs d'un rocher es- carpé s'ouvre une grotte d'un accès difficile. Elle n'est pas très-profonde, et l'on y voit une saillie taillée de main d'homme préparée [tour servit' de siège et de rouche. On l'appelle communément le lit de saint Jean. Dans le désert, dit Origène, l'air est plus pur, le ciel plus ouvrit, et Dieu plus familier '.
1 ( hîgen., Homil, 1 1 in Luc
280 JUDÉE.
Le long du rocher descend un léger filet d'eau dé- gouttant dans un petit bassin d'où il s'échappe à travers le vallon , en donnant naissance à un joli ruban vert. Sur le versant de la colline, les caroubiers poussent et se multiplient. Ce sont des arbres de belle apparence. Le bois en est très-dur. Les fleurs donnent naissance à il»- longues siliques qui servent de nourriture aux pauvres. Ce fruit de forme bizarre avait reçu, eliez les anciens, le nom de locuste, à cause de sa ressemblance avec certaines sauterelles. En plusieurs pays on l'ap- pelle vulgairement pain de saint Jean. (v)uoi qu'il en soit, il est certain qu'en plusieurs régions d'Asie et d'Afrique les gens du peuple se nourrissent de saute- relles, qu'ils l'ont rôtir ou sécher ou soleil. A cette nourriture saint Jean ajoutait du miel sauvage. Il n'est pas rare, en effet, de trouver du miel en Judée, même dans l»'s plus affreux déserts, entre les fentes des ro- chers; les abeilles y sont très- communes, et souvent fort importunes.
La remarque relative au caroubier a été faite avant non-. Nous lisons dans le Vinjcujc inédit, récemment publié '. un passage où l'auteur, du xvr siècle, raconte une excursion à la grotte de Saint-Jean, « Deux mille pas plus avant, dit-il, esl le désert où saint Jean-Bap- tiste alla faire demeure jusqu'à l'âge de sept à huit ans jusqu'à vingt-cinq, qu'il alla prêcher en un autre dé- sert qui est sur la mer Morte, faisan! en ce premier une vie austère, ne mangeant que de certains fruits ap- pelés en moiTsipir nimuhis, et anciennement locustœ,
1 I1 m li - i olonneg «lu Moniteur.
SA INT-.IK IN-DU-DÉSERT. 28d
ce qui a fait pensera plusieurs que saint Jean en son désert vivoit de sauterelles , et d'antres ont cru quec'é- toit du pain de fougère; mais si ces interprètes de l'Écriture prenoienl la peine de se transporter sur le lieu, ils ne trouveraient apparence d'aucun de ces deux aliments, mais bien quantité d'arbres portant de ce fruit que j'ai dit, lequel, étantmûr, est tanné et presque fait en gousse, ainsi que les fèves faséoles, ayant le goût fort doux et fort nourrissant, branlant et se re- muant toujours sur l'arbre au moindre vent. » Plu— sieurs voyageurs ont noté, comme moi, que dans ce désert ils n'ont vu aucune sauterelle. Peut-être ne s'y trouvaient-ils pas à l'époque où cet insecte se développe et fait parfois tant de ravages dans les champs cultivés. .Te visitais le désert de Saint-Jean au commencement du printemps, et alors les sauterelles, en Orient, comme chez nous, ne sont pas encore nées.
Il y avait jadis un monastère au-dessus de la grotte de Saint-Jean. Quelques décombres en indiquent la place. De ce lieu on aperçoit et la vallée du Térébinthe et les hauteurs de Modin; ainsi de ce petit coin de terre on découvre le théâtre des exploits de David et d( s luttes des Machabées.
Malgré les difficultés de la route, nous avions résolu de ne pas rentrer à Jérusalem sans avoir visité le vil- lage de Beit-Djala. Nous tenions à donner un témoi- gnage de sympathie aux catholiques qui y résident au milieu de Grecs intolérants. La population est d'en- viron deux mille âmes, et les schismatiques y sont en majorité. Le patriarche latin de Jérusalem y fut lui-même naguère l'objet des insultes de la populace;
282 JUDÉE.
mais le consul de France à Jérusalem ne pouvait lais- ser impunis d'aussi grossiers outrages. Grâce à son énergie, grâce aussi aux événements qui se passaient alors en ('aimée, les réclamations furent écoutées à Gonstantinople, justice fut accordée aux justes plaintes de M. Botta et de Mgr Valerga. Aujourd'hui une charmante église s'élève à Beit-Djala, et les élèves du séminaire de Jérusalem viennent y passer l'été.
CHAPITRE XVI
HAMl.KH KT JAFFA
a plupart des voyageurs européens qui se dirigent vers la Palestine, après avoir salué de loin la Grèce et l'Egypte, débarquent à Jaffa, rendez-vous or- dinaire des navires et des cara- vanes. Ils arrivent à Jérusalem, en passant à Ramleh , à travers les arides montagnes de la Judée. Nous étions venus à Jérusalem en suivant une autre di- rection et par des chemins moins fréquentés. 11 nous restait à visiter, vers l'occident, plus d'un site historique avant d'entreprendre le voyage de Jéricho, du Jourdain e1 de la mer Morte. Quand nous serons lancés dans notre lointaine pérégrination de la Galilée, de Damas et du Liban . aurons-nous en- core l'occasion de voir ces monts, ces vallées, ces
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villages, ces ruines, qui parlent si éloquemment à la mémoire, à l'imagination, au sentiment et à la piété? En compagnie de quatre hardis pèlerins, deux Fran- çais, un Anglais et un Russe, je résolus d'explorer les cavernes de Thecué, Modin, tombeau des Machabées, Saint -Samuel, Saint -Jérémie, Emmaùs, Latroun, Ramleh, et d'aller jusqu'à Jaflfa. Cette longue excur- sion, il faut en convenir, n'est pas sans dangers. Nous avions à traverser des déserts, des ravins, des défilés où l'Arabe pillard se cache aisément et jouit trop sou- vent avec impunité du fruit de ses brigandages. La crainte ne nous fait pas hésiter un instant; mes com- pagnons partent armés jusqu'aux dents; nous jetons un regard sur le dôme du Saint-Sépulcre, et, pleins de résolution, nous commençons notre course aventu- reux'.
La vallée du Térébinthe s'ouvre presque à la base des murs de Jérusalem, vos l'ouest. Etroite, profonde, -inueuse, accidentée, elle court entre des montagnes abruptes et des collines ornées de nopals, de syco- mores, d'oliviers et de mûrier.-. Quelques pauvres villages sont perchés au sommet, ou suspendus au liane des coteaux. Au fond, une longue traînée de pierres polies marque le lit d'un torrent. En hiver des eaux bourbeuses v bouillonnent. Ordinairemenl il est à sec, et ses rives, au lieu de verdure, nofifrenl que des cailloux, <\r<, quartiers de rocher, <\e^ ravins et un sol bouleversé. De toutes parts la nature présente un as- ped morne et sauvage. La poésie pourrait aisémenl en faire le théâtre d'un combat de géants, si l'histoire ne remplaçai! ici la poésie.
RAMLEH ET l A I I A. 285
La vallée du Térébinthe lut témoin des exploits de David, el c'est parmi les pierres qui encombrent le lit il»' ce même torrent qu'il choisil celles dont il s'arma contre Goliath. Sur ces hauteurs les Philistins avaient assis leur camp; en face se déployaient 1rs tentes des Israélites. La vallée séparail les combattants. Les guer- riers des deux partis calculaient leurs forces; mais du côté des Israélites 1rs espérances étaient inégales. L'at- tente d'événements décisifs dura quarante jours. Chaque matin un géant d'une taille el d'une force extraordi- naires revêtu d'armes d'airain, brandissant sa lance, descendait «lu camp des Philistins, venait d'un air dé- daigneux jeter un défi au plus brave des Israélites. Non content de provoquer ses adversaires, il insultait au Dieu des Juifs, mêlant des blasphèmes à ses bra- vades. Chaque jour il revenait au milieu des siens plus insolent et comme enivré de ses vaines paroles. Mais Dieu préparait la vengeance.
A peine sorti de l'adolescence, David était venu au camp demander des nouvelles de ses frères, et leur ap- porter quelques provisions. David fut vivement ému de tant d'outrages. Éprouvant au fond du cœur ce secret instinct qui pousse aux grandes choses, il méprise les conseils d'une fausse prudence, et se présente devant Siuil. sollicitant l'honneur de combattre seul cet étran- ger. On lui oppose sa jeunesse, son inexpérience, et jusqu'à la délicatesse de ses membres. Le berger dit avec fierté qu'en gardant ses troupeaux il a plus d'une fois lutté contre les animaux les plus féroces, et vaincu les ours et les lions. Le roi consent enfin; mais il veut que le jeune guerrier endosse sa royale et solide ai-
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mure. A peine a-t-il fait quelques pas, que, gêné de ce lourd attirail de guerre, David le rejette et ne garde que son Léger bagage de pâtre. Il choisit cinq pierres polies dans le lit du torrent, les met dans sa pane- tière, el s'avance armé d'une fronde et d'un bâton. Chacun admirait sa beauté et son audace; tous le sui- vaient des veux et du cœur. « Me prends -tu pour un chien, lui dit Goliath, pour que tu viennes vers moi avec un bâton? Je viens au nom du Dieu d'Israël, » répliqua David. Au même instant il saisit une pierre, balance sa fronde, et frappe le géant au front. Goliath chancelle et roule à terre: le jeune homme vole avec la rapidité de l'éclair, prend le glaive de son ennemi. et lui tranche la tête. A ce spectacle, les Juifs poussent un grand cri, ils s'ébranlent aussitôt, et se précipitent sur leurs adversaires. En proie à la terreur et au dé- couragement, les Philistins n'opposent aucune résis- tance; ils quittent le champ de bataille, et cherchent leur salut dans la fuite. La victoire fut complète.
Les éternels ennemis du peuple de Dieu subirent. dans cette mémorable journée, les pertes les plus sen- sibles. David se couvrit de gloire, et la nation entière lui témoigna sa reconnaissance. Les femmes, accou- rant au-devanl «les vainqueurs, au milieu des danses et des acclamations, faisaient entendre ces paroles ; » Saul en a frappé mille, David en a tué dix mille. » Ces louanges blessèrent la susceptibilité du monarque; il -• n plaignit hautement. Bientôt se jalousie se changea en fureur; il voulut tuer le jeune héros; mais celui-ci s'enfuil dans le désertj el mena nue vie a^ïlée jusqu'à
qu'il vint lui-même s'asseoir sur le trône,
i;.\ M 1,1.11 ET .IAI'1 A. -287
Le térébinthe, qui a donné son nom à la vallée, est un arbre célèbre, en ( Prient, par la beauté «le son feuil- lage et la suave odeur de son bois. Il est résineux, et donne, par incision, la véritable térébenthine employée dans les préparations pharmaceutiques. L'écorce est aromatique, et se brûle comme de l'encens. On contit et on mange les fruits, qui ont une saveur légèrement acide. Cet arbre se plaît dans les lieux arides et exposés à raideur du soleil; on le cultive dans le midi de la France; mais il n'y dépasse pas la taille d'un arbris- seau. Nous devons ajouter que le nom hébraïque du térébinthe n'a pas toujours été traduit de la même manière, en sorte qu'il a été souvent confondu avec le chêne et l'yeuse.
La tradition judaïque n'a jamais oublié le lieu du triomphe de David ; et il faut convenir que le voyageur instruit qui parcourt ce pays la Bible à la main le dé- couvrirait aisément, quand bien même le silence le plus complet régnerait à ce sujet, tant la description en est exacte et frappante. Voici bien ces montagnes qui se dressent en face l'une de l'autre; ici se tenaient les Israélites; là campaient les Philistins. Entre elles s'ouvre la vallée, et au fond un torrent y a semé son lit de pierres roulées. Les siècles, témoins de tant de 'hangements dans nos cités, de tant de révolutions dans les empires, ont passé sur ces monts et ces val- lées sans y rien changer. A l'endroit où Goliath roula dans la poussière, les premiers siècles chrétiens éle- vèrent un monastère et une église. Au pied de ces monuments, d'humbles habitations étaient venues s'abriter, et donnèrent naissance à un village que les
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chroniqueurs des croisades appellenl Kalonia, et les Arabes Kalonieh. Les voyageurs modernes ont décrit les ruines de vieux édifices; ils y ont vu des restes de monuments hébraïques, romains et francs. Leur juge- ment n'a rien qui doive étonner : c'est le privilège de certains monuments d'être l'œuvre de tous les âges.
A dix kilomètres environ de Jérusalem, vers le nord- ouest, et dans la direction que nous suivons, se trouve Emmaùs, chétif village où quelques pauvres familles arabes habitent des masures. Cette triste bourgade pourtant est restée célèbre dans nos souvenirs chré- tiens. C'est sur le chemin d'Emmaus que, le jour même de sa résurrection, vers la nuit tombante, Jésus-Christ apparut à deux de ses disciples s'en allant tristement, préoccupés de la mort de leur maître. Le Sauveur avait pris la forme d'un voyageur, et il Leur expliqua, d'après les Écritures, qu'il était nécessaire que le Christ souffrit la mort, et qu'il ressuscitât. Arrivés au terme de leur «•«anse, les disciples retinrent Jésus, qui feignait de vouloir aller plus loin. Pendanl le repas leurs yeux -ouvrirent à la traction du pain, et ils le reconnurent: mais il disparul aussitôt. Ce fait se passa dans la mai- >.,n de Cléoplias. Au iv siècle, sainte Paule fit ériger une église sur le même emplacement; il en reste en- core quelques débris.
Emmaûseul une certaine importance jusqu'au temps néfaste de l'invasion musulmane. Rien de plus misé- rable aujourd'hui que les sales chaumières el les fel- lahs qui les habitent. Au wir siècle, le P. Bernardin Surius, gardien du monastère du Saint- Sépulcre, alla i au château d'Emmaus, duquel, dit-il, ne reste rien
RAM LE H ET JAFFA. 289
que quelques pans de vieilles murailles. Sur le lieu où Qostre Seigneur estoii à table avec ses disciples, et rompit le pain, se voit un verd olivier, où aïant chanté l'évangile de ce jour, et chascun faict sa dévotion, re- tournent t<»u- ensemble vers Jérusalem. »
Les anciens ont vanté les eaux thermales d'Emmaùs. Quelques-uns attribuent la vertu de ces eaux à la puis- sance «le Jésus-Christ, qui y trempa ses pieds f;digué> d'une course évangélique. La principale source, sui- vant l'historien Sozomène, coulait à l'entrée du village, sur la place où le Sauveur feignit de vouloir quitter ses deux disciples. Julien l'Apostat lit combler cette fontaine, afin de contrister les chrétiens, qui s'y ren- daient en foule1.
Nous sommes ici dans le pays des prodiges. A peu de distance s'élevaient jadis Gabaon et Ramatha; la plaine d'Aïalon s'étend à nos pieds. De Gabaon il ne reste rien. A Ramatha a succédé un petit village qui porte le nom du prophète Samuel. A peine Josué eut-il franchi le Jourdain à la tête des Hébreux, que les Gabaonites, remplis de terreur à la nouvelle des pro- diges que le Seigneur opérait en faveur de son peuple, ns( rent de stratagème afin d'obtenir un traité d'al- liance. Leurs voisins, irrités, se réunirent pour châ- tier ce qu'ils appelaient une défection. Ils entourèrent Gabaon, et pressèrent le siège de cette ville avec tant d'ardeur, que la chute en paraissait inévitable et pro- chaine. Des ambassadeurs courent implorer le secours
1 Sozomène, Histoire ecclésiastique, liv. V, ch. xxi. — Jl y avait plu- sieurs bourgades du nom d'Emmaùs. Nous parlerons plus loin de l'Emmaus de Galilée.
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de Josué. Sur-le-champ Le conducteur des tribus Israé- lites se met à la tête d'une troupe choisie, et vole sous les murs de la cité. Surpris et déconcertés, les assié- geants se débandent. Les vainqueurs les poursuivent el en font un horrible carnage. Le Ciel même se charge il.- les accabler jusque dans la déroute : une grêle de pierres en tue un grand nombre. Afin d'achever sa victoire, Josué obtient de la toute -puissance de Dieu un miracle signalé. « Soleil, dit-il, arrête-toi sur Ga- b.-ion; et toi, lune, n'avance pas sur la vallée d'Aïalon. » Le soleil et la lune s'arrêtent; et les ennemis essuient h ii de ces désastres épouvantables dont l'histoire garde à jamais le souvenir. Cinq rois furent pris et enfermés dans une caverne. Le vainqueur ordonna qu'on les mît à mort. Ce fut le dernier gage d'une des plus éclatantes victoires enregistrées dans les sanglantes annales de la guerre.
Selon L'opinion la plus probable, Samuel naquit à Ramatha; il est certain qu'il veut son tombeau. Samuel tut un des plus illustres chefs de la nation choisie de Dieu. Aucun homme, en aucun temps et en aucun pays du monde, n'exerça de plus grandes e1 de plus salutaires influences sur les destinées de son pays. Il -ut le bonheur d'assurer l'indépendance de sa patrie compromise par les succès des Philistins, .luge et pro- phète en même temps, il réussil à faire comprendre à compatriotes «pie leurs revers étaienl la punition 'l«' leur- crimes : sainte e1 admirable politique con- forme aux vue- de la Providence, qui exalte ou humilie les nations, en exécution de justes décrets dont les hommes voienl l'accomplissement sans en saisir les
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causes, l'eu de temps avant de mourir. Samuel con- voqua les tribus ru assemblée solennelle. Il leur de- manda publiquement si elles avaient à se plaindre de sa longue administration : bel exemple donné à tous les hommes appelés au gouvernement des empires! Samuel était sur de La réponse de sa conscience; les Juifs lui rendirent un témoignage propre à honorer éternellement sa mémoire. Lorsqu'il eut rendu le der- nier soupir, son corps tut déposé en paix dans un sé- pulcre creusé près de sa maison. La nation entière le pleura; et la postérité a donné son nom à ce coin de terre, qui le conserve encore, quoique ses restes mor- tels, au rapport de saint Jérôme, aient été transportés en Thrace.
Un peu plus loin, Modin, la ville des Machabées, domine tout le pays. On traverse le village arabe de Suba avant d'arriver aux ruines et au sépulcre des guerriers des derniers âges héroïques de la Judée. La montagne de Modin était sur le territoire de la tribu de Dan. C'est là que le vieillard Mathathias , animé d'un feu divin, exhortait ses enfants et ses compa- triotes à secouer le joug honteux de la tyrannie. <t Sou- venez-vous des actions de nos ancêtres, disait-il, et vous acquerrez une gloire immortelle. » Près de Modin, Judas Machabée, à la tête d'une poignée de braves, remporta une victoire signalée sur les troupes d'Antiochus-Eupator. Judas Machabée est une des plus belles ligures de l'antiquité. Il eut la grandeur d'âme, le génie militaire, la valeur et l'audace des plus illustres capitaines. S'il prit les armes, ce ne fut pas uniquement pour la gloire; son cœur et sa main
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étaient dirigés par de plus nobles motifs. Il combattit pour La rrliirion et l'indépendance de sa patrie, les deux plus belles causes qui puissent faire battre le cœur d'un homme. Après avoir remporté de brillantes victoires, il mourut comme il convenait à un héros, les armes à la main. Vn monument funéraire fut érigé ;'i la m (''i noire de son père et de ses frères par Simon, le dernier des Machabées, qui recueillit le fruit de laiil de sacrifices et de tant de sang répandu. Simon traitait d'égal à égal avec les rois de Syrie; il renouvela les alliances de la nation, fit renaître partout la sécu- rité, le calme et l'abondance. Sous son gouvernement les lois furent respectées, le commerce fleurit. Chacun , -ni vaut l'expression de nos livres sacrés, se reposait en paix sous sa vigne et sous so)i figuier. Le sépulcre drs Machabées, bâti sur une hauteur, pouvail être aperni à de grandes distances, et même de la pleine mer par les navigateurs. I /édifice était composé de pierres Manches et bien taillées; des colonnes et des sculptures en faisaient l'ornement. Sept pyramides le surmontaient. (!e monument existait, quoique mutilé, du temps d'Eusèbe «le Césarée et de saint Jérôme. Au- jourd'hui il a entièrement disparu. La caverne sépul- crale seule existe encore '.
G'esl du sommet de Modin, que Richard Cœur-de- Lion aperçu! Jérusalem, à seize kilomètres environ de distance. « Richard, l'Achille des croisades, «lit M. Pou- joulat, pleura à l'aspecl de cette cité, pour laquelle il
' En l>.v(. M, Salzmann ;i pénétré dans une dea chambres sépulcrales. On ne pourra se rendre compte de l ensemble de ce monument funéraire [ue lorsque tous les caveaux auront été déblayés.
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avait pris la croix et L'épée, et que sa bravoure ne pouvait délivrer. » Le vaillant roi d'Angleterre se ca- cha ensuite le visage derrière son bouclier, en disant qu'il n'était pas digne de contempler la ville sainte que ses armes étaient impuissantes à délivrer. C'était un beau spectacle: sur les tombeaux des défenseurs d'Israël, le défenseur de la croix, cent fois vainqueur des barbares modernes, versant i\t'< larmes de dou- leur d'émotion et de piété à la vue de Jérusalem! Ta- bleau digne de la poésie du Tasse et du pinceau de Raphaël !
Les chrétiens donnent le nom de Saint-Jérémie au village arabe de Kuriet-el-Enab ; les auteurs , tant an- ciens que modernes, ne sont pas d'accord sur celui qu'il portait primitivement. On pense communément qu'il a remplacé Anathoth, patrie du prophète Jérémie. Ce serait donc ici qu'à l'âge de quinze ans, le prophète reçut la redoutable mission d'aller reprocher aux Juifs leurs crimes et leur ingratitude envers Dieu. Après avoir prédit la ruine de la cité coupable, Jérémie, témoin des calamités qui pesaient sur la Judée, pleu- rant au milieu des tristes débris de Jérusalem, prise, saccagée et renversée par les Assyriens, lit entendre les lamentations, écho toujours vivant de la plus amère douleur, expression éternelle des sentiments d'affliction qui débordent du cœur humain. Les chrétiens, maîtres de la Palestine, n'oublièrent pas le prophète : une belle église gothique s'éleva dans ce village sous le titre de Saint-Jérémie. Il y a deux siècles environ, les Fran- ciscains la desservaient, et occupaient les bâtiments du monastère. Les Arabes y pénétrèrent la nuit par
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surprise, égorgèrent Les moines, pillèrent L'église et le couvent, et mirent tout en feu. Aujourd'hui les ruines m. ut encore imposantes. Des pans de murailles sont couronnés de créneaux : vain appareil de défense qui n'a pas servi de protection an moment du danger. Au fond de l'abside on distingue des traces de peintures murales, des nimbes d'or, do longues tuniques où dominent la pourpre et l'azur.
< >n lit dans ['Histoire des croisades que l'armée chré- tienne, en marche dès l'aurore, arriva le soir au village d'Anathoth , où elle passa la nuit. Elle y reçut une dépu- tation des catholiques de Bethléhem, qui venaient en suppliant réclamer de prompts secours contre les troupes musulmanes. En ce même endroit, des chré- tiens fugitifs accoururent de Jérusalem au-devant de leurs libérateurs, et firent connaître L'état des forces et les projets dc> infidèles. Ces deux événements, assez indifférents dans le cours d'une guerre ordinaire, eu- rent les plus graves conséquence- dans la marche de l.i première expédition d'outre-mer. Nos chroniqueurs les racontent avec une sorte de joie concentrée propre j faire comprendre les sentiments qui alors agitaient tous les cœurs. (Quelques beures après, en etl'et, les bannières de la croix flottaient sur les murs de Beth- lébeui, et bientôt les guerriers lianes devaient saluer de leur- pieuses acclamations les tours de Jérusalem.
Le village de Saint-Jérémie esl devenu célèbre dans les récits *\r> voyageurs modernes, grâce aux exploits du cheik Abou-Gosch. Quand nous disons exploits, c'est par euphémisme; beaucoup ont dit brigandages. A la tête d'une troupe d'Arabes déterminés, ce chef
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terrible rançonnait les voyageurs, pillait les caravanes, n»' reculanl ni devant la violence, ni devant l'assas- sinat. Dans les montagnes voisines, de Modin à Hébron, quinze mille Arabes obéissaienl à ses ordres. Cette borde sauvage répandait parfont la terreur. Abou- Gosch étail devenu nue puissance redoutable avec la- quelle l'autorité des pachas fut obligée plus d'uni1 fois de compter. Dans son Voyage en Orient, M. de Lamar- tine rapporte la conversation qu'il eut avec ce redouté personnage. « Connaît -on mon nom en Europe? de- manda le cheik. — Oui, répondit le voyageur; les uns disent que vous êtes un brigand, pillant et massacrant les caravanes, emmenant les Francs en esclavage, et l'ennemi féroce des chrétiens; les autres assurent que vous êtes un prince vaillant et généreux, réprimant le brigandage des Arabes des montagnes, assurant les routes, protégeant les caravanes, l'ami de tous les Francs , qui sont dignes de votre amitié. — Et vous , reprit le voleur en riant, que direz -vous de moi? — Je dirai ce que j'ai vu : que vous êtes aussi puissant et aussi hospitalier qu'un prince des Francs, qu'on vous a calomnié, et que vous méritez d'avoir pour amis tous les Européens qui, comme moi, ont éprouvé votre bien- veillance et la protection de votre sabre. y> Abou-Gosch parut enchanté. Ce brigand n'était guère accoutumé à de pareilles louanges. Les pachas de Damas et de Saint -Jean -d'Acre n'étaient pas aussi indulgents que le poëte français; plus d'une fois ils le poursuivirent à main armée, et Ibrahim -Pacha le fit jeter en prison. Mais les nécessités de la politique lui ouvrirent les portes du cachot. Abou-Gosch est revenu dans son
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château deModin: il n'est plus aussi audacieux depuis qu'il a appris par une rude expérience qu'il n'est pas sûr de L'impunité.
Les montagnes delà Judée adoucissent leurs pentes à mesure «pie nous avançons vers Ramleh, assis dans une pleine sablonneuse. Nous traversons la bourgade d'Amoas, et nous nous dirigeons, non sans quelque IVaveiir, vers le village de Latroun, à droite de la route. C'est un amas de maisonnettes bâties sur un tas de décombres. Latroun est la patrie présumée du bon lar- ron. Il y avait jadis un château fort, et de vieilles chro- niques disent sérieusement que ce beau manoir avait été converti en un repaire de brigands par le seigneur du lieu, qui fut pris ensuite et condamné â mourir en noix. D'anciens écrivains ont fait cette remarque naïve et malicieuse en même temps, « qu'il n'y a guère d'ap- parence qu'un homme ayant un si beau lieu eût été de condition si misérable que de se faire voleur de grand chemin, e1 faire métier de détrousser et égor- ger les passants, quoiqu'il ne fût pas peut-être sans exemple. - // est rare, dit le I*. Nau,gM'wn seigneur d( marque se fasse voleur de grand chemin. Ce qui est certain, c'esl que les traditions du vol et du brigan- dage sont permanentes en ce pays. Il faut être bien armé pour oser s'aventurer dans ces vallons: la foire esl la seule recommandation qui soit respectée.
Peut-être Latroun fut-il ainsi appel»', non à cause • lu séjour que le bon larron y lit jadis, ce qui esl dou- teux, mais paie- .pie les chrétiens y avaient consacré un oratoire en son honneur. Les pèlerins voulaient
ins doute se mettre sous sa protection contre les at-
RAMLEII ET IAFFA. '207
taques des mauvais larrons, dont la race s'est perpé- tuée en ce lien. (Juoi qu'il en soit, la chapelle a dis- paru, et les voleurs restent. Nous rapporterons ici une curieuse Légende qui a souvent charmé la foi naïve de nos pères, et qui nous a été conservée même dans des livres savants. La sainte famille, .lésus, Marie et Jo- seph, fuyant la cruauté d'Hérode, tombe entre les mains des malfaiteurs qui infestaient alors tous les grands chemins. Cette pauvre famille voyage bien mo- destement. Un des larrons, touché de compassion, la prend sous sa protection et la défend contre la rapa- cité d'un de ses compagnons. Il va même jusqu'à payer une rançon pour accomplir son généreux dessein. Non content de cela, il accompagne les fugitifs à travers les déserts, et les garde de toute mauvaise rencontre; il les quitte seulement à leur entrée en Egypte. Ce sont ces deux larrons que nous retrouvons plus tard au Cal- vaire : l'un blasphème contre Dieu , et meurt impéni- tent, c'est le mauvais larron; l'autre, au contraire, pro- clame la justice de sa condamnation, reconnaît son Sauveur en celui que les Juifs ont crucifié comme un malfaiteur, et lui demande de vouloir bien se souvenir de lui lorsqu'il sera dans son royaume. Jésus lui pro- met la gloire du paradis. C'est le bon larron, qui reçoit ainsi la récompense de sa charité '.
A Ramleh, il y a un couvent de Franciscains, où nous attend une bienveillante hospitalité. Jadis Ramleh eut une grande importance Au temps des croisades c'était la seconde ville de Palestine. Les caravanes qui se ren-
i D'Herbelotj Biblioth. Orienlulc — Baillet, Vies des Saints , 55 mars.
JUDEE.
liaient àJérusalem, ou qui allaient d'Egypte à Damas, s'y arrêtaient. C'étail un entrepôt de commerce consi- dérable. Aujourd'hui c'est une grosse bourgade de trois mille habitants environ, la plupart musulmans; il y a des Grecs el des Arménien- en assez grand nombre el quelques familles catholiques seulement. On pense gé- néralement qu'elle a remplacé l'ancienne Arimathie, patrie de Joseph et de Nicodème. Les antiquités n'y sonl pas forl remarquables. L'inventaire en sera com- plet quand nous anions nommé la maison et l'église des Pères de Terre-Sainte, quelques fragments de mu- railles crénelées bâties par les croisés, et, dans le voi- sinage, La tour des Qnarante-Martyrs, les ruines d'une maison de Templiers et les vasques de sainte Hélène. I Muant L'expédition française de Syrie, Bonaparte établit son quartier général dans les bâtiments du mo- nastère. L'église fut transformée en hôpital à l'usage des malades e1 des blessés, lins d'un de ces braves fut enseveli dans la fosse commune où dorment depuis des ùècles les chevaliers morts au service de la croix. Ainsi, à sepl siècles d'intervalle, des guerriers français vinrent partager le même tombeau. Des officiers dé- couvrirent au-dessns d'une tombe, sur un fragment de vitrail peint. L'inscription latine suivante:
Quid prodesl vixisse diu? cum fortiter ai ta Abdideril latebriajam raea tempus edax;
Tempore rama périt, pudorl '-t mors, atque vel ipsam Prsetereunl tempus; morsque Becunda venil '.
i C ndarn >■ d'OrCenl , tome l V
RA.MI.K1I ET .1 AI l'A. 299
Nulle épitaphe ne résume en tennes plus énergiques la vanité de la gloire humaine. La renommée périt par Vinjuredu temps; le temps jaloux couvre les html* faits des ténèbres de l'oubli. Hélas! ces tristes plaintes n'eurenl jamais de plus fidèle écho que dans les champs de Ramleh. En 1103, les plaines voisines furent arrosées de sang chrétien. Les croisés y per- dirent une bataille dans laquelle périrent les comtes de Blois et de Bourgogne et une foule de chevaliers; le roi Baudouin Ier lui-même eut peine à s'échapper en se cachant parmi les bruyères. Les Sarrasins mirent le feu aux herbes sèches, et le prince fut sur le point d'être «'touffe. A la faveur de la nuit, il réussit à entrer dans la ville, et, grâce à la générosité d'un émir qui lui devait de la reconnaissance, il rejoignit l'armée chré- tienne. En 1177. Baudouin IV vengea noblement cette défaite. A la tête d'une poignée de braves il tailla en pièces l'armée de Saladin, dix fois plus nombreuse que la sienne. « La vraie croix, dit Guillaume de Tyr, dans cette mémorable journée, parut grandir, s'élever jusqu'au ciel, et couvrir de son ombre tout l'horizon. » Chrétiens et infidèles attribuèrent à un miracle cette victoire signalée. Deux fois Richard Gœur-de-Lion vint camper dans les plaines de Ramleh. Les tentes des croisés couvraient tout le pays. Ainsi ces campagnes qui s'étendent à nos pieds ont jadis retenti au bruit des armes et aux acclamations de la victoire. Mais, suivant les paroles de l'inscription de Ramleh, le temps couvre les hauts faits des ténèbres de l'oubli, l'as un des Arabes qui foulent actuellement ce sol ne connaît le nom ni les exploits de ces héros fameux. Il n'y a que le pèlerin
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venu d'Europe qui évoque encore Le souvenir de ces gloires.
|)e Raiiilcli à .latla s'étend une plaine légèrement ondulée : c'est celle de Saron, dont parlent souvent nos livres saints. En été, elle est brûlée du soleil: au printemps, elle ressemble à une magnifique prairie. Joppé, actuellement Jaffa, est une des plus anciennes villes du monde, illustrée par la poésie et par l'his- toire. La fable d'Andromède, exposée sur ce rivage au monstre marin qui doit la dévorer, nous touche faible- ment, quoique saint Jérôme prétende avoir vu de son temps les chaînes de la fille de dépliée et de Cassiope. Les navires de Salomon entraient dans le port de Joppé chargés ({('* cèdres du Liban et des matériaux que le roi 1 liram fournissait pour la construction et l'ornement du temple de Jérusalem, [ci s'embarqua .lonas, rebelle à Tordre de Dieu et à la mission d'aller prêcher la péni- tence à Ninive. Judas Machabée y remporta une vic- toire, el vengea la mort de ses frères tués en trahison. Sainl Pierre y ressuscita Tabitha, femme remplie de bonnes œuvres et d'aumônes. Là encore le Ciel lui en- voya cette vision merveilleuse annonçant aux apôtres qu'ils ne devaient plus faire de distinction entre les Juifs et les gentils lorsqu'ils trouveraient (\*'> comrs disposés à s'ouvrir à la lumière de la vérité*. Le prince des apôtres y recul l'hospitalité chez Simon le cor- eur, près du rivage de la mer. Cette maison, jadis
transformé n sanctuaire, es1 en ruines.Des auteurs
prétendenl que cette modeste habitation a été rempla- cée par les bâtiments du couvent des Pères de Terre- Sainte. Prise el ruinée à l'époque du soulèvemenl des
KA.MI.KII ET LU I A 303
Juifs contre les Romain-, la ville de Joppé se releva -"us Constantin, ei «'ni longtemps un siège épiscopal. Les croisés s'eu emparèrent de bonne heure; mais ils la perdirenl en 1188. Ils la recouvrèrenl plus tard, et saint Louis en rebâtit les fortifications. Le roi croisé, afin de stimuler L'ardeur îles ouvriers, travailla lui- même à cet important ouvrage. « Me souviens, raconte le sire de Joinville, que le my venoil souvenl voiries ouvriers, et, pour donner couraige de bien diligenter, leur disoit que plusieurs fois il avoit porté la hotte pour gaigner des pardons. » La reine Marguerite, épouse de saint Louis, y donna naissance à une jeune prin- cesse nommée Blanche. Enfin, en 1268, la ville re- tomba pour toujours entre les mains des infidèles. De- puis lors Jaffa décrut considérablement. Au xvie siècle, ce n'était plus qu'un village et qu'un amas de dé- combres. Aujourd'hui elle est en voie de prospérité. Les paquebots-poste d'Occident y abordent régulièrement ; et, malgré les rochers à Heur d'eau qui en rendent L'accès difficile, le commerce y attire beaucoup de monde. Gomme dans toutes les villes situées sur les côtes de Syrie, les rues sont petites, sombres, étroites et sales. Au centre de ces tristes habitations, nous nous arrêtons quelques instants chez les pieuses sœurs de Saint-Joseph-de-rApparition, où nous étions sûrs d'avance d'être témoins du spectacle d'édification que présentent toutes les maisons de religieuses françaises vouées aux œuvres de charité. Ces humbles femmes y donnent des leçons et de bons exemples à une centaine déjeunes filles latines, maronites, grecques, juives et même mahométanes. C'est la première école catho-
304 JUDEE.
lique ouverte à Jaffa. Que les philosophes et les poli- tiques rêvent la régénération de l'Orient, en appuyant leurs espérancei sur une foule d'améliorations préten- dues, nous ne les contrarierons pas. La régénération de I < trient n'aura pas d'autre cause active que la cha- i ité évangélique. Nous aurons plus d'une fois occasion de le constater, la femme chrétienne, la sœur de Cha- rité, en plantant sa tente sur cette terre où la femme a été si profondément humiliée, a jeté la semence féconde • l»' la vraie civilisation.
CHAPITRE XVII
SAINT-SABAS
R
a montagne où jadis fut Thécue, pa- trie du prophète Amos, s'élève à en- viron huit kilomètres de Bethléhem. Après avoir traversé des terres in- cultes, nous longeons dos champs d'orge, semblables à de magnifiques tapis verts. Les douces influences du printemps font éclore des fleurs entre toutes les pierres. lies pâturages, jadis fréquentés par David, sont couverts de troupeaux. ( Jette con- trée de la Palestine a maintenant toute sa parure; dans quelques mois le soleil aura brûlé cette fraîche végétation : la campagne ressemblera au désert. Les bergers nous regardent curieusement passer; leurs yeux, où brille la convoitise, se fixent sur les belles armes
20
306 JUDÉE.
de mes compagnons de voyage. L'Arabe ne met rien au-dessus de nos fusils à deux coups, sa passion pour 1rs armes d'Europe est connue de tous les voyageurs. Ces pâtres de Bethléhem, (Tailleurs, sont silencieux : l'inspiration les a abandonnés depuis longtemps. Ils n'improvisenl plus, comme le fils de Jessé, ces can- tiques où respirent les sentiments religieux, où brillent toutes les couleurs de la poésie orientale. Nu] d'entre eux. dans un saint enthousiasme, ne saisil la lyre ou la harpe en s'écrianl : Kjsarge, gloria mea; exsurge, psal- terium et cithara*! Sur le sol des anciens Voyants, où retentit jadis la parole enflammée des prophètes, les lèvres sont muettes, la parole humaine n'a que des sons lugubres ou sauvages, écho des haines sanglantes, des luttes et de la barbarie. En une seule circonstance, dans les déserts il' l'Arabie Pétrée, avant d'arriver à Hébron, j'entendis quelques refrains exprimant, dans mi langage vif, animé, rempli d'éclairs, un des senti- ment qui agitent le plus viveii ICI it le cœur de l'homme. le sentimenl de la gloire. A mesure que les strophes étaient récitées par le poëte avec une déclamation em- phatique el monotone qui devait ressembler à la mé- lopée antique, les veux i\c> Arabes étaient en l'eu; de leur poitrine haletante la respiration s'échappait en joupirs saccadés. Je reconnus la toute-puissance de l'éloquence humaine élevée parla poésie au plus haut degré. Je n'oublierai jamais cette scène La passion répondail à la passion. C'était en mon honneur qu'un poëte arabe, le fils d'un de ces hardis Bédouins fascinés
■ c>. lvi. y.
SAINT-SABAS. 307
par l'as< endant de Bonaparte et la bravoure de nos sol- dats de l'armée d'Egypte, répétail un chant guerrier où l'on vantail les prouesses des Français, leur iné- branlable courage, leur dédain pour le danger, leur mépris de la mort, et les charges brillantes de la ca- valerie, el les courses entraînantes où le fantassin se bat à l'arme Manche, et les rapides évolutions qui sèment la mort dans toutes les directions à la fois, et ce tonnerre de l'artillerie, el par-dessus tout l'audace des chefs à la tête surmontée de panaches, qui s'é- lancenl aux premiers rangs. Les cris et le tumulte planent au-dessus du champ de bataille; les tambours '•t les trompettes dirigent et accélèrent tous les niou- vements; la voix des officiers, brève et stridente, perce à travers mille bruits désordonnés: des lignes de feu s'avancent comme l'orage; le cliquetis des armes est affreux. A une dernière et ellïoyable détonation suc- cèdent des acclamations de victoire. A mesure que le rhythme précipitait sa cadence, et que les images sue- cédaient aux images dans ce tableau de bataille, vous eussiez vu les lèvres frémir, les doigts se crisper, et plus d'un (\l'< auditeurs agiter convulsivement les bras. J'avoue que j'étais moi-même sous le charme; je par- tageais l'émotion générale. A la lin tous les veux se dirigèrent vers moi. Je frappai dans mes mains en signe d'applaudissement. Le poète s'écria en français : l:.n uni, il, marclic! Tous se levèrent au même instant, comme touchés par l'étincelle électrique. 11 n'est aucun voyageur moderne qui, en pénétrant à l'intérieur des bourgades arabes, n'ait entendu retentir à ses oreilles quelqu'un des cris militaires de la France.
ans JUDÉE.
Tout le monde connaît le charmant incident de voyage arrivé à M. de Chateaubriand, et raconté dans ['Itiné- raire. M. de Chateaubriand, allant de Jaffa à Jérusa- lem, passai! près du lieu où nous sommes en ce mo- ment. « Tout à coup, dit-il, je fus frappé de ces mots prononcés distinctement en français : En avant, marche! Je tournai la tête, et j'aperçus une troupe de petits Arabes tout nus qui faisaient l'exercice avec des bâtons de palmier. Je ne sais quel vieux souvenir de ma première vie me tourmente, et quand on me parle d'un soldat français, le cœur me bat; mais voir de petits Bédouins dans les montagnes de la Judée imiter nos exercices militaires et garder le souvenir de notre valeur, les entendre prononcer ces mots qui sont, pour ainsi dire, les mots d'ordre de nos armées, et les seuls que sachent nos grenadiers, il y aurait de quoi toucher un homme moins amoureux que moi de la gloire de sa patiie. .le ne fus pas si effrayé que Robinson quand il entendit parler son perroquet; mais je ne fus pas moins charmé que ce fameux voyageur. Je donnai quelques médins1 au petit bataillon, en lui criant : En avant. marche! El afin de ne rien oublier, je lui criai : Dieu le veut! Dieu le veut! comme les compagnons deGodefroy et de sainl Louis. »
A quelque distance de Bethléhem nous apercevons de nombreux troupeaux. Des teintes noires indiquent les campements des tribus nomades. L'Orienl montre à chaque pas quelques vestiges de la vie patriarcale. Nous distinguons une douzaine de campements sur les
i ri. ce de monnaie.
SAINT-SABAS. 309
collines, aussi loin que le regard peul atteindre. Quand
nous passons trop près des tentes, les chiens donnenl l'alarme Aussitôl femmes el enfants se précipitent avec une égale curiosité; un Arabe se montre armé d'un long- fusil. Notre course ne présente aucun caractère inquiétant. Nous arrivons bientôt à Thecué.
Le sommet de la montagne est couvert de ruines. Il v avait jadis une citadelle, et les croisés y bâtirent un»' église. Quelques tronçons de colonnes gisent à terre près d'une grande cuve baptismale en porphyre, ornée ;'i l'extérieur de croix et de ileurs de lis. ( )n y remarque aussi les deux triangles enlacés des Templiers. Les croix et les fleurs de lis attestent en ces lieux le double triomphe du christianisme et de la civilisation. Ils en sont aujourd'hui bannis l'un et l'autre. Thecué n'est plus qu'un désert.
Lorsque la reine Mélisende voulut fonder un monas- tère à Béthanie, les chanoines du Saint-Sépulcre lui cé- dèrent ce village, et recurent en échange la ville de Thecué : c'était alors une ville. En 1138, elle fut pillée et ravagée par les Sarrasins; la plupart des habitants échappèrent au massacre en se réfugiant dans les ca- vernes d < Idollam. Les chevaliers du Temple, accourus au secours de cette place sous la conduite de Robert Bourguignon et d'Eudes de Montfaucon, se répandirent imprudemment dans la campagne à la poursuite des vainqueurs; ils furent surpris et massacrés. Du haut de cette montagne la vue est admirable. Tout autour se creusent des vallées profondes. Dans le lointain apparaît la mer Morte, et au delà les âpres montagnes de Moah.
310 JUDÉE.
De Thecué au labyrinthe ou caverne d'Odollam, il
y a à peint' une demi-heure de marche. Un seul <le mes amis consentit à visiter avec moi ces grottes cu- rieuses; les autres allèrent nous attendre sur le mont des Français. L'exploration de ces grottes profondes est dangereuse. Des animaux féroces s'y cachent quelque- fois, el l'on est exposé à y trouver des hôtes plus à craindre encore ([île les ours et les lions : ce sont les voleurs. LVntrée du labyrinthe est forl difficile. Après avoir escaladé plusieurs blocs de rocher qui barrent le passage, au risque de tomber dans les ravins, il tant -auter d'un rocher dans une ouverture assez basse ser- vant d'entrée à la caverne. A l'intérieur on trouve plu- sieurs corridors. i\c> salles spacieuses, des colonnes, des voûtes, i\r> parles, des couloirs étroits, des cham- bres. t\r< citernes, îles puits. A la lueur des ûambleaux nous nous engageons dans un dédale de souterrains. Parfois il tant ramper comme un reptile, marcher sur les pied- et sur les mains, tant les passages sont en- combrés de pierres el de terre; tantôt il tant descendre des espè( es d'escaliers grossièrement taillés dans le roc, ou glisser sur t\r>, pentes rapides. Nos guides nous signalenl des abîmes à éviter, ou yjettenl îles pierres pour nous en taire apprécier la profondeur. Nous aper- cevons à droite et à gauche d'énormes crevasses, des i i\ ités qui pa laissent sans tond. La lumière des torches projette autour de nous une clarté lugubre et bla- farde. Non- avançons avec précaution. Les conduc- teurs sondent d'abord tous les coins el recoins, crainte de surprise. Enfin, après une course fatigante, nous nous arrêtons au bord d'un puits immense ouverl à
SAINT-SABAS. 'I'
nos pieds. Où mène cette caverne plus profonde que les autres? je l'ignore; mais je ne doute pas que ce ne soit le passage d'un souterrain moins accessible en- core 411»' ceux <pie nous venons de parcourir. Nos guides s'arrêtent. Nous sommes trempés de sueur; la chaleur, au fond de ces antres, est suffocante. Après avoir pris quelques minutes de repos, nous revenons au jour, non sans peine e1 à travers de nouveaux cor- ridors. En plusieurs endroits on aperçoit des fragments de vases funéraires et «le sarcophages; dans les parois sonl creusées des niches sépulcrales et quelques in- scriptions en caractères inconnus, .le ne puis compa- rer ces caractères qu'à ceux que j'ai déjà signalés dans les déserts du Sinai '.
( les affreuses cavernes servirent de refuge à David el à ses compagnons poursuivis par Saùl. Les habitants de Thecué s'y cachèrent au xne siècle. Tous les jours les Arabes y trouvent un abri, et souvent les meurtriers y échappent à la juste vengeance des lois. Le grand air nous ranime. Nous payons largement nos guides. Ne devons- nous pas delà reconnaissance à ces hon- nêtes coquins, qui pouvaient, il y a quelques instants, nous tuer et nous dévaliser sans que personne les dé- couvrît, et (ini veulent bien se contenter de quelques pièces d'argent? Pour être véridique, nous devons avouer que la fatigue de cette rude exploration n'est pas compensée par l'intérêt historique de ces cavernes si vantées. Elles devront cependant être visitées encore
1 M-1 Mislin a également aperçu ces inscriptions. Les Saints Lieux, tome III, p. 87,
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par les érudits, jusqu'à ce que les inscriptions aient été Léchiffrées.
Bientôt nous avons rejoint nos compagnons, qui se moquenl en nous voyant couverts de poussière. Nous leur reprochons gaiement leur lâcheté, et nous parcou- rons ensemble la montagne que les croisés appelaient Béthulie des Français, Mont- Français, Mont-Joye, el que les Arabes nomment le Paradis. Dans une pre- mière excursion je m'étais contenté d'admirer le site el d'évoquer le souvenir des chevaliers francs. Aujour- d'hui j'examine les ruines, et je reconnais les derniers restes du palais d'Hérode. Dès la plus haute antiquité, profitant des avantages de la position, les Juifs avaient bâti une tour au sommet de la montagne. Une senti- ii'llo pouvait de là dominer une immense étendue de pays, et, à l'aide de signaux, prévenir à temps del'ap- proche des ennemis. A la laveur des troubles qui sui- virent l'occupation militaire de la Palestine par les Assyriens, de hardis partisans s'y fortifièrent et y joui- rent d'une véritable indépendance. La conquête , alors comme actuellement, dans ces régions de l'Orient, pillait, massacrait, détruisait, déplaçait les popula- tions, vieillards, l'en unes et enfants, (| ne l'impuissance de lutter forçail à accepter la servitude; le torrent passé, les vainqueurs songeaient à peine à surveiller le pays soumis. Que] intérêt avaient-ils à exploiter la misère? Ce poste n'eul toutefois une grande impor- tance que sous le règne d'Hérode. Ce prince , attaqué et poursuivi par les alliés d'Antigone, son rival, s'était retiré sur les hauteurs où nous sommes. Comme un eau de proie dont le regard perçant suit, de la ré-
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gion des auages, le moindre mouvemenl de sa victime, le tyran ne perdail aucun des mouvements de ses en- nemis. Saisissant la première occasion favorable, il fond sur eux avec impétuosité, les culbute, et les anéan- tit. En mémoire de cette victoire, il fonda le château el la ville d'Herodium '.
Le palais du roi étail d'une extrême magnificence. On n'avail épargné dans la construction rien de ce qui pouvait contribuer à le rendre agréable. On y montait à l'aide d'un escalier en marbre de deux cents degrés. Un luxe tout oriental brillait dans les apparte- ments. Des aqueducs y amenaient de loin des eaux limpides et abondantes. Des jardins enchantés étaient remplis d'arbres rares et de plantes odoriférantes. Les Arabes en gardent le souvenir en désignant toujours ce lieu, quoique maintenant il soit stérile, sous le nom de Paradis. Au pied de la montagne de superbes mai- sons étaient destinées aux amis du prince et aux étran- gers. Cet opulent palais servit, de tombeau au roi , et de tant de magnificence il ne resta bientôt qu'une vague renommée. Le sépulcre ne fut pas plus res- pect»' que le palais, et au moment de la prise de Jérusalem par les Romains, le château d'Herodium était devenu un repaire de brigands. Lucilius Bassus en fit le siège, et l'emporta d'assaut. De nos jours les riches bâtiments d'Hérode sont représentés par quel- ques pans de murailles s'élevant à peine au niveau du sol, une citerne à moitié comblée et les fondations
1 Voy. Josèpbe, Guerre des Juifs, liv. I, ch. in; Antiq., liv. XIV,
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344 JUDÉE.
encore apparentes de tours considérables. Le voyageur distrail ne soupçonne guère, pas plus que les Arabes, que ce monticule lui jadis couronné de somptueux monuments, le séjour brillant des fêtes et le rendez- vous d'une cour livrée .'i !;i dissipation et aux plaisirs. Mimique la barbarie ait rendu stérile cet antique paradis, les collines voisines se couvrent chaque prin- temps d'une herbe épaisse, -comme pour attester la fertilité naturelle du sol. A peu de distance et à huit kilomètres de Jérusalem , on s'engage dans des vallons obscurs e1 déchirés, et enfin dans une jrorgf affreuse bordée de roches nues et menaçantes. Le torrent, qui parfois écume en bondissant de cascades en cascades par-dessus les rochers qui encombrenl son lit. ajoute encore à l'horreur qui règne constamment dans ce désert. Nulle trace de végétation: partout l'image de la mort. Le silence y sérail éternel, si l'amour de la solitude n'avail conduit sur cette scène désolée, dès les premiers siècles du christianisme, de pieux céno- bites fuyanl le tumulte du monde. Là se trouve le monastère de Saint-Sabas; la plupart des rochers qui nous environnent sonl criblés de cellules où jadis des milliers d'anachorètes, ayanl Dieu pour unique témoin de leurs austérités, animaient de leurs saintes psalmodies ces affreuses solitudes. Au Ve et au vr siècle, la laure de Saint-Sabas jouit d'une réputation im- mense. On lit dans les Vies des Pères du désert des détails étonnants sur les occupations des moines, In auteur généralemenl bien renseigné, Quaresmio, af- firme qu'il \ avail dix mille anachorètes el quatre mille moines dans le déserl de Saint-Sabas. On comptait
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parmi eux un grand nombre de fidèles persécutés par les hérétiques et les barbares, fuyant la proscription et L'impiété, cherchanl un asile inviolable au sein (l'une uature déshéritée. L'enthousiasme qui peupla ces grottes obscures lut longtemps ardent. Il ne s'était pas refroidi lorsque les infidèles étaienl déjà maîtres de la Palestine. Le prince Radziwill raconte que, sous le sultan Sélim, de farouches émissaires de l'islamisme mirent à mort mille religieux, sous prétexte que, étant m nombreux, ils pourrait-ut fomenter des séditions.
Le monastère de Saint-Sabas. amas confus de bâ- timents, ressemble à une forteresse. La porte en est gardée avec soin contre les agressions des Bédouins. Nul ne peut y entrer sans présenter des lettres de re- commandation. Nous franchissons les gradins qui forment le sauvage amphithéâtre sur lequel les cel- lules, les oratoires, les salles communes s'étagent dan- un pêle-mêle fantastique. Les moines grecs schisma- tiques, au nombre de vingt, nous donnent une cordiale hospitalité. Parmi ces pauvres reclus quatre Russes reconnaissent leur compatriote dans un de nos com- pagnon- de voyage. Qui pourrait dépeindre leur joie naïve? Un de ces moines rus>e< [.allait français. J'eus le plaisir de lier conversation avec lui. 11 avait beau- coup voyagé, «t connaissait très-bien Paris. En visitant l'église, on nous fit remarquer les peinture- el les autres décorations qui viennent d'y être exécutées aux frais de la Russie. L'iconostase, espèce de cloison qui, dans toutes les églises grecques, sépare le sanctuaire de la nef, est enrichie de dorures et de tableaux qui ne sont pas sans mérite. En présence d'une image de
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sainl Pierre, prince des apôtres, Le pèlerin russe, fervent catholique, parle avec force de la primauté de saint Pierre et du pipe, son successeur; il renouvelle sa protestation dans l'oratoire de Saint-Jean-Damascène ; mais le schisme obscurcit l'intelligence; les moines ne semblenl rien comprendre à ce grand et salutaire prin- cipe de L'unité «le L'Eglise.
Nous allons quitter le couvent, et sur le seuil les moines nous disent adieu avec une effusion qui nous émeut jusqu'aux larmes, il y a toujours quelque chose de profondément triste dans une séparation lorsqu'on ne doit plus jamais se revoir. Les moines russes étaient visiblement agités; ils nous serrèrent convulsivement La main, et la porte roula lentement sur ses gonds rouilles. Trois heures après nous étions rentrés à Jé- rusalem.
CHAPITRE XVII
LE JOURDAIS
otre vovase au Jourdain devait s'exécuter au milieu de circon- stances que l'imagination eût à peine rêvées. Au lieu d'entre- prendre une rapide excursion dans les plaines de Jéricho, sur les bords du fleuve sacré et sur les rivages de la mer Morte, accompagné de quelques amis et sous la conduite de Bédouin-. • nous eûmes le bonheur de faire partie d'un pèle-
rinage solennel comme on n'avait pas eu occa- sion d'en voir depuis longtemps. Les consuls de France et d'Autriche, le révérendissime supérieur des Pères de Terre-Sainte, et plusieurs personnages de dis-
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tinction en ce moment à Jérusalem s'entendirent dans un commun dessein, et réussirent à organiser une vé- ritable expédition. Ce fut un événement dans le pays, et plusieurs pauvres chrétiens obtinrent La permission de se joindre à la caravane et de la suivre à pied. Toute l,i ville se mit en mouvement pour voir défiler notre petite armée, composée de deux cents personnes envi- ron. < )u y comptait <\c> représentants de toutes les na- tions catholiques. Lorsque la colonne fut en marche, et qu'elle se déploya le long des pentes de la montagne des Oliviers, elle offrait un spectacle curieux et un pèle-mèle des plus pittoresques. En tête s'avançait fiè- rement Ibrahim, janissaire du consulat de France, Al- banais d'origine, vêtu de la fustanelle grecque avec une veste brodée. Il était à cheval, et tenait en main une longue lance surmontée de grosses houppes noires. Les Arabes de l'escorte étaient enveloppés de leurs longs manteaux blancs. Les Français portaient leurs lourds habits de bure. Quelques ecclésiastiques fran- çais avaient la soutane. Plusieurs voyageurs se trou- vaient plus à l'aise dans le paletot d'Europe. Deux Haines n'avaient pas craint d'affronter les ardeurs du soleil et les fatigues du chemin. La foule suivait avec des vêtements de toutes les couleurs et de toutes les formes imaginables. I '.es costumes bariolés produisaient l'effel le plus étrange; et, il faut l'avouer, le paletot d'Eu- rope \ faisail assez triste ligure. Ajoutez à cela les cris des guide-, des paroles empruntées à dix langues dif- férentes, l'agitation des Bédouins, l'allure pacifique des ii mine-, l'ardeur de nos pèlerins français, I impatience et la \ ivacité des chevaux arabes, l'éclal des armes, un
LE JOURDAIN. 321
soleil éblouissant, un paysage grandiose, et vous aurez sous les yeux le tableau au naturel de notre corps expé- ditionnaire.
Jadis les Pères de Terre-Sainte établis à Jérusalem ue manquaient jamais d'aller au Jourdain au moins une fnis chaque année. Il fallait alors un courage héroïque pour entreprendre ce pieux pèlerinage. Il y a cinquante ans à |"'ine ce voyage était encore forl dangereux, et pourtant Le Jourdain coule à quelques kilomètres de Jérusalem. Au commencement de notre siècle, M. <lo Chateaubriand passa pour téméraire en l'exécutant sous la garde de quelques habitants de Bethléhem. Jusque-là l'humeur farouche «les Bédouins n'avait pas été répri- mée, et le fanatisme musulman, mai moins que l'a- mour du pillage, les poussait à commettre sur les chrétiens les plus horribles cruautés. En quittant leur couvent de Saint-Sauveur, les moines emportaient dos pioches et des pelles : lugubres précautions qui trop souvent n'étaient pas inutiles! La balle des assassins frappait à mort plus d'un de ces pauvres pèlerins, et leurs frèivs. en pleurant, se hâtaient de creuser une fosse pour y déposer leurs restes mortels. Des bandes de Bédouins, comme des vautours affamés, se jetaient sur la caravane et s'en disputaient la dépouille. La fé- rocité des habitants de Jéricho était devenue prover- biale. Tous les religieux en sortant de .lérusalem pou- vaient v laisser un dernier adieu; pour eux la mort était certaine, seulement les victimes qu'elle allait frapper étaient inconnues. Il y a soixante ans environ les disciples de saint François, accomplissant au Jour- dain leur pèlerinage accoutumé, furenl surpris par
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ilrs voleurs plus nombreux et non moins rapaces qu'à l'ordinaire. Plusieurs restèrent morts sur la place, tous furent çléj^ouillés, quelques-uns se dispersèrent dans les montagnes, un d'entre eux demeura prison- nier. Durant deux années entières il vécut au milieu de ces hordes sauvages, exposé à tous les mauvais traitements, sans pouvoir communiquer avec Jérusa- lem, ayant presque perdu l'espoir de la délivrance. Que de fois il avait jeté les yeux sur les défilés des mon- tagnes et sur la plaine du Jourdain, épiant une oc- casion favorable pour s'évader! Mais les chrétiens n'osaient plus s'aventurer au milieu de ces parages inhospitaliers. Il imagina enfin un stratagème qui eut un plein succès. A force de patience, il grava quelques lignes sur une pierre, et feignit d'avoir découvert cette inscription parmi les ruines. A l'entendre, c'était un monument du plus grand prix, et il était assuré que les Latins en achèteraient la possession moyennant une somme d'argent considérable. Le piège était bien tendu; un Aialie ne résiste jamais à l'appât du gain. Peu de jours après, en effet, nos Bédouins frappent à li porte du couvent, venant offrir la précieuse inscrip- tion et faire marché pour la vendre. Les moines parais- sent ébahis; ils manifestent la surprise et la joie. Cha- cun veut déchiffrer ces lignes curieuses; la pierre passe de main en main. On convient de payer chèrement cette intéressante inscription; mais on exprime quel- ques doutes 3ur l'authenticité de l'écriture, et on tient absolument à voir l'auteur de la découverte. Le captif esl amenée Jérusalem, il franchi! le seuil du monas- tère, il est libre,
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LE JOURDA IN.
De pareilles violences rie son! plus à craindre au- jourd'hui, excepté pour les voyageurs isolés qui s'en- o igeraienl témérairement dans ces régions <lésorh»s. Après avoir gravi les sentiers de la montagne des Oliviers, nous laissons à gauche le sommet de l'Ascen- sion. Le village de Béthanie nous présente un site char- mant, des ruines, des arbres, < j 1 1< l< i ues maisonnette-. des jardins et des champs cultivés. Quand <>n voyage en nombreuse compagnie, le sentimenl s'exalte aisé- ment <'t l'admiration devienl plus expansive. L'homme seul contemple froidement la nature. Béthanie est un point favorable à la perspective: de là le regard s'é- tend sur un horizon immense. Bientôt, en descendant une pente assez roide et difficile, nous arrivons à la fontaine des Apûlrrs. Souvent sans doute les disciples du Sauveur se rafraîchirent à cette source, dont l'eau est excellente. Près de la fontaine, le sol est jonché de ruines, à travers lesquelles poussent des arbrisseaux et s'étalent quelques fleurs. L'eau coule lentement et sé- journe dans des vasques où les animaux viennent se désaltérer.
Le chemin devient moins pénible, el Ton ne tarde pus à s'engager sur un plateau de médiocre étendue «■I légèrement accidenté. C'est une solitude fort triste, dont le terrain est l'oiigeàtre et stérile, Adomim, le lieu du Sang. Ce coin de terre avait jadis mauvaise réputation. Nous regrettons d'avoir à dire qu'il la conserve encore. Saint Jérôme nous apprend que ce nom lui fut donné à cause des assassinats qui s'y com- mettaient fréquemment. Les commentateurs y ont placé la scène racontée dans l'Evangile sous forme de
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parabole : c Un homme descendait de Jérusalem à Jé- richOj fi tomba entre les mains de voleurs qui le dé- pouillèrent el L'abandonnèrent sur le chemin, couvert de blessures et à demi mort. » L'expression de l'écri- vain sacré est très-juste : on descend, en effet, de Jéru- salem à Jéricho. Plus d'un vo valeur témoin, victime peut-être des brigandages qui déshonorent toujours la Judée, a dû se demander si la parabole de L'Évangile ne couvre pas un tait réel. De combien de crimes cette solitude n'a-t-elle pas été Le théâtre!
A partir de la plaine d'Adomim, le sol monte sensi- blement. Nous escaladons en silence les rampes qui s'étagenl devant nous. La chaleur et la fatigue se font sentir dans tous les rangs de la caravane. Quelques traînards sont même à une assez grande distance pour inspirer de l'inquiétude. On ralentit la marche, et l'on s'arrête quelques instants au haut (hune colline pour contempler la vaste plaine du Jourdain. De cet endroit on découvre le lit du Qeuve bordé d'arbres vigoureux qui en < o 1 1 1 >r;tLîc)it el embellissent les bords. C'est comme une vi>ion enchantée. Il tant avoir voyagé sous les rayons brûlants du soleil d'Orient, à travers des déserts où l'on soupire .>ans cesse après nue goutte d'eau, où L'œil ne se repose jamais sur de frais tapis de verdure, pour comprendre le charme qu'exerce la vue 'I.' cette double ligne de beaux arbres. Les montagnes brûlées qui bornent l'horizon forment :'i ce tableau frais • •t gracieux un encadrement propre ;'i en faire valoir tous Les détails. Cette liante perspective est encore animée par Le prestige des grands souvenirs de La reli- gion el 'I.' l'histoire. 1-e Jourdain mieux que L'Euphratej
LE JOURDAIN. 327
le Simoïs, l'Eurotas et le Tibre, a tracé dans notre mé- moire, dès l'enfance, une image que rien ue saurait effacer.
O rives du Jourdain! ô champs aimés des deux! Sacrés monts, Fertiles vallées Par cenl miracli s signalées!
Le Jourdain prend sa source au pied des montagnes de l'Anti- Liban; il a un cours d'environ cent soixante-
liuit kilomètres jusqu'à son embouchure dans la mer Morte. Très-étroit à son origine, le fleuve grossit de plusieurs affluents avant d'entrer dans le lac Houle. C'est un bassin large et peu profond, presque à sec en été et qui s'enfle considérablement à l'époque de la fonte des neiges : alors il peut avoir quatorze kilomètres de longueur, sur quatre kilomètres de largeur. Rapide comme un torrent des Alpes, encaissé entre deux rives verdoyantes, paré de lauriers-roses dont les fleurs et le feuillage se reflètent dans le cristal limpide, ce cours d'eau rappelle les poétiques ruisseaux de la Grèce. La pente est si brusque, que le courant, arrêté de distance en distance par des rochers, forme de bruyantes cas- cades. A partir du pont de Jacob, le lit du fleuve est creusé dans la vallée. C'est ici que Joachim Murât, maître du pont de Jacob, extermina les restes de l'armée turque qui, fuyant en désordre le champ de bataille du Thabor, vinrent se heurter contre les baïonnettes françaises ou se précipiter dans le Jourdain. Le Jourdain prend sa source au fond d'une dépres- sion de terrain extraordinaire qui se prolonge jusqu'au
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bassin de la mer Morte. Celle dépression, à laquelle on h»' connaîl rien de comparable au inonde, a été constamment l"ol)jel de l'étonneinent des voyageurs el îles naturalistes, (l'est un imniense pli de terrain, bordé de liantes montagnes, et courant du nord au sud, depuis les dernières pentes de l'An ti -Liban jus- qu'aux rochers qui barrent actuellement rentrée de rOuadi-Arabah, e1 qui, selon quelques auteurs, allait mourir dans le golfe élanitique de la nier Rouge.
Après avoir traversé le lac de Tibériade, comme le Rhône traverse Je lac Léman, le Jourdain est large, mais peu profond, quoique rapide. Le cours en est sinueux. La largeur moyenne du lit est d'environ cin- quante mètres; à l'époque des pluies, les eaux se gonflent et inondent une partie de la plaine.
C'est un peu au-dessous du lac Houle que M. de Lamartine vit le Jourdain pour la première l'ois. « Le Jourdain, dit -il. sort en serpentant du lac, se glisse dans la plaine basse et marécageuse d'Esdraëlon, à environ cinquante pas du lac; il passe en bouillonnant un peu. el en faisan! entendre son premier murmure sous les arches ruinées d'un ponl d'architecture ro- maine. C'est là que nous nous dirigeons par une pente rapide el pierreuse, ''I que nous voulons saluer ses eaux consacrées dans les souvenirs de deux religions. En peu de minutes nous sommes à ses bords : nous descendons de cheval, nous qous baiunons la tète, les pieds et les mains dans ses eaux douces, tièdes el bleues comme les eaux du Rhône quand il s'échappe du lac de Genève. Le Jourdain , dans cel endroit, «pu doit être ■> peu près !<■ milieu de sa course, ne serait
LE IOUHDAIN. 329
pas digne du nom de fleuve dans un pays à plus larges dimensions; mais il surpasse cependanl de beaucoup l'Eurotas e1 le( iéphise, el tous ces fleuves dont les noms fabuleux ou historiques retentissenl de bonne heure dans notre mémoire, el nous présentenl une image de force, de rapidité e1 d'abondance que l'aspect de la réa- lité détruit. Le Jourdain, ici même, est plus qu'un tor- rent : quoique à la fin d'un automne sans pluie, il roule doucement, «la ns un lit d'environ cent pieds de large, une nappe d'eau de deux à trois pieds de profondeur, claire, limpide, transparente, laissant compter les cailloux «le son lit, et d'une de ces belles couleurs qui rendent toute la profonde couleur d'un firmament d'Asie, plus bleue même que le ciel, comme une image plus belle que l'objet, comme une glace qui colore ce qu'elle réfléchit. A vingt ou trente pas de ses eaux, la plage, qu'il laisse à présent à sec, est semée de pierres roulantes, déjoues et de quelques touffes de lauriers-roses encore en Heur. Cette plage a cinq à six pieds de profondeur au-dessous-du niveau de la plaine, et témoigne de la dimension du fleuve dans la saison ordinaire des pleines eaux. Cette dimension, selon moi. doil être de huit à dix pieds de profondeur sur crut à cent vingt pieds de largeur. Il est [tins étroit dans la plaine; mais alors il <•>! plus encaissé et plus profond, et l'endroil où nous le contemplions esl un des quatre gués que le fleuve a dans tout son cours. Je bus dan- le creux de ma main de l'eau du Jourdain, de l'eau que tant de poètes divin- avaienl bue avant moi, de cette eau qui coula sur la tête innocente de la Victime vo- lontaire! Je trouvai cette eau parfaitement douce, d'une
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saveur agréable et d'une grande limpidité. L'habitude ,]n,. l'on contracte dans les voyages d'Orient de ue boire que de l'eau, et d'en boire souvent, rend le palais excellent juge des qualités d'une eau nouvelle'. »
L'intérêt religieux el historique qui s'attache au Jour- dain a de tout temps attiré sur ses bords une foule de pèlerins, de voyageurs et de curieux. Ce n'est cepen- dant que depuis une douzaine d'années qu'il a été l'objet d'explorations scientifiques. En 1847, un officier anglais s'embarqua sur le lac deTibériade, et descen- dit le lleuve en dix jours jusqu'à la mer Morte. En 1848, deux Américains renouvelèrent cette entreprise; une relation détaillée de leur expédition, avec plans et cartes, fut rédigée et publiée eu anglais l'année sui- vante à Londres et à Philadelphie. Les hardis navi- gateurs, accompagnés d'une commission de savant-. et secondés par plusieurs matelots, montèrent sur deux barques, l'une en fer, et l'autre en cuivre, con- struitesen Amérique, et transportées à dos de chameau du port de Gaïpha jusqu'à Tibériade. Le 8 avril 1848, le pavillon des États-Unis i'nl arboré, et l'on com- mença par explorer la mer de (ialilée. M. Lynch, capitaine de l'expédition, avait pris un pilote à Tibé- riade; mais il ue larda pas à s'apercevoir que ce prétendu pilote ue connaissait pas mieux le cours du Jourdain que les matelots de New-York, etil fut obligé de prendre lui-môme la direction des embar- cations.
i m esti à deux cents milles la longueur du Jour-
i Voyage en Orient, tome Itrj pages 321-325.
LE HiL'IiDA IV 331
dain entre les deux mers, en tenanl compte des dé- tours; les embarcations ne parcouraient que six milles par jour. Le fleuve est souvent impétueux, se préci- pitant au milieu de brisants et d'écueils sans nombre. On franchit vingt-sept rapides effrayants, et plusieurs autres moins considérables; les canots heurtèrent plu- sieurs fois contre les rochers, et le canot en enivre fut assez fortement endommagé. Ce mémo canot eut plus à souffrir que l'autre de l'action des eaux corro- sives de la mer Morte. Le 18 mai, M. Lynch parvint au lieu de l'immersion des pèlerins, qu'il signale comme «'tant un passage dangereux. L'approche de la mer Morte s'annonça par une odeur fétide, due à des courants imprégnés de soufre; les barques en- flèrent dans la mer Morte par un vont trais de nord- ouest. La mer agitée offrait à sa surface comme une couche de saumure écumante. « Notre visage et nos vêtements, dit M. Lynch, se couvrirent promptement d'incrustations salines, qui causaient sur la peau une démangeaison piquante, extrêmement douloureuse aux veux. Les barques, pesamment chargées, n'éprouvè- rent d'abord qu'une faible résistance; mais quand le vent s'éleva, il sembla, tant l'eau était dense, qu'elles étaient frappé. - par des marteaux d'enclume, au lieu de l'effet ordinaire d'une mer agitée. »
Au sommet, sur lequel non- sommes arrêtés, et où tous les pèlerins donnent libre carrière à leurs sen- timents d'admiration , nous ne pouvons arracher nos regards du spectacle qui se déroule à nos pieds. I)è> que les piétons de notre caravane ont rejoint le corps expéditionnaire, le voyage continue sans nouvel inci-
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dent. La chaleur esl accablante. Nous parcourons un 30] accidenté, où quelques arbrisseaux épineux offrent .1rs feuillages de couleur cendrée : comme les cha- meaux, ces arbustes «lu désert peuvent longtemps se passer d'eau. Nous traversons en courant un torrent peu profond, et, nous arrivons à la fontaine d'Elisée: délicieuse oasis, où L'on respire La plus agréable fraî- cheur. Autour de la source, et le Long du ruisseau qui s'en échappe en murmurant, des arbres touffus ré- pandenl une ombre épaisse et entretiennent une at- mosphère fraîche et parfumée. Nous reconnaissons l'acacia aux Heurs jaunes; le jujubier sauvage, dont 1rs fruits ressemblent à ceux du cormier, et dont les fleurs sont formées de petites corolles tubulées d'un rouge écarlate; le zakkum, qui ressemble au prunier d Kurope, et dont le fruit donne une espèce d'huile estimée des Arabes pour la guérison de diverses ma- ladies; les uoyaux servent à faire i\(j> chapelets; le hadag, qui produit un fruit jaunâtre, gros comme une noix, dont La chair mêlée de -raines se change en poussière ;ni temps de la maturité : plusieurs le pren- nenl pour la pomme de Si idoine, donl la cou le m- flatte égalemenl Les veux, mais qui tombe eu poudre dans la main. L'eau de celle source était autrefois amère. Lorsque le prophète Klisée résidail ;'i Jéricho, les habitants de cette ville le prièrent de leur venir en aide. « Vous le voyez, dirent-ils, notre ville esl agréa- blement située ; uni- Les eaux de celle fontaine sonl mauvaises. - I.»- prophète y jeta nue poignée de sel, en disanl : a J'ai guéri ses eaux. » La reconnaissance des habitants donna le nom du bienfaiteur à cette
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source, donl les eaux sonl douces et légères, et « { 1 1 < - les Arabes appellenl la fontaine d'Elisée ou Ayn-Sultan, c'est-à-dire source puissante. Aujourd'hui les pèlerins bénissenl encore la mémoire du prophète, en se repo- sanl sur les bords de ce charmant bassin.
Nous terminerons cette description en transcrivanl un passage de l'historien Josèphe. < Mi «mi pourra con- clure que l'aspecl des lieux a peu changé depuis le temps où Jésus-Christ 1rs parcourait, sauf dans le voisinage de Jéricho. « Le pays que la fontaine d'Elisée traverse a soixante-dix stades de long sur vingt de large. On y voit quantité de beaux jardins, où les eaux nourrissent des palmiers de diverses espèces, et dont les noms sont différents aussi bien que le goût de leurs fruits. Quelques-uns donnent un miel qui ne diffère guère du miel ordinaire qu'on trouve en abondance dans ce pays". On y trouve aussi un grand nombre de cyprus et de mirobolants, arbres qui distillent le baume, cette liqueur précieuse qu'aucun fruit ne peut égaler. Aussi bon peut dire qu'un pays où croissent des plantes si excellentes a quelque chose de divin, et je doute qu'en tout le reste du monde il y en ait un qui puisse lui être comparé. On doit, à mou avis, en attri- buer la cuise à la chaleur de l'air et au pouvoir sin- gulier que possède cette eau de contribuer à la fécon- dité de la terre : l'un fait ouvrir les fleurs et les feuilles, et l'autre fortifie les racines par l'augmentation de leur
1 on a cru qu'il pouvait être i< i question il'- la canne à sucre , qui \»>u<- <ait autrefois sur 1rs bords 'lu Jourdain, mais dont un ne trouve aucune trace ai turll^mont.
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séve duranl les ardeurs de l'été, qui y sont si extraordi- naires, que sans ce rafraîchissement rien n'y pourrait croître qu'a> ec une extrême peine. Mais, quelque grande que soit cette chaleur, il s'élève le matin un petit vent qui rafraîchit L'eau que L'on puise avant le lever du soleil: durant L'hiver elle est tonte tiède, et l'air y est si tempéré, qu'un simple habit de toile suffit lorsqu'il neige dans les autres endroits de la Judée. Ce pays est éloigné de Jérusalem de cent cinquante stades, et de soixante du Jourdain. L'espace qu'il y a jusqu'à Jéru- salem est pierreux et tout désert; et quoique celui qui s'étend jusqu'au Jourdain et au Lac Asphaltite ne soit pas si élevé, il n'est pas moins stérile ni plus cultivé '. » Non loin de la fontaine d'Elisée s'élèvent trois mon- ticules factices, et quelques ruines hérissent le sol. Là sans doute étaient les jardins si vantés d'Hérode et la villa somptueuse où il aimait à venir se délasser des soucis de L'ambition. A un kilomètre à peine s'élève [a montagne de la Quarantaine, où Jésus-Christ, au sortir des eaux du Jourdain, voulut bien se soumettre à un jeûne de quarante jours et de quarante nuits, et permit au démon de Le tenter, afin de nous apprendre l,i manière de repousser les tentations qui viennent si ivenl nous assaillir, ('/est pourquoi on l'appelle quel- quefois la montagne de la Tentation; les Arabes la nomment Djebel -Karantal. Le sommet a une hauteur d'environ cinq cents mètres au-dessus de la plaine du Jourdain.
i M, traverse d'abord une vallée peu profonde : char-
i Josi phe dt Tuifs, liv. \ . ch. i\ .
LE JOURDAIN. 335
mante retraite, s'il y avait quelque sécurité à espère] dans ces pays depuis si longtemps abandonnés de la
civilisation. Une source y roulait autrefois, puisque les débris d'un aqueduc viennenl s'} relier el indiquent un cours d'eau assez abondant. Maintenant encore des arbres et la végétation montrenl que le sol est impré- gné d'humidité; à l'aide de travaux bien dirigés on re- trouverait aisément la fontaine que les terres ont com- blée.
A pic au-dessus du vallon se dresse la montagne calcaire de la Quarantaine. On gravit avec beaucoup de fatigues les pentes roules et étroites qui mènentaux cellules creusées dans les lianes de la montagne. Cette ascension est très-périlleuse, et plus d'un pèlerin a payé de sa vie une maladresse ou un faux pas. Le sen- tier, rongé en plusieurs endroits par le temps et les pluies, monte d'étage en étage le long des corniches, et conduit jusqu'à la grotte la plus élevée, qui servit de retraite au Sauveur, suivant une tradition constante. Saint»; Hélène fit convertir cette caverne en chapelle, el on l'orna de peintures dont les traces étaient encore apparentes il y a peu d'années. Une autre chapelle fut bâti ■ au sommet de la montagne, à l'endroit où l'on croit (pue le Seigneur fut tenté pour la troisième fois et qu'il dit: « Retire- toi, Satan, car il est écrit : Tu ado- reras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul. » Peu de personnes ont pu arriver jusqu'à ce point élevé. On cite le nom de deux voyageurs mo- dernes, l'un Suisse et l'autre Autrichien, qui ont l'ait cette ascension dangereuse. De là on jouit d'une vue admirable, qui s'étend sur la vallée du Jourdain, le
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déserl de Thecué, les montagnes de la Judée et de la Galilée, I»' Liban el L'Anti-Liban, les hautes plaines de Moabel de Galaàd, Les cimes bleuâtres des montagnes fuyanl vers l'Orient, jusqu'à ces horizons lointains qui se perdenl dans les déserts inhospitaliers de l'A- rabie.
Dès les premiers >ièeles de l'Église, de nombreux anachorètes vinrent continuer en ce lieu le long jeûne du Sauveur, et par un complet détachement du monde s'efforcèrent d'atteindre la perfection évangé- lique. Toutes ces grottes creusées dans le rocher étaient peuplées, el retentissaienl nuit et jour des ac- cents il<' la prière. En voyanl ces innombrables cel- lules étagées le I111114 (\c^ flancs de la montagne, on 'lirait une ruche immense, où, selon l'expression de Jacques de Vitri, historien des croisades, ces pieux solitaires, semblables à des abeilles diligentes, com- |)i»aient pai1 leurs vertus un miel d'une douceur toute spirituelle, hepuis longtemps les alvéoles de cette ruche merveilleuse sont vides : les abeilles ont été emportées par le vent des tempêtes. Bravant les per- sécutions, les privations et la mort même, les anacho- rètes refusèrenl d'abord d'abandonner leurs cellules A l'époque de l'invasion musulmane; mais à la lin le fanatisme l'a emporté sur le dévouemenl : la mort a éclairci les rangs, qu'il étail impossible de remplir. Le dernier do ces sainls moines, frappé par le fer (h'> Bédouins, attend depuis plusieurs siècles, dans sa tombe oubliée, que la Providence lui envoie un suc- cesseur. ' »n dit cependanl que chaque année quelques pèlerins viennenl du fond de l'Ethiopie passer le ca-
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rême dans ces grottes désertes, eu se livrant aux pra- tiques de la plus austère pénitence
De la fontaine d'Elisée à Rihha ou Jéricho, la dis- tance '■-! d'environ quatre kilomètres. Jéricho lu! jadis une cité opulente, qui, durant la vie mortelle du Sau- veur, le disputail en magnificence à la ville de Jéru- salem. On y comptait plusieurs palais, des établisse- ments d'utilité publique, et une nombreuse population. Des aqueducs y amenaient l'eau des fontaines qui prennent leur source au pied des montagnes. Il y avail un cirque et un amphithéâtre. De tant de grandeur que 1 <ste-t-il aujourd'hui? Rien. La superbe Jéricho n'est plus qu'un pauvre village composé dame quarantaine de masures bâties moitié en boue, moitié avec des I uanches d'arbres. Chaque cabane est entourée d'une haie épaisse de nopals et de buissons épineux, pour se garder de la visite nocturne des chacals et des léopards. Quelques jardins à peine cultivés, quatre ou cinq pal- miers, des oliviers, des figuiers, des grenadiers et des vignes font tout l'ornement de' la bourgade, dont les habitants paraissent plongés dans la plus affreuse mi- sère. Les Bédouins de Jéricho vivent de rapine et de brigandage; mais depuis quelque temps cet infâme métier est peu productif. Les voyageurs ne se ha- sardent à visiter la plaine du Jourdain que protégés par une escorte. Il faut ajouter que souvent l'escorte est formée d'Arabes de Jéricho. Quand ils ont donné leur parole, ils ne trahissent pas la confiance qu'on leur a accordée. Moyennant une somme qui varie de • eut à cent cinquante piastres pour chaque voyageur, ces honnêtes voleurs viennent vous prendre à Jérusa-
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JUDÉE.
[«in ei se chargenl de veiller à votre garde le jour ei |,i mut. Le rude châtiment que leur infligea Ihrahim- Pacha «'ii 1840 les a, il faul l'espérer, dégoûtés pour longtemps de leurs anciennes habitudes de pillage. Les Bédouins de Jéricho avaient voulu profiter du dé- sordre occasionné par la retraite de Damas pour déva- liser les traînards, Ibrahim envoya un détachemenl qui détruisit Le village de fond en comble.
Une tour délabrée, haute de douze mètres environ, ,|in> certains voyageurs ont crue de construction ro- maine, et qu'on nomme le Château, est le seul débris tant soit peu remarquable de l'antique Jéricho. Quel- ques soldats turcs qui y résident sont supposés veiller à la garde du pays, et protéger la contrée contre les incursions des Arabes d'au delà du Jourdain. Ils nous regardent passer avec curiosité; bientôt ils ont repris leurs pipes et leur indolence habituelle.
Jéricho fui la première ville du pays de Ghanaan qui tomba au pouvoir des Israélites après le passage du Jourdain. Tout le monde connaît la manière mira- culeuse donl s'écroulèrent les remparts de cette place, qui lut bouleversée de tond en comble. Une nouvelle ville tut édifiée sous le règne d'Achab, à quelque di- stance de l'ancienne, suivant l'opinion commune. Il y ,nt plus tard une école de prophètes. Les principaux embellissements furent l'ouvrage d'Hérode, qui, frappé dans cet endroit d'une horrible maladie, y rendit le dernier soupir au milieu à'atroces souffrances. I térode, l'auteur du massacre des enfants de Bethléhem, le ! sau de sa propre famille, sentant sa fin appro- cher, ordonna d'assembler dans l'amphithéâtre de .léri-
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cho les hommes les plus distingués du pays. Au mo- ment où le tyran rendail le dernier soupir, on devaii les mettre à mort, « afin, disait-il, que l.i Judée à ses funérailles éprouvai un j nst<i sujet <le deuil et versât des larmes sincères. » Ge1 ordre barbare ne fut pas exécuté. Le corps du monarque fut néanmoins trans- porté avec pompe de Jéricho à Herodium, où il reçut la sépulture.
Jéricho rappelle plus d'un souvenir chrétien. Jésus y descendil de Jérusalem à plusieurs reprises. Sur le che- min que nous venons de parcourir, il rendit la vue à un aveugle qui criait, en entendant passer la foule: « Jésus, fils de David, ave/ pitié de moi. » Saint Jérôme dit avoir vu le sycomore sur lequel monta Zachée pour voir passer le Sauveur. Une église avait été bâtie sur l'emplacement de la maison de ce chef des publicains. En l'an 70, Jéricho fut renversé par l'armée de Vespa- sien; restaurée par ordre de l'empereur Adrien, elle devint même un siège épiscopal, dont on connaît les titulaires de 325 à 536. L'empereur Justinien y lit ériger une église et une hôtellerie à l'usage des pèlerins. Durant les croisades, les princes chrétiens y rétablirent l'évêché et y fondèrent trois monastères; mais ces ouvres ne subsistèrent pas longtemps. Guillaume de Tyr nous apprend que les revenus de la seigneurie de Jéricho appartenaient au Saint-Sépulcre. La reine Mé- lisende les donna ensuite à l'abbaye de Béthanie. Expo- sée de tous côtés aux invasions, cette ville fut une des premières enlevées aux rois chrétiens, et resta au pou- voir des infidèles. Sous la domination musulmane. Hihha ne pouvait se relever : cette autorité vraiment
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barbare n'a jamais rien su restaurer; elle a fait beau- coup de ruines, et toutes les ruines qu'ellea f;iites ou trouvées, sont restées, à travers les siècles, dans le même état de désolation. Mien n'est saisissant pour l'esprit du voyageur chrétien comme la vue de ces vieux sites bibliques. On sent que la malédiction de Dieu a passé par là. La place des antiques cités de Chanaan est devenue souvent méconnaissable, et sur ce sol, qui dévore ses habitants et qui a dévoré jusqu'à ses ruines: les érudits modernes viennent se livrer à d'intermi- nables discussions. Des savants ont prétendu que la vieille ville de Jéricho était située sur les derniers gradins des montagnes; d'autres l'ont cherchée plus loin encore.
A deux kilomètres environ de Jéricho, Josué établit Je camp des Israélites. Galgala fut la première station en deçà du .Jourdain, et le chef des Hébreux y lit poser en cercle les douze pierres prises au milieu du fleuve, comme un monument éternel du passage de la rivière à pied sec. Ici les Israélites célébrèrent la Pâque et mangèrent pour la première fois des fruits de la terre promise: dès lors la manne cessa de tomber. Sainte Paule y vit les douze pierres du Jourdain au com- mencemenl du v siècle; Arculfe, à la fin du vne siècle, put encore les observer; il dit qu'elles étaient si grosses, que deux jeunes gensavaienl delà peine à en soulever une. Nul doute n*est possible sur l'endroit où les Juifs traversèrenl le Meuve. c"est là que la puissance de Dieu é< lata pur un miracle semblable à celui dont furent témoins les rives de la mer Rouge. Les eaux du fleuve s'arrêtèrent pendant que le peuple passait à pied sec;
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elles s'élevèrent comme une montagne, et ne reprirenl
leur cours naturel que Lorsque tous les Israélites eurent atteint la rive droite.
Plus loin est l'endroit où les pèlerins ont coutume de taire leur immersion dans le Jourdain. C'est un des sites les plus agréables, et la tradition tient que Jésus-Christ y reçut le baptême des mains de saint Jean. Une plage Tort douce conduit au bord de l'eau, et, au-dessus comme au-dessous, la rive du fleuve est escarpée. Des arbres tournis, acacias, saules, tamarisques, des roseaux, des lianes flexibles, forment une espèce de dû me de verdure au-dessus de cette onde sacrée, où les pèlerins aiment à se plonger et à prier.
Je n'oublierai jamais le spectacle que présenta notre caravane sur la rive du Jourdain. Tous donnaient des signes non équivoques du plus vif enthousiasme. Le supérieur des Franciscains célébra la messe sur un autel improvisé, orné de roseaux et de feuillages. Le goût ingénieux des Français y fit merveille. Il fallait voir leur empressement et leur adresse à parer l'autel rustique. Les moines italiens et espagnols étaient ravis en extase. Chacun suivit dans un profond recueille- ment les prières de la liturgie. Les Bédouins à distance nous regardaient avec curiosité. Quand on est age- nouillé sur ce sol consacré par tant de prodiges, au murmure des eaux du Jourdain, en face de ces mon- tagnes dont le nom retentit à chaque page de nos saints livres, on éprouve involontairement une émotion pro- fonde. Au-dessus de nos têtes le ciel s'ouvrit, et l'ado- rable mystère de la Trinité y fut solennellement mani- festé au monde. Dans cette rivière, l'eau coula sur le
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front de Celui qui venait réconcilier le Ciel avec la terre. Sur ers deux rives, saint Jean-Baptiste prêchait I»' baptême de la pénitence. Plus loin vous apercevez les hautes plaines de Moab, animées encore, pour ainsi dire, par Les grandes figures de Moïse, de Josué et du pontife Éléazar. Quels noms! quel tableau!
Le nom du Jourdain apparaît souvent dans les livres de L'Ancien Testament à l'occasion des luttes conti- uuelles des Juifs avec les Moabites, les Ammonites, les Madianites et les Philistins. La rive gauche du fleuve appartenait aux tribus de Ruben, de Gad et à la demi- ti'ibu de Manassé. La tribu de Benjamin possédait la rive droite. Ici le général syrien Naaman, couvert de lèpre, vint se baigner, sur l'ordre d'Elisée, et recouvra la santé.
L'Arabe et le Grec qui accompagnent le voyageur n'aperçoivent pas plutôt le Jourdain qu'ils le saluent d'un cri de joie et vont y boire et s'y laver avec des signes de respect. Le pèlerinage au Jourdain remonte aux premiers temps du christianisme. Les chroniques du moyen âge racontent que les voyageurs et les guer- riers, après avoir visité Jérusalem et Bethléhem, allaient se purifier dans les eaux du lleuve et cueillir des palmes dans les jardins de Jéricho. Guillaume de Tyr assure que les pèlerins d'Occident aimaient non-seulement à prendre un bain dans <v> ondes, mais qu'ils y lavaient leurs vêtements et s'y livraient à divers actes de dévo- tion. Connue nos ancêtres des croisades, comme les pieux voyageurs de tous les temps el de toutes les na- tion-., nous descendons la berge el nous entrons dans l'eau, s. 'ion l'usage des pèlerins, nous faisons d'abord
LE JOURDA IN. 3 '>■"•
sur nos fronts Le signe de la croix, et nous restons plongés assez longtemps dans ces eaux pures et rafraî- chissantes. A l'endroil où qous sommes, la rivière a peu de profondeur; mais à quelque di>tance le courant est très-rapide. Chaque année, quelques nageurs y périssent victimes de leur imprudence. C'est à regret que nous quittons cette rive enchantée, pleine de sou- venirs, de fraîcheur et d'ombre. Nous trempons une dernière lois dans le tleuve notre tête et nos mains, et non- regagnons notre campement.
Devant uous -'('tend le vaste pays de Moab, autrefois -i peuplé, aujourd'hui sillonné en tout sens par des tribus nomades. Quelques ruisseaux et des torrents y ont leurs peut.- vers la mer Morte. Une végétation que le printemps chaque année voit renaître et que l'été consume, vient tempérer les teintes sévères des montagnes voisines. Cette contrée serait fertile et agréable, si des bras laborieux y venaient en aide à la la nature. Des champs d'orge et de blé promettant une riche moisson montrent la fécondité d'un terroir que la barbarie, l'insouciance et la paresse des hommes font paraître stérile. Kerak est la capitale actuelle du pays de Moab. Cette ville a joué un certain rôle dans l'histoire des croisades. Elle fut désignée sous le nom de Petm deserti, qu'il faut se garder de confondre avec l'ancienne capitale des Nabathéens, cette ville de Pétra dont nous avons parlé précédemment. Durant un quart de siècle, les chrétiens ne possédèrent pas au delà du Jourdain d'autres places fortifiées que Kerak. La popu- lation de cette ville, visitée en 180G par Burckhardt et en 1848 par Lynch, est composée d'environ quatre
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fUDÉE.
cents familles musulmanes el crut cinquante familles grecques schismatiques. Les environs delà ville sont très-fertiles. Des habitants se nourrissent d'olives, de café, de Lait caillé mêlé avec de la farine de froment, de gâteaux de farine d'orge, de lentilles, de riz et de fruits. Dans ces régions fréquentées jadis parÉsaù,on prépare un plat de lentille- avec de la farine et de l'huile; c'esl an «les mets les plus recherchés. N'est- ce pas ce plat friand, dit Seetzen, qui tenta la gour- mandise d'Esaii, et pour lequel il vendit à Jacob sou droit d'aînesse'/
Sur la frontière du pays de Moab se dresse fière- ment le mont Nébo ou l'Abarim. Au sommet de cette montagne, l'imagination nous montre Moïse debout, jetant un long regard de joie et de regret sur cette terre tant désirée, héritage du peuple de Dieu, que son pied ne doit pas fouler. 11 subira bientôt la sen- tence que le Seigneur a portée contre lui à cause de son hésitation dans le désert de Sin. 11 s'apprête à des- cendre avec résignation dans la tombe ignorée que le doigl de Dieu a creusée au sein de cette région étran-
gère.
Sachant que sa dernière heure approche, et désiranl poser le dernier couronnement à son onivre, Moïse, sur l'ordre de I >ieu . établil Josué, fils de Xun. chef de toutes les tribus. Le grand homme, à cette heure solen- nelle,n'eul pas la moindre faiblesse; il ne songea pus à se choisir un >ue.-.^seur dans sa propre famille. La Bible ni'i sous nos yeux, avec toute sa majestueuse sim- plicité, la scène imposante dans Laquelle le libérateur et le législateur des Israélites rassembla toute la multi-
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tude pour lui adresser de suprêmes recommandations,
cl résigner le pouvoir entre les mains de celui que Dieu avait élu pour introduire son peuple dans la terre promise. Quarante années de prodiges delà pari du Ciel, et de fatigues pour la nation, s'étaient écou- lées dans le désert: une génération nouvelle' s'était éle- vée, donl les pères avaient été ensevelis sous les sables du désert en punition de leurs murmures et de leur désobéissance. Enfin l'on touchait au terme si long- temps et si ardemment désiré! Le prophète évoque, en commençant, les souvenirs du passé; il rappelle les merveilles opérées par la toute -puissance de Jehovah, la bonté et la justice de Dieu, magnifique en ses pro- messes, terrible en ses jugements. Son œil perçant pé- nètre les profondeurs de l'avenir. Il prononce alors ce sublime cantique où brillent d'un éclat surnaturel les promesses et les menaces, cr Que le ciel et la terre, dit- il, entendent mes accents; que mes enseignements descendent sur la terre comme une pluie abondante, et mes paroles comme une douce rosée sur le gazon. J'invoquerai le nom du Seigneur: célébrez sa gran- deur. Les œuvres de Dieu sont parfaites et ses juge- ments sont justes. » Quel magnifique langage! quelle sublime poésie! quels élans inspirés! .Jamais la langue humaine n'a trouvé de plus nobles accents et n'a exprimé des sentiments plus religieux.
On vit ensuite toutes les tribus défiler lentement devant ce vénérable vieillard, qui donnait à chacune une bénédiction spéciale. Il termina en s'écriant : « Tu es heureux, ô Israël ; quel est le peuple semblable à toi, qui es sous la protection «lu Seigneur? Le bras de Dieu
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te serl de bouclier pour ta défense, el sa main porte le glaive de ta gloire. Puis Moïse mourut dans la terre de Mo.il>: il eul sa sépulture dans la vallée qui est vis- à-vis ilf Phogor; mais personne ne connut I»' lieu de sa tombe. Moïse était âgé décent vingt ans lorsqu'il rendit le dernier soupir. Le peuple le pleura trente jours au milieu des plaines de Moab.
Au pied du mont Nébo, yers le sud-ouest, mourut un autre homme que la bouche de la Vérité même proclama leplus grand entre les enfant* des hommes. C'est saint Jean-Baptiste, mis à mort pour la justice à Machéronte, par ordre du tyran Hérode Antipas. L'austère prophète, qui criait dans le désert: Préparez la roia <ht Seiijneirr, et qui prêchait à tous le baptême de la pénitence, ne garda pas le silence devant le scan- dale donné au monde par une prince assis sur le trône. Vengeur de la justice el de la vertu (''gaiement outra- gées, Jean -Baptiste disait au roi: a 11 ne vous est pas permis d'avoir la femme de votre frère. » Hérode alliait, comme la plupart des tyrans, la faiblesse à la barbarie. Au milieu des plaisirs d'une cour livrée à la dissipation, et dans la salle d'un banquet, ce prince énervé et cruel, pour satisfaire la vengeance d'une femme criminelle. donna l'ordre de trancher la tête du prophète. Cette tête fui apportée sur un plat jusque dans la salle du festin. Tous les siècles ont glorifié la ci m rageuse liberté de Jean-Baptiste, et stigmatisé la conduite infâme d Hérodiade. Tombés en disgrâce, Hérode Antipas et Hérodiade turent exilés à Lyon, où ils moururenl mi- sérablement.
CHAPITRE XIX
LA MER MORTE
"avais eu déjà l'occasion de voir la mer Morte, en suivant le lit du torrent de Cé- dron à partir du couvent de Saint-Sabas. Il serait difficile, au moyen d'une description, quelque fidèle qu'on la suppose, de donner une idée juste de l'extrémité de cette vallée affreuse, bordée de rochers déchirés, se contournant en tous sens comme un reptile. Quand on parle d'un vallon au fond duquel roule un cours d'eau , on se représente invo- lontairement des berges couvertes d'arbres et tapissées de gazon, des prairies, des champs cultivés, des jardins, de la verdure, de la fraîcheur et de l'ombre. C'est, en effet, l'image qui se
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présente continuellement sous les yeux dans nos pays tempérés: mais dans le voisinage de la mer Morte, la vallée est brûlée, des pierres et des cailloux encombrent le lil du torrent, un mur à pic de rochers tourmentés et calcinés se dresse de chaque côté ou se penche en menaçant au-dessus de votre tête. Quelques tourterelles Menés, effrayées de notre apparition, s'échappent des Lut es de la pierre; plus loin, des cigognes s'enfuient à notre approche. De distance en distance on rencontre des flaques d'eau dans des trous profonds. Rien n'est fatigant comme cette excursion, que nous avons entre- prise à pied. Quoique nous ayons quitté le monastère de grand matin, la chaleur, dans ces gorges étroites, est étouffante. A chaque pas il faut changer de direc- tion, escalader des pentes abruptes, monter à mi-côte, et descendre par des sentiers rapides. La marche de- vienl de plus en plus pénible. Il nous faut enfin quitter l<- canal creusé par le torrent. Les eaux se jettent dans la mer Morte par cascades, en se fia va ut un passage à travers mille obstacles. Nous sommes inondés de sueur, altérés, haletants; mais reconnaissez ici le caractère français : nous ne voulons pas retourner en arrière sans avoir jeté au moins un coup d'œil sur la mer. Du haut d'un monticule, au pied duquel sourd une fontaine d'eau tiède et saumâtredont les bords sont encombrés de roseaux, de joncs et d'acacias, nous contem- plons la mer de Sodome dans toute sa sublime hor- reur.
Vue à distance, la mer Moite semble immobile. Aucune brise n'ni vient rider la surface. Les (.-aux ré- fléchissent les ravons du soleil comme un miroir mé-
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tallique. Aucune barque ne sillonne les ttots; aucun bruit n'interrompt le silence, qui ressemble au silence
du tombeau. Au milieu de cette scène de mort, on n'a- perçoit pas un être animé, et le long de ces rives dé- sertes l'homme \ redoute la présence de l'homme. Une traînée de sel brille le long du rivage. Les montagnes qui bordent cet immense bassin paraissent calcinées. On dirait qu'elles portent les traces d'un violent in- cendie. Çà et là. sur la grève, apparaissent de larges plaques d'une substance noirâtre et visqueuse: ce sont des couches de bitume déposées par les eaux, qui tien- nent l'asphalte en dissolution. Des troncs d'arbres sont «pars sur la plage, dépouilles du Jourdain, que les crues entraînent à la mer, et que les flots abandonnent en se retirant après l'hiver. L'œil ne peut s'arrêter nulle part, tant la lumière est éblouissante. L'air est em- brasé; pas un nuage ne rafraîchit l'atmosphère. La chaleur, en augmentant le malaise qu'on éprouve, ajoute encore aux pénibles impressions que ce spec- tacle produit dans l'âme. C'est bien là cette mer mau- dite, le théâtre des vengeances de Dieu sur des villes criminelles!
Voici le tableau qu'en a tracé un poète français, ce L'aspect de la mer Morte, dit-il, n'est ni triste, ni funèbre, excepté à la pensée. A l'œil, c'est un lac éblouissant, dont la nappe immense et argentée ré- percute la lumière et le ciel comme une glace de Ve- nise; des montagnes aux belles coupes jettent leur ombre jusque sur ses bords. On dit qu'il n'y a ni pois- sons dans son sein, ni oiseaux sur ses rives. .Je non sais rien: je n'y vis ni procellaria, ni mouettes, ni ces
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beaux oiseaux blancs, semblables à des colombe> ma- rines, qui nagent tout le jour sur la mer de Syrie, et accompagnent les calques sur Le Bosphore; mais à quel- ques centaines de pas de la mer Morte, je tirai et tuai des oiseaux semblables à des canards sauvages, qui se levaient <\r> bords marécageux du Jourdain. Si l'air de la mer était mortel pour eux, ils ne viendraient pas si près affronter ses vapeurs méphitiques. Je n'aperçus pas non plus ces ruines de villes englouties que Ton voit, dit-on, à peu de profondeur sous les vagues. Les Arabes qui m'accompagnaient prétendent qu'on les découvre quelquefois. Je suivis longtemps les bords d<- cette mer, tantôt du côté de l'Arabie, où est l'em- bouchure du Jourdain, tantôt du côté des montagnes de la Judée, où les rivages s'élèvent et prennent quel- quefois la forme des légères dunes de l'Océan. La nappe d'eau nous offrit partout le même aspect : éclat, azur el immobilité. Les hommes ont bien conservé la faculté que Dieu leur donna, dans la Genèse, d'appeler les choses par leurs noms. Cette mer est belle; elle étin- celle, die inonde de la réflexion de ses eaux l'immense déseii qu'elle convie; elle émeut la pensée : mais elle est morte; le mouvement et le bruit n'y sont plus : ses ondes, trop lourdes pour le vent, ne se déroulent pas en vagues sonores, et jamais la blanche ceinture de son «'ruine ne joue sur les cailloux de ses bords ; c'est une mer pétrifiée '. »
Nous n'avions fait qu'apercevoir la mer Morte. Main- tenant nous allons en parcouru' les rives et noter qi
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1 M. de Lamartine j Voyage en Orient, tome II, p. 236.
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ques observations. Le bassin de ce lac immense est creusé à une si grande profondeur, que les savants qui "lit calculé le niveau de cette mer avec celui de La Méditerranée et de l'Océan avaient d'abord peine à admettre le résultai de leurs propres expériences. Ce niveau est .1.' plus de quatre cents mètres au-dessous de celui de l'Océan. C'est donc la dépression du globe la plus profonde qui soit connue. Les anciens disaient que la mer .Morte est un abîme sans fond. Les recher- ches des explorateurs modernes ont prouvé que dans certains endroits la profondeur est de six cents à sept cents mètres. L'erreur des anciens est très -excusable; car la pesanteur spécifique de l'eau rend les sondages fort difficiles. La longueur de la mer Morte est d'en- viron quatre-vingts kilomètres; elle varie de quatre à cinq kilomètres, suivant la saison. Durant l'hiver, en effet, et au moment surtout de la fonte des neiges, le Jourdain et les torrents amènent à la mer une masse d'eau considérable qui recouvre tous les bas-fonds et -'•'•tend sur les sables marécageux du midi. La largeur varie de seize à vingt kilomètres, et le circuit est d'en- viron deux cents kilomètres. Pour en faire le tour, il faut i nviron quinze jours, et ce voyage ne s'effectue pas sans danger.
Beaucoup de voyageurs ont parlé des exhalaisons pernicieuses qui s'élèvent de la mer Morte, et qui en rendent le voisinage malsain. Des touristes modernes qui n'ont fait qu'une apparition de quelques heures près de l'embouchure du Jourdain, en venant de Jéri- cho, ont écrit qu'ils n'ont rien observé de semblable. Il est bien constaté aujourd'hui que la mer Morte ne
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produit pas de miasmes pestilentiels; mais aucun homme, durant un séjour de quelques semaines sur ses rivages, ne saurait échapper à une influence ma- ligne. Lynch nous apprend qu'après une navigation de dix à douze jours, les matelots américains de ses em- barcations présentaient «1rs symptômes effrayants. Tout le monde sait que l'Irlandais Costigan alla mourir à Jérusalem deux jours après avoir terminé une assez longue exploration. L'Anglais Molyneux ne fut pas mieux partagé : il mourut d'une lièvre contractée en naviguant dans les mêmes parages. M. haie, compa- gnon de Lynch, succomba lui-même à la maladie qui avait emporté les deux premiers explorateurs. Laissons parler le chef de l'expédition américaine; il nous fera connaître les progrès alarma uls de cette terrible ma- laria, qui cause d'abord dos hallucinations, vicie le sang, et tue comme le poison.
<f Jusqu'ici, après douze jours de navigation sur la mer Morte, nous avions tous joui d'une excellente santé, à une seule exception près; mais alors il se présenta des symptômes qui m'inspirèrent des inquié- tudes. Chacun de nous avait pris l'apparence d'un hydropique : les maigres étaient devenus gras, et les gras presque corpulents; les visages pâles paraissaient florissants, e1 ceux qui auparavant avaienl un visage coloré étaienl devenus très-muges. De plus, la moin- dre égratignure pas-ail en suppuration, el le corps de plusieurs étail couverl de petites pustules. Tous se plai- gnaient de la douleur qu'ils éprouvaienl Lorsque l'eau mordante de la mer touchail quelque partie lésée. Cependanl non- avions encore tous bon appétit, et
LA MER MORTE. 355
j'étais toujours plein d'espoir. 11 ne pouvait rien y avoir île pestilentiel dans l'air. Il y a peu de végétation sur le rivage; par conséquent, il ue peul y avoir que peu de décomposition végétale pour corrompre l'air, et
l'odeur puante que nous avons souvent remarquée provenait certainement «le- sources chaudes chargées de soufre que Ton ne considère [>as comme contraires à la santé. Nous avons trouvé trois lois, il est vrai, des oiseaux morts; mais ils avaient péri d'épuisement, sans aucun doute, et nullement à cause de l'air malsain de la mer, qui est tout à l'ait inodore, et qui émet plus qu'aucun autre des vapeurs salées, que Ton tienteomme saines, autant que je puis croire.
ce Autour de nous et au-dessus de nous, continue le même écrivain, il y avait de noirs abîmes, et les pointes âpres des rochers enveloppées d'une brume transparente, pareille à une atmosphère visible qui semblait les laisser entrevoir involontairement; et à treize cents pieds au-dessous de nous, notre sonde avait touché à la plaine enfouie de Siddim, qui est maintenant couverte de fange et de sel. Tandis que je m'occupais de pareilles pensées, mes compagnons avaient cédé à une envie de dormir insurmontable, et étaient couchés dans toutes les attitudes du sommeil, qui était plutôt un morne assoupissement qu'un repos. A l'horrible aspect que cette mer nous offrit lorsque nous la vîmes pour la première fois, il nous semblait qu'on devait lire, comme au-dessus de l'enfer de Dante, cette inscription : Que celui qui entre ici re- nonce à toute espérance. Mais depuis ce temps, ac- coutumés à des apparences mystérieuses pendant un
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voyage qui offre tant de scènes palpitantes d'intérêt, ces impressions craintives avaient été diminuées ou écartées par le profond intérêt de nos explorations. Mais maintenant que je veillais ainsi seul, ce senti- ment de terreur revint, et en regardant mes compa- gnons endormis, mes elteeeu.r devinrent des mon- Imjnes, comme il arriva à Job lorsqu'un esprit passa i levant son visage; car, pour mon imagination surex- citée, il y avait dans l'expression de leurs visages échauffés et enflés quelque chose de terrible. L'ange sinistre de la maladie semblait planer sur eux; leur sommeil brûlant et fiévreux était pour moi l'avant- coureur de sa venue. Les uns, ayant le corps courbé, les bras pendants sur les rames abandonnées, et les mains pelées par cette eau corrosive, dormaient pro- fondément : les autres, ayant la tète penchée on arrière, les Lèvres fendues et saignantes, avec des taches écar- tâtes sur chaque joue, paraissaient, même pendant leur sommeil, accablés de chaleur et «l'épuisement, tandis que d'autres encore, sur le visage desquels la lumière de l'eau se réfléchissait, ressemblaient à des spectres, et sommeillaient avec un tremblement ner- veux de tous les membres: de temps eu temps ils se ivdivssaientj buvaient à longs traits au baril d'eau, et retombaient ensuite dans leur assoupissement1. »
Pour remettre son équipage, Lynch alla séjourner quelque temps dans le pays de Moab, à Kherak. A.van1
i w. F. Lynch U. s. N. Narrative of the United -States expédition to the river Jordan and the Dead Sea. London, 1849. — Passage cité dans U Lu i Saints, tome III , p. 292.
LA MER MORTE. 35*3
de s'embarquera Beyrouth, pour faire voile vers l'Amé- rique, il alla respirer encore l'air pur «les montagnes du Liban. La maladie tourmentait toujours ses ma- telots; trois mois après, M. Dale expirait à Rhamdun, et fut enterré à Beyrouth. Tous les autres se rétabli- rent, e1 revirent bientôl les rivages de leur patrie.
L'observation qui frappa Lynch, à la vue d'oiseaux morts flottants à la surface de la nier Morte, avait été faite par plus d'un voyageur. Les uns attribuaient cet accident au souffle délétère du simoun, d'autres à de violents coups de soleil, à des tempêtes et à des orages. Souvent, en effet, on rencontre des cailles, des hirondelles, des perdrix et d'autres oiseaux privés de vie à la surface de l'eau ou sur le rivage. Quelle que soit la cause de leur mort, le fait ne pouvait manquer de produire de l'impression. Y a-t-il des poissons dans cette mer? Il semble prouvé que non. Ceux que le Jour- dain y amène meurent aussitôt, et sont rejetés sur le rivage. Saint Jérôme avait fait cette remarque il y a quatorze siècles ' ; elle a été vérifiée par Lynch et les -avants explorateurs qui, comme M. de Saulcy, ont suivi ses traces. Ce phénomène n'a rien qui ('tonne, quand on connaît la nature de cette eau : elle es1 excessivement saturée de sel, d'une amertume dont rien ne saurait donner l'idée, acre et nauséabonde. Elle exerce une action corrosive même sur les métaux. Si, en se baignant, on a le malheur d'en avaler une
i Si Jordanes auctus imbribus piscos illuc influons rapuerit, statim moriuntur, et pinguibus aquis supernatant. (S. Hicron., in Ezecb., XLYH, 8. )
:*58 JUDÉE.
gorgée, on éprouve sur les lèvres et à l'intérieur de la bouche une sensation de brûlure, la gorge se serre, le cœur se soulève, et la respiration reste échaulïée pen- dant plusieurs heures. En sortant de ce bain, on aie corps couvert d'une substance huileuse, qu'il est im- possible d'essuyer et qu'on peut faire disparaître seu- lement en se baignant dans l'eau douce. Une légère incrustation de sel revêt également tous les membres1. Il n'est même pas nécessaire d'entrer dans l'eau pour avoir le visage, les cheveux et les vêtements couverts d'une fine poussière de sel. Il n'est guère de voyageur assez peu curieux pour ne pas vérifier par lui-même si tout ce que l'on rapporte de la densité de la mer Moite est véritable. Plusieurs fois j'en ai fait l'expérience. On éprouve d'abord la plus grande difficulté à nager: les pieds ne peuvent entrer dans l'eau, le mouvement des deux mains devient impossible, et le corps, maintenu à la surface sans presque s'enfoncer, est ballotté à
1 Analyse do l'eau de la mer Morte par MM. J. Booth et A. Muckle, faite en 1848.
Pesanteur spécifique à GO — \} '2.
. . . 145. 89. |
|
— de c ilcium |
. . . 31. (17. |
— de sodium |
... 78. 55. |
— de potassium |
... »;. 58. |
Broinitc de potassium . . . . |
... 1. 37. |
264. 16. |
|
|
. . . 7.'!:.. 84. |
I otal de pai tii oumi e à I analyse. . Hhmi.
LA MK H MORTE. 359
droite et à gauche. Il tant une certaine expérience pour nager sur le côté, en s'aidanl d'un pied et d'une main;
si l'on se tient debout, on enfonce à peine jusqu'à la poitrine, el à l'aide de quelques mouvements imper- ceptibles on pont garder longtemps la même position. Cette flottaison du corps tienl à la densité de l'eau, qui est six fois plus considérable que celle de la Méditer- ranée. Il faut ajouter qu'on sort de ce bain sans fraî- cheur, mal à l'aise et comme étourdi.
En plusieurs endroits, des sources d'eau saumâtre coulent au pied des rochers qui bordent le bassin de la mer. Auprès de ces fontaines, et sur tout le sol qu'elles arrosent, poussent des roseaux sans nombre. Nous v avons ramassé des coquillages univalves et bivalves; les insectes y fourmillent. Il n'y a rien d'é- tonnant si les voyageurs rencontrent des oiseaux aqua- tiques en quête de ces insectes et de leurs larves. Malgré nos recherches attentives , nous n'avons pas rencontré de mollusques vivants dans les eaux de la mer. Nous sommes donc jusqu'à présent forcé d'admettre le té- moignage du géographe arabe Édrisi, qui affirme n'a- voir jamais aperçu dans la mer Morte rien d'animé, aucun poisson, aucun reptile, aucun de ces êtres vivants qui peuplent les autres eaux, soit courantes, soit tranquilles.
Les pics élevés et les montagnes qui entourent le large bassin dans lequel dort le lac Asphaltite, offrent l'aspect le plus morne et le plus triste. Tous parais- sent avoir subi l'action du feu. Des taches noirâtres les marbrent çà et là. La chaleur et l'air de la mer les corrodent, en décomposant les parties les moins so-
360 JUDÉE.
lides. Des aiguilles se dressent au milieu des côtes tour- nées au li 'vaut, et dans les sites les plus sauvages on voit des grottes creusées de main d'homme. Sur l'em- placemenl de l'antique Engaddi, de nombreuses ruines jonchent le sol. Dans une vallée que les Arabes ap- pellent la vallée des Ruines, on rencontre des débris considérables de constructions antiques. Au sommet d'une rocln1 qui n'a pas moins de trois à quatre cents mètres de hauteur, sont les restes de l'ancienne Masada, une des villes les plus fortifiées du pays et le dernier boulevard de l'indépendance nationale. Là se passa un de ces événements tragiques dont le récit jette encore répouvante dans l'âme; l'historien Josèphe nous en a conservé les détails. Neuf cent soixante personnes étaient enfermées dans la forteresse de Masada, et te- naient en échec l'armée romaine. Eléazar commandait la place. Dans la poitrine de chacun des soldats bat le cœur d'un héros. Les Romains entourenl la place d'une hante muraille, résolus à ne pas laisser échapper un seul homme. Déjà les machines de guerre approchent pour battre en brèche l'enceinte de la citadelle; les as- siégés élèvent en hâte une espèce de palissade garnie de poutres pour amortir les coups du bélier. Les assié- geants ne trouvent rien de mieux à taire que d'y mettre le feu. Cet expédient De leur réussit pas d'abord. Un vt'iii violent du oord rabat 1rs ûammes sur eux et les incommode fortement; mais le vent tourne soudain au sud, et les flammes en tourbillonnant enveloppent la forteresse. Les Juifs éperdus s'écrient que le ciel com- bat contre eux. Eléazar ne songe pas un momenl à la fuite. Il rassemble ses braves, et, dans un discours plein
LA MER MORTE. 364
d'un sauva^ enthousiasme, il les exhorte à se donner la morl . à égorger Leurs femmes et leurs enfants; « afin, , lit-il , que qos ennemis voienl que nous avons préféré la mort à la servitude. ..Tous ne paraissent pas d'a- bord accepte]- cette proposition dictée par le désespoir. Le chef, s'animant de plus en plus, se met à parler de l'immortalité de l'âme avec un accent si énergique et des regards si étincelants, que ses compagnons l'ar- rêtent e1 se préparent à accomplir cette résolution hor- rible. On les voit alors embrasser leurs femmes et leurs enfants avec une tendresse convulsive, et les poignar- der ensuite d'une main ferme. Dix d'entre eux ont été' désignés par le sort pour achever cette affreuse bou- cherie. Le dernier met le feu aux richesses accumulées dans la forteresse, et se tue en se précipitant sur la pointe de son épée. Le lendemain, lorsque Flavius Sylva, généra] romain, pénétra dans la place, il fut saisi d'effroi à La vue de tous ces cadavres noyés dans le sang. Deux femmes et cinq enfants, cachés dans un aqueduc souterrain, échappèrent à la mort, et ra- contèrent les détails de ce drame lugubre. Les ruines de Masada sont encore imposantes : la porte d'en- trée est en ogive; on y reconnaît le palais dllérode, avec son pavé de mosaïques, de vastes citernes, des murs solidement appuyés sur d'énormes blocs de pierre.
Les coteaux de ce large bassin sont déchirés de ra- vins profonds, où roulent les torrents à la suite de ces orages et durant la saison des pluies. Tous ces ravins ont un nom dans la langue des Arabes. Nul cependant n'est connu en dehors de ce petit coin de terre. Il en est
362 JUDÉE.
autrement des ruines considérables qui portenl encore le nom «le Sodome, l'une des cités maudites : Karbet- Esdoum. 1 >"après les descriptions laissées par les au- teurs anciens, le site de Sodome ne devait pas être fort éloigné de Masada. Comme la position de cette dernière n'esl Qullemenl douteuse, on peut aisément retrouver les ruines de la seconde, qui devait s'élever à l'extré- mité méridionale de la mer Morte, du côté du cou- chant, tandis que Gomorrhe était sur la rive orientale. M. de Saulcy aperçut, en 1853, ces ruines curieuses près de la montagne de Sel. Il ne faut pas d'ailleurs s'étonner d'entendre parler des restes de ces villes maudites, quoique une opinion longtemps accréditée les représente au fond de la mer Morte. Divers pas- sages de la sainte Écriture donnent à entendre que ces villes furent détruites par le feu *\r> vengeances célestes : nulle paii on ne lit qu'elles furenl englouties sous les flots. Josèphe dit expressément qu'autour du lac de Sodome, e1 aux enviions iW> villes qui lurent ruinées par le feu du ciel, le terrain est tout brûlé, et qu'on y voit encore les effets de ce terrible incendie et les restes de ces villes malheureuses '. Strabon fait mention t\c> ruines de Sodome, qui avaienl soixante stades de tour. Il parait même que, dans les premiers siècles chrétiens, cette ville avait repris une certaine importance, puisque nous trouvons parmi les souscrip- tions au concile de Nicée celle de Sri'rr<\ évêque de Sodome. L'ancienne uotice ^\r^ dignités de l'empire
i /<- Bello Jud., Iil'. v, cap. v. — On p«oit consulter à ce snjel L'article i\ ml D. Calrael . •! ina le Dû tionnam de la Bible . art. Sooomi .
LA MER MORTE. 363
nest pas moins formelle; elle place la ville épiscopale de Sodome entre Thamara et Engaddi '.
L'ancienne vallée de Siddim, que l'Écriture nous représente comme un jardin agréable, arrosé par les eaux du Jourdain, esl aujourd'hui le lieu le plus désolé du inonde. Quelle es1 la cause de cette épouvantable catastrophe? Pour les chrétiens elle n'a pas besoin d'être cherchée. La Bible nous le fait assez connaître : les villes de la Pentapole périrent par le feu, en puni- tion des crimes dont leurs habitants s'étaient rendus coupables, crimes en exécration parmi tous les peu- ples. Jésus -Christ rappelle lui-même ce châtiment terrible dans les termes suivants : ce Le jour où Lot sortit de Sodome, il tomba du ciel une pluie de feu et de soufre, qui perdit tous les habitants2. » On lit ton- jours avec terreur les détails de cette grande ruine dans les chapitres de la Genèse. « L'immense renverse- ment de cette contrée, dit M. de Humboldt, est un
1 II est impossible de ne pas relever ici uni* erreur dans laquelle le savant M. de Saulcy est tombé par distraction. En parlant du siège épi- scopal de Sodome, sur lequel la version copte des actes du concile de Nicée ne laisse pas la moindre incertitude, il ajoute : « Est-ce à dire pour cela que Sodome se releva de ses ruines et qu'une Sodome moderne, contemporaine du concile de Nicée, fut le siège d'un épiscopat chrétien? Pas le moins du monde. Nombre d'évèques ont porté, et portent encore de nos jours, des titres de villes qui n'existent plus que dans la mémoire des hommes. » — L'Église conserve les anciens titres épiscopaux dont les sièges ou les villes ont entièrement disparu ; mais jamais elle n'a conféré le titre de cité épiscopale à une ville détruite de longs siècles avant l'avènement du christianisme.
1 Luc, xvn, 29.
364 JUDÉE.
phénomène qui n'a pas d'analogue sur notre globe *. » Les incrédules ont voulu expliquer ce désastre parties causes purement naturelles, affirmant que la destruc- tion île la Pentapole est due seulement aux explosions d'un volcan. Écoutons la réponse que M. de Chateau- briand a faite à cette assertion. « Je ne puis être du sentiment de ceux qui supposent que la mer Morte n"cst que le cratère d'un volcan. .l*ai vu le Vésuve, la Solfatare, le Monte-Nuovo dans le lac Fucin, le Pic des Açores, le Mamelife vis-à-vis de Carthage, les volcans éteints d'Auvergne: j'ai partout remarqué les mômes caractères, c'est-à-dire des montagnes creu- sées en entonnoir, des laves et des cendres où l'action du feu ne peut se méconnaître. La mer Morte, au con- traire, est un lac assez long, courbé en arc, encaissé entre deux chaînes de montagnes qui n'ont entre elles aucune cohérence de forme, aucune homogénéité de sol. Elles ne se rejoignent point aux deux extrémités du lac: elles continuent, d'un côté, à border la vallée du Jourdain en se rapprochant vers le nord jusqu'au lac deTibériade; et, de l'autre, elles vonl en s'écartant se perdre au midi dans les sables de l'Yémen. »
Quelques voyageurs reproduironl sans doute l'opi- nion de Volney. Nous leur conseillons de méditer les lignes suivantes de M. Lynch. « Nous sommes venus sur cette mer, dit-il, avec 'les opinions bien différentes. Un de nous était sceptique: un autre avouait ne pas ajouter foi pleine aux récits de Moïse. Après vingt-deux jours d'explorations précises, nous avons été unanime-
i Central A ien, B. I. Th. 2; B. II. Th. 3.
LA MER MORTE. 365
ment convaincus de la vérité des récits de l'Ecriture sur la destruction de cette plaine1. » Le même explo- rateur termine ainsi : ce Nous noyons que tout ce qui se trouve dans la Bible au sujet de cette mer et du Jourdain, a été complètement constaté par nos obser- vations. •>
1 Ouvrage cité, eh. xiv et wni.
SA31AR1 E
CHAPITRE XX
NAPLOUSE
ous allons quitter Jérusalem, pour
pour nous diriger vers Nazareth , en suivant la route jadis si fré- quentée de la Samarie et de la Galilée. Ce n'est pas sans un ser- rement de cœur que nous faisons qos préparatifs de départ. Jérusa- lem n'esl plus «'ii réalité qu'un monceau de ruines: mais on est attiré vers ces débris par un charme indéfinissable, Jérusalem n'a que des rues pauvres et presque désertes; ses édi- fices, comme œuvres d'architecture j ne sauraient soutenir la comparaison avec les monuments de FItalie, de la France ou de L'Angleterre; les quartiers les plus
SAMAJEUE.
renommés \ sont malpropres, e1 L'on n'y jouit pas toujours d'une sécurité complète : il n'y a que des souvenirs. M ; i i s pour un cœur chrétien ces souvenirs attachant mille fois plus que les chefs-d'œuvre des beaux-arts e1 les merveilles de La nature. Nous avons traversé les pays les plus favorisés du Ciel, où la terre, comblée de tous les dons, semble être toujours en fête el sourire à ses habitants. De ces magnifiques pay- sages, de «'«'s montagnes étagées en amphithéâtres de verdure comme pour le plaisir des yeux, de ces fleuves majestueux, de ces champs couverts de riches mois- sons, de ces vallées ornées de Heurs et de fruits, nous conservons une image enchanteresse. De Jérusalem nous garderons jusqu'à notre dernier soupir une image qui ne repasse jamais devant nos yeux sans nous émou- voir jusqu'aux Larmes. Après tout, Jérusalem n'est-elle pas l.i capitale du monde, puisque de son sein est sortie la source de la vraie civilisation?
Le signal du départ est donné. Nous courons au Saint- Sépulcre. Les Turcs en on1 fermé la porte, et nous sommes foret' s de nous agenouiller sur le seuil. La caravane sort par La porte de Jafifa, longe quelque temps les remparts de La ville et gagne La route de liiiiiiiis. A chaque instant nous tournons la tête, un >eul nom est sur nos lèvres : Jérusalem. Le chemin passe à côté du tombeau des rois, à travers des bos- quets de pâles oliviers; puis, par un sentier abrupl et pierreux, il conduit sur La hauteur de Sapha. <i'est ici que Le grand prêtre Jaddus vint à La rencontre d'A- lexandre Le Grand. Après La réduction de Tyr, le héros macédonien se met en marche vit.- .Jérusalem, pour
NAPLOUSE. 369
la punir de sa fidélité à la cause du Darius1. A son approche, tous les esprits sont frappés de terreur. Le pontife ordonne des jeûnes et des prières publiques. Une vision mystérieuse le rassure la nuit suivant»'. Sur son ordre, les rues de la ville sont jonchées de fleurs, et les habitants, vêtus d'habits blancs comme aux jours de fête, sortent au-devant du vainqueur. Le grand prêtre, à la tête des lévites, porte tous les insi- nues de sa dignité, le costume majestueux du sacer- doce, la tiare sur la tête, avec une lame d'or où est gravé le nom de l'Éternel. A l'aspect de cette pompe religieuse, Alexandre, étonné, s'arrête; quand il aperçoit le grand prêtre, il saute en bas de son cheval, s'avance seul en face de ses soldats, et, tombant à genoux, il ;ulore le nom de Dieu qui resplendit sur le front du pontife. A cette vue les Juifs poussent des exclamations de joie. Parménion demanda à son maître l'explication de sa conduite, et pourquoi il avait adoré le grand prêtre des Juifs, lui qui recevait les adorations des autres. Alexandre répondit qu'avant son départ de Ma- cédoine, et dans le temps qu'il délibérait s'il porterait ses armes en Asie, Dieu lui avait apparu sous la forme de ce pontife , l'exhortant ;'i poursuivre hardiment son entreprise et lui donnant l'assurance de la victoire. Le roi entra alors à Jérusalem, tenant le grand prêtre par la main, offrit des sacrifices à Dieu dans son temple, et accorda aux Juifs le privilège de vivre selon leurs lois; il les exempta même de tout tribut chaque sep- tième année, à cause du sabbat.
• Joseph., Antiq. , Mb. XI , cap. vin.
24
370 SAM A RI E.
La route dans laquelle nous marchons est consacrée par mille souvenirs bibliques; cette terre a été foulée par les patriarches et les prophètes; la sainte famille y passa plusieurs fois; Jésus-Christ et les apôtres la sui- vaient quand ils se rendaient de Judée en Galilée, en traversanl le pays de Samarie. Nul chemin sur la terre ne mérite mieux le titre dévoie Sacrée. Chaque colline, chaque torrent, chaque coin de terre porte un nom historique. Rien ne vient distraire notre pensée au euinmencement de notre voyage. La campagne offre toujours le même aspect de sauvage grandeur, de tris- tesse et de désolation : rochers brûlés, pentes arides, plateaux stériles; quelques bouquets d'oliviers d'assez chétive apparence viennent seuls égayer de distance en distance la sévérité du paysage. En voyant constam- ment, aux environs de Jérusalem, ce sol ingrat, ces montagnes dénudées, ces champs brûlés par les ardeurs du soleil, sans que la verdure y vienne reposer le re- gard, on se demande involontairement si c'est bien là cette terre féconde promise aux patriarches , cette terre où coulent le lait et le miel, suivant l'expression des saints livres, où la rosée du matin et la pluie du soir donnent naissance à des récoltes abondantes, où des troupeaux nombreux errent dans de gras pâturages. Plus d'un voyageur ignorant ou incrédule n'a pas hé- sité, d'après l'état actuel des lieux, à donner un dé- menti à nos livres sacrés, regardant ces pompeuses descriptions de la Palestine comme des fictions poé- tiques et même comme de pieuses supercheries de la pari «If Moïse, pour entraîner plus sûremenl les tribus hébraïques à la conquête du pays de Chanaan.
NAPLOUSE. 373
Ceux qui soulèvent ces objections après avoir par- couru les montagnes de La Judée, oublient sans doute 1rs révolutions sans Dombre qui on1 bouleversé ce malheureux pays, el le régime barbare sous lequel il gémit depuis tant de siècles. Reportons- nous eu ar- rière, et nous ne manquerons pas de témoignages en faveur de la véracité îles historiens sacrés. Sous le règne de David, la population juive atteignait le chiffre de six millions d'Ames environ. D'après le tableau de la Judée au temps de Titus, elle devait être alors de quatre millions au moins. Cette population, répartie sur un territoire de cinq cent vingt myriamètres carrés, vivait aisément des produits du sol, et trouvait encore moyen de faire des exportations considérables en huile, blé , orge et fruits. Toute la Palestine, d'ailleurs , ne con- siste pas dans la région rocailleuse de la Judée, que l'Évangile appelle Montana Judœœ; elle comprend le pays d'Hébron, la plaine du Jourdain, la Samarie et la Galilée : contrées qui se couvrent encore aujourd'hui d'une végétation extraordinaire. Ces belles plaines, ces fertiles vallées, où foisonnent mille plantes sauvages, n'attendent que le soc de la charrue pour se couvrir de riches moissons. Ce qui frappe, ce n'est pas la sté- rilité, mais le défaut de culture.
! ii écrivain non suspect aux philosophes, Volney, va nous apprendre les causes de l'état misérable dans le- quel se trouvait la Syrie à l'époque où il la parcourait. « Les pachas étant les maîtres de la majeure partie des terres , ne les concèdent qu'à des conditions onéreuses : ils exigent la moitié ou même les deux tiers de la ré- colte; ils accaparent les semences et les bestiaux, en
374 SAMARIE.
sorte que Les cultivateurs sont forcés de les acheter au- dessus de leur valeur. La récolte laite, ils chicanent sur les pertes, sur les prétendus vols; et comme ils on1 la force en main, ils enlèvent ce qu'ils veulent. Si l'année manque, ils n'en exigent pas moins leurs avances, et ils font vendre, pour se rembourser, tout ce que possède le paysan. A ces vexations habituelles se joigent mille avanies accidentelles : tantôt on ran- çonne le village entier pour un délit vrai ou imagi- naire; tantôt on introduit une corvée d'un genre nou- veau. On exige un présent à l'avènement de chaque gouverneur; il faut donner l'étape à tous les gens de guerre qui passent ou qui apportent des ordres; et les gouverneurs ont soin de multiplier ces commissions , qui deviennent pour eux une économie, et pour les paysans une source de ruine. Les villages tremblent à chaque laouend qui paraît : c'est un vrai brigand sous le nom de soldat : il arrive en conquérant, il commande en maître, il insulte et il pille. En vain les paysans orienta l'injustice; le sabre impose silence. La récla- mation est lointaine et difficile; elle pourrait devenir dangereuse. Qu'arrive -t- il de toutes ces déprédations? Les villages se ruinent et deviennent déserts; c'est à cette cause qu'il faut attribuer la misère et la dépopu- Lation des campagnes. Aussi l'agriculture est-elle dans un étal déplorable: taule d'aisance, le laboureur man- que d'instruments, ou u'en a que de mauvais; la charrue n'es! souvent qu'une branche d'arbre coupée sous une bifurcation, et conduite sans roues. On la- boure .ivre des ânes, des vaches, el raremenl avec des bœufs; ils annoncenl trop d'aisance. Dans les pays ou-
NAPLOUSE. :<"5
verts aux Arabes, tels que la Palestine, il faut semer le fusil à la main. A peine le blé jaunit- il, (pion le coupe pour le cacher dans des matmoures ou caveaux souterrains. On en retire le moins qu'on peut pour les semences, parce qu'on ne sème qu'autant qu'il faut vivre: en un mot, Ton borne toute industrie à satis- faire les premiers besoins. Or, pour avoir un peu de pain, des oignons, une mauvaise chemise bleue et une pagne de laine, il ne faut pas la porter bien loin. Le paysan vit donc dans la détresse; mais du moins il n'enrichit pas ses tyrans, et l'avarice du despotisme se trouve punie par son propre crime '. »
Après avoir traversé la Palestine , Volney voit Jéru- salem entourée de rocs déchirés, de ravines et de décombres. Il se demande si c'est bien là cette métro- pole célèbre qui lutta jadis contre les empires les plus puissants et qui arrêta un jour les légions romaines. (( Je l'ai parcourue, dit-il, cette terre ravagée. J'ai visité les lieux qui furent le théâtre de tant de splen- deur, et je n'ai vu qu'abandon et que solitude. J'ai cherché les anciens peuples et leurs ouvrages, et je n'en ai vu que la trace, semblable à celle que le pied du passant laisse sur la poussière. Les temples se sont écroulés , les palais sont renversés , les ports sont com- blés, les villes sont détruites, et la terre, nue d'habi- tants, n'est plus qu'un lieu désolé de sépulcres. Grand Dieu! d*où viennent de si funestes révolutions? Par quels motifs la fortune de ces contrées a-t-elle changé? Pourquoi tant de villes sont- elles détruites i ? »
i État politique de la Syrie , ch. xvi. i Les Haines , ch. 11.
376 SA MA H 11..
Pour avoir une réponse à ces questions, il suffisait
.l'ouvrir l,i liilile et de lire certains chapitres de l'Évan- gile. En regardant ces lieux si désolés, nous n'avons pas eu peine à y reconnaître le passage de la justice divine.
Sur lituli's les hauteurs qui dominent notre route, on distingue des ruines. Comment, en effet, ne pas rencontrer des ruines à chaque pas, pour ainsi dire, dans un pays où vivaient jadis des millions d'hommes, et où maintenant trois cent mille habitants à peine restent plongés dans la misère? Après deux heures de marche, nous apercevons quelques pierres dispersées, des tronçons de colonnes : c'est tout ce qui survit de la ville deGabaa. L'histoire sainte nous apprend comment y mourut la femme du lévite d'Éphraïm , succombant à la honte et aux plus lâches outrages. Nous savons comment l'époux irrité, avec une froide et barbare énergie, saisit un glaive, divisa le cadavre en douze parts qu'il envoya aux douze tribus d'Israël. Une dou- leur sympathique el universelle répondit à ce sanglant message. Partout on s'arma pour punir le crime des habitants de Cabaa. Cette ville était de la tribu de Ben- jamin; elle fit un appel à ses frères. Mais dans la lutte la tribu de Benjamin succomba, et fut presque en- tièrement exterminée. Punition terrible! Peau spec- tacle, cependant, qui montre toute une nation en armes pour venger l'honneur d'une faible femmel
Nous saluons de loin l'emplacement de la ville d'Éphraïm, où se retira Jésus-Chrisl peur se dérober à la haine des Juifs, après avoir ressuscité Lazare, el celui de < rischala de Benjamin, patrie de saint Paul*
NAPLOUSE. :î77
d'abord loup ravissant persécutait les fidèles, ensuite apôtre des nations. El- Bir est un lieu de station : les voyageurs s'y arrêtenl pour y passer la nuit, quand ils partent trop tard de Jérusalem, ou au moins [tour v prendre quelque repos. A peu de distance de la fon- taine gisent les restes d'un établissement religieux et d'une belle église du temps des croisades. Ici, suivant la tradition, la sainte Vierge et sainl Joseph, revenant de Jérusalem, après les fêtes de l'àques, s'aperçurent que l'enfant Jésus u'était pas avec eux. Ils le cher- chèrent parmi tous les groupes de voyageurs, et re- vinrent en hâte sur leurs pas, remplis d'inquiétude. Le troisième jour ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs. Sainte Hélène fit ériger une basilique en ce lieu, où la sainte famille prit son repos plus dame fois. Les guerriers francs relevèrent cet édifice et imprimèrent sur ces murailles, aujour- d'hui à moitié renversées, les caractères de la noble architecture du xne siècle et de leur mâle génie. Quel- ques arceaux en plein cintre et des ogives ont résisté aux assauts du temps; elles gardent le souvenir de nos ancêtres, et attendent qu'une main amie vienne les consoler. Nous acceptons volontiers ce vieux souvenir, comme un souvenir de France. Sous ces voûtes crou- lantes, nous récitons la Salutation angélique,et je fais répéter ;'i l'écho les noms de Jésus, Marie, Joseph!
El-Bir ou el-Bireh est l'ancienne Beeroth des Gabao- nites. A peu de distance, une tour démantelée rem- place l'antique Béthel. Quoique le chemin passe ;'i droite de Beitin, qui a succédé à la ville, nous ne pouvons résister au désir de visiter ce sol consacré
378 SAMAR1E.
par tanl de prodiges. Abraham y érigea un autel, à la suite d'une apparition dans laquelle le Seigneur lui promil de donrier la terre de Ghanaan à sa postérité. Là Jacob, fuyant la colère d'Ésau et allant en Mésopo- tamie, s'arrêta surpris par la nuit. Couché à terre, il s'endormil la tête appuyée sur une pierre. Durant son sommeil, .Jacob eut une vision merveilleuse; des anges montaient et descendaient le long d'une échelle qui posait à terre et s'élevait jusqu'aux deux. Dieu renou- vela au patriarche la promesse faite à Abraham, de multiplier sa postérité comme le sable sur le rivage de la mer. A son réveil, le fugitif fut saisi d'effroi. « Que ce lieu est terrible, dit-il, c'est ici la maison oV Dieu et la porte du ciel! » Il versa de l'huile sur la pierre qui lui avait servi d'oreiller, et rétablit comme un monument, en appelant ce lieu Béthel,, c'est-à- dire Maison de Dieu. Revenant de Mésopotamie, Jacob s'arrêta de nouveau à Béthel, <>ù il consacra un autel et reçut le nom d'Israël, à la suite (Tune lutte mysté- rieuse. En ee même lieu mourut Débora, nourrice de Rebecca; elle l'ut enterrée au pied d'un chêne, le chêne <lr* l'Irurs. Touchante simplicité de la vie patriarcale! une [lierre devenait un monument, et un arbre conser- vait la mémoire des morts. Nulle tombe n'est compa- rable à ce dôme de verdure, qui reverdit et lleurit chaque année; les Heurs passent vite, chaque automne les feuilles jaunies tombent à terre : frappant emblème des vicissitudes de la vie humaine!
Avant la construction du temple de Jérusalem, les Israélites se réunissaienl fréquemmenl à Béthel pour adorer I»' Seigneur. Samuel y venait feus les ans pendre
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La justice au peuple. Après Le schisme, Jéroboam y plaça un veau d'or, el entraîna ses sujets dans l'ido- lâtrie. Les ministres de ce culte infâme étaienl dignes de la confiance d'un prince infidèle : ils volèrent les veaux d'or, qui turent remplacés par des veaux d'airain. Depuis lors Béthel s'appela Béthaven, ou lu Maison ilr Vanité : les prophètes chargèrent ce lieu de malédic- tions. « Les chardons et les épine-, dit Osée, rempla- ceront ces autels impies. » Lorsque uous passions dans i es champs, jadis témoins de fêtes bruyantes, nous n'y avons rencontré que la solitude; le sol maudit produit à peine des ronces et des chardons.
Non loin de Béthel se trouve Silo, sur le territoire de la tribu d'Éphraïm, à dix kilomètres environ de Sichem ou Naplouse. Du temps de Saint Jérôme, il n'y avait que des ruines à Silo, et Ton n'y montrait rien de remarquable , excepté les fondements de l'autel des holocaustes, érigé à l'époque où l'arche d'alliance «'•tait déposée sous une tente à ce même endroit. Ici Josué assembla le peuple pour faire le second partage de la terre promise. Ici encore la mère de Samuel offrit son fils à Dieu, afin qu'il grandît à l'ombre du taber- n ele. Dieu y fit entendre sa parole à Samuel, et le chargea de reprocher sa faiblesse au grand prêtre Héli, dont les enfants scandalisaient le peuple parleur mauvaise conduite. Chacun sait de quelle manière ter- rible s'accomplirent les menaces de Dieu. Dans un combat contre les Philistins, l'arche tomba au pouvoir des ennemis; Ophni et Phi nées, qui la portaient, pé- rirent dans la mêlée. A cette triste nouvelle, Héli tomba de son siège à la renverse et se brisa la tête,
;sn SAMAR1E.
Depuis cette funeste journée, L'arche ne reparut plus sur Les hauteurs de Silo.
A mesure qUe nous avançons, il n'est pas difficile de reconnaître le riche pays de Sichem. Les champs de la Samarie sont fertiles et assez bien cultivés. Aux abords de Naplouse, La végétation est luxuriante. Les lianes des collines se couvrent de moissons; des bouquets de I mis en couronnent le sommet; l'olivier, le figuier, le grenadier, L'oranger, le citronnier poussent jusque dans les ravins. Des maisons blanches se détachent du milieu des jardins verdoyants qui les entourent. On trouve partout les traces de la main laborieuse et intelligente de l'homme. De longs sarments de vigne pendent en festons d'un arbre à l'autre. Entre les monts Hébal et Garizim, Naplouse occupe une position ad- mirable. Le commerce et l'industrie pourraient en faire un centre de mouvement et de richesse, si les chemins étaient sûrs et praticables.
Presque à la porte de la ville, Jacob acheta un eliamp et creusa un puits. Avant de mourir, le pa- triarche voulut que Le champ de Sichem fît partie de L'héritage de Joseph, son fils préféré. Aussi, à leur sortie d'Egypte, les Israélites emportèrent -ils avec eux les ossements de Joseph, et les déposèrent- ils m pied du mont Garizim, dans un tombeau entouré d'une forêt d'oliviers. A quatre cents pas environ s'ouvre Le puits de Jacob, sur le bord duquel Jésus Mut s'asseoir et conversa avec La Samaritaine, pen- danl que ses disciples étaient allés jusqu'à Sichem ou Sichar acheter des vivres. Le soleil était au milieu de sa course, el la chaleur était accablante. Jésus
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demande à boire à l'étrangère, lui promettant en échange une eau mystérieuse qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle. Cette scène respire la douceur et La bonté du Sauveur: sa parole retentit encore jusqu'au fond du cœur: « Si vous connaissiez Le don de Dieu! » Combien d'hommes, en effet, dans ces contrées et ailleurs, semblables à la Samaritaine, ont les yeux termes par l'ignorance et les préjugés! Une naïve Lé- gende raconte que la Samaritaine, sous le nom de Photine, exerça un véritable apostolat en Afrique, el qu'elle convertit au christianisme la ville de Cartilage, -mus le règne de Néron. Sainte Hélène fit bâtir une église somptueuse au-dessus de ce puits. Quelques tronçons de colonne en indiquent l'emplacement. Un couvent de religieuses avait été fondé en même temps. « C'est au puits de la Samaritaine, dit le savant abbé de Sainte-Marie-de-Deg, qu'a été inaugurée la sainte et pudique liberté qui doit régner entre les fidèles : il était juste i[ue des femmes vinssent honorer en ce lieu, par leurs vertus et leurs reconnaissantes prières le divin auteur de leur régénération; mais les vierges chrétiennes ont été chassées de cette contrée : l'es- clavage et la barbarie en ont aussitôt repris posses- sion'. » Aujourd'hui deux grosses pierres ferment l'ouverture du puits de Jacob au niveau du sol. La profondeur en est considérable, mais il n'y a pas tou- jours d'eau; il est comblé en partie.
L'Ouad-y-Mukna, au moment où nous y passons, est paré de tout le luxe d'une végétation tropicale.
1 Les Saints Lieux, tome III, ch. xxxviu, p. 327.
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Cette vallée, une des plus remarquables de la Pales- tine, resserrée entre les monts llébal et Garizim, a environ un kilomètre de largeur, et le sommet des deux montagnes a la même hauteur, qui est d'envi- ron deux cent cinquante mètres au-dessus de la (.laine. e( hnil cent trente mètres au-dessus du ni- veau de la mer. C'est, du reste, la seule ressemblance qu'elles aient entre elles: llébal est stérile, et Garizim est fertile. Moïse avait ordonné aux Israélites de se diriger, aussitôt après le passage du Jourdain, vers Siehein, le champ de Jacob. La multitude devait se partager en deux corps: six tribus se placeraient sur les pentes d'Hébal, et les six antres tribus sur celles de Garizim. Josué exécuta fidèlement l'ordre du pro- phète. La foule couvrit les flancs des deux montagnes : ce fut une cérémonie grandiose et digne des temps antiques. Un autel fut dressé au haut dllébal, selon \r lit prescrit, et des victimes y furent immolées; l'arche d'alliance était an centre de la vallée, entre les deux montagnes, entourée des prêtres, des lévites, des juges et des anciens du peuple. Quelle scène dut offrir cette assemblée innombrable! Josué, debout sur une éminence, (''levant la voix au milieu d'un silence solennel, proclama les bénédictions réservées à la n.dion, si elle rest.tit fidèle à la loi, et les malédic- tions qui frapperaient les violateurs de l'alliance. Les prêtres, rangés autour de l'arche, se tournèrent du côté de Garizim, et s'écrièrent : Béni s<>ii celui qui n'adorera /"/.s /es idoles. Une immense clameur répon- dit : Amen. Ils se tournèrenl vers Eïébal en disant : Mon, lit soit celui qui adorera les idoles, l'n cri non
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moins formidable que Le premier répondit : Amen. D'une montagne à l'autre, les acclamations retentis- saient comme le bruit du tonnerre. Voilà un tableau comme on en trouve dans la Bible. L'histoire ne nous présente rien de plus saisissant. Un peuple entier est là, réuni sous le- veux de Dieu, en lace de sa con- science, nous pouvons même ajouter, en présence de toutes les nations, et accomplissant l'acte le plus auguste de la religion. Il jure d'observer constamment la loi du Très-Haut, appelant sur sa tète les plus terribles punitions, s'il vient à défaillir et à manquer à ses serment-. Homère, dans l'Iliade, fait la descrip- tion d'un conseil de rois et de guerriers réunis en cercle, et délibérant avec une lenteur majestueuse; nous avons éprouvé une sincère admiration en retra- duit dans notre imagination cette noble et grave dé- libération où se balancent les destinées d'un empire. La vallée de Sichem nous montre un spectacle propre à ébranler l'imagination plus fortement encore : six cent mille hommes en état de porter les armes, pre- nant possession de leur patrie, dans un transport sublime d'enthousiasme religieux, se liant, eux et leur postérité , par des serments redoutables à obser- ver les préceptes divins jusqu'à la fin des siècles!
La ville de Sichem, plusieurs fois renversée, fut plusieurs fois rebâtie. A la mort de Salomon, Ro- boam assembla le peuple à Sichem pour se faire pro- clamer roi. C'est là que les dix tribus, irritées des procédés hautains et injustes du jeune prince, se séparèrent de lui, et consommèrent le schisme en élisant Jéroboam. Le nouveau roi établit à Sichem
3S'» SAMARIE.
la capitale du royaume d'Israël. Lorsque les tribus furent emmenées en captivité par Salmanasar, les monarques assyriens envoyèrent les Cuthéens, et autres peuples du pays des Mèdes , pour repeupler iv pays. Des familles juives y étaient restées, ou y revinrent dans la suite. Il en résulta une race mé- langée, où les étrangers dominaient, avec laquelle \r< vrais Israélites ne voulurent avoir aucune com- munication. Les antipathies étaient encore vivaces du temps de Notre-Seigneur, et la Samaritaine lui disait : « Les Juifs n'ont aucune relation avec les Samari- tains. » Non enim coutuntur Judœi Samaritanis.
Mans la guerre funeste où les Romains anéantirent La nation juive, les habitants de Sichem se retirèrent sur le mont Garizim, et organisèrent une solide résis- lance. Gerealis, lieutenant de Vespasien, ne pouvant les réduire par la force, les assiégea dans la citadelle où ils s'étaient réfugiés. Ces malheureux souffrirent imites les horreurs de la faim et de la soif. A la lin ils périrent presque tous sous le glaive du vainqueur: onze mille personnes furent passées au lil de l'épée. Une colonie romaine fut envoyée par l'empereur, qui releva la ville sous le nom de Flaria Ne.apnlis. Saint Justin, philosophe et martyr, naquit à Naplouse, au commencement du second siècle. L'Kglise l'honore '■munir mi de ses plus savants et plus courageux défenseurs. Ses deux principaux ouvrages, la première e1 la seconde Apologie, furent adressés à l'empereur Aiiimiin et à Marc-Aurèle. La vérité y brille d'un si vif éclat, la raison y parle un langage si noble, que, dans un siècle ensanglanté par les persécutions, il
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réussit, au moins pour quelques instants, à calmer des fureurs sauvages. A l'époque des croisades, Na- plouse se soumit à l'armée chrétienne; les revenus de la ville furent consacrés à l'entretien du Saint-Sépul- cre. En !•_!<>•_>. un tremblemenl de terre la renversa; toutes les maisons s'écroulèrent , à l'exception de celles «lu ((initier des Samaritains. Le 1er janvier 181)7. la même calamité désola Naplouse, ainsi que d'autres villes de Syrie. Aujourd'hui la population de Na- plouse s'élève à environ dix mille habitants, presque tous musulmans : on y compte cinq cents Grecs schis- matiques, deux cents Juifs et cent cinquante Sama- ritains. Le fanatisme y est ardent; les étrangers y sont insultés, et s'ils s'aventurent imprudemment dans les rues sombres et étroites de certains quartiers, leur vie n'est pas en sûreté.
Xaplouse passe pour une des villes les plus riches de la Palestine. Les produits du sol nourrissent aisé- ment la population, et il s'y fait un commerce assez considérable. Les caravanes y -apportent les élégants tissus de Damas. Nous retrouvons ici une faible image de l'activité qui règne constamment dans nos villes de l'Europe; on y observe un mouvement peu connu en Orient. Le monument le plus remarquable de Na- plouse est la mosquée, ancienne église des croisades, dont les ogives et la disposition trahissent l'origine chrétienne. Il reste encore de belles ruines d'une autre église : voilà les seuls vestiges du catholicisme dans une vieille cité qui a eu des martyrs, des évêques et des conciles !
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CIIANTKK
si. r. asti i: ii
ous ne quitterons pas Naplouse sans visite]- le quartier des Sa- maritains, et sans regarder le fameux Pentateuque, écrit en caractères hébraïques primitifs, qu'ils font remonter à la plus haute antiquité. Les derniers représen- tants de la nation et de la secte des Samari- tains vivent misérablement dans un pauvre quartier de Naplouse, méprisés dc> musul- mans, détestés des Juifs, mais toujours fidèles à leurs usages et }'i leurs traditions. Ce sont les descendants de la colonie de Cuthéens, auxquels A.saraddon, roi d'Assyrie, envoya un prêtre pour les instruire dans la loi «le Moïse. Sur notre demande, leur chef religieux, qui prend le titre de prêtre -lévite, nous montri sans empressement, mais avec bienveil- lance, le précieux rouleau* enfermé dans une boîte
SEBASTIEH. 387
d'ivoire. On lui donne trois mille deux cents ans d'antiquité; il contient la loi de Moïse. Des érudits ont contesté l'âge attribué à ce vénérable manuscrit : il faut avouer pourtant que leurs objections ne sont pas sans réplique, et il pourrait se faire que ce vo- lume, gardé toujours avec un soin religieux, eût plus île trente siècles d'existence. Nous l'examinons avec une vive curiosité: notre attention semble faire plaisir au vieillard, qui remet enfin le rouleau dans son étui avec une gravité e! une lenteur affectées. Le Penta- teuque des Samaritains ne diffère de celui des Juifs que par des variantes de peu d'importance. C'est un monument toujours subsistant en laveur de l'authen- ticité des livres de Moïse. La petite secte des Samari- tains, ijui veille avec un respect religieux à la con- servation de ce volume, se perpétue, à travers mille difficultés, en hostilité permanente avec les Juifs, comme pour empêcher les textes qui servent de fon- dement à la religion révélée de subir la moindre al- tération.
M. Sylvestre de Sacy a publié sur les Samaritains et leurs livres sacrés un Mémoire connu de tous les vivants. Les consuls de France dans le Levant lui en avaient fourni les principaux éléments. Nous en tran- scrivons les lignes suivantes.
« La nation samaritaine, sans avoir joué un rôle bien important sur le théâtre du monde, s'est cepen- dant, conservée jusqu'aujourd'hui; et au milieu des bouleversements survenus dans la Terre - Sainte , les Samaritains ont conservé leur religion, leur langue, leurs livres sacrés et le lieu principal de leur culte.
SAMARIE.
Peut-être avant deux ou trois générations disparaî- tront-ils du seul lieu où quelques familles existent encore!
« 11 n'y a point aujourd'hui de Samaritains ailleurs qu'à Naplouse el à .1 alla . quoiqu'ils croient avoir de nombreuses colonies de leurs frères en Egypte, el particulièrement au royaume des Francs. Il y avait autrefois des Samaritains à Damas et à Gaza; il y en avait aussi à Ascalon et à Césarée, en Palestine, qui , suivant eux , ont été emmenés par les Francs il y a six cents ans, et dont l'histoire ne fait nulle mention. Il v a cent ans qu'il ue s'en trouve plus en Egypte.
« Le costume par lequel les Samaritains se dis- tinguent de toutes les autres sectes ou nations, est un turban qu'ils placent toujours sur leur tête les jours de sabbat et de fête; quand ils vont à leur synagogue, ils portent des vêtements blancs, et suivent au pied de la lettre ce qu'ils ont conservé de la loi de Moïse. Leur loi est la même; elle renferme chez eux, comme chez les Juifs, six cent treize préceptes; mais il y a quelques différences dans l'observation de ces préceptes.
« Les Samaritains restent ainsi séparés des Turcs des Juifs et des Chrétiens; ils ne se marient qu'entre eux. Ils occupenl à Naplouse un quartier séparé, .i—i'/. vaste, el qui a pris leur nom ; leurs maisons communiquenl les unes aux autres. Dans l'une d'elles,
au premier étage, esl la synagogue1. »
i Sylvestre de Sacy, Mémoire sur la version arabe des livres de Moïse
:, l'usage des Samaritains, <•( mu- les manuscrits de cette version. .)/< -
,i, l'Académù des inscriptions et belles -lettres, tome XLIX ,
p. 1-199, in-'i .
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Les ruines de l'antique ville de Samarie sont à trois heures environ de distance de Naplouse. On aperçoit de loin 1rs restes de l'immense colonnade qui se dé- tache sur le fond de la colline. L'abside ronde de l'église Saint -.Lan brille comme une tour dorée sons 1rs rayons du soleil. An fond de la vallée court un charmant ruisseau. Les ondulations du coteau sont couvertes de décombres. Des pans de muraille se dressent au milieu d'arbustes épineux. Les maisons du village sont toutes bâties avec des débris antiques, et ce qui n'est pas moins curieux, c'est que les murs de l'église sont eux-mêmes formés de matériaux ar- rachés à des constructions antérieures. Ainsi, du temps des croisades comme aujourd'hui, on exploi- tait comme une carrière les monuments à moitié démolis de l'ancienne Samarie. Çà et là des fûts de colonne, des chapiteaux, des fragments de frise, des sculptures gisent sur le sol. Le travail indique évi- demment une main grecque des premiers temps de l'empire romain.
La ville de Samarie, fondée par Amri , sur la col- line de Someron, neuf c'eut soixante-dix ans avant Jésus- Christ, devint la capitale du royaume d'Israël. Durant un demi-siècle, -es prédécesseurs, soldats de fortune, n'avaient fait que passer sur le trône et rési- daient à Sichem ou à Thersa. Achab fortifia Samarie et l'embellit d'édifices dans le goût des Syriens; il y bâtit à son usage un palais d'ivoire, c'est-à-dire dont les ornements étaient d'ivoire. Ce prince avait épousé Jézabel, tille du roi de Tyret de Sidon; il perça dans sa capitale de larges rues et <\^> places publiques, où
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les marchands phéniciens vinrent taire le commerce. Ces dispositions étaient alors un progrès considérable.
Les remparts de la ville étaient si forts, que les rois de Syrie l'assiégèrent en vain à plusieurs reprises; mais ils ne purent résister aux coups des Assyriens. Salmanasar emmena les tribus captives, après avoir pillé et détruit leur capitale.
Longtemps Samarie ne fut qu'une bourgade sans importance, souvent ravagée, toujours rebâtie. Vers l'an 330, Alexandre le Grand y envoya une colonie de Macédoniens. Un proconsul romain, Gabinius, en- treprit de la rétablir et de lui donner son nom; cette tentative échoua. Hérode le Grand fut le véritable restaurateur et le second fondateur de Samarie. L'en- ceinte de la ville fut agrandie et entourée de solides murailles. Le prince y éleva un magnifique palais, et n'épargna aucune dépense pour l'érection et la déco- ration d'un temple superbe destiné à transmettre sa mémoire à la postérité la plus reculée. Hérode dédia la nouvelle cité à l'empereur Auguste, son bienfai- teur, en lui donnant le nom de Sébaste, qui signifie Auguste en grec. Sébaste ne joue pas un grand rôle dans l'histoire. Les écrivains du Nouveau Testament ne la désignenl jamais sous ce nom, quoique les peuples étrangers ne la connussent guère autrement. Après la mort de saint Etienne, les disciples de Jésus- Christ furent dispersés dans les villes de la Judée et de la Samarie, el le diacre saint Philippe vint dans la ville de Samarie, où il opéra plusieurs conversions. A\;uii appris que cette ville avail reçu la parole de Dieu, les apôtres y envoyèrenl sain! Pierre et saint
Jl
SÉBASTIEH. 393
Jean donner le Saint-Espril à ceux qui avaient été baptisés. C'esl alors que Simon le Magicien vint offrir de l'argenl aux apôtres pour qu'ils lui conférassent le pouvoir «le faire descendre le Saint-Esprit, « Que ton argent périsse avec toi, » lui «lit le prince des apô- tres. C'esl du nom de cet imposteur, qu'on appelle simmie le crime de ceux qui estiment les choses spi- rituelles à prix d'argent.
Dès les temps les plus anciens, il y eut un évêque à Samarie; Marins signa en cette qualité au concile œcuménique de Nicée. Sébaste eut une certaine ré- putation en Orient, à cause de l'affluence des pèlerins qui accouraient au tombeau de saint Jean -Baptiste. Au rve siècle, l'impératrice sainte Hélène fit élever une grande basilique au-dessus de ce tombeau. Julien l'Apostat fit profaner le temple, et ordonna de jeter les reliques au vent; mais, grâce à la pieuse super- cherie de quelques moines venus de Jérusalem qui se déguisèrent, une partie des ossements du Précurseur fut sauvée. Ce précieux trésor fut partagé : une portion fut envoyée à saint Athanase d'Alexandrie et l'autre fui restituée à Sébaste. Vingt ans après ces exploits sacri- léges de l'empereur philosophe, sainte Paule vint à Sébaste honorer la mémoire de saint Jean. Les siècles chrétiens n'oublièrent jamais la tombe de ce glorieux martyr. Les princes chrétiens des croisades rétablirent l'évêché de Samarie, et, au xm(! siècle, saint Louis donna un témoignage de sa dévotion envers ce sanc- tuaire en concédant à perpétuité une rente de vingl livres aux religieux chargés d'y célébrer l'office divin. « Nous avons adoré le Sauveur sur la terre qu'il foula
394 SAMARIE.
de ses pieds, dit le pieux roi de France; nous avons vu l'église de Sébaste, où reposenl le bienheureux Jean-Baptiste èl d'autres corps vénérables; la sainteté de ce lieu a plu et vivement parlé à notre âme. La piété <l la bonne tonne des frères nous a fortement excité à les aimer eux et leur église. » Le prince parle ici des chevaliers de Saint-Jean, qui avaient magnifi- quement orné la basilique du protecteur de leur ordre, l/ieiivre des croisés était admirable, et les restes qui en subsistent peuvent nous en donner une juste idée. L'église avait cinquante mètres de longueur et une lar- geur île vingt-cinq mètres. Un escalier de vingt-un degrés conduisait «à la crypte où reposaient les saintes reliques. La nef centrale, au moment où nous la visi- tons, conserve encore quelques restes de voûte; les trois absides sont entièrement voûtées. L'abside prin- cipale a une voûte en coquille singulièrement tra- vaillée. Des sculptures, quoique mutilées, ainsi qu'une rangée de petites arcades simulées en ogive, indiquent le XIIe siéele. Une fontaine se trouve au milieu du porche. Entre les pierres qui encombrent le chevet de l'église, poussent des grenadiers sauvages, des ra- quettes el >\c> figuiers. Le pavé de la nef a été enlevé, el les habitants du village y cultivent du tabac. Deux
jolis palmiers dressent leurs tètes au-dessus de ces
nefs désolées, dont les murs sont couverts de la croix des hospitaliers de Saint-Jean. Ici, comme à Sainte- Sophie de Constantinople, les Turcs fanatiques se sont plu à enlever les croisillons de plusieurs de ces croix- Mais ils auront beau faire, leurs efforts sont vains; malgré leurs dégradations, la croix reste victorieux'
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du monde. Le croissant est un emblème menteur; il va toujours en diminuant et en s'affaiblissant, comme l'empire dont il surmonte les étendards.
Nous avons visité ensuite les restes de la colonnade, monument sans nom. dont on ignore absolument la destination. Imaginez-vous de longues rangées de co- lonnes tout autour du Someron , régulièrement espacées et en quantité innombrable. Ces colonnes sont main- tenant découronnées : aucune ne porte de chapiteau. Plusieurs sont inclinées el beaucoup gisent à terre. Il v a des files où Ton en compte de quarante à cin- quante; d'autres où il y en a dix à douze seulement. Rien n'est étrange comme l'aspect de ces colbnnes qui ne se rattachent à aucun édifice, et qui se dres- -iid au milieu des champs cultivés, entre des oliviers et des figuiers. On peut bien dire que c'est Fombre d'une grandeur éteinte. L'imagination pouvait se don- ne)- ici libre carrière, et elle n'y a pas manqué; on a dit que ces colonnes avaient jadis appartenu à des amphithéâtres, à des cirques, à des façades ou à «les péristyles de temples, etc. Ce luxe d'architecture, autour d'une montagne et de l'enceinte de Samarie, tut l'œuvre d'Hérode le Grand; si ce n'était pas à pro- prement parler un ouvrage d'art, on y doit voir l'effet d'un taux goût de magnificence, assez commun aux époques de décadence, prenant La richesse et la pro- digalité pour l'élégance et la beauté. Il faut convenir que le site de Sébaste était bien choisi. Du haut de la colline, où, s'il faut en croire les Arabes, s'élevait le château, la Yiie est admirable. Le pays de Samarie, comme la vallée, de Naplonse, est d'une extrême fer-
390 SAM A Kl E.
tilité. I)e légères ondulations de terrain couvertes d'arbres remplacent les finies montagnes de la Judée, et vont en mourant se rattacher aux derniers gradins du Garizim. J>es villages sont disséminés dans la plaine cl sur toutes les hauteurs. Les coteaux qui se -(''paient dans le couchanl laissent apercevoir dans le lointain les eaux resplendissantes de la Mé- diterranée.
Au moment où nous descendons de Sébastien, un jeune entant si1 précipite devant nous en taisant le -igné de la croix. Il était sûr de se bien faire accueillir en nous adressant ce signe de reconnaissance. Cent cinquante (lices schismatiques habitent ce village. Nous lui donnons un petit crucifix de cuivre, une médaille de la sainte Vierge et quelques pièces de monnaie. Jamais enfant ne parut plus heureux; il nous regarde les yeux pleins de larmes, et je le vois pleurer lorsque nous reprenons uotre marche. A quel- ques pas de là nous rencontrons une pauvre femme qui portait au village un pot de lait placé sur sa tête. Une main soutenait le vase, et le liras s'arrondissait
de la manière la plus gracieuse. L'autre hras était pendant. Nous lui demandons à boire ce lait. Alors elle penche le vase avec la plus grande aisance et prend elle-même une pose charmante. Nous nous désaltérons à longs traits. Ces deux petits détails de mœurs locales nous ont semblé dignes d'être racon- tés. D'une part, c'est la simplicité chrétienne, qui ap- proche avec confiance ceux qui invoquent le nom du Christ; d un autre côté, c'est un reste de la vie pa- triarcale conservé dans le pays des patriarches. La
SÉBASTIEH. 397
jeune femme de Sébastien n'était pas sans quelque
ressemblance avec Rebecca versant à boire à Jacob. Nous lui donnons quelques piastres en récompense; elle les reçoit en baissanl les yeux, e1 s'éloigne sans
détourner la tête.
lîourka est le premier village que nous traversons. Lis maisons sont groupées sur une faible éminence, au centre «!«• jardins bien cultivés. Chaque petit do- maine est entouré d'une haie de cactus, et de beaux bouquets d'oliviers y entretiennent un peu de fraî- cheur et d'ombrage. Rien ne nous y arrête, et nous suivons la route, qui devient montueuse et parfois difficile. Après une marche pénible à cause de l'ex- cessive chaleur, nous arrivons à une délicieuse bour- gade, où nous goûtons le double plaisir de la fraî- cheur et du repos : c'est Fundekumieh, l'ancienne Pentacomia. Plusieurs fontaines en font une char- mante oasis. De vertes prairies, si rares en Orient, étendent sous nos pieds leurs tapis veloutés; de beaux figuiers, aux larges feuilles, nous servent de tîntes.
A une demi- heure de marche de cette station, Djebba nous apparaît connue une grosse bourgade plus coquettement parée que toutes celles que nous avons vues jusqu'à présent. Les maisons, bâties en [lierres taillées, sont propres et élégantes. Les femmes, dont la toilette est soignée, affectionnent beaucoup la couleur rouge. Le voile qui leur couvre la tête est rouge, de même que la pièce d'étoffe qui se replie devant la poitrine. Elles aiment aussi ;'i se parer de sequins enfilés et attachés sur un bandeau orné de
398 SAMARIE.
broderies. Aucun reste d'antiquité n'attire ici l'atten-
tion du voyageur.
Bientôl nous descendons dans la plaine de Sanour, l'ancienne Béthulie. Ces champs furent jadis inondés par les Ilots de l'armée assyrienne. Holopherne pres- sait le siège de la ville, quand il eut la tête tranchée par la faible main d'une femme. Quelques auteurs di- sent que Sal'ed on Saphet , près du Jourdain, au-dessus de Tibériade, a remplacé Béthulie; mais cette opinion n'est pas généralement admise. Sans entrer à ce sujet dans de longues discussions, nous admettons avec de savants voyageurs modernes que c'est ici le théâtre des événements dont Judith fut l'héroïne. La forte- resse de Sanour occupe une position excellente. En 1831, le pacha de Saint-Jean- d'Acre l'assiégea pendant six mois, et perdit six mille hommes devant cette place. Il n'en sciait pas devenu maître sans le plus terrible des auxiliaires, la famine. Ibrahim- Pacha la lit restaurer; mais quelque temps après, les habitants de Sanour ayant pris part à l'insurrection qui éclata contre lui, il ordonna de la démolir. Quoi- que démantelée, elle conserve encore un air mena- çant; quinze cents à deux mille fellahs y trouvent un abri. Le souvenir de Judith jette sur ces ruines comme un charme poétique. En passant nous saluons cette femme courageuse dr> titres que l'Écriture a consa- crés en l'appelant la gloire de Jérusalem, In joie d'Israël et l'honneur du peuple de Dieu.
En sortanl de cette plaine, nous nous engageons de nouveau à travers les défilés des montagnes. Nous quittons la Samarie, el nous entrons dan- la Galilée,
SÉBASTIEH. 399
Quand on a parcouru les montagnes de la Judée, ers gorges n'ont rien d'effrayant. Après avoir gravi des sentiers assez âpres, nous atteignons le point culmi- nant de cette chaîne. lTn magnifique panorama se déroule sous nos yeux. Notre caravane s'arrête quel- ques instants [tour le contempler à l'aise. Ici se dé- ploie la célèbre plaine d'Esdrelon. A droite se dressent les monts Gelboé, témoins de la défaite et de la mort de Saûl; plus loin, la tête du petit IJermon paraît toute resplendissante sous les rayons du soleil. Devant nous le Thabor élève sa cime arrondie comme un dôme
jantesque, et domine majestueusement tout le pay- sage. A l'extrémité de la plaine se prolongent les mon- tagnes déchirées derrière lesquelles se cache l'humble cité de Nazareth, la ville de Marie. Vers le couchant, et dans un lointain vaporeux , court la chaîne du Car- mel , qui fuit vers la mer. En présence de cette grande nature et de ces grands noms, on oublie bien vite les fatigues du voyage. D'ailleurs la lassitude de quelques journées de marche est une peine passagère; le sou- venir de ces scènes admirables est une jouissance qui ne s'éteint qu'avec la vie.
Nous descendons rapidement le versant des mon- tagnes, et après avoir traversé le village de Kubalieh, nous arrivons à Djennin, où nous devons passer la nuit.
GALILEE
~x
CHAPITRE XXII
LE T II AT» OR
e bourg de Djennin est situé à l'ex- Wj% trémité d'une vallée, et domine la
CV 1<j' r magnifique plaine d'Esdrelon. Assis ^fe^f sur les dernières pentes des mon- ^v tagnes que nous venons d'escalader,
,W / il se prolonge jusque dans la plaine,
^^^ et étale ses maisons, bâties comme sur les gradins d'un amphithéâtre, partie vers le levant pour recevoir les premiers rayons du soleil, partie vers le nord pour respirer l'air frais venant des montagnes de l' Anti-Liban. Une grande mosquée et des minarets élancés lui donnent un aspect imposant. Les jardins, remplis d'arbres, sout environnés de haies de nopals aux feuilles
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402 GALILÉE.
armées d'aiguillons et aux fleurs jaunes. Sur le fond se détachenl quelques bouquets de palmiers propres à rappeler les beaux palmiers d'Lgypte. Des mûriers semés dans un désordre pittoresque étendent leur feuillage d'un vert tendre, et présentent des fruits déjà mûrs. Au pied du monticule coule une fontaine abon- dante, qui arrose la campagne en se dirigeant vers le ( !ison. Une multitude de plantes de toute espèce forme un fourré épais partout où la main de l'homme aban- donne la végétation à sa force naturelle. Rien ne manque à ce charmant tableau , dont les replis de collines boi- sées forment l'encadrement.
Le plateau qui domine la bourgade semble nivelé de main d'homme. Les champs cultivés promettent une riche moisson de blé, d'orge et de lentilles. On croit généralement que ce fut aux environs de Djennin que Notre-Seigneur rencontra les dix lépreux qu'il guérit, et auxquels il ordonna d'aller se montrer aux prêtres, en obéissance à la loi. Un seul revint lui rendre grâces : ("•'•tait un Samaritain, lui mémoire de ce miracle, les chrétiens avaient bâti une belle église dont on dé- couvre à peine aujourd'hui quelques rares débris. Déjà au XVIe siècle, selon le rapport i\i^ voyageurs, cet édi- fice était entièrement démoli. L'emplacement en est clairement indiqué dans le récit du moine Boniface : « Les ruines, dit-il, existent près d'une source d'eau limpide, où les passants viennent se désaltérer et se rafraîchir4. »
1 Prope esl fons aquae limpidissimae, refrigerium transeuntibus prae 'm-, [De perenni cultu Terrœ Sanclœ.)
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Y.
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LE THABOR. ''■•
La population de Djennin estcomposée de musul- mans, au Qombre de deux mille environ. Gomme le site est avantageux sous tous les rapports, les fellahs soulevés contre [brahim-Pacha et les habitants do la
Samarie s'étaient donné rendez-vous à Djennin. C'esl là qu'ils furent écrasés par les troupes du vice -mi d'Egypte. D'ici on aperçoit Fuleh ou Affuleh, célèbre par une autre bataille dont nous parlerons bientôt.
Ici commence la vaste el fertile plaine d'Esdrelon, de Mageddo ou de Jezraël. Elle s'étend sur une longueur de cinquante kilomètres et une largeur de vingt à vingt- cinq kilomètres. Enfermée de tous côtés par de hautes collines, arrosée en partie par le Cison, elle prend naissance au village qui a remplacé l'ancienne Scytho- polis, et va jusqu'au pied du Carmel. Aucune descrip- tion ne saurait donner une idée de la merveilleuse fécondité de ce terroir privilégié. De magnifiques mois- sons ondulent au souffle du vent; et au sein de vertes prairies paissent d'innombrables troupeaux. Durant les premiers âges du royaume des Juifs, sous l'empire romain, au temps des croisades et de nos jours, cette plaine fut le théâtre d'événements mémorables. Aussi le voyageur instruit, en s'engageant au milieu de cette immense vallée, éprouve-t-il des sensations auxquelles il ne saurait se soustraire, lorsqu'il parcourt les champs de bataille les plus célèbres, où s'accomplirent ces révolutions qui bouleversent les empires. A cause de sa fertilité, cette plaine a mérité d'être appelée le paradis i't le grenier de la Syrie.
Zérin est à peu de distance de Djennin : c'est l'antique «it.' .le Jezraël. bâtie sur un petit mamelon isolé, célèbre
GALILEE.
par le souvenir du roi A.chab et * 1 * * l'impie .lézabel, sa femme. A<-lial» y possédait un palais; mais, peu satis- fait de son riche domaine, le prince convoitait la vigne de Naboth, modeste héritage de famille, que celui-ci in' voulail céder à aucun prix. « Dieu nie garde, disait Naboth, de vous céder le patrimoine de mes aïeux.» Le loi hésitait à user do violence, mais .Tézabel lui dit avec ironie : ((Vous êtes vraiment un prince bien puis- sant, si vous ne pouvez obtenir la possession de ce petit coin de terre; je saurai bien vous délivrer de ce souci. » dette méchante princesse lit lapider Naboth, et s'empara de son champ. Mais le Ciel se chargea de venger l'innocence opprimée et le sang injustement ré- pandu. Le prophète Elie, averti d'en haut, vint à la rencontre d'Achab, et lui dit : « Tu as l'ait périr Naboth, el lu lui as pris sa vigne. En ce lieu même où les chiens ont léché son sang, ils lécheront ton propre sang, et ils dévoreronl l'impie Jézabeldans le champ de Jezraël. » Chacun connaît les détails du drame terrible où s'ac- complirent les menaces de la prophétie. Achab expira le corps percé d'une ûèche; on le ramena dans son pa- lais. Les rênes de ses chevaux, ses vêtements et son char ensanglantés lurent lavés à la fontaine publique, où les chiens vinrent lécher son sang. Deux de ses fils moururent misérablement; et le dernier d'entre eux tomba sous les coups de Jéhu, dans le champ de Na- both, près du palais agrandi au prix du meurtre el de I injustice. Le vainqueur accourut à Jezraël; la reine je para pour le séduire; mais Jéhu ordonna de la préci- piter du h;uit d'une fenêtre. Son sang rejaillit contre les mm- du palais, el son corps l'ut foulé sous les pieds
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des chevaux. Toutefois un peu de pitié entra dans le cœur de Jéhu; quelques instants après, il commanda d'aller ensevelir les rotes de cette infortunée, car elle est fille de roi, ajouta-t-il. Mais ses ^ens ne trouvèrent plus que le crâne, les pieds et les extrémités des mains. Élie avait dit : « Les chiens dévoreront Jézabel dans la campagne de Jezraèl. j> Un grand poète français a peint. avec *h'> couleurs appropriées au sujet cette lugubre scène qui revient ;'i notre mémoire en foulant aux pieds ces mêmes champs de Jezraël. A-thaUe rend compte à Aimer d'un songe ([ni L'a vivement ef- frayée :
C'était pendant l'horreur d'une profonde mut; Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée, Comme au jour de sa mort pompeusement parée. Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté; Même elle avait encor cet éclat emprunté Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, Pour réparer des ans L'irréparable outrage.
Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi! Le cruel Dieu des Juifs l'emporte.aussi sur toi. Je t.' plains de tomber dans ses mains redoutables, Ma fille, i) En achevant ces mots épouvantables, Son ombre vers mon lit a paru se baisser. Et moi je lui tendais les mains pour l'embrasser; Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange D'os et de chair meurtris et traînés dans la fange, Mes lambeaux pleins de sang et des membres affreux Que 'les chiens dévorants se disputaient entre eux.
Au pied dit petit Hermon, uous taisons nue halte à Néin, l'ancien village de Naïm, si connu par an des récits les plus touchants de l'Évangile. Lorsque Jésus
'.us GALILEE.
approchait de Naïm, on portait en terre le corps d'un jeune homme, (ils unique d'une pauvre veuve. Touché de ce deuil maternel, le Sauveur fait arrêter le convoi funèbre; il ressuscite le mort, et le rend à sa mère. Les chrétiens consacrèrent le souvenir de ce miracle en érigeant un oratoire à l'endroit où il fut opéré. Du temps de saint Jérôme, un couvent de pieuses filles s'élevait au sommet de l'Hermon. Néin est une pauvre bourgade, où nous trouvons à peine un peu d'ombre sous l'unique olivier planté sur la place publique, de- vant la mosquée. Le cheik nous accueille avec une bienveillance à laquelle les chrétiens ne sont guère accoutumés dans ce pays. Il se plaît à nous montrer à demi enfouie dans les terres l'abside de la petite basi- lique attribuée à sainte Hélène. On y remarque une jolie colonnette en marbre blanc, légèrement cannelée et surmontée d'un chapiteau à feuillages. Les murs de la nef sont rasés à fleurde terre, et l'enceinte du temple, remplie d'herbe, sert de cimetière aux Arabes. Nous a m ions vivement regretté de ne pas faire une station à Naïm; |M'ii de voyageurs se détournent de leur che- min pour le visiter, de même que le village d'Endor, situé également à la base du petit Iiermon, du coté du nord-est.
Après une course d'une heure, nous arrivons à En- dor, en face «lu mont Thabor. Quel village I la plu- part des habitations sont creusées dans le rocher; ce sonl des cavernes, e1 nous ajoutons à regret que la plupart sonl des antres de voleurs. Les sorciers dont il esl question dans l'histoire de Saùl ue pouvaient mieux choisir leur demeure. Au moment où nous met-
LK THABOll. 409
tons pied à terre, non» apercevons à quelques pas les tentes noir— de pasteurs arabes; toul contribue à faire paraître â dos yeux Endor sous des couleurs lugubres. La veille de la bataille qui devail s'engager contre les Phi- listins, Saùl trembla. Au lieu de recourir à la protec- tion du Dieu des armées, ei d'appuyer sa main sur son épée, en plus d'une occasion fidèle instrument de sa gloire, Saùl vint à Endor consulter la pythonisse. Sa- muel apparul devant ce prince, lui reprocha - s crimes, et lui prédil sa chute et sa mort. Le roi épou- vante perdit connaissance; revenu de son évanouis» - ment, il eut encore une lueur de courage. Il se com- porta vaillamment durant le combat: Jonathas, son iils, succomba dans la mêlée, et lui-même, désespéré et ne voulant pas survivre à sa défaite, se lit tuer par un Amalécite.
Des hauteurs d'Ëndor, nous jetons les yeux sur la plaine témoin des exploits et de la victoire de Débora. C'est sur les rives de Cison que cette femme héroïque remporta une victoire signalée sur les ennemis du peuple de Dieu. Jamais victoire ne fut célébrée en un plus magnifique langage. Débora entonnait son chant de triomphe cinq siècles avant la naissance d'Homère, huit siècles avant celle de Pindare. En aucun temps la poésie ne prit un essor plus sublime, et ne lit .-ntendre des accents plus inspirés, c Rois, s'écriait la prophé- tesse, écoutez; princes, prêtez l'oreille. .le chanterai la gloire du Seigneur, de Jéhovah, le Dieu d'Israël. Sei- gneur^ ton approche la terre tremble, les deux ébran- lés et les nuages se fondent en torrent» de pluie. Les montagnent s'écroulent La défaillance avait atteint les
HO GALILÉE.
forts d'Israël; je me suis levée, moi Débora, mère en Israël. Les rois ont combattu; mais ils n'ont point em- porté les dépouilles qu'ils convoitaient. Le Ciel s'est déclaré contre eux. Le torrent de Gison a roulé leurs cadavres. Qu'ainsi périssent tous tes ennemis, <> Jé- hovahl que tes fidèles serviteurs soient radieux comme le soleil au moment où il brille à l'hori- zon! »
En descendant du village d'Endor, nous traversons la plaine d'Esdrelon en droite ligne. Nous voulons at- teindre le Thabor, qui en est éloigné de six à sept ki- lomètres seulement. Cette montagne célèbre descend en pente douce vers la plaine, et présente dans toutes les directions ses flancs couverts d'une abondante vé- gétation. Elle offre sous ce rapport un contraste com- plet et charmant avec les montagnes de la Judée. Le sommet est élevé de cinq cent quatre-vingt-cinq mètres au-dessus du niveau de la Méditerranée. Plu- sieurs sources s'échappent des collines boisées qui forment les premiers gradins de la montagne. Le som- met est un plateau de deux kilomètres de circonfé- rence, légèrement incliné vers l'ouest, et d'yeuses, de noyers, de lierres, de bosquets odorants et de ruines antiques. La tradition rapporte que la transfiguration • le Xotre-Seigneur eut lieu dans la partie sud-est du plateau. (Test, là que les chrétiens de Nazareth vien- nent chaque année en pèlerinage, e1 que les Pères de Terre-Sainte célèbrenl la messe. La piété des fidèles, répondant au désir de sainl Pierre, y avait élevé trois églises: il n'en reste plus que la crypte. Au centre, la pieuse restauratrice des Saints-Lieux avail jeté les
LE TUA Ht» 11. '«1 1
fondements d'une superbe basilique. Le fanatisme des
Sarrasins a tout démoli. De ces monuments somp- tueux il reste quelques monceaux «le [lierres, recou- verts des tiges grimpantes du lierre ami des ruines. Les croisés avaient restauré l'édifice antique; saint Louis y vint prier. Aujourd'hui, la montagne est muette et déserte. Les animaux sauvages y trouvent un refuge assuré; il n'est pas rare d'y rencontrer des chacals, des sangliers, des panthères et des léo- pards.
« Le mont Thabor, dit un écrivain moderne, s'é- lève vers le ciel comme un magnifique bouquet de verdure. » Illustrée au moyen âge par la valeur des croisés, cette montagne a donné son nom a une des pages glorieuses des annales de la France moderne. Du sommet on découvre la plaine de Fuleh ou Fouli, où se livra la bataille du 16 avril 1799. Tandis que Bo- naparte pousse avec vigueur le siège de Saint-Jean- < l'Acre, il apprend par ses éclaireurs que les Turcs de Damas accourent au secours de la place. Junot est attaqué près de Gana par des forces considé- rables. Kléber réussit à le dégager, et, au moment où il marche sur Fouli, à la tête de trois mille hommes, dans l'espoir de surprendre le camp ennemi, trompé par les guides, il arrive en face d'une armée de trente mille hommes, dont vingt mille de cavalerie, Jamais les Français n'avaient vu caracoler autour d'eux une si grande multitude de cavaliers. Déjà les Turcs, se croyant assurés de la victoire, poussent des cris de triomphe. Mais leur joie est de courte durée. A leurs charges répétées nos braves immobiles opposent une
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triple haie de baïonnettes; un feu terrible jonche le terrain de morts et de mourants. Les Turcs étonnés reculent. Vingt fois ils reviennent en avant; vingt lois ils sont culbutés. Le combat, malgré des forces si inégales, durait depuis six heures, quand tout à coup retentit un coup de canon au pied du mont Thabor. C'est lîonaparte! s'écrient nos soldats. En effet, le gé- néral français enferme les ennemis dans un triangle de 1er et de feu, et s'avance, comme le tonnerre, au milieu d'un nuage sillonné par les éclairs sinistres de l'artillerie. Foudroyée de tous côtés par des dé- charges meurtrières, toute cette multitude s'enfuit en désordre vers le Jourdain. Notre infanterie les pour- suit au pas de charge, la baïonnette dans les reins. Murât attend le moment favorable; à la tête de ses cavaliers, il tombe sur les fuyards et en fait un hor- rible carnage; beaucoup se jetèrent dans le Jourdain, où ils furent noyés. Six mille Français avaient suffi pour détruire cette année, que les habitants disaient aussi nombreuse que les ('toiles du ciel et les grains de sable du désert.
Tous ces souvenirs de l'histoire sacrée et de l'his- toire profane s'étaient emparés de mon imagination. Je ne pouvais quitter cette belle montagne. La brise de la mer rafraîchissait l'atmosphère. Après tant de journées d'une chaleur accablante, quelle jouissance de respirer un air pur et léger! Afin de gagner du temps, je faisais remarquer à mes compagnons de voyage le vaste tableau qui se déployait à nos pieds. Quel spectacle admirable, en efifetl Au cou- chant, le Carmel, avec ses crêtes découpées, où la
LE TIIAI'.nR. 413
lumière se décompose comme dans un prisme. Au midi, les collines de Gelboé servent de piédestal aux âpres montagnes d'Éphraïm el de Juda, qui bornent l'horizon, semblables ;ï des vapeurs bleuâtres qui se confondent avec l'azur du ciel. Vers le nord, le re- -,ud se promène sur la Galilée, où chaque ville, chai pie bourgade, chaque hameau garde un souvenir de l'Évangile. La mer de Tibériade, profondément en- caissée, brille dans le lointain, et indique la nais- sance de la vallée du Jourdain. Ici le grand Hermon élève sa tête enveloppée de brouillards et presque toujours blanchie de neiges. Là les sommets de l'Anti- Liban et les solitudes de l'Hauran, qui se prolongent jusqu'aux portes de Damas. De la plaine d'Esdrelon, ce champ de bataille de tous les peuples, où tant d'armées ont dressé leurs tentes, on croit entendre monter, au milieu du cliquetis des armes, les noms de Gédéon, de Débora, de Saûl, de Godefroi de Bouil- lon, de Raymond de Toulouse, deTancrède, de saint Louis, de Napoléon!
Enfin nous descendons à regret ; nous traversons le village de Deburieh, et nous nous engageons dans les sentiers qui mènent à Nazareth. Bientôt nous aper- cevons les blanches maisons et les églises de la cité de Marie; le son des cloches vient réjouir nos oreilles. Encore quelques pas, et nous entrons à la Gasa-Nuova, où nous attend une bienveillante hospi- talité.
CHAPITRE XXIII
NAZARETH
azareth, Bethléhem, Jérusalem, trois noms inséparables dans nos souvenirs de Palestine, comme dans les mystères chrétiens, c'est- à-dire l'Annonciation, la Nativité el la Rédemption! Jérusalem, au milieu des rochers arides de la .Indre, est triste et désolée; Bethléhem, sur le penchanl iYwne colline, offre un aspect joyeux; Nazareth, au-dessus (Tune vallée paisible, sur un coteau en pente douce, s'élève dans un site gracieux. Il est impossible de ne pas remarquer les harmonies qui existent entre ces villes et les évé- nements qui s'y accomplirent. Kn hébreu Nazareth veut dire la cité '1rs fleurs et des roses. C'est dans ce jardin béni du ciel que s'épanouil la fleur mysté-
NAZARETH. 415
ri. -use de Jessé. L'imagination ne pouvail rêver un asile plus calme pour l'habitation de La plus pure des vierges. La ville de Marie, au sein de la fertile <ia- lilée, occupe un coin «le terre embelli de tous les charmes de La nature. De loin, elle semble entourée d'une enceinte de verdure, car elle n'a pas d'autres remparts; Les maisons en sont blanches, propres et bien bâties. Le sanctuaire catholique domine tout le paysage, ainsi que l'église des Arméniens, érigée sur remplacement de l'ancienne synagogue. En aucun lieu du monde, comme cela doit être, le nom de Marie n'est plus populaire qu'à Nazareth. Les pèlerins y re- çoivent le plus fraternel accueil, et entendent partout ce doux nom retentir à leurs oreilles. Toutes les femmes de Nazareth se disent parentes de la Vierge, mère de Jésus; et si l'étranger paraît frappé de la beauté qui les distingue, elles se plaisent à procla- mer qu'elles sont redevables de ce privilège au sang qui coule dans leurs veines. On aurait mauvaise Liràce à discuter leurs prétentions : les femmes catho- liques y sont si modestes, si pieuses, si vertueuses, que, si elles ne sont pas, comme elles le croient, les cousines de Marie, elles méritent de l'être.
La plupart des rues de Nazareth vont en pente, et beaucoup de maisons sont doubles, pour ainsi dire: elles ont quelques appartements extérieurs et des chambres creusées dans le roc. Dans un pays ardent comme la Palestine, ces habitations offrent un grand avantage : elles protègent à la fois contre l'excessive chaleur de l'été et contre le froid de l'hiver. Ajoutons qu'elles conviennent avant tout aux pauvres, qui
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trouvent ainsi moyen de se mettre à l'abri commodé- ment et économiquement. Cette coutume nous expli- quera la disposition actuelle des Saints -Lieux de Nazareth. La sainte Famille n'était pas riche des biens de ce monde; Joseph était artisan, et Jésus consentit à partager les durs labeurs de son père nourricier, durant les trente premières années de sa vie. La demeure de Joseph était précisément formée d'une petite maisonnette et d'une grotte assez pro- fonde.
L'église, desservie par Les Franciscains, es1 cons- truite sur l'emplacement de la maison de la sainte famille, et le sanctuaire de l'Annonciation forme au- jourd'hui une crypte à laquelle on descend par deux larges escaliers de dix-sept marches. C'est dans cette partie la plus secrète de sa demeure que se trouvait la sainte Vierge lorsque l'ange Gabriel vint lui an- noncer le plus auguste des mystères. « Je vous salue, dit-il, pleine de grâce; le Seigneur est avec vous; vous êtes bénie entre toutes les femmes. » Marie fut trou- blée en entendant cette salutation extraordinaire; mais bientôt rassurée par les explications de l'en- voyé céleste, et préparée d'ailleurs par d'insignes fa- veurs de Dieu à l'accomplissement des plus grandes choses, elle répondit: « Je suis la servante du Sei- gneur; qu'il me soit fait selon votre parole. » En ce moment et dans ce lieu où nous sommes agenouillés, le Verbe s'est fait chair, par un prodige d'amour in- compréhensible. Dieu s'est revêtu de la nature hu- maine dans le sein de la plus pure des vierges. Cette grotte obscure esl devenue le premier sane-
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tuaire où Jésus ail habité sur la terre. Une colonne de marbre à moitié luis.'.' indique le lieu où se te- nait l'ange; une autre colonne marque celui où se tenait la Vierge. Au pied «le l'autel on a gravé cette inscription :
VIlir.lM CARO BIC FACTUM EST.
Si la chambre de l'Annonciation est aujourd'hui presque enfouie sous terre, il ne faut pas s'en éton- ner. Dans les villes occupées depuis de longs siècles, le niveau du sol s'exhausse tous les jours à l'exté- rieur, sans compter les ruines qui parfois le font monter subitement. Chacun sait que le pavé du fo- rum romain, dont l'emplacement n'est pas encore complètement déblayé, quoiqu'on y travaille depuis un demi-siècle, est à une profondeur d'environ trois mètres, et que beaucoup de vieux édifices à Rome sont enterrés jusqu'à la hauteur du premier étage. Rien de surprenant si la grotte de Nazareth forme actuellement un sanctuaire souterrain. Derrière l'au- tel, il y a une petite chambre taillée dans le roc, et qui servait de dépendance à l'habitation principale. Phocas assure que, depuis le retour d'Egypte, cette chambre fut celle de Notre-Seigneur. L'écrivain ne cite aucun témoignage pour appuyer son assertion; mais rien ne s'oppose à ce qu'on accepte cette pieuse tradition '.
i In laeva parte Annuntiationis illa eonspicitur aedicuia, luminis expers, quara Dominus noster Jésus Christus, regressus ex /Egypto, incoluisse fertur. (Joann. Phocas, de Locis Sanctis.)
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418 GALILÉE.
La maison de la sainte Vierge, personne ne l'i- gnore, n'est plus à Nazareth. En 129d , au moment où les infidèles profanaient tous les sanctuaires de la Palestine avec un redoublement de fanatisme, elle disparut tout d'un coup, au grand chagrin des chrétiens de Nazareth. Changée en chapelle par les soins de l'impératrice sainte Hélène, elle fut trans- portée miraculeusement, suivant les légendes insé- rées dans les suppléments au Bréviaire romain, d'a- bord en Dalmatie, ensuite de l'autre côté de la mer Adriatique, près de Recanati , puis sur une mon- tagne du voisinage, enfin àLorette, où, chaque année des milliers de pèlerins la viennent visiter.
L'église de Nazareth est petite et a trois nefs. L'au- tel principal est un don du roi de Naples. La déco- ration de l'édifice est de bon goût; plusieurs tableaux retracent les principaux traits de la vie de Jésus à Nazareth; celui qui représente la sainte Famille est remarquable. Là se réunit La population catholique de Bethléhem; le supérieur des Franciscains y rem- plit les fonctions de curé.
A quelques pas du couvent se trouve l'atelier de Joseph. On y avait, bâti jadis une belle église, dont il subsiste encore un pan de muraille. Fne modeste chapelle recouvre aujourd'hui ce lieu sanctifié par le travail de Joseph et de l'Homme-Dieu. Le père nour- ricier de Jésus, suivant l'opinion commune, était charpentier. Saint, Justin le martyr nous apprend qu'il s'occupail à fabriquer des jougs el <\r> charrues '.
1 Dialog. ' '11111 Tryphone.
<
NAZARETH. 421
Saint Ambroise, dans son Commentaire sur sain!
Luc ', «lit 411'il travaillait à abattre et tailler des arbres, et à bâtir des maisons; au même endroit, il ajoute qu'il savait manier les outils du serrurier. Li- banius, serviteur et ami de Julien l'Apostat, ayant demandé avec ironie à un chrétien ce 411e faisait le Nazaréen: // est occupé, répondit celui-ci, à faire un cercueil pour l'empereur Julien.
La vue de cette pauvre chapelle me touche jus- qu'aux larmes. Ces! là que le travail a été véritable- ment ennobli: des mains divines s'y exercèrent aux plus pénibles ouvrages. Jésus y mania fréquemment les instruments du travail, et, comme artisan, il a sanctifié les sueurs de l'ouvrier qui gagne le pain de chaque jour. Leçons sublimes! leçons trop oubliées dans un siècle où tant d'hommes se laissent dominer par la plus insatiable des passions, la cupidité! En sortant de cet humble sanctuaire, ma mémoire me remit sous les yeux les délicieuses compositions d'O- verbeck et d'Hallez, où ces habiles et pieux artistes ont représenté les travaux de la sainte Famille. Le génie de la peinture trouve, en effet, de suaves el poétiques inspiration- dans l'intérieur de l'atelier de Nazareth, lorsque la foi y montre Jésus, Marie et Joseph.
L'ancienne synagogue a fait place à une église ap- partenant aux Arméniens. Jésus s'y rendit souvent dans son enfance. Après avoir jeûné quarante jours dans le désert, au commencement de sa vie publique,
1 Lib. III, no 11.
\-2-2 GALILEE.
le Sauveur rétourna en Galilée, « e1 il vint à Nazareth i nous laissons parler L'évangéliste); et étant entré dans la syn.iLio^ne le jour <ln sabbat, selon sa coutume, i] se leva pour Lire. El le livre «lu prophète Isaïe lui fut donné: el il L'ouvrit et lut le passage où il est écrit : L'Esprit du Seigneur est sur moi; c'est pourquoi il m'a oint pour évangéliser les pauvres; il m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour rendre la Liberté aux captifs et la vue aux aveugles, pour sou- lager les opprimés, pour annoncer l'année de grâce du Seigneur et le jour de la justice. Et ayant fermé le livre, il le rendit à celui qui présidait dans la sy- nagogue; et les veux de tous ceux qui étaient dans la synagogue étaient fixés sur lui. Or il commença à leur dire: Aujourd'hui cette parole de l'Écriture que vous avez entendue est accomplie. Et tous lui rendaient témoignage: et dans L'admiration où ils étaient <\<>> paroles pleines de ^ut' qui sortaient de sa bouche, ils disaienl : N'est-ce pus là le lils de Joseph? Et il leur dit: Vous m'alléguerez sans doute ce proverbe : Mé- decin, guéris-toi toi-même; toutes les choses que tu ,-is faites à Capharnaûm, fais- les aussi dans la patrie. Mais je vous dis en vérité que nul prophète n'est bien reçu dans son pays. A ces mots, tous ceux qui étaient dans la synagogue lurent remplis de colère; et, se levant, ils le chassèrenl de la ville, et le conduisi- renl jusqu'au sommel de la montagne sur Laquelle leur vilk était Initie, alin de le précipiter. Mais Jésus. passanl au milieu d'eux, s'en alla1. » Depuis ce jour,
1 Lu» .. i\.
NAZARETH. 423
Jésus s'éloigna de Nazareth e1 demeura à Caphar- iiaiini . au bord de La mer de ' ralilée.
La montagne du Précipice es1 à quatre kilomètres environ de la ville. G'esl an rocher escarpé du côté de la plaine, el d'une hauteur considérai de. Non loin de là, les fidèles avaienl érigé une chapelle en l'hon- neur de la suinte Vierge, sous le titre de Notrc- Dame-de-V 'Effroi, parce que la tradition rapporte qu'à la nouvelle du péril qui menaçait son fils, Marie, le cœur plein d'angoisses, sortit en hâte et courut jus- qu'à cet endroit.
Au nord de la ville coule une fontaine assez abon- dante, où toutes les femmes de Nazareth viennent puiser de l'eau : c'est la fontaine de Marie. L'onde pure et fraîche tombe dans un large bassin, et s'é- chappe ensuite sous un massif de beaux arbres. Nul doute que la Vierge n'y soit souvent venue remplir son urne, comme nous le voyons faire à un essaim de jeunes filles, qui s'en retournent, portant élégai li- ment le vase en équilibre sur leur tête. Les pèlerins s'y baignent les mains et la tête par dévotion, et les habitants prétendent que cette eau est excellente pour guérir toutes sortes d'incommodités.
On montre dans une chapelle, possédée par les Franciscains, une grande table de pierre, appelée Mensa Ghristi, parce que, suivant les traditions, Notre- Seigneur y aurait pris plusieurs fois ses repas avec disciples, avant et après la résurrection. Tels sont, avec la petite église des Maronites, et le temple des grecs schismatiques , tous les monuments qui rap- pellent à Nazareth le séjour de Jésus- Christ. Cette
424 GALILEE.
ville a eu l'insigne honneur de lui donner son nom : Jésus de Nazareth; c'était sa rille. Et pourtant le Sau- veur n'y a pas opéré beaucoup do miracles, à cause île rinrrrihililé de ses habitants1.
Nazareth, situé dans la basse (lalilée, était de la tribu de Zabulon. L'Ancien Testament n'en fait aucune mention : elle n'avait nulle célébrité avanl Jésus-Christ. Aussi, lorsque saint Philippe annonce à Nathanaël qu'il a trouvé le Messie dans la personne de Jésus, il en reçoit cette réponse : Peut -il venir quelque chose de bon de Nazareth2? Depuis le triomphe de l'Église sous Constantin, Nazareth a conservé son importance religieuse, et les pèlerins s'y sont rendus en foule. L'intolérance musulmane et l'humeur farouche de quelques pachas ont occasionné plus d'une fois le pillage et même la ruine des édifices chrétiens : les habitants eux-mêmes ont été soumis à de cruelles vexations.
À l'époque des croisades. Tanerède, devenu prince de Galilée, accorda nue protection particulière à la petite ville de Nazareth. Sous le gouvernement pater- nel de ce brave défenseur de la croix, le pays reprit une prospérité qu'il ne connaissait plus depuis long- temps. L'église de Nazareth eut alors un siège archié- piscopal. Ici mourut Baudouin IV. dit le Lépreux, après avoir choisi sur son lit de souffrance Guy de Lusignan comme lieutenant du royaume. Baudouin V \ lemlit aussi le dernier soupir: roi à peine sorti de
1 Matth., xiii, 58. I • m., \, 46.
NAZARETH. î.:>
l'enfance, sa main débile était impuissante .à soulever le sceptre, ou plutôl l'épée que tinrent si vaillamment ses prédécesseurs. C'est à peu de distance de Nazareth, deux mois avant la funeste journée deTibériade (2juil- lel 1187), que tomba d'une morl héroïque le maréchal du Temple, Jacquelin de Maillé, issu d'une famille che- valeresque de Touraine, dont l'antique manoir, sous Louis XIII. a changé son nom pour celui do Luynes. Le lils «le S.il.t.lin, à la tête de nombreux cavaliers, lit irruption en Galilée. Déjà l'ennemi paraît sous les murs de Nazareth, où la population des campagnes se précipite en désordre pour trouver un refuge. Cent lient.' chevaliers du Temple, suivis de trois à quatre cents hommes de pied, n'hésitent pas à affronter sept mille cavaliers arabes. Les chroniqueurs décrivent avec enthousiasme les prodiges de valeur accomplis par cette troupe intrépide, qui périt tout entière, en s'ensevelissant sous des monceaux de cadavres. Jac- quelin de Maillé, criblé de blessures, monté sur un cheval blanc, restait seul debout au milieu des en- nemis, étonnés de tant d'audace. A la fin son cheval, épuisé de fatigue, s'abattit et l'entraîna dans sa chute. I. ! héros eut encore la force de se relever, et, comme il convenait à un soldat, il expira les armes à la main. Les Sarrasins admirèrent son intrépidité; ils s'appro- chèrent de son corps avec respect, se partagèrent ses vêtements et répandirent sur leur tète la poussière rougie de son sang, dans l'espérance d'hériter ainsi de sa grandeur d'âme et de son inébranlable cou-
rage.
En 1245, on vit arriver à Nazareth un pieux et
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illustre pèlerin, saint Louis, roi de France, qui avait entrepris Le voyage d'outre-mer pour venger Les in- sultes faites à la croix. Saint Louis, disent Les histo- riens, vint à Gana la veille de l'Annonciation; de là il se rendit au Thaboret à Nazareth. Dès qu'il aperçut La ville, il descendit de cheval, se mit à genoux dans la poussière, adorant Jésus qui voulut bien accomplir le mystère de l'Incarnation dans cette obscure cité. Il 1,1 >n" entrée à pied, quoique fatigué d'une longue marche. Le lendemain, fête de l'Annonciation, il as- sista pieusement à tous les offices et communia de la main du légat, qui prononça dans cette solennité un discours touchant. La dévotion du monarque français était si vivo, sa figure parut si radieuse, que jamais, dit son naïf historien, depuis le temps de la Vierge -Mario, Jésus-Christ n'y reçut d'aussi ferventes adora- tions.
Dix-huit ans après cette scène édifiante, Le sultan Bibars, dont la mémoire restera toujours en exécra- tion, brûla l'église de Nazareth, chassa les chrétiens, pilla la ville, et ne laissa après lui <pie des cendres et des décombres. (Jette infâme conduite avait produit dans tous les cœurs un sentimenl d'exaspération qui donna naissance à des représailles regrettables. Peu d'années après, Les chrétiens y rentrèrent en vain- queurs, et ue firent aucun quartier aux musulmans. '••■H'' vengeance lut exécutée par les ordres du prince Edouard d'Angleterre. Longtemps Nazareth ne pré- senta aux yeux attristés qu'un monceau de ruines. Au wir siècle, ce u'étail qu'un pauvre village composé d'une quarantaine de maisons, L<' couvent des Pères
NAZARETH. 127
de Terre-Sainte lut rebâti seulement en L730. Aujour- d'hui la population s'élève à environ 3,500 habitants.
A\;nit de commencer nos excursions aux environs de Nazareth, nous oe pouvons résister au plaisir de transcrire ici une page du Yui/mj,' m Orirnt. SiM. de Lamartine avait continué d'écrire .ivre les sentiments ijni ont dicté les Méditations Poétiques et qui <>nt in- spiré le passage suivant, à quelle hauteur son ruénie ne l'eût-il pas placé!
« A visiter, dit-il, les lieux consacrés par un de mystérieux événements qui ont changé la face du monde, on éprouve quelque chose de semblable à ce qu'éprouve le voyageur qui remonte laborieusement le cours d'un vastr lleuve, comme le Nil ou le Gange, pour aller le découvrir et le contempler à sa source cachée et inconnue: il me semblait, à moi aussi, gra- vissant les dernières collines qui me séparaient de Nazareth, que j'allais contempler à sa source mysté- rieuse cette religion vaste et féconde qui depuis deux mille ans s'est fait son lit (Lins l'univers, du haut des montagnes de Galilée, et a abreuvé tant de généra- tions humaines de ses eaux pures et vivifiantes! C'était là la source, dans le creux de ce rocher que je foulais sous mes pieds; cette colline dont je fran- chissais les derniers degrés avait porté dans ses Unies le salut, la vie, la lumière, l'espérance du monde; c'était là, à quelques pas de moi, que l'homme modèle avait pris naissance parmi les hommes, pour les retirer, par sa parole et par son exemple, de l'o- céan d'erreur et de corruption où le genre humain allait être submergé.
'.-> GALILÉE.
« Si je considérais La chose comme philosophe, c'étail Le point de dépari du plus grand événement <|in ail jamais remué Le inonde moral et politique, é\éiiement dont le contre-coup imprime seul encore un reste de mouvement dévie au monde intellectuel. C'étail là qu'était sorti de L'obscurité, de La misère el de L'ignorance, le plus grand, Le plus juste, le plus s.i^-e. le plus vertueux de tous les hommes; Là était -mi berceau! là le théâtre de ses actions et de ses prédications touchantes! de là il était sorti, jeune encore, avec quelques hommes obscurs et ignorants, auxquels il avail imprimé la confiance de son génie el le courage de s;i mission, pour aller sciemment affronter un ordre d'idées et de choses pas assez fort pour lui résister, mais assez fort pour Le faire mou- rir!... De là, dis- je, il était parti pour aller avec con- fiance conquérir La mort et l'empire universel de La postérité! ]>»• là avait coulé le christianisme, source obscure, goutte d'eau inaperçue dans le creux du ro- cher de Nazareth, où deux passereaux n'auraient pu s'abreuver, qu'un rayon de soleil aurait pu tarir, et «lui aujourd'hui, comme le grand océan dc> esprits, .1 comblé tous les abîmes de la sagesse humaine, el baigné de ses Ilots intarissables Le présent, le passé el l'avenir.
a Mais à considérer le mystère du christianisme en chrétien, c'esl Là, sous ce morceau «le ciel bleu, au fond de cette vallée «'Imite el sombre..., le point du globe que Dieu avait choisi de toute éternité pour faire descendre sur La terre sa vérité, sa justice el -"ii amour incarné dans un Enfanl - 1 lieu.
NAZARETH. 429
« Comme je faisais ces réflexions, j'aperçus à mes pieds, au fond d'une vallée creusée en forme de bassin, les maisons blanches et gracieusement groupées <\r Nazareth sur les deux bonis et au fond de ce bassin. L'église grecque, le haut minarel de la mosquée (\v> Turcs, el les longues el larges murailles du couvenl des Pères latins se faisaienl distinguer d'abord; quel- ques rues formées par des maisons moins vastes, mais d'une forme élégante et orientale, étaient ré- pandues autour de ces édifices plus vastes, et ani- mées d'un bruit el d'un mouvement de vie. Toul autour il»- la vallée ou du bassin de Nazareth, <|uel- ques bouquets de hauts nopals épineux, de figuiers dépouillés de leurs feuilles d'automne, et de grena- diers à la feuille légère et d'un vert tendre et jaune, étaient çà et là semés au hasard, donnant de la fraîcheur et de la grâce au paysage, comme i\<>> fleurs des champs autour d'un autel de village. Dieu seul sait ce qui se passa alors dans mon cœur; mais, d'un mouvement spontané et, pour ainsi dire, invo- lontaire, je me trouvai à genoux dans la pous- sière. »
Nous sommes entrés à Nazareth en suivant la même voie que le poète français, la seule qui donne un accès facile à la ville. Nous avons été frappés comme lui de l'aspect pittoresque du paysage; mais nous devons ajouter que de l'emplacement de la maison de Zébédée, à une demi-heure à peine de la ville, on jouit d'un point de vue plus admirable en- core. Le regard embrasse, comme du sommet de la
montagne du Précipice, la plaine d'Esdrelon, les col-
430 GALILÉE.
Unes qui encadrenl Nazareth, el ces mille accidents de terrain dans lesquels se jonc l,-i lumière, el dont le pinceau seul d*un peintre habile pourrait donner une
image.
I'ii Français ne peut passer quelques jours àNaza- reth sans aller faire visite à l;i famille Koubroussi, donl le chef es1 le chargé d\i flaires de France. Cette famille est originaire de Chypre, comme l'in- dique son nom (Kubrussi signifie Cypriote), et s'est ilislinguée, au commencement de ce siècle, par son attachement à notre drapeau. Michel Koubroussi s'en- rôla comme volontaire dans notre armée, sous les murs <le Saint- Jean-d' Acre, combattit courageusement au pied du mont Thabor, servi! ensuite parmi les ma- meluks de la garde impériale, conrpiit le grade de capitaine et la croix de la Légion d'honneur, et mou- rut à Melun des suites de blessures reçues à la ba- taille d'Eylau. On nous présenta à la mère de ce brave officier, pauvre femme plus que centenaire: en nous voyant, elle prononça avec tristesse le nom de sou Ris, mort si loin «Telle. Ibrahim nous montrait avec une certaine fierté la décoration de son père, et ses états de service conservés avec soin dans les archives de la famille.
CHAPITRE XXIV
GANA ET LE CARMEL
,: n dehors de Nazareth, notre pre- V mière excursion tut à Gana de Ga- ' ['- Idée, où Jésus opéra publiquement son premier miracle; à Séphoris, - [\ patrie présumée de saint Joachim et de sainte Anne, parents de la Si-' sainte Vierge: et au Carmel. Nous
passons an pied du Thabor; à peine avons-nous traversé le hameau d'Er-Raïneh, que nous dé- couvrons sur les flancs .finie colline verdoyante les maisons de Gana, étagées en amphithéâtre. Cette charmante bourgade a conservé sans altéra- tion le nom qu'elle porte dans L'Évangile ; elle domine une vallée fertile OÙ se plaisent les oliviers, les figuiers. les caroubiers, les orangers, et surtout les grenadiers. Le long des buissons s'entortillenl des liserons en
432 GALILÉE.
fleur, semblables à nos liserons des haies i coiimlrnhis sepium i, excepté que la corolle est d'un jaune clair, au lieu d'être blanche. Les jardins sont clos au moyen de haies de nopals. La population, d'environ 800 âmes, es1 composée de grecs schismatiques et de musul- mans.
('..■ma est à six kilomètres environ de Nazareth. On y va par une route bien tracée et fréquentée. Les chrétiens bâtirent autrefois une belle église à la place de la maison où lurent célébrées les noces auxquelles Jésus assista avec sa mère et ses disciples. On en voil les derniers débris, des pans de murailles, et une petite abside byzantine, à moitié enfouie sous terre, à côté des ruines d'un couvent que les chroniqueurs du moyen âge désignent sous le titre d'architriclinium. In peu plus lias s'élève la nouvelle église, bâtie depuis ii n siècle et demi pour le service des Grecs; elle sert de temple et d'école : impossible de rien imaginer de plus pauvre. Le papas grec nous accueille avec poli- tesse. C'est un homme instruit, parlant assez purement l'italien et le français. Gomme beaucoup de membres du clergé séculier de l'Orient, il exprimait le désir de voir cesser le schisme, el l'Eglise grecque se soumet Ire à l'autorité du souverain pontife. En plus d'un endroit nous avons entendu exprimer les mêmes vœux; il n'y a que les moines grecs, en général très -ignorants, qui soienl opposés à la réunion >\r> deux Eglises. Ce digne homme, qui se consacre avec une entière ab- négation â instruire quelques enfants couverts de baillons, voulut être notre cicérone. Il nous montra dans l'épaisseur <\>'> murs deux pierres grossièremenl
CANA ET LE CARMEL. i33
taillées ei creusées, que les habitants du paysassurenl être deux des ornes dans lesquelles l'eau fut changée en vin. Il suffît de regarder ces blocs informes pour être convaincu que cette prétention n'a aucune vrai- semblance. Notre guide lui-même n'a pas grande con- fiance dans cette tradition populaire; mais quand il nous parle des lieux sanctifiés par la présence de Jé- sus-Christ, soc regard s'enflamme, sa parole s'anime, ses gest - sont expressifs. En le quittant, nous lui serrons cordialement la main, et comme dernier adieu il murmure ces deux noms : Rome et France. Pour les chrétiens de Syrie, ce- noms sont un symbole : Rome, centre de l'unité catholique; la France, protectrice des Lieux-Saint-.
Les urnes de Cana turent transportées de bonne heure en Occident: plusieurs églises se glorifiaient de les posséder. L'abbaye de Port- Royal en conservait une; on en voyait une autre dans le trésor de l'abbaye de Saint-Denis : la révolution les a fait disparaître. Le musée d'Angers croit posséder un de ces vases, et un fragment de celui de Saint -Denis est déposé au cabinet des antiques de la Bibliothèque impériale. A Quedlinbourg, en Prusse, se trouve une urne en- tière; elle fut apportée d'Orient par l'impératrice Théo- plianie, épouse de l'empereur Othon II. On dit que l'Escurial,en Espagne, en conserve une autre. Othon III en avait donné une à son docte et pieux précepteur, saint Bernward, qui la plaça dans l'église Saint -Mi- chel d'Hildesheim : en 1662, elle fut cassée par le fa- natisme protestant; la même église en garde précieu- sement un morceau. D'autres fragments existent encore
'28
434 GALILÉE.
en Hongrie. Les détails qui précèdent prouvent Le prix que la piété attachait à la possession de ces vases, instruments d'un miracle signalé '.
Au pied du coteau sur lequel s'échelonnent les mai- sons de Gana, jaillit une fontaine abondante et lim- pide, rendant que nous goûtons les charmes du repos et de la fraîcheur sous les arbres touffus qui l'entou- rent, les troupeaux du voisinage, chèvres, vaches, brebis, viennent à la file se désaltérer dans des auges de pierre (jue les bergers emplissent. Tue de ces auges, ornée de sculptures, est un sarcophage antique, sans inscription. Les femmes descendent du village pour l'aire provision d'eau dans de grandes amphores en terre cuite, qui doivent présenter quelque ressem- blance avec les vases de la salle des noces. La plu- part de ces femmes sont vêtues d'une longue tunique bleue, sans voile, avec des garnitures de sequins dans leur chevelure uoire. Elles regardent les étrangers avec curiosité et d'un air bienveillant : nous pourrions ajouter qu'elles semblent llallées de l'attention avec laquelle nous observons le Léger tatouage qui encadre leur bouche et leurs yeux. C'est assurément à cette source, la seule qui coule dans Le village et aux en- virons, que les serviteurs puisèrent l'eau (pie Jésus. A la prière de sa Mère, changea en vin. Les convives des jeunes mariés de Gana, à L'exemple de L'échanson . trouvèrent ce vin délicieux. En souvenir du miracle, nous goûtons de cette eau, el nous y baignons notre tête el nos mains, Aujourd'hui les vignobles sonl rares
• An sujel des urnes de Cana on peul consulter les tomes X I et XIII des i i aies archéologiques publié) | ai M. Didron.
CANA l. I" LE CARMEL. 135
aux environs de I !ana : mais en < ralilée, comme dans la Samarie e1 en Judée, ils produisent des vins auxquels il ne manque pour être excellents que des soins au monit'iii de la vendange et dans la manière de les conserver. Nous avons bu plusieurs lois du vin de Bethléhem, qui pourrail sans désavantage soutenir la comparaison avec les meilleurs vins d Espagne et du midi de la France. J>u temps de sainl Grégoire de Tours, les vins de Gaza étaient très-estimés dans les < raules.
L'Écriture fait souvenl mention des vignes de la Palestine, et, pour exprimer les douceurs de la paix, elle dit que chacun se reposait sous .sa vigne et sans son figuier. Les vignobles étaient considérés comme la portion privilégiée de l'héritage de famille; aussi, en plusieurs endroits, le Seigneur compare-t-il le peuple d'Israël à une vigne choisie. Jésus-Christ parle sou- \i ait de la vigne dans ses paraboles: il va même jusqu'à se comparer à une vigne, dont les Apôtres serai» 'lit le& branches :Egosum vifis,vosautempalmites.
Les Hébreux, comme les autres peuples civilisés de l'antiquité, faisaient usage du vin dans leurs festins, et trop souvent comme eux ils en abusaient jusqu'à l'i- vresse. L'auteur «lu livre de la Sagesse dit que le vin excite la gaieté: mais il réprimande vivement ceux qui en prennent jusqu'à perdre la raison. Celui que les Juifs prisaient davantage était doux et parfu- mé, ri nu, n conditum, suivant l'expression du Can- tique des cantiques '; le goût et l'odorat étaient flattés
i vin, -i.
436 GA.LILEE.
en même temps; les Grecs L'appelaient nectar. Ces vins étoient en ^»''iiéral ('puis, et il fallait les mêler d'eau avant de les boire. De là ces expressions : J'ai dressé uni table et j'ai mêlé mon vin; — Venezà mon festin, buvez le vin que je vous ai mêlé. Les anciens conser- vaient le vin dans des vases de terre on dans des outres en peaux de chèvres; le poil ('tait à l'intérieur de l'outre et ordinairement enduit de résine. Ce sin- gulier mode de transport et de conservation du vin, encore en vigueur dans l'Orient, communique • ni vin une odeur et un goût auxquels l'odorat et le palais des Européens ont de la peine à s'accoutu- tumer.
Gana nous rappelle non -seulement le miracle du changement de l'eau en vin, mais encore que Jésus- Christ a voulu par sa présence sanctifier la cérémo- nie des noces. Les l'êtes du mariage n'ont guère changé depuis trente siècles chez les habitants de la Palestine, heaucoup de circonstances sont actuel- lement ce qu'elles (''talent du temps de Jésus-Christ Le jour de son inaiiaiie, le jeune époux était accom- pagné d'un paranymphe, que l'Evangile appelle Yami de l'époux. Celui-ci faisait les honneurs de la noce el veillait à ce que rien ue manquât. Aussi quelques- uns ont-ils cm que Yarchitriclinus <\r± noces de Cana n'était pas autre que l'ami de l'époux. Les réjouis- sances et les festins se passaient avec une grande décence, et dans ces réunions, où trop souvent la gaieté chez non- tend à passer les justes bornes, les jeunes filles étaient toujours dans une salle séparée de celle des hommes. La réserve des Orientaux n'a
CANA ET LE CARMEL. 437
jamais permis ce mélange que Les mœurs modernes
autorisent. La cérémonie de la noce durait sepl jours pour une fille, et trois jouis seulement pour une veuve. Ces jours de réjouissance se passaient ordi- nairement dans la maison du père de la jeune épouse; ensuite on conduisait celle-ci au domicile de son époux, au son des instruments de musique et des chants.
Jésus lit à Cana un autre miracle raconté par saint Jean. <( Jésus, dit l'écrivain sacré, vint de nouveau en Galilée, où il avait changé l'eau en vin. Or il y avait un grand de la cour dont le fils était malade à Caphar- naûm. Ayant appris que Jésus était venu de Judée en Galilée, il alla vers lui, et le pria de descendre et de guérir son fils, car il était près de mourir. Jésus lui dit: Allez, votre fils se porte bien. Et cet homme crut à la parole que Jésus lui avait dite, et il s'en allait : et comme il descendait, ses serviteurs vinrent au-de- vant de lui, et lui annoncèrent que son fils se portail bien. ' »
Nathanaël était originaire de Cana; on croit que c'est le même que l'apôtre saint Barthélemi. Une petite basilique lui avait été dédiée; transformée depuis en mosquée, elle est abandonnée dspuis longtemps.
Avant de rentrer à Nazareth, nous avions résolu d'aller jusqu'à Séphoris, malgré un détour considé- rable. Le pays de Séphoris n'a pas de limites bien précises; on peut dire qu'il s'étend de la vallée de Cana à la plaine d'Esdrelon, et de la montagne de Nazareth
1 Joan. , iv.
GALILÉE.
au revers oriental des collines boisées qui se rattachent au vaste plateau du Carmel. La fontaine de Séphoris est à un kilomètre des ruines de l'ancienne ville, et à quelques pas de la moderne Séfurieh.
Sous le règne d'Hérode Ie'1', Séphoris était une place importante et par sa position et par sa population; elle devint môme, après Tibériade, la capitale de la Galilée. Des constructions considérables en avaient fait la clef de cette riche province. Après la mort d'Hérode, elle prit part à une insurrection formidable contre l'au- torité romaine, et joua un grand rôle dans cette prise d'armes. Yarus, alors gouverneur de la Syrie, la ré- duisit en cendres, et vendit tous les habitants à l'encan, afin d'imprimer la terreur aux villes tentées d'imiter son exemple. Cette effroyable catastrophe n'empêcha pas les Juifs de la rebâtir, et beaucoup d'étrangers y établirent leur résidence et des entrepôts de commerce. Hérode-Antipas la fortifia, et lui donna Le nom de Diocésarée, parce que, par une basse flatterie, la nou- \ elle cité avait été consacrée au divin César. La pros- périté sourit durant quelques années à la population mêlée qui se pressait dans son enceinte; mais comme la fortune est mauvaise conseillère, les habitants de hioeésarée trahirent à la t'ois les intérêts de leur patrie et ceux des conquérants. A l'approche des Romains, ils jurèrent fidélité aux vainqueurs, et, peu de temps après, menacés par l'année juive, ils protestèrent de leur dévouement à la cause de l'indépendance natio- nale. Tant de perfidie ne devait pas rester sans ven- geance. Après la de>triielioii de Jérusalem . le Sanhé- drin vint y chercher un refuge, avant d'aller s'installer
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CANA ET LE CAR M KL. 441
à Tibériade. Enfin sons L'empire de Constance3 à la suite d'une révolte contre les Romains, Gallus la livra aux flammes el en massacra 1rs habitants. Elle ne se relova jamais complètement de cet. échec. Un gros village remplaça La cité; les chrétiens toutefois lui conservèrent une certaine célébrité en y bâtissant une église consacrée à sainte Anne. Après le désastre de Tibériade, où péril la fleur des chevaliers delà Croix, Saladin détruisit Séphoris «le fond en comble. Aujour- d'hui, au milieu des ruines, on distingue encore les restes d'une tour carrée A la place où tut l'acropole, et les délais de la basilique chrétienne. Il serait à peu près impossible de se faire une idée de ce qu'était Séphoris : sur le sol bouleversé on rencontre pêle-mêle les derniers vestiges des monuments juifs, romains, chrétiens et sarrasins.
La bourgade de Séfurieh s'est éloignée de ce théâtre de désolation, et n'offre au voyageur qu'une chétive apparence, et une population misérable de huit cents fellahs. Tel est l'aspect général de la Syrie. Partout, où jadis il y eut une ville florissante, on rencontre à pré- sent un pauvre village; c'est ainsi que Ton peut dire en toute vérité qu'il ne reste plus, sur cette terre émi- nemment historique, que l'ombre d'un grand peuple, et le souvenir à moitié effacé d'événements fameux. Ajoutons qu'à Séfurieh la population est toute musul- mane et animée d'un fanatisme étrange. Rarement les pèlerins visitent les ruines de Séphoris sans être insultés.
Pour arriver au Garmel, nous franchissons d'abord des collines et des vallées fertiles. Les lianes de la mon-
i'.J GALILEE.
tagnesoiii couverts d'une végétation abondante, el des villages se cachent à l'ombre d'arbres touffus. Toute la population se livre aux travaux des champs. Au milieu des légumes qui emplissenl les jardins, on distingue les concombres et les pastèques; la campagne produit le blé, l'orge, le maïs, le doura, le coton. Des troupeaux errent au sein des vertes prairies ou sur le penchant des coteaux. Tout ici inspire le calme et l'aisance. Le cultivateur, largement payé de ses sueurs par un sol fécond, serait heureux si le gouvernement qui l'op- prime ne tarissait pas la source de sa prospérité en tolérant les exactions des pachas et les vexations des collecteurs de l'impôt.
Kutre les tètes des palmiers qui se balancent gra- cieusement sur le rivage de la Méditerranée, on dé- couvre les blanches maisons de Gaïpha. Cette ville est composée de deux longues rues seulement, avec deux places, l'une pour la mosquée, l'autre pour le khan. Rien n'attire le pèlerin à Gaïpha; il y fait une station avant d'entreprendre l'ascension du Garmel. La mon- tagne d'Élie et des prophètes, au sommet du cap qui regarde la mer et dans une position ravissante, est couronnée par le couvent et le sanctuaire de Notre- Dame- du -Garmel. Le navigateur, au milieu i\r> flots, l'aperçoit de loin comme un phare. Les vais-eaux chré- tiens ne manquenl pas de saluer ce sanctuaire re- nommé; et aux mâts 'les navires français, on hisse encore le pavillon national en signe d'hommage à la Vierge protectrice des matelots. Delà Le regard s'étend dans un.- perspective ravissante : Saint -Jean -d'Acre montre, au milieu d'une baie bordée de verdure, ses
C \.\ A ET LE i. \i; M Kl. . 443
minarets, ses tours el son port. Vers le nord, les mon- tagnes s'élèvent d'étage en étage jusqu'aux sommets
• lu Liban. Le Carme] ne ressemble point aux monta- gnes de la Judée; il est constammenl paré d'une luxu- riante végétation. Arbres et buissons ne font qu'un im- mense massif de verdure sombre : ce sont des touffes
• le caroubiers, de chênes, de térébinthes et de génois. Mille ûeurs émaillent le gazon, et de tous les coins de la montagne s'exhalent les senteurs des plantes aro- matiques. L'Écriture a vanté la beauté du Garmel, en même temps que la gloire du Liban. Gloria Liban! data est ei; décor Carméli et Saron*.
Élie demeura sur le Garmel, qui fut son séjour de prédilection. C'est là qu'il confondit les prêtres de Baal . et qu'il dirigea une école célèbre de prophètes. Il y a deux mille grottes, peut-être, creusées dans les flancs de la montagne. Les enfants des prophètes, et plus tard de pieux solitaires, y chantèrent la grandeur et les louanges de Dieu. Suivant une tradition respectable, la saint Vierge y serait plusieurs fois venue de Naza- reth. Le nom de Marie est devenu la gloire du Garmel. S.iiut Louis gravit la montagne pour y payer un tribut de piété à la Mère de Dieu. Ici fut le berceau des reli- gieux Carmes et des Carmélites, dignes héritiers de la ferveur des prophètes.
1 [s. . \.\xv.
CHAPITRE XXV
TIBÉRIADE
se décide avec regret à quitter Na- zareth. Un chrétien s'habitue aisé- ment à la regarder comme une seconde patrie. Cette ville partage ce privilège avec Jérusalem, Rome et Bethléhem. La cité de Marie possède un attrait tout particulier. Avant de partir, nous descendons au sanctuaire de l'Annonciation, et nous récitons en chœur YAngelus, cette prière dont les sublimes paroles sortirent ici do |;i bouche de l'Ange et de celle de la Vierge sans tache, qui y devint mère de Dieu. Nous trempons en passant nos lèvres dans l'eau ilr |,i fontaine <!<■ Marie, et nous saluons d'un dernier regard ces lieux embellis «1rs plus touchants souvenirs. Bientôl un repli de terrain dérobe la ville m nos yeux:
l'IBÉRlADE. '>'<•>
mous marchons à l'ombre du Thabor, et la plaine d'Es- drelon se déroule encore à nos pieds. 0 champs for- tunés de Nazareth ! heureuses les âmes fidèles quipas- senl ici leur vie, sous la protection de Colle que les catholiques aiment connue une mère, et que Dieu a établie la dispensatrice de ses grâces! Votre gracieuse image, ô Marie, est toujours vivante au milieu de ces collines el de ces vallées que vous avez si souvent par- courues!
Après une marche que la chaleur rend très-pénible, nous gravissons des coteaux qui se succèdent réguliè- rement, comme si le soc d'une charrue gigantesque avait labouré le sol. Ici commencent à paraître les ro- ches volcaniques qui forment le bassin de la mer de Tibériade, et que nous allons rencontrer dans toute cette région si souvent bouleversée par les tremble- ments de terre. A notre droite se dressent les deux sommets désignés communément sous le nom de Cornes d'Hittin. Devant nous s'ouvre la plaine, si tris- tement célèbre dans les annales du royaume chrétien de Jérusalem. La plaine d'Hittin fut le champ de ba- taille rougi du sang de nos chevaliers, où l'œuvre des croisades reçut le coup mortel.
La bataille s'engagea le 2 juillet 1187. Saladin était à la tête d'une armée de quatre-vingt mille hommes; il était maître de Tibériade, et ses soldats étaient postés sur toutes les hauteurs. Les croisés, au nombre de cinquante mille, avaient abandonné imprudemment la position avantageuse de Séphoris. Leurs bataillons s'avancent au milieu d'une nuée de pierres et de flè- ches lancées par les Sarrasins. A peine engagés au
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milieu de La plaine, la cavalerie ennemie vient leur barrer Le passage. Les chrétiens cependant marchent toujours en avant; rien n'étonne leur courage; mais l'indécision des chefs paralyse leur ardeur. Accablés de chaleur, mourants de soif, sans provisions, les plus intrépides tombent d'épuisement et de lassitude. Guy de Lusignan, qui avait méprisé comme pusillanimes les conseils des vieux chevaliers, ordonne de s'ar- rêter el de planter les tentes. « Nous sommes perdus, » disaient-ils. La nuit sépare les combattants.
En capitaine expérimenté, le sultan profite des té- nèbres pour envelopper entièrement l'armée chré- tienne. Par son ordre, des archers s'emparent des défilés des montagnes. Ses troupes sont absolument maîtresses du terrain. Saladin, comme un lion qui couve sa proie, parcourt les rangs et promet la vic- toire. De leur côté, les croisés ne restent pas inactifs; ils se rallient et se forment en bataillon carré, décidés à passer à travers les ennemis afin de gagner les rives du Jourdain, ou périr glorieusement les armes à la main. Pour dissimuler leurs alarmes, ils font toute la nuit retentir Leur camp du bruit t\r^ tambours et des trompettes.
Enfin le jour paraît, les deux armées sont en pré- sence, Saladin reste immobile : il attend que Le soleil ail embrasé l'horizon, sur de trouver dans la chaleur le plus terrible des auxiliaires. Pour comble de mal- heur, un vent sec el brûlant soulève (\c> tourbillons de poussière qu'il emporte sur Le camp des chrétiens. Les Sarrasins en même temps mettenl Le feu aux herbes
lies qui couvrent la plaine; la flamme en se pro-
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pageanl enferme nos soldats dans un cercle ardent, el pénètre sous les pieds des hommes et des chevaux. Au signal donné, les infidèles se précipitenl en poussanl de grands cris.
La confusion ue tarde pas à se mettre dans Les rangs de l'armée chrétienne; malgré le trouble qui résulte de f.int de causes de désordre, les chevaliers francs sont toujours redoutables. Du sein des tourbillons de fu- mée, les plus braves, la lance à La main, fondenl sur les hordes musulmanes : ils font des efforts inouïs; mais ils viennent se heurter en vain contre des ba- taillons serrés et hérissés de fer. Cent fois ils retour- nent à la charge, sans pouvoir ('branler la ligne des ennemis épaisse et solide comme une muraille. En proie à toutes les horreurs de la soif et de la faim, ils ne voient autour d'eux que des montagnes arides, où étincellent les épées de leurs adversaires; à leurs pieds le sol est brûlant; au-dessus de leurs tètes le soleil laisse pleuvoir des rayons enflammés. Le cou- rage des chevaliers du Temple et de Saint-Jean aurait pu sauver l'armée chrétienne, si elle avait pu être sauvée. La déroute commence, déroute effroyable, où fantassins et cavaliers s'embarrassent dans un pêle- mêle horrible. Les uns courent au-devant des lances ennemies, les autres jettent leurs armes et trouvent en fuyant une mort ignominieuse.
Cent cinquante chevaliers restés autour de l'étendard royal ne purent empêcher le roi, Geoflroi son frère, le grand maître des Templiers, et plusieurs illustres guerriers de Terre-Sainte, d'être faits prisonniers; la vraie Croix, rougie du sang des évêquea qui la por-
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taient, et des braves qui la défendaient, tomba entre les mains des infidèles. A la vue d'un si épouvan- table désastre, plusieurs, dans un morne désespoir, s'enveloppèrent la tête, se mirent à genoux et atten- dirent ainsi le coup de la mort. Jamais les chrétiens n'avaient éprouvé un pareil malheur en Palestine. Raymond s'ouvrit un passage à travers l'armée en- nemie; il s'enfuit à Tripoli, où quelque temps après il mourut de douleur. Ileiiaud de Sidon et le jeune comte de Tibériade, avec mille soldats à peine, sur- vécurent à cette funeste journée.
Un an après cet affreux carnage, un Arabe traver- sant les champs d'Hittin trouva encore des monceaux d'ossements; les vallées et les montagnes étaient cou- vertes de restes humains à demi rongés par les animaux sauvages. Telle fut l'impitoyable férocité du vainqueur, qu'il lit égorger sous ses yeux toute la milice chevale- resque du Temple et de l'Hôpital. Pour mieux mar- quer l'humiliation ^\r> chrétiens, un auteur arabe nous apprend qu'on vendit un prisonnier pour une paire de sandales.
La mort de nos ancêtres ne resta pas sans ven- geance, quoique de longs siècle> aient passé sur leurs ossements blanchis. Ce fut la France qui eut cet hon- neur, et dans cette même plaine, à quelques pas de Loubi, nos soldats, guidés par Bonaparte, remportèrent ur les musulmans la mémorable victoire du mont Thabor.
Nous traversons tristement ce champ de mort, Pes- piii plein de Lugubres images. Enfin nous découvrons presque à nos pieds le beau lac de (lénésareth, dor-
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in;inl paisiblemenl entre deux rideaux de montagnes. La lumière brille sur ses mules transparentes, de jolis discaux volent sur le rivage, quelques arbres vigoureux ornent le paysage.
La mer de Tibériade ne ressemble en rien aux lacs des Alpes. (Test le cratère immense d'un volcan rempli d'eau; les bords en sont formés de roches brûlées et déchirées. Mais au-dessus de cette nature grandiose et un peu sauvage planent mille souvenirs évangéliques. Sur les rives de la mer de Génésareth gisent les ruines de Maudala, de Bethsaïde el de l lapharnaùm.
De la haute plaine d'ilittin on descend jusqu'à Tibé- riade le long d'une berge couverte de scories et de pierres noirâtres; le point le plus élevé est à trois cents mètres environ au-dessus du niveau des eaux du lac On pénètre dans la ville par une porte délabrée, et Ton passe au milieu de murailles croulantes. Le lei' jan- vier 1837, un tremblement de terre renversa cette ville; un grand nombre d'habitants perdirent la vie, écrasés sous leurs maisons. Telles furent la violence et la du- rée des oscillations du sol, que les remparts mêmes se lézardèrent et croulèrent en partie; la forteresse seule resta debout, En Orient les ruines se relèvent lentement, quand elles se relèvent; aujourd'hui encore Tibériade offre l'aspect de la plus profonde désolation. Les tremblements de terre ont été fréquents en Pales- tine, et l'histoire nous a conservé la date de plusieurs «le ces terribles phénomènesqui bouleversèrent la Syrie. Le 30 octobre 1759, Tibériade l'ut entièrement détruite; !'■ 20 mai 1802, et au mois d'août l<S^2. les villes
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situées le long des cotes de la Méditerranée, dans les vallées du Liban el de la Galilée, furent ébranlées jus- que dans leurs fondements; Alep, à cette dernière époque, fui renversé de fond en comble.
La ville de Tibériade, située sur le rivage «In grand lac auquel elle donne son nom , ne remonte pas à une liante antiquité; elle lut bâtie par Hérode-Antipas. Ce prince choisit à cet efifel an des plus fertiles territoires de la Galilée, le voisinage des eaux chaudes d'Emmaùs, de tout temps fort renommées, et le bord d'un lac magnifique, jadis sillonné de mille barques de pê- cheurs, très- poissonneux et traversé par le Jourdain. De nombreux sépulcres existaient dans le voisinage: aussi les .Juifs avaient-ils une extrême répugnance, malgré les privilèges accordés par le roi, à venir se fixer dans la nouvelle cité. Quelques-uns y lurent contraints; les étrangers, au contraire, y affluèrent de tous côtés. Grâce aux immunités dont jouissaient les habitants, la population s'accrut rapidement, et Tibé- riade devint la métropole de toute la Galilée.Elle dut son nom à l'empereur Tibère , auquel elleavail été dé- diée; ce n'étail pas un nom fail pour porter bonheur: Tibère fut un prince beaucoup plus célèbre par ses crimes el ses débauches que par son habileté poli- tique. Il f;iut ajouter que l'auteur de cette dédicace étail digne de son protecteur; c'est lui <pii dans son palais de Machéronte. au milieu d'une orgie, lit trancher la tête à saint Jean - Baptiste. Ce prince avait ;ni>>i un palais à Jérusalem, où il interro- gea Jésus-Christ, renvoyé par Pilate devanl son tribunal.
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A L'époque du soulèvemenl de la Galilée contre les Romains, Josèphe fortifia Tibériade, et réussit à en l'aire une place respectable. A l'arrivée de Vespasien, les Juifs, désespérant de pouvoir soutenir une lutte iné- gale, s'empressèrent de l'aire leur soumission. Ils se jetèrent aux pieds du conquérant el obtinrent grâce. Ceux qui eurent assez de cœur pour songer à défendre leur indépendance se retirèrent en armes à Tarichée. Titus les \ poursuivit et emporta la place. Les mal- heureux, dont la fortune avait trahi le courage, se réfugièrent dans des barques et gagnèrent le large, espéranl échapper ainsi à la vengeance du vainqueur; mais Vespasien lit construire en hâte et équiper de légers bateaux. Alors s'engagea sur le lac deTibériade une bataille navale restée célèbre à cause du carnage que tirent les Romains. Pas un seul de leurs adver- saires n'échappa. La mer, dit Josèphe, était rouge de sang et couverte de cadavres. Quelques jours après, ces corps flottant à la surface de l'eau enflés et livides, corrompirent l'air d'émanations pestilentielles, de sorte que les contrées voisines en furent infectées: six mille cinq cents hommes avaient péri. Les étran- gers qui n'avaient pu suivre leurs compatriotes sur le lac furent saisis à Tarichée et condamnés à mort. Ces infortunées victimes furent conduites à Tibériade, et enfermées dans le lieu des exercices publics. Tous ceux qui étaient incapables de porter les armes, au nombre de douze cents, furent impitoyablement massacrés; six nulle hommes robustes furent envoyés en Grèce travailler au percement de l'isthme de Gorinthe ; plus de trente mille hommes furent réduits en servitude.
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Après la destruction de Jérusalem par Titus, et La dispersion des membres du Sanhédrin, Les docteurs juifs Les plus renommés vinrent s'établir à Séplioris et à Tibériade. Ils formèrent dans cette dernière ville une école, qui ne tarda pas à acquérir la plus grande auto- rité parmi les Juifs. Les chefs de cette institution reli- gieuse se proposèrenl pour but de conserver intact es les traditions nationales en fixant par écrit Les inter- prétations Les mieux accréditées parmi eux. C'était le moyen de couper court à des commentaires qui ne manqueraient pas d'altérer la pureté de la Législation mosaïque. .Iiida surnommé llakkadosch, c'est-à-dire le Suint . recueillit et coordonna toutes les interpréta- tions et Les prescriptions qu'il crut appartenir aux tra- ditions anciennes. Son recueil, qui jouit d'une grande réputation parmi ses compatriotes, fut intitulé Misch- nah ou Seconde Loi. C'est le principal texte talmu- dique. auquel plusieurs écrivains mirent successive- meni la main, et qui ne fut achevé que vers la fin du second siècle. Cet ouvrage n'avail pu tout embrasser ni toul prévoir. Un siècle après il fut complété par le rabbin Jochanan. Ce second livre fut appelé Gemara ou Complément. Quelque savant qu'on suppose ce ré- dacteur, il ne réussit pas ù taire adopter son commen- taire par tous ses coreligionnaires. Les Juifs nombreux répandus sur les bords de L'Euphrate avaient fondé ^\c> écoles qui ne le cédaienl guère en érudition à celle de Tibériade, el qui ne lui codaient en rien quanl aux pré- tentions. Cette rivalité donna naissance à une second» • Gémare, connue depuis sous Le nom de Talmud de Uabylone. Ces grands ouvrages rabbiniques ne sont
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qu'une compilation indigeste de traités religieux et po- litiques. Les deux Gémares sont souvenl en contra- diction. Ce sérail d'ailleurs une illusion de croire qu'elles renfermenl la véritable doctrine des anciens Juifs, conservée au moyen de la tradition. Au milieu de rêveries parfois extravagantes, quelquefois puériles, on rencontre des excitations à la violence, à la rapine et à la cruauté.
Tibériade avait repris une certaine splendeur; les Juifs s'accoutumaienl à la regarder comme une se- conde Jérusalem. Durant trois siècles, les plus ardents d'entre eux travaillèrent avec constance et énergie à reconstituer leur nationalité et leur indépendance. Quand ils se crurent prêts à engager la lutte, le signal fut donné pour un soulèvement général. Le chef de l'insurrection «Hait le rabbinAkiba, président du Sanhé- drin. Mais Dieu confondit la vaine sagesse de ce pré- tendu Moïse. Akiba tenait dans sa main à Tibériade tous les tils de la vaste conspiration, qui ("tendait ses ramifications en Palestine, en Egypte, à Gyrène, dans l'île de Chypre et au delà de l'Euphrate. Ce nouveau prophète est l'auteur de la Kabbale, interprétation mystique de la loi, que plusieurs auteurs ont flétrie en l'appelant un «ode de conspiration. La prise d'armes organisée avec tant de peine aboutit à une catastrophe. L'Évangile ne dit pas que Jésus-Christ soit venu à Tibériade; mais, durant son séjour à Gapharnaûm et dans la Galilée, il parcourut fréquemment les rivages de la mer de Génésareth, et il ue paraît pas douteux qu'il n'y soit entré plus d'une l'ois. On vénère dans cette ville un sanctuaire dédié à saint Pierre, où une
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tradition constante rapporte que Jésus-Christ confia au prince 'les Apôtres le gouvernement suprême de l'Église. La mer de Galilée, si éclatante de lumière, est plus éclatante encore aux yeux dr> chrétiens du souvenir des miracles du Sauveur. Marchant un join- te long du rivage, il voit deux frères, Simon et André, qui jetaient leurs filets; il les appelle en disant : « Venez avec moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. » En un autre endroit, les deux tils de Zébédée. Jacques et Jean, pêcheurs comme les deux autres, raccommo- daient leurs filets en compagnie de leur père; Jésus les appelle à sa suite, et sur- h; -champ ils quittent leur père, leur barque et leurs lilets. Voilà quelques- uns des futurs conquérants du monde; un de ces pauvres pécheurs de Galilée ira fixer à Rome son humble siège, qui remplacera le trône des Césars.
Un jour que la foule était nombreuse, Jésus monte dans la barque de Pierre et lui ordonne de s'éloigner un peu du rivai:».'. De là il enseigne la multitude : image frappante de ce qui devait se continuer dans toute la suite des siècles; c'est, en effet, toujours Jésus- Christ qui guide la barque du pêcheur, et qui parle par la bouche de Pierre Un autre jour le ciel devienl
mibre. la tempête souffle avec violence: la faible
barque es1 battue par les [lots agités. Les disciples sont ïis d'effroi : Jésus dormait paisiblement : o Maître, s'écrient-ils, sauvez -nous, nous périssons. » Jésus se lève, commande au vent el à La mer, el il se fait un grand calme. Le- vagues qui viennent doucement mourir à nos pieds, en lai --a ni à peine un léger sillon d'écume, sonl celles de cette même mer qui fut obéis-
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santé à la vois, du Maître, [ci encore, à la quatrième veille de la nuit, tandis que la barque étail ballottée au gré des vents, les disciples voient Jésus marchant sur les flots comme sur la terre ferme. Ils sont d'abord effrayés, croyant voir un fantôme; mais -lésus les rassure en leur disant : « G'esl moi, ne craignez point. » Alors Pierre, cédant à un mouvement d'amour «■t de foi, s'élance hors de la barque et se dirige vers son Maître. Étonné lui-même du prodige qui s'opère en sa faveur, il hésite, et il s'enfonce dans l'eau à me- sure que la crainte entre dans son âme. Jésus lui tend la main en lui disant: « Homme de peu de foi, pour- quoi avez-vous douté? »
Notre première soirée au bord du lac de Grénésareth est délicieuse. Lorsque le soleil commence à baisser sur l'horizon, nous sommes assis sur un fût de colonne renversé, les pieds sur le sable, les yeux fixés tour à tour sur ce vaste bassin, dont un léger zéphyr ride la surface, et sur les roches qui l'enferment de tous côtés. Des légions de poissons se jouent dans les eaux tièdes et transparentes. Le long des grèw-> des troupes de j«»lis oiseaux bleus poursuivenl les insectes, et prennenl leurs «'bat-. Jadis beaucoup de pêcheurs habitaient Tibériade; aujourd'hui à peine voit-on quelques barques <'t quelques filets séchant au milieu des ruines. La nier de Galilée a vingt kilomètres de longueur, sur une lar- geur moyenne de huit kilomètres. Personne ne met en doute qu'elle occupe le cratère d'un volcan; la l'orme mêmedubassin qu'elle emplit, les roches volcaniques qui l'entourent, les eaux thermales qui jaillissent dans le voisinage, eu sont autant d'indices certains. Si l'on
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pouvail l'oublier, des tremblements de terre, malheu- reusement trop fréquents, viendraient le rappeler. L'eau de ce lac est limpide, douce, légère et agréable .'i Imite; elle est toujours un peu chaude, comme l'eau du Jourdain; mais les habitants ont le secret de la rafraîchir; ils la mettent dans «les vases poreux qu'ils exposenl au grand air el même au soleil : l'évaporation ne tarde pas à enlever une partie du calorique. Ce pro- cédé, mis en pratique dans tous les pays chauds, était connu dans ces contrées il y a deux mille ans. Josèphe l'historien nous apprend que l'eau de la mer deTibé- riade, grâce à la précaution que nous venons d'indi- quer, devient froide comme de la glace, et tempère délicieusement, durant l'été, les ardeurs de la soit. Autour de ce bassin, la température monte à un très- li.nil degré, et ne peut être comparée qu'à celle du bassin de la mer Morte. Le niveau delà mer deTibé- riade est à deux cent trente mètres au-dessous du niveau de la Méditerranée.
L'ancienne ville de Tibériade s'étendait entre la mer el les montagnes, au midi de la ville actuelle, presque jusqu'aux bains d'eau chaude, qui en sont aujourd'hui à deux kilomètres. A en juger par les débris qui jonchent le sol, restes de bâtiments construits avec une extrême luafïniiirence, cette cité dut être considérable. Le ter- ritoire qui l'environne est très-fertile, et se couvrail chaque année de riches moisson.-. Quinze autres villes se groupaienl autour du lac, ei (brmaienl une espèce de couronne vivante autour de Tibériade. Cet en- semble formail un spectacle magique, surtout lorsque les eaux étaienl sillonnées de barques innombrables
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aux voiles éployées. c La terre qui environne le lac de Génésareth, dil Josèphe, el qui porte le même nom. est admirable par sa bonté et s;i fécondité. Il n'v a point de plante qu'elle ne puisse produire. On y voit même quantité de noyers, arbres qui se plaisent dans les pays froids: ceux qui aiment les climats doux, comme les Huniers et les oliviers, ceux encore qui ont besoin de la chaleur, comme les palmiers, y croissent et s'y développent merveilleusement. Kn sorte que la nature, par sa prédilection pour ce beau pays, s'attache à y réunir les productions les plus opposées; non-seule- ment elle \ donne d'excellents fruits, mais encore elle les conserve si longtemps, qu'on y mange des raisins et t\^> figues pendant six mois, et d'autres fruits pen- dant toute l'année '. »
Les bains chauds de Tibériade sont situés au lieu où lut jadis la bourgade d'Kmath ou Emmaùs de Galilée. Ils sont très -fréquentés, et Us jouissent d'une grande réputation. On y vient se guérir de rhumatismes, de paralysie, d'ulcères, du scorbut et de la lèpre. Les plaies invétérées, surtout celles qui proviennent de blessures d'armes à l'eu, y sont cicatrisées assez promptement. La principale source a une température de cinquante h soixante degrés centigrades; elle exhale une odeur sulfureuse prononcée, et tient en dissolution de la soude, de la magnésie, du chlore et de la chaux. D'autres sources ont une température et des pro- priétés différentes. I huant sa courte domination, Ibra- him-Pacha fit restaurer somptueusement l'établisse-
1 Joseph., De B<lh Jud.} lib. III, cap. \x.\v.
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menl des thermes < le Tibériade. Sous un dôme d'une architecture élégante, des lions en marbre blanc ver- sent l'eau dans des bassins également en marbre.
Depuis longtemps les chrétiens sont peu nombreux à Tibériade; les Pères de Terre-Sainte, jusqu'à ces dernières années, n'y avaient aucun établissement. Aujourd'hui, ils y entretiennent deux ou trois reli- gieux, envoyés de la maison de Nazareth. Saint Épi- phane raconte que, sous l'empire de Constantin, le comte Joseph y fonda une église, et qu'il consacra à cet usage un monument resté inachevé et connu sous le nom à'Adrianeum. C'était sans doute un de ces curieux édifices que Lampride mentionne comme ayant été bâtis par les empereurs Alexandre Sévère et Adrien, et où l'on n'avail pas érigé de statues. Au vr siècle, Justinien, un des princes grands bâtisseurs, fit relever les remparts de Tibériade et restaurer les églises. Un pèlerin du \ 1 1 1«- siècle dit qu'il y visita plusieurs temples, dont un surtout étalai! une grande magnificence. Dans les premiers mois de l'année 1100, Tancrède parcourut les armes à la main toute la province de I ralilée, s'em- para de Tibériade et de plusieurs autres villes, qui composèrent sa principauté. Le prince de Tibériade administra sagement ses petits États, dont le sort lui étroitement lié avec celui du royaume chrétien de Jérusalem. L'évêque de Tibériade était suffragani de l'archevêque de Nazareth, l'eu de jours avant la triste journée d'1 liiiin , Saladin entra dans la ville sans trou- ver aucune résistance. Il n'y lui pas cependant entiè- rement le maître: la citadelle tinl bon longtemps. La défense y lut organisée par une femme, digne épouse
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de Raymond, comte de Tripoli, laquelle lutta avec une valeur digne «l'un meilleur sort, même après la dé- faite de l'armée chrétienne.
Les environs de Tibériade sonl beaucoup plus inté- ressante pour le voyageur chrétien que la ville môme. Notre première course fui dirigée vers la montagne des Béatitudes. En sortant de Tibériade par la porte du nord, nous traversons d'abord le champ à jamais cé- lèbre par la multiplication des pains et des poissons. C'est là que Jésus-Christ, ayant pitié de la multitude qui le suivait pour l'entendre prêcher, nourrit cinq mille personnes avec cinq pains et deux petits pois- sons. Le souvenir de ce prodige vit encore dans la mémoire des habitants; les Arabes appellent ce lieu Khams-Khobzat des cinq pains), et les étrangers Pane e Pesce (pain et poisson). Le misérable village d'Ilittin est au pied de la montagne sur laquelle Jésus -Christ, après la vocation de ses apôtres , prononça ce discours célèbre : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice; bienheureux ceux qui pleurent; bien- heureux les pauvres d'esprit. Après avoir rapporté le Sermon de /" montagne, Tévangéliste ' remarque que le peuple était dans l'admiration de la doctrine de Jésus, parce qu'il instruisait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes et les pharisiens. Le caractère divin de renseignement de Jésus-Christ, qui excitait l'admiration de ses auditeurs, est et sera toujours celui de renseignement de la véritable Eglise. Les sectes chrétiennes ne semblent pas avoir confiance
i Matth., vin, 28 el 20.
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en elles-mêmes : elles parlent avec hésitation, elles changentde langage suivant les conjonctures; elles se contredisent, elles montrent qu'elles ne possèdent ni liberté ni puissance. L'Eglise catholique solde parle comme ayani autorité , tanquam potestatem hàbens. l'n des philosophes modernes les plus illustres, M. le comte Joseph de Maistre, en a t'ait la remarque : « Prenez place, dit-il, dans l'auditoire du plus modeste curé de campagne; si vous v apportez l'oreille de la con- science, vous sentirez, à travers des formes simples, peut-être grossières. <pie le ministre est à sa place, et qu'il parle comme ayani la puissance. »
Au sommet de la plus haute cie^ cornes il'IlUlïn, il existe des restes de constructions antiques : une assez large citerne, (\c> décombres, des fondations au ras du sol indiquent un établissement considérable. Ces ruines n'ont pas été signalées par les voyageurs; l'as- cension de la montagne, en effet, est très -pénible. Les matériaux de construction ont été pris sur les lieux : ce -ont des pierres basaltiques. Quelle fut la destination de «'es bâtiments ? L'histoire garde à ce sujet un pro- loiid silence. On peut croire qu une forteresse couronna jadis cette hauteur, et qu'une chapelle y fut érigée à l'époque où la pieuse mère de Constantin et plus tard sainte Paule visitèrent tous les lieux consacrés par la présence du Sauveur.
L'Ouadi-Hamam (vallon des l'iycons) est ombragé des plus beaux jujubiers du monde, l'n peu plus loin , adroite, de profondes cavernes s'ouvrent dans le flanc du rocher. L'historien Josèphe nous apprend qu'elles servirent de refuge aux brigands de Syrie, qu'aucune
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force ae pouvait débusquer de ce repaire. On les con- fond avec les cavernes d'Arbéla, assez spacieuses pour contenir six cents hommes. I lès que nous eûmes atteint la plaine qui longe le lac, nous gagnons le village arabe de Medjel, qui remplace la ville de Magdala. Jésus se rendit à Magdala après le miracle de la multiplication des pains: c'est la patrie de Marie, qui en a pris le surnom 'I»' Magdalena. En suivant les bords de la nier, nous traversons une plaine magnifique remplie d'ar- bustes, d'arbres vigoureux et de hautes herbes : c'est la plaine de Génésareth, arrosée de plusieurs fon- taines abondantes. En ce moment la végétation et les fleurs embaument l'air; toute la campagne est coquet- tement parée, comme la femme mondaine dont (tarie l'Evangile.
Bethsaïde est la patrie de saint Pierre, de saint André et de saint Philippe; c'était autrefois an bourg peuplé de pêcheurs. Quelques ruines à deux pas du village en indiquent la position. Gorozaïn n'a pas même laissé de ruines. Jésus-Christ visita plusieurs fois ces villes, qui m- lui donnèrent que des témoignages d'ingratitude et d'incrédulité Aussi prononça-t-il contre e\\e> ces pa- roles de malédiction: « Malheur à toi, Gorozaïn! mal- heur à toi, Bethsaïde! parce que, si les miracles qui ont été opérés au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu'elles auraient fait pénitence dans le cilice et dans la cendre! »
Enfin nous tondions aux derniers vestiges de la ville de Gapharnaûm, seconde patrie du Sauveur, qui. comme Nazareth, a en l'insigne privilège d*ètre appe- lée sa ville, où il opéra un grand nombre de miracles
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éclatants. Hélas! que reste — t- i i dos édifices qui en fu- ient jadis l'ornement et la gloire? « Et toi, Caphar- naùm, disail le Sauveur, t'élèveras-tu toujours jus- i|h'.iii ciel? » Dos pans de muraille, quelques fûts de colonnes couchés à terre, <\<>> blocs de trachyte, des pierres sculptées, et de misérables masures arabes, voilà ce qui reste de cette cité orgueilleuse. Le site est charmant; les eaux delà mer de Galilée viennent mouil- ler doucement les débris qui couvrent le rivage, et de beaux jujubiers mêlent leurs panaches de verdure à la couleur sombre des pierres amoncelées en désordre. I ii pèlerin du xvie siècle y vit deux grands palmiers; ils sont morts, et de faibles rejetons sortis de leurs racines y croissent avec peine. Ici, suivant toute appa- rence, s'élevait l'église dédiée à saint Pierre, sur l'em- placement de la maison de sa belle -mère : on y dé- couvre la trace d'un travail des croisades. Si le monticule qui domine les décombres était fouillé, comme on a l'ail pour ceux de Ninive, l'archéologie y ferait proba- blement les découvertes les plus précieuses. Des anti- quaires ont déjà emporté (\(^ chapiteaux de marbre finement travaillés et des fragments de sculpture.Tandis que nous regardions curieusemenl ces ruines, remuant quelques- unes de ces pierres sur lesquelles peut-être se sont fixés les regards du Sauveur, un Bédouin parut toul à coup, vêtu de haillons, un long fusil à la main les yeux hagards H menaçants. Nous avions troublé jolitude; il craignail que <\<'> étrangers ne vinssent s'emparer de son domaine. Il pousse un cri sauvage, et aussitôl une bande de brigands répond à son appel. Malgré nos signes d'amitié , cette troupe, par ses gestes
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et ses imprécations, montre des intentions hostiles. Nous ne sommes pas en nombre pour lutter contre des forcenés, et, toul en taisant bonne contenance, nous commençons à battre en retraite. Il était temps. Avant de quitter Tibériade, nous avions loué une barque qui nous attendait sur la rive. C'était l'arri- vée de cette barque et la présence de nos matelots qui avaient jeté de la déliance dans l'esprit soupçon- neux des Ajrabes. Quelques coups de rames nous éloi- gnent de cette côte inhospitalière; niais comment s*' mi séparer sans évoquer les souvenirs qu'elle rappelle? Nous voguons paisiblement sur ces flots azurés que Jésus traversa tant de fois. Durant sa vie publique, le Sauveur résidail habituellement à Gapharnaûm. Il y guérit un paralytique que quatre hommes descendent à ses pieds par le toit d'une maison, tant la foule est pressée. Un chef de la synagogue se présentée lui, la figure triste, les vêtements en deuil. « Seigneur, dit-il, ma fille vient de mourir, venez lui imposer les mains, e1 elle vivra. » Jésus, attendri au spectacle de la dou- leur paternelle, le suit et entre dans sa maison. Il prend la jeune iille par la main et la rappelle à la vie. La mort reconnaît la voix puissante qui lui commande de lâcher sa proie. Ici une pauvre femme affligée d'une perte de sang depuis douze années touche le bord de sou manteau, et recouvre la saut»' qu'elle avait perdue depuis si longtemps. On peut dire que les miracles se succèdent sans interruption dans cette ville choisie; les évangélistes ne prennent pas la peine de les énu- mérer. « Le soir, disent -ils, on lui amena tous les malades et tous les possédés du démon , et il les guérit. »
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166 GALILÉE.
Je nie lève dans La nacelle qui glisse sur les eaux: j'adresse un signe d'adieu à cotte terre des miracles, et, à l'exemple d'un pèlerin du moyen âge, je m'écrie: g () patrie de mon Sauveur! champs que souvent onl foulés ses pieds divins, malgré l'état do désolation dans lequel je vous vois tristement, je vous aime par- dessus les pays les plus riches, les campagnes les plus fertiles, et les cités les plus vantées! »
SYRIE
CHAPITRE XWI
HAMAS ET BALBECK
_ • i; .Jérusalem à Damas on compte
environ 180 kilomètres, et Tibé-
J.\A fv7 \M riade est à plus de moitié chemin.
fËMËf, \ Le voyage à travers la .Indre et La
-$ Samarie ne se fait pas sans fatigue;
/" mais au delà de Tibériade, dans /s
&&& les montagnes de l'Anti- Liban ou
| à travers les hauts plateaux déserts du Hauran,
il faut \ ajouter mille dangers. Au sein de ces
régions, rarement visitées des Européens, le
fanatisme musulman est facile à enflammer;
d'un autre côté, les voleurs s'y montrent d'autant
plus audacieux, qu'il est presque impossible de les
atteindre, si toutefois, par hasard, la justice des agas
168 SYRIE.
sorl de sa somnolence habituelle pour se mettre à leur poursuite. I /A t ;i l •< • pillard connaîl les allures ordinaires flr ceux que nous appellerions chez nous 1rs ^ens de loi et les surveillants de la police; aussi dort-il en paix, -■ni- crainte et sans souci. Il ne respecte pas même les pèlnins de la Mecque. Malheur aux traînards <|iii suivenl la grande caravane de Bagdad, d'Alep et de I lamas !
Dès qu'on sorl de Tibériade, on découvre la ville de Safed au sommel d'une montagne. Bientôt aux rives encaissées de la mer de Galilée succèdent de frais val- lons, arrosés de loi daines abondantes. La végétation y paraît luxuriante, et sur le bord de source- chaudes, dont l'odeur sulfureuse trahit l'origine volcanique, elle s'épanouit plus splendidement encore. Parmi des arbres au feuillage touffu se dressent, comme dans un verger, de beaux arbres à fruits, noyers, poiriers, oliviers, grenadiers, orangers. Les coteaux sont couronnés de pampres : la vigne y produit des vins généreux, qui ne le cèdenl poinl en qualité aux laineux vins d'or du Li- ban. Par suite d'une vieille routine, les habitants du pays gardenl leurs vins dans (\r> vases en terre enduits de térébenthine ;'i l'intérieur, ce qui leur donne une odeur <•! une saveur désagréables.
Apres avoir escaladé plusieurs collines, nous mon- tons les gradins en pente douce sur lesquels s'étagenl maisons de la ville actuelle dans un désordre pitto- resque. La population de ^<\\rd esl d'environ dix nulle âmes; <'ll«' ;i beaucoup décru depuis que la cité a perdu le titre et les prérogatives de capitale de la Galilée. Au xvme siècle, le puissanl cheik Daher transporta le
DAMAS RT BALBECK. 169
siège de son autorité à Acre, sur les rivages de la Mé- diterranée. Depuis cette époque Safed n'est plus en communication avec le commerce européen, dont l'en- trepôl ''-i à Saint-Jean-d'Acre età Beyrouth ; les cara- vanes qui vont de hamas en Kgvpte, el du Caire à
gdad, moins fréquentes el moins nombreu ses qu'au- trefois, s'arrêteni à huit kilomètres environ de la ville, au khan de Joseph. Ainsi Safed a - 1 -il vu peu à peu dépérir son importance e1 ses richesses. Les Juifs y sont cependant toujours uombreux, el y jouissent de privilèges qui leur sonl inconnus dans les autres places de Syrie. Jérusalem, Tibériade et Safed sont pour eux trois villes saintes; ils croient que, lorsque le Messie viendra sur la terre, il régnera d'abord quatre ans à Safed, avant d'aller fixer à Jérusalem le siège de sa puissance. Les écoles rabbiniques de Safed ne furent pas moins célèbres que celles de Tibériade. Aujour- d'hui encore le grand rabbin fait sa résidence à Safed, où plusieurs Juifs d'FAirope et d'Asie viennent s'éta- blir vers la lin de leur vie, afin d'être ensevelis dans le cimetière où dorment leurs ancêtres. On y comptait autrefois jusqu'à trente synagogues. Actuellement il y en a deux, l'une et l'autre fort pauvres : quelques nattes d'Kgypte, des sièges de bois, des lampes de cuivre argenté, l'armoire dans laquelle est gardée la Bible, voilà tout le mobilier.
Si l'on veut se faire une juste idée de Safed, qu'on se figure cinq gros villages bâtis en amphithéâtre au milieu de ruines et d'arbres, séparés les uns des autres par d'assez larges intervalles, tous à l'ombre de la même forteresse. La plupart des maisons sont petites, carrées
470 SYRIE.
cl terminées en terrasse. Quelques-unes seulement pré- sentent quelque apparence de luxe, et encore ce luxe est-il plutôt un vestige du passé qu'une jouissance du présent. La ville n'a pas de murs d'enceinte; elle est protégée par sa position: il est vrai que la forteresse, à présenl délabrée, était bien propre à inspirer le res- pect. C'est le tremblement de terre du l(;r janvier 1837 qui l'a ébranlée, en renversant un grand nombre de maisons. Cinq mille personnes périrent dans ce dé- sastre. Du haut des murailles du château, on jouit dune vue admirable. Le regard s'étend dans un ho- rizon sans bornes, excepté du côté du nord, où il est arrêté par le mont Hermon et la chaîne voisine del'Anti- Liban. A l'ouest, dix chaînes de montagnes, à partir du lointain Garmel, viennent se dérouler à vos pieds comme des vagues immenses, brillantes ou obscures suivant qu'elles sont éclairées parle soleil; au sud-est le lac de Tibériade miroite et resplendit, ainsi que le cours du Jourdain ijiii s'enfonce comme un serpent dans une vallée profonde, au milieu d'arbustes et de roseaux.
La principale industrie de Safed consiste en teintu- reries d'indigo, dont l'art est héréditaire dans certaines familles israélites, en filatures de coton et en fabriques de toile, que les tisserands oui le secret de rendre blanche comme la neige. On y fabriquait autrefois de riches tissus de soie et des étoiles mêlées de fils d'or et d'argent. C'est ici, s'il faut en croire les prétentions des habitants, que furent inventés el exécutés long- temps les élégants tissus damassés, qui Qrenl ensuite la réputation el la fortune de Damas. Maintenant les
DAMAS ET BALBECK. 471
métiers à tisser La soie ont presque tous disparu; le Liban seul, au fond de ses vallées, à L'abri des inva- sions el des troubles politiques, a conservé la fabrique des soieries el des tissus mêlés. Les filatures de coton ne peuvent pas lutter avec celles de l'Europe, surtout exiles de L'Angleterre, qui inondent le pays de leurs produits à bon marché. Sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres, à mesure que l'influence de l'Occi- dent pénètre au sein de ces contrées, réputées inabor- dables jusque-là, le génie européen met ru évidence les vices de ces populations énervées par l'islamisme, et abruties sous le joug humiliant des Turcs.
On pourrait encore se faire illusion sur la prospérité de Safed à la vue du grand bazar ou marché qui >'\ tient tous les vendredis, semblable à celui qui a lieu tous les lundis au pied du mont Thabor. C'est un bi- zarre pêle-mêle des costumes les plus divers, dont la vue est tout à fait curieuse pour un Européen, et j'ajou- terai propre à charmer les yeux d'un artiste par la di- versité des formes et des couleurs : les Motoualis des confins de Sour. Les Bédouins du Ghor, et môme les Dru-.- de L'Anti-Liban y viennent en foule. Là, un Juif es1 à côté d'un cavalier arabe; un Turc brillant heurte un Motouali sauvage; un Moucre nazaréen fume !•■ chibouk à côté d'un Okal druse, et un riche marchand d'Acre près d'un fellah du Djolan. Les étoiles, les co- mestibles, les tentes, les cafés, les chevaux, les lances, les vendeurs, les acheteurs, les cris divers, la confusion des races, les nuages de poussière, l'effet du soleil sur cette foule en mouvement, tout cela forme un ensemble étrange, spectacle aussi neuf que surprenant. Le champ
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de foire est Le penchant occidental de la montagne, que couvre du même cote mais vers le sommet, le quartier des Juifs. Le bazar s'étend au-dessous d'un bois d'oliviers, jusqu'aux fossés de la forteresse, sur une ('tendue d'environ un kilomètre '.
Le voyageur chrétienne saurait oublier que ce même espace envahi par le tumulte fut arrosé du sang chré- tien à l'époque des croisades. Six cents soldats y furent martyrisés en 1266 par le féroce Bibars. Réduits à la dernière extrémité après une résistance héroïque, les guerriers francs avaient accepté une capitulation ho- norable. Le vainqueur leur avait promis la vie sauve et la liberté de regagner la ville de Ptolémaïs. Violateur de la foi jurée, le sultan fit désarmer les prisonniers et leur laissa le choix entre l'apostasie et la mort. Il n'y eut pas d'hésitation; tous aimèrent mieux mourir que d'embrasser la religion de Mahometileur sang coula comme un ruisseau sur le penchant de la montagne. Safed rappelle d'autres souvenirs des croisades : on attribue au roi Foulques la fondation du château, dont la garde fut confiée longtemps aux chevaliers du Temple.
Quelques voyageurs ont cru à tort que Safed est l'an- tique Béthulie, patrie de Judith. La tradition rapporte que Jésus-Christ montrait cette ville, après le discouiv des Béatitudes, en disant à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde. On ne peut cacher une ville située -m- une montagne -. »
1 Voyez Q dam ■ d'Orient , tome VII.
" Mittl,., y, 14.
D \M.\s ET BALBECK. 473
En descendant de Safed, au lieu de prendre la grande route de Damas, uous remontons vers le lac Houle et la source «lu Jourdain. La vallée du fleuve esl agréable; la fraîcheur des eaux donne naissance à une quantité d'arbrisseaux el de fleurs : ce sont des lauriers-roses, des gatiliers aux jolis épis bleus, des pieds-d'alouette, des ombelliïeres. Les berges du lac Houle sont encom- brées de joncs, de roseaux et de papyrus. Depuis longtemps déjà le papyrus est rare au bord du Nil, quoique jadis il ail été très-commun eu Egypte. Les tiges, dépourvues de feuilles, hautes de deux à trois mètres, se terminent en une large ombelle dorée, bril- lante et légère, qui se balance au vent avec grâce, et dont les anciens faisaient des couronnes pour les dieux. Pline et Théophraste ont longuement écril sur le papy- rus, et nous ont fait connaître les services qu'il rendait aux habitants de l'Egypte. Les grosses racines dessé- chées étaient employées comme bois de chauffage; elles étaient assez solides pour être ciselées en forme de coupes. On mangeait la moelle et les jeunes pousses, et les tiges encore tendres étaient rôties, afin de perdre leur fadeur et de flatter le goût. Avec les tiges entrela- cées on fabriquait des corbeilles, et même des nacelles qu'on enduisail de bitume pour les rendre impéné- trables à l'eau. L'écorce servail à faire de> voiles, des cordages, des vêtements, et surtout le papier fameux, dont on retrouve des fragments jusque sur les momies des dynasties les plus anciennes. Ces antiques papyrus, si recherchés d. •> -avants, -ont couverts d'inscriptions et de peintures. Il semble que le temps n'ait pas eu la moindre prise sur leur fragile tissu; après plus de trente
474 SYRIE.
siècles ils sont mieux conservés que les solides papiers légués par le moyen âge. La préparation des feuilles de papyrus était liés- simple. On enlevait avec soin les membranes circulaires ou enveloppes intérieures de la tige; on les étendait sur une table, en prenant soin de les rapprocher le plus possible; on les humectait légè- rement avec (le l'eau du Nil, qui servait à les coller et à les unir ensemble ; sur cette première feuille on en po- sail une seconde, en ayant soin de placer les fibres dans une autre sens; la feuille était ensuite mise en presse et séchée au soleil; enfin on la battait avec un marteau et on la polissait avec un instrument fort lisse. Lorsqu'on voulait transmettre le papier à la postérité la plus re- culée, on avait l'attention de le frotter d'huile de cèdre, qui lui communiquait l'incorruptibilité de cet arbre. L'KgypIe resta longtemps en possession de fournir le papier à toutes les nations civilisées, qui remployaient conjointement avec le parchemin. Le papier d'Egypte eut le même cours dans les Gaules qu'en Orient et en Italie, et servit à écrire les actes publics. Sous nos rois mérovingiens, il était tellement à la mode, que le par- chemin n'y l'ut presque (l'aucun usage pendant plus d'un siècle. On fixe communément l'invention du pa- pier de coton au ixe siècle; il ne tarda pas à rempla- cer le papyrus en Orient, où il pril naissance. Au XII«' siècle, ce beau papier, que l'indusirie ino- derne u'a jamais surpassé, se répandil eu Europe, où le papier de chiffon l'ut inventé vers la même époque. Imi lac Houle aux sources du Jourdain, le distance u es1 pas Longue. Banias, L'ancienne Panéas ou l'a m'a» le,
'•-I .'i un kilomètre environ de la grotte d'où jaillit la
DAMAS ET BALBECK. 175
source intermittente qui s'échappe à travers les pierres en quatre ou cinq filets. Plusieurs autres sources prennent naissance au même endroit ; car on voit l'eau bouillonner autour des rochers, et à quelques pas seu- lement «'Ile se précipite en cascades bruyantes. Rien n'r>t Irais .'i gracieux comme Les rives du fleuve sa- cré, à l'endroit où il commence son cours. Entre mille plantes qui se pressent au bord de l'eau, on distingue la véronique aquatique, avec ses jolis épis bleus de fleurs à deux étamines, des figuiers, des platanes, des saules, des mûriers, des lauriers -roses, des nii- coucouliers, le sumac, l'azédarach, aux grappes de petits fruits rouges, des rubus épineux, des cléma- tites, des chèvrefeuilles, des lianes et des vignes.
Panéas reçut le nom de Cœsarea Philippi, Cèsarêe de Philippe, en l'honneur de l'empereur Auguste, auquel elle fut dédiée par Philippe, un des fils du roi Hérode le Grand. La flatterie changea encore le nom de cette ville; le jeune Agrippa l'appela Néroniade, en l'hon- neur de l'empereur Néron. Durant les croisades, Guil- laume de Tyr l'appelait Belinas. Saint Louis s'en rendit maître, et, pendant la trop courte durée du royaume chrétien de Jérusalem, cette cité joua un cer- tain rôle, qui finit entièrement sous le gouvernement des sectateurs de Mahomet. Aujourd'hui ce n'est plus qu'un village perdu au pied des montagnes, inconnu du monde, connu seulement dee percepteurs de l'im- pôt, n'ayant gardé de sa prospérité passée que ses eaux et ses ombrages.
Pour gagner Damas , on peut suivre plusieurs che- mins; la voie principale, qui a reçu le nom de grande
476 SYRIE.
route des caravanes, n'est en réalité qu'un sentier à peine tracé, impraticable aux voitures, accessible seu- lement aux chevaux et aux chameaux. La plaine de Damas a toujours joui en Orient d'une immense et juste popularité, comme la cité a constamment occupé le plus haut rang parmi les plus opulentes villes de l'Asie. On l'aperçoit de loin. Au milieu d'une riante campagne, sillonnée de rivières répandant partout la fraîcheur et la fécondité, se dressent les nombreux minarets et les coupoles brillantes de l'antique capi- tale de Syrie. Au sortir du désert, quand on a été longtemps exposé aux brûlants rayons du soleil, sans pouvoir s'abriter sous le toit mobile du feuillage des arbres, on comprend l'enthousiasme des poètes qui ont salué Damas des noms pompeux de Perle de l'O- rient, de Paradis de la terre, de Collier de la beauté, C'est au ûeuve Baradah, qui se divise en plusieurs branches, qu'est due toute cette magnificence. Aussi les anciens i'appelaient-ils avec raison Chrysorrhoas, le fleuve aux Ilots d'or. Partout les arbres fruitiers les plus variés répandent le parfum de leurs fleurs et de leurs fruits. Ont jolies maisons de campagne se cachent au milieu de jardins enchantés. Plusieurs passages de l'Ecriture représentent Damas connue un séjour de délices el de voluptés. Tous les conquérants de l'an- tiquité s'en sont disputé la possession. Les Hébreux, les Assyriens, les Grecs, les Romains en lurent suc- ei-HYi-ment les maîtres. Vers le commencement de l'hégire, les lieutenants des califes s'en emparèrent, et depuis le viie siècle elle est toujours restée au pou- voir des musulmans.
DAMAS ET BALBECK. 477
I lamas, et l'admirable oasis qui l'entoure, on1 été de toul temps L'entrepôt el comme Le centre de toutes \e> villes commerçantes de L'antiquité : Orfa, Eiiérapolis, Babylone, Palmyre, Balbeck . Tyr, Sidon, Élath , Gaza et l'Egypte; c'étail une station nécessaire pour les ar- mées des Assyriens, des Chaldéens,des Égyptiens, des Phéniciens et de tous les peuples qui se. disputèrent l'empire de l'ancien monde.
Au temps <>ù David était dans toute sa gloire, les rois de Damas portaient tous le nom général de Eïadad, .•munie eeux d'K-ypt.- sappelaieni Pharaons. Les livres des Rois font mentionà plusieurs reprises de princes de Syrie nommés Ben-Hadad, c'est-à-dire fils de Ha- dad. Lorsque le roi Axhab contracta alliance avec Ben-Hadad, roi de Syrie, il fut stipulé que les Juifs pourraient occuper un quartier de Damas. Cette co- lonie ne tarda [tas à y acquérir de grandes richesses, comme les Juifs plus tard répandus en Europe; comme ces derniers aussi, ils excitèrent contre eux des haines violentes. Au moment où saint Paul allait à Damas persécuter ceux de ses compatriotes qui avaient em- brassé la foi de Jésus-Christ, les Juifs y étaienl nom- luvi \. L'historien Josèphe nous apprend un fait cu- rieux : c'est que la plupart des femmes de Damas pro- fessaient la religion de Mmse. La rue Droite, où de- meura saint Paul, subsiste encore, et elle porte le même nom; elle était située dans le quartier des Juifs. La parole ardente de L'Apôtre retentit dans La syna- gogue. « Saul confondait Les Juifs qui demeuraient à Damas, leur prouvant que .Jésus est le Christ. » L'au- teur des Actes des Apôtres, qui raconte en ternies si
178 SYRIE.
simples el si laconiques le résultat de la première pré- dication «h' saint Paul, nous fait connaître aussitôt l'ar- gumenl «ks Juifs contre lui, argument auquel il n'y a
pas de réplique. Les Juifs, dit l'historien sacré, réso- lu] vi it (le le l'aire mourir l. Chacun sait comment il réussit à éviter ce genre (l'argumentation. Pendant la iinil , les fidèles le descendirent dans une corbeille par- dessus le rempart de la ville. On montre encore au voyageur l'endroit où eut lieu l'évasion de l'Apôtre. Sur les murailles cent fois réparées, mais dont quelques parties composées de blocs énormes sont dues aux Phéniciens d'après les antiquaires, de pauvres fellahs ont appuyé leurs maisonnettes, de même qu'en Egypte ils ont élevé leurs chétives demeures sur les temples et les palais des Pharaons. Il serait facile, comme au temps de saint Paul, de faire descendre quelqu'un dans les fossés, sans éveiller le moindre soupçon, en em- ployant le même stratagème. A un kilomètre environ de la porte méridionale de la ville, à l'endroit où se trouve le cimetière des chrétiens, le persécuteur fut renversé sur le chemin , ébloui d'une lumière céleste, et changé au son d'une voix qui disait: « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous?» Les chrétiens avaient érigé une église sur remplacement où eut lieu ce pro- dige. Il n'en reste plus qu'un monceau de ruines el des colonnes ('tendues par terre. Chaque année, le jour de
la Conversion de saint Paul, les chrétiens de Damas y viennenl processionnellement. La chrétienté fondée par Ânanie a toujours eu des
' A. t.. ix, 22, • ■
l»A.M.\s ET BALBECK. ',:•»
membres fervents, malgré le fanatisme musulman, plus âpre ici que partout ailleurs, au moins jusqu'à ces derniers temps. Séparée du littoral de la Méditer- ranée par une double chaîne de montagnes, ouverte seulemenl du côté du désert, La ville de Damas esl restée en communication presque exclusivement avec les tribus arabes nomades , et avec les villes de Bagdad, d'Alep et de la Mecque. Il est aisé de comprendre pourquoi, dan- un isolement aussi complet de l'Eu- rope, elle a conservé les traditions intolérantes de l'islamisme primitif. Ici se réunissent les bandes d'in- nombrables pèlerins allant au tombeau de Mahomet, excitées à la fois par L'enthousiasme religieux et par les fatigues d'un pénible voyage. Lorsque les caravanes reviennent du fond de l'Arabie, décimées par les pri- vations et les maladies, exaltées par le souvenir des lieux qu'elles ont visités, et qui ne rappellent que les combats, les succès et les doctrines sauvages du fon- dateur de l'islamisme, elles attisent partout le feu du fanatisme musulman. Malheur aux familles chrétiennes qui se rencontrent sur le passage de ces forcenés, dont I exaltation approche du délire! La caravane passe eoiiin e un orage, jalonnanl sa marche d'une longue traînée de sang, de ruines e1 de cendres.
A l'époque des croisades, les chrétiens tirent plu- sieurs tentatives pour se rendre maîtres de Damas. En 1 1 i8, eut lieu la plus célèbre des expéditions orga- nisées contre ce boulevard des infidèles. Les chrétiens se crovaienl -fus de la victoire; ils avaient à leur tête Conrad, empereur d'Allemagne; Louis VII, roi de France; Baudouin III, roi de Jérusalem, sans compter
480 SYRIE.
mille braves chevaliers accoutumés au dur métier des .unies. Déjà nos soldais occupaient les champs fertiles qui entourent Damas. La résistance la plus opiniâtre, et cent combats meurtriers n'avaient pu les arrêter. On se disposait à ouvrir le siège et on entrevoyait l'issue de cette glorieuse campagne, quand la dis- corde vainquit ceux qu'une lutte sanglante n'avait pu ébranler. La cause des dissensions fut le partage an- ticipé d'une ville qu'on n'avait pas prise encore; quel- ques-uns voulaient d'avance en donner la principauté à Thierri d'Alsace.
ce Le roi de Jérusalem, dit l'historien des croisades, marchait à la tète de son armée et des chevaliers de Saint- Jean et du Temple; après les chrétiens d'Orient s'avançaient les croisés français, commandés par Louis VII. L'empereur d'Allemagne, qui avait rassem- blé les débris de son armée, formait le corps de ré- serve, et devait garantir les assiégeants des surprises de l'ennemi.
ce Le roi «le Jérusalem poursuivait les musulmans avec ardeur; ses soldats se précipitaient avec lui dans les rangs ennemis, et comparaient leur chef à David, qui.au rapport de Josèphc avait autrefois tué un roi (If Damas. Les Sarrasins s'étaient réunis sur le bord de la rivière qui coule sous les murs de la ville, pour en écarter à coups do traits et de pierres les chrétiens accablés par la chaleur, la soif et la fatigue. En vain les guerriers commandés par Baudouin s'efforcèrent plusieurs lois d'enfoncer l'armée des musulmans, ils trouvèrent une résistance invincible : ce l'ut alors que l'empereur d'Allemagne signala sa bravoure par un fait
DAMAS E I BALBECK. 181
d'armes cligne des héros de La première croisade. Sur\ i d'un petit nombre des siens, il traverse l'armée fran- çaise, que la difficulté des lieux empêchait de com- battre, et vient prendre -a place à l'avant-garde des croisés. Rien ne résistée son attaque impétueuse; tous
ennemis qu'il rencontrait tombaienl sous ses coups, lorsqu'un Sarrasin d'une taille gigantesque, et couvert de ses armes, s'avança au-devant de lui pour le défier et le combattre. L'empereur allemand accepte le défi. • ■I vole aussitôt à la rencontre du guerrier musulman. A la vue de ce combat singulier, les deux armées im- mobiles , saisies de crainte, attendaient qu'un des deux champions eûl terrassé son adversaire, pour recom- mencer la bataille. Bientôt le guerrier sarrasin est renversé de son cheval; un coup d'épée déchargé sur l'épaule du musulman avait partagé son corps en deux tronçons. Ce prodige de force et de valeur redoubla l'ardeur des chrétiens, et jeta l'effroi parmi les infi- dèle-.. Dès lors les musulmans se préparèrent à cher- cher leur sûreté dans la ville, ei laissèrent les croisés maîtres des bords de la rivière. Mais l'ambition des chefs de l'armée lit perdre le fruit d'une grande vic- toire, et, la division -étant mise parmi eux, le déses- poir s'empara de l'armée, qui abandonna au bout de quelques jours une entreprise dont les préparatifs avaient occupé l'Europe et l'Asie. »
En entrant à Damas , nous avons l'imagination toute remplie de ces souvenirs de bataille. Durant tout notre voyage d'Orient, pas une seule journée ne s'est écoulée -ans ( pie notre mémoire ait évoqué le nom et les hauts faits de nos pères des croisades. Si ces lointaines ré-
31
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gions, aujourd'hui si tristes et presque toutes si déso- lées, n'étaienl pas animées par ces grandes figures de l'histoire du peuple «le Dieu et (les guerres saintes, vaudraient -elles la peine d'être visitées an prix de l.nil .le périls et de fatigues'/
La population actuelle de Damas est d'environ 110,000 habitants, dont 94,000 musulmans, 12,000 chrétiens e1 i,000 juifs. Los rues sont assez larges, el même assez propres pour une ville d'Orient. Les maisons sont basses, mal bâties, de chétive appa- ivnee. Au premier aspect, on se croirait plutôt dans un gros village que dans la capitale d'une florissante province de l'Asie, si l'on ne rencontrait de distance en distance de grands édifices, des mosquées, des murailles gigantesques, de fortes tours, de riches bazars, des places publiques où fourmille une popu- lation innombrable. Les logis les plus considérables ne montrent aucune architecture à l'extérieur: on n'y voil point, comme au Caire, ces tourelles en encor- bellement, ces balcons en bois, ces arabesques et ces mille ornements capricieux que le goût arabe a intro- duits jusque dans les villes du midi de l'Espagne. Dans la capitale de l'Egypte, ces constructions élégantes sonl souvenl couvertes de nattes, de chiffons e1 de gue- nilles pour empêcher la chaleur de pénétrer dans les appartements; étrange étalage de luxe el de misère : architecture savante, fines ciselures, sculptures déli- cates cachées sous des lambeaux d'étoffes bariolées de mille couleui .
A Damas, le luxe des maisons esl tout intérieur. On esl étonné, derrière une façade si modeste, de trouver
DAMAS E I BALBEGK. 483
réunies toutes Les merveilles de L'opulence orientale : vastes cours el bassins de marbre, jets d'eau et cas- cades, bosquets fleuris, plantes rares exhalant des parfums exquis, arceaux élégants, tapis moelleux, pein- tures délicates, plafonds ornés de pendentifs, sofas couverts de riches étoffes de soie brochées d'or, vases précieux, etc. Ici se pressenl Les objets -ans nom que La mollesse asiatique a su créer et multiplier. Dans ces splendides demeures régnent une fraîcheur délicieuse en été, Le calme. Le silence, la poésie: c'est le séjour féerique décril dans Les Mille et uneNuits. Les fenêtres sont étroites et élevées afin de laisser L'air circuler li- brement. Une ou deux petites fontaines murmurent au milieu ou aux angles du salon.
Le grand bazar est une des principale- curiosités de Damas; il est plus riche peut-être que ceux de Con- stantinople et du Caire. On y trouve tous les objets de luxe de l'Orient et mille produits de l'industrie euro- péenne apportés d'Angleterre, de France et d'Alle- magne. Ce marché ressemble un peu aux champs de foire de nos villes. Le grand bazar a environ deux ki- lomètres de Long; c'est une Longue rue couverte de charpentes et bordée de boutiques, d'échoppes, de magasins, de cafés. Ces boutiques soni étroites et peu profondes;le négocianl esl assis surses talons devant sa boutique, la pipe à la bouche ou le narguilé à côté de lui. Les magasins sont remplis de marchandises de toutes sortes, et surtout d'étoffes des Indes, qui affluent à Dama- par les caravanes de Bagdad. Des barbiers invitent les passants à se faire raser Les cheveux: leurs échoppes sont toujours pleines de monde. Une foule
iS', s MME.
aussi Qombreuse que «-elle des galeries du Palais-Royal circule tout le jour dans le bazar. Mais le coup d'œil de celte foule est infiniment plus pittoresque. Ce sont des agas, vêtus de longues pelisses de soie cramoisie. fourrée de martre, avec des sabres et dos poignards enrichis de diamants, suspendus à la ceinture. Ils sont suivis de cinq ou six courtisans, serviteurs ou esclaves, qui marchent silencieusement derrière eux, et portent leurs pipes e1 leur narguilé : ils vonl s'asseoir, une partie du jour, sur les divans extérieurs des cales bâtis au bord des ruisseaux qui traversent la ville; de beaux platanes ombragent le divan : là ils fument et causent avec leurs amis, et c'est le seul moyen de communi- cation, excepté la mosquée, pour les habitants de l 'amas.
Les Arabes du grand désert et ceux de l'almyre sont en foule dans la ville et circulent dans le bazar; ils n'ont pour vêtement qu'une large couverture «le laine blanche, donl ils se drapent à la manière des statues antiques. Leur teint est hâlé, leur barbe noire; leurs yeux sont féroces. Il> forment des groupes devant les boutiques des marchands de tabac, el devant les sel- liers et les armuriers.
Chaque genre de commerce et d'industrie a son quartier à pari dans les bazars. Là sont les armuriers, qui sont loin d'offrir les armes magnifiques el renom- mées que I >amas livrait jadis au commerce du Levant. Les selliers sonl les plus ingénieux ouvriers de ces bazars : rien n'égale en Europe le goût, la grâce et la richesse des harnais de luxe qu'ils fabriquent pour les chevaux des chef.- arabes ou des agas du pays. Les
I>.\ mas ET BALBECK. 185
selles sont revêtues de velours el de soie brochée d'or et de perles. Les colliers de maroquin rouge, qui tom- bent en frange sur le poitrail, sonl ornés également de glands d'argenl el d'or,e1 de touffes de perles. Les brides, infiniment plus élégantes que les nôtres, sont aussi toutes de maroquin de diverses couleurs, et décorées de glands de soie et d'or '.
L'activité du bazar esl un indice certain de la pro- spérité de la ville. Les monuments que nous allons décrire dans le chapitre suivant attestent l'impor- tance <lc Damas dans le passé. Enfin de modestes établissements dus à la charité de l'Europe renferment les germes de l'avenir.
i Voyage 'l'Orient , tome III, pages 07 et suiv.
CHAPITRE XXVII
HAMAS ET BALBECK
(sun i i
uel que soit le degré de pro- spérité auquel on suppose que puisse atteindre Damas, la posi- tion de celle ville ne serait pas favorable à la capitale d'un grand empire. L'éloignement de la Mé- diterranée, l'absence d'un fleuve qui la mette en rapport avec la mer, les barrières naturelles qui l'isolent, soit du côté des montagnes, soit du côté du désert, la difficulté, pour né pas dire l'impossibilité de tracer de longues voies de comniuuicalion, véritables artères dans lesquelles circulent l,i vie et l;i richesse d'une nation, la privenl d'avantages que rien ne saurait rem-
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placer : les agréments ne valent pas la force. Aussi l'histoire nous montre -t- elle constamment Damas comme une cité vaincue, jamais dominatrice, passanl successivemenl sous la loi <l<'s Babyloniens, des Perses, des Macédoniens e1 des Romains. Ce ne fut habituel- lement qu'une ville du second ordre, un entrepôt de commerce, une étape militaire, un point de ralliement, un centre d'administration, une espèce d'observatoire politique. L'empereur .lu lien, auquel personne n'a con- testé la justesse des aperçus en matière de gouverne- ment, disait que Damas était Viril de tout l'Orient.
Vue de loin, la citadelle de Damas offre un aspect imposant; de près ce n'est rien. Qu'on se figure un amas de décombres de toutes les époques, objet d'é- tude intéressant pour l'archéologue, ruines de toutes les architectures qui ont reçu un nom dans le monde savanl ; mais construction militaire qui n'arrêterait pas deux jours un régiment français. Ce n'est plus que l'ombre d'une forteresse, autrefois considérable. Ad- mirez l'incurie du gouvernement turc: au dehors, des pans de murailles lézardés et croulants sont une me- nace perpétuelle pour les soldats qui chaque jour passenl à côté; au dedans, dr> cours encombrées de pierres, de poutres, de sables et d'herbes. Aujourd'hui cette citadelle est le lieu le moins sûr de la ville. Dans un coin, quelques vieux canons sans affûts s'oxydent sans que personne paraisse s'en soucier le moins du monde. Les soldats logés dans cette grande caserne sont plus occupés à fumer leur pipe qu'à se perfec- tionner dans les exercices militaires; il est vrai que leurs chefs les abandonnent à haïr nonchalance pen-
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danl île- semaines entières. Si le pacha garde et entre- tient à grands frais ces troupes indisciplinées, c'est qu'il en a parfois besoin pour réprimer des insurrec- tions qui t'clalent dans la ville, ou pour repousser les Bédouins qui viennent piller la campagne.
Gomme tant d'autres antiques monuments militaires, la citadelle de Damas porte la trace de toutes les con- quêtes et de toutes les révolutions qui ont bouleversé la Syrie. Chaque couche de débris rappelle un nom ou une époque sinistre : tous les conquérants, depuis Tamerlan jusqu'à Ibrahim- Pacha, ont marqué leur passage par des ruines amoncelées sur d'autres ruines. Les étrangers cependant ont de la peine à entrer dans la citadelle : les Turcs ont peur sans doute de livrer à tous les yeux le spectacle de leur fai- blesse.
Le plus ancien édifice religieux de Damas est la grande mosquée, jadis église Saint-Jean. A l'époque de la conquête musulmane, ce sanctuaire vénérable, où 1rs pèlerins affluaienl de toutes les provinces voisines, fui d'abord partagé entre les disciples de l'Evangile el les sectateurs du Coran. Mais cet état de choses ne pouvait durer longtemps : les chrétiens, gênés par le rapprochement de leurs fanatiques voisins, ne pou- vaienl ni sonner les cloches, ni même chanter les hymnes de La liturgie; les musulmans en voyant les chrétiens grinçaienl des dents. Le calife Abd-el-Me- lickj fidèle interprète des sentiments de se- sujets, fit valoir les droits du plus fort, el s'empara de tout l'édi- fice. Armé d'une pioche, le calife monta sur le faîte de l'église, et renversa une pierre, aux applaudisse-
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ments de la multitude. Les émirs imitèrenl son exemple, mille bras se levèrenl en même temps, el l'œuvre de la destruction lut bientôl consommée : voûtes, arceaux, chapelles, autels disparurenl en un clin d'oeil. Les chrétiens jetaienl des cris de désespoir; comme ils étaienl forts el uombreux, on leur assura pour 1rs calmer la conservation de quatre églises à l'in- térieur de la ville, et de l'église Saint-Thomas dans un faubourg.
Pour construire la mosquée, le calife lit venir douze mille ouvriers grecs habiles à tailler le marbre. Le gé- nie des architectes byzantins n'est pas moins apparent ici que la main «les (irecs. Preuve nouvelle à joindre à tant d'autres, que l'architecture des Arabes dérive de celle de Gonstantinople. Pour s'en convaincre, il aurait suffi de jeter les yeux sur la coupole princi- pale, élevée sur pendentifs. A cause de sa hauteur et de la hardiesse du bâtiment, on l'appelait la coupole de l'aigle.
Les conquérants, beaucoup plus adroits à manier 1rs armes que les instruments de l'architecte, furent ravis en extase à la vue de ce grand édifice. Dans leur naïf enthousiasme, ils le saluèrent comme une des mer- veilles du monde. Le pavé étail forméde mosaïques, et les murailles étaient incrustées de marbres précieux jusqu'à une hauteur de plusieurs mètres : au-dessus une vigne en or étalait ses rameaux, comme une frise splendide. Plus haut, des encadrements renfermaient M.s tableaux composés de petits cubes dorés, rouges, verts, bleus, blancs, représentant tous les pays connus. Le plan de la mosquée était à trois nefs, comme celui
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des basiliques, el la coupole centrale était accompagnée de deux autres coupoles de moindre dimension. Le toit, dont la charpente ('tait apparente au-dessus des nefs, étail revêtu à l'intérieur de lames d'or et de peintures. Plusieurs colonnes en granit, en porphyre, en syénite, avaient été apportées d'Egypte à grands Irais: elles étaienl couronnées de chapiteaux dorés. Dans la con- struction de la niche où le Coran est. déposé, on avait employé deux pierres qu'on prétendait avoir appar- tenu au trône de la reine de Saha. Six cents lampes étaient suspendues au plafond par des chaînes d'or et d'argent. Lorsque l'œuvre fut achevée, le calife convo- qua les habitants de Damas, et leur dit avec fierté: « Vous aviez déjà quatre merveilles que le reste du monde vous envie : l'air, l'eau, vos jardins et vos fruits; moi. je vous eu donne une cinquième, cette grande mosquée. »
après avoir soufferl des injures du temps, cet édifice tut en grande partie détruit par les hordes de Tamer- l.iii en I iOO. Le féroce Tartare avail promis d'épargner tous ceux qui s'étaient réfugiés dans la mosquée, comme dans un asile inviolable. On dit que trente mille personnes, confiantes dans la parole du vain- queur, s'y étaient entassées. Au mépris de la fui ju- rée, le barbare lit entourer le temple de bois et d'au- tres matières inflammables, auxquelles il mil lui-môme h' feu. Tous ces malheureux périrenl étouffés par la fumée "H consumés par les flammes. La coupole <!<• l'aigle, calcinée par la violence de l'incendie, s'é- croula sur ces tristes victimes d'une fureur sau- vage.
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La restauration de l'édifice fut entreprise grâce au zèle et aux largesses du sultan d'Egypte; mais la nou- velle mosquée resta de beaucoup inférieure à l'an- cienne. Jusqu'à ces dernières années, l'entrée en était sévèrement interdite aux chrétiens. Depuis la guerre de Grimée, les Européens ont réussi à s'en l'aire ou- vrir les portes. Plusieurs parties remontent évidem- ment à la construction primitive: les chapiteaux res- semblent à ceux des églises byzantines; de curieux fragments de mosaïques ont échappé à l'action du temps et aux ravages des flammes. Quoique l'archéo- logie trouve ici matière à plus d'une observation inté- ressante, il faut en convenir, la grande mosquée de Damas jouit d'une réputation usurpée; elle a conservé le prestige de sa célébrité jusqu'à nos jours unique- quement parce qu'elle était inaccessible
Les chrétiens possèdent à Damas plusieurs églises, plus remarquables par leur antiquité et les souvenirs religieux qui s'y rattachent, que par la grandeur, la richesse et la beauté de l'architecture. Nous ne pou- vons les décrire; mais nous ne devons pas omettre de faire mention du sanctuaire élevé sur remplacement de la maison d'Ananie; celle de saint .Inde, où saint Paul recouvra la vue, a été transformée en mosquée. Les Grecs catholiques ont fait bâtir récemment dans leur quartier une fort belle église, une maison spa- cieuse où Tévèque mène la vie commune avec son clergé, une école et un hôpital. Ces établissements sont dus au zèle et aux libéralités du patriarche Mazloum. Les Syriens, les Arméniens, les Maronites, les Pères de Terre-Sainte, les Lazaristes et les Sœurs de Charité
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ont des couvents et «lis églises séparées. Tous les ca- tholiques se font remarquer par leur régularité; mais. hâtons-nous de le dire, l'avenir de la religion est entre les mains des pieux curants de saint Vincenl de Paul. Les Lazaristes ont une école florissante fréquentée par trois cents entants, auxquels ils enseignent le turc, l'arabe, 1»' français, les éléments de la géogra- phie, de l'histoire et des mathématiques. Les Sieurs de Charité ont également une école et un ouvroir, où se pressenties jeunes tilles de toute religion, de toute race et de toute couleur. L'influence de ces «lignes religieuses, comme celles qui amènent de grands et durables résultats, est obscure et presque insensible; Faction s'en fera sentir à mesure que ces jeunes filles deviendront mères de famille. La régéné- ration de l'Orienl aura lieu grâce aux femmes, paire que, comme a dit Fénelon, si les hommes font les lois, les femmes font les mœurs. La législation a une grande puissance sur le progrès <\r> sociétés: les mœurs sont, encore plus puissantes, et les véritables révolutions sociales se préparent auprès du foyer domestique. En Asie, la femme a été humiliée; par un juste décret de la Providence, c'esl à la femme que sera due la régéné- ration de lanl de populations abâtardies. À Damas, la cité sainte, où l'islamisme, comme partout, a dé- gradé la compagne de l'homme, la Fille de Charité, sans autre sauvegarde que sa vertu, sans autre pro- tection que son modeste habit et sa cornette si po- pulaire, est respectée de tous, je devrais dire admirée et aimée de tous. Chaque joui- les Sœurs de Charité distribuent gratuitement des remèdes et pansent les
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plaies de ceux qui peuvent venir au dispensaire. Les maladies les plus dégoûtantes o'effraient pas leur cou- rage; aucune infirmité oe fatigue leur dévouement. Nul spectacle, nous l'avouons, n'a produit une im- pression plus vive sur notre esprit que celui tli.nl ii. .11- avons été témoin à Damas dans L'humble habi- tation des tilles .le suint Vincent de Paul. En face de pieuses filles, et pour la première fois depuis de longs siècles, les populations si divisées dans ce pays se sont rencontrées sans se maudire: la charité évan- gélique a opéré ce miracle. Attendons patiemment; l'œuvre de Dieu s'accomplira. Si le progrès nous semble lent, il D'en es1 pas moins réel: nous verrons me.. iv ici, comme dans d'autres régions , l'accomplis- sement de cette parole admirable : c Dieu a choisi La faiblesse pour confondre la fore.'. .»
Les environs de Damas ne sont pas moins curieux à visiter «pie L'intérieur de la ville. En commençanl une de nos promenades, nous nous arrêtons à la maison de saint Jean Damascène. La forme en est sem- blable à celles des autres maisons; mais elle est bâtie m assises de pierres alternativement blanches et noires. On y reconnaît Les signes d'une haute anti- quité; elle esl ..niée d'arabesques el surmontée d'une coupole. Ce u'esl pas un sanctuaire; elle esl habitée par une famille chrétienne. A l'ouest, le village de Salahié, resserré entre Les montagnes et les jardins. occupe remplacement de L'ancienne cité de Damas renversée par Xabuchodonosor. Nous visitons le mo- nument des Quarante Martyrs, la grotte de Saint- Georges et la caverne 7"/' pleure la. mort d'Abel. Des
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gouttes d'eau qui suintent à la voûte sont les larmes de la montagne, qui n'a pas cessé de pleurer depuis le premier meurtre commis sur la terre. Un Arabe qui nous sert de guide nous raconte la tradition du pays, eu huit conforme au récil biblique. Il ne faut pas ou- blier ici de faire mention de la légende qui assure qu'Adam fut créé dans la plaine de Damas, et que nos premiers parents y habitèrent aussi longtemps qu'ils persévérèrent dans l'état d'innocence. Placés à un balcon du bâtiment qui s'élève au haut de la mon- tagne, nous avons sous les yeux le panorama de la ville actuelle et des jardins de Damas. Quel spectacle magique! L'horizon est fermé par le lointain Djebel- el-Scheik el la chaîne de l'Anti-Liban, découpée en festons fantastiques sur l'azur profond du ciel et cou- ronnée par le grand Sermon, dont la tête blanche se couvre de neiges éternelles. La plaine, aussi loin que s'étend la vue, ressemble à une foret verdoyante, et quelle forêt! orangers, noyers, abricotiers, cerisiers. oliviers, figuiers, pêchers, grenadiers, poiriers, pom- miers, mûriers et mille autres arbres utiles et agréables. Sept rivières arrosenl ces campagnes; el au nord-est, à une distance que l'œil ne peut mesurer, on aperçoit les lacs tranquilles où ces cours d'eau vont se perdre. A l'orient, courenl les collines, légèremenl ondulées, derrière lesquelles se cachenl les ruines de Palmyre et des tribus d'Arabes indomptés. Plus près de nous, la ville de Damas avec ses maisons blanches, ses mina- retsj ses mosquées, ses vieux remparts el les hautes murailles «le la citadelle; le faubourg fameux «le Meï- 'l'in. et les villages charmants de Schaïdé, Derahié,
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Barzé; le fond du tableau rempli de la silhouette des montagnes que dous allons bientôt traverser pour aller à Balbeck. Barzé a su. -d'il.'' au village de Eioba, où Abraham s'arrêta dans sa poursuite contre les mis qu'il avait vaincus à Dan, près des sources du Jourdain, el auxquels il lit expier l'enlèvement de Loth,
- îeveu.et le pillage des villes de la Pentapole. Les
environs de Damas conservent le souvenir de plusieurs laits bibliques, le tombeau d'Abel, le sépulcre de Noé, sur le chemin de Balbeck, celui d'Elisée, la grotte d'E- lie, etc. Toutes ces attributions ne sont pas égale- ment fondées. Nous avons tenu cependant à visiter tous les lieux consacrés à ces grands souvenirs histo- riques.
Nous quittons Damas en sortant par la porte orien- tale, «pie les chrétiens appellent la 'porte de saint Paul; nous longeons les remparts, et bientôt nous sommes au pied des montagnes qui bordent les larges et fertiles plaines de la Cœlésyrie. Notre première sta- tion est à Dimàs, village -ans importance, sur les pre- miers gradins de l'Anti-Liban. Les livres saints con- fondent sous le nom général de Liban le groupe de montagnes qui séparent la Palestine de la Syrie. La partie occidentale de cette chaîne de montagnes est le Liban proprement dit; les Grecs ont nommé Anti- Liban la partie orientale, séparée de la première par les vallées de Cœlésyrie ou Syrie creuse. Les versants des montagnes qui forment le bassin delà Cœlésyrie sont arides; tandis que les rampes opposées, regardant d'un côté la Méditerranée, et de l'autre côté la plaine de Damas, sont couvertes de la plus abondante végétation.
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Quoique le grand llermon, la cime la plus élevée de tout ce système de montagnes, appartienne à l'Anti- Liban , on ne trouve dans cette dernière chaîne aucune des scènes grandioses qui ont rendu le Liban célèbre. La température est généralemenl froide dans toutes ces vallées ouvertes du uord au midi; des cours d'eau nombreux y entretiennent une fraîcheur constante el sont favorables à la culture. Aussi les habitants de ce petit coin de terre sont-ils laborieux, industrieux et riches. La plupart sont chrétiens. Durant les persécu- tions, fuyant les villes, chassés souvent de leurs vil- lages, ils ont trouvé un asile entre un double rempart de rochers. Ils y ont goûté une liberté et une sécurité auxquelles ne sont guère habitués en Orient les disci- ples de l'Evangile. Cent villages continuent d'y pro- spérer. L'agriculture y est en honneur; et là seulement les métiers pour la fabrication des tissus de soie ne cessenl de battre et de livrer au commerce ces belles «'toiles si vantées et si dignes de l'être. Zachlé ou Zahleh esi maintenant une ville d'environ 10,000 habitants. On y compte vingt églises catholiques, petites et pau- vres à la vérité, mais fréquentées. Les jésuites y onl un établissement ou mission donl la juridiction em- brasse dix -sept villages; leur école est très-llorissanfe. Le directeur nous en fit. les honneurs de la manière la plus charmante. Nous trouvâmes plus de six cents «'niants debout, sous de magnifiques noyers, serrés sur plusieurs rangs, montrant peinl sur leur physio- nomie le sentiment (Tune joie pure et tout enfantine. A notre arrivée, ils nous saluèrent par des battements de mains, des hourras et cette phrase arabe cent ibis
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répétée: Que Dieu vous accorde victoire et prospérité. Ils chantèrent ensuite des cantiques en français, en italien, en latin, en syriaque et en arabe. Non- ('lions touchés jusqu'aux Larmes en entendant retentir les doux accents de notre langue maternelle sur les lèvres de ces jeunes chrétiens arabes, grecs, druses, maro- nites, entre les montagnes du Liban. Nous ne saurions nous montrer trop reconnaissants envers ces pieux missionnaires, qui affermissent tant de jeunes intel- ligencesdans la toi, et leur apprennent en même temps à connaître et à aimer la France, protectrice séculaire et avouée du catholicisme en Orient.
Quand on a traversé la grande plaine que les Arabes appellent El-Buckaah, on découvre la campagne et les ruines de Balbeck. A droite et à gauche, le long du chemin, gisent des débris considérables d'édifices iso- lés, de villages et même de villes: décombres mainte- nant sans nom. De Zachlé à Balbeck il y a environ vingt-huit kilomètres. Selon le sentiment commun des interprètes, la ville de Baal-Gad ou de Baalath, mentionnée au livre de Josué et au IIIe livre des Rois, aurait précédé celle de Balbeck. Les Grecs la nom- mèrent Héliopolis, Cité du Soleil^ en traduisant dans leur propre langue le nom quelle portait en hébreu. Gomme Palmyre, elle fut restaurée, agrandie ou même rebâtie par les soins de Salomon. Ce prince y possédait un palais, et il est probable qu'il y fit construire un temple : ces édifices seraient encore reconnaissables aux blocs énormes posés dans les fondations et qui constituent ce que les archéologues ont désigné à Jé- rusalem et ailleurs sous le nom d'appareil salomonien.
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S'il faut en croire Macrobe, les Égyptiens introdui- sirent i'M ce lieu le culte du Soleil et dévoilèrent les infâmes mystères de Baal ou d'Ammon-Ré. Avant l'arrivée des Israélites sous la conduite de Josué, le culte de Baal dominait dans le pays de Ghanaan et les régions voisines. Trop souvent le peuple de Dieu se laissa séduire par l'exemple contagieux de ses voisins, et sacriliit aux idoles de lîaal sur les hauts lieux et dans des bocages. L'Orient, il faut l'avouer, s'est toujours déshonoré au service de cette impure idole; les vices des musulmans ne sont qu'une tradition des turpitudes païennes. Les tètes d'IIéliopolis étaient renommées : la dépravation y atteignait la dernière limite. L'immo- ral i lé des cérémonies de Baal fut condamnée par Con- stantin; ce prince chassa de leurs temples tous ces Héliogabales monstrueux, dont un avait occupé le trône (\v<, Césars pour montrer aux veux du monde à quel degré d'avilissement peut descendre la nature humaine. Un demi -siècle après la mort du premier empereur chrétien, Julien l'Apostat rouvrit les sanc- tuaires de l'.aal et les temples de llalbeck. Les mau- vaises passions y rentrèrent; mais leur triomphe fut de courte durée. L'indignation du monde chrétien lit
cacherdans les ténèbres les secrets de la débauche (pie
la conscience publique n'a jamais laissés depuis paraître .m grand jour. Théodose le Grand prit les mesures les plus efficaces pour empêcher le paganisme de rétablir ies écoles de prostitution, et beaucoup de temples furenl renversés de fond en comble. Ceux de llalheck furenl Fermés, el le principal lui converti en église, comme cela avait eu lieu précédemmenl sous Constantin.
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Bientôt la Palestine et La Syrie turent en proie à des invasions fréquentes et à toutes les horreurs de la guerre. En 636, les troupes d'Omar prirent Balbeck d'assaut, pillèrent les maisons, passèrent les habitants au fil de Pépée et ruinèrent plusieurs édifices. Ces barbares, entraînés par un fanatisme aveugle, ne liront aucune attention aux chefs-d'œuvre que la civi- lisation romaine avait réunis dans cette ville. C'est, en etî'et, auxAntonins que l'on attribue généralement la construction des monuments dont aujourd'hui tous les voyageurs admirent les ruines magnifiques. Après avoir souffert de nouvelles calamités de la part des Perses, des Mongols et des Turcs, Balbeck fut réduit à l'état misérable où nous le voyons. Ce n'est plus qu'un pauvre village; et l'évèque grec qui y réside est en butte aux vexations des musulmans, ainsi que les rares chrétiens qu'il gouverne. La plupart des voya- geurs de l'Europe cependant reçoivent l'hospitalité la plus bienveillante dans la masure qui lui sert de pa- lais épiscopal. Personne ne soupçonnerait l'existence de la petite bourgade de Balbeck, habitée par des Métoualis de la pire espèce, sans les magnifiques débris qui s'étendent à quelque distance, du côté de l'ouest, sur l'emplacement de la cité antique.
Tous les bâtiments étaient construits sur une espèce de vaste terrasse entourée de murs. La terrasse n'a pas moins de trois cent quarante mètres de longueur, sur une largeur de cent mètres, et la muraille qui la sou- tient est formée de blocs énormes qui ont excité Yé- tonnementdetous les voyageurs. La plupart des pierres onl une dimension colossale ; Wilson en a trouvé une
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qui a soixante- neuf pieds (23m) de Long, dix-huit (6m) de large, et treize (4m 33e) de haut; par conséquent seize mille cenl quarante-six pieds cubes. Nous en avons mesuré une qui avait vingt mètres de longueur, cinq mètres d'épaisseur et trois mètres de hauteur. Ce qui est plus étonnant, c'est que les plus grosses pierres ne sont pas à (leur «le tenv: elles forment la troisième assise, et il a fallu les élever à une hauteur d'environ six mètres. On se demande avec effroi quelles forces ont pu suffire à remuer et à soulever de pareille- masses: et quand ou songe que la carrière d'où «'lies ont été tirées est située à plus d'un kilomètre de di- stance, on comprend que les habitants du pays, dans leur admiration superstitieuse, attribuent à la puis- sance des liéuies la translation de ces blocs qui sem- blent défier les forces humaines. L'obélisque de la place de la Concorde.à Paris, qui a exigé le déploiement <\<' toutes les ressources de la mécanique moderne pour être érigé sur sa base, es1 un médiocre monolithe à côté des immenses pierres de Balbeck.
Trois temples ont laissé «les ruines plus ou moins bien conservées, mais toutes d'une rare magnificence d'architecture. Au lieu d'en faire une froide descrip- tion . nous placerons sous les yeux du Lecteur les lignes poétiques de M. de Lamartine.
« Arrivé, dit-il, sur !«• sommel de la brèche [qui mène sur la terrasse |. nos yeux ne savaient où se po- ser : c'étaienl partout des portes de marbre d'une hau- teur '•! d'une largeur prodigieuses; des fenêtres ou des niches bordées de sculptures admirables, des cintres revêtus d'ornements exquis; des morceaux de corni-
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.•lies, d'entablements ou de chapiteaux, épais comme la poussière sous nos pieds;des voûtes à caissons sur nos têtes; toul mystère, confusion, désordre, chef- d'œuvre de L'art, débris «lu temps, inexplicables mer- veilles autour de nous : à peine avions-nous jeté un coup d'œil d'admiration d'un côté, qu'une merveille nouvelle nous attirait de L'autre.
« Nous ('lions séparés encore de La seconde scène des ruines par des constructions intérieures qui nous dérobaient la vue «1rs temples. Nous n'étions, selon toute apparence, que dans les Logements des prêtres, ou sur le terrain de quelques chapelles particulières consacrées à «les usages inconnus. Nous franchîmes ces Constructions monumentales, beaucoup plus riches que les murs d'enceinte, et la seconde scène des mines fut sons nos yeux. Beaucoup plus large, beaucoup plus longue, beaucoup plus décorée encore que la première d'où nous sortions, elle offrait à nos regards une im- mense plate-forme, en carré long, dont le niveau étail souvent interrompu par des restes de pavés plus éle- vés, et qui semblaient avoir appartenu à «les temples entièrement détruits, ou à des temples sans toits, sur lesquels le soleil, adoré à Balbeck, pouvait voir sou autel. Tout autour de cette plate-forme règne une série de chapelles décorées de niches admirablement sculptées, défrises, de corniches, de caissons du tra- vail le plus achevé, mais du travail d'une époque déjà corrompue des arts : on y sent l'empreinte des goûts , surchargés d'ornements, des époques de décadence des Grecs et des Romains. Mais pour éprouver cette impression, il faul avoir l'œil déjà exercé par la con-
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templation des monuments purs d'Athènes ou de Rome : tout autre œil serait fasciné par la splendeur des tonnes et le fini des ornements. Le seul vice ici, c'esl trop de richesse : la pierre est écrasée sous son propre luxe, et les dentelles de marbre courent de toutes parts sur les murailles.
« Et cependant ce n'était rien encore auprès de ce que nous allions découvrir tout à l'heure. En multi- pliant par la pensée les restes des temples de Jupiter Stator à Rome, du Golisée, du Parthénon, on pourrait se représenter cette scène architecturale; il n'y avait encore de prodiges que la prodigieuse agglomération de faut de monuments, de tant de richesses et de tant de travail dans une seule enceinte et sous un seul re- gard, au milieu du désert, et sur les ruines d'une cité presque inconnue; nous nous arrachâmes lentement à ce spectacle, et nous marchâmes vers le midi, où la tète des six colonnes gigantesques s'élevait comme un phare au-dessus de cet horizon de débris; pour v parvenir, nous fûmes obligés de franchir encore des murs d'enceintes extérieures, de liants parvis, des pié- destaux et des fondations d'autels qui obstruaient par- («•ut l'espace entre ces colonnes et nous : nous arri- vâmes enfin à leur pied. Le silence est le seul langage »l<' l'homme quand ce qu'il éprouve dépasse la mesure ordinaire de ses impressions; nous restâmes muets à contempler ces six colonnes el à mesurer de l'œil leur diamètre, leur élévation e1 l'admirable sculpture <!<■ leurs architraves el de leurs corniches; < db-s ont sept pieds de diamètre «-t pins de soixante-dix pieds de hauteur; • ■||r> sont composées de deux on trois blocs
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seulement, si parfaitement joints ensemble, qu'on peut à peine discerner l.-> lignes de jonction; leur matière est une pierre d'un jaune légèrement doré qui tient le milieu entre l'éclal du marbre et le mat du travertin. Le soleil les frappait alors d'un seul côté, et nous nous assîmes un moment à leur ombre; de grands oiseaux semblables à .les aigles volaient, effrayés du bruit de nos pas. au-dessus des chapiteaux où ils ont leurs oids, et, revenanl se poser sur les acanthes des cor- niches, les happaient du bec et remuaient leurs ailes, comme les ornements animés de ces restes merveil- leux.
d Nous avions en face, du côté du midi, un autre temple, place sur le bord de la plate-forme, à environ quarante pas de nous : c'est le monument le plus entier et le plus magnifique de Balbeck, et j'oserai dire du monde entier. Si vous redressiez une ou deux colonnes de péristyle, roulées sur le liane de la plate-forme, et la tète encore appuyée sur les murs intacts du temple; si vous remettiez à leur place quelques-uns des cais- sons énormes qui sont tombés du toit dans le vesti- bule; si vous releviez un ou deux blocs sculptés de la porte intérieure, et que l'autel, recomposé avec 1rs dé- bris qui jonchent le parvis, reprit sa forme et sa place, vous pourriez rappeler les dieux et ramener les prêtres et le peuple: ils reconnaîtraient leur temple aussi com- plet, aussi intact, aussi brillant du poli des pierres et de l'éclat de la lumière que le jour où il sortit des mains de l'architecte. Ce temple a des proportions inférieures à celui que rappellent les six colonnes colossales: il est entouré d'un portique soutenu par des colonnes d'ordre
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corinthien; chacune de ces colonnes a environ cinq pieds de diamètre et quarante-cinq pieds de fût; les colonnes sont composées chacune de trois blocs su- perposés; rlles sont à neuf pieds l'une de l'autre et à la même distance du mur intérieur du temple; sur les chapiteaux des colonnes s'étend une riche architrave et une corniche admirablement sculptée. Le toit de ce péristyle est formé de larges blocs de pierres concaves, découpés avec le ciseau, en caissons, dont chacun re- présente la figure d'un dieu, d'une déesse ou d'un héros : nous reconnûmes un Ganymède enlevé par l'aigle de Jupiter. Quelques-uns de ces blocs sont lombes à terre au pied dv^ colonnes : nous les mesu- râmes, ils ont seize pieds de largeur et cinq pieds à peu près d'épaisseur! Ce sont là les tuiles de ces monu- ments '. 3)
Nous devons ajouter que sous le monticule chargé de ruines si considérables et si étonnantes sons le rap- port artistique, il règne de vastes salles souterraines voûtées à plein cintre. La lumière y pénètre au moyen de larges ouvertures pratiquées à des distances iné- gales, de manière à y entretenir un demi-jour mysté- rieux. Les uns les ont regardées comme des sanc- tuaires destinés à l'accomplissement des mystères de Baal; d'autres pensent que c'étaienl de Irais ré- duits dépendants des palais. Os galeries sont gi- gantesques comme tout le reste, el tout porte à croire qu'elles étaient destinées à donner abri à la multitude que les fêtes assemblaienl à Fïéliopolis.
1 Voya Orient, tome III. pages 26 el suiv.
^ u
cf. v.
3
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Plusieurs des cabanes du village actuel de Balbeck sonl bâties avec les fragments des temples et des palais: de simples murs de clôture ont des moellons • mi marbre et des sculptures que nos musées se- raient tiers île posséder; à chaque pas on se heurte contre des débris antiques, que l'archéologue re- cueillerait précieusement, même à Rome et à Athènes, où gisenl tant de magnifiques restes d'une civilisation (''teinte; mais à Balbeck ces ruines n'ont pas d'histoire. Elles ont gardé fidèlement l'empreinte de la main de l'homme; elles n'ont pas conservé sa pensée!
CHAPITRE XXVIII
LE LIBAN
epuis notre départ de Damas,
*'..;' après avoir franchi 1rs collines de
v ' • \St\: VA ! Anli - Lilian, dans la direction
. de l'antique IMiénieie, nous tra- ■ij ;;/ \i-rsniis uni' conl rée qui n'a poinl d'analogue dans le reste du monde: ^3f£&&i>}££>f<J la disposition du terrain \ donne naissance à tous les climats el aux productions les plus variées. Les différentes saisons ne sont séparées, pour ainsi dire, que par un repli du -"I : les cimes du Liban sont ensevelies sous un blanc linceul de neiges éternelles; dans les plaines arrosées règne constamment une chaleur humide favorable au développement de la végétation; les ver- sants des montagnes sont luùlés par les rayons du
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soleil; au somme! le froid esl vif, el l'hiver y a placé son empire; au sein des vallées, I»1 printemps et l'au- tomne se succèdent perpétuellement : les arbres y son! chargés à la fois de Heurs e1 de fruits. Si la nature était secondée par l'industrie des hommes, et surtout si les révolutions cl les persécutions n'y troublaient pas constamment la sécurité nécessaire au cultivateur, toutes les richeeses de la végétation y seraient réunies: on trouverait, au milieu des rochers et des vallons d'Éden, au milieu même du Liban, une image affai- blie des délices du paradis terrestre. Mais la tyran- nie du gouvernement turc, les exactions des pachas et les malheurs de la guerre ont trop souvent con- damnée la misère les populations répandues dans te Liban; si des tribus entières ont pu échapper à l'exter- mination qui les menaçait, elles doivent cet avantage à la position de leurs villages bâtis au sommet de pics inaccessibles. Une armée qui oserait s'aventurer au milieu de ces gorges resserrées, au fond de ces ravins bordés de rochers, dans ces étroits sentiers serpentant sur le flanc des montagnes, pourrait être arrêtée et anéantie par une poignée d'hommes résolus. Beau- coup de chrétiens ont raison de regarder ces âpres montagnes bordées de précipices comme leur meilleure sauvegarde contre les envahissements de la barbarie
musulmane.
La .haine du Liban et de l'Anti-Liban est partagée entre trois races distinctes principales, naturellement hostiles, les Maronites, les Druses et les Métoualis. La Syrie d'ailleurs , depuis des siècles, est une véritable Babel; toutes les langues s'y confondent. « Chaque
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peuple île passage, dil M. David, y a laissé des traî- nard-, chaque année des maraudeurs, chaque ancien possesseur <\*'> descendants; on y rencontre à la fois des .Juifs et des Perses, des Grecs et des Latins, des Francs el des Arabes; puis des réfugiés des persécutions chré- tiennes et musulmanes, les Maronites et lesMétoualis; des victimes des destinées tes plus étranges, les Sa- maritains et les Kédéniacès; des fous des espèces les [dus honteuses, les Kalbiehs, qui adorent le chien, et les Iézidis, qui adorent le dialile; des indépendants venus du nord comme du midi, les Turkomans et les Bédouins; enfin des despotes, les Ottomans; des fanatiques, les Druses; les brigands, les Kur- des '. »
Les Métoualis ont le siège principal de leur établis- sement à Balbeck. Ce sont les hérétiques de l'Islam: ils adorent le calife Ali presque à l'égal de la Divinité. Leurs mœurs sont grossières et leur caractère fa- rouche. Dans les dernières luttes qui ensanglantèrent la Syrie, leurs cavaliers étaienl redoutables : aucune force n'a pu les dompter. Les Maronites et les Druses occupent |<> Liban : populations également jalouses de leur indépendance, mais séparées par la religion et leurs habitudes. Les Maronites sont catholiques, et in- voquent la protection de la France; tous les voyageurs -ni rendu justice à leur caractère, et se sont lait un devoir de louer leurs imcurs simples el pures, leur foi inébranlable, leur hospitalité, Leurs vertus antiques. Les Druses professenl un paganisme à peine voilé. Rien
i Syrie moderne, par J.-A. David.
LE LIBAN. 513
n'égale Leur fanatisme. Us se sont placés plus (l'une fois xuis la protection de la Grande-Bretagne; ei par la seule raison que la France exerce un patronage sécu- laire à l'égard des Maronites, l'Angleterre n'a pas hé- rité à couvrir de son pa\ illon les intrigues et mémo les violences des I >ruses. Que chacun ici garde son rôle : le drapeau de la France ne flottera jamais sur les tentes de ceux qui depuis des siècles sonl la terreur de leurs voisim et l 'opprobre de leurs amis.
Après avoir quitté Balbeck, notre première station est à Deir-el-Ackmar, le Monastère Rouge, pauvre village habité par des Maronites, qui nous reçoivent avec un empressemenl cordial sous une tente de feuil- lage. En apprenant que nous sommes chrétiens et Français, la population entière s'assemble autour de mais. Le chef du village accourt nous faire les honneurs • le sa résidence; il tient à nous offrir un festin. Nous sommes témoins d'une >rène vraiment biblique. Quel- ques invités viennent prendre place à nos côtés. Les femmes et les enfants, réunis en cercle, se tiennent à distance, nous regardanl avec une curiosité qui serait devenue importune, si elle n'avait pas été tempérée par une' bienveillance respectueuse. Nous nous mettons à table, c'est-à-dire que nous nous asseyons à terre, sui- des tapis. La nappe est étendue devant nous, et Ton présente à chaque convive de petites galettes très- minces en guise de pain. Au milieu, une espèce de ta- bouret en bois de cèdre, luisant de propreté, est des- tiné à porter les plats. La cuisine des Maronites n'est pas à dédaigner. Quand L'appétit est ouvert par l'exer- cice du cheval et l'air vif des montagnes, on la trouve
S3
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excellente. On sert d'abord des viandes hachées assai- sonnées d'épices, ensuite des volailles froides, des lé- gumes, des fruits, et enfin le pilau, mets obligé de tous les festins d'Orient. Il est aisé de voir que le chef de cette chétive bourgade a mis à contribution toutes les ressources culinaires de sa maison, et de celles peut- être de ses amis. Un Ioiili séjour dans le désert d'Ara- hie et notre voyage à travers la Palestine nous ont habitués aux usages du pays. Ici les cuillers, les four- chettes et les couteaux sont inconnus: chacun porte la main au plat. On nous fait boire d'excellent vin du Liban. A la fin du repas, la gaieté était devenue expan- sive, et lorsqu'il fallut se séparer, nous échangeâmes des poignées de main comme de vieux amis. Gomment reconnaître une si cordiale hospitalité? Nous distri- buons aux femmes et aux enfants des chapelets, de petits crucifix de cuivre, des médailles et des images. On parut enchanté de nos petits cadeaux. Un de nos compagnons de voyage offrit au chef un joli pistolet à deux coups fabriqué à Paris. En ce moment l'en- thousiasme est à son comble. Nous étions déjà loin, que les cris d'adieu retentissaient encore à nos oreilles.
Quelques heures avant le coucher du soleil, nous quittons I >eir-el-Ackmar, afin d'aller passer la nuit au- dessus des premiers gradins des montagnes. Demain nous aurons à gravir les plus hauts sommets. Nous suivons des sentiers bordés de chênes en buissons; à mesure que nous montons, l'air devient glacial. Nos tentes sonl dressées au bord du petit lac Éliam- mouni
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Quoique nous fussions déjà parvenus à une assez grande hauteur, il qous fallut plus de trois heures d'une marche pénible pour faire l'ascension de la montagne. La cime du Liban, comme celle des Alpes. esl âpre el accidentée. Des rochers renversés haïrent le passade, des aiguilles se dressent devant vous, des abîmes se creusent sons vos pas, e1 par-dessus cette nature bouleversée s'étend un froid linceul de neige. Les chevaux avancent difficilement le long de sentiers «pie les guide- eux-mêmes onl de la peine à recon- naître. Le souttle glacial du vent, le bruit des cascades qui se précipitent en torrents, les cris de nos conduc- ducteurs interrompent seuls le silence. Le spectacle qui se déploie sous nos yeux est plein d'une sublime horreur; mais l'esprit n'esl pas assez libre pour s'aban- donner à se- impressions. Nous commençons bientôt à descendre par un sentier comme il n'en n'existe ni dans les Alpes ni dans les Pyrénées. A chaque mou ve- inent on court risque d'être précipité sur les pointes aiguës des rochers ou au fond d'un abîme. Des pierres roulantes augmentent encore les dangers du chemin. Parfois le sentier n'a pas soixante-dix centimètres de large; les mules et les chameaux avancent lentement, essayant, pour ainsi dire, le terrain, et cherchant avec soin un endroit où poser le pied. Gomme il leur arrive ordinairement de le mettre à la même place, ils ont fini par creuser la pierre; c'est à l'aide de ces cavités, «pii ont plusieurs centimètres de profondeur, qu'ils réussissent à se soutenir. De distance en distance on rencontre des espèces de degrés taillés dans le roc; il faut les escalader, quelquefois les contourner dans
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des interstices à peine aussi Larges que les jambes de sa monture. On comprend «pie les accidents ne doivent pas être rares dans les voyages à travers le Liban. Chaque année voit grossir le funèbre uéçrologe des victimes qui trouvent la mort au sein de ces dé- filés périlleux.
Enfin la marche devient moins pénible; nous nous arrêtons pour jouir du magnifique panorama qui se déroule sous notre regard. De la région des nuages où nous sommes, el par-dessus les gradins qui vont tou- jours eu s'abaissant, on découvre dans le lointain les eaux resplendissantes de la Méditerranée et les sables rougeâtres du rivage. Le liane i\c> montagnes se cou- vre de verdure. Des villages et des églises paraissent accrochés à toutes les aspérités. On suit de l'œil le cours des ruisseaux et des rivières à d'épaisses traînées de verdure. La main de l'homme est visible: (h'^ es- pèces de terrasses, soutenues au moyen de remparts, sonl ornées d'arbres fruitiers et de plantes de toul genre. La surface polie des rochers reflète la lumière, qui se décompose dans les couleurs changeantes du prisme. On se croirai! en lace d'un tableau magique. A chaque détour la scène change; de nouvelles per- spectives el de nouveaux reflets ravissent le regard. Nous sommes encore au-dessus de la région de cèdres. De l'endroil où nous sommes arrêtés, ils apparaissent comme un bouquet de verdure, et, le tronc de ces arbres gigantesques ressemble à la tige d'un arbris-
u.
\ mesure que nous descendons vers l'occidentj pentes de la montagne changenl d'aspect. Mille
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arbustes croissenl entre Les fentes du rocher. Partout où existe un peu de terre végétale, elle est cachée sous les feuillages les plus touffus; des plantes pous- sent et s'épanouisseni dans des endroits qu'on aurait mis condamnés à une éternelle stérilité. Les perven- ches et des rhododendrons roses s'entrelacent et for- nii'iit les plus charmants bouquets.
Le plateau sur lequel s'élèvenl les cèdres est dominé par des Miiimiets couverts de ueige; il y règne con- stamment un froid assez vif. Une petite chapelle y a ('■té bâtie depuis quelques années. Deux religieux, l'un maronite et l'autre latin, y vivent dans la solitude, jusqu'à ce que la rigueur de l'hiver les force à cher- cher un autre asile. Les cèdres sont disséminés sur une vaste étendue de terrain, et se plaisent sur de petits mamelons exposés au couchant. Les plus vieux, au nombre de douze, peuvent être regardés comme les géants de la création et les patriarches des végé- taux. Ce sont des arbres au port majestueux, au feuil- lage toujours vert, dont le bois répand une odeur aromatique et passe pour être incorruptible. Le plus gros, mesuré au bas du tronc, a dix mètres quarante centimètres de circonférence. Ces douze cèdres, d'un âge vraiment biblique, sont encore la gloire du Liban. Un naturaliste allemand ne fait pas difticulté de croire que plusieurs de ces troncs remontent à plusieurs mil- liers d'années '. A peu de distance, quatre cents jeunes cèdres environ, de différentes hauteurs et d'une bulle
i Russegger, Beisen in Europa, Asiend und Africa, tome lll, p. Tir».
520 SYRIE.
venue, simi destinés à rappeler un jour les magnifi- ques forêts auxquelles la sainte Écriture fail souvent allusion.
Les cèdres étaient jadis très-nombreux sur les col- lines <lu Liban. Salomon en fit abattre quantité pour la construction du temple de Jérusalem et la décora- tion de son palais. Zorobabel en employa égalemenl beaucoup dans la reconstruction du Temple après la captivité. Los niàts des vaisseaux de Tyr étaienl de eèdre. Chaque année, les étrangers apportaient dans les poils de la Phénicie les objets les plus précieux «mi échange du bois de cèdre. Les statues des rois, des héros el des dieux (''(aient en eèdre; et une foule de meubles recherchés se fabriquaient avec ce bois. <>n enduisait de cédrie, c'est-à-dire de la résine du cèdre, les objets qu'on voulait préserver de la destruction. S'il faul en croire le récit de Pline le Naturaliste, les livre- de Niinia, trouvés intacts dans le tombeau de ce prince cinq cents ans après sa mort, avaient été trempés dans l'huile de cèdre.
Les anciens ont toujours professé la plus grande admiration pour le ceilvo. Ge1 arbre était pour eux le foi des végétaux. Chez les Israélites, il esl pris fré- quemment comme terme de comparaison. \'eul -il exprimer la puissance de Dieu, le Roi-Prophète dit que a la voix du Seigneur brise les cèdres » : Vox Domini confringentis ccili-ox^. L'épouse <\^> Cantiques, pour peindre la beauté de l'époux, dit qu'il « res- semble ;iu\ cèdres » : Electus ni cedri ''. Mail- le l,i-
1 I'- wvni. F». — '■ Cinit.. v. I Y
LE II BAN. 521
bleau sublime que l'auteur du livre de l'Ecclésiastique trace de la Sagesse incréée, il «lit qu'elle « s'esl élevée comme un cèdre sur le Liban »> : Quasi cedrus exaltata sum in Libano*. Pour représenter le grand prêtre au milieu de la solennité des sacrifices, entouré des lé- vites et dans tout l'éclat des ornements sacerdotaux, le même écrivain dit que « l'assemblée des prêtres l'entoure comme de jeunes cèdres plantés sur le Li- ban )> : Ei circa illum corona fratrum, quasi plan- tatio cedri in monte Libano -'.
Nous avions plusieurs excursions à entreprendre dans le Liban. Les moines carmes, la plupart Euro- péens, établis à Beherré ou Bescharri , nous donnèrenl l'hospitalité, Gannoubin ou Canobin, Cœnobium, est le siège principal des religieux maronites du Liban. Au lieu où vécut et mourut le saint abbé Maron, Théodose le Grand lit bâtir un monastère qui depuis a servi de résidence aux patriarches. L'église est creusée dans le roc et placée sous l'invocation de la sainte Vierge. Elle est plus curieuse que belle: quelques tableaux venus de Rome en font le principal ornement. Plu- sieurs villages perchés sur les collines, ou cachés derrière de frais rideaux de verdure, animent les environ de Canobin et de la vallée de Kadischa, ber- ceau de la nation maronite. Dans toute l'étendue de la montagne, les Maronites habitent seuls trois cenl soixante-dix bourgs ou villages, et ils sonl mêlésavec les Druses et autres infidèles dans deux cent quatre- vingt-sept autres villages, que les Turcs appellent
i K.-,li..x\iv, 17. — "• Tbid., i ,13.
522 -VR1E.
territoire mixte. Suivant les calculs les plus pro- bables, ils forment une population de trois cent mille .unes.
Les Maronites descendent des premiers chrétiens de Syrie attachés à la foi orthodoxe et à l'obéissance due au souverain pontife. Malgré les persécutions qu'ils eurent à endurer, malgré la défection des Syriens, qui embrassèrent les hérésies de. Nestorius, d'Eutychès ou d'Arius, e1 dont l'exemple pouvait les séduire, ils sont toujours restés catholiques. Le pape lirégoire XflE rend un éclatant témoignage à ces courageux chrétiens lors- qu'il rappelle, en 1581, dans sa bulle d'érection du collège des Maronites à Rome, que vers le milieu du \e siècle trois cents religieux lurent martyrisés par les monothélites et les jacobites pour avoir constamment, refusé d'embrasser l'hérésie. « C'est à saint Maron, au iv siècle, que remonte notre nationalité, écrivait un Maronite en 1846; mais notre foi catholique a toujours été la même depuis cette époque jusqu'à nos jours; nous n'avons jamais rejeté nos principes religieux pour en embrasser d'autres, hérétiques ou taux, comme eela arrive encore aux Syrien-, aux Arméniens et aux Grecs schismatiques. »
Les Maronites cultivent avec amour et patience les collines qu'ils occupent. Leurs champs et leurs jar- dins -"ni une véritable conquête sur la nature; sou- venl ils sont obligés de soutenir les terres à l'aide d'épaisses murailles. Chaque année, chaque semaine, chaque jour, ils luttent pour conserver leur patri- moine. Quelquefois, à la suite d'un violent orage, i\c> éboulements entraînenl la terre végétale au fond des
LE LIBAN. 523
vallées. La famille entière se réunira pour réparer le désastre. On rencontre chez eux Les arbres fruitiers les plus beaux el les plus variés. Aucune description ne saurait donner une plus juste idée «lu génie, de La persévérance des Maronites, que les Lignes suivantes, empruntées à M. Jules -A. David. Lorsqu'on pénètre au milieu des montagnes du Liban on découvre au- tour de soi d'autres montagnes dont chaque étage est peuplé.
« Cette tache blanche sur un mamelon boisé, dit M. David, c'est un village; cette tache brune sur une roche blanche, c'est un couvent; cette muraille au- <!<^sus de laquelle s'élève une végétation nuancée, c'est un verger; ce groupe d'arbres disposés avec art, ce sont des mûriers: ces branches grimpantes étalées avec soin sur un talus, ce sont des vignes; cette ligne .misâtre qui descend dans un vallon, ce sont des oli- viers; ce morceau de terre maintenu par une solide bâtisse, c'est un champ de blé; ces sillons profondé- ment creusés, et où roule une blanche écume, ce sont des canaux; ces palissades autour d'un carré vert, c'est une prairie : toutes ces merveilles, c'est l'œuvre d'un peuple patient, laborieux, uni, en un mot, chré- tien.
« A coup sûr, une société toute chrétienne pouvait seule vaincre tant de difficultés premières, surmonter tant d'obstacles renaissants. Ces terrains cultivables ont été conquis un par un; ces terres fécondes ont été apportées poignée par poignée; chacun de ces arbres a coûté plus de sueurs à planter qu'en Europe une forêt ne coûte à entretenir. Et une fois ces im-
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menses labeurs terminés, pour recueillir le IVuil des arbres el le grain des moissons , que de veilles conti- nuelles, que de soins attentifs! Les neiges de l'hiver, le dégel du printemps, les rochers qui roulent, les torrents qui tombent, menacenl successivement. Il a donc fallu, à force «le travail el d'industrie, creuser un chemina l'impétuosité des eaux, opposer des digues h la chute <\<>> rochers; ici soutenir le sol, là le dé- blayer, se garantir contre les tempêtes, et prévoir même les cataclysmes. » i Syrie moderne, i
La population du Liban est industrieuse. Elle élève les vers à soie, et excelle à fabriquer de légers tissus de soie mêlée de Mis d'or. Les hommes sont robustes, d'une taille élevée, «l'un caractère énergique, de mœurs austères, d'une fidélité à toute épreuve, dune amitié sûre, d'un courage qu'aucun danger n'effraie, d'un sang- froid qu'aucune surprise ne déconcerte. Peuple reli- gieux, sobre, d'humeur douce, tranche et communi- cative, attaché à ses traditions el au sol qui l'a vu naître. Je doute qu'il existe sur la terre une nation plus heureuse. Les femmes chrétiennes jouissent ici d'une grande liberté: niais elles ne sortent jamais sans être voilées. Quelques-unes, en moindre nombre que les femmes druses, ont conservé l'usage de porter sur leur tête un ornement en métal d'une forme singulière. C'esl une espèce de tube en cuivre, souvenl en argent, quelquefois don'' el embelli de ciselures, long de cin- quante centimètre- environ, large de trois à quatre centimètres à la base, el se terminant presque en pointe. <»n l'appelle tantour, mot qui signifie corne. Dans plusieurs villages situés du cAte de Balbeck et
1.1. LIBAN. 525
de la < \œ\éa\ vie, le in ni nu,- esl de moindre dimension : il ressemble assez à un gobelel d'argent. La corne, pour être portée avec élégance, doil être un peu inclinéeen avant; autrefois la mode voulail qu'elle fui penchée sur le côté. Ainsi posée sur le haut de la tête, elle a besoin d'être maintenue au moyen de courroies. Au sommel flotte un léger voile blanc, descendant égale- ment à droite et à gauche et assez long pour cacher le visage. Cette longue el étrange excroissance gêne sin- gulièrement les mouvements, à cause de l'équilibre que le moindre Taux pus pourrait détruire. Chez les Druses et les Métoualis, la plupart des femmes mari< se parent de ce bizarre ornement, que plusieurs écri- vains regardent comme un reste du culte rendu à la Vénus égyptienne. Ce qui [tarait plus certain que cette origine païenne, c'est l'antiquité du tantour, qui figu- rait parmi les bijoux des femmes juives comme une marque de richesse, de dignité et de puissance. Chez les Israélites, cette e>pèce de corne était l'emblème de l'autorité, et, par extension, de l'orgueil. Ainsi s'ex- pliquent beaucoup de passages de l'Ecriture : ExaU tatum est cornu meum '. — Nolite extollere in altum cornu vestrum*. — Cornua peccatorum confringatn3. — Exaltabuntur cornua justi*. —Exaltare cornu gentis suœ6, etc. Ajoutons un dernier trait sur !<• costume des femmes du Liban. Les jeunes filles riches de la montagne se coiffent d'un petit bonnet brodé en or, ou surmonté d'une espèce de diadème, auquel sont
i 1 Reg.j ii,4. — 2 in. lxxiv, 0. — -1 Ibid . II. — ' Ibid., 11. — •> Eccli , slvii, «i.
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attachées des chaînes garnies de pièces d'or qui tom- bent sur le cou et les épaules. Quelques-unes ont un bonnel garni seulement d'une ou de deux rangées de pièces d'argent : la quantité de ces pièces est une sorte de déclaration publique de l'état de fortune. Cette coif- fure dispendieuse constitue quelquefois la partie la plus importante de la dot.
Éden, dont la réputation .est grande dans cette partie de La Syrie, n'est à proprement parler qu'un gros vil- lage dont, la population s'augmente considérablement en été. Les agréments du site y attirent beaucoup de monde durant la saison brûlante : on y compte alors jusqu'à trois mille habitants. Rien ne saurait donner une idée de la fraîcheur qui y règne, de l'air pur qu'on y respire, des beaux arbres qui couvrent les maisons de leur ombre, des fruits qui y mûrissent en abon- dance. La tradition prétend que Salomon y possédait une maison de plaisance. On soutient, aux environs, que la délicieuse vallée d'Éden était le paradis ter- restre: mais cette opinion, appuyée sur la similitude! du nom. ne saurait soutenir le moindre examen, (l'est ici que vécut de longues années el mourut saintement, en 1644, un anachorète français, M. le comte de Chas- teuil , dont la vie édifiante a été publiée plusieurs fois '. Ed mémoire de notre compatriote, que les .Maronites ont surnommé le Bienheureux, uous allâmes nous re- poser quelques instants dans la grotte témoin de ses
1 Vie de M. de Chasteuil, solitaire au mont Liban, par Marchety; Paris j 1666. — L'abrégé de cette vie ;< été inséré dans le tome II «lu Voyage en . . paj la Roque.
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vertus héroïques. Le bourg d'ÉdeD se vante de pos- séder douze églises; mais ce sont eu réalité de petites chapelles très-pauvres, dont celle de Saint-Sergea le titre de cathédrale. Le diocèse d'ÉdeD a les proportions de sa cathédrale; il n'esl composé que de deux vil- lages, e1 la population entière soumise à la juridiction épiscopale est d'environ trois mille âmes.
A deux kilomètres environ d'Éden, si l'on peut éva- luer ainsi les distances au milieu des montagnes, après une heure de marche, on arrive au grand monastère de Saint-Antoine, principale maison de cet ordre, qui ue compte pas moins de quatre-vingts couvents dans le Liban. L'église est creusée dans le rocher, et le bâti- ment des moines paraît suspendu au milieu des airs. On y arrive par un sentier abrupt, à l'aide d'escaliers taillés dans le roc et parfois en suivant des galeries souterraines. C'est véritablement un nid d'aigle posé «•utre la terre et le ciel. Du haut de ces rochers on jouit d'une vue admirable. Çà et là, des ermites habitent d'> cavernes isolées, appliqués constamment à la prière et au travail des mains. Quelques pins végétant entre les lentes du rocher leur donnent de l'ombre en été et du bois en hiver; la source qui coule au fond de la vallée leur offre pour boisson ses eaux limpides; les fruits de quelques arbres, des légumes qu'ils cultivent et des herbes sauvages composent leur nourriture. .Je puis dire que nulle part je u'ai rencontré d'hommes plus heureux.
J'avoue que j'ai quitté avec regret Saint -Antoine, comme tous les villages du Liban. Nulle part, en Orient, je n'entendis prononcer si souvent le nom de
5i!8 SYRIE.
la France. Nous nous dirigeons vers Tripoli. Celte ville nous apparaît dans Le lointain, au milieu de jar- dins verdoyants et à une petite distance de la nier, dont les vagues, frappées par le soleil, lancent au loin mille ('dairs; les maisons, serrées les unes contre les autres, sont dominées par les pavillons flottants des consulats d'Europe.
CHAPITRE XXIX
BEYROUTH
■J ripoli était jadis la principale ville de la Phénicie, selon le témoignage de Diodore : c'est encore une ville importante. Son nom signifie en grec trois villes, parce que, en effet, elle fut originairement composée de trois villes éloignées l'une de l'autre d'un stade ou de cent vingt-cinq pas en- viron. L'une de ces villes appartenait aux àradiens, l'autre aux Sidoniens, la troisième aux Tyriens. Le commerce la rendit florissante. Les vaisseaux de toutes les nations en remplis- saient le port; aussi tous les conquérants en convoitèrent-ils la possession : plusieurs t'ois elle de- vint la proie du vainqueur. Les Arabes lui enlevèrent ses richesses, et en tarirent la source en détruisant
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I,i sécurité du commerce et de l'industrie. Pour comble de malheur, Les sables envahissent sans cesse le lit- toral; de sorte que la ville moderne est à trois kilo- mètres de la mer. Autour du port il s'est formé un gros village de trois à quatre mille âmes appelé la Marine ou El-Mina.
En 1 108, Bertrand, fils de Raymond de Saint-Gilles, vint en Orient avec soixante-dix galères génoises, montées par de hardis compagnons. 11 entreprit la conquête de plusieurs villes de la Phénicie qui avaient résisté jusque-là aux armes des croisés ou que les infidèles avaient reprises. Byblos, après quelques as- sauts, ouvrit ses portes. On réunit alors toutes les forces autour de Tripoli. La conquête de cette place avait été la dernière ambition du vieux comte de Ray- mond: afin de réussir dans ses tentatives souvent re- nouvelées, il implorait l'aide de tous les pèlerins arri- vant d'Occident. Avec leur secours, il avait bâti, sur une colline du voisinage, une forteresse appelée le Chilien, i des Pèlerins. L'infatigable el hardi guerrier tomba d'un toit de ce château, et mourut de sa chute, avec le regret de n'avoir pu arborer l'étendard de la croix sur la ville infidèle. Le roi de Jérusalem vint an siège de Tripoli à la tête «le cinq cents chevaliers; sa présence redoubla l'ardeur <lcs assiégeants et jeta le désespoir dans le cœur des musulmans. Dès le com- mencement du siège, les habitants avaient demandé du secours à Bagdad, ;'i Mossoul, à Damas et au Caire. Le sultan d'Egypte étail leur dernier espoir; enfin ils virenl arriver un vaisseau amenanl un mes- sager qui leur demanda pour sou maître une esclave
BEYROUTH. 531
célèbre par sa beauté, et du bois d'abricotier propre à fabriquer des instruments de musique. <Jue pouvait -mi attendre «l'un prince efféminé qui avait plus souci de ses plaisirs que du salut des disciples du prophète? La population poussa un long cri de détresse, et prit la résolution de capituler. Le vainqueur imposa des con- ditions douce- , propre- à retenir les habitant-: chacun était libre de se retirer avec ce qu'il pourrait emporter, ou de rester dans la ville eu payant un tribut.
Tripoli, avec les villes de Tortose, d'Archas, de Gibel, tonna un quatrième État dans la confédération des Francs au delà des mers. Bertrand, fils de Ray- mond de Saint -Cilles, en prit possession immédiate- ment après la conquête, et prêta serment de fidélité au roi de Jérusalem, dont il se reconnut le vassal '. Plus tard, la ville et le comté de Tripoli appartinrent à Bohémond, prince d'Antioche. Saladin tenta vaine- ment de s'en rendre maître. Le sultan Kelaoun la prit et la ruina en partie. Enfin les croisés la reprirent, et la livrèrent aux ûammes avant de l'abandonner.
On compte aujourd'hui à Tripoli environ 20,000 âmes , dont 6,000 chrétiens de diverses communions. Depuis quelques année-, le commerce y a repris une certaine activité. La soie du Liban et les riches tissus fabriqués dans la montagne y sont apportés autant qu'à Beyrouth. Plusieurs métiers, entre les mains d'ouvriers indigènes, semblent avoir gardé le secret de ces légères et élégantes étoffes jadis si recherchées dan- l'empire byzantin. Les bazars y sont plus pro-
i Histoire des Cruisudes. — Biblioth. des Croisades.
532 SYRIE.
près el mieux approvisionnés que dans d'autres villes plus considérables. Les habitants de Tripoli ont tou- jours passé jtoiir aimer la recherche dans les vête- ments et la nourriture.
La mosquée principale est précédée d'une vaste cour, au milieu de laquelle se trouve un grand bassin pour les ablutions. C'est un édifice dû aux chrétiens el portant les caractères di'> constructions religieuses à moitié romanes, à moitié ogivales, qui précédèrent chez nous le commencement du \in(> siècle. Il n'est pas difficile d'y reconnaître une église du temps des croisades, à trois nefs, avec abside semi -circulaire. Sous le badigeon on aperçoit encore des traces de- peintures murales.
Le cimetière turc, en dehors de la ville, est un des plus curieux que nous ayons vus en Orient. Les tombes y sont nombreuses; elles sont abritées sous des arbres magnifiques, ornées de myrtes et de jasmins odorants L'aloès et l'agave s'y développent dans des dimension? extraordinaires. Entre les pierres sépulcrales et les arbres se glissent, comme des ombres, des femmes enveloppées delong voiles, venant s'accroupir el pleu- rer sur des fosses récemment fermées. Le deuil, en Orient, a des signes extérieurs plus expressifs qu'en Europe; mais trop souvent les formes y remplacent la véritable douleur. Le convoi funèbre est encore accompagné de pleureuses à gages, el la douleur a des
accents convenus d'avance, l'n mari ne peut pas dé-
cemmenl avoir moins de deux pleureuses à la sépul- ture de sa femme. La durée du deuil es1 limitée par des règlements. Duranl les trois premiers jours, il esl
s
BEYROUTH. 533
permis de pleurer; les sept jours suivants, la douleur doit être modérée, et, si l'on continue le deuil un mois entier, il faut qu'il soit mêlé d'adoucissements. Les plus sages, dit-on, comme jadis chez les Israélites, doivent se contenter de témoigner ostensiblement pen- dant trente jours leurs regrets de la perte de leurs parents et de leurs amis. A certaines époques de l'an- née cependant, les femmes, dans toute la Syrie, ont coutume d'aller dans les cimetières en souvenir de leurs prêches. A part quelques exceptions, qui ont leur origine dans la nature même du cœur humain, les sentiments les plus sacrés se refroidissent vite sous l'influence des fau>ses croyances. Il n'y a que le catholicisme qui lasse germer et développer dans une juste mesure les nobles sentiments qui ont leur racine dans le cœur; nos larmes ne sont pas amères, et notre douleur n'est jamais sans espérance.
Les Lazaristes ont un établissement à Tripoli, d'où ils vont faire des missions dans les villages. Les reli- gieux de Terre-Sainte y ont également un couvent; mais les uns et les autres ont des maisons plus consi- dérables à quelque distance, au pied du Liban, à Maris- i et Antoiira. Les Jésuites ont leur collège à Ghazir; nous les visiterons avant d'arriver à Bey- routh. Chemin faisant, nous voyons Batroun, l'antique Botrys, où les Maronites viennent de bâtir une fort belle église, et nous faisons une station à Djébaïl. dette ville, que les anciens appelaient Byblos, et que les croi- sés connaissaient sous le nom de ( iibelel. joua un cer- tain rôle dans les guerres saintes. Elle est encore en- tourée de murailles à créneaux, et le château, quoique
534 SYRIE.
ruiné, conserve un aspect redoutable. Une centaine de cabanes se dressenl maintenant au milieu des débris et entourenl l'église des Maronites, édifice de l'époque des croisades, bien conservé et bien entretenu. Du haut de la forteresse démantelée on jouit d'une vue magni- fique sur les montagnes et sur la Méditerranée. La plage es! très -belle; on y ramasse des fragments de roches schisteuses entraînées par les torrents, et re- cherchées des naturalistes à cause des empreintes de poissons fossiles qu'elles montrent en grande quantité. Mais ce qui fit jadis la réputation de Byblos, c'est le voisinage du Nahr- Ibrahim, le fleuve Adonis des
9
Grecs et des Egyptiens. Ce cours d'eau prend sa source au sein des montagnes les plus sauvages qu'on puisse imaginer. C'est dans cette partie du Liban qu'Adonis aimait à prendre le plaisir de la chasse et recevait les visites de Vénus. Mars, sous la ligure d'un sanglier, se précipita sur le jeune chasseur et le blessa à mort. Les ondes du fleuve se teignirent de son sang, et Vénus fit retentir les échos de sa douleur. Les pleurs delà déesse, suivant la Fable, firent naître l'anémone, et pour se consoler elle métamorphosa le sang du jeune homme en une charmante petite fleur purpurine qui porte le nom à'Adonide ou Goutte de sang. Les fêtes d'Adonis furent longtemps célèbres dans cette partir de l'Orient. Elles avaienl leurs mystères et leurs initiations. Plus d'une fois les Israélites eux-mêmes, oubliant la loi de Dieu, fuient séduits par l'appât grossier de ces céré- monies païennes. Les écrivains sacrés s'élevèrent avec véhémence contre ce culte impie, qu'ils comparent à celui de Baal.
MKYI10UTH. 535
Le Nahr-Ibrahim coule à travers des roches et des terres ferrugineuses. A l'époque des pluies d'automne, il sort de son lit et roule vers la mer des faux rou- gèâtres : telle es1 l'origine de la fiction des poètes. Les empereurs chrétiens de Gonstantinople rendirent plu- sieurs ordonnances sévères pour proscrire les fêtes d'A- doiiis. Il faut l'avouer, à la honte de l'humanité, les lois furent impuissantes contre les désordres qu'elles occasionnaient; longtemps encore elles furent prati- quées plus ou moins publiquement. Aujourd'hui, grâce à l'influence des missionnaires catholiques, les derniers vestiges de ce culte idolâtrique diminuent sensible- ment; bientôt, nous l'espérons, ils auront complète- ment et à jamais disparu.
Ce pays est maintenant le centre d'un grand mouve- ment religieux et intellectuel. Plusieurs écoles, sans parler de «elle d'Ain-Varaca , appartenant aux Maro- nites, y sont dirigées par les Franciscains, les Jésuites et les Lazaristes. La maison d'Harissa, fondée depuis longtemps dans une solitude qui n'est pas sans agré- ments,est destinée surtout à recevoir les jeunes Pères de Terre-Sainte venant d'Europe et ayant besoin d'ap- prendre l'arabe et les autres langues du Levant. An- toura est une création des Jésuites dans le cours du siècle dernier. Le pape Pie VI a donné ce collège aux Lazaristes, qui l'ont rendu florissant. Les enfants de saint Ignace sont revenus cultiver ce sol jadis défriché par des membres de la Compagnie de Jésus. Ils ont tonde, en 18ii, un collège à < iha/.ir, où ils donnent aux jeunes -rns une instruction solide et variée. Ils ont d'autres maisons a Bevrouth, àBekfaia, à Maallaka et
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à Zahleh, où les jeunes gens se pressent en foule. On y enseigne, outre Les mathématiques, les langues fran- çaise, italienne, latine, grecque et syriaque; on y pro- fesse des cours d'histoire ecclésiastique, de physique, de philosophie et de théologie.
A Antoura, s'élève un couvent de filles de la Visita- tion. Au momenl où uousla visitions il n'y avait que des religieuses arabes, à l'exception d'une seule, Fran- çaise d'origine, mais née en Orient. L'Eglise est bien tenue; le tableau du maître-autel représente saint Fran- çois de Sales. La régularité règne dans cette pieuse communauté, où les religieuses récitent l'office de la sainte Vierge en arabe.
Nous traversons la bourgade de Zouck, une des plus industrieuses et des plus commerçantes du Kesrouan. Les vignobles qui en ornent les coteaux donnent le meilleur vin du Liban. Bientôt nous franchissons le Lycus, Nahr-el-Kelb, ht Hivirrc du Chien. La route de Syrie, fréquentée de tout temps, longe le rivage de la mer, et c'est l'unique voie que suivent encore les ca- ravanes. Aucun obstacle n'en rend le tracé difficile, excepté' aux environs de Tyr et à l'embouchure du Lycus. Ici, il a fallu tailler le chemin dans les rochers el combler les cavités de la vallée. C'est un travail digne de la puissance romaine, e1 il fut exécuté d'après les ordres d'Antonin le Lieux. Les lieux, en outre, gardent la trace du passage de fous les grands peuples de l'antiquité. Ce sont des espèces de thermopyles où s'arrêtèrenl successivement les Assyriens, les Egyp- tiens, les Crées, les humains, les Arabes, les croisés, Français el les soldats d'Ibrahim-Pacha. Le eu-
BEYROUTH. 539
rieuses sculptures H des inscriptions étaient destinées à en perpétuer la mémoire. Vanité des hommes! les caractères cunéiformes et les hiéroglyphes ont été des lettres muettes durant de longs siècles; c'est à peine si la science moderne peut se vanter d'en déchiffrer quelques-unes4. La voie Automne, sur le promontoire du Lycus, n'a qu'un kilomètre de longueur; les chro- niqueurs de la croisade le désignent sous le nom de défilé de Béryte.
Après avoir marché quelque temps sur la plage, nous (Mitrons à lieyrouth par un chemin bordé de haies hautes et épaisses, entre des vergers et des jardins admirablement plantés. On reconnaît à chaque pas le voisinage d'une ville opulente. Rien n'est gracieux comme les cottayex qui se montrent à travers une luxuriante végétation, au milieu de bosquets enchan- tés, d'orangers, de citronniers, de mûriers, de myrtes,
• La belle inscription latine de Lycus a été publiée par Buckingbam , mais avec îles fautes, reproduites par tous ceux qui ont copié cet auteur. En voici la transcription exacte , prise sur les lieux :
LMP. CAES. M. AYRELIVS.
ANTONINVS. PIVS. FELIX. AVCVSTVS.
PART. MAX. 15RIT. MAX. CERM. MAXIMVS.
PONTIFEX. MAXIMVS.
MONTIRVS. IMÏNENTD3VS.
LYCO. FLVMINI. CAESIS. YTAM. DELATAVIT.
PER. {ligne effacée à dessein).
ANTONINI. [MAXIMI] Ce dernier mot est presque illisible.
Sur un des rochers, à gauche du pont, il y a une inscription arabe qui n'a été signalée jusqu'à présent par aucun voyageur.
540 SYRIE.
de [leurs sans nombre, au-dessus desquels le palmier balance son gracieux panache.
Beyrouth, l'antique Béryte, doit sa fortune aux avantages de sa situation. La mer vient battre le pied de ses remparts, el quoique l'entrée du port ne soil pas sans difficultés, les navires peuvenl y aborder, ou se réfugier à Ras-Beyrouth, derrière une langue de terre qui s'avance assez loin dans la mer. Les maisons, bâties en terrasses, comme dans toutes les villes de l'Orient, se détachent sur le vert sombre des collines boisées qui courenl à l'esl et au nord, formant les premiers gradins de la chaîne* majestueuse du Liban. Une partie de la vieille cité s'avance jusqu'au milieu des Ilots, et lorsque le vent souille, les vagues vien- nent se Lriser en (''ruinant au pied de ses remparts crénelés.
L'origine de Béryte se perd dans la nuit des siècle-. Elle l'ut soumise aux Sidoniens , qui y envoyèrent une colonie. Lorsque les Romains eurenl consolidé leur domination en < Irient, ils dédièrent celte ville à l'empe- reur Auguste , sous le nom de Julia Félix. Béryte vit dans ses murs Vespasien , que l'armée venail de procla- mer empereur, et Titus, qui s'y reposa des fatigues du siège de Jérusalem. Le commerce ne cessa d'y taire affluer une foule d'étrangers et d'y accumuler des tré- ors. Au commencement du xiie siècle , les croisés s en emparèrenl el en firenl un ûef possédé par de puissants seigneurs; mais en 1187, elle tomba au pouvoir de Saladin, qui v fui couronné sultan de Damas et du Caire. Duranl dix ans, Béryte fui la capitale musul- mane de la Syrie. Lins tard . les chrétiens, vainqueurs
BEYROUTH. ■ » '■ l
sur les rives de Kasmieh, lieuve qui coule entre Tyr el Sillon, y rentrèrenl eu triomphe. Ils trouvèrent la ville remplie de butin ; les Sarrasins el les pirates y avaient apporté toutes les dépouilles des pèlerins. Dix-neui mille prisonniers chrétiens recouvrèrent la liberté. Ce -h. -ers lut suivi de revers, qu'aucune victoire ne devait racheter. Béryte resta au pouvoir «les musulmans. En ces derniers temps, Méhémet-Ali, qui rêva l'é- tablissement «l'un nouveau royaume de Syrie, s'en rendit maître et l'occupa pendant quelques années: mais les troupes du sultan, secondées par les na- vires de l'Angleterre et de l'Autriche, qui bombar- dèrent la ville, réussirent à l'en chasser le 10 octobre 1840.
Les ruines faites alors parle canon des alliés n'ont pas encore été relevées. La nonchalance des Turcs ne leur permet de rien entretenir; personne ne s'est préoccupé de réparer les brèches des remparts. Bey- routh est le centre d'une activité chaque jour renais- sante. Les quais sont encombrés de marchandises que les caravanes viennent chercher ou apporter. A travers les rues, généralement étroites, sombres, tortueuses et sales, circule la population la plus bigarrée du inonde. [ci l'on entend parler toutes 1rs langues du Levant et de l'Kurope; on est coudoyé par les représentants de toutes les tribus de la côte et du désert. Les carrefours sonl embarrassés parles chameaux, et les abords des bazars sont parfois inaccessibles, tant la foule y est compacte. Il ne faudrait pas croire cependant (pie l'ha- bitant de Beyrouth déploie une activité comparable à celle des Européens. Même quand ils sont occupés d'af-
542 SYRIE.
faires, L'Arabe el Le Turc sont graves, lents et pares- seux. Le marchand, à La porte de sa boutique, est assis ou à demi couché sur un tapis, fumant tranquillement sa pipe, dans un état de somnolence, ne se dérangeant jamais pour inviter les acheteurs ou faire valoir sa marchandise.
Les femmes qu'on rencontre dans les rues ont la ligure couverte d'un morceau d'étoffe brune ou noire, et tout le corps enveloppé d'un immense voile blanc qui leur donne l'aspect de fantômes. Les Européennes seules sortent le visage découvert, Lorsque les femmes de lîeyroutli se débarrassenl de ce1 accoutremenl gro- tesque, elles se parent à l'intérieur de leurs maisons M un costume riche et élégant. La tête est ornée d'une espèce de léger turban ou couverte d'une calotte en or ciselé, d'où s'échappent en boucles de longs che- veux chargés de sequins. Elles portent une veste bro- dée, de larges pantalons de soie, une ceinture aux cou- leurs vives et variées, des brodequins rouges ou jaunes, [ci, comme à Damas et dans le Liban, dans le désert '•I dans les villes, elles ont l'habitude de se teindre Les ongles en jaune, les sourcils et le tour des yeux en noir, les joues en rouge et en blanc, les lèvres en bleu; de légers tatouages dessinent des figures capricieuses sur le iront et autour de la bouche. Ajoutez à cela, quand elles sont riches, <\r> bijoux de toute es- pèce, colliers, anneaux, bracelets, pendants d'o- reilles , etc.
Nous avons aperçu d'autres femmes à lîeyrouth, traversanl les rues en toute liberté, respectées de tout le monde, objet de l'admiration des Infidèles mômes : ce
lîKYHOUTH. 54:?
sont des Filles de Charité. A l'époque où le choléra •'data dans la ville, elles soignèrent les malades, sans nulle distinction, avec un dévouement héroïque. La population entière les regardait comme des anges en- voyés du ciel pour les soulager dans leur infortune. L'humble tille de saint Vincent de Paul répand ainsi la bonne odeur de Jésus-Christ, et l'ait briller aux yeux de tous la sublimité de l'Évangile. La peste choisit une de ses victimes parmi ces intrépides et infatigables re- ligieuses. Jamais convoi plus touchant ne traversa les rues de Beyrouth. A la suite de la bière de l'humble servante de Jésus- Christ marchaient ensemble chré- tiens, Juifs, Arabes, Turcs, confondant leurs larmes et leurs regrets. Hommage dicté par la reconnais- sance ; larmes sincères, regrets venant du cœur; deuil véritable, où les vaines formalités des mœurs orientales n'avaient rien à réclamer; le plus bel éloge des vertus chrétiennes!
Dans quelques jours nous reviendrons à Beyrouth nous embarquer pour la France.
CHAPITRE XXX
TVi; Kl S1D0JN
e Beyrouth à Saïde on voyage le
long de la nier. L;i lame écumante,
,/■■ \ eu se déroulant sur la plage, vient
lia'iLLihT le pied des chevaux. I!
existe encore des tronçons assez
y.-î"" considérables d'une route pavée,
^'". ancienne voie militaire construite
m ou restaurée par les Romains. Aucun chemin
ne sérail comparable au rivage humide de la
Méditerranée, où la brise rafraîchit l'air con-
sti eut, si les Ilots et Les sables ne réfléchis-
aienl pas avec vivacité l'éclal de la lumière, el si l'on n'étail pas exposé aux coups de soleil. Durant son séjour en Syrie, le voyageur a deux ennemis dan- gereux à redouter: la fièvre intermittente et les coups de soleil. Rien ne peut modérer quelquefois les accès
TYR ET SIDON.
de la fièvre, qui tue en peu de jours L'homme le plus vigoureux. Si L'on esl assez heureux pour s'en guérir, la convalescence dure des années; à la santé la plus florissante succède une existence flétrie. Les coups de soleil ne soûl pas moins à craindre que cet ennemi qui s'insinue dans nos veines avec l'air de la respiration: parfois ils frappenl avec une si grande violence, que l'on tombe foudroyé; ordinairemenl ils causent un af- faissement général semblable à la paralysie. S'ils at- teignent le visage ou les mains, ils v occasionnent une inflammation subite suivi.' de bouffissures et de dé- mangeaisons.
El-Mazarest un amas de chétives cabanes. Nous u'en ferions aucune mention, si au fond d'une petite baie voisine on ne montrait l'endroit où le prophète .louas fut rejeté par le monstre marin qui l'avait englouti. Le cap formant un des côtés de la baie est désigné sous le nom de Ras nebbi .Innés.
En approchant de Saïde, on traverse la rivière d'Aoula, le Bostrène des anciens^ charmant cours d'eau qui fournit à la ville et aux jardins qui l'entourent des eaux abondantes.
L'antique Sidon, sœur aînée de Tyr, première capi- tale de la Phénicie, remonte au berceau de l'histoire. Homère vante l'habileté de ses habitants, et, en plus d'un endroit, la Bible fait allusion à sa puissance, à sa richesse et à son industrie. La découverte de la na- vigation est attribuée aux Sidoniens. Ce sont les hommes au cœur cuirassé d'un triple airain, suivant le langage du poète, qui les premiers osèrent affronter le caprice des flots et la fureur dos tempêtes. [Je?, his-
35
546 SYRIE.
toriens on1 prétendu que les caractères alphabétiques,
oritïinaires de Phénicie, lurent inventés à Sidon. Les Sidoniens excellaient également dans la pratique des arts et le maniemenl des armes; mais comme tous les hommes adonnés aux spéculations lucratives du com- merce, ils préféraienl souvent chez eux l'utile à l'a- gréable. <m leur lait honneur de la découverte du verre, e1 ils surpassaient les autres dans l'art de tailler el de sculpter les bois précieux. A l'époque de la guerre de Troie, les femmes de Sidon étaient habiles à broder les plus fines étoffes.
Malgré sou abaissement, Sidon garde encore des airs de reine, et n'a pas oublié sa grandeur passée. La position de la ville est admirable. Bâtie sur le penchanl dame colline, au bord de la mer; entourée de jardins et de bois de pins au sombre feuillage: abondamment pourvue de tout ce qui fait la force et l'agrément, elle semblait destinée à dominer sur toul le littoral de la Méditerranée. Aussi tous les peuples de l'antiquité avides de conquêtes parurent- ils successivement sous les murs de Sidon. Les Perses en furent longtemps les maîtres; la durée et la rapa- cité leur Tirent perdre ce joyau, sous le règne d'Ar- taxerxès Ochus. Alexandre le Grand passa également sous les mêmes remparts, à la tête de sou armée victorieuse. Le héros macédonien dépouilla de la royauté Straton, prince dévoué à la cause de Marins; il chargea son lieutenant Éphestion de trouver à Sidon un homme digne de monter sur le trône. L;i voix publique désigna Abdolonyme, vieillard issu de ans royal, mais réduit à gagner sa vie ;i la sueur
V.
o
! M; I. I S1D0N. 549
il»' son Iront. ( >n le trouva occupé à cultiver un jar- din dans I'1- faubourgs de la ville Alexandre lui demanda comment il avait supporté tant de misère. Loin d'être éboui <l«' l'éclat d'une couronne et de la perspective du pouvoir souverain, Àbdolonyme ré- pondit modestement : « Plaise à Dieu <[iie je puisse aussi bien supporter la royauté! Os lu-as ont fourni à tous ni''- désirs; ne possédant rien, je n'ai jamais manqué de rien. » On a traité de faille le récit de Justin et do Quinte-Gurce; pour l'honneur du vain- queur do l'Asie, nous devons dire «pie cette cri- tique est loin d'être acceptée de tous les historiens.
Quoi qu'il on soit, ce qui ne peut être révoqué en doute par personne, c'est que Jésus-Christ visita la ville de Sidon. Alors, dit l'évangéliste , quittant <•/<■ nouveau les enfuis de Tyr, Jésus alla pur Sidon près de lu mer de ( 'm lilée '. On croit même qu'il guérit miraculeusement aux environs de cette ville la lille de la Chananéenne, en disant à sa mère : Femme, votre foi est grande: un'il eous soit fait selon votre désir2. D'autros ont pensé que ce prodige s'opéra près du village de Sarphand, l'ancienne Sarepta, entre Tyr et Sidon.
Saint Paul s'arrêta à Sidon, avant de s'embarquer pour l'Italie. Il y visita ses amis, c'est-à-dire les fidèles; car sainl Luc nous apprend que parmi les diseiples du Sauveur il y en avait beaucoup du pays voisin de la mer, de Tyr et de Sidon3. Durant les
i Marc, vu, 31.
" Matth., xv, ±2. - Marc, vn,25.
3 Act., xxvii, 3. — Luc, yi , 17.
550 SYRIE.
persécutions 3 cette ville eut aussi ses martyrs, entre autres sain! Zénobe, prêtre et médecin. D'autres sou- venirs chrétiens, et en même temps français, nous reportenl vers Sidon à l'époque des grandes Luttes d'outre-mer. Dès les premières années du xne siècle, elle lil partie du royaume chrétien de Jérusalem, el ims ancêtres attachaient beaucoup de prix à la possession de cette place à cause de retendue et de la sûreté do son port. En 1111, elle fut cédée par Baudouin Ier, à titre héréditaire, au brave Eustache (i renier : ainsi l'antique Phénicie devint une seigneurie française. En 1198, les pèlerins armés de l'Allemagne trouvèrent Sidon abandonnée. Telles étaient alors les vicissitudes de la guerre: le moindre échec ruinait la fortune des cités les plus florissantes, a Vous eussiez vu là, dit le naïf chroniqueur auquel nous devons le récil de ces faits, des maisons de pierre el de bois de cèdre, embellies de divers ornements. Ces maisons que naguère on se faisait gloire d'habiter, on s'empressait alors de les détruire de fond en comble. Que de guerriers changèrent ces beaux édi- fices en écuries pour y loger leurs chevaux! Que de croisés tirent cuire leurs aliments avec du bois de cèdre ' ! »
A cette époque, Sidon conservail encore quelques vestiges de l'opulence de ses anciens habitants. Les soldats allemands regardaient avec étonnemenl les décorations intérieures «le ces somptueux logis, où les émanations aromatiques du bois de cèdre entre-
1 Arnold de Lubeck, Biblioth. de6 Croisades,
n i; Il S1D0N. •">•". I
tenaient constammenl une odeur suave el salubre. En L252, sainl Louis releva 1rs remparts de Sidon démolis par les musulmans de Damas. Tandis que chrétiens, trop confiants dans le voisinage du roi de France, qui étail à Tyr, s'occupaienl paisiblement à rétablir la cité, les Turkomans tombèrenl sur eux à l'improviste, el en firenl un horrible carnage. Saint Louis accourut en toute hâte; mais il était trop tard. Il eut la douleur de voir la ville et la campagne inondées de sang chrétien. Sans s'arrêter il se mit à la poursuite des infidèles, qui s'étaient renfermés dans le château de Panéas. Après avoir uoblement vengé la mort de ses frères d'armes, il revint à Sidon, où les corps des martyrs gisaient sans sépul- ture. A cette vue le pieux monarque ne peut retenir ses larmes, et comme ses compagnons reculent de- vant le pénible devoir d'enterrer ces tristes restes tombant déjà en putréfaction, il leur donne le plus touchant exemple de charité. Saint Louis invite le légat à bénir un cimetière; puis, descendant de cheval, il charge lui-même sur ses épaules un ca- davre qui exhalait une odeur infecte : Allons, mes "///As, s'écrie-t-il, allons donner un peu de terre aux martyrs de Jésus-Christ. En 1289, les chrétiens furent dépossédés à jamais de cette ville.
La population de Sidon s'élevait autrefois à vingt mille âmes: aujourd'hui elle atteint à peine le chiffre de sept à huit mille. Le port, témoin jadis de sa puissance, a été comblé par I»'- ordres de l'émir Fakreddin. A quelque distance de la côte, près d'un îlot de rochers, mouillent actuellement les navires
552 SYRIE.
cl les barques de pêcheurs; mais c'est un abri peu sûr. Nous n'y avons aperçu qu'un petit nombre de barques arabes et deux ou trois vaisseaux de com- merce d'assez médiocre apparence : voilà les derniers représentants des magnifiques flottes sidoniennes qui jadis sillonnaient les mers et remplissaient tous les ports du monde.
Deux forteresses défendaient la cité. La première, assise sur un rocher, dans la mer, passait pour im- prenable. On dit qu'elle était l'ouvrage des croisés; d'autres prétendent qu'elle fut bâtie par Fakreddin. In pont de neuf arches délabrées la relie à la terre ferme. La seconde, attenante aux murailles, occupait le point culminant île la pente sur laquelle s'étagent les maisons de la ville. L'origine en est inconnue; mais elle porte des traces évidentes du siècle de saint Louis. Maintenant murs, tours et citadelles sou! en ruines. Du haut du rempart, et surtout du sommet de la citadelle maritime, on jouit d'un coup d'œil admirable; les yeux, éblouis par l'éclat de la mer el le reflel des montagnes, s'arrêtent délicieusement sur les jardins qui garnissent le pied des collines. A l'ombre de ces arbres serrés et touffus, Abdolonyme travaillait la terre: nos pères des croisades s'y sont reposés plus d'une fois. Les maisonsdela ville actuelle sonl >i rapprochées les unes des autres, que les ter- i i es des toits paraissent communiquer ensemble. Les rues sonl très -étroites; quelques-unes sont voû- : d'autres sonl recouvertes de toiles el «le nattes. L'air \ circule ;'i peine; ce- précautions s,,nf prises contre les ardeurs du soleil; mais ces rues sombres,
I \ li E l SIDON. 553
étroites, malpropres, se changent aisément en foyers d'infection. La peste y fait d'effroyables ravages quand elle v pénètre. In seul établissement offre des dis- positions grandioses; il appartient à la France. C'esl un édifice considérable, précédé d'une cour spacieuse, où l'eau murmure en tombant dans un large bassin, à l'ombre d'un superbe bananier. Le commerce fran- çais y avait jadis un centre actif; aujourd'hui on y trouve le logement du consul de France, le couvent des Pères de Terre-Sainte, une église, une école, des dépôts de marchandises, des galeries et des écuries; c'est une forteresse, un khan, un bazar, une petite ville.
Le nombre des eatholiques est assez restreint à Saïde; il y a néanmoins quatre églises à leur usage, suivant les différents rites : celle des Latins, des- servie par les Franciscains, et celles des Arméniens, des Maronites et des Grecs unis.
Les jardins de Sidon passent avec raison pour les plus fertiles et les mieux entretenus de toute la Syrie. Tous les arbres fruitier- sont cultivés et y poussent avec vigueur. Nous y avons remarqué des orangers, des citronniers, des mûriers, des oliviers, les autres arbres qui prospèrent sur les côtes de la Méditerranée, et surtout des bananiers gigantesques. Les fruits du bananier y atteignent une parfaite maturité; ailleurs ils ne sont ni aussi doux ni aussi parfumés; dans tout l'Orient, les dattes de Sidon sont recherchées. Les poissons se trouvent en abondance au marché de Sidon. Justin avait fait la remarque que Saïd ou Saîda signifie poisson, et que ce nom fut donné à
554 s MUE.
la ville à cause de la facilité et de L'abondance de la pèche.
De Saï'ilr à Tyr la dislance est d'environ vingt- huit kilomètres; la route suit constamment le bord Ar l'eau. L'ancienne voie a disparu, et les caravanes aimenl mieux marcher sur le rivage, où les chevaux el les chameaux trouvent sur la grève humide un chemin solide et toujours libre. Aussi rencontre -t- on fréquemment de longues fdes de chameaux portant de lourds fardeaux, allant d'une ville à L'autre, et se rapprochant assez de la mer pour que le flot vienne expirer à leurs pieds. Plus on se rapproche ainsi de la rive, moins on est exposé à s'enfoncer dans le sable. Tous les peuples et tous les voyageurs, depuis La plus haute antiquité, ont fréquenté cette route I lacée et entretenue par la nature. Nous marchons sur les pas de cent nations diverses: près de ces rivages, des ruines et des sépulcres attestent leur passage. Combien de peuples célèbres ne sont au- jourd'hui connus, hélas! que par des tombeaux! Encore ces tombes sont -elles souvent muettes. Nous autres hommes des derniers âges, nous entrons dans ces caveaux mortuaires, nous remuons curieusement des cendres refroidies depuis do> siècles, nous inter- rogeons ces débris : hélasl la mort jalouse a gardé trop fidèlemenl ><-s secrets.
Notre attention l'ut éveillée en face de Sarepta, que l'Ecriture appelle Sarepta Sidoniorum. Cette bourgade '■-t connue dans L'Ancien Testamenl par La demeure qu'y lit Elie chez une pauvre femme, pendant, que la famine désolait Le royaume d'Israël. I>u temps de
TYR ET sidon.
saint Jérôme et de sainte Paule, on y voyait une
petite tour construite à l'endroit où le prophète Élie séjourna; une petite église y l'ut bâtie dans la suite. Tout a disparu : etiam periere ruinœ. Au siècle .|c> guerres de la Croix, Sarepta eut un château fort et un évêché; l'évêché "dail suffraganl de l'arche- vêché de Tyr. Les vignes produisent un vin généreux, connu -i>us le nom de vin de Sarepta et dame dou- ceur traîtresse : dulcia Bacchi munera 7//"' Sarepta ferax, quœ Gaza crearat. Les poètes ont chanté les doux présents <!<• Bacchus, et ont placé sur les rivages qui se trouvent vis-à-vis de Sarepta la scène mytho- logique de l'enlèvement d'Europe par Jupiter méta- morphosé en taureau. Les monnaies de Sidon repré- sentent la fille d'Agénor assise sur un taureau. A Tyr on a longtemps montré la maison d'Agénor et la maison d'Europe. Ce récit, suivant certains auteurs modernes, n'est qu'une allégorie relative à la course du soleil passant des rivages de LAsie à ceux de l'Europe. A Sarphand on voit- d'assez beaux oliviers; la vigne v est rare, les musulmans Font arrachée.
lai s'approchant de Tyr et à quatre kilomètres en- viron <le cette ville, on rencontre Nahr-Kasmieh, qui a sa source près de Balbeck, dans la Cœlésyrie, et dont les rives lurent témoins d'une bataille célèbre; après une lutte acharnée, la victoire y resta fidèle aux drapeaux de la croisade4. Enfin, après avoir es- caladé un monticule de sable, on entre dans une misérable bourgade: c'est la fameuse cité de Tyr. Tous
1 Michaud, Hist> des Croisades, tome I, livre iv.
556 SYRIE.
les historiens de l'antiquité ont vaut»'' la magnificence et la grandeur de Tyr. Les prophètes L'ont souvenl choisie comme terme de comparaison, mettant son opulence en parallèle avec, les ruines que la colère de Dieu devail y accumuler en punition de >r> injustices, ce Vaisseaux de Tharsis, s'écrie le prophète Isaïe, poussez dos hurlements; Tyr est ravagée de telle sorte qu'il n'y reste plus une maison, et qu'on ne peul plus y pénétrer. » Le prophète Ézéchiel appelle également les malédictions du Seigneur contre cette cité coupable, contre de l'idolâtrie et d'impurs mys- tères. « Le roi de Babylone, dit-il, abattra les murs de Tyr, pillera ses richesses, ravira ses marchandises, renversera ses maisons et jettera dans la mer pierres, métaux, bois précieux et jusqu'à la poussière «les édi- fices. » Ces prophéties sont accomplies à la lettre. Tyr a disparu. Le voyageur est étonné en apercevant sur la plage «les amas de débris informes, tristes restes <l une cité célèbre.
Il est fait mention de Tyr avant la guerre de Troie. Justin nous apprend que cette ville fut fondée, peut- être faudrait -il dire restaurée par les Sidoniens. Hiram, l'ami de Salomon, l'agrandi! et L'embellit. Bientôt elle prit «les accroissements considérables, grâce à l'industrie el au commerce. Les vaisseaux de Tyr, comme ceux de Sidon, s'aventuraienl hardiment sur toutes Les mers; Les recherches de L'érudition moderne nous les montrent jusque dans les régions plus Lointaines. L'histoire de Tyr est mêlée à celle de tous les peuples anciens, el se rattache aux noms d'Agénor, de hidon. d'Iliram, de Naliudiodonosor,
TYR KT SIDON. :■:>:
d'Alexandre le Grand, des Arabes, des croisés, de sainl Louis, de Saladin. Homère, Hérodote, Virgile et le Tasse l'ont célébrée. « Tyr esl la mère de Cadix
et de Carthage, et son nom seul rappelle le plus liant degré de puissance et de richesse auquel un peuple puisse atteindre. Ses habitants étaient les princes de la mer; leurs demeures fastueuses étaient des palais de marbre et d'or, où retentissaient des concerts continuels et le son des harpes; leurs vête- ments étaient teints d'hyacinthe et de pourpre; les princes de Gédar leur offraient leurs chevaux sur les places de la ville; les habitants de l'Yémen, de Javan, de Thubal, de l'Arménie, y étalaient l'argent, l'étain, les tapis, les manteaux précieux, les rubis, la myrrhe, le corail ou le jaspe, ou y amenaient des esclaves; les guerriers de la Perse, de la Lydie et de l'Egypte suspendaient à ses murailles leurs cuirasses et leurs boucliers pour lui servir d'ornement ; les enfants d'Arouad bordaient ses murs; les Djémédéens gar- daient ses tours, où brillaient- leurs carquois; toutes les contrées de la terre s'empressaient de rehausser I triât qui l'environnait; son port était plein de na- viit 3; ses vaisseaux étaient construits avec les sapins du Sanir, les cèdres du Liban formaient ses mâts; ses rames étaienl ornées d'ivoire; toutes les mers étaient couvertes de ses voiles, et. ses flottes touchaient aux îles lointaines '. » La ville de Tyr, détruite par Alexandre après un
1 Ezech., xxvi, xxvn. wviTi. — MgrMislin, les Lieux Saints, tome I,
p. r>îi .
558 SYRIE.
siège de sepl mois, sortit de ses ruines et s'éleva encore à un haut <lrmv de prospérité. Les Romains v envoyèivnl mie colonie, et l'empereur Adrien, le bâtixxfiir. en releva les remparts. A la vérité, elle avait beaucoup perdu de sa magnificence; la situa- tion avantageuse de son port continua cependant d'y attirer beaucoup de négociants et d'étrangers. En l'année 183, elle lui réduite en cendres par Niger, el depuis lors elle ue se releva jamais complète- ment.
Déjà le christianisme y avait jeté ses racines. Saint Pierre y fonda une Kglise, qui dans la suite devint une des plus importantes de l'Orient. Elle se glorifia de la sainteté et de la science de ses évêques, dont plusieurs furent décorés de la palme du martyre. Quatorze évêchés dépendaient du siège métropolitain • le Tyr; mais la tempête qui souffla sur l'Orienl au \nr siècle emporta tout à la fois et la métropole et les évêchés suffragants; les musulmans, comme le fléau de Dieu, passèrent le sabre et la torche incen- diaire à la main, ne laissant après eux que des cada- vres et des ruines fumantes.
I Minuit les guerres d'outre-mer, Tyr joua un grand rôle. Prise el reprise plusieurs l'ois, cette ville était regardée comme le boulevard de la Syrie. Les rois chrétiens parurenl souvent au milieu de ses murs. Guillaume, l'historien des croisades, lui archevêque de Tyr. L'ancienne cathédrale, la basilique de Paulin, où furenl enterrés Origène el l'empereur Frédéric Barberousse, la plus belle église de la Phénicie, est j moitié enfouie sous les décombres el sous do
l'YH ET SIDON.
masures qui recouvrenl le chœur et une partie des nefs. Bieutôl il n'en restera plus rien. En consultant le récit des voyageurs anciens, il est facile de con- stater que l'œuvre de la destruction avance toujours. Tyr esl connu actuellement sous le nom de Sour; la population est d'environ quatre mille âmes; on y compte deux mille chrétiens, presque tons (irecs unis.
CHAPITRE XXXI
SA1NT-.IKAX-IJ ACliK
■
... '
OTRE chemin su il toujours la plage. Après une heure de mar- che nous arrivons aux puits de Salomon, Ras-el-Ayn : immenses réservoirs où l'eau monte en bouil- lonnant, et d'où elle s'épanche avec une abondance extraordi- naire, même durant les ardeurs extrêmes de l'été. A Laide d'une sonde marine on leur a trouvé une profondeur de douze mètres. Les eaux, dune fraîcheur el d'une limpidité sans égales, étaienl autrefois conduites à L'ancienne ville île Tvr au moyen d'un aquedue dont les ruines couvrenl encore la campagne; aujourd'hui elles se déversenl dans la plaine, où elles alimentent plu-
SAINT-JEAN-D'ACRE. 561
sieurs moulins el donnenl naissance à une luxu- riante végétation. < >n attribue l'établissement de ces puits à Salomon; ce prince les aurait fait creuser en témoignage «h- reconnaissance envers Hiram, roi de
Tyr, pour les services que celui-ci lui rendit dans la construction du temple de Jérusalem. L'auteur du Cantique des cantiques fait allusion à ces sources magnifiques lorsqu'il parle du puits des eaux vives qui jaillissent avec force et impétuosité. Des voyageurs modernes ont cru que cette fontaine gigantesque a pour source un puits artésien, ou «pie 1rs eaux v -<>nt amenées <\r> coteaux du Liban au moyen de canaux souterrains inconnus aujourd'hui. Rien, du reste, ne contredit la tradition qui attribue ces bas- sins au plus puissant roi de Jérusalem. C'est un monument qui remonte évidemment à la plus haute antiquité; on y reconnaît, en outre, la trace des tra- vaux dus à Alexandre le Grand et au roi Baudouin. Près de ces eaux rafraîchissantes, à des époques bien éloignées Tune de l'autre, le héros macédonien et le prince des croisades établirent leur camp pendant que leurs troupes étaient occupées au siège de la ville. Du temps de Salmanasar, roi d'Assyrie, ces sources existaient, au rapport de Ménandre, cité par l'historien Flavius Josèphe. Plutarque en parle, et le poëte Nonnus les a chantées avec enthousiasme. En tout temps les voyageurs sont venus se reposer et se désaltérer à ces fontaines, où nous jouissons d'une délicieuse fraîcheur. Lorsque Jésus traversait le pays de Tyr et de Sidon, il s'y reposa avec ses disciples. Cette pieuse croyance n'est appuyée sur aucun texte;
36
;>G2 SVRIE.
-
mais elle esl très -vraisemblable : afin de ne pas scandaliser Les Juifs, Notre -Seigneur n'entrait pas dans Les villes des gentils.
I ii peu avant d'arriver au cap Blanc (Ras-el-Abiad), ainsi uommmé à cause de la blancheur des roches calcaires, ou découvre les ruines d'une ville dont le nom a été oublié. La route qui traverse ce cap est une des plus dangereuses de ce pays, où les routes sont si mauvaises; elle longe un pic qui s'élève per- pendiculairement à plus de cent mètres, et elle est bordée d'un parapet à moitié démoli du côté de la mer, où Les flots viennent mourir dans un abîme d'une effroyable profondeur. Un vertige ou un faux pas pourrait vous jeter dans le précipice; plus d'un vovageur v a trouvé la mort dans les flots. On dit que ce chemin est du au roi de Macédoine, qui avait lait élever une tour fortifiée pour en garder l'issue; il est certain que tous les peuples y ont passé. Ici finit la plaine de Tyr, et du côté opposé se trouve la limite delà Galilée. A l'horizon paraissent les sommets ,),, Garmel, au pied duquel est bâtie l'antique Acco, ou Acca, Saint -.Iran -d'Acre. Cette ville fut donnée parJosué à la tribu d'Aser. Plus tard elle fut conquise ei rebâtie par un roi d'Egypte du nom de Ptolémée, qui l'appela Ptolémaïs, Ptolémaïde, nom sous lequel elle lut connue durant nos guerres d'outre-mer. Sous le règne de L'empereur Claude, elle devint colonie romaine; au \r siècle, les Arabes s'en emparèrent. En 1104, elle tomba au pouvoir de Baudouin Ier, et elle joua le plus grand rôle durant les expéditions de la croisade. Ptolémaïde, en effet, occupe une posi-
SAINT-JEAN-D'ACRE. 565
tion favorable, communiquant d'un côté avec la plaine, el de l'autre côté ouvrant son port aux navi- gateurs de l'Europe el de l'Asie. Au milieu des Ilots, une jetée solide, terminée par une bastille, défendait l'entrée du port, Des murs soutenus par des tours élevées de distance en distance el baignées de fossés larges el profonds, en rendaienl l'accès impossible du côté de la terre ferme. En Ils", Saladin, vain- queur de L'armée chrétienne dans les champ ddlitlin. entra dans Ptolémaïde; mais Richard Gœur-de-Lion et Philippe -Auguste rendirent la ville aux chrétiens, à la suite du siège mémorable ouvert le 1er août 1189, et continué deux années entières. Ce siège a été com- paré à celui de Troie; mais il le surpasse, en outre de sa certitude historique, par l'enthousiasme des soldats, la bravoure des chefs, l'ardeur de l'attaque, l'opiniâtreté de la défense, la force des deux armées et la grandeur des intérêts débattus. Un Homère a manqué au siège de Ptolémaïde.
Le camp des chrétiens ressemblait à une ville. où il y avait des églises, des marchés, des places publiques et des rues remplies d'artisans. Les Fran- cs is, les Anglais, les Allemands, les Vénitiens, les Lombards, l«-s Tyriens. les Danois, les l'isans et les Frisons en habitaient les différents quartiers. Les chevaliers du Temple et ceux de Saint-Jean ne faisaient pas défaut à la cause commune. On y vit, spectacle qui peint bien les mœurs du temps, les archevêques de Ravenne, de Pise, de Cantorbéry, de Besançon, de Nazareth, de Montréal; les évèques de Beauvais, de Salisbury, de Cambrai, de Ptolémaïde,
SYRIE.
de Bethléhem, revêtus de la cotte de mailles, La tête • •ouverte du casque el guidant les soldats au com- bat.
En face, el sur les collines du Kisan étaienl campés les infidèles commandés par Saladin.
Nous ne redirons pas les assauts, les luttes, les exploits qui signalèrent nos troupes sous les murs de la ville assiégée. Soixante mille chrétiens y perdirent la vie, et les Sarrasins y laissèrent un nombre incal- culable de leurs meilleurs soldats. Mais nous ne pouvons passer sous silence ce trait héroïque d'une femme française qui, travaillant avec une ardeur extrême à porter du bois et des pierres pour aider à combler les fossés de la ville, fut atteinte d'une flèche el blessée à mort. Sou mari, escorté <le plu- sieurs compagnons, vole à son secours, et arrive au momenl où elle va rendre le dernier soupir. Chacun s'apitoie sur son sort: mais elle, recueillant ses forces près de s'éteindre, leur dit : « Jetez mon corps dans les fossés, afin qu'après ma mort je sois encore utile aux travaux du siège. »
Kiifin l'tnléni.iide fui vaincue; mais la victoire coûta cher aux croisés: la discorde se mil entre les chefs, grâce à la hauteur du roi d'Angleterre. Philippe-Au- guste revinl en France, ayanl acquis la certitude qu'il ne lui restait plus rien à faire en ( nient pour sa gloire. Léopold d'Autriche devail bientôl faire expier dans un cachol à l'intraitable Richard les outrages dont il croyail avoir à se plaindre.
En 1250, sainl Louis restaura les fortifications de Ptolémaïde. Le \nr siècle n'était pas fini que les infi-
SAINT-JEAN-L ACRI 567
dèles étaienl encore les maîtres, el cette fois pour tou- jours, de ce dernier boulevard de la puissance chré- tienne en Orient. Tou1 l'islamisme pril les armes pour frapper ce grand coup. Deux cenl mille mahométans se rencontrèrent sous les murs «le Saint-Jean-d'Acre, conduits par le Soudan d'Egypte et d'autres émirs fa- natiques. Les chrétiens firenl des prodiges de valeur; mais ils lurent accablés sous le nombre. L'Europe, en cette fatale extrémité, oublia la Terre-Sainte, l'Occidenl u'envoya aucun secours. Quand Ptolémaïde tomba, rues furent inondées de sang et souillées des crimes les plus affreux. Il y avait dans le camp des infidèlesj à la honte de la chrétienté, des renégats nombreux; voulant faire disparaître les derniers témoins de leur apostasie, ils se ruaient avec une impétuosité sauvage sur tous les chrétiens, qu'ils passaient au fil de l'épée. Les églises furent profanées, pillées, incendiées; les femmes et les tilles chrétiennes outragées, les enfants égorgés. De tous côtés on entendait des cris de dé- tresse, les blasphèmes des infidèles et le râle des mou- rants. Au milieu de la cité se dressait le château des Templiers. Les chevaliers s'y battaient comme des lions, et une foule de malheureux y avaient cherché un refuge. Touché de leur héroïsme, le sultan leur offrit une capitulation honorable : ils auraient la li- berté de sortir avec ceux qui se trouvaient dans la forteresse. Ces conditions étanl acceptées, trois cents hommes furent introduits afin de veiller à l'exécution du traité. Enivrés du succès, les musulmans insul- tèrent les femmes; alors les chevaliers indignés mas- sacrèrent ces infidèles jusqu'au dernier. Le sultan
568 SYRIE.
ordonna d'attaquer la citadelle; au moment où les musulmans montaienl à Tassant, clic s'écroula tout à coup el ensevelit sous ses ruines vainqueurs et vaincus.
Ainsi tomba le royaume chrétien de .Jérusalem, cette France d'Orient, arrosée de tant de sang, témoin de tant de vaillance, objet de tant de luttes, vers laquelle s'étaient dirigés l'élite de la chevalerie et les flots d'une multitude de pieux guerriers. La gloire des Francs, .-in* cette terre lointaine, n'a pas entièrement péri : l'honneur survit aux revers jusque dans les âges les plus reculés.
En 1799, le drapeau français parut au pied des remparts de Saint- Jean- d'Acre. Bonaparte comman- dait l'année; mais comment réussir, sans artillerie, à prendre une place forte? La flottille qui nous appor- tait des munitions et des armes avait été prise par les Anglais. On manquait de boulets pour le service des quelques pièces de campagne que nos soldats avaient amenées d'Egypte. On imagina un singulier strata- gème afin de s'en procurer. Quelques cavaliers venaient caracoler sous les murs de la ville. Les assiégés fai- saient l'eu de toutes les pièces de leur artillerie; et les soldats français allaient naiement ramasser les boulets au milieu de la canonnade. Un pareil expédient ne pouvait se prolonger. Après deux mois d'efforts héroï- ques, mais inutiles, il fallut songer à la retraite.
La ville actuelle est une des plus animées du Le- vant. Le commerce, comme à Beyrouth el à .latTa, y '•-t assez actif; des caravanes s'y rendent de divers points du littoral el des régions les plus reculées dans
SAIN r-JEAN-D'AGRE. 569
1rs terres. Malheureusemenl le porl esl embarrassé, et les gros navires n'y peuvent plus entrer. Les environs sont arrosés et fertiles. La plaine d'Acre est parfois inondée; de ses bas-fonds marécageux s'exhalent des émanations pestilentielles. La plupart des rues sont étroites el sales. Le khan français, comme à Sidon, esl un des établissements les plus considérables. Les débris de deux vieilles églises dédiées à sainl Jean- Baptiste conservent le souvenir des chevaliers de Saint- Jean, qui s'y fixèrent en 1 l'd'J. et qui donnèrent à l'to- lémaïde le nom qu'elle porte aujourd'hui, le seul connu des chrétiens de Syrie. La grande mosquée s'élève sur remplacement du château où les Templiers trouvèrent un glorieux tombeau.
Les pachas turcs sont connus ici, comme ailleurs, par leurs rapines, leur fanatisme et leur froide cruauté. Djezzar-Pacha surpassa encore ses prédécesseurs par d'horribles forfaits; pendant un demi-siècle il fit peser un joug de ter sur la population: et pourtant ce mon- stre est mort paisiblement dans son lit à l'âge de quatre-vingt-huit ans. La justice des Turcs n'a pas de bandeau sur les yeux; car elle fait toujours acception des personnes, et les plateaux de sa balance penchent du côté de celui qui les remplit d'une plus lourde somme d'or. Chacun des tribunaux peut remettre en mémoire cette épigramme française:
Ci-git Cléon , ce pi ésidenl avare .
Oui verni cher la justice à chaque citoyen. Croyant qu'une chose si rare Ne doit pas se donner pour rien.
570 SYRIE.
En sortant des [mîtes de Saint- Jean -d'Acre, nos re- gards se tournent involontairement vers les hauteurs du Cannel. dette montagne nous rappelle les plus saints souvenirs. Derrière ces coteaux boisés s'abrite Nazareth, la ville de Marie, la patrie de JÉSUS! Nous saluons avec émotion, et pour la dernière fois, ces lieux témoins des plus augustes mystères, berceau de notre foi, symbole de nos espérances. Adieu, terre vraiment sainte, foulée par les pieds du Sauveur et de la plus pure des Vierges! Malgré l'état de désola- tion dans lequel je t'ai contemplée avec tristesse, jamais les émotions que j'ai éprouvées en parcourant Ifs villes, tes champs, tes montagnes et tes vallées, ne s'effaceront de mon souvenir! Un cœur chrétien pourrait-il donc oublier Nazareth, Bethléhem, Jéru- salem !
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ARABIE PKTIŒE
1 il M'. I. Lb SimaI. — Départ d'Egypte. — Suez. — P - - le la mer Rouge.
— Le désert. — Fontaines de Moïsi . — Le simoun. — Défilés des monta .H' - sinaîtiques. — L'Ouadi Fej ran. — Ruines de l'antique cité de Fej pan "îi Pharan. — Le monasti re Sainte -Catherine. — Ascension du Sinaï, dn mont Sainte-Catherine el de l'Horeb. . . .- la
CHAP. II. Ihmkj. Pétra. — Dépari dn Sinal. — L'Ouadi Ghazalet. — Le golfe el la ville d'Akabah. — Mo ors des Arabes. — Rapacité des Bédouins.
— Désert de Tyb on de l'Égarement. — Le n i Bor. — Pétra ; ruines ad
mit ibles. — Scènes affreuses e1 presque tragiques. — L'Ouadi-Arabah. —
i mcien lit du Jourdain. — Les frontière de la civilisation 33
UDÉE
CH \l'. lli. Uébhok. — Repas sous la tente. — Mœurs patriarcales. — Ancienn route de Pétra. — Puits de Bersabi e. — \- ad ■ I Ismaël. — Chênes de Mem- bre. — Ville d'Hébron. — Tombeau des Patriarches. — I ■ champ Damas- cène. — Noé et la vigne. — En route pour Jérusalem. — Piscines de Sak> mon. — Fontaine scellée. — Jardin fermé. — Voie de Salomon >■
572 TABLE.
CHAP. IV. UiiiiMiuii des sancti unis chrétiens. — l'ivinii »res impressions du pèlerin. — Les Franciscains. — Les infidèles ouvrenl e1 fermenl les portes de l'église du Sainl Sépulcre. — Visite el prière au tombeau de .l'-sus- Christ. — Quels sont les ennemis des traditions chrétiennes. — Les chré- tiens u'ont jamais quitté Jérusalem.— Autorité des monuments. — Temple bâti sous Constantin. — Invention de la vraie croix r>9
1 HAP. V. M Saini Sépulcre.— L'église composée de trois églises : li Se pulcre, le Calvaire; l'Invention de la sainte croix. —Plan à deux absides.
— Origine du plan des cathédrales de Mayence, Worms, Besançon, Ne- vers, etc. — Le centre de la terre. — Tombeaux des rois chrétiens de Jéru- salem. — Tombeau d'Adam. — Rocher du Calvaire. — Description des lieux.
— L'église du Saint -Sépulcre est occupée par les nations chrétiennes. — On reconnaît, en plus d'un endroit, l'influence de l'architecture française
au moyen âge 87
CHAP. VI. Le Calvaire. Stations. — Colonne delà Flagellation. — Prison de Notre Seigneur. — Division <b> vêtements. — Invention de la sainte \. — Église Sainte-Hélène. — Colonne d'impropère. — Chapelle du Cru- cifiement. — Chapelle de la Plantation de la croix. — Pierre de l'onction.
— Le tombeau de Jésus-Christ. — Marie Madeleine. —Chapelle de la Sainte- Vierge. — Voie douloureuse. — Histoire des reliques de la passion. . . . 10fi
CHAP. VII. Jéri sai i m. — État actuel de la ville. — Topographie générale. — Population. — Quartier des Juifs. — Les \\ méniens el les Grecs. — Quar- tier des musulmans.— Enceinte de la ville actuelle.— Intérieur; rues; boutiques; maisons. — Condition des propriétés privées. — Citernes. — Fontaine de Siloé. — Souterrains du Temple m
CHAP. VIH. Jérusalem. Résumé m- m. moi g. — Origine de la ville. — Citadelle des Jébuséens.— Travaux de David et de Salomon.— Constructi lu Temple.
— Vicissitudes du royaume el de la capitale. — Travaux d'Hérode. — Siégi e1 renversement deJérusalem par Titus.— Vaine tentative de Julien l'Apostat pour rebâtir le Temple. —Conquêtes d'Omar. — Aroun al Raschid el Chai lemagne. — Le sultan Hakem. — La première croisade. — Royaume chré
tien. — Saladin reprend Jérusalem en 1187 in
CHAP. I \. Jérusalem. Monuments si ruines. — Montagne de Sion. — l'a Lu-
tombeau de David. — Église du Cénacle.'— Tour de David. — Palais
d'Hérode. — Temple protestant. — Maison du grand prêtre lune. — Huttes
lépreux. — Léproseries ou ladreries. — Le mont Moriah. — Mosquée
• l Omar. — La roche El Sachrah. — Le Temple et les Templiers. — Mosqi
El \ acienne église de la Présentation. — Monastères des Grecs schis
tiques. — Couvent des religieuses françaises. — Hôpital. — Séminaire. i<>i
IAIH.K. r, 7 .'.
CHAP. X. Souvenirs di la sainti Viergi i Jérusalem. — Prophétie d'Isa
— MaiN'M probatique de sainl Joachim el de sainte Anne. — Lieu de la nativité de Marie. — Église Sainte-Anne. —Ce lien fui donné à la France en i83i..— Présentation de la sainte \ ierge au Temple. — Trois sanctuaires dédiés i N I Dame. — Maison de Marie près du Cénacle. — Elle j rendit le dernier soupir. — Son tombeau .1 Getbsémani. — Église de 1 Assomption.
— Tombeaux de Joachim, de sainte Anne et de sainl Joseph. — Marie est
le type de la femme régénérée. — Assujettissement des femmes en Orient. 186
CHAP. M. Li bc^ des Oliviers. Environs de Jérusalem. — Murs d'enceinte.
— Portes. — Vallées de Gihon el de la Géhenne. — Baceldama, le champ du Potier. — Vallée de Josaphat. — Le Cédron. — Mont des Oliviers. — Gethsémani. — Tombeaux des Prophètes. — Le symbole des Apôtres.— Basilique de l'Ascension. — Coup d'œil magnifique 202
CHAP. XII. Valléi di Josaphat. — Sépulture chez les Hébreux. — Sépulcres blanchis. — Tombes de la vallée. — Siloan. — Béthanie. — Bethphagé. — Tombeau des rois --'•
CHAP. Mil. Souvenirs français des croisades \ Jérusalem. — Pèlerinages antérieurs aux 1 roisades. — Urbain II el Pierre l'Ermite. — Les chefs de la première croisade. — Organisation du royaume chrétien de Jérusalem. — Chevaliers du Temple.— Chevaliers de Saint-Jean.— L'oriflamme de Saint- Denis en Asie. — La France d Orient. — Philippe-Auguste à Ptolémaïs. — Influence française. —Assises de Jérusalem. — Mœurs. — Influence des croisades -as
<.IIM'. MV. Bethlébeh. — De Jérusalem à Bethléhem. — Campagne de Bethléhem. — Population. — Sympathies pour la France. — Grotte de la Nativité. — Oratoire de sainl Jérôme. — Tombeau de sainte Paule et de sainte Eustochie. — Basilique bâtie par sainte Hélène : — Franciscains, Arméniens el Grecs. — École de religieuses françaises. — Village des Pas- rs. — Rama. — Tombeau de Rachel. — Mont des Francs 251
CHAP. W ■ Saini Jeak di Désert. — Couvent de Sainte Croix. — Église des religieuses. — \ ignobles. — Village de Saint-Jean. — Basilique de la Nati- vité-de-Saint-Jean-Baptiste. — Fontaine de Marie. — Ruines de l'église de la Visitation. — Le désert. — Le r.uuiiN>T t-t les s.iut.'ivll.'s. — Beit-Djala.
CHAP. XVI. Ramleh 1 1 .lui 1. — Vallée du Térébinthe. — Victoire de David.
— Kalonieh. — Emmalis. — Gabaon el Ramatha. — Victoire de Josué. — Samuel. — Modin el les Machabées. — Saint Jérémie. — Abou-Gosch. — Latroun. — Le bon larron. — Légende. — Ramleh. — Bonaparte el les sol- dats de l'annéi L'Égy] te. — Inscription curieuse. — Plaines de Ramleh. — Jaffo
■>:■'
283
:,7', TABLE.
cil M*. XVII. Smm Sabas. — Course à Thécué. — Les bergers de Bethléheni.
— Plus d'inspiration poétique. — Récil sous la tente. — Admiration des \i Lbes pour 1rs faits d'armes de aotre armée d'Egypte. — En avant, mar- cIip! — Cavernes d'Odollam. — Mont des Francs. — Herodium. — Saint Sabas 305
i h \i\ \\ m. i i Joi rdadî. — Caravane nombreuse. — Autrefois le pèlerinage .■m Jourdain étail dangereux.— Fontaine des Apôtres.— Idomim. — Vue «lu Jourdain. — Cours du ûeuve. — Fontaine d'Elisée. — Monl de la Qua- rantaine. — Rihha . Jéricho. — Galgala. — Lieu de l'immersion des pèlerins.
— Le pays de Moab. — Kérak. — Moïse. — Machéronte, où saint Jean- Baptiste lut décapité 319
CH \i'. Xi\. i.\ mi ii Morte. — La vallée de Cédron aux abords de la mer Morte.
— Description. — Profondeur du bassin. — Émanations délétères. — Détails à rc sujel par M. Lynch. —Oiseaux morts a la surface de l'eau. — Rien de vivant dans ces eaux épaisses et chargées de sel. -- Analyse chimique. — Ruines de Masada. — Restes de Sodome. — Preuve de la vengeance céleste. :î'i7
SAM AME
CHAP. XX. Naplouse. — Adieu a Jérusalem. — Sapha. — Alexandre el le grand prêtre Jaddus. — Réflexions sur le sol et le climal 'I'1 la Judée. — Volney. — Gabaa. — L'honneur d'une femme. — Éphraïm. — Gischala, patrie de sainl Paul.— Kl Bir. — Restes d'une église a ogives.— Béthel. — Silo. — Le puits de Jacob. — La Samaritaine. — L'Hébal et le Garizim. — - ne 'I- - bé lictioûs r\ des malédictions. — Sichem. — Pîaplouse. . . 367
1 HAP. XXI. Swiwui . Sébasiieh. — Restes de la secte des Samaritains. — i h exemplaire de la Loi de Moïse. — Mémoire de M. Sylvestre de Sacy. — Ruines de l'antique Samarie. — Restes de l'église Saint-Jean. — La colon aade d'Hérode. — Sébastieh. — Un enfanl chrétien. — Mœurs antiques. — Sanour. — L'ancienne Béthulie. — Première vue il'1 la Galilée :ts<;
GALILÉE
1 h M'. x\ii. la Thabor. — Bourg de Djennin. — Guéris les < I î x lépreux.
— Plaine d'Esdrelon. — Zérin, antique Jezraël. - tahab el Jézabel. — N in, l'ancienne Naïm. — Endor. — Le Cison. — Le mont Thabor.— lia taille iln mont Thabor, gagnée par l>"- Français le 16 mil 1799. — Vue du
mu. t rie i.i montagne 103
TABLE.
CHAP. Win. Nazareth. — Rapports entre les villes de Nazareth, de Beth- léhem et de Jérusalem. — Description de la ville. — Sanctuaire de r Annon- ciation. — Chambre de Jésus. — Maison de Nazareth à Lorette. — Atelier de Joseph. — Ancienne synagogue. — Éghse des Arméniens. — Montagne du Précipice. — Notre Dame -de -l'Effroi. — Fontaine de Marie.— Mensa Christi. — Souvenirs des croisades. — Jacquelin de Maillé. — Saint Louis,
— D -'-•: -.— ii famille Kbubroussi ',11
i il \i'. \.\i\ . Cawa i i ii Cabw i . — Boni g de «'.nia. — Église sur l'emplace- ment 'l-' la maison des noces. — Ornes de Cana. — Vin de Galilée. — Fon- taine où fut puisée l'eau changée >'ii vin. — Séphoris; raines. — Séfurieh.
— Calpha. — Le Carmel ',:ti
CHAI'. XXV. Tœebiade. — Roches volcaniques. — Uittin. — Bataille d'Hittin ou de Tibériade. — Mer de Tibériade. — Ville. — École rabbinique. — Vo- cation des Apôtres. —Jésus enseigne de la barque de Pierre. —Tempête apaisée. — Emmatls de Galilée. — Montagnes des Béatitudes. — Multiplica- tion des pains.— Medjel, l'ancienne Magdala.— Bethsaïde. — Corozaïn. — Ruines de Capharnaûm w,
SYRIE
CHAP. XXVI. Damas et Balbeck. — Safed. — Le lac Houle. — Papyrus. — Banias. — Source du Jourdain. — Campagne de Dama-. — Souvenirs de saint Panl. — Fanatisme des musulmans. — Funestes divisions des croisés devant Damas. — Population de la ville. — Luxe intérieur des maisons. — Bazars ., 467
CHAP. XXVII. Damas et BajLBECK. (Suite.) — Damas fut toujours une cité vaincue. — citadelle. — Grande mosquée. — Églises. — Couvents. — Sœurs de Charité. — Maison de saint Jean Damascène. — Les quarante martyr-.
— Grotte de saint Georges.— La caverne qui pleure. — Liban et Anti-Liban.
— Cœlésyrie. — Balbeck isi;
CHAP. XXVIII. Le Liban. — Climat de la Cœlésyrie.— Les Maronites. — Les Druses. — Les Métoualis. — Detr-el-Ackmar. — Hospitalité en l'honneur de la France. — Festin. — Le lac Éliammouni. — Sommets du Liban. — Lps cèdres. — Eanobin. — Culture dans les montagnes. —Caractère des Maro- nites. — Le tantour on corne . ornemenl des femmes. — Éden. — Le monas tère Saint- Antoine 510
CHAP. XXIX. Beyrouth. — Tripoli. — Mosquée. — Bazar. — Cimetière. — Deuil. — Batroun. — Djébaïl. — Le fleuve Adonis. — Harissa. — Antoura.
— Ghazir. — Zouck.— Le Lycus. — Inscriptions antiques. — Défilé de Béryte.
— Origine de l'antique Béryte. — Ville actuelle de Beyrouth 529
570 TABLK.
( il M*. XXX. Ttb et Sidon. — Route au bord de la Méditerranée. — La fièvre et les coups de soleil. — Origine de Sidon. — Son antique gloire. — Alexandre le (ira ml el Abdolonyme. — Passage de Jésus Christ à Sidon. — Saint Paul.
— Les croisés. — Saint Louis. — Population. — La ville actuelle. — Jardins.
— Catholiques. — Sarepta. — Le Nain Kasmieh. — Tyr. — Ruines. — Pro- phéties .Vil
CHAP. XXXI. Saisi Ji us i > \ . m . . — Puits de Salomon. — Leur profondeur.
— Souvenirs des années d'Alexandre et de celles de la croisade. — Le cap Blanc, Ras-el-Abiad. — Acca ou Accu, Ptolémaïde, Saint -Jean -d'Acre. —
— - ;■ 1189. — Ouvrages de saint Louis. — Chute du royaume chrétien.
— Siège de L799 par Bonaparte. — Ville actuelle. — Adieu a la Terre-Sainte, âuu
loi If. IMI'lt M \MI
ÛS Bourassé*, Jean Jacques 107 La Terre-Sainte B76
1867
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